BELGIQUE : 5 € • AFRIQUE CFA : 3 500 CFA • TOM : 880 XPF • ANDORRE, DOM, ESPAGNE, FINLANDE, GRÈCE, ITALIE, PORTUGAL

: 4,90 € • LUXEMBOURG, PAYS-BAS : 5,10 € • AUTRICHE : 5,30 € • ALLEMAGNE : 5,70 € • CANADA : 7,60 CAD • USA : 7,99 USD • MAROC : 42 MAD • TUNISIE : 5,50 TND • SUISSE : 6,90 CHF
n° 3606 semaine du 13 au 19 août 2020

Les arnaques des

NATUROPATHIE, MÉDITATION, GÉOBIOLOGIE…

médecines douces
Les confessions de Raphaël Enthoven

Chômage partiel : gare aux contrôles !

Beyrouth, entre colère et reconstruction

M 01722 - 3606 - F: 4,90 €

Guerre de générations à la mairie de Paris

’:HIKLRC=WUY^U\:?d@q@a@q@a"
 5

SOMMAIRE

Lignes d’horizon
32 France-Allemagne : quand les rives du Rhin ne font plus qu’une
Courrier des lecteurs
8 Nucléaire : les pour… et les contre Sans détour
Les « frugaux » et nous 34 Le combat dévoyé des néoféministes, par Abnousse Shalmani

L’œil de L’Express Economie

10 La France a-t-elle encore un rôle à jouer dans un Liban dévasté ? 36 Chômage partiel : la chasse aux fraudeurs est ouverte
10 Médecines douces, prix forts 37 Les agriculteurs s’acclimatent déjà aux nouvelles températures
12 Les banques européennes à l’épreuve du Covid-19
12 L’Europe perd pied au Sahel

Périscope Europe
14 Le tour du monde en 7 infos

Dans la mêlée 38 Espagne L’honneur perdu de la Couronne

16 « Dictature sanitaire » : la France va-t-elle trop loin ? 39 Grande-Bretagne Times Radio, une anti-BBC
pilotée par Rupert Murdoch
Sonar
18 En vacances, on oublie tout…

Monde
Dossier
20 Médecines douces : abracadabra, Amériques
40 Etats-Unis Le vote par correspondance,
l’argent s’en va ! bête noire de Donald Trump
Le Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux thérapies 42 Etats-Unis Theodore Roosevelt ou la naissance de l’empire
alternatives. Quel est leur coût pour les particuliers et pour américain
la collectivité ? Et ont-elles fait preuve de leur efficacité ?
Asie-Pacifique
21 Méditation : attention à l’effet de mode
44 Myanmar Le retour en grâce de « Lady » Aung San Suu Kyi
22 La repentie de la naturopathie
45 Japon- Corée du Sud Un été en pente glissante
23 Les bonnes affaires des géobiologues
46 Bangladesh Le scandale des faux tests négatifs au Covid-19
24 « Halte à la complaisance des complémentaires santé vis-à-vis
des pseudo-thérapies ! » Afrique | Moyen-Orient
25 « Les dérives thérapeutiques ont prospéré ces dernières années » 47 Liban Comment le pays du Cèdre a sombré dans l’abîme

Le regard du stratège
49 La Méditerranée orientale, nouvel enjeu géopolitique,

France par Bruno Tertrais

Retrouvez les journalistes de l’Express cet été

dans Les informés de franceinfo, tous les vendredis
Politique de 20 heures à 21 heures sur Franceinfo
26 Affaire Girard : choc des générations à la mairie de Paris
29 Léonore Moncond’huy : « J’ai une relation compliquée
au féminisme »
Chaque jeudi,
Les clefs du pouvoir recevez L’Express
30 Proportionnelle : il faut faire simple, par François Bazin
chez vous
Société Abonnez-vous au 01 55 56 71 04
31 Les orphelins de la Grande Boucle
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
6

SOMMAIRE

IDÉES
Entreprises
64 « Y aurait-il des propos racistes qui seraient tolérables ? »
50 TikTok, sésame de Microsoft pour les réseaux sociaux 65 L’annexion des territoires palestiniens est « une aventure
51 Les diamants sont éternels… et artificiels absurde »

52 Le masque, nouvel accessoire de mode 66 L’Amérique noire : le poing levé du « Black Power »,
L’Express du 21 octobre 1968
Votre argent
53 Immobilier : raz de marée sur les achats en bord de mer
LIBRAIRIE DE L’EXPRESS
53 Profession : « pet-sitter »

Nouveau départ 68 Raphaël Enthoven : règlement de comptes

54 Au zoo de Beauval, même les pandas respirent à Saint-Germain-des-Prés
72 Colette ou l’émancipation
Les (dés)illusions du progrès 74 Palmarès : la tempête Sarkozy
56 Quelques nuances de Sarkozy, par Nicolas Bouzou

BEAUXARTS
Numérique
75 Dans l’objectif de Samuel Fosso
57 La seconde vie du QR Code
57 N’oublions pas la Zéro G !

INSPIRATIONS

Sciences Lignes d’horizon

58 Un océan de décibels 76 Une ville, un polar : Le Caire de Parker Bilal

60 Le Monde sans fin : la machine climatique

Bien-être
Remue-méninges 77 Nutrition : les bienfaits des huiles végétales
62 L’effet Dodo est-il si merveilleux ?, par Albert Moukheiber
Horlogerie
78 Taillées pour les sports outdoor

Saveurs
79 Alexandre Bourdas : le grand chef qui se rêvait aubergiste

Jeux
80 Mots croisés, sudoku…

Ultimatum
Société éditrice : Groupe L’Express
2, rue du Général Alain de Boissieu, 75015 Paris. 82 Habibi Macron, par Christophe Donner
ISSN n° 0014-5270
Directeur de la publication : Alain Weill.
Directeur de la rédaction : Eric Chol.
Imprimé en France : Maury imprimeur SA Services diffuseurs n° vert : 0 805 01 4000
(45330 Malesherbes)
CPPAP n° 0323 C 82839 Ce numéro, toutes éditions confondues,
Dépôt légal : août 2020 a été tiré à 215 850 exemplaires.
L’Express : cahier n° 1 (édition générale : 84 pages).
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minimum 50 % ; eutrophisation, PToT : 0,004 kg/tonne.

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 8

COURRIER Quiz politique

du genre. Bravo : (L’Express n° 3604-3605 1. Que s’est-il passé le 10 jan-

continuez ainsi ! du 30 juillet), en publiant
le courrier d’un lecteur,
que vous titrez
Nucléaire : « Nécessaire nucléaire ».
les pour… Non, le nucléaire n’est
Lucien Heritier, pas un mal nécessaire.
Margency (Val-d’Oise) Dans le monde, sur près
de 200 pays, une trentaine
Le nucléaire n’a pas seulement produisent
à faire peur. L’hydrogène de l’électricité à partir
constitue l’avenir de réacteurs nucléaires.
GILLES RAPAPORT
vier 1967 ?
n Georges Pompidou indique
qu’il sera candidat à l’Elysée si
de Gaulle s’en va.
u Valéry Giscard d’Estaing lance
la campagne de son parti aux
législatives en disant « oui mais »
à de Gaulle.
lLe général de Gaulle échappe à
un attentat au Petit-Clamart.
avec des « mais ».
ministres qu’on ne gouverne pas
irrité, lui répondra en conseil des
distances avec le général. Lequel,
vient de créer son parti, prend ses

de nos déplacements Le scénario de production Valéry Giscard d’Estaing, qui

Impressionné par
le nouvel Express
Laurent Berraud,
Laval (Mayenne)
Je ne fais partie
de vos lecteurs que depuis
votre nouvelle formule
en début de cette année,
tenté par votre nouvelle
ligne éditoriale. Je suis
impressionné par la qualité,
la compétence, l’expertise
de vos chroniqueurs et,
surtout, par la volonté
d’expliquer de façon claire
un monde complexe et
en plein bouleversement.
Votre dernier numéro avec
le dossier spécial économie
(L’Express n° 3604-3605
du 30 juillet) est un modèle
Suivez l’actualité libanaise sur le site de L’Express
individuels et collectifs
(avec la pile à combustible)
et il faudra en fabriquer
d’énormes quantités.
Ce n’est pas encore le cas
aujourd’hui (trop cher,
trop polluant), mais nos
bonnes vieilles centrales
placées en bord de mer
permettront d’y parvenir.
Et je profite du début
de montage d’Iter
pour exprimer mon souhait
que la production d’énergie
en quantité soit confirmée
à l’horizon 2030 en recourant
à cette technique nucléaire
sans radiations (fusion
au lieu de fission).
… Et les contre
Chantal Bourry,
Jonzac (Charente-Maritime)
Je suis outrée de voir
la belle part que vous
donnez au nucléaire
électrique 100 % énergies
renouvelables
est techniquement
et économiquement possible,
l’Agence de l’environnement
et de la maîtrise de l’énergie
(Ademe) l’a démontré.
Les « frugaux »
et nous
Lionel Rabain, Hyères (Var)
Très intéressant entretien
(L’Express n° 3604-3605
du 30 juillet) sur le plan
de relance rendu possible
par le bon comportement
des frugaux, tant critiqués
par ailleurs. L’endettement
en général et l’accroissement
de la dette de la Banque
centrale européenne, loin
de pouvoir être sans limite,
ne sont en effet possibles
que tant que dure
la confiance des prêteurs.
1. u
2. Le discours de Valéry
Giscard d’Estaing à Verdun-
sur-le Doubs, le 27 janvier 1978,
est resté célèbre. Pourquoi ?
n Il annonce que le 8 mai ne sera
plus un jour férié, en signe de
réconciliation avec l’Allemagne.
u Il indique qu’il est prêt à « jeter
la rancune à la rivière » deux ans
après la démission de Jacques
Chirac de Matignon.
l A deux mois des législatives, il
demande aux Français de « faire
le bon choix », car le président ne
sera pas en mesure de s’opposer
à la prochaine majorité.
les législatives.
qui le conteste. La droite gagnera
choix à une Assemblée nationale
le président puisse imposer ses
quant qu’il ne faut pas croire que
VGE dramatise l’enjeu en expli-
jamais connu de cohabitation.
En 1978, la France n’a encore
2. l
3. Le 28 juin 1992, où François
Mitterrand effectue-t-il une
spectaculaire visite surprise ?
n Sarajevo
u Venise
l Assouan
totale dans le monde entier.
heures sur place. La surprise est
son plein, et reste quelques
la guerre en ex-Yougoslavie bat
Sarajevo. Il atterrit tandis que
en secret pour Split, puis pour
François Mitterrand s’envole
Après un sommet européen,
3. n

« Il n’est plus l’heure d’attendre,
mais de transformer la résilience légendaire
de ce peuple en combat, tous ensemble,
unis dans une insurrection contre l’incurie,
l’irresponsabilité et les crimes d’Etat » : c’est le cri
de colère que pousse la romancière et poétesse
libanaise Hyam Yared sur le site de L’Express.
La double explosion qui a ravagé le port
de Beyrouth, et a entraîné la mort d’au moins
150 personnes, faisant environ 6 000 blessés
et des centaines de milliers de sans-abri, a suscité
de nombreuses réactions en France et à l’étranger.
Chaque semaine, L’Express donne la parole à ses lecteurs. Adressez-nous vos questions, réactions, contributions
par e-mail à courrierlecteurs@lexpress.fr ou par courrier à L’Express – Courrier des lecteurs – 2, rue du Général-
Alain-de-Boissieu – 75015 Paris.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
Au-delà de l’émotion, le site de L’Express
donne également de très nombreuses clefs
pour comprendre la situation économique
et sociale dans laquelle se trouvait le Liban
avant la catastrophe. Ainsi, comme l’explique
la chercheuse Agnès Levallois dans un article
sur l’économie libanaise : « Cette tragédie
souligne cruellement la déliquescence d’un pays
qui n’est en réalité plus géré depuis des années. »
Tous nos articles et notre suivi de l’actualité
sur le sujet sont à retrouver sur notre site Internet
et sur nos applications mobiles.
4. Qu’arrive-t-il à Emmanuel
Macron le 4 décembre 2018 ?
n Il reçoit Nicolas Sarkozy pour
lui proposer de passer Noël en
sa compagnie.
u Il est poursuivi par des gilets
jaunes en colère au Puy-en-Velay
et échappe de peu au lynchage.
l Il revoit François Hollande
pour la première fois en tête-à-
tête depuis son élection.
connaître la peur de sa vie.
connue, la tension monte. Il va
que la nouvelle de sa présence est
diée trois jours plus tôt. Mais dès
Loire), où la préfecture a été incen-
prévenir au Puy-en-Velay (Haute-
Emmanuel Macron se rend sans
En pleine crise des gilets jaunes,
4. u
10
L’ŒIL DE L’EXPRESS
La France a-t-elle encore un rôle à jouer
dans un Liban dévasté?
PAR CYRILLE PLUYETTE
Emmanuel Macron s’est placé du côté de la contestation. Mais la refondation politique sera très compliquée.
L a visite du président français à Beyrouth a-t-elle précipité la
démission du gouvernement libanais, moins d’une semaine
après l’explosion qui a dévasté la ville ? Impossible à dire. La popu-
lation, révoltée par l’incurie du pouvoir, n’avait pas besoin de la
venue d’Emmanuel Macron pour exprimer sa rage après la catas-
trophe du 4 août. Mais cette prompte venue a sans doute accom-
pagné le mouvement qui a conduit au départ de l’exécutif.
En dénonçant la « corruption organisée » de la classe politique
et un système qui « n’a plus la confiance » de son peuple ; en mar-
telant que l’aide humanitaire ne passerait pas par les mains de la
classe dirigeante afin d’éviter tout « détournement », en se mêlant
à la population pour écouter sa colère, le chef de l’Etat français a
donné plus de poids encore à la contestation.
Et maintenant ? L’ancienne « Suisse du Moyen-Orient », déjà
à l’agonie avant le drame, peut-elle se reconstruire ? Se défendant
de toute volonté d’ingérence, Emmanuel Macron a défendu la créa-
tion d’un gouvernement « d’union nationale ». Mais les Libanais
savent bien que ce système, fondé sur un partage confessionnel
du pouvoir, qui dilue les responsabilités, les a menés en trente ans
au bord du gouffre. « Un gouvernement d’union nationale, c’est
un gouvernement qui est tiraillé entre les forces politiques, entre
les représentants des différentes communautés, et risque d’être
Médecines douces,
prix forts
PAR THOMAS MAHLER
Si les thérapies alternatives sont une industrie en pleine croissance, les preuves de leur efficacité peinent à suivre.
P rès de la moitié des Français… Hé oui, selon un sondage CSA
Research de 2019, 44 % de nos compatriotes ont eu recours
aux médecines douces. Les méthodes alterna-
nombreux adeptes de la médecine naturelle vis-à-vis d’une méde-
cine conventionnelle perçue comme étant entre les mains de
tives ont le vent en poupe. Et elles séduisent en
n° 3606 semaine du 13 au 19 août 2020
priorité les femmes, surtout si elles sont aisées
(61 % chez les CSP +) ou mères d’un enfant de NATUROPATHIE, MÉDITATION, GÉOBIOLOGIE…
moins de 10 ans (55 %). Les arnaques des
On peut toujours se dire que cet engouement médecines douces
pour les compléments alimentaires ou l’acupu-
ncture ne va faire de mal à personne. Sauf que,
comme l’explique l’ex-naturopathe Britt Marie
Hermes, ces thérapies suscitent des espoirs,
demandent du temps et mobilisent beaucoup
d’argent, souvent sans le moindre fondement
scientifique. Le contraste est saisissant entre,
d’un côté, la méfiance que développent de
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
paralysé », fait valoir l’ancien ministre Tarek Mitri, qui a participé
à quatre équipes ainsi constituées entre 2005 et 2011.
L’ancienne puissance mandataire peut-elle aider à la refon-
dation politique ? Au-delà des liens historiques et culturels, « Paris
a un rôle à jouer, car c’est la seule puissance internationale en
mesure de parler à toutes les parties libanaises, sans exception
– y compris au Hezbollah –, et d’être un intermédiaire entre des
acteurs externes rivalisant sur son sol, comme l’Arabie saoudite
et l’Iran », veut croire Karim Emile Bitar, directeur de l’Institut de
sciences politiques à l’université Saint-Joseph de Beyrouth.
Il est cependant illusoire d’espérer que ce système, fondé sur
des alliances entre des chefs militaires qui ont effacé leurs propres
crimes après la guerre civile (1975-1990), pourra se réformer de lui-
même. La contestation, qui réclame un gouvernement indépen-
dant de l’establishment, formé de personnalités crédibles et com-
pétentes, peine à se structurer politiquement. « En montrant aux
Libanais qu’ils ne se sont pas seuls, la France peut inciter l’oppo-
sition à resserrer les rangs », avance Karim Emile Bitar. Mais tant
d’obstacles se sont accumulés que personne ne croit au miracle.
L’histoire dira si, en ce mois d’août 2020, Emmanuel Macron aura
contribué à l’amorce d’une renaissance, presque cent ans après la
création du grand Liban sous l’égide de la France. W
« Big Pharma » et, de l’autre, le marketing sophis-
tiqué déployé par les promoteurs de la détox, de
Les confessions de Raphaël Enthoven
Guerre de générations à la mairie de Paris
l’homéopathie, voire de la méditation.
Chômage partiel : gare aux contrôles !
Beyrouth, entre colère et reconstruction
Les médecines douces sont une industrie, une
industrie en pleine croissance. Le marché mon-
dial du « bien-être », largement constitué, sur le
plan médical, de produits et de services superflus
(et parfois dangereux), s’élèverait à près de
3 500 milliards d’euros. A lui seul, le site Goop de
l’actrice Gwyneth Paltrow, grande prêtresse de
l’irrigation du colon (104 euros) ou des « œufs
vaginaux » (51 euros), est, selon Bloomberg,
3’:HIKLRC=WUY^U\:?d@q@a@q@a";
M 01722 - 3606 - F: 4,90 €
valorisé à 212 millions d’euros. Big Pharma n’a pas
le monopole du cynisme. W
 12
L’ŒIL DE L’EXPRESS
Les banques européennes
à l’épreuve du Covid-19
PAR RAPHAËL BLOCH
Les établissements du Vieux Continent encaissent la crise de plein fouet, plus violemment que leurs concurrents américains.
C ’était la grande inconnue de ces derniers
mois : comment les banques euro-
péennes allaient-elles réagir à la crise ? Tout
le monde se voulait rassurant. Les établisse-
ments ont retenu les leçons de l’épisode des
subprimes, entendait-on en substance un
peu partout. Même la patronne de la Banque
centrale européenne (BCE), Christine
Lagarde, écartait l’éventualité du moindre
risque, assurant au printemps que les acteurs
WWW.GARYNEILL.COM
européens étaient « beaucoup plus solides
qu’en 2008 ».
Mais au milieu de l’été, et après cinq mois
de turbulences, la situation apparaît nette-
ment moins sereine : quand elles n’affichent
pas des pertes colossales, comme l’espagnole Santander, ou
qu’elles ne sont pas dans le rouge, à l’image de la française Société
générale, la majorité des banques ont vu leurs marges fondre
comme neige au soleil au premier semestre. Le leader européen
HSBC a ainsi annoncé une chute de 96 % de ses bénéfices entre
avril et juin.
Et les résultats du français BNP Paribas, supérieurs aux
attentes, ne sauraient masquer la débâcle généralisée. Marges,
capitalisations, provisions…, les acteurs européens ne sont pas
mieux outillés qu’il y a dix ans pour résister à une crise de grande
ampleur. « On paie collectivement une décennie d’attentisme »,
L’Europe perd pied
au Sahel
PAR ÉRIC CHOL
Faute d’appui de la part de ses partenaires européens, la France est bien seule dans la lutte antiterroriste en Afrique.
«
L ’Europe se fera dans les crises. Elle sera la somme des solu-
tions apportées dans ces crises », professait Jean Monnet.
Pourtant, quand il s’agit d’additionner les solutions européennes
pour contrer le terrorisme au Sahel, le calcul est vite fait. Depuis
2013 et le début de l’opération Serval (puis Barkhane en 2014), la
France reste seule en première ligne, avec, c’est vrai, le soutien
des armées du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger,
Mauritanie) et l’appui logistique des Etats-Unis. Elle est le seul
pays d’Europe à envoyer 5 100 soldats sur place (43 y ont perdu la
vie). Le seul encore des pays occidentaux à subir des attaques
contre ses ressortissants, civils ou militaires, comme celle qui
vient de coûter la vie à six humanitaires au Niger, ainsi qu’à leur
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
déplore un cadre dirigeant au sein d’un éta-
blissement tricolore.
Faut-il y voir la tempête de trop pour les
banques européennes , très affaiblies? Par
rapport à leurs concurrents américains,
notamment, avec lesquels la comparaison
est tout sauf flatteuse. En 2020, l’écart qui
sépare un Morgan Stanley d’une Société
générale paraît abyssal: la capitalisation de
la première est désormais six fois supérieure
à celle de la seconde.
Il y a dix ans, pourtant, la situation était
comparable des deux côtés de l’Atlantique.
Les Américains paraissaient même plus fra-
gilisés par une crise qui les avait touchés en
plein cœur. Mais les restructurations au pas de charge et les
fusions en pagaille ont permis à JPMorgan ou Goldman Sachs,
entre autres, de repartir de l’avant. Voire de devenir plus puissants
que jamais. A l’inverse, les établissements européens, plus petits
et moins rentables, sont restés au milieu du gué. Que faire ?
Certains plaident de nouveau pour des rapprochements à l’échelle
européenne. D’ailleurs, la BCE a récemment assoupli sa doctrine
en indiquant qu’elle « faciliterait » de telles opérations. Reste la
questiondu timing : « surmobilisées » pour financer l’économie,
les banques européennes n’ont pas forcément la tête à cela. Ni les
moyens. Mais ont-elles encore le choix ? W
chauffeur et à leur guide. Il est donc logique qu’on s’interroge sur
le bien-fondé de la présence tricolore à 4 000 kilomètres de nos
frontières. Il y va de l’intérêt national et européen, répond l’Ely-
sée. Européen ? Mais où sont nos voisins, avec lesquels on célé-
brait il y a encore quelques semaines l’accord sur le plan de relance
européen de 750 milliards d’euros ? Certains viennent prêter
main-forte à la France au Sahel, au sein de la nouvelle force bap-
tisée Takuba (« sabre », en touareg). Mais pour l’heure, seuls les
Estoniens ont posé le pied dans les sables africains. Ils devraient
être rejoints par les Tchèques, les Suédois et les Italiens. Soit 4 pays
sur les 26 partenaires européens de la France : une maigre addition
de solutions. W
14
PÉRISCOPE
PÉROU
Covid-19 : le cap
des 20000 victimes
est franchi
A chaque semaine son record
macabre, au Pérou. Le 5 août, le
pays a enregistré 221 morts du
Covid-19 en vingt-quatre heures.
Du jamais-vu depuis le début de la
pandémie. Désormais, la barre des
20 000 décès a été franchie, por-
tant l’Etat au 5e rang des plus tou-
chés en mortalité par habitant.
Sans compter que le bilan est lar-
gement sous-estimé, admet la
ministre de la Santé, qui l’évaluait
le 29 juillet à 43 000 victimes. Pour
l’infectiologue Ciro Maguiña,
interrogé par La República, de
tels chiffres s’expliquent par
« l’abandon du système de santé
depuis quarante ans, l’économie
informelle et la surpopulation ».
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
SYRIE
Le coronavirus
pénètre dans le
camp d’Al-Hol
C’était un scénario redouté dans
le tentaculaire camp de déplacés
d’Al-Hol, dans le nord-est de la
Syrie : trois soignants ont contracté
le coronavirus.Ils sont les premiers
cas confirmés dans ce lieu propice
à la contagion. Des dizaines de mil-
liers de personnes y vivent dans
une grande promiscuité et des
conditions d’hygiène déplorables.
« L’accès à l’eau, déjà limité, a été
régulièrement entravé cet été»,
observe le site d’informations
panarabe Al-Monitor. En cause,
le niveau d’eau très bas du barrage
le plus proche et les coupures à la
station qui alimente le camp.
CÔTE D’IVOIRE
Alassane Ouattara
en lice pour un
troisième mandat
Pour la nouvelle génération, il fau-
dra attendre. A 78 ans, le dirigeant
ivoirien, qui avait promis de ne
pas briguer de troisième mandat,
a officialisé la semaine dernière
sa candidature à l’élection prési-
dentielle du 31 octobre. L’annonce
d’Alassane Ouattara intervient
après la mort de son dauphin dési-
gné, Amadou Gon Coulibaly. Le
chef de l’Etat invoque la « stabilité
du pays ». En est-il le seul garant ?
Le site Connectionivoirienne
pose la question. « La stabilité à
bâtir est celle qui résiste à toutes
les ambitions personnelles, parce
que ses bases auront été renforcées
par l’acceptation des lois »,
commente-t-il.
 15

L'EXPRESS

BIÉLORUSSIE

Victoire écrasante
pour l’autocrate
Alexandre
Loukachenko
Et de six ! Après vingt-six ans pas-
sés à la tête du Bélarus, Alexandre
Loukachenko rempile pour un
sixième mandat. Selon les scores
officiels de la présidentielle du
9 août, le chef de l’Etat est crédité
de 80,2 % des voix, loin devant
Svetlana Tikhanovskaïa, étoile
montante de l’opposition, qui
rejette ce résultat. L’annonce a été
suivie de manifestations qui ont
été violemment réprimées.
L’opposition prépare un « Maïdan
à Minsk », croit savoir le quotidien
russe Nezavissimaïa Gazeta.
Une révolution qui pourrait passer
notamment par « l’organisation
d’une grève à l’échelle nationale
dans toutes les entreprises d’Etat »,
écrit le journal.

NIGER HONGKONG JAPON

Le terrorisme frappe Un patron de presse Le combat

des humanitaires
français
C’est un mode opératoire triste-
ment familier dans les pays du
Sahel. Des hommes armés, à moto,
ont attaqué le 9 août une voiture
à Kouré, à une heure de Niamey, la
capitale du Niger. Cette zone abrite
les derniers troupeaux de girafes
d’Afrique de l’Ouest. Six Français
liés à l’ONG Acted y étaient en
visite avec leurs chauffeur et guide
nigériens quand leur véhicule a
été pris pour cible. Tous ont été
tués. L’assaut témoigne, selon le
site burkinabé WakatSéra, de
l’impuissance des forces armées
face « à l’hydre terroriste dont, mal-
heureusement, la tête repousse,
aussitôt coupée ».
prodémocratie
arrêté
Masqué et menotté, Jimmy Lai a
été arrêté chez lui ce 10 août à
Hongkong. Quelques heures plus
tard, le siège du journal Apple
Daily, qu’il dirige, était perquisi-
tionné. Traître pour les médias
chinois, héros pour beaucoup de
Hongkongais, ce patron de presse
prodémocratie se savait menacé
par la nouvelle loi sur la sécurité
nationale imposée par Pékin au
territoire semi-autonome. Il est
soupçonné par les autorités de
collusion avec des forces étran-
gères, et de fraude. « La liberté de
la presse promise dans la Loi fon-
damentale est en danger », déplore
le Parti démocrate hongkongais
dans le Hong Kong Free Press.
des survivants
d’Hiroshima
pour la mémoire
La pandémie mondiale de Covid-
19 a contraint le Japon à célébrer
le 75e anniversaire de la catas-
trophe d’Hiroshima en comité
restreint. A 8 h 15, le 6 août 1945, la
première bombe atomique de
l’histoire était larguée sur la ville :
140 000 victimes. Les derniers
témoins luttent aujourd’hui pour
en cultiver le souvenir, à travers
la préservation des bâtiments
témoignant« des horreurs de la
bombe » et la formation d’une
nouvelle génération de « passeurs
de mémoire », raconte la Nikkei
Asian Review. Et il reste toujours
le combat contre l’arme atomique
elle-même, « en pleine expansion
depuis 1945 ».

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

16
DANS LA MÊLÉE
« Dictature sanitaire » :
la France va-t-elle trop loin ?
Depuis le déconfinement, les arrêtés imposant le port
du masque se multiplient pour prévenir un retour en force
de la pandémie de Covid-19. Au risque de diviser.
OUI... MAIS / LA GRANDE GUERRE
A FAIT 155 FOIS PLUS DE VICTIMES
PAR YANN MOIX
O n a voulu aborder le problème du Covid-19 par le strict biais
des chiffres – ce qui est une absurdité en soi –, alors, je ne
ferai rien d’autre que répondre par des chiffres. La pandémie a
fait quelque 30 000 morts en France. Le pays compte actuelle-
ment 66 524 000 habitants. Ayant appris, comme tout le monde,
à faire une règle de trois, j’en déduis que le nombre de décès dus
au coronavirus correspond à 0,045 %
de la population. En 1913, celle-ci comp-
tait 41 620 000 personnes. En 1918,
après quatre ans de guerre, il en restait
38 670 000, soit une mortalité équi-
valente à 7 % de la population totale.
La guerre a fait 155 fois plus de victimes
que le Covid-19.
Si vous parlez, du matin au soir et
JUANJO GASULL/COLAGENE
du soir au matin, en boucle, de l’in-
farctus du myocarde, de la sclérose en
plaques ou des maladies dues à la pollu-
tion – à l’origine de 48 000 décès par an
en France, soit près de 20 000 de plus
que les morts liées au coronavirus –,
NON / NOUS AURIONS EU BIEN PLUS
DE DÉCÈS SANS DES MESURES FORTES
PAR AXEL KAHN
C ette notion de « dictature sanitaire » se développe actuel-
lement, mais elle s’inscrit dans un contexte plus large de
contestation de l’autorité, qu’elle soit politique ou scientifique.
Cela s’est vu avec le mouvement des gilets jaunes ou avec les
courants antivaccins, et se vérifie maintenant à l’occasion de
cette crise sanitaire.
Il faut rappeler que, au cours du XXe siècle, le monde a connu
quatre autres crises épidémiques majeures et, chaque fois, des
mesures de restriction des libertés comme le confinement
ont été imposées. Et nul ne peut dire qu’elles n’ont pas été effi-
caces. Avec l’épidémie de Covid-19, nous compterons sans doute
près de 40 000 morts, mais nous en aurions eu 300 000 sans
le confinement ! Ceux qui brandissent l’argument d’un taux
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
vous créerez, de la même façon, une psychose liée à l’infarctus,
à la sclérose ou aux particules fines. Ce qui a effrayé, dans le cas
du Covid-19, c’est l’irruption de la nouveauté, le surgissement de
l’inédit – eût-il existé un vaccin que, d’une part, nul n’aurait eu
peur, et que, d’autre part, le taux de vaccination n’aurait peut-être
été, comme on s’en aperçoit aujourd’hui selon des sondages, que
de 30 % dans la population. Comme si l’existence d’un remède
épongeait à elle seule l’intégralité de la panique. L’effroi est donc
venu du fait, étant donné la faible mortalité du Covid-19 et la
spécificité des victimes, de l’absence de traitement.
En revanche, je suis hautement favorable au port du masque.
Je ne crois pas que le risque, dans les rues, de contaminer qui-
conque soit très élevé. Mais le port de
cet écran dans l’espace public possède
un avantage certain : il rappelle que le
virus existe. Le masque, c’est le virus
rendu visible. Il agit d’une certaine
façon comme un pense-bête, comme
un rappel à l’ordre. Sa vertu, ailleurs
que dans les lieux clos, est avant tout
pédagogique. Le masque est une publi-
cité pour la prophylaxie en même
temps qu’une protection. W
Yann Moix est écrivain et réalisateur.
Dernier roman paru : Orléans (Grasset).
Son interview est à lire en version intégrale
sur Lexpress.fr
de mortalité très faible oublient ce « détail », rendu possible
grâce à la restriction des libertés.
On peut toujours contester la façon dont les mesures sont mises
en place. Instaurer un test PCR obligatoire dans les aéroports, puis
laisser les gens aller où bon leur semble n’est, certes, pas efficace.
Reste que nous sommes loin d’une « dictature sanitaire », car nous
n’avons pas imposé de quatorzaine à la descente des avions. De
même, déclarer la gratuité de ces tests entraîne forcément un engor-
gement dans les laboratoires, qui n’a pas été anticipé. Mais, finale-
ment, nous en réalisons aujourd’hui 300 fois plus qu’au début de
l’épidémie (600 000 chaque semaine, contre 2 000).
Enfin, en ce qui concerne le port du masque, s’il faut bien
admettre que les revirements successifs des autorités ont pu
nourrir une forme de défiance, tous les scientifiques s’accordent
à penser qu’il s’agit bien du geste barrière premier pour lutter
contre la propagation de l’épidémie. J’encourage évidemment
à le porter dans les lieux publics où l’affluence est forte comme
dans certaines grandes villes. Cela n’a rien de liberticide. W
Axel Kahn est président de la Ligue contre le cancer et généticien.
18

SONAR

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prendrez le train. Surtout sur le chemin des vacances…
(entre 2015 et 2018)
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Taux d’objets perdus pour 1 000 voyageurs YWFINYNTSSJQXVZJQƞTSTGXJW[JQJXYFZ]IƞTGOJYXUJWIZX
(entre 2015 et 2018) les plus élevés.

Types d’objets trouvés &HJOJZHJQQJIu Croisic (Loire-Atlantique) remporte la palme

IJQƞ«YTZWIJWNJF[JHZSYFZ]IJ3,23‰ : entre 2015 et 2018,
Effets personnels (sacs, valises,
a ye 4,4
2% 1 358 objets y ont été trouvés, pour un total
cartables, vêtements, chaussures,
nd de 419 966 voyageurs.
optique, articles d'enfants, parapluies, He 2‰ 64
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2 2,0 13, s
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Papiers d'identité, argent, clefs, etc. 86
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Articles culturels et sportifs % ,56
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% n an
numériques, appareils photo, livres, 63
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articles de papèterie, articles de sport Pe ‰
et de loisirs, instruments de musique) 0,5 11,8
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Quels sont les objets les plus fréquemment perdus :

Portefeuilles, papiers d'identité Petits sacs de voyage Lunettes Autres

12,71% 7,76% 5,01% 30,3%

24,22% 9,51% 6,21% 4,27%

Valises Téléphones portables Vêtements Clefs, porte-clefs

Sources : SNCF Open Data, https://ressources.data.sncf.com/explore/dataset/objets-trouves-restitution/table/?sort=date INFOGRAPHIE : MAXIME ZOFFOLI

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

20
En couverture

n° 3606 semaine du 13 au 19 août 2020

Les confessions de Raphaël Enthoven

Guerre de générations à la mairie de Paris

Chômage partiel : gare aux contrôles !

Beyrouth, entre colère et reconstruction

NATUROPATHIE, MÉDITATION, GÉOBIOLOGIE…

Les arnaques des

SCIENCES médecines douces

Médecines douces :
abracadabra,

3’:HIKLRC=WUY^U\:?d@q@a@q@a";
M 01722 - 3606 - F: 4,90 €
l’argent s’en va !
Tous disposent de boutiques virtuelles,
avec CD, livres, réservation de consulta-
Le Covid-19 a donné un coup tions, ateliers, formations. La palme est
décernée à Thierry Casasnovas et à ses
d’accélérateur à des thérapies programmes aux titres évocateurs : « cure
alternatives déjà en plein essor. de jouvence », « vieillir en santé »… Soit
quelques heures de cours en ligne factu-
Nous avons enquêté sur leur coût pour rées 300 euros, TVA incluse. La Miviludes
les particuliers comme pour la collectivité, a déjà reçu plus de 500 signalements à
son sujet, et l’homme fait l’objet d’une
mais aussi sur leurs risques et l’absence enquête de l’Office central pour la répres-
de preuves quant à leur efficacité... sion des violences aux personnes.
Si la crise sanitaire a pu jouer un rôle
d’accélérateur, le phénomène s’inscrit dans
PAR STÉPHANIE BENZ
une tendance qui n’a cessé de s’affirmer
ces dernières années : « Les médecines non
conventionnelles sont un indicateur de
l’état de notre société, une lame de fond

C
olliers pour « ioniser l’air
ambiant » et se protéger
du coronavirus, lampes
UV pour « assainir l’atmo-
sphère », compléments
alimentaires et tisanes
« anti-Covid »… Les charlatans en tout
genre ont profité à fond de la récente épi-
démie. « Nos agents chargés de traquer les
pratiques commerciales trompeuses en
ligne n’ont jamais autant travaillé que pen-
dant le confinement », confirme Loïc
Tanguy, directeur de cabinet à la Direction
générale de la concurrence, de la consom-
mation et de la répression des fraudes
(DGCCRF). Même constat à la Mission
interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires (Miviludes) :
« Les pseudo-thérapeutes, les coachs,
les groupes religieux ont adapté leur
communication et leur offre à la crise
sanitaire », indique la secrétaire générale
Anne Josso, qui a noté une nette hausse
des signalements à partir de mai.
Certains discours, toutefois, portent
plus que d’autres. Tel celui de Thierry
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
Casasnovas, gourou de l’alimentation
crue, dont le talk-show enregistré avec
trois comparses, complotistes et adver-
saires de la vaccination, a été regardé plus
de 580 000 fois sur YouTube. Ou encore
celui de Jade Allègre, une naturopathe qui
prône « l’utilisation médicale des argiles »
Les sommes que draine
le secteur sont difficiles
à évaluer, car l’économie
informelle y règne
pour « renforcer l’immunité » – près de
90 000 vues pour son podcast. « Avec
l’épidémie et le confinement, l’anxiété a
augmenté et certains réagissent de façon
irrationnelle, se plongent dans ces vidéos
et adhèrent à ces discours », s’inquiète
Anne Josso. Une audience accrue dont ces
pseudo-thérapeutes savent tirer profit.
dont les pouvoirs publics n’ont pas pris
la mesure. On se tourne vers elles pour faire
face à une forme de mal-être, à des inter-
rogations », constate Samir Khalfaoui,
conseiller au pôle santé de la Miviludes. Nul
ne sait combien de « thérapeutes » exercent
aujourd’hui, même si les annuaires qui
les recensent s’étoffent régulièrement
– notamment lors des périodes de crise,
propices aux reconversions profession-
nelles dans ce domaine. Les sommes que
draine le secteur restent difficiles à évaluer,
car l’économie informelle y tient une large
part. Mais les méthodes visant à attirer les
« patients » sont bien connues. « Nombre
d’histoires se ressemblent. Lors d’un
moment difficile, vous êtes orienté par le
bouche-à-oreille vers un praticien, et après
quelques séances celui-ci va commencer à
vous dire qu’il sent un énorme potentiel
en vous », décrit Samir Khalfaoui. Avec,
toujours, le risque d’une emprise, comme
ce fut le cas pour cette ingénieure d’une
grande société publique, appâtée par des
séances de « thérapie de résolution du
traumatisme » à 130 euros la demi-heure,

et qui a failli quitter compagnon et emploi
pour devenir à son tour thérapeute…
Même la naturopathie, orientée norma-
lement vers l’hygiène de vie, peut être
source de dérives. Dans le Sud-Ouest, un
praticien a ainsi fait l’objet d’un signale-
ment pour exercice illégal de la médecine.
Il proposait à ses patients la méthode
NAET, censée éliminer les allergies, ou
encore du « décodage biologique », lequel
ramène toutes les maladies à des chocs
psychologiques qu’il suffirait de se remé-
morer pour guérir. Une méthode dange-
reuse, parce qu’elle entraîne des retards de
soin. Dans un autre registre, les contrôleurs
de la DGCCRF se sont particulièrement
intéressés, cette année, aux compléments
alimentaires visant à stimuler l’érection. Ils
ont découvert que certains contenaient
en réalité du… Viagra. « Or celui-ci doit faire
l’objet d’une prescription médicale car il
comporte des contre-indications et peut
être nocif », relève Loïc Tanguy. Non dénués
de risques, ces produits ou pratiques non
validés, souvent sortis tout droit de l’ima-
gination de leurs promoteurs, s’avèrent
FRED VAN DEELEN/L’UN&L’AUTRE
généralement très onéreux. Un Russe,
Grigori Grabovoï, a déjà plumé quelques
Français en leur vendant une machine
nommée PRK-1U, qui promet « autorégé-
nération du corps » et « concentration de la
pensée » pour… 11 000 euros l’unité. On
peut aussi en louer « l’usage à distance »
pendant quatre ans, moyennant 1 212 euros.
Plus étonnant encore, certains charla-
tans parviennent à se faire financer par des
organismes publics. Ainsi des « géobiolo-
gues » peuvent-ils vendre leurs prestations
à des collectivités, à l’occasion de l’instal-
lation d’éoliennes ou de bâtiments publics
(voir page 23). Autre exemple, la médita-
tion, qui s’invite jusque dans les établisse-
ments scolaires. « Le problème, c’est que
l’Education nationale et les mairies n’ont
pas les moyens de contrôler les interve-
nants », regrette Anne Josso. En Bretagne,
une école a par exemple accueilli, pour ses
activités périscolaires, une intervenante
formée à la méditation par une organisa-
tion appelée Palais doré des lémuriens,
spécialisée dans la « récupération d’éner-
gie vitale par le saut quantique »…
21
«Quand des structures publiques
collaborent avec ces intervenants, elles
contribuent à les légitimer. De même
quand des hôpitaux leur ouvrent leurs
portes ou que des universités délivrent
des diplômes d’homéopathie, de Gestalt-
thérapie ou de programmation neuro-
linguistique », s’agace Georges Fenech,
ex-président de la Miviludes et auteur
de Gare aux gourous. Santé, bien-être, à
paraître le 1er septembre (voir page 25).
Pour la même raison, le collectif FakeMed
a décidé de s’attaquer à la prise en charge
par les complémentaires santé de pratiques
non validées par la science (voir page 24).
Ce groupe de médecins, qui a déjà obtenu
le déremboursement de l’homéopathie,
lance ici une nouvelle bataille, au bénéfice
des cotisants, des patients, et surtout de
la médecine moderne contre l’antiscience.
Connaîtra-t-il le même succès ? W
Conscience douteuse
Méditation :
attention à l’effet
de mode
Le business de la mindfulness se porte
à merveille, en vertu de bénéfices
supposés pour la santé que les études
scientifiques peinent à démontrer.
M oral miné, marché dopé : Calm, le
leader américain des applications
de méditation, a été téléchargé 3,9 mil-
lions de fois en avril, contre 2 millions
par mois en moyenne en 2019. En France,
Petit Bambou est passé mi-mars de 5 000 à
15 000 utilisateurs par jour. La méditation
de pleine conscience (ou mindfulness),
présentée comme l’antidote au stress
(voir page 62), connaissait déjà une crois-
sance fulgurante. Le confinement lui a
donné un coup de turbo.
Cette pratique consiste à se concentrer
sur sa respiration, et à laisser venir ses pen-
sées sans les contrôler. Sa popularité est à
mettre au crédit de l’Américain Jon Kabat-
Zinn. Ce biologiste, formé au bouddhisme,
a dépouillé la méditation de ses oripeaux
religieux et folkloriques pour en extraire
une méthode de réduction des tensions.
Sa philosophie ascétique, vue comme le
remède à l’opulence consumériste, séduit
les Occidentaux, à tel point que cette médi-
tation laïque prend parfois des airs de
nouvelle religion des pays sécularisés
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
22
En couverture
– avec bibles, rites et icônes. En 2017, 15 %
des Américains l’avaient essayée. Des
entreprises telles que Google, Unilever ou
Intel l’ont adoptée, et le Medef l’encourage.
Les pratiquants stars comme Matthieu
Ricard, Frédéric Lenoir ou le psychiatre
Christophe André (près de 600 000 exem-
plaires vendus de Méditer, jour après jour,
aux éditions de L’Iconoclaste) prêchent
dans les écoles et les hôpitaux, et jusqu’au
cœur du pouvoir : Assemblée nationale,
ministère de la Santé (voir page 25)…
Kabat-Zinn, lui, fait méditer le forum
de Davos. « Les tenants de la mindful-
ness passés par son université dans le
Massachusetts ont des antennes qui pro-
meuvent cette pratique dans les prisons,
les écoles et auprès des élus », pointe Anne
Josso, secrétaire générale de la Mission
interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires (Miviludes).
Christophe André assume : « Avec l’associa-
tion Mindfulness France, nous faisons
du lobbying pour diffuser cette pratique
gratuite et bénéfique. » Gratuite peut-être,
mais pour s’y initier, comptez tout de
même 85 euros la séance avec le Dr André
et 599 autres personnes, le 30 novembre
prochain, à Paris. Selon ses promoteurs,
méditer n’aurait que des vertus : réduire le
stress, l’hypertension, ralentir le vieillisse-
ment, etc. « La pleine conscience m’a gué-
rie, assure la coach Laurence Dapon, très
investie dans la promotion de la pratique.
J’ai connu une dépression sévère, entre
1983 et 2012, faite d’incessantes rechutes.
Associée à une molécule, la méthode
Pour l’anxiété
et la dépression,
les résultats semblent
faibles à modérés
m’a aidée à lutter contre les ruminations.
Aucune récidive entre 2015 et 2020. »
Si la mindfulness a prouvé son intérêt
contre les rechutes dépressives et le stress,
l’ampleur des effets n’est pas toujours
spectaculaire. En 2014, une méta-analyse
publiée dans la revue Jama estimait que
pour l’anxiété et la dépression, les résultats
étaient « faibles à modérés ». Pour les autres
affections, difficile d’y voir clair, malgré
une littérature pléthorique – au cours de
la seule année 2019, 7 000 publications
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
scientifiques contenaient le terme mind-
fulness. Christophe André l’admet : « 80 %
des études sont encourageantes mais ne
présentent aucune preuve irréfutable. »
Grégoire Borst, directeur du Laboratoire de
psychologie du développement et de l’édu-
cation de l’enfant (CNRS), qui mène lui-
même des recherches sur la méditation, est
plus sévère : « Les quelques études sérieuses
montrent des résultats extrêmement
faibles. » Et ces images IRM du cortex du
moine Matthieu Ricard, pratiquant aguerri
(60 000 heures au compteur) qui ont fait
le tour du monde ? « Ces analyses sur de
grands méditants, qui ont des prédisposi-
tions, ne prouvent rien », tranche le Pr Borst.
En octobre 2017, coup de tonnerre
(ou de gong) : une méta-analyse intitulée
« Mind the hype » (« Attention à l’effet de
mode ») dénonce les études pleines de
biais, d’imperfections méthodologiques
et de protocoles bancals qui ont créé « des
malentendus dans l’opinion » et gonflé,
sous l’impulsion du marketing, une bulle
cognitive. Willoughby Britton, directrice
du Laboratoire de neuroscience clinique
et affective à l’université de Brown (Rhode
Island), enfonce le clou : « La mindfulness
pèse plusieurs milliards de dollars et profite
aussi aux scientifiques. Rien ne les incite à
revenir sur ces conclusions optimistes. »
Et quand les résultats déçoivent, les zéla-
teurs du zen font parfois l’autruche – non,
ce n’est pas une position de yoga.
Autre problème : les effets néfastes ont
été sous-estimés. « 25 % des personnes
testées ont rapporté des effets déplaisants :
crises de paniques, anxiété, décompensa-
tion, dissociation, hallucinations… »,
avance le Pr Britton. La chercheuse, qui
s’improvise lanceuse d’alerte, encourage
ceux qui souffrent de problèmes psychia-
triques et de traumas à consulter un ins-
tructeur qui soit un professionnel de santé.
« Je déconseille la méditation aux patients
fragiles, confirme Christophe André. Au
début, on était moins vigilants, mais désor-
mais, je fais un check-up préalable. »
Non réglementée, la profession est
surveillée par les associations de lutte
contre les sectes. Attirés par la popularité
de la pleine conscience, des charlatans
s’en servent comme d’un cheval de Troie.
« Tous ceux qui faisaient de la commu-
nication avec les “êtres de lumière” ajoutent
maintenant de la pleine conscience »,
confirme Anne Josso. La Miviludes a enre-
gistré 150 saisines à ce sujet en 2018 et 2019.
« De plus en plus de familles viennent nous
voir car un de leurs proches, après une
retraite, est revenu changé, voire rompt les
liens, raconte Audrey Foulon, de la Caffes,
qui lutte contre les dérives sectaires. On a
aussi retrouvé, dans un centre social à
Lille, le président de la Shri Ram Chandra
Mission, un mouvement sectaire, qui pro-
posait des séances de heartfulness. » Pour
les défenseurs de la pleine conscience, ces
usages n’ont de méditation que le nom.
A l’inverse, pour ses contempteurs, la pra-
tique porte en elle les germes de ces dérives.
Son créateur, Jon Kabat-Zinn, n’est-il pas
également membre de l’Institut Esalen,
en Californie, centre de gravité de mouve-
ments comme le New Age ou le « Potentiel
humain », dénoncés par la Miviludes ? W
LUCAS BRETONNIER (AVEC S. BZ)
Détox
La repentie
de la naturopathie
Britt Marie Hermes a été naturopathe.
Aujourd’hui, cette lanceuse d’alerte
dénonce les « arnaques »
d’une discipline en plein essor.
D e la « poudre de perlimpinpin
moderne ». Voici comment Britt Marie
Hermes résume la naturopathie, nébu-
leuse de méthodes dites naturelles faisant
appel aux compléments alimentaires,
à l’homéopathie ou à la détox. La jeune
Américaine connaît son sujet. Diplômée
de l’université Bastyr (le « Harvard des mé-
decines alternatives ») à la suite d’un cur-
sus qui lui a coûté la bagatelle de
200 000 dollars, elle a exercé pendant trois
ans en tant que naturopathe agréée. Britt
Marie se considérait comme un vrai méde-
cin. Il aura suffi d’un week-end pour balayer
cette illusion. En mai 2014, elle découvre
que l’extrait de grande chélidoine, prescrit
dans sa clinique à des malades du cancer
pour des dizaines de milliers de dollars,
est prohibé sur le territoire américain.
« J’étais impliquée dans un potentiel délit
et j’avais proposé quelque chose de dan-
gereux à mes patients sans rien connaître
à l’oncologie », nous confie-t-elle. Non
sans douleur, Britt Marie Hermes prend
conscience que l’enseignement de Bastyr
s’apparente à de la « sorcellerie » enrobée
d’un mince vernis médical.
Depuis, cette apostate est la plus
farouche opposante de la naturopathie.
Dans son blog Naturopathic Diaries, elle
dénonce les bases pseudo-scientifiques

M. DAHLBERG/SDP
L’Américaine a tourné le dos au vitalisme.
d’une discipline apparue à la fin du
XIXe siècle, et qui bénéficie d’une légis-
lation très favorable dans une dizaine
d’Etats américains. Premier principe
fallacieux : la naturopathie repose sur le
concept de vitalisme, cette idée que le corps
humain posséderait une énergie magique
(le « vis ») que le naturopathe a pour mis-
sion de doper. Deuxième idée préconçue :
tout ce qui est naturel est bon, tout ce qui
ne l’est pas se révèle néfaste. Or, comme le
rappelle Britt Marie Hermes, « les subs-
tances naturelles peuvent aussi être dan-
gereuses. Elles renferment des composants
chimiques entraînant d’éventuels effets
secondaires, susceptibles d’interférer avec
un traitement médical et, à fortes doses, de
devenir toxiques. Contrairement aux médi-
caments standardisés, les produits bruts
n’ont pas de tests à subir pour s’assurer de
leur caractère inoffensif, ou même pour
savoir s’ils ont un effet tout court. »
La naturopathie a largement contribué
à l’engouement pour les cures de détoxi-
cation, ces rituels de purification laïques.
Britt Marie Hermes l’avoue, elle-même a
conçu des « arnaques à la détox », de lucra-
tifs programmes moins destinés à délester
les patients de leurs supposées toxines qu’à
faire gonfler le chiffre d’affaires de sa struc-
ture. « Les naturopathes savent de manière
très astucieuse comment marketer des
produits de bien-être parfaitement super-
flus. Personne n’a besoin de pratiquer la
détox pour être en bonne santé, ou de boire
des boissons spéciales pour laver un rein
ou un foie. » La repentie fustige les bonnes
affaires de célébrités – à commencer par
Gwyneth Paltrow – qui font la promotion
de ce culte du « bien-être », et souligne à
quel point les médecines douces ciblent les
femmes, en leur « vendant la promesse de
devenir une meilleure épouse ou une meil-
leure mère si elles ont plus d’énergie ».
On lui suggère que l’herboristerie ne
fait guère de mal. « Mais, nous rétorque la
trentenaire, même dans le cas où ils sont
parfaitement bénins, ces “remèdes” repré-
sentent une nuisance car les patients
invertissent de faux espoirs, du temps et
beaucoup d’argent. » L’année dernière, la
lanceuse d’alerte a gagné un procès en
diffamation contre la naturopathe Colleen
Huber, un charlatan qui « traite » des
patients atteints du cancer avec du bicar-
bonate de soude ou des mégadoses de vita-
mine C, administrés en intraveineuse.
Aujourd’hui installée en Allemagne,
Britt Marie Hermes prépare une thèse en
génomique. Elle étudie les problèmes
inflammatoires de la peau. Une façon de
boucler la boucle : c’est son psoriasis
qui, à l’âge de 16 ans, l’a entraînée vers les
médecines douces, suite au comporte-
ment odieux d’un dermatologue face à
l’adolescente en souffrance. « La preuve,
conclut la chercheuse, qu’au-delà d’un
travail d’information, il faut avant tout
écouter les personnes séduites par les
pseudo-sciences. » W THOMAS MAHLER
Terrain glissant
Les bonnes
affaires
des géobiologues
Prétendant chasser les mauvaises ondes
et purifier les maisons, ces praticiens
détectent surtout les dossiers juteux.
P urifier sa maison ou un terrain,
s’assurer de leur « équilibre magné-
tique », chasser les mauvaises ondes et les
méchants esprits. Autant de prouesses
que la géobiologie promet d’accomplir.
Cette pratique pourrait faire sourire si elle
ne prétendait pas aussi préserver votre
santé physique et psychique, ce qui lui
vaut de connaître un inquiétant essor
depuis une dizaine d’années.
« La géobiologie se réclame de connais-
sances et de pratiques scientifiques, la géo-
logie et la biologie, des disciplines qui ne la
reconnaissent pas, explique Jean-Bruno
Renard, professeur émérite de sociologie
à l’université Paul-Valéry (Montpellier).
23
Ses fondements théoriques comme les
“réseaux telluriques” ne correspondent à
aucune donnée avérée. Ensuite, elle utilise
un jargon et des instruments pseudo-
scientifiques, tout en prenant ses racines
dans des croyances et des pratiques ances-
trales, comme le feng shui. Enfin, elle établit
de fortes connexions avec d’autres fausses
sciences, dont la naturopathie, le magné-
tisme et, bien sûr, la radiesthésie. »
L’antenne de Lecher, l’outil indispen-
sable des géobiologues, illustre parfaite-
ment ces dérives. Pour 140 euros environ,
l’équipement dispose de différentes gra-
duations correspondant à des longueurs
d’onde vibratoires. « Si l’antenne se lève et
que le curseur se trouve placé sur le chiffre
3,33, c’est qu’un envoûtement est détecté,
explique Jean-Bruno Renard. 10,30 indique
une canalisation de gaz ou une protection
céleste ; à 13, de la magie blanche ou la
Vierge Marie. » L’antenne de Lecher n’est
pas l’objet magique le plus onéreux de la
panoplie. Le pack MK70-3D Plus 2.2 pour
mesurer les ondes électromagnétiques
revient, par exemple à… plus de 7 000 euros !
Et c’est sans compter le coût des
diplômes décernés lors de formations
soit-disant « scientifiques » dispensées
dans des écoles et des académies. « Pour un
stage de deux ou trois jours, il faut débour-
ser plusieurs centaines d’euros. Une forma-
tion complète peut s’étaler sur plusieurs
années, et donc en coûter des milliers.
Il s’agit d’un business juteux », indique
Sébastien Point, docteur en physique et
président de la section des rayonnements
non ionisants de la Société française de
radioprotection. Des enseignements qui
justifient ensuite les tarifs exorbitants
pratiqués par les géobiologues.
Ainsi, la pré-étude sur plan d’un ter-
rain coûte une centaine d’euros, de 500 à
1 000 sont demandés pour une interven-
tion sur un habitat ou une exploitation
agricole, et plus de 1 000 pour une confé-
rence. Selon la Mission interministérielle
de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires (Miviludes), ces pseudo-experts
n’hésitent pas non plus à intervenir dans
le cadre d’enquêtes publiques ou de
projets d’aménagement : « Par exemple,
lors de l’implantation d’éoliennes ou
d’une antenne-relais, des associations
demandent quelquefois que le projet
soit expertisé par des géobiologues. Les
opérateurs et le promoteur – voire la
collectivité – peuvent se sentir obligés
de payer leurs prestations afin d’éviter
les complications. »
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
24
En couverture
Mais le plus inquiétant, selon le
Pr Point, est probablement le glissement
de la géobiologie vers les traitements dit
« alternatifs », qui peuvent couper les plus
vulnérables des parcours de soins vitaux.
« Les personnes faisant appel à des géo-
biologues ont souvent des symptômes
non spécifiques qu’ils relient, parfois, à
des maladies imaginaires ou fourre-tout,
comme la maladie de Lyme chronique ou
l’électrosensibilité. Or, à chaque fois que
l’on propose des solutions imaginaires à
des problèmes de santé avérés, il y a abus
de confiance. » Ces cinq dernières années,
Tribune
« Halte à la complaisance
des complémentaires santé vis-à-vis
des pseudo-thérapies ! »
Le collectif FakeMed*, qui a obtenu le déremboursement de l’homéopathie, dénonce
la prise en charge des médecines douces par les mutuelles.
D epuis 2016, l’assurance maladie
complémentaire d’entreprise est
devenue obligatoire pour les salariés du
privé. Cependant, on peut se demander
si cette nouvelle solidarité est toujours
pertinente. A des fins commerciales, car
on ne peut naïvement nier l’existence
d’une demande, certaines complémen-
taires santé, assurances comme mutuelles,
proposent de couvrir le coût de soins non
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
la Miviludes a enregistré une soixantaine
de saisines concernant la géobiologie.
L’une d’elles évoque le cas de l’école
Géobios, « où des experts autoproclamés
dispensent des soins qui feraient presque
penser à un exercice illégal de la méde-
cine ». D’autres plaintes expriment de vives
inquiétudes vis-à-vis de proches. Exemple :
« Mon frère est dans une situation compli-
quée, plus aucun membre de la famille ne
comprend ses propos, comme l’existence
d’effets souterrains qui dirigeraient le
monde. » La géobiologie ne fait décidé-
ment pas sourire. W VICTOR GARCIA
FRED VAN DEELEN/L’UN&L’AUTRE
conventionnels. Nous dénonçons ce
choix, en mettant en avant une éthique
utilitariste : pour contribuer à la bonne
santé du plus grand nombre, les moyens,
limités, doivent couvrir les soins les plus
efficaces, et ne pas être dilapidés dans
des pratiques illusoires et non fondées.
Le premier groupe mutualiste en
France (couvrant 4,5 millions de per-
sonnes) prend en charge des séances
d’ostéopathie, chiropraxie, microkinési-
thérapie, acupuncture, auriculothérapie,
mésothérapie, biokinergie, kinésithérapie
énergétique, ou encore neurostimulation
électrique transcutanée. Or ces disciplines
n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ou,
au mieux, de manière très limitée. Le
deuxième groupe mutualiste (4 millions
d’assurés) inclut dans son offre la plus
simple des forfaits pour couvrir les « méde-
cines douces », mélangeant des disciplines
éprouvées (diététique, psychothérapie),
et d’autres plus discutables (ostéopathie,
chiropraxie).
Côté assureurs, le plus important
d’entre eux ne prévoit pas la prise en charge
de soins alternatifs dans son contrat de
base, mais il propose lui aussi une offre
supplémentaire pour les « médecines
douces », terme sous lequel il regroupe
ostéopathes, chiropracteurs, acupuncteurs
et pédicures-podologues. Notons au pas-
sage que ces derniers proposent des actes
cliniques conventionnels, et que rien ne jus-
tifie donc leur place dans cette catégorie.
Il nous semble absurde que des disci-
plines n’ayant pas fait preuve de leur effi-
cacité soient prises en charge par ce qui est
devenu, de fait, de la solidarité nationale.
En effet, l’argent alloué à ces pratiques
non conventionnelles est utilisé au détri-
ment de soins qui pourraient, eux, rendre
service : psychothérapie, diététique, ergo-
thérapie, etc. De surcroît, leur prise en
charge leur confère une apparente crédi-
bilité et maintient les patients dans une
confusion dont savent profiter les pseudo-
thérapeutes. Contrairement à ceux de la
Sécurité sociale, les chiffres de ces dépenses
ne sont pas publics. Nous invitons les
complémentaires santé et les consomma-
teurs à mener des recherches sur l’effica-
cité et l’utilité de ces médecines alterna-
tives. Nous suggérons de proposer une offre
dépourvue de soins non conventionnels,
permettant aux usagers un vrai choix tout
en diminuant le coût des cotisations, sans
affecter la qualité de la couverture propo-
sée. Pour cela, nous serions ravis d’entamer
un dialogue constructif avec les complé-
mentaires santé. En tant qu’acteur des
soins, celles-ci se doivent de respecter des
règles afin de protéger les patients. Donner
des informations claires et justes quant
aux pratiques qu’elles prennent en charge
est, dans cette optique, indispensable. W
COLLECTIF FAKEMED
* Le collectif FakeMed regroupe
des professionnels de la santé et défend la médecine
fondée sur des preuves scientifiques.

Alerte
Georges Fenech :
« Les dérives thérapeutiques ont
prospéré ces dernières années »
L’ancien président de la Miviludes dévoile en exclusivité
son livre Gare aux gourous. Santé, bien-être, à paraître le 1er septembre.
Il dénonce l’entrisme des thérapies non conventionnelles.
G eorges Fenech, député du Rhône
jusqu’en 2017 et ancien juge d’ins-
truction, a présidé la Mission interminis-
térielle de vigilance et de lutte contre les
dérives sectaires (Miviludes) de 2008 à
2012. Il publiera le 1er septembre Gare aux
gourous. Santé, bien-être, aux éditions du
Rocher. Un livre en forme de cri d’alarme,
face à la montée en puissance des pseudo-
médecines et à l’inertie de l’Etat.
Pourquoi avoir écrit ce texte huit ans
après votre départ de la Miviludes ?
Georges Fenech Pour mettre en garde
les Français contre les dérives thérapeu-
tiques, qui ont prospéré ces dernières
années. L’Ordre du temple solaire attirait
déjà ses adeptes par le biais de la santé.
Après les drames successifs qui ont fait
74 morts entre 1994 et 1997, il y avait eu une
prise de conscience. Le parlement avait
lancé des commissions d’enquêtes,
puis le gouvernement Juppé a créé ce
qui allait devenir la Miviludes. Mais
B. COUTIER/AFP
L’ex-député invite à garder l’œil ouvert concernant les pratiques non conventionnelles.
aujourd’hui, ces pratiques envahissent
la société tout entière : les hôpitaux, les
universités, les écoles, Internet… J’ai vu
trop de victimes au cours de ma carrière
pour rester sans rien dire, d’autant que
les autorités semblent avoir abdiqué
face à ce phénomène.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
D’abord, j’ai été très étonné que le dernier
président de la Miviludes, Serge Blisko,
n’ait pas été remplacé [NDLR : depuis
son départ à la retraite en octobre 2018].
Ensuite, le groupe d’étude sur les sectes à
l’Assemblée nationale, qui existait depuis
1995, n’a pas été renouvelé. Enfin, le coup
de grâce est venu avec l’annonce de la
migration de la Miviludes au ministère de
l’Intérieur. C’est une erreur majeure. On
nous dit que son acronyme restera, qu’elle
sera intégrée dans un grand centre inter-
ministériel de prévention de la radicali-
sation et qu’il n’y a aucune inquiétude à
avoir. En réalité, ses effectifs sont réduits,
25
elle n’a plus de président et elle se trou-
vera noyée dans la masse. Quand je la diri-
geais, nous avions des correspondants
dans toutes les administrations, qui mail-
laient le territoire. Cela a contribué à can-
tonner les pratiques sectaires. Mais
aujourd’hui, cette Miviludes petit format
ne peut plus remplir son rôle, et personne
ne prend le relais. On a jeté un voile
pudique sur ces dérives.
Qu’attendriez-vous des pouvoirs
publics ?
En premier lieu, que la Miviludes soit
pleinement rétablie. Mais les dérives
thérapeutiques dépassent le seul risque
sectaire. Les pseudo-médecines repré-
sentent un marché colossal, qui draine des
milliards d’euros, sans contrôle. La liberté
de chacun de se soigner comme il l’entend,
ou même d’y renoncer, est bien sûr une
valeur fondamentale. Pour autant, les auto-
rités ont un devoir d’information. Or que
voit-on ? Tout le contraire. Le groupe d’ap-
pui technique sur les pratiques non conven-
tionnelles à visée thérapeutique, créé
en 2009 afin d’évaluer ces méthodes, a réa-
lisé seulement neuf études, pour plus de
400 « thérapies » recensées. Et le ministère
de la Santé ne joue pas son rôle d’alerte.
Avez-vous déjà vu, par exemple, une com-
munication officielle à grande échelle sur
les dangers des stages « jeûne et randon-
née » ? Jamais, alors qu’ils peuvent causer
un affaiblissement physique mais aussi
psychique propice à la mise sous emprise.
Pis, on constate de plus en plus une poro-
sité, voire un entrisme, de toutes ces pra-
tiques dans les hautes sphères de l’Etat.
De l’entrisme, vraiment ?
C’est incontestable. Rendez-vous compte :
Jérôme Salomon, le directeur général de
la Santé, a accueilli dans son ministère un
colloque sur la méditation. Alors que ses
bienfaits supposés reposent sur des bases
scientifiques fragiles, cette pratique a
aussi fait son entrée à l’Assemblée natio-
nale, où un groupe de députés est allé
jusqu’à demander la prise en charge des
séances au titre de la formation des élus.
Fort heureusement, la questure a refusé.
Tout aussi baroque, l’ancienne ministre
de la Culture, Françoise Nyssen, avait créé
une école Steiner-Waldorf, proche du
mouvement anthroposophique, qui prône
des méthodes de soins alternatives. On
voit bien l’inversion des valeurs au plus
haut niveau, et c’est très inquiétant. W
PROPOS RECUEILLIS PAR S. BZ
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 26 France
HAUTE TENSION
Affaire Girard :
choc des générations
à la mairie de Paris
Les élus de la capitale se déchirent depuis le début
de l’été au sujet de la démission
de l’adjoint à la culture. Plongée dans les coulisses
d’une crise de société.
PAR CAMILLE VIGOGNE LE COAT ET ERWAN BRUCKERT
L
annilis (Finistère), 5 août.
Christophe Girard s’est retiré
dans ce petit village de
Bretagne, avec conjoint
et enfants, loin de Paris et
de  ses polémiques. Il ne
consulte plus les réseaux sociaux ni sa
messagerie, et s’est promis de se tenir
à l’écart de la presse. Pourtant, ce jour-là,
c’est bien lui qui reprend contact avec
L’Express, d’un numéro inconnu. « J’ai
changé de numéro, celui-ci est provisoire »,
explique l’ancien adjoint à la culture à la
mairie de Paris, qui se dit « harcelé ». Est-ce
bien la même personne qui, hier encore,
régnait sur tout ce que la Ville lumière
compte de musées et de salles de spectacle,
dirigeant près de 5 000 agents et gérant
500  millions d’euros de budget ?
Depuis vingt ans, cet homme aux
manières élégantes, ex-directeur de la stra-
tégie mode du groupe de luxe LVMH,
incarne le visage de la culture dans la capi-
tale. Mais c’était avant que son nom soit
associé, à 64 ans, à « l’affaire Gabriel
Matzneff », l’écrivain pédophile. Un scan-
dale qui s’est mué sans crier gare en
« affaire Girard ». Les détracteurs du socia-
liste l’accusent d’avoir contribué à perpé-
tuer un système de connivences qui a per-
mis à l’auteur de mener une vie paisible,
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
POLITIQUE
FLORENCE WOJTYCZKA
loin des ennuis judiciaires et financiers.
Depuis sa retraite bretonne, Christophe
Girard répète dans le combiné : « Pourquoi
moi ? Pourquoi j’aurais dû savoir ? » Retour
sur un psychodrame très français.
Rue des Saints-Pères (Paris), 2 jan-
vier. Tout commence à la sortie du livre
Le Consentement (Grasset), de Vanessa
Springora. L’auteure y raconte son histoire,
celle d’une adolescente de 14 ans sous l’em-
prise d’un homme de 50, Gabriel Matzneff.
Une bombe dans le milieu littéraire, où cet
écrivain à l’audience confidentielle béné-
ficie d’une réputation de libertin talen-
tueux. Matzneff n’a jamais fait mystère de
son attirance pour les très jeunes gens,
allant jusqu’à décrire dans ses « carnets
noirs » ses aventures sexuelles avec des
filles et des garçons parfois âgés de 12 ou
13 ans. Christophe Girard, loin de se dou-
ter que la tempête l’atteindra, se dit alors
« bouleversé » par le livre.
New York (Etats-Unis), 11 février.
Un article du New York Times met au jour
le réseau de complicités qui a permis à
Gabriel Matzneff de survivre malgré les
ventes faméliques de ses œuvres. Le quo-
tidien américain décrit notamment le rôle
de Christophe Girard, qui a servi dans les
années 1980 d’intermédiaire au mécène
et patron de la maison Yves Saint Laurent,
Pierre Bergé, pour payer à l’auteur des
Moins de seize ans une chambre d’hôtel
pendant près de deux ans, ainsi que ses
repas. Cette même chambre qui abritait
les « amours » de Matzneff avec Vanessa
Springora, et lui permettait d’échapper
aux « persécutions », selon ses termes,
de la brigade des mineurs.
A Paris, la campagne pour les munici-
pales vient de commencer, et Girard doit
se justifier. Interrogé par des militants
socialistes du XVIIIe arrondissement, le
sexagénaire répond patiemment aux ques-
tions : non, il n’avait pas lu La Prunelle de
mes yeux, où Matzneff relate son aventure
avec la jeune Springora. Si l’auteur lui a
dédié ce livre, c’est uniquement, selon lui,
parce qu’il était le représentant de Pierre
Bergé. Surtout, pourquoi le cibler lui quand
tant d’autres « savaient » et ne sont pas
inquiétés ? L’ancien maire du IVe arrondis-
sement cite notamment Antoine Gallimard,
l’éditeur des journaux de Matzneff, ou l’écri-
vain Frédéric Beigbeder, habitué des déjeu-
ners chez Lipp avec le sulfureux auteur.
Le premier adjoint d’Anne Hidalgo,
Emmanuel Grégoire, a peur que le dossier
devienne une bombe à retardement. Il s’en
ouvre à la maire. « Je ne lâche pas quelqu’un
sur la base d’impressions ou de présomp-
tions ! » réplique Hidalgo.
 France POLITIQUE 27

dans un cabanon. Parmi eux, Raphaëlle

Marché d’Aligre (Paris), 29 février.
Anne Hidalgo est venue tracter dans cette
institution du Paris bobo. Entre deux étals,
la maire sortante met un peu de temps à
reconnaître Alice Coffin, activiste les-
bienne et féministe, candidate sur les listes
écolos du XIIe arrondissement. « Il faut
qu’on se soutienne entre nous, qu’on ne
s’attaque pas », lui glisse Anne Hidalgo.
« D’accord, mais j’ai un gros problème avec
la présence de Christophe Girard sur vos
listes », lui répond Coffin. Les deux femmes
ne se quittent pas en mauvais termes,
mais Anne Hidalgo ne peut s’empêcher
de lâcher après coup à un proche : « C’est
encore moi qui choisis mes adjoints, et pas
sous la menace ! »
Locaux de la PJ (Nanterre), 4 mars.
Christophe Girard est entendu pendant
deux heures comme témoin dans l’enquête
préliminaire ouverte pour « viols commis
sur mineurs » visant Gabriel Matzneff.
Au même moment, Anne Hidalgo se pré-
pare pour le débat du premier tour des élec-
tions municipales, à onze jours du scrutin.
« C’est une drôle de date », fait mine de
s’étonner Christophe Girard, qui lâche à
Emmanuel Grégoire : « Si ça devient trop
compliqué, je peux partir… »
Paris, entre le 15 mars et le 28 juin.
Anne Hidalgo est ravie : sa liste est arrivée
en tête du premier tour, avec 29,3 % des voix.
L’écologiste David Belliard, lui, ne profite
pas de la vague verte nationale : il n’enre-
gistre que 10,8 % des suffrages. Les négo-
ciations pour fusionner leurs listes, d’ha-
bitude expédiées en quarante-huit heures,
durent plus de trois mois, confinement
oblige. La commission féministe d’Europe
Ecologie-Les Verts alerte de nouveau sur
le « cas » Girard, qui est pourtant en bons
termes avec le parti où il a milité il y a près
de vingt ans. Mais David Belliard ne
demande à aucun moment son éviction
de manière claire. « Nous n’avions pas les
moyens politiques d’imposer son départ »,
reconnaît-il, préférant se concentrer sur
le sauvetage de l’ex-ministre Dominique
Bertinotti, ralliée à EELV en février, et
celui… d’Alice Coffin. Les socialistes sacri-
fieront l’un des leurs dans le XIIe arrondis-
sement au profit de la militante.
Ménilmontant (Paris), 2  juillet.
Triste journée pour les écologistes, qui
enterrent Hervé, un militant fidèle du
parti. Une petite cérémonie est organisée
sur la friche du terrain d’éducation phy-
sique, là même où Anne Hidalgo projetait
de bâtir un ensemble immobilier, avant de
reculer du fait de l’opposition des Verts.
Juste après la cérémonie, David Belliard et
la poignée d’élus présents se réunissent
Rémy-Leleu, ancienne porte-parole d’Osez
le féminisme !, qui, à seulement 27 ans,
possède déjà une solide expérience du
militantisme. Belliard les informe : les
négociations pour « faire atterrir l’exécu-
tif » sont désormais closes. Les écolos s’en
sortent d’ailleurs plutôt bien ; ils ont
obtenu cinq postes d’adjoints. Il n’em-
pêche, le lendemain, certains refusent de
voter en faveur du nouvel exécutif, dont
les deux activistes Rémy-Leleu et Coffin,
rendues furieuses par la nomination de
Girard. La présidente du groupe,
Fatoumata Koné, qui a préparé une lettre
pour demander l’ouverture d’une enquête
interne à la mairie, échoue à convaincre
ses pairs de l’importance de voter la
confiance. Tiraillé, David Belliard convient
de la liberté de vote pour chacun. Le soir,
il prévient Emmanuel Grégoire que le blo-
cage est sérieux. Le premier adjoint
explose : « Il est 22 heures et vous ne vous
réveillez que maintenant sur un sujet aussi
sensible ? » De son côté, Christophe Girard
reçoit un seau d’urine sur la tête en ren-
trant chez lui.
Salle de réunion du groupe Europe
Ecologie-Les Verts (Hôtel de ville de
Paris), 3 juillet, 8 heures. Christophe
Girard a demandé à être auditionné par le
groupe écologiste. « Je n’ai pas à juger les
amours de Gabriel Matzneff », se défend-il
dans une ambiance glaciale. Arrivée en
retard, Raphaëlle Rémy-Leleu s’étrangle.
« “Amours”, vraiment, pour parler de pédo-
criminalité ? » Ils espéraient des excuses,
à la manière d’un Bernard Pivot qui a
reconnu « n’avoir pas eu les mots qu’il fal-
lait » face à Gabriel Matzneff, régulière-
ment invité sur le plateau d’Apostrophes.
Girard, lui, ne bouge pas.
Salle du Conseil de Paris, 3 juillet,
10 heures. Le conseil inaugural de l’Hôtel
de ville vire au fiasco pour Anne Hidalgo.
A l’heure du vote, il manque 11 voix à la
maire de Paris. Le scrutin se fait à bulletins
secrets, mais les coupables sont tout dési-
gnés : au moins 8 écologistes sur 23 n’ont
pas accordé la confiance au « gouverne-
ment » parisien. « On les fait élire conseil-
lers de Paris, ils restent bien silencieux, et
juste après ils nous chient dessus », résume
avec poésie un très proche d’Anne Hidalgo.
Au même moment, dans l’hémicycle,
Raphaëlle Rémy-Leleu prend un selfie.
Elle porte sur le visage un masque à l’effi-
gie de Frida Kahlo et tient dans la main
Le Consentement, de Vanessa Springora.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 28 France POLITIQUE
FLORENCE WOJTYCZKA
Services municipaux de la Ville
de Paris, 22 juillet. Trois semaines ont
passé depuis le vote. Dans un bureau de
l’Hôtel de ville, un agent découvre une
note de frais, puis deux autres, vestiges de
repas entre Christophe Girard et Gabriel
Matzneff. Mediapart en fera état quelques
jours plus tard, mais, pour l’heure, seule
une poignée de personnes sont dans la
confidence, dont Anne Hidalgo. L’édile
tombe de sa chaise. Son ami Christophe
ne lui avait-il pas assuré, quelques jours
plus tôt, qu’il n’avait croisé l’écrivain mau-
dit que fortuitement, lors d’événements
mondains ? Les deux déjeuners et le dîner,
pris entre 2016 et 2019, instillent le poison
du doute dans la défense qu’elle prend
de son protégé. Par l’intermédiaire de son
conseiller juridique, Anne Hidalgo décide
d’en informer le parquet.
Parvis de l’Hôtel de ville de Paris,
23 juillet, 9 heures. Une trentaine de mili-
tantes féministes sont rassemblées, ce
matin-là, ainsi qu’une petite dizaine d’élus
écolos. La violence des messages inscrits
sur les pancartes saute aux yeux de tous,
au point que certains élus, venus en sou-
tien, restent à l’écart, gênés. « Mairie de
Paris, bienvenue à Pedoland », « ville du
déni » et, un peu plus loin, « adjoint à la
culture du viol ». Les socialistes, qui
découvrent les images sur les réseaux
sociaux, s’étranglent. Christophe Girard,
depuis son grand bureau du quatrième
étage, n’a rien loupé de la scène. « J’ai eu
la nausée », raconte-t-il à L’Express.
Bureau de Christophe Girard (Hôtel
de ville de Paris), 23 juillet. Le directeur
de cabinet d’Anne Hidalgo, Frédéric Lenica,
puis son premier adjoint, Emmanuel
Grégoire, s’entretiennent avec l’intéressé.
La situation n’est vraiment plus tenable,
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
lui expliquent-ils. Selon plusieurs élus,
Emmanuel Grégoire n’est pas mécontent
de se débarrasser d’un rival. « Je les ai vus
dans mon bureau pour leur lire le commu-
niqué écrit par moi-même, mon conjoint,
mes fils aînés et mon avocate », assure
de son côté Christophe Girard, qui insiste
sur le caractère personnel de sa décision.
Anne Hidalgo, furieuse d’être contrainte
par une crise qu’elle n’a pas vu venir,
contre-attaque : « Je prends acte que les
deux élues siégeant dans le groupe des
Verts au Conseil de Paris […] se placent
ainsi d’elles-mêmes en dehors de la majo-
rité municipale », écrit-elle sur Twitter,
tout en soutenant son « ami », « victime
d’un déversement de haine et de violence
inacceptable ». A 18 heures, Christophe
Girard annonce sa démission à l’Agence
France-Presse.
« Bienvenue à Pedoland »,
« adjoint à la culture
du viol » : la violence des
messages saute aux yeux
Salle du Conseil de Paris, 24 juillet.
Le préfet de police de Paris, Didier
Lallement, assis à la droite d’Anne Hidalgo,
invite l’assemblée à applaudir « la grande
leçon de dignité » de l’élu qui a capitulé
la veille au soir. Standing ovation dans les
rangs du Conseil. Les applaudissements
couvriraient presque les cris d’Alice Coffin,
qui hurle, la main levée, « La honte, la
honte ! », comme l’avait fait, avant elle,
l’actrice Adèle Haenel à la cérémonie des
Césars après la victoire du cinéaste Roman
Polanski, accusé de viol. Des rangs socia-
listes, des « Tais-toi ! » et des « Faites-la
soigner ! » jaillissent. Anne Hidalgo assiste
à la scène le sourire crispé et le regard noir.
La vengeance ne se fait pas attendre et
se règle à coups de blanco lors des nomi-
nations au sein de différentes institutions
et sociétés d’économie mixte. Selon nos
informations, à la demande expresse de la
maire de Paris, les services administratifs
effacent les noms de plusieurs écolos
qui devaient représenter la municipalité
dans ces organismes. Exit Alice Coffin
et  Raphaëlle Rémy-Leleu. Exit aussi
Fatoumata Koné, qui devait siéger au
conseil de surveillance de la tour Eiffel.
« On ne peut pas avoir le beurre et l’argent
du beurre », assume Emmanuel Grégoire.
Chez Christophe Girard (Paris),
24 juillet. Sur son compte Instagram, l’ad-
joint déchu publie une photo, à la nuit tom-
bée, d’un Paris nuageux. « Ciel gris et triste,
un peu comme moi », écrit-il. Sous sa publi-
cation, près de 80 messages de soutien,
parmi lesquels ceux de l’actrice Zabou
Breitman, de la photographe Dominique
Issermann, ou de Josyane Savigneau,
rédactrice en chef du Monde des livres de
1991 à 2005. « Chassez la tristesse et gardez
la colère », écrit cette fervente avocate de
Gabriel Matzneff, décriée pour des papiers
datant des années 1980, dans lesquels elle
défendait « un écrivain qui aime l’amour ».
Le soir, le sénateur de Paris Bernard Jomier
publie sur les réseaux sociaux une vidéo
d’Alice Coffin qui, sur le plateau de Russia
Today, en 2018, déclarait avec véhémence :
« Ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt
à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas
être tabassée. » Le parlementaire y voit un
signe de « haine des hommes ». « Alice Coffin
est une lesbienne qui ne supporte pas que
je sois bisexuel », a commenté Girard en
privé. La vidéo, relayée par nombre d’élus
de la majorité, entraîne un harcèlement
numérique monstrueux qui s’abat sur la
jeune femme et sur Raphaëlle Rémy-Leleu,
avec un caractère particulièrement lesbo-
phobe concernant la première. Les deux
ont demandé une protection policière.
Epilogue. A la mairie de Paris, les
départs en vacances n’ont pas calmé les
esprits. La plaie est toujours ouverte entre
la majorité et le groupe écologiste, renvoyé
à l’image d’un parti immature et peu fiable.
L’affaire divise bien au-delà des rangs de la
gauche. Un jour, c’est l’essayiste et réalisa-
trice Caroline Fourest qui dénonce dans
L’Express un féminisme « instrumentalisé »
qui « remplace les tribunaux ». Un autre,
c’est l’écrivaine Mazarine Pingeot, témoin
de mariage de Christophe Girard, qui
dénonce « la victoire d’extrémistes de la
médiocrité » dans une tribune au journal
Le Monde. Deux générations s’entre-
choquent, peinent à se parler, voire à
s’écouter. Raphaëlle Rémy-Leleu, « très
sereine dans ses convictions », jure ne rien
regretter. Girard, ancien militant d’Act Up,
soupire : « On se battait à l’époque pour
obtenir des médicaments contre le sida.
Les jeunes se battent pour démolir. »
Encore ahuri par cette affaire qui porte
désormais son nom, il continue de se poser
la question : « Pourquoi moi ? » W
 France
Mentors (4/6)
« J’ai une relation
compliquée
au féminisme »
La victoire de Léonore Moncond’huy
est l’une des surprises des municipales.
Qu’est-ce qui préparait la maire EELV
de Poitiers à conquérir la ville à 30 ans?
Ils m’ont tout appris. A commencer par…
L’éducation populaire. C’est tout ce qui
relève de tiers lieux éducatifs – ni l’école ni
la famille –, avec des pédagogies fondées
sur l’autonomie, la responsabilisation et les
méthodes collectives. Par le jeu du hasard
et du bouche-à-oreille, je me suis engagée
à l’âge de 11 ans dans un mouvement de
scoutisme parce que j’avais envie de faire
des activités dans la nature. Depuis, je n’ai
jamais arrêté. J’ai très vite accroché avec
cette pédagogie où l’on vous invite à prendre
des responsabilités à votre échelle, dès votre
plus jeune âge.
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POLITIQUE
Quel est votre premier souvenir
politique ?
Ma mère avait une sensibilité écologiste.
L’un de mes premiers souvenirs politiques
est de l’accompagner à une manifestation
pour défendre la forêt de Scévolles, dans
la Vienne. Je l’avais plutôt pris comme une
balade, à l’époque, même s’il y avait déjà
en germe l’idée d’agir pour défendre la
nature. Il y a eu ensuite des manifestations
contre la centrale nucléaire de Civaux, à
côté de Poitiers, mais je n’y passais pas tous
mes week-ends comme certains de mes
amis qui avaient des parents très militants.
J’ai eu la chance que les miens me laissent
complètement libre. Je suis venue au mili-
tantisme beaucoup plus tard.
Selon vous, être une femme reste-t-il
un obstacle en politique ?
Lorsque j’ai été candidate aux élections
régionales en 2015, on est davantage venu
me chercher que si j’avais été un homme,
en vertu des lois sur la parité, même si j’étais
reconnue pour mon engagement associa-
tif. Dans le mouvement Poitiers Collectif
– la liste au sein de laquelle j’ai été élue
FLORENCE WOJTYCZKA
29
maire –, avoir une jeune femme tête de liste
était un facteur différenciant positif, même
si on n’en a jamais fait un argument de cam-
pagne. Nous avons eu un long débat interne
pour savoir qui serait tête de liste et la
question homme-femme n’a pas été un
sujet avant la toute fin. Nous sommes d’une
génération qui commence à gagner la
bataille culturelle. En revanche, dans l’exer-
cice de la campagne, on avait l’impression
de devoir faire nos preuves plus que
d’autres. J’ai du mal à différencier ce qui
relève de la jeunesse ou du fait d’être une
femme, mais il y avait une présomption
d’incompétence et d’illégitimité. J’ai com-
pris aussi, via l’exercice de mes mandats,
que les codes restaient extrêmement mas-
culins : s’imposer dans un débat ou parler
longtemps et fort sont des comportements
que l’on associe aux codes politiques clas-
siques. Je considère plutôt que ce sont des
codes masculins, qui peuvent changer.
Est-ce que le féminisme a joué un rôle
dans votre parcours ?
J’ai une relation compliquée au féminisme.
J’ai eu la chance d’être formée dans un
milieu écologiste très militant, y compris
sur la question du féminisme et du genre
au sens large. Pour moi, ce sera gagné le
jour où l’on arrêtera de dire qu’être une
femme est un argument. Nous n’avons pas
construit notre projet autour de cela, mais
si l’on a pu contribuer à briser des plafonds
de verre, tant mieux. Je suis surprise de
l’ampleur du phénomène depuis notre
victoire. Des petites filles me parlent dans
la rue et me disent qu’elles ont maintenant
envie de devenir maire ou présidente.
Avez-vous des maîtres en politique ?
Je suis très sensible aux travaux de Jacques
Ellul concernant la place de la technique
dans la société. Récemment, j’ai beaucoup
lu Pablo Servigne sur la résilience et la
collapsologie. Eva Joly est la personnalité
qui m’a poussée à m’intéresser à l’écologie
politique. Elle incarne une intégrité qui me
plaît et elle a essayé de casser un certain
nombre de codes sur la place des étrangers
et des femmes en politique. Je suis égale-
ment très inspirée par l’eurodéputée Marie
Toussaint et par la façon dont elle lie
société civile et politique. C’est comme cela
que je vois mon rôle. W
PROPOS RECUEILLIS PAR
JEAN-BAPTISTE DAOULAS
Retrouvez l’intégralité de l’interview sur Lexpress.fr
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

30
Proportionnelle :
il faut faire simple
A l’approche de 2022, le MoDem
attend du chef de l’Etat qu’il
tienne sa promesse de réforme
du mode de scrutin électoral.
François Bazin
L
a proportionnelle, ses avantages et ses
inconvénients, tout a été dit et bien dit dans
le numéro de L’Express du 23 juillet, sous
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la plume de deux parlementaires de droite,
Guillaume Larrivé et Philippe Bas. Ce débat
traverse aujourd’hui la plupart des partis politiques
traditionnels. Il est vieux comme la République.
Il passionne les aficionados de la chose publique, qui,
en matière de modes de scrutins, ont toujours été d’une
imagination débordante. Cela ne signifie pas pour
autant qu’il soit secondaire. Comment la manière dont
sont élus les représentants de la Nation pourrait-elle
d’ailleurs l’être ? C’est ce qui fait tout l’intérêt, à moins
de deux ans des échéances législatives, de cette relance
signée Bayrou, d’une promesse qui figurait dans
son acte d’union avec Macron en 2017. A ce titre, elle
avait été inscrite dans le programme présidentiel sous
une forme explicite dans ses principes, et elliptique
dans ses modalités concrètes.
Oublier le mélange des genres
Là était le loup. Il arrangeait les deux parties qui, pour
l’emporter, n’avaient ni l’envie ni les moyens d’entrer
dans les détails. Tout cela s’insérait au demeurant
dans un projet plus vaste de réforme constitutionnelle
que certains, en haut lieu, imaginaient pouvoir faire
voter, par référendum, au tout début du quinquennat.
Pour des raisons aussi juridiques que politiques, le
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
LES CLEFS DU POUVOIR
choix de l’Elysée fut alors de temporiser. Mais, comme toujours dans
ce genre d’affaire, attendre, c’est commencer à renoncer, et attendre
davantage, aujourd’hui, ce serait renoncer définitivement.
La proposition de loi que s’apprêtent à signer les députés MoDem
n’est pas encore rédigée. Quelques versions circulent ici où là,
qui sont moins des épures que des ballons d’essai. A ce stade, on se
contentera donc d’une remarque d’ordre général sur le processus
en cours : pour faire vite, alors que le temps est compté, il faut savoir
faire simple. Pas de loi constitutionnelle donc, pas de réduction
du nombre des parlementaires, pas de redécoupages des
circonscriptions. Au début, on parle de l’introduction d’une dose
de proportionnelle dans le scrutin majoritaire actuel. Et puis, plus
on avance, plus il faut admettre que la seule solution pratique
est d’oublier le mélange des genres pour aller au plus près de la
proportionnelle intégrale. C’est le chemin qu’avait suivi Mitterrand
en 1984 et l’on voit bien que Bayrou voudrait l’emprunter à son tour
avec une différence de taille, il est vrai : l’un était président
et il décidait seul ; l’autre n’est qu’un allié du chef de l’Etat,
dont personne aujourd’hui ne sait s’il accompagne le mouvement
ou si, comme il aime à le dire parfois, il se contente de « faire
dégorger les escargots ».
Le prochain mandat présidentiel en jeu
Ce qui peut faire tourner au vinaigre ce débat interne à la majorité
est dû avant tout à la place centrale que tiendrait la proportionnelle
la plus large possible dans le projet Bayrou. Pour le patron du
MoDem, il ne s’agit pas là d’une option mais d’un choix identitaire.
Il a même écrit tout un livre en 2013 (De la vérité en politique, Plon)
pour démontrer que c’était la clef d’une rénovation radicale du débat
démocratique, laquelle suppose un nouvel art du compromis,
donc l’installation de gouvernements de coalition et d’un mode
de scrutin qui y conduise. De ce point de vue, le quinquennat Macron
reste d’une grande pauvreté et, du même coup, ce qui se joue pour
le MoDem n’est rien de moins que la justification de son choix
d’union macroniste au-delà de simples intérêts boutiquiers. Il serait
farce qu’au bout du compte le mandat de Macron, vu du côté Bayrou,
soit l’enterrement de ses rêves de rénovation et la résurrection
concomitante d’un « enfant barbare » nommé Sarkozy !
On conviendra que les possibles états d’âme du patron du MoDem,
dans le contexte actuel, ont une portée limitée pour la simple raison
qu’il n’a pas d’autre choix que de suivre l’aventure macroniste
jusqu’au bout de l’actuel quinquennat. Le nouveau rapport de force
parlementaire lui donne sans doute quelques armes qu’il n’avait pas
auparavant. Mais en fait, ce qui se joue surtout à travers ce débat sur
la proportionnelle n’est pas le mandat en cours, mais le prochain, et
donc l’axe de la campagne présidentielle qui est en train de s’ouvrir.
Choisir un mode de scrutin dont l’objectif affiché est de le priver
d’une majorité parlementaire à sa main après 2022, s’il devait être
réélu, serait de la part de Macron un signe d’une portée politique
majeure. Il signifierait haut et fort que Jupiter est mort, que le temps
de l’hyperprésidence est révolu et que le chef de l’Etat n’entend plus
S. PICARD – LAURA ACQUAVIVA
gouverner pendant cinq nouvelles années en tenant court les rênes
du pouvoir, et qu’il est prêt à laisser Matignon bâtir avec l’Assemblée
des majorités à géométrie variable. On peut toujours rêver,
mais si ça se fait, alors les poules auront des dents. W
François Bazin, essayiste et journaliste spécialiste de la politique.
 France SOCIÉTÉ 31

ne vais pas assister au départ, le 29 août à

Nice. Je vais prendre le Tour en cours,
quand il passera en Ardèche. »
REMISE EN SELLE Guy Glotin n’y croisera pas le Belge Eric
Coppin. Cet habitué a pris la lourde déci-
Les orphelins sion de ne pas suivre la 107e Grande Boucle
– une première en trente-six ans. Trop loin,

de la Grande Boucle trop risqué. « Je vais regarder les étapes à

la télévision, chaque kilomètre. Mais je sais
que je vais regretter de ne pas y être, je vais
avoir comme un manque », reconnaît Eric,
Le Tour n’a pas eu lieu en juillet, une première. 57 ans. « Le Tour de France, c’est mythique.
Il y a quelque chose de spécial qui s’en
Pour les mordus de vélo, l’abstinence prend dégage, une atmosphère enivrante. Ça
devient presque maladif de ne pas s’y
heureusement fin le 29 août. rendre », détaille cet admirateur d’Eddy
Merckx, évoquant le bruit des dérailleurs,
PAR CLOTILDE CADU la beauté des maillots et la splendeur des
paysages. Déçu de ne pouvoir en être cette
année, il se dit plutôt serein : « J’avais fait
le deuil, je pensais qu’il n’y aurait même
pas d’édition. » « Le report du Tour de

L
e camping-car est paré. Prêt maison. A la retraite, il s’est acheté une France a été vécu comme un soulagement
à sillonner les routes de camionnette aménagée et est devenu sui- pour beaucoup », indique Terry Eoche, res-
France derrière les cyclistes veur. « Le mois de juillet, c’est réservé ! Tout ponsable merchandising et animateur du
de l’équipe Cofidis, d’abord le monde est au courant : on n’organise rien Fan Klub de l’équipe Arkéa-Samsic. « Ça a
sur les étapes du Tour de pendant les trois semaines du Tour, on remis du baume au cœur des supporteurs,
l’Ain, puis sur celles du Tour m’oublie pendant ce temps-là », plaisante qui ont eu peur d’être orphelins de toutes
du Poitou-Charentes et, enfin, sur celles celui qui fait le show sur les étapes, nez les courses de la saison. Ils ont hâte que ça
du Tour du France. « Nous n’avons pas vu rouge et grandes chaussures. Cette année, commence », poursuit-il. Pour s’y prépa-
de courses depuis mars ! Toutes ont été en juillet, Guy a regardé des rediffusions rer, certains ont couru, virtuellement, avec
annulées, même les nôtres », raconte Jean- d’anciennes éditions, il a bricolé, s’est Quintana et Barguil, les pros de l’équipe
Luc Langlet, 64 ans, ancien coureur, baladé en camping-car pas très loin de chez Arkéa-Samsic, sur l’application Zwift.
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entraîneur et commissaire de courses dans
les Hauts-de-France. Le sevrage forcé est
lui. Puis, début août, il a préparé son véhi-
cule et son matériel, avant de reprendre la
A quelques jours du top départ, les mordus
du Fan Klub s’échangent, nostalgiques,
enfin terminé : la saison cycliste a repris. route. Au programme : Tour du Limousin, des photos d’anciennes éditions, prennent
« Ça nous a manqué. On revit un peu cher à son cœur de fan de Raymond la pose en tenue de supporteur. Tous ne
depuis début août, parce qu’on revoit des Poulidor, Tour du Poitou-Charentes, et pensent déjà qu’à une chose : repartir au
courses en direct à la télé. On s’est sentis Tour de France. « Pour la première fois, je plus vite pour un nouveau Tour. W
comme orphelins », poursuit Jean-Luc.
« Tout notre été a été bouleversé », confie
Danièle, son épouse. Depuis quinze ans,
en juillet, la famille vit au rythme du Tour
de France. A bord de son camping-car, aux
couleurs rouges de son écurie favorite, le
couple enquille 5 000 kilomètres, plante
son parasol et ses banderoles sur chacune
des étapes. Cette année, ce sera moitié
moins… et avec un drôle d’accessoire en
plus : des masques. Mais pas n’importe
lesquels : Danièle en a confectionné en
découpant d’anciens maillots de l’équipe.
« Cette édition va être très, très spé-
M. BERTORELLO/AFP

ciale », pressent Guy Glotin, dit Pypo le

Clown, impatient d’y goûter. A 71 ans, l’an-
cien électricien, membre du fan-club
Cofidis, n’a jamais raté un Tour. Enfant, il
le regardait à la télé, allait avec ses parents
sur les étapes qui passaient près de la Les fans, qui rêvent chaque année au mois de juillet, ont du vague à l’âme cet été.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 32 France SOCIÉTÉ

Démarcations (4/6) les relie, tandis que le tram D transporte

plus de 5 000 passagers sur son tronçon
France-Allemagne : quand les rives allemand – 3 stations, 1,7 kilomètre sur les

du Rhin ne font plus qu’une 12 que mesure la ligne depuis l’ouest de

Strasbourg. Ses usagers – en majorité des
Français – traversent pour aller travailler
ou juste pour se détendre, boire un cappuc-
Elles avaient disparu, le Covid-19 les a ravivées. Tout l’été, L’Express arpente cino, manger une glace, acheter ce qu’on
les frontières hexagonales. Cette semaine, direction Strasbourg et Kehl. ne trouve que d’un côté, profiter des pis-

L a voix française se tait. Au pied du

pont Beatus-Rhenanus, sur la rive
strasbourgeoise du Rhin, le haut-parleur
du tram D se met subitement à parler alle-
mand. « Prochain arrêt, annonce-t-il,
Kehl Bahnhof [la gare de Kehl] ». La ville,
voisine de Strasbourg, est à quelques
mètres de là, juste de l’autre côté de l’élé-
gante passerelle. Pour autant, personne
n’échange un titre de transport français
contre un titre allemand. Personne ne
montre ses papiers d’identité – d’ailleurs,
ils ne sont plus réclamés depuis l’avène-
ment de la libre circulation. Personne ne
s’aperçoit que l’on passe d’un pays à
l’autre. La frontière ? Quelle frontière ?
Les quatre ponts qui enjambent ici le
Rhin l’ont abolie.
A pied, en voiture, à vélo, à trottinette,
en tramway ou même en poussette, les
quelque 277 000 Strasbourgeois et
34 500 Kehlois les franchissent dans un
sens comme dans l’autre, matin, midi et
soir. Sur le pont de l’Europe, des voitures
immatriculées 67 (Bas-Rhin), 68 (Haut-
Rhin), 57 (Moselle), et des plaques alle-
mandes. Sur la passerelle Mimram, des
piétons et des cyclistes en goguette, prêts
à arpenter le jardin des Deux-Rives, qui
s’étend d’un côté et de l’autre du Rhin. Sur
le pont ferroviaire, les trains régionaux
marquent un arrêt à Kehl sur le chemin
entre Offenburg et Strasbourg, et vice-
versa. Les deux côtés forment un même
bassin de vie. Chaque jour, en semaine,
35 000 véhicules empruntent la route qui
cines de Kehl, de l’Opéra de Strasbourg. Le
samedi, c’est encore plus animé.
Alors, quand tout s’est arrêté, entre le
13 mars et le 15 juin, quand des barrières
sont venues se mettre en travers des ponts
et que des forces de l’ordre ont refoulé ceux
qui tentaient de passer, quand le tram
transfrontalier est redevenu français, ter-
minus Port du Rhin, juste avant le fleuve,
le choc a été grand. Un peu comme si on
coupait une même ville en deux. Un peu
comme si on revenait à une époque dont
personne ne veut plus, celle où la France
et l’Allemagne étaient ennemies. En ce lieu
chargé d’une histoire tourmentée, la dis-
parition de la frontière ne signifie pas seu-
lement liberté de circuler, elle est aussi un
symbole de paix.

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J. ISENMANN/ONLY WORLD/AFP

La ligne D du tramway relie Strasbourg et Kehl en traversant le fleuve sur le pont Beatus-Rhenanus,
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 France
BELG. Francfort
Rh
LUXEMBOURG
in
Trèves
Luxembourg
ALLEMAGNE
Metz Karlsruhe
Kehl
Strasbourg
Nancy
n
Rhi
GRAND EST
Mulhouse
BOURGOGNE-
Bâle
FRANCHE-COMTE
Dijon
L’EXPRESS
SUISSE
50 km
Une réconciliation mise à mal par le
coronavirus. Pendant le confinement, seuls
les transfrontaliers dans l’impossibilité de
télétravailler pouvaient traverser, à condi-
tion de montrer patte blanche. Une fois
passés de l’autre côté, interdiction de s’ar-
rêter pour acheter quoi que ce soit. Sophie,
25 ans, n’était pas en activité pendant cette
période. La Villa Schmidt, le charmant res-
taurant posé sur les berges allemandes qui
l’emploie, avait fermé ses portes. Depuis la
fin juin, elle a repris les allers-retours matin
et soir. Du centre de Strasbourg où elle vit,
il ne lui faut pas plus de trente minutes, en
tram. « Je n’ai pas vraiment l’impression de
changer de pays », dit celle qui est devenue
transfrontalière en début d’année. Autour
d’elle, tout le monde ou presque parle la
langue de Molière. Ses collègues sont fran-
çais, la plupart des clients du restaurant le
sont aussi.
Dans les boutiques ou les cafés du
centre-ville de Kehl, une bonne partie du
personnel vient de Strasbourg et sert des
consommateurs venus de l’autre côté du
pont. Selon les estimations de la ville et de
l’Eurométropole de Strasbourg, quelque
5 000 Français travaillent à Kehl. Dans tout
l’arrondissement allemand de l’Ortenau,
ils sont 7 377 – un chiffre en augmentation.
Et il reste des places à prendre : avant l’épi-
démie de Covid-19, 3 000 postes étaient
non pourvus dans cette partie du Bade-
Wurtemberg. « Il y a un vrai besoin de main-
d’œuvre», explique Nelly Keuerleber, cheffe
de projet transfrontalier à la Maison de
l’emploi de Strasbourg, qui œuvre en
faveur du travail des deux côtés de la fron-
tière. A Kehl, plusieurs boutiques affichent
toujours sur leur vitrine des offres
SOCIÉTÉ
d’emploi. Outre-Rhin, où la population est
M
vieillissante, il manque de jeunes pour
ei
n
contrebalancer les départs à la retraite. Les
industries, nombreuses, sont deman-
deuses de bras. Résultat : dans l’Ortenau,
le taux de chômage flirte avec les 4 %, moi-
tié moins qu’à Strasbourg.
Malgré les opportunités et les avan-
tages du statut de travailleur frontalier, les
candidats ne sont pourtant pas légion. Les
habitants de la région Grand Est traversent
plus volontiers la frontière luxembour-
geoise (75 200 travailleurs en 2015, selon
Zürich
l’Insee). Première destination jusqu’au
début des années 2000, l’Allemagne est
désormais en deuxième position, avec
45 700 frontaliers. « Dans les années 1980,
on comptait jusqu’à 10 offres d’emploi
pour 1 Alsacien », décrit Bernard Aubry,
ancien de l’Insee et secrétaire de l’Associa-
tion de prospective rhénane. « Les Français
allaient en Allemagne pour différentes rai-
sons : les ouvriers y étaient mieux consi-
dérés, les salaires, plus intéressants, les
entreprises mettaient en place un système
de navette pour leurs employés », pour-
suit-il. La langue ne constituait pas un
Le statut de travailleur
transfrontalier
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n’attire plus autant
les candidats français
obstacle. « Ces travailleurs frontaliers qui
maîtrisaient très bien l’allemand partent
aujourd’hui à la retraite et les jeunes ne le
parlent plus », constate Nelly Keuerleber.
« C’est toujours impressionnant d’aller tra-
vailler en Allemagne, il reste des stéréo-
types, notamment par rapport à l’idiome
local », ajoute-t-elle.
A défaut de frontière, c’est une barrière,
psychologique celle-là, qui sépare encore
la France de l’Allemagne. Mirjeta, 23 ans,
a allègrement franchi les deux. Il y a encore
un an, elle n’avait pour bagage que l’alle-
mand appris en classe. Désormais, elle
parle parfaitement la langue. Serveuse
dans la boulangerie-pâtisserie Dreher,
dans la rue piétonne de Kehl, elle s’occupe
autant des clients français qu’allemands.
Sa vie professionnelle, ses loisirs, ses
courses, la Strasbourgeoise fait tout en
Allemagne, et ne rentre chez elle que pour
33
dormir et retrouver son conjoint. « Je me
plais ici. Les gens sont plus sympas, je m’y
sens bien. Et, financièrement, c’est plus
intéressant : il n’y a pas de restrictions
horaires, on travaille autant qu’on veut. Il
m’arrive d’enchaîner de cinquante à
soixante heures par semaine, ça me va
bien. » Et cela se ressent sur son bulletin
de salaire. A cela s’ajoutent son statut de
transfrontalière, fiscalement avantageux,
et les économies qu’elle réalise à la caisse,
à la pompe, au bureau de tabac de Kehl : les
produits qu’elle consomme, moins taxés,
sont légèrement moins chers.
Le bon plan est bien connu des fronta-
liers. En témoignent la file de voitures
immatriculées en France à la station
essence, les parkings et les allées saturés
des supermarchés DM et Lidl, où il est com-
pliqué de trouver une place, puis de circu-
ler entre les chariots pleins de bouteilles
de shampoing, de lessive, de mouchoirs,
de sacs de couches et, surtout, de rou-
leaux de papier toilette poussés par des
Hexagonaux. Moins de 3 euros le lot de 10 !
Il n’est d’ailleurs pas rare de croiser dans la
rue, à l’arrêt de tram direction Strasbourg
ou sur la passerelle, des piétons en portant
un ou deux paquets à la main.
Jean-Marc et Irina sont des habitués.
Une fois par mois, ils prennent leur après-
midi et leurs sacs de rando pour aller faire
leurs emplettes à Kehl. Ils habitent à
Molsheim, à une vingtaine de kilomètres
de Strasbourg, et font le trajet en transports
en commun. « En moyenne, tout est 20 %
moins cher ici », explique Jean-Marc, les
mains posées sur la poussette de son nou-
veau-né. « Pour les budgets serrés, ça fait
une réelle différence », abonde Samantha,
36 ans, filant au Lidl s’acheter les denrées
alimentaires qu’elle ne trouve pas dans les
rayons de celui proche de chez elle, à
Strasbourg. Les sauts d’une rive du Rhin à
l’autre, c’est une habitude pour la jeune
femme. Enfant, elle venait avec son père.
« On changeait nos francs juste ici », dit-elle
en montrant du doigt un lieu qui n’existe
plus, près du poste-frontière allemand. La
frontière, jusqu’ici, pour elle comme pour
beaucoup, n’était qu’un vague souvenir.
Jusqu’à ce que le Covid-19 la ressuscite. Sa
réouverture a été un soulagement. D’un
côté comme de l’autre du fleuve, tout le
monde espère ne plus jamais être séparé de
cette manière. W C. Ca.
LA SEMAINE PROCHAINE
Andorre, le paradis perdu du commerce
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

34
Le combat dévoyé
des néoféministes
Loin du radicalisme actuel,
les figures historiques
du féminisme ont milité sur
le terrain politique et culturel.
Abnousse Shalmani
D
ans une diligence, un voyageur se vante
d’avoir bénéficié des faveurs
de Mme de Gouges et écrit ses pièces.
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Une femme l’écoute avec attention,
Quel rapport entre Huda Sharawi, qui, en 1923, retire son voile
puis, avant de descendre, se tourne
vers lui : « Monsieur, j’ai écouté vos sots propos avec
le calme d’un philosophe, le courage d’un homme et
l’œil d’un observateur. Sachez que je suis cette même
Olympe de Gouges que vous n’avez jamais connue
et que vous n’êtes même pas fait pour connaître.
Profitez de la leçon que je vous donne : on trouve
communément des hommes de votre espèce, mais
apprenez qu’il faut des siècles pour faire des femmes
de ma trempe. »
Olympe de Gouges n’est encore qu’une femme
de lettres, mais bientôt, elle publiera sa Déclaration
des droits de la femme et de la citoyenne, plaidera contre
la peine de mort, échappera plusieurs fois à la fessée
publique, et, à l’apogée de la Terreur, fera placarder,
dans tout Paris, une affiche s’adressant directement
à Robespierre : « Tu te dis l’unique auteur de la
Révolution, Robespierre ! Tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en
seras éternellement que l’opprobre et l’exécration… »
Arrêtée quelques jours plus tard, torturée, condamnée
à mort, elle montera à l’échafaud sans frémir,
quinze jours après Marie-Antoinette, cinq jours avant
Mme Roland.
Olympe de Gouges est un exemple parfait de radicalité
politique, dont découlent nos droits d’aujourd’hui : un
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
SANS DÉTOUR
équilibre savant entre le courage et l’esprit, la persévérance
et l’indifférence aux attaques, l’humour et l’ambition, la modernité
et le flair politique. Au contraire du radicalisme militant farfelu
des néoféministes, qui justifient chaque dérapage, chaque
approximation, chaque insulte, chaque cabale opportuniste par
un appel à la révolution. Est-ce bien raisonnable ?
Un pavé dans la mare des lois iniques
Lorsque, en 1906, Madeleine Pelletier devient la première femme
diplômée en psychiatrie, elle choisit de se faire appeler Doctoresse
Pelletier. A une époque où il lui avait fallu faire plier la loi pour entrer
à l’internat (interdit à ceux qui ne possédaient pas leurs droits
civiques), avec le soutien de La Fronde de Marguerite Durand – le
premier hebdomadaire écrit, fabriqué et distribué par des femmes –,
ce n’est ni une coquetterie ni une banale provocation, mais un pavé
dans la mare des lois iniques qui refusent aux femmes l’exercice
de leurs droits, une subversion qui allait de pair avec son
travestissement et son militantisme inédit : elle était alors la seule
féministe à se positionner en faveur de l’avortement – et à le
pratiquer. Dénoncée par sa concierge, elle est arrêtée en 1936 pour
crime d’avortement et emprisonnée dans un asile où elle s’éteindra
dans l’indifférence générale. Quelle comparaison possible entre une
Madeleine Pelletier, qui n’hésitera pas à traverser l’Europe en 1921
pour se rendre clandestinement à Moscou et en revenir avec un texte
qui dénonce déjà les dérives totalitaires du bolchevisme, et une
néoféministe qui prône l’écriture inclusive, gadget inutile pour
la pérennité des droits, et use ad nauseam de la victimisation
pour prendre le pouvoir ? Les néoféministes se confondent avec les
écologistes français : il n’y a plus trace ni de féminisme ni d’écologie
dans leurs discours respectifs.
Des droits arrachés avec les dents
en public et fonde le premier mouvement féministe égyptien, tout
en luttant ardemment contre la colonisation, et une néoféministe
qui, sous le prétexte fallacieux de la liberté, soutient contre toute
logique historique, économique, culturelle, politique, le même voile
qui marque le statut inférieur des femmes ? Quel rapport entre
la radicalité de Doria Shafik, qui, en 1951, força, avec 1 500 femmes,
les portes du Parlement égyptien pour réclamer le droit de vote
(qu’elle réussira à obtenir en 1956) tout en fondant la première unité
militaire féminine pour lutter contre l’occupant britannique,
et quelques néoféministes qui perturbent l’hommage rendu
au père Jacques Hamel, victime du terrorisme islamiste, en criant
« Violeur ! » à un ministre qui n’a pas encore été mis en examen ?
Le féminisme ne mérite-t-il pas mieux ?
Les droits arrachés avec les dents par nos aïeules, les combats
menés dans l’arène politique et judiciaire, les pionnières qui,
de l’Antiquité aux années 1970, ont bravé l’ordre, la loi, la nature,
la tradition, Dieu, et risqué leur peau pour vivre libres et insoumises,
doivent nous rappeler que nous sommes les héritières d’un
humanisme qui ne s’est jamais imposé par la haine ni la vindicte,
mais par un renversement spectaculaire des mentalités qui passe
par la politique et la culture. W
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain
et journaliste.
 36 France
TRAQUÉS
Chômage partiel : la chasse
aux fraudeurs est ouverte
L’aide massive mise en place par l’Etat
a-t-elle généré des abus? Pour l’administration,
l’heure des contrôles a sonné.
PAR NATHALIE SAMSON
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CÉLIA CALLOIS
L
’arnaque est colossale.
Le 6 juillet dernier, le par-
quet de Paris a ouvert une
enquête sur une vaste affaire
d’escroquerie au chômage
partiel. Les fraudeurs usur-
paient la raison sociale et le numéro Siret
d’entreprises existantes. « 1,7 million
d’euros auraient été indûment versés […].
Le versement de plus de 6 millions d’euros
a pu être suspendu dès la découverte des
infractions », a indiqué le procureur de la
République. Ce sont les similitudes entre
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
ÉCONOMIE
de nombreuses demandes d’autorisation
d’activité partielle qui ont mis la puce à
l’oreille des agents de l’Etat.
Depuis début juin, au sein des Direc-
tions régionales des entreprises, de la
concurrence, de la consommation, du tra-
vail et de l’emploi (Direccte), les équipes
sont sur le pont pour traquer les malversa-
tions. Le champ d’investigation est des
plus larges. Selon la Dares, le service des
statistiques du ministère du Travail, au
plus fort de la crise sanitaire, en avril, l’Etat
a pris en charge tout ou partie du salaire de
8,8 millions de Français. « La contrepartie
de la simplicité, c’est qu’évidemment des
gens ont fraudé », a regretté la ministre
du Travail, Elisabeth Borne, sur RTL, le
28 juillet. Le gouvernement a annoncé
la couleur : 50 000 contrôles doivent être
effectués d’ici à la fin août, dont 10 200 en
Ile-de-France. Pour ce faire, les effectifs
ont été renforcés : 300 contrôleurs supplé-
mentaires ont été recrutés en CDD sur
la région parisienne. Sur les 25 000 vérifi-
cations déjà réalisées, il y aurait 1 400 sus-
picions de fraudes. « Les dossiers seront
transmis à la justice, a insisté la ministre.
On sera intraitable avec ceux qui détour-
nent le système. »
A ce stade, aucun nom n’a fuité, mais
de grands groupes seraient mis en cause.
Une surprise ? Pas vraiment. A en croire
une étude réalisée en avril par le cabinet
Technologia auprès de 2 620 élus du per-
sonnel, 24 % d’entre eux déclaraient que
des employés en chômage partiel total
auraient poursuivi leur activité à la
demande de l’employeur, et 28 % décla-
raient que d’autres avaient travaillé d’eux-
mêmes, mettant les employeurs involon-
tairement hors-la-loi. Des pratiques
illicites dénoncées par les syndicats.
« Plusieurs dizaines de salariés nous
ont contactés car ils ont découvert avec
stupeur quelques jours, voire quelques
semaines après, qu’ils avaient été mis au
chômage partiel rétroactivement, alors
qu’ils avaient continué leur mission »,
regrette Sophie Fratczak, secrétaire géné-
rale de la CGT chez Capgemini. « Des
couches hiérarchiques intermédiaires
étaient sous pression pour maintenir un
chiffre d’affaires… Cela a pu les conduire à
être dans l’illégalité sur un certain nombre
de dossiers », analyse Frédéric Boloré, délé-
gué CFDT dans la même entreprise. La
situation a été régularisée rapidement,
affirme la direction : « Chaque cas individuel
a été vérifié avant de faire une demande de
remboursement. Les éventuelles erreurs
ont été rectifiées. Au total, seulement 10 %
des effectifs [NDLR : 25 000 salariés] ont
été mis au chômage partiel. »
Mieux vaut en tout cas ne pas être
pointé du doigt si l’on veut éviter de voir
l’Inspection du travail débarquer.
« L’administration l’a dit clairement : les
signalements des élus et des salariés doi-
vent être traités en priorité », relève Martine
Riou, avocate associée chez Coblence.
Certains sont davantage dans le viseur : les
secteurs fortement consommateurs de
 France ÉCONOMIE
travail partiel ; les activités de services
administratifs, de soutien et de conseil aux
entreprises ; les sociétés à majorité de
cadres susceptibles de télétravailler,
détaille une instruction ministérielle.
Salarié fictif, travail dissimulé, mise
en activité partielle et utilisation de la
sous-traitance ou de l’intérim pour prendre
en charge les tâches normalement réalisées
par les salariés, gonflement du nombre
d’heures en chômage partiel déclarées ou
des salaires… Dans un document interne,
la Délégation générale à l’emploi et à la for-
mation professionnelle (DGEFP) liste les
fraudes potentielles, à côté des erreurs de
« bonne foi » (calcul inexact, saisie de la jour-
née de solidarité en heures chômées, etc.)  boursement des sommes perçues, exclu-
En cas de vérification, il faut être fin prêt.
« C’est un scan complet », soupire un patron
en plein contrôle. « Détail des connexions
au réseau professionnel et à Internet,
Virage vert
Les agriculteurs s’acclimatent déjà
aux nouvelles températures
Des vignes en Bretagne, du sorgho en Occitanie, du tournesol dans le Nord…
Les cultivateurs s’adaptent au réchauffement climatique, au point de redessiner
la carte de la France agricole.
S ur le sol ocre des collines de la
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Bastidonne dans le Luberon, des pis-
tachiers résistent au soleil et à la fureur du
mistral. Transplantés depuis l’île d’Egine
en Grèce, ils subissent depuis des millé-
naires des températures de plus de 32 °C
sans roussir. Ces migrants très légaux
remplacent une vieille vigne tombée sous
les assauts des canicules. Jean-Louis
Joseph, cultivateur bio, bichonne ses arbus-
tes depuis deux ans : « Ils sont si jeunes
qu’ils ne donneront que 10 kilos de fruits
à la fin de l’été. Dans deux ans, j’espère
récolter 800 kilos sur 2 hectares. C’est une
alternative idéale au raisin et à la cerise. »
En 2018, un simple coup de fil a permis
l’arrivée des pistachiers grecs. Le chef d’en-
treprise Olivier Baussan (les cosmétiques
L’Occitane, les calissons du Roy René) se
désolait d’importer les précieux fruits de
Californie et d’Iran. Avec le pâtissier Pierre
Hermé, il a convaincu Jean-Louis Joseph
de tenter l’expérience. Aujourd’hui, l’asso-
ciation Pistache en Provence fédère une
centaine de professionnels et de collecti-
vités, afin de promouvoir cette plante
adaptée au réchauffement climatique.
contenu des boîtes mails après exclusion
des correspondances privées, liste des
appels téléphoniques… Pour les entrepri-
ses, c’est un travail considérable », insiste
Thibault Meiers, avocat chez Dechert.
Suffisant ? Pas pour Pierre Ferracci, pré-
sident du groupe de conseil Alpha. « Il y a
eu des abus et notre profession est claire-
ment dans le collimateur. Des sociétés ont
pu se servir du chômage partiel afin de rem-
plir des creux de sous-activité chronique.
L’administration doit pousser ses investi-
gations, en décortiquant la productivité
toutes choses égales par ailleurs, au risque
sinon de jeter le discrédit sur tous. » S’il y a
fraude, la sanction peut être lourde : rem-
sion d’aides publiques, 30 000  euros
d’amende et jusqu’à deux ans d’emprison-
nement. A méditer pour ceux qui seraient
encore tentés de mordre la ligne. W
D’ici à 2050, l’augmentation globale
des températures pourrait atteindre 2 °C.
Fournaise autour du bassin méditerra-
néen, sécheresse dans le Sud-Ouest, dou-
ceur dans l’Est et le Nord… En France, les
agriculteurs s’adaptent, décidés à transfor-
mer une menace en opportunité.
Certains végétaux en profitent pour
s’étaler sur plusieurs régions. « A l’origine,
nous cultivions le quinoa seulement en
Anjou. Désormais, les variétés bio plus
E. CABANIS/AFP
Omniprésent dans le Sud-Ouest, le
tournesol migre désormais plus au nord.
37
délicates sont semées en Mayenne afin
de profiter de la fraîcheur et de l’humidité
de l’océan Atlantique. Il faut absolument
éviter que la graine grille sous le soleil esti-
val », précise Jason Abbott, dirigeant du
semencier Abbottagra.
D’autres cultures traversent le terri-
toire. Omniprésent dans le Sud-Ouest, le
tournesol trouve l’ensoleillement néces-
saire dans le nord de la France. La vigne
tente sa chance en Bretagne, au Mont-Dol,
tertre granitique situé en face du Mont-
Saint-Michel. Un millier de ceps plantés
en mai 2019 promettent une première ven-
dange de chardonnay blanc d’ici à 2023.
« L’exposition plein sud de la parcelle, les
mois de mai secs et les étés chauds
conviennent à la vigne », assure Etienne
Vidon, secrétaire de l’association Mont-
Dol 2020, qui s’attend toutefois à embou-
teiller « un petit vin »… Les agronomes
embarquent aussi des céréales méditerra-
néennes pour les adapter au Nord. « Nous
testons des variétés de blé espagnoles
en Poitou-Charentes », précise Olivier
Descroizette, directeur innovation chez
Bioline (groupe InVivo). Encore plus exo-
tique, le sorgho africain prend racine en
Haute-Garonne et dans le Gers.
Aujourd’hui, aucune aide n’est direc-
tement fléchée pour accompagner cette
transition. Au gré des tentatives empi-
riques et isolées, les agriculteurs s’auto-
financent et piochent dans différents
fonds locaux ou européens. Les agences
de l’eau encouragent les pratiques ver-
tueuses. Les régions soutiennent de nou-
velles filières comme celle des pistaches.
Et le Fonds européen agricole pour le déve-
loppement rural (Feader) finance des ini-
tiatives agroécologiques. La réforme de
la PAC post-2020 devrait encore amplifier
le rôle de l’Europe tout en laissant plus
de liberté au niveau régional.
L’Hexagone deviendra-t-il un patch-
work de différentes cultures ? « Les agri-
culteurs redessinent les paysages, sans
grand architecte pour les coordonner »,
déplore Philippe Gate, directeur scienti-
fique à l’institut Arvalis. Une rupture nette
avec les années d’après-guerre, où l’Etat et
le marché commun ont orchestré la spé-
cialisation des régions : betterave dans le
Nord, blé et orge en Beauce, maïs dans
le Sud-Ouest… Si les trois céréales et le
colza constituent toujours la trame de
l’agriculture nationale, les motifs se diver-
sifient au fil du temps. Une révolution
culturelle à la française. W MARIE NICOT
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 38 Europe

I
l a donc pris la poudre d’escam-
pette. Fait ses adieux au palais
de la Zarzuela, à Madrid. Six ans
après son abdication, l’ancien
monarque Juan Carlos – désor-
ESPAGNE
mais roi émérite – a annoncé, le

L’honneur perdu 3 août, qu’il quittait l’Espagne. Officiel-

lement pour préserver l’honneur de la
Couronne. Cet exil marque un nouvel épi-
de la Couronne sode dans le feuilleton de la monarchie,
confrontée à une question cruciale : le pays
va-t-il, pour la première fois de son histoire,
juger un roi ? C’est en tout cas ce que
Juan Carlos sera-t-il un jour jugé pour corruption ? souhaite une partie de l’opinion publique
et de la classe politique – et notamment
A l’heure où son fils se bat pour sauver Podemos (gauche radicale), membre du
la monarchie, l’ancien roi a décidé de s’exiler. gouvernement. L’heure est encore à l’en-
quête, ouverte le 8 juin par le Parquet de la
Cour suprême. Soupçonné de blanchiment
PAR MATHIEU DE TAILLAC (MADRID) ET AXEL GYLDÉN de capitaux et de fraude fiscale, Juan
Carlos, qui a perdu, depuis son abdication,
l’immunité totale, pourrait être jugé sur
les actes commis après 2014. Les faits, révé-
lés par La Tribune de Genève le 3 mars, sont,
il est vrai, accablants. Ils jettent une lumière
crue sur l’arrière-cuisine de la Zarzuela, où
tous les ingrédients d’un mauvais roman-
photo sont réunis : valises de billets, para-
dis fiscaux, adultère du roi avec une maî-
tresse de 26 ans sa cadette, et trahison.
En août 2008, Juan Carlos Ier, souve-
rain d’Espagne depuis 1975, a reçu un
« don » de 100 millions de dollars de la
French-Bookys.org
French-Bookys.org part du gouvernement d’Arabie saoudite,
versé sur le compte en Suisse de la fonda-
tion Lucum, sise au Panama. Quatre ans
plus tard, c’est à partir de ce même compte
qu’ont été transférés aux Bahamas 65 mil-
lions de dollars, au bénéfice de Corinna
zu Sayn-Wittgenstein. Cette blonde
germano- danoise est alors – et pour
quelque temps encore – la « tendre amie »
du monarque. Aujourd’hui, les deux
amants ne communiquent plus que par
l’intermédiaire de leurs avocats. « La posi-
tion de ma cliente est très claire : il s’agit
d’un cadeau », confie à L’Express Me Eric
Moutet, qui défend la quinquagénaire.
Pas question d’y renoncer.
Surnommée « Corinnavirus », cette
femme élégante est bien connue des
Espagnols. C’est elle qui accompagnait
NAZARIO GRAZIANO/COLAGENE

Juan Carlos Ier lors d’un safari au Botswana

en 2012, avec feu Mohamed Eyad Kayali, un
millionnaire très proche de la monarchie
saoudienne. Le cliché dévastateur du roi
posant devant un éléphant abattu avait
choqué dans son pays, alors en pleine réces-
sion économique. Le scandale avait conduit
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 Europe
à l’abdication du souverain en 2014, au
profit de son héritier Felipe VI. Depuis lors,
ce dernier s’est juré de sauver la monarchie
en se montrant exemplaire. Afin d’y parve-
nir, il prend ostensiblement ses distances
avec son prédécesseur. Il a ainsi coupé
les vivres à Juan Carlos le 15 mars dernier,
en lui retirant l’allocation – environ
200 000 euros par an – versée depuis son
départ. Et il a également renoncé, pour lui-
même et sa descendance, à hériter de son
géniteur les sommes suspectes.
« Pour la majorité des Espagnols, la
réponse de Felipe VI est satisfaisante. Les
gens sont convaincus qu’il n’est pas comme
son père. Il est le roi prudent, celui qui a
édicté un code de conduite pour le Palais et
refuse les cadeaux qu’acceptait Juan
Carlos », constate Alberto Lardiés, journa-
liste à vozpopuli.com, qui juge pourtant tar-
dive et insuffisante la réaction du chef
d’Etat. Le défi pour le souverain est double :
convaincre de son honnêteté et démontrer
son utilité. « Les Espagnols ont toujours eu
un sens utilitaire de la monarchie, explique
l’historien Fernando Garcia de Cortazar. La
Couronne ne peut pas fonder sa légitimité
sur un courant royaliste de fond qui n’existe
pas, mais seulement sur le bon fonctionne-
ment de l’institution. » L’exil de Juan Carlos
sera-t-il suffisant pour laver l’honneur de
son fils ? Où le roi déchu élira-t-il domicile ?
C
Les médias espagnols suivent la trace de son
French-Bookys.org
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possible passage à Abou Dhabi, aux Emirats
arabes unis. Echappera-t-il ainsi à un pro-
cès, alors que son dossier s’est encore
alourdi ?
Les médias suivent
la trace de son possible
passage à Abou Dhabi,
aux Emirats arabes unis
Quelques semaines après les révéla-
tions de La Tribune de Genève, le quotidien
El País a ainsi dévoilé que, en 2018, un ges-
tionnaire espagnol avait reconnu devant
les enquêteurs helvétiques avoir reçu une
valise pleine de billets des mains de Juan
Carlos en personne, venu la lui remettre
dans sa maison en Suisse !
La pression politique est forte. Si
les deux grands partis – le Parti socialiste
ouvrier espagnol (ou PSOE, à gauche) et
le Parti populaire (ou PP, à droite) – restent
mesurés, les députés de Podemos ont
réclamé une commission d’enquête parle-
mentaire dès le mois de mars. Demande
rejetée par les autres députés , au nom de la
préservation de la stabilité. Le gouverne-
ment repose en effet sur une fragile coali-
tion PSOE-Podemos, difficilement établie
après la répétition des élections législatives,
faute d’accord à gauche, et des semaines
de négociations. A quoi s’ajoute la persis-
tance de l’indépendantisme catalan.
Certains observateurs, comme la
biographe française Laurence Debray,
trouvent des circonstances atténuantes
au « dernier grand roi européen qui a
réconcilié l’Espagne avec elle-même en la
guidant vers la démocratie et la moder-
nité ». « Il ne faut pas oublier qu’en tant que
Bourbon, Juan Carlos est le dépositaire
d’un héritage symbolique, explique
l’auteure de Juan Carlos d’Espagne (Perrin).
Grande-Bretagne
Times Radio, une anti-BBC pilotée
par Rupert Murdoch
Pour contrer l’institution britannique, le magnat de la presse a lancé sa propre antenne,
avec l’appui de l’influent conseiller spécial du Premier ministre, Dominic Cummings.
omme invité de marque de sa première
émission, le lundi 29 juin au matin,
la nouvelle radio commerciale britannique
Times Radio ne pouvait faire mieux. Boris
Johnson, qui a réussi à faire tomber le
micro lors de son arrivée en studio, avait en
effet été incité par son conseiller spécial
Dominic Cummings à s’afficher sur cette
chaîne un peu spéciale. Pourquoi tant
d’égards ? L’ambition de Times Radio est
claire : rivaliser avec la BBC pour devenir…
l’anti-BBC. Derrière cette idée ambitieuse,
on ne sera pas étonné de trouver le milliar-
daire australien Rupert Murdoch, déjà
propriétaire de fleurons de la presse anglo-
saxonne – du tabloïd The Sun au très sérieux
Times, dont c’est justement la branche
radiophonique.
Le quotidien britannique de référence
aurait pu se contenter de continuer à pro-
duire des podcasts quotidiens, comme
ses collègues du Financial Times, de The
Economist et du Guardian, mais Rupert
Murdoch, qui a l’oreille de Downing Street,
a voulu profiter des tensions entre la BBC
et Dominic Cummings, l’homme fort du
gouvernement, pour avancer ses pions.
39
On peut lui reprocher ses maîtresses, ses
chasses et les cadeaux qu’il a reçu d’autres
familles royales, notamment saoudiennes,
mais, de son point de vue, c’est business as
usual car c’est comme cela que la diploma-
tie royale fonctionne depuis la nuit des
temps. » Elle poursuit : « Il faut aussi rap-
peler ce que l’Espagne doit à Juan Carlos.
Non seulement le retour à la stabilité
démocratique, mais aussi, grâce à ses liens
personnels profonds avec le roi d’Arabie
saoudite, tous les avantages qu’il a obtenus
pour son pays au moment du choc pétro-
lier des années 1970. » La classe politique
s’est longtemps sentie redevable. Mais
les jeunes générations d’Espagnols n’en-
tendent pas pardonner des dérives au
nom de hauts faits politiques accomplis
à une époque où ils n’étaient pas nés. Au
sein du gouvernement, Podemos a même
fait de ce combat une affaire personnelle.
Et du passé entend faire table rase. W
L’éminence grise de Boris Johnson
n’a jamais caché ses ambitions de margi-
naliser la BBC, qu’il considère comme
trop critique et proeuropéenne. Il a même
imposé aux membres du gouvernement
le boycott des émissions politiques phares
de la BBC, telle la matinale Today sur
Radio 4. Il a aussi promis de revoir à la
baisse, voire de supprimer, la redevance
audiovisuelle, principale ressource de la
British Broadcasting Corporation. Pour
Cummings, offrir à ce nouvel acteur le
premier entretien en tête-à-tête du Premier
ministre depuis plus de trois mois est donc
parfaitement logique.
Sur le papier, Times Radio en impose,
Murdoch ayant réussi à débaucher de
grands noms de la BBC et à puiser dans
le vivier de ses diverses rédactions. Il lui
faudra néanmoins du temps pour qu’elle
réussisse à se hisser au niveau de la radio
publique et de son impressionnant
réseau de correspondants, partout sur
la planète. On ne s’improvise pas en un
jour rivale d’une dame qui fêtera bientôt
son centenaire. W
AGNÈS C. POIRIER (LONDRES)
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 40 Amériques
ÉTATS-UNIS
Le vote par correspondance,
bête noire de Donald Trump
A moins de trois mois des élections, le président
remue ciel et terre pour discréditer la consultation
à distance, quitte à nuire à la participation.
PAR CHARLOTTE LALANNE
D
onald Trump a la
mémoire qui flanche.
Le président américain
ne se souvient visible-
ment plus très bien de ce
jour de novembre 2004
où, las de courir les bureaux de vote new-
yorkais – où on ne retrouvait pas sa trace –
pour la présidentielle, il signait, à l’arrière
de sa limousine, un bulletin à poster.
Devant les caméras de la chaîne NBC.
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Décidément frappé d’amnésie sur ce sujet,
le locataire de la Maison-Blanche semble
aussi avoir oublié qu’il a voté par corres-
pondance en 2018 pour les municipales
de New York, et en mars 2020 pour les pri-
maires en Floride. Ces dernières semaines,
Trump s’est déchaîné contre ce mode de
scrutin, hier si pratique, désormais accusé
de tous les maux : par sa faute, la présiden-
tielle sera « la plus frauduleuse de l’his-
toire », des millions de faux bulletins seront
«  imprimés à l’étranger  », martèle le
tweetteur-en-chef.
En pleine pandémie de Covid-19,
l’enjeu est déterminant pour l’élection du
3 novembre. Plus de 62 % des Américains
ont en effet l’intention de voter à distance,
selon une étude publiée fin juillet par l’uni-
versité Harvard. En 2016, ils n’étaient que
18 % à avoir choisi cette solution. « Que les
J. REDMOND/AFP
politiciens le veuillent ou non, on se dirige
vers la plus grande élection par correspon-
dance de l’histoire », commente Amber
McReynolds, qui dirige le National Vote At
Home Institute (NVAHI) – une organisa-
tion défendant ce système.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
Malgré les noires prophéties de Donald
Trump, « les cas avérés de triche sont très
rares », souligne Richard Briffault, ensei-
gnant en droit à l’université Columbia.
En  trente ans, 145  personnes ont été
condamnées pour un tel délit, d’après le
décompte de la Heritage Foundation,
un cercle de réflexion conservateur. Soit
moins de trois cas par Etat.
Si le risque de fraude semble minime,
une autre menace plane : « Le vrai danger
est que notre infrastructure électorale
ne puisse pas supporter, faute de moyens,
la généralisation du vote par correspon-
dance », alerte Edward Foley, professeur
de droit à l’université d’Etat de l’Ohio.
Le Congrès est dans l’impasse sur ce sujet.
Les démocrates plaident pour un budget
réservé à ce type de vote dans le paquet
financier attribué au Covid-19, mais les
républicains n’en veulent pas.
Avec la pandémie, nombre d’Américains
préfèrent envoyer un bulletin postal.
Le NVAHI a publié un état des lieux
comparatif des 50 Etats sur la question
du vote à distance. Pour sa directrice, « une
vingtaine sont à surveiller » en raison de
leur fichier électoral obsolète ou de leur
procédure de dépouillement manuel des
bulletins postaux. L’administration fédé-
rale ne semble pas disposée à aider ces
Etats à relever le défi. Certains démocrates
accusent même Trump de vouloir entraver
le vote afin d’en écarter les minorités ethni-
ques et les jeunes, traditionnellement plus
favorables à leur camp. Le président ne s’en
cache d’ailleurs pas : il est persuadé qu’un
vote facilité serait synonyme de défaite des
républicains. Pour Michael Dorf, profes-
seur de droit à l’université Cornell, Trump
« s’inscrit dans la continuité de son parti,
qui s’est mobilisé ces dernières années afin
d’empêcher le vote démocrate, en écourtant
la durée du vote ou en réduisant le nombre
de bureaux électoraux dans les commu-
nautés à dominante afro-américaine ».
Les faiblesses des dispositifs en
Pennsylvanie et dans le Wisconsin, deux
swing states susceptibles de faire basculer
l’élection, préoccupent particulièrement.
Un point est sensible : la date butoir pour
valider un bulletin. Dans ces deux Etats
pivots, seul le jour de réception compte, si
bien que le moindre retard d’achemine-
ment du courrier peut envoyer l’enveloppe
au rebut. Or les services postaux publics sont
engorgés depuis la suppression, en mai,
des heures supplémentaires. Une décision
controversée, prise par le nouveau patron
de la poste, Louis DeJoy, généreux dona-
teur du Parti républicain. Démocrates et
défenseurs des droits dénoncent une
atteinte délibérée à la participation.
L’expérience des dernières primaires n’est
pas rassurante : le Washington Post a révélé
que des « dizaines de milliers de bulletins »
arrivés trop tard avaient été rejetés.
Pour déjouer ce scénario catastrophe,
la Pennsylvanie veut installer des urnes
dédiées aux bulletins postaux et collectés
par les autorités électorales. Mais l’admi-
nistration Trump a poursuivi cet Etat en
justice sur ce point. Le président pourrait
toutefois être pris à son propre piège. Des
responsables du Grand Old Party redou-
tent une crise historique de la participa-
tion dans leur électorat. Le pilonnage de
leur leader contre le vote par correspon-
dance rencontre un écho croissant chez les
sympathisants républicains, qui, inquiets
pour leur santé, pourraient également
renoncer au vote traditionnel. W
 42 Amériques

Etats-Unis : ces présidents méconnus 4/6 bon sur  son principe de Square
Deal (accord équitable), qui servira de
Theodore Roosevelt ou la naissance matrice au New Deal de « FDR ».

de l’empire américain Haut en couleur, Theodore Roosevelt

se distingue aussi par sa nature extravertie.
« Promu au rang de célébrité grâce aux
actualités cinématographiques, Teddy
Moins connu que son cousin éloigné Franklin Delano, l’inclassable et charismatique devient le premier président people, sou-
« Teddy » invente l’hyperprésidence et inaugure le siècle de l’expansionnisme yankee. ligne Ray La Raja, politologue à l’univer-

T heodore Roosevelt n’a peut-être pas,

comme son cousin éloigné Franklin D.
Roosevelt, une station de métro parisien à
son nom. Mais il a mieux : un portrait de lui
grand format, sculpté sur 18 mètres de hau-
te u r d a n s l a ro che c a lc a i r e du
mont Rushmore (Dakota du Sud). « Teddy »
– c’est son surnom – y trône à côté des
présidents les plus marquants de l’His-
toire américaine : les Pères fondateurs
George Washington (premier président des
Etats-Unis), Thomas Jefferson (3e) et l’abo-
litionniste Abraham Lincoln (16e). Dans un
autre registre, le 26e président des Etats-
Unis (1901-1909) a donné son nom au teddy
bear, autrement dit l’ours en peluche, ainsi
baptisé à l’initiative d’un industriel du
jouet, qui voulait rendre hommage à ce
chasseur ayant, un jour, épargné des ours
bruns placés dans sa ligne de mire par des
collaborateurs zélés. Bref, dans la culture
populaire, « TR » supplante « FDR ».
Est-ce étonnant ? S’il reste méconnu
en France, Theodore Roosevelt a profondé-
French-Bookys.org
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ment marqué son époque, à la fois par son
action et par son tempérament hors norme. en Amérique centrale,
Conservateur et réformateur, écologiste et
chasseur, impérialiste, aventurier (il faillit
mourir lors d’une expédition privée en
Amazonie), sportif confirmé (il pratiquait
la boxe au sous-sol de la Maison-Blanche),
Teddy fut aussi un orateur de génie et un
visionnaire politique. « C’est lui qui a inventé
la présidence moderne telle que nous la
concevons aujourd’hui », résume, admira-
tif, le politologue Sidney Milkis, de l’univer-
sité de Virginie. « Avant lui, le Congrès et les
50 Etats américains étaient les instances qui
comptaient le plus aux Etats-Unis. Sous
“TR”, la Maison-Blanche est devenue l’épi-
centre de la politique », ajoute l’auteur de
Chronologie
Theodore Roosevelt, the Progressive Party
and the Transformation of American
Democracy (2009, non traduit).
En huit ans, il publie plus de 1 000 exe-
cutive orders (décrets présidentiels), soit
davantage que tous ses prédécesseurs
réunis ! Et cela, dans des domaines variés :
les salaires minimaux, la libre concur-
rence, la protection de l’environnement,
la délimitation de parcs nationaux (dont
le Grand Canyon), la création d’agences
de régulation telles que la Food and Drug
Administration, qui contrôle la commer-
cialisation des aliments et des médica-
ments. Aux commandes du pays au
moment de la révolution industrielle, ce
républicain anticonformiste perçoit les
excès du capitalisme et se forge un destin
de « progressiste » – une notion qui prend
son essor avec lui.
Dès qu’une révolte éclate
il y envoie un navire afin
de calmer les esprits
Ainsi, il promulgue les premières lois
antitrust, défend les mineurs grévistes de
Pennsylvanie (1902), qui obtiennent 10 %
d’augmentation de salaire, casse le « cartel
des chemins de fer » dirigé par trois mil-
liardaires (J. P. Morgan, James J. Hill,
E. H. Harriman), dont les tarifs étaient
excessifs. Issu de la grande bourgeoisie de
New York, Teddy est rapidement considéré
comme un « traître à sa classe ». Mais il tient
sité du Massachusetts. Il adore la presse et
convoque les journalistes jusqu’à deux fois
par jour. » Du Trump avant Trump ? « Rien
à voir, s’offusque La Raja. Roosevelt était
un esprit fin qui lisait des tonnes de livres
et en écrivait. Teddy ressemble plutôt
à Winston Churchill. »
Une similitude, toutefois, avec l’actuel
locataire de la Maison-Blanche : « TR » était
déjà une célébrité au moment d’accéder
à la présidence. Secrétaire d’Etat adjoint à
la Marine, il se forge une solide réputation
de dur à cuire. Il s’engage dans la guerre
hispano-américaine qui se déroule à Cuba,
d’avril à août 1898, dans le Pacifique et
les Caraïbes. Le colonel Roosevelt part
à l’assaut de la colline de San Juan, à la tête
des Rough Riders (cavaliers intrépides),
un régiment de cavalerie composé de
volontaires. Désastre pour l’Espagne, le
conflit se solde par la perte de Cuba (indé-
pendante en 1902), de Porto Rico, des
Philippines et de l’île de Guam, qui passent
sous contrôle américain.
De retour chez lui, Roosevelt est élu
gouverneur de l’Etat de New York (1898-
1900). Puis il entre à la Maison-Blanche…
par accident, après que William McKinley,
dont il est le vice-président depuis peu, est
assassiné par un anarchiste. Le 14 sep-
tembre 1901, à 42 ans, « TR » devient le plus
jeune président de l’Histoire. Premier coup
d’éclat : il invite à dîner en tête à tête, à la
Maison-Blanche, l’intellectuel et écrivain
afro-américain Booker T. Washington,
s’attirant la haine des Blancs du Sud.
« Teddy n’était peut-être pas imper-
méable aux préjugés raciaux de son
époque, décrypte Ray La Raja. Du moins
pressentait-il que les Etats-Unis devaient
progresser en matière d’égalité raciale. »

1898 1901
S’engage dans 1898-1900. Devient Accède à la
la guerre hispano- gouverneur de Maison-Blanche
américaine, à Cuba, l’Etat de New York
à la tête des
Rough Riders

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 Amériques 43

Date et lieu de naissance

27 oct. 1858, New York City
(Etat de New York)
Date et lieu de décès
6 janvier 1919, Oyster Bay
(Etat de New York)
Religion Eglise réformée néerlandaise
Etudes Université Harvard
Profession Avocat, écrivain, explorateur
Parti politique Républicain
ANN RONAN PICTURE LIBRARY/PHOTO12/AFP – B. MCFEE/BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS – BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS/AFP – BAIN NEWS SERVICE, ÉDITEUR/BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS

Vice-président Charles W. Fairbanks

large des côtes afin de calmer les esprits.

C’est la « diplomatie de la canonnière ».
En 1903, le président fait pression sur
la Colombie afin que la province de
Panama obtienne son indépendance.
Après quoi, Washington relance le chan-
tier du canal de Ferdinand de Lesseps,
abandonné par les Français. Inauguré
en 1914, le canal de Panama est resté sous
contrôle américain jusqu’en 1999. Les
Etats-Unis « négocient » aussi avec Cuba
la « location à perpétuité » de la baie
de Guantanamo : le bail court toujours…
L’hyperactif Roosevelt s’implique égale-
ment dans la résolution du conflit russo-
japonais (1905), ce qui lui vaut d’obtenir
le prix Nobel de la paix.
Fin stratège, Theodore Roosevelt a
SMITHSONIAN INSTITUTION

French-Bookys.org
French-Bookys.org compris que la domination mondiale pas-
sait par la maîtrise des mers. En démulti-
pliant le budget de la Marine, il transforme
l’US Navy en invincible armada. Aujour-
d’hui encore, la flotte américaine est la
seule à maîtriser trois océans. « Avant
Roosevelt, les Anglais considéraient les
Aussi, la récente décision de déboulonner C’est sur le plan international que se Etats-Unis comme un nain politique,
sa statue équestre en bronze, située depuis juge le mieux Roosevelt, qui met en œuvre explique Vincent Michelot, expert du sujet.
1939 devant le musée d’Histoire naturelle la doctrine de James Monroe (5e président), Sous sa présidence, tout change : la pre-
de New York, ne s’explique pas par le sup- selon laquelle l’Amérique latine est mière puissance industrielle devient un
posé racisme de l’ancien chef d’Etat. Mais « l’arrière-cour » des Etats-Unis. Le credo de géant diplomatique. » Le siècle de l’impéria-
parce que la représentation d’un président Teddy tient en une formule : Speak softly and lisme américain peut alors commencer. W
à cheval flanqué d’un Indien et d’un Noir carry a big stick (Parle doucement et manie AXEL GYLDÉN
à pied heurte désormais la sensibilité de un gros bâton). Dès qu’une révolte paysanne
ceux qui y voient la domination du monde éclate dans une « république bananière » LA SEMAINE PROCHAINE
blanc sur le reste de l’humanité. d’Amérique centrale, il envoie un navire au Dwight D. Eisenhower

1904 1912
1903. Loue la baie Relance le 1906. Reçoit Crée le Parti
de Guantanamo chantier du canal le prix Nobel progressiste, mais
(Cuba) « à de Panama de la paix perd (de peu)
perpétuité » la présidentielle

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 44
La cheffe du gouvernement prodigue sur Internet des conseils sanitaires à la population.
MYANMAR
Le retour en grâce de
« Lady » Aung San Suu Kyi
French-Bookys.org
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Critiquée par l’Occident, La Prix Nobel de la paix
est revenue sur le devant de la scène à la faveur
de la pandémie. Son parti est bien placé
pour les élections législatives de novembre.
PAR THIERRY FALISE (BANGKOK), AVEC KO SOE MOE (MANDALAY)
L
a caméra la filme toujours
de face, les cheveux parse-
més de fleurs de jasmin,
assise sur un large fauteuil de
cuir entre un austère pupitre
de bois et une lourde tenture.
er
Le 1 avril dernier, Aung San Suu Kyi, la
cheffe de facto du gouvernement birman,
a réactivé son compte Facebook, laissé en
déshérence depuis des années, pour diffu-
ser quasi quotidiennement des messages
et des vidéos. Elle s’adresse à tous les Etats
et régions du pays, en organisant des confé-
rences à distance avec des invités locaux qui
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
Asie-Pacifique
— P. 44. Myanmar : le retour en grâce
de « Lady » Aung San Suu Kyi
— P. 45. Japon - Corée du Sud : un été
en pente glissante
— P. 46. Bangladesh : le scandale des faux
tests négatifs au Covid-19
directrice d’une usine de mise en bouteilles
d’eau potable près de Mandalay, la deu-
HANDOUT/MYANMAR’S MINISTRY OF INFORMATION (MOI)/AFP
xième ville de Birmanie.
Au pouvoir depuis plus de quatre ans,
la Prix Nobel de la paix continue de jouir
d’une grande popularité dans son pays.
En tout cas auprès de la majorité ethnique
dont elle est issue – les Bama, ou Birmans –,
estimée à 70 % de la population. Mieux :
la crise sanitaire lui a permis de revenir
sur le devant de la scène, à quelques mois
d’un scrutin important. Le 8 novembre
prochain, les électeurs seront appelés
aux urnes pour renouveler les chambres
législatives. La plupart des analystes
s’accordent à dire que la Ligue nationale
pour la démocratie (LND), le parti d’Aung
San Suu Kyi, devrait conserver la majorité
absolue, tout en perdant une fraction
de son influence au profit du parti pro-
militaire et de formations régionales.
L’opposition et les électeurs déçus
dressent un bilan critique de ce premier
quinquennat : stagnation de la pauvreté, en
particulier dans les régions rurales, faiblesse
du pouvoir judiciaire, corruption de l’admi-
nistration, ravages sociaux dus aux drogues,
persistance des conflits ethniques… Mais
d’autres citoyens, restés fidèles à « Mère
Suu », comme beaucoup surnomment Aung
San Suu Kyi, ont une opinion plus nuancée.
Propriétaire d’une société de cosmétiques
et militant écologiste, Maung Maung Oo
estime ainsi qu’il y a aujourd’hui « davan-
tage de liberté d’expression, d’infrastruc-
tures et de transparence dans les projets
gouvernementaux ». Un homme d’affaires,
peuvent durer près d’une heure. Elle a aussi à la tête d’une entreprise de machines-ou-
proposé un concours de masques, où les tils, abonde : « Cinq ans, c’est très court pour
participants étaient conviés à poster des passer d’un système dictatorial à un nou-
photos de leurs créations. En quelques veau, démocratique. Ce gouvernement
semaines, près de 2,5 millions de Birmans aurait difficilement pu faire mieux. »
se sont abonnés à son compte, à l’instar de Quel que soit le résultat de l’élection,
Daw Aye Aye, 59 ans. « Elle y donne la parole l’armée, à qui la constitution réserve 25 %
aux gens – personnels de santé, bénévoles, des sièges législatifs ainsi que trois minis-
donateurs – qui combattent efficacement tères clefs (Défense, Intérieur et Frontières),
le virus. Elle prodigue aussi des conseils sur continuera de jouer un rôle prépondérant
la façon de porter un masque ou de se laver dans la vie politique et économique. « En
les mains. Jamais les gouvernements pré- réalité, nous avons deux gouvernements :
cédents, militaires, n’avaient ainsi pris soin l’armée, et Aung San Suu Kyi », résume
de la population », s’enthousiasme cette Nyi Nyi Lwin, un ingénieur de 54 ans.
 Asie-Pacifique
Si le gouvernement birman semble être
soutenu par la population, il n’en a pas
moins été ostracisé par une grande partie
de l’Occident après les opérations de
nettoyage ethnique menées en 2017 par les
forces de l’ordre dans l’ouest du pays, à
l’encontre des musulmans Rohingyas.
Ces raids ont forcé plus de 700 000 d’entre
eux à fuir pour se réfugier au Bangladesh
voisin. Une tragédie humaine et humani-
taire – provoquée avec une « intention
génocidaire », selon les enquêteurs de
l’ONU –, dont la Prix Nobel n’a jamais
reconnu l’ampleur ni la gravité. « Aux yeux
de certains observateurs étrangers, com-
mente dans la Mekong Review Andrew
Selth, universitaire spécialiste de la
Birmanie, elle est apparue comme une
bouddhiste bama chauvine, prête à flatter
des moines extrémistes de sa religion, dont
l’objectif était d’expulser tous les musul-
mans. » Cette attitude a incité bon nombre
de ceux qui l’avaiennt soutenue depuis les
débuts de son combat politique, en 1988,
à la déboulonner de son piédestal d’icône
de la démocratie. L’Europe et les Etats-
Unis ont instauré des sanctions contre
les militaires, tandis que les investisse-
ments occidentaux se sont raréfiés.
Officiellement,
le pays n’a enregistré
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que 359 cas de Covid-19,
dont six mortels
La crise sanitaire a encore compliqué
la donne. Officiellement, le pays – qui, dès
le début de la pandémie, a fermé ses portes
et mis en place des mesures strictes de
confinement – n’a enregistré, au 7 août, que
359 cas de Covid-19, dont six mortels, pour
une population de 53 millions d’habitants.
Mais l’impact économique est sévère.
L’écroulement des exportations, du tou-
risme et des revenus des émigrés birmans
(environ 4 millions, dont une majorité en
Thaïlande) menace dangereusement l’élan
observé depuis la fin de la dictature mili-
taire. La Banque mondiale prédit une crois-
sance de 0,5 % en 2020-2021 (contre 6,8 %
en 2018-2019).
En plus de mesures locales de soutien,
les autorités ont mis en place un ambitieux
« Plan de soulagement économique »
comprenant des exemptions fiscales,
des crédits en faveur des petites et des
moyennes entreprises ou encore des dis-
tributions d’argent aux ménages pauvres.
Les institutions monétaires internationales
et plusieurs pays se sont engagés à partici-
per au financement de ce plan, estimé à
2 milliards de dollars. Des instituts d’études
économiques lui reprochent toutefois un
manque de clarté et de priorités.
Parallèlement, six membres de l’Union
européenne (UE), dont la France, ont
promis de différer le remboursement d’en-
viron 100 millions de dollars dus en fin
Japon – Corée du Sud
Un été en pente glissante
Les relations entre les deux pays ont rarement été si mauvaises. En cause, les plaies
du passé, mal refermées, qui empêchent toute vraie réconciliation.
I l faut toujours se méfier des commémo-
rations – car elles rouvrent souvent des
blessures mal cicatrisées. La fin de la colo-
nisation de la péninsule coréenne par le
Japon, dont on célèbre le 75e anniversaire
ce 15 août, a porté à un niveau rarement
atteint la défiance que s’inspirent mutuel-
lement les Japonais et les Sud-Coréens.
Et le venin mémoriel qui empoisonne
depuis un an les échanges commerciaux
entre les deux Etats gagne désormais le
terrain politique international.
Tokyo pousse en effet Washington à
renoncer à son projet d’inviter la Corée du
Sud au prochain sommet du G7, prévu en
septembre aux Etats-Unis. L’idée de
convier Séoul, mais aussi l’Australie et
l’Inde, avait été formulée le 30 mai par le
président américain. Jugeant le cadre
actuel « dépassé », Donald Trump aime-
rait faire du sommet une plateforme anti-
chinoise. D’où le choix d’inviter des nations
en délicatesse commerciale ou territoriale
avec l’empire du Milieu.
Mais la perspective d’une présence
sud-coréenne hérisse le Japon, qui, selon
Hiromi Murakami, de l’université Temple
(Tokyo), craint que Séoul en profite pour
aborder des sujets bilatéraux – notam-
ment les contentieux historiques. Parmi
ceux-ci, le sort des femmes « de récon-
fort », contraintes de se prostituer pour
l’armée impériale nippone durant
la Seconde Guerre mondiale. De façon
moins avouable, le Japon craint aussi de
perdre sa position privilégiée d’unique
45
d’année. L’UE appelle les autres créanciers
« à faire preuve d’un soutien similaire ». Un
appel du pied évident à la Chine, qui détient
près de la moitié des 10 milliards de dollars
de la dette totale de la Birmanie, dont elle
est le premier partenaire commercial
(absorbant un tiers des exportations bir-
manes) et le deuxième investisseur (avec
un quart des montants) après Singapour. A
ce jour, Pékin, qui a défendu l’action très
controversée de son voisin sur le dossier des
Rohingyas, s’est contenté de fournir des
masques et autres équipements sanitaires,
mais sans aborder le sujet de la dette. W
représentant asiatique du cénacle. D’où
sa campagne contre le projet de Trump, au
motif que la Corée du Sud ne serait « pas
en phase avec les membres du G7 » sur les
questions concernant la Chine et la Corée
du Nord. Sous-entendu, Séoul serait trop
conciliant avec Pékin et Pyongyang.
Des manœuvres qualifiées d’« éhon-
tées » par la Maison Bleue, la présidence
sud-coréenne, mais « guère surprenantes »,
le Japon ayant l’habitude de « maltraiter »
son voisin. Le député Song Young-gil, du
parti démocrate au pouvoir, s’en est pris au
Premier ministre japonais, Shinzo Abe,
pour ses « actes irresponsables ». De
son côté, Park Won-gon, de l’université
Handong (Pohang), estime que le procédé
vise surtout à conforter Abe dans son
propre pays : « Confronté à une crise poli-
tique, le Premier ministre japonais mise
sur un conflit avec la Corée du Sud pour
gonfler sa popularité. »
C’est en 2018 que la situation s’est enve-
nimée entre Tokyo et Séoul, lorsque des
entreprises japonaises, comme Nippon
Steel, ont été condamnées par la justice
sud-coréenne à dédommager les Coréens
forcés de travailler pour elles pendant la
Seconde Guerre mondiale. Tokyo y a vu une
infraction à l’accord bilatéral de 1965 qui, à
ses yeux, soldait les comptes du passé. En
réponse à l’intransigeance sud-coréenne,
les Japonais ont imposé à Séoul, en juil-
let 2019, des sanctions commerciales. En
l’occurrence, un contrôle strict des expor-
tations de matériel utilisé pour fabriquer
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 46 Asie-Pacifique
des semi-conducteurs. Déplorant une
« agression économique », la Corée du Sud
a répliqué par un boycott des produits
nippons et menacé de sortir d’un accord
signé entre les deux pays portant sur le
partage de renseignements militaires,
le GSOMIA. Elle a porté la question des
exportations devant l’Organisation mon-
diale du commerce, mais la commission
des contentieux n’a pas pu tenir sa pre-
mière réunion, prévue le 29 juin, le Japon
Bangladesh
Le scandale des faux tests négatifs
au Covid-19
Plusieurs centres de dépistage de Dacca, notamment, ont falsifié des milliers de
certificats médicaux pour les vendre à des migrants candidats au départ pour l’Europe.
L a mousson s’étant déchaînée cette
année, les rivières grossissant le
Brahmapoutre et le Gange sont sorties de
leur lit à la mi-juillet, et plus de
600 000 personnes ont vu leur logement
emporté par les eaux. Près de 40 % du
Bangladesh s’est retrouvé inondé. Comme
si ce désastre ne suffisait pas, le gouverne-
ment doitaussi gérer un énorme scandale
sanitaire. Le 21 juillet, Abul Kalam Azad,
le directeur général des services de santé
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de ce pays de 160 millions d’habitants, a
dû démissionner de son poste après la
découverte de plusieurs systèmes de
fraude au dépistage du Covid-19. Ce sont
les hommes du Rapid Action Battalion
(RAB) – un corps d’élite local spécialisé
dans la lutte contre la criminalité – qui ont
découvert le pot aux roses, alors qu’ils
enquêtaient sur le Regent Hospital, un éta-
blissement de Dacca, récemment trans-
formé en centre de soins pour les victimes
du coronavirus. Au cours d’une perquisi-
tion, ils ont mis au jour un trafic de faux
certificats médicaux.
Mafieux notoire poursuivi dans de
nombreuses affaires criminelles, le patron
du groupe Regent, Mohammad Shahed,
aurait falsifié quelque 6 500 résultats néga-
tifs de contamination par le Covid-19. Son
projet ? Les vendre à des migrants récem-
ment rentrés au Bangladesh. Travaillant en
Europe dans les secteurs de la restauration
et de la distribution, ces derniers avaient
rejoint leurs familles après la fermeture des
frontières de leur pays d’accueil, en mars
dernier. Aujourd’hui, alors que la pandémie
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
bloquant toute avancée. Ce qui a fait dire
au quotidien sud-coréen de centre gauche
Hankyoreh, début juillet, que les deux
voisins étaient passés « d’un différend
sur des questions historiques à des
contentieux sur des questions vitales,
qui reflètent les différences inconciliables
sur l’avenir de l’Asie de l’Est, et ce, au
moment où la région entre dans une nou-
velle guerre froide ». W
PHILIPPE MESMER (TOKYO)
AFP
Le mafieux Mohammad Shahed au
moment de son arrestation, le 15 juillet.
a causé plus de 3 000 morts au Bangladesh,
ils cherchent à repartir en Occident pour
retrouver leur emploi. Et ont donc besoin
de ce précieux sésame… Connu pour ses
investissements louches dans l’immobilier,
l’hôtellerie, le textile, la papèterie et les cli-
niques, l’homme d’affaires agissait avec
une dizaine de complices. Il a été rattrapé
in extremis le 15 juillet : les forces de l’ordre
l’ont interpellé alors qu’il venait d’embar-
quer sur un bateau, caché sous une burqa,
pour traverser la rivière matérialisant la
frontière avec l’Inde.
Dans cette histoire, Abul Kalam Azad
a servi de fusible au ministre de la Santé
Zahid Maleque, sur qui planent désormais
des soupçons de corruption. Car le Regent
Hospital n’est pas le seul à avoir gagné de
l’argent sur le dos du coronavirus – en
violation des directives du gouvernement
bangladais, qui impose la gratuité des
dépistages et des soins. Le 19 juillet, le
Shahabuddin Medical College Hospital a
été perquisitionné à son tour et ses diri-
geants arrêtés par le RAB. Là encore, le
corps médical fournissait de faux résultats
négatifs. En prime, on a découvert que
l’établissement avait perdu sa licence d’ex-
ploitation, tout comme le Regent Hospital,
bien avant la crise du Covid-19… Entre-
temps, plusieurs autres centres de dépis-
tage, suspects du même délit, ont été pla-
cés sous scellés : ceux de JKG Health Care,
du CARe Medical College, de Stemz
Healthcare et de Thyrocare, à Dacca, ainsi
que celui d’Epic Health Care à Chittagong,
la grande ville du Sud.
A qui profitait le crime ? Certainement
pas aux migrants. « Il faut se souvenir des
conditions dans lesquelles ces gens sont
revenus de l’étranger pour se mettre à l’abri.
Ils ont été accusés d’avoir apporté le virus
d’Europe, d’Amérique du Nord et du
Moyen-Orient », a rappelé l’anthropologue
Zahir Ahmed dans les colonnes du quoti-
dien Dhaka Tribune. Le plus gros contingent
arrivait d’Italie, où 45 000 Bangladais
occupent un emploi, dont 30 000 dans l’ag-
glomération de Rome, d’après les chiffres de
l’institut italien de la statistique.
« A leur arrivée à Dacca, ils ont été
placés en quarantaine dans des condi-
tions d’hygiène épouvantables. Et voilà
que maintenant il leur faut repartir
afin de ne pas perdre leur boulot. Pour
eux, la vie est un voyage sans fin », sou-
ligne l’expert. Surtout, ils doivent mon-
trer patte blanche et prouver qu’ils ne sont
pas contagieux. D’où l’intérêt de ces faux
certificats négatifs.
Pendant ce temps-là, à Rome et dans sa
région, l’inquiétude grandit. Début juillet,
les vols qui venaient de reprendre en pro-
venance du Bangladesh ont été suspendus.
Une trentaine de passagers auraient été tes-
tés positifs à leur descente d’avion. Et,
depuis, une légère reprise de l’épidémie a
été constatée dans la Ville éternelle, où les
pouvoirs publics ont un temps songé à
reconfiner la population. En montrant du
doigt les immigrés bangladais. W
RESHMA MATHIAS (BOMBAY)

Après la sidération, la colère. Dans Beyrouth dévastée, des milliers d’habitants ont manifesté le 8 août contre le gouvernement.
LIBAN
Comment French-Bookys.org
le pays du Cèdre
French-Bookys.org
a sombré dans l’abîme
L’explosion qui a ravagé une grande partie
de la capitale achève de ruiner un pays
qui s’enfonçait depuis des mois dans une terrible
crise. La population peine à garder l’espoir.
PAR CAROLINE HAYEK (BEYROUTH)
Q
ue reste-t-il quand on a tout
perdu ? Cette question lan-
cinante tourmentait de
nombreux Libanais sous le
choc, au lendemain des
explosions survenues, le
4 août, dans le port de Beyrouth, lesquelles
ont ravagé, une grande partie de la capitale
libanaise et fait au moins 160 morts et plus
Afrique | Moyen-Orient
de 6 000 blessés. « Mon cœur est vide.
Quand disparaissent tes projets d’éduca-
tion, ton job, et désormais des amis et des
proches, c’est le KO final », confie Mouhib,
un jeune qui a rejoint la contestation dès
la première heure, en octobre dernier.
Avant que la capitale libanaise ne soit
ensevelie sous les cendres, que des cen-
taines de milliers de personnes se retrouvent
47
STR/NURPHOTO/AFP
sans logement vivable, le Liban traversait
déjà la pire crise économique et politique de
son histoire. Plus que la goutte d’eau qui fait
déborder le vase, la tragédie du 4 août res-
semble à un cyclone qui a tout fait voler en
éclats. « J’ai vécu la guerre durant toute ma
jeunesse et je n’ai jamais rien vu de tel »,
témoigne Ziad, 44 ans, qui codirige un hôpi-
tal dans la banlieue de la capitale.
L’année écoulée a été des plus éprou-
vantes pour le pays du Cèdre. Certains
louent encore cette fameuse résilience des
Libanais (voir page 82) qui, dès le lende-
main de l’explosion, ont commencé à
déblayer les gravats et promis de recons-
truire leur ville. Mais beaucoup ne veulent
plus entendre ce mot, associé à l’apathie
de la population et au fait que rien ne
change jamais. La colère et la rage ont pris
le dessus, face à une classe politique cor-
rompue et incompétente qu’ils conspuent
depuis près d’un an. Ces responsables
n’ont d’ailleurs même pas osé se rendre sur
les lieux, contrairement au président
Emmanuel Macron, qui a été accueilli en
sauveur, le 6 août, par une bonne partie de
la population endeuillée. L’heure n’est plus
aux concessions ni aux marchandages, et
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 48 Afrique | Moyen-Orient
la rue semble prête à en découdre, comme
lors de la grande manifestation du 8 août.
« On a enterré les nôtres, maintenant on
doit se battre jusqu’au bout pour le Liban
dont on rêve », poursuit Mouhib. Ce same-
di-là, des dizaines de milliers de manifes-
tants se sont réunis sur la place des Martyrs
pour laisser s’exprimer une fureur qu’ils
contenaient depuis le jour de l’explosion.
Un agent des Forces de sécurité intérieure
a été tué et plus de 230 protestataires bles-
sés. Le Premier ministre, Hassan Diab, a
tenté d’apaiser les choses en évoquant la
tenue d’élections anticipées. Avant, coup
de théâtre, de présenter lundi 10 août la
démission de son gouvernement, faisant
suite au départ de quatre ministres.
« Il faut que cette colère se dote d’un
front d’opposition politique soudé, avec
une révolution des esprits. Une colère avec
des armes sous la main, sans lieu d’organi-
sation et de décision, peut dégénérer en un
chaos sanglant, et c’est de cela qu’il faut
terriblement se méfier », analysait, avant
cette annonce, l’écrivaine libanaise
Dominique Eddé. Moins d’un an après le
début des protestations, le pays donne le
sentiment de jouer son avenir à quitte ou
double. Comme si cette explosion tragique
annonçait la scène finale d’une année de
montagnes russes émotionnelles.
Retour en arrière, au 17 octobre 2019.
L’euphorie collective gagne la place des
French-Bookys.org
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Martyrs, et des Libanais de toutes confes-
sions et de toutes classes sociales se
retrouvent à Beyrouth dans une sorte de
communion salvatrice. Lasse de plus de
trente ans d’une gestion de l’Etat chao-
tique et sans perspective d’avenir, la popu-
lation veut croire que tout est possible. Les
laissés-pour-compte comme les plus aisés
se regroupent dans tout le pays, et les
médias du monde entier capturent ce sen-
timent d’espoir démesuré porté par une
jeunesse bien décidée à enterrer le « Liban
de papa ». Dans une nation où 4 habitants
sur 10 ont moins de 24 ans, selon des
chiffres non officiels, la jeunesse n’a plus
rien à perdre. « On est à bout. On doit libé-
rer notre pays des zaïm [leaders] corrom-
pus », lançait alors un étudiant de 20 ans
croisé dans les rues du centre-ville bey-
routhin. « On voudrait que ce moment ne
s’arrête jamais », disait-il.
Mais personne n’est dupe, l’effondre-
ment du système guette. Le château de
cartes s’écroule en seulement quelques
mois et met à nu tous les dysfonctionne-
ments de l’Etat, de son économie, de la
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
société tout entière. La violence de la crise
est proportionnelle à l’euphorie révolution-
naire. Pour le secteur bancaire, longtemps
fleuron de l’économie nationale, c’est la
débâcle totale. La pyramide de Ponzi sur
laquelle il reposait depuis des décennies,
vacille : les nouveaux déposants ne sont
plus assez nombreux – malgré des taux d’in-
térêt très attractifs – pour payer la note
générale, notamment la dette de l’Etat, qui
ne cesse d’augmenter. Les banques leur
imposent des restrictions telles qu’ils n’ont
plus accès à leur argent. La livre libanaise
entame une plongée vertigineuse et les prix
des produits de base s’envolent. Le chô-
mage frappe à toutes les portes. Les Libanais
sont contraints de faire le deuil d’un mode
de vie où les biens matériels étaient l’ultime
symbole de la réussite sociale.
C’est tout un pays qui se meurt. Celui
d’un clientélisme exacerbé grâce auquel
la classe politique a réussi à survivre toutes
ces années en se partageant le gâteau, mal-
gré les différends, selon une logique com-
munautaire. Or à mesure que les caisses de
l’Etat s’assèchent, il devient plus difficile
pour les partis de profiter de ce système
mafieux. Les crises régionales, notamment
la guerre en Syrie voisine qui dure depuis
neuf ans – le Liban a dû accueillir plus d’un
million et demi de réfugiés – ont également
eu un impact. Des conséquences aux-
quelles le pays n’aurait pu faire face sans
l’aide de la communauté internationale.
Aux aléas politiques et économiques,
essentiellement liés à des défaillances
internes, vient s’ajouter un tableau géo-
politique des plus complexes, qui fait du
Liban un terrain du bras de fer irano-
saoudien et de la pression américaine
contre le Hezbollah. Le parti chiite, cet
« Etat » à la fois dans et en dehors de l’Etat,
a défendu un statu quo qui lui était
AFP
Le Hezbollah, un parti contesté.
favorable, et s’est installé comme le prin-
cipal rempart du système. Mais cette stra-
tégie est de plus en plus difficile à tenir face
à la fronde de la rue. Le 8 août, des marion-
nettes de papier à l’effigie du leader du
mouvement, Hassan Nasrallah, ont été
pendues en place publique. Un geste ini-
maginable il y a peu.
Le pays est à genoux depuis des mois.
L’économie est lessivée et le flux des impor-
tations, dont le Liban dépend dramatique-
ment, ne cesse de se restreindre. Le secteur
de l’éducation, qui a fait la fierté du pays,
est exsangue, et de nombreuses écoles,
publiques comme privées, menacent de
mettre la clef sous la porte, privant toute
une génération de la promesse d’un ave-
nir meilleur. La crise a été fatale pour la
classe moyenne, touchée par le déclasse-
ment. Plus de la moitié des habitants vit en
dessous du seuil de pauvreté. « Il est cer-
tain que le Liban que nous avons connu et
dont nous avons surtout rêvé s’éloigne de
nos horizons », déplore l’ancien ministre
et ex-diplomate Tarek Mitri.
C’est d’autant plus vrai que le mouve-
ment d’exil entamé ces derniers mois
risque de s’accélérer après la catastrophe.
Les jeunes et les moins jeunes ne veulent
pas quitter leur pays, ils veulent le fuir pour
ne plus être les spectateurs d’un naufrage
qu’ils ne pensent plus être en mesure d’em-
pêcher. « Même mon esthéticienne m’a dit
qu’elle ne rouvrira pas son institut, elle pré-
pare ses papiers », raconte Sarah, une
architecte de 32 ans, qui songe elle aussi,
plus que jamais, à émigrer vers l’Europe.
« Durant la guerre civile libanaise [NDLR :
1975-1990], il y avait une volonté chez les
gens de se reconstruire, de se remettre
debout, et cette énergie était inégalable.
Aujourd’hui, je crois qu’on ressent beau-
coup plus de lassitude, un désenchante-
ment, et même du désespoir », poursuit
Tarek Mitri. « On a le sentiment que, quoi
qu’il arrive, ce système est indéboulon-
nable, et va continuer à nous marcher des-
sus et à nous assassiner », renchérit
Bassam, un ingénieur de 34 ans.
Sur ce « ground zero » libanais, tout est
à reconstruire. Les rues, les immeubles,
comme tout un système démocratique au
service de ses citoyens. Seuls la solidarité,
le dévouement et la détermination de la
jeunesse qui s’est empressée de descendre
balayer les décombres, mais aussi de mani-
fester de plus belle, offrent une mince
lueur d’espoir dans un tableau de plus en
plus sombre. W

La Méditerranée
orientale, nouvel
enjeu géopolitique
Alors que le Liban s’enfonce
dans la crise, la région est le
théâtre de rivalités croissantes
entre différents pays.
Bruno Tertrais
P
étrole et gaz, frontières et migrations,
nationalisme et religion, djihadisme
et terrorisme… La Méditerranée orientale
est devenue un concentré des enjeux
géopolitiques contemporains. Qui risque
à tout moment de s’embraser.
Depuis la découverte de grands gisements sous-marins
d’hydrocarbures, les pays riverains s’en disputent
la possession. Or leurs frontières maritimes ne sont pas
toujours délimitées. Ce qui peut être compliqué
lorsque deux Etats, tels que le Liban et Israël, n’ont
pas de relations diplomatiques, ou lorsque certains,
comme la Turquie, ne se sentent pas tenus par
la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Ce qui se passe dans la région est d’ailleurs suivi de près
French-Bookys.org
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par la Chine, qui agit de la même manière dans son
périmètre et observe attentivement les réactions
de l’Occident… Dans le même temps, le conflit en Libye
s’est radicalisé. La Turquie intervient désormais
directement en soutien des forces du gouvernement
d’union nationale de Fayez el-Sarraj, qui est reconnu
par l’ONU mais contrôle seulement la Tripolitaine
(nord-ouest), alors que la Russie soutient ouvertement
les forces de l’Armée nationale libyenne du maréchal
Khalifa Haftar, qui maîtrise la Cyrénaïque (est).
Au milieu, les gisements de pétrole de Syrte.
Une coalition « antiturque »
Depuis la fin 2019, ces deux enjeux se confondent.
Ankara et Tripoli se sont partagé les eaux sans
concertation avec les riverains. En juin, un grave
incident a opposé les marines turque et française, alors
que la frégate Courbet contrôlait le respect de l’embargo
sur les livraisons d’armes à la Libye. En juillet,
le parlement égyptien a autorisé une intervention
du Caire pour appuyer le maréchal Haftar et Ankara
a permis une prospection pétrolière dans des eaux
disputées à la Grèce… Il se dessine dans la région une
sorte de coalition « antiturque », dont la France est
le leader de fait, avec la Grèce, Chypre, mais aussi Israël,
LE REGARD DU STRATÈGE
49
Une zone sous haute tension
Ankara
Mer
Lesbos
Izmir
Athènes Egée
Projet de Rhodes
gazoduc Crète
Incident avec
Le Courbet
Mer Méditerranée
LIBYE
Zones économiques exclusives
Zone économique exclusive turque
Zone économique exclusive chypriote
Zone maritime revendiquée par la Turquie
et la Rép. Turque de Chypre du nord
Zone maritime revendiquée par la Libye
Zone maritime disputée par le Liban et Israël
L’EXPRESS
Champs gaziers 200 km
SOURCES : WALL STREET JOURNAL - L’EXPRESS
l’Egypte, les Emirats arabes unis – Etats qui se méfient de l’islamisme
turc – et la Russie. Soutenu lors de l’affaire du Courbet par ses
principaux partenaires, Paris ne peut compter sur l’Union européenne
pour ses efforts de containment de la Turquie : certains membres
craignent qu’on ouvre ainsi les vannes de l’émigration, et l’Italie reste
dans le camp légitimiste en Libye. Pas de soutien à attendre non plus
de l’Alliance atlantique, où l’on ne veut ni pousser à bout la Turquie
ni se ranger aux côtés de la Russie. C’est ce qui autorise Emmanuel
Macron à confirmer son diagnostic de « mort cérébrale » de l’Otan.
L’agacement français a des racines profondes. Paris suit la situation
en Libye comme on veille le lait sur le feu, ce pays étant à la fois un foyer
d’émigration et, potentiellement, un nouveau sanctuaire terroriste
à mi-chemin entre l’Europe du Sud et le Sahel. Ses tentatives
de médiation dans le conflit n’ont pas été couronnées de succès.
La politique antikurde d’Ankara en Syrie va à l’encontre des intérêts
hexagonaux. Sans compter l’entrisme des islamistes observé sur
le territoire national… La Turquie, elle, est en plein « revanchisme »
nationaliste, cent ans après la signature du traité de Sèvres
qui organisait le dépeçage de l’Anatolie.
Faute d’un engagement fort des Etats-Unis ou d’une médiation
européenne, la suite des événements dépendra de l’évolution des
rapports russo-turcs. S’ils sont officiellement excellents, les motifs
de concurrence sont nombreux. Moscou et Ankara soutiennent
des camps opposés en Syrie et en Libye. Et chacun instrumentalise
sa religion nationale – la reconversion de Sainte-Sophie n’a guère été
appréciée en Russie. Le sort de cette entente reste donc incertain
à moyen terme : partage de zones d’influence ou retour à l’ancienne
rivalité impériale ? En Méditerranée orientale, les hydrocarbures
sont le combustible, le nationalisme est l’allumette. W
Bruno Tertrais, spécialiste de l’analyse géopolitique, directeur adjoint de la Fondation
pour la recherche stratégique et senior fellow associé à l’Institut Montaigne.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 50 Entreprises

ByteDance, font des cibles parfaites.

Persuadé de leur affiliation directe à Pékin
et fondant son action sur un possible trans-
COUP DE JEUNE fert des données d’utilisateurs américains
vers la Chine, Donald Trump a pris le 7 août
TikTok, sésame de Microsoft un décret visant à interdir sous qua-
rante-cinq jours TikTok sur le territoire

pour les réseaux sociaux national, faute d’un rachat par un groupe
made in USA. Une aubaine pour Microsoft.
Les pourparlers sont en cours et pourraient
aboutir d’ici au 15 septembre, à moins d’une
S’il se réalisait, le rachat par le roi du logiciel tardive réaction musclée de Pékin.
Il s’agirait d’une remarquable prise de
d’une partie des activités du chinois constituerait guerre pour le groupe basé à Redmond, qui
ne s’est pour le moment manifesté que pour
un signal fort envoyé à Facebook et à Google. les activités américaines, canadiennes, aus-
L’opération n’est pas sans risques. traliennes et néo-zélandaises de TikTok,
mais qui serait également très tenté par les
marchés européens et indiens. Sous l’im-
PAR LUCAS MEDIAVILLA
pulsion de Satya Nadella, qui a succédé à
Steve Ballmer en 2014, il poursuit une poli-
tique de diversification l’éloignant un peu
de son activité historique de géant du logi-
ciel. « Cette stratégie plaît aux investisseurs.
Le cours ne cesse de progresser », souligne
Alexandre Baradez, analyste chez
IG France. Qu’on en juge : avec une capita-
lisation boursière de 1 600 milliards de dol-
lars au 3 août, Microsoft n’est dépassé que
par son compatriote Apple et le saoudien
Aramco au classement des plus grosses
valorisations mondiales.
Plus qu’un choix, la diversification est
French-Bookys.org
French-Bookys.org une absolue nécessité. Alors qu’ils avaient
chacun leur spécialité, les géants américains
du Net se marchent désormais sur les pieds
dans leur quête d’empires multi-activités et
leur recherche effrénée de valeur boursière.
Ringardisé au début des années 2000 par
l’émergence des Google, Facebook et autres
innovateurs de la tech, Microsoft est en
passe de souffler l’une des plus belles pépites
(valorisée 50 milliards au niveau mondial)
L’EXPRESS

du secteur. « C’est un actif rare et cher, que

peu de groupes peuvent s’offrir. Si, en plus,
l’administration américaine donne sa béné-
diction… », note Benoit Flamant, respon-

U
n coup de billard à trois
bandes qui pourrait rap-
porter gros. Le nouveau
président-directeur
général de Microsoft,
Satya Nadella, n’en espé-
rait sans doute pas tant, mais les tensions
commerciales entre la Chine et les Etats-
Unis ouvrent une fenêtre d’opportunité
unique à Microsoft, bien positionné pour le
rachat des activités nord-américaines du
réseau social chinois TikTok.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
Plébiscitée par les 15-24 ans, cette appli-
cation permet d’envoyer des vidéos courtes
mettant en scène leurs auteurs, le plus sou-
vent à travers des scènes drôles du quotidien
ou des parodies musicales. Véritable carton
mondial avec 1 milliard d’utilisateurs, elle a
déjà séduit entre 65 et 80 millions d’Améri-
cains. Un casus belli pour l’administration
Trump. Depuis le début de son mandat, le
président est en croisade contre les intérêts
technologiques chinois outre-Atlantique.
L’application ainsi que sa maison mère,
sable actions de Coges Corraterie, une
société de gestion patrimoniale. « La publi-
cité numérique et les usages sur Internet se
sont déplacés vers les réseaux sociaux et les
outils de communication, qui sont pour
beaucoup la propriété de Facebook
(Messenger, Instagram, WhatsApp) et de
Google (Hangouts, Youtube). TikTok, c’est
peut-être la dernière opportunité de rentrer
sur ce marché très convoité », abonde
Jérôme Colin, chargé du conseil en straté-
gie au sein du cabinet fifty-five.
 Entreprises
— P. 50. TikTok, sésame de Microsoft
pour les réseaux sociaux
— P. 51. Les diamants sont éternels…
— P. 52. Le masque, accessoire de mode
A vrai dire, Microsoft n’est pas complè-
tement étranger à l’univers des réseaux
sociaux. Le groupe américain avait ainsi
racheté Skype en 2011, pour 8,5 milliards
de dollars, puis surtout LinkedIn en 2016,
pour 27 milliards de dollars. Des réseaux
plutôt consacrés à un usage professionnel
qui collait bien à l’ADN et à la clientèle
habituelle de la maison. « Avec TikTok, le
groupe de Satya Nadella pourrait s’adres-
ser à une nouvelle cible, les 15-25 ans, qui
n’ont pas grandi avec Microsoft comme la
génération précédente. C’est un créneau
stratégique », décrypte Jérôme Colin. « Ce
rachat pourrait permettre à Microsoft de
tisser des passerelles d’applications avec
ses activités dans les jeux vidéo (Xbox,
Minecraft), comme LinkedIn l’a permis
avec Microsoft Dynamics », insiste Benoit
Flamant. Et pourquoi pas d’effacer des
tablettes l’échec de la plateforme de strea-
ming de jeux vidéo Mixer, fermée en juin
dernier, car largement distancée par
Twitch (propriété d’Amazon).
Géant de la donnée avec ses activités
dans le Cloud (Azure), Microsoft pourrait
également se servir des acquis technolo-
giques de TikTok (deep learning et algo-
rithmes de sélection dans l’intelligence
French-Bookys.org
French-Bookys.org
artificielle, notamment), pour irriguer
l’ensemble de ses activités, à commencer
par la publicité en ligne, les jeux vidéo ou
les services aux entreprises. La zone de
risque reste néanmoins importante
autour de ce potentiel rachat, à commen-
cer par l’ingérence possible de l’Etat amé-
ricain. « Une part substantielle du prix
va devoir aller dans les caisses des Etats-
Unis, parce que nous faisons en sorte que
cette transaction soit possible », a martelé
Donald Trump, sans donner plus de
précisions. Surtout, les précédentes
tentatives de Microsoft dans la sphère
grand public se sont soldées par des
échecs cuisants (Windows Phone, Nokia,
MSN). Le plus mémorable d’entre eux
étant sans doute le rachat de la division
mobile de Nokia pour 7 milliards de dol-
lars en 2013, avant le licenciement de
12 500 salariés de cette même société
quelques mois plus tard.
« Il y a un vrai risque d’exécution.
Mais, depuis l’arrivée de Satya Nadella, la
politique d’intégration est beaucoup
moins agressive. On le voit avec Minecraft,
GitHub ou LinkedIn, à qui Microsoft laisse
une large part d’autonomie, avec succès.
Ils peuvent sans doute faire de même avec
TikTok et bénéficier de synergies intelli-
gentes », parie Jérôme Colin.
Il faudra pour cela que l’application
connaisse un succès durable. Véritable
phénomène de mode et application géné-
rationnelle, TikTok concentre un public
par nature plus volatil que la clientèle
professionnelle et récurrente à laquelle
s’adresse historiquement Microsoft. Le
groupe américain devra travailler à ce
qu’elle ne soit pas qu’un simple « hit »
(comme Vine ou Snap, par exemple) et
qu’elle puisse lui apporter de la valeur sur
le long terme.« Le fait d’avoir proposé à
Le casse du siècle
Les diamants sont éternels… et artificiels
La production de gemmes en laboratoire fait planer une menace sur les profits
des entreprises diamantifères et de la grande joaillerie. L’heure de la riposte a sonné.
GETTY IMAGES/ISTOCK
Pierres « sauvages » ou « d’élevage », à
l’œil nu, impossible de faire la différence.
M anuel Mallen n’oubliera pas de sitôt
ce diamant de 9 carats, blotti dans
son écrin. « La plus grosse gemme de
culture jamais sertie », fanfaronne le
cofondateur de la joaillerie Courbet,
depuis son QG de la place Vendôme, à
Paris. A la différence des pierres tradition-
nelles, ce joyau qu’il a vendu l’an dernier
– 280 000 euros, sans la bague – n’a pas été
extrait d’une mine. Il a été produit en
laboratoire, dans une sorte de gros four à
micro-ondes, en faisant germer des cris-
taux immergés dans un brouillard gazeux.
Avec ce procédé, il ne faut que trois
semaines pour créer une gemme artificielle
51
d’autres actionnaires minoritaires de par-
ticiper à la transaction, c’est assez unique.
Il faudra voir ce que cela signifie sur la
question des données, l’évolution de l’ap-
plication ou de la propriété intellec-
tuelle », prévient Benoit Flamant.
Ayant échappé aux auditions réalisées
par le Congrès sur les questions d’an-
titrust et d’influence politique des plate-
formes sociales, à laquelle se sont pliés
tous les patrons des Gafa (Jeff Bezos, Mark
Zuckerberg, Tim Cook et Sundar Pichai)
en milieu de semaine dernière, Satya
Nadella sait qu’une opération de ce genre
remettra Microsoft sur le radar des auto-
rités américaines. Le pari est osé. Mais
Microsoft a sans doute la meilleure main.
Et celle de son nouvel homme fort ne
tremble que rarement. W
de 1 carat, de 30 à 50 % moins chère qu’une
pierre naturelle. Sa composition, sa struc-
ture et sa dureté demeurent néanmoins
identiques à celle d’un diamant de mine.
Sans un appareillage sophistiqué, impos-
sible de faire la différence. « Même un
expert muni de sa loupe n’y voit que
du feu », confirme Aurélien Delaunay,
directeur du Laboratoire français de
gemmologie.
Longtemps confinés aux applications
industrielles – pour équiper outils de
forage ou lasers, notamment –, les dia-
mants in vitro s’invitent en joaillerie.
« Grâce aux progrès réalisés, on peut
produire des pièces plus grosses et plus
pures », assure Alix Gicquel, fondatrice de
Diam Concept. Cette ex-chercheuse du
CNRS compte développer une filière made
in France avec sa start-up installée dans
les labos R&D d’Air liquide, près de Paris.
« Nous prévoyons de produire 2 000 carats
dès l’an prochain, et quatre fois plus en
2023 », prédit-elle. En France, les bijoute-
ries Maty ou Gemmyo proposent déjà des
pierres artificielles. D’autres enseignes
telles Courbet ou Jem y consacrent leurs
fonds de commerce, en proscrivant les
gemmes traditionnelles.
Certes, la production mondiale des
brillants de laboratoire ne pèse encore
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 52 Entreprises
guère plus de 3 millions de carats. C’est
peu, comparé aux quelque 150 millions
extraits des mines l’an dernier. Malgré
tout, les grands conglomérats ont du souci
à se faire. « En dix ans, les coûts de produc-
tion des diamants artificiels ont déjà été
divisés par 10 et ceux des pierres naturelles
restent stables », confie Grégoire Baudry,
consultant au cabinet Bain & Company.
En se fédérant dès 2016 au sein de la
Diamond Producers Association (DPA),
les sept plus gros producteurs (De Beers,
Rio Tinto…) avaient bien tenté de freiner
cette révolution. Objectif ? Convaincre, à
grand renfort de slogans, que c’est la rareté
des pierres précieuses – et non leurs pro-
priétés physiques – qui fait leur noblesse.
Gros flop. Jean-Marc Lieberherr, le chef
de file de la DPA, a jeté l’éponge l’an dernier.
Branle-bas de combat en juin, lorsque son
successeur, David Kellie, ex-directeur
marketing de Ralph Lauren, a rebaptisé la
DPA Natural Diamond Council (NDC).
Dans son arsenal de communication, un
nouveau site, naturaldiamonds.com,
fait l’apologie des gemmes minières.
« Les clients ont le droit de savoir ce qu’ils
achètent. Un vrai diamant ne peut être
que naturel », insiste Mina El Hadraoui,
directrice France du NDC.
Dans l’Hexagone, un vieux décret
oblige à recourir à l’épithète « synthé-
tique » pour qualifier les pierres de labora-
French-Bookys.org
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toire. L’appellation diamant reste interdite
à la vente. « C’est terrible pour nous car,
dans l’esprit des gens, synthétique, ça
signifie “en toc”. On aimerait promouvoir
l’appellation diamant de culture, mais les
joailliers usent de leur influence pour nous
en empêcher », susurre un pionnier.
Les techno-alchimistes n’ont pas dit
leur dernier mot. « Nos diamants ne sont
pas seulement moins chers que les pierres
naturelles, clament-ils, en substance. Ils
sont aussi plus écologiques, car leur
production dégage moins de CO2, et aussi
plus éthiques que l’extraction minière, qui
réduit de pauvres gens en esclavage. » Une
étude publiée l’an dernier par le cabinet
Trucost s’efforce de contredire ces argu-
ments. Convaincante ? Elle aurait pu l’être
si elle n’avait été financée par la DPA.
La bataille est aussi économique. Voilà
deux ans, l’exploitant sud-africain De
Beers a coupé l’herbe sous le pied de ses
adversaires en lançant sa propre marque
de bijoux « synthétiques », Lightbox, à prix
cassés. « En faisant chuter le carat de syn-
thèse de 4 000 à 800 dollars, De Beers a fait
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
coup double, commente Grégoire Baudry.
D’une part, il a imposé une grosse pres-
sion sur les marges de ses rivaux poten-
tiels. D’autre part, cette politique tarifaire
protège son business, qui est axé sur
le luxe, car elle positionne le diamant
de laboratoire sur le créneau du bijou
de fantaisie. »
Afin de préserver leurs marges, les
trublions du diamant de synthèse sont
NEZ FIN
Le masque,
nouvel accessoire de mode
Grandes maisons et petits créateurs, tous veulent faire de cette protection
un objet tendance, fun et désirable. A la clef, un appétissant marché.
A u Japon, les magasins Uniqlo ont
été littéralement pris d’assaut
le 19 juin dernier. L’objet du désir ?
Un nouveau masque de protection
« respirant » spécial fortes chaleurs,
conçu avec la technologie AIRism.
Résultat, malgré un quota de trois
exemplaires par personne, les stocks
du géant de la mode ont été vidés
en seulement quelques heures.
Les masques Uniqlo, dont on ignore
encore la date de sortie en France,
ont tout misé sur la technologie,
adoptant un design simple et uni, blanc
ou noir. Mais d’autres enseignes jouent
la carte de l’originalité, de l’esthétique.
Brodés, rayés, à fleurs, inspirés
du bandana ou de la peau de python,
ils sont en passe de devenir un véritable
accessoire de mode !
Pour aider les fashionistas
à s’y retrouver, le magazine américain
Vogue a même établi un classement
des 100 plus beaux spécimens.
Les footeux ne sont pas oubliés :
des clubs comme le FC Nantes vendent
désormais des protections à leurs
couleurs. Cette frénésie illustre à quel
point cet accessoire, qui était encore
il y a six mois un objet de curiosité, voire
de moquerie, a changé de statut.
« Les masques de mode permettent
de dédramatiser la situation et de rester
branché, tout en protégeant les autres »,
analyse la créatrice Sophie Malagola.
L’industrie de la mode l’a très bien
donc condamnés à faire preuve de toute
la créativité possible. En Suisse, le labo-
ratoire Algordanza propose de transfor-
mer les cendres de nos défunts en dia-
mant, à monter en diadème ou en forme
de cœur pour un pendentif. Coût de l’opé-
ration ? Autour de 10 000 euros. Le prix à
payer pour faire briller leur âme de tous
ses feux, ad vitam aeternam… W
STÉPHANE BARGE
compris. Les marques Dolce & Gabbana,
Off-White, Louis Vuitton et Gucci,
ou encore le maroquinier français
Berthille : tous ont fait plancher
les designers sur des modèles fantaisie.
« Il y a de la demande et c’est assez facile
à fabriquer », explique Maud Pouzin,
cofondatrice de la boutique de mode
végane Manifeste011, qui a commencé
à commercialiser des masques
antipollution « dix jours avant
le confinement ». Cela s’appelle avoir
du nez ! La couturière Marine Serre a été
tout aussi visionnaire avec sa collection
à motifs, dévoilée à la fin de février pour
la Fashion Week.
Alors que la polémique autour
de la pénurie reste dans les mémoires,
les fournisseurs tricolores tentent
de jouer la carte du made in France.
Plusieurs députés arborent ainsi
les produits du Mask français, fabriqués
en Seine-et-Marne. « C’est avant tout
un outil de protection, mais on a essayé
de le rendre glamour », confie Simon
Sow, directeur général de la start-up.
La marque sortira donc en août
sa collection d’été, en collaboration
avec le street artist Bishop Parigo, pour
69 euros pièce. Une petite affaire
qui marche déjà fort : la jeune
entreprise déménage cet été pour
occuper une nouvelle usine qui passera
sa capacité de production de 10 000
à 100 000 masques par semaine. W
THOMAS LESTAVEL
 Entreprises
L’appel du large
Immobilier : raz de marée
sur les achats en bord de mer
L’acquisition d’un bien à deux pas de la plage fait toujours autant rêver. Depuis
l’été 2019, les prix de l’immobilier ont progressé dans les stations balnéaires françaises.
L e Covid-19 aurait-il un impact positif
sur l’immobilier en bord de mer ? Dès
la fin du confinement, les achats de mai-
sons et d’appartements dans les stations
balnéaires se sont envolés. « En juin, nous
avons enregistré une progression des tran-
sactions de 50 % par rapport à juin 2019,
et sur juillet, elle est de 35 % », observe Eric
Allouche, directeur exécutif d’ERA
Immobilier. Le marché est en effet soutenu
par plusieurs facteurs. « Beaucoup de per-
sonnes sont venues dans leur résidence
secondaire pour se confiner en toute sécu-
rité. Les gens ont compris que c’était un
vrai “plus” de posséder une habitation
proche de la mer », souligne Philippe
Thomine-Desmazures, patron de trois
agences immobilières Barnes sur la côte
basque. Cette crise sanitaire a aussi mon-
tré les vertus du travail à distance, incitant
des cadres à acheter un bien dans un lieu
agréable où ils pourront télétravailler en
paix. « Les Parisiens et les Bordelais sont
très actifs à Saint-Jean-de-Luz. A Biarritz,
French-Bookys.org
French-Bookys.org
c’est plus diversifié, avec une assez forte
présence toulousaine », analyse Philippe
Thomine-Desmazures.
A rebours, l’offre reste plutôt limitée.
« Des propriétaires décalent la vente de
leur résidence secondaire par crainte
d’une deuxième vague du virus. Résultat,
Littoral : les villes les plus chères… et les plus abordables
Prix appartement
(en €/m²)
Provence-Côte d'Azur
Saint-Jean-Cap-Ferrat 11 139 €
Hyères 3 357 €
Côte atlantique
Lège-Cap-Ferret 7 269 €
Barzan NC
Manche
Le Touquet-Paris-Plage 4 809 €
Saint-Pierre-du-Mont NC
Languedoc-Roussillon
Palavas-les-Flots 4 138 €
Port-la-Nouvelle 1 887 €
Bretagne
L’EXPRESS
La Trinité-sur-Mer 3 971 €
Goulien NC
SOURCE : MEILLEURS AGENTS
VOTRE ARGENT
il n’y a pas assez de biens à vendre. Tout
part très vite. Les acheteurs ne négocient
pas les prix », constate Eric Allouche.
Sur les côtes bretonnes et de la Manche,
ce sont avant tout les Parisiens qui achètent,
mais les Bordelais sont de plus en plus
nombreux à découvrir les charmes de la
Bretagne et les Lillois, ceux de la Manche.
« La concurrence entre ces deux littoraux
semble tourner à l’avantage de la Bretagne,
qui a enregistré une croissance moyenne
des prix de 6,2 % en un an, tandis qu’en
Manche, ils ont légèrement décru, de
0,6 % », indique Barbara Castillo Rico, res-
ponsable des études chez MeilleursAgents.
L’immobilier des stations balnéaires
demeure donc un marché national animé
par les Parisiens et les résidents des
grandes villes proches. Les transactions
réalisées par les étrangers, dont les dépla-
cements sont limités, se sont en revanche
réduites. Seule exception, la Côte d’Azur,
où le rôle des étrangers est prépondérant
depuis plusieurs décennies. Soucieux, ce
professionnel de l’immobilier installé à
Saint-Raphaël s’interroge : « Comment
vont-ils réagir dans les prochains mois ?
Seront-ils toujours autant attirés par notre
région ? C’est un enjeu majeur pour toute
la partie du littoral qui va du Lavandou à
Menton. » W ARTHUR TÉO
Prix maison Evolution des prix
(en €/m²) sur un an (en %)
16 150 € + 0,5
4 149 € + 2,9
8 328 € + 3,3
1 634 € +3
5 483 € + 0,7
1 255 € - 2,6
4 165 € +0
+ 4,2
2 025 €
4 470 € + 4,4
1 193 € + 2,2
53
NICHE
Profession :
« pet-sitter »
Des plateformes en ligne se chargent
de trouver la nounou idéale pour
votre animal pendant les vacances.
I l n’est pas toujours simple
d’emmener son fidèle compagnon
en vacances, surtout si l’on part
à l’étranger. Si vous n’avez ni parents
pour garder votre chien ni voisins
pour venir nourrir votre chat,
il vous reste la solution de la garde
d’animaux ou, en anglais, pet-sitting.
Les sites qui vous permettent de
trouver la nounou idéale foisonnent :
homesitting.fr, animaute.fr,
dogbuddy.com, gardicanin.fr,
holidog.com, yoopies.fr, etc.
Ils fonctionnent tous sur le même
mode : vous remplissez un
questionnaire avec les
caractéristiques de l’animal, les
services désirés et le profil souhaité
du pet-sitter. Via un algorithme
sophistiqué, le site vous déniche
l’intéressé, à deux pas de chez vous.
Vous avez également accès aux avis
déposés pour chaque nounou. Un
conseil cependant : un algorithme
pour trouver la perle rare, c’est bien,
mais un entretien de visu permettra
d’éviter toute déconvenue.
Quant aux services proposés,
ils sont de trois types, moyennant
une tarification spécifique, précise
Véra Dimitrova, responsable
communication chez yoopies.fr :
« Il y a tout d’abord la garde de
l’animal à votre domicile
– comptez de 12 à 14 euros par jour.
Il y a ensuite la possibilité de faire
séjourner votre animal chez le ou
la pet-sitter, pour un prix de 10 à
12 euros par jour. Enfin, vous pouvez
choisir un service de visite à domicile,
une fois par jour, de sorte à nourrir
votre animal et lui faire faire sa
promenade, pour un montant
quotidien de 6 à 7 euros. » Une facture
modeste, qui ne devrait pas plomber
votre budget vacances. W A. T.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 54 Entreprises
French-Bookys.org
French-Bookys.org
Nouveau départ 4/6
Au zoo de Beauval,
même les pandas respirent
Dans le plus grand parc animalier de France, les familles en quête de nature
et de grands espaces affluent.
L es derniers reflets de l’aube à peine
effacés, ils sont déjà une centaine à
faire le pied de grue devant l’entrée. Un
bataillon de jeunes couples, les poussettes
dans les starting-blocks ; une palanquée
de grands-parents déjà débordés par des
gamins aux joues roses d’excitation ; une
nuée d’habitués distillant leurs conseils
sur le meilleur moment pour assister au
repas des vautours ou à celui des grands
fauves. « Moi, j’veux voir Gloria ! » hurle
une boule d’énergie, casquette vissée
sur la tête. « Non, les pandas d’abord ! »
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
A l’heure dite, la foule s’élance. Un flot
ininterrompu de visiteurs, baskets aux
pieds, masque sur le nez, prêts à se perdre
dans le dédale des allées. Non loin de l’en-
trée, Rodolphe Delord, le maître des lieux,
surveille. Profil d’aigle, teint hâlé, une
dizaine de clefs accrochées à la ceinture du
jean, un talkie-walkie dans une main, un
Les hôtels bordant le
parc sont pleins jusqu’à
la mi-septembre,
les gîtes tous réservés
sécateur dans l’autre. Comme tous les jours,
il arpente chaque allée, inspecte chaque
volière, chaque bassin. Au détour d’un che-
min, il coupe une branche un peu trop
ILLUSTRATIONS : STÉPHANE HUMBERT-BASSET
rebelle et ramasse prestement un papier
gras ou, plus souvent, un masque chirurgi-
cal jeté négligemment.
Depuis le début de l’été, il respire enfin.
A la réouverture, le 2 juin, la reprise avait
pourtant été poussive. Puis, la France
déconfinée a eu besoin de grands espaces,
de nature. Il a fallu aussi faire plaisir aux
enfants, privés pendant des mois d’école et
de sorties. Beaucoup ont suivi, sur les
réseaux sociaux, au tout début de juin, la
venue au monde de Gloria, le premier bébé
hippopotame né dans un zoo français. C’est
elle, la star de l’été. Alors, les téléphones du
service de réservation ont recommencé à
sonner. A la fin de juillet, Rodolphe Delord
dresse un premier bilan : les hôtels bordant
le parc sont pleins jusqu’à la mi-septembre.
Les gîtes et chambres d’hôtes alentour sont
tous réservés. « Nous, on vient du Gard,
pour passer deux jours au zoo », témoigne
une vacancière arrivée la veille. Dans les
châteaux environnants, à Chambord ou à
ronchonne la grande sœur, l’air buté.
Crêpage de chignon en vue. Un matin
comme les autres au zoo de Beauval, l’un
Cheverny, c’est toujours la soupe à la gri-
mace. Les files de cars de touristes japonais,
chinois ou américains ont disparu… Mais,
des plus grands parcs anima liers à Beauval, la clientèle étrangère a toujours
d’Europe. Soit 40 hectares de plaines her- été modeste – à peine 1 à 2 % du total – et les
beuses, serres exotiques, bassins tropi- Français sont au rendez-vous. Résultat, au
caux, où se côtoient plus de 600 espèces, mitan de l’été, le zoo affiche, selon les jours,
diables de Tasmanie, koalas, lamantins une fréquentation de 20 à 30 % supérieure
des Caraïbes, bongos africains ou pan- à celle de l’an passé à la même période. Des
thères noires… Un parc aux confins du vacanciers prêts à se faire plaisir. « En
Loir-et-Cher, non loin de Saint-Aignan, moyenne, ils dépensent dans les restau-
gros bourg de 3 500 âmes, bordé de douces rants du parc 10 euros par client, contre 7 à
collines plantées des vignes de Cheverny. 8 euros en temps normal. Dans les
 Entreprises
boutiques, c’est pareil. Les achats
atteignent 6 à 7 euros, contre 4 à 5 avant le
coronavirus », précise Rodolphe Delord.
Une bouffée d’oxygène après les mois
de plomb du confinement. La fermeture
brutale du parc, les allées désertes, les
charges qui tombent inéluctablement,
c’est Delphine Delord, la sœur aînée de la
famille, directrice déléguée du zoo, qui en
parle le mieux : « Je me souviens surtout
du coup de téléphone de mon frère le lundi
16 mars à 20 heures, m’informant de la
fermeture du parc dès le lendemain matin
à 8 heures, et la stupéfaction des équipes.
On a juste eu le temps d’offrir le petit-
déjeuner aux vacanciers des hôtels. » Les
jours qui suivent oscillent entre la magie
d’avoir les animaux pour eux seuls et l’an-
goisse du vide.
Et puis la réalité financière s’impose
vite. Sur les quelque 800 salariés, plus de
la moitié est mise en chômage partiel.
Seuls les personnels techniques, les jardi-
niers, les soigneurs et les vétérinaires
restent. Pour tous ceux qui côtoient les pri-
mates, le port du masque devient obliga-
toire. « Durant les deux mois et demi de
fermeture, on a perdu 450 000 entrées
environ », soupire Delphine Delord. Or,
pendant ce temps, il a fallu payer une par-
tie des employés, et toutes les charges fixes.
Depuis 2014, un méthaniseur retraite tous
les déchets verts et ceux des animaux, ce
French-Bookys.org
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qui permet de chauffer les grandes salles
des éléphants et des gorilles, mais il y a
d’affaires
toutes les autres serres, les bassins et aqua-
riums tropicaux. Et puis la nourriture,
fruits, légumes, insectes, viande… soit
quasiment 5 tonnes par jour, auxquelles il
faut ajouter 2,8 tonnes de foin.
Le coup est d’autant plus rude que l’an-
née 2020 s’annonçait exceptionnelle avec
l’ouverture, au début de février, du dôme
tropical, sorte de soucoupe volante translu-
cide de 38 mètres de hauteur, d’un hectare
au sol avec, à l’intérieur, un bassin pour les
lamantins presque six fois plus grand que
le précédent. Un chantier de 40 millions
d’euros qui a duré près de deux ans et demi,
et qui devait célébrer les quarante années
de cette aventure. La dernière folie de la
famille Delord. « C’est un peu notre marque
de fabrique, innover, oser, investir, même
si tout le monde nous le déconseille »,
assume Delphine. Comme en 2008, lors de
la précédente récession, quand le frère et
la sœur décident d’ouvrir un hôtel d’inspi-
ration balinaise. « Personne ne voulait nous
suivre. Même le géant de l’hôtellerie Accor
nous a boudés, persuadé qu’il n’y avait
aucun potentiel touristique », se souvient
la jeune femme, qui se métamorphose alors
en décoratrice d’intérieur, allant même
directement commander à Bali une partie
du mobilier à des artisans locaux.
Ces dernières années, les investisse-
ments se sont enchaînés : les bâtiments
d’inspiration chinoise pour accueillir les
pandas géants, une clinique vétérinaire
parmi les plus sophistiquées d’Europe, des
télécabines qui permettent de survoler les
Le taux d’endettement
de l’entreprise avoisine
les 100 % du chiffre
savanes… Une frénésie qui se paie cash : le
taux d’endettement de l’entreprise avoisine
les 100 % du chiffre d’affaires. Mais qui rap-
porte aussi : depuis l’arrivée des pandas, en
2012, le nombre de visiteurs est passé de
près de 1 million à 1,6 million en 2019. Ce
dynamisme ruisselle sur l’ensemble de
l’économie locale. A quelques kilomètres,
à la mairie de Saint-Aignan, l’édile, Eric
Carnat, l’avoue volontiers : « Beauval fait
55
vivre une grande partie des artisans de la
région. » Maçons, électriciens, plombiers,
charpentiers… Dans toute la vallée du Cher,
quasiment 2 500 emplois dépendent du
zoo. « Depuis l’arrivée des pandas, on est
passé de 4 salariés à 16 aujourd’hui »,
indique Philippe Boudinski, patron de
Fericks, une petite entreprise de plombe-
rie qui a construit tout le système de filtra-
tion du bassin des lamantins. Pour tous, la
réouverture de Beauval est une bouée de
sauvetage. Notamment pour les hôtels et
restaurants. « Rien qu’à Saint-Aignan, on
compte 14 restaurants, et deux autres
devraient ouvrir dans les prochaines
semaines », sourit Eric Carnat, qui compte
aussi sur les recettes fiscales locales payées
par Beauval pour financer une partie des
investissements de la ville.
Et Rodolphe Delord, lui, pense déjà à
l’après-demain. Rembourser le plus vite
possible le prêt garanti par l’Etat de 15 mil-
lions d’euros qu’il a contracté afin de pas-
ser le cap du confinement. « Une obliga-
tion pour continuer à s’agrandir et à
investir. » Dans ses tiroirs, un nouvel hôtel
sur le site de l’ancien hôpital de la ville, et,
pourquoi pas, un nouvel espace pour les
lions. Mais c’est la suite de l’aventure avec
Yuan Zi et Huan Huan, les deux pandas
géants, qui l’occupe peut-être le plus. Les
animaux ont été confiés par la Chine à la
France en 2012 pour une durée de dix ans.
Un prêt scellé par un accord présidentiel
entre Hu Jintao et Nicolas Sarkozy. Pour
que les deux stars du parc restent à
Beauval, Emmanuel Macron devra
convaincre Xi Jinping. Autant dire que la
famille Delord est incollable sur les rebon-
dissements des bisbilles commerciales
entre Paris et Pékin. W
BÉATRICE MATHIEU
DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
Vins de Bourgogne : la Maison Louis Latour
sereine face la crise
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

56
Quelques nuances
de Sarkozy
Dans son dernier livre,
l’ancien chef de l’Etat
développe des passages riches
d’enseignements sur l’Europe.
Nicolas Bouzou
N
icolas Sarkozy ne goûte guère à la théorie
économique. Armé de son bon sens,
il a abordé la crise de 2008 – il le confesse
French-Bookys.org
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lui-même –, ce qui, en l’occurrence,
fut efficace. De fait, la France a plutôt
bien passé cette déflagration historique. Mais ce n’est
pas la partie consacrée à cette crise qui m’a le plus
intéressé à la lecture de son dernier livre,
le passionnant Temps des tempêtes. Ce qui m’a le plus
frappé, ce sont les développements sur l’Europe,
sur la difficulté à faire appliquer des mesures simples
et une omission sur la réforme du marché du travail.
Malhonnêteté europhobe
L’un des premiers objectifs de Sarkozy fut de faire
rédiger et ratifier le traité de Lisbonne, qui devait à la fois
rendre plus efficace l’architecture institutionnelle
de l’Union européenne (UE) et expurger les dispositions
les plus critiquées du projet de Constitution
européenne, rejeté par les Français par référendum.
A cet égard, la malhonnêteté des europhobes dénonçant
le caractère antidémocratique de ce fameux traité est
criante. Certes, les Français s’étaient prononcés contre
la Constitution, mais Nicolas Sarkozy avait, pendant
la campagne électorale de 2007, expliqué clairement
qu’il présenterait à ses homologues un projet de « traité
simplifié ». Ce traité a été ratifié par tous les Parlements.
En matière de dictature, on doit pouvoir faire mieux.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
LES (DÉS)ILLUSIONS DU PROGRÈS
Sarkozy explique avoir découvert que le destin de l’UE reposait
quasi entièrement sur le couple franco-allemand, ce qui ne va pas
sans poser de difficultés, tant nos cultures et nos systèmes
de décision politique sont différents : centralisé et rapide d’un côté,
décentralisé et lent de l’autre. La centralité du couple franco-
allemand s’est rappelée à nous depuis le début de la crise
du coronavirus. Car, si l’Europe a connu un saut quantique
avec la possibilité pour la Commission européenne d’emprunter
sur les marchés, c’est grâce à l’impulsion et à l’opiniâtreté
de la France et de l’Allemagne, qui ont su, semaine après semaine,
rapprocher leurs positions, puis convaincre les Pays-Bas
et leurs alliés. Je le dis à l’adresse des plus jeunes : connaître
et comprendre l’Allemagne, parler la langue de ce pays, est le meilleur
investissement qui soit, tant sur le plan individuel que collectif.
La mère des réformes
Sarkozy explique que, lorsqu’il mettait 100 % d’énergie
dans une décision, il n’en retrouvait que 10 % sur le terrain.
Il prend l’exemple de la défiscalisation des heures supplémentaires,
mesure à tel point déformée par Bercy que le président
de la République avait l’impression de se battre au corps à corps
contre son propre Etat. Sarkozy cite aussi le corporatisme du Quai
d’Orsay et la guerre que doit mener le président pour imposer
un ou deux ambassadeurs qui ne sortent pas directement du corps
diplomatique. Sur ce sujet, les choses se sont aggravées. Le président
Macron avait annoncé la suppression de l’ENA. Je parie que « l’Etat
profond » gagnera et que cette promesse présidentielle sera réduite
à un toilettage du système actuel. La France est codirigée
par son administration, laquelle est pléthorique. La réforme
de l’Etat, qui n’a été menée ni par Sarkozy ni par Macron
(et évidemment pas par François Hollande), est la mère des réformes.
Elle est nécessaire du point de vue économique pour rendre l’action
des pouvoirs publics plus efficace, mais elle l’est aussi du point
de vue politique, car ce n’est pas à l’administration de gouverner.
Mais une telle réforme ne s’improvise pas. Elle exige un immense
travail de préparation sur le fond et sur la méthode, et doit être
menée dès les premiers jours d’un quinquennat.
Politiques publiques cohérentes
De façon surprenante, Sarkozy n’évoque quasiment pas sa réforme
du marché du travail ni, notamment, l’introduction de la rupture
conventionnelle. Cet outil a pourtant donné le coup d’envoi
d’une série de réformes menées par ses successeurs (la loi El Khomri,
sous François Hollande ; les ordonnances Pénicaud, sous Emmanuel
Macron) qui ont flexibilisé le marché du travail avec pour résultat,
jusqu’à la crise du coronavirus, une diminution forte et rapide
du taux de chômage. Cet exemple montre que des politiques
publiques cohérentes peuvent être menées par des gouvernements
de couleurs politiques différentes, avec des fruits concrets pour
les Français. Au cours de l’une de mes visites rue de Miromesnil,
S. PICARD – LAURA ACQUAVIVA
l’ancien président de la République m’avait dit : « Apportez
des solutions. Tout le monde vient à l’Elysée avec des problèmes,
mais personne avec des solutions. » J’y pense toujours en rédigeant,
deux fois par mois, cette chronique. W
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.
 Numérique 57

MENU DIGITAL
LUMIÈRE BLEUE

La seconde vie du QR Code Par Raphaël Grably

Le Covid-19 a remis au goût du jour ce petit carré

N’oublions
qui permet de lire les cartes et de payer sans contact. pas la Zéro G !
PAR MAXIME RECOQUILLÉ

L a 5G, une autoroute pour nos

données. C’est la promesse de

D
epuis sa réouverture,
le Café Lorette, dans le
IXe arrondissement de
Paris, ne désemplit pas.
Bien sûr, il y a eu des
ajustements liés au coro-
navirus : masques, gel, espacement du
mobilier… et disparition de la carte.
Lorsqu’on demande cette dernière au ser-
veur, il pointe du doigt un QR Code (pour
Quick Response Code) collé au centre de la
table. Un drôle de carré en 2D permettant,
une fois scanné par un smartphone équipé
de l’application ad hoc, d’accéder au menu.
Tout le monde connaît ce petit symbole,
né au Japon dans les années 1990, déjà uti-
lisé pour le contrôle des billets de train ou,
plus récemment, pour le règlement de fac-
tures chez le buraliste. Depuis le déconfi-
nement, de nombreux cafés et restaurants
s’y sont convertis, s’évitant ainsi une labo-
rieuse désinfection des cartes.
French-Bookys.org
French-Bookys.org
Cela pourrait bien n’être qu’un début.
Dans un avenir où les contacts seront
réduits au minimum – du moins pour un
temps –, les plus grands acteurs du paie-
ment en ligne s’intéressent à ce code pou-
vant lire jusqu’à 7 089 caractères numé-
riques. Apple Pay prévoit ainsi de l’intégrer
à son nouvel iOS 14, attendu cet automne,
et PayPal l’a déjà déployé pendant le confi-
nement dans 28 pays, dont les Etats-Unis,
la France et l’Allemagne, n’hésitant pas
à bouleverser son calendrier initial. « C’est
une technologie légère qui ne requiert
aucun équipement informatique parti-
culier. Pas besoin de sortir sa carte bancaire
ni même de s’approcher de la caisse. Et
puis les gens y étaient déjà habitués. C’était
le moment opportun, idéal pour le propo-
ser », explique Francis Barel, patron de
PayPal France.
Le succès du QR Code tient également
âgés disposent parfois de mobiles anciens
qui ne permettent pas d’accéder au code. »
Très populaire en Asie, ce symbole
n’avait jusque-là jamais vraiment pris en
Occident, où il devait ringardiser le code-
barres. « L’absence de standard et de norme
internationale a longtemps freiné son uti-
lisation », indique Christophe Romei,
expert en stratégie digitale. Le QR Code
était aussi difficile à lire. La démocratisa-
tion des portables modernes a tout changé.
En 2019, selon le baromètre du numérique,
77 % des Français disposaient d’un smart-
phone, contre 17 % au début de la décennie.
Enfin, Apple, via l’iOS 11 en 2017, a introduit
la lecture « native » de ces symboles depuis
l’appareil photo. Une petite révolution.
« Certains grands fabricants de textiles
avec lesquels on travaille développent déjà
des QR Codes en lieu et place des codes-
barres, ajoute Francis Barel. Vont-ils les
remplacer d’ici à quelques mois ? A moins
qu’une autre technologie ne tire son
épingle du jeu, comme la puce NFC (pour
Near Field Communication). Il est toujours
difficile d’anticiper les “émulsions” techno-
logiques. » Au Café Lorette, on reste prag-
matique : « Si ça marche, on garde ! » W
GILLES RAPPAPORT
cette nouvelle génération de réseaux
télécoms, amenée à offrir des débits
bien plus importants que ceux
de la 4G. Mais a-t-on vraiment besoin
d’une autoroute à six voies pour faire
circuler… une charrette ? Si nos films
en 4K, nos parties de jeux vidéo ou
nos visioconférences de groupe sont
très gourmands en données, des
informations à la taille bien plus
modeste sont tout aussi essentielles
au monde connecté.
Par exemple, l’emplacement
d’un conteneur pour un professionnel
de la logistique, le taux d’humidité
d’un champ pour un agriculteur
ou la température de la chambre
de sa grand-mère pour un particulier.
Certains pensent que ces données,
récoltées grâce à des capteurs
peu évolués et peu coûteux, n’ont pas
vocation à être agrégées au futur
réseau 5G. Parmi eux, le français
Sigfox, qui mise depuis une décennie
sur une technologie qu’il a baptisée
« zéro G ». Un réseau reposant sur
des communications très bas débit
et une consommation énergétique
minimale, avec une latence de
quelques secondes. Une éternité
par rapport à ce que proposera la 5G,
mais une performance tout à fait
acceptable pour échanger des
informations élémentaires. A l’heure
où le thème de la sobriété numérique
est sur toutes les lèvres, cette
« zéro G » pourrait s’imposer comme
un complément à la 5G. D’autant que
les « milliards » d’objets connectés,
dont on nous promet régulièrement
l’arrivée, ne transmettront, pour
beaucoup, que quelques bribes
d’informations qui révéleront leur

à son faible coût : « 2 euros pour imprimer puissance une fois agrégées et
le sticker », précise le gérant du Café analysées. Alors pourquoi forcer ces
Lorette, qui peut aussi mettre à jour sa carte charrettes à emprunter l’autoroute ? W
plus facilement. Seul bémol : « Les clients
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 58 Sciences
ENVIRONNEMENT
Un océan de décibels
Invisible et peu audible,
la pollution sonore des bateaux ravage pourtant
une partie des écosystèmes marins.
PAR SÉBASTIEN JULIAN
I
l ne fait pas partie des espèces
marines les plus menacées.
Plutôt discret, il passe son temps
sous les rochers ou dans le sable.
Mais l’Opsanus Beta pourrait
bien devenir le premier poisson
de roche à perturber l’organisation de
festivals internationaux. Les scientifiques
se sont aperçus que cette espèce marine
supportait mal… l’électro ! Pendant les
premières heures de l’édition 2019 de
l’Ultra Music Festival, organisée sur l’île
de Virginia Key, au large de la Floride, les
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spécimens observés par les chercheurs
ont reçu près de dix décibels de plus qu’en
temps normal, et ils ont produit quatre à
cinq fois plus d’hormones de stress. Un
flux comparable à celui déclenché par
l’arrivée d’un dauphin, leur prédateur
naturel. L’anxiété de ces bestioles peu
connues pourrait prêter à sourire. Le sujet
est pourtant très sérieux. Les sources de
bruits anthropiques – ayant pour origine
les activités humaines – handicapent,
blessent ou tuent chaque jour une partie
de la faune marine.
« Les activités humaines en mer s’in-
tensifient. En raison du trafic maritime
croissant, les mers les plus fréquentées
gagnent trois décibels tous les dix ans »,
constate Damien Demoor, développeur
innovation chez Naval Group et chef
du projet Piaquo, visant à réduire les
nuisances sonores sous-marines dans les
eaux européennes. Dans leur sillage, les
hélices des bateaux génèrent des milliards
de bulles qui implosent sous la surface.
Un phénomène extrêmement bruyant,
connu sous le nom de « cavitation ».
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
ainsi devenir incapable d’entendre cer-
taines fréquences. L’individu est alors en
passe d’avoir des difficultés pour se nour-
rir, communiquer, se reproduire… Il peut
s’égarer et finir sa vie échoué sur une plage.
« Nous en apprenons beaucoup avec
les échouages, confirme Hervé Glotin.
Certains animaux succombent à des embo-
lies en raison d’une remontée trop rapide
liée au stress. Et comme ces accidents
surviennent à l’occasion d’essais militaires,
nous savons qu’ils supportent mal le
sonar. » Mais établir des seuils de tolérance
précis reste extrêmement compliqué. « Il
existe bien des normes, décidées au niveau
européen ou américain, mais celles-ci
concernent des groupes d’espèces et elles
sont très grossières », précise Hervé Glotin.
C’est pourquoi les recherches se pour-
suivent sur le terrain. « Concrètement,
« Aucune mer n’y échappe. Seuls les pôles nous mesurons l’audiogramme des céta-
résistent encore à ce fléau », déplore Michel cés placés en captivité à l’aide de ventouses
André, directeur du laboratoire d’applica- disposées sur leur crâne, indique Michel
tions bioacoustiques de l’université poly- André. On émet ensuite des sons et on
technique de Catalogne et lauréat d’un regarde à quelles fréquences ils sont
prix Rolex. « Ce trafic maritime installe les sensibles. » Ces données peuvent être
animaux marins dans une sorte de smog comparées à des profils de référence.
acoustique permanent qui les gêne dans
leur chasse, leur communication ou leur
reproduction », constate Hervé Glotin, titu-
laire de la chaire intelligence artificielle et
bioacoustique à l’université de Toulon.
A ce brouillard s’ajoutent les nuisances
sonores provenant d’autres activités,
comme l’installation d’éoliennes en mer,
l’agrandissement des ports, les activités
minières, l’utilisation de sonars militaires
ou de canons à air comprimé pour la pros-
pection pétrolière. A l’opposé du ronron-
nement des navires, cette pollution sonore
ne dure pas dans le temps. En revanche,
son intensité est beaucoup plus forte. Si
bien qu’un animal exposé à de tels signaux
peut devenir sourd, voire même mourir
sur le coup au-delà de certains seuils.
« Chez les mammifères marins comme
pour nous, les humains, l’oreille interne
possède des cellules ciliées qui vibrent à
la même fréquence que les sons perçus »,
explique Michel André. Par un processus
complexe, ce signal mécanique est trans-
formé en signal électrique pour être lu par
C. SWANN/BIOSPHOTO/AFP
le cerveau. Lors d’une exposition à des
bruits forts, une fracture des cils vibratiles
peut se produire. Ces derniers perdent
alors leur capacité à vibrer. Dans les cas
extrêmes, les cellules ciliées se retrouvent
expulsées de l’organe, occasionnant des
cicatrices. Au fil du temps, un animal peut Pour les populations de cétacés, les pales des
 Sciences
Les travaux sur la sensibilité passent aussi
par l’analyse de l’oreille interne d’animaux
échoués. Cependant, peu d’espèces sont
gardées en captivité et les chances de pou-
voir réaliser à temps des tests ou des prélè-
vements sur des individus échoués sont
minces. « Nous n’avons des données que
sur 25 % des cétacés », confie Michel André.
La technologie pourrait cependant
changer la donne. Grâce à des drones
silencieux équipés de capteurs couplés à
des algorithmes complexes, les cher-
cheurs peuvent désormais suivre les ani-
maux dans leurs déplacements et mesu-
rer leurs interactions sonores. « Nous
entrons dans une nouvelle ère, s’enthou-
siasme Hervé Glotin. Jusqu’à présent, on
attendait patiemment que les individus
se montrent. Aujourd’hui, la technologie
en acoustique passive nous permet
d’entrer dans la colonne d’eau jusqu’à
2 000 mètres sous la surface et d’observer
les animaux dans différentes conditions
de bruits. » Le chercheur et son équipe
ont ainsi accumulé six mois de données
sur le comportement des cachalots en
Méditerranée. « Pour la première fois,
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navires constituent un danger à plusieurs titres. Et notamment sur le plan auditif.
nous avons démontré, lors de la mission
Sphyrna Odyssey, que cette espèce utilise
une vision collaborative basée sur la
production de sons coordonnée à leur
biosonar. En l’occurrence, deux spéci-
mens envoient de manière concomitante
un “clic” dans la même direction. Ces
signaux ricochent sur un même objet
Les cachalots ne sont
pas les seuls à ressentir
les effets néfastes
des activités humaines
(potentiellement une proie) et reviennent
vers chaque animal. Chacun reçoit ainsi
deux échos, deux vues complémentaires,
et profite donc d’une meilleure vision de la
cible », détaille le spécialiste. Dans quelles
conditions de bruit ce système reste-t-il
efficace ? C’est ce que les scientifiques
vont maintenant essayer de déterminer.
59
Toutefois, les cachalots ne sont pas les
seuls à ressentir les effets néfastes des acti-
vités humaines. « Pendant longtemps,
nous avons cru que les cétacés étaient
les plus menacés par les nuisances
sonores, or ce n’est sans doute pas le cas.
Les invertébrés marins (coquillages,
céphalo podes, crustacés, méduses,
coraux) n’ont pas la possibilité d’échapper
aux bruits en s’en éloignant rapidement.
Ce serait eux les plus touchés », souligne
Michel André. Beaucoup de travaux restent
donc à mener afin d’estimer la sensibilité
des espèces marines.
Heureusement, quelques initiatives
concrètes commencent à voir le jour pour
réduire les bruits d’origine humaine. Les
experts du projet Piaquo planchent ainsi
sur un nouveau design d’hélice capable
d’atténuer le phénomène de cavitation.
Ces pales, inspirées par près de quatre-
vingts ans d’expertise en discrétion acous-
tique, devraient équiper prochainement
deux navires commerciaux. « Cet équipe-
ment permet aussi de diminuer la consom-
mation de carburant », assure Damien
Demoor. De quoi convaincre les armateurs.
Les équipes de Naval Group travaillent
également sur un compteur de pollution
sonore destiné aux bateaux. Chaque capi-
taine pourrait ainsi estimer le bruit de son
navire en temps réel, et adapter sa vitesse
ainsi que sa route aux écosystèmes. « Dans
certaines zones proches du littoral, céta-
cés et bateaux partagent le même espace :
les premiers y trouvent une eau riche
en nourriture tandis que les seconds
naviguent de plus en plus bruyamment »,
constate Hervé Glotin. Il faut donc trouver
un moyen de cohabiter.
Au large des îles Canaries, certains
navires utilisent depuis quelques années
des capteurs afin d’éviter de percuter des
cachalots, dont l’ouïe baisse en raison
de la pollution sonore. Pour faciliter
l’équipement des bateaux – en compteurs
de bruits, en capteurs ou en nouvelles
hélices –, des ports, comme celui de
Vancouver au Canada, commencent à
mettre en place des incitations finan-
cières. Une manière de contribuer à la
préservation de la population d’orques
croisant au large. Le port de Marseille
réfléchit lui aussi à la mise en place d’une
politique d’incitations. « La meilleure
parade consiste à mieux se concentrer
sur la réduction de nos émissions à la
source », conclut Hervé Glotin. CO2, déci-
bels… Dans les deux cas, il y a urgence. W
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 60 Sciences

Le Monde sans fin 4/6

La machine climatique
En octobre, le dessinateur Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergétiques et climatiques, publieront
Le Monde sans fin (éditions Dargaud), qui explique ces enjeux. Chaque semaine, L’Express en révèle un extrait en exclusivité.

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L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 Sciences 61

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DARGAUD/BLAIN/JANCOVICI 2020

LA SEMAINE PROCHAINE Au secours, le climat s’emballe !


62
L’effet Dodo est-il
si merveilleux ?
Des recherches remettent
en cause le principe selon
lequel toutes les thérapies
se vaudraient.
Albert Moukheiber
P
sychologie clinique, psychothérapie,
psychanalyse, thérapies cognitives et
comportementales, thérapies systémiques
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et familiales, pleine conscience, etc. Autant
de disciplines pour la prise en charge
des difficultés qui peuvent toucher notre appareil
psychique. Comment y voir clair ? Sont-elles efficaces ?
Déjà, en 1936, Saul Rosenzweig, psychologue
américain, propose l’idée que toutes les thérapies
validées empiriquement se valent et appelle cet effet :
« le verdict de l’oiseau Dodo » ou « l’effet Dodo ». Cette
appellation vient du récit de Lewis Carroll dans Alice
au pays des merveilles : l’oiseau Dodo doit juger une
course durant laquelle les participants tournent autour
d’un lac. Vu que personne ne se soucie de la course,
au moment des délibérations, l’oiseau réfléchit
et déclare : « Tout le monde a gagné et tous doivent
recevoir des prix. » L’idée de Rosenzweig, c’est de dire
que les personnes sont « gagnantes »,
indépendamment du psychologue qu’elles consultent
ou de son cadre théorique.
Identifier ce qui fonctionne
Cette notion restera hypothétique jusqu’en 1975
lorsque Lester Luborsky, un des fondateurs de la
recherche scientifique en psychothérapie, décide
avec son équipe de l’université de Pennsylvanie
de se pencher sur le prétendu effet Dodo. Le but
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
REMUE-MÉNINGES
de ces recherches consiste à discerner ce qui fonctionne
dans les différents courants psychothérapeutiques et,
en distinguant les éléments communs à ces démarches,
à déterminer ceux qui seraient la véritable explication
de l’efficience d’une thérapie. Les premiers résultats tendent
vers la réalité d’un effet Dodo comme il existe un effet placebo
en médecine et son efficacité s’expliquerait par ce tronc commun
de facteurs. Parmi eux, le lien qui se tisse entre le patient
et son praticien. Une bonne « alliance thérapeutique » semble être
suffisante pour constater une amélioration chez les personnes
qui viennent consulter. Si vous vous entendez bien avec
votre thérapeute, que vous avez l’impression qu’il vous comprend
et vous écoute, alors vous aurez plus de chance d’aller mieux.
Un autre facteur qui a été identifié, une sorte d’effet Pygmalion,
dépend de l’attitude du thérapeute vis-à-vis des chances
d’amélioration du patient. Tout cela de manière indépendante
de l’orientation théorique du psychologue.
L’efficacité de la psychanalyse en question
Toutefois, les recherches récentes révèlent des différences
entre les thérapies, en fonction, bien souvent, des problématiques
dont souffrent les personnes qui consultent. Les pathologies
où l’effet Dodo semble être le moins présent sont celles liées
à l’anxiété. Pour ces troubles, des modalités spécifiques aux
thérapies cognitives et comportementales (TCC) paraissent avoir
des résultats supérieurs aux autres orientations thérapeutiques.
On retrouve cette efficacité plus grande des TCC dans certains
troubles du comportement alimentaire à l’instar de la boulimie.
C’est ce qu’a montré un article scientifique, publié en 2013 par
l’équipe de Stig Poulsen, de l’université de Copenhague, comparant
les TCC et la psychanalyse pour traiter cette maladie. Particularité
de ce travail ? Les chercheurs sont tous des psychanalystes et,
quitte à plaider contre leur propre discipline, ils ont conclu
à une efficacité nettement supérieure des TCC par rapport
à la psychanalyse dans le traitement de ce trouble du comportement
alimentaire. D’autres travaux de recherche sur certaines formes
de dépression, de troubles obsessifs et compulsifs ou de troubles
addictifs, ont également attesté les recherches danoises.
En revanche, la recherche récente tend à montrer que l’effet Dodo
peut jouer un rôle non négligeable dans le cadre de pathologies
plus « légères », celles liées à des problèmes passagers comme
une labilité de l’humeur à la suite d’une difficulté de vie.
Déterminer les traitements à venir
Pour autant, la question de l’effet Dodo est loin d’être tranchée.
Et les études se multiplient, parce que ce phénomène n’est pas
anodin : la recherche va orienter les recommandations des instances
médicales sur les meilleurs traitements disponibles ; elle peut aussi
STEFFEN JAENICKE/LAURA ACQUAVIVA
avoir un rôle à jouer dans l’éventuel remboursement de certaines
psychothérapies et pourrait, enfin, modifier durablement
la manière dont la psychologie se trouve enseignée pour former
les nouveaux thérapeutes. A l’avenir, elle sera même cruciale
afin d’améliorer les chances d’avoir une thérapie ciblée en fonction
des besoins de chaque individu. W
Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue clinicien.
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64 IDÉES

« Y aurait-il des propos racistes

qui seraient tolérables ? »
L’ancienne ministre socialiste s’étonne que l’agression antisémite contre Bernard-Henri Lévy
en Libye n’ait suscité aucune réaction, si ce n’est des moqueries.

PAR SÉGOLÈNE ROYAL*

I L Y A DEUX SEMAINES, on a tiré sur un intellectuel français.

J’ai découvert avec stupeur ce qui était arrivé à Bernard-Henri
refuse que se propage ce cli-
mat de cynisme. Je refuse
Lévy, puisqu’il s’agit de lui, lors de son reportage en Libye. J’ai que la parole publique doive
appris avec effroi, dans l’article qu’il a signé depuis, comment se calibrer sur le baromètre
son convoi avait été mitraillé par des hommes le traitant de des réseaux sociaux. Je n’ac-
« chien juif ». J’ai été stupéfaite de constater que, dans la torpeur cepte pas que l’on puisse fer-
de l’été, cet événement n’a suscité aucune indignation. Il a été mer les yeux et, pour cer-
rapporté dans un climat d’indifférence, parfois même d’ironie. tains, se réjouir, face à des
Personne, parmi la classe politique, n’a exprimé publiquement actes de violence et de haine
sa condamnation ou son inquiétude. antisémites. Si je me suis
Je ne saurais me résoudre à ce silence des uns et des autres. engagée en politique, c’est
Y aurait-il des manifestations de haine qu’on pourrait laisser pas- au nom d’un principe
ser ? Y aurait-il des propos racistes qui seraient tolérables ? simple, tellement simple,
Peut-on, surtout, choisir ses indignations en fonction de l’air du mais qui devrait faire l’una-

L. BARIOULET/AFP
temps ? Quand d’autres intellectuels, Alain Finkielkraut ou Eric nimité : aucune violence
Zemmour pour ne pas les nommer, avaient subi des insultes anti- n’est jamais acceptable.
sémites dans les rues de Paris, nombre de responsables politiques Aucune violence, qu’elle soit
et d’éditorialistes avaient choisi d’exprimer leur colère. Cette verbale, physique, sociale,
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décision était saine, car son message était clair : même si nous
ne partageons pas les engagements de ces auteurs, nous ne tolé-
Bernard-Henri Lévy. n’est jamais tolérable.
Aucun désaccord politique
rons pas qu’ils soient attaqués autrement que par la voie du débat ou idéologique n’a le droit de sortir du dialogue démocratique pour
démocratique. aboutir à de la haine. Je m’inquiète de voir, aujourd’hui, dans
Pourquoi ce principe n’est-il pas appliqué de façon équitable ? l’Hexagone, les symptômes d’une fatigue de la fraternité.
On l’avait brandi en vue de défendre un polémiste qui a été Je connais Bernard-Henri Lévy depuis longtemps. Je sais
condamné par la justice pour incitation à la haine raciale. l’énergie qu’il a consacrée à la gauche et, au-delà, à l’image de la
Pourquoi l’abandonne-t-on France. Je ne partage pas la totalité de ses analyses, mais je recon-
au moment où il s’agit de nais dans toutes une passion de la vérité et un art du courage.
soutenir un écrivain dont Que, comme tous les intellectuels, il suscite des critiques, des
les livres chantent un appel contestations, et même des oppositions, est une chose que je
à la fraternité ? Même si cet comprends parfaitement. Il est inacceptable, en revanche, que
événement a eu lieu à ces oppositions passent par les armes et le racisme.
l’étranger, même si des Enfin, puisqu’il a été question du rôle que Bernard-Henri
Libyens peuvent être en Lévy a joué dans l’intervention française de 2011 en Libye, je
désaccord profond avec son regrette que certains, par pur calcul politique, essaient de pré-
engagement, rien ne justi- senter la Libye de Kadhafi comme un paradis perdu. Il est
fie qu’on traite un homme évident que la situation, comme le rappelle Bernard-Henri Lévy
de « chien juif ». Je pense lui-même dans son reportage, est encore loin d’avoir trouvé une
aussi que l’absence de réac- solution pacifiée et durable. Mais ce n’est pas en défendant le
C. ARCHAMBAULT/AFP

tions, en France, est un
signe inquiétant pour la
démocratie.
Je refuse que s’installe,
dans notre pays, ce « deux
poids, deux mesures ». Je
souvenir d’un tyran que se construira l’avenir dont le pays a
besoin. Et la France, qui a connu tant de déséquilibres après
1789, est bien placée pour savoir qu’une République ne naît pas
du jour au lendemain. W
Ségolène Royal. * Ségolène Royal, ancienne ministre de l’Environnement.

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 IDÉES 65

L’annexion des territoires palestiniens

est « une aventure absurde »
Le 1 er juillet, le gouvernement israélien devait entamer l’annexion des colonies juives
de Cisjordanie conformément au plan américain pour le Moyen-Orient. Un très mauvais calcul.

ELIE BARNAVI*

U N OBSERVATEUR ISRAÉLIEN a naguère excellemment défini

le « trilemme » de l’annexion : parmi les trois choix qui s’offrent
colonisation, Netanyahou aimerait prendre dans ce plan ce qui
lui convient et rejeter le reste. Soucieux de cultiver ses amitiés dans
à Israël – un Etat juif ; une démocratie ; un Etat s’étalant sur l’en- le Golfe, Jared Kushner, gendre et principal conseiller du président
semble du pays, du Jourdain à la Méditerranée – il ne peut en américain, s’y oppose. En attendant l’issue de ce combat de titans,
choisir que deux. Il ne saurait être les trois à la fois. Trump, qui a de toute façon d’autres chats à fouetter en ce moment,
En fait, il y avait bien une quatrième possibilité. C’est celle se tait. Voilà pourquoi le 1er juillet, date du lancement supposé de
qu’Israël a privilégiée tout au long des cinquante-trois ans qui l’annexion des colonies et de la vallée du Jourdain, soit quelque
se sont écoulés depuis la guerre des Six-Jours : l’ambiguïté. On 30 % de la Cisjordanie occupée, est passé sans faire de bruit.
s’installe dans les Territoires et l’on fait comme si le permanent
n’était que du provisoire. Certes, ce faux-fuyant n’a jamais été du
goût de tout le monde. Mais si les deux extrémités du spectre W UN COUP DE PIED BRUTAL
idéologique n’en étaient pas heureux, à gauche par rejet de l’oc-
cupation, à droite par souci du Grand Israël, la plupart des Par ailleurs, les Arabes s’énervent. Le vendredi 12 juin, Yousef
Israéliens s’en accommodaient fort bien. Mieux, ou pis, la « com- al-Otaiba, ambassadeur des Emirats arabes unis à Washington,
munauté internationale » aussi, et, de plus en plus, un monde un proche du prince héritier Mohammed ben Zayed, l’homme
arabe sunnite davantage soucieux de courtiser Israël pour faire fort des Emirats et désormais le grand allié des Américains dans
pièce à l’expansionnisme iranien que de lui chercher noise au le Golfe, a publié un article étonnant dans le quotidien israélien
nom des droits des Palestiniens. Yedioth Ahronoth. Voici ce que cet homme d’influence avait à
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Quelle mouche a donc piqué Benyamin Netanyahou pour
qu’il se lance dans l’aventure absurde de l’annexion ? Ne sait-il
dire aux Israéliens, par-dessus la tête de leurs dirigeants : « Nous
aimerions croire qu’Israël est une opportunité, non un ennemi.
pas, comme le cardinal de Retz l’a si bien dit, qu’« on ne sort de Nous faisons face à trop de dangers communs, et nous voyons
l’ambiguïté qu’à son détriment » ? Car le Premier ministre a fait un énorme potentiel dans des relations plus chaleureuses. »
un très mauvais calcul. D’abord, les Israéliens ne le suivent pas Cependant, continue-t-il, « une décision d’Israël d’annexer [des
dans cette folie. L’annexion est, littéralement, le dernier de leurs territoires palestiniens] constituerait un signal manifeste qu’Israël
soucis : selon des sondages ne voit pas la situation de la même manière ». Si le langage diplo-
concordants, seuls 3,5 % matique est quelque peu tortueux, sa signification est claire. Oui,
la mettent au premier rang la plupart des pays arabes souhaitent des relations étroites avec
de leurs préoccupations. Quelle mouche a donc l’Etat juif, de puissants intérêts partagés le commandent. Et non,
Ensuite, l’administra- piqué Benyamin l’annexion n’est pas compatible avec ce souhait. En d’autres
tion américaine semble Netanyahou pour qu’il termes, une certaine normalisation, informelle mais fructueuse,
l’avoir lâché en rase cam- est compatible avec l’occupation ; l’annexion ne l’est pas.
se lance dans l’aventure
pagne. Pour insensé qu’il Enfin, les Européens se réveillent. Ce coup de pied brutal
soit, le « deal du siècle » de absurde de l’annexion ? dans l’ensemble des normes qui régit le droit international et sur
Trump se présente comme Ne sait-il pas, comme lequel leur Union est bâtie les oblige à regarder la réalité en face.
un tout, dont deux clauses le cardinal de Retz En effet, en formalisant l’occupation, l’annexion rendrait inte-
sont censées complaire aux l’a si bien dit, nable la fiction de son caractère transitoire.
Arabes : un Etat palesti- Résumons. En dynamitant l’ambiguïté qui a si bien servi Israël
qu’« on ne sort
nien, et le gel de la colonisa- pendant plus d’un demi-siècle, la folie de l’annexion le ramène-
tion dans les morceaux de de l’ambiguïté qu’à rait au trilemme que nous évoquions plus haut, qui se réduit en
territoire où cet Etat doit un son détriment » ? fait à un simple dilemme : la démocratie ou l’apartheid. Voilà qui
jour être créé. Soutenu par a au moins le mérite de la clarté. Désormais, il n’est plus possible
David Friedman, ambassa- de faire comme si. Eh oui, il y a un bon usage de l’annexion. W
deur des Etats-Unis à * Elie Barnavi a été ambassadeur d’Israël en France. Il est membre du conseil
Jérusalem, fanatique de la scientifique du musée de l’Europe à Bruxelles.

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

66 IDÉES / L’AMÉRIQUE NOIRE OCTOBRE 1968 4/6

Le poing levé du « Black Power »

Leur geste a marqué à jamais l’histoire des Jeux olympiques… et la mémoire collective
du monde entier : le 16 octobre 1968, Tommie Smith et John Carlos, qui viennent de remporter
les médailles d’or et de bronze du 200 mètres, lèvent leurs poings gantés. Et les maintiennent
vers le ciel pendant toute la durée de l’hymne américain. L’image des deux athlètes noirs
sur le podium de Mexico fait le tour du monde. Iconique.

PAR PIERRE ACCOCE

Paru le 21 octobre 1968 penchaient pour la modération. Ils n’ont pas eu gain de cause.
Vendredi, suspendus, expulsés du village olympique, Smith
LE VERTIGE DE L’AMÉRIQUE et Carlos étaient remis dans un avion à destination des Etats-Unis.
Quelle attitude adopteront, maintenant, les autres Noirs améri-
CE N’ÉTAIT QU’UNE PHRASE. La petite phrase comble-silence cains restant en lice, ou même les Africains ? Pendant le week-
d’un journaliste de l’ORTF, tombée mercredi soir, à l’heure du end, certains, par solidarité, envisageaient d’abandonner les Jeux.
tilleul, dans la tasse des millions de téléspectateurs français Aux Etats-Unis même, l’attitude des deux médaillés rebelles
vissés à leur lucarne sur Mexico. Et qui, peut-être, l’ont à peine revêt une portée politique : les électeurs de M. George Wallace,
entendue. Pourtant révélatrice. A propos de l’essai à 5,20 mètres candidat extrémiste à la Maison-Blanche, peuvent être plus
du perchiste Bob Seagren, le commentateur précisa : « Il s’agit nombreux. M. Hubert Humphrey, candidat démocrate, n’avait
d’un Américain… blanc. »
Quelques minutes plus tard, à 5,40 mètres, l’Américain
blanc cueillait sa médaille olympique. Comme, la veille, un
autre Américain blanc, Al Oerter, lanceur de disque, l’avait
emporté pour la quatrième fois consécutive. Mais les
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Américains blancs n’ont plus, depuis une semaine, la vedette
à Mexico. Pas plus, d’ailleurs, que les autres athlètes à peau
pâle. Pour des raisons politiques plus encore que sportives.
Ce même mercredi, en effet, les Noirs américains tenaient
la promesse faite avant l’ouverture de ces XVIes Jeux : « Nous
manifesterons. » Par la voix de Tommie Smith, de John Carlos,
médaille d’or et médaille de bronze, étoiles sombres du sprint,
ils ont rappelé au monde l’existence des deux Amériques, la
noire et la blanche.
Après avoir courbé la tête et levé le poing ganté de noir,
alors que montait au mât la bannière étoilée saluant leur vic-
toire, John Carlos nous confiait : « Tous les nègres d’Amérique,
grâce à la télévision, ont vu ce geste qu’ils connaissent bien
(celui du Black Power) et qui leur rappelle qu’ils doivent s’unir.
Les Blancs nous prennent pour des animaux qui ne pensent
pas. Pour d’autres, nous sommes des chevaux de parade.
Quand nous réussissons, ils nous donnent des cacahuètes, et
HULTON ARCHIVE/GETTY IMAGES

notre patron nous tape sur l’épaule en disant : “Bien, boys !”

Cette expression me fatigue. Puisque nous ne sommes pas des
hommes aux yeux des Blancs, pourquoi donc viennent-ils
nous voir gagner ? Ce sont eux qui devraient boycotter les Jeux.
Je vous préviens qu’en 1972 ces Jeux seront diablement durs.
Il faudra compter avec nous. Partout. »
Il fallut plus de vingt-quatre heures au Comité olympique
pour décider de la façon dont il sanctionnerait ce double défi Sur la première et la troisième marche du podium, les deux
à l’olympisme et à l’Amérique. Une partie des dirigeants sprinters frappent les esprits et entrent dans les annales.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 IDÉES / L’AMÉRIQUE NOIRE OCTOBRE 1968 4/6 67

pas besoin de cela. Ces dernières semaines, il a suivi avec effroi d’altitude, leur physiologie est accoutumée à l’air raréfié. Dans
le succès de la tournée nordiste de l’ex-gouverneur de l’Alabama. leur sillage on a vu peiner, s’essouffler, parfois s’effondrer,
Ainsi, dans les environs de Detroit, à Flint, où se trouve l’usine les meilleurs athlètes blancs.
Buick, on a estimé, la semaine dernière, que 49 % des ouvriers Là, cependant, n’est pas leur seule supériorité. Comme tous
voteront Wallace. Petits Blancs, ils s’estiment menacés par les autres Noirs, ils ont ces muscles déliés, ces ressorts d’acier
la concurrence noire et surtout spoliés par un voisinage qui qui caractérisent les futurs grands champions. L’Afrique détient
dévalue le prix des terrains et des maisons. Nul doute que un fabuleux réservoir d’athlètes, pour lesquels la course est
l’orgueil de Smith et de Carlos encore un moyen naturel de
peut modifier le climat de locomotion. Entraînés, couvés
la campagne électorale. Pas par des médecins, des diététi-
en faveur des Noirs… Ne leur ciens, ils peuvent bientôt atomi-
restera-t-il, alors, que leur ser des records qui paraissaient
éblouissante supériorité dans difficiles à égaler, sinon à sur-
le domaine du sport ? passer. D’autant que l’athlé-
Si les Jeux de Munich ont tisme constitue pour eux,
lieu en 1972 et si les athlètes de comme la tauromachie en
couleur y participent, ce n’est Espagne, un des seuls moyens
en tout cas pas seulement avec de promotion sociale. Entre les
les Américains mais aussi avec propositions que peut recevoir
tous les autres Africains, les Randy Matson, champion olym-
Cubains, qu’il faudra compter. pique blanc du lancer du poids
Car, à Mexico, ils viennent de (les basketteurs professionnels
faire un singulier étalage de lui offrent 250 000 dollars pour
leurs possibilités. trois ans) et celles que fait un

L’EXPRESS
Nul n’ignorait la valeur de club de football à Jim Hines,
Jim Hines, 22 ans, la locomo- Américain noir, champion
tive d’Oakland, Californie. Ou Dans l’édition du 21 octobre 1968, L’Express retrace olympique en 9’ 9”, il n’y a pas
celle de Charlie Greene, 23 ans, les faits marquants des J.O qui se tiennent à Mexico. grande différence. Mais le
né à Pine Bluff, dans l’Arkansas. Sénégalais Abdou Seye, record-
Ni celle de Mel Pender, 30 ans, man de France du 200 mètres
le petit capitaine des Marines, de John Carlos, de Lee Evans, de en 1960, est aujourd’hui, dans son pays, ministre des Sports…
Tommie Smith. Tous ont honoré leur contrat. Stan Wright, leur Les Noirs d’Afrique n’en sont, eux, qu’à l’expression indivi-
coach, aussi noir qu’eux, a fait de la belle besogne en les forgeant. duelle de leur puissance. Mais il faudra se souvenir de la marée
French-Bookys.org
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Mais les Cubains noirs, Hermes Ramirez Cagigal, Pablo Montes
Casanova, sont entrés dans la foulée de leur illustre aîné, Enrique
noire de Mexico. En sachant que les difficultés liées à l’altitude,
au manque d’oxygène, n’expliquent totalement ni la supréma-
Figuerola, au club des hommes les plus véloces du monde. tie des athlètes de couleur ni certaines défaillances des athlètes
Et l’Ethiopien Mamo Wolde, 35 ans, sergent des gardes blancs. Peut-être les Soviétiques, pratiquement gommés des
du Négus, a été porté en triomphe par ses coéquipiers en pleine épreuves de cette semaine, n’étaient-ils guère préparés à cet
forme, du stade à sa chambre du village olympique, après effort à 2 200 mètres. Mais les athlètes français, couvés à Font-
sa médaille d’argent aux 10 000 mètres, dont le vainqueur était Romeu (1 800 mètres d’altitude), baptisés, au village olympique,
le Kényan Temu. « les milliardaires », tant ils bénéficient d’une assistance de
Groupés autour de leur leader superluxe, comment se sont-ils effacés ?
Kipchoge Keino, ces Kényans, Wilson L’auteur Quoi qu’il en soit, les dés, maintenant, sont jetés. Les feux de
Chuma Kiprugut. Benjamin Kogo, Thomas Pierre Accoce Mexico se braquent désormais sur la gymnastique, la lutte, la boxe,
Saisi, Robert Ouko, Amos Biwott, méritent rejoint la rédaction le football, le cyclisme, le volley-ball. Ils vont dessiner sur les écrans
de L’Express en
dans la mythologie des Jeux olympiques 1966 après avoir des cinq continents les voiles des bateaux de régates, figer les
de 1968 une place à part. Pour ce qu’ils sont, travaillé pour exploits des cavaliers et, par-dessus tout, plonger dans le bouil-
et pour ce qu’ils annoncent. Silhouettes l’émission d’Armand lonnement des bassins de natation. […] Mexico, elle, s’asphyxie
Jammot Les Dossiers
hautaines perchées sur des mollets pleins de l’écran, où son dans les embouteillages les plus insensés de son histoire, traque
de hargne, ils se ressemblent comme des premier reportage les prévaricateurs, revendeurs de places aux stades ou passeurs
est consacré
frères. L’unité de leur style est frappante. d’automobiles américaines en fraude, fait donner, la nuit, son
à l’assassinat
Elle est naturelle. Ils appartiennent tous de JFK. Lié d’amitié armée et sa police contre tout rassemblement de jeunes, mais tient
au petit peuple des Nandis, 100 000 pas- à de nombreux son pari fou. Amoureux des grandes fresques, ennemis des
scientifiques,
teurs perdus dans les vertes montagnes de dont Haroun Tazieff, mignardises, les Mexicains peuvent s’estimer comblés. Leurs Jeux
l’ouest du Kenya qui dominent le grand lac il dirige le service ont déjà apporté plus de surprises et d’exploits inouïs qu’on ne l’es-
Victoria. Du même groupe ethnique que Sciences pendant pérait. Jusqu’à dimanche prochain, le tonus ne baissera plus. W
vingt-cinq ans
les redoutables Massaïs, ils ont transformé à partir de 1968.
une vieille tradition belliqueuse en com- Le journaliste est LA SEMAINE PROCHAINE
aussi écrivain.
bativité sur le tartan. Forgée à 1 500 mètres Haro sur les « Black Panthers » !
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
68 LIBRAIRIE DE L’EXPRESS
Raphaël Enthoven : règlement de comptes
à Saint-Germain-des-Prés
Dans un étonnant roman autobiographique où l’on croise BHL, Carla Bruni et Michel Onfray,
le philosophe raconte sa jeunesse. Rencontre et extraits, en exclusivité pour L’Express.
C ’EST UN PREMIER ROMAN EXPLOSIF dont les exégèses
dépasseront le cadre de la rentrée littéraire. Parce que son auteur,
Raphaël Enthoven, bien connu des lecteurs de Lexpress.fr, est
un philosophe aussi pugnace que clivant, qui ne rechigne pas à
fréquenter l’arène des réseaux sociaux. Parce que ce récit auto-
biographique va surprendre ceux qui ne voient en lui qu’un
enfant gâté. Et, surtout, parce qu’on y reconnaît sans trop de dif-
ficultés une galerie de personnalités, croquées dans des posi-
tions parfois peu flatteuses.
« Cette histoire est entièrement imaginée puisque je l’ai vécue
d’un bout à l’autre », écrit Raphaël Enthoven, toujours friand
de paradoxes, en préambule du Temps gagné (L’Observatoire).
Des figures intellectuelles (Bernard-Henri Lévy, Michel Onfray,
Luc Ferry…) y apparaissent tantôt sous des identités d’emprunt,
tantôt sous leur vrai patronyme. Une fantaisie de l’auteur méta-
morphose Carla Bruni en ex-championne de tennis (« Beatrice »).
Le prénom du narrateur – « Raphaël », évidemment – n’est pro-
noncé que dans les toutes dernières lignes. Ne seraient-là pas des
coquetteries d’un enfant du siècle dernier qui n’assume pas ses
confessions ? Absolument pas, jure le primo-romancier : « Je ne
vais pas me cacher derrière mon stylo après avoir écrit tout ça : ce
livre est autobiographique. Nulle coquetterie. Mais, stricto sensu,
le livre de ma vie (ou d’une partie de ma vie) n’est pas ma vie.
Comment le pourrait-il ? “Aucun mot ne peut expliquer la vie d’un
homme”, écrit Orson Welles. Et le hiatus entre ce qu’on a vécu et
ce qu’on parvient à en dire, l’écart entre les personnes réelles et
les personnages du livre, l’intervalle entre le souvenir et l’imagi-
nation, font toute la différence entre un cloaque et un roman. »
Les gazettes people vont se jeter avidement sur la dernière
partie de l’autofiction, qui revient sur une tragi-comédie
germanopratine devenue drame national. Chez ces gens-là, on
aime régler ses comptes par livre interposé. Dans le best-seller
Rien de grave (2004), Justine Lévy, l’ancienne épouse de
Raphaël Enthoven et fille de Bernard-Henri Lévy, racontait
comment Carla Bruni (rebaptisée
« Terminator »), débarquée au bras
de son beau-père, lui avait dérobé
son amour de jeunesse (« Aurélien »).
Difficile de ne pas voir dans Le Temps
gagné une réponse, violente, dudit
Aurélien. Qui concède que les pages,
cruelles, dédiées à son ex-femme (ici
« Faustine »), ont pu être plus inspi-
rées par la vengeance que par le strict
devoir de mémoire. « Il est vrai que,
contrairement à ce que Justine dit du
personnage auquel elle a donné ma
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
gueule, je n’ai jamais obligé une femme à avorter, ni couché avec
ma belle-mère, et que, depuis plus de quinze ans, des tas d’in-
connus prennent un air sévère pour me raconter mes crimes en
brandissant ce livre. Faut-il pour autant lire mon roman comme
une réponse à tout ça ? Je vous mens si je vous dis que non. Mais
si j’avais seulement voulu répondre à Justine Lévy, je l’aurais fait
depuis longtemps. Je n’aurais pas attendu que ses calomnies
deviennent des vérités à force d’être dites et répétées par un
public bavard. Quand son livre est paru et a répandu ses métas-
tases, je ne voulais pas faire comme elle. Je ne voulais pas écrire
un texte à clefs. Tant pis pour la rumeur, je n’irai pas sur ce ter-
rain, me disais-je. J’avais mieux à faire. A commencer par être
heureux et par apprendre, auprès d’une icône, à faire la diffé-
rence entre mon image et moi-même. Ce qui prend du temps. »
Cette « icône », c’est Carla Bruni – pardon, « Beatrice » –, qui
clôt de façon solaire cette divine comédie cheminant vers une
émancipation. « Beatrice, c’est l’âme sœur du narrateur. Quand
ils se croisent, la première est à la retraite et l’autre finit ses études.
Ce sont des errants qui marchent sur un fil, avec le gouffre en
contrebas, mais qui ont en commun de refuser les compromis.
Il y a entre les deux personnages une communion d’effroi et un
refus de se mentir qui les soudent et les déterminent à chercher
ensemble leur chemin », décrypte l’auteur.
Il serait pourtant imbécile et injuste de réduire les 526 pages
d’un fourmillant roman d’apprentissage à ce seul marivaudage
avec pseudonymes. Dans une ambition proustienne qui
dépasse de loin le clin d’œil du titre, le philosophe restitue les
gestes et idiosyncrasies des personnages de son enfance, dis-
sèque en entomologiste son milieu social et tire des vérités
générales de détails particuliers (parfois aussi scabreux que
dans Sodome et Gomorrhe…). Un monde presque englouti revit,
et c’est bien là de la littérature.
Comme pour nombre d’enfants de divorcés, l’univers du
jeune Raphaël était bipolaire. Du côté de chez sa mère (la jour-
naliste Catherine David), c’est « l’URSS ». Le beau-père
(« Isidore ») – psychanalyste lacanien et féru de karaté – est un
parfait méchant de film, qui le gifle abondamment et poussera
l’adolescent à sa première révolte camusienne. Dans cette
guerre froide, le père (l’éditeur Jean-Paul Enthoven) fait figure
d’Amérique. Il est dépeint en géniteur fitzgeraldien, égotiste,
snob, fantasque, désinvolte, terriblement attachant, bref un
personnage romanesque inoubliable. Répondant à ses détrac-
teurs bourdieusiens, l’écrivain en profite pour montrer que sa
famille tenait plus d’une position intermédiaire, de « trans-
classes en devenir », que de l’existence dorée qu’on lui prête
souvent. Un pied chez les riches et célèbres, et l’autre dehors.
« J’aurais été ravi d’avoir l’enfance qu’on m’attribue. Il se trouve
 LIBRAIRIE DE L’EXPRESS
que ce n’est pas le cas. Toutes mes excuses à ceux que je déce-
vrai. En vérité, nous n’étions ni riches ni pauvres. On n’avait
pas un rond, mais on donnait le change. On était mal classés
mais on avait des wild cards. On était la courgette du gratin. On
oscillait entre l’Olympe et la vie ordinaire. Cette position inter-
médiaire nous plaçait à bonne distance de la célébrité comme
de la richesse. L’une et l’autre nous étaient familières et étran-
gères à la fois », assure Raphaël Enthoven.
L. VITEUR/GETTY IMAGES/AFP
L’essayiste de 44 ans (ici, en 2017) signe un ouvrage
introspectif, Le Temps gagné.
Après cette enfance douloureuse, il y a l’éclosion intellectuelle
d’un normalien qui se cherche des mentors. Parmi eux, Octave
Blanco, un penseur hédoniste et antisystème qui ressemble beau-
coup à Michel Onfray, dont le jeune Raphaël fut proche, et qui
représenta pour lui la tentation de la radicalité. « Il y a des philo-
sophes pour tous les âges de la vie », commente-t-il aujourd’hui.
Bernard-Henri Lévy (alias Elie) fait l’objet de pages contrastées.
S’il égratigne son ancien beau-père, Raphaël Enthoven le défend
aussi contre ses ennemis. « Bernard a le génie d’être détesté par
des imbéciles », confie-t-il. « Il est aisé de rencontrer des gens qui
le conchient. Mais difficile de rencontrer des gens qui le critiquent
intelligemment. Quand j’ai quitté le beau monde qui gravitait
autour de lui, des tas de gens, du complotiste à l’antisémite (qui
souvent sont les mêmes) en passant par de vieux pétainistes et
des altermondialistes en culotte courte, ont cru bon de se jeter
sur moi pour me dire pis que pendre de BHL et glaner des infos
sur l’imaginaire moloch sioniste… Or, j’avais beau être en rupture
avec une certaine façon de penser, mélange de culture classique,
d’antitotalitarisme élémentaire et de bons sentiments, je n’étais
pas prêt, pour autant, à devenir un sale con. »
69
On découvre aussi, dans ce Bildungsroman à l’ère de la gauche
caviar, un formidable tableau d’époque des années 1970-1980,
entre Georges Marchais et les mangas du Club Dorothée. Les made-
leines Rocky ou Les Chevaliers du zodiaque ont, pour notre futur
agrégé de philosophie, une saveur au moins aussi forte que
Spinoza. Les morceaux de bravoure s’enchaînent, à l’image de la
restitution de la cérémonie de mariage avec Justine Lévy où le
Tout-Paris s’est agglutiné, mais dont les mariés ne furent que des
figurants. « C’est ainsi que, sans me
connaître, Nicolas Sarkozy m’offrit une
cloche à fromage. Et je suis probablement
le seul homme sur terre à pouvoir, sans
délirer, prononcer une phrase pareille »,
ironise le narrateur. S’il n’épargne pas son
entourage, Raphaël Enthoven ne
maquille nullement ses propres défauts
de jeunesse. Mais parions que le lecteur
s’attachera très vite à ce héros parfois
insupportable, mythomane, infidèle,
insolent, branleur (littéralement), singe
savant, mais qui comprend que, dans la
vie, l’important n’est pas ce qui vous
arrive, mais ce qu’on en fait.
Tout cela répond-il au cahier des
charges proustien ? Le roman dépasse-t-il
le registre du Who’s Who pour atteindre
l’universel ? « Ceux qui voudront parler
du livre sans se donner la peine de le lire
n’en retiendront peut-être que l’aspect
people. En revanche, je mets au défi les
gens qui le lisent de le réduire à sa
conclusion, et de n’y voir qu’une série
de règlements de comptes, conclut
Raphaël Enthoven. Tout ce que je
raconte trouve sa place dans l’économie
d’un récit qui conduit un homme d’une
enfance malheureuse au plus grand
bonheur qui soit (et au désir d’écrire). Et
j’ai l’immodestie de croire, ou l’espoir
déraisonnable, qu’un roman, s’il ne triche pas, transcende le petit
tas de secrets où il puise ses aventures. » Pour se faire une opi-
nion, en voici déjà, en exclusivité, les bonnes feuilles. W
THOMAS MAHLER
EXTRAITS
(Les intertitres sont de la rédaction.)
Alors les gifles pleuvaient
Non.
On ne peut pas dire ça.
Je n’étais pas, je crois, ce qu’on appelle un « enfant battu ».
Que resterait-il aux vraies victimes ?
Je partageais ma vie entre un grand appartement rue de
l’Ancienne-Comédie et un sixième étage confortable, boulevard
Montparnasse ; je passais mes vacances aux Baléares, à Saint-
Gervais, à Canisy ou à Villaloubet, j’avais plus de cadeaux que les
autres et il arrivait souvent qu’on me fît des compliments. Bien
des gens de ma taille étaient plus malheureux que moi.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
70 LIBRAIRIE DE L’EXPRESS

Je n’étais pas non plus, à plus forte raison, un « pauvre enfant de la tête pour donner la cadence et mimer les saccades. Le pouce
martyr » – comme disait ma mère dans un rire de canard, quand et l’index joints semblaient maintenir à l’horizontale la baguette
j’allais follement chercher un peu de réconfort auprès d’elle. invisible d’un chef d’orchestre, ou le pinceau d’un calligraphe,
J’étais juste un enfant trahi par les adultes et que (pour des ou le burin d’un sculpteur à l’instant des finitions... Tous les arts
raisons qui lui échappent et n’appartiennent qu’à lui) son beau- de la Terre tenaient dans son geste.
père avait choisi d’élever comme lui-même l’avait été, probable- Et dans ces pages où la belle écriture de mon père envahis-
ment. C’est-à-dire avec brutalité. sait le texte dactylographié, en lui intimant ici d’être plus court,
Lorsque, pour une assiette mal terminée, une demande sans là d’intercaler un adjectif ou, parfois, de disparaître tout entier,
s’il te plaît ou un morceau de fromage qu’il avait dû payer et que je soupçonnais des formules secrètes. A mon grand désespoir,
je n’arrivais pas à finir, ses grosses mains s’abattaient sur mes certains paragraphes étaient intégralement recouverts de vague-
petites joues devant ma mère qui riait d’embarras, il n’était pas lettes régulières et horizontales, que mon père semblait dessi-
rare que ses doigts m’entrassent un peu dans l’oreille et qu’à la ner et qu’il encadrait ensuite au feutre noir, comme on empa-
brûlure s’ajoutât un sifflement diffus. Un long bip. Où la tête quette avec soin les déchets de la nuit. Je voyais un immense
me tournait. gâchis dans ces morceaux abandonnés. Comment pouvait-il
Les gifles étaient nombreuses. Mais elles sonnaient toutes raturer, sans remords, le tiers d’une page après s’être donné la
comme un dernier recours. J’en prenais parfois plusieurs par peine de l’écrire ? A quoi bon ? J’avais presque l’impression qu’il
jour, seulement, précédée d’un soupir, chacune d’elles m’était jetait de la nourriture.
présentée comme une mesure désespérée devant l’obstination
que je mettais à mal me conduire malgré de patientes mises en On m’a toujours attribué des moyens que je n’avais pas
garde. « Vraiment, on n’en peut plus ! » disait ma mère après la Mon clapier faisait 9 mètres carrés mais sa fenêtre ouvrait sur
gifle (ou la fessée) dans un soupir validateur. Si fréquente fût- un vaste ciel et le sol ardoise des toits de Paris. Le mur de gauche
elle, la gifle – qui partait à la vitesse de la lumière – était la conti- était couvert d’étagères. A droite, à côté du bureau, la tête du lit
nuation de l’éducation par d’autres moyens. En somme, quand donnait sur la partie mansardée. Au pied du pieu, un placard
il giflait, c’est qu’il baissait les bras devant les crimes dont je me blanc, une chaise à roulettes, et c’était tout. Je pouvais y accéder
rendais systématiquement coupable. Ici un morceau de roque- par l’escalier de service, de sorte que si je le souhaitais, il m’était
fort qu’en gourmand j’avais tranché dans le sens de la largeur possible de disparaître, de grandir à toute vitesse et d’exercer sur
(me réservant les parties bleues), là une porte ouverte sans frap- le monde depuis ma cellule de moine (qui restait une dépen-
per ou bien une goutte d’urine sur la lunette des chiottes… Il y dance de l’appartement paternel) un discret pouvoir de
avait souvent de quoi baisser les bras. Alors, les gifles pleuvaient. domination.
Coutumières, pas mortelles. Comme j’avais souvent vu mon père pleurer d’amour, je crus
d’abord que la solitude était une séparation et j’eus le plaisir, aux
Tous les arts de la Terre tenaient dans son geste premiers jours de mon installation, de me lamenter sur mon
Quand il faisait moins chaud, mon père troquait sa nudité contre sort. Je crois même que j’ai pleuré, moi aussi. Puis je compris
un vêtement de sport et des chaussures de tennis qu’en homme que pour certains dont je faisais partie, c’était l’inverse, et que,
pressé il enfilait pour écrire son article avant de se rendre sur le comme dit l’autre, on n’est jamais si seul que quand quelqu’un
court. Je le revois à son bureau, vêtu comme McEnroe, d’un short vous interrompt.
straight et d’une chemisette aux épaules peintes, les Stan Smith En ce qui me concerne, hormis Rémi, que j’accueillais à bras
couvertes de la terre battue de la veille, taper à deux index sur ouverts (qui fumait avec moi ses premiers pétards), et quelques
une Olivetti (toute neuve, achetée chez Duriez) le texte dont il jeunes filles que j’embrassais des pieds à la tête en m’attardant
avait le plan sous les yeux. avec la candeur du débutant sur les orifices téléphonés, je n’étais
A voix basse, penché guère dérangé. Parce que je mettais du parfum et que je portais
sur son ouvrage à la façon des fringues de marque, les filles venaient chez moi en pensant
d’un horloger sur son « On bouffait bien. On aller dans un palais, et elles se retrouvaient dans une chambre
mécanisme, il ânonnait ses aimait le Bien. On avait de bonne où (avec leur consentement) un adolescent affamé leur
propres phrases comme un des scies dans la tête. mangeait le cul. Et puis je m’en fichais. Pour des raisons qui
rabbin hanté, en hochant la m’échappent (ou peut-être parce que mon père dépensait beau-
On détestait Georges
tête au rythme des effets. coup d’argent à se donner l’air d’en avoir plus), on m’a toujours
Quand la phrase était plus Marchais [...]. On était attribué des moyens que je n’avais pas. Riche, fils de riche,
longue et accolait quelques cultivés sans être érudits. manières de riche, etc. C’était l’appellation. Quelle différence
indépendantes avant de On avait des goûts entre être riche et être tenu pour tel ? Dans les deux cas, c’est à
poser le point au sol, il se de luxe sans être riches. vous qu’on prête.
redressait en inspirant
Et si on avait été riches,
comme lorsqu’on entre Nous étions socialistes
dans un bain trop chaud, on se serait vantés On croyait à l’universel. C’était même l’horizon nouveau d’une
et, par une imperceptible d’aimer les choses gauche qui avait abjuré la tentation totalitaire. On fuyait (ou on
délégation de pouvoirs, la simples. En un mot, nous combattait, c’était selon) le double écueil du conservatisme reli-
main droite, qui, à cette étions socialistes » gieux et de la gauche radicale. Ta ta ta ta ! On aimait Renaud,
altitude, était seule à bou- Johnny Clegg, SOS Racisme, Goldman frère et l’abbé Pierre. Mon
ger encore, prenait le relais père écrivait au Nouvel observateur des articles élégants contre
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le « malaise français ». On ne prenait pas le risque du réel. On en main inconnue. Et répondaient

P. LE SEGRETAIN/GETTY IMAGES VIA AFP

parlait de loin. Je connais par cœur l’égoïsme abyssal de celui à mon sourire par un sourire
qui, le ventre plein, n’ose pas se dire qu’il aime bien le 20 Heures entendu. Qui de nous deux exis-
et ses Ethiopiens, et que le spectacle des enfants affamés dope tait le moins ? Le fantôme qui
son repas, en ajoutant à la chaleur de la bouffe la saveur d’un pri- feint de parler, ou l’image qui
vilège. « Loin des cœurs et loin des yeux… de nos villes, de nos feint de lui répondre ?
banlieues… L’Ethiopie meurt peu à peu, peu à peuuuuuuu… »
On était bien. On bouffait bien. On aimait le Bien. On avait des La divine Beatrice
scies dans la tête. On détestait Georges Marchais (dont mon père Dans cet univers de remarques,
m’avait convaincu, quand j’étais plus petit, que l’accent du de sous-entendus, de somma-
Calvados était un accent « soviétique » et que, les nuits de pleine Carla Bruni, alias tions à être spirituel et d’enjeux
lune, tel un mogwai nourri trop tard, il se transformait en vam- « Beatrice » (2020). mondains, Beatrice, dispensée
pire que le rouge du sang rendait fou). On était cultivés sans être d’avoir de l’esprit et qui en avait
érudits. On avait des goûts de luxe sans être riches. Et si on avait plus que les autres, figurait une
été riches, on se serait vantés d’aimer les choses simples. En un singularité. On se penchait sur
mot, nous étions socialistes. On produisait de la synthèse comme elle avec la curiosité des enfants
la peau fabrique de l’eczéma. A toute chose, nous disions « Oui pour le baril de poudre dont la
d’accord, mais enfin tout de même… » Le marxisme ? « Oui, d’ac- mèche est allumée, ou comme
cord, il y a des injustices, mais enfin tout de même, on ne peut des amateurs au poker invitent

pas sacrifier la liberté à l’égalité… » L’économie de marché ? « Oui
d’accord, c’est le seul système qui fonctionne, mais enfin tout
de même, on ne peut pas se satisfaire des injustices qu’il pro-
duit. » Le racisme ? « Oui, d’accord, c’est atroce, mais enfin tout
de même, il faut imaginer la misère qui engendre la haine. » La
guerre ? « Oui, d’accord, c’est une horreur, mais enfin tout de
même, il y a parfois des guerres justes… » Et en cette exquise
pondération (indéfiniment déclinable et seulement comparable
à l’envie, à peine retenue, de faire caca), nous ne doutions pas
d’être dans le vrai.
Un fantôme à mon mariage
Il y avait à mon mariage tout Paris (c’est-à-dire le Quartier latin)
et aussi sa banlieue (c’est-à-dire le XVIe). Les gens de droite
étaient nos invités. On les tolérait parce qu’on était sympas, et
qu’avec leurs boutons dorés ils avaient l’air moins riches que
nous. L’extrême gauche aussi était la bienvenue. Car elle savait
se tenir et, comme elle était menacée dans ses intérêts par l’ir-
ruption des bourgeois-bohèmes autour de l’Odéon, entamait
son déménagement vers la rue du Bac ou la rue Bonaparte et ses
appartements mieux protégés, d’où elle ciselait des essais ven-
deurs sur l’horreur économique et la nécessité du PCF dans un
monde inhumain. La plupart de ces braves gens – je l’ai dit –
étaient là ès qualités, et non parce que, d’une manière ou d’une
autre, ils nous étaient liés. Ce qui eut pour effet, dans un premier
temps de la soirée, de faire de moi son nouvel observateur.
J’étais le spectateur qu’un miroir choisit de balader, pour un
soir, dans la planète où les locataires de l’Olympe s’étaient donné
rendez-vous. J’étais le lecteur, monocle à l’œil, inconnu au milieu
des images. Je marchais parmi les gens, en prenant garde de ne
pas les bousculer, comme Candide et Cacambo font attention,
en arrivant dans l’Eldorado, de ne pas écraser les diamants qui
jonchent la route. Bref, j’étais le fantôme de ma teuf. En visite au
musée des visages familiers. Je voyais sans être vu. Je reconnais-
sais, sans être reconnu.
Pour m’assurer de mon inexistence, je me penchais parfois
vers un « gens-géant » genre Danièle Thompson, Poivre
d’Arvor ou Alain Delon, et je faisais mine, couvert par le vacarme,
de leur dire une chose à la fois drôle et solennelle, qui se termi-
nait par une poignée de main. Ils serraient chaleureusement la
L. BENHAMOU/SIPA
à leur insu le champion du
monde à partager leur table et,
sans l’avoir vu venir, se font plu-
mer jusqu’à l’os. Devant les gens
Justine Lévy, alias qui l’admiraient ou qui l’en-
« Faustine » (2016). viaient, la championne n’avait
aucun besoin de se fabriquer un
personnage. Alors que tous se
faisaient une identité d’emprunt à l’heure d’entrer, le soir venu,
dans la salle à manger, et que certains profitaient du retour des
costumes pour retrouver la confiance qu’ils avaient perdue plus
tôt en exhibant leurs bourrelets, Beatrice était fidèle à elle-
même, immuable et sublime. Dans ce cercle où rien n’était lisse,
elle évoluait simplement. Dans cet univers de gens, selfistes
avant l’heure, qui vérifient en s’enlaçant que les autres les
regardent, et où chaque geste était immédiatement assorti d’une
évaluation de ses effets, Beatrice vivait sans miroir. Dans ce haras
où chacun rivalisait d’esprit avec l’espoir de conquérir, à la
remise des diplômes, le droit de concourir l’année suivante, elle
figurait la réussite que nul ne conteste. Dans cette Chine enfin,
dans ce Maghreb où des femmes soumises portaient des chaus-
sures trop petites, elle incarnait dangereusement l’indépen-
dance et le célibat.
Le casting de leurs dîners compilait des gloires locales, des
conseillers du roi, des larbins dévoués, des banquiers de gauche
et des athlètes mondains dont l’accréditation venait du fait qu’on
les avait vus au dîner précédent et qui, comme l’ambassadrice
de Turquie, débarquaient emperlouzés des cheveux au fonde-
ment, aussi utiles que des meubles avec leur chaussure sur la tête
et leur noir à lèvres. Il n’y avait pas de vedette – hormis, si l’on
veut, les hôtes. Juste des gratteurs fortunés qui communiaient
dans l’extravagance vénale. Beatrice au milieu de ces singes,
c’était Candy chez les morts-vivants. Elle seule s’y déplaçait sans
masque, comme on inspecte un chantier sans casque : vraiment,
il n’y avait pas photo.
LE TEMPS GAGNÉ
PAR RAPHAËL ENTHOVEN
L’OBSERVATOIRE, 526 P., 21 €. PARUTION LE 19 AOÛT.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 72 LIBRAIRIE / IL ÉTAIT UNE FOIS LES FEMMES... AVANT 1968 2/4

Colette ou l’émancipation
Durant l’été, notre chroniqueuse Abnousse Shalmani conte le destin incroyable et formidablement
moderne de pionnières du féminisme. Cette semaine, Colette.

PAR ABNOUSSE SHALMANI

« V OUS DEVRIEZ JETER SUR

LE PAPIER DES SOUVENIRS de
bien le même qu’elle a épousé.
Dès son arrivée à Paris, elle
l’école primaire. N’ayez pas comprend : son rôle est de
peur des détails piquants, je suivre Willy.
pourrais, peut-être, en tirer Dans les rédactions des
quelque chose… les fonds sont journaux, Willy place ses cri-
bas. » Colette acquiesce. Elle tiques musicales, ses fantai-
s’ennuie. Pourquoi, en effet, ne sies, ses saillies verbales qui
pas écrire ? blessent, flattent et irritent.
Colette est le nom de son C’est son terrain de jeu,
père. Sa mère, Sidonie, son l’époque est à la presse :
héroïne, l’a déclarée à sa nais- 2 851 journaux se partagent le
sance sous le nom de Gabrielle marché français en 1900,
Sidonie. Colette est le prénom 3 442 en 1904… Willy travaille
choisi par son mari Henry partout, il appose sa signature
Gauthier-Villars, dit Willy. Elle dans L’Action française,
sera donc Colette Willy. Le L’Assiette au beurre, Le Chat
nom du père, le pseudonyme noir, Le Courrier musical, Gil
du mari. Il lui faudra attendre Blas, L’Echo de Paris, Le
1923 et son 50e anniversaire Journal, etc. Le jour, Colette
pour signer « Colette ». Mais, écrit enfermée, le soir elle
déjà, quand Willy lui propose, accompagne Willy dans sa vie
sans possibilité de refuser, de de bohème qui [lui] « a toujours
PARIS MUSÉES/MUSÉE CARNAVALET

jeter sur le papier quelques convenu aussi mal que des

souvenirs, pense-t-elle à ce
père dont elle porte le nom en
guise de prénom ? Son père qui,
bien qu’amoureux fou de sa
femme, ne peut s’empêcher de
la jalouser, elle, Gabrielle, la
petite dernière dont la nais-
sance fut si douloureuse et qui Colette à son balcon, entre 1910 et 1912.
se distingue par sa beauté et
son tempérament. Ce père qui a été militaire mais dont elle a
longtemps cru qu’il était écrivain. Il avait acheté des carnets, les
avait classés consciencieusement. Un jour, Colette, curieuse,
avait ouvert les classeurs : vides. Baptisée à 20 ans du nom de
son père, elle s’apprête à devenir l’écrivain que ce dernier n’a
jamais osé être.
Colette souffre de la vie parisienne, car « une enfance heu-
reuse est une mauvaise préparation aux contacts humains ». Elle,
qui n’avait jamais manqué de rien et mangeait à sa faim en vivant
aux rythmes des saisons, tombe gravement malade après son
installation dans un lugubre appartement de la rue Jacob, en
juin 1 893. Elle vient de quitter pour la première fois sa Bourgogne
natale et se demande déjà si cet homme qui l’a tant fascinée est
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
chapeaux emplumés ou une
paire de pendants d’oreilles ».
La soirée commence à L’Echo
de Paris, où elle se réfugie dans
un coin de la salle de rédaction
« où rien ne protégeait, ne res-
pectait, ne facilitait le travail de
la pensée et où personne n’était
gai, digne, ni jeune ni soucieux
de le paraître ». Mais il y a Catulle Mendès, qui la réjouit, et Marcel
Schwob qui, quand il n’est pas en voyage, lui apporte la joie de
converser. Sinon, Colette ne décroche pas un mot. Elle aime bien
le Quartier latin et ses cafés (le d’Harcourt, le Vachette…) où, à
défaut de s’amuser, elle se laisse contaminer par la gaieté de
Pierre Louÿs, de Jean de Tinan et d’André Lebey qui, souvent,
partagent la même femme.
Combien de temps fallut-il à Colette pour découvrir la vérité
sur Willy ? Un an après son arrivée à Paris, elle reçoit une lettre
anonyme contenant une adresse. Elle s’habille, se parfume,
attrape un parapluie alors qu’il fait un temps radieux. Parvenue
à l’adresse indiquée, elle y trouve Willy en la galante compagnie
de Lotte, qui deviendra son amie avant de se suicider d’une balle
 LIBRAIRIE / IL ÉTAIT UNE FOIS LES FEMMES... AVANT 1968 2/4 73

de revolver dans la bouche. Colette écrira en guise d’oraison à la mode, nous ne trouvions à aucune le regard aussi beau que
funèbre : « Elle avait 26 ans et des économies. » Lotte, fille d’un celui de Colette. » Natalie Clifford Barney, qui n’habite pas encore
communard alcoolique, qui inspirera Les Hannetons à Eugène le 20, rue Jacob, sait déjà qu’elle veut créer un monde où les sin-
Brieux, séduisit Jules Lemaître et tant d’autres avec son langage guliers, les originaux et les femmes peuvent se retrouver sans
populaire et ses manières sans façons, Lotte aux mille métiers, risquer le jugement.
Lotte qui raconte les jeunes filles du Paris de la Belle Epoque, sans « Nom de Dieu, je ne suis qu’un con ! » Willy comprend tard,
revenus, sans famille, sans mari. Lotte, la première d’une longue mais il comprend. Nous sommes en 1898, Willy retrouve les
série de maîtresses, dont Colette se fera des alliées, comme le lui 656 pages de Claudine à l’école. Il s’attelle à la correction, il s’en-
a appris sa mère, Sidonie, qui accueillait les filles-mères, rejetant flamme. La sortie de l’ouvrage, en 1900, est un triomphe qui est
les condamnations morales tout en enseignant à sa fille l’art de aussi le début de la fin de Willy. Au terme de sa vie, il aura un éclair
la sororité : aimer les autres femmes, c’est s’aimer. de lucidité : « Willy, c’est un vieux rigolo que j’ai bien connu, il
Combien de temps encore pour comprendre que Willy n’écri- est mort il y a vingt ans », vingt ans, autrement dit la fin des
vait pas une seule ligne qu’il signait ? « J’ai fait comme tout le Claudine et le départ de Colette. En attendant, les Claudine s’en-
monde, j’ai commencé par m’appeler Willy », ironisait Ernest chaînent. Colette est à la
La Jeunesse. Willy est un chef d’entreprise à la tête d’un atelier peine, Willy l’enferme, elle
d’écriture, un manipulateur extraordinaire qui fait travailler cinq subit. Willy saisit avant tout
ou six auteurs sur le même texte, un autre groupe écrit les cri- le monde l’intérêt de la Dans les salons, Colette
tiques musicales, un autre compose les petits romans qui se réclame et des produits est une attraction.
vendent dans les journaux. Ces derniers étant toujours en dérivés. Colette s’y soumet. La provinciale
demande, toujours affamés de signatures prestigieuses. Colette Le col Claudine devient
– la « muette »,
saisit les contours de sa prison : elle n’est qu’un nègre parmi ainsi le costume de la jeune
d’autres au service d’un Willy oisif, assoiffé de gloire. fille émancipée de la Belle voire « l’attardée » –
Epoque, tandis que Willy qui a épousé Willy.
décide d’adapter le s Là, elle observe
W UN MANUSCRIT RANGÉ AU COFFRE Claudine au théâtre avec un monde où les femmes
Polaire dans le rôle-titre.
dominent – à force
Dans les salons, Willy est plus suffisant que jamais. Son auditoire Willy transforme cette
réclame bons mots, reparties, attaques mesquines ; Colette est demi-mondaine à l’in- de maris richissimes
une attraction. La provinciale – la « muette », voire « l’attardée » – croyable taille fine, vulgaire et d’amants célèbres –
qui a épousé Willy. Tout un chacun s’étonne : il la vouvoie, elle et vicieuse, en double de et couronnent écrivains,
le tutoie. Colette constate : « On ne voyait que lui. Si on me regar- Colette, qui sacrifie sa musiciens, critiques,
dait un instant, c’était pour le plaindre, je crois. On me faisait longue chevelure – et sa poètes
bien comprendre que sans lui, je n’existais pas. » Là, elle observe dignité – à la publicité :
un monde où les femmes dominent – à force de maris richis- cartes postales où les deux
simes et d’amants célèbres – et couronnent écrivains, musiciens, femmes, devenues siamoises, entourent un Willy satisfait.
critiques, poètes. La plus impressionnante est Mme Arman de Innombrables sorties mondaines où Colette et Polaire sont exhi-
Caillavet, égérie et maîtresse d’Anatole France, le modèle de bées. Le trouble érotique fait vendre, Colette est en morceaux.
Mme Verdurin chez Proust. C’est dans son salon que Colette ren- Mais, en 1905, Polaire, lassée de jouer les twins, s’éloigne ; Willy,
contre Anna de Noailles, dont elle restera très proche ; mais aussi plus orgueilleux que jamais, se persuade d’être le véritable père
Marie de Régnier, qui la fascine par son aisance, sa capacité à des Claudine, s’exaspère des velléités d’indépendance de Colette
tenir les regards, à répondre à une ambiguïté par une grossièreté et la pousse à trouver un emploi… Elle signe seule un livre,
merveilleusement tournée, à séduire hommes et femmes. Dialogues de bêtes. Puis, son accent bourguignon lui interdisant
Quelque chose – encore en balbutiement – se met en branle chez une carrière d’actrice classique, elle prend des cours de mime
Colette. La possibilité d’une émancipation dont les racines se avec Georges Waag, dit Wague, avant de devenir sa partenaire. Sa
nichent dans l’écriture. voie serait-elle donc la scène ? La « muette » dans l’ombre de l’ex-
Ces 656 pages d’une écriture serrée, Willy n’en perçoit pas tout centrique Willy n’a-t-elle d’autres choix que la lumière pour
de suite la force. Il range dans son coffre le manuscrit qui devien- échapper à son emprise et à ses peurs ?
dra Claudine à l’école. Colette retourne à ses chats Quelques Colette est finalement mise à la porte par Willy en
et à ses lectures ; rencontre celle qui deviendra sa dates novembre 1906… Elle a 33 ans et aucunes ressources, mais de
plus proche amie, sa confidente, son alter ego, la l’humour : « Il n’est pas facile à inventer, le lyrisme de l’expul-
comédienne Marguerite Moreno ; se promène sion. » Elle se réfugie chez Mathilde de Morny, marquise de
dans le bois de Boulogne où une jeune Américaine 1 873 Belbeuf, dite Missy, l’une des figures du Paris saphique, rencon-
Naissance,
millionnaire, lesbienne revendiquée, cherche en Bourgogne trée chez Natalie Clifford Barney. Il ne manque plus qu’un scan-
désespérément à séduire Liane de Pougy, mais dale pour lancer Colette – sans Willy. Ce sera le 3 janvier 1907, sur
1 900
remarque tout de même la jeune Colette : « On Publication de la scène du Moulin-Rouge, où Missy et Colette s’embrassent,
avait le loisir d’échanger de longs regards et des Claudine provoquant une émeute dans la salle… W
à l’école
demi-sourires, en passant du Tir au pigeon à la
Cascade ; croisant et recroisant la plupart des cour- 1 954 DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
tisanes, actrices, mondaines et demi-mondaines Mort, à Paris Les Américaines de la Rive Gauche
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
74
PALMARÈS

Cla Nb
s
pré s. sem re de

La tempête Sarkozy FICTIONS

N° Titre Auteur (Editeur)
1 N L’Enigme de la chambre 622 Joël Dicker (De Fallois)
céd
ent aines

1 9
PUBLIER UN ESSAI LE 24 JUILLET pouvait sembler osé, voire 2 N La Vie mensongère des adultes Elena Ferrante
(Gallimard) 2 7
suicidaire, à l’heure où les lecteurs s’égayent dans la nature. Mais 3 H La Saga des Cazalet (t. I). Etés anglais
il est vrai que ces derniers sont principalement restés en France Elizabeth Jane Howard (La Table ronde) 4 9
et que Nicolas Sarkozy, l’auteur dudit ouvrage, a un passé de 4 H La vie est un roman Guillaume Musso (Calmann-Lévy) 5 9
serial best-seller. Son livre Passions, sorti en juin 2019, patchwork 5 H Et que ne durent que les moments doux Virginie
d’anecdotes croustillantes et de portraits cruels, a dépassé Grimaldi (Fayard) 7 6
6 B La Commode aux tiroirs de couleurs Olivia Ruiz
les 220 000 ventes, tandis que, en 2006, Témoignage (XO), paru (JC Lattès) 3 8
juste avant sa campagne présidentielle, s’était écoulé à 7 H Le Pays des autres Leïla Slimani (Gallimard) 10 21
265 000 exemplaires. C’est ainsi que les éditions de l’Observa- 8 B Le Flambeur de la Caspienne Jean-Christophe Rufin
toire n’ont pas hésité à publier en plein été le premier tome des (Flammarion) 6 6
mémoires de leur poulain, achevé au grand galop durant un 9 B Il était deux fois Franck Thilliez (Fleuve noir) 8 8
confinement « subi » au cap Nègre. Un passage au 20 Heures 10 H La Vallée Bernard Minier (XO) 13 10
de TF1, des dédicaces à la pelle (à Ajaccio, Arcachon, Deauville…), 11 B Avant que j’oublie Anne Pauly (Verdier) 9 7
et les 522 pages du Temps des tempêtes de s’envoler à près 12 B Femmes sans merci Camilla Läckberg (Actes Sud) 11 8
de 80 000 exemplaires en huit jours. Nicolas Sarkozy y relate 13 H Nos résiliences Agnès Martin-Lugand (Michel Lafon) 15 10
les dix-huit premiers mois de sa présidence, à compter du 14 H La Brodeuse de Winchester Tracy Chevalier
16 mai 2007 jusqu’à la crise financière et la réunion du G20 à (La Table ronde) - 2
Washington. Il ne lui reste plus qu’à détrôner Jacques Chirac, 15 B Retour de service John Le Carré (Seuil) 12 9
qui occupe la première place du podium des « ex » avec plus 16 H Miroir de nos peines Pierre Lemaitre (Albin Michel) 17 30
de 300 000 exemplaires vendus du tome I de ses Mémoires, 17 H Ame brisée Akira Mizubayashi (Gallimard) 20 7
Chaque pas doit être un but (2009, NiL). MARIANNE PAYOT 18 H Là où chantent les écrevisses Delia Owens (Seuil) - 11
19 B Lettre d’amour sans le dire Amanda Sthers (Grasset) 16 4
20 H Isabelle, l’après-midi Douglas Kennedy (Belfond) - 2
17. Ame brisée
Par Akira Mizubayashi ESSAIS-DOCUMENTS
1 Le Temps des tempêtes (t. I) Nicolas Sarkozy
Sorti (trop) discrètement fin août 2019, ce lumineux (L’Observatoire) - 1
roman connaît une très belle seconde vie grâce au prix 2 B Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ?
des Libraires. Avec un style tout en délicatesse, l’auteur Covid-19… Christian Perronne (Albin Michel) 1 6
d’Une langue venue d’ailleurs (2011, Gallimard) y déroule 3 B La Vie ordinaire Adèle Van Reeth (Gallimard) 2 8
le destin d’un jeune orphelin japonais adopté 4 B Sorcières Mona Chollet (Zones) 3 94
par des Français. De la douceur et de la fureur, 5 B Le Goût du vrai Etienne Klein (Gallimard) 4 4
du Schubert et des uniformes kaki… et, in fine, 6 B Un été avec Pascal Antoine Compagnon
(Equateurs/France Inter) 5 8
la victoire de la musique sur le fracas du monde.
7 H Vivre ! Dans un monde imprévisible Frédéric Lenoir
(Fayard) 11 6
8 H Sapiens. Une brève histoire de l’humanité Yuval Noah
10. Changeons de voie. Les leçons Harari (Albin Michel) 10 207
du coronavirus 9 H Le Consentement Vanessa Springora (Grasset) 18 25
Par Edgar Morin 10 B Changeons de voie. Les leçons du coronavirus
Edgar Morin, avec Sabah Abouessalam (Denoël) 8 5
A 99 ans, le sociologue ne perd plus de temps. 11 B Les Gaulois réfractaires demandent des comptes
Dès le 17 juin, il y est allé de sa plume pour tirer au Nouveau Monde Philippe de Villiers (Fayard) 6 7
quelques leçons de la pandémie et rappeler qu’il faut 12 B Ce virus qui rend fou Bernard-Henri Lévy (Grasset) 9 7
sans cesse « prévoir l’imprévisible ». Un rien utopiste, 13 B Soit dit en passant. Autobiographie Woody Allen
(Stock) 7 8
il en appelle à un « humanisme planétaire régénéré ».
14 B Le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité Aurélien
Barrau (Michel Lafon) 13 21
15 B Epidémies. Vrais dangers et fausses alertes
Allemagne Didier Raoult (Michel Lafon) 14 15
Abschiedsfarben 16 B L’Or du temps François Sureau (Gallimard) 12 9
17 H Dans les geôles de Sibérie Yoann Barbereau (Stock)
von Bernhard Schlink - 19
18 H Sans la liberté François Sureau (Gallimard) - 12
A peine publié, le nouveau livre de l’auteur du Liseur,
19 B Et après ? Hubert Védrine (Fayard) 15 5
best-seller mondial, s’arroge la deuxième place
20 H Père riche, père pauvre Robert T. Kiyosaki
des meilleures ventes du Spiegel. Ses fidèles lecteurs (Un monde différent) - 9
ont fusé sur ce recueil de nouvelles, qui traitent
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L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 BEAUXARTS 75

Dans l’objectif de Samuel Fosso

Il compte parmi les photographes les plus cotés d’Afrique noire. Son travail,
centré sur l’autoportrait, est visible au musée du Quai Branly, à Paris, qui consacre
une exposition-événement à l’image extra-occidentale contemporaine.

française. Un vieux monsieur

l’aborde : « J’ai commencé
aussi très jeune. Continuez,
Samuel, c’est très bien ce que
MUSÉE DU QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC, PARIS

vous faites. » Renseignements

pris, l’homme âgé s’appelle…
Henri Cartier-Bresson.
Au musée du Quai Branly,
à Paris, jusqu’au 1er novembre,
Samuel Fosso marque de
son aura l’exposition A toi
appartient le regard et (…) la
liaison infinie entre les choses.
Empruntée au philosophe
allemand August Ludwig
Hülsen (1765-1809), cette cita-

A U CAMEROUN, EN 1962, Samuel Fosso est né

paralysé des mains et des pieds. A 5 ans, alors
tion sert d’intitulé à la traver-
sée intégralement consacrée à l’image contempo-
raine extra-occidentale. La commissaire Christine
qu’éclate la guerre du Biafra, on l’emmène au Nigeria Barthe y a réuni 26 artistes issus de 18 pays, qu’elle
où son grand-père officie comme guérisseur. Une invite à découvrir « de façon libre et intuitive ».
COURTESY J.-M. PATRAS, PARIS

cérémonie rituelle plus tard, le voilà rétabli. De sa
petite enfance antérieure à cette résurrection mira-
culeuse, Samuel n’a aucune photo : honteuse du
handicap de son fils, sa mère ne le faisait jamais figu-
rer devant l’objectif. C’est peut-être pour cela qu’il
est devenu un photographe phare de l’Afrique noire.
Et qu’il a fait de son corps le medium de son œuvre.
A seulement 13 ans, en République centrafri-
caine où un oncle l’a recueilli, il est déjà à la tête
d’un studio. L’adolescent immortalise ses clients et
utilise les fins de pellicule pour se tirer le portrait,
affublé de bottes à talons, d’un maillot de bain kitsch
ou de pantalons pattes d’eph’ qu’il se fait confection-
ner sur mesure par un tailleur de Bangui, en s’inspi-
rant des magazines afro-américains. Une démarche
culottée sous le régime despotique de Bokassa,
mais l’appareil encourage toutes les audaces. « Ce
qui m’a attiré dans la photographie, c’est de récupé-
rer ce qu’il m’avait manqué dans ma jeunesse et mon
enfance », confirme celui qui, loin du microcosme
artistique, n’a alors pas conscience de s’adonner à
autre chose qu’un passe-temps.
Les clichés de Fosso restent dans la sphère pri-
vée jusqu’à ce qu’il croise, au début des années 1990,
Bernard Descamps, le créateur des Rencontres de
Bamako, qui va le révéler à son art. Cornaqué par
ce mentor, il met pour la première fois les pieds en
Europe, où il expose son travail dans la capitale
Samuel Fosso ouvre le parcours, avec SIXSIXSIX :
666 autoportraits et autant d’expressions du visage
différentes que l’institution parisienne déploie dans
une saisissante spirale. Au fil de ces instantanés pris
au Polaroid, il réinterprète des épisodes de sa vie,
où le « malheur » – pour lui qui a connu la maladie,
la faim, la guerre et la destruction – tient une place
En haut : prépondérante. Créé au mitan des années 2010 sans
photographies maquillage ni accessoires, SIXSIXSIX tranche avec
extraites de la série les œuvres emblématiques des décennies précé-
African Spirits (2008). dentes, où le photographe opère une transforma-
Ci-dessus : tion physique pour incarner des figures issues de
autoportrait tiré l’actualité ou de l’Histoire, à l’instar des séries Tati
de la série SIXSIXSIX (1997) et African Spirits (2008).
(2016). Cette dernière le voit s’inspirer d’images réelles
pour représenter ceux qui « ont fait sa liberté » :
Kwame Nkrumah, Nelson Mandela, Martin Luther
King, Malcolm X, Angela Davis, Aimé Césaire ou
encore Haïlé Sélassié. « Je voulais, en choisissant
ces personnages, leur donner une place dans les
musées. » A la fois acteur et metteur en scène,
l’artiste cherche la vraisemblance en endossant
les vêtements et la posture de ces personnalités
héroïques qui ont milité pour les droits civiques
des Noirs. Il fige ses sujets en noir et blanc dans
un moment fondateur de leur histoire et, telles des
icônes, leur confère une quasi-atemporalité. W
LETIZIA DANNERY
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
76 INSPIRATIONS / LIGNES D’HORIZON 5/7
Une ville, un polar :
Le Caire de Parker Bilal
Cet été, L’Express vous emmène, avec sept auteurs
de romans policiers, dans les cités qui les ont inspirés.
PAR AGNÈS LAURENT
C
hez Parker Bilal, Le Caire est
une ville en déséquilibre,
proche du point de bascule.
Au fil de la série mettant en
scène le détective Makana,
l’actualité la bouscule, la
modernité la fragilise. La
mégalopole vit dans la nostalgie de sa splen-
deur passée. Celle de l’âge d’or du cinéma
égyptien, qui gît désormais « éploré, dans son
caveau ». Celle de ce bâtiment principal de
l’université, « ancien palais du khédive Ismaël,
amoureusement calqué sur Versailles », dont
il émane aujourd’hui « de l’étang ornemental
asséché et de la fontaine tarie un air de décré-
pitude et d’abandon ». Celle de ce restaurant
italien, hier « un endroit select, fréquenté par
les stars de cinéma et leurs maîtresses », désor-
mais à « l’intérieur plutôt lugubre […] hérissé
de fausses colonnes néoclassiques agrémen-
tées de lierre en plastique ».
Le pays tout entier vit au rythme de cette
nostalgie. « Personne n’excelle autant que
nous dans l’aveuglement. Nous nous considé-
rons toujours comme le centre du monde
arabe, mais en réalité nous avons bien peu
d’influence. Le Caire procure un terrain de jeu
aux Arabes fortunés, produit des films sans
intérêt […]. Nous nous targuons d’avoir gagné
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
la guerre du Kippour alors que nous avons
failli être anéantis », note un personnage.
Sous la plume de Parker Bilal – de son vrai
nom Jamal Mahjoub –, Le Caire ne sait plus se
situer. On y boit des latte en lieu et place du café
traditionnel – celui que l’on laisse bouillir,
déborder du pot, avant de baisser le feu puis
de l’augmenter à nouveau, « trois fois, c’était
la règle ». La jeunesse y rêve de fast-food plu-
tôt que de foul, l’ancestrale purée de fèves.
Certains commencent à penser que, pour s’en
sortir, le pays doit faire du sport, devenir « plus
Mer Méditerranée mince, plus fort, plus confiant dans ses capa-
cités ». Mais les ânes continuent de bloquer
Le Caire la circulation et la majorité de la population
Libye
regarde encore les machines à laver comme
ÉGYPTE un produit de luxe inaccessible.
L’EXPRESS
Depuis son awama, sa péniche amarrée
sur les berges du Nil, le héros Makana observe.
Avec la distance de son statut d’exilé sou-
danais, en marge de la société. Il joue les détec-
tives privés par le biais d’amis qui glissent son
nom à des connaissances. Il se consacre sou-
vent à résoudre les meurtres des plus pauvres,
sur lesquels la police n’a pas envie de se
pencher, pour qu’ils ne restent pas impunis.
La série des Makana se déroule dans le
climat politique des dernières années de Hosni
Moubarak. On y trouve les prémices de la
chute, même si les journaux gouvernementaux
continuent de tresser des lauriers au raïs. « Nos
politiciens n’ont qu’une seule préoccupation :
se remplir les poches. Le président et ses amis
vivent sur une autre planète, souriant aux
caméras pendant qu’ils bradent tout ce sur quoi
ils peuvent mettre la main », critique quelqu’un
L’écrivain décrit une dans La Cité des chacals. La religion est de plus
mégalopole égyptienne en plus présente, les bars sont rebaptisés café-
plongée dans la nostalgie térias, on redoute « les frères barbus » au même
de sa splendeur passée. titre que « les complots de l’étranger ou les
agents israéliens qui empoisonnent l’eau ».
Fin 2005, les Frères musulmans font une
percée aux élections législatives. Dans cette
ambiance, les Cairotes cherchent sans cesse
des boucs émissaires à leur colère – les réfugiés
soudanais dans La Cité des chacals, les Coptes
dans Meurtres rituels à Imbaba. « Ça va mal se
terminer », prédit un chauffeur de taxi, en pas-
sant devant un campement que les Soudanais
du Sud ont implanté sur une place, pour pro-
tester contre le sort qui leur est fait. L’histoire
récente de l’Egypte donne un troublant écho
à la lecture des polars de Parker Bilal.
LA CITÉ DES CHACALS
GETTY IMAGES/ISTOCK
PAR PARKER BILAL, TRAD. DE L’ANGLAIS
PAR GÉRARD DE CHERGÉ GALLIMARD.
LA SEMAINE PROCHAINE
Edimbourg, vue par Ian Rankin

Nutrition : les bienfaits
des huiles végétales
Mauvais élèves d’hier, stars d’aujourd’hui quand ils sont
de qualité, ces corps gras remportent les suffrages en
matière de santé. Voici comment les utiliser au mieux...
PAR NADIA HAMAM MARTY
L
ongtemps diabolisées par les
régimes minceur, accusées de
causer cancers et maladies car-
diovasculaires, les huiles végé-
tales reviennent sur le devant de
la scène depuis que l’on fait la dif-
férence entre celles qui sont
saines car non transformées, et les autres, chauf-
fées à l’excès et dès lors toxiques. Autre décou-
verte majeure : certains de ces corps gras,
extraits de fruits ou de graines, régulent les
cycles hormonaux, donc la sensation de satiété.
« Les graisses sont nécessaires au fonc-
tionnement métabolique mais demandent à
être bien choisies », confirme le Dr Serge Rafal,
auteur du Guide des vitamines et des oligo-
éléments (éd. Marabout). Les lipides sont
répartis selon leur structure en acides gras
saturés (« mauvaises graisses »), mono-
insaturés (représentés par les oméga 9) et
polyinsaturés (dont les fameux oméga 3 et
oméga 6), ces derniers étant qualifiés d’« essen-
tiels » car non synthétisés par l’organisme.
Présents en proportions variables selon les
huiles, les acides gras confèrent à ces dernières
leurs particularités. Selon le Dr Rafal, il faut
privilégier les monoinsaturés et les poly-
insaturés, en mettant l’accent sur les oméga 3.
Excellents pour le système cardiovascu-
laire, le cerveau, le système nerveux, pour lutter
contre la dépression, l’inflammation dermato-
logique ou rhumatologique mais aussi pour
booster l’immunité, les oméga 3 sont surtout
nécessaires à la membrane cellulaire, acteur
clef de l’assimilation des nutriments. Il faut
donc aller les chercher dans notre alimenta-
tion, tout en veillant à entretenir un rapport
entre oméga 6 et oméga 3 adéquat dans notre
assiette. Si celui-ci est trop élevé, comme c’est
le cas en France aujourd’hui, on nourrit l’in-
flammation chronique, vectrice de maladies.
Frédérique Chataigner, psychothérapeute
et nutritionniste, fondatrice du réseau Hypno-
Nutrition, offre un éclairage neuf sur le rôle
de ce ratio dans nos pulsions alimentaires :
la non-satiété serait la conséquence d’un
yo-yo hormonal directement lié à un mauvais
INSPIRATIONS / BIENÊTRE 77
équilibre entre oméga 6 et oméga 3. En cause,
les matières grasses hydrogénées, dites
« trans », issues d’un processus utilisé dans
l’industrie alimentaire pour stabiliser certaines
huiles ou les solidifier. Alors que notre alimen-
tation devrait nous apporter autant d’oméga 3
que d’oméga 6, ces substances, en vogue
depuis trois décennies, ont créé un rapport
de 1 oméga 3 pour… 24 oméga 6 ! D’où une
perturbation de la production de la leptine,
qui signale au cerveau que l’on n’a plus faim.
« Cette hormone de la satiété est très
dépendante des bonnes matières grasses que
nous ingérons. Circonstance aggravante : ce
déséquilibre induit aussi une perte en vita-
mine B et en zinc, des micronutriments qui
aident à contrôler notre comportement ali-
mentaire », détaille la nutritionniste. D’où l’in-
térêt de consommer, chaque jour, une cuillère
à soupe et demie d’huile de colza, cameline,
lin, noix ou encore canola. Fournisseuses offi-
ciels d’oméga 3 (avec les sardines, le saumon
et les maquereaux), ces huiles devront être
consommées crues, car la chaleur détruit les
acides gras essentiels. Elles sont délicieuses
en simple filet sur les salades, céréales ou
GETTY IMAGES/ISTOCK
légumes, émulsionnées dans la recette du
célèbre Miam-Ô-Fruit, ou tout simplement
prises à jeun, avant le petit déjeuner.
On privilégiera aussi les huiles végétales
où règne la mention « première pression à
La mention « première pression à froid ». Ainsi extraites, elles conservent leurs
froid » est la garantie d’un produit nutriments. Elles sont en revanche plus
qui a gardé ses nutriments. fragiles. Mieux vaut donc les acheter dans
des bouteilles en verre foncé pour éviter leur
oxydation par la lumière, voire les conserver
au réfrigérateur pour les plus sensibles
(lin, noix, cameline, noisette). En cuisson
– jamais au-delà de 150 °C –, on mise sur
l’huile d’olive, à intégrer au quotidien dans
les recettes. Détoxifiante et ultrariche en
oméga 9, elle abaisse le niveau de mauvais
cholestérol et augmente celui du bon.
Autre star des fourneaux sains, l’huile
de pépins de raisin fournit des acides gras
mono et polyinsaturés (73 %), et présente des
propriétés anticholestérol. Source de vita-
mine E et de magnésium, l’huile de noix est,
quant à elle, excellente pour le cerveau (comme
celle de sésame). L’huile de lin régule pour sa
part le cycle hormonal et booste les réflexes
immunitaires du corps. Mais on veillera à ne
pas dépasser quatre cuillères à soupe par jour,
toutes huiles confondues.
Les huiles bienfaisantes pour la forme sont
également proposées sous forme de gélules
(bourrache, onagre...). Bon à savoir : une huile
mal extraite est bien moins bénéfique. Si la
qualité ne se lit pas toujours sur l’étiquette, elle
fait certainement grimper les prix.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
78 INSPIRATIONS / HORLOGERIE

Taillées pour les sports outdoor

Adaptées à l’aventure comme aux simples loisirs de plein air,
les tocantes estivales sont prêtes à conquérir tous les terrains.
PAR CARINE LŒILLET

Golf Précision Chic Randonnée Caméléon

Dédié aux aficionados Parmi les trois Pour se mettre au vert Dans un boîtier Prêts à partir
du green, le nouvel nouveaux modèles sans se départir robuste et compact, pour l’aventure ?
accessoire horloger TAG Heuer Connected d’une certaine la montre solaire Pro Victorinox lance,
conçu par Garmin lancés pour la période élégance citadine, Trek PRW-50FC-1ER ce mois d’août,
ne manque pas estivale figure une nouvelle version de Casio est équipée un coffret en édition
d’atouts. L’esthétique une référence avec de la Royal Oak d’un altimètre, limitée de 1 500 pièces
de la montre Marq boîtier en titane sablé Offshore Chronographe d’un baromètre, sur le thème
Golfer se distingue doté de bracelets Automatique est d’un thermomètre, du camouflage, qui
par un boîtier en titane interchangeables dévoilée cet été d’une boussole comprend la montre
brossé, tout comme la en caoutchouc noir par la manufacture numérique, ainsi I.N.O.X. Carbon LE,
ou de couleur. que d’un récepteur
Une montre de signaux radio. C’est
polyvalente, orientée un accessoire adapté
sport et équipée de aux randonneurs,
la technologie Wear OS qu’elle guidera
by Google. L’affichage vers les sommets

lunette, incrustée Audemars Piguet. un couteau suisse doté

de céramique verte, Equipé du calibre de 17 outils, une coque
ainsi que par 3126/3840, ce modèle de protection
un bracelet en Nylon est disponible avec boussole,
tissé jacquard. uniquement deux bracelets, un en
Sa technologie dans les boutiques caoutchouc et un Nato.
connectée propose est personnalisable de la marque. jusqu’à 10 000 mètres En option, un bracelet
de multiples via l’application Il présente un nouveau d’altitude. Le triple de survie en paracorde.
fonctionnalités mobile : cadrans design de cadran, capteur de la ligne Sur le boîtier ultraléger
affichées sur le cadran : colorés, fonctions une boîte en céramique Pro Trek garantit et étanche à 20 ATM
nombre de pas, classiques et noire, une lunette la précision de (soit 200 mètres
distance effectuée, complications en céramique verte ses fonctionnalités, de profondeur),
résultat de la dernière numériques – heures et un bracelet y compris dans un carbone fabriqué
partie de golf, analyse de lever et coucher en caoutchouc texturé des conditions dans le même
des statistiques du Soleil, second assorti au cadran d’utilisation extrêmes composite que celui
du joueur et conseils fuseau horaire, date, et à la lunette. A noter et une température des navettes spatiales.
personnalisés. réserve de marche. aussi, de nouveaux de – 10 °C. La mise Quant au cadran,
Son autonomie est Une boussole, chiffres arabes pour à l’heure est il s’illumine la nuit
de douze jours un accéléromètre remplacer les index. automatique via grâce au revêtement
en mode connecté, et un gyroscope Montre Royal Oak des signaux en Super-LumiNova.
et de vingt-huit heures sont aussi intégrés. Offshore Chronographe de radiopilotage. Montre I.N.O.X.
PHOTOS : SDP

en mode GPS. Montre TAG Heuer Automatique Montre solaire Pro Trek Carbon LE
Montre Marq Golfer de Connected. d’Audemars Piguet. PRW-50FC-1ER de Victorinox.
Garmin. Prix : 1 850 €. Prix : 2 050 €. Prix : 37 500 €. de Casio. Prix : 649 €. Prix : 1 100 €.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
 INSPIRATIONS / SAVEURS 79

Alexandre Bourdas : le grand chef Ses adresses

préférées
qui se rêvait aubergiste à Honfleur

Il y a quelques semaines, le cuisinier doublement étoilé annonçait

la transformation de son restaurant gastronomique SaQuaNa,
à Honfleur (Calvados), en un lieu hybride et populaire. Rencontre.

E. Z.
PAR EZÉCHIEL ZÉRAH Le Cacaotier
de Hubert Masse
Marcon en Haute-Loire, Michel Guérard dans les « Mon parfum
Landes), à celui de grand ambassadeur régional favori : chocolat noir
distingué par deux astres au guide Michelin, capable aux fruits de la passion.
d’attirer chaque jour des clients nippons. Ses cerises à l’eau-de-
D’ici à 2026, il s’était promis de changer de cap vie, fabuleuses, seront
pour ne pas « finir vieux chef étoilé ». La crise du bientôt disponibles. »
Covid-19, pendant laquelle il a pris plaisir à vendre 4, place Hamelin.
aux locaux des boîtes de sushis (jusqu’à 200 par jour
à 10 euros pièce, avec boisson et dessert compris), a
accéléré cette réflexion. « Il faut accepter qu’un
restaurant ait un début et une fin », philosophe-t-il.
Certes, les touristes étrangers représentent moins

SDP
d’un tiers de son chiffre d’affaires. Mais avec une
capacité d’environ 28 clients, 2,2 millions d’euros Il Parasole
injectés en 2016 pour moderniser l’endroit et un ave- « La pizza à la crème
nir en flottement, Alexandre Bourdas aura préféré et au jambon de Parme
agir que subir. Voilà pourquoi rouvrira à la place, est excellente. »
dès septembre, une nouvelle version de SaQuaNa, 2, rue Haute.
en activité de 7 heures à 1 heure du matin.

G. TARGAT/PHOTO12/AFP
Les lève-tôt se fourniront en pains au levain bio
F. HAMEL/SDP

(et même un pain marocain), chocolatines, rissoles

aux pruneaux typiques de sa région natale (dans l’es-
prit d’un chausson), et café à boire sur place avec
Le virtuose des fourneaux mise sur la convivialité. petites truffes à la châtaigne et à la noix de coco.
Place, le midi, à une cuisine du marché, à moins de

A
ssis derrière son bureau, au pre- 20 euros le menu, puis à des tartes et des gros Marché de Honfleur
mier étage de son restaurant situé gâteaux pour le goûter. La nuit tombée, l’adresse « Le samedi, la famille
au cœur de Honfleur, Alexandre fonctionnera à la façon d’une izakaya, ces « bars à Bias y vend ses salades,
Bourdas, que l’on avait connu vins » à la japonaise où l’on commandera au fur et à endives... Il y a aussi
plutôt taiseux jusqu’ici, n’écono- mesure des intitulés phares qui ont fait la renom- Thibault Alleaume
mise pas ses mots : « Si j’avais mée du grand restaurant, comme la lotte pochée au et ses jolis fruits. »
17 ans aujourd’hui, je ne choisi- citron au vert… facturée 12 euros cette fois. Place Sainte-Catherine
rais pas le métier de cuisinier. » L’Aveyronnais « Ce sera un résumé des cordes que j’ai à mon arc. (de 8 h 30 à 13 heures).
de 48 ans n’est pas amer, mais il confesse ne plus Avec notre équipement de F1, on va faire des rallyes
se reconnaître dans cette « haute voltige » qu’est touristiques », compare cet amoureux du Japon, où il
devenu le monde de la restauration gastronomique, a travaillé pendant trois ans, avant d’ajouter : « Il y
et loue cet univers « à la papa » qu’il a connu et aimé, aura des choses que je n’avais jamais osé faire : truf-
« à part, fait d’artisans », qui se recommandait via fade, dorade à la chermoula, pastilla de pigeon… »
SDP

« le bouche-à-oreille et où l’on découvrait un lieu en Et, pourquoi pas, des grandes cocottes de pâtes ou
y allant ». Loin, donc, d’une scène culinaire qui s’est de la paella, ces plats à partager qu’il prépare pour Laiterie d’Amélie
hystérisée sous le règne d’Instagram, de TripAdvisor ses proches histoire d’aller vite. « Le week-end, ça « Crème, fromage
et de Top Chef. « Aujourd’hui, il faut être davantage me soûle de cuisinier », admet-il. Une franchise qui blanc, yaourts… J’aime
un communicant qu’un cuisinier », regrette-t-il. a le mérite de le rendre accessible, et tant pis s’il les produits de cette
En quatorze ans d’activité avec sa table SaQuaNa s’éloigne de l’aura de super-héros des fourneaux qui laiterie de village. »
(« poisson » en japonais), Alexandre Bourdas est colle à la peau des grandes toques françaises. Produits à retrouver
passé du statut d’espoir des fourneaux, entraîné dans Assumer ses humeurs et ses envies, plus de convi- à La Feuille de Vigne,
les meilleures écuries (Michel Bras à Laguiole, Régis vialité… Vous avez dit aubergiste moderne ? 24, rue du Dauphin.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
80 INSPIRATIONS / JEUX
PAR SPORT CÉRÉBRAL®

Mots croisés Sudoku

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

1 1 4 6 2
2 2
1 9
3 3

4 4 9 8 1 3
5 5
2 5
6 6

7 7 5 3 6
8 8
2 1
9 9

10 10 2 7 5 3 8
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
4 3 9
Horizontalement 5
1. Sans beaucoup d'intérêt. 2. Mène sa barque. Une triste
inspiration. 3. Grandes consommatrices de pommes. Prix
Remplissez la grille avec des chiffres de 1 à 9 afin que,
Nobel. 4. Glisse au centre. Mis en lieu sûr. 5. Se voit à Las- dans chaque ligne, chaque colonne et chaque bloc de 3
caux. Est à la page. Point tue. 6. Dragées et bouchées. 7. En- cases par 3, il y ait tous les chiffres de 1 à 9.
droits pour perroquets. La grande presse. 8. Appliqué.
Conduire à sa fin. 9. Trésor en ruines. Revenus sans se fati- 1 5 Tectonic
Complétez la grille avec
guer. Terme de logique. 10. Fort honoré. Parfaitement éclai-
ré.
2 4 les chiffres manquants
dans chaque zone
3 entourée
sachant que :
de gras,
Verticalement
1. Partisan de la libération de la femme. 2. Obéit à un ordre.
1 - Une zone de deux cases
contient les chiffres 1
En bout de chêne. 3. File ou nage. 4. Dirigeant de club hip- 5 et 2, une zone de trois
cases les chiffres 1, 2 et
pique. Provoque un accrochage en mer. 5. Certains l'aiment
chaud. Faire un inventaire. 6. Ver marin. Se change de jour
5 3, etc.
- Un chiffre placé dans
en jour. 7. Puissant levier. 8. Anciens combattants du Nord. 5 une case ne peut

5
Don à la naissance. Vis. 9. Bien fol est qui s'y fie. 10. Savou- se retrouver dans
aucune des cases qui
ré une bonne farce. Donc solidaires. 11. Font des affaires.
5
l’entourent (y compris
Qui ont donc eu le dessous. 12. Libéré sur parole. Amène en diagonale).
du neuf.

4 5
F A I S A N E S R A B 148 937 526 1 4 2 1 3
2 5 3 4 2
A B E T I E I M I T E 327 564 189
M I N E V I C OM T E 4 1 2 1 3
569 281 734 2 5 3 5 4
EM A R G E S N A I N
275 419 368 3 4 1 2 1
L E N A S A R D S T Solutions du numéro 3604_3605
814 623 957 1 5 3 4 5 paru le 30 juillet 2020
I S E U T R A I R E 3 2 1 2 1
Q AM E N R A I E S 693 758 412
1 4 3 4 3
U B U A U T E L S K 436 172 895 3 5 2 1 2
E U M U L O T E P I 751 896 243 1 4 3 4 5
S E A U X R E B E C S 982 345 671 2 5 1 2 3

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020

 INSPIRATIONS / JEUX 81
PAR SPORT CÉRÉBRAL®

Mots croisés Sudoku

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

1 1 1 5 2
2 2
9 8 7 1
3 3

4 4 6 2
5 5
1
6 6

7 7 5 3
8 8
4 2
9 9

10 10 9 8
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
4 9 8 6
Horizontalement
1. Qui ne risquent pas de sortir de leurs gonds. 2. Introduit
8 6 4 1 2
du kif. Est parfois réformé. 3. Poste réduit. Blonde dans un
cas. Personnel masculin. 4. Du groupe de Clio. A reçu un 10 Remplissez la grille avec des chiffres de 1 à 9 afin que,
en chimie. 5. Il est tordu et se plante. Guère déclarées. 6. Sa- dans chaque ligne, chaque colonne et chaque bloc de 3
lamandre parfois. Pas pour l'impatient. 7. Envoie beaucoup cases par 3, il y ait tous les chiffres de 1 à 9.
de monde au tapis. Proche d'une Vilaine. Sur le bout des
doigts. 8. De quoi faire beaucoup de crêpes ? Suis vraiment
confus. 9. Raccourcit le chemin. Terre de Palme et Nobel.
4 4 Tectonic
Complétez la grille avec
Dans un bon colombo. 10. Sujet pour président. Au pied du 3 les chiffres manquants
dans chaque zone
5
mur.
entourée de gras,
sachant que :
Verticalement 4 - Une zone de deux cases
1. On s'y fait une religion. 2. Permet de franchir le pas. On contient les chiffres 1
y envoie promener. 3. Doyen du conservatoire. Dépit de et 2, une zone de trois
cases les chiffres 1, 2 et
poisson. 4. Matière à briques. Peut-être à ajouter. 5. Mis en
exposition. Pièces de musée, parfois. 6. A eu de bonnes
1 1 3, etc.
- Un chiffre placé dans
notes de conduite. Fruit au goût agréable. 7. Son signale-
ment est très vague. Renfort classique. 8. Prise en compte.
4 une case ne peut

3
se retrouver dans
Donne un air germanique. 9. L'insolence des agneaux. Par- aucune des cases qui
ties de livre. 10. Ville qui compte en Italie ? Passage obligé. l’entourent (y compris
11. Renversé et chaviré. Appliques au mur. 12. Qui voit peut- en diagonale).
être le mâle partout. Article de golf.
4
3
B R E D O U I L L A G E 514 327 986 5 4 1 4 1
1 3 2 3 2
R U S E R O U A G E S 978 614 325
E C A L E S T I R O 4 5 1 5 1
326 859 417 1 2 4 2 3
A H A S S I T E O N
739 261 854 5 3 1 5 4
K E P I S D E B A T Solutions du numéro 3604_3605
452 738 691 2 4 2 3 1 paru le 30 juillet 2020
F E E O P E O B E I 3 5 1 5 2
A P A R I E T A L N 861 495 732
1 4 2 4 1
S A I N P S I E C U 243 186 579 2 3 1 3 2
T R E I Z E E S S A I 685 972 143 1 5 4 5 4
S A S I R E N E S T 197 543 268 2 3 2 1 3

L’EXPRESS 13 AOÛT 2020


82
Christophe Donner
Habibi
Macron
O
n n’aura jamais autant entendu le mot « résilience »
que depuis cette nuit du 4 août libanais.
Et on ne l’aura jamais autant détesté, ce mot
mis à la mode, si je me souviens bien, par quelques
psychosociologues à voix posée et gros tirages, doctes
petits-maîtres du lénifiant programme de réconciliation
avec soi-même. Ils sont repris, avec leurs fadaises
psychanalytiques, par les crocodiles à grosses larmes,
ministres confessionnels de la gangrène qui, sans vergogne,
accueillent le grand producteur d’espoirs : « S’il te plaît,
habibi Macron, livre-nous quelques tonnes de résilience. »
Si le Liban s’est relevé de ses guerres, occupations,
assassinats, attentats, pogroms, déportations et
ghettoïsations, les Libanais, eux, ne s’en sont jamais remis.
Si la résilience convient à un concept comme celui
de « nation », pour la réalité des êtres, ça ne veut rien dire.
Il y a même quelque chose de méprisant dans l’utilisation
de cette promesse lénifiante, qui ressemble à s’y méprendre
à de la propagande gouvernementale.
L’EXPRESS 13 AOÛT 2020
ULTIMATUM
En tout cas, parmi les nombreux Libanais que je fréquente,
pas un n’a surmonté, encore moins transcendé ces malheurs.
Ce qui a été détruit au cours des différents massacres
n’a jamais été oublié, ni réparé. Les ruines sont restées,
avec leur poids de mort et de pourriture.
L
a reconstruction du centre-ville de Beyrouth,
autour de la place des Martyrs et dans le souk,
la réhabilitation de ce quartier historique en vaste
centre commercial, a certainement enrichi la famille
Hariri, actionnaire de Solidere, le promoteur, mais ce bel
exemple de résilience immobilière n’a fait que rendre
plus visibles et béantes les plaies qu’elle prétendait refermer.
On en regrettait les ruines à la traversée desquelles le chagrin
était moins amer. Dior et Hermès ne seront jamais
que des miroirs aux alouettes émiriennes et saoudiennes
en villégiature au pays du Cèdre.
Tony Salamé, le patron de ces Galeries Lafayette locales,
a bien compris qu’on ne recréait pas de la vie
avec des marques et, tant qu’à s’endetter, autant faire
construire du contemporain par un architecte international.
Le choix s’est porté sur le Britannique d’origine ghanéenne
sir David Adjaye. En novembre 2015, à la veille
de l’inauguration de ce temple du luxe baptisé
Aïshti by the Sea, j’interrogeais un des hommes de confiance
du patron sur les difficultés rencontrées au cours
de la construction de ce joujou à 100 millions de dollars.
Les licences pour les 90 boutiques ? Pas de problème.
Le spa géant, les trois restaurants, la terrasse sur la mer,
l’installation de la gigantesque résille enveloppant
les cinq étages et les 35 000 mètres carrés du bâtiment ?
Très facile à faire. Les 14 mètres de hauteur sous plafond
nécessaires à l’espace d’exposition de la fondation d’art
contemporain accotée au mall ? Une partie de plaisir.
« Non, m’avait confié cet homme de confiance dont je tairai
d’autant plus facilement le nom que je ne m’en souviens plus,
le plus pénible n’a pas été de traiter avec les corrompus
pour obtenir l’autorisation de construire le plus grand musée
d’art contemporain du Liban. Le cauchemar, pour nous,
ça a été de trouver la personne capable de nous mettre
en contact avec les types qu’il fallait corrompre. »
A
ujourd’hui, les 90 boutiques luxueuses de Aïshti
by the Sea ont toutes été ravagées par l’explosion.
Les restaurants, idem. Une trentaine de personnes
ont été blessées. Heureusement, pas de morts.
Seul lieu complètement épargné par l’explosion du 4 août :
la fondation d’art contemporain où se tient l’exposition
Urs Fisher, avec ses 6 000 gouttes de pluie, lyriques
et prosaïques, suspendues au plafond par 6 000 fils de Nylon.
Elle devait être inaugurée en octobre 2019. Annulée
pour cause de révolution avortée, elle s’est finalement tenue
LAURA ACQUAVIVA
le 20 juillet dernier. Mais ça n’est pas de la résilience
contemporaine, c’est de la bonne vieille résistance. W
Christophe Donner, écrivain.