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Yves Deloison

HEUREUX
COMME UN FRANÇAIS
EN FRANCE
Comme un air de déjà-vu

Décembre 1986. J’allais avoir vingt ans. Je me souviens… Entre


février et septembre, une vague d’attentats s’est abattue sur Paris. Le
dernier a fait dix morts et cent soixante blessés. Le New York Times
surnomme alors Paris « Beyrouth-sur-Seine ».
On ne parle pas encore de la dynastie Le Pen. Un seul suffit à
jouer les trouble-fête. Le Front national a débarqué en force à
l’Assemblée en décrochant trente-cinq sièges au mois de mars. La
twittosphère n’existe pas. Peu de nos concitoyens montent au créneau
pour dénoncer la désinformation autour du nuage de Tchernobyl qui
survole paisiblement une bonne partie de l’Hexagone. 1986, c’est
aussi l’année où la France expulse par charter une centaine de
Maliens. Une série de manifestations monstres déstabilise le pouvoir
en place. Le lendemain de mon anniversaire, Malik Oussekine tombe
sous les coups des hommes du peloton voltigeur motocycliste, une
brigade de la préfecture de Paris dissoute depuis. Les conflits sociaux
se succèdent. L’ombre de Klaus Barbie, dont le procès fait les unes de
la presse, plane sur le pays ; le débat autour de la Collaboration est
relancé, ravivant les plaies d’une Occupation mal digérée.
En bref, événements politiques, drames et affaires secouent la
nation. La France déprime et la mélancolie s’installe. C’était il y a
trente ans.
La presse se met alors à disserter sur la chute annoncée du pays.
En mai 1987, le magazine Le Point titre : « Le déclin de la France ».
Une poignée de semaines plus tard, Jacques Chirac, alors Premier
ministre, répond aux questions d’Yves Mourousi, célèbre journaliste
de TF1, sur la situation dégradée du pays. Il évoque « la nécessité
d’une politique de redressement sur trois à cinq ans ».
En novembre 2014, vingt-sept ans plus tard, le magazine
L’Expansion écrit que « les raisons de broyer du noir ne manquent
pas : croissance au point mort, compétitivité en chute libre, chômage
à la dérive, finances publiques plombées ». Des lignes transposables à
la période décrite précédemment. Sauf qu’aujourd’hui ceux qu’on a
fini par nommer « déclinistes » envahissent l’espace médiatique. A
coups de « France en faillite », de « France à bout de souffle », de
« France finie » et de « France qui tombe », ces idéologues de mauvais
augure font leur beurre d’une pensée masochiste qui garantit la
plupart du temps le succès chez les libraires.
L’un des porte-voix de notre supposée décrépitude, et déclinologue
en chef, Nicolas Baverez, énarque, essayiste, historien, économiste,
avocat, mais aussi éditorialiste et auteur de nombreux livres aux titres
éloquents, notamment Les Trente Piteuses ou Réveillez-vous 1, évoque
une « France malade ». Au passage, il fait exploser les ventes de
quelques-uns de ses éditeurs. Ce French bashing, expression qui
traduit autant le ressentiment antifrançais à l’étranger que la
propension des Français à se faire du mal, porte ses fruits puisque les
théories déclinistes finissent par atteindre le moral du pays. Le
pessimisme, distillé par l’élite, empoisonne toutes les couches de la
population. Fainéants, assistés, peu productifs, râleurs, malpolis,
imbuvables à l’étranger… Ce n’est pas seulement la fine fleur de la
nation mais les Français dans leur ensemble qui semblent affligés de
ces tares. Quant au « système français », tout le monde s’accorde à
dire qu’il freine la créativité et l’esprit d’entreprise. D’ailleurs, le
succès et la réussite seraient mal vus. Le pays a la pire classe politique
du monde. Ses institutions sont inefficaces. Bref, la France est au
bord du gouffre, saisie par une irrémédiable dépression. On lit même,
ici ou là, que les Français désertent le pays.
Aucune composante de la nation n’échappe à l’acharnement que
je décris, même pas Paris, la Ville lumière. La nuit à Paris ? « C’est
fini ! » peut-on entendre de la bouche des experts autoproclamés en
« nightologie ». « C’est une véritable pathologie française, se
désespérait Denis Tillinac, écrivain et éditeur, auteur du Dictionnaire
amoureux de la France 2, au cours d’un échange que nous avons eu
autour de cet ouvrage. Les historiens constatent ce phénomène dès le
bas Moyen Age et tout au long de notre histoire. On est tellement
bien dans nos pompes de Français qu’on a du mal à le savourer. Du
coup, les commentaires profondément conservateurs du genre
“C’était mieux avant” reviennent constamment. Il y a une espèce de
mémoire d’une France idéale qui nous vient des cathédrales de Saint
Louis, de Louis XIV, de Napoléon, et une sorte de romantisme qui fait
de nous des êtres insatisfaits qui adorent s’autodévaluer et croient
que l’herbe est plus verte ailleurs. Cette splendeur louisquatorzienne
et l’épopée bonapartiste marquent encore. L’Empereur a vu les
pyramides et s’est couché dans le lit des tsars. A l’époque de
Louis XIV, tous les gens civilisés de toutes les cours d’Europe parlaient
le français. Nous avons la nostalgie de cette grandeur – qui n’était pas
de la puissance. »
Notre mémoire de l’histoire de France est en effet erronée. Le
pays n’a jamais été aussi puissant que nous aimons à le croire ou à le
raconter. « Sous Napoléon, la grande puissance était l’Angleterre. Aux
e e
XVI et XVII siècles, c’était l’Espagne de Charles Quint et Philippe II,
résume l’écrivain. Il n’y a guère qu’au Moyen Age, sous Louis XIV et
Louis XV, que la France a brillé par son rang. En revanche, Napoléon
et de Gaulle nous donnent l’idée que nous avons une mission
universaliste. La France a du mal à se résigner à être un pays
moyen. » En plus d’un excès de conservatisme et de nostalgie, les
Français semblent victimes d’un terrible syndrome. Au moindre
déboire, par exemple un PV pour excès de vitesse ou la mauvaise
humeur d’un guichetier de la poste, ils accusent la France. La plupart
du temps, ils sont incapables d’étayer leur réquisitoire d’un minimum
d’arguments, et encore moins de développer un comparatif avec
d’autres pays. Néanmoins, chacun y va de son commentaire : « Bien
sûr que le modèle français est à bout de souffle », « Evidemment que
la France coule »… Tous déclinologues, les Français ? En tout cas,
nombre d’entre eux sont complices de la sinistrose ambiante et
porteurs d’un discours qui ferait broyer du noir y compris aux plus
solides d’entre nous. Si, à l’étranger, quitte à paraître un poil
mégalomaniaques, les Français se disent fiers de leur pays devant qui
veut bien les entendre, entre eux ils ont tendance à ne souligner que
ce qui dysfonctionne.
A l’occasion d’une balade familiale, j’ai marché longuement aux
Sables-d’Olonne en montrant à intervalles rapprochés – et le sourire
en coin, je l’avoue – la présence des nombreuses toilettes publiques à
mon oncle qui venait d’expliquer que « contrairement aux Etats-Unis,
en France il n’y en a nulle part ». De la même manière, je propose
dans cet ouvrage de nous regarder le nombril – il paraît que les
Français adorent ça – non pour nous repaître de nos succès ou de nos
atouts, mais pour tenter de faire bouger nos propres représentations
de la France.
Objectif : mettre en perspective ce que nous croyons dur comme
fer, mais qui n’est pas avéré. Les Français sont paresseux ? Evaluons
le sujet à l’aune de données internationales et de témoignages,
notamment. Il ne s’agit pas de répondre systématiquement par oui ou
par non, mais de mettre nos certitudes à l’épreuve et de prendre de la
distance afin de mieux bousculer nos a priori. Ce qu’on croit être de
l’ordre de la vérité absolue ou de l’évidence l’est-il vraiment ? Si la
France n’est pas le nombril du monde – pourquoi le serait-elle,
d’ailleurs, et l’a-t-elle jamais été ? interroge Denis Tillinac –, un peu
d’estime de soi ne peut nuire à personne, surtout pas à une
population qui passe son temps à se faire du mal.
Loin de moi l’idée d’exalter le sentiment national ni de faire une
obligation du « fier d’être français » – qui d’ailleurs confine à la
stupidité : pourquoi serais-je fier d’être français puisque ce n’est que
le fruit du hasard ? Orgueil et autosatisfaction mal placés…
L’expression « heureux d’être français » me semble plus appropriée.
Ce livre a pour seule ambition de débusquer les préjugés à l’égard
de la France pour mieux les combattre. Il est le fruit d’un travail de
longue haleine, d’une collecte de données et d’interviews que j’ai
commencés dès la fin des années 2000.

L’autodénigrement, un mal français


Bienvenue en France, le royaume des grincheux, des grognons,
des rouspéteurs, bref des éternels insatisfaits. Voilà un aspect de notre
pays internationalement reconnu. En cela aidé par les discours
véhiculés jour après jour, depuis des siècles.
Rancuniers, les nobles exilés par la Révolution et leur
descendance se chargent de faire circuler leur aigreur. Chateaubriand
évoque déjà « de nombreux symptômes de décadence » au XIXe siècle.
A la même époque, quelques revers subis au cours de conflits
internationaux permettent aux défaitistes de tous poils de déplorer
une perte d’influence de la nation. Pour d’autres, la France n’incarne
plus les grands mouvements intellectuels, l’esprit des Lumières ou
l’universalité des Droits de l’Homme. Suivent la décolonisation et le
repli du pays sur ses frontières, autre occasion de le dénigrer. Les
Français disent ressentir le prestige finissant de l’Hexagone, son rang
perdu de grande puissance – pourtant semble-t-il surévalué, on l’a vu.
Charles de Gaulle enfonce le clou avec la formule qu’il aime à
répéter : « Les Français sont des veaux. » L’impact est réel. Tout cela
déteint sur la population, et fait dire aux uns et aux autres : « Ça,
c’est la France… », « En France, ça ne marche jamais », « En France,
tu ne peux jamais… », « La France est morte, et Paris c’est fini »… On
l’a dit, dès qu’une situation cloche, le premier réflexe d’une bonne
part de la population est d’incriminer la France et son peuple. Qui n’a
pas émis un jour ou l’autre ce triste constat : « Il n’y a qu’en France
qu’on voit ça ! » ? Quel Français n’a pas acquiescé en entendant une
de ces petites phrases assassines ?
Quand Guillaume Canet réagit aux critiques dont il fait l’objet, il
explique que « le succès, en France, est mal vu 3 ». Sur quoi se fonde-
t-il ? Sur l’ouï-dire. Et il ajoute : « C’est complètement banal de dire
ça… » Pour éviter de sombrer dans les généralités de cet ordre, peut-
être devrait-il s’inspirer de sa compagne, Marion Cotillard, qui, en
réponse aux moqueries, affirme : « Si vous saviez à quel point je m’en
4
fous ! »
Quant à Johnny Hallyday, le rocker nostalgique, pour lui, nul
doute, « c’était mieux avant » : « Pompidou était formidable ! Vous
savez, je regrette cette époque. […] La France n’était pas au bord du
désespoir, les gens s’amusaient. Aujourd’hui, on a peur de s’amuser,
c’est mal vu, parce que tout va mal. C’est pour ça que la France est
triste : personne n’ose s’amuser 5. » Si le sentiment que la France va
mal n’a jamais été aussi marqué que ces dernières années, on le doit
aussi à des déclarations telles que celle de Carla Bruni-Sarkozy, qui
affirmait au Daily Mail 6 anglais, peu de temps avant de profiter du
confort de l’Elysée : « Les Français ? Ils sont minables ! Toujours de
mauvaise humeur. […] Je ne suis pas du tout française. Je n’ai pas de
passeport français, j’ai un passeport italien. » En juillet 2008, elle
semble avoir finalement changé d’avis puisqu’elle affirme avoir
demandé et obtenu la nationalité française. Voilà quelques
illustrations des plaintes et lamentations que subit l’Hexagone –
souvent de la part des Français eux-mêmes.
Les étrangers vivant en France sont les premiers à constater ce
mal hexagonal, l’autoflagellation. « Ils se plaignent tellement que,
même si leur pays était un paradis, ils trouveraient encore des raisons
de se plaindre », me déclare Coromoto, traductrice d’origine
vénézuélienne, résidente française depuis une dizaine d’années.
Beaucoup d’observateurs ont noté notre éternel mal-être et notre
masochisme. Parmi eux, Jean-Benoît Nadeau, journaliste canadien
francophone et coauteur, avec Julie Barlow, Canadienne anglophone,
du livre Pas si fous, ces Français ! 7. « Je note deux genres littéraires
particuliers, m’expliquait-il : le panégyrique, très ancien, sorte
d’apologie délirante du pays, et son opposé, la critique outrancière de
la France, qui remonte au siècle des Lumières. Deux extrêmes qui
continuent d’influencer la mentalité des Français. De quelques faits
isolés, certains font des généralités prises par tous pour parole
d’évangile. » Quand, par exemple, des Français prédisent la fin
proche du réseau ferroviaire français, il ne peut s’empêcher de
réagir : « C’est stupide ! Il suffit de voyager un peu pour se rendre
compte que ça marche mieux en France qu’ailleurs. Ceux qui parlent
ainsi sont des ignorants, ou bien ils essaient de dire autre chose en
sous-texte. » Surprenante déduction, à méditer absolument.
Un étrange paradoxe saisit les Français. Ils dénigrent leur pays
tout en revendiquant leur fierté d’y vivre. Et ce n’est pas la seule
contradiction pointée par les observateurs. Giampiero Martinotti,
correspondant français pour le quotidien italien La Repubblica,
m’expliquait que, vu d’Italie, « c’est le regard que portent les Français
sur eux-mêmes qui est amplifié. Pour les Italiens, la France est un
pays figé, où, en même temps, il fait bon vivre. Mais les Français ne le
voient pas ».
La presse italienne n’est pas celle qui a la dent la plus dure à
l’égard de l’Hexagone. Lorsqu’il s’agit de « casser du Français », les
médias du monde entier s’en donnent à cœur joie. Et poussent le
bouchon jusqu’à prétendre que le pays est non seulement au bord du
précipice mais encore à feu et à sang.
En janvier 2015, le journaliste et vétéran de l’armée américaine
Nolan Peterson intervient sur Fox News, chaîne d’information
américaine ultraconservatrice. Présenté comme expert, il évoque le
climat qui règne en France suite aux attentats du début d’année
tandis qu’une carte de Paris montre des « no-go zones », secteurs qui
seraient contrôlés par les islamistes radicaux, où même la police ne
va pas. Il s’agit, en fait, des ZUS (Zones urbaines sensibles) de
Ménilmontant, Belleville ou de la porte Saint-Denis, découpées
d’après les données de l’INSEE. En réalité, le journaliste, qui a vécu
en France entre 2004 et 2006, fait référence aux émeutes de 2005. Et
il regrette après coup que la chaîne ne l’ait pas expliqué clairement.
Levée de boucliers en France. Non seulement l’information est
mensongère, mais en plus grotesque. « C’est bien entendu ridicule »,
concède par la suite « l’expert ». Néanmoins, le mal est fait. Le
téléspectateur de Fox News a vu ses préjugés à l’égard de la France
renforcés.
Les exemples de caricatures provenant de l’étranger ne manquent
pas. Quelques années auparavant, en 2012, The Economist 8 expliquait
que la France était « la bombe à retardement au cœur de l’Europe ».
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Un autre papier de Newsweek , titré « La chute de la France », a fait
couler encre et salive au début de 2014. Une journaliste d’origine
londonienne y raconte la France du très chic arrondissement parisien
dans lequel elle réside. Et qu’aux dernières nouvelles elle ne compte
pas quitter. Pour brosser dans le sens du poil le lectorat américain – à
moins que ce ne soit par militantisme ultralibéral ? –, Janine di
Giovanni enfile les clichés et les informations erronées qu’elle
ponctue de quelques « tellement français ! » aussi condescendants
que risibles… A la lire, le litre de lait est vendu autour de 6 euros à
Paris. Les couches sont gratuites et l’accès aux crèches de même.
Autre énormité ou raccourci : les mères de fraîche date bénéficient de
visites hebdomadaires chez un thérapeute afin de pouvoir retrouver
leur ventre plat. Aux frais de la princesse bien sûr, c’est-à-dire du
contribuable. Pour Janine di Giovanni, le pays est paralysé par le
chômage, les régimes spéciaux et les profiteurs de tous poils.
« Tellement français ! »
Ce genre d’article ne poursuit qu’un objectif : rassurer le lectorat
étranger, en particulier anglo-saxon, en démontrant que la belle vie à
la française ne durera pas. Quel soulagement de savoir que ces
vacances ou ces RTT dont il rêve, lui aussi, ne profiteront plus très
longtemps aux Français !
Vu de loin, on nous imagine paresseux, sirotant un verre de vin ou
une anisette en terrasse d’un bistrot… Nous passons aussi, de
manière générale, pour des chauvins qui râlent à longueur de temps.
Tantôt on nous décrit comme xénophobes et réacs, tantôt comme
tolérants et progressistes. Comme des fainéants… ou comme des
bosseurs, selon la nationalité de l’observateur.
Autre antagonisme, déjà souligné, que constate la presse
étrangère : les Français se révèlent arrogants et, dans le même temps,
on pointe leur tendance à l’autodénigrement. Schizophrènes, les
Français ? Tout dépend finalement de celui qui rédige l’article. A
l’époque où il était encore chef des informations du magazine
Courrier international, Anthony Bellanger m’expliquait que, si la
presse internationale est porteuse de stéréotypes, leur contenu est
variable : « Au nord de l’Europe et à droite, notamment, on pense que
la France est un pays engoncé dans des règlements d’un autre âge. En
Espagne, on pense que la France est un exemple à suivre en matière
de démocratie. »
Les journalistes étrangers basés en France ne sont généralement
pas tendres avec l’Hexagone. Mais attention, il faut relativiser les
rancœurs selon Jean-Benoît Nadeau, lui-même autrefois
correspondant, et qui connaît bien les travers propres à ce poste.
« Quand on est correspondant étranger, on est obligé d’alimenter des
idées préconçues. Les trois quarts de ce que les rédactions souhaitent
publier ne correspondent pas à la réalité. La tendance des journaux
est de voir le pire ailleurs. Le lecteur allemand ou italien attend qu’on
lui dise que la France est une société figée alors que les sociétés
allemande et italienne le sont tout autant sur certains aspects. » En
outre, chaque pays est à la fois l’objet de ces manipulations et le
porteur de préjugés à l’égard des autres. Avec la France, c’est du pain
bénit, analyse-t-il : « Comme c’est un pays où la critique outrancière
est tolérée, et qui le vit très bien en termes de relations publiques
internationales, le journaliste étranger se dit que, puisque les Français
semblent d’accord avec lui, ses informations doivent être solides –
même quand ce n’est pas le cas. »
Dans une interview accordée au JDD 10, Theodore Zeldin,
sociologue, historien et philosophe britannique, auteur du
remarquable ouvrage Les Français 11, donne son avis sur le
phénomène : « Outre-Manche, il y a un French bashing continuel. On
vous attaque tout le temps et, vous, vous ne réagissez pas. Les
Français sont les pires publicistes au monde : ils ne savent pas se
vendre, ni se mettre en valeur ni surtout défendre leur image. »
Aujourd’hui, tout article qui se penche sur le fameux désespoir
français circule à la vitesse de l’éclair, porté par les réseaux sociaux ou
les quelques médias qui s’en gargarisent. C’est chaque fois l’occasion
de pleurnicher sur notre sort et d’avaliser la théorie des
« procureurs » de tous poils. Alex Taylor, journaliste d’origine anglaise
et grand connaisseur des médias étrangers, grâce, notamment, à la
revue de presse qu’il a menée plusieurs années durant sur les radios
de service public, suggère lui aussi que les Français font preuve de
masochisme. « Le regard de la presse européenne est sévère par
rapport à la France, mais le regard est sévère par rapport aux autres
pays, témoigne-t-il dans l’émission Des paroles et des actes 12. La presse
est toujours sévère, c’est son rôle. » En forme de boutade, il ajoute à
notre intention : « Je suis désolé de vous décevoir, vous êtes en train
de vous dire : “C’est dommage, on veut être les plus critiqués” […]
Oui, il y a du French bashing comme il y a du German bashing. Vous
n’allez pas me dire qu’il n’y a pas de Greek bashing depuis des
années ! On “bashe” tout le monde, mais il n’y a que [les Français]
pour penser [qu’ils sont] les seuls. »
Les Français prennent-ils plaisir à se faire flageller par les médias
étrangers et par eux-mêmes ? Il faut le penser puisque les titres ou les
extraits de textes les plus terrifiants sont diffusés par mes confrères
avec force délectation. N’est-ce pas signe, finalement, d’un penchant
nombriliste ? Ou d’une névrose bien ancrée ?
Autre journaliste d’origine étrangère, la Belge Charline
Vanhoenacker, qui œuvre sur France Inter, porte un regard tout aussi
narquois sur nos comportements : « La France, c’est la patrie de De
13
Gaulle, un pays qui regarde dans le rétro, déclare-t-elle . Je fais
toujours très attention à comment je dis les choses : vous êtes un
peuple très orgueilleux. Mais aujourd’hui, je pense que les Français
sont assez mûrs pour se faire botter le cul. » CQFD ?

« Ne m’appelez plus jamais France ! »


Le pays va à vau-l’eau. L’économie s’effondre. Déjà, dans les
années 1970, Michel Sardou se lamente sur la grandeur perdue,
pleurant le départ du paquebot France pour la Norvège, symbole du
« début de la fin » ou de « la fin des haricots ». Ces propos
annonciateurs de cataclysmes ne sont pas sans conséquences. Lorsque
j’interroge des étrangers qui vivent en France, ils s’en étonnent. Ainsi
Norman, New-Yorkais qui a vécu dans l’Hexagone une quinzaine
d’années : « Les gens ont la chance de vivre en France. Les paysages
sont magnifiques et d’une variété incroyable sur un si petit territoire,
le climat est tempéré, la retraite assurée, l’assurance chômage
sécurisante, les études peu coûteuses, la couverture santé
performante, sans oublier la qualité de la bouffe ! »
Il ne se passe pas une seule journée, en France ou à l’étranger,
sans qu’on prédise l’enterrement de ce qui forme justement les
spécificités françaises : son régime social, sa capitale, sa mode, sa
gastronomie… Le malaise semble chaque jour plus profond, et les
Français de plus en plus neurasthéniques. Chacun se plongeant avec
allégresse dans cet abîme de mauvais augures.
Au débotté, je demande autour de moi ce qu’on pense de
l’autodénigrement à la française, et les réactions étonnées
s’enchaînent, à rebours de ce qu’on peut lire dans les médias : « Ce
n’est pas justifié de tout voir en noir à tout propos et dans tous les
sens », « Bien sûr qu’on a des raisons d’être heureux en France. On le
perçoit si on va à l’étranger. Les gens qui se plaignent sont souvent
ceux qui bougent le moins », « Il faut regarder devant notre porte et
se dire qu’on n’est pas si mal lotis que ça. Et puis s’ouvrir au monde,
c’est comme ça qu’on est heureux ! »…
Mais le mal est fait. Le déclinisme inspire et entretient un
sentiment de découragement qui conduit à la névrose collective et à
la détestation de soi. Au point d’engendrer le délitement du pays ou
son déclassement vis-à-vis des autres nations.
Pourquoi les Français répètent-ils à tout bout de champ qu’en
France c’est toujours plus compliqué, moins bien organisé, plus cher
qu’ailleurs, etc. ? « Des gens comme Baverez passent leur temps à
dire que c’est foutu, remarque Denis Tillinac. Il ne faut plus les
écouter. Il faut arrêter avec la démagogie, mais aussi avec notre
masochisme et notre tendance à vouloir tout demander à l’Etat. La
pathologie masodécliniste reste notre plus grand problème ! »
Pourquoi les Français passent-ils pour orgueilleux, à leurs propres
yeux et à ceux d’étrangers, alors que toutes les études sur le sujet
indiquent qu’ils souffrent plutôt d’un déficit de confiance en eux et
qu’ils se déprécient à outrance ? François Dubet, directeur d’études à
l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ironise 14 : « Si la
France n’obtient pas toutes les médailles olympiques et tous les prix
Nobel, les Français considèrent qu’elle est nulle. » Les enquêtes sur le
moral des Français ou sur les perspectives de leur pays se rejoignent
depuis les années 1970, période qui a vu naître ce genre d’études.
Elles soulignent toutes inquiétude, mécontentement, pessimisme. Les
Français sont convaincus que la qualité de vie ne s’améliorera pas à
terme. Mais, le plus souvent, cette angoisse se porte sur les autres
plus que sur eux-mêmes. Pourquoi ? Laurence Duboys Fresney,
sociologue et auteure de l’Atlas des Français d’aujourd’hui 15,
m’expliquait qu’il existe un écart profond entre les propos des
Français et leur vécu. « Dans ce genre d’enquête, on leur demande
d’une part s’ils pensent que la situation économique du pays va
s’améliorer et d’autre part comment va évoluer leur situation
personnelle. Il y a toujours un énorme décalage dans leur perception,
en tout cas, bien plus important que dans d’autres pays. Alors qu’ils
jugent que la situation de la nation va se dégrader, ils affirment que
ça va plutôt bien à titre personnel. »
L’Ipsos pointe ce paradoxe dans une étude menée en 2014 : si
seulement 6 % des Français s’attendent à une amélioration de la
situation économique du pays, 49 % d’entre eux imaginent un avenir
personnel « ouvert ». Dans une autre enquête, 81 % se déclarent
« heureux dans la vie ». D’autres études indiquent que les Français se
disent satisfaits de leur situation. Quand l’INSEE 16 leur demande de
noter leur niveau de bien-être à partir d’indicateurs subjectifs et
objectifs (logement, potentiel en matière de consommation, relations
sociales, loisirs, conditions de travail, etc.), la moyenne de l’ensemble
des critères s’élève à 7,3 sur 10. Un score élevé, qui souligne le bon
niveau général en matière de qualité de vie. La même contradiction
est soulignée par le baromètre de l’institut CSA de septembre 2015.
Alors que l’optimisme personnel progresse de deux points, le
pessimisme général augmente, lui, de trois points.
D’après Laurence Duboys Fresney, il y aurait dans notre pays un
tel penchant pour l’égalité qu’un Français supporte mal d’imaginer
qu’une partie de la population se porte moins bien que lui. « Chacun
étend tout problème à l’ensemble de la société, affirme-t-elle, même
lorsqu’il n’est pas directement concerné. »
Est-ce imaginable que, parmi la population de cinquante et un
pays différents, sondés par l’institut Gallup en 2013, les Français
remportent la palme du pessimisme, loin devant les Afghans ou les
Irakiens ? Je ne ferai pas l’injure au lecteur de rappeler la différence
de qualité et de niveau de vie entre ces deux peuples et le nôtre. Il
n’est pas nécessaire non plus de comparer le niveau de sécurité,
l’accès aux soins offert par leurs Etats respectifs, ni même les moyens
en matière d’éducation. Pourquoi la probabilité de voir quelqu’un se
réjouir de vivre en son pays ou se projeter dans un avenir prometteur
est-elle moindre en France qu’ailleurs ? Et, surtout, comment la
défiance qu’exprime sa population à l’égard de la France agit-elle sur
la situation de ce pays ?

Les effets du bashing


Entretenir le catastrophisme alimente le populisme et les discours
démagogiques dont certains partis politiques font leur miel.
Alors que, traditionnellement, ce sont plutôt des organisations
situées à la droite de la droite qui cultivent le pessimisme à des fins
politiques, ces dernières sont à présent rejointes par l’ensemble des
mouvements, y compris modérés, de droite comme de gauche, qui
craignent par-dessus tout d’être accusés d’angélisme. « Ceux qui
soutiennent que la France est au plus mal occupent l’espace
médiatique, et leur pessimisme apparaît comme de la clairvoyance
même lorsqu’il est sans fondement », commente Karine Berger,
économiste et députée socialiste des Hautes-Alpes, auteure, avec
Valérie Rabault, des ouvrages Les Trente Glorieuses sont devant nous et
La France contre-attaque 17.
Le danger : accroître la parano générale qui nous incite à craindre
tout ce qui nous est différent ou étranger. La peur de l’autre ou de
l’avenir sclérose la société et contribue au délitement des liens
sociaux. Elle pousse au repli. Il est temps d’ouvrir les fenêtres, de
donner de l’air, de respirer. Les énergies déployées pour se faire peur
obèrent notre capacité à agir, à bouger, à changer, à nous remettre en
question… Avoir peur tétanise. Si je me crois en danger, je m’enferme
– comportement inverse de celui qui serait nécessaire pour impulser
la dynamique. Un véritable cercle vicieux… « Valérie Rabault et moi
avons écrit un livre de projection et un second plus microéconomique
sur les entreprises qui réussissent en France et qu’on connaît mal,
poursuit Karine Berger. Avant d’être élues députées, nous avons
travaillé dans le privé et constaté des tas de situations positives, de
réussites, d’aventures personnelles entrepreneuriales, des success-
stories dont on parle extrêmement peu. » Comme si le débat public
ne se concentrait que sur ce qui ne fonctionne pas. « Nous avons
élaboré une théorie pour expliquer cette tendance, me confie-t-elle.
Les dirigeants ou les intellectuels qui tiennent les rênes depuis les
années 1990 et font l’opinion en France, bien implantés dans le
système médiatico-politique, ceux qui, comme Jacques Attali ou
Nicolas Baverez, écrivent des livres sur l’effondrement du pays par
exemple, ceux-là ne veulent pas lâcher l’affaire. Ils ne peuvent
imaginer qu’une suite se fasse sans eux ni de perdre leur pouvoir au
profit d’une nouvelle génération qui réussirait peut-être là où eux ont
échoué. Le vieillissement du pays par le haut, par son élite, a pour
conséquence une vision de plus en plus pessimiste. D’ailleurs, au sein
des entreprises, les dirigeants les plus négatifs sont le plus souvent
ceux qui tiennent leur place depuis longtemps et qui n’arrivent pas à
la céder. Dans le milieu politique, n’en parlons même pas… »
Si Karine Berger pense qu’au final cette tendance a peu d’effet sur
le pays, Claude Revel, ex-déléguée interministérielle et aujourd’hui
conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes,
auteure de La France : un pays sous influences ? et de Grandeur et
Misère de la finance moderne 18, s’inquiète au contraire. Elle pointe du
doigt des élites déprimées et pétries de certitudes, arrogantes,
incapables de voir les atouts de leur pays. « Ces gens réussissent à
persuader la population qu’il faut baisser les bras et démissionner,
insiste-t-elle, alors qu’ils devraient plutôt essayer d’aider à
comprendre dans quelle situation se trouve le pays pour l’inscrire
dans une démarche positive. C’est à eux de porter un discours
constructif et optimiste sur les opportunités qu’offre la
mondialisation. Je crois beaucoup que leurs messages formatent les
cerveaux, et que le lobbying d’idées qui est à l’œuvre nous influence.
Quand nos élites se persuadent qu’il faut se résigner, elles nous
persuadent par ricochet. S’il n’est pas nécessaire d’être d’un
optimisme béat, il est important de comprendre dans quelle situation
se trouve précisément le pays afin d’envisager de manière positive la
situation et de se retrousser les manches. »
La France est certainement un des pays les plus enviés ou les plus
fantasmés au monde. Touristes, étudiants, candidats à l’installation
rêvent des contrées hexagonales. Comment continuer à séduire si
nous ne sommes pas convaincus nous-mêmes du capital dont nous
disposons ? « Il ne s’agit pas d’être franchouillard ou réactionnaire,
précise Denis Tillinac. On est dans un des pays les plus enracinés du
monde. Les historiens disent que c’est ici, en France, qu’il y a le plus
de morts sous nos pieds. L’enracinement n’est pas forcément
synonyme d’abrutissement. On peut réagir comme moi, se sentir
français viscéralement, et être né au fin fond du Congo ou du delta
du Mékong. On peut s’en imprégner. » Il poursuit : « L’environnement
est magnifique, on mange mieux qu’ailleurs, notre rapport à la
nourriture est plus subtil qu’ailleurs. Les rapports de classe sont trop
durs, mais beaucoup plus fluides qu’ailleurs. Comme on a le privilège
de vivre en France, on doit au moins une chose à la France, c’est
d’être plus heureux que les autres. Le Français pleurnichard, c’est une
aberration ! »
Il ne s’agit pas d’angélisme. Tout n’est pas rose. Il faut avoir
conscience des difficultés auxquelles nous sommes confrontés
aujourd’hui, en matière de fonctionnement des institutions par
exemple. Pour autant, il n’est pas utile de pratiquer l’autoflagellation
à longueur de temps, c’est improductif et cela plombe le moral. Il est
préférable de miser sur nos atouts et de regarder de quelle manière
fonctionne le pays afin d’essayer d’en tirer le meilleur et d’être en
mesure de développer un projet commun pour l’avenir qui se fonde
sur la réalité et les spécificités de l’Hexagone. C’est ce que je vous
propose d’explorer à travers cet ouvrage.

Des raisons de se réjouir :


illustrations en pagaille
L’autodénigrement, une aberration, donc. Qui plus est, une forme
d’indécence de la part de certains Français. Des tas d’indicateurs
montrent clairement que la situation est loin d’être désespérée.
La France est classée deuxième pays le plus peuplé d’Europe et
recense un des deux meilleurs taux de natalité. « En Amérique du
Nord, précise Jean-Benoît Nadeau, on critique la faillite des systèmes
sociaux européens, mais on n’évoque pas la France, pour laquelle ça
ne s’applique pas grâce à son taux de natalité pratiquement positif.
C’est le seul pays d’Europe qui est assuré de voir sa population croître
dans les cinquante prochaines années, alors que l’Autriche et
l’Allemagne doivent gérer un fort déclin démographique – voire très
fort pour cette dernière. » Selon l’INED (Institut national d’études
démographiques), la France pourrait se rapprocher de l’Allemagne en
2050, avec 72 millions d’habitants, contre 76 millions outre-Rhin, « et
deviendrait ainsi le pays le plus jeune d’Europe, note-t-il. La jeunesse
n’a jamais été une mauvaise chose pour un pays, que je sache ».
Avec deux enfants par femme, la France occupe la deuxième place
européenne pour le taux de fécondité selon Eurostat, office statistique
de l’Union européenne, en 2014. « On distingue trois facteurs
propices aux naissances en France, expose Elisabeth Thomson,
sociologue à l’Université de Stockholm dans le magazine Le 1 19. Le
premier, et le plus important dans la politique pronataliste française,
écrit-elle, est le soutien apporté aux femmes qui travaillent. Elles
n’ont plus besoin de choisir entre avoir des enfants et poursuivre une
carrière. L’aide à l’enfance, par les allocations et la gratuité de l’école,
est aussi un facteur favorable. Enfin, […] les séparations et les
divorces se multiplient ! Sur ce sujet, j’ai réalisé une étude qui
démontre que la séparation provoque une hausse des naissances dans
la mesure où les personnes séparées retrouvent un partenaire. » La
France déploie donc d’importants moyens financiers pour sa politique
familiale, et dispose d’un système performant d’accueil des jeunes,
accessible dès la petite enfance. « En effet, c’est une exception
française, confirme Laurence Duboys Fresney. Aujourd’hui, les
Français s’investissent autant au travail qu’à la maison. »
Autre très bon signe démographique, l’espérance de vie à la
naissance. D’après les données de l’Insee, issues de projections pour
la période de 2010 à 2015 fournies par l’ONU , l’espérance de vie des
Français est légèrement supérieure à 81,6 ans. Le pays se classe
septième derrière le Japon, la Suisse, l’Australie, l’Italie, l’Espagne et
la Suède et devant la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni et
surtout les Etats-Unis, dont l’espérance de vie plafonne à 78,8 ans. En
France, les femmes vivent en moyenne 85,1 ans, ce qui en termes de
longévité place le pays au troisième rang mondial derrière le Japon
20
(86,9 ans) et l’Espagne (85,2 ans) . « On peut donc en déduire que
les Français vivent bien et de plus en plus tard, commente Laurence
Duboys Fresney. Et si la France est en si bonne position, on le doit
notamment à son système de santé. Pourtant, celui-ci est remis en
cause, même en France. »
D’autres chiffres, que nous passerons en revue au fil de cet
ouvrage, donnent l’occasion de se réjouir. Et aussi, au-delà des
indicateurs satisfaisants, le tour d’horizon de ce qui fait le prestige ou
la qualité de vie en France, louée par nombre d’étrangers.
Roger Cohen, éditorialiste anglais du New York Times traduit par
le magazine Courrier international 21, mettait en avant, en 1997,
quelques-uns des atouts de la France : « La capitale manucurée du
pays, ses routes impeccables, ses trains à grande vitesse, sa fabuleuse
gastronomie, ses parfums séduisants et son savoir-vivre
profondément ancré brossent un tableau empreint de richesse et de
tradition… » Avec ce correctif, cependant : « Tout comme les statues
dorées sur les ponts de Paris détournent l’attention des sans-abri qui
dorment sous leurs arches, l’émouvante beauté de la France a
tendance à masquer ce qui est un foyer de désespérance. » Mais en
2013 il ajoutait, dans un autre papier 22 : « N’empêche, la morosité
n’est qu’un petit travers dans un pays où la médecine est superbe, où
l’éducation fonctionne, un pays d’une immense beauté, dont les vins
sont les seuls dignes d’être bus, dont l’armée fait bien son boulot au
Mali, où les familles sont solides, et qui s’appuie sur la sagesse
pragmatique de la France profonde (en français dans le texte). »
Dans un autre registre, la gastronomie française garde son aura,
on le verra. Mieux, ses rituels et l’art de vivre qui les accompagne
tendent à s’installer partout dans le monde. « Ce qui m’attire en
France, outre les paysages et une géographie extraordinaires, c’est la
richesse de l’héritage culturel : métiers d’art, mode, art culinaire,
industrie vinicole et j’en passe », témoigne Bettina, originaire
d’Allemagne et résidente de l’ouest de la France. Elle nuance : « Mais,
en même temps, ces traditions ne peuvent-elles pas être
contraignantes et entraver un certain développement ? » Nous
reviendrons sur cette question. Rappelons déjà que le pays des vins,
du reblochon et du foie gras est aussi celui de L’Oréal, LVMH, Danone,
Total et de plusieurs marques automobiles réputées, de Carrefour, de
groupes pharmaceutiques d’envergure internationale et du train
commercial le plus rapide du monde. « En Italie, on envie
23
énormément la vitesse ferroviaire et la réussite d’Air France face
notamment à notre compagnie Alitalia, m’expliquait Giampiero
Martinotti. La presse italienne avait par exemple beaucoup couvert le
lancement du TGV Est, à l’époque. » Certes, l’annonce d’un plan
social et de mesures drastiques de réduction des coûts a fragilisé
l’image d’Air France à l’international. Néanmoins, selon le classement
Skytrax des meilleures compagnies aériennes, établi d’après des
sondages faits auprès des passagers du monde entier, l’image de la
compagnie s’améliore nettement en matière de qualité de service
puisqu’elle progresse de la cinquante-cinquième place en 2011 à la
quinzième en 2015.
Car les étrangers ne trouvent pas que des défauts aux Français.
Des journalistes s’accordent à dire – mais peut-être font-ils eux aussi
preuve de mauvaise foi – que la population française se montre
tolérante, qu’elle est plutôt sympathique. Pour quelques-uns d’entre
eux, les Français apparaissent comme travailleurs et progressistes (on
y reviendra). L’inverse de ce qu’affirment d’autres éditorialistes à
travers le monde. De quoi relativiser… L’environnement et les
infrastructures de la France sont considérés par beaucoup des
résidents d’origine étrangère comme de très grande qualité.
Bref, vu de l’extérieur, les Français ont de quoi se réjouir. « A
l’étranger, les observateurs un tant soit peu objectifs sont moins
inquiets pour la France que nous ne le sommes nous-mêmes, observe
Marie-Cécile Naves, chargée de mission au Centre d’analyse
stratégique, qui a codirigé la partie “Restaurer la confiance dans le
modèle républicain” du rapport “Quelle France dans dix ans ?” rédigé
en 2014. La presse internationale, à l’instar du New York Times, voit
parfois plus de positif dans la situation de l’Hexagone que bien des
médias français. Certes, il est préférable de parler de ce qui va mal
quand on veut toucher la fibre sensationnaliste. En politique, la
même facilité pousse à tenir des discours populistes, souvent
mensongers, car les gens ne savent pas précisément de quoi ils
parlent. »
Alors, la France, « c’était mieux avant » ? « La France est
fantasmée par la majorité des citoyens du globe, constate Radu
Mihaileanu, réalisateur franco-roumain, dans le magazine Le 1 24.
Seuls les Français oublient combien ils sont riches, combien les gènes
de leur pays sont forts. Trop gâté par ce pays que j’ai gagné, suis-je
devenu sourd et aveugle à ses difficultés ? Je ne le pense pas. Mais
j’ose croire qu’on ne guérit jamais le mal par le pire, mais par le rêve,
la volonté, la solidarité, l’intelligence. Alors, râlez, râlons, car c’est
aussi cela, être français. Réjouissons-nous de pouvoir le faire. »
Les Français sont-ils vraiment des râleurs invétérés ? Ou bien leur
ego souffre-t-il d’un sentiment de déclassement ? Sapent-ils leur pays
parce qu’ils le pensent relégué loin derrière la place qu’il occupait
naguère dans le monde ? Préfèrent-ils tout casser plutôt que de tenir
la barre contre vents et marées ? On a parfois l’impression qu’ils se
comportent comme des enfants qu’on aurait trop chéris et qui, du
coup, ne perçoivent plus ni n’apprécient les avantages dont ils
bénéficient.
Sommes-nous donc « les derniers enfants gâtés de l’Europe 25 »,
comme intitule son ouvrage Sophie Pedder, cheffe du bureau et
correspondante de The Economist à Paris ? Attachés à leurs statuts,
avantages, acquis sociaux, les Français craignent de voir leur mode de
vie se diluer dans l’océan de la globalisation. Au point d’en devenir
dépressifs. Mais dès que la France se défend contre le discours
pessimiste, qu’elle veut faire valoir ses atouts, même le Financial
Times, à tendance « francophobe », le souligne, ses arguments se
révèlent caricaturés à tort.
« La France est-elle le malade de l’Europe ? » Des analystes et
économistes suisses, membres de l’Association des stratégistes
d’investissement de Genève (ISAG), se sont réunis pour tenter de
répondre à cette question. Le quotidien suisse Le Temps 26 retient du
débat quelques motifs de ne pas sombrer dans la dépression. « Les
fondamentaux de la France “ne sont pas désastreux”, écrit le journal.
[L’un des experts] aligne la croissance démographique, la géographie
centrale de la France, la qualité de ses infrastructures, un capital
humain, un “Etat fort, jacobin, qui n’a pas ou peu de risques de
fragmentation de territoires, contrairement à l’Espagne ou au
Royaume-Uni”, des taux d’intérêt bas. Un voisin ajoute : “Une
microéconomie réelle qui n’est pas si mauvaise”. »
Alors, comment rompre avec le fantasme du déclin ? La France
reste quoi qu’on en dise un pays d’avenir parce qu’elle possède
nombre d’atouts – efficacité de ses transports, rayonnement de ses
entreprises, succès de ses entrepreneurs et de ses artistes bien sûr,
mais aussi beaucoup d’autres. Pourquoi ne pas plutôt observer de
près les griefs formulés à l’égard de la France pour en vérifier
l’exactitude, et ébranler nos convictions les plus erronées ?
1. Nicolas Baverez, Les Trente Piteuses, Flammarion, 1997, et Réveillez-vous, Fayard, 2012.
2. Denis Tillinac, Dictionnaire amoureux de la France, Plon, 2011.
3. Lui, novembre 2014.
4. Télé 2 Semaines, septembre 2012.
5. Le Point, 14 novembre 2012.
6. Daily Mail, 19 janvier 2008.
7. Pas si fous, ces Français !, Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Le Seuil, 2005.
8. The Economist, 17 novembre 2012.
9. Newsweek, 3 janvier 2014.
10. Le Journal du Dimanche, 14 octobre 2014.
11. Theodore Zeldin, Les Français, Fayard, 1983.
12. France 2, 28 mai 2015.
13. Ouest France, 20 juin 2014.
14. Le Monde, 20 juin 2013.
15. Laurence Duboys Fresney, Atlas des Français d’aujourd’hui, Autrement, 2013.
16. INSEE, 2011.
17. Valérie Rabault et Karine Berger, Les Trente Glorieuses sont devant nous, Rue Fromentin
Editions, 2011, et La France contre-attaque, Odile Jacob, 2013.
18. Claude Revel, La France : un pays sous influences ?, Vuibert, 2012, et Grandeur et Misère
de la finance moderne, Odile Jacob, 2013.
19. Le 1, 4 mars 2015.
20. World Population Prospects, « The 2012 Revision ».
21. Courrier international, 12 juillet 2013.
22. New York Times, 7 décembre 2013.
23. Un plan social destiné à réduire les coûts peut être mis en place dans une entreprise
jugée par ailleurs performante. Cf. BFMTV, 22 mai 2015, « La compagnie nationale passe de
e e
la 25 à la 15 place. »
24. Le 1, 9 avril 2014.
25. Sophie Pedder, Le Déni français : les derniers enfants gâtés de l’Europe, Lattès, 2012.
26. Le Temps, 18 octobre 2014.
« La France est un pays
de fainéants » ?

FAUX !
Les Français sont parmi
les plus productifs
au monde

A la question « Que pensez-vous des Français ? », Lara Marlowe,


journaliste américaine, correspondante du quotidien irlandais The
Irish Times jusqu’en 2009 et à nouveau depuis 2013, m’a répondu :
« Je les trouve fainéants ! Ils tiennent trop à leurs vacances, à leur
résidence secondaire, à leur week-end à la campagne… » On imagine
le message envoyé par le journal dont elle assure la
correspondance… Propos que contredit pourtant vivement Jean-
Benoît Nadeau, qui a vécu à plusieurs reprises de longues périodes en
France. « De l’extérieur, on a l’impression que les Français travaillent
peu, que c’est la belle vie, bref les clichés habituels. Mais les Français
sont plutôt vaillants à l’ouvrage, de nombreuses études
internationales l’attestent. »
En termes de productivité, c’est-à-dire le rapport, en volume,
entre la production et les ressources employées pour y parvenir, le
BIT (Bureau international du travail) classe la France dans le peloton
de tête mondial, souvent au coude à coude avec les Etats-Unis. Les
comparaisons réalisées par l’Office national des statistiques (ONS)
entre les différents pays du G7 indiquent que les travailleurs français
arrivent systématiquement en tête du classement, là aussi avec les
Etats-Unis, largement devant le Royaume-Uni, le Japon étant bon
dernier.
Depuis les années 2000 et les fameuses lois sur les trente-cinq
heures de Martine Aubry, on ne cesse de comparer la France à
l’Allemagne, où la durée légale maximale de travail hebdomadaire est
de quarante-huit heures. Mais on omet systématiquement de
souligner qu’outre-Rhin, dans plusieurs secteurs dont la métallurgie,
des conventions collectives ont diminué le temps de travail jusqu’à le
rendre identique à celui de la France.
Dans un article intitulé « La France, pays où l’on travaille le
moins ? » publié sur Le Monde.fr 1, les journalistes soulignent que
« selon une productivité calculée à partir du produit national brut
(PNB) divisé par le nombre de personnes employées, et rapportée à la
productivité européenne, la France aurait un taux de 125,5,
contre 106,3 pour l’Allemagne ou 109,6 pour le Royaume-Uni. A
temps de travail égal, la France produit donc plus de richesses que la
plupart de ses voisins européens ». Et d’ajouter : « D’autres
classements le prouvent. Si l’on compare les chiffres du produit
intérieur brut (PIB) par heure travaillée, là encore, la France arrive
dans les meilleurs élèves de la productivité. » Selon les enquêtes de
l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) : « Les Français produisaient, en 2013, 61,2 dollars (environ
47 euros) par heure travaillée, soit 13,8 dollars (environ 10,7 euros)
de plus que la moyenne de l’OCDE. Quant à la productivité globale,
c’est-à-dire la valeur ajoutée brute, elle a augmenté de 1 % l’an
dernier, à 1 896,9 euros. »
Par ailleurs, le site du quotidien liste les exemples qui montrent
que contrairement aux idées reçues, dans les comparaisons
internationales, la France n’a pas à rougir en matière de performance.
Selon les statistiques produites par Eurostat, les Français salariés à
temps plein travaillent 40,7 heures par semaine, sous la moyenne
européenne, qui est de 41,5 heures. Moins, donc, que leurs
homologues allemands et espagnols, qui travaillent 41,7 heures, mais
plus que les Italiens (40,4 heures), les Finlandais (40 heures) et les
Danois (38,8 heures). Si on cumule temps plein et temps partiel, la
moyenne française s’établit à 37,5 heures de travail par semaine,
contre 37,2 heures en Europe, nettement au-dessus des Allemands
(35,3 heures) et des Néerlandais (30 heures), pays où le temps
partiel est beaucoup plus utilisé que dans l’Hexagone. Enfin, les
travailleurs indépendants français travaillent en moyenne 48 heures
par semaine, ce qui place la France en quatrième position en Europe.
Toujours selon le site du Monde, ces données sont confirmées par
d’autres sources fiables telles que celles diffusées par l’OCDE.
Ce même organisme a établi en 2013 que, parmi les travailleurs
salariés à temps plein et à temps partiel européens, si la France n’est
pas en tête pour le nombre moyen d’heures annuelles travaillées par
actif (1 478 heures), elle se place devant l’Allemagne (1 387 heures),
les Pays-Bas (1 380 heures) et la Norvège (1 407 heures).
Autres chiffres clés fournis par Eurostat et publiés par le site du
Monde : « Avec 34,6 années travaillées en moyenne, les Français se
situent légèrement en dessous de la moyenne européenne (35 ans). »
La France travaille donc moins longtemps que l’Espagne (34,7 ans),
l’Allemagne (37,5 ans) et le Royaume-Uni (38,1 ans), mais largement
plus que l’Italie (30,5 ans), la Grèce (32 ans) ou encore la Belgique
(32,2 ans).
« Les Français pourraient être en congés le vendredi, ils
produiraient encore davantage que les Britanniques en une
semaine », écrit le très libéral hebdomadaire britannique The
2
Economist , qui loue la productivité française et l’efficacité des actifs
du pays face à celle des travailleurs britanniques, « ouvriers
exceptionnellement bon marché mais absolument pas efficaces »,
3
comme le rapporte Le Figaro . Bizarrement, cet article de The
Economist a été très peu relayé par la presse étrangère, qui fait
d’habitude ses choux gras de la légendaire paresse française.
Toujours selon Eurostat, si on compare le PIB rapporté au nombre
d’heures travaillées en 2013 entre les actifs français et leurs
homologues britanniques, les premiers produisent 45,40 euros par
heure contre 39,20 euros pour les seconds. La moyenne européenne
ne s’établit qu’à 32 euros. Très bon rendement de la France, donc.
« Des Français travaillent bien plus que les 35 heures officielles,
explique Jean-Benoît Nadeau. La différence tient notamment au
rapport plus détaché qu’ils entretiennent avec le travail. Ils ne sont
pas soumis à l’éthique protestante qui fait qu’un Américain, par
exemple, montre toujours qu’il est occupé même quand il ne l’est pas.
Le Français aura tendance, dans le même contexte, à souligner qu’il
n’est pas débordé car il se place au-dessus de ses affaires. » Alors que
les Nord-Américains déjeunent très rapidement et sur leur lieu de
travail, en France, c’est le contraire. On mange le plus souvent
lentement, hors de son bureau ou de son atelier. Est-ce à dire que les
Français bullent ? « Non, répond Jean-Benoît Nadeau, vous ne vous
cachez pas pour manger, simplement. Et généralement vous parlez
travail tout en déjeunant. » D’après lui, la sémantique en dit long sur
la différence d’approche : « En anglais, business vient de busy, qui
signifie “occupé”. Alors qu’en français on utilise le terme “affaire”,
autrement dit “à faire” ! »
Karine, une Française qui vit à Dortmund en Allemagne depuis
une vingtaine d’années, a observé l’exercice de son métier de
graphiste des deux côtés de la frontière. Elle me fait remarquer que le
rapport au travail des populations française et allemande diffère.
« Outre-Rhin, on fonctionne comme des fourmis besogneuses alors
qu’en France on préfère le style de l’abeille qui butine en travaillant.
La dimension “plaisir au travail” est plus nette dans l’Hexagone. Pour
moi, Allemands comme Français bossent beaucoup, mais
différemment. Le rapport au travail n’a rien à voir dans l’un et l’autre
pays. »
La population bleu-blanc-rouge semble finalement plus hédoniste
qu’oisive… D’après tous les résultats d’études menées en France et à
l’international 4, les Français accordent, en fait, beaucoup
d’importance au travail, plus que dans la plupart des pays
occidentaux, mais simultanément ils cherchent à le tenir à distance
afin qu’il occupe le minimum de place dans leur quotidien. Ce qui est
à rapprocher d’un autre indicateur positif signalé plus haut : « En
France, le taux de fécondité est très élevé et le taux d’activité des
femmes aussi, explique Laurence Duboys Fresney. Parmi les femmes
actives en âge de féconder, ce sont les Françaises qui s’arrêtent le
moins de travailler pour élever leurs enfants. Elles veulent tout et ne
renoncent à rien. Là aussi, il s’agit d’une exception française. Et on
aura du mal à faire rentrer les femmes à la maison car elles tiennent
à travailler ! »
Travailler moins et travailler mieux
Les caractéristiques nationales en matière de temps de travail sont
autant décriées qu’enviées par nos voisins. Les représentations qu’en
ont ces derniers, et qu’on prend souvent pour argent comptant, ne
reposent pas sur la réalité. La semaine de trente-cinq heures agit
comme un épouvantail, et le doute se lit sur les visages quand il est
question de la productivité des Français, alors que, on l’a souligné, la
durée effective du travail hebdomadaire en France est largement
supérieure à ce chiffre.
Qui est prêt à me croire si j’affirme que les Français sont plus
carriéristes que les Américains et les Allemands, contrairement aux
idées reçues ? Pourtant, à la question « Considérez-vous le travail que
vous faites comme faisant partie de votre plan de carrière ou juste
comme un simple boulot ? » 70 % des actifs en France répondent que
leur travail s’intègre dans un plan de carrière, alors qu’ils ne sont que
57 % aux Etats-Unis et 25 % en Allemagne dans ce cas. C’est le
résultat d’une étude menée auprès de plus de huit mille salariés issus
de sept pays par GfK 5 pour le site d’emploi Monster en 2014.
Selon certains chercheurs, le développement en France de
l’intérim, du temps partiel, des CDD, montre aussi que le pays
s’adapte plus qu’on ne le croit à la flexibilité du marché du travail.
« On parle souvent de la grande productivité des Nord-Américains,
mais pour avoir travaillé dans nombre de supports de presse,
d’émissions de télévision au Canada par exemple, j’ai noté leur
manque patent d’esprit de synthèse donc d’efficacité et de créativité,
a constaté Laurence Pivot, journaliste et longtemps rédactrice en chef
du hors-série annuel S’installer au Canada de L’Express, qui a vécu
plusieurs années de l’autre côté de l’Atlantique. C’est pourquoi
l’apport d’immigrés pour l’Amérique du Nord est essentiel. »
Lors d’un reportage au Québec, nombre d’interlocuteurs québécois
m’ont fait part de la bonne image qu’ils avaient des Français dans le
monde du travail – sens des responsabilités, engagement, rendement.
« La productivité des Français est extrêmement appréciée là-bas
comme ailleurs dans le monde, confirme Laurence Pivot. Les hauts
diplômés sont plutôt considérés comme très bien formés, mais il n’y a
pas qu’eux. Tous sont reconnus pour leur bon niveau culturel et pas
uniquement dans le Canada francophone – à Vancouver, par exemple,
on recrute beaucoup de professionnels de la 3D. Aux Etats-Unis, les
ingénieurs et les mathématiciens français se font facilement une
place. A la City ou à Wall Street, nos financiers aussi ont la cote. »

1. Le Monde.fr, 18 septembre 2014.


2. The Economist, 14 mars 2015.
3. Le Figaro, 22 mars 2015.
4. Ces trois enquêtes internationales, par exemple : vagues 1981, 1990 et 1999 de l’European
Values Surveys (EVS).
5. GfK, Gesellschaft für Konsumforschung, « société pour la recherche sur la consommation »,
Institut d’étude de marché allemand.
« La France est un pays
figé, impossible à réformer,
et son administration
est la plus rigide
du monde » ?

FAUX !
La France bouge et sait
adapter
l’organisation
de ses services

Alors que le pays s’apprête à sombrer, pourquoi la population


française ne réagit-elle pas ? Voilà le type de questionnement dont les
observateurs étrangers raffolent ; et que nous-mêmes adorons relayer.
Les Français – sauf ceux qui le font remarquer, bien entendu – ne
veulent pas que ça change. Le pays est paralysé par ses lobbies, ses
castes et ses corporatismes, ses avantages acquis. Chacun défend son
bifteck tout en accusant les autres de préserver leurs propres
privilèges. Loin d’être propre aux Français, même s’il prospère en nos
frontières, ce travers est plutôt courant dans les sociétés humaines.
« Voir la paille dans l’œil du prochain et ne pas voir la poutre dans le
sien », comme le formule la parabole.
La France accueille chaque année des dizaines de millions de
touristes étrangers, pourtant le monde entier semble considérer la
population française comme la moins sympathique et la plus rigide
qui soit. « Le pays est paralysé par les Français », s’amuse le quotidien
britannique The Daily Telegraph 1. Pire, selon l’hebdomadaire
allemand Die Zeit 2 : « L’Hexagone n’est plus qu’un vieux pays indolent
exploité par ses élites, frappé par la corruption, et dont l’économie
décline. » Conséquence de l’immobilisme, la France se serait
déconnectée du grand mouvement planétaire de mondialisation de
l’économie. On s’inquiète pour le pays au point de penser à lui
infliger le traitement de cheval appliqué par Margaret Thatcher à
l’Angleterre dans les années 1980, à coups de réformes libérales
brutales, seule façon de briser le pacte social que d’aucuns jugent
insupportable mais que continue de défendre la France, de gauche
comme de droite.
Les gouvernements qui se succèdent à la tête du pays n’auraient
aucune marge de manœuvre face à un peuple opposé à toute velléité
de modifier le système social qui le protège. Guerres sociales, conflits
en pagaille, blocages, grèves, luttes… les Français, contestataires par
essence, n’exprimeraient plus leur révolte que pour résister à toute
idée d’évolution. Ils se révéleraient ainsi frileux et peureux, attachés à
leurs privilèges… N’en jetez plus, la cour est pleine !
« Est-ce que la France est un pays définitivement figé ? » A cette
question, Denis Tillinac me répondait : « On est tellement heureux
qu’on ne peut pas faire de grandes réformes. On ne parle que de ça,
mais personne n’a envie de les lancer. Par exemple, en privé, tout le
monde s’accorde à dire qu’il faut réduire d’un tiers le nombre de
fonctionnaires, mais personne ne le fera. Le contenu des rapports qui
prônent des changements, rédigés par des experts de tous bords, fait
souvent l’unanimité. Mais ils ont tendance à agacer parce qu’ils disent
tout haut ce qu’on pense tout bas. Nous ne sommes pas un pays
réformiste. »
Pourtant, malgré les apparences, la France bouge. Des réformes se
mettent en place, dont certaines ne font pas dans la demi-mesure. La
réforme territoriale en est une. On peut débattre de sa pertinence, là
n’est pas le propos. Qui pouvait prédire en 2012 que la France
passerait de vingt-deux à treize régions en l’espace de quelques mois
et verrait le nombre de ses capitales régionales réduit en
conséquence ? En parallèle, des communes nouvelles apparaissent,
qui ont vocation à regrouper des communes préexistantes. Villages et
bourgs en profitent pour fusionner – une ville de la taille de
Cherbourg passe ainsi en quelques mois de 37 000 à 83 000 habitants
grâce à la fusion de cinq communes. Enfin, les communautés de
communes doivent fusionner elles aussi afin d’atteindre le seuil
minimal de 15 000 habitants. D’autres changements sont à prévoir
d’ici 2020, pour les conseils départementaux notamment.
Lancée en conseil des ministres en juin 2014, cette réforme
territoriale devient effective dès 2016. Une révolution menée
tambour battant, dont la rapidité a de quoi surprendre quand on
connaît la force d’inertie des élus attachés à leur pouvoir, même tout
petit.
Autres exemples de réformes, donnés par Jean-Benoît Nadeau :
« Des mesures telles que la rupture conventionnelle du contrat de
travail et la libéralisation des conditions de lancement des entreprises
montrent bien qu’il est faux de dire que la société française est
incapable de se transformer. »
Reste la seule bonne question à poser : des réformes, oui, mais
lesquelles ? L’évolution, par exemple, de la SNCF, qui autrefois rendait
service à des usagers mais traite aujourd’hui avec ses clients, n’est pas
du goût de tous. Benoît Duteurtre, dans son ouvrage La Nostalgie des
3
buffets de gare , évoque à ce sujet « une nation qui proclame son
attachement à l’histoire, mais qui accepte concrètement de tout
liquider ». Signe d’un profond changement de société, ce cas
particulier montre en même temps que le libéralisme gagne du
terrain, en France comme ailleurs.
Faut-il réformer pour réformer ? Doit-on brader les services
publics pour aller dans le sens du vent, même si ce vent nous
précipite dans l’abîme ? Tout est question d’interprétation et de point
de vue.

Une société en mouvement


La France serait le pays des grèves. Pourtant, les chiffres fournis
par l’OCDE nous classent plutôt en milieu de tableau. Il est vrai que
les manifestations sont nombreuses ; elles font quasi partie du
patrimoine français : « Je me suis senti français pour la première fois,
s’émeut Alex Taylor 4, quand [le 11 janvier 2015] deux millions de
personnes sont descendues dans la rue [de Paris] pour défendre des
idées. […] Donnez-moi la dernière fois où deux millions de
Britanniques sont descendus à Londres pour défendre des idées. »
Sur l’ensemble du territoire, c’est 4 millions de personnes qui ont
manifesté simultanément, pour un pays de 65 millions d’habitants.
Qui dit mieux ? Un chiffre à comparer à celui des « manifs pour tous »
– quelques centaines de milliers de personnes ont exprimé dans la rue
leur rejet du mariage pour tous. Une minorité bruyante et agissante
qui n’a pas empêché la réforme de voir le jour – encore une. En
Allemagne, pendant ce temps, Angela Merkel continue à faire
entendre son « Nein ! » sur le sujet 5.
Notre pays « figé » se montre plus progressiste que l’Allemagne
sur un autre sujet, celui de l’emploi des femmes. Les inégalités entre
hommes et femmes sur le marché du travail se révèlent aujourd’hui
bien plus fortes au-delà du Rhin qu’en deçà. En cause, la répartition
des responsabilités parentales entre les deux sexes et les niveaux de
prestations familiales – l’offre en matière de garde d’enfant permet
aux Françaises de travailler, on l’a vu, et par conséquent de suivre
une carrière sans interruption, ce qui facilite la promotion.
Il faut noter d’autre part que, malgré les protestations de l’Eglise,
la population française s’est montrée capable d’accepter qu’un
président de la République divorce puis se remarie soixante et onze
jours plus tard à une chanteuse et ex-mannequin italienne, puis que
son successeur assume son célibat. La France, « pays figé » mais
libéré ? L’Anglais Alex Taylor n’oublie pas que, s’il est journaliste
aujourd’hui, c’est parce qu’il a commencé sa carrière dans une radio
libre française – « La première radio gay au monde, précise-t-il. Ça,
les Français, même les jeunes gays, ne le savent pas. C’était en
France, en 1981. Et il n’y a toujours pas d’équivalent en Grande-
Bretagne. »
Modèle social décrié et jalousé
Revenons à la question initiale : faut-il vraiment bouleverser notre
modèle basé sur la solidarité, qui bénéficie à l’ensemble de la
collectivité ? Dans un article consacré au French bashing du magazine
6
Marianne , la philosophe Cynthia Fleury, auteure de La Fin du
courage 7, explique que le discours sur la France et ses résistances à se
réformer est « d’abord idéologique ». Elle poursuit : « Nous sommes
en situation de guerre économique. Et comme chacun sait, le modèle
ultralibéral anglo-saxon est en totale opposition avec le modèle
français, où l’Etat reste encore puissant, avec un fort niveau de
protection sociale et un marché du travail régulé. Dans la mesure où
la situation économique est mauvaise en France, cela permet aux
Anglo-Saxons de se persuader que leur modèle est le meilleur. La
France sert de repoussoir. » Puis le journaliste du magazine cite Jon
Henley, reporter au Guardian, correspondant à Paris pendant une
dizaine d’années : « Autrefois, les articles qui se moquaient des
Français étaient bon enfant, sur un mode taquin, affectueux. Depuis
quelques années, on a vu apparaître des articles beaucoup plus durs,
dont l’enjeu est idéologique. La France représente, malgré ses
problèmes, la dernière alternative à la solution libérale. Il faut coûte
que coûte lui taper dessus. »
Bref, même s’il est critiqué de toute part et depuis longtemps par
les défenseurs d’une politique économique et sociale à caractère
libéral, le système social français intrigue, voire fait des envieux. N’a-
t-il pas été capable de résister aux dernières crises économiques à
répétition ? Dans le même dossier de Marianne, Stéphane Rozès,
politologue, enfonce le clou : « On ne sait pas, en France, à quel point
le démantèlement du Welfare State, à l’époque de Thatcher, a été
vécu de façon violente et traumatique par les Anglais. Aujourd’hui, ils
voient les immenses efforts qu’ils ont consentis et constatent qu’ils ne
s’en sortent pourtant pas tellement mieux que la France, et que
même, sur certains points, ils sont moins bien lotis : la santé,
l’éducation, la très grande pauvreté, les inégalités… […] Cela crée
chez certains une sorte d’amertume, l’impression de s’être sacrifiés
sans en récolter les fruits, alors que la France, cette mauvaise élève,
continue de se comporter en enfant gâté et ne reçoit pas la sévère
punition qu’elle devrait… »
Notre modèle social se défend donc tant bien que mal et contre
vents et marées. « Alors qu’au Canada un système de sécurité sociale
universelle structure la politique de soin des Canadiens et qu’aucun
organisme privé n’intervient, contrairement à ce que connaît la
France, le pays vit une situation en matière de santé équivalente à
l’Angleterre post-thatchérienne, a constaté Laurence Pivot. Malgré
des améliorations sensibles, les services restent engorgés. Le pays, en
conséquence, essaye de se doter d’un modèle équivalent à la France
avec le “médecin de famille” référent. En comparaison, le système
8
français mérite quelques louanges. » Angelin Preljocaj , chorégraphe
franco-albanais, s’étonne : « Ce pays est un alliage curieux : on nous
envie beaucoup de choses dans le monde, que nous ne sommes plus
en mesure d’apprécier. Quand on voit comment Obama s’est battu
pour l’aide à la santé… » Car oui, même le président des Etats-Unis a
cité la France comme une référence en la matière lors des débats
autour de la réforme de la santé qui ont agité son pays.
Denis Tillinac opère un rappel salutaire : « La nation s’est
construite autour d’un roi dont le rôle consistait à protéger son
peuple. L’Etat s’est hypertrophié jusqu’à devenir très protecteur. C’est
pour cela que la France est le pays où on soigne le mieux au monde.
Clochard ou milliardaire, tout le monde peut recevoir la même
qualité de soins. C’est unique au monde. Pour autant, nous exhorte
l’écrivain, abandonnons notre conservatisme à la “il faut que ça
change chez le voisin mais pas chez moi”, le règne des mini-privilèges
comme les régimes spéciaux. Des injustices pareilles entre public et
privé doivent disparaître. »
Améliorer nos règles et notre organisation, mais sans se fourvoyer
en copiant des réformes potentiellement ravageuses pour l’équilibre
national ou en appliquant des mesures inappropriées et contre-
productives à terme.
Un exemple d’amélioration utile à mettre en œuvre avec
prudence : « On a un droit du travail trop rigide et lié à une structure
de négociation collective obsolète », note au cours de notre échange
l’économiste Nicolas Véron, chercheur à l’Institut Bruegel de
Bruxelles et au Peterson Institute de Washington.
9
Cependant, dans une interview au Parisien , Xavier Niel, dirigeant
de la société de communication Illiad et copropriétaire du groupe Le
Monde, nuance : « Pas facile, disent certains patrons, avec le Code du
travail… Faux. […] qu’on ait un Code du travail un peu complexe,
c’est vrai. Il faut simplifier certaines choses. Il ne s’agit pas de
détricoter le droit du travail mais de le rendre accessible et
compréhensible à l’entreprise. »
« En matière de financement, poursuit Nicolas Véron, l’obsession
du contrôle par l’Etat handicape la dynamique entrepreneuriale. Il
faut développer la culture de financement décentralisée via des
banques locales notamment. » Laurence Pivot donne d’autres
exemples : « On doit regarder de près le poids des charges qui pèsent
sur les entreprises, la monstruosité administrative, le mille-feuille des
mesures et lois qui se sont accumulées au fil de l’histoire. Mais tout
cela est aussi la rançon de notre système social et de ses vertus,
relativise-t-elle. Si notre pays figure en bonne place en matière
d’enrichissement et d’épanouissement personnels, cela tient surtout
au temps dont les Français disposent pour leurs activités culturelles
ou pour les loisirs. C’est un atout pour un pays que sa population
possède un bon bagage culturel. Il faut avoir conscience que notre
système protecteur a un coût et être capable d’appréhender dans la
globalité tout ce que cela rapporte à l’ensemble de la nation. Si on a
des écoles et un système de santé qui tiennent la route, ça ne tombe
pas du ciel. » Jean-Benoît Nadeau ajoute : « C’est vrai que la France
est un pays qui pourrait être encore plus dynamique si elle libérait
mieux son capital humain. Et pourtant, elle le fait et mieux que
beaucoup d’autres. Quoi qu’il en soit, la société française ne peut se
transformer que très lentement ou très brutalement. Si le changement
est difficile à enclencher, une fois parti, difficile de l’arrêter ! »

Administration rigide ?
« La France est un pays très administratif, témoigne l’auteur
10
britannique Stephen Clarke . J’ai créé une société d’édition. J’étais le
seul employé et je n’arrêtais pas de recevoir des lettres qui me
menaçaient de pénalités si je ne m’assurais pas pour les congés
maternité de mes employés. Je leur disais : “Mais je suis le seul
employé […]”. Et ça continuait, alors j’ai dit : “[…] J’arrête !” A un
niveau supérieur, ces tracasseries administratives peuvent être un vrai
problème. »
Les témoignages qui pointent les lourdeurs ou les manquements
de l’administration française sont légion. « Le gros problème de la
France, qui en même temps forme une part de son identité et qu’il
faudra bien traiter d’une manière ou d’une autre un jour, c’est le culte
de l’Etat et de ses composantes, argumente Nicolas Véron. C’est une
force, mais c’est surtout un fardeau. » Pour lui, la centralisation
politique à outrance, qui génère tant de pesanteur, a son corollaire en
économie : « On a le culte des champions nationaux, des
mastodontes. On pense uniquement en termes de grandes entreprises
leaders. » Jusqu’à en oublier que l’entrepreneuriat français se
compose en grande majorité de petites et moyennes entreprises. Ces
modes de fonctionnement ou de pensée imprègnent jusqu’au moindre
rouage de l’administration nationale ou locale et des services publics
ou parapublics. « En France, tout part du haut », renchérit Jean-
Benoît Nadeau. Chaque administration ou collectivité décide en
apesanteur, sans se soucier de la globalité, prenant des initiatives sans
tenir compte des autres, ou multipliant les interlocuteurs, rendant
inefficaces les meilleures intentions du monde, au détriment de
l’usager, qu’il soit particulier ou entreprise.
En 2013, l’Etat a pris « dix-neuf engagements au service d’un
accueil de qualité ». Et ceux qui fréquentent les bureaux de poste
parisiens admettront que de profonds changements s’y sont produits
qui soulignent la capacité de remise en question de services
considérés par la plupart comme extrêmement rigides. Combien de
fois avons-nous pesté sur le temps d’attente nécessaire pour retirer un
courrier recommandé, opération simple mais confiée au même
guichet que celles de la Banque postale ? Nouvelle disposition,
organisation revue et corrigée et queues interminables transformées
en mauvais souvenirs. Des chamboulements en bonne et due forme
qui ont simplifié la vie des usagers et amélioré le quotidien de chacun
d’entre nous.
L’administration et les services publics ne se révolutionnent pas du
jour au lendemain. Mais il ne faut pas pour autant minimiser la
capacité d’innovation ou de changement des bataillons de la fonction
publique et des entreprises d’Etat. Les organismes sociaux se
montrent eux aussi capables de bouger en profondeur, on l’a vu
notamment avec le lancement de la carte Vitale ou du site Ameli.fr il
y a quelques années. Aujourd’hui, les dispositifs d’accueil des usagers,
en direct ou à distance via le Net, font l’objet d’une attention
particulière.
Petit à petit, les démarches administratives de création
d’entreprise se simplifient ; le suivi des obligations fiscales ou le
paiement d’une contravention se font de plus en plus facilement.
Avec plus de trente mille municipalités et autant de services au
niveau local, le territoire bénéficie d’un maillage dense.
Il reste beaucoup à faire pour améliorer le quotidien administratif,
mais dans ce domaine aucun pays n’est épargné par les lourdeurs et
les difficultés. Il suffit de sonder ses relations parmi les Français
vivant à l’étranger – à l’exception des salariés partis dans le cadre de
l’expatriation, souvent accompagnés dans leurs démarches par
l’entreprise ou un service spécialisé. Nombre d’émigrés français
témoignent des problèmes rencontrés dans le pays d’accueil pour
ouvrir un compte en banque ou pour obtenir un titre de séjour (pas
d’emploi = pas de logement = pas de compte en banque = pas de
carte de séjour, et ainsi de suite). Quant aux démarches auprès des
assurances sociales, par exemple, elles sont souvent décrites comme
éprouvantes.
Aujourd’hui, il y a des raisons concrètes de se réjouir puisque,
selon une étude menée par l’Organisation des Nations unies en 2014,
la France arrive en tête du classement européen en matière de
services administratifs en ligne grâce à sa politique de développement
numérique ambitieuse et la qualité de ses infrastructures de
télécommunications. Le site service-public.fr est reconnu
internationalement. En 2014, le département des affaires
économiques et sociales de l’ONU a classé l’administration française
numéro un mondial en la matière.
1. The Daily Telegraph, 15 juin 2015.
2. Die Zeit, 17 avril 2013.
3. Benoît Duteurtre, La Nostalgie des buffets de gare, Payot, 2015.
4. Des paroles et des actes, France 2, 28 mai 2015.
5. Blog LeFloid, 15 juillet 2015.
6. Marianne, 15 juin 2014.
7. Cynthia Fleury, La Fin du courage, Fayard, 2010.
8. Le 1, 9 avril 2014.
9. Le Parisien, 23 octobre 2014.
10. A nous Paris, 16 novembre 2011.
« L’économie française
est en chute libre ;
on est nuls en export » ?

FAUX !
La France reste l’une
des grandes
puissances économiques
mondiales

Oui, la France est une des plus grandes puissances économiques


au monde alors même qu’elle reste attachée à son système de
protection sociale coûteux, exigeant et contraignant.
Certes, le taux de chômage du pays reste élevé, trop même, et les
finances publiques apparaissent durablement dégradées. Le déficit de
la France se révèle nettement supérieur à la moyenne européenne,
même s’il a tendance à se réduire. Malgré cela, l’Hexagone se place
dans le peloton de tête des pays au niveau mondial. Classée sixième
en fonction de son PIB, indicateur majeur pour évaluer la puissance
économique d’un Etat, la France se situe derrière les Etats-Unis, la
Chine, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni, pays qui ne devance
l’Hexagone que depuis peu (son PIB se révèle supérieur à celui de la
France de près de 100 milliards d’euros d’après les chiffres publiés
début 2015 par la Commission européenne). Pour autant, cette
sixième place reste honorable, sachant que le Royaume-Uni a précédé
notre pays du XVIIIe siècle jusqu’en 1973. Les deux pays sont
historiquement au coude à coude alors même que, depuis les années
1980, la France offre des garanties sociales bien supérieures à son
voisin d’outre-Manche. « Il suffirait que l’euro s’apprécie de nouveau
pour que la France repasse devant le Royaume-Uni », expliquait Eric
Heyer, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures
économiques) au journal Les Echos 1. Autre argument avancé par cet
expert pour relativiser la perte d’une place : « La Grande-Bretagne
inclut depuis l’été dernier dans le PIB les activités illicites comme la
drogue et la prostitution, pour environ 12 milliards d’euros, alors que
la France s’y refuse », soit 0,5 % en faveur du PIB britannique, précise
le quotidien économique, presque autant que ce que représente
l’agriculture.
A noter par ailleurs que la plupart des pays qualifiés de
« matures » ou d’« avancés » selon les commentateurs ou les
institutions, tels ceux de l’Amérique du Nord, de l’Europe occidentale
et du Japon, sont talonnés – et le seront de plus en plus – par des
pays tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil, qui connaissent un essor
économique considérable et bénéficient d’une croissance bien plus
rapide. Selon les prévisionnistes économiques les plus sérieux, la
Chine dépasserait même les Etats-Unis d’ici la fin de la décennie
2010. « Le centre de gravité de l’économie mondiale devrait
continuer de se déplacer vers les pays émergents d’ici 2050 »,
confirme une étude publiée en février 2015 sur les projections du PIB
en parité de pouvoir d’achat calculées par le cabinet de consultants
PwC. « L’Indonésie, le Mexique et le Nigeria pourraient chasser le
Royaume-Uni et la France du top 10. » La place qu’occupe cette
dernière dans l’économie mondiale se réduit donc petit à petit,
comme celles du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Le taux de
croissance de ces trois pays, ainsi que de l’ensemble des pays
matures, ralentit déjà depuis le début des années 2000, et plus encore
depuis la crise de 2008. En contrepoint, il augmente dans les pays
considérés comme « émergents » ou « en développement », tels le
Ghana, le Soudan, la Tanzanie, le Kenya, la Guinée-Equatoriale, le
Nigeria, l’Ethiopie, l’Ouganda et l’Angola. Tous ces Etats sont situés
en Afrique subsaharienne, là où la production croît rapidement, et où
les écarts technologiques avec l’Occident se resserrent.
Rien de plus normal que de voir de nouvelles puissances
apparaître, comme ce fut le cas jadis. Dans les Etats dits « matures »,
la croissance continuera probablement dans les années à venir, mais
elle sera plus modérée. Ces pays qui ont assuré jusqu’à peu l’essentiel
de la production mondiale voient leur population vieillir.
L’investissement y fléchit et les gains de productivité s’y amoindrissent
à cause, notamment, de garanties salariales supérieures. Longtemps,
la petite quarantaine d’Etats listés par le FMI a représenté jusqu’à
près des trois quarts de la richesse mondiale face à des dizaines
d’autres pays qui se contentaient de miettes. La tendance s’inverse.
Aujourd’hui, les pays dits « développés » produisent moins de la
moitié du PIB à l’échelle du monde. L’équilibre économique planétaire
bouge.
La France comme d’autres subit ces évolutions. Elle représentait
3,8 % du PIB mondial en 1995. Ce pourcentage devrait fléchir jusqu’à
2,3 % en 2019 2. Libération 3 note que le pays, « cinquième puissance
économique mondiale au milieu des années 1990, se retrouvera au
neuvième rang [en 2019] et donc, formellement, à la porte du G8 »
et s’interroge : « Faut-il parler de déclin et s’apitoyer ? […] Il semble
difficile de lutter contre le développement de [l’Inde, le Brésil ou la
Russie], qui comptent respectivement 1,3 milliard, 200 millions, et
143 millions de personnes. Et surtout, il paraît compliqué de regretter
leur montée en puissance. » Face à de tels bouleversements, c’est à la
France de jouer de cartes telles l’éducation, l’innovation ou la santé. Il
faut aussi se rappeler que des pays comme l’Allemagne, le Royaume-
Uni ou les Etats-Unis ont connu des périodes de ralentissement
économique au cours de la seconde moitié du XXe siècle avant de
redécoller par la suite.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais l’INSEE note
néanmoins qu’en France, en 2015, la consommation des ménages
repart et que la production est en hausse dans certains secteurs. Une
tendance qui devrait favoriser la croissance du PIB. Et même si
l’évolution en matière d’offre d’emploi ne suffit pas à absorber
l’augmentation de la population active, l’emploi total (emploi salarié
et non salarié, selon la définition de l’INSEE) progresse dans le pays.

Méfions-nous des discours


irresponsables
Quand le magazine Society 4 demande à François Fillon quelle est
sa vision de la France, il répond : « Je pense que la France devrait
être la première puissance en Europe. Ce n’est pas une posture. Si on
regarde bien, dans vingt ans, on aura une population supérieure à
celle de l’Allemagne ; on a une productivité qui est quasiment la
meilleure en Europe ; on a des services publics et de santé qui font
partie des meilleurs dans le monde, une éducation correcte, la
dernière armée qui tienne la route au sein de l’Union européenne. Un
art de vivre, une recherche de haut niveau, une agriculture
extrêmement puissante… On a tout pour réussir et pourtant, on est
en situation de quasi-déflation, avec un chômage de masse et une
cohésion nationale qui se fissure. Ma conviction, c’est que le génie
français est toujours là mais que le système est totalement usé. […]
Sans tomber dans une vision idéologique, il faut remettre un peu de
liberté. “De l’air”, comme on me dit souvent… »
La question est de savoir si le discours décliniste – celui qu’on
perçoit en filigrane dans les propos de Fillon par exemple – n’a pas un
arrière-fond ultralibéral qui masque le projet d’un détricotage en
règle du système qui fait la spécificité de la France. « Si l’on crée par
exemple plus de richesse pour certains, mais qu’on précarise ou
paupérise d’autres groupes de population, c’est à l’Etat de jouer le
rôle de régulateur en agissant pour rééquilibrer la situation, observe
Claude Revel. La France apparaît comme un pays protectionniste et
interventionniste, certes, mais la cohésion sociale du pays tient à
l’Etat, qui recolle les morceaux et apporte des solutions. »
Exemple de manipulation destinée à « donner de l’air » à notre
économie : les discours qui se sont tenus sur l’ouverture le dimanche
des grands magasins du boulevard Haussmann, à Paris – afin, disait-
on, de récupérer une clientèle qui préfère faire ses emplettes à
Londres ou à Berlin. Etonnante comparaison, puisque ces deux villes
n’ouvrent ce type de commerces qu’une poignée de dimanches par
an. En Allemagne, ce sont les Länder qui ont la main sur ce sujet,
donc les situations diffèrent d’une région à une autre. La France se
rapproche plutôt du modèle britannique actuel, qui limite l’ouverture
des magasins le dimanche à quelques zones touristiques, plus
quelques dimanches par an pour l’ensemble de la ville. Bernard
Gaudillère, conseiller PS de Paris, écrivait dans un rapport sur
l’ouverture dominicale dans la capitale qu’« actuellement […] 20 % à
25 % des commerces sont ouverts », à savoir les commerces de
bouche ouverts tous les dimanches jusqu’à 13 heures, les cafés,
restaurants, stations-service, et les magasins des zones touristiques
parisiennes. Et de préciser : « plus qu’à Londres et Berlin ».
Claude Revel regrette l’attitude défaitiste d’un bon nombre des
élites nationales. « C’est inexcusable et intolérable, tranche-t-elle.
Méfions-nous de l’impact de leurs discours, qui formatent les
cerveaux, et de leur lobbying d’idées, qui tente de nous influencer. Il
faut en finir avec le discours qui exhorte à plus de libéralisme à la
française. Malgré les apparences, le pays s’est déjà largement
privatisé. » Elle le proclame haut et fort, il faut refuser
l’uniformisation de la pensée : « En matière d’économie, la France
possède des profils à la créativité débordante, des entreprises
innovantes, et des intellectuels de haut niveau. C’est encore peu
connu de la population, mais nos économistes sont renommés. Esther
Duflo est conseillère d’Obama. Thomas Piketty est connu dans le
monde entier grâce à son livre, Le Capital au XXIe siècle 5. Les
Américains savent repérer ces profils exceptionnels. » On peut ajouter
à cette liste le prix Nobel d’économie 2014, attribué à Jean Tirole.
L’écrivain Tahar Ben Jelloun complète l’argumentation : « Si la
France, écrit-il dans Le 1 6, a joui jusqu’à dernièrement d’une présence
appréciable et jalousée par les autres cultures, c’est parce qu’elle avait
misé sur ce qu’elle exporte le mieux : la langue, l’intelligence, la
pensée, l’imaginaire, l’art, la mode… C’est grâce à cet ensemble de
biens culturels riches et originaux […] que la France a réussi à
développer ses échanges commerciaux et à signer des contrats
importants. » L’économiste Nicolas Véron enfonce le clou : « Au-delà
de sa position géographique favorable, ses façades maritimes, ses très
bonnes infrastructures par rapport à d’autres et du niveau élevé en
matière d’éducation et culturel de sa population, la France a d’autres
atouts majeurs, notamment en termes de créativité, d’entrepreneuriat
et d’initiatives. »

Ça va mieux en le disant
Selon Business France, opérateur public qui aide les entreprises
françaises à exporter, notre pays est sixième au palmarès des
exportateurs mondiaux de biens, et quatrième exportateur mondial
de services. Rien de très étonnant, puisque la France est leader
mondial dans plusieurs secteurs, le nucléaire par exemple.
Beaucoup, à l’étranger, nous envient nos réseaux ferroviaire et
routier. Le pays possède en effet des connexions performantes avec
l’ensemble de l’Europe, d’abord, mais aussi avec le monde entier.
Selon une étude menée en 2014 par Eurostat, le réseau routier
français est le premier d’Europe. Le réseau ferré à grande vitesse est
le deuxième plus performant.
La France bénéficie d’une forte reconnaissance pour ses aéroports.
En 2013, l’ACI (Airports Council International, Conseil international
des aéroports) classe Roissy Charles-de-Gaulle deuxième aéroport de
passagers après Heathrow et premier aéroport de fret d’Europe.
En 2014, deux ports français, Marseille et Le Havre, arrivent
sixième et huitième ports d’Europe en tonnage.
La France dispose aussi d’un domaine maritime exceptionnel,
encore sous-exploité, avec sa bande côtière, ses mers et ses trois
océans. Un exemple : le Cotentin. Entre la pointe nord-ouest de la
presqu’île et l’île d’Aurigny, se trouve le Raz Blanchard, « deuxième
meilleur spot au monde pour la production d’électricité », selon
François Piquet, directeur général d’Ouest Normandie Energies
7
marines . La différence brutale de profondeur y accélère le débit des
courants marins, qui peuvent atteindre la vitesse de douze nœuds, et
forme des tourbillons si puissants qu’ils font blanchir l’écume à la
surface de la mer. Des champs d’hydroliennes y verront le jour, mille
cinq cents à terme, avec des milliers d’emplois à la clé.
Au total, le domaine maritime de la France, métropolitaine et
d’outre-mer, compte onze millions de kilomètres carrés ; il est le
deuxième au monde après celui des Etats-Unis, et le premier par sa
diversité, avec les perspectives économiques qui vont avec : dessalage
des eaux, culture d’algues marines, élevage de poissons, extraction de
métaux… Xavier Louy, auteur de Parlons France 8, écrit que la France,
grâce à son immense territoire planétaire, maritime en particulier, et
à ses savoir-faire technologiques, peut prétendre à une des premières
places mondiales à l’horizon 2050 en matière économique. Trop
optimiste ? L’objectif nécessite un investissement colossal, mais le
potentiel est là, semble-t-il.
La France représente aussi le deuxième marché d’Europe avec
plus de 65 millions d’habitants et une démographie qui croît
avantageusement.

Allemagne-France
9
Un article publié dans The Daily Telegraph et traduit par le
magazine Courrier international 10 compare les économies allemande
et française. Contre toute attente, le quotidien britannique conclut
que la France pourrait doubler l’Allemagne d’ici 2024 et même
dominer l’Europe continentale. « La France est perçue comme
l’homme malade de l’Europe, mais les problèmes de l’Allemagne sont
plus profonds, enracinés dans le dogme mercantile, la glorification de
l’épargne pour son propre compte et la psychologie corrosive du
vieillissement », avertit ce journal, qui cite analyses et spécialistes,
notamment l’un des meilleurs économistes allemands, Marcel
Fratzscher, directeur de l’Institut allemand pour la recherche
économique et auteur de Die Deutschland-Illusion (« l’illusion
allemande »). « L’Allemagne se considère comme le modèle à suivre
dans le monde, mais après l’orgueil vient le déclin », écrit Olaf
Gersemann, rédacteur en chef des pages économiques du quotidien
d’outre-Rhin Die Welt et auteur du livre Die Deutschland-Blase (« la
bulle Allemagne »). « Depuis des décennies, les erreurs en matière de
politique publique se succèdent, constate The Daily Telegraph. Les
impôts et les structures sociales ont engendré la chute du taux de
fécondité du pays. Le manque d’investissement a aggravé cet état de
fait. D’ici cinq ans, il est évident que l’Allemagne se trouvera dans une
situation grave et qu’un budget équilibré ne lui sera pas suffisant
pour se défendre. »
En France, il est de bon ton de brandir l’exemple allemand à tout
bout de champ comme réponse à tous nos soucis. Lorsque Chantal
Jouanno, sénatrice UDI, a tweeté en avril 2013 : « Le PS accuse
l’Allemagne d’être responsable de notre effondrement. Jaloux de ne
pas avoir le courage de mener les réformes de nos voisins », je lui ai
demandé : « Pouvez-vous aller au-delà de la formule et détailler les
réformes allemandes réellement déclinables en France ? » J’attends
toujours la réponse.
L’Allemagne fait-elle donc mieux que la France en matière
économique ? Difficile de tirer des conclusions claires, car les
indicateurs se contredisent. « La France aligne une administration-
cigale mais des administrés-fourmis, écrit L’Expansion 11. En effet,
lestée d’une dette publique de 2 000 milliards d’euros, elle fait porter
à chaque citoyen une ardoise d’environ 30 000 euros, mais chacun
d’eux en moyenne dispose, à force d’épargne, d’une richesse
immobilière et financière légèrement supérieure à 100 000 euros, soit
7 % au-dessus des Allemands. » Odile Chagny, coauteure du livre
Faut-il suivre le modèle allemand ? 12, nuance aussi son analyse quant
aux performances des deux pays : « D’un côté, la France propose un
modèle de cohésion sociale et de plus grande homogénéité de sa
société par rapport à l’Allemagne. D’un autre, l’Allemagne, toute-
puissante économiquement, domine l’Europe à presque tout point de
vue. Ses performances en matière d’emploi ou de compétitivité sont
incontestables. Mais cette obsession actuelle qui consiste à regarder
ce qui se passe chez nos voisins d’Outre-Rhin au vu de ses
performances économiques renvoie à une autre obsession, celle du
benchmarking. » En calquant le modèle allemand, quitte à tirer le
nôtre vers le bas, beaucoup espèrent atteindre de meilleures
performances. L’Allemagne serait donc la référence ultime en matière
économique, le seul modèle déclinable dans l’Hexagone ? « Le
problème est qu’on omet de souligner que les inégalités salariales
s’accroissent outre-Rhin, que la pauvreté augmente, que la population
est vieillissante, contrairement à celle de la France, ajoute Odile
Chagny. Il faut cesser de regarder uniquement de ce côté et prendre
conscience que tout n’est pas exportable, car cela dépend d’équilibres
complexes et du contexte du territoire, de l’histoire institutionnelle et
culturelle et des contraintes propres à chaque pays. »
Le modèle allemand comporte aussi ses zones d’ombre. Rappelons
encore la démographie apathique de nos voisins : avec environ 1,3
enfant par femme contre deux en France, quand notre pays gagne
5 millions d’habitants en une quinzaine d’années, l’Allemagne en perd
plusieurs centaines de milliers.
D’autre part, les « minijobs », comme on appelle là-bas les contrats
de travail à très bas salaires, sortis du chapeau de Gerhard Schröder,
alors chancelier, ont accru la précarisation d’une partie de la
population allemande, car ils n’offraient, jusqu’à il y a peu, aucune
garantie de rémunération ni de sécurité d’emploi, et ne permettaient
d’ouvrir qu’un faible niveau de droits à la retraite. Aujourd’hui, le
montant minimum de rémunération garantie pour un minijob s’élève
à 450 euros par mois et, depuis l’instauration du salaire minimum
outre-Rhin, le nombre d’heures est plafonné à 53 heures par mois –
l’équivalent du Smic français lancé après guerre n’a été, en effet, créé
que début 2015 en Allemagne ; auparavant, il n’existait aucun
minimum garanti.
« En France, poursuit Odile Chagny, ce qui est marquant, c’est la
volonté de maintenir implicitement un contrat social fort, de refuser
de “déshomogénéiser” et de laisser faire, afin de ne pas accroître les
inégalités en matière de rémunérations ou de fiscalité par exemple.
Le débat qui monte outre-Rhin à présent [en 2015] montre que la
politique économique allemande est allée si loin qu’elle a entraîné des
écarts considérables entre les couches de la population. Il faut à
présent fixer des normes minimales et instaurer des règles qui
permettent de construire ou reconstruire une cohésion sociale
profondément altérée là-bas. »
Finalement, est-ce une bonne chose d’obtenir la première place
économique en Europe au prix d’une cohésion nationale durement
acquise ? Ne faudrait-il pas renoncer à être sur le podium en misant
plutôt sur l’avenir du pays ?
« Réformons le modèle social français, car il nuit gravement à la
santé de l’Hexagone », tel est le mot d’ordre des déclinologues.
Pourtant, l’hebdomadaire britannique The Economist, journal
considéré comme l’un des plus libéraux du monde, qui prône la
dérégulation, se moque du dirigisme, des lois sociales et des
entreprises publiques tricolores, a célébré en 2009, une fois n’est pas
coutume, le modèle économique et social français en titrant son
enquête « Vive la différence ! » 13, en français s’il vous plaît. Ce qu’il
considérait jusque-là comme un handicap aurait permis à la France
d’amortir la crise financière de 2008 et constituerait un formidable
atout.
La même année, d’autres organes de presse, à l’instar de Time ou
de Newsweek, deux magazines américains, se sont enflammés sur le
même thème, vantant les bons côtés de notre pays et de son système,
« Le dernier modèle qui marche, la France », soulignant notamment
que l’Hexagone résiste mieux à la crise que ses voisins. « On dit que
notre modèle social est notre talon d’Achille, constate Odile Chagny,
car il alourdit l’économie, mais des signes montrent que cela peut
être payant. On voit que le pays favorise une sorte de résilience,
privilégie l’équilibre et la cohésion. En revanche, ce qui est frappant,
c’est de constater que les Français se sentent malheureux dans ces
conditions… » Peut-être parce que, masquant les points positifs, les
classements internationaux qui se succèdent pèsent sur le moral de la
nation. Or ces résultats, repris par des « intellectuels » toujours
prompts à se saisir d’arguments qui soutiennent leur parole libérale,
déforment la réalité. Le magazine L’Expansion 14 fait remarquer que,
teintés d’a priori idéologiques, « ces classements réputés ne reposent
sur aucune méthode scientifique. Et pas de chance, leur
méthodologie pénalise injustement la France ». Et de citer plusieurs
exemples édifiants tels que celui du World Economic Forum où « la
compétitivité de la France est plombée par des enquêtes… d’opinion.
[…] la moitié de la note finale », et cela sur la base de seulement
quatre-vingts personnes interrogées par écrit ! Pas vraiment sérieux,
donc. Autre classement biaisé, celui de Shanghai sur la recherche, qui
« fait la part belle aux pays anglo-saxons [car] ils ne prennent pas en
compte le CNRS, pourtant au premier rang mondial pour les
publications scientifiques ».

La France qui bouge


Odile Chagny souligne par ailleurs que des institutions telles que
l’OCDE publient nombre d’études qui montrent clairement que les
inégalités pénalisent la croissance d’un pays. « Ces analyses mettent
en évidence les effets néfastes des disparités économiques, assure-t-
elle. Les responsables politiques français ne le soulignent jamais. Je
constate qu’ailleurs en Europe ils ne s’embarrassent pas de scrupules
pour encenser leur modèle alors qu’en France on passe son temps à le
dénigrer. »
Mais des voix s’élèvent pour contrer le mouvement. Le magazine
L’Expansion 15 cite Robin Rivaton, auteur du livre La France est prête,
16
nous avons déjà changé , selon qui les Français, plutôt bons lors de la
première mondialisation (1870-1914), et pas fameux dans la
deuxième (1989-2020), feront un malheur au cours de la troisième.
Explication : « La diffusion à grande échelle des nouvelles
technologies va détruire beaucoup d’emplois manufacturiers.
L’expertise et la discipline “à l’allemande” du monde industriel
compteront moins, au bénéfice de l’inventivité, de la dextérité, de la
curiosité, voire de l’individualisme. Le cadre idéal, pour l’ingénieur
français, désormais capable de vendre ses innovations, ou pour le
self-made-man américain. »
En illustration, voici un exemple de réussite locale, qui donne une
image en réduction de ce que pourrait être l’avenir du pays. Coincée
entre Rennes et Laval, l’agglomération de Vitré, avec ses 18 000
habitants, ne fait a priori pas le poids. Pourtant, largement inférieur à
la moyenne nationale, le taux de chômage de la ville est aussi le plus
faible de Bretagne. Depuis un quart de siècle, nombre d’entreprises et
centres de recherche s’y implantent. La politique économique portée
par Pierre Méhaignerie, maire centriste de la ville depuis 1977 et
président de l’agglomération, vise l’excellence en matière
d’attractivité. Depuis sa prise de fonction, il sillonne l’Ile-de-France
pour inciter les entreprises à s’installer à Vitré. C’est ainsi que le
groupe d’assurances Molitor a déplacé une part de ses activités en
Bretagne. Pour accueillir les entreprises, l’agglomération a financé les
bâtiments. Pour faciliter les démarches des employeurs et des
demandeurs d’emploi, elle a regroupé tous les organismes chargés de
l’emploi et des entreprises, dont le Pôle Emploi, dans une seule
structure, et nommé un directeur et un président entrepreneur pour
l’ensemble. Pour aller plus loin encore, le territoire poursuit son
marketing territorial forcené. Et ça paie. « En France, nous avons
beaucoup d’atouts, plus qu’aucun autre pays, me déclarait le maire de
Vitré lors d’une interview pour le magazine L’Express 17. L’avenir
dépend de nous-mêmes et non des autres. Il faut pouvoir
expérimenter et moduler les actions au niveau local afin d’apporter
des réponses propres aux réalités de terrain. En fusionnant les
structures d’emploi, on a amélioré la visibilité et fait de sacrées
économies. La qualité des services est remarquée. Nombre de villes
nous rendent visite. Même au plus fort de la crise, notre
agglomération a eu le taux de création d’emploi le plus rapide. »
Certaines mesures lancées récemment par le gouvernement
auront-elles un impact aussi positif sur la compétitivité de la France ?
Le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) a permis
une baisse du coût du travail – souvent souligné comme le point
faible français – de 6 %, « et le coût horaire du travail dans l’industrie
est désormais inférieur à celui de l’Allemagne », note L’Expansion 18. Le
magazine ajoute : « Le nombre d’emplois industriels créés en France
[en 2014] est même supérieur à l’Allemagne, 5 827 contre 5 090. »
Le site du ministère des Affaires étrangères rappelle que, d’après une
étude du cabinet KPMG publiée en 2014, en France « le coût global
de la main-d’œuvre (salaires et charges obligatoires) en moyenne par
employé est inférieur à celui du Japon, des Etats-Unis ou de
l’Allemagne. De même, les coûts d’implantation et d’exploitation sont
moins élevés en France qu’en Italie, au Japon, aux Etats-Unis ou en
Allemagne ». Xavier Niel explique au journaliste du Parisien 19 que
« ça coûte moins cher d’embaucher un ingénieur en France qu’aux
Etats-Unis, toutes charges incluses, parce que le salaire américain est
bien plus élevé ». Selon le cabinet EY, le coût du travail dans
l’industrie est redescendu légèrement sous celui de l’Allemagne en
2014. Bref, pour Nicolas Véron, l’économie française a un potentiel
de rebond élevé. « Il y a une véritable envie de bouger en France qui
commence à porter ses fruits », conclut-il.

1. Les Echos, 8 janvier 2015.


2. International Monetary Fund, janvier 2014.
3. Libération, 7 août 2014.
4. Society, mars 2015.
e
5. Thomas Piketty, Le Capital au XXI siècle, Le Seuil, 2013.
6. Le 1, 9 avril 2014.
7. L’Expansion, novembre 2014.
8. Xavier Louy, Parlons France, Le Cherche midi, 2014.
9. The Daily Telegraph, 8 octobre 2014.
10. Courrier international, 9 octobre 2014.
11. L’Expansion, novembre 2014.
12. Christophe Blot, Odile Chagny et Sabine Le Bayon, Faut-il suivre le modèle allemand ?, La
Documentation française, 2015.
13. The Economist, 7 mai 2009.
14. L’Expansion, novembre 2014.
15. L’Expansion, novembre 2014.
16. Robin Rivaton, La France est prête, Manitoba / Les Belles Lettres, 2014.
17. L’Express, hors-série octobre-novembre 2014.
18. L’Expansion, 27 mai 2015.
19. Le Parisien, 23 octobre 2014.
« Il est impossible
d’entreprendre
en France » ?

FAUX !
En France,
l’entrepreneuriat
a le vent en poupe

« Je veux en finir avec l’idéologie qui met l’entrepreneur au ban


de la société. […] Je veux promouvoir l’esprit d’entreprise, qu’il
redevienne une valeur. Je veux donner à l’entrepreneur les moyens
d’entreprendre » : voilà comment Nicolas Sarkozy parlait en
septembre 2007 de l’entrepreneur, sorte de paria en son pays. Loin
d’être le seul à véhiculer ce message, le président de la République
d’alors ne faisait que répéter ce qu’une bonne partie de la société
française croyait et croit encore dur comme fer. Que penser de cette
prétendue « idéologie » ? Repose-t-elle sur des faits ?
En 2014, d’après les données de 2011 d’Eurostat, la France est le
premier pays d’Europe pour les créations d’entreprises. En 2013, plus
de 538 000 entreprises ont été créées en France selon les chiffres
2014 de l’Insee. Des personnalités immergées dans la France qui
bouge, qui s’active, qui agit, osent enfin témoigner du dynamisme
français en la matière. « La petite musique qu’on entend c’est : “la
France, c’est mort, Paris, c’est fini…”, déclarait Xavier Niel 1, dirigeant
français de premier plan. Ça fait trente ans que j’ai une vie
professionnelle, ça fait trente ans que la France est en crise… Mais
qu’est-ce que je vois en réalité ? Des gens capables de créer des
entreprises de niveau mondial […]. La France est un pays où les
choses vont plutôt bien, c’est un pays fantastique pour créer sa
boîte. »
Un autre grand patron, Vincent Bolloré, président du groupe du
même nom, rebondit : « On a connu des guerres, des révolutions, des
disputes, lance-t-il au micro de France Inter 2. Moi je suis très
optimiste pour la France, je vois d’ailleurs […] un certain nombre de
gens qui sont en train de se lever en disant “on en a assez”, “on va
créer des choses”, je suis tout à fait optimiste sur l’avenir de la
France. » Autre chef d’entreprise emblématique, Marc Simoncini,
fondateur du célèbre site Meetic, déclarait récemment sur France 2 3 :
« Les Français ont le culte de la démerde. Les jeunes peuvent créer
des entreprises en France. On a notamment un des écosystèmes les
plus incroyables dans le numérique européen. »
Des jeunes entrepreneurs âgés de dix-huit à quarante ans, de tous
horizons et de toute la France, j’en interviewe à la pelle depuis des
années afin qu’ils témoignent de leur expérience de la création.
Désolé de décevoir les râleurs mais, parmi eux, aucun n’a évoqué la
difficulté de créer une entreprise en France ni même la lourdeur
administrative qu’ils dénoncent. « Le montage de notre entreprise
s’est révélé beaucoup plus simple que ce qu’on croyait, raconte Ronan
Coiffec, cofondateur en 2013 du studio de développement OSome
Studio (créateur du jeu vidéo White Night), lauréat du prix du
meilleur jeu PC et console et du meilleur projet au Game Connection
Europe. En un mois c’était réglé. Et facilement. Oui, on peut créer en
France ! »
Même son de cloche avec Guillaume Caboche, vingt-cinq ans,
cocréateur en 2013 de Pandacraft, une maison d’édition pour enfants.
« Contrairement à ce qu’on entend, c’est très simple de créer une
société, explique-t-il. Tout est faisable en ligne, par exemple. »
Autre témoignage, celui de deux entrepreneurs trentenaires,
cofondateurs d’une entreprise de jeux éducatifs et de deux autres
marques, l’une de produits dérivés de la capoeira et l’autre du
football, récompensés par de nombreux prix pour leur respect des
principes d’un commerce équitable. Une partie de la fabrication, dont
l’un s’occupait, était réalisée dans une imprimerie en France. Mais
l’essentiel de la production était au Pérou, où vivait l’autre au
moment de l’interview. D’après ces jeunes créateurs, l’entreprise
aurait été impossible s’il n’avait pas été sur place pour régler les
problèmes bureaucratiques, parfois compliqués de problèmes de
corruption. Quand ils entendent dire que c’est difficile de créer une
entreprise en France, ils conseillent à leurs interlocuteurs d’aller voir
comment ça se passe ailleurs. Un commentaire, parmi d’autres que
j’ai recueillis sur ce thème.

Salauds de patrons ?
On ne sait pas bien de quoi on parle quand on évoque les
entrepreneurs ni quelle réalité recouvre les vocables « patron », « chef
d’entreprise », « dirigeant » ou « créateur de boîte ». Une certitude en
revanche – la vox populi le dit, et les médias le répètent –, les Français
ont un préjugé négatif à l’encontre de leurs entrepreneurs, victimes
d’un véritable désamour de la part de leurs compatriotes.
Au détour d’une conversation, j’ai saisi ce propos, qui en relayait
d’autres comme une évidence : « Le succès fait peur, alors que
l’entrepreneur est quelqu’un qui a su démontrer ses capacités : on
sent une certaine jalousie. » Ce genre de commentaire est-il nourri de
l’expérience ou s’agit-il d’une simple extrapolation ? A ressasser un
ouï-dire, ne risque-t-on pas de lui donner la force d’une vérité ? Les
Français n’aiment pas les entrepreneurs. Ils les jalousent même. C’est
devenu un fait.
Xavier Niel corrige le cliché. A la question « Que pensez-vous de
l’image des patrons ? » posée par Le Parisien 4, il répond : « Les
Français aiment leur patron, mais pas le patronat. En France, il y a un
capitalisme un peu consanguin. On a fait les mêmes écoles, etc. Cela
laisse penser qu’un certain nombre de gens sont exclus. Quand vous
prenez des gens sans emploi, aux Etats-Unis, ils disent : “Je vais
retrouver un job, créer ma société.” En France, ils se disent : “Je suis
mauvais, je ne vais pas m’en sortir.” L’idée, c’est de faire émerger des
jeunes qui réussissent et qui deviennent des exemples. Créer une
nouvelle exemplarité qui fasse boule de neige. »
Le prétendu désamour des Français pour leurs entrepreneurs
relèverait donc surtout d’une méconnaissance ou d’une
représentation faussée du monde de l’entreprise. Illustration :
Stéphanie Maubé, trente-cinq ans, ex-graphiste, est éleveuse de
moutons de prés-salés au Mont-Saint-Michel ; Tanguy Le Rolland,
trente-huit ans, ex-ingénieur chimiste, paysan boulanger, moud sa
farine lui-même sur une meule de pierre… Sont-ils, au titre de
créateur de leur entreprise, l’égal de Vincent Bolloré, dont le groupe
est un mastodonte de l’industrie et des médias ?
Autre cliché dont la récurrence est suspecte : par essence, le
système français veut la peau des entrepreneurs. Faisons un détour
par le Québec, le temps d’un sourire. François Cardinal, journaliste et
chroniqueur du quotidien canadien La Presse 5, a intitulé un de ses
billets d’humeur : « Je ne voudrais pas être commerçant à
Montréal… » « En fait, explique-t-il, je ne voudrais pas être un petit
commerçant à Montréal. Un commerçant qui prend des risques avec
son argent, qui veut participer à l’animation de la ville, qui ne
regarde pas à la dépense pour embellir sa devanture. Bref, je ne
voudrais pas être un petit commerçant qui a de l’initiative, tout
simplement parce que je passerais mon temps à me battre contre la
bureaucratie toute-puissante de Montréal, qui semble avoir comme
objectif d’enterrer les gens d’affaires sous la paperasse, les règlements
et les frais de toute sorte. Histoire que rien ne retrousse (sic), nulle
part, jamais. » Tiens, tiens… Le lobbying idéologique essaie pourtant
de nous faire croire que tout cela n’arrive qu’en France.
Ce genre de critiques est d’abord relayé sur les réseaux sociaux
puis repris avec délice par les médias. Une tribune titrée « Barrez-
vous » a ainsi circulé sur le Net en 2012. Le mouvement est né dans
la foulée de celui des « Pigeons » puis des « Poussins », et ainsi de
suite, initié par des jeunes et/ou des entrepreneurs contestataires, qui
lancent la mobilisation contre la politique fiscale, la perte de
compétitivité du pays, « toutes les lois qui empêchent d’avancer », etc.
Ce discours négatif peut être l’expression d’une mauvaise expérience
vécue, mais il est repris et déformé chaque jour par d’épuisants
chroniqueurs et éditorialistes économiques, qui en font un des
creusets du pessimisme ambiant.
Les forces vives quittent la France – mais combien fuient,
exactement ? – pour s’installer ici ou là, à Montréal (mauvaise pioche,
semble-t-il), à Londres, à Sydney, à Shanghai ou à New York. Dans
toutes les contrées paradisiaques qui leur tendent les bras. Dans ces
pays où l’on aime l’entrepreneuriat, où la réussite est bien vue, « pas
comme chez nous, ma brave dame… ». Certains en profitent pour
régler leurs comptes professionnels ou personnels avec le pays. Pour
reprendre un autre cliché, n’est-ce pas « très français » de mettre sur
le dos du collectif nos manquements ou insatisfactions ? Mais on a vu
que ce travers est assez répandu dans le monde… Et les Français qui
pensent à « se barrer » devraient regarder de plus près quelles sont
les véritables conditions de lancement d’une entreprise en France.

Les Français entreprennent


Pour réagir à ce discours qui a fini par ternir durablement l’image
de la France au-delà des frontières, un collectif d’entrepreneurs
français a lancé en 2015 l’opération « Reviens, Léon ». Objectif : lutter
contre le French bashing pratiqué par leurs homologues. BlaBlaCar,
Drivy, showroomprivé.com, Sigfox et une poignée d’autres start-up
françaises qui ont le vent en poupe s’engagent ainsi pour inciter au
retour au bercail des talents expatriés.
Au cours de la conférence de presse organisée pour le lancement
du programme, Frédéric Mazzella, fondateur et président de
6
BlaBlaCar, déclarait : « L’écosystème des start-up françaises a
complètement changé ces dernières années. Il y a aujourd’hui de
superbes boîtes en pleine expansion internationale. Elles ont besoin
des meilleurs pour réussir, et les Français font justement partie des
meilleurs. » En réponse à un journaliste de France 2 7, il expliquait :
« La situation actuelle décuple les forces, finalement, la France
innove, elle exporte », avant d’ajouter, sans pour autant nier les
aspects compliqués de la création ou de la gestion d’une entreprise :
« Se plaindre, c’est un prétexte à l’inaction. » Mais « développer une
société, développer de l’activité, c’est compliqué partout ! » rappelait-
il. Ce n’est donc pas, selon Frédéric Mazzella, plus difficile ici
qu’ailleurs. « La France est un très beau pays, connu à l’international,
constate-t-il. Ça ouvre des portes. On a de très bons talents, car on a
de très bonnes écoles. Beaucoup nous envient nos formations. » Et
d’insister sur la réussite de certaines start-up françaises devenues de
véritables empires. « Ce pays est fantastique et permet à ses enfants
de réussir et s’en sortir, renchérit Xavier Niel dans l’émission Des
paroles et des actes 8. Ce qu’il est m’a donné ma chance. »
Les Français seraient même de moins en moins hermétiques à
l’idée de créer leur activité, et ne craignent pas de se lancer dans
l’entrepreneuriat, contrairement aux préjugés. Par choix ou par
obligation, fini la carrière pépère et perpétuelle dans la même
entreprise, le même grand groupe ou la même administration. « Les
atouts de la France, explique Nicolas Véron, en matière de créativité,
d’entrepreneuriat et d’initiatives avantagent le pays, ces critères étant
d’autant plus importants dans une économie qui est basée à la fois
sur l’invention et l’innovation. L’autre bonne nouvelle, c’est que
l’Hexagone dispose de nombre de champions nationaux qui se
classent bien dans le panorama mondial des entreprises,
contrairement au discours qui veut que “tout fout le camp”. »
L’un d’entre eux, le Montpelliérain Mohed Altrad, prix mondial de
l’entrepreneur 2015 décerné par le cabinet international EY, tient à
dire, dans le journal Midi Libre 9, « que la France […] possède
d’énormes ressources. Et qu’il faut lui faire confiance ». D’après les
calculs réalisés par l’économiste Nicolas Véron et mis en lumière par
10
le magazine L’Expansion , parmi les cinq cents premières
multinationales du monde figurent trente entreprises françaises (dont
les poids lourds Danone, Airbus, Vinci, LVMH, Axa, L’Oréal, Essilor,
JC Decaux…), ce qui représente 6 % du total alors que la France
n’occupe que 1 % de la superficie du globe et pèse moins de 4 % du
PIB mondial. Une force de frappe, sur le marché économique
international, qui a peu d’équivalents, en Europe ou à travers le
monde. « Et ces groupes conquièrent des marchés partout dans le
monde », précise l’économiste. N’oublions pas, par ailleurs, les plus
de trois millions de PME qui créent l’essentiel de la richesse du pays.
L’entrepreneuriat est de mieux en mieux accompagné. Des
soutiens en tous genres pullulent : les business angels, ces
investisseurs qui chouchoutent les créateurs, le crowdfunding, système
de collecte de fonds via le Web qui met en lien apporteurs d’idées et
investisseurs potentiels, les aides de la Banque publique
d’investissement (BPI) ou de collectivités, le crédit d’impôt recherche
que propose l’Etat, un niveau d’incitation fiscale sans égal en Europe,
et tout un tas d’autres mesures. Nombre d’occasions pour favoriser les
initiatives en matière de recherche et développement ou de création.
Et autant d’opportunités prometteuses pour l’avenir de l’Hexagone.
Quelques autres points que relève Business France, l’opérateur
public national au service de l’internationalisation de l’économie
française, prennent à rebrousse-poil les idées reçues : en 2013, la
France a occupé le sixième rang mondial pour le dépôt de brevets
internationaux, d’après l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI) ; par ailleurs, le pays est le mieux représenté au
classement Deloitte Technology Fast 500 EMEA 2014, avec quatre-
vingt-six entreprises parmi les cinq cents du secteur technologique les
plus performantes des pays d’Europe, du Moyen-Orient et de
l’Afrique, et cela pour la quatrième année consécutive. D’autre part, la
France est le premier pays d’Europe dans le top 100 des entreprises
les plus innovantes du monde en 2014, selon l’agence de presse
Thomson Reuters. Enfin, d’après l’INSEE, la grande majorité des
nouveaux entrepreneurs déclarent avoir franchi le cap avant tout
pour créer leur propre emploi.
Finalement, « les Français partent de très loin, mais ils semblent
désormais complètement ouverts à l’entrepreneuriat, se réjouit Robin
Rivaton 11. En l’espace de dix ans, ils sont passés de la défiance sociale
à la romance économique ». A force de dire ou de croire que la
France maltraite ses entrepreneurs ou freine la créativité, le pays se
serait-il mobilisé pour combler ses failles, au point de dépasser à
terme dans ce domaine ses voisins européens les plus friands
d’entrepreneuriat ?
Une enquête de l’APCE (Agence pour la création d’entreprises)
réalisée fin 2012 montrait que « 30 % des Français souhaitent créer
ou reprendre une entreprise un jour, dont 5 % ont déjà réfléchi à un
projet qu’ils souhaitent mettre en place dans les deux ans ». A la
question « Si vous en aviez la possibilité, auriez-vous envie
d’entreprendre, c’est-à-dire de créer votre propre entreprise ? » posée
en 2015 dans le cadre du baromètre Idinvest-Le Figaro réalisé avec
Viavoice, la moitié des Français âgés de dix-huit à vingt-quatre ans
répondent oui contre environ un tiers de l’ensemble des Français ;
13 % d’entre eux ont même un projet concret. Sur près de
540 000 entreprises créées en 2013, près de 275 000 le sont sous le
régime autoentrepreneur. Pourquoi l’autoentrepreneuriat ? Selon la
plupart des témoins rencontrés, le statut, dégagé des lourdeurs
administratives, offre beaucoup de souplesse.
Il y a aussi les aides en tous genres, dont les jeunes que
j’interviewe se réjouissent unanimement.
L’un d’eux, Viviane Dedje, vingt-neuf ans, a décidé de se mettre à
son compte en 2010 après plusieurs postes dans l’immobilier et le
prêt-à-porter. Elle a ouvert un salon de coiffure et de cosmétique
multiethnique dans le quartier populaire des Minimes, à Toulouse. A
la Mission Locale, où elle s’est rendue après avoir démissionné, on l’a
orientée vers le dispositif CréaJeunes. « En plus du soutien
administratif et financier pour monter mon dossier, j’ai reçu une aide
morale bien utile, surtout pendant les moments difficiles, témoigne-t-
elle. Par ailleurs, j’ai suivi quatre mois de formation collective et de
tutorat qui m’ont permis d’affiner mon projet. J’ai obtenu un
microcrédit d’un montant de 4 500 euros auprès de l’Adie
(Association pour le droit à l’initiative économique). Ensuite, j’ai
gagné le concours DéfiJeune de la région toulousaine et obtenu le
deuxième prix du concours Deviens ton boss ! organisé par l’Adie. »
Autre exemple, autres structures d’aide. Lauréate du prix Femmes
d’avenir du concours Jeunes entrepreneurs créateurs de la région
bordelaise, une jeune femme de vingt-neuf ans, passionnée par le
travail du bois, a monté sa boîte en 2011. Dans son atelier, à
Bordeaux, elle restaure des meubles anciens dans la plus pure
tradition. Elle reconnaît volontiers avoir bénéficié de conseils et du
soutien de la Chambre des métiers pour monter son dossier. Elle a
ainsi découvert la pépinière d’entreprises dans laquelle elle a pu
obtenir un atelier de trente mètres carrés à loyer modéré qui lui offre
la possibilité d’utiliser un véhicule électrique dans lequel elle peut
transporter ses meubles. Un service administratif y est à la disposition
des créateurs. L’ensemble de la structure permet aux entrepreneurs de
limiter leurs investissements.
A la question « Avez-vous été aidé ? », Toumany Sané, trente ans,
fondateur d’un garage en Picardie, a répondu avec beaucoup
d’enthousiasme : « Oui, beaucoup ! La mairie m’a proposé de me
louer des locaux à prix raisonnable. Par ailleurs, j’ai décroché un prix
dans le cadre du concours Talents des cités, un chèque de
2 000 euros. C’est l’accompagnement par la BGE (Boutique de
gestion pour entreprendre) qui a incité la banque à me suivre. »
Autre exemple : fleuriste de formation, Emilie Goyer, vingt-neuf
ans, a repris un fonds de commerce à Viry-Châtillon, dans l’Essonne,
en 2012 et créé Flora Naturalia. « France initiative, Chambre de
Commerce (CCI), chambre des métiers… beaucoup de structures
accompagnent les repreneurs, observe-t-elle. J’ai découvert des tas
d’aides, notamment des facilités de crédits au lancement et des
moyens offerts pour gérer les aspects comptables. »
Dernier témoignage, celui d’Aurèle Charlet, vingt-cinq ans. Il est
un des cinq ingénieurs passionnés par les sports de glisse et le travail
du bois qui ont créé In’Bô, une boîte spécialisée dans la fabrication
d’équipements sportifs, et chouchoutée par les collectivités
vosgiennes : « Nous sommes soutenus par le Pôle d’Excellence Rurale
“Terre de Hêtre”, basé près d’Epinal, parce que notre projet a suscité
l’enthousiasme dans la région, ce qui nous a finalement incités à nous
y implanter. »

La France des territoires à la pointe


C’est dans les territoires ruraux ou les petites et moyennes villes
que la France regorge d’initiatives, là aussi contrairement aux idées
reçues. « On voit émerger les projets partout dans le pays, assure
Claire Lelièvre, maire de Courcelles-sur-Aujon, un village de Haute-
Marne, et directrice adjointe de Village, un magazine qui explore la
France active en long, en large et en travers. Ils émanent d’acteurs
multiples, d’entreprises du secteur privé ou public, d’associations et
de mouvements de l’économie sociale et solidaire, de collectivités,
d’institutions telles que les chambres de commerce, des métiers ou de
l’agriculture, qui travaillaient autrefois isolément. Tous se retrouvent
sur un territoire, véritable creuset de l’innovation, autour d’intérêts
communs. »
Ces liens noués plus facilement favorisent les expériences
inédites : « Des salariés de petites entreprises participent par exemple
à des programmes de formation mis en place par de grandes boîtes,
poursuit-elle. Des communes cofinancent des “fab lab” [laboratoires
de fabrication], ces systèmes de copie en 3D. Si quelqu’un a besoin de
remplacer le bouton cassé d’un appareil ménager par exemple, il peut
s’y rendre et obtenir la prestation. En plus du service rendu, comme
jadis l’atelier du maréchal-ferrant, ces lieux sont propices aux
rencontres et entretiennent la sociabilité. » Bref, le pays ne manque ni
de vitalité, ni de richesse, ni de dynamisme. Toutes les initiatives
contribuent au développement économique local, à l’émergence de
nouveaux savoir-faire. « La France déborde d’énergie ! insiste Claire
Lelièvre. Mais, pour s’en rendre compte, il faut couper le flux de
mauvaises nouvelles, qui plombe la population. »
Alexandre Jardin, le célèbre romancier, croit dur comme fer que la
France a « une des populations les plus entreprenantes du monde,
dans la sphère privée comme dans l’économie sociale et solidaire ».
C’est pourquoi il est à l’initiative du mouvement citoyen Bleu Blanc
Zèbre. Son mot d’ordre : « Agissons et réenchantons le pays. »
Comme d’autres, il pense que la France va se reconstruire par le bas,
c’est-à-dire grâce à ses citoyens. Petites villes, bourgs, ruralité, tout le
monde s’adapte, semble-t-il, aux nouvelles donnes, et surmonte les
angoisses inspirées par les bouleversements économiques en prenant
la main. « Il y a quelque chose d’intensément vivant dans notre
culture française, fait remarquer l’écrivain, qui résiste à un étatisme
fou ou à une technostructure qui a tendance à tout dicter et à tout
édicter, normes, obligations légales, etc. Face à cela, il y a quelque
chose qui ne veut pas crever et se réveille aujourd’hui ! C’est dans
l’esprit français de ne pas accepter la fatalité. On l’a déjà constaté à
plusieurs reprises au cours de notre histoire. »
Le mouvement des Zèbres a pour objectif de fabriquer des
bouquets de solutions, portés par la société civile et les élus locaux, à
des problèmes de toutes sortes. « Deux personnes ont par exemple
imaginé le compte Nickel, poursuit Alexandre Jardin, destiné aux
2,5 millions de gens qui n’ont pas de compte en banque ou qui voient
leur compte gelé. C’est on ne peut plus simple à mettre en place. Il
suffit d’aller chez un buraliste, de faire scanner sa carte d’identité, de
donner 20 euros chaque année et on repart avec sa carte de
paiement. Cela a ainsi permis à des exclus de posséder une carte et
d’obtenir un RIB (Relevé d’identité bancaire). » En un an, près de
cent vingt mille comptes ont vu le jour. Autres exemples : « Trois
cents épiceries solidaires se sont montées partout en France. Des
fournisseurs d’accès Internet associatifs permettent de couvrir les
zones blanches, ce qui évite à certains d’avoir à déserter le territoire.
Des mutuelles de village à très bas coût s’adressent à des populations
paupérisées, ce qui, en plus, réveille l’esprit mutualiste français. »
L’initiateur du mouvement Bleu Blanc Zèbre part du principe
qu’on impulse toujours plus d’initiatives en impliquant toujours plus
de monde. « Il y a une capacité forte dans le pays à raisonner en
dehors du cadre, soutient-il. Quand quelque chose ne fonctionne
plus, il y a toujours une personne dans son coin qui imagine un
système alternatif. Il faut mobiliser le plus d’énergie possible pour
remettre en ordre de bataille le collectif afin d’agir avec plus de
vigueur. Quand vous entrez en action, vous fédérez. La seule manière
de retrouver la vitalité, ce n’est pas de faire des think tanks
(laboratoires d’idées) mais de faire des do tanks (laboratoires
d’action). Je ne suis pas optimiste… je le fais ! »

Des jeunes qui créent


ou qui s’engagent
Et en matière d’engagement, Alexandre Jardin n’est pas le seul à
se retrousser les manches. « On me dit souvent que les jeunes
Français se montrent incapables ou ne s’intéressent à rien, mais c’est
faux ! affirme Marie-Cécile Naves. En France, les jeunes se bougent
beaucoup plus qu’on n’imagine. Toutes les enquêtes sérieuses à ce
sujet le soulignent. » Contrairement au discours catastrophiste. « C’est
complètement idéologique, renchérit Laurence Duboys Fresney.
Jamais on ne vous dit que ça va. L’image qu’on donne des jeunes est
particulièrement sombre. » Alors que la plupart des enquêtes
indiquent qu’ils restent plutôt optimistes.
Nous avons évoqué leur dynamisme dans le domaine de
l’entrepreneuriat, mais il y a beaucoup d’autres types d’engagement.
« Contrairement à ce qui est relayé, s’insurge Marie-Cécile Naves, les
jeunes portent des valeurs de sociabilité et de solidarité. » Un rapport
12
réalisé début 2015 indique que 42 % des moins de trente ans sont
adhérents d’une association, surtout dans le domaine sportif, culturel
et de loisirs, et que près d’un tiers d’entre eux s’investissent
bénévolement et se disent prêts à s’engager dans la vie de la cité.
Selon le même rapport, 95 % des moins de trente ans identifient une
cause pour laquelle ils pourraient s’engager – lutte contre les
discriminations, éducation et sport en particulier.
« Il y a un véritable enthousiasme de la part de la jeunesse pour
tout ce qui est collectif, soutient Marie-Cécile Naves. Ils ont envie de
faire concrètement, dans le numérique par exemple. Il y a aussi une
forte inventivité. On le voit dans les projets proposés sur les
plateformes de Crowdfunding telles que kisskissbankbank.com ou
wiseed.com. » Grâce auxquelles les jeunes créent leur activité ou
développent un projet social, innovant, culturel… « Et les jeunes ont
un potentiel de débrouillardise important, poursuit-elle. Dans les
banlieues, notamment, parce qu’on ne fait pas confiance à ceux qui
en sont issus. Alors, ils font par eux-mêmes. Pour la société, que de
talents gâchés ! » Le sens de l’initiative, l’engagement et l’envie de
création ont donc leur place dans l’Hexagone. « La population
française est de plus en plus inventive, résume l’économiste Nicolas
Véron. On voit même se développer une sorte de contre-culture, avec
son langage propre, ses références qui, pour l’instant, se construisent
un peu par opposition mais qui semblent prometteuses. »
A la question posée par le site L’Entreprise.fr 13 « La France est-elle
devenue un vrai pays d’entrepreneurs ? », Nicolas Dufourcq, directeur
général de la BPI France (Banque publique d’investissement),
répond : « Oui, il se passe quelque chose d’un peu magique.
Beaucoup de jeunes, d’étudiants, font désormais le choix de créer leur
propre entreprise, et l’entrepreneuriat est en passe de devenir une
sorte de modèle de référence en lieu et place de l’emploi dans un
grand groupe. Grâce à ce changement puissant, la France a comblé
son retard. Aujourd’hui, cette effervescence se ressent. Je rentre
d’Allemagne et je peux vous dire que là-bas, ils nous voient comme la
Californie ! »

Made in France
Autre signe de changement, des entreprises françaises comme
Solex ou Rossignol reviennent s’implanter sur leurs terres d’origine.
Un choix d’image et de notoriété, mais pas uniquement. Le retour au
bercail permet de réduire des coûts logistiques, de supprimer les
problèmes liés aux taux de change, de simplifier la gestion de l’outil
de production, de se réapproprier le savoir-faire local et de se
rapprocher des clients attachés à la marque de leur pays d’origine. A
coups de communication, l’ex-ministre en marinière, Arnaud
Montebourg, a réussi à impulser l’idée que la production et la
consommation doivent reprendre des couleurs bleu-blanc-rouge.
J’ai visité deux outils industriels français qui illustrent comment le
made in France peut devenir un argument porteur.
L’entreprise Mauviel fabrique des batteries de cuisine en
Normandie. Elle emploie environ quatre-vingts personnes à Villedieu-
les-Poêles, et dispose d’une filiale aux Etats-Unis. Ses matières
premières, des planches de métal, proviennent principalement
d’Europe, et les manches en bois de l’entreprise Tournabois, installée
dans la même ville de la Manche. Si les grands chefs français tels
Alain Ducasse, Thierry Marx ou Yannick Alléno sont dingues des
ustensiles de cuisson de cette marque, c’est parce que l’entreprise
fonctionne comme une manufacture soucieuse de qualité. Une
planche de cuivre, d’inox ou d’alu, détourée puis emboutie à l’aide
d’une puissante machine, donne la forme du produit qui passe
ensuite de main en main d’ouvriers pour se transformer en poêle ou
en casserole. Hérités d’un autre âge, les savoir-faire artisanaux se
transmettent toujours. Certaines pièces, comme la turbotière en
cuivre, sont entièrement fabriquées à la main. Le poinçon made in
France orne chaque objet sorti de l’usine. Valérie Le Guern-Gilbert,
présidente, représente la septième génération à la tête de l’usine
créée en 1830. « C’est une volonté de tous les jours que de maintenir
un tel niveau de qualité et de fabriquer à Villedieu, argumente-t-elle.
C’est aussi notre marque de fabrique. » Tout est produit sur place,
sauf les poignées et les queues, faute de fonderies en France.
Un peu plus au sud de la Manche, dans le bourg de Saint-James,
trois cents personnes travaillent la laine et le coton dans l’usine du
même nom. Depuis plus d’un siècle et demi, tricots et marinières font
la gloire de la société labellisée « Entreprise du patrimoine vivant »
pour ses savoir-faire artisanaux et industriels. « Notre réussite repose
sur le made in Saint-James, plaisante Luc Lesénécal, président de
l’entreprise. Notre métier d’origine, c’est le tricotage. Pulls marins et
vestes en laine sont confectionnés sur place. Même chose pour les
produits en coton, la marinière notamment. » Le reste, pantalons et
chemises, est sous-traité ailleurs en France et dans le bassin
méditerranéen. Seul ce qui est fait en France est étiqueté made in
France. « L’idée de délocaliser ne nous traverse même pas l’esprit,
lance-t-il, car le “fabriqué en France” a un très bon impact pour
l’export. » Produire dans une optique de qualité a en effet permis
d’attaquer le marché mondial à un niveau où la concurrence est
moindre ; plus d’un tiers de la production de Saint-James est ainsi
vendu à l’étranger.
Ces deux exemples prouvent qu’un industriel peut investir dans
l’Hexagone et produire sur place tout en tirant bénéfice de son outil
de production. En conséquence, il maintient ou développe des
emplois au niveau local, et valorise des savoir-faire spécifiques qui ne
sont pas pour autant archaïques.
L’origine France peut donc avoir un impact positif sur les ventes à
l’étranger. La friteuse Tefal a ainsi eu l’honneur d’être citée sur Twitter
par Oprah Winfrey, animatrice de télévision et comédienne
américaine. Le stylo Bic connaît un succès intemporel. Beneteau et
d’autres chantiers navals de plaisance font de la France un pays
leader en matière d’exportation de voiliers. Les exemples ne
manquent pas. Et c’est la montée en gamme qui permet le plus
souvent de faire la différence, tout en améliorant les marges
financières des industriels. Les entreprises qui le comprennent
investissent toujours plus dans les domaines de la R&D (recherche et
développement).
Depuis 2015, les produits fabriqués en France, à l’instar des
parapluies d’Aurillac ou des espadrilles de Mauléon, bénéficient du
label « IG », qui signifie « indications géographiques » et garantit
l’origine de fabrication. Ce label se calque sur le système proposé
dans le secteur de l’agroalimentaire qui protège par exemple la
saucisse de Morteau et le cidre de Normandie. Double objectif de la
manœuvre, mettre ces produits à l’abri de la contrefaçon et les
valoriser. C’est payant : le « bleu, blanc, rouge », qui orne de plus en
plus polos et autres « Slips français », est en passe de devenir fashion.
Outre l’industrie, nombre d’artisans, ferronniers d’art, orfèvres,
ébénistes, tailleurs de pierre, tonneliers, maroquiniers, façonniers
s’activent à travers le pays. Leurs talents sont loués à l’étranger. « Il ne
faut pas sous-estimer le rôle des artisans au savoir-faire unique, écrit
le magazine M 14 : […] bronziers, doreurs, staffeurs, tapissiers,
ébénistes… une filière disséminée dans toute la France et qui travaille
chaque jour au rayonnement de la décoration hexagonale. » Les
métiers traditionnels, qui contribuent eux aussi à l’image du pays à
l’extérieur, n’ont pas perdu leurs couleurs. Les métiers de bouche non
plus, pâtisserie, charcuterie, affinage ou chocolaterie.
Tout ne va donc pas si mal, même s’il y a… du pain sur la
planche. « Il est aujourd’hui indispensable, recommande Odile
Chagny, de mener une réflexion de fond sur le tissu productif national
et sur les modes d’organisation du dialogue social au sein des
entreprises avec comme objectif de développer d’autres modes de
collaboration entre salariés et patronat. Là, les Allemands sont plus
forts que nous. Les industriels et les syndicalistes qui visitent
l’Allemagne disent que les usines n’y sont pas si modernes que ça, et
que les centres d’apprentissage ne semblent pas avoir un si haut
niveau de formation technique qu’on le pense. C’est surtout la force
du collectif et la qualité du dialogue social qui avantagent, outre-
Rhin. Et qui pénalisent notre pays. » Parmi les propositions d’Odile
Chagny : décentraliser le système de négociation en France afin
d’accorder plus de poids au niveau de la branche ou de l’entreprise.
C’est à ces instances de dépasser leurs réticences, de prendre le
taureau par les cornes pour que la situation en la matière évolue
enfin.

1. Le Parisien, 23 octobre 2014.


2. France Inter, 12 mai 2015.
3. France 2, Des paroles et des actes, 28 mai 2015.
4. Le Parisien, 23 octobre 2014.
5. La Presse, 5 juin 2015.
6. L’Usine digitale, 27 mai 2015.
7. France 2, Des paroles et des actes, 28 mai 2015.
8. France 2, Des paroles et des actes, 28 mai 2015.
9. Midi Libre, 31 août 2015.
10. L’Expansion, novembre 2014.
11. L’Expansion, novembre 2014.
12. INJEP, 2015.
13. L’Entreprise, 26 janvier 2015.
14. M, 4 avril 2014.
« Aucun patron d’entreprise
étranger ne s’installe
ni n’investit en France » ?

FAUX !
La France séduit
les investisseurs

Parmi les commentaires négatifs qui courent sur la France, on


entend aussi que « le pays fait fuir les investisseurs étrangers ». Le
patron de Titan, Maurice Taylor, s’en faisait l’écho en 2014 : « A cause
de vos lois [françaises], nous ne pouvons pas reprendre l’usine [Good
Year d’Amiens] 1. » Et de prophétiser, dans une veine apocalyptique :
« La France est décidément trop communiste. Quand vous tomberez
aussi bas que la Russie, peut-être que vous réagirez »…
N’en déplaise au controversé patron américain, la France attire
toujours les investisseurs étrangers : 1 014 décisions d’implantation
sur le territoire français en 2014 soit, à périmètre constant, une
hausse de 8 % par rapport à l’année précédente, selon l’étude menée
par Business France en 2015. Le nombre de décisions
d’investissement physique dans l’Hexagone émanant d’entreprises
étrangères est donc passé de 685 en 2013 à 740 en 2014.
Cette dynamique se révèle particulièrement marquée dans les
activités à forte valeur ajoutée telles que la production et la
recherche. Ces domaines (R&D et ingénierie) représentent près de
10 % de l’ensemble des investissements d’entreprises étrangères en
France et contribuent dans la proportion de 6 % au nombre d’emplois
créés dans le pays en 2013.
En 2014, la France est au premier rang européen des destinations
pour les investissements étrangers dans l’industrie, d’après le cabinet
EY. En matière de stock d’investissement direct étranger, elle se place
au quatrième rang mondial et au deuxième rang européen cette
même année, d’après la Conférence des Nations unies sur le
commerce et le développement (CNUCED).
Selon une étude du cabinet KPMG publiée en mars 2015, Paris
passe devant New York et Hong Kong, et devient ainsi la troisième
ville du monde la plus attractive pour les investissements étrangers
créateurs d’emplois et d’activités, derrière Londres et Shanghai.
La capitale française est deuxième après Londres dans le
classement des métropoles destinataires de centres de R&D, mais
devance la capitale anglaise en occupant la deuxième place dans le
classement des métropoles destinataires de sièges sociaux.
Pour mieux évaluer l’image de la France auprès des investisseurs
étrangers, un indicateur a été créé. Le Comité national des conseillers
du commerce extérieur français (CNCCEF) a publié en juillet 2015
son premier indice, calculé d’après une enquête réalisée auprès de
quatre mille conseillers du commerce extérieur, sur la base de douze
critères, dont, entre autres, la charge administrative et réglementaire,
la fiscalité, la qualité et le coût de la main-d’œuvre, la flexibilité du
travail, le climat social… Au final, selon les intervenants, la France
apparaît comme plutôt attractive sauf en matière de compétitivité, de
fiscalité, de coût du travail et de charge administrative. Ces mêmes
conseillers notent que, parmi les atouts français, sont plébiscités
l’environnement culturel, la qualité des infrastructures, la qualité de
vie, les capacités d’innovation et de recherche et la qualité de la
main-d’œuvre.
Pourquoi investir en France puisque tout y va mal ? Si des
étrangers critiquent avec obstination un immobilisme qu’ils pensent à
terme fatal au pays, d’autres n’hésitent pas à investir dans des
groupes français, voire à en prendre le contrôle, ainsi pour Alstom,
Lafarge ou Club Med. D’après la Banque de France, les investisseurs
étrangers détiennent ainsi près de 47 % du capital des entreprises du
CAC 40 en 2014.
En France, certains parlent de « Waterloo industriel » à ce propos,
déplorant la perte d’influence du pays. Ce n’est pourtant ni nouveau,
ni exceptionnel, dans un monde économique globalisé. N’est-ce pas
plutôt signe de vitalité que de croire au potentiel d’entreprises qui se
développent sous pavillon français ? Plus de 20 000 entreprises
étrangères présentes en France ont employé près de 2 millions de
personnes en 2014, d’après l’INSEE. En quoi est-ce gênant ? Qu’en
est-il des commentaires lorsqu’il s’agit des investissements français
dans des groupes étrangers ? Trouve-t-on choquant que BlaBlaCar
absorbe son concurrent allemand et devienne ainsi le leader
européen du voyage en covoiturage ? Selon le ministère de
l’Economie, pendant que des sociétés étrangères ont racheté environ
1 500 entreprises françaises pour 150 milliards d’euros depuis 2010,
les Français avalaient près de 2 500 entreprises étrangères pour
200 milliards d’euros sur la même période. Esprits chagrins, circulez !
Selon Business France, « en moyenne, treize dirigeants
d’entreprises étrangères prennent la décision d’investir en France
chaque semaine ». Et cela malgré des différences culturelles qui sont
parfois de taille. « Le manageur chinois qui arrive en France doit
s’adapter, rappelle Xuefei Lu, directrice du département Asie du
cabinet de conseil Inter Cultural Management Associates (ICM), dans
2
Le Monde Campus . Les employés qu’il a face à lui n’ont pas du tout la
même approche que la sienne des tâches à effectuer. En Chine, il n’a
pas à se justifier : les salariés chinois exécutent des ordres, ils ne
discutent pas avec la hiérarchie. […] Les salariés français […] ont
besoin d’être convaincus avant d’accepter un ordre. » Elle poursuit,
plus loin : « Les différences culturelles sont présentes, mais les
Chinois font malgré cela beaucoup d’éloges à propos des Français. Ils
louent notamment leur professionnalisme et leur expertise. De même,
ils jugent mature et particulièrement avancée l’organisation
économique de la France. » Pour Xuefei Lu, l’attraction de la France
sur les Chinois ne fait que commencer. « La plupart des acquisitions
en France sont de petite taille, mais les choses pourraient évoluer. En
ce qui concerne l’industrie, il est clair que le regard des Chinois se
tourne davantage vers l’Allemagne. Mais la France a un atout
considérable : c’est un pays qui renvoie une excellente image de
savoir-vivre, avec des secteurs de pointe, comme la mode et le vin.
Les Chinois s’y intéressent de près, et les rachats devraient donc se
développer dans les années qui viennent. » Attention, donc, au
protectionnisme mal placé. « La France n’a pas peur des
investissements étrangers, déclare en 2014 François Hollande 3, et
n’entend pas se protéger. Nous n’avons pas une conception étriquée
de notre intérêt national. Nous considérons même que la mobilité des
investissements français à l’étranger et étrangers en France fait partie
de la réussite d’un pays. »

1. Le Figaro.fr, 28 novembre 2014.


2. Le Monde.fr, 31 janvier 2013.
3. Discours du 17 février 2014, prononcé à l’occasion de la présentation des conclusions d’un
Conseil stratégique de l’attractivité de l’économie française.
« Les Français sont
des assistés » ?

FAUX !
La France maintient
sa cohésion sociale

« Aux Etats-Unis, ils ont la même crise que chez nous, mais ils s’en
sortent, ils ne se plaignent pas toute la journée, les Américains,
tranche notre Johnny Hallyday national, version café du Commerce,
dans le magazine Le Point 1. Il faut s’en sortir, alors ils bossent. Ici, on
a l’impression d’être assisté : on ne bosse pas, on fait les 35 heures,
on fait des manifs, la grève… Je trouve ça désolant. C’est pas comme
ça qu’on s’en sortira. » Sans complexes, lui et sa femme ont fait le
choix, en 2006, de s’installer en Suisse. Selon les explications
données sur Europe 1, il en avait « marre, comme beaucoup de
Français, de payer ce qu’on nous impose comme impôts ». « Est-ce
ainsi que la France s’en sortira ? » aimerait-on lui demander. Soyons
sérieux. Quitter un pays qui lui a tant offert, tant donné, et se
permettre de critiquer ceux qui restent, dont ses fans… Présenter les
assistés comme des privilégiés, culpabiliser des gens qui, en majorité,
font face à de lourdes difficultés, et prendre ce genre de situation
pour prétexte de son opportunisme fiscal… Soyons franc, il y a de
quoi être choqué. Combien de ceux qui crachent ainsi sur une
prétendue « France des assistés, des petits profiteurs » sont eux-
mêmes des « assistés de la France d’en haut », pour reprendre une
autre expression, qui dissimulent des rentrées d’argent pour payer
moins d’impôts, contournent le système de façon à optimiser leur
bénéfice sur le dos de la collectivité, obtiennent des passe-droits ou
profitent de petits arrangements afin d’échapper à leurs obligations,
fiscale ou autres ?
Ne parlons même pas de l’assistanat qui assiste trop les assistés…
Qui n’a pas entendu un jour au détour d’une rue ou dans un café, ou
n’a pas lu sur un forum ou sur le fil d’un réseau social, qu’une
personne qui ne travaille pas et touche le RSA s’en sort mieux qu’une
autre qui gagne le Smic sans bénéficier d’aucun avantage ? Cumuler
toutes les aides possibles destinées aux plus défavorisés serait le
meilleur moyen de vivre la belle vie en se la coulant douce. Chacun y
va de son commentaire : « honteux », « injuste », « société
d’assistés ! »… Sauf que le calcul est faux, voire malhonnête.
Le site Rue89 2 a démasqué l’arnaque du tableau largement diffusé
sur Facebook, qui comparait les revenus entre deux familles de cinq
personnes, dont l’une touchait un salaire au Smic et l’autre
exclusivement des aides sociales. Son article est intitulé « La fable
bidon de la famille RSA qui gagne plus que la famille salariée ». Il
démontre que, corrections faites, il reste préférable de ne pas être un
assisté, en France. Néanmoins, même si l’auteur du fake a regretté
cette « connerie destinée à faire sourire quelques amis Facebook », les
idées reçues qu’il a servies continuent à se propager. On les retrouve
même dans la bouche de quelques politiques, tel Laurent Wauquiez
(UMP, l’ancien nom du parti Les Républicains), qui extrapolait ainsi
3
sur BFM : « Aujourd’hui, un couple qui ne travaille pas, qui est au
RSA, en cumulant les différents systèmes des minima sociaux, peut
gagner plus qu’un couple dans lequel une personne gagne un Smic.
Ce n’est pas logique, c’est la société française qui tourne à l’envers. »
Comme le démontrait Le Point.fr 4 à l’époque, c’est tout aussi faux.
Mais ce discours s’insinue dans les cerveaux et tient lieu peu à peu de
« vérité ».
Pourtant, l’Etat providence résiste. Même Nicolas Sarkozy, qu’avait
soutenu le numéro un des rockers suisses, a déçu ceux qui espéraient
le voir tirer un trait sur le modèle social français. Son quinquennat,
de 2007 à 2012, n’y a pas changé grand-chose : l’Etat providence
continue à régner en ce beau pays. Un lobbying bien orchestré a beau
répéter sur tous les tons que les fonctionnaires bullent et que les
chômeurs profitent du système… rien n’y fait.
Oui, la France cultive son rapport spécifique à la solidarité. Sur le
fronton des mairies, le mot ÉGALITÉ s’affiche comme un des trois
piliers fondamentaux de la nation. La Sécurité sociale exerce ses
prérogatives via les régimes d’assurances que financent les
contributions des employeurs et des employés. L’impôt limite les
disparités entre riches et pauvres. Maladie, invalidité, maternité,
retraite, chômage… toutes ces situations sont couvertes par des
indemnités ou des allocations. Et quand les principes de solidarité qui
régissent les actions de l’Etat sont le moins du monde menacés, la
population descend dans la rue – d’ailleurs plus souvent inspirée par
des mouvements citoyens venus de la base que par les syndicats, qui
prennent souvent le train en marche.
5
Aussi apprend-on sans grande surprise, dans une enquête
réalisée en 2015 auprès de trois mille personnes, que les Français
sont largement satisfaits de leur système de protection sociale ; 80 %
d’entre eux pensent même qu’il peut servir de modèle à d’autres pays.

1. Le Point, 14 novembre 2014.


2. Rue89, 12 mars 2013.
3. BFM TV, 8 mai 2011.
4. Le Point.fr, 14 mai 2011.
5. Enquête annuelle réalisée par l’institut BVA et la Drees (Direction de la recherche, des
études, de l’évaluation et des statistiques).
« Les impôts et les charges
en France sont plus lourds
et plus pénalisants
qu’ailleurs » ?

FAUX !
La fiscalité en France
est comparable
à celle des autres pays,
pour de meilleurs
services et prestations
« On ne fait que payer ! », « La France, c’est le pays où l’on paye le
plus d’impôts »… Observons les chiffres pour vérifier si ce sentiment
général est justifié et comparons ce qui est comparable.
Selon les chiffres publiés fin 2014 par l’OCDE, le niveau
d’imposition générale au regard du PIB place la France au deuxième
rang après le Danemark devant la trentaine de pays de l’OCDE qui
peuvent être considérés comme les plus riches du globe. Depuis 2009,
ce niveau d’imposition générale connaît une augmentation régulière,
qui s’est tassée à partir de 2014.
Le montant des prélèvements de cotisations sociales et d’impôts
locaux se révèle largement supérieur à celui de la plupart des pays
comparables à la France en termes de niveau de vie. En 2010, la taxe
d’habitation a même remporté la palme des pays de l’OCDE.
En revanche, les trois taux de TVA appliqués en France – 20, 10 et
5,5 %, ainsi que le taux particulier de 2,1 % – se situent dans la
moyenne. En Belgique, par exemple, ces taux s’élèvent à 21, 12 et
6 %. Les taux français, souvent plus raisonnables qu’ailleurs, sont
faits pour permettre à toute la population l’accès aux biens de
première nécessité tels que les produits alimentaires.
Comparativement, au Danemark notamment, le taux élevé de TVA à
25 % rend certains produits aussi simples qu’un sandwich ou une
boisson hors de prix. Un petit tour à Copenhague ou à Roskilde remet
d’ailleurs les pendules à l’heure pour tous ceux qui trouvent la vie
chère en France.
Autre point – ô surprise –, le taux de l’impôt sur le revenu se
révèle plus faible en France que dans nombre d’autres pays. En
pourcentage du PIB, le pays se distingue même par un chiffre
nettement inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. Toujours selon
les chiffres donnés par l’OCDE, Belgique, Allemagne, Danemark,
Hongrie, Autriche sont en tête du palmarès des pays où le poids de
l’impôt sur le revenu est le plus élevé en 2014. En France, ce qu’on
nomme le plancher de revenus annuels à partir duquel un foyer fiscal
est imposé sur son revenu se situe à 9 690 euros en 2015. Ce type
d’impôt est donc proportionnellement moins lourd en France que
dans bien des pays.
Contrairement aux idées reçues, et répétées lors de chaque
départ, avorté ou non, façon Gérard Depardieu ou Bernard Arnaud,
nos voisins d’outre-Quiévrain payent le plus lourd tribut en matière
d’impôt sur le revenu. Au cours d’un séjour dans l’Aude, j’ai fait la
connaissance d’un couple de quinquagénaires belges installés à leur
compte en France. Propriétaires d’une épicerie de village, tous deux
ont lâché la brillante carrière qu’ils exerçaient dans leur pays
d’origine pour venir vivre dans l’Hexagone, entre autres pour des
raisons fiscales. « En Belgique, nous sommes assommés par les
charges », me déclarent-ils. Ce qui ne manque pas de me surprendre.
Je cherche à en savoir plus. Tous deux se disent amusés par la rumeur
qui fait de la Belgique un paradis fiscal, et concluent en chœur :
« C’est vrai, mais uniquement pour les très riches ! Les autres sont
écrasés d’impôts. » Le couple me fait part de sa grande satisfaction à
vivre en France, où il bénéficie de meilleures prestations pour un coût
fiscal moindre.
Certes, la contribution des Français à leur sécurité sociale est
supérieure de plus de sept points à la moyenne européenne, en tête
de classement, loin devant la République tchèque. Certes, les
cotisations salariales et patronales sont les plus lourdes d’Europe,
selon une étude menée par le cabinet BDO en 2014, et donc les
salaires plus fortement mis à contribution qu’ailleurs. Mais, selon
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le fait
que la part de cotisations salariales soit plus faible que celle des
cotisations patronales est une exception, car, en général, la
répartition des prélèvements est plutôt équilibrée. Avantage pour le
salarié français donc.
In fine, selon les calculs du Figaro 1, « un couple ayant deux
enfants et gagnant à eux deux 50 000 euros bruts par an s’acquitte en
France de plus de 10 000 euros de cotisations salariales, auxquels se
retranche également l’impôt sur le revenu, évalué à 1 120 euros par
an. Lui reste donc dans la poche 38 195 euros, une somme plutôt
dans la moyenne haute des pays étudiés par BDO. » En effet, il reste
37 890 euros dans la poche du couple suisse, 37 450 dans celle du
couple britannique et 34 265 euros dans celle de l’allemand…
Différence notable et appréciable. En revanche, l’employeur français
aura payé un plus lourd tribut, puisqu’il se sera acquitté de
21 000 euros de cotisations patronales pour un salaire brut de
50 000 euros contre 14 500 euros pour son homologue italien, 9 500
s’il est allemand et 5 500 s’il est originaire du Royaume-Uni.
Certes, notre système fiscal « est l’un des plus lourds au monde,
pointe Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, en réponse à Francetv
2
info , mais il est extrêmement redistributif. On prend beaucoup aux
riches selon divers dispositifs, et on distribue beaucoup aux pauvres
selon autant de méthodes ».
Impôts et prélèvements ont une vertu majeure, celle de financer le
fonctionnement des services à disposition de la population et de
prestations en tous genres. « La fiscalité élevée de la France est due à
un niveau de service public élevé lui aussi », confirme Nicolas Véron.
Les impôts financent notamment les dépenses que l’Etat entreprend
en matière d’éducation, de santé, de solidarité, de sécurité, des
infrastructures et équipements en tous genres. « Les Français
attendent beaucoup de l’Etat, exposent Jean-Benoît Nadeau et Julie
Barlow dans leur ouvrage Pas si fous, ces Français ! 3, ce qui explique
en partie pourquoi leurs services publics sont d’aussi bonne qualité. »
La dépense publique, donc, sert l’ensemble de la société française,
même si nous n’en avons pas toujours conscience. C’est humain :
chacun d’entre nous voudrait payer moins d’impôts mais bénéficier
d’aides et de prises en charge en tous genres. Paradoxe. Même si
l’étude date un peu puisqu’elle remonte à 2000, l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), s’agissant du système de santé, classe la
France en tête des cent quatre-vingt-onze pays qu’elle regroupe, loin
devant les Etats-Unis. Autre comparaison à creuser, les Français,
censés payer plus d’impôts que les Britanniques, bénéficient de
réseaux routier et ferroviaire et d’hôpitaux publics en meilleur état
qu’outre-Manche, sans parler du métro parisien.
Qu’en est-il du niveau de protection des travailleurs et
d’indemnisation des demandeurs d’emploi ? Les auteurs de Pas si
fous, ces Français !, après avoir admis que les Français sont plus
fortement imposés qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne par exemple,
notent que « les différences ne sont pas aussi grandes qu’il y paraît,
en partie parce que les Français en ont pour leur argent ». Leur
argumentation s’appuie notamment sur un comparatif avec les
Américains. Ils additionnent le montant des impôts et taxes au coût
des fonds de retraite privés et aux dons aux associations et
obtiennent un résultat à peu près équivalent à ce que payent les
Français. « Les Français donnent peu aux associations caritatives,
poursuivent-ils. […] En France, c’est l’argent des contribuables qui
remplit le rôle des fondations et remplace les dons privés des sociétés
anglo-américaines. » Le système français, basé sur sa fiscalité, à coup
sûr perfectible, œuvre donc à la cohésion du pays.

1. Le Figaro, 15 septembre 2014.


2. Francetv info, 25 novembre 2013.
3. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
« La France est un pays
technologiquement
dépassé » ?

FAUX !
La France reste
une terre d’innovation
et de recherche

Les Français pratiquent volontiers l’autodérision. Ils aiment


plaisanter sur leur expérience télématique, et particulièrement sur
leur Minitel (pour « Médium interactif par numérisation
d’information téléphonique »). Le dinosaure des réseaux de
communication a fait couler beaucoup d’encre à travers le monde,
mais pas toujours pour s’en moquer. « Après l’informatique, un
nouveau type de micro-ordinateur, le Minitel, fait son entrée dans la
vie quotidienne des Français et vient modifier leur mode de vie »,
relatait à l’époque Le Quotidien du Peuple 1, un journal chinois dont cet
article a été traduit dans l’ouvrage Les Français à la Une 2. Les pubs
pour les « 36 15 code Ulla » et autres services du Minitel rose ont
marqué les esprits, et pas seulement ceux des utilisateurs. La culture
numérique des Français trouve là son origine. Une culture largement
partagée puisque le phénomène a touché l’ensemble de la France,
urbaine et rurale, toutes catégories socioprofessionnelles confondues.
Un quotidien japonais, Yomiuri Shimbun 3, traduit dans le même
ouvrage, écrivait : « On peut […] dire que le Minitel se marie bien
avec le caractère de ces Français que l’on croirait volontiers
conservateurs mais qui résistent mal aux nouveautés. »
Les premiers pas de la dématérialisation, échanges, paiement,
autres services à distance fournis par le Minitel, ont ainsi été
accomplis dans le pays bien avant qu’Internet ne pénètre dans les
foyers du monde entier. « La France est l’un des derniers pays
occidentaux à s’être convertis à Internet parce qu’il avait inventé le
Minitel, décrypte Le Temps 4, grand quotidien de la Suisse, pays où la
presse est prompte à critiquer la France. Parvenir au sommet est
difficile, s’y maintenir l’est plus encore. Parce qu’il faut se réinventer,
se remettre en question. Pas facile dans un pays qui fige ses avancées
dans des dogmes. » A ce portrait amicalement piquant, nous
objecterons que d’autres considèrent au contraire que notre
apprentissage numérique doit beaucoup au Minitel. Il a permis de
familiariser les usagers, mais aussi de préparer les futurs acteurs de
l’Internet français aux enjeux du Web, dont Xavier Niel, fondateur de
Free et créateur dans les années 1980 de serveurs érotiques et autres
services coquins du Minitel.
Préférons à nouveau la version « verre à moitié plein », qui
montre que les Français ne sont pas réticents au progrès. Les auteurs
5
de Pas si fous, ces Français ! le confirment : « La société française
n’est pas aussi profondément conservatrice qu’on le dit […]. Les
Français changent quand ils sont prêts et n’adoptent que les
technologies qui leur conviennent : la climatisation ou les
transmissions automatiques ne recueillent pas les mêmes suffrages
que le transport rapide de passagers et les cartes à puce. »
Cinéma, locomotive, photographie, avion, radioactivité… terre
d’invention, la France continue à s’illustrer en matière d’innovation.
Récemment, l’Hexagone a vu naître le TGV, le Concorde, mais aussi le
pot catalytique, la poêle en Téflon et la plaque à induction. La
première greffe du visage a eu lieu en 2005 à l’hôpital d’Amiens. « Il y
a quinze ans, ma carte de paiement française à puce ne marchait pas
au Canada, s’amuse Laurence Pivot, qui a longtemps vécu dans ce
pays. Quand je râlais, on m’expliquait que le procédé était en phase
de test. Je leur répondais : “Savez-vous que la puce a été inventée en
1974 par un Français, et que ça fait près de trente ans qu’on la teste,
là-bas ?” On voit l’Amérique du Nord comme le comble de la
modernité alors que, dans beaucoup de domaines, ils sont totalement
ringards. »
Nos représentations bien ancrées de la modernité américaine et
de l’archaïsme français viennent de loin. « Les pays d’outre-Atlantique
ont été à la pointe de l’innovation dans les années 1950, c’est
indéniable, poursuit Laurence Pivot. Leurs ménagères équipées de
robots dernier cri ont fait baver les Françaises, qui n’avaient même
pas toutes l’eau courante ! Mais les Américains en sont un peu restés
à ce stade. Ils ont toujours les énormes machines à laver et à sécher
de l’époque avec trois programmes “chaud/chaud-froid/froid” alors
qu’en Europe les appareils ménagers sont dotés de tableaux de bord
dignes de l’aviation. Hormis les gens riches ou cultivés, les Américains
n’ont pas le sens du design des objets du quotidien, contrairement
aux Français, auxquels on vend de plus en plus d’appareils à
l’esthétique soignée. » Elle poursuit : « Partout dans les villes et dans
les villages d’Amérique du Nord, pendent les câbles télé, de téléphone
et d’électricité… » L’invention de la tension électrique a fait des Etats-
Unis le pays le plus moderne du monde, mais aujourd’hui ce pays,
tout comme le Canada, marche encore au 110 volts alors que
l’Europe a opté dès l’après-guerre pour le 220, plus économique et
plus performant. « Dans ce domaine, plaisante Laurence Pivot, non
seulement l’Amérique est en retard sur l’Europe, mais aussi sur
l’Afrique et l’Asie. »
Autre exemple : en France, le prix et les conditions d’accès à
Internet et à la téléphonie sont sans rapport avec ce qui est proposé
dans la plupart des autres pays. Pour moins de 35 euros par mois, on
peut y bénéficier du téléphone de manière presque illimitée,
d’Internet haut débit, de la télévision numérique, d’un disque dur,
parfois même d’un lecteur Blu-ray intégré à la box. « Au Canada, vous
payez plus de 100 euros par mois pour un service moindre », rappelle
Laurence Pivot.
Regarder hors de nos frontières présente l’intérêt de relativiser et
de décomplexer. « Quand je voyage, témoigne Xavier Niel 6, je
m’aperçois que dans le monde entier, dans les entreprises de
nouvelles technologies, vous avez toujours des Français […] On les
forme bien, ils sont géniaux, font des trucs fantastiques, sont réputés
dans le monde entier… » Même constat de Nicolas Dufourcq, pour
qui « la France devient une véritable start-up nation » 7.
De son côté, Marc Simoncini, fondateur de Meetic, déclarait 8 :
« Nous avons en France de très bons ingénieurs et de très bonnes
idées, il n’y a pas de raison que les succès de l’Internet ne viennent
que des entreprises américaines. » C’est aujourd’hui d’une telle réalité
qu’on parle de French Tech pour évoquer les Français, ingénieurs,
développeurs informatiques qui créent leur start-up, et le plus
souvent réussissent. Symbolisée par un coq rouge en origami, la
dynamique a été impulsée par Fleur Pellerin lorsqu’elle a pris les
responsabilités gouvernementales en matière d’économie numérique.
Le mouvement regroupe des dizaines de startuppers. Avec quatre
mille jeunes pousses à Paris, douze mille en ajoutant la banlieue, la
capitale fait mieux que Londres et Berlin en la matière, et cela avant
l’implantation prochaine du plus grand incubateur au monde à la
Halle Freyssinet à Paris, cofinancé par Xavier Niel et le secteur
public 9.
La France est donc dans le peloton de tête mondial en matière de
digital. Même le New York Times 10 le signale. « C’est une période
formidable pour les start-up en France », déclare au quotidien
américain Liam Boogar, vingt-six ans, directeur général de Rude
Baguette, un blog en anglais qui s’adresse aux start-up françaises. Le
New York Times poursuit : « Jason McDonald, trente et un ans,
directeur Europe de l’agence de marketing américaine StringCan et
coprésident de NextGen, initiative de la Chambre américaine de
commerce à Paris, décrit quant à lui une “explosion” au sein de
l’univers français des start-up. […] La France est réputée depuis
longtemps pour ses ingénieurs, mathématiciens et professionnels
hautement qualifiés, qui s’orientaient traditionnellement vers des
carrières longues et stables au sein des grandes banques et
entreprises françaises. “Par chance, explique Liam Boogar, ces
entreprises ne recrutent plus, il y a donc 25 % de jeunes qui n’ont
plus rien à perdre. […] Le site Web VentureBeat indique que
l’écosystème français des start-up a levé 85 millions de dollars en une
seule semaine ce mois-ci. […] Le mois dernier, Facebook a annoncé
vouloir créer un laboratoire d’intelligence artificielle à Paris, car la
capitale accueille certains des meilleurs chercheurs du monde” ».
Aujourd’hui, la renommée de la French Tech et de ses troupes nous
apprend primo que les formations technologiques et scientifiques
françaises produisent des profils de hauts niveaux, deuzio que les
réussites du pays vont bien au-delà de ses savoir-faire traditionnels,
gastronomie ou mode notamment. La France est en pointe dans les
domaines techniques, s’adapte et fait preuve de souplesse.
Numérique, énergies renouvelables, génétique… le vivier de start-up
que possède l’Hexagone inclut des domaines clés pour l’avenir.
Pour illustrer ces propos optimistes, quelques chiffres :
Avec 86 entreprises classées dans les 500 entreprises du secteur
technologique les plus performantes en zone Europe, Moyen-Orient
et Afrique, la France reste en tête du classement Deloitte
« Technology Fast 500 EMEA 2014 » pour la troisième année
consécutive.
Dans son rapport 2014 sur « l’état de l’emploi scientifique », le
ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche montre une
importante progression du secteur dans l’Hexagone grâce à une
augmentation de 22 % de la population de l’emploi scientifique
depuis 2001, qui compte plus de 249 000 chercheurs. Depuis 2000,
les effectifs de chercheurs 11 en France ont progressé de 45 %, soit un
taux de croissance annuel moyen de 3,4 %, comparable à celui de
l’UE (3,6 % pour l’UE-27 plus la Croatie). Ce taux constitue une
progression plus forte que celles de l’Allemagne (2,4 % de croissance
annuelle moyenne), des Etats-Unis (1,3 %), du Japon (0,1 %) et de la
Russie (– 1,1 %). La France occupe le huitième rang mondial pour le
nombre de chercheurs (le septième pour le nombre de chercheurs
comparé au nombre d’actifs, soit 8,8 chercheurs pour 1 000 actifs),
derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon, la Russie, l’Allemagne, le
Royaume-Uni et la Corée du Sud.
Enfin, les 274 000 demandes de brevets recensées par l’Office
européen des brevets (OEB) en 2014 témoignent d’une augmentation
de 4 % par rapport à l’année précédente, un record compte tenu de la
hausse moyenne en Europe, qui est de 1,2 %. Les dépôts de brevets
de la part d’entreprises françaises, singulièrement dynamiques,
représentent 5 % des demandes au niveau européen. Qui a dit que la
France est technologiquement dépassée ?

1. Le Quotidien du Peuple, 18 février 1987.


2. Yves Daudu, Les Français à la Une, La Découverte, 1987.
3. Yomiuri Shimbun, 28 février 1987.
4. Le Temps, 26 mars 2015.
5. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
6. Le Parisien, 23 octobre 2014.
7. L’Express, 26 janvier 2015.
8. La Fondation iFRAP, 23 mars 2011.
9. Caisse des dépôts et consignations.
10. New York Times, 29 juin 2015.
11. L’Etat de la recherche scientifique, rapport 2014, ministère de l’Enseignement Supérieur et
de la recherche scientifique.
« Les Français désertent
le pays » ?

FAUX !
Les Français voyagent,
et c’est bon signe !

Parmi les Français qui font leurs bagages pour s’installer à


l’étranger, certains se sentent obligés de légitimer leur choix en
critiquant leur pays d’origine. Ainsi, une de mes connaissances, partie
vivre quelques semaines plus tôt à Montréal, fin 2013, affichait sur
son compte Facebook un article relatant un acte homophobe perpétré
en plein Paris, et l’accompagnait de ce message : « Pendant ce temps,
à Paris, tout va mieux. » Le commentaire m’a agacé, je l’avoue, non
en ce qu’il condamnait la violence homophobe bien sûr, mais en ce
qu’il désignait Paris comme un lieu plus homophobe que d’autres. J’ai
interpellé l’accusateur à ce propos en insistant sur le fait que Paris
n’avait pas l’exclusivité en la matière. Dans sa réponse, il précisait
avoir mentionné la ville « pour marquer sa triste différence avec
Montréal », ajoutant que « ces horribles nouvelles [devaient le]
conforter sur [son] choix ». Puis, sans doute vexé par ma remarque, il
m’a retiré de sa liste d’amis. Quelques mois plus tard, après avoir
étrillé son pays et loué la douceur de vivre au Québec, il revenait
s’installer à Paris. Déçu ?
La réaction qui consiste à médire de l’endroit qu’ils quittent pour
idéaliser celui où ils ont choisi de vivre est propre à beaucoup
d’expatriés et émigrés. « Au final, la plupart d’entre eux ne se sentent
pas plus heureux à l’étranger qu’ils ne l’étaient en France, constate
Laurence Pivot, spécialiste du sujet. Ils se retrouvent coincés et
doivent légitimer leur choix en expliquant qu’ils ont fui leur “pays de
merde”. »
Oui, participer à un dénigrement irréfléchi pollue et plombe le
pays, les gens, la famille et les amis qu’on y laisse. Les conséquences
sont là. On le lit, on l’entend et on le répète, l’affaire est pliée : les
Français quittent la France par bataillons entiers. Il y aurait 1,5 à
2 millions de Français selon le Quai d’Orsay, 2,5 millions pour
certains experts, probablement 3 millions selon d’autres, vivant à
l’étranger. Explication en vogue : ils sont partis effrayés par la
fiscalité, déprimés par la croissance nulle, le chômage et la morosité
ambiante. Les jeunes, en particulier, s’envoleraient vers d’autres
horizons car ils vivent mal dans un pays « sans perspective d’avenir ».
Impossible pour eux, dit-on, de trouver un emploi en France, alors
qu’à l’étranger rien de plus simple… Nos diplômés, doctorants,
ingénieurs seraient les premiers à partir. On parle alors de fuite des
cerveaux, d’hémorragie de nos forces vives, etc.
Impossible de le nier : le nombre de Français qui optent pour
l’émigration a augmenté de 35 % en dix ans, selon le Quai d’Orsay.
Mais qu’ils soient 1, 2 ou 3 millions de Français à vivre à l’étranger,
est-ce une si mauvaise chose ? « Ceux qui veulent tenter une
aventure, changer ou sortir de l’ornière pensent avant tout “mobilité”,
relativise Laurence Pivot. Alors, pourquoi ne pas partir ? Après tout,
une expérience à l’étranger est devenue incontournable, naturelle,
pour les étudiants d’aujourd’hui. C’est très bénéfique. Erasmus est en
cela la première expérience. Le monde est à présent leur quartier.
Mais qu’on se rassure, ils ne partent pas avec l’idée d’émigrer
définitivement. Et leur départ ne s’accompagne pas forcément d’un
discours contre la France. »
Cette présence d’une diaspora française hors des frontières profite
à la France. Elle contribue à booster l’exportation, car chaque
Français de l’étranger se comporte plus ou moins en ambassadeur.
« Les Français comprennent mieux les défis qui se posent aujourd’hui,
lance la députée Karine Berger. C’est une chance de les voir
s’impliquer à l’international. Cela montre qu’ils ne sont pas fermés, et
souligne l’excellence des formations de notre pays. C’est un vecteur
de dynamisme pour notre économie. »
On dit aussi qu’un million de retraités seraient partis de France
1
pour des raisons fiscales. Pire, Le Figaro écrivait dans ses colonnes
que « les expatriations des hauts revenus ont bondi de 40 % en
2013 » pour ces mêmes raisons. « 3 744 foyers dont le revenu fiscal
de référence est supérieur à 100 000 euros ont quitté le territoire,
contre 2 669 l’année précédente. » Et plus le niveau de revenu fiscal
augmente, plus ils fuient. Mais comme ces chiffres ne tiennent pas
compte du nombre de personnes qui sont rentrées au bercail, et que
les raisons données à ces départs ne sont corroborées par aucune
étude sérieuse, il est difficile d’analyser le phénomène.
Janine di Giovanni, quand elle argumente sur « la fuite des
cerveaux » français vers l’étranger dans le magazine Newsweek,
s’appuie sur des échanges qu’elle a eus dans les restaurants de son
chic arrondissement parisien avec un entourage composé d’avocats
d’affaires, de banquiers ou d’entrepreneurs. Des propos pas vraiment
vérifiés… N’y voyez là rien d’idéologique.
La France se vide. L’affaire est entendue. Certains supports de
presse ne craignent pas de relayer ces informations partielles, voire
mensongères, en toute connaissance de cause. « La panique de voir
cent vingt Français – soit 0,0002 % de la population française –
demander en 2012 la nationalité belge est une illustration
supplémentaire de l’appétence pour l’asymétrie d’information,
déplorait Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, dans
une chronique publiée par Le Monde 2. Personne n’a communiqué
autour de l’attractivité de la France lorsqu’on a appris qu’en moyenne
dix fois plus de Belges que de Français – soit 0,006 % de la
population du royaume voisin – demandaient à devenir français
chaque année ! » Autre exemple donné par Philippe Askenazy : « On
découvre un jeune génie de Strasbourg qui publie dans Nature mais
annonce qu’il veut étudier à l’étranger. Parallèlement, il n’y a aucune
publicité sur le nombre de jeunes qui viennent étudier en France ni
sur l’attractivité des métiers de la recherche. Car jamais les
organismes de recherche français n’ont eu autant de candidats
étrangers : en 2012, un tiers des recrutés au CNRS sont des étrangers
de classe mondiale, pour la plupart venant de pays de l’Organisation
de coopération et de développement économiques, Belgique,
Allemagne, Royaume-Uni, Japon ou Etats-Unis compris. » Encore une
source d’étonnement : étrange, de vouloir partir à tout prix, alors que
des jeunes du monde entier rêvent d’étudier en France. Près de trois
cent mille d’entre eux font ce choix chaque année. La France est en
effet dans le peloton de tête pour l’accueil d’étudiants étrangers dans
le classement établi par l’Unesco. Et la ville de Paris reçoit le meilleur
indice de satisfaction de la planète dans une enquête faite auprès des
étudiants de toutes nationalités. Pourquoi choisir de noircir le tableau
quand des tas d’indicateurs sont au vert ?
David Cameron, Premier ministre du Royaume-Uni, aime à
répéter qu’il déroule le tapis rouge aux exilés fiscaux français, faisant
ainsi un généreux pied de nez à la cohésion européenne. Mais il
oublie de préciser que son pays, à coups de politiques ultralibérales, a
engendré un système de plus en plus inégalitaire, avec des services
publics exsangues et des infrastructures de transport à bout de
souffle, faute de moyens et d’une gestion rigoureuse.
Pourtant, par masochisme je suppose, des médias français louent
la simplicité administrative et la flexibilité du marché britannique, qui
expliqueraient que ce pays accueille des dizaines de milliers de nos
compatriotes chaque année, et surtout que Londres soit « la sixième
ville française », comme aiment le répéter les officiels de la capitale
anglaise, dont le maire Boris Johnson. Exagère-t-il ? Le ministère des
Affaires étrangères, dans son registre des Français de l’étranger,
comptabilise officiellement près de 130 000 Français sur l’ensemble
du Royaume-Uni, donc incluant l’Irlande du Nord, le pays de Galles et
l’Ecosse. Pour ajuster les chiffres en tenant compte du fait que
l’inscription au registre n’est pas obligatoire, le consulat général de
France à Londres majore le total à 300 000 immigrés français pour le
territoire dans son entier. D’après un savant calcul réalisé par
L’Express 3 sur la base de données provenant d’un organe de presse du
Web, Factamedia, dont l’objet est de vérifier des informations par les
faits, et de l’INSEE, les trois quarts d’entre eux résideraient dans le
Grand Londres, donc environ 225 000 personnes. Ce résultat
placerait donc la capitale anglaise au vingt-neuvième rang des
agglomérations françaises, entre Dijon et Bayonne, la sixième restant
Toulouse.
Du côté du maire de Londres, c’est de bonne guerre. On comprend
moins que des chiffres faux soient relayés par des institutions
tricolores, dont la Chambre de commerce et d’industrie de Paris dans
une étude sur l’expatriation des Français.
Pour justifier cette émigration « de masse » de nos compatriotes,
certains élus sont même allés vanter en délégation parlementaire le
système britannique, critiquant au passage « la complexité
chronophage du calcul des cotisations sociales ». Claude Revel réagit :
« Les élites françaises, en poste à l’étranger ou pas, contribuent aussi
à l’autodénigrement. Imaginez l’image que cela donne du pays. On ne
leur demande pas d’aimer leur gouvernement à tout prix mais qu’ils
s’abstiennent de jouer contre la France ! Chacun balance ses aigreurs
en fonction des affrontements droite/gauche internes au pays.
Pourquoi transporter ses querelles hors de notre territoire ? » Et elle
ajoute : « Je n’ai jamais entendu un Américain, républicain ou
démocrate, ni un Britannique dénigrer son pays. Ils ont semble-t-il un
sens du civisme plus développé. A la limite, ils disent qu’ils ne sont
pas d’accord avec l’exécutif, mais ils concluront toujours que leur pays
est formidable et en pleine expansion. »
Notre penchant au dénigrement est pain bénit pour les
concurrents de la France. « Comme notre pays conserve un poids
politique réel, regrette encore Claude Revel, il est facilement la cible
des Anglo-Saxons. Du coup, leur presse s’en donne à cœur joie grâce
aux propos que les Français tiennent eux-mêmes. » Karine Berger
renchérit : « Il faut cesser de véhiculer l’idée mensongère que la
fiscalité française est punitive. C’est une attitude irresponsable de la
part de certains politiques, car cela nuit à l’image du pays et
discrédite nos entreprises lorsqu’elles doivent négocier à
l’international avec des investisseurs étrangers. »
Les rumeurs assorties d’imprécations produisent à l’intérieur des
frontières comme à l’extérieur des effets dévastateurs. Au point que
des sondages 4, relayés sans sourciller par la plupart des médias,
donnent le pourcentage surréaliste de 80 % des personnes
interrogées « prêtes à tout plaquer pour partir vivre à l’étranger »…
Certes, ce genre de résultats biaisés ne peut justifier quelque théorie
que ce soit.
Conseillons plutôt à ceux qui pensent à se réfugier sous de
meilleurs cieux d’y réfléchir à deux fois avant de s’engager. Vivre en
Allemagne, en Angleterre ou outre-Atlantique expose à quelques
déconvenues.
Aucun peuple n’ayant le monopole des stéréotypes, il faut savoir
qu’en s’installant ailleurs on s’expose en premier lieu à des préjugés.
Citons pour preuve cet article d’anthologie publié par le journal suisse
5
L’Hebdo . Ou comment les Suisses perçoivent les comportements des
Français au travail, surtout dans leur rapport à la hiérarchie. Le long
dossier intitulé « Mœurs : au secours, mon chef est français ! »,
composé en majeure partie de témoignages, commence par ce
résumé : « Ils sont claniques, accordent une importance démesurée à
la hiérarchie, ignorent la notion de partenariat et passent des heures
à débattre, juste pour le plaisir. » Après l’avoir lu, on prie le ciel pour
ne jamais rien avoir à faire de professionnel avec nos amis helvètes. Il
y est question, entre autres, de « la suffisance de Bruno Lafont, patron
de Lafarge, en plein processus de fusion avec le géant suisse
Holcim ». Mais aussi des Français en général, et, pire, des Parisiens.
« Si les anecdotes diffèrent, les mêmes façons de (mal) faire et de
(dys) fonctionner rythment les témoignages. » Témoignages donnés
par des cadres licenciés pour être remplacés par des Français. Et qui,
donc, parlent en toute objectivité… et dans l’anonymat. Florilège :
« Ces comportements belliqueux tendance clanique désarçonnent les
paisibles Helvètes, qui accordent plus d’importance au travail et aux
compétences » ; « Les gens s’écoutent causer et se répètent. Ce genre
d’exercice nous gonfle, en Suisse, car notre influence germanique est
plus forte », « C’est culturel, ils ne peuvent pas s’en empêcher. Ils sont
capables de perdre beaucoup de temps à débattre le pourquoi du
comment, la place de la virgule à gauche ou à droite d’un mot »…
Instructif… ou pas. Ah ! J’oubliais : « Les collaborateurs sont prêts à
piétiner le collègue devant eux pour prendre sa place. C’est un
fonctionnement tellement acquis qu’il n’y a pas la possibilité de
passer à autre chose. » C’est bien connu, le goût de la compétition est
le propre des managers tricolores…
Avant de vouloir quitter leur pays, les Français doivent donc avoir
conscience qu’ils ne sont pas toujours attendus à bras ouverts.
Ensuite, ils doivent se préparer à affronter la réalité de la nation dans
laquelle ils envisagent de s’installer.
Illustration : dans le classement des pays qui font le plus rêver les
Français, le Canada caracole en tête, en particulier sa partie
francophone. Fin 2014, le ministère des Affaires étrangères estime
qu’environ 150 000 Français sont installés au Canada, les trois quarts
au Québec, dont plus de 58 000 dans la seule ville de Montréal. « Il
n’y a pas de paradis sur terre ! soutient Laurence Pivot. En France,
nous vivons dans une société qui a des acquis tellement hallucinants
que, tant qu’on ne sait pas comment cela se passe ailleurs, on peut
croire qu’ils sont la norme. Quand les aspirants à l’immigration
débarquent là-bas, certains déchantent en découvrant les différences
au travail. »
La greffe ne peut prendre qu’une fois que les nouveaux arrivants
se sont adaptés à la culture professionnelle locale. Car les spécificités
ne manquent pas. « Même si le Canada est la version “socialisante”
des Etats-Unis, avec son système de couverture sociale universelle et
ses allocations-chômage, rien à voir avec la France, prévient encore
Laurence Pivot. Là où les Français profitent de cinq semaines de
congés payés minimum, préavis de licenciement d’un mois minimum
incluant des heures libérées pour la recherche de travail, parfois
treizième mois, tickets restaurant… beaucoup de Canadiens ont entre
deux et quatre semaines de vacances, et, pour certains d’entre eux, le
préavis dépasse à peine dix minutes. »
Le choc guette donc les Français qui rêvent de l’eldorado
canadien. « Et puis, poursuit Laurence Pivot, on le constate souvent,
ceux qui sont aigris, qui fuient la France en la dénigrant, finissent par
cracher sur le Québec, pourtant tant désiré au départ. La frustration
fait rarement des émigrés heureux. » La déception est parfois telle
qu’elle incite à faire machine arrière. Pour faciliter le retour, le
gouvernement français prévoit de mettre en œuvre les propositions
préconisées dans le rapport rédigé par Hélène Conway-Mouret,
sénatrice socialiste. Objectif : faciliter l’accès au logement, l’obtention
de droits sociaux ou l’inscription des enfants dans les établissements
scolaires, souvent difficiles faute de justificatifs satisfaisants, en
simplifiant notamment les démarches administratives.

1. Le Figaro, 9 août 2015.


2. Le Monde, 21 janvier 2013.
3. L’Express, 28 mars 2014.
4. Enquête réalisée par Speaking-agency & Meteojob et relayée par Grazia, 30 avril 2014.
5. L’Hebdo, 25 juin 2015.
« Les institutions
et les hommes politiques
français sont les pires
au monde » ?

FAUX !
Les institutions
françaises ne sont
ni pires ni meilleures
qu’ailleurs

Nous déplorons tous que le monde politique français s’illustre si


peu par son exemplarité, surtout en pensant aux démissions de
responsables politiques de Scandinavie, d’outre-Manche ou d’outre-
Rhin impliqués dans une affaire. Sans pour autant être naïf, il est
impossible de ne pas ressentir une profonde aversion pour les
pratiques politiques douteuses et les discours démagogiques ou
populistes, de droite comme de gauche. Nous sommes nombreux à
condamner l’absence de réforme de fond en matière institutionnelle.
Avec le recul, je regrette profondément d’avoir voté « oui » au
référendum de septembre 2000, qui a décidé du passage du
septennat au quinquennat. Ce changement n’a fait qu’accélérer la
course à l’échalote présidentielle. A peine l’élection terminée, le
nouvel élu en place se pose la question de sa réélection et agit en
conséquence à l’exact inverse de ce dont une nation comme la France
a besoin : stabilité, action dans la durée, temps et recul. D’autres
particularités de son système politique pénalisent l’Hexagone. « La
France est presque le seul pays développé où le cumul des mandats
existe à ce point », observe par exemple Jean-Benoît Nadeau. A
l’appui de sa remarque, un chiffre : plus de 70 % des sénateurs
cumulent plusieurs mandats politiques. Le même auteur rapproche ce
constat d’un autre, au risque de choquer ceux des Français qui sont
obligés de se serrer la ceinture : « Le personnel politique français est
sous-payé, c’est pourquoi il est cumulard et freine toute velléité de
réforme dans le domaine. C’est d’autant plus frappant que le pays est
tout à fait capable de se réformer. Contrairement aux idées reçues, il
n’y a pas trop de politique en France, il n’y en a pas assez ! »
Autres conséquences négatives du système français : les élus sont
souvent plus âgés qu’ailleurs, les femmes sont sous-représentées dans
les instances politiques et institutionnelles, des catégories
socioprofessionnelles sont surreprésentées… Bref, par bien des
aspects, la représentation des Français doit évoluer. En ce qui
concerne le découpage territorial et ses institutions, plus personne ne
s’y retrouve. Comment percevoir les nuances de l’organisation ou
distinguer les zones de compétences entre régions, départements,
intercommunalités, communes, pays… Certes, la décentralisation,
lancée dès 1964 par le général de Gaulle 1, a pour objectif de
contrebalancer le poids de l’Etat induit par la concentration des
pouvoirs à la française. Parmi les origines du modèle centralisateur, la
Révolution française, qui a vu proclamer la France « une et
indivisible » et imposer une organisation territoriale et
institutionnelle unifiée autour des départements, arrondissements,
cantons et communes. Cette unification, fruit de l’assemblage de
territoires autrefois ennemis, s’est bâtie aussi autour de l’instauration
d’une langue unique, le français, et d’un pouvoir central localisé à
Paris, la capitale. Le mouvement n’a fait que s’accentuer au fil des
régimes et de l’histoire.
La décentralisation n’a pas entièrement détricoté ce modèle. Elle a
permis à quelques satellites tels Lyon, Marseille ou Lille de renforcer
leur influence politique et économique, mais au détriment de villes et
de territoires moins peuplés. Un exemple, l’étrange décision prise à la
fin des années 1980 de ne pas relier Amiens, capitale d’une région
dotée d’un bassin de population de plus de 200 000 habitants, au
tracé de la LGV Nord, qui relie Paris à la frontière belge et au tunnel
sous la Manche. On a préféré contourner cette agglomération de
taille afin que Lille bénéficie de la totalité du trafic ferroviaire à
grande vitesse du nord de la France. Pour l’aménagement du
territoire, ce parti pris apparaît absurde. L’influence de la région
lilloise et de son maire de l’époque, Pierre Mauroy, ainsi que
l’habitude française d’envisager le territoire en termes de
centralisation ont condamné Amiens à rester éloignée d’une ligne
majeure. Inaugurée en 1994, la gare Haute-Picardie TGV se trouve
aujourd’hui implantée en rase campagne, sur deux communes
d’environ 300 habitants chacune, à une quarantaine de kilomètres
d’Amiens et de Saint-Quentin, ce qui lui vaut le titre glorieux de
« gare des betteraves », attribué par ses détracteurs. Une quinzaine de
trains s’arrêtent quotidiennement dans cette gare qui ne bénéficie
d’aucune correspondance avec le réseau ferré local. Les chiffres de
fréquentation sont dérisoires : 360 000 voyageurs seulement y sont
passés en 2013, d’après Gares & Connexions. Même la zone d’activité
que tentent d’y implanter les collectivités locales ne prend pas. Ainsi,
aujourd’hui, toute une région et, par ricochet, le pays dans son
ensemble payent-ils les pots cassés de choix politiques douteux.

Les Français ambivalents


Si, au cours de la période d’après-guerre, le pays en pleine
reconstruction a cherché à rationaliser son organisation territoriale,
et si François Mitterrand a amorcé l’application de la politique de
décentralisation au début de son premier septennat, l’exemple du
tracé de la LGV Nord n’en représente pas moins le déséquilibre et les
inégalités qui perdurent à l’échelle nationale. Qu’en sera-t-il après la
conversion des conseils généraux en conseils départementaux et la
fusion des régions ou des communes via le dispositif de « communes
nouvelles » ? Doit-on s’attendre à voir sortir de terre des bâtiments
pharaoniques, tels les sièges de conseils régionaux, destinés à
accueillir de nouveaux bataillons de personnels administratifs ? Va-t-
on ajouter des couches aux couches déjà existantes en multipliant
collectivités, administrations, avec, à la clé, les risques de dérives en
matière d’attribution de marchés ou de subventions ou de
clientélisme ? Enfin, va-t-on définitivement perdre les citoyens qui ne
s’y retrouvent déjà pas dans les collectivités aux rouages et modes de
fonctionnement complexes ?
Surtout qu’en matière de transparence et d’intégrité de la vie
publique la France peut déjà mieux faire, si l’on en croit l’état des
lieux réalisé par Transparency International. Cette ONG
internationale, qui lutte contre la corruption des gouvernements et
des institutions gouvernementales, a fait une évaluation à l’échelle de
la planète d’après soixante-cinq indicateurs tels que les conditions
d’élaboration des lois et décrets, au Parlement, dans les cabinets
ministériels, les collectivités locales ou au sein des autorités
administratives. La France décroche la 29e place sur 174, loin derrière
l’Europe du Nord, mais devant l’Italie et la Grèce, classées ex aequo
69e.
« Les “représentants d’intérêts” – terme préféré à “lobbys” –, qui
au nom d’entreprises ou d’associations tentent d’influencer en leur
faveur les décideurs publics dans le processus législatif, continuent en
France d’agir dans l’ombre », écrit Le Monde 2. Conflits d’intérêts,
lobbyings, attributions douteuses de marchés… il reste bien du
chemin à parcourir pour rendre effectives les règles de bonne
conduite, la traçabilité des décisions et la création d’organes de
contrôle indépendants.
Bien sûr, les dérives ne sont pas l’apanage de la France. Que les
Français qui se disent désespérés par leur classe politique regardent
l’excellente série danoise Borgen, une femme au pouvoir. Ils
constateront que les luttes de pouvoir et les pratiques douteuses
existent même sous des cieux considérés comme exemplaires. Quant
à ceux qui généralisent un peu vite en crachant le fameux « Tous
pourris ! » à la tête de leurs élus, je leur demande : pourquoi n’y
allez-vous pas ? A tous les citoyens qui jugent leurs représentants
avec sévérité, je dis : impliquez-vous ! Il suffit d’être éligible pour
tenter de mieux représenter ses concitoyens. Si les personnalités qui
représentent la population nous déplaisent, si nous en condamnons
les comportements, si nous jugeons sévèrement leurs résultats,
agissons !
« Dans notre culture, on est ambivalent, reconnaît Denis Tillinac.
Gaulois, pagailleurs, bordéliques, et, en même temps, en quête
d’harmonie collective et de rigueur. Comme on est bordélique, du
coup, on est césarien, on aime les grands chefs durs qui nous
protègent des autres puissants. On l’installe sur le trône puis on le
canarde. Notre vraie exception française, ce qu’on ne sait pas bien
faire, c’est la politique. On a une tendance à se diviser. On est
insatisfait. On dit qu’on veut faire de la démocratie, mais les
démocrates, ce sont les Anglais. Ils l’étaient bien avant nous
d’ailleurs. » Le peuple s’est révolté contre l’aristocratie et le clergé en
1789. République après République, la France est venue à bout,
espère-t-on, des systèmes autocratiques qui ont jalonné son histoire.
Pourtant, c’est un poncif que de le souligner, les Français restent
fascinés par la figure paternelle, celle du monarque. Ils continuent à
fantasmer sur « l’homme providentiel » à la de Gaulle.

Des institutions solides


« Bien sûr qu’il y a des aspects perfectibles dans les institutions
françaises mais, de manière générale, il n’y a pas matière à beaucoup
s’inquiéter, tempère Jean-Benoît Nadeau. L’élection à deux tours et au
suffrage universel direct, car elle repose sur une majorité absolue,
fonde la légitimité du gagnant. Par comparaison, aux Etats-Unis, on
l’a vu en 2000, la légitimité du président américain, élu par majorité
d’un collège électoral et non des électeurs, est potentiellement
contestable. » Les Premiers ministres anglais ou canadien, le
chancelier allemand, élus par leur parti, ne jouissent pas non plus
d’une légitimité comparable à celle du président français. Par ailleurs,
les institutions fonctionnent plutôt bien. Les trois cohabitations en
attestent. Le Conseil constitutionnel s’attache à débusquer les lois non
conformes à la Constitution. La décentralisation, déjà évoquée, a créé
de nouveaux contre-pouvoirs, et, cependant, l’Etat reste au cœur de
l’organisation de la nation. « L’Etat français est une force vive, écrivent
3
les auteurs de Pas si fous, ces Français ! . […] Dans le système de
valeurs anglo-américain, l’Etat est considéré comme un garde-fou. Il
existe pour garantir les libertés individuelles […]. Mais l’Etat français
fait beaucoup plus. Il dirige l’économie, dispense les prestations
sociales, redistribue les richesses […]. » Il va même jusqu’à garantir
« son unité et sa cohésion ».
Les dépenses de l’Etat représentent 57 % du PIB, ce qui paraît
énorme, excessif, dit-on même. Mais, lorsque le poids de l’Etat était
largement inférieur à ce pourcentage, ses détracteurs, représentants
du patronat notamment, tenaient déjà ce discours, comme si son
existence même posait problème. « La France gagnerait sans doute à
relativiser la place de l’Etat, grande passion nationale il faut bien
l’avouer, suggère Nicolas Véron. Cependant, je suis passé par les
grandes écoles de la fonction publique et les grands corps tels que
l’Ecole polytechnique. Je sais ce que je dois à la centralité de l’Etat : je
n’oublie pas que je suis moi-même un produit de cette République.
Bien sûr que l’Etat a eu énormément de vertus ; il a largement
contribué à construire la France qu’on connaît aujourd’hui, et lui a
donné son identité. Au regard de l’histoire, notre pays n’avait aucune
réalité géographique ni linguistique ; il est une création politique qui
a réussi. En outre, il y a des choses que l’Etat fait bien. Si l’on
compare son actif et son passif, il semble certain que l’actif a été
longtemps supérieur – mais peut-être aujourd’hui ne l’est-il plus. »
Certes, nos institutions sont à revisiter, et malheureusement
personne n’ose prendre à bras-le-corps cette question, sinon pour des
calculs politiques de bas étage. Néanmoins, ce constat fait-il de la
France l’une des pires nations en matière de gouvernance ? Ceux qui
se lamentent en criant à la « spécialité française » sont là aussi à côté
de la plaque. Ils oublient que les fondements de la France reposent
sur des valeurs fortes.
Beaucoup, à l’étranger, s’étonnent par exemple du principe de
laïcité en cours dans le pays. Contrairement aux idées reçues qui le
définissent comme doctrinaire et radical – certains ne parlent-ils pas
des « ayatollahs de la laïcité » ou des « laïcards » ? –, ce principe
assure une stricte neutralité en matière religieuse. En séparant les
différents cultes de l’Etat, la laïcité garantit la liberté de pratiquer ou
non une religion. Cette liberté protège le croyant comme le non-
croyant et, si la religion est interdite à l’école publique, c’est pour que
puissent y être acceptés les enfants de toutes confessions et de toutes
origines, quel que soit leur bagage spirituel. « Notre République
laïque est un cas exceptionnel dans le monde, résume Laurence Pivot.
Cette séparation de l’Eglise et de l’Etat n’existe pas chez nos voisins
proches. En Allemagne par exemple, une partie du système social est
financée par l’église luthérienne. Dans les constitutions européennes
monarchiques, il n’y a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat. Aux
Etats-Unis, quand vous vous installez dans un nouveau quartier, on
vous demande pour commencer à quelle Eglise vous appartenez. Ce
pays est si profondément religieux que le président de la République
y prête serment sur la Bible. »
Le principe de laïcité n’empêche d’ailleurs pas l’Etat français de
mettre son nez dans les affaires religieuses, car « depuis la loi de
1905 [il] ne reconnaît aucun culte, mais il n’en ignore plus aucun »,
peut-on lire sur viepublique.fr, un site de la Direction de l’information
légale et administrative. Et encore : « La non-reconnaissance des
cultes ne signifie pas que l’Etat cesse d’entretenir des relations avec
les institutions religieuses. L’article 4 de la loi de 1905 prévoit que
l’Etat prend en compte l’organisation interne de chacun des cultes
dans la mesure où cette organisation n’entre pas en contradiction
avec les règles républicaines. » Une « police des cultes » permet de
veiller à ce que les pratiques religieuses « ne remettent pas en cause
l’ordre républicain ou qu’elles ne créent pas de troubles à l’ordre
public ». Enfin, « l’Etat entretient des relations avec les représentants
des différents cultes. […] Dans l’ensemble, l’Etat entretient des
relations régulières avec six “grandes religions” ».
Fière de sa conception de la laïcité, la France agit à l’international
pour un meilleur respect des croyances religieuses, mais aussi de
l’absence de croyances religieuses. Quand le magazine Le 1 4 demande
à Mayanthi Fernando : « Quelle est votre image de la France
aujourd’hui ? », l’anthropologue et maître de conférences à
l’université de Californie répond : « En tant qu’Américaine, je suis très
impressionnée par les militants français qui défendent leurs droits.
Cette énergie qui émane des associations est vibrante et
encourageante. Plus que la laïcité, c’est ce milieu associatif qui est à
mes yeux une vraie singularité française. » Et peut-être même un
signe de bonne santé de la population ?

1. Décrets du 14 mars 1964, qui assoient l’autorité du préfet au niveau départemental et


créent les préfets de région.
2. Le Monde, 21 octobre 2014.
3. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
4. Le 1, 4 mars 2015.
« Les modes
de vie à la française ne font
plus rêver » ?

FAUX !
La « douce France »
a gardé ses admirateurs

Lors de la préparation d’un dossier sur la qualité de vie dans


l’Hexagone, j’avais demandé à une poignée de résidents d’origine
étrangère de donner leur avis sur la France et les Français. Leurs
réponses partaient dans tous les sens. Ça débattait, ça critiquait, ça se
contredisait, bref, plus français que les Français, pour rester dans les
stéréotypes.
Christelle, trente-sept ans, suissesse et comédienne, en France
depuis 1997, louait « une culture artistique inouïe et un paysage riche
et varié ». Observons-le, ce paysage… Le Val de Loire par exemple :
Blois, Saumur, Langeais, des villes à la fois porteuses de mémoire et
traversées par un fleuve bien vivant. Que dire des côtes ? Du cap
Gris-Nez au cap Corse en passant par la baie de Somme, la
Normandie et sa presqu’île du Cotentin, plages immenses et falaises
abruptes, la Bretagne, les côtes de l’Atlantique et la Côte d’Azur.
Prenons la ligne de train Paris-Toulouse, qui traverse la France d’oïl et
la France d’oc : voici la Beauce, la Sologne, les contreforts du Massif
central, le granit, les tuiles… Arrivent Brive et l’Occitanie, le calcaire,
la brique rose de Toulouse… La géographie du pays est à ce point
séduisante qu’elle est citée parmi les toutes premières raisons d’y élire
domicile.
Originaire d’un autre pays voisin, Klaas, Belge, la trentaine,
ingénieur en France depuis 2006, affectionne les sites romantiques ou
pittoresques. Les Britanniques et les Néerlandais sont aussi
particulièrement amateurs du pittoresque que villages, églises et
châteaux, lavoirs et marchés couverts, sèment sur l’ensemble du
territoire. Aux Pays-Bas, on trouve même des magazines spécialisés
tournés vers le grand public tels Leven in Frankrijk ou Maison en
France.
Boris, architecte allemand originaire de Hambourg et âgé de
quarante ans, a travaillé dans plusieurs cabinets à Paris. Il a des
raisons de s’en réjouir : « La présence des vieilles pierres, partout en
France, n’empêche pas le pays d’être attaché à l’innovation et à la
création architecturale. Nombre de concours sont lancés. Beaucoup
de talents internationaux viennent de France ou travaillent en
France. »
Coromoto, Vénézuélienne de trente-cinq ans, cheffe de projet,
arrivée en France en 2005, confirme : « Ici, c’est facile d’accéder à
l’histoire, à l’art et à la culture, et il y a une grande ouverture d’esprit
sur ces sujets. »
Voilà donc au moins un point qui recueille tous les suffrages : la
beauté du patrimoine. « Il y a en France une certaine conception de
l’esthétique, précise Jean-Benoît Nadeau, le souci du détail. Par
exemple, chez nous [au Canada], les fils électriques pendent partout
dans les rues. » Et cet attrait pour l’esthétique présente et passée ne
faiblit pas, comme le démontre l’énorme succès des journées du
patrimoine.
Noa, Israélienne de trente-neuf ans, a noté que culture et plaisir
sont souvent associés, en France : « J’ai vécu à Rome, à New York et à
Tel-Aviv ; Rome était trop conservatrice, une ville et un pays qui,
malgré leurs atouts, sont figés. La vie culturelle n’y bouge pas assez.
Je suis partie à New York. Là, ça bouge trop ! Boulot et argent y sont
des valeurs trop importantes. Quant à Tel-Aviv, le climat politique y
influence beaucoup la vie ; on s’y sent toujours un peu loin de tout.
En France, j’ai trouvé le bon équilibre, et une belle vie. Il s’y passe
plein de choses et on a le temps d’en profiter ! Puis il y a la bouffe et
le vin ! »
Cedo, trente-neuf ans, Bosniaque récemment naturalisé, juriste à
Strasbourg depuis 2003, l’a remarqué, lui aussi : « C’est plus facile !
La vie est agréable et organisée, les gens ont de bonnes manières.
Puis il y a une grande place aux plaisirs en tous genres et à la
distraction. »
Coromoto aussi apprécie l’hédonisme des Français. Quant à Boris,
il note surtout les rapports particuliers des Français au sexe : « La
sexualité occupe un rôle central dans la vie quotidienne. C’est moins
explicite qu’en Allemagne. La séduction passe par l’humour, le jeu, le
signe… Les interdits ne sont pas les mêmes, les allusions grivoises
sont permises en public et dans les médias. Celui qui a une vie
sexuelle intense est valorisé. Quant à la pratique, je ne sais pas si elle
est plus grande pour autant… »
Aron, enseignant luxembourgeois de vingt-neuf ans, témoigne lui
aussi de cette différence : « Très catholique, le Luxembourg n’a pas
séparé l’Eglise et l’Etat. » Pour illustrer la mentalité de son pays, il
raconte : « Lorsqu’elles sont passées dans la capitale du Luxembourg,
le jour d’une fête religieuse, il a fallu recouvrir de bâches les nanas de
Niki de Saint Phalle. »
Lara Marlowe, journaliste américaine, correspondante du
quotidien irlandais, The Irish Times, confirme : « C’est un pays
libertin ! Et puis, la vie des Français se passe beaucoup hors de la
maison. »

Art de vivre exceptionnel


« La nature a doté la France d’une combinaison de caractéristiques
physiques qui mettent sa gastronomie au premier plan mondial »,
écrit le couple québécois auteur de Pas si fous, ces Français ! 1. Plus
loin, il reprend : « Seule l’Italie peut rivaliser avec la diversité et la
générosité de la terre française. » Et de conclure : « Les Allemands
ont depuis longtemps donné sens à ce phénomène dans leur
expression Leben wie Gott in Frankreich, “vivre comme Dieu en
France”. »
Rien de passéiste, dans ce constat. Pouvoir alterner des week-ends
« traite des vaches à la campagne », « pêche à la crevette en bord de
mer », « ski hors-piste à la montagne »… sans sortir des frontières, est
un privilège rare. Prendre l’apéro sous la tonnelle en sirotant au choix
une anisette, une bière, un verre de vin ou une coupe de champagne
en est un autre. Tartiner du camembert au lait cru sur une demi-
baguette, déguster des escargots au beurre d’ail ou une tête de veau
sauce ravigote, humer le parfum d’une ficelle picarde, jeter une
pincée de gros sel sur des os à moelle… Autant de raffinements
uniques au monde, et tant pis pour ceux qui pensent : « Barbares, ces
Français ! »
Dans les enquêtes internationales, après la richesse culturelle du
pays, c’est le goût des Français pour la nourriture qui est le plus
souvent cité pour définir l’art de vivre en France. Les Français
seraient plus enclins que les autres à savourer la vie sous cette forme.
Et ce n’est pas Denis Tillinac, qui raconte sa passion charnelle pour
l’Hexagone dans le Dictionnaire amoureux de la France 2, qui dira le
contraire. Pour lui qui vante la richesse du terroir, la France est de
loin ce qu’on a fait de mieux sur les cinq continents. « L’Italie, la
Hongrie, admet-il, ont aussi un rapport charnel au vin et à la cuisine,
mais c’est beaucoup plus limité, et les spécialités régionales sont
moins accusées. Les meilleurs œnologues de Toscane ou d’ailleurs
viennent de France. On organise des colloques pour comprendre les
implications culturelles de la différence entre les vins de Bordeaux et
ceux de Bourgogne. Il en ressort que, tournés vers l’Angleterre et les
pays scandinaves, très liés au protestantisme, les premiers évoquent
plutôt le regret, la nostalgie. Alors que les seconds, plus gaillards et
plus gaulois, sont plus immédiats, moins orientés vers le passé. Le
bourgogne, c’est le vin du Vatican et de la catholicité, le vin de Paris,
plus franc. Le bordeaux, on le boit plutôt dans les dégustations fines,
au château. Ils définissent chacun deux tempéraments français que
nous portons en nous, l’un, jouisseur et épicurien, l’autre, plus
spiritualisant et esthétisant. »
Un journaliste britannique du site américain Buzzfeed 3 se réjouit
du nombre incalculable de fromages que le pays est capable de
produire, de sa gamme de pains proposée dans les boulangeries, sans
compter les fameux croissants si croustillants. En conclusion, il jure
que tout ce qui est nourriture et boisson en France est mortel.
Côté bouffe, l’Hexagone garde décidément un solide avantage sur
le reste du monde. « La France est un exemple, en termes de
nutrition », soutient Jamie Oliver, cuisinier vedette de télévision
britannique, à l’AFP 4. Car, quoi qu’on en dise, la France conserve une
relation privilégiée à la nourriture, à sa production, à sa
transformation et à sa consommation, avec, en ligne de mire, le
plaisir de la savourer. Ce qui suppose de l’exigence, de la rigueur. Il
existe, par exemple, un nombre incalculable d’appellations contrôlées
en tous genres : agneau de prés-salés de la baie de Somme ou du
Mont-Saint-Michel, bœufs Fin Gras du Mézenc ou Maine-Anjou,
olives de Nice, de Nîmes ou de la vallée des Baux-de-Provence, sans
compter les produits laitiers et autres fromages, les vins et eaux-de-
vie. De surcroît, en dehors des appellations destinées à protéger les
produits, à garantir leur qualité et leur origine, des centaines et des
centaines de charcuteries ou fromages différents sont fabriqués à
travers toute la France. Rien d’étonnant à ce que Rungis reste le plus
grand marché de produits frais au monde.
Les pratiques culinaires perdurent, parfois même se renforcent, et
l’attachement au terroir ne se dément pas, au contraire. La vie sociale
des Français tourne le plus souvent autour de bonnes bouteilles
échangées, de petits plats mitonnés à base de produits achetés dans
les marchés, couverts et de plein vent, ou dans d’innombrables
commerces de bouche. Qui a déjà arpenté les villes néerlandaises,
anglaises ou américaines en quête de petits magasins d’alimentation
spécialisés n’a pu que constater la nette différence avec la France.
Boulangers, bouchers, charcutiers maillent encore l’ensemble de
notre territoire national pour le plus grand plaisir des
consommateurs, qui les préfèrent aux grandes surfaces
impersonnelles et pas si bon marché qu’on l’imagine. L’INSEE recense
90 000 commerces de bouche dans tout l’Hexagone et, selon la
Fédération des marchés de France, 30 000 marchés animent le pays
chaque semaine. De même, un grand nombre de restaurants et
bistrots continuent de revendiquer la qualité de leurs préparations au
moyen de labels tels que « Maître-Restaurateur » ou « Fait Maison ».
Les routiers ou les bouchons lyonnais continuent d’offrir leurs menus
traditionnels et simples.
Qu’en dit Masahide Ikuta, chef d’origine japonaise ? « Servir
rapidement des plats accessibles, mettons, de l’échine de cochon,
mais attention, toujours traités de manière gastronomique, témoigne-
5
t-il dans Le 1 . […] Et puis, c’est pas juste manger. C’est le cadre,
l’ambiance, le vin ! […] Il n’y a pas de lieux similaires au Japon. C’est
pour cette culture que je suis venu en France. »
La France, c’est aussi le vin. Le pays, premier producteur de vin au
monde en 2014 devant l’Italie et l’Espagne, selon les chiffres de
l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), possède un
terroir de vignes d’une variété exceptionnelle, du nord au sud. En
2015, elle est passée derrière l’Italie – les résultats des deux pays
varient selon les conditions climatiques de l’année en cours. Autre
spécificité française, la manière de déguster l’alcool. Le journaliste et
écrivain britannique Stephen Clarke, qui peut à l’occasion avoir la
6
dent dure vis-à-vis de la France, note une différence de taille entre
Anglais et Français. « Le vendredi soir, en sortant du travail, [les
Anglais vont] boire jusqu’à tomber inconscients dans le caniveau, ou
vomir dans le taxi. C’est comme ça qu’on s’amuse. En France, et c’est
l’une des raisons pour lesquelles j’aime vivre ici, on aime s’amuser,
mais en prenant le temps de goûter, avec plaisir et sensualité. »
Laurence Duboys Fresney le rappelle : « Les stages d’œnologie ont le
vent en poupe. Le Français moyen possède sa cave et prend plaisir à
parler vin pendant des heures. »
Encore une particularité qui fait couler encre et salive : le rythme
quotidien des Français, articulé autour de la table. Le repas convivial
continue d’être un rituel sacré, y compris à la mi-journée, où le
déjeuner reste un rendez-vous quasi incontournable, qu’on travaille
ou pas. Dans la plupart des pays voisins, le déjeuner se prend sur le
pouce, devant l’ordi ou la télévision, alors que les Français dérogent
peu à la règle du partage, se retrouvant en famille ou entre collègues
devant le triptyque « entrée, plat, dessert ». Le soir, le rendez-vous est
le plus souvent familial. Quant au dimanche, il reste un jour de repos
et de détente pour la grande majorité de la population.
Même Lara Marlowe, prompte à dégommer la France, lui accorde
en la matière un satisfecit. « Le cadre et l’art de vivre perdurent.
Certes, les Français ne sont jamais d’accord et tout donne lieu à
débat. » Peut-on vraiment s’en plaindre ? « Pas forcément, concède-t-
elle. Ils aiment la discussion et sont entre eux de bons amis. Je ne
m’ennuie jamais, avec eux. Il y a un raffinement, une grande culture
et un mode de vie que j’apprécie. Malgré mes critiques, j’éprouve un
certain amour pour la France, après toutes ces années de vie ici. »
Alors, avec de telles conditions de vie, comment se peut-il que les
Français apparaissent comme moroses et pessimistes ? Peut-être
pourrions-nous nous inspirer des Danois, peuple considéré
régulièrement comme le plus heureux au monde – mais dont
l’espérance de vie est une des plus faibles d’Europe et où le coût de la
vie est particulièrement élevé… Une visite au Danemark peut laisser
perplexe : « Il suffit de déambuler dans les rues de Copenhague fin
7
novembre pour s’en convaincre, écrit le magazine Challenges : dans
la grisaille sombre, sous le crachin glacial, les locaux circulent à vélo
avec le sourire, et les terrasses des bars sont bondées de gens
emmitouflés dans des plaids passant un bon moment à la lueur des
bougies ! » Dans ces mêmes colonnes et en guise d’explication, le
sociologue danois Peter Gundelach explique : « Nous sommes un
peuple pragmatique, simple, sans rêves de grandeur. Si nous sommes
moins désabusés qu’ailleurs, c’est que nos attentes sont plus
modestes. » Un exemple à suivre.

1. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
2. Denis Tillinac, Dictionnaire amoureux de la France, op. cit.
3. Buzzfeed, 12 juin 2013.
4. AFP, 15 mai 2015.
5. Le 1, 4 mars 2015.
6. A nous Paris, 16 novembre 2009.
er
7. Challenges, 1 février 2015.
« Le système scolaire
et universitaire français
est à bout de souffle » ?

FAUX !
L’excellence française
est reconnue
à l’international

Le débat sur l’école ressurgit à intervalles réguliers. Même si, en


juillet 2015, Najat Vallaud-Belkacem s’est vu attribuer un net
satisfecit pour sa réforme du collège 1 par Angel Gurría, secrétaire
général de l’OCDE – organisme qui, entre autres études économiques,
évalue et compare les systèmes éducatifs des pays membres –, la
ministre de l’Education essuie des critiques venues de toutes parts, et
elle n’est pas la première. Heureusement, la France n’est pas le seul
pays à épuiser ses ministres de l’Education. Exemple récent, en 2015,
au Chili, une grève des professeurs a obligé le ministre à quitter ses
fonctions.
Beaucoup s’accordent à dire que le système scolaire français
affiche des résultats calamiteux, mais les réponses qu’apportent les
gouvernements successifs ne satisfont jamais personne. Les Français
sont les premiers à critiquer leur école tout en lui vouant un véritable
culte. « La France a un modèle scolaire catastrophique, dénonçait
dans Le Monde 2 Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et
politologue étiqueté à droite. Il est hypersélectif et ultraélitiste. C’est
l’excellence scolaire précoce ou rien : aucune aide pour les élèves en
difficulté, aucun système de formation tout au long de la vie. L’école
ouvre la porte une seule fois : si les élèves n’en profitent pas, elle se
referme pour toujours. »
Pourtant, comme le souligne l’OCDE dans sa publication Regard
sur l’éducation de 2014, en engageant plus de 6 % de son PIB la
France investit plus dans son système éducatif que l’Allemagne,
l’Italie ou l’Espagne. Le financement provient pour l’essentiel de fonds
publics ; seuls 6 % de fonds privés concourent au système, contre
25 % en Allemagne et plus de 48 % en Australie. L’éducation reste
donc une priorité nationale.
Malgré l’importance des budgets alloués, la presse étrangère
considère les Français comme des cancres. Vrai ou faux ? Georges
Felouzis, auteur de Parlons école en 30 questions 3, explique que c’est
« par sa capacité à [transmettre] des savoirs et compétences aux
élèves que la qualité de l’enseignement est jugée ». Pour lui, en
conséquence, l’école française a des progrès à faire.
Observons par exemple l’enquête PISA (Programme international
pour le suivi des acquis des élèves) menée par l’OCDE. « Sur le plan
de la compréhension de l’écrit, la France se situait en 2009 dans la
moyenne des pays de l’OCDE, au même titre, par exemple, que
l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni et la Hongrie », écrit Georges
Felouzis. Même si l’évolution du niveau d’acquis ne va pas dans le
bon sens, semble-t-il, puisqu’il s’est fortement dégradé en près d’une
dizaine d’années, la France mérite tout de même quelques bons
points en matière de scolarité, surtout de préscolarité. L’école
maternelle française accueille plus de 90 % des enfants de trois ans.
C’est un des rares pays, parmi les membres de l’OCDE, à atteindre ce
score. A l’âge de quatre ans, près de 100 % des enfants sont
scolarisés, contre 79 % pour la moyenne de ces mêmes pays. Il est
même inférieur à 60 % dans des pays riches tels que le Canada,
l’Australie, la Finlande ou la Suisse. Le modèle est donc vanté dans
un certain nombre de pays du globe, qui louent en particulier sa
pédagogie de pointe. En Allemagne, ce type d’établissement reste
optionnel et la prestation est payante.
Les auteurs du rapport soulignent que cette précocité de l’accueil
des enfants français améliore le niveau de performance scolaire et
offre l’avantage de favoriser la lutte contre les inégalités sociales,
notamment à l’égard des enfants issus de l’immigration. Ce qui est
démontré par le PISA : les élèves âgés de quinze ans ayant bénéficié
d’une préscolarisation obtiennent de meilleurs résultats que la
moyenne. Contrairement à des clichés très répandus dans l’ensemble
de la société française, l’apprentissage des fondamentaux, lecture,
écriture et calcul, occupe une place majeure dans l’éducation. La
publication Regard sur l’éducation produite par l’OCDE en 2015
montre que les programmes nationaux du primaire consacrent 21 %
du temps d’instruction obligatoire aux mathématiques contre 15 %
pour l’ensemble des pays de l’OCDE et 37 % à la lecture, l’expression
écrite et la littérature contre 22 % dans ces mêmes territoires.
Autre enseignement majeur de cette enquête de référence menée
en 2015, la France obtient de bons résultats en matière de formations
post-bac de courtes durées, BTS et DUT notamment. 40 % des
diplômés de l’enseignement supérieur français ont décroché un
diplôme de niveau bac +2, contre seulement 17 % pour la moyenne
des pays de l’OCDE.
Autre bon point français : 40 % des vingt-cinq à trente-quatre ans
y ont un niveau de formation plus élevé que celui de leurs parents,
contre 32 %, en moyenne, dans les pays de l’OCDE participant à
l’évaluation. Enfin, à quinze ans, un tiers de l’ensemble des élèves
obtient de meilleures performances en compréhension de l’écrit que
la moyenne de l’OCDE.
Une fois le bac décroché, la sélection par le revenu de la famille
du futur étudiant entre moins en compte que dans beaucoup d’autres
pays. Aux Etats-Unis, il faut débourser entre 6 000 et 60 000 dollars
de frais d’inscription pour intégrer un cursus. En France, l’Etat prend
en charge l’essentiel du coût des formations, environ 10 000 euros
par étudiant pour une année. Les droits de scolarité annuels définis
pour l’ensemble des établissements publics vont de 190 euros pour
l’inscription en licence à un peu plus de 600 euros pour les étudiants
en écoles d’ingénieur, selon Campus France. Dans les établissements
privés, la facture va de 3 000 à 10 000 euros par an selon les écoles
et les cursus.
La sélection pour intégrer un établissement d’enseignement
supérieur s’opère avant tout sur la base des résultats obtenus.
L’existence de bourses et des grandes écoles publiques rend le ticket
d’entrée abordable. L’enseignement supérieur français, qui est d’un
très bon niveau, demeure l’un des plus accessibles financièrement,
car, comme on l’a vu, l’Etat continue à investir massivement dans ce
domaine. « Le système français produit les meilleurs diplômés,
affirme Thierry Grange, ex-président de conseil stratégique de
Grenoble EM, une école de management, sur le blog d’Olivier Rollot 4.
La preuve : dans les conseils d’administration des grandes entreprises
européennes, les Français constituent la nationalité la plus
représentée après, bien sûr, les cadres locaux. Pourquoi ? Parce qu’ils
sont brillants à l’oral. Ils sont capables de produire des raisonnements
construits, étayés par des références culturelles. Aujourd’hui, en
France, la culture générale est maltraitée, mais elle reste
incomparablement plus grande qu’ailleurs. » Pour Thierry Grange, le
succès des écoles de management françaises, classées par le Financial
Times au premier rang européen avec les britanniques, est justifié :
« Cela peut paraître futile, mais l’art de la conversation est plus que
jamais apprécié dans un monde de réseaux, où la capacité à
communiquer devient déterminante, poursuit-il. La culture de nos
diplômés leur permet de comprendre l’autre partout dans le monde. »
L’excellence de l’enseignement supérieur français est
internationalement reconnue. En revanche, si l’on en croit le Center
for World University Rankings (CWUR), organisme qui publie un des
classements des meilleures universités du monde, les établissements
français ne brillent pas par leur position, en 2015, comme les années
précédentes. Mais les palmarès semblent faire la part belle aux
universités américaines et anglaises… Pourquoi ? s’est demandé
Sandrine Chesnel 5, journaliste à L’Express. La raison, explique-t-elle,
est celle-ci : « Les critères de ces classements, même s’ils varient d’un
organisme à l’autre, sont calqués sur le modèle des universités anglo-
saxonnes. Ils ne permettent pas à l’enseignement supérieur français
d’y briller autant qu’espéré. Ainsi, dans le classement du CWUR, ne
figurent que les établissements français publics, dont les moyens
financiers sont sans commune mesure avec ceux de leurs rivaux
anglais et américains. Sont exclues du classement CWUR nos
prestigieuses écoles de management privées, telles HEC, l’ESSEC,
l’EDHEC… »
Heureusement, d’autres classements, tels ceux proposés par le
Financial Times, le Times, le Shanghai ranking, et l’European Report
on Science & Technologies de la Commission Européenne, plus
proches de la réalité du terrain, accordent aux établissements français
d’excellents résultats. « La France est reconnue à peu près partout en
matière d’éducation supérieure, vante Claude Revel. Même chose
pour nos scientifiques, ingénieurs, juristes et autres experts. Un atout
pour la France : sa créativité conceptuelle. Nous sommes capables de
produire des idées, certes de moins en moins à cause de
l’uniformisation de la pensée dans le monde, mais la France fait
encore la différence en la matière. » En conséquence, le niveau de
formation augmente en France depuis une quarantaine d’années
selon le rapport de l’OCDE Regard sur l’éducation réalisé en 2015, au
point que 44 % des 25 à 34 ans ont obtenu un diplôme du supérieur
contre 41 % en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE. A
noter que la France comble un sérieux retard vis-à-vis de ces mêmes
territoires puisque seulement 20 % des personnes âgées de 55 à
64 ans ont un niveau équivalent contre 25 % pour les pays de
l’OCDE.
Les succès industriels, technologiques et scientifiques dans les
domaines spatiaux, dans les transports, la médecine ou les
mathématiques le confirment. Les savoir-faire en matière
d’innovation et de recherche très dynamiques en France se voient
récompensés par de nombreux prix Nobel ou de prestigieuses
médailles Fields, récompense attribuée aux travaux en
mathématiques – 12 médailles Fields sur 56 attribuées à des Français
depuis 1936, contre 13 à des Américains (Etats-Unis). Grâce à la
réputation des écoles françaises, l’Hexagone produit des escouades
d’économistes, de financiers, d’ingénieurs, etc. La France brille
notamment dans les domaines des biotechnologies, de la finance, de
la cyberdéfense. Et la liste est loin d’être exhaustive.
En conséquence, l’Hexagone est le troisième pays au monde pour
l’accueil d’étudiants étrangers selon Campus France en 2014, et,
d’après le baromètre établi en 2013, neuf étudiants sur dix venus y
étudier recommandent la France comme destination d’études. Une
réalité qui prend les préjugés à rebrousse-poil. D’après le rapport
Regard sur l’éducation de 2015, la France occupe aussi la troisième
place ex aequo avec l’Australie des pays les plus recherchés par les
étudiants du monde entier. 6 % d’entre eux optent pour un
établissement d’enseignement supérieur de l’Hexagone pour la
poursuite de leurs études après les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Nicolas Véron contraste le tableau tout en reconnaissant
l’excellence de la France en matière d’enseignement supérieur et de
qualité de ses chercheurs : « Dommage que cela ne profite pas
suffisamment à l’économie nationale, faute de connexion avec les
universités et les grandes écoles, qui fonctionnent de manière
hypercentralisée et trop rigide. » Autre point faible du système
éducatif et de la formation en France : l’apprentissage. « C’est une des
failles de notre système, admet Claude Revel. Il y a encore
aujourd’hui une forme de mépris pour le travail manuel, qui est
particulièrement dévalorisé. L’Allemagne fonctionne mieux dans ce
domaine. Là-bas, on ne considère pas ces filières comme une voie de
garage. Cela fait quarante ans qu’on le souligne, mais personne n’a
pris cette question à bras-le-corps. » L’Etat n’est pas le principal fautif,
comme il est coutume de le suggérer à tout propos. « Nous avons un
système paritaire qui implique à la fois patronat et syndicats. Les
partenaires sociaux portent donc la responsabilité de la situation car
ils en ont la gestion. » Ces quelques bémols n’empêchent pas de voir
le bon côté des choses ou de relativiser, une fois encore. « [Les jeunes
Français] ne sont pas conscients de l’environnement unique dans
lequel ils vivent grâce à la culture et à l’éducation, déplore le cinéaste
6
Costa-Gavras . Je parle italien et espagnol, j’ai vécu en Grande-
Bretagne, en Amérique latine, aux Etats-Unis. Je peux comparer. Je
suis certain que l’ADN de la France lui permettra d’inventer de
nouveaux horizons, de trouver un épanouissement mental et culturel.
Je ne vois aucun signe de déclin. » Un recul salutaire pour observer
avec un peu plus de sagesse la situation éducative et culturelle de la
France.

1. « Echange avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, de


l’Enseignement supérieur et de la Recherche », par Angel Gurría, 10 juillet 2015.
2. Le Monde, 9 juillet 2013.
3. Georges Felouzis, Parlons école en 30 questions, La Documentation française, 2015.
4. Orientation.blog.lemonde.fr, 6 juillet 2015.
5. L’Express.fr, 17 juillet 2015.
6. Le 1, 9 avril 2014.
« La France ne rayonne plus
dans le monde » ?

FAUX !
Culture, art,
gastronomie, langue…
l’exception française

Notre langue se meurt. Notre cinéma ne fait pas le poids. Notre


gastronomie est supplantée. Notre littérature est à bout de souffle.
Pourquoi ces lamentations sont-elles si répandues alors que le
rayonnement artistique et culturel de la France est un fait reconnu
par les observateurs étrangers ?
Parmi les raisons de s’installer en France, le journaliste
britannique du site américain Buzzfeed 1 cite l’abondance de musées.
La France totalise mille deux cents musées, une des plus fortes
densités au monde pour ce type d’établissement. La seule ville de
Lyon en compte dix-huit. Il faut y ajouter les quarante-trois mille
monuments historiques inscrits au patrimoine. Le Louvre, avec plus
de huit millions d’entrées par an, est le musée le plus visité au
monde. Le Centre Pompidou, le musée d’Orsay, le musée du Quai
Branly et, dernièrement, le Louvre-Lens et le musée des Civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille… au total, près de
soixante-cinq millions d’entrées sont comptabilisées annuellement,
sans compter les instituts, les fondations et institutions en tous
genres. Selon un rapport rédigé par deux députés en 2015, au-delà
de quelques critiques émises sur la qualité de l’accueil et la durée
d’attente, les visiteurs se disent plutôt satisfaits de leur passage dans
les sites patrimoniaux.
Le site Buzzfeed évoque ensuite la profusion de la création
théâtrale. Dans ce domaine, le festival d’Avignon, in et off confondus,
propose chaque année plus de mille spectacles et dépasse largement
le million de spectateurs, dont bon nombre de touristes étrangers,
fascinés par cette manifestation, l’une des plus prestigieuses au
monde. Exemple de réussite, Art, la pièce de Yasmina Reza, a été
traduite dans trente langues.
Sur ce même site américain, le journaliste constate que les films
français remportent des Oscars, que la musique française peut être de
qualité, contrairement aux clichés qui circulent en France, et cite
notamment Daft Punk. Il s’amuse de ce que la moindre bourgade
française organise son festival. Dans son palmarès des événements
figurent les 24 Heures du Mans, une des courses les plus
spectaculaires au monde, et le Tour de France, qui, en termes
d’audience télévisuelle, est le troisième événement sportif planétaire
après les jeux Olympiques et la Coupe du monde de football.
Journées du Patrimoine, Fête de la Musique, Nuit blanche… une
multitude d’événements à la fois festifs et culturels rythment le
calendrier national, dont certains se sont exportés. Woody Allen
déclarait en 2014 au magazine Les Inrockuptibles 2 : « La France a
toujours été le symbole des ambitions humaines les plus élevées sur
la place artistique et culturelle. Quand on regarde la France, on se
dit : voilà ce que l’homme a réussi de plus beau, de plus ambitieux,
de plus élevé en matière d’art, d’architecture, de mode, de savoir-
vivre… »
Déjà, au XVIIIe siècle, la capitale française était un carrefour où se
rencontrait tout ce que le monde comptait d’écrivains, savants,
philosophes, artistes… qui parfois s’y installaient, à l’instar de David
Hume, philosophe britannique. Au même moment, de Vienne à Saint-
Pétersbourg, les cours européennes s’enorgueillissaient d’accueillir les
intellectuels français. Dans les deux siècles qui suivront, le
rayonnement de Paris, capitale culturelle ne se démentira pas, en
particulier entre les deux guerres mondiales. Hemingway, Modigliani,
Chagall, Dalí, Ernst, Miró, Buñuel… Et aujourd’hui ? Les intellectuels
étrangers ont-ils déserté la France ? Bien au contraire. J’y reviendrai.

Gastronomie
A la question « La France reste-t-elle la capitale de la
3
gastronomie ? », l’auteur britannique de Français, je vous haime ,
Stephen Clarke, répondait 4 : « Là, je dois dire que la France gagne
facilement. Parfois, des amis me disent : “Viens voir, il y a un super
restaurant qui vient d’ouvrir à Londres.” On y va. Le décor et les
serveurs sont fabuleux, mais derrière, en cuisine, il y a des étudiants
qui réchauffent les plats au micro-ondes. En France, on fait une école,
on apprend à cuisiner, à choisir les ingrédients. C’est plus artisanal. »
Et ça vaut de l’or ! « L’univers de la gastronomie a rarement été aussi
5
exaltant, répond Alexandre Cammas , fondateur du fooding, à ceux
qui en annoncent le déclin. Dans les années 1970, la nouvelle cuisine
était une révolution bourgeoise. Ce n’était pas aussi intéressant que
ce qui est en train de se passer en ce moment. Là, on parle d’une
révolution non seulement gastronomique mais également culturelle,
avec la naissance du “cool” en cuisine. » La gastronomie française est
donc de moins en moins la cuisine coincée et guindée que décrie
encore la presse étrangère, reprise en chœur par ses homologues
tricolores.
Comme le rappelle Laurence Duboys Fresney : « Les Français
restent fiers de leur cuisine et de leur terroir. Pour eux, la
gastronomie fait partie des fleurons français. » Ils le confirment dans
les enquêtes faites sur le sujet. En mars 2015, dans un sondage
réalisé par l’institut spécialisé Odoxa, ils citent la gastronomie en
premier parmi les caractéristiques tricolores dont ils sont le plus fiers.
Le vin est un autre fleuron de notre couronne, le champagne en
particulier, associé à toute célébration dans une grande partie du
monde. C’est pourquoi les coteaux, les maisons et caves de
Champagne sont inscrits depuis 2015 au patrimoine mondial de
l’Unesco, aux côtés des climats de Bourgogne, ces parcelles de terre
parfaitement délimitées par leurs conditions géologiques et
climatiques particulières. Corollaire, le rituel de l’apéritif passe les
frontières, et les terrasses de café à la française rencontrent un vif
succès à l’étranger.
Même le sandwich baguette conquiert les cœurs de nos voisins.
« Ce symbole du patrimoine alimentaire hexagonal continue à tenir la
route, et même à s’exporter ! » constate Laurence Duboys Fresney. En
effet, non seulement les Français en mangent près de 1,3 milliard par
an, ce qui témoigne d’une belle résistance aux burgers, mais il tient
maintenant une place honorable dans les vitrines de la célèbre chaîne
de fast-food britannique Pret A Manger. Deux tranches de baguette
fraîche et croquante, quelques tranches fines d’authentique jambon
sec ou de Paris : le bonheur des choses simples 6…

Mode
Il suffit de taper « capitale de la mode » dans un moteur de
recherche du Web pour le constater : blogueurs, médias et
influenceurs préfèrent maintenant Milan, Londres et New York à
Paris, détrôné haut la main. « Paris est-elle encore la capitale de la
mode ? » La question revient sans cesse, et conduit
immanquablement à la conclusion que le « chic parisien » est mort.
The Global Language Monitor, un cabinet basé à New York qui
collecte et analyse les contenus des médias et les algorithmes
Internet, établit, à partir du nombre d’occurrences, des tendances
diverses à l’échelle du monde. Chaque année, entre autres
statistiques, il réalise à partir du mot « mode » un classement des
villes les plus fashion qui fait la pluie et le beau temps dans ce
secteur. Or, systématiquement, ses mesures placent une ville
anglophone en tête. Londres puis New York, ou l’inverse.
Relativisons ses résultats. Premier bémol : l’usage de l’anglais
dans le travail d’enquête peut inciter à mettre en question le côté
« scientifique » de l’étude. Deuxième bémol, il en faut peu pour faire
pencher la balance, semble-t-il ; en 2011, le même cabinet expliquait
la première place de Londres dans son palmarès par l’impact du
mariage royal, auquel était associé Alexander McQueen, couturier de
Kate Middleton.
« Paris, au top du classement de la Haute Couture, a évidemment
des siècles d’héritage d’avance, ayant inventé le concept, mais son
score est aussi élevé pour le prêt-à-porter », rappelle Bekka Payack,
directrice mode du cabinet The Global Language Monitor, dans
7
l’étude qu’elle a dirigée. Certes, comme l’écrit Le Monde : « La haute
couture n’est plus une affaire franco-française : de grandes maisons
parisiennes ont peu à peu quitté la scène. Balmain, Saint Laurent,
Rochas, Thierry Mugler, ou plus récemment Givenchy ont laissé des
places désormais occupées en partie par des maisons étrangères […].
C’est grâce à ces couturiers et à leurs particularismes que la haute
couture d’aujourd’hui adopte une nouvelle physionomie pleine de
reliefs. »
LVMH, groupe français qui inclut quelques activités du domaine
de la mode – maroquinerie, bijouterie et parfumerie notamment –,
avec entre autres Dior, Céline, et Vuitton, conserve sa place de chef de
file mondial de l’industrie du luxe en termes de chiffre d’affaires.
C’est un acteur incontournable de la mode. Un second groupe
français de dimension internationale, Kering, possède les maisons
Saint Laurent, Balenciaga, Boucheron, et figure aussi parmi les
leaders mondiaux de l’habillement et des accessoires. Des marques
plus récentes réussissent à s’imposer à l’étranger, à l’instar de Zadig et
Voltaire ou des accessoires Jérôme Dreyfuss. La liste est loin d’être
exhaustive. Avec un quart du chiffre d’affaires mondial du secteur, les
marques de luxe tricolores paradent au premier rang, comme le
montre l’étude 2013 du cabinet de conseil Bain & Company. Selon le
ministère de l’Economie, près de la moitié des marques de prestige
d’envergure internationale sont françaises. En conséquence, Paris
maintient sa tradition d’accueil de toutes les modes, et reste un
passage obligé pour les créateurs du monde entier, auxquels elle offre
une reconnaissance incomparable. La référence.
Littérature
On entend souvent poser une question similaire pour le secteur de
l’édition. Pourquoi les livres français, pays d’écrivains illustres – Jules
Verne se place au deuxième rang des écrivains les plus traduits au
monde derrière Agatha Christie, selon l’Index Translationum émanant
de l’UNESCO –, se vendent maintenant si peu hors des frontières
hexagonales ?
D’après les chiffres recueillis auprès du Syndicat national de
l’édition, du Centre national du livre et du Bureau international de
l’édition française, il semble que la France obtienne en fait des
résultats plus qu’honorables. Le pays reste troisième pays européen
exportateur de livres après le Royaume-Uni, qui l’emporte grâce à la
suprématie de la langue anglaise dans le monde, et l’Allemagne.
Par ailleurs, les livres écrits en français sont les plus traduits aux
Etats-Unis (un chiffre à nuancer, certes, puisque 1 % seulement des
romans publiés chaque année outre-Atlantique proviennent d’une
traduction). Dans le monde, ils sont les plus traduits après les
ouvrages écrits en anglais. Pas si mal, donc.
Environ un quart du chiffre d’affaires de l’édition française résulte
des ventes à l’étranger. C’est dans ce cadre que nombre d’écrivains
français partent à l’assaut des librairies du monde entier. Michel
Houellebecq, qui n’est pourtant pas considéré comme un auteur
populaire, a ainsi vendu des dizaines de milliers d’exemplaires de son
livre Particules élémentaires en Allemagne, aux Etats-Unis et en
Espagne. Son nom est connu à travers le monde, encore plus depuis
que ses livres font polémique. Un de ses romans a même été numéro
un des ventes en Allemagne et en Italie.
Dans un autre style, Marc Levy, auteur français le plus lu sur la
planète, est traduit en quarante-huit langues. Ses livres se sont
vendus à une trentaine de millions d’exemplaires. Même engouement
pour Guillaume Musso, dont les ouvrages sont déclinés en trente-huit
langues.
Autres exemples. Le prix Goncourt décroché par Marie NDiaye, en
2009, a propulsé sur la scène internationale cette auteure, qui a fait
la couverture du célèbre New York Times en 2012. Des auteurs tels
qu’Anna Gavalda, traduite en vingt-cinq langues, Tatiana de Rosnay,
Frédéric Beigbeder, Christian Jacq, Fred Vargas, Eric-Emmanuel
Schmitt… obtiennent d’excellents scores en nombre d’exemplaires
vendus à l’étranger. L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery a paradé
plusieurs semaines d’affilée dans la liste des best-sellers du New York
Times.
Grâce à Patrick Modiano, lauréat en 2015 après Le Clézio en
2008, la France affiche le nombre le plus élevé au monde de prix
Nobel de littérature (15), devant les Etats-Unis (12) et le Royaume-
Uni (10). Selon Livre Hebdo, la France compte des milliers d’éditeurs
et publie chaque année près de soixante-dix mille ouvrages. Quand le
JDD 8 demande à Theodore Zeldin, philosophe anglais et auteur
9
fameux du livre Les Français , pourquoi il publie son dernier ouvrage
en France plutôt qu’au Royaume-Uni, il répond : « Je publie chez
Fayard, car ces éditeurs français sont bien plus efficaces qu’outre-
Manche. Le système britannique d’édition est trop lourd. Si vous avez
l’impression que la France est en mauvais état, sachez que, dans
certains domaines comme l’édition, elle excelle ! » Comme dirait le
célèbre Canard français : « Pan sur le bec ! »

Cinéma
Si le quotidien anglais The Guardian expliquait récemment que le
cinéma français tend à passer inaperçu, accusé de ne produire que
des biopics d’icônes populaires franco-françaises, ce qui n’est pas
entièrement faux, il n’en reste pas moins que la France, pays où le
cinéma a vu le jour, reste le deuxième exportateur mondial de films
après les Etats-Unis.
En 2012, grâce à trois films – The Artist, Intouchables et Taken 2 –,
le cinéma français a cassé la baraque avec près de 145 millions
d’entrées dans le monde et près de 900 millions d’euros de recettes
(chiffres donnés par Unifrance, organisme chargé de promouvoir le
cinéma français). Ces trois films ont concentré plus de 60 % de la
fréquentation totale des films français à l’étranger dans l’année.
D’autres films ont permis d’obtenir une fréquentation record en
Asie, en Amérique du Nord, au Proche et au Moyen-Orient, en Europe
centrale et orientale : Le Prénom, La Délicatesse, Le Capital, Les Neiges
du Kilimandjaro, Les Adieux à la reine, Derrière les murs, Amour (film
de l’Autrichien Michael Haneke, mais de production française) et Et si
on vivait tous ensemble ?… Unifrance a commandité une étude auprès
de l’institut Opinion Way, qui souligne le taux de satisfaction des
spectateurs étrangers des films français. Trois personnes sur quatre
affirment ainsi apprécier notre cinéma. Le taux de satisfaction le plus
haut est celui des spectateurs russes, allemands, américains et
anglais.
Côté cinéma d’animation, le succès du long-métrage Les Minions,
après Moi, moche et méchant, confirme le savoir-faire des réalisateurs
français dans ce domaine. Des studios américains s’appuient depuis
longtemps déjà sur des équipes françaises pour réaliser quelques-uns
de leurs films et obtiennent grâce à eux de beaux succès
internationaux. L’Ecole de l’image des Gobelins, une des meilleures
écoles d’animation au monde, est parisienne. Selon Michel Ocelot,
réalisateur de Kirikou : « L’animation française est la troisième du
monde derrière les Etats-Unis et le Japon, si on inclut l’industrie
télévisée », et Ginger Gibbons, réalisateur de films d’animation
britannique, confirme : « La France forme d’excellents animateurs aux
Gobelins, que les chasseurs de têtes des grands studios américains et
canadiens visent très vite ! Parmi les studios français connus dans la
profession, Les Armateurs, La Fabrique Folimage, Millimages, Jean-
François Laguionie, TeamTO… »
En 2014, sur cinq films sélectionnés dans la catégorie animation
aux Oscars, deux ont été fabriqués en France, Ernest et Célestine et
Moi, moche et méchant 2. La production française Un monstre à Paris
a bien fonctionné à l’international, en particulier dans les salles
britanniques. L’animation a l’avantage de supprimer la barrière de la
langue, frein majeur à l’exportation vers les Etats-Unis, rétifs au
doublage comme au sous-titrage.
Il y a donc de quoi se réjouir. « On n’a pas beaucoup d’industries
qui résistent au niveau mondial, et l’audiovisuel en est une, déclare
10
Philippe Rousselet , patron de Vendôme Production, qui travaille
autant avec les Etats-Unis qu’avec la France. Même les Américains
nous envient notre cinéma », ajoute-t-il.
Un atout du cinéma français : le système d’avance sur recettes. Il
permet de financer cette industrie et de produire des longs-métrages
dans des registres éclectiques. « Le gouvernement français promeut
les politiques militantes dans ce domaine, par le biais de
réglementations relatives à “l’exception culturelle française”, écrit sur
son site le World Cities Culture Forum, réseau coordonné par un
cabinet anglais. Ce système de subventions vise à préserver une offre
culturelle forte et à réduire les inégalités d’accès à la culture […]
ainsi, le cinéma français représente 50 % des 600 films qui sortent
dans les cinémas du pays chaque année. » Un cas rare. Quelle nation
en Europe peut se targuer d’un tel pourcentage ? Pas le cinéma
italien, ni même le cinéma espagnol, deux pays qui ont connu leur
heure de gloire dans ce domaine. Pas même le cinéma britannique,
qui bénéficie pourtant d’un avantage de poids, celui de la langue. Des
647 films sortis en 2012 au Royaume-Uni, seuls 25 % y sont produits.
80 % des recettes du cinéma britannique proviennent du cinéma
américain. Comme en France, des systèmes d’aides y ont été instaurés
ces dernières années pour permettre de relancer la production.
11
« J’admire cette exception française, lance Theodore Zeldin car cela
veut dire : “Le monde est monotone, mais nous essayons de faire
quelque chose d’autre.” Le problème, c’est que vous n’expliquez pas
au reste de la planète ce que vous faites. La France a des atouts
extraordinaires, mais elle ne sait pas les mettre en valeur. » A bon
entendeur.
Autre spécificité française en matière de cinéma, le public est un
des plus cinéphiles et des plus ouverts au monde, le pays un des
mieux équipés de la planète par rapport au nombre d’habitants. Les
événements autour du cinéma y prolifèrent, avec un nombre de
festivals particulièrement élevé, dont l’un des plus réputés à l’échelle
internationale : le festival de Cannes.
Les comédiens français aussi s’exportent. Les femmes en
particulier. Des carrières impressionnantes, telle celle de Marion
Cotillard, comédienne oscarisée, montrent qu’être français n’est pas
un frein. Mélanie Laurent rencontre elle aussi un succès qui dépasse
les frontières. Pour répondre aux courageux anonymes qui se
moquent des deux comédiennes sur les réseaux sociaux, citons
12
Télérama , qui souligne ce travers français : « [A part] Simone
Signoret et Juliette Binoche, on n’aime pas que nos actrices se la
jouent à l’international – cf. Marion Cotillard quand elle va (mal)
mourir chez Batman. » Mais que sait-on du rapport qu’entretiennent
les populations des autres pays avec leurs célébrités locales ? Est-ce
que la jalousie fait partie des tares à mettre sur le dos des Français,
ou est-elle un défaut bien partagé à travers la planète ? Allez savoir.

French touch music


Dans les années 1990 naissait un courant musical techno français
appelé la French touch, incarnée par des groupes tels que Daft Punk,
Air, Phœnix, Saint-Germain… un style tendance house et trip-hop que
des journalistes anglo-saxons ont contribué à populariser. Ce
renouveau dans le monde musical français a décomplexé nombre
d’artistes et ouvert de nouveaux horizons. Les succès planétaires
récents de David Guetta ou de Christine and the Queens en attestent.
« On ne compte plus les artistes français qui cartonnent à l’étranger,
13
note L’Express dans une enquête sur la musique électro. […]
“Comme le luxe et le tourisme : l’électro, c’est la France qui gagne”,
se félicite Charles-Henri de Pierrefeu, responsable marketing chez
Universal. » Jusqu’à réaliser 600 millions de chiffre d’affaires à
l’international en 2014, selon le Bureau Export, la structure qui
accompagne le développement musical artistique français à l’étranger.
A noter : le montant des aides allouées à la structure équivalente au
Royaume-Uni est plus de deux fois supérieur, ce qui montre que
l’Hexagone soutient moins sa musique que d’autres arts. Certes,
l’instauration de quotas de diffusion d’œuvres françaises a permis de
maintenir un niveau de production élevé et de favoriser l’émergence
de nouveaux artistes, mais les résultats restent relatifs.
Architecture
Côté architecture, urbanisme, design… la France compte quelques
célébrités internationales. Jean Nouvel bien sûr, un des architectes les
plus cotés au monde ; Christian de Portzamparc, lui aussi lauréat du
prix Pritzker, la référence en matière d’architecture ; Dominique
Perrault ; Jean-Michel Wilmotte ; Nicolas Michelin… La relève est
assurée par des profils tels que celui de Thomas Coldefy, architecte
trentenaire, qui a participé à la conception de l’Institut du design de
Hong Kong, concours remporté face à cent soixante-deux autres
candidats, comme à celle du centre de conférences du Burkina Faso
ou encore du nouveau campus de Roubaix.
L’architecture intérieure française bénéficie d’une excellente image
et d’un succès grandissant à l’international. « Ambassadeurs d’un
certain classicisme, mais friands d’innovation, les décorateurs
hexagonaux, au même titre que les chefs cuisiniers ou les
parfumeurs, diffusent désormais le “style français” à l’international »,
peut-on lire en lancement d’un article de M, le magazine du Monde 14.
Reconnu pour son chic épuré et son élégance, ce « style français » est
l’héritier d’une longue tradition des arts décoratifs, incarnée par des
créateurs comme Andrée Putman puis, plus récemment, Jacques
Garcia, Jacques Grange ou Christian Liaigre. Aujourd’hui, on peut
compter sur quelques noms que le grand public connaît peu mais qui
s’illustrent à l’étranger comme en France. Parmi ceux qui s’appuient
sur l’héritage de culture et de références hexagonales, Sybille de
Margerie ou le designer Patrick Jouin. Ce dernier explique 15 : « Je
pense que notre obsession du plaisir, de la sensualité et de la beauté
est très française. Mais on n’en a pas conscience avant de se
confronter aux clients à l’international. »
Langue vivante
« Fut un temps, pas si lointain, où l’on parlait français dans toutes
les chancelleries, à Weimar, à Saint-Pétersbourg, à Vienne, au Caire,
16
relate Denis Tillinac dans son Dictionnaire amoureux de la France . Il
en est resté longtemps l’idée – vague – qu’un être “civilisé” se devait
d’avoir pratiqué nos classiques et de savoir les commenter. Fut un
temps, encore moins lointain, où le lettré de Buenos Aires, de Sofia
ou de New York échouait au quartier Latin pour être au cœur vivant
des choses de l’esprit. Ce temps est révolu, hélas, mais il existe encore
des élites francophones sur les cinq continents. » Des élites, mais
aussi des dizaines de millions de personnes sur l’ensemble du globe.
Plus impressionnant encore, l’OIF (Organisation internationale de
la francophonie) réunit quatre-vingts Etats et gouvernements dans le
monde, dont cinquante-sept membres et vingt-trois observateurs. Les
pays qui se réclament de la francophonie se trouvent en Europe bien
sûr, en Afrique subsaharienne, au Maghreb, au Canada et dans
quelques pays asiatiques. On sait peu que la France n’est pas le pays
où le nombre de francophones est le plus élevé ; elle est en effet
devancée par la République démocratique du Congo.
La langue française ne se porte pas si mal qu’on aime à le répéter.
On part de l’idée préconçue que le français régresse face à la langue
anglaise – référence linguistique internationale –, à l’espagnol ou au
mandarin. Certes, l’anglais est devenu la norme en matière d’échange
et de communication. Néanmoins, la langue française se classe
encore, selon les études, quatrième ou cinquième langue la plus
parlée au monde, avec 274 millions de locuteurs selon le rapport de
l’OIF publié fin 2014 : 212 millions de francophones, auxquels il faut
ajouter les 62 millions de personnes qui ont choisi d’apprendre le
français comme langue étrangère. C’est aussi la deuxième langue des
affaires en Europe après l’anglais et la troisième dans le monde après
l’anglais et le mandarin. Le français est classé quatrième langue la
plus utilisée du Web. La même institution estime que le nombre de
locuteurs pourrait atteindre près de 800 millions d’ici 2050 à 2060, la
zone de l’OIF ne cessant de s’accroître et de se transformer ;
14 millions de nouveaux francophones ont été comptabilisés depuis
le dernier rapport de l’OIF en 2010. D’autres études soulignent cette
tendance. Celle qu’a menée la banque Natixis en 2013 indique que le
français pourrait supplanter les autres langues d’ici la moitié du
e
XXI siècle et retrouver ainsi son rayonnement mondial pour devenir à
son tour langue universelle, plus parlée que l’anglais et le mandarin.
Les plus prudentes prédisent que le français occupera la deuxième ou
troisième place du podium des langues transnationales, c’est-à-dire
parlées au-delà des frontières de leur pays.
Le français explose en Afrique subsaharienne, au Sénégal en
particulier grâce à une natalité très dynamique. Il ne s’agit que de
projections, qui ne garantissent donc pas que le français deviendra la
langue la plus parlée au monde – est-ce un drame ? Ces études, en
tout cas, indiquent clairement qu’il n’est pas près de disparaître.
Un bémol, tout de même. L’Alliance française, formidable réseau
d’enseignement français à l’étranger, se réduit comme peau de
chagrin à travers le monde, faute de budget pour assurer la viabilité
de ses centres. Ce qui permettait d’assurer jusque-là le rayonnement
de la culture française, grâce notamment à l’enseignement de sa
langue, semble s’étioler. « Dès que surgissent les difficultés
économiques, le réflexe immédiat des politiques est de tailler dans le
budget de coopération culturelle, remarque Tahar Ben Jelloun,
écrivain, membre de l’académie Goncourt, dans Le 1 17. Ils pensent
qu’en faisant des économies sur les instituts français, vitrines et
visage de la France que les étrangers aiment, ils résoudront les
problèmes d’intendance et partant de finances. Erreur ! » Ce qui a
longtemps contribué à la diffusion du cinéma ou de la littérature
francophone à l’extérieur de nos frontières se voit remis en cause.
Dommage, car l’influence et le dynamisme d’un pays passent par le
rayonnement de sa langue et de sa culture.

Influence géopolitique
« [La France] est un pays-monde comme il en existe peu,
expliquent Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow dans Pas si fous, ces
18
Français ! , au même titre que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
De même que les Etats-Unis ont l’Alaska et Hawaï […], la France est
présente sur sept mers du globe grâce à ses anciennes colonies […].
Les “DOM-TOM” représentent 5 % de la population et 20 % de la
superficie totale du pays. » En plus de nos voisins européens, nous
avons des frontières communes avec le Brésil, les Etats-Unis, Haïti, le
Canada, Madagascar, l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-
Zélande. Le magazine L’Expansion 19 recense vingt-huit « frontières »
terrestres et maritimes, si bien que la France est « le pays qui compte
le plus de voisins au monde ». Avec 5 150 kilomètres de frontières
maritimes communes, l’Australie est de loin le premier d’entre eux.
Ainsi, seuls 8 % « du territoire français – terrestre et maritime – se
trouvent en Europe ».
Ce rayonnement géographique confère au pays, qui représente
moins de 1 % de la population mondiale, un rôle de premier plan sur
la scène internationale. Le journaliste géopolitique Bernard Guetta le
rappelait dans sa chronique quotidienne sur France Inter 20 : « La
France n’est aujourd’hui pas au mieux de sa forme économique et,
donc, politique, mais elle garde […] des atouts dont elle paraît enfin
se souvenir et très bien jouer. » Et selon lui, quelques autres pays s’en
souviennent, qui prennent la peine de resserrer étroitement les liens.
« Les monarchies sunnites l’ont fait pour marquer une distance avec
les Etats-Unis […]. Cuba l’a fait car ce pays craint que la
normalisation de ses relations avec Washington ne retisse des liens
trop exclusifs et inégaux avec un si proche et si puissant voisin […].
La France dispose de grandes industries à même de satisfaire tous les
besoins d’équipement, civil et militaire. La France est […] membre
permanent du Conseil de sécurité et pèse d’un poids certain […]. »
En outre, la France s’est « vigoureusement opposée à l’aventure
irakienne de George Bush, ajoute Bernard Guetta. […] Quoi qu’on en
retienne, cette singularité de la France qui la différencie tant de
l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne a énormément joué en sa
faveur […]. La France a là un capital immensément précieux […]. »
Les réactions internationales qui ont suivi les attentats de
janvier 2015 ont démontré que la France occupe toujours une place
centrale lorsqu’il s’agit de porter des valeurs. Dix-sept pays étrangers
ont jugé important d’être représentés dans la « marche républicaine »
du 11 janvier, mouvement citoyen spontané qui soulignait la posture
spécifique de la population française vis-à-vis du droit d’expression et
de la liberté de penser. L’universalisme que défend la France en
matière de droits de l’homme a retrouvé ce jour-là toute sa force :
d’innombrables journaux dans le monde en ont fait leur une le
lendemain même de la manifestation.
Les Français sont-ils finalement bien plus unis ou plus attachés à
ces valeurs qu’ils ne le pensent ? Robert Darnton, historien américain,
professeur émérite à Princeton, directeur du réseau des bibliothèques
de l’université Harvard, était présent le 11 janvier à Paris. Il témoigne
dans le magazine Le 1 21 : « J’y ai vu notre héritage commun des
lumières », commence-t-il, avant d’évoquer la tradition française,
« mélange entre l’esprit de contestation et la gauloiserie qui apporte
beaucoup de sel », qui forge une liberté d’expression spécifique, à la
France, née dans « les cafés, les estaminets, mais aussi dans les
jardins comme ceux du Palais-Royal ou du Luxembourg ».

Tourisme
Classée première destination touristique planétaire en nombre de
visiteurs étrangers selon l’OMT (l’Organisation mondiale du
tourisme) en 2014, « la France reste, selon Jean-Benoît Nadeau, le
point focal du tourisme mondial ». Près de 85 millions de personnes
venues du monde entier se sont rendues en France cette année-là
contre 78 millions en 2006 et 80 millions en 2008. En conséquence,
Paris est la capitale du monde qui recense le plus grand nombre
d’offres d’hébergement sur le site international Airbnb, créé aux
Etats-Unis.
Cet engouement pour l’Hexagone atteste que le pays non
seulement ne manque pas d’attraits mais continue de faire rêver.
Cependant, les parts de marché diminuant et les retours sur la qualité
de l’accueil des professionnels du tourisme français n’étant pas des
meilleurs, le Quai d’Orsay, sous la houlette du ministre des Affaires
étrangères, a entrepris des actions dans le but d’améliorer, sur ce
point, l’image de la France. L’enjeu est de taille, car le secteur
contribue largement à l’économie et au PIB et regroupe des centaines
de milliers d’emplois. Quand les déclinologues se plaisent à faire
remarquer que la France est descendue d’une ou deux places dans le
palmarès, il faut s’interroger. La France démérite-t-elle tant que ça en
n’étant « que » deuxième ou troisième pays le plus visité au monde,
compte tenu de sa superficie et de sa population ?
1. Buzzfeed, 12 juin 2013.
2. Les Inrockuptibles, 27 octobre 2014.
3. Stephen Clarke, Français, je vous haime, Nil, 2009.
4. A nous Paris, 16 novembre 2009.
5. Télérama, 4 juin 2015.
6. Le Figaro.fr, « En 2014, le sandwich jambon-beurre a coûté… ».
7. Le Monde, 8 juillet 2015.
8. Le Journal du Dimanche, 14 octobre 2014.
9. Theodore Zeldin, Les Français, op. cit.
10. Le Parisien Economie, 2 février 2015.
11. Le Journal du Dimanche, 14 octobre 2014.
12. Télérama, 12 novembre 2014.
13. L’Express, 8 juillet 2015.
14. M, 4 avril 2014.
15. M, 4 avril 2014.
16. Denis Tillinac, Dictionnaire amoureux de la France, op. cit.
17. Le 1, 9 avril 2014.
18. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
19. L’Expansion, novembre 2014.
20. France Inter, 13 avril 2015.
21. Le 1, 4 mars 2015.
« Paris, c’est fini ! » ?

FAUX !
Paris, ville capitale
en mouvement !

Après avoir été outragé, brisé, martyrisé mais libéré, comme le


clamait le général de Gaulle en 1944, Paris est aujourd’hui pollué,
mal élevé, fatigué, embouteillé, distancé, déprimé, selon ses
détracteurs. Qui aime bien châtie bien. Cela vaut particulièrement
pour la capitale française. « J’aime plus Paris », « Paris pourri »,
« Paris fini », « Paris has been », les critiques tombent comme à
Gravelotte.
Déjà, au milieu des années 1980, Paris essuyait les remarques
acerbes d’un journaliste du quotidien conservateur allemand Die
Welt 1, qui titrait son article « Le déclin de Paris : les gourmets ne sont
pas les seuls à se plaindre » 2. Pour lui, Paris était « une ville qui
végète davantage qu’elle ne vit, une ville où les ruines de la société
d’abondance et la baisse du niveau de vie sautent aux yeux du
premier venu… ». « C’est ainsi qu’il n’y a presque plus de domestiques
dans les bonnes maisons », regrettait-il. Motif : « Ils sont devenus trop
chers, avant tout en raison des charges qu’impose une Sécurité
sociale totalement déficitaire. » Quant aux « authentiques gourmets »,
ils « s’attristent du déclin de la cuisine parisienne ». Trois décennies
plus tard, les arguments diffèrent, car le monde a changé, mais
l’acharnement reste le même.
Paris est pollué ? Certes ! N’importe quel utilisateur de Vélib’
coincé derrière un bus en pleine montée de la rue de Belleville le
confirmera : l’asphyxie n’est pas loin. Carla Bruni-Sarkozy, qui affiche
clairement sa francophobie dans le Daily Mail 3, en rajoute une
couche : « Une ville affreusement polluée, un centre-ville
insupportable », lâche l’ex-mannequin, qui « habite à la lisière de la
capitale, parce que c’est le seul endroit où existent des espaces
verts ». Celle-ci a choisi de vivre à Paris, en effet, mais c’est Londres
qu’elle aime, « une ville magnifique où l’on ne sent pas la pollution, il
y a tellement de parcs… ». Allez comprendre… D’autant que,
contrairement aux préjugés, Paris n’est pas la ville la plus touchée par
la pollution dans le monde ni même en France. Dans les classements
de mesure qui placent ponctuellement Paris en tête des villes les plus
polluées, toutes les métropoles ne figurent pas. A de rares occasions
près, l’air de Pékin ou New Delhi se révèle bien plus pollué,
contrairement aux rumeurs récentes qui circulent. Le rapport 2014 de
l’OMS sur la pollution par les particules fines place d’ailleurs Paris
loin derrière beaucoup de belles villes d’Italie, dont Turin, Padoue,
Venise…
Dans un autre classement sur le taux de particules fines, français
celui-là, publié par l’InVS (Institut national de veille sanitaire) en
janvier 2015, la capitale arrive en septième position derrière
Marseille, Lille, Lyon, Nice, Grenoble et l’agglomération de Lens-
Douai. Si Paris connaît le plus grand nombre de pics de pollution de
France, de nombreuses villes françaises se révèlent bien plus polluées.
Pour n’en citer que quelques-unes, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Nice,
Marseille, Valenciennes souffrent chaque année d’un plus grand
nombre de jours de pollution de l’air. Si l’on considère que l’Ile-de-
France est au cœur du maillage routier français, on peut estimer que
les Parisiens ne sont finalement pas si mal lotis.
Les actions menées depuis 2001 changent Paris petit à petit. Parmi
les plus spectaculaires, appréciées ou décriées selon les sensibilités,
l’organisation de la circulation autour de couloirs de bus et pistes
cyclables, et l’implantation d’un système de location de vélos, les
Vélib’, qui font le bonheur partagé des Parisiens. Pionnière dans la
mise à disposition de bicyclettes en libre service aux habitants et aux
touristes, la France a d’abord bénéficié des « vélos jaunes » de
La Rochelle, créés en 1974. Les Vélib’ parisiens restent les plus
connus au monde et ont initié un mouvement dans nombre de
métropoles, à l’instar de New York, Londres, Montréal, Taipei.
« J’aime plus Paris », chante Thomas Dutronc. Pourquoi ? Il
l’explique à Guillaume Nail pour le magazine aujourd’hui disparu
Changer tout : « Je dois avouer que j’en ai un peu marre de tous ces
travaux, par exemple. Idem pour les restrictions de circulation. […]
J’ai l’impression qu’au final on nous ampute un peu de notre liberté. »
Et il s’indigne : « Paris est une ville très chère. De plus en plus
d’endroits deviennent inaccessibles. Les Parisiens sont obligés de vivre
dans des petits appartements… ou de partir ! Résultat, j’ai
l’impression que c’est toute une vie de village qui tend à disparaître.
Cela dit, c’est vrai que Paris évolue quand même, depuis plusieurs
années, la ville bouge et je trouve cela plutôt bien. »
Heureusement, d’autres sont moins avares de compliments sur la
« Ville lumière », la « ville monde », la « capitale de l’amour ». A ce
propos, le magazine londonien Time Out 4 a sondé plus de onze mille
citadins autour de la planète sur la manière de draguer dans leur
ville. Dans le palmarès des villes idéales pour les rencontres
amoureuses, Paris arrive en tête, devant les capitales les plus illustres.
Si les plateformes Web sont plébiscitées par les autres citadins
interrogés, les Parisiens préfèrent encore sortir en ville.
Paris garde son image de carte postale. Somptueuse, majestueuse,
éblouissante, la ville tire son aura d’un passé riche et d’un patrimoine
exceptionnel, sans autre égal que Rome, puisque, selon l’adage :
« Seule Paris est digne de Rome ; seule Rome est digne de Paris. » La
capitale française n’en est pas moins inscrite dans le présent.
Métropole économique et politique, pépite d’un pays ultra-centralisé,
impossible de lui échapper, en France. Les transports y transitent, les
sièges sociaux s’y concentrent et, qu’ils en rêvent ou pas, beaucoup de
Français s’y installent. La ville se compose essentiellement d’ex-
provinciaux tombés sous le charme (j’en suis un) ou installés pour des
raisons professionnelles.

Paris, « ville musée » ?


Paris compte plus de 2 240 000 habitants en 2012 selon l’INSEE.
Avec par kilomètre carré plus de 21 000 habitants, c’est une ville
incroyablement dense, comparée aux 1 300 habitants de Pékin, aux
3 800 habitants de Shanghai, aux 8 000 habitants de Delhi, aux
10 700 habitants de New York et aux 15 000 habitants de Tokyo,
toujours pour la même surface. Le XIe arrondissement a même une
densité deux fois supérieure à celle de la moyenne de la capitale, elle-
même ville la plus dense d’Europe : plus de 40 000 habitants résident
sur chaque kilomètre carré de l’arrondissement.
Avec autant d’habitants au kilomètre carré, il est normal que Paris
donne une impression de stress, d’agitation perpétuelle, et c’est un
tort de comparer la ville à des capitales comme Berlin ou Londres,
dont on loue les parcs et l’espace de vie. Ces deux villes recensent
respectivement moins de 4 000 habitants au km2 pour l’une et autour
de 5 000 pour l’autre.
Pourtant, à Paris, on vit harmonieusement. « Peu de villes au
monde centralisent […] autant de richesse matérielle et symbolique,
notent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, auteurs de l’essai
Sociologie de Paris 5. Toutes les catégories sociales et toutes les
origines géographiques et ethniques s’y trouvent représentées. » Paris
fonctionne en effet comme un échantillon représentatif de la société
française dans son entier. Et sa forte densité n’a pas que des
inconvénients. L’incroyable brassage de population offre une diversité
incomparable, par le nombre de nationalités qu’on y rencontre ou de
catégories sociales qui s’y côtoient. Un melting-pot qui favorise
l’ouverture d’esprit. Les Parisiens votent en moindre proportion pour
le Front national que la moyenne du pays.
Dans la capitale, il y a autant de place pour ceux qui recherchent
le Paris chic, la Grande Epicerie du Bon Marché et la rue Saint-
Honoré, que pour d’autres, qui s’engagent dans les associations
solidaires, ou fréquentent les cafés popu du XIXe arrondissement.
Paris concentre non seulement les pouvoirs politique et économique,
mais aussi un réseau culturel et patrimonial majeur. C’est peut-être ce
qui énerve certains Français qui vivent en province – ou plutôt en
« régions », puisque le terme « province » est étrangement considéré
par les médias comme péjoratif. Ils critiquent les Parisiens, qui sont
pour la plupart d’anciens provinciaux qui eux-mêmes se moquent des
provinciaux, alors que nombre d’entre eux rêvent de repartir vivre en
« région ».
La capitale subit un déluge de critiques. On s’énerve contre un
serveur de brasserie irascible, un piéton qui nous bouscule par
inadvertance. On déplore le manque d’espace, les squares étriqués,
les parcs sans pelouses. On dit les Parisiens hargneux ou grossiers,
malpolis ou mufles, mais il est plus facile de sourire à toutes les
personnes croisées dans les rues d’un hameau de Lozère que sur les
Grands Boulevards. Et si les Parisiens peuvent faire l’effort d’être plus
aimables, il leur restera impossible de saluer tous leurs concitoyens.
On entend souvent critiquer les usagers du métro, aux visages si
fermés. Il faut noter d’abord que ce mode de transport en commun
incite rarement à la rigolade. Ensuite, un regard plus attentif révèle
un code de conduite propre au lieu, fait de sourires complices et
d’échanges muets, souvent sympathiques. Les stéréotypes ont la vie
dure. Un petit tour dans un bus de toute autre capitale européenne,
et même de toute autre ville française, permet de constater qu’il est
rare de voir les gens sourire à tout bout de champ et sans raison.
Paris n’est pas renommé pour la qualité de son accueil vis-à-vis
des touristes étrangers. Mais ceux qui visitent par exemple
Copenhague ou Moscou, constatent que la convivialité et l’amabilité
n’y règnent pas plus. Quant au « Hey, what’s up ? » new-yorkais qui
retentit chaque fois que vous pénétrez dans une boutique, il n’a qu’un
but commercial, et ne reflète pas le tempérament réel de l’Amérique.
Quiconque part du principe que les chauffeurs de taxi parisiens
sont imbuvables interprétera toute expérience vécue en ce sens. Le
moindre effort d’impartialité démontre que cette corporation est
composée de personnes représentatives du reste de la population,
avec son lot de rigolards, d’agacés, d’antipathiques et de roublards.
Même chose avec les serveurs parisiens. Comme le souligne l’auteur
britannique Stephen Clarke, si le serveur parisien est souvent impoli,
« c’est parce qu’il est pressé » 6. Au demeurant, on ne peut que
conseiller aux Parisiens de se montrer hospitaliers à l’égard des
touristes, bien plus nombreux que dans la plupart des autres villes.
On ne passe pas pour un imbécile en faisant preuve d’amabilité.

Toujours plus haut ! Toujours plus


vert !
L’adage « Paris sera toujours Paris » a fini par jouer des tours à
notre capitale, que les mauvaises langues accusent d’être aujourd’hui
pétrifiée. Certes, la culture continue à y occuper une place majeure.
Le World Cities Culture Forum, réseau déjà cité qui regroupe une
trentaine de villes à travers le monde, initié par le maire de Londres
et que coordonne un cabinet anglais, le constate : « Paris est l’un des
plus grands centres culturels du monde. En matière de littérature, de
musique, de cinéma et surtout d’arts visuels, les habitants de la ville
contribuent grandement à l’innovation culturelle. Dans sa phase
postcoloniale, la ville est devenue incroyablement diverse et
multiraciale, générant ainsi des opportunités complémentaires
d’innovation et de mixité. »
Au-delà de l’excellence culturelle, Paris reste célébré pour son art
de vivre. Le site de ce même World Cities Culture Forum ajoute :
« Ses cafés, ses bars, ses cinémas d’art et essai, sa scène théâtrale, ses
bouquinistes et librairies et ses rues magnifiques présentent un attrait
réel pour les touristes. » Si même un réseau lancé à Londres le dit…
Londres, justement, qu’on ne cesse de comparer à la capitale
française. Une rivalité entretenue artificiellement par les médias, qui
prend parfois des airs de guerre ouverte, surtout en période de
compétition sportive. Quelle est la ville la plus touristique ? Quelle
est la ville la plus chère ? Les motifs de frictions ne manquent pas.
Londres, qui avait une réputation de ville chère, se classerait pourtant
maintenant derrière Paris, selon certaines enquêtes, que d’autres
contredisent. Les presses française et anglaise reconnaissent les
problèmes de leurs capitales respectives. Outre-Manche, le quotidien
The Guardian constate les dégâts engendrés à Londres par une
gentrification – tendance à l’embourgeoisement de quartiers jusque-là
mixtes ou populaires – préoccupante, notant la transformation de
magasins de proximité et de bars de quartier en boutiques de luxe. La
désertification culturelle et la mort de la vie de quartier guettent la
ville et menacent son attractivité, selon ce quotidien. Qui en effet a
envie de visiter une ville sans sa population et la vie qui va avec ? The
Guardian s’inquiète de voir Londres devenir une ville huppée et
uniquement tournée vers l’élite internationale.
Paris a les mêmes craintes. Mais les informations qui circulent à
cet égard doivent être envisagées avec circonspection. La
correspondante de Newsweek, Janine di Giovanni, critique un coût de
la vie déraisonnablement élevé. Sa ville d’adoption serait plus chère
que Londres : en 2015, elle serait la deuxième ville la plus chère du
globe après Singapour, selon l’indicateur de The EIU, société
appartenant à l’hebdomadaire britannique The Economist. La
comparaison porte sur environ quatre cents prix de produits et
services dans plus de cent trente villes du monde. Mais Paris serait
finalement détrôné par Zurich et Genève depuis l’abandon par la
Banque nationale suisse (BNS) du taux plancher franc-euro.
Une autre étude, parue quelques semaines après celle-ci, donne
des résultats très différents. Le cabinet Mercer a étudié les coûts de
deux cents produits et services de plus de deux cents métropoles :
transport, logement, loisirs, nourriture, habillement et appareils
ménagers. Paris n’arrive qu’à la quarante-sixième place du
classement. Alors, qui croire ?
Revenons à la guerre entre Paris et Londres. « La mode consiste à
répéter que Londres est mieux, plus vivante que Paris, note Denis
Tillinac. J’y vais souvent, et j’aime beaucoup cette ville, mais ce n’est
pas vrai. Londres est moins bien. Marchez depuis le pont de Londres
jusqu’au pont de Chelsea, puis faites ensuite la balade à pied du pont
de Sully jusqu’à l’Alma. C’est autre chose ! Ça n’est pas de la faute de
Londres, qui a totalement brûlé au XVIIe siècle. » Soyons objectifs, on
aime Londres parce qu’elle n’a rien à voir avec Paris. Parce que son
atmosphère, ses rites et ses comportements nous dépaysent. Quelle
chance, de pouvoir bénéficier, à si peu de distance l’une de l’autre, de
deux villes si riches de leurs différences. Le charme, l’histoire ou les
spécificités de l’une ou l’autre capitale se révèlent tellement
contrastés qu’on ne peut qu’apprécier leurs singularités.
Comme Londres ces dernières années, Paris voit les grands projets
architecturaux se multiplier, et des activités innovantes se développer.
La Fondation Louis Vuitton de l’architecte Frank Gehry montre
l’audace de la ville. Les projets en cours de construction pharaoniques
prouvent que les Parisiens s’effraient moins qu’on ne le croit de voir
leur ville changer. Contrairement à ce que pensent ses détracteurs,
Paris n’est pas une ville figée. La tour Triangle devrait s’élever d’ici à
2020 dans le parc des Expositions de la porte de Versailles – un
gratte-ciel audacieux de cent quatre-vingts mètres de hauteur,
troisième bâtiment le plus haut de la capitale. Le nouveau Palais de
Justice, en construction aux Batignolles, dans le
e
XVII arrondissement, culminera à cent soixante mètres au-dessus du
sol ; il sera couvert de terrasses d’une surface totale d’un hectare,
plantées de cinq cents arbres. Renzo Piano, son concepteur, d’origine
italienne, est un des plus illustres architectes au monde. Dans le
e
XIII arrondissement, la tour dite de la Biodiversité, avec ses façades
végétalisées, imaginée par Edouard François, sera la plus verte de la
ville. Conçu en titane, l’immeuble changera de couleur en fonction de
la température. Non loin de là, les tours jumelles de Jean Nouvel
verront le jour. Autre projet révolutionnaire, en plein quartier
historique, la façade épurée de la nouvelle Samaritaine, longue de
quelques dizaines de mètres, sera composée d’un habillage de verre
et d’ondulations imaginé par l’agence japonaise Sanaa.
Outre les grands projets architecturaux, des quartiers entiers se
recomposent. Après celui de la Grande Bibliothèque, qui offre à
présent aux promeneurs des perspectives imprévues, le quartier
e
Clichy-Batignolles, dans le XVII arrondissement, est une nouvelle
occasion de dépaysement pour les Parisiens.
Autre exemple au nord-est de la capitale : des centaines
d’hectares, depuis les communes d’Aubervilliers et de Saint-Denis
jusqu’aux gares du Nord et de l’Est, vivent une reconversion de
grande ampleur. Dans ce secteur, les entrepôts Macdonald ont troqué
leurs activités logistiques contre logements, commerces et bureaux,
avec accès direct au tramway et à la nouvelle ligne RER Eole. Ces
requalifications d’envergure révolutionnent les habitudes
architecturales de la ville et entraînent nombre d’innovations
technologiques.
En parallèle, les espaces verts se multiplient ; la végétalisation de
l’espace urbain devient la norme. Avec audace, Paris, ville si dense en
population et en circulation, réussit petit à petit à évoluer malgré les
râleurs de tout poil qui défendent coûte que coûte la voiture. La
e
capitale s’est adaptée à l’automobile tout au long du XX siècle en
créant de véritables autoroutes urbaines le long de la Seine. Elle
opère aujourd’hui une mutation inverse, pour que la circulation laisse
plus de place aux cyclistes et aux piétons. Une atmosphère nouvelle
s’installe, plus propice au calme, au silence et à la sécurité.
Bien sûr, il reste du chemin à faire pour réduire une circulation si
dense. La traversée de la place de la Bastille à bicyclette, par
exemple, reste un enfer. Mais la capitale montre qu’elle est capable de
s’adapter. En plein cœur de Paris, on rend accessibles à la population
de nouveaux secteurs verts ou libérés de l’automobile. La place de la
République, dont la réfection a contrarié les Parisiens pendant
plusieurs mois, réjouit à présent ces mêmes râleurs, qui ont oublié les
désagréments subis. Bastille, Italie, Nation, Panthéon, Madeleine,
Gambetta, place des Fêtes… tous ces carrefours encore envahis de
véhicules polluants circulant à grande vitesse s’apprêtent à connaître
la même révolution.
7
Le magazine américain Wired salue les efforts entrepris et
constate l’attention portée à la population, avec la multiplication des
bancs, des toilettes – avec accès gratuit dans tout Paris, ce qui doit
réjouir mon oncle des Sables-d’Olonne –, et autres aménagements
destinés aux cyclistes. Les dizaines de millions d’euros consacrés au
plan de circulation permettent ainsi de développer la circulation des
deux-roues et d’améliorer les déplacements des piétons. Les quais de
Seine, aux allures de périphérique, laissent peu à peu la place aux
touristes. Et ce n’est pas fini ! La vitesse va être progressivement
limitée à trente kilomètres/heure sur l’ensemble de la capitale malgré
la pression des lobbies de l’automobile. Au moment du lancement
d’Autolib’, ils étaient nombreux à prédire l’échec de ce système de
location/partage d’automobiles ; il fait aujourd’hui partie du décor, et
les Parisiens le plébiscitent. Le tramway fera un tour quasi complet de
la ville d’ici quelques années, à l’exception du XVIe arrondissement.
Ce projet, lancé par Bertrand Delanoë après son élection à la mairie
en 2001, a permis de transformer totalement la physionomie des
boulevards extérieurs, qui ressemblaient naguère à de véritables
autoroutes citadines et commencent à prendre l’aspect de
promenades.
Le bitume cède aussi du terrain sur les trottoirs. L’opération « Du
vert près de chez moi » lancée à Paris a pour objectif de laisser place à
de nouveaux coins de nature en plein milieu urbain. De petits espaces
de terre sont creusés et élargis au pied des arbres pour devenir des
jardinets offerts aux riverains en manque de verdure. On y plante des
pieds de tomates ou des fleurs. La capitale prend des airs
d’Amsterdam, dont les habitants s’approprient l’espace public pour y
semer des roses trémières ou y installer du mobilier de plein air.
Bientôt, à Paris aussi, chaque résident pourra participer à la
végétalisation et devenir jardinier dans son quartier sans aucun frais.
Un permis de végétaliser a été créé dans ce but, qui permet de
disposer d’un site et de s’en occuper. Qui aurait imaginé cela il y a
seulement deux décennies ? N’est-ce pas une performance pour une
ville que certains décrivent comme « statufiée » ?
Cette révolution entreprise il y a une quinzaine d’années
démontre à quel point la population de la capitale s’adapte au
changement, voire le réclame.

Une attractivité qui perdure


Malgré le déclin si souvent annoncé de la région capitale, l’Ile-de-
France s’affirme comme l’un des tout premiers territoires
universitaires mondiaux : 600 000 étudiants, 136 000 chercheurs et
techniciens, 17 universités, de grandes écoles d’ingénieurs, de
commerce, de management, toutes de renommée internationale. Près
de 15 milliards d’euros y sont consacrés chaque année.
Le classement mondial des cinquante meilleures villes étudiantes
pour l’année 2016 réalisé par QS (Quacquarelli Symonds Ltd),
cabinet anglais spécialiste de l’enseignement supérieur dans le
monde, place Paris sur la première marche du podium pour la
quatrième année consécutive devant Melbourne, Tokyo, Sydney et
Londres. Ce satisfecit vaut surtout pour son attractivité auprès des
étudiants du monde entier : réputation des établissements
d’enseignement supérieur ; reconnaissance des diplômes aux niveaux
national et international ; volume total d’étudiants et proportion
d’étrangers ; qualité de vie ; coût des études et droits d’inscription
peu élevés par rapport à d’autres capitales.
Du côté de l’innovation économique, la prétendue « ville musée »
est saluée par les acteurs du numérique pour son rôle dans le
développement des start-up. On a déjà évoqué le plus grand
incubateur au monde, qui verra le jour dans la halle Freyssinet, située
e
dans le XIII arrondissement. La ville revendique si bien son action
dans un secteur en pleine explosion qu’elle se prépare à recevoir à
terme le titre de capitale européenne du numérique, devant Londres
notamment, la grande rivale. Côté culture, enfin, les chiffres
l’attestent, selon le World Cities Culture Forum déjà cité : « Les
Parisiens sont également de grands consommateurs […] les
industries créatives représentent un secteur stratégique pour la région
parisienne (en assurant 9 % de l’emploi total) et contribuent
grandement à l’envergure internationale de la ville. Depuis 2005, la
stratégie économique de la région Ile-de-France identifie les
industries créatives et culturelles comme un secteur prioritaire pour
le développement économique. »

La grande bouffe
Il est de bon ton de critiquer la gastronomie parisienne. La
question revient sans arrêt : Paris est-elle – encore – la capitale
gastronomique mondiale ? : Le New York Times, par exemple, titrait
début 2014 : « Y a-t-il quelqu’un pour sauver la gastronomie
française ? » Dans ce domaine aussi, la presse étrangère peut avoir la
dent dure. Mais, depuis, la restauration parisienne s’est mise dans un
tel état d’ébullition que les plus critiques ont dû ravaler leur mauvais
esprit. D’autant que les chefs étrangers gardent une affection
particulière pour la ville. Les critiques culinaires aussi, même si
d’autres villes comme Tokyo, Saint-Sébastien, Barcelone, New York
font beaucoup parler d’elles, à juste titre.
Objectivement, quelle capitale réserve autant de place à la
nourriture de qualité, hormis la capitale japonaise, qui affiche
quelques trois étoiles de plus que Paris mais compte des dizaines de
milliers de restaurants contre seulement treize mille à Paris ? Quelle
autre ville aligne des rues entières de restaurants ? Qui continuent à
se multiplier. Dans un article intitulé « L’Est parisien, nouvel eldorado
de la gastronomie » 8, Télérama notait : « Une génération de jeunes
chefs qui remixe la cuisine de bistrot s’est installée dans les quartiers
est de la capitale […] Entre déco épurée, tarifs accessibles et assiettes
raffinées, la gastronomie parisienne est en pleine mutation. […] Plus
un mois sans que le petit monde des « foodies » bruisse d’une adresse
où courir d’urgence dans le Far East parisien. » Quant au chroniqueur
culinaire François-Régis Gaudry, il souligne, toujours dans Télérama,
« la frénésie quasi hystérique de nouveauté qui souffle sur la planète
food parisienne », expliquant : « Il y a encore cinq ou six ans, j’arrivais
à suivre toutes les ouvertures d’adresses dans la capitale. Aujourd’hui,
je fais au minimum huit restaurants par semaine, et malgré ça, il y a
des choses que je suis obligé de laisser de côté. Depuis deux ou trois
ans, il y a une accélération que je trouve dingue. Et en même temps,
toute cette agitation fait de Paris une ville énergique qui résiste à la
morosité ambiante. »
Autre commentaire, étranger celui-là, publié dans Le Figaro 9 :
« Récemment, Paris m’a très positivement frappé par la prolifération
de “nouveaux bistrots”, se réjouit Carlo Petrini, fondateur et président
de Slow Food en Italie. C’est ça aujourd’hui qui fait tendance et met
Paris à l’avant-garde. »
Les petits commerces de bouche se multiplient, eux aussi.
Boucheries, charcuteries, traiteurs, crémeries, épiceries en tous
genres et de tous pays, concepts stores culinaires, spécialistes de tel
ou tel produit ou boissons et cavistes à la pelle envahissent l’espace.
Qui s’en plaindrait ? Chaque petit coin ou quartier dispose à présent
de ses nouveaux marchands de vin reconvertis par passion. Des
boutiques d’ustensiles de cuisine rencontrent un succès non démenti
dans un pays où la bouffe compte plus que tout. Des jeunes Français
apprennent le métier chez Ferrandi, célèbre école de gastronomie, ou
ailleurs, rejoints par des apprentis cuisiniers de toutes origines, et
pour lesquels la France et Paris restent une référence. Ceux-là
garderont une tendresse particulière pour le pays qui les a formés et
sa gastronomie.
Laissons les grincheux se repaître de classements. Le « 50 Best »
de la gastronomie mondiale, organisé chaque année par le groupe
britannique de médias et d’événementiel William Reed, est chaque
fois l’occasion de pleurer sur la gloire perdue de la France et de sa
capitale. Est-ce parce qu’un restaurant se voit récompensé à Londres
que cela condamne la cuisine parisienne ? Faut-il rappeler que, même
si ce « baromètre annuel du goût gastronomique », lancé en 2002, a
désigné en 2015 Hélène Darroze, la cheffe française, « Meilleure
femme chef du monde », il n’a jamais récompensé un seul restaurant
en France, pays qui n’en manque pourtant pas ?
Une pétition circule aujourd’hui sur Internet pour que partenaires
publics et privés arrêtent « de financer et de soutenir ce classement
opaque ». Elle a recueilli la signature de chefs français tels que Joël
Robuchon, mais pas uniquement. « Le French bashing me soûle un
peu, déclare Jean-François Piège 10, un des grands noms de la cuisine
actuelle. Pour y répondre, il ne faut pas se plaindre ou revendiquer, il
faut proposer. Ce que je vais faire. » Ce chef a investi 2 millions
d’euros dans la création d’un nouvel établissement, Le Grand
Restaurant, qui compte dix-sept salariés.
Certes, tout n’est pas rose. « A Paris, le café est vraiment mauvais !
lançait Joe Ray, écrivain du voyage et de la gastronomie pour le
11
Boston Globe américain, à François Simon, du Figaro . […] Et c’est
cher. » Mais il ajoutait : « Vous oubliez tous vos problèmes quand […]
le propriétaire du Severo apparaît en portant […] quatre bouteilles
de vin et […] une assiette avec une superbe côte de bœuf. […]
Quand Laëtitia, au Bistrot Paul Bert, vous […] offre un verre avant de
vous proposer une bouteille qui convient à votre goût et à votre
portefeuille. Quand […] vous vous rendez compte qu’il est 5 heures
du matin et que vous êtes à table depuis neuf heures. Champion du
monde indéniable ? Plus maintenant. Mais l’exception française
règne. Disons que Paris est première ex aequo. Et pour moi, elle le
sera pour toujours. »
Dans le même article, Luiz Hort, journaliste en vins et spiritueux
brésilien, constate que Paris reste un lieu où viennent se former la
plupart des chefs.
Ken Hom, chef cuisinier sino-américain, auteur et présentateur de
télévision, également interrogé par Le Figaro, pense lui aussi que Paris
reste une référence ultime en raison de son passé gastronomique,
mais aussi de son autorité en matière de techniques ou de qualité de
ses ingrédients.
Nick Lander, critique gastronomique au Financial Times, ajoute
que les chefs parisiens continuent à innover et à surprendre.
Enfin, Anissa Helou, journaliste gastronomique et spécialiste de la
cuisine méditerranéenne et du Moyen-Orient conclut qu’à Paris, le
choix est « impressionnant, radicalement différent de Londres, New
York ou de la baie de San Francisco ».
Finalement, ce dont souffre le plus Paris, c’est du snobisme et du
masochisme d’une poignée de Français qui prennent plaisir à
dénigrer leur capitale et ses merveilles culinaires. Outre ce goût pour
le déclin, une autre maladie menace la capitale. Quel virus s’est
emparé des restaurateurs, qui cèdent à la facilité en copiant par
exemple la mode des burgers, comme pour faire de Paris un nouveau
Brooklyn ? On espère que les Parisiens réagiront contre
l’uniformisation qui les guette en faisant preuve de plus de curiosité.
Saliver à l’idée d’un burger, d’un os à moelle parsemé de gros sel ou
d’un Paris-Brest les prive parfois de l’envie de découvrir d’autres
saveurs venues d’horizons plus lointains et parasite leur ouverture
d’esprit.

Paris la nuit
A l’heure de l’apéro, on n’a que l’embarras du choix : un mojito à
l’ombre de quelques arbres au fond d’une cour discrète ; une ou deux
bières le long d’une ancienne voie ferrée, ou en plein cœur du parc
des Buttes-Chaumont ; un verre dans un tout nouveau bar spécialisé
dans le vin naturel… Mais quand arrive l’heure des rythmes
endiablés, beaucoup l’affirment, plus rien. La fête a quitté Paris pour
d’autres cieux. Les esprits chagrins s’échauffent à nouveau pour
regretter la grande époque des nuits parisiennes. Celle qu’ils ont
connue il y a dix, vingt ou trente ans. Pourtant, s’il est vrai que la
plupart des bars parisiens ferment à deux heures du matin, il y a pire
ailleurs. En Angleterre, d’après le journaliste du site américain
Buzzfeed 12, ce sont les boîtes de nuit qui mettent leurs clients dehors
à deux heures. En France, elles restent souvent ouvertes jusqu’à
quatre heures du matin, voire plus tard.
Quant aux nostalgiques du Balajo, du Palace, des Bains Douches
ou du Banana, sont-ils en mesure de comprendre les phénomènes
nocturnes actuels ? Savent-ils ce qui se passe aujourd’hui dans les
coins et recoins de la capitale ? L’interdiction de fumer dans les lieux
publics, appliquée à partir de 2007, a profondément changé les
habitudes. Elle a donné à la ville un air plus agité, avec ses
devantures de bars où se massent des clients peu discrets. Les fêtards
se sont mis à boire et fumer au pied des immeubles, quitte à se faire
engueuler par les voisins. Mais les fêtards du jour sont les riverains
du lendemain. Les Xe et XIe arrondissements, notamment, recensent
un nombre impressionnant de bars, dont beaucoup sont des sources
de nuisances sonores. En conséquence, les professionnels se voient
contraints de faire preuve d’une grande vigilance pour ne pas faire
l’objet de contrôles à répétition, voire d’une fermeture administrative.
Dans d’autres villes aussi, les riverains font entendre leur voix. A
Barcelone, une référence en matière de vie nocturne, la population
est au bord de la révolte, au point qu’on voit des manifestants se
13
regrouper pour scander : « Dehors, les touristes ivres ! »
A Paris, la ville s’adapte. François Jeanne-Beylot, coordinateur
d’une étude menée en 2008 et 2009 et intitulée Pourquoi les nuits
14
parisiennes sont nulles (et ne créent pas d’emploi) , déclarait au
magazine Next 15 : « Depuis 2008, les améliorations se font sentir
(décalage de l’horaire de métro, ouverture plus tardive de quelques
magasins), et l’image de la nuit évolue. » Les Palace ou Bains Douches
ont laissé la place à d’autres établissements que les ex-fêtards
nostalgiques ne connaissent pas, soit parce qu’ils sont hors jeu, soit
parce qu’ils n’ont plus la pêche. On ne peut que conseiller aux
partisans du « C’était mieux avant » de s’organiser une tournée des
lieux insolites de Paris et de sa périphérie, afin de découvrir les
scènes alternatives et les clubs qui ravissent les noctambules aux
goûts pointus. Ces oiseaux de nuit d’aujourd’hui deviendront peut-
être à leur tour des rabat-joie nostalgiques. Yoyo, Badaboum, Zig Zag
Club, Eko Club, Concrete et autres lieux resteront gravés ou pas dans
leurs mémoires. Puis d’autres leur succéderont. Paris n’a pas dit son
dernier mot. « Question vitalité nocturne, la capitale française serait
même passée devant Londres et Berlin, note L’Express 16. Pas moins de
seize festivals électro ont vu le jour ces cinq dernières années en Ile-
de-France. » La roue tourne, mais la nuit parisienne n’est pas près de
s’éteindre. N’en déplaise aux trouble-fête.

1. Die Welt, 15 novembre 1986.


2. Yves Daudu, Les Français à la Une, op. cit.
3. Daily Mail, 19 janvier 2008.
4. Time Out, 10 février 2015.
5. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, La Découverte, 2014.
6. A nous Paris, 16 novembre 2009.
7. Wired, 29 juin 2015.
8. Télérama, 5 mars 2015.
9. Le Figaro, 7 janvier 2012.
10. Les Inrockuptibles, 19 septembre 2015.
11. Le Figaro, 7 janvier 2012.
12. Buzzfeed, 12 juin 2013.
13. Le Figaro, 25 août 2014.
14. François Jeanne-Beylot, Pourquoi les nuits parisiennes sont nulles (et ne créent pas
d’emploi), François Bourin, 2014.
15. Next, 20 juin 2014.
16. L’Express, 8 juillet 2015.
« Les Français sont
égocentriques » ?

VRAI…
mais ils se soignent !

« Le salaire minimum est bien plus élevé qu’ailleurs, et la France


est un pays riche. Les établissements de santé et les médecins sont
excellents, tous les malades sont pris en charge dans de bonnes
conditions. Dommage que les Français ne se rendent pas compte de
la chance qu’ils ont. Ils ne s’intéressent pas assez au reste du globe
pour faire la différence. Au journal de 20 heures, ils parlent d’abord
de bêtises qui se passent dans un coin de France puis abordent les
sujets graves de la planète. » Voici ce que pense Nikola, étudiante
tchèque de trente-deux ans arrivée en France en 2002. Les Français
sont nombrilistes ? « Oui, très nombrilistes ! renchérit Begoña,
quarante-quatre ans, Espagnole et francophile. Mettre en valeur à ce
point la culture et l’histoire les entraîne parfois au chauvinisme. »
Les Français sont persuadés d’être une exception sur la planète,
difficile de le nier. « C’est vrai que notre penchant au nihilisme nous
amène à une certaine stérilité, concède Denis Tillinac. Le côté
intimiste de nos productions cinématographiques, par exemple, fait
que nous tournons pas mal autour de notre nombril. Or notre
nombril n’intéresse que nous. Cela dit, il y a en ce moment un
malaise qui affecte toute la civilisation occidentale, mais comme les
Français ont une mémoire culturelle plus prégnante que les autres, ils
en souffrent plus. Nous sommes un peu enfermés dans notre bonheur.
Nous manquons d’ouverture, alors qu’il faudrait s’intéresser à ce qui
se passe ailleurs, c’est une obligation, y compris pour y piquer les
bonnes idées. »
Lus hors de nos frontières, ces propos peuvent justement sembler
bien orgueilleux. « Nous sommes souvent montrés du doigt pour
notre arrogance, admet Laurence Pivot. Elle existe, c’est sûr. Mais les
jeunes, ceux qui ont voyagé très tôt, n’en sont plus autant affectés
que leurs aînés, il y a trente ou quarante ans. » Puis elle corrige : « Ce
qui m’étonne, c’est qu’on ne parle jamais de l’arrogance de certains
Britanniques, qui regardent le reste du monde avec condescendance.
Et aussi… J’ai travaillé à une époque avec des Suédois qui nous
prenaient de haut parce qu’ils considéraient toutes les populations
vivant au sud du Rhin comme totalement arriérées. L’arrogance des
vieilles nations européennes est terrible, mais que dire de celle des
Américains ? Au moment de monter Disneyland en France, ils n’ont
même pas cherché à connaître leur marché, et se sont contentés
d’une offre alimentaire déplorable, avec des menus sans vins, énorme
erreur dans l’Hexagone. Ils ont appliqué un management 100 %
américain, qui a fait flop. Pourtant, ils ont les moyens de se payer les
meilleurs spécialistes. Et quand ils paradent en Afghanistan ou en
Irak, deux berceaux du monde, ils se comportent comme si
l’Amérique avait inventé la civilisation, sans avoir conscience des
lieux où ils sont. » Comme quoi l’arrogance n’est pas l’apanage de nos
compatriotes.
En outre, il n’est pas toujours simple de se départir du sentiment
d’appartenance à une nation singulière parce que précisément fondée
sur l’idée d’exception. Illustration : aujourd’hui encore, la quasi-
totalité de la population française et des politiques qui la
représentent, de gauche comme de droite, considère que la culture ne
peut pas être envisagée comme une simple marchandise. Ce qu’on
nomme « exception culturelle » n’a pas pour unique vocation de
valoriser la production artistique française. Elle a pour but de
promouvoir la diversité culturelle en luttant contre l’uniformisation et
le risque d’hégémonie. La vigilance reste de mise afin que les traités
internationaux ne bradent pas cette conception.
N’oublions pas non plus que la France a été attachée tout au long
de son histoire à son indépendance diplomatique et militaire. En
2003, une grande majorité de Français a soutenu la position de
l’exécutif lorsqu’il s’est opposé à la guerre en Irak prônée par les
Etats-Unis. Déjà, en 1966, la sortie du commandement intégré de
l’OTAN, alors que le monde était plongé dans une effrayante guerre
froide, avait profondément ancré l’idée de la spécificité française. La
réintégration de la France voulue par Sarkozy en 2009 n’a suscité ni
réelle opposition, ni engouement particulier.
Autre caractéristique française, son attachement aux services
publics, qui s’étendent au-delà des domaines régaliens, sécurité, droit
ou défense, à la différence de beaucoup d’autres nations. La volonté
de préserver des services publics, y compris dans les secteurs
industriels et commerciaux créés au moment de la Libération dans le
but de favoriser l’égalité et l’universalité d’accès, reste marquée. Mais,
depuis quelques années, les politiques d’ouverture à la concurrence,
un des fondements de la construction européenne, bousculent ce
modèle.
En effet, malgré toutes ces spécificités, la France n’évolue pas en
marge du monde. Encore une idée reçue, et contestable. Les auteurs
de Pas si fous, ces Français ! se sont interrogés sur les raisons qui
expliquent la résistance du pays à la mondialisation. « Nous avons
rapidement constaté qu’elle n’y résiste aucunement, et même qu’elle y
participe activement. Pour ce qui est de la mondialisation des
institutions politiques, elle joue même un rôle d’avant-garde. […] Le
véritable intérêt de la question est d’élucider ce qui a forgé cette
réputation. […] la force des passions, le manque de modération et le
chauvinisme – voire le nombrilisme – qui caractérisent les Français
l’ont nourrie. » Stephen Clarke, autre auteur à s’intéresser à notre
nombril, écrit dans son livre Français, je vous haime 1 : « La raison
pour laquelle les Français ont la réputation d’être aussi arrogants : ils
manquent d’assurance, ils ont toujours quelque chose à prouver au
reste du monde. […] J’ai vite appris qu’en France le but d’une
réunion, c’est de s’écouter parler. […] l’élément le plus important de
la culture en France est le nombril. » Est-ce la raison pour laquelle il a
choisi d’y vivre ?

1. Stephen Clarke, Français, je vous haime, op. cit.


« La France est un pays
refermé sur lui-même » ?

FAUX !
Les Français sont
ouverts d’esprit
et la France
est un melting-pot

La presse internationale a tendance à considérer les Français


comme xénophobes. La France vote Front national, c’est entendu.
Mais quid des scores des partis de droite populistes, nationalistes ou
d’extrême droite étrangers, ceux qui soutiennent une politique hostile
à l’immigration en particulier, qui prônent la fermeture des frontières
et proposent des politiques sociétales conservatrices ? Leur discours
se propage à travers l’Europe mais aussi dans le monde entier.
Le Danemark, l’autre « pays du bonheur », est gouverné par un
Premier ministre de droite qui doit son poste au Dansk Folkeparti, le
Parti du peuple danois, anti-immigration, arrivé en deuxième position
aux législatives de 2015. L’année précédente, l’extrême droite a fait
une percée remarquée en Suède. La progression de partis tels Ukip au
Royaume-Uni ou le Tea Party aux Etats-Unis montre clairement un
durcissement idéologique de la population. En Allemagne, le
mouvement anti-islam impulsé par Pegida – Patriotische Europäer
gegen die Islamisierung des Abendlandes (« Européens patriotes
contre l’islamisation de l’Occident ») – est capable de rassembler des
milliers de personnes. S’il n’y a pas de quoi être fier, la France n’a pas
le monopole en matière de démagogie ni de dérive populiste.
Une sorte de French Paradox, expression employée au sujet de nos
habitudes alimentaires, s’applique à notre comportement en matière
d’immigration. Le pays a pour Premier ministre un homme né de
nationalité espagnole à Barcelone et naturalisé en 1982. La France
avait élu président de la République un fils d’immigré dont le père est
hongrois et la mère d’origine sépharade. La capitale a désigné comme
maire une femme née à San Fernando, en Espagne. L’épouse de l’ex-
président de la République est originaire de Turin, et celle d’un ex-
Premier ministre est née à Llanover, au pays de Galles. Nous résidons
dans un pays qui, dans le classement annuel établi par Le Journal du
Dimanche, a choisi pour personnalités préférées Yannick Noah, de
père camerounais, Zinedine Zidane, issu d’une famille kabyle, Gad
Elmaleh, né à Casablanca, Jean Reno, lui aussi né à Casablanca, de
parents espagnols, Charles Aznavour, fils d’Arméniens, Omar Sy et
Jamel Debbouze, enfants d’immigrés.
« En France, on perçoit l’immigration comme un avantage d’un
point de vue culturel, fait remarquer Laurence Duboys Fresney, alors
que dans d’autres pays seul l’apport de main-d’œuvre compte. Cette
forme d’attrait se retrouve dans l’alimentation et la gastronomie, qui
s’inspirent de tous les apports – mais aussi dans la musique, qui vient
du monde entier. »
En effet, la France, certes attachée à sa tradition, est aussi capable
d’intégrer les influences extérieures. On trouve parmi les plats
préférés des Français le couscous, mais aussi les sushis, les pizzas, le
hamburger…
La France a accueilli tout au long de son histoire les artistes venus
chercher l’inspiration ou fuir un régime autocratique. C’est encore
1
vrai aujourd’hui. Comme l’écrit Le Monde , « pour mille et une
raisons, ils sont encore nombreux à choisir de créer et vivre en
France ». Katinka Block, sculptrice et plasticienne allemande,
témoigne pour le quotidien. « Il y a d’un côté beaucoup de structures
autoritaires en France, mais aussi beaucoup de soutien pour faire une
exposition en galerie. » Si New York semble être un formidable
tremplin pour un artiste en devenir, en revanche, « si à la deuxième
exposition, tu ne vends pas, tu es fini, commente Yan Pei-Ming, artiste
chinois. En France, on donne du temps, on sait que l’artiste ne peut
pas aller plus vite que la musique du marché ». La France a d’ailleurs
contribué activement à l’émergence du mouvement de la World Music
ou des musiques du monde, et accueille une partie non négligeable
de la production cinématographique internationale.
Quoi qu’on en dise, la France reste un incroyable melting-pot, en
particulier dans la capitale, où la mixité et la diversité sautent aux
yeux. Un sondage Ipsos/Sopra-Steria, mené quelques jours après les
attentats de janvier 2015 pour Le Monde et Europe 1, souligne
« l’acceptation croissante de l’islam par la société française ». Si 51 %
des personnes interrogées estiment que cette religion « n’est pas
compatible avec les valeurs de la société française », c’est 12 % de
moins qu’un an auparavant et 23 % de moins qu’en janvier 2013.
Parmi ceux qui la jugent « compatible », c’est bien sûr l’inverse.
L’historien Patrick Weil, spécialiste des questions de nationalité et
d’immigration, auteur du livre Le Sens de la République 2, répond à
3
L’Express : « Il ne faut surtout pas renoncer à l’assimilation dans les
deux sens complémentaires qu’elle a. Dans la plupart des situations
sociales qu’il rencontre, l’individu, quel qu’il soit, souhaite avant tout
être traité de façon similaire aux autres, équitablement, être
“assimilé” dans la reconnaissance de ses droits. […] Mais la
République n’est pas l’assimilation culturelle. Elle a toujours été très
respectueuse de la diversité ; dans d’autres moments de l’existence,
chacun éprouve le besoin de vivre librement sa particularité,
régionale, religieuse, philosophique ou sexuelle. […] Comme l’a dit
Mona Ozouf dans son livre Composition française 4, la France est un
alliage entre des principes qui unifient et des diversités. »
De 2004 à 2012, en moyenne, 200 000 immigrés sont entrés
chaque année sur le territoire national, selon l’INSEE. Après le
regroupement familial et les raisons humanitaires, les études
constituent le troisième motif d’immigration – et seront donc
l’occasion de promouvoir l’Hexagone au moment du retour dans les
pays d’origine. Si l’on tient compte des départs et des décès, on
recense 90 000 nouveaux immigrés par an.
Si, de 2009 à 2012, le nombre des entrées annuelles a augmenté
par rapport aux cinq années précédentes, c’est dû aux Européens,
dont 57 % sont originaires du Portugal, de Grande-Bretagne,
d’Espagne, d’Italie ou d’Allemagne. Près de la moitié des immigrés
arrivés en France en 2012 sont ainsi nés en Europe, contre un tiers
dix ans auparavant.
Début 2013, les immigrés représentent 8,8 % de l’ensemble de la
population. « Aujourd’hui, on a absolument besoin de l’immigration
africaine en France, en Europe et partout ailleurs », soutient François
Gemenne, spécialiste des flux migratoires, notamment chercheur à
l’Institut du développement durable et des relations internationales et
à l’université de Liège, dans l’émission Salut les Terriens diffusée sur
Canal+ 5. Si l’on tient compte du nombre de personnes provenant du
Maghreb et d’Afrique subsaharienne au regard de celui des Français
partis vivre hors de nos frontières, « la France se viderait si nous
n’avions pas d’immigration », ajoute-t-il.
Ne soyons pas béats, cependant, avec l’arrivée massive des
migrants et la menace terroriste la perception que les Français ont de
l’immigration peut évoluer à terme. Un danger dont les conséquences
ne sont pas toujours celles auxquelles on pense. Car la dimension
interculturelle et plurielle reste un atout de poids pour le pays, trop
souvent ignoré, comme l’analyse Marie-Cécile Naves, coauteure avec
Virginie Martin de Talents gâchés. Le coût social et économique des
discriminations liées à l’origine 6. Pour elle, une grande partie des
inégalités sociales et économiques, en France, résultent de
discriminations fondées sur la naissance, réelle ou supposée, estimée
d’après une couleur de peau, un nom, un lieu d’habitation. « Ceux qui
vivent dans les banlieues considérées comme défavorisées, les jeunes
surtout, français mais dont les parents ou grands-parents sont nés en
Afrique du Nord ou subsaharienne, en Turquie ou au Moyen-Orient,
ne parviennent pas à “s’intégrer”, voire ne le souhaitent pas, regrette-
t-elle. Cela occasionne non seulement des pertes financières et
économiques pour l’Etat et la société tout entière, mais ce sont aussi
des potentialités gâchées, des atouts non exploités. »
L’enquête sociologique menée en 2014 par les coauteures explique
les ressorts et les conséquences de discriminations liées à l’origine
dans le champ de l’école et dans le monde du travail. « Les résultats
mettent en évidence des pertes, en termes de productivité, que les
inégalités d’accès aux ressources subies par certaines populations font
peser sur les entreprises comme au pays, dans un contexte de
mondialisation, mais aussi certains coûts directs occasionnés par le
non-accès de certaines populations au marché du travail. Or, ces
dernières, en particulier au sein de la jeunesse de banlieue, sont
porteuses d’innovation et de richesses économiques, encore trop peu
reconnues et exploitées en France, que l’on parle des compétences
ignorées ou sous-employées, des niches économiques dans certaines
communautés ou encore des potentialités à l’international. »
L’immigration est donc une chance pour la France qu’il faut affirmer.
Nos politiques seraient d’ailleurs bien inspirés de revendiquer haut et
fort les bienfaits d’une société multiculturelle. « Les territoires où il y
a le plus de brassage de populations et où la diversité est une réalité
sont ceux qui résistent le mieux à la désertification ou aux difficultés
sociales, soutient Claire Lelièvre. Se rencontrent alors les gens du cru,
ceux qui choisissent de venir s’y installer ou ceux éventuellement
relégués par la crise économique. Mais attention, il faut qu’il y ait
rencontre car si chacun reste dans son coin, ça ne crée pas de
dynamique. »
On entend dire que les migrants arrivés de Syrie ou d’ailleurs
préfèrent partir au Royaume-Uni ou en Allemagne. Sur la base de
cette rumeur, les médias concluent que « la France ne fait plus
rêver ». C’est plutôt la preuve que le travail de sape opéré par
l’autodénigrement dont ils sont coupables a un impact bien au-delà
de nos frontières. Leur discours ternit l’image de la France au point
de repousser ceux qui souffrent le plus sur la planète.
Enfin, un dernier point mérite d’être souligné. On évoque souvent
le peu d’appétence des Français pour les langues étrangères. Les
auteurs de Pas si fous, ces Français 7 y consacrent un passage de leur
livre. Compte tenu que, selon eux, le « Français moyen parle d’une
façon beaucoup plus raffinée et formelle que tout ce que l’on peut
entendre en Amérique du Nord, que ce soit en anglais ou en
français », ils le supposent victime d’une sorte de « “complexe”
national de la langue correcte » qui « explique pourquoi les Français
sont moins souvent bilingues que les autres Européens : ils
transposent le perfectionnisme qu’ils appliquent au français dans
l’apprentissage de toute autre langue ». En clair, si les Français ne
maîtrisent pas parfaitement une langue, ils considèrent qu’ils ne la
parlent pas. « Indéniablement, leur perfectionnisme les rend
modestes. » Une fois n’est pas coutume.

1. Le Monde, 20 décembre 2014.


2. Patrick Weil, avec Nicolas Truong, Le Sens de la République, Grasset, 2015.
3. L’Express, 24 juin 2015.
4. Mona Ozouf, Composition française, Gallimard, 2009.
5. Entretien rapporté par le site Rue89, 30 octobre 2013.
6. Virginie Martin et Marie-Cécile Naves, Talents gâchés. Le coût social et économique des
discriminations liées à l’origine, éditions de l’Aube, 2015.
7. Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Pas si fous, ces Français !, op. cit.
Vive la France ?

« Pour beaucoup de Français, l’avenir est à l’image du présent – en


pire. […] Le pays sera plus divisé, les inégalités ont toute chance de
s’être accrues, la croissance sera faible ou nulle. Les biens essentiels
et les produits alimentaires seront plus chers. L’emploi sera toujours
aussi rare, et moins sûr encore. Le modèle social, déjà fragilisé, aura
touché ses limites. […] Le réchauffement climatique se sera
amplifié… » Les perspectives énoncées dans le rapport « Quelle
France dans dix ans ? » rédigé par France Stratégie en 2014
montrent, comme la plupart des études, des Français très inquiets
pour l’avenir de leur pays, bien plus que pour eux-mêmes. Les auteurs
s’interrogent sur ce qu’ils qualifient de dissonance : « Comment peut-
on être pessimiste pour le tout et optimiste pour les parties qui le
composent ? Comment la France peut-elle aller plus mal que les
Français ? »
Pierre Méhaignerie me racontait, cette même année 2014 : « J’ai
été marqué par une visite faite avec Nicolas Sarkozy en Grande-
Bretagne. J’étais alors secrétaire général de l’UMP, que j’ai quitté
depuis. A la fin d’un entretien, Gordon Brown, alors Premier ministre,
nous a dit : “Je ne comprends pas le pessimisme français. Vous avez
une démographie excellente. Vous avez de grandes entreprises
d’envergure internationale. En Grande-Bretagne, nous n’en avons
plus. Vous êtes au cœur de l’Europe. Vous avez un potentiel de loisirs
rare à disposition de 500 millions d’habitants du continent européen.
Vous avez un climat exceptionnel. Si nous avions tout cela en Grande-
Bretagne, nous serions au firmament du bonheur.” »
Roger Cohen, l’éditorialiste du New York Times 1, fait preuve de
bon sens : « Si la morosité est un état pérenne plutôt qu’une réaction
à des circonstances particulières, mérite-t-elle que l’on s’y attarde ?
Les Français vivent de leur malaise un peu comme les Britanniques
vivent de leur famille royale. C’est un tour de passe-passe
commercial, où l’affectation joue un rôle, un objet de fascination pour
les étrangers plutôt qu’une condition inquiétante. » Il poursuit,
goguenard : « Dites à un Français qu’il fait beau, et il vous rétorquera
que ça ne va pas durer. Dites-lui qu’il règne une chaleur agréable et il
vous expliquera que ça annonce l’orage. […] Cette humeur revêche
est plus une forme robuste de réalisme qu’un signe de malaise. […]
Le malaise, les Français y tiennent trop pour s’en défaire. »
Je l’évoquais au début de ce livre, s’interroger sur ce qui explique
les critiques des observateurs étrangers à l’égard de la France se
révèle d’un intérêt limité. En revanche, les propos mortifères des
prophètes du désastre, Baverez, Finkielkraut, Zemmour en tête,
rejoints depuis par Onfray et d’autres, tout comme le défaitisme dans
lequel se complaît une partie de la population française,
m’interpellent. Je m’interroge sur la part belle faite aux détracteurs
de tous poils dans les médias. La pensée dominante est aujourd’hui
de leur côté puisqu’ils occupent l’essentiel de l’espace médiatique.
Alors qu’ils prétendent le pourfendre, ils sont à présent les tenants
d’un nouveau type de « politiquement correct », celui qui consiste à
relayer le pessimisme le plus sombre, à dénoncer, à stigmatiser et à
exclure telle ou telle catégorie de population.
Sommes-nous parvenus à un stade de trop-plein
d’autodénigrement au point d’insupporter beaucoup d’entre nous,
dont, j’avoue, je fais partie ? « J’en ai assez de ce miroir déformant et
pessimiste, s’emportait Arnaud Montebourg, alors ministre du
Redressement productif 2. Les Français sont les procureurs d’eux-
mêmes, ce sont eux qui véhiculent une image négative, commençons
par croire en nous ! » Il est peut-être temps de nous approprier le
drapeau bleu-blanc-rouge sans honte, ce que je revendiquais bien
avant les attentats de novembre 2015, pour en faire l’étendard des
valeurs positives qu’il représente, celles d’ouverture, de solidarité,
d’égalité. On peut ironiser sur le côté chauvin ou franchouillard de la
démarche. Ce serait absurde, surtout de la part des partisans de
l’exclusion et du repli sur soi – ils ne peuvent accuser les autres d’une
attitude qui leur est propre. La France n’est pas la propriété d’un seul
camp. Les valeurs positives qu’elle incarne doivent être portées par
tous.
Une enquête de l’OCDE menée en 2008 fait apparaître que les
Français manquent non seulement de confiance en eux-mêmes mais
aussi en autrui. Dans le classement, ils se situent juste sous la
moyenne de la trentaine de pays sondés. La Scandinavie caracole en
tête, suivie des Pays-Bas et de la Suisse. « Et il n’existe aucune culture
3
vivante et figée à la fois, prévient Tzvetan Todorov , historien et
philosophe, directeur de recherche au CNRS. La vocation d’une
culture, donc des identités, est précisément d’évoluer constamment, y
compris par l’apport des autres. »
Parier sur l’ouverture peut générer des effets positifs pour la
France. Avoir confiance en soi et dans les autres peut redonner
souffle et énergie au pays. Si les Français n’ont plus confiance en
leurs politiques ni en leurs médias, qu’ils apprennent à avoir
confiance en eux-mêmes. Autre façon d’éviter de nous regarder le
nombril en larmoyant : s’investir pour la collectivité et croire à
l’intérêt commun. Promouvoir l’engagement citoyen et social, c’est se
tourner vers les autres et agir pour une société plus humaine. Il y a en
France une énorme aptitude au bonheur. C’est elle qui nous porte,
contre vents et marées.
L’effroyable tragédie qui s’est déroulée le vendredi 13 novembre
2015 à Paris ne change rien à ma conclusion. Meurtris et choqués,
bien des Français, dont je fais partie, ont été profondément touchés
en découvrant la multitude de messages provenant de l’étranger, qui
louent les modes de vie et des valeurs reconnus pour être les nôtres.
Beaucoup de commentateurs issus de pays d’habitude très critiques à
l’égard de la France ont souligné que les lieux symboliques de nos us
et coutumes n’avaient pas été choisis par hasard par les terroristes.
Une internaute, lectrice du site du New York Times, Blackpoodles, de
Santa Barbara, écrivait notamment, au lendemain des attaques, un
message repris en boucle sur les réseaux sociaux et dans les grands
médias nationaux : « La France incarne tout ce que les fanatiques
religieux haïssent : la jouissance de la vie ici, sur terre, d’une
multitude de manières : une tasse de café qui sent bon, accompagnée
d’un croissant, un matin ; de belles femmes en robes courtes souriant
librement dans la rue ; l’odeur du pain chaud ; une bouteille de vin
partagée avec des amis, quelques gouttes de parfum, des enfants
jouant au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en Dieu, de
ne pas s’inquiéter des calories, de flirter et de fumer, de faire l’amour
hors mariage, de prendre des vacances, de lire n’importe quel livre,
d’aller à l’école gratuitement, de jouer, de rire, de débattre, de se
moquer des prélats comme des hommes et des femmes politiques, de
remettre les angoisses à plus tard : après la mort. Aucun pays ne
profite aussi bien de la vie sur terre que la France. »
Puisque notre art de vivre semble plus que jamais faire exception,
il serait temps que nous prenions conscience qu’il reste bien vivant et
qu’il nous est cher.

1. New York Times, 12 juillet 2013 (traduction du Courrier international).


2. Le Monde, 20 mai 2013.
3. Le 1, 9 avril 2014.
ANNEXE

36 chiffres pour répondre


aux râleurs,
aux dénigreurs,
aux pessimistes
et aux déclinistes

➤ La France possède le premier réseau routier d’Europe (2014,


Eurostat).
➤ Le réseau ferré à grande vitesse est le deuxième le plus
performant du continent (2014, Eurostat).
➤ L’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle est classé deuxième aéroport
de passagers et premier aéroport de fret d’Europe (2013, ACI,
Airports Council International).
➤ La France est la première destination touristique planétaire en
nombre de visiteurs étrangers (2014, OMT).
➤ Le site service-public.fr permet à l’administration française de se
classer numéro un mondial en matière de services numériques (2014,
Département des affaires économiques et sociales de l’ONU).
➤ La France est le premier pays d’Europe pour les créations
d’entreprises (Eurostat, 2014 – données pour 2011). Plus de 538 000
entreprises ont été créées en France en 2013, dont près de 275 000
sous le régime autoentrepreneur (INSEE, 2014).
➤ Parmi les 500 premières multinationales du monde figurent 30
entreprises françaises, ce qui représente 6 % du total alors que la
France n’occupe que 1 % de la superficie du globe et pèse moins de
4 % du PIB mondial (2014, L’Expansion).
➤ Avec 86 entreprises, la France est le mieux représenté des pays
d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique parmi les 500 entreprises
les plus performantes du secteur technologique – pour la quatrième
année consécutive (2014, classement Deloitte « Technology Fast 500
EMEA »).
➤ La France est le premier pays d’Europe dans le top 100 des
entreprises les plus innovantes du monde (2014, Thomson Reuters).
➤ La France est au premier rang européen des destinations pour les
investissements étrangers dans l’industrie (2014, cabinet EY).
➤ Paris passe devant New York et Hong Kong en devenant la
troisième ville du monde la plus attractive pour les investissements
étrangers créateurs d’emplois et d’activités, derrière Londres et
Shanghai (2015, KPMG).
➤ Paris est deuxième dans le classement des métropoles
destinataires de centres de R&D, après Londres. Il est aussi deuxième,
cette fois devant la capitale anglaise, dans le classement des
métropoles du monde destinataires de sièges sociaux (2015, KPMG).
➤ Les Français ont acquis près de 2 500 entreprises étrangères pour
200 milliards d’euros entre 2010 et 2014. Dans le même laps de
temps, les sociétés étrangères rachetaient environ 1 500 entreprises
françaises pour 150 milliards d’euros (2014, ministère de
l’Economie).
➤ La France est le deuxième pays le plus peuplé d’Europe.
➤ L’écart entre les populations française et allemande ne cesse de se
réduire. En 2050, la France comptera 72 millions d’habitants et
l’Allemagne 76 millions (en 2015, les chiffres sont respectivement de
66 millions et 81 millions) (2015, INED – Population & Sociétés).
➤ Avec deux enfants par femme, la France occupe la deuxième place
européenne pour le taux de fécondité. L’Allemagne compte environ
1,3 enfant par femme (2014, Eurostat).
➤ Les Français ont une espérance de vie supérieure de trois ans à
celle des Américains (ONU, 2015).
➤ Si on cumule temps plein et temps partiel, la moyenne française
d’heures de travail par semaine s’établit à 37,5 heures. La moyenne
européenne est de 37,2 heures. La moyenne allemande est de
35,3 heures. La moyenne néerlandaise est de 30 heures (2014, Le
Monde.fr).
➤ Les Français ont produit environ 47 euros par heure travaillée,
soit 10,70 euros de plus que la moyenne de l’OCDE (2013, OCDE).
➤ Les travailleurs à temps plein et à temps partiel français
travaillent 1 478 heures par an (2013). Plus que les Allemands
(1 387 heures), les Pays-Bas (1 380 heures) et la Norvège
(1 407 heures) (2013, OCDE).
➤ En rapportant le PIB au nombre d’heures travaillées, les actifs
français produisent pour 45,40 euros par heure, les Britanniques pour
39,20 euros. La moyenne européenne s’établit à 32 euros (2013,
Eurostat).
➤ Un couple français ayant deux enfants et gagnant 50 000 euros
brut conserve 38 195 euros après impôts et cotisations salariales. Un
couple suisse 37 890 euros, un couple britannique 37 450 euros, un
couple allemand 34 265 euros (2014, Le Figaro).
➤ L’école maternelle française accueille plus de 90 % des enfants de
trois ans. A l’âge de quatre ans, près de 100 % des enfants sont
scolarisés contre 79 % pour la moyenne de l’OCDE (2014, OCDE).
➤ 40 % des Français entre vingt-cinq et trente-quatre ans ont un
niveau de formation plus élevé que celui de leurs parents. Pour
l’ensemble des pays de l’OCDE, la moyenne est de 32 % (2014,
OCDE).
➤ La France possède le nombre le plus élevé au monde de prix
Nobel de littérature (15) devant les Etats-Unis (12) et le Royaume-
Uni (10).
➤ Sur 56 médailles Fields (la plus importante récompense mondiale
attribuée depuis 1936 à des travaux en mathématiques), 12 ont été
attribuées à des Français, contre 13 à des Américains (Etats-Unis).
➤ Le cinéma français représente 50 % des 600 films qui sortent dans
les cinémas du pays chaque année. Sur 647 films sortis en 2012 au
Royaume-Uni, seuls 25 % y étaient produits (2012, World Cities
Culture Forum).
➤ La France est le deuxième exportateur mondial de films après les
Etats-Unis (2014, ministère des Affaires étrangères).
➤ Près d’un quart du chiffre d’affaires de l’édition française résulte
des ventes à l’étranger. Le français est la deuxième langue la plus
traduite après l’anglais dans l’industrie mondiale du livre (2013,
SNE).
➤ Le français est la deuxième langue des affaires en Europe après
l’anglais et la troisième dans le monde après l’anglais et le mandarin
(2014, OIF).
➤ La France était premier producteur de vin au monde devant
l’Italie et l’Espagne (2014, Organisation internationale de la vigne et
du vin). En 2015, elle est passée deuxième producteur après l’Italie –
les résultats des deux pays varient selon les conditions climatiques de
l’année en cours (2015, Le Monde.fr).
➤ La France est le premier producteur agricole et le premier pays
exportateur européen, avec une production globale de plus de
61 milliards d’euros, soit 18,5 % de la production européenne (2010,
Chambres d’agriculture).
➤ La France possède vingt-huit frontières terrestres et maritimes.
C’est le pays qui compte le plus de voisins au monde (2014,
L’Expansion).
➤ Le domaine maritime français (Métropole et DOM-TOM) est
classé deuxième au monde (onze millions de kilomètres carrés) après
les Etats-Unis (2014, L’Expansion).
➤ Paris se classe à la première place dans la liste des cinquante
meilleures villes étudiantes devant Londres, Boston, Melbourne et
Vienne (2015, Quacquarelli Symonds Ltd).
➤ La France est le troisième pays au monde pour l’accueil
d’étudiants étrangers. Neuf étudiants sur dix venus étudier en France
recommandent l’Hexagone comme destination d’études (2014,
Campus France).
Sources

Comme un air de déjà-vu


« En novembre 2014, vingt-sept ans plus tard, le magazine
L’Expansion… »
L’Expansion, « Pour en finir avec le masochisme français », par
Franck Dedieu et Béatrice Mathieu, novembre 2014

« Des déclarations telles que celle de Carla Bruni-Sarkozy, qui


affirmait au Daily Mail… »
Daily Mail, 19 janvier 2008, « The French are miserable but
Sarkozy’s my Napoleon, says his lover (or wife) Carla Bruni », par
Phil Meadley

« Quelques années auparavant, en 2012, The Economist… »


The Economist, 17 novembre 2012 « La France est la bombe à
retardement au cœur de l’Europe ». Newsweek, 3 janvier 2014, « La
chute de la France », par Janine Di Giovanni

« Dans une interview accordée au JDD, Theodore Zeldin… »


JDD, 24 octobre 2014, « En France, tout haut responsable est un
dictateur », par Gaël Vaillant

« L’IPSOS pointe ce paradoxe dans une étude menée en 2014… »


IPSOS et Comfluence pour l’OFOP (Observatoire des fédérations
et des organisations professionnelles), enquête en ligne du 22 au
27 janvier

« Quand l’Insee leur demande de noter leur niveau de bien-


être… »
Insee, enquête « Qualité de vie », 2011

« Parmi la population de cinquante et un pays différents, sondés


par l’institut Gallup… »
WIN/Gallup International’s annual global End of Year survey,
2013

« Selon l’INED (Institut national d’études démographiques), la


France pourrait se rapprocher… »
Population & Sociétés, « Tous les pays du monde »,
https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/europe-pays-
developpes/population-naissances-deces/

« Mais en 2013, il ajoutait dans un autre papier… »


http://www.nytimes.com/2013/07/12/opinion/global/roger-
cohen-frances-glorious-malaise.html

« Un plan social destiné à réduire les coûts… » (Note de bas de


page) http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/classement-des-
meilleures-compagnies-du-monde-le-spectaculaire-saut-d-air-france-
895554.html.
« Marie-Cécile Naves… »
Rapport « Quelle France dans dix ans ? », « Restaurer la confiance
dans le modèle républicain », France Stratégie, 2014

« La France est un pays de fainéants » ?

FAUX : LES FRANÇAIS SONT PARMI LES PLUS PRODUCTIFS


AU MONDE.

« Les comparaisons réalisées par l’Office national des statistiques


(ONS) entre les différents pays du G7… »
Office national des statistiques (ONS), 20 septembre 2011
http://www.ons.gov.uk/ons/dcp171778_395943.pdf

« Dans un article intitulé “La France, pays où l’on travaille le


moins ?”… »
Le Monde.fr, 18 septembre 2014, « La France, pays où l’on
travaille le moins ? », par Alexandre Pouchard, Delphine Roucaute et
Samuel Laurent

« Ouvriers exceptionnellement bon marché mais absolument pas


efficaces »
Le Figaro, 22 mars 2015, « Pour The Economist, les Anglais ont de
quoi être jaloux des Français », par Géraldine Russell

« La moyenne européenne ne s’établit qu’à 32 euros… »


http://ec.europa.eu/eurostat/tgm/table.do?
tab=table&plugin=1&language=fr&pcode=tsdec310
« Ces trois enquêtes internationales… » (note de bas de page)
Vagues 1989, 1997 et 2005 de l’International Social Survey
Programme (ISSP) ; vagues 2002 et 2004 de l’European Social Survey
(ESS). Citées par Lucie Davoine et Dominique Méda, « Quelle place le
travail occupe-t-il dans la vie des Français par rapport aux
Européens ? », Informations sociales 3/2009 (no 153), p. 48-55

« D’après tous les résultats d’études menées en France et à


l’international…
European Values Surveys (EVS), 1981, 1990 et 1999, International
Social Survey Programme (ISSP) 1989, 1997 et 2005 l’European Social
Survey (ESS) 2002 et 2004, utilisées dans…
(http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2009-3-page-
48.htm) .

« La France est un pays figé, impossible


à réformer,
et son administration est la plus rigide
du monde » ?

FAUX : LA FRANCE BOUGE ET SAIT ADAPTER L’ORGANISATION


DE SES SERVICES

« Pire, selon l’hebdomadaire allemand Die Zeit… »


Die Zeit, 17 avril 2013, « Un pays bloqué, rongé, miné », par Gero
von Randow, traduit par Courrier International
« Angela Merkel continue à faire entendre son “Nein !” sur le
sujet… »
Blog LeFloid, 15 juillet 2015, « Et pendant ce temps-là, Merkel se
fait interviewer par un youtubeur »,
https://www.youtube.com/watch?v=5OemiOryt3c

« Dans un article consacré au French bashing du magazine


Marianne… »
Marianne, 15 juin 2014, « French bashing, mais pourquoi tant de
haine ? », par Patrick Williams

« Selon une étude menée par l’Organisation des Nations unies en


2014… »
https://cdn.nextinpact.com/medias/e-gov_complete_survey-
2014.pdf

« L’économie française est en chute


libre ;
on est nul en export » ?

FAUX : LA FRANCE RESTE L’UNE DES GRANDES PUISSANCES


ÉCONOMIQUES MONDIALES

« Le centre de gravité de l’économie mondiale devrait continuer


de se déplacer vers les pays émergents d’ici 2050… »
http://www.pwc.fr/le-centre-de-gravite-de-leconomie-mondiale-
devrait-continuer-de-se-deplacer-vers-les-pays-emergents.html
« Elle représentait 3,8 % du PIB mondial en 1995… »
http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2014/01/

« Libération note que le pays… »


http://www.liberation.fr/futurs/2014/08/07/les-pays-
developpes-ne-sont-plus-qu-a-moitie-riche_1064210

« En 2015, la consommation des ménages… »


http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=19

« Je pense que la France devrait être la première puissance en


Europe… »
Society, N° 1, mars 2015, « François Fillon enlève ses pompes »,
entretien mené par Franck Annese, Vincent Berthe et Stéphane Régy

« Bernard Gaudillère, conseiller PS de Paris, écrivait dans un


rapport… »
http://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/2014/12/travail-
dominical-dimanche-rapport-2014.pdf

« L’écrivain Tahar Ben Jelloun complète l’argumentation… »


Le 1, 9 avril 2014, « Un électrochoc nécessaire », par Tahar Ben
Jelloun

« Selon Business France, opérateur public… »


http://www.businessfrance.fr/wp-
content/uploads/2015/10/Investir_FR_BD.pdf

« Selon une étude menée en 2014 par Eurostat… »


http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf
« En 2013, l’ACI, Airports Council International… »
http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf

« En 2014, deux ports français, Marseille et Le Havre… »


http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf

« Deuxième meilleur spot au monde… »


L’Expansion, « Pour en finir avec le masochisme français », par
Franck Dedieu et Béatrice Mathieu, novembre 2014

« The Daily Telegraph et traduit par le magazine Courrier


International… »
The Daily Telegraph, 8 octobre 2014, « German model is ruinous
for Germany, and deadly for Europe », par Ambrose Evans-Pritchard,
traduit pour Courrier International, 9 octobre 2014.

« Une administration-cigale mais des administrés-fourmis, écrit


L’expansion… »
L’Expansion, novembre 2014, « Pour en finir avec le masochisme
français », Franck Dedieu et Béatrice Mathieu

« En titrant son enquête “Vive la différence !” »


The Economist, 7 mai 2009, « Vive la différence »,
http://www.economist.com/node/13610197

« Ces classements réputés ne reposent… »


L’Expansion, novembre 2014, « Ces classements qui nous
desservent », par Sébastien Julian
« Le magazine L’Expansion cite Robin Rivaton… »
L’Expansion, novembre 2014, « Pour en finir avec le masochisme
français », par Franck Dedieu et Béatrice Mathieu

« Dans le top 100 des entreprises les plus innovantes… »


http://www.industrie-techno.com/les-100-entreprises-les-plus-
innovantes-du-monde-selon-thomson-reuters.34219

« Le coût horaire du travail dans l’industrie… »


L’Expansion, 27 mai 2015, « Attractivité de la France : ce que
cache la hausse des investissements étrangers », par Laurent Martinet

« D’après une étude du cabinet KPMG publiée en 2014… »


KPMG, « Choix concurrentiels, » 2014

« Il est impossible d’entreprendre


en France » ?

FAUX : EN FRANCE, L’ENTREPRENEURIAT A LE VENT EN POUPE

« D’après les calculs réalisés par l’économiste Nicolas Véron… »


L’Expansion, novembre 2014, « Pour en finir avec le masochisme
français », par Franck Dedieu et Béatrice Mathieu

« Au classement Deloitte Technology Fast 500 EMEA 2014… »


http://www2.deloitte.com/global/en/pages/technology-media-
and-telecommunications/articles/technology-fast-500-emea.html

« Se réjouit Robin Rivaton… »


L’Expansion, novembre 2014, « Pour en finir avec le masochisme
français », par Franck Dedieu et Béatrice Mathieu

« Une enquête de l’APCE… »


https://www.apce.com/cid137430/les-francais-et-l-esprit-d-
entreprise.html?pid=266

« Un rapport réalisé début 2015 indique que 42 %… »


Rapport réalisé à la demande de l’INJEP (Institut national de la
jeunesse et de l’éducation populaire) avec la contribution de la
DVEPVA (Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la
vie associative)

« Le rôle des artisans au savoir-faire unique, écrit le magazine


M… »
M, 4 avril 2014, « Les décorateurs français refont le monde », par
Marie Godfrain

« Aucun patron d’entreprise étranger


ne s’installe ni n’investit en France » ?

FAUX : LA FRANCE SÉDUIT LES INVESTISSEURS

« Le patron de Titan, Maurice Taylor, s’en faisait l’écho en


2014… »
Le Figaro.fr, 28 novembre 2014, « Titan laisse tomber l’usine
Goodyear d’Amiens à cause des lois françaises », par Mathilde Golla

« La France attire toujours les investisseurs étrangers… »


http://www.businessfrance.fr/wp-
content/uploads/2015/10/Investir_FR_BD.pdf

« En 2014, la France est au premier rang européen des


destinations… »
Baromètre « Attractivité de la France » Ernst & Young 2014

« En matière de stock d’investissement direct étranger »


http://unctadstat.unctad.org/wds/ReportFolders/reportFolders.as
px?sRF_ActivePath=p,5&sRF_Expanded=,p,5

« Selon une étude du cabinet KPMG publiée en mars 2015… »


http://www.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights/articlespublication
s/press-releases/pages/observatoire-des-investissements-
internationaux-principales-metropoles-mondiales-2015.aspx

« Pour mieux évaluer l’image de la France auprès des investisseurs


étrangers…
Baromètre de l’activité des entreprises françaises dans le monde
https://www.cnccef.org

« Le manageur chinois qui arrive en France doit s’adapter… »


http://www.lemonde.fr/emploi/article/2013/01/31/au-secours-
ma-boite-est-reprise-par-des-etrangers_1825648_1698637.html

« Les Français sont des assistés » ?

FAUX : LA FRANCE MAINTIENT SA COHÉSION SOCIALE


« Le site Rue89 a démasqué l’arnaque du tableau… »
Rue89, 12 mars 2013, « La fable bidon de la famille RSA qui
gagne plus que la famille salariée » par Elsa Ferreira

« Comme le démontrait Le Point.fr à l’époque, c’est tout aussi


faux… »
Le Point.fr, 14 mai 2011, « Peut-on gagner plus avec le RSA qu’en
occupant un emploi ? », par Marc Vignaud

« Aussi apprend-on sans grande surprise, dans une enquête… »


http://www.bva.fr/data/sondage/sondage_fiche/1688/fichier_ba
rometre_dopinion_de_la_drees_2014_-_synthese_courte118c8.pdf

« Les impôts et les charges en France


sont plus lourds et plus pénalisants
qu’ailleurs » ?

FAUX : LA FISCALITÉ EN FRANCE EST COMPARABLE À CELLE


DES AUTRES PAYS, POUR DE MEILLEURES PRESTATIONS ET SERVICES.

« Depuis 2009, ce niveau d’imposition générale… »


http://www.oecd.org/fr/presse/les-recettes-fiscales-rebondissent-
apres-la-crise-mais-les-structures-fiscales-des-pays-different-
fortement-selon-locde.htm

« En France, ce qu’on nomme le plancher de revenus annuels… »


http://www.senat.fr/rap/l14-108-2-1-1/l14-108-2-1-11.html
« Certes, les cotisations salariales et patronales… »
http://www.bdo.fr/actualites/presse/prelevements-sur-le-travail-la-
france-exception-europeenne/

« In fine, selon les calculs du Figaro… »


Le Figaro, 15 septembre 2014, « France, Allemagne, Espagne… :
les écarts entre salaire brut et net », par Marie Bartnik

« Même si l’étude date un peu puisqu’elle remonte à 2000… »


http://www.who.int/whr/2000/media_centre/en/whr00_press_relea
se.pdf?ua=1

« La France est un pays


technologiquement dépassé » ?

FAUX : LA FRANCE RESTE UNE TERRE D’INNOVATION


ET DE RECHERCHE

« L’un des derniers pays occidentaux à s’être converti à


Internet… »
Le Temps, 26 mars 2015, « Le titre mondial de 1998 a coûté cher
au football français », par Laurent Favre

« En matière de digital… »
New York Times, 29 juin 2015, « Unemployment Is High, but
France Is Fertile Ground for Start-Ups », par Celestine Bohlenjune,
traduit par Guillaume Nail

Dans son rapport 2014 sur « l’état de l’emploi scientifique »,


http://cache.media.enseignementsup-
recherche.gouv.fr/file/Personnels_ens._sup_et_chercheurs/20/1/rapp
ort_emploi_scientifique_2014_382201.pdf

« Les Français désertent le pays » ?

FAUX : LES FRANÇAIS VOYAGENT, ET C’EST BON SIGNE !

« On dit aussi qu’un million de retraités… »


Le Figaro, 9 août 2015, « De plus en plus de contribuables aisés
quittent la France », par Cyrille Pluyette

« La panique de voir cent vingt Français… »


Le Monde, 21 janvier 2013, « Arrêtons le “France bashing” », par
Philippe Askenazy

« D’après un savant calcul réalisé par L’Express… »


L’Express, 28 mars 2014, « Expatriation : Londres est-elle vraiment
la sixième ville française ? »

« Pourcentage surréaliste de 80 % des personnes interrogées… »


Grazia, 30 avril 2014, « les Français prêts à tout plaquer pour
partir à l’étranger », par Judith Samama-Patte

« Cet article d’anthologie publié par le journal suisse L’Hebdo… »


L’Hebdo, 25 juin 2015, « Mœurs : au secours, mon chef est
français ! », par Sabine Pirolt
« Les institutions et les hommes
politiques français sont les pires
au monde » ?

FAUX : LES INSTITUTIONS FRANÇAISES NE SONT NI PIRE


NI MEILLEURES QU’AILLEURS

« Surtout qu’en matière de transparence… »


http://www.transparency-
france.org/ewb_pages/i/indice_de_perception_de_la_corruption644.
php

« Tentent d’influencer en leur faveur les décideurs publics… »


Le Monde, 21 octobre 2014, « La France, mauvaise élève du
lobbying », par Hélène Bekmezian

« Depuis la loi de 1905… »


http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/etat-cultes-
laicite/police-cultes/

« Un journaliste britannique du site américain Buzzfeed… »


Buzzfeed, 12 juin 2013, « 30 Excellent Reasons To Move To
France Immediately, You won’t regret it », par Siraj Datoo, traduit par
Guillaume Nail

« Le pays, premier producteur de vin au monde… »


http://www.oiv.int/oiv/info/fr_OIV_Press_Conference_23_Octobe
r_2014?lang=fr
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/28/l-europe-
conforte-sa-domination-du-marche-du-vin_4798422_3234.html
« Il suffit de déambuler dans les rues de Copenhague… »
Challenges, 1er février 2015, « Quel est le secret des pays où l’on vit
heureux ? », par Gaëlle Macke

« Le système scolaire et universitaire


français est à bout de souffle » ?

FAUX : L’EXCELLENCE FRANÇAISE EST RECONNUE


À L’INTERNATIONAL

« Même si, en juillet 2015, Najat Vallaud-Belkacem… »


http://www.oecd.org/fr/france/echange-avec-mme-najat-vallaud-
belkacem-ministre-de-l-education-nationale-de-l-enseignement-
superieur-et-de-la-recherche.htm

« Les droits de scolarité annuels… »


http://www.campusfrance.org/fr/page/le-cout-des-etudes

« 12 médailles Fields… »
http://www.mathunion.org/general/prizes/fields/prizewinners/

« Peloton de tête pour l’accueil d’étudiants étrangers… »


http://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect
/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_n9_essentiel.pdf
« La France ne rayonne plus dans
le monde » ?

FAUX : CULTURE, ART, GASTRONOMIE, LANGUE… L’EXCEPTION


FRANÇAISE

« Selon un rapport rédigé par deux députés en 2015… »


http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2936.asp

« Un sondage réalisé par l’institut spécialisé Odoxa… »


http://www.odoxa.fr/les-francais-et-leur-gastronomie/

« Même le sandwich baguette conquiert les cœurs… »


http://www.lefigaro.fr/conso/2015/03/05/05007-
20150305ARTFIG00063-en-2014-votre-sandwich-jambon-beurre-a-
coute-3-centimes-de-plus.php

« Des siècles d’héritage d’avance… »


http://www.languagemonitor.com/category/fashion/fashion-
capitals/
cité par Madame.lefigaro.fr, 10 septembre 2015, « Paris redevient
la capitale mondiale de la mode », par Claire Mabrut

« Certes, comme l’écrit Le Monde… »


Le Monde, 8 juillet 2015, « Paris, capitale multinationale de
l’artisanat », par Carine Bizet

« Les marques de luxe tricolores… »


http://www.bain.fr/publications/communiques-de-presse/les-
maisons-du-luxe-francaises-restent-numero-un-sur-le-marche-
mondial-des-produits-de-luxe-selon-letude-2013-de-bain-
company.aspx

« Jules Verne se place au deuxième rang… »


http://www.unesco.org/xtrans/bsstatexp.aspx?
crit1L=5&nTyp=min&topN=50

« Troisième pays européen exportateur de livres… »


http://www.sgdl.org/ressource/documentation-sgdl/actes-des-
forums/la-traduction-litteraire/1519-les-chiffres-de-la-traduction-par-
geoffroy-pelletier

« Les livres écrits en français sont les plus traduits aux États-
Unis… »
http://www.sgdl.org/ressource/documentation-sgdl/actes-des-
forums/la-traduction-litteraire/1519-les-chiffres-de-la-traduction-par-
geoffroy-pelletier

« Numéro un des ventes en Allemagne et en Italie… »


http://www.lefigaro.fr/livres/2015/02/11/03005-
20150211ARTFIG00053-houellebecq-superstar-des-ventes-en-
europe.php

« Selon Livre Hebdo, la France compte des milliers d’éditeurs… »


http://www.livreshebdo.fr/article/nouveautes-2014-pourquoi-la-
production-ne-baisse-t-elle-pas#265441.

« Si le quotidien anglais The Guardian… »


http://www.theguardian.com/film/filmblog/2008/jul/17/eurofile
whythefrenchhavecaughtbiopicfever
« Ces trois films ont concentré plus de 60 %… »
http://www.unifrance.org/actualites/12936/bilan-2013-du-
cinema-francais-a-l-international

« Unifrance a commandité une étude auprès de l’institut Opinion


Way… »
http://www.unifrance.org/actualites/11596/enquete-sur-l-image-
du-cinema-francais-dans-le-monde

« Selon Michel Ocelot, réalisateur de Kirikou… »


http://www.actu-cci.com/reflexions-livres-dvd/9522-succes-story-
le-kirikou-de-michel-ocelot-un-succes-mondial

« Réglementations relatives à “l’exception culturelle française” »…


http://www.worldcitiescultureforum.com/assets/others/Culture_
dans_les_villes_mondes.pdf

« Des 647 films sortis en 2012 au Royaume-Uni… »


http://www.inaglobal.fr/cinema/article/le-cinema-britannique-
modele-europeen-ou-empire-americain-7514

« Pour répondre aux courageux anonymes… »


Télérama, 12 novembre 2014, « Descendue en flèche : Mélanie
Laurent », par Mathilde Blottière

« On ne compte plus les artistes français qui cartonnent à


l’étranger… »
L’Express, 8 juillet 2015, « Les scènes des festivals sous électro
choc », par Igor Hansen-Love

« En lancement d’un article de M, le magazine du Monde… »


M, 4 avril 2014, « Les décorateurs français refont le monde », par
Marie Godfrain

« Sybille de Margerie ou le designer Patrick Jouin… »


M, 4 avril 2014, « Les décorateurs français refont le monde », par
Marie Godfrain

« Avec 274 millions de locuteurs selon le rapport de l’OIF… »


http://www.francophonie.org/274-millions-de-francophones-
dans.html#layer_jeune

« Le français pourrait supplanter les autres langues… »


http://www.challenges.fr/economie/20140320.CHA1821/le-
francais-sera-t-il-la-langue-la-plus-parlee-en-2050.html

« Le magazine L’Expansion recense vingt-huit “frontières”… »


L’Expansion, novembre 2014 « Les promesses de l’or bleu
français », par Sébastien Julian

« Classée première destination touristique planétaire… »


https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/le-tourisme-dans-le-monde/

« Paris, c’est fini ! » ?

FAUX : PARIS, VILLE CAPITALE EN MOUVEMENT !

« Du quotidien conservateur allemand Die Welt… »


Die Welt, 15 novembre 1986, « Le déclin de Paris : les gourmets ne
sont pas les seuls à se plaindre », A. Graf Kageneck
« Qui affiche clairement sa francophobie dans le Daily Mail… »
http://www.dailymail.co.uk/news/article-509247/The-French-
miserable-Sarkozys-Napoleon-says-lover-wife-Carla-Bruni.html

« Derrière beaucoup de belles villes d’Italie… »


http://www.bfmtv.com/planete/particules-fines-sont-villes-plus-
irrespirables-771235.html

« À ce propos, le magazine londonien Time Out… »


Time Out, 10 février 2015, « Paris, capitale de la drague ? », par
Chris Bourn, traduit par Elsa Pereira et Nicolas Hecht

Le World Cities Culture Forum…


http://www.worldcitiescultureforum.com/assets/others/Culture_
dans_les_villes_mondes.pdf

« Paris reste célébré pour son art de vivre… »


http://www.worldcitiescultureforum.com/assets/others/Culture_
dans_les_villes_mondes.pdf

« The Guardian constate les dégâts engendrés… »


The Guardian, 28 juin 2015, « London: the city that ate itself »,
par Rowan Moore

« Sa ville d’adoption serait plus chère que Londres… »


http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2015/03/daily-
chart

« Le cabinet Mercer a étudié les coûts de 200 produits… »


http://www.mercer.com/newsroom/cost-of-living-survey.html
« Le magazine américain Wired… »
http://www.wired.com/2015/06/paris-making-crazy-
roundabouts-safer-cyclists/

« Le classement mondial des cinquante meilleures villes


étudiantes… »
http://www.topuniversities.com/qs-world-university-rankings

« Les chiffres l’attestent, selon le World Cities Culture… »


http://www.worldcitiescultureforum.com/assets/others/Culture_dan
s_les_villes_mondes.pdf

« La capitale gastronomique mondiale… »


New York Times, 28 mars 2014, « Can Anyone Save French Food?
», par Michael Steinbergermarch

« L’Est parisien, nouvel eldorado… »


Télérama, 5 mars 2015, « L’Est parisien, nouvel eldorado de la
gastronomie », par Virginie Félix

« Une pétition circule aujourd’hui sur Internet… »


http://occupy50best.com/

« En Angleterre, ce sont les boîtes de nuit… »


Buzzfeed, 12 juin 2013, « 30 Excellent Reasons To Move To
France Immediately, You won’t regret it », par Siraj Datoo, traduit par
Guillaume Nail

« À Barcelone… »
Le Figaro, 25 août 2014, « Dehors les touristes ivres ! », par
Thomas Eustache
« La capitale française serait même passée… »
L’Express, 8 juillet 2015, « Les scènes des festivals sous électro
choc », par Igor Hansen-Love

« La France est un pays refermé sur lui-


même » ?

FAUX : LES FRANÇAIS SONT OUVERTS D’ESPRIT ET LA FRANCE


EST UN MELTING-POT

« Le couscous, mais aussi les sushis, les pizzas, le hamburger… »


http://www.directmatin.fr/france/2015-09-29/sondage-exclusif-
les-plats-que-preferent-les-francais-712092

« Les artistes venus chercher l’inspiration… »


Le Monde, 20 décembre 2014, « France terre d’artistes », par
Roxana Azimi

« Si l’on tient compte des départs et des décès… »


http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1524

Vive la France ?
« Roger Cohen, l’éditorialiste du New York Times…
New York Times, 11 juillet 2013, « France’s Glorious Malaise »,
traduit pour Courrier International
« Les Français manquent non seulement de confiance… »
http://www.oecd-
ilibrary.org/docserver/download/8111042ec026.pdf?
expires=1447948656&id=id&accname=guest&checksum=BC79F07
AF2F6C6A46DEF4FC7A1E39411

36 chiffres pour répondre aux râleurs,


aux dénigreurs, aux pessimistes
et aux déclinistes
1. La France possède le premier réseau routier d’Europe. (2014,
Eurostat)
http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf

2. Le réseau ferré à grande vitesse est le deuxième le plus


performant du continent. (2014, Eurostat)
http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf

3. L’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle est classé deuxième


aéroport de passagers et premier aéroport de fret d’Europe. (2013,
ACI, Airports Council International)
http://sayouitofrance-innovation.com/wp-
content/uploads/2015/09/InvestirenFrance_global_FR_page.pdf

4. La France est la première destination touristique planétaire en


nombre de visiteurs étrangers. (l2014, Organisation mondiale du
tourisme)
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/le-tourisme-dans-le-monde/

5. Le site service-public.fr permet à l’administration française de


se classer numéro un mondial en matière de services numériques.
(2014, Département des affaires économiques et sociales de l’ONU)
https://cdn.nextinpact.com/medias/e-gov_complete_survey-
2014.pdf

6. La France est le 1er pays d’Europe pour les créations


d’entreprises (Eurostat, 2014 – données pour 2011). Plus de 538 000
entreprises ont été créées en France en 2013, dont près de 275 000
sous le régime autoentrepreneur (Insee, 2014).
http://www.gouvernement.fr/attractivite-productivite-fiscalite-en-
finir-avec-10-idees-recues-sur-la-france

7. Parmi les 500 premières multinationales du monde, figurent 30


entreprises françaises, ce qui représente 6 % du total alors que la
France n’occupe que 1 % de la superficie du globe et pèse moins de
4 % du PIB mondial. (2014, L’Expansion)
L’Expansion, « Pour en finir avec le masochisme français », par
Franck Dedieu et Béatrice Mathieu, novembre 2014

8. Avec 86 entreprises, la France est la mieux représentée des pays


d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique parmi les 500 entreprises
du secteur technologique les plus performantes – pour la quatrième
année consécutive. (2014, classement Deloitte Technology Fast 500
EMEA)
http://www2.deloitte.com/global/en/pages/technology-media-
and-telecommunications/articles/technology-fast-500-emea.html
9. La France est premier pays d’Europe dans le top 100 des
entreprises les plus innovantes du monde. (2014, Thomson Reuters).
http://www.industrie-techno.com/les-100-entreprises-les-plus-
innovantes-du-monde-selon-thomson-reuters.34219

10. La France est au premier rang européen des destinations pour


les investissements étrangers dans l’industrie. (2014, cabinet EY).
Baromètre « Attractivité de la France » Ernst & Young “ 2014

11. Paris passe devant New York et Hong Kong en devenant la


troisième ville du monde la plus attractive pour les investissements
étrangers créateurs d’emplois et d’activités, derrière Londres et
Shanghai (2015, KPMG).
http://www.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights/articlespublication
s/press-releases/pages/observatoire-des-investissements-
internationaux-principales-metropoles-mondiales-2015.aspx

12. Paris est deuxième dans le classement des métropoles


destinataires de centres de R&D, après Londres. Il est aussi deuxième,
cette fois devant la capitale anglaise, dans le classement des
métropoles du monde destinataire de sièges sociaux. (2015, KPMG)
http://www.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights/articlespublication
s/press-releases/pages/observatoire-des-investissements-
internationaux-principales-metropoles-mondiales-2015.aspx

13. Les Français ont acquis près de 2 500 entreprises étrangères


pour 200 milliards d’euros entre 2010 et 2014. Dans le même laps de
temps, les sociétés étrangères rachetaient environ 1 500 entreprises
françaises pour 150 milliards d’euros. (2014, Dealogic)
http://www.journaldunet.com/economie/magazine/fusions-
acquisitions-francaises-2014.shtml

14. La France est le deuxième pays le plus peuplé d’Europe.


http://ec.europa.eu/eurostat/tgm/table.do?
tab=table&language=en&pcode=tps00001&tableSelection=1&footn
otes=yes&labeling=labels&plugin=1

15. L’écart entre les populations française et allemande ne cesse de


se réduire. En 2050, la France comptera 72 millions habitants et
l’Allemagne 76 millions (en 2015, les chiffres sont respectivement de
66 millions et 81 millions. (2015, INED – Population & Sociétés).
https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/europe-
pays-developpes/population-naissances-deces/

16. Avec deux enfants par femme, la France occupe la deuxième


place européenne pour le taux de fécondité. L’Allemagne compte
environ 1,4 enfant par femme. (2015, ONU)
http://esa.un.org/unpd/wpp/publications/files/key_findings_wp
p_2015.pdf

17. Les Français ont une espérance de vie supérieure de trois ans
à celle des Américains. (2015, ONU)
http://esa.un.org/unpd/wpp/publications/files/key_findings_wp
p_2015.pdf

18. Si on cumule temps plein et temps partiel, la moyenne


française d’heures de travail par semaine s’établit à 37,5 heures. La
moyenne européenne est de 37,2 heures. La moyenne allemande est
de 35,3 heures. La moyenne néerlandaise est de 30 heures. (2014, Le
Monde.fr)
Le Monde.fr, 18 septembre 2014, « La France, pays où l’on
travaille le moins ? », par Alexandre Pouchard, Delphine Roucaute et
Samuel Laurent

19. Les Français ont produit environ 47 euros par heure travaillée,
soit 10,70 euros de plus que la moyenne de l’OCDE. (2013, OCDE),
(2014, Le Monde.fr)
Le Monde.fr, 18 septembre 2014, « La France, pays où l’on
travaille le moins ? », par Alexandre Pouchard, Delphine Roucaute et
Samuel Laurent

20. Les travailleurs à temps plein et à temps partiel français


travaillent 1 478 heures par an (2013). Plus que les Allemands
(1 387 heures), les Pays-Bas (1 380 heures) et la Norvège
(1 407 heures). (2013, OCDE), (2014, Le Monde.fr)
Le Monde.fr, 18 septembre 2014, « La France, pays où l’on
travaille le moins ? », par Alexandre Pouchard, Delphine Roucaute et
Samuel Laurent

21. En rapportant le PIB au nombre d’heures travaillées, les actifs


français produisent pour 45,40 euros par heure, les Britanniques pour
39,20 euros. La moyenne européenne s’établit à 32 euros. (2013,
Eurostat)
http://ec.europa.eu/eurostat/tgm/table.do?
tab=table&plugin=1&language=fr&pcode=tsdec310

22. Un couple français ayant deux enfants et gagnant 50 000


euros bruts conserve 38 195 euros après impôts et cotisations
salariales. Un couple suisse 37 890 euros, un couple britannique
37 450, un couple allemand 34 265 euros. (2014, Figaro)
Le Figaro, 15 septembre 2014, « France, Allemagne, Espagne… :
les écarts entre salaire brut et net », par Marie Bartnik

23. L’école maternelle française accueille plus de 90 % des enfants


de trois ans. À l’âge de quatre ans, près de 100 % des enfants sont
scolarisés contre 79 % pour la moyenne de l’OCDE. (2014, OCDE)
http://www.oecd.org/edu/France-EAG2014-Country-Note-
french.pdf

24. 40 % des Français entre 25 et 34 ans ont un niveau de


formation plus élevé que celui de leurs parents. Pour l’ensemble des
pays de l’OCDE, la moyenne est de 32 %. (2014, OCDE)
http://www.oecd.org/edu/France-EAG2014-Country-Note-
french.pdf

25. La France possède le nombre le plus élevé au monde de Nobel


de littérature (15) devant les États-Unis (12) et le Royaume-Uni (10).
http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/

26. Sur 56 médailles Fields (la plus importante récompense


mondiale attribuée depuis 1936 à des travaux en mathématiques), 12
ont été attribuées à des Français, contre 13 à des Américains (Etats-
Unis)
http://www.mathunion.org/general/prizes/fields/prizewinners/

27. Le cinéma français représente 50 % des 600 films qui sortent


dans les cinémas du pays chaque année. Sur 647 films sortis en 2012
au Royaume-Uni, seuls 25 % y étaient produits. (2012, World Cities
Culture Forum)
http://www.worldcitiescultureforum.com/assets/others/Culture_
dans_les_villes_mondes.pdf

28. La France est le deuxième exportateur mondial de films après


les États-Unis. (2014, ministères des Affaires étrangères)
http://www.ambafrance-ua.org/La-France-2e-exportateur-
mondial

29. Près d’un quart du chiffre d’affaires de l’édition française


résulte des ventes à l’étranger. Le français est la deuxième langue la
plus traduite après l’anglais dans l’industrie mondiale du livre. (2013,
SNE)
http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-ecrivains-francais-
champions-a-l-export_1609016.html

30. Le français est la deuxième langue des affaires en Europe


après l’anglais et la troisième dans le monde après l’anglais et le
mandarin. (2014, OIF)
http://www.francophonie.org/IMG/pdf/oif_synthese_francais.pdf

31. La France est premier producteur de vin au monde devant


l’Italie et l’Espagne. (2014 Organisation internationale de la vigne et
du vin).
http://www.oiv.int/oiv/info/fr_OIV_Press_Conference_23_October_2
014?lang=fr
En 2015, elle est deuxième producteur après l’Italie – les résultats
des deux pays varient selon les conditions climatiques de l’année en
cours. (2015, lemonde.fr)
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/28/l-europe-
conforte-sa-domination-du-marche-du-vin_4798422_3234.html
32. La France est le premier producteur agricole et le premier
pays exportateur européen avec une production globale de plus de
61 milliards d’euros, soit 18,5 % de la production européenne. (2010,
Chambres d’agriculture)
http://www.chambres-agriculture.fr/grands-contextes/cles-de-
lagriculture/ce-quil-faut-savoir/

33. La France possède vingt-huit frontières terrestres et maritimes


(métropole et DOM-TOM). C’est le pays qui compte le plus de voisins
au monde. (2014, L’Expansion)
L’Expansion, novembre 2014 « Les promesses de l’or bleu
français », par Sébastien Julian

34. Le domaine maritime français (Métropole et DOM-TOM) est


classé deuxième au monde (onze millions de kilomètres carrés) après
les États-Unis. (2014, L’Expansion)
L’Expansion, novembre 2014 « Les promesses de l’or bleu
français », par Sébastien Julian

35. Paris se place est classée première dans la liste des cinquante
meilleures villes étudiantes devant Londres, Boston, Melbourne et
Vienne (2015, Quacquarelli Symonds Ltd).
http://www.topuniversities.com/qs-world-university-rankings

36. La France est le troisième pays au monde pour l’accueil


d’étudiants étrangers. Neuf étudiants sur dix venus étudier en France
recommandent l’Hexagone comme destination d’études. (2014,
Campus France)
http://ressources.campusfrance.org/publi_institu/agence_cf/note
s/fr/note_42_fr.pdf
Remerciements

En premier lieu, merci à tous ceux qui ne cessent de répéter « Ça,


c’est la France… », « En France, ça ne marche jamais », « En France,
tu ne peux pas… » et autres « Il n’y a qu’en France qu’on voit ça ». Ils
m’ont irrité au point de me donner la force de recueillir cette
multitude de données et d’écrire toutes ces lignes. Ce livre leur doit
beaucoup.
Merci à tous ceux qui ont accepté de répondre à mes questions, et
plus particulièrement Karine Berger, Odile Chagny, Laurence Duboys
Fresney, Alexandre Jardin, Valérie Le Guern, Claire Lelièvre, Luc
Lesénécal, Pierre Méhaignerie, Jean-Benoît Nadeau, Marie-Cécile
Naves, Laurence Pivot, Claude Revel, Denis Tillinac et Nicolas Véron,
ainsi qu’à tous les contributeurs que j’oublie au moment d’écrire ces
quelques mots.
Merci aux jeunes créateurs d’entreprises pour leur retour
d’expérience : Guillaume Caboche, Aurèle Charlet, Ronan Coiffec,
Viviane Dedje, Emilie Goyer, Tanguy Le Rolland, Stéphanie Maubé,
Toumany Sané et quelques autres.
Merci aux nombreux témoins que je connais personnellement
pour la plupart, pour leur regard critique mais tendre vis-à-vis du
pays dans lequel ils ont choisi de vivre à un moment ou un autre :
Aron, Begoña, Bettina, Boris, Cedo, Christelle, Coromoto, Klaas,
Nikola, Noa, etc. Merci à Karine, une Française qui a choisi de vivre
en Allemagne.
Un merci tout particulier à Nathalie Riché qui a cru à ce projet dès
le départ et à Christel Mouchard pour son œil avisé, ainsi qu’à Marie
de La Forest pour son aimable autorisation et à Julien Benhamou
pour la parfaite maîtrise de mon image.
Enfin, j’adresse un clin d’œil spécial à Patrice Audigane, source
inépuisable d’inspiration, et à Guillaume Nail, bien sûr, mon
indispensable soutien.
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Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2 et 3 a),
d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et
non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes
citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants
cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.

© Presses de la Cité, 2016

Couverture : Atelier Didier Thimonier

EAN 978-2-258-13361-7

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