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CON JSCIENT
Comment garder son autonomie
et parvenir a l'accomplissement de soi
dans une Civilisation de masse.
ROBERT LAFFONT
CEuvres de BRUNO BETTELHEIM
dans la méme collection
UN LIEU OU RENAITRE
(a paraitre en 1975)
LE CCRUR CONSCIENT
Traduit de l’américain par Laure Casseau
Deets
hetCe i anette sara 11
1. La concordance des contraires............ 13
Sed IUPUSSE UNULINOIIC <tc, < 40.5 aviarn in eee<8 57
3. La conscience de la liberté............... 79
4. Le comportement dans des situations extré-
Ten LA COCTCIION tere me re ee ee oe 125
5. Le comportement dans des situations extré-
MeS.* LCS GELCNSES dite: venennsch speciale
cleverBoies 199
6. Les fluctuations du prix de la vie.......... 263
7. Les hommes ne sont pas des fourmis....... 295
Remercienenisrs. PO
2000. INE. POTROT. 331
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PREFACE
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CHAPITRE PREMIER
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LA CONCORDANCE DES CONTRAIRES
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LA CONCORDANCE
DES CONTRAIRES
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quelques-uns des motifs les plus cachés des prisonniers
et des gardes et la raison pour laquelle la personnalité de
ee prisonniers se désintégrait selon un processus parti-
culier. Mais 4 ma surprise et 4 ma déception, la psychana-
lyse ne me fournissait aucun moyen de me protéger contre
ce danger, ni de comprendre pourquoi d’autres résistaient
victorieusement au régime du camp. Lorsqu’on réexamine
la psychanalyse sous cet éclairage, on se rend compte pour-
quoi et dans quelle mesure elle a exploré les influences
destructrices en négligeant celles qui sont constructives, a
Pexception de l’action de la psychanalyse elle-méme.
Sans intention délibérée, et souvent contrairement a leurs
convictions déclarées, les psychanalystes ont fait porter
leurs recherches sur ce qui mallait pas dans la vie des
individus et sur les remédes qu’on pouvait y apporter. Ces
problémes représentant l’objet principal sinon unique de
la psychanalyse, une telle attitude est légitime. Malheureu-
sement, elle n’aboutit 4 aucune théorie de la personnalité
dont on pourrait déduire la voie menant 4 une vie qui soit
bonne. Cela alors qu’on a de plus en plus recours a la
psychanalyse comme guide, direct ou indirect, puisqu’elle
fournit les structures théoriques de beaucoup de sciences du
comportement. ,
Les psychanalystes seraient les premiers 4 dire qu’aujour-
d’hui Vincidence de leurs théories et de leur pratique
s’étend bien au-dela du champ limité de la psychothérapie.
Ils se rendent compte de limportance qu’elles ont prise
dans la sociologie, ’éducation, l’esthétique, la vie en géné-
ral. Mais lorsqu’on fait appel 4 la psychanalyse hors des
limites de la psychothérapie, on risque de commettre de
graves erreurs si l’on ne compense pas lattention qu’elle
porte par vocation au morbide par un intérét égal pour ce
qui est sain, normal, positif. En ne se préoccupant que de
ce qui est pathologique et des moyens d’y remédier, on
arriverait facilement 4 une théorie dans la perspective de
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La théorie et la pratique.
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dont je m’étais
1. J’avais oublié que les deux enfants autistiques parents et
nt pas avec leurs
occupé pendant des années ne vivaie onnement
d’anal yser un enfant dans un envir
qu’il ne suffisait pas le guérir .
favorable répondant A ses besoins instinctuels pour
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L’influence de l’environnement.
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Interaction.
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ayant été convaincu a la suite de ma propre analyse, que
seule la psychologie pouvait assurer l’épanouissement de
Vindividu et l’amener a créer une « bonne » société, jai été
catapulté dang le camp de concentration ov je me suis
rendu compte a quel point l’environnement peut influencer
. Vindividu tout en étant incapable de modifier certains aspects
' de sa personnalité.
_ Tout ceci se cristallisa dans mon esprit par suite de
Pémigration. Aprés l’expérience du camp de concentration,
celle qui consistait 4 quitter l'Europe pour m’établir aux
Etats-Unis posa de nouveau le probléme avec évidence. Je
me suis demandé jusqu’a quel point les conditions d’existence
et ladaptation qu’elles exigent de Vindividu modifient sa
personnalité et quels aspects de la personnalité restaient
relativement imperméables 4 un changement radical de l’en-
vironnement. Le probléme n’était pas tant de déterminer
- Jusqu’a quel point on pouvait manipuler homme au moyen
de Venvironnement. Il s’agissait de savoir dans quels do-
maines il reste libre de ne pas s’adapter 4 l’environnement et
d’entreprendre de le modifier conformément 4 ses besoins
et dans quelle mesure sa rigidité l’empéche de faire l'un ou
Pautre.
En observant les amis qui avaient vécu la méme expérience
que moi, dont je pouvais suivre les réactions d’aussi prés
que celles de mes codétenus dans le camp de concentration,
je constatai bientét que Véventail des comportements possi-
bles était trés large. A l’'un des extrémes, on trouve lindividu
qui s’en tient rigidement 4 des valeurs et des attitudes qui
ne sont plus efficaces parce qu’inappropriées 4 l’environne-
ment. Il réagit ainsi uniquement parce qu’elles lui ont été
inculquées dans l’enfance. A l’autre extréme, il y a une
adaptation totale 4 Ja situation nouvelle, une soumission
passive 4 lenvironnement. Ce n’est que rarement que j’ai
constaté linteraction subtile entre la personnalité et l’envi-
ronnement qui aboutit 4 une intégration accrue.
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CHAPITRE II
L’>IMPASSE IMAGINAIRE
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L’ IMPASSE IMAGINAIRE
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La négation du probléme.
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L’IMPASSE IMAGINAIRE
Beaucoup d’intellectuels, de nos jours, cherchent un
réconfort dans les croyances apparemment simples de leurs
ancétres. Ce faisant, ils risquent de contracter la peur de
Yenfer et de la damnation sans pour autant y trouver le
soulagement affectif que procurait l’affirmation d’une foi
collective.
Il ne faut pas supposer non plus qu’un homme du ving-
tiéme siécle se sentirait 4 l’aise dans un cadre du dix-
huitiéme. Affligés comme nous le sommes par les consé-
quences d’un apprentissage de la propreté qui nous a donné
Vhorreur de la saleté et des mauvaises odeurs, nous serions
fort malheureux de vivre dans la puanteur des tas de
fumier et des latrines primitives d’une petite ville américaine
de l’époque coloniale. Un Williamsburg restauré, pourvu
d’eau courante et d’un équipement sanitaire moderne, est
un joli joujou pour week-end mais pas un milieu résidentiel
pour ’homme de l’age technique’.
A considérer avec nostalgie d’autres civilisations, nous
ne ferons que déformer la vision que nous avons de la
notre et rendre plus difficile la découverte d’une solution
viable aux problémes de notre culture. Les plaisirs de la
chasse, si agréables qu’ils soient, ne guériront pas les
frustrations auxquelles nous expose la technologie. Les
activités de loisirs ne supprimeront pas davantage les incon-
vénients du machinisme. Au mieux, elles nous les feront
provisoirement oublier, ou nous séduiront au point de nous
interdire d’y trouver des remédes. Des voyages de noces
répétés ne sauveront pas un mauvais mariage en amélio-
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La servitude inconsciente.
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moyen de techniques psychologiques, d’induire chez l’indi-
vidu des idées et des convictions étrangéres, l’angoisse
irrationnelle qui en résulte chez quelques-uns, indiquent
que nous en sommes arrivés 4 ce stade. La puissance salva-
trice ou destructrice attribuée 4 la psychologie a remplacé
les saints, les démons et la machine qui influence ‘dans
Yexpression fantasmatique de Tangoisse qu’éprouve J’indi-
vidu qui se sent subjugué et manceuvré contre son gré.
Il est possible de démontrer que la « machine qui influen-
ce» a été elle aussi, 4 lorigine, une projection du corps
humain!, mais l’essentiel est qu’elle n’a pas conservé ce
caractére. Elle devient de plus en plus complexe et l’indi-
vidu psychotique finit par avoir impression qu’il est domi-
né par des monstres mécaniques qui n’ont plus rien d’hu-
main ni méme d’animal. L’>homme contemporain, lorsqu’il
est hanté, qu’il soit sain d’esprit ou profondément perturbé,
ne l’est plus par d’autres hommes ou par leur projection
magnifiée, mais par des machines. Tout en s’en remettant
en méme temps aux machines pour assurer sa protection ou
son salut.
La machine-dieu.
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La solution raisonnable.
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nisé s'il n’est plus libre d’y participer varie avec l’époque,
la société, et le tempérament des individus. A un moment
donné, elle concernait l’argent et la propriété. A d’autres
moments, les impéts ont eu moins d’importance aux yeux
des hommes que la liberté de pensée, la liberté d’expres-
sion, la liberté religieuse. Ou, 4 prendre un exemple dans
le monde actuel, d’étre libéré du besoin et de la peur.
On pourrait dire que les libertés d’action et de décision
particuliéres qui nous sont nécessaires pour échapper a
Yimpression de tyrannie révélent quels sont les problémes
essentiels d’une société, ou d’un de ses groupes. Hegel a
dit que Vhistoire du monde n’était autre que celle du pro-
grés de la conscience de liberté. Il y a manifestement des
niveaux de conscience différents, et, pour chaque instant
et chaque lieu, des domaines de l’action ot la conscience
de liberté est aigué, d’autres ow elle reste en sommeil.
La déclaration sur l’imposition et la tyrannie révéle qu’a
l’époque de la guerre de l’indépendance, le droit de propriété
était au premier plan de la conscience des colons. A d’autres
époques et en d’autres lieux, d’autres enjeux ont joué ce
role.
En fait les révolutions et les guerres, froides ou chaudes,
ont eu lieu parce que des groupes sociaux, ou des sociétés
différentes, vivaient 4 des niveaux de conscience différents.
Il se peut que certains des maux dont nous souffrons pro-
viennent de ce que, dans une partie du monde l’exigence
consciente d’étre libéré du besoin l’emporte sur la liberté
de pensée, alors que dans l’autre le besoin économique a
été si réduit que ’homme en a une conscience moins vive
que de sa liberté de se déplacer, de choisir son travail ou
d’en changer, et d’avoir une opinion personnelle en matiére
de politique ou d’esthétique.
Le caractére tyrannique ou libéral attribué 4 une organisa-
tion sociale semble dépendre surtout de la liberté de choix
et de la participation aux décisions accordées aux individus
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dans les questions qui constituent pour eux la conscience
particuliére qu’ils ont de leur liberté. On peut penser que
plus cette conscience de liberté embrasse de questions im-
portantes, plus la société progresse. Mais hélas, qui décidera
de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas ? Ce qu’un
individu donné, dans une société donnée, éprouve comme
une tyrannie, sera considéré comme un simple inconvénient
par d’autres, et futile aux yeux des troisiémes. Pourtant, ce
n’est vrai qu’a l’intérieur de certaines limites. Si les hommes
ne s’accordent pas sur ce qui est important et ce qui ne
lest pas, le sentiment d’étre autonome dépend toujours et
partout de la con uon peut prendre des décisions
importantes et_agir 14 ot. cela nous semble essentiel.
Dans lenfance comme 4 lage adulte, si l’individu estime
qu’il lui est impossible d’influencer son milieu social et
physique, puis de prendre des décisions sur la fagon et le
moment de le modifier, cette impression d’impuissance
aura sur sa personnalité un effet nuisible, voire désastreux
Néanmoins, ce qui se révéle bon a la longue n’est pas
toujours facile ou agréable au départ. Prendre des décisions
implique un risque et un effort. C’est pourquoi homme
cherche souvent a l’éviter, méme lorsqu’il pourrait en prin-
cipe exercer cette liberté. Par ailleurs, si restrictif ou oppres-
sant que soit le milieu, l’individu conserve toujours la liberté
de le juger. Sur le fondement de ce jugement, il est libre
d’approuver ou de désapprouver intérieurement ce qu’on lui
impose. Il est vrai que dans un milieu oppressant, ces
décisions intérieures n’ont guére d’effets pratiques. C’est
pourquoi, plus ’homme recherche lefficacité pratique, plus
il sera tenté de considérer que des prises de position sans
résultat tangible sont un gaspillage d’énergie. Il les évitera
donc.
A Vextréme opposé, plus les décisions prises par d’autres
sont satisfaisantes, moins l’individu est porté a faire effort
d’en prendre par lui-méme. C’est pourquoi l’enfant dont les
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L’autonomie.
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Le déséquilibre.
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un _affaiblissement de son intégration et il devient de moins en
moins capable dé réagir d'une facon autonome a de nouveaux
changements 1,
€ que nous redoutons aujourd’hui, c’est une société de
masse ou les individus ne réagiront plus spontanément aux
vicissitudes de l’existence, mais accepteront sans aucun esprit
critique les solutions qui leur sont proposées par d’autres.
Nous craignons que ces solutions soient déterminées par les
exigences du progrés technologique sans tenir compte de
Pintégration accrue qu’elles exigeraient. Le processus d’ac-
ceptation passive commence en général par le conformisme
extérieur, mais ne s’arréte pas 1a, car la vie extérieure et
la vie intérieure sont trop intimement liées. Lorsqu’un indi-
vidu s’en remet a d’autres pour prendre des décisions réglant
son mode de vie extérieur, il sera bient6t porté a régler ses
conflits intérieurs de la méme facgon. Si cette désintégration
s’étend a4 la majorité des individus, il n’y a plus alors de
frein 4 l’évolution sociale. Plus elle deviendra rapide plus il sera
difficile de parvenir au niveau d’intégration qu’elle exigerait.
L’intégration se fait lentement. Selon les lois de l’économi
psychique, une fois une habitude acquise, d’autres modes
de comportement ne se constituent que si lindividu est
convaincu qu’ils sont de beaucoup supérieurs aux anciens,
ou que c’est la seule forme d’adaptation possible. Il faut du
temps pour parvenir a4 une telle conclusion, du temps et des
efforts pour concevoir et perfectionner les nouveaux modes
de comportement, et encore plus de temps et d’efforts pour
qu’ils soient véritablement assimilés. Ce n’est qu’alors que
Yindividu est capable d’affronter un nouveau probléme de
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Le monde du trayail.
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Le commandement a distance.
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a ce que nous appelons l’honneur humain: maintenir son
indépendance face a la pression extérieure.
Il est significatif que les mémes déclarations aient été
faites par ceux qui ont travaillé 4 la mise au point des
bombes atomiques lorsqu’ils ont nié leur responsabilité. La
bombe atomique a mis en relief certains des problémes
sociaux et psychologiques de « l’Etat de masse ». La réac-
tion du public américain a été tout d’abord la fierté devant
la puissance de Etat et de ceux qui le dirigeaient, aux-
quels les citoyens s’identifiaient. A la réflexion, le pouvoir
terrifiant que conférait la bombe a effrayé Vindividu en
lui inspirant un sentiment de totale impuissance. Etant inca-
pable de supporter cette angoisse, il s’est tourné vers la
société et ses dirigeants afin qu’ils le protégent, en étant
prét a leur accorder un pouvoir plus grand encore en
échange de leur protection contre ce nouveau danger. Une
lutte s’engagea alors entre le contréle rationnel de la peur
(il n’y a d’autre protection contre la bombe atomique que
la coopération internationale) et les mécanismes de compen-
sation qui sont de nature agressive, le recours au pouvoir
que détenaient les dirigeants de garantir la sécurité (utilisons-
la les premiers).
Le sentiment d’étre impuissant parce qu’on est un homme
insignifiant, manipulé par d’autres, entraine un besoin de
compensation. L’enfant qui dépend de ses parents pour sa
survie doit étre convaincu qu’ils sont sans reproche, car ce
nest qu’alors qu’il a la certitude qu’ils veilleront sur lui.
Des attitudes critiques ou agressives provoqueront un senti-
ment de culpabilité en raison de cette dépendance. De
méme, plus individu devient impuissant socialement, écono-
miquement, politiquement, dans «Etat de Masse », plus
ceux qui détiennent le pouvoir deviennent importants a ses
yeux. Il a besoin de croire qu’ils veilleront sur lui. Ce nest
que dans cette conviction qu'il puise la sécurité psycholo-
gique. L’injustice, lorsqu’il l’éprouve dans la réalité, est
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1. Cela n’est pas valable dans les cas ot les contrats passés avec
les syndicats prévoient des droits d’ancienneté.
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Les loisirs.
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per-
uniforme. Ce qui est gagné d’une part (lexpression d’un gofit
perdu de l'autre (moins de contact direct avec
sonnel) est souvent
la diversité de la nature et du mode de vie local, pas d’adaptation
aux diverses voies de circulation).
é
1. Cette observation réciproque est trés différente de Vintimit
qui régnait dans les villages et les petites villes de l’Ancien Monde.
il ne
Chacun savait ce qui se passait sous le toit des autres. Mais
s’agissait pas d’étrangers cherchan t a se copier les uns les autres
ou a rivaliser. Ul s’agissait de gens liés par une intimité quasi fami-
Au
liale. Tout n’était pas dicté par l'amour et la serviabilité.
ait souvent ambival ence et mesquine rie. Mais
contraire, on rencontr
s, mé-
la cohésion du groupe était assurée par des émotions profonde
me si elles étaient complexes. Nous avons perdu cette intimité ‘affec-
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La régulation interne.
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YEtat moderne de masse (ou état dépersonnalisant), on
trouve une bureaucratie impersonnelle, une mode imperson-
nelle, des sources d’information impersonnelles. Tous ses
agents se dérobent a la responsabilité individuelle derriére
le masque de l’objectivité et du service rendu A la commu-
nauté. Tous exercent la régulation par la persuasion en usant
des moyens de communication de masse qui incitent ’homme
a croire qu’il désire et a besoin de ce que la propagande fait
miroiter & ses yeux. Au lieu de chercher des satisfactions
adaptées a sa personnalité propre et aux circonstances parti-
culi¢res de sa condition, il accepte ce que lui offrent ceux
qui dirigent le processus de production, les mass media et
les masses elles-mémes. I] réagit ainsi parce qu’il est dé-
pourvu de tout idéal cohérent. Un tel idéal ne peut naitre
que de Vintégration personnelle qui permet a l’individu de
savoir ce dont il a besoin et ce qu'il veut aprés avoir donné
une solution personnelle 4 ses conflits internes et externes.
Au lieu de cela, il a des désirs si vagues et si nombreux qu’il
lui semble qu’il peut substituer les satisfactions qu’on lui
propose a celles qui lui font défaut.
En d’autres termes, une époque qui offre tant de possi-
bilités d’échapper 4 l’identité personnelle en raison du confort
et des distractions qu’elle propose exige un renforcement
porportionnel du sentiment d’identité. Une époque qui incite
Phomme 4 laisser la machine pourvoir 4 ce qui est essen-
tiel 4 son existence exige, plus qu’une autre société, que
homme discerne clairement ce qui est essentiel et ce qui
est contingent, notion dont il n’avait pas besoin lorsque le
superflu était rare.
De méme qu’une démocratie exige qu’une population ait
plus de culture et de sens moral que dans les formes plus
primitives de société, Phomme moderne a besoin d’une affec-
tivité plus développée pour ne pas succomber aux tentations
inhérentes 4 l’A€ge des machines. Plus le monde qui nous
entoure est mécanisé et fragmenté, plus nous devons mettre
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chaos social, car lindividu trouverait suffisamment de satis-
factions affectives dans sa vie privée et de gratification par
son €panouissement dans d’autres domaines d’activité. Il en
résulterait un sentiment de dignité, d’autonomie et une cons-
cience croissante de liberté, malgré l’influence de la société de
masse. La personnalité de Vindividu serait suffisamment
développée et ses régulations internes assez fortes pour mai-
triser les tendances asociales. Il ne faudrait qu’un minimum
de régulation extérieure pour assurer le bon fonctionnement
de la société.
Mais dans «l’Etat de masse » tel que nous le connais-
sons, les régulations internes et les satisfactions intérieures
semblent s’affaiblir de génération en génération. Si cela
devait continuer au lieu d’étre, comme je le pense, leffet
temporaire de transformations rapides, il faudra avoir re-
cours 4 une régulation externe de plus en plus rigoureuse.
Sinon l’incapacité de individu, affaibli et irrésolu, de pour-
voir a ses besoins affectifs (sans oublier la nécessité du
respect de soi) peut entrainer une inertie dangereuse, ou
des explosions de violence instinctuelle. « L’Etat de masse »
tend a fournir a l’individu l’occasion de se détendre, mais ce
n’est pas un substitut efficace au manque de satisfactions
affectives. Les vacances ne compensent pas la frustration
éprouvée pendant les périodes de travail. En fait, si l’on:
espére que les vacances rempliront cette fonction, on en tire
moins de profit que normalement. Seule une vie affective-
ment satisfaisante, méme dans le cadre d’une dure vie de tra-
vail, peut étre enrichie par des vacances qui seront également,
bien que différemment, satisfaisantes.
Combler le passé.
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plus oicace gee 2
CHAPITRE IV
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SITUATIONS EXTREMES : LA COERCITION
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SITUATIONS EXTREMES : LA COERCITION
sous forme de projections leurs désirs ou leurs cauch
emars,
en m/’efforgant de comprendre ce qui se passait dans leur
esprit, j’éprouvai un tel soulagement affectif que j’eus
l’idée
d’étendre ces observations et ces réflexions chaque fois que
jen aurais la possibilité.
L’intérét psychologique que je prenais a ce qui se pas-
sait en moi et autour de moi est un exemple de défens
e
spontanée contre l’impact d’une situation extréme. C’était
une réaction purement individuelle, qui ne m’avait pas été
imposée par les S.S. ni suggérée par d’autres prisonniers.
Elle provenait de mes antécédents et de ma formation pro-
fessionnelle. Méme si je n’en avais quw’une conscience obs-
cure, elle était destinée 4 me protéger contre cette désinté-
gration de la personnalité que je redoutais. Comme d’autres
formes de comportement individuelles des prisonniers, par
opposition aux réactions qui étaient communes A tous, elle
Ssuivait la voie de la moindre résistance, c’est-a-dire, celle
de mes principaux centres d’intérét avant mon arrivée dans
le camp.
Je voudrais illustrer mon propos par un type différent de
comportement individuel, résultant du méme besoin de
défense. Parmi les prisonniers que je connaissais, certains
s’étaient adonnés, en dehors de leur vie familiale et de leurs
occupations professionnelles, 4 la philatélie. Deux d’entre
eux, en particulier, avaient constitué des collections impor-
tantes et étaient devenus des experts. Dés les premiers
jours de leur détention, ils s’étaient pris de sympathie Pun
pour l’autre, et sans avoir conscience de leurs motivations,
ils s’efforgaient de se protéger contre l’impact de la vie
concentrationnaire en demeurant ensemble le plus souvent
possible. Cela leur permettait d’échapper par instants a
leur misére en parlant de leur passe-temps, et en en main-
tenant l’existence.
Jusqu’a un certain point cette réaction leur fut utile,
comme ]’était 4 moi lintérét psychologique que je prenais
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LA TRAUMATISATION
Le choc de l’emprisonnement.
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par ses propres efforts, méme s’il était utile aux S.S. Sitét
que la protection des S.S. cessait, et quelquefois avant, l’in-
formateur était tué par les autres prisonniers, en guise
d’avertissement, et par vengeance.
Les prisonniers politiques qui s’étaient attendus 4 6étre
persécutés par les S.S. subissaient un choc moindre, car ils
y étaient préparés. Tout en étant pleins de ressentiment, ils
acceptaient leur sort comme une conséquence logique des
événements. Tout en s’inquiétant a juste titre de leur ave-
nir, du sort de leur famille et de leurs amis, ils ne voyaient
pas de motifs de se sentir dégradés par leur emprisonnement
bien qu’ils souffrissent autant du régime concentrationnaire
que les autres prisonniers.
Les témoins de Jéhovah étaient détenus en tant qu’objec-
teurs de conscience. Ils étaient encore moins affectés par
leur détention et conservaient leur intégrité grace a des
convictions religieuses rigides. Leur seul crime aux yeux
des S.S. étant de refuser de porter les armes, on leur
offrait fréquemment de les libérer s’ils accomplissaient leur
service militaire. Ils refusaient toujours.
Les membres de ce groupe avaient en général des vues
bornées et une expérience limitée et cherchaient 4 y conver-
tir les autres, mais ils étaient d’une camaraderie exemplaire,
serviables, corrects, stirs. Ils n’ergotaient, quelquefois avec
irritation, que lorsque quelqu’un s’en prenait 4 leurs convic-
tions religieuses. Comme ils étaient laborieux de nature,
ils étaient souvent nommés kapo. Une fois quwils avaient
accepté un ordre des S.S., ils exigeaient que les prisonniers
fissent le travail correctement dans le temps alloué. Bien
qu’ils fussent le seul groupe de prisonniers qui ne rudoyaient
jamais d’autres codétenus et s’efforgaient d’étre courtois, les
officiers S.S. les prenaient de préférence pour ordonnances
en raison de la qualité de leur travail et de leur modestie.
Contrairement aux autres prisonniers, les témoins de Jého-
vah n’abusaient jamais de leurs rapports avec les officiers
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LE PROCESSUS DE CHANGEMENT
Le comportement enfantin.
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Le comportement de masse.
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présence d’un officier. Selon les critéres juridiques occiden-
taux, cette parodie d’enquéte était une farce, mais comparée
a la procédure qui devint de régle par la suite, celle-ci mani-
festait une grande considération pour l’individu, puisqu’on
lui disait ce dont il était accusé en lui donnant une chance
de se disculper. S’il était intelligent, il évitait de le faire.
Mais il pouvait ajouter un détail qui lui permettait parfois
d’échapper a la punition.
Avant d’étre fouetté, il était examiné par le médecin du
camp — une autre comédie — car le médecin annulait rare-
ment la punition, tout en réduisant parfois le nombre de
coups. Méme en 1939, les prisonniers de Dachau étaient
encore protégés dans une certaine mesure contre des actes
d’injustice par trop flagrants. Quand un garde tirait sur un
prisonnier ou provoquait sa mort d’une autre facon, il était
obligé de faire un rapport écrit. C’était tout, mais cela avait
encore un effet de dissuasion.
A Buchenwald, qui représente une étape ultérieure du
national-socialisme, il n’était plus question de considérer
les prisonniers comme des individus. Par exemple, ceux
qui devenaient fous, et ce n’était pas rare, n’étaient plus
isolés, protégés, envoyés dans des hdépitaux psychiatriques.
Ils étaient tournés en dérision et rudoyés jusqu’a ce qu’ils
meurent.
Mais la différence essentielle tient au fait qu’a Buchen-
wald, c’était presque toujours le groupe qui était puni et
non pas l’individu. A Dachau, si un prisonnier prenait une
petite pierre au lieu d’une grosse, c’était lui qui était puni.
A Buchenwald, c’efit été tout le groupe, kapo inclus.
Il était presque impossible aux prisonniers de ne pas
coopérer avec les efforts des S.S. pour les réduire a la
passivité dans une masse désindividualisée. L’intérét du pri-
sonnier et la pression exercée par les S.S. allaient dans le
méme sens. Rester indépendant impliquait des dangers et
de multiples épreuves. S’incliner devant la volonté du S.S.
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Le sort du héros.
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1. Jai rencontré les fréres Hamber & Buchenwald mais jai été
libéré avant cet incident. Leur comportement est conforme au juge-
ment que j’avais porté sur eux. Ma description de Tincident et de
ses conséquences repose sur le compte rendu de Ernst Federn (com-
munication privée), Benedict Kautsky (Teufel und Verdammte,
Zurich, 1946, p. 106) et Eugen Kogon, Der S.S. Staat, Francfort
1944.
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n’avait rien vu et ne pouvait donner aucune information.
C’était Vattitude que Von exigeait du prisonnier. D1 devait
feindre de ne rien savoir de ce qui se passait dans le camp
et n’en rien dire. Seul le frére de Hamber se sentit obligé
d’essayer de venger son frére. Il déclara que celui-ci était
mort parce que le S.S. l’avait contraint 4 plonger au-dela
de sa résistance physique. Lorsqu’on lui demanda s’il avait
des témoins, il répondit que tous les prisonniers de la co-
lonne avaient vu l’incident. Le groupe fut renvoyé dans son
baraquement. Apparemment, il ne s’agissait que d’un inter-
rogatoire de routine, comme il s’en produisait chaque fois
qu’un prisonnier était tué en présence d’un civil, qui n’en-
trainait aucune conséquence. Mais, cette fois, un prisonnier
affirmait qu’il pouvait témoigner.
Plus tard, dans la soirée, Hamber fut convoqué devant
Padjoint du commandant. II était déja au désespoir. Il était
clair que sa déclaration courageuse avait mis en danger non
seulement sa propre vie, mais celles de ses camarades du
groupe de travail, le kapo compris. Tous redoutaient la
vengeance du S.S. et aussi la dissolution de leur groupe et
leur remplacement par d’autres prisonniers. Perdre une
bonne affectation était désastreux, particuliérement pour des
prisonniers juifs qui étaient exclus de la plupart des bons
groupes de travail. Méme si le groupe n’était pas dissous,
il lui faudrait du temps pour retrouver sa position privilégiée,
car désormais, il avait attiré l’attention et serait harcelé
par les S.S. En outre, le comportement du kapo ne serait
pas le méme. Méme soudoyé, il n’oublierait pas que l'un
des prisonniers avait compromis son groupe et sa sécurité
personnelle.
En plus d’avoir perdu son frére, Hamber avait mis en
danger sa vie personnelle et celle de ses compagnons dont
il lui fallait supporter les reproches. C’était ce qui arrivait
lorsque le prisonnier prenait une initiative individuelle et
faisait passer la loyauté personnelle avant sa sécurité et
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plus tard, le cadavre du premier d’entre eux fut apporté a
la morgue, suivi des deux autres. On les avait tués par
piqire. Une semaine plus tard, trois autres prisonniers du
méme groupe furent supprimés de la méme fagon. Au bout
de trois mois, tous les membres, donc tous les témoins,
furent éliminés. On imagine les sentiments de ces hommes
qui, aprés la deuxiéme série de meurtres, ne se faisaient
aucune illusion sur leur sort. Néanmoins, aucun d’entre eux
ne tenta de se tuer.
En d’autres termes, la domination du groupe sur l’individu,
imposée par les S.S. avait pour contrepartie Vintérét du
prisonnier et rendait la domination du groupe presque
inévitable. Le traitement que les prisonniers subissaient quo-
tidiennement risquait de provoquer des explosions de rage
justifiée. Y céder entrainait une mort presque certaine. Le
groupe aidait l’individu 4 se maitriser.
me
L’AUTO DETERMINATION
La volonté de vivre.
1. Cette catégorie comprend ceux qui ont été envoyés dans des
camp d’extermination, les groupes de prisonniers exécutés ou achevés,
et ceux qui sont morts pendant le transport avant de parvenir au
camp.
2. Les chiffres qui vont suivre, fournis par Kogon, op. cit., p.
118, concernent une période de six mois en 1942, la seule pour la-
quelle on a pu retrouver de telles statistiques aprés la guerre. IIs
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Un environnement imprévisible.
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Ne rien remarquer.
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ils
viste, leur visage s’éclairait encore momentanément et
ne
avaient un regard reconnaissant de chien battu, tout en
répondant plus verbalement. Mais lorsquils ne tendai ent
leur
plus spontanément la main pour prendre ce qu’on
donnait, lorsqu’ils ne manifestaient plus leur gratit ude par
Vesquisse d’un sourire ou un regard, ils étaient presque
toujours au-dela de tout secours. Ils prenaient la nourriture,
la mangeaient ou ne la mangeaient pas, mais ne réagissaient
plus affectivement. Au seuil du stade terminal, ils ne la
touchaient plus.
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non-retour de servir les S.S. en tant que kapo ou chef de
bloc, ou de porter de leur plein gré un uniforme qui les
faisait ressembler aux S.S. Par la suite, aprés plusieurs an-
nées dans les camps, ces choses extérieures cédaient la place
a des convictions plus essentielles, qui devenaient le cceur
de la résistance individuelle. Mais ces convictions, il fallait
les défendre avec une ténacité extreme. On devait les gar-
der constamment présentes a l’esprit, car s’était seulement
ainsi qu’elles pouvaient servir de support 4 une humanité
terriblement réduite mais toujours existante. Le fanatisme
implacable que les prisonniers politiques mettaient dans leur
guerre de factions s’expliquait par le fait que la loyauté
politique était pour eux le point de non-retour.
Il fallait aussi demeurer conscient des sentiments avec
lesquels on se soumettait aux ordres des S.S. lorsque le
point de non-retour n’était pas en cause. Tout en étant
moins crucial, ce n’en était pas moins essentiel, car la luci-
dité dans la soumission était ume exigence de chaque ins-
tant. Pour survivre, il fallait obéir 4 des ordres avilissants
et amoraux mais ne le faire qu’en se rappelant que c’était
« pour rester en vie et inchangé en tant que personne ».
Dans chaque cas, l’individu devait décider si l’acte était
vraiment nécessaire 4 sa sécurité ou A celle des autres, et
s'il était bon, neutre, ou mauvais. Cette conscience et cette
lucidité dans l’action, tout en ne modifiant pas la nature de
Pacte exigé, sinon dans des cas extrémes, constituaient la
distanciation minimale et la liberté de jugement qui per-
mettaient au prisonnier de demeurer un étre humain. C’était
le renoncement a toute réaction affective, a toute réserve
intérieure, l’abandon d’un point de non-retour que l’on dé-
- fendrait cofite que coiite, qui transformait le prisonnier en
musulman.
Les prisonniers qui ne faisaient pas taire la voix du cceur
et de la raison et qui conservaient leur faculté de sentir et
de percevoir, en prenant conscience de leurs réactions inté-
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ire en
rieures méme quand ils ne pouvaient pas les tradu
condi-
actes, survivaient et finissaient par comprendre les
éga-
tions d’existence qu’on leur imposait. Ils se rendaient
rd,
lement compte de ce qui leur avait échappé tout d’abo
e des
qu’ils conservaient la dernigre, sinon la plus grand
2 .
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a
chiffre tombait généralement de moitié. On peut l’estimer
encore
environ 7 %. Pendant le troisi¢me mois, il diminuait
1a (en
de moitié pour osciller autour de 3 o. A partir de
les
excluant les exécutions de masse) le taux mensuel pour
75 % de survivants se situait autour de 1 % et y demeurait.
Cette réduction du taux de mortalité était due en grande
de
partie & ce que tous ceux qui n’étaient pas capables
supporter les rigueurs du régime concentrationnaire étaient
morts. Ceux qui souffraient de maladies, telles que des
troubles cardiaques, étaient morts. De méme ceux qui avaient
des personnalités trop rigides pour s'adapter et acquérir les
mécanismes de défense nécessaires. Eux aussi succombaient
dans les premiéres semaines. La diminution du taux de mor-
talité reflétait donc a la fois la survie des plus aptes, et les
chances accrues de survie résultant de l’adaptation. C’est
la raison pour laquelle cette constatation incitait les prison-
niers A changer spontanément d’attitude et cela le plus rapi-
dement possible’.
Le principal souci des nouveaux prisonniers était de de-
meurer physiquement intact et de retourner dans le monde
en ayant conservé la méme personnalité. Done, ils mettaient
tous leurs efforts A combattre autant que possible tout affai-
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La derniére adaptation.
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que des
sonniers pour ces articles, qui ne pouvaient provenir
ces évé-
témoignages d’anciens prisonniers. En discutant
les jour-
nements, les anciens prisonniers affirmaient que
institutions
naux étrangers n’avaient pas a se méler des
envers les
intérieures allemandes et exprimaient leur haine
journalistes qui s’efforgaient de les aider.
d’an-
Lorsqu’en 1938 je demandai a plus d’une centaine
du
ciens prisonniers politiques s’ils pensaient que Vhistoire
beau-
camp devait étre publi¢e dans les journaux étrangers,
itabl e. Quan d
coup hésitérent 4 admettre que c’était souha
je leur demandai s’ils se joindraient a une puissance étran-
gére dans une guerre contre le national-socialisme, seuls
deux d’entre eux affirmérent que toute personne réus-
au
sissant A quitter Allemagne devait combattre les nazis
mieux de ses possibilités.
Presque tous les prisonniers non juifs croyaient 4 la supé-
riorité raciale des Allemands. Presque tous tiraient fierté des
prétendues réalisations de l’Etat national-socialiste, particu-
ligrement de sa politique d’expansion par annexion. Accep-
tant la nouvelle idéologie, la plupart des anciens prisonniers
adoptaient les attitudes de la Gestapo a l’égard des pri-
sonniers « inaptes ». Méme avant que l’extermination ne fat
systématisée, la Gestapo liquidait les individus qu'elle
jugeait inutilisables. Les prisonniers, pour des raisons qui
leur étaient propres, suivaient cet exemple. Ils considé-
raient leurs actes comme justifiables et certains allaient jus-
qu’a les croire justes.
Les nouveaux venus posaient des problémes difficiles
aux anciens prisonniers. En se plaignant de l’inhumanité du
régime concentrationnaire, ils ajoutaient une nouvelle
tension a la vie dans le baraquement. Il en était de méme
lorsqu’ils étaient incapables de s’y adapter. Tout mauvais
comportement dans le groupe de travail ou le baraquement
mettait en danger le groupe entier. Se faire remarquer
était toujours périlleux et, d’ordinaire, le groupe auquel
192
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nt, ils
ils cherchaient a plaire aux gardes, mais le plus souve
traiter les
estimaient que c’était la meilleure fagon de
prisonniers du camp.
seule-
Les anciens prisonniers tendaient a s’identifier non
avec leur
ment avec les buts et les valeurs des S.S. mais
de vieux unifor-
apparence. Ils cherchaient 4 se procurer
tenue
mes ou, lorsque ce n’était pas possible, de modifier leur
Les effort s
de prisonnier jusqu’a ce qu’elle leur ressemble.
qu’ils
quwils déployaient étaient parfois incroyables, d’autant
étaient souvent punis pour vouloir ressembler a des SS.
Quand on leur demandait la raison de ces efforts, ils affir-
maient quils voulaient avoir lair bien habillé. Pour eux,
c’était s’habiller comme l’ennemi.
Les anciens prisonniers éprouvaient de la satisfaction si,
au cours des deux appels quotidiens, ils se tenaient bien
au garde-d-vous et saluaient correctement. Ils se van-
taient d’étre aussi durs ou plus durs que les S.S. Ils pous-
saient l’identification jusqu’A copier les loisirs des S.S.
L’un des jeux des gardes était de découvrir lequel
d’entre eux supportait d’étre frappé le plus longtemps sans
se plaindre. Les anciens prisonniers les imitaient, comme
s’ils n’étaient pas battus suffisamment sans le faire par jeu.
Il arrivait fréquemment qu’un S.S., par caprice, impose une
régle absurde. En général, il l’oubliait aussitot mais il y
avait toujours quelques anciens prisonniers qui continuaient
4 T’observer et cherchaient & contraindre les autres de le
faire bien aprés que le S.S. s’en fat désintéressé. Une
fois, par exemple, un S.S., en inspectant les affaires des
prisonniers, constata que certaines chaussures étaient sales a
Yintérieur. Il ordonna a tous les prisonniers de laver I’exté-
rieur et lintérieur de leurs chaussures 4 Teau et au
savon. Cela rendait les lourdes chaussures aussi dures que
la pierre. L’ordre ne fut jamais répété, et beaucoup de pri-
sonniers s’abstinrent de l’exécuter. Le S.S., aprés Tavoir
donné, n’était resté dans le baraquement que quelques minu-
194
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tes. Jusqu’a ce qu’il fit parti, chacun avait fait mine d’obéir,
mais s’était arrété aussitét aprés son départ. Néanmoins,
quelques anciens prisonniers continuérent a laver leurs
chaussures tous les jours, en maudissant ceux qui ne le
faisaient pas et en les accusant de malpropreté et de négli-
gence. Ces prisonniers croyaient fermement que toutes les
régles décrétées par les S.S. étaient des normes désirables
de comportement, du moins a ’intérieur des camps.
Les anciens prisonniers ayant accepté, ou ayant été obligés
d’accepter de dépendre des S.S. comme des enfants, beau-
coup d’entre eux semblaient éprouver le besoin de croire que
certains de ceux dont ils avaient fait des imago de pére
tout-puissant, étaient justes et bons. C’est pourquoi, aussi
étonnant que cela puisse paraitre, ils avaient également
des sentiments positifs envers les S.S. Ils répartissaient
leurs sentiments positifs et négatifs de telle facon que les
sentiments positifs allaient 4 quelques officiers des échelons
supérieurs de la hiérarchie du camp, mais rarement au
commandant lui-méme. Ils affirmaient que sous un exté-
rieur rude, ces officiers cachaient des sentiments de justice
et de décence, qu’ils s’intéressaient sincérement aux pri-
sonniers et s’efforgaient de les aider dans la mesure du
possible. Ces bons sentiments supposés ne se manifestant
guére, les prisonniers expliquaient que les officiers devaient
les cacher.
L’ardeur avec laquelle certains prisonniers soutenaient ces
affirmations était parfois pitoyable. Ils construisirent toute
une légende sur le fait que lorsque deux S.S. avaient ins-
pecté un baraquement, l’un d’entre eux avait décrotté ses
bottes avant d’entrer. Il l’avait probablement fait automa-
tiquement, mais le geste fut interprété comme une critique
de l’autre et une manifestation de son désaccord avec le
régime du camp.
Ces exemples, et l’on pourrait en citer beaucoup d’autres,
montrent comment et jusqu’a quel point les anciens prison-
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r-
niers en arrivaient a s’identifier avec I’ennemi, en s’effo
yeux. Mais
cant de justifier cette réaction & leurs propres
il
le SS. était-il encore un simple ennemi? Dans ce cas,
on. Le
efit été difficile de comprendre une telle identificati
S.S. était en fait un ennemi dénué de scrupule et imprévi-
sible, et le restait. Mais plus longtemps les prisonniers sur-
vivaient dans Je camp, c’est-a-dire plus ils perdaient lespoir
d’une autre vie et s’efforcaient de s’adapter 4 celle du camp,
plus ils avaient avec les S.S. des domaines d’intéréts communs
dans lesquels il valait mieux coopérer que s’opposer. La vie
commune, si l’on peut s’exprimer en ces termes, aboutis-
sait nécessairement a ces intéréts communs.
Par exemple, un ou plusieurs baraquements étaient en
général placés sous la surveillance d’un sous-officier de S.S.
appelé chef de bloc. Chaque chef de bloc voulait que ses
baraquements soient au-dessus de tout reproche. Ils ne
devaient pas seulement passer inapergus, mais étre dans un
ordre parfait. Cela lui évitait des ennuis avec ses supérieurs
et pouvait lui valoir de l’avancement. Mais les prisonniers
avaient le méme intérét: qu'il trouvat les baraquements
dans un ordre parfait, afin d’éviter des pumnitions eux-
mémes. C’est en ce sens qu’ils avaient un intérét commun.
C’était encore plus vrai des ateliers. Le sous-officier res-
ponsable d’un groupe de production avait un intérét vital a
ce que I’atelier fat en parfait état lorsqu’il était inspecté par
ses supérieurs, et que le rendement fat élevé. L’intérét des
prisonniers était identique. Plus le prisonnier avait séjourné
dans le camp, plus il était habile au travail, et plus le S.S.
comptait sur ce travail pour impressionner favorablement
ses supérieurs, plus l’intérét commun s’étendait'.
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SITUATIONS EXTREMES : LA COERCITION
Le sort d’un groupe de magons juifs de Buchenwald en
est un exemple frappant. Alors que des dizaines de milliers
de Juifs ont été tués dans ce camp, ce groupe de quelque
quarante juifs a survécu avec quelques décés seulement. Le
groupe, composé de prisonniers politiques juifs, décida, au
début de la guerre, qu’étant donné la pénurie de ciment et
d’acier, l’administration du camp se rabattrait bient6t sur
les briques pour toutes les constructions. Ils se firent affec-
ter aux groupes des briqueteurs et les ouvriers qualifiés
étant rares, on les considéra comme indispensables pendant
toute la guerre. Alors que presque tous les autres Juifs ont
été exterminés, la plupart des membres de ce groupe étaient
vivants au moment de la libération. S’ils avaient mal servi
les S.S., ils eussent péri. Mais s’ils avaient éprouvé une
fierté professionnelle de leur activité, sans continuer a
détester travailler pour les S.S., leur résistance intérieure
aurait pu mourir, et eux avec.
Pour conclure ce résumé des adaptations opérées par les
anciens prisonniers, je voudrais souligner de nouveau que ces
changements ne se produisaient que dans certaines limites,
que les variations individuelles étaient considérables, et
qu’en réalité les catégories de nouveaux et d’anciens pri-
sonniers se chevauchaient toujours. Malgré ce que j’ai dit
des raisons psychologiques qui obligeaient les anciens pri-
sonniers 4 se conformer et a s’identifier aux S.S. il faut
souligner que ce n’était qu’un aspect des choses. Il y avait
en eux des défenses trés fortes qui agissaient dans un
sens opposé. Tous les prisonniers, méme les anciens qui
s’identifiaient aux S.S. & beaucoup de niveaux, défiaient leurs
réglements 4 d’autres moments. Ce faisant, quelques-uns ont
a Toccasion manifesté un courage extraordinaire et beau-
coup d’autres ont réussi 4 préserver une partie de leur
décence et de leur intégrité pendant toute la durée de leur
séjour dans les camps.
Teas equedgeeosnoobs alyalee ania a
ividh {oaronsteve ali iotinedat sb-sbom emed sa aenviy
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Se
CHAPITRE V
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LE CC@EUR CONSCIENT
r
apprirent ce qui attendait l’ensemble des détenus. La rumeu
se répandit avec la rapidité de Péclair.
Les chefs de bloc qui se sentaient responsables des pri-
sonniers dépendant d’eux et qui avaient la certitude de ne
pas risquer d’étre trahis par eux, les mirent au courant de
la situation. Il en résulta des préparatifs frénétiques de la
part de ceux qui le pouvaient, tout en risquant des puni-
tions sévéres s’ils étaient pris. C’était un danger que beau-
coup étaient disposés 4 courir. Il y avait trés peu de temps
entre le moment ou la majorité des prisonniers revenaient du
travail et celui ow ils étaient obligés de se rassembler pour
Vappel. Le probléme était de se procurer, pour soi-méme
et pour les autres, de quoi se protéger contre le froid et de
tout organiser de telle fagon que les prisonniers revenant du
travail puissent se préparer en quelques minutes pour
affronter l’épreuve.
Les prisonniers n’avaient pas le droit de porter autre
chose que leur uniforme et un seul pull-over. Seuls les kapos
et les chefs de bloc avaient l’autorisation de porter des
manteaux. Des inspections fréquentes empéchaient les pri-
sonniers de posséder d’autres vétements que ceux qu’on
leur distribuait. Toute tentative de se protéger du froid
d’une autre facon était punie. Il semblait plus sage de
prendre le risque d’étre pris en flagrant délit et puni plutdt
que de s’exposer aux intempéries sans protection supplé-
mentaire. Avec la complicité des kapos, en fonction de leur
attitude et de l’audace individuelle des prisonniers, quel-
ques-uns d’entre eux entreprirent de se procurer clandesti-
nement du papier ou d’autres matériaux pour conserver un
peu de chaleur corporelle.
A Buchenwald, les prisonniers recevaient d’ordinaire leur
repas principal, si maigre fdt-il, aprés lappel. Si on les
obligeait & rester au garde-a-vous, ils le manquaient et
étaient contraints de rester toute la nuit dehors, par temps
de gel, sans rien dans l’estomac. Quelques prisonniers
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Un pouvoir ambigu.
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ments qui ont toujours été ceux des classes dominantes au fil
des siécles, en faisant remarquer qu’ils étaient plus utiles
a la société en raison de leur pouvoir de rayonnement,
de leur culture et du raffinement de leur esprit.
L’attitude de Kogon est un bon exemple. Il tirait fierté
de prendre plaisir a lire Platon et Galsworthy dans le
Silence de la nuit pendant que dans la piéce voisine les
prisonniers de la classe inférieure empuantissaient I’air de
leur odeur et ronflaient vulgairement. Il semblait ne pas se
rendre compte que seule sa position privilégiée, due a sa
participation 4 des expérimentations sur des étres humains,
lui donnait la possibilité de jouir de cette culture, jouissance
dont il justifiait aprés coup ses priviléges. Il était capable
de lire la nuit parce qu’il ne frissonnait pas de froid, qu’il
n’était pas abruti par l’épuisement, ni affamé. Cette supé-
riorité qu’éprouvaient les prisonniers privilégiés apparait dans
certains de ses commentaires: «Il n’y avait que ceux qui
avaient une plus grande valeur en tant qu’individus, groupes
ou classes qui avaient des problémes psychologiques gra-
ves ». Il ajoute que les classes cultivées n’étaient pas prépa-
rées au genre de vie qu’on menait dans le camp’. II semblait
impliquer qu’elle convenait aux prisonniers ordinaires et
quils ne souffraient d’aucune complication psychologique.
Cela illustre l’affirmation souvent répétée que le pire en-
nemi du prisonnier n’était pas le S.S. mais ses codétenus 2.
Le S.S., sir de sa supériorité, avait moins besoin d’en faire
la preuve que I’élite des prisonniers, qui n’était jamais cer-
taine de la sienne. Les S.S. s’abattaient sur les prisonniers
plusieurs fois par jour comme une tornade destructrice, et
les faisaient vivre dans une terreur permanente. Mais il y
avait des répits entre leurs interventions alors que la tyran-
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éprouvaient 4 se comporter d’une facon antisociale dans les
camps, alors que les conditions de vie intolérables servaient
de justifications vis-a-vis des autres. On en voyait des sym-
t6mes lorsqu’un prisonnier reprochait 4 un codétenu la facon
dont il se comportait. Chaque fois qu'un prisonnier était
réprimandé pour avoir fait du tort a l’un de ses codétenus
ou lavoir battu, pour s’exprimer d’une facon obscéne, étre
sale, ou coupable d’une autre négligence, la réponse clas-
sique était: «Je ne peux pas étre normal dans de telles
circonstances ».
Le méme raisonnement les amenait 4 se convaincre qu’ils
avaient expié toutes leurs fautes passées, faiblesses de carac-
tére ou mauvaises actions vis-a-vis de leur famille ou de
leurs amis. Cela s’étendait 4 tous les changements qui adve-
naient en eux par la suite. Ils se sentaient en droit de nier
leur responsabilité et leur culpabilité quand ils éprouvaient
de la haine pour les autres, ftit-ce les membres de leur
famille et méme s’ils étaient dans leur tort. J’en donnerai
pour exemple un prisonnier auquel on avait rappelé une
négligence commise dans l’exercice de ses fonctions passées.
Il répliqua que cela ne comptait plus parce que ceux qui
avaient été lésés jouissaient de la liberté alors que lui souf-
frait dans le camp. C’était envers lui qu’on était injuste.
De telles défenses, qui visaient 4 préserver le respect de
soi en niant toute culpabilité, affaiblissaient les personnalités
des prisonniers. En imputant leurs actes 4 l’effet de forces
extérieures, ils niaient non seulement toute aptitude a contré-
ler leur propre vie, mais que leurs actes mémes eussent de
limportance. Accuser les autres ou les circonstances de son
inconduite est le privilége de l’enfant. Lorsqu’un adulte
refuse d’assumer la responsabilité de ses actes, il fait un
pas de plus sur la voie de la désintégration de la person-
nalité.
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Le détachement émotionnel.
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bilité, car les prisonniers savaient que leur fureur n’était pas
justifiée.
La défense psychologique consistait 4 renoncer 4 un atta-
chement affectif qui n’apportait que souffrance. Pour éviter
la culpabilité, la frustration et la douleur, les prisonniers se
détachaient de leur famille et des aspects du monde exté-
rieur qui avaient compté pour eux. Mais si ces liens
affectifs rendaient la vie dans le camp plus pénible, en les
refoulant et en les relachant jusqu’Aa y renoncer définitive-
ment, le prisonnier se dépouillait de ce qui aurait pu étre
une source majeure de force morale.
Comme dans beaucoup d’autres situations, ce repli sur
soi était non seulement une défense psychique mais une
conséquence de la facon dont les S.S. traitaient le courrier
de l’extérieur. Les prisonniers n’avaient le droit de recevoir
que deux lettres par mois et il fallait qu’elles soient courtes.
Trés souvent, en guise de punition, la possibilité de corres-
pondre avec Il’extérieur était supprimée pendant plusieurs
mois. Méme lorsque les lettres étaient distribuées, c’était
dans des conditions si dégradantes qu’il semblait préférable
de n’en pas recevoir. Aprés un certain temps, les prison-
Niers s’interdisaient d’attacher trop d’importance aux nou-
velles de leur famille, parce que les circonstances les ren-
daient trop douloureuses.
Un jour, par exemple, un chef de bloc S.S. arriva avec
un gros paquet de lettres et lut les noms des prisonniers
auxquelles elles étaient destinées. Puis, il déclara: « Main-
tenant, cochons, vous savez que vous avez recu du cour-
rier ». Et il brila le tout. Un autre jour, un officier de S.S.
dit 4 un prisonnier, sans lui montrer le télégramme, que
son frére était décédé. Le prisonnier demanda humblement
duquel il s’agissait car il en avait plusieurs. La réponse fut:
«A toi de choisir». Et ce fut la seule information qu’il
recut pendant la durée de son emprisonnement.
Malgré le dépérissement des anciens liens affectifs, le pri-
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Amnésie sélective.
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La sexualité.
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Les fantasmes.
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Le probléme des prisonniers juifs était différent. Jus-
qu’en 1940, beaucoup d’entre eux étaient libérés s’ils avaient
la possibilité d’émigrer immédiatement. Mais il était évi-
dent qu’ils n’étaient libérés que dans les moments ow le
régime se sentait fort. Sitét qu’il se sentait menacé, il en
exterminait un grand nombre. Il en résultait que si les
prisonniers juifs souhaitaient la destruction de J’ennemi, ils
souhaitaient en méme temps (jusqu’ en 1940) qu’il reste fort
jusqu’a ce qu’ils aient pu émigrer et, par la suite, que son
pouvoir ne soit pas ébranlé pour éviter leur extermination
et celle de leurs familles.
Etre incapable de résoudre un dilemme aussi crucial peut
facilement détruire I’équilibre psychologique. De méme est-il
psychologiquement dangereux de désirer un événement qui
entrainerait la mort pour soi et ses amis. La nature contra-
dictoire de ces désirs et de ces réves que les prisonniers
substituaient 2 une évaluation réaliste de la situation était
un pas de plus vers le comportement infantile qui leur était
imposé par des conditions de vie aussi anormales.
aad
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la grille ot se trouvaient les bureaux des S.S. en alternant
la violence et la persuasion. Mais au dernier moment, ils
renoncérent a pousser l’affaire jusqu’au bout, partagés entre
la honte et Virritation, et il n’en fut plus question.
Cet exemple inhabituel de courage individuel de la part
d’un prisonnier encore bien intégré montre dans quelles
conditions les prisonniers luttaient pour préserver leur dignité
et leur vie. Dans ce cas, le prisonnier avait réagi comme
il Yet fait en dehors du camp. Une fois provoqué tout
dépendait de sa capacité a résister 4 la pression de la ter-
reur et de la violence, et particuliérement a leur pouvoir
daffaiblir ses normes morales individuelles. Tolérer qu’on
‘vole du pain était mortel, mais faire violence aux valeurs
sur lesquelles on fondait sa vie I’était tout autant. II fallait
opter entre l’inanition morale ou Il’inanition physique et la
plupart des prisonniers finissaient par choisir de sauver leur
pain plutdt que le respect de soi.
Le travail.
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Za3
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L’anonymat.
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Rudes réveils.
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Les projections.
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La victime.
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Le persécuteur.
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e des
déterminaient la persécution devient évident. La pensé
e, peut
antisémites, lorsqu’ils invoquent une conspiration secrét
Il affirme
étre comparée au raisonnement du sujet paranoide.
de ses
que le fait que personne ne reconnaisse l’existence
enntmis est une preuve de leur ruse.
faut
Plus le persécuteur se montre violent, plus il lui
sa
justifier ses actes en arguant de la puissance redoutable de
victime. Plus il croit & l’existence de cette puissance, plus
il éprouve d’angoisse et sera porté 4 la violence. Le persé-
ses
cuteur est donc, lui aussi, pris dans le cercle vicieux de
fantasmes. Cela explique peut-étre pourquoi la persécution,
dés qu’elle se manifeste, se développe par un phénoméne
d’auto-alimentation.
Les prisonniers juifs se prétaient particulierement bien a
la projection de désirs réprimés pour d'autres raisons. La
projection est provoquée par un conflit interne. Les désirs
que l’individu ne réussit pas 4 refouler et qu'il lui faut pro-
jeter sont I’ «ennemi intérieur» de la personnalité. Le
Juif se prétait mieux a cette identification que tout autre
adversaire extérieur, car il vivait dans une société 4 laquelle
il n’était pas pleinement intégré. Le paralléle entre cette
position précaire et les pulsions instinctuelles que le sujet
subit tout en les désapprouvant moralement, est frappant.
Certaines des caractéristiques que les antisémites (et pas
seulement les S.S.) attribuent aux Juifs et qu’ils invoquent
pour justifier leur aversion sont révélatrices. Ils affirment
que les Juifs sont sournois, rusés, faux, intrigants. On peut
user de ces qualificatifs pour décrire la lutte des pulsions
instinctuelles contre les forces de répression. Elles commen-
cent par « intriguer » contre la conscience morale afin d’évi-
ter le blocage. Si la conscience morale ou le respect
de soi interdisent Aa Tindividu de les satisfaire d’une
facon directe, ces pulsions instinctuelles peuvent se mani-
fester par des voies détournées, par exemple, en déjouant
la vigilance de la conscience 4 un moment ol elle n’est pas
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sur ses gardes, comme dans les cas d’apraxie. On peut ici
parler de ruse et de duperie des pulsions instinctuelles.-
Revenons au S.S. qui montait la garde devant le dispen-
saire pour expliquer pourquoi il m/’a traité différemment.
Nous ne savons pas ce qui s’est passé dans son esprit.
Néanmoins, on peut supposer que chaque fois que les Juifs
Pabordaient en fonction de leur stéréotype du S.S. il réagis-
sait en fonction de son stéréotype du Juif. On lui avait appris
que tous les Juifs étaient des laches et des tricheurs, qui abu-
saient des Aryens en les trompant. II savait que ces prison-
niers souhaitaient avoir accés au dispensaire et s’efforcaient
de le convaincre d’enfreindre les ordres qu’il avait recus de
ne pas les y admettre. Il s’attendait que les prisonniers lui
racontent des histoires invraisemblables, qu’ils gémissent et
se plaignent, et fassent appel 4 sa compassion tout en l’inci-
tant 4 commettre une infraction au réglement. L’aborder avec
une histoire congue 4 l’avance revenait a le confirmer dans
ses convictions.
Le stéréotype du « Juif rusé » est une création de I’anti-
sémite. Si un Juif, agissant conformément a ce stéréotype,
réussissait 4 duper un S.S., cela signifierait, psychologique-
ment, que le S.S. était victime de sa propre création. Mais
lorsqu’on projette ses tendances mauvaises, c’est pour s’en
débarrasser et se sentir plus en sécurité. Une projection qui
triompherait de son créateur ne ferait qu’accroitre son sen-
timent d’impuissance. C’est pourquoi le S.S. réagissait avec
tant de violence aux efforts des prisonniers pour le convain-
cre de leur donner accés au dispensaire.
Le S.S. savait probablement qu’il était moins intelligent que
certains des prisonniers. L’ingéniosité de leurs histoires l’indi-
gnait d’autant plus. Leur intelligence menacait son amour-
propre et il lui fallait démontrer qu’elle n’était pas efficace.
Lorsque les prisonniers juifs faisaient appel a sa compas-
sion, ils menacgaient davantage encore la structure de sa
personnalité. Pour se conformer a lidéal des S.S., il lui
x
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leurs
avaient affaire a des gens qui n’étaient méme pas
compatriotes. Mais cet affrontement de deux fantasma-
et
gories empéchait tout rapport entre les individus réels,
tournait toujours au désavantage du prisonnier.
Il ne restait d’autre issue au prisonnier que de tourner
son agressivité contre lui-méme. Il y était poussé par les
conditions d’existence dans le camp en général et par les
innombrables contraintes que lui imposaient les SS., qui
engendraient des attitudes passives et masochistes. Mais,
en dirigeant son agressivité contre lui-méme, le prisonnier
affaiblissait sa personnalité a un point tel qu'il était
contraint de puiser de la force dans des images de pres-
tige. Et les seuls individus qui en avaient étaient les S.S.
Ce qui explique pourquoi les anciens prisonniers finissaient
par s’identifier 4 eux. Comme Videntification de lenfant
aux parents, elle aidait les prisonniers 4 deviner intuitive-
ment ce que les S.S. attendaient d’eux. Une telle connais-
sance et le comportement qui en résultait ont sans doute
sauvé maintes fois la vie aux prisonniers. Mais c’était au
prix d’une modification de leur personnalité et de leur
volonté dans le sens du type d’étre humain que les SS. s’effor-
caient de produire.
Seule une telle identification permettait aux prison-
niers de conserver par une voie détournée un semblant de
respect de soi et une pseudo-intégration quand, par exem-
ple, ils voyaient les S.S. maltraiter ou tuer un autre pri-
sonnier en s’abstenant d’intervenir. Le méme processus a
permis A certains prisonniers de collaborer aux expériences
médicales ou & l’extermination de leurs codétenus. Ces
comportements représentaient une autre raison d’éviter des
attachements trop nombreux ou trop profonds .entre pri-
sonniers bien que l’amitié authentique eft été terriblement
nécessaire pour combattre l’isolement affectif.
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L’amitié.
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La conversation.
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J’ai dit que toute une vie était un compromis entre des
tendances opposées, alors qu’une vie « bonne» consiste a
harmoniser ces efforts contraires. Il en est ainsi, de quel-
que nom que la coutume ou la mode baptisent cette concor-
dance. Dans cet ouvrage, j’ai préféré les termes d’autonomie
personnelle et d’intégration.
Lorsque aucun compromis viable n’est possible entre les
pressions de l’environnement et les aspirations individuelles,
lorsque le particularisme des individus ou la tyrannie de la
société l’emportent, la vie personnelle et la société telles
que nous les connaissons finissent par disparaitre. En général,
on n’en prend pas clairement conscience en raison de la
diversité des structures sociales possibles et des variétés plus
nombreuses encore des structures personnelles. Par ailleurs,
la rapidité de la désintégration de la vie et de la société, en
l’absence de la possibilité d’un compromis, dépend de beau-
coup d’autres circonstances, et en particulier de la rigidité
de la société ou de l’individu.
Lorsqu’un Etat totalitaire impose son autorité au point
de ne pas laisser la moindre marge aux besoins fondamen-
taux de Vindividu, l’individu ne peut survivre qu’en détrui-
sant ou en modifiant sa société, comme nous l’avons vu dans
le chapitre précédent. Il faut y ajouter le corollaire que si
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ceux qu’on jugeait inaptes, tels que les infirmes, les malades
mentaux, etc.
Les derniéres années des camps, de 1942 jusqu’a la libé-
ration, ont donc été marquées par I’asservissement total d’une
force de travail dont les effectifs étaient de plusieurs mil-
lions et qui, théoriquement, incluait tous ceux qui n’appar-
tenaient pas 4 la minorité dominante. C’était l’apothéose de
«Etat de masse », composé de quelques administrateurs
dépersonnalisés et de millions d’esclaves déshumanisés, tous
dominés par un seul leader charismatique, seule « personne »
qui susbsistat et demeurat véritablement vivante.
En un sens, utiliser les prisonniers comme des esclaves
était plus fonctionnel que de les maltraiter sans but éco-
nomique. Pour la méme raison, ce fut un pas majeur vers la
déshumanisation. Lorsque l’Etat hitlérien souhaitait modifier
la personnalité des prisonniers pour l’adapter A ses fins, il
s’efforcait encore, dans une certaine mesure, de « récupérer »
les prisonniers individuellement. Théoriquement, & ce stade,
seuls les prisonniers jugés «non éducables» étaient tués.
La nouvelle politique de travail forcé et d’extermination
excluait la moindre considération pour la valeur de la vie,
méme en regard des mceurs d’une société esclavagiste. Dans
les sociétés antérieures, les esclaves représentaient au moins
un investissement; méme si leur travail était exploité sans
considération pour leur~ humanité. Dans lEtat hitlérien,
les esclaves n’avaient méme plus une valeur d’investisse-
ment. C’est la grande différence entre l’exploitation par des
capitalistes et l’exploitation par un Etat qui n’a de compte
a rendre qu’a lui-méme’.
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qu’elle se séparat des siens pour aller vivre dans une famille
hollandaise.
Tous les gens lucides se rendaient compte qu’il était diffi-
cile de se défendre si les membres d’une famille s’obstinaient
a demeurer groupés et qu’ se cacher dans de telles conditions
on s’exposait a étre découvert par les S.S. Les Frank, qui
avaient d’excellentes relations avec des Hollandais non juifs,
n’auraient pas eu de difficultés 4 se cacher séparément, cha-
cun dans une famille différente. Au lieu de cela, ils se sont
efforcés de continuer autant que possible leur vie de famille
habituelle. Toute autre solution les efit non seulement obli-
gés 4 renoncer a leur intimité, mais 4 admettre que l’homme
puisse se montrer inhumain envers l’homme. IIs auraient
surtout été forcés d’accepter l’idée qu’un mode de vie habituel
n’est pas une valeur absolue et qu’il peut devenir une atti-
tude destructrice.
Il ne fait pas de doute que les Frank, qui ont eu la possi-
bilité de se pourvoir de tant de choses, auraient pu faire
Pacquisition d’une arme ou deux s’ils l’avaient voulu. Ils
auraient pu abattre au moins un ou deux des S.S. venus
pour les arréter. Il n’y avait pas de réserves pour alimenter
cette police et le meurtre d’un S.S. pour chaque Juif arrété
eit considérablement entravé le fonctionnement de Il’Etat
policier. Le sort des Frank n’eiit pas été différent, puisqu’ils
sont tous morts excepté le pére qui n’avait pas I’intention
de payer sa survie de ]’extermination de sa famille. Mais ils
auraient pu vendre chérement leur vie au lieu de marcher a
la mort.
Si la piéce qu’on a tiré du journal avec un égal succés
se termine par une déclaration d’Anne affirmant sa convic-
tion que le bien existe en tout homme, c’est pour une bonne
raison. I] fallait nier qu’il fit nécessaire de reconnaitre la
réalité des chambres 4 gaz si lon voulait empécher A tout
jamais leur répétition. Si tous les hommes sont fondamenta-
lement bons, si le trait le plus admirable est de préserver
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La résistance.
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et sa
de le faire a D’avenir. Ce n’était déja plus Vindividu
fracti ons
famille qui étaient punis et menacés mais des
de lindi-
importantes de la population. Ce transfert de réle
mili-
vidu au groupe, tout en coincidant avec les préparatifs
taires en vue de la guerre, avait pour but principal la domi-
illé
nation totale d’un peuple qui u’était pas encore dépou
de toute liberté d’action. Il fallait obliger Vindividualisme
a disparaitre dans une masse totalement malléable.
A cette époque, la majorité des Allemands avaient accepté
Hitler et le systéme, méme si certains continuaient a criti-
quer ceci ou cela. Cette acceptation était en grande partie
considérée comme un libre choix effectué par des individus
qui jouissaient encore d’une liberté extérieure considérable
et d’un sentiment d’indépendance intérieure. On peut citer
en exemple l’autorité que les péres exercaient encore dans
leurs foyers. Un homme qui est le maitre dans sa famille et qui
fonde son respect de soi et son sentiment de sécurité sur le
travail, n’a pas perdu toute autonomie.
Donc, l’Etat devait supprimer les facteurs qui empéchaient
la naissance d’une société totalitaire de sujets dépersonna-
lisés. Il fallait obtenir l’alignement des groupes profession-
nels et sociaux qui avaient accepté l’idéologie du national-
socialisme mais protestaient lorsque I’Etat interférait avec
leurs intéréts. Il fallait leur apprendre que dans un Etat
totalitaire de masse, il n’y a pas de place pour des préoccu-
pations personnelles.
Détruire les groupes qui jouissaient encore d’une certaine
indépendance efit été difficile. Cela aurait perturbé le fonc-
tionnement de I’Etat et interféré avec la production dont on
avait besoin en vue de la guerre imminente. C’est pourquoi
il fallait intimider les groupes qui hésitaient 4 se soumettre
inconditionnellement. Les actions contre les groupes furent
entreprises par la Gestapo pour la premiére fois en 1937.
Tout d’abord le systéme se développa lentement et mina
les hommes plus en raison de la logique inhérente a !’Etat
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La généralisation de la terreur.
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deman-
1. Pour en revenir au Journal d’Anne Frank, on peut se
pas des sentime nts analog ues qui ont incité les
der si ce ne sont ve leurs
4 mettre a l’épreu
Frank a rester groupés (pour n’avoir pas dans leur
liens affectifs) et & emporter le plus de biens possible
cachette.
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Amnésie.
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Le salut hitlérien.
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La fascination de la tyrannie.
La vie n’était pas plus facile pour les parents qui subissaient
soudain des contraintes dans leur propre foyer. Mais l’>homme
ne change pas du jour au lendemain. Les convictions acqui-
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LES HOMMES NE SONT PAS DES FOURMIS
ses dans notre enfance et l’espoir que nous fondons sur elles
demeurent nos motivations essentielles méme lorsqu’elles ne
s’accordent plus avec |’évolution de notre situation. I] n’est
pas facile de renoncer a chercher la sécurité 14 ot nous
lavons trouvée pendant des dizaines d’années. C’est pour-
quoi les parents allemands persistaient 4 attendre de leur
foyer et de leurs relations familiales une sécurité disparue.
Lorsqu’on espére obtenir la sécurité, la dignité et l’estime
d’autrui, bref, tout ce qui fait le fondement de J’autonomie
individuelle, de relations qui ne peuvent plus les procurer,
il arrive inévitablement un moment ov I’on est obligé de se
rendre compte qu’on s’est trompé, que ce n’est pas la
bonne facgon de s’assurer de ce qui, aprés les moyens de
subsistance, demeure le plus important pour la survie de
l’étre humain. A ce stade, nous comprenons mieux en quoi
la tyrannie peut psychologiquement séduire.
Plus notre personnalité est forte, plus nous sommes capa-
bles d’affronter un monde hostile sans étre paralysés par la
peur. Moins nous trouvons de force en nous-mémes, (parce
qu’elle n’est plus alimentée par le respect que nous témoi-
gnent les membres de notre famille ou la confiance et la
détente dont nous jouissons dans notre foyer), moins nous
sommes capables de faire face individuellement 4 un monde
extérieur dangereux. Si nous ne trouvons pas la sécurité
dans notre foyer, grace 4 nos relations intimes, il faut nous
assurer du soutien et de la bienveillance du monde extérieur.
La tyrannie de |’Etat de masse oppressif permet a ses
sujets de résoudre ces difficultés d’un seul coup et de réta-
blir la sécurité de leur vie privée et de leur vie sociale. Il
suffit qu’ils se conforment a ses désirs. Dans ce cas, le monde
extérieur cesse d’étre dangereux et hostile et l’individu re-
trouve la sécurité intérieure. Il n’est plus sur la défensive
chez lui, jouit du soutien de sa famille et retrouve son énergie
affective.
On pourrait résumer la séduction de la tyrannie en une
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Le non-conformiste.
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1. C’est une des raisons pour lesquelles les prisonniers des camps
de concentration étaient aussi mal nourris. Le bébé redoute Tirri-
tation de ses parents parce qu'il craint qu‘ils Jui refusent ce qui est
nécessaire A sa subsistance, symbolisé par la nourriture. Cette peur
est plus fondamentale que celle de perdre l’amour et l’estime de ses
parents. Les S.S. réveillaient cette peur fondamentale en affamant
les prisonniers au point quiils étaient cbsédés par la nourriture et
Ja peur de n’en pas obtenir suffisamment. Les résultats étaient ana-
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logues A ceux que l’on observe chez l’enfant qui a peur que Ses
parents cessent de le nourrir. Inversement, il est difficile de terro-
riser une population bien nourrie et bien logée.
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ater sunseubit:
OOte “22 Hiseingml ~«
Dans la méme collection
Geneviéve Jurgensen
LA FOLIE DES AUTRES
L’expérience d’une jeune
éducatrice francaise a I’Ecole
orthogénique de Bruno Bettelheim