AU CŒUR DE

JEUDI 1ER AVRIL 2021

77E ANNÉE – NO 23710 LA MYTHOLOGIE
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EN VENTE UNIQUEMENT
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

Covid : comment les variants se sont imposés
▶ En France, le variant ▶ Cette mutation l’a em­ ▶ Ces évolutions permet­ ▶ Les virologues font le ▶ La course est engagée
britannique représente porté sur celles apparues tent au virus de renforcer constat d’une compétition entre la vaccination et
désormais 80 % des nou­ au Brésil et en Afrique sa transmissibilité en entre mutations du virus l’émergence de variants
velles infections, contre du Sud, avec une contagio­ dépit des gestes barrières qui est loin d’être termi­ qui pourraient en affaiblir
seulement 3 % au début sité supérieure de 40 % et des anticorps d’une née, et que certains redou­ l’effet protecteur
du mois de janvier à celle du virus initial population contaminée tent de voir s’emballer PAGE S 6 ET 7

PLANTU ET « LE MONDE », 50 ANS D’HISTOIRE  COVID-19
CHINE
Pékin accusé 
d’avoir entravé la 
mission de l’OMS
Le patron de l’organisa­
tion lui­même a souligné
la difficulté d’accéder aux
données brutes à Wuhan
PAG E 9

VACCINS
L’Europe en quête 
▶ Nous publions d’autonomie
dans cette édition Bruxelles a identifié
le tout dernier dessin 53 sites potentiels pour
de Plantu en « une » produire de 2 à 3 milliards
de doses par an
du « Monde »
PAG E 8
▶ Son regard, durant
cinq décennies, a ac­ POLITIQUE
compagné les évolu­
tions de la planète Macron : une 
▶ Nous lui consacrons allocution attendue
un supplément Le président, accusé
spécial de huit pages d’avoir tâtonné
sur le renforcement
SUPPLÉMENT des mesures, devait
s’exprimer mercredi soir
PAG E 10 ET ÉDITORIAL PAGE 28

Brésil La rupture est consommée  Allemagne Mali

entre l’armée et Jair Bolsonaro
La corruption et
la crise sanitaire Une enquête de  Tu te trompes Bill*!
minent la fin de l’ONU pointe une 
règne de Merkel
PAGE 4
bavure française
La frappe du 3 janvier
sur le village de Bounti
Economie dans le cadre de l’opéra­
Deliveroo, tion « Barkhane » a visé
un ogre un mariage et tué
dix­neuf civils et trois
au modèle fragile djihadistes, affirme
PAGE 17 le rapport de la Minusma
PAGE 2

Enquête
Les pratiques
douteuses d’un
Education L’écologie, du fétiche à la réalité

conservateur de Le modèle 
Jair Bolsonaro et Edson Leal Pujol, le chef de l’armée de terre,
musée à Mulhouse Sciences Po dans 
démissionnaire, à Brasilia, en 2019. MATEUS BONOMI/AFP
PAGES 20-21
la tourmente
le ministère de la défense brési­ taire. Cette démission tonitru­
lien a annoncé mardi le départ ante, après la mise à l’écart la Rhône Les polémiques sur la
des trois principaux chefs de l’ar­
mée. Une première dans l’his­
veille de six ministres, dont celui
de la défense, souligne la perte de
Villeurbanne faite
Capitale française
« culture du viol » ou
l’« islamophobie » mon­ En librairie
toire du Brésil, et un nouvel épi­ popularité du dirigeant d’ex­ trent un militantisme
sode dans la grave crise opposant
le président populiste à une par­
trême droite, isolé par sa gestion
erratique de la crise sanitaire.
de la culture 2022 étudiant en mutation *Bill Gates « Aucune autre énergie propre ne s’approche
de ce que le nucléaire peut fournir aujourd’hui. »
tie grandissante de l’élite mili­ PAGE 5 PAGE 22 PAGE 12

Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
Au Mali, l’ONU pointe une bavure, Paris dément
La force onusienne dans le pays conclut qu’une frappe de l’armée française a tué 19 civils en marge d’un mariage
C’
était un rapport très
attendu à Bamako
comme à Paris. Le
résultat d’une en­
quête dont l’objectif était d’es­
sayer de démêler le vrai du faux à
la suite d’une frappe française
contestée, réalisée dans le cadre
de l’opération « Barkhane », le
3 janvier, à la lisière du village de
Bounti, dans le centre du Mali.
Près de trois mois après les faits,
la Mission des Nations unies pour
la stabilisation au Mali (Mi­
nusma) a rendu publiques, mardi
30 mars, les conclusions de ses in­
vestigations. Elles mettent en
cause de manière frontale les for­
ces françaises déployées au Sahel
alors que Paris tente péniblement
depuis de longs mois de revoir
son engagement dans la région.
« Ni musique ni signes festifs »
Selon ce document de trente­
six pages réalisé par la division
des droits de l’homme de la mis­
sion onusienne, la frappe fran­
çaise aurait tué « au moins vingt­
deux personnes », dont dix­neuf
étaient des « civils ». Parmi elles,
se trouvaient exclusivement des
hommes, âgés de 23 à 71 ans. Les
femmes et les enfants étaient res­
tés à l’écart. Seules trois de ces vic­
times auraient été des membres
d’un groupe armé terroriste, en
l’occurrence la katiba Serma, affi­
liée au Groupe de soutien de l’is­
lam et des musulmans, la plus
puissante alliance djihadiste au
Sahel. « Au moins huit autres civils
ont été blessés » dans cette frappe,
d’après la Minusma.
Les quinze enquêteurs de l’ONU,
appuyés par deux experts de la
police scientifique des Nations
unies et protégés par les casques
bleus, assurent par ailleurs dans
leur rapport, être « en mesure de
confirmer la tenue d’une célébra­
tion de mariage » de 9 heures à
15 heures, le jour de la frappe sur
un lieu situé à 1 km de Bounti,
dans une zone semi­arborée.
Même si ce lieu « n’était pas usuel­
lement utilisé pour les mariages »
et qu’il n’y avait « ni musique, ni
danse, ni signes extérieurs et mani­
festes festifs », il aurait été jugé
« plus adapté [par les villageois]
aux conditions climatiques et au
nombre de convives ».
Alors que plusieurs témoigna­
ges faisaient état jusqu’à présent
de quelques dizaines de partici­
pants, la Minusma est arrivée à la
conclusion que cette cérémonie
avait réuni « une centaine de ci­
vils ». C’est parmi eux que se trou­
vaient les membres présumés de
la katiba Serma, au nombre de
cinq, et « arrivés dans le village à
bord de trois motos dans la mati­
née » du 3 janvier.
Pour son enquête, la Minusma
a travaillé du 4 janvier au 20 fé­
vrier entre Bamako et les villes
du centre du Mali : Mopti, Sévaré,
Douentza et Bounti. Elle dit avoir
interrogé au moins 115 person­
nes individuellement, 200 en
groupes et réalisé plus d’une
centaine d’entretiens par télé­
phone. Le 25 janvier, elle s’est
également rendue sur le lieu du
bombardement et elle a visité
« l’endroit présumé d’enfouisse­
ALGÉRIE
MAURITANIE
MALI
Tombouctou
Gao
Douentza
Bounti
Mopti
Bamako NIGER
BURKINA FASO
GUINÉE
500 km
ment des corps des personnes
tuées par la frappe ».
La France et ses représentants
ont aussi été entendus dans le
cadre de ces investigations. Selon
la Minusma, l’ambassade de
France à Bamako a ainsi transmis
« des éléments de précision ». Les
enquêteurs de l’ONU disent aussi
avoir eu « deux rencontres bilaté­
rales avec les autorités françaises
en vue d’échanger sur les conclu­
sions préliminaires de l’enquête ».
Toutefois, « aucune information
sur les éléments et renseigne­
ments probants dont disposait la
force “Barkhane” [avant la
frappe] n’a été communiquée »,
déplore le rapport.
Climat tendu
Conscient « des risques de mani­
pulation provenant de toute
part », un des enquêteurs de la Mi­
nusma expliquait en février au
Monde la nécessité d’« établir le
profil de certains témoins et de re­
tracer leur passé » alors que « de
faux témoins » se sont présentés.
Dans le centre du Mali, les grou­
pes djihadistes locaux, parfaits
utilisateurs des rivalités locales,
ont des ramifications dans cha­
que village ou presque. Les inves­
tigations ont par ailleurs eu lieu
dans un climat tendu, souligne le
rapport, à la fois en raison des vio­
lences quasi quotidiennes dans le
centre du pays et de « pressions
médiatiques et politiques ».
Le ministère français des ar­
mées, de son côté, a vivement
réagi, mardi 30 mars, au contenu
du rapport de la Minusma. Un do­
cument dont il redoutait de lon­
gue date qu’il n’aille pas dans son
sens et auquel il a répondu par un
long communiqué détaillé. Tout
en prenant soin de « saluer le fait
qu’une mission de l’ONU puisse
enquêter en toute indépendance
(…), condition essentielle de la vita­
lité des valeurs et du respect des
Pour le ministère
des armées,
le ciblage
aurait suivi
un « processus
robuste » entouré
de « procédures
strictes »
principes démocratiques auxquels
la France est fermement atta­
chée », il s’est dit strictement op­
posé aux conclusions de l’en­
quête onusienne.
Dans sa réponse, le ministère a
ainsi répété sa ligne de défense,
inchangée depuis début janvier.
Selon lui, la frappe a bien ciblé un
groupe armé terroriste « identifié
comme tel ». Le ciblage aurait
aussi suivi « un processus ro­
buste », et ce, dans le cadre de
« procédures strictes et normali­
sées », elles­mêmes inscrites dans
le « respect des règles du droit des
conflits armés ». Une position qui
fait écho au contexte de « guerre
informationnelle », dont la France
se dit de plus en plus la cible au Sa­
hel, notamment en raison de la
montée des appétits russe, turc et
chinois dans la région.
De façon plus inhabituelle dans
le cadre d’un communiqué, le mi­
nistère des armées est allé jusqu’à
« émettre de nombreuses réserves
quant à la méthodologie » du rap­
port onusien. Alors que l’enquête
de la Minusma donne peu de dé­
tails sur le profil des témoins et le
contenu des déclarations, le minis­
tère estime qu’il oppose « des té­
moignages locaux non vérifiables
et des hypothèses non étayées à
une méthode de renseignement ro­
buste des armées françaises, enca­
drée par les exigences du droit inter­
national humanitaire ».
Dans ce parole contre parole,
l’une des principales lignes de
fracture entre la France et la Mi­
nusma concerne la « légalité de la
frappe », et l’interprétation du
droit international humanitaire
qui y est attachée. La mission onu­
sienne s’appuie sur les exégèses
du Comité international de la
Croix­Rouge, qui fait référence en
la matière. Elle considère ainsi
que dans le cadre d’un conflit
armé non international, comme
c’est le cas au Mali, le « terme de
combattant n’existe pas » et
qu’une frappe ne peut donc être
conduite que contre des person­
nes qui « participent directement
aux hostilités ». « La simple allé­
geance ou le soutien sporadique
(…) ne suffit pas », estime­t­elle.
Une mention qui fait directement
référence aux divers soutiens (lo­
gistique ou en renseignement)
que peuvent apporter aux grou­
pes djihadistes un certain nom­
bre de civils au Mali et auxquels
faisait allusion un témoin, cité par
France Inter début février.
Faisceau de faits concrets
Cette interprétation de la notion
de « participation directe aux hos­
tilités » ne fait toutefois pas con­
sensus au sein des états­majors
de nombreux pays. La France
– comme d’autres – considère
qu’une appartenance à un groupe
armé organisé peut malgré tout
être établie à partir d’un faisceau
de faits concrets et d’informa­
tions raisonnablement fiables.
A l’issue de son rapport, la
Minusma formule en tout cas un
certain nombre de recomman­
dations, dont l’ouverture d’en­
quêtes « indépendantes » par les
autorités maliennes et françai­
ses. Un appel du pied à la saisine
de la justice, en vertu notam­
ment de l’accord relatif au statut
des forces signé entre Paris et
Bamako depuis le début de
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Vue aérienne
de la zone
touchée, près
de Bounti (Mali),
le 25 janvier. MINUSMA
LES DATES
3 JANVIER
Une frappe survient près de
Bounti, au Mali. Le lendemain,
les accusations de bavure
enflent sur les réseaux sociaux,
évoquant une attaque qui aurait
touché un mariage, tuant
des femmes et des enfants.
Les premiers témoins affirment
avoir vu des « hélicoptères ».
7 JANVIER
L’armée française dément cette
version et affirme qu’elle a ciblé,
au moyen d’avions de chasse,
des individus de la katiba Serma,
l’une des branches du Groupe de
soutien à l’islam et aux musul-
mans (affilié à Al-Qaida).
25 JANVIER
Les enquêteurs de l’ONU se ren-
dent sur les lieux de la frappe.
30 MARS
Dans son rapport, sur « l’incident
de Bounti », l’ONU confirme la
thèse du mariage, mais dément
la présence de femmes et d’en-
fants ; 22 personnes, dont 19 ci-
vils et 3 djihadistes, auraient été
tuées, selon cette enquête.
l’engagement de l’armée fran­
çaise en 2013. Des conclusions
qui interviennent moins d’une
semaine après une nouvelle ac­
cusation de bavure, contre six
jeunes cette fois, lors d’une
frappe dans une localité située
entre Gao et Ménaka. Une
accusation que « Barkhane » a, là
encore, réfutée. 
cyril bensimon et élise vincent
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Mozambique : la menace chabab prise au sérieux
Afrique du Sud, Etats­Unis et Portugal s’alarment de la meurtrière attaque du groupe dans le nord du pays
johannesburg ­
correspondant régional
N
e serait­ce pas juste­
ment cette accéléra­
tion des réactions que
souhaitaient les djiha­
distes d’Ahlu Sunna Wal Jamaa
(ASWJ) lorsqu’ils ont lancé l’atta­
que Palma, au nord­est du Mo­
zambique, où ils se trouvaient tou­
jours, mercredi 31 mars, menant
des combats sporadiques ? Celle de
l’escalade militaire, qui pourrait
faire les affaires des stratèges du
groupe armé, jusqu’ici sous­es­
timé, et dont le dernier raid a été
revendiqué par l’organisation Etat
islamique ?
Des projets d’intervention exté­
rieure dans le conflit sont désor­
mais à l’état de réflexion pour con­
trecarrer l’extension de l’insurrec­
tion depuis son berceau dans la ré­
gion de Cabo Delgado. Deux pays
occidentaux, qui venaient de dé­
ployer des contingents de con­
seillers militaires auprès des for­
ces mozambicaines, annoncent le
renfort de leur dispositif. Le Portu­
gal va envoyer une soixantaine
d’hommes auprès de ceux qui,
déjà, travaillent avec la police, sur
laquelle repose le dispositif de dé­
fense mozambicain. Les Etats­
Unis, de leur côté, qui avaient, en
mars, réussi à faire accepter la pré­
sence de quelques conseillers,
vont aussi muscler ce contingent.
C’est encore modeste. Mais
d’autres discussions sont en cours
sur la faisabilité d’une force ad hoc,
peut­être sous égide panafricaine,
qui pourrait réunir diverses na­
TANZANIE Palma
MALAWI
CABO
ZAMBIE
DELGADO Pemba
MOZAMBIQUE
MADAGASCAR
ZIMBABWE Canal
du
Mozambique
AFRIQUE
DU SUD Maputo
ESW. 250 km
tions, dont celles déployées en So­
malie dans le cadre de l’Amisom
(force de l’Union africaine). L’Afri­
que du Sud, le voisin à l’armée la
plus puissante et qui a contemplé,
impuissant, ses ressortissants fuir
pour échapper à la mort à Palma,
engage aussi une réflexion active
sur le sujet. D’autres nations occi­
dentales pourraient être associées
à la discussion, voire à l’action.
Cette prise de conscience brutale
du danger constitué par les mili­
tants d’ASWJ – dits les Chabab (les
jeunes) sur place – n’a pris sa force
symbolique lors de l’attaque de
Palma que parce qu’il s’y trouvait
des étrangers, une quarantaine de
Sud­Africains, dont une petite di­
zaine manquait toujours à l’appel
mardi 30 mars, et au moins un Bri­
tannique. Le tout à l’ombre des
murs d’un complexe gazier encore
en chantier, opéré par le groupe
Total, et désormais à l’arrêt.
Pendant le week­end, l’Afrique
du Sud a envisagé une opération
coup de poing avec des forces spé­
ciales. Le gouvernement mozam­
bicain, opposé à ce que des troupes
étrangères opèrent sur son sol, a
refusé. Mais pour la première fois
depuis que les Chabab ont pris les
armes en 2017, l’attaque de Palma a
établi que l’insurrection djihadiste
de Cabo Delgado n’était plus une
affaire locale. Les insurgés ne de­
mandent sans doute pas mieux.
Depuis plus de trois mois, ces der­
niers ont mis en application une
stratégie en vue de ce moment, ac­
compagnée d’une « campagne de
désinformation », comme le relève
une source familière du phéno­
mène Chabab.
Pendant la saison des pluies, les
insurgés, fonctionnant en grou­
pes autonomes dotés de leaders
prenant des décisions collectives,
ont créé une narration : celle d’une
formation aux abois, mourant de
faim, à court de munitions dans
une région ravagée par leurs pro­
pres violences. Ils ont libéré des
prisonniers, lesquels, débriefés,
ont alimenté cette fable – sans
doute les avait­on affamés.
Le gouvernement – dans des pa­
roles relayées par des commenta­
teurs hâtifs – a tenu leur déclin
pour un fait. Le président mozam­
bicain, Filipe Nyusi, originaire de
la région de Cabo Delgado, leur a
offert en février une amnistie, es­
pérant voir le bout du tunnel de
cette insurrection dont les com­
battants avaient pris, en août
2020, le port de Mocimboa da
Praia (au sud de Palma), pourtant
défendu par des éléments d’élite,
sans que la planète s’en émeuve.
Tandis que les pluies prenaient
fin, les Chabab, qui avaient entre­
temps attaqué en Tanzanie sans
plus attirer l’attention, mettaient
la dernière main à l’opération de
Palma. Il y avait, dans cette localité
proche du projet gazier de Total,
une grande concentration de dé­
placés, entre 30 000 et 40 000 per­
sonnes, soit près de la moitié de la
population normale. Alors que les
villages étaient vidés de leur popu­
lation, le gouvernement s’en félici­
tait, imaginant priver les insurgés
de ressources. En réalité, il leur
ouvrait la voie de Palma. Des com­
battants se sont glissés, relèvent
plusieurs sources locales, dans la
foule des déplacés. Mercredi
24 mars, ils ont pu passer à l’atta­
que de l’intérieur de la ville.
Aucun contrôle territorial
Les Chabab, depuis des mois, sem­
blent toujours avoir une longueur
d’avance. Au cours de l’année
écoulée, leur zone d’action a en ap­
parence rétréci. L’armée s’est figu­
rée gagner du terrain ; les insurgés
ne maintiennent en réalité aucun
contrôle territorial. De plus, relève
une source bien informée, « ja­
mais aucun camp des Chabab n’a
été conquis ».
La difficulté pour aborder et
combattre ce mouvement tient à
son côté hybride : d’un côté, un
fond de revendications locales,
avec des racines dans la marginali­
sation de communautés de la pro­
vince de Cabo Delgado exacerbée
– mais non créée – par l’exploita­
tion des ressources, des rubis au
gaz naturel. De l’autre, des djiha­
international | 3
L’attaque de
Palma a établi
que l’insurrection
djihadiste de
Cabo Delgado
n’était plus une
affaire locale
distes expérimentés, qui sem­
blent, selon des sources proches
du terrain, mener la stratégie im­
placable du groupe. « Tout l’enjeu
consisterait à séparer, diviser les
différentes composantes des Cha­
bab, ceux qui veulent un avenir
meilleur et ceux qui suivent les cou­
peurs de tête et ne feront jamais la
paix », relève cette même source.
Les insurgés, eux, progressent.
Ils ont mis la main sur un petit ar­
senal un peu plus élaboré que celui
dont ils disposaient il y a encore
un an. Des véhicules blindés, quel­
ques mortiers qu’ils ont choisi de
ne pas utiliser lors de cette phase
contre le site de Total sur la pénin­
sule d’Afungi. Encore un choix ré­
fléchi. La prise de Palma était l’ob­
jectif, à fort potentiel symbolique,
et s’est révélée d’autant plus facile
que la défense de la ville était ré­
duite : des éléments des forces ar­
mées avaient été déplacés, la veille
de l’assaut, pour assurer la protec­
tion du président, en visite dans
une autre ville du pays.
Les Chabab, souvent, disposent
d’informations précises et fiables
sur les mouvements des forces de
sécurité. Ils ont ainsi tendu une
embuscade à des renforts de grou­
pes de sécurité privés sud­afri­
cains, qui tentaient de rejoindre la
zone de Palma où se trouvaient
certains de leurs compatriotes en
détresse. Désormais, force est de
s’interroger : quel sera leur pro­
chain coup ? Attaquer Pemba, le
grand port de Cabo Delgado, ou
Muenda, ville de garnison de l’in­
térieur ? Selon un chercheur fami­
lier de la zone, qui ne peut s’expri­
mer ouvertement, « Ils n’ont com­
mis aucune erreur jusqu’ici ». Il
ajoute : « Lorsqu’ils ont attaqué
tout près d’Afungi, fin décembre, le
chantier s’est arrêté et le PDG de To­
tal est aussitôt venu au Mozambi­
que demander des garanties de sé­
curité. C’était une forme de recon­
naissance de leur pouvoir, mais
cela est passé inaperçu. »
Après avoir été longtemps sous­
évalués, les insurgés de la province
de Cabo Delgado vont­ils à présent
être surestimés, au risque de dé­
clencher une réponse entière­
ment militaire, dont on sait, de­
puis l’Afghanistan et la guerre au
Sahel, qu’elle peut devenir son pro­
pre piège ? Pour éviter un nouveau
bourbier, sans laisser le champ li­
bre à des insurgés qui risquent de
constituer, avec leur nouvelle no­
toriété, un puissant aimant à dji­
hadistes de la planète, il va falloir,
comme le résume le même cher­
cheur, « être smart ». 
jean­philippe rémy
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4 | international
En Allemagne, la CDU ébranlée par la corruption
Des élus de la formation d’Angela Merkel ont touché des commissions, notamment sur l’achat de masques
berlin ­ correspondant
N
iels Korte a déjà es­
sayé trois fois, en vain,
de se faire élire au
Bundestag. Il comp­
tait retenter sa chance cette an­
née. Ce ne sera pas le cas. Mardi
30 mars, cet avocat, membre de
l’Union chrétienne­démocrate
(CDU) d’Angela Merkel, a annoncé
qu’il renonçait à se présenter aux
élections législatives du 26 sep­
tembre à Berlin. La raison : au
printemps 2020, il serait inter­
venu pour que le ministère de la
santé achète des masques de pro­
tection à une société dans la­
quelle il détient des parts. Un
contrat de 20 millions d’euros, se­
lon le quotidien Die Welt.
La réaction de la CDU n’a pas
tardé. Tout en assurant que
M. Korte n’avait « aucun reproche
à se faire », le parti a salué son
« sens des responsabilités » dans
un contexte où la confiance doit
être « la valeur centrale » de la vie
politique. « Or, les révélations des
derniers jours menaçaient de sa­
per cette confiance », a commenté
la CDU, manifestement soulagée
par ce retrait, qui lui évite de pré­
senter, à Berlin, un candidat soup­
çonné d’affairisme. Même si ce­
lui­ci, jusqu’à présent, n’a pas été
inquiété par la justice.
Le cas de M. Korte n’est pas
isolé. Depuis février, chaque se­
maine est marquée par de nou­
velles révélations dans ce que les
médias allemands ont baptisé
« l’affaire des masques ». Les his­
toires sont similaires : des élus
membres de la CDU ou de son al­
liée bavaroise, la CSU, soupçon­
nés d’avoir servi d’intermédiai­
res entre des fabricants de mas­
ques et les autorités. Quatre d’en­
tre eux sont accusés d’avoir
empoché plusieurs centaines de
milliers d’euros de commission
et font l’objet d’enquêtes pour
corruption. C’est notamment le
cas d’un ex­ministre de la justice
du Land de Bavière, l’avocat Al­
fred Sauter (CSU), qui aurait mon­
Merkel en fin de règne, la lutte pour sa succession reste confuse
Armin Laschet, le chef de la CDU, tente de relancer sa course à la chancellerie, alors que son parti est rattrapé par la pandémie et les affaires
berlin ­ correspondant
C auchemardesque. A six
mois des élections législa­
tives du 26 septembre et
du départ annoncé d’Angela Mer­
kel, l’adjectif n’est pas exagéré
pour décrire la situation des con­
servateurs allemands (CDU­CSU),
plombés par leur gestion errati­
que de la crise sanitaire, ébranlés
par plusieurs affaires de corrup­
tion et toujours sans leader ni
projet pour conduire une campa­
gne qui s’annonce chaque jour
plus compliquée.
L’évolution des sondages
explique leur fébrilité. Début fé­
vrier, la CDU­CSU était encore
créditée de 35 à 37 % des inten­
tions de vote, soit un peu plus
que son score de 2017 (33 %).
Aujourd’hui, elle oscille entre
25 % et 28 %. Talonnés par les
Verts (21­23 %), les conservateurs
ont encore suffisamment d’avan­
ce pour espérer conserver la
chancellerie. Mais si leur chute se
poursuit, rien n’est exclu, y com­
pris leur retour sur les bancs de
l’opposition, ce qui serait une
première depuis l’arrivée au pou­
voir de Mme Merkel en 2005.
Comment reprendre la main
dans un tel contexte ? Mardi
30 mars, le nouveau président de
la CDU, Armin Laschet, a posé les
jalons de ce qui s’apparente à une
stratégie de reconquête. « On ne
peut pas continuer comme ça », a­
« Dans le cas de
la CDU-CSU, tout
laisse penser que
c’est un problème
structurel »
ROBERT HABECK
président des Verts
nayé ses services pour 1,2 million
d’euros. A six mois des législati­
ves, un autre scandale de corrup­
tion secoue la droite allemande,
cette fois en lien avec l’Azerbaïd­
jan. Le 11 mars, l’élu CDU de Thu­
ringe Mark Hauptmann – dont
on a appris depuis qu’il était éga­
lement impliqué dans « l’affaire
des masques » – a ainsi démis­
sionné de son mandat de député
après que le Spiegel a révélé qu’un
journal régional dont il est le di­
recteur avait touché 16 000 euros
pour un publireportage célé­
brant le capital touristique de
Bakou et de sa région.
Pots-de-vin et blanchiment
Une semaine plus tôt, le Bundes­
tag avait levé l’immunité parle­
mentaire de son collègue Axel Fis­
cher (CDU), lui aussi accusé
d’avoir touché des pots­de­vin
d’Azerbaïdjan. Une troisième dé­
putée CDU, Karen Strenz, était
également visée par une enquête
pour blanchiment d’argent dans
la même affaire. Mais elle est
morte, le 21 mars, après avoir fait
un malaise lors d’un voyage en
avion entre Cuba et l’Allemagne.
Face à ces révélations en série, les
dirigeants de la CDU et de la CSU
ont décidé au plus vite de se débar­
rasser de leurs élus mis en cause :
depuis février, le groupe conserva­
teur du Bundestag a ainsi perdu
quatre de ses membres (sur 246).
Après s’y être opposé pendant des
années, le parti de Mme Merkel
s’est également résolu à ce que les
activités des lobbys et les rémuné­
rations des députés soient plus
strictement encadrées.
t­il martelé lors d’un discours ac­
tant le début d’une vaste consul­
tation pour l’élaboration du pro­
gramme électoral de son parti.
Fustigeant « des erreurs dans la
gestion de la pandémie et des
mauvaises conduites personnelles
ayant contribué à ébranler la con­
fiance envers la CDU­CSU », allu­
sion à « l’affaire des masques »,
qui a poussé quatre députés à
quitter le groupe depuis un mois,
M. Laschet a brossé de l’Allema­
gne un tableau sombre, usant de
mots qui auraient presque pu
être ceux d’un leader de l’opposi­
tion. « L’Etat et l’administration
doivent être plus numérisés, plus
rapides et plus efficaces. Nous
avons besoin d’un changement
culturel », a­t­il martelé.
Rompre avec les années Merkel
De la part d’un homme long­
temps considéré comme un fi­
dèle de Mme Merkel, une telle sé­
vérité était inattendue. Mais
M. Laschet estime à l’évidence
que le moment est venu de
s’émanciper de la chancelière.
Une autre phrase de son dis­
cours, mardi, a confirmé cette
prise de distance : « Nous devons
avoir confiance en ceux qui tra­
vaillent sur le terrain et permettre
plus de liberté et de flexibilité. »
Deux jours après que Mme Merkel
a menacé de centraliser la ges­
tion de la pandémie au détri­
ment des Länder, le président de
La chancelière allemande, Angela Merkel, à Berlin, jeudi 25 mars. MICHAEL KAPPELER/REUTERS
Outre l’adoption d’une loi obli­
geant les lobbyistes profession­
nels à s’inscrire sur un registre
tenu par le Bundestag et consulta­
ble par le public, la CDU­CSU a
ainsi trouvé un accord avec le
Parti social­démocrate (SPD), son
partenaire au sein de la grande
coalition au pouvoir à Berlin,
pour contraindre les députés à
davantage de transparence.
Adopté jeudi 26 mars, le texte
prévoit notamment que tous
leurs revenus annexes, dès lors
qu’ils dépassent 1 000 euros par
mois, soient signalés au centime
près. Les députés devront égale­
ment divulguer toute participa­
tion dans une société si elle est
supérieure à 5 % du capital de cel­
le­ci, contre 25 % jusqu’à présent.
Enfin, il leur sera désormais in­
terdit de se faire rémunérer pour
des activités de conseil en lien
la CDU – qui dirige également le
Land de Rhénanie­du­Nord­
Westphalie – ne pouvait marquer
plus clairement son désaccord.
A première vue, cette stratégie
peut sembler risquée. Seize ans
après son arrivée au pouvoir,
Mme Merkel jouit en effet toujours
d’une popularité exceptionnelle :
75 % d’opinions favorables selon
le dernier baromètre politique de
la ZDF, publié le 26 mars. Par
ailleurs, les Allemands conti­
nuent de soutenir davantage la li­
gne de la chancelière, favorable à
un nouveau tour de vis pour ju­
guler la troisième vague de l’épi­
démie, que celle de M. Laschet,
qui plaide pour des mesures
moins contraignantes.
Comment, dès lors, expliquer le
positionnement actuel du prési­
dent de la CDU ? Par le défi qui est
le sien dans l’immédiat : asseoir
son autorité dans le parti afin de
s’imposer comme le candidat
commun de la CDU­CSU à la
Talonnés par les
Verts (21-23 %),
les conservateurs
ont encore assez
d’avance pour
espérer garder
la chancellerie
avec les dossiers dont ils s’occu­
pent au Bundestag.
A l’orée de la campagne des légis­
latives, ces révélations sont du
pain bénit pour l’opposition.
« Aucun parti n’est à l’abri de faux
pas commis par des individus.
Mais, dans le cas de la CDU­CSU,
tout laisse penser que c’est un pro­
blème structurel », a ainsi déclaré le
président des Verts, Robert Ha­
beck, début mars. « Les caisses noi­
res, le lobbyisme et la corruption
sont une vieille tradition à la CDU­
CSU », a également réagi la prési­
dente du parti de gauche Die
Linke, Janine Wissler. Une allusion
à l’affaire dite des « amigos »
(« amis »), qui poussa à la démis­
sion le ministre­président de Ba­
vière, Max Streibl (CSU), en 1993.
Mais aussi au scandale des « cais­
ses noires » de la CDU, qui écla­
boussa les fidèles de l’ancien chan­
chancellerie. Or, dans cette opti­
que, M. Laschet sait qu’il doit don­
ner des gages à ceux qui, en in­
terne, veulent rompre avec les an­
nées Merkel. Notamment au sein
de l’aile libérale du parti et dans
les fédérations des Länder de l’est,
auxquels il consacré beaucoup de
temps ces derniers jours.
Ce calcul sera­t­il payant ? Face à
la chute de leur parti dans les son­
dages, certains responsables de la
CDU estiment aujourd’hui que
leur président devrait laisser
Markus Söder, le chef de la CSU
bavaroise, être candidat à la chan­
cellerie. Animal médiatique, tran­
chant, voire autoritaire, ce der­
nier domine les sondages depuis
le début de la pandémie, durant
laquelle il a toujours défendu la li­
gne ferme de Mme Merkel, soute­
nant même ses récents appels en
faveur d’une plus grande centrali­
sation. « Je trouve étrange que le
président de la CDU tienne tête à
une chancelière CDU six mois
avant les élections », a déclaré M.
Söder, lundi.
Dans le baromètre ZDF du
26 mars, 56 % des personnes in­
terrogées l’estiment apte à occu­
per le poste de chancelier. Elles
ne sont que 23 % de cet avis à pro­
pos de M. Laschet. Malgré sa po­
pularité, M. Söder n’a pourtant
jamais manifesté clairement son
appétit pour la chancellerie. Il
faut dire que, pour lui, le jeu est
risqué : depuis 1949, les deux
30 % des membres
du Bundestag
exercent au moins
une activité
rémunérée
en plus de
leur mandat électif
celier Helmut Kohl (1982­1998) et
précipita l’élection d’Angela Mer­
kel à la tête du parti, en 2000.
De fait, même si des élus
d’autres formations politiques
ont été accusés de malversations
ou de conflits d’intérêts ces der­
nières années en Allemagne,
c’est chez les conservateurs que
les affaires de ce type ont été les
plus nombreuses, et ce pour
seules fois où le candidat de la
droite aux élections fédérales fut
le leader de la CSU – Franz Josef
Strauss en 1980 et Edmund Stoi­
ber en 2002 –, il a été battu.
« Söder semble beaucoup hésiter
à se lancer. Il sait ce qu’il peut per­
dre l’aventure s’il échoue. Et pour
la petite CSU qui, depuis la Ba­
vière, a toujours veillé à se distin­
guer de la grande CDU en défen­
dant des positions plus conserva­
trices, il ne serait pas forcément
simple d’occuper désormais le
premier rôle à Berlin », analyse
Ursula Münch, directrice de
l’Académie de formation politi­
que de Tutzing, près de Munich.
Aucune procédure préétablie
Si le jeu apparaît aussi ouvert,
c’est enfin parce que la désigna­
tion du candidat des conserva­
teurs à la chancellerie n’obéit à
aucune procédure préétablie. A
cause de leur différence de taille,
il est de tradition que la « grande »
CDU, représentée dans quinze des
seize Länder, ait dans ce domaine
l’initiative sur la « petite » CSU,
uniquement présente en Bavière.
« Söder est plus fort dans l’opi­
nion et c’est lui qui a le plus la sta­
ture d’un chancelier, mais c’est
Laschet qui dirige le plus grand des
deux partis. Sauf s’il renonce de
lui­même, ce que je ne crois pas, ce
devrait donc logiquement être lui
le candidat », estime le politolo­
gue Albrecht von Lucke, rédac­
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
deux raisons qui se combinent :
leur longévité au pouvoir, tant
au niveau fédéral que dans les
Länder, et leurs liens avec le
secteur privé.
En août 2020, le Spiegel et l’ONG
Abgeordnetenwatch ont ainsi ré­
vélé que 30 % des membres du
Bundestag exercent au moins
une activité rémunérée en plus
de leur mandat électif (pour le­
quel ils reçoivent une indemnité
mensuelle de 10 383 euros). Après
les libéraux­démocrates (FDP),
qui sont 53 % à déclarer des reve­
nus annexes, les plus nombreux
à exercer une activité dans le
privé sont les députés de la CSU
(50 %), suivis de ceux de la CDU
(36 %), du parti d’extrême droite
Alternative pour l’Allemagne
(23 %), du SPD (23 %), de Die Linke
(19 %) et des Verts (13 %). 
thomas wieder
teur en chef de la prestigieuse re­
vue Blätter für Deutsche und Inter­
nationale Politik.
En réalité, seule une raison
pourrait contraindre M. Laschet
à s’effacer derrière son rival : le
ralliement de plusieurs poids
lourds de la CDU à M. Söder. C’est
ce qui était arrivé le 11 jan­
vier 2002, quand Mme Merkel,
élue deux ans plus tôt présidente
de la CDU, s’était rendue dans la
petite ville bavaroise de Wol­
fratshausen pour prendre un pe­
tit déjeuner avec le patron de la
CSU, Edmund Stoiber, et lui an­
noncer qu’elle le laissait être can­
didat à la chancellerie.
Aujourd’hui, la situation est dif­
férente. Et si M. Laschet ne suscite
pas d’enthousiasme débordant
au sein de la CDU, aucune figure
majeure du parti ne l’a pour
autant appelé à s’effacer au profit
de M. Söder. Cela explique sans
doute sa volonté d’accélérer le
calendrier afin que la question
soit réglée « vite après Pâques »,
comme il l’a dit mi­mars.
A l’inverse, M. Söder semble
vouloir plutôt jouer la montre,
ainsi que l’analyse Albrecht von
Lucke : « L’espoir de Söder, c’est
que, plus le temps passe, plus des
voix s’élèvent au sein de la CDU
pour appeler à sa candidature. En
cela, le temps joue pour lui, et c’est
bien pour cela que Laschet veut en
rester maître. » 
th. w.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Au Brésil, départ des chefs de
l’armée en pleine crise politique
La démission des principaux commandants militaires survient
au moment où Jair Bolsonaro est de plus en plus isolé et impopulaire
rio de janeiro, ­ correspondant
I
ls ont décidé de rompre les
rangs. Mardi 30 mars, le mi­
nistère de la défense brési­
lien a annoncé le départ col­
lectif des trois principaux chefs de
l’armée nationale. Une première
dans l’histoire du Brésil, et un
nouvel épisode dans la grave crise
opposant actuellement Jair Bol­
sonaro à une partie grandissante
de l’élite militaire.
Dans le détail, cette démission
tonitruante concerne le com­
mandant de la marine, Ilques Bar­
bosa, celui de l’aéronautique, An­
tonio Carlos Bermudez, mais
d’abord et surtout le puissant
chef de l’armée de terre, le général
Edson Leal Pujol. Elle constitue
une réaction directe au grand re­
maniement du gouvernement,
annoncé lundi 29 mars.
Jair Bolsonaro a alors procédé au
changement de six de ses minis­
tres. Parmi les sortants, figurait
celui de la défense, Fernando Aze­
vedo e Silva. L’annonce du départ
de ce général 4 étoiles, respecté et
influent, considéré comme l’une
des rares figures pragmatiques du
pouvoir de Brasilia, a provoqué la
stupeur et la colère d’une grande
partie de l’état­major.
Rumeurs de coup d’Etat
Les militaires, qui occupent près
de la moitié des portefeuilles du
gouvernement, la vice­prési­
dence et quelque 6 000 postes
dans les administrations publi­
ques de Brasilia, semblaient
pourtant bien intégrés au pou­
voir bolsonariste. Difficile, à pre­
mière vue, de comprendre les rai­
sons exactes ayant provoqué la
mise au banc du ministre Aze­
vedo e Silva et des principaux
chefs de l’armée.
Et pourtant, voilà longtemps
que le feu couve entre les militai­
La pollution en Sibérie, un sujet trop
sensible selon l’Académie des sciences russe
Un rapport soulignant des niveaux hors norme de pollution de l’air et du sol dans 23 villes
de l’immense région semblait promis aux oubliettes. Mais il a fuité
moscou ­ correspondant
I l fallait un œil expert pour
plonger dans l’ordre du jour
de la réunion organisée le
25 mars par le présidium de la
branche sibérienne de l’Acadé­
mie des sciences de Russie. Entre
les inévitables questions admi­
nistratives et un exposé sur la
gestion des écosystèmes aquati­
ques, le point 4.1.2 attire l’atten­
tion d’Elia Kabanov, journaliste
scientifique du média régional
Tayga.info : « présentation du
rapport “Le classement médico­
écologique des villes de Sibérie” »
par l’un de ses auteurs, Igor Pta­
chnik, directeur de l’Institut
d’optique atmosphérique. En
clair, la liste des villes où il ne
faut surtout pas vivre, s’amuse
un des participants.
« Nos lecteurs sont intéressés par
les questions liées à la pollution et
au changement climatique, expli­
que au Monde Elia Kabanov, lui­
même originaire de Novossi­
birsk, la capitale régionale. J’ai re­
gardé la retransmission sur You­
Tube. Et quand j’ai compris qu’elle
n’allait pas rester longtemps en li­
gne, vu les réactions que suscitait
le rapport, je l’ai tout de suite sau­
vegardée sur mon ordinateur. »
« Le chef de l’Etat
souhaitait que
l’état-major
s’implique plus
pour le soutenir
publiquement »
PAULO CHAGAS
général de réserve brésilien
res et la présidence. Isolé et de
plus en plus impopulaire, « le chef
de l’Etat se montrait insatisfait et
souhaitait que l’état­major s’im­
plique davantage pour le soutenir
publiquement. En poussant tout le
monde vers la sortie, il a voulu
faire une démonstration de
force », décrypte auprès du
Monde le général de réserve
Paulo Chagas, ancien soutien de
Jair Bolsonaro.
Selon la presse, M. Bolsonaro,
capitaine à la carrière médiocre,
ne supporterait plus la condes­
cendance, voire le mépris, des
« grands généraux », dont cer­
tains critiquent désormais ouver­
tement sa politique face au Co­
vid­19. Début mars, le chef de
l’Etat aurait également fortement
reproché au chef de l’armée, Ed­
son Pujol, son absence de prise de
position publique pour s’opposer
à la décision judiciaire ayant per­
mis à l’ex­président de gauche
Luiz Inacio Lula da Silva de recou­
vrer ses droits politiques.
Mais au­delà, difficile de savoir
exactement ce que Jair Bolsonaro
souhaitait exiger de « son » ar­
mée. Ces dernières heures, de
nombreux hauts gradés se sont
répandus – anonymement – dans
la presse, évoquant une « aven­
ture », un coup de force, voire
même une tentative de coup
d’Etat, envisagée un temps par le
Sage prémonition : le lende­
main, la vidéo disparaît bel et
bien de la plate­forme. Et le rap­
port, lui, paraît promis à un enter­
rement de première classe. Trop
sensible, surtout « à l’approche
des élections », s’était ému l’un
des participants. Sauf que l’article
sur le sujet publié par M. Kabanov
connaît, depuis, un retentisse­
ment bien plus important, au­
delà de la seule Sibérie.
25 % du territoire russe
Le rapport du professeur Ptach­
nik, synthèse des travaux menés
par diverses agences gouverne­
mentales, y est décortiqué. Pre­
mier chiffre choc : parmi les villes
les plus polluées de Russie, les
quatre cinquièmes se trouvent
dans le district fédéral sibérien,
qui représente 25 % du territoire
russe et 11 % de la population du
pays. En tout, vingt­trois villes de
cette super­région ont des ni­
veaux de pollution atmosphéri­
que dépassant les normes – neuf
dans la seule région d’Irkoutsk,
cinq dans celle de Krasnoïarsk.
Le polluant le plus communé­
ment trouvé dans les quatorze vil­
les de Sibérie les plus touchées est
le benzopyrène, un hydrocarbure
fortement cancérigène, produit
président, contre l’avis des mili­
taires. Dans un communiqué de
départ, le ministre de la défense,
Azevedo e Silva, s’est contenté de
souligner ses efforts afin de « pré­
server l’armée comme une institu­
tion d’Etat ».
Ces rumeurs confuses, difficiles
à vérifier, ont malgré tout provo­
qué l’effroi du monde politique
brésilien. La démission collective
« est inédite depuis la redémocrati­
sation, et [survient] à la veille de
l’emblématique 31 mars », s’est
ainsi ému le député Rodrigo de
Castro, leader du Parti de la social­
démocratie brésilienne (PSDB,
droite), en référence à la date an­
niversaire du coup d’Etat de 1964,
qui plongea le Brésil dans deux
décennies de dictature militaire.
Exercice d’équilibriste
« Ce que Bolsonaro veut, c’est
transformer l’armée, la marine et
l’aéronautique en milices », a pour
sa part tonné le sénateur Hum­
berto Costa, issu du Parti des tra­
vailleurs (PT, gauche). Les militai­
res – encore nombreux présents
au gouvernement – nient, quant à
eux, toute tentative de coup
d’Etat et jouent l’apaisement. « Il
n’y a aucune rupture institution­
nelle. Les forces armées resteront
toujours du côté de la légalité », a
insisté le général de réserve et vi­
ce­président, Hamilton Mourao.
Dans cette atmosphère très
lourde, difficile de démêler le
vrai du faux, la véritable escalade
du coup de sang passager, le
conflit politique sérieux de la
simple querelle d’ego. « Les hauts
gradés de l’armée construisent
aujourd’hui un récit qui leur est
favorable, en se présentant
comme des héros, des défenseurs
de la démocratie. Ils utilisent cette
succession d’événements pour
laver leur image et se distancier de
Bolsonaro, alors qu’ils ont
aussi bien par l’industrie que par
les gaz d’échappement. A Kyzyl, sa
concentration dépasse 116 fois les
niveaux autorisés ; à Abakan, 88
fois… S’agissant de la pollution des
sols, le constat n’est pas moins
alarmant. Dans la ville minière de
Norilsk, la terre est gorgée de mé­
taux lourds – plomb, zinc, nickel,
cuivre, etc. A Novokouznetsk, c’est
du nitrate et du fluorure que l’on
trouve en abondance. Les eaux de
la République de Touva, dont le
président Vladimir Poutine aime
arpenter la nature sauvage, sont
polluées à 67 %.
Le rapporteur fait aussi un ra­
pide point sur les maladies provo­
quées par ces pollutions, dont
l’incidence est plus élevée en Sibé­
rie qu’ailleurs en Russie : cancers
à Krasnoïarsk, anomalies congé­
nitales à Kemerovo, maladies in­
fantiles dans la région de l’Altaï…
« Tous ces problèmes sont iden­
tifiés depuis longtemps, remar­
que Elia Kabanov. Les auteurs du
rapport le disent bien : les don­
nées médicales et les données de
pollution sont disponibles en ac­
cès libre, aucun satellite améri­
cain n’est impliqué… C’est juste
une bonne synthèse. »
Sauf que l’exposé du professeur
Ptachnik jette un froid dans
LE CONTEXTE
REMANIEMENT
Dans un contexte politique
tendu et de pandémie exponen-
tielle, le président d’extrême
droite Jair Bolsonaro a rem-
placé, lundi 29 mars, six minis-
tres, y compris ceux de l’armée,
de la justice et des affaires
étrangères. Sous le feu des criti-
ques en raison de sa gestion
chaotique de la crise sanitaire
qui a fait plus de 313 000 morts,
le chef d’Etat a aussi tenté un
rapprochement avec le Centrao,
nébuleuse de petits partis
opportunistes du centre et de
la droite dominant le Congrès.
Il a ainsi nommé Flavia Arruda,
une figure de ces formations,
au secrétariat du gouverne-
ment, chargé de dialoguer
avec le Parlement.
jusqu’à présent pleinement ad­
héré à son projet », croit Christo­
phe Harig, chercheur à l’univer­
sité Helmut­Schmidt de Ham­
bourg et spécialiste du monde
militaire brésilien.
La prochaine étape décisive con­
cernera le nom des successeurs
aux postes de commandement
de l’armée brésilienne. Un exer­
cice d’équilibriste pour Jair Bolso­
naro, désormais placé sous une
pression maximale. En attendant,
le leader d’extrême droite aura
remporté une première victoire :
durant quarante­huit heures, le
Brésil a cessé de regarder les cour­
bes apocalyptiques du coronavi­
rus. Mardi, le Brésil a enregistré
3 780 décès supplémentaires cau­
sés par le Covid­19. Du jamais­vu
depuis le début de l’épidémie. 
bruno meyerfeld
l’assistance. Et les membres du
présidium arrivent rapidement à
un consensus : il ne faut pas pu­
blier le rapport, comme cela était
prévu. « Ne soyons pas alarmistes,
met en garde l’académicien Va­
lentin Parmon. Les résultats pour­
raient être incorrects… »
Plus direct, Alexeï Kontorovitch
s’émeut : « Imaginez que nous pu­
bliions ces rapports… Ce serait une
bombe, juste avant les élections ! »
Au­delà du scrutin législatif prévu
à l’automne, le scientifique s’in­
quiète des « questions superflues »
qui pourraient émerger dans la
population.
Les académiciens ne songent
pas en revanche au fait que leur
réunion est diffusée sur You­
Tube : il faudra attendre le lende­
main pour que quelqu’un pense à
effacer la vidéo. Elia Kabanov a
ainsi eu le temps de la sauvegar­
der et de recopier scrupuleuse­
ment chiffres et dialogues. « Ce
qui est terrible, c’est que personne
ne leur a rien demandé, note­t­il. Il
n’y a même pas eu besoin d’un
coup de téléphone. On est dans
l’autocensure, ce qui confirme
l’état de peur dans lequel vit la
science russe, encore plus quand il
s’agit d’écologie. » 
benoît vitkine
international | 5
L’aide pour la Syrie
se réduit, malgré
la situation humanitaire
La Ve conférence des pays donateurs
reste très loin des objectifs fixés par l’ONU
E ntre crise économique, sa­
nitaire, lassitude des pays
donateurs et calculs politi­
ques des puissances impliquées
dans le conflit syrien, les acteurs
humanitaires ne cachaient ni
leurs craintes ni leur scepticisme
lors de la Ve conférence des dona­
teurs pour la Syrie, organisée par
les Nations unies et l’Union euro­
péenne, lundi 29 et mardi 30 mars.
L’ONU avait appelé à des dons
d’au moins 10 milliards de dollars
(8,5 milliards d’euros) pour l’an­
née en cours, rappelant que
24 millions de personnes ont be­
soin de soutien en Syrie et dans la
région, soit 4 millions de plus
qu’en 2020. L’objectif affiché était
de collecter « au moins 4,2 mil­
liards de dollars pour la réponse
humanitaire à l’intérieur de la Sy­
rie et 5,8 milliards supplémentai­
res pour soutenir les réfugiés et les
communautés d’accueil dans la ré­
gion », avaient précisé les Nations
unies.
Avec seulement 4,4 milliards de
dollars de promesses pour 2021, et
2 milliards pour 2022 et les années
suivantes, selon un premier dé­
compte fait par le commissaire
européen Janez Lenarcic, on est
loin du compte. Le montant des
promesses « confirme les craintes
que les donateurs n’entendent pas
les appels de millions de Syriens qui
ont fui leurs foyers et dont les vies
ont été déchirées par dix ans de
guerre », s’est alarmée l’ONG Ox­
fam. « La situation empire », avait
pourtant alerté le secrétaire géné­
ral adjoint de l’ONU aux affaires
humanitaires, Mark Lowcock.
6,2 millions de déplacés internes
Sur le terrain, la vulnérabilité des
populations syriennes, en Syrie
même comme dans les pays envi­
ronnants, continue de s’aggraver.
Loin du « retour à la normale »
vanté par le régime de Damas, qui
a repris le contrôle de plus de 70 %
du territoire ces dernières années,
reléguant dans les marges du
pays près de 3 millions de person­
nes dans la région d’Idlib, la der­
nière zone encore aux mains de la
rébellion dans le Nord­Ouest ;
quelque 2,6 millions dans les ter­
ritoires administrés par les forces
kurdes, dans le Nord­Est et l’Est ;
et environ 1,3 million dans des po­
ches de territoires dans le Nord
frontalier de la Turquie, sous le
contrôle des forces turques et de
leurs supplétifs syriens.
Le Programme alimentaire
mondial estimait en février que
12,4 millions de personnes, soit
près de 60 % de la population sy­
rienne, vivaient dans une situa­
tion d’insécurité alimentaire en
décembre 2020, contre 9,3 mil­
lions de personnes ne mangeant
pas à leur faim au mois de mai de
cette même année, tandis que la
monnaie n’en finit plus de plon­
ger. En dix ans, la livre syrienne a
perdu près de 99 % de sa valeur.
Aux 6,2 millions de déplacés in­
ternes, s’ajoutent 5,6 millions de
Syriens durablement réfugiés au
Moyen­Orient : 3,6 millions en
Turquie (près de 4,5 % de la popu­
BIRMANIE
Washington ordonne
le retrait de diplomates
Les diplomates américains
non essentiels doivent
quitter la Birmanie, en proie
à une répression sanglante
après le coup d’Etat militaire.
Dans un communiqué, mardi
30 mars, le département
d’Etat a annoncé qu’après
avoir « autorisé le départ
volontaire des employés du
gouvernement américain et
des membres de leur famille »
12,4 millions
de Syriens, soit
près de 60 % de
la population, se
trouvent dans un
état d’insécurité
alimentaire
lation), 800 000 à 1,5 million au
Liban (entre 16 % et 26 % de la po­
pulation), 660 000 à 1,2 million
en Jordanie (jusqu’à 13 % de la po­
pulation). Au Liban, 90 % d’entre
eux vivent sous le seuil de pau­
vreté, au moins 76 % sont haute­
ment ou sévèrement vulnérables
en Jordanie, et 70 % sont privés
d’un logement décent en Turquie,
selon des données de l’Agence
française de développement.
Dans l’impasse
La question du contrôle de l’ache­
minement de l’aide humanitaire
dans les régions qui échappent
toujours au contrôle de Damas,
objet de tensions diplomatiques
récurrentes entre les pays occi­
dentaux et la Russie, parrain et
protecteur du gouvernement sy­
rien, est toujours dans l’impasse.
En témoigne une nouvelle passe
d’armes entre Washington et
Moscou à l’ONU après que les
Etats­Unis ont réclamé, lundi, la
réouverture des points d’accès
humanitaires aux frontières sy­
riennes, fermées en 2020 sous
pression russe.
« Comment est­il possible que
nous ne puissions pas trouver
dans nos cœurs l’humanité com­
mune pour réellement prendre des
mesures significatives ? Regardez
dans vos cœurs », s’est exclamé le
chef de la diplomatie américaine,
Antony Blinken.
Des propos jugés « hypocrites »
par Damas : « Les Etats­Unis vio­
lent la charte des Nations unies et
le droit international en imposant
des sanctions unilatérales, en po­
litisant les questions humanitai­
res, en occupant des territoires
[d’autres pays] », a répliqué
mardi le ministère syrien des af­
faires étrangères.
En juillet 2020, la Russie et la
Chine avaient usé de leur droit de
veto pour imposer au Conseil de
sécurité de réduire à un seul le
nombre de points d’entrée né­
cessaires à l’acheminement de
l’aide humanitaire dans le pays
sans passer par l’aval du gouver­
nement syrien.
Aux critiques peu amènes des
Etats­Unis, le vice­ministre russe
des affaires étrangères, Sergueï
Verchinine, a opposé la « souve­
raineté » de son allié, critiquant le
fait que la Syrie n’ait pas été invi­
tée à Bruxelles. Une « politisation
croissante de l’aide humani­
taire », selon lui, qui a estimé que
l’aide transfrontalière « violait les
principes du droit international ».
Le blocage continue, et les aides
ne suivent plus. 
madjid zerrouky
en février, il ordonnait
désormais leur départ – (AFP.)
HO NDURAS
Le frère du président
condamné
Tony Hernandez, frère du
président Juan Orlando
Hernandez et ex­député, a été
condamné mardi 30 mars à la
perpétuité par un juge fédéral
new­yorkais. Il avait été jugé
coupable d’avoir expédié
quelque 185 tonnes de co­
caïne aux Etats­Unis – (AFP.)
 PLANÈTE
6|
PA N D É M I E   D E   C O V I D ­1 9
Qui va gagner la bataille des variants ?
Le mutant britannique semble l’emporter. Mais contaminations et vaccination pourraient changer la donne
L
es uns ont adopté la métaphore
du rugby : deux packs qui pous­
sent l’un contre l’autre. Le plus
lourd est avantagé, mais si la
pluie se met à tomber, la lon­
gueur des crampons chaussés
par chaque camp peut modifier la donne.
Les autres préfèrent la formule 1 : cette fois,
c’est la qualité du moteur et du châssis qui
se révèle déterminante, là encore jusqu’à
l’arrivée d’un orage ; la nature des pneus et
l’adresse du pilote prennent alors une
grande importance. Mais quel que soit leur
sport favori, tous s’accordent sur un constat :
pour l’heure, les Anglais dominent.
Dans le match à trois, disputé à l’échelle
mondiale, auquel se livrent les variants
britannique (B.1.1.7), sud­africain (B.1.351) et
brésilien (P1), le premier a pris une lon­
gueur d’avance. Selon les derniers chiffres
de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), rendus publics le 23 mars, 125 pays
ont confirmé sa présence, 75 celle de B.1.351,
41 celle de P1.
Surtout, sur la plupart des terrains où plu­
sieurs de ces mutants ont été observés, le
B.1.1.7 l’emporte très largement. Pas en Afri­
que du Sud, où le variant local, après avoir
quasiment effacé la souche historique, règne
sans partage. Ni au Brésil, où P1 ne souffre
guère de concurrence, si ce n’est d’un autre
mutant national. Mais presque partout
ailleurs, France comprise, les deux challen­
gers semblent impuissants à contrer la puis­
sance de la combinaison de mutations
découverte dans le Kent en décembre 2020.
Est­ce à dire que la compétition est pliée ?
Pas vraiment, en vérité. Quelle que soit
leur métaphore sportive, épidémiologistes
et virologues soulignent que l’affrontement
est loin d’être terminé. Certains redoutent
de le voir s’emballer. D’autres, au contraire,
espèrent une extension plus douce, sous
l’effet de la vaccination. « La vérité, c’est qu’il
y a beaucoup d’inconnues, les modèles sont
très difficiles à établir », assure le profes­
seur Bruno Lina, virologue au CHU de Lyon
et membre du conseil scientifique. Alors, les cellules humaines, notamment grâce à la
plutôt que de tenter de parier sur l’avenir, COMME NOTRE  mutation N501Y, située sur la protéine spike,
il recommande d’étudier le passé et d’ob­ MONDE, MÊME EN  qui est partagée par les trois variants.
server le présent. « Ces mutations entraînent­elles d’autres
TEMPS DE PANDÉMIE,  phénomènes, une charge virale plus impor­
À L’ASSAUT D’AUTRES TERRAINS tante, une durée d’excrétion du virus plus
Le passé, c’est un virus qui, après son intro­ RESTE GLOBALISÉ, LA  longue ? Cela fait encore question, admet Da­
duction dans la population humaine, s’est niel Levy­Bruhl, responsable de l’unité des
adapté jusqu’à trouver son rythme de croi­
CONFRONTATION  infections respiratoires à l’agence de sécurité
sière. Avec « un R0 [le taux de reproduction ENTRE VARIANTS  sanitaire Santé publique France (SPF). Ça
du virus] voisin de 3, le pathogène fait le tour nous serait utile, en vérité, pour prendre les
de la planète et provoque la première vague, DEVENAIT INÉVITABLE mesures idéales. Là, nous avons fait passer de
explique le virologue. Puis vers octobre­no­ sept à dix jours la durée d’isolement des mala­
vembre 2020, il répond à deux types d’obs­ des contaminés par un variant, mais nous
tacles : des mesures barrières ou certains avons agi par précaution, dans le doute. »
traitements contre lesquels il va renforcer sa Une fois leur base conquise, les trois va­
capacité de transmission ; ou alors une riants sont partis à l’assaut d’autres terrains.
population fortement contaminée, qui dis­ En commençant par leurs voisins : l’Europe
pose donc d’anticorps – des mutations favora­ d’abord, pour le B.1.1.7, l’Amérique du Sud
bles à l’échappement immunitaire vont alors pour le P1, l’Afrique australe pour le B.1.351.
être sélectionnées. Dans le premier cas, ça Mais, comme notre monde, même en
donne le variant anglais, dans le second, les temps de pandémie, reste globalisé, la con­
variants sud­africain et brésilien ». frontation devenait inévitable. « Une con­
Et voilà nos trois principaux concurrents frontation indirecte, souligne toutefois Mir­
lancés dans la nature. D’abord, ils prospèrent cea Sofonea, maître de conférences en épi­
sur leurs propres terres. Pour le variant bri­ démiologie et évolution des maladies infec­
tannique, à la faveur d’une contagiosité do­ tieuses à l’université de Montpellier. Ce sont
pée d’au moins 40 %. Pour les seconds, en des épidémies parallèles. » Pour emprunter
raison d’une propension à réinfecter certai­ une nouvelle métaphore sportive : « Chacun
nes personnes déjà touchées par la première reste dans son couloir. »
vague, mais aussi de mieux pénétrer dans L’épidémiologiste a consacré sa thèse à la
compétition entre variants. Et plus parti­
culièrement aux confrontations directes à
Les vaccins à ARN protègent de l’infection l’intérieur d’un même hôte. La grippe, le VIH
ou le papillomavirus provoquent couram­
Les Israéliens l’avaient affirmé, les Américains le confirment : les vac- ment ce phénomène. « Pour le paludisme,
cins à ARN messager protègent non seulement contre les symptômes on a relevé jusqu’à dix souches différentes du
du Covid-19, mais aussi contre l’infection par le SARS-CoV-2. Dans une virus Plasmodium falciparum chez un
étude publiée par les Centres de contrôle des maladies infectieuses même malade, précise­t­il. Mais, dans tous
(CDC), réalisée sur 3 950 travailleurs de première ligne, les produits mis ces cas, ce sont des virus endémiques (très
au point par Pfizer-BioNTech et Moderna ont montré une efficacité de implanté dans une région donnée). Le SARS­
90 % à prévenir une infection par le virus. Les volontaires ont réalisé CoV­2 en est très loin. Les infections ne re­
eux-mêmes des prélèvements hebdomadaires nécessaires, analysés présentent qu’une petite partie de la popu­
par PCR. Ces résultats sont rassurants pour les Américains, lancés lation : à chaque instant, moins de 1 % de per­
dans une campagne de vaccination massive, principalement réalisée sonnes infectées. »
avec ces deux vaccins. Autre satisfaction : l’enquête a été réalisée alors Oublié le corps­à­corps, place au combat à
que plusieurs variants commençaient à circuler. distance. Et le variant anglais s’est imposé.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
En France, les chiffres sont édifiants : de 3 %
début janvier, la proportion de nouvelles
infections dues au B.1.1.7 atteint désormais
80 % du total contre… 4,4 % pour les deux
autres variants réunis. La raison, on l’aura
compris, tient au potentiel de contagiosité
du virus. L’équipe de Mircea Sofonea et de
son collègue Samuel Alizon (CNRS, Montpel­
lier) a calculé, dans un article actuellement
en préprint sur le site medRxiv, que là où les
deux challengers disposent d’une capacité
de transmission de 27 % plus importante
que la souche initiale, le leader profite d’un
avantage de 41 %.
UNE PRIME AU PREMIER ARRIVÉ
Ne faut­il pas tout simplement y voir une
prime au premier arrivé ? L’exemple de la
Moselle montre qu’il n’en est rien. Ce dépar­
tement du Grand­Est a connu une évolution
unique en France, avec une installation pré­
coce et rapide du mutant B.1.351. Pourquoi ?
Personne ne le sait. Sans doute un événe­
ment de contagion massive. Début février,
les deux variants de l’hémisphère Sud – es­
sentiellement le sud­africain – comptaient
pour 40 % des nouvelles infections, contre
20 % pour le cousin britannique. Un mois
plus tard, les courbes se sont croisées et, dé­
sormais, le B.1.1.7 dispose d’une avance subs­
tantielle, avec près de 50 % de l’ensemble des
nouvelles contaminations.
Un cas que l’on retrouve au Tyrol. Pour des
raisons là encore inconnues, le variant sud­
africain s’y est développé brutalement au dé­
but de l’année. La troisième semaine de jan­
vier, il comptait pour 20 % des PCR positifs
séquencés, là où le variant anglais restait à
7 %. Les autorités autrichiennes ont bouclé la
région – la seule présentant ce tableau clini­
que – et mis en place des mesures drastiques
de confinement. Le variant austral n’y a pas
résisté : mi­février, le B.1.1.7 avait repris le des­
sus et, mi­mars, il représentait 44 % des gé­
nomes séquencés, contre moins de 2 % pour
le B.1.351. « On retrouve le même phénomène
à Ostende, en Belgique, ou encore à Brescia,
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
en Italie, avec le variant brésilien, ajoute
Bruno Lina. Chaque fois, l’anglais l’emporte. »
Pour Samuel Alizon, l’explication est sim­
ple : « Pour le moment, ce sont les hôtes sus­
ceptibles qui dirigent le jeu dans la plus
grande partie du monde, sauf au Brésil où il
semble que ce soient les hôtes infectés qui
aient favorisé le P1. Mais, avec le temps, il est
bien possible que l’arbitre de la compéti­
tion devienne la population vaccinée. » Avec,
alors, un bonus pour les deux variants
des antipodes. Ou d’autres.
CONTOURNER LE VACCIN
Aux Etats­Unis, par exemple, si les mutants
brésilien et sud­africain ont échoué à s’im­
planter, des variants locaux – dits californien
et new­yorkais – ont réussi des percées. Or,
tous deux disposent d’un léger avantage
pour infecter les cellules humaines,
« mais surtout de mutations qui favorisent
l’échappement immunitaire », souligne
Akiko Iwasaki, professeur d’immunologie à
l’université Yale.
Pourraient­ils alors profiter de la campa­
gne de vaccination pour supplanter le va­
riant britannique, en progression là­bas
aussi ? Samuel Alizon élargit la question :
« Est­ce que des variants pourraient contour­
ner le vaccin et infecter, même temporaire­
ment et sans symptômes, les hôtes vacci­
nés ? » Il insiste : « Pour le virus, les symptô­
mes sont un épiphénomène. Ce qui compte,
c’est la transmission. »
A ce sujet, les questions sont plus nom­
breuses que les réponses. Certes, on sait dé­
sormais que les vaccins à ARN messager
protègent contre la transmission… de la sou­
che historique. Mais, pour les variants, les
seules informations disponibles – variables
selon les vaccins – concernent les symptô­
mes. Pour notre santé, c’est l’essentiel. Sauf si
cela permet à de nouveaux variants d’appa­
raître. Ils fleurissent déjà partout dans le
monde, y compris en France, désormais, où
SPF en surveille plusieurs.
Alors, faut­il redouter qu’un nouveau
venu, un vrai vilain, plus contagieux, plus
propice à l’échappement immunitaire, peut­
être même plus virulent, surgisse et s’im­
pose ? Bruno Lina n’y croit pas, convaincu
que le virus n’est pas loin d’avoir épuisé son
potentiel de mutations favorables. Samuel
Alizon et Mircea Sofonea en sont moins sûrs.
Des pronostics, admettent­ils. La réponse
appartient au virus. Et aux mesures que
nous prendrons pour le contenir. 
nathaniel herzberg
La difficile identification
des mutations du virus en France
Le séquençage des génomes est notamment suivi par quatre structures hospitalières
E n France, la chasse aux variants
continue. Mardi 30 mars a dé­
buté la sixième « enquête
flash », qui consiste à déterminer cha­
cune des quelque 30 000 « lettres » du
génome d’un maximum de virus dé­
tectés par des tests positifs. Ce sé­
quençage est la seule manière de sa­
voir quels lignées ou variants circu­
lent. Ainsi, le 2 mars – date des der­
niers résultats connus –, il y avait en
France 69 % de cas de variant dit « an­
glais » (B.1.1.7, plus rigoureusement),
5,3 % de variant sud­africain (B.1.351) et
0,1 % de variant brésilien (P.1 ou P.2).
Mais, avec plus de 35 000 cas posi­
tifs quotidiens, cette enquête ne peut
plus être exhaustive et séquencer la
totalité des infections. Elle en vise
15 %, mais avec, cette fois, une atten­
tion supplémentaire pour une région
et un département : la Bretagne, sous
surveillance à cause de la lignée
B.1.616, dite « bretonne » (50 % des cas
positifs doivent être séquencés), et la
Dordogne, où 100 % des cas doivent
être criblés pour étudier la circula­
tion virale des variants sud­africain,
brésiliens et « Henri­Mondor ». Ce
dernier, baptisé « A.27 », est en fait le
variant qui circule le plus en France,
derrière les très préoccupants va­
riants anglais et sud­africain.
« La première fois que nous avons vu
ce génome, nous avons cru à une er­
reur, se souvient Laurence Josset, des
Hospices civils et du Centre national
de référence (CNR) lyonnais, l’un des
quatre centres nationaux du tout
nouveau projet Emergen de sur­
veillance génomique moléculaire. Il
appartient en effet à une lignée an­
cienne, dite “19B”, que nous ne retrou­
vions plus dans nos collectes depuis
plusieurs mois, mais avec des muta­
tions “modernes” présentes sur les
nouveaux variants. »
Le variant A.27 se caractérise notam­
ment par des changements sur les
501e et 452e acides aminés (les consti­
tuants des protéines) composant
l’une des parties les plus importantes
du virus, la spicule, qui s’accroche aux
cellules pour les infecter. La mutation
« 501 » est présente sur les variants an­
glais, brésiliens et sud­africain,
Des interrogations autour du « variant breton »
Rien n’indique qu’il résisterait aux vaccins ou se caractériserait par une sévérité accrue
rennes ­ correspondant
I l a été baptisé « B.1.616 », mais est
plus connu sous le sobriquet de
« variant breton », ou encore « va­
riant du Trégor », en référence au ter­
ritoire des Côtes­d’Armor où il a été
identifié pour la première fois, ces
dernières semaines. B.1.616, résultat
d’une mutation du coronavirus
SARS­CoV­2, s’est ajouté à la longue
liste des variants répertoriés à travers
le monde depuis un an. A ce stade, ses
particularités demeurent mal
connues. Des échantillons font l’objet
de recherches menées notamment
par l’Institut Pasteur, à Paris, dont les
premiers résultats doivent être dévoi­
lés « à partir du 2 avril », selon l’agence
régionale de santé (ARS) de Bretagne.
Tout a commencé au début de l’an­
née, dans le centre hospitalier de Lan­
nion, au nord­ouest des Côtes­d’Ar­
mor. « On était depuis plusieurs se­
maines face à des patients avec des ta­
bleaux cliniques douteux, confie
Pascal Lasbleiz, infirmier et délégué
CGT dans l’établissement. Ils étaient
négatifs aux tests, mais présentaient
de nombreux symptômes du Co­
vid­19. » Plusieurs des patients en
question sont alors soumis à des exa­
mens complémentaires – effectués
connus pour leur transmissibilité ac­
crue, voire leur capacité à réduire l’ef­
fet des vaccins ou des anticorps. La
« 452 » est surtout présente sur les
deux souches « californiennes »
(B.1.427 et B.1.429), avec les mêmes
conséquences.
Génomes inattendus
Au moment où l’équipe de Lyon s’ap­
prête à repasser l’échantillon suspect
dans le séquenceur, pour vérification,
des collègues d’un des quatre autres
centres nationaux de séquençage, à
l’hôpital Henri­Mondor de Créteil, lui
envoient un message avec des géno­
mes contenant la même liste de muta­
tions inédites dans la « vieille » lignée.
Le 30 mars, les deux groupes publient,
dans Emerging Infectious Diseases,
leur analyse de quatre génomes, liés à
un même foyer épidémique en hôpi­
tal. Un troisième centre, l’institut hos­
pitalo­universitaire (IHU) Méditerra­
née infection de Marseille avait ex­
posé, début mars, dans un préprint,
des exemples des mêmes génomes.
Mais, encore plus tôt, le 13 février, le
dernier des quatre centres, le CNR de
Pasteur, avait aussi repéré ces nou­
veaux venus en signalant au groupe
international Pango, chargé de nom­
mer les lignées, la découverte de ces
génomes inattendus, qui seront offi­
ciellement rattachés à la lignée A.27
six jours plus tard. Avec, en prime, un
autre variant, A.28, lui aussi signalé
par ce CNR et correspondant à un
autre foyer en hôpital. L’une des dif­
férences est qu’il présente une muta­
tion en 501e position, mais impli­
quant un autre acide aminé.
Le 16 mars, la base de données inter­
nationale Gisaid comptait, pour la
France, 70 génomes A.27, et 131 deux
semaines plus tard. L’origine de ce vi­
rus est encore mystérieuse, même si
un foyer avait été repéré à Mayotte.
Aucune preuve non plus, pour l’ins­
tant, n’a été apportée de quelconques
propriétés particulières. Le A.27 n’est
en fait que l’un des quinze variants
surveillés en France. Outre les trois
« préoccupants » bien connus (an­
glais, sud­africain et brésilien), il y en
a sept à « suivre » – comme le A.27 ou
dans certains cas post­mortem – qui
démontrent la présence du coronavi­
rus dans leur organisme.
En parallèle, le centre hospitalier de
Lannion connaît à cette époque une
augmentation du nombre de malades
du Covid­19, jusqu’à être considéré
comme un foyer épidémique par les
autorités. Au total, 79 cas y sont recen­
sés en quelques semaines, dont 7 « ne
réagissant pas au test RT­PCR classique
mais présentant des symptômes » du
Covid­19, selon l’ARS. Ces sept pa­
tients, tous décédés dans l’hôpital lan­
nionnais, étaient porteurs du variant
en question. Ils font partie des treize
personnes atteintes dudit variant offi­
ciellement recensées jusqu’à présent
à l’échelle nationale, toutes étant liées
au foyer épidémique costarmoricain.
Mesures locales spécifiques
L’ARS, qui a communiqué les 16 et
26 mars, a précisé que les sept décès
concernaient des individus « assez
âgés », hospitalisés à la base pour
d’autres raisons et présentant tous
« des facteurs de comorbidité impor­
tants ». Et d’assurer qu’il n’y a pas,
pour le moment, de « causalité éta­
blie » entre ces morts et la dangerosité
du variant. Les premières analyses
n’auraient permis « ni de conclure à
OUTRE LES TROIS VARIANTS 
« PRÉOCCUPANTS »
BIEN CONNUS, IL Y EN A 
SEPT À « SUIVRE » ET CINQ  rattacher ou non à des ancêtres, des
« EN COURS D’ÉVALUATION »
les deux « californiens » – et cinq « en
cours d’évaluation », comme le A.28.
« On ne s’ennuie pas », témoigne Lau­
rence Josset. Pour chaque séquence,
un logiciel repère les mutations, c’est­
à­dire les différences avec la séquence
d’origine. Puis, un autre programme
envoie des « alertes », si de nouveaux
changements ou des mutations « pré­
occupantes » – c’est­à­dire connues
pour induire des comportements dif­
férents (contagiosité, résistance, etc.)
– apparaissent. Ce dernier point est
imprévisible. Alors, l’attention se fo­
calise sur les changements dans la spi­
cule, car c’est la porte d’entrée princi­
pale du virus et la cible des vaccins.
Mais avec le risque de délaisser des
modifications touchant d’autres par­
ties et fonctions du virus.
Les « mutants » se succèdent. Ainsi
a été repéré à l’IHU de Marseille,
d’abord, mi­février, un cas de variant
britannique possédant en plus un
changement en 484e position le rap­
prochant des variants sud­africain et
brésiliens. Un autre a depuis été
trouvé en Ile­de­France. Ou encore un
cas de B.1.525, identifié par le labora­
toire Cerba en janvier, avec huit chan­
gements dans la spicule, dont celui
en 484e position. « Chaque semaine,
on croit avoir fait une découverte »,
note Laurence Josset, contente
d’avoir eu à séquencer les premiers
génomes de Tanzanie, de Côte
d’Ivoire ou de Papeete.
La nouveauté ne fait pas tout. Avant
d’acquérir un nom, un génome va­
riant doit remplir plusieurs condi­
tions, comme être présent en plu­
sieurs exemplaires, passer d’une ré­
gion à une autre ou présenter des
comportements cliniques ou épidé­
miologiques particuliers, comme les
une gravité plus importante ni à une
transmissibilité accrue » par rapport à
la forme originelle du virus. Enfin,
rien n’indiquerait que les vaccins dis­
ponibles soient moins efficaces
contre ce « mutant ».
Des mesures spécifiques ont malgré
tout été prises à l’échelle locale, parmi
lesquelles l’« intensification de la vac­
cination », le « renfort des opérations
de dépistage et de prévention », la mise
en place d’une « enquête flash » desti­
née à analyser l’ensemble des prélève­
ments positifs effectués en Bretagne
et, dans un autre registre, l’obligation
pour tout piéton de plus de 11 ans de
porter le masque sur la voie publique
dans les Côtes­d’Armor, ainsi que l’in­
terdiction de consommation de bois­
sons alcoolisées sur la voie publique.
A en croire Paul Le Bihan, maire (PS)
de Lannion, ces nouvelles contrain­
tes n’ont pas bouleversé le quotidien
de ses administrés, dans un territoire
jusqu’à présent relativement épar­
gné par la pandémie et exonéré de
troisième confinement : « Avant l’ap­
parition du variant, nous avions prévu
de faciliter les visites dans les Ehpad
[établissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes]. On a
dû faire marche arrière. Pour le reste,
ce qui a changé, de mon côté, c’est sur­
planète | 7
▶▶▶
variants désormais préoccupants
mondialement. D’autres critères
sont aussi utilisés. Les séquences ob­
tenues sont disposées dans un arbre
phylogénétique, une sorte de généa­
logie des lignées, permettant de les
frères, des cousins… Un variant peut
être intéressant s’il « sort » de l’arbre,
comme c’était le cas du variant an­
glais, caractérisé par une accélération
du nombre de ses mutations, au­des­
sus du rythme habituel.
« C’est assez fou »
Avec ces critères, l’équipe Pango a géré
une trentaine de demandes d’attribu­
tion de nom depuis fin 2020 – les der­
nières en date concernant des mu­
tants en Inde, en Arizona, une qua­
trième sous­branche de variants bré­
siliens… Et ce n’est pas fini. « C’est assez
fou ce qu’on observe ! », lance Darren
Martin, bioinformaticien de l’univer­
sité du Cap en Afrique du Sud. Il vient
de déposer en préprint une analyse
massive des données génomiques
pour comprendre l’évolution du
SARS­CoV­2. Et il est surpris. « On n’at­
tendait pas qu’autant de positions sur
le génome soient concernées. Nous as­
sistons à une convergence à grande
échelle sur le génome. » Avec ses mains
qui s’agitent sur l’écran, il dessine un
paysage de pics et de vallées, dans le­
quel évoluent les virus. Aux sommets,
ces derniers sont bien adaptés à leur
environnement. Dans les creux, beau­
coup moins. Les hasards génétiques,
multipliés par la forte circulation du
virus, et la sélection naturelle permet­
tent aux virus d’explorer ces lieux.
Depuis fin 2020, selon le chercheur,
les fameux variants ont l’air de gravir
un même pic par plusieurs voies dif­
férentes. En outre, ses calculs mon­
trent qu’encore une dizaine de confi­
gurations nouvelles, rien que sur la
spicule, déjà « touchée » sur autant de
positions, pourraient aider à gravir
un nouveau pic adaptatif, dont il
ignore quelles seraient ses proprié­
tés : virulence, résistance au vaccin,
contagiosité… De quoi parler, en tout
cas, d’un supervariant. 
david larousserie
tout que j’ai été sollicité quotidienne­
ment par des journalistes de tout le
pays… »
Reste à savoir si ce « calme » perdu­
rera. Le nombre de personnes hospi­
talisées dans les Côtes­d’Armor pour
Covid a récemment atteint un pic (191
le 22 mars contre 150 le 15 avril 2020,
au plus fort de la première vague), de
même que le taux d’incidence (182 cas
pour 100 000 habitants la semaine
passée, soit une hausse de 100 % en un
mois). Une tendance qui fait écho à la
recrudescence des contaminations à
l’échelle nationale et dont il est impos­
sible d’affirmer, à ce stade, si elle est
liée à la mutation du virus. A l’hôpital
de Lannion, la situation est « déli­
cate », selon les représentants du per­
sonnel. « L’arrivée de ce variant a ac­
centué les problèmes internes liés au
manque de moyens humains et maté­
riels, estime Yannick Herry, aide­soi­
gnant et délégué CFDT. Pendant des
années, on nous a supprimé des lits, sur
la base de statistiques et au nom d’une
gestion comptable. Nous le payons
aujourd’hui. » CM. Herry ne demande
plus à ses collègues comment ils vont :
« Ce serait presque irrespectueux. Il y a
une forme de fatalisme et d’épuise­
ment. Bien sûr, que ça va mal ! » 
nicolas legendre

8 | planète
PA N D É M I E   D E   C O V I D ­1 9
L’Europe en quête de l’autonomie vaccinale
Cinquante­trois sites de production – certains ne sont pas opérationnels – ont été identifiés par Bruxelles
bruxelles­ bureau européen,
D
epuis qu’il est chargé
du volet industriel de
la stratégie euro­
péenne de vaccination
contre le Covid­19, Thierry Breton
est sur tous les fronts. Avec une ob­
session : trouver des usines, ou des
lignes de production, pour aug­
menter le nombre de doses fabri­
quées en Europe. En deux mois,
l’ancien ministre de l’économie
sous Nicolas Sarkozy a multiplié
les déplacements aux quatre coins
du continent – il est déjà allé en Ita­
lie, en Autriche, en Hongrie, au Da­
nemark, en Estonie, en Espagne et
au Portugal –, afin d’identifier et
de rencontrer les acteurs du sec­
teur, les gros comme les petits,
mais aussi ceux dont les compé­
tences peuvent être mises au ser­
vice de cette mission.
Lundi 29 mars et mercredi
31 mars, le commissaire européen
au marché intérieur a organisé,
via Internet, des rencontres entre
plus de 300 industriels de la santé
venus de 25 Etats membres – seuls
Chypre et la Slovaquie n’étaient
pas représentés. On y trouve tout
ce que la production de vaccins
nécessite de compétences à cha­
que étape d’un processus com­
plexe, des spécialistes des subs­
tances actives aux acteurs de la
mise en flacon du vaccin, en pas­
sant par les producteurs d’embal­
lage. Cet « événement vise à pro­
mouvoir de nouvelles connexions
et de nouveaux partenariats tout
au long de la chaîne de production
et d’approvisionnement. J’encou­
rage les entreprises participant au
processus de fabrication des vac­
cins à tirer le meilleur parti des op­
portunités de mise en relation »,
explique Thierry Breton.
Si les laboratoires ont réussi à
développer des vaccins à vitesse
grand V – en neuf mois, contre
cinq ans habituellement –, ils
n’ont pas su adapter leur outil in­
dustriel assez vite pour permettre
aux Européens de vacciner à tour
de bras. Comme l’a dit la prési­
dente de la Commission, Ursula
von der Leyen, devant le Parle­
ment européen, le 10 février, « la
science a dépassé l’industrie ».
« Une date symbolique »
Aujourd’hui, les Vingt­Sept ont à
leur disposition quatre vaccins
qui ont été autorisés par l’Agence
européenne des médicaments
– Pfizer­BioNTech, Moderna, As­
traZeneca et, depuis quelques
jours, Janssen (Johnson & John­
son), dont les livraisons devraient
commencer le 19 avril –, mais, au­
delà de leurs propres difficultés
logistiques à organiser des cam­
pagnes de vaccination efficaces,
ils manquent encore cruellement
de doses. Et l’objectif que Bruxel­
les s’est fixé – leur fournir de quoi
immuniser 70 % des adultes d’ici
à l’été – semble encore loin.
« Prenons une date symbolique :
le 14 juillet, nous avons la possibilité
d’atteindre l’immunité au niveau
du continent », a déclaré Thierry
Breton, sur TF1, le 21 mars. Et, « à la
fin de l’année, l’Europe sera en me­
sure de produire entre 2 milliards et
3 milliards de doses par an », mar­
tèle le Français. Une montée en
puissance qui confortera le conti­
nent, aujourd’hui au coude­à­
coude avec les Etats­Unis, sur la
première marche du podium en
matière de fabrication de médica­
ments. De quoi vacciner les
450 millions d’Européens, aider
les pays pauvres et commencer la
production des nouveaux vaccins
contre les variants.
En fait, tout le travail que le com­
missaire et son équipe ont déjà
fourni lui permet de faire cette
Quatre vaccins autorisés dans l’Union européenne
Pfizer / BioNTech
Moderna
AstraZeneca
Janssen (développé par Johnson & Johnson)
Trois vaccins encore en essai clinique
CureVac
Novavax
Sanofi
Sites et étapes de production
Usine de production d’une partie
ou de la totalité du vaccin
appartenant au groupe
Usine de remplisage
et de conditionnement
appartenant au groupe
Production d’une partie
ou de la totalité du vaccin gérée
par un sous-traitant
Conditionnement géré
par un sous-traitant
Mise en production des sites à venir
(liste non exhaustive)
Pays de l’Union européenne (UE)
Pays hors UE
1. Usine Fareva (pour CureVac) et usine Sanofi
2. Usine Sanofi pour Sanofi et pour Johnson & Johnson (J&J)
3. Usine Halix (pour AstraZeneca) et usine Janssen (J&J)
4. Usine Bayer pour CureVac et usine WuXi Biologics
pour AstraZeneca
5. Usine IDT Biologika pour AstraZeneca et pour J&J
6. Usine Baxter pour Novavax et Pfizer
7. Usine Sanofi pour Sanofi et Pfizer
8. Usine Rentschler Biopharma pour CureVac et Pfizer
9. Usine GSK pour CureVac et Sanofi
Porrino
PORTUGAL
prévision sans prendre trop de
risques. A ce jour, malgré les dé­
faillances à répétition d’AstraZe­
neca, qui accumule les retards, ils
ont « grosso modo sécurisé de quoi
produire 2 milliards de doses par
an à la fin de l’année », assure un
haut fonctionnaire européen.
En janvier, pourtant, on en était
très loin. Ce mois­là, l’Europe a
produit environ 30 millions de
vaccins, dont la moitié a été ex­
portée. Soit une capacité de pro­
duction de 360 millions de doses
par an. En mars, ce chiffre a déjà
plus que triplé, puisque les usines
européennes sont à même d’en li­
vrer 1,2 milliard par an. « On a
identifié aujourd’hui une cinquan­
taine de sites de production, qui ne
sont pas encore tous opération­
nels, contre moins de quinze en dé­
cembre 2020 », développe­t­on
dans l’entourage du commissaire.
Pour répondre à la demande au
plus vite, les industriels ont dû
s’adapter, faisant tourner leurs
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
FINLANDE
Uppsala
Stockolm
SUÈDE
DANEMARK
Malmö
Barnard Copenhague
Castle
Mai 2021 Billingham
IRLANDE
Wrexham
Reinbek
Keele
Mai 2021
ROYAUME-UNI Amsterdam ALLEMAGNE Berlin
Leiden (3)
Oxford Hameln POLOGNE
2022 Dessau (5)
PAYS-BAS
Brehna
Londres Puurs
Wuppertal (4)
Bruxelles Wavre Halle (6)
Seneffe Marburg
(9) Fin Prague
BELG. 2021 Francfort (7)
Val-de-Reuil (1) Eté 2021 Bohumil
Mi-mai 2021 A venir A venir
Paris Heidelberg RÉP. TCHÈQUE
Vitry-sur-Seine A venir
Saint-Rémy-sur-Avre
Avril 2021 A venir SLOVAQUIE
Laupheim (8)
Vienne
Illertissen
AUTRICHE
Monts Stein
Eté 2021 Kundl
Eté 2021 HONGRIE
FRANCE SUISSE
Berne
Viège
SLOVÉNIE
CROATIE
Juillet 2021
Marcy-A venir Monza
l'Etoile (2)
Idron
Mi-mai 2021
ITALIE
Rome Anagni
Azuqueca Barcelone A venir
Madrid de Henares Mi-2021
Usine Catalent pour AstraZeneca
et Johnson & Johnson
ESPAGNE et usine Sanofi pour Sanofi
(à venir)
250 km
Infographie : Le Monde Sources : Commission européenne, sociétés ; Le Monde
usines jour et nuit, multipliant les Biologika s’est engagée à mettre les Etats­Unis – qui peuvent inter­
lignes de production… Les sites en flacons le vaccin Janssen pen­ POUR RÉPONDRE À LA  dire les exportations – ou le
existants, comme celui de Pfizer, à dant trois mois. Après quoi, elle DEMANDE AU PLUS VITE,  Royaume­Uni, avec lequel les re­
Puurs, en Belgique, ou de son par­ reviendra à son activité habi­ lations sont loin d’être apaisées,
tenaire BioNTech, à Marbourg, en tuelle, la production de vaccins LES INDUSTRIELS ONT  trois mois après le Brexit. C’est
Allemagne, sont ainsi montés en contre les maladies tropicales. dans cette optique qu’une usine
puissance, ce qui permet à ce der­ Moins armées que les mastodon­ DÛ S’ADAPTER, FAISANT  près de Barcelone sera affectée au
nier d’annoncer une production tes du secteur, les biotechs Nova­ « fill and finish » pour Johnson
de vaccins 25 % plus importante vax et CureVac font également la
TOURNER LEURS USINES  & Johnson, alors qu’il était initia­
qu’initialement prévue. Même si chasse aux sous­traitants pour JOUR ET NUIT lement prévu que ces opérations
on n’y est pas encore, l’usine d’Ha­ fabriquer leur sérum. de remplissage et de finition
lix à Leiden, qui produit le vaccin soient menées outre­Atlantique.
d’AstraZeneca, devrait concevoir, à « Capacités industrielles fortes » la fin de l’année, en raison d’un re­ On peut aussi citer le groupe
terme, entre 5 millions et 6 mil­ Paradoxalement, Sanofi, l’un des tard dans son développement. Merck qui, à Molsheim (Bas­
lions de doses par an, contre 3 mil­ leaders mondiaux dans la pro­ En attendant, le groupe français, Rhin), à la fin de l’année, produira
lions actuellement. « Par ailleurs, duction de vaccins – un vaccin encouragé par l’Elysée, va mettre ces sacs à cuve énormes, indis­
on peut encore en faire plus, car le contre la grippe sur six sort de ses ses usines à disposition de ses pensables à la production de vac­
deuxième étage est vide, il peut être usines chaque année –, et dont le concurrents. Ainsi, va­t­il mettre cins et qui, jusque­là, étaient im­
utilisé, soit par AstraZeneca, soit président en France, Olivier Bo­ en flacons, à partir de cet été, sur portés des Etats­Unis. La Com­
par un autre industriel », déve­ gillot, se félicitait, devant le Sénat, ses sites de Francfort, en Allema­ mission essaie également de
loppe un spécialiste du sujet. le 17 mars, de disposer de « capaci­ gne, et de Marcy­l’Etoile (Rhône), trouver une usine qui pourrait fa­
Des partenariats, plus ou tés industrielles très fortes » qui le les vaccins de ses concurrents Pfi­ briquer ces lipides très spécifi­
moins ponctuels, peuvent aussi rendent « très peu dépendant con­ zer et Johnson & Johnson. ques dont Pfizer­BioNTech a be­
permettre d’accroître la capacité trairement à d’autres laboratoi­ L’équipe de Thierry Breton a soin et qui sont pour l’heure im­
de production européenne de res », ne devrait fournir les pre­ également à cœur de mettre l’Eu­ portés d’outre­Manche. 
vaccins contre le Covid­19. Ainsi, mières doses de son vaccin éla­ rope à l’abri du nationalisme vac­ virginie malingre
en Allemagne, l’entreprise IDT boré en partenariat avec GSK qu’à cinal dont pourraient faire preuve et zeliha chaffin (à paris)
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
La Chine accusée d’avoir entravé la mission de l’OMS
Quatorze pays réclament une évaluation indépendante sur les origines de la pandémie due au coronavirus
L
e mardi 30 mars s’annon­
çait, pour Pékin, sous les
meilleurs auspices. L’Or­
ganisation mondiale de
la santé (OMS) allait rendre public
le rapport de la mission à Wuhan
– réalisée du 14 janvier au 10 fé­
vrier – copilotée par les autorités
chinoises et des experts inter­
nationaux, sur les origines de
la pandémie de Covid­19. Les
conclusions étaient connues : le
rapport, qui a été relu et validé
par les responsables chinois,
s’abstient de toute conclusion dé­
finitive, tout en écartant l’hypo­
thèse la plus embarrassante – la
fuite accidentelle du nouveau co­
ronavirus d’un laboratoire de
Wuhan. Pékin devait garder la
haute main sur l’agenda.
Mais rien ne s’est passé comme
prévu. Premier coup de théâtre :
quelques minutes avant la confé­
rence de restitution de l’expertise
sino­onusienne, le patron de
l’OMS, Tedros Adhanom Ghe­
breyesus, sidérait tous les obser­
vateurs en déclarant, devant les
représentants des Etats membres
de l’organisation, que la conduite
d’une enquête spécifique sur l’hy­
pothèse d’un accident de labora­
toire chinois était nécessaire.
« Cela demande d’enquêter plus
avant, probablement avec de nou­
velles missions et des experts spé­
cialisés que je suis prêt à dé­
ployer », a­t­il déclaré.
Quelques heures plus tard, nou­
velle surprise : le département
d’Etat américain publiait une dé­
claration commune des gouver­
nements de quatorze pays (Austra­
lie, Canada, Royaume­Uni, Corée
du Sud, Norvège, etc.) accusant la
Chine d’avoir entravé le travail des
experts internationaux. « Ensem­
ble, nous sommes favorables à une
analyse et à une évaluation trans­
parentes et indépendantes, exemp­
tes d’interférences et d’influence in­
dues, sur les origines de la pandé­
mie de Covid­19, assènent les qua­
torze gouvernements coalisés. A
cet égard, nous exprimons notre
préoccupation commune concer­
nant la récente étude commandi­
tée par l’OMS en Chine (…). » La mis­
sion, ajoutent­ils, « a été significati­
vement retardée et n’a pas eu accès
à l’ensemble des données originales
et des échantillons ».
Une accusation que M. Tedros,
pourtant habituellement peu cri­
tique à l’égard de Pékin, avait faite
sienne un peu plus tôt, affirmant
que les experts lui avaient fait
part « de leurs difficultés à accéder
aux données brutes » au cours de
leur visite à Wuhan.
Trois grands axes
Ces dernières semaines, l’OMS
avait subtilement commencé à se
mettre à distance des conclusions
qui seraient tirées du rapport. A
Genève, on expliquait que l’insti­
tution n’endosserait pas nécessai­
rement celui­ci, mais qu’elle le
« passerait en revue », avant de
faire ses recommandations.
Si le rapport était si attendu,
c’était autant pour lire ce qui s’y
trouverait que pour rechercher
ce qui ne s’y trouverait pas. Les
éléments saillants avaient déjà
été rendus publics au cours d’une
conférence de presse organisée à
Wuhan, le 9 février : le scénario le
LE PATRON DE L’OMS  RmYN02 (la province chinoise
A DEMANDÉ
UNE ENQUÊTE SPÉCIFIQUE
SUR L’HYPOTHÈSE
D’UN ACCIDENT
DE LABORATOIRE CHINOIS
planète | 9
plus plausible (« probable à très Les conditions de la découverte est retournée sur place environ plète des huit autres coronavirus
probable ») est la transmission du fameux RaTG13 ne sont pas
LES CHERCHEURS  sept fois entre 2012 et 2015, pour collectés à l’endroit où RaTG13 a
du SARS­CoV­2 à l’homme par le mentionnées dans le texte lui­ INTERNATIONAUX N’ONT  chercher de nouveaux virus, lit­on été découvert. »
biais d’un animal intermédiaire même, mais dans ses annexes. Il dans l’annexe. Ils n’ont trouvé Ces séquences génétiques se­
toujours introuvable. avait été découvert en 2013, sur EU À LEUR DISPOSITION  aucun virus proche des SARS­CoV ront­elles publiées pour être exa­
L’expertise juge « possible à pro­ une chauve­souris rhinolophe, (…). » L’expertise semble donc minées par la communauté scien­
bable » le scénario d’une transmis­ dans une mine désaffectée de la QUE LES ANALYSES DÉJÀ  contredire ce qu’ont écrit, dans Na­ tifique ? La question a été posée
sion directe par la chauve­souris province du Yunnan. Des prélève­ MENÉES PAR LEURS  ture, les chercheurs du WIV. par un journaliste à l’un des cher­
– considérée comme le réservoir ments y avaient été effectués, par cheurs internationaux de la mis­
naturel du virus. Elle n’écarte pas les chercheurs de l’Institut de viro­ COLLÈGUES CHINOIS, ET  « Nombreuses zones d’ombre » sion, le zoologue Peter Daszak, au
l’hypothèse d’une contamination logie de Wuhan (WIV), après que Pour la généticienne Virginie cours de la conférence du 30 mars.
des humains par le biais d’ali­ six travailleurs eurent contracté NON LES DONNÉES BRUTES Courtier (CNRS, Institut Jacques­ « La réponse est dans l’addendum à
ments surgelés (« possible »). C’est une grave pneumopathie (trois en Monod), « il reste de nombreuses un article de Nature publié par les
cette hypothèse, très marginale sont morts) en travaillant dans les zones d’ombre, dont certaines ne scientifiques du WIV, a­t­il ré­
dans la littérature scientifique, qui galeries, en 2012. SARS­CoV, dont les séquences gé­ sont pas abordées dans le rap­ pondu. Il y est déclaré que ces virus
a la préférence de Pékin : elle est Le 17 novembre 2020, dans un nétiques ne sont toujours pas pu­ port ». « Par exemple, la base de ne sont pas plus proches du SARS­
susceptible de nourrir le storytel­ addendum à l’un de leurs articles bliées. Pourtant, l’annexe du rap­ données du WIV, qui contient des CoV­2 [que RaTG13]. Vous pouvez
ling de l’importation du virus en publié par Nature, les chercheurs port de l’OMS ne mentionne pas milliers de séquences virales, a été contacter le personnel du WIV pour
Chine depuis un pays étranger. En­ du WIV avaient expliqué avoir ces autres virus : « L’équipe de la mise hors ligne et il faudrait y avoir plus d’informations, y compris sur
fin, une fuite accidentelle d’un la­ collecté dans cette mine, outre professeure Shi [directrice du labo­ accès, dit la chercheuse française. leur projet de les publier. » 
boratoire est, elle, jugée « extrême­ RaTG13, huit autres virus de type ratoire de haute sécurité du WIV] En particulier à la séquence com­ stéphane foucart
ment improbable ».
Les scientifiques internationaux
membres de la mission ont eux­
mêmes rappelé que leur travail
était destiné à être poursuivi par
une seconde phase d’étude. Les
conclusions présentées, a expli­
qué Peter Ben Embarek, directeur
de programme à l’OMS et chef de la
délégation internationale de la
mission, « ne doivent pas être
considérées comme définitives ». AU CŒUR DE LA MYTHOLOGIE
Le rapport rendu public est
structuré autour de trois grands
axes : la recherche des premiers
cas à Wuhan et dans sa région,
l’étude des séquences génétiques La grande encyclopédie de référence
du virus et la recherche des ani­
maux potentiellement impliqués
dans la naissance de la pandémie.
La patte de Pékin
La recherche de cas précoces
– avant ceux officiellement détec­
tés à Wuhan, début décem­
bre 2019 – a essentiellement été
menée par les membres chinois
de la mission, en amont de l’arri­
vée de la délégation internationale
à Wuhan. « Ce travail a comporté
une vaste collecte de données, le
nettoyage des données, l’examen
des dossiers cliniques, des entre­
tiens et des tests avec les patients,
ainsi que des analyses préparatoi­
res », explique ainsi le rapport.
Les données de plusieurs hôpi­
taux de Wuhan et de la province
du Hubei ont été passées en re­
vue, à la recherche d’une aug­
mentation inexpliquée, avant
décembre 2019, de consultations
Le n°1
4€
pour des syndromes grippaux ou
des maladies respiratoires. Celles
de vente de médicaments ou Une collection
présentée par ,99
d’antipyrétiques ont aussi été
analysées pour chercher une pos­ Barbara Cassin, seulement
sible hausse des ventes, indice helléniste et
d’un début de circulation de la philosophe, membre
de l’Académie
maladie dans la population. Rien
française
d’anormal n’a été détecté, mais
les chercheurs internationaux
n’ont eu à leur disposition que les « Dieux et héros de la mythologie
© Edouard Caupeil
analyses déjà menées par leurs nous apprennent que la mesure
collègues chinois, et non les don­ de l’homme c’est d’être à sa place
nées brutes. Quant à la recherche
et de ne jamais y rester. »
de l’animal intermédiaire poten­
tiel, elle n’a pas été fructueuse.
Les scientifiques familiers du
dossier distinguent sans peine la
patte de Pékin dans certaines pa­
ges. Si le rapport mentionne bien
les deux coronavirus les plus Le numéro 1
proches du SARS­CoV­2 – c’est­à­ ZEUS - Le dieu qui conquit l’Olympe
dire RaTG13 et RmYN02 –, il se
fait discret sur leur origine. « Le
point le plus marquant est le soin
apporté à la minimisation de la
possibilité d’une origine de l’épi­ Dans chaque volume, rédigé par des spécialistes, les aventures
démie en Chine », s’amuse un éco­ mouvementées des grands personnages de la mythologie expliquées
logue français, qui note que l’ori­ et illustrées avec plus de 80 documents iconographiques.
gine géographique de RaTG13 et Revivez le spectacle fascinant des héros et des dieux !
du Yunnan) n’est mentionnée
qu’en passant, à la toute fin du
rapport. « En revanche, toutes les
autres mentions d’autres virus Pour découvrir un extrait gratuit, rendez-vous sur www.mythologiegeohistoire.fr
proches, bien que moins proches,
font état de l’origine géographi­ Dès le 31 mars chez votre marchand de journaux
que des échantillons : Cambodge,
Thaïlande. »
 FRANCE
10 |
Covid­19 : Macron accusé de « tâtonnements »
Alors que le nombre de patients en réanimation explose, le chef de l’Etat devait s’exprimer mercredi soir
L
e 28 octobre 2020, Emma­
nuel Macron annonçait
aux Français le retour du
confinement. Pour justi­
fier cette décision, le chef de l’Etat
avait invoqué la saturation à venir
des services de réanimation des
hôpitaux, où se trouvaient déjà
3 000 malades du Covid­19, soit la
moitié des capacités d’accueil du
pays. « L’objectif, c’est de protéger
nos soignants, expliquait alors le
président dans son allocution
télévisée. Si nous ne donnons pas
aujourd’hui un coup de frein brutal
aux contaminations, les médecins
devront choisir, ici entre un patient
atteint du Covid et une personne
victime d’un accident de la route, là
entre deux malades du Covid. »
Cinq mois plus tard, le mardi
30 mars, 5 072 patients atteints du
Covid­19 sont en réanimation. Un
chiffre qui dépasse le pic enregis­
tré lors de la seconde vague de
l’épidémie (4 903 malades le
16 novembre 2020), et promet de
grimper encore dans un contexte
de circulation accrue du virus. A
l’époque, la France entière était
confinée. Aujourd’hui, l’exécutif
hésite à aller au­delà des « mesures
de freinage » imposées dans dix­
neuf départements, malgré la me­
nace que font planer les médecins
de devoir trier les malades. D’où
cette question : la doctrine d’Em­
manuel Macron a­t­elle changé ?
Officiellement, la boussole du
gouvernement ne varie pas.
« Nous ne laisserons pas saturer les
hôpitaux. Nous ne laisserons pas
les médecins en situation de devoir
trier les malades, c’est impossible.
La protection des Français
primera toujours sur toute autre
conception que nous pourrions
avoir », a affirmé, mardi, le minis­
tre de la santé, Olivier Véran, lors
des questions au gouvernement à
l’Assemblée nationale. « Les mesu­
res qui ont été prises il y a dix jours
pourraient commencer à montrer
des effets dans les tout prochains
jours, ou pas, nous le verrons dans
les vingt­quatre ­ quarante­
huit heures vraisemblablement. Et
si besoin était, nous prendrions
d’autres mesures », a­t­il ajouté.
Lors du petit déjeuner de la ma­
jorité, mardi, le premier ministre,
Anne Hidalgo appelle à fermer les écoles
Sur RMC-BFMTV, mercredi 31 mars, la maire socialiste de Paris a
appelé à fermer les écoles, compte tenu de la situation sanitaire.
« Sur Paris, on a environ 20 000 élèves qui ne sont pas en classe
soit parce qu’ils sont malades soit parce que les classes sont fer-
mées », a-t-elle souligné, dénonçant une situation ingérable pour
les parents, à deux semaines des vacances scolaires.
Face au risque sanitaire, l’impossible pari du « quoi qu’il en coûte »
La phrase prononcée par Emmanuel Macron en mars 2020 pour rassurer le pays s’est imposée comme un acquis indiscutable
L a formule avait fait ses
preuves, elle saurait forcé­
ment rassurer. « Tout sera
mis en œuvre pour protéger nos sa­
lariés et nos entreprises. Quoi qu’il
en coûte. » Lorsque, en mars 2020,
Emmanuel Macron reprend les
mots de l’ancien président de la
BCE Mario Draghi, crédité du sau­
vetage de la zone euro en 2012
grâce à cette petite phrase redou­
table – « whatever it takes » –, il
espère rassurer le pays autant que
le banquier italien a calmé les
marchés financiers. Et montrer
que lui, le « président des riches »,
n’est pas prisonnier de cette rigu­
eur à laquelle on l’associe. Les me­
sures d’urgence et les milliards
s’additionnent, mais personne ne
songe à contester les choix de
l’exécutif. D’autant que l’argent ne
coûte rien. « A l’époque, c’était né­
cessaire, on ne pouvait pas faire
Emmanuel
Macron, lors
de la visite
d’un centre
de vaccination,
à Valenciennes
(Nord),
le 23 mars.
YOAN VALAT/EPA VIA AFP
Jean Castex, a évoqué l’hypothèse
de durcir le dispositif mis en place
dans les départements les plus
frappés par l’épidémie. Selon un
conseiller de l’exécutif, la possibi­
lité de laisser les écoles et les
crèches ouvertes seulement pour
les enfants de soignants est
étudiée de près. Le ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin, a
promis des contrôles renforcés en
amont du week­end de Pâques
afin d’éviter les déplacements
interrégionaux. L’entourage du
chef de l’Etat continue d’avoir bon
espoir que les déprogrammations
et les évacuations sanitaires suffi­
ront à éviter un nouveau confine­
ment, le temps, pour la vaccina­
tion, de monter en régime.
autrement, commente Eric
Woerth (Les Républicains), prési­
dent de la commission des finan­
ces de l’Assemblée nationale.
C’était le bon mot au bon moment.
Mais ça n’est pas durable. Tout ce
qui est exceptionnel n’est, par na­
ture, pas durable. »
« Drames humains »
Le chef de l’Etat n’a plus utilisé la
formule depuis l’automne, mais
celle­ci est encore dans toutes les
têtes. Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire a chiffré les
nouvelles restrictions sanitaires
annoncées le 18 mars – les seuls
dispositifs d’urgence coûtent dé­
sormais 7,2 milliards d’euros par
mois. « Cette formule, c’est devenu
un piège, admet un conseiller de
l’exécutif. Elle a accrédité l’idée
que l’argent est là et qu’on peut le
dépenser. »
Face au déferlement de la troi­
sième vague, pourtant, c’est à « un
freinage brutal créé par un vérita­
ble confinement » qu’appellent
dès maintenant certains méde­
cins. « La situation actuelle tend
vers une priorisation, autrement
appelée “tri” », ont prévenu dans
une tribune au Monde, lundi, un
collectif de réanimateurs de l’As­
sistance publique­Hôpitaux de
Paris. Selon certains spécialistes,
Emmanuel Macron aurait, sans le
dire, « fait volte­face fin janvier »
dans sa stratégie, pour reprendre
les termes d’Antoine Flahault, épi­
démiologiste et directeur de l’Ins­
titut de santé globale à Genève. Le
conseil scientifique proposait
alors de reprendre la main sur
l’épidémie, dopée par l’arrivée des
variants, en imposant un nou­
veau confinement. Mais le chef de
l’Etat a préféré envoyer Jean Cas­
tex au front pour annoncer que le
statu quo était de mise. « Nous
étions, avant cela, dans une straté­
gie dite de “suppression” du Covid,
à la japonaise. Elle a été abandon­
née sans que le gouvernement ne
« Le simple fait qu’on ne se pose
même plus la question est un
problème », abonde­t­on à Bercy,
où l’on estime que certains minis­
tères ont fait preuve de peu de
créativité avec les fonds alloués :
« Le “quoi qu’il en coûte” est là, et
c’est très bien. Mais est­ce que l’ar­
gent est bien utilisé ? Il y a un an, on
n’avait pas le choix, aujourd’hui, on
pourrait faire mieux. Pourquoi n’a­
t­on pas ouvert les gymnases pour
y installer les cantines ? Donné des
ordinateurs aux enfants défavori­
sés ? Pourquoi n’a­t­on pas formé
plus d’infirmières ? »
Conçu comme un traitement de
choc face à une « guerre » qu’on
imaginait de courte durée, le
« quoi qu’il en coûte » s’est installé
dans le paysage comme un acquis
indiscutable face au risque sani­
taire. « Cette formule repose impli­
citement sur l’idée que défendre la
l’explicite, ni que cela suscite un
débat », souligne M. Flahault. A
l’amorce du second confinement,
en effet, le chef de l’Etat avait fixé
l’objectif de « réduire très forte­
ment les contaminations, de
40 000 par jour à 5 000 », dans le
but de « ralentir significativement
le rythme des entrées à l’hôpital et
en réanimation ». Or, le plancher
de 5 000 contaminations quoti­
diennes n’a jamais été atteint.
Coups de pression
La France se serait donc résignée,
sans le dire, à « vivre avec » le
virus, le laissant circuler sur un
plateau haut et par moments
ascensionnel ? « Il y a une ligne
rouge absolue, c’est le tri des
patients », a tenté de convaincre
Bruno Le Maire, mardi, sur la
radio RCJ. Si le ministre de l’éco­
nomie s’est dit « bouleversé » par
la situation dans les hôpitaux, il a
souligné que le gouvernement
devait aussi éviter des actions
aux « conséquences sociales,
économiques, humaines, morales
qui soient trop lourdes ».
vie vaut tous les sacrifices, résume
Christian Gollier, directeur géné­
ral de l’Ecole d’économie de Tou­
louse. Mais cette idée s’est renver­
sée après le premier confinement,
l’exécutif a compris qu’il avait
peut­être donné trop de valeur à la
dimension sanitaire, et pas assez
aux conséquences économiques et
sociales d’un confinement dur.
Détruire l’économie, cela crée
aussi des drames humains. »
Surtout, il est absurde de croire
que la vie n’a pas de prix. « Bien sûr
qu’elle en a un », poursuit l’écono­
miste. Le centre de réflexion
France Stratégie, rattaché à Mati­
gnon, a estimé la valeur d’une vie
humaine à 3 millions d’euros dans
une étude en 2013, en rapportant
le coût d’un investissement public
aux vies qu’il permet de sauver.
Mais tous les acteurs économi­
ques fixent une valeur à leur pro­
« Nous ne
laisserons pas
les médecins
en situation
de devoir trier
les malades »
OLIVIER VÉRAN
ministre de la santé
« Le président a eu raison de déci­
der de restrictions ciblées et diffé­
renciées, en tenant compte du fait
que chaque jour de confinement
laisse dans le pays des cicatrices
profondes », ajoute Jean­Noël
Barrot, député (MoDem) des Yve­
lines. En clair, le degré d’accepta­
bilité du confinement dans l’opi­
nion compte pour une large part
dans la stratégie de l’exécutif.
« Les gens commencent à nous
dire : “Vos mesures nous font
chier.” Ils s’habituent à vivre
avec », estime un ministre.
« Dire qu’Emmanuel Macron a
changé de stratégie serait trop
pre vie. C’est le cas de l’automobi­
liste qui roule trop vite et se met en
danger, ou des pouvoirs publics
lorsqu’ils décident de fermer une
maternité. D’après France Straté­
gie, les ordres de grandeurs, com­
pris entre 2 millions et 5 millions,
sont toujours les mêmes. Un mé­
decin, en revanche, estimera que
le prix d’une vie est infini.
Les pouvoirs publics n’ont pas
fait ce calcul désagréable visant à
établir la valeur d’une vie, du
moins pas officiellement. Le con­
seil scientifique, censé éclairer les
choix du gouvernement, ne
compte d’ailleurs pas d’écono­
miste. « Les épidémiologistes ne
combinent pas le bénéfice sani­
taire avec le coût économique et
social des mesures pour évaluer si
la politique est optimale, constate
Christian Gollier. Mais refuser de
donner une valeur à la vie humaine
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
clément. La réalité, c’est qu’il n’y a
aucune stratégie. Rien d’autre que
des tâtonnements et du colma­
tage », accuse François Ruffin, dé­
puté (La France insoumise) de la
Somme. « Je ne crois pas qu’il y ait
eu de changement de pied, mais on
a dû s’adapter au virus, on fait avec
les éléments qu’on a sur la table »,
tempère son collègue (La Républi­
que en marche) de Charente Tho­
mas Mesnier. Mais il reste un flou
stratégique, qui alimente le senti­
ment d’un pouvoir décidant seul
sur la base de données indéfinies,
créant le risque d’être incompris.
Résultat : d’aucuns attendent
une prise de parole d’Emmanuel
Macron pour clarifier ses objec­
tifs. Dans une tribune au Monde,
mardi, la sociologue Barbara
Serrano a appelé le chef de l’Etat à
« rendre des comptes » et « explici­
ter ce que furent et ce que sont dé­
sormais les objectifs à atteindre ».
Le locataire de l’Elysée devrait
s’exprimer mercredi soir à
20 heures, a annoncé la prési­
dence de la République. 
olivier faye et claire gatinois
qui permette d’évaluer les politi­
ques publiques, c’est se condamner
à avoir toujours tort, et laisser l’op­
position avoir toujours raison. »
Sans cet indicateur, impossible
de parvenir à un compromis ac­
ceptable entre le sanitaire et l’éco­
nomique : soit le confinement est
dur et le résultat est insupporta­
ble, soit il ne l’est pas assez, et des
vies sont perdues. Pour l’écono­
miste, qui a fait ce travail de
modélisation multidisciplinaire,
la meilleure option est celle d’un
confinement dur et bref. « Le
“stop and go” dans lequel nous
sommes abîme peu l’économie,
mais ne freine pas la circulation du
virus, résume­t­il. A long terme, il
est coûteux à la fois humainement
et économiquement. Il ne se justi­
fie qu’adossé à un horizon de sor­
tie, comme la vaccination. » 
elsa conesa
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Avec son appel à l’union, Jadot
enjambe la primaire écologiste
L’eurodéputé Europe Ecologie­Les Verts a proposé, lundi, aux leaders
écologistes et de gauche de « se mettre autour d’une table » en vue de 2022
T
out est souvent affaire
de « timing ». Yannick
Jadot l’a bien compris. Le
député européen Euro­
pe Ecologie­Les Verts (EELV), qui
brigue l’investiture écologiste
pour la présidentielle de 2022, a
décidé qu’il était temps de pas­
ser à l’attaque.
Lundi 29 mars, sur France Inter,
il a proposé aux leaders écologis­
tes et de gauche – de l’ancien ma­
croniste et député de l’Essonne
Cédric Villani au chef de file de La
France insoumise (LFI) Jean­Luc
Mélenchon, en passant, entre
autres, par les communistes et les
socialistes – de « se mettre autour
d’une table » afin de « se mettre
d’accord pour construire le grand
projet d’espérance (…) pour 2022 ».
L’idée est de coucher « dix propo­
sitions communes », a­t­il précisé
dans un entretien à Libération, et
de faire en sorte que cette famille
politique morcelée, qui passe son
temps à se déchirer, puisse encore
avoir un espoir de peser.
« On a un calendrier »
Les leaders de gauche ont
répondu positivement à l’invita­
tion. Jean­Luc Mélenchon a même
longuement échangé avec M. Ja­
dot mardi. Quelques heures plus
tard, sur Franceinfo, le député des
Bouches­du­Rhône affirmait :
« S’il y a des réunions, on ira. Cela
fait des mois qu’on le propose pour
parler de contenus et de pro­
gramme. Arrêtez la comédie sur
l’union ! (…) La confusion nous per­
drait. (…) La première tâche est de
se regrouper pour faire face à l’of­
fensive de l’extrême droite et des
macronistes. » Et l’ancien sénateur
socialiste de proposer… une réu­
nion, le 7 avril, pour lutter contre
« l’offensive face aux libertés ».
Finalement, peu importe de sa­
voir si la rencontre proposée par
Avis de tempête sur la campagne de Pulvar
Le PS veut recadrer sa candidate en Ile­de­France après ses propos sur les réunions non mixtes
L a polémique sur les réu­
nions non mixtes a en­
traîné un gros coup de gri­
sou dans l’équipe d’Audrey Pulvar.
La candidate aux régionales en Ile­
de­France, soutenue par le Parti
socialiste (PS), s’attendait à ce que
ses propos légitimant la tenue de
« réunions réservées » aux per­
sonnes discriminées et invitant
les autres – les hommes et les fem­
mes blancs – à écouter et se taire,
provoquent des réactions à droite
et à l’extrême droite. Mais elle
n’avait pas vu venir l’embarras qui
s’en est suivi parmi ses soutiens.
Tout au long du week­end, les diri­
geants du PS, tout comme la maire
de Paris, Anne Hidalgo, et ses pro­
ches, sont restés silencieux.
Quand la tempête médiatique se
déchaîne, avec Marine Le Pen de­
mandant une saisine de la justice
et la droite dénonçant le « ra­
cisme » et « l’apartheid » que défen­
drait l’ancienne journaliste, c’est la
sidération dans le camp de Pulvar.
Quelques socialistes lui manifes­
tent leur solidarité d’un coup de fil
ou d’un tweet – tels le président du
conseil départemental de Seine­
Saint­Denis, Stéphane Troussel, le
maire de Saint­Denis, Mathieu Ha­
notin, la conseillère de Paris, Co­
lombe Brossel, le maire de Bourg­
en­Bresse, Jean­François Debat, ou
le conseiller départemental de
l’Essonne, Jérôme Guedj –, mais ils
sont bien peu nombreux. « Pour
moi, la soutenir, et la soutenir vite,
Yannick Jadot se
pose en candidat
naturel de sa
famille politique,
faisant fi de
ses deux rivaux
à la primaire
M. Jadot aura bien lieu, qui ira et
s’il en sortira quelque chose. L’es­
sentiel est ailleurs. En formulant
sa proposition à l’ensemble des
partenaires de gauche et aux
écologistes, Yannick Jadot fait
coup double. D’abord, il se pose
en candidat naturel de sa famille
politique, faisant fi de ses deux
rivaux – le maire de Grenoble, Eric
Piolle, et la secrétaire nationale
adjointe d’EELV, Sandrine Rous­
seau – à la primaire prévue en
septembre par EELV.
Dans le même temps, il devient
le leader de fait des écologistes,
puisqu’il est l’interlocuteur des
chefs des autres formations de
gauche et c’est à lui que l’on
répond. Lui, encore, qui propose
presque une sorte de conférence
de paix de la gauche et des écolo­
gistes. Lui, enfin, qui tend la main
aux « insoumis » pour les intégrer
à un bloc large s’opposant à la fois
à Emmanuel Macron et à Marine
Le Pen. Il marginalise ainsi le
secrétaire national d’EELV, Julien
Bayou, avec qui les relations sont
très fraîches. Ironie politique, il y a
un an, la proposition de ce dernier
d’organiser des universités de
rentrée communes à la gauche et
aux écologistes avait fait long feu.
L’initiative de M. Jadot a été
diversement appréciée par ses
camarades du parti. La direction
d’EELV avait prévu une réunion
face aux attaques était évident. Qui
peut s’étonner qu’Audrey ait une
approche intime du racisme ? »,
s’interroge la sénatrice de l’Oise
Laurence Rossignol. Contactés, la
plupart des responsables du PS
parisien répondent pourtant d’un
« pas de commentaire ».
Recadrage en règle
Dimanche soir, lors d’un comité
stratégique, plusieurs hiérarques
socialistes ont fait part de leur
gêne. Pour eux, le moment
d’aborder cette question n’était
pas opportun et il aurait mieux
valu que la candidate se concentre
sur les slogans de sa campagne,
ont plaidé plusieurs premiers
fédéraux. « C’est un raté », une
« expression malheureuse », lâ­
chent quelques­uns. « On a un ri­
che programme. Il vaut mieux par­
ler des sujets de la vie des Franci­
liens en portant nos propositions,
comme la gratuité des transports
ou le passe jeunes », insiste Jona­
than Kienzlen, secrétaire fédéral
du Val­de­Marne. Certains lui ont
reproché de ne pas tenir compte
de la position du PS, réaffirmée
lors d’un récent communiqué.
« On la soutient mais on lui a rap­
pelé notre position », précise Diey­
naba Diop, porte­parole du PS.
Olivier Faure, absent de la réu­
nion, a appelé l’ex­journaliste.
Pour le premier secrétaire, la
séquence de polémiques ouvertes
par les déclarations de la prési­
mardi après­midi pour recadrer
les choses. Cela donne, dans la
bouche de M. Bayou : « Ce n’est pas
au candidat de faire les choses de
lui­même. Je remets du collectif.
C’est le parti qui mène les discus­
sions. Et on a un calendrier. » Il
ajoute : « Les élections régionales
sont des échéances très importan­
tes. » Pour ce scrutin, le secrétaire
national d’EELV revendique une
stratégie où la gauche et les écolo­
gistes se comptent au premier
tour pour fusionner au second
derrière le mieux placé. Evidem­
ment, dans ses calculs, les candi­
dats les mieux placés seraient les
écologistes. « Partir séparés, ce n’est
pas partir divisés », résume­t­il.
Ce scénario, s’il advient, permet­
trait à EELV d’être en dynamique,
un peu moins d’un an avant
la présidentielle et les élections
législatives, et donnerait aux
Verts une bonne option pour
convaincre certains de ses
concurrents directs, comme le
Parti socialiste, de s’unir dès le
premier tour. Pas question, donc,
de perturber ce plan de bataille.
Mais Yannick Jadot n’a pas fait
qu’énerver les patrons d’EELV. Ses
concurrents à la primaire ont
également peu goûté la méthode.
Ils n’étaient pas prévenus de son
initiative, l’ont apprise en écou­
tant la radio lundi matin. Ils se
sont sentis court­circuités.
Si Eric Piolle « ne souhaite pas
faire de commentaires aujour­
d’hui », Sandrine Rousseau, rap­
pelle, elle, que « la primaire est im­
portante. Les écologistes sont atta­
chés à la démocratie interne. Et
Yannick Jadot ne l’a pas toujours
respectée par le passé, les gens s’en
souviennent ». L’universitaire et
féministe se félicite, en revanche,
que M. Jadot inclue désormais
Jean­Luc Mélenchon dans ses pro­
jets. Elle assure que c’est le mes­
dente de l’UNEF, Mélanie Luce, jus­
tifiant l’existence de réunions non
mixtes au sein de son syndicat
étudiant était close, et il avait pré­
cisé sa position lors d’un entretien
au Figaro : accord sur le fait de réu­
nir des victimes de discrimination
dans des groupes de parole, mais
pas dans les organisations syndi­
cales, à vocation militante univer­
selle. Le retour d’Audrey Pulvar sur
le sujet et sa position tranchée l’a
contraint à revenir sur un terrain
qu’il sait miné. Le numéro un du
PS lui demande de revenir sur l’ex­
pression « maladroite » de son
interview. Anne Hidalgo lui fait
part de la même exigence. Bref,
c’est un recadrage en règle. Audrey
Pulvar s’est exécutée en publiant
une tribune sur le site du Monde,
où elle explique ses propos.
Lundi soir, l’ancienne prési­
dente de la Fondation Hulot
répète pourtant, lors d’un comité
politique restreint, qu’elle est une
candidate issue de la société civile,
avec sa propre pensée, qu’elle ne
veut pas subir ce que certains can­
didats dans le passé ont dû vivre
– voir les socialistes tirer contre
leur camp – et réclame un soutien
face à la polémique qui enfle. Le
Parti radical de gauche, Place pu­
blique, le petit parti Allons Enfants
tout comme le PS lui renouvellent
leur confiance. Mais la blessure
reste vive, et Anne Hidalgo n’est
pas montée au front pour la
défendre. Le silence de la maire de
sage qu’elle « porte depuis le dé­
but : on discute avec tout le monde
ou rien ». En effet, pendant long­
temps, M. Jadot entendait incar­
ner l’espace entre les « insoumis »
et les « marcheurs », estimant
les points de désaccord trop im­
portants avec le mouvement mé­
lenchoniste.
« Macron-compatible »
En vérité, M. Jadot enjambe la pri­
maire car il n’a jamais été con­
vaincu de l’efficacité du processus.
La machine est trop lourde, cela
fait prendre trop de retard quand
Marine Le Pen et Jean­Luc Mélen­
chon sont déjà en campagne.
Mais, surtout, la primaire est très
incertaine pour lui. S’il est l’écolo­
giste le plus médiatique et le plus
connu du grand public parmi les
candidats actuels, il souffre, au
sein de son parti et du monde éco­
logiste, d’une image trop « modé­
rée », trop « macron­compatible ».
Car, même si le vote sera
« ouvert » aux citoyens, moyen­
nant une somme symbolique, et
si les partenaires d’EELV (qui
comptent nombre de formations
centristes) y sont parties prenan­
tes, le cœur militant des écologis­
tes bat à gauche. Beaucoup prédi­
sent donc un scrutin serré, où
Sandrine Rousseau serait la
faiseuse de roi, ou bien encore
une victoire nette de M. Piolle.
M. Jadot a bien conscience de
ses handicaps et veut donc tout
faire pour imposer sa candida­
ture. Quitte à bousculer les habi­
tudes des écologistes et susciter
encore plus de défiance à son
égard. C’est un risque qu’il
assume. Même si, en véritable
amateur de sport, il le sait mieux
que quiconque : c’est rarement
celui qui part en échappée qui
remporte l’étape. Ni la course. 
abel mestre
Paris est d’autant plus mal vécu
qu’Audrey Pulvar est la fidèle
qu’elle était allée chercher pour
être porte­parole de sa campagne,
puis faire partie de son équipe
d’adjoints proches et, enfin, l’im­
poser aux barons locaux comme
chef de file à l’élection régionale.
Mais cette dernière a oublié un
peu trop vite que la maire de Paris,
qui a dit son opposition ferme à la
non­mixité prônée par l’UNEF et
n’a cessé de réaffirmer sa ligne
républicaine, déteste réagir dans
l’urgence. « Je ne participerai plus
à ces emballements et ces torrents
de haine dans lequel on vous
somme de venir vous expliquer en
280 signes », a protesté la maire de
Paris mercredi matin sur BFM­TV
et RMC. Si elle a tenté d’apaiser le
débat, Anne Hidalgo a pris ses
distances avec les propos d’Audrey
Pulvar en précisant sa vision « uni­
verselle », « laïque » et « rassem­
bleuse » du « champ politique ».
L’incident a semé le doute dans
l’esprit de la tête de liste. Au point
qu’Audrey Pulvar dit réfléchir à la
suite. Certains de ses proches crai­
gnent qu’elle ne jette l’éponge,
ayant mal vécu ce « lâchage ». « Ça
a montré que le PS ne sait pas faire
avec des personnalités qui ne sont
pas issues de ses rangs », souligne
une responsable de Place publi­
que. « Heureusement qu’il y a eu le
reste de la gauche et les écologis­
tes », lâche un proche. 
sylvia zappi
A Lyon, la démocratie
participative divise la
mairie EELV et l’opposition
La consultation des habitants creuse
un clivage idéologique parmi les élus
lyon ­ correspondant
L a municipalité écologiste
de Lyon a adopté un budget
participatif lors de son der­
nier conseil municipal, vendredi
26 mars. Le montant de 50 mil­
lions d’euros représente environ
5 % du budget annuel de la mairie.
Le principe consiste à financer des
projets proposés par les citoyens.
La moitié est réservée à des projets
entièrement à l’initiative des habi­
tants. Les 25 autres millions sont
prévus pour des lieux fléchés par
les élus municipaux, mais dont la
réalisation, qu’il s’agisse de cons­
truction ou d’aménagement, sera
élaborée par les habitants. Pre­
mière dans l’histoire municipale,
cette portion participative du
budget illustre une vision élargie
de la transition écologique, et an­
nonce d’autres expérimentations
menées par la mairie de Lyon.
L’exécutif animé par Grégory
Doucet (Europe Ecologie­Les Verts,
EELV) a mis en place un « conseil
Covid » fin 2020. « Nous avons
voulu faire appel aux citoyens pour
travailler sur les critères d’accepta­
bilité », explique Céline de Laurens,
adjointe à la santé. La mairie a
sollicité Nova7. Spécialisée dans le
conseil aux entreprises et aux
collectivités, l’agence a établi un
panel de 180 habitants et 120 re­
présentants d’organismes et d’as­
sociations. « Les citoyens ont ex­
primé le souhait de trouver au plus
vite des solutions pour reprendre
des activités culturelles. Ils ont es­
timé qu’il fallait améliorer la com­
munication sur les mesures de con­
trainte, ce qui nous a incités à met­
tre en place des médiateurs dans le
centre de vaccination de Gerland,
pour accompagner les mesures
d’isolement en cas d’infection »,
rapporte l’adjointe à la santé.
« Illusion de démocratie »
Le « conseil citoyen » provoque les
sarcasmes de l’opposition. « C’est
une grande illusion, de l’agitation
sans portée réelle. On veut nous
faire croire qu’il s’agit de
démocratie augmentée. La mairie
a dépensé 55 000 euros pour de
la communication, sans mesure
concrète à la clé. La culture est
importante ? Les jeunes sont en
difficulté ? Merci, mais on le savait
déjà ! », cingle Etienne Blanc, chef
de file de la droite municipale. Le
sénateur (Les Républicains) dé­
nonce d’autres concertations de
quartier, sur la piétonnisation du
cours Charlemagne, ou la sécuri­
sation de la Guillotière. « Les déci­
sions étaient déjà prises. La
concertation s’est résumée à une
réunion Zoom aux accès limités,
sans invitation pour le maire d’ar­
rondissement concerné, déplore
l’ancien bras droit de Laurent
Wauquiez. Ce sont les vieilles mé­
thodes d’extrême gauche, créer une
illusion de démocratie pour mettre
en place un régime autoritaire. »
La démocratie participative
creuse un clivage idéologique
dans la vie politique lyonnaise
entre les écologistes, désireux de
modifier les pratiques du pouvoir
local, et ceux qui y voient une
manœuvre de contournement de
la démocratie représentative.
« Dans cette affaire, les élus sont
complètement squeezés. On réunit
beaucoup de gens, mais ce n’est pas
ce qui fait avancer les choses. On a
bien vu les limites de cet exercice au
Ce sont les
vieilles méthodes
d’extrême
gauche »
ÉTIENNE BLANC
président du groupe LR
au conseil municipal
france | 11
« Nous voulons
mettre en place
un processus
continu
de démocratie
contributive »
CHLOÉ VIDAL
adjointe chargée
de la démocratie locale
niveau national », estime l’ancien
ministre Gérard Collomb, faisant
allusion aux revers de la conven­
tion citoyenne pour le climat.
Pour l’ancien maire de Lyon, les
structures municipales existantes,
composées de conseils de quartier
et d’adjoints, concilient concerta­
tion et efficacité, sans qu’il soit
nécessaire de s’aventurer dans
d’autres formules. « De nouvelles
modalités de concertation méri­
tent d’être engagées. Nous avions
pris un peu de retard sur ce sujet,
nuance l’ancien maire du 4e arron­
dissement David Kimelfeld. Sans
vouloir faire de procès d’intention,
j’observe que la démocratie interne
à EELV a tout de même du mal à se
traduire dans le travail municipal.
Les choses sont un peu ficelées
d’avance. Est­ce que la coconstruc­
tion sera véritablement mise en
œuvre ? Je demande à voir. »
Au sein de la majorité, la compo­
sante socialiste approuve pleine­
ment le budget participatif, tout
en observant à distance les expé­
rimentations avant­gardistes. « Il
faut éviter des formules trop
conceptuelles ou hors­sol. Il faut
du concret pour que les citoyens se
réapproprient l’espace public »,
confie Sandrine Runel (PS).
Pour l’écologie politique version
Doucet, la démocratie participa­
tive constitue un marqueur ma­
jeur. Le maire de Lyon a construit
son équipe de campagne par un
processus collaboratif poussé à
l’extrême. La méthode est désor­
mais appliquée à la gestion muni­
cipale. « Il faut sortir de l’exercice
vertical du pouvoir. Dans le comité
consacré au Covid, les élus ne diri­
gent pas, ils sont dans une posture
d’écoute. Nous voulons mettre en
place un processus continu de
démocratie contributive, plus im­
pliquante, plus inclusive, pour re­
gagner la confiance des citoyens »,
expose Chloé Vidal, chargée de la
démocratie locale. La mairie envi­
sage la création d’une « commis­
sion extramunicipale du temps
long », chargée d’évaluer la transi­
tion écologique. Cette assemblée
citoyenne pourrait compter entre
cinquante et cent participants.
Un « baromètre du bien­être »,
élaboré avec des chercheurs, est
aussi dans les cartons pour mesu­
rer les attentes de la population et
orienter l’action municipale.
Autre projet­phare de la munici­
palité : « l’institut de la rési­
lience ». Il s’agit d’une plate­forme
pouvant associer des chercheurs
pluridisciplinaires et des acteurs
de la société civile (entrepre­
neurs, étudiants, associations).
Objectif : chercher des solutions
concrètes pour atténuer l’impact
négatif de l’activité humaine sur
l’environnement. « Une plate­
forme de savoirs, de formations, et
d’expérimentations sociales et
économiques pour accomplir la
transition écologique et démocra­
tique », résume un document de
présentation interne.
Ce projet a suscité l’intérêt de
Barbara Pompili. La mairie de Lyon
a adressé, début mars, une note à
la ministre de la transition écolo­
gique pour présenter cet institut
de la résilience. Un laboratoire
grandeur nature des ambitions
démocratiques des écologistes. 
richard schittly

12 | france
Le modèle Sciences Po dans la tourmente
Les polémiques récentes montrent un militantisme étudiant en mutation qui interpelle les établissements
Q
uelque chose serait­il
cassé, dans le monde
feutré des instituts
d’études politiques
(IEP) ? Depuis la défla­
gration qui a touché début janvier
le vaisseau amiral Sciences Po
Paris, entraînant la démission à
un mois d’intervalle des deux tê­
tes dirigeantes de l’école – le direc­
teur, Frédéric Mion, a menti en as­
surant ne pas connaître les accu­
sations d’inceste visant le prési­
dent, Olivier Duhamel –, pas une
semaine ne s’écoule sans que « la
maison », composée de dix éta­
blissements, ne fasse parler d’elle.
Dernier épisode en date, lundi
22 mars, le collectif féministe de
l’IEP de Lyon Pamplemousse et le
syndicat Solidaires­Etudiants ont
demandé l’exclusion de la Ligue
internationale contre le racisme et
l’antisémitisme (Licra) d’un par­
tenariat noué par leur école. En
cause : les « nombreuses ambiguï­
tés vis­à­vis de son rapport à l’is­
lamophobie, ainsi qu’à la laïcité »
que la Licra aurait manifestées lors
d’un débat dans un lycée de Besan­
çon en décembre, donnant lieu à
une requête de parents d’élèves et
d’enseignants auprès du recteur.
« Nous estimons que la lutte contre
l’islamophobie, l’antisémitisme, la
négrophobie ou toute autre forme
de racisme doit être une priorité et
qu’à ce titre, les institutions comme
Sciences Po Lyon doivent s’entourer
de collectifs et associations dont le
travail se montre à la hauteur de la
lutte. La Licra n’en fait pas partie »,
soutiennent ces étudiants dans
leur communiqué.
Le 18 mars, à Strasbourg cette
fois, le syndicat étudiant UNI a
pris à partie la direction de l’IEP
qui aurait, selon le syndicat, in­
terdit d’attribuer « Samuel Paty »
comme nom de promotion, au
motif qu’il fallait alterner chaque
année entre un homme et une
femme. « Ce procédé est révélateur
de ce qui se passe à Sciences Po
Strasbourg depuis des années.
L’idéologie et les militants d’ex­
trême gauche font la loi et n’hési­
tent plus à fouler du pied la mé­
moire d’un martyr de la liberté », af­
firme François Blumenroeder,
président de l’UNI Strasbourg.
Ces épisodes font suite à deux
autres événements à très haute
tension : la vague #sciencesporcs,
lancée le 7 février par une an­
cienne élève de l’IEP de Toulouse,
la blogueuse féministe Anna
Toumazoff, pour dénoncer « la
culture du viol » dont se rendraient
« complices » les directions des IEP
en ne sanctionnant pas systémati­
quement les auteurs de violences
Ouvrir le recrutement, maintenir l’élitisme : une équation complexe
L’élargissement social et international de ces grandes écoles va de pair avec un niveau académique parfois moins élevé qu’autrefois
L a critique a longtemps ac­
compagné Sciences Po :
une école trop élitiste, pas
assez ouverte socialement… Et,
dans les faits, la composition des
rangs étudiants prêtait à tel juge­
ment, malgré des réformes dans
les années 1980. Les « conven­
tions ZEP » lancées en 2001 par Ri­
chard Descoings et les modifica­
tions successives du concours
d’entrée – de la suppression de
l’épreuve de culture générale
en 2012 jusqu’au renoncement ac­
tuel et quasi unanime des IEP
à toute épreuve écrite de recrute­
ment – ont finalement inversé la
tendance. Le taux de boursiers at­
teint désormais 28 % à Paris et jus­
qu’à 30 % à l’IEP de Lille.
Issu d’un lycée de l’éducation
prioritaire à Châtellerault (Vienne),
Anthonin Minier fait partie des re­
crues « ZEP » de sa promo à Scien­
ces Po Paris. « Je perçois des écarts
sexistes et sexuelles. Enfin, le
4 mars, le placardage des noms de
deux professeurs d’allemand et de
science politique sur les murs de
l’IEP de Grenoble, accusés de « fas­
cisme » et d’« islamophobie », après
avoir signifié, avec véhémence
parfois, leur opposition à une col­
lègue sociologue sur la notion
d’islamophobie. Le syndicat étu­
diant US a appelé à suspendre un
cours d’un de ces enseignants
dans le cas où son appel à témoi­
gnages lancé sur Facebook per­
mettrait d’établir le caractère isla­
mophobe de certains contenus.
Cette escalade subite de tensions
s’enracine dans la communauté
des étudiants de Sciences Po,
lauréats d’un concours aussi sélec­
tif que prestigieux. L’attractivité
des instituts, fondés entre 1945 et
1956 puis en 1991 pour les deux
derniers (Lille et Rennes), ne s’est
jamais démentie et atteint même
des sommets depuis leur entrée
sur la plate­forme d’affectation
dans l’enseignement supérieur
Parcoursup en 2020. « Tout ce qui
nous est tombé sur la figure depuis
janvier a eu pour conséquence 54 %
d’augmentation du nombre de can­
didats », ironise Pierre Mathiot, di­
recteur de Sciences Po Lille, à pro­
pos du concours commun des
sept instituts de région qui attire
cette année 17 000 candidats pour
un total de 1 150 places. Hors con­
cours commun, Sciences Po Bor­
deaux enregistre aussi une pous­
sée sur deux ans, passant de
2 800 à 6 000 candidatures pour
275 places, quand Paris en compta­
bilise 19 000 pour 1 500 places, en
hausse de 50 % sur un an.
Evolution de la politisation
Ces histoires révèlent surtout
que la politisation des étu­
diants, constante, voit ses formes
et expressions considérablement
évoluer, les IEP se faisant le miroir
de la société. « Je vois se former de
véritables militants dont les objec­
tifs ont changé. C’est un marqueur
générationnel qui n’est pas propre
à notre formation », analyse Jean­
Philippe Heurtin, directeur de
l’IEP de Strasbourg. C’en est fini ou
presque de l’engagement dans les
partis ou syndicats traditionnels,
note Anthonin Minier, étudiant
en première année à Sciences Po
Paris et représentant des écolo­
gistes. « Je pensais arriver dans une
école où tout le monde serait en­
carté ! En fait, il y en a 5 % au plus
qui se disent proches d’un parti »,
rapporte­t­il. Les discriminations
sociales, et plus encore sexuelles et
raciales, focalisent l’attention de
ceux qui bénéficient la plupart du
entre moi et les étudiants premiers
de cordée qui viennent de Louis­le­
Grand, Henri­IV ou Stanislas,
confie­t­il. J’avais fait trois disserta­
tions dans ma vie quand eux en
faisaient tous les week­ends. J’avais
lu 30 livres au lycée et eux, 400. »
Alors que Sciences Po fait aujour­
d’hui le choix de supprimer son
concours – la sélection sur Par­
coursup se basant essentiellement
sur les résultats au lycée et une
épreuve orale d’admission –, com­
ment continuer de s’assurer de
l’excellence académique des étu­
diants tout au long de la scola­
rité ? L’interrogation traverse les
rangs enseignants.
« Le revers de la médaille, c’est la
baisse un peu générale du niveau.
Est­elle due aux conventions
d’éducation prioritaire ? Je ne suis
pas sûr, expose Nicolas Metzger,
enseignant et ancien directeur
du conseil de l’institut parisien.
Manifestation contre l’islamophobie devant Sciences Po Grenoble, à Saint­Martin­d’Hères (Isère), le 9 mars. PHILIPPE DESMAZES/AFP
temps d’enseignements sur les
études de genre et sur l’intersec­
tionnalité, ce qui place les IEP
parmi les suspects de militan­
tisme « islamo­gauchiste » dont la
ministre de l’enseignement supé­
rieur, Frédérique Vidal, cherche à
établir une liste. « Les IEP ne sont
plus des boys’clubs et Parcoursup
n’a fait qu’accentuer le chan­
gement, avec des promotions com­
posées à 70 % ou 75 % de filles, re­
lève Vincent Tiberj, professeur à
Sciences Po Bordeaux. Le genre est
désormais quelque chose d’impor­
tant et nos instituts tels qu’ils fonc­
tionnent n’ont peut­être pas bougé
assez vite face à des étudiantes qui
intègrent complètement ces pro­
blématiques. #sciencesporcs ra­
conte aussi cela. » « Le type de débat
en classe est différent d’il y a quel­
ques années, et il faut se battre
contre des habitudes qui ont été dé­
veloppées par les réseaux sociaux,
mais cela ne touche vraiment pas
que Sciences Po », relativise Anne
Boring, qui dirige la chaire pour
l’entrepreneuriat des femmes à
Sciences Po Paris.
L’année à l’étranger, obligatoire
depuis le début des années 2000,
explique en partie ces nouveaux
comportements, note Francis
Vérillaud qui a dirigé pendant
vingt­cinq ans les relations inter­
Le taux de
boursiers atteint
désormais 28 % à
Sciences Po Paris
et jusqu’à 30 %
à l’IEP de Lille
La massification de l’enseigne­
ment supérieur oriente mécani­
quement une tendance à la baisse
mais aussi le fait d’attirer des
étudiants étrangers, qu’on peut
difficilement saquer lorsque les
cours sont majoritairement dis­
pensés en français. »
L’enseignant ajoute que les no­
tes des étudiants sont « gaussian­
nisées », c’est­à­dire harmonisées
afin d’obtenir une moyenne de
12/20 dans chaque groupe appelé
« conférence de méthode ». Résul­
« Les IEP ne sont
plus des boys’club.
Parcoursup
a accentué
ce changement »
VINCENT TIBERJ
professeur à l’IEP de Bordeaux
nationales de l’institut parisien.
« Sciences Po est challengé depuis
longtemps par ses propres étu­
diants parce qu’ils sont très interna­
tionalisés. Quand ils rentrent d’un
an au Canada, aux Etats­Unis, aux
Pays­Bas ou en Allemagne, où les
sujets des violences sexuelles et
sexistes sont traités dans les univer­
sités, ils viennent avec un apport.
Je me souviens de discussions com­
pliquées, car ce n’était pas évident
dans la culture française. »
Les IEP ont bien changé depuis
leur création, précisément lors du
passage de la scolarité de trois à
cinq ans pour se conformer aux
standards internationaux, à partir
de l’an 2000. Les fondamentaux
demeurent, autour des cours
d’histoire, de sociologie, de
science politique et de droit, mais
il a fallu revoir les maquettes,
notamment en master, là où les
tat : lorsque des étudiants formés
dans une faculté de sciences hu­
maines et sociales intègrent un
master à Sciences Po, leur niveau
académique est souvent supé­
rieur à celui de leurs camarades
qui ont suivi le cursus pluridis­
ciplinaire d’un IEP.
Quatre séances de rattrapage
« A l’oral de Sciences Po, on vous
apprend que si vous ne connais­
sez pas la réponse, il faut amener
le jury sur une réponse que vous
maîtrisez. C’est tout le contraire
de la fac », pointe François (le pré­
nom a été modifié), étudiant de
deuxième année à l’IEP d’Aix­en­
Provence. Il ajoute que quatre
séances de rattrapage sont pos­
sibles pour s’assurer que l’étu­
diant parviendra à valider son
année, ce qui n’incite pas à don­
ner son maximum. « Les notes se
situent entre 10 et 15. On nous fait
étudiants se spécialisent, chaque
école proposant des dizaines de
voies différentes. « Penser qu’on
fait Sciences Po uniquement pour
passer le concours de l’Ecole natio­
nale d’administration est une
image d’Epinal, relève Yves Déloye,
directeur de l’IEP de Bordeaux.
Les concours administratifs, qui
étaient au cœur de la création des
instituts après la guerre, n’attirent
qu’un tiers de nos étudiants. Les
autres aspirent à des carrières de
plus en plus diversifiées en en­
treprise, dans des ONG, dans l’éco­
nomie sociale et solidaire. »
Enseignement passe-temps
Le profil des enseignants a lui
aussi évolué, les instituts cher­
chant à « s’académiser » en re­
crutant davantage d’enseignants­
chercheurs que de personnalités
politiques et économiques vaca­
taires, qui prenaient comme un
passe­temps le fait d’enseigner
à Sciences Po. « Je me souviens
du grand cours d’économie de
deuxième année fait par Michel Pé­
bereau [président de la Banque na­
tionale de Paris qui deviendra BNP
Paribas], sourit Vincent Tiberj, ex­
étudiant de l’IEP parisien. Il distri­
buait un polycopié qui datait de
1986. Or nous étions en 1993 et en­
tre­temps, il y avait eu la chute du
comprendre que cela ne sera ja­
mais plus, jamais moins. »
De quoi relativiser la qualité
de la formation ? Pas aux yeux de
Bénédicte Durand, administra­
trice provisoire de Sciences Po
Paris, qui veut rompre avec le
modèle « grande école » pour
atteindre le rang de « grande uni­
versité de recherche ». Le palmarès
du dernier classement internatio­
nal QS par discipline va dans ce
sens, l’IEP parisien raflant la
deuxième place en sciences politi­
ques et relations internationales
derrière Harvard et devant Oxford.
« Le mot élite est devenu presque ta­
bou, mais la responsabilité d’une
université internationale comme la
nôtre est bien de faire émerger les
élites du XXIe siècle dans un cadre
éthique qui doit être posé à nou­
veau au regard des grandes ques­
tions qui travaillent légitime­
ment notre société en ce moment,
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
mur de Berlin, mais dans ce monde
élitaire classique, le temps était sus­
pendu. » Ce décalage entre l’élite di­
rigeante et l’apport en temps réel
des recherches en sciences so­
ciales fonde l’incompréhension
actuelle autour des accusations
d’« islamo­gauchisme ». Les gen­
der studies se banalisent, Sciences
Po Toulouse ayant même consti­
tué un master dédié tandis que
presque tous les autres IEP en font
des modules ou des thématiques
abordés en cours de sociologie.
« Ces questions sont analysées au
même titre que d’autres formes de
discriminations, ce qui est tout à
fait légitime », appuie Jean­Phi­
lippe Heurtin, à Strasbourg.
Le débat est pourtant loin d’être
clos parmi les étudiants : « Se
présenter en fonction de son sexe,
de sa position sociale et de sa
couleur est une pratique en vogue
dans ce type d’enseignement, ce
que je trouve ahurissant, lâche
Quentin Coton, étudiant de Scien­
ces Po Paris et membre de l’UNI.
Ce sont des questions que les gens
ne se posaient même plus dans la
société française et qui reviennent à
Sciences Po. Elle n’est pas là, la dé­
connexion de notre école ? » L’objet
des débats politiques change, mais
le ton reste vif. 
soazig le nevé
telles que les questions environne­
mentales ou de luttes contre les
discriminations, argue Bénédicte
Durand. Ce cadre ne sera refondé
qu’une fois les universités capables
d’incarner la diversité des jeunes
d’aujourd’hui, d’où la nécessité d’en
démocratiser l’accès. »
Ces arguments ne convainquent
pas Jean­Yves Mérindol, ancien
président d’université et spécia­
liste de l’histoire de l’enseigne­
ment supérieur. « Il y a un aspect
marketing à parler d’élite, fondé sur
le fait que ces écoles restent sélecti­
ves, ce qui attire encore plus de can­
didats, estime­t­il. Ces étudiants se
destinent à des professions intéres­
santes parmi lesquelles chargé de
communication, chargé d’études,
assistant parlementaire ou fonc­
tionnaire des collectivités locales,
dans la moyenne des Français
cadres supérieurs voire moyens. » 
s. l. n.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Affaire du PNF : Jean Castex met
en doute l’inspection de la justice
Matignon a saisi le Conseil supérieur de la magistrature du
comportement de deux magistrats du Parquet national financier
Q
uelle mouche a piqué
le premier ministre ?
Enième rebond de
l’affaire des fadettes
du Parquet national
financier (PNF) – il avait fait éplu­
cher les données de connexion
de nombreux avocats en lien
avec l’enquête sur un trafic d’in­
fluence mêlant Nicolas Sarkozy,
son conseil et un magistrat de
la Cour de cassation –, Jean Castex
a annoncé, vendredi 26 mars,
qu’il saisissait le Conseil supé­
rieur de la magistrature (CSM).
Il demande à l’institution de se
pencher sur d’éventuels man­
quements disciplinaires de l’an­
cienne patronne du PNF, Eliane
Houlette, et du premier vice­pro­
cureur financier, Patrice Amar.
Pourtant, l’enquête adminis­
trative menée par l’inspection
générale de la justice (IGJ), que
Le Monde a pu consulter – et sur la
base de laquelle le chef du gouver­
nement devait décider d’éventuel­
les suites disciplinaires –, conclut
sans la moindre ambiguïté à l’ab­
sence de manquement de la part
de M. Amar, contrairement aux
multiples éléments retenus contre
son ex­supérieure hiérarchique.
Conclusions binaires
Marie Lhéritier et François Saint­
Pierre, les avocats de M. Amar, ont
très vertement réagi au commu­
niqué de Matignon qui men­
tionne « différents éléments sus­
ceptibles de faire naître un doute
sérieux quant au respect de ses obli­
gations déontologiques ». Ils ont
affirmé lundi, à la lecture du rap­
port de l’inspection exonérant
leur client, que « ce reproche est
sans fondement et la saisine du
CSM est par conséquent calom­
nieuse ». Premier syndicat de ma­
gistrats, l’Union syndicale des ma­
gistrats (USM) parle de « procédé
scandaleux » à l’égard de M. Amar,
qui a été publiquement mis en
cause par Nicolas Sarkozy, et
« constate que tous les moyens sont
bons pour faire pression sur les
Ikea : un an de prison ferme pour l’ex­PDG
Stefan Vanoverbeke était poursuivi dans l’affaire d’espionnage de salariés du groupe suédois
E trange procès que celui de
l’espionnage des salariés
d’Ikea, un peu bancal de­
puis son ouverture, et même
avant, en réalité. La faute à une ins­
truction que toutes les parties, qui
s’invectivent à propos de tout le
reste, s’accordent à qualifier de
« bâclée » et qui a mis l’audience
sur de mauvais rails.
La période de prévention rete­
nue (2009­2012) exclut la majorité
des faits, avérés depuis 2002 ;
beaucoup d’acteurs – policiers, di­
recteurs de magasins ou cadres
manifestement concernés – man­
quent au casting ; l’accusation de
corruption des policiers qui ont
fouillé, sur demande d’Ikea, les
antécédents judiciaires de centai­
nes de salariés a été balayée à
l’aube de l’enquête… « La défense a
pointé, dès le premier jour, les im­
perfections du dossier et je ne les
rejette pas », a dit la magistrate,
mardi 30 mars, soupirant au mo­
ment de prendre ses réquisitions
devant le tribunal de Versailles :
« Ce dossier, il est tel qu’il est. »
Son réquisitoire s’est fondu
dans ce curieux décor judiciaire,
avec ses propres bizarreries, l’une
d’elles consistant à requérir la re­
laxe de deux cadres d’Ikea, tout en
les déclarant coupables. Claire
magistrats et multiplier les pour­
suites disciplinaires, même lorsque
aucune faute n’est établie ! »
Après avoir explosé au grand
jour à l’occasion de l’affaire des fa­
dettes et avoir été instrumentali­
sés, notamment par les proches
de Nicolas Sarkozy à l’approche de
l’audience Bismuth, les bis­
billes entre M. Amar et Mme Hou­
lette remontent aujourd’hui jus­
qu’au premier ministre. Car la dé­
cision de M. Castex a été guidée
par l’envie de se faire sa propre
opinion, dit son entourage, sur la
guerre fratricide qui a agité le PNF.
Son cabinet a été prié de ne pas
se contenter des rapports de syn­
thèse de quelques dizaines de
pages mais de plonger dans les
trente tomes des pièces transmi­
ses par l’inspection. M. Castex
aurait constaté des discordances
entre un dossier nuancé et les
conclusions binaires qu’en tirent
les inspecteurs. Autrement dit, le
rapport sur Mme Houlette serait à
charge, celui sur M. Amar, à
décharge. La confiance dans l’IGJ
apparaît ici limitée…
L’affaire éclate en juin 2020,
quand Le Point révèle qu’une en­
quête préliminaire a été ouverte
par le PNF en 2014 pour recher­
cher une taupe ayant prévenu
Thierry Herzog, l’avocat de
M. Sarkozy, que son client était
sur écoute. C’est cette affaire qui a
valu à l’ancien chef de l’Etat une
condamnation, le 1er mars, pour
corruption et trafic d’influence, à
trois ans de prison dont deux avec
sursis. Un appel est en cours.
Pour cette recherche, la police a
requis dès 2014 les fadettes de di­
zaines d’avocats, dont Eric Du­
pond­Moretti, devenu depuis mi­
nistre de la justice. Cette « préli­
minaire » a duré près de six ans
avant d’être classée sans suite.
Découvrant cette enquête, M. Du­
pond­Moretti dénonça des « mé­
thodes de barbouze ».
Une première inspection sur le
fonctionnement du PNF deman­
dée dès juin 2020 par Nicole Bel­
Héry, ancienne DRH : « Je suis per­
suadée qu’elle était au courant [du
système de surveillance des sala­
riés]. Les éléments sont insuffi­
sants, mais nous ne sommes pas
dupes. » Stefan Vanoverbeke, an­
cien PDG : « Au vu de sa position
dans la société, on ne peut pas con­
cevoir qu’il ait été mis à l’écart
d’une telle pratique, mais ce n’est
qu’une supputation. »
« Effort d’honnêteté »
Pour les treize autres prévenus ac­
cusés d’avoir, chacun à son
échelle, pris part à « des enquêtes
privées à l’insu de 400 collabora­
teurs d’Ikea », la procureure a re­
quis en moins de deux heures.
Contre les directeurs des maga­
sins de Reims (Marne) et Avi­
gnon, accusés d’avoir transmis
des listes de salariés « à tester » :
deux ans avec sursis. Contre les
responsables de la sécurité de ces
deux magasins qui les ont aidés :
un an et six mois avec sursis. Con­
tre quatre policiers soupçonnés
d’avoir pioché dans leur fichier
d’antécédents judiciaires censé
être confidentiel : de six mois à
deux ans avec sursis.
Du sursis a aussi été réclamé
contre deux hauts cadres d’Ikea :
un an contre Sylvie Weber, an­
Dans
ce feuilleton
de l’affaire
des fadettes,
la décision du
premier ministre
a été guidée par
l’envie de se faire
sa propre opinion
loubet a conclu, le 15 septembre, à
la légalité de l’enquête prélimi­
naire. Mais elle a soulevé des ques­
tions sur « l’organisation et le fonc­
tionnement hiérarchique ». Dans
la foulée, le nouveau garde des
sceaux a demandé une enquête
administrative, préalable à une
poursuite disciplinaire, sur les
trois magistrats ayant suivi ce dos­
sier. Décision qui lui vaut d’être
visé par une enquête de la Cour de
justice de la République (CJR) pour
prise illégale d’intérêts.
« Conflit d’intérêts »
Cette seconde enquête de l’IGJ, ob­
jet aujourd’hui de toutes les atten­
tions, conclut que rien d’anormal
ne peut être relevé dans la con­
duite de l’enquête sur les fadettes.
Contrairement à ce qu’ont dit
M. Dupond­Moretti, avant son en­
trée au gouvernement, et les pro­
ches de M. Sarkozy. En revanche,
l’inspection différencie « la ma­
nière de servir » de ces trois magis­
trats. Ulrika Delaunay­Weiss et
M. Amar sont blanchis. Il en va
autrement de Mme Houlette, qui, à
la retraite, a jugé ne pas avoir à ré­
pondre à leurs questions.
Le management de l’ancienne
patronne du PNF est critiqué en
raison de « relations de travail ina­
daptées ayant généré des situa­
tions de souffrance au travail ». Il
lui est reproché également
d’avoir été « au centre d’un conflit
d’intérêts ». Sa fille travaillait chez
un avocat mis en cause dans une
cienne adjointe à la sécurité, qui a
« bien évidemment » eu connais­
sance du système de surveillance,
selon la procureure ; deux ans
contre Dariusz Rychert, ancien di­
recteur financier, qui a signé des
factures émanant de la société
d’investigations privées Eirpace,
mais a assuré ne pas savoir ce qu’il
signait. Le patron de cette société
accusée d’avoir fait des recherches
sur plus de 300 salariés, Jean­
Pierre Fourès, a été qualifié par la
procureure de « nœud du pro­
blème, sans qui le dossier n’aurait
pas eu la même envergure » : deux
ans, dont un avec sursis.
A propos de Jean­François Paris,
ancien directeur de la sécurité,
seul prévenu à avoir avoué et pré­
senté des excuses aux salariés,
la procureure a salué un « effort
d’honnêteté », mais souligné
« qu’il [n’était] pas un lanceur
d’alerte » et souhaité que cette
audience « ait un impact sur sa vie
comme ses agissements ont eu un
impact sur la vie des salariés » :
trois ans, dont deux avec sursis.
Même peine requise contre
Jean­Louis Baillot, ancien PDG du
groupe, qui a nié avoir su l’exis­
tence d’un système de sur­
veillance, bien que plusieurs élé­
ments l’incriminent. « Au vu de la
enquête du PNF dont la procu­
reure ne s’est pas déportée.
L’inspection affirme, en outre,
que Mme Houlette a violé le secret
professionnel en « divulguant » à
un ami avocat « des informations
relatives à des procédures suivies
par le PNF ». Pourtant, l’enquête
préliminaire sur ce sujet a été clas­
sée sans suite le 23 décembre 2020.
Selon nos informations, le par­
quet de Nanterre a conclu que
l’avocat en question, Jean­Jacques
Campana, avait « exagéré (…) pour
impressionner ses clients » malgré
l’absence d’information confiden­
tielle transmise par Mme Houlette.
A l’appui de la saisine du CSM, le
premier ministre ne s’est pas con­
tenté de transmettre l’intégralité
des pièces issues de l’enquête ad­
ministrative. Il a communiqué
une liste de questions écrites qu’il
a soumises à l’inspection après lec­
ture de ses travaux. Un rendez­
vous s’est tenu le 8 mars entre
M. Castex et les inspecteurs, sans y
apporter de réponses satisfaisan­
tes, dit­on à Matignon.
M. Castex s’étonne ainsi dans la
saisine du CSM que l’inspection
n’accorde pas de crédit au témoi­
gnage de Jean­François Bohnert
sur M. Amar. Le successeur de
Mme Houlette à la tête du PNF, a,
par exemple, affirmé que le vice­
procureur avait « du mal à accep­
ter qu’on puisse porter un autre re­
gard que le sien sur un dossier ».
Il craignait chez ce magistrat un
manque de neutralité et d’objecti­
vité en raison « d’idées très arrê­
tées ». M. Bohnert évoque même
« un trait de caractère qui peut
mettre des dossiers en situation
de danger ». De quoi, pour Mati­
gnon, relativiser le tissu d’éloges
invoqué par l’inspection. Est­ce
une tentative de sauvetage de
Mme Houlette à laquelle se livre le
premier ministre en la renvoyant
dos à dos avec M. Amar ? Pour
l’heure, la patate chaude est entre
les mains du CSM. 
jean­baptiste jacquin
et simon piel
nature de ses responsabilités, de
son rôle joué dans la commission
de ces faits, de cette politique ini­
tiée par lui, je souhaite une peine
qui marque la vie de M. Baillot », a
dit Pamela Tabardel.
Enfin, ce fut le tour de la SAS
Meubles Ikea France, accusée
« d’avoir tiré de cette pratique gé­
néralisée un avantage organisa­
tionnel », en s’assurant, grâce à la
surveillance des nouveaux sala­
riés, « un recrutement perfor­
mant, qui la met à l’abri de la com­
mission d’infractions de son pro­
pre personnel ».
La veille, les avocats des parties
civiles – elles sont environ 120 –
avaient réclamé de 10 000 à
50 000 euros d’indemnisation
par salarié. Mardi, la procureure a
convoqué Edward Snowden –
« Même si vous ne faites rien de
mal, vous êtes épié et enregistré » –
et défendu « la protection de nos
vies privées face à la menace de la
surveillance de masse », avant
de réclamer « une réponse pénale
ayant un caractère d’exempla­
rité ». Elle a pourtant requis une
amende de 2 millions d’euros
seulement pour Ikea, quand le
montant maximal encouru est de
3,75 millions d’euros. 
henri seckel
Le Sénat vote l’interdiction
des sorties scolaires
aux mères voilées
La majorité de droite entend durcir
le projet de loi contre le « séparatisme »
A u premier jour de la dis­
cussion au Sénat, en pre­
mière lecture, du projet
de loi confortant le respect des
principes de la République – sur­
nommé projet « séparatisme » –,
l’opposition de droite a infligé un
revers au ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, en votant, con­
tre son avis, mardi 30 mars, deux
amendements qui reviennent à
interdire le port de signes reli­
gieux aux parents accompagna­
teurs lors des sorties scolaires.
Présentés par des sénateurs
Les Républicains (LR) et du Ras­
semblement démocratique et so­
cial européen (RDSE), les amen­
dements ne désignent nommé­
ment ni les mères voilées, déjà
la cible de deux offensives séna­
toriales depuis deux ans, ni
même les collaborateurs occa­
sionnels des services publics,
notion juridique sujette à contro­
verse s’agissant des parents
qui accompagnent bénévole­
ment les sorties scolaires des
classes de leurs enfants.
Ils ont été adoptés par 177 voix
(LR et RDSE) contre 141 (PS, RDPI,
à majorité La République en mar­
che, CRCE, à majorité commu­
niste, écologistes), au terme d’une
discussion nourrie autour d’une
dizaine d’amendements allant
dans le même sens.
En commission, un amende­
ment similaire des corapporteu­
res avait été rejeté. Mais, mardi
après­midi, une majorité de séna­
teurs a étendu l’interdiction faite
depuis 2004 aux élèves des éco­
les, collèges et lycées de porter
des « signes ou tenues par les­
quels [ils] manifestent ostensi­
blement une appartenance reli­
gieuse » aux « personnes qui parti­
cipent, y compris lors des sorties
scolaires, aux activités liées à l’en­
seignement dans ou en dehors des
établissements, organisées par ces
écoles et établissements publics lo­
caux d’enseignement ».
« Acharnement législatif »
Les partisans de ces amende­
ments ont veillé à ne pas men­
tionner le port du voile par cer­
taines musulmanes dans leur ar­
gumentation. Mais ils ont insisté
sur le caractère laïque du service
public de l’enseignement qui doit,
à leurs yeux, s’étendre à tous ceux
qui d’une manière ou d’une autre
y apportent leur concours. « Une
sortie scolaire n’a pas de raison
d’être si ce n’est pas un acte péda­
gogique », a expliqué Max Brisson
(LR, Pyrénées­Atlantiques), au­
teur de l’un des amendements.
Le ministre de l’intérieur a
avancé une série d’arguments
pour dissuader l’adoption de ces
amendements : le risque d’in­
constitutionnalité de la mesure,
ÉLECTIONS
Législatives partielles
et municipales reportées
Les deux élections législati­
ves partielles prévues dans le
20e arrondissement de Paris
et la 6e circonscription du
Pas­de­Calais les dimanches
4 et 11 avril ont été reportées
sine die par un décret paru
mardi 30 mars au Journal
officiel. « En raison de la situa­
tion sanitaire, il n’est pas pos­
sible d’organiser les opéra­
tions électorales dans des
conditions satisfaisantes »,
explique le gouvernement.
Le préfet du Pas­de­Calais a
également décidé de reporter
les élections municipales par­
tielles à Andres, Audincthun,
Fouquières­lès­Béthune,
Hallines, Lisbourg, Offrethun
et Liettres.
france | 13
Gérald Darmanin,
soutenu par des
élus de gauche
et du centre,
n’a pas boudé
cette occasion
d’apparaître
dans une position
d’équilibre
le fait que les établissements pri­
vés sous contrat, associés au ser­
vice public, permettent le port de
signes religieux, le sens même de
la laïcité en France, qui est « l’ac­
ceptation de la pluralité reli­
gieuse » de la société.
Gérald Darmanin a été soutenu
dans le débat par des élus de gau­
che et du centre et il n’a pas boudé
cette occasion d’apparaître dans
une position d’équilibre. Il a souli­
gné ce « paradoxe » qui veut que la
défense de la liberté religieuse ait,
selon lui, historiquement glissé
de la droite vers la gauche.
Des sénateurs des groupes
communiste, socialiste et cen­
triste se sont exprimés contre les
amendements que Sylvie Robert
(PS, Ille­et­Vilaine) a qualifiés
d’« acharnement législatif ». Di­
dier Marie (PS, Seine­Maritime) a
jugé « dangereux » ces amende­
ments qui « laissent entendre qu’il
y aurait un lien de causalité, un
continuum culturel, entre le port
du voile, l’islam politique, le radi­
calisme, le séparatisme, et pour­
quoi pas le terrorisme ». « De
grâce, ne laïcisons pas la société
française, laissons les gens libres »,
a demandé Laurent Lafon (Union
centriste, Val­de­Marne).
Dans la soirée, un nouveau dé­
bat a eu lieu sur les signes reli­
gieux. Un amendement des sé­
nateurs LR visant à empêcher le
port d’un burkini dans les pisci­
nes municipales ou les lieux de
baignade artificielle municipaux
a été adopté à son tour. Il prévoit
que le règlement d’utilisation de
tels lieux « garantit le respect
des principes de neutralité des
services publics et de laïcité ».
Cette fois encore, le ministre de
l’intérieur s’est opposé, en vain, à
cet amendement.
A aussi été adopté un amende­
ment du groupe RDSE interdisant
aux mineurs le port, dans l’espace
public, de « signes ou tenues » qui
« manifestent ostensiblement une
appartenance religieuse ». Il inter­
dit aussi « le port par les mineurs
de tout habit ou vêtement qui si­
gnifierait l’infériorisation de la
femme sur l’homme ». 
cécile chambraud
TERRORIS ME
Femmes et enfants
détenus en Syrie :
des avocats français
saisissent la CPI
Trois avocats et deux univer­
sitaires ont annoncé, mardi
30 mars, avoir saisi la procu­
reure de la Cour pénale inter­
nationale, lui demandant
« d’ouvrir une enquête sur
les crimes de guerre en train
de se commettre sur les en­
fants français et leurs mères,
prisonniers dans ces camps,
et sur l’éventuelle responsabi­
lité pénale du chef de l’Etat
français ». Le président
de la République, qui est aussi
chef des armées, « peut voir
sa responsabilité pénale
engagée en qualité d’auteur
ou de complice de crimes de
guerre », assurent­ils.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
La crise révèle la fragilité des indépendants
Ces 3 millions de personnes, qui bénéficient de peu de protection du fait de leur statut, accusent le coup
A
vec la météo radieuse
de ce début de prin­
temps, Claude (le pré­
nom a été changé),
49 ans, consultant en manage­
ment, a le sentiment d’être re­
venu un an en arrière. « Il fait le
même temps, je suis au même en­
droit, derrière le même ordinateur,
et je continue de piloter mon entre­
prise avec seulement deux ou trois
mois devant moi. Ce manque de
visibilité m’empêche de dormir, ra­
conte­t­il. Jusqu’ici, je n’ai survécu
que grâce au fonds de solidarité
[FDS]. Les aides ont permis de re­
pousser l’échéance, mais, financiè­
rement, je suis au même point. Si
elles s’arrêtent, sans nouveau
client, ce sera la liquidation. »
D’autant que cet expert en
transformation des entreprises,
installé depuis dix ans en société
unipersonnelle, vient de sortir,
en mars, de la liste – mouvante et
complexe – des entreprises éligi­
bles au FDS. « Mais finalement, il
paraît que Bercy pourrait encore
prolonger… Ce qui nous redonne­
rait et la confiance et le sommeil,
ce serait que l’Etat annonce garan­
tir l’aide jusque fin août pour tout
le monde. Là, on pourrait enfin
voir venir. »
Claude fait partie de ces trois
millions d’indépendants dénom­
brés dans le pays, aux statuts juri­
diques divers – sont considérées
comme indépendantes toutes les
personnes qui possèdent un nu­
méro de Siret, qu’elles soient en
entreprise individuelle, en SASU
(société par actions simplifiée
unipersonnelle), SARL (société à
responsabilité limitée), ou micro­
entrepreneurs –, qui cherchent
un peu d’air dans la crise.
« Situation de précarité »
Mesures sanitaires sans cesse
modifiées, manque de visibilité
de leurs clients, réduction des
budgets alloués à la communica­
tion, au marketing ou à l’événe­
mentiel, secteurs où ils sont très
représentés… les difficultés s’ac­
cumulent pour ces profession­
nels à leur compte, à la couverture
sociale minimale du fait qu’ils ne
cotisent pas au régime obliga­
toire. Pas d’assurance­chômage,
pas d’indemnités journalières en
cas de maladie et pas de régime de
retraite collectif. Pour couronner
le tout, le fonctionnement du
Fonds de solidarité, fluide jus­
qu’en décembre 2020, s’est sé­
rieusement grippé début 2021.
« Je n’ai pas eu un seul client de­
puis un an, mais je n’ai touché
aucune aide depuis décembre », té­
moigne Constance de Gabory,
scénographe­plasticienne, parmi
des milliers de personnes dans le
même cas. Le renforcement du
FDS, intervenu en novembre, a
Un plan pour mieux protéger leur patrimoine personnel
Alain Griset, le ministre des PME, présentera sous peu au président de la République ses pistes pour améliorer le sort des indépendants
O ffrir « un environnement
juridique, fiscal, social,
simplifié et sécurisé » aux
indépendants : c’est, en substance,
la commande passée par Em­
manuel Macron à son ministre
chargé des petites et moyennes
entreprises (PME), Alain Griset,
autour de la galette des rois parta­
gée – virtuellement – le 13 janvier
dernier à l’Elysée avec les maîtres
boulangers. Trois mois plus tard,
après avoir consulté les organisa­
tions professionnelles et les parle­
mentaires, le plan pour les indé­
pendants est en passe d’être pré­
senté au président de la Républi­
que, assure­t­on dans l’entourage
du ministre des PME. Avant de
conduit Bercy à muscler parallèle­
ment les contrôles en amont, afin
d’éviter les abus. Mais cela se tra­
duit par une mise en œuvre d’une
rare complexité pour les bénéfi­
ciaires. « Les délais de traitement
peuvent aller jusqu’à 60 jours »,
constate Hind Elidrissi, prési­
dente du syndicat Indépen­
dants.co, créé juste à la veille de la
crise. « Il y a beaucoup de refus
automatiques. Certaines deman­
des qui datent de fin janvier sont
encore en attente. »
« Beaucoup d’indépendants ne
bénéficient plus du Fonds de soli­
darité et sont aujourd’hui dans
une situation de précarité, avec
des dettes », confirme François
Hurel, président de l’Union des
autoentrepreneurs. « Je suis per­
suadé qu’ils récupéreront leur chif­
fre d’affaires à terme, mais au bout
de combien de temps ? Ils dépen­
donner lieu, le cas échéant, à un
projet de loi. Le projet vise à ac­
croître la protection des indépen­
dants sur leur patrimoine person­
nel. C’est, en effet, l’un des princi­
paux talons d’Achille des non­sa­
lariés. « Lorsque les choses se
durcissent, ils sont par nature très
exposés, souligne François Asse­
lin, président de la Confédération
des petites et moyennes entrepri­
ses. En cas de dépôt de bilan, ils
n’ont pas d’assurance­chômage et
il ne leur reste que les dettes : à eux
de se débrouiller avec ça. »
Lors d’une défaillance, les entre­
preneurs individuels exerçant en
leur nom propre sont aujourd’hui
particulièrement vulnérables.
Mesures
sanitaires sans
cesse modifiées,
manque
de visibilité
de leurs clients…
les difficultés
s’accumulent
pour ces
professionnels
Seule leur résidence principale est
protégée, le reste de leurs biens
personnels pouvant être saisis
pour apurer les dettes. Autre point,
ils sont souvent amenés à se por­
ter caution sur leurs biens person­
nels pour obtenir des emprunts
bancaires. Et en cas de liquidation
de l’activité, la dette sociale (im­
payés de cotisations) n’est pas effa­
cée, ce qui peut se traduire par une
saisie un à deux ans plus tard…
Option fiscale
L’objectif est donc, d’abord, de
mieux protéger ces patrimoines
personnels, en facilitant éven­
tuellement le passage du statut
d’entrepreneur individuel à une
dent du reste de l’économie et des
particuliers. Ce sera très long à re­
partir. Si on ne les accompagne pas
par des mesures spécifiques de re­
lance, j’ai de grandes craintes pour
les prochains mois. »
Selena Doukhan, consultante
free­lance, voit le marché se durcir.
« En janvier, j’ai vu un changement
drastique, raconte cette experte en
communication corporate. Les
budgets ont fondu. Les clients com­
mencent à brader les devis… Les
gens ont peur de l’avenir. La visibi­
lité est faible ». Claude, le consul­
tant en management, observe
bien un frémissement de l’activité
ces dernières semaines. Cepen­
dant, la concurrence est rude : « On
recommence à discuter, mais nous
sommes nombreux sur le marché,
pour peu d’opportunités. »
Comment accompagner la re­
lance auprès de professionnels
forme juridique plus protectrice.
Un autre volet de mesures devrait
permettre de faciliter la transmis­
sion ou la reprise de leur activité.
« Un bon objectif », selon Fran­
çois Hurel, président de l’Union
des autoentrepreneurs, mais
« combien d’indépendants ont réel­
lement un patrimoine personnel à
protéger ? La priorité, c’est d’abord
le patrimoine humain, c’est la pré­
voyance ! ». C’est là l’objectif du
deuxième volet de ce plan : amé­
liorer la protection sociale des in­
dépendants pour créer un « socle
élargi » de droits, notamment
pour indemniser la perte d’acti­
vité. Depuis novembre 2019, les in­
dépendants bénéficient d’un droit
aux activités extrêmement diver­
ses ? En encadrant les conditions
de rémunération, notamment
pour ceux qui sont inscrits sur
des plates­formes de travail, en fa­
cilitant l’accès au crédit bancaire
ou au logement, répond Hind Eli­
drissi. « Ce qui permettra aux indé­
pendants de se relancer, c’est l’acti­
vité ! », tranche François Asselin,
président de la Confédération des
petites et moyennes entreprises.
L’Union des autoentrepreneurs
plaide pour un accompagnement
à la formation de cette population
par nature isolée : « On a besoin de
faire évoluer nos métiers, déclare
M. Hurel. Il faut bien aussi que les
indépendants puissent s’adapter. »
La réflexion, selon Mme Elidrissi,
doit s’élargir à l’ensemble des
droits sociaux. « La couverture
sociale des indépendants a été
conçue dans les années 1950,
limité à l’assurance­chômage : ils
peuvent toucher, sous certaines
conditions, 800 euros mensuels
d’indemnités pendant six mois.
A condition, toutefois, de se met­
tre en liquidation judiciaire per­
sonnelle, une démarche qui coûte
« au minimum 3 400 euros » de
frais, selon François Hurel, et qui
est assortie d’une interdiction de
gérer et d’une inscription à la Ban­
que de France. Depuis sa création,
900 personnes tout au plus ont
utilisé ce dispositif du fait de ces
conditions drastiques. Les disposi­
tifs d’assurance­chômage volon­
taire, comme ceux proposés par
l’association GSC, sont par ailleurs
très peu utilisés : seuls 10 % des in­
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Le renforcement
du Fonds
de solidarité
a conduit Bercy
à muscler
les contrôles
en amont
quand la plupart d’entre eux
étaient artisans ou agriculteurs »,
relève la jeune femme, qui dirige
par ailleurs une assurtech
(start­up du secteur de l’assu­
rance), Wemind. « Aujourd’hui, on
est dans une société numérique,
une société de services. » Le sujet
est épineux : certains représen­
tants du secteur font valoir que
l’indépendance n’est guère com­
patible avec les régimes de protec­
tion sociale gérés par les organisa­
tions représentatives de salariés.
Grande diversité
« Il est beaucoup plus judicieux de
travailler sur le sujet de l’endette­
ment personnel des indépen­
dants », note François Asselin, qui
propose trois mesures pour proté­
ger leur avenir dans l’hypothèse
d’une liquidation de leur activité.
D’abord, qu’il n’y ait pas d’inscrip­
tion automatique au Fichier cen­
tralisé des incidents de paiement
en cas de liquidation de l’activité ;
ensuite, que les dettes sociales ne
soient pas considérées comme
des dettes personnelles pouvant
faire l’objet d’une saisie ; enfin, que
le droit des cautions soit révisé.
Une grande partie de la diffi­
culté à aider ces professionnels
vient de leur grande diversité, en
termes de profil, de métier, de sec­
teur et de revenu, et de la crois­
sance rapide de leurs effectifs :
plus d’un million de personnes
ont rejoint leurs rangs en l’espace
de dix ans. « Cela devient le mode
d’activité d’un nombre de plus en
plus important de Français »,
pointe M. Hurel.
Pour mieux connaître leurs pro­
fils et leurs attentes, Indépen­
dants.co lance une consultation
nationale. Les professionnels se­
ront invités à se prononcer sur di­
verses thématiques (plan de re­
lance et sortie de crise, assurance­
chômage, droits sociaux…) sur
une plate­forme spécifique
(3millionsdindependants.com).
A la fin de l’année 2021, ces
contributions seront rassemblées
dans un « livre blanc », « afin de
dessiner les contours d’un “new
deal” adapté à la réalité des indé­
pendants d’aujourd’hui », promet
le syndicat. 
aline leclerc
et béatrice madeline
dépendants y ont recours, selon
M. Asselin, qui réclame aussi un
véritable accès à la formation.
Autre piste à l’étude, accorder aux
indépendants une option fiscale
pour passer sous le régime de l’im­
pôt sur les sociétés lorsque celui­ci
est plus favorable pour eux, ou en­
core imaginer une option pour
que certains indépendants puis­
sent se salarier eux­mêmes, de
manière à être mieux protégés.
Mais, pour l’heure, on est loin
d’une grande refonte du statut,
voire d’une harmonisation des
différentes formes juridiques qui
coexistent parmi ces trois millions
de personnes. 
bé. m.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 économie & entreprise | 15

PERTES & PROFITS | TOP GLOVE
Le Sénat appelle à sauver La Poste par philip pe esc and e

Dans un rapport, les auteurs sollicitent l’Etat pour qu’il compense Travail forcé :
les pertes qui pourraient survenir en raison de la baisse du courrier malaise en Malaisie

L « Si on reste
e sort de La Poste, mise en un monde où la lettre se fait rare. nateurs proposent par ailleurs de Le 25 mars, dans un grand hôtel société. Les organisateurs du prix
difficulté par la chute ac­ Son déficit devrait atteindre plus retirer la lettre au timbre rouge, de la banlieue de Kuala Lumpur, de la meilleure entreprise pour
célérée du courrier de­ de 1,3 milliard d’euros en 2020. Le distribuée à J + 1, du périmètre du sur la seule la société Top Glove se voit remet­ travailler n’ont pas dû lire le quo­
puis le début de la crise rapport du Sénat révèle l’étendue service universel postal. distribution tre, pour la cinquième année d’af­ tidien britannique The Guardian,
sanitaire, inquiète désormais le des pertes à venir, qui devraient « C’est un service qui coûte cher, filée, le prix de la meilleure entre­ qui, dès 2018, a publié une en­
Sénat. La commission des affaires varier entre 700 millions d’euros mais qui ne correspond plus vrai­ du courrier, on prise asiatique où il fait bon tra­ quête décrivant les conditions de
économiques de la Chambre et 2,4 milliards d’euros par an ment à l’attente des clients. Ils uti­ va dans le mur » vailler. « C’est la validation de nos travail des migrants népalais ou
haute a publié, mercredi 31 mars, d’ici à 2025. L’hypothèse basse ne lisent l’e­mail s’ils veulent de l’ins­ efforts dans le domaine du capital bangladais, entassés dans d’im­
un rapport sur « L’avenir des ser­ valant que si le groupe « joue sur tantanéité, affirme M. Chaize. PATRICK CHAIZE humain », se réjouit son directeur menses dortoirs insalubres, con­
vices publics de La Poste », pour tous les paramètres, en prenant Cela permettrait d’optimiser les sénateur et rapporteur général, Dato Lee Kim Meow. Ce traints à des horaires extensifs,
demander à l’Etat de soutenir fi­ des mesures de fermetures de si­ tournées, les facteurs pourraient n’est manifestement pas l’avis de privés de passeport et violentés.
nancièrement l’opérateur public tes et de réductions d’effectifs », couvrir un territoire plus étendu. » tout le monde. Le 29 mars, le ser­ En décembre 2020, l’épidémie de
et proposer des réformes. explique M. Chaize. Subsisterait donc la distribution tous les foyers, il faut capitaliser vice américain des douanes an­ Covid­19 a contaminé 5 000 em­
Un document aligné avec les Aussi le sénateur et ses deux co­ des lettres à timbres verts, en J + 2 sur cette interface ». Au­delà du nonçait le blocage officiel de ployés, dont l’un est décédé. Le
demandes adressées au gouver­ rapporteurs, Pierre Louault ou J + 3, à prix abordable ; tandis service postal, le groupe public toute importation aux Etats­Unis ministère des ressources humai­
nement par le PDG de La Poste, (Union centriste) et Rémi Cardon que le J + 1 deviendrait un produit assure trois autres missions pour des produits de l’entreprise, après nes malaisien avait lancé 19 en­
Philippe Wahl. « Notre volonté est (Socialiste, écologiste et républi­ concurrentiel, avec un timbre le compte de l’Etat : l’aménage­ une enquête sur des accusations quêtes mettant en lumière le fait
d’aller vite compte tenu de l’ur­ cain) préviennent : « Aujourd’hui, vendu au « coût réel ». ment du territoire, avec l’obliga­ de travail forcé et de conditions que l’entreprise ne respectait pas
gence, explique Patrick Chaize, sans compensation de l’Etat à tion de maintenir un réseau d’au de travail indignes. les règles sociales.
rapporteur et sénateur (Les Répu­ compter de l’année 2021, une “ré­ « Détection à domicile » moins 17 000 points de contact La société malaisienne est le nu­
blicains) de l’Ain. L’Etat devra ap­ duction” du service public s’impo­ Autre angle d’attaque, le rapport répartis dans l’Hexagone, la dis­ méro un mondial des gants médi­ Esclavage moderne
porter une réponse dans le cadre sera dans les faits avec une dimi­ recommande d’ajouter des mis­ tribution de la presse à des tarifs caux de protection. Elle est l’un L’histoire de Top Glove, star de la
du vote du budget 2021 pour ne nution des services rendus aux sions à celles qu’effectuent déjà préférentiels et l’accessibilité des grands gagnants de la crise Bourse de Kuala Lumpur, n’est
pas laisser La Poste en situation usagers. » les facteurs. « Si on reste sur la bancaire en offrant un accès gra­ liée au Covid, qui a provoqué une pas isolée. Les mêmes douanes
de banqueroute ». Le rapport recommande donc seule distribution du courrier, on tuit et universel au Livret A. telle demande qu’en 2020 son américaines avaient interdit, en
Première préoccupation : le une compensation, dès cette an­ va dans le mur », résume le séna­ Toutes ces missions étant défi­ chiffre d’affaires a soudain été décembre 2020, deux autres en­
service universel postal, princi­ née, par le biais d’un abattement teur. Ainsi, face aux 13 millions citaires, les sénateurs appellent multiplié par quatre et son cours treprises de Malaisie, FGV Hol­
pale mission de service public fiscal jusqu’à 270 millions de personnes qui ne maîtrisent l’Etat à compenser, mais aussi à de Bourse par six. Fondée, dings et Sime Darby Plantation,
confiée au groupe, qui consiste à d’euros (au titre de la taxe sur les pas les outils numériques en contrôler, en donnant davantage en 1991, par Lim Wee­Chai, Malai­ le numéro un mondial des pal­
collecter et à distribuer du cour­ salaires) complété par une dota­ France, « la détection à domicile de pouvoirs à l’Autorité de régu­ sien d’origine chinoise, l’entre­ miers à huile, également sur des
rier et des colis, tous les jours tion budgétaire annuelle, jusqu’à de la précarité numérique par les lation des communications élec­ prise a conquis le quart du mar­ accusations de travail forcé. L’es­
ouvrables, sur tout le territoire, à 730 millions d’euros. Soit un coût facteurs peut constituer une troniques et des postes (Arcep). ché mondial et a fait de la Malai­ sor formidable de l’Asie du Sud
des prix abordables. Un service de 1 milliard d’euros pour l’Etat. cinquième mission de service pu­ « Ce rapport rejoint notre ana­ sie l’expert de cette spécialité, en ce moment est largement
sans modèle économique dans Pour faire des économies, les sé­ blic confiée à La Poste », indi­ lyse quant à l’attachement des grosse consommatrice du caout­ construit sur le coût très faible de
quent les rapporteurs. Français et des élus aux missions chouc des plantations d’hévéas. sa main­d’œuvre, par rapport à la
De même, alors que « près de de service public confiées à La Ce n’est pas la première fois que Chine voisine, et sur l’appétit oc­
Plan d’épargne logement : l’UFC-Que trois Français sur cinq se disent in­
capables de réaliser des démar­
Poste » et « la nécessité de leur
juste compensation », a réagi
les douanes américaines s’inté­
ressent à Top Glove, qui emploie
cidental. Mais une croissance qui
repose en partie sur de l’escla­
Choisir assigne La Banque postale ches administratives en ligne », ils l’opérateur postal. La balle est dé­ 21 000 personnes dans le monde, vage moderne n’est pas accepta­
Ouvrir un compte courant payant et mettre en place des verse- proposent de confier aux facteurs sormais dans le camp du gouver­ dans 50 usines. En juillet 2020, el­ ble. On espère que les douanes
ments réguliers, ou voir son Plan d’épargne logement (PEL) clô- le rôle « de “détecteur” de la “ga­ nement.  les avaient déjà interdit, pour les européennes en sont aussi con­
turé, c’est l’alternative que La Banque postale impose par courrier lère administrative” ». véronique chocron mêmes raisons, deux filiales de la vaincues que les américaines. 
à ses clients, dénonce dans un communiqué publié mercredi Ils suggèrent en outre que les
31 mars l’UFC-Que choisir. « Au prétexte d’exigences réglementai- facteurs testent une nouvelle
res, l’établissement bancaire oblige l’ouverture d’un compte cou- casquette, celle de « détecteur »
rant auprès d’elle, au prix de 13,20 euros minimum par an, indique de la perte d’autonomie des per­
l’association de consommateurs. Pourtant, le PEL est un produit sonnes âgées et isolées, en parte­ Tarifs 01/01/21
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ni un appel au ministère de la a commencé à se tendre. Réduite citaire, du paiement de pigistes PIÈCES OMEGA, LIP...

culture n’auront pu empêcher
l’anéantissement de la rédaction
de Science & Vie. « Les deux ré­
dacteurs en chef adjoints, la chef
de service, le rédacteur en chef des
hors­séries, la première secrétaire
de rédaction, ainsi que quatre
rédacteurs, dont trois pigistes, ont
pris la décision de quitter Science
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Media depuis août 2019 », annon­
cent les neuf journalistes sur le
départ dans un communiqué,
de moitié après qu’une dizaine
de personnes avaient fait valoir
la clause de cession, la rédaction
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avait été promis.
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A la « fierté » d’avoir réussi à sus­ Art d’Afrique et d’Asie
citer cette mission a toutefois 06 19 89 55 28 Art décoratif du XXe s ✶ Corail et Ivoires Anc.
email : charlesheitzmann@free.fr / www.antiquaire-heitzmann.fr Art d’Islam et d’Orient
succédé la crainte que « la monta­
Photos anciennes et d’artistes ✶ Jade blanc et couleurs
gne n’accouche d’une souris », se­ Sérieux et discrétion
lon les termes d’une ancienne assurés, déplacements ✶ Cornes et Laques
journaliste du magazine Paris et Province.

mardi 30 mars.
Seul un journaliste écrivant,
promu rédacteur en chef adjoint,
a choisi de rester, au côté d’un ré­
dacteur en chef nommé en no­
vembre 2020, Philippe Bour­
beillon. A cette exception près,
déplore la Société des journalis­
tes (commune au mensuel, à
Science & Vie Junior, Science & Vie
Découvertes et Guerres & His­
toire), « la nouvelle organisation
de Science & Vie se caractérise par
l’absence totale d’expertise scien­
tifique au sein de la rédaction ».
Le premier numéro du maga­
zine élaboré sur ces nouvelles
bases (restent sept titulaires de la
carte de presse dans les fonctions
techniques) est prévu pour le
mois de mai. C’est à l’automne
2020, soit un peu plus d’un an
après le rachat des titres de
conventionnelle) a été suivi
d’une grève de cinq jours, puis du
vote d’une motion de défiance
envers la directrice de la rédac­
tion, Karine Zagaroli.
Coup d’épée dans l’eau
Alertée sur la situation du maga­
zine, la ministre de la culture,
Roselyne Bachelot, a confié à Lau­
rence Franceschini, la présidente
de la Commission paritaire des
publications et agences de presse
(CPPAP), une mission de réflexion
destinée à déterminer comment
conditionner l’accès des aides à la
presse à la présence de journalis­
tes dans les rédactions. Un docu­
ment élaboré par le délégué syn­
dical SNJ­CGT du groupe Reworld,
Dominique Carlier, transmis au
ministère pour nourrir son ana­
lyse, fait état de la disparition de
(180 932 exemplaires vendus en
moyenne chaque mois en 2020,
selon l’Alliance pour les chiffres
de la presse et des médias, l’orga­
nisme certificateur du marché).
A moins qu’elle ne s’apparente
à un coup d’épée dans l’eau. Dans
une interview à CB News parue
en février, le fondateur de
Reworld Media, Pascal Chevalier,
reconnaissait « faire partie de
ceux qui vont sortir renforcés » de
la crise provoquée par la pandé­
mie – le groupe vise le milliard
d’euros de chiffre d’affaires.
A une question sur la dispari­
tion des cartes de presse au sein
de ses rédactions, il répondait :
« C’est fini, tout ça. Il faut vivre
avec son temps ! » Contacté, le di­
rigeant n’a pas souhaité répon­
dre aux questions du Monde. 
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16 | économie & entreprise
RTL­M6 a envie
de se marier
avec TF1
Bertelsmann a arrêté la liste des
candidats qui ont déposé une offre
L
a France verra­t­elle naître
un grand groupe de télévi­
sion privée, comme il y en
a en Italie avec Silvio Ber­
lusconi, propriétaire des grandes
chaînes hertziennes ? Inimagina­
ble il y a encore peu, l’idée fait son
chemin chez les industriels fran­
çais. L’allemand Bertelsmann, qui
a mis en vente son attelage
RTL­M6, a, pour la première fois,
publiquement fait part de sa pré­
férence pour un éventuel repre­
neur. « Une fusion avec TF1 s’inscri­
rait dans notre stratégie de pour­
suite active de la consolidation du
marché », a indiqué son PDG, Tho­
mas Rabe, mardi 30 mars, lors
d’une conférence téléphonique te­
nue à l’occasion de la présentation
des résultats annuels de son
groupe. Une décision devra être
prise « au premier semestre ». En
clair, d’ici au 30 juin prochain.
Bertelsmann a arrêté, lundi
29 mars, la liste des candidats dont
les offres allaient être examinées :
en lice, Bouygues, propriétaire de
TF1, Vivendi, l’attelage composé de
Xavier Niel, Matthieu Pigasse (ac­
tionnaires à titre personnel du
Monde) avec le producteur Pierre­
Antoine Capton, le groupe Media­
6000 ANS
D’HISTOIRE
Comment l’homme a dominé la nature
Un espoir face à l’urgence climatique
Dominer la nature... Telle est l’injonction que se sont lancée les hommes depuis
qu’ils sont sur Terre. Peuplement du monde, domestication des plantes et
des animaux, exploitation des ressources, transformation des paysages,
industrialisation... Cet Atlas déroule la passionnante histoire du progrès et
de ses méfaits à l’origine de la prise de conscience écologique et de la crise
climatique actuelle. Une approche originale, en cartes et infographies, où
les meilleurs spécialistes nous invitent à repenser la place de l’homme dans
un monde désormais compris comme un écosystème unique et précieux.
set de Silvio Berlusconi, et le mil­
liardaire tchèque Daniel Kretinsky
(actionnaire indirect du Monde, et
qui possède Marianne, Elle…). A ce
stade, selon plusieurs sources,
c’est le groupe TF1 qui a fait la
meilleure offre. Combien la Une
est­elle prête à payer ? Bertels­
mann estime que sa filiale vaut en­
tre 2 et 2,5 milliards d’euros. Initia­
lement, il la valorisait 3 milliards
d’euros et demandait 1,5 milliard
d’euros pour les 49 % mis en vente.
Synergies
L’opération ne signerait pas forcé­
ment une sortie définitive du
marché pour le groupe allemand.
Selon nos informations, il a pro­
posé aux candidats « industriels »,
autrement dit Bouygues et Vi­
vendi, de conserver une part au ca­
pital du nouveau groupe de télévi­
sion qui serait ainsi créé. Cela lui
permettrait de toucher les divi­
dendes générés par les synergies
issues de cette opération de conso­
lidation. L’allemand a en effet fait
l’analyse qu’il faut avoir une posi­
tion forte sur un marché, sinon
mieux vaut en sortir complète­
ment. Plus question, comme par le
passé, de multiplier les présences
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Thomas Rabe, PDG de Bertelsmann, à Berlin, le 26 mars 2019. JOHN MACDOUGALL/AFP
chez les acteurs de second rang. De
fait, une reprise de M6 par TF1 dé­
cuplerait sa puissance. Ensemble,
ils posséderaient 75 % du marché
publicitaire télé, et jouiraient
d’une position envieuse vis­à­vis
des producteurs de programmes.
Encore leur faudrait­il obtenir
l’aval des autorités de la concur­
rence, ce qui est loin d’être gagné.
« Il existe des obstacles réglemen­
taires », a admis Thomas Rabe,
tout en estimant que « le cadre
n’est pas adapté à la concurrence
avec les grandes plates­formes
américaines, par exemple dans la
définition des marchés perti­
nents ». Selon nos informations,
Ensemble, les
deux groupes
de médias
posséderaient
75 % du marché
publicitaire télé
aussi bien les équipes de RTL­M6
que celles de TF1 sont déjà allées tâ­
ter le terrain de manière infor­
melle auprès de l’Autorité de la
concurrence à Paris. Sans présager
de l’avenir, cette dernière leur a ex­
pliqué qu’un tel rapprochement
Mitsubishi reste en Europe grâce
au soutien de son partenaire Renault
Les Clio et Captur seront vendus sous la marque du groupe japonais,
sur le modèle de la coopération entre Toyota, Suzuki et Mazda
I l y a encore quelques semai­
nes, la dénomination du nou­
veau modèle Mitsubishi pou­
vait prêter à une forme d’humour
involontaire. Depuis l’annonce en
août 2020 du « gel » de tout lance­
ment de nouveau produit en Eu­
rope, l’Eclipse Cross prenait l’al­
lure d’un adieu de la marque nip­
pone au Vieux Continent. Mitsu­
bishi, plombé par ses pertes et
happé par la profonde crise traver­
sée par Nissan, qui contrôle 34 %
de son capital depuis 2016, enten­
dait s’éclipser pour concentrer ses
efforts sur le Sud­Est asiatique, le
Japon, la Chine ou les Etats­Unis.
Finalement, Mitsubishi ne ti­
rera pas sa révérence. Le 10 mars,
l’Alliance Renault­Nissan­Mitsu­
bishi a annoncé que le construc­
teur − pionnier de l’hybride re­
chargeable, spécialité en pleine
croissance car devenue indispen­
sable pour satisfaire aux normes
européennes − sera maintenu en
Europe grâce à l’aide de Renault,
qui lui fournira deux de ses mo­
dèles à compter de 2023.
« Une initiative pragmatique »
Présentés comme des « best­sel­
lers », ces « véhicules sœurs » se­
ront des Clio et des Captur, rebad­
gés Mitsubishi sur le modèle de
la coopération engagée entre
Toyota, Suzuki et Mazda. Luca de
Meo, directeur général de Renault,
qui a fini par convaincre ses alliés
japonais, a salué « une initiative
pragmatique ». Pour lui, « c’est à
cela que sert l’alliance ». Emil Frey,
le plus gros distributeur de véhi­
cules en France et, par ailleurs, im­
portateur de Mitsubishi sur les
principaux marchés européens, a
également mis son poids dans la
balance. En jouant les bons sama­
ritains − ce qui va aussi lui permet­
serait « compliqué ». Mais ne leur a
pas opposé de veto a priori. Les
protagonistes souhaitent faire en­
tendre à l’autorité que le monde a
changé, et qu’on ne peut plus ana­
lyser le marché de la publicité tout
seul, mais qu’il faut y inclure les
nouveaux modes de consomma­
tion, comme Internet, le replay…
Sans avoir encore véritablement
convaincu. L’autorité ne semble
pour l’instant pas considérer que
le numérique a eu un véritable im­
pact sur le marché télé. Elle a no­
tamment fait le constat que les
chaînes n’avaient pas subi de
baisse de chiffre d’affaires, alors
même que le numérique a ex­
La firme aux
trois diamants
va devoir se
contenter d’une
gamme réduite
tre d’accroître l’activité des usines
de Bursa (Turquie) et de Novo
Mesto (Slovénie), où sont fabri­
quées les Clio, et de Valladolid (Es­
pagne), où est produit le Captur –,
Renault se fonde sur la nouvelle
orientation que le groupe franco­
japonais entend donner à sa coo­
pération. Plus question de déve­
lopper des voitures sur des bases
techniques différentes, comme
ce fut par exemple le cas de la Re­
nault Zoe et de la Nissan Leaf.
Désormais, chaque partenaire est
prié de partager le savoir­faire ac­
quis sur ses points forts.
Dans cette optique, Renault
se pose comme le spécialiste des
petites voitures du segment B,
un statut de leader qui conduira la
marque française à concevoir et
fabriquer – on ne sait encore dans
quelle usine – la remplaçante de
l’actuelle Nissan Micra, extrapolée
de la Clio. De son côté, son alter ego
japonais a développé la plate­
forme CMF­EV dont seront issus
son SUV électrique Ariya, attendu
dans les prochains mois, ainsi
qu’un modèle comparable qui
viendra enrichir la gamme Re­
nault. En revanche, Mitsubishi,
un temps pressenti pour devenir
le leader des hybrides rechargea­
bles, ne dispose pas des moyens
pour remplir ce rôle. Désormais,
c’est essentiellement de la nou­
velle version hybride rechargeable
de l’Eclipse Cross, dite « Phev »
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
plosé. Pour se donner du baume
au cœur, les industriels se réfèrent
à la fusion entre la Fnac et Darty,
autorisée pour faire face à Ama­
zon. Reste à savoir si ce dossier est
traité à Paris ou à Bruxelles. Si ces
deux rivaux historiques enterrent
la hache de guerre, c’est qu’ils sont
cernés par les américains.
Google et Facebook grignotent
leurs recettes publicitaires. Net­
flix, Amazon Prime Video leur chi­
pent des téléspectateurs. Et Disney
assèche le marché des program­
mes. Désormais, il a tendance à ré­
server ses superproductions à sa
propre plate­forme de vidéos. 
sandrine cassini
(pour Plug­in Hybrid Electric Vehi­
cle), que va dépendre l’avenir de
la marque japonaise pendant les
deux prochaines années. Plus
élégante et agile que les modèles
qui l’ont précédée, cette familiale
commercialisée à partir de
39 990 euros (hors bonus écologi­
que de 2 000 euros) dispose de
trois moteurs, dont deux électri­
ques, qui lui permettent de circu­
ler 50 km en mode zéro émission.
L’Eclipse Cross peut se raccorder
au réseau électrique d’une habita­
tion pour restituer de l’électricité
stockée et optimiser les flux
d’énergie du domicile. L’horizon
de Mitsubishi, dont les ventes
européennes sont passées de
148 000 à 103 000 unités entre
2019 et 2020, n’est cependant pas
totalement dégagé. L’Eclipse
Cross hybride rechargeable parie
sur une technologie très tribu­
taire d’avantages fiscaux non pé­
rennes et de conditions d’homo­
logation qui, pour l’heure, éva­
luent de manière plutôt favorable
sa consommation de carburant.
En outre, la firme aux trois dia­
mants va devoir se contenter pen­
dant deux ans d’une gamme ré­
duite (la vieillissante citadine
Space Star et le pick­up L200 affi­
chent une diffusion confiden­
tielle) et privée de modèle 100 %
électrique. Quant à la future greffe
Renault, le réseau la juge indispen­
sable mais nourrit quelques réser­
ves. « Pour faire vivre la marque,
il faut passer par là. Mais si vendre
des Captur hybrides peut avoir du
sens, commercialiser l’équivalent
d’une Clio ne correspond pas tout
à fait à notre clientèle habituelle »,
estime Jean­Paul Gonguet, prési­
dent du groupement des conces­
sionnaires Mitsubishi. 
jean­michel normand
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
londres ­ correspondance
A
ppelons­la Chen.
Elle possède trois
restaurants asia­
tiques à Londres,
qu’elle a cons­
truits en dix an­
nées de travail acharné. Comme
l’immense majorité des restau­
rateurs, elle ne souhaite pas s’en
prendre ouvertement à Deliveroo
en donnant son nom. « Je suis
comme tout le monde, je dépends
énormément d’eux », se lamen­
te­elle. En Angleterre, les res­
taurants sont fermés depuis no­
vembre 2020, et seules la vente à
emporter et les aides d’Etat lui
permettent de tenir.
Cependant, Chen demande à
tous ses clients fidèles de venir
chercher eux­mêmes les repas,
pour contourner Deliveroo et
Uber Eats, l’autre plate­forme qui
livre ses plats. La première lui
prend 30 % de commission, la se­
conde, 22,5 %. « A ce prix­là, j’ai
vraiment du mal à dégager un bé­
néfice. En plus, je vais être franche,
avec eux, je ne peux pas être payée
en liquide et je dois tout déclarer. »
Le cas de Chen résume la rela­
tion d’amour­haine qui lie les
restaurants à Deliveroo (mais
aussi à Uber Eats, Just Eat et les
autres). La plate­forme britanni­
que, qui entrait en Bourse, mer­
credi 31 mars, valorisée à 7,6 mil­
liards de livres (8,9 milliards
d’euros), est devenue absolument
incontournable. Depuis le début
de la pandémie de Covid­19, en
mars 2020, les commandes pas­
sées sur Deliveroo dans les douze
pays où le groupe britannique est
présent ont fait un bond de 64 %,
à 4,1 milliards de livres.
Pour toute une génération, cet
usage est en train de s’enraciner
profondément. Selon UBS, qui a
étudié le marché de quatorze
pays, les moins de 35 ans com­
mandent désormais plus d’une
fois par semaine en moyenne sur
ces plates­formes de livraison,
trois fois plus que les plus de
55 ans. L’étude mise sur un dou­
blement du marché d’ici à 2024.
La junk food (malbouffe) do­
mine : au Royaume­Uni, Nando’s,
une chaîne qui vend du poulet frit,
est le numéro un pour Deliveroo,
tandis que McDonald’s l’est pour
Uber Eats. Le résultat est parfois
spectaculaire. Pour deux des res­
taurants de Chen, situés sur des
lieux très passants, les plates­for­
mes de livraison n’ont pas com­
pensé la fermeture aux clients. Le
troisième, implanté un peu plus
en banlieue, réussit aujourd’hui à
enregistrer le même chiffre d’af­
faires qu’avant la pandémie –
mais pas le même profit, en raison
des commissions.
Pourtant, l’introduction en
Bourse de l’entreprise connaît un
succès relatif. Le prix de l’action a
finalement été fixé dans le bas de
la fourchette, à 3,90 livres, alors
que Deliveroo espérait au départ
monter jusqu’à 4,60 livres. Soit
une valorisation de 1,4 milliard
d’euros, inférieure à ce qui était
espéré par le groupe. Plusieurs
grands fonds d’investissement,
dont Aviva et Aberdeen Standard,
ont bruyamment fait savoir qu’ils
Des livreurs de différentes plates­formes attendent leurs commandes, à Toulouse, pendant le couvre­feu, le 25 février. ALAIN PITTON/NURPHOTO VIA AFP
PLEIN CADRE
Deliveroo, un ogre
à l’équilibre fragile
A l’heure de faire son entrée en Bourse à Londres, l’entreprise
britannique de livraison de repas met la pression sur les coursiers
et les restaurants pour tenter de devenir rentable
n’y mettraient pas leur argent. Ils mission de 35 %. Chen, toutefois,
s’inquiètent des conditions de joue de la concurrence féroce qui
travail des livreurs, mais aussi, règne dans ce secteur. « Sur mon
plus généralement, des pertes ordinateur, je peux augmenter ou
abyssales de la société. réduire le temps d’attente pour li­
Avec un chiffre d’affaires de vrer mes plats. Je mets par exemple
1,2 milliard de livres en 2020, elle a 40 minutes pour Deliveroo et 20
enregistré une perte nette de minutes pour Uber Eats, parce que
226 millions de livres. Elle assure ces derniers prennent une com­
néanmoins que, les commandes mission plus faible. »
ayant été exceptionnelles, elle a L’autre grande épine dans le
« démontré sa rentabilité au ni­ pied de Deliveroo concerne les
veau opérationnel » dans onze de conditions de travail de ses li­
ses douze marchés. vreurs. Payés exclusivement à la
course, considérés comme
CONCURRENCE FÉROCE autoentrepreneurs, ils s’organi­
Pour tenter d’équilibrer les comp­ sent et se révoltent de plus en plus
tes, Deliveroo est obligé de mettre pour améliorer leur sort. A Aber­
sous pression toute la chaîne éco­ deen, dans le nord de l’Ecosse,
nomique, restaurants et livreurs Martin Le Brech, un étudiant
en tête. Néanmoins, dans les français de 21 ans, travaille pour la
deux cas, l’entreprise est confron­ plate­forme depuis octobre 2019.
tée à une sérieuse résistance, qui « Je travaille seulement aux
alimente les doutes quant à sa ca­ meilleurs horaires, les vendredi, sa­
pacité à dégager un bénéfice. Les medi et dimanche soir. Et pour­
restaurants sont en première li­ tant, je ne gagne que 8,40 livres de
gne. La plate­forme impose de l’heure en moyenne. »
plus en plus souvent une com­ C’est juste au­dessus du salaire
minimum pour son âge, fixé à
8,20 livres, mais en dessous du
salaire minimum des plus de
Pour tenter 25 ans (8,70 livres). Il raconte les
attentes en vain pendant des
d’équilibrer heures devant les restaurants,
les comptes, obligé de rester dans le froid et le
vent de l’hiver écossais. Les livrai­
la société sons étant accordées au livreur le
est obligée plus proche, pas question pour
lui de s’éloigner.
de mettre sous Avec le syndicat Independent
pression toute Workers’Union of Great Britain,
lui et plus de trois cents livreurs
la chaîne ont mis en commun l’ensemble
économique de leurs fiches de paie de 2020.
économie & entreprise | 17
Conclusion : si la moitié gagne
plus de 10 livres de l’heure, un
tiers touche moins que le salaire
minimum (8,70 livres de l’heure),
et un sur six perçoit moins que
6,45 livres de l’heure.
Deliveroo réplique que les li­
vreurs apprécient la flexibilité du
travail, qui leur permet de se con­
necter quand ils le veulent. Pour­
tant, partout en Europe, les légis­
lations se durcissent, créant un
risque majeur pour son modèle
économique. La plate­forme a no­
tamment été condamnée en Italie
à payer rétrospectivement le sa­
laire minimum et à accorder tous
les avantages du salariat à l’en­
semble de ses livreurs entre sep­
tembre 2015 et octobre 2020. Elle a
interjeté appel et modifié ses con­
trats, pour que le jugement passé
ne s’applique plus aujourd’hui.
Mais elle est forcée d’admettre
qu’elle « pourrait être sévèrement
touchée si [son] modèle pour les li­
vreurs (…) était poursuivi en justice
avec succès ou si la loi changeait. »
APPÉTIT DÉVORANT
Malgré ces embûches, l’entreprise
britannique et ses concurrentes
sont en train de bouleverser en
profondeur le marché de la res­
tauration. Leur appétit est dévo­
rant. « Il y a vingt et un repas par
semaine, et moins d’un d’entre eux
est actuellement fourni en ligne »,
explique Hadi Moussa, le direc­
teur des opérations de Deliveroo
hors du Royaume­Uni, qui repré­
sentent la moitié du chiffre d’af­
faires du groupe. Nous voulons
étendre cette présence, en deve­
Partout
en Europe,
les législations
se durcissent,
créant un
risque majeur
pour le modèle
économique
de la plate-forme
nant l’entreprise incontournable
pour la livraison alimentaire. » Il a
travaillé auparavant chez Face­
book et Airbnb, et esquisse un pa­
rallèle. « Dans l’industrie du
voyage, les ventes en ligne sont
autour de 50 %. Dans l’alimentaire,
on est au tout début de la transfor­
mation. » En 2019, le cabinet OC
& C estimait à seulement 3 % le
taux de pénétration des com­
mandes par Internet pour les res­
taurants.
Afin de se développer, Deliveroo
table sur les cuisines « en pro­
pre ». Ces lieux n’ont pas de salle
pour recevoir les clients, et ven­
dent exclusivement en ligne. A
Paris, des restaurants comme Le
Petit Cambodge ou Tripletta y ont
recours pour s’étendre. La plate­
forme se met aussi à la livraison
de courses de supermarché. Elle a
notamment signé avec Casino en
France, Aldi au Royaume­Uni ou
Carrefour en Italie, pour livrer des
petites commandes de dernière
minute. « La moitié des repas sont
décidés moins d’une demi­journée
à l’avance, explique M. Moussa.
Notre objectif est de servir ce mar­
ché. » A la manière d’Amazon, De­
liveroo a en outre instauré un ser­
vice d’abonnement mensuel, en
échange de livraisons gratuites.
Le soudain développement de
ces plates­formes chamboule
l’écosystème des restaurants. An­
ton Soulier a été le huitième sala­
rié de Deliveroo, en 2014. Il a
lancé la plate­forme en France,
puis a quitté Deliveroo en 2017.
Son objectif : « créer la plus
grande entreprise de restaurants
au monde ». Sa start­up, Taster,
crée des marques de restaurants
destinés à être exclusivement
présents en ligne. « Je me suis de­
mandé : si McDonald’s se lançait
maintenant, est­ce qu’ils utilise­
raient le même modèle ? »
« QUALITÉ PARFOIS ALÉATOIRE »
A en croire M. Soulier, l’avenir de
la restauration se trouve du côté
de la Toile et des commandes en
ligne. « Le problème est que la qua­
lité est parfois aléatoire. La nourri­
ture peut arriver froide, ça dégou­
line… » Lui a développé ses plats
spécifiquement dans cette pers­
pective. Le poulet est pané à deux
reprises, pour conserver la cha­
leur plus longtemps. Ses hambur­
gers sont plus compacts et embal­
lés immédiatement après cuis­
son, pour la même raison. Les me­
nus sont simples, réduits à
quelques choix limités. Pas de fro­
mage fondu ni de soupe, qui résis­
tent mal au transport.
Le secret d’un restaurant en li­
gne ? « Réduire le temps de prépa­
ration », explique Patrick Sriban,
le directeur des opérations de Tas­
ter. Pour attirer les clients, il faut
être capable de livrer en moins de
trente minutes. Le temps d’ache­
minement étant difficilement
compressible, il faut réduire l’at­
tente au niveau de la préparation.
M. Sriban, qui a possédé six res­
taurants et beaucoup aimé le con­
tact avec la clientèle, s’interroge :
« Initialement, je ne voulais pas
travailler dans le secteur des plats
à emporter. Mais la mentalité des
gens a changé. La livraison est là,
et elle ne disparaîtra plus. » 
éric albert
18 | management 0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021

Le référent handicap est encore CARNET DE BUREAU 

CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

peu identifié en entreprise Très chers risques

La secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées annonce la création un index d’ici à l’été
psychosociaux
L’
emploi des personnes ce. C’est le nombre des entrepri­ puissance de ces référents et de les
« Il faut qu’on

en situation de handi­
cap devrait être une
question prioritaire en
entreprise. C’est ce que pensent
39 % des salariés interrogés en fé­
vrier par l’institut IFOP, dans une
enquête réalisée pour l’Associa­
tion de gestion du fonds pour
l’insertion professionnelle des
personnes handicapées (Agefiph)
et publiée lundi 29 mars.
Depuis la loi « avenir profes­
sionnel » de 2018, toutes les en­
treprises de plus de 250 salariés
sont tenues d’avoir nommé un
référent handicap pour orches­
trer cette priorité. Sa mission
n’est pas préétablie, à chaque em­
ployeur de la définir. « Le référent
est un lien que le gouvernement a
souhaité pour impulser la politi­
que handicap en entreprise. On
professionnalise le réseau [des ré­
férents] sur quatre axes : le recru­
tement et le maintien en emploi,
la sensibilisation, le management
inclusif et le recours au secteur
protégé », décrit la présidente de
l’Agefiph, Malika Bouchehioua. Ils
sont au minimum 1 300 en Fran­
LES CHIFFRES
16 %
C’est le taux de chômage des per-
sonnes en situation de handicap.
100 MILLIONS
C’est, en euros, le montant du
plan de relance inclusif adopté
pour aider les entreprises à recru-
ter des personnes en situation
de handicap. Le dispositif de
4 000 euros d’aide à l’emploi de
personnes handicapées pour
toute embauche de plus de trois
mois en CDD ou en CDI a été pro-
rogé jusqu’à fin juin.
ses membres de l’Agefiph qui ont
un référent handicap. Certaines
n’avaient pas attendu l’obligation
légale, comme Thales, qui a
nommé des référents dès la loi de
2005 sur l’accessibilité. Le groupe
spécialisé dans l’électronique de
défense en compte aujourd’hui
cinquante­deux, un par établisse­
ment. Mais « beaucoup d’entrepri­
ses n’en ont toujours pas », recon­
naît Claire Sala Angeli, directrice
adjointe des Papillons de jour,
l’agence de sensibilisation au
handicap qui organise depuis
2018 des formations au rôle de ré­
férent. Dans l’enquête IFOP, un
tiers des salariés affirment que
leur entreprise en est dotée.
Pas d’effet visible sur l’emploi
Quelle efficacité peut­on en atten­
dre pour améliorer l’emploi des
personnes en situation de handi­
cap en entreprise ? « La BPE [la
banque privée de La Banque pos­
tale], par exemple, qui recrute à
bac + 5 sur les profils de cadres et de
manageurs, a embauché une réfé­
rente handicap qui avait un réseau
important. En huit mois, le taux
d’emploi de personnes en situation
de handicap est passé de 2 % à
8 % », précise la secrétaire d’Etat
chargée des personnes handica­
pées, Sophie Cluzel.
Chez le pionnier Thales aussi, les
résultats sont tangibles depuis la
nomination des référents handi­
cap : « Le taux d’emploi des person­
nes en situation de handicap est
passé de 3,5 % en 2005 à 6,92 %
en 2019 », note Gérard Lefranc, di­
recteur de la mission insertion du
groupe. C’est près du double du
taux moyen de 3,8 % de person­
nes en situation de handicap dans
l’effectif des entreprises privées.
Cependant, l’obligation légale ne
datant que de 2018, au niveau na­
tional, il n’y a pour l’instant pas
encore d’effet visible sur l’emploi,
d’autant qu’« en 2020 la politique
puisse publier
les résultats
sur la politique
handicap de
l’entreprise »
SOPHIE CLUZEL
secrétaire d’Etat chargée
des personnes handicapées
handicap n’a pas été la priorité des
entreprises », remarque Clara Sala
Angeli. « Il faut de quatre à cinq
ans pour voir l’impact sur l’emploi,
explique Gérard Lefranc. Le réfé­
rent porte la politique handicap du
groupe qui doit d’abord exister. S’il
n’y en a pas, c’est compliqué pour
lui. Puis il doit la décliner opéra­
tionnellement. Enfin, pour être effi­
cace, cette politique doit devenir
l’affaire de tous, avec une modifi­
cation des process pour que, dans
chaque fonction, soient améliorées
l’accessibilité, l’adaptation aux
postes, l’aide au transport. »
Mais les référents handicap sont
encore largement invisibles en
entreprise. « Selon la taille de l’en­
treprise et selon l’engagement du
chef d’entreprise, il peut avoir des
missions très élargies. L’idée était
de l’inscrire dans la loi pour qu’il
soit personne ressource identifiée
et connue des autres collabora­
teurs. Maintenant, il est obliga­
toire », rappelle Sophie Cluzel.
Dans l’enquête de l’Agefiph, 96 %
des salariés estiment que leur
existence en entreprise est « une
bonne chose ». Mais 67 % ne sa­
vent pas qui est leur référent.
L’interlocuteur handicap est
resté pour la plupart des salariés
le médecin du travail, suivi par le
manageur. Le « référent handi­
cap » n’arrive qu’en cinquième po­
sition. « Dans les entreprises, l’im­
portant, c’est d’avoir un tableau de
bord pour suivre la montée en
former au fil de l’eau. Il ne suffit pas
de nommer un référent, il faut le
former, le faire connaître dans l’en­
treprise et l’activer sur sa mission
qui est multiple, montrer son uti­
lité selon où en est la politique han­
dicap de l’entreprise. La maturité
des référents handicap est très va­
riable selon les entreprises », pour­
suit la secrétaire d’Etat.
En début de formation, « on fait
avec eux un état des lieux de la po­
litique handicap de leur entreprise,
à partir duquel on émet des projets
à réaliser : des actions de sensibili­
sation, de nouvelles procédures de
recrutement, et on explique aux
entreprises que c’est bien que le ré­
férent soit extérieur à la fonction
RH pour être au plus près du ter­
rain et faciliter l’échange salarié­di­
rection », relève Mme Sala Angeli.
Le référent handicap est le plus
souvent issu des effectifs des RH
mais rien ne l’impose. Rien n’in­
terdit non plus qu’il soit extérieur
à l’établissement.
En revanche, cumuler sa fonc­
tion de référent handicap avec
celle de référent harcèlement ou
référent égalité femmes­hom­
mes, comme y réfléchissent cer­
tains DRH, ne paraît pas souhaita­
ble pour la secrétaire d’Etat : « Avec
le référent, on avance. Mais je veux
aller plus loin, avec un baromètre
qui publiera les résultats des politi­
ques inclusives de l’entreprise, avec
des indicateurs de progression. Au­
delà du taux d’emplois directs, on
aura notamment le nombre d’ap­
prentis en situation de handicap, le
nombre de formations, de sensibi­
lisations. Comme on a fait l’index
égalité femmes­hommes, il faut
qu’on puisse publier les résultats
sur la politique handicap de l’entre­
prise et en faire une force. Mon ob­
jectif est de pouvoir publier le baro­
mètre bâti lors du comité intermi­
nistériel du handicap, qui aura lieu
début juillet. » 
anne rodier
L
es risques psychosociaux sont devenus la préoccupa­
tion majeure de nos clients DRH en 2021 », affirmait
Liliane Spiridon, directrice assurance santé du cabi­
net Willis Towers Watson, à la mi­mars, lors d’une
table ronde sur la prévention des risques en entreprise.
Pourquoi les responsables des ressources humaines se pré­
occuperaient­ils aujourd’hui plus qu’hier des risques psy­
chosociaux (RPS) et de l’engagement des salariés ?
Du fait de sa fonction, le DRH se doit de veiller à la santé
physique et mentale des salariés. Les outils et les politiques
de prévention existent dans la plupart des grandes entrepri­
ses, mais la question des RPS, complexe à aborder, a rare­
ment été en tête de la « to do list » des DRH, avant la crise sa­
nitaire. « Le Covid­19 a servi de déclencheur à la prise en
compte des RPS. Peur de tomber malade, peur de reprendre
l’activité, peur de perdre son emploi, le salarié n’a plus prise
sur grand­chose. Tout l’équilibre vie personnelle­vie profes­
sionnelle a été bouleversé », décrit Liliane Spiridon. Et la
hausse de l’anxiété nourrie par la prolongation du télétra­
vail fait chuter l’investissement personnel.
L’engagement des salariés décline depuis
LE TAUX  la crise sanitaire. « Le sens que l’on donne à
D’ABSENTÉISME  son travail est touché, ce qui a des effets délé­
tères sur l’engagement et sur la santé men­
MOYEN A ATTEINT  tale à long terme », explique Christophe
Nguyen, psychologue du travail et prési­
DES SOMMETS,  dent du cabinet Empreinte humaine, spé­
JUSQU’À 10,5 %  cialisé en RPS. Selon son sixième baromè­
tre, qui a mesuré en mars l’impact d’un an
LE 27 MARS 2020 de Covid sur la santé psychologique des
Français, 63 % des salariés disent qu’ils ac­
corderont moins d’importance à leur travail à l’avenir.
Le risque pour l’entreprise est de laisser les salariés s’abîmer
dans le cercle vicieux « désengagement­prise de risque­ab­
sentéisme­désengagement ». « Quand l’absentéisme se dé­
grade, l’engagement des salariés décline. Puis le manque d’en­
gagement aggrave les prises de risques, l’imprudence et in fine
l’absentéisme », analyse Laurent Termignon, directeur de l’ac­
tivité Talents chez Willis Towers Watson. Sur la première pé­
riode de la crise sanitaire, de mars à mai 2020, l’absentéisme
moyen a, sans surprise, atteint des sommets, jusqu’à 10,5 %
au plus haut, le 27 mars, avant de redescendre à 3,8 % en mai.
En matière de coût, « 1 % d’absentéisme pèse de 1 % à 2 % de
la masse salariale pour une entreprise, alors même que tout
n’est pas pris en compte. Il y a des éléments liés à la désorgani­
sation du travail que l’on n’arrive pas à calculer », assure Li­
liane Spiridon. Si, depuis le début de l’année, les enquêtes
sur la santé psychologique des salariés réalisées par des ins­
titutionnels ou des cabinets de conseil spécialisés dans la
couverture santé ou les risques psychosociaux se multi­
plient, c’est que la fatigue est déjà là, et que les entreprises
sont bien conscientes du risque financier d’une potentielle
aggravation de la situation. 

AVIS D’EXPERT  | GOUVERNANCE AVEC LES RASTIGNAC EN ADIDAS

Pas de démocratie actionnariale chez Danone

L’
éviction du PDG de Danone, Emmanuel
Faber, a été parfois interprétée comme
la victoire de fonds d’investissement
activistes. Détenant une part infime du capital
de l’entreprise, ces fonds avaient voté contre le
statut de société à mission adopté par plus de
99 % des actionnaires lors de l’assemblée géné­
rale de 2020. Comme ils réclamaient le départ
de M. Faber, on a conclu que celui­ci constituait
leur revanche. Sans doute à tort, on le verra.
Mais le point intéressant est que l’on a pu justi­
fier leur immixtion dans la politique de l’entre­
prise comme la manifestation d’une « démo­
cratie actionnariale ».
D’un certain point de vue, en effet, la gouver­
nance actionnariale a l’apparence d’une démo­
cratie, même si elle est limitée aux actionnaires :
ceux­ci ont la liberté d’exprimer leurs opinions
sur l’avenir de l’entreprise soit par des votes for­
mels en assemblée générale, soit par le jeu du
marché, soit par le truchement des médias.
La gouvernance actionnariale bénéficierait
alors des atouts de ce régime en permettant à
chaque actionnaire, même très minoritaire
comme des fonds ou des ONG, d’influencer la
marche de l’entreprise, sur des questions­clés
comme le niveau des dividendes ou l’impact
climatique. Par des protestations en assemblée
générale, mais, surtout, par des prises de posi­
tions publiques susceptibles de modifier l’opi­
nion des autres actionnaires, un activiste peut
apporter de la controverse et contrecarrer l’apa­
thie, voire la tyrannie de la majorité.
Mais cela est­il suffisant pour parler de démo­
cratie ? Toute décision engageant l’entreprise
reste assumée par son conseil d’administration
(CA) et seules les résolutions votées par les ac­
tionnaires en assemblée générale s’imposent à
lui. En dehors de ces assemblées formelles, le
conseil est légitime pour tenir compte ou non
des réclamations exprimées par certains action­
naires. Face aux revendications portées par des
A
activistes, il peut donc réagir de deux manières : près vingt­sept ans hauts lieux de la « start­up na­
leur céder ou pas. passés tout en haut de tion ». « Comme une adolescente
Soit il néglige leur pression et il ne leur cède la pyramide d’un désœuvrée, j’ai traîné les “events”
rien. Il poursuit la feuille de route définie par l’as­ grand groupe public à comme certains traînent les soirées
semblée générale en assumant ses responsabili­ la culture très verticale, Bénédicte ou les bars, sans intention précise
tés. Accessoirement, il peut feindre de les écou­ Tilloy a ressenti le besoin de chan­ que celle d’y faire des rencontres. »
ter pour les utiliser comme moyen de précipiter ger. Pendant les longues réu­ Elle y croise un des cofondateurs
des décisions difficiles à prendre comme l’évic­ nions, la membre du « comex » de La Team, une jeune pousse, qui
tion d’un dirigeant. Ainsi chez Danone, M. Faber (comité exécutif) rêve d’aventu­ lui propose de les rejoindre. « Le
était contesté depuis des mois en interne et la res entrepreneuriales. « A force de projet était tout sauf clair, mais la
pression des fonds a donné un prétexte com­ lire et d’entendre raconter la lé­ perche intéressante à saisir. Il LA TEAM. LE JOUR OÙ J’AI QUITTÉ 
mode au CA pour trancher la situation. gende des start­upeurs et d’avoir s’agissait de partager le quotidien MON COMEX POUR UNE START­UP
Soit le CA est faible ou divisé et il pilote en cé­ eu la chance de rencontrer ceux des premiers collaborateurs, de de Bénédicte Tilloy, Dunod,
dant aux minoritaires activistes les plus capa­ d’entre eux qui avaient particuliè­ s’inspirer de l’esprit des lieux et de 160 pages, 19,90 euros.
bles d’imposer leurs rement bien réussi, je m’étais fait contribuer au développement busi­
vues grâce à la forte mé­ un petit film dans ma tête. Certes, ness. » La quinquagénaire accepte,
diatisation de leurs re­
TOUTE DÉCISION  cela tenait beaucoup du fantasme, épouse les rythmes, les émer­ « events » ambiance cool à volonté
vendications. Sous cou­ ENGAGEANT  mais cela me permettait de calmer veillements et les galères de La fait long feu. « J’ai réalisé que je
vert d’un supposé pou­ ma frustration de ne pas voir cer­ Team. Elle observe parmi les n’étais pas douée pour faire rentrer
voir de l’actionnaire, il se L’ENTREPRISE  tains projets avancer au rythme clients de la start­up des dirigeants la “caillasse” [monnaie] et qu’une
dédouane en fait de ses où je l’aurais voulu. » « confrontés aux transformations fois les effets “Waouh” mis de côté,
propres responsabilités.
RESTE ASSUMÉE  Ses élucubrations sont d’autant de leur univers, et leurs collabora­ c’est en fait la seule vraie chose
Dans tous les cas de fi­ PAR SON CONSEIL  plus hardies que la DRH est loin de teurs, de toutes les fonctions de l’en­ qu’on attendait de moi, comme de
gure, on peut difficile­ penser que l’occasion lui sera en­ treprise, grande ou petite, aux pri­ tous les autres, d’ailleurs. »
ment parler d’une « dé­ D’ADMINISTRATION fin donnée de se réaliser le jour où ses avec des silos parfois défendus Au bout de deux ans, elle met un
mocratie actionnariale ». un remaniement d’état­major bec et ongles par les mêmes qui s’en terme à sa plongée dans le monde
Une authentique démocratie supposerait des l’écarte de ses fonctions : « Malgré plaignent au quotidien ». des start­up. « On voudrait que les
débats argumentés entre les parties prenantes, y les serments et les engagements grandes entreprises et les start­up
compris entre les actionnaires, le souci partagé que des opportunités nouvelles se Fidèle à la réalité s’opposent en tout. On s’attendait à
du bien commun et des espaces de délibération présentent rapidement en interne, Si les prénoms et les domaines ce que les premières aient le mono­
permettant de converger sur un projet assumé j’ai senti que me collerait bientôt à dans lesquels elle est intervenue pole des crises de sens et les secon­
par l’exécutif et le conseil d’administration. la peau l’étiquette de “vieille sage”, ont été modifiés, les situations dé­ des celui du bonheur au travail. On
La gouvernance des sociétés de capitaux en est que l’on consulte pour des “mis­ crites restent très fidèles à la réa­ voudrait que le futur du travail re­
loin et la simple prise de parole publique des ac­ sions de confiance” ». L’ancienne lité. Les débuts de l’histoire sont à nie un passé dépassé. Ma convic­
tivistes, quelle que soit la pertinence de leurs re­ dirigeante de la SNCF troque alors la hauteur de l’idylle imaginée. tion, c’est que ces deux mondes ont
vendications, ne peut faire illusion. Sauf à consi­ ses escarpins contre des sneakers, « J’ai adoré. Ni les sacrifices de ré­ beaucoup de choses à s’apprendre.
dérer que la démocratie politique elle­même et rejoint une start­up en pleine munération ni la dégringolade de Il n’y a ni gentille petite start­up, ni
n’est plus qu’un vaste et mouvant marché des croissance, comme simple colla­ statut que j’ai consentis pour re­ vilaine grande boîte, ni l’inverse
opinions qui s’imposent aux gouvernants au boratrice. Son ouvrage, La Team joindre l’équipe n’ont affecté mon d’ailleurs. De notre capacité à réel­
gré des minoritaires les plus bruyants.  (Dunod) livre un récit drôle et enthousiasme. » Mais la lune de lement nous comprendre dépend le
nuancé de cette expérience. L’au­ miel avec les Rastignac en Adidas, futur de notre économie. » 
Pierre­Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon. trice se met à arpenter tous les les canapés défoncés et les margherita nasi
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
Quentin Hugon
Ancien graphiste
au « Monde »
En 2019.
ARCHIVES FAMILIALES
Q
uentin Hugon, qui
avait travaillé comme
graphiste pour Le
Monde, est mort dans
un accident de moto
le 25 mars. Il avait 31 ans. C’est
en 2014 que Quentin, né le 20 jan­
vier 1990 à Saint­Priest­en­Jarez
(Loire) et ayant grandi à Saint­
Etienne, entre au Monde, après un
cursus au lycée des Arènes et à
l’Institut supérieur des arts de
Toulouse (conclu par un mémoire
intitulé « Ergonomie et lisibilité
sur écran mobile »), et quelques
jobs de graphiste numérique et
de webdesign.
C’est la petite équipe de journa­
listes de Pixels qui l’accueille. Ra­
pidement, il donne une identité
graphique forte à cet espace 100 %
Web et encore balbutiant, qui
tient les « Chroniques des (r)évo­
lutions numériques ». Sur sa lan­
cée, il apporte aussi sa touche
colorée à un nouveau type d’arti­
cles, les grands formats « Méga
Pixels », qui deviendront le fer de
lance de la rubrique.
Il a ensuite partagé son temps
entre Pixels, l’équipe design du
Monde.fr et celle du Madlab, le
studio de la régie publicitaire du
Monde, qui ont accueilli à bras
ouverts sa créativité débordante,
ses conseils graphiques éclairés et
ses attentions délicates.
Graphiste talentueux, cuisinier
émérite, Quentin, autant qu’on
puisse en juger, n’était pourtant
pas du genre geek. Il aimait la mu­
sique branchée, improbable ou
pointue, quand, chez Pixels, on
écoutait du metal ou la bande ori­
ginale de Zelda. Il appréciait la
fine cuisine, quand on préférait la
raclette. Il aimait les designs épu­
rés, mais quand on le lui deman­
dait, le temps d’une parodie de
magazine de jeux vidéo des an­
nées 1990, il se lâchait et signait la
maquette la plus flashy possible.
Bouillonnant d’idées
Plus qu’un simple membre de
l’équipe Pixels, il en était devenu
l’un des moteurs, sinon l’âme. Une
source intarissable de joie de vi­
vre, de tendresse et de folie douce.
Un collègue bouillonnant d’idées,
donnant l’envie d’entrer dans des
articles souvent austères par son
graphisme coloré. Et son talent
l’avait amené à participer égale­
ment aux illustrations d’opéra­
tions prestigieuses comme les
« Panama Papers », en 2016.
Quentin était le pote toujours
partant pour aller boire un verre,
quand ses cours du soir (il pré­
parait un CAP de cuisine) lui en
laissaient le loisir. Un ami aussi,
doté d’une capacité d’écoute
formidable, toujours prêt à tendre
20 JANVIER 1990 Naissance à
Saint-Priest-en-Jarez (Loire)
2014-2019 Graphiste
numérique au « Monde »
25 MARS 2021 Mort
à La Chomette (Haute-Loire)
une main secourable à un compa­
gnon un peu morose, à le serrer
dans ses grands bras en l’appelant
« chaton ».
Ce Quentin­là est toujours pré­
sent, en tête de nos articles, dans
les illustrations qu’il a signées
pendant ses années au Monde
comme dans celles inutilisées
qu’il nous a confiées avant de
quitter l’entreprise.
Il est là dans nos smartphones,
dans les pellicules virtuelles des
photos de soirées qu’il n’était pas
le dernier à lancer – et rarement le
premier à quitter. Il est là dans des
vidéos qu’on s’est échangées ces
derniers jours, autant de mo­
ments de vie et de joie au boulot.
Il est là sur le poster géant qu’il
avait fait imprimer et nous avait
offert avant de quitter le journal,
un montage foutraque, joyeux et
coloré sur lequel il souriait plus
fort que les autres, dessinant un
cœur avec ses doigts. Car finale­
ment, en 2019, il a décidé de rac­
crocher le stylet de sa tablette gra­
phique, pour consacrer sa vie aux
fourneaux. Son CAP en poche, on
l’a alors revu, pêle­mêle, derrière
le zinc de bistros de quartier ou
dans les cuisines de restaurants
chics, sous les pergolas d’établis­
sements du sud de la France (où il
travaillait, avec ses patrons, à re­
donner vie à un bourg des Cé­
vennes). On l’a aperçu aussi sur le
petit bout de balcon d’un pied­à­
terre parisien, où il passait de
moins en moins – il venait juste­
ment d’en rendre les clés, alors
qu’il vivait, ces derniers mois,
chez ses parents, Véronique et
Lionel, à Beaulieu (Ardèche).
Il avait établi une feuille de route
pour les mois à venir : « Rejoindre
un collectif avec un projet alterna­
tif », mais aussi « trouver une super
meuf, une maison géniale, et
adopter un chien qui s’entend bien
avec mon chat ». Il nous avait
aussi posé cette question : « J’ai le
droit, tu crois, d’appeler mon resto
le Shufflepuck Cafe ? », du nom
d’un jeu vidéo sorti sur Mac
en 1989. Un peu geek en fin de
compte, Quentin ? Il n’avait pas
fini de nous surprendre. 
corentin lamy
[Par ses talents de graphiste et sa person-
nalité, Quentin Hugon a marqué chacune
des équipes, chacun des projets auxquels il
a participé. Nous présentons nos condo-
léances à sa famille, à ses proches, et à
toutes celles et ceux qui l’ont tant apprécié
durant ses cinq années au Monde. J. Fe.]
Le Carnet
Vous pouvez nous faire parvenir
vos textes soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone et
votre éventuel numéro d’abonné
ou de membre de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet reviendra vers
vous dans les meilleurs délais
pour vous confirmer la parution.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Paris. Lombreuil (Loiret).
Mme Nicole Blanc Touvay,
son épouse,
Clotilde Blanc-Burri,
Jean-Baptiste et Marion Blanc-Lévy,
Marthe et Eric Gallois,
Marie et Marc-Henri Ambroise,
ses enfants et leurs conjoints,
ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jacques BLANC,
survenu le 27 mars 2021,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La bénédiction religieuse se tiendra
le mercredi 31 mars, à 10 heures,
en l’église Saint-Séverin, Paris 5e.
Il sera inhumé dans l’intimité à
Lombreuil, là où il a vécu avec sa
femme et ses enfants et créé les
Éditions des Nouvelles Images.
Nos pensées vont aussi à
René BURRI,
son gendre et à
Hugues,
son petit-fils, disparus trop tôt.
Ni fleurs ni couronnes.
On nous prie de faire part du décès
de
Mme Michel de BOISSIEU,
née Françoise CAHEN,
commandeur
de la Légion d’honneur,
médaille de la Résistance,
survenu le 18 mars 2021,
dans sa cent quatrième année.
De la part de
M. (†) et Mme Jean-Jacques de
Boissieu,
M. et Mme Pierre de Boissieu,
Le professeur et Mme (†) Christian
de Boissieu,
M. et Mme Jean-Luc de Boissieu,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants.
Les obsèques religieuses ont été
célébrées le 26 mars, dans la stricte
intimité.
Saint-Germain-en-Laye.
Françoise, Elisabeth, Michèle,
Jacques,
ses enfants
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la profonde tristesse d’annoncer
le décès de
M. Pierre BOUCHÉ,
géophysicien au Sahara
puis fiscaliste au groupe Elf Total,
survenu le 26 mars 2021,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
« Il faut passer par le désert
et y séjourner
pour recevoir la grâce de Dieux. »
Charles de Foucauld.
Jean-Jacques Coulet,
son fils,
Martine Coulet,
sa belle-fille,
Marion Vacheresse,
sa petite-fille,
Nicolas Vacheresse,
son arrière-petit-fils
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Pierrette COULET,
« Mimi »,
survenu à Lyon, le 26 mars 2021,
dans sa cent deuxième année.
Les obsèques auront lieu dans
l’intimité, le 2 avril.
L’Ecole Psychanalytique des
Hauts-de-France,
membre de l’Association Lacanienne
Internationale
a le profond regret d’annoncer le
décès de son fondateur,
Elie DOUMIT,
survenu le 29 mars 2021,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
M. Elie Doumit a joué un rôle
essentiel dans la transmission et la
diffusion de la psychanalyse dans
notre région, ainsi qu’au Maroc et au
Liban.
Julie Chuzel, Nour El Ouaer,
Léa El Ouaer,
ses filles
et leurs enfants, Amine, Ada, Arthur,
Lalé
et leurs mères, Claude Chuzel et
Valérie Pellé,
Rochdi El Ouaer,
son frère
et ses enfants, Loris et Victoria,
Lisa El Ouaer-Blanc,
sa sœur
et son fils, Idris,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Karim EL OUAER,
réalisateur,
survenu le 28 mars 2021, à Paris.
Avec ses amis nous organiserons
plus tard une réunion en son
hommage :
karimelouaer4ever@gmail.com
Paris.
Mme Anne Gravoin,
sa fille,
Mme Juliette Beneich,
sa petite-fille,
Mme Nicole Afriat,
sa compagne,
ont la douleur de faire part du décès
de
Jean-René GRAVOIN,
le 26 mars 2021, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
L’inhumation aura lieu au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
le mercredi 31 mars, dans la plus
stricte intimité.
Manuelle Ilic,
son épouse,
Natasha et Cloé,
ses enfants,
Darinka et Nikola Ilic,
ses parents,
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Milan ILIC,
parti trop tôt le 20 mars 2021.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le jeudi 1er avril, à 11 h 30,
en la cathédrale orthodoxe Saint-
Alexandre-Nevsky, 12, rue Daru,
Paris 8e.
La famille remercie toutes les
personnes qui prendront part à sa
peine, ainsi que tous ceux avec qui
Milan a pu partager un sourire, un
moment de joie, un projet, une
musique, un voyage ou un repas de
son vivant.
Tuulikki Janssen, née Sillanpää,
son épouse,
Pekka Sillanpää,
Jaakko Suominen,
ses beaux-frères,
Ses nombreux neveux et nièces.
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Claude JANSSEN,
X 50, MBA HBS,
un des fondateurs
et président d’honneur de l’INSEAD,
commandeur
de la Légion d’honneur,
commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le 27 mars 2021,
dans sa quatre-vingt-onzième année.
La cérémonie religieuse se tiendra
en la Chapelle Saint-Louis de l’Ecole
Militaire, Paris 7e, le jeudi 1er avril,
à 14 heures.
L’Inhumation aura lieu dans
l’intimité, au cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e, dans le caveau
familial.
carnet | 19
Le professeur Pierre Mutzenhardt, M. et Mme Jacques de Lajudie,
président de l’université de Lorraine,
Le professeur Marc Braun,
doyen de la Faculté de Médecine,
maïeutique et métiers de la santé
Le docteur et Mme Xavier Pavis
d’Escurac,
M. et Mme Bertrand Pavis
d’Escurac,
à Nancy,
La communauté universitaire
et hospitalière,
Le personnel BIATSS et hospitalier,
ses enfants,
Raphaëlle et Hubert, Pierre et
Noémie, Edouard et Lisa, Arnaud
Les étudiants,
ont la très grande peine de vous faire
et Annette, Emmanuelle et Thomas,
Philippe, Claire et Julien, Louis,
ses petits-enfants,
Paul, Armelle, Benoît, Philippine,
part du décès de
Henri, Jeanne, Mahault et Elsa,
ses arrière-petits-enfants
M. le professeur
Yves JUILLIÈRE, Et toute la famille,
professeur de cardiologie ont la profonde tristesse de faire part
à la Faculté de Médecine de Nancy, du décès de
survenu le 25 mars 2021, Mme Bernard PAVIS d’ESCURAC,
entouré par sa famille. née Henriette DOISY,
ancienne élève
La cérémonie religieuse a eu lieu de l’Ecole Normale Supérieure,
le mercredi 31 mars, à 15 h 30, en la ancienne élève
basilique Saint-Epvre à Nancy. de l’Ecole française de Rome,
professeur des Universités émérite,
Le professeur Yves Juillière,
très investi dans la communauté survenu le 25 mars 2021, à Strasbourg.
cardiologique nationale, a participé
au rayonnement de la Faculté de La cérémonie religieuse a été
Médecine de Nancy et de l’université célébrée le lundi 29 mars, en l’église
de Lorraine en tant que président de
de la Très-Sainte-Trinité de Strasbourg.
la Société Française de Cardiologie
(2014-2016).
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
Nous avons perdu un collègue
rigoureux et exigeant, au regard aigu
et un homme passionné. Mme Andrée Templier,
son épouse,
Elisabeth et François,
Jean Lelaidier,
son époux Christine et Eric,
leurs enfants Nathalie,
ses enfants,
et petits-enfants,
Ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de ont la tristesse de faire part du décès
de
Veronica LELAIDIER,
maître de conférences honoraire M. Bernard TEMPLIER,
à l’université Paris 10.
survenu à l’âge de quatre-vingt-huit
La cérémonie a eu lieu dans
ans.
l’intimité, le lundi 29 mars 2021.
La cérémonie religieuse sera
Claire Lethielleux-Gille, célébrée le jeudi 1er avril 2021, à 10 h 30,
son épouse, en l’église Saint-Bernard, à Nantes.
Sébastien, Cécile, Christophe, Gaëlle,
Delphine, Cet avis tient lieu de faire-part
ses enfants,
et de remerciements.
Ses petits-enfants
Et toute sa famille, Famille Templier,
62, boulevard Jules Verne,
ont la tristesse de faire part du décès 44300 Nantes.
de
Maurice LETHIELLEUX, Patrick et Laure Winocour,
maître de conférences honoraire Richard Winocour et Sylvie Klein,
à l’université Paris II, Marc et Anne Winocour,
chevalier dans l’ordre ses fils et belles-filles,
des Palmes académiques, Alice Winocour et Jean-Stéphane
Bron,
Pauline et Julien Lefévre,
survenu à Paris, le 16 mars 2021,
à l’âge de soixante-quatorze ans. Jéremie Winocour et Marie José
Angelier,
La cérémonie religieuse a eu lieu Joséphine et Nicolas Confortés,
le vendredi 26 mars, à Paris. Emile et Elvire Winocour,
Jules Winocour,
condoleancesml@free.fr Louise Winocour,
ses petits-enfants,
Théodore, Mila, Esther, Lucien,
Monique,
Joseph, Isaac, Héloïse,
son épouse,
Sophie et Cécile, ses arrière-petits-enfants,
ses filles
ainsi que leurs époux, ont la tristesse d’annoncer la
Marion et Juliette, disparition de
ses petites-filles
ainsi qu’Edern, Janine WINOCOUR,
Maé, Artus et Titouan,
chez elle, entourée des siens,
ses arrière-petits-enfants,
le 27 mars 2021,
elle venait d’avoir cent ans.
ont la tristesse de faire part du décès
de
6 bis, rue Damesme,
Philippe MEYRIER, 75013 Paris.
graphiste et illustrateur, 64, boulevard Arago,
75013 Paris.
survenu le 11 mars 2021, 82, route de la Troche,
dans sa quatre-vingt-troisième année. 78490 Grosrouvre.
Remerciements
Marie-Louise Duboin
a la grande tristesse de faire part Isabelle Emeriau,
du décès de son époux, sa compagne,
Jean-Pierre et Nicolle Bouyssi,
Jean-Pierre MON, André et Florence Bouyssi,
Jean-Pierre Emeriau,
professeur des Universités,
ancien directeur des IUT de Troyes Philippe Emeriau,
puis de Villetaneuse, Paul, Daniela et Hélène Bouyssi,
survenu le 25 mars 2021, très touchés par vos nombreux
témoignages de sympathie et de
à la veille de ses quatre-vingt-dix ans.
soutien, vos messages et votre
L’incinération a eu lieu dans présence aux obsèques de
l’intimité.
François BOUYSSI,
Marie-Louise Duboin,
88, boulevard Carnot, vous prient de trouver ici leurs
78110 Le Vésinet. sincères remerciements.
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20 | horizons
L’art de se broder
mulhouse ­ envoyé spécial
U
n grand pull de laine bleu
ciel. Un collier de barbe
blanche qui le fait ressem­
bler à un personnage d’un
conte de Grimm, ou à un
lutin élevé aux OGM… Un
regard doux et une voix désolée disant qu’il
s’excuse mais que, sous contrôle judiciaire, il
ne peut pas parler. On le remercie d’avoir
ouvert la porte. Il dit : « Merci pour votre ama­
bilité, monsieur. » Et, de la rue, on regarde ce
naufragé se terrer derrière les fenêtres de son
petit appartement de Cernay, à une vingtaine
de kilomètres de Mulhouse (Haut­Rhin), au
pied des Vosges.
C’est donc lui, Jean­François Keller, le cro­
quemitaine du Musée de l’impression sur
étoffes de Mulhouse, le « Mise » comme tout
le monde l’appelle dans la région ? L’homme
qui aurait disséminé, au fil des années, les
précieuses collections de dessins, d’esquis­
ses, de planches de travail et d’échantillons
de tissus. Certes, ce ne sont pas des Rem­
brandt. Pour autant, c’est un trésor inestima­
ble. Reprenons…
Il y a trois ans, le 26 mars 2018, la maison
Sotheby’s signale au musée que deux vases
Gallé – estimés entre 100 000 et 200 000 eu­
ros – qu’elle s’apprête à mettre en vente au
nom d’un acheteur qui les a acquis sur eBay,
ont tout l’air de provenir des collections de
Mulhouse. Pièces uniques dûment réperto­
riées, elles ont en effet été achetées par la
Société industrielle de Mulhouse, proprié­
taire du musée, en 1900, à l’Exposition uni­
verselle de Paris.
Au départ, donc, nous sommes face à un
vulgaire vol comme il en arrive régulière­
ment dans les musées. Or, voilà un directeur
qui s’affole… L’homme en question, Eric
Bellargent, est pourtant réputé solide. Ses
équipes le disent même autoritaire et coléri­
que, viscéralement attaché à son musée, lui
qui y est entré comme gardien lorsque le bâ­
timent a été refait à neuf en 1996, pour en
gravir tous les échelons jusqu’au fauteuil de
directeur. C’était en 2003.
Le « Mise » est une institution à Mulhouse.
La ville rhénane s’est construite à la révolu­
tion industrielle sur l’alliance du textile et de
la chimie. De même qu’il y avait Lyon et la
soie, Calais et ses dentelles, Roubaix et ses fi­
latures, il y a Mulhouse, retraitant et impri­
mant le coton. Qui dit impression dit dessins
et pigments. Depuis le XVIIIe siècle, les entre­
prises locales ont conservé tous leurs échan­
tillons et esquisses. C’est ainsi que ces capitai­
nes d’industrie, les Koechlin, les Mieg, les
Dollfus, regroupés au sein de la puissante
Société industrielle de Mulhouse dans la
défense de leur héritage patrimonial, déci­
dent, dès 1833, de rassembler ces collections
pour en faire un musée qui soit tout à la fois
un outil de mémoire et une source d’inspira­
tion pour les créateurs. Même s’il est encore
aujourd’hui relativement peu fréquenté
(30 000 entrées dans les années fastes), le
monde du stylisme y défile : Hermès, Prada,
Chantal Thomass, Yves Saint Laurent… On y
vient du Japon ou des Etats­Unis.
TENTATIVES DE SUICIDE
Confronté à l’affaire des deux vases, Eric
Bellargent, le directeur, craint le scandale.
C’est du moins ce qu’il explique à Bernard
Bangrath, lorsqu’il se rend à Besançon pour
demander conseil à cet ancien président de
la chambre commerciale du tribunal de
grande instance de Mulhouse. M. Bellargent
a confiance en ce magistrat. N’est­ce pas lui
qui, à une époque où le musée traversait de
graves difficultés financières, trouva une so­
lution en nommant un mandataire ? L’allié
d’autrefois est aujourd’hui premier prési­
dent de la cour d’appel de Besançon. Las,
celui­ci, auquel le patron du « Mise » raconte
l’histoire des vols de vases, ne peut guère que
lui conseiller de porter plainte, et, suivant
l’article 40 du code pénal, qui oblige tout
fonctionnaire ou officier public à signaler un
crime dont il serait témoin, appelle séance
tenante, devant lui, le procureur de Mul­
house. Eviter le scandale ? Un rendez­vous est
proposé à Eric Bellargent à la police judi­
ciaire. Le 4 avril 2018, il dépose plainte.
Tout porte à croire que le responsable des
vols est celui qui, au musée, fait office de con­
servateur : Jean­François Keller. Mais celui­ci
se fait discret et ne répond pas. Depuis quel­
ques mois, il multiplie les arrêts de travail.
un destin
L’affaire fait grand bruit à Mulhouse : Jean­François
Keller, ancien cadre du célèbre Musée de l’impression
sur étoffes, et personnage aux multiples facettes, est
suspecté d’avoir vendu à son propre profit une partie
des collections. Des milliers de pièces ont disparu
Convoqué de nouveau par la PJ le 16 avril, Eric
Bellargent est de plus en plus nerveux. Le len­
demain, il décide de changer l’ampoule dé­
fectueuse au­dessus du monumental esca­
lier du musée. Ayant refusé l’aide d’un tiers, il
est seul lorsqu’il grimpe à l’échelle. La chute
sera mortelle, et sans témoin. Trois ans plus
tard, on regarde avec effroi l’escalier blanc et
froid comme le frigo d’une morgue. Dix mè­
tres en contrebas, on a refait la peinture.
L’ampoule au plafond n’a pas été changée.
Jean­François Keller, le suspect dans l’affaire
du vol, a été finalement retrouvé dix jours
plus tard au pavillon 22 de l’unité psychiatri­
que générale de Rouffach, à proximité de Mul­
house, hospitalisé à sa demande après deux
tentatives de suicide. Mis en examen pour le
vol des deux vases Gallé et d’une centaine de
carrés Hermès − des faits qu’il reconnaît −, il
passe trois mois en prison avant d’être libéré
en juillet 2018 dans l’attente de son procès.
« ENTOURÉ DE BELLES CHOSES »
Dans le même temps, l’enquête se poursuit et
les équipes du musée découvrent, ébahies,
que l’affaire a en réalité une tout autre am­
pleur… Pendant des années, le musée a été lit­
téralement siphonné de ses richesses. Sur les
5 000 livres des réserves, plus de 4 000 ont
disparu – notamment 90 % de la collection
Texunion (acquise en 2000 pour 1,22 million
d’euros) et la moitié des dessins… Une cen­
taine d’empreintes cachemire, 42 empreintes
Wesserling et 440 (sur 515) carrés Hermès se
sont également envolés.
Un butin de 3 millions d’euros, d’après
l’Association des amis du musée. Une éva­
luation au doigt mouillé. « C’est impossible
d’évaluer financièrement ce qui a été perdu,
s’exaspère la nouvelle présidente du
« Mise », Aziza Gril­Mariotte. Ce n’est pas tant
les foulards Hermès ou les vases Gallé – qui
d’ailleurs ont été retrouvés – qui importent. Ce
qui est dramatique, ce sont les collections de
livres d’échantillons collectés entre 1833 et
1939. Les pages ont été arrachées, découpées,
et ça, c’est irrécupérable, leur valeur est inesti­
mable. Un trésor national qui disparaît. »
Jean­François Keller, le personnage central
de cette histoire, est un homme élégant qui
portait des étoles choisies par­dessus ses cos­
tumes. Il a grandi à Bourtzwiller, un des quar­
tiers les plus pauvres de Mulhouse. A l’épo­
que, sa mère est employée dans une drogue­
rie. Jean­François a une sœur aînée, et un
père qu’il a peu connu, « ouvrier d’expédi­
tion » selon sa « fiche domiciliaire » (docu­
ment utilisé à partir de 1883 en Alsace­Mo­
selle), un temps militaire stationné en Alle­
magne. C’est d’ailleurs là­bas que l’enfant est
né, le 16 septembre 1958. Mais sa mère est
rentrée à Mulhouse un an plus tard, avant de
divorcer en 1960 et de se remarier en 1964,
avec un porion [contremaître] des mines de
potasse. Le père, lui, est décédé en 1967.
De tout ça, Jean­François Keller ne parle à
personne. Ni à la fac de droit, où il passe une
licence, ni pendant son année de muséo­
logie à l’université de Haute­Alsace, ni, en­
fin, au « Mise », où il a été embauché au ser­
vice d’utilisation des documents en 1985.
« Jean­François affectionnait un côté grand
seigneur. Il avait le goût du luxe et de la
beauté, c’était frappant, même étudiant », ra­
conte Claude Welty, qui l’a côtoyé en muséo­
logie, l’a recommandé au « Mise », où il l’a
précédé, et dirige aujourd’hui un autre mu­
sée local, Electropolis. « Il avait tous les beaux
livres, ajoute­t­il, on sentait à son aménage­
ment, à la façon dont il s’habillait, que c’était
le résultat d’un œil averti. Il aimait la musique
classique, racontait même être allé jusqu’à
Vienne pour un concert. Il ne travaillait pas à
côté des études. Nous, on imaginait que tout
ça, c’était mérité. Il disait : je n’aurai pas de
voiture mais je veux être entouré de belles
choses. » De cette jeunesse insouciante des
années 1980, il nous reste quelques clichés.
Le jeune homme au milieu d’une fête costu­
mée. Entre une statue de la Liberté, une
Cléopâtre et quelques perruques grande
époque, on le découvre un brin punk rebelle,
déguisé en « Vienne décadente », avec un
énorme crucifix autour du cou et un tableau
de Klimt épinglé à sa tunique.
Pour expliquer son train de vie, il raconte
aux uns qu’il a hérité d’une grand­mère, aux
autres qu’il perçoit une pension de son père,
ce héros militaire, ou bien que celui­ci était
quelqu’un de haut placé ayant abandonné sa
mère. Il parle d’une riche marraine, annonce
à un collègue soupçonneux qu’il a gagné au
Loto… L’homme est généreux, il offre des
cadeaux, on le dit cultivé et agréable. Il roule
en taxi, manie un humour parfois noir, cer­
tes, et passe pour être changeant, voire « lu­
natique », mais finalement attachant, et si li­
bre. On lui prête des préférences sexuelles,
sans lui connaître la moindre relation in­
time. Presque le gendre idéal.
« CE QUI  L’enfant des bas quartiers s’invente un des­
EST DRAMATIQUE,  tin. De même qu’Eric Bellargent, le gardien
devenu directeur du musée, a su se rendre in­
CE SONT  dispensable, Jean­François Keller sait se faire
adopter partout où il passe… Il devient le
LES COLLECTIONS  chouchou des dames du Rebberg, du nom du
quartier le plus cossu de la ville, le Neuilly lo­
DE LIVRES  cal. Et quand on ne le prend pas pour fils, on
D’ÉCHANTILLONS  le veut pour parrain de ses enfants…
COLLECTÉS ENTRE  TIR DE BARRAGE
C’est le cas de Denis Roland. Conservateur au
1833 ET 1939.  « Mise » entre 1995 et 2003, parti ensuite s’oc­
LES PAGES ONT ÉTÉ  cuper du Musée de la marine à Rochefort
(Charente­Maritime), il a d’abord vu en Keller
ARRACHÉES,  un autodidacte soucieux de défendre l’iden­
tité alsacienne : « Il aimait l’oncle Hansi – l’il­
DÉCOUPÉES,  lustrateur alsacien qui popularise la cigogne
ET ÇA, C’EST  et la coiffe à grand nœud –, et collectionnait de
petits maîtres peu intéressants » avant de se
IRRÉCUPÉRABLE » tourner vers l’art contemporain. « Quand il
est arrivé au musée, personne ne s’est occupé
AZIZA GRIL-MARIOTTE de sa formation, poursuit M. Roland, il a juste
la présidente du musée fait travailler sa mémoire visuelle. Il connais­
sait à fond les collections qu’il visitait à la
façon d’un antiquaire, en fouillant. Rapide­
ment, il est devenu capable de parler de tous
les motifs qu’on y trouvait. »
De structure associative, mal doté (de dix­
huit salariés en 1996, le musée n’en compte
plus que sept), supervisé par des tutelles
relativement absentes, faisant son miel de
collections anciennes pas ou peu invento­
riées, le musée est une mine pour sa curio­
sité, et le pain bénit de la tentation.
Thérèse Blériot y fut longtemps restaura­
trice, aux côtés de Keller. Elle se souvient
d’un homme qui n’aimait rien tant qu’amé­
nager avec soin et goût son intérieur, le ma­
gazine de décoration Côté Est a même consa­
cré un reportage à son appartement en 2005.
Il y a une douzaine d’années, raconte Thérèse
Blériot, Keller décide, comme il en a l’habi­
tude, de « faire tourner les cadres », pour re­
prendre ses mots, en les mettant en vente. Il
l’invite ainsi que son mari. Tous deux jettent
leur dévolu sur un dessin de crucifixion – Le
Christ et les deux larrons, sourit­elle – qu’ils
achètent. Après avoir défait le cadre, elle dé­
couvre qu’il s’agit d’un Zipelius, artiste mul­
housien mort noyé à 25 ans, mais dont le
père fut un célèbre peintre d’ornements, de
ceux dont on illustre justement les étoffes.
L’œuvre n’a guère de valeur, mais, depuis
« l’affaire », le doute s’est instillé dans la tête
de Thérèse Blériot : ce dessin ne provien­
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
drait­il pas de ce cabinet du musée « rempli de
dessins en pas très bon état », où il était si fa­
cile de se servir sans que personne n’en soit
alerté ? Depuis, perturbée, Thérèse a décro­
ché le tableau du mur de son domicile.
Est­ce ainsi que tout a commencé ? Par de
petits larcins, un dessin ici, un morceau
d’étoffe là, exfiltrés et vendus, et puis de l’œuf
au bœuf, l’homme qui maîtrise l’art du flou
– et laisse toujours derrière lui, au bureau, un
savant bazar quand, chez lui, à la surprise de
ses rares visiteurs, tout est bien rangé – se re­
trouve pris dans l’engrenage ?
Au sein du massif bâtiment blanc, façon ré­
volution industrielle triomphante, qui
abrite le musée, le service d’utilisation des
documents est une « bibliothèque textile »
fermée au public. Avec ses étagères remplies
d’énormes livres maintes fois manipulés,
sans cesse restaurés, et ses classeurs suspen­
dus, c’est un lieu où l’on vient – créateurs,
stylistes, professionnels du monde entier –
fouiller les archives en quête d’inspiration
créative, de motifs à reproduire, et de recet­
tes ad hoc pour les techniques et les pig­
ments utilisés dans l’impression. « Le service
d’utilisation des documents était devenu le
royaume de Jean­François, témoigne Thérèse
Blériot, la restauratrice à la retraite. Il avait la
main dessus. »
Après le départ des derniers conservateurs
historiques, Denis Roland et Jacqueline Jac­
qué, dès qu’une personne avec un peu de sa­
voir en la matière pointe le bout de son nez
au musée, elle se heurte à un tir de barrage à
la fois de Keller et de Bellargent, le directeur.
Recrutée en 2010 comme conservatrice par la
ville, Isabelle Dubois­Brinkmann, constatant
et signalant des disparitions de documents,
repartira trois ans plus tard, avec le senti­
ment de s’être cognée aux murs. Lorsque
l’historienne de l’art Aziza Gril­Mariotte,
pugnace et peu impressionnable, demande
en 2015 à travailler sur la bibliothèque textile,
Eric Bellargent prétexte « un contrat d’exclusi­
vité avec la RMN [Réunion des musées natio­
naux] interdisant soi­disant qu’on y touche,
raconte celle qui est devenue, en juillet 2019,
présidente du musée. Quant au sympathique
Jean­François Keller, il ne l’était étrangement
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
pas avec moi, je crois qu’il voyait en moi quel­
qu’un qui aurait pu le démasquer ». A l’épo­
que, Jean­François Keller a pignon sur rue. Il
passe pour le conservateur en titre bien qu’il
n’ait pas les qualifications requises pour en
avoir le statut, et parcourt les boutiques d’an­
tiquaires, les vide­greniers, les « déballages »,
rapportant de jolies pièces pour le musée
– mais également pour lui­même. Chineur et
collectionneur, il va ainsi développer, en
marge du musée, ses propres affaires, pour
lesquelles il crée une société dont le nom lui
va comme un gant : Panache.
« MACHIAVÉLIQUE » ET « MANIPULATEUR »
Ainsi des cachemires. Après une série d’ex­
positions et de conférences au cours des an­
nées 1990 données au musée par Monique
Lévi­Strauss, la femme du célèbre anthropo­
logue, devenue spécialiste devant l’Eternel
de ce tissu, Jean­François Keller tombe en
amour devant cette étoffe, et traque ses im­
primés, se constituant une jolie collection…
Jusqu’au jour où il décide de les vendre au
musée. Au « Mise », tout le monde a bien
conscience qu’une telle manœuvre n’est pas
franchement légale, mais comment laisser
partir une si belle collection ? C’est ainsi
qu’on peut lire, en 2003, dans le journal local
que le musée a acquis un ensemble de
120 cachemires auprès d’un « mystérieux col­
lectionneur mulhousien ». Cet achat de
20 000 euros s’est fait par le biais de l’Asso­
ciation des amis du musée, qui en a fait
ensuite don au musée. Aujourd’hui, une par­
tie des cachemires a disparu.
Jean­François Keller nourrit avec sa ville et
ses élites bourgeoises une relation d’amour­
haine. Pour pénétrer le vase clos de ce
monde dont le musée est en quelque sorte
une oriflamme, l’ex­gamin de Bourtzwiller
va, tel le coucou, faire son nid dans des fa­
milles successives, riches et accueillantes.
Concessionnaire automobile, pharmacien,
antiquaire… Tous voient en lui une oasis de
culture et de savoir. Les Klein, par exemple,
qui possèdent la moitié de la rue des Tan­
neurs, au centre de Mulhouse. Un magasin
d’antiquités, un autre de meubles de luxe,
des appartements… Jean­François leur en
louait un. Ils partaient ensemble en vacan­
ces à Saint Barth, aux Caraïbes. Pascale Klein,
petite dame bondissante et généreuse, en a
les larmes aux yeux de s’être laissé berner
par ce personnage aux multiples visages.
Elle ne dira pas un mot − « enquête en
cours » − mais on sent la rage qui la mine. A
chaque fois, il a joué à la perfection le fils
prodigue, le complice omniprésent, avant de
s’en éloigner du jour au lendemain en
faisant bien attention à compartimenter, à
dire aux suivants combien ceux d’avant
n’étaient pas gentils, qu’il ne fallait pas les
voir. « Machiavélique », soupire l’un. « Mani­
pulateur », larmoie l’autre. Tous ont le senti­
ment d’avoir été dupés, voire trahis.
A Paris, Jean­François Keller a trouvé à la ga­
lerie Lahumière une autre famille. Il est de­
venu d’abord proche d’Anne, la mère, puis de
sa fille Diane qui a pris la suite, et du mari de
celle­ci, Christophe. En simple collectionneur
d’art contemporain. « Un client régulier qui
achète un peu de tout : du Antoine Perrot, du
Yves Popet, du Jean­François Dubreuil…, se
justifie la galeriste. Pas des gros budgets mais
un client régulier, une œuvre tous les deux
mois en moyenne, entre 1 000 et 4 000 euros.
On ne s’est pas posé plus de questions que ça
devant ce personnage érudit, agréable, qui
payait par chèque ou virement… »
Jean­François Keller multiplie les cartes de
visite. A Mulhouse, on admire son entre­
gent, à Paris sa fraîcheur. La galerie Lahu­
mière, qu’il a fait participer à des exposi­
tions à Mulhouse, le nomme curateur de son
stand sur Art Paris, et la foire elle­même, en
quête de sang neuf, le fait entrer dans son co­
mité de sélection. En 2017, il est interviewé à
ce titre par IC (Independent Collectors), un
site avant­gardiste sur l’art contemporain
installé à Berlin : « J’ai toujours en tête que les
œuvres ne m’appartiennent pas uniquement.
Et je pense de plus en plus, que, nous, collec­
tionneurs, avons la responsabilité d’ouvrir
nos portes, de montrer, de partager. J’essaye­
rai toujours d’acheter de nouvelles pièces et
j’espère bien pouvoir rendre ma collection
plus publique. » A quel point croit­il lui­
même à ce qu’il dit ? Quelle est la part du dé­
doublement et celle de l’imposture ? Lorsque
ALE+ALE
Jonathan Kandell, ancien correspondant du
New York Times à Paris, cherche à inter­
viewer pour la revue américaine Art & Anti­
ques un de ces nouveaux collectionneurs
français qui se passionnent pour l’art con­
temporain, on lui recommande Jean­Fran­
çois Keller. N’est­il pas, comme il l’explique
au journaliste, ce « fils d’un industriel » dont
il a hérité une « impressionnante collection »
de tableaux de maîtres.
Après avoir vu, en 1995, une exposition
Piet Mondrian au MoMA de New York, il
aurait eu une révélation : « Un jour, je me suis
dit : pourquoi est­ce que je garde mes vieux
chefs­d’œuvre. Je les ai tous vendus », expli­
« IL ÉTAIT ACCRO AU  que celui qui dit être « de plus en plus sollicité
par des musées partout en Europe ». L’ironie,
LUXE. IL EST ALLÉ  c’est que cet entretien a été donné à la fin de
JUSQU’AU BOUT,  l’été 2018… A l’époque, Jean­François Keller a
déjà fait son séjour en prison où, comme il
COMME UN DROGUÉ,  l’affirmera plus tard à une journaliste de
L’Alsace, il a compris tout le bien qu’il pou­
ET S’EST  vait donner aux autres, à ses codétenus. Le
FINALEMENT  chemin de la rédemption. Ne s’est­il pas ins­
crit, depuis, en auditeur libre pour étudier la
FRACASSÉ CONTRE  théologie à l’université de Metz ?
Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre
UN MUR » un « talentueux Mr Ripley », façon héros de
DAVID SOYER Patricia Highsmith. « Honnêtement, il était
photographe du musée très convaincant », admet le directeur d’Art
Paris, Guillaume Piens, qui, pour le recruter,
lui a fait passer, dit­il, « un entretien assez
serré ». « La seule chose qui m’a surpris en le
suivant plus tard sur Facebook, c’est le déca­
lage entre son statut de conservateur d’un mu­
sée de province et ses photos en vacances à
Saint­Barth ou posant dans des hôtels de luxe
à Rome ou à Vienne. Un jour, j’ai ironisé sur ces
voyages. Il m’a rembarré sèchement. En géné­
ral, je pense comprendre plutôt bien les gens ;
lui, j’avoue avoir été incapable de le lire. »
Depuis, la ville, telle une amoureuse écon­
duite, veut comprendre. Alors que Jean­Fran­
çois Keller – qui, pour l’instant, n’a reconnu
que le vol des vases et d’une centaine de carrés
Hermès – est retranché chez lui, on s’inter­
roge sur le rôle qu’a pu jouer Eric Bellargent
avant de tomber de l’échelle. Les deux hom­
mes se « tenaient »­ils ? S’il n’y a, semble­t­il,
pas eu d’enrichissement personnel du côté du
horizons | 21
directeur, n’a­t­il pas pour autant trempé
dans cette dilapidation systématique, ne
serait­ce que pour sauver un musée économi­
quement fragile ? Et quid d’autres personnes,
que, sans nommer quiconque, Jean­François
Keller semble désigner par la voix de son
avocat, Me Marc Staedelin, quand il dit n’être
« pas le seul concerné » par les vols ?
C’est à ce stade de l’histoire qu’arrive un
autre personnage dans cet univers d’autodi­
dactes cherchant à échapper à leur destin : le
détective amateur. Pierre Freyburger, 68 ans,
est un ancien prof de gym, conseiller munici­
pal socialiste pendant trente ans, manquant
à quelques dizaines de voix près le siège du
maire après la défection de l’historique Jean­
Marie Bockel, rallié à Sarkozy. Lorsque l’af­
faire éclate, en 2018, il s’apprête à offrir au
musée des dessins de son grand­père.
L’OBSTINATION D’UN CHIEN TRUFFIER
Comme toute la ville, il découvre alors que
ce qu’il pensait être un coffre­fort est une co­
quille qu’on a vidée. Voyant que l’enquête
piétine, il commence à interroger les prota­
gonistes avec l’obstination d’un chien truf­
fier. « On se prend au jeu », sourit­il face à la
pile de dossiers posée sur la table de sa mai­
son de la rue de la Loi (ça ne s’invente pas).
Son enquête est devenue un petit livre,
Musée de l’impression sur étoffes de
Mulhouse. Autopsie d’un pillage (Mediapop
éditions), qui s’est vendu comme des petits
pains dans la ville alsacienne.
Pierre Freyburger a cherché en amont les
responsabilités (non sans quelques arrière­
pensées politiques), et en aval les complicités
dont a dû bénéficier l’auteur (ou les auteurs)
de ces vols répétés pour écouler et vendre
pareil butin. Il se gratte la tête. « D’ailleurs, je
n’arrive pas vraiment à savoir quand ça a
commencé… », dit­il, replongeant dans ses
notes où sont décortiqués les allers et retours
des gens du « Mise ».
Parmi eux, David Soyer. Au musée, c’était
le photographe, le plus proche collaborateur
de Jean­François Keller, au point d’en avoir
fait le parrain de sa fille. « J’étais le bon em­
ployé qui fermait sa gueule, qui n’aimait pas
les conflits, se souvient­il. Depuis, j’ai fait un
travail sur moi­même. » Il a vu, assure­t­il, et
témoigné auprès de la justice. « On veut faire
de Jean­François un héros à la Ripley, mais
c’est quelqu’un de très lâche, qui a toujours eu
peur d’affronter les gens, d’accepter des cho­
ses en lui. Il a fui et s’est finalement fracassé
contre un mur. Il était accro au luxe. Il est allé
jusqu’au bout, comme un drogué. Je connais
bien le personnage. Au début, on voit des
trucs, on ferme les yeux, on fait l’autruche,
mais au bout d’un moment, ce n’est plus pos­
sible… J’ai été le premier à donner l’alerte. Je
suis allé voir Bellargent, qui n’a rien voulu en­
tendre. Ils m’ont pris pour un con tous les
deux. Deux ou trois fois, je les ai confrontés.
Après, j’ai rompu tous les liens avec Jean­Fran­
çois, je suis devenu parano, je n’avais plus con­
fiance en personne. J’ai fait un burn­out fin
2014 et j’ai fini en hôpital psychiatrique. »
A son retour, trois mois plus tard, Keller
n’exerce plus au service d’utilisation des do­
cuments mais aux réserves, un peu plus
loin, le long du canal, où le directeur l’a dé­
placé. C’est là que, désormais, la régisseuse
constate des disparitions de plus en plus
nombreuses… Les vases n’étant, comme le
souligne un magistrat alsacien, que « l’élé­
ment perturbateur qui, à l’acte III, inverse le
cours de l’histoire ». L’ancien conservateur
Denis Roland s’étonne : « Ces vases Gallé,
Jean­François les connaît. Il n’est pas idiot. En
les vendant sur eBay, il sait que ça va lui re­
tomber sur la tête. Soit c’est une espèce de sui­
cide, il veut mettre fin à quelque chose. Soit il
pense qu’il n’y a plus de limite. »
A Mulhouse, entre la place de la Liberté et la
vieille prison d’où jaillissent encore, les jours
de grande chaleur, les coups de gueule des
détenus, siège l’austère tribunal de grande
instance. L’enquête a redémarré en octobre
après la visite, au musée, de gendarmes de
l’Office central de lutte contre le trafic des
biens culturels (OCBC).
En voyant les rayonnages vides, le nouveau
juge d’instruction mulhousien, présent à
leurs côtés, a mesuré l’ampleur du malaise.
Les interrogatoires ont repris le mois dernier.
Tout comme Eric Bellargent, Jean­François
Keller a longtemps pensé que, tant que le
musée continuerait de briller, personne ne
regarderait sous les tapis. Jusqu’au jour où
l’on vole les tapis… 
laurent carpentier
 CULTURE
0123
22 | JEUDI 1ER AVRIL 2021

Villeurbanne couronnée pour sa culture jeune
La ville a remporté le titre de Capitale française de la culture pour 2022, en misant sur l’éducation populaire

lyon ­ correspondant

L
a scène se déroule jeudi
25 mars, en visioconfé­
rence. D’un côté, à Paris,
Bernard Faivre d’Arcier et
les jurés du label « Capitale fran­
çaise de la culture pour 2022 »,
concentrés et pointilleux. De
l’autre, fébriles, quatre représen­
tants de Villeurbanne (métropole
du Grand Lyon), candidate au tout
nouveau sésame, estampillé
par le ministère de la culture. A la
clé, une enveloppe d’un million
d’euros et la promesse d’une pro­
motion nationale pour une année
entière d’actions culturelles,
programmées dans un plan d’en­
semble cohérent.
Après six mois de dossiers et de
consultations, le grand oral est
décisif pour les huit collectivités
en lice. « Franchement, j’étais pessi­
miste. C’était très exigeant sur le
fond. Quand le jury nous a interro­
gés sur les grands noms de notre
programmation, j’ai eu un doute.
Nous n’avions pas du tout construit
notre candidature sur l’événemen­
tiel », confie au Monde Cédric Van
Styvendael, 47 ans. Le maire (PS)
de Villeurbanne se dit alors que
Sète (Hérault) a peut­être plus
d’atouts, avec le peintre Pierre
Soulages et le chanteur Georges
Brassens à son affiche. Mais la
décision est tombée mardi
30 mars. Cité jeune et populaire de
150 000 habitants, Villeurbanne a
été choisie pour la première édi­
tion du label national. Située entre
la paisible capitale des Gaules et la
tumultueuse Vaulx­en­Velin, dans A Villeurbanne (Rhône), le 25 mars, un artiste local réalise une fresque murale sur le thème de la nature. JEFF PACHOUD/AFP
le Rhône, l’ouvrière et créatrice vil­
leurbannaise va hisser l’étendard
de la culture à la française, « avec d’éloquence. Leur agora éphé­ pes scolaires. « Nous faisons le pari Frappaz (Centre national des arts spontanément sorti son télé­
joie et fierté », dit l’élu. mère, et ses déclinaisons plas­ que la culture et l’éducation popu­
« Tous les acteurs de la rue et de l’espace public), phone. Sans préparation, il a
tiques, se déplacera de quartier laire ont quelque chose à faire en­ culturels, grandes l’école nationale de musique… ouvert un texte, qu’il garde en per­
Six cents événements en quartier. Cette création collec­ semble, ils s’étaient peut­être éloi­ L’emblématique Théâtre national manence sur lui, comme un talis­
« Dans l’absence totale de pers­ tive condense tout l’esprit du gnés », dit Cédric Van Styvendael.
institutions et élus populaire (TNP) n’est évidem­ man. Il l’a lu sur l’écran, s’adres­
pectives, des projets continuent à projet culturel de la ville, qui Le maire, par ailleurs vice­prési­ voisins ont soutenu ment pas en reste dans l’aventure. sant au jury, par d’autres écrans
s’écrire, quelle bonne nouvelle ! », compte 50 % d’habitants âgés de dent de la métropole du Grand L’établissement dirigé par Jean interposés, en espérant convain­
s’enthousiasme Marion Gatier, moins de 30 ans. Comme le ré­ Lyon, précisément chargé de la
notre projet » Bellorini prévoit la constitution cre de son intention. Le message
33 ans. La directrice de la com­ sume le titre de sa candidature : culture, a insisté sur l’irrigation du CÉDRIC VAN STYVENDAEL d’une seconde troupe éphémère, est passé, universel, par une onde
pagnie KompleX KapharnaüM, « Place aux jeunes ! » projet villeurbannais à l’ensemble maire (PS) de Villeurbanne composée d’une trentaine de jeu­ lumineuse. Un extrait des vœux
membre de la délégation Villeur­ « Que le jury de ce label ait choisi du territoire. « Tous les acteurs cul­ nes du territoire. Du théâtre, au d’Ariane Mnouchkine, de jan­
bannaise, a présenté au jury l’un ce marqueur de la jeunesse pour sa turels, les grandes institutions et plus près des cœurs et des jeunes vier 2014 : « Disons à nos enfants
des trois cents événements envi­ première édition, c’est réjouissant les élus voisins ont soutenu notre Valois, non sans valider sa patte générations, il en sera question qu’ils arrivent sur terre quasiment
sagés pour cette exceptionnelle pour la politique culturelle de notre projet, les artistes s’en sont empa­ écolo­responsable. avec la présence annoncée au début d’une histoire et non pas
année 2022. Il s’agit du « parle­ pays », salue Marion Gatier. Parmi rés, dans quelque chose qui nous a Dans la ville pionnière de la dé­ d’Ariane Mnouchkine, pour un à sa fin désenchantée. Ils en sont
ment des collèges et des lycéens ». quelque six cents événements, il dépassés », rapporte le successeur centralisation, le rapprochement spectacle au TNP, et des interven­ encore aux tout premiers chapitres
Les artistes vont intervenir dans est prévu un festival en plein air de Jean­Paul Bret et Charles entre les artistes et la population, tions dans les écoles. d’une longue et fabuleuse épopée
les classes de 4e et 2de de la ville, de concerts et d’arts de la rue, en­ Hernu. Grégory Doucet, maire de les jeunes en particulier, renoue Déstabilisé par les jurés, à la fin dont ils seront, non par les rouages
pour initier à « la prise de parole la tièrement dirigé par les jeunes. Lyon (EELV), a tourné une vidéo avec ses racines profondes. Vil­ de l’ultime consultation pour dé­ muets, mais au contraire, les inévi­
première génération du XXIe siè­ Ainsi que vingt­cinq minicentres pour soutenir la candidature de sa leurbanne dispose d’un socle cul­ crocher le label de la capitale cul­ tables auteurs. » 
cle », sous forme d’un concours culturels déployés dans les grou­ voisine auprès du jury de la Rue de turel solide, comme Les Ateliers turelle, le maire de Villeurbanne a richard schittly

Divisions à l’association Aware, qui promeut les artistes femmes

La nomination de Muriel Pénicaud à la présidence de l’organisation a enflammé une partie de ses membres. L’ex­ministre a démissionné

L e 12 mars, Aware organisait

sa conférence de presse
rituelle du printemps. Re­
connue pour son travail consacré
à la promotion des artistes fem­
mes, l’association, unique en son
genre, doit alors annoncer les lau­
réates de son prix : Barbara Chase­
Riboud reçoit le prix d’honneur
et Gaëlle Choisne celui de l’artiste
émergente. Deux femmes noires,
une première, et un symbole fort
pour la communauté qu’a su fédé­
rer Aware depuis sa création, il y a
sept ans. Mais là, coup de ton­
nerre. Camille Morineau, créa­
trice et directrice de l’association,
donne le nom de la nouvelle prési­
dente : Muriel Pénicaud, ex­minis­
tre du travail du gouvernement
d’Edouard Philippe.
L’annonce jette un froid. « Je me
suis sentie humiliée et attristée, re­
grette l’artiste Gaëlle Choisne.
Aware est un projet remarqua­
ble dont on est, ou était, fiers, et c’est
plutôt exceptionnel que deux ar­
tistes racisées remportent la même
année un prix national ; mais
cette nomination allait totalement
à contre­courant. » Le curateur
Thomas Conchou était aussi sur
scène, en tant que rapporteur de
Barbara Chase­Riboud. « La réac­
tion a été épidermique, car la loi tra­
vail a suscité une mobilisation sans
précédent des acteurs culturels.
Sans oublier les attaques très offi­
cielles subies par nos champs de re­
cherche, des pensées minoritaires
qui se retrouvent accusées de
complotisme ou de haine sociale. »
Dès l’annonce, une soixantaine
de collaborateurs d’Aware se fédè­
rent : artistes, rapporteurs et rap­
porteuses, auteurs et autrices.
« Une bascule s’est opérée, on a eu
l’impression d’être instrumenta­
lisés, confirme Laëtitia Badaut
Haussmann, artiste lauréate
du premier prix Aware en 2017.
Les réformes engagées par Péni­
caud sont extrêmement nocives
pour les travailleurs indépendants.
Qu’elle devienne la tête visible de
cette association féministe qui fait
un travail énorme ne nous semble
pas en accord avec les fondements
intellectuels de ceux qui œuvrent
pour elle. » Une tribune de 260 si­
gnataires, où toute la jeune garde
de l’engagement féministe exige
la « révocation immédiate » de la
nouvelle présidente, est diffusée
le 22 mars sur Mediapart.
Avant même sa publication,
Muriel Pénicaud annonce sa dé­
mission. Mais le collectif poursuit
sa fronde dans l’association qu’ils
chérissent. « Qui a voté, quelle est
cette unanimité qu’on nous an­
nonce, pourquoi aucun membre
des comités scientifique ou édito­
rial ne semblait au courant ? », de­
mande Emilie Renard, directrice
du centre d’art Bétonsalon.
« Election irréprochable »
Ebranlée par la polémique, Ca­
mille Morineau se défend de
toute opacité. « L’élection s’est dé­
roulée de façon irréprochable, par
un vote de la dizaine de membres
actifs, dont plusieurs des fondatri­
ces. » Elle en fournit la liste : on y
retrouve les deux membres du
bureau, le magistrat Henri Moyen
et l’énarque Bruno Racine, la col­
lectionneuse Catherine Petitgas,
la commissaire aux comptes
Alexandra Vernier­Bogaert ou Cé­
cile Debray, directrice de l’Orange­
rie et présidente sur le départ.
« Comme nos finances, dont
80 % viennent du privé, ont baissé
de plus d’un tiers avec la crise,
j’ai cherché une femme qui puisse
nous aider à trouver de l’argent,
explique Camille Morineau.
Muriel Pénicaud, qui est aussi col­
lectionneuse et photographe, est
la seule à avoir accepté. Son enga­
gement pour l’égalité hommes­
femmes me semblait en adéqua­
tion avec nos valeurs, et son entre­
gent nous aurait été aidés à sur­
monter les difficultés. »
C’est peut­être là que les avis di­
vergent. « Nous ne pouvons dépoli­
tiser le débat pour penser unique­
ment à l’intérêt stratégique ou fi­
nancier d’Aware, rétorque Emilie
Renard. Camille Morineau a cons­
truit un projet conséquent qui est
devenu un bien commun, partagé,
notre point de vue doit être en­
tendu. Nous voulons alerter,
comme un contre­pouvoir. »
L’opposition de deux versions
du féminisme, vieille école versus
lutte intersectionnelle ? C’est
l’analyse, sévère, de Gallien Dé­
jean, rapporteur du prix 2019 :
« On savait qu’Aware n’est pas porté
par le féminisme le plus radical.
Mais cette nomination a rendu
les choses insupportables. Elle sou­
lève un phénomène de spoliation
épistémologique : elle est devenue
un outil qui centralise des histoires
minoritaires et militantes, souter­
raines, fragiles, et monopolise
le discours les concernant. »
Quelles sont les attentes de cette
jeune garde, qui veut se prémunir
de tout pinkwashing, ou récupéra­
tion des luttes féministes sur
le modèle du greenwashing ? « Un
dialogue pour plus de transpa­
rence, plus d’horizontalité, un res­
pect accru des droits des tra­
vailleurs, résume l’une de leurs re­
présentantes. Cette tribune est
la mobilisation massive de toute
une génération. »
« Nous ne sommes pas pour la po­
litique de la terre brûlée, ou le boy­
cott, plaide Thomas Conchou, re­
cruté comme rapporteur pour son
expertise des pratiques queer.
L’équipe salariée est très compé­
tente sur ses champs de recherche,
et l’association est dans une vo­
lonté de s’ouvrir vers des pensées
minoritaires plurielles. Nous nous
en félicitons et ne voulons surtout
pas anéantir la symbolique du prix
2021. Mais cet effort ne peut être de
surface, il doit s’incarner dans la
gouvernance, le fonctionnement. »
Emilie Renard propose notam­
ment d’« ouvrir l’assemblée géné­
rale de l’association de façon plus
large, pour en faire le lieu d’un dé­
bat démocratique ». Camille Mori­
neau promet avoir « entendu l’irri­
tation, et rester ouverte au dialo­
gue ». Mais elle prévient : « On
n’aura jamais 500 membres à l’AG,
on n’est pas l’Unesco. En revanche,
si tous ces signataires sont prêts
à participer à notre survie finan­
cière, ils sont les bienvenus. » 
emmanuelle lequeux
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 culture | 23

A Montpellier, le retour de Numa Hambursin

Le critique remplace Nicolas Bourriaud à la direction du Mo.Co, tête de pont de l’art contemporain

PORTRAIT Depuis 2018,

montpellier ­ correspondante
il était directeur

A
Montpellier, c’est bien
Numa Hambursin qui
sera à la tête de l’art
contemporain, en diri­
geant la structure tripartite qui re­
groupe depuis 2019 à la fois deux
lieux d’exposition – La Panacée et
le Mo.Co – et l’Ecole des beaux­
arts. Cet ensemble ambitieux
avait été imaginé par l’ancien
maire Philippe Saurel, qui en avait
confié les rênes à Nicolas Bour­
riaud, figure incontestée d’une vi­
sion exigeante de l’art contempo­
rain. Durant son mandat, ce der­
nier avait remis en selle l’Ecole des
beaux­arts et organisé des exposi­
tions à un rythme soutenu, fai­
sant notamment venir des collec­
tions du Japon ou de Russie. Mais
le nouveau maire, Michaël Dela­
fosse, n’a jamais fait mystère de
son peu de goût pour l’art con­
temporain façon Bourriaud. Mi­
mars, le résultat est tombé : Bour­
riaud est évincé, et Numa Ham­
bursin récupère la direction.
Une revanche pour ce dernier,
qui est loin d’être un inconnu à
Montpellier. Fils de la galeriste
Hélène Trintignan, qui a officié
une quarantaine d’années, il a lui­
même ouvert une galerie à 23 ans,
associé à sa compagne. Il a ensuite
été chargé par la mairie du Carré
Sainte­Anne, où il a organisé de
nombreuses expositions, sou­
vent consacrées à des peintres
connus et populaires (Robert
Combas, Jean­Michel Othoniel). Il
est ensuite devenu conseiller ar­
tistique d’un promoteur, Helenis,
qui ouvre prochainement une
fondation artistique dans un hô­
tel de luxe en centre­ville. Lauréat
du prix de la critique d’art en 2018
pour un travail sur Marlène Moc­
quet, il était depuis 2018 directeur
du Pôle d’art moderne et contem­
porain de la ville de Cannes.
Il est cependant difficile de par­
ler de Numa Hambursin sans évo­
quer son histoire familiale, qui a
joué un rôle non négligeable dans
sa carrière. Numa Hambursin a
été adopté par un ami de sa mère,
Numa Hambursin, devant un tableau de Robert Combas, à Cannes (Alpes­Maritimes), en 2019. OLIVIER CALVEL
Hélène Trintignan, entrant ainsi
dans la famille Leenhardt, dont un
ancêtre, Max Leenhardt, était un
peintre réputé. Numa Hambursin,
qui possède des œuvres de Max
Leenhardt, lui a d’ailleurs consa­
cré une exposition à Sommières,
entre Nîmes et Montpellier.
« Réseaux exceptionnels »
Il est par ailleurs propriétaire du
château de la famille Leenhardt, à
Clapiers (Hérault), commune à la­
quelle il a donné un terrain pour y
réaliser un chemin d’artistes. Le
maire de Clapiers, Eric Penso, est
depuis les dernières municipales
l’élu chargé de la culture, et celui
qui a annoncé l’élection de Numa
Hambursin à la tête du Mo.Co.
Hélène Trintignan avait elle­
même été adoptée par le peintre
surréaliste Henri Gœtz, et avait
été désignée en 1989 comme son
ayant droit et experte de son
œuvre picturale. En 2021, Numa
Hambursin, avant de rejoindre
Montpellier, avait conçu une ex­
position des œuvres de Christine
Boumeester, femme d’Henri
Gœtz – finalement reportée pour
cause de Covid.
Par le biais de sa nouvelle compa­
gne, qui travaille pour la galerie pa­
risienne Templon, Numa Hambur­
sin a noué des contacts avec des ar­
tistes importants. Il a ainsi exposé
à Montpellier en 2017 Jonathan
Meese, ou à Cannes Kehinde Wiley
en 2020, deux artistes de l’écurie
Templon. Il a aussi commandé
des œuvres à d’autres artistes de la
galerie parisienne pour le promo­
teur Helenis : Abdelkader
Benchamma, Jan Fabre et Jim Dine.
« Par sa famille et son entourage,
Numa Hambursin a des réseaux ex­
ceptionnels, et en fait bénéficier les
collectivités qui l’emploient », es­
time un bon connaisseur de l’art
contemporain à Montpellier.
Aujourd’hui, l’homme est donc
de nouveau à Montpellier, chargé
à la fois des expositions et de
l’Ecole des beaux­arts. Son arri­
vée est saluée par de nombreux
amateurs d’art et artistes, qui ap­
précient son projet. « Quand on
ne voit sur une affiche que le nom
de l’exposition, du collectionneur
et des curateurs, je veux bien, mais
un jour, il faut quand même son­
ger à remettre en avant la figure
de l’artiste », explique­t­il, ciblant
les expositions de son prédéces­
seur. Il a prévu dans son pro­
gramme de maintenir des expo­
sitions de collections, devenues
du Pôle d’art
moderne et
contemporain de
la ville de Cannes
la marque du Mo.Co, mais qui
laisseront la place l’été à des ex­
positions monographiques.
En revanche, du côté de l’Ecole
des beaux­arts, sa nomination a
provoqué la fronde de tous les
étudiants, à la fois remontés
contre son projet et contre l’évic­
tion de Nicolas Bourriaud. Les 161
étudiants sont aussi inquiets de
voir l’école perdre en réputation,
avec les départs prévisibles de
certains membres de l’équipe, ve­
nus dans le sillage de Nicolas
Bourriaud, comme Melik Oha­
nian. « J’espère que j’aurai vite l’oc­
casion de les rassurer. Ils semblent
croire que je vais casser le lien
entre l’école et les deux centres
d’art. J’ai toujours dit que la grande
réussite du Mo.Co, c’est l’élan
donné à l’Ecole des beaux­arts.
L’école, c’est ce qu’il faut le plus
préserver, je veux que perdurent
les réseaux déjà mis en place,
c’est évident », a déclaré Numa
Hambursin.
Pour compliquer les choses,
l’élection de Numa Hambursin ne
s’est pas faite en toute trans­
parence : pour être élu le 23 mars,
il aurait dû avoir deux tiers des
voix au conseil d’administration,
mais, avec 12 voix sur 19, il en
manquait une. Moment de flotte­
ment, les élus prenant le temps de
consulter le service juridique.
Et ce n’est que sept heures plus
tard que le président du Mo.Co an­
nonce que l’élection est validée.
Dans ce contexte, Numa Ham­
bursin souhaite apaiser les cho­
ses. Il lui reste maintenant à rele­
ver un défi de taille, en renouve­
lant les expositions sans fragiliser
l’école d’art, dans une structure où
tout est imbriqué. 
anne devailly

L I T T É RAT U R E 5 000 personnes en exté­

Le Français Jean-Claude
Mourlevat remporte
le prix Alma
L’auteur Jean­Claude Mourle­
vat s’est vu décerner, mardi
30 mars, le prix Alma, la plus
importante récompense
internationale pour la littéra­
ture jeunesse, qui est dotée
de près de 500 000 euros.
rieur, distanciation de deux
mètres entre les places assi­
ses) ne permettaient pas
d’avoir une édition satisfai­
sante. Japan Expo compte
tenir ses éditions 2022 à Mar­
seille (Parc Chanot) en février
et à Paris (Parc des exposi­
tions de Villepinte, en Seine­
Saint­Denis). – (AFP.)

Auteur d’une trentaine
d’ouvrages depuis la parution
de son premier livre, en 1997,
l’écrivain de 69 ans est no­
tamment connu pour L’En­
fant océan (1999), Le Combat
d’hiver (2006), ou plus récem­
ment Jefferson (2018), parus
chez Gallimard. Né en 1952 en
Auvergne, Jean­Claude Mour­
levat avait commencé sa car­
LES DESSINS
C I NÉ M A
Des sites satellites à
Paris et Londres pour la
cérémonie des Oscars D’UNE CARRIÈRE
La cérémonie de remise des
prestigieux prix cinémato­ EXCEPTIONNELLE
DANS UN LIVRE
graphiques des Oscars va ins­
taller des sites en Grande­
Bretagne et à Paris pour les
lauréats qui ne pourraient

MERCI
rière comme professeur d’al­ pas recevoir en main propre
lemand avant de changer de leur récompense. Les Oscars
voie et de travailler comme avaient été très critiqués

metteur en scène, comédien
et clown. Le théâtre le mène à
l’écriture, avec la publication
en 1997 de son premier al­
bum, Histoire de l’enfant et
de l’œuf (Mango). – (AFP.)
B A N D E D E SS I N É E
Japan Expo annulé
pour la deuxième
année d’affilée
Le festival de la culture pop
japonaise, Japan Expo, prévu
mi­juillet à Paris, est annulé
pour la deuxième année de
suite, en raison des incertitu­
des liées au contexte sani­
taire. Les organisateurs ont
estimé que les exigences
posées aux organisateurs de
festival en France (jauge de
PLANTU
après le refus des organisa­
teurs d’autoriser des lauréats
à recevoir leur prix par le
biais d’Internet. Les plans ont
été revus et des liaisons satel­
lites sont désormais
prévues pour ceux qui ne
pourraient être présents à
Los Angeles ou sur le site
britannique, dont la localisa­
tion n’a pas été révélée. Cette
année, huit acteurs et une
réalisatrice britanniques figu­
rent dans la liste des nomina­
tions, ainsi que l’auteur fran­
çais Florian Zeller, le
réalisateur danois Thomas
Vinterberg, l’actrice bulgare
Maria Bakalova et son
homologue sud­coréenne
Youn Yuh­jung. – (AFP.)
24 | télévision
Les podcasts déconfinent le théâtre
France Culture, Radio Amandiers et le Rond­Point donnent à entendre des textes, des spectacles et la parole d’artistes
FRANCE CULTURE,
RADIO AMANDIERS…
À LA DEMANDE
PODCAST
S
potify, Deezer, Apple Pod­
casts, application de Radio
France… En ces temps de
confinement, les podcasts
sont les nouvelles scènes, les tré­
teaux virtuels permettant au pu­
blic autant qu’aux artistes de pren­
dre leur mal en patience, en atten­
dant la réouverture des salles. Car
celles­ci demeurent irremplaça­
bles, même si, depuis longtemps,
la radio danse avec le théâtre.
Malgré les contraintes liées
à la crise sanitaire, France Culture
a ainsi poursuivi ses enregistre­
ments de lectures et soutenu
le monde du théâtre « avec une po­
litique choisie de retransmissions
des spectacles privés de specta­
teurs », explique Sandrine Treiner,
la directrice de la chaîne. Parmi ses
récentes programmations, citons
Pur, de Lars Noren, ou Juste la fin
du monde, de Jean­Luc Lagarce.
Le 11 avril, on pourra entendre
Onéguine, qu’aurait dû présenter
Jean Bellorini à Villeurbanne.
En juillet, la chaîne culturelle
de Radio France ne manquera pas
le grand retour du Festival d’Avi­
gnon. Elle y convie Sandrine Bon­
naire, Fabrice Luchini, Omar Sy,
pour animer ses « 10 jours de lec­
tures et de spectacles radiophoni­
« Perfect Mothers », un quatuor amoureux au parfum d’inceste
Deux femmes liées depuis l’enfance, incarnées par Robin Wright et Naomi Watts, vivent chacune une histoire d’amour avec le fils de l’autre
CHÉRIE 25
JEUDI 1ER - 21 H 05
FILM
R oz (Robin Wright) et Lil
(Naomi Watts) sont amies
d’enfance. Depuis les pre­
mières baignades en mer et gor­
gées d’alcool, elles partagent tout :
la plage australienne au bord de la­
quelle leurs maisons se dressent,
le ponton au soleil d’un éternel
été, les jours, les soirs, les heures…
Elles n’ont jamais partagé leurs
maris : celui de Lil est mort lorsque
leur fils, Ian, était petit ; celui de
GRILLE N° 21 - 077
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I Bout de banane. V. Facilite l’articula-
II
III
IV
V rons un peu de distraction. X. Elé-
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 076
HORIZONTALEMENT I. Volontariste. II. Arêtière. Ton. III. Site. Egarons.
IV. Ogoni. Olé. Da. V. UI. Tonniez. VI. Ino. Li. Slash. VII. Lauréate. Nia.
VIII. Liée. Ars. Gg. IX. Erseaux. Ailé. X. Retravailles.
VERTICALEMENT 1. Vasouiller. 2. Originaire. 3. Leto. Ouest. 4. Otent.
Réer. 5. Ni. Iole. Aa. 6. Tee. Nia. UV. 7. Argon. Taxa. 8. Réaliser. 9. Réel.
Sal. 10. Sto. Zan. Il. 11. Tond. Sigle. 12. Ensachages.
Lolita Chammah enregistre son podcast pour le Rond­Point, à Paris, le 3 mars. RAPHAELLA SAADA
ques » au Musée Calvet. Luchini
y lira du Nietzsche et du Baude­
laire, Sandrine Bonnaire les Car­
nets de Goliarda Sapienza (en duo
avec le trompettiste Erik Truffaz),
Omar Sy le roman Frère d’âme,
de David Diop (prix Goncourt
des lycéens en 2018).
« Entretenir et nourrir le lien entre
le public et les artistes privés de
théâtre », telle est la mission que
Roz est en partance vers un poste
rêvé, trop loin pour que sa femme
puisse se résoudre à le suivre en
quittant Lil et l’Eden. Le mari parti,
Ian et Tom, le fils de Roz, restent
les seuls hommes face aux deux
femmes et à la mer. Ils sont pres­
que adultes, beaux, surfent toute
la journée. Un soir, Ian devient
l’amant de Roz et Tom celui de Lil.
La folie s’éternise, sans malaise
durable : chacune donne à l’autre
le fils qu’elle semble n’avoir en­
fanté que pour le lui offrir.
En adaptant un roman de Doris
Lessing au titre cruel, Les Grand­
7 8 9 10 11
s’est également assignée Radio
Amandiers, « l’antenne » du Théâ­
tre Nanterre­Amandiers (Hauts­
de­Seine). La journaliste Aude
Lavigne, le réalisateur Alexandre
Plank et le collectif Making Waves
ont conçu « une revue sonore qui
s’invente à chaque épisode », don­
nant la parole à des artistes tels
le cinéaste Bertrand Mandico
ou l’architecte et metteur en scène
Mères (Flammarion, 2005), Anne
Fontaine s’attaque à un sujet diffi­
cile. La réalité qu’elle expose, ce
presque inceste croisé, est si dé­
rangeante à observer, si trou­
blante à comprendre, que l’on pré­
férerait ne pas y croire, et ne pas
être mis en demeure de la juger.
Ames rêveuses
On y croit pourtant. Cela tient
surtout à la distance que la ci­
néaste conserve entre ses person­
nages et elle. Pas plus que la plume
de Doris Lessing, son objectif ne
consent à faire de cadeau aux
HORIZONTALEMENT
I. Aux commandes de la locomotive
ou sur les dents. II. Dans la défense
quand il ne fait pas dans l’éloge.
III. Meurtri comme un abricot. Néga-
tion. Opposé à toute évolution.
12
IV. Dormant dans l’encadrement.
tion de l’avant-bras. Encore moi. Pos-
sessif. VI. Personnel. Victime d’un
taon et de Zeus. Celui de l’amour est
naturel. VII. Mis aux bonnes dimen-
sions. Bien naturel. VIII. Article. Seul,
il ne sera pas crochu. Ouvre des possi-
bilités. IX. Assure la liaison. Apporte-
gante et excentrique pendant le
Directoire.
VERTICALEMENT
1. Un bon vieux qui a pris de la bou-
teille. 2. En deux temps chez les le-
veurs de fonte. 3. Merlu ou lieu noir.
Dans nos habitudes. 4. Calibrais et
rectifiais. Pour une distribution lo-
cale. 5. Drame à Tokyo. Sa libération a
un prix. 6. Ardente. Maintient provi-
soirement. 7. Brûle intentionnelle-
ment. Accord de la France d’en haut.
8. A l’entrée d’Issoire. Héros tragique
d’Euripide. Pour une adresse électro-
nique chez nous. 9. Auxiliaire.
Comme la compagne d’Artaban.
10. Arrivée en ce monde. Pour la pré-
paration de beaux cuirs. Préposition.
11. Souscrivons pour un temps.
12. Participe aux enchères à
Montréal.
Gwenaël Morin, qui ouvrent leurs
espaces de travail, livrent leurs ré­
flexions, leurs recherches, parta­
gent leurs répétitions…
Réenchanter le monde
Podcasts en cascade aussi au
Théâtre du Rond­Point, à Paris.
Dominique Bruguière, créatrice
lumières, ouvrait le bal avec un
épisode passionnant dans lequel
deux femmes. Toujours un verre à
la main, toujours vêtues de voiles
plus glissants que les vagues, rare­
ment inquiètes, jamais débordées,
toujours souriantes, Roz et Lil sont
légères au sens premier : rien ne
semble peser durablement sur
elles. Le temps même paraît avoir
relâché son emprise : tandis que
leurs fils grandissaient, elles ont
arrêté de vieillir.
Anne Fontaine ne nous laisse
pas le temps d’envier ces âmes rê­
veuses et l’art de vivre qu’elles
cultivent. Rien dans tout cela ne
relève pourtant de l’accablement
SUDOKU
N°21­077
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4 3 7 seule fois par ligne,
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& CIVILISA TIONS
NS
& CIVILISATIO
LÉON
NAPOLA
LUMIÈRE
L’OMBRE ET
PRÉHISTOIRE
CONTROVERSE
AUTOUR DES
PREMIÈRES VÉNUS
elle relate ses débuts et ses ren­
contres avec Claude Régy ou Pa­
trice Chéreau – « la seule personne
qui était aussi amoureuse que moi
de la lumière, cette compagne
d’une représentation théâtrale
ou d’opéra », confie­t­elle.
Invitée à l’épisode 11, Lolita
Chammah, la fille d’Isabelle Hup­
pert (invitée de l’épisode 6), évo­
que le manque aigu de la scène,
dont elle souffre : « Le théâtre, c’est
beaucoup plus difficile, violent
[que le cinéma], mais les moments
de jouissance sont inégalables. » Le
rôle qui l’a le plus atteinte ? Sans
conteste La Visite, d’Anne Berest,
tranche­t­elle : « Magique, épui­
sant. J’espère que je le rejouerai. »
Parmi les prochains invités, ci­
tons François Morel qui devrait, le
29 avril, réenchanter le monde. En
attendant – ou plutôt sans atten­
dre –, voici Patrick Timsit, un ha­
bitué du Rond­Point. L’humoriste
y parle censure, politiquement
correct, mais aussi… adieux au
théâtre. Ainsi est intitulé son der­
nier spectacle – il fallait bien oser
l’humour en ce 1er avril 2021… 
émilie grangeray
Sur France Culture et sur
l’application de Radio France ;
Radio Amandiers sur Nanterre­
amandiers.com ; les podcasts du
Rond­Point sont disponibles sur
Spotify, Deezer, Apple Podcasts,
Google Podcasts et Audiomeans.
ou du réquisitoire. De leur point
de vue, ce quatuor amoureux n’est
peut­être pas inenvisageable, et
cela leur suffit. Le doute les ef­
fleure, plusieurs fois, elles veulent
arrêter, et c’est le temps éternel et
éternellement tentateur de l’Eden
qui noie leur trouble dans les eaux
tièdes d’un confort sans égal.
Changeant d’objet et de nature,
leurs amours nouvelles sont le
fruit d’une métamorphose aussi
implacable dans sa logique qu’ir­
résistible par son langage. D’année
en année, sans qu’elles en aient
conscience, les gestes de tendresse
1 3 9 8 4 7
8 6 5 3 9 2
2 7 4 1 5 6
6 9 3 5 2 6 1 8
9 8 6 5 7 4
1 4 4 1 7 2 3 9
6 9 1 7 2 5
7 2 3 4 8 1
5 4 8 9 6 3
6 1 Moyen
2 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
par colonne et par
carré de neuf cases.
N° 71
AVRIL 2021
Chaque mois,
un voyage à travers
le temps et les grandes
civilisations à l’origine
de notre monde
CHEZ VOTRE
LAÏCITÉ E JÉSUS
SES DERNIERS
UNE LONGU
HISTOIRE
JOURS SELON
MARCHAND DE JOURNAUX
LES HISTORIENS
À LA FRANÇAISE
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
NOTRE
SÉLECTION
J E UD I 1 E R AV RIL
LCP-Assemblée nationale
Loïc, séropo indétectable
20.30 Loïc a 27 ans quand il
apprend qu’il a le sida. Sous le choc,
il se confie à ses amis, dont la
réalisatrice Iris Lebrun avec qui
il construit ce documentaire en
forme de journal intime, qui permet
d’apprécier l’évolution
des traitements, mais pas toujours
celle des mentalités.
France 2
Cash Investigation
21.05 Sous le titre « Alcool : les
stratégies pour nous faire boire »,
le magazine s’est intéressé aux
méthodes du champion français
de l’alcool, Pernod Ricard, détenteur
de 32 marques, et à celles
des lobbyistes du vin.
France 3
Les Gardiennes
21.05 Le cinéaste Xavier Beauvois a
adapté, en 2017, le roman éponyme
d’Ernest Pérochon paru en 1924 :
l’année 1915 du point de vue des
fermières qui ont pris la relève des
hommes partis au front. Avec
Nathalie Baye, Laura Smet et Iris Bry.
Arte Radio
Profils
A la demande Avec courage,
Théo Fortunato se questionne
sur les délires paranoïaques dont
souffre son père de 57 ans
en l’accompagnant du mieux qu’il le
peut. Drôle, émouvant et politique.
que chaque mère trouvait pour le
fils de l’autre ont appris une choré­
graphie d’amour charnel.
La liberté de jugement que la réa­
lisatrice laisse au spectateur em­
barrasse autant qu’elle passionne.
La question qu’elle semble poser
est provocante : « Leur accorderez­
vous le bénéfice du doute ? » 
noémie luciani
Perfect Mothers, d’Anne
Fontaine. Avec Robin Wright,
Naomi Watts, Xavier Samuel,
James Frecheville
(Aus.­Fr., 2013, 112 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
6 2 5
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
4 1 7
8 9 3 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
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Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
 IDÉES
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 | 25

Pamela Schwartz La pratique du vélo peut refléter

des inégalités, mais elle n’en est pas la cause
Si on trouve davantage de cyclistes en centre­ville tropoles : encadrement des loyers,
régulation des plates­formes type Air­
qu’en périphérie, l’urbaniste explique que bnb, bail réel solidaire, etc.
les aménagements cyclables ne sont responsables En revanche, on ne peut pas se priver
d’améliorer l’espace public par crainte
ni des fractures sociales ni des difficultés que cela ait un impact sur les prix du lo­
de logement dans les métropoles gement. A suivre ce raisonnement, on en
viendrait à promouvoir la dégradation
des villes et de leur environnement en
tion du fonctionnement urbain, il faut se
demander comment en faire profiter
tous les quartiers.
Les études de sociologie des sciences et
techniques peuvent apporter un éclai­
rage intéressant. Elles montrent que les
objets que nous utilisons au quotidien
ont une histoire sociale, faite de longs
débats et de compromis entre les grou­
C’est en apportant une réponse à ces
contraintes, qui sont plus fortes pour
certains utilisateurs, que la pratique con­
tinuera à se généraliser.
Par exemple, le manque de continuité
des pistes est plus marqué dans les péri­
phéries. Cette discontinuité serait incon­
cevable pour les autres modes de trans­
port, comme si des rues ou des rails s’in­

D
ans une tribune publiée le 27 fé­
vrier dans Le Monde, le géogra­
phe Matthieu Adam soutient que
les aménagements cyclables
favorisent les divisions sociales et la
gentrification des métropoles. Cette
lecture est contestable. La pratique du
vélo peut refléter des inégalités, mais
n’en est pas la cause ; de même que les
aménagements cyclables ne causent ni
les fractures sociales ni les difficultés de
logement dans les métropoles. Le vélo
est une réponse pertinente aux problé­
matiques urbaines (transports saturés,
pollution de l’air, bruit, etc.) et sa
pratique, en complément des transports
en commun, doit s’étendre au profit de
tous les habitants.
Plusieurs arguments ont été avancés.
D’une part, les aménagements pour le
vélo seraient trop concentrés dans les
quartiers centraux, où circule de fait le
plus grand nombre de cyclistes. D’autre
part, en apaisant l’espace public, ils se­
raient un facteur d’augmentation des
prix de l’immobilier, parfois manié à
dessein par les élus pour attirer des po­
pulations aisées.
L’exemple décrit est celui de Lyon, où
l’usage du vélo se développe rapidement,
mais de façon resserrée dans les quar­
tiers centraux de la « zone 30 Presqu’île »
(de Perrache à la Croix­Rousse en passant
par le Vieux Lyon).
Tout d’abord, parler de gentrification
pour ces quartiers aisés et centraux est
paradoxal, puisque ce terme décrit une
transformation des quartiers populaires.
On ne peut pas reprocher simultané­
ment aux aménagements cyclables de se
limiter aux quartiers favorisés, et d’être
des facteurs de gentrification.
Un public plus favorisé
Plus fondamentalement, l’augmenta­
tion des prix de l’immobilier évinçant
les plus fragiles n’est pas le résultat des
aménagements cyclables, ni de l’amé­
lioration du cadre de vie ou de la transi­
tion écologique comme on peut parfois
l’entendre. Des prix élevés peuvent
d’ailleurs s’observer dans des commu­
nes où le vélo et l’environnement sont
le cadet des soucis des élus.
Et pour cause, ces prix sont d’abord le
résultat d’un phénomène économique :
la carence de l’offre par rapport à la
demande de logements, qui caractérise
les zones tendues. Pour y faire face, il est
nécessaire de mobiliser les outils de la
politique du logement, dont certains
sont spécifiquement adaptés aux mé­
tant qu’outil pour réguler le marché du
logement, un non­sens !
Si on ne peut accuser les cycles de favo­
riser les inégalités en ville, il reste une
difficulté finement décrite dans la tri­
bune de Matthieu Adam dans Le Monde.
Le vélo est effectivement utilisé dans les
centres­villes davantage que dans les pé­
riphéries, et par un public plus favorisé
que la moyenne. Face à ce constat, et
puisque le vélo est un facteur d’améliora­
LA DISCONTINUITÉ
DE CERTAINES PISTES
EN PÉRIPHÉRIE SERAIT
INCONCEVABLE POUR
LES AUTRES MODES
DE TRANSPORT,
COMME SI DES RUES
S’INTERROMPAIENT
SOUDAINEMENT
pes utilisateurs. Cela a été le cas pour le
vélo, depuis l’invention des premiers cy­
cles au début du XIXe siècle jusqu’à sa
très grande popularité à la Belle Epoque.
Créer des pistes à l’échelle régionale
Les sociologues Wiebe Bijker et Trevor
Pinch (The Social Construction of Facts
and Artefacts or how the Sociology of
Science and the Sociology of Technology
Might Benefit Each Other, 1984, Social
Studies of Science, Vol. 14, No. 3, p. 399­
441) ont montré qu’à ses débuts, la pe­
tite reine n’était utilisée que dans des
groupes sociaux restreints, aristocrates
puis sportifs. Ce n’est qu’au moment où
les innovations techniques ont permis
d’agréger les demandes de tous qu’elle
s’est diffusée largement. Le vélo a alors
atteint sa forme actuelle, qui combine
des pneus avec chambre à air souhaités
par les sportifs, des roues de taille égale
pour la stabilité, une chaîne pour limiter
l’effort, etc.
Aujourd’hui, les difficultés techniques
ne se situent plus dans l’objet, très sim­
ple d’utilisation, mais plutôt dans sa
pratique urbaine. Les trajets à vélo soulè­
vent encore des défis fonctionnels :
pistes cyclables de qualité, stationne­
ment suffisant et bien situé, transition
avec les autres modes de transport…
terrompaient soudainement devant
certains obstacles. Créer des pistes à
l’échelle régionale disposant d’une visi­
bilité, d’une continuité et d’un entretien
similaires aux lignes de transport est in­
dispensable pour faciliter l’usage du vélo
hors des centres­villes. C’est le but du
projet de RER­Vélo dans la région Ile­de­
France par exemple.
Pour en faire un outil adapté aux
longues distances, il faut simplifier les
trajets associant vélo et transports en
commun. Il est donc important de
développer des espaces de stationne­
ment sécurisés près des gares, comme
les récentes vélos­stations des gares de
Lyon et de Montparnasse à Paris. Ces
parkings à vélos doivent se généraliser,
être situés près des quais et devenir
accessibles sans abonnement. Il faut
continuer à adapter l’espace urbain à la
pratique du vélo, sans confondre cette
problématique avec celle des inégalités
et du logement pour lesquelles il existe
des outils spécifiques. 
Pamela Schwartz est urbaniste
à la Ville de Paris

Le projet de loi « climat » ravive la controverse

sur les amendements considérés comme cavaliers
Plusieurs amendements au projet de loi Climat et résilience ont été jugés irrecevables, alors qu’ils reprenaient des propositions de la convention
citoyenne sur le climat, s’indignent les députés Nouveaux Démocrates Delphine Bagarry, Emilie Cariou, Guillaume Chiche et Aurélien Taché

L
e projet de loi portant lutte
contre le dérèglement
climatique et le renforce­
ment de la résilience face à
ses effets ravive la controverse
autour du cavalier législatif et de
son utilisation. Un amendement
est considéré comme cavalier
dès lors qu’il introduirait des
mesures sans lien, même indi­
rect, avec le sujet dont traite le
projet de loi ou la proposition de
loi en cours de discussion.
Des amendements, portant sur
l’écoresponsabilité des entrepri­
ses ou encore sur l’adoption,
par la France, de l’objectif euro­
péen de réduction de 55 % des
émissions de gaz à effet de serre
d’ici à 2030, ont été déclarés
irrecevables pour ce motif. Ils
reprennent pourtant directe­
ment des propositions de la
convention citoyenne pour le cli­
mat, dont ce projet de loi est
censé être la traduction concrète.
L’absence de lien, même indi­
rect, avec le texte, apparaît alors
peu justifiable.
Ce n’est d’ailleurs pas la
première fois que le sujet relatif
aux amendements déclarés
irrecevables au titre de l’arti­
cle 45 de la Constitution, car ne
présentant pas de lien, même
indirect, avec le texte, provo­
que des débats houleux dans no­
tre chambre. Des craintes, jus­
tifiées, s’expriment quant à
l’utilisation abusive de cet outil
de contrôle par la majorité. Cette
polémique sur le musellement
des oppositions est, de surcroît,
largement alimentée par le choix
discutable d’imposer un temps
législatif programmé sur des
textes majeurs.
Et si les oppositions crient au
scandale démocratique, un débat
de fond n’en est pas moins légi­
time. D’abord parce qu’il touche à
l’une des missions essentielles
du Parlement, celle de faire la loi.
Ensuite parce qu’il est révélateur
d’un effet de bord délétère de la
réforme de l’internalisation du
contrôle a priori par l’Assemblée
nationale de la recevabilité des
amendements.
Opacité des arbitrages
Lorsque l’on s’en tient aux chif­
fres, la proportion d’amen­
dements irrecevables, car consi­
dérés comme des cavaliers
législatifs, est sensiblement la
même pour la majorité que pour
les groupes d’opposition. Mais
le fait est que, au sein de ces
amendements, l’absence de lien,
même indirect, avec le texte
est discutable.
L’article 45 de la Constitution
dispose que « tout amende­
ment est recevable en première
lecture dès lors qu’il présente un
lien, même indirect, avec le texte
déposé ou transmis ». Le règle­
ment de l’Assemblée nationale
– réformé par Richard Ferrand
en 2019, qui a fait sienne cette
doctrine dans son article 98
alinéa 6 – poursuivait un objectif
clair dans un souci d’« effi­
cacité » chère à La République en
marche : réduire la durée des
débats en séance et juguler l’in­
flation du nombre d’amende­
ments déposés.
L’objectif paraît louable. Seule­
ment, le Conseil constitutionnel
considère que les instances de
l’Assemblée n’ont pas l’obligation
de justifier des décisions
d’irrecevabilité liées à l’article 45.
Et c’est là que le bât blesse. Car
l’absence de motivation fait ré­
LA MAJORITÉ
UTILISE-T-ELLE, OUI
OU NON, LE MOTIF
D’IRRECEVABILITÉ
DES AMENDEMENTS
POUR MUSELER
LES OPPOSITIONS ?
LA QUESTION
PEUT LÉGITIMEMENT
SE POSER
gner l’opacité autour des critères
et arbitrages permettant de quali­
fier ce motif d’irrecevabilité.
Si la recevabilité financière des
amendements se fonde sur des
bases concrètes et opposables, en
l’absence de critères objectifs,
l’existence d’un lien indirect reste
soumise à l’arbitraire, écartant
toute possibilité, pour les dépu­
tés et députées de s’assurer de
son bien­fondé. Nombreux sont
les élus de tous bords qui ont fait
les frais d’une application extrê­
mement stricte et à maints
égards contestables de l’article 45
de la Constitution, sur les cava­
liers législatifs. Sans explications
claires, impossible donc, pour les
députés de reprendre et de retra­
vailler leurs amendements pour
les soumettre à nouveau aux ins­
tances de l’Assemblée.
La majorité utilise­t­elle, oui ou
non, ce motif d’irrecevabilité
pour museler les oppositions ? La
question est sensible certes et
peut légitimement se poser.
Mais, sans preuve tangible
toutefois, l’alimenter ne fait que
renforcer la suspicion sans
apporter de réponses concrètes.
Car le fond du sujet est que cette
opacité constitue une entrave
majeure à l’exercice constitution­
nel du droit d’amendement des
parlementaires.
In fine, c’est la qualité des
débats et du travail législatif qui
en pâtit en écartant de facto des
sujets cruciaux qui mériteraient
un débat ouvert et contradic­
toire. Ce fut le cas pour certains
amendements relatifs au burn­
out lors de l’examen de la propo­
sition de loi visant à renforcer la
prévention en santé au travail…
Ou encore sur les dérives de
groupuscules survivalistes dans
le cadre du projet de loi
confortant le respect des princi­
pes de la République.
Demande d’explications
Si le Parlement est le lieu où l’on
vote la loi, c’est avant tout celui
où l’on se parle. L’essence même
de la fonction du député est de
faire la loi, de la construire par un
débat qui se doit d’être aussi ap­
profondi que contradictoire et
ouvert. Gardons en tête le mot de
Clemenceau, qui répondait à ce
sujet au général Boulanger, un
certain 4 juin 1888 à la Chambre
des députés : « Ces discussions ont
leurs inconvénients, le silence en a
davantage. Oui ! Gloire aux pays
où l’on parle, honte aux pays où
l’on se tait. »
En touchant à l’essence du Par­
lement, on touche aux fonde­
ments de notre démocratie. Ce
seul constat devrait suffire à
ouvrir la réflexion d’une évolu­
tion du droit parlementaire. Sans
renoncer à la rationalisation du
débat parlementaire, sans ouvrir
la possibilité aux jeux d’obstruc­
tion et compte tenu du très grand
nombre d’amendements dépo­
sés, pourquoi, ne pas simplement
proposer qu’un député puisse de­
mander une fois par an, sur deux
amendements de son choix dé­
clarés irrecevables, une explica­
tion écrite et argumentée ?
Renforcer la transparence du
contrôle a priori de la recevabilité
viendrait, d’une part, mettre un
point d’arrêt aux suspicions en
écartant toute polémique d’une
utilisation politique du cavalier
législatif. Elle offrirait, d’autre
part, la possibilité d’améliorer la
qualité et la fluidité du travail par­
lementaire en permettant aux
députés de rectifier en connais­
sance de cause la rédaction de
leurs amendements irrecevables.
Le débat est ouvert. 
Delphine Bagarry, députée
des Alpes-de-Haute-Provence,
est la trésorière des Nouveaux
Démocrates ;
Emilie Cariou, députée
de la Meuse, est coprésidente
des Nouveaux Démocrates ;
Guillaume Chiche,
député des Deux-Sèvres,
est le porte-parole des
Nouveaux Démocrates ;
Aurélien Taché, député
du Val-d’Oise, est coprésident
des Nouveaux Démocrates
 0123
26 | idées JEUDI 1ER AVRIL 2021

Véronique Margron
Toute l’Eglise porte une responsabilité collégiale
dans les agressions sexuelles
« Des vies ont été empêchées, mutilées, parfois pour répondre et d’eux­mêmes et de leurs
crimes. Par action ou par omission. La
toujours », explique la théologienne et présidente responsabilité est ici décision, appel irré­
de la Conférence des religieux et religieuses futable devant le visage sans défense.
L’auteur porte la responsabilité person­
de France, qui appelle à une indispensable éthique de nelle – pénale – de la violence qu’il a fait
responsabilité de l’Eglise. Et à « réparer l’irréparable » subir. Des ecclésiastiques portent une
responsabilité pénale pour avoir couvert
des crimes et soustrait à la justice des
De quoi sommes­nous responsables,
devant qui et de qui le sommes­nous ?
« Qui dit vocation dit responsabilité, et la
responsabilité étant une réponse entière
de l’homme entier à la réalité entière,
on ne saurait s’en tenir à son devoir pro­
fessionnel au sens restrictif ; une restric­
tion pareille serait de l’irresponsabilité »
(Dietrich Bonhoeffer, Ethique, 1949). De
– enfants, adultes – ont été meurtris jus­
qu’au tréfonds de la chair comme de l’es­
prit, de l’âme, de l’intime. La Parole de
Dieu a été tordue pour servir les inten­
tions les plus viles. La Tradition détour­
née par des théologies hallucinantes.
Des manipulateurs ont usé de l’autorité
que Dieu leur conférait – disaient­ils –
pour fracasser des enfances, des

C
elui qui est resté passif sait qu’il
s’est moralement rendu coupable
chaque fois qu’il a manqué à l’ap­
pel, faute d’avoir saisi n’importe
quelle occasion d’agir pour protéger ceux
qui se trouvaient menacés, pour diminuer
l’injustice, pour résister. »
Cette parole du philosophe Karl Jaspers
(1883­1969), à propos de la « culpabilité
allemande », dit pourquoi l’Eglise catho­
lique ne peut pas ne pas reconnaître sa
responsabilité dans les abus spirituels,
les agressions sexuelles et les viols com­
mis par certains de ses membres. Res­
ponsabilité dans le climat, voire le sys­
tème, qui les a couverts, déniés, minimi­
sés. Système qui aura ignoré, parfois
dénigré les victimes et leurs proches,
considérés comme la cause du scandale.
Les évêques de France, le 26 mars, ont
clairement assumé la responsabilité de
l’Eglise, « devant la société, en demandant
pardon pour ces crimes et pour ces dé­
faillances ». C’est un pas décisif. De son
côté, la Commission indépendante sur
les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) en­
tame la rédaction du rapport qu’elle li­
vrera à l’automne – rapport essentiel à la
nomination et la compréhension de
l’ampleur des crimes commis. L’Eglise
devra beaucoup à l’immense travail ac­
compli par cette commission, comme
elle doit plus encore aux victimes qui ont
surmonté leur peur de ne pas être enten­
dues, leur sentiment de honte, pour
prendre la parole et réclamer l’engage­
ment de l’institution, la reconnaissance
du mal commis, la mesure du mal subi.
Répondre de la vie des victimes
Qu’est­ce qui oblige à la responsabilité ?
L’authentique sensibilité au mal. Il ne
s’agit pas seulement de répondre de soi,
mais de répondre devant l’autre des fau­
tes et des souffrances, de l’irréparable
subi par l’enfant, l’adolescent violenté,
l’adulte trahi dans sa confiance, fracassé
en son âme autant qu’en son corps. Tous
ceux qui exercent une charge dans
l’Eglise catholique sont assignés à la res­
ponsabilité. A répondre de la vie des per­
sonnes victimes – vies martyrisées par le
mensonge, la séduction vénéneuse, la lâ­
cheté, la désinvolture, le refus de voir.
La responsabilité morale ne relève pas
de la réciprocité mais d’une dissymétrie
envers l’humain vulnérable. Il s’agit de
nous tenir pour responsables et pas
seulement d’être considérés – à raison
d’ailleurs – responsables par celles et
ceux qui nous font confiance. La respon­
sabilité n’est pas imputée simplement
par autrui : elle relève de la décision
de s’engager corps et âme à répondre à
quelqu’un. Qu’il me le demande ou pas.
Y compris pour ceux qui ont refusé de
membres coupables d’actes ignomi­
nieux dans le cadre de leurs activités reli­
gieuses. Tous ceux­là ont à répondre au
juge « de quoi » ils sont responsables.
Mais c’est bien toute l’Eglise, en ses auto­
rités avant tout, qui porte une « respon­
sabilité collégiale » (selon les mots de
la philosophe Nathalie Sarthou­Lajus),
où chacun est impliqué d’avoir entre­
tenu le terreau infecté facilitant les abus
de pouvoir, de conscience, comme les
agressions et violences sexuelles.
S’AVOUER
RESPONSABLE,
C’EST CHANGER
DE POSITION.
C’EST DIMINUER
EN PRÉTENTION
MORALE, EN
SUPERBE SPIRITUELLE.
C’EST DEVENIR
PLUS MODESTE
qui sommes­nous aujourd’hui respon­
sables ? Sinon justement de toutes les
victimes, connues ou non, de leurs pro­
ches, affectés ô combien ; du visage du
Christ doux et humble, ami et défenseur
des plus petits. Visage trahi, humilié par
ceux­là mêmes ayant un jour publique­
ment signifié qu’ils lui vouaient leur vie.
Rendre publiquement des comptes
S’avouer responsable, c’est changer de
position. C’est diminuer en prétention
morale, en superbe spirituelle. C’est de­
venir plus modeste car c’est accepter de
rendre des comptes. Et c’est ce qui se
passera avec le rapport de la Ciase : ren­
dre publiquement des comptes. Voilà
la première des obligations, des répara­
tions. Si d’aucuns ont pu croire que
c’était devant Dieu seul – au mépris de
la justice des hommes – que se ren­
daient les comptes, c’est face aux victi­
mes, à leurs proches, devant l’ensemble
du peuple de Dieu et du monde que
l’Eglise doit le faire et manifester sa
honte et sa douleur. Car notre responsa­
bilité est aussi spirituelle. Le christia­
nisme annonce un Dieu qui bénit
l’homme vivant, relève, libère. Un Dieu
qui restaure l’humaine dignité de celles
et ceux qui sont écartés par le système
social, les croyances de l’époque : fem­
mes, enfants, malades… Dans l’Eglise ca­
tholique, des femmes et des hommes
consciences, des confiances. Cette res­
ponsabilité spirituelle est immense. Elle
nous met devant Dieu qui nous convo­
que à être devant tous et reconnaître ce
qui a été corrompu de la foi au Dieu fait
chair, engagé en faveur des plus fragiles.
Enfin, l’éthique des responsabilités
engage à réparer ce qui n’est pourtant
pas réparable. Des interdits majeurs ont
été transgressés : celui du meurtre, du
mensonge, de la dissymétrie entre le
faible et le fort. Des vies ont été empê­
chées, mutilées, parfois pour toujours.
Alors oui, il faut réparer l’irréparable,
avec la conscience qui doit nous laisser
meurtris que de l’irréparé demeurera.
La vérité sur la faute fonde le christia­
nisme. Ainsi l’Eglise catholique peut­elle
sortir plus vraie, plus juste si elle sait al­
ler jusqu’où cela s’imposera, et que nous
ne connaissons pas encore. 
Véronique Margron est une
religieuse dominicaine et une
théologienne ; elle est la présidente
de la Conférence des religieux et
religieuses de France (Corref). Elle
a notamment écrit « Un moment de
vérité, les abus sexuels dans l’Eglise »
(Albin Michel, 2019)

Ya-Han Chuang « La minorité asiatique demeure, à bien des

égards, comme un corps étranger à la communauté nationale »
La sociologue d’origine taïwanaise détaille les ambiguïtés des stéréotypes visant les immigrés asiatiques en Occident

ENTRETIEN laire et professionnelle des des­ vre commence par le meurtre de plus gros flux d’immigrants lé­ curité et Etat de droit », alors que ralisation d’une conscience anti­

N
ée à Taïwan, la sociologue
et chercheuse à l’Institut
national d’études démo­
graphiques (INED) Ya­Han
Chuang est arrivée en France
en 2009. Son enquête de terrain,
Une minorité modèle ? Chinois de
France et racisme anti­Asiatiques
(La Découverte, à paraître en avril),
se penche sur un mécanisme d’es­
sentialisation encore peu étudié.
Les Asiatiques, en France
et ailleurs, sont considérés
comme une « minorité
modèle », selon la formule
de Nicolas Sarkozy. Qu’est­ce
que cela veut dire ?
Aux Etats­Unis, cette étiquette
repose sur un constat : les statisti­
ques montrent une proportion
importante d’Asiatiques dans les
universités d’élite et leur revenu
moyen est bien plus élevé que la
moyenne nationale. Après la se­
conde guerre mondiale, un nom­
bre important d’étudiants asiati­
ques (Japonais, Taïwanais, Chi­
nois, Coréens) sont arrivés. Leur
capital culturel a permis une inté­
gration rapide dans la classe
moyenne supérieure.
En France, il y a peu de donnés
empiriques. L’enquête TeO de
l’INED a démontré la réussite sco­
cendants d’immigrés d’Asie du
Sud­Est issus des boat people arri­
vés dans les années 1970 et 1980.
Les Chinois qui arrivent massive­
ment en France à partir des an­
nées 1980 ont un capital culturel
plus faible que ceux qui ont émi­
gré aux Etats­Unis, mais beau­
coup de ceux de la première
génération sont commerçants, ce
qui permet à M. Sarkozy de par­
ler, en 2010, de « modèle d’inté­
gration réussie ». « Vous incarnez
la valeur travail, qui m’est chère »,
avait­il dit à l’occasion du Nouvel
An lunaire.
Pourquoi est­ce discriminant ?
Le stéréotype veut que l’Asiati­
que soit travailleur, réussisse,
mais il est aussi associé à des ca­
ractéristiques plus négatives : do­
cile, discret, sournois… La mino­
rité en France a beau être perçue
comme modèle en termes écono­
miques, elle demeure, à bien des
égards, comme un corps étranger
à la communauté nationale. C’est
un outil à double tranchant, qui
contribue à enfermer les popula­
tions asiatiques dans des repré­
sentations figées de « com­
merçants qui réussissent » – les
agressions étant l’une des con­
séquences les plus violentes de
ces stéréotypes positifs. Mon li­
Chaolin Zhang, en 2016, à Auber­
villiers, mais les agressions très
violentes qui visent les Chinois
ne sont pas une nouveauté.
Vous écrivez que les Français
d’origine asiatique sont moins
soumis à l’injonction d’accultu­
ration que les migrants des
anciennes colonies. Pourquoi ?
Les Chinois constituent, après
les Marocains et les Algériens, le
LE STÉRÉOTYPE
VEUT QUE
L’ASIATIQUE SOIT
TRAVAILLEUR ET
RÉUSSISSE, MAIS
IL EST AUSSI
ASSOCIÉ À DES
CARACTÉRISTIQUES
PLUS NÉGATIVES :
DOCILE, DISCRET,
SOURNOIS…
gaux en France. Mais les ancien­
nes colonies d’Afrique font partie
de l’histoire française, alors
qu’avec la Chine il y a moins
d’échanges, il y a une distance
culturelle, qui renforce « l’étran­
geté » extrême de cette popula­
tion, c’est plus opaque. Et l’inté­
gration culturelle est très éloi­
gnée des préoccupations des
immigrés : quand ils viennent ici,
et surtout quand ils sont soumis
à la clandestinité, la priorité, c’est
la survie. Les membres de la pre­
mière génération se sentent mé­
prisés, de ne pas bien parler la
langue, notamment, mais ils sont
dans l’incapacité de nommer
l’expérience du racisme.
Est­ce aussi la raison pour
laquelle ils seraient « une mi­
norité modèle » ?
Oui, mais les premières mobili­
sations, à Belleville et à Auber­
villiers, en 2010 et en 2011, à la
suite d’agressions contre des Chi­
nois de première génération, ont
commencé à forger la conscience
d’un destin communautaire.
Mais ils ont une distance par rap­
port au répertoire d’action
conventionnel, qui leur permet
aussi de réinterpréter la situation
et de sortir du jargon militant.
Par exemple, ils réclament « sé­
le terme de « sécurité » est très
connoté à droite. Dénoncer le ra­
cisme tout en demandant plus de
police et de caméras de sur­
veillance, ce n’est pas conven­
tionnel. Aujourd’hui, le champ
s’est encore diversifié. Certains
collectifs sont concentrés sur des
problèmes d’insécurité, dans une
logique ethnocentrée, pour créer
un réseau d’entraide entre Asiati­
ques. D’autres sont dans une dé­
marche de convergence des lut­
tes. Ils vont dans les manifesta­
tions de Black Lives Matter, les
rassemblements antiracistes. On
assiste à l’émergence d’une cons­
cience politisée qui va au­delà de
la demande de protection.
Comment la pandémie a­t­elle
agi sur la question ?
Le virus, qui associe les deux re­
présentations négatives de la
Chine – à la fois comme pays ar­
riéré et comme puissance mena­
çante –, a fait ressortir des senti­
ments xénophobes et le vieux
fantasme du « péril jaune ». On
refusait de s’asseoir à côté de moi
dans le métro. Le 26 janvier, Le
Courrier picard titrait « Alerte
jaune », et la mobilisation a tout
de suite suivi, avec le hashtag #je­
nesuispasunvirus, qui a été très
médiatisé. Cela a permis la géné­
raciste. Aux Etats­Unis, entre
mars et août 2020, 2 500 agres­
sions de personnes asiatiques
ont été recensées, dans un climat
de haine encouragé par le prési­
dent lui­même, M. Trump parlant
ouvertement de « virus chinois ».
Les fusillades d’Atlanta,
le 16 mars, n’ont pas été
reconnues comme un crime
raciste, bien que six victimes
sur huit soient asiatiques.
A l’international, elles sem­
blent avoir été accueillies dans
une relative indifférence.
Qu’en pensez­vous ?
En France, le racisme anti­Asia­
tiques commence à entrer dans le
champ des organisations antira­
cistes, mais il n’est pas encore
tout à fait légitime. Ce faible inté­
rêt révèle aussi que le racisme an­
ti­Asiatiques est moins pris au sé­
rieux de manière générale. Les
stéréotypes passent encore pour
« positifs » ou « drôles ». Même la
supposée désirabilité des femmes
asiatiques pourrait être inter­
prétée comme un cliché positif,
alors qu’en fait c’est rabaissant et
essentialisant. On n’associe pas
les Asiatiques à des potentielles
victimes de racisme. 
propos recueillis par
valentine faure
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 idées | 27

ASSIMILATION
dentelles », de mettre des chapeaux, de faire
baptiser leurs enfants sous d’autres noms
que ceux tirés de l’« idiome africain », de s’as­
sembler « sous prétexte de noces », de danser
sans la permission des officiers de l’adminis­
tration ou de prendre la qualification de
« Monsieur » ou de « Madame ». « La grande
peur des Blancs des Antilles est nommée “assi­
milation” », résume Abdellali Hajjat.
Développé sous la IIIe République comme condition nécessaire
à la naturalisation, ce terme, au contraire de celui d’« intégration », implique Priorité aux « races sœurs »
Le véritable âge d’or de la notion d’assimila­
l’abandon des différences pour se fondre dans le creuset national. Relégué tion est cependant beaucoup plus tardif. Dans
au second plan dans les années 1980, il revient dans le débat public une recherche lexicométrique qui mesure la
fréquence de ce mot depuis le XVIIIe siècle
dans les ouvrages francophones (romans,
HISTOIRE D’UNE NOTION des générations, les populations issues de l’im­
migration se rapprocheront de plus en plus
essais, thèses, littérature grise), François
Héran, professeur au Collège de France, mon­
ments d’origine étrangère vraiment assimila­
bles et susceptibles de s’y fondre rapidement à
la deuxième génération, tant en raison de la
naissance et de l’éducation sur le même sol de
France que d’une consanguinité fréquente de
race et des alliances avec des familles françai­
ses ». La priorité est alors donnée aux « races
sœurs » au détriment de ceux qu’on appelle
alors les « Orientaux » ou les « Levantins ».
Si notre droit de la nationalité est, au­
jourd’hui encore, fidèle à cette tradition assi­
milationniste – « Nul ne peut être naturalisé
s’il ne justifie de son assimilation à la commu­
nauté française », précise le code civil –, le
terme, à partir des années 1980, a été dé­
trôné, dans le débat public, par celui d’« inté­
gration ». Ce processus suppose, non pas la
suppression des spécificités culturelles, mais

E
n ce début d’année 2021, trois ouvra­
ges – Eloge de l’assimilation (Editions
du Rocher, 248 p., 18 €), de Vincent
Coussedière, Assimilation, en finir
avec ce tabou français (Editions de l’Observa­
toire, 96 p., 10 €), de Lydia Guirous, et Le Rêve
de l’assimilation (Passés composés, 352 p.,
22 €), de Raphaël Doan – témoignent du retour
en grâce, ces dernières années, d’une notion
qui, depuis les années 1980, était devenue
quelque peu désuète. Un engouement parta­
gé par une partie du monde politique : notam­
ment Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, qui
ont beaucoup célébré les mérites de ce proces­
sus « indispensable à la cohésion de la nation ».
Empruntée aux sciences naturelles, l’assi­
milation désigne une théorie qui a « dominé
la littérature sur l’immigration pendant une
grande partie du XXe siècle », souligne la so­
ciologue Mirna Safi dans la Revue française de
sociologie. « Elle anticipe qu’au fil du temps et
des natifs jusqu’à devenir indiscernables. » Ce
processus, résume le sociologue Abdelmalek
Sayad, consiste à « passer de l’altérité la plus
radicale à l’identité la plus totale ». Ironie de
l’histoire : les hommes qui ont transposé
pour la première fois ce terme biologique
dans le monde social voulaient non pas
favoriser l’harmonisation culturelle, mais
consolider les frontières entre les races. Selon
le sociologue Abdellali Hajjat, auteur des
Frontières de l’« identité nationale ». L’injonc­
tion à l’assimilation en France métropolitaine
et coloniale (La Découverte, 2012), le terme
apparaît en effet, au XVIIIe siècle, dans les so­
ciétés esclavagistes des Antilles qui craignent
« l’assimilation des gens de couleur avec les
personnes blanches ».
Terrifiées à l’idée que les esclaves affranchis
se confondent un jour avec les Blancs, les
autorités coloniales interdisent ainsi aux
« mulâtres libres » de porter des « soieries et
tre que l’expression « assimilation des étran­
gers » prend son essor sous la IIIe République.
« Ralentie par les crises économiques et les
guerres mondiales, elle culmine en 1929 et
LA CRAINTE DE  en 1949 », note­t­il. Sous la IIIe République, le
L’ISLAM POLITIQUE  mot « assimilation » est associé aux politiques
menées dans les colonies. Si les « indigènes »
ET LA HANTISE DE  veulent acquérir la nationalité française, ils
doivent prouver qu’ils respectent les « critères
LA FRAGMENTATION  de civilisation » élaborés par l’administration
coloniale. En Indochine, les candidats à la na­
CULTURELLE ONT  turalisation sont ainsi sommés de démontrer
DONNÉ UNE  qu’ils « s’habillent à la française », qu’ils ont
adopté la « politesse française » et que leur ha­
DEUXIÈME JEUNESSE  bitation est « aménagée à la française (salon,
bureau de travail, chambre à coucher, etc.) ».
AU CONCEPT  En 1927, l’assimilation entre dans le vocabu­
laire juridique de la métropole en devenant,
là encore, une condition d’accès à la naturali­
sation. Hantée par le spectre de la dépopula­
tion, la France souhaite accueillir « les élé­
leur intégration dans un « projet commun »
qui, au nom du « vivre­ensemble », met l’ac­
cent sur « les ressemblances et les convergen­
ces dans l’égalité des droits et des devoirs ».
Depuis le début des années 2000, la crainte
de l’islam politique et la hantise de la frag­
mentation culturelle ont cependant re­
donné à la notion d’assimilation une se­
conde jeunesse. « Face à une immigration de
plus en plus perçue comme une menace, cons­
tate François Héran, le législateur met la
barre toujours plus haut : pour être naturali­
sés, les étrangers doivent désormais adhérer
aux valeurs de la République, laïcité en tête, et
non plus seulement parler français et avoir un
emploi. Depuis la campagne présidentielle de
2017, certains programmes politiques rêvent
en outre de placer la barre toujours plus tôt, en
exigeant un engagement à s’assimiler dès
l’entrée sur le territoire. » 
anne chemin

CHRONIQUE  | PAR PAUL SEABRIGHT UN REGARD SUR LE BASCULEMENT DU MONDE

Des vertus sociales LIVRE – une idée qu’il affirme emprun­
ter à l’Américain Henry Kissin­
plus par des raisons électoralistes
que stratégiques. Sa dénonciation

chez les cachalots K ishore Mahbubani, un

universitaire et diplomate
singapourien, récidive.
Deux ans après la publication de
L’Occident (s’)est­il perdu ? (Fayard),
ger – et qu’ils sont incapables de
se penser en challenger et non
plus en leader. Pourtant, dit­il, les
Etats­Unis sont bel et bien failli­
bles. Leur talon d’Achille : le dollar.
du « China bashing » des centres
de réflexion, qui rend politique­
ment incorrecte toute tentative
de compréhension de la Chine,
est également convaincante.

L a capacité d’apprentissage so­

cial est une compétence que les
anthropologues accordent à
l’espèce humaine mais dont ils pen­
saient, jusqu’à récemment, qu’il y
avait peu de prototypes chez d’autres
espèces. De plus en plus d’exemples
sont répertoriés − principalement
chez des singes ou chez certains
oiseaux − où des individus copient le
comportement de leurs aînés ou de
leurs pairs. Une nouvelle espèce est
désormais proposée comme modèle
de compétence, et ce plus particuliè­
rement dans le domaine d’un com­
portement protecteur contre les pré­
dations de l’homme. Il s’agit des ca­
chalots, sujet d’un article fascinant
paru ce mois­ci dans une revue de
biologie (« Adaptation of Sperm Wha­
les to Open­boat Whalers : Rapid So­
cial Learning on a Large Scale ? », Hal
Whitehead, Tim D. Smith et Luke Ren­
dell, Biology Letters, mars 2021).
Les auteurs s’appuient sur les archi­
ves de baleiniers américains dans
l’océan Pacifique Nord au cours du
XIXe siècle. Ils en ont extrait un échan­
tillon de 77 749 jours de voyage, dont à
peu près 3 % ont donné lieu à des re­
pérages de cachalots. En observant
pour chaque repérage si le baleinier a
réussi à capturer l’animal, les auteurs
constatent une chute rapide du taux
de réussite pendant les cinq à dix an­
nées qui ont suivi la première exploi­
tation de chaque région de l’océan. Il
semble que les baleiniers sont deve­
nus moins efficaces dans la chasse, ou
les cachalots plus efficaces dans la
fuite. Mais pourquoi, et comment ?
Les auteurs établissent quatre hypo­
thèses alternatives. La première : ce
serait des baleiniers moins efficaces
qui exploitaient chaque région en sui­
vant avec du retard les premiers, plus
entreprenants. Mais en regardant le
taux de réussite de ces deux groupes
de baleiniers dans d’autres régions du
Pacifique, les auteurs ne constatent
pas de différence systématique.
IL SERAIT POSSIBLE  tre l’apprentissage individuel, la bais­
QUE LES CACHALOTS  se d’efficacité des baleiniers dans le
VICTIMES DES BALEINIERS  moins agiles. Reste qu’aucun de ces
AIENT PU COMMUNIQUER  pliquer la totalité de la chute. A n’en
AVEC D’AUTRES  pas douter, ces chiffres inspireront sû­
INDIVIDUS ÉLOIGNÉS
Deuxième hypothèse : ce serait les
cachalots les plus faibles qui succom­
bent à la chasse en premier, laissant
les plus agiles et malins affronter les
chasseurs lors des expéditions sui­
sous­titré : Une provocation, l’an­
cien ambassadeur de son pays aux
Nations unies franchit un pas sup­
plémentaire avec Has China Won ?,
traduit en français par un prédictif
« La chose la plus dangereuse que
Trump ait faite a été d’inciter les
autres pays à cesser de compter sur
la devise américaine comme mon­
naie de réserve mondiale », écrit­il.
Xi Jinping, président « modéré »
Le problème est que Kishore Mah­
bubani n’a pas le même recul vis­
à­vis de la Chine. A le lire, non seu­
vantes. Cette hypothèse ne semble Le Jour où la Chine va gagner. Pour L’essor à grande vitesse d’un yuan lement ce pays n’a aucune vo­
pas capable d’expliquer une chute LE JOUR OÙ LA CHINE  lui, la domination de l’Occident numérique renforce cette analyse. lonté hégémonique, mais plus il
aussi brutale du taux de réussite, au VA GAGNER sur le monde durant deux siècles Pour cet habitué des forums est puissant, moins il cherche à
vu de la proportion typique de ca­ de Kishore Mahbubani, est une « aberration » qui prend fin économiques de Davos, la Chine influencer les autres. De même ne
chalots immatures ou âgés dans la Saint-Simon, sous nos yeux. En 1950, le produit n’a commis qu’une erreur : s’être voit­il que des avantages au fait
population. 316 pages, 23 euros. intérieur brut (PIB) des Etats­Unis mis à dos les hommes d’affaires que Xi Jinping, qu’il qualifie de
Troisième hypothèse : les cachalots représentait 27 % du PIB mondial. américains en n’offrant pas aux « modéré » et de « non­interven­
apprennent d’une première rencon­ Il en représente 15 % aujourd’hui. entreprises étrangères des condi­ tionniste », puisse être président à
tre avec des baleiniers comment Dans le même temps, celui de la tions de concurrence équitables. vie. C’est, selon lui, un gage de sta­
mieux s’en évader lors de prochaines Chine est passé de 4,5 % à 18,6 % Résultat, quand Trump est parti bilité que la Chine offre au monde.
rencontres. Cela semble peu suscepti­ (en parité de pouvoir d’achat). en guerre contre la Chine, aucune Son panégyrique de la Chine et du
ble d’expliquer la chute du taux de Comment croire un instant que voix ne s’est vraiment élevée aux Parti communiste chinois est tel
réussite au vu de la faible proportion cela n’a aucune conséquence sur Etats­Unis. que le livre décevra ceux qui espé­
de la population totale de cachalots l’équilibre du monde ? Spécialiste des relations sino­ raient un regard équilibré sur la
repérée chaque année. La domination chinoise est américaines, très à l’aise dans les rivalité des deux grands. Néan­
d’autant plus certaine, selon cet arcanes de Washington, Kishore moins, son analyse sur le bascule­
Méthode différente face aux orques ancien ambassadeur à Washing­ Mahbubani n’en est pas moins ment du monde et donc sur l’ave­
Quatrième hypothèse : il serait possi­ ton, que les Etats­Unis n’ont ja­ critique à l’égard des Etats­Unis, nir des démocraties mérite am­
ble que les cachalots victimes d’agres­ mais pris la peine d’élaborer une notamment de leur budget mili­ plement d’être méditée. 
sion par des baleiniers aient pu com­ véritable stratégie face à la Chine taire extravagant, qui s’explique frédéric lemaître
muniquer avec d’autres individus
éloignés par leur système de vocalisa­
tions, dont on apprend à apprécier da­
vantage la sophistication. Ce système
leur aurait servi à diffuser plus large­
ment leur détresse, ainsi que des con­
L’agonie de George Floyd | par serguei
seils aux autres sur comment l’éviter
dans des affrontements futurs. Les ca­
chalots avaient déjà acquis une mé­
thode pour se protéger contre les or­
ques, consistant à se mettre en cercle
défensif afin de coordonner le dé­
ploiement de leurs queues contre les
museaux des prédateurs. Cette mé­
thode aurait été catastrophique con­
tre les baleiniers, rendant les cacha­
lots encore plus vulnérables à leurs
harpons. Il aurait donc suffi que les ca­
chalots apprennent à réagir différem­
ment face aux baleiniers et aux or­
ques pour que le taux de réussite des
premiers baisse aussi rapidement.
Les évidences mises en avant par les
chercheurs sont loin d’être une preuve
définitive de l’apprentissage social de
méthodes de défense par cette espèce
de cétacés. Même si on écarte les dou­
tes sur la fiabilité des données, la
baisse du taux de réussite pourrait
être le résultat d’une combinaison en­
temps et l’élimination d’individus
trois mécanismes n’est capable d’ex­
rement d’autres études sur le contenu
de ce langage si mystérieux. 

28 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
Au secours,
l’Amérique revient !
O LA RAISON POUR
n en bave d’envie ou,
selon les tempéra­
ments, on en pleure
de dépit. Alors qu’à
Washington le président Joe Bi­
den annonçait fièrement, jeudi
25 mars, qu’il doublait son objec­
tif de vaccination pour le porter à
200 millions d’Américains pen­
dant les cent premiers jours de sa
présidence, les dirigeants euro­
péens, réunis en visioconférence,
perdaient des heures à tenter de
convaincre le chancelier autri­
chien, Sebastian Kurz, que non, la
priorité n’était pas de redistribuer
des doses à son pays sous prétexte
qu’il avait mal calculé la réparti­
tion des vaccins choisis. Ainsi
vont l’Union européenne (UE) et
son mode de gestion collective.
Depuis, Joe Biden a fait encore
mieux : d’ici au 19 avril, dit­il à
présent, 90 % des adultes améri­
cains qui le souhaitent doivent
pouvoir être vaccinés. Les Euro­
péens ont fini par comprendre
pourquoi les Etats­Unis sont
inondés de vaccins, qu’ils gardent
jalousement, alors qu’eux, terre
de laboratoires et d’usines phar­
maceutiques, gèrent la pénurie –
solidairement certes, mais chi­
chement. La raison tient en deux
mots : l’audace et le risque.
Emmanuel Macron l’a compris
aussi. Un peu tard sans doute,
mais il croit que tout n’est pas
perdu, qu’il peut encore convain­
cre ses partenaires européens
pour le coup d’après. L’audace
que l’Europe n’a pas eue, alors que
des scientifiques travaillaient
dessus dans ses propres labora­
toires, c’est d’imaginer qu’un vac­
cin anti­Covid­19 pouvait être dé­
veloppé en moins d’un an, là où
d’ordinaire il en faut dix. « On n’a
pas pensé que ça irait aussi vite », a
reconnu le président français à la
télévision grecque.
Et le risque que l’UE n’a pas pris,
c’est celui d’investir massivement
dessus, quitte à perdre son argent.
Macron, encore : « Les Américains
ont eu le mérite, dès l’été 2020, de
dire : “On met le paquet et on y va”.
Et le “quoi qu’il en coûte” qu’on a
appliqué pour les mesures d’ac­
compagnement, eux l’ont appliqué
pour les vaccins et la recherche. »
Rattraper son retard
On ne le souligne pas trop, car c’est
un mauvais souvenir, mais à l’été
2020, Donald Trump était aux
commandes. Et on ne peut pas lui
reprocher de ne pas avoir le goût
du risque. Il a mis 14 milliards de
dollars (près de 12 milliards d’eu­
ros) de financement fédéral sur
l’opération Warp Speed, qui a per­
mis aux laboratoires pharmaceu­
tiques de développer des vaccins à
la vitesse de l’éclair sans se soucier
de perdre de l’argent. La Chine et la
Russie elles aussi ont « mis le pa­
quet » – le Fonds souverain russe
et son patron, Kirill Dmitriev, ont
été totalement redirigés sur
l’opération Spoutnik V – mais le
manque de transparence mine la
confiance dans leurs vaccins.
L’UE essaie aujourd’hui de rat­
traper son retard. Thierry Breton,
le commissaire au marché inté­
rieur, veut que l’industrie phar­
maceutique mette les bouchées
doubles : cinquante­trois usines
devraient être capables de pro­
duire, à la fin 2021, 2 à 3 milliards
de doses, suffisamment pour
vacciner 450 millions d’Euro­
LA MENACE DE  2020, au prix d’un remarquable
L’AGGRAVATION D’UN  revirement à Berlin, et souvent
DÉCROCHAGE ENTRE  çaise à vouloir dépenser avant
L’UE ET LES ÉTATS­UNIS,  que passer à la vitesse supérieure
DÉJÀ EXISTANT AVANT  demande de l’ambition. C’est
LA CRISE, EST RÉELLE
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
FACE AU COVID, 
LA SOLITUDE 
Le rapport de force s’est, depuis, radicale­ les et se demande si son chef n’a pas perdu
DU PRÉSIDENT
ment inversé. En s’affranchissant, à la fin
du mois de janvier, des recommandations
du conseil scientifique, qui préconisait un
ce qui ressemble à un pari.
Certes, l’envolée des hospitalisations que
certains scientifiques annonçaient pour la
confinement strict sur une période de qua­
tre semaines à partir du début du mois de
février, Emmanuel Macron a spectaculaire­
mi­février ne s’est pas produite. En revan­
che, la tension actuelle dans les services de
réanimation suscite une légitime interroga­
ment coupé le cordon. Les scientifiques en tion sur la pertinence des choix faits depuis
ont, bon gré mal gré, pris acte et, de façon cette date. Aux critiques de l’opposition
 
tout aussi explicite, ils ont renvoyé au chef s’ajoutent désormais celles d’une partie du
de l’Etat la monnaie de sa pièce : priés de corps médical, qui accuse l’exécutif d’avoir
LAQUELLE LES  dire s’il est ou non raisonnable d’organiser un train de retard dans la prise de décision,
les élections régionales en juin prochain, au risque de conduire les urgentistes à de­
ÉTATS­UNIS SONT  compte tenu du contexte sanitaire, ils ont voir assumer seuls le tri des malades.
refusé de prendre position et laissé les Il n’existe pas de gestion de crise infaillible.
INONDÉS DE VACCINS
TIENT EN DEUX 
MOTS : L’AUDACE 
D epuis le début de la crise sanitaire,
la façon dont l’exécutif gère la
prise de décision suscite des in­
terrogations récurrentes qui se muent en
vives critiques dès lors que la situation
« autorités publiques » prendre « les déci­
sions qui leur incombent ». Une rupture par
rapport aux avis explicites qu’ils avaient
rendus l’année précédente à propos des
élections municipales.
Dans tous les pays concernés par le rebond
épidémique, la lassitude des populations
exacerbe les tensions et soumet l’exécutif à
de vives polémiques. La verticalité du pou­
voir français crée un problème supplémen­
ET LE RISQUE se tend. Il y a un peu plus d’un an, lorsque Cette double rupture laisse le président de taire : elle donne le sentiment que tout re­
l’épidémie s’est déclarée, le chef de l’Etat a la République très seul. Non seulement Em­ pose sur un seul homme, au risque d’insé­
péens et pour exporter vers les été accusé d’être trop soumis aux scienti­ manuel Macron apparaît aux yeux des Fran­ curiser la prise de décision A défaut de
pays qui en ont besoin. fiques. Créé en mars 2020 pour éclairer la çais comme le seul responsable de la gestion pouvoir revenir en arrière, le chef de l’Etat
Le coup d’après pourrait être ce­ décision publique, composé de médecins de la crise sanitaire, mais il doit se défendre doit une franche explication aux Français
lui des vaccins de la deuxième gé­ et de chercheurs, le conseil scientifique a du péché d’hubris : ne s’est­il pas cru, en dé­ sur ses choix à venir mais aussi sur ceux
nération, capables de nous pré­ de fait pris une place essentielle. Les politi­ but d’année, plus fort que tout le monde ? passés. Quant à la tenue des élections régio­
munir contre les futures muta­ ques, qui ignoraient tout de l’épidémie, N’a­t­il pas pensé que sa seule volonté politi­ nales, il aurait intérêt à faire voter le Parle­
tions du Covid­19 ; il en a bien été avaient besoin de s’appuyer sur ce qu’en sa­ que aurait raison des funestes courbes des ment. La question est tellement viciée par
question au sommet européen vait la science pour légitimer des décisions épidémiologistes ? Soulagé, en février, de ne les arrière­pensées politiques des uns et des
du 25 mars, mais sans viser assez difficiles qui avaient des conséquences pas être soumis au confinement, le pays n’a, autres que seul un vote engageant chaque
haut. Quand les Etats­Unis met­ directes sur la vie humaine et l’exercice des de fait, pas échappé à la troisième vague. Il formation politique permettra de dégager la
tent 14 milliards de dollars, l’UE libertés publiques. redoute à présent de devoir fermer les éco­ décision la plus légitime possible. 
commence par injecter 50 mil­
lions d’euros dans l’incubateur
HERA (Autorité européenne de
préparation et de réaction en cas
d’urgence sanitaire).
SI l’UE arrive à accélérer signifi­
cativement la campagne de vacci­
nation, on comprendra alors tout
le mérite de son initiative inédite
qui a consisté à mutualiser les
commandes et la distribution de
vaccins pour les vingt­sept Etats
membres : elle permettra la libre
circulation au sein de l’espace
européen, essentielle pour la re­
lance de l’économie. On se féli­
citera aussi du « quoi qu’il en
coûte » qui a maintenu l’écono­
mie et les emplois à flot.
Mais c’est là que les Européens
seront face au deuxième coup
d’après : celui du plan de relance II
annoncé à Washington, qui de­
vrait compléter par de grands tra­
vaux d’infrastructures et de tran­
sition énergétique le plan de sau­
vetage de 1 900 milliards de dol­
lars adopté en février. Macron, à
nouveau : « La force de la réponse
américaine et du plan Biden nous
place face à une responsabilité his­
torique. A la suite des deuxième et
troisième vagues, il faudra com­
pléter (…). Nous sommes trop lents,
trop complexes, trop engoncés
dans nos propres bureaucraties. »
Ce qui se profile, c’est que, grâce
aux plans de relance massifs
prévus par l’administration Bi­
den, les Etats­Unis retrouveront
leur trajectoire de croissance pré­
crise dès la mi­2021, tandis que
l’Europe ne retrouvera la sienne
que courant 2022, si elle ne s’ap­
puie que sur les mesures actuelles
et l’espoir d’un rebond de crois­
sance en sortie de crise. La me­
nace de l’aggravation d’un décro­
chage déjà existant avant le
Covid­19 est alors réelle.
L’économiste Jean Pisani­Ferry
constate (dans Le Monde du
28­29 mars) le consensus qui a
émergé outre­Atlantique : « La
meilleure stratégie pour effacer les
séquelles de la crise sanitaire et at­
ténuer les lourds problèmes so­
ciaux du pays, c’est de placer l’éco­
nomie en régime de haute pres­
sion. » Depuis vingt ans, et en par­
ticulier après la crise de 2008,
dit­il, l’Europe et la France y ont re­
noncé, par aversion à l’inflation,
crainte des déficits et difficultés de
coordination ; « Il serait criminel de
retomber dans la même ornière. »
Le débat est lancé parmi les éco­
nomistes. Les partenaires euro­
péens de M. Macron, eux, se tai­
sent, soucieux de mettre en
œuvre le plan de relance de
750 milliards d’euros décidé en
méfiants de la propension fran­
d’avoir réformé. Ils savent aussi
dans l’ADN américain. Beaucoup
moins dans celui de l’UE. 

Plantu
Un regard
L
a matinée et le bouclage
étaient bien avancés, la
« une » également. Il restait
juste cette case blanche, ce
rectangle désespérément vi­
de : l’emplacement du dessin.
Il ne manquait plus que lui dans la page
qui semblait du coup un peu terne,
Plantu, son trait, et surtout son regard.
Quand l’actualité était chargée, il n’y
avait guère de souci à se faire. Son crayon
saurait la rendre à son exacte propor­
tion, verser de l’émotion dans le drame,
déposer un sourire léger ou un rire
gaillard sur les plaies du monde et les
turpitudes du pays. Mais quand l’actua­
lité se faisait molle, ennuyeuse comme
un jour de pluie, on s’inquiétait pour lui.
Comment allait­il s’en sortir, aujour­
d’hui ? Le téléphone sonnait enfin. « Sa­
lut, c’est Jean. Je vous ai envoyé mes des­
sins. » Car il nous en envoyait plusieurs,
Cahier du « Monde » N 23710 daté Jeudi 1 avril 2021 ­ Ne peut être vendu séparément
o er
0123
tous les jours, jusqu’à six, ayant l’élé­
gance de nous laisser décider. Et c’était
chaque fois la même surprise, et bien
souvent le même choix cornélien.
Ce fut ainsi le même rituel quotidien
pendant près de cinquante ans, depuis
ce premier dessin, le 1er octobre 1972, une
colombe pendant la guerre du Vietnam.
Plantu prenait bientôt la « une ». Il le fit
une première fois, subrepticement,
en 1978, puis tous les samedis à partir de
1982, jusqu’en 1985, quand le directeur
de la publication d’alors, André Fon­
taine, décida que le Plantu serait tous les
jours au fronton du Monde. Grand hon­
neur et lourde charge, qu’il remplira
avec talent pour le bonheur des lecteurs,
gentillesse et modestie pour le plaisir de
ceux qui le côtoyaient.
Ces milliers de dessins finiront par
former un gigantesque kaléidoscope,
qui traversera l’histoire contemporaine
50 ANS 
DE DESSINS 
DE PRESSE
et forgera une partie de l’identité du
Monde. Comme un point de repère fa­
milier dans le paysage changeant de nos
« unes », tout autant qu’un facteur de
léger désordre dans la hiérarchie si cal­
culée de nos titres. Irremplaçable Plantu
qu’il faut pourtant bien remplacer,
après cet ultime dessin en « une » de ce
jour, après ce supplément qui retrace
une carrière unique au Monde.
Liberté de trait
Cet « après­Plantu », Jean l’a souvent
évoqué avec les directeurs successifs
du journal. Avec la conviction que son
départ à la retraite ne pouvait consti­
tuer une fin, que le dessin de presse, au
Monde, ne pouvait se résumer, ni s’ar­
rêter, à sa personne. De fait, plus de
700 dessins sont toujours publiés,
chaque année, dans notre quotidien. A
rebours d’autres journaux, en France
sur
sur
ou à l’étranger, nous n’avons voulu ni
restreindre ni a fortiori faire dispa­
raître cette liberté de trait aujourd’hui
en danger.
Entre continuité et impératif d’un re­
nouvellement, la solution passait logi­
quement par Cartooning for Peace, le
collectif international créé par Plantu il y
a près de vingt ans, qui rassemble aujour­
d’hui plus de 200 dessinateurs et dessi­
natrices. Quatre fois par semaine, à
compter de ce 2 avril, l’association nous
adressera une sélection de dessins, parmi
lesquels la direction de la rédaction
pourra faire son choix pour la « une ».
Avec ce partenariat inédit, nous espé­
rons contribuer au rajeunissement tout
autant qu’à la féminisation d’une pro­
fession encore très masculine. Par ce
croisement des regards et des sujets,
nous souhaitons élargir encore la va­
riété des points de vue auxquels nous
donnons accès à nos lecteurs, par­delà
les frontières. « Dessiner pour la paix » :
le nom de l’association a pu être pris de
haut, comme les colombes de Plantu
étaient parfois moquées. Comme si cet
objectif paraissait naïvement anachro­
nique en ces temps de sommations de
choisir son camp, de chasse en meute,
de radicalisation des paroles et des actes.
Face à ces ferments de guerre civile, ce
nom ne nous a jamais paru plus actuel.
Il rejoint notre vocation d’opposer le
goût de la nuance, le sens de la com­
plexité, la confrontation des points de
vue à toutes les forces qui menacent de
défaire notre société.
En « une » du Monde, il rappellera que
faire rire, ou sourire, est une liberté qui ne
peut servir de prétexte pour s’enfermer
dans ses obsessions, opposer des grou­
pes humains ou désigner des ennemis. 
jérôme fenoglio
 0123
2 | plantu, 50 ans de dessins JEUDI 1ER AVRIL 2021

1970

Dénonciation de l’interventionnisme américain en Europe. 14 janvier 1978.

La Chine s’ouvre au monde capitaliste. 31 mars 1979.

De la photocopieuse 
à l’imprimerie
« Dans les années 1970, le dessin
de presse restait très archaïque.
Pour obtenir des effets particu­
liers, il fallait découper et coller...
Pour ce dessin – où certains lisent
une inspiration warholienne –,
j’ai utilisé la photocopieuse, afin
de répéter le même personnage à
l’identique et d’illustrer au mieux
la tentative de duplication d’une
pensée à l’infini. Après ces monta­
ges, il fallait filer en deux­roues
déposer le dessin à l’imprimerie,
qui était à l’époque dans les locaux
de France­Soir, rue Réaumur. Là, je
le remettais aux ouvriers du Livre Une leçon d’économie. Juin 1975.
pour qu’il passe à l’impression. »

L’Amérique latine
des années 1970.
Décembre 1984.

Manifestations
religieuses
contre le chah,
à Téhéran.
Avril 1979.
La longue agonie de Franco, en Espagne. 29 octobre 1975.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 plantu, 50 ans de dessins | 3

1980 Promesse de droit

de vote
aux étrangers.
23 avril 1985.

Election de François Mitterrand à la présidence de la République. 12 mai 1981.
La gauche au pouvoir  
« En France, la grande affaire des années 1980, c’est l’arrivée de la gau­
che au pouvoir. J’avais 30 ans et je croyais que tout allait changer. Alors,
ce dessin avec la tour Eiffel, au lendemain du scrutin du 10 mai 1981,
s’est imposé à moi comme une évidence. Et je me suis fait plaisir car
j’adore dessiner les immeubles. Aujourd’hui encore, je m’arrête dans
les rues de Paris pour croquer une façade ou un immeuble que je trouve
beaux. Evidemment, la suite on la connaît, et j’ai beaucoup dessiné
dessus. La promesse de l’octroi du droit de vote aux étrangers en est un
exemple. C’était une des “110 propositions pour la France” du candidat
Mitterrand. Quarante ans plus tard, ils n’ont toujours pas ce droit. »

Détournement
d’un avion
américain
à l’aéroport
de Beyrouth.
18 juin 1985.

Réconciliation après la chute du mur de Berlin. 2 février 1990.

L’affaire des foulards

de Creil.
7 novembre 1989.

Manifestations avant le massacre de la place Tiananmen. 21 mai 1989.


4 | plantu, 50 ans de dessins
ENTRETIEN
E
n mai 2020, juste en sortie du pre­
mier confinement, Plantu arrive
au 67­69, avenue Pierre­Mendès­
France. Nouvelle règle pour un
nouveau lieu, le dessinateur
passe, comme toute la rédaction,
à l’open space. Mais l’adaptation, il connaît,
après un demi­siècle au Monde. Alors, très
vite, dos à la Seine, casque sur les oreilles rem­
pli de musique, il a repris ses feuilles, ses
crayons, ses stylos. Comme au premier jour.
Moins d’un an plus tard, il accepte de revisiter
sa carrière.
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si, un beau matin de 1972, le gardien de
l’immeuble du Monde, rue des Italiens,
n’avait pas laissé entrer le grand garçon ti­
mide de 21 ans qui avait demandé s’il pouvait
rencontrer un journaliste. Lequel ? Il ne savait
pas. Il ne connaissait personne. Il voulait juste
montrer ses dessins… Le type m’a dit de mon­
ter au premier étage. Aussi simplement. Et sur
le palier, un garçon de bureau en uniforme
gris, un œil sur mon grand carton vert, a dit :
« Vous êtes dessinateur, c’est ça ? » Ben oui. Je
gagnais ma vie comme vendeur d’escabeaux
au Galeries Lafayette, mais je comptais bien
que ce job soit provisoire. J’ai attendu dix mi­
nutes. Et on m’a fait entrer dans le bureau
d’un homme très impressionnant : de Gaulle.
Pardon ?
Bernard Lauzanne, le rédacteur en chef, il
ressemblait beaucoup à de Gaulle, en bien­
veillant. Il prend le temps de regarder chacun
de mes dessins et me dit : « Oui, c’est bien
dans l’esprit de ce qu’on veut faire… » Et il
conclut : « Continuez ! Envoyez­nous ce que
vous faites, et revenez nous voir. » Je ne tou­
che plus terre. Quand je m’étais pointé à
Pilote, j’avais été reçu comme un chien.
Et vous suivez son conseil ?
Et comment ! Le jour, je suis aux Galeries ; le
soir, devant le journal télévisé ; la nuit, sur
mes feuilles de papier. Au petit matin, je dé­
pose mon dessin au Monde. La guerre du
Vietnam, la Rhodésie, Pompidou… Il faudra
attendre trois mois avant qu’un samedi ma­
tin Lauzanne m’annonce : « C’est dans le jour­
nal de cet après­midi. » Je fonce au kiosque
sous une pluie battante, mes Clarks trouées
pleines de flotte. Ma colombe est bien là,
page 2 de l’édition des 1er­2 octobre 1972. Ma
colombe avec un point d’interrogation dans
le bec, pour exprimer l’incertitude sur la fin
de la guerre du Vietnam. C’est incroyable !
Quelque temps après sort un deuxième des­
sin : Willy Brandt à cheval sur le mur de Berlin.
Puis un troisième : Pompidou, cigarette au
bec, dans l’Europe des Six.
Vous devenez donc un collaborateur
du « Monde »…
Payé ! C’est ça qui est le plus dingue. Payé
pour avoir du plaisir. Pour mes parents, mé­
tier et plaisir étaient antagonistes. Quand je
faisais le zigoto, mon père disait : « Arrête de
faire l’artiste. » Et pourtant, c’était les artistes
qui me faisaient rêver. Les comédiens : Jean
Piat, Jacques Charron, Robert Hirsch dont
j’étais fou amoureux. Et les auteurs de BD.
Quel enfant étiez­vous ?
Gentil, sage, silencieux. Jean de la Lune. Un
peu ailleurs, un peu rêveur, un peu différent.
Qui observe le réel avec un petit décalage. Et
qui dessine. Tout le temps. Spontanément.
C’est mon langage.
Que dessinez­vous ?
Tout. J’aime la BD, les dessins animés,
Walt Disney… Je suis abonné au Journal de
Tintin que j’adore, mais je n’ai pas droit à
Spirou, mes parents détestent ce glandeur de
Gaston Lagaffe qui soupire « m’enfin ! » à
chaque instant. Mon père est dessinateur in­
dustriel et dirige le bureau d’étude de la SNCF
à la gare d’Austerlitz. Il rapporte à la maison
des plans de locomotives sur d’immenses
feuilles de 10 mètres de long. Il suffit que je
les retourne pour avoir un espace de dessin
fabuleux et rêver pendant des heures.
Tout le monde voyait bien que ce petit
garçon avait un don…
« Ce truc que je fais, 
c’est pas un métier. 
C’est une vie ! »
Le premier dessin de Plantu, en page 2
du « Monde », date de 1972. Cinquante ans que
son trait accompagne les lignes du journal
Oui. Mais ça ne lui donnait pas un avenir et
mes parents étaient anxieux. Jusqu’à la 6e, ça
allait : je raflais les prix d’honneur, d’excel­
lence et de camaraderie. C’est après que ça a
dérapé. J’étais à Henri­IV et je ne comprenais
plus rien. Heureusement qu’il y avait le dessin,
cet instant où je pouvais être moi­même,
notamment avec les filles. J’aimais tellement
mes cours de dessin que je suivais aussi ceux
des autres classes. Le redouté surveillant géné­
ral venait voir mes peintures : des bustes
d’Apollon, de sainte Madeleine, de Voltaire.
Quant à ma prof de français, dont j’étais vague­
ment amoureux, je ne cessais de la dessiner de
face, de profil, avec ou sans la blouse…
Alors, le bac en poche, vous foncez dans
une école d’art ?
Non. C’est inenvisageable pour mes parents
qui, malgré mon 3 en sciences au bac, se pren­
nent à me rêver médecin. Je gémis : « C’est
sept ans d’études ! » Ils répondent : « Tu feras
du dessin après. » Et je prends le chemin de la
fac de médecine.
« M’enfin ! », dirait Lagaffe. Vous pouviez
vous rebeller !
J’ai toujours été obéissant. Et je pouvais
m’imaginer pédiatre… Mais à la suite d’un se­
cond échec aux examens, j’ai couru un soir à
la maison et j’ai annoncé d’un bloc (grosse er­
reur !) : 1, que j’arrêtais médecine ; 2, que j’allais
faire de la BD ; 3, que je partais étudier à
Bruxelles ; 4, que je me mariais, et pas à l’église.
Le drame. « P’tit saligaud ! », criait mon père
tandis que ma mère pleurait. Atroce. Mais
En 2014. « LE MONDE »
cette fois, j’étais résolu. Et puis j’étais soutenu
par cette jeune fille connue au lycée, qui savait
depuis toujours que le dessin était ma voie. Je
ne serais certainement pas arrivé là sans elle,
si craquante alors dans ses minijupes, qui est
devenue la mère de mes quatre enfants.
Pourquoi la destination de Bruxelles ?
Mais voyons, parce que Hergé ! Et puis parce
que c’était la seule école de BD en Europe. J’y
rencontre le dessinateur Eddy Paape, qui me
prend sous son aile. Et je suis bouleversé par
l’immensité de ce que j’ai à apprendre. Hélas,
faute d’argent, je dois quitter l’école au bout
de trois mois, sans même avoir acquis les
bases. Je ne les ai toujours pas.
Là, vous cherchez des compliments…
Mais non ! J’ai développé autre chose que je
ne minimise pas. Mais quand je vais place du
Tertre à Paris, je vois des dessinateurs qui ont
une technique pour réaliser des portraits par­
faits que je ne possède pas. Moi, je dessine
plutôt une idée que je me fais des gens…
Comment défrichez­vous votre chemin
dans les couloirs du « Monde » ?
Ah ce journal… Je l’adore instantanément ! Je
me lève comme tout le monde à l’aurore et,
pendant des années, je travaille dans un cou­
loir. J’y ai un minuscule bureau et une armoire
dans laquelle les gens viennent piquer mes
dessins. Vingt ans après, j’ai rencontré des ré­
dac chefs qui m’ont dit : « Tiens, dans mon sé­
jour, j’ai celui­ci de tes dessins ; et dans mes
toilettes, celui­là. » Et moi qui les cherchais
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
partout à quatre pattes… Mais tout m’excite.
La politique, l’éducation, les relations interna­
tionales. J’apprends au jour le jour, pose des
tas de questions, me nourris de toutes les
conversations. Je me constitue en urgence des
dizaines de dossiers. Google Images n’existe
pas, il me faut trouver des photos du pape, de
Carter, Zhou Enlai, Castro, la cour de l’Elysée,
les murs du Kremlin, la place Tiananmen, le
mur des Lamentations… pour pouvoir impro­
viser chaque matin sur n’importe quel thème.
« Le Monde des livres » me demande des piges.
Puis c’est Claude Jullien, le patron du Monde
diplomatique, et « Le Monde de l’éducation ».
Avez­vous alors un rapport direct avec
le patron du journal ?
Je lui soumets systématiquement mon des­
sin. Je traverse l’immense bureau directorial
du premier étage des Italiens pour parvenir
jusqu’à Jacques Fauvet qui a zéro considéra­
tion pour les dessinateurs. Il dit oui ou il dit
non. Aucune discussion (le contraire d’André
Fontaine). Sauf à m’interdire de dessiner une
verrue sur la joue de Mitterrand. Mitterrand,
alors notre grand manitou. Il incarne l’espoir
de la gauche, et l’espoir n’a pas de verrue. Je
resterai interdit de verrue pendant dix ans !
Un jour, j’ai aussi vécu le choc des cultures.
Mon dessin devait évoquer les frères Willot,
quatre frères qui dirigeaient Le Bon Marché
et avaient fait de la taule pour maquillage de
comptes. Vous, quand on vous dit « quatre
frères en prison », à quoi pensez­vous ?
Aux Dalton…
C’est exactement ce que j’ai dessiné ! Mais
Fauvet me demande : « C’est qui, ces bons­
hommes en costumes rayés avec des bou­
lets ? – Ben, les Dalton ! – C’est qui les Dalton ?
– Des frères bagnards qui s’échappent, dans
Lucky Luke. – Et c’est qui, Lucky Luke ? » Oh là
là… Quel plaisir, pourtant, de faire référence
aux personnages de BD : Chirac en Professeur
Tournesol, Sarkozy en Iznogoud, Hollande
en Spirou, ou même en Bécassine. En 1983,
la mort de Reiser, quelques mois après
Hergé, m’a même permis de dessiner un
Gros Dégueulasse accueilli au paradis par
un Tintin en pleurs.
Entre­temps a lieu l’arrivée de la gauche
au pouvoir après vingt­trois ans d’absence.
Quelle joie ! Et quel choc ! Le matin du 11 mai,
j’ai dessiné deux petits bonshommes à leur
balcon, l’un qui dit à l’autre : « Ça alors ! Le pré­
sident est socialiste et la tour Eiffel est tou­
jours à sa place ! » Pendant deux jours, j’ai
paniqué en enviant mon confrère Jacques
Faizant, qui allait s’en donner à cœur joie à la
« une » du Figaro. Mais moi ? Allais­je pouvoir
continuer à me moquer tous azimuts ? Il n’a
pas fallu une semaine pour que les affaires
reprennent. J’avais devant moi un boulevard.
Il nous est arrivé d’apercevoir une souris
bâillonnée au bas d’un de vos dessins…
Ah, ma petite souris ! Je l’ai créée un jour de
colère contre une directrice artistique qui ve­
nait de virer salement deux dessinateurs et
refusait tout dialogue. Ma petite souris avait
donc pour but de lui faire une sorte de pied de
nez. Et puis elle est devenue ma complice, ma
confidente, mon défouloir. Elle m’a permis
d’introduire dans mes dessins un nouveau
regard, un deuxième discours. Et parfois,
simplement, un éclat de rire.
Mais alors, le bâillon ?
Allez, j’avoue. Dans la période qui a suivi la
sortie du livre polémique La Face cachée du
Monde, en 2003, la petite souris m’a permis de
témoigner du climat anxiogène que faisait ré­
gner Plenel, le directeur de la rédaction, avec
qui je me fritais souvent. J’ai donc tantôt affu­
blé ma souris d’un bâillon, tantôt d’une grosse
moustache, voire d’un cigare. Pour être juste,
je l’ai parfois dotée aussi d’un bandeau corse,
clin d’œil à Colombani qui détestait mes des­
sins sur la Corse… mais n’en a censuré aucun !
Quelles furent vos grandes exaltations
devant les basculements de l’histoire ?
J’en ai eu plein. L’écroulement du mur de
Berlin, par exemple. C’était dingue ! J’étais
souvent allé à Berlin et, lors de mes conféren­
ces, je dessinais toujours un bulldozer qui dé­
truisait le Mur. Et voilà que mes amis m’ap­
pelaient : « Jean ! On l’a fait ! » Puis ce fut
l’éclatement du bloc soviétique, devenu un
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
1951 1972
Jean Plantureux Son premier
naît à Paris. dessin est publié
dans « Le Monde ».
feuilleton passionnant. La glasnost et la pe­
restroïka de Gorbatchev m’intriguaient telle­
ment que j’avais demandé à suivre sa visite
officielle en France, en juillet 1989. C’est la
première fois que je dessinais un leader sovié­
tique sympathique. Quelle aubaine, sa tache
de vin sur la tête !
La destruction du World Trade Center,
le 11 septembre 2001 ?
Evidemment. Les tours étaient à peine
écroulées qu’un ami téléphonait de Tunisie
pour me dire que ses voisins faisaient la fête.
Je voyais la fracture du monde, dont on par­
lera au Davos des dessinateurs organisé qua­
tre mois plus tard à New York. Quant aux révo­
lutions arabes, comment jubiler ? J’avais trop
de copains et confrères algériens, égyptiens,
tunisiens, inquiets de l’arrivée des islamistes.
Comment mettez­vous au point la carica­
ture d’un personnage politique ? Les prési­
dents de la Ve République, par exemple ?
C’est très intuitif. Bon, de Gaulle, c’était fa­
cile. Un général, c’est d’abord un képi et un
uniforme. A cela j’ajoutais un grand nez,
deux ou trois mentons, une moustache : on y
était. Pour Pompidou, je commençais par les
cheveux plaqués sur le crâne, des sourcils
broussailleux au­dessus d’un tarin gigantes­
que, et j’ajoutais une clope pendant sous la lè­
vre supérieure. Giscard, au début, c’était l’in­
verse : jeune, svelte, nez minuscule, bouche
en cul­de­poule, un cheveu en clé de sol, allez
savoir pourquoi. Puis son côté aristo a pris le
dessus et je l’ai fait en Louis XV affublé d’un
catogan. Je l’ai croisé un jour et il m’a de­
mandé : « Mais qu’est­ce que vous me dessi­
nez derrière la tête ? – Ben une couette ! » Mais
plus il a vieilli, plus j’en ai fait un sage chinois.
Pour Mitterrand, j’ai ramé, d’autant qu’il a
fait limer ses incisives. Et puis je l’ai rapide­
ment dédoublé parce qu’il y a eu le président
d’avant la rigueur et celui d’après. Je l’ai fait
en Louis XIV, royal et suffisant. Et puis en pré­
sident hip­hop. Un jour, le doigt tendu vers
moi, il m’a lancé : « Vous, vous pouvez tuer ! »
Chirac, paraît­il, conservait vos dessins…
Il m’a écrit plusieurs mots gentils. Et mon
regard, comme mon trait, a évolué : je suis
passé de facho­Chirac au papy sympa. Mais je
n’avais aucune envie de le rencontrer. Sa
femme, Bernadette, m’a un jour glissé : « Vous
savez, mon mari, c’est un gentil. » Je l’ai regar­
dée, éberlué. Au revoir, madame. Et j’ai conti­
nué à lui faire un « sourire gnark gnark » à
rayer le parquet avec une petite goutte de
bave sous le menton. Il a fallu que je lui pose
un drapeau tricolore sur le crâne pour me
convaincre qu’il était devenu président.
Votre Sarkozy était particulièrement af­
freux, entouré d’un aréopage de mouches !
Il se caricature tellement que c’est un cadeau
pour un dessinateur. Les mouches ? Elles sont
devenues indispensables après qu’il a reven­
diqué parler « avec [ses] tripes ». Il a fait savoir
au patron du Monde qu’il aimerait qu’elles
disparaissent. J’en ai rajouté. Un dessinateur
fait ce qu’il veut. Quant à Hollande, j’ai joué de
sa normalité revendiquée en le dessinant au
volant de sa « pépère­mobile », joufflu, mal
fagoté et maladroit.
Macron ?
Pas facile de dessiner les beaux gosses ! Je
lui ai fait les rouflaquettes qui font un peu
Rastignac, et puis je lui mets des culottes
courtes de gamin. Et depuis les « gilets jau­
nes », c’est simple, je le colorise en jaune.
Vous êtes moins cruel envers les femmes !
C’est très délicat, les femmes. Elles s’en pren­
nent tellement plein la figure sur leur appa­
rence physique que j’ai tendance à les épar­
gner. Sauf, peut­être, Thatcher : c’était Chirac
avec une perruque et des boucles d’oreilles.
Les attributs d’un personnage peuvent
donc se retrouver chez d’autres ?
Le petit catogan de Giscard s’est retrouvé
plus tard chez Balladur, tellement Louis XV,
lui aussi. Vous vous rappelez sa chaise à por­
teurs ? Et j’étais tellement orphelin de mon
personnage de Coluche qu’après sa mort,
en 1986, j’ai greffé à Raymond Barre la petite
langue qui dépassait systématiquement de
son sourire. C’est drôle, je me suis rendu
compte que les personnages politiques finis­
2006 2021
Il crée Cartooning Il quitte « Le Monde »
for Peace pour avec plus de 30 000
défendre la liberté dessins au compteur.
d’expression
des dessinateurs
de presse dans
le monde entier.
sent par ressembler un jour ou l’autre à leur
caricature. Comme si, en les dessinant, je me
projetais dans dix ou vingt ans.
Vos dessins vous offrent un rôle qui
dépasse celui du simple observateur.
Le leader palestinien Yasser Arafat
a même cherché à vous rencontrer…
J’étais venu à Tunis en 1990 pour une expo­
sition de mes dessins. Vers 3 heures ou 4 heu­
res du matin, mon téléphone sonne. Un gars
m’annonce qu’Arafat veut me voir. Je crois à
un canular, mais le correspondant du Monde
authentifie l’appel et je me retrouve une
heure plus tard dans une Peugeot pourrie qui
traverse Tunis à 200 km à l’heure, tous feux
éteints. Des mecs armés m’encadrent. Me
voici dans « Tintin au pays des kalachnikovs ».
Je me retrouve dans une villa isolée où j’at­
tends, sous le grésillement des talkies­walkies.
Au bout d’un moment, un mec descend. On
dirait Gainsbourg avec une serviette de table
sur la tête. « Bonjour Mister Plantou. » C’est
Arafat. Je me dis : « Mon Dieu, il me prend
pour le dessinateur du Monde ! C’est un
malentendu. » J’ai si souvent eu ce sentiment.
Mais vous êtes le dessinateur du « Monde »
et vous avez déjà dessiné Arafat !
Cinquante fois ! Et c’est pour ça qu’il veut me
voir : il est furieux. Il me dit : « Sartre, lui, a
soutenu la guerre d’Algérie. Vous, vous ne sou­
tenez pas les Palestiniens. » Je rêve. D’abord, je
ne suis pas un intellectuel, la comparaison
avec Sartre est surréaliste. Et puis j’ai fait plein
de dessins en faveur de la Palestine. Mais le dé­
tournement de l’Achille­Lauro par des terro­
ristes de l’OLP et l’exécution d’un otage juif pa­
raplégique jeté dans la mer, je ne pardonne
pas. On s’engueule. Mais je vois qu’il prendrait
volontiers un crayon. Alors je lui propose
qu’on se revoie. Cette fois devant des caméras.
Comme un journaliste qui prépare
son scoop…
En comptant sur la capacité du dessin à dé­
lier les langues. Quand on se retrouve, en
mai 1991, j’ai donc apporté du papier et des
feutres. Je dessine une ligne avec des pointillés
et je dis : « Vous pourriez imaginer une fron­
tière avec d’un côté le drapeau israélien, de
l’autre le drapeau palestinien ? » Arafat répond
oui, et il colorie aussitôt le drapeau palesti­
nien. Je dis : « C’est facile. Mais pouvez­vous
dessiner le drapeau israélien de l’autre côté de
la frontière ? » Je lui tends le feutre bleu et, mi­
racle, il dessine sans hésiter le drapeau avec
l’étoile de David. C’est la première fois qu’il re­
connaît l’existence d’Israël ! Pour avoir la paix,
la reconnaissance des deux Etats est « la solu­
tion », me dit­il en signant le dessin. Après ? Eh
bien je suis allé à Jérusalem, en 1992, et Shi­
mon Peres a apposé sa signature sur le même
dessin, en ajoutant de sa main le mot « solu­
tion ». C’était fou, et il m’a avoué un peu plus
tard avoir failli devoir démissionner à cause de
ce dessin, tant le premier ministre Rabin avait
été contrarié de ce geste « prématuré »… Les
accords d’Oslo seront signés un an plus tard.
Parfois les dessins provoquent aussi
scandales, blessures ou morts…
Hélas ! L’affaire des dessins danois publiés
en 2005 et les émeutes qui s’en sont suivies
plantu, 50 ans de dessins | 5
« On dessine pour la terre
entière, y compris des  sécurité constamment sur mes pas.
gens qui ignorent l’esprit  Times » de ne plus publier de dessins ?
de dérision »
au Pakistan et dans le monde arabe ont fait
prendre conscience qu’un dessin peut être
mal compris et manipulé. Internet et les ré­
seaux sociaux sont une poudrière. On croyait
dessiner pour un public qui connaît et ac­
cepte les codes de la caricature. On s’aperçoit
qu’on dessine pour la terre entière, y compris
des gens qui ignorent l’esprit de dérision.
Alors que faire ?
Pas question de céder aux barbus, aux
fatwas ni aux fondamentalistes de toutes sor­
tes. Solidarité totale avec les dessinateurs et ar­
tistes qui doivent avoir toutes les libertés.
Mais s’il existe un droit au blasphème, comme
le dit si justement Régis Debray, il n’y a pas de
devoir de blasphème. On ne peut pas faire
l’économie d’une réflexion sur notre devoir de
responsabilité et sur l’urgence d’expliquer, de
dialoguer, de déminer. Quitte à ruser parfois…
C’est ce que vous avez fait en esquissant
le portrait d’un barbu qui ressemble
à Mahomet rien qu’en écrivant :
« Je ne dois pas dessiner Mahomet »…
Des lecteurs ont cru voir dans ce barbu à tur­
ban le portrait de Léonard de Vinci. Je leur ai
répondu : « Si vous voyez Léonard, franche­
ment, ça m’arrange ! » Mais ruser et traquer
l’intolérance n’exclut pas d’entendre le « res­
senti » d’un certain public, ne serait­ce que
pour le désamorcer. C’est l’objet de Cartoo­
ning for Peace (« Dessins pour la paix »), l’asso­
ciation que j’ai créée en 2006 avec Kofi Annan,
le secrétaire général des Nations unies, pour
réunir des dessinateurs chrétiens, juifs et
musulmans. A l’heure où certains avaient tel­
lement envie de creuser un fossé entre les
cultures, nous, avec nos petits crayons, nous
voulions créer des ponts. Et faire de la péda­
gogie. Je suis allé avec eux dans des dizaines
d’écoles, à Trappes et à Molenbeek, à Istanbul
et au Soudan, au Caire et à Gaza. On prend
toutes les questions, y compris les plus agres­
sives, on explique, on dédramatise, on tâche
d’éteindre les haines, on montre la force de
l’humour. Et j’insiste : jamais les cartoonistes
danois ni ceux de Charlie ne se sont levés un
matin avec l’intention d’humilier un milliard
et demi de musulmans !
Qu’avez­vous ressenti en apprenant
le massacre de « Charlie Hebdo » ?
Une crampe fulgurante de tout le corps, me
paralysant pendant plusieurs minutes. Cabu,
Charb, Wolinski, Honoré, Tignous… Je les
connaissais tous, je ne pouvais pas y croire.
La peur s’est­elle immiscée dans votre vie ?
Non. Mais ma vie est quand même cham­
boulée puisque j’ai dû accepter une protection
Dessin signé
par Yasser Arafat
et Shimon Perez,
en 1991 et 1992.
Fin de la guerre
du Vietnam. Premier
dessin paru dans
l’édition du « Monde »
du 1er-2 octobre 1972.
policière permanente. Je dois m’organiser en
conséquence et vivre avec deux officiers de
Comprenez­vous la décision du « New York
Un pur scandale. Et cette lâcheté des jour­
nalistes qui n’ont opposé qu’un silence…
Vos enfants comprenaient­ils, petits,
l’étrange occupation de leur père ?
Ils m’ont toujours vu dessiner, mais je n’ai
jamais voulu les embêter avec mes dessins.
Alors il arrivait à mes deux aînés d’aller au
kiosque pour voir ce que j’avais fait. Parfois, à
la campagne, je rassemblais un essaim de
gosses sur une grande table : les miens, leurs
cousins, des petits voisins de la ferme. Et tout
le monde dessinait. Je faisais « Chut ! », et ils
comprenaient que c’était du sérieux. Et à la
fin, je choisissais les meilleurs dessins.
Qu’est­ce que j’étais heureux !
Ont­ils fait quelques apparitions dans vos
dessins ?
Oui, bien sûr, je les y ai glissés. Mes deux
aînés regardant Goldorak, et puis toute la fra­
trie, Clélia, Julien, Clément et Joachim, dans
un petit dessin de société. C’est aussi mon
père, en robe de chambre, qui apparaît dans
un dessin du « Monde de l’éducation » et re­
garde son fils, désespéré : « Mais qu’est­ce
qu’on va faire de lui plus tard ? »
Vous décrochez parfois ?
Non. J’aimerais, mais je n’y arrive pas. Je suis
en état de veille permanent. Je combine mes
vacances avec des expos. Et mes expos avec
des conférences et des visites dans les écoles.
Aucun voyage ne m’a jamais fait louper mon
rendez­vous du jour avec le journal. Ni déca­
lage horaire ni difficulté pour trouver une ca­
bine téléphonique ou une ligne Internet.
C’est de Tokyo que j’ai envoyé mon dessin sur
le gouvernement Mauroy, de Pointe­à­Pitre
que j’ai envoyé celui sur la première guerre du
Golfe, d’Atlanta le dessin interdit du prophète
Mahomet. Et c’est de l’hôpital où j’ai été soi­
gné pour un cancer du rein, en 1985, que j’ai
envoyé mes dessins du jour. Comment vou­
lez­vous que je décroche ? Ce truc que je fais,
c’est pas un métier. C’est une vie !
Alors pourquoi arrêtez­vous ?
Parce que je ne veux pas faire le dessin de
trop. Parce que j’ai la hantise qu’on dise :
Plantu s’accroche, mais il est fatigué. Cela
fait dix ans que je demande aux dirigeants
du Monde de me remplacer. Imaginez ma
joie que cela le soit par les dessinateurs et
dessinatrices de Cartooning for Peace !
Mais qu’allez­vous faire après le 31 mars ?
Dessiner est mon oxygène, je vais donc con­
tinuer, mais sans ce stress des petits matins
qui a épuisé plusieurs de mes cardiologues.
J’ai mille projets : des toiles qui prolongent en
peinture et dessins les photos de Reza ; de la
sculpture ; du dessin animé ; beaucoup d’ex­
pos. L’une prendra place l’an prochain au
Musée Hergé. Et puis je vais continuer à aller
dans les écoles. Je vois monter la haine et les
intolérances, les racistes et les censeurs, une
vague immense d’antisémitisme… J’ai peur.
Ce n’est pas le moment de déserter.
Que dirait le gamin lunaire s’il voyait
le dessinateur star que vous êtes devenu ?
Il penserait que l’escroquerie a décidément
bien fonctionné.
Encore cette idée d’imposture ? Plantu,
à 70 ans et plus de 30 000 dessins
au compteur…
Ce sentiment ne m’a jamais quitté. Alors que
penserait aujourd’hui l’ado rêveur des années
1960 ? Je crois qu’il se marrerait en apprenant
que des présidents, des ministres et des rois
ont scruté mes dessins et les ont parfois affi­
chés dans leur bureau. Il s’esclafferait à l’idée
que le pape François a tweeté l’un d’entre eux
après les attentats de Bruxelles, en mars 2016.
Il serait envieux à l’idée qu’un astronaute m’a
convié à dessiner en apesanteur. Mais il serait
surtout rassuré de voir qu’au fond je n’ai pas
changé : quand je suis perdu dans une ville et
que nous sommes plusieurs à déchiffrer un
plan, tout le monde retrouve son chemin.
Sauf moi, l’éternel paumé. 
propos recueillis par annick cojean
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6 | plantu, 50 ans de dessins JEUDI 1ER AVRIL 2021

Affaire des écoutes

de l’Elysée entre
1983 et 1986.
5 mai 1993.

Dans l’Afrique de
Frederik De Klerk.
4 février 1990.

Israël-Palestine, signature pour la paix. 29 juillet 1998.

1990 Les dessins silencieux
« Quand il y a un conflit
sanglant, par respect pour les
victimes, j’ai l’habitude de faire
un dessin sans bulle, sans texte.
C’est ce que j’appelle les “dessins
silencieux”. Pour les frappes
sur l’Irak, j’étais en Malaisie et
le rédacteur en chef de l’époque
n’était pas vraiment content
de devoir “faire sa ‘une’ avec
un journaliste en pleine forêt”,
comme il me l’avait dit… J’étais
Génocide
au Rwanda.
18 mai 1994.
Edith Cresson,
une femme
premier ministre.
28 février 1992.
effectivement en lisière de
la forêt vierge ce jour­là, mais
j’avais mon mini­fax, le plus
petit modèle qui soit, qui me
permettait d’envoyer mes dessins
de n’importe où dans le monde
à l’aide d’un simple téléphone. »

Guerre du Golfe.
18 janvier 1991.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021 plantu, 50 ans de dessins | 7

2000
Attentat du World
Trade Center.
13 septembre 2001.

Rentrée scolaire sous Sarkozy. 13 septembre 2006.

Après la fatwa
contre
les caricaturistes
danois.
3 février 2006.

Naufrage de
l’« Erika ».
15 janvier 2000.

Le bourbier irakien. La mémoire. 26 janvier 2005.

7 avril 2004.

8 | plantu, 50 ans de dessins
2010
La révolution tunisienne.
26 octobre 2011.
La marche républicaine,
après l’attentat contre
« Charlie Hebdo ».
10 janvier 2015.
L’incendie de Notre-Dame.
17 avril 2019.
L’affaire DSK. 10 août 2011.
Un « Monde » en couleurs 
« Lors de l’incendie de la cathédrale Notre­
Dame, j’avoue avoir été tenté d’imaginer
un dessin autour du “gothique flam­
boyant”, avant de me rendre à l’évidence :
ce drame méritait de passer notre monu­
ment national en tricolore. L’arrivée de
la couleur à la “une” du Monde a beaucoup
Les « gilets jaunes ».
30 novembre 2018.
0123
JEUDI 1ER AVRIL 2021
changé mon travail. Au début, dans les
années 1980, je n’avais droit qu’à un seul
coloris. C’était l’époque Balladur et le rouge
lui allait à merveille. Parfois, une couleur
s’impose à un moment et reste ensuite.
Ce qui est arrivé à Emmanuel Macron avec
l’épisode des “gilets jaunes”. »