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ORUNO D.

LARA

LA NAISSANCE
DU PANAFRICANISME

Les racines caraïbes, américaines


et africaines du mouvement au XIXe siècle
Réédition de l’ouvrage paru en 2000 à Paris,
Éditions Maisonneuve et Larose

Ouvrage publié avec le concours du


CENTRE DE RECHERCHES CARAÏBES-AMÉRIQUES - CERCAM,
oruno-d-lara-cercam-leblog
© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

EAN Epub : 978-2-336-73806-2


Ecoutons la Mer
Vague après vague
Psalmodier l’Histoire...

Ecoutons la Mer
Femmes et hommes du Voyage négrier

Ecoutons la Mer
et la chanson des oubliés...
... Il vous suffit de tendre l’oreille
A l’autre bord du rivage...

O.D.L.. (Poèmes de Résistance)


A mon fils Xangomossey,
Guadeloupéen né à Yaoundé (Cameroun)

A Kindak

A mes amis de toujours :


Dr. Ekollo, Dr. Mbappé, Michel Ndoh et Marcien Towa

A mes étudiants de l’Université de Yaoundé


Pour Amina, de Palestine

et à Yemaya, la “Déesse de la Mer”


Préface à la réédition 2015

Dès ma naissance à Basse-Terre, rue Baudot, près de la rue du Sable, la


présence à mes côtés, invisible, de Moïse LARA, mon arrière-grand-père,
Nègre esclave né en Guadeloupe, a joué un rôle décisif dans ma vie.
L’entrée en scène de cet ancêtre, près de mon berceau, s’effectue sous
l’enchantement de ma grand-mère, Agathe LARA-RÉACHE, la veuve
d’Oruno LARA, une poétesse de talent. Depuis la disparition en 1924 de
son mari engagé volontaire dans la Grande Guerre en août 1914, démobilisé
en octobre 1919, Agathe RÉACHE était devenue la gardienne de la
Mémoire familiale. Je l’entends encore de sa voix douce, évoquer le Passé
de notre famille. C’est elle qui m’apprend l’existence de Moïse, Nègre
créole né en 1822, fils de Berthilde, elle aussi Négresse créole, tous les
deux esclaves en Guadeloupe dès leur naissance. Berthilde, à sa sortie de
l’esclavage en 1848, cherche vainement son fils Moïse LARA et ne le
retrouve qu’en 1855 à Pointe-à-Pitre pour le reconnaître officiellement
devant l’état civil et le notaire. Moïse LARA a eu un fils, Sully Moïse II,
avec Élisabeth LORIENT et quatre enfants avec son épouse Amélie
PÉDURAND : Hildevert-Adolphe, Oruno, Augereau et une fille, Néolie,
qui épouse Ferlande RINALDO, maire de Grand-Bourg (Marie-Galante).
C’est aussi ma grand-mère qui me confie, très tôt - j’avais à peine dix ans
- les papiers militaires de son mari Oruno LARA - dont son livret de soldat
créole qui retrace son itinéraire de 1914 à 1919 -, ses précieuses reliques
(des lettres d’Oruno, des poèmes, son journal, ses manuscrits). Pourquoi
m’a-t-elle remis de si précieux documents, au lieu de les transmettre à ses
deux fils, mon père ingénieur et mon oncle, avocat ? Ces papiers de famille,
ces informations que me léguait ma grand-mère, ont orienté ma vie vers
l’Histoire et d’abord vers l’Afrique où se trouvaient les réponses aux
questions que je posais. Avant moi, deux hommes, des Caribans - je n’en
vois pas d’autres - Henri JEAN LOUIS BAGHIO’O de Guadeloupe,
Vincent GANTY de Guyane, sont allés en Afrique, chercher eux aussi des
réponses aux questions qu’ils se posaient sur leur identité. Leurs
affirmations, leurs certitudes, ne me satisfont pas. Il m’a fallu repartir de
zéro pour comprendre la complexité de cette histoire.
La dimension Nègre intervient donc dans ma vie dès ma naissance avec
les parents de mon père Moïse III, et certains propos de mon père
m’instruisant très tôt de notre situation de Nègres victimes, certes, du
système esclavagiste en vigueur en Guadeloupe, mais aussi de bénéficiaires
occasionnels d’une sélection ayant débuté au cours d’un voyage en mer
dans les vaisseaux négriers. Que de fois l’ai-je entendu évoquer cette
sélection qui paraissait le consoler d’une existence de colonisé pour lui sans
avenir. Son propre père, Oruno LARA, né en 1879, écrivit un roman en
1923, peu avant sa mort, pour crier sa négritude, bien avant Aimé
CÉSAIRE. Son frère H.-Adolphe LARA, journaliste, fondateur du journal
quotidien Le Nouvelliste à Pointe-à-Pitre et avocat, se lia à Hégésippe
LÉGITIMUS, le chef de file du « Terrible Troisième », c’est-à-dire
l’ensemble des Nègres de la colonie.
Ces deux frères, Oruno et H.-Adolphe, portent en eux - et la propagent -
une idée un peu folle, celle d’une Confédération Antilléenne, notion qui a
germé dans l’imagination de certains visionnaires originaires des îles :
Cuba, Haïti, République Dominicaine et Puerto-Rico. Ce projet de
Confédération se fonde sur une certaine perception de l’Afrique. À la base
de ce projet se regroupent en effet quelques « grands Nègres » des Caraïbes
qui s’opposent au qualificatif d’Amérique latine créé vers 1860 à Paris, peu
de temps avant l’aventure mexicaine de Napoléon III. Les deux frères
n’ignorent pas que Moïse LARA, leur père, se qualifie de « NÈGRE » au
moment où beaucoup d’anciens et de nouveaux citoyens, après l’abolition
de l’esclavage en 1848, tendent à courber l’échine et à raser les murs pour
ne pas trop apparaître au grand jour, victimes de l’aliénation et de
l’idéologie dominante...
Cependant dans le journal Le Progrès, en septembre 1849, Moïse LARA
clame haut et fort son identité de « charpentier NÈGRE » et il est aux côtés
de Léonard SÉNÉCAL pour combattre le système colonial. Ces deux
Nègres veulent briser les chaînes de la colonisation et visent, les accuse-t-
on, à reproduire le modèle d’Haïti. Leurs deux noms - inscrits au fronton de
la création du journal Le Progrès, à Pointe-à-Pitre en 1849 -, et leurs
opinions, adversaires du système colonial et luttant pour arracher
l’indépendance de la Guadeloupe1, constituent une partie fondamentale, le
noyau central de mon héritage.
Léonard SÉNÉCAL parviendra, après mille péripéties, à revenir vivant
des bagnes de Guyane et à se réfugier à Port-au-Prince, avec une partie de
sa famille. Il ne reviendra jamais plus en Guadeloupe et mourra dans la
capitale d’Haïti entre 1876 et 1878, tandis que son ami Moïse LARA ne
quittera pas son archipel jusqu’à son décès en 1886 à Pointe-à-Pitre. Il
éduquera ses cinq enfants (y compris Sully Moïse II, son premier fils) dans
la connaissance et la mémoire du Passé.
Oruno LARA a fondé en 1907 une revue, Guadeloupe Littéraire, qui
possède des correspondants dans plusieurs pays, Haïti et Cuba en particulier
où se trouve Mirtil LORIENT, professeur à Santiago, un parent de son frère
S. Moïse II. H.-Adolphe LARA s’est rendu plusieurs fois en Haïti, pour des
rencontres avec ses correspondants de presse ou ses amis frères maçons.
Quant à Agathe LARA RÉACHE qui me transmet la négritude et la
dimension africaine véhiculées par mes parents et mes ancêtres de la
branche paternelle, elle est la nièce de Gaston GERVILLE-RÉACHE, le
député de la Guadeloupe qui visait, après Victor SCHŒLCHER, l’obtention
du portefeuille de la Marine. Il ne l’a pas eu, ce département de la Marine
qu’il convoitait si ardemment, comme Alexandre DUMAS, jamais entré à
l’Académie française, pour leur origine Nègre. En outre, GERVILLE-
RÉACHE a bien connu Bénito SYLVAIN à Paris. On comprend mieux
aussi, à cette époque, la discrétion de certain poète des Caraïbes avançant
masqué, pour ne pas avoir à révéler des origines africaines pas si lointaines,
tel Alexis LÉGER, alias SAINT-JOHN PERSE, né en Guadeloupe en 1887,
Prix Nobel de littérature en 1960 et mort en 1975.
Il y aurait tant d’informations à révéler en étudiant la naissance du
panafricanisme aux Caraïbes, en se projetant par exemple au XVIIIe siècle
en Jamaïque, à Cuba, en Louisiane et à Saint-Domingue2, en Guadeloupe, à
Trinidad et aux Guyanes.
Dans cet espace des Caraïbes, du Nègre à l’Afrique, il n’y a pas un océan
à franchir, car il suffit non pas de traverser la rue, mais de pénétrer en soi-
même et de faire le point. Voyez ces Caribans : Edward Wilmot BLYDEN
(né en 1832 à Saint Thomas, îles Vierges danoises), les Haïtiens Anténor
FIRMIN et Bénito SYLVAIN, H.-Adolphe LARA, Oruno LARA, le
Docteur Joseph VITALIEN, les sénateurs Alexandre ISAAC et Adolphe
CICÉRON, les députés Gaston GERVILLE-RÉACHE et Auguste ISAAC,
Henri JEAN LOUIS BAGHIO’O de Guadeloupe, Emmanuel LACOURNÉ
et Victor BASQUEL de Martinique, Vincent GANTY et H. MARAN de
Guyane, Guillermo Enrique ELLESIO de Cuba, W.E.B. DU BOIS des USA
et de Haïti, Henry Sylvester WILLIAMS de Trinidad / Barbade3. J’ajoute
deux hommes, deux Nègres de Guadeloupe, que j’ai bien connus et qui
m’ont longuement parlé de leurs amitiés africaines : Me Renerville J.
LARA-RÉACHE et Lénis BLANCHE, ancien élève de l’École Normale
Supérieure de Paris (1925-1928).
Aux États-Unis, en 1899, « le leader actuel des noirs » se nommait
Booker T. WASHINGTON, directeur de l’Institut de Tuskegee (Alabama).
Considéré comme un « mulâtre », il s’exprimait devant un auditoire où
figurait l’élite intellectuelle de la société blanche de Boston : « Il suffit
d’une goutte de sang africain contre quatre-vingt-dix-neuf de sang anglo-
saxon pour faire un nègre. Mais on a beau avoir 99 % de bon et authentique
sang anglo-saxon dans les veines, cela ne suffit pas pour faire un blanc.
C’est la goutte de sang nègre qui prévaut, ce qui prouve bien que notre race
est supérieur à la vôtre ! »4 Pour tous ces hommes, l’Afrique se situe près de
leur cœur, en franchissant le miroir. Ainsi H. Sylvester WILLIAMS, arrivé
en Angleterre en 1896, devient le secrétaire général de l’African
Association à sa création en 1897.
Pour la grande majorité des colonisés de Guadeloupe et de Martinique,
pour qui le Passé n’existe plus, l’Afrique est une inconnue, comme pour le
Français et l’Européen. Pour une minorité de combattants comme Moïse
LARA et ses amis, l’Afrique coule dans leurs veines. Henri JEAN LOUIS
BAGHIO’O qui a été envoyé en Afrique par l’administration coloniale,
travaille à Brazzaville comme magistrat puis après sa mise à la retraite
d’office, comme avocat, entreprend de collaborer avec les chefs indigènes
de Douala. Je possède son volumineux mémoire rédigé et envoyé en 1928-
1929 à la S.D.N. (la Société des Nations) pour contrecarrer les projets de
l’administration coloniale française.
C’est donc dans les pays indépendants - Haïti, Republica Dominicana,
Cuba - et dans les territoires dépendants - Guadeloupe, Puerto-Rico, îles
Vierges danoises (avant d’être vendues aux USA en 1917), Martinique,
Guyane et Trinidad - que germe cette notion de panafricanisme. Elle se
développe aux États-Unis et en Grande-Bretagne avec les projets
présidentiels et gouvernementaux de se débarrasser des Nègres affranchis,
la création de l’American Colonisation Society et son action en Afrique.
Certains projets moins connus n’envisagent-ils pas de se défaire des Nègres
esclaves jugés eux aussi indésirables ? Le panafricanisme se fortifie avec la
reconversion des captifs Africains libérés au Brésil ou à Cuba de la traite
négrière par les croiseurs anglais. Elle s’affiche dans le mot d’ordre « Back
to Africa » et la fortune extraordinaire de la vision du Jamaïcain Marcus
GARVEY (1887-1940).
Dans un travail universitaire datant de 1990, j’ai recommandé qu’on
puisse « distinguer plusieurs concepts qui s’entremêlent : panafricanisme,
pan-négroïsme, Black Nationalism, et le retour à l’Afrique de certains
idéologues. L’analyse du courant nationaliste depuis ses origines a conduit
certains auteurs à postuler l’existence de deux courants divergents du Black
Nationalism, un courant favorable à l’émigration et un courant
recommandant aux Noirs de rester en Amérique du Nord (Internal
Statism) »5 . L’orchestration de cette histoire est un travail rigoureux de
composition qui exige une connaissance approfondie de l’Afrique et des
Caraïbes, une plongée dans l’Histoire qui s’effectue en fréquentant de près
plusieurs fonds d’archives. Le compositeur, chef d’orchestre et historien
expérimenté, disposant d’une palette de sonorités « exotiques »6 doit
associer rythmes et timbres caraïbes-américains à la musique africaine.
La Conférence panafricaine de 1900 à Londres marque le chapitre
capital, le climax de mes recherches. Pourquoi le panafricanisme du XXe
siècle est-il devenu une chasse gardée des auteurs anglophones ? Il faudrait
se plonger dans l’historiographie, enquêter et dresser des listes d’ouvrages
édités dans le monde entier pour répondre à cette question.
Pourquoi le panafricanisme, dans l’esprit des historiens, est-il si souvent
associé à la personnalité boursouflée de Marcus GARVEY ? À cause du
battage autour de l’ouvrage de George PADMORE Pan-Africanism or
Communism paru en 1952 ?
Le concept « Pan-Africain » émerge dans la décennie 1890-1899,
toujours aux Caraïbes, au moment où s’esquisse un débat entre Caribans
concernant l’Histoire où interfèrent plusieurs thèmes : Nègres, traite
négrière, Afrique, esclavage et destruction des systèmes esclavagistes,
colonization (USA), domination blanche et infériorité noire - Anténor
FIRMIN a publié son ouvrage De l’égalité des Races Humaines
(Anthropologie positive) à Paris en 1885-, capitalisme, colonialisme et
impérialisme (J.A. HOBSON).
Comment ai-je pu trouver le fameux rapport de la Conférence de Londres
de 1900, le rapport rédigé par et jamais mentionné par W.E.B. DU BOIS ?
Ce document oublié doit être remis dans le dossier avec le Rapport officiel.
L’ouvrage de Bénito SYLVAIN, Du Sort des Indigènes dans les Colonies
d’Exploitation publié en 1901, présenté à l’origine comme une thèse de
doctorat en droit à l’université de Paris en 1899, constitue une mine
d’informations concernant les préparatifs de la Conférence de Londres de
1900.
Je développe à partir de données transmises depuis Port-au-Prince par
mon ami Georges CORVINGTON - décédé en avril 2013 -, la personnalité
originale de Bénito SYLVAIN, né en 1868 à Port-au-Prince (Haïti),
fondateur en 1890 à Paris du journal La Fraternité, Organe de Défense des
Intérêts d’Haïti et de la Race Noire (1890-1897), auquel collaborèrent deux
personnages de Guadeloupe : le sénateur Alexandre ISAAC et le député
Gaston GERVILLE-RÉACHE. J’ai reproduit en annexe le Rapport sur la
Conférence panafricaine de 1900 de Bénito SYLVAIN.
Pendant longtemps j’ai cherché le Rapport officiel, rédigé en anglais par
WILLIAMS et ses amis organisateurs de la Conférence de Londres. Le
texte avait disparu et n’avait jamais été publié. W.E.B. DU BOIS, présent à
Londres en 1900 dans la délégation nord-américaine, ne le mentionne pas
non plus, bien qu’il affirme avoir été « Secretary, First Pan-African
Conference in England » dans son Autobiography publiée en 1968. Or, ce
n’est pas lui, mais John L. LOVE, professeur à la Colored High School à
Washington, D.C., qui avait été élu Secrétaire de la Conférence d’après le
Rev. Alexander WALTERS, évêque de l’African Methodist Episcopal Zion
Church, New Jersey, président de la Pan-African Association7. On finit par
comprendre que W.E.B. DU BOIS, n’ayant pas tenu un rôle clé dans cette
Conférence de Londres, a préféré « oublier » d’en parler et de mettre en
valeur les véritables organisateurs originaires des Caraïbes, pour la plupart.
Finalement, j’ai réussi à le débusquer, ce fameux rapport officiel de la
Conférence intitulé : REPORT OF THE PAN-AFRICAN CONFERENCE
Held on the 23rd, 24th and 25th July, 1900. At WESTMINSTER TOWN
HALE. London, England. Aux deux Rapports, celui de Bénito SYLVAIN et
le Rapport officiel en anglais, il faut ajouter un troisième rapport rédigé par
Alexander WALTERS, publié dans le journal Colored American du 17
octobre 1900. En outre, le Rev. WALTERS a également publié ses
souvenirs en 1917. Il évoque « The Pan-African Conference » dans son
ouvrage intitulé My Life and Work (New York, Fleming H. Revell
Company).
L’Association Pan-Africaine a eu à examiner dès sa formation, observe
Bénito SYLVAIN, la question dite des Congolais de Cuba : « Mandataire
d’un groupement de dix-huit mille noirs du Congo établis à Cuba où, il y a
une trentaine d’années, ils furent emmenés comme esclaves, le pasteur
EMANUEL se rendait en Belgique, au mois de mars 1901, pour négocier
avec le gouvernement du roi Léopold II le rapatriement et l’emploi de ces
noirs dans leur pays natal, devenu colonie belge. Une interview accordée
par le Père EMANUEL au journal l’Essor économique universel d’Anvers,
précisait : « .. .ils veulent devenir citoyens libres de l’État indépendant du
Congo. beaucoup d’entre eux ne s’opposeraient pas à servir le roi en qualité
de soldats. »8
Bénito SYLVAIN ne cache pas son opinion sur le roi des Belges : « S.M.
le roi Léopold II. ne devrait pas oublier à ce point la nature imparfaite et le
caractère transitoire de ses droits de souveraineté sur le Congo, droits
toujours contestables et qui n’ont jamais été reconnus par les descendants
des maîtres légitimes de ce territoire »9. Par ailleurs, il révèle dans son
travail universitaire que le pasteur EMANUEL - se heurtant à « quelques
difficultés pratiques, qu’il serait aisé, croyons-nous, de résoudre par un
examen approfondi. La chose, assurément, en vaudrait la peine »10 - a dû
consentir « à ajourner sa décision jusqu’au prochain Congrès Pan-Africain
qui. doit se réunir aux États-Unis en août ou en septembre 1902 »11. Le
professeur Booker WASHINGTON signale que Bénito SYLVAIN « n’est
point partisan d’un exode général »12.
Les croiseurs britanniques ont libéré des milliers de captifs africains.
Certains d’entre eux, délivrés et libérés des vaisseaux négriers - on les
surnomme les « liberated » -, débarquent sur le littoral du Nigeria pour
regagner leurs villages. Combien de ces libérés, trouvant parfois leurs
familles dispersées, la bourgade détruite ou préférant une autre vie plus
aventureuse, choisissent alors de s’établir et d’approvisionner les négriers
des comptoirs en chargements composés d’hommes, de femmes et
d’enfants !
Des problèmes taxonomiques se posent aux spécialistes qui examinent ce
qui se passe aux confins du champ historique : où classer ces captifs
africains libérés par les croiseurs de la Royal Navy, de retour chez eux, au
Nigeria par exemple, qui choisissent de s’établir sur le littoral pour
pratiquer le trafic de la traite illégale ? Sont-ils des Africains négriers au
même titre que les courtiers au service des souverains africains qui ont
fondé leur économie sur des bases esclavagistes ? Ou sont-ils victimes des
razzias qui bouleversent la région, disloquent les villages et dispersent les
survivants ?
Les Kanak sont-ils des Nègres ? Une diaspora africaine ? Des Africains
qui s’ignorent ?
Une proposition : qui voudrait leur poser la question ?
Bref, qui est Africain et qui ne l’est pas ? Quelles sont les limites du
panafricanisme ? Le panafricanisme concerne-t-il seulement l’Afrique ?
Cependant quelques précautions s’imposent avant de conclure.
Qu’est-ce qu’un Nègre ? Qu’est-ce qu’un Africain ? Existe-t-il des
Nègres non africains ? Que penser de la terminologie raciste créée sous le
système esclavagiste par des propriétaires colons-planteurs - et reprise par
Médéric Louis Élie MOREAU de SAINT-MÉRY, colon originaire de la
Martinique établi dans la colonie française de Saint-Domingue - cherchant à
diviser l’ensemble menaçant de leurs travailleurs esclaves, à les contrôler et
à les aliéner ? Un vocabulaire utilisant les mots métis, et surtout au féminin
métisse, mulâtre de mulet, avec sa mulâtresse, les câpres et les câpresses...
Bref un bestiaire de sang-mêlé qu’emploient encore aujourd’hui
journalistes, écrivains, auteurs divers dont des artistes musiciens (chanteurs,
rappeurs).
Pourtant je connais un homme politique, en Guadeloupe, qui a tenté
d’inverser le courant de ces croyances : Gaston GERVILLE-RÉACHE
(1854-1908), député de la Guadeloupe à l’Assemblée Nationale dont il
devint l’un des vice-présidents.
Le citoyen GERVILLE-RÉACHE, dans son Adresse aux électeurs de la
Guadeloupe de 1880, s’appelle Nègre et conseille à ses congénères de
prendre le même titre :
« Il y a là une idée profondément sage et politique, je voudrais la voir
adopter par tous. Tout homme ayant du sang africain dans les veines ne
saurait jamais trop faire, dans le but de réhabiliter le nom de nègre, auquel
l’esclavage a imprégné un caractère de déchéance, c’est, peut-on dire, pour
lui, un devoir filial. Le jour où mulâtres et mulâtresses se diront nègres et
négresses verra bientôt disparaître une distinction contraire aux lois de la
fraternité et grosse de futurs malheurs...
Des gens de mauvaise foi m’ont accusé d’avoir déserté nos principes,
lorsqu’à la dernière élection d’un député pour la Guadeloupe, j’ai proposé
un candidat nègre, ‘parce que nègre’. Ils ont prétendu que c’était jeter parmi
nous un élément de division. Rien de moins vrai. Vous le savez comme moi,
je ne vous l’apprends pas, ce caractère de déchéance dont je parlais tout à
l’heure, et dont l’esclavage a frappé l’homme noir, n’est pas encore
entièrement effacé en Europe. La présence d’un nègre dans l’enceinte
législative contribuerait, je crois, à corriger cette cruelle erreur, elle y aurait
une influence morale considérable en donnant à réfléchir aux ignorants, elle
les conduirait à penser que la race dans laquelle le suffrage universel d’une
colonie choisit son député, ne peut être une race inférieure. Les hommes de
mon âge se rappellent l’excellent effet que produisait dans ce sens la vue de
Louisy MATHIEU, siégeant à l’Assemblée Nationale de 1850. Voilà
précisément pourquoi j’engageais les électeurs à prendre pour député ‘un
nègre parce que nègre’ ».
Rosan GIRARD, député de la Guadeloupe, docteur en médecine, croyait
ferme en l’existence de Nègres de race pure, de Nègres non métissés. En
Guadeloupe, un Nègre est souvent considéré comme un Africain de race
pure. BIBAS, également docteur en médecine, originaire de la Martinique,
interrogé par moi, refusait d’admettre qu’il n’existait pas de sang « mêlé ou
mélangé », de « métis », de « mulâtre », voire de races pures, blancs ou
noirs. Combien de ces « intellectuels » de Guadeloupe ou de Martinique,
qui acceptent sans sourciller de parler de Nègres (« purs ») opposés à des
« bâtards », « métissés », « mélangés ». Ces divisions raciales et racistes des
anciens maîtres esclavagistes sont encore admises. Combien de « belles
métisses », de mulâtresses envoûtantes, de câpresses en feu, façonnées et
chantées en France où ces divisions ont le plus cours.
J’ai vécu près de six ans au Cameroun, à Yaoundé. Entre 1976 et 1978,
j’ai répondu à l’appel de mes amis de Yaoundé pour les aider à réorganiser
le système universitaire du doctorat. Comment unifier un système qui
comprenait le doctorat anglais, le Ph.D., les divers doctorats en usage en
France, et une tradition africaine de la haute initiation. J’ai su plus tard que
des initiés supérieurs connaissaient ce qui se passait dans notre université.
L’un d’eux, un vieux Mbombok (détenteur de la sagesse) du pays Basaa, a
demandé à l’une de mes étudiantes Basaa, M.- R. « Kindak » GWETT,
inscrite en D.E.A. à l’université de Yaoundé au département d’Histoire, de
me faire venir et de m’accompagner dans son village. Ayant accepté cette
invitation, j’ai entrepris le voyage avec ma femme Inez, anthropologue.
Dénoncés au pouvoir dictatorial par les membres d’une congrégation
chrétienne du voisinage, nous avons pu échapper de justesse à l’arrestation
qui nous aurait conduit dans les geôles du président AHIDJO.
J’ai raconté dans un ouvrage, ma rencontre avec ce Mbombok du pays
Basaa. Il avait voulu me confier un patrimoine culturel inestimable, avant
de mourir. Il refusait obstinément de partager ses richesses culturelles avec
ses enfants - il en dénombrait 150 au sens large - car ils se moquaient de ses
connaissances, surtout depuis qu’ils se rendaient « à l’école des blancs » me
disait-il.
Intelligente, sensible, connaissant la tradition culturelle de son peuple,
Kindak me conduisit sur les traces de Ruben UM NYOBÉ et de son
parcours militaire jusqu’à son décès en 1958. Elle devint une amie qui nous
présenta ses parents, son père et sa mère, de passage dans la capitale du
Cameroun, des agriculteurs vivant dans un village de la région Basaa.
J’avais observé le physique de sa mère, une femme au visage typé et au
teint plus clair que celui de son mari. Malgré mes remarques concernant les
origines éventuelles de sa mère, elle défendait l’idée qu’elle était de race
pure, une Africaine venant d’une lignée de personnes n’ayant jamais
rencontré d’étrangers non Africains. Elle refusait systématiquement
d’imaginer une telle possibilité. Pour certains militants, Marcus GARVEY
était, lui aussi, un Nègre de « race pure ».
Penser historiquement ces concepts nous entraîne dans les profondeurs de
la traite négrière et du système esclavagiste. Le captif capturé, homme ou
femme, soumis aux rigueurs de la caravane traversant le continent, passant
dans les villages, se rendant vers le littoral, dans un des comptoirs où
attendent des vaisseaux négriers de plusieurs nationalités. Des cérémonies
mystico-religieuses dans les enceintes particulières des comptoirs visent à
briser sa volonté de résistance et sa détermination, à l’obliger à se plier aux
dures conditions du voyage transatlantique, et à ne pas se risquer à résister.
Au Bénin, où le trafic négrier sert de base économique au pays, il est prévu
des lieux symboliques qui marquent fortement l’esprit du captif en voie de
départ : le rituel qui consiste à tourner autour de l’arbre du Non-Retour,
opération visant à contraindre le captif à ne pas envisager un retour éventuel
parmi les siens, sous aucun prétexte.
Précisons ce que j’entends par Nègre pour qu’il n’y ait pas de quiproquo :
Le captif africain vendu par les courtiers africains et acheté par les
négriers européens ou américains, devient un Nègre. Un Nègre réduit sur le
vaisseau négrier à trois options :
- l’accommodation ;
- le suicide ;
- la révolte.

Arrivé aux Caraïbes-Amériques, le captif Nègre vendu aux colons-


planteurs devient « un esclave Nègre », soumis à la production coloniale et
esclavagiste jusqu’en 1833, en 1848, ou en 1865.
Un Nègre est donc un captif puis un esclave.
Ceux qui restent aux villages, qui ne sont ni capturés ni vendus et qui
n’embarquent pas sur des vaisseaux négriers, ceux qui continuent donc à
vivre, à bénéficier de la culture, des traditions de l’initiation, des langues,
du système des confréries secrètes, des connaissances des NGANGA et des
initiés supérieurs, ces privilégiés sont des Africains. Les sociétés africaines
possèdent des structures aristocratiques, des systèmes hiérarchiques. Les
élites africaines n’ignorent pas leurs racines, leur identité, leur mémoire et
elles connaissent leurs nations.
Conclusion : un Africain indissociable de son village et d’un groupement
ethnique se distingue du Nègre qui, dans les colonies françaises, a été
victime de l’oppression coloniale qui a fait triompher l’Oubli du Passé
associé au processus d’Assimilation mis en vigueur depuis 1848.
Un Nègre des Caraïbes-Amériques, originaire de Guadeloupe, de Cuba,
d’Haïti, des États-Unis ou du Canada, du Venezuela, de Colombie ou du
Mexique, du Nicaragua ou du Panama, ce Nègre n’est pas un Africain. Ces
deux hommes ont beau avoir tous les deux la peau noire, l’Africain,
possédant sa langue, ses traditions... diffère du Nègre qui ne connaît pas son
nom (Malcolm X), qui ignore ses origines et qui provient d’une Histoire
complexe. Le Nègre des Caraïbes, membre d’un espace qui comporte sept
dimensions13, est un personnage complexe qui relève de l’Afrique
(Madagascar, îles du Cap Vert, Madère, Maghreb) certes, mais également
de l’Europe, des Amériques, du Moyen-Orient (Liban, Syrie, Palestine) de
l’Asie (Inde, Chine, Japon, Indonésie) et du Pacifique.
Je raisonne en historien et j’avoue que je n’ai jamais compris le sens que
donna CÉSAIRE au mot Nègre. Sa conception littéraire m’a toujours
semblé très fragile. Pour résoudre cette question Nègre, il faut pénétrer dans
l’Histoire. Impossible de se contenter de picorer quelques graines du savoir
et de s’envoler se blottir dans sa cage, fût-elle dorée par les sbires de
l’Assimilation.
Que signifie par ailleurs le concept de diaspora africaine ? African
Diaspora ?
Je l’ai si souvent entendu, ce concept, aux États-Unis, en écoutant mes
collègues de la Smithsonian Institution en 1976, lors d’un colloque organisé
par l’Académie des Sciences de New York. J’ai eu l’occasion de critiquer ce
concept de diaspora emprunté aux Juifs et appliqué sans discernement à
l’Afrique.
Il me semble logique de penser que les Africains qui partent de chez eux,
quittant leurs villages, embarquent comme matelots sur des navires et
débarquent dans des ports : Marseille, Bordeaux, Londres, New York... Plus
tard ils prennent l’avion. Ces migrants s’installent en France, en Grande-
Bretagne, aux États-Unis, ou ailleurs dans le monde, constituent, si l’on
tient absolument à utiliser ce terme de diaspora, une diaspora africaine.
Les Nègres originaires des colonies françaises : Guadeloupe, Martinique,
Guyane et la Réunion, ne forment pas une diaspora africaine. Leurs
ancêtres, des captifs africains vendus aux propriétaires d’esclaves, n’ont pas
quitté le continent africain de leur propre volonté. En outre, comme le
précise bien un des symboles les plus connus de ce trafic, l’arbre du Non-
Retour, les captifs invités à voyager dans les cales, n’étaient pas autorisés à
prévoir un retour éventuel, même après la mort. C’est donc, me semble-t-il,
un concept (diaspora) à rejeter et je soupçonne certains auteurs africains de
se complaire en associant Afrique et territoires Caraïbes-Amériques, ravis
de ce lien d’assujettissement sur des populations associées à l’esclavage.
L’Afrique aristocratique et les Africains paraissent ainsi, pour ces auteurs,
dominer ces territoires insulaires et continentaux devenus une diaspora, une
dérivation, qui dépend évidemment du continent mère ou père.
Voyons un seul exemple : imaginons un de ces descendants de captif
vendu comme esclave, de retour en Afrique, aurait-il une place au sein
d’une des confréries secrètes qui se déploient autour du village de ses
ancêtres présumés ? Mauvais exemple me direz-vous, car cela dépendrait de
sa lignée parentale, côté père ou côté mère. Certes, mais dans l’éventualité
qu’un des deux parents ait un droit d’adhésion à une de ces confréries,
qu’en est-il du descendant étranger ? Un étranger provenant d’un ensemble
d’individus ayant été esclaves pendant si longtemps ! ?
Cette inclination impérialiste, de tonalité légère certes, que j’enregistre au
passage chez certaines voix africaines, je la perçois nettement, en revanche,
chez certains spécialistes. Ainsi dans des colloques se déroulant aux
Caraïbes - en Haïti, à Port-au-Prince par exemple -, dès qu’il s’agit de
comparer des instruments de musique - je pense aux tambours sacrés
confiés à des gardiennes Haïtiennes - que des collègues africains regardent
à peine, pressés qu’ils sont de vouloir démontrer leur existence première
chez eux en Afrique. À ces collègues et amis africains, je leur demande
simplement d’abord : de regarder attentivement, d’écouter les explications
des spécialistes Caribans, historiens, anthropologues ou archéologues, avant
de se livrer à leur jeu de massacre favori. Je m’étais employé à Port-au-
Prince, lors d’un colloque organisé sous les auspices de l’UNESCO, à prier
un des conférenciers africains, auquel on présentait le fameux tambour
ASSOTOR, de l’examiner en souvenir de son rôle dans l’Histoire et de
comprendre sa signification... Ce collègue n’avait même pas eu la courtoisie
de saluer les dames gardiennes du tambour, trop pressé de conclure que
chez lui, il en existait de bien plus beaux, de ces tambours, et que celui
qu’on lui présentait ne valait pas un pet de lapin ! Bien sûr j’exagère, car à
vrai dire je ne me rappelle plus ce que le discoureur à la tribune a raconté, je
me souviens en revanche de ma réaction et de son silence. Si j’en parle,
après plus de trois décennies, c’est que c’est à cette occasion, je m’en
souviens parfaitement, qu’un public Haïtien s’est manifesté. Surpris qu’un
étranger venant de Guadeloupe - car à cette époque, Haïti se croyait seule
au monde - puisse prendre la défense de ses œuvres d’art et de son passé si
glorieux. Combien de personnes, hommes ou femmes, sont venus me saluer
ou m’embrasser ! C’est à cette occasion que j’ai connu Georges
CORVINGTON, Eddie BACKER et sa fille Alice dite « Minouche », Pierre
BUTEAU, Eddy V. ÉTIENNE, Vertus SAINT-LOUIS, le romancier Lyonel
TROUILLOT et tant d’autres qui m’ouvrirent leurs portes et leur cœur. Ils
m’ont accepté, en Haïti, comme un des leurs, comme ils avaient accepté H.-
Adolphe LARA et Oruno LARA, mon grand-père.
Finalement, derrière cette naissance du panafricanisme qui s’opère sous
les fers d’une histoire complexe, hélas, trois fois hélas, d’une complexité
que n’imaginerait pas le sociologue Edgar MORIN, qui perdrait foi en sa
Méthode, je voudrais réveiller les consciences ! D’une part inciter les jeunes
chercheurs à se mettre en chasse des problèmes et des documents relatifs à
tout ce champ si vaste de cette dimension africaine des Caraïbes. Je sais,
personne n’en parle car l’ignorance est de mise en cette matière dans les
écoles, collèges et lycées ! Ne parlons pas évidemment d’université. Où
donc en voyez-vous une aux colonies, réellement ouverte à la Recherche ?
D’autre part, il faudrait convier des spécialistes africains, des NGANGA,
des Initiés Supérieurs, des Maîtres ayant obtenu l’autorisation de parler et
expliquant les méandres des confréries secrètes par exemple, ce que je n’ai
pas le droit de faire car je ne m’y autorise pas. Parler de ces questions
mystico-religieuses si importantes pour comprendre le déroulement des
opérations de traite négrière, exige un discours d’Africains expérimentés.
Une Histoire centrée sur la Traite négrière et les systèmes esclavagistes.
Attention ! Je connais un juriste qui aurait répondu à tous ces critères de
choix. Un juriste érudit, compétent qui aurait pu comprendre et s’orienter
dans ces espaces, Amériques, Caraïbes, Europe & Afrique : le président
Michel ALLIOT, qui donna sa chance, - le sait-on ? - à des chercheurs
comme DIKA AKWA nya BONAMBELA du Cameroun et Carlos
MOORE de Cuba. Après son mariage en 1971, le professeur ALLIOT est
parti avec sa jeune femme en voyage de noces en Casamance, au Sénégal.
C’est grâce à lui que plusieurs voix d’initiés supérieurs se sont fait entendre,
avec l’autorisation de leurs pairs.
Au Brésil par exemple, pourquoi, à l’époque, n’a-t-on pas procédé à des
échanges entre spécialistes des langues africaines pour comprendre les
fameux Quilombos dont celui dos Palmares ? Permettre aux anthropologues
et aux historiens étrangers de travailler à Rio de Janeiro, à São Paulo avec
des universitaires brésiliens ou des prêtresses Mambos du Candomble.
Comprendre les différences qui séparent XANGO, IEMANDJA, la
YEMAYA du Nigeria - ALOUMANDJA en créole d’Haïti - et les autres
divinités du panthéon brésilien, haïtien et africain.
J’ai eu souvent l’occasion d’apprécier les orientations scientifiques
proposées par le directeur général Amadou MAHTAR MBOW, originaire
du Sénégal. Amadou MAHTAR MBOW, marié à une Haïtienne, est licencié
ès-lettres (Histoire). C’est sous son règne que l’Assemblée générale de
l’UNESCO a pris la décision de se lancer dans la rédaction d’une Histoire
générale de l’Afrique, d’une Histoire générale des Caraïbes et d’une
Histoire générale de l’Amérique Latine. Dans des colloques organisés par
l’UNESCO, sous sa présidence, un travail de recherche a été entrepris, qui
nous a permis d’approfondir notre Histoire. En revanche j’ai déploré le
travail d’encadrement de fonctionnaires sans envergure intellectuelle :
GLÉLÉ du Dahomey, et son successeur DOUDOU DIENE, un Sénégalais,
qui, tous les deux, pratiquaient un bricolage international... Des projets de
rédaction qui auraient nécessité un encadrement de fonctionnaires à
l’UNESCO, d’hommes ou de femmes plus informés sur le domaine de
l’Histoire que ces deux commis qui s’efforçaient d’équilibrer les
nationalités, chercheurs invités (américains, russes, africains, le Vatican, les
médias...), problèmes soulevés, pays et capitales visités. Sans pouvoir
comprendre clairement les enjeux scientifiques et politiques de ces
investissements et de ces investigations dans le domaine de l’Histoire. Or il
s’agissait de réfléchir, de prendre des décisions, de se rendre dans des
centres d’archives (Torre do Tombo à Lisbonne, en Norvège, au Danemark)
et de construire une œuvre monumentale fondée sur la civilisation africaine
et sur les cultures extra-européennes. Au vrai, il aurait fallu mettre à ce
poste une personnalité intelligente, cultivée, raffinée, scientifique et
littéraire, artiste et poète : or je ne vois qu’un homme disposant de tous ces
atouts dans sa manche, le Nègre Lénis BLANCHE, panafricaniste
convaincu. Lui seul aurait pu orienter les enquêtes, diriger les travaux des
spécialistes, soulever des problèmes et orchestrer de manière magistrale des
rencontres entre NGANGA Africains et leurs frères des Caraïbes et du
Brésil. Le plus urgent n’est-il pas de recueillir des sources orales, des textes
sacrés, conservés pieusement, qui doivent être déchiffrés par des
spécialistes linguistes ?
Il est vrai que cette Histoire est si complexe : entreprendre des recherches
concernant l’Afrique, les Caraïbes, le Brésil, les États-Unis, l’Amérique du
Sud, nécessite des connaissances anthropologiques et littéraires que ne
possèdent pas des fonctionnaires ordinaires. DOUDOU DIENE m’a
demandé de procéder à une évaluation critique de trois études rédigées pour
l’UNESCO par un universitaire des West Indies (Projet Breaking The
Silence). J’ai effectué cette évaluation lors d’un colloque en 2000 à La
Nouvelle-Orléans (Louisiane).
Les universitaires français, rarement invités, ne s’intéressent pas aux
Caraïbes-Amériques et très peu à l’Afrique. Comment ne pas remarquer
l’irritation de Pierre NORA, académicien, qui répugne à envisager une
Histoire hors de l’Europe, comme il la pratique dans les trois tomes de ses
Lieux de Mémoire ?
Comment voulez-vous qu’elle pèse, la France, quand on la voit si
préoccupée de se replier sur elle-même à l’intérieur de ses frontières
hexagonales dès qu’il s’agit d’Histoire, de Colonies et de Colonisation, de
Recherches et d’investigations archivistiques ! À l’université française,
envisagée dans son ensemble, combien de spécialistes de l’Afrique, des
Amériques ou des Caraïbes ? Combien de professeurs peuvent-ils vous
parler des Kanaks ? Je n’en ai connu qu’un seul : Jean GUIART, alors qu’il
dirigeait le Laboratoire d’Ethnologie du musée de l’Homme à Paris et qu’il
était marié à une princesse Kanak lui ayant donné deux fils vivant en
Nouvelle-Calédonie. C’est lui qui avait aidé plusieurs Nègres Boni de
Guyane à sortir, disait-il, de leur « Réserve ». Dans une île de la Kanaky, il
y avait deux lignées de princes : lui, il avait épousé une princesse, moi,
curieusement, je m’étais marié à une autre princesse de la seconde lignée.
Le père de ma femme, venu en 1931 en France pour participer à une
exposition universelle et tenir le rôle d’un Kanak Cannibale, n’était pas
retourné, aussitôt terminées les festivités, en Nouvelle-Calédonie. Il a été
tué à Marseille, happé par un tramway, laissant une petite fille qui portait
son prénom comme nom. Il ne voulait pas révéler son véritable nom. J’ai
rencontré l’un de ces « Africains de Guyane » comme les appelle
HURAUT, à Genève, au cours d’un repas chez des amis. Les yeux baissés,
il ne participait pas aux échanges verbaux de son voisinage mondain. Son
épouse française (blanche) m’a glissé à l’oreille « mon mari est Boni ». J’ai
aussitôt attiré l’attention des convives sur l’Histoire fabuleuse des Nègres
cimarrons de Guyane, ceux qui ont organisé pendant plusieurs siècles une
résistance extraordinaire : les Boni. À mesure que je parlais de cette
Histoire, de ces hommes et de ces femmes qui constituent une partie de la
trame fondamentale de ma thèse de doctorat d’Histoire - soutenue à Paris en
octobre 1971 - je voyais mon compatriote de Guyane relever la tête,
expliquer, répondre aux questions et me sourire.
En France, il n’y a aucune chaire d’Histoire de la Globalisation, car il
faut le dire avec force, cette Histoire dont on parle, n’est pas confinée à une
région, à une zone, à un secteur de la planète mais au monde entier.
Contrairement à ce que soutiennent Pierre NORA et ses amis, l’Histoire
coloniale n’existe pas. Depuis MARX, on sait qu’il n’y a pas d’Histoire du
Droit, ni d’Histoire de la Musique, ni d’Histoire de l’Art.
La Guadeloupe attire dans son orbite, son voisinage des Caraïbes, y
compris Panama, le Venezuela, la Colombie, les cinq Guyanes, et dans un
autre voisinage spatial si proche : l’Afrique, l’Europe, l’Asie (Inde, Chine,
Japon, Indonésie), le Pacifique (origines des Karib)... En somme le monde
entier qui se fonderait dans la Globalisation. Peut-être est-ce le moment
d’observer que le terme « fondre », Getar en italien de Venise, a donné le
mot Ghetto.
Étudier le Panafricanisme, surtout à sa naissance, quand les congrès à
venir n’ont pas encore ligoté les chercheurs sur les braises africaines, c’est
ouvrir un champ d’investigations d’une richesse incommensurable. Autour
de l’Histoire se regroupent les spécialistes des langues, les anthropologues
et ethnologues, les archéologues, les poètes et les juristes invités à examiner
les Édits et lois, ordonnances, arrêtés et documents notariés. Que de thèmes
à débattre pour un tel aréopage, de questions à éclaircir avant d’ouvrir et
d’étudier un dossier complexe, celui de deux adversaires : le professeur
W.E.B. DU BOIS (USA) et le Jamaïcain Marcus GARVEY. Le
panafricanisme serpente, passant sous des fourches caudines, avant de
pénétrer dans des eaux moins tumultueuses, moins opaques, dans un cadre
continental.
ORUNO D. LARA
27 Mai 2015

1 ORUNO D. LARA, GUADELOUPE. LE DOSSIER SÉNÉCAL. VOYAGE AUX SOURCES DE


NOTRE INDÉPENDANCE AVEC TROIS ESCALES : MARTINIQUE, GUYANE, HAÏTI, Éditions du
CERCAM, 2012, 825 p.
2 Cf. ORUNO D. LARA, RÉVOLUTIONS CARAÏBES. LES PREMIÈRES LUEURS, 1759-1770,
Paris, L’Harmattan, 2015.
3 La famille de WILLIAMS est originaire de la Barbade.
4 Bénito SYLVAIN, Du Sott des Indigènes dans les Colonies d’Exploitation, Paris, L. Boyer, 1901,
pp. 450-451.
5 ORUNO D. LARA, CARAÏBES EN CONSTRUCTION : ESPACE, COLONISATION,
RÉSISTANCE, Éditions du CERCAM, 1991, vol. II, pp. 691-692.
6 Les compositeurs et certains musicologues raffolent de ce type de musique dite « exotique »,
instrumentalisée par des xylophones, glocks, claves, arcs musicaux et trompettes marines.
7 Story of My Life, New York, 1917, p. 253.
8 Bénito SYLVAIN, op. cit. p. 516.
9 Bénito SYLVAIN, op. cit. p. 519.
10 Ibidem.
11 Bénito SYLVAIN, op. cit. p. 518-519.
12 Bénito SYLVAIN, op. cit. p. 520.
13 Cf. ORUNO D. LARA, SPACE AND HISTORY IN THE CARIBBEAN, Markus Wiener
Publishers, Princeton, USA, 2006.
Blue Note14

Ce livre a commencé à s’esquisser sous la forme de cours professés à


l’Université de Yaoundé (Cameroun) en 1978, dans le cadre d’un séminaire
de Masters (Etudes africaines-américaines) consacré à l’analyse des racines
caraïbes et américaines du Panafricanisme. J’ai repris mes textes vingt ans
après, le siècle finissant, pour en faire un livre que je dédie à mon fils
Xangomossey et à tous mes amis du Cameroun.
J’ai dû quitter précipitamment le Cameroun, en butte à des tracasseries
administratives. Je partis avec mon épouse et mon fils — quinze jours —
sans donner d’explication, sans avertir mes amis camerounais, le Dr. Ekollo
en particulier, gynécologue obstétricien, et Marcien Towa, professeur de
philosophie, mon collègue de l’Université qui connaît si bien Blyden.
J’emportai le souvenir de ce vieux Mbómbok qui m’avait chaleureusement
invité chez lui pour me transmettre ses connaissances orales. Pourquoi
m’avait-il choisi, moi un historien guadeloupéen, au lieu de ses cent
cinquante enfants ? Seule Kindak pourrait vous le dire... mais elle se taira.
En écrivant ces lignes, je m’aperçois que je renoue avec mon enfance
passée en Guadeloupe, profondément marquée par les paroles de mon vieil
ami Henri Jean-Louis Baghio’o, l’auteur de la Bible africaine, un avocat si
enthousiaste du Panafricanisme des années 1926-1931. Sans doute,
inconsciemment, ai-je voulu me placer sous son égide en exposant d’abord
à mes étudiants, puis aux lecteurs du troisième millénaire, l’histoire de ce
mouvement panafricain analysé à sa naissance, au XIXe siècle.
La commémoration du centenaire du Panafricanisme (1900-2000) ne doit
pas se dissocier d’une histoire du mouvement. Une histoire à comprendre
dans sa complexité et dans toutes ses dimensions économiques et politiques.
Cette histoire, il faut maintenant l’approfondir et en débattre, en associant
autour de la “Mer Océane” tous les grands acteurs du passé : Nègres
Caribans, des Etats-Unis et d’Haïti, Africains, emancipados cubains et
Brésiliens. Bref, tous ceux qui résistèrent à la Traite négrière, au Système
esclavagiste, à la Colonisation, voire même aux sirènes de l’accommodation
ou à celles de l’assimilation.

Abbréviations utilisées dans les notes :

- A.D.P. : Affaires diverses politiques


- A.H.N. : Archivo Historico Nacional, Madrid
- A.N.C. : Archivo Nacional de Cuba, La Havane
- C.A.O.M. : Centre des Archives d’Outre-Mer, Aix-en-Provence
- C.C.P. : Correspondance consulaire et politique
- C.O. : Colonial Office
- C.P.C. : Correspondance politique et commerciale
- CARAN : Archives Nationales, Paris
- F.O. : Foreign Office
- H.A.H.R. : Hispanic American Historical Review
- leg. : legajo, carton de documents manuscrits
- M.A.E. : Ministère des affaires étrangères, Paris
- M.D. : Mémoires et documents
- N.N.A. : Nigeria National Archives
- N.Y.P.L. : New York Public Library
- P.R.O. : Public Record Office, Londres
- S.G. : Série géographique
- U.S.N.A. : National Archives of the United States, Washington, D.C.

14 Voir à ce sujet Oruno D. Lara, Du l’Oubli à l’Histoire. Espace et identité caraïbes. Editions
Maisonneuve et Larose, Paris. 1998.
Prélude et fugue

Les spécialistes de l’histoire des Caraïbes n’ignorent pas les difficultés


que posent les recherches : archives, documents, concepts, problèmes,
méthode et publications. En quarante ans d’investigations, j’ai eu souvent
l’occasion d’observer certaines courbures qui prolongent l’espace des
Caraïbes. J’ai pu déceler ainsi des traces qui cheminent des Caraïbes vers
l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), des dérivations vers l’Amérique
du Sud (Brésil, Pérou, Argentine), vers l’Europe et le Pacifique, des rocades
sur mer vers l’Afrique.
Les Caraïbes, le Brésil, les Etats-Unis et l’Afrique entretiennent depuis
cinq siècles des rapports continus profondément marqués par l’histoire.
Déjà, étudiant en histoire, j’avais été fasciné par la personnalité des
militants noirs comme Marcus Garvey, George Padmore ou W.E.B. Du
Bois. L’ouvrage de George Padmore, Panafricanism or Comrnunism (1956)
— à lire en anglais car la traduction française est faible15 — a constitué
pour beaucoup d’entre nous une référence en matière de panafricanisme.
J’ai découvert l’existence du Guyanais Thomas Griffith, “Ras Makonnen”
et sa vision “de l’intérieur” du “Pan-Africanism”16. Griffith et ses
compatriotes guyanais Peter Milliard, René Maran et Félix Eboué, Hélène
Jadfard et Georges Fourgues m’ont guidé sur des voies ouvertes — pour
moi — par les Guadeloupéens Henri Jean-Louis “Baghio’o", Joseph
Vitalien et Jules Alcandre.
J’ai décidé alors de baliser certaines pistes qui remontent aux origines du
panafricanisme. Découvrir le moment où se forge le concept panafricain et
cerner les acteurs de cette construction. Après avoir étudié Marcus Garvey,
empêtré dans l’historiographie anglo-saxonne17, j’ai consacré cet ouvrage à
démêler l’écheveau du mouvement panafricain à ses débuts.
Il n’est pas dans mes intentions d’étendre mes investigations dans les
méandres d’une histoire complexe, aux Etats-Unis ou en Afrique. Je ne
prétends pas analyser le développement de l‘American Colonization
Society, ni approfondir les travaux d’anthropologie physique prônant le
racisme aux XVIIIe et XIXe siècles. D’autres spécialistes ont étudié ces
sujets et ces périodes, les lecteurs intéressés peuvent s’y reporter18. J’ai
préféré me concentrer sur l’éclairage d’une rocade qu’on emprunte
obligatoirement pour accéder au grand courant du panafricanisme qui
traverse tout le XXe siècle. Le panafricanisme avant Garvey a existé. C’est
de lui qu’il va être question dans ce livre.
Ce processus panafricain — le terme apparaît aux Caraïbes à la fin du
XIXe siècle — n’associait, croyait-on, que les trois ensembles Caraïbes,
Etats-Unis et Afrique. Il m’a semblé nécessaire d’y adjoindre le Brésil après
une investigation dans les sources. Une enquête révèle en effet l’importance
de ce pays dans un dossier peu connu qui soulève bien des problèmes
d’interprétation et une série d’interrogations pertinentes. Les premiers
apôtres brésiliens du panafricanisme se débattent au XVIIIe et au XIXe
siècle dans le contexte historique particulièrement dur et complexe d’un
univers concentrationnaire. Les nègres créoles ou nés en Afrique, libérés de
l’esclavage, affrontent en effet les rapports déshumanisés de la Traite
Négrière et du Système Esclavagiste, les appels de main-d’œuvre venus des
Caraïbes anglaises (Trinidad, Demerara) et le développement de la
domination coloniale européenne en Afrique. Comment distinguer dans ces
conditions parmi tous ces Nègres et Africains émancipés, les Brésiliens qui
sont réexportés de force en Afrique, ceux qui ont la libre possibilité de
retourner dans leur village et ceux qui sont débarqués par les croisières
anglaises au Brésil ou sur les côtes africaines ?
Autres questions à se poser : que deviennent-ils, ces nègres libérés qui
s’établissent au Sierra Leone, au Liberia, dans la baie de Bénin ou même en
Angola et au Mozambique ? Comment vivent-ils ? Que font-ils ? Quelles
sont leurs activités et leurs contributions à la Mère-Afrique dans son
évolution politique, économique, sociale et culturelle ?
Le retour des Brésiliens en Afrique, comme le Back to Africa des Nègres
des Caraïbes et des Etats-Unis, nous incitent à analyser toutes les
dimensions du panafricanisme — première version — quand il apparaît sur
la scène internationale.
Une fugue à plusieurs voix s’orchestre dans cette histoire du XIXe siècle.
Commençons par préciser le sujet et ses composantes.

15 Editions Présence Africaine, Paris. 1960.


16 Cf. Ras Makonnen, Pan-Africanism front Within. Oxford University Press, Londres, 1973.
17 Cf. Oruno D. Lara, Caraïbes en construction espace, colonisation, résistance. 2 vol., Editions du
Centre de recherches Caraïbes-Amériques, CERCAM. 1992, vol.2, chapitre “L’espace de Marcus
Garvey". pp.656-707 et ici., Marcus Garvey. Cercam, 1996.
18 Voir la bibliographie.
-I-
EXPOSITION DU THEME

"Where in the wind of our histories


is that everlasting truth
we forever go chasing after.
We have seen so many shooting stars
pitch like blazing meteors down the sky.
And we have cried
Hosanna,
Halleluya come !
Yet all our dreams
go plummeting down
like falling stats.
Mad bull paper kites
we built so carefully
nose-diving to the ground
in sudden gusts of wind (...)"

Wilfred Cartey, Suns and Shadows, 1978.

On a longtemps cru que le mouvement panafricain émanait de plusieurs


brillantes individualités disséminées ça et là dans le monde colonial au
tournant des XIXe et XXe siècles. Or, quatre décennies de recherches m’ont
incité à tenir compte de la complexité de l’histoire. Ayant repris le dossier
du panafricanisme pour mieux circonscrire les racines, je m’aperçois qu’il
émerge dans le sillage de la suppression de la Traite négrière, aux marges
du Système esclavagiste.
L’idée panafricaine se précisa aux Caraïbes et en Amérique du Nord
(Etats-Unis et Canada) à la fin du XIXe siècle, après une longue et parfois
violente confrontation opposant les autorités et les propriétaires
esclavagistes aux Nègres libres et aux Nègres esclaves. A la fin du XVIIIe
siècle et au début du XIXe siècle, les planteurs des Caraïbes et des Etats-
Unis entreprirent de se débarrasser des Nègres libres qui constituaient selon
eux, un danger menaçant. Les premiers à trouver une solution furent les
Anglais. Le groupe de Clapham comprenant des abolitionnistes notoires
comme William Wilberforce, James Stephenson, Granville Sharp, chargea
Henry Smeathman d’organiser la déportation en 1787 au Sierra Leone de
400 Nègres libres ‘‘indigents” rafflés à Londres. Après eux, la Sierra Leone
Company favorisa le transport de onze cents “Loyal Blacks” — ceux qui
servirent dans l’armée anglaise pendant la Guerre de l’Indépendance des
Etats-Unis — établis au Canada (Nova Scotia), et des Nègres de Jamaïque
faits prisonniers pendant la seconde Guerre des Marrons en 1796. Ces
Nègres libres des Caraïbes et des Etats-Unis se heurtèrent en Afrique à la
domination raciste des autorités de la Compagnie. Ils se révoltèrent en
1800, jugeant trop lourds les impôts qu’ils devaient payer. Ce sont eux
pourtant, qui dirigèrent à partir de 1840, le Fourah Bay College fondé en
1827.
La colonie du Sierra Leone servit de base à la marine britannique après la
promulgation de la loi du 25 mars 1807 en Angleterre qui interdisait la
Traite négrière. La marine de guerre anglaise entreprit des opérations
d’arraisonnement contre des navires pratiquant la traite illégale. De 1819 à
1828, les croiseurs anglais capturèrent et débarquèrent à Freetown 13 281
captifs, 50 000 approximativement entre 1828 et 1878. Des villages se
constituèrent aux noms évoquant des souvenirs historiques : Hastings, Kent,
Wellington, Waterloo, Wilberforce, Bathurst, Gloucester, York. A partir de
1808, le Sierra Leone, une colonie de la couronne — jusqu’à son
indépendance en 1961 — abrita deux types de population : des Nègres
créoles encore appelés “liberated Africans” ou “recaptives”, et des
Africains “natives”, indigènes appartenant aux “nations” mendé et temné.

Aux Etats-Unis, parmi les planteurs esclavagistes hostiles à la présence


des Nègres libres, Thomas Jefferson a laissé des réflexions consignées dans
un ouvrage intitulé Notes on Virginia. publié à Paris en 1785, à Londres en
1787 et à Philadelphie en 1788. Lui aussi aurait voulu se défaire des Nègres
libres. Mais comment ? Plusieurs plans sont proposés aux Etats-Unis par
James Madison, Fernando Fairfax, St. George Tucker, John Parrish et James
Monroe, le gouverneur de l’Etat de Virginie. Des projets de colonisation,
d’émigration forcée, de déportation visent à éloigner les Nègres libres, à les
envoyer soit dans des régions lointaines des Etats-Unis, à l’est ou au sud,
soit à les transporter aux Caraïbes ou en Afrique. Après la guerre de 1812-
1814, un plan de déportation vers l’Afrique est élaboré et donne naissance à
l’American Colonization Society en 1816. De 1817 à 1890, des milliers de
Nègres libres d’Amérique du Nord et des Caraïbes (Barbade surtout) sont
envoyés au Libéria par cette Société de Colonisation.
Le débat portant sur les moyens de se débarrasser des Nègres libres à
l’époque du Système esclavagiste ne se dissocia pas du problème de
l’émancipation générale des esclaves. Aussitôt après les abolitions de 1833,
1848, 1863-65, ce débat prit une tournure nouvelle. Il ne s’agissait plus
d’élaborer des plans concernant une frange libre de la population nègre,
mais de poser la question cruciale de la coexistence “raciale” des Nègres et
des Blancs aux Etats-Unis, au Brésil ou aux Caraïbes (Cuba, République
Dominicaine, Puerto Rico...). L’intégration des Nègres émancipés supposait
partout résolu le problème du pouvoir politique. Ces “nouveaux citoyens”
réclamaient des droits politiques et civiques. Plusieurs projets essayèrent
d’imaginer des moyens plus sophistiqués de les éliminer, de les neutraliser,
de désamorcer la bombe sociale que représentait l’ensemble de la
population noire pour les Blancs soucieux d’hégémonie politique et
d’homogénéité “raciale”.
Au XIXe siècle triompha un racisme dit “scientifique” qui s’appuya sur
les écrits de Darwin et des théoriciens de l’anthropologie physique.
Naturalistes, médecins, chirurgiens élaborèrent, surtout en France, une
pensée raciste qui prônait la suprématie de la “race blanche”. A la fin du
XIXe siècle, autour de 1900, parmi les personnalités des Caraïbes qui
participèrent à la naissance du panafricanisme, quatre hommes se
démarquent. Ils se différencient nettement des autres penseurs de leur
génération : Edward Wilmot Blyden, Anténor Firmin, Henry Sylvester
Williams et Benito Sylvain.
On a voulu voir en Blyden (1832-1912) le précurseur du “Back to
Africa” — mouvement cher à Garvey — de la négritude ou du “Black
Nationalism”. Son départ et son existence en Afrique, ses nombreuses
publications, ses conférences ont contribué à donner de lui l’image d’une
personnalité cultivée, brillante, intelligente. Un nègre écrivain, professeur,
diplomate, au rayonnement indiscutable, qui s’imposa aussi bien à
Monrovia qu’à Washington, à Londres ou à Paris. Une analyse plus fine des
sources, de ses lettres en particulier, permet de découvrir un homme plus
complexe, pétri de contradictions. Dans l’intimité de sa correspondance, il
se révèle un personnage plus nuancé, chrétien, mais très attiré par l’Islam ;
habile à célébrer l’Afrique berceau de l’humanité mais plus circonspect
envers les “natives” et quasiment haineux envers les “sang-mêlés”. Un
réexamen du dossier Blyden s’impose donc, malgré les études élogieuses de
son biographe attitré Hollis R. Lynch19, ou les notes sévères de son
contempteur V.Y. Mudimbe20. Une perspective critique qui doit dépouiller
le penseur de Saint-Thomas de ses oripeaux de “prophète” et mieux
esquisser ses valeurs d’homme du XIXe siècle engagé dans les tourmentes
de l’émigration.
Anténor Firmin (1850-1911), journaliste, avocat, diplomate, ministre,
candidat à la présidence, a été une personnalité politique marquante d’Haïti.
Sa renommée d’homme d’Etat se fonde surtout sur sa rigueur, son
obstination, son habileté à s’opposer aux manœuvres d’intimidation des
Etats-Unis en 1891, pressés d’acquérir le Môle Saint-Nicolas. Dans cette
affaire diplomatique, il dut affronter non seulement l’amiral Gherardi à la
tête d’une escadre dans la rade de Port-au-Prince, mais également Frederick
Douglass, ambassadeur des Etats-Unis.
Firmin est l’auteur d’un ouvrage intitulé De l’égalité des races humaines
(Anthropologie positive), publié à Paris en 1885. Il s’attaque aux théoriciens
du racisme pseudo-scientifique, Gobineau particulièrement. Sa réflexion sur
le métissage, sur l’Egypte et la civilisation africaine, et sur le préjugé racial
le placent parmi les penseurs nègres les plus critiques de sa génération.
Pourquoi les auteurs traitant du panafricanisme n’ont-ils jamais — ou si
rarement — fait mention de lui, de son action, de son livre ? Il était pourtant
connu, respecté, admiré en cette fin du XIXe siècle. Le rapport de Benito
Sylvain traitant de la Conférence de 1900 s’ouvre par une lettre de Firmin.
Mais qui a lu ce rapport ?
Firmin apporte au mouvement panafricain son souci de précision, sa
rigueur scientifique, sa clarté, sa volonté d’homme politique. Il est un des
premiers à s’opposer aux élucubrations racistes qui s’épanouissent et
circulent dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe occidentale et
aux Etats-Unis. Haut et fort, il affirme ses certitudes sur l’égalité des
hommes et sur le développement d’Haïti, de l’Ethiopie, de l’Egypte et de
l’Afrique entière. Il ouvre de nouvelles voies à la réflexion et aux partisans
modernes d’un dialogue Caraïbes-Afrique. C’est pour toutes ces raisons
qu’il est indispensable d’ajouter Anténor Firmin à la liste de ces auteurs
théoriciens qui ont tant fait pour circonscrire l’idéal panafricain.
La conférence panafricaine organisée à Londres en 1900 est un
événement capital, un aboutissement logique de ce cheminement du XIXe
siècle. Deux hommes s’investissent complètement et portent une
contribution décisive : Henry Sylvester Williams et Benito Sylvain. Le
Trinidadien Williams (1869-1911), bien que sous-estimé par les historiens,
est mieux connu que l’Haïtien Sylvain (1868-1916). Ce sont eux, ces deux
“mystérieuses figures”, qui organisèrent avec l’aide de Firmin, la Pan-
African Association de 1897 à 1900. Ils prévoyaient de réunir la Conférence
Panafricaine à Paris mais finalement, elle se tint à Londres du 23 au 25
juillet 1900. Des représentants des Caraïbes, des Etats-Unis et de l’Afrique
élaborèrent les objectifs et les statuts d’une nouvelle Association
Panafricaine sous les auspices du Président Simon Sam d’Haïti, de
l’Empereur Ménélik d’Abyssinie et du Président Joseph Coleman du
Liberia. A cette occasion, une “Supplique aux Nations” fut adressée aux
puissances coloniales et impérialistes (Grande-Bretagne, France,
Allemagne, Etats-Unis), qui débutait par la fameuse phrase attribuée à tort à
W.E.B. Du Bois : “The problem of the Twentieth Century is the problem of
the colour line...” (“Le problème du XXe siècle est celui de la question de
couleur...”). Nous verrons plus loin, au chapitre X, en lisant attentivement le
Rapport de la Conférence de 1900, que cette phrase insérée dans un
“Appel”, a plusieurs auteurs. L’organisation d’un Congrès Panafricain était
prévue tous les deux ans : en 1902 aux Etats-Unis, et en 1904 en Haiti.

19 H.R. Lynch, Edward Wilmot Blyden, 1832-1912, Pan-Negro Patriot, Londres, Oxford University
Press, 1967.
20 V.Y. Mudimbe, The Invention of Africa, Bloomington. Indiana University Press, 1988.
-2-
SUPPRESSION DE LA TRAITE NEGRIERE :
LA CROISADE DES BRITANNIQUES

“Oh I’m bound to go to Africa,


I’m bound logo there soon.
I’m bound to go to Africa,
to wear those golden shoes”.

Chant traditionnel adopté comme hymne, vers 1900,


par des Nègres Sudistes qui suivaient l’Evêque Henry Turner.

Commençons par démêler l’écheveau complexe de ces “abolitions” de la


traite des nègres, renouvelées, répétées de manière incessante. Comment ne
pas souligner — même en connaissant les enjeux cachés — l’insistance,
l’entêtement du gouvernement britannique à imposer un arrêt définitif aux
trafics négriers, légaux et clandestins. Il lui a fallu près d’un siècle de
diplomatie et de contraintes, sur mer ou sur terre, pour convaincre les
puissances occidentales et leurs complicités africaines. Le plus étrange,
peut-être, aura été, pendant toute cette période, le comportement si ambigu
d’une France lâche, raciste, engagée pendant si longtemps dans une Traite
négrière illégale, prête à toutes les bassesses, à toutes les compromissions
pour poursuivre la déportation des Africains dans les colonies des Caraïbes.

La Grande-Bretagne organise la police des mers


Le 16 mars 1792, ce n’était pas la France qui annonçait sa volonté de
supprimer la Traite négrière dans un délai de dix ans, mais le Danemark. Il
est vrai que l’abolition danoise, le 1er janvier 1803 passa inaperçue,
masquée par le rétablissement du Système esclavagiste. La suppression de
l’esclavage dans les colonies françaises par la Convention en 1794 n’avait
pas été accompagnée de la prohibition de la traite. C’est la Grande-Bretagne
qui se donna, la première, les textes et les moyens militaires de combattre la
Traite négrière sur les côtes d’Afrique. Un acte royal du 23 mai 1806
mettait fin aux expéditions négrières entreprises par les sujets britanniques.
L’acte du 25 mars 1807 qui entrait en vigueur le 1er mai suivant interdisait la
traite des Nègres partout sur les côtes ou territoires d’Afrique. Cette
décision de la première puissance mondiale se fondait sur des motifs
politiques et économiques qui ont été analysés par Eric Williams dans sa
thèse de doctorat Capitalism and Slavery (1944)21.
Commencé en 1806, le combat abolitionniste des Britanniques a eu de
profondes répercussions internationales. Il se termina avec la dernière
décennie du siècle, voire au début du XXe siècle. L’Angleterre, au début de
cette période, voulait attirer sur ses positions les puissances maritimes
esclavagistes : Etats-Unis, France, Portugal, Espagne, Pays-Bas, Suède et
Danemark.
La Grande-Bretagne n’a eu aucune peine à imposer ses orientations
abolitionnistes au Danemark et à la Suède en 1810. En revanche les
problèmes se posèrent immédiatement avec acuité face aux pratiques
négrières des quatre pays : Etats-Unis, Portugal, Espagne et France.
L’Amirauté britannique dépêcha dès 1808 deux navires — la frégate
Solebay et le sloop Derwent — à la côte occidentale d’Afrique. L’Amirauté
constitua une flotille de cinq navires en 1811 pour la surveillance des
navires négriers. La guerre de 1812 avec les Etats-Unis empêcha la Royal
Navy de poursuivre ses patrouilles anti-négrières. A la fin de la guerre, en
1815, l’Amirauté établit en permanence une croisière de surveillance anti-
négrière appelée West Africa Anti-Slavery Squadron, dirigée par le
Capitaine Frederick Irby et installa un tribunal de prises dépendant de
l’Amirauté à Freetown, dans l’estuaire de la Sierra Leone. Les Anglais
dirigèrent vers la colonie toutes leurs prises négrières. Après la
condamnation des navires, confisqués et vendus, les captifs étaient libérés
et entretenus pendant un an. Après quoi, ils étaient abandonnés à leur sort.
La plupart d’entre eux optèrent pour rester au Sierra Leone et se
consacrèrent au commerce, quelquefois au trafic négrier. Un certain nombre
d’entre eux choisirent de s’engager comme travailleurs libres sous contrat,
pour se rendre dans les colonies anglaises des Caraïbes. Les Noirs libérés,
placés sous la coupe du Liberated Africans Department, étaient déclarés
libres et citoyens anglais par les commissions mixtes.
Les instructions données par l’Admiralty Office aux officiers de la
croisière de répression le 20 mars 1816 développaient les points suivants :
- assistance et protection des établissements et forts britanniques de la
côte d’Afrique ;
- stationner au Sierra Leone pour le carénage des navires ;
- surveillance des baies et criques entre le Cap Vert et Benguela,
particulièrement : la Gold Coast, Whydah, la Baie de Bénin et l’Angola ;
- l’Amirauté recommandait particulièrement la surveillance des
établissements et des vaisseaux portugais. Elle joignait les copies de deux
traités signés à Vienne entre l’Angleterre et le Portugal (21 et 22 janvier
1815)22. La Division navale de la West Coast of Africa comprenait en
novembre 1819 trois sloops et deux bricks armés sous le commandement de
Sir George Collier. Elle reste autonome pendant cinquante ans, sauf en
1832-1839 et en 1857-1860, quand elle fut combinée aux forces de la
Division navale du Cap.
Le décret de juin 1814 signé par le roi Willem Ier des Pays-Bas mettait
fin aux pratiques négrières. Une convention bilatérale anglo-néerlandaise
était signée peu après, en août, qui confirmait le décret d’abolition. Elle
prévoyait les droits de visite sur des bâtiments suspects et créait des
tribunaux de commissions mixtes à Freetown (Sierra Leone), à Antigua
(Caraïbes Orientales) et à Paramaribo (Suriname). Ils libérèrent environ 65
000 Africains entre 1808 et 1872. La Hollande se plia avec beaucoup de
souplesse aux exigences anglaises. Toutefois, en Afrique, les officiers des
croisières britanniques se plaignirent pendant toute la première moitié du
XIXe siècle du trafic négrier clandestin qui s’opérait autour des forts
néerlandais. Les Hollandais enrôlèrent des Africains pour servir dans les
forces armées des Indes orientales, malgré l’opposition anglaise. Les
autorités hollandaises finirent par se débarrasser de leurs forts africains en
1872 en les vendant à la Grande-Bretagne23.
Aux Etats-Unis, le Président Thomas Jefferson condamnait les
“violations des droits de l’homme... en Afrique” dans son message du 2
décembre 180624. Le Sénat votait le 27 janvier 1807 une loi décrétant la
suppression de la Traite négrière le 27 janvier 1807. Cette loi acceptée à la
Chambre des Représentants le 11 février et signée par le Président Jefferson
le 2 mars, stipulait qu’à partir du 1er janvier 1808, il devenait illégal
d’introduire aux Etats-Unis aucun “nègre, mulâtre ou personne de couleur
comme esclave" (Act to prohibit the importation of slaves into any port or
place within the juridiction of the United States...).
Le problème se posa immédiatement aux Etats-Unis, directement
concernés par le Système esclavagiste : que deviendraient les captifs
débarqués par la traite clandestine et surpris par les autorités ? Il paraissait
impossible de les vendre car ce serait “parachever le crime”. Pouvait-on
libérer ces captifs africains aux Etats-Unis ? Ou devrait-on les renvoyer en
Afrique ? Dans ce dernier cas, était-il possible de retrouver leur village
natal et comment empêcher qu’ils soient revendus comme captifs à leur
retour ? Le débat instauré par Stephen R. Bradley, le Sénateur du Vermont,
dès le 12 décembre 1805, resta en suspens après la promulgation de la loi.
La question du traitement des esclaves libérés était laissée à l’entière
appréciation du gouvernement des Etats concernés.
Au Congrès de Vienne, en novembre 1815, la Grande-Bretagne, la
France, l’Autriche, la Russie et la Prusse s’engageaient à conjuguer leurs
efforts pour abolir un commerce “si odieux et si fortement condamné par les
lois de la religion et de la nature”. Malgré ces bonnes paroles, la chasse à
l’homme se poursuivait en Afrique, dans l’illégalité.
Les guerres napoléoniennes avaient laissé à la Grande-Bretagne en 1815
une grande liberté de manoeuvre sur les mers. Elle en profita pour imposer
sa politique par des traités et des conventions bilatérales avec le Portugal, le
Brésil et l’Espagne.

Dans le sillage des négriers portugais et brésiliens


L’occupation du Portugal par les troupes françaises en novembre 1807
poussa le prince régent João à se réfugier au Brésil, à Rio de Janeiro, avec
sa Cour. L’ouverture des ports brésiliens aux navires étrangers par la Carta
Regia du 28 janvier 1808 s’accompagna de l’implantation et de l’influence
anglaises (Convention secrète d’octobre 1807). Le roi d’Angleterre et le
prince régent de Portugal signèrent un traité de commerce et de navigation
ainsi qu’un traité d’alliance le 19 février 1810, qui prévoyait une future
abolition de la traite négrière (art. X). Le Congrès de Vienne favorisa la
signature d’une Convention anglo-portugaise le 21 janvier 1815 et d’un
traité d’abolition du trafic négrier (22 janvier 1815, ratifié le 8 juin et publié
le 26 juillet) en tous lieux de la côte d’Afrique au nord de l’Equateur25.
L’Acte final du Congrès de Vienne publié en juin 1815 comprenait en
annexe la Déclaration des Huit Puissances : Autriche, Espagne, France,
Grande-Bretagne, Portugal, Prusse, Russie, Suède, relative à l’abolition
universelle de la traite négrière (8 février 1815). Une Convention
additionnelle du 28 juillet 1817 établissait la création de commissions
mixtes à Londres. Rio de Janeiro et Freetown (Sierra Leone) avec des
commissaires juges anglais et portugais.
L’indépendance du Brésil en 1822, reconnue par les Portugais et les
Anglais en 1825, fut suivie d’un traité anglo-brésilien portant sur la
suppression de la traite négrière26. L’Empereur du Brésil D. Pedro et le roi
George d’Angleterre signèrent le traité du 23 novembre 182627 stipulant
dans son article 1er :
“Trois années après l’échange des ratifications du présent traité, il ne sera
plus licite aux sujets de l’empire du Brésil de faire le commerce des
esclaves à la côte d’Afrique, sous quelque prétexte que ce soit, et la
poursuite de ce commerce après cette époque par n’importe quel sujet de Sa
Majesté Impériale serait considérée comme de la piraterie et traitée comme
telle”.
Le traité prévoyait donc après sa ratification, le 13 mars 1827, l’abolition
de la traite négrière le 13 mars 1830. Il n’en fut rien. Le Consul anglais à
Bahia, William Pennell, en donne une raison à Lord Palmerston, le
Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères à Londres, dans sa lettre du 22
février 1830 : “les bénéfices accrus qui accompagnent l’importation
frauduleuse ont excité la cupidité des gens...”28.
Une autre explication a été avancée dès le 22 mai 1827 par le nouveau
ministre brésilien des Affaires Etrangères, João Severiano Maciel da Costa,
Marquis de Queluz — auteur d’un opuscule intitulé Memoria sobre a
necessidade de abolir a introdução dos escravos africanos no Brazil (publié
à Coimbra en 1821). Le gouvernement brésilien aurait été forcé de signer le
traité de 1826 entièrement contre sa volonté29.
Après l’abdication de Pedro 1er en faveur de Pedro II le 7 avril 1831, la
loi du 7 novembre 1831 interdisant la traite négrière30, prévoyait une
réexportation des captifs libérés en Afrique :
“Article 1".- Tous les esclaves qui entraient sur le territoire ou dans les
ports du Brésil, venant de l’extérieur, seraient libres”, exceptés :
1) les esclaves immatriculés au service des embarcations appartenant aux
pays où l’esclavage était permis, lorsqu’ils seraient en service sur lesdites
embarcations ;
2) ceux qui fuyaient des territoires ou des embarcations étrangères,
lesquels seraient remis à leurs maîtres qui les réclameraient et réexportés
hors du Brésil...
Article 2. - Les importateurs d’esclaves au Brésil seraient passibles des
peines corporelles -article 179 du Code criminel-imposées à ceux qui
mettent en esclavage les personnes libres, et à l’amende de deux cents mil
reis par tête d’esclave importé, en plus ils devraient payer les dépenses de la
réexportation pour n’importe quelle région d’Afrique ; réexportation que le
gouvernement rendrait effective dans le plus bref délai, en passant un
contrat avec les autorités africaines pour leur faire donner asile. Les
contrevenants payeraient chacun pour soi, et pour ceux aux noms desquels
ils agissaient."
Cette loi fut complétée par un décret du 12 avril 183231 qui réglementait
les pouvoirs extraordinaires octroyés à la police pour examiner chaque
navire négrier qui arrivait ou qui partait. Elle devait vérifier si les
captifs/esclaves avaient été importés avant le 13 mars 1830. La législation
brésilienne en matière d’abolition de la traite négrière ne devait pas être
prise à la lettre, observait le ministre des Affaires Etrangères, José Lino
Coutinho, de juillet 1831 à janvier 1832, mais seulement comme un moyen
“para salvar a decencia nacional”. Ce que les députés brésiliens résumaient
plus catégoriquement par la formule : “uma lei para inglès ver”. Au vrai,
d’une main on abolissait la traite, de l’autre on favorisait la poursuite du
trafic négrier. Autre question de circonstance : le gouvernement brésilien
refusait de “donner un asile aux noirs importés au Brésil” et proposait “au
gouvernement britannique de recevoir ces nègres dans l’établissement de
Sierra Leone où ils seraient remis aux autorités britanniques"32.
Dans sa réponse au chargé d’affaires britannique au Brésil, Lord
Palmerston s’élevait le 5 juin 1833 contre cette demande des autorités
brésiliennes33 :
“Relativement à la loi du 7 novembre 1831 et au décret du 12 avril 1832,
vous présenterez une forte remontrance au gouvernement brésilien contre la
mesure en question. Une telle mesure serait susceptible d’infliger beaucoup
de souffrances aux nègres. Bien que le ministre des Affaires étrangères ait
reconnu la difficulté de trouver un asile pour ceux-ci auprès des autorités
africaines, il a donné l’ordre positif que les nègres soient renvoyés aux
points d’où ils ont été embarqués, ou en un point d’Afrique qui convienne
mieux.
Le sort du malheureux individu auquel cet ordre pourrait être appliqué est
trop certain. Il est bien connu que les nègres qui arrivent au Brésil ont
beaucoup souffert au cours d’un voyage où ils ont été comprimés dans un
petit espace, nourris parcimonieusement et souvent malades. Mais au cours
de ces voyages de retour en Afrique, en plus de la répétition de ces
souffrances, ils seraient soumis à de mauvais traitements, en raison de la
colère et du désappointement des trafiquants d’esclaves qui en seraient
chargés. Pendant le voyage vers le Brésil, l’espoir d’un bénéfice par la
vente supputée donne aux trafiquants quelques motifs de préserver la vie de
leur cargaison ; au cours du voyage de retour pour l’Afrique, ce frêle motif
disparaîtrait, et l’intérêt pécuniaire du traitant le pousserait en effet dans les
dispositions contraires.
Dans de telles circonstances peu d’entre eux arriveraient vivants en
Afrique, et ceux qui le seraient n’auraient pas un sort meilleur que celui de
leurs compagnons, car une fois débarqués sur la Côte, s’ils ne sont pas mis
à mort par les habitants du lieu, ils seront probablement faits prisonniers et
vendus à nouveau à la première occasion”.
José Marques Lisboa, ministre brésilien, apprenant cette décision,
déclarait que pour raisons de “sécurité de toute la population blanche”, “il
était particulièrement dangereux d’essayer de les civiliser et de les rendre
libres, alors qu’une partie aussi importante de la population était en état
d’esclavage”. Il insistait particulièrement sur la question de la sécurité du
Brésil :“la nation brésilienne ne voulait pas civiliser ou émanciper la
population noire mais en empêcher l’augmentation”.
Quant au problème du retour des nègres en Afrique, Lisboa admettait
“cependant l’impossibilité de mener à bien le retour des nègres aux pays
d’Afrique d’où ils étaient venus, ou de trouver un souverain africain pour
les recevoir... Il était prêt à envisager n’importe quel arrangement pour
exporter les nègres à Sierra Leone ou en Libéria, ou dans l’une quelconque
des West Indies ou dans une colonie britannique sur la côte nord de
l’Amérique du Sud, et que le transport devrait être fait aux frais du
commerçant d’esclaves”34.
Dans la pratique, le gouvernement brésilien dut admettre qu’il n’était pas
possible de rapatrier les captifs libérés par les autorités. Il promulgua deux
avisos, le 29 octobre 1834 et le 19 novembre 1835, visant à garantir leur
liberté et à régulariser leur louage de services à des personnes de
reconbecida probidade e inteireza. Finalement, la plupart des Africanos
livres furent abandonnés à leur sort et soumis au Système esclavagiste.
Bref, la Traite négrière se poursuivait comme par le passé en dépit de la
législation officielle. Mieux, elle fut réorganisée clandestinement sur de
nouvelles bases visant à la rendre plus rentable. Car il fallait répondre à la
demande croissante des fazen-deiros de café et des senhores de engento
(planteurs sucriers). L’arrêt de ce trafic aurait signifié la disparition des
travailleurs. “L’Amérique dévore les Nègres”, notait un émigré français,
Charles Auguste Taunay dans son livre Manual do agricultor brazileiro35.
Le consul anglais Charles W. Pennell écrivait à son ministre, à Londres, le 9
janvier 1827 : “La mortalité annuelle sur beaucoup de plantations sucrières
est si grande qu’à moins que leur nombre ne soit augmenté par un apport
extérieur, la population servile totale disparaîtra en vingt ans ; les
propriétaires fondent leurs calculs qu’il est moins cher d’acheter des
esclaves mâles que d’élever des enfants nègres”36. Le taux élevé de
mortalité des esclaves s’expliquait par la dureté du travail intensif, la
discipline brutale et les multiples punitions infligées, la sous-alimentation et
la maladie37. Sur de nombreuses caféières, la durée de vie d’un esclave ne
dépassait pas trois ans.
Des informations nous parviennent des diplomates anglais en poste à Rio
de Janeiro ou à Bahia. Quelques lueurs sur la condition des esclaves
émanent de la correspondance de William Gore Ouseley, le chargé
d’affaires britannique au Brésil. Il écrit à Lord Palmerston, le Secrétaire
d’Etat du Foreign Office, le 1er mars 1833 : “La situation de la population
esclave et nègre est telle quelle donne de grandes inquiétudes aux autorités
en beaucoup d’endroits du pays. On dit que des meurtres, accompagnés de
plus ou moins de violences et de trahisons, des insurrections partielles et
autres maux, qui s’accomplissent journellement, sont rarement rendus
publics, voire même cachés avec précaution. Le gouvernement craint
l’excitation que produirait, parmi la population de couleur, la connaissance
de ces faits. Pour des raisons semblables, beaucoup de cruautés et de
grandes atrocités de la part des maîtres et des surveillants sont passées sous
silence, ou légèrement et incidemment signalées”38.
C’est encore Ouseley qui évoque, le 26 juin 1834, l’activité des agents
diplomatiques du Brésil dépêchés en Europe qui “cherchent à promouvoir
par tous les moyens l’immigration en ce pays de colons, hollandais et
suisses en particulier. Le gouvernement brésilien voudrait attirer une main-
d’œuvre employée à l’agriculture pour blanchir sa population et pour
renforcer l’encadrement des esclaves”39.
Certains “commerçants brésiliens" ayant laissé filtrer leur intention de
faire venir d’Afrique des “colons noirs libres”, s’attirèrent un ferme
avertissement du gouvernement anglais. Lord Aberdeen, Secrétaire du
Foreign Office, fit savoir en décembre 1829 que les navires transportant des
colons libres seraient “traités de la même manière que ceux qui étaient
ouvertement engagés dans le trafic négrier"40.
En dépit de la loi de 1831. la Traite négrière développait ses tentacules
d’Afrique au Brésil. En novembre 1833 et en septembre 1836, George
Jackson et Frederick Grigg, juges commissionnaires au tribunal mixte de
Rio de Janeiro, témoignèrent de l’essor de ce trafic41. Les captifs africains
arrivaient en contrebande par milliers sur les côtes brésiliennes entre Rio de
Janeiro et Vitória, à Rio même, sur les plages de Copacabana, Gloria et
Botafogo ou à Bahia, à Pernambouc, à Paranagua, dans les provinces de
Santa Catarina et Rio Grande do Sul. Aussitôt débarqués, nègres Boçal et
Novô étaient parqués, internés dans des dépôts où l’on tentait, sans grand
succès, de leur apprendre des rudiments de la langue portugaise pour les
introduire sur le marché des esclaves avec des nègres ladinos et crioulos
déjà accoutumés au pays.
Hamilton Charles James Hamilton, le ministre plénipotentiaire à Rio de
Janeiro de mai 1836 à août 1846, estimait qu’il y avait 115 000 captifs
africains détenus en novembre 1836 dans les dépôts de Campos, Macaé,
São Sebastiào et Rio de Janeiro. Il y avait tant de Nègres sur le marché des
esclaves que les prix avaient chuté pour la première fois depuis cinq ans42.
Le Commissaire Grigg comptabilisait en 1837 une centaine de navires et
près de 46 000 captifs provenant d’Angola, du Congo et du Mozambique,
arrivés clandestinement dans les provinces de Rio de Janeiro et São Paulo43.
En 1838, le nombre de captifs provenant de ces trois pays africains et
débarqués au nord et au sud de Rio de Janeiro — ou dans la capitale même
— s’éleva à 40 000. En 1839, une centaine de bateaux amenèrent 94 000
captifs entre Campos et Santos.
Au vrai, le gouvernement brésilien, après un simulacre de croisière de
répression en 1834-1835 — trois bâtiments, Cacique, Flumense et Libre
capturèrent six vaisseaux négriers sur les côtes de la province de Rio de
Janeiro — ne prit aucune mesure pour contrer l’activité des
contrabandistas.
De décembre 1835 à avril 1839, la Division navale d’Afrique occidentale
disposait d’un nombre insuffisant de croiseurs, trop lents. Elle ne put
s’opposer à “la très grande activité et l’audace des négriers"44 dont
beaucoup naviguaient sous pavillon portugais. Les observateurs anglais
estimèrent que ces navires négriers firent plus de trois cents voyages au
Congo, Angola et Mozambique, sans compter ceux de la Costa da Mina, et
débarquèrent au moins 125 000 captifs au Brésil.
Le gouvernement britannique entreprit en mai 1838 de faire pression sur
le Portugal pour l’inciter à signer un traité réprimant les négriers. Ne
parvenant pas à un accord avec les Portugais, Lord Palmerston, en
décembre 1838, décida de brusquer les événements. Il autorisa les croiseurs
de la Royal Navy à s’emparer de tous les vaisseaux négriers naviguant sous
pavillon portugais. Décidé à aller jusqu’au bout, il élabora un plan de
capture de certaines colonies portugaises en cas de guerre. Ce plan visait en
particulier les comptoirs de l’Inde portugaise convoités par l‘East India
Company.
L’adoption de l‘Act de Palmerston (10 juillet 1839) ouvrait “une ère
nouvelle dans l’histoire de la Traite négrière”45. Cet Act autorisait les
croiseurs de la Division navale anglaise à patrouiller dans les eaux
africaines, dans les ports et les criques des territoires portugais.
L’Amirauté anglaise prit des mesures en conséquence, pour renforcer ses
effectifs. Les Britanniques, en 1840, étendirent la station navale de la côte
occidentale jusqu’au sud du Cap Frio. Elle englobait le Congo et l’Angola,
alors que le Mozambique portugais demeurait sous la surveillance de la
Division navale du Cap. Les bâtiments de la Division navale d’Afrique
occidentale — douze en 1840, treize en 1841 — comprenaient un navire à
vapeur et des bâtiments rapides comme le Waterwitch (Capitaine Joseph
Denman). Ce croiseur captura quinze négriers près de Gallinas entre mai et
décembre 1840.
Enhardis par leur succès, la Royal Navy, avec l’appui de l’Amirauté et du
Colonial Secretary (Lord John Russell), décidèrent d’opérer des
interventions armées sur terre. Le Capitaine Denman, le premier, débarqua à
Gallinas des Royal Marines qui anéantirent huit barracoons d’esclaves, en
libérèrent plus de 800 et brûlèrent des dépôts de marchandises appartenant à
des trafiquants esclavagistes. Il fut immédiatement imité par le Capitaine
Hill sur la rivière Shebar et par le capitaine Nurse sur la rivière Pongo, qui
détruisirent des entrepôts de marchandises utilisés dans la Traite négrière.
Succédant à Lord Palmerston au Foreign Office en novembre 1841, Lord
Aberdeen réussit à convaincre le Portugal de négocier. Lord Howard de
Walden, le ministre britannique à Lisbonne, et le Duc de Palmella,
ambassadeur du Portugal, élaborèrent les articles d’un nouveau traité anglo-
portugais signé le 3 juillet 1842. Il prévoyait la création de quatre nouvelles
commissions mixtes, à Luanda (Angola), Boa Vista (Cap Vert), Spanish
Town (Jamaica) et au Cap de Bonne Espérance. Un memorandum
additionnel fut ajouté le 25 juillet pour tenir compte du décret promulgué
par le gouvernement portugais condamnant à des peines sévères les
trafiquants de la Traite négrière assimilée à la piraterie46.
Beaucoup de bâtiments négriers brésiliens, ne pouvant plus naviguer en
s’abritant sous les couleurs portugaises, hissèrent le pavillon des Etats-Unis
ou arborèrent des nationalités diverses : Hambourg, Suède, Danemark,
villes hanséatiques, Toscane, Naples, les Deux Siciles... L’adoption de ces
pavillons étrangers freina considérablement l’activité des croiseurs anglais.
Comme l’observa le Consul anglais G.W. Ouseley : “la majorité des
croiseurs de cette station ne sont pas pourvus par l’Amirauté des papiers et
des instructions nécessaires pour de telles nations”47.
Plus grave, la possibilité qu’avaient certains bâtiments négriers de
naviguer sous pavillon étoilé des Etats-Unis. En effet, de nombreux navires
brésiliens avaient été construits à Baltimore, New York, Boston, Salem,
Providence et dans d’autres ports de New England (Nouvelle Angleterre).
Ils naviguaient souvent avec un équipage et des hommes originaires des
Etats-Unis48.
L’article 8 du traité Webster-Ashburton signé à Washington le 9 août
1842 prévoyait l’envoi par les Etats-Unis d’une force navale sur la côte
occidentale d’Afrique. Effectivement, une flottille de quatre vaisseaux
(frégate Macedonia, brick Porpoise et deux sloops) arriva en août 1843.
Son chef, le Commodore Matthew Perry, établit sa base navale à Porto
Praia (Cap Vert), loin des sites de traite et du Congo. Il apparut très vite que
la participation de la Division navale nord-américaine à la répression des
négriers s’avéra très réduite. Les instructions de Perry et de ses successeurs
leur ordonnaient de veiller à la protection et à la promotion du commerce
des Etats-Unis, plutôt que d’engager des poursuites contre la traite illégale.
Au Brésil, les sarcasmes fusèrent devant la passivité des navires nord-
américains qualifiés de "croisière de la honte”. En février 1844, George H.
Prescott, ministre nord-américain à Rio de Janeiro se plaignait à son
ministre en ces termes : “Les trafiquants négriers se moquent ouvertement
de notre division navale africaine et plus d’un de ces trafiquants proclame à
qui veut l’entendre qu’il pourrait tourner trois fois en trois miles autour de
la frégate Macedonia sans qu’elle s’en aperçoive...”49. Un an plus tard, son
successeur, Henri A. Wise, en février 1845, dénonçait véhémentement la
protection accordée aux négriers par les bâtiments des Etats-Unis.
Finalement, les Anglais ne pouvaient compter que sur eux-mêmes dans
cette croisade antinégrière. L’Amirauté entreprit en 1846 de renforcer la
puissance de la division navale. Elle dépêcha sept steamers, Penelope,
Gorgon, Hydra, Growler, Ardent, Albert et Prometheus ainsi que des sloops
et des bricks rapides qui vinrent renforcer la suprématie maritime des
Anglais. La Grande-Bretagne mobilisa, pour cette répression, sa puissance
maritime en misant sur des bâtiments à vapeur à plus grand rayon d’action
et à plus grande vitesse. Avec cette force de frappe navale opérant sur les
côtes africaines au cours de la décennie 1840-1850, la Royal Navy
pratiquait déjà la dissuasion océanique, ses croiseurs et ses Royal marines
constituant une “projection de puissance”. Leur “mission de présence” ou
de “diplomatie navale” s’effectuait dans une période de transition marquée
par la création de la “steam battle fleet”50. Le Royaume-Uni développa de
1830 à 1850 une stratégie navale qu’on nommera plus tard, en 1890,
“seapower” (englobant “sea control” et “sea supremacy”)51
En Afrique, une nouvelle tactique navale fut mise en campagne : deux
croiseurs patrouillaient au nord du Sierra Leone, six autres bâtiments
croisaient entre Sierra Leone et Gallinas, six autres dans la baie de Bénin,
quatre au Congo et deux à Benguela52. Plusieurs vaisseaux de la Division
navale du Cap surveillaient la côte orientale de l’Afrique. Le Contre-amiral
Sir Edward King avait recommandé à l’Amirauté en août 1845 de
concentrer les efforts de la marine sur le contrôle maritime de la côte
occidentale d’Afrique53.
Faisant face au développement de la traite clandestine, Lord Aberdeen fit
voter au Parlement une loi le 8 août 1845 (Aberdeen Act) qui donna la
possibilité juridique à la Grande-Bretagne de réprimer la traite négrière
brésilienne assimilée à la piraterie54.
Les Brésiliens affichèrent encore une fois leur intention d’importer des
“colons libres” d’Afrique pour contourner la législation. Les Anglais prirent
aussitôt des mesures sur mer pour combattre “ces moyens voilés et
insidieux de continuer la traite négrière”55.
Lord John Russell, le Premier Ministre, fit voter au Parlement le Sugar
Duties Act le 18 août 1846, malgré la protestation des abolitionnistes
anglais. Eric Williams se moque de l’hypocrisie des “honorables gentlemen
de la Chambre des Communes, qui se sont faits les défenseurs d’une taxe
différentielle sur le sucre étranger dans l’espoir de porter un coup à
l’esclavage dans les pays étrangers”56.
De retour au Foreign Office avec les Whigs en 1846, Lord Palmerston
obtint de l’Amirauté un nouvel accroissement des forces navales opérant
sur les côtes africaines. La Division navale comptait alors trente-deux
bâtiments dont six steamers en 1847. Ils capturèrent environ 400 vaisseaux
engagés dans la Traite négrière avec le Brésil de 1846 à 1850.
Malgré ces prises, le trafic négrier s’intensifia pour répondre à la
demande de main-d’œuvre qui se faisait toujours pressante sur les
plantations. Chaque année. 50 à 60 000 esclaves débarquaient au Brésil de
1846 à 1849. Les trafiquants misaient sur la rapidité des navires construits
aux Etats-Unis, pouvant distancer les croiseurs anglais. Ils commencèrent
aussi à utiliser, à la fin de 1846, des bateaux à vapeur — dont les machines
provenaient “des meilleures manufactures d’Angleterre”57 et dont les
capacités de transport étaient considérablement augmentées. Il y avait au
Brésil un puissant groupe de négriers faisant pression sur le gouvernement
pour la poursuite du trafic clandestin. Comme l’observait le diplomate
Henry A. Wise en 1846 : “Il y a seulement trois manières au Brésil de faire
fortune : la traite négrière, l’esclavage ou une maison de commerce vendant
du café’’58. Un autre diplomate, Lord Howden, se montra encore plus
explicite, en mars 1848, au moment de quitter son poste à Rio de Janeiro :
“Tolérés, choyés, encouragés, flattés... les trafiquants négriers font les
gouvernements qu’ils veulent”59. Plus tard, en 1850, interrogé par les
membres de la Chambre des Lords, dans le cadre du Select Committee sur
la Traite négrière, il leur dit : “Rassemblez une dizaine de Rothschild et
vous comprendrez aussitôt quel est le poids et la diversité de leur
influence"60.
L’Amirauté britannique et Lord Palmerston prirent des mesures pour
accroître la pression navale sur les côtes brésiliennes. Des bâtiments de la
Division navale d’Amérique du Sud se joignirent à d’autres croiseurs qui
reçurent l’ordre de patrouiller aussi bien en haute mer que dans les eaux
territoriales du Brésil61.
Désormais, la Royal Navy, dotée de steamers puissants et rapides, donnait
l’estocade clans toutes les régions infestées par la traite négrière illégale. Le
Ministre brésilien Eusebio de Queiroz porta le débat à la Chambre des
Députés le 12 juillet 1850 : c’était la guerre contre la Grande-Bretagne ou la
suppression de la Traite négrière illégale...
Un projet de loi adopté à la Chambre le 17 juillet puis au Sénat le 13 août
fut soumis à l’empereur et devint la fameuse loi d’abolition de la traite
négrière illégale du 4 septembre 1850. Les négriers étaient susceptibles
d’être saisis par les autorités et les navires de guerre brésiliens ;
l’importation des esclaves au Brésil était assimilée à la piraterie et les
responsables du crime (propriétaires, capitaines, maîtres d’équipage, etc.)
étaient passibles de peines prévues par la loi de 1831 et le Code criminel
(articles 3 et 9). Les esclaves capturés devaient être éventuellement
réexportés aux frais de l’Etat. En attendant de partir, ils étaient employés à
un travail sous la surveillance du gouvernement et non comme par le passé,
loués à des personnes privées (article 6). Les décrets du 14 octobre et du 14
novembre 1850 organisèrent la procédure de jugement et d’appel des
tribunaux maritimes. Le gouvernement brésilien se dota d’une marine,
vingt-cinq vaisseaux dont plusieurs steamers furent mis en construction.
La décision prise par l’Empereur de supprimer la Traite négrière, malgré
une forte opposition de l’oligarchie esclavagiste, s’explique aussi par des
considérations économiques et financières. La dépendance du
gouvernement brésilien s’était accrue de 1826 à 1850 autant vis-à-vis des
capitaux que des sociétés de commerce anglais. Les Rothschild devinrent
les banquiers officiels du gouvernement brésilien en 1855 et en 1862 fut
créée la Banque Brésilienne de Londres62. L’abolition de l’esclavage en
1888 s’accompagna de la chute de la royauté et de la proclamation de la
première république en 1889.
La loi de Queiroz ne fit pas disparaître la traite illégale du jour au
lendemain : de juin à décembre 1850, 12 500 captifs seulement
débarquèrent à Rio de Janeiro, São Paulo, Espirito Santo. Santa Catarina,
Bahia et Pernambouc. La traite négrière diminua : en 1851, 3 200 captifs
arrivèrent à Rio de Janeiro, mais ce nombre augmenta par la suite. Les
croiseurs anglais reprirent leurs patrouilles en juin et juillet 1851. La
Division navale captura dix-huit négriers brésiliens en 1851, quatre en
1852, trois en 185363. Il y eut 26 622 esclaves importés en 1852-1859
d’après Sebastiào Ferreira Soares64 alors que selon W.D. Christie, le
ministre britannique à Rio de Janeiro, il y en aurait eu 34 688 importés par
mer des provinces du nord dans la capitale seule de janvier 1852 à juillet
1862 et ils pensent que davantage avait été transporté sur terre. Des
tentatives pour organiser encore une fois une traite d’ “Africains libres”
incita Lord Clarendon à déclarer en juin 1857 : “les croiseurs britanniques
poursuivront les négriers”65.
Les Anglais n’abrogèrent l’Aberdeen Act qu’en avril 1869 et attendirent
1921 pour annuler le premier article du traité anglo-brésilien de 1826 luttant
contre la Traite négrière.

La dépendance cubaine
Les planteurs de Cuba faisaient pression sur le gouvernement espagnol et
l’administration coloniale de l’île pour assurer l’importation des Africains
en nombre croissant. L’occupation de l’Espagne par les troupes françaises
ne sonna pas pour ces planteurs le temps de la révolution et de la sécession,
comme dans les autres possessions territoriales. Ils organisèrent avec la
complicité des négociants étrangers une Traite négrière cubaine et
dépendirent encore davantage du commerce international. Ils constituèrent
plusieurs compagnies de commerce. En 1819, La Havane comptait vingt-
deux grandes comerciantes pratiquant la Traite négrière. Ces sociétés
associées à des négociants étrangers, avaient fait venir à La Havane 95 817
Africains entre 1816 et 1820, sans compter les captifs débarqués par
l’interlope dans les autres ports de la grande île. Entre 1821 et 1829, 68 733
esclaves entrèrent à Cuba66. Aux Caraïbes, un réseau de Traite négrière se
développait, associant Cuba à Puerto Rico, aux Etats-Unis et au Brésil.
Le traité hispano-britannique du 23 septembre 1817 mettant fin à la
Traite négrière, avait été précédé par l’achat et le paiement — avec
l’indemnité reçue des Anglais — de cinq frégates et trois vaisseaux de ligne
construits par les Russes. Ce traité qui prétendait abolir la Traite négrière
dans les possessions espagnoles le 30 mai 1820, resta sans effet67. L’article
3 créait des commissions mixtes à La Havane et à Freetown (Sierra Leone).
Les Anglais voulurent en 1827 établir une base navale pour leurs croisières
à l’île de Fernando Po qui occupait une position géostratégique dans la baie
du Bénin. Il fut même question de transférer les commissions mixtes de
Freetown à Fernando Po, mais le projet n’aboutit pas68.
Les planteurs cubains, après l’arrêt des importations d’Africains à partir
du 30 mai 1820, se crurent les victimes d’une machination anglo-
portugaise. Ils se plaignirent aux autorités espagnoles de Madrid et
insistèrent pour être traités comme les Brésiliens. Ils demandèrent en
octobre 1818 au gouvernement espagnol de plaider leur cause devant les
Britanniques. Ils prônaient l’association de Cuba à des territoires africains
comme Fernando Po et Annobon, pour autoriser les transferts négriers,
comme le Brésil. Ce pays, en effet, avait réussi à faire croire que la
déportation transocéanique effectuée par les négriers correspondait à un
déplacement d’individus à l’intérieur des colonies portugaises.
La marine espagnole, qui devait opérer avec la Royal Navy, ne captura
que deux navires négriers entre 1820 et 1842, dont un négrier portugais ne
relevant pas de la cour de La Havane Dans la Mer des Caraïbes, la croisière
anglaise (British West Indian Squadron) se montra peu encline à poursuivre
les négriers espagnols de 1818 à 1821. Il y eut onze vaisseaux espagnols
négriers saisis et condamnés au Sierra Leone69, alors que dans le même
temps, un seul négrier espagnol était pris près de Cuba. Pourquoi cette
tiédeur de la marine anglaise aux Caraïbes alors que les corsaires
colombiens n’avaient aucune difficulté à s’emparer des négriers ralliant
Cuba ?
En Haïti, Christophe, Pétion et Jean-Pierre Boyer prirent des mesures
énergiques pour enrayer le trafic négrier. Le 2 février 1811, le brigantin
espagnol Santa Ana (Capitaine José Maria Peoly) qui appareillait des côtes
d’Afrique vers Cuba avec un chargement de captifs, fut saisi par un navire
de guerre haïtien. Conduit et condamné à Gonaïves, les autorités haïtiennes
libérèrent les 205 captifs africains et rendirent le navire dans un port
cubain70.
Les négriers de la région orientale de Cuba attaquaient les navires
marchands et effectuaient des raids de représailles sur les côtes haïtiennes.
Ils capturaient des hommes, des femmes et des enfants pour les vendre
comme esclaves. Ainsi, en 1812, une balandre (sloop) espagnole se saisit de
la goélette de pêche haïtienne la Poule d’Or. Son patron, Azor Michel, et
deux enfants furent vendus comme esclaves à Trinidad71. En décembre
1819, la corvette de guerre haïtienne le Wilberforce se saisit du brigantin
négrier espagnol Yuyu ou Dos unidos, port d’attache Cadix, et le conduisit à
Port-au-Prince où furent libérés les centaines de captifs destinés à
l’esclavage à Cuba. Le 26 mars et le 4 septembre 1820, les autorités
espagnoles de Madrid et de La Havane réclamèrent au Président Boyer la
restitution des captifs libérés. Le Président Boyer leur répondit le 24 janvier
1821 sur un ton de conciliation, mais refusa de livrer les Africains72.
Les Britanniques, mécontents du traité de 1817 qui n’arrêtait pas la Traite
négrière des Espagnols, les incitèrent à signer le traité du 28 juin 1835. Ce
texte déclarait la Traite négrière espagnole “totalement et finalement abolie
dans toutes les parties du monde”. Or, les planteurs cubains, après
l’abolition de l’esclavage dans les colonies anglaises en 1833, avaient
considérablement investi dans le trafic négrier. Après la promulgation du
nouveau traité à Cuba en mars 183673, beaucoup d’expéditions négrières se
firent sous couvert d’autres pavillons.

Dès les années 1830-1831, des navires étrangers — France, Brésil,


Portugal, Etats-Unis surtout — fréquentaient les ports de Cuba. Ils se
rendaient à La Havane, à Matanzas, à Santiago de Cuba, mais également
dans les petits ports . Gibara, Baracoa, Guantanamo, Manzanillo, Mariel,
San Juan de los Remedios, Cabanas, Bahia Honde. Sur les 25 000 captifs
africains introduits annuellement vers 1837-1838, on comptait 18 000
environ qui débarquaient à La Havane et 7 000 dans les autres ports de
l’île74. La reconnaissance des activités négrières entre 1831 et 1839
s’accompagna d’une rumeur insistante : la volonté des Britanniques de
provoquer l’extinction du trafic négrier à Cuba pour mieux protéger le
commerce du sucre dans leurs colonies des West Indies.
Les hacendados cubains, ces planteurs propriétaires d’esclaves, prirent
des mesures pour restreindre l’entrée de l’île aux femmes captives et aux
Nègres ladinos jugés plus dangereux que les bozales.
Après consultation du Foreign Office et du Colonial Office, le
gouvernement anglais délégua à La Havane un “Surintendent” des Africains
libérés, Richard Robert Madden, un médecin irlandais abolitionniste ayant
déjà séjourné en Jamaïque75. Madden s’occupa à La Havane, de 1836 à
1839, de la question du transfert des esclaves libérés, les emancipados, par
les croiseurs anglais dans les colonies des West Indies.
Le gouverneur Miguel Tacon Y Rosique fut, entre 1834 et 1838, un grand
protecteur des négriers. Allié fidèle des planteurs cubains, il s’efforça de
maintenir la souveraineté espagnole en développant le système des
plantations esclavagistes.
Le gouvernement espagnol vota le 2 mars 1845 une “loi pénale"
condamnant la pratique de la Traite négrière. Au cours du débat aux Cortès,
Ramon de la Sagra, partisan de l’abolition de la Traite négrière, affirma que
le seul endroit où les Africains trouveraient une réelle liberté serait en
Afrique. Malgré l’échec de la loi pénale, le gouvernement espagnol attendit
plus de vingt ans avant de présenter au Sénat, le 20 février 1866, une autre
réglementation définitive, condamnant la Traite négrière. Ce décret royal de
septembre 1866 fut adopté aux Cortès en mai 1867 et proclamé en
septembre 1867. L’île de Cuba reçut des travailleurs asiatiques (600
Chinois) arrivés de Manille en 1847, des ouvriers agricoles amenés du
Yucatan, des nègres esclaves déportés de Puerto Rico et du Brésil en 1850.
Quand se termina la Traite négrière cubaine ? Il y eut des débarquements
de captifs africains à Cuba en 1867, peut-être en 1868, car en décembre
1867, le commandant d’un croiseur anglais, le Speedwell, prit en chasse un
négrier sur le fleuve Congo et libéra 96 captifs. Il entendit alors parler de
plus de 700 Africains prisonniers dans les barracoons, attendant leur
embarquement pour Cuba76.
Après la dissolution des cours de Freetown et de Paramaribo, le
gouvernement britannique maintint en activité celle de La Havane, jusqu’en
189277. Il était encore question, à La Havane, d’expéditions négrières qui
avaient eu lieu vers 187378, sans que l’Amirauté et le Colonial Office aient
pu réunir des preuves irréfutables.

En mer des Caraïbes : forbans dans les entrelacs des Iles du Nord
L’analyse des rapports associant course et Traite négrière m’avait incité
naguère —en rédigeant mon ouvrage Caraïbes en construction : Espace,
Colonisation, Résistance — à m’interroger sur la position équivoque des
Etats-Unis et de certaines puissances neutres79.
Sur la trame de réseaux brésiliens et cubains qui se nouent dans le sillage
des négriers, comment ne pas saisir l’occasion au tournant des années 1818-
1822 de surprendre corsaires, flibustiers et pirates en mer des Caraïbes ?
Avec l’apogée de la marine à voile vers 1815 — bientôt l’arrivée des
clippers et des quatre ou cinq mâts — et le développement de la machine à
vapeur qui passe de la théorie à l’expérimentation pratique, s’amorce le
déclin de la course. Les Etats modernes, policés, centralisés, se montrent
soucieux de contrôler tous les instruments de leur politique étrangère,
particulièrement ceux qui peuvent provoquer la guerre. La disparition de la
course, quoique programmée, est pourtant retardée par l’apparition de
nouveaux foyers d’insurrection qui s’allument dans les possessions
espagnoles et portugaises d’Amérique. Entre 1815-1830, la mer des
Caraïbes fourmille de corsaires qui, pendant toute cette période
“révolutionnaire", répandent les idées de liberté et d’indépendance, tout en
pillant, en dépouillant, en vendant des cargaisons de nègres ou en libérant
certains lots de captifs débarqués en Haïti.
Les guerres de course aux Caraïbes échappent souvent aux règles
édictées en Europe. Comment distinguer comme autrefois et ailleurs,
course, flibuste et piraterie, corsaire et hors-la-loi, forban, pirate et
flibustier ? Pour les Espagnols et Portugais qui combattent les Insurgents,
corsaires ou révolutionnaires apparaissent comme des pirates, des brigands.
Alors que pour les patriotes républicains qui suivent Bolivar et Artigas, ces
pirates sont des corsaires, voire de glorieux combattants obéissant à des
États disposant de législation les autorisant à délivrer des “lettres de
marque”.
La circulation des bateaux négriers dans la Méditerranée des Caraïbes
entre l’Afrique et les colonies européennes des Amériques a toujours attiré
la convoitise des corsaires et pirates de toutes les nationalités. Pendant la
période révolutionnaire des guerres de l’indépendance, l’émergence du
Mexique, du Venezuela, de la Colombie et de l’Argentine s’accompagne du
développement de la course : les nouveaux Etats, quoique dotés parfois
d’un embryon de marine, ne peuvent pas écarter l’éventualité de faire appel
aux capitaux, aux personnels, aux bateaux et aux armements nord-
américains. Derrière ces entreprises privées, patriotiques, se profilent les
orientations politiques des Etats-Unis, leur ambition annexionniste, leur
convoitise territoriale et leur activité économique.
Dans l’Etat fédéral, la population en majorité prend fait et cause pour les
Insurgents. Le rétablissement de la paix en 1814 a provoqué une crise dans
la marine des Etats-Unis : les bâtiments restaient au mouillage, ces rapides
“Baltimore clippers” par exemple, gréés en brick ou en goélette ; les
marins, les armateurs et les marchands disposant de capitaux inemployés
s’engagèrent dans la course sous couvert des Insurgents espagnols.
Un groupe de commerçants et d’armateurs de Baltimore se constitua aux
Etats-Unis sous le nom de “American Concern” une véritable entreprise de
course80. On comptait parmi les membres les plus influents : le négociant
Joseph Karrick, le célèbre “commodore” Thomas Taylor81, l’ancien shériff
Matthew Murray, le “collector” des douanes James McCulloh, le juge
Theodorick Bland et son gendre, le maître de poste John Stuart Skinner,
considéré par Quincy Adams comme “ruffian, patriot and philanthropist...
the originator and cause of all the Baltimore piracies which have injured
and still deshonor the nation”82.
Le célèbre flibustier Jean Lafitte (1780-1825) dirigeait un nid de pirates
et de contrebandiers dans la baie de Barataria, à l’ouest de l’embouchure du
Mississippi83. Un autre aventurier, Gregor Mac Gregor avait été pourvu
d’une commission qui lui conférait le grade de major général et le titre de
“commandant en chef de toutes les forces tant navales que militaires
destinées à réaliser l’indépendance des Florides. dûment autorisées par les
autorités constituées des Républiques de Mexico, Buenos Aires, Nouvelle
Grenade et Venezuela”84. Cet aventurier avait pris possession, en juillet
1817 de l’île Amélia, sur la côte orientale de la Floride à la frontière de la
Géorgie. Curieusement, le 22 décembre 1817, l’île Amélia, possession
espagnole, était occupée par des forces régulières des Etats-Unis, “ayant
obtenu, sans effusion de sang, la capitulation de Aury et de ses hommes”85.
Pendant les années 1815-1825, les Caraïbes deviennent le théâtre
privilégié de la “course indépendante”, mettant en piste les corsaires
insurgés qui luttent pour l’indépendance de leur pays. Ces aventuriers
attaquent les navires négriers portugais et espagnols qui vont au Brésil ou à
Cuba et Puerto Rico. Ils doivent veiller à se méfier des croiseurs de la Royal
Navy qui patrouillent autour de leurs stations navales de Guyane, de
Jamaïque (Kingston) et de Trinidad. Les bâtiments capturés étaient, au
début, amenés à San Juan Griego, dans l’île Margarita, près de la côte du
Venezuela, alors au pouvoir de Bolivar, ou à Galveston (Texas), sous la
protection des amiraux Jean Aury et Luis Brion.
Les aventuriers flibustiers sont obligés de fuir la zone méridionale et de
chercher refuge au nord. C’est ainsi qu’on les aperçoit courant sus à
l’ennemi et accompagnant leurs prises dans les îles du nord : Bahamas,
Saint-Martin ou Saint-Eustache, Saba, les Iles Vierges danoises (Saint-
Thomas, Saint-Jean. Sainte-Croix) et Saint-Barthélémy, colonie suédoise.
Si, comme on l’a vu précédemment, la Hollande se montre sur mer une
partenaire fidèle de la Grande-Bretagne, ce n’est pas le cas des deux
puissances neutres : Danemark et Suède.
Les gouvernements insurgés de Cartagena, du “Congrès de Mexico” et
surtout de Buenos Aires délivrent des lettres de marque à des aventuriers
nord-américains qui donnaient la chasse aux navires espagnols. Ils amènent
leurs prises dans les ports des Etats-Unis où elles sont vendues.
Le Portugal bénéficie de la présence à Washington de 1816 à 1820 d’un
observateur privilégié, particulièrement bien informé : l’Abbé José Correia
da Serra (1750-1823), ambassadeur du Royaume-Uni de Portugal et Brésil.
Cet érudit, célèbre naturaliste, fondateur de l’Académie des Sciences de
Lisbonne, brillant causeur, a l’oreille des Présidents Thomas Jefferson,
James Madison, James Monroe, et John Quincy Adams, alors Secrétaire
d’Etat. Il a rassemblé une riche information sur les aventuriers nord-
américains qui s’en prenaient aux navires portugais. Il a en effet constitué
un dossier très documenté qui lui permit de formuler des accusations
fondées et d’être parfois entendu des autorités fédérales. C’est lui qui révèle
à Charles Bagot, en janvier 1819, une liste de noms de vingt huit corsaires
pirates des Etats-Unis, armés et équipés dans les ports suivants : douze
armés à Baltimore, six à la Nouvelle-Orléans, cinq à New York, deux à
Philadelphie et à Charleston, un à Barataria. Charles Bagot, le représentant
de la Grande-Bretagne à Washington transmet cette liste le 4 janvier 1819 à
Lord Robert Stewart, Vicomte Castlereagh, Secrétaire d’Etat aux Foreign
Affairs de 1812 à 182286.
Les corsaires nord-américains pillent également des bâtiments nord-
américains comme la Vestal et l‘Asia, capturés aux Bermudes et au Cap-
Vert en 181987. Hyde de Neuville, le représentant de la France, sur
instruction du Marquis Dessolles, le nouveau ministre des Affaires
Etrangères, se plaint des déprédations causées par les pirates armés “aux
Etats-Unis et particulièrement dans le port de Baltimore et naviguant sous
pavillon sud-américain”88.
Anglais et Français eux aussi, ont donc à se plaindre des corsaires. Ces
deux puissances associées à l’Autriche, à la Prusse et à la Russie protestent
contre la “piraterie organisée” au Congrès d’Aix-la-Chapelle en novembre
1818 en s’en prenant spécialement à Artigas le caudillo de la “Banda
oriental” qui délivrait des lettres de marque en tant que “Commandant en
chef des armées et Amiral de la Marine de la République Orientale”.
Les Etats-Unis, par la voix du Secrétaire d’Etat John Quincy Adams font
savoir le 29 mars 1819 que “le gouvernement des Etats-Unis éprouvait pour
les pirates de Baltimore autant de répugnance que les puissances
européennes elles-mêmes” et le Président Monroe lui ordonna d’écrire à
Elias Glenn, le Procureur (“Attorney”) du Maryland. Or Monroe et Adams
connaissent bien ce fonctionnaire, incompétent, mou, négligent, inefficace,
dont le fils passait pour avoir des liens d’amitié avec le milieu de la course.
En outre, l’administration fédérale refuse d’assimiler les corsaires d’Artigas
à des pirates comme le lui suggère le représentant du Portugal à
Washington89.
Les corsaires se heurtent à la difficulté de maquiller la provenance des
marchandises tirées des cargaisons, déclarées de bonnes prises, lorsqu’elles
sont ensuite débarquées dans certains ports des Etats-Unis. Aussi les
corsaires préférent-ils conduire leurs prises et leurs butins dans les Iles du
Nord.
La course aux Caraïbes répond à des nécessités économiques : assurer
l’approvisionnement des colonies en denrées de première nécessité. Les
corsaires établissent leur croisière sur les routes et les atterrissages les plus
fréquentés par les navires marchands et par les navires négriers.
L’activité des corsaires indépendants complique la tâche de la Grande-
Bretagne si déterminée à combattre la traite négrière. L’accroissement de
ses forces navales suscite un effort important des autres puissances pour le
contrôle et la police des mers. La navigation à vapeur donne un avantage
accru aux pays qui ont la possibilité de poursuivre des négriers “interlope"
et “pirates”. Toutefois, en 1856, les Etats-Unis, le Mexique et l’Espagne
refusent encore de signer la Déclaration de Paris qu’adoptent la plupart des
puissances européennes qui renoncent solennellement à la course.
Tandis que les Insurgents recourent à la course, l’Espagne se replie sur
Cuba et sur Puerto Rico où jusqu’en 1898, elle maintiendra une station
navale à La Havane. Après la fin de la trève de 1821, la recrudescence de la
piraterie — pratiquée souvent par les corsaires espagnols sur les côtes
cubaines — et le désordre règnent en mer des Caraïbes où corsaires et
pirates essaiment les côtes de Haïti et de Saint-Domingue, s’établissent aux
Bahamas et vont se réfugier dans les petites îles du nord : Saint-Martin,
Saint-Barthélémy, Saint-Eustache et les Iles Vierges danoises (Saint-Jean,
Saint-Thomas, Sainte-Croix), loin des navires anglais qui croisent plus au
sud.
Par le “traité transcontinental” de février 1819, l’Espagne cède aux Etats-
Unis les deux Florides et les immenses territoires du Missouri ainsi que ses
droits sur l’Oregon, contestés par l’Angleterre. Le gouvernement espagnol
en avril 1820, fait pression pour obtenir du gouvernement fédéral la
cessation de toute aide aux Insurgents pour prix de la ratification de
l’accord par le roi d’Espagne90.
Aux Nord-Caraïbes, bénéficiant de la complaisance, voire de la
complicité des administrateurs danois et suédois, les corsaires inondent les
îles de produits saisis sur les navires luso-brésiliens : nègres, sucres, rhum,
café, vins, épices, cotons, cuirs brésiliens ou objets manufacturés d’origine
portugaise vendus publiquement sans autre forme de procès avant d’être
réembarqués en toute innocence sur des navires nord-américains à
destination des Etats-Unis (News from St. Banholomews, 12 juillet 181891.
Le traité conclu entre l’Etat fédéral et la Suède en 1816 prévoyait que les
navires nord-américains seraient autorisés à trafiquer entre Saint-
Barthélemy et certains ports des Etats-Unis.
Les forbans se précipitent à cette époque autour de la petite île de Saint-
Barthélémy et surtout de ses dépendances la Fourchue ou Cinq-Iles—en
anglais Five Peaks Islands, en suédois Fem öarne— et Tintamarre (Flat
Island).
Le Gouverneur suédois de l’île Saint-Barthélémy Johan Samuel
Rosensvärd (1816-1818) meurt subitement, de manière accidentelle en
décembre 1818 et Johan Norderling (1818-1826) le remplace92.
Pendant la guerre de l’indépendance des Etats-Unis, des vaisseaux
négriers avec leur chargement, des corsaires et pirates avec leurs butins
venaient déjà se réfugier dans la baie de l’île Fourchue ou à Saint-Thomas.
Les administrateurs suédois et danois plaident leur impuissance à combattre
le commerce interlope. Des essaims de corsaires et de pirates accourent aux
époques révolutionnaires pour pratiquer la contrebande des nègres, des
armes, de la poudre et des marchandises échangées contre des pièces d’or.
Rosensvärd et Norderling ont été soupçonnés de les laisser faire en se
faisant payer. Les corsaires des républiques caraïbes et sud-américaines,
porteurs de "lettres de marque" distribuent doublons et piastres à Saint-
Barthélémy et à Saint-Thomas. Ils disposent là, entre Saint-Martin et les
Iles Vierges d’excellents mouillages où ils transbordent leurs prises sur des
barques qui les répartissent dans les îles voisines. Les marchandises
circulent librement dans les colonies de la Suède et du Danemark avec
l’accord tacite des gouverneurs. Et, en outre, les pirates ont la possibilité de
compléter leurs équipages et leurs armements93.
Un gros vaisseau négrier de Nantes arrive le 4 octobre 1820 suivi de son
“conducteur”, un corsaire, à la Fourchue. Une partie du chargement de
nègres est vendue, le reste part pour Saint-Thomas. Le gouverneur
Norderling paraît satisfait de constater peu après “que le commerce allait
bon train : les magasins et les boutiques qui étaient fermés depuis
longtemps ouvraient de nouveau, bien achalandés, et les piastres et les
doublons roulaient, même dans les estaminets. On payait ses dettes, les
droits de douane rapportaient jusqu’à trois milles piastres par mois...”94.
Les autorités suédoises de l’île Saint-Barthélémy signalent les
interventions des navires anglais, français et nord-américains dans la baie
de la Fourchue. Leurs “cutting out operations” suscitent des protestations
diplomatiques des Suédois. C’est ainsi que nous apprenons qu’une escadre
française commandée par l’Amiral Duperré s’empare en juin 1820 d’un
“croiseur venezuelien" et de sa prise, un vaisseau de commerce. Quelques
mois plus tard, en octobre, un vaisseau de guerre anglais — capitaine
Willoughby — saisit un “corsaire rebelle” dans la rade de la Fourchue.
Plusieurs autres captures s’opèrent dans les eaux territoriales suédoises.
Mais en 1821 l’affaire se révèle plus grave : des pirates s’emparent d’un
brick négrier arborant pavillon des Etats-Unis. Ils le conduisent devant la
Fourchue et débarquent le chargement de trois cent quatre vingt nègres
captifs pour les vendre pour la somme totale de 30.000 dollars US. Le brick
saisi devenu un bâtiment pirate le Jupiter est pris par les Suédois le 24
septembre 1821. Norderling — et son gendre Haasum —, accusé d’être lié
à ces pirates, malgré ses dénégations, s’empresse de vendre le navire au
profit de l’administration coloniale suédoise. Deux marchands d’esclaves
Bigwood et Debouille, originaires des Etats-Unis, très connus des pirates,
semblent avoir été les informateurs de l’administration fédérale dans cette
affaire. Les Suédois resteront sourds aux protestations nord-américaines.
Ces vexations expliquent peut-être la décision prise par le Consul des
Etats-Unis à Saint-Barthélémy, Robert Monroe Harrison, d’écrire —sous le
nom de Théodore Gusfeldt— à Correia da Serra, à Washington, le 21 juin
puis le 26 et le 2 juillet 1822 pour lui révéler certaines opérations illicites
des gouverneurs. Le Consul Harrison avait auparavant représenté les Etats-
Unis à Saint-Thomas avant de servir à Saint-Barthélémy depuis trois ans.
L’administration fédérale se plaignait depuis quelques années de la
destruction de ces bâtiments comme le Général Armstrong, un navire
corsaire attaqué et coulé par un croiseur anglais le 26 septembre 1814
devant le port de Fayal (Brésil). On apprend ainsi que Robert M. Goodwin,
un des armateurs du corsaire qui s’empara du brick luso-brésilien Sao João
Protector le 12 mars 1817 non loin de Santa Marta et amené à Saint-Barts a
remis 25.000 dollars au gouverneur Rosensvärd. Quand à Norderling
“l’archipirate”, il empoche une autre fois la coquette somme de 80.000
dollars.
L’ambassadeur Correia da Serra juge nécessaire en novembre 1818
d’accréditer William Cock, un résident des Etats-Unis en qualité d’agent
permanent du Consulat général de Portugal aux Etats-Unis auprès de
Rosensvärd et auprès de Bentson, le gouverneur de l’île danoise de Saint-
Thomas. Par ailleurs il recommande plusieurs fois mais sans succès, l’envoi
de navires de la marine royale de son pays, en mer des Indes Occidentales,
pour nettoyer les nids de pirates qui se multiplient et gênent la navigation
des bâtiments négriers luso-brésiliens. Il préconise l’envoi de quelques
frégates pour "surveiller les mouvements des pirates, les contraindre à
respecter le pavillon de S.M. et châtier les insolents”95.
Norderling se montrant aussi lié aux forbans que son prédécesseur
William Cock, juge préférable de renoncer à sa fonction plutôt que de
perdre la vie. Les corsaires indépendants étendent leur rayon d’action aux
îles Saint-Martin, Saint-Eustache et même en Guadeloupe.
Un nouvel agent itinérant, Richard Alsop est accrédité en juin 1819
auprès des gouverneurs anglais, français, hollandais, suédois et danois
jusqu’en février 1820. Il remet alors un important et volumineux rapport à
l’ambassade de Washington, dans lequel il constate : “les horreurs
commises contre le commerce portugais par des corsaires notoirement
connus dans les Indes Occidentales”96.
Une contrebande des captifs africains est pratiquée entre le Cap-Vert ou
le Golfe du Bénin et La Havane, par des navires nord-américains rebaptisés
et naviguant sous pavillon portugais. L’administration fédérale ordonne à la
frégate Cyane en février 1820 d’escorter l’Elisabeth qui transporte une
centaine de nègres libres envoyés par l’American Colonization Society pour
s’établir dans l’île de Sherbro en Sierra Leone. La Cyane est chargée
également de débarquer dans cet établissement tous les captifs trouvés à
bord des navires négriers saisis en route. La frégate revient à New York
avec quatre prises.
Il est curieux de noter que Woodbridge Odlin considéré comme un
négrier notoire de la “confrérie des trafiquants d’esclaves” obtient le poste
de consul des Etats-Unis à Bahia en 1820, alors que Henry Hill, spéculateur
connu —et Consul des USA depuis 1808 à Bahia— est transféré à Rio de
Janeiro le 18 juillet 1820. L’administration Monroe prend des mesures, le
15 mai 1820, en votant deux lois contre les corsaires et les pirates qui
écument la mer des Caraïbes. Dans le message du Président Monroe au
Congrès le 7 décembre 1819, il mentionne l’arraisonnement des navires
négriers US par des navires de guerre des Etats-Unis. L’administration
Monroe autorise les croiseurs à s’emparer des navires négriers
manifestement nord-américains, quoique battant pavillon étranger, et de
débarquer leur cargaison de captifs en Afrique.
Ces mesures n’empêchent pas les forbans de poursuivre leurs activités
parfois en toute impunité. Ainsi, le brick Enterprise peut compléter son
armement à Norfolk et, quittant ce port sous le nom de Wilson, devient le
Bolivar—capitaine Almeida—, battant pavillon colombien pour capturer un
navire espagnol se rendant de Puerto Rico à Baltimore97.
Correia da Serra soumet le 16 juillet 1820 à Quincy Adams une
"première liste de dix-neuf navires portugais capturés par des pirates
américains, et dont la valeur totale s’élevait à 492.980.000 reis ou 616.158
dollars”. Il fournit en outre aux autorités fédérales une liste d’officiers de
marine des Etats-Unis, dans une note du 26 août 1820 qui auraient croisé
plusieurs mois et capturé plusieurs bateaux luso-brésiliens98.
L’ambassadeur portugais se plaint surtout des "duas ridiculas colonias sueca
e dinamarque- za... continuao a dar entrada franca e venda libre e aberta
para todas as suas ladroeiras”99.
Les réclamations de l’ambassadeur Correia da Serra et de son successeur
Solano Constancio (à partir de février 1822) concernent des “mauvais
citoyens des Etats-Unis... (qui) se permettent d’attaquer notre commerce
sous des pavillons qui, n’appartenant à aucune nation connue, ne pouvaient
qu’être regardés comme les signalements d’une piraterie la plus
insoutenable”100. Selon le Consul R.M. Harrison101, le Gouverneur
Norderling a accumulé une fortune s’élevant à 180.000 dollars US. De la
poudre et des munitions de guerre appartenant au gouvernement suédois
auraient été vendus aux pirates avec l’accord du ministre de la guerre.
Un certain Charles James Fitzmorris, corsaire anglais, rédige "sous
serment" une relation des pirateries dont Saint-Barts est le centre, à
l’intention de R.M. Harrison le 22 mai 1822. Ce dernier la transmet en
décembre 1822 à Joaquim Barroso Pereira, le Consul général du Portugal à
New York.
Finalement, découragé, ayant perdu toutes ses illusions, Correia da Serra
s’embarque le 10 novembre 1820 sur un paquebot anglais Albion à
destination de l’Angleterre. Ayant reçu des menaces de forbans des
Caraïbes, il préféré voyager en se plaçant sous la protection des
Britanniques. Il arrive à liverpool le 5 décembre et repart de Falmouth en
juillet 1821 sur le paquebot Duke of Malborougb qui l’amène à Lisbonne le
6 août. Après son départ, les corsaires indépendants restent maîtres de la
navigation dans les Caraïbes du nord jusqu’à l’essoufflement du processus
révolutionnaire dans les années 1825-1830.

La France négrière : muette et butée


Napoléon, pendant les Cent Jours, décida d’abolir la Traite négrière le 29
mars 1815. Malgré l’engagement de la France au Congrès de Vienne en
novembre 1815, la chasse à l’homme se poursuivait en Afrique dans
l’illégalité. Ainsi, Robert Surcouf faisait appareiller son navire l’Affriquain
pour une expédition négrière vers l’Angola, le 15 août 1815, en toute
tranquillité102.
La France, comme les Etats-Unis, suivait une route solitaire. Tandis que
les négociants et armateurs investissaient dans la traite illégale, le
gouvernement français s’efforçait par divers moyens de protéger ses
nationaux tout en proclamant sa volonté de supprimer le commerce négrier.
Les Etats-Unis et la France n’acceptaient pas le droit de visite que voulaient
leur imposer les Britanniques et ne reconnaissaient pas les cours mixtes
qu’ils avaient créées. Ils organisèrent chacun d’eux leur propre croisière de
répression sur les côtes africaines : les Français en 1818, les Etats-Unis en
1842 (US African Squadron). Les Français dirigeaient leurs prises vers la
cour de Corée, les Nord-américains venaient se placer sous la juridiction
des ports de l’Etat fédéral.
Trois Martiniquais libres “de couleur”, Cyrille Bissette, Louis Fabien et
Jean-Baptiste Volny furent condamnés au bagne à perpétuité le 12 juin
1824. Des colons de cette colonie française envisagèrent l’expulsion
massive des nègres libres, leur déportation en Guyane ou au Sénégal. Le
jugement définitif condamna au bannissement et à la déportation, en 1825,
plusieurs dizaines d’autres individus accusés de complicité. Combien
d’entre eux furent envoyés au Sénégal ? On sait seulement ce qu’il advint
de vingt-quatre de ces co-accusés martiniquais, déportés au Sénégal103. La
déportation au Sénégal de ces hommes libres fut suivie par celle des
“esclaves des îles qu’il serait reconnu nécessaire d’éloigner de ces
colonies”104. Le gouvernement français avait organisé depuis le XVIIIe
siècle la déportation au Sénégal de certains nègres dont on voulait se
débarrasser dans les colonies de Guadeloupe, Guyane et Martinique. Peu de
traces de ces transports, des Caraïbes vers l’Afrique, subsistent dans les
archives.
L’instruction ministérielle du 12 avril 1823 favorisait le peuplement de la
Guyane. Les navires négriers, armés au Sénégal, en Guadeloupe, en Guyane
et en Martinique passaient en jugement soit à Cayenne, soit au Sénégal, à
Saint-Louis ou à Gorée. Les captifs libérés étaient recrutés dans les
compagnies militaires locales, en Afrique ou transférés à Cayenne. Un
problème se posa : comment concilier le statut de ces Africains libres et
celui des prisonniers du système esclavagiste ? Les instructions du ministre
Portai aux administrateurs, en 1820, précisaient que : “les Noirs saisis dans
les colonies ne doivent point former sur les lieux une classe distincte des
autres esclaves”105.
Un projet d’ordonnance en septembre 1829 prévoyait leur
affranchissement immédiat et leur inscription sur un registre d’état civil
spécial assorti d’un engagement de quatorze ans, la possibilité de retour en
Afrique, à la demande. Les planteurs de Guadeloupe firent pression en 1824
sur le gouverneur, le Contre-amiral Jacob pour refuser l’introduction de 300
Africains de prise sur la plantation du roi dite Saint-Charles.
En Martinique, l’arrivée de plus d’un millier de ces Africains “quasi
esclaves et quasi libres” posa aux administrateurs les mêmes problèmes106.
En Guyane, le gouverneur Jubelin comptabilisa 583 noirs libérés et
engagés107.
Que faire des Noirs saisis, se demandait le comte D’Argot, ministre de la
Marine : les renvoyer en Afrique où ils retrouveraient “l’insécurité et la
faim” ? Les confisquer au profit de l’Etat et perpétuer l’esclavage ? Il fallait
donc les déclarer libres et les attacher pendant dix ans aux établissements
coloniaux. Ils se constitueraient ainsi un pécule non négligeable ... Un tel
raisonnement ne vaut que si les entrées d’Africains libérés se poursuivent.
Mais ce n’est pas le cas. Les croisières françaises de répression surprennent
les chercheurs par le petit nombre de leur prise. On s’étonne du chiffre
ridiculement bas des Noirs recapturés. Que deviennent-ils ? Les croiseurs
français s’emparent, jusqu’en 1834, de trente-sept négriers portant un total
de 2409 Noirs. Or, si on sait que 583 de ces captifs libérés vont en Guyane,
on ignore en revanche ce qu’il est advenu des 1735 individus restants. Far
comparaison, à la même époque, sur trente-deux bâtiments français
naviguant avec des papiers et sous pavillon hollandais passés devant les
commissions mixtes, on compte vingt-huit négriers et 4475 captifs déportés.
Il sont libérés au Sierra Leone.
Les conventions franco-anglaises de 1831 et 1833 précisaient les ports de
réception des navires capturés : Gorée, Martinique, Bourbon, Cayenne pour
les navires français aux mains de la croisière britannique ; Bathurst
(Gambie), Port Royal (Jamaïque), Cap de Bonne Espérance. Demerara pour
les navires anglais aux mains de la croisière française. L’article 11 de la
Convention du 22 mars 1833 prévoyait que les captifs étaient
immédiatement déclarés libres et “dans l’intérêt même de ces esclaves” ils
pourraient être employés comme domestiques ou comme ouvriers libres.
Le ministère poursuivait au Sénégal sa politique d’enrôlement entreprise
depuis 1824-1825. La formation d’une compagnie de “pionniers pour
Cayenne” fut demandée par le ministère le 31 mai 1839108. Des Africains
furent capturés aux Bijagos, rachetés, conduits à Gorée et 40 d’entre eux
incorporés. Le Brick anglais HMS Saracen captura le navire français la
Sénégambie, près du port anglais le Bathurst et le conduisit au Sierra Leone
où le navire fut condamné, l’équipage emprisonné109.
Cette prise fut suivie des attaques anglaises concernant la duplicité
française et la volonté de la France de continuer la Traite négrière. Face à
cette campagne de dénigrement, le gouverneur du Sénégal reçut l’ordre de
Paris, le 2 juillet 1840, de suspendre toute forme de rachat “hors des pays
traversés par le Sénégal".
A Paris, la création en 1842 de l’Institut d’Afrique qui réunissait deux
cent-treize membres mettait à l’ordre du jour la colonisation de l’Afrique et
“la régénération des populations africaines par les moyens de l’abolition de
l’esclavage et de la traite négrière". La même année, Victor Schoelcher
stigmatisait, dans la Revue du Progrès (3e livraison, 1842), le comportement
du gouvernement anglais voulant “faire la traite... sous le titre d’émigration
libre africaine”. Il écrivit à ce propos un texte remarquable dont nous citons
une partie, qui met en évidence la situation des “affranchis de la Jamaïque"
que les Anglais incitaient à retourner en Afrique :
“Nous ne demanderons pas mieux que de changer d’avis, si l’on prend la
peine de nous convaincre ; mais jusque-là, pour répondre à ceux qui
veulent couvrir du prétexte de civiliser l’Afrique, le dessein de lui ravir
encore ses enfants à leur profit, nous dirons : Le moyen le plus sûr et le
plus moral d’arracher les nègres à l’antique barbarie dans laquelle ils sont
plongés, serait de porter la lumière chez eux. Les affranchis de la
Jamaïque nous ont donné l’exemple de ce qu’il y a de mieux à essayer, en
votant des souscriptions pour faire prêcher l’évangile dans le pays de
leurs ancêtres. Déjà ils y ont envoyé un de leurs ministres baptistes, M.
Clarkson, avec cette mission.
Quelle dérision, au reste de nous parler du retour de quelques émigrés
pour éclairer l’Afrique. En admettant qu’on leur facilite, qu’on leur
permette ce retour, en admettant qu’ils veuillent retourner, nous le
demandons, qu’est-ce que rapporteraient chez eux d’utile au
perfectionnement général, des hommes qui auraient passé 3, 6 ou 9 ans à
labourer des champs de cannes à la Jamaïque ou sur les bords de
l’Essequibo ? Autant vaudrait aller emprunter aux paysans de nos
villages des moniteurs de civilisation. Les nègres qui feront sortir
l’Afrique des ténèbres, s’en iront au pays de leurs pères sur des vaisseaux
construits et commandés par eux. Pas autrement.
L’établissement de communications régulières entre le continent africain
et l’archipel des Antilles, est la conséquence presque forcée, dans un
avenir assez prochain, de la délivrance générale des esclaves noirs, mais
que l’on y veuille réfléchir (à notre tour nous sollicitons du sang-froid et
de la bonne foi), et l’on reconnaîtra que le moment de ces heureux
rapports n’est pas encore venu. Sans compter l’impossibilité que nous
croyons avoir démontrée, de la faire honorablement, l’émigration ne
tournerait pas même d’une manière bien efficace au profit des individus
transportés, elle ne serait réellement utile qu’aux planteurs, qui
trouveraient dans la concurrence des ouvriers un moyen de réduire leurs
salaires.
Lorsque dans quarante ou cinquante ans, la liberté des nègres sera bien
établie et aura jeté de profondes racines, lorsqu’il n’y aura plus un seul
esclave aux colonies, lorsqu’ils seront ennoblis par une éducation plus
large que celle jusqu’ici mise à leur portée, lorsqu’un certain nombre des
émancipés seront sur le même pied, comme argent et comme position,
que les blancs, lorsque l’égalité sera dans les faits comme elle l’est dans
les principes, lorsque les mauvais souvenirs du passé seront totalement
effacés ; on pourrait peut-être alors, en attirant des Africains aux Antilles,
devenir utile à leur race. Mais aujourd’hui, les nègres étant voués encore
exclusivement aux offices inférieurs par la force des choses, les
émigrations, qui ne peuvent donner que des individus incultes, auraient
pour effet de perpétuer la subalternisation des hommes noirs.”

Malgré la convention conclue à Londres le 27 mai 1845 entre la France et


la Grande-Bretagne pour la suppression de la traite des Noirs, le trafic
clandestin des négriers français se poursuivait encore en direction du Brésil
et de Cuba. Quant à la croisière de répression française, elle disparaît assez
vite des côtes africaines entre 1848 et 1852110.
Le Président du Libéria Roberts, de passage à Paris en septembre 1848,
demanda l’aide militaire de la France, pour combattre la Traite négrière,
dans la région de New Sestra, entre le Cap Mount et le Cap Palmas.
Défendus par un millier d’hommes armés, les comptoirs négriers ne
pouvaient être attaqués que de la mer. Roberts pensait qu’un ou deux
vaisseaux et 500 hommes de troupe suffiraient pour effectuer un
débarquement stratégique111. Finalement, la corvette à vapeur Espadon, la
corvette US Yorktown et la goélette libérienne la Persévérance couvrirent le
débarquement de 300 soldats libériens en juin 1849. Les troupes dirigées
par Roberts en personne — à bord d’une corvette — détruisirent les nids de
négriers et libérèrent 48 Noirs. Ils s’emparèrent d’un trafiquant espagnol
notoire, Antonio Rodriguez et d’un important stock de marchandises de
traite112.
Après la réussite de cette “guerre philanthropique et humaine”, le
Président Roberts demanda encore en 1850 l’aide de la marine française
pour entreprendre une opération de nettoyage plus au sud. Le commandant
de la Division Navale d’Afrique Occidentale Bouët-Willaumez, mit deux de
ses navires l’Eldorado et l’Agile à la disposition du gouvernement
libérien113.
Le décret d’émancipation des esclaves, le 27 avril 1848, ne mentionnait
pas la traite négrière dans son article 8. En revanche, son article 4 prévoyait
le retour des nègres déportés “par mesure administrative" en Guyane et en
Afrique.
Aussitôt après l’émancipation, le gouvernement français élabora une
politique de “déportation" visant à se débarrasser des nouveaux citoyens de
Guadeloupe, Guyane et Martinique. Les plans du ministère de la Marine et
des Colonies voulaient, en 1848-1850, “déporter une partie de la population
noire qui, sans cela, serait un danger, sans cesse renaissant"114. Où les
envoyer, ces nouveaux libres si encombrants pour l’administration coloniale
française ? Le gouvernement français cherchait à placer les anciens esclaves
dans les territoires étrangers demandeurs de main-d’œuvre, aux West Indies
ou en Afrique115. Il envisageait le recrutement d’“hommes de couleur”
engagés comme sous-officiers dans l’armée d’Afrique du Nord. Il espérait
ainsi que “la mobilisation des créoles oisifs” et leur “amour du luxe, de la
parade, du clinquant, des solennités” seraient satisfaits “sous les couleurs
brillantes de l’uniforme et des armes”116.
Les décrets du 13 février et du 29 mars 1852 autorisaient l’engagement
de travailleurs africains pour les colonies françaises. Un contrat leur
garantissait la liberté, un salaire et la possibilité de revenir en Afrique.
Qu’en était-il pratiquement ? Les sociétés françaises pratiquant la traite
négrière s’occupèrent du recrutement de ces engagés de 1852 à 1862. Les
contrats prévoyaient des engagements de six, dix voire quatorze ou quinze
ans. Ces contrats stimulèrent en Afrique les razzias effectuées par des chefs
africains concernés par la Traite négrière. Comment expliquer aux
Africains, voire aux futurs engagés ou à leurs dirigeants la différence entre
libres et non libres ? Le roi Ghezo du Dahomey qui avait organisé une
puissante armée pour accumuler des prisonniers continua à être
l’interlocuteur apprécié des négociants européens.
Quant aux conditions du voyage de ces “émigrants", tous les témoins ont
pu les voir chargés de chaînes pendant le voyage, entassés comme à
l’époque de la traite, mal alimentés. Les évasions, les mutineries et les
décès ponctuaient les voyages transatlantiques qui ressemblaient
étonnament au parcours des négriers. Les armateurs français engagèrent 17
262 travailleurs embarqués en Afrique. Il y eut 1417 décès survenus en mer
et 15 845 émigrants arrivèrent dans les colonies de Guadeloupe et
Martinique, 2 616 en Guyane. Plusieurs voyages échappent encore aux
estimations des historiens. Ces Africains arrivés libres dans les trois
colonies françaises, Guadeloupe, Guyane et Martinique après
l’émancipation de 1848, ont été un lien, fragile certes, entre les colonisés
nègres et leurs racines africaines. Une petite fenêtre entrouverte sur un
univers concentrationnaire si aliénant...
(Extr. de François Renault, Libération d’esclaves et nouvelle servitude,
Les Nouvelles Editions Africaines, 1976, pp. 176-177).

Chronique d’une mort annoncée


- 1792 : Danemark, interdiction de la traite négrière après un délai de 10
ans.
- 1803, 1er janvier : suppression de la traite négrière au Danemark.
- 1806, 23 mai : Grande-Bretagne, Acte royal prohibant la traite négrière
aux sujets britanniques.
- 1807, 2 mars : Etats-Unis, Acte de prohibition des importations
d’esclaves à partir du 1er janvier 1808.
- 1807, 25 mars : Grande-Bretagne : Abolition Act, interdiction renforcée
prenant effet au 1er mai 1807. la traite abolie sur les côtes ou territoires
d’Afrique.
- 1808, 1er janvier : suppression de la traite négrière aux Etats-Unis.
- 1808, 28 janvier : décret du prince João de Portugal réfugié au Brésil :
ouverture des ports brésiliens au commerce international.
- 1810, 19 février : traité anglo-portugais de commerce et de navigation.
Traité anglo-portugais d’alliance. L’article 10 fait référence à l’abolition
graduelle de la Traite négrière.
- 1811, 14 mai : Grande-Bretagne, le Parlement sanctionne les négriers
pour “crime de félonie" (Felony Act).
- 1812-1814 : guerre entre les Etats-Unis et la Grande Bretagne.
- 1814 : Traité de Gand, Grande-Bretagne/Etats-Unis. Article 10 :
coopération dans la suppression de la Traite négrière.
- 1814, juin : Pays-Bas, suppression de la traite négrière.
- 1814, août : accord bilatéral anglo-néerlandais confirmant l’abolition de
la traite négrière.
- 1815, 21 et 22 janvier : convention et traité anglo-portugais portant sur
la suppression partielle de la Traite négrière (Nord Equateur) ratifiés le 8
juin et publiés le 26 juillet.
- 1815, 8 février : déclaration des puissances du Congrès de Vienne.
Grande-Bretagne, France, Autriche, Russie, Prusse, Suède et Portugal
s’engagent à abolir la Traite négrière.
- 1815, 29 mars : décret de Napoléon 1er supprimant la traite négrière
durant les Cent Jours.
- 1815 : organisation d’une croisière de répression permanente de la traite
négrière.
- 1817, 8 janvier : France, ordonnance royale interdisant la traite négrière.
- 1817, 28 juillet et 11 septembre : Convention anglo-portugaise.
- 1817, 23 septembre : Cédule du roi Ferdinand VII d’Espagne et
Convention anglo-espagnole prévoyant l’abolition de la traite dans les
possessions espagnoles le 30 mai 1820.
- 1818, 15 avril : première loi abolitionniste française sur la traite
négrière.
- 1818, 20 avril : Etats-Unis, Acte additionnel à l’Acte d’abolition de
1807.
- 1818, 4 mai : Convention additionnelle anglo-néerlandaise sur
l’interdiction de la traite négrière illégale, prévoyant le droit de visite et
l’établissement de cours mixtes au Sierra Leone et au Suriname.
- 1818, 9 juin : instauration par la France d’une croisière de répression de
la traite négrière sur la côte d’Afrique.
- 1818, 20 novembre : dispositions pénales prises par les Pays-Bas pour
la répression de la traite négrière.
- 1819, 3 mars : instauration par les Etats-Unis d’une croisière de
répression de la traite négrière.
- 1819, 6 septembre : Commission mixte anglo-néerlandaise au Sierra
Leone.
- 1820, 15 mai : Etats-Unis, la traite négrière assimilée à la piraterie.
- 1820 : départ à partir des colonies françaises des Caraïbes des premières
expéditions négrières vers l’Afrique.
- 1820 : le croiseur haïtien Wilberforce s’empare de navires négriers
espagnols se rendant à Cuba.
- 1821, janvier : refus du Président Boyer (Haïti) de remettre les Africains
libérés à Port-au-Prince aux autorités espagnoles de Cuba.
- 1822 : indépendance du Brésil.
- 1822, 10 décembre : traité anglo-espagnol sur la suppression de la
Traite.
- 1822, 31 décembre : traité anglo-néerlandais sur la prohibition de la
traite négrière.
- 1823, 25 janvier : traité anglo-néerlandais qui complète le précédent.
- 1823, 15 mars : traité anglo-portugais sur la Traite.
- 1824, 12 janvier : condamnation au bagne à perpétuité des Martiniquais
libres Bissette, Fabien et Volny.
- 1824, 13 mars : Convention signée à Londres entre la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis : la Traite négrière assimilée à la piraterie (non ratifiée par
les Etats-Unis).
- 1824, novembre : accord anglo-suédois sur la suppression de la Traite
négrière.
- 1825 : reconnaissance de l’indépendance du Brésil par la Grande-
Bretagne et le Portugal.
- 1826 : traité anglo-suédois sur la suppression de la traite négrière.
- 1826, 23 novembre : traité anglo-portugais ratifié le 13 mars 1827,
prévoyant l’abolition de la traite le 13 mars 1830.
- 1827, 25 avril : deuxième loi abolitionniste française sur la traite
négrière.
- 1831, 22 février : troisième loi abolitionniste française. Pénalités
prévues.
- 1831, 7 avril : abdication de l’Empereur Pedro I du Brésil en faveur de
Pedro II.
- 1831, 21 mai : peines de justice menaçant les contrabandistas de la
traite négrière (art. 179 du Code criminel du 16 septembre 1830).
- 1831, 7 novembre : loi interdisant l’entrée du Brésil aux captifs
africains et prévoyant la réexportation des captifs libérés en Afrique.
- 1831, 30 novembre : accord bilatéral franco-anglais ratifié le 9
décembre 1831. Droit de visite reconnu.
- 1832, 12 avril : Brésil, décret précisant les modalités de réexportation
des nègres en Afrique.
- 1833, 22 mars : deuxième Convention franco-anglaise.
- 1833 : Acte d’émancipation des esclaves dans les colonies de la
Grande-Bretagne.
- 1835, 28 juin : traité anglo-espagnol interdisant la traite négrière.
- 1836, mars : promulgation du traité précédent.
- 1838, 1er août : abolition de l’esclavage en Inde.
- 1839, 24 août : Acte du Parlement, de Palmerston autorisant les
croiseurs anglais à saisir les négriers portugais.
- 1841, 20 décembre : traité d’interdiction de la traite négrière signé par
la Grande-Bretagne, la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie, non ratifié
par la France.
- 1842, 3 juillet : traité anglo-portugais prohibant la Traite négrière.
- 1842, 25 juillet : Memorandum additionnel au traité précédent : le
gouvernement portugais promulgue un décret prescrivant de sévères peines
contre les trafiquants de la Traite négrière assimilée à la piraterie.
- 1842, 9 août : Traité Webster-Ashburton (Washington) entre les Etats-
Unis et la Grande-Bretagne prévoyant (art. 8) la création d’une croisière de
répression de la traite négrière associant les deux marines.
- 1842 : Création, à Paris, de l’Institut d’Afrique.
- 1845, 2 mars : loi pénale espagnole condamnant la traite négrière.
- 1845, 29 mai : Convention anglo-française (11 articles) ratifiée le 7 juin,
instaurant une croisière commune de répression de la traite négrière de 26
navires de guerre “tant à voiles qu’à vapeur" entre le Cap Vert et la latitude
16° 30’ S.
- 1845, 8 août : Lord Aberdeen Act qui règle les procédures de jugement
et d’appel des tribunaux maritimes. Droit de saisie de bâtiments négriers
brésiliens par les navires de la Marine anglaise.
- 1846, 18 août : le Premier Ministre Lord John Russell fait voter le
Sugar Duties Act.
- 1847 : abolition de l’esclavage à Saint-Barthélémy, colonie suédoise.
- 1848, 27 avril : décret d’émancipation des esclaves dans les colonies
françaises.
- 1848, juillet : abolition de l’esclavage dans les Iles Vierges danoises.
- 1848, septembre : visite à Paris du Président du Libéria Roberts
sollicitant l’aide de la croisière française.
- 1849, juin : premières opérations de nettoyage entreprises par Roberts
sur les côtes du Libéria.
- 1850, janvier et juin : les croiseurs de la Royal Navy bombardent les
navires négriers dans la Baie de Rio et à Bahia.
- 1850, février-avril : deuxième opération de nettoyage entreprise par
Roberts.
- 1850, 4 septembre : au Brésil, la Loi Eusebio de Queiroz assimile
l’importation des esclaves à un crime de piraterie. Elle est accompagnée des
décrets des 14 octobre et 14 novembre 1850.
- 1852, 1er janvier : Akitoye, roi de Lagos, signe un traité avec la Grande-
Bretagne pour l’abolition de la Traite négrière.
- 1852, 13 février et 29 mars : décrets autorisant l’engagement de
travailleurs africains pour les colonies françaises.
- 1852-1862 : importation de 20 000 Africains environ dans les colonies
françaises de Guadeloupe, Guyane et Martinique.
- 1854, 5 juin : loi étendant les pouvoirs des tribunaux maritimes créés
par la loi de septembre 1850.
- 1861 : annexion de Lagos (Nigeria) par les Britanniques.
- 1862, 7 juin : Traité Etats-Unis/Grande-Bretagne pour la suppression de
la traite négrière conclu à Washington le 7 avril, ratifié le 20 mai à Londres.
- 1862, 31 décembre au 5 janvier 1863 : blocus naval de Rio de Janeiro
par les Anglais.
- 1863 : abolition de l’esclavage dans les colonies néerlandaises. 1864, 24
septembre : loi concernant la liberté des emancipados
du Brésil.
- 1865 : Etats-Unis : suppression du système esclavagiste.
- 1866, septembre : Espagne, Décret royal interdisant la traite négrière.
- 1869, avril : abrogation de l’Aberdeen Act.
- 1870 : intégration de la West African Squadron (Division navale
d’Afrique occidentale) au Cape Squadron (Division navale du Cap).
- 1870, juillet : Espagne, Loi Moret libérant les emancipados cubains et
système de tutellage (patronato).
- 1870, 16 septembre : Convention additionnelle au Traité de 1862, Etats-
Unis/Grande-Bretagne, concernant la traite négrière, conclu le 3 juin, ratifié
le 10 août 1870.
- 1871 : dissolution de la Cour mixte de Freetown (Sierra Leone).
- 1871, 28 septembre : loi de “naissance libre” au Brésil.
- 1873 : Puerto Rico : suppression du système esclavagiste.
- 1880 : Cuba. Système de patronato, abolition graduelle de l’esclavage.
- 1886, 7 octobre : Cuba : suppression du système esclavagiste.
- 1888 : Brésil : suppression du système esclavagiste.
- 1890, 14 décembre : despacho de Ruy Barbosa, ministre des Finances
ordonnant la destruction des archives nationales concernant l’esclavage au
Brésil.
- 1891, 29 mai : circulaire du ministère des Finances signée par le
Conseiller Tristào de Alencar Araripe ordonnant la destruction des archives
provinciales sur l’esclavage.
- 1892 : dissolution de la Cour mixte de La Havane.
- 1921 : annulation du 1er article du traité anglo-brésilien de 1826 luttant
contre la Traite négrière.

21 André Deutsch, Londres, 1964.


22 W.E.F. Ward, The Royal Navy and the Slavers, 1970, pp. 43-44.
23 A. Van Dantzig, “The Dutch Military Recruitment Agency", in Kumasi Ghana Notes and
Queries, VIII, 1966, pp. 21-24 ; D. Coombs, The Gold Coast. Britain and the Netherlands, 1850-
1874, Londres, 1963.
24 W.E.B. Du Bois, Suppression of the Slave Trade, 1898, p.95.
25 Arquivo publico da Bahia, 117, p.349.
26 P.R.O., F.O. 113/13.
27 P.R.O., F.O. 268/1.
28 P.R.O., F.O. 84/122.
29 P.R.O., F.O. 13/38.
30 P.R.O., F.O. 84/130.
31 P.R.O., F.O. 84/129.
32 P.R.O., F.O. 84/129.
33 P.R.O., F.O. 84/144.
34 P.R.O., F.O. 84/144 et 152.
35 Stanley J. Stein, Vassouras : A Brazilian Coffee County, 1850-1900, Harvard. 1957, p.227.
36 P.R.O., F.O. 84/71.
37 S.J. Stein, op.cit., pp. 132-147 et 161-195.
38 P.R.O., F.O. 84/144.
39 P.R.O., F.O. 84/152.
40 P.R.O., F.O. 84/93.
41 Cf. leur lettre à Palmerston, 12 novembre 1833, P R O., F.O. 84/138, et leur correspondance de
1836, F.O. 84/199.
42 Lettre de Hamilton au ministre, 11 novembre 1836, P.R.O., F.O. 84/204.
43 P.R.O., F.O. 84/252.
44 P.R.O., F.O. 84/199.
45 Propos du Capitaine Joseph Denman, un des officiers les plus expérimentés de la Division navale
de répression sur les côtes occidentales d’Afrique.
46 P.R.O., F.O. 84/403.
47 Lettre à Palmerston, 1er mars 1841, P.R.O., F.O. 84/383.
48 Lawrence F. Hill, Diplomatic Relations between the United States and Brazil, Duke University
Press, 1932, chap. V, “The Abolition of the African Slave Trade to Brazil", publié initialement dans
la Hispanic American Historical Review, XI 0931), pp.122-127 et 169-197. Voir aussi Warren S.
Howard, American Slavers and the Federal Law, 1837-1862, University of California Press, 1963,
Appendix G, “Some American Slavers in the Brazilian Trade, 1840-1850".
49 L.F. Hill, op.cit., p.122.
50 Andrew Lambert, Battleships in transition. The Creation of the Steam Battle Fleet. 1815-1860.
Annapolis, Naval Institute Press, 1984 ; James Phinney Baxter, Naissance du cuirassé. Editions de la
Nouvelle Revue Critique, Paris, 1935.
51 Alfred Thayer Mahan, The Influence of Sea Power upon History, 1890.
52 Lettre du Capitaine Jones à l’Amirauté, 28 août 1845, P.R.O., F.O. 84/612.
53 King à l’Amirauté, 7 août 1845, P.R.O., F.O. 84/385.
54 P.R.O., F.O. 97/430.
55 Hamilton. 6 décembre 1845. P.R.O., F.O. 84/582 et 13/227.
56 F. Williams, Capitalism and Slavery, p.161. La citation est de Richard Cobden dans son
intervention aux Communes le 16 janvier 1848.
57 P.R.O., F.O. 84/767.
58 Wise au Secrétaire d’Etat James Buchanan, 9 décembre 1846, tiré de José Honorio Rodrigues,
Brasil e Africa : outro horizonte. 2e éd., 2 vol., Rio de Janeiro, 1964.
59 Howden à Palmerston, 1er mars 1848, Parliamentary Papers, 1850 (Lords), XXIV (35), House of
Lords Select Committee on Slave Trade, p.232.
60 Parliamentary Papers, 1850 (Lords), XXIV (35), House of Lords Select Committee on Slave
Trade, p. 232.
61 P.R.O., F.O. 84/801 ; voir aussi la Note du Foreign Office du 22 avril 1850, F.O. 84/823.
62 Richard Graham, Patronage and Politics in XIXth century Brazil. Stanford, California. 1990 ; id.,
Britain and the Outset of Modernisation, pp.162-169.
63 Freetown, P.R.O., F.O. 84/831. 869, 897 : Sainte-Hélène, F.O. 84/859, 887, 921.
64 Notas Estatisticas, Rio de Janeiro, 1860, pp.135-136.
65 Clarendon à Cowper, 8 juin 1857, British and Foreign State Papers, XLVIII. 1135-1136.
66 David Eltis, "The export of slaves from Africa, 1821-1843", in The Journal of Economic History,
vol. 37, n°2, 1977, pp.409-433.
67 R. Guerra y Sanchez, Historia de la nacion cuhana. La Havane, vol.3, 1952, p.80.
68 Voir infra, chapitre 5.
69 16th Report of the African Institution, 1822, p.12.
70 Archivo nacional de Cuba, Correspondencia de los capitanes generales et J.L Franco, Comercio
clandestino de esclaves, Editorial de Ciencias Sociales, La Havane, 1980. p.154.
71 Ibidem.
72 Ibidem et J.L. Franco, op.cit., pp.155-156.
73 P.R.O., F.O. 84/196.
74 Hansard’s Parliamentary Papers, XXVIII. British and Foreign State Papers. Londres, p.516.
75 Il a publié un livre, Twelvemonth’s Residence in the West Indies, Londres. 1835, dans lequel il
relatait son séjour en Jamaïque et critiquait le système d’apprentissage.
76 P.R.O., F.O. 84/1288, 1268 et 1274.
77 P.R.O., F.O. 84/1340.
78 P.R.O., F.O. 82/1408.
79 tome I, pp.503-507.
80 Cf. Ch. C. Griffin, “Pirateering from Baltimore... ”, Maryland Historical Magazine, XXV, 1940,
pp.5-6.
81 Cat armateur introduisit les premières lettres de marque délivrées par les Insurgents de Buenos
Aires.
82 Quincy Adams. Memoirs, 1er février 1820. IV, pp.515-516.
83 Lyle Saxon, Lafitte le Pirate, Paris, 1935.
84 Cf. Narrative of a Voyage to the Spanish Main. The occupation of Amelia Island by McGregor,
Londres, 1819.
85 Oruno D. Lara, Caraïbes en construction, tome I, p.501.
86 P.R.O., F.O. 5, vol.141, f. 102.
87 National Intelligence, 19 janvier et 16 février 1819.
88 Quincy Adams, Memoirs, 29 mars, IV, p.314.
89 Idem, 8 et 19 avril 1819, IV, pp.325-326, doc. n°233 et 238.
90 Luis de Onis, le diplomate espagnol qui avait négocié le traité avec Quincy Adams, ayant été
rappelé à Madrid, son successeur, le Général Francisco Vivès, arrivé à Washington en avril 1820,
obtint l’aide de Correia da Serra.
91 Voir Oruno D. Lara, Caraïbes an construction, t.1. p.502.
92 Voir Rigsarkivet, Stockholm, Bunt IV à IX.
93 Voir Carlos Vidales, “San Bartolomé : una colonia al servicio de la independencia (1810-1830)",
in Weine Karlsson, Ake Magnusson, Carlos Vidales, Suecia-Latinoamérica, relaciones y
cooperacion, Lais, Latinoamerika-Institutet, Stockholm, 1993, pp.25-33.
94 Per Tingbrand, Saint-Barthélémy à l’époque suédoise, 1995, p.53.
95 Adams Writings, VII, p.63 n, doc. n°318.
96 Quincy Adams, Memoirs, 19 juin 1820, V, p.154.
97 Monroe Writings, VI, pp.141-144, doc. n°312.
98 Quincy Adams, Memoirs, V. p.175.
99 Ibidem.
100 Idem, 1er avril 1822, V, p.485.
101 Lettre du 21 juin 1822.
102 Serge Daget, Répertoire des expéditions françaises..., p.4. Surcouf, à bord de son navire
Adolphe, aurait lui-même dirigé trois expéditions négrières.
103 CARAN, microfilm 200 Mi 1189, Haute Police.
104 Ibidem, lettre du ministre de la Marine et des Colonies au Commandant administrateur du
Sénégal, 12 décembre 1825.
105 C.A.O.M., Généralités 152/1273
106 Ibid., Généralités 195/1483.
107 Ibid., F5 (18), 1827-1833.
108 Ibid., Sénégal, IB 3, f°273, 26 juin 1840.
109 Ibid., Sénégal, 2B 18, f°16.
110 “Une croisière de misère, telle apparaît la croisière française de 1848 à 1852", affirme S. Daget,
in La répression de la traite des Noirs au XIXe siècle, p.560.
111 Idem, p.578.
112 C.A.O.M., Division navale des Côtes occidentales d’Afrique, Saint-Louis, 28 juin 1849.
113 CARAN, Marine BB4/661, Rapport au ministre, Gorée, 12 février et 12 avril 1850.
114 “Quelques considérations sur l’état actuel de nos colonies et leur avenir", in Revue Coloniale,
Ministère de la Marine et des Colonies, 1850.
115 Cf. Nelly Schmidt, L’engrenage de la liberté. Caraïbes - XIXe siècle. Publications de
l’Université de Provence, 1995, pp.263-264.
116 C.A.O.M., Généralités C618 d2698, 15 avril 1849. Voir aussi N. Schmidt. L’engrenage....
op.cit., pp.229-231.
-3-
A L’ORIGINE DU MOUVEMENT “BACK TO AFRICA” :
“COLONISATION" OU DEPORTATION

"The slave trade has been the ruling principle of my people.


It is the source of their glory and wealth..."

King Ghezo of Dahomey to Captain Winniett.


United States Navy, 1840.

L’affrontement des Blancs et des Nègres aux Caraïbes, au Brésil et aux


Etats-Unis prend, au XIXe siècle, un tournant décisif. Des législateurs
blancs, en Amérique du Nord, veulent neutraliser les Nègres libres et s’en
défaire en les renvoyant en Afrique. Aux Caraïbes — surtout à Cuba et au
Brésil — les retours des emancipados s’effectuent dans un contexte de
soulèvements d’esclaves, de prolongement de la Traite négrière illégale et
de la répression sur mer par les croisières anglaises.

La création en 1816 de l’American Colonization Society


Deux hommes furent à l’origine de la création de l’American
Colonization Society : Le Révérend Robert Finley et le Pasteur Samuel John
Mills. Finley avait imaginé d’organiser le transport des Nègres libres en
Afrique. Il y aurait selon lui trois intérêts à mettre au point ce projet : s’en
débarrasser ; envoyer en Afrique une population “en partie civilisée” et
christianisée qui pourrait l’aider ; les Nègres des Etats-Unis profiteraient de
cette situation. Finley chercha des investisseurs et reçut le soutien de
l’African Educaton Society. Cet établissement destiné à former des
prédicateurs Noirs accepta de former des missionnaires pour l’Afrique.
Mills, missionnaire employé par l’African Education Society. avait créé
en 1808 la première société de missionnaires : l’American Board of
Commissioners for Foreign Missions. Lui aussi, comme Finley, pensait
qu’il fallait éloigner les Nègres libres des Etats-Unis. Pour eux deux comme
pour bien d’autres contemporains, le dilemme se posait en ces termes :
“Nous devons sauver les Noirs, sinon ils nous détruiront”117. Finley
présenta son projet en public à une réunion privée à Princeton en novembre
1816. Il expliqua qu’il jugeait indispensable le départ des Noirs pour
l’amélioration de leurs conditions de vie. Les Etats-Unis éviteraient ainsi ce
“mélange de toutes les couleurs” et l’influence de cette population
“défavorable à notre zèle religieux et à notre morale”. Quant à l’Afrique,
elle bénéficierait d’après lui du retour de ses enfants “qui ont appris l’art de
vivre et qui se sont adoucis par la force de la religion”. Ces “enfants”
offriraient les germes de la civilisation à ces “sauvages errants qui
actuellement vagabondent dans cette grande partie du globe”118.
Pour vulgariser son projet de société, Finley publia un pamphlet à
Washington intitulé Thoughts on Colonization. Souhaitant obtenir une
assistance financière du gouvernement, il s’établit à Washington et envoya
sa publication à tous les membres du Congrès. Elias Caldwell et Francis
Scott Key, auteur de l’hymne The Star-Spangled Banner ; l’aidèrent à
présenter ses idées dans la presse. Ils réussirent à rassembler une vingtaine
de personnalités politiques et religieuses le 21 décembre 1816 au Davis
Hotel à Washington pour jeter les bases de la Société. Ils réfléchirent aux
“moyens et aux possibilités d’améliorer la condition des hommes de
couleur libres actuellement aux Etats-Unis, en leur fournissant une Retraite
Coloniale, soit sur le continent, soit en terre d’Afrique”119. Un débat eut
lieu sous la présidence de Henry Clay qui insista sur le fait qu’il ne
s’agissait pas d’abolir l’esclavage, mais de se débarrasser des Nègres libres,
“population inutile et pernicieuse, voire dangereuse”120.
Une réunion constitutive se tint le 28 décembre 1816. La société
constituée avait pour nom : The American Society for Colonizing the Free
People of Color in the United States. Les objectifs de la société, contenus
dans l’article II, restaient mal définis. Ils consistaient à transférer les Noirs
pour coloniser un lieu à définir par le Congrès : “mettre en œuvre et
exécuter un projet tendant à envoyer, afin de coloniser (avec leur accord) les
gens de couleur libres résidant dans notre pays, en Afrique ou dans tout
autre lieu que le Congrès jugera le plus approprié. Et la société agira dans
ce but. en coopération avec le Gouvernement Général et avec ceux des Etats
qui édicteront des règlements à ce sujet"121.
C’est le 1er janvier 1817 qu’eut lieu l’élection des membres de la société
qui en déposèrent les statuts. Parmi les participants élus — outre la présence
de Ferdinand Fairfax et de William Thornton —, on comptait :
- Bushrod Washington (neveu de George Washington), président
- les treize vice-présidents :
- William H. Crawford, de Géorgie, ministre des Finances ;
- Henry Clay, du Kentucky, président du Parlement ;
- le Colonel Henry Rutgers, de New York ;
- John Eager Howard ;
- Samuel Smith ;
- John C. Herbert, du Maryland ;
- John Taylor, de Virginie ;
- le Général Andrew Jackson, du Tennessee ;
- Robert Ralston, de Pennsylvanie ;
- Richard Rush, de Pennsylvanie ;
- le Général John Mason, de Columbia District ;
- le Rév. Robert Finley.
Membres du Conseil d’Administration :
- Francis Scott Key ;
- Walter Jones ;
- Rév. Stephen B. Balch ;
- Edmund J. Lee ;
- le Rév. Obadiah B. Brown ;
- James H. Blake ;
- Henry Carroll ;
- John Peter ;
- Jacob Hoffmann ;
- William Thornton ;
Secrétaire : Elias Caldwell ; secrétaire archiviste : W.G.D. Worthington ;
trésorier : David English.

La Société jouait de son caractère ambivalent, cherchant à gagner à sa


cause aussi bien les Nordistes que les Sudistes. Aux Nordistes, elle déclarait
vouloir favoriser l’abolition de l’esclavage ; aux Sudistes elle s’affichait
comme protectrice du Système esclavagiste. Elle trompa ainsi beaucoup de
personnes, particulièrement des antiesclavagistes notoires qui pensaient
lutter dans son sein pour l’émancipation des Noirs et participer à
l’évangélisation et à la civilisation de l’Afrique. A la première réunion,
John Randolph n’avait-il pas déclaré que la Société devait “sauvegarder le
bien de tous les propriétaires aux Etats-Unis et défendre leurs droits sur les
esclaves”122 ?
La presse, dans l’ensemble, commenta favorablement les objectifs de la
Société. Cependant, quelques journaux firent entendre des propos
discordants. Selon le Messager de Georgetown, la Société débarrasserait le
pays d’un “sang inférieur”, éloignerait les menaces d’insurrection et
empêcherait les mariages mixtes. Ce journal ne recula pas devant la
possibilité d’obliger les Nègres libres, si cela s’avérait nécessaire, à quitter
le pays afin d’éviter que cette dernière “calamité” ne se produise. Quant au
Courrier of New York, dans son numéro du Ier janvier 1847, il se montrait
plutôt ironique : “Pourquoi n’a-t-on rien proposé pour les esclaves noirs ?
Pourquoi ne pas les envoyer en Afrique également ? Cela aurait une teinte
d’humanité et de désintéressement. Mais il y a danger à laisser les Noirs
asservis frayer avec les Noirs libres. C’est bien pourquoi on manifeste
envers ces derniers toute cette affection et toute cette humanité pour le
moins surprenante et bien superficielle”.
Dans ce même journal, un article signé Sambo, dans le numéro du 15
janvier 1817, allait encore plus loin dans l’ironie mordante : puisque la
colonisation était une bonne idée, ‘‘pourquoi Henry Clay ne retourne-t-il
pas en Angleterre d’où ses ancêtres étaient venus ?”. L’auteur proposait que
les Nègres “restent aux Etats-Unis et que les Blancs s’embarquent pour
l’Afrique”. On sait qu’aux Etats-Unis le qualificatif de Sambo s’applique à
un modèle de Nègre soumis, docile, fidèle à son maître. C’est ce stéréotype
qui a si longtemps triomphé dans l’historiographie blanche et sudiste. Les
recherches portant sur la résistance des Nègres aux Etats-Unis et aux
Caraïbes123 ont montré le caractère superficiel de ce type de Nègre né de
l’imagination de certains historiens racistes. Evidemment, l’article en
question du Courrier of New York reproduit dans une langue volontairement
simplifiée, les pensées du rédacteur blanc.
Une analyse du journal le Repository — organe officiel de l’A.C.S. —
permet de mieux circonscrire la pensée des “colonizationists". On découvre
d’abord la peur des Blancs face à l’augmentation de la population noire. Il y
a alors environ 200.000 Nègres libres aux Etats-Unis. Dans le Nord du
pays, les Noirs libres étaient accusés de semer le désordre, ils étaient des
fauteurs de troubles et responsables d’une criminalité galopante. Dans le
Sud, ils représentaient un danger constamment évoqué dans les discussions
des dominants. La “population libre de couleur” constituait un modèle qui
devait renforcer la résistance des esclaves. Et ce modèle devait être extirpé
d’une manière ou d’une autre. Colonisation. Déportation. Peu importent les
termes. Il s’agissait principalement pour le Nord comme pour le Sud de se
défaire d’un problème encombrant.

L’opposition des Nègres


La Société essaya de convaincre les Nègres libres qu’ils avaient intérêt à
quitter les Etats-Unis où ils n’avaient aucun espoir d’obtenir leurs droits
civiques et politiques. Un groupe de Nègres libres de Richmond en Virginie
fut le premier à répondre à cette invitation. Ils publièrent une déclaration
qui n’écartait pas l’idée de “colonisation” mais ils refusaient d’aller en
Afrique. Ils préféraient s’établir clans le Missouri ou dans un autre Etat des
Etats-Unis124. La réaction des Nègres libres de Philadelphie fut plus
tranchée. Dans cette ville où se trouvait la communauté la plus nombreuse
des libres, la mieux représentée, les opinions négatives ne tardèrent pas à
s’exprimer. Une assemblée de 3000 Nègres libres à la Bethel Churcb réunie
par leurs dirigeants James Forten, le Rév. Richard Allen, Absalon Jones,
Robert Douglass et Russel Parrot, devait débattre de la question. Tous
critiquèrent vivement "la tentative, par les promoteurs de cette mesure, de
souiller ignoblement la réputation des gens de couleur libres en déclarant
qu’ils sont une partie de la communauté dangereuse et inutile”125. Ils
refusèrent catégoriquement l’idée de quitter leur patrie, les Etats-Unis, ou
même de se séparer de la population esclave, et déclarèrent qu’“il est plus
vertueux de partager avec eux leurs souffrances dans ce pays que d’accepter
quelques privilèges qui ne seront que temporaires”126.

Richard Allen (1760-1831) est le fondateur et le premier évêque de


l’African Methodist Episcopal Church. Né esclave à Philadelphie, il fut
vendu à un colon de Dover (Delaware). Il se convertit et devint
méthodiste. Après son affranchissement, il entreprit des études privées et
se fit connaître comme prédicateur. Il voyagea à travers le Delaware, le
New Jersey, la Pennsylvanie et le Maryland. Il participa en 1784 à la
première conférence générale de l’Eglise méthodiste à Baltimore. Fuyant
le racisme et les insultes des Blancs, les Nègres organisèrent en 1787 la
Free African Society et créèrent l’Independent Bethel. Ordonné diacre en
1799, il devint en 1816 évêque de l’African Methodist Episcopal Churcb
qui réunissait alors seize congrégations.

Un comité de onze personnalités de la communauté noire correspondit


avec Joseph Hopkins de Philadelphie, membre du Congrès, et lui objecta les
arguments des Nègres libres de cet Etat contre les projets de l’A.C.S.. Ce
comité réunissait les Révérends Absalom Jones, Richard Allen, John
Gloucester, et James Forten, Robert Douglass, Francis Perkins, Robert
Gorden, James Johnson, Quamoney Clarkson, John Sirrmersett, Randall
Shepard.

John Gloucester (1776 ? - 1822), Noir originaire du Kentucky, fonda


en 1807 à Philadelphie la première African Presbyterian Church.
James Forten, Noir originaire de Philadelphie, était un vétéran des
guerres de l’Indépendance des Etats-Unis. Il avait envoyé en 1813 au
Sénat de la Pennsylvanie un appel intitulé Letters from a Man of Color
on a Late Bill. Il stigmatisait l’esclavage dans cet appel, revendiquant
l’égalité avec les Blancs et les “droits inaliénables” des Nègres. A son
décès, il laissa une fortune considérable, estimée à près de 100 000
dollars.

Les dirigeants de la Société de Colonisation envoyèrent Finley à


Philadelphie pour tenter de combattre l’appréhension et de calmer le
courroux des Nègres libres. James Forten écrivit le 25 janvier 1817 à Paul
Cuffe pour lui demander son avis sur la “Colonisation”. Sa lettre laissait
deviner des divergences d’opinion entre la communauté et ses dirigeants :
“Je dois à présent vous signaler que le continent tout entier semble être
agité par les problèmes de la colonisation des gens de couleur (...).
Les gens de couleur ont été ici extrêmement effrayés au début. Ils
craignaient que tous les Nègres libres soient obligés de partir, en particulier
dans les Etats du Sud. Il ne s’est trouvé nulle âme qui fût favorable à un
départ pour l’Afrique. Ces gens pensent que les propriétaires d’esclaves
veulent se débarrasser d’eux afin de protéger leurs biens (...) Nous avons
cependant décidé de garder le silence, étant donné que les Blancs et les gens
de couleur s’opposent à ce système. A mon avis, ils ne deviendront jamais
un peuple tant qu’ils ne se seront pas détachés des Blancs. Mais puisque la
majorité est nettement contre moi, je suis bien décidé à me taire, sauf sur
mon opinion personnelle, que je donnerai en toute liberté si on me la
demande ... ‘‘127.

Paul Cuffe (1759-1817), de parents noirs et autochtones des Etats-


Unis, embarqua à 16 ans sur un baleinier pour une campagne de pêche.
Son père Cuffe Slocum, possédait un terrain de 100 acres à Cuttyhunk
(Massachussetts). A son retour à Westport (Connecticut), Paul Cuffe
devint armateur et se lança dans l’agriculture. Il adhéra en 1808 à la
Société des Amis de Westport (Society of Friends of Westport) et se fit
l’avocat du retour en Afrique. Lui-même investit 4 000 dollars en 1811 et
appareilla de Westport sur le navire le Traveller pour le Sierra Leone. Il
entreprit en 1815 une autre traversée avec neuf familles de Noirs. Il se
proposait de faire un voyage chaque année mais sa mauvaise santé l’en
empêcha. Il mourut en 1817, laissant un domaine agricole d’une valeur
de 20 000 dollars. Paul et son frère avaient signé en 1780 une pétition
envoyée par les Nègres libres à la Cour générale du Massachussetts. Ils
exprimaient leur refus de payer des impôts, attendu que les autorités ne
les reconnaissaient pas comme citoyens.

Après un réexamen du projet de l’American Colonization Society, Forten


et les dirigeants suivis par trois mille personnes présentes à la réunion du 10
août 1817 à Green’s Court, lancèrent un vibrant appel “aux habitants de
Philadelphie...” qu’ils cherchaient à rallier à leur cause :
“Soulagés des peines de l’esclavage, plusieurs d’entre nous, grâce à votre
aide et jouissant des bienfaits acquis grâce à notre travail et à notre sérieux
(...) Nous ne désirons nullement quitter nos foyers actuels, sans aucun
motif. C’est donc avec peine et un regret amer que nous avons vu présenter
un projet de colonisation à des gens de couleur libres des Etats-Unis sur la
côte d’Afrique, cela sous les auspices et avec l’accord d’hommes qui sont
certainement parmi les plus sages, les plus bienveillants, les meilleurs de
cette grande nation (...). Si ce projet se veut à notre profit (...) nous
adressons nos remerciements humbles et reconnaissants à ceux qui l’ont
conçu, mais nous nions et rejetons tout lien avec lui ; et, respectueusement
mais fermement, nous nous déclarons déterminés à n’y participer en aucune
façon”128.
Les Nègres libres avaient surtout deux raisons de se dresser contre la
Société de colonisation. Son projet leur refusait les droits civiques et
politiques aux Etats-Unis et elle décourageait de nouvelles émancipations
tout en renforçant et en perpétuant l’esclavage.

Les habitants de Philadelphie qui comptaient une majorité de Quakers,


prirent le parti des Noirs.

Refus d’une assistance fédérale


L’American Colonization Society adressa une pétition signée de son
président Bushrod Washington, au Congrès pour demander son parrainage
et son aide financière pour mettre à exécution leur projet de déportation
qualifié de “philanthropique” et “patriotique”. Cette pétition parvint au
Comité du Parlement travaillant sur la traite des Nègres qui préconisa une
coopération avec la Grande-Bretagne et le Sierra Leone129. Le Comité
fédéral admettait mal la création de deux colonies rivales : “Cela produirait
des heurts et des guerres”130. Devant ce refus des autorités du Parlement,
les membres de l’A.C.S. entreprirent de gagner à leur cause l’opinion
publique des Etats-Unis. Des tracts furent distribués ainsi qu’une brochure
de 24 pages présentant les statuts de la Société, les débats de sa première
réunion, la pétition au Congrès et différentes pièces annexes.
Les membres de l’American Colonization Society cherchèrent à
s’informer sur l’Afrique en interrogeant les Anglais. Thomas Clarkson
conseilla aux directeurs de la Société d’établir une colonie à l’Ile Sherbro,
fertile, salubre et peuplée par quelques “tribus” inoffensives. Une
expédition fut décidée, financée par la création de filiales à Philadelphie,
New York, Baltimore, et par des quêtes dans tout le pays. Samuel John
Mills et Ebenezer Burgess, professeur de mathématiques au collège de
Burlington dans le Vermont, s’embarquèrent sur le navire Electra. Ils se
rendirent d’abord à Londres en janvier-février 1818 où ils rassemblèrent de
nombreux renseignements en rencontrant les abolitionnistes, puis au Sierra
Leone131. Ils visitèrent Freetown puis mirent le cap sur l’Ile Sherbro le 30
mars 1818, accompagnés de John Kizell, un associé de Paul Cuffe établi sur
place, et connaissant bien la région132.
Comme on leur avait conseillé Freetown, ils rencontrèrent Thomas
Caulker aux Iles Banana et son neveu George Caulker aux Iles Plantains,
qui pouvaient les introduire auprès des chefs indigènes locaux. Ils
entreprirent de négocier avec le roi de Sherbro et avec d’autres roitelets du
voisinage, mais sans résultat. Les chefs africains acceptèrent tous les
cadeaux, réclamèrent du rhum, mais se gardèrent bien de donner le moindre
accord à l’établissement d’une colonie sur leur territoire. Burgess et Mills
retournèrent à Freetown, assurés du succès de leur mission. Mills mourut en
mer le 16 juin 1818, sur la route du retour, à bord du brick Success.
Après avoir reçu le rapport de Mills et Burgess, le Congrès refusa une
seconde fois d’octroyer son parrainage officiel à l‘American Colonization
Society133. Le ministre des Affaires étrangères John Quincy Adams,
vivement opposé à la Société. n’aimait pas ses dirigeants, des “esclavagistes
rusés” disait-il, qui ne cherchaient qu’à se débarrasser des Nègres libres
pour faire monter le prix des esclaves, tandis qu’il accusait quelques autres
d’être des “spéculateurs de profits et d’honneurs officiels”134 Le cabinet du
Président Monroe comprenait John Adams, William Wirt, Attorney
General, John C. Calhoun, ministre de la Guerre, Smith Thompson, ministre
de la Marine. Cette administration fédérale décida que l’achat d’un territoire
et la fondation d’une colonie en Afrique étaient anticonstitutionnels.
Une intervention des dirigeants de l’A.C.S. auprès du Président Monroe
échoua également sous la pression de la vive opposition du ministre Wirt.
Les directeurs de la Société, Crawford, Key et Caldwell réussirent à
circonvenir Wirt et à le convaincre de leur permettre d’envoyer des agents
et des ouvriers techniciens — qui seraient des Nègres libres — pour
organiser en Afrique une tête de pont gouvernementale. Aussitôt arrachée
cette autorisation officielle, le Révérend Samuel Bacon, pasteur de l’Eglise
protestante épiscopale, ancien officier, et John P. Bankson, choisis par
l’A.C.S., partirent pour New York organiser une expédition. Ils
embarquèrent en janvier 1820 avec trente familles de Nègres libres, soit 86
personnes, sur le navire Elizabeth et un sloop de guerre, le Cyane qui les
accompagna.

Le Liberia : une colonie de l’American Colonization Society


Ils arrivèrent à l’Ile Sherbro en mars 1820 où les attendait John Kizell,
président de la Friendly Society, association fondée sous l’impulsion de
Paul Cuffe. Kizell avait déjà acheté un terrain et construit un village de
vingt huttes à Campela au milieu de l’île Sherbro. Les débuts de la colonie
s’effectuèrent dans un climat de palabres interminables et stériles avec les
chefs indigènes, les difficultés de l’alimentation et une saison des pluies
torrentielle. Il y avait quarante malades le 15 avril 1820, Bankson mourut le
16 avril, Bacon le Ier mai135. Le Révérend Daniel Coker, Nègre, pasteur
méthodiste de Baltimore, ami de Paul Cuffe, resté seul pour diriger la petite
colonie, l’entraîna avec lui à Fourah Bay, près de Freetown.
Une seconde expédition partit le 23 janvier 1821 vers l’Afrique. Le
Président Monroe avait désigné comme agents du gouvernement le Rév.
Ephraim Bacon, frère de Samuel, et Jonathan B. Winn. Ils s’embarquèrent
sur le brick Nautilus avec les deux représentants de la Société : le Rév.
Joseph R. Andrus et Christian Wiltberger, avec vingt-et-un migrants. Ils
arrivèrent à Freetown en mars 1821. Les quatre agents regroupèrent les
survivants et cherchèrent à établir une nouvelle colonie au cap Mesurado
peuplé de Mamba et de Dei136. Le traité fut négocié avec le roi King Jack
Ben de Grand Bassa pour l’acquisition d’un terrain de 60 km2.
En novembre 1821 arriva un nouvel agent, Eli Ayres qui apprit le décès
d’Andrus et de Winn, foudroyés par la malaria. Bacon, devenu fou, s’enfuit
aux Caraïbes. L’aventure tourna au tragique. L’administration de l’A.C.S.
obtint du gouvernement fédéral qu’il envoyât un officier, le lieutenant
Robert Field Stockton en Afrique, avec pour mission d’acquérir une terre
pour la colonie. Stockton et Ayres débarquèrent le 12 décembre 1821 au
Cap Mesurado et rencontrèrent le roi Peter. Après une entrevue dans son
village, une “convention de cession et d’achat de terres” fut conclue avec
les chefs de Mesurado le 15 décembre 1821137.
La colonie du Libéria et sa capitale Monrovia furent soumises à la tutelle
de l’A.C.S.. Malgré l’opposition des indigènes Deis (Roi George)138, les
colons s’établirent en avril au Cap Mesurado, à l’embouchure de la rivière
Saint-Paul, dans la baie où sera fondée Monrovia. Le 28 avril 1822, le
drapeau américain fut hissé pour la première fois. Malgré la saison des
pluies, les maladies, un petit noyau de colons entraîné par Elijah Johnson,
décida de rester et de lutter pour survivre.
L’arrivée de Jehudi Ashmun en août 1822 à la tête d’un contingent
d’esclaves libérés renforça la colonie. Il entreprit de la défendre contre les
indigènes africains, de repousser leurs attaques en décembre. Après son
départ en août 1824 pour les îles du Cap Vert, l’A.C.S. délégua le Rév.
Ralph Gurley, son secrétaire. Il rencontra Jehudi Ashmun aux îles du Cap
Vert et le décida à revenir au Libéria. La colonie s’étendit en annexant de
nouvelles terres (Bushrod Island).
Jehudi Ashmun engagea une lutte sans merci contre les négriers
(destruction de la ville de Trade Town en avril 1826). Malade de la fièvre, il
s’embarqua pour les Caraïbes et mourut le 25 avril 1828 à New Haven,
dans le Connecticut.
Sous la direction de son nouveau secrétaire, Ralph Randolph Gurley, la
Société se développa, projetant d’implanter plusieurs filiales à travers les
Etats-Unis. Une revue fut publiée en mars 1825, l’African Repository and
Colonization Journal, véritable instrument de propagande du mouvement
de colonisation africaine. Cet organe publiait des lettres de louanges, des
extraits de livres de voyages en Afrique, des articles sur l’histoire, la
géographie, les sciences naturelles et les coutumes des “tribus” africaines.
La création du Liberia Herald en 1826 à Monrovia favorisa également la
propagation et l’exaltation de l’œuvre de la colonisation. Le Repository
organisa une vive campagne de presse contre la traite négrière et dénonça la
cruauté des négriers. Il reprit un récit, publié auparavant dans la Royal
Gazette du Sierra Leone : un négrier, qui transportait soixante captifs dans
les cales de son navire. les jeta tous à la mer pour échapper au contrôle des
autorités maritimes139.
De 1822 à 1840, Gurley s’imposa comme un administrateur exerçant une
influence considérable et un défenseur des intérêts du mouvement. Il tenta
par tous les moyens de renflouer les fonds de la Société. L’A.C.S. engagea
le Rév. William Mc Kenney comme agent dans les Etats de Virginie, du
Maryland, de Caroline du Nord et du Delaware. Il devait chercher à
intéresser les Sudistes au mouvement de colonisation africaine, et fonder
des filiales visant surtout à réunir des fonds. Dans le Delaware, les
dirigeants Quakers antiesclavagistes répondirent à cette invitation et
organisèrent l’Union Colonization Society. Dans le Maryland, plusieurs
filiales furent créées à Kent Talbot, Queen Ann, Dorchester, Portsmouth,
Hampton, Norfolk... Plusieurs loges de franc-maçons à Baltimore, en
Pennsylvanie, dans le Maine, le Massachussets et le Mississippi firent des
dons généreux. La Virginie répondit également favorablement à l’appel des
sociétaires. Plusieurs personnalités politiques participèrent aux activités de
la Virginia Society. Citons John Roane, William Cabell Rives, James
Monroe — président de la filiale du comté de Londons —, Thomas W.
Gilus et John Marshall, président de la société-mère en 1833. Gurley réussit
à entraîner l’Eglise dans les Etats de l’est et de la Nouvelle Angleterre, à
coopérer avec les dirigeants de l’A.C.S.. Le jour de l’Independance Day, les
pasteurs évoquèrent dans leurs sermons la “noble entreprise de charité” de
la colonisation et collectèrent des milliers de dollars canalisés vers la
société-mère. Vers 1835, on comptait environ dix-sept filiales du
mouvement de colonisation africaine établies dans les différents Etats, deux
cents autres dans les comtés, et plusieurs organisations féminines,
académiques, missionnaires qui s’étaient affiliées à l’A.C.S..
L’insurrection de Nat Turner en 1831 à Southampton, en Virginie,
provoqua une panique générale qui favorisa les entrées financières. La
législature du Maryland vota à la “colonisation” une subvention de 200.000
dollars. La Virginie octroya à l’A.C.S. une subvention de 90.000 dollars.
Puis en 1850, elle décida de donner à la Société 30.000 dollars par an
pendant cinq ans pour le transport des Nègres de l’Etat. Cependant de 1820
à 1830, le Congrès refusa de parrainer le projet de l’A.C.S., et donc, de
financer ses activités. Ce qui obligea la Société à dépendre des “aumônes”.
Pourquoi ce refus ? Trois facteurs essentiels ont été mis en évidence :
1 - la nature même du projet de colonisation était inconstitutionnelle ;
2 - le projet ne séduisait guère les Middle States, ni ceux du Sud-Est ;
3 - la croisade des abolitionnistes venait de la Nouvelle-Angleterre et des
Etats de l’Ouest.
Au cours de la décennie 1830-1840, le mouvement dut affronter des
difficultés financières et des appels de détresse arrivant du Libéria. En
outre, un mouvement de séparation fut entrepris par les Sociétés des Etats
de New York, du Maryland, de Philadelphie, du Mississippi et de Louisiane
qui affaiblit considérablement la société-mère. Ces filiales sécessionnistes
réorganisèrent leurs sociétés à elles, élaborèrent leurs propres expéditions
en Afrique. Le désaccord portant sur la disposition des fonds opposa
d’abord la Maryland Society à la société-mère. A partir de 1833, ce fut la
rupture entre les deux sociétés. La Société du Maryland fonda sa propre
colonie au Cap Palmas, au sud du Libéria. Elle y envoya neuf autres
expéditions entre 1833 et 1838. En novembre 1834, les sociétés de
Philadelphie et de New York emboîtèrent le pas et firent sécession. Elles
créèrent également leur propre colonie en Afrique, à Bassa Cove. Les
sociétés de la Louisiane et du Mississippi créèrent leur colonie à Sinon. En
1838, la Virginie fut sur le point de s’engager sur la voie de la sécession.
Les nouvelles colonies, éparpillées sur la côte, entreprirent de se réunir sous
les auspices de la colonie-mère pour constituer en 1837 le Commonwealth
de Libéria, sauf la colonie du Maryland. Thomas Buchanan en devint le
premier et dernier gouverneur blanc.
A partir de 1833 en effet, la situation de la colonie du Libéria devint
tragique. Les colons se plaignirent à la Société de son agent, le Dr. Michelin
— accusé de corruption et de débauche —, du manque de provisions, de
leurs logements et des mauvaises conditions d’hygiène qui favorisaient les
maladies. Ils adressèrent à la société-mère en 1837 un plan de
réorganisation intitulé Les grandes lignes d’une nouvelle constitution pour
la Société américaine de Colonisation (An outline of a new constitution for
the African Colonization Society). Les réformes furent votées et adoptées
par l’assemblée générale en janvier 1839. Le conseil d’administration fut
dominé désormais par les Nordistes. La Société s’organisa comme une
fédération de filiales. Le mouvement fut délaissé par les Sudistes qui lui
reprochèrent son “esprit abolitionniste’’.
Le mouvement antiesclavagiste trouva un défenseur passionné en la
personne de William Lloyd Garrison, né à Baltimore en 1806 dans le
Maryland. Journaliste, rédacteur en chef en 1828 du National
Philanthropist, il s’engagea dans la croisade abolitionniste après avoir
rencontré à Boston. Benjamin Lundy, et son ami, William Watkins à
Baltimore, et après avoir lu le pamphlet de David Walker, Appeal in four
Articles, with a Preamble, to the Colored Citizens of the World, but in
Particular to those of the United-States de 1829140. Il collabora au journal
de Lundy, le Genius of Universal Emancipation, en devenant le co-directeur
en août 1829.
Dans plusieurs articles, il attaqua les propriétaires d’esclaves et exigea
l’émancipation immédiate141. Il fut condamné à quarante-neuf jours de
prison. Dès sa libération, il continua à s’exprimer et à écrire malgré les
conseils de modération de ses amis142. Il publia à Boston le 1er janvier 1831,
le premier numéro du Liberator ; où 11 exposait avec sincérité ses objectifs.
Il avait choisi cette ville pour se faire entendre car il lui semblait que le
Nord était aussi coupable que le Sud : “Que les tyrans du Sud tremblent !
Que leurs complices cachés tremblent ! Que les défenseurs nordistes
tremblent !”. C’est dans cet article qu’il annonça sa rupture totale avec la
doctrine d’émancipation graduelle. En 1832, il expliqua ce qu’il entendait
par “abolition immédiate”. Il entreprit dans un éditorial publié le 23 avril
1831, de critiquer l’A.C.S., qu’il considérait comme un dangereux obstacle
à l’émancipation immédiate des Noirs. Il stigmatisait ses membres, les
“negro haters”, qu’il accusait de “diffamer la ‘race noire’, de trahir
l’héritage de liberté des Etats-Unis et, par leurs mensonges et leur lâcheté,
de renforcer l’esclavage”143. Il s’interrogeait : “Pourquoi, mes amis, des
centaines d’esclaves épuisés sont-ils chaque année renvoyés pour aller
mourir comme de vieux chevaux ? Leurs maîtres les expédient à une mort
certaine en Afrique, tout - en prétendant être leurs bienfaiteurs"144.
Garrison créa le 16 décembre 1831 la New England Anti-Slavery Society
et son organe mensuel, The Abolitionist, qui parut aux côtés du Liberator.
Assimilant l’A.C.S. à l’esclavage, Garrison décida que “sa ruine est aussi
indispensable que celle de l’esclavage lui-même... Tous les deux doivent
être maintenus ou tomber”. Il rédigea un réquisitoire en forme de pamphlet
intitulé Thoughts on African Colonization or, an Impartial Exhibition of the
Doctrines, Principles and Purposes of the American Colonization Society
together witb the Resolutions, Addresses and Remonstrances of the Free
People of Color publié en mai 1832. Ce pamphlet se fondait sur des articles
de l‘African Repository, des rapports de sociétés filiales de l’A.C.S., des
discours des dirigeants et sur la correspondance de la colonie avec la
Société145. Garrison critiqua durement la politique suivie par l’A.C.S. au
Libéria. Il stigmatisait les guerres meurtrières engagées contre les
autochtones, et exprima ses appréhensions au sujet de l’avenir de la
colonie146. Il exprima le souci des Nègres libres hostiles à l’expatriation, de
demeurer aux Etats-Unis. La guerre entre abolitionnistes et colonialistes
commençait.
Une réponse de Gurley aux attaques de Garrison, “Letter on the
American Colonization Society”, et d’autres articles de journaux (dans le
Methodist Magazine et la Quarterly Review de New York) contribuèrent à
semer le trouble et la confusion parmi les colonialistes, et à faire de la
publicité pour la New England Anti-Slavery Society. Un philanthrope de
New York, Arthur Tappan, quitta l’A.C.S. après avoir découvert que plus de
mille quatre cents barils d’alcool avaient été envoyés au Libéria en 1833, et
qu’à Monrovia, le nombre des ivrognes dépassait de beaucoup celui de New
York147.
La propagande de Garrison se fit sentir jusqu’en Angleterre, où le
pamphlétaire antiesclavagiste Charles Stuart comparait les colonialistes à
des “ministres de l’enfer”. Garrison lui-même se rendit en Angleterre en
mai 1833, pour y réunir des fonds en vue de l’édification d’une École pour
les Nègres aux Etats-Unis. Son triomphe fut total à Londres, où onze anti-
esclavagistes notoires signèrent une protestation (“Protest") condamnant
sans ambiguïté l’A.C.S., et reconnaissant solennellement Garrison comme
chef des abolitionnistes nord-américains. William Wilberforce, bien que
mourant, se joignit aux signataires. En décembre 1833, fut créée l’American
Anti-Slavery Society à Philadelphie. Une campagne publicitaire
antiesclavagiste mit le feu aux poudres autant dans le Sud qu’au Nord. Des
menaces d’assassinat furent proférées contre les abolitionnistes dans les
années 1835-1836148. Les Eglises refusèrent leur soutien au mouvement
abolitionniste.
En 1838, le Commonwealth du Libéria comprenait toutes les colonies :
Monrovia, Grand Bassa, Sinou, Cap Mount, sauf Cap Palmas qui ne
rejoignit les autres qu’en 1857, dix ans après l’indépendance. Deux ans plus
tard, en 1840, il dut affronter de graves crises politiques, touchant ses
relations avec des puissances coloniales. Il fit appel, pour sa protection, au
gouvernement des Etats-Unis, qui refusa de lui porter assistance. Il ne lui
resta qu’une solution déclarer l’indépendance en 1846. Le 26 juillet 1847, la
déclaration d’indépendance du Libéria fut publiée, et la constitution rédigée
sur le modèle de celle des Etats-Unis. Joseph Jenkins Roberts, gouverneur
du Commonwealth, fut élu président de la République149. La colonie du
Maryland s’érigea en Etat indépendant, puis en 1857, après une guerre
indigne, décida de s’unir au Libéria. Les Etats-Unis reconnurent le Libéria
après la Grande-Bretagne et la France, en 1862150.

Joseph Jenkins Roberts (1809-1876) naquit de parents libres à


Petersburg (Virginie). Il émigra au Libéria en 1829 avec sa mère devenue
veuve et ses jeunes frères. Il s’établit commerçant à Monrovia. Il fut
réélu président du Libéria en 1849, 1851 et 1853 puis en 1871. Il
conserva son mandat jusqu’à son décès en 1876.

Au cours des années 1840-1845, l’A.C.S. perdit la “guerre” qui l’opposa


aux forces antiesclavagistes. Endettement, mauvaise gestion, la Société
succomba malgré l’activité de présidents comme William Mc Lain, John B.
Pinney, Elliot Cresson, Amos G. Phelps et Joseph Tracy. De petits groupes
de colons partirent pour l’Afrique. Le Libéria, peuplé d’environ 3 000
habitants, était un poids mort dans les finances de la Société. Les “guerres
tribales” éclatèrent quand la colonie voulut agrandir son territoire.
Une nouvelle phase débutait en 1847 : l’A.C.S. qui n’avait plus de
colonie, devenait une simple agence d’émigration151. De 1848 à 1854, les
dirigeants de la Société rassemblèrent des fonds, louant quarante et un
navires et envoyant près de 400 Nègres au Libéria. Des sociétés établies
surtout au Massachussets, à New York, au New Jersey, en Pennsylvanie et
au Kentucky, engagèrent des agents voyageurs qui réussirent à accroître les
revenus de la Société, qui passèrent de 29.000 dollars en 1847 à 97.000 en
1851, puis de 55.000 dollars à 160.000 en 1859. Une douzaine de navires,
dont le Mary Caroline Stevens, furent acquis et mis en service avant la
guerre de Sécession. La Société construisit en 1860 un imposant siège sur
Pennsylvania Avenue, disposant d’un “Convention Hall”, de “committee
rooms”, et de plusieurs pièces pour les secrétaires et les administrateurs152.
L’A.C.S. s’éteignit à la fin de la Guerre de Sécession, après avoir célébré
son cinquantième anniversaire en 1867. Elle avait collecté 2.500.000 dollars
et transporté 12.000 Nègres en Afrique. Son secrétaire, William Coppinger
(1828-1892) pouvait témoigner avant sa mort que la Société s’était efforcée
de promouvoir “la civilisation africaine”, bien qu’il y eût cinq survivants
parmi ses membres en 1909, qui tentaient de la maintenir en vie. Une
organisation squelettique continua d’exister jusqu’en 1949. Quant au
Libéria vers 1900. son territoire était circonscrit aux 350 miles de littoral
africain avec une zone intérieure, de 200 miles de profondeur. Sa population
comprenait 20.000 “gens de couleur”, les descendants des Nègres
Américains, et environ un million d’Africains. L’agriculture était aussi
rudimentaire qu’à l’époque de Ashmun153. La Grande-Bretagne et la France
essayèrent par leurs colonies voisines interposées de s’emparer de portions
significatives de son territoire.

“Colons" envoyés au Liberia par l’American Colonization Society


D’après les calculs de l’A.C.S., Fifty-second Annual Report of the
American Colonization Society, with Proceedings of the Annual Meeting
and the Board of Directors, January 19 and 20, 1869, Washington, 1869,
Liberia Bulletin, n°16, février 1900, p.28.

Ces calculs ne prennent pas en compte l’activité des sociétés de


colonisation indépendantes.

La République du Libéria — capitale Monrovia (700 000 habitants) —


s’étend entre le Sierra Leone, la Guinée et la Côte d’ivoire, sur une
superficie de 111 369 km2. Sa population compte environ 3 millions
d’habitants (1999) et comprend une majorité d’autochtones : Kpellé,
Bassa, Grebo, Gio, Kru et Mano.

Le Sierra Leone — capitale Freetown (500 000 habitants) — couvre


71 740 km2 et compte 5 millions d’habitants (1999) : Mendé, Temné,
Limba, Kono, Bulom, Peul, Koranko, Yalunka, Kissi.

117 Staudenraus, The African Colonization Movement, New York, Columbia University Press, 1961,
pp, 18-19.
118 “Who have learned tire arts of life and are softened by the power of true religion.., The wild and
wanderind people who now roam over that great section of the globe”, dans Isaac V. Brown,
Memoirs of the Rev. Robert Finley...., New York, 1819.
119 George M. Frederickson, The Black Image in the White Mind. The Debate’on Afro-American
Character and Destiny, 1817-1914, New York, Harper Torchbooks, 1971, p.7.
120 “A useless and pernicious, if not dangerous portion of its population" dans Manuscript Record
of the Meeting, Library of Congress, cité dans Henry Noble Sherwood, “The Formation of A.C.S.",
Journal of Negro Histoty, II. juillet 1917, pp, 209-228.
121 Article II de la Constitution de l’A.C.S. dans A. Alexander, A Histoty of Colonization on the
Western Coast of Africa, Philadelphie, 1849, p. 89.
122 Cf. Staudenraus, op. cit., p.29.
123 Cf. Oruno D. Lara, Caraïbes en construction..., op.cit., et “Luttes et résistances", in Diogène,
Unesco, n° spécial "Routes et traces de l’esclavage”, 1998.
124 Recorder de Boston du 18 février 1817.
125 Résolution de la réunion des Noirs Libres à Bethel Church, Philadelphie, janvier 1817, dans
William Lloyd Garrison, Thoughts on African Colonization, chapitre "Sentiments of the people of
Color ", New York : Arno Press & the New York Times, 1968.
126 Ibid.
127 J. Forten à P.Cuffe le 25 janvier 1817, dans Journal of Negro Histoty. VIII, avril 1923, article
"Paul Cuffe” de H.N. Sherwood.
128 Appel lancé “to the Humane and Benevolent Inhabitants of the City and County of Philadelphia”
le 10 août 1817, dans W.L. Garrison, Thoughts on Colonization, chap. "Sentiments of the People of
Color", pp. 10-11.
129 Pour la situation du Sierra Leone, voir au M.A.E., C.C.P. Sierra Leone, vol. 1 4, A.D.P. Afrique
carton 5, C.P.C. Afrique Occidentale, cartons 18 et 65 ; voir aussi au C. A.O.M., S.G. Afrique IV,
colonies anglaises, dossiers 19, 53 55, Afrique VI, Angleterre, dossiers 12, 21, 30, 38, 52 ; et aussi
Sierra Leone F.O. 315.
130 Rapport du Comité du Parlement du 11 février 1817 en réponse à la Pétition de l’American
Colonization Society, dans Alexander Archibald, A History of Colonization on the Western Coast of
Africa, p. 96-97.
131 Spring, Memoirs of Mills, cité par A. Alexander, op. cit„ p. 101.
132 Ibid., pp. 106-107.
133 Spring, Memoirs of Mills, pp. 218-222 ; Address of the Board of Managers of the American
Colonization Society, to the Auxiliary Societies and the People of the United States, Washington,
1820, p. 4.
134 Memoirs of John Quincy Adams, comprising portions of his diary from 1795 to 1848, édité par
Charles F. Adams, Philadelphie, 1875, IV, pp.292-293.
135 Journal of the Board of Managers, le 16 octobre 1820 ; A.C.S. Papers ; Ashmun, Memoirs of
Bacon, pp. 244, 249, 263, 278.
136 Cf. Richard West, A History of Sierra Leone and Liberia, Back to Africa, 1970. p. 113.
137 A. Archibald, op. cit., pp. 172-173.
138 Benjamin Brawly, A Social History of the American Negro, Londres, Collier Mac Millan, 1921,
p. 179.
139 Pour de tels cas. voir au M.A.E., M.D Libéria, cartons 26, 27 et A.D.P. Afrique, carton 1.
140 Cf. Henry Garnet, Walker’s Appeal, with a brief Sketch of his life, New York 1848.
141 Genius of Universal Emancipation, 19 février et 5 mars 1830.
142 Samuel J. May, Memoir of S.J. May, Ed. J.J. Mumford, Boston.
143 Liberator. 23 avril 1831
144 William Lloyd Garrison, Thoughts on African Colonization ; or an Impartial Exhibition of the
Doctrines, Principles and Purposes of the American Colonization Society . Together with the
Resolutions, Addresses and Remonstrances of the Free People of Color, New York, Arno Press and
the New York Times, 1968. p. 13
145 W.L. Garrison, op. cit.. p.8.
146 W.L. Garrison, op. cit., p. 27, p. 34.
147 Early Lee Fox, The American Colonization Society, 1817-1840, Baltimore, The John Hopkins
Press, 1919, p. 140.
148 Lydia Maria Child à Mme Ellis Gray Loring, 15 août 1835 in Letters of Lydia Maria Child,
Boston, Houghton, Mifflin, 1863 ; Edward Beecher, Narrative of the Riots at Alton, 1838 ; Liberator,
24 novembre 1837.
149 Après la mort de Buchanan en septembre 1841, un commerçant de Monrovia, émigré de
Virginie, lui succéda comme gouverneur. Il devint le premier président de la République en 1848.
150 A propos des débuts du Libéria, voir Liberia F.O. 47, 458, 459 et 820 ; Huberich. Political and
Legislative History of Liberia, New York, 1947, I, pp. 737 820 ; II, 851-1014 ; John H R Latrobe,
Maryland in Liberia, Baltimore, 1885, pp 75-84 ; J.H. Mower, “The Republic of Liberia", Journal of
Negro History, XXXII, juillet 1947 ; Thomas Hodgkins à McLain, Londres, 16, 29 septembre et 3
octobre 1845 ; Elliot Cresson au Board of Managers, Londres, 19 juillet, 18 août 1841 in A.C.S.
Papers.
151 A.C.S. Thirty-First Annual Report, p. 10
152 A. C. S. Thirty-Ninth Annual Report, appendix, p, 26 ; Fortieth Annual Report, pp.4, 44-47 ;
Forty-Fourth Annual Report, pp. 23-24.
153 Liberia Bulletin n°1, novembre 1892, pp. 1-6 ; n°14, février 1899, pp-15-16 ; et n°16, février
1900, pp.27-31.
-4-
NATIONALISMES

“What is Africa to me.


Copper sun or scarlet sea,
jungle star or Jungle track,
strong bronzed men, or regal black
women from whose loins I sprang
when the birds of Eden sang ?
One three centuries removed
from the scenes bis fathers loved
spicy grove, cinnamon tree,
what is Africa to me ?"

extrait de Heritage de Countee Cullen,


tiré de On these I stand,
Harper and Row Publishers, 1925.

Emigration et nationalisme
Au milieu du XIXe siècle, dans la décennie 1850-1860, un groupe
d’activistes nègres se constitua aux Etats-Unis. Ils stigmatisèrent l’activité
des Noirs et des Blancs qui se mirent au service des propriétaires
d’esclaves, et formulèrent des revendications politiques et sociales. Voulant
se soustraire à l’arbitraire du pouvoir blanc, ils élaborèrent des plans qui les
conduisirent à envisager de vivre hors des frontières de l’Etat Fédéral. Ces
activistes cherchèrent une région à l’étranger où ils pourraient établir une
Black Nation où ils disposeraient d’un gouvernement, des possibilités de
prouver au monde leur capacité de vivre, de créer, de s’organiser et de
contribuer à la civilisation humaine. Ils se montraient partisans d’une
émigration dirigée par eux, de projets concernant des Nègres coordonnés
par eux-mêmes et non sous la tutelle des Blancs154.
Un tel comportement des Nègres a été parfois étiqueté de Negro
Nationalism dans l’historiographie des Etats-Unis. Pourquoi voir un
nationalisme noir dans cette tentative d’échapper au contrôle des Blancs en
se réfugiant à l’étranger ? Dans une perspective historique il faut distinguer
Negro Nationalism. Black Nationalism et African Nationalism. Le Negro
Nationalism a été associé au XIXe siècle aussi bien au mouvement
d’émigration contrôlé par les Nègres, qu’à la riposte des Nègres libres aux
différentes formes de déportation envisagées en pratique par les dominants
blancs. Le Black Nationalism s’applique au projet de “rédemption
universelle” de l’ensemble du Monde Noir. Le problème de l’identité nègre
était alors un problème central dans le Black Nationalism. Le concept
d‘African Nationalism a commencé à circuler au début du xxe siècle, à
partir de la création de l’African National Congress en Afrique du Sud, en
1912. C’est un concept spécifiquement africain.
Des projets furent conçus pour se rendre au Canada ou aux Caraïbes
(West Indies, Mexique, Caraïbes continentales), et même en Afrique. Sur
une population noire de 3 638.808 personnes (15,7 % de la population
totale), il y avait 434.495 libres, ou 11,9 % en 1850. Beaucoup de ces
projets, au milieu du siècle, s’intéressèrent à Haïti. En août 1854, des
délégués de onze Etats se rencontrèrent à Cleveland à la National
Emigration Convention of the Colored People. La plupart des représentants
venaient de l’Ohio et de Pennsylvanie. Ils plaidèrent pour l’établissement
d’une colonie de Noirs à l’étranger qui échapperait à l’oppression raciale.
C’est à cette convention que se distingua le pasteur James Theodore Holly
(1829-1911). Il prit la tête d’un groupe de personnes désirant se rendre en
Haïti. Né à Washington de parents libres, il fréquenta l’école de New York
et travailla comme cordonnier en Nouvelle-Angleterre. Il devint “editor”
associé de la Voice of the Fugitive publié à Windsor, au Canada de 1851 à
1853. Principal d’une école privée de Buffalo (N.Y.) en 1854, il publia un
ouvrage qui traitait de l’histoire de Haïti : A Vindication of the Capacty of
the Negro for Selfgovernment and Civilized Progress, as demonstrated by
Historical Events of the Haytian Revolution ; and the Subsequent Acts of
that People Since Their National Independance155.
Il avait été ordonné diacre de l’Eglise épiscopale en 1855. Cette même
année, Holly visita Haïti pour se rendre compte lui-même des possibilités
d’émigrer offertes aux Noirs des Etats-Unis. Il entreprit de négocier avec le
gouvernement haïtien pour parvenir à une réglementation du mouvement
d’émigration. Le gouvernement envoya en 1858 une invitation aux Noirs
nord-américains pour qu’ils émigrent. Cet encouragement officiel suscita
beaucoup d’espoirs dans la communauté noire. Pourtant, en mai 1859,
James Redpath, journaliste, abolitionniste, chef du Bureau Haïtien
d’Emigration, lança un avertissement. Il n’y aurait pas d’émigration jusqu’à
ce que le Président Fabre Geffrard (1859-1867), qui venait de succéder à
l’empereur Faustin Ier (Soulouque) ait précisé sa politique. Redpath se rendit
trois fois en Haïti en 1859-1860156. Le nouveau gouvernement accorda des
garanties aux émigrants en octobre 1860. Il leur promit la liberté de culte,
des concessions de terres, des privilèges politiques et le libre passage vers
l’ile s’ils le désiraient. Dans la préface de l’ouvrage de Redpath, Guide to
Hayti, le Président Geffrard s’adressait aux émigrants éventuels : “Ecoutez-
moi vous tous, Nègres et Mulâtres qui souffrez du préjudice de caste, dans
le vaste continent de l’Amérique. La République vous appelle... L’œuvre de
régénération qu’elle entreprend intéresse tous les gens de couleur et leurs
descendants... Haïti sera un démenti formel, le plus éloquent et le plus
péremptoire, contre ces détracteurs de notre race qui contestent notre désir
et notre habileté à atteindre un haut degré de civilisation”157.
Beaucoup de notables haïtiens partageaient ces idées. Ainsi, J.H. Fresnel,
médecin et homme politique réfugié en Guadeloupe en 1858, se montra
partisan d’une immigration étrangère qui exclurait les Africains. Il craignait
que les élites de Haïti et de République Dominicaine ne soient “absorbées
par les masses incultes, féroces et sauvages qui forment la majorité des
deux populations"158. Il ne voulait pas d’émigrants africains qui ne
contribueraient pas à la régénération d’Haïti et qui porteraient avec eux
disaient-ils : “les vices, la paresse, l’oisiveté, l’ignorance, le fétichisme, les
superstitions et les pratiques barbares des populations sauvages de
l’Afrique”159. Fresnel préconisait de favoriser l’immigration des Nègres des
Etats-Unis qui avaient déjà été dans le passé un grand apport pour Haïti :
“Les hommes des races jaune et noire de l’Amérique septentrionale qui sont
restés à Haïti ont beaucoup contribué au perfectionnement et à l’extension
de l’industrie. Commerçants, cultivateurs, ouvriers, ils ont tous été actifs,
laborieux, intelligents”160.
Frederick Douglass s’était toujours montré un adversaire acharné de
l’émigration. Editeur d’un journal qui parut sous des titres variés de 1847 à
1863, il avait pris la tête d’une croisade contre le départ de certains de ses
frères Noirs. Il mobilisa autour de lui plusieurs de ses partisans qui
partageaient ses idées. L’élection présidentielle de 1860 et les positions
adoptées par Lincoln provoquèrent son amertume et un revirement
inexpliqué. Son journal, le Douglass’Monthly, fit paraître en 1861 des pages
entières d’annonces, de réclames s’adressant aux émigrants éventuels. Ces
pages avaient été directement payées par le gouvernement haïtien161. Il
décida lui-même de se rendre en Haïti en avril 1861, invité officiellement
par les autorités, pour évaluer les possibilités d’établir des Noirs dans ce
pays. Son départ fut annulé après la déclaration de la Guerre de Sécession.
Ce pas en arrière de Frederick Douglass contribua à accroître le nombre
des activistes. Le gouvernement haïtien ayant donné son accord pour
favoriser le courant migratoire, les préparatifs de départ se pressèrent.
Redpath sélectionna un certain nombre d’agents recruteurs qui couvrirent le
pays : Holly, un des premiers sélectionnés, partit comme conférencier en
Pennsylvanie et New Jersey ; John Brown, Jr., fils du John Brown de
Harpers’ Ferry, se rendit au Canada ; J.Dennis Harris à son retour des
Caraïbes, fut envoyé dans l’Ohio. En outre, plusieurs agents recruteurs
s’établirent à New York et à Washington et il y eut un agent correspondant
pour les Etats du littoral atlantique. Ainsi se trouva quadrillée par ce réseau
d’agents recruteurs la portion d’Amérique du nord où les tensions raciales
poussaient à l’émigration.
Des réunions d’information se tinrent à Kalamazoo dans le Michigan et à
Baltimore dans le Maryland. Plusieurs amis de Douglass s’engagèrent
comme conférenciers à travers la Nouvelle Angleterre, et les provinces
maritimes du Canada. Ce fut le cas de William J. Watkins, un de ses
proches, qui s’était longtemps opposé à Holly et aux autres adeptes de
l’émigration. Citons également dans ce même cas William Wells Brown et
le Révérend J.B. Smith qui modifièrent complètement leur comportement
pour se joindre au groupe de personnes cherchant à persuader les Nègres
qu’Haïti devait être leur pays d’accueil. Smith avait été un ancien partisan
de l’African Civilization Society. C’est lui qui fut chargé, en juillet 1861, de
couvrir le nord de la Nouvelle Angleterre. Dans cette région où il y avait
peu de tensions raciales, les volontaires à l’émigration étaient en très petit
nombre. En revanche, il y eut plus d’appels dans les régions des Etats-Unis
voisines des Etats esclavagistes et au Canada, entre Toronto et Détroit où
s’installaient la plupart des établissements de Nègres. A New York, chaque
semaine se réunissait au 127 Suffolk Street la société Haitian Agricultural
Emigration Association162.
Des informations et des rapports optimistes ne cessèrent d’arriver en
1861. J.W. Williams fit savoir, de l’Ohio, qu’un groupe était sur le point de
partir à la fin de l’année. E. P. Walker suggéra que l’on fît appel pour le
voyage vers Haïti à des navires anglais pour écarter les dangers que
faisaient alors courir les corsaires battant pavillon de la Confédération.
Harris qui avait été reçu à Cleveland, avec chaleur en novembre 1860,
envoyait lui aussi des messages d’enthousiasme. Les rapports les plus
favorables arrivèrent de J.B. Smith, alors en Pennsylvanie, en juillet 1861.
Il évoquait la réception cordiale qui lui avait été faite à Lewistown,
Pittsburgh et York. Il avait rencontré à Lewistown toute une compagnie
entraînée aux manœuvres militaires qui voulait se rendre en Haïti pour
participer à la défense du pays menacé par des projets espagnols
d’invasion163.
En Californie, où vivait une population noire de 5 000 personnes environ,
l’idée d’une Nation Nègre centrée sur Haïti fit fortune. Une enquête de
Thomas Taylor de San Francisco entreprise en juin 1861, signalait le désir
d’émigrer de beaucoup de personnes. Redpath en conséquence,
recommanda au gouvernement haïtien l’envoi de Holly pour y ouvrir une
agence. Deux mois plus tard le Dr W.H.C. Stephenson écrivit de
Sacramento, corroborant le rapport de Taylor, pressant les autorités
haïtiennes de mettre des navires de transport à la disposition de ceux qui
voulaient partir. En novembre de la même année, Stephenson réclama
encore l’ouverture d’une agence et insista sur l’hésitation des gens de
Marysville, Sacramento, Ploverville et autres lieux à se joindre aux partants
vers Haïti164.
Au cours des six premiers mois de l’année 1861, sept convois
d’émigrants partirent des Etats-Unis. Plusieurs “colonies" s’établirent en
Haïti, portant des noms de villes des Etats-Unis : Rochester, New Haven...
Holly lui-même quitta Philadelphie avec un groupe de 2 000 personnes et
choisit de vivre définitivement en Haïti. Il organisa dans ce pays l’Eglise
Anglicane et devint le premier évêque de l’Eglise Orthodoxe Apostolique
Haïtienne. Il avait rédigé en 1859 un article sur le christianisme en Haïti
dans la revue Anglo-African Magazine165.
En avril 1861 débuta la Guerre de Sécession et en mai, les Espagnols
envahirent Haïti. Au début, la guerre n’arrêta pas le mouvement
d’émigration. Redpath se contenta de le suspendre pendant deux mois. Un
rapport de John W. Stokes de Toronto fit savoir que l’attaque espagnole
stimulait plutôt les partants éventuels. Il affirmait la volonté des Nègres
nord-américains (Etats-Unis et Canada) de se rendre en Haïti pour la
défendre contre ses ennemis. Ils pensaient qu’aux côtés d’Haïti, délivrée
d’une telle menace, viendraient s’ajouter un groupe des territoires
débarrassés de l’esclavage, Puerto Rico et Cuba. L’Espagne avait tout à
perdre dans cette aventure166.
Après des débuts prometteurs, le mouvement migratoire plafonna en
1862. Des rapports alarmistes en provenance de l’île laissaient entendre que
les émigrants n’étaient pas satisfaits de leurs conditions de vie. Haïti n’était
pas la terre promise qu’ils s’attendaient à trouver. Le pays n’avait pas
besoin de coiffeurs, de femmes seules, de vieilles personnes, de
“revendeurs”. Seules les familles connaissant le travail des champs et
habituées à l’existence des fermiers pouvaient vivre correctement. Par
ailleurs, le gouvernement haïtien se montra incapable de tenir ses
promesses167.
La maladie et la mort s’ajoutèrent à la détresse et à la misère des
nouveaux arrivants. John W. Stokes qui espérait partir en tournée pour les
aider, mourut en janvier 1862. Quelques mois plus tard il y eut tant de décès
à Saint-Marc qu’une enquête officielle fut ouverte. Cette mortalité élevée
fut attribuée aux mauvaises conditions d’hygiène, à des excès alimentaires
et de boissons alcoolisées, à une épidémie de petite vérole introduite par
certains émigrants. Les résultats de l’enquête découragèrent ceux qui
envisageaient d’émigrer sans chercher à préciser les raisons de cet échec168.
Combien de personnes émigrèrent-elles en Haïti ? Combien rentrèrent ?
Combien restèrent ? Nul ne le sait. Un rapport de décembre 1861 indiquait
la présence de 2 000 immigrants anglophones établis dans un rayon de dix
miles autour de Saint-Marc169 Ce nombre englobait aussi bien les
ressortissants des Etats-Unis et du Canada que ceux des colonies anglaises
des Caraïbes. Une autre estimation, en juillet 1862, parlait de 1 200 à 1 400
“Afro-Américains” vivant à Saint-Marc et dans le voisinage. John W.
Cromwell, étroitement associé à ce courant migratoire, affirma plus tard en
1914, que sur un ensemble de 2 000 émigrants, un tiers resta dans l’île170.
L’échec de l’émigration vers Haïti découle de plusieurs facteurs : l’espoir
d’une victoire de l’Union, les autres projets d’émigration et les critiques de
groupements opposés. D’après Benjamin P. Hunt, l’émigration échoua car
elle n’était pas organisée et qu’elle n’avait pas de capitaux en Haïti. Sans
ces deux conditions les pauvres et les ignorants, arrivés dans un nouveau
pays, ne pouvaient pas être capables d’y travailler avec succès171. A la fin
de l’année 1862, l’Eglise Zion de New York accueillit quelques-uns des
émigrants de retour. Ils organisèrent à cette époque une Anti-Emigration
League pour secourir ceux qui revenaient et conseiller aux autres de rester
aux Etats-Unis172. J. Dennis Harris qui servit également d’agent recruteur
pour le mouvement séparatiste noir, publia en 1858 un ouvrage intitulé A
Summer on the Borders of the Caribbean Sea. Ce sont des lettres qu’il
écrivit au cours d’un voyage aux Caraïbes et qui furent imprimées dans le
magazine The Weekly Anglo-African de New York. Il visita successivement
la République Dominicaine. Haïti, les îles Turks et Caicos, le Honduras
Britannique. Harris, dans ses lettres, résume des conversations, des récits,
des réflexions qui survinrent au cours de la traversée. Il expose quelques-
unes de ses impressions comme par exemple la supériorité des black Yankee
sur les indigènes, son amour du paysage insulaire, sa vision rapide des
routes, de l’agriculture, de l’industrie, son bref coup d’œil découvrant la
beauté des jeunes filles comme la Señora Pastorisa qui lui apparaît “la plus
belle femme du monde”173. Il évoque la personnalité de William Whipper,
un commerçant noir de Philadelphie, qui finança le voyage d’un steamer au
Canada pour venir en aide aux émigrants. Harris salue l’activité de William
Walker, un flibustier nord-américain qui se fit plus tard arrêter et fusiller au
Nicaragua. Il évoque aussi Hinton Rowan Helper, sudiste exilé qui bien
qu’opposé à l’esclavage, voudrait renvoyer tous les Noirs “back to Africa".
Il parle d’un certain Corwin qui “peut remercier le Ciel de n’avoir pas été
encore arrêté comme esclave fugitif’174. Le récit d’Harris s’étend
brièvement sur l’histoire d’Haïti de la période révolutionnaire jusqu’à
l’arrivée du Président Geffrard.

Afrique : les prémisses des conquêtes coloniales


Au début du XIXe siècle, l’Afrique qui compte environ cent millions
d’habitants, est minée depuis des siècles par l’activité des réseaux de la
Traite négrière. Traite négrière qui a débuté non pas au XVe siècle comme
on le dit souvent, mais antérieurement, au VIIe siècle avec le trafic des
marchands arabo-musulmans175. L’étude de la Traite négrière ne doit pas
dissocier le commerce des Occidentaux du XVe au XIXe siècle, de celui des
musulmans qui a débuté au VIIe siècle et qui se poursuit jusqu’à la fin du
XIXe siècle et au-delà, au XXe siècle176.
La Traite négrière et les guerres qui l’accompagnent expliquent
l’instabilité et la fragilité des structures politiques et économiques des pays
africains. Elles permettent de comprendre les déplacements de frontières
des Etats et des centres administratifs qui s’opèrent. Au cours de la
première moitié du XIXe siècle, la Traite négrière qui s’était
considérablement développée à la fin du XVIIIe siècle, se poursuit malgré
les interdictions successives. Entre les années 1800 et 1840/50, les
Africains sont encore maîtres chez eux et contrôlent les réseaux intérieurs
(marchés, caravanes, taxes supportées par les villages). Les Européens
dominent sur mer. leurs vaisseaux négriers déportent des millions de captifs
chaque année. Le trafic d’esclaves des musulmans s’effectue à l’ombre de
l’Islam, dans le sillage des djihad en Afrique de l’ouest, cherchant à élargir
la communauté des croyants dans la région du Soudan.
La Traite négrière a favorisé l’apparition d’Etats au Fouta-Djalon, au
Fouta Toro, à Sokoto ou au Macina. Les armées du djihad disposaient d’un
armement composé de fusils de traite et de sabres. Des forgerons
fabriquaient les balles et approvisionnaient les contingents.
Sur la côte occidentale d’Afrique, l’influence des Européens progresse
sous couvert des activités de la traite illégale. Comptoirs et barracoons se
succèdent entre la Sénégambie, la Haute Guinée, le Fouta-Djalon, les pays
Km, les Mande du Sud et les Mande du Haut-Niger au Bandama. Les
Français établis à Karabane (Casamance) en 1836 puis à Sediou en 1838 se
heurtent à la résistance des Malinke. La traite illégale s’organisa au Waalo
jusqu’à l’occupation militaire de janvier-juin 1855 (Faidherbe). La Gambie,
navigable sur des centaines de kilomètres, favorise la poursuite de la traite
en dehors du Sierra Leone. Le royaume du Kayor allié au Bawol jusqu’en
1855, est soumis à la pression des Français qui occupent Dakar en 1857. La
culture de l’arachide commencée en 1850 se répand en Sénégambie. La
stabilité de l’Etat musulman peul du Fouta-Djalon entre 1799 et 1870 lui
permet de dominer la région Guinée-Sénégambie. Le Fouta-Djalon possède
du bétail, des grains, du coton, du miel et des marchés d’esclaves qui
attirent les caravanes. Le pays est doté d’une aristocratie qui repose sur une
armée de cavaliers vêtus de blanc qui opèrent des razzias. A Freetown et
dans les villages d’agriculteurs de la presqu’île voisine. des esclaves libérés
développèrent une culture “créole".
Dans les pays de la boucle du Niger et de la Volta s’exerce l’influence
incontestée des "dynasties Ashanti". Elles contrôlent la politique et
l’économie des royaumes Akan du littoral (Wassa, Nzima, Twifu, Akwamu,
Akyem. Akwapim, Ga, Adangbe) et les chefferies fanti. La désagrégation
des empires trop étendus comme celui de l’Ancien Oyo et des Lunda,
l’empire Mossi du mogbo naoba, s’accompagne d’une période de guerres et
d’insécurité. Elle provoque la désorganisation du commerce le long du
littoral atlantique du Golfe du Bénin et l’apparition de nouveaux Etats plus
petits et soumis à des régimes plus autoritaires.
L’émigration des habitants de la colonie de Sierra Leone à Bathurst,
Badagri, Lagos, étendit sur la côte l’influence des commerçants et des
missionnaires anglais. Ils se risquèrent à Abeokuta, à pénétrer à l’intérieur
du continent vers 1850.
Le succès spectaculaire des méthodes coloniales anglaises à Freetown
facilita la présence des missionnaires de culture allemande, originaires de
Brême et de Bâle. Ils s’investirent dans l’exploitation de fermes, dans
l’étude des langues africaines, l’enseignement, la construction et le
commerce plutôt que dans la prédication. Sur la Côte-de-l’Or, les Anglais
concurrencés encore par les marchands danois et hollandais, s’opposèrent
aux efforts de domination des Ashanti. Ils incitèrent les Fanti qui
craignaient les Ashanti, à demander la protection de la Grande-Bretagne.
Entre le Mono et le Niger s’interpénètrent les quatre régions culturelles :
Aja, Yoruba, Borgu et Edo. L’émergence du royaume de Danxomé
(Dahomey) vers 1820 et ses incessantes campagnes militaires contre le pays
Yoruba favorisent l’essor de la traite clandestine. L’accumulation des
prisonniers est un des objectifs prioritaires des dirigeants du Danxomé —
du roi Kpengbe (1774-1789) à Ghezo (1818-1858) — qui ont organisé le
royaume en vue de répondre à la demande des négriers. Selon l’historien
nigerian I.A. Akinjogbin, le roi Tegbessou fonda l’économie du Danxomé
essentiellement sur la Traite négrière à partir de 1767 : “Tegbessou avait
placé le royaume à la merci des facteurs externes que les Dahoméens ne
purent contrôler ni même influencer"177.
Des négociants européens pratiquant la Traite négrière puis le “commerce
légitime” étendirent leur activité sur de vastes territoires. La production de
l’huile de palme, des arachides, de l’ivoire et des clous de girofle reposait
sur la traite intérieure et sur le crédit. En Angola et au Mozambique, les
Portugais tenaient quelques postes militaires, des prazos (exploitations
agricoles) et des comptoirs sur la côte, entre Ambry et Moçâmedes. Au
Mozambique, la domination effective des Portugais se limitait, en 1800, à
l’île de Mozambique où s’imposaient les pumbeiros, ces trafiquants
“métissés” qui assuraient la sécurité des routes commerciales avec l’appui
des chefs et des marchands africains.
Au cours du XIXe siècle, les bouleversements survenus favorisent
l’ascension au pouvoir de certains groupes de guerriers. Les chefs
traditionnels n’hésitent pas à s’appuyer sur des guerriers, voire sur des
marchands européens ou “créoles”. Ces guerriers et ces marchands créoles
qui veulent accaparer une part des privilèges associés au pouvoir devaient
se soumettre aux règles de la compétition politique. Les descendants des
esclaves libérés faisaient souvent du commerce. Ainsi ils devaient recruter
une suite nombreuse d’esclaves et acquérir des richesses dont la distribution
leur permettait d’accéder au pouvoir. On comprend mieux l’importance
prise par ces Cha-cha brésiliens au Danxomé et surtout on s’explique
pourquoi il n’y a pas eu de révolution économique et sociale durant la
première moitié du siècle.
L’extension rapide du commerce européen a contribué à l’enrichissement
de certains chefs africains et leur a permis d’obtenir des produits essentiels
comme les armes à feu. On s’étonne tout de même : comment expliquer que
tant de souverains africains d’Abeokuta, du pays Fanti, de Madagascar,
aient, malgré leur méfiance, pris le risque d’accueillir des marchands, des
aventuriers, des missionnaires venus d’Europe ?
A partir des années 1850-1860 s’ouvre une période de transition bien que
le commerce négrier et le commerce “légitime” apparaissent comme
complémentaires à beaucoup d’Africains. La production d’huile de palme,
originaire du delta du Niger, liée d’abord à la Traite négrière, se développe
en Côte-de-l’Or, au Dahomey, au Nigeria. Le passage de la Traite négrière
au commerce “légitime” renforça l’influence des marchands privés par
rapport aux marchands du roi et stimula l’activité commerciale des Ashanti
au nord de la savane. Cette transition provoqua des bouleversements au
niveau de la production : “Le ramassage, le transport et l’emmagasinage des
produits, tels que l’huile de palme et l’arachide, puis le partage des produits
importés pour les répartir entre les nombreux petits producteurs exigeaient
plus de main-d’œuvre que la traite des esclaves..."178.
L’essor des exportations qui remplacèrent la traite fit que, en Afrique, on
eut besoin d’un plus grand nombre d’esclaves pour se procurer l’ivoire
(chasse aux éléphants), pour récolter le coton, le miel, la gomme arabique,
les clous de girofle et, plus tard, le caoutchouc ainsi que pour transporter
ces produits. On constate une augmentation considérable de la traite
intérieure africaine et du travail servile au XIXe siècle, qui s’accompagne
d’une tendance à la centralisation des systèmes politiques et au
renforcement de l’autorité royale.
A partir des années 1870-1900, les attaques des Européens se précisent,
s’accélèrent avec le formidable appui de la mitrailleuse. Les conquêtes
coloniales des territoires africains s’opèrent en effet avec les armes de la
guerre moderne (canons, fusils, mitrailleuses). La mitrailleuse apparaît
presque simultanément en France et aux Etats-Unis. Pendant la Guerre de
Sécession apparaît la machine-gun Gatling, du nom de son inventeur,
Richard Gatling, de Chicago. En France, au château de Meudon, avec
l’appui de Napoléon III, le Commandant Reffye met au point un “canon à
balles” ou mitrailleuse, que l’armée française adoptera en 1867.

Martin R. Delany, un précurseur du “Black Nationalism"

“Africa for the African race, and black men to rule them”
M. R. Delany

Plusieurs personnages mériteraient d’être mieux connus du grand public


et leurs écrits soigneusement examinés. Ils ont publié des textes : traités,
pamphlets, sermons, articles, livres pour lutter contre la discrimination
raciale et plaider la cause d’une Afrique civilisée. Quelques-uns gravitent
autour de l’idéal panafricain : Hosea Easton (auteur d’un Treatise on the
intellectual Character, 1837), James Pennington (1841), Robert Blewis
(Light and Truth, 1844), David Walker (Appeal to the Coloured Citizens of
the World, 1829), Henry Highland Garnet (1848), Alexander Crummell
(The Future of Africa, 1862, une collection de sermons), James “African”
Horton (West African Countries and Peoples, 1868), George Washington
Williams (History of the Negro Race in America, 1882), Pasteur Harvey
Johnson, de (Union Baptist Church à Baltimore, docteur en théologie (The
Nations from a new Point of View, 1903).
Martin Robinson Delany occupe une place particulière dans cet
aréopage : où le placer sans faire d’erreur ? Delany, né le 6 mars 1812 à
Charlestown (Virginie) est le cinquième enfant de Pati Peace, mariée —
vers 1799 — à Samuel Delany, deux Nègres libres. Shango et Graci, les
parents de Pati, étaient Mandingues. Le père de Samuel, un chef de village
capturé en Afrique et vendu comme esclave, réussit à s’enfuir et à se
réfugier au Canada avec sa femme et ses deux enfants. Samuel lui-même,
d’abord esclave, charpentier, parvint à réunir un pécule qui lui permit de
racheter sa liberté. Il commença par être un “marron du syllabaire”,
apprenant à lire et à écrire seul. Son père emmena sa famille en septembre
1822 en Pennsylvanie, un Etat où ils devinrent libres. Il quitta sa famille et
s’installa à Pittsburgh le 29 juillet 1831. Il fit la connaissance de Lewis
Woodson, pasteur et prêcheur qui avait ouvert une école (Pittsburgh’s
African School) dans les locaux de 1’African Methodist Episcopal Church.
II lut l’appel rédigé par David Walker, Nègre libre de Boston (? - 1830),
Appeal to the Colored Citizens of the World. Le pamphlet antiesclavagiste
pressait, en 1827, les esclaves de se révolter contre leurs oppresseurs.
L’alternative était : “To kill or to be killed" (“Tuer ou être tué”).
Le jeune Martin travaillant le jour, suivit, la nuit, les enseignements de
l’école. Puis il commença à étudier la médecine avec le Dr. Andrew Mc
Dowell. Martin R. Delany et Lewis Woodson, délégués de Pittsburgh,
assistèrent en 1836 à la Convention annuelle des Hommes de Couleur à
New York. Ils participèrent au débat portant sur l’organisation des Noirs
pour lutter pour l’émancipation. Quels types d’organisation : des “Colored
Conventions”, des “African Churches” ou des groupes sociaux pour
combattre Blancs et Noirs ensemble dans un mouvement antiesclavagiste ?
Quels termes employer : “black”, “colored”, “negro”, “sons of Africa” ou
“oppressed Americans” ?
La plupart des Noirs libres considéraient la Colonization Society comme
leur ennemie :
“African colonization is a scheme to drain the better-informed part of the
colored people out of the United States, so that the chain of slavery may be
riveted more tightly. (...) We consider every colored man who allows
himself to be colonized in Africa a traitor to our cause” (“La colonisation en
Afrique (par la Société Américaine de Colonisation) est un moyen d’attirer
les mieux informés des gens de couleur hors des Etats-Unis, afin de mieux
river la chaîne de l’esclavage. (...) Nous considérons tout homme de couleur
s’autorisant à se laisser transporter en Afrique comme un traître à notre
cause”, Meeting de Pittsburgh).
Martin Delany, en 1839-1840, visita le Texas, intégré à l’Union depuis
1836, la Louisiane, New Orleans, le territoire de la Choctaw Nation et
l’Arkansas179.
Il affirma sa fierté d’être noir. Frederick Douglass dit de lui : “Je remercie
le Seigneur de m’avoir fait homme, mais Delany le remercie de l’avoir fait
un homme noir". Delany a été explorateur, éditeur, écrivain, directeur d’un
des premiers journaux appartenant à des Noirs. Il fut l’un des trois premiers
Noirs admis à la Harvard Medical School, le premier Noir à être titulaire du
grade de major de l’armée des Etats-Unis pendant la Guerre de Sécession.
Auteur, docteur en médecine, ethnologue, orateur, juge, fonctionnaire au
Bureau des Affranchissements, Delany a été un des premiers représentants
du Black Nationalism.
Il épousa Catherine Richards, la fille d’une famille noire, des
commerçants aisés de Pittsburgh, le 15 mars 1843. Il lança le 30 août 1843
le journal The Mystery, avec pour devise : “And Moses was learned in all
the wisdom of the Egyptians”. Un comité de publication dirigé par John
Peck et John Templeton s’occupa des affaires commerciales du journal à
partir de mai 1844, Delany se consacrant uniquement à l’édition. Malgré ses
occupations, il visita deux fois l’Ohio en 1844, se rendant à Cincinnati pour
s’informer des conditions de vie de la communauté des noirs libres. Il
prononça trois conférences à Columbus et à Philadelphie. Le couple Delany
eut onze enfants, dont sept survécurent. Ils nommèrent le premier, né le 28
février 1846, Toussaint Louverture Delany, le second, né en 1850, Charles
Lenox Remond, suivi de Alexander Dumas, Saint-Cyprien, Faustin
Soulouque, Rameses Placido et Ethiopia Halle, la seule fille.
Martin R. Delany et Frederick Douglass se rencontrèrent à Pittsburgh, à
l’occasion d’une réunion antiesclavagiste, en août 1847. Ils s’associèrent de
1847 à 1849 pour publier le journal The North Star à Rochester (New
York). Acheté par l’A.M.H. Church en 1848, The Mystery devint The
Christian Herald, le premier journal religieux des Noirs aux Etats-Unis.
Delany décida de terminer ses études de médecine avec l’aide du Dr.
Frances Le Moyne. Il réussit à se faire admettre à la Faculté de Médecine de
l’Université de Harvard. L’admission de deux Noirs — Isaac Snowden et
Daniel Laing — avait été autorisée sous réserve qu’ils pratiqueraient leur
profession au Libéria sous les auspices de la Massachussetts Colonization
Society. Ils embarquèrent pour le Libéria en 1854 après avoir terminé leurs
études médicales à Dartmouth.
Delany demeura à Pittsburgh jusqu’en 1856, travaillant comme médecin,
professeur et Worshipful Master de la St. Cyprian Loge des Maçons. Il
apprit vers 1856 — il résidait alors à Pittsburgh — qu’une bande de Blancs
se rendait régulièrement aux West Indies pour kidnapper et réduire en
esclavage des enfants noirs. Il libéra un jeune garçon qu’on avait capturé en
Jamaïque et s’arrangea avec le consul anglais pour organiser son retour.
Delany rédigea à cette occasion une lettre qu’il envoya au Morning Journal
de Jamaïque pour exprimer sa colère :
“Il est préférable de vivre libre avec une banane ou un igname, et un
verre d’eau par jour, que d’être esclave, particulièrement dans ce pays qui
est le pire et le plus méprisable que le ciel ait jamais vu. Aucune personne
de couleur aux Etats-Unis n’est réellement libre. Restez, dans votre
magnifique île ensoleillée, plutôt que de venir dans ce pays esclavagiste et
oppressif’.
Delany publia en mai 1852 un livre à Philadelphie, The Condition,
Elevation, Emigration and Destiny of the Colored People of the United
States Politically Considered. Après avoir noté que “depuis plus de deux
cents ans nous avons abattu des forêts, cultivé la terre, construit les villes...
(nous sommes) la colonne vertébrale, le nerf du pays”, il constatait :
“depuis trop longtemps, nous avons laissé les blancs penser pour nous", et
affirmait : “Nous devons agir par nous-mêmes”. Que faire alors ? Où aller ?
Il préconisait l’émigration mais écarta le Libéria, considéré comme “une
dépendance lamentable de l’American Colonization Society”. Il proposait
les Caraïbes comme lieu de refuge, où il espérait plus tard “former une
union glorieuse des Etats Sud-Américains”.
Conseillé par lui, David Peck — le premier Noir ayant obtenu un diplôme
d’une école de médecine — Rush Medical College à Chicago —
s’embarqua à New York pour exercer à San Juan del Norte, un port du
littoral de la Mosquitia au Nicaragua. Il joua un rôle important dans
l’organisation politique et administrative de la ville. Noirs des Caraïbes et
de New York siégeaient ensemble au conseil municipal du port de San Juan
del Norte.
Peu avant la remise du manuscrit de son livre à l’imprimeur, Delany
ajouta un appendice intitulé “Un projet d’expédition à la Côte orientale
d’Afrique”. William Lloyd Garrison, dans son compte rendu de l’ouvrage,
n’approuva pas le conseil de Delany à la population noire d’ “émigrer aux
Caraïbes”. Le problème était posé : fallait-il partir pour vivre en homme
libre, ou demeurer aux Etats-Unis et subir la répression des lois
esclavagistes ? Frederick Douglass en revanche, malgré une lettre de
Delany qui lui demanda son opinion, garda le silence180.
Delany participa en août 1854 à Cleveland à la Convention sur
l’Emigration. Elu président, il rédigea un rapport (Report on the Political
Destiny of the Colored People) dans lequel il fustigea les rêves
d’intégration qu’avaient caressés plusieurs générations de Nègres libres.
Delany et ses amis du Comité des Commissaires, nouèrent des relations
épistolaires avec des personnalités des Caraïbes (Jamaica, Cuba). Le comité
envoya en 1855 James Theodore Holly en Haïti, à la cour de l’Empereur
Faustin Soulouque.
La réunion de la Convention sur l’Emigration à Cleveland se fit sans son
président en 1856, car Delany avait quitté Pittsburgh en février 1856 pour
vivre avec sa famille au Canada, à Chatham (Ontario). Il y exerça la
médecine, écrivit des chroniques dans le Provincial Freeman.
Au cours des débats organisés sous l’égide de la Convention sur
l’Emigration, aucun participant n’aurait évoqué l’Afrique, de peur de passer
pour complice de l’American Colonization Society. Pourtant, la publication
en 1857 du livre de Thomas Jefferson Bowen, un pasteur blanc de Géorgie,
Central Africa. attira l’attention de Delany. L’auteur évoquait le travail des
missionnaires dans les royaumes Yoruba sur la côte occidentale d’Afrique.
Delany envoya des exemplaires du livre aux membres du Comité national
des commissaires de la Convention. En avril 1858, il organisa un voyage en
Afrique. A la même époque, une nouvelle association, l’African Civilization
Society, projetait aussi une expédition en pays Yoruba et cherchait des
volontaires. Derrière le président, Henry Highland Garnet, pasteur à New
York — un vieil ami de Delany — se pressaient des hommes d’affaires. des
Quakers, des abolitionnistes et des membres de l’American Colonization
Society.
Il avait réussi à réunir une somme d’argent pour couvrir ses dépenses en
1858-1859 par des conférences à New York, et la rédaction d’un roman
publié juste avant Noël 1858. Son livre Blake : or the Huts of America se
voulait une réponse à l’ouvrage de Harriet Beecher Stowe, Uncle Tom’s
Cabin, publié en 1852 et qui avait eu un succès retentissant. Le héros du
roman de Delany, un jeune Noir, capturé enfant à Cuba, esclave sur une
plantation du Mississippi, était bien éduqué et fier, alors que l’Oncle Tom
était vieux, pieux et ignare. Deux autres Noirs écrivirent des romans.
Clotel : or the President’s Daughter, de William Wells Brown, a été publié
en Angleterre en 1853, et The Garies and their Friends de Frank Webb
parut quatre ans plus tard, également en Angleterre181.
Delany quitta le Canada à bord du Mendi le 24 mai 1859 pour se rendre
au Libéria. Le navire appartenait à trois Noirs de New York qui s’étaient
associés pour ouvrir une ligne reliant les Etats-Unis au Libéria. Le Mendi
arriva à Monrovia le 12 juillet. Delany débarqua dans un pays qu’il avait
critiqué depuis deux décennies, chez des habitants, les Liberians, qu’il avait
traités de “domestiques” et d’ “esclaves” de l’American Colonization
Society dans l’introduction d’un pamphlet rédigé quatre ans auparavant.
Invité par un groupe de personnalités à donner une conférence, il reçut un
accueil chaleureux à Monrovia où il rencontra des anciens amis comme le
Dr. Daniel Laing ou le Révérend Alexander Crummell, responsable d’un
lycée. Blyden évoqua le passage de Delany dans le Liberia Herald, le
comparant à “Moïse qui conduirait l’exode de son peuple...”. Le 5 août il
embarqua sur le Mendi pour aller à Cap Palmas et de là à Lagos où Robert
Campbell — un jeune naturaliste des West Indies — l’attendait. Une forte
fièvre l’obligea à rester à Cap Palmas chez Alexander Crummell. A Lagos
où il resta cinq semaines, il fut reçu en audience, en octobre, par le Roi
Docemo qui lui fit don d’un terrain.
Il quitta Lagos le 30 octobre pour se rendre à Abeokuta par la rivière
Ogun en pirogue. Il passa deux mois avec le Révérend Samuel Adjai
Crowther. Il fit la connaissance de la Princesse Tinuba182, une riche
commerçante qui voyageait avec une escorte d’une soixantaine de
personnes. Expulsée de Lagos, soupçonnée de complot dans l’assassinat du
consul britannique, elle voulut lui confier ses intérêts. Delany ignorait alors
que cette Princesse Tinuba s’était heurtée aux autorités anglaises qui
voulaient arrêter son activité marchande dans la Traite négrière illégale.
Impliquée dans un trafic d’armes, on la soupçonnait de s’abriter derrière un
commerce d’huile de palme et d’ivoire pour mieux poursuivre la
contrebande d’esclaves dans des points retirés de la côte.
Delany critiqua l’activité des missionnaires qui avaient pris l’habitude de
changer les noms des Africains devenus chrétiens. Campbell et lui
négocièrent avec le roi et les chefs l’autorisation de faire venir des Etats-
Unis un groupe de Noirs à Abeokuta183.
Laissant Abeokuta en janvier 1860, Delany et Campbell visitèrent
pendant trois mois les cités Yoruba de la vallée du Niger. Ils embarquèrent
le 10 avril à Lagos sur un navire qui arriva le 12 mai à Liverpool et le 16 à
Londres. Invité par les membres de la Royal Geographical Society, Delany
leur lut une communication intitulée “Geographical Observation on Western
Africa”. Quinze jours plus tard il prononça une conférence au National
Club, “Conditions and Prospects of the African Race”. Il participa le 16
juillet à la session de l‘International Statistical Congress et aux discussions
sur la maladie et la santé en Afrique.
Delany se rendit en Ecosse en septembre après être allé à Brighton, à
Manchester, à Leeds et à Newcastle-upon-Tyne. La tournée en Grande-
Bretagne visait surtout à recueillir de l’argent pour financer son projet
d’établissement à Abeokuta. Il rentra aux Etats-Unis le 29 décembre 1860.
Son rapport achevé en février 1861, fut publié à New York. Dédié au
Comité des commissaires de la Convention sur l’Emigration, il se terminait
par cette phrase : “Je retourne évidemment en Afrique avec ma famille”.
Beaucoup de Noirs, effrayés par la situation politique qui opposait le
Nord au Sud, songeaient à émigrer. Une majorité d’entre eux pensaient
partir en Haïti plutôt qu’en Afrique. Le Président haïtien Fabre Geffrard élu
en 1859, avait nommé un Blanc, James Redpath, à la tête du bureau haïtien
d’Emigration. Ce dernier disposant d’une somme de 20 000 dollars, s’était
entouré de personnalités noires telles que William Wells Brown, H. Ford
Douglass et James T. Holly pour attirer les volontaires dans la république
insulaire.
Delany critiqua la nomination d’un Blanc par Geffrard et affirma sa
préférence pour une émigration vers l’Afrique. En 1861 et 1862, deux mille
Noirs des Etats-Unis immigrèrent en Haïti. Frederick Douglass lui-même
accepta un billet gratuit pour lui permettre de se rendre en Haïti pendant six
semaines pour s’informer sur le pays. Douglass ne partit pas, la guerre de
Sécession avait commencé et il se montra partisan de rester et de suivre le
courant des événements.
Delany apprit la prise de Lagos en août 1861 par les forces navales
anglaises. Le Roi Docemo fut exilé et William Mc Coskry nommé
gouverneur. Il n’était donc plus question de quitter le pays en guerre. Les
Etats-Unis reconnaissaient l’indépendance de Haïti et du Liberia en mai
1862. Le Congrès accorda 600 000 dollars à un projet d’émigration de
Nègres libres. Un Comité d’Emigration et de Colonisation recommandait,
après étude du plan de déportation, un crédit de 20 000 000 dollars pour son
application. Le Président Lincoln prévoyait l’envoi de Noirs à Chiriqui, au
Panama et il reçut à Washington, à la Maison Blanche, cinq personnalités
noires en août, dont Lewis Douglass, le fils de Frederick Douglass. Ce
dernier s’opposa vivement à ce projet ainsi que la communauté de
Philadelphie et de New York. Finalement, le plan de Lincoln n’eut pas de
suite à cause des difficultés rencontrées au Panama pour l’accueil des Noirs
des Etats-Unis. La proclamation d’émancipation de Lincoln le 22 septembre
1862 ouvrit une ère nouvelle.
Delany, comme F. Douglass, Henry H. Garnet et Williams Wells Brown à
l’Est, sillonna l’Ouest : l’Illinois, l’Indiana et le Michigan, pour le
recrutement des Noirs dans l’armée. Son fils Toussaint, âgé de 17 ans,
s’engagea le 27 mars 1863 avec l’autorisation de son père, dans le 54e
Régiment du Massachussetts (Compagnie D). Une critique feutrée de
Frederick Douglass dévoile un aspect peu connu de sa personnalité.
Douglass rapporte en effet dans la Tribune ces paroles prononcées par
Delany à Rochester en 1862 : "I speak only of the pure black, uncorrupted
by Caucasian blood” (“Je m’adresse seulement au Noir pur, non corrompu
par le sang caucasien”). Il observait qu’on pouvait avoir l’impression, en
entendant ces mots, que “Delany partage la même vision à propos des Noirs
que les Blancs en faveur de la doctrine de la suprématie blanche"184.
Blyden, également, se solidarisait avec les Nègres “purs”185.
En septembre 1864, Delany, sa femme Catherine et leurs sept enfants
quittèrent le Canada pour habiter à Wilberforce, près de Green County dans
l’Ohio, à cinq kilomètres de la ville de Xenia. L’A.M.E. Church avait
acquis un domaine appelé Wilberforce pour y construire un collège destiné
à former des enseignants et des pasteurs. Autour de l’ “Université”, une
communauté de Noirs s’était regroupée pour échapper à la discrimination
raciale. Delany acheta un terrain et fit construire une maison pour y installer
sa famille.
Reçu par le Président Lincoln à la Maison Blanche le 18 février 1865, il
lui soumit un projet de création d’une armée de 40 000 soldats noirs
commandée par des officiers noirs qui pénètrerait au cœur du Sud et qui
serait "une force irrésistible”. Lincoln, intéressé, chargea E.W. Stanton, le
Secrétaire d’Etat à la guerre, de lui conférer une commission de Major de
l’armée des Etats-Unis, le 28 février 1865. Delany servit comme chirurgien
dans l’armée à Charleston.
Après la guerre, il passa trois ans au Freedmen’s Bureau et travailla
comme juge de paix à Charleston. Il se montra un critique sévère de la
corruption pendant la période de Reconstruction en Caroline du Sud, et un
dirigeant scrupuleux de la Honest Government League après son échec en
politique aux côtés des Républicains. En 1874, il rédigea son ouvrage de
référence, Principia of Ethnology : The Origins of Races and Color with an
Archaeological Compendium of Ethiopian and Egyptian Civilization publié
chez Harper en 1879.
En novembre 1877, le Pasteur Richard Cain écrivit à William Coppinger,
secrétaire de l’American Colonization Society, pour lui dire que des milliers
de Noirs Sudistes désiraient partir pour aller vivre au Liberia. Il souhaitait le
départ d’un navire de Charleston en janvier 1878. Un groupe de personnes
constitua la Liberian Exodus Joint Stock Steamship Company qui vendit des
actions et réunit 6 000 dollars en six mois. La compagnie acheta à Boston
un navire, l’Azor, en mars 1878. Il quitta Charleston le 21 avril 1878 pour se
rendre au Liberia en vingt-cinq jours.
En 1880, Delany chercha sans succès, à Washington, à se faire nommer
consul par le State Department dans un des pays d’Amérique du Sud ou des
Caraïbes. Quatre ans plus tard, en 1884, une société de Boston envisageait
de l’envoyer comme agent aux Caraïbes occidentales. Il s’apprêtait à partir
quand il tomba malade. Il mourut près des siens, le 24 janvier 1885, dans sa
maison à Wilberforce (Ohio).

154 Cf. Howard H. Bell, “The Negro Emigration Movement, 1849-1854. A Phase of Negro
Nationalism", Phylon, XX, été 1959, pp- 132-142 et id., “American Negro Interest in Africa, 1858-
1861", Journal of Social Science Teachers, VI, nov. 1960, pp-11-18.
155 New Haven, publié pour l’Afro-American Printing Co. par William H. Stanley en 1857.
156 James Redpath. A Guide to Hayti, Boston, Thayer et Elridge, 1860 et Douglass’Monthly, mai
1859, p-78.
157 James Redpath, op.cit., p.5
158 J.H. Fresnel, "Du protectorat et de l’immigration en Haiti ", Manuscrit aux Archives des
Affaires Etrangères, Mémoires et Documents Haïti 2/452.
159 Ibid. 2/462.
160 Ibid. 2/463.
161 Howard H. Bell, “A Survey of the Negro Convention Movement, 1830-1861”, thèse de Doctorat
non publiée, du Département d’Histoire de Northwestern University, pp. 217-222.
162 H.H. Bell, op. cit.. p.250 et The Pine and Palm. 8 juin 1861 et 21 septembre 1861 ; Cleveland
Morning Leader, 22 novembre 1860.
163 The Pine and Palm, 3 août 1861.
164 Proceedings of the First State Convention of the Colored Citizens of the State of California,
Held at Sacramento November 20th, 21st. and 22nd, in the Colored Methodist Church, Sacramento,
Democratic State Journal. 1855 ; The Pine and Palm, 8 juin 1861, 17 août et 16 novembre 1861.
165 Cleveland Morning Leader, 24 juin 1861 ; The Pine and Palm. 25 mai 1861 : The British and
Foreign Anti-Slavery Reporter. 1er juillet 1861 ; Cleveland Morning Leader, 24 juillet 1861 ; The Pine
and Palm. 20 juillet 1861.
166 The Pine and Palm, 1er mai 1862.
167 Id., 29 mai 1862.
168 Id., 28 décembre 1861 et 3 juillet 1862.
169 John W. Cromwell, The Negro in American History :, Men and Women Eminent in the Evolution
of the American of the African Descent, Washington. The American Negro Academy, p.44.
170 Collection Benjamin P. Hunt, Boston Public Library.
171 The Liberator, 12 juin 1863.
172 J. Dennis Harris, A Summer on the Borders of the Caribbean Sea, New York, A.B. Burdick,
1860, p.41.
173 Ibid., p.136.
174 Ibid., p.35.
175 Voir sur cette question : B. Etemad, “L’ampleur de la traite négrière (VIIe- XIXe siècles) : un état
de la question”, in Bulletin du Département d’histoire économique, Université de Genève, n°20,
1989-1990, pp.43-46.
176 L’historien Marc Ferro, dans son analyse des manuels d’histoire traitant de la question, observe
qu’à partir du moment où le sujet touche au monde de l’Islam, "la main de l’historien (africain) se
met à trembler”, in Comment on enseigne l’histoire aux enfants, Paris, 1981, p.41.
177 Dahomey and its Neighbours, 1708-1818, Cambridge University Press, 1967, p.141.
178 F. Munro, Africa and the International Economy, Dent, Londres, 1976, p.47.
179 Un récit de son voyage se retrouve dans le roman qu’il publia plus tard, en 1859, Blake : or the
Huts of America. Il raconte l’histoire d’un Noir qui se rend de Natchez à New Orleans, au Texas et en
Arkansas, pour tenter d’organiser un soulèvement général des esclaves.
180 A la Convention des Colored People de novembre 1848 à Cleveland (Ohio), F. Douglass
engageait les Noirs des Etats-Unis à rester sur place et à lutter pour l’abolition de l’esclavage avec
tous les moyens qui étaient à leur disposition, au lieu d’accepter de quitter le pays,
181 Il fallut attendre la Guerre de Sécession pour voir une édition révisée du Clotel aux Etats-Unis,
alors que The Garies and their Friends attendit 1969 pour paraître dans ce pays.
182 Voir chapitre 5.
183 Traité signé le 27 décembre 1851, passé entre les chefs et Balaguns d’Abeokuta : Okukenu,
Alake, Somoye, Ibashorum, Sokenu, Ogubonna et Atambala, et Martin R. Delany et Robert
Campbell.
184 Douglass’ Monthly, janvier 1859-août 1862.
185 Voir chapitre 7.
-5-
EMANCIPADOS CUBAINS ET BRESILIENS EN LIBERTÉ

"L’Angleterre, malgré toute sa philanthropie, expédie sous la bannière


de Saint-George, dans les commodes et spacieux entrepôts du commerce
légitime de la côte occidentale, des fusils de Birmingham, des
cotonnades de Manchester, du plomb de Liverpool et autres produits non
moins légitimement payés à Sierra Leone, Accra et la Côte de l’or, par
de bonnes traites brésiliennes ou espagnoles sur Londres. Est-il un seul
marchand anglais qui ignore la destination de ces marchandises ? La
France avec toutes ses belles maximes de liberté, d’égalité et de
fraternité universelle n’en expédie pas moins de son côté des colonnades
de Rouen, ses eaux-de-vie, et une infinité d’articles de clinquant pour la
même destination. Enfin la philosophie allemande ne refuse pas sa part
du gâteau trempé du sang et des sueurs des Noirs, comme dirait un
négrophile -, elle envoie à la côte d’Afrique ses miroirs et ses verroteries.
Les citoyens des Etats-Unis, à leur tour, tant ceux des Etats où
l’esclavage est aboli que ceux des antres Etats, ces très dignes citoyens
des Etats-Unis, qui n’hésiteraient pas. disent-ils. à pendre un négrier
comme pirate, s’ils le prenaient sur le fait, lui fournissent indirectement
le tabac, de la poudre, toutes les marchandises de leur fabrication on de
leur cru. autant de rhum yankee, autant de Bibles de la Nouvelle
Angletetre qu’ils peuvent même en désirer, pour mieux cacher leur jeu et
se donner des airs de petits saints devant les croiseurs anglais. C’est la
tentation de toutes ces choses, je ne parle pas des Bibles, qui alimente
pourtant les guerres intérieures de l’Afrique ; c’est contre la poudre, le
tabac, l’eau-de-vie, les cotonnades, etc., etc., qu’on échange la chair
noire. ‘Qu’y faire ? diront ces bons apôtres. La traite des Noirs est
l’abomination des abominations, mais l’or ne sent pas d’où il vient. Les
traites sont en règle et payées recta’ (octobre 1827)".
Captain Theophilus Conneau. Mémoires (d’un négrier),
extr. de Captain Th. Conneau, The original 1853 Manuscript, Londres,
R. Hale Ltd.

"A Cambridge-educated Nigerian judge and a visiting American civil-


rights leader met a diplomatic reception in Lagos not long ago, and their
conversation turned to the race problem in the United States. The black
American told of brutal treatment he had received at the hands of
Alabama policemen and, starting to unbutton bis shirt, he offered to
show the scars that they had left on his back. But the Nigerian stopped
him, saying . ‘I am simply not interested. ‘ Later he explained, ‘That
young American assumed that he and I had some special common bond.
But all we really have in common is that we both have black skins, and
that’s evidently more important to him than it is to me".

New York Times, 5 septembre, 1971.

Dès l’occupation française de la péninsule ibérique en 1808, la rupture


des communications maritimes entre le Portugal et le Brésil, l’Espagne et
Cuba inaugurent entre ces pays de nouveaux types de relations
internationales. Le Brésil et Cuba ne peuvent plus compter sur le Portugal
ou sur L’Espagne pour les protéger contre les menaces économiques,
politiques et les convoitises des deux grandes puissances maritimes,
Grande-Bretagne et Etats-Unis.
Dans la première moitié du XIXe siècle, le développement de la
production (sucre et café) sur de vastes plantations travaillant pour le
commerce d’exploitation se fonde sur des investissements financiers
considérables. Le Brésil et Cuba dépendent entièrement du système
esclavagiste et des importations de captifs africains de la traite négrière. La
base du système colonial est le système esclavagiste. La Grande-Bretagne,
puissance impériale de premier rang, impose aux Caraibes la présence de sa
marine, de ses négociants et de ses banques. Le Brésil et Cuba deviennent
des protectorats britanniques virtuels. Leur indépendance économique,
financière et navale dans le cas de Cuba ne leur laisse qu’une faible marge
de manœuvre politique. C’est dans ce contexte financier en particulier —
les Rothschild sont les banquiers officiels du gouvernement brésilien et la
Banque Brésilienne est créée en 1862 à Londres et à Rio — que se nouent
des rapports de crise dus aux pressions des Anglais pour supprimer la Traite
négrière. Ces tensions s’aggravent davantage à Cuba où les planteurs
créoles jouent l’Espagne contre les Etats-Unis. L’Espagne doit les aider à
résister aux demandes anglaises, la traite négrière étant pour eux une
nécessité vitale ; les Etats-Unis misant sur l’annexion apparaissent à la
plantocratie cubaine comme une solution de rechange. Or l’Espagne qui tire
des richesses de Cuba n’entend pas se séparer de sa possession insulaire.
Elle demande le concours de la Grande-Bretagne et de la Royal Navy, tout
en cherchant à protéger les intérêts des planteurs esclavagistes de Cuba.
L’Angleterre qui refuse de laisser les Etats-Unis s’emparer de Cuba doit
adopter une politique très nuancée pour concilier son orientation
abolitionniste et s’occuper à la défense de l’île. De ces deux objectifs, le
second apparaît comme le plus important aux yeux des Britanniques...

Nègres cubains en Afrique


Malgré l’opposition systématique des planteurs créoles et de
l’administration coloniale de Cuba à libérér les Africains emancipados et à
les autoriser à quitter l’île, certains réussirent à retourner en Afrique. Leur
retour au pays natal s’effectua avec la complicité des Britanniques de La
Havane, ou dans le cadre d’une déportation organisée par le gouvernement
espagnol.
Il aurait fallu procéder à une enquête minutieuse dans les archives
britanniques, pour découvrir les sources relatives aux emancipados qui
parvinrent à se glisser entre les mailles et à gagner, de préférence pour eux,
les rivages de Kalabari ou de Lagos. Dans la documentation espagnole en
revanche, on peut trouver des traces de la déportation des emancipados
cubains dans les îles de Fernando Po — cette île se nommait Dikabo. selon
Dika-Akwa Nya Bonambela, anthropologue Duala — et Annobon. Ces
retours forcés ont été effectués par des Noirs prisonniers (bagnards) et par
des emancipados recrutés pour servir de main-d’œuvre au développement
colonial de Fernando Po entrepris par les Anglais et par les Espagnols.
On désignait à Cuba sous le nom de lucumi, calabali ou anago (A-Nago)
les Africains originaires du pays Yoruba qui avaient traversé l’Atlantique
sur les vaisseaux négriers avec la déesse Yemaya pour les protéger. Yemaya
à Cuba, Yemanja au Brésil, la mère de Xango est la divinité de l’eau, des
fleuves, de la mer186. Rien donc de surprenant à suivre les pérégrinations de
quelques-uns de ces “Africains libérés”, déportés à Fernando Po qui
cherchent à fuir l’île pour se réfugier à Lagos et retrouver leur terre natale.
L’île de Fernando Po et l’île Ano Bom avaient été cédées à l’Espagne, en
échange de territoires et avantages concédés au Portugal en Amérique du
Sud, par les traités de Santo Ildefonso (1777) et Pardo (1778). Une
expédition espagnole en 1778, sous le commandement du Comte de
Argelejos, prit possession de Fernando Po le 24 octobre 1778. Selon le
Capitaine J. Adams, qui aurait effectué une dizaine de voyages dans la
région du Cap Palmas au Congo, l’île de Fernando Po, au début du XIXe
siècle, aurait été peuplée de nègres fugitifs et d’esclaves “déterminés à
vendre cher leur liberté".
Le premier gouverneur espagnol, le Capitaine de frégate Carlos Chacon,
arriva à Fernando Po le 23 mai 1858 et en chassa aussitôt les missionnaires
protestants baptistes. Il organisa un recensement à Santa Isabel qui
comptabilisa 858 habitants. Il ne resta que quinze mois, son remplaçant,
nommé en décembre 1858, le Brigadier José de la Gandara, arriva le 28
août 1859 avec 188 colons et 166 soldats. Il eut comme successeur, de 1862
à 1865, le Brigadier Panteléon Lopez de la Torre y Ayllon, qui stimula la
production de café et de cacao. Un certain William Pratt, originaire des
Caraïbes et de Sierra Leone, fut à l’origine de la naissance et du
développement de la production de cacao dans l’île de Fernando Po.
A partir de 1821, les croiseurs anglais utilisèrent comme escale l’île de
Fernando Po, jugée plus salubre que le Sierra Leone. La Grande-Bretagne
voulut établir une base navale pour la croisière de répression. Le Capitaine
Fitz-William Owen (1774-1857) débarqua dans l’île à la tête d’une
expédition militaire comprenant des artisans et des ouvriers de Sierra
Leone, des Kru du Libéria en octobre-décembre 1827 et fonda la ville de
Clarence Port (Santa Isabel). Le gouvernement anglais entreprit la
colonisation de Fernando Po en nommant Owen surintendant entre 1827 et
1833, et le Colonel Edward Nicolls, des Royal Marines, gouverneur de
Clarence.
Après le départ de Owen et de Nicolls en 1833, John Beecroft (1790-
1854), un “métis africain”, Résident britannique et gouverneur de Fernando
Po, devint, en 1840, consul et agent général de la Grande-Bretagne pour les
Baies du Bénin et du Biafra. Sa juridiction s’étendait, sur le continent, du
Dahomey au Cameroun. Il favorisa l’établissement de factoreries
appartenant à des sociétés anglaises aussi bien à Fernando Po que sur le
littoral du Cameroun et du Biafra (Calabar, Boni River).
Les consuls britanniques en poste à Santa Isabel furent chargés par le
gouvernement anglais de faciliter l’exploitation et l’occupation
commerciale des territoires africains de leur juridiction. T.J. Hutchinson
succéda à Beecroft en 1855. Il fut suivi par Richard F. Burton (1821-1890),
consul de 1861 à 1864, C. Livingstone (1864-1873), G. Hartley (1873-
1878), D. Hopkins (1878-1880) et E.H. Hewett (1880-1882). Jusqu’à la
suppression du Consulat de Santa Isabel en 1882, l’île de Fernando Po
servit de base aux Anglais pour leurs interventions sur le continent. Le
Gouverneur anglais Nicolls inaugura vers 1830 la “diplomatie de la
canonnière”. Il fut suivi par John Beecroft qui fit bombarder Lagos en
décembre 1851. Ils employèrent la force navale pour négocier des traités
avec les chefs africains du voisinage. Le gouvernement anglais offrait des
“cadeaux” aux chefs locaux africains pour qu’ils puissent supprimer la
traite négrière. Sur le continent africain, au XIXe siècle, les Anglais se
dissocièrent des autres Européens et se lancèrent dans une politique de
protecteurs, une phase qui précède de peu celle des conquêtes coloniales
des années 1860-1870. Les Britanniques commencèrent par imposer leurs
croiseurs et leurs Royal Marines devant les côtes africaines où s’exerçait
l’influence des pays fortement engagés dans la traite négrière. L’Espagne
accorda au Royaume-Uni par ordres royaux de 1862-1864, l’autorisation
d’effectuer un dépôt de charbon pour ses navires à vapeur, à Playa
Carboneras, près de Santa Isabel.
Il est curieux de noter que jusqu’en 1856, l’île figurait comme territoire
anglais dans l’Annuaire Royal Britannique.
Le gouvernement britannique proposa en 1828 à l’Espagne de lui acheter
l’île et, en 1831, de l’échanger contre l’île de Vieques, près de Puerto Rico,
mais sans résultat. Lord Palmerston négocia avec le gouvernement espagnol
la cession de Fernando Po en avril 1839. Un projet de loi avait été accepté
et publié dans le Bulletin Officiel à Madrid le 9 juillet 1841 quand, sous la
pression des protestations populaires, le gouvernement espagnol dut
soumettre aux Cortès le 23 août, un décret de renonciation. Une expédition
militaire espagnole dirigée par le Commandant Juan Jose de Lerena Y Bary,
nommé commissaire royal plénipotentiaire confirma la souveraineté
espagnole le 23 février 1843. Lerena passa une convention avec les Anglais
le 6 mars. John Beecroft était maintenu à son poste et son adjoint, James
Lynslagar (1815-1869), commerçant d’origine néerlandaise, lui succéda
comme gouverneur de Fernando Po en 1854-1855
Dans l’île devenue pratiquement une colonie anglaise de 1827 à 1843,
des travaux de construction d’une forteresse furent entrepris avec une main-
d’œuvre provenant de la prise de deux vaisseaux négriers portugais. Les
premiers Cubains émancipés arrivèrent dans l’île en 18.34. Un plan
espagnol de colonisation fut élaboré en 1845 (ordre royal du 13 septembre)
en s’appuyant sur des nègres libérés, chassés de Cuba.
Des emancipados cubains dont on ne voulait pas dans la grande île
financèrent eux-mêmes leur traversée et arrivèrent à Fernando Po après
avoir reçu une autorisation royale en 1845. Des colons espagnols débarqués
en 1859, repartirent l’année suivante. Deux cubains organisèrent en 1859 le
transport des émigrants affranchis à Fernando Po. Un groupe de deux cents
Africains-Cubains émancipés assignés aux travaux publics de l’île reçut
l’autorisation royale (5 avril 1861) de se rendre à Fernando Po.
L’administration espagnole, par un décret du 28 mai, enrôla dans
l’infanterie 80 de ces emancipados pour qu’ils aillent relever des militaires
espagnols cie l’île africaine. Pour faciliter le recrutement, les autorités leur
promettaient une distribution de terres après six à huit ans de service.
La colonisation de Fernando Po commença durablement en 1862 avec
l’arrivée de 200 Cubains émancipés débarqués du navire le Feroll. Ces
“colons” particuliers, libérés à Fernando Po développèrent une économie de
plantation autour du tabac et de la canne à sucre. Le gouverneur de
Fernando Po, Lopez. Ayllon, réclama à Cuba 200 emancipados artisans et
ouvriers agricoles en prenant des mesures pour faciliter leur rétablissement.
Plusieurs mesures gouvernementales venant de Madrid cherchèrent il attirer
des emancipados à Fernando Po en 1861-1863, mais les planteurs créoles
de Cuba ne laissèrent partir aucun d’entre eux. Le gouvernement espagnol
favorisa le recrutement de Chinois et de Philippins.
Un pénitencier fut établi à Santa Isabel en 1861 dans les bâtiments d’une
ancienne factorerie anglaise. Une centaine de forçats arrivèrent de Cuba en
1866 et 250 en 1869187. Des prisonniers déportés de La Havane arrivèrent
par groupes successifs : une centaine de forçats en 1866, 250 en 1869.
L’échec de la politique de recrutement des Asiatiques, la fermeture du
bagne en 1869 incitèrent le gouvernement espagnol à reprendre des mesures
visant à faire venir de Cuba une main-d’œuvre constituée par les
emancipados. Après la suppression du bagne de Santa Isabel, les autorités
espagnoles ordonnèrent le retour à Cuba des prisonniers. Quelques-uns de
ces emancipados réussirent, en juin 1869, à quitter l’île de Fernando Po et à
se réfugier à Lagos, en pays Yoruba, d’où ils étaient originaires.
Le décret royal du 28 octobre 1865 affirmait la libération inconditionnelle
des emancipados vivant à Cuba depuis cinq ans et ayant terminé leur
assignation. Par ailleurs, le décret prévoyait le transport en Afrique, à
Fernando Po ou sur le continent — mais dans une possession espagnole —
des Africains libérés de tous les vaisseaux négriers saisis dans l’avenir par
les croisières de répression188- Les traversées d’emancipados de Cuba à
Fernando Po s’effectuèrent de manière très irrégulière, favorisées par
l’ordre royal du 21 mars 1872 qui autorisait leur engagement.
Ces emancipados de Cuba ont été les forces vives du développement
économique de l’île de Fernando Po. Ils ont créé une agriculture : canne à
sucre, café, cacao, tabac et se sont lancés dans la fabrication des cigares
(atelier de Banapa fondé en 1866). Les autorités coloniales freinèrent le
développement des cultures de tabac pour éviter la concurrence de la
production cubaine. Cependant le tabac de Fernando Po fut primé en 1887 à
l’exposition d’Amsterdam. Le gouvernement refusa au Cubain Macari
l’autorisation de s’établir en 1896 à Fernando Po pour se consacrer à la
gestion d’une plantation de tabac. Une expérience de ferme modèle débuta
en 1858 et des plantations se développèrent : la Vigatana, Vivour, Pomera.
Des Cubains participèrent à l’expédition au Rio Muni de 1884-1886
(équipe : Iradier-Osorio-Montes de Oca). Le budget de la Guinée espagnole
était alimenté en grande partie par le Trésor de Cuba et de Puerto Rico.
Des missionnaires jamaïcains de la British Baptist Mission arrivèrent en
1840 dans le sillage des Anglais. Plusieurs pasteurs originaires des West
Indies débarquèrent à Fernando Po en 1841-1844 et participèrent à
l’évangélisation des populations du littoral camerounais. La congrégation
des Clarétiens, créée en 1849 par le P. Claret, un Catalan devenu
archevêque de Santiago de Cuba, envoya une centaine de missionnaires en
1883-1884 dans l’île. Un Noir de Cuba, Antonio Borges, dirigea de 1875 à
1884 une école primaire laïque à Santa Isabel qui fut fermée par les
Clarétiens, ces Frères du Cœur Immaculé de Jésus, à leur arrivée.
La loi d’abolition graduelle de 1880 permit à 267 emancipados de Cuba
de retourner en Afrique, dans l’île de Fernando Po. Les retours furent
tragiques : cent vingt-trois d’entre eux moururent au cours du voyage ou à
leur arrivée. Plusieurs parvinrent à s’enfuir pour le littoral continental, au
Rio Muni, au Cameroun ou au Calaban
Deux témoignages de ces Afro-cubains relatent leurs voyages, leurs
arrivées, leurs déceptions, leur établissement et les difficultés rencontrées
dans l’île de Fernando Po par ces premiers colons forcés.
Miguel Jenties Bravo décrit la déportation de ces Noirs confinados à
Fernando Po dans un ouvrage publié à New York en 1869, Revolucion
cubana : los confinados a Fernando Poo. Relaciones que hace un de los
deportados.
Le Dr. Francisco Javier Balmesada narre l’existence de ces exilés
“confinés” dans le bagne ouvert à leur intention. Son ouvrage a été publié à
La Havane : Los confinados a Fernando Po e impresiones de un viaje a
Guinea189. Le voyageur espagnol Amadeo Ossorio Zabala qualifia
Fernando Po de “Cuba africain” en découvrant en septembre 1884
l’importance de la communauté afro-cubaine dans l’île. Après l’abolition
définitive du Système esclavagiste à Cuba et d’extinction de la Traite
négrière, des milliers d’emancipados n’avaient toujours pas réussi à quitter
l’île des Caraïbes. Benito Sylvain plaide, vers 1899, le cas de 18 000
d’entre eux, originaires du Congo, retenus à Cuba et qui souhaiteraient
retourner en Afrique190. Ces nègres cubains sont des compatriotes des
travailleurs engagés congolais arrivés en 1852-1862 en Guadeloupe,
Guyane et Martinique. Après des traversées effroyables dans les conditions
de la traite négrière, ils sont soumis aux rigueurs du système colonial qui ne
leur permettent pas d’économiser pour payer un voyage de retour. Combien
d’entre eux parviendront finalement à rentrer chez eux ?

La vision des militants panafricanistes afro-brésiliens


La dimension brésilienne du panafricanisme avant le XXe siècle a été peu
étudiée. Pourquoi cette mise à l’écart ou cette ignorance ? Quand on lit les
ouvrages et les journaux des “panafricanistes“ brésiliens191, on s’aperçoit
qu’ils s’évertuent à chercher les origines du mouvement à travers les luttes
de Nègres : insurrections d’esclaves, quilombos, guerilla urbaine, guerre
des Malés de 1835, sociétés secrètes de Bahia. Cette résistance des Nègres
brésiliens s’apparente-t-elle à un mouvement panafricain ? C’est ce que
pensent certains membres de la communauté afro-brésilienne comme
Abdias do Nascimento — né en 1914 — député fédéral en 1983 et son
épouse, Elisa Larkin Nascimento. Ce “combattant du racisme” a présenté à
la Chambre des Députés un projet de loi : “le racisme comme crime de lèse-
humanité”192. Pour ces adeptes du panafricanisme, la lutte passe d’abord
par la glorification de la résistance des esclaves et l’éradication du racisme
de la société brésilienne. Leur contribution à l’Afrique commence au Brésil.
Pour comprendre le comportement et les sentiments panafricanistes des
Afro-brésiliens, il faut remonter au XIXe siècle, au moment où déclinent
Traite négrière et Système esclavagiste.
Au Brésil, face aux Portugais, trois groupes d’hommes doivent co-exister
dans un univers concentrationnaire jusqu’aux années 1889-1890 : les
autochtones “amérindiens", les nègres esclaves originaires d’Afrique et les
“sang-mêlés” mamelucos, mulâtres ou pardos, mestiços et caboclos193.
L’historien anglais C.R. Boxer (Camoëns Professor au Kings’College de
l’Université de Londres) a réduit à néant les affirmations portugaises selon
lesquelles le préjugé de couleur n’existe pas dans leur pays et dans les
possessions d’outre-mer. Il s’attaque dans un livre, Race Relations in the
Portuguese Colonial Empire, 1415-1825194, aux déclarations de plusieurs
personnalités, à commencer par celles du Dictateur Salazar à Life Magazine
en 1962. D’après ces témoins privilégiés, les Portugais auraient toujours eu
une “affinité naturelle” pour entretenir des contacts avec les populations
non blanches.
Boxer a puisé dans la masse des documents qu’il connaît pour démontrer
le contraire de ces allégations et mettre à nu le racisme viscéral des
Portugais. On pourrait d’ailleurs se plonger dans l’histoire et reprendre une
démonstration analogue pour stigmatiser les proclamations françaises du
même type que celles des Portugais. Il y a sans doute à la base de ces
affirmations cocardières, les traces d’hypocrisie inhérentes aux sociétés
européennes dites latines. Les Anglo-saxons s’embarrassent moins souvent
de telles sinuosités.
Revenons à C.R. Boxer. Il a exposé avec clarté la condition des Nègres
esclaves au Brésil qu’il caractérise par ces trois mots : “nasty, brutish and
short”, dégoûtante, bestiale et brève195. Leur espérance de vie sur les
plantations ou clans les mines ne dépassait pas quatre à cinq ans. Dans le
Brésil colonial, considéré par lui comme “un enfer pour les Noirs”, Boxer a
fait l’inventaire des instruments et des procédés de tortures196. La
terminologie coloniale raciste employait souvent negro, preto, cafre,
comme synonymes d‘escravo (esclave)197.
Un médecin de Bahia, Nina Rodrigues, a été le premier à étudier les
Noirs à la fin du XIXe siècle. Ses recherches ont abouti, entre 1890 et 1905,
à la publication de plusieurs ouvrages et articles concernant les
soulèvements d’esclaves, la religion, les langues, les fêtes et traditions, le
folklore, etc.198. Cependant, les panafricanistes brésiliens ont stigmatisé
l’idéologie raciste dite de miscégénation que Nina Rodrigues aurait
représentée à leurs yeux. Ils ont dénoncé le “racisme ségrégationniste "
semblable au racisme des Anglo-américains qui aurait obscurci la vision
des soi-disant experts de la question noire.
Une fois écarté les brebis galeuses accusées de racisme, les militants
afro-brésiliens ont entrepris de rechercher “les origines du panafricanisme”
à travers les luttes des nègres. Ils valorisent des personnalités de la
résistance comme ce Faustinho do Nascimento, le “Dragon des mers”,
Luisa Mahin, révélée comme meneuse à Bahia en 1835, son fils Luis Gama,
João Candido, chef d’une révolte de marins contre les abus racistes de la
marine brésilienne au début du XXe siècle.
Nina Rodrigues avait déjà étudié les guerres saintes des Malés, les
soulèvements d’esclaves à Bahia au XIXe siècle : insurrections des
Haoussas (1807, 1809, 1813, 1816), insurrections des Nago (1826, 1827,
1828, 1830), la “grande révolution” de 1835. Il avait analysé les causes
religieuses de ces révoltes et avait inventorié les différentes “nations”
africaines présentes au Brésil : Nago, Gege, Mina, Haoussa, Tapa ou Mifé,
Bornu, Grunci ou Galina, Fula ou Filanin, Mandingue ou Mande, Congo ou
Cabinda, Angola, Benguela, Cassange, Mozambique, Macua, etc.
Son exposé et ses explications ont paru clairs à des spécialistes étrangers
comme Pierre Fatumbi Verger et Roger Bastide, même si, reconnaît ce
dernier, son interprétation ethnographique présente des failles199. Bastide
observe : “Les ouvrages de Nina Rodrigues restent encore peut-être les
meilleurs qui ont été publiés.... Ses descriptions sont fidèles et toujours
valables... Ce sont des livres incomplets sans doute, mais, dans ce qu’ils
disent, des livres sûrs”200.
On peut s’étonner au passage du comportement de ces deux
"anthropologues“ français. Leurs travaux sur les Noirs se ressentent de
l’influence dominante exercée par les écrits d’auteurs brésiliens comme
Nina Rodrigues, Vianna Filho, et Gilberto Freyre. Or, ces auteurs ont été
fortement critiqués par les militants panafricanistes afro-brésiliens. Je
partage leur opinion et les critiques de C.R. Boxer ou de Alfredo Margarido
qui ont stigmatisé la vision réductrice et raciste de Freyre. Il suffit de lire
certaines pages du livre de Freyre. Maîtres et Esclaves, traduit du portugais
par Roger Bastide en 1952201 pour saisir le racisme latent qui court à travers
les lignes. Que dire en effet, de ses propos quand il affirme sans preuve :
“Les maîtres blancs et les esclaves étaient mieux alimentés, et dans un
certain sens, les esclaves mieux que leurs maîtres”202. Il poursuit un peu
plus loin : “l’esclave nègre au Brésil me semble, ... l’élément le mieux
nourri de notre société”203.
Sur quoi se fonde t-il pour étayer de telles affirmations ? Gilberto Freyre
avance un raisonnement, au lieu d’examiner les sources : “c’était l’intérêt
du maître de conserver l’efficience du nègre — son capital, sa machine à
travailler, le prolongement de son moi : de là l’alimentation abondante et
réparatrice...”204. Or, on connaît ce type de démonstration. Combien de fois
l’ai-je entendu proférer par des historiens français qui parlaient de la Traite
négrière ou du Système esclavagiste.
D’après ces auteurs, sur les navires négriers, les captifs africains étaient
soignés, gavés, presque chouchoutés, attendu qu’ils étaient des
marchandises de valeur. Sur les plantations, pourquoi voulez-vous que le
colon planteur soit cruel envers son esclave, alors que ce dernier représente
une force de travail indispensable à la richesse de son maître et qu’il y a le
Code Noir... Gilberto Freyre, on le sait, va encore plus loin en soulignant la
“sexualité licencieuse des nègres”205 et le charme fou des négresses qui
énivraient certains blancs dont on disait “leurs souliers et leurs femmes
toujours de couleur noir"206.
Bref, à lire Gilberto Freyre, les nègres esclaves au Brésil étaient des
heureux mortels gâtés par les planteurs esclavagistes : ils mangeaient mieux
que leurs maîtres et ils avaient une vie sexuelle plus riche que celle des
Blancs. Influencé par Freyre, Fernand Braudel, après Lucien Febvre a cm
aussi pendant longtemps que les nègres avaient trouvé leur paradis au
Brésil. Alors que les sources concrètes décrivent comme partout aux
Caraïbes, l’enfer de la déportation et du système concentrationnaire
esclavagiste.

Revenons à cet enchaînement pseudo-logique qui n’a pas cours sur le


terrain de la pratique esclavagiste. Il n’y a en vérité aucune logique dans le
comportement raciste du capitaine négrier ou du planteur. Les sources
peuvent témoigner de la violence, des tortures, de la barbarie de ces maîtres
blancs qui n’en ont cure, des bons sentiments, du Code Noir et des
réglements édictés à plus de 8000 km. Ils ont le pouvoir absolu de tuer et
s’en servent avec délice.
Est-ce si difficile à comprendre pour des anthropologues français dont
l’objectif fixé est l’étude de ces populations noires ?
Manuel Querino, un chercheur de la communauté afro-brésilienne, a été
de 1916 à 1922, le chantre de la contribution africaine à la civilisation du
Brésil. Il a un point de vue “absolument opposé à celui de Nina Rodrigues
qu’il n’a d’ailleurs pas l’air de connaître”207.
Un recueil de plusieurs études de Querino a été publié après sa mort sous
le titre Costumbres africanos no Brasil208. Querino ouvre la galerie des
représentants afro-brésiliens qui se mettent à lutter pour se réapproprier leur
histoire et revendiquer l’égalité des droits.
Après la disparition de Nina Rodrigues en 1906, Artur Ramos et Edison
Carneiro ont été parmi ceux qui continuèrent à travailler sur les survivances
africaines au Brésil. Une “école de Bahia" se spécialisa dans la décennie
1930-1940 dans l’ethnologie et l’anthropologie des Noirs. A Recife
(Pernambouc), se tint en 1934 le premier Congrès afro-brésilien209. Le
second congrès se réunit à Bahia en 1937.
Les militants panafricains inaugurèrent, le 13 mai 1938, le Congrès Afro-
Campineiro tenu à l’Institut des Sciences et des Arts à Campinas, dans
l’Etat de São Paulo. Plus tard à Rio de Janeiro en 1940, Abdias do
Nascimento rejoignit la Confrérie de la Sainte Orchidée et créa en 1944 le
T.E.N., Théâtre Expérimental Noir. Le groupe milita au Comité
démocratique afro-brésilien en 1945 et organisa la Convention Nationale
Noire à São Paulo en 1945, à Rio en 1946 et 1949. Ils organisèrent en mai
1950 le Premier Congrès National des Noirs Brésiliens à Rio de Janeiro
sous l’égide du T.E.N.. Les militants disposaient depuis 1949 et 1950 d’une
revue, Quilombo, qui mettait en valeur la résistance des héros de Palmares
(Memorial de Zumbi, 1980), le martyr des insurrections “Malè” et plusieurs
révoltes de l’histoire du Brésil210.
Les panafricanistes brésiliens partisans du “Quilombismo” stigmatisent
les thèses luso-tropicalistes de Gilbetto Freyre, les discours “pontifiants”,
les croyances erronées de Pierre Verger et les stéréotypes racistes de Jorge
Amado211. Ils dénoncent l’idéologie dominante de la suprématie blanche
qu’ils associent à ces trois personnalités212. Domination raciale.
Domination raciste. Cependant la résistance s’organise. Une communauté
afro-brésilienne d’environ 105 millions de personnes en 1992, selon les
estimations des militants, qui veut jouer un rôle déterminant dans le
développement du Brésil.

Africanos livres et Brésiliens


Le mouvement de retour des Brésiliens en Afrique demeure encore peu
connu, sauf de quelques initiés. Une tradition vivante, au Brésil et en
Afrique océanique, nourrie par des lieux de mémoire pieusement
entretenus, peut nous aider à comprendre ces échanges qui remontent au
début de la Traite négrière. Sur les navires négriers portugais, dès le XVIe
siècle, parmi les matelots, se trouvent souvent des Africains qui ont effectué
les traversées dans les deux sens : Afrique-Brésil et Brésil-Afrique. Les
Africains, marins, interprètes, commerçants, espions, voire ambassadeurs,
ont constitué les personnalités de base, souvent anonymes, de la
communauté des Luso-brésiliens.
Une histoire reste à écrire, celle de ces Africains originaires du Cap-Vert
et du Sénégal, du Sierra Leone, de Gambie, du Dahomey, de Lagos, du
Golfe de Bénin et de Biafra, du Gabon, du Congo et de l’Angola aux XVIe -
XVIIIe siècles. Une Afrique atlantique où dominent les échanges et où
naissent et se transmettent les traditions orales concernant les départs des
captifs pour les Amériques, comme au Gabon par exemple, où se conserve
encore la mémoire des Myene213.
Les “Brésiliens” dont il s’agit ici, ce sont ces nègres captifs des vaisseaux
négriers vendus comme esclaves au Brésil — à Rio de Janeiro ou à Bahia
— ou saisis par les croisières britanniques après 1806. Il semble, d’après les
sources, que la plupart d’entre eux aient été à l’origine achetés à Lagos ou à
Ouidah et qu’ils soient des Yoruba comme leurs frères Lucumi et Carabali
de Cuba214.
Au Brésil entre 1830 et 1835, une série d’insurrections puissantes ébranle
le système esclavagiste. Les planteurs ont peur. Ils ont appris ce qui s’était
passé en Haïti et craignent d’avoir à affronter eux aussi la colère des
esclaves qu’ils soumettent par la violence. Aussi font-ils pression sur les
autorités pour se débarrasser des meneurs et des rebelles récalcitrants. Ils ne
s’opposent pas non plus aux départs des nègres "emancipados" recueillis
par les croiseurs de la Royal Navy. Ces “Africains libérés”, selon les traités
de 1817 et 1831, sont dirigés soit vers les colonies des West Indies, soit vers
le Sierra Leone.

Les Précurseurs
Les captifs déportés sur les vaisseaux négriers au Brésil n’ont pas été les
seuls Africains à traverser l’Océan Atlantique. Certes les archives ont
conservé peu de traces des autres passagers, matelots, espions, gardiens,
convoyeurs qui s’embarquèrent également pour un voyage aller et retour
sur des navires négriers. Les Hollandais plaçaient sur les bâtiments “des
Africains parlant plusieurs langues pour surveiller les captifs et découvrir
les tentatives de révolte”215. Les sources ne signalent guère, non plus, les
noms et le nombre des précurseurs, ces nègres esclaves au Brésil qui
réussirent à s’évader avant les années 1830-1835 et à atteindre l’Afrique.
Combien d’entre eux partirent, combien en revinrent, vieux, pour mourir au
Brésil, comme João de Oliveira en 1770. Cet ancien esclave affranchi avait
réussi à retourner sur la Côte de Mina où il avait passé trente-sept ans à
faire la traite. Il retournait à Bahia à l’âge de 70 ans.
Nous avons en revanche quelques informations plus détaillées, dans les
archives, sur plusieurs voyages d’ambassadeurs envoyés par des rois
africains en Europe et au Brésil. Ainsi, au XVIIe siècle, le roi d’Ardras
chargea son ambassadeur, Dom Matheo Lopez, un Africain, de se rendre en
1670 à la cour de Louis XIV et de lui faire ‘‘offre de la part de son Maistre
de toutes ses terres, ports, et généralement tout ce qui dépendait de lui”. Le
roi africain voulait accroître ses liens commerciaux avec la France. Au
XVIIIe siècle, les rois du Dahomey, d’Ardras (Porto-Novo) et d’Onim
(Lagos) envoyèrent des ambassades à Lisbonne et à Bahia entre 1750 et
1811. Tegbessou, roi du Dahomey, dépêcha trois messagers à Bahia auprès
du nouveau vice-roi du Brésil, Luiz Peregrino de Carvalho Meneses do
Ataide, comte de Atouguia. L’ambassadeur africain, Churuma Nadir,
accompagné de deux “Alcatys” (Grijocome Santolo et Nenin Radix
Grytonxom) et d’“un interprète de sa nation” arrivèrent à Bahia le 29
septembre 1750. Ils étaient accompagnés de “quantité de domestiques et de
quatre jeunes filles de dix ans, nues...216. Ils furent reçus le 22 octobre par le
vice-roi et remirent une lettre et les quatre petites filles. Ils s’en retournèrent
à Mina le 12 avril 1751 sur un navire transportant 8 101 rouleaux de tabac.
Le bâtiment, le Bom Jesus d’Alem, Nossa Senbora da Esperança (Capitaine
Mathias Barboza), revint le 27 juin 1752 avec 834 captifs217.
Des Africains libres se rendirent au Brésil pour leurs affaires
commerciales ou pour chercher à se former. Plusieurs fils de rois africains
furent envoyés à Bahia pour recevoir une éducation. Guinguin, roi de
Badagris, avait été livré par ses sujets en 1781 avec vingt captifs sur un
navire portugais pour être éduqué au Brésil. Est-ce lui ou l’un de ses enfants
qui revient en 1787 et “demande le secours des rois d’Ardre et d’Onim pour
monter sur le trône de ses ancêtres” ?218. Le roi de Lagos, Kosoko, envoya
trois enfants esclaves, Simplicio, Lourenço et Camilio, pour recevoir une
éducation à Bahia. Ils revinrent en août 1850 et devinrent ses employés219.
Toutes ces missions africaines à l’étranger n’avaient qu’un seul objectif :
renforcer, élargir les liens commerciaux voulus par les rois avec les
puissances européennes. Or, à la base de ces rapports commerciaux, il y
avait la Traite négrière, la déportation d’hommes, de femmes et d’enfants de
manière ininterrompue du XVIe au XIXe siècle.
Agonglo, roi du Dahomey, fit partir d’Abomé le 20 mars 1795 deux
ambassadeurs et un interprète, Luiz Caetano. Ils arrivèrent à Bahia le 26
mai. Le gouverneur de Bahia, Fernando João de Portugal, les embarqua sur
la corvette Nossa Senhora da Gloria e Santa Anna, en direction du
Portugal. Après leur réception à la cour de Lisbonne, ils revinrent le 31
décembre 1796 à Bahia. Ils proposaient aux autorités portugaises un traité
de commerce assurant au port d’Ajuda (Ouidah) l’exclusivité de la
fourniture des captifs, prisonniers de guerre des Aboméens (Mahi et Nago)
contre du tabac et la cachaça (rhum).
Un des ambassadeurs mourut à Lisbonne après avoir été baptisé, le 1er
février. Adanzozan, roi du Dahomey, envoya deux ambassadeurs et un
interprète brésilien, Innocencio Marques de Santa Anna, à Bahia. Ils
arrivèrent le 20 février 1805 avec une lettre écrite le 20 novembre 1804 par
Adandozan au Prince D. João du Portugal, futur João VI. Ils repartirent de
Bahia pour Ajuda le 14 octobre. L’interprète Innocencio Marques reçut une
commission de capitaine de milice de Bahia et devint un conseiller influent
des gouverneurs de Bahia. Il fut également un capitaine qui se livrait à la
Traite négrière. Les croiseurs britanniques s’emparèrent le 7 mai 1815
d’une chaloupe, Conceicão Santa Anna et le 10 juin 1816 du Scipião
Africano commandé par Innocencio. Il possédait un cotre, le Juliano, qui
fut capturé le 31 octobre 1821 et le brick Santa Anna Flor d’Africa qu’il
commandait lui-même. Un autre de ses bâtiments portait le nom de Flor
d’America.
Le gouverneur de Bahia, le Comte da Ponte (João Melo e Torres
Salolanha da Gama) recevait le 11 octobre 1807 les émissaires du prince
d’Onim, Ajan, arrivés le 1er octobre sur le brigantin Thalia. L’ambassadeur
africain et son secrétaire voulaient se rendre à Lisbonne pour remettre au roi
une lettre en main propre. L’émigration précipitée de la cour portugaise au
Brésil le 27 novembre arrêta les négociations. Le roi d’Ardras (Porto-Novo)
envoya une ambassade le 7 septembre 1810 au prince régent à Rio de
Janeiro. Les messagers arrivés en décembre 1810 restèrent à Bahia et
discutèrent avec le gouverneur qui rendait compte à la cour de Rio de
Janeiro. Le prince régent écrivit une lettre au roi d’Ardras le 6 février 1811
pour consolider les négociations d’un accord commercial. Le 30 janvier
1811 arrivèrent également à Bahia quatre ambassadeurs du roi de Dahomey
voulant rencontrer le prince régent. Ils firent présent d’une jeune fille au
gouverneur de Bahia, Marcos de Norohna, Comte dos Arcos. Ces deux
ambassades ne retournèrent en Afrique qu’en 1812.
Un personnage se faisant passer pour “ambassadeur du roi d’Onim”, le
Colonel Manoel Alvarez Lima, aurait voyagé vers Bahia en 1827 puis en
Afrique en septembre 1829 et en janvier 1830. Il aurait été présent à Bahia
en 1823, au moment de l’indépendance. En 1833, un autre personnage,
mystérieux, aurait été connu à Bahia comme étant l’ambassadeur du roi du
Dahomey220.

Répression et déportations
Le mouvement de retour en Afrique des “Brésiliens” commença vers
1830-1835 sous la pression des insurrections d’esclaves. Le traité
d’abolition anglo-brésilien qui entra en vigueur en mars 1830 prohibait
l’importation des captifs africains et la loi brésilienne de novembre 1831 les
déclarait libres. Les diplomates anglais au Brésil ne cessèrent d’intervenir
auprès des autorités brésiliennes pour leur demander de libérer les
Africanos livres. Il y avait deux catégories de ces Africains : ceux qui
avaient été saisis, libérés par les autorités brésiliennes et, en attendant leur
retour, travaillaient comme apprentis pour des personnes privées ; ceux qui
arrivaient à Rio de Janeiro sur des navires négriers capturés, libérés par des
commissions mixtes. Ils demeuraient sous la protection du gouvernement
brésilien. On les employait à des travaux publics ou comme domestiques et
travailleurs libres. Au vrai, la majorité de ces Africanos livres se
retrouvaient utilisés comme esclaves.
A Bahia, l’insurrection des Malès en janvier 1835 souligna la force de la
résistance des Nègres esclaves et des émancipés, en majorité d’origine
Haoussa, Tapa, Nago, Mina, Gege. Parmi les insurgés on comptait 160
esclaves et 126 “Africains émancipés”. Quel a été le rôle des esclaves de
certains maîtres anglais ? La crainte suscitée par ce soulèvement poussa les
autorités brésiliennes à prendre des mesures. Parmi les sentences, notons les
condamnations suivantes : le Nègre émancipé Mina, Paulo Rates, 1 000
coups de fouet, Luiz, Nago, 500 coups de fouet, Francisco, Nago, 500
coups de fouet, Pacifico Licutan, 1 000 coups de fouet, Jozé Congo, 600
coups de fouet. Lino, 800 coups, Salmo, 600 coups, Agustinho, 800 coups
de fouet. La peine du fouet était infligée à raison de 50 coups par jour.
Narciso, esclave Nago, pris les armes à la main, mourut le 27 mai 1836
après avoir reçu 1 200 coups de fouet. L’enquête entreprise par Manuel
Querino aboutit à mettre en évidence l’activité de 1 500 révoltés parmi
lesquels “on ne trouve pas un seul représentant de la secte mahométane. De
cet exposé, il ressort de toute évidence qu’absolument aucun Malè n’a pris
part à la révolte de 1835”221. Il y eut 364 inculpés parmi lesquels 18 furent
condamnés à mort, un fut condamné à vingt ans de travaux forcés, 3 à
douze ans de travaux forcés, 9 à huit ans, 4 à deux ans de prison, 13 aux
galères à perpétuité et 2 à quinze ans de galères. On prononça en outre
quatre condamnations au bannissement. Quatre inculpés moururent en
prison, deux s’échappèrent, neuf furent remis à la disposition de la police et
des peines de fouet furent prononcées : deux à 1 200 coups, trois à 1 000
coups, deux à 800 coups, une à 700 coups, trois à 600 coups, cinq à 500
coups, trois à 300 coups, une à 250 coups, deux à 150 coups, une à 50
coups. Soit un total de 13 500 coups de fouet infligés à vingt-cinq Nègres
considérés comme les meneurs du soulèvement.
Manuel Querino, qui connut un grand nombre de ces Malès de Bahia,
imputait aux Anglais la préparation et la coordination de la révolte. Les
Britanniques auraient fourni aux insurgés des armes, “coutelas, épées,
piques et pistolets”. Pour Querino, les Anglais ont été les instigateurs de
cette “guerre”. Il ajoute : “On constate qu’à l’époque, le gouvernement
recueillit des preuves matérielles du crime, mais prudemment, les laissa de
côté pour éviter un conflit avec une nation puissante. On ne peut douter
qu’il y ait un but politique dans ces insurrections car les révoltés ne
commettaient pas de vols, et ne tuaient pas secrètement leurs maîtres”.
Des mesures d’expulsion furent prises contre les suspects sans formalités
de preuves légales de culpabilité222. Les autorités de Bahia demandèrent au
gouvernement de Rio de Janeiro le 11 mai 1835 d’établir une colonie “en
n’importe quel port de la côte d’Afrique où il soit possible de rapatrier tout
Africain qui se libère, ou même l’Africain libéré qui menacerait notre
sécurité”. Elles réclamaient également “une convention avec le
gouvernement de l’Etat oriental de l’Uruguay et des Provinces du Rio de la
Plata, par laquelle serait absolument interdite l’importation d’Africains dans
ces régions à titre de colons". Cette demande visait à “priver les
contrebandiers d’esclaves de leur unique motif pour traverser l’Océan
Austral avec des navires chargés d’Africains...”223.
On distinguait les captifs Nègres émancipés, appelés “Africains libres”
des “Nègres créoles libres” nés au Brésil de parents esclaves.
Ce plan d’établissement colonial — les autorités brésiliennes pensèrent
d’abord le fonder en Angola — ne plaisait pas aux Britanniques224 qui
avaient d’autres visées concernant les personnes libérées. Pourtant, le
gouvernement brésilien ne faisait que suivre leur exemple : les Anglais
n’avaient-ils pas ouvert le territoire du Sierra Leone aux Nègres
indésirables de la Jamaïque, les fameux cimarrons...
Le gouvernement de Bahia, taraudé par la peur de nouvelles
insurrections, prit la décision en mars 1835 de “bannir tout Africain libre
suspect, et en conséquence, 150 de ces Africains ont été envoyés à la côte
d’Afrique. (...) Entre 300 et 400 personnes ont été incarcérées et 148
embarquées le 12 novembre 1835 à bord de la goëlette brésilienne de 120
tonneaux Maria Damiana. D’autres ont quitté le pays le 15 novembre 1835
sur la goëlette brésilienne Annibal e Oriente"225. Le président de la
Province de Bahia, Francisco de Souza Martins, déclarait : “Le résultat
immédiat de cette mesure a été le départ volontaire de beaucoup d’autres
Africains. Davantage encore se préparent à quitter notre territoire. Ainsi,
plus de 700 passeports ont été délivrés à des Africains qui se retiraient dans
leur propre pays”226.
La répression cruelle qui s’abattit sur les Nègres émancipés, la violence
accrue, les condamnations injustes, les déportations ordonnées les incitèrent
à fuir le Brésil. Ils s’embarquèrent sur des navires brésiliens, portugais,
sardes ou anglais quittant Bahia pour les côtes africaines. Parmi ces
“personnes libres” pressées de partir, Antonio da Costa et João Monteiro
prirent l’initiative de louer aux Anglais une goëlette, le Nimrod, pour les
transporter avec 160 autres libres et leurs familles. Malgré l’hostilité des
commerçants anglais, qui voyaient échapper un recrutement possible de
travailleurs sous contrat pour les West Indies, le Nimrod appareilla le 25
janvier 1836. Il débarqua ses passagers à Elmina, Winnebah et Agoué en
avril. Des prisonniers suite à des mesures de bannissement, vinrent grossir
le flot des partants pour Lagos (Nigeria).
Dans ses discours, Calmon du Pim e Almeida, député de Bahia et ancien
ministre des Affaires Etrangères, se montrait partisan de la “réexportation
des Nègres” en 1836227. Il signalait que les Africains libérés et expulsés de
Bahia avaient reçu d’un chef de Haute-Guinée une terre où ils avaient
“construit un petit village” avec l’aide d’émigrants maçons et charpentiers.

Main-d’œuvre pour les Caraïbes


Plusieurs des commissaires étaient des fonctionnaires coloniaux de la
Couronne (Justice, Affaires étrangères) détachés pour servir comme juges et
arbitres dans les tribunaux. Ils obéissaient aux injonctions du gouvernement
britannique. Des membres de la commission mixte de Rio de Janeiro
s’efforçaient de détourner vers les colonies anglaises des West Indies une
main-d’œuvre tirée des captifs libérés. Lord Wellington, Secrétaire d’Etat
au Foreign Office, envoya des instructions au diplomate à la tête de la
légation anglaise à Rio de Janeiro le 11 mars 1835228. Il préconisait l’envoi
à Trinidad des “nègres émancipés par la commission mixte de Rio de
Janeiro”. Des dispositions furent aussi prises par le Consul W.G. Ouseley en
1839 pour le transport, sur des bâtiments de la Royal Navy, de Nègres
émancipés à Trinidad et Demerara ou vers d’autres colonies anglaises des
Caraïbes229.
Le Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères (Foreign Office) demanda le
23 mars 1839 à la légation de Rio de Janeiro de transporter “les nègres
capturés et libérés par sentence de la cour de justice mixte... à leur choix,
soit en Sierra Leone, soit aux West Indies”. Il ajoutait : “Cette dernière
destination est préférable, en raison de sa plus grande proximité, et parce
que cela assurera le recrutement de la main-d’œuvre pour les plantations de
ces colonies, l’importation par la traite n’y étant plus admise”230. Des
instructions de Lord Palmerston (12 mars 1841) suggéraient aux
commissaires britanniques de “demander à chacun séparément si il ou elle
souhaitait aller dans une colonie anglaise" et d’expliquer aux “nègres
émancipés par la commission mixte de Rio (...) que l’esclavage a été
complètement aboli dans les dominions britanniques ; ils seront certains d’y
être libres..”231.
Le Capitaine Jones de la Royal Navy s’étant emparé d’un négrier
portugais, Dois de Fevereiro, le chargé d’affaires britannique de Rio de
Janeiro lui demanda d’envoyer le bâtiment et les 180 captifs africains
trouvés à bord le 15 mars 1841 à Demerara, plutôt qu’à Sainte-Hélène. Le
diplomate anglais, après confirmation le 30 avril, de l’arrivée du navire et
des 180 Africains dans la colonie guyanaise, soumit au Foreign Office le 21
juin 1841 le projet d’envoyer dans une colonie anglaise tous les Africains
libérés par sentence de la commission mixte de Rio de Janeiro232.
De 1819 à 1845, les croiseurs anglais avaient présenté aux tribunaux 1
217 vaisseaux négriers — selon Christopher Lloyd — dont 531 jugés à
Freetown (Sierra Leone)233. Selon les rapports envoyés par les
commissaires britanniques juges au Sierra Leone, au Foreign Office, il y
aurait eu près de 100 000 captifs émancipés de 1819 à 1846. Rien
d’étonnant d’observer l’intérêt que leur portaient les autorités des West
Indies. Le Colonial Office dépêcha le 20 novembre 1840 le Dr. Madden à la
côte occidentale d’Afrique en mission pour étudier “l’avenir et la manière
de faire l’émigration de Sierra Leone à nos colonies des West Indies”234.
Les instructions du ministre Lord John Russell235 ne précisent pas les
moyens mis en œuvre par les Anglais pour enrôler — ou acheter ? — une
main-d’œuvre africaine à salaire réduit au Sierra Leone pour les plantations
des West Indies, ni la durée d’apprentissage — qui serait selon les Français
de quatorze ans236. Les “engagés” seraient libérés après cet apprentissage.
Questionné à ce sujet par Lord Palmerston237, Lord Russell lui répondit par
lettre du 31 août : “Pour les contrats libres, les plus longs engagements
autorisés sont de treize mois ; les hommes sont libres de la même manière
que n’importe quel serviteur loué au Royaume”.
Le recrutement des travailleurs africains avait reçu l’appui du gouverneur
de Trinidad le 27 juillet 1840, qui promettait : “On leur fournira une maison
et un terrain pour cultiver leurs plantes potagères ; ils recevront pour chaque
travail, un demi dollar en argent, une demie livre de poisson et une petite
quantité de rhum ou de l’argent. Deux de ces tâches peuvent quelquefois
être faites en une journée”238.

Un Testament révélateur
Des réseaux commerciaux se sont constitués, liant le Brésil, Cuba et
l’Afrique. Les marchands de Bahia ou de Rio de Janeiro ont des associés et
font des affaires avec La Havane, Ouidah et Lagos. Des capitaines
brésiliens, souvent des Nègres pardos, engagés dans le trafic négrier, firent
la navette entre le Brésil, les Caraïbes et l’Afrique. C’est le cas de Andre
Pinto da Silveira239, de Francisco Felix de Souza240, de Caetano Alberto da
França et de Manoel Joaquim d’Almeida (1791-1854). Ce dernier
commandait le navire brésilien Minerva chargé de tabac, de aguadente (eau
de vie) et de marchandises, équipé pour la traite à Molembo via les îles de
São Tomé et Principe, pour 575 captifs. Un croiseur anglais le captura le 30
janvier 1824 au large de Lagos, ainsi que le cotre Crioula commandé par
Andre Pinto da Silveira241. Manoel d’Almeida, originaire de Pernambouc,
se déplaçait souvent entre Bahia et Lagos où il possédait une factorerie.
L’Africain Joaquim d’Almeida, du village de Hoko, en pays Mahi,
séjourna à Bahia comme domestique au service de Manoel Joaquim
d’Almeida. Libéré par son maître, il s’engagea lui aussi de 1835 à 1845
dans le trafic négrier et rédigea un curieux testament, le 17 décembre 1844
avant son départ pour Agoué, à la frontière actuelle du Dahomey et du
Togo. Ce document nous livre des informations sur les dessous du trafic
négrier et à ce titre, il mérite d’être cité :
“Joaquim de Almeida, testateur
Manoel Joaquim de Almeida, exécuteur testamentaire
Au nom de Dieu, Amen,
Moi Joaquim de Almeida, né à la Côte d’Afrique, libéré, et me trouvant
présentement en cette ville, dans l’état de célibataire, et étant sur le point de
partir pour la Côte d’Afrique, n’ayant point l’assurance de rester en vie au
cours de ce voyage, je décide de faire mon testament, ultime et dernière
volonté, vu que j’ai toute ma raison et mon bon sens.
(...) Je déclare que les biens que je possède sont les suivants : la somme
de 4 721 850 reis, montant de l’intérêt d’un huitième de la cargaison de la
polaca sarde, Joanito, dont le capitaine est Nicolo Besso, et caissier en cette
ville le Sr. Joaquim Alves da Cruz Rios, lequel vaisseau est parti pour la
Côte d’Afrique en octobre de l’année courante (1844) aux soins de Querino
Antonio.
Je déclare que je possède de plus la valeur de 36 esclaves à La Havane
dans les mains de Sr. José Masorra, sur lesquels j’ai donné l’ordre de
remettre le montant (de la valeur) de 26 esclaves au Sr. Joaquim Alves da
Cruz Rios en cette ville, comme j’ai également donné l’ordre de remettre le
montant (de la valeur) de 10 esclaves au Sr. Manoel Joaquim de Almeida en
cette ville, le susdit premier exécuteur testamentaire.
Je déclare que je possède en plus à Pernambouc dans les mains du Sr.
Manoel Joaquim Ramos e Silva la valeur de 20 esclaves. J’ai donné l’ordre
d’en remettre le montant au Sr. Joaquim Alves da Cruz Rios en cette ville.
Je déclare posséder en mon pouvoir 9 esclaves : 4 femmes et 5 hommes
qui sont les suivants : Marcellino de nation gégé, João de nation nago,
Felipe de nation nago, David de nation nago, Feliciano de nation nago,
Felismina de nation mina, Maria de nation gégé, Jesuina de nation nago,
Benedictina de nation nago.
Je déclare que je dois à la Sra. Thomazia de Souza, Africaine libérée, de
nation gégé vivant actuellement à la Côte d’Afrique, la somme de quatre
contos de reis, que ladite Sra. Thomazia m’a prêté sans exiger de moi aucun
document, pour cela mon exécuteur testamentaire devra payer tout de suite
à ladite Sra Thomazia de Souza Paraiso cette dette.
Je déclare que je dois également au Sr. Joaquim Alves da Cruz Rios la
somme de six cents mil reis, je dois également à mes filleuls Manoel et
Justina, tous deux enfants de mon compère Benedito Ferez Galliza, Africain
libéré de nation gégé et de Henriqueta Joaquina de Bomfin également
Africaine libérée de nation auça (Haoussa). Je dois également à la Sra.
Maria Francisco Roiz Seixas cent mil reis ; je dois de plus au Sr. Francisco
da Costa Franco cent mil reis, somme que mon exécuteur testamentaire
paiera tout de suite.
Je déclare que mon exécuteur testamentaire libérera tout de suite aux
dépens de mes biens la négresse africaine Roza de nation nago, esclave du
Sr. Rapozo Ferreira et lui paiera après sa libération deux cent mil reis en
allègement de ma conscience pour les bons services qu’elle m’a rendus ;
dans le cas où elle aurait changé de maison en cette ville ou hors d’elle,
l’exécuteur testamentaire fera toute diligence, pour la libérer aux dépens de
mes biens, et dans le cas où elle serait libérée avant mon décès, mon
exécuteur testamentaire lui paiera aux dépens de mes biens la valeur de sa
libération, indépendamment des deux cents mil reis que ci-dessus je lui fais
payer. De même, mon exécuteur testamentaire libérera tout de suite aux
dépens de mes biens mon esclave Felismina de nation mina, de la même
façon il libérera mon autre esclave Benedita de nation nago ; ces deux
esclaves jouiront de leur liberté pour les bons services qu’ils m’ont rendus.
Je déclare de plus que mon exécuteur testamentaire donnera aux dépens
de mes biens, à la petite créole mineure Benedita, fille de la négresse gégé
Francisca et élevée par le Sr. Francisco Simoens, la somme de six cents mil
reis pour sa liberté, et au cas où elle serait libérée avant mon décès, elle
recevra cette somme de six cents mil reis quand elle aura atteint sa majorité,
et cette quantité sera remise dans un dépôt public ; ainsi également à mon
filleul Félix, petit créole mineur, fils de ma commère Alexandrinha,
également créole, la somme de cinquante mil reis, quand il aura atteint un
âge suffisant pour la recevoir.
(...) Je déclare de plus que je possède un quart de la cargaison du brick
goélette sarde qui est à présent dans la ville et prêt à partir pour la Côte
d’Afrique, dans lequel je pars en qualité de caissier pour faire la négociation
en Afrique de toute la cargaison ; le Sr. Joaquim Alves da Cruz Rios étant
caissier en cette ville ; j’emporte aussi dans le même vaisseau, investi en
diverses marchandises et sans participation de personne, pour mon compte
risque la valeur de sept contos de reis.
Une fois réalisés les paiements et autres dispositions : premièrement, mon
exécuteur testamentaire laissera comme héritier des deux parties de mes
biens en premier lieu le mineur Soteiro, fils de mon esclave Felismina de
nation mina, que je fais libérer ; le mineur est déjà libre depuis son
baptême, et je nomme comme son tuteur en premier lieu mon premier
exécuteur testamentaire, en deuxième lieu mon deuxième exécuteur
testamentaire et en troisième lieu mon troisième exécuteur testamentaire.
Et en deuxième lieu de mon héritier mineur j’institue la Sra Thomazia de
Souza Paraiso déjà mentionnée, et j’institue comme héritier du tiers, en
premier lieu la mineure Benedita, fille de la négresse gégé Francisca et
élevée par le Sr. Francisco Simoens déjà nommé, et je nomme comme son
tuteur les mêmes que pour mon premier héritier des deux parts de mes
biens, vu que je n’ai ni descendants ni ascendants qui de droit puissent
hériter des deux parts de mes biens, et en deuxième lieu de mon tiers,
j’institue le Sr. Manoel Joaquim de Almeida.
Et de cette façon j’ai terminé mon testament que je désire être
entièrement exécuté. Je demande aux Justices de Sa Majesté Impériale, etc.,
qu’elles daignent faire ainsi exécuter et conserver tout ce qui s’y trouve,
pour être ma dernière et ultime volonté testamentaire.
J’ai demandé au Sr. Guilhermo Martins do Nascimento qu’il l’écrive pour
moi, et après l’avoir lu, et le trouvant conforme en tout à ce que j’ai dicté, je
l’ai signé avec la signature que j’utilise.

A Bahia, le 17 décembre 1844”.

Ce testament, à la mort de Joaquim d’Almeida en Afrique, fut ouvert à


Bahia, le 9 juillet 1857. Accepté le 11 juillet 1857, Caetano Alberto da
Franca, un pardo, capitaine négrier de 1818 à 1824, s’occupa de l’héritage
laissé par Joaquim d’Almeida et de l’éducation de son fils Soteiro. Il
mourut lui-même sans fortune à Bahia en 1871. Joaquim d’Almeida, qui
s’était installé à Agoué, avait réussi à faire construire une chapelle, terminée
en 1845, dans l’enceinte de sa propriété, et dédiée au Senhor Bom Jesus da
Redempcão.
Un autre marchand de Bahia, Domingos José Martins, né vers 1800,
s’installa à Porto Novo en 1830-1832. Il rédigea son testament à Bahia en
1845 mais il mourut le 25 janvier 1864, laissant des descendants au Brésil
et en Afrique.

Au Brésil, le sort funeste des “emancipados"


Que devenaient les centaines de milliers d’esclaves introduits
clandestinement au Brésil depuis le traité anglo-brésilien de mars 1830 qui
supprimait la Traite négrière ? Ces esclaves étaient officiellement libres
d’après le premier article de la loi brésilienne de novembre 1831. William
Ewart Gladstone, vice-président du Board of Trade en 1843-1845, affirmait,
au cours du débat aux Communes portant sur l’avenir de la Division navale
d’Afrique occidentale : “Nous avons le droit absolu d’aller au Brésil et de
l’obliger à émanciper tout esclave importé depuis 1830 et, en cas de refus,
de leur (sic) faire la guerre...”242. Lord Palmerston demanda au
gouvernement brésilien, par l’intermédiaire de James Hudson le 5 juillet
1851, qu’une commission mixte soit nommée pour rechercher le nombre
d’Africanos livres encore vivants, les localiser, connaître leur situation. Sa
proposition fut rejetée. Cependant, un décret promulgué en décembre 1853
s’intéressait à la question et déclarait que les “Africains libres" qui avaient
servi comme apprentis depuis quatorze ans, pouvaient entreprendre une
démarche auprès de leur maître et solliciter leur mise en liberté et leur
retour en Afrique. Toutes les réclamations anglaises sur cette question se
heurtaient à l’intransigeance du gouvernement brésilien. Sergio Terceira de
Macedo, le ministre brésilien plénipotentiaire à Londres, observa en
décembre 1852 que pour le Brésil, accepter les doléances britanniques
équivaudrait à émanciper la grande majorité des esclaves en âge de
travailler et “provoquerait une révolution générale qui engloutirait l’Empire
brésilien”. Il concluait catégoriquement par ces mots : “na escravidão hão
de ficar" (“Ils doivent rester dans l’esclavage”)243.
Le gouvernement britannique ne voulant pas abandonner la partie, prit la
décision d’envoyer à Rio de Janeiro un nouveau ministre, William Dougal
Christie. Ce diplomate adopta une ligne de conduite ferme, exigeant la
libération des emancipados, la liberté des esclaves arrivés après 1830, le
rejet des plaintes brésiliennes et la poursuite de l’Aberdeen Act. Le
gouvernement brésilien pris en tenaille par les sollicitations anglaises et
l’activité de la Royal Navy, relâcha plus de 1000 emancipados de septembre
1863 à août 1864244. En outre, une loi du 24 septembre 1864 affranchissait
tous ceux qui avaient travaillé pendant quatorze ans comme apprentis.
De retour à Londres en 1863, W.D. Christie écrivit son ouvrage si
controversé, Notes on Brazilian Question et le publia en 1864. Dans ce livre
dédié à Lord Palmerston, le diplomate évoquait la situation des “Africains
libres” et concluait : “Là où domine l’esclavage, la traite nègrière
l’emporte”245. Le gouvernement anglais suivit ses conseils car il refusa en
juin 1865 de rétablir les relations diplomatiques avec le Brésil comme le
suggérait une pétition de la British Anti-Slavery Society et n’envisageait pas
de mettre un terme à l’Aberdeen Act. La mort de Lord Aberdeen en 1860,
celle de Lord Palmerston en 1865. le départ à la retraite de Lord Russell en
1866 n’affaiblirent pas la détermination anglaise d’obliger le Brésil à
supprimer l’esclavage.
Selon des estimations statistiques récentes, il y aurait eu plus de 600 000
esclaves importés au Brésil clandestinement après 1830. Sur ce nombre,
combien de Nègres emancipados ? Combien d‘Africains libres ? Combien
d’entre eux réussirent à retourner en Afrique ? Combien enfin furent
envoyés par les Anglais dans les colonies des West Indies ?
Dénombrements problématiques que nous laissons aux historiens qui
voudront préciser les directions et les courants de la circulation des Noirs au
XIXe siècle. De tous ceux qui, libérés du joug de l’esclavage, s’embarquent
pour changer de pays, vont en Afrique, aux Caraïbes ou au Brésil.

Des retours en Afrique sous la marque du commerce


Beaucoup d’esclaves songeaient à retourner dans leur pays et à revoir
leur famille. Certains parviennent à revenir en Afrique mais la réalité n’est
pas aussi belle qu’ils se l’imaginaient. C’est le cas de ce natif de Bornou,
capturé et vendu à Ouidah, ayant vécu vingt-et-un ans esclave à Bahia,
chef-cuisinier de la Maison Boothby and Johnson de Liverpool pendant dix
ans. Libéré en 1833 par ses maîtres anglais, il décida de revoir l’Afrique.
Un voyageur anglais le rencontra en 1845, alors qu’il errait à l’intérieur de
l’Afrique, à Adofodia (Nigeria). Le Brésilien lui raconta sa pitoyable
histoire : il avait rêvé de revoir son pays natal et n’avait retrouvé qu’un
village anéanti, brûlé deux fois, habité par des éléments allogènes qui le
tenaient pour un espion. Il avait dû repartir et cherchait à regagner le littoral
pour embarquer sur un navire en partance vers le Brésil... ou pour
l’Angleterre246.
De retour en Afrique, Africains libérés par la Royal Navy et Brésiliens
emancipados, eux aussi s’investirent dans le commerce. On distinguait plus
clairement, au milieu du siècle, les anciens esclaves affranchis ayant
séjourné au Brésil ou aux Caraïbes, des Africains libérés sur les vaisseaux
négriers. Ce dernier groupe, en majorité Yoruba, nommé Aku à Freetown,
ou Saro, converti au protestantisme, parlait un créole à base d’anglais. Les
Nègres musulmans, revenus du Brésil, connaissant mal l’Islam, se
rapprochaient, en Afrique, des Brésiliens catholiques.
L’Anglais Henry William Macaulay, commerçant au Sierra Leone en
1830, juge à la Commission mixte de 1831 à 1839, communique des
informations en 1842 aux membres du Select Committee du Parlement
britannique. Il signale l’activité de “colporteurs et marchands ambulants”
pratiquée par beaucoup d’habitants du Sierra Leone, qui préfèrent cette
occupation à “travailler la terre". D’après lui, quelques centaines
d’Africains libérés “devenus marchands au Sierra Leone ont pu s’enrichir,
acheter des terres, des maisons et des navires”. Il observe que “les Africains
libérés faisaient le commerce avec plus de bénéfice que les marchands
blancs... Et après avoir renvoyé hors du marché les maroons et les colons,
ils renvoient maintenant graduellement les commerçants blancs”. Quant à
l’idée d’émigrer vers les West Indies, Macaulay répondait que les Africains
libérés de Freetown ne se montraient pas favorables au départ :
“Parmi eux il n’y avait pas de grand désir d’émigrer, contrairement à ce
qu’on pense. Quelques Africains libérés sont anxieux de retourner au pays
d’où ils ont été arrachés comme esclaves et où ils ont des amis ; mais en
dehors de cela, il n’y a pas grand désir d’émigrer ; s’il y avait nécessité que
ce désir existât, il fallait le faire naître. Le gouverneur et le conseil ne voient
aucun obstacle à laisser partir des personnes désireuses de quitter la
colonie ; au contraire, juste avant que je parte, une demande ayant été faite
par un groupe d’Africains libérés au gouverneur, d’être renvoyés à Badagry,
le gouverneur et le conseil ont répondu qu’ils pouvaient y aller si tel était
leur bon plaisir, mais que le gouvernement ne pouvait faire aucune dépense
pour les envoyer. Certains d’entre eux partirent et depuis, l’émigration a
pris beaucoup d’extension vers Badagry ; à présent il y a là un grand
nombre d’Africains libérés, qui trouvent leur chemin vers le Niger ; et dans
une lettre reçue récemment, un gentleman de Sierra Leone me dit que les
Africains vont toujours à Badagry, et que l’endroit est en train de prendre de
l’importance”247.
Près de cinq cents de ces marchands africains libérés quittèrent le Sierra
Leone pour s’établir à Badagris, à Lagos et à Abeokuta entre 1839 et 1842.
L’un d’entre eux, James Ferguson, et quelques amis méthodistes, achetèrent
un navire, le Wilberforce, et naviguèrent jusqu’à Lagos d’où ils étaient
originaires.
Les autorités anglaises cherchaient à recruter les Africains libérés à
Freetown pour les envoyer aux West Indies ou pour en faire des soldats. On
tenta vainement de les fixer comme agriculteurs aux environs de Freetown.
En revanche, le Consul anglais à Lagos, Benjamin Campbell, écrivait au
ministre le 28 décembre 1853 :
“Il y a quelques 130 familles d’Africains (self emancipated) émancipés
par leurs propres efforts au Brésil, qui font partie de la population de cette
ville. Ils ont été autrefois expédiés comme esclaves de cette partie de la
côte, et ayant eu la bonne fortune d’en réchapper, ils ont été envoyés dans
les mines et plantations du Brésil, où ils ont su, par leur travail, leur
frugalité, et leur bonne conduite, racheter leur propre liberté et celle de leurs
femmes et enfants.
Ils sont tous originaires du Yoruba et principalement de la province Egba.
Pendant le règne de Kosoko, ces gens, à leur arrivée à Lagos, étaient
dépouillés par lui et quelquefois, lorsqu’ils tentaient de résister à ces
extorsions, étaient massacrés. Il semble qu’ils aient vécu ici sans protection,
et le fruit de leur travail et même leurs enfants ont été la proie de n’importe
quel petit desposte qui désirait les détrousser.
Peu après l’expulsion de Kosoko, en août dernier, une députation de leurs
dirigeants est venue me rendre visite, et m’exposer l’extrême misère de leur
situation ; leurs enfants leur étaient arrachés et vendus comme esclaves, et
ils ôtaient spoliés de tout ce qu’ils avaient pu acquérir par leur travail.
Ayant vérifié que ces gens sont travailleurs et se conduisent bien, je n’ai
pas hésité à leur promettre que dans l’avenir, ils recevraient toute la
protection que l’influence de ma position me permettait d’exercer, sous les
conditions suivantes :
1° - qu’ils considèrent Akitoye comme le véritable roi de Lagos ;
2° - qu’ils abandonnent toute relation avec le commerce des esclaves ;
3° - qu’ils devaient présenter et faire enregistrer à ce consulat une liste de
noms de tous les chefs de famille ; ce qu’ils ont fait depuis ;
4° - qu’ils envoient leurs enfants aux écoles des missionnaires
(protestants) pour leur instruction ; qu’ils apprennent notre langue, qui
représente une force d’opposition à la traite des esclaves.
Ils ont accepté d’observer fidèlement ces conditions, et j’ai depuis, en
diverses circonstances, pu leur servir de protection contre les maux et les
oppressions dont ils sont l’objet”248.
Quelques mois plus tard, il signalait, le 18 juin 1854 :
“Par le premier paquebot sont arrivées deux familles africaines de La
Havane, émancipées par leurs propres efforts. Il y aurait ainsi deux cents
familles là-bas qui ont les moyens de payer leur passage et sont désireuses
de venir. Ces gens rencontrent des difficultés en raison des extorsions dont
ils sont victimes pour obtenir leurs permis. Le consul de Sa Majesté ne
pourrait-il intervenir pour faciliter cette émigration vers Lagos ?
L’addition de ces émancipés africains du Brésil et de Cuba à la
population de Lagos est très désirable, car par leurs habitudes travailleuses
et leurs manières semi-civilisées, ils forment un bon contrepoids à la lie de
l’ancienne population de la traite des esclaves de cette place, car ils en
resteront séparés par leurs vieilles haines et animosités”249.
Le départ de Benjamin Campbell en 1856 pour Fernando Po suscita une
vive agitation de certains personnages de Lagos qui voulaient en profiter
pour régler leurs comptes :
“Madame Tinubu et les cabécaires ne furent pas plutôt au courant de
votre départ qu’ils commencèrent leurs intrigues pour susciter des troubles.
Voici leurs griefs : les Sierra Leone et les autres immigrants deviennent les
maîtres de la ville tandis que le roi et les indigènes sont laissés de côté ;
l’occasion leur a semblé bonne pour attaquer et dépouiller les immigrants et
les marchands. Il y eut grande excitation la nuit dernière parmi les
immigrants, qui restèrent presque tous la nuit sous les armes”250.
Cette Dame Tinubu, expulsée de Lagos par le Consul Campbell, achetait
des rouleaux de tabac qu’elle payait avec des captifs venant d’Abeokuta à
Ouidah. Commerçante originaire d’Abeokuta, elle passait pour une
personne qui dominait le Roi Docemo. Elle tentera vainement de flatter
Martin Delany pour qu’il puisse s’associer à elle et l’aider à surmonter les
difficultés qu’elle rencontrait avec les autorités anglaises.
Un rapport de Campbell au Foreign Office du 7 avril 1857 nous laisse
entrevoir quelques problèmes rencontrés par les nouveaux arrivants :
“Depuis quelque temps, un profond sentiment de jalousie se développe
chez les habitants indigènes de Lagos envers les immigrants de Sierra
Leone, dont l’intelligence supérieure et la position sociale plus élevée
provoque l’aversion des indigènes, qui n’hésitent pas à l’exprimer
ouvertement contre des hommes dont ils disent qu’après avoir été vendus
sur cette place d’où ils ont été emmenés voici quelques années seulement, y
sont revenus, maintenant, bien supérieurs à eux, occupent une portion
considérable de la meilleure partie de la ville et profitent d’une grande part
de son commerce”.
Africains libres et Brésiliens émancipés ne sont pas perçus de la même
façon par les autochtones :
“Bien que les Africains self emancipated du Brésil et de Cuba soient
domiciliés à Lagos en aussi grand nombre que les gens de Sierra Leone, ils
ne provoquent pas la même antipathie de la part des indigènes, ce qui peut
provenir de la grande différence d’éducation, si je puis employer le terme,
entre gens de même classe soumis à deux écoles différentes ! Les Brésiliens
self emancipated et les Espagnols ont été disciplinés dans un état servile à
l’école de l’esclavage. Ils y ont acquis une habitude et des manières de
déférence et de soumission envers leurs égaux et leurs supérieurs tandis que
ceux de Sierra Leone, qui n’ont eu, depuis leur arrivée dans un pays de
liberté, à subir une longue servitude, comme ce fut le cas de leurs confrères
moins chanceux, sont tout de suite devenus des hommes libres, montant les
degrés de l’échelle sociale, ils ont eu part à tous les attributs des citoyens
d’une communauté libre et ont été appelés à en exercer les diverses
activités. Ils ont en conséquence reçu l’empreinte extérieure des hommes
libres, de qui leur aspect et leurs manières se rapprochent conformément à
l’égalité républicaine. C’est de cela que les habitants indigènes se trouvent
offensés.
Parmi les gens de Sierra Leone, les adultes s’appliquent, j’en suis assuré,
à ne pas donner une juste cause de ressentiment à leurs voisins indigènes ;
mais il y a parmi les gens de Sierra Leone installés ici plusieurs jeunes
créoles nés à Sierra Leone, dont les parents ont résisté à tout effort de
christianisation, qui, par conséquent, n’ont fait que peu de progrès dans la
civilisation, et dont la conduite, ai-je entendu dire, pourrait provoquer un
jour un conflit entre les habitants indigènes et les gens de Sierra Leone. J’ai
prévenu les gens des classes les plus respectables parmi eux du danger où
ils se trouveraient s’ils ne réprimaient ces jeunes gens dans leur
comportement blessant envers la population indigène. Une explosion a failli
avoir lieu il y a peu de temps entre ces deux classes... Les indigènes ont
montré clairement leurs profonds sentiments de haine pour les Sierra
Leone”251.
Campbell et H.S. Freeman — le premier gouverneur de Lagos — se
plaignirent d’un certain Turner auprès du Foreign Office. Cet Africain libre
qui avait quitté le Sierra Leone pour s’établir à Lagos se montrait “plein de
présomption, d’auto-importance et d’une intelligence très bornée”, capable
de “miner l’influence britannique et de tourner les indigènes contre les
Blancs”. Il fait partie de cette classe de gens, concluait Freeman, qui
“pourraient aisément obtenir la domination sur les indigènes, si les Blancs
quittaient le pays ; leur maxime est ‘l’Afrique aux Africains’”252.
Les Nègres expulsés du Brésil retournèrent en Afrique et y apportèrent
des techniques d’agriculture, des métiers, des habitudes de vie qu’ils
avaient acquis en Amérique. Beaucoup de ces Nègres, anciens esclaves
libérés, retournèrent en Afrique et se livrèrent à leur tour au trafic des
esclaves puis au commerce dit “légitime”. Plusieurs Africains libérés qui
retournèrent chez eux, revinrent au Brésil après des années, avec leurs
familles et leurs domestiques esclaves.
Benjamin Campbell, le consul britannique à Lagos de 1853 à 1859, avait
commencé par être un commerçant très actif au Sierra Leone. Après avoir
été employé à Freetown par la Maison Macaulay & Babington jusqu’en
1825, il s’était établi à son compte. Il avait alors acheté et revendu plusieurs
bâtiments saisis et condamnés par les tribunaux mixtes, comme le Cérès, le
Clarence et l’Almirante en 1829. Campbell s’était installé en 1834 aux îles
de Loos et au Rio Pongo où il habitait avec la fille de Mme Lightburn née
Gomez. Une enquête menée par la marine française révéla en 1856 au
Foreign Office que la “belle-mère” du consul, sa fille et sa “belle-sœur”
possédaient chacune une factorerie et se livraient à la traite des Nègres253.
Une note de 1841 remise à Lord Palmerston signalait la participation
d’Isabelle Lightburn à l’embarquement à Rio Pongo de quarante captifs sur
un navire, Segunda Rozalia, en partance pour La Havane. Les papiers de
cette transaction trouvés à bord étaient écrits et signés d’un certain B.
Campbell, “marchand britannique”254.
Le Colonial Office fit part le 13 février 1829 au Foreign Office des
soupçons pesant sur des sujets britanniques impliqués dans des trafics255.
Des officiers de la Division navale d’Afrique Occidentale vendaient des
prises après les avoir employées comme vaisseaux auxiliaires256. Un
commissaire priseur des cours mixtes, John Hamilton, acheta vingt-deux
navires entre le 21 mai 1831 et le 22 juin 1837, avant de démissionner le 30
juin 1838257.
Il semble qu’au Sierra Leone, vers 1830, le gouverneur par intérim, le
Capitaine Alexander Mac Lean Frazer, juge commissaire, ait pu bénéficier
de la complicité de certains magistrats, comme son ami Weston, ou Thomas
Harrison Parker, commissaire priseur, et Cole. son associé. Ils achetaient
tous “à très bon prix ” des bâtiments capturés par les croiseurs anglais qui
reprenaient la mer sous le sinistre pavillon des négriers brésiliens258.
L’Anglais John Duncan, en 1845, peu de temps avant de devenir consul à
Ouidah, notait le manque d’artisans, maçons et charpentiers, parmi les
Brésiliens établis en Afrique. La cause de cette absence est à mettre sur le
compte du commerce. Les nombreux artisans Brésiliens émancipés de
retour en Afrique avaient trouvé plus profitable d’abandonner leurs métiers
et de se livrer au trafic négrier. Des apprentis ont été envoyés se former à
Bahia, comme en témoignent les lettres privées datées de Bahia en 1841,
trouvées à bord du Marabout qui mentionnent les jeunes Africains Ignacio,
Francisco et Domingo, "envoyés pour apprendre l’état de maçon”259.
Nina Rodrigues et Gilberto Freyre ont donné des explications fantaisistes
aux départs des esclaves affranchis. Ils auraient manifesté selon eux, un
esprit de “ségrégation et de séparation”260, ils ne s’intégraient pas à “la vie
du pays... et n’adoptaient pas le Brésil comme nouvelle patrie”261.
La suppression de la Traite négrière, en 1850-1851, s’accompagna d’une
discrimination entre créoles libres et Africains émancipés. L’arrivée au
Brésil de travailleurs blancs incita les autorités à chasser les Africains libres
du marché du travail. Les anthropologues ont souligné les inégalités
sociales et les divisions — en particulier religieuses — qui opposaient les
Africains affranchis entre eux. Ils ont dégagé les tendances parmi les
Africains, soit à cultiver leurs traditions et leurs coutumes en les adaptant au
besoin, soit à “accommoder”, à se résigner à adopter les manières de vie
brésiliennes. Acceptation ou rejet. Refus d’intégration et manifestation
d’agressivité envers les Blancs, ou résignation et ouverture ? Les
anthropologues discutent longuement sur ces questions sans examiner plus
attentivement les conditions de vie des esclaves : le travail obligatoire, les
souffrances alimentaires, les peines et châtiments divers, la répression
cruelle qui s’abattait sur les récalcitrants, les insurgés, ceux qui tentaient de
se libérer. Or, si on ne tient pas compte de la violence du Système
esclavagiste, de la cruauté des maîtres, de l’organisation de la terreur dans
les camps, comment cerner les véritables raisons qui poussent de nombreux
esclaves à quitter cette colonie au demeurant si paradisiaque pour eux, selon
Gilberto Freyre ?262. Il n’était pas le seul. George Gardner écrivait en 1842 :
“dans le plus grand nombre de plantations, les esclaves sont bien traités et
semblent très heureux”. Pourquoi s’enfuyaient-ils des engenhos ? Ou bien
la fuite vers la ville avait-elle sans doute un autre but, celui de passer pour
libres ou de “fuir les engenhos des maîtres pauvres pour ceux des maîtres
plus riches..."263.

Communautés "brésiliennes” en Afrique


Des communautés “brésiliennes" se constituèrent dans quelques villes du
Golfe du Bénin : Agoué, Ouidah, Porto Novo, Badagris, Lagos et dans des
villages de l’intérieur du pays Yoruba. Au Dahomey s’établirent plusieurs
générations de commerçants brésiliens enrichis dans la Traite négrière. Le
premier d’entre eux, Francisco Felix de Souza, né le 4 octobre 1754, quitta
Rio de Janeiro pour servir “comme teneur de livre du garde-magasin et
greffier de la forteresse-factorerie São João Baptista d’Ajuda” fondée en
1721. Il se lia d’amitié à Gapé, le demi-frère du roi qui devint plus tard le
roi Ghezo. Il se distingua comme le plus riche des négriers de la côte
d’Afrique jusqu’à son décès le 8 mai 1849. C’est lui, ce Chacha 1er, dont on
peut voir le portrait à Ouidah. Isidoro Felix de Souza, l’aîné de ses trois fils,
le Chacha II, lui succéda. Marchand d’esclaves également, il mourut le 8
mai 1858. Le troisième Chacha, Francisco Felix de Souza, était encore en
1865 propriétaire de 12 000 esclaves qui ne lui servaient guère, car "jamais,
ou difficilement, ils ne réussirent à les embarquer au-delà des mers”264. En
1952, le Chacha VI Norbert F. de Souza recevait ses invités “vêtu d’un
pagne, mais le torse nu”265. Glélé, le neuvième roi du Dahomey, règna de
1858 à 1889. Le roi du Dahomey et ses trafiquants négriers se heurtant à
l’opposition britannique, favorisèrent la pénétration commerciale des
Français en 1851. Il cèda Cotonou à la France mais voulut reprendre ce
territoire. Il s’en suivit un conflit qui aboutit à la conquête du Dahomey.
Les retours s’opéraient en deux phases : un premier mouvement
concernait l’immigration à Lagos. Plus tard, en 1858, s’ébaucha un
mouvement de retour de la côte vers l’intérieur, en pays Yoruba, Haoussa et
Tapa.
Ghezo, roi de Dahomey, octroya des terres à des Africains émancipés de
Sierra Leone pour y construire “une petite ville” et “se livrer à la culture...
mais ils sont inférieurs en cette science aux Brésiliens, bien que la plupart
sachent lire et écrire un peu”266.
Kosoko, le roi de Lagos, s’opposa aux Anglais qui s’étaient faits les
protecteurs des libérés vivant à Abeokuta. Or, ces Africains émancipés
pratiquaient ouvertement la Traite négrière vers 1850. Le Foreign Office
(Lord Palmerston) était persuadé que Ghezo, le roi du Dahomey, ne
supprimerait la Traite négrière que si le roi de Lagos, Kosoko, l’arrêtait
avant lui. Le Consul John Beecroft fit une démonstration de force devant
Lagos les 20 et 30 novembre 1851. Il précisa son attaque contre la ville le
25 décembre pour chasser Kosoko et le remplacer par Akitoye, l’ancien
chef, disposé à signer un traité pour la suppression du commerce des
esclaves. Kosoko se réfugia dans le port de Palma, en pays Jebu, où il
continua à commercer avec Cuba. Docémo, le fils d’Akitoye, lui succéda
après son décès, le 3 septembre 1853.
Un commerce “légitime” se substitua progressivement au trafic négrier,
mais pendant longtemps, marchands et dirigeants africains pratiquèrent la
traite et le commerce “innocent”, pour eux des occupations
complémentaires. Cependant, le commerce “légitime” (huile de palme,
coton, peaux, gomme arabique, poivre de Malaguette, cire et ivoire), plus
tard caoutchouc, nécessitait une nombreuse main-d’œuvre esclave pour les
récoltes et le transport.
Parmi le groupe des deux cents marchands “brésiliens” émancipés vivant
en 1863 à Ouidah, Porto Novo et Agoué, quelques-uns figuraient comme
dignitaires à la cour d’Abomey avec un cortège de musiciens et de gardes
armés. Ils étaient tous très soumis au roi du Dahomey, Ghezo, considéré
comme “le plus grand chasseur négrier de toute l’Afrique”267. On
dénombrait en 1863, une trentaine de Brésiliens à Ouidah. Le commerce
des huiles de palme s’effectuait par l’intermédiaire des grandes sociétés
françaises Régis, Daumas et Fabre. D’après un officier de marine français,
“il n’est pas de navire venant de Bahia qui n’en rapatrie quelques familles
d’Africains émancipés du Brésil”268.
Le gouverneur du fort São João Baptista d’Ajuda, mentionnait en 1877
les “passagers” considérés comme des Blancs, ces Africains partis au Brésil
puis revenus dans “la patrie qui les a vendus”269.
Des familles d’Africains libérés arrivèrent du Brésil et s’installèrent dans
le Golfe du Bénin vers 1860-1880. Le brigantin Alliança fit encore
plusieurs voyages entre Bahia et Lagos en 1896-1899. Après l’abolition de
l’esclavage, les Nègres brésiliens furent systématiquement écartés du
marché du travail et repoussés dans les zones les plus marginales de la
pauvreté. Certains d’entre eux préférèrent émigrer aux Caraïbes ou en
Afrique. L’administration britannique favorisa l’immigration des Brésiliens
à Lagos. Les Africains libérés, arrivés du Sierra Leone, adoptant des
comportements anglais, suscitèrent l’hostilité des habitants. Henry Fowler
affirmait le 14 octobre 1872 : “Il est désirable d’encourager cette classe de
semi-civilisés que sont les émancipés brésiliens, à s’installer sur la terre aux
environs de Lagos, car ce sont de bons fermiers”270. Le Capitaine Cornelius
Alfred Moloney, gouverneur de la colonie de Lagos, écrivait dans son
rapport le 20 juillet 1887 :“Ils ont commencé à se rapatrier vers 1840. (...) Il
y avait 1237 rapatriés du Brésil en 1871 et environ 2 732 en 1881 ; pendant
les cinq dernières années (1881-1886) il en est arrivé 412 par des voiliers,
dont 50 femmes et 17 enfants”. Moloney recommanda l’établissement
d’une ligne de vapeurs entre Lagos et Bahia.
La communauté des Brésiliens de Lagos avait conservé des pratiques
religieuses autour du Padre Antonio. Une mission catholique française
rencontra en 1868 cet “excellent chrétien” né à São Tomé en 1799, qui avait
été vendu et acheté en 1809 par le Prieur du couvent des Carmes à Bahia.
De retour à Lagos après son émancipation, Padre Antonio officiait dans une
modeste “chapelle en bambou”, alors qu’il n’était pas ordonné271.
Toutes ces communautés brésiliennes en Afrique se distinguent par leurs
patronymes à consonnances portugaises, françaises, anglaises. Elles
survivent par leurs traditions, leurs langues, leurs modes de vie, leur
cuisine, leurs récits oraux, leurs archives écrites, leurs cérémonies, leurs
fêtes profanes et religieuses, leurs habits et accoutrements et leur patrimoine
architectural.

Questions pour un débat


Au Brésil, à Bahia, une répartition par “Nations” fondée sur les contrats
d’achat et de vente des esclaves, entre 1838 et 1860. donne les résultats
suivants : Nago, 2049, Djédjé 286, Mina 117, Calabar 39, Benin 27 et
Cacheu 1, Angola 267, Cabinda 65, Congo 48, Benguela 29, Gabon 5,
Cassanje 4 et Mozambique 42. On comprend mieux ainsi l’influence
culturelle dominante des Nagos dans les rituels cérémoniels.
Il y aurait à Bahia près de mille casas de Candomblé. Le Candomblé272,
nom donné à Bahia aux cérémonies africaines, est une tradition qui s’est
maintenue malgré les préjugés et le racisme dominant des Blancs. Le
Candomblé se place sous la protection des dieux Xango273, Ogun, Oya,
Yemanja... qui ont accompagné les captifs dans leurs traversées tragiques,
dans les faux punis des vaisseaux négriers. Ce sont ces dieux qui ont permis
au panafricanisme de cette époque de briller dans les consciences et dans
les mémoires.
Yemaya — Yemanja au Brésil — la mère des Orishas, est la divinité des
eaux de mer et des eaux douces. On la commémore à Bahia lors des grandes
fêtes le 2 février et le 8 décembre au bord de la mer, sur la plage de Rio-
Vermelho. Les offrandes sont amoncelées dans un immense panier, gerbe de
fleurs embarqué sur un voilier suivi d’une flottille de saveiros (voiliers
locaux) montés par les fidèles avec leurs tambours. L’offrande est ensuite
lancée à la mer : si elle s’enfonce, elle est acceptée par Yemanja. Si elle
surnage, il faudra de nouveaux sacrifices pour attirer sa protection.
Le Candomblé qui se développe entre la religion du vainqueur et les
croyances des exploités peut-il ne pas englober des cultes syncrétiques
(Caboclo, Umbanda) ? Quel a été l’impact de la Traite négrière et du
Système esclavagiste sur ces dieux, ces cultes des ancêtres et ces captifs
écartelés ?.... D’après Roger Bastide, “l’esclavage a donc brisé les sociétés
globales africaines le long d’une ligne fluctuante qui séparerait, en gros, le
monde des symboles, des représentations collectives, des valeurs, de celui
des structures sociales et de leurs bases morphologiques”274. Entre
l’Afrique et les Africains, le Brésil et les Caraïbes, s’étirent les siècles de
Traite négrière et de Système esclavagiste.

186 Fernando Ortiz, Glosario de Afronegrismos, La Havane, 1991, “Oh, mio Yemaya”, pp.73-81 :
J.L. Franco. La Diaspora africana en el Nuevo Mundo. La Havane, 1975, pp.157-181, 217-229.
187 A.H.N., Ultramar, leg. 4666.
188 Ibidem.
189 La Havane, 1899, 2e éd., 260 p.
190 Journal L’essor économique universel, Anvers.
191 Abdias do Nascimento, Combaie ao racismo, 4 vol., Brasilia, Camera dos deputados, 1983-
1984 ; id., Jornada Negro-libertaria, Rio de Janeiro, IPEAFRO, 1984 ; id. Afrodiaspora, in Revista
do mundo negro, 5 numéros, trimestriel, Rio de Janeiro, 1983-1985 ; Elisa Larkin Nascimento, Pan-
Africanismo na America do Sul, Rio de Janeiro, co-éd. avec les Ed. Vozes, 1981 ; ici., Dois Negros
Libertarios, 1985.
192 Projet de loi n°1.661 de 1983.
193 Mameluco : issu d’une mère aborigène et d’un père blanc ; mestiço : produit d’un noir et d’un
blanc ; caboclo : terme désignant soit une personne de parents blancs et aborigène, soit un indigène
domestiqué, soit toute personne non blanche de basse condition.
194 Clarendon Press, Oxford, 1963, pp.86-130.
195 Ibidem.
196 Voir également Oruno D. Lara, Caraïbes en construction..., op.cit.
197 C.R. Boxer, op.cit., p.120.
198 Nina Rodrigues, Os Africanos no Brasil, 2e éd., Rio de Janeiro, 1933.
199 Roger Bastide, Le candomblé de Bahia (Rite Nago), Mouton, 1958, p.8.
200 Ibidem.
201 Gilberto Freyre, Casa Grande e Senzala, Rio de Janeiro, 1933 ; Id., Maîtres et esclaves, préface
de Lucien Febvre, Gallimard, La Croix du Sud, 1952.
202 Maîtres et esclaves, p.61.
203 Id., p.70.
204 Ibid. ; voir aussi pp. 239 et 432, n.101.
205 Id., p.440.
206 Id., p.462.
207 Ibidem.
208 Rio de Janeiro, 1938. 351 p.
209 Voir Estudos Afro-brasileiros. Rio de Janeiro, 1935.
210 Problèmes d’Amérique Latine, La Documentation Française, n°32, janv.-mars 1999, article
‘Brésil : les découvertes du quilombo. La construction hétérogène d’une question nationale”.
211 Cf. Abdias do Nascimento et Elisa Larkin Nascimento. Africans in Brazil. A Pan-African
Perspective, 1992, pp. 110-111.
212 Id., pp. 146-147.
213 Je dois cette information sur le Gabon à mon ami le Doyen Pierre Louis Agondjo-Okawe ; voir
aussi de Joseph Ambouroue-Avaro, Un peuple gabonais. A l’aube de la colonisation. Le Bas-Ogowe
au XIXe siècle, 1981.
214 Alfred Métraux, Pierre Verger, Correspondance, Ed. J.M. Place, p.261.
215 Cf. Oruno D. Lara, "Résistances et luttes", in Diogène, 179. Gallimard, Unesco, 1997, p.176.
216 Relation de l’Ambassade que le puissant Roi de d’Angomé Kiay Chiri Broncom, Seigneur des
vastes terres de l’intérieur de Guinée, a envoyée à... Comte de Atonguia... et vice-roi de l’Etat du
Brésil... écrite par J.FM., Lisbonne, 1751, 9 p.
217 Arquivo Publico de Bahia, A.P.B., 50, 53, 55.
218 C.A.O.M., 66/26.
219 P.R.O., F.O. 84/1031, B. Campbell, Consul britannique, 10 août 1857.
220 Pierre Verger, Flux et reflux, p.277.
221 M. Querino, Costumes africano no Brasil, Rio de Janeiro, 1938, p.109.
222 P.R.O., F.O. 13/141, Lyon et Perkinson à Palmerston, Bahia, janvier 1836.
223 P.R.O., F.O. 84/175.
224 P.R.O., F.O. 84/204.
225 P.R.O., F.O. 84/198, extraits d’un discours du Président de la Province de Bahia.
226 Ibidem.
227 P.R.O., F.O. 84/199.
228 P.R.O., F.O. 84/179.
229 P.R.O., F.O. 84/285.
230 P.R.O., F.O. 84/286.
231 P.R.O., F.O. 84/350.
232 PR O., F.O. 84/365.
233 P.R.O., F.O. 84/315, et voir C. Lloyd, The Navy and the Slave Trade, Londres, 1949.
234 Select Committee on Forts of West Africa, SCWCA, 1842.
235 SCWCA, 1842.
236 Communication du Foreign Office au Colonial Office du 26 août 1841, P.R.O., F.O. 84/307.
237 “Lord Russell est prié de faire savoir à Lord Palmerston si les nègres libres (s’il y en a qui vont
de Sierra Leone aux West Indies), s’engagent à travailler pendant un temps déterminé pour quelque
maître déterminé, ou s’ils vont, comme les émigrants de ce pays (Angleterre) au Canada ou aux
Etats-Unis pour trouver l’emploi qu’ils peuvent communication du Foreign Office au Colonial
Office, 26 août 1841, P.R.O., F.O. 84/101.
238 Ibidem.
239 P.R.O.. F.O. 84/157. 505.
240 Nous le retrouverons plus loin.
241 P.R.O.. F.O. 84/40.
242 Hansard, Parliamentary Debates, 3rd Series, LIX, 1170, 19 mars 1850.
243 Macedo à Paulino, 8 octobre 1852, Reservado, Arquivo Historico do Itamarati, A.H.I.. 217/317,
Rio de Janeiro.
244 Christie, op.cit., pp.XXXIV-XXXV.
245 Christie, op.cit., pp. XLV-XLVI et 51-66.
246 John Duncan, Travels in Western Africa (1845-1846), Londres, 1847, 2 vol., t.II, p.175.
247 Parliamentary Papers. Reports of the House of Commons Select Committee on the Suppression
of the Slave Trade. 1842.
248 P.R.O., F.O. 84/920.
249 P.R.O., F.O. 84/950.
250 Lettre de William Mc Coskry à B. Campbell. 17 mars 1856, P.R.O., F.O. 2/17.
251 Rapport de B. Campbell au Foreign Office, P.R.O., F.O. 84/1031.
252 Nigerian National Archives, Ibadan, C.S.O. 8/1 - 1, pp.123 et 327.
253 P.R.O., F.O.84/1061.
254 P.R.O., F.O. 84/343.
255 P.R.O.. F.O. 84/95.
256 P.R.O., F.O. 84/66, 79, 90.
257 P.R.O., F.O. 84/212, 231.
258 P.R.O., F.O. 84/101, 102.
259 P.R.O., F.O. 84/502.
260 N. Rodrigues, op.cit., p.169.
261 Id., pp.169, 171 et 173 ; G. Freyre, Sobrados e Mucanobos, São Paulo, 1936.
262 G. Freyre, op.cit., p.527.
263 Id., p.386.
264 Correa da Silva, Uma Viagem ao estabelecimento portugues de S. Joao B. de Ajuda na Costa da
Mina an 1865, Lisbonne, 1866, p.74.
265 Alfred Métraux, Itinéraires I, Payot, 1978, p.410.
266 Dunam, op.cit., t.I, pp.137 et 185.
267 Richard R. Burton, A Mission to Gelele, King of Dabome, Londres, 1864. Voir aussi : F.E.
Forbes, Dahomey and the Dabomans, Londres, 1851, vol.II, pp.60, 109, 112, 113, 118, 158, 179, et
P.R.O., FO. 84/816.
268 Lieutenant de vaisseau Gellé, Archives du Dahomey. Porto Novo. Série D/1-1.
269 Archives du Fort portugais de Ouidah.
270 N.N.A., C.S.O. 8/51, p.469.
271 M.J. Bane, Catholic Pioneers in West Africa, Londres, 1956, p.148.
272 “Candomblé : 1/ lieu oil se célèbrent les fêtes religieuses africaines ; 2/ ensemble des
cérémonies religieuses africaines ; 3/ dans le Sud du Brésil, toute danse ou fête des Nègres", Roger
Bastide, Le Candomblé de Bahia (Rites Nagos), Mouton et Cie, 1958, p.249.
273 "Xangô : 1/ nom du dieu de l’orage ; 2/ terme employé pour désigner les Candomblés de
Pernambouc et d’Alagoas", R. Bastide, op.cit., p.253.
274 R. Bastide, Les religions africaines au Brésil, P.U.F., 1960, p.215.
-6-
LES CERTITUDES DU RACISME PSEUDO-
SCIENTIFIQUE

This, thought I, was the work of my African progenitors... Feelings


came over me far different from those I have ever felt when looking at the
mighty works of European genius. I felt that ! had a peculiar heritage in
the Great Pyramid built... by the enterprising sons of Ham, from which I
descended, the blood seemed to flow faster through my veins, I seemed to
hear the echo of those illustrious Africans. I seemed to feel the impulse
from those stirring characters who sent civilization to Greece. .. I felt
lifted out of the commonplace grandeur of modern times ; and could my
voice have reached every African in the world, I would have earnestly
addressed him ... ‘Retake your Fame’".

E.W. Blyden, From West Africa to Palestine, p. 112.

Anthropologie ou racisme
Les sociologues ont proposé une périodisation précise pour le racisme dit
“scientifique”. Le racisme serait apparu à une époque relativement récente.
Avant le XIXe siècle, “les rapports entre les hommes étaient entachés, bien
sûr, par toutes sortes d’inégalités... et nul ne voudrait prétendre que les
différentes races n’y étaient pour rien... Toutefois, ce n’est vraiment qu’au
XIXe siècle et pendant ce siècle-ci que les phénomènes racistes,
expressément dits, se sont manifestés et multipliés”275.
Cependant, de nombreux exemples d’attitudes racistes apparaissent à la
lecture de plusieurs penseurs du XVIIIe siècle comme David Hume, Jean-
Jacques Rousseau et surtout Voltaire276. L’étude des naturalistes du XVIIIe
siècle, de Linné à De Pauw en passant par Buffon, suggère que c’est alors
que s’établit une hiérarchisation des espèces, y compris des “races”
humaines. Une analyse des “Lumières” laisse apparaître que l’origine des
théories racistes contemporaines se trouverait être un phénomène du XVIIIe
siècle, et non du XIXe. Une comparaison du vocabulaire décrivant les
“Nègres”, ne trouve aucune différence statistique valable entre les textes du
dernier quart du XVIIIe siècle, et ceux de la première moitié du XIXe277.
Quand le changement s’opère-t-il au XVIIIe siècle ? L’historien
étatsunien William B. Cohen considère la Déclaration royale de 1738
comme la première loi raciale française278. Elle restreignait les conditions
de séjour des esclaves (fixées par l’édit de 1716 qui modifiait les
dispositions du Code Noir), en exigeant que chaque permis porte le nom
d’un maître-artisan et en limitant la durée du séjour autorisé279.
L’administrateur Pierre-Victor Malouet, ordonnateur à Cayenne, puis
intendant de la Marine à Toulon, préfet, évoque la question fondamentale
des mariages mixtes :
“Car sans doute on ne nous fera pas désirer l’incorporation et le mélange
des races ? Mais l’esclavage est nécessaire pour le prévenir : c’est à
l’ignominie attachée à l’alliance d’un Esclave Noir, que la Nation doit sa
filiation propre. Si ce préjugé est détruit, si l’homme Noir est parmi nous
assimilé aux Blancs, il est plus que probable que nous verrons
incessamment des Mulâtres nobles, Financiers, Négociants, dont les
richesses procureraient bientôt des épouses et des mères à tous les Ordres
de l’Etat. C’est ainsi que les individus, les familles, les Nations s’altèrent,
se dégradent et se dissolvent"280.
A la même époque, un autre planteur explique dans un traité de droit que
l’esclavage transforme le Noir, suivant l’occasion, en “un instrument
insensible ou une bête de charge agissante”. Et il ajoute : “Excepté qu’il ne
sait ni mugir ni hennir et qu’à sa mort on ne tire parti ni de sa chair ni de sa
peau, il n’y a plus aucune sorte de différence entre lui et un bœuf, ou un
cheval”281. Un certain Rousselot de Surgy affirmait en 1765 que “les Noirs
forment une race de créatures par laquelle la nature semble s’élever de
l’orang-outan, au pongo et enfin à l’homme”282.
Pendant la Révolution, les planteurs participèrent activement aux débats
de l’Assemblée nationale en s’opposant à l’abolition de l’esclavage. Citons
deux opinions révélatrices de cet état d’esprit. Le vicomte de Mirabeau, le
frère cadet du “Tribun du peuple”, très lié au groupe des planteurs, résume
clairement leur position. La ‘“race supérieure’ des Blancs ne peut travailler
aux Antilles dit-il, à cause du climat ; les travaux agricoles reviennent donc
nécessairement aux Nègres, cette ‘espèce dégradée’ dont l’intelligence... est
infiniment bornée. L’insouciance, la paresse et l’aversion au travail sont
naturels aux habitants de l’Afrique, leur émancipation deviendrait donc un
présent fatal”. Et de conclure : “Si l’humanité m’ordonne d’améliorer le
sort des nègres, la raison me commande de conformer leur esclavage”283.
Encore plus suprenant l’adresse à l’Assemblée de Joseph Michel Pellerin,
avocat et député de Nantes, cherchant à la convaincre des effets néfastes de
l’émancipation :
“Les Nègres devenus libres, ne travailleront plus, parce que des Nègres
libres ne travaillent point. Les Caraïbes (Karibs), qui possèdent la meilleure
terre de l’Ile Saint-Vincent, n’y cultivent que quelques maïs ; la chasse et la
pêche sont leurs occupations ; encore ne chassent-ils et ne pêchent-ils que
lorsque la faim les presse ; le reste du temps, ils dorment. Voilà la vie de ces
Nègres à la liberté indolente...”284.
Il aurait fallu situer l’exemple français dans un contexte plus large,
englobant le Portugal et l’Espagne, l’Angleterre où, dès 1647, John Hare,
un avocat de la cause parlementaire contre le roi Charles Ier, se félicite des
origines germaniques de la nation anglaise285. “Le XVIIIe siècle serait
simplement l’époque à laquelle un racisme déjà bien établi rejoint
l’expérience coloniale et le “scientifisme” de l’âge des Lumières pour
prendre un caractère qui nous est plus familier ? “se demande l’historien
Pierre Boulle dans une enquête portant sur le racisme et la traite nègrière
nantaise286.
On pourrait d’ailleurs remonter encore plus haut dans le temps, aux XVIe
et XVIIe siècles, voire au XVe siècle, avant les débuts de l’aventure
coloniale européenne. Une analyse approfondie des rapports opposant les
Européens aux Arabo-Musulmans et aux Juifs, mettrait en lumière des
éléments probants d’un racisme caractéristique.

Théories racistes au XIXE siècle


En Europe occidentale, un “racisme positiviste" se réclamant de la
science, prit son essor à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXE. En
France, il s’élabora durablement sous la triple influence de facteurs
conjoncturels : — l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue en 1793
suivie de celle de 1794 ; — l’émergence de la République d’Haïti après une
longue guerre coloniale de 1791 à 1803 ; — le rétablissement de
l’esclavage en 1802 dans les colonies françaises.
Au début du XIXE siècle, le médecin naturaliste Julien -Joseph Virey
publia un ouvrage intitulé Histoire naturelle du genre humain (1800-1801).
C’est le premier d’une ligne de théoriciens racistes qui, durant le siècle,
vont multiplier les élucubrations, s’employant à fonder leurs conclusions
tendancieuses sur des observations anatomiques incontrôlées ou sur des
expériences pseudo-scientifiques. Ces savants s’appliquèrent à imposer
leurs preuves à grand renfort de données mathématiques (mensurations
crâniennes ou calculs d’angles faciaux), de mesures physiques des facultés
intellectuelles.
Dans son chapitre : “La Cinquième race — des Nègres ou Noirs”, voici
comment Virey expose sa vision de l’ensemble :
“(La conformation du nègre) se rapproche un peu de celle de l’orang-
outang. Tout le monde connaît cette espèce de museau qu’ont les nègres,
ces cheveux laineux, ces grosses lèvres si gonflées, ce nez large et épaté, ce
menton reculé, ces yeux ronds et à fleur de tête, qui les distinguent et qui les
feraient reconnaître au premier coup d’œil, quand même ils seraient blancs
comme des Européens. Leur front est abaissé et arrondi, leur tête
comprimée vers les tempes ; leurs dents sont placées obliquement en saillie.
Plusieurs ont les jambes cambrées ; presque tous ont peu de mollets, des
genoux toujours demi-fléchis, une allure éreintée, le corps et le cou tendus
en avant, tandis que les fesses ressortent beaucoup en arrière. Tous ces
caractères montrent véritablement une nuance vers la forme des singes, et
s’il est impossible de la méconnaître au physique, elle est même sensible
dans le moral. L’homme noir est né imitateur, comme le singe ; il reconnaît
la supériorité intellectuelle du blanc, supporte assez aisément son esclavage,
est très insouciant et paresseux. Ces habitudes annoncent une mollesse
naturelle ou innée de l’âme”287.
La dissection lui permet d’avoir une connaissance plus approfondie de
l’intérieur :
"Le sang de cette espèce d’hommes (est) plus fonçé que celui du blanc,
ses muscles ou sa chair (sont) d’un rouge tirant sur le brun. La cervelle qui
est grise ou cendrée à l’extérieur ou par sa portion corticale dans l’homme
blanc, est surtout noirâtre dans les nègres ; leur moelle allongée présente
une couleur jaune grisâtre ; les corps striés sont bains. Des observateurs ont
même assuré dès le temps d’Hérodote que ces nègres avaient le sperme
noir ; toutefois, Aristote a reconnu formellement qu’il était de couleur
blanche. Leur bile est aussi d’une teinte plus foncée que celle du blanc.
Ainsi le nègre n’est donc pas seulement nègre à l’extérieur, mais encore
dans toutes ses parties, et jusque dans celles qui sont les plus
intérieures”288.
L’étude du cerveau le pousse à affirmer :
“Soemmerring, Ebel, savants anatomistes allemands, ont fait voir que le
cerveau du nègre était comparativement plus étroit que celui du blanc, et
que les nerfs qui en sortaient étaient plus gros dans le premier que dans le
second. Plusieurs autres observateurs ont remarqué, en outre, que la face du
nègre se développait d’autant plus que son crâne se rapetissait, ce qui donne
une différence d’un neuvième de plus entre la capacité de la tête d’un blanc
et celle d’un nègre, comme nous en avons fait aussi l’expérience. Palisot de
Beauvois, qui a voyagé en Afrique, et moi, en comparant les quantités de
liquides que peuvent contenir les crânes des blancs et ceux des nègres, nous
avons observé que, chez ces derniers, il se trouvait jusqu’à neuf onces de
moins que dans les crânes des Européens.
Le crâne des nègres est épais, avec des sutures serrées, et résiste mieux
aux coups que celui des Européens ; mais leur encéphale a
proportionnellement des hémisphères moins volumineux avec des
circonvolutions cérébrales moins multipliées et moins profondes que chez
l’homme blanc, de grands tubercules quadrijumeaux, une petite
protubérance annulaire, un cervelet à proportion très considérable, une large
ouverture du trou occipital, une grosse moelle allongée, et épinière, une
extrême disposition aux sensations et aux excitations nerveuses, tous signes
d’une plus grande animalité que chez le blanc”289.
En conclusion, le savant naturaliste déclare, en se cachant derrière le
masque de l’impartialité :
“Ces remarques sur les proportions entre le crâne et la face du nègre,
entre la grosseur comparative de son cerveau et de ses nerfs, nous offrent
des considérations très importantes. En effet, plus un organe se développe,
plus il obtient de puissance et d’activité ; de même, à mesure qu’il perd de
son étendue, cette puissance est diminuée. On voit donc que si le cerveau se
rapetisse, et si les nerfs qui en sortent grossissent, le nègre sera moins porté
à faire usage de sa pensée qu’à se livrer à ses appétits physiques, tandis
qu’il en sera tout autrement dans le blanc. Le nègre offre des organes de
l’odorat et du goût plus développés que le blanc. (...) Le nègre sera donc
plus adonné aux plaisirs corporels, nous à ceux de l’esprit. (...) Chez le
nègre, le front se recule, et la bouche s’avance, comme s’il était plutôt fait
pour manger que pour réfléchir”290.
D’autres théoriciens de l’anthropologie physique se révélèrent au XIXE
siècle. Paul Broca (1824-1880), chirurgien, fonda la Société
d’Anthropologie de Paris en 1859, et l’Ecole d’Anthropologie en 1872. Il
rédigea quelques années après les premières instructions précises sur les
observations descriptives et les techniques métriques dans l’investigation
des groupes humains. Parmi ces “mesures”, l’indice céphalique imaginé par
le Suédois Anders Retzius (1796-1860) en 1842. compare la largeur de la
tête à sa longueur en suivant la formule : largeur x 1000.
Cet indice permet de distinguer :
- les dolichocéphales : têtes longues ou étroites (indices jusqu’à 75,9)
- les mésocéphales : têtes moyennes (de 76 à 80,9)
- les brachycéphales : à partir de 81.
Les enquêtes sur les “races” se sont multipliées depuis les écrits de
Johannes Friedrich Blumenbach (1752-1840), anthropologue de Göttingen,
jusqu’aux travaux de Edward Burnett Tylor (1832-1917) et de Wilhem
Wundt (1832-1920) (voir tableau des Naturalistes et théoriciens de
l’anthropologie). Les théories sur la craniologie de Franz Josef Gall (1757-
1828) et Johann Gaspar Spürzheim (1774-1832) ont associé la capacité
crânienne au développement corrélatif des fonctions intellectuelles.
Naturalistes et anthropologues discutent sur la “pureté de la race". Ils
postulent une hiérarchie des groupes humains. Les théories racistes sous-
entendent ou posent clairement qu’il existe des “races pures", que celles-ci
sont supérieures aux autres, afin que cette supériorité autorise une
hégémonie politique et historique.
Les doctrines racistes s’appuyant sur les travaux soi-disant scientifiques
des anthropologues européens, circulent — aux Amériques, aux Etats-Unis
particulièrement, où elles sont traduites, assimilées et vulgarisées. Ces
théories racistes ont eu une influence considérable sur tous les intellectuels
de cette époque, y compris sur des personnalités abolitionnistes ou sur un
homme comme Edward Wilmot Blyden qui justifie ainsi son mépris des
“mulâtres”, ces groupes "impurs”. Ces théories auront la vie dure et leurs
effets désastreux se feront sentir jusqu’au XXe siècle.

Le racisme scientifique
Naturalistes et théoriciens de l’anthropologie physique

Linnaeus Karl Von LINNE (1707-1778)


Georges Louis LECLERC, Comte de BUFFON (1707-1788)
Pieter CAMPER (1722-1789)
Jean-Baptiste LAMARCK (1744-1829)
Johann Friedrich BLUMENBACH (1752-1788)
Franz Josef GALL (1757-1828)
Baron Alexander Von HUMBOLDT (1769-1859)
Georges CUVIER (1769-1832)
Etienne Geoffroy SAINT-HILAIRE (1772-1844)
Johann Gaspar SPÜRZHEIM (1774-1832)
Sir William LAWRENCE (1783-1867)
James Cowles PRICHARD (1786-1848)
Karl Gustav CARUS (1789-1869)
Anders RETZIUS (1796-1860)
Gustav KLEMM (1802-1867)
Charles DARWIN (1809-1882)
Armand de QUATREFAGES de BREAU (1810-1892)
Joseph Arthur de GOBINEAU (1812-1881)
R.G. LATHAM (1812-1888)
Victor COURTET de l’ISLE, (1813-1867)
Lewis Henry MORGAN (1818-1881)
Pierre Paul BROCA (1824-1880)
A. Lane Foxe PITT-RIVERS (1827-1900)
Paul TOPPINARD (1830-1911)
Sir Edward Burnett TYLOR (1832-1917)
James HUNT (1833-1869)
Sir John LUBBOCK (Lord AVEBURY) (1834-1914)
Otis T. MASON (1838-1908)
Edward CLODD (1840-1930)

275 Gilbert Vernet, Racisme et philosophie, Paris, 1973, P- 47.


276 "Les Blancs, disait-il, sont supérieurs à ces nègres, comme les nègres le sont aux singes, et
comme les singes le sont aux huîtres”, Traité de métaphysique (1734), dans Œuvres Complètes, éd.
Louis Molland, 52 vols., Paris, 1877-1885, XXII, 210. Pour Rousseau, voir dans Léon Poliakov,
Histoire de l’antisémitisme, III, 122. Pour Hume, Richard H. Popkin, "The Philosophical Basis of
XVIIIth Century Racism", Studies in XVIIIth Century Culture, III (1973), pp. 245-246.
277 S. Daget, “Le mot esclave, nègre, noir et les jugements de valeur sur la Traite négrière dans la
littérature abolitionniste française de 1770 à 1845", Revue française d’IIistoire d’Outre-Mer, IX, i
(1973), pp 511-548.
278 The Trench Encounter with Africans, White Response to Blacks, 1830-1880, Bloomington,
Indiana. 1980, p. 110
279 Déclaration du Roi du 15 décembre 1738, Bibliothèque Nationale, Impr. F. 23624 (772).
280 Mémoire sur l’esclavage des nègres, Neufchatel, 1788, pp. 66-67. Cet ouvrage fut écrit en 1775.
281 Simon Nicolas Henri Linguet, théorie des lois civiles, 1767, t. 3-5 dans ses Œuvres, 6 t.,
Londres, 1774, V, 40.
282 Jacques Philibert Rousselot de Surgy, Mélanges intéressant et curieux.... 10 t., Paris, 1763-1765,
X, p. 161.
283 “Opinion de M. le vicomte de Mirabeau", en annexe à la séance du 8 mars 1790, dans Jérôme
Mavidal et als., eds.. Archives parlementaires de 1787 à 1860, première partie (1787-1799), 92 t.,
Paris, 1862, 1981, XII, 76.
284 “Réflexion sur la Traite des noirs par M. Pellerin, député du Comté Nantais”, en annexe à la
séance du 1er mars 1799, Archives Parlementaires, XI,
285 Hugh A. Mac Dougall. Racial Myth in English History. Trojans, Teutons, and Anglo-Saxons,
Montréal, 1982, pp. 59-60
286 Pierre Boulle, Colloque International de Nantes sur la Traite Négrière, 1985.
287 In J.J Virey, Histoire naturelle du genre humain, Paris, Crochard, 1824 (1ère édition : 1800), t. II,
p. 3-4.
288 Idem, vol. II, p. 38.
289 Idem, vol. II. p. 39-40.
290 Idem, vol II, p. 41.
-7-
BLYDEN ENTRE LES CARAÏBES ET L’AFRIQUE

“J’appelle négrier non seulement le capitaine de navire qui vole,


achète, enchaîne, encaque, et vend des hommes noirs ou sang mêlés, qui
même les jette à la mer pour faire disparaître le cotps du délit, mais
encore tout individu qui, par une coopération directe ou indirecte, est
complice de ces crimes. Ainsi la dénomination de négrier comprend les
armateurs, affréteurs, actionnaires, commanditaires, assureurs, colons-
planteurs, gérants, capitaines, contremaîtres, et jusqu au dernier des
matelots participant à ce trafic honteux".

Abbé Grégoire,
Des peines infamantes à infliger aux négriers, Paris, 1822.

Edward Wilmot Blyden, un Nègre des Caraïbes

L’environnement familial
Edward Wilmot Blyden naquit le 3 août 1832 aux Caraïbes, à Saint-
Thomas, une des Iles Vierges danoises. Ses parents, Romeo, tailleur et
Judith Anna, couturière, deux Nègres libres, étaient originaires de Saint-
Eustache. Ils éduquèrent leurs sept enfants dans un milieu culturel
anglophone. D’après un recensement réalisé le 3 octobre 1846 par le
gouvernement danois sur les Nègres libres de Charlotte Amélie (Saint-
Thomas), la famille Blyden résidant au n°2 de l’Ananas Street (dans une
maison appartenant à une certaine Rosa Mathias), se composait de :

Romeo : 52 ans, tailleur


Robert : 15 ans
William : 14 ans, cordonnier
Edward : 13 ans, tailleur
Romeo : 8 ans
John Joseph : 3 ans
Judith Anna : 43 ans, couturière
Jane : 10 ans
Lavinia : 4 ans291

Ils vécurent pendant deux ans, de 1842 à 1844, à Puerto Bello, au


Vénézuela. De retour à Saint-Thomas, Blyden devint apprenti tailleur avec
son père, tout en suivant l’école le matin.

John P. Knox, une rencontre déterminante


Pour des raisons de santé, le révérend John P. Knox, des Etats-Unis,
s’installa à Saint-Thomas en 1845 comme pasteur de l’Eglise Réformée de
Hollande (Reformed Dutch Church). Le jeune Blyden assista à son cours de
catéchisme. Knox le remarqua et l’encouragea dans ses études, après l’avoir
baptisé. Blyden choisit alors de s’engager dans la voie ecclésiastique. En
1850, Knox invita Blyden alors âgé de dix-sept ans, à accompagner sa
femme et son enfant qui devaient se rendre dans le New Jersey, aux Etats-
Unis. Ils embarquèrent le 17 mai pour New York, à tord du paquebot Von
Oxholm. Blyden projetait de poursuivre ses études supérieures aux Etats-
Unis. Malgré la recommandation de Knox, le Rutger’s Theological College
refusa sa candidature. Les Nègres n’étaient pas admis dans cene institution.

L’enrôlement de Blyden par l’A.C.S.


A New York, plusieurs de ses rencontres se révélèrent déterminantes. Il
fréquenta un cercle de presbytériens étroitement impliqués dans le
processus d’émigration des Nègres. Parmi eux figuraient le Rév. John
Brooks Pinney, Walter Lowrie, et William Coppinger. Pinney et Lowrie
travaillaient dans l’American Colonization Society depuis sa fondation.
Pinney s’occupait également de l’une des branches de l’A.C.S., la New York
State Colonization Society. L’A.C.S. le nomma gouverneur du Libéria en
1834. Coppinger était à l’époque secrétaire de la Pennsylvania Colonization
Society, une autre branche de l’A.C.S., tandis que Lowrie dirigeait le
Presbyterian Board of Foreign Mission à New York.
Refusé à deux autres reprises dans les universités nord-américaines,
Blyden songea à rentrer à Saint-Thomas. Ses amis de l’A.C.S le
convainquirent de poursuivre ses études en Afrique, au Libéria. La femme
de Knox l’encouragea à partir à l’étranger pour aller “civiliser
l’Afrique”292. Blyden accepta l’offre de la New York Colonization Society :
un ticket d’embarquement pour le Libéria. Il devait retrouver Coppinger à
Philadelphie. Il voyagea avec appréhension : la Fugitive Slave Law,
décrétée le 18 septembre 1850, venait d’entrer en vigueur. Cette loi
attribuait des pouvoirs illimités aux commissaires fédéraux, afin
d’appréhender et de rapatrier les esclaves fugitifs. Elle eut pour
conséquences d’effrayer non seulement les cimarrons, mais aussi les Nègres
libres, susceptibles d’être interpellés par n’importe quel agent fédéral ou
propriétaire d’esclaves peu scrupuleux.
Accompagné de Coppinger, Blyden se rendit à Baltimore. Le 21
décembre 1851, il monta à bord du Liberia Packet, et voyagea en
compagnie de soixante-et-onze autres émigrants pour le Libéria. Le 26
janvier 1852, Blyden débarqua au Cap Mesurado, à quelques lieues de
Monrovia, la capitale du Libéria.

Etudes succintes au Libéria


Arrivé au Libéria, Blyden, sans ressources, chercha à poursuivre ses
études. Deux Eglises se concurrençaient dans le pays : l’Eglise épiscopale
et l’Eglise presbytérienne. Chacune d’elles voulait attirer les nouveaux
émigrants. Four des raisons matérielles, il choisit la “protection” de cette
dernière.
Le Presbyterian Board of Foreign Mission de New York, qui gérait
l‘Alexander High School, lui offrit une bourse. La congrégation de Knox, à
Saint-Thomas, participa également aux frais du jeune étudiant. L‘Alexander
High School avait ouvert ses portes le 12 janvier 1852 avec treize étudiants
âgés de 16 à 20 ans — Le Rév. David A. Wilson, responsable de l’Eglise
presbytérienne de Monrovia, et principal de l’école, plaça Blyden dans la
première classe de latin. Il suivit les cours suivants jusqu’en 1856 :
théologie, latin, grec, mathématiques, orthographe, géographie, et l’hébreu
pendant ses loisirs. Blyden se distingua des autres élèves par ses bons
résultats293. En 1858, Blyden devint le principal de l’école et enseigna le
latin, le grec et les mathématiques à neuf étudiants294. En octobre de la
même année, il posa sa candidature au ministère presbytérien. Le presbytère
admit son ordination, rendue officielle le 3 janvier 1860295.

Deux employeurs
L’œuvre de Blyden impressionne par la quantité d’écrits et par leur style
élaboré. Alors à l’apogée de sa carrière, il publia en 1887 un ouvrage
capital, Christianity, Islam and the Negro Race296. Ce livre rassemble
quinze de ses conférences les plus marquantes. Cet homme joua un rôle
particulier dans l’histoire des émigrants américains (au sens large) en
Afrique. Nommé commissaire du gouvernement du Libéria pour les Etats-
Unis, il servit également d’agent auprès de l’American Colonization
Society. Ses fonctions lui permirent de se rendre à maintes reprises aux
Amériques (Caraïbes, Etats-Unis, Canada) et en Europe.

Commissaire du gouvernement du Libéria


Blyden se rendit plusieurs fois aux Amériques (1861,1862, 1874, 1880,
1882-1883, 1889-1890, 1895) et en Europe. Envoyé en mission par le
gouvernement du Libéria, il fut chargé d’attirer les investissements dans la
jeune république africaine. A l’automne 1861, une loi fut votée au Libéria,
autorisant la nomination de commissaires, chargés de présenter la cause du
Libéria, “aux descendants d’Afrique” du monde entier, et de les inciter au
“retour” dans leur “terre natale” (“fatherland”)297.
Le 18 mars 1862, le président du Libéria, Stephen Allen Benson (1856-
1864), désigna officiellement Blyden, son ami Alexander Crummell, prêtre
Nègre, né libre aux Etats-Unis, et J.D. Johnson, commissaires pour la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis. A cette occasion, Crummell et Blyden
rédigèrent ensemble une lettre ouverte “Aux Personnes Libres de
Descendance Africaine à travers les Etats-Unis” (“To the Free Persons of
African Descent throughout the United States"), pour exposer l’objet de
leur visite : “Messieurs : Au nom de la République du Libéria, de la côte
ouest de l’Afrique, nous avons l’honneur de nous adresser à vous, et de
vous inviter cordialement dans un foyer modeste, mais d’une communauté
grandissante...
Signé : Alexander Crummell
Edward W. BLYDEN
J.D. Johnson
New York City, 20 juin 1862”298.

Dans le cadre de sa propagande, Blyden publia un ouvrage, Liberia’s


Offering en 1862, à New York, qui présentait une vision idyllique du
Libéria299. Lors de ses voyages en Europe et aux Etats-Unis, au service du
gouvernement du Libéria, Blyden devait récolter des fonds destinés en
priorité à l’enseignement. En 1861, invité à la session de l’United
Presbyterian Synod à Edimburgh, il rencontra des Quakers, très sensibles à
sa cause. Il fit également la connaissance du célèbre homme d’Etat
britannique William Ewart Gladstone (1809-1898). Celui-ci lui offrit la
possibilité de poursuivre ses études à la British University, mais il refusa300.
Gladstone expliqua ainsi ce refus : “les devoirs envers sa race étaient trop
urgents pour lui permettre de consacrer plusieurs années à ses études”301.
Cependant, il reçut une aide financière des Quakers, et deux bourses pour
ses étudiants à l’université d’Edimburgh, et au Royal College of Surgeons
en Angleterre.

Agent de l’American Colonization Society


Blyden resta étroitement lié, au cours de sa vie, à un haut responsable de
l’A.C.S., William Coppinger. Né à Londres en 1828, cet homme de la
génération de Blyden émigra très jeune aux Etats-Unis. Il dirigea une
branche de l’A.C.S., la Pennsylvania Colonization Society pendant vingt-
six ans. En 1864, il devint le Secrétaire de la maison mère, jusqu’à sa mort,
le 9 février 1892302. Blyden le rencontra à New York en 1850. Coppinger
l’avait accompagné jusqu’à son embarquement pour le Libéria. Depuis son
départ, il correspondit régulièrement avec son ami, lui adressant les lettres
les plus sincères de l’ensemble de sa correspondance disponible de nos
jours.
Avec l’aide de Blyden, Coppinger sélectionna et envoya au Libéria 1 256
émigrants dans sa carrière303. En 1866, sur une idée de Blyden, l’A.C.S.
consacra 10.000 $ à l’émigration de Caribans vers le Libéria. 346 personnes
de la Barbade furent choisies par le trésorier John Mc Lain. Ils
embarquèrent sur le bâtiment Cora le 6 avril 1866 et arrivèrent le 10 mai à
Careysburg304. — Lors d’une conférence, Blyden remercia publiquement la
Société de “colonisation”, pour son “efficacité” en matière d’émigration des
Nègres305.
Blyden sillonna les Etats-Unis à sept reprises pour promouvoir
l’émigration en Afrique auprès des Noirs. Il donna un nombre
impressionant de conférences, dans les églises presbytériennes,
méthodistes, baptistes, dans les universités : Howard University de
Washington, Lincoln University de Pennsylvanie... Pour son voyage en
1880, l’administration du Liberia College l’autorisa à inviter des étudiants
Nègres des Etats-Unis afin de compléter leurs études au Libéria. La New
York Colonization Society fut chargée de financer l’opération306. Blyden se
dépensa également dans les succursales de l’A.C.S., dans les sociétés de
missions, comme la Methodist Mission de New York, et dans les diverses
associations en relation avec l’émigration des Noirs vers l’Afrique, comme
le Trustees of Donations for Emigration in Liberia, de Boston.
En 1862, en pleine Guerre de Sécession aux Etats-Unis, Blyden
poursuivit sa propagande chez ses compatriotes, aux Caraïbes. Le Ier août
1862, il débarqua à Saint-Thomas, dans son île natale. Ses écrits avaient
déjà circulé dans toute l’aire des Caraïbes307. A la Barbade, des milliers de
copies de ses pamphlets furent répandus. Il y rencontra des membres de la
Fatherland Union Society, et de la Barbados Company for Liberia. Les
Caribans l’attendaient comme le nouveau messie : “On m’a appris que mon
arrivée aux Caraïbes avait les mêmes effets que la publication de nouvelles
évangiles — la venue d’un second Moise”308. Dans la petite île de Saint-
Thomas, la Saint-Thomas Liberia Association fut créée quelques mois après
la visite de Blyden, afin de récolter des fonds pour la jeune république
africaine309. Blyden fut très attaché à l’émigration des Caribans de Saint-
Thomas. Dès novembre 1850, il demanda à l’A.C.S. d’étudier la
question310. Il revit sa mère pour la dernière fois, avant de repartir pour le
Canada via les Bermudes. Il délivra un sermon à l’Eglise Réformée de
Hollande, où, jeune garçon, il fut remarqué par le Rév. J.P. Knox. Blyden
peut donc être considéré comme un élément déterminant de l’émigration
des Nègres vers l’Afrique. Chacun de ses écrits reflète son engagement
pour l’émigration, sa relation particulière avec l’A.C.S., par l’intermédiaire
de son ami W. Coppinger. Comment argumenta t-il sa “propagande” en
faveur de l’émigration ? Son raisonnement est-il rigoureux ? Sur quoi se
fonde-t-il ? Pour répondre à ces questions, un bref rappel historique
s’impose, particulièrement sur la condition des Noirs aux Etats-Unis.

Le propagandiste
Les Nègres libres : un danger à écarter
Aux Amériques, et aux Etats-Unis en particulier, la présence de Nègres
libres sur le territoire effrayait la population blanche dominante au XIXE
siècle. A l’époque où subsistait l’esclavage, ces hommes libres constituaient
un dangereux modèle pour les esclaves. Les puissances esclavagistes
recherchèrent rapidement le moyen de “liquider", de se débarrasser de ces
“indésirables”311. Le “cimarronage” et les rébellions de Nègres au cours du
Système esclavagiste furent constamment réprimés. La Fugitive Slave Law
de 1850 appartient à cet ensemble de mesures visant à “contenir” la
population noire des Etats-Unis.

L’abolition de l’esclavage et la question du pouvoir


Le Ier janvier 1863, en difficulté dans la Guerre de Sécession, Abraham
Lincoln annonça la Proclamation d’émancipation libérant les Nègres
esclaves et autorisa officiellement le recrutement de troupes noires dans la
guerre. Le 18 décembre 1865, le XIIIe amendement de la Constitution
interdit l’esclavage aux Etats-Unis. En 1865, une organisation secrète
apparut, le Ku Klux Klan, qui entreprit de terroriser les Noirs jusqu’à nos
jours. Aux Caraïbes, des formes semblables d’intimidation et de terreur se
manifestèrent également312.
Cinq millions d’hommes et de femmes étaient libres à présent aux Etats-
Unis. Que faire d’eux ? La question fondamentale du pouvoir des Noirs aux
Amériques se posa de façon cruciale lors de l’émancipation des Nègres
esclaves. Aux Caraïbes, les décrets d’abolition de l’esclavage furent votés
en 1833-1838 pour les West Indies (Caraïbes anglaises) et en 1848 pour les
colonies françaises.

Contre les partageurs du pouvoir

La position particulière de Blyden


Blyden réalisa parfaitement les conséquences de la suppression de
l’esclavage aux Etats-Unis. Dans un article publié en 1878, dans l’American
Missionary, il s’opposa ouvertement aux partisans de l’intégration des
Noirs. Ceux-ci réclamaient le partage du pouvoir avec les Blancs. Il rassura
les gouvernants nord-américains, en leur présentant sa solution :
l’émigration313. Il décomposa la “question africaine” en trois étapes :
l’émancipation des Noirs avec la guerre civile ; l’éducation des masses
noires pour préparer l’émigration. Cette dernière phase, l’émigration, était
selon lui l’aboutissement logique de l’émancipation314. Travaillant au
service de l’A.C.S. et du gouvernement libérien, Blyden développa sa
propagande émigrationniste de manière ambiguë. 11 sut cependant agencer
de façon remarquable les objectifs de l’A.C.S. et les intérêts du Liberia.
L’analyse de ses nombreux écrits et de sa correspondance privée en
particulier, permet de saisir un Blyden plus sincère. L’étude de ces
documents révèle un personnage complexe, avec ses choix et ses
contradictions.

La discrimination raciale aux Etats-Unis : un argument idéal


Que faire des milliers d’hommes noirs devenus libres ? La question
préoccupa sérieusement les Etats-Unis, après la Grande-Bretagne et la
France. Selon Blyden, malgré certains courants d’idées libérales, comme
celui de William Lloyd Garrison aux Etats-Unis, le Nègre restait un
étranger315. Les lynchages se multiplièrent. La ségrégation fit rage.
Plusieurs lois instituant la dicrimination raciale furent adoptées sur tout le
territoire. Blyden se prononça à plusieurs reprises en faveur de ces mesures.
En 1887, après le vote d’une loi en Géorgie, stipulant la ségrégation
scolaire, il approuva les Blancs racistes du Sud des Etats-Unis, s’opposant à
l’enseignement supérieur des Noirs316. Lui-même avait subi cette
discrimination en matière d’éducation. Lors de ses conférences dans les
universités d’Atlanta et de Clark en 1882, il utilisa précisément cet
argument en faveur de l’émigration : l’impossibilité pour les Noirs de
poursuivre leurs études supérieures aux Etats-Unis.
Blyden prit également position en faveur du code criminel de l’Etat
d’Alabama interdisant le mariage ou les relations sexuelles entre Blancs et
non-Blancs317. Il confia à son ami Coppinger qu’il n’était pas opposé à la
ségrégation aux Etats-Unis, la place des Nègres étant, selon lui, en Afrique.

Le salut en Afrique

Selon Blyden, au Libéria, “le Blanc est détrôné, et le Noir reprend sa


place” (“White is dethroned, and black takes its proper position”)318. Le
foyer (“home”) du Nègre se trouve en Afrique319. Le Nègre ne peut
s’épanouir, et développer pleinement ses potentialités qu’en Afrique, et en
l’occurence, au Libéria, “the most promising door”320... “L’Afrique est,
pour le Nègre sa terre natale”, sa “mère patrie” (“fatherland”).

Justifier la Rédemption de l’Afrique par les Nègres


Le départ des Nègres des Amériques vers l’Afrique fut organisé pour
débarrasser les Blancs d’une population devenue encombrante après
l’émancipation. Pour masquer les véritables objectifs de cette entreprise
d’émigration, c’est-à-dire la déportation de tous les Noirs, plusieurs
arguments-prétextes furent avancés. Dans sa batterie d’arguments en faveur
de l’émigration, Blyden utilisa l’arme de la religion et de la philanthropie.
Dans cet ensemble figure la “Rédemption de l’Afrique” par la
Christianisation et la civilisation.
Cependant, comment justifier la christianisation et la civilisation de
l’Afrique par des Noirs, à l’époque considérés comme inférieurs aux
Blancs ? Les cadres de l’A.C.S. se souciaient peu de cette contradiction.
Quant à Blyden, il développa un raisonnement qu’il est nécessaire de suivre
attentivement.

Critique de l’anthropologie raciste du XIXE siècle


Plusieurs théories anthropologiques racistes, pseudo-scientifiques, se
développèrent dans la seconde moitié du XIXE siècle. Elles se résument en
quelques points : l’existence de plusieurs races (malgré les travaux de
Gregor Mendel, démontrant dès 1865 l’unité de la race humaine) ; la
hiérarchisation de ces “races", reléguant la “race noire” au plus bas
échelon ; le danger de “mélanger les races”, considéré comme un
phénomène anormal, et conduisant à une dégénérescence physique et
mentale ; enfin, des aptitudes innées et permanentes, propres à chaque
“race”.
De telles thèses furent adoptées et diffusées par le comte J. Arthur de
Gobineau321 et par la Société d’Anthropologie de Paris (créée en 1859), en
France ; par la Société Anthropologique de Londres, dirigée par James Hunt
et Richard Burton (fondée en 1863) et par les dirigeants de l’A.C.S. aux
Etats-Unis.
Blyden critiqua quelques-unes de ces thèses qui triomphèrent à l’époque,
et formula sa propre conception de l’anthropologie. Il reprit la thèse de
l’existence de différentes races. Malgré leurs différences, elles demeuraient
égales à ses yeux : “distinctes mais égales” ("distinct but equal”). Il fustigea
la théorie de la supériorité de la “race blanche” sur la “race noire" : “the
superficial theory of the ‘inferior race’, vanishing the superior”322.

Revalorisation du Nègre

Critique de concepts dévalorisants


Dans ses conférences, Blyden critiqua systématiquement les concepts
dévalorisants l’homme noir ou l’Afrique, tels “the Despised Race" ou bien
“the Dark Continent”323. Il s’insurgea contre l’image fausse
(“misrepresentation”) donnée des Noirs. Ces représentations péjoratives
étaient omniprésentes : dans les articles de journaux, dans l’enseignement,
la littérature, l’histoire écrite par les Européens... Elles ont déformé l’image
du Noir. Pis encore, elles ont entraîné une auto-dépréciation, un mépris du
Noir par lui-même (“self-depreciation”), et un complexe d’infériorité324. Il
invita tous les Nègres des Amériques à corriger cette représentation
falsifiée.

Importance des Noirs dans le monde


Blyden s’appliqua à prouver dans chacun de ses écrits la dignité et la
valeur de l’homme noir. Tout d’abord, par sa présence dans le monde
entier : non seulement en Afrique, mais aux Caraïbes, aux Etats-Unis, en
Arabie, en Perse, en Inde et jusqu’en Chine325. Dans deux de ses articles,
“A Voice from Bleeding Africa", et “A Vindication of the Negro Race”,
Blyden rendit hommage à plusieurs personnalités noires célèbres :
Toussaint Louverture, Paul Cuffe... Il évoqua également le nom de certains
esclaves fugitifs : Frederick Douglass, William Wells Brown, Henry Ribb,
Roper... Il imposa une histoire lumineuse des Noirs aux yeux de tous.

L’Afrique, “berceau de l’humanité"


Blyden s’appliqua à rappeler le rôle de l’Afrique pour l’humanité,
“berceau de la civilisation”326, “conservatoire du monde”327. Lors de son
séjour en Egypte en août 1866, il prit réellement conscience de l’importance
de l’Afrique dans les civilisations de l’humanité. Il s’émerveilla devant cet
héritage africain, conservé en Egypte et diffusé jusqu’en Grèce, à travers la
Méditerranée. L’histoire ancienne de l’Egypte apparaît très tôt dans
l’argumentation des Nègres visant la splendeur passée de l’Afrique. En
1829, le David Walker’s Appeal328 y fait référence ainsi que les écrits de
Frederick Douglass, comme son adresse : The Claim of the Negro
Ethnologically Considered : an Address publiée en 1854329. Constantin
François de Chassebœuf, comte de Volney (1757-1820), avait déjà souligné
l’importance de l’élément “négroïde” dans le développement de la
civilisation égyptienne dans son ouvrage Les Ruines, ou Méditations sur les
Révolutions des Empires330, publié à Paris en 1794. Après la traduction de
son livre en anglais en 1822, ses idées circulèrent aux Etats-Unis. Elles
furent reprises par un auteur anonyme, écrivant dans la revue African
Repository de mars 1825331, qui affirmait que les Africains, loin d’être des
êtres inférieurs, étaient “depuis plus de mille ans, ... les êtres les plus
éclairés sur terre”.
En 1882, dans un discours aux Etats-Unis, il dénonça la falsification de
l’histoire africaine par les Européens, et il affirma : “Les anciens Egyptiens
étaient de vrais Nègres, avec les mêmes caractéristiques que tous les
indigènes africains ..." (“The ancient Egyptians were real Negroes, of the
same species with all the natives of Africa...”)332. Dans “The Negro in
Ancient History” — le premier article d’un Nègre paraissant dans la
Methodist Quarterly Review, en 1869—, et dans From West Africa to
Palestine333, il revendiqua haut et fort l’héritage africain de l’Egypte, qui
engendra une civilisation admirée dans le monde entier :”Les anciens
Egyptiens et Ethiopiens appartenaient évidemment à la race Noire...
Hérodote, écrivant avec l’innocence et la candeur d’un simple témoin
visuel, affirme que les Grecs doivent descendre des Egyptiens, qu’ils ont la
peau noire et des cheveux laineux. Il célèbre les Egyptiens comme les plus
grands hommes, et les civilisateurs du monde, et il qualifie à deux reprises
les Ethiopiens comme les plus gracieux...”334. Blyden évoqua également
l’origine africaine des Juifs335. Il stigmatisa l’ignorance des Européens à cet
égard et leur promptitude à envisager une infériorité intellectuelle ou
“raciale” des Africains336.

La délicate question de couleur


Les populations engagées dans un processus de destruction du Système
Esclavagiste et des structures coloniales apparaissent en fait atomisées,
divisées, en particulier par la “question de couleur”. Héritage de
l’esclavage, le préjugé de couleur exprima la domination des colons
planteurs sur l’ensemble des colonisés. Leur idéologie raciste s’imposa et
renforça la dépendance politique, économique et culturelle. La question de
couleur opposant noirs et mulâtres servit de “tremplin démagogique à des
politiciens avides d’exercer un pouvoir local ou de justification à une
domination plus large”337.

Les tentatives de réunification


En Haïti, dès 1804, Jean-Jacques Dessalines inaugura une longue
tradition de rassemblement, dans son discours au Cap Haïtien, le 28 avril.
La Constitution de 1805, de ce nouvel Etat indépendant, stipulait dans son
article XIV : “Toute acception de couleur parmi les enfants d’une seule et
même famille dont le chef de l’Etat est le père, devant nécessairement
s’aimer, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous le nom générique
de Noirs”338.
En Guadeloupe dès 1848, les “nouveaux libres" revendiquèrent le terme
de Nègre. Le journal de Pointe-à-Pitre Le Progrès, publia dans son édition
du 22 juillet 1849, la lettre d’un Guadeloupéen, signée “Moïse Lara,
Charpentier NEGRE”. Un peu plus tard, en 1893, le député de ce même
archipel des Caraïbes, Gaston Gerville-Réache, considéra le fait de
“réhabiliter le nom de nègre” comme un “devoir filial"339.

L’emploi du mot "Nègre"par Blyden


Blyden s’inscrit lui aussi, dans une certaine mesure, dans cette tradition
de réunification. Dans chacun de ses articles, il s’appliqua à écrire le mot
Nègre ("Negro”) avec une majuscule340. En 1887, il demanda à son ami
Coppinger de remplacer le terme “colored” par “Negro”, dans le deuxième
article de la constitution de l’A.C.S.341. En 1872, il lança son journal à
vocation “pan-Nègre”, The Negro. Il proposa des souscriptions aux
Caraïbes, aux Etats-Unis, et en Grande-Bretagne342. Il s’expliqua sur le
choix du nom de son journal :
“Il a été intitulé Le Nègre (s’il est nécessaire de l’expliquer), parce qu’il a
pour vocation de représenter et de défendre les intérêts de ce type
particulier de l’humanité connu comme nègre, du monde entier.
L’ambition ne se borne pas à l’Afrique de l’Ouest, elle vise à reconnaître
et à accroître la fraternité de la race, partout où elle se trouve... Le terme est
parfaitement légitime et incontournable. quelles que soient les
circonstances”343. Dans ce commentaire, Blyden utilisa le concept Negro
pour désigner à la fois les Nègres et les Africains. Un seul numéro de ce
journal subsiste de nos jours, conservé au Colonial Office du Royaume-
Uni344.

Le personnage : contradictions et préjugés

Dans sa volonté de “réhabiliter la race noire" selon l’expression de


Hannibal Price345, certaines incohérences de Blyden doivent être révélées
sans complaisance. 11 ne s’agit pas de devenir le contempteur de ce
personnage346, mais de critiquer sa pensée, à l’aide de sa correspondance
notamment. Celle-ci révèle un Blyden plus sincère quant à certains sujets.
Elle offre suffisamment d’éléments pour l’étude critique d’un tel
personnage, d’une richesse et d’une complexité rares.
Dans toute son oeuvre destinée à la propagande émigrationniste, certains
aspects doivent être examinés avec la plus grande attention. Parmi eux : sa
position envers les “mulâtres”, son attitude vis à vis des Africains, et son
ambiguïté par rapport aux Blancs.

Ses préjugés contre les mulâtres - Influence des thèses anthropologiques


Les écrits de Blyden laissent apparaître un personnage totalement
imprégné des théories anthropologiques racistes de l’époque. Bien que
critique à l’égard de certains points, Blyden épousa la théorie selon laquelle
le “mélange de races” (“misce-genarion”) n’est pas naturel, qu’il est
anormal. Il éprouvait une haine viscérale envers ceux qu’il nomma les
“mulâtres" (“mulattoes”), les “sang-mêlés” (“mixed-blood"), les “bâtards”
(“mon-grel”), les opposant aux “Nègres pur-sang” (“pure Negroes”).
Dans l’une de ses lettres347, il cita un certain Dr. Charles Hodge de
Princeton, dans le New Jersey (U.S.A.). D’après les observations de ce
dernier, le "mélange” des populations conduit à une dégradation physique,
et à la détérioration des deux “races”348. Blyden utilisa sa thèse pour tenter
d’établir la “faible constitution” des “mulâtres”. Il négligea ses propres
soucis de santé. Il condamnait ces “sang-mêlés” à la dégénérescence
physique et mentale, et à la disparition349.
Dans son édition du 11 août 1885, le New York Sun décrivit Blyden
comme un homme de teint très noir : “a man of very dark complexion”.
Selon Blyden, ses parents descendaient en file directe d’une ethnie du
Nigéria, les Eboe, et son grand-père maternel aurait été un Africain350.
A travers ses écrits, il laisse apparaître son irritation et une certaine
jalousie envers les “Mulâtres”. Dans son oeuvre, on décèle toute une variété
de qualificatifs péjoratifs qu’il employa pour les désigner.

Les conflits engendrés par la “question de couleur"


Le Liberia College fut le théâtre de nombreux conflits opposant Blyden
aux “mulâtres”. A plusieurs reprises, menacé de représailles, il dut s’exiler
au Sierra Leone (1874, 1885, 1898-1899). Chaque “affaire” ayant pour
origine la couleur de peau, pouvait conduire à une véritable guerre civile351.
Blyden les critiqua sévèrement. Selon lui, ils formaient un corps fermé,
impénétrable, fondé sur la couleur de la peau. Il les accusa d’avoir accaparé
les plus hauts postes de l’Etat, dans les domaines politiques, religieux, et
éducatifs352. Il dénonça leur suffisance, leur oisiveté, leur vie facile et sans
scrupules353. Dans l’une de ses lettres datée du 20 septembre 1875, Blyden
évoqua l’existence d’une véritable “guerre de race” dans ce pays, depuis
quarante ans354. Deux peuples selon lui, coexistaient au Libéria : les Noirs
et les “Mulâtres”355.

Tentatives de collaboration avec les Blancs, contre les ‘‘Mulâtres".


Dès les années 1860, Blyden pria ses “amis" de l’A.C.S. de ne plus
laisser embarquer de “Mulâtres” pour le Libéria. Il leur reprocha d’avoir
confondu les “Mulâtres” avec les “pure Negroes” et de les avoir envoyés au
Libéria : “Certains philanthropes des Etats-Unis ne comprennent pas que le
‘café au lait’ n’est ni du café, ni du lait, et qu’on ne peut pas apprécier le
goût de chacun, en mélangeant les deux”356. Il réclama qu’il y eût une
discrimination dans le choix des émigrants pour l’Afrique : “Le Libéria ne
peut prospérer, et de façon rapide, que si vous exercez une discrimination
dans les personnes que vous nous envoyez — des hommes qui aiment
l’Afrique, et qui sont plus attachés à la race, qu’aux clans et aux cliques”357.
Cette demande pressante de “sélectionner” l’émigration (“select
émigration") inquiéta grandement les responsables de l’A.C.S., toujours en
quête de volontaires pour le départ358.
Lors de ses voyages de propagande aux Etats-Unis, toute la difficulté
consistait à inciter les Nègres à émigrer, tout en refusant les “mulâtres”.
Dans “The Origin and Purpose of African Colonization”, Blyden déclara :
“On ne demande pas à tous les gens de couleur de quitter les Etats-Unis
pour l’Afrique. Ce n’est pas indispensable. Mais seulement aux Nègres,
c’est-à-dire aux descendants d’Afrique, qui croient aux instincts de race, et
en leur devoir envers leur terre natale”359. De plus, il prétexta une soi-disant
moindre résistance au climat africain des “Mulâtres” pour empêcher leur
départ360.
En 1880, il enjoignit son ami Coppinger de garder les “Mulâtres” aux
Etats-Unis, où il était plus facile de les maîtriser361. Il assura Wilson, le 1er
juin 1900, que le “Nègre” se sentait plus en sécurité entre les mains du
Blanc, que dans celles d’un Nègre, dont les veines contiendraient la
moindre goutte de sang blanc362.

Réaction des Nègres des Etats-Unis


Pour éloigner les “Mulâtres” du Libéria et de l’Afrique en général,
Blyden n’hésita pas à exposer ses opinions dans sa correspondance avec les
Blancs de la Société de “colonisation” nord-américaine. Aux Etats-Unis, où
les tensions provoquées par la couleur de peau sont moins affichées qu’aux
Caraïbes, notre Cariban fut très vivement critiqué pour ses positions
“racistes” envers les “mulâtres”. Il fut démasqué par la publication de
lettres destinées aux membres de l’A.C.S. — malgré son opposition —363,
dans l’organe de la Société, The African Repository and Colonization
Journal.
Cette hostilité de Blyden choqua profondément les Nègres des Etats-
Unis. Lors de sa visite à Charleston, en Caroline du Sud, à la fin novembre
1889, plusieurs voix d’opposition à la venue de Blyden, s’élevèrent dans la
presse. Les journaux Charleston News and Courier et Charleston World
servirent d’intermédiaires pour les échanges entre les différents
protagonistes364.

Incidences dans sa vie privée


Blyden se maria très jeune, en 1856, à Monrovia, avec Sarah C. Yates, la
nièce du vice-président du Libéria, une jeune femme de teint clair. Ils eurent
trois enfants : Fry (née en 1861), Urias (née en 1863) et Edward Wilmot, Jr.
(né en 1864). Son mariage fut un échec. Il s’employa d’ailleurs à
décourager et à dénoncer tout amalgame (“amalgamation”) entre Noirs et
“Mulâtres”365. En revanche, il prôna l’union entre “pure Negroes”. En
1875, il fit la connaissance d’une institutrice, Anna Espadon Erskine, fille
aînée du Rév. Hopkins W. Erskine, née au Libéria. Anna Erskine avait la
même couleur de peau que Blyden. Elle vécut au Sierra Leone et ils eurent,
loin des regards indiscrets — Blyden ne souhaitait pas divorcer —, cinq
enfants : Rakiatu Theodora Alieana (née en 1876), Nemata Carolina, Isa
Cleopatra Ayesatu, un fils mort très jeune, et Amina Judith Anna (ou Judith
Aminatu, née vers 1889). Blyden chérissait particulièrement cette petite
dernière. Elle mourut en 1909, laissant un père désespéré.
Dès 1884, il encouragea l’intermariage, soit le mariage entre “pure
Negroes” et Africains, pour “préserver la race”366.

Exclusion des “Mulâtres” de l’African Personality


Blyden adopta la théorie de l’existence de plusieurs races différentes,
mais égales entre elles. Chacune avait son propre rôle à jouer dans
l’évolution de l’humanité. Or, pour accomplir correctement son rôle, chaque
“race” devait préserver ses caractéristiques inhérentes, son identité :
“chaque race possède des instincts spéciaux et des dons pour se préserver et
promouvoir ses intérêts"367.
Dans un discours intitulé “On Mixed Races in Liberia”, présenté au
Smithsonian Institute de Monrovia, le 6 octobre 1869, Blyden exposa le
concept d’African personality. Dans la publication de cette intervention,
parue en 1870, il réunit tous ses arguments contre les “Mulâtres” et les
exclut totalement du concept368.
Dans son article “Africa and the Africans”, Blyden affirma que le
“Mulâtre” n’est pas un “Nègre", ou un “pure Negro”. Il n’appartient pas à la
“Negro race”, il est exclu de l’“African Personality”. L’“instinct de race”
n’existe pas chez lui. Il le prétend indifférent aux problèmes des Noirs : “On
ne peut pas attendre d’un homme descendant d’une double ou d’une
quadruple origine raciale... de comprendre ou de ressentir la grande
question africaine. L’instinct de se demander ce qui est bon pour la race
n’existe pas chez eux”369. Il poursuivait : “La moindre quantité de sang
blanc chez un Noir le disqualifie pour le devoir de la race”370.

La "pureté de la race", moteur du nationalisme nègre


Blyden liait le “retour” en Afrique à “l’instinct de race” : seuls les “pure
Negroes” pouvaient se sentir concernés par le “Back-to-Africa”. Dans un
discours prononcé devant les membres de l’A.C.S. en mai 1880, “Ethiopia
stretching her hands unto God”, il associait explicitement la construction de
la nation Nègre à la “pureté de la race”371. Il concevait la “race” comme le
fondement du nationalisme et de la création de la nation Nègre. Dans un
article du Washington Star du 17 octobre 1895, Blyden déclarait : “Je crois
en un futur empire Nègre en Afrique”372. Aucune mention de ce souhait n’a
pu être retrouvée par ailleurs. En postulant la “pureté d’une race” — comme
celle des “Pure Negroes" — indispensable pour accomplir son “devoir” sur
terre, Blyden tenta d’écarter par un autre biais les “Mulâtres” de
l’émigration. Son ambition était de “protéger" la “Negro Race", car déjà,
prétendait-il, une grande partie avait été contaminée". Cette
“contamination” avait touché quelques millions de ses membres aux
Amériques. Il estimait à deux cents millions le nombre d’âmes “intactes”373
..
Quelques années plus tard, un autre Cariban, Marcus Garvey, se lança
dans (‘“aventure africaine”. Il lut avec attention les ouvrages de Blyden et
manifesta la même hostilité à l’égard des “browns”, comme il surnommait
les “Mulâtres”374.

Son attitude envers les Africains “natives’’


Blyden fut ordonné pasteur à Monrovia en 1858. Il participa à plusieurs
missions et à des expéditions militaires contre les autochtones. Plusieurs
sociétés de missions en concurrence se partageaient la région. La West
Missionary Society établit une mission au Rio Pongo dès 1855. Ses
missionnaires étaient tous Nègres. La plus célèbre, la Church Missionary
Society de New York, opérait en Afrique depuis 1804.
Différentes “nations” se succédaient sur la côte, entre le Sierra Leone et
le Libéria : Bassa, Gola, Kru, Mend, Sherbro, Temné... Lors de l’expédition
au comté de Little Cap Mount contre les Kru en 1853, Blyden servit comme
aide de camp. Les Kru vivaient au sud de Monrovia, entre Sinou et Cap
Palmas. Dans ses comptes rendus au journal Liberia Herald, Blyden
présenta Bumbo, le chef adverse Kru, comme un personnage “cruel,
sanguinaire, incapable de contrôler ses émotions ...”375. Persuadé de la
justesse de l’assaut contre les indigènes, il qualifia ces derniers d’ennemis
redoutables :
“Nous avons vaincu plus de deux mille hommes ennemis. (...) Nous
devons combattre pour préserver notre liberté, mais Dieu est de notre côté
et la vérité et la liberté triompheront” (“We have conquered and subdued
more than two thousands of the ennemy. We have to struggle Sir, to
maintain our liberty, but God is on our side and truth and liberty shall
prevail")376.
Blyden dirigea plusieurs missions destinées à prospecter de “nouvelles”
terres pour les “colonisationnistes" (“colonizationists”) américains. En
1862, au cours d’un voyage financé par H.M. Shieffelin, un des
administrateurs de la New York Colonization Society, et par Caleb Swan de
New York, Blyden rencontra le roi Momoru à Boporo, grande ville de
commerce mandingue, à cent miles (160,9 km) de Monrovia.
En 1871, le gouverneur de Sierra Leone, Arthur E. Kennedy (1868-
1871), créa spécialement pour Blyden le poste d’Agent de l’Intérieur. Sous
son autorité, Blyden conduisit deux missions : l’une à Falaba en 1872,
l’autre à Futa Jallo en 1873. Le 5 janvier 1880, il fut nommé ministre de
l’Intérieur de la République du Libéria. En 1895, sur une proposition du
gouverneur Carter, le gouvernement britannique l’employa au poste
d’Agent aux Affaires Indigènes à Lagos — où il fonda un College en juin
1896 — et dans le Vieux Calabar377.
On le tenait à l’étranger pour “une encyclopédie vivante” des peuples
d’Afrique378. Il parlait plusieurs langues africaines, dont le Vai. En 1906,
lors de son retrait des affaires politiques, il se déclara fervent avocat des
aborigènes. Du fait de ses responsabilités dans la politique indigène, son
attitude envers les Africains évolua sensiblement. En 1887, il regretta dans
une lettre, d’avoir participé à la guerre de 1853 contre eux. Il reconnut qu’il
s’agissait d’une population qui défendait son propre sol379. Un autre facteur
a probablement contribué à modifier son comportement. En effet, Blyden
comprit progressivement l’intérêt qu’il pouvait tirer des “Natives”.

Civiliser et christianiser l’Afrique


Malgré ses fonctions auprès des Africains, Blyden laisse apparaître une
certaine incompréhension de ces populations. Certaines expressions
employées dans plusieurs articles380 comme “le barbarisme africain", “leurs
coutumes sanguinaires” ou bien encore “leur superstition" montrent que
Blyden ne connaissait pas l’Afrique en profondeur. Il adhéra totalement aux
idées occidentales sur le “devoir” de civiliser et de christianiser l’Afrique.
Ceci est d’autant plus étonnant de la part d’un homme qui s’est attaché à
rappeler la brillante civilisation de l’Afrique ancienne...
En introduisant la civilisation et la christianisation de l’Afrique dans sa
propagande pour l’émigration, Blyden ne fit en réalité que reprendre la
campagne des fondateurs de l’A.C.S.. — Il revendiqua l’emploi de “Nègres
civilisés et chrétiens” (“civilized and Christian Negroes”) par l’Eglise :
“Pour la guerre spirituelle menée en Afrique actuellement, l’Eglise doit
utiliser l’Africain (pour) participer au grand dessein de rédemption de leur
terre maternelle’’ (“For the spiritual war which is being carried into Africa,
the Church must utilize the African (...) to take part in the great work of the
spirituel redemption of their Fatherland”)381.
Blyden utilisa comme devise une expression de l’évêque Haven : “La
solution de l’Afrique, c’est l’Amérique” (“The solution of Africa (is) in
America")382. Il imposa cet acte “philanthropique” comme un devoir
(“duty”) pour les Nègres. De plus, selon lui, la Rédemption de l’Afrique
leur appartenait. Elle devait légitimement revenir à ses descendants
("descendants of Africa”), ses fils exilés (“exiled children”) aux Amériques
(Etats-Unis et Caraïbes). Avec l’expression “exiled children", il tenta de
rapprocher les Nègres des Africains. De plus, il évoqua la possibilité d’une
intervention des Européens et les exhorta à ne pas les laisser s’emparer de la
civilisation et de la christianisation de l’Afrique.
Il faut noter avec attention le vocabulaire employé par Blyden.
L’expression “fils exilés” pour désigner les Nègres des Amériques apparaît
fréquemment dans son oeuvre. Cela suppose qu’il considère les Nègres
comme des Africains ayant simplement fait un “détour” — de quatre
siècles ! — vers les Amériques. Or certains historiens ont montré les
différences fondamentales existant entre Africains et Nègres des
Amériques383. Il n’hésita pas à brouiller les pistes en employant
simultanément le terme “Africain" pour désigner les Africains, les
“Natives” (nés en Afrique), et les Nègres.
Or, si Blyden semble confondre “Nègre” (“Negro”) avec “Africain”
(“African”) et “Africain” avec “indigène” (“Native”), en revanche, il
n’utilisa jamais le terme “indigène” pour désigner un “Nègre”. Cet
amalgame entre les termes “Africain” et “Nègre”, visant à rapprocher les
deux populations semble donc être un des outils de sa propagande.
Certains éléments permettent d’ébranler sérieusement l’argument de la
christianisation et de la civilisation de l’Afrique. Blyden est-il réellement
convaincu du bienfait de cette entreprise ? S’intéresse-t-il comme il le
prétend, aux populations autochtones ?

Manipulation des “Natives”


La position de Blyden sur le rôle des Africains dans la vie politique du
Libéria et du Sierra Leone reste assez confuse. En 1871, les relations avec
certains peuples africains se normalisèrent. Blyden voulut les intégrer à la
République du Libéria pour renforcer le Black Man’s Party afin de
contrecarrer l’activité des “Mulâtres”384 :
“Nos dirigeants n’ont pas saisi l’occasion qu’il y avait de collaborer avec
les chefs. (...) Une politique judicieuse, ferme mais solidaire envers les
chefs (africains) ferait d’eux de puissants auxiliaires de la République”.
(“Our leaders did not understand their opportunity in the work which
devolded upon them. (...) A judicious, firm, but sympathetic treatement of
these chiefs would hâve made them powerful auxiliaries of the
Republic”)385.
Dans son article “The Origin and Purpose of African Colonization”,
publié en 1883, Blyden exprima à nouveau son souhait d’incorporer le plus
rapidement possible les autochtones à la République du Libéria. Le droit de
vote n’était alors accordé “qu’à ceux qui se conforment aux lois
libériennes”, c’est-à-dire, aux “pacifiés”. Nommé président du Liberia
College depuis 1880, Blyden connaissait de sérieuses difficultés. Il
s’opposait catégoriquement à la nomination de deux professeurs, le Rév.
Hugh M. Browne et le Rév. Mc Cants Stewart, tous deux Nègres de teint
clair...
En 1888, dans une lettre à Coppinger, Blyden estima que les Indigènes
devaient gouverner. Les Nègres ne faisaient selon lui, qu’apporter une aide
matérielle et spirituelle, indispensable à la construction d’une nation, sur
des “Principes de civilisation”386. C’est la seule mention de Blyden
concernant le gouvernement du pays par les Africains. Il ne proposa, ni
n’appuya jamais la candidature d’un Africain à la présidence du Libéria, ni
même au Liberia College, ou à tout autre poste de responsabilité politique...
De même, Blyden fit appel à eux pour l’ “intermariage”, le mariage entre
“pure Negroes” et Africains, une autre façon de s’opposer aux “Mulâtres”...
L’intérêt de Blyden pour les Africains apparaît donc plus motivé pour
contrer les “Mulâtres” que pour aider les indigènes. Par conséquent, sa
priorité n’était pas de christianiser ou de civiliser les Africains, mais
d’encourager l’immigration des Nègres en Afrique.

Ambiguïté de Blyden vis-à-vis des Blancs


L’attitude de Blyden vis-à-vis des Blancs est ambiguë. En effet, il critiqua
leurs actes d’esclavagistes en Afrique. Il appela ses compatriotes à créer
leur propre modèle de développement, sans imiter docilement le modèle
européen. D’autre part, il confia à plusieurs reprises son admiration pour la
civilisation européenne, et en particulier celle du Royaume-Uni... Il montra
un vif intérêt pour leurs décorations officielles également...

Le séjour en Orient : une ouverture


Au cours de l’été 1866, Blyden séjourna en Egypte, en Palestine et en
Syrie. Le président du Syrian Protestant College, le Rév. Daniel Bliss, fit
appel à lui pour organiser son établissement. Le 10 juillet 1866, il débarqua
au port d’Alexandrie (Egypte) via Southampton (Grande Bretagne). C’est
dans ce pays qu’il prit réellement conscience du rôle de l’Afrique dans
l’histoire de l’humanité. Puis il découvrit la Palestine (Jaffa et Jerusalem),
avant d’atteindre Beyrouth en Syrie (Liban actuel). Blyden fut littéralement
séduit par l’identité culturelle arabo-musulmane. Cette admiration se
combina avec sa déception des missionnaires européens, et détermina son
penchant pour l’Islam.

Critique des missionnaires


Blyden critiqua sévérement le comportement des Chrétiens en Afrique.
Dès 1862, lors de son séjour aux Etats-Unis, il émit quelques réserves à ce
sujet387. En 1876, il fustigea leur mépris des populations locales et leur
ignorance des traditions :
“Parce que les missionnaires ne comprennent rien de la population, leur
premier effort est de les européaniser, sans tenir compte des particularités
de leur race ou des conditions climatiques du pays”388.
Il regrettait l’aspect superficiel du christianisme qui en résultait :
“Le ‘vernis fragile de civilisation européenne’ que les indigènes ont reçu
n’est pas suffisamment efficace pour une réelle métamorphose mentale,
quand, d’une façon générale, son christianisme résulte d’une conversion
hâtive, au lieu d’être pur, n’est que superstition, au lieu d’être authentique,
n’est que nominatif, ou d’être profond, est complètement superficiel, et,
sans racines, il ne peut s’épanouir et reproduire”389.
Il les accusa d’avoir introduit en Afrique l’esclavage, la guerre,
l’alcoolisme et la cupidité390.
Blyden dénonça également les chrétiens exploitant la Bible pour justifier
l’esclavage391. Lassé des pratiques des missionnaires européens, il
démissionna du ministère presbytérien en 1887. Dans une lettre à son ami
Coppinger, il expliqua sa motivation. Jamais les Nègres ne pourraient
obtenir le pouvoir avec de tels agents du christianisme en Afrique :
“J’aime le Christianisme du Christ, mais je n’ai aucun respect pour ses
représentants séculiers d’Europe dans ce pays. (...) J’aime le système du
Christianisme, mais je déteste les méthodes de ses propagateurs en Afrique.
Le Christianisme avec ses méthodes, n’a jamais donné le pouvoir au Nègre
et n’est pas prêt de le donner”392.

L’attraction de l’Islam
Blyden admirait le prosélytisme des musulmans en Afrique. Il appréciait
énormément leur approche des indigènes qu’il qualifia d’“absorbing
influence”. Elle pénétrait en douceur, en harmonie avec les populations
locales, au lieu d’exiger d’eux une soumission. Blyden connaissait
d’ailleurs parfaitement les origines communes des peuples africain et arabe.
Il se fonda sur Hérodote à ce propos :
“Ce n’est pas simplement la religion des Arabes, mais la race des Arabes
qui leur a donné une telle influence sur les penchants des grandes tribus. Ils
appartiennent à une race proche. Avant l’époque de Mohammed, les Noirs
partageaient les connaissances et la politique d’Arabie. Hérodote, dans ces
temps anciens, avait découvert les rapports étroits entre ces deux peuples. Il
les présente comme appartenant à une même grande race”393.
Blyden eut de l’Islam l’image d’une société égalitaire, démocratique. Il
fut séduit par la force unificatrice que cette religion reflétait. L’interdiction
de la représentation humaine de Muhammad et de ses compagnons le
conquit. Nul ne pouvait imposer un prophète blanc... Toutefois, aveuglé par
le contraste avec les méthodes chrétiennes, Blyden en oublia la traite et
l’esclavage musulmans pratiqués en Afrique.
Conscient de l’influence musulmane en Afrique, et convaincu de la
richesse de la littérature arabe, il enseigna cette langue au Liberia College
dès 1868. L’usage de l’arabe lui parut indispensable pour tous ceux qui
souhaitaient travailler en Afrique. Ceci le rapprocha quelque peu de
certaines populations africaines. Dès son retour du Proche-Orient à
l’automne 1866, il prit contact avec les populations musulmanes de
l’intérieur du pays. En 1868, il célébra le peuple Futah, musulman,
appartenant selon lui à une “race supérieure”394.
Blyden insista auprès des gouverneurs successifs de Sierra Leone, pour
doter la colonie d’un enseignement coranique, respectant la composition de
la population locale. Il fut entendu par le gouverneur Matthew Nathan, et
assista le gouvernement britannique dès 1899 pour établir des écoles
anglaises et arabes auprès des musulmans. De 1901 à 1906, il fut chargé par
le gouverneur de Sierra Leone, Charles Anthony King-Harman, de diriger
l’enseignement musulman de cette colonie. Il organisa plusieurs écoles pour
les enfants, dont deux à Fourah Bay. En mars 1901, Blyden avait abandonné
définitivement son poste de professeur au Liberia College.
Les “amis” de Blyden, les responsables de l’A.C.S., lui reprochèrent son
goût un peu trop prononcé pour l’Islam. Blyden était à cette époque, occupé
à la rédaction d’une Histoire du Libéria. L’A.C.S., qui publiait tous ses
discours, l’empêcha de publier cet ouvrage auquel il s’appliquait tant. De
plus, une rumeur fut lancée sur son compte, on l’accusa de polygamie.
En s’intéressant d’un peu trop près aux méthodes peu reluisantes du
christianisme et à l’Islam, Blyden risquait de détruire l’argument
fondamental de l’A.C.S., depuis sa fondation : la christianisation et la
civilisation de l’Afrique par les Noirs d’Amérique... Rassurant ses amis,
Blyden affirma en 1876 que la religion du prophète n’était en réalité qu’une
“étape” entre le “barbarisme” et le christianisme. Elle devait préparer à la
compréhension des Evangiles :
“L’Islam en Afrique sera une étape précieuse entre le barbarisme et le
Christianisme... La diffusion générale de la langue arabe dans ce pays à
travers l’influence musulmane, peut être considérée comme une préparation
capitale à l’initiation aux Evangiles”395.
Quelques années plus tard, en 1888 et 1891, il confirma la “supériorité”
du Christianisme sur les autres religions :
“Je pense que le Chrétien est le meilleur du genre humain... Je crois que
le Christianisme est l’ultime religion de l’humanité. Il fut toujours, et le sera
encore, le système qui élève l’âme au plus haut niveau”396.

A la recherche d’un développement spécifique aux Nègres


Un des thèmes les plus intéressants qui ressort des écrits de Blyden est
sans doute la recherche d’un développement, la construction d’un modèle
Nègre. Blyden invita les Nègres à rechercher le type de développement qui
leur correspondît, et les mit en garde de ne pas imiter docilement les
Européens, sans une réflexion préalable :
“Des leçons qu’il reçoit tous les jours, le Nègre est inconsciemment
persuadé que pour être un grand homme, il doit être comme l’homme
blanc... Etre lui-même ne signifie rien... Ressembler autant que possible à
l’homme blanc : voilà son ambition. Les seules vertus qu’il développe dans
de telles circonstances sont, bien sûr, celles de parasites..."397.
Il proposa à ses compatriotes de ne pas se laisser influencer par les
modèles européens : ne “vous effacez" pas (“efface yourselves”)398. Il
aspirait à ce qu’un Nègre puisse acquérir le même niveau culturel et
“moral” qu’un Blanc399.

La West African University


Dans ce cadre, dès le début des années 1870, Blyden proposa la création
d’une Université d’Afrique de l’Ouest, projet citer à son cœur. Il saisit
l’importance de pouvoir bénéficier de ses propres écoles et de son propre
modèle d’enseignement :
“Le réel problème de l’éducation des Africains est de développer leurs
capacités d’Africains... La méthode traditionnelle généralement employée...
est absurde parce qu’on s’en est servi sans étudier l’homme et ses capacités
intellectuelles... produire, comme une règle, uniquement des caricatures de
façons étrangères, copiant les particularités les plus grossières de leurs
maîtres, avec tous leurs défauts”400.
En 1876, alors principal à l’Alexander High School de Harrisburgh au
Libéria, il réussit à affilier le Fourah Bay College de Sierra Leone à
l’université de Durham, en Grande-Bretagne. Blyden fut également
particulièrement attaché à la formation des femmes. Il regretta de n’avoir
pas pu trouver de femme de teint noir éduquée au moment de se marier. Il
collecta des fonds pour créer des écoles pour femmes au Libéria en 1861.
Anna Erskine, sa seconde femme, était elle-même institutrice et il en tirait
toute sa fierté.
Selon lui, chaque “race”, dotée de capacités spécifiques, devait profiter
d’un enseignement particulier afin de développer ses propres capacités.
Ainsi, l’université Ouest Africaine serait dotée des meilleurs professeurs
Nègres du monde entier401.
Le journal Lagos Weekly Record laissa entrevoir les motifs d’un tel
projet. L’édition du 6 juin 1896 affirme que le projet fut soutenu au Sierra
Leone, principalement par les “Recaptives” et leurs descendants,
contrairement à D’original Creole element”402. Cette précision révèle en
réalité la volonté de Blyden — alors en exil dans la colonie britannique —
de créer un établissement indépendant, libre de toute pression de la part des
“Mulâtres”. Il reçut le soutien des “Recaptives” — Africains libres de la
traite illégale, donc de teint foncé — et accusait parallèlement les
“Mulâtres” de maîtriser l’enseignement au Libéria au profit de leurs propres
enfants. L’hypothèse selon laquelle Blyden souhaitait créer cette université
pour s’opposer à eux, et satisfaire une ambition personnelle, ne serait donc
pas à négliger.
Quoiqu’il en soit, le gouvernement britannique refusa la création d’une
telle université dans sa colonie de Sierra Leone. Ce n’est qu’en 1960, un an
avant l’indépendance, que la colonie fut dotée d’un établissement de niveau
universitaire.

Les privilèges des Blancs


Malgré sa détermination à créer un modèle de développement spécifique
aux Nègres, et son comportement critique face aux Blancs, Blyden
n’abandonna jamais un goût marqué pour les décorations octroyées par ces
derniers. Il admira particulièrement la civilisation britannique qu’il
qualifiait de “supérieure”403, et se dit fier d’appartenir à cette culture404.
Avec son ami A. Crummell, il fonda en 1864, à Monrovia, l’Atheneum, à
l’image du célèbre club britannique. Leur ambition était d’instituer un lieu
de rencontre, de conférences et de débats pour former les jeunes. En 1878,
Blyden fut élu membre honoraire de ce prestigieux cercle anglais. D’autre
part, au cours de ses études à Monrovia, Blyden acquit une connaissance
des auteurs classiques (Homère, Hérodote...). Il mit à profit sa culture
littéraire lorsqu’il échangea quelques lettres avec l’homme d’Etat W.E.
Gladstone. Le journal britannique West Africa reconnut dans un article de
1901 ses connaissances en philosophie, en sciences, et en histoire405.
Le gouvernement du Libéria chargea Blyden à plusieurs reprises de
représenter ses intérêts auprès de pays étrangers. Il le nomma commissaire
pour l’éducation en 1861, et pour l’émigration des Nègres des Etats-Unis en
1862. Blyden, devenu Secrétaire d’Etat de 1864 à 1866, partit comme
ambassadeur à la Cour St. James en 1877-1878 et en 1892. Le
gouvernement le dépêcha comme Envoyé extraordinaire à Londres et à
Paris en juin-septembre 1905. Ses fonctions de diplomate lui permirent de
rencontrer les plus hauts personnages du monde occidental : la Reine
Victoria en 1878, Gladstone dès 1861, et le président français Emile Loubet
(1899-1906) en 1905. Il reçut à cette occasion quelques décorations
officielles : l’Ordre Colonial Français406 et la Coronation Medal en
1902407, la Médaille turque en 1905, de la part du Sultan, pour services
rendus à l’Islam408. Blyden fut mandaté auprès de la France et de
l’Angleterre pour régler des problèmes frontaliers en Afrique de l’Ouest409.
Il était très fier d’avoir été le premier représentant Nègre auprès de
puissances européennes telles que la France et la Grande-Bretagne410.
Outre ces décorations officielles, Blyden obtint à titre honorifique le
Master of Arts (M.A.) à Howard University, et le Doctorate of Law and
Divinity à Lincoln University (Pennsylvanie, fief de Coppinger), en 1874.
Sa présence au sein de plusieurs associations européennes prestigieuses,
dénote également un souci de bénéficier de certains avantages alors
réservés aux Blancs. Les associations dont il fut membre sont les suivantes :
1878 : entrée à l’Atheneum de Londres ;
1880 : American Philological Association ;
1882 : Société des Sciences et des Lettres du Bengale ;
1890 : American Society of Comparative Religion ;
1898 : American Negro Academy ;
1901 : il fut membre fondateur et vice-président de l’African Society of
London.
En 1881-1882, alors président du Liberia College, il décerna à son tour
douze titres de doctorats universitaires honorifiques, dont huit à des “pure
Negroes”, et deux à des Blancs (dont J.P. Knox). Aucun “mulâtre” n’eut cet
honneur...
Jusqu’en 1906, lorsqu’il se retira des affaires publiques, Blyden affirma
le besoin des Nègres de “profiter” de l’expérience des Blancs en matière de
religion et d’éducation, et de bénéficier de leur “influence” dominante,
intellectuelle et “morale”411. Convaincu de l’inexpérience des Nègres à se
gouverner, il pensait qu’ils n’avaient pas encore atteint la stature d’hommes
politiques. Par ailleurs, il affirma à plusieurs reprises préférer voir le Libéria
gouverné par des Blancs plutôt que par des “Mulâtres”. Toujours est-il qu’il
semblait partisan de la nécessité de recevoir l’aide des Blancs “d’une
puissance étrangère” pour un certain laps de temps412.
Blyden est un personnage passionant à étudier. Son intelligence se
déploie à travers tous ses écrits. Enrôlé très jeune, à dix-huit ans, dans le
mouvement d’“émigration” des Nègres, des Amériques vers l’Afrique, ce
Cariban de Saint-Thomas y voua sa vie entière. Malgré son rôle
incontestable dans ce vaste mouvement panafricain, et sa renommée
internationale, il ne participa pas à la Conférence Panafricaine de Londres
en 1900. La “question de couleur”413 y fut-elle pour quelque chose ? La
position de Blyden sur les “Mulâtres” était connue de tous. En outre, il
n’appartenait pas au groupe des membres fondateurs et organisateurs de la
conférence. Quoiqu’il en soit, aucun de ses écrits ne mentionne cette
conférence, ni ses participants. Ce n’est qu’en 1905 que Blyden rencontra à
Paris un autre personnage capital pour l’analyse des origines du
panafricanisme, l’Haïtien Benito Sylvain.
En 1906, Blyden se retira définitivement des affaires publiques. Il
s’éteignit à Freetown, en Sierra Leone, le 7 février 1912, à l’âge de quatre-
vingts ans. Le service funéraire fut conduit par un autre Cariban, le Rév.
J.R. Frederick, originaire d’Antigua.
Aux Etats-Unis, un club et une bibliothèque empruntèrent le nom de
Blyden : le Blyden Club de New York, et la Edward Blyden Branch Library
de Norfolk en Virginie. Dans le Maryland, à Baltimore existe également
une Blyden Road. Autant de témoignages de relations entre les Caraïbes et
les Etats-Unis. Plus encore, Blyden symbolise à lui-seul les liaisons
fondamentales entre ces trois régions du monde, liées tragiquement par
l’histoire : les Caraïbes, les Etats-Unis et l’Afrique.

291 In Rigsarkivet, Copenhague, 4 septembre 1848, cité dans E. Holden, Blyden of Liberia, An
Account of the Life and Labors of Edward Wilmot Blyden, LL.-.D., As Recorded in Letters and in
Print, New York : Vantage Press, 1966, p. 924, d’après Holden, Romeo et Judith Anna seraient nés à
Saint-Eustache vers 1794 et 1795 respectivement. ce qui contredit les âges indiqués dans le
recensement de 1846, in Holden, p. 19 ; le nom de Blyden serait une forme anglicisée du hollandais
Blieden, in Holden, p. 923.
292 Voir Holden, op.cit., p. 23
293 "Report of the Alexander High School for the first term, ending June 12, 1852", ‘The Nos,
designating the grade, denote respectively : 5 perfection ; 4 excellence ; 3 respectability ; 2 that the
scholar is merely passable ; 1 general deficiency".
Edward Blyden :
Scripture : 5
Latin : 43/4
Greek : 4
Arithmetic : 4
orthog. : -
Behavr. : 5
Industry : 5
Absence : 0
in Presbyterian Board Library, cité dans Holden, pp. 36-37.
294 New York Colonization Journal, août 1858.
295 Id., mars 1859 et mars 1860.
296 E.W. Blyden, Christianity, Islam and the Negro Race. Londres, W.B. Whittingham, 1887,
réédité en 1967 aux Presses de l’Université d’Edimburgh, introduction de Christopher Fyfe.
297 African Repository and Colonization Journal, XXXVI, janvier 1861.
298 “Gentlemen : In the name and behalf of the republic of Liberia, on the west coast of Africa, we
have the honor to address ourselves to you, and cordially invite you to a home in that small but rising
community... signed Alexander Crummell, Edward W. Blyden. J.D. Johnson, New York City, June,
20th, 1862”, in African Repository. XXXIX, 1863.
299 Pour la politique du Libéria, voir au M.A.E., M.D. Libéria, dos. 60 et 121 ; C.C.P. Monrovia,
sans n° ; A.D.P. Afrique, c. 6 ; C.P.C. Libéria, c. 1-2, 7-8, 30 ; voir aussi au C.A.O.M., S.G. Afrique
IV. Libéria, c. 7-8, 39, Afrique VI c. 8, 57, 87, 95, 103, 112, 121, 130, Consulats dos. 194.
300 Lettre de Blyden à Gladstone le 23 mars 1861.
301 “The duties to be performed on behalf of his race were too pressing to permit him to take off for
further full-time study".
302 Liberia Bulletin, n°l, novembre 1892.
303 Voir H.R. Lynch, Edward Wilmot Blyden 1832-1912 and Pan-Negro Nationalism. thèse
dactylographiée, Université de Londres, juin 1964, p. 227.
304 The A.C.S. 40th Annual Report, Washington, 1866, pp. 7-8.
305 Idem.
306 Blyden à Lowrie, 7 février 1880.
307 Voir Oruno D. Lara, article “Aire des Caraïbes”, in Encyclopaedia Universalis, 1985.
308 “I have been informed that my visit to the West Indies was like a publication of a new Evangel -
the advent of a second Moses", Blyden cité dans Holden, p. 936.
309 New York Colonization Journal, octobre 1862.
310 Blyden à Pinney, 26 novembre 1850.
311 O.D. Lara, “Les Caraïbes comme refuge dans les projets de déportation élaborés par les
planteurs nord-américains”, conférence à l’Institut d’Histoire des Pays d’Outre-Mer, Université de
Provence, “D.E.A. - Journée Iles”, avril 1993.
312 O.D. Lara, Caraïbes en construction..., op.cit.
313 Blyden, “Echoes from Africa", in Christianity, Islam and the Negro Race, Londres, W.B.
Whittingham, 1887, pp. 146-147.
314 Id., ‘The African Problem", in Selected Published Writings..., pp. 317-321.
315 Blyden, "African Colonization", in Christianity..., op.cit, pp. 350-351.
316 Blyden à Coppinger le 22 juin 1886.
317 Blyden à Coppinger le 3 décembre 1888.
318 Blyden à Coppinger, le 29 août 1887.
319 Blyden, “African Colonization”, Christianity..., op.cit, p. 365.
320 Blyden, “Christianity and the Negro Race", Christianity..., op.cit, p. 38.
321 Voir le chapitre précédent, "Les certitudes du racisme pseudo-scientifique".
322 Blyden, "Islam and Race Distinctions", Christianity..., op.cit, p. 247.
323 Blyden, “Echoes from Africa”, Christianity..., op.cit, p. 138.
324 Blyden, “African Colonization", Christianity..., op.cit, p. 352.
325 Blyden, “Ethiopia stretching out her hands unto God" (Africa’s Service to the World),
Christianity.... op.cit, p. 120.
326 Ibid., pp. 116-117.
327 Ibid., p. 126.
328 H. Aptheker, David Walker’s Appeal to the Colored Citizens of the World, 1829-1830 : its
Settling and its Meaning, New York, 1965, p. 70.
329 F. Douglass, The Claim of the Negro Ethnologically Considered : an Address, Rochester, New
York, 1854, pp. 17, 25.
330 C.-F. Volney, Les Ruines, ou Méditations sur les Révolutions des Empires, Paris, 1794.
331 African Repository, vol. 1, n°1, mars 1825.
332 Blyden, “Philip and the Eunuch”, Christianity..., op.cit, p. 154.
333 In Selected Published Writings, pp. 145-157
334 Blyden, “Ethiopia stretching...", Christianity..., op.cit, pp. 126-127.
335 Blyden, “Africa and the Africans", Christianity..., op.cit, p. 278.
336 Ibidem.
337 O.D. Lara, Caraïbes en construction vol. 2, pp. 1020-1021.
338 Id, p. 1022.
339 Id., p. 1021.
340 Blyden, "The Negro in the United states", A.M.F.. Church Review, janvier 1900, pp. 308-351.
341 Blyden à Coppinger, le 19 novembre 1887.
342 Lynch, thèse, pp. 144-145.
343 Blyden. "The West African University", in Selected Published Writings, pp-223-229.
344 C.O. 267/324, n°978 : Negro, vol. 11, N°1, 16 avril 1873
345 Hannibal Price, De la Rehabilitation de la Race Noire par la République d’Haïti, Port-au-
Prince, 1900, XVIII-736 p.
346 Cf. Mudimbe (V.Y.), The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge,
Indiana University Press, 1988, chap. IV.
347 Blyden à Lowrie, 20 septembre 1875.
348 C. Hodge, Essays and Reviews, cité dans lettre de Blyden, op. cit.
349 Blyden à Coppinger, 19 octobre 1874 ; Blyden à Wilson, 31 mai 1897.
350 Sierra Leone Weekly News, 10 février 1912.
351 Pinney à Tracy, 19 juin 1871.
352 Blyden à Lowrie, 6 janvier 1877.
353 Blyden à J.C. Braman, 27 mars 1884.
354 Blyden à Lowrie.
355 Blyden à Coppinger, 2 février 1879.
356 "Some philanthropists in America cannot understand that ‘café au lait’ is not coffee any longer,
nor is it milk, and that you can taste neither the one nor the other by mixture..." in Blyden à
Coppinger, 20 août 1887.
357 “Liberia is sure to prosper and very soon, if you exercise some discrimination in the sort of men
you send us, men who love Africa, and care more for the race than for clans and cliques” in Blyden à
Coppinger, 21 octobre 1875.
358 Tracy à Mc Lain, le trésorier de l’A.C.S., le 10 juin 1871 ; Kennedy Kimberley, 6 mai 1871 in
C.O. 267/311.
359 Blyden, in Christianity..., op.cit, pp. 108-109.
360 Blyden, “Facts Concerning Liberia’’ in The foreign Missionary and Presbyterian Church, juillet
1880, pp. 53-54.
361 Blyden à Coppinger, 10 juin 1880.
362 Blyden à Wilson, 1er juin 1900.
363 Blyden à Coppinger, 2 décembre 1887.
364 Charleston News and Courier, Ier décembre 1889 ; Charleston World. 2 et 3 décembre 1889.
365 Blyden à Wilson. Ier juin 1900.
366 Blyden, 24 mai 1884, cité dans Holden, op. cit.. p. 911.
367 Blyden à Coppinger, 20 septembre 1878.
368 In Lynch, Selected published writings..., pp. 187-189.
369 Blyden à Coppinger, 20 septembre 1878.
370 Blyden à Wilson, Ier juin 1900.
371 Blyden, in Christianity..., op.cit, p. 121.
372 “I believe in a future Negro empire in Africa”.
373 Blyden, "Study and Race”, in Selected Published Writings..., pp. 201-203.
374 O.D. Lara, Caraïbes en construction..., p. 670 et id., Marcus Garvey, le Lion des Caraïbes,
Paris, CERCAM, 1992.
375 Cf. comptes rendus de Blyden dans le Liberia Herald, 16 mars et 6 avril 1853. in Holden, op.
cit, notes 25-26-27-28, p. 927.
376 Blyden au Rév. J. P. Knox, février 1852, in Hoiden, op.cit., pp. 33-34.
377 C.O. 267/316 : rapport de l’expédition de Falaba ; C.O. 267/320 : rapport de l’expédition de
Timbo.
378 Cf. l’article “News from Africa" dans The Presbyterian, Philadelphie, Pennsylvanie, du 29
janvier 1887, p. 8, signé S.S. Servier, in Holden op. cit., pp. 574-575.
379 Lettre de Blyden du 22 octobre 1887, in Holden, op.cit., n. 16 p.926.
380 Blyden, “Christian missions in West Africa", Christianity..., op.cit, p. 60 ; “Ethiopia
stretching...”, Christianity..., op.cit, p. 129.
381 Christianity..., op.cit, p. 335.
382 Id„ pp. 335-336.
383 Cf. O.D. Lara, Caraïbes en construction...
384 Pinney à Tracy le 19 juin 1871, in Holden pp. 176-176.
385 Blyden à Coppinger le 9 juin 1876, in Holden, op. cit., pp. 340-343.
386 Christianity..., op.cit, p. 102 et Lynch, thèse, op. cit., p. 207.
387 Blyden, Liberia’s Offering, New York, 1862.
388 “Growing out of the general misunderstanding of the people, the first and constant effort of the
missionaries is to Europeanize them, without reference to their race peculiarities or the climatic
conditions of the country ", Blyden, “Christian Missions in West Africa", in Christianity..., op.cit,
p.63.
389 “The ‘thin varnish of European civilisation’, which the natives thus receives, is mistaken for a
genuine mental metamorphosis, when as a rule, owing to the imprudent hurry by which the convert’s
reformation has been brought about, his Christianity, instead of being pure is superstitions, instead of
being genuine is only nominal, instead of being deep is utterly superficiel, and, not having fairly
taken root, it cannot flourish and become reproductive". Ibid., p. 64.
390 Blyden à Schieffelin, 28 avril 1888.
391 Blyden. "Christianity and the Negro Race”, Christianity..., op.cit, p. 30.
392 “I love the Christianity of the Christ - but I have no respect for its secular representatives from
Europe to this country... my mind is the anomalous condition of loving the system of Christianity but
hating the methods has nowhere given the Negro any power and is not likely to give", Blyden à
Coppinger, 12 juillet 1887.
393 “It is not simply the religion of the Arabs, but the race of the Arabs which has given them such
influence over the tendencies of the great tribes. They belong to a cognate race. Before the days of
Mohammed, Negroes shared in the learning and politics of Arabia. Herodotus, in those early days,
discovered the relationship of the two peoples. He represents them as belonging the same great race”.
Blyden, "Sierra Leone and Liberia”, Christianity.... op.cit, p.230 ; et Blyden à Mary Kingsley. 7 mai
1900.
394 Blyden. “Sierra Leone and Liberia”, in Christianity.... op.cit, pp. 189-240.
395 “Mohammedanism in .Africa will be a helping step between barbarism and Christianity... The
general diffusion of the Arabic language in this country, through Mohammedan influence, must be
regarded as a preparatory circumstance of vast importance for the introduction of the Gospel”,
Blyden à Lowrie. 9 mai 1876.
396 “I believe that the Christian is the highest type of man... I believe Christianity to be the ultimate
and final religion of humanity. Indeed, I believe it has always been and always will be the system
which raises mankind to the highest level”, Blyden à Schieffelin, 28 avril 1888 ; Blyden à Wilkinson,
17 novembre 1891.
397 "From the lessons he every day receives, the Negro unconsciously imbibes the conviction that to
be a great man he must be like the white man... To be himself... is to be nothing... To be as like the
white man as possible... This is his aspiration. The only virtues which under such circumstances he
develops are, of course, the parasitical ones...’’, Blyden, ‘ The African Problem and the Methods of
its Solution”, in Selected Published Writings, pp. 45-52 ; et “The Origin and Purpose of African
Colonization", pp. 109-110.
398 Blyden, "Study and Race”, 1893. in Selected Published Writings, p. 203
399 Blyden, “Africa and the Africans’’, Christianity..., op.cit, p. 266.
400 "The precise problem of the education of the African is to develop his powers as an African...
The method which has been generally’ pursued... has teen absurd... because it has been carried on
without the study of the man and his intellectuel possibilities... producing, as a rule, only caricatures
of alien manners, who copy the most obvious peculiarities of their teachers, whith all their drawbacks
and defect.”, in Blyden, “The Aims and Methods of a Liberal Education for Africans”, Christianity...,
op.cit. pp. 82-92
401 Blyden, “Study and race", op. cit.
402 Lynch, thèse, op. cit., p 133.
403 Blyden, "West Africa Before Europe”, Selected Published Writings, p. 323.
404 The Sussex Daily News, 1er septembre 1877.
405 West Africa, 14 septembre 1901.
406 Sierra Leone Weekly News, Ier mars 1902.
407 Id., 27 septembre 1902.
408 Le 17 mai 1905, in Holden, op. cit.. pp. 809-810.
409 Voir M.A.E., M.D., Afrique, 128 131 : A.D.P., Afrique, carton 6 ; C.P.C., Liberia, 9, 18 ;
C.A.O.M.. S.G., Afrique IV, Liberia, dossiers 14, 57, 64, 71 et 78 ; et aussi : F.O. 403, 363,
Confidential 8690, Mémo du Dr. Blyden sur la situation du Libéria.
410 Blyden à Wilson. 10 janvier 1906.
411 Blyden, le 10 février 1874.
412 Blyden à Wilson, 1er novembre 1899 et 10 janvier 1906.
413 Expression de Benito Sylvain.
-8-
LA CROISADE POLITIQUE D’ANTENOR FIRMIN

"I would not give the enjoyment I have bad since I have been in Africa
for all I have seen in America. I have set out all kinds of fruit trees that
are in Africa. We have preaching every Sunday, and prayer meeting even
night through the week... My son. George Washington, is spelling in three
syllabes, and reading in the new American spelling-book, words of one
syllabe. I think Monrovia will become a fine good place, in course of a
few years. The people are building every day. We have had war, since we
have been here, with the natives. The first day we started, we went to St
Paul’s ; the next day, we marched to King Brumley’s town and took it. We
only lost one man

Lettre d’un habitant du Liberia a son ancien maître, 1832,


African Repository and Colonial Journal
Washington, D.C., 1826, reed. 1967, vol. VIII, p.282.

“Etre Nègre, c’est bien moins une race qu’une véritable maladie "

Michelet, Histoire du XIXe siècle, t.III, p.298, 1875.

Après Toussaint Louverture et les héros de la Guerre d’indépendance, un


auteur haïtien, L.J. Rosemond, propose de distinguer et d’admirer “la belle
figure d’Anténor Firmin”414.
Firmin occupa de 1880 à 1900 une place importante dans la politique de
son pays, comme sociologue, diplomate et homme d’Etat. Pour ce grand
homme, l’organisation de l’Etat haïtien, l’établissement d’un ordre politique
et social, ne devaient pas être une fin en soi, mais devaient “servir la
réhabilitation de l’Afrique”415. Il voyait clairement que la charge
discriminatoire véhiculée par l’idée de l’infériorité raciale des Africains
affectait aussi les habitants d’Haïti. Il croyait et l’affirmait souvent, que son
pays devait donner le bon exemple aux autres Nègres et aux Africains. La
population noire d’Haïti, disait-il, n’a-t-elle pas déjà fourni les preuves de
son intelligence et de son énergie ?416.
L’homme politique ne se dissocie pas du penseur qui rédigea un ouvrage
intitulé De l’Egalité des Races humaines (Paris, 1885) dans lequel il
développa des arguments solidement opposés à ceux du Français Gobineau.
Firmin rejette le concept de race, qui implique alors, dit-il, une “fatalité
biologique et naturelle...”. Il se fonde sur l’action politique et sur son
expérience diplomatique pour espérer accomplir les objectifs d’un idéal
panafricain.

Quelques observations préliminaires sur Gobineau


Quelques remarques préalables paraissent indispensables à ce niveau du
débat. Les critiques anthropologiques de Firmin dans son ouvrage de 1885
mettent en cause directement Gobineau et ses thèses racistes. Quand Firmin
arriva à Paris, il trouva en librairie la seconde édition de l’ouvrage de
Gobineau paru en 1884. Quelques explications s’imposent avant de
poursuivre notre analyse de la participation de Firmin au mouvement
panafricain. Il s’agit surtout de souligner quelques points importants des
idées de Gobineau qui permettent d’éclairer l’enquête de Firmin et de
comprendre sa démarche d‘anthropologie positive.
L’ouvrage de Gobineau Essai sur l’inégalité des races humaines a été
publié pour la première fois en 1853 (tomes I et II) et en 1855 (tomes III et
IV). Gobineau n’était pas un homme de science mais de passion. La
biologie, telle que nous la concevons, n’existait pas. La génétique, vers
1850 — le mot n’existait pas non plus — s’en tenait surtout à l’observation
empirique de morphologies externes. La première loi de biogénétique
fondamentale n’a été formulée qu’en 1860 par le naturaliste allemand Ernst
Haeckel (1834-1919), darwiniste fougueux, “bête noire” de Gobineau, et
celles de la brochure ne datent que du début du XXe siècle. Gobineau
comme ses contemporains ne distingue pas culture de nature.
Gobineau a eu recours à un discours à la mode portant sur l’histoire des
grandes visions sur la marche de l’humanité, des sciences naturelles
appliquées à l’homme (Buffon, travaux des médecins, physiologistes,
anthropologues de la première moitié du XIXe siècle), soucieux de
classifications comme l’a voulu Linné dont le Systema Naturae est de 1735.
L’Essai est une somme d’emprunts faits à l’histoire, aux sciences naturelles
et à la littérature des voyages. Gobineau apparaît comme un historien de
seconde main, un naturaliste, un ethnologue ou un anthropologue médiocre.
Gobineau, secrétaire d’ambassade à Berne, Hanovre et Francfort de 1849
à 1854, a rassemblé une importante documentation et une bibliographie
allemandes. L’ouvrage donne une image de l’historiographie des sciences
philologiques du siècle, non seulement françaises, mais européennes. Dans
ce livre, le concept de race, d’après le titre, serait l’élément majeur du
système : mais que recouvre-t-il ? Race : variétés (Cuvier : race jaune, race
noire, race blanche) ou race : culture nationale, Gobineau n’a pas dépassé
les connaissances physiologiques de l’homme de ses prédécesseurs
“phrénologistes” ou “anthropologistes” : Edward, Lawrence ou
Blumenbach.
L’Essai est un produit de son siècle pour la documentation et les
jugements concernant la “race noire”. Gobineau répète à ce sujet ce
qu’écrivaient ou disaient colons, naturalistes, voyageurs, missionnaires,
soldats ou commerçants. Il n’a donc parlé des Noirs que par ouï-dire ou par
ses lectures. Il reprend le thème de l’“infériorité” des Nègres, de la
“supériorité” de la civilisation européenne. Il stigmatise la “laideur” des
Noirs, leurs instincts “grossiers”, leur caractère “jouisseur”, leur “paresse”,
leur “incapacité d’initiative créatrice” et de “persévérance dans l’action”.
Gobineau adopte aussi la classification du naturaliste allemand Christoph
Meiners (Grundrisse der Geschichte der Menschheit)417 : l’humanité
“n’était composée que de deux catégories : la belle, c’est-à-dire la blanche,
et la laide, qui renfermait toutes les autres”. Plusieurs débats à la fin du
XVIIIe siècle se rapportaient au problème de la couleur de la peau et de la
laideur, tant au point de vue physiologique que philosophique. Citons pour
mémoire le docteur Le Cat, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen,
auteur du Traité de la couleur de la peau humaine en général, de celle des
nègres en particulier et de la métamorphose de ces couleurs en l’autre, soit
de naissance, soit accidentellement418.
Gobineau reprend aussi la répartition de l’espèce de Victor Courtet de
l’Isle qui distingue des “races” mâles et des “races” féminines : “Oui, il y a
des races naturellement prépondérantes ; oui, il y a des races naturellement
débiles ; il y a pour ainsi dire des races d’enfants, et des races d’adultes, ou
bien encore, suivant l’ingénieuse idée de mon honorable ami, M. d’Eichtal,
il y a dans le genre humain la partie féminine et la partie virile”419. Selon
Gobineau, le Noir est l’un des pôles sans lequel l’humanité n’aurait pas
trouvé son équilibre : le pôle féminin. La séparation de l’humanité en races
mâles ou viriles, et races femelles ou féminines, est exposée pour la
première fois, semble-t-il, par Gustav Klemm, (Allgemeine Kultur
Geschichte der Menschheit)420. Elle avait été suggérée par Gustave
d’Eichtal dans ses Lettres sur la race noire et la race blanche421. Elle fut
reprise par Omalius d’Halloy dans Des races humaines ou éléments
d’ethnographie422.
La femme de Gobineau, Clémence Monnerot, était une créole originaire
de Guadeloupe. Son frère, Jules Monnerot, a été le confident de Gobineau.
Ils échangèrent une correspondance précieuse pour la connaissance du
diplomate423. Gobineau a exploité abusivement la documentation du
naturaliste anglais James Cawle Prichard : Researches into the Physical
History of Mankind traduites en français en 1843 (Histoire naturelle de
l’homme, Paris, Baillière. 1843, traduction du docteur F. Roulin). Il répète
son texte sur le volume du crâne, la largeur du bassin, la nature des
cheveux, la forme du nez, les nuances de teint, et chez les différentes
“races”. Par ailleurs, Ludwig Schemann dit de Courtet : “Einer der leider
vergessenen Vorläuger Gobineaus in Frankreich” (“Un des précurseurs
malheureusement oubliés de Gobineau en France”)424.
Thomas Jefferson développait en 1785 dans ses Notes on Virginia
l’opinion suivante : “Aucun fait, aucune expérience ne nous empêche de
penser que différentes variétés de la même espèce peuvent être douées de
qualités diverses et inégales. Cette malheureuse différence de couleur, et
peut-être de facultés, est un obstacle puissant à l’affranchissement des
Nègres”. Il en concluait, bien avant Gobineau, qu’il n’est pas indifférent
aux Blancs “d’altérer par le mélange des races la dignité et la beauté de
l’espèce humaine". Gobineau qui malmène dans son livre IV (chapitre VII)
les “instincts utilitaires”, l’hypocrisie politique et la vulgarité “bourgeoise
des Nord-Américains modernes et à venir, s’étonne de la fortune que
connaît son livre aux Etats-Unis, où il venait d’être traduit par Hotz et Nott :
“N’admirez-vous pas aussi, écrit-il à Prokesch, le 20 juin 1856, mes amis
les Américains, qui croient que je les encourage à assommer leurs nègres
(...), mais qui ne veulent pas traduire la partie du livre qui les concerne.”425.
De 1853 à 1884, date de la seconde édition de l’ouvrage, l’Essai sur
l’inégalité des races humaines a été peu connu : 500 lecteurs en France
environ, 150 en Allemagne. A l’heure où écrivait Gobineau, l’ennemi
héréditaire n’était pas l’Allemand, mais l’Anglais. On dénombre une
dizaine de comptes rendus en anglais. Une seconde édition, posthume
(Gobineau meurt en 1882), ne vit le jour qu’en 1884, chez Didot, par les
soins de la comtesse de la Tour, légataire de la propriété littéraire de
Gobineau et du comte de Basterot. Gobineau avait souhaité depuis 1874
préparer et mener à bien une deuxième édition de son ouvrage. Il écrivait de
Stockholm à Albert Sorel le 1er mai 1874 : “Mon livre des Races est ce que
j’ai fait de mieux (...) et si je fais quelque chose de mieux encore ce sera la
deuxième édition desdites Races que je prépare qui aura au moins un
volume de plus et où je prendrai au corps le darwinisme issu de mon livre et
les hommes primitifs issus de la folie cérébrale des savants qui ne savent
rien”426. Le projet n’aboutit pas, il ne put rien terminer, comme il écrivit à
Mathilde de la Tour. Puis, entre 1896 et 1900— parut chez l’éditeur
Frommann à Stuttgart, en trois volumes, la traduction allemande de Ludwig
Schemann : Versuch iiber die Ungleichheit der Menschenrassen.
Un avant-propos de Gobineau figure dans le tome premier de l’édition de
1884. Il a été rédigé en juillet 1877. Cet avant-propos éclaire la genèse de
l’œuvre et la place que lui attribue l’auteur dans sa production littéraire. Il
énonce par ailleurs d’une façon explicite le procédé d’emboîtement qui
aurait présidé à la conception et à la composition des trois œuvres d’analyse
ethnique : l‘Essai..., l’Histoire des Perses et l’Histoire d’Ottar Jarl. Enfin,
il témoigne de l’idéalisme subjectif qui soutient cette entreprise, de nature
historique par définition, puisque Gobineau déclare ne pas se soucier, en
1877, des récentes découvertes des sciences préhistoriques ou
anthropologiques et ne rien changer aux pages où, en 1853 et 1855, il
exposait sa “doctrine” et sa “théorie”.
Terminons ces observations préliminaires en citant le texte où l’auteur
évoque Haïti :
“A Saint-Domingue, l’indépendance est complète. Là, point de
missionnaires exerçant une autorité voilée et absolue ; point de ministre
étranger fonctionnant avec l’esprit européen : tout est abandonné aux
inspirations de la population elle-même. Cette population, dans la partie
espagnole, est composée de mulâtres. Je n’en parlerai pas. Ces gens
paraissent imiter, tant bien que mal, ce que notre civilisation a de plus
facile : ils tendent, comme tous les métis, à se fondre dans la branche de
leur généalogie qui leur fait le plus d’honneur ; ils sont donc susceptibles,
jusqu’à un certain point, de mettre en pratique nos usages. Ce n’est pas chez
eux qu’il faut étudier la question absolue. Passons donc les montagnes qui
séparent la République dominicaine de l’Etat d’Haïti.
Nous nous trouvons là en face d’une société dont les institutions sont non
seulement pareilles aux nôtres, mais encore dérivent des maximes les plus
récentes de notre sagesse politique. Tout ce que, depuis soixante ans, le
libéralisme le plus raffiné a fait proclamer dans les assemblées délibérantes
de l’Europe, tout ce que les penseurs les plus amis de l’indépendance et de
la dignité de l’homme ont pu écrire, toutes les déclarations de droits et de
principes, ont trouvé leur écho sur les rives de l’Artibonite. Rien d’africain
n’a survécu dans les lois écrites ; les souvenirs de la terre chamitique ont
officiellement disparu des esprits ; jamais le langage officiel n’en a montré
la trace ; les institutions, je le répète, sont complètement européennes.
Voyons maintenant comment elles s’adaptent avec les mœurs.
Quel contraste ! Les mœurs ? on les voit aussi dépravées, aussi brutales,
aussi féroces que dans le Dahomey ou le pays des Fellahs. Le même amour
barbare de la parure s’allie à la même indifférence pour le mérite de la
forme ; le beau réside dans la couleur, et, pourvu qu’un vêtement soit d’un
rouge éclatant et garni de faux or, le goût ne s’occupe guère des solutions de
continuité de l’étoffe ; et, quant à la propreté, personne ne s’en soucie. Veut-
on, dans ce pays-là, s’approcher d’un haut fonctionnaire ? on est introduit
près d’un grand nègre étendu à la renverse sur un banc de bois, la tête
enveloppée d’un mauvais mouchoir déchiré et couverte d’un chapeau à
cornes largement galonné d’or. Un sabre immense pend à côté de cet amas
de membres ; l’habit brodé n’est pas accompagné d’un gilet ; le général a
des pantoufles. L’interrogez-vous, cherchez-vous à pénétrer dans son esprit
pour y apprécier la nature des idées qui l’occupent ? vous trouvez
l’intelligence la plus inculte unie à l’orgueil le plus sauvage, qui n’a d’égal
qu’une aussi profonde et incurable nonchalance. Si cet homme ouvre sa
bouche, il va vous débiter tous les lieux communs dont les journaux nous
ont fatigués depuis un demi-siècle. Ce barbare les sait par cœur ; il a
d’autres intérêts, des instincts très différents ; il n’a pas d’autres notions
acquises. Il parle comme le baron d’Holbach, raisonne comme M. de
Grimm, et, au fond, il n’a de sérieux souci que de mâcher du tabac, boire de
l’alcool, éventrer ses ennemis et se concilier les sorciers. Le reste du temps,
il dort.
L’Etat est partagé en deux fractions, que ne séparent pas des
incompatibilités de doctrines, mais de peaux : les mulâtres se tiennent d’un
côté, les nègres de l’autre. Aux mulâtres appartient, sans aucun doute, plus
d’intelligence, un esprit plus ouvert à la conception. Je l’ai déjà fait
remarquer pour les Dominicains : le sang européen a modifié la nature
africaine, et ces hommes pourraient. fondus dans une masse blanche, et
avec de bons modèles constamment sous les yeux, devenir ailleurs des
citoyens utiles. Par malheur la suprématie du nombre et de la force
appartient, pour le moment, aux nègres. Ceux-là, bien que leurs grands-
pères, tout au plus, aient connu la terre d’Afrique, en subissant encore
l’influence entière ; leur suprême joie, c’est la paresse ; leur suprême raison,
c’est le meurtre. Entre les deux partis qui divisent l’île, la haine la plus
intense n’a jamais cessé de régner. L’histoire d’Haïti, de la démocratique
Haïti, n’est qu’une longue relation de massacres : massacres des mulâtres
par les nègres, lorsque ceux-ci sont les plus nombreux ; des nègres par les
mulâtres, quand le pouvoir est aux mains de ces derniers. Les institutions,
pour philanthropiques qu’elles se donnent, n’y peuvent rien ; elles dorment
impuissantes sur le papier où on les a écrites ; ce qui règne sans frein, c’est
le véritable esprit des populations. Conformément à une loi naturelle
indiquée plus haut, la variété noire, appartenant à ces tribus humaines qui
ne sont pas aptes à se civiliser, nourrit l’horreur la plus profonde pour toutes
les autres races ; aussi voit-on les nègres d’Haïti repousser énergiquement
les blancs et leur défendre l’entrée de leur territoire ; ils voudraient de
même exclure les mulâtres, et visent leur extermination. La haine de
l’étranger est le principal mobile de la politique locale. Puis, en
conséquence de la paresse organique de l’espèce, l’agriculture est annulée,
l’industrie n’existe pas même de nom, le commerce se réduit de jour en
jour, la misère, dans ses déplorables progrès, empêche la population de se
reproduire, tandis que les guerres continuelles, les révoltes, les exécutions
militaires, réussissent constamment à la diminuer. Le résultat inévitable et
peu éloigné d’une telle situation sera de rendre désert un pays dont la
fertilité et les ressources naturelles ont jadis enrichi des générations de
planteurs, et d’abandonner aux chèvres sauvages les plaines fécondes, les
magnifiques vallées, les mornes grandioses de la reine des Antilles. (La
colonie de Saint-Domingue, avant son émancipation, était un des lieux de la
terre où la richesse et l’élégance des moeurs avaient poussé le plus loin
leurs raffinements. Ce que La Havane est devenue en fait d’activité
commerciale, Saint-Domingue le montrait avec surcroît. Les esclaves
affranchis y ont mis bon ordre).
Je suppose le cas où les populations de ce malheureux pays auraient pu
agir conformément à l’esprit des races dont elles sont issues, où, ne se
trouvant pas sous le protectorat inévitable et l’impulsion de doctrines
étrangères, elles auraient formé leur société tout à fait librement et en
suivant leurs seuls instincts. Alors, il se serait fait, plus ou moins
spontanément, mais jamais sans quelques violences, une séparation entre les
gens des deux couleurs.
Les mulâtres auraient habité les bords de la mer, afin de se tenir toujours
avec les Européens dans des rapports qu’il recherchent. Sous la direction de
ceux-ci, on les aurait vu marchands, courtiers surtout, avocats, médecins,
resserrer des liens qui les flattent, se mélanger de plus en plus, s’améliorer
graduellement, perdre, dans des proportions données, le caractère avec le
sang africain.
Les nègres se seraient retirés dans l’intérieur, et ils y auraient formé de
petites sociétés analogues à celles que créaient jadis les esclaves cimarrons
à Saint-Domingue même, à la Martinique, à la Jamaïque et surtout à Cuba,
dont le territoire étendu et les forêts profondes offrent des abris plus sûrs.
Là, au milieu des productions si variées et si brillantes de la végétation
antillienne, le noir américain, abondamment pourvu des moyens d’existence
que prodigue, à si peu de frais, une terre opulente, serait revenu en toute
liberté à cette organisation despotiquement patriarcale si naturelle à ceux de
ses congénères que les vainqueurs musulmans de l’Afrique n’ont pas encore
contraints. L’amour de l’isolement aurait été tout à la fois la cause et le
résultat de ces institutions. Des tribus se formant seraient, au bout de peu de
temps, devenues étrangères et hostiles les unes aux autres. Des guerres
locales auraient été le seul évènement politique des différents cantons, et
l’île, sauvage, médiocrement peuplée, fort mal cultivée, aurait cependant
conservé une double population, maintenant condamnée à disparaître, par
suite de la funeste influence de lois et d’institutions sans rapports avec la
structure de l’intelligence des nègres, avec leurs intérêts, avec leurs
besoins”427.

Les critiques haïtiennes


Plusieurs auteurs, en Europe — surtout en France — et en Amérique du
Nord, plaidèrent comme Gobineau, l’infériorité des Noirs fondée sur des
facteurs biologiques et leur incapacité à s’intégrer à la civilisation. En
France, nombreux furent ceux qui s’appuyèrent sur l’article “Nègre" du
Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse, qui voulait “prouver la
supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire"428. Parmi ceux qui
suivirent ce courant raciste, figurent des personnalités comme Ernest
Renan, Gustave Lebon, Léo Quesnel, Jules Ferry et Léon Blum.
Les penseurs haïtiens de cette époque — fin XIXE siècle — rejetèrent
toutes les théories prétendant exposer et démontrer l’infériorité raciale.
Poètes, écrivains, politiques se mobilisèrent pour clamer l’égalité des
“races” et surtout glorifier Haïti : "le soleil qui se lève à l’horizon" (L.J.
Janvier).
Un consensus s’établit parmi les noiristes et les antinoiristes, les Nègres
ou les “Mulâtres” pour magnifier leur pays, Haïti, présenté comme “l’avant-
garde de l’Afrique posé sur le chemin de la porte d’or”. J. N. Léger et
Hannibal Price revendiquèrent la mission sacrée de Haïti de réhabiliter la
“race noire” et de “régénérer” les populations noires. Les Haïtiens se
présentèrent comme “une branche de l’immense race africaine”.
Roche Grellier affirmait en 1891 : “La race noire est capable, autant que
les autres, de tous les progrès moraux et matériels et il ne lui a manqué
jusqu’ici que les conditions propres à favoriser son développement dans
tous les sens”429. Le diplomate Hannibal Price porte le nom, nous dit-il,
d’un soldat de la Marine britannique. Il s’affirmait “mulâtre, Haïtien,
héritier des combattants de 1802-1803”. Il invoque dans l’avant-propos de
son ouvrage De la réhabilitation de la Race Noire par la République
d’Haïti (Port-au-Prince, 1900) “des souvenirs qui (me) gonflent d’orgueil” :
les cinq fils de sa bisaïeule maternelle, les cinq frères Bobin, esclaves qui
moururent le même jour “clans la mémorable charge de cavalerie conduite
contre le Tombeau des Indigènes par leur parent, l’immortel Gabart...
baptisé sur les champs de bataille du nom de Gabart-Vaillant". Il conclut en
affirmant glorieusement : “Non, je n’ai pas à rougir du sang africain qui
coule dans mes veines ; je ne saurais mépriser ma mère, la race africaine,
car c’est d’elle, surtout, que me vient tout ce que l’histoire m’apporte de
gloire et d’orgueil. Je suis d’Haïti, la Mecque, la Judée de la race noire, le
pays où se trouvaient les champs sacrés de Vertières, de la Crête-à-Pierrot,
de la Ravine-à-Coulœuvres, du Tombeau des Indigènes et cent autres où
doit aller en pélerinage au moins une fois dans sa vie, tout homme ayant du
sang africain dans les artères ; car c’est là que le nègre s’est fait homme ;
c’est là qu’en brisant ses fers, il a condamné irrévocablement
l’esclavage...”.
Hannibal Price s’était promis de critiquer l’ouvrage de Sir Spencer St.
John, ancien ministre anglais en Haïti : Hayti or the Black Republic430. Ce
livre écrit par un diplomate qui avait résidé pendant douze ans à Port-au-
Prince apparaissait comme une violente diatribe lancée contre Haïti et les
Haïtiens. L’auteur observait Hannibal Price montrait “un pays pourri de
vices, peuplé de sauvages adonnés à l’anthropophagie”431.
L’ancien ambassadeur du Royaume-Uni affirmait en conclusion de son
réquisitoire : “je suis maintenant d’accord avec ceux qui nient que le nègre
ait jamais pu créer une civilisation originale : avec la meilleure éducation
possible, il restera toujours un type inférieur d’homme"432.
Hannibal Price, devenu ministre plénipotentiaire de la République d’Haïti
près du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en 1890, découvrit que le
portrait d’Haïti peint par Spencer St. John était considéré par “un grand
nombre de gens” en Amérique du Nord, “comme une fidèle photographie
de la République Noire”433. C’est aux Etats-Unis que Price entreprit de
réfuter les allégations du plénipotentiaire anglais en écrivant un livre.
Dans la préface rédigée après sa mort, on peut lire : “et quand il sentit les
premières atteintes du mal qui devait l’emporter si rapidement, au lieu de se
reposer, il redoubla d’ardeur au travail — écrivant jusqu’à des heures
avancées de la nuit, souvent jusqu’au matin, malgré les conseils de son
médecin et les exhortations de sa famille — dans la crainte de mourir,
disait-il, avant d’avoir achevé son ouvrage ; tant il y attachait d’importance
et pensait faire du bien à son pays en le publiant”.
Avant sa mort, le 1er janvier 1893 à Brooklyn, Hannibal Price avait
“expressément émis le vœu que son livre soit publié le plus tôt possible.”
L’ouvrage ne fut mis sous presse que sept ans plus tard, à Port-au-Prince en
1900. Sa publication fut entreprise grâce à l’effort conjugué de ses héritiers
H. Price, avocat et Thomas Price ingénieur, de Charles M. Dupuy
(traducteur) et de J. Verrollot (imprimeur). Anténor Firmin, malgré ses
multiples préoccupations politiques, jugea indispensable de répondre aux
affirmations racistes de Gobineau.
Un homme en campagne : Anténor Firmin

L’homme politique
Evoquons brièvement la personnalité d’Anténor Firmin avant
d’approfondir sa fameuse réplique aux théories racistes de Gobineau.
Joseph Anténor Firmin était un homme de la province Nord d’Haïti. Il
naquit en effet au Cap Haïtien en octobre 1850 et fut successivement et
parallèlement professeur, avocat, et journaliste. Il créa un journal, Le
Messager du Nord en 1878. Il commença sa carrière diplomatique en 1884
sous la présidence de Sylvain Salnave (1867-1869), comme commissaire de
Haïti aux Fêtes de Caracas. Il séjourna à Paris jusqu’en 1888 et se fit de
solides amitiés en France.
La chute du Général Lysius Félicité Salomon, le 10 août 1888 fut suivie
d’une guerre civile. Firmin devint Ministre — Conseiller des Relations
Extérieures du gouvernement séparatiste du Nord. L’assassinat du Général
Side Télémaque — le successeur présumé de Salomon — fut suivi du
départ en exil de François D. Legitime (1888-1889) quelques mois
seulement après son élection à la présidence qui avait été précédée par
l’arraisonnement du navire Haytian Republic, battant pavillon des Etats-
Unis, le 16 décembre 1888.
Le Général Florvil Hyppolite, surnommé Mabial (le Terrible), chef des
Provinces Protestataires (Nord, Nord-Ouest et Artibonite) prit le pouvoir en
décembre 1889 et le conserva jusqu’à sa mort le 24 mars 1896. Il chargea
Anténor Firmin de s’occuper de la diplomatie et des finances. La dette
intérieure du pays s’élevait à cette époque à 20 000 000 de dollars-or, “une
somme fabuleuse”. Il entreprit de combattre la fraude, l’absence de
statistiques économiques et commerciales.
Il se préoccupa, sur le plan international de réglementer le problème des
frontières avec la République Dominicaine. La Convention de Thomazeau
fut signée le 5 février 1890 avec la République voisine pour arbitrer les
litiges frontaliers. Firmin envoya un représentant haïtien, Hannibal Price,
sièger à la réunion de Washington où fut signé le traité d’arbitrage le 28
avril 1890. L’article Ier stipulait que les nations suivantes, Haïti, Bolivie,
Equateur, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Salvador, Etats-Unis, Brésil,
“assemblées dans cette Convention adoptent, par ces présentes, l’arbitrage
comme principe de droit international américain, pour le règlement des
difficultés, disputes et controverses qui peuvent s’élever entre deux ou
plusieurs d’entre elles”434.
Le redressement de la situation financière en 1890 suscita une forte
animosité de certains politiques partisans du désordre favorisant leur
enrichissement. Jean Price-Mars, plus tard, rendra un fervent hommage au
travail accompli par Anténor Firmin quand il était Ministre des Finances. Il
a résumé les réformes effectuées par le grand homme d’Etat en ces termes :
“Le premier objectif qu’il s’assigna dans cette tâche fut de remettre de
l’ordre dans cette branche de l’administration, de réorganiser les Services
de perceptions fiscales et des dépenses de l’Etat. Il réforma le personnel des
Douanes de la République en y faisant entrer des agents irréprochables au
triple point de vue de la compétence, de la probité et de l’honnêteté à tous
les échelons de la hiérarchie. A la Banque Nationale d’Haïti, trésorière de
l’Etat, il demanda et obtint une modification du pourcentage prélevé dans le
service d’encaissement et de paiement pour compte de l’administration. Ce
mouvement de réforme produisit promptement ses effets. Les recettes
devinrent chaque mois plus abondantes et leurs affectations adéquates plus
rationnelles.
Il en découla une reprise des affaires, une nouvelle impulsion au
commerce. L’ordre et la régularité ayant été rétablis dans le fonctionnement
des services administratifs, Firmin pouvait aisément satisfaire aux
obligations de l’Etat. Il reprit le service de paiement normal des coupons de
la dette extérieure de l’Etat en retard, celui des Bons de Trésor arriérés. Il
régularisa le paiement mensuel des employés de l’Administration sans
recourir à des emprunts onéreux à court terme. Tant de réajustements
financiers et économiques furent réalisés en un si bref intervalle que le
crédit de l’Etat s’en trouva rehaussé. La conséquence s’en fit ressentir par la
hausse graduelle de la cote des obligations de la dette Extérieure à la Bourse
de Paris”435.
Un historien haïtien donna lui aussi son opinion sur le passage de Firmin
au ministère des Finances : “Ce qui semble justifier jusqu’à un certain point
la confiance du Secrétaire d’Etat des Finances et Relations Extérieures et de
plusieurs de ses collègues, c’est la situation particulièrement satisfaisante
des finances de l’Etat.
Grâce aux sages économies réalisées par M. Firmin, grâce à l’esprit
d’ordre et aux principes d’honnêteté qu’il s’est efforcé d’apporter dans les
diverses branches de son administration financière, grâce à la régularité
avec laquelle s’effectuent les recettes du Trésor qui augmentent sans cesse,
le Gouvernement haïtien se trouve, en ce moment, à la tête d’une réserve
pécuniaire de 600.000 piastres (soit 3 millions de francs), comme jamais
aucun des gouvernements précédents n’en avait en sa possession.
Il faut rendre, en effet, cette justice à M. Firmin, et ses ennemis les plus
acharnés ne sauraient eux-mêmes le lui refuser, que, depuis qu’il est à la
tête du Ministère, jamais les finances de l’Etat n’ont été plus prospères et le
crédit du pays plus solidement assurés”436.

L’affaire du Môle Saint-Nicolas


Frederick Douglass arriva le 8 octobre 1888 à Port-au-Prince.
Antérieurement, le Président Grant l’avait chargé en 1871 de se rendre en
République Dominicaine, comme membre d’une commission d’enquête
visant l’annexion de la partie orientale de l’île. En 1888, il débarquait en
Haïti comme ambassadeur des Etats-Unis, ayant les pleins pouvoirs de
l’administration fédérale pour négocier l’acquisition du Môle Saint-Nicolas.
En janvier 1891. le contre-amiral Bancroft Gherardi, à la tête d’une
escadre, se présenta devant la rade de Port-au-Prince. En effet, le Président
des Etats-Unis, Benjamin Harrisson, l’envoyait avec ses navires et ses
canons pour intimider le gouvernement haïtien et lui forcer la main. Le
ministre Firmin sut calmer le jeu. Le contre-amiral Gherardi écrivit le 2
février 1891 au ministre des Relations Extérieures pour être reconnu
comme Commissaire à la Convention d’un bail sur le Môle St. Nicolas.
Frederick Douglass et Bancroft Gherardi présentèrent le 21 avril 1891,
une lettre du Président des Etats-Unis aux autorités haïtiennes :

“Benjamin Harrison
Président des Etats-Unis d’Amérique
A tous ceux à qui ces présentes parviendront, salut ! J’investis par ces
présentes, Frederick Douglass, Ministre Résident et Consul Général des
Etats-Unis d’Amérique en Haïti, et Bancroft Gherardi, Contre-amiral dans
la Marine des Etats-Unis, du plein pouvoir de conférer avec de telles
personnes qui peuvent être autorisées de la part d’Haïti, et de conclure, sauf
l’avis et la sanction du Sénat des Etats-Unis l’usage du Môle Saint-Nicolas
comme station navale.
En foi de quoi j’ai ordonné que le sceau des Etats-Unis y soit apposé.
Donné sous notre seing et notre sceau dans la ville de Washington le neuf
mars de l’année mil huit cent quatre-vingt-onze et le cent quinzième de
l’Indépendance des Etats-Unis.
(signé) : Benj. Harrison.
Par le Président :
James G. Blaine,
Secrétaire d’Etat.
Certifié le document ci-dessus comme une copie sincère de l’original.
(signé) : F. Douglass,
Bancroft Gherardi”437.
Il est curieux de noter la responsabilité à cet effet d’un de ces
plénipotentiaires nord-américains, le Nègre Frederick Douglass, bien connu
par ailleurs pour ses positions abolitionnistes. C’est avec stupéfaction qu’on
le retrouve ici, servant d’instrument docile à la politique des canonnières !
Dans sa réponse du 22 avril, Anténor Firmin fit observer aux deux
plénipotentiaires que "le gouvernement d’Haïti n’afferme aucun port ou
autre portion de son territoire, ni n’en dispose autrement, n’y accordant
aucun privilège spécial ou droit d’usage à aucun pouvoir, Etat ou
gouvernement”438. Son refus de céder le Môle Saint-Nicolas comme station
navale des Etats-Unis se fondait sur l’article Premier de la Constitution de
la République d’Haïti. L’arrivée d’une deuxième escadre de “puissants
vaisseaux” de guerre de la marine des Etats-Unis ne fléchit pas la
détermination de Firmin. Frederick Douglass et Gherardi prirent acte de ce
refus par leur dépêche du 24 avril. Cette victoire diplomatique fut saluée par
toute la population. Anténor Firmin dut pourtant démissionner le 3 mai
1891, sous la pression du Président Hyppolite et “pour répondre aux
contingences du milieu et apaiser les lamentis de quelques pontifes du
cabinet”439.

Candidat à la présidence
Firmin se rendit en France au mois d’octobre 1891. Il prononça plusieurs
conférences, évoquant l’histoire d’Haïti, la colonisation, la guerre de
l’Indépendance, l’économie, les relations internationales. A son retour il se
retira au Cap Haitien pour exercer sa profession d’avocat. Après la mort du
Général Hyppolite en 1896, le Président Tyrsias Simon Sam, élu le 1er avril
1896, fit appel à lui de décembre 1896 à juillet 1897, Grand échiquier et
ministre des Relations Extérieures. Firmin, surnommé l’Incorruptible,
enraya la banqueroute qui menaçait. Il favorisa la nomination du Général
François Manigat comme Envoyé Extraordinaire et ministre
plénipotentiaire à Paris. Il présenta ses lettres de créances à l’Elysée au
Président Félix Faure le 31 décembre 1896. Firmin participa à la signature
du Traité de Saint-Domingue le 3 juillet 1893 à la Convention postale (15
juin 1897).
Le Président Sam l’envoya comme ministre plénipotentiaire à Paris pour
y négocier des accords qui aboutirent le 31 juillet 1900 à la Convention
commerciale avec la France440. Le gouvernement français promut le
Président Sam au grade de Grand’Croix de l’Etoile Noire du Bénin. Au
cours d’une conférence prononcée au cercle de l’Union latino-américaine, il
développa l’idée que l’indépendance d’Haïti était à sauvegarder : “La
République d’Haïti prospère et encouragée dans son développement
national, est une affaire de haute prévoyance pour la politique coloniale de
la France. Si Haïti perd pied, la Guadeloupe, la Martinique, Cuba, Puerto
Rico seraient des colonies américaines’’441. Les préoccupations politiques
de Firmin concernant les colonies françaises et espagnoles des Caraïbes ne
se dissocient pas ici de l’intérêt que leur portait un révolutionnaire
puertoricain, Betances. Le Dr. Ramon Emeterio Betances (1827-1898), né à
Puerto Rico, a étudié en France et a passé son diplôme de médecin à Paris
en 1856. Partisan de l’indépendance de son pays, il voyage aux Caraïbes de
1867 à 1875 : Santo Domingo, Curaçao, Haïti, Saint-Thomas, Venezuela,
avant de se fixer en France. De 1875 à 1898. il élabore un projet de
‘confédération antillienne” qui reçoit l’appui d’Anténor Firmin et des
Guadeloupéens H.-Adolphe Lara et son frère Oruno Lara. L’idée de
confédération est abandonnée avec la mainmise des Etats-Unis sur Cuba
après la guerre hispano-nord américaine de 1898 et les directives de
l’amendement Platt en 1901.
Firmin candidat à la présidence en 1902 se heurta aux manœuvres du
Général Nord Alexis qui chercha à l’arrêter. Protégé par l’amiral Killick,
Firmin trouva refuge en juin 1902 sur le navire de gliene haïtien l’aviso La
Crête à Pierrot442. Ce bâtiment arraisonna le 3 septembre le navire
marchand allemand Markomannia, transportant une cargaison d’armes pour
le Général Nord Alexis. La rébellion de 1902 se termina mal pour Firmin, il
dut s’exiler à Saint-Thomas avec plusieurs de ses compagnons.
C’est au cours de cette retraite, aux Iles Vierges, que Firmin conçut et
développa le projet d’une confédération caraïbe. Son idée se fondait sur
l’histoire, commune à ces territoires insulaires, ainsi que sur leur identité,
leur économie, et leurs intérêts propres. Il pensait qu’un ensemble de
territoires comprenant Cuba, Haïti, la République Dominicaine, Jamaïque et
Puerto Rico, assureraient mieux leur indépendance en face des puissances
européennes. Ce plan de confédération avait été lancé, dès 1885, par des
personnalités de la région comme de Dr. Betances et Torres Caicedo. La
Conférence de Washington en 1907 avait organisé une Union Centre-
Américaine réunissant les six pays : Guatemala, Costa Rica, San Salvador,
Honduras, Nicaragua, Panama. Dans ses Lettres de Saint-Thomas, Anténor
Firmin défendit le projet d’une Confédération antilléenne auprès de
plusieurs hommes politiques de la région. Il reçut l’accord et l’appui des
Guadeloupéens H.-Adolphe Lara, directeur du journal Le Nouvelliste, et de
son frère Oruno Lara, journaliste et historien.
Firmin donna le signal de l’insurrection de janvier 1908 qui chercha à
abattre le Président Nord Alexis. Il débarqua à l’Aire Rouge pour participer
aux luttes. Après le décès du Général Jean-Jumeau, son chef d’Etat-Major,
Firmin reprit la route de l’exil. La destitution de Nord Alexis et l’élection
du Président Antoine Simon, un de ses amis, lui permirent de revenir en
Haïti. Il partit pour La Havane comme ministre plénipotentiaire le 7 juin
1910. A Cuba, il se lia d’amitié avec José Marti et fit connaître son idée de
confédération caraïbe. Il participa à la création d’un Comité central des
Sociétés de couleur avec des personnalités comme Juan Gualberto Gomez
— rentré d’exil en 1895 — le Dr. Pedro Betancourt, Emilio Dominguez,
José Maria Aguire et Antonio Maceo.
Firmin fut envoyé à Londres en 1910 comme Envoyé Extraordinaire. Il
présenta ses lettres de créances au roi George V le 14 octobre. Il se retira à
Puerto Rico en janvier 1911, puis à Saint-Thomas après l’insurrection
d’août 1911 et l’élection à la présidence du Général Cincinuatus Lecomte,
chef d’un Comité Révolutionnaire installé aux Gonaïves. Anténor Firmin,
épuisé, mourut peu de temps après, la même année 1911.
En exil, à Saint-Thomas, Anténor Firmin rédigea en 1905 un ouvrage
intitulé Roosevelt et Haïti...443. Il évoquait en conclusion ce qu’il appelait
“notre responsabilité nationale”. Il se présentait alors comme un fédérateur
des courants démocratiques et définissait de manière explicite sa conception
de la démocratie :
“Le pays baisse et déchoit, glissant dans une ornière qui conduit à
l’anéantissement final. Pour en sortir, il importe que ceux qui défendent le
drapeau des libertés politiques ne croient pas que leur intérêt soit de
refouler en bas la majorité de leurs concitoyens, pas plus sous le rapport
social que sous le rapport politique ; il importe que ceux qui aspirent à
l’égalité réelle et non mythique et artificielle, ne cherchent pas dans la
suffocation des libertés publiques, le moyen empirique et odieux d’abaisser
toutes les têtes au même niveau. Une démocratie sans liberté est tout aussi
absurde qu’une démocratie sans égalité... A la liberté, l’égalité, qu’on allie
sincèrement la fraternité, en écartant les suggestions malsaines de toutes les
haines comme de tous les préjugés, et Haïti marchera. Il en est plus que
temps”.
Firmin prêchait la réconciliation, l’union des éléments démocratiques,
s’identifiant aux formations libérale et nationale des années 1870-1880. La
première proclamait le “pouvoir aux plus capables”, la seconde, “le pouvoir
au plus grand nombre”. Firmin, après Louis Joseph Janvier444 soulignait
l’importance de la concertation pour la constitution d’une avant-garde, la
complémentarité du libéralisme et du nationalisme. Haïti se portait mal, à
preuve la sarabande des chefs d’Etat : six, entre août 1911 et juillet 1915,
dont quatre en deux ans, et des équipes gouvernementales qui se
succédaient au Palais National. Emporté dans la tourmente, le Président
Vilbrun Guillaume Sam, un tyran était renversé en juillet 1915. La foule
l’écharpe, le tenant pour responsable du massacre de centaines de
prisonniers politiques. La voie était ainsi ouverte aux Etats-Unis qui
entendaient placer la République sous son contrôle financier. Les fusilliers
marins débarquèrent et les Etats-Unis occupèrent militairement le pays
pendant vingt ans.

L’affirmation de légalité
La publication de la deuxième édition de l’ouvrage de Gobineau (De
l’Inégalité des Races Humaines) suscita de nombreux commentaires en
Haïti. Séjournant à Paris comme diplomate, Firmin, après lecture, pensa
d’abord intervenir à la Société d’Anthropologie, dont il était devenu
membre titulaire le 17 juillet 1884, présenté par Mortillet et Janvier — ce
dernier d’origine haïtienne. Il confia ses réflexions :
“J’aurais pu, dès la fin de l’année dernière, à la reprise de nos travaux,
provoquer au sein de la Société une discussion de nature à faire la lumière
sur la question, à méditer au moins sur les raisons scientifiques qui
autorisent la plupart de mes savants collègues à diviser l’espèce humaine en
races supérieures et inférieures ; mais ne serais-je pas considéré comme un
intru ? Une prévention malheureuse ne ferait-elle pas tomber ma demande,
préalablement à tout examen ? Le simple bon sens m’indiquait là-dessus un
doute légitime”445.
Après avoir tergiversé de la sorte, il préféra entreprendre la rédaction
d’un livre, qui parut à Paris, en mai 1885.
Partisan de "l’unité de l’espèce humaine”, il hésite à choisir entre
monogénisme et polygénisme. La question pour lui. n’est pas de se
déterminer entre ces deux thèses, mais d’évaluer la notion de “race" dont il
juge la “terminologie imparfaite”. Il insiste sur la “confusion des idées” qui
sévit alors :
“Si l’idée de l’espèce en apparence si rigoureuse en zoologie, a pu être
contestée, presque ébranlée par la doctrine du transformisme, l’idée de race,
déjà moins claire, moins précise quand il s’agit des animaux, devient
obscure, vague, trompeuse, parfois même fantaisiste, quand elle est
appliquée à l’homme”446.
Comment se fonde la classification des “races humaines” ? Firmin aborde
ces critiques en se plaçant sous l’autorité d’Alexander Von Humbolt :
“Que l’on suive la classification de mon maître Blumenbach en cinq
races (Caucasique, Mongolique, Américaine, Ethiopique et Malaise) ou
bien qu’avec Prichard, on reconnaisse sept races (Iranienne, Touranienne,
Américaine, des Hottentots et Boschimans, des Nègres, des Papous et des
Alfourous), il n’en est pas moins vrai qu’aucune différence radicale et
typique, aucun principe de division naturelle et rigoureuse ne régit de tels
groupes”447.
Firmin prévoit une critique scientifique du XXe siècle, “où Noirs et
Blancs, faunes et Bruns sauront également tailler leur plume”448. Cela lui
permet d’enquêter sur les comparaisons “craniologiques” tirées des calculs
de Broca et de Toppinard, l’angle facial de Camper, la division
dichotomique de Retzius, l’indice nasal, l’angle parital de Quatrefages.
Il dénonce les “dénominations arbitraires : race aryenne, race indo-
européenne, caucasique. Il n’existe pas de peau rouge” affirme-t-il449.
Comment expliquer la “hiérarchisation factice des races humaines” ? Selon
lui :
“La doctrine anti-philosophique et pseudo-scientifique de l’inégalité des
races ne repose que sur l’idée de l’exploitation de l’homme par l’homme.
L’école américaine a été seule conséquente avec elle-même, en soutenant
cette doctrine ; car ses adeptes ne cachaient pas l’intérêt capital qu’il avait à
la préconiser”450.
Après avoir analysé les facteurs linguistiques et physiques (taille,
longévité, beauté esthétique), le métissage, le darwinisme, Firmin observe
que “les savants se moquent de ceux qui attendent d’eux la vérité”451. Il
ajoute : “la conclusion des anthropologistes est donc aussi fausse que celle
des philosophes ou des érudits qui ont adopté et soutenu la doctrine de
l’inégalité des races”.
Il termine son enquête anthropologique en balayant toutes les thèses
racistes : “Après avoir passé en revue tous les arguments que l’on pourrait
mettre en avant pour soutenir la doctrine de l’inégalité des races humaines,
il semble qu’aucun ne résiste au plus simple examen"452. Pour lui, aucun
doute ne subsiste : "il est permis d’affirmer que l’égalité naturelle existe
entre toutes les races”453. C’est dans l’évolution sociale, qu’il faut chercher,
déclare-t-il, la cause des différences de “complexion morale et intellectuelle
qui existent entre les diverses portions de l’humanité”. Firmin prévoit une
époque dans le futur où il ne sera plus question de “races”, car, "Ce dernier
mot implique une certaine fatalité biologique et naturelle, qui n’a aucune
analogie, aucune corrélation avec le degré d’aptitude que nous offrent les
différentes agglomérations humaines répandues sur la surface du globe”454.
Les critiques de Firmin marquent une étape déterminante dans le
développement d’une pensée négro-caraïbe. Il opère une rupture avec la
domination idéologique de l’Europe colonialiste. C’est un coup sévère porté
aux thèses racistes qui s’épanouissent aux Etats-Unis dans la seconde
moitié du XIXe siècle. Firmin est le premier Nègre à s’affranchir totalement
de la doctrine anthropologique, à rejeter les conclusions de la soi-disant
science européenne, et à prôner une démarche autonome et souveraine des
Noirs, aussi bien des Caribans que des Africains :
“Si la science, devant laquelle je suis habitué à m’incliner, me dévoile
enfin le mot cabalistique ou le fil caché qu’il faut avoir pour forcer la nature
à parler... j’écouterai déconcerté, mais résigné. Mais, si malgré la meilleure
volonté, il est impossible de pénétrer ces arcanes de l’anthropologie : si telle
qu’une courtisane capricieuse, elle a caché toutes ses faveurs, pour en faire
comme une auréole autour du front illuminé des Morton, des Renan, des
Broca, des Carus, des de Quatrefages, des Büchner, des de Gobineau, toute
la phalange fière et orgueilleuse qui proclame que l’homme noir est destiné
à servir de marchepied à la puissance de l’homme blanc, j ‘aurai droit de lui
dire, à cette anthropologie mensongère : ‘Non, tu n’es pas une
science !’”455.
Sous son impulsion, le mouvement panafricain va chercher à sortir
définitivement des contradictions nord-américaines. Anténor Firmin
apparaît comme un penseur original, enracinant sa pensée et son action dans
le substrat historique d’un pays, Haïti, indépendant depuis 1804, qui avait
dû longuement combattre pour survivre.
La vision d’Anténor Firmin s’apparente à une sorte de messianisme, un
“négrisme”, selon l’historien haïtien Benoît Joachin. Dans son maître-
ouvrage de 1885, il proposait un ambitieux plan qui dépassait de beaucoup
l’édification d’une nation moderne :
“C’est notre gloire et, en même temps notre martyre, que l’on n’établira
jamais un jugement favorable ou défavorable sur les aptitudes du Noir à se
gouverner ou à s’élever dans les hautes sphères de la civilisation que
suivant l’évolution satisfaisante de la nation haïtienne ou son arrêt de
développement, qui serait en fait, une régression, dans le concert des
peuples qui montent, montent sans cesse, changeant le mal en bien et le
bien en mieux, emportés par le char fulgurant du progrès, garant irrécusable
de leur perfectibilité indéfinie. Telle est notre responsabilité nationale”456.

414 L.J. Rosemond, Le Réveil de la conscience nationale, Bibliothèque haïtienne, Port-au-Prince,


Haïti, 1932, p. 40.
415 A. Firmin, De l’Egalité des Races Humaines (Anthropologie Positive), Paris, Cotillon, 1885, p.
XIII
416 “Mais Haïti offre-t-elle un exemple des plus édifiants en faveur de la race qu’elle a l’orgueil de
représenter parmi les peuples civilisés ? Par quoi prouve-t-elle la possession des qualités que l’on
conteste aux Noirs africains" in id., ibid.. p. XIII.
417 Lemgo, 1785. 2e édition 1789.
418 Amsterdam, 1765.
419 Voir Courtet de l’Isle. “Discours prononcé à la Société ethnologique de Paris le 25 juin 1847"
reproduit dans V. Courtet, Tableau du Genre Humain, 1849, p. 28.
420 Leipzig, 1843-1852, 10 vol.
421 Paris, 1839.
422 Paris, Bertrand, 1845, 2e édition.
423 Les lettres de Gobineau à Jules Monnerot ont été publiées par J. Gaulmier dans Etudes
Gobiniennes, 1974-75, pp. 77-136. Voir aussi de Schemann, Gobineaus Rassenwerk, 1910.
424 Schemann, op. cit., p. 39.
425 Gobineau à Prokesch, p. 92.
426 Gobineau à Albert Sorel, “Correspondance Gobineau-Sorel", in Revue d’Histoire diplomatique,
1977, n°4, p. 41.
427 Gobineau. Essai sur l’inégalité des races humaines, dans Œuvres. Paris, Gallimard, coll. La
Pléiade, 1983.
428 Pierre Larousse et son temps, Ed. Larousse, 1995, pp.337-338.
429 Etudes économiques sur Haïti. Paris, 1891, p.29.
430 Londres, 1889.
431 De la réhabilitation.., p.698.
432 Hayti or the Black Republic, p.132.
433 H. Price, op.cit., pp.701-702.
434 Dans G.J. Benjamin, La Diplomatie d’Anténor Firmin..., Paris, 1960, p. 69.
435 A. Firmin, Une défense, pp. 41-46 cité par J. Price Mars, An ténor Firmin, pp. 247-248, dans R.
Gaillard, La République exterminatrice, Ière partie, p. 184, note 10, p. 345.
436 Dépêche du 8 novembre 1890, in R. Gaillard, op. cit., pp., 184-185, note 11, p. 346.
437 Le Moniteur du 6 mai 1891. dans Benjamin, op. cit., p. 69.
438 Anténor Firmin cité clans G.J. Benjamin, op. cit.
439 Cf. Benjamin, p. 93.
440 Cf. Benjamin, p. 98.
441 Dans une conférence de Firmin, “La France et Haïti", clans Benjamin, p. 131.
442 Le Vice-amiral Hammerton Killick à bord du vaisseau La Crête à Pierrot lancé à Hull en 1896,
vaisseau amiral de la flotte haïtienne.
443 A. Firmin, Monsieur Roosevelt, Président des Etats-Unis et la République d’Haïti, Paris et New
York, 1905.
444 L.J. Janvier, Haïti aux Haïtiens, Paris, 1884.
445 A. Firmin, De l’Egalité des Races Humaines, Paris, Cotillon, 1885, p. IX.
446 A. Firmin, op. cit., p. 127, citation de Rosny, Compte rendu du Congrès International des
Sciences Ethnographiques tenu à Paris en 1878, p. 750.
447 Firmin, op. cit., p. 128, citation de A. de Humboldt, Kosmos, t. I, p. 427.
448 Firmin, op. cit., p. 147.
449 Firmin, op. cit., p. 171.
450 Firmin, op. cit., p. 204.
451 Firmin, op. cit., p. 648.
452 Firmin, op. cit., p. 650.
453 Firmin, op. cit., pp. 650-651.
454 Firmin, op. cit., p. 661.
455 Firmin, op. cit., p. 230
456 Firmin, op. cit.
-9-
UN OFFICIER DE MARINE HAÏTIEN À LA COUR DU
NEGUS

"If an asylum could be found in Africa, that would be the appropriate


destination for the unhappy race among us. Some are sanguine that the
efforts of an existing colonization society [the American Colonization
Society] will accomplish such a provision ; but a very partial success
seems the most that can be expected. Some other region must, therefore,
be found for them as they become free and willing to emigrate. The
repugnance of the whites to their continuance among them is founded on
prejudices, themselves founded upon physical distinctions, which are not
likely soon, if ever, to he eradicated".

Lettre de James Madison a Lafayette, 1821.

Le cas de l’Ethiopie clans la seconde moitié du XIXe siècle est intéressant


à plusieurs égards. L’Abyssinie était alors le plus ancien pays indépendant
d’Afrique. Il résista brillamment à l’impérialisme européen, notamment
sous le règne de l’empereur Ménélik II (1889-1913). D’autre part,
l’Abyssinie constituait un modèle aux yeux des Caribans. Plusieurs
personnes originaires des Caraïbes émigrèrent pour travailler dans ce pays,
comme le Dr. Joseph Vitalien né le 4 avril 1868 au Moule en Guadeloupe,
l’Haïtien Benito Sylvain et le Cubain Guillermo Enrique Ellesio457. Benito
Sylvain qui sera délégué de l’Ethiopie et d’Haïti à la Conférence
Panafricaine de 1900, attribua à Ménélik le titre honorifique de “Grand
Protecteur de l’Association Panafricaine”.
L’Ethiopie apparaissait comme un emblème vivant pour les fondateurs de
l’“ensemble panafricain”. En 1893, reprenant un passage de la Bible alors
qu’il s’opposait aux prétentions de l’Italie, Ménélik déclara : “L’Ethiopie
n’a besoin de personne, elle tend les mains vers Dieu". A l’époque,
l’Ethiopie désignait à la fois le pays et le continent africain. Cette citation
fut utilisée par de nombreux Nègres des Amériques (dont E.W. Blyden)
comme devise au vaste mouvement panafricain.
Un rapide éclairage historique s’impose donc, pour mieux comprendre
l’attirance des fondateurs du mouvement panafricain envers l’Ethiopie.

Le Docteur Joseph Vitalien, Guadeloupéen, né au Moule le 4 avril


1868, partit pour Djibouti en 1899 et devint le médecin de confiance de
l’Empereur Ménélik. Il raconta son aventure en 1909 à un rédacteur du
Journal de Paris : “Voilà dix ans que j’occupe mon poste auprès de
l’Empereur ; j’étais installé dans un village de Bourgogne, des amis me
pressèrent d’aller là-bas ; je partis chez les Abyssins, auprès des Gallas,
mes frères noirs ; j’allais organiser le campement sanitaire à Djibouti. Un
jour, le Ras Makonnen me fit venir à douze jours de marche de la côte, à
travers les déserts Somali. J’opérai quelques guérisons, je devins le
médecin puis le conseiller du Ras Mahonnen ; alors Ménélik dit : ‘Je suis
le roi. le bon médecin est pour moi’. Makonnen m’accompagna à la cour
du Négus. Et je devins le médecin de celui-ci’.
‘Je puis aussi vous confier... que Ménélik me pressait instamment de
prendre le ministère de la Santé Publique qu’il créait pour moi, mais je
savais qu’en acceptant, j’éveillerais des susceptibilités à Rome et à
Londres, et je refusai de devenir ministre du Négus pour me consacrer
tout entier à mon rôle plus modeste, mais utile cependant, de médecin-
missionnaire’.”
Oruno Lara, dans son ouvrage La Guadeloupe..., nous apprend que :
“Joseph Vitalien, ayant quitté l’Ethiopie depuis 1910, réside à Paris ; fait
chevalier de la Légion d’Honneur, il se porta candidat aux élections
sénatoriales (1912) et législatives (1919) de la Guadeloupe.
Au cours de la Guerre 1914-1918, il fut directeur du “Foyer colonial"
(1915-1919), créé à Paris pour les soldats coloniaux par le Comité d’Aide
et d’Assistance Coloniale458.

L’unification et l’indépendance de l’empire abyssinien ont été l’œuvre de


Kasa Haylu, devenu l’empereur Tewodros II qui inaugura sous son règne
(1855-1868) l’Ethiopie moderne. Il soumit à son autorité les Ras (princes
gouverneurs) des différentes provinces d’Ethiopie : Tigrai, Begemdir,
Gojam, Simien, Wollo et Shoa. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les
provinces d’Amhara et du Tigrai servirent de point de départ à l’expansion
du gouvernement impérial. Son successeur Kasa Mercha, durant son règne
— Yohannes IV (1872-1889) — repoussa des percées égyptiennes et les
Mahdistes du Soudan. Après lui, l’Empereur Ménélik II reprit l’expansion
de l’empire éthiopien, malgré l’accaparement de nombreuses terres
africaines par les Européens.
Dès 1869, l’Ethiopie dut affronter des incursions européennes sur son
territoire. En effet, le port d’Assab, sur la Mer Rouge, fut acheté 6000
thalers de Marie-Thérèse par un Italien, Giuseppe Sapeto. La Société
Rubattino, une compagnie de navigation italienne, reprit Assab, qui devint
colonie italienne en 1882.
A l’époque du règne de l’empereur Yohannes, l’Egypte dominait les côtes
africaines de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden. En 1882, elle fut occupée
par les Anglais. En 1883, après l’insurrection au Soudan du mahdi
Muhaimad Ahmad, l’Angleterre décida d’en retirer les troupes britanniques
et égyptiennes. La domination égyptienne sur la région prit ainsi fin sous la
pression des Britanniques et de leurs alliés, les Européens du Soudan, et
l’empereur Yohannes d’Ethiopie. Un traité entre Yohannes et le Contre-
amiral anglais William Hewett fut conclu le 3 juin 1884. L’accord stipulait
la réappropriation des terres de la frontière soudanaise — occupées par
l’Egypte — par l’Ethiopie et le libre accès du port de Massawa, “sous
protection britannique”459. Cependant, le 3 février 1885, les Britanniques,
rivalisant avec les Français dans le partage de l’Afrique, favorisèrent la
prise de Massawa par les Italiens. Ceux-ci interdirent non seulement l’accès
du port aux Ethiopiens, mais en plus, la pénétration à l’intérieur du pays, en
élevant des fortifications. Le ras Alula, grand chef de guerre éthiopien, les
arrêta à Dogali en janvier 1887. Les Italiens se replièrent et bloquèrent la
côte éthiopienne. Ils firent appel à la médiation du Royaume-Uni. Mais
Yohannes, dans un message à la Reine Victoria460, n’accepta aucun
empiètement au traité de 1884.
En mars 1889, lors d’une bataille contre les mahdistes du Soudan,
l’empereur fut blessé à mort. Malgré la victoire de ses troupes, son armée se
décomposa totalement. Dans le même temps, les Italiens avaient progressé
à l’intérieur du pays. En 1889, ils implantèrent la colonie de l’Erythrée,
dans le nord, avec Asmara pour capitale461. De son côté, Ménélik,
gouverneur de la province du Shoa (1865-1889), traita avec l’Italie, par
l’intermédiaire du comte Pietro Antonelli, représentant de ce pays à sa cour.
Celui-ci lui procurait des armes à feu et des médecins. De plus, grâce à ces
relations, Ménélik conquit plusieurs régions prospères : Arusi, Harar, Kulo
et Konta au sud et au sud-est, ainsi que Gurage et Wallaga au sud-ouest462.
Le 12 mai 1889, Ménélik signa un traité de paix et d’amitié avec l’Italie,
à Wuchale (Uccialli en italien). Il était reconnu empereur, tandis que l’Italie
pouvait achever la conquête de l’Erythrée. Le traité fut rédigé en deux
langues, l’amharique et l’italien. Mais le sens des deux versions différait
pour l’article XVII. Selon la version amharique, l’Ethiopie pouvait
consulter les autorités italiennes pour les affaires étrangères, tandis que la
traduction italienne rendait son avis obligatoire.
En juillet 1889, Ménélik dépêcha son cousin, le Ras Makonnen, Waida-
Mikael, gouverneur du Harar, en Italie, pour discuter de l’application du
traité. Le 1er octobre, Makonnen signa à Rome un accord additionnel :
Ménélik conservait le titre d’empereur, tandis que l’Italie gardait la
souveraineté sur la colonie de la Mer Rouge, et prêtait quatre millions de
lires à l’Ethiopie463.
Le 11 octobre, Crispi, le ministre des Affaires étrangères italien, déclara à
mots couverts que l’Ethiopie devenait un protectorat italien. Les puissances
européennes acquiescèrent. Devant l’indifférence des Européens lors de son
couronnement, Ménélik prit conscience de l’accaparement de l’Italie. Les
pays européens refusaient de traiter directement avec lui. L’Italie s’était
imposée comme l’intermédiaire obligatoire.
En janvier 1890, dépassant les limites territoriales prévues par le traité de
1884, les Italiens occupèrent Adowa, une ville de la province du Tigrai,
administrée par le Ras Mangasha, fils de l’Empereur Yohannes. Ils
refusèrent de se retirer tant que Ménélik n’acceptait pas la version italienne
du traité de Wuchale464.
Dans sa lettre du 27 septembre 1890, au roi Umberto 1er d’Italie, Ménélik
refusa catégoriquement le statut de protectorat qu’on voulait lui imposer. La
femme de Ménélik elle-même, l’impératrice Taytu, se prononça pour la
défense des droits éthiopiens, en répondant à une lettre de l’ambassadeur
Antonelli : “Vous voudriez faire passer l’Ethiopie pour votre protectorat,
mais il n’en sera jamais ainsi”465.
Avant de dénoncer officiellement le traité de Wuchale le 12 février 1893,
Ménélik prit le temps d’équiper son armée en armes à feu, et d’annexer
plusieurs territoires. Le 27 février, il en avertit les puissances européennes
et déclara à l’intention de l’Italie : “L’Ethiopie n’a besoin de personne ; elle
tend les mains vers Dieu”. Il avait amassé 8.000 fusils et vingt-huit
canons466.
La guerre de l’Italie contre l’Ethiopie éclata avec l’insurrection de Batha
Hagos — chef érythréen — en 1894, contre la domination italienne. Puis,
en janvier 1895, les Italiens envahirent la province du Tigrai, gouvernée par
le Ras Mangasha. Après avoir ordonné la mobilisation générale le 17
décembre, Ménélik marcha avec ses troupes vers le nord, où il remporta
plusieurs victoires, repoussant les Italiens jusqu’à Adowa.
Les Erythréens s’allièrent à Ménélik contre les Italiens. L’armée de
l’empereur comprenait 50 000 hommes armés contre 17 000 soldats
ennemis (Italiens : 10 596 et les askari, —soldats érythréens). Au cours de
la Bataille d’Adowa en 1896, écrasante victoire pour Ménélik et les
Ethiopiens sur les Italiens, plus de 40 % des effectifs de l’armée italienne
furent tués ou blessés. Le traité de paix d’Addis-Abeba fut finalement signé
le 26 octobre 1896. Il annulait le traité de Wuchale et reconnaissait
l’indépendance nationale de l’Ethiopie467. Une convention prévoyait en
outre le rapatriement des prisonniers italiens. Par un accord demeuré secret,
Ménélik permit aux Italiens de rester en Erythrée. La délimitation des
frontières entre l’Ethiopie et la colonie italienne de l’Erythrée se précisa en
1900. Ce n’est qu’en 1941, avec la libération de l’Erythrée et sa fédération à
l’Ethiopie onze ans plus tard, en 1952, que l’empire du Négus retrouvait ses
frontières naturelles jusqu’à la mer.
Témoins de cette écrasante victoire, des délégués de toute part vinrent
représenter leur nation auprès de Ménélik, dont la France, l’Angleterre, les
mahdistes du Soudan, l’empire ottoman et la Russie.
Ménélik était le premier Africain, depuis Hannibal, à vaincre des troupes
européennes. Le prestige de Ménélik attira de nombreux Noirs des
Amériques vers l’Ethiopie. Le Dr. Vitalien, Guadeloupéen, devint le
médecin particulier de Ménélik, de 1899 à 1906468. L’Haïtien Bénito
Sylvain représenta à quatre reprises, le président d’Haïti, Nord Alexis,
auprès de Ménélik, de 1897 à 1906469. William H. Ellis-Guillaume Enrique
Ellesio, un Etatsunien originaire de Cuba, proposa à l’empereur par deux
fois, en 1903 et en 1904, plusieurs projets de développement économique et
d’émigration de Noirs des Etats-Unis470. Un peu plus tard. J.E. Casely
Hayford, de la Côte de l’Or, l’ami et le “disciple” de E.W. Blyden, dédia
son ouvrage en 1911, Ethiopia Unbound, "Aux fils de l’Ethiopie du monde
entier”. Ce livre témoignait une fois encore de l’importance d’une Ethiopie
indépendante, aux yeux des Noirs du monde entier.
Ménélik sut apprécier toutes les innovations techniques de son époque.
Son règne fut celui du progrès et des transformations en Ethiopie. Il réussit
à défendre son pays contre l’impérialisme européen, grâce à la
modernisation de son armée et à une habile stratégie diplomatique.
Parfaitement informé des alliances et des inimitiés entre puissances
européennes — notamment celles de l’Italie, de la France et du Royaume-
Uni — il consolida son indépendance durant la décennie 1896-1906. Dès
les premiers signes de la maladie de Ménélik en 1906, les trois pays
divisèrent l’Ethiopie en trois zones d’influence par un accord secret, que
l’empereur découvrit peu avant sa mort en 1913471. Italiens, Français et
Britanniques établirent successivement leurs légations en 1897 à Addis-
Abeba. Ils se firent représenter par des ministres diplomates expérimentés :
Federico Ciccodicola (Italie), Léonce Lagarde (France) et John Harrington
(Grande-Bretagne). Les Etats-Unis envoyèrent une mission commerciale en
1903 et les Allemands entrèrent en scène en 1905. Ces missions
provoquèrent l’entente des trois puissances coloniales qui s’empressèrent de
signer un accord visant à exclure les nouveaux arrivants. Après cette
“Entente tripartite" de 1906 entre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie,
et le traité Klobukowsky de 1908 — du nom du ministre français qui le
signa avec Ménélik — accordant des droits extraterritoriaux et des
privilèges fiscaux à des résidents étrangers dans le pays - l’Ethiopie fut
admise à la Ligue des Nations en 1923.

Marie-Joseph Benoît Dartagnan dit “Benito" Sylvain naquit à Port-au-


Prince, Département du Nord Ouest d’Haïti, le 21 mars 1868. Il fit une
partie de ses études primaires et secondaires au Séminaire Collège Saint-
Martial de Port-au-Prince et les acheva au Collège Stanislas à Paris. Il passa
son baccalauréat ès-Lettres à la Faculté des Lettres de la Sorbonne et fut
nommé le 29 juin 1889 par le Président Légitime, secrétaire de la légation
d’Haïti à Londres. Il abandonna ce poste diplomatique en 1890 pour fonder
à Paris, rue du Bac, le journal La Fraternité, Organe de Défense des
Intérêts d’Haïti et de la Race Noire. Il dirigea ce journal pendant sept ans,
de 1890 à 1897. bénéficiant de la collaboration de son jeune frère, le Dr.
Edmond Sylvain, entouré de plusieurs Haïtiens réfugiés en France. Deux
hommes politiques de la Guadeloupe collaborèrent à ce journal : le Sénateur
Isaac et le Député Gaston Gerville-Réache.
Benito Sylvain participa en 1889-1890 aux conférences antiesclavagistes
de Bruxelles et se lia d’amitié avec le Cardinal Charles Martial Lavigerie
(1825-1892), Primat d’Afrique. Ce prélat français, fondateur de la Société
des Pères Blancs en 1868 et de celle des Sœurs missionnaires d’Afrique en
1869, Chef de l’Eglise d’Afrique, Cardinal en 1882, poursuivit une œuvre
d’évangélisation en Afrique et lutta contre l’esclavage. Le Cardinal
Lavigerie obtint pour Benito Sylvain une audience de Léopold II, Roi des
Belges.
Sur l intervention de Michel Oreste — un homme politique qui deviendra
président de Haïti en 1913 — affirmant que le journal La Fraternité était
“une oeuvre de patriotisme pur et est rédigé avec un talent au-dessus de tout
éloge”, le Corps législatif lui octroya une subvention en 1891. Deux ans
plus tard, le Président Hyppolite le nomma le 15 décembre 1893, Enseigne
de vaisseau de la Marine de Guerre haïtienne. Comment parvient-il, avec
l’aide de quels amis, à se faire nommer en 1894, Président du Comité
Oriental Africain de la Société d’Ethnologie de Paris ?
L’invasion de l’Ethiopie par l’armée italienne commença en janvier 1895.
Francesco Crispi, le premier ministre italien, dépêcha le Général Oreste
Baratieri, Gouverneur civil et militaire de l’Erythrée avec ordre de
s’emparer de tous les territoires voisins de sa province. Le Tigre, le Coatit
et Asmara tombèrent successivement aux mains des Italiens. Les armées
italiennes occupèrent le 14 mars 1895 tout le Nord de l’Abyssinie. Après
Adigrat, Makallé tomba le 1er avril et Adwa le 7. Ménélik organisa la
résistance autour d’Adwa, l’ancienne capitale de l’empire. L’Empereur
investit le Ras Makonnen du commandement suprême de ses armées. Le
prince avec l’aide du Ras Mikael, de Wallo, du Ras Mangasha et Takla-Hay
réussirent à battre les Italiens et à les repousser. Le 21 janvier 1896,
Ménélik, l’impératrice Taytu et le Ras Makonnen pénètrèrent à Adwa,
couverts de gloire. La fin du conflit devint officielle au traité de paix signé à
Addis-Abeba le 26 octobre 1896.
Benito Sylvain qui avait suivi de Paris le déroulement des opérations
militaires, prit la décision de se rendre en Abyssinie en janvier 1897. Il s’en
ouvrit à son père Michel Sylvain qui l’encouragea “à écouter les impulsions
de son cœur et à suivre son destin". A défaut d’une aide financière, il lui
donna sa bénédiction paternelle. De Paris, il gagna Addis-Abeba en
cinquante-deux étapes via Marseille où il s’embarqua le 25 janvier, à 4h. de
l’après-midi à bord de l’Ava, un vieux navire des “Messageries Maritimes”.
Benito Sylvain a laissé un journal où il notait scrupuleusement son
activité, ses aventures, ses rencontres et ses difficultés. C’est ainsi que nous
pouvons suivre exactement les principales étapes de son voyage de
Marseille à Addis-Abeba qui a duré dix jours en mer et trente-et-un jours de
route :
“De Paris à Addis-Abba :

Paris, 14 heures : Couloubi (Prop. Rass)


Marseille : Forêts
Port-Said, 2 heures : Tchalanko (Panorama)
Canal Ismaila, 14 heures : Dérou
Djibouti, 5 heures : Bourka
Nedereck Chebelé : Couni (Prop. Rass)
Gouroumo : Boroma
Béyadé : Tchercher
Dousso-Rowmouni : Lagahardin
(Mont Boura) : Katchénoa
Férad : L’Aouache (8 jours)
Mordalé : Fantallé
Plateau de Sarman : Tadékia-Melka
Dagago : Rivière le Rassan
Plaine de Daimaley : Mont Ankober
Bia-Kaboba : Tchoba
Ouarghi (sommet Panorama) : Mannabella
Garaslé : Godo Bourka
Arto : Baltchi
Guieldessa : Chancora
Oualdéa : Doli
Bélaoua : Tcheffé - Donça
Gomboltcha : L’Akaki
Harrar : Iska
Lac Aramaya : Choa
Yaabata : Addis-Abeba"472.

Il rencontra à Harar le Gouverneur Ghérazmatch Banti et vingt jours plus


tard, le Ras Makonnen en personne. Ce dernier, cousin de l’Empereur, son
conseiller le plus écouté, était “un homme de taille moyenne, d’une
intelligence supérieure et d’une distinction à laquelle tous les voyageurs
européens rendent hommage. Il a aujourd’hui 43 ans ; il visita l’Italie en
1889 et prit une part aussi considérable que glorieuse à la guerre qui se
termina par l’écrasement complet des envahisseurs". Grâce à la
bienveillance du Ras Makonnen, Benito Sylvain, nanti d’une nouvelle
caravane, put quitter Harar deux jours après, En route vers Addis-Abeba, il
croisa le Général italien Matteo Albertone, le vaincu d’Adwa et Léonce
Lagarde, le Gouverneur de la Côte française de Somalie.
Ayant obtenu une audience du Négus Ménélik le 10 avril 1897 à 11 h. du
matin au Palais Impérial, il lui parla longuement d’Haïti et de la situation
des Noirs aux Caraïbes et en Amérique.

“J’ai entrepris, raconte-t-il, le voyage en Abyssinie qui représente dix


jours en mer et trente-et-un jours consécutifs de route terrestre à dos de
mulet, voyage au cours duquel j’aurais pu mourir misérablement plus d’une
fois, soit par la balle ou la lance d’un maraudeur du désert de dankali, soit
par la dent d’une de ces bêtes fauves qui, un soir, dévorèrent ma monture à
peine dessellée ; j’ai entrepris, dis-je, un voyage aussi coûteux, aussi
pénible et aussi périlleux uniquement pour la satisfaction intime de voir de
mes yeux un congénère illustre, le Négus Ménélik, dont les magnanimes
vertus font réellement honneur, non seulement à la race noire, mais encore à
l’humanité tout entière.
Je trouve aujourd’hui, dans le chef suprême de la République d’Haïti, un
homme de la même trempe et de la même famille, à qui l’Empereur
d’Ethiopie serait heureux de pouvoir serrer la main.
Il est impossible que je ne parvienne pas à m’entendre aussi avec Son
Excellence le Président Nord Alexis, pour le relèvement intégral de notre
pays et la réhabilitation définitive de notre Race.(...) Le Négus est né en
1842, il a environ cinquante huit ans. Il se lève habituellement vers 5 heures
du matin. Il se promène dans les jardins du Palais (Ghébi, en langue
amharique) où poussent les principaux fruits d’Europe, ou bien il visite ses
ateliers mécaniques où l’on n’est pas long à expérimenter les innovations
qui se créent dans le domaine des sciences appliquées. Depuis 3 ans un
atelier spécial pour la frappe des pièces d’or monnayé a été installé au
Ghébi sous la direction d’un ingénieur allemand. Inutile de dire que S. M.
en contrôle les précieux travaux avec un soin particulier ”473.

L’Impératrice Taytu — en langue amharique “pareil au soleil” — âgée


d’une cinquantaine d’années, mulâtresse d’une famille originaire du Tigré,
avait sous ses ordres un corps d’armée de 5 à 6000 hommes sans compter
son escorte ordinaire de 400 guerriers. Au cours des rencontres ultérieures,
les entretiens du Commandant Sylvain et de l’Empereur portèrent sur des
questions internationales :
"Nouvel entretien du Commandant Sylvain avec l’Empereur
- J’étalai devant le Roi des Rois d’Ethiopie les trois cartes que j’avais pris
soin d’apporter.
- Ainsi que Votre Majesté peut s’en convaincre, les trois Puissances qui
ont des possessions limitrophes de l’Ethiopie, loin de songer à lui restituer
ses frontières historiques, ne cherchent qu’à lui enlever, sous forme
d’hinterland, de nouvelles portions de territoire.
- L’Angleterre, qui possède déjà deux ports : Zéilah et Berbérah, sur la
Côte des Somalis, place dans sa sphère d’influence la riche province de
l’Ogaden, revendiquée à juste titre par Votre Majesté, et rêve de s’emparer
des provinces équatoriales avoisinant le Kaffa, qui a toujours fait partie
intégrante de l’Empire Ethiopien, pour faciliter son gigantesque projet de
construction d’un chemin de fer du Cap au Caire.
- La France, de son côté, a établi son Protectorat sur la Baie de
Tadjourah ; après celle d’Obock, elle a fait l’acquisition de Djibouti et, en
vertu d’une convention de délimitation passée en 1888 avec l’Angleterre,
elle peut émettre des prétentions sur une zone qui s’étend jusqu’à
Guieldessa, à l’entrée du Harrar.
- Quant à l’Italie, Votre Majesté n’ignore pas qu’un traité signé en 1891,
avec l’Angleterre lui reconnaît la faculté de placer toute l’Ethiopie sous son
Protectorat ; et la suggestive carte d’Afrique dressée par le service
géographique du haut Etat-major italien, prouva que cette faculté fut prise
au sérieux par le Gouvernement de S. M. le Roi Humbert Ier.
- C’est précisément pour protester contre ce ridicule traité anglo-italien,
répondit le Négus, que j’ai notifié aux Puissances la délimitation réelle des
frontières de mon Empire.
- La situation, certes, n est plus la même, depuis la bataille d’Adoua,
repris-je ; mais si les Puissances européennes ne peuvent plus considérer
votre empire comme une quantité négligeable, elles ne modifieront pas non
plus, de leur plein gré, en faveur de l’Ethiopie, le partage de l’Afrique déjà
consacré par leurs traités respectifs.
- Que faire alors, à votre avis ?
- Agir, vis-à-vis des Puissances européennes, avec la même indépendance
qu’elles ont manifesté vis-à-vis du Gouvernement éthiopien, en traitant
directement avec vos vassaux de la Côte : que, Votre Majesté,
conformément aux stipulations du Congrès de Berlin, fasse occuper
effectivement tous les points importants de sa ligne frontière, et qu’Elle
attende les événements sans discontinuer les armements.
L’Angleterre va avoir bientôt du fil à retordre au Trans-vaal ; l’Italie en a
pour quelque temps encore à se remettre du coup de massue d’Adoua ; la
France a tout intérêt à rester en bons termes avec l’Ethiopie. Par
conséquent, je crois que tant que Votre Majesté vivra, le pays n’aura aucune
spoliation à redouter.
- Vous pensez donc qu’aucune considération d’équité ne pourra porter les
trois Puissances européennes en question à rétrocéder à l’Empire Ethiopien
l’un des débouchés sur la mer qu’il possédait autrefois ?
- C’est ma conviction, Sire. Toutefois, étant donné le réveil des idées
pacifistes, principalement en France et en Angleterre, il y a peut-être un
effort utile à tenter pour amener progressivement les centres
d’intellectualité d’Europe à envisager une telle idée sous un jour de plus en
plus favorable. Et, à ce point de vue, que Votre Majesté me permette de lui
dire qu’il est très regrettable que l’Empire Ethiopien n’ait encore aucune
représentation diplomatique à l’étranger.
- J’y songe, déclare l’Empereur, mais je veux agir avec prudence clans
cette voie.
Les Limites Géographiques de l’Ethiopie d’après une Notification de
l’Empeur Ménélik aux Chefs d’Etats Européens

La veille du jour fixé pour ma seconde entrevue, avec l’Empereur


Ménélik, le Ghérazmath Négoussié me demanda si j’avais eu connaissance
de la lettre adressée par Sa Majesté en 1891, à tous les Chefs d’Etat
européens et dans laquelle sont indiquées avec précision les limites
géographiques de l’Empire éthiopien.
- Je me souviens d’avoir lu un extrait dans un journal français, répondis-
je, mais j’ignore si la reproduction en est bien fidèle.
- Je vous en apporterai ce soir la copie authentique, me dit mon hôte,
vous la lirez avant d’aller demain au Ghébi, car je crois que Sa Majesté
compte vous en parler.
Le Guérazmath me remit, en effet, à son retour au Palais, le document
suivant dont je n’ai pas besoin de souligner l’importance politique ; c’est la
copie de la missive envoyée au Président Carnot et qui servit de modèle
pour la notification faite aux autres Chefs d’Etat :

‘Lion Vainqueur de la Tribu de Juda


Ménélik II, Elu du Seigneur
Roi des Rois d’Ethiopie

A notre illustre Ami, Sadi-Carnot


Président de la République Française

Salut à Votre Excellence !

Nous demandons particulièrement des nouvelles de votre précieuse santé.


Connaissant vos bonnes intentions à l’égard de l’Empire éthiopien, dont
la grande République Française est depuis longtemps l’amie, Nous vous
exprimons toute notre gratitude.
Comme nous désirons faire connaître les limites d’Ethiopie à nos amies,
grandes puissances de l’Europe, nous adressons à Votre Excellence la
présente lettre avec l’espoir que vous voudrez bien prendre en considération
ce qui suit ;
Partant de la limite italienne d’Arafalé, qui est située sur le bord de la
mer, la limite de l’Ethiopie se dirige vers l’Ouest sur la plaine de Gegra-
Méda, va vers Mahija-Halai, Digsa, Gourra et arrive jusqu’à Adibaro.
D’Adibaro notre limite arrive jusqu’à l’endroit où le Mareb et le fleuve
Atbara se réunissent.
Cette limite, partant ensuite du dit endroit, se dirige vers le Sud et arrive
au point où le fleuve Atbara et le fleuve Setit (Takaseh) se rencontrent et où
se trouve la ville de Kargag, sur le Nil bleu.
De Kargag, cette limite arrive jusqu’à l’endroit où le Nil blanc et le Sobat
se rencontrent.
Partant de cet endroit, la limite suit le dit fleuve Sobat, y compris le pays
des Gallas, connu sous le nom de Barani, tout le pays des Aroussi jusqu’aux
limites des Somalis, y compris également la province d’Ogaden.
Vers le Nord la limite embrasse les Habr-Aoual, les Gadaboursi, les Issa-
Somalis et arrive jusqu’à Ambos.
Partant d’Ambos, la limite éthiopienne embrasse le lac Assal, la province
de notre vassal d’ancienne date Mahamed-Anfaté, longe la côte et rejoint
Arafalé.
En indiquant aujourd’hui les limites actuelles de mon empire, je tâcherai,
si Dieu veut bien m’accorder la vie et la force, de rétablir les anciennes
frontières de l’Ethiopie jusqu’à Kartoum et jusqu’au lac Nyanza avec les
pays Gallas”474.

Benito Sylvain exposa également à l’Empereur des informations portant


sur l’esclavage et le moyen de s’en défaire :

“Entretien avec l’Empereur

- Vous a-t-on déjà dit, Sire, que sous l’inspiration d’une Agence
d’informations italienne, la Presse européenne annonce périodiquement la
mort de Votre Majesté, qui, je le constate avec plaisir, ne s’en porte pas plus
mal ? Cette fausse nouvelle intermittente, étant donné l’âge du prince
héritier, entretient un sentiment d’incertitude et de précarité qui plane sur
toutes les affaires de l’Empire. Les journaux italiens insinuent en outre, que
l’esclavage subsiste encore en Abyssinie, toléré, sinon encouragé par Votre
Majesté, ce qui vous met en fâcheuse posture morale devant l’opinion
publique en Europe...
- Mais vous savez bien ce qu’il en est, vous ? interrompit l’Empereur.
- Oui, Sire, je sais que vous avez renouvelé deux fois l’édit de prohibition
de l’esclavage, promulgué dès votre avènement au trône. Mais il n’en existe
pas moins ici. paraît-il, des malheureux, capturés dans des razzias et forcés
de peiner sans salaire chez des chefs et des sous-chefs qui s’arrogent le droit
de disposer de leur liberté et de leur vie. Cette domesticité spéciale
constitue, ni plus ni moins, un système d’esclavage ; et les publicistes
italiens, qui ont des accès d’humanitarisme aigu quand il s’agit de
l’Abyssinie, ne se font pas faute d’en tirer argument contre Votre Majesté.
- Je n’y puis rien, malheureusement. J’ai prohibé toute espèce de razzia
dans l’étendue de mon Empire. Mais l’Abyssinie est vaste, et ses frontières
confinent au Soudan, où l’esclavage sévit encore, par le fait des
Musulmans. Les traitants qui traversent le pays avec leur marchandise
vivante, voyagent le plus souvent la nuit ; il est donc très difficile de
réprimer leurs brigandages. Quant à l’esclavage domestique, n’étant plus
alimenté comme par le passé, il s’éteindra de lui-même au bout d’un certain
temps.
- J’enregistre avec joie cette affirmation émanant de Votre Majesté ; elle
comblera aussi de satisfaction, j’en suis sûr, tous les Noirs civilisés
d’Amérique, qui, s’ils ne sont pas encore en mesure de coopérer
efficacement au relèvement social de leurs congénères d’Afrique, n’en
souffrent pas moins de leur état de misère et de dégradation.
- Les Noirs d’Amérique s’intéressent donc à ce point à l’Afrique, reprit
l’Empereur.
- Le mouvement n’est pas encore général, mais il s’étend de plus en plus.
Je revendique, d’ailleurs, l’honneur d’y avoir beaucoup contribué par le
journal La Fraternité, que j’ai fondé à Paris dans ce but et où j’ai porté mes
compatriotes à regarder en face la question de la Régénération Africaine,
telle qu’elle doit être envisagée par nous.
- Et aucun groupe de ces Noirs d’Amérique n’a songé, jusqu’ici, à venir
visiter la terre de leurs ancêtres.
- Beaucoup y songent, au contraire, Sire ; mais ils sont encore influencés
par le jugement défavorable que portent contre les indigènes d’Afrique les
Européens intéressés... à les représenter comme des battes réfractaires à
toute tentative de civilisation.
- Est-ce possible ?
- C’est la pure vérité, Sire. Et quand, au cours des siècles, il surgit des
peuples africains qui, comme les Egyptiens et les Ethiopiens, prouvent
péremptoirement leurs aptitudes civilisatrices, les Européens s’empressent
de les englober dans leur propre race et de les opposer à la masse des noirs
moins avancés. Mais Votre Majesté peut s’en rapporter à moi pour clamer
partout la vérité sur ce point et fortifier ainsi le sentiment de solidarité qui
doit unir les Noirs de l’Amérique à ceux de l’Afrique... Mais j’abuse de vos
précieux instants, Sire ; je sais que vous avez encore des visiteurs à recevoir
après moi...
- C’est vrai, je dois accorder audience à la Mission Bonvalot (Il s’agissait
d’une mission auxiliaire, destinée à prêter main forte à la célèbre expédition
“Congo-Nil” dirigée par le Commandant Marchand). Mais vous ne partirez
toujours pas avant d’avoir bu un bérillé de tedj (hydromel).
Je m’inclinai. Le Ghérazmath fit un signe imperceptible : l’agaffari de
service m’apporta un carafon plein de la délicieuse boisson nationale, tandis
qu’un page me présentait un verre sur un plateau d’argent et que le groupe
des autres dignitaires restés à l’écart revenait auprès de Sa Majesté...
- Quand comptez-vous partir ? me demanda l’Empereur en me serrant la
main.
- Après demain, Sire, et si Votre Majesté le permet, je viendrai dans la
matinée lui présenter une dernière fois mes hommages.
- Bien volontiers. J’ai écrit hier à Makonnen, au sujet de votre affaire ; il
peut conclure définitivement. Si d’ici après-demain, il vous vient autre
chose à l’esprit, causez-en au Ghérazmath Négoussié”475.

L’“affaire” en question qu’évoque Ménélik concerne l’offre de Sylvain de


construire une fabrique d’armes et de munitions à Harrar. Le contrat, rédigé
à la demande du souverain par le Ras Makonnen, devait obtenir
l’assentiment du gouvernement haïtien. Ce qui justifierait plus tard
l’ouverture de relations diplomatiques entre l’Ethiopie et Haïti. Benito
Sylvain, au cours de son deuxième entretien avec l’Empereur, lui avait
recommandé de continuer à moderniser son armée pour consolider la
défense du pays environné d’ennemis éventuels. Nous ignorons ce qu’il
advint de ce projet si cher à Sylvain, qui dut se heurter vraisemblablement à
l’opposition de ses rivaux haïtiens dans les arcanes du pouvoir à Port-au-
Prince.
457 Cf. Oruno Lara, La Guadeloupe dans l’Histoire, Editions L’Harmattan, rééd. de l’ouvrage de
1921 en 1979 et en 1999. Paris, pp.303-305.
458 Idem, p.305.
459 M.A.E., M.D. Abyssinie, dossiers 62. 105 et 138 : C.C.P., Addis Abeba, sans numéro ; voir
aussi A.B. Wylde, Modem Abyssinia, Londres, Methuen, 1901, pp. 35 et 472-474.
460 Voir M.A.E, A.D.P. Afrique, cartons 22. 23. 24 ; C.P.C. Abyssinie, cartons 1. 3, 4. 5, 6. 10. 11.
20 et 67 : voir aussi G.L. Portal. My Mission to Abyssinia. Londres. Arnold, 1892, p.158.
461 Voir Ethiopie, F.0. 1 ; et aussi Wylde. op. cit., p. 49.
462 H.G. Marcus dans L.H. Gann et P. Duignan, Colonialism in Africa. 1870-1960, vol. I : The
History and Politics of Colonialism, 1870-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, pp.
422-424 ; R. Greenfield, Ethiopia : a new political history, New York. Praeger, 1965, pp. 98-99.
463 C. Rosseti, Storia diplomatica dell’Ethiopia. Turin, 1910, pp. 45-47.
464 Wylde, op. cit.. p.51.
465 Cité dans E. Work. Ethiopia : a pawn in European diplomacy, New York, 1936, p. 118.
466 Ibid., pp. 134-135.
467 Rosseti, op. cit., pp. 181-183.
468 0. Lara, La Guadeloupe dans l’Histoire, op.cit.
469 A. Bervin, Benito Sylvain, apôtre du relèvement social des Noirs, Port-au-Prince, La Phalange,
1969.
470 R. Pankhurst, “W.H. Ellis-Guillaume Enrique Ellesio : the first Black American Ethiopicist
Ethiopia Observer, Addis Abeba, vol. XV, n°2, pp. 89-121.
471 Rosseti, op. cit., p. 331.
472 Extrait de Antoine Bervin, Benito Sylvain, Apôtre du relèvement social des Noirs, Impr. La
Phalange, Port-au-Prince, Haïti, 1969, p.97.
473 Idem, p.98.
474 Idem.
475 Idem, pp.54-57.
- 10 -
LA CONFERENCE DE LONDRES DE 1900 : EMERGENCE
ET RESONANCE DU PANAFRICANISME

“Brothers, I’m so glad to he home. This is the greatest moment of my life.


It was worth spending every hour in America just to be able to live this
moment. You have made me very happy. They tell black people in
America that the Africans don’t want them. I know now that they were
lying to keep us apart. Black people in America belong on this continent,
and I bring you greetings from all those who cannot be here. I am truly
happy.’
‘Give us a dollar’, the man said enthusiastically.
‘Dollars ? But I don’t understand.’ I was confused.
‘Yeah. You from America. You got plenty dollar. You be Big Man.
America rich country. This be poor country. We need dollar. You give
dollar.’
Suddenly it was as clear as the hot sky above.
Leslie Alexander Lacy,
Rise and Fall of a proper Negro. New York. 1970, p. 123.

La multiplication des élites “de couleur” aux Caraïbes et aux Etats-Unis,


formées dans les universités européennes ou nord-américaines, imprima des
orientations nouvelles au mouvement nègre à la fin du XIXe siècle. Le
développement des idées panafricaines s’effectue dans une conjoncture
internationale de crises : conquêtes et colonisation s’imposent en Afrique,
aux Caraïbes et même aux Etats-Unis où triomphe après la période de
Reconstruction, une “colonisation interne” qui soumet la communauté noire
à la domination des Blancs.
Le racisme dit scientifique, arrivé à maturation, se manifeste partout : en
Europe, aux Amériques et en Afrique. C’est dans ce climat de racisme
exacerbé, de crises économiques et sociales, de conquêtes et de
“pacification” — au vrai, des occupations de territoires — que va se tenir la
Conférence Panafricaine de Londres de 1900. Sous la pression d’Anténor
Firmin, de Benito Sylvain, de Henry Sylvester Williams et des autres
dirigeants noirs, une solution semble s’imposer : se rassembler et
s’organiser pour résister. Créer un mouvement panafricain pour affronter
tous les obstacles qui s’opposent au développement des Noirs aux Caraïbes,
en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, voire en Europe, où se
profilent les menaces d’une guerre mondiale.

La trame internationale

Quatre décennies de recherches m’ont incité à écarter les périodisations


séculaires trop rigides, pour ne retenir que les grands moments de
l’histoire : Traite négrière — XVe - XIXe siècle —, Système esclavagiste —
XVIe - XIXe siècle.
A la fin du XIXe siècle se font entendre nettement les ondes de
destruction esquissées dès les années 1760-68 clans la Méditerranée des
Caraïbes.
La suppression de la Traite négrière semble définitivement acquise vers
1870-80. La croisade des Britanniques a abouti à l’arrêt des campagnes
négrières à partir des ports européens et américains. La Royal Navy a
provoqué bien des mécontentements en France, au Brésil, à Cuba et en
Afrique. Les croiseurs anglais “ont nettoyé” les océans et particulièrement
l’Atlantique. Les bâtiments négriers ont disparu ; ils ont été remplacés par
des steamers transportant des travailleurs sous contrat d’Asie aux Caraïbes :
Indiens, Javanais. Japonais, Chinois et Indochinois. Un transport maritime
qui relève toujours des pires conditions de la déportation sur mer, malgré les
progrès techniques. Les navires plus rapides, au tonnage plus élevé,
naviguent encore comme des prisons flottantes. Les détenus embarqués
chaînes aux pieds, s’accommodent mal du voyage, ils se révoltent et parfois
se perdent en mer. Des cargaisons d’indiens disparaissent ainsi sans laisser
de traces. Naufrages, sabordages, échouages, destructions totales... On ne
sait rien de ces disparitions et des retours au pays.
Un observateur qui se placerait vers 1900 successivement aux Caraïbes,
aux Etats-Unis, au Brésil et en Afrique, aurait une vision du monde noir au
moment où se formulent les théories sur l’impérialisme476.

La chasse aux colonies


Lénine vient de publier, fin mars 1899, son ouvrage : Le développement
du capitalisme en Russie. Dans sa brochure, L’Impérialisme, stade suprême
du capitalisme rédigée à Zurich, pendant le premier semestre 1916, il donne
le pourcentage des territoires appartenant aux puissances colonisatrices
européennes (plus les Etats-Unis) :

Lénine en conclut : “c’est le partage définitif du globe... un nouveau


partage est impossible... si bien qu’à l’avenir, il pourra uniquement être
question de nouveaux partages, c’est-à-dire du passage d’un “possesseur” à
un autre, et non de la “prise de possession” de territoires sans maître.”477.
Lénine tire les chiffres de l’ouvrage du géographe A. Supan, Die
territoriale Entwicklung der europäischen Kolonien478.
Les chiffres donnés pour l’Amérique ne me paraissent pas exacts. Les
Etats-Unis en 1900 ont capturé et intégré Puerto Rico. Ils dominent Cuba en
lui imposant l’amendement Platt. En se fondant sur l’étude de Henry C.
Morris (Etats-Unis) The History of colonization479, Lénine observe que
pour la Grande-Bretagne “la période d’accentuation prodigieuse des
conquêtes coloniales se situe entre 1860 et 1890 et elle est très intense
encore pour les années 1880-1900. Pour la France et l’Allemagne, c’est
surtout ces vingt années qui comptent”.
Hobson précise qu’au cours de la période 1884-1900 qui est “celle d’une
intense expansion des principaux États européens” : l’Angleterre a acquis
un territoire de 3,7 millions de mille carrés, avec une population de 57
millions d’habitants ; la France 3,6 millions de miles carrés avec 36,5
millions d’habitants ; l’Allemagne un million de mile carrés avec 14,7
millions d’habitants ; la Belgique 900.000 miles carrés avec 30 millions
d’habitants ; le Portugal 800.000 miles carrés avec 9 millions d’habitants.
Lénine termine son chapitre sur le partage du monde entre les grandes
puissances en citant un historien français, J.-E. Driault, auteur d’un livre,
Problèmes politiques et sociaux de la fin du XIXe siècle qui affirme : “Dans
ces dernières années, sauf en Chine, toutes les places vacantes sur le globe
ont été prises par les puissances d’Europe ou de l’Amérique du Nord... Car
il faut se hâter. Les nations qui ne sont pas pourvues risquent de ne l’être
jamais et de ne pas prendre part à la gigantesque exploitation du globe qui
sera l’un des faits essentiels du siècle prochain (le XXe). C’est pourquoi
toute l’Europe et l’Amérique furent agitées récemment de la fièvre de
l’expansion coloniale, de l’"impérialisme” qui est le caractère le plus
remarquable de la fin du XIXe siècle”480.
La fièvre colonialiste poussait les Européens à conquérir le plus grand
nombre possible de territoires “sans savoir exactement ce qu’ils en feraient
ensuite.”481. Vers 1900, partout dans les colonies anciennes ou récentes,
régnait le même slogan : maintien de l’ordre. Les colonisateurs de 1900 le
claironnent comme ceux de 1833 ou de 1848 aux Caraïbes ou leurs ancêtres
colons des XVIIe et XVIIIe siècles si attentifs à “contenir les nègres”...
Maintenir l’ordre en 1900, contenir les nègres au XVIIIe siècle,
décidément, les Blancs jouaient la même musique : ici avec leurs fouets et
leurs chiens, là, avec leurs fusils, leurs mitrailleuses et leurs canons.
Siècle après siècle, les colonisateurs se succédaient dans des pays soumis
à leur bon plaisir, dominant des colonisés brisés, vaincus, hors du jeu,
hébétés. “Musulmans” aux portes de la mort, se laissant glisser
inexorablement, sans protester, dans les nasses asphyxiantes de
l’assimilation à la française, dans les colonies Guadeloupe, Guyane et
Martinique.

Aux Caraïbes-Amériques en 1900


Vers 1900, l’empire colonial britannique comprenait les “moribund West
Indies" que le ministre des colonies Joseph Chamberlain tentait de ranimer
en leur injectant récemment “The stimulus of an Imperial Department of
Agriculture...”482.
Tandis qu’au Brésil se développe le boom du caoutchouc de 1880 à 1900,
la production de pétrole démarre en 1900 au Mexique. En Haïti, de 1880 à
1908, la banque nationale est française. L’Allemagne, de 1895 à 1913,
investit massivement ses capitaux au Brésil, au Venezuela et dans plusieurs
territoires des Caraïbes.
La prépondérance des Etats-Unis s’affirme avec la guerre hispano-nord-
américaine de 1898. Ils s’assurent grâce au traité de Paris du 10 décembre
1898 la mainmise sur Cuba et sur Puerto Rico. Le 1er janvier 1899
s’effectue à la Havane le transfert de la souveraineté de Cuba à la garde des
Etats-Unis. Une occupation militaire de 1898 à 1902 sert de cadre au
régime provisoire de tutelle confié à la direction du Général Brook jusqu’en
1900 et du Général Wood de 1900 à 1902. Cuba devient une circonscription
militaire des Etats-Unis, alors que Puerto Rico est directement annexé.
En août-septembre 1900, l’Université Harvard reçoit 1300 professeurs
cubains pour un stage particulier. Le Général Wood veut promouvoir “une
classe dirigeante conservatrice favorable aux Etats-Unis”483.
Après les élections générales — municipales (juin 1900), Convention
constitutionnelle (novembre 1900) — est promulguée la Constitution de
1901. L’amendement Platt (un sénateur du Connecticut) du 11 décembre
1902 est transformé en traité permanent le 23 mai 1903. Tomas Estrada
Palma inaugure son mandat de Président le 20 mai 1902.
Parmi les caudillos qui se distinguent à cette époque s’impose au
Guatemala Manuel Estrada Cabrera et, au Venezuela Joaquin Crespo (1887-
1898) a succédé à Antonio Guzman Blanco. Au Mexique se poursuit le long
règne du Général Jose de la Cruz Porfirio Diaz (1876-1911).
La domination des Etats-Unis s’alourdit sur le Panama après Cuba. Le
second traité Hay-Pauncefoote, le 20 novembre 1901, permet aux Etats-
Unis d’entreprendre la construction du canal avec une zone de 6 miles
placée sous leur contrôle direct. Ce traité est ratifié par le Sénat le 16
décembre. Le traité final du 18 décembre 1903 étend à 10 miles la zone du
Canal et place le nouvel État panaméen dans des conditions de
subordination vis-à-vis des Etats-Unis analogues à celles de Cuba. Le traité
prévoit l’intervention des troupes nord-américaines et l’installation de bases
militaires sur son territoire. Les Etats-Unis en définitive s’établissent
solidement à Cuba et à Panama. Cependant la Cour suprême des USA
décide en 1900 que les Puerto Ricains ne sont pas des citoyens de l’Etat
fédéral.
En 1917, les Etats-Unis vont acquérir les Iles Vierges Danoises. Ils
montrent déjà en 1900 aux autres puissances coloniales que ce sont eux les
maîtres de l’espace des Caraïbes.
Aux Etats-Unis vivent 8.833.994 nègres, (U.S. Census de 1900) qui
représentent 11,6% de la population. 89,7% de ces nègres habitent le Sud et
représentent 1/3 de la population sudiste. Leur espérance de vie est de 34
ans contre 48 pour les Blancs approximativement. Dans le Nord, 61,1% des
nègres vivent dans des cités urbaines, 66.7% dans l’ouest et 22,1% dans le
sud.
Parmi les villes comptant plus de 10.000 Noirs : Washington DC. 86.702,
Baltimore 79.258, New Orleans
Il y a 32.069 nègres syndiqués.
Les Etats-Unis comptent parmi les Noirs : 21.267 enseignants et
professeurs, 15.528 prêcheurs, 1734 docteurs, 212 dentistes, 310
journalistes, 728 avocats, plus de 2000 comédiens, 236 artistes, sculpteurs
et enseignants de l’ait, un Congressman noir G.W. White de la Caroline du
Nord, 3915 musiciens et enseignants de musique, 247 philosophes, 52
architectes. 4 banques noires.
Booker T. Washington a réuni un groupe d’hommes d’affaires noirs à
Boston, pour organiser la National Negro Business League. 400 délégués de
34 Etats l’ont élu Président.
Aux Etats-Unis, 44,5% des nègres sont illettrés. En 1900, plus de 2000
noirs sont diplômés des collèges. On compte 21.267 enseignants et
1.500.000 enfants scolarisés. Quatre Etats ont des collèges pour Noirs :
Virginia, Arkansas, Georgia et Delaware.
Le 20 janvier 1900 G.W. White introduisit une loi condamnant le
lynchage comme crime fédéral. Le projet de loi disparut en commission et
l’on compta 105 nègres lynchés aux Etats-Unis. Le K.K.K. (International
Order of Twelve of the Knights and Daughters of Tabor, fondé en 1871)
revendiquait 200.000 membres en 1900.
B.T. Washington envoya en 1900 une équipe de diplômés de Tuskegee au
Togo à la demande du gouvernement allemand. Un projet éducatif
s’étendant sur six ans visait à former des agriculteurs africains pour leur
apprendre la culture du coton.

L’Afrique en 1900
Pendant trois décennies, de 1880 à 1910, le continent africain a subi de
profondes et durables transformations. Après les agressions et les guerres
suscitées par des siècles de traite négrière et de système esclavagiste, a
succédé une période de changements rapides marqués par la conquête,
l’occupation et la mise en place d’un système colonial. La période se divise
en deux phases : phase de conquête : 1880-1900, phase d’occupation 1900-
1919. Vers 1880, environ 80% du territoire continental appartiennent encore
aux Africains : les étrangers dominent les zones côtières et insulaires de la
Sénégambie, le Sierra Leone, la Gold Coast (Ghana actuel), le littoral
d’Abidjan et de Porto Novo (Dahomey), l’île de Lagos, des bandes côtières
de l’Angola et du Mozambique. En Afrique du Nord, les Français occupent
l’Algérie. Les Européens sont solidement implantés en Afrique du Sud où a
commencé en 1899 la guerre Anglo-Boer (1899-1902).
En 1910, dix ans après la Conférence de Londres, les jeux sont faits.
Rois, reines, chefs de clans et de lignage, princes et princesses africains ont
perdu leurs empires, leurs royaumes, leurs communautés, leurs possessions.
A l’exception de l’Ethiopie et du Libéria, toute l’Afrique “est soumise à la
domination des puissances européennes et divisée en colonies de
dimensions variables”484.
Au cours de la période 1880-1910, les relations entre Européens et
Africains changent brutalement : une importante mutation s’opère. Les
Africains qui depuis le XVe siècle dominent sur le continent, alors que les
Européens dominent sur mer doivent se résigner à se défendre, à résister ou
à être balayés par les conquérants. Dans un premier temps, dirigeants et
responsables africains récusent tout changement et voudraient poursuivre
leurs rapports commerciaux, maintenir leur souveraineté et leur
indépendance.
Les dirigeants africains ignorent alors que les Européens ont décidé de les
éliminer. En ne leur fournissant pas d’armes modernes et en entreprenant
des campagnes de guerres qui doivent aboutir à la conquête de tous les
territoires africains.
En septembre 1900 à Paris, le Congrès International Socialiste aborde la
colonisation en ces termes : “le développement du capitalisme et du
machinisme amène à l’expansion coloniale : on a besoin de marchés
nouveaux, pour l’évolution du capitalisme et du commerce : cela est
inévitable et fatal, car sans cela le monde serait acculé à une révolution
prochaine”485.
Une opposition anticolonialiste émerge au Congrès d’Amsterdam en
1904 (IIe Internationale) et au Congrès de Stuttgart en 1907. La question
coloniale divise alors les socialistes des pays d’Europe engagés dans les
conquêtes : E. David se montre en Allemagne favorable à l’idée
colonisatrice “élément intégral du but universel des civilisations poursuivi
par le mouvement socialiste” tandis que Bedel — et plus tard Jaurès en
France — accepte la colonisation, un mal inévitable, impossible à écarter
dont il faut dénoncer la barbarie des méthodes et favoriser une évolution
rapide vers l’indépendance. En revanche Lénine et Kautsky condamnent
sans appel la colonisation.
Les socialistes apparaissent divisés dans les parlements et dans les
congrès nationaux : les socialistes italiens par exemple approuvent la guerre
de Lybie, les socialistes allemands s’engagent dans une politique coloniale.
La section coloniale du ministère des Affaires étrangères a été créée à
Berlin le 1er avril 1890. Un ministère des colonies486, apparaît en France en
1894, en Italie en 1902, en Allemagne en 1907.
Le Portugal, craignant d’être évincé d’Afrique, propose la convocation
d’une conférence internationale afin de débrouiller les litiges territoriaux
des territoires du Centre africain. L’idée est reprise par Bismark. La
conférence se tient à Berlin du 15 novembre 1894 au 26 novembre 1885. En
vertu de l’article 34 de l’Acte de Berlin, document signé par les participants
à la Conférence, toute nation européenne qui, dorénavant, prendrait
possession d’un territoire sur les côtes africaines ou y assumerait un
“protectorat” devrait en informer les membres signataires de l’Acte de
Berlin pour que ses prétentions fussent ratifiées. C’est ce qu’on a appelé la
doctrine des “sphères d’influence”487.
Après la conférence, les traités devinrent les instruments essentiels du
partage de l’Afrique : traités conclus entre Africains et Européens, traités
bilatéraux conclus entre Européens.
Français et Anglais s’engagèrent dans des campagnes de conquêtes
militaires de 1885 à 1902. Les Français progressèrent du Haut-Niger vers le
Bas-Niger, battirent le damel du Kajoor, Latjor tué en 1886, vainquirent
Mamadou Lamine en 1887 (bataille de Touba-Kouta) et mirent fin à
l’empire soninké. Ils brisèrent la résistance acharnée de Samori Touré, fait
prisonnier en 1898 et exilé au Gabon (1900).
Le Commandant Louis Archinard, après des victoires (Koudran, 1889.
Segou, 1890 et Youri, 1891), détruisit l’empire Tukubor de Segou. Son chef
Ahmadu résista jusqu’à sa mort, à Sokoto en 1898.
Les Français occupèrent et s’établirent en Côte d’ivoire, en Guinée —
colonies en 1893 — au Dahomey en 1894, au Gabon et à Madagascar en
1900. Ils exilèrent la reine Ranavalona III en 1897 à Alger.
Les Anglais lancèrent des expéditions militaires à partir de la Gold Coast
et du Nigéria. Ils occupèrent le nord du pays Ashanti de 1896 à 1898,
l’annexèrent en 1901 et exilèrent Nara Prempeh aux Seychelles. Ils
établirent leur domination sur le Nigéria en combinant la force et la ruse.
Johnston, le consul britannique préféra affronter le roi Jaja d’Opobo en
dehors du champ de bataille. Il l’invita à le rencontrer à bord d’un navire de
guerre de la Royal Navy. Fait prisonnier, le roi fut expédié aux Caraïbes en
1887. Ils occupèrent Bram, le Bénin et le Nigéria méridional en 1900. Ils
s’établirent en Egypte et au Soudan en 1898, à Zanzibar, en Ouganda
(1894) — Les rois Kabarega et Mwanga capturés, furent expédiés aux
Seychelles en 1899. En Afrique centrale, Cécil Rhodes et le British South
Africa Company (BSAC) occupèrent le Mashonaland et contraignirent en
1893 le roi Lobengula à fuir sa capitale.
La conquête de la Zambie s’achève en 1901. Les Allemands s’établirent
au Togo par des alliances appropriées, se débarrassèrent de la résistance des
Konkomba en 1897-1898 et des Kabre en 1890. Au Cameroun, ils
soumirent les principautés peul et entreprirent de briser les résistances en
Afrique orientale en 1888-1907 : contre Abushiri l’indomptable (1888-
1889), les Wahehe (1889-1890) et les chefs de la révolte Maji maji (1905-
1907).
Les Portugais entreprirent de consolider leur domination en Angola, au
Mozambique, en Guinée-Bissau. L’occupation militaire du Congo fut
conduite par Léopold II en 1892-1895, mais la conquête de Katanga
commencée en 1891 dura jusqu’au début du XXe siècle. L’Italie occupa une
partie de l’Erythrée en 1883 et la partie orientale de la Somalie en 1886.
Elle subit en 1896 la défaite d’Adowa. Le Maroc ayant perdu son
indépendance en 1912 — au profit de la France et de l’Espagne — en 1914
seuls le Libéria et l’Ethiopie pouvaient revendiquer une indépendance, tout
au moins nominalement. Aux termes de l’Accord de 1890. les puissances
s’étaient engagées à ne pas vendre d’armes aux Africains. Face aux
guerriers africains utilisant des fusils à pierre ou des mousquets anciens, des
haches et des couteaux de jet, les armées étrangères disposaient des armes
modernes : fusils, mitrailleurs Gatling et Maxim, artillerie lourde, forces
navales (canonnières, croiseurs) et plus tard des véhicules motorisés et
avions.
La conquête de l’Afrique en 1902 apparaît presque terminée. Walter
Rodney insiste particulièrement sur quelques aspects dramatiques du
colonialisme dans son ouvrage How Europe underdeveloped Africa488. Il
souligne ainsi la perte du pouvoir : “Le caractère déterminant de la brève
période coloniale (...) résulte principalement de ce que l’Afrique fut
dépossédée de son pouvoir (...) Pendant les siècles qui précédèrent cette
période, l’Afrique conserva encore dans ses échanges commerciaux une
certaine maîtrise de la vie économique, politique et sociale, bien que ce
commerce avec les Européens se fit à son détriment. Pendant la période
coloniale, même ce peu de maîtrise des affaires intérieures fut perdu (...) Le
pouvoir d’agir en toute indépendance est la garantie d’une participation
active et consciente à l’histoire. Etre colonisé c’est être exclu de l’histoire
(...) Du jour au lendemain, les Etats politiques africains ont perdu leur
pouvoir, leur indépendance, et tout leur sens”489490.
Dans les capitales européennes, les salons de 1900 accueillent les
voyageurs-explorateurs, les militaires, les journalistes qui reviennent
d’Afrique. Ils racontent leurs aventures coloniales chez les anthropophages,
leurs campagnes de guerre, leurs missions, leurs hauts faits d’armes. Plus ils
déclinent leur bravoure, leur stratégie militaire, leur civilisation et moins les
Africains qu’ils décrivent apparaissent comme des hommes. Les tartarins
français en particulier, racistes jusqu’à la moëlle, nous laissent entrevoir les
faces cachées du processus de conquête et de “pacification”.
C’est ainsi que le journaliste Charles Castellani — correspondant spécial
du journal l’Illustration en 1896-98 — raconte son voyage en Afrique aux
côtés du célèbre capitaine Marchand. Il évoque les cannibales qu’il
rencontre et les “principaux chefs coupables... de résister aux conquêtes
françaises. Mabala, dans la région de Macabandilou, Massitou et Mayoké
dans la région de M’Bamou”.
Castellani raconte la mort “du célèbre Mabala ou Macabandilou", chef
redouté et respecté, grand féticheur, exerçant une influence considérable.
Recherché par les Français comme “bandit de grand chemin”, il fut trahi par
une femme.
Le Lieutenant Mangin se chargea de poursuivre les deux autres chefs et
de les châtier. Enfermé dans une cage, Missitou fut fusillé "en présence
d’une centaine de porteurs loangos, de la plupart des chefs Bacongos et
d’un grand nombre d’indigènes, la garnison du poste (de Mbamou), en
armes, formant la haie”491.
Moyoké, pris quelques jours plus tard fut également passé par les armes.
L’Adjudant de Prat lui reprocha ses méfaits, il lui répondit : “A quoi sert ce
que tu me dis là, puisque tu vas me tuer ? Je n’ai pas à te répondre.”
Deux ans auparavant au cours d’une entrevue, Moyoké avait saisi
l’adjudant par la barbe en lui faisant, sur la gorge, avec la lame d’un
couteau, un geste significatif. Prat n’a pas dû être fâché d’avoir enfin “une
si belle revanche”492.
Castellani évoque également les sacrifices humains : le nombre des
captifs sacrifiés à la mort d’un chef serait de trois à trente dans la région
qu’il visite, selon l’importance et la richesse du défunt. A Liranga,
Monounabéka, du village de Bongha, ayant brutalisé et tué le chef A.
Louettière d’un coup de sagaie, est exécuté après un jugement sommaire.
Une expédition dirigée par les Lieutenants Woelffel de l’infanterie de
Marine et Mangin à la tête d’une troupe de cent tirailleurs emmenant cent
cinquante porteurs quittait Beyla le 18 mars 1900 et se dirigeait vers N’zo
dans le bassin du Cavally. Mangin se heurta aux Marions anthropophages.
La mission traversa le pays Blolo où “les populations excessivement
sauvages de cette contrée n’avait pas encore vu d’Européens : poussées par
leurs instincts pillards et par l’espoir d’un gain facile, elles reçurent fort
bien le lieutenant, dès les premiers jours. Leur but caché était de lui tendre,
à Dainné même, une embuscade. Leur plan fut heureusement déjoué, car
s’il eût réussi, nous y aurions perdu la moitié de notre monde. Installé au
sommet de la colline où le village est construit, il fallut subir, pendant deux
jours, les assauts de 6.000 à 7.000 indigènes, tous armés de fusils à pierre,
puis exécuter, durant cinq jours, de nombreuses reconnaissances offensives
pour éloigner les anthropophages qui, épuisés par leurs attaques répétées, se
contentaient d’investir la position dans l’espoir de prendre les défenseurs
par la famine. Le huitième jour, une attaque générale ayant fait subir à
l’ennemi de nombreuses pertes, il se décidait à abandonner la partie. Dans
un des premiers engagements le Lieutenant Mangin avait été blessé de deux
balles à la jambe : les autres pertes furent de deux tirailleurs tués, cinq
blessés et de trois porteurs tués, trois blessés. Quelques jours après, les
Blolos vinrent faire leur soumission ainsi que les autres tribus
environnantes, le Yaro, le llyié, le Gouanné.
Le Lieutenant Mangin rapidement remis de ses blessures, avait demandé
à continuer et, sur la foi en la parole du Yaro, marcha au sud vers le village
de Logoualé pour déterminer la direction de la rivière Zo et se rendre
compte d’une route commerciale aboutissant à ce village. Il n’avait pas
compté avec la fausseté des populations ; celles-ci l’attaquèrent
brusquement au village de Sireuplé. Parti avec 50 hommes et le sergent Van
Cassel, il fut assailli non loin de ce village et ne put gagner Logoualé, à 17
kilomètres de là, que par un combat continuel. Il éprouva des pertes
considérables : 5 tirailleurs tués, 3 blessés et 5 porteurs blessés. Resté
pendant quatre jours pour châtier les rebelles, il rentra sans être inquiété à
Guékangoui. Les blessés furent évacués sur Touba”493.
La mission du capitaine Lenfant, du Niger au Tchad par voie fluviale en
1904 est un triomphe. La Sorbonne le reçoit sous l’égide de la Société de
Géographie. Ces militaires, se présentent en effet comme des explorateurs
et des géographes qui se placent sous les auspices de l’Université.
Plusieurs de ces militaires ganaches ont pu ainsi proliférer en Afrique
dans les champs clos des conquêtes coloniales : Louis Faidherbe (1828-
1889), Joseph Galliéni (1849-1916), Joseph Joffre (1852-1931), Louis
Lyautey (1854-1934), Charles Mangin (1866-1925), auteur du livre La
Force Noire, Henri Gouraud (1867-1946).
Dans sa préface au livre de Paul Vigné d’Octon, La Gloire du Sabre494, le
journaliste Urbain Gohier, auteur de l’ouvrage L’Armée contre la Nation,
stigmatise “la conquête et son cortège de souffrances” : “Voyez ces officiers
qui portent notre uniforme et qui tiennent notre drapeau : fous d’alcool, de
vanité, de cupidité, traitant nos concitoyens civils en ennemis, couverts de
sang et de boue, promenant le massacre, l’incendie, le viol et le pillage sur
un vaste continent, liés tous ensemble par une effrayante complicité, faisant
des régions les plus riantes un désert sans nom, faisant des peuplades les
plus douces un tas d’ossements carbonisés. Les vautours les suivent à la
trace. Ils fusillent leurs propres colonels, plutôt que d’abandonner une part
de leur proie. Ils persécutent et suppriment comme des traîtres ceux d’entre
eux qu’arrête le dégoût. Sur les ruines fumantes, sur les corps mutilés des
créatures inoffensives qu’ils ont égorgées de sang-froid, ils rédigent des
rapports menteurs, ils envoient à la France le récit de victoires imaginaires,
ils volent des grades, ils volent des croix d’honneur, ils volent la gloire,
comme ils ont volé tout à l’heure le pauvre trésor du roitelet nègre. Ils sont
les plus détestables brigands que la terre ait portés depuis les conquistadores
du Mexique et du Pérou. Ils déshonorent la France et le drapeau français. Et
la presse jaune leur fabrique une renommée ; et la foule impudente leur
décerne le triomphe.
Derrière eux, voyez encore ces soldats, tirailleurs, auxiliaires, hier
misérables esclaves, aujourd’hui bourreaux de leurs frères. Ils trahissent
leur race ; ils se font les chiens de chasse du conquérant pour obtenir
quelques os à la curée. A l’ombre des trois couleurs, ils brûlent, ils tuent, ils
torturent, ils assouvissent leurs passions de cannibales, ils se vautrent dans
le sang, ils inventent des supplices pour les blessés, ils déchirent toutes
vivantes les femmes et les petites filles avant de les souiller. Ils vendent,
achètent et revendent des créatures humaines, les captifs que leur
distribuent des officiers français.”
Dans la conquête et l’occupation de l’Afrique, les militaires européens
combattent avec des tirailleurs indigènes. Une complicité difficile à saisir, à
étudier, comme au temps de la traite négrière. L’historien ne juge pas, il
essaie de comprendre et d’expliquer. Le reste est affaire de littérature, de
contes pour enfants et de vents qui soufflent, d’oubli aussi, en fin de
compte. Pour tout effacer de honte, de lâcheté, de haine et de massacres.
Quant au livre de Paul Vigné d’Octon, La Gloire du Sabre, publié en
1900, il faut le lire et le relire. Paul Vigné d’Octon (1859-1943), admis au
concours d’entrée de l’Ecole de médecine navale de Toulon en avril 1880,
débute sa carrière en Guadeloupe le 16 novembre 1881 comme ‘‘aide
médecin titulaire”. Il séjourne pendant deux ans dans l’île, jusqu’en 1883 et
soutient sa thèse de Doctorat le 24 novembre 1883 à la Faculté de médecine
de Montpellier. Il travaille au Sénégal, à l’hôpital maritime de Saint-Louis.
Il participe à l’opération punitive du Rio Nuñez en Guinée. Il entre comme
médecin au service de la Compagnie du chemin de fer Dakar-Saint-Louis. Il
quitte l’Afrique le 7 février 1889. Il démissionne pour se marier à Octon le
24 octobre 1888 et réside à Château d’Octon en 1890, puis à Paris. Il se
lance dans la littérature, écrit des romans et des nouvelles entre 1889 et
1914. Elu député, il siège jusqu’en 1906, proche des socialistes.
Vigné publie en 1900 La gloire du sabre, formule des accusations
précises sur les crimes de la colonne Voulet-Chanoine partie du Soudan en
1899. Chanoine est le fils du Général Chanoine, ministre de la Guerre en
exercice. La “mission”, faute de crédits, doit “vivre sur le pays” : pillant,
massacrant, imposant son contrôle à la population qu’elle rançonne. Le
butin, captifs et bétail, alourdit la colonne en marche qui n’obéit plus à
Paris. L’affaire se termine tragiquement par le drame de Dankari (14 juillet
1899). Après la mort de Chanoine, tué le 16 juillet, et de Voulet le 17, la
mission est reprise en main en janvier 1900. L’administration coloniale jeta
un voile de plomb sur l’affaire et imposa une consigne de silence.
Vigné dénonce aussi l’hypocrisie de l’abolition de l’esclavage en 1848.
Au Sénégal après l’indemnisation des propriétaires d’esclaves, la loi fut
jetée aux oubliettes. Faidherbe, le gouverneur “républicain” du Sénégal, fit
préciser expressément par le Conseil d’administration de la colonne que la
loi ne serait pas appliquée.
La traite négrière à l’intérieur de l’Afrique occidentale française (A.O.F.)
ne fut interdite expressément qu’en 1905, ce qui n’empêcha pas l’institution
de subsister “partout jusqu’à la fin de l’ère coloniale, parfois au-delà : en
Guinée, l’esclavage se maintint au Fouta-Djalon jusqu’en 1957”, en
Mauritanie, l’abolition de l’esclavage demeure une décision bien
théorique...
Dans la troisième partie de son livre, “Crime et folie”, Vigné d’Octon
évoque plusieurs exemples de sadisme dont se rendent coupables les
colonisateurs qui font régner la terreur, tuent, massacrent. en toute impunité,
à l’ombre de l’administration coloniale.
Il stigmatise le comportement et l’activité de Gallieni, le conquérant et le
pacificateur de Madagascar qui a maintenu l’esclavage dans la grande île. Il
dénonce la guerre coloniale qui fait tant de victimes et les agissements des
militaires dans l’affaire d’Ambike et la conquête du Menabé. La conquête
coloniale de Madagascar s’effectue en deux temps : une force
expéditionnaire française sous le commandement du Général Duchesne en
1894-1895 occupe Tananarive le 30 septembre 1895. Galliéni qui débarque
en 1896 termine l’occupation, abolit la monarchie le 28 février 1897 et se
débarrasse de la Reine Ranavalona III.
Paul Vigné d’Octon vitupère contre les massacres perpétrés par des
troupes françaises à Madagascar, au Tonkin et en Nouvelle Calédonie.
Parmi les colonisés massacreurs qui servent les conquérants avec une
fidélité canine, assoiffés de gloire et de médailles, un Guadeloupéen se
distingue à Madagascar et en Indochine — à Saigon et à Haïphong — :
Mortenol495.
La Conférence Panafricaine de 1900

Les historiens qui se sont intéressés à la Conférence de Londres ont dû


fonder leur analyse sur les sources disponibles, en majorité des documents
rédigés en anglais se classant en trois catégories : 1. le Rapport de la
conférence, les récits et comptes rendus personnels des organisateurs et
participants ; 2. les travaux de la conférence ; les articles concernant la
conférence publiés dans la presse de l’époque.
Je verse au dossier de la Conférence non seulement le Rapport
authentique — publié ici pour la première fois depuis sa rédaction en 1900
— mais le compte rendu rédigé par le Haïtien Benito Sylvain dans son livre
publié en 1901, Du Sort des Indigènes dans les Colonies d’Exploitation496.
Cette œuvre, à l’origine une thèse de doctorat en droit présentée en 1899 à
la Faculté de Paris, n’a pas retenu l’attention des historiens comme elle le
méritait. Cet ouvrage écrit en français nous paraît indispensable à la
compréhension des origines du mouvement panafricain.. L’étude de ce
document donne un nouvel éclairage à la Conférence de Londres de 1900.
Plus tard, en 1917, l’évêque Alexander Walters décrivit la Conférence dans
son autobiographie, My Life and Work497. Il avait déjà rédigé en 1901 un
compte rendu qu’il jugea incomplet.

L’idée panafricaine : les origines du projet de Conférence


Plusieurs personnalités ont revendiqué plus tard au XXe siècle avoir été
les inspirateurs du projet panafricain : Thomas T. Fortune et W.E.B, Du
Bois par exemple.
Benito Sylvain, dans son Rapport sur la Conférence panafricaine de
1900498, souligne son action, l’influence qu’il exerça comme “délégué
général de l’Association Panafricaine” : “nous en avons ôté le principal
promoteur”, indique-t-il. Que signifie ce mot, “promoteur”, pour Sylvain ?
Faut-il comprendre par là qu’il se présente comme “la personne qui donna
la première impulsion, l’idée panafricaine, qui en provoqua la création et la
réalisation ?
B. Sylvain cite la lettre du 2 janvier 1895 adressée à Anténor Firmin,
“alors de passage à Paris”. Il lui soumet un projet qui vise à “faire avancer
d’un grand pas l’œuvre de la réhabilitation de la race noire". Critiquant
comme Firmin les “détracteurs” de la “race noire” partisans de “la funeste
théorie des races inférieures et des races supérieures”, Benito Sylvain lui
propose : “Pour la révision de ce grand procès... de faire appel à la loyauté
des savants les plus illustres. Chaque pays déléguerait un ou plusieurs
représentants, afin de constituer un aéropage imposant. Ces hommes
compétents, auxquels se joindraient naturellement les porte-paroles les plus
autorisés de la race calomniée, pourraient se réunir en Congrès, à la
prochaine Exposition universelle de Paris”. La réponse de Firmin499 est
immédiate et chaleureuse :
“J’ai reçu votre lettre d’hier, que j’ai lue avec un vif intérêt.
C’est assurément une idée absolument neuve et fort belle, que celle que
vous émettez de provoquer un Congrès de savants des différentes nations du
globe, afin de discuter, durant l’Exposition universelle de Paris, en 1900, la
question si controversée et si passionnante de l’égalité ou de l’inégalité des
races humaines. Ainsi le vingtième siècle s’ouvrirait en portant la lumière
sur un problème dont la solution doit influer puissamment sur l’orientation
de la politique et de la philosophie”.
Firmin, dans sa lettre, souligne l’importance du facteur colonial et pense
que “l’on peut, sans être prophète, prédire que toute la politique de la
première moitié du XXe siècle, au moins, sera dominée par les questions
coloniales”. B. Sylvain avait l’intention de développer son projet de
Congrès en s’appuyant sur son journal La Fraternité, fondé à Paris en 1890.
Autour de ce journal s’était constituée une solide équipe de collaborateurs
parmi lesquels se distinguaient Anténor Firmin, le Sénateur de la
Guadeloupe Isaac, le député de la Guadeloupe Gaston Gerville-Réache et
des personnalités françaises.
Benito Sylvain, qui pensait être dûment qualifié pour mener à bien ce
projet, se heurta à des “circonstances très fâcheuses” qui, entre 1896 et
1900, ne lui permirent pas de se consacrer à la préparation de “ce grand
Congrès ethnologique”. Au vrai, le journal La Fraternité cessa de paraître
en 1897 après une cabale formée des opposants haïtiens qui obtinrent la
suppression, en 1895, de l’allocation votée au journal par le Parlement, à
titre de “récompense nationale”.
Selon Sylvain, c’est en décembre 1897, revenant de Haïti après son
premier voyage en Ethiopie, qu’il rencontra, à Londres, Booker T.
Washington. Ils décidèrent ensemble d’adhérer à l’Association Africaine
“qui venait d’être constituée à Londres par les soins zèlés d’un pasteur, le
Rév. Joseph Mason, et d’un jeune étudiant, Henry Sylvester Williams,
originaire de la Trinidad”.
A Paris, deux mois plus tard, en février 1898, Sylvain fondait
l’Association de la Jeunesse Noire. Est-ce dans ce cadre associatif qu’il
participa aux préparatifs d’un “Congrès” dont “l’idée fut reprise, mais dont
le plan primitif dut être modifié” ?
Nous devons nous arrêter plus longuement sur cet “étudiant trinidadien"
évoqué par Benito Sylvain précédemment, pour mieux approfondir les
origines du projet panafricain.

Henry Sylvester Williams, instituteur et avocat trinidadien


La famille Williams était originaire de la Barbade. Elle émigra vers
Trinidad pour travailler sur les plantations où les employeurs préféraient la
main-d’œuvre locale aux nouveaux arrivants indiens. Les travailleurs
venant de Barbade avaient la réputation d’être sérieux, durs à la tâche,
indépendants et n’ayant pas besoin d’être protégés comme les immigrants
indiens. Cependant, cette dernière main-d’œuvre, plus économique pour les
planteurs, s’imposa durablement jusque dans les années 1920-1925.
Le père de Henry Sylvester Williams, Henry Bishop Williams, était un
ouvrier agricole spécialisé dans la réparation des roues d’attelages. Henry
Sylvester Williams, l’aîné des enfants, naquit le 19 février 1869. Il avait
cinq frères et sœurs : Aurora ou Soli, Violet, Ruth, Hamilton et Rufus.
Henry reçut le surnom de “Bucky”. Son éducation fut très rigoureuse. Ses
parents observant le sabbat donnèrent à leurs enfants une éducation
religieuse et ils évoquaient devant eux des histoires de personnalités Nègres
célèbres cie Barbade comme Samuel Jackman Prescod et William Conrad
Reeves. Prescod qui passait pour “l’homme public le plus intelligent de la
Barbade au XIXe siècle", était politicien et journaliste. Il fonda le Liberal et
fut élu en juillet 1844 membre de l’Assemblée de Bridgetown. Il se heurta à
l’opposition des propriétaires terriens. C’est lui qui incita les ouvriers
agricoles à émigrer vers Trinidad et la Guyane Britannique pour échapper à
l’oppression des planteurs blancs de la Barbade500. Reeves était le fils d’une
esclave et d’un Nègre de Philadelphie arrivé à la Barbade au début du XIXe
siècle avec ses deux sœurs. Il débuta comme journaliste-reporter au Liberal
puis partit pour Londres pour se former comme avoué. Il revint en 1864 et
fut élu en 1875 à l’assemblée.
Henry Sylvester Williams naquit à Arouca, un village de Trinidad créé en
1847 par d’anciens esclaves qui avaient acheté plusieurs lots de terrain à
l’administration coloniale. Le village d’Arouca était situé entre la capitale
Port-of-Spain et la municipalité d’Arima, à l’intérieur de l’île. Il y avait
trois écoles élémentaires dans le village : l’école gouvernementale, l’école
catholique et l’école presbytérienne. Le pasteur presbytérien, un Jamaïcain
d’ascendance africaine, le Révérend William Fraser Dickson, arrivé en
1862, devint l’ami de Williams et son plus fervent adepte dans l’Association
Panafricaine. Il avait édifié la première église presbytérienne du village et
ouvrit la première école presbytérienne dans sa propre maison501.
Une influence africaine se manifesta à travers une certaine tradition
religieuse dérivant des Yorubas. Plusieurs dieux africains se profilaient
derrière les saints de l’Eglise catholique comme Shango, le dieu du Fer et
de la Guerre et Yemaya la déesse de la Mer. L’Afrique était aussi présente
avec ce roi Jaja des Opobo que les Anglais avaient déporté aux West Indies
en 1887, à l’île de Saint-Vincent, l’ancien bastion des Black Karibs.
L’arrivée du roi Jaja en Grenade à bord du paquebot HMS Icarus attira une
foule impressionnante de Noirs qui furent déçus de ne pas le voir502.
Pour certaines personnes à Trinidad. la proximité de l’Afrique ne faisait
pas de doute à cette époque. Williams et sa famille, qui appartenaient à
l’Eglise d’Angleterre, contribuèrent à rassembler des fonds pour la West
Indian Mission sur le Rio Pongo en Afrique de l’Ouest. La West Church
Association avait été fondée en 1855 à Codrington College, en Barbade —
une institution créée pour la formation du clergé — par un Anglais, le Rév.
Richard Rawle et d’autres personnalités. Ils avaient senti l’importance du
“zèle missionnaire" dans les West Indies et résolurent de former des
pasteurs pour l’Afrique. Un des élèves de Rawle, le Rév. Philip Henry
Douglin, Noir de la Barbade, après avoir servi pendant dix sept ans à la
Mission du Rio Pongo, fut l’invité d’une manifestation à San Fernando le
1er août 1888. Il affirma avec force l’idée que c’était le devoir de tout Noir
de Trinidad de participer à la conversion de l’Afrique503.
Le jeune Henry S. Williams alla à l’école primaire de cinq à quinze ans.
A la fin de sa scolarité, il entra à l’Ecole Normale de Port-of-Spain pour
devenir instituteur en trois ans. Le principal de cette école (la Men’s Normal
School) était un Anglais, James Henry Collens, un “liberal realist”, un
“Good Templar” et un “temperance activist”504. Williams y aurait rencontré
un étudiant d’origine africaine, prince de surcroît, le fils du roi Kofi
Karikari d’Asante qui avait été destitué par les Anglais. Le prince Kofi
Intim avait lui-même signé — avec dix-neuf autres chefs — le traité de
soumission à la Grande-Bretagne à Cap Coast en mars 1874. Les
Britanniques avaient accepté qu’ils soient envoyés en Angleterre pour leur
éducation. Selon Frederick Charles Fuller, auteur de l’ouvrage A Vanished
Dynasty, Ashanti, Kofi Intim avait suivi des cours à l’école du Comté de
Surrey puis avait ôté envoyé à Trinidad et par la suite, en Gold Coast avec
une bourse de 120 livres Sterling par an505. Le prince Kofi Intim était arrivé
à Trinidad en juillet 1891. On le décrit comme étant “de petite taille”, suivi
d’une foule de personnes qui l’accompagnait quand il allait avec J.H.
Collens à l’église. On l’appelait “le Prince Noir”506. La présence de ce
jeune Africain a eu une influence certaine sur les étudiants trinidadiens et a
sensibilisé leur intérêt pour l’Afrique, un continent qu’ils ne connaissaient
que sous son aspect légendaire.
Le programme des études était comparable à celui d’un collège anglais
analogue. Il n’y avait pas de boursier. A la fin des cours, les élèves
passaient un examen comprenant une lecture, une dictée, l’histoire de
l’Angleterre dans ses grandes lignes, la grammaire anglaise, le Lycidas de
Milton, la géographie, la pédagogie, l’algèbre et la musique507. Ils
obtenaient ainsi le certificat d’aptitude à l’enseignement. Williams avait
environ dix-sept ans quand il passa son examen en 1886 à la Boy’s Model
School. Il fut l’un des sept candidats qui passèrent un certificat de classe III,
et fut le seul candidat certifié à enseigner la musique vocale. Il y avait à
Trinidad à cette époque seulement huit enseignants qualifiés pour enseigner
la musique vocale508.
Trop jeune pour enseigner malgré son diplôme, il dut attendre un an pour
recevoir une affectation dans une école. Il enseigna alors à Port-of-Spain à
l’Eastern Boy’s Government School509 en 1886. Les instituteurs étaient très
mal rémunérés. En 1887, il fut nommé instituteur à l’école La Fortune-
Bien-Venue Government School à San Fernando, deuxième ville de l’île. La
plupart de ses élèves étaient des enfants d’émigrants indiens qui
travaillaient sur des plantations appartenant à une firme de Glasgow, la
compagnie Charles Tenant et à une compagnie coloniale possédant l’usine
Sainte-Madeleine510.
Peu après son arrivée comme instituteur, il rencontra le 24 février un
pasteur noir, le Rév. Philip Douglin qui avait servi comme missionnaire en
Afrique de l’Ouest. Ils devinrent des amis et le restèrent pendant longtemps.
A la fin de l’année 1887, Williams fut envoyé à Canaan, dans le voisinage
de San Fernando, près d’une plantation de canne à sucre appartenant à un
propriétaire absentéiste écossais, Lamont. Malgré sa jeunesse, la carrière de
Williams au cours des deux premières années fut brillante. Au début de
1889, il fut nommé à la San Juan Government School près de Port-of-Spain,
non loin de son village d’Arouca. C’était une région rurale, une paroisse
catholique dominée par la personnalité “illuminée" du curé français
créolophone, le père Forestier. Un rapport de cette époque laisse apparaître
l’admiration que portaient à Williams parents d’élèves et habitants de la
région. Il participa en juin 1889 à une réunion d’instituteurs à la Boy’s
Model School, organisée par Antoine Fortune, directeur d’une école
catholique. Il fut décidé à cette occasion, de créer une association
d’enseignants, d’élire Collens président et Fortune, secrétaire511. En janvier
1890, le Trinidad Elementary Teacher’s Union était officiellement lancé
après une assemblée inaugurale sous la présidence de Collens. Le salaire de
Williams était très bas, à peine soixante livres par an, malgré son certificat
de classe III. Les autres collègues hommes qui, après des années
d’expérience, avaient atteint la classe I, recevaient au maximum une
centaine de livres. Quant aux femmes, leur salaire était encore inférieur.
Willams préféra partir, il choisit de se rendre aux Etats-Unis pour trouver un
autre travail, plus lucratif, gagner sa vie et satisfaire ses ambitions.
Il émigra en 1891 aux Etats-Unis. On connait peu sa vie à New York.
Que fit-il ? Où travailla-t-il ? Son diplôme ne lui servit à rien et il dut pour
survivre, exercer un travail manuel ou servir comme employé de maison. Il
semble que le concept d’Afro-Américain ait été popularisé par Timothy
Thomas Fortune, le confident de Booker T. Washington, directeur du
journal New York Age512. Fortune, journaliste militant, devint plus tard un
critique sévère de la cause panafricaine que soutenait Williams513.
T.T. Fortune était président de la National Afro-American League
constituée à Chicago en 1889. Plus tard, il succéda à l’évêque Alexander
Walters (African Methodist Episcopal - A.M.E Zion Church) au National
American Council. Fortune et son coéditeur Jerome B. Peterson publièrent
également en souscription, comme le New York Age, deux autres journaux,
Afro-American Press et Black Phalanx514.
Fortune, qui avait une certaine influence dans la communauté noire de
New York, déclara plus tard qu’il aurait été l’inspirateur du projet
panafricain de Williams et de la Conférence de Londres de 1900515.
Thomas Thimothy Fortune (1856-1928), journaliste, “editor” et
écrivain, naquit à Marianna (Floride). Après la Guerre de Sécession, à
l’époque de la Reconstruction, son père obtint un emploi de “State
legislator". Un membre du Congrès, William J. Purman, aida le jeune
Fortune à obtenir un travail d’inspecteur des Douanes au Delaware. Il
suivit des cours à la Howard University. Diplômé en 1881. il se rendit à
New York et devint directeur du Globe, un hebdomadaire s’adressant aux
Noirs. Fortune lança en 1884 le magazine Freeman de New York. Il
publiait la même année Land. Labor and Politics in the South (1884) et
The Negro in Politics en 1885. Plaidant l’égalité des droits entre Blancs
et Noirs, il organisa en 1887 Afro-American League qui revendiquait la
totalité des droits civiques, y compris le droit de vote, pour les Nègres. Il
réclama également une loi interdisant le lynchage et une distribution
équitable des fonds scolaires. La Ligue Afro-Américaine compta vers
1890 des délégués dans vingt-et-un Etats. Dans la décennie 1890-1900,
Fortune s’enthousiasma pour Booker T. Washington (1858-1915). Il
publia le New York Age, un journal favorable aux thèses de B.T.
Washington et collabora à la rédaction de son autobiographie. Mais ils
rompirent leurs relations à cause de l’alcoolisme de Fortune et de ses
attaques incessantes contre Monroe Trotter et George Forbes, deux
hommes qui militaient pour l’égalité des droits516.
Fortune participa, malgré certaines réticences — dues à la présence
des Blancs libéraux et socialistes — à la fondation de la N.A.A.C.P.,
National Association for the Advancement of Colored People. Il quitta
cette organisation en 1914 et se mit à attaquer avec véhémence autant
Booker T. Washington que Du Bois. Fortune fonda le journal Sun à
Washington et dirigea, peu avant son décès en 1928, le Negro World,
organe majeur de l’U.N.I.A., Universal Negro Improvement Association.

Le journal New York Age évoquait très souvent l’activité des églises
noires, des mouvements politiques et de la campagne de l’évêque Henry Mc
Neal Turner (A.M.E.) pour l’émigration des Noirs vers l’Afrique. Plusieurs
articles étaient consacrés aux mouvements du Rév. Dr Alexander Walters,
pasteur de la Mother Zion A.M.E. Church, très populaire comme prêcheur
dans la communauté noire. On ne sait pas quand Williams et lui se
rencontrèrent, mais ils collaborèrent plus tard très étroitement dans la Pan-
African Association (Association Panafricaine). A cette époque, dans le
Sud, se faisait sentir dans les communautés noires une “fièvre africaine”517.
Un puissant désir d’émigrer au Libéria se manifestait, comme en
témoignent le grand nombre de Noirs qui demandaient à l’A.C.S. de les
inscrire pour se rendre en Afrique. Malheureusement, beaucoup de
personnes volontaires pour émigrer, furent trompées par des promoteurs
sans scrupule.
C’est à New York sans doute, que Williams entendit parler du plan de
“Retour en Afrique” (“Back to Africa”) de l’évêque Turner. Le journal New
York Age attaqua ce plan, tout en admettant que c’était une idée
intéressante. Turner se faisait alors l’avocat d’un courant d’émigration de
“100 000 à 150 000 gens de couleur”518. Il présenta son plan au cours d’une
réunion à la Bridge Street Church à Brooklin avant son départ en Afrique en
octobre 1891519. A la tribune se trouvait Thomas Mc Gants Stewart, un
avocat noir, démocrate et membre de l’administration de la Brooklin School.
Stewart avait travaillé au Libéria et il s’associa plus tard avec Williams au
cours de son séjour dans ce pays520. Malgré ses critiques du plan de Turner,
Fortune publia le point de vue de Stewart qui lui était plus favorable. Il
suggérait que tous les participants, avant d’entreprendre leur voyage vers
l’Afrique, devaient séjourner au Kansas, en Californie, ou dans un autre
Etat de l’ouest pour acquérir la formation nécessaire et s’acclimater521.
Williams passa deux ans aux Etats-Unis. A cause des barrières raciales et
des difficultés pour trouver un emploi décent, il se rendit au Canada et
s’inscrivit à l’université de Dalhousie, à Halifax en Nova Scotia522. cette
université fondée en 1821 avait été réorganisée en 1864 et agrandie par
l’adjonction d’une faculté de médecine et d’une faculté de droit. Williams
fut inscrit comme étudiant en droit pendant la session universitaire de 1893-
1894523. Mais il n’est pas possible de savoir quelles furent les études
suivies, ni combien de temps il passa à Dalhousie. Dans la province
canadienne de Nova Scotia se trouvait un grand nombre de Noirs, dont les
ancêtres avaient été soit des Loyal Blacks, des esclaves ayant fui les Etats-
Unis et des nègres cimarrons capturés pendant la Deuxième Guerre des
“Maroons" de Jamaïque à la fin du XVIIIe siècle524.

Henry Mc Neal Turner (1834-1915), évêque de l’African Methodist


Episcopal Churcb (A.M.E. Church), naquit près d’Abbeville en Caroline
du Sud. A la mort de son père, il travailla comme ouvrier agricole dans
les champs de coton et entra en apprentissage chez un forgeron. Il apprit
à lire à l’âge de 15 ans et servit comme employé dans une étude de
juristes où il apprit à écrire. Il devint membre en 1853, de l’A.M.E.
Church et obtint l’autorisation de prêcher. Célèbre parmi les Noirs, il fut
ordonné diacre en 1860 et s’établit comme pasteur de l’Eglise Israël à
Washington en 1862. Le Président Lincoln le nomma aumônier des
armées en 1863, attaché au 1er Régiment des troupes noires. Il quitta
l’armée pour créer l’A.M.E. Church en Géorgie. Turner participa à la
création du Parti républicain de Géorgie et fut élu délégué à la Georgia
Constitutional Convention de 1867.
Nommé Post-master à Macon (Georgie) par le Président Grant, il dut
quitter ce poste, en butte aux vexations sans nombre des Blancs.
Fonctionnaire du gouvernement, il occupa différents emplois, inspecteur
des Douanes, policier, enquêteur, jusqu’à ce qu’il devienne gérant de
l’African Methodist Episcopal Book Concern à Philadelphie. Evêque de
son Eglise en Géorgie de 1880 à 1892, Turner devint chancelier du
Morris Brown College d’Atlanta de 1892 à 1904. Il voyagea beaucoup,
visita l’Afrique du Sud et l’Afrique occidentale où il implanta l’African
Methodism. Il se fit l’avocat du retour des Nègres en Afrique. Il créa
plusieurs journaux et magazines : The Southern Christian Recorder en
1889 et The Voice of the Missions en 1892. Il publia en 1885 The Genius
and Method of Methodist Policy.

Une esquisse biographique de Williams publiée en 1906 nous apprend


qu’il voyagea à travers le Canada et les Etats-Unis525. Est-ce pour son
travail qu’il fit de tels voyages ou pour une autre raison ? On ne le sait pas.
D’après l’historien J.H. Hooker, qui interrogea ses enfants, il semble que
Williams paya ses études en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada)
comme cireur de chaussures, plongeur dans des restaurants et serveur dans
une pension de famille pour étudiants526. Son activité religieuse demeure
aussi peu connue : assista-t-il comme on le suppose à la convention
organisée par l’évêque Turner à Cincinnati en novembre-décembre 1893, au
cours de laquelle fut évoqué un éventuel retour en Afrique527 ? Ce qui est
certain, c’est qu’il arriva en Angleterre en 1896 et s’inscrivit
immédiatement au King’s College de l’université de Londres.
L’année 1896 fut marquée par la sévère défaite infligée aux armées
italiennes à Adowa par les troupes de l’empereur d’Abyssinie, Ménélik.
Williams rencontra à Londres un ami, le Lieutenant Emmanuel M’zumbo
Lazare, qui défila le 20 juin 1897 à l’occasion du Jubilee Sunday dans les
régiments d’artillerie représentant Trinidad528. Le père de Lazare était
guadeloupéen, membre du régiment des chasseurs d’Afrique de France, qui
avait séjourné à Trinidad au début du XIXe siècle. Williams s’engagea dans
les affaires publiques grâce à ses cours et s’inscrivit comme étudiant au
Gray’s Inn le 10 décembre 1897529, après avoir passé avec succès un
examen d’entrée comportant l’anglais, le latin et l’histoire. Il suivit des
cours de jurisprudence (englobant le Droit international, le Droit civil
romain, le Droit de la propriété et le Droit criminel). Parmi les étudiants
inscrits au Gray’s Inn à cette époque, Williams rencontra un camarade
d’enfance, Richard E. Phipps. Il se lia d’amitié avec d’autres Caribans
comme Charles S. René et William Grell de Trinidad, George J. Christian
de Dominique, instituteur comme lui. Williams passa son examen de droit
romain trois mois après son inscription530 et, deux mois plus tard, ceux de
droit constitutionnel et d’histoire du droit531.
Il se maria avec une Anglaise blanche. Il croyait en l’égalité des
“races”532. Son épouse, Agnes Powell, était un peu plus âgée que lui. Elle
était la fille aînée du Major Francis Powell, un franc-maçon réputé
conservateur533 qui habitait avec sa femme à Gillingham, clans le Kent.
Agnes Powell. une femme de trente-deux ans, travaillait comme secrétaire
de la Not-Forgotten Association, à l’intérieur de l’Eglise de l’Army
Temperance Society. Cette Eglise d’Angleterre avait son siège à Deansgate
dans le Westminster534.
Le père d’Agnes était un homme doté d’une très forte personnalité. Il
était né en 1842, à Stourbridge, et s’engagea en avril 1861 dans les Royal
Marines. Il servit sur plusieurs bateaux, y compris sur le navire-amiral au
Cap, de 1865 à 1867. Pendant vingt-et-une de ses trente-six années de
service, il fut sous-officier, attint le grade d’adjudant, puis à Chatham, passa
officier, chargé de l’intendance. Il prit sa retraite le 11 mars 1897, à
l’époque où sa fille rencontra Williams. Il fut rappelé et promu capitaine
pendant la Guerre des Boers, et termina sa carrière militaire comme
major535.
Agnes Powell et Henry Sylvester Williams se marièrent en 1898. Sa
femme se montra une compagne parfaite jusqu’à la mort de son mari en
1911. Elle mit au monde cinq enfants dont trois survécurent. Elle vécut
constamment avec lui, partageant les moments difficiles, comme lorsqu’ils
vécurent à Londres et à Port-of-Spain. Elle souffrit d’être rejetée par tous à
la mort de son mari, et du manque d’argent. Mais elle ne regretta jamais sa
décision et défendit courageusement sa mémoire jusqu’à sa propre mort.
C’est à l’époque de son mariage en 1898. que Williams commença à
s’adresser à plusieurs directeurs de revues pour leur parler de l’Afrique536.
Il existe dans les Williams Papers, parmi les documents appartenant à son
fils aîné, Henry Francis Sylvester Williams à Barataria, à Trinidad, deux
lettres de Williams à sa femme. La première écrite le 20 décembre 1897, dix
jours après son admission comme étudiant en droit à Gray’s Inn, l’invitait à
prendre une tasse de thé deux jours plus tard. Trois semaines après, Agnes
Powell et sa sœur Amy, participèrent à la réunion des membres et des amis
de l’African Association à Exeter Hall537. Le mariage se fit en 1898, malgré
l’opposition du Capitaine Powell qui trouvait incompatible l’union de sa
fille et d’un Nègre. En revanche, Madame Powell et sa fille Amy
favorisèrent le mariage. Le Capitaine Powell persista dans son opposition et
ne voulut jamais recevoir son gendre ; Agnes se rendit seule chez ses
parents à Gillingham. Leur premier enfant, Henry Francis Sylvester, naquit
en 1899538.
En 1897 ou 1898 — en tout cas après le “Diamond Jubilee” de 1897 —
Williams dispensa un enseignement traitant de Trinidad dans le cadre des
cours populaires du samedi après-midi portant sur l’empire britannique au
South Place Institute, à Finsbury. Ses cours se prolongèrent pendant trois
ans, de 1895 à 1898, comprenant une centaine de conférences qui furent
publiées en cinq volumes. Williams et six Indiens étaient les seuls non-
Européens parmi les conférenciers qui parcouraient “plusieurs provinces de
l’empire”539. Williams se déclara nettement partisan d’un gouvernement
comprenant des représentants du peuple et se dressa contre la colonie de la
couronne qu’il stigmatisa comme étant “un système sans cœur... synonyme
d’un mépris racial" (“heartless System... which is a synonym for racial
contempt”). Il souligna les implications racistes d’un conseil législatif, à
Trinidad, ne comprenant que des Blancs, non élus, dans une communauté à
majorité non blanche. Il affirmait également, sans fioritures de langage :
"l’impôt sans représentation est un crime odieux” (“taxation without
representation is a gross crime")540.
Williams rédigea un pamphlet intitulé The Peoples Case qu’il envoya aux
membres du Parlement en mars 1899541. Il avait rassemblé autour de lui
quelques Trinidadiens vivant à Londres et exprimé ses idées sur les
réformes politiques indispensables à Trinidad. Ils constituèrent une
députation qui rencontra un groupe de parlementaires sous l’égide du
Cobden Club, un groupe de pression du parti libéral s’occupant de
questions commerciales, Dans son pamphlet, Williams dénonçait les
rapports existant entre le gouverneur et les riches colons sucriers, tandis que
les petites gens, les cultivateurs de café, fruits, et légumes n’étaient pas pris
en considération. Il protesta aussi contre la récente suppression du conseil
municipal de Port-of-Spain, une décision du ministre des Colonies Joseph
Chamberlain, et terminait en réclamant “le droit universel de tout sujet
britannique : une représentation avec l’impôt”. Williams paraissait
déterminé à ignorer la volonté de Chamberlain exprimée en 1895, de
refuser une représentation coloniale.
Williams affirma plus tard, en 1901, qu’il avait été le “Premier homme
noir” à parler à l’intérieur de la Chambre des Communes542. Chamberlain
se référa à cette députation en répondant un peu plus tard à une question
posée à la Chambre des Communes par l’honorable Sir Charles Dilke. Il
déclara à cette occasion, qu’il était “absolument impossible” d’octroyer un
gouvernement représentatif aux West Indies et “parfaitement absurde”
d’accorder le droit de vote à “la population Nègre” parce qu’elle n’en valait
pas la peine. Malgré les mérites d’un tel avocat, et de ses amis, cette
campagne visant à doter Trinidad d’une réforme constitutionnelle ne
pouvait pas réussir. Comment imaginer une telle avancée institutionnelle à
une époque où triomphait l’impérialisme anglais, et où sévissait un ministre
des colonies aussi réactionnaire et raciste que Chamberlain. Williams qui
avait montré sa parfaite connaissance de la situation politique de Trinidad,
fut très déçu de cet échec. Il reporta son attention, ses espoirs et ses
ambitions sur les problèmes africains. Parmi les amis qui signèrent avec lui
le document remis aux parlementaires britanniques, se retrouvent les noms
suivants : H. Hamel-Smith, R. Sydney Smith Jr., H.A. Alcazar, A. Pulcherie
Pierre, R.E. Phipps, F. Matthew Simmonds, William Grell et C.S. René543.

Biographie de Henry Sylvester Williams


1869, 19 février : Naissance de Williams à Arouca, Trinidad.
1886 : Diplômé d’une Ecole Normale
1887 : Nommé directeur d’une école primaire
1891 : Émigration aux Etats-Unis
1893 : Inscription à l’Université Dalhousie, Halifax, Nova Scotia,
Canada, à la faculté de droit.
1896 : Arrivée à Londres, en Angleterre, et inscription au King’s College.
1897, 24 sept. : Création de l’African Association.
10 déc. : Inscription en droit au Gray’s Inn.
1898 : Tournée à Birmingham, Manchester, Liverpool, Edimbourg,
Stirling, Dundee, Glasgow, Belfast, Dublin et dans plusieurs places de la
banlieue de Londres pour mettre sur pied un conseil visant la préparation
d’une conférence.
1900, 23-25 juillet : Conférence Panafricaine au Westminster Town Hall,
à Londres
6-7-8 août : Participation au Congrès Antiesclavagiste à Paris.
1901, mars-juillet : Voyage en Jamaïque et à Trinidad en tant que
secrétaire général de la Pan-African Association. Création de filiales,
avril : la Pan-African Association est dissoute à Londres en l’absence de
Williams.
7-9 août : Participation à la IVe rencontre annuelle du National Afro-
American Councils Philadelphie, Pennsylvanie.
4 sept. : Arrive à Londres avec l’évêque Walters.
13 sept. : Réunion de la Pan-African Association au South Place Institute
à Londres, et re-création de l’Association Panafricaine. octobre : Premier
numéro de The Pan-African
1902, Il juin : Nomination au barreau par le Gray’s Inn ; débuts comme
avocat.
1903, sept. : Émigration en Afrique du Sud
29 octobre : Engagement comme avocat au Barreau du Cap de Bonne
Espérance
1904 : Voyage au Basutoland à l’invitation du Roi Lerothodi.
1905 : Retour à Londres et sélection comme candidat libéral au
Parlement.
1906, 2 nov. : Election au conseil de St. Marylebone Borough de
Londres.
1908, janvier-février : Voyage au Libéria à l’invitation du Président
Barclay. Prononce une conférence à l’assemblée annuelle du Barreau
National Libérien. Voyage en Guinée et Sierra Leone, avant de retourner
à Londres.
28 août : Arrivée à Trinidad, en provenance de Londres.
1911, 26 mars : mort de H.S. Williams.

La création de l’“Association Africaine” en 1897


Conscient des difficultés qu’il rencontrait pour faire évoluer le statut
colonial de Trinidad comme il le souhaitait, Williams se tourna alors vers
l’Afrique. En 1897, dans les salons de Londres, on évoquait les noms de
Cecil Rhodes et de Jameson Raid, on parlait de la deuxième guerre contre
les Matabele, et des luttes au Mashonaland. Williams connaissait mal les
problèmes africains à son arrivée à Londres. Il fit la connaissance d’une
Africaine qui l’éclaira sur la situation en Afrique du Sud, et sur la condition
des mineurs. A Birmingham, il rencontra Mme E.V. Kinloch, originaire de
Natal, la femme d’un ingénieur écossais, spécialisé dans les diamants.
Williams, qui prononçait plusieurs conférences à travers le Royaume Uni,
l’invita à parler au cours d’une de ces réunions, et fut impressionné par ses
talents d’orateur544.
Selon Emanuel M’zumbo Lazare, qui participa à Londres aux
célébrations du soixantième anniversaire de la Reine Victoria en défilant
comme officier des Trinidad Light Infantry Volunteers, Mme Kinloch
souhaitait devenir membre du club des écrivains, présidé par Lady Henry
Somerset. Lady Somerset la présenta à l’Aborigines Protection Society
(A.P.S.)545 et à Chamberlain546. Williams fut très impressionné par la
personnalité de cette ‘femme de notre race”, qui évoqua la misère des Noirs
en Afrique du Sud547. Elle reçut non seulement l’aide de l’A.P.S., mais
aussi, de la Women’s Temperance Association. Williams et Mme Kinloch
entreprirent ensemble d’organiser une campagne humanitaire au profit des
Sud-Africains, au début de l’année 1897. Ils furent épaulés dans cette
campagne, par deux organisations humanitaires qui s’occupaient depuis
longtemps des peuples indigènes d’Afrique, en particulier l’A.P.S. et la
Foreign Anti-Slavery Society.
Williams créa l‘African Association le 24 septembre 1897, et devint son
secrétaire général548. Le secrétaire de l’A.P.S., H.R. Fox-Bourne, sollicité
par lui, se joignit à l‘African Association comme membre honoraire. Le
directeur du journal New Age, Fletcher, adhéra également à l’Association.
Mme Kinloch profita de ses relations pour lui envoyer un article dans lequel
elle condamnait le comportement des missionnaires britanniques, et le cruel
traitement qu’ils infligeaient aux Africains549. Leurs activités humanitaires
étaient régulièrement évoquées clans l’hebdomadaire New Age, lu par tous
les membres de l‘Association Africaine.
A la fin du mois d’août, des “rebelles” africains soumis au Bechuanaland
furent conduits à la ville du Cap et loués à des fermiers, dix shillings par
mois. “Si ça n’était pas de l’esclavage, de quoi s’agissait-il ?”, s’indigna
New Age550. Williams décrivit dans un article publié dans le Mirror du 1er
juin 1901, la condition des “prisonniers” de la guerre du Matabele, de
“pauvres malheureux” consignés à Capetown par la Chartered Company et
vendus “sur la place, comme aux bons vieux jours de l’esclavage aux Etats-
Unis”. Selon lui, cette affaire a “tellement ému l’opinion britannique que
des débats surgirent de toute part”. Mme Kinloch parcourut tout le pays,
prononçant plusieurs conférences sur cette question.
Williams, depuis son arrivée en Angleterre en 1896, s’était fait quelques
amis. Il s’entoura d’un “groupe d’Africains en Angleterre représentant
l’opinion des Naturels”, sur des questions nationales affectant le destin de la
"race africaine”551. L‘Association Africaine qu’il fonda le 24 septembre
1897, se donna comme objectifs “d’encourager un désir d’unité et de
faciliter des relations amicales entre Africains en général, de promouvoir et
de protéger les intérêts de tous les sujets proclamant leur descendance
africaine, totalement ou en partie, dans les colonies britanniques et autres
lieux, particulièrement en Afrique, par la circulation d’informations
appropriées sur toutes les questions concernant leurs droits et privilèges
comme sujets de l’empire britannique, par des appels directs au
gouvernement impérial et aux administrations locales”552.553
Les Britanniques s’efforcèrent d’inculquer à leurs colonisés une foi
inébranlable dans la grandeur de leur empire, et dans la bonté de la Reine
Victoria. Il y eut des résultats spectaculaires, comme celui de Gandhi, qui
envoya un corps d’ambulanciers indiens aider les Britanniques à combattre
la “rébellion zulu”. Il reconnaîtra plus tard sa ferme conviction, à l’époque,
que l’empire britannique participait au bien-être du monde554. Du Bois, par
ailleurs, ne confessait-il pas son admiration pour la Reine Victoria, la
considérant dans sa jeunesse comme un “magnifique symbole d’empire”, et
voyant l’Angleterre avec son drapeau planté partout dans le monde,
conduisant les peuples non-blancs vers le baptême chrétien, la civilisation,
et une éventuelle autonomie555.
Williams, comme beaucoup de colonisés, subit cette influence
pernicieuse et succomba aux mythes de la supériorité anglo-saxonne
fleurissant à l’époque. Il apparaît convaincu de l’hégémonie de Britannia
rules the waves, et d’un empire britannique qui brille sur le monde et
dispense aux Africains “les lumières de la civilisation”. Sur ce point, nous
savons que sa rencontre avec Mme Kinloch modifia ses croyances.
Cependant, malgré toutes les informations reçues, Williams ne se départit
jamais d’une certaine admiration pour la puissance britannique et son
pouvoir sur des millions d’Africains.
Williams et ses amis entreprirent des démarches auprès du gouvernement
britannique556. Ils raisonnèrent de la manière suivante : si les Britanniques
se vouaient à la protection de ceux qui n’étaient “ni leurs parents ni leurs
amis”, pourquoi n’y aurait-il pas des hommes et des femmes de
descendance africaine, originaires des West Indies (Caraïbes anglaises), qui
constitueraient une organisation qui s’occuperait des personnes incapables
de le faire elles-mêmes. Plus tard, en 1901, Williams déclarera que les
Africains devaient s’unir pour réaliser eux-mêmes leurs projets, malgré la
noblesse des intentions des autres557. Lors d’une interview à Trinidad, il
déclara que les promoteurs de l’African Association estimaient leur devoir
d’aider l’A.P.S. et la Société Antiesclavagiste dans leur entreprise, afin de
montrer aux Britanniques que les West-Indians de descendance africaine
étaient réellement préoccupés du bien-être des peuples africains558.
Parmi les amis de Williams qui devinrent membres de l’African
Association et partagèrent ses orientations figurait Frederick E. Bass559. Né
à Antigua, F.E. Bass, diplômé de médecine du Meharry Medical College de
Nashville, dans le Tennessee, arriva en Grande-Bretagne, pour obtenir une
équivalence anglaise lui permettant d’exercer à Trinidad, où ses parents
avaient émigré. Un autre ami, le Rév. Henry Mason Joseph, également
originaire d’Antigua, avait été élu président de l‘Association. Joseph présida
ce qui fut le premier rassemblement des membres et des amis de l’African
Association, le 11 janvier 1898. Williams et Fletcher, le directeur du journal
New Age, faisaient partie des intervenants. Cette réunion se tint à l’Exeter
Hall, l’ancien siège des abolitionnistes, alors dirigés par George Williams,
le fondateur de la Young Men’s Christian Associaton, devenu le siège de la
Y.M.C.A.. Le compte rendu de la réunion donné par le journal New Age
dressait une liste de vingt-huit personnalités présentes à cette manifestation.
Le journal mentionnait la présence de Williams, Joseph, Fletcher, de Mme
et Mle Joseph, Dr. et Mme Law, Mme Sivebright Green, Mme M.T. Cole,
Harry Gurney, F.W. Fox, M., Mme et Mle T. Bowen Green, Philip, E.A.
Durham, Mle Groom, Mles Powell, le Rév. C.W. Farquhar, Dr F.Ellis Bass,
Dr E. James Hayford, Evans, A.C. Durham, R.E. Phipps et M. et Mme C.H.
Allen.
Le numéro de New Age du 20 janvier 1898 rapporta les propos de
bienvenue de Joseph, exposant “les objectifs et l’originalité” de
l‘Association, que le journal trouvait “remarquablement intéressant”. Il
résumait les interventions de Fletcher et de Mme Law, les trouvant
“emphatiques... et donnant l’impression que si ce travail était fait
efficacement, l‘Association serait aussi importante que le Congrès National
Indien” (Indian National Congress). Le Rév. C.W. Farquhar, des Iles de Los
en Afrique de l’Ouest, prononça un discours “habile et éloquent”, “L’Avenir
de la Race” (“The Future of the Race"). Une note de félicitations au
président fut rédigée par le Dr. Ernest James Hayford. Le Dr. Hayford
(1858-1913) était le frère de J.E. Casely Hayford (1864-1930), avocat et
auteur en Afrique de l’Ouest, proche et disciple de Blyden. Williams
rappela le souhait des membres de l’Association qui était de rassembler le
plus grand nombre de personnes. Il suggéra en outre un effort dans la
création de plusieurs filiales dans les colonies et les protectorats560.
Seuls quelques responsables de l’Association ont pu être identifiés de nos
jours. Les frères Durham, originaires de Trinidad, étaient les fils de George
Horatio Durham, un maître d’école à la retraite, reconverti en planteur de
cacao, et en commerçant. Ernest devint avocat, comme son frère Frederick,
qui rédigea l’ouvrage intitulé The Lone Star of Liberia (une défense de cette
République, publié en 1892), avant d’être appelé au barreau de Lincoln’s
Inn, à l’âge de vingt-deux ans. On connaît peu de choses de leur frère A.C.
Durham, sinon qu’il était le secrétaire assistant de l’African Association561.
Le Rév. C.W. Farquhar, d’Antigua, était un ancien maître de l’école Mico à
Saint-John, la capitale de l’île. Il y travailla pendant quinze ans, et fut
ordonné diacre de l’Eglise d’Angleterre. Il se rendit à l’île de Cassa (dans
les îles de Los), en Afrique de l’Ouest, en octobre 1890, dans le but de créer
une école de garçons pour la Mission du Rio Pongo562. Richard E. Phipps,
originaire d’Arouca, à Trinidad, comme Williams, était étudiant en Droit en
Angleterre pour devenir avocat lui-aussi. La seule personne connue, née en
Afrique, identifiée, était le Dr. Hayford, l’un des frères Hayford de la Côte
de l’Or. Il se peut qu’il y ait eu d’autres personnes nées en Afrique, dans
l’assemblée. Seuls quelques amis anglais ont pu être identifiés.
Henry Gurney était membre du comité de l’A.P.S., et l’un des premiers
membres honoraires de l‘African Association, Charles H. Allen étant le
secrétaire honoraire de la British and Foreign Anti-Slavery Society.
Plusieurs autres membres de l’A.P.S., en dehors de Gurney et de Fox-
Bourne, également membres honoraires de l’Association, étaient présents,
comme les parlementaires Philip Stanhope et George W.E. Russel563, un
écrivain prolifique et l’une des figures marquantes du Parti Libéral.
Une circulaire exposant les buts de l’African Association, fut publiée par
l’organe de la Société Antiesclavagiste. Pour plus d’informations, on était
prié de s’adresser à H.S. Williams, au Gray’s Inn564. Il semble que certaines
personnes ne virent pas d’un bon œil l’émergence d’une telle association
car, selon le journal Mirror, “certaines personnes anglaises n’accordaient à
l’Association que trois mois d’existence”. Elles n’imaginaient pas que les
gens de couleur puissent s’unir. Williams avait insisté sur le fait que
l’Association agirait par elle-même, dirigée par ses propres représentants, et
non par des Européens565. Au vrai, l’Association survécut pendant quatre
ans.
En accord avec le souci de l’Association de protéger les intérêts de “nos
frères africains”, Williams contacta des parlementaires acceptant de
répondre à des questions portant sur la situation coloniale, en particulier en
Afrique du Sud. Il écrivit à Joseph Chamberlain, le ministre des colonies, à
propos de la condition des Africains en Rhodésie566 et à plusieurs journaux
au nom de l’Association. Une de ses lettres fut publiée dans le Leader, sous
le titre “Un appel d’un Africain"567. Bien qu’il ne soit pas africain de
naissance, il s’identifia comme tel, probablement parce que la majorité des
Anglais ne faisait aucune différence parmi les gens à peau noire.
Williams exposa les réformes qu’il envisageait. Il faisait ressortir la
différence qui existait pour les Britanniques d’élire des représentants au
Parlement, l’absence de ce privilège pour les “races aborigènes” (“Native
Races”), “les sujets nominalement britanniques”. Plaidant l’injustice
manifeste de cette carence, il examinait de manière critique les méthodes
employées, visant à civiliser les Noirs, et les objectifs des “civilisateurs qui
leur octroyaient une christianité adultérée”. Il stigmatisa l’action du
gouvernement britannique qui tolérait l’introduction de l’esclavage en
Afrique du Sud, sous le leadership de Cecil Rhodes. Il fit appel à l’opinion
publique anglaise, au nom de l’African Association, ainsi qu’à ses
représentants, pour assurer l’impartialité de la justice envers les Africains. Il
écrivit que l’Association accueillerait “les organisations d’une haute
civilisation”, favorisant l’enseignement et la moralité (les écoles et les
établissements d’enseignement tenus par des religieux par exemple).
Williams ne voulait pas d’une complète occidentalisation des Africains. Il
pensait que les autorités coloniales ne devaient pas leur imposer n’importe
quoi. Ils devaient adopter uniquement les bons aspects de la culture
européenne, et conserver le meilleur de leurs propres traditions. La foi naïve
de Williams dans l’opinion publique anglaise, et sa confiance absolue dans
la possibilité d’un renversement politique vis à vis des Africains pouvait
surprendre de la pan d’un colonisé vivant à l’époque de l’impérialisme
triomphant. Cependant, l’économiste J.A. Hobson, un des premiers à
décrire l’impérialisme en 1902, signalait déjà “le travail direct et conscient
des politiciens et de leur organisation”, cherchant à influencer l’opinion
publique de cette époque. Parmi ces institutions soucieuses de cette
orientation, il y avait la Ligue Sud-Africaine. (The South African League),
dont les émissaires s’activaient en Afrique du Sud et en Angleterre,
“secondés de manière efficace par les efforts de la presse de M. Rhodes".
Rhodes, président de la Ligue, et d’autres capitalistes de renom procuraient
une aide financière. Les efforts de la Ligue se déployaient en même temps
que se développait le pouvoir impérial en Afrique du Sud568. Comment
l’African Association aurait-elle pu s’opposer à ce colosse politique et
financier qui avait réussi à impressionner le Haut commissaire, Lord Miner,
et à influencer les actes du gouvernement britannique !

La "Conférence Panafricaine” : préparatifs et objectifs


Le Rapport officiel laisse entendre que c’est “au début de l’année 1897”
— donc avant même la formation de l’African Association —569que germa
l’idée d’une conférence qui apporterait “un immense bénéfice à la question
du traitement des indigènes”.
L’opinion britannique, selon le document, avait été “tourmentée” par
plusieurs informations concernant les conséquences des guerres qui
dévastaient le Matabele et le Bechuanaland, le système “compound” en
vogue dans le district minier de l’Afrique du Sud, l’existence de l’esclavage
actuel au Pemba et à Zanzibar, le soulèvement des indigènes à l’intérieur du
Sierra Leone et la détresse des habitants des colonies anglaises des
Caraïbes, subissant les conséquences d’une crise de l’économie sucrière et
les ravages d’un hurricane.
L’année 1900 s’imposa rapidement à cause de l’Exposition Universelle
de Paris qui attira beaucoup de visiteurs arrivant de toutes les parties du
monde. En particulier, la venue à Paris de personnalités originaires des
Caraïbes, des Etats-Unis, du Brésil et de l’Afrique ne manqua pas de
susciter des projets de rassemblement de ces voyageurs. Beaucoup d’entre
eux, particulièrement les anglophones, devaient passer obligatoirement par
Londres ou par un des ports anglais.
On s’aperçoit, à lire les rapports et les documents de travail (lettres,
circulaires, messages, mémoires), que les objectifs de la Conférence
varièrent selon l’époque et selon les organisateurs. La circulaire du 19 mars
1898570 voulait mobiliser l’attention de “l’opinion publique’’ sur la
condition des indigènes dans les colonies anglaises d’Afrique et des
Caraïbes.
Le Rapport officiel mentionne la volonté des organisateurs de combattre
le manque d’informations qui prédominait concernant "le traitement des
aborigènes sous domination anglaise”571 et celui des indigènes colonisés
par les Européens et les Nord-américains572.
Dans sa lettre du 11 novembre 1899, H.S. Williams affirmait à son
correspondant que le projet de conférence visait surtout à “rapprocher les
dirigeants de la Pan-African Conference" et à répondre à l’attente exprimée
par de nombreuses lettres de personnes favorables à cette idée.
Le Rapport officiel, curieusement, n’évoque pas la présence à Londres en
1897 de Benito Sylvain et de Booker T. Washington, ni leur collaboration.
H.S. Williams et Henry Mason Joseph, le président de l’African
Association, rencontrèrent Benito Sylvain qui visitait alors Londres en
décembre 1897, avant de se rendre à Paris. Il venait de débarquer des
Caraïbes après un premier voyage en Abyssinie573.
C’est pourtant en 1897 — année décisive — que se formula clairement
l’idée d’une conférence panafricaine à Londres. Benito Sylvain et Anténor
Firmin appuyèrent ce projet et entreprirent de leur côté un travail de
préparation visant à informer le public francophone et à recevoir des
adhésions. Anténor Firmin qui tenait à Paris le poste d’ambassadeur
d’Haïti, apporta au projet une contribution décisive qu’on ne peut pas
passer sous silence.
Au cours d’une réunion de l’Association le 19 mars 1898, les adhérents
présents décidèrent de rédiger une circulaire annonçant “la tenue d’une
conférence au mois de mai 1900, en vue de prendre des mesures pour
influencer l’opinion publique des actes existants et des conditions affectant
le bien-être des Naturels des différentes parties de l’empire britannique...
Afrique du Sud, Afrique de l’Ouest et les West Indies britanniques’’. La
circulaire soulignait l’importance qu’il y aurait à examiner les conditions de
vie dans ces territoires dépendant des Britanniques car, à Londres, l’accent
était mis sur les conditions qui rendaient le gouvernement britannique
responsable, et pour lesquelles il devait répondre devant le Parlement.
La Conférence prévue initialement pour le mois de mai 1900, fut
repoussée sur l’avis de plusieurs dirigeants Noirs des Caraïbes, des Etats-
Unis, et de l’Afrique qui, présents à Londres, assistèrent à la réunion
préparatoire du comité de la Conférence Panafricaine le 12 juin 1899. Ils
optèrent pour le mois de juillet, et le comité arrêta les dates des 23-24 et 25
juillet 1900, sachant que plusieurs personnes invitées à la Conférence
avaient prévu de participer à la World’s Christian Endeavor Convention, qui
devait commencer le 16 juillet à Londres574.
Le Rapport officiel de la Conférence remercia ces “hommes influents”
pour les services rendus au comité. Ils firent de la publicité dans leurs pays
d’origine ; certains même apparaissent dans le rapport comme dirigeants de
filiales de l’Association Panafricaine, créée par la Conférence. Ces
consultants, dont certains noms apparaissent dans le rapport, sont des
personnalités qui ont honoré la conférence de leur présence. Le rapport livre
les noms des évêques James T. Holly, James Johnson, Henry McNeil
Turner, du Rév. Dr. Mojola Agbebi et C.W. Farquhar, du juge David
Augustus Straeker, de Benito Sylvain, du professeur W.S. Scarborough, de
Henry Richard Cargill, J. Tengo Jebavu, J. Otonba Payne et du professeur
Booker T. Washington575.
Bien que certains d’entre eux ne fussent pas encore très connus, ils
comptaient certainement parmi les personnalités noires les plus respectables
de leur époque. Le professeur Booker T. Washington avait la réputation
d’être “le sage de Tuskegee” après son fameux discours d’Atlanta en 1895.
A Londres, en juin 1899, B.T. Washington prononça une allocution sur la
“condition et (les) perspectives des races de couleur en Amérique”
(“condition and prospects of the colored races in America”)576.
L’évêque Holly, de l’Eglise épiscopale d’Haïti, avait organisé avec
Martin R. Delany, la Convention d’Emigration de Cleveland en Ohio, en
août 1854, et avait l’appui des autorités haïtiennes.
L’évêque Johnson, un ami de E.W. Blyden, naquit en Sierra Leone, de
parents captifs libérés (“recaptives”). Il lutta des années pour organiser une
Eglise africaine. Il quitta l’Eglise Anglicane lorsque la nouvelle Eglise fut
établie. Il avait été missionnaire en Sierra Leone, à Lagos, dans le
Yorubaland, et dans le bas delta du Niger. Il fut consacré évêque assistant
du delta du Niger à Londres le 18 février 1900577. L’évêque Turner était un
dirigeant actif de l’African Methodist Episcopal Church et, à partir des
années 1870-1880, il devint partisan d’une émigration vers l’Afrique. Il est
à l’origine de l’élargissement de l’influence de son Eglise en Afrique du
Sud. Agbebi (ex-David B. Vincent) était un pasteur baptiste, directeur de la
Hope School, à Lagos, s’efforçant de sauver les enfants de la pauvreté.
Blyden le décrit en 1902 comme étant l’incarnation de l’“African
Personality”578. Il fut le défenseur de certaines des traditions et des
institutions africaines qui devraient être retenues pour leur modernité.
Avocat d’une Eglise africaine indépendante, il plaida fortement pour
l’établissement de l’Eglise Baptiste Indépendante (Independant Baptist
Church) à Lagos. Farquhar, un missionnaire cariban en Afrique de l’Ouest,
participa en janvier 1898 à l’assemblée de l‘African Association à Exeter
Hall. Le juge Straeker, qui avait dû prendre sa retraite au Michigan, avait
publié trois ouvrages, dont un petit livre sur la vie de Toussaint Louverture.
Le professeur Scarborough, un brillant humaniste, était devenu le président
de l’université de Wilberforce, dans l’Ohio. Henry Richard Cargill était un
planteur jamaïcain, commerçant et politicien de Port-Antonio, présenté dans
le Jamaica Who’s Who de 1916, comme un “membre actif de l’Eglise
baptiste”579. Jebavu, un Sud-africain, appartenant à la Lovedale Mission,
était directeur de l’hebdomadaire africain Imvo Zabantsundu (L’opinion
africaine), à Kings Williams Town, dans la colonie du Cap. Il avait une
grande influence sur la politique sud-africaine, avant que les Sud-africains
ne soient privés de leurs droits civiques. Otunba Payne était le chef-greffier
de Lagos, responsable de l’administration de la Hope School, Il avait été
l’hôte de Blyden, et membre du comité qui l’invita pour son premier voyage
à Lagos en décembre 1890.
Le rassemblement de ces hommes d’ascendance africaine, de différentes
origines et de pays très divers, souligne leur intérêt commun dans la
destinée de leurs frères opprimés, et leur volonté de s’unir pour les protéger
et les faire progresser.
Le terme “Pan-African” n’a pas été employé au cours des préparatifs,
quoique son utilisation ait été attestée avant la Conférence de 1900 pour
évoquer le comité préparatoire. Le premier document dans lequel on trouve
le terme “Pan-African” est une lettre datée du 11 novembre 1899, écrite par
Williams à J.M. Bourne, un membre de l‘African Association. Ce dernier se
plaignait de ce que l’organisation de la Conférence n’était pas un objectif
prévu par les statuts. Williams et Joseph ne partageaient pas cette opinion.
Williams lui répondit qu’il déplorait son ton coléreux, et qu’il regrettait de
ne pas pouvoir faire aboutir sa demande, qui visait probablement à
l’annulation du projet de conférence. Dans sa lettre, Williams insista sur le
fait qu’il n’y avait pas eu de déviation, et qu’ils respectaient les articles des
statuts. Il supposait que Bourne n’avait peut-être pas assez tenu compte des
circulaires antérieures relatives aux projets immédiats de l’Association. Une
" Pan-African Conference580 observait-il, rapprocherait les dirigeants de
l’Association. En outre, toutes les réponses reçues étaient favorables à la
tenue de la Conférence, et ils en espéraient un grand succès581. Bourne
était-il un des membres fondateurs de l‘Association ? On peut en douter, car
s’il l’avait été, il aurait su que l’idée de la Conférence existait depuis le
début, et que la décision formelle de l’organiser avait été prise lors de la
réunion du 18 mars 1898.
Williams comprit qu’il était temps pour les Noirs, de lutter pour leurs
propres intérêts. Il était fatigué d’entendre des libéraux paternalistes lui
demander : “Que font les autochtones dans la lutte pour défendre leurs
propres droits ?” ("What are the natives doing in the struggle to secure their
own rights ?”).
En nommant ainsi la Conférence, Williams inscrivait son projet dans un
processus inauguré par le mouvement panslave qui se manifesta à Prague en
1898. Il y eut aussi la ligue pangermaniste représentée par le Alldeutsche
Verband qui avait tenu une conférence la même année, à Munich, à laquelle
participèrent les délégués de chaque région d’Allemagne et des groupes
locaux qui s’étaient installés à l’étranger. Le Verband cherchait à stimuler le
patriotisme, à encourager la solidarité entre tous les peuples
germanophones, et à préparer leur union politique582.
L’établissement de trois colonies allemandes en Afrique d’une superficie
totale de 825.000 miles2, représentait une source éventuelle de conflit entre
pangermanistes et panafricanistes. La propagande pangermanique insista
tellement auprès du gouvernement autrichien, que ce dernier favorisa leurs
publications. Les panafricanistes, eux, étaient contraints de modérer leurs
revendications, en raison de leur situation. Contrairement aux peuples
germanophones largement regroupés dans un grand ensemble territorial,
rassemblant plusieurs pays et ayant une langue commune, les Noirs étaient
complètement dispersés à travers deux continents séparés par un vaste
océan, sans langue commune, et dominés par différentes nations blanches.
S’efforçant de surmonter leurs divisions culturelles afin de survivre et de
progresser, ils ressentirent la nécessité d’adopter les instruments de culture
et de communication des colonisateurs européens.
On ne sait pas si d’autres membres anglais que Bourne s’opposèrent à la
Conférence Panafricaine. Mais ce désaccord laisse entrevoir qu’il y eut
vraisemblablement dès le début, des sujets de mécontentement et que l’idée
panafricaine souleva de vives controverses de la part de certains adhérents
de l’Association. Bourne estima sans doute que l’African Association
s’engageait sur des voies politiques beaucoup trop radicales pour lui.
Williams et ses compagnons, bien qu’appréciant l’aide d’amis blancs,
étaient convaincus que les Noirs étaient capables de défendre eux-mêmes
leurs intérêts.
Le comité de la Conférence Panafricaine était chargé de l’organisation de
la Conférence, et il rechercha immédiatement d’éventuels participants. Il
choisit le mot d’ordre “Lumières et Liberté” (“Lights and Liberty”).
Williams était inscrit sur les invitations comme secrétaire général avec les
autres administrateurs, président : Rév. H. Mason Joseph, vice-président :
Rév. Thos. L. Johnson, secrétaire pour les Caraïbes : R.E. Phipps, et
secrétaire pour l’Afrique de l’Ouest : Henry Plange583. Un secrétaire pour
l’Afrique du Sud avait été prévu, bien qu’aucun nom ne figurât sur les
invitations. Le trésorier était Henry Macpherson, qui n’a pas pu être
identifié. On ne connaît rien de lui mais son nom apparaît sur la liste des
donateurs. Plange et Johnson étaient de l’Afrique de l’Ouest. La première
instruction était de collecter des fonds pour financer la Conférence.
Seulement deux dons furent reçus dans l’année 1899 — cinq livres Sterling
de J. Thompson et quatre livres de D. Campbell, deux personnes que l’on
ne connaît pas.
Au début du mois d’avril 1900, Williams pouvait affirmer que deux
délégations étaient arrivées pour la Conférence qui se tiendrait en juillet.
Les premiers arrivants furent John E. Quinlan, de Sainte-Lucie, aux
Caraïbes, et le Rév. S.R.B. Solomon, d’Accra, en Afrique de l’ouest. Son
nom n’apparaît sur aucune liste des participants à la Conférence. Il fut l’un
des premiers nationalistes de la Côte de l’Or. Il changea son nom pour
Attoh-Ahuma, et écrivit deux ouvrages : Menions of West-African
Celebrities584 et The Gold Coast Nation and National Consciousness585.
Quinlan avait rédigé un memorandum adressé à la West India Royal
Commission de 1897 pour réclamer au Parlement britannique des
indemnités aux descendants d’esclaves. Mais il déclara qu’ils demandaient
un prêt, au lieu du “don légitime que nous devons recevoir” (“free gift to
which we are justly entitled")586.
A la fin du mois de mai 1900, Williams reçut de nombreuses lettres de
personnalités invitées des Etats-Unis et d’Afrique du Sud, le prévenant de
leur arrivée en juin ou en juillet. Il demanda l’appui de la Société
Antiesclavagiste (Anti-Slavery Society), pour réaliser une œuvre
“inoubliable”587, mais aucune aide ne fut fournie, en dépit du fait que le
journal de la Société avait encouragé l’African Association deux ans
auparavant, et avait fait la publicité pour la Conférence. Peut-être les
humanistes appréhendèrent-ils ce projet de conférence mondiale des Noirs
qui approchait, et semblait vouloir se réaliser.
La défection de la Société Antiesclavagiste ne découragea nullement
Williams et ses amis. Les préparatifs se poursuivirent et les fonds arrivèrent.
Ils fixèrent la date de la conférence, pour répondre à l’attente des personnes
désirant visiter l’Exposition Universelle de Paris, et de celles qui devaient
participer à la World Christian Endeavor Convention à Londres. Sans cette
conjoncture exceptionnelle, à Paris et à Londres, on peut se demander
combien de personnes les organisateurs auraient-ils pu rassembler pour
assister à la Conférence Panafricaine. Ainsi, W.E.B. Du Bois fit-il le
voyage de New York à Paris où il devait superviser une partie de
l’exposition consacrée aux Nègres des Etats-Unis588. Pour le groupe des
Caribans et des Africains voulant se rendre à la Conférence, c’était une
grande aventure. Sur proposition de Williams, les organisateurs décidèrent
de frapper un grand coup en demandant à l’évêque de Londres, l’érudit Dr.
Mandell Creighton, d’honorer la manifestation et d’ouvrir la conférence589.
La première décision concernant la conférence fut prise seize jours avant
son ouverture. Les membres du New Reform Club libéral donnèrent une
réception. Les principaux invités étaient “les délégués nommés pour
participer à la Conférence Panafricaine qui se tient à Londres ce mois afin
de faire entendre l’opinion des autochtones sur les sujets concernant les
races aborigènes dans les différentes régions du monde” (“the delegates
appointed to attend the Pan-African Conference which is held in London
this month for the purpose of declaring native opinion upon matters
affecting the aboriginal races in various parts of the world”)590. Pour la
première fois, la presse qui mentionnait la réunion utilisa le terme “Pan-
African”.
Une réunion eut lieu après cet événement sous la présidence du trésorier
honoraire, P.W. Clayden qui avait été secrétaire du mouvement “Liberal
Forwards”. Williams déclara que la Conférence était la première occasion
pour les hommes noirs de se rassembler en Angleterre, de parler pour eux-
mêmes, et de tenter d’orienter l’opinion publique en leur faveur. Cette
conférence devait évoquer la situation des Noirs en Afrique du Sud qui
devaient savoir que leurs intérêts n’étaient pas pris en compte dans la guerre
sud-africaine591.
Les autres intervenants étaient Quinlan, Mme Cobden Unwin, la femme
de l’éditeur T. Fisher Unwin, la fille du grand politicien radical Richard
Cobden, et le Dr. R.F. Colenso qui, avec son père, fut le célèbre évêque de
Natal qui mena une difficile campagne contre les mauvais traitements
infligés au peuple indigène d’Afrique du Sud.
Au cours d’une rencontre organisée sous l’égide de l’African Association,
une semaine avant l’ouverture de la Conférence, un mémoire fut présenté à
l’évêque James Johnson à son départ de Lagos pour sa nomination à
l’évêché du Bas Niger. Ceux qui le félicitèrent ne devaient pas savoir que
Johnson avait déjà refusé cette fonction à deux reprises. Cette nomination le
privait du plein pouvoir de la charge, et le rémunérait de la moitié de son
salaire ; il fut surnommé ainsi “demi-évêque” (“half a bishop”)592. Il était
connu comme le pasteur le plus éminent d’Afrique de l’Ouest. Il avait été
dès le début au Sierra Leone, à l’instigation de son ami Blyden, un dirigeant
luttant pour une Eglise africaine et, plus tard, un législateur nommé par le
conseil législatif de Lagos, par le gouverneur Cornelius Alfred Moloney.
Les auteurs du document pensèrent qu’il fallait payer “un humble tribut”
aux qualités et aux réalisations de l’évêque. Ils utilisèrent le document pour
afficher leur conviction qu’il était temps pour les Noirs, de développer leur
propre “talent et énergie”. Ils déclarèrent que, par un “cruel dessein”, on
avait privé les Noirs de leur rôle dans le progrès de l’humanité et ses
“grands hommes” n’avaient que peu de place pour le développement de
leurs pouvoirs et de leurs capacités, mais ils trouvaient consolation et
encouragement dans l’esprit de corps grandissant.
Ils reconnurent que la situation du Noir — “chez lui ou sous les drapeaux
de puissances connues” (“either at home or under the flags of the know
powers”)— n’était pas très rassurante. Ils croyaient fermement que leurs
efforts pouvaient être réalisés pour l’éducation des jeunes afin de mettre en
avant les “possibilités énormes de la race” ("prolific possibilities of the
race") qu’ils devaient avoir leurs “propres chroniqueurs” et que les
membres de la “race” devaient créer et aider leurs “propres bibliothèques et
organisations”. Ainsi, ils pourraient marcher côte à côte, avec “(leurs) plus
chanceux frères Caucasiens” (“our more fortunate Caucasian brothers”)593.
Ils étaient conscients des falsifications de l’histoire effectuées par les
“Caucasiens”, et de la nécessité de la rééquilibrer.
La liste partielle des signataires du mémoire comprend les noms de
certains délégués qui étaient arrivés pour la Conférence, et de membres
résidents de l’African Association. Ces noms sont les suivants : F.E.R.
Johnson, ancien ministre de la Justice du Libéria : Benito Sylvain, aide de
camp de l’empereur Ménélik d’Abyssinie ; Henry F. Downing, ancien
consul des Etats-Unis à Loanda ; Mme M.T. Cole ; A.R. Hamilton. de
Jamaïque, N.W. Holm ; R.E. Phipps : A.P. Pierre ; M.F. Ribeiro ; Dr.
Schomerus ; D.E. Tobias ; J.W.D. Worrell ; Henry Sylvester Williams, et
d’autres encore594.
L’évêque Johnson regretta de ne pas pouvoir rester et assista à la
“première et unique” assemblée de ses proches du monde entier. Il salua le
travail et l’énergie de Williams, et trouva encourageant que ce soit de jeunes
hommes des Caraïbes, des Etats-Unis, du Libéria et d’Abyssinie qui
animèrent ce mouvement “magnifique”, déterminés à trouver une solution
pour les Noirs. Pressant son auditoire de prendre confiance et foi l’un dans
l’autre, l’évêque Johnson déclara que “l’Association Panafricaine marque
le début d’une union que j’ai longtemps espérée et qui, si Dieu le veut, sera
universelle !” (“The Pan-African Association is the beginning of a union I
had long hoped for, and would to God it could be universal !”)595. Avec ces
mots d’encouragement de la part d’un homme remarquable, les premiers
panafricanistes étaient prêts, s’étant fixé pour objectif de donner la
“Lumière et (la) Liberté” aux autres personnes de leur “race”.

Organisateurs et participants
De nombreux délégués des Caraïbes, des Etats-Unis, d’Afrique et
d’Europe participèrent à la conférence. En voici une liste non exhaustive,
tirée de l’examen du Rapport officiel, de celui de Benito Sylvain, ainsi que
du compte rendu de Walters.

- Caraïbes :
- Williams, Henry Sylvester, Esq., avocat, Londres ;
- French, C.W., Esq. St. Kitts, British West Indies ;
- Pierre, Alexander Pulcherie, Esq., fondateur de la Trinidad Literary
Association, Trinidad ;
- Quinlan, John Ephraim, Esq., surveillant de district, Sainte-Lucie ;
- Phipps, Richard Emanuel, Esq., avocat. Trinidad ;
- Christian, George James, Esq., Dominique ;
- Alcindor, Dr. John, médecin originaire de Trinidad, Cuba ;
- Hamilton, A.R., Esq., Jamaïque ;
- Joseph, H. Mason, M.A., Antigua ;
- Holly, Rev. Bishop J.F,, Haiti ;
- Worrell, J.W.D., Barbade ;

- Etats-Unis :
- Walters, Rev. Alexander, Zion Church, New Jersey, président de la Pan-
African Association ;
- Du Bois, William Edward Burghardt, Professeur, Georgia ;
- Arnett, Chaplain Benjamin W., Illinois ;
- Love, John L., professeur au Colored High School, Washington, D C. ;
- Downing, Hon. Henry Francis, ex-consul des Etats-Unis à Loanda,
Afrique de l’Ouest ;
- Calloway, Thomas J., professeur au Hampton Institute (Virginie),
Washington, D.C. ;
- Lee, Charles P., procureur à Rochester, New York ;
- Jones, Miss Anna H., M.A., professeur au Kansas City High School,
Kansas City, Missouri ;
- Barrier, Miss, Washington, D.C. ;
- Cooper, Miss Anna Julia, professeur de latin, Washington. D.C. ;
- Harris, Miss Ada, Indiana ;
- Straeker, David Augustus, ancien juge, Michigan ;
- Turner, Bishop H.M., Etats-Unis ;
- Agbebi, Rev. M., Etats-Unis ;
- Washington, Booker T, professeur ;
- Williams, Fannie Barrier, journaliste à Chicago, Illinois ;

- Canada :
- Brown, Rev. Henry B., Canada ;

- Afrique :
- Sylvain, Benito, aide-de-camp de l’Empereur Menelik d’Abyssinie ;
-Johnson, P.S.R., ex-Procureur général, Liberia ;
- Dove, G.W., Esq., conseiller judiciaire, Freetown, Sierra Leone ;
- Ribeiro, Miguel Francisco, Esq. avocat. Gold Coast ;
- Kinloch, Mme A.V., Afrique du Sud ;
- Johnson, Rev. Bishop James, Lagos ;
- Solomon, Rev. S.R.B., Gold Coast ;

- Royaume-Uni :
- Savage, Dr. R.A.K., délégué de l’Afro-West Indian Literary Society
(Ecosse), Université d’Edimbourg ;
- Taylor, Samuel Coleridge, musicien, A.R.C.M., Londres ;
- Meyer, William Henry (Trinidad), délégué de l’Afro-West Indian
Literary Society d’Edimbourg ;
- Smith, Rev. Henry, Londres ;
- Buckle J., Esq., F.R.G.S., F.C.I.E., Londres ;
- Loudin, J.P., Directeur des Fisk Jubilee Singers, Londres ;
- Loudin, Mrs. J.F., Londres ;
- Creighton, Dr., Lord Bishop, Londres ;
- Ware, Francis, Esq. ;
- Cobden-Unwin, Mme Jane, Angleterre ;
- Colenso, Dr. R.J., Angleterre ;
- Clarke, Dr., Angleterre ;
- Fox Bourne, secrétaire général de la Société anglaise de protection des
indigènes, Londres ;
- Buxton, Sir Fowel, président de la Société antiesclavagiste de Londres ;
- Battersby, Hayford, membre du Comité contre l’alcoolisation des
indigènes ;
- Farquhar, Rev. C.W. ;
- Scarborough, Professeur ;
- Cargill, H.R. ;
- Jebavu, Tengu, Esq. ;
- Payne, J. Otonba, Esq. ;
- Cole, Mme M.T. ;
- Holm, N.W. ;
- Schomerus, Dr. ;
- Tobias, D.E. ;

Membres de l’organisation permanente (en fonction pendant deux ans) :


- Walters, Alexander, New Jersey, président ;
- Brown, Rev. Henry B., Londres, vice-président ;
- Du Bois, W.E.B., Georgia, vice-président pour l’Amérique ;
- Williams, Henry Sylvester, secrétaire général ;
- Calloway, T.J., secrétaire pour l’Amérique ;
- Colenso, Dr. R.J., trésorier ;
- Roberts, Jane, veuve du premier président du Liberia ;
- Roberts, Joseph Jenkins ;
- Moschelles, M. et Mme Félix ;
- Adams, Miss, Irlande ;
Battersby, Harford, Comité contre l’alcoolisation des indigènes ;
- Buckle, J., Royal Geographical Society ;
- Buxton, Sir Thomas Fowel, Société antiesclavagiste, Londres ;
- Clark, Dr. Gavin, député libéral ;
- Creighton, Dr. Mandell, évêque de Londres ;
- Ware, Francis.

Comité exécutif :
- Taylor, S. Coleridge ;
- Archer, John R. ;
- Loudin, J.F. ;
- Downing, Henry F. ;
- Cobden-Unwin, Mrs. Jane ;
- Cooper, Miss Anna J..

Le déroulement de la conférence
Un document exceptionnel, très peu connu, fut rédigé par l’Haïtien
Benito Sylvain et publié dans son ouvrage paru en 1901, Du Sort des
Indigènes dans les Colonies d’Exploitation596. Il s’agit du rapport de la
Conférence de 1900.
La première Conférence Panafricaine fut fixée aux 23, 24 et 25 juillet
1900 et se tint au Westminster Hall de Londres. Williams en fut nommé
secrétaire général. L’évêque Alexander Walters, dirigeant de l‘African
Methodist Episcopal Zion Church aux Etats-Unis, et président du National
Afro-American Council, fut élu président. Le professeur John Love de
Washington, obtint le poste de secrétaire de la Conférence. Deux
commissions furent créées. L’une devait veiller à la formation d’une
association panafricaine permanente, et rendre compte de ses activités.
L’autre, présidée par W.E.B. Du Bois, était chargée de rédiger un appel aux
nations du monde597.
En l’absence de l’évêque de Londres, Mandell Creighton, chargé de
souhaiter la bienvenue aux participants, Walters inaugura la conférence le
23 juillet. Pour la première fois dit-il, les Noirs du monde entier purent se
réunir pour améliorer leur condition, revendiquer leurs droits, et pour se
faire une place parmi les autres nations. Il poursuivit en soulignant l’erreur
des Noirs de vouloir vivre aux Etats-Unis parmi des gens dont les lois, les
traditions et les préjugés étaient dirigés contre eux. Il avait fallu attendre
deux cents ans pour que les Noirs puissent obtenir l’émancipation, et ils
attendaient toujours leurs droits politiques et sociaux. Walters souligna tout
de même la diminution de 45 % de l’analphabétisme des Noirs des Etats-
Unis, et la somme de 735 millions de dollars à leur actif.
La première intervention, intitulée “Conditions Favoring a High Standard
of African Humanity", fut prononcée par C.W. French, de Saint-Christophe.
Il dénonça le mauvais traitement injuste des Noirs sous domination
britannique, et réclama l’égalité des droits. Anna H. Jones, du Kansas, dans
“The Preservation of Race Individuality” plaida pour préserver “l’identité
de la race noire” et le développement de ses talents artistiques598.
A la tombée de la nuit, l’évêque de Londres, le Dr. Mandell Creighton,
arriva au Westminster Hall. L’évêque Walters et lui, venaient de participer à
l’International Christian Endeavor Convention, où Creighton était l’un des
principaux invités. Lors de la Conférence Panafricaine, il appela ses
compatriotes britanniques à rendre leur autonomie aux peuples colonisés
aussi rapidement que possible. Dans son discours empreint de paternalisme,
il rappela la “lourde responsabilité du peuple britannique dans la protection
et le bien-être des ‘autres races”‘. L’heure de la fraternité universelle était
arrivée...
Puis, Benito Sylvain prononça son discours, intitulé “The Necessary
Concord to be Established between Native Races and European Colonists”,
lors de la session du 23 juillet au soir. Il fustigea les attaques contre les
anticolonialistes. Il représentait Haïti, son pays d’origine qui conquit son
indépendance nationale dès 1804 en se débarrassant de la domination
coloniale française, après une guerre qui avait duré de 1791 à 1803. Il était
également, pour cette Conférence, le délégué de Ménélik, l’empereur
d’Abyssinie (d’Ethiopie), symbole de la résistance à l’impérialisme
européen, après l’écrasante victoire de la bataille d’Adowa en 1896 contre
les Italiens. Le choix de Londres, capitale de l’empire britannique, lui
paraissait idéal pour le siège de la Conférence. En effet, il considérait les
Britanniques comme “responsables de la réaction anti-libérale caractérisant
la politique coloniale de ces quinze dernières années. Le Gouvernement
britannique a toléré les actes les plus odieux de la part de compagnies de
colonisation. Il y a déjà longtemps que tous les pouvoirs coloniaux auraient
dû reconnaître les droits des indigènes. On ne doit plus les considérer
comme des serfs, imposables et travaillant à la merci de leur maître, mais
comme un élément indispensable à la prospérité des colonies. Par
conséquent, ils doivent bénéficier équitablement des profits, autant
matériels que moraux, de la colonisation. Personne ne peut empêcher le
développement social et politique des indigènes africains. A présent, la
question est de savoir si cette évolution sera dans l’intérêt ou non de
l’Europe. L’Association Panafricaine, qui doit être l’issue de la Conférence,
assistera par tous les moyens, à la réalisation d’une entente tant
espérée”599.600 Anna J. Cooper, de Washington D.C., lui succéda. Elle attira
l’attention de l’auditoire sur un sujet douloureux : “The Negro Problem in
America”.
La seconde journée, le 24 juillet, fut consacrée à une discussion générale,
tournant autour de plusieurs thèmes. Le premier fut proposé par Frederick
Johnson, du Libéria, avec “The Progress of Our People in the Light of
Current History". Il prôna le courage, le sérieux et la capacité des Noirs à
gérer leur autonomie.
John E. Quilan, de Sainte-Lucie, dénonça la mauvaise répartition entre
Blancs et Noirs, de l’argent anglais destiné aux réparations dues au cyclone
de 1898 aux Caraïbes. De plus, il accusa les capitalistes britanniques de
vouloir rétablir l’esclavage en Afrique du Sud, et appela le peuple anglais à
poursuivre sa grande œuvre de justice amorcée avec l’abolition de
l’esclavage.
William Meyer, originaire de Trinidad et étudiant en médecine à
l’université d’Edimburgh, fut l’orateur suivant. Il représentait avec R.A.K.
Savage, l’Afro-West Indian Literary Society. Il fustigea la “race de
philosophes” européens qui prétendent que le Noir n’était pas un homme,
mais un être juste au-dessus du singe, dépravé et d’aucune valeur.
Richard Phipps, un de ses compatriotes, affirma que la pire humiliation
pour les non Blancs de son pays, était d’être écartés des responsabilités. On
ne faisait appel à eux que pour mieux contrôler leurs agissements.
Le second débat de la journée portant sur “Africa, the Sphinx of History
in the Light of Unsolved Problems”, fut engagé par D.E. Tobias. Il prédit à
l’auditoire, qu’à la fin de la Guerre des Boers, les principes odieux qui la
provoquèrent disparaîtraient.
Du Bois, l’intervenant suivant, revint sur cette “affaire ignoble” —
comme la qualifiait le journal le Leader — de la Guerre des Boers. Non
seulement elle représentait une injustice envers les Noirs, mais en plus, elle
entravait l’évolution de l’humanité.
Le Rév. Henry Smith présenta ensuite la théorie selon laquelle Adam
aurait été Noir, et les Africains, après le déluge, auraient engendré la
civilisation. Il cita plusieurs auteurs anciens, Homère, Hérodote, Pline... :
l’Ethiopie ancienne engendra la civilisation égyptienne, inspirant “elle-
même largement les Grecs”. Il prédit à l’Afrique un avenir glorieux, grâce à
l’union de tous les Noirs. Tous devaient œuvrer ensemble, des couleurs de
peau les plus claires au plus foncées.
Après les discours de Chaplain B W. Arnett et du Professeur T.J.
Calloway, les invités furent conviés par Creighton à prendre le thé au
Fulham Palace, la résidence officielle des évêques de Londres depuis le
XVe siècle. Lors de cette soirée furent abordés les différents thèmes de la
journée. Quelques intermèdes musicaux permirent aux participants
d’interrompre les débats pendant quelques instants. Plusieurs d’entre eux
révélèrent des talents artistiques cachés, comme Samuel Coleridge Taylor,
le pianiste et compositeur anglais noir, auteur de “Hiawatha”. Sa femme
interprèta “Oh, me hoe de c’n”601. J.F. Loudin, le directeur des Fisk Jubilee
Singers fut également remarqué. Quant à Benito Sylvain, il surprit toute
l’assemblée en montrant des dons véritables de musicien.
L’évêque Walters inaugura la troisième journée de la Conférence, le 25
juillet, en évoquant et en remerciant brièvement les services rendus par les
Blancs de Grande-Bretagne et des Etats-Unis au peuple noir.
Puis, George Christian, de la Dominique, présenta une communication
intitulée "Organized Plunder and Human Progress Have Made of Our Race
Their Battlefield”. Les Africains, disait-il, venaient à peine d’être kidnappés
de leur pays d’origine qu’on les maltraitait à présent à nouveau sur leur
propre terre. En Afrique du Sud, où les fermiers boers les considéraient
comme du bétail, ils ne pouvaient se déplacer sans laissez-passer, quels que
soient leurs biens, leur personnalité ou leur intelligence. Pour les Boers, le
droit de vote était hors de question. En Rhodésie, on les forçait à travailler
pour des salaires de misère, et les chefs politiques étaient obligés de fournir
régulièrement des équipes de mineurs noirs, travaillant gratuitement
pendant un mois au service d’employeurs blancs. Il dénonça ce phénomène
en le qualifiant de renaissance de l’esclavage, dégradant le peuple noir.
Christian voyait d’un mauvais œil les futures colonies anglaises et
afrikaners en Afrique du Sud, connaissant le peu de considération des
Blancs envers les Africains. Pour éviter cela, il invoqua une “garantie pour
(leur) protection par des lois qu’aucune législation coloniale ne pourrait
enfreindre, ni corrompre un juge” (“guaranteed protection by laws which no
colonial legislature could alter and no prejudiced judge pervert"). Il plaida
aussi pour la création de réserves pour Africains, avec leurs règles internes,
dirigées par les chefs traditionnels.
Henry F. Downing, originaire des Etats-Unis, affirma que les Noirs
n’avaient pas l’intention de céder à ceux qui voulaient les maintenir en
esclavage. Charles P. Lee, des Etats-Unis également, pensait que la solution
du problème noir était la propriété et une solide compétence pour pouvoir
concurrencer les Blancs dans tous les domaines.
Felix Moschelles, de la Colonie du Cap, s’exprima après lui. Enfin,
Williams convainquit ses amis de protester contre les mauvais traitements
infligés aux Noirs d’Afrique du Sud. A la séance de clôture, l’évêque
Walters rappela les objectifs de la Conférence qui consistaient à préserver
les droits civiques et politiques des Noirs. La conférence n’était que la
première étape d’un travail de longue haleine. Les Noirs du monde entier
devaient se doter d’une organisation sans faille pour parvenir à une réelle
amélioration de leur condition.
Puis les participants élirent les responsables de la prochaine assemblée,
fixée deux ans plus tard :
- Président : Rév. Alexander Walters
- Vice-Président : Rév. Henry B. Brown
- Trésorier Général : Dr. R.J. Colenso
- Délégué Général pour l’Afrique : Benito Sylvain
- Secrétaire Général : Henry Sylvester Williams
Comité exécutif : Henry F. Downing, S. Coleridge Taylor, J.F. Loudin,
J.R. Archer, Mme Jane Cobden Unwin, Mme Anna J. Cooper602.
Sylvain souligna l’importance d’une coopération étroite entre les trois
pays noirs indépendants et souverains, pour combattre les politiques
d’extermination européennes vis-à-vis des Noirs603. Aucune mention de
cette proposition ne figure dans le rapport de la Conférence.
Malheureusement, ce projet de collaboration entre Haïti, l’Ethiopie et le
Libéria n’aboutit pas.

Travaux et messages
L’Adresse aux Nations

A la fin des sessions de la conférence, les membres adoptèrent à


l’unanimité l’Adresse aux Nations du Monde" (“Address to the Nations of
the World”) qui devait être présentée à tous les chefs d’Etat noirs. C’est
dans cet appel, signé par Walters, Brown, Williams et Du Bois — président
de la Commission de rédaction de l’adresse — que l’on peut lire la fameuse
phrase : “Le problème du XXe siècle est celui de la question de couleur"604
(“The problem of the XXth Century is the problem of the colour line”). Du
Bois la reprit dans son livre Souls of Black Folk publié en 1903 : “Le
problème du XXe siècle est celui de la question de couleur, des relations
entre les races d’hommes les plus fonçées aux plus claires, en Asie et en
Afrique, en Amérique et dans les îles de l’océan” (“The problem of the
XXth Century is the problem of the colour line, the relation of the darker to
the lighter races of men in Asia and Africa, in America and the islands of
the sea”). Le texte de l’Appel dans le rapport de 1900 diffère de celui de
1903605.
Du Bois considérait les “races plus foncées” (“darker races”) comme “les
moins avancées culturellement par rapport aux modèles européens" (“the
least advanced in culture according to European standards”). Il mit en garde
les Européens de ne pas se dégrader eux-mêmes en avilissant les peuples
des colonies et en adoptant comme une doctrine progressiste, le progrès
racial.
L’Adresse aux Nations était destinée également aux "grandes Puissances
du monde civilisé” (“great Powers of the civilized world”), pour mettre un
terme aux préjugés de couleur. L’appel visait particulièrement la Grande-
Bretagne qui dominait à elle seule le plus grand nombre de Noirs, mais
aussi les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et la Belgique.
Le texte de l’Adresse aux Nations fut repris et traduit dans sa version
intégrale par Sylvain, dans son livre Du Sort des Indigènes...606.
Cet appel exigeait du gouvernement du Royaume-Uni l’autonomie des
colonies d’Afrique, aussi rapidement que possible. Les délégués plaidaient
pour l’égalité de traitement des Noirs dans les colonies blanches
d’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, et les colonies du Cap et
de Natal dominées par les Blancs, mettant ainsi en valeur la discrimination
par la couleur de la peau.
Joseph Chamberlain, le Secrétaire aux Colonies du gouvernement
britannique, considérait les Noirs des colonies anglaises, comme
"totalement incompétents pour siéger dans des institutions représentatives”
(“totally unfit for representatives institutions”)607. L’expression
"responsible government” appartient au droit constitutionnel anglais. Ce
type de gouvernement était en vigueur à l’époque dans les colonies
anglaises. Doté d’un cabinet ou d’un conseil exécutif responsable de la
législature, ce type de colonies différait de celles qui, à l’échelon inférieur,
bénéficiaient ou non d’institutions représentatives.
L’Adresse revendiquait un “responsible government”, et non pas “the
responsability of self-government” comme l’ont cru certains608. ni
l’indépendance609. Le terme "responsible government colonies"610 cité dans
l’Adresse, ne désignait pas des Etats indépendants. Elles seraient soumises
au Parlement britannique, habilité à légiférer dans certains domaines. Lors
du Congrès Panafricain de 1919 à Paris, les requêtes présentées par Du Bois
sur le gouvernement des “indigènes d’Afrique et des peuples d’ascendance
africaine", constituèrent même un recul par rapport aux exigences de 1900.
L’Adresse aux Nations invitait les Etats-Unis à adopter les idéaux de
Wilberforce et de Garrison. Elle exigeait la fin de l’oppression, le droit de
vote, la sécurité des biens et des personnes. La France et l’empire
germanique étaient rappelés à l’ordre quant à leur justice très partiale. Seule
une justice impartiale pouvait constituer la base de la prospérité. On
demanda également à Léopold II, roi des Belges, de permettre au “Libre
Etat du Congo” (“Congo Free State”) de “devenir un grand Etat noir
d’Afrique centrale, pour le monde” (“become a great central Negro State of
the World”). Aucun document ne prouve que les délégués poursuivirent
cette idée.
L‘Adresse se terminait en demandant aux nations impérialistes de
respecter l’intégrité et l’indépendance des “Etats Noirs Libres d’Abyssinie,
du Libéria, et de Haïti” (“the Free Negro States of Abyssinia, Liberia, Haïti,
etc...”)611.

Le “Mémoire" à la Reine Victoria


Parallèlement à l‘Adresse aux Nations, les délégués de la Conférence
firent parvenir un mémoire en septembre, au gouvernement britannique, sur
les durs traitements infligés aux “hommes de couleur” en Afrique du Sud.
Avec l’autorisation du Premier ministre, le Marquis de Salisbury612, il fut
directement envoyé à la Reine Victoria à Balmoral en Ecosse. En voici le
contenu :
“Memorial of the Pan-African Conference, assembled in Westminster
Town Hall, on the 23rd, 24th, and 25th of July, in the year of our Lord One
Thousand Nine Hundred. To Her Most Gracious Majesty, Queen of Great
Britain and Ireland, Empress of India, Defender of the Faith. May it Please
your Most Gracious Majesty. We, the undersigned representing the Pan-
African Conference, lately assembled in your Majesty’s City of London,
comprising men and women of African blood and descent being delegates
to the conference from various of your Majesty’s West and South African
colonies, the West Indies, and other countries, viz., the United States,
Liberia, etc., respectfully invite your august and energetic attention to the
fact that the situation of the natives races in South Africa is causing us and
our friends alarm. The causes are described as follows :
1. The degrading and illegal compound system of native labour in vogue
in Kimberley and Rhodesia.
2. The so-called indenture system, i.e., legalised bondage of native men
and women and children to white colonists.
3. The system of compulsory labour on public works.
4. The “pass” or docket system used for people of colour.
5. Local bye-laws tending to segregate and delegate the natives such as
the curfew ; the denial to the natives of the use of the footpaths ; and the use
of separate public conveyances.
6. Difficulties in acquiring real property.
7. Difficulties in obtaining the franchise.
Wherefore your Majesty’s humble Memorialists pray your influence be
used in order that these evils, to which we have respecfully called your
attention, be remedied, and thus foster the purpose of a true civilisation
amongst your Majesty’s native subjects. And your Memorialists shall in
duty bound, ever pray."613.
N’ayant toujours pas reçu de réponse au mémoire envoyé à la reine, le
comité exécutif, en réunion le 11 janvier 1901, chargea Williams de lui
demander si elle l’avait bien réceptionné. Williams lui écrivit le soir-même.
Le 17 janvier, il reçut enfin une lettre du secrétaire de Chamberlain : "Sir,
M. le Secrétaire Chamberlain me demande de vous faire état des ordres de
la reine, pour vous informer que le mémoire de la Conférence Panafricaine
sur la condition des aborigènes d’Afrique du Sud a bien été transmis à Sa
Majesté, et qu’elle est heureuse de lui ordonner d’y répondre, au nom de
son gouvernement. M. Chamberlain désire assurer les membres de la
Conférence que, en établissant ainsi les frontières à l’intérieur desquelles les
territoires conquis seront administrés, le Gouvernement de Sa Majesté ne
négligera pas les intérêts ni le bien-être des races indigènes. Nous avons fait
parvenir une copie du mémoire au Haut Commissaire pour l’Afrique du
Sud. Votre dévoué serviteur, H. Bertram Cox”614.
Satisfait de la réponse et de la promesse d’une prise en considération des
intérêts des indigènes, Williams la présenta immédiatement aux journaux.
The Times, la publia le lendemain sous les gros titres : “The South African
Native Question”, avec une note d’introduction rappelant la Conférence
“suivie par des hommes et des femmes de sang et d’origine africaine... avec
comme secrétaire général, le Rév. Henry Sylvester Williams”615.
Cependant, malgré la référence du mémoire aux aborigènes de tout le sud
de l’Afrique, le message de Chamberlain ne concernait que les “territoires
conquis" (“conquired territories”), c’est-à-dire, ceux du Transvaal et de la
Rivière Orange. Chamberlain ne répondait donc pas véritablement aux
requêtes du mémoire. S’agissait-il réellement d’une erreur, ou bien d’une
manœuvre politicienne ? Il n’évoque ni le travail obligatoire, ni les
contraintes de déplacement, ni la ségrégation des indigènes, ni la privation
des droits de vote et de propriété, toutes les injustices que Williams et ses
amis souhaitaient voir réparées.
Après la mort de la Reine Victoria, le 22 janvier 1901, malgré
l’interprétation erronée du mémoire par Chamberlain, Williams resta
attaché au souvenir de la reine, et à son symbole. Fervent anglophile, et
persuadé de la sincérité de la reine dans ses intentions de respecter les
indigènes, il écrivit le Ier juin 1901 dans le Mirror : “(Les Noirs) eurent
toutes les raisons d’honorer et de saluer sa mémoire, car son premier et
dernier acte sur le trône fut de favoriser l’émancipation totale de notre
peuple”616. Cependant, peu de temps après, Williams put constater que la
promesse de sa Majesté ne fut pas respectée par son gouvernement. Les
revendications des aborigènes d’Afrique du Sud furent totalement
méprisées et ignorées.
Pour clôturer leur rencontre historique, les délégués furent invités à
prendre le thé par le Dr. Gavin Clarck, parlementaire libéral, à la Chambre
des Communes. Cette invitation entrait dans le cadre des manifestations
prévues en l’honneur des participants à la Conférence. Un lunch au Liberal
Club fut également offert par H.R. Fox-Bourne, secrétaire honoraire de
l‘Aborigines Protection Society, et membre honoraire de l‘African
Association. Seuls les hommes furent autorisés à pénétrer dans la Chambre
des Communes. Les femmes, comme l’ensemble des colonisés, durent
renoncer à ce “privilège", ne bénéficiant pas du droit de vote. Puis les
délégués se réunirent à nouveau, pour une soiée musicale. C.W. French et le
président du comité de la Conférence Panafricaine, le Rév. H. Mason
Joseph, prononcèrent deux discours, achevant le programme de ces trois
jours.

Impact de la Conférence dans la presse


Williams parut satisfait de l’attention que portaient les médias à la
conférence. Elle fut largement évoquée semble-t-il dans les journaux
londoniens. Cependant, aucun éditorial ne lui fut consacré. Elle n’engageait
peut-être pas directement les politiciens britanniques, ou les questions
qu’elle soulevait étaient probablement trop délicates.
Le rapport le plus complet parut dans un journal londonien, la Review of
Reviews. Les participants réclamèrent la reconnaissance des droits de
l’homme pour tous les Noirs et affirmèrent leur intention de réaliser leurs
objectifs par des moyens constitutionnels. Le célèbre journaliste W.T. Stead,
éditeur du journal à grand tirage Review of Reviews, considéra la
Conférence comme la révolte mondiale des “peuples de couleur” contre la
domination blanche. Stead avait déjà interviewé Williams quelques années
auparavant. Il consacra la rubrique “Sujet du mois” (“Topic of the Month”)
du numéro d’août 1900 à la Conférence, sous le titre : “La Révolte contre
les Visages Pâles” (“The Revoit Against the Paleface”). Stead rappela à ses
lecteurs la cuisante défaite des Italiens contre l’empereur d’Ethiopie, et la
nomination de ce dernier comme membre honoraire de la Pan-African
Association617. Stead conclut que le monde blanc se retrouvait confronté à
la volonté déterminée des “races de couleur” de faire reconnaître leur droit
de vivre librement et selon leurs propres normes, sans la “perpétuelle
brutalité des Blancs” (“the perpetual bullying of the Palefaces”).
La Conférence ne passa nulle part inaperçue. Sylvain releva qu’en
France, la presse la qualifia de “manifestation bizarre”618. Walters rédigea
un rapport pour Trinidad qui fut publié dans le Colored American du 17
octobre 1900, reprenant le récit des journaux anglais, et les documents de la
Conférence. Les journaux de Trinidad et de Lagos évoquèrent ce rapport
invitant les Noirs du monde entier à soutenir l’Association Panafricaine.

Soucis financiers
Financièrement, la Conférence Panafricaine de 1900 ne fut pas un succès.
Cependant, Williams sollicita et obtint la contribution de personnes
susceptibles d’approuver son action. Parmi elles figuraient plusieurs
Anglais de différents horizons, outre les participants à la Conférence, et les
membres de l’Association Africaine. Certains de ces sympathisants ont pu
être identifiés : le Rév. F.B. Meyer, dirigeant du National Free Church
Council, Frederick Courtenay Selous, grand amateur de chasse, ancien
officier de la Buluwayo Field Force, et auteur de plusieurs ouvrages sur le
sud de l’Afrique dont Sunshine and Storm in Rhodesia, un récit de la guerre
du Matabele, Arthur E. Pease, parlementaire libéral qui rencontra
l’empereur Ménélik en 1901, comme il le raconte dans son livre Travel and
Sport in Africa (1902), Sir George Williams, fondateur de la Young Men’s
Christian Association, et bailleur de l’Exeter Hall, Catherine Impey, éditeur
de Anti-Caste, correspondante de John E. Bruce ; Mle Adams d’Irlande,
selon Sylvain et Mle Balgarnie, qui participa à l’assemblée annuelle de
1897 de la Liberation Society.
Les membres de l’Association ayant contribué financièrement et d’une
façon importante à la Conférence furent A.R. Hamilton de Jamaïque,
J.W.D. Worrell de Barbade, le Dr. R.A.K. Savage, de l’Afro-West Indian
Literary Society à Edimburgh ; le Rév. Thos L. Johnson, d’Afrique et Henry
F. Downing. S. Coleridge Taylor, de l’Association of the Royal College of
Music, fut remercié tout particulièrement.
Il faut noter aussi la participation de Travers Buxton, secrétaire de l’Anti-
Slavery Society, et de H.R. Fox-Bourne, secrétaire de l’Aborigines
Protection Society. Plusieurs prêtres et autres personnes figurèrent
également parmi les mécènes, à travers les apports religieux. Dadabhai
Naoroji fut un donateur (10 shilings) intéressant et significatif. Etonnant
dans le travail de reconstruction nationale de l’Inde, ce Parsi fut décrit dans
New Age du 29 avril 1897, comme “non seulement le premier grand homme
d’Etat indien, mais aussi, le premier économiste indien à poser les bases
d’une école de pensée économique indienne” (“not only India’s first great
statesman but also as the first Indian economist to lay the foundation of an
Indian school of economic thought”)619. Il vécut et travailla en Angleterre
de nombreuses années et devint le premier Indien élu au Parlement
britannique620. Naoroji, alors président de la London Indian Society, avait
dirigé le Congrès National Indien de Lahore en 1893, et allait présider celui
de Calcutta en 1906. Naoroji observa des ressemblances entre son travail
pour le peuple indien, et celui de Williams pour les Africains et leurs
descendants hors d’Afrique. Son oeuvre au Parlement et ailleurs, poussa
Williams à agir de même et à rechercher une action semblable pour son
propre peuple, ses “compatriotes” des Caraïbes et d’Afrique621.
Les comptes de la Conférence, achevés le 31 août, révélèrent un déficit
d’environ 22 livres Sterling et des dépenses totalisant plus de cent livres.
L’imprimerie, un journaliste particulier, l’affranchissement des lettres de
1898 à 1900, et diverses fournitures représentaient les principaux frais. On
ne sait pas qui régla le déficit, ni même s’il fut comblé, mais le manque de
fonds allait amorcer la désintégration de l’Association Panafricaine.
Williams se présenta aux examens du barreau du 16 au 18 octobre. Il les
réussit et son nom apparut sur la liste des reçus le 2 novembre. Il avait
manqué deux trimestres en raison de ses nombreuses absences de Londres.
Il ne fut pas appelé au barreau le 19 novembre comme les autres lauréats. Il
demanda aux maîtres du banc une dispense. Mais ceux-ci refusèrent,
sachant probablement qu’il partageait son temps entre son combat pour les
Noirs et ses études622. Williams ne put exercer pendant une longue période.

Le Rapport de la Conférence
Le rapport de la conférence, rédigé par Williams et ses amis, alors qu’il
terminait ses études, comprenait le Mémoire à la Reine Victoria, l’Adresse
aux Nations, les statuts de l’Association Panafricaine et les résolutions de
la Conférence. Certaines rendaient hommage à l’Anti-Slavery Society pour
son “noble et grand travail... en faveur de l’abolition de l’esclavage aux
Caraïbes, en Afrique, aux Etats-Unis et au Brésil”. D’autres remerciaient le
Native Races and Liquor Traffic United Committee pour ses “grands
efforts” pour l’amélioration des conditions des indigènes et la suppression
du trafic inique de liqueur chez eux, l’Aborigines Protection Society, pour la
protection accordée aux indigènes de l’empire britannique et des autres
pays, et la Society of Friends de leur travail constant pour l’émancipation
aux Caraïbes, au Brésil, aux Etats-Unis et ailleurs. Le rapport soulignait la
conscience des membres de l’Association de la douleur de ces hommes
encore “esclaves sous le drapeau britannique”. Le rapport exprimait aussi sa
gratitude aux "nombreux amis et sociétés” qui encouragèrent Williams, en
tant que secrétaire honoraire de l’Association Africaine, à consigner sur le
papier cet événement historique. Williams fut chargé de peaufiner le
Mémoire à la Reine Victoria et de diffuser l‘Adresse aux Nations. On le pria
également de faire parvenir ce mémoire à l’Empereur Ménélik et aux
présidents d’Haïti et du Libéria. La rédaction des lettres de remerciements
pour le soutien accordé à la conférence lui incombait également. Williams
expédia à la British and Foreign Anti-Slavery Society une copie de la
résolution exprimant la reconnaissance des participants à la conférence, le
30 août623.
Le Rapport de la Conférence de 1900 ne fut jamais publié624. Il se
trouvait dans les Du Bois Papers à Accra (Ghana) avant d’être transféré à
l’Université d’Amherst, Massachusetts. Pourquoi W.E.B. Du Bois ne
mentionna-t-il pas Williams et la Conférence de Londres dans ses écrits
autobiographiques ? Du Bois évoque son voyage à Paris et sa visite à
l’Exposition Universelle dans son livre Dusk of Dawn (1940). Dans
l’ouvrage Autobiography of W.E.B. Du Bois (1968), il apparaît comme
ayant été "Secretary, First Pan-African Conference in England”625. Or,
selon l’évêque Walters, c’est John L. Love qui aurait été élu secrétaire de la
Conférence626.
Cependant Du Bois affirme dans ses ouvrages qu’il aurait été l’initiateur
du mouvement panafricain. Il aurait, dit-il, ouvert la voie, à Paris en 1919,
au “development of the idea back of the Pan-African Congress”627. Mieux,
selon son autobiographie, il aurait “émergé” avec un programme de
panafricanisme qui apparaît comme une “protection organisée du Monde
Nègre dirigée par les Nègres américains” (“organized protection of the
Negro world led by American Negroes")628.
Alors pourquoi ce silence ?
Du Bois aurait oublié “complètement Williams", pense David Levering
Lewis, auteur d’un ouvrage intitulé W.E.B. Du Bois. Biography of a Race
(Prix Pulitzer 1994)629. Voire...
Cependant des recherches plus approfondies ont montré que Du Bois a
cité une seule fois H.S. Williams dans un journal, le Chicago Defender du
22 septembre 1945. Dans l’article intitulé “Revival of Pan-Africanism”
publié sous la rubrique "Winds of Change”, Du Bois mentionne deux fois
Williams en ne le nommant pas explicitement mais en se contentant de le
qualifier de “West Indian barrister" (“un avocat des Indes occidentales”).
La Conférence de Londres organisée principalement par des Caribans
aidés par des Africains, ne correspondait pas aux aspirations de Du Bois qui
aurait préféré occuper une place plus importante dans l’organisation de
l’association. Cette direction lui reviendra à partir de 1919 (Premier
Congrès Panafricain à Paris) et il préfèrera passer sous silence sa modeste
contribution à la Conférence de 1900.
Le Rapport se présente sous la forme de dix-huit feuillets
dactylographiés. Les personnalités du Bureau de la Conférence autour de H.
Sylvester Williams, le secrétaire général, et les membres du Comité
exécutif, ne comptaient pas Du Bois parmi eux. Du Bois apparaît comme
“Chairman Committee on Address”, c’est-à-dire président d’une
commission chargée de l’Appel qui se trouve dans le Rapport et comme
vice-président de la branche panafricaine des U.S.A., bureau élu à la
Conférence avec pour secrétaire Thomas J. Calloway. Ce dernier, ami de
Du Bois, originaire de Washington, était employé au War Department.
Présent à l’Exposition Universelle de Paris, il traversa la Manche avec son
ami pour se rendre à Londres.
Il est tout de même extrêmement curieux de penser que ce document
exceptionnel soit demeuré si longtemps ignoré du public. Rédigé en 1900,
je le publie tel quel, en anglais, de crainte de le déformer en le traduisant.
Ce Rapport de la Conférence confirme l’importance prise dans le
mouvement panafricain à sa naissance, par les organisateurs caribans :
Trinidadiens, Jamaïcains et surtout Haïtiens (Anténor Firmin, Benito
Sylvain, délégué général pour l’Afrique et Holly). Il montre aussi la place
accordée aux délégués africains et des Etats-Unis : Alexander Walters,
nommé président de la Conférence, Du Bois, responsable d’une
commission chargée de la mise au point de l’Appel définitif.
Voici donc ce texte du Rapport qui paraît, imprimé, pour la première fois,
un siècle après sa rédaction en juillet 1900 à Londres :

“REPORT
OF
THE PAN-AFRICAN CONFERENCE
Held on the
23rd, 24th and 25th July, 1900.
At WESTMINSTER TOWN HALL.
WESTMINSTER, S.W.

Head Quarters :
61 and 62, Chancery Lane, W.C.
London, England

The following are the Officers and Executive Committee elected to serve
the PAN-AFRICAN ASSOCIATION, with Head-Quarters in London :
Officers :
The Right Rev. Bishop Alexander Walters, M.A., D.D., President.
Rev. Henry B. Brown, Vice-President.
Dr. R.J. Colenso, M.A., General Treasurer.
M. Benito Sylvain, General Delegate for Africa.
H. Sylvester Williams, Esq., General Secretary.

Executive Committee :
Hon. Henry F. Downing.
S. Coleridge Taylor, Esq., A.R.C.M.
F.J. Loudin, Esq.
J.R. Archer, Esq.
Mrs. Jane Cobden-Unwin.
Mrs. Anna J. Cooper, M.A.

*
REPORT
of
THE PAN-AFRICAN CONFERENCE.

The Executive, in issuing the Report of the Conference recently held in


the Westminster Town Hall, London, respectfully thank the numerous
friends and various organs who have contributed to the success of the first
assembling of members of the African race from all parts of the globe. The
idea was conceived early in the year 1897, that such a conference would be
of immense benefit to the question of the treatment of the natives, which
was then agitating the mind of Great Britain in consequence of the
Matabele and Bechuanaland wars, the compound system in vogue in the
mining district of South Africa, the existence of actual slavery in Pemba
and Zanzibar, the uprising of the natives in the interland of Sierra Leone,
and the distress of the inhabitants of the West Indies, consequent upon the
sugar crisis and the hurricane visitation. The public’s attention for the first
time in England was called to the existence of the aforementioned condition
in South Africa principally by Mrs. A. V. Kinnlock, a native lady, and Miss
Colenso, and the work thus begun was continued by the Mon. Secretary,
Mr. H. S. Williams. In the year 1898 he visited Birmingham, Manchester,
Liverpool, Edinburgh, Stirling, Dundee, Glasgow, Belfast, Dublin, and
numerous places in the neighbourhood of London, with the result that a
council of several representative members of the race present in London
was held, and an association was formed with the objects : — to encourage
a feeling of unity ; to facilitate friendly intercourse among Africans in
general ; to promote and protect the interests of all subjects claiming
African descent, wholly or in part, in British Colonies and other places,
especially in Africa, by circulating accurate information on all subjects
affecting their rights and privileges as subjects of the British Empire and by
direct appeals to the Imperial and local governments.
The spirit of the above objects was fully carried out by appeals and
memorials being sent to Her Majesty’s Secretary of State for the Colonies,
and the German Emperor.
At a meeting held at 139, Palace Chambers, on November 19th, 1898, it
was resolved that the following circular should be issued : —
‘DEAR SIR, — In view of circumstances and the widespread ignorance
which is prevalent in England about the treatment of native races under
European and American rule, the African Associaton, which consists of
members of the race resident in England, and which has been in existence
for some years, has resolved during the Paris Exhibition, 1900 (which many
representatives of the race may be visiting) to hold a Conference in London
in the month of May in the said year, in order to take steps to influence
public opinion on existing proceedings and conditions affecting the welfare
of the natives in the various parts of the world, viz. South Africa, West
Africa, West Indies, and United States of America”.
The circular was accordingly distributed throughout the world. The
responses were most encouraging. Many of our leading men, e.g., Right
Rev. Bishop J. F. Holly, M.A., D.D.(Hayti) ; Right Rev. Bishop James
Johnson, M.A., D.D.. ; Bishop H.M. Turner, M.A., D.D. ; Rev. M. Agbebi,
M.A., Ph.D. ; Rev. C.W. Farquhar ; The Honorable D. Augustus Straeker,
L.L.B., etc., Judge, U.S.A. ; Prof. Scarborough, M.A. ; L.L.D., Ph.D. ; The
Honorable H. R. Cargill ; Tengu Jebavu, Esq. ; J. Otomba Payne, Esq. Prof.
T. Booker Washington, M.A., being in London, attended one of the
preparatory meetings on the 12th June, 1899, and rendered valuable service.
Many who were desirous of attending thought the month of May
inopportune, and suggested July as being more convenient ; and it was
decided by the Committee that the 23rd, 24th and 25th July were suitable
days, coming after the “World’s Christian Endeavour Conference.” Previous
to the opening of the conference the association was honored by the
presence of the Right Rev. Bishop James Johnson, of Lagos, to whom was
presented the following engrossed memorial upon his elevation to the bench
of Colonial bishops :
“MY LORD, — The African Association, consisting of members of the
race from various parts of the globe assembled in London, ask your
acceptance of this humble tribute as a mark of admiration and appreciation
of your personal qualities, which have won the recognition of the English
Church, entitling you to the honourable and dignified position of Bishop on
the Lower Niger, West Africa. We believe that the distinguished honour
conferred on so worthy a member of our race cannot but operate as a
stimulus on the rising generation, and therefore heartily congratulate you in
the enjoyment of it. It is true, my Lord, that the present features of the
history of the African race, whereever found, either in their own home, or
under the flags of the known powers, are not too reassuring, but there is
consolation in the unquestioned fact that there is a noticeable esprit de corps
amongst them, encouraging us to look forward to the future. The powers
and capacity of our great men have hitherto had little scope for
development, through a cruel design of time to dissociate the race from its
share in the progress of the civilisation of the world ; but it is our firm belief
that we must employ our own talent and energy to (a) educate our young
minds in the prolific possibilities of the race ; (b) develop our own
chroniclers ; and (c) institute and support our own libraries and
organisations, and thus march side by side with our more fortunate
Caucasian brother. We are confident, my Lord, that your speeches as a
legislator, your sermons as a missionary, and your position now as a prelate,
have tended, and will continue, to influence the rising men of our race for
good. God grant it. Therefore we most sincerely congratulate you on your
elevation, and earnestly hope and pray that yourself and family may
continue to enjoy the great blessing of good health that excellent accounts
of your work of lifting Africa’s sons to a higher intellectual and industrial
level may be heard or, so to encourage others to follow your footsteps, and
thus glorify the cause of our common Master, Jesus Christ.
We are, truly yours,
“F. E. R. JOHNSON, Ex-Attorney-General, Liberia.
“BENITO SYLVAIN, Aide-de-Camp to the Emperor Menelik, Abyssinia.
HENRY F. DOWNING, Ex.-U.S.A. Consul. Loanda. Mrs. M. T. COLE, A.
R. HAMILTON (Jamaica), N. W. HOLM, R. E. PHIPPS. A. P. PIERRE, M.
F. RIBEIRO, DR. SCHOMERUS, D. E. TOBIAS, J. W. D. WORRELL, H.
SYLVESTER WILLIAMS (Hon. Sec.), and others.”

In reply, his lordship heartily thanked the gentlemen for their kindness
and good wishes, and especially hoped that God’s blessing would rest upon
the forthcoming Pan-African Conference, to be held on Monday, Tuesday,
and Wednesday of the next week at the Westminster Town Hall. He deeply
regretted his inability to stay and attend the first and unique gathering of his
kinsmen in London from all parts of the globe. “The occasion was
significant. Ethiopia was awakening. Too much cannot be said for the seal
and energy of Mr. Williams, to whom the possibility of the conference is
due. His labours have been hard and trying, and its success must redound
creditably to his organising capacity. The fact, that nearly all concerned in
this wonderful movement are young men, is encouraging. As a race we, my
dear friends, are judged in the light of a foreign civilisation ; more often
than not the judges have been inequitable, they have rushed to conclusions
which are baseless from the evidence, but such structures are the
consequences of a dire transition the African race is passing through.
Coming events cast their shadows before. And I am proud to think —
having made a survey around my own country, and realising a kind of
apathy in my people, the result of an inefficient educational system, there
are to be found young men of the race, from the West Indies, United States
of America, Liberia, and Abyssinia, determined to press the cause of the
race to a successful issue. It is well. Let me say this : Have confidence and
faith in one another. The Pan-African Conference is the beginning of a
union I long hoped for, and would to God it could be universal. As a people,
recollect this : we are destined, despite the fallacies of many, to be
recognised. Already we have morality, religion, and perseverence on our
balance sheet — government will come as we labour towards that end.
Temper your deliberations with truth, and God will do the rest. There are
good friends in England yet, and though we wade through the mire of the
evil curses of civilisation in the Colonies, their voices will blend with ours,
that righteousness and justice be the ruling words of British civilisation.”
The conference opened most auspiciously. All the delegates and members
were prompt in attendance. Bishop Alexander Walters, M.A., D.D., of New
Jersey, presided, and inaugurated the proceedings with prayer. Upon the
platform, supporting the Chairman, were the Honourable F E. R. Johnson,
ex-Attorney General (of Liberia), on the right ; M. Benito Sylvain, A.D.C.
to the Emperor Menelik, on the left.
The Right Hon. and Right Rev. the Lord Bishop of London welcomed the
delegates and members in a most happy and practical speech, which was
replied to by the Hon. F. E. R. Johnson.
Apart from desiring to respond to the many requests which have reached
the Executive to publish the proceedings of the conference, it is the
intention of the Executive to do so in commemoration of the occasion. As
the leading papers both of London and the provinces have stated the
significance of such a conference at this time cannot but assure the British
public that the darker races are awakening to their interest.

WORK.

The conference merged the old association into the Pan-African, which
has been effectively organised, with constitution, laws and bye-laws, also
have established permanent headquarters in London at room 416, 61 and
62, Chancery Lane with a Bureau from which it hopes to disseminate facts
and statistics relating to the circumstances and conditions of members of the
African race wherever found.
It also decided to hold similar conferences every two years, the next to
meet in the United States in 1902, and subsequently in Hayti, in 1904, other
places to be decided in future.
Branch associations to be instituted and encouraged throughout Africa,
the United States and the West Indies, and where there already exists
kindred associations, to have them affiliated with Headquarters. Conference
was particularly desirous that the Pan-African Association should be
independent and unhampered in any particular : the members of the race for
whom the association exists should support it by their means and influence.
In this report the Executive Committee respectfully calls the attention of all
our people to the existence of this Association and the Bureau, which if
supported effectively cannot but meet a long-felt necessity, and be a
mouthpiece for the many ills from which the race suffers.
In view of stalwart battles fought for the emancipation of our people in
the British Colonies and America, Conference could not disband without
some reference to past and present work and also to that which the present
generation will be called upon to do in the future ; therefore the following
resolutions were submitted and rassed on behalf and for the respective
societies.

RESOLUTIONS

Passed at the Pan-African Conference, held in the Westminster Town


Hall, on the 23rd, 24th and 25th July, 1900 :

THE BRITISH AND FOREIGN ANTI-SLAVERY SOCIETY.

Resolved — “That this Pan-African Conference, the first of its kind


everheld in London, representing the African and his descendants in every
part of the world, cannot separate without expressing the obligation the
African race is under for the great and noble work accomplished by the
Anti-Slavery Society, through its long list of illustrious members, for the
abolition of slavery in the West Indies, Africa, the United States, and
Brazil ; and while rejoicing in the blessing of freedom, we are not
unmindful of our less favoured brethren who are still in bondage in
Zanzibar, Pemba, and other countries. Therefore we pray that the same
spirit which inspired that noble host, represented in the names of Granville
Sharp, William Wilberforce, Thomas Buxton, and William Clarkson [141]
to work for the liberation of our fathers and forefathers, will continue to
inflame the lives of the present generation for the achievement of like, if not
greater, heroism for Christ and humanity.”

THE NATIVE RACES AND LIQUOR TRAFFIC UNITED COMMITTEE.

Resolved — “That this Pan-African Conference, the first of its kind ever
assembled in London, representing the African and his descendants from
every part of the world, express sincerest gratitude for the noble efforts put
forth from time to time by the Native Races and Liquor Traffic United
Committee for the amelioration or the condition of native races, and the
suppression of the iniquitous traffic in liquor amongst them. We apprehend
this traffic to be a deterrent to the vital principles underlying British
civilisation at home and, greater still, abroad. Therefore the conference
further rejoice at the success the Committee has already achieved in the
face of grave difficulties, and pray that greater blessings will yet crown its
philanthropic labours for Christ and humanity".

THE ABORIGINES PROTECTION SOCIETY

Resolved : “That this Pan-African Conference, comprising men and


women of the African race from all parts of the world, the first of its kind
ever assembled in London, hereby gratefully acknowledge the work done
by the Aborigines Protection Society for the protection afforded the
aboriginal inhabitants of the British Empire and various other countries, and
pray that the Society may be greatly encouraged in carrying on its work.”

THE SOCIETY OF FRIENDS

Resolved : — “That this Pan-African Conference, comprising (men and


women) members of the African race from all parts of the globe, here
acknowledge with sincerest gratitude the indefatigable labours of the
Society of Friends in the cause of Emancipation in the West Indies, United
States of America, Brazil, and other places, and view with marked
appreciation the unselfish sacrifice even now being exercised in Pemba and
Zanzibar on the East Coast of Africa for the freedom of less privileged
members of the race who are there enslaved under the British flag.

“That the practical methode adopted by the society to educate freed and
escaped slaves, e.g., “Banani Mission,” must not only benefit these, but is,
in the opinion of the Conference, the great mentor for diffusing a true sense
of civilisation calculated to bring them to Christ, and to teach them the
principles of independence. Therefore, in view of the past and present
history of Friends, both in Great Britain and the United States, this
Conference, the first of its kind ever assembled in London, unanimously
hope that in the acute period of transition the race is experiencing from
prejudice, greed and self, the society will not relinquish its influential aid to
us in efforts put forth to assert our manhood and become loyal and true
citizens of the various countries represented, but will continue to extend
that encouragement which has characterised the very life of the society,
from the early founders to the present.”
Conference deemed it imperative in view of the acute ill-treatment of the
natives in South Africa, to memorialise the Government on the matter, but
on application to His Lordship the Marquis of Salisbury, he granted the
permission to transmit the document directly to Her Majesty Queen
Victoria, which has been done, signed by the officers and members of the
Executive :
“MEMORIAL OF THE PAN-AFRICAN CONFERENCE, assembled in
Westminster Town Hall, on the 23rd. 24th and 25th July, in the year of our
Lord One Thousand nine hundred.
“To Her Most Gracious Majesty, Queen of Great Britain and Ireland,
Empress of India, Defender of the Faith.
“May it please your Most Gracious Majesty.
“We, the undersigned, representing the Pan-African Conference, lately
assembled in your Majesty’s City of London, comprising men and women
of African blood and descent, being delegates to this conference from
various of your Majesty’s West and South African Colonies, the West
Indies, and other countries, viz., the United States, Liberia, &c., respectfully
invite your august and Sympathetic attention to the fact that the situation of
the native races in South Africa is causing us and our friends alarm. The
causes are described as follows :
“1. The degrading and illegal compound system of native labour in vogue in
Kimberley and Rhodesia,
2. The socalled indenture, i.e., legalised bondage of native men and women
and children to white colonists.
3. The system of compulsory labour on public works.
4. The ‘pass’ or docket system used for people of colour.
5. Local bye-laws tending to segregate and degrade the natives — such as
the curfew ; the denial to the natives of the use of the footpaths ; and the use
of separate public conveyances.
8. Difficulties in acquiring real property.
7. Difficulties in obtaining the franchise.
“Wherefore your Majesty’s humble Memorialists pray your influence be
used in order that these evils, to which we have respectfully called your
attention, be remedied, and thus foster the purpose of a true civilisation
amongst your Majesty’s native subjects.
“And your Memorialists shall in duty bound, ever pray."
A general appeal to the nations of the World was considered requisite in
consequence of the unenviable position of our people everywhere to day,
and the following was duly proposed and unanimously sanctioned by the
conference :

“TO THE NATIONS OF THE WORLD

“In the metropolis of the modern world, in this the closing year of the
nineteenth century, there has been assembled a congress of men and women
of African blood, to deliberate solemnly upon the present situation and
outlook of the darker races of mankind. The problem of the twentieth
century is the problem of the colour line, the question as to how far
differences of race, which show themselves chiefly in the colour of the skin
and the texture of the hair, are going to be made, hereafter, the basis of
denying to over half the world the right of sharing to their utmost ability the
opportunities and privileges of modern civilisation.
“To be sure, the darker races are today the least advanced in culture
according to European standards. This has not, however, always been the
case in the past, and certainly the world’s history, both ancient and modern,
has given many instances of no despicable ability and capacity among the
blackest races of men.
“In any case, the modern world must needs remember that in this age,
when the ends of the world are being brought so near together, the millions
of black men in Africa, America, and the Islands of the Sea, not to speak of
the brown and yellow myriads elsewhere, are bound to have great influence
upon the world in the future, by reason of sheer numbers and physical
contact. If now the world of culture bends itself towards giving negroes and
other dark men the largest and broadest opportunity for education and self-
development, then this contact and influence is bound to have a beneficial
effect upon the world and hasten human progress. But if, by reason of
carelessness, prejudice, greed and injustice, the black world is to be
exploited and lavished and degraded, the results must be deplorable, if not
fatal, not simply to them, but to the high ideals of justice, freedom, and
culture which a thousand years of Christian civilisation have held before
Europe.
“And now, therefore, to these ideals of civilisation, to the broader
humanity of the followers of the Prince of Peace, we, the men and women
of Africa in world congress assembled, do now solemnly appeal :
‘“Let the world take no backward step in that slow but sure progress
which has successively refused to let the spirit of class, of caste, of
privilege, or of birth, debar from like liberty and the pursuit of happiness a
striving human soul.
‘“Let not mere colour or race be a feature of distinction drawn between
white and black men, regardless of worth or ability.
‘“Let not the natives of Africa be sacrificed to the greed of gold, their
liberties taken away, their family life debauched, their just aspirations
repressed, and avenues of advancement and culture taken from them.
‘“Let not the cloak of Christian missionary enterprise be allowed in the
future, as so often in the past, to hide the ruthless economic exploitation and
political downfall of less developed nations, whose chief fault has been
reliance on the plighted faith of the Christian church.
‘“Let the British nation, the first modern champion of negro freedom,
hasten to crown the work of Wilberforce, and Clarkson, and Buxton, and
Sharpe, Bishop Colenso, and Livingstone, and give, as soon as practicable,
the rights of responsible government to the black colonies of Africa and the
West Indies.
“‘Let not the spirit of Garrison, Phillips, and Douglas wholly die out in
America ; may the conscience of a great nation rise and rebuke all
dishonesty and unrighteous oppression toward the American Negro, and
grant to him the right of franchise, security of person and property, and
generous recognition of the great work he has accomplished in a generation
toward raising nine millions of human beings from slavery to manhood.
“‘Let the German Empire, and the French Republic, true to their great
past, remember that the true worth of colonies lies in their prosperity and
progress, and that justice, impartial alike to black and white, is the first
element of prosperity.
“‘Let the Congo Free State become a great central Negro State of the
world, and let its prosperity be counted not simply in cash and commerce,
but in the happiness and true advancement of its black people.
“‘Let the nations of the World respect the integrity and independence of
the free Negro States of Abyssinia, Liberia, Hayti, etc., and let the
inhabitants of these States, the independent tribes of Africa, the Negroes of
the West Indies and America, and the black subjects or all nations take
courage, strive ceaselessly, and fight bravely, that they may prove to the
world their incontestible right to be counted among the great brotherhood of
mankind.
“Thus we appeal with boldness and confidence to the Great Powers of the
civilised world, trusting in the wide spirit of humanity, and the deep sense
of justice of our age, for a generous recognition of the righteousness of our
cause.

Alexander WALTERS (Bishop),


President Pan-African Association.
Henry B. BROWN
Vice-President

H. Sylvester WILLIAMS.
General Secretary

W. E. Burghardt DU BOIS,
Chairman Committee on Address.

Headquarters of the Pan-African Association and Bureau,


61, Chancery Lane, London, W.C.”

Conference felt it owed a sense of gratitude to the many friends and


societies which encouraged Mr. Williams, the Hon. Secretary of the African
Association, through his journeys to be able to bring about this eventful
epoch. The names were duly submitted for the years 1898-1899, and
sincerely trust that the friends will still continue to evince that friendship
and goodwill in the work undertaken here in Great Britain, i.e., to be able to
perfect the plans of our Bureau so as to further influence public opinion and
to make necessary authentic representation to the authorities on matters
affecting the welfare of our race all over the globe. Of the members who
deserve mention for the constant material support, rendered the success of
the conference are : Messrs. A. R. Hamilton (Jamaica), J. W. D. Worrell
(Barbadoes), Dr. Savage, Afro-West-Indian Lit. Soc. Edin., Rev. Thos. L.
Johnson (Africa), and the Hon. Henry F. Dromey, for the excellent service
Mr. S. Coleridge Taylor, A.R.C.M., rendered the Conference. They realised
the cause and laboured.
Now that the Pan-African Association is permanently instituted, hoping
to bring our people closer together than heretofore, Branch Associations are
to be encouraged everywhere, and worked on similar principles as
headquarters. It will be incumbent upon them, however, to contribute a
quota towards the upkeep of the office in England. The Executive would
exact only most authentic reports in order to serve the cause of the people
without fear of refutation.
Associations already existing whose aims are similar will be readily
affiliated by formal application to the Executive.

THE OFFICERS AND BRANCHES NOMINATED


AND ELECTED AT THE CONFERENCE
U.S.A. : Vice-President : W. B. DuBois, M. A. ; Secretary : T. J. Calloway,
Esq.
HAYTI : Vice-President : M. A. Firmin ; Secretary : Right Rev. Dr.
HOLLY.
ABYSSINIA : Vice-President : M. Benito Sylvain ; Secretary : Dr. A. K.
Savage, M.R.C.P.
LIBERIA : Vice-President : Hon. F. E. R. Johnson ; Secretary : S. F, Dennis,
Esq.
SOUTH AFRICA :
Natal : Vice-President : Edwin Kinloch, Esq. ; Secretary :
Cape Town : Vice-President :
Secretary :
Rhodesia : — Vice-President :
Secretary :
WEST AFRICA :
Sierra Leone : Vice-President : J.A. Williams, Esq., J.P. ; Secretary :
M. Lewis, Esq.
Lagos : Vice-President : J. Otonba Payne ; Secretary : N. W. Holm.
GOLD COAST : Vice-President : Secretary :
BRITISH WEST INDIES :
Jamaica : Vice-President : Hon. H. R. Cargill ; Secretary :
Trinidad : Vice-President : Secretary :
CANADA :
Vice-President : Secretary :
ORANGE RIVER COLONY : Vice-President : Secretary :
TRANSVAAL : Vice-President : Secretary :

N. B. : Where names are left out. the General Secretary will be glad to
know of persons who are willing to fill the positions.

Special : Any Member (Active or Honorary) desiring to participate in the


Conference to be held in the United States during the year 1902 must apply
early to the General Secretary.
THE PAN-AFRICAN CONFERENCE (Held on the 23d, 24th and 25th
July, 1900) ACCOUNT.

Statement of Receipts and Payments for the Conference to the 31st August,
1900.

I have examined the above accounts with the books and vouchers, and
certify the same to be correct.
James Martin, Accountant.
113, Euston Road, 2nd October, 1900.”

Pourquoi la deuxième conférence ne se tint-elle pas comme prévu aux


Etats-Unis en 1902 ? Le journal Colored Americans du 17 août 1901
reconnaissait les efforts de l’Association Pan-Africaine qui “devrait réussir
à prendre pied aux U.S.A.”. Il ajoutait cependant que les Noirs, impliqués
dans une lutte de vie et de mort, devaient se prendre en charge, s’occuper
d’eux-mêmes sans laisser ce soin à d’autres. Le contexte politique et social
des Etats-Unis ne favorisa pas la réunion d’une telle conférence.
L’émigration de Williams en Afrique porta un coup fatal à l’évolution de ce
premier mouvement panafricain, bien que, nonobstant les remarques acides
de Du Bois, les espoirs et les idées poursuivirent leur pénétration.

476 J.A. Hobson, Imperialism, Londres, 1902 et Rudolf Hilferding, Das Finanzkapital, Vienne,
1910.
477 Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme. Editions de Pékin. 1970, pp.89-90.
478 1906, p.254, L’extension territoriale des colonies européennes.
479 New York, 1900.
480 J.-E. Drault, op.cit., Paris. 1907, p.209.
481 Paul Bohannan, L’Afrique et les Africains. Editions Nouveaux Horizons, 1975, p.407.
482 The New Cambridge Modem History. XII, The Shifting Balance of World tories, 1898-1945. p.
375.
483 Leslie Manigat, Evolution et Révolutions, Editions Richelieu, 1973, p.121.
484 Histoire générale de l’Afrique, tome VII, L’Afrique sous domination coloniale, p.23.
485 Jean-Louis Miège, Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos jours, Paris, P.U.F.,
1973, p.195.
486 Le Colonial Office, en Grande-Bretagne, date de 1854. Chamberlain devient ministre des
Colonies en 1894.
487 Tome VII, p.51
488 How Europe underdeveloped Africa. Dar-es-Salaam. Tanzanie. Publishing House, 1972.
489 Walter Rodney, op.cit. édition Howard University Press, Washington, D.C., 1974. pp.224-225.
490 "The decisiveness of the short period of colonialism... springs mainly from the fact that Africa
lost power... During the centuries of pre-colonial trade some control over social, political and
economic life was retained in Africa, in spite of the disadvantageous commerce with Europeans. That
little control over internal matters disappeared under colonialism... The power to act independently is
the guarantee to participate actively and consciously in history. To be colonised is to be removed
from history... Overnight, African political states lost their power, independence and meaning”.
491 Les grands dossiers de L’Illustration : “Les expéditions africaines ; histoire d’un siècle, 1843-
1944", Le Livre de Paris, 1987, p.133.
492 Ibidem, p.133.
493 Ibidem.
494 Page 38.
495 Cf., au sujet de la carrière de Mortenol : Oruno D. Lara, Le Commandant Mortenol, un officier
guadeloupéen dans la "Royale’’, Editions du Cercam. Centre de Recherches Caraïbes-Amériques,
1985, 285 p.
496 Paris, L. Boyer, 529 p.
497 New York, Fleming H. Revel Cy.
498 Document reproduit en annexe.
499 Voir sa lettre du 3 janvier 1895.
500 Bruce Hamilton, Barbados and the Confederation Question, 1877-1885. Londres, Crown
Agents, 1956, pp. 4-7.
501 Sarah E. Morton, John Morton of Trinidad : Journals, Letters and Papers, Toronto, Westminster
Co., 1916, p. 245. Voir également : Donald Wood, Trinidad and Transition. The Years after Slavery,
Londres, 1968.
502 San Fernando Gazette du 16 juin 1888, reprenant la Grenada Chronicle du 9 juin 1888 ; voir
aussi le New Era du 6 juillet 1888 citant le St. Vincent Sentinel du 15 juin 1888.
503 San Fernando Gazette du 6 août 1888.
504 C’est de lui que Williams aurait appris sa “passion for temperance” (“son amour de la
modération") et son “feeling for empire” (“attirance envers l’empire”), d’après Owen Charles
Mathurin, Henry Sylvester Williams and the Origins of Pan-African Movement, 1869-1911, Londres,
Greenwood Press, 1976, p. 20.
505 Londres, Murray, 1921, p. 143.
506 Lennis Inniss, Trinidad and Trinidadians. Port-of-Spain, Mirror Printing Works. 1910, p. 98.
507 Trinidad Royal Gazette du 28 novembre 1888.
508 Port-of-Spain Gazette du 19 décembre 1909.
509 Trinidad Royal Gazette du 28 novembre 1888
510 Public Opinion du 21 juin 1889.
511 Le Rév. Dr. W.B. Derrick pensait que Fortune avait “découvert et popularisé le terme”, cf. New
York Age du 23 octobre 1891 et le New Age de Londres du 3 février 1898.
512 Voir Emm Lou Thornbrugh, Timothy Thomas Fortune : Militant Journalist, Chicago, University
of Chicago Press, 1972.
513 New York Age, 1891, les trois journaux étaient offerts en souscription à un prix spécial.
514 Ibid., le 22 mars 1906.
515 Edwin S. Redkey, Black Exodus, New Haven. Yale University Press, 1969 et H.R. Lynch, op.
cit., chap. 6.
516 G. Forbes et M. Trotter publièrent The Guardian en 1901. où il développèrent leurs thèses
égalitaires et s’opposèrent à celles de Booker T. Washington.
517 New York Age du 3 octobre 1891.
518 Ibid.10 octobre 1891.
519 Ibid., 3 octobre 1891.
520 Ibid.
521 Registre de l’université de Dalhousie, 20 février 1968.
522 Registre de l’université de Dalhousie.
523 Robin W. Winks, The Blacks in Canada : A History. New Haven. Yale University Press, 1971,
chap. 1.
524 Marylebone Mercury, 17 novembre 1906 ; West London Gazette du 17 novembre 1906.
525 James R. Hooker, Henry Sylvester Williams. Imperial Pan-Africanist, Londres, Rex Collings.
1975. pp. 18-19.
526 Ibid., pp. 19-20
527 E.S. Redkey, Black Exodus, Yale, 1969, p. 182
528 Port-of-Spain Gazette du 25 juin 1897.
529 Le bibliothécaire du Gray’s Inn à Mathurin, le 5 décembre 1966.
530 The Times, 30 avril 1898.
531 Ibid., 8 juin 1898.
532 Port-of-Spain Gazette, 2 juin 1901.
533 Rochester, Chatam and Gillingham Journal. 25 avril 1904.
534 Lettre de Williams à "Miss Powell” du 20 décembre 1897, Williams Papers, Barataria, Trinidad.
535 Rochester, Chatam and Gillingham Journal. 15 avril 1904.
536 Deux lettres adressées à des revues ont survécu de cette période. La première, parue dans un
magazine non identifié, était libellée de la sorte : “Could Livingstone but see today the sad and
appealling state things have assumed in that land, and amongst the people for whom he lived and for
whom he spent his last drop of lifels oil, what would he say ? This, me thinks, would be his
ejaculation, ‘Can Christ be here ? ‘ His surprises would be great, for the idol of greed has taken the
place of right and justice in the minds of those to whom the natives have looked for light, and now
they have ceased to confide in the ‘so-called civilised ‘colonists. Moffat would weep to know that the
trust-worthiness of the English has lost its magnetism. The African Association appeals to the nation
— which, after all, is the parent and controller of colonial proceedings — to call upon her
representatives to revert to the old and beaten track, and to preserve intact her treasured traditions.
The Association gladly welcomes the agencies of a high civilisation, e.g. ‘industrial schools, and a
true teaching of Christ and his crucified’, amongst the natives, being assured that they are always
prepared to accept what is good. Yours truly, H.S. Williams". Lettre envoyée au Leader vers le mois
d’août 1898 : ‘ Dear Editor, — I belong to the African race, and I want to appeal to the thousands of
my white brothers and sisters who read the Leader on behalf of my ill-treated fellow countrymen.
The grievances of the Britisher are easily redressed ; not so those of the native races. The nominally
British subjects are not allowed their full rights. This is manifestly unfair. If their customs, practises
(sic) and rights are different from those of the civilised race which has subjected them, it is only fair
that these should be considered when dealing with them. I take it that Christianity should show the
teaching of Christ, ‘Do unto others as you would that they should do unto you’. To my mind the
methods often adopted under the pretext of civilising are more than questionable. An adultered
Christianity is given to them, and the profession of the civilisers, that his (sic) motives are the highest
and the purest, is open to much suspicion. I am afraid, Sir, that even the national conscience blushes
at the iniquities which arc perpetrated under the Union Jack. It is scarcely possible to conceive that
the present Imperial Government condemns the reinstatement of slavery in South Africa under the
leadership of Cecil Rhodes, that women slavery — concubinage of the meanest character — is
allowed to exist in Zanzibar and Pemba (our protectorates in East Africa) without a single protest on
the part of the British authority there ! Must the illicit traffic in strong drink by European traders
continue to ravage all that is great and noble amongst the simple and ignorant natives, thus ruining
body and soul, as King Khama of Bechanaland put it ? Shall quiet, law-abiding and progressive
people be goaded into revolt, carnage and devastation through the enactment of questionable
ordinances in Siera (sic) Leone and Montserrat, without a protest from the Christian people of this
great nation, who have always been the defenders of the weak ? I must confess my fears. This policy
is leaving upon the broad escutcheon of the nation’s standard a blot too indelible to be easily erased.
But it must be erased, and public opinion is the only agent equal to the task", lettres citées dans
Hooker, op. cit., pp. 25-27.
537 New Age, 20 janvier 1898.
538 Conversations de O.C. Mathurin avec M. H.F. Sylvester Williams à Trinidad, en novembre
1968, in Mathurin, op. cit., p. 40.
539 Préface des British Empire Series par William Sheowring, secrétaire honoraire de l’Institute
Committee ; la lecture de la conférence de Williams, “Trinidad, B.W.I." permet de comprendre
qu’elle fut prononcée après le “Diamond Jubilee" de 1897.
540 Williams, “Trinidad, B.W.I.”, p. 474.
541 Le pamphlet a été publié dans le Mirror du 6 avril 1899.
542 Mirror, 8 juillet 1901.
543 Le nombre de ces parlementaires présents pour écouter et interroger Williams en 1899 était-il de
150, selon un rapport de Williams, ou de 32 selon le Daily News ? Cf. aussi la Port-of--Spain Gazette
du 6 avril 1899.
544 Mirror, Ier juin 1901.
545 Kathleen Fitzpatrick, Lady Henry Somerset, Boston, Little, Brown, 1923, p.120 ; Mirror, Ier juin
1901.
546 Mirror, Ier juin 1901.
547 Ibid.
548 Lagos Standard, 27 juillet 1898 ;, Gold Coast Chronicle, 12 août 1898.
549 New Age, 27 mai 1897.
550 Id., 2 septembre 1897.
551 Lagos Standard, 27 juillet 1898.
552 Report of the Pan-African Conference, Londres, The Pan-African Association, 1900, pp.3-4.
Toutes les références qui suivent concernent le Rapport du 18 juillet 1900, dactylographié, conservé
dans les Du Bois Papers. Du Bois Library, Amherst University, Massachusetts, Etats-Unis.
553 " To encourage a feeling of unity and to facilitate friendly intercourse among Africans in
general ; to promote and protect the interests of all subjects claiming African descent wholly or in
part, in British colonies and other places, especially in Africa, by circulating accurate information on
all subjects of the British Empire, by direct appeals to the Imperial and local Governments ".
554 M.K. Gandhi, Autobiography : Story of my Experiments with Truth, Washington, Public Affairs
Press, 1954, p.313.
555 W.E.B. Du Bois, Dusk of Dawn, New York, Schocken Books, 1968, p.41 (1e édition : 1940).
556 Mirror, Ier juin 1901
557 Ibid.
558 Ibid., 17 mai 1901.
559 Ibid., Ier juin 1901.
560 New Age, 20 janvier 1898.
561 Creole Bitters, mai 1901
562 A.H. Barrow, Fifty Years in Western Africa, Londres. SPCK, 1900, pp.131, 135.
563 Anti-Slavery Reporter, mars-mai 1899, p. 112.
564 Ibid., juillet-août 1898, p.182.
565 Mirror, 1er juin 1901.
566 Immanuel Geiss, Panafrikanismus, Frankfort-sur-le-Main, Europaische Verlagsanstalt, 1965,
p.382, citant le Lagos Standard du 4 janvier 1899.
567 Lettre non datée, reprise dans le Leader, avec pour titre : "An African’s Appeal", Williams
papers, Barataria, Trinidad.
568 J.A. Hobson, Psychology of Jingoism, Londres, J. Richards, 1901, pp.136-137.
569 Report of the Pan-African Conference, Londres, 1900. p.3.
570 Ibid, p.2 ; Anti-Slavery Reporter, mars-mai 1899, p.112.
571 Anti-Slavery Reporter, mars-mai 1899 : 112
572 Report of the Pan-African Conference. Londres, 1900, p.4.
573 Benito Sylvain, Du Sort des Indigènes dans les Colonies d’exploitation, Paris, Boyer, 1901,
p.508.
574 Ibid.
575 Ibid.
576 Times, 4 juillet 1899.
577 E.A. Ayandele, Holy Johnson : Pioneer of African Nationalism, New York, Humanities Press,
1970.
578 Cf. Hollis R. Lynch, E.W. Blyden : Pan-Negro Patriot, 1832-1912, New York, Oxford
University Press, 1967, pp.238-240.
579 Jamaica Who’s Who, Kingston, Stephen A. Hill, 1916.
580 Williams l’écrivait sans tiret.
581 Lettre de Williams à Bourne du 11 novembre 1899. Anti-Slavery Papers, Rhodes House Library,
Oxford.
582 Times, 6 octobre 1898.
583 Lettre de Williams à Buxton. 2 avril 1900, Anti-Slavery Papers. Oxford.
584 Liverpool, D. Marples, 1905.
585 Liverpool, D. Marples, 1911 ; pour plus de détails sur ce personnage, voir Robert July, The
Origins of Modern African Thought, New York, Frederick Praeger, 1968, pp.341-344.
586 Report of West India Royal Commission, Londres, 1897, 3, 74.
587 Williams à Buxton, le 31 mai 1900, Anti-Slavery Papos.
588 W.E.B. Du Bois, Autobiography of W.E.B. Du Bois, New York, International Publishers, 1968,
p.221.
589 Le Mirror du Ier juin 1901.
590 Times, 7 juillet 1907
591 Ibid.
592 E.A. Ayandele, op. cit.
593 Report of the Pan-African Conference, op. cit.., p.3
594 Ibid., p.4 ; voir aussi la liste des participants à la Conférence.
595 Report of the Pan-African Conference, op. cit ., pp.4-5.
596 Paris, Boyer, 529 p.
597 Report of the Pan-African Conference, Londres, 1900, pp.12-15.
598 Colored American, 11 août 1900.
599 The Times, 24 juillet 1900.
600 "Responsable for the anti-liberal reaction which had characterized the colonial policy for the last
fifteen years. The British Government had tolerated the most frightful deeds of colonizing
companies. Before very many years had passed away the rights of the natives must be recognized by
every colonial Power. Natives must be no more considered like serfs, taxable and workable at their
masters discretion, but as an indispensable element for the prosperity of the colonies, and,
consequently must have an quitable participation in the profits, both material and mental, of
colonizing. No power could stop the African natives in their social and political development. The
question now was whether Europe would have the improvement for or against her interest. The Pan-
African Association, which must be the issue of the conference. would assist for all means a
realization of such a desirable understanding"
601 Mirror, Ier juin 1901.
602 Report of the Pan-African Conference, 1900, p. 6.
603 B. Sylvain, Du Sort des Indigènes..., p. 511.
604 Traduction de B. Sylvain dans op. cit., qui traduit, par ailleurs, “Address to the Nations of the
World" par “Adresse aux Nations de l’Univers".
605 Report of the Pan-African Conference, 1900, p. 12. Du Bois, Ames noires. Présence Africaine,
Paris, 1959, trad. française, pp.27-28.
606 Paris, L. Boyer, pp. 50-55.
607 Chamberlain à Dilke, 16 avril 1896, cité dans H.A. Will, Constitutional Change in the British
West Indies, Oxford. Clarendon Press, 1970, p. 232.
608 Elliot M. Rudwick, W.E.B. Du Bois, A Study in Minority Race Leadership, Philadelphie,
University of Pennsylvania Press, 1960, pp. 208-209.
609 R.W. Logan, "The Historical Aspects of Pan-Africanism, 1900-1945” dans AMSAC, Pan-
Africanism Reconsidered, Berkeley. University of California Press, 1962, p. 38.
610 A.B. Keith, Responsible Government in the Dominions, Oxford, Clarendon Press, 1910, I,96.
611 Report of the Pan-African Conference, 1900, p. 14.
612 Id., p.11.
613 Gazette, Port-of-Spain, 2 juin 1901, cité dans Alexander Walters, Story of My Life, New York,
1917, p. 256.
614 Times, 18 janvier 1901.
615 “Sin I am directed by Mr Secretary Chamberlain to state that he has received the Queen’s
commands to inform you that the Memorial of the Pan-African Conference respecting the situation of
the native races in South Africa has been laid before Her Majesty, and that she was graciously
pleased to command him to return an answer to it on behalf of her Government. Mr Chamberlain
accordingly desires to assure the members of the Pan-African Conference that, in settling the lines on
which the administration of the conquered territories is to be conducted, Her Majesty’s Government
will not overlook the interests and welfare of the native races. A copy of the Memorial has been
communicated to the High Commissioner for South Africa. I am, sir, your obedient servant, H.
Bertram Cox”, cité dans Walters, Story of My Life, p. 257.
616 Mirror, Ier juin 1901.
617 Review of Reviews, août 1900, pp. 131-137.
618 Sylvain, Du Sort des Indigènes, p. 504.
619 New Age, 29 avril 1897. Il s’agit de Thomas Clarkson.
620 C.F. Andrews et Girija Mukerji, Rise and Growth of the Congress in India, Londres. Allen and
Unwin, 1938, p. 159.
621 Ibid., p. 60
622 Mirror, Ier juin 1901 ; A.P. Thornton, The Imperial Idea and Its Enemies, New York, St. Martin’s
Press, 1959, p. 125.
623 Williams à Buxton, le 30 août 1900, Anti-Slavery Papers. Rhodes House Library, Oxford.
624 Herbert Aptheker a publié un extrait du Rapport, l’appel "To the Nations of the World", in
Writings in Non-Periodical Literature. Millwood, N.Y., Kraus-Thomson, 1982, pp.11-12.
625 International Publishers, 1968, 3e éd., p.438.
626 Walters, My Life and Work, p.255.
627 Dusk of Dawn, p.43.
628 The Autobiography, op.cit., p.289.
629 Page 250.
- 11 -
LE PROJET PANAFRICAIN :
SUITES ET PROLONGEMENTS

“Our ancestors moved through the rain forests


bearing their broken gods
who will repair those gods,
who will repair them ?

The young ones danced in the wind


demanding new gods,
seeking them, seeking them.
Who will create them,
Who will resurrect them ?

And those of now


wandering between the new gods
and the broken gods
What to do !
What to do !

Suns and shadows


Suns or shadows"

Wilfred Cartey, Suns and shadows, 1978.

L’Association Panafricaine
Le Rapport de la Conférence de 1900 proposait la création d’une
Association Panafricaine ayant son siège à Londres et des filiales dans le
monde entier. Il avait été prévu de réunir les membres de l’Association tous
les deux ans dans une grande ville d’Europe, des Etats-Unis, ou dans l’un
des pays indépendants. Ainsi, le prochain rassemblement devait avoir lieu
en 1902 aux Etats-Unis, et deux ans plus tard, en 1904, en Haïti pour y
célébrer le centenaire de son indépendance630.
L’Association Africaine devait fusionner avec la nouvelle Association
Panafricaine. Toute organisation déjà existante, s’étant fixé les mêmes buts
que l’Association Panafricaine, serait affiliée à cette dernière. Williams
demeura secrétaire général. Walters devint président, Anténor Firmin fut
nommé responsable de l’Association en Haïti, et Du Bois, pour les Etats-
Unis.
Les objectifs suivants de l’Association Panafricaine furent repris dans le
journal Colored American du 1er février 1901631 :
“1. Protéger les droits civiques et politiques des Africains à travers le
monde ;
2. Améliorer la condition de “nos frères” du continent africain, des Etats-
Unis et des autres parties du monde ;
3. Encourager les efforts destinés à garder une législation efficace et
encourager notre peuple dans l’enseignement, l’industrie et le commerce ;
4. Développer la production des écrits et des statistiques concernant notre
peuple, dans le monde entier ;
5. Rassembler des fonds pour concrétiser ces propositions”.
Les responsables des filiales de l’Association en dehors du Royaume-Uni
furent désignés :
Etats-Unis : Vice-président : Dr. W.E.B. Du Bois ; Secrétaire : T.J.
Calloway ;
Haïti : Vice-président : A. Firmin ; Secrétaire : Dr. Holly ;
Abyssinie : Vice-président : Bénito Sylvain ; Secrétaire : R.A.K. Savage ;
Libéria : Vice-président : F.E.R. Johnson ; Secrétaire : S.F. Dennis ;
Afrique du Sud - Natal : Vice-président : Edwin Kinloch ;
Afrique de l’Ouest
- Sierra Leone : Vice-président : J.A. Williams ; Secrétaire : Lewis
- Lagos : Vice-président : J. Otonba Payne ; Secrétaire : N.W. Holm
Caraïbes anglaises
- Jamaïque : Vice-président : H.R. Cargill632.
- Trinidad : le vice-président et le secrétaire n’étaient pas encore nommés.
La création de filiales de l’Association Panafricaine fut prévue également
à Cape Town, en Rhodésie, en Gold Coast, au Canada, dans la colonie de la
Rivière Orange, au Transvaal. Les seules filiales qui furent fondées,
semblent avoir été celles de Jamaïque et de Trinidad.
Lors de la Conférence de 1900, il fut décidé d’accorder aux trois chefs
d’Etat, l’Empereur d’Abyssinie, Ménélik, Simon Sam d’Haïti et Joseph
Coleman du Libéria, le titre de membre honoraire de l’Association. Dans
son compte rendu633, Sylvain, le délégué d’Haïti et de l’Ethiopie à la
Conférence, rehaussa le titre en les désignant “Grands Protecteurs” de
l’Association.
Aux Etats-Unis, où se renforçait le racisme, le 17 août 1901, le journal
Colored American reconnut la nécessité de créer une filiale de l’Association
Panafricaine. Cependant, le journal prévenait les Noirs de ne pas oublier
leurs propres problèmes, et de s’en occuper eux-mêmes. Les lynchages se
multiplièrent : plus d’une centaine par année entre 1900 et 1928. En outre,
le Congrès n’admit aucun représentant de la Communauté noire.
Cependant, Walters pensait sincèrement que l’Association Panafricaine
et le National Afro-American Council, dirigés efficacement et avec sagesse,
pouvaient améliorer la condition des Noirs du monde entier634. Williams
partageait ce même point de vue. En évoquant les Noirs, il utilisait toujours
les termes de “our people”, “our brothers”, ou ceux de “oppressed brethren
in Africa". Pour reprendre les propos de Frederick Douglass, Williams ne
voyait pas de limite géographique, ni nationale pour les Noirs (“no
geographical lines... no national limitation")635.
Tout en terminant ses études de droit pour devenir avocat, Williams
préparait le rapport de la Conférence636. Selon ce rapport, l’Association
Panafricaine avait déjà établi ses sièges permanents, avec “un bureau d’où
on pourra diffuser les faits et les statistiques ayant trait aux conditions des
membres de la race africaine partout dans le monde” (“a Bureau from
which it hopes to disseminate facts and statistics relating to the
circumstances and conditions of members of the African race wherever
found”)637. Le rapport insiste sur la volonté des membres de l’Association,
d’avoir une indépendance financière vis-à-vis des Blancs. Ils la souhaitaient
“indépendante et libre” dans tous ses choix, et ils appelaient les "membres
de la race" (“members of the race") à la soutenir avec leurs moyens et leur
influence638.
Selon Sylvain, l’aide de l’Association Panafricaine fut sollicitée en 1901
par des Congolais, désirant se rendre dans leur pays, après trente ans
d’esclavage à Cuba. Un certain Père Emmanuel avait contacté
l’Association. Cet ecclésiastique d’origine caraïbe était parti de Cuba pour
la Belgique en mars 1901, afin de négocier avec le roi Léopold le
“rapatriement” de ces 1.000 à 1.500 Congolais-Cubains. En 1897, quatre
d’entre eux avaient visité le Congo en compagnie du Père Emmanuel. Ils
furent tellement émerveillés qu’ils décidèrent d’y retourner avec leurs
femmes et leurs enfants. Mais la mission du Père Emmanuel à Bruxelles
échoua. Vraisemblablement après une discussion avec Sylvain, il décida
d’attendre la deuxième Conférence panafricaine, qui devait se tenir aux
Etats-Unis, en août ou septembre 1902. En évoquant cette affaire dans son
ouvrage Du Sort des Indigènes...639. Sylvain saisit l’occasion pour remettre
en question les droits plus que contestables de Léopold II sur le Congo.
Quand la Conférence s’acheva, la direction de la nouvelle Association
revint principalement aux membres du comité exécutif résidants à Londres.
Les amis de Williams se montrèrent prêts à l’aider afin de mettre au point
une administration centrale, permettant de s’adresser à l’opinion publique et
de proposer aux autorités des représentants de qualité, luttant pour le bien-
être des Noirs du monde entier640.
Après la Conférence, les membres du comité exécutif de l’Association
décidèrent de marquer le commencement d’un nouveau siècle en lançant
une New Century Letter. Dans ce magazine, il mirent en valeur les projets et
les objectifs de l’Association, et les efforts fructueux de l’Europe et des
Etats-Unis qui “nous ont placés sur la voie de la liberté”. Le comité incitait
ses membres à reconnaître cette évolution, et à " occuper... les places de
réels acteurs et créateurs du progrès de la civilisation ". Ils saluaient avec
joie les aspirations et les réalisations des Noirs dans les colonies
britanniques, aux Etats-Unis, en Haïti, au Libéria, au Brésil, en Abyssinie, à
Cuba, et aux Philippines. Ils étaient "confiants dans l’avenir".
Parallèlement, le comité rappelait plusieurs exemples de ‘‘régression’’ sur le
territoire britannique, aux Etats-Unis, dans l’Etat libre du Congo, dans les
territoires allemands d’Afrique, au Pemba, au Zanzibar, et dans les
territoires portugais. Il appelait à sélectionner des projets, et à les organiser,
pour rétablir la situation par des moyens légaux. La New Century Letter
continuait en évoquant l’aube du XXe siècle, un siècle où chacun devait être
vigilant. Chaque Noir compétent était invité à s’associer et à créer de
nouvelles filiales dans sa ville ou dans son village. Des rapports
“authentiques et de bonne foi”, sur le bien-être de “notre peuple” sous les
divers gouvernements, devaient être rédigés et diffusés pour informer
l’opinion publique.
Quelques mois plus tard, Williams affirma que la lettre fut expédiée “à
notre peuple”, partout où s’était établie une branche de la Pan-African
Association. Cependant, il faut minimiser quelque peu l’enthousiasme de
Williams lorsqu’il affirme : “Nous possédions des filiales dans toutes les
régions de l’empire britannique"641.

Participation au Congrès Antiesclavagiste


H.S. Williams se rendit à Paris pour assister les 6, 7 et 8 août au Congrès
Antiesclavagiste organisé par la Société Antiesclavagiste Française dirigée
par le Cardinal Charles Lavigerie (1825-1892). La tenue de ce congrès
s’effectuait également dans le cadre de l’Exposition Universelle de Paris642.
Cette manifestation eut lieu au Palais des Congrès, sur le site de
l’exposition sous la présidence du sénateur Henri Wallon, auteur de Histoire
de l’esclavage dans l’Antiquité643.
Williams rencontra à Paris, à cette occasion, Benito Sylvain et Anténor
Firmin, ambassadeur d’Haïti en France. Firmin venait d’être élu vice-
président de l’Association Panafricaine de son pays. Les trois Caribans
présentèrent des communications à ce congrès. La conférence de Sylvain
retint particulièrement l’attention du correspondant du journal anglais
l’Anti-Slavery Reporter. Contrairement aux autres exposants européens qui
affichaient ouvertement dans leurs communications leur indifférence ou
leur mépris pour les populations noires, Sylvain impressionnait par la
chaleur humaine de son intervention. Sa communication provoqua même
des “exclamations de mécontentement"644 d’un auditoire français peu
habitué à entendre des Nègres libres s’exprimer de cette façon.
Benito Sylvain obtint son doctorat de Droit à la Faculté des Lettres de
Paris quatre ans plus tard. Il correspondit avec la Société de Géographie de
Toulouse. Lors des Congrès Antiesclavagistes de Bruxelles et de Paris en
1905, le président de cette société évoqua la brillante conférence de Sylvain
à Paris en août 1900645.

Chronologie des Congrès Antiesclavagistes :


1888, Ier juillet : lancement de la campagne antiesclavagiste à l’église Saint-
Sulpice de Paris
31 juillet : conférence au Prince’s Hall de Londres
15 août : conférence en l’église Sainte-Gudule de Bruxelles
23 décembre : conférence en l’église du Gésu de Rome
1889, 24 juillet : annulation du congrès des sociétés antiesclavagistes prévu
à Lucerne
18 novembre : ouverture à Bruxelles de la conférence internationale pour la
répression de la traite des esclaves
1890, 22-23 septembre : congrès des sociétés antiesclavagistes à Paris.
1900, 6-8 août : Congrès Antiesclavagiste à Paris
1905 : Congrès Antiesclavagiste de Bruxelles et Paris.

630 Times, Londres, le 24 juin 1900.


631 “1. To secure to Africans throughout the world true civil and political rights ; 2. To ameliorate
the condition of our brothers on the continent of Africa, America and other parts of the world ; 3. To
promote efforts to secure effective legislation and encourage our people in educational, industrial and
commercial enterprise ; 4. To foster the production of writing and statistics relating to our people
everywhere ; 5. To raise funds for forwarding these purposes", cité dans Colored America, Ier février
1901.
632 Report of the Pan-African Conference, 1900, p.17.
633 B. Sylvain, Du Sort des Indigènes.... p. 511.
634 A. Walters, My Life and Work, p 263.
635 Frederick Douglass, Life and Times of Frederick Douglass. New York, Macmillan, 1962, p. 496.
636 Williams terminait des études de droit pour devenir avocat.
637 Williams à Buxton, le 10 octobre 1900, Anti-Slavery Papers, Rhodes House, Bodleian Library,
Oxford.
638 Report of the Pan-African Conference, 1900, p. 8.
639 B. Sylvain, Du Sort des Indigènes..., pp. 515-519
640 Report of the Pan-African Conference, 1900, p. 15.
641 Colored American, Ier février 1901.
642 M.A.E., M.D. Questions générales, et Mirror, 27 mai 1901.
643 Henri Alexandre Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité, Paris, Imprimerie Royale,
1847.
644 Anti-Slavery Reporter, août-octobre 1900.
645 Bulletin de la Société de Géographie de Toulouse, Année 24e, Toulouse, E. Privat, 1905.
- 12 -
COMBITE : LE “RELEVEMENT SOCIAL DES NOIRS”646

"Nothing is more certainly written in the book of fate, than that these
people are to be free ; nor is it less certain that the two races, equally
free, cannot live in the same government. Nature, habit, opinion have
drawn indelible lines of distinction between them. It is still in our power
to direct the process of emancipation and deportation, peaceably, and in
slow degree ; as that the evil will wear off insensibly".

Thomas Jefferson, Autobiography, 1821.

Benito Sylvain publia en 1901 sa thèse de Doctorat de Droit, Du sort des


indigènes dans les colonies d’exploitation. L’économiste Frédéric Passy
(Prix Nobel en 1901) présenta cette étude universitaire à l’Académie des
Sciences morales et politiques de Paris le 30 novembre 1901. En Haïti, la
situation politique était devenue confuse. Le départ du Président Tirésias
Simon Sam et la dispersion des chambres législatives avaient provoqué la
formation de Comités Révolutionnaires dans tous les chefs-lieux
d’arrondissement. Trois hommes politiques luttaient farouchement pour
s’emparer des rênes du pouvoir et devenir président de la République :
Anténor Firmin, Calisthène Fouchard et Sénèque Monplaisir Pierre.
L’Amiral Hamerton Killick, chef de la flottille haïtienne, s’affirmait un
partisan résolu de Firmin. La guerre civile favorisa les intrigues et l’activité
militaire du général Nord Alexis qui marcha sur Port-au-Prince et se
proclama président de la République. L’Assemblée Nationale consacra ce
coup d’Etat.

Requête
Benito Sylvain décida d’intervenir en 1902 dans les démêlés
révolutionnaires d’Haïti, au nom de la Société Panafricaine dont il était le
délégué général.
Le comité de l’Association Panafricaine siégeant à New York, décida
d’envoyer son Délégué Général, le Lieutenant de Vaisseau Benito Sylvain,
pour offrir ses bons offices au Gouvernement Provisoire présidé par le
Général Boisrond Canal et au Comité Exécutif des Départements de
l’Artibonite et du Nord-Ouest, présidé par Anténor Firmin.

Sa lettre de créance était ainsi libellée :

“APPEL POUR LA PAIX

Adressé par le Comité de l’Association Pan-Africaine


A Monsieur Anténor FIRMIN, Président
Du Conseil Exécutif des Départements de
L’Artibonite et du Nord-Ouest

Au Nom de notre Père qui règne dans les deux,


Au nom de l’étroite solidarité qui unit dans le malheur les membres épars
et comprimés de la Race africaine,
Au nom de l’avenir de la République d’Haïti, dont la douloureuse
destinée retient, une fois de plus, l’attention de l’univers civilisé,
L’Association Pan-Africaine, dont vous êtes un des Vice-Présidents,
adjure Votre Excellence d’arrêter, dans la sphère de ses pouvoirs, l’inutile
effusion du sang haïtien, déjà trop répandu, et d’adopter la voie des
négociations pour arriver à mettre le plus tôt possible, un terme à l’horrible
guerre civile qui déchire, en même temps que le pays, les coeurs consternés
des noirs du monde entier.
Le Comité Pan-Africain recommande vivement, à cet effet, les bons
offices de son Délégué Général, M. le Lieutenant de Vaisseau Benito
SYLVAIN, de la Marine Haïtienne, Aide-de-camp de Sa Majesté
l’Empereur MENELIK et Docteur en Droit de la Faculté de Paris, qui, par
son dévouement éprouvé à la grande Œuvre de la Régénération Africaine,
est plus apte que tout autre à convaincre le Gouvernement Provisoire de
Port-au-Prince de la nécessité urgente de conclure la paix à des conditions
honorables pour l’un et l’autre partis.
La situation, nul ne peut se le dissimuler, est extrêmement grave pour
Haïti. La prolongation de cette guerre malheureuse doit amener fatalement
la ruine complète du pays, sinon la perte de son indépendance. Il est du
devoir d’un citoyen animé de sentiments patriotiques, comme l’est Votre
Excellence, de prévenir l’humiliation d’une paix imposée par une Puissance
Etrangère. Ne vaut-il pas mieux de s’entendre entre Haïtiens, — quels que
soient les torts des uns vis-à-vis des autres plutôt que de subir les volontés
de l’étranger ?
Obligée, dans ces tristes circonstances, de différer la réunion de son
deuxième congrès statutaire, l’Association Pan-Africaine attend avec la plus
grande anxiété le résultat de ce suprême appel, que son Comité adresse
aussi au Général Boisrond CANAL.
L’Association Pan-Africaine désire ardemment que sur cette terre d’Haïti,
bénie de la Nature, il ne s’élève plus désormais d’autre bruit que celui d’un
travail fructueux pour la population, ni d’autre fumée que celle des usines
mêlée à l’encens de la reconnaissance montant vers le Dieu d’amour et de
paix qui prescrit aux hommes de s’aimer les uns les autres, obligation
fraternelle que le peuple haïtien, plus que tout autre, doit s’efforcer de
remplir.
C’est dans ces sentiments que nous avons l’honneur d’être de Votre
Excellence les respectueux serviteurs,

Alexander Walters,
Evêque de l’Eglise Africaine d’Amérique, Président de l’Association Pan-
Africaine

H. Sylvester Williams,
Secrétaire Général de l’Association Pan-Africaine.
Donné à New-York, le 26 Septembre 1902”.

Lettre du Délégué aux Membres du Gouvernement Provisoire

Port-au-Prince, le 8 Octobre 1902.


“Messieurs les Membres du Gouvernement Provisoire
de la République d’Haïti

Excellence,
Messieurs les Conseillers,

C’est en arrivant à Suez, le 28 juin dernier, de retour de mon troisième


voyage en Abyssinie, que j’eus connaissance des événements imprévus qui,
depuis le 12 mai, ont rouvert en Haïti l’ère sanglante des guerres civiles.
Rentré à Paris, le 4 juillet, j’ai dû y attendre la venue du Rass
MAKONNEN, délégué par l’Empereur d’Ethiopie au couronnement du Roi
d’Angleterre, afin de conférer avec Son Altesse au sujet d’une mission
spéciale dont m’a chargé Sa Majesté le Negus MENELIK. Le lendemain
même du départ du Rass, le 22 août, je quittais Paris pour New-York, où me
réclamait la préparation du Deuxième Congrès de l’Association Pan-
Africaine.
Ayant le devoir de faire connaître officiellement à Vos Excellences
l’origine et le but de l’Association Pan-Africaine, je prends la liberté de
reproduire, à cet effet, un passage du livre que j’ai publié, l’an dernier, sur
le “Son des Indigènes dans les colonies d’Exploitation" et dont une partie
fut présentée par moi comme thèse de doctorat en Droit devant la Faculté de
Paris :
‘Le 23 juillet 1900, un fait nouveau, surprenant pour plusieurs, inquiétant
pour quelques-uns, d’une importance exceptionnelle pour nous, se produisit
dans la capitale de la Grande-Bretagne : des noirs instruits, venus des pays
les plus lointains et les plus divers, se trouvaient réunis à Town Hall, dans
l’antique Abbaye de Westminster, non loin du palais où siège la Chambre
des Communes, afin d’examiner la situation faite à la race africaine sur tous
les points du globe, de protester solennellement contre l’injuste mépris et
l’odieux traitement dont on l’accable encore partout, de créer enfin une
direction centrale destinée à coordonner les efforts communs et à
sauvegarder, par une action méthodique et continue, les intérêts
économiques aussi bien que les droits politiques et sociaux de leurs
congénères exploités et opprimés.
Aux délégués proprement dits, qui étaient tous d’origine africaine,
s’étaient joints plusieurs philanthropes et publicistes anglais, parmi lesquels
il nous faut citer Madame Jane Cobden UNWIN, fille du célèbre
économiste libre-échangiste Richard COBDEN ; le docteur COLENSO, fils
du grand évêque abolitionniste ; le docteur CLARKE, le vaillant député
libéral qui sacrifia son siège électoral pour protester contre l’injustice de la
guerre du Transvaal ; H. Fox BOURNE, Secrétaire Général de la Société
Anglaise de Protection des Indigènes Africains ; Sir Fowell BUXTON, fils
de l’illustre compagnon de Wilberforce et de Clarkson, Président de la
Société Anti-Esclavagiste.
Sa Grandeur le Lord Evêque de Londres voulut bien, à la séance
d’inauguration, appeler les bénédictions du Très-Haut sur les travaux du
Congrès, dont la présidence fut confiée à Mgr Alexander WALTERS,
Evêque de l’Eglise Africaine d’Amérique, qui s’en acquitta avec une très
remarquable distinction.
Après des séances régulières, tenues deux fois par jour et suivies par un
public nombreux, ce grand meeting prit fin le 25 juillet.

Il y fut décidé :

1° - Qu’une Association Générale, comprenant l’élite intellectuelle des


noirs civilisés, sera constituée sous le nom d’Association Pan-Africaine,
afin de centraliser ou de contrôler l’action de toutes les Sociétés qui, dans
les pays libres ou dans les colonies, ont pour objet la protection et
l’éducation des populations d’origine africaine.
2° - Qu’un Congrès panafricain sera organisé tous les deux ans, soit dans
une grande ville d’Europe ou d’Amérique, soit dans la capitale d’un Etat
noir indépendant.
3° - Que le Congrès de 1902 aurait lieu aux Etats-Unis, et celui de 1904 en
Haïti pour donner plus de solennité à la célébration du centenaire de
l’Indépendance Haïtienne.
4° - Qu’un mémoire serait adressé à l’Empereur MENELIK et aux
Présidents des Républiques d’Haïti et de Libéria, proclamés Grands-
Protecteurs de l’Association Pan-Africaine, afin d’attirer leur attention sur
l’urgente nécessité de solidariser leurs intérêts et de combiner leurs efforts,
au point de vue diplomatique, à l’effort de réagir contre la politique
d’extermination et de dégradation qui prévaut en Europe à l’égard des noirs
et de leurs dérivés.
A une époque où l’esprit d’association accomplit de si grandes choses, où
la moindre affinité de race, à défaut d’une communauté complète d’intérêts,
justifie les alliances politiques et les syndicats économiques les plus
imprévus, n’était-il pas étrange de voir les Africains et leurs descendants les
plus directs continuer à vivre indifférents, sinon hostiles, les uns aux
autres ?
L’Association Pan-Africaine, dont l’impérieuse nécessité n’offre point de
prise à la controverse, est une oeuvre foncièrement, essentiellement
pacifique, mais qui entend poursuivre ses fins avec autant de fermeté et
d’esprit de suite que de calme et de modération. Prenant en main la cause de
tous les indigènes des colonies d’exploitation, elle compte organiser dans la
capitale de chaque puissance coloniale un centre actif de propagande
négrophile, grâce à laquelle pourront être institués un patronage et un asile
temporaire pour les indigènes qui, par suite d’une circonstance quelconque,
se trouvent sans ressources en Europe.
Elle se propose, en outre, d’exercer un contrôle direct sur l’engagement
contractuel des indigènes en qualité de “travailleurs libres” ; elle sera par la
suite, un arbitre tout désigné pour le règlement des contestations, si
fréquentes, entre les pseudo-travailleurs libres et leurs peu scrupuleux
employeurs.
L’Association Pan-Africaine a, enfin, à cœur d’honorer et d’encourager
les efforts de toutes les Sociétés Philanthropiques qui, poursuivant un but
parallèle, travaillent à propager les principes d’une colonisation pacifique,
équitable et vraiment moralisatrice’.
Tel est, Excellence et Messieurs les Conseillers, le respectable
groupement collectif qui, consacrant la spontanéité de ma propre inspiration
patriotique, m’a délégué pour faire entendre la grande voix éplorée de la
Race Africaine, dans cette crise terrible où s’épuise la force vitale de la
République d’Haïti, porte-drapeau de la civilisation noire. Ci-joint l’Appel
suprême que je suis chargé de transmettre à Vos Excellences, dont je
demeure le très humble et très dévoué serviteur en la Patrie.

Benito Sylvain
Officier de la Marine Haïtienne,
Stagiaire de la Marine Française,
Aide-de-Camp de S. M. l’Empereur d’Ethiopie,
Docteur en Droit de la Faculté de Paris,
Délégué Général de l’Association Pan-Africaine”647.

Le Gouvernement Provisoire présidé par le Général Boisrond Canal,


avait admis le principe d’ouvrir des pourparlers de paix et de conciliation
avec les révolutionnaires. Mgr. Kersuzan, Mgr. Beauger, le Général F.D.
Légitime, ancien président de la République, Brenor Prophète, ancien
ministre, acclamèrent l’initiative du représentant de l’Association
Panafricaine. Ils s’apprêtaient à se rendre aux Gonaïves pour seconder
Sylvain, quand on apprit le départ de Firmin pour les îles Vierges danoises.

Missions en Abyssinie et en Europe


Reprenant ses activités en faveur des Noirs, le Délégué Général Benito
Sylvain partit pour l’Abyssinie, en 1903. Il présenta un Message d’Amitié
du Général Nord Alexis à l’Empereur Menelik. Le Président de la
République d’Haïti l’avait promu le 24 avril 1903 au grade de
Commandant. Le gouvernement haïtien entreprit des préparatifs pour la
commémoration du centenaire de l’indépendance nationale, 1804-1904.
Benito Sylvain s’associa à la formation et aux travaux du Comité du
Centenaire présidé par un de ses amis, Justin Devot et comprenant les plus
hautes personnalités politiques et intellectuelles de l’époque. Il obtint de
Jérémie, ministre des Relations extérieures, une aide financière en vue d’un
troisième voyage en Abyssinie. Il pensait consolider les premières
démarches entreprises auprès de la Cour éthiopienne, pour établir des
relations amicales et diplomatiques entre les deux Etats.

“MENELIK II
Elu du Seigneur, Roi des Rois d’Ethiopie

A Notre illustre et bien-aimé Nord Alexis


Président de la République d’Haïti
Salut à Votre Excellence !

Nous avons reçu, avec le plus grand plaisir, en janvier de l’An de grâce
1904, Votre estimable lettre, en date du 16 avril 1903, que Nous a remise le
Commandant Benito Sylvain.
Extrêmement touché des généreuses pensées qu’Elle a bienveillamment
exprimées à l’égard de Notre Gouvernement et du peuple Ethiopien, Nous
félicitons Votre Excellence de son élection à la présidence de la République
d’Haïti, dont l’Indépendance Nous est chère, depuis que Nous en
connaissons l’histoire.
Votre Excellence désire que la liberté des peuples africains soit
sauvegardée et que, sous la protection de Notre Empire, ces peuples
puissent progresser, tant au point de vue du bien-être matériel qu’au point
de vue intellectuel et moral. C’est également Notre vœu le plus ardent, et
Nous ferons tout ce qui sera en Notre pouvoir pour contribuer, dans Notre
sphère, à la grande œuvre que la République d’Haïti poursuit en vue du
relèvement de la Race africaine.
Aussi pensons-Nous, comme Votre Excellence, qu’il est naturel et
désirable que de bons rapports s’établissent et se développent entre Nos
deux Pays. Si les hommes sont séparés par de grandes distances maritimes
et terrestres, de communes aspirations vers le Bien peuvent et doivent les
rapprocher.
En témoignage de Notre amitié, Nous Vous envoyons, par l’entremise du
Commandant Benito SYLVAIN, que Nous avons aussi décoré, la
grand’croix de l’Ordre national de l’Empire Ethiopien. Nous espérons que
Votre Excellence la recevra avec honneur et considération.
Que le Tout-puissant continue à protéger Votre noble existence et
maintienne la paix et la prospérité dans la République d’Haïti !

Ecrit en Notre Ville d’Addis-Abeba, le 23 mai de l’An de grâce 1904”648 -


649.

Cette mission fut accomplie au milieu de “souffrances physiques et


morales” inouïes. Ce “long, pénible, périlleux et coûteux voyage” fut
apprécié par l’Empereur Ménélik qui le décora à Addis-Abeba du Sceau de
Salomon et lui conféra le titre honorifique d’Aide-de-camp à la Cour
impériale. Benito Sylvain se rendit à Alexandrie et au Caire. Il prononça
une conférence devant la Société Khédiviale de Géographie. Au retour de
son troisième voyage, il se rendit à Bruxelles. Le journal La Belgique
Militaire l’évoqua en ces termes :
“LE COMMANDANT NOIR BENITO SYLVAIN

Nous avons eu l’honneur de recevoir la visite d’un homme, avec qui un


entretien d’un quart d’heure a suffi pour nous convaincre de sa grande
supériorité morale et intellectuelle. Cet homme est un nègre. Il s’appelle
Benito Sylvain, est originaire d’Haïti, où il a fait ses études au Collège St-
Martial, dirigé à Port-au-Prince par les Pères du St-Esprit.
M. Benito Sylvain débuta dans la vie publique comme secrétaire de
légation à Londres, après avoir été quelque temps officier d’ordonnance du
président Légitime. Officier de la marine haïtienne, il fit son droit à Paris, et
est actuellement en stage dans la marine française. Il avait, au préalable,
suivi les cours de l’Ecole du Génie maritime de France.
Il s’était aussi, en outre, assimilé, grâce à l’obligeance d’un officier de la
Garde Républicaine, les règlements d’infanterie, si bien qu’il sert également
dans l’armée de terre, en qualité d’instructeur. Aussi a-t-il été promu, il y a
cinq mois, commandant, par S. E. le Général Nord Alexis, président
d’Haïti, qui, en lui remettant une lettre d’amitié pour Ménélik, lui confia, en
fait, la très honorable mission d’établir les premiers rapports diplomatiques
officiels entre la République d’Haïti et l’Empire d’Ethiopie..
Dans ce jeune officier, dans ce jurisconsulte, il y a une âme ardente
d’apôtre. Benito Sylvain rêve, non plus d’émancipation matérielle des noirs
— c’est chose faite — mais leur émancipation morale. Jugeant, et c’est
grande modestie à lui, que les nègres peuvent s’élever à son niveau et
devenir les frères égaux des autres hommes, il se dépense en efforts
admirables, bien dignes d’encouragement, pour la réhabilitation, pour la
rédemption de sa race dédaignée, hélas ! En 1891, il fonda dans ce but, à
Paris, un journal, “La Fraternité”, qui, faute de ressources, ne vécut point.
Pourtant le Cardinal Lavigerie le protégeait. Alors, M. Sylvain partit pour
l’Abyssinie, attiré par le renom du Negus Ménélik, qui venait de triompher
des Italiens avec éclat, et de démontrer que, quoi qu’on pense, tous les noirs
ne sont pas dépourvus de culture.
Ménélik, flatté de l’hommage d’un nègre qui, par son savoir, son
éducation, faisait tant d’honneur à sa race, le nomma aide-de-camp et le
décora du Sceau de Salomon.
Le commandant Benito Sylvain a fait, depuis, trois voyages en Abyssinie,
et il est sur le point d’y retourner.
Il a contribué à fonder, en 1900, l’Association Pan-Africaine, comprenant
l’élite des noirs civilisés du monde entier ; le premier congrès de cette
association, dont M. Sylvain est le délégué général eut lieu à Londres. Déjà,
en 1898, M. Sylvain avait représenté la jeunesse noire aux fêtes du
centenaire de Michelet, et le discours qu’il y prononça, et que nous avons
sous les yeux, est, pour le fond comme pour la forme, un modèle achevé de
l’éloquence morale. La péroraison, de très haute allure, s’élève comme un
hymne de fraternité, de foi dans l’idéal des peuples.
On doit à Benito Sylvain une Etude historique sur le sort des indigènes
dans les colonies d’exploitation. qui fit l’objet d’un rapport très élogieux de
M. Frédéric PASSY, à l’Académie des Sciences morales et politiques.
Au banquet qui clôtura les conférences antiesclavagistes de 1891, M.
Descamp-David, professeur à l’Université de Louvain, vice-président du
sénat, porta à M. Sylvain un toast admiratif et reconnaissant.
Si nous avons tenu à présenter à nos lecteurs, de manière si
circonstanciée, ce camarade d’une armée étrangère, c’est qu’il est venu à
nous, animé des sentiments les plus honorables. Tandis qu’en Angleterre,
tant de gens de mauvaise foi essaient de faire passer les Belges pour les plus
atroces bourreaux qui aient jamais torturé les nègres, M. Benito Sylvain
vient de nous assurer que c’est sur les Belges qu’il compte pour l’aider dans
l’œuvre de réhabilitation qu’il a entreprise. ‘C’est de la Belgique, nous dit-
il, que doit venir la formule d’un modus vivendi qui satisfasse à la fois les
hommes d’affaires et les humanitaires’.
Le sympathique officier noir vient donner une série de conférences en
Belgique. En l’écoutant, on réfléchira sur les paroles que lui adressait le
chevalier Descamp.
Je n’ai pas besoin d’insister sur la perfectibilité de la race noire. On ne
prouve pas le mouvement devant ceux qui marchent sur les sommets des
monts lumineux ; on ne prouve pas la perfectibilité de la race noire devant
M. Benito Sylvain.
Il nous plaît de constater qu’encore une fois, c’est un Officier qu’on
rencontre à la tête de cette croisade, qui exigera beaucoup de peine et
d’abnégation"650.
De retour de son troisième voyage, Benito Sylvain dut attendre deux
mois et demi avant de pouvoir obtenir l’audience du chef de l’Etat haïtien
pour présenter la réponse du Négus, en butte à “la bande infernale des
envieux”.

A Rome : le Mémoire au Pape Pie X


Après la Belgique, il se rendit à Rome où se tenait un congrès
eucharistique. Ce congrès lui offrit l’occasion de parler sur son thème
favori : “l’Emancipation des Noirs du monde”. Il créa, le 1er juin 1905, avec
le concours de la Société romaine, l’Œuvre de relèvement social des noirs.
Il rappela, à la tribune du Congrès, la présence d’un Roi Nègre à
Bethléem, le rôle de Simon le Cyrénéen sur le chemin du Golgotha et
dénonça le scandale de la colonisation, la soif immodérée des richesses
matérielles qui forme “la clef de voûte de ce monument d’iniquités et dont
le préjugé de couleur constitue le pilier”.
Il dénonça la France et l’Angleterre, l’Allemagne et les Etats-Unis, la
Russie, l’Italie, l’Espagne, la Hollande et le Portugal, puissances dites
chrétiennes qui considéraient la colonisation comme un des fondements de
leur vie économique.
C’est le “préjugé de couleur”, clama-t-il, partie intégrante de la
colonisation par la violence, qui aggrave la cruauté du traitement infligé par
des Européens, prétendus civilisés, aux populations africaines ; c’est le
“préjugé de couleur” qui empêche les gouvernements de reconnaître
loyalement leur erreur initiale, de punir par des châtiments exemplaires les
auteurs responsables des crimes perpétrés au nom de la civilisation, de
“réparer enfin leurs torts séculaires vis-à-vis des descendants de leurs
infortunées victimes”651.

Benito Sylvain sollicita une audience du Pape Pie X qui le reçut en juin
1905. Le Souverain pontife manifesta un vif intérêt pour les propositions du
Délégué général de l’Association Panafricaine en faveur des Noirs du
monde et lui demanda de lui soumettre ses thèses dans un Mémoire.
Quelques jours plus tard, le 15 juin 1905. le Mémoire de Sylvain était
présenté en italien.
Nous transcrivons cette pièce dans son intégralité, suivie de la réponse
faite au nom du Saint-Père par le Cardinal Merry Del Val, Secrétaire d’Etat
du Vatican, portant la date du 28 juin 1905.

“Mémoire relatif à l’Œuvre de relèvement social des noirs soumis à sa


Sainteté le Pape Pie X par le commandant Benito Sylvain.

Bienheureux Père,
Tout en remerciant du fond du cœur Votre Sainteté pour la paternelle
bienveillance qu’Elle a daigné me témoigner dès la première audience, j’ai
l’honneur de soumettre humblement à Votre bienveillante considération le
présent mémoire sur l’Œuvre de Relèvement Social des Noirs, qu’on vient
de fonder à Rome sous les auspices et le patronage direct du Vicaire de
Jésus-Christ.

La race noire et le christianisme


Comme je l’ai toujours déclaré dans mes écrits et dans mes discours,
depuis une bonne quinzaine d’années que je me suis consacré à cette
propagande philanthropique et chrétienne, et comme j’ai eu l’occasion
imprévue de le répéter au Mémorable Congrès Eucharistique tenu, ces jours
derniers, dans la Ville Eternelle, la race noire a des liens très étroits avec le
Christianisme qui l’a libérée de l’esclavage et l’a relevée de la décadence
morale.
Au moment de la Naissance du Sauveur, un Noir figurait derrière les Rois
Mages prosternés devant le berceau de Bethléem. Le jour de la Crucifixion,
ce fut un esclave noir, Simon le Cyrénéen, qui eut l’honneur de porter la
Croix rendue si pesante par l’iniquité des hommes.
Tandis que, quatorze siècles plus tard, malgré les plus sévères
admonitions du Souverain Pontife, les Peuples Chrétiens de l’Occident,
envahis par le démon de la cupidité, avaient souillé, par les horreurs de la
traite et de l’esclavage, le drapeau sacré du Dieu d’amour et de paix, il
arrivait un fait digne d’être rappelé : quelques esclaves noirs, déjà exténués
par la fatigue excessive qui leur était imposée le jour, certains d’en être
punis le lendemain, faisaient chaque fois jusqu’à dix ou douze kilomètres,
la nuit, pour se rendre au Catéchisme, à l’appel des Missionnaires.
C’est que la religion catholique n’apportait pas seulement l’espoir aux
pauvres âmes vouées à l’accablement, mais elle leur procurait un bénéfice
positif en donnant avec le baptême des parrains et des marraines aux êtres
sans famille. Refusé de la société humaine, l’esclave trouvait dans le prêtre
un confident, un ami, il recevait à l’Autel les honneurs ineffables de
l’égalité devant Dieu. Comme il lui était facile d’imaginer une existence
meilleure que sa misérable vie présente, il soupirait après le ciel promis à
ses vertus, et les paroles de l’Evangile, résonnant comme l’écho d’une
patrie lointaine, caressaient délicieusement ses rêves vagues de liberté
future. L’Eglise, en un mot, constituait en fait pour l’esclave un lieu d’asile
et un foyer ; c’était le seul petit coin du monde colonial où il put goûter
d’un repos et d’un bien-être relatif.
Les Noirs civilisés d’Amérique s’en souviennent, Très Saint-Père ; ils se
souviennent que dès le commencement de l’esclavage colonial dans le
Nouveau-Monde, découvert alors, la Papauté fit de réels efforts pour
combattre la réapparition de cet abominable fléau social. Ht ce souvenir est
pour quelque chose dans cette expansion de leur foi chrétienne dont je me
sens honoré d’attester la profonde et vive sincérité.
Délégué général de l’Association Pan-Africaine, constituée par la fleur
des Noirs instruits de toutes les parties du globe, je viens déposer aux pieds
de Votre Sainteté la synthèse des aspirations sociales de cette race
malheureuse toujours calomniée et persécutée, en priant l’Auguste Chef de
la Chrétienté de bien vouloir accorder un gage d’encouragement effectif en
faveur d’une Œuvre de Justice et de Progrès, qui aura pour effet certain de
recouvrir d’une splendeur nouvelle l’action éminemment civilisatrice de la
Religion Catholique.
Malgré les témoignages des explorateurs européens qui ont séjourné
longtemps en Afrique, et qui présentent les indigènes du Continent noir
sous un aspect favorable, on continue à diffamer les noirs, et par contre-
coup les hommes de couleur ; on leur attribue tous les vices, et on les
représente comme étant incapables de faire quelque chose de bon sans y
être contraints.
Cette campagne de dénigrement systématique, dont le mot d’ordre
périodique vient des Etats-Unis d’Amérique, est simplement l’œuvre de la
politique, c’est-à-dire du mensonge au service d’une ambition malsaine et
d’une cupidité insatiable. On a calomnié les noirs premièrement pour
s’arroger le droit de les rendre esclaves, puis pour se justifier de les avoir
rendus esclaves. Il en est résulté cette conséquence économique :
l’avilissement du prix de la main-d’œuvre indigène, qu’on voulait toujours
maintenir au niveau le plus bas, sans tenir compte des ‘‘desiderata” du
prolétaire colonial.

Mouvement historique de la République d’Haïti


C’est sous l’empire de ces mêmes sentiments inavouables que l’on
prodigue l’outrage et les sarcasmes à la République Noire d’Haïti, dont on
rêve la radiation de la liste des Etats Indépendants. Maintenant, après cent
ans depuis qu’il s’est libéré de la domination française, le peuple d’Haïti,
quoiqu’on dise, a fait de remarquables progrès du point de vue intellectuel
et moral. Si l’on persiste à le calomnier dans les pays qui possèdent des
colonies, c’est parce que son évolution constitue un argument sans réplique
en faveur des indigènes africains, c’est parce que, selon le mot d’un grand
négrophile : ‘Une République Noire au milieu de l’Atlantique est un phare
lumineux vers lequel les oppresseurs en rugissant, et les opprimés en
soupirant, tournent leurs regards’.
En fait, comme l’a justement écrit l’un des plus illustres sociologues
haïtiens, Hannibal PRICE, Ancien Ministre Plénipotentiaire à Washington :
‘En Haïti, le noir est en possession de l’entière responsabilité nationale, au
contraire de tout autre endroit. En Haïti il est appelé à se former et à
avancer à ses risques et périls ; et il reçoit directement le contre-coup et
subit toutes les conséquences déplorables de ses erreurs et de ses passions.
Là, on ne le conduit pas à la civilisation, il y va tout seul, par ses propres
efforts ; il y va sans appui, sans autre force que la sienne. Et quand il sera
assez avancé pour dissiper tout doute à cet égard, quand il se sera libéré des
erreurs, quand il aura vaincu les passions qui retardent sa marche, il sera
évident à tous qu’il est arrivé parce qu’il l’a voulu et parce qu’il en avait en
son être la force nécessaire. L’Haïtien avec cette preuve réhabilite la race
noire, parce que celle-ci, en accédant à la civilisation hors d’Haïti, ne
pourrait jamais démontrer qu’elle n’y fut pas traînée malgré elle par une
force étrangère et supérieure à sa volonté’.
L’indépendance d’Haïti importe donc à toute la race noire, parce que
l’égalité sociale du noir avec le blanc, la suppression, sinon du préjugé
individuel mais au moins du préjugé social, ne sera un fait accompli qu’en
conséquence de la victoire morale de la République d’Haïti contre la
mauvaise foi, contre l’antipathie internationale que celle-ci rencontre encore
presque partout.
L’Œuvre de Relèvement Social des Noirs
Instruit du grand rôle historique réservé à la République d’Haïti, mon
pays, dans la direction de l’évolution générale de la race africaine ;
convaincu, d’autre part, de l’opportunité du moment, j’ai donc fondé ici le
1er juin dernier, jour de l’Ascension, l’Œuvre de Relèvement Social des
Noirs sous l’action de la grâce infusée en mon âme par la Bénédiction de
Votre Sainteté. Le programme de cette œuvre nouvelle est comme suit :
‘Combattre, par tous les moyens pacifiques possibles, le préjugé de
couleur, lequel, nonobstant l’abolition de l’esclavage corporel, tend à
maintenir les noirs et leurs descendants dans une perpétuelle servitude
morale ; travailler loyalement à instaurer un modus vivendi convenable
entre les colons européens et les indigènes africains, au moyen d’une sage
conciliation d’intérêts à base des principes sociaux enseignés par la
religion ; donner aux noirs les plus intelligents l’occasion de prouver leur
aptitude à contribuer effectivement au progrès de la civilisation.
Aussi au moyen de conférences et publications de toute sorte et par
l’organisation de réunions à caractère mixte (comme des excursions et des
voyages d’étude, fêtes littéraires et artistiques, expositions diverses) où
l’élément noir, admis non seulement comme spectateur mais comme acteur,
pourra fraterniser sans arrière-pensée avec l’élément blanc, on arrivera, j’en
suis sur, à créer en Europe un large courant de justice et de sympathie pour
la race africaine.
Parallèlement à cette action dans les centres européens, j’irai
impressionner directement les centres indigènes au moyen d’une imposante
manifestation’.

Projet d’une expédition humanitaire en Afrique


Il s’agit d’une grande expédition humanitaire dont j’ai préparé le plan et
qui permettra aux noirs civilisés d’Amérique de contribuer à l’éducation de
leurs frères d’Afrique. Les malheureux parias qui gémissent encore dans la
barbarie, pourront mieux sentir l’abjection de leur état et en même temps ils
concevront la possibilité de leur relèvement social par le spectacle
encourageant d’un certain nombre de leurs congénères chez qui l’éducation
chrétienne a déjà opéré la transformation dont nous les verrons bénéficier
en leur temps.
Vaste et fécond de sa propre nature, un tel projet n’a pas besoin d’une
grandiose exécution pour produire tous ses fruits. C’est une nouvelle voie
que je trace dans l’œuvre de la régénération africaine et que d’autres, après
moi, élargiront et embelliront au plus grand avantage de la civilisation.
En effet, l’expansion européenne s’est effectuée en Afrique suivant un
plan absolument irrationnel. Avant d’accumuler les produits de l’industrie
occidentale dans ces nouveaux pays dont les populations ont très peu
d’exigences et accueillent avec une légitime méfiance les bienfaits d’une
civilisation qui leur est imposée à coups de fusil, il faut commencer par
inculquer aux indigènes des goûts et des besoins nouveaux, dont la
satisfaction exigera de leur part un accroissement progressif d’énergie au
travail, Maintenant, il n’y a pas de moyen plus sûr pour atteindre ce résultat
hautement désirable que de généraliser méthodiquement en Afrique
l’enseignement et l’exemple donnés par les autres noirs qui savent déjà
apprécier le confort et, jusqu’à un certain point, le luxe de la vie civilisée.
L’idée, non d’un exode général, — qui n’est ni nécessaire ni pratique —
mais d’une migration partielle en Afrique de quelque groupe plus ou moins
nombreux de noirs civilisés d’Amérique, fait l’objet d’un profond examen
de la part du Comité Directeur de l’Association Pan-Africaine.
L’Œuvre de Relèvement Social des Noirs offre aujourd’hui aux
gouvernements intéressés le moyen de canaliser, tandis qu’il en est encore
temps, ce mouvement sérieux qui procède d’ailleurs avec une impulsion
louable qu’il serait impossible de freiner.
Profondément attaché à la foi catholique dont je désire ardemment la
triomphale propagande dans le continent africain, j’ose espérer,
Bienheureux Père, que les faits ci-dessus narrés activent une nouvelle
affirmation de l’intérêt évangélique témoigné depuis des siècles par la
Papauté envers nos congénères malheureux.
Devant le progrès toujours croissant de l’Islamisme qui place bien haut la
doctrine de l’égalité sociale, chère aux opprimés, la race noire en tremblant
lève les yeux vers le Trône Pontifical et sa crainte se changera bien vite en
allégresse féconde si l’Auguste Voix de Votre Sainteté, émanation du Verbe
Sacré, immédiatement après le “Liber esto", lui adresse le mot généreux de
consolation et d’encouragement du Christ à son disciple : “Amice, ascende
superius”.
Dans cet espoir je dépose humblement aux pieds de Votre Sainteté
l’hommage dévot de ma plus sincère vénération et de mon attachement le
plus absolu et filial.

Commandant Benito Sylvain


Délégué Général de l’Association Pan-Africaine
Envoyé Extraordinaire de S. Exc. le Président d’Haïti,
auprès de S. M. l’Empereur d’Ethiopie,
Fondateur de l’Œuvre de Relèvement Social des Noirs.
Rome, le 15 juin 1905.652 ”

*
“Monsieur le Commandant Benito SYLVAIN
Fondateur de l’Œuvre du Relèvement Social des Noirs.
Rome

Très Honoré Monsieur,


Le Saint-Père a trouvé hautement cligne du noble esprit et des sentiments
généreux qui Vous animent l’Œuvre que Vous avez conçue et décrite sous le
beau nom de ‘Relèvement Social des Noirs’.
Vous dites fort bien, et Vous rappelez très à propos, que la proclamation
solennelle et si précieuse de l’égalité et de la fraternité entre tous les
hommes est due à Notre Seigneur Jésus-Christ, qui. pour le salut de tous,
comme un aîné à l’égard de ses frères, fit le sacrifice de sa vie.
Avec non moins de vérité et d’opportunité, Vous rappelez les incessantes
protestations formulées par les Souverains Pontifes contre la continuation
de cette ignominieuse plaie sociale qui s’appelle l’esclavage.
C’est pourquoi le Saint-Père voit avec une satisfaction toute particulière
que Votre Seigneurie Illustrissime, revêtue de l’honorable qualité de
Délégué Général de l’Association Pan-Africaine, vient d’ouvrir un nouveau
champ à son zèle et à celui d’autrui, en fondant ici, à Rome, l’Œuvre
susmentionnée de Relèvement Social des Noirs, laquelle se propose le
noble but de combattre l’injuste et déraisonnable préjugé de couleur ; de
sauvegarder vis-à-vis des colons Européens, les droits légitimes des
indigènes africains, et de fournir aux noirs eux-mêmes l’occasion de monter
par leurs propres forces la hauteur de la civilisation chrétienne, prouvant
ainsi à la face du monde entier qu’il n’est conforme ni à la charité ni à la
justice de tenir leur race assujettie pour toujours à des services
nécessairement subalternes.
En conséquence, Sa Sainteté, voulant unir sa voix à celle de ses
Prédécesseurs, félicite vivement Votre Seigneurie de la Charitable
entreprise à laquelle Vous vous consacrez, et de tout cœur. Elle fait des
vœux pour que toutes les personnes qui sont pénétrées du principe de
fraternité prêché par l’Homme-Dieu, Vous donnent largement leur
coopération, leur assistance et leur appui.
Enfin, pour que la grace divine féconde la chrétienne initiative de Votre
Seigneurie, Sa Sainteté Vous accorde avec une affection spéciale la
Bénédiction Apostolique et appelle en outre les faveurs célestes sur tous
ceux qui voudront bien seconder efficacement la mise à exécution de votre
si noble projet.
En portant cette information à Votre connaissance, je profite avec plaisir
de l’occasion qui m’est offerte pour me dire avec la plus haute estime,
De Votre Seigneurie Illustrissime.

Le très affectionné serviteur


R. Card. Merry del Val
Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté.
Rome, 28 juin 1905”653.

La Revue l’Etoile Africaine, organe de l’Œuvre de Relèvement Social des


Noirs, dans son n° 1 de janvier 1906, rédigé par Benito Sylvain, commence
par énumérer les personnalités, “Grands Protecteurs de l’Œuvre” et les
membres du Comité d’honneur de l‘Œuvre :

Grands Protecteurs de l’Œuvre :


- L’Empereur Ménélik II, Roi des Rois d’Ethiopie
- Le Général Nord Alexis, Président de la République d’Haïti
- Emile Loubet, Président de la République Française
- Edouard VII, Roi de la Grande-Bretagne et Empereur des Indes
- Guillaume II, Roi de Prusse et Empereur d’Allemagne
- Léopold II, Roi des Belges et Souverain de l’Etat indépendant du Congo
- Roosevelt, Président de la République des Etats-Unis
- La Reine Wilhelmine, Souveraine des Pays-Bas
- François-Joseph, Roi d’Autriche-Hongrie
- Christian IX, Roi de Danemark
- Oscar II, Roi de Suède
- Moutsou-Hito, Empereur du Japon
- Victor-Emmanuel II, Roi d’Italie
- Alphonse XIII, Roi d’Espagne
- Dom Carlos 1er, Roi de Portugal
- Général Porfirio Diaz, Président de la République du Mexique
- Général Alvez, Président de la République du Brésil
- Moralès, Président de la République Dominicaine
- Docteur Castro, Président la République du Venezuela
- Th. Barclay, Président de la République du Libéria
- Général Raima, Président de la République de Cuba.

Comité d’Honneur
- Le Cardinal Merry Del Val
- les Cardinaux Rampolla, Gotti, Macchi. Segna, Vivès y Tuto ;
- Général Coste, Président du Consistoire central de l’Eglise réformée ;
- Baron A. de Rothschild, Président du Consistoire central du Culte
israélite ;
- Marcellin Berthelot, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences en
France ;
- Ras Makonnen, Gouverneur du Harrar (Ethiopie) ;
- Abbas Himly, Khédive d’Egypte ;
- Mgr Kyrillos Macaire, Patriarche catholique d’Alexandrie et de la
Prédication de Saint-Marc ;
- Frédéric Passy, membre de l’Institut, Président d’honneur de la Société
pour l’arbitrage entre les nations ;
- Tolstoï, Promoteur de la Rénovation sociale en Russie ;
- Mme la Comtesse d’Eu, Présidente d’honneur du Comité des Dames
Patronnesses de la Société antiesclavagiste de France ;
- Gabrielle Fontan, née Toussaint-Louverture, Institutrice à Auch ;
- Baronne de Suttner, Présidente de la Société autrichienne des Amis de la
Paix ;
- Mme Matza, née Alexandre Dumas ;
- Mme Jeannine d’Hauterive, née Alexandre Dumas ;
- Georges Picot, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales,
Président de la Société antiesclavagiste de France ;
- Mme Isabelle Bogelot, Directrice de l’Œuvre des libérées de Saint-Lazare,
Présidente d’honneur du Conseil national des Femmes françaises.
- Général Pouchkine-Moussa, ancien Gouverneur d’Odessa ;
- Général Dodds, Inspecteur général de l’Infanterie de marine dans l’armée
française ;
- Général Légitime, ancien Président de la République d’Haïti ;
- Docteur Edward Wilmot Blyden, ancien Président de la République de
Libéria. Ministre plénipotentiaire en France ;
- Booker T. Washington, Fondateur et Directeur de l’Institut normal de
Tuskegee ;
- Mme Booker Washington ;
- Powell, Ministre Plénipotentiaire de la République des Etats-Unis à Port-
au-Prince ;
- Léon de Rosny, Président de l’Alliance scientifique universelle ;
- Michel Sylvain, Agriculteur et industriel en Haïti ;
- G. Gerville-Réache, Vice-Président de la Chambre des Députés en
France ;
- Mgr Alexandre Le Roy, Supérieur général de la Congrégation des Pères
du Saint-Esprit ;
- Mgr Jarosseau, Chef de la Mission apostolique des Pays Gallas ;
- Mgr Spolverini, Sous-Dataire du Saint-Siège ;
- Mme la Comtesse Ledochowska, Fondatrice de l’Œuvre de Saint-Pierre
Claver ;
- Chevalier E. Descamps-David, Professeur de Droit à l’Université de
Louvain, Secrétaire général de l’Institut de Droit international ;
- A. Firmin, ancien Ministre Plénipotentiaire d’Haïti à Paris ;
- Dr. Louis-Joseph Janvier, Lauréat de la Faculté de Médecine de Paris,
ancien Ministre d’Haïti à Londres ;
- Dr. Léon Audain, ancien Interne, Lauréat des Hôpitaux de Paris, Directeur
de l’Ecole de médecine de Port-au-Prince ;
- Lord Cromer. Représentant du Gouvernement Britannique en Egypte ;
- Charles Séguy-Villevaleix, ancien Ministre d’Haïti à Londres ;
- Dalbémar Jean-Joseph, Ministre Plénipotentiaire d’Haïti à Washington ;
- Dr. Sénèque Viard, Ministre d’Haïti à Londres ;
- Jacques-Nicolas Léger, Ministre Plénipotentiaire d’Haïti à Washington ;
- Louis Borno, Ministre Plénipotentiaire d’Haïti à Santo Domingo ;
- Alphonse Cicéron, Représentant de la Guadeloupe au Sénat de la
République Française ;
- Général Brenor Prophète, ancien Ministre de la Guerre et de la Marine en
Haïti ;
- Murville-Férère, Ministre des Relations Extérieures d’Haïti ;
- Solon Ménos, ancien Ministre des Relations Extérieures d’Haïti. Président
de la Société de Législation de Port-au-Prince ;
- Edmond Lespinasse, ancien Ministre de la Justice, avocat de la Légation
de France à Port-au-Prince ;
- Pierre Foncin, Inspecteur général de l’Instruction Publique. Fondateur de
l’Alliance Française ;
- Henri Dunant, Fondateur de l’Œuvre de la Croix-Rouge ;
- Maximilien Liontel, Procureur général près la Cour d’Appel de Cayenne ;
- Stephen Liégeard, Président de la Société d’Encouragement au Bien ;
- Louis Renault, Membre de L’Institut, Professeur de Droit international à la
Faculté de Paris ;
- Raoul Jay, Professeur de Science et Législation industrielles à la Faculté
de Droit de Paris ;
- Ernest Lavisse, Directeur de l’Ecole Normale supérieure de Paris :
- Thomas Fortune, Directeur du New York Age, Ex-délégué du
Gouvernement des Etats-Unis aux îles Philippines :
- Alfred Ilg. Conseiller d’Etat de l’Empire d’Ethiopie ;
- Léon Chefneux, Président du Conseil d’administration de la Compagnie
Impériale des Chemins de fer franco-éthiopiens ;
- Lagarde. Ministre Plénipotentiaire de France à Addis-Abeba ;
- Colonel Harrington, Ministre Plénipotentiaire d’Angleterre à Addis-
Abeba ;
- E. Lischine, Ministre Plénipotentiaire de Russie à Addis-Abeba ;
- Colonel Ciccodicola, Ministre Plénipotentiaire d’Italie à Addis-Abeba ;
- D. Jean-Louis, Président du Comité permanent du Sénat de la République
d’Haïti ;
- Boutros Ghali Pacha, Ministre des Affaires Etrangères d’Egypte ;
- Hugon Lechaud, ancien Ministre de la Justice, Président du Tribunal de
Cassation en Haïti ;
- Jérémie, ancien Ministre des Relations Extérieures d’Haïti ;
- Général Turenne Jean-Gilles, ancien Ministre de la guerre, Délégué
extraordinaire du Gouvernement haïtien ;
- Général Cyriaque Célestin, Ministre de la Guerre et de la Marine en Haïti ;
- Mgr Beauger, Curé de Sainte-Anne à Port-au-Prince ;
- Camille Bruno, Président de la Commission d’Enquête financière à Port-
au-Prince :
- Dr. Enriquez y Carvajal, ancien Ministre des Affaires Etrangères de la
République Dominicaine ;
- Le Ministre de France à Port-au-Prince ;
- Mgr Legros, Directeur de la Société antiesclavagiste de France ;
- Ferdinand Brunetiere, de l’Académie française, Directeur de la Revue des
Deux Mondes ;
- Drs Matza et Chompret ;
- Glasson, Membre de l’Institut, Doyen de la Faculté de Droit de Paris ;
- Camille Pelletan, Ancien Ministre de la Marine ;
- Jules Guesde, Chef du Parti Socialiste en France ;
- Mgr Holly. Evêque baptiste de Port-au-Prince ;
- Sénèque Pierre, Sénateur de la République d’Haïti ;
- Mme le Dr. Magnus, de la Faculté de Paris ;
- Michel Oreste, Sénateur de la République d’Haïti ;
- Stephen Archer, Président de la Chambre des Députés, en Haïti ;
- Général Septimus Marius, ancien Ministre de la Guerre ;
- Oswald Durand, homme de lettres haïtien :
- Maximilien Laforest, notaire à Port-au-Prince ;
- Anatole France, de l’Académie française ;
- Sénateur Bérenger, Président de la Ligue contre la Traite des Blanches ;
- Jules Claretie, de l’Académie française ;
- Sir Fowell Buxton. Président de la British and Foreign anti-slavery
Society ;
- Mme la Marquise Vitelleschi, Présidente du Comité des Dames
Patronnesses de la Société antiesclavagiste d’Italie ;
- Luis Sorela, Explorateur, Président de la Société antiesclavagiste
d’Espagne ;
- Hippolyte Laroche, ancien Gouverneur de Madagascar ;
- Général Génie, Président du Cercle Militaire à Paris :
- Vice-Amiral Lebon, Commandant en chef de la Flottille haïtienne ;
- Julien Dusseck, membre de la Chambre des Comptes de la République
d’Haïti ;
- Timoclès Lafontant, Commissaire du Gouvernement près la Banque
Nationale d’Haïti ;
- Général Darius Hyppolite, Chef de la Garde du Palais national de Port-au-
Prince ;
- Sénateur Renaud Hyppolite, ancien Ministre de l’Intérieur en Haïti ;
- Comte Pierre de Laguibourgère, ancien Capitaine de l’armée française,
Commandant en chef des troupes éthiopiennes instruites à l’européenne ;
- Capitaine Joubert, ancien zouave pontifical, Chef du groupe principal des
“Villages de liberté” en Afrique ;
- M. Le Commandeur Filippo Tolli, Président de la Société anti-esclavagiste
d’Italie ;
- Mgr Huylen, Evêque de Namur ;
- Mme la Marquise de Lacaze ;
- Mme Jan Germain, femme de lettres ;
- Brunet, Représentant de la Réunion au Sénat de la République française ;
- Le Député Francis de Pressensé, Président de la Ligue française des Droits
de l’Homme ;
- Gabriel Monod, Directeur de la Revue Historique ;
- Albert Hans, Consul du Paraguay à Paris ;
- R.P. le Floch, Supérieur du Séminaire français à Rome ;
- P. Roserot, Procureur des Pères du Saint-Esprit à Rome ;
- P. Burtin, Procureur des Pères Blancs à Rome ;
- Dr. Abate Pacha, Président de la Société Khédiviale de Géographie ;
- Paul Lochard, Directeur du Journal officiel de la République d’Haïti ;
- Ewald, Administrateur délégué de la Banque Nationale d’Haïti ;
- Tertullien Guilbaud, Fondateur de l’Ecole de Droit du Cap-Haïtien ;
- Me Alfred Henriquez, avocat ;
- Le Député Denys Cochin ;
- Baronne Denys Cochin, Présidente du Comité des Dames Patronnesses de
la Société antiesclavagiste de France ;
- Paul Viollet, Président du Comité de Défense et de Protection des
Indigènes africains ;
- Mme Vve Gardès, née Vattier de Bourville ;
- Gabriel Lhuerre, ancien Gouverneur par intérim de la Martinique ;
- Dr. Jean Hess, Explorateur, auteur de l’Ame nègre ;
- Stéphen Pichon, ancien Ministre à Port-au-Prince, Résident de France à
Tunis ;
- Germain Lefèvre Pontalis, membre de la Société antiesclavagiste de
France ;
- Mme Séverine, Publiciste ;
- Max Nordau, auteur des Mensonges conventionnels de la civilisation ;
- Jean Finot, Directeur de la Revue, auteur du Préjugé des Races ;
- W.T. Stead, Directeur de la Review of Reviews ;
- Justin Dévot, Professeur à l’Ecole nationale de Droit de Port-au-Prince ;
- Ducasse Pierre-Louis, Député de Port-au-Prince ;
- Eugène Simoneau, Secrétaire général de Préfecture en France ;
- Baron Joseph Du Teil, Secrétaire général de la Société antiesclavagiste de
France ;
- Comte Stadnicki, Chargé d’Affaires d’Autriche-Hongrie au Caire ;
- Le Juge Magnaud, Président du Tribunal de Château-Thierry ;
- Eugène Bonhoure, Gouverneur de la Martinique ;
- Mme la Comtesse de Brazza ;
- Mme Jane Cobden-Unwin, membre du New Reform Club de Londres ;
- Commandant Mortenol, Capitaine de frégate de la Marine française ;
- Dr. Lebedinski, Directeur de l’hôpital Risse d’Addis-Abeba ;
- Georges Sylvain, Juge au Tribunal de cassation de Port-au-Prince ;
- H. Légitimas, ancien Député de la Guadeloupe ;
- Le Député Henri Ursleur, représentant de la Guyane à Chambre française ;
- Comte de Montalbo, Conseiller de la Légation de la République
Dominicaine à Rome ;
- Gabriel Guigniony, Agent Consulaire de France au Harrar ;
- Charles Servel, Consul général d’Haïti à Marseille ;
- Mme Sarah Monod, Présidente du Conseil national des Femmes
françaises ;
- Mme Avril de Sainte-Croix, Secrétaire général du Conseil national des
Femmes françaises ;
- Sudre Dartiguenave, ancien Président de la Chambre des Députés ;
- Abbé Fonsagrives, Président du Cercle catholique du Luxembourg ;
- Charles Le Masle, Comptable à la Caisse hypothécaire d’Egypte ;
- Mme Féresse-Deraisme ;
- Jeanne Chauvin, Docteur en Droit de la Faculté de Paris ;
- Général Justin Carrié, Commandant de l’Arrondissement de Port-au-
Prince ;
- Général Charles Régnier, Commandant de la Place de Port-au-Prince ;
- Général Marc Derenoncourt, Chef des Mouvements du Port, à Port-au-
Prince ;
- Général Georges Brice, Commandant de l’Arrondissement de Jérémie ;
- Jacques Durocher, ancien élève de l’Ecole Centrale de Paris, Ingénieur du
Gouvernement haïtien ;
- Frédéric Doret, ancien élève de l’Ecole des Mines de Paris, Ingénieur du
Gouvernement haïtien ;
- Louis Roy, ancien élève de l’Ecole des Mines de Paris, Ingénieur du
Gouvernement haïtien ;
- Thomas Price, ancien élève de l’Institut Pratt de New York, Ingénieur du
gouvernement haïtien :
- Malherbe Carré, ancien négociant :
- S. Laraque, Agriculteur et Industriel en France ;
- Mme Edouard Cros :
- Arnould Rogier, Instituteur à Paris ;
- Professeur William Léon ;
- Dr. Vitalien. Directeur de l’hôpital du Harrar ;
- Sénateur Georges Clémenceau, Directeur du Journal L’Aurore ;
- Lamartine Malebranche, Sénateur de la République d’Haïti ;
- Auguste Dorchain, Homme de lettres à Paris :
- Corneille Theunissen, Sculpteur,
- O. Pommayrac, Hommes de lettres en Haïti ;
- Duois Viard, ancien chef de Division au ministère de l’Instruction
Publique en Haïti ;
- Edmond Roumain. Pharmacien-chimiste à Port-au-Prince ;
- Etienne Mathon, ancien Magistrat communal de Port-au-Prince ;
- Massillon Coicou, ancien Secrétaire de la Légation d’Haïti à Paris :
- Périclès Tessier, Directeur du Lycée national à Port-au-Prince ;
- Charles Sambour, Administrateur principal des Finances de Port-au-
Prince ;
- Mme Lagojanis, Négociant importateur à Port-au-Prince ;
- Mme Vve Boutin, Négociant importateur à Port-au-Prince ;
- Charles Guiteau, Directeur de la Maison Centrale d’Haïti ;
- Mlle Rochefort, Institutrice à Paris ;
- Démosthènes Sylvain. Négociant à Port-de-Paix (Haïti) ;
- Cicéron Saint-Aude,
- Emmanuel Henriquez, Pharmacien à Jacmel ;
- Dr. M. Tucker, médecin médaillé du Dispensaire Rousselet ;
- Dr. Edgar Bérillon, Président de la Société d’Hypnologie de Paris ;
- E. Nicolle. Président de la Société de Géographie de Lille ;
- Adolphe Brisson, Directeur des Annales Politiques et Littéraires ;
- Louis Colin, Vétérinaire major à Bourges ;
- Dr. Boricaud, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, Conseiller général à la
Guadeloupe ;
- Mme Vve Lamothe. Directrice de l’Ecole secondaire des demoiselles à
Port-de-Paix ;
- Marc Legrand. Directeur fondateur de la Revue du Bien dans la vie et
dans l’art ;
- Angèle Kopp, Directrice de la Maison maternelle de Belleville (Paris) ;
- Urbain Gohier, Publiciste ;
- Marc Sangnier, Directeur du Sillon ;
- Dr. Brassard, Directeur de l’Hôpital français du Caire ;
- Athanasios Survis, Secrétaire particulier de l’Empereur Ménélik :
- Mme Pégard, Chevalier de la Légion d’honneur ;
- Abbé Louis Sauvanaud ;
- Capitaine Gaston Moch. membre du Comité de Défense et de Protection
des Indigènes ;
- Dr. Alexandre Riboul, Directeur de la Maternité de Port-au-Prince ;
- Drs. Félix Armand et Wesner Ménos, Professeurs à l’Ecole de Médecine
de Port-au-Prince,
- Député Jean Jaurès, Directeur du Journal L’Humanité ;
- Léon Chomé, Directeur de la Belgique militaire ;
- Député Gérault-Richard, Directeur de La Petite République ;
- Henri Turot, Conseiller municipal de Paris, Rédacteur à La Petite
République ;
- Gaston Calmette, Directeur du Figaro ;
- Mme Virginie Sampeur, Directrice du Pensionnat National de Demoiselles
à Port-au-Prince ;
- Mme Frédéric Woolley ;
- Ellen Robinson, de Liverpool ;
- J. Nicolas, ancien Consul général d’Haïti à New York ;
- Dr. Alonzo Holly, ancien Consul d’Haïti à Inague ;
- Joseph Justin, Directeur de l’Ecole nationale de Droit à Port-au-Prince ;
- Georges Bottin, Président de la Société de Géographie de Douai ;
- Député Gustave Rouanet, Rédacteur au journal L’Humanité ;
- Gaston Méry, Conseiller municipal de Paris, rédacteur à la Libre Parole ;
- Maurice Leudet, Rédacteur au Figaro ;
- Me Henri Lamba, Professeur à l’Ecole Khédiviale de Droit ;
- Jacques Godenne, Directeur du Journal de Namur :
- Auguste Lesouef, membre de la Société d’Ethnographie de Paris ;
- Prince Wanilo Behanzin, Lauréat du Lycée de la Martinique ;
- Député Vigné d’Octon ;
- Léon Mirman, Directeur de l’Hygiène Publique à Paris ;
- Mme Hamel, née Gahéry, institutrice ;
- Mlle Escudé, Diplômée de la Maternité de Paris ;
- Robecchi Bricchetti. Explorateur, à Milan ;
- Jules Coutand, Président de la Société protectrice des animaux ;
- Mme Elise Collard et Mme Vve Roblin ;
- Henri Rochefort, Directeur du journal L’Intransigeant ;
- Henry Maret, Rédacteur en chef du Journal Le Radical ;
- Henry Avenel, Directeur de l’Annuaire de la Presse ;
- Mlle Renée Brégyl, Femme de Lettres ;
- Mlles Lacascade ;
- Dathan de Saint-Cyr, Paul Vibert, Publicistes ;
- Maurice Rousseaux. Ingénieur industriel à Bordeaux ;
- Georges Deherne, Promoteur des Universités populaires en France ;
- Noguères, Président de l’Association générale des Etudiants à Paris ;
- Adolphe Fontaine-Besson. Industriel à Paris :
- Mme Louis Hartmann ;
- Raoul Canivet. Fondateur de l’Université populaire d’Alexandrie ;
- Fernand Braun, Directeur de l’Egypte moderne ;
- Camille Gabriel, Secrétaire particulier du Président d’Haïti ;
- Montreuil Guillaume, Payeur aux Départements de la Guerre et de la
Marine en Haïti ;
- Chervin Poux, Raoul Léon ;
- Saint-Maixent et Cuvier Rouzier ;
- Fernand Hibbert et Charles Dubé, ancien Député ;
- Joseph Geffrard, Concessionnaire de l’Eclairage électrique de Port-au-
Prince ;
- Athanase Laforest ;
- Lucien Descaves, membre de l’Académie de Goncourt ;
- Maurice Ladmiral, Conseiller général de la Guadeloupe ;
- Emmanuel Lacourné, Président de la Cour d’Appel à Fort-de-France ;
- Maxime Colletas, Ingénieur, Directeur de la Solidarité coloniale ;
- Le Camus, Chef de bataillon d’infanterie coloniale ;
- Didier, Chef d’escadron d’Artillerie coloniale ;
- Baudin, Chef d’escadron d’Artillerie coloniale ;
- Dr. Bonola-Bey, Secrétaire général de la Société Khédiviale de
Géographie ;
- Ernest Angevin, ancien Instituteur à Paris ;
- Justin Lhérisson, Professeur d’Histoire au Lycée de Port-au-Prince ;
- Gaston Lévy, Docteur en Droit ;
- Constantin Vieux, Agent financier ;
- Eugène Saint-Macary, Négociant à Port-au-Prince ;
- M. de Decken, Consul général d’Haïti pour la Belgique et les Pays-Bas ;
- Georges Berr, de la Comédie Française, Professeur au Conservatoire ;
- Jouannel, Mécanicien principal dans la Marine française ;
- Mathieu, Chef d’escadron d’Artillerie coloniale ;
- Bouchaut, Inspecteur des Colonies ;
- Victor Basquel, Juge à la Martinique ;
- Justin et Guillaume Devès, à Saint-Louis (Sénégal) ;
- Dr. Charles Carpot, médecin à Saint-Louis ;
- Député François Carpot, Représentant du Sénégal à la Chambre française ;
- Adolphe Crespin, Chef de Bureau des Secrétariats généraux à Saint-
Louis ;
- H. Maran, Chef de Bureau des Secrétariats généraux à Cayenne.

Pourquoi l’Œuvre a t-elle été fondée à Rome ? Benito Sylvain répond


clairement à cette question en évoquant le Cardinal Lavigerie qui disait :
“Ce qu’il faut pour combattre l’esclavage, ce n’est pas, comme on pourrait
le croire des armes nombreuses ; ce qu’il faut, ce sont des hommes, mêmes
isolés, mais puissants par la vertu, par l’initiative et par le courage, et
capables de former les noirs à résister à leurs ennemis”.
B. Sylvain veut lutter, non contre l’esclavage, mais contre la “scandaleuse
violation des droits de l’homme en Afrique” par toutes les puissances
coloniales responsables des “mauvais traitements infligés aux indigènes
africains" et contre le “préjugé de couleur”. Bien sûr il se garde bien
d’attaquer de front les conquêtes coloniales qui s’activent en Afrique et en
Asie, il préfère concentrer ses efforts sur ce préjugé de couleur qui
“s’alimente, se renouvelle et tend même à s’accroître, comme aux plus
mauvais jours de la traite et de l’esclavage”.
Les explications de Sylvain découlent de cette lutte qu’il entreprend
contre “cet abominable fléau du monde colonial” : “Après avoir, par
l’Association Pan-Africaine dont nous fûmes le promoteur, donné aux noirs
instruits disséminés dans tous les pays la possibilité de se connaître et de
s’entr’aider, nous créons aujourd’hui, avec l‘Œuvre du Relèvement social
des Noirs, une direction centrale destinée à coordonner les efforts communs
et à sauvegarder, par une action collective méthodique et continue, les
intérêts et les droits de la race africaine, trop longtemps spoliée, opprimée et
vilipendée.
Il nous a fallu, pour cette fondation nouvelle dont les récents événements
du Congo soulignent toute l’importance, tenir compte d’un fait historique
capital que certains gouvernements sont peut-être trop enclins à oublier :
c’est que l’origine des pouvoirs politiques exercés si hautainement en
Afrique par les puissances coloniales a sa source dans un mandat spécial de
civilisation que le Pontificat romain, à la découverte du Nouveau Monde,
leur a confié au nom de la religion catholique. Et lorsque les peuples
chrétiens, obéissant au démon de la cupidité, violèrent, au détriment des
Noirs, l’esprit et la lettre de la doctrine évangélique qu’ils avaient accepté la
mission de propager, la Papauté ne manqua pas, ainsi que nous l’avons
montré, de formuler les plus énergiques protestations.
En reconnaissance de cette paternelle sollicitude séculairement témoignée
aux Africains par le Saint-Siège apostolique, nous sommes allés à Rome et
nous y avons fondé, sous les auspices du Souverain Pontife Pie X, l’Œuvre
du Relèvement social des Noirs.
Nous avons reçu, au Vatican, un accueil dont nous avons lieu d’être fiers
et dont tous nos congénères doivent se réjouir avec nous, car c’est
spécialement en qualité de défenseur de la Race noire que nous avons été
ainsi honoré. Le Souverain Pontife, dont la rayonnante bonté encadre une
très vive intelligence, a bien voulu accorder à notre Œuvre l’inappréciable
appui de son auguste approbation. Les membres les plus éminents du Sacré-
Collège, les cardinaux Rampolla, Secrétaire d’Etat sous le précédent
Pontificat ; Merry del Val, titulaire actuel de cette haute fonction ; Gotti,
Préfet de la Propagande ; Vivès y Tuto ; Vannutelli, Satolli, ancien Délégué
apostolique dans l’Amérique centrale ; Ferrata, ancien Nonce à Paris ;
Macchi, Secrétaire des brefs et Grand Chancelier des ordres pontificaux ;
Segna, Archiviste du Saint-Siège, nous ont comblé d’égards et prodigué les
encouragements les plus flatteurs."
Benito Sylvain a donné une conférence à Rome, sous le patronage de la
Société antiesclavagiste d’Italie et qui fut honorée de la présence des
cardinaux Macchi, Segna et Vivès.

Le programme de l‘Œuvre du Relèvement social des Noirs était le


suivant :
1°) Combattre, par tous les moyens pacifiques, le préjugé de couleur qui,
malgré l’abolition de l’esclavage corporel, tend à maintenir les nègres et
leurs dérivés dans une servitude morale perpétuelle.
2°) Travailler loyalement à établir un modus vivendi satisfaisant entre les
colons européens et les indigènes africains, par une sage conciliation des
intérêts industriels et commerciaux avec les principes de fraternité
chrétienne.
3°) Fournir aux noirs les plus avancés des occasions de prouver leurs
aptitudes et de contribuer d’une façon effective aux progrès de la
civilisation.

Benito Sylvain se dépensait énergiquement dans cette Europe occidentale


des années 1905-1906, si gangrénée par le racisme. Il donne plusieurs
conférences sur le thème général “l’accord nécessaire des Blancs et des
Noirs en Afrique”, féraille contre Stéphane Lauzanne, rédacteur en chef du
journal Le Matin, “glorifiant le préjugé de couleur et reproduisant à plaisir
les plus infamantes calomnies contre la race noire". L’article de Lauzanne
“La Race inférieure” publié dans Le Matin du 18 août 1905 et sa
conclusion, “La race noire même avec la bénédiction du cardinal Merry del
Val, n’arrivera jamais au niveau de la race blanche”, provoque des réponses
indignées de plusieurs personnalités. Sylvain lui-même publie un article
“Blancs et Noirs hors du prisme de la couleur” dans le journal Le Matin.
Adolphe Cicéron, Sénateur de la Guadeloupe, Henri Ursleur, Député de
la Guyane, s’expriment dans la Dépêche coloniale de 1905. H.-Adolphe
Lara rédige un article en Guadeloupe. Plusieurs journaux publient des
éditoriaux critiques : Le Bon Droit de Cayenne, l’Avenir de l’Est (St-Dié)
“Nos Démocrates", la revue Les Annales diplomatiques et consulaires
publie “Negrophagie intégrale”, une lettre ouverte à Stéphane Lauzanne de
Armand Séville, Secrétaire de la Ligue pour la Défense des droits
coloniaux.
Benito Sylvain prononce des discours pour populariser ses idées, il se
rend à Namur, à Paris, à Lille, à Douai, à Toulouse, au Caire, à Alexandrie,
à Rome où il multiplie le cercle de ses amis. Il écrit des livres, un de ses
manuscrits, Visions éthiopiennes, prêt en 1903 attend depuis deux ans. Il
rédige l’Histoire d’Haïti racontée aux Canadiens qui ne paraîtra qu’après
son décès. Il entretient des liens d’amitié avec le Dr. Edward Blyden qu’il
rencontre à Paris.
Une de ses conférences à Paris, au siège du Conseil national des Femmes
françaises, porte sur "le rôle de la Femme dans l’Œuvre du Relèvement
social des Noirs”.
Le siège provisoire de l’Œuvre est à Paris, 14, Cité d’Antin.

Dernières étapes
Benito Sylvain effectua un quatrième et dernier voyage en Abyssinie en
1906. Il donna une nouvelle série de conférences à Paris sur l’Ethiopie et
sur l’“Entente des Noirs et des Blancs”. Il prononça un discours le 21 mars
1907 au Palais National à Port-au-Prince. Il remit la réponse de l’Empereur
Ménélik au Président d’Haïti Nord Alexis en lui transmettant la décoration
qui l’accompagnait :

“Président,
Au prix de souffrances physiques et morales dont nul ici ne soupçonne
l’étendue, j’ai aujourd’hui la patriotique satisfaction de remettre entre vos
mains la réponse de S. M. l’Empereur Ménélik II à la lettre que Votre
Excellence voulut bien lui adresser par mon intermédiaire, à l’occasion du
Centenaire de l’Indépendance Nationale d’Haïti.
Si naturel qu’il soit, ce fait dépasse pourtant le cadre et la portée ordinaire
des actes internationaux de nos Gouvernements. C’est la première fois, en
effet, que la République d’Haïti, porte-drapeau de la Race noire en
Amérique, entre directement en relations avec un Empire africain capable
de la seconder, dans l’accomplissement de ses destinées historiques.
Aussi bien, il était temps que le pays de Toussaint-Louverture et de
Dessalines revendiquât officiellement, à la face de l’univers civilisé, le rôle
qui lui incombe dans l’évolution générale de nos malheureux congénères
d’Afrique et qui constitue sa principale raison d’être internationale. Ce sera,
un jour, une grande gloire pour Votre Excellence d’avoir posé le premier
jalon dans cette voie et d’associer, à cette fin, son nom vénéré à celui de
l’illustre Souverain d’Ethiopie.
Franchissant plus tard un autre stade dont les événements eux—mêmes
fixeront l’échéance, la République d’Haïti saura donner opportunément une
consécration logique à ces relations nouvelles inspirées par un sentiment
aussi élevé. La grand’croix de l’Ordre national de l’Empire Ethiopien, que
j’ai l’honneur de transmettre à Votre Excellence, est, aux yeux de S.M.
l’Empereur Ménélik, le gage significatif de cet espoir, d’avance agréé par
tous les vrais patriotes haïtiens.
Je suis particulièrement heureux, après m’être acquitté intégralement de
ma double mission, de vous renouveler, Président, avec mes félicitations et
mes souhaits les plus sincères, l’hommage très respectueux de mon
inaltérable dévouement”654.
L’année suivante, le Commandant Sylvain se rendit au Canada. Il gagna
Ottawa, la capitale fédérale, vers la fin de septembre 1907. Il fut reçu par
Wilfrid Laurier, le Premier ministre canadien et par le Gouverneur général
Lord Grey. Il rencontra à Québec le Lieutenant-Gouverneur Jette et donna
une conférence dans cette ville. A Montréal où il arriva le 7 octobre, il dut
attendre un mois avant de prononcer sa première conférence le 7 novembre
sur l’Accord nécessaire des Blancs et des Noirs, qui eut lieu au Monument
National, sous la présidence de Mgr Bruchesi, l’archevêque de Montréal.
Au Canada, Benito Sylvain fonda L’Etoile Africaine, pour combattre le
préjugé de couleur qui sévissait dans tous les lieux publics du territoire
nord-américain.
Le Président Antoine Simon éleva Benito Sylvain au grade de Colonel en
1909 et plus tard, le 5 février 1910 à celui d’Adjudant-Général. Elu député
au Corps législatif en 1912, Benito Sylvain fut désigné pour devenir le
président du Comité de l’Armée. En 1914, le Général Oreste Zamor qui
avait renversé le Président Michel Oreste le nomma le 14 novembre “chef
de division au Département de l’agriculture”, Cependant, malgré cette
distinction, brisé, “cassé au dedans”, Benito Sylvain se retira à Bizoton, une
banlieue de Port-au-Prince pour vivre replié sur lui-même. Il se heurtait aux
intrigues, à la jalousie des courtisans, à la dégradation économique,
politique et sociale de Haïti. Finalement il mourut jeune, à 47 ans, le 3
janvier 1915, six mois avant le débarquement des troupes arrivées des
Etats-Unis pour occuper Haïti.

Une “Note nécrologique” parue dans le journal Le Matin signalait le 4


janvier 1915 sa disparition : “Nous annonçons avec regret la mort de M.
Benito Sylvain, Chef de Division de l’Agriculture. M. Benito Sylvain était
un Haïtien de valeur qui faisait honneur à son pays qu’il a constamment
défendu à l’Etranger et au service duquel il a toujours essayé de mettre ses
connaissances aussi étendues que variées.
Ancien lieutenant de vaisseau, docteur en droit de la Faculté de Paris,
ancien Envoyé Extraordinaire de la République d’Haïti auprès de S.M.
l’Empereur Ménélik, ancien secrétaire de la Légation d’Haïti à Londres, M.
Benito Sylvain a laissé partout où il a passé le souvenir d’un gentilhomme
et d’un Haïtien énergique”655.

646 Combite : “Groupe de paysans travaillant en commun au son de la musique”, A. Métraux, dans
Le vaudou haïtien, indique que “ce mot vient de l’espagnol convite (invitation)”, p.48, n.2.
647 A. Bervin, Benito Sylvain..., op.cit., pp.86-90.
648 Idem, pp. 144-145.
649 Traduit en français par Ato Haylé-Mariam, interprète principal de S A. le Ras Makonnen.
650 Idem, pp.97-100.
651 Idem, pp. 101-102.
652 Traduit de l’italien grâce à l’obligeance de M. Charles Sinai.
653 Idem, pp. 105-111.
654 Idem, pp. 145-146.
655 Idem, p.149, n.1.
CONCLUSION :
1900-2000, L’HISTOIRE, UN ECLAIRAGE LUMINEUX DU
PRESENT.

“Yambambo, yambambé !

Repica el congo solongo,


repica el negro bien negro,
congo solongo del Songo,
baila yambo sobre un pie.

Mamatomba,
serembe cuseremba !

Canto Negro"

Nicolas Guillen, Songoro Cosongo, 1931.

"Me río de ti,...


mono que andas saltando de mata en mata,
payaso que sudas por no meter la pata,
y siempre la metes hasta las rodillas.
Me rio de ti, blanco de verdes venas
bien se te ven aunque ocultarlas procuras !
me rio de porque hablas de aristocracias puras,
de ingenios florecientes y arcas llenas.
Me rio de ti, negro imitamicos,
que abres los ojos ante el auto de los ricos,
y que te averguenzas de mirarte el pellejo oscuro,
cuando tienes el puno tan duro !"

Nicolas Guillen, Songoro Cosongo, 1931.

J’ai voulu, dans cette étude, aborder un débat, ouvrir et examiner un


dossier qui porte, au XIXE siècle, sur des problèmes, des acteurs, des
institutions associés au panafricanisme naissant. Derrière ce concept
panafricain, apparu à la fin de la période, en 1899-1900, se profile une
galerie de personnages en quête d’histoire, aux Caraïbes, au Brésil, aux
Etats-Unis, ou en Afrique. Des personnalités échappées des archives ou des
livres anciens que recèlent la Bibliothèque Nationale ou la Bibliothèque
Sainte-Geneviève à Paris, la British Library à Londres, ou la Library of
Congress à Washington, D.C.. Les auteurs qui ont écrit sur le
panafricanisme — on ne le dira jamais assez — se sont trop souvent
contentés de démarquer les versions de W.E.B. Du Bois ou de George
Padmore. Or ces deux auteurs, de manière implicite et complémentaire, ont
élaboré une vulgate, qui a popularisé un développement, des acteurs
déterminés, une chronologie, des organisations, une chronique
historiographique,.. Une analyse des sources manuscrites et imprimées, une
critique historique, font apparaître de nouvelles pistes, de nouvelles
orientations, des personnalités oubliées, qui resurgissent avec leurs
problèmes, leurs activités, leurs rêves, leurs propositions. C’est un des rôles
dévolus à l’Histoire, d’inscrire ces noms, d’enregistrer ces vies d’hommes
et de femmes qui ne se dissocient pas de la cause panafricaine.
Parmi ces acteurs qui se sont distingués au XIXE siècle, quatre
personnalités constituent les piliers de ce dossier : Edward Wilmot Blyden
des îles Vierges danoises, Anténor Firmin et Benito Sylvain de Haïti, Henry
Sylvester Williams, de Trinidad. Tous les quatre sont originaires des
Caraïbes insulaires. Tous les quatre ont été des hommes politiques —
politique au sens étymologique du terme — ils se sont engagés dans des
luttes, visant à faire triompher la liberté, la dignité, l’instruction et l’égalité
des Nègres. Pourquoi — pour trois d’entre eux — ont-ils quitté leur pays
des Caraïbes ? Pourquoi ont-ils investi en Afrique ? Sans doute ont-ils été
dans l’impossibilité de lutter dans leurs propres pays. Seul Anténor Firmin a
poursuivi une carrière dans les arènes et les lices du pouvoir en Haïti, son
pays d’origine. Ils se sont heurtés tous les quatre au racisme de leur époque,
ils ont dû affronter les théories pseudo-scientifiques qui s’épanouirent en
France, en Angleterre, en Allemagne et aux Etats-Unis. Ces doctrines
professées par des scientifiques blancs ont marqué profondément et ont eu
des répercussions néfastes.
Edward W. Blyden, sans doute le plus fragile des quatre, le plus
ambitieux aussi avec Anténor Firmin, a mal résisté aux insinuations de ces
théories pernicieuses. Il s’est empêtré dans des contradictions
insurmontables, entremêlant sa soif de pouvoir, sa fierté de Nègre, sa haine
des “mulâtres”, sa passion pour l’histoire, son génie d’écrivain et ses
espoirs pour l’Afrique.
Anténor Firmin, le plus cohérent du groupe, le plus instruit également, a
laissé de lumineuses traces dans les sillons du panafricanisme. C’est lui qui
montre la voie à suivre aux générations de Nègres qui viennent derrière lui.
D’abord construire son pays, construire les Caraïbes avant de penser à
partir, à s’exiler, et se donner à l’Afrique comme on se donne à la religion.
Exemple à méditer aujourd’hui : au moment où se font entendre le
crépitement des armes, les cris d’hommes et de femmes blessés, mourants
au Libéria, au Sierra Leone, en Ethiopie ou en Haïti...
Benito Sylvain, sorti de la pénombre, établit la liaison entre son pays,
Haïti, et l’Ethiopie. Saluons sa générosité, sa persévérance — quatre
voyages en Abyssinie — et son courage enfin. Eclaireur lui aussi, à l’instar
d’Anténor Firmin, mais la piste qu’il ouvre est celle des rapports Caraïbes-
Afrique, dans un climat de réciprocité, de respect mutuel656. Henry
Sylvester Williams, grand admirateur de l’Empire britannique, a commencé
par promouvoir une politique coloniale visant l’octroi du système
représentatif à Trinidad. Son échec face au pouvoir de Londres, déclencha
chez lui une forme de compensation qui l’orienta vers l’Afrique. Il
s’engagea en Afrique du Sud, sous l’instigation d’une femme, Mme Edwin
E. Kinloch. Entouré de Benito Sylvain et bénéficiant de la contribution de
Firmin, il organisa à Londres la première Conférence Panafricaine (23-25
juillet 1900) qui frappa les trois coups d’un mouvement évoluant jusque là
dans le domaine de l’imagination. Dès lors, une voie royale était tracée,
qu’empruntèrent les élites, les dirigeants politiques et les personnages qui se
consacraient à la grandeur de l’Afrique. Le panafricanisme pouvait dérouler
sa trajectoire, décrire ses circonvolutions, projeter ses multiples
déterminations, ses contradictions internes, ses visées politiques et ses
orientations changeantes.
Que penser de cette origine caraïbe-américaine ? Les pères fondateurs du
panafricanisme, en majorité des Caribans, Brésiliens et des Etatsuniens, ont
été des hommes de leur époque. Les problèmes qu’ils se sont posés peuvent
parfois paraître chimériques et subsidiaires, voire dérisoires et futiles, leurs
projets utopiques, irréalisables. Mais c’est à travers leur vision du monde
que s’est élaboré ce mouvement panafricain, qui porta — et porte encore —
tant d’espoirs. Peut-être une telle étude devrait-elle servir à mieux
appréhender les concepts et les problèmes contemporains, à mieux poser
des questions, même les plus incongrues.
Edward W. Blyden avait-il raison de partir pour le Libéria et de s’investir
dans le développement d’un pouvoir géré seulement par des Nègres non
Africains ? Ne s’est-il pas fourvoyé corps et âme dans cette aventure
africaine, servant les intérêts de l’American Colonization Society, rejetant
les “gens de couleur”, manipulant les “natives”, prêchant la colonisation, la
civilisation de l’Afrique ?
Toutes ces interrogations se pressent après le terrible constat d’échec que
l’on dresse en contemplant ces implosions en chaîne, qui ravagent certains
pays du continent africain depuis 1980 (Libéria, Sierra Leone, Ethiopie...).
Henry Sylvester Williams s’est-il engagé en Afrique du Sud, dans une
impasse, au lieu de lutter à Trinidad, en Jamaïque avec ses frères ? Il a cru
réaliser en Afrique ses rêves, ses ambitions sociales, ses espoirs politiques.
Il s’est trompé lourdement. Après lui, d’autres suivront la route tracée :
Marcus Garvey, qui prêcha comme Blyden la division raciale. George
Padmore, lui aussi, si contradictoire !
Au cours de cette enquête, des acteurs peu ou mal connus se sont
révélés : Martin R. Delany, Frederick Douglass, le Dr. Vitalien, H.-Adolphe
Lara et Oruno Lara (Guadeloupe), Alexander Walters, James T. Holly, J.
Albert Thorne (Barbade), et l’Africain Samuel Ajayi Crowther (1806-
1892). Certains d’entre eux ont laissé des empreintes indéfectibles : le
président Joseph Jenkins Roberts, Arthur Barclay, originaire de la Barbade,
Hannibal Price, auteur du livre De la réhabilitation de la race noire par la
république d’Haïti657, J. Dennis Harris, James Africanus Horton, George
Alexander Mc Guire d’Antigua, Henry Highland Garnet (Etats-Unis), et
F.E.M. Hercules, de Trinidad. Leur contribution à l’édifice panafricain ne
doit pas être sous-estimée. Eux aussi apparaissent avec leurs tiraillements,
leurs sinuosités, leur versatilité — comme Delany, qui se tourna vers
l’Afrique, après l’abandon de son projet d’empire Nègre aux Caraïbes — et
leurs faiblesses.

Ce dossier permet de conclure qu’au début du XXe siècle, le décor est


planté, les problèmes sont posés : le panafricanisme apparaît au-devant de
la scène. Congrès, conventions, conférences, associations se succèdent
jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale. Le rêve s’est enfin concrétisé.
W.E.B. Du Bois, Marcus Garvey vont pouvoir dialoguer sur ce thème,
chacun proposant ses arguments et ses orientations. Nous devons garder en
mémoire les noms de ces ancêtres panafricains qui surent, avant eux.
concrétiser leurs rêves et leurs aspirations d’hommes libres.
On pourrait affiner l’analyse et distinguer plus clairement ceux qui font
progresser le mouvement de ceux qui n’ont rien à y voir. Il nous a semblé
préférable de considérer toutes les composantes, toutes les directions que
propose l’histoire. Bien malin qui dira ce qui a été le plus décisif, le plus
déterminant dans la formation des premiers foyers panafricains. Bien malin
qui jugera ceux qui ont pu influencer directement ou indirectement leurs
congénères. Aux racines du mouvement, il y a des hommes et des femmes
qui ont en commun une expérience unique, dramatique : le voyage à bord
des navires négriers, enchaînés, captifs ou libres. C’est d’abord dans ces
voyages transatlantiques que se fondent les germes du panafricanisme avant
de se formuler dans les brillants discours des plaideurs noirs de terre ferme.
Le panafricanisme a émergé lentement des profondeurs sépulcrales de
l’histoire. Il s’est forgé dans les soutes des vaisseaux négriers, dans les
cachots des plantations du Système esclavagiste, dans la résistance nègre
sur terre et sur mer. Il a été porté au XIXE siècle par des groupes d’individus
originaires des Caraïbes, du Brésil, des Etats-Unis et des Africains qui ont
obtenu le droit de rêver. Il ne nous appartient pas de les juger ni de les
blâmer, mais simplement de les comprendre et de ne jamais les oublier.

Contrepoint :
Le centième anniversaire de la Conférence de Londres (1900-2000) nous
offre l’occasion de réfléchir sur la signification du panafricanisme, au seuil
du troisième millénaire. Pour les Caribans et leurs frères Noirs des
Amériques, la création du mouvement panafricain a été, au XXe siècle, une
phase de prise de conscience des problèmes et des difficultés dûs à
l’existence de la Traite négrière, du Système esclavagiste, de la colonisation
en cours et du racisme des Blancs (Européens et nord-américains). Les
leaders caribans et américains (Etats-Unis, Brésil) ont cherché des solutions
pour protéger leurs communautés. Ils ont élaboré des projets de départ, ils
ont imaginé des plans de survie, de refuge, d’émigration vers des pays, aux
Caraïbes ou en Afrique, où ils n’auraient plus à souffrir de leurs
tortionnaires et du lynchage. Cette première phase se termine en 1900. Elle
sera suivie des autres phases liées aux conquêtes coloniales puis aux
conséquences des deux guerres mondiales.
Un siècle après la conférence de Londres, les rêves se sont évaporés, le
monde s’est transformé. Comment voyons-nous le panafricanisme ?
Des universitaires africains fervents lecteurs des ouvrages de C.A. Diop
ont créé le concept d’afrocentrisme. Une terminologie accompagne cette
notion : diaspora africaine, Africain-Américain, Africain-Brésilien voire
Africain des Caraïbes. Les thèses afrocentristes plaident l’importance et la
place centrale de l’Afrique dans toutes les questions noires. Afrocentrisme
et panafricanisme se complètent et dialoguent. Mais qu’en est-il dans
l’histoire ? J’ai eu plusieurs fois à dire et à démontrer que les Caribans et
leurs frères des Amériques n’appartiennent pas à la diaspora africaine658.
Ces deux termes changent un impérialisme culturel et politique que nous
refusons de cautionner. Dans ce sens, panafricanisme et afro-centrisme
apparaissent inacceptables. Comment imaginer par exemple que nous
puissions demander aux nombreux marabouts africains qui vivent en
Guadeloupe, en Guyane et en Martinique de participer à notre
développement, de collaborer à la résistance anticolonialiste menée contre
les gouvernements français successifs pour nous libérer de la tutelle de la
France coloniale ? Comment ne pas leur rappeler les services rendus à
l’Afrique par des hommes comme les Guadeloupéens Henri Jean-Louis
Baghio’o et Rémy Nainsouta, Jules et Sylvère Alcandre, les Guyanais
Vincent Ganty et Félix Eboué, les Martiniquais Aimé Césaire et Frantz
Fanon659 ? Comment les sensibiliser à nos problèmes d’identité et de
constructions politiques ? Et enfin, comment les déterminer à ne pas abuser
de la crédulité de nos populations traumatisées, pressurées par des siècles
de colonisation, d’esclavage et de traite négrière... Comment empêcher ces
commensaux de profiter du système colonial pour s’établir et exploiter une
situation si catastrophique ! Ces questions, nous les posons à l’Afrique et
aux Africains.
Tous les problèmes des Caribans convergent vers la construction des
Caraïbes en liaison avec les communautés noires du Brésil, des
U.S.A./Canada. Nous nous sentons indissociables de nos frères africains et
asiatiques qui ont participé, eux aussi, à l’émergence de notre monde
caraïbe.
Nous cherchons à édifier notre univers qui a commencé à exister en juin
1994 avec la naissance de l’A.E.C. (Association des Etats Caraïbes). Nous
ne constituons pas une périphérie de l’Afrique ni une diaspora, comme
semblent le suggérer avec candeur des "Africains-Américains”660. Les
Caribans sont les héritiers d’un patrimoine historique qui combine
l’Amérique des indigènes, l’Afrique, l’Asie, l’Europe et le Pacifique.

Guadeloupe, Le Moule, 14 février 2000

656 Ce que Frantz Fanon évoquera plus tard dans un article célèbre, "Antillais et Africains", publié
par le journal algérien Et Mudjahid, repris dans Pour la Révolution Africaine (écrits politiques),
Paris, Maspéro, 1964.
657 Port-au-Prince, 1900.
658 Cf. Caraïbes en construction : espace, colonisation, résistance, op.cit., Ed. du Cercam, 1992.
659 Cf. id., De l’Oubli à l’Histoire. Espace et identité caraïbes, Editions Maisonneuve et Larose,
1998.
660 Mes frères Noirs des Etats-Unis ont intérêt à lire attentivement les études de mon collègue
Orlando Patterson, professeur à Harvard University, notamment The Ordeal of Integration et Rituals
of Blood.
Coda

Le Panafricanisme : mort et transfiguration


L’analyse historique du panafricanisme dans la longue durée, depuis sa
naissance au XIXE siècle, s’organise autour de six périodes. Un bref examen
de chacune de ces périodes nous permettra de mieux comprendre les
nouvelles orientations qui se dégagent au début du XXIe siècle, tant en
Afrique qu’aux Caraïbes. Il devient urgent de préciser les directions de
recherche, de poser les problèmes nouveaux, de critiquer les anciennes
pistes, de s’engager plus profondément dans les luttes qui nous incombent.
Au cours de la première phase, on assiste à l’éclosion et à
l’épanouissement d’un rêve. Les nègres esclaves des Caraïbes cristallisent
l’Afrique dans leur conscience et la portent comme un phare au bout de la
nuit de leurs souffrances. Cette période se termine avec la Conférence de
Londres de 1900.
Ce panafricanisme apparaît comme une idéologie de lutte élaborée pour
servir aux militants dans leurs combats contre les puissances coloniales et
impérialistes. Certains y mettaient également des considérations ethniques,
comme ces rédacteurs du rapport de la Conférence de 1900 :
“In the metropolis of the modern world, in this the closing year of the
nineteenth century, there has been assembled a congress of men and women
of African blood, to deliberate solemnly upon the present situation and
outlook of the darker races of mankind. The problem of the twentieth
century is the problem of the color-line, the question as to how far
differences of race — which show themselves chiefly in the color of the
skin and the texture of the hair — will hereafter be made the basis of
denying to over half the world the right of sharing to their utmost ability the
opportunities and privileges of modern civilization”661.
Une période intermédiaire suit la première, de 1900 à la guerre 1914-
1919.
De 1919 à 1945 se succèdent les cinq congrès panafricains. Les militants
anticolonialistes formulent leurs programmes, leurs pétitions à la Société
des Nations, leurs résolutions, leurs déclarations et leurs manisfestes.
Une cinquième phase s’ouvre, de 1945 à 1962. C’est la deuxième période
intermédiaire, le temps du “panafricanisme en action”, autour de Kwame
Nkrumah et de la Conférence afro-asiatique de Bandoeng (18-24 avril
1955).
A partir de 1963, avec la création de l’Organisation de l’Unité Africaine
(O.U.A.) à Addis-Abeba (mai 1963), démarre une phase spécifiquement
africaine.
Trois conceptions du panafricanisme s’affrontent, avec d’une part les
anti-impérialistes : partisans de la “voie diplomatique" et partisans de
l’activité révolutionnaire des masses et des Etats progressistes ; en face, les
opportunistes, réactionnaires, démagogues, complices des impérialistes.
Très tôt, au vrai dès 1962, les militants révolutionnaires de l’Union des
Populations du Cameroun (U.P.C.) ont critiqué l’O.U.A.. Le Comité
révolutionnaire de l’U.P.C., en novembre 1978, se fonde sur une étude de
562 pages, Panafricanisme et néo-colonialisme, rédigée par Elenga
Mbuyinga662, pour démontrer la faillite de l’O.U.A., sa signification et son
importance pour l’Afrique663.
L’O.U.A. leur apparaît “comme une organisation qui a poussé les
responsables africains à reléguer, non seulement au second plan, mais loin,
très loin derrière, aux calendes grecques, le problème fondamental de la
lutte contre le néo-colonialisme en Afrique... L’O.U.A. s’est démasquée
comme un syndicat de chefs d’Etat, un instrument des bourgeoisies néo-
coloniales africaines dans leur croisade contre-révolutionnaire
continentale”664.
Ces militants africains prônent un “panafricanisme révolutionnaire” et
tentent de démontrer que cette politique a des fondements objectifs et
qu’elle n’est pas une utopie665. Ils se distinguent cependant de ceux qui,
vers 1970-1975, ont prôné également un “panafricanisme révolutionnaire
non défini, regroupant des pays aussi révolutionnaires et anti-impérialistes
que la Guinée-Conakry, le Nigeria, l’Algérie. l’Egypte de Sacíate, le
Congo-Brazzaville, la Guinée Equatoriale, etc.”666. Leur panafricanisme
révolutionnaire implique la “panafricanisation du prolétariat africain” et
nécessite “une rupture avec le marché capitaliste mondial”. En outre,
disent-ils, “si la domination impérialiste sur l’Afrique a sa base dans
l’économie, sa destruction se réalisera essentiellement par une lutte
politique”. Terminons avec cette citation d’un membre du Comité
révolutionnaire de l’U.P.C. “Force nous est de constater aujourd’hui que la
Révolution Africaine, telle qu’on pouvait encore la définir jusqu’à la chute
du Président Nkrumah à la rigueur, avec ses trois composantes : Etats
indépendants progressistes, mouvements en lutte contre le colonialisme
ancien et mouvements en lutte contre les régimes néocolonialistes, a cessé
toute existence comme courant unique et solidaire. Quelque démagogie que
certains puissent encore déployer à ce sujet, il ne fait aucun doute à nos
yeux que l’on ne pourra pas tromper indéfiniment les Peuples
Africains...”667.
Les problèmes de la construction de l’unité africaine se posent pour les
Africains qui doivent assumer leur histoire. Le panafricanisme, en
conclusion, est un terme à préciser. On peut soit le conserver, mais en le
redéfinissant en employant la formule “Panafricanisme révolutionnaire" par
exemple, soit l’abandonner. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer la
politique de démagogie panafricaine :
“La faillite créée par les tergiversations et la politique honteuse de
démission et de trahison, d’une bourgeoisie néo-coloniale africaine
impuissante devant tout problème sérieux, impuissante à cause de ses
connivences avec la haute finance internationale”668.
Pour les militants révolutionnaires, "politiquement, l’O.U.A. est morte et
bien morte"669. Pour eux, l’O.U.A. ne peut pas réaliser une unification
politique, elle est inapte à la réaliser et elle n’a pas fait faire le moindre pas
à cette unification en quinze ans d’existence670.
On peut aussi s’interroger sur l’utilisation du terme panafricanisme en le
comparant aux autres mouvements : panarabisme — ou panislamisme —,
panslavisme, panaméricanisme et pangermanisme.
Toutes ces idéologies ont sombré corps et biens dans les océans
politiques du XXe siècle ; la dernière, le pangermanisme, n’a pas survécu à
la Deuxième Guerre Mondiale et à l’écrasement du nazisme. Le
panaméricanisme n’a pas tenu la route non plus, ayant été utilisé au début
du XXe siècle comme un puissant levier diplomatique visant à rassembler
les autres pays du continent autour du puissant voisin nord-américain671.
Tous les autres mouvements ont pris naissance dans des pays sous-
développés, dépendants, souvent privés des structures de souveraineté
politique et des appareils d’Etat672.
Au terme de cette courte analyse et de sa périodisation, nous aboutissons
logiquement à la réflexion suivante : les Africains construisent l’Afrique,
les Caribans construisent les Caraïbes. En tenant compte bien entendu des
rapports étroits, historiques, des liaisons Caraïbes / Afrique, des liaisons
Caraïbes / Europe et des liaisons Caraïbes / Asie. Rapports dans lesquels
sont privilégiées certes les racines africaines, tout en étant conscient, en
connaissant les limites historiques de la dimension africaine, si on se place
du côté des Caribans673.
Au vrai, chaque population doit assumer sa place dans l’histoire. Dans ce
sens une vision européocentriste est aussi néfaste qu’une vision
afrocentriste pour nous autres Caribans. Nous devons nous débarrasser de
toutes les œillères qui veulent nous masquer de vastes pans de la réalité. Il
faut le dire clairement, comme l’affirme Derek Walcott, nous les Caribans,
ne sommes pas des Africains, ni des Africains-Américains, et nous ne
sommes pas non plus membres d’un ensemble “diaspora africaine”. Le
poète de Sainte-Lucie stigmatise l’activité de ces “pastoralists of the
African revival” qui insistent sur l’identité “africaine” des populations
caribanes. Walcott fustige le spectacle qu’ils offrent :
“So now we are entering the ‘African’ phase with our pathetic African
carvings, poems and costumes and our art objects are not sacred vessels
placed on altars but goods placed on shelves for the tourist. The romantic
darkness which they celebrate is thus another treachery, this time
perpetrated by the intellectual. The result is not one’s own thing but another
minstrel show”674.
Le poète ne détecte qu’une sourde opposition, un refus voilé de
s’accepter avec toutes ses composantes héritées de l’histoire. Il y aurait
aussi à souligner les conséquences pernicieuses des théories raciales du
XIXE siècle :
“For purity, then, for pure black Afro-Aryanism, only the unsoiled black
is valid, and West Indian ism is a taint, and other strains adulterate him. The
extremists, the purists, are beginning to exercise these infections, so that a
writer of ‘mixed’, hence ‘degenerate’, blood can be nothing stronger than a
liberal"675.
Aucun retour n’est possible dans l’Afrique d’avant la Traite négrière, “ni
physiquement, ni psychiquement". Que reste-t-il donc à faire ? S’adonner
aux délices sécurisants du mimétisme : combien de Guadeloupéens et de
Martiniquais, hier celtes a part entière, devenus maintenant Africains à tous
crins gravitent autour de la France, à la périphérie de l’Europe... !
L’ignorance de l’histoire explique la multiplication des charlatans,
particulièrement aux Etats-Unis et en Afrique, qui s’efforcent de s’entourer
de “musées virtuels". Ils ouvrent boutique à un public très mal informé. Ils
utilisent à cette fin les noms de Blyden, de Sylvester Williams, de Garvey et
de W.E.B. Du Bois pour nourrir une pensée désordonnée et irrationnelle.
Combien de ces féticheurs, en Guadeloupe ou en Martinique, s’affublent de
noms étranges et se montrent, gesticulant, paradant, en quête de prosélytes.
Derrière l’enceinte du panafricanisme grouille une faune lugubre de
personnages désorientés, égarés, cherchant à tout prix à récuser les
témoignages de l’histoire et à se sécuriser dans les bras de Mère-Afrique.
Un comportement qui peut signifier une dérobade, une fuite devant leurs
responsabilités, une volonté de ne pas assumer leur histoire.
Finis les illusions, les rêves, les mythes, les élucubrations, les
vociférations, les vitupérations... Il faut faire face et affronter les réalités de
l’histoire, assumer des identités multiples : Guadeloupéen et Cariban,
Martiniquais et Cariban, Boni, Guyanais et Cariban, Saramaka, Guyanais et
Cariban... A chacun ses luttes politiques, économiques, ses combats
culturels, à chacun de balayer devant sa porte d’abord, d’organiser, de
développer une société démocratique. En évitant les mimétismes, les
paresses confortables et les tentations vaniteuses... Les modèles sont à créer,
non à copier, et l’expérience se fonde non sur une mémoire rompue,
pulvérisée, anéantie, mais sur l’histoire. L’Histoire, un processus sans cesse
renouvelé dans les ateliers de travail de nos sociétés caraïbes en
construction.

661 “Dans les métropoles du monde moderne, en cette dernière année du dix-neuvième siècle, s’est
réuni un congrès d’hommes et de femmes de sang africain, pour délibérer solennellement sur la
situation actuelle et l’avenir des races les plus fondées de l’humanité. Le problème du vingtième
siècle est le problème de la couleur, la question est de savoir jusqu’à quel point les différences de
race - qui apparaissent d’elles-mêmes essentiellement dans la couleur de la peau et la texture des
cheveux - vont tenir lieu de fondement pour dénier à plus de la moitié du monde le droit de prendre
part dans toute leur capacité aux opportunités et aux privilèges de la civilisation moderne”.
662 Publication de l’U.P.C., 2e édition, 1979.
663 Voir particulièrement les pp.459-553.
664 Idem, p.418.
665 Idem, pp.386-414.
666 Idem, p.386.
667 Woungly Massaga, Sur quelques problèmes de l’heure, lettre aux militants du Parti et aux
patriotes kamerunais, in bulletin Résistance, n° spécial, octobre 1971, p.15.
668 Idem, p. 515.
669 Idem, p.541.
670 Idem, p.533.
671 Huit conférences panaméricaines eurent lieu entre 1889 et 1938.
672 Imanuel Geiss, The Pan-African Movement, 1974, pp.430-431.
673 Cf. Oruno D. Lara. De l’Oubli à l’Histoire, op.cit.
674 In What the Twilight Says, Essays, Faber and Faber, 1998, p.8.
675 Id., “The Muse of History", ibidem, p.56.
CHRONOLOGIE

- 1791-1807 - Sierra Leone Company.


- 1807-1818 - Alexandre Pétion président de Haïti.
- 1808 - Le Sierra Leone devient colonie de la Couronne britannique.
- 1817 - Création de l’American Colonization Society.
- 1818-1843 - Jean-Pierre Boyer président de Haïti.
- 1821-1841 - Administration du Libéria par des gouverneurs de l’A.C.S..
- 1822 - Premiers immigrants au Libéria.
- 1822 - Première “Tribal War” (“guerre ethnique”) au Liberia.
- 1825 - Création de l’African Repository and Colonial Journal, organe de
l’A.C.S..
- 1826 - Création du Liberia Herald.
- 1833 - Abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques.
- 1833 (juillet) - Elliot Cresson lance la British African Colonization Society
avec le Duc de Sussex, président. The Boston Colonizationist, sous les
auspices de la Young Men’s Colonization Society.
- 1841-1847 Joseph Jenkins Roberts, gouverneur du Libéria.
- 1847 - Indépendance du Libéria.
- 1848-1856 - J.J. Roberts président du Libéria.
- 1848 - Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
1850 - Arrivée de Blyden en Afrique, au Libéria.
- 1856 - Deuxième “Tribal War” au Libéria.
- 1859-1902 - Fabre Nicolas Geffrard président de Haïti.
- 1859 - Martin R. Delany en Afrique (Libéria, Lagos, Abeokuta).
- 1861-1865 - Guerre de Sécession aux Etats-Unis et abolition de
l’esclavage en 1863-1865.
- 1861 - James T. Holly émigre en Haïti.
- 1868-1878 - Guerre de Dix Ans à Cuba.
- 1871-1872 - Edward James Roye président du Libéria.
- 1872-1878 - J.J. Roberts président du Libéria.
- 1875 - Troisième “Tribal War” au Libéria.
- 1878-1883 - Anthony William Gardiner président du Libéria.
- 1883-1884 - Alfred F. Russel président du Libéria.
- 1884-1892 - Hilary Richard Johnson président du Libéria.
- 1885 - Publication de l’ouvrage de A. Firmin, De l’égalité des races
humaines, à Paris.
- 1889-1913 - Ménélik II empereur d’Ethiopie.
- 1889-1896 - Florvil Hyppolyte président de Haïti.
- 1892-1896 - Joseph James Cheeseman président du Libéria.
- 1896 - Bataille d’Adowa (Ethiopie).
- 1896-1900 - William David Coleman président du Libéria.
- 1896-1902 - Tirésias Simon Sam président de Haïti.
- 1897 - Création de l’Association Africaine à Londres.
- 1898 - Guerre Espagne/Etats-Unis.
- 1899 - Apparition, en novembre (lettre de Williams à un correspondant)
du terme Pan-African.
- 1900 - Conférence Panafricaine de Londres. Publication de l’ouvrage de
Hannibal Price, De la Réhabilitation de la Race Noire.
- 1900-1904 - Garretson Wilmot Gibson président du Libéria.
- 1901 - Publication du livre de B. Sylvain, Du sort des Indigènes dans les
Colonies d’Exploitation.
- 1904-1911 - Arthur Barclay président du Libéria.
- 1961 - Indépendance du Sierra Leone.
DOCUMENTS ANNEXES

Annexe 1
“Ordinance of the King of Denmark relative to the Slave Trade Palace of
Christiansborg, march 16, 1792.
(Ordonnance du roi du Danemark relative à la Traite Négrière Château de
Christiansborg, 16 mars 1792).

We, Christian the VIIth, by the Grace of God King of Denmark and
Norway, etc., make known by these Presents, that, considering the
Circumstances which occur in the Slave-Trade, on the Coast of Guinea, and
in the Transportation of the Negroes from thence to our West-India Islands,
and impressed with the Idea that it would, in every Respect, be beneficial
and profitable, if the Importation of new Negroes, from the Coast of
Guinea, could be avoided, and our West-India Islands, in Process of Time,
cultivated by Negroes, born and bred in the Islands, accustomed, from their
Youth, to the Manner of Labour, the Climate, and the Disposition of their
Masters : We, in Consequence, have made serious Enquiries how far and
when it might be possible to accomplish the Abolition of the said Trade :
From the Result of these Enquiries, we are convinced that it is possible, and
will be advantageous to our West-India Islands, to desist from the farther
Purchase of new Negroes, when once the Plantations are stocked with a
sufficient Number for Propagation, and the Cultivation of the Lands ; when
pecuniary Assistance can be given to those who want to purchase Negroes
for their Estates, and if proper Encouragement were to be given to Marriage
amongst the Negroes, and due Attention paid to their Instruction and
Morals.
In order, therefore, to withdraw our West-India Possessions from the
State of Dependence, under which they have hitherto been and now are,
with Respect to the Importation of Negroes, and to make the Importation of
Negroes unnecessary in future, we declare our most gracious Will on this
Subject and order as follows :
1. From the Commencement of the Year 1803, we forbid any of our
Subjects to carry on the Slave-Trade, from the Coast of Africa or any other
Place, except in our West-India Islands ; so that, after that Period, no Negro
Men or Women, either from that Coast or other foreign Places, will be
allowed to be purchased by or for our Subjects, or to be transported in our
Subjects Ships ; neither must they be brought to our West-India Islands for
Sale ; and every Transaction, contrary to this Prohibition, shall, after that
Period, be deemed unlawful.
II. In the mean Time, from the present until the End of the Year 1802, it is
permitted to all foreign Nations, without Exception and under all Flags, to
import Negro Men and Women from the Coast to our West-India Islands.
III. For every healthy and stout Negro Man or Woman, which during that
Period, is thus imported to our West India Islands, we permit the following
Quantities of raw Sugar to be exported from our islands to foreign Places,
either in our own or foreign Ships, within a Year after the Importation of
such Negroes ; viz. for every full-grown Negro Man or Woman, 2 000 Ib.
Weight may be exported, and for every half-grown Negro, the half of that
Quantity, or 1 000 Ib. Weight, without any Difference with regard to Sex ;
but Nothing is allowed for the Importation of Children.
IV. The Duty which is fixed by the Ordinances of the 9th of April, 1764,
and 12th of May, 1777 (which Ordinances in every other Respect, that
regards the Slave-trade, are hereby repealed) on the Importation of Slaves,
we mort graciously take off, with regard to the negro-Women which may be
hereafter imported ; but, on the other Hand, we impose a Duty of 1/2 per
Cent more than what is already stipulated on the Sugars, which shall be
exported to foreign Places, for the Purchase of such Negro Men or Women
as are imported.
V. It is moreover our Will, in order to establish an exact Proportion
among the different Sexes, that, from the beginning of 1795 and after, the
negro Women and Girls, who work in the Field and are not House-Negro,
shall pay no Poll-Tax ; but, on the contrary, from the above-mentioned
Period, a double Poll-Tax shall be exacted for every Negro-Man.
VI. From the present period, we forbid, in the strongest Manner, all
Exportation of negro Men or Women from our West-India Islands, they
alone being excepted from this Prohibition, who are expelled by Law ; or,
such as our Governor-General and Council in the West Indies may upon
very extraordinary Occasions think proper, according to Circumstances, to
permit to depart.
Wherefore this our Royal Will being made known, we order all and every
one to conform to it.
Given at our Palace of Christiansborg, in our Royal Place of Residence,
Copenhagen, the 16th of March. 1792".

*
- “An Act for the Abolition of the Slave Trade
Parlement britannique. 25 mars 1807.

Whereas the Two Houses of Parliament did, by their Resolutions of the


Tenth and Twenty-fourth Days of june One thousand eight hundred and six,
severally resolve, upon certain Grounds therein mentioned, that they would,
with all practicable Expedition, take effectual Measures for the Abolition of
the African Slave Trade, in such Manner, and at such Period as might be
deemed adviseable : And Whereas it is fit upon all and each of the Grounds
mentioned in the said Resolutions, that the same should be forthwith
abolished and prohibited, and declared to be unlawful ; be it therefore en-
acted by the King’s most Excellent Majesty, by and with the Advice and
Consent of the Lords Spiritual and Temporal, and Commons, in this present
Parliament assembled, and by the Authority of the same, That from and
after the First Day of May One thousand eight hundred and seven, the
African Slave Trade, and all manner of dealing and trading in the Purchase,
Sale, Barter, or Transfer of Slaves, or of Persons intended to be sold,
transferred, used, or dealt with as Slaves, practised and carried on, in, at, to
or from any Part of the Coast or Countries of Africa, shall be, and the same
is hereby utterly abolished, prohibited, and declared to be unlawful ; and
also that all and all manner of dealing, either by way of Purchase, Sale,
Baiter, or Transfer, or by means of any other Contract or Agreement
whatever, relating to any Slaves, or to any Persons intended to be used or
dealt with as Slaves, for the Purpose of such Slaves or Persons being
removed and transported either immediately or by Transhipment at Sea or
otherwise, directly or indirectly from Africa, or from any Island, Country,
Territory, or Place whatever, in the West Indies, or in any other Part of
America, not being in the Dominion, Possession, or Occupation of His
Majesty, to any other Island, Country, Territory or Place whatever, is hereby
in like Manner utterly abolished, prohibited, and declared to be unlawful ;
and if any of His Majesty’s Subjects, or any Person or Persons resident
within this United Kingdom, or any of the Islands, Colonies, Dominions, or
Territories thereto belonging, or in His Majesty’s Occupation or Possession,
shall from and after the Day aforesaid, by him or themselves, or by his or
their Factors or Agents or otherwise howsoever, deal or trade in, purchase,
sell, barter, or transfert or contract or agree for the dealing or trading in,
purchasing, selling, bartering, or transferring of any Slave or Slaves, or any
Person or Persons intended to be sold, transferred, used, or dealt with as a
Slave or Slaves contrary to the Prohibitions of this Act, he or they so
offending shall forfeit and pay for every such Offence the Sum of One
hundred Pounds of lawful Money of Great Britain for each and every Slave
so purchased, sold, bartered, or, transferred, or contracted or agreed for as
aforesaid, the One Moiety thereof to the Use of His Majesty, His Heirs and
Successors, and the other Moiety to the Use of any Person who shall
inform, sue, and prosecute for the same.
II. And be it further enacted, That from and after the said First Day of
May One thousand eight hundred and seven, it shall be unlawful for any of
His Majesty’s Subjects, or any Person or Persons resident within this United
Kingdom, or any of the Islands, Colonies, Dominions or Territories thereto
belonging, or in His Majesty’s Possession or Occupation, to fit out, man, or
navigate, or to procure to be fitted out, manned, or navigated, or to be
concerned in the fitting out, Manning, or navigating, or in the procuring to
be fitted out, manned, or navigated, any Ship or vessel for the Purpose of
assisting in, or being employed in the carrying on of the African Slave
Trade, or in any other the Dealing, Trading, or Concerns hereby prohibited
and declared to be unlawful, and every Ship or Vessel which shall, from and
after the Day aforesaid, be fitted out, manned, navigated, used, or employed
by any such Subject or Subjects, Person or Persons, or on his or their
Account, or by his or their Assistance or Procurement for any of the
Purposes aforesaid, and by this Act prohibited, together with all her Boats,
Guns, Tackle, Apparel, and Furniture, shall become forfeited, and may and
shall be seized and prosecuted as hereinafter is mentioned and provided.
III. And be it further enacted, That from and after the said First Day of
May One thousand eight hundred and seven, it shall be unlawful for any of
His Majesty’s Subjects, or any Person or Persons resident in this United
Kingdom, or in any of the Colonies, Territories or Dominions thereunto
belonging, or in His Majesty’s Possession or Occupation, to carry away or
remove, or knowingly and wilfully to procure, aid, or assist in the carrying
away or removing, as Slaves, or for the Purpose of being sold, transferred,
used, or dealt with as Slaves, any of the Subjects or Inhabitants of Africa, or
of any Island, Country, Territory, or Place in the West Indies, or any other
Part of America, whatsoever, not being in the Dominion, Possession, or
Occupation of His Majesty, either immediately or by Transhipment at Sea
or otherwise, directly or indirectly from Africa, or from any such Island,
Country, Territory, or Place as aforesaid, to any other Island, Country,
Territory, or Place whatever, and that it shall also be unlawful for any of His
Majesty’s Subjects, or any Person or Persons resident in this United
Kingdom, or in any of the Colonies, Territories, or Dominions thereunto
belonging, or in His Majesty’s Possession or Occupation, knowingly and
wilfully to receive, detain, or confine on board, or to be aiding, assisting, or
concerned in the receiving, detaining, or confining on board of any Ship or
Vessel whatever, any such Subject or Inhabitant as aforesaid, for the
purpose of his or her being so carried away or removed as aforesaid, or of
his or her being sold, transferred, used, or dealt with as a Slave, in any Place
or Country whatever ; and if any Subject or Inhabitant, Subjects or
Inhabitants of Africa, or of any Island, Country, Territory, or Place in the
West Indies or America, not being in the Dominion, Possession or
Occupation of His Majesty, shall from and after the Day aforesaid, be so
unlawfully carried away or removed, detained, confined, transhipped, or
received on board of any Ship or Vessel belonging in the Whole or in Part
to, or employed by any Subject of His Majesty, or Person residing in His
Majesty’s Dominions or Colonies, or any Territory belonging to or in the
Occupation of His Majesty, for any of the unlawful Purposes aforesaid,
contrary to the Force and Effect, true Intent and Meaning of the
Prohibitions in this Act contained, every such Ship or Vessel in which any
such Person or Persons shall be so unlawfully carried away or removed,
detained. confined, transhipped, or received on board for any of the said
unlawful Purposes, together with all her Boats, Guns, Tackle, Apparel, and
Furniture, shall be forfeited, and all Property or pretended Property in any
Slaves or Natives of Africa so unlawfully carried away or removed,
detained, confined, transhipped or received on board, shall also be forfeited,
and the same respectively shall and may be seized and prosecuted as
hereinafter is mentioned and provided ; and every Subject of His Majesty,
or Person resident within this United Kingdom, or any of the Islands,
Colonies, Dominions, or Territories thereto belonging, or in His Majesty’s
Possession or Occupation, who shall, as Owner, Part Owner, Freighter or
Shipper, Factor or Agent, Captain, Mate, Supercargo, or Surgeon, so
unlawfully carry away, or remove, detain, confine, tranship, or receive on
board, for any of the unlawful Purposes aforesaid, any such Subject or
Inhabitant of Africa, or of any Island, Country, Territory, or Place, not being
in the Dominion, Possession, or Occupation of His Majesty, shall forfeit
and pay for each and every Slave or Person so unlawfully carried away,
removed, detained, confined, transhipped, or received on board, the Sum of
One hundred Pounds of lawful Money of Great Britain, One Moiety thereof
to the Use of His Majesty, and the other Moiety to the Use of any Person
who shall inform, sue, and prosecute for the same.
IV. And be it further enacted. That if any Subject or Inhabitant Subjects
or Inhabitants of Africa, or of any Island, Country, Territory, or Place, not
being in the Dominion, Possession, or Occupation of His Majesty, who
shall, at any Time from and after the Day aforesaid, have been unlawfully
carried away or removed from Africa, or from any Island, Country,
Territory, or Place in the West Indies or America, not being in the
Dominion, Possession, or Occupation of His Majesty, contrary to any of the
Prohibitions or Provisions in this Act contained, shall be imported or
brought into any Island. Colony. Plantation, or Territory, in the Dominion,
Possession, or Occupation of His Majesty, and there sold or disposed of as a
Slave or Slaves, or placed, detained, or kept in a State of Slavery, such
Subject or Inhabitant. Subjects or Inhabitants, so unlawfully carried away,
or removed and imported, shall and may be seized and prosecuted as
forfeited to His Majesty, by such Person or Persons, in such Courts, and in
such Manner and Form, as any Goods or Merchandize unlawfully imported
into the same Island, Colony, Plantation, or Territory, may now be seized
and prosecuted therein by virtue of any Act or Acts of Parliament now in
force for regulating the Navigation and Trade of His Majesty’s Colonies
and Plantations and shall and may, after his or their Condemnation, be
disposed of in Manner hereinafter mentioned and provided.
V. And be it further enacted, That from and after the said First Day of
May One thousand eight hundred and seven, all Insurances whatsoever to
be effected upon or in respect to any of the trading, dealing, carrying,
removing, transhipping, or other Transactions by this Act prohibited, shall
be also prohibited and declared to be unlawful ; and if any of His Majesty’s
Subjects, or any Person or Persons resident within this United Kingdom, or
within any of the Islands, Colonies, Dominions, or Territories thereunto
belonging, or in His Majesty’s Possession or Occupation, shall knowingly
and wilfully subscribe, effect, or make, or cause or procure to be
subscribed, effected, or made, any such unlawful Insurances or Insurance,
he or they shall forfeit and pay for every such Offence the Sum of One
hundred Pounds for every such Insurance, and also Treble the Amount paid
or agreed to be paid as the Premium of any such Insurance, the One Moiety
thereof to the Use of His Majesty, His Heirs and Successors, and the other
Moiety to the Use of any Person who shall inform, sue, and prosecute for
the same.
VI. Provided always, That nothing herein contained shall extend, or be
deemed or construed to extend, to prohibit or render unlawful the dealing or
trading in the Purchase, Sale, Barter, or Transfer, or the carrying away or
removing for the Purpose of being sold, transferred, used, or dealt with as
Slaves, or the detaining or confining for the Purpose of being so carried
away or removed, of any Slaves which shall be exported, carried, or
removed from Africa, in any Ship or Vessel which, on or before the said
First Day of May One thousand eight hundred and seven, shall have been
lawfully cleared out from Great Britain according to the Law now in force
for regulating the carrying of Slaves from Africa, or to prohibit or render
unlawful the manning or navigating any such Ship or Vessel, or to make
void any Insurance thereon, so as the Slaves to be carried therein shall be
finally landed in the West Indies on or before the First Day of March One
thousand eight hundred and eight, unless prevented by Capture, the Loss of
the Vessel, by the Appearance of an Enemy upon the Coast, or other
unavoidable Necessity, the Proof whereof shall lie upon the Party charged ;
any Thing hereinbefore contained to the contrary notwithstanding.
VII. And Whereas it may happen, That during the present or future Wars,
Ships or Vessels may be seized or detained as Prize, on board whereof
Slaves or Natives of Africa, carried and detained as Slaves, being the
Property of His Majesty’s Enemies, or otherwise liable to Condemnation as
Prize of War, may be taken or found, and it is necessary to direct in what
Manner such Slaves or Natives of Africa shall be hereafter treated and
disposed of : And Whereas it is also necessary to direct and provide for the
Treatment and Disposal of any Slaves or Natives of Africa carried,
removed, treated or dealt with as Slaves, Who shall be unlawfully carried
away or removed contrary to the Prohibitions aforesaid, or any of them, and
shall be afterwards found on board any Ship or Vessel liable to Seizure
under this Act, or any other Act of Parliament made for restraining or
prohibiting the African Slave Trade, or shall be elsewhere lawfully seized
as forfeited under this or any other such Act of Parliament as aforesaid ; and
it is expedient to encourage the Captors ‘ Seizors and Prosecutors thereof ;
Be it therefore further enacted, That all Slaves and all Natives of Africa,
treated, dealt with, carried, kept or detained as Slaves, which shall at any
Time from and after the said First Day of May next be seized or taken as
Prize of War, or liable to Forfiture, under this or any other Act of
Parliament made for restraining or prohibiting the African Slave Trade,
shall and may, for the Purposes only of Seizure, Prosecution, and
Condemnation as Prize or as Forfeitures, be considered, treated, taken, and
adjudged as Slaves and Property, in the same Manner as Negro Slaves have
been heretofore considered, treated, taken, and adjudged, when seized as
Prize of War, or as forfeited for any Offence against the Laws of Trade and
Navigation respectively ; but the same shall be condemned as Prize of War,
or as forfeited to the sole Use of His Majesty, His Heirs and Successors, for
the Purpose only of divesting and barring all other Property, Right, Title, or
Interest whatever, which before existed, or might afterwards be set
proclaimed in or to such Slaves or Natives of Africa so seized, prosecuted
and ; condemned ; and the same nevertheless shall in no case be liable to be
sold, disposed of, treated or dealt with as Slaves, by or on the Part of His
Majesty, His Heirs or Successors, or by or on the Part of any Person or
Persons claiming or to claim from, by or under His Majesty, His Heirs and
Successors, or under or by force of any such Sentence of Condemnation :
Provided always, that it shall be lawful for His Majesty, His Heirs and
Successors, and such Officers, Civil or Military, as shall, by any general or
special Order of the King in Council, be from Time to Time appointed and
empowered to receive, protect, and provide for such Natives of Africa as
shall be so condemned, either to enter and enlist the same, or any of them,
into His Majesty’s Land or Sea Service as Soldiers, Seamen or Marines or
to bind the same, or any of them, whether of full Age or not, as
Apprentices, for any Term, not exceeding Fourteen Years, to such Person or
Persons, in such Place or Places, and upon such Terms and Conditions, and
subject to such Regulations, as to His Majesty shall seem meet, and as shall
by any general or special Order of His Majesty in Council be in that Behalf
directed and appointed ; and any Indenture of Apprenticeship duly made
and executed, by any Person or Persons to be for that Purpose appointed by
any such Order in Council, for any Term not exceeding Fourteen Years,
shall be of the same Force and Effect as if the Party thereby bound as an
Apprentice had himself or herself, when of full Age upon good
Consideration, duly executed the same ; and every such Native of Africa
who shall be so enlisted or entered as aforesaid into any of His Majesty’s
Land or Sea Forces as a Soldier, Seaman, or Marine, shall be considered,
treated, and dealt with in all Respects as if he had voluntarily so enlisted or
entered himself.
VIII. Provided also, and be it further enacted, That where any Slaves or
Natives of Africa, taken as Prize of War by any of His Majesty’s Ships of
War, or Privateers duly commissioned, shall be finally condemned as such
to His Majesty’s Use as aforesaid, there shall be paid to the Captors thereof
by the Treasurer of His Majesty’s Navy, in like Manner as the Bounty called
Head Money is now paid by virtue of an Act of Parliament, made in the
Forty-fifth Year of His Majesty’s Reign, intituled, An Act for the
Encouragement of Seamen, and for the better and more effectually manning
His Majesty’s Navy during the present War, such Bounty as His Majesty,
His Heirs and Successors, shall have directed by any Order in Council, so
as the same shall not exceed the Sum of Forty Pounds lawful Money of
Great Britain for every Man, or Thirty Pounds of like Money for every
Woman, or Ten Pounds of like Money for every Child or Person not above
Fourteen Years old, that shall be so taken and condemned, and shall be
delivered over in good Health to the proper Officer or Officers, Civil or
Military, so appointed as aforesaid to receive, protect, and provide for the
same ; which Bounties shall be divided amongst the Officers, Seamen,
Marines, and Soldiers on board His Majesty’s Ships of War, or hired armed
Ships, in Manner, Form, and Proportion, as by His Majesty’s Proclamation
for granting the Distribution of Prizes already issued, or to be issued for that
Purpose is or shall be directed and appointed, and amongst the Owners,
Officers, and Seamen of any private Ship or Vessel of War, in such Manner
and Proportion as, by an Agreement in Writing that they shall have entered
into for that Purpose, shall be directed.
IX. Provided always, and be it further enacted, That in order to entitle the
Captors to receive the said Bounty Money, the Numbers of Men, Women,
and Children, so taken, condemned, and delivered over, shall be proved to
the Commissioners of His Majesty’s Navy, by producing, instead of the
Oaths and Certificates prescribed by the said Act as to Head Money, a
Copy, duly certified, of the Sentence or Decree of Condemnation whereby
the Numbers of Men, Women, and Children, so taken and condemned, shall
appear to have been distinctly proved ; and also, by producing a Certificate
under the Hand of the said Officer or Officers, Military or Civil, so
appointed as aforesaid, and to whom the same shall have been delivered,
acknowledging that he or they hath or have received the same, to be
disposed of according to His Majesty’s Instructions and Regulations as
aforesaid.
X. Provided also, and be it further enacted, That in any Cases in which
Doubts shall arise whether the Party or Parties claiming such Bounty
Money is or are entitled thereto, the same shall be summarily determined by
the judge of the High Court of Admiralty, or by the judge of any Court of
Admiralty in which the Prize shall have been adjudged, subject nevertheless
to an Appeal to the Lords Commissioners of Appeals in Prize Causes.
XI. Provided also, and be it further enacted, That on the Condemnation to
the Use of His Majesty, His Heirs and Successors, in Manner aforesaid, of
any Slaves or Natives of Africa, seized and prosecuted as forfeited for, any
Offence against this Act, or any other Act of Parliament made for
restraining or prohibiting the African Slave Trade (except in the Case of
Seizures made at Sea by the Commanders or Officers of His Majesty’s
Ships or Vessels of War) there shall be paid to and to the Use of the Person
who shall have sued, informed, and prosecuted the same to Condemnation,
the Sums of Thirteen Pounds lawful Money aforesaid for every Man, of Ten
Pounds like Money for every Woman, and of Three Pounds like Money for
every Child or Person under the Age of Fourteen Years, that shall be so
condemned and delivered over in good Health to the said Civil or Military
Officer so to be appointed to receive, protect, and provide for the same, and
also the like Sums to and to the Use of the Governor or Commander in
Chief of any Colony or Plantation wherein such Seizure shall have been
made ; but in Cases of any such Seizures made at Sea by the Commanders
or Officers of His Majesty’s Ships or Vessels of War, for Forfeiture under
this Act, or any other Act of Parliament made for restraining or prohibiting
the African Slave Trade, there shall be paid to the Commander or Officer
who shall so seize, inform, and prosecute, for every Man so condemned and
delivered over, the Sum of Twenty Pounds like Money, for every Woman
the Sum of Fifteen Pounds like Money, and for every Child or Person under
the Age of Fourteen Years the Sum of Five Pounds like Money, subject
nevertheless to such Distribution of the said Bounties or Rewards for the
said Seizures made at Sea as His Majesty, His Heirs and Successors, shall
think fit to order and direct by any Order in Council made for that Purpose ;
for all which Payments so to be made as Bounties or Rewards upon
Seizures and Prosecutions for Offences against this Act, or any other Act of
Parliament made for restraining or abolishing the African Slave Trade, the
Officer or Officers, Civil or Military, so to be appointed as aforesaid to
receive, protect, and provide for such Slaves or Natives of Africa so to be
condemned and delivered over, shall, after the Condemnation and Receipt
thereof as aforesaid, grant Certificates in favour of the Governor and Party
seizing, informing, and prosecuting as aforesaid respectively, or the latter
alone (as the Case may be) addressed to the Lords Commissioners of His
Majesty’s Treasury ; who. upon the Production to them of any such
Certificate, and of an authentic Copy, duly certified, of the Sentence of
Condemnation of the said Slaves or Africans to His Majesty’s Use as
aforesaid, and also of a Receipt under the Hand of such Officer or Officers
so appointed as aforesaid, specifying that such Slaves or Africans have by
him or them been received in good Health as aforesaid, shall direct Payment
to be made from and out of the Consolidated Fund of Great Britain of the
Amount of the Monies specified in such Certificate, to the lawful Holders
of the same, or the Persons entitled to the Benefit thereof respectively.
XII. And be it further enacted, That if any Person shall wilfully and
fraudulently forge or counterfeit any such Certficate, Copy of Sentence of
Condemnation, or Receipt as aforesaid, or any Part thereof, or shall
knowingly and wilfully utter or publish the same, knowing it to be forged or
counterfeited, with Intent to defraud His Majesty, His Heirs and Successors,
or any other Person or Persons whatever, the Party so offending shall, on
Conviction, suffer Death as in Cases of Felony, without Benefit of Clergy.
XIII. And be it further enacted, That the several Pecuniary Penalties or
Forfeitures imposed and inflicted by this Act, shall and may be sued for,
prosecuted, and recovered in any Court of Record in Great Britain, or in any
Court of Record or Vice Admiralty in any Part of His Majesty’s Dominions
wherein the Off ence was committed, or where the Offender may be found
after the Commission of such Offence ; and that in all Cases of Seizure of
any Ships, Vessels, Slaves or pretended Slaves, Goods or Effects, for any
Forfeiture under this Act, the same shall and may respectively be sued for,
prosecuted and recovered in any Court of Record in Great Britain, or in any
Court of Record or Vice Admiralty in any Part of His Majesty’s Dominions
in or nearest to which such Seizures may be made, or to which such Ships
or Vessels, Slaves or pretended Slaves, Goods or Effects (if seized at Sea or
without the Limits of any British jurisdiction) may most conveniently be
carried for Trial ; and all the said Penalties and Forfeitures, whether
pecuniary or specific (unless where it is expressly otherwise provided for by
this Act) shall go and belong to such Person and Persons in such Shares and
Proportions, and shall and may be sued for and prosecuted, tried, recovered,
distributed, and applied in such and the like Manner and by the same Ways
and Means, and subject to the saine Rules and Directions, as any Penalties
or Forfeitures incurred in Great Britain, and in the British Colonies or
Plantations in America respectively, by force of any Act of Parliament
relating to the Trade and Revenues of the said British Colonies or
Plantations in America, now go and belong to, and may now be sued for,
prosecuted, tried, recovered, distributed and applied respectively in Great
Britain or in the said Colonies or Plantations respectively, under and by
virtue of a certain Act of Parliament made in the Fourth Year of His present
Majesty, intituled, An Act for granting certain Duties in the British Colonies
and Plantations in America ; for continuing, amending, and making
perpetual an Act passed in the Sixth Year of the Reign of his late Majesty,
King George the Second, intituled, an Act for the better securing and
encouraging the Trade of His Majesty’s Sugar Colonies in America ; for
applying the Produce of such Duties to arise by virtue of the said Act
towards defraying the Expences of defending, protecting, and securing the
said Colonies and Plantations ; for explaining an Act made in the Twenty-
fifth Year of the Reign of King Charles the Second, intituled, An Act for the
Encouragement of the Greenland and Eastland Trades, and for the better
securing the Plantation Trade, and for altering and disallowing several
Draw-backs on Exports from this Kingdom, and more effectually
preventing the clandestine Conveyance of Goods to and from the said
Colonies and Plantations, and improving and securing the Trade between
the same and Great Britain.
XIV. And be it further enacted, That all Ships and Vessels, Slaves or
Natives of Africa, carried, conveyed, or dealt with as Slaves, and all other
Goods and Effects that shall or may become forfeited for any Offence
committed against this Act, shall and may be seized by any Officer of His
Majesty’s Customs or Excise, or by the Commanders or Officers of any of
His Majesty’s Ships or Vessels of War, who, in making and prosecuting any
such Seizures, shall have the Benefit of all the Provisions made by the said
Act of the Fourth Year of His present Majesty, or any other Act of
Parliament made for the Protection of Officers seizing and prosecuting for
any Offence against the said Act or any other Act of Parliament relating to
the Trade and Revenues of the British Colonies or Plantations in America.
XV. And be it further enacted, That all Offences committed against this
Act may be inquired of, tried, determined, and dealt with as Misdemeanors,
as if the same had been respectively committed within the Body of the
County of Middlesex.
XVI. Provided also, and be it further enacte, That it shall and may be
lawful for His Majesty in Council from Time to Time to make such Orders
and Regulations for the future Disposal and Support of such Negroes as
shall have been bound Apprentices under this Act, after the Term of their
Apprenticeship shall have expired, as to His Majesty shall seem meet, and
as may prevent such Negroes from becoming at any time chargeable upon
the Island in which they shall have been so bound Apprentices as aforesaid.
XVII. Provided always, and be it further enacted, That none of the
Provisions of any Act as to enlisting for any limited Period of Service, or as
to any Rules or Regulations for the granting any Pensions or Allowances to
any Soldiers discharged after certain Periods of Service, shall extend, or be
deemed or construed in any Manner to extend, to any Negroes so enlisting
and serving in any of His Majesty’s Forces.
XVIII. And be it further enacted, That if any Action or Suit shall be
commenced either in Great Britain or elsewhere, against any Person or
Persons for any Thing done in pursuance of this Act, the Defendant or
Defendants in such Action or Suit may plead the General Issue, and give
this Act and the Special Matter in Evidence at any Trial to be had
thereupon, and that the same was done in pursuance and by the Authority of
this Act ; and if it shall appear so to have been done, the jury shall find for
the Defendant or Defendants ; and if the Plaintiff shall be nonsuited or
discontinue his Action after the Defendant or Defendants shall have
appeared, or if judgement shall be given upon any Verdict or Demurrer
against the Plaintiff, the Defendant or Defendants shall recover Treble Costs
and have the like Remedy for the same, as Defendants have in other Cases
by Law.

Annexe 2
Rapport de Benito Sylvain sur la Conférence Panafricaine de 1900. Extrait
de Benito Sylvain, Du sort des indigènes dans les colonies d’exploitation.
Paris, L. Boyer, 1901, pp.504-520.

Ce document est unique. Il n’a jamais été versé au dossier du


panafricanisme. Les auteurs anglophones l’ignorent. Pourtant, Benito
Sylvain qui le rédigea peu après la Conférence Panafricaine de 1900, a été
avec H.S. Williams, un des organisateurs les plus dynamiques et les plus
responsables. Délégué d’Haïti et représentant personnel de l’empereur
d’Ethiopie Ménélik II, il a été un observateur privilégié de cette réunion.
Les informations qu’il fournit sont irremplaçables. La connaissance de ce
rapport, en français, aurait sans doute contribué à mieux apprécier la
participation des penseurs francophones. Contrairement aux affirmations de
Immanuel Geiss, ce n’est pas en 1919 qu’ils firent entendre leurs voix dans
le concert panafricain. mais bien avant, au XIXE siècle, avec des Haïtiens
comme Anténor Firmin ou Benito Sylvain.

Rapport de Benito Sylvain sur la Conférence Panafricaine de 1900


“Le 23 juillet 1900, un fait nouveau, surprenant pour plusieurs, inquiétant
pour quelques-uns, d’une importance exceptionnelle pour nous, se produisit
dans la capitale de la Grande-Bretagne : des noirs instruits, venus des pays
les plus lointains et les plus divers, se trouvaient réunis à Town Hall, dans
l’antique abbaye de Westminster, non loin du palais où siège la Chambre
des Communes, afin d’examiner la situation faite à la race africaine sur tous
les points du globe, de protester solennellement contre l’injuste mépris et
l’odieux traitement dont on l’accable encore partout, de créer enfin une
direction centrale destinée à coordonner les efforts communs et à
sauvegarder, par une action méthodique et continue, les intérêts
économiques, ainsi que les droits politiques et sociaux de leurs congénères
exploités et opprimés.
Les journaux anglais, à une ou deux exceptions près, se sont contentés
d’enregistrer impartialement le fait dans tous ses détails, sans y mêler un
blâme ou un éloge quelconque. Les rares journaux français qui en ont rendu
compte l’ont qualifiée de “manifestation bizarre”.
Délégué général de l’Association Panafricaine, il nous appartient d’autant
plus de faire connaître l’œuvre, que nous en avons été le principal
promoteur.
Le 2 janvier 1895, longtemps avant qu’un membre éminent de
l’Académie française, sanctionnant de sa haute autorité une ordinaire
confusion de mots, n’eût dénoncé avec éclats la “faillite de la Science” là
où les savants seuls doivent être mis en cause, nous adressions la lettre
suivante à notre compatriote Anténor Firmin, alors de passage à Paris :

‘Eminent et cher compatriote,


Sûr de trouver en vous, avec l’encouragement qui réconforte, le conseil
judicieux qui assure la réussite, je viens vous communiquer un projet dont
la réalisation peut, je crois, faire avancer d’un grand pas, l’œuvre de la
réhabilitation de la race noire, œuvre qui vous tient à cœur et à laquelle,
vous ne l’ignorez pas, je me suis voué corps et âme.
Les détracteurs de notre race sont de deux sortes :
1. Ceux qui, incapables de rechercher le pourquoi et le comment des
choses dont s’étonne leur esprit borné, reçoivent et transmettent, sans même
en soupçonner la portée, les idées malheureuses que les esclavagistes
avaient tant intérêt à propager et qu’ils n’eurent pas de peine à faire
accepter des masses ignorantes ;
2. Ceux qui, étant à même de réduire à leur juste valeur les jugements
aphoristiques communément portés sur les hommes de couleur, sont retenus
par un invincible orgueil de race et suivent délibérément, au lieu de
chercher à l’arrêter, le courant d’un préjugé d’autant plus puissant qu’il
prend sa source dans les erreurs consacrées par la Science.
Or, je suis comme vous convaincu que la funeste théorie des races
inférieures et des races supérieures est une monstruosité morale qui ne
repose, quoi qu’on en dise, que sur l’idée de l’exploitation de l’homme par
l’homme. Elle servit, dans les siècles passés, à justifier la plus révoltante
des iniquités sociales ; elle exerce encore de nos jours une influence des
plus néfastes.
Eh quoi ! dans ce siècle de lumière, où nulle théorie n’est admise si n’est
étayée d’une démonstration irréfutable, l’opinion dogmatique de
l’infériorité des noirs se maintiendra-t-elle toujours sans autre base que la
foi intéressée de ceux qui la professent ? Cela ne se peut pas.
Non, le noir n’est point fait pour servir de marchepied à la puissance du
blanc ! A tous ceux qui osent le soutenir, nous répondons hardiment, quel
que soit leur renom scientifique : “Vous outragez l’auguste vérité de la
science !”
La race africaine compte aujourd’hui trop d’hommes remarquables, tant
par l’intelligence que par la valeur morale, pour continuer à vivre, dans le
même état de prostration, sous le coup d’une réprobation aussi outrageante
et si peu justifiée. Des savants, pour tranquilliser la conscience de l’Europe
esclavagiste, ont proclamé jadis le dogme de l’infériorité originelle des
noirs ; nous en appelons de cette sentence la science moderne, plus
impartiale et mieux informée.
Pour la révision de ce grand procès, qui passionnera certainement tous les
hommes de bien, je propose de faire appel à la loyauté des savants les plus
illustres. Chaque pays déléguerait un ou plusieurs représentants, afin de
constituer cet aréopage imposant. Ces hommes compétents, auxquels se
joindraient naturellement les porte-paroles les plus autorisés de la race
calomnie, pourraient se réunir en Congrès, à la prochaine Exposition
universelle de Paris.
On passerait ainsi au crible de la discussion scientifique, et pour
l’édification complète de l’univers entier, tous les arguments, séculaires ou
nouveaux, que nos détracteurs invoquent à l’appui de leur odieuse
hiérarchisation ethnologique et dont vous avez, éminent et cher
compatriote, si magistralement démontré la parfaite inanité.
Vous êtes mieux placé qu’aucun autre pour tirer de cette idée, qui me
paraît féconde, tout ce qu’elle peut comporter d’utile et de profitable pour
l’œuvre que nous poursuivons. En vous demandant votre appréciation et des
conseils pratiques à cet égard, je suis heureux de trouver l’occasion de
rendre un hommage unique à l’un des hommes qui font le plus honneur à
ma race — et j’ose ajouter : à l’humanité.
Agréez, je vous prie, la sincère expression de ma respectueuse admiration
et de mon ardente sympathie ‘.

L’auteur de l‘Egalité des races humaines nous répondit par cette missive :

Paris, 3 janvier 1895

"Mon cher compatriote,


J’ai reçu votre lettre d’hier, que j’ai lue avec un vif intérêt.
C’est assurément une idée absolument neuve et fort belle, que celle que
vous émettez de provoquer un Congrès de savants des différentes nations du
globe, afin de discuter, durant l’Exposition universelle de Paris, en 1900, la
question si controversée et si passionnante de l’égalité ou de l’inégalité des
races humaines. Ainsi le vingtième siècle s’ouvrirait en portant la lumière
sur un problème dont la solution doit influer puissamment sur l’orientation
de la politique et de la philosophie.
En effet, selon que l’on considère les races humaines égales ou non — au
point de vue de l’aptitude à se développer moralement et intellectuellement,
les relations internationales des races civilisées et des races arriérées
prendront un caractère distinct.
D’abord, en cette fin de siècle, les principales préoccupations des
gouvernements européens tournent avec un tel concert vers la colonisation
transcontinentale que l’on peut, sans être prophète, prédire que toute la
politique de la première moitié du vingtième siècle, au moins, sera dominée
par les questions coloniales, c’est-à-dire par l’étude des meilleures règles de
conduite à suivre dans l’assimilation des colonies lointaines à leurs
métropoles respectives. On n’a pas besoin de raisonner pour prouver
l’intérêt de chacun à savoir comment il devra traiter les hommes de
différents degrés de civilisation dont les territoires colonisés sont habités et
sans lesquels on ne pourra jamais tirer grand’chose de ces territoires.
Ensuite, il est évident que la mentalité européenne aura reçu un
élargissement remarquable, pour l’exacte appréciation de toutes les données
historiques, artistiques et philosophiques, le jour où les savants et les
penseurs cesseront de se buter à la doctrine inéclaircie de l’infériorité
naturelle de certaines races vis-à-vis de certaines autres. De cet
élargissement de l’esprit sortiront mille aptitudes nouvelles ; mais c’est
surtout le sentiment de sympathie et de solidarité humaine qui aura
accompli généralement de réels progrès, ouvrant un horizon moral plus
large, plus profond, à l’homme du vingtième siècle dont l’évolution
distancera si fort notre civilisation actuelle...
Vous voyez combien féconde pourrait être la réalisation de votre projet.
D’aucun en trouveraient peut-être l’initiative trop ambitieuse pour Haïti ;
pour moi, j’approuve votre idée sans aucune restriction. Ne servirait-elle
qu’à prouver au monde que les Haïtiens, jaunes et noirs, croient
sincèrement et sérieusement à l’égalité des races et aux conséquences qui en
découlent, que cette démonstration suffirait à faire mieux respecter notre
race, en provoquant l’admiration de tous les nobles esprits.
Je voudrais ajouter quelques conseils pratiques, à l’appui de mon
approbation ; mais il faudrait pour cela plus de temps et de réflexion. Vous
avez, d’ailleurs, cinq ans devant vous : on pourra y revenir au besoin.
En attendant, veuillez croire, mon cher compatriote, à mes sentiments de
profonde sympathie et de sincère estime.

Signé : A. FIRMIN.’

Directeur d’un journal (La Fraternité) que nous avions fondé, à la fin de
l’année 1890, pour défendre en Europe les intérêts de la race noire,
président du Comité oriental et africain de la Société d’ethnographie de
Paris ; récemment chargé d’une délégation spéciale aux Antilles par le
Comité directeur de l’Alliance française, après avoir représenté la
République d’Haïti aux premiers congrès antiesclavagistes qui eurent lieu à
Paris et à Bruxelles, nous pensions être dûment qualifié pour mener à bien
le projet que nous venons d’exposer. Mais, par suite de circonstances très
fâcheuses dont la responsabilité pèse sur nos propres compatriotes, et qui,
pendant quatre ans (de 1896 à 1900) enrayèrent l’initiative de toutes nos
entreprises, il nous fut impossible de consacrer à la préparation de ce grand
Congrès ethnologique le temps et les ressources nécessaires (1).
Au mois de décembre 1897, revenant d’Haïti après notre premier voyage
en Abyssinie, nous fûmes mis en rapport avec le professeur Booker T.
Washington, le célèbre instituteur noir des Etats-Unis, et nous décidâmes de
nous unir à une Association africaine qui venait d’être constituée à Londres
par les soins zèlés d’un pasteur, le Révérend Joseph Mason, et d’un jeune
étudiant. Henry Sylvester Williams, originaire de la Trinidad. Deux mois
plus tard (février 1898), à la suite d’un banquet d’honneur offert à
l’explorateur Jean Hess, en hommage à la publication de son émouvant
ouvrage sur l’Ame nègre, nous fondions l’Association de la Jeunesse Noire
de Paris. L’idée du congrès fut reprise, mais sur le plan primitif dut en être
modifiée : au lieu d’une réunion de savants de race caucasique, parmi
lesquels auraient siègé quelques-uns des membres les plus éminents de la
race nigritique, nous allions avoir un meeting formé de savants, de
philanthropes et d’hommes politiques européens.
Ce meeting eut donc lieu à Londres, du 23 au 26 juillet 1900. Il est de
notre devoir de donner la plus large publicité possible aux actes de
décisions adoptés au cours de ce triduum.

Voici d’abord les noms des divers délégués :

Pour les Etats-Unis : Mgr Alexander Walters, de la Zion Church,


l’honorable Henry F. Downing, ex-consul à Loanda ; Miss Anna Jones,
institutrice à Kansas City : le professeur Burghardt Du Bois : Thos.
Calloway ; Augustus Straeker, ancien juge au Michigan.
Pour la République de Libéria : l’honorable F.R. Johnson, ex-procureur
général.
Pour la Côte d’Or : A.F. Ribero. avocat.
Pour Sierra Leone : G.W. Dove, conseiller judiciaire.
Pour la Côte d’ivoire : Dr. R.K. Savage, de l’université d’Edimbourg.
Pour la Jamaïque : A.R. Hamilton.
Pour Antigua : le Révérend Joseph Mason, curé d’une paroisse de Londres ;
le professeur J. Love.
Pour Trinidad : H. Sylvester Williams ; R.E.. Phipps, avocat ; A. Pierre.
Pour Sainte-Lucie : C.-W. French ; John E. Quinlan, surveillant de district.
Pour la Dominique : George Christian.
Pour le Canada : le Révérend Henry Brown.
Pour l’Ecosse : Dr. Meyer.
Pour l’Irlande : M. et Mme J.F. Loudin ; Miss Adams.
Pour Cuba : Dr John Alcindor.
Pour Haïti et l’Ethiopie : Benito Sylvain.

A ces délégués, tous d’origine africaine, s’étaient joints plusieurs


philanthropes et publicistes anglais et américains parmi lesquels il nous faut
citer Madame Jane Cobden-Unwin, fille du célèbre économiste libre-
échangiste Richard Cobden : le docteur Colenso, fils du grand évêque
abolitionniste ; le Dr. Clarke, le vaillant député libéral ; Fox Bourne,
secrétaire général de la “Société anglaise de protection des indigènes" ; Sir
Fowel Buxton, fils de l’illustre compagnon de Wilberforce et de Clarkson,
président de la Société Antiesclavagiste de Londres ; Hayford Battersby,
membre du “Comité contre l’alcoolisation des indigènes”(2).
Sa Grandeur le Lord Evêque de Londres voulut bien, à la séance
d’inauguration, appeler les bénédictions du Très Haut sur les travaux du
Congrès, dont la présidence fut confiée à Mgr Walters, qui s’en acquitta
avec une très remarquable distinction.
Il fut décidé :
1/ Qu’une Association générale, comprenant l’élite intellectuelle des
noirs civilisés, sera constituée sous le nom d’Association Pan-Africaine,
afin de centraliser ou de contrôler l’action de toutes les Sociétés qui. dans
les pays libres ou dans les colonies, ont pour objet la protection et
l’éducation des populations d’origine africaine.
2/ Qu’un Congrès pan-africain sera organisé tous les deux ans, soit dans
une grande ville d’Europe ou d’Amérique, soit dans la capitale d’un Etat
noir indépendant.
3/ Que le Congrès de 1902 aura lieu aux Etats-Unis, et celui de 1904 en
Haïti, pour donner plus de solennité à la célébration du centenaire de
l’indépendance haïtienne.
4/ Qu’un manifeste sera rédigé, faisant appel à la justice, à la sagesse
politique, à l’humanité des nations chrétiennes ; et qu’une adresse spéciale,
signée des Congressistes soumis aux lois anglaises, serait envoyée à Sa
Majesté Britannique, en protestation contre le cruel traitement infligé aux
indigènes des colonies sud-africaines.
5/ Qu’un mémoire serait adressé à l’Empereur Ménélik et aux Présidents
des Républiques d’Haiti et de Libéria, proclamés Grands Protecteurs de
l’Association Pan-Africaine, afin d’attirer leur attention sur l’urgente
nécessité de solidariser leurs intérets et de combiner leurs efforts, au point
de vue diplomatique, à l’effet de réagir contre la politique d’extermination
et de dégradation qui prévaut en Europe à l’égard des noirs et de leurs
dérivés.
Nous reproduisons ci-après l’appel fait aux nations chrétiennes :

‘AUX NATIONS DE L’UNIVERS


Dans la métropole du monde moderne, en cette année qui clot le dix-
neuvième siècle, un Congrès composé d’hommes et de femmes de sang
africain s’est assemblé pour délibérer solennellement sur leur situation
présente et envisager celle de leurs congénères sur toute la surface de la
terre.
Le problème du vingtième siècle est celui de la question de couleur, la
question de savoir à quel point les différences ethniques, qui se manifestent
principalement par la couleur de la peau et la qualité des cheveux, peuvent
justifier le refus opposé à plus de la moitié du genre humain, quant au
partage intégral des droits et privilèges de la civilisation humaine.
Certes, les populations de race noire sont, actuellement, très en retard,
comparativement au niveau européen. Mais il n’en a pas toujours été ainsi
dans le passé, et l’histoire contemporaine, aussi bien que l’histoire
ancienne, fournit beaucoup d’exemples non méprisables des aptitudes et des
capacités dont firent preuve les races d’hommes les plus noires.
En tout cas, le monde moderne doit comprendre qu’à cette époque, où les
confins du globe se trouvent si rapprochés par la facilité des moyens de
communication, les millions d’hommes noirs qui vivent en Afrique, en
Amérique et dans les îles de l’Océan, sans parler des myriades d’hommes
de couleur répandus partout, sont appelés à exercer une grande influence
dans l’avenir, raison même de leur nombre et par le seul fait de leur contact
mutuel. Si les pays civilisés s’appliquent maintenant à donner aux nègres et
aux hommes de couleur les plus larges facilités pour leur éducation et le
développement de leurs facultés, ce contact et cette influence produiront des
effets bienfaisants qui hâteront les progrès de l’humanité. Si, au contraire,
soit par insouciance ou prévention, soit par cupidité ou injustice, on veut
continuer à exploiter, à spolier et à dégrader la masse des noirs, les
conséquences ne peuvent être que déplorables, sinon fatales, non seulement
pour cette masse, mais encore pour le haut idéal de justice, de liberté et de
civilisation que, depuis des milliers d’années, le christianisme fait luire
devant l’Europe.
Aussi faisons-nous solennellement appel, nous, hommes et femmes de
race africaine, réunis en Congrès universel, à ce haut idéal de civilisation,
aux sentiments d’humanité les plus élevés de tous ceux qui suivent
l’enseignement du Prince de la Paix :
Ne laissons pas rétrograder le monde dans ce lent, mais sûr mouvement
de progrès qui a successivement triomphé de l’égoïste esprit de classe, de
caste et de monopole, dressé contre l’âme humaine aspirant à la liberté et au
bonheur.
Que la couleur de la peau ne soit plus la seule base de différenciation
entre les blancs et les noirs, au détriment de la valeur morale et des
capacités intellectuelles.
Que les indigènes d’Afrique ne soient plus sacrifiés à la soif de l’or ! Que
leur liberté soit respectée ; qu’on cesse de livrer leurs familles à la
débauche, d’étouffer leurs légitimes aspirations et d’entraver leur
évolution !
Que les missionnaires catholiques ne couvrent plus de leur manteau,
comme ils l’ont fait jusqu’ici, l’oppression politique et l’impitoyable
exploitation économique des peuples faibles et arriérés, dont la grande faute
a été de se reposer sur la foi jurée des envoyés de l’Eglise romaine.
Que l’Angleterre, premier champion de l’émancipation des noirs, se hâte
de couronner l’œuvre de Wilberforce, de Clarkson, de Buxton, de Granville
Sharp, de Mgr Colenso et de Livingstone, en octroyant, dès que
l’opportunité s’en présentera, les droits d’un gouvernement autonome aux
colonies d’Afrique et des Indes Occidentales.
Que l’Amérique ne laisse pas s’éteindre complètement l’esprit de
Garrison, de Phillips et de Douglas (sic) ! Que la conscience du grand
peuple des Etats-Unis se soulève et repousse toute oppression morale et
illégale à l’égard des nègres américains ; qu’elle leur garantisse avec
l’exercice des droits civils et politiques, avec la sécurité de leur personne et
de leurs biens, le bénéfice entier de la grande œuvre qui a été accomplie en
faveur de neuf millions d’êtres humains élevés de l’esclavage à la liberté.
Que la République Française et l’Empire d’Allemagne, fidèles à leur
glorieux passé, se rappellent que si la vraie valeur des colonies réside dans
leur prospérité et dans leurs progrès, une justice impartiale, à l’égard du
noir comme du blanc, est le premier élément de cette prospérité.
Que l’Etat libre du Congo devienne un grand Etat central des noirs et que
sa prospérité ne s’apprécie pas seulement d’après les bénéfices
commerciaux qu’en tirent ses exploitants, mais aussi par le bonheur et le
degré d’avancement de la population indigène.
Que les grandes nations du monde respectent l’intégrité territoriale et
l’indépendance des libres Etats noirs d’Abyssinie, d’Haïti, de Libéria et du
Maroc ; qu’on laisse enfin les habitants de ces Etats, que les tribus
indépendantes d’Afrique, les nègres des Antilles, ceux des autres parties de
l’Amérique et les sujets noirs de toutes les puissances coloniales puissent
prendre courage en eux-mêmes et prouver à l’univers, par d’incessants
efforts et en luttant fièrement, leur incontestable droit à faire partie de la
grande association fraternelle du genre humain.
Tel est l’appel qu’avec confiance et fermeté nous adressons aux nations
du monde civilisé, comptant, pour une généreuse reconnaissance de la
justesse de notre cause, sur le large esprit d’humanité et le sens profond de
la justice qui commencent à se manifester.’
A une époque où l’esprit d’association accomplit de si grandes choses, où
la moindre affinité de race, une simple connexité, il défaut d ‘une
communauté complète d’intérêts, justifient les alliances politiques et les
syndicats économiques les plus imprévus, n’était-il pas étrange de voir les
Africains et leurs descendants les plus directs continuer à vivre indifférents,
sinon hostiles les uns aux autres, sous l’oppressif mépris de leurs
tyranniques contempteurs ?
Aide-toi et le Ciel t’aidera ! dit la Sagesse des Nations. L’Association
Pan-Africaine est une œuvre foncièrement, essentiellement pacifique, mais
qui entend poursuivre ses fins avec autant de fermeté et d’esprit de suite que
de calme et de modération. Prenant en mains la cause de tous les indigènes
des colonies d’exploitation, elle organisera dans chaque ville importante un
centre actif de propagande, avec la certitude quelle n’invoquera pas en vain
la générosité de cœur, l’esprit de justice des jeunes gens et surtout des
femmes d’Europe. Grâce à ce concours juvénil et féminin, dont pour notre
part nous espérons beaucoup de bien, il pourra être constitué, dans la
capitale de chaque grande puissance coloniale, un patronage et un asile
temporaire pour les indigènes qui. par suite d’une circonstance quelconque,
se trouvent sans ressources en Europe.
L’Association Pan-Africaine exercera utilement un contrôle direct sur
l’engagement contractuel des indigènes en qualité de travailleurs libres ;
elle sera un arbitre tout désigné pour le règlement des contestations, si
fréquentes entre pseudo-travailleurs libres et leurs peu scrupuleux
employeurs.
L’Association Pan-Africaine exercera utilement un devoir d’encourager
les efforts de toutes les Sociétés philanthropiques qui, poursuivant un but
parallèle, travaillent à propager les principes d’une colonisation pacifique,
équitable et moralisatrice (3).

A peine constituée, l’Association Pan-Africaine a déjà eu à examiner


deux questions assez importantes, relatives à l’action des noirs civilisés
d’Amérique dans la politique des puissances coloniales en Afrique.
Plusieurs de nos congénères des Etats-Unis nous ayant fait
personnellement l’honneur de nous consulter sur le dessein qu’ils avaient de
s’enrôler dans les troupes britanniques pour aller combattre les Boers au
Transvaal, nous les en avons dissuadés et ils se sont rangés à notre avis.
Sans doute, les Boers se sont rendus coupables des pires atrocités contre les
indigènes Cafres et Hottentots ; mais les Anglais ne se sont pas montrés
plus humains à l’égard des populations noires. En somme, les deux
belligérants se valent. Nous devons donc nous abstenir, en attendant les
événements qui vont surgir à la suite de cette guerre.
L’initiative naissante de l’Association est, du reste, sollicitée beaucoup
plus fructueusement ailleurs, avec la question des Congolais de Cuba.
Mandataire d’un groupement de dix-huit mille noirs du Congo établis à
Cuba où il y a une trentaine d’années, ils furent emmenés comme esclaves,
le pasteur Emanuel (sic) se rendait en Belgique, au mois de mars 1901, pour
négocier avec le gouvernement du roi Léopold II le rapatriement et l’emploi
de ces noirs dans leur pays natal, devenu colonie belge. Une interview
accordée par le Père Emanuel à un rédacteur du journal l’Essor économique
universel d’Anvers, fait connaître les phases de cette intéressante tentative :
- "Alors, cette association de 18.000 nègres consentirait, moyennant des
avantages à leur accorder par le roi, à se rendre au Congo ?
- Non, pas tous, un certain nombre qui sont nés au Congo, mille, quinze
cents peut-être, hommes, femmes et enfants. Ceux qui sont nés à Cuba, qui
y sont mariés et qui y occupent une position y resteront sans doute. Ce ne
sont que les Congolais même, avec leurs familles, qui désirent retourner
dans leur pays.
- Ne sont-ils donc pas contents à Cuba ? Pourquoi veulent-ils quitter cette
île ; ne parviennent-ils pas à gagner leur vie ?
- Ce n’est pas uniquement le mécontentement qui les engage à partir.
Naturellement, l’état de guerre qui a règné là-bas pendant ces dernières
années n’est pas fait pour les satisfaire ; mais la raison principale est d’un
caractère moral et leur est dictée par leur conscience. Mes nègres éprouvent
un désir très réel de s’établir au Congo, où ils rêvent de fonder des centres
de civilisation. La grande majorité d’entre eux sont des ouvriers travaillant
pour le compte de patrons indigènes, qui ne sont pas toujours d’une grande
tendresse à leur égard.
Comme leur pays, le Congo, contient d’immenses territoires qui ne sont
pas exploités, il leur semble que le roi leur accordera, sans difficultés, des
concessions où ils cultiveront tous les produits des pays chauds, le tabac,
dans la plantation duquel ils excellent, le caoutchouc, le cacao, le café, etc.
Mais je dis qu’avant tout, ils veulent devenir citoyens libres de l’Etat
indépendant du Congo. La région où on les établirait leur importe peu. Ce
sont des gens doux et pacifiques, qui se conduiront toujours suivant les
circonstances ; beaucoup d’entre eux ne s’opposeraient pas à servir le roi en
qualité de soldats ; ils se mettent à la disposition entière de l’Etat du Congo.
De préférence, ils cultiveront le sol pour revendre leurs produits aux
Sociétés commerciales qui sont établies au Congo ; même, à de bonnes
conditions, ils n’hésiteront pas à s’engager et à travailler pour le compte des
Sociétés.
L’immigration des ces travailleurs civilisés au Congo présenterait les plus
grands avantages. D’abord, tout le monde y gagnerait, à commencer par
l’Etat même, les Sociétés coloniales et mes protégés. Ensuite, voyez le pas
énorme que ferait la civilisation au Congo. Et la religion catholique donc !
Ne serions-nous pas de précieux auxiliaires pour les missionnaires qui s’en
vont là prêcher notre religion ? Vraiment, tout est en notre faveur et aucun
obstacle sérieux ne s’oppose à l’accomplissement de nos rêves.
Et quel essor le commerce d’importation, au Congo, ne recevrait-il pas ?
Ces hommes civilisés ont des besoins bien plus grands que les habitants du
Congo. Beaucoup de denrées devront être importées ; l’indigène congolais,
qui est très imitateur, éprouvera bientôt les mêmes besoins et la
consommation des produits belges n’en sera que plus grande.
- Y a-t-il longtemps que vous communiquez, à ce sujet, avec le
gouvernement de l’Etat indépendant ?
- Oui, très longtemps : plus de quatre ans. Je suis accompagné de quatre
nègres de Cuba qui sont déjà retournés au Congo et qui viennent d’y passer
trois ans. Ils sont tellement enchantés de leur séjour en Afrique, qu’ils y
retourneront encore et, cette fois pour toujours, emmenant femmes et
enfants qui étaient restés à Cuba. Un cinquième noir cubain est toujours au
Congo.
Je disais donc que depuis longtemps je correspondais avec M. le baron
Van Eetvelde, et que c’est sur l’invitation du secrétaire de l’Etat
indépendant lui-même que je me suis décidé à venir en Belgique, à l’effet
de régler définitivement cette question d’ immigration.
- Vous avez été reçu en audience par M. de Cuvelier, successeur de M. le
baron Van Eetvelde. N’y a-t-il pas d’indiscrétion à vous demander le
résultat de cette entrevue ?
- Le résultat n’a pas été immédiat. J’avais cru les négociations faciles,
mais je me suis trompé. Je me heurte à des obstacles que je n’avais jamais
soupçonnés. J’espère toujours, je n’ai pas perdu complètement confiance.
- On vous prête, dans le cas où vous ne réussiriez pas à obtenir une
concession au Congo belge, l’intention de présenter vos offres de service à
un autre pays. On cite l’Angleterre, la France et le Portugal.
- Non, non, les Africains de Cuba désirent rentrer au Congo, parce que
c’est leur pays, leur patrie. Ils veulent rentrer chez eux et non pas aller dans
un pays étranger. Les Américains ne sont nullement mauvais pour nous ; les
généraux des Etats-Unis, auxquels j’ai eu l’occasion de parler, m’ont assuré
des attentions bienveillantes de l’Amérique à notre égard, et les autorités
américaines me considèrent, de même que les Espagnols avant la guerre,
comme le représentant légal de cette association de 18 000 noirs.
Je n’ai aucun projet immédiat, en cas de non-réussite. Je commencerai
évidemment par rendre compte à mes mandants de mon insuccès, et c’est
alors seulement que nous examinerons l’avenir.
Je me suis consacré entièrement à l’amélioration du sort des noirs et il me
serait excessivement pénible d’échouer, au moment où je croyais voir se
réaliser mes vœux les plus ardents.”
“Cette interview, disait l’Essor économique universel en un commentaire
préalable, est d’autant plus intéressante qu’elle nous présente la question de
l’immigration de cette colonie cubaine sous un jour nouveau. Il ne s’agit
pas, en effet, d’une sorte d’invasion de 18 000 noirs au Congo, mais
seulement du retour d’un ou deux milliers d’anciens Congolais dans leur
patrie d’origine... Emancipés depuis de longues années, ces noirs possèdent
actuellement, à Cuba, des propriétés atteignant une valeur d’environ un
million de dollars, soit 25 millions de francs.
Dans ces conditions, il semble, tout au moins à première vue, que le
projet de M. Emanuel serait parfaitement réalisable.
La question ne présenterait, en somme, que quelques difficultés pratiques,
qu’il serait aisé, croyons-nous, de résoudre par un examen approfondi. La
chose, assurément, en vaudrait la peine. L’objection la plus sérieuse, peut-
être, qui se présenterait à propos de l’établissement au Congo de ces noirs
Cubains, serait l’élévation du prix actuel de la main-d’œuvre ; les nouveaux
venus, en effet, ne se contenteraient probablement pas des salaires que
paient l’Etat Indépendant et les diverses Sociétés commerciales aux
indigènes, en rémunération de leurs services. Les indigènes élèveraient sans
doute leurs prétentions dans des proportions notables, et les prix de revient
des divers produits, notamment du caoutchouc, pourraient hausser de façon
à réduire considérablement les bénéfices que font, actuellement, certaines
Sociétés coloniales.”
Nous répondons que l’objection touchant les salaires est de nulle valeur.
Il est certain que les Sociétés commerciales et autres de l’Etat Indépendant
du Congo exploitent scandaleusement les travailleurs indigènes, qui,
notoirement, reçoivent une rémunération dérisoire. Les Congolais de Cuba
ne s’en contenteront pas. et ils auront mille fois raison ! Le gouvernement
belge a tiré assez de gros bénéfices du produit impayé ou mal payé de la
sueur des Africains pour envisager aujourd’hui avec un peu d’équité la
question du salariat colonial.
Sa Majesté le roi Léopold II qui, personnellement, est un galant homme,
ne devrait pas oublier à ce point la nature imparfaite et le caractère
transitoire de ses droits de souverain sur le Congo, droits toujours
contestables et qui n’ont jamais été reconnus par les descendants des
maîtres légitimes de ce territoire.
Quoi qu’il en soit, le pasteur Emanuel consent à ajourner sa décision
jusqu’au prochain Congrès Pan-Africain, qui, ainsi que nous l’avons dit,
doit se réunir aux Etats-Unis en août ou en septembre 1902. Si, d’ici-là. le
roi des Belges, mieux conseillé, n’a pas aplani de lui-même les difficultés
purement factices opposées à la réalisation de cette entreprise aussi juste
que féconde, l’Association Pan-Africaine avisera aux moyens les plus
pratiques de rapatrier les Congolais de Cuba dans le pays de leurs ancêtres,
qu’ils n’auraient jamais songé à quitter sans la contrainte, criminellement
Imítale des négriers européens.
L’idée de transporter en divers points de l’Afrique les noirs si cruellement
traités dans le sud des Etats-Unis est, depuis la guerre de Cuba, l’objet d’un
examen approfondi, de la part des chefs du mouvement évolutionniste
africano-américain. Le professeur Booker Washington n’est point partisan
d’un exode général : “Nous sommes”, disait-il dernièrement dans un
meeting à Boston, “les seuls Américains qui soient venus sur ce sol sans
l’avoir demandé ni voulu. On est allé nous chercher là où nous étions et on
nous a amenés ici à grands frais, au prix de mille dangers et de mille
sacrifices. Eh bien, nous ne voulons pas que ces sacrifices aient été inutiles.
Nous sommes ici ; nous nous y plaisons, et nous comptons bien y rester.”
Mais à défaut d’une émigration en masse, qui n’est ni nécessaire ni
pratique, nous devons encourager l’impulsion très louable qui porte des
groupes plus ou moins compacts de noirs civilisés des Etats-Unis ou des
autres pays de l’Amérique à vouloir contribuer à l’éducation et à
l’affranchissement moral de leurs congénères d’Afrique. L’Office colonial
allemand a déjà reconnu officiellement les mérites et les avantages de cette
participation, en s’adressant, l’année dernière, à l’Institut Normal et
Industriel que dirige le professeur Booker Washington, pour avoir de bons
contremaîtres mécaniciens et agronomes destinés à la colonie du Cameroun.
Les autorités allemandes, dans un but mal défini, ont recommandé de
garder le silence sur cette négociation. Nous croyons devoir passer outre à
cette curieuse recommandation, car c’est la réponse la plus décisive que
nous puissions opposer, en terminant, à ceux qui, oublieux des
enseignements du passé, assignent une borne étroite à l’avenir de la race
africaine dont ils reconnaissent les remarquables aptitudes, en niant, contre
l’évidence, sa tangible évolution présente."
Notes du rapport de Benito Sylvain sur la Conférence Panafricaine de 1900

1. Le journal La Fraternité (le premier qui ait été dirigé par un noir à
Paris) s’honorait de la collaboration de Jules Simon, de Léon de Rosny, de
Mme Adam et de Séverine (autorisation de reproduire leurs articles),
d’Anténor Firmin, du sénateur Isaac, du député Gerville-Réache, de Jean
Hess, Edmond Thiaudière, Léon Audain, Wesner Menos, Emmanuel des
Essarts, Derville Charles-Pierre, Marc Legrand et Paul Vibert. Il dut cesser
sa publication en 1897, victime d’une coalition de politiciens et d’étudiants
haïtiens, qu’offusquaient notre indépendance de langage, nos fêtes de
charité auxquelles les plus grands artistes de Paris prêtaient leur concours
gracieux, et surtout les distinctions dont nous étions l’objet dans le monde
littéraire et scientifique de France. Le gouvernement haïtien donna raison à
nos envieux, en supprimant, en 1895, l’allocation qui avait été votée au
journal par le Parlement, à titre de “récompense nationale”, allocation qui
était d’ailleurs, payée fort irrégulièrement, selon les caprices du ministre
des finances... La production de ce livre sera notre meilleure justification.
2. Madame Cobden-Unwin fit admettre gratuitement tous les
congressistes comme membres du New Keform Club de Londres ; le
Docteur Clarke et M. Fox Bourne leur offrirent un lunch d’honneur, le
premier au buffet de la Chambre des Communes, le second, au Liberal
Club, et le Lord Evêque, dans le parc de sa magnifique résidence située aux
environs de Londres.
3. Un vaste terrain, s’étendant tout autour de l’endroit où se trouve
inhumé le cœur de Livingstone (près du lac Nyassa), a été offert, en 1899,
par la British South Africa Company au “Comité du souvenir de
Livingstone” (Livingstone Memorial Company). Le comité a décidé de faire
ériger sur l’emplacement concédé une colonne en granit, de 40 pieds de
haut, afin de perpétuer dans le Sud africain la mémoire de l’illustre
explorateur négrophile.
Le cardinal Lavigerie a un double monument : l’un à Tunis et l’autre à
Bayonne. Faisant honneur à son titre, notre journal La Fraternité, “organe
des intérêts d’Haïti et de la race noire”, y souscrivit pour 500 francs.
Victor Schoelcher a aussi sa statue, à la Guadeloupe, en attendant qu’il en
ait une en France.
Nos congénères des colonies anglaises devraient bien prendre l’initiative
d’une souscription ayant pour but de glorifier par le marbre ou le bronze la
mémoire de Wilberforce, de Clarkson et de Buxton, afin que se justifie
partout le mot de Michelet : “La reconnaissance est une vertu noire.”

Annexe 3
“The Pan-African Conference ”
Extrait de Alexander WALTERS, My Life and Work, New York, Fleming H.
Revell Company, 1917.

“It was the fertile brain of Mr. H. Sylvester Williams, a young barrister of
London, England, that conceived the idea of a convocation of Negro
representatives from all parts of the world. He presented his plan by letter to
a number of distinguished Negroes in different countries, and after a
favorable reply from them, he issued the call in the early part of last year
(1900) for the Pan-African Conference, which was held in London, July 23-
25.
The objects of the meeting were : First, to bring into closer touch with
each other the peoples of African descent throughout the world ; second, to
inaugurate plans to bring about a more friendly relation between the
Caucasian and African races ; third, to start a movement looking forward to
the securing to all African races living in civilized countries their full rights
and to promote their business interests.
The meetings were held in Westminster Town Hall, which is near the
House of Parliament. There were present the following representatives : Rt.
Rev. A. Walters, D.D., New Jersey ; M. Benito Sylvain, Aide-de-Camp to
Emperor Menelik, Abyssinia ; Hon. F. S. R. Johnson, ex-Attorney-General,
Republic of Liberia ; C. W. French, Esq., St. Kitts, B. W. I. ; Prof. W. E. B.
Du Bois, Georgia ; G. W. Dove, Esq., Councillor, Freetown, Sierra Leone,
W. A. ; A. F. Ribero, Esq., Barrister-at-Law, Gold Coast, W. A. ; Dr. R. A.
K. Savage, M.B., Ch.B., Delegate from Afro-West Indian Literary Society,
Edinburgh, Scotland ; Mr. S. Coleridge Taylor, A.R.C.M., London, Eng. ;
A. Pulcherie Pierre, Esq., Trinidad. B. W. I. ; H. Sylvester Williams, Esq.,
Barrister-at-Law, London, Eng. ; Chaplain B. W. Arnett, Illinois ; John E.
Quinlan, Esq., Land Surveyor, St. Lucia, B. W. I. ; R. E. Phipps, Esq.,
Barrister-at-Law, Trinidad, B. W. I. ; Mr. Meyer, Delegate Afro-West Indian
Literary Society, Edinburgh, Scotland ; Rev. Henry Smith, London, Eng. ;
Prof. J. L. Love, Washington, D. C. ; G. L. Christian, Esq., Dominica, B. W.
I. ; J. Buckle, Esq., F.R.G.S,, F.C.I.E., London, Eng. ; Hon. Henry F.
Downing, U. S. A., ex-Consul, Loando, W. A. ; T. J. Calloway, Washington,
D. C. ; Rev. Henry B. Brown, Lower Canada ; Dr. John Alcindor, M.B.,
L.R.C.P. ; Counsellor Chas. P. Lee, New York ; Mr. J. P. Loudin, Director
Fisk Jubilee Singers, London, Eng. ; A. R. Hamilton, Esq., Jamaica,
B.W.I. ; Rev. H. Mason Joseph, M.A., Antigua, B.W. I. ; Miss Anna H.
Jones, M.A., Missouri ; Miss Barrier, Washington, D. C. ; Mrs. J. F. Loudin,
London, Eng. ; Mrs. Annie J. Cooper, Washington, D. C. ; Miss Ada Harris,
Indiana.
The writer was chosen to preside at the meetings ; Prof. J. L. Love, of
Washington, D. C., was elected secretary, and Prof. W. E. B. Du Bois, of
Georgia, was made chairman of the committee on address to the nations of
the world.
The address of welcome was delivered by the late Dr. Creighton, who
was Lord Bishop of London at that time. He said he was glad to meet the
delegates and to welcome them to the City of London. He assured them that
they had the sympathy of the fair-minded throughout the realm. He
expressed a hope that the conference would be a precursor of many similar
ones. Continuing, he said he was quite confident the great problems with
which they were concerned would not be settled in a hurry, but still the
movement to be inaugurated that day for the first time in the history of the
world, no matter in however humble a way, was sure to go on growing until
it brought a mass of public opinion to bear upon the questions raised. These
would be of the most vital description, dealing with the future of the world,
of which he was not then inclined to speak. For the first time in human
experience the entire world had been really discovered, and a sense of
human brotherhood had become a very real thing, and, magnificent as were
the ideals it created, practical difficulties had to be dealt with. The
conference would materially assist towards the accomplishment of this
object if the delegates would place on record their experience of the views
and aims of the colonial races. England generally recognized the weighty
responsibilities Providence had placed upon her, and her statesmen were
constantly considering how to most adequately discharge them, and any
help that conference could give them would be most gladly welcomed.
Responses to the most cordial and eloquent address of the Bishop were
made by Hon. P. S. R. Johnson, of Liberia, and the presiding officer. During
the session excellent papers were read by M. Benito Sylvain, C. W. French,
Miss Anna Jones, Mrs. Annie J. Cooper, Rev. H. Mason Joseph, Francis
Ware, Esq. ; Rev. Henry Smith and others. The papers and addresses
elicited great praise from the London daily press.
A Memorial, setting forth the following acts of injustice directed against
Her Majesty’s subjects in South Africa and other parts of her dominions,
was prepared and sent to Queen Victoria :

1. The degrading and illegal compound system of native labor in vogue in


Kimberley and Rhodesia. 2. The so-called indenture, i.e., legalized bondage
of native men and women and children to white colonists. 3. The system of
compulsory labor on public works. 4. The “pass” or docket system used for
people of color. 5. Local by-laws tending to segregate and degrade the
natives, such as the curfew ; the denial to the natives of the use of the
footpaths ; and the use of separate public conveyances. 6. Difficulties in
acquiring real property. 7. Difficulties in obtaining the franchise.

The following is the reply received from Her Majesty by our secretary,
Mr. H. Sylvester Williams :

16th January, 1901.


Sir : I am directed by Mr. Secretary Chamberlain to state that he has
received the Queen’s commands to inform you that the Memorial of the
Pan-African Conference respecting the situation of the native races in South
Africa has been laid before Her Majesty, and that she was graciously
pleased to command him to return an answer to it on behalf of her
Government.
2. Mr. Chamberlain accordingly desires to assure the members of the
Pan-African Conference that, in settling the lines on which the
administration of the conquered territories is to be conducted, Her Majesty’s
Government will not overlook the interests and welfare of the native races.
3. A copy of the Memorial has been communicated to the High
Commissioner for South Africa.
1 am, Sir, your obedient servant,
H. BERTRAM COX

H. S. Williams, Esq.

Prof. DuBois, chairman of the Committee on Address to the Nations of


the World, submitted the following, which was adopted and sent to the
sovereigns in whose realms are subjects of African descent :

TO THE NATIONS OF THE WORLD

In the metropolis of the modern world, in this the closing year of the
Nineteenth Century, there bas been assembled a Congress of men and
women of African blood, to deliberate solemnly upon the present situation
and outlook of the darker races of mankind. The problem of the Twentieth
Century is the problem of the color line, the question as to how far
differences of race, which show themselves chiefly in the color of the skin
and the texture of the hair, are going to be made, hereafter, the basis of
denying to over half the world the right of sharing to their utmost ability the
opportunities and privileges of modern civilisation.
To be sure, the darker races are today the least advanced in culture
according to European standards. This has not, however, always been the
case in the past, and certainly the world’s history, both ancient and modern,
has given many instances of no despicable ability and capacity among the
blackest races of men.
In any case the modern world must needs remember that in this age,
when the ends of the world are being brought so near together, the millions
of black men in Africa, America and the islands of the sea, not to speak of
the brown and yellow myriads elsewhere, are bound to have great influence
upon the world in the future, by reason of sheer numbers and physical
contact. If now the world of culture bends itself upwards giving Negroes
and other dark men the largest and broadest opportunity for education and
self-development, then this contact and influence is bound to have a
beneficial effect upon the world and hasten human progress. But if. by
reason of carelessness, prejudice, greed and injustice. the black world is to
be exploited and ravished and degraded, the results must be deplorable, if
not fatal, not simply to them but to the high ideals of justice, freedom, and
culture which a thousand years of Christian civilisation have held before
Europe.
And now, therefore, to these ideals of civilisation, to the broader
humanity of the followers of the Prince of Peace, we, the men and women
of Africa in World Congress assembled, do now solemnly appeal :
Let the world take no backward step in that slow but sure progress which
has successively refused to let the spirit of class, of caste, of privilege, or of
birth, debar from life, liberty, and the pursuit of happiness a striving human
soul.
Let not mere color or race be a feature of distinction drawn between
white and black men, regardless of worth or ability.
Let not the natives of Africa be sacrificed to the greed of gold, their
liberties taken away, their family life debauched, their just aspirations
repressed, and avenues of advancement and culture taken from them.
Let not the cloak of Christian Missionary enterprise be allowed in the
future, as so often in the past, to hide the ruthless economic exploitation and
political downfall of less developed nations, whose chief fault has been
reliance on the plighted faith of the Christian Church.
Let the British Nation, the first modern champion of Negro freedom,
hasten to crown the work of Wilberforce, and Clarkson, and Buxton, and
Sharpe (sic), Bishop Colenso, and Livingstone, and give, as soon as
practicable, the rights of responsable government to the Black Colonies of
Africa and the West Indies.
Let not the spirit of Garrison, Phillips, and Douglas (sic) wholly die out
in America ; may the conscience of a great Nation rise and rebuke all
dishonesty and unrighteous oppression toward the American Negro, and
grant to him the right of franchise, security of person and property, and
generous recognition of the great work he bas accomplished in a generation
toward raising nine millions of human beings from slavery to manhood.
Let the German Empire and the French Republic, true to their great past,
remember that the true worth of Colonies lies in their prosperity and
progress and that justice, impartial alike to black and white, is the first
element of prosperity.
Let the Congo Free State become a great central Negro State of the
world, and let its prosperity be counted not simply in cash and commerce,
but in the happiness and true advancement of its black people.
Let the Nations of the World respect the integrity and independence of
the free Negro States of Abyssinia, Liberia, Hayti, etc., and let the
inhabitants of these States, the independent tribes of Africa, the Negroes of
the West Indies and America, and the black subjects of all Nations take
courage, strive ceaselessly, and fight bravely, that they may prove to the
World their incontestable right to be counted among the great brotherhood
of mankind.
Thus we appeal with boldness and confidence to the Great Powers of the
civilized world, trusting in the wide spirit of humanity, and the deep sense
of justice of our age, for a generous recognition of the righteousness of our
cause.

I have received letters from several of the countries represented in the


Pan-African Conference commending the address.
A permanent organization was formed and the following officers were
elected to serve for two years : Bishop A. Walters, New Jersey, President ;
Rev. Henry B. Brown, London, Vice-President ; Prof. W. E. B. DuBois,
Georgia, Vice-President for America. (I have forgotten the names of the
vice-presidents and secretaries of other countries.) Mr. H. Sylvester
Williams, General Secretary ; T. J. Calloway, Secretary for America ; Dr. R.
J. Colenzo (sic), Treasurer. Executive Committee : S. Coleridge Taylor,
John R. Archer, J. F. Loudin, Henry T. Downing, Mrs. J. Cobden Unwin,
Miss Annie J. Cooper.
The constitution adopted was similar to that of the Afro-American
Council.
The gathering proved advantageous to the colored American tourists who
had gone abroad to visit England, the Paris Exposition and other places of
interest on the continent, in that it brought them in social contact with a
number of distinguished personages on the other side whom they would not
have met except through the medium of an international and inter-racial
gathering.
On Monday, the 23d of July, the conference was invited to a five o’clock
tea given by the Reform Cobden Club of London in honor of the delegates,
at its headquarters in the St. Ermin Hotel, one of the most elegant in the
city. Several members of Parliament and other notables were present. A
splendid repast was served, and for two hours the delegates were
delightfully entertained by the members and friends of the club.
At 5 o’clock on Tuesday a tea was given in our honor by the late Dr.
Creighton, Lord Bishop of London, at his stately palace at Fulham, which
has been occupied by the Bishops of London since the fifteenth century. On
our arrival at the palace we found his Lordship and one or two other
Bishops, with their wives and daughters, waiting to greet us. After a
magnificent repast had been served we were conducted through the
extensive grounds which surround the palace. Prof. DuBois, M. Benito
Sylvain, Messrs. Downing and Calloway, Miss Jones and others moved
about the palace and grounds with an ease and elegance that was
surprising ; one would have thought they were “to the manor born”. We
found the Lord Bishop not only a brilliant scholar and profound thinker, but
an affable Christian gentleman. I am sure our visit to the palace will be long
remembered by the delegates as one of the most pleasant in their history.
Through the kindness of Mr. Clark, a member of Parliament, we were
invited to tea on Wednesday, at 5 o’clock, on the Terrace of Parliament.
After the tea the male members of our party were admitted to the House of
Commons, which is considered quite an honor ; indeed, the visit to the
House of Parliament and tea on the Terrace was the crowning honor of the
series. Great credit is due our genial secretary, Mr. H. Sylvester Williams,
for these social functions.
Miss Catherine Impey, of London, said she was glad to come in contact
with the class of Negroes that composed the Pan-African Conference, and
wished that the best and most cultured would visit England and meet her
citizens of noble birth, that the adverse opinion which had been created
against them in some quarters of late by their enemies might be changed.
I am glad that so many of our ministers, educators and other members of
the professional classes are making annual visits to Europe. Such visits are
helpful to our cause. The Pan-African Association and the Afro-American
Council, if efficiently officered and wisely managed, can do much for the
amelioration of the condition of persons of African descent throughout the
world, provided that they are supported in their work by the better classes
of our people. Without such co-operation they are sure to fait.
If political parties, capital and labor see the need of organization, surely,
as a race, oppressed and moneyless, we ought to see the necessity of a great
National and International organization. It is the aim and hope of the Pan-
African Association, which is neither circumscribed by religions, social or
political tests as a condition to the membership therein, to incorporate in its
membership the ablest and most aggressive representatives of African
descent in all lands.
We are not unmindful of the fact that it will require considerable time and
labor to accomplish our object, but we have resolved to do all in our power
to bring about the desired results.
The numerous letters I have received from different parts of the world
commending the work of the Pan-African Association and the National
Afro-American Council, the many local organizations which are being
formed in various countries for the betterment of persons of African
descent, the host of newspaper and magazine articles published by colored
men in defense of the race, and the encouragement that is being given to our
educational and financial development, are all evidences of a great
awakening on the part of the Negroes to their own interests, and an
abundant proof that the time is ripe for the inauguration of a great
international as well as national organization.
Since these organizations have for their objects the encouragement of a
feeling of unity and of friendly intercourse among all persons of African
descent, the securing to them their civil and political rights, and the
fostering of business enterprises among us, their growth in order to be
permanent must necessarily be slow. But since great bodies move slowly,
we need not be discouraged. As a race we have learned to laugh at
opposition and to bravely overcome difficulties. Let us not ire deterred by
them in the future, but march steadily forward to the goal”.

*
SOURCES

FRANCE :

- Archives du Ministère des Affaires Etrangères

- Mémoires et Documents - (documents antérieurs à 1896)

Afrique :
- 128 à 131 : Négociations franco-anglaises relatives aux délimitations de
l’Afrique occidentale.

Libéria :
- 60 et 121

Abyssinie :
- 62, 105 et 138 : relations, traités avec les puissances européennes.

Questions générales :
- Conférence antiesclavagiste de Bruxelles, 1889-1891.

- Correspondance Consulaire et Politique - (1793-1901)

Port-au-Prince :
vol. 11 : 1878-1890, 12 : 1890-97, 13 : 1898-1901
Saint-Domingue :
vol. 3 : 1878-1892, 4 : 1892-99, 5 : 189971901
Addis-Abeba :
1 volume sans numéro, 1898-1901
Monrovia :
- 1 volume sans numéro, 1855-1901
Sierra Leone :
- vol. 1 : 1848-66, 2 : 1867-77, 3 : 1881-86, 4 : 1887-1901.

- Affaires Diverses Politiques -

Amérique Centrale :
carton n°3 : Union Centre-Amérique, projets du Président Barrios 1885.
Haïti :
carton 7 : 1888-89, 8 : 1890-92, 9 : 1893-95.

Afrique :
carton 1 : rapatriement à la côte d’Afrique d’anciens esclaves,
carton 2 : préparatifs et compte-rendus de la Conférence antiesclavagiste de
Bruxelles, 1888-1892.
carton 5 : Sierra Leone.
carton 6 : Libéria, 1850-92 ; 1892 : Blyden, envoyé de la République du
Libéria à Londres.
carton 22, 23. 24 : Abyssinie, Ménélik, le ras Makonnen, le port d’Assab,
1856-1895
cartons 26, 27 : capture de navires de traite négrière par les Britanniques,
1818-1820.

- Correspondance Politique et Commerciale - (Nouvelle Série : 1897-1918)

cartons 1 à 6 : politique intérieure : 1896-1918 ;


carton 3-4 : Haïtiens en France, 1896-1918.
Libéria :
cartons 1 et 2 : politique intérieure 1897-1914 cartons 3-4 : politique
étrangère, dossier général, 1892-1914.
carton 6 : politique étrangère, Angleterre, 1895-1913.
cartons 7-8 : politique étrangère, U.S.A., 1899-1914.
cartons 9 à 18 : politique étrangère, France, 1893-1914.
carton 30 : documentation imprimée, cartes, 1883-1914.

- Centre des Archives d’Outre-Mer Aix-en-Provence

- Séries Géographiques :

- Afrique IV

Libéria : dossiers 7 (1832-1848), 8 (1848-1883), 39 (1885-1899)


Colonies Anglaises : dossiers 14 (1800-1884), 15 (1817-1872), 16 (1817-
18-88), 162 (1899), 169 (1900), 176 (1901).
Consulats : dossier 194 (Libéria : France, 1877)

Direction des Affaires Politiques :


S.L.O.T.F.O.M. (Service de Liaison avec les originaires des Territoires
Français d’Outre Mer) :
Série III, 47, 84, 91 : Panafricanisme.
Série VIII, 7, 3, 14 : Guadeloupe, Martinique, Guyane.

GRANDE-BRETAGNE

- Public Record Office, Londres

Colonial Office :

- Sierra Leone ;
- C.O. 267 : “Original Correspondance”, 1880-1914 (avec Fernando Po
avant 1828 et après 1842).
- C.O. 271 : “Government Gazettes”, 1817-1913.

- Emigration ;
- C.O. 386 : Correspondance, 1833-1894.

Foreign Office :
- Haiti :
- F.O. 35 : Correspondance générale, 1825-1905.
-Liberia :
- F.O. 47 : Correspondance générale, 1848-1905.
- Afrique :
- F.O. 403 : Papiers Confidentiels (problèmes frontaliers avec le Libéria,
1861-1871).
- Traités :
- F.O. 93/53/1-15 : Libéria, 1848-1908.
- Traite Négrière :
- F.O.- 84 : 1816-1892.
- F.O. 315 . en Sierra Leone, 1818-1868.
- Sierra Leone :
- F.O. 315 : Correspondance 1819-1868.

Autres Fonds :
- Anti-Slavery Papers, Rhodes House Library, Bodleian Library, Oxford.
- Aborigines Protection Society Papers, Rhodes House Library, ibidem,
Oxford.
- Gladstone Papers, British Museum Add. Mss., Londres.

- ETATS-UNIS :
- American Colonization Society Papers, Library of Congress, Washington,
D.C.-
- Papers of the Presbyterian Board of Foreign Missions, 375 Riverside
Drive. New York City.
- Edith Holden, The Story of Blyden, 1940, Schomburg Collection, Harlem
Branch of the New York Public Library.
Papers of the Trustees of Donations for Education in Liberia,
Massachusetts Historical Society, Boston.

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Londres, 1991, X-244 p.

*
Périodiques consultés, période 1850-1914 :

- African Kepository and Colonial Journal (U.S.A.)


- L’Etoile Africaine (Haiti)
- La Fraternité (Haïti)
- Liberia Herald (Libéria)
- Mirror (Port-of Spain, Trinidad)
- The Daily News (Londres, Grande-Bretagne)
- The Manchester Guardian (Manchester, Grande-Bretagne)
- The Negro (Libéria)
- Times (Londres, Grande-Bretagne)
- San Fernando Gazette (Trinidad)
- Bulletin de la Société d Anthropologie de Pans (France)

*
Périodiques contemporains :

- American Anthropologist (U.S.A.)


- Caribbean Studies (U.S.A.)
- Freedomways (New York, U.S.A.)
- Journal of African History
-Journal of Negro History (U.S.A.)
- Présence Africaine (Paris)
- Savacou (Kingston, Jamaïque)
Table des matières

Couverture
4e de couverture
Titre
Copyright
Citation
Dédicace
Préface à la réédition 2015
Blue Note
Prélude et fugue
- I - EXPOSITION DU THEME
- 2 - SUPPRESSION DE LA TRAITE NEGRIERE : LA CROISADE
DES BRITANNIQUES
- 3 - A L’ORIGINE DU MOUVEMENT “BACK TO AFRICA” :
“COLONISATION" OU DEPORTATION
- 4 - NATIONALISMES
- 5 - EMANCIPADOS CUBAINS ET BRESILIENS EN LIBERTÉ
- 6 - LES CERTITUDES DU RACISME PSEUDO-SCIENTIFIQUE
- 7 - BLYDEN ENTRE LES CARAÏBES ET L’AFRIQUE
- 8 - LA CROISADE POLITIQUE D’ANTENOR FIRMIN
- 9 - UN OFFICIER DE MARINE HAÏTIEN À LA COUR DU
NEGUS
- 10 - LA CONFERENCE DE LONDRES DE 1900 : EMERGENCE
ET RESONANCE DU PANAFRICANISME
- 11 - LE PROJET PANAFRICAIN : SUITES ET
PROLONGEMENTS
- 12 - COMBITE : LE “RELEVEMENT SOCIAL DES NOIRS”
CONCLUSION : 1900-2000, L’HISTOIRE, UN ECLAIRAGE
LUMINEUX DU PRESENT.
Coda
CHRONOLOGIE
DOCUMENTS ANNEXES
SOURCES
BIBLIOGRAPHIE
Table des matières
L’HISTOIRE AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN
Adresse
L’HISTOIRE
AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN

Dernières parutions

TROUPES (LES) COLONIALES D’ANCIEN RÉGIME


Fidelitate per Mare et Terras
Lesueur Boris - Préface de Michel Vergé-Franceschi
« Le désavantage des colonies qui perdent la liberté de commerce est
visiblement compensé par la protection de la Métropole qui les défend par
ses armes ou les maintient par ses lois ». Cette phrase de Montesquieu
résume les liens compliqués entre une métropole et ses colonies sous
l’Ancien Régime. La prospérité apportée par les colonies devait être
souvent défendue avec acharnement. Des compagnies détachées aux
régiments coloniaux, l’aventure des soldats au temps de la Nouvelle-France
et des Iles demeure singulière et mal connue.
(SPM, Coll. Kronos, 45.00 euros, 534p.)
ISBN : 978-2-917232-28-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36549-7

DROIT (LE) DES NOIRS EN FRANCE AU TEMPS DE


L’ESCLAVAGE
Textes choisis et commentés
Boulle Pierre H., Peabody Sue
En France entre le XVIe siècle et le XIXe siècle, la vision de l’individu doté
d’une liberté formelle fut confrontée à l’existence de l’esclavage aux
colonies, en particulier lorsqu’à partir de 1716 une exception au principe du
sol libre fut octroyée aux planteurs qui souhaitaient amener en métropole
leurs esclaves domestiques. Tout un appareil juridique dut être créé pour
accommoder cette exception. Le présent ouvrage cherche à illustrer les
différentes étapes que prit cette recherche d’un équilibre entre liberté et
esclavage.
(Coll. Autrement Mêmes, 29.00 euros, 291 p.)
ISBN : 978-2-343-04823-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-36295-3

ÂGES (LES) DE L’HUMANITÉ


Essai sur l’histoire du monde et la fin des temps
Bolton Robert
Comment, quand et pourquoi le monde a-t-il commencé ? Et quand
touchera-t-il à son terme ? Les deux mille dernières années sont analysées
en termes de cosmologie traditionnelle, à l’aide de la science des nombres
afin de permettre le calcul de la position de notre époque dans l’ère à
laquelle elle appartient. L’auteur arrive à la conclusion qu’il y a de fortes
probabilités pour que son terme coïncide avec la fin des temps.
(Coll. Théôria, 28.00 euros, 272p.)
ISBN : 978-2-343-03921-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36288-5

DIVINATION (LA) DANS LA ROME ANTIQUE


Études lexicales
François Guillaumont et Sophie Roesch (éds.)
Les Romains vivaient dans un monde peuplé de signes de la volonté des
dieux. Savoir lire ces signes, par le biais de la divination, permettait aux
hommes de s’assurer le succès de leurs entreprises. L’objet de ce recueil est
de compléter par une approche lexicale les nombreuses publications déjà
consacrées à ce domaine de la religion antique, afin de mieux définir les
croyances et les pratiques divinatoires des Romains.
(Coll. Kubaba, 15.50 euros, 150 p.)
ISBN : 978-2-343-04273-2, ISBN EBOOK : 978-2-336-36431-5

DISPARITION (LA) DU DIEU DANS LA BIBLE ET LES MYTHES


HITTITES
Essai anthropologique
Nutkowicz Hélène, Mazoyer Michel
Drames et tragédies se succèdent qui voient les destructions de la nature, de
l’homme et du cosmos dans les royaumes tant hatti que judéen, témoins de
la rupture entre le monde terrestre et le monde divin. Quelles explications
les peuples touchés par ces situations de crises apportent-ils ? Quels sont les
points partagés et les divergences développées par ces deux peuples ?
(Coll. Kubaba, série Antiquité, 22.00 euros, 214p.)
ISBN : 978-2-343-04876-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-36434-6

ÉCHANGES (LES) MARITIMES ET COMMERCIAUX DE


L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS (2 volumes)
Sous la direction de Philippe Sturmel
Tous les peuples, ou presque, ont voulu faire de la mer et des océans leur
terrain de jeu, de chasse, d’échanges ou d’aventures. A l’aube de l’époque
moderne, la navigation commerciale connaît un essor spectaculaire et les
terres apparaissent comme un obstacle à son développement. La mer, enfin,
comme lieu de toutes les spéculations, intellectuelles, philosophiques ou
utopiques. C’est cette grande histoire que les communications rassemblées
dans cet ouvrage ont l’ambition de raconter.
(Volume 1, Coll. Méditerranées, 31.00 euros, 300p.)
ISBN : 978-2-343-03509-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36383-7
(Volume 2, Coll. Méditerranées, 30.00 euros, 294p.)
ISBN : 978-2-336-30724-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-36382-0

MENSONGES DE L’HISTOIRE (Tome 2)


Monteil Pierre
Avec simplicité, esprit critique et objectivité, l’auteur s’attaque, dans ce
second tome, à de nouveaux « mensonges de l’Histoire » : ainsi, saviez-
vous que l’Enfer est une conception médiévale ? Que les chiffres arabes
sont en réalité indiens ? Que Gutenberg n’a pas inventé l’imprimerie ?
Qu’Abraham Lincoln était raciste ? Que l’Allemagne nazie fut le premier
pays dans l’espace ?
(Coll. Rue des écoles, 30.00 euros, 300p.)
ISBN : 978-2-343-04362-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36119-2

VOYAGEUSES (LES) D’ALBERT KAHN (1905-1930)


Vingt-sept femmes à la découverte du monde
Arasa Yaelle
Entre 1905 et 1930, Albert Kahn, riche banquier autodidacte, crée en
France, une bourse féminine Autour du monde, octroyée aux plus brillantes
des jeunes femmes titulaires de l’agrégation. Les lauréates se nourrissent,
durant une année, d’un quotidien nomade, se frottant aux traditions les plus
anciennes et à la modernité la plus échevelée. Courriers, rapports et carnets
de bord narrent les changements de paysage, du monde, de la société, de
l’enseignement féminin et de la vie des femmes durant un quart de siècle.
(38.00 euros, 382p.)
ISBN : 978-2-343-04419-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-36174-1

MYTHE (LE) INDO-EUROPÉEN DU GUERRIER IMPIE


Blaive Frédéric, Sterckx Claude
Cet ouvrage s’appuie sur les travaux de comparatisme indo-européen initié
par Georges Dumézil et plus particulièrement d’un mythème de « guerrier
impie » s’attaquant obstinément à tous les niveaux du sacré, du droit et du
juste, repoussant dédaigneusement les avertissements divins et s’obstinant
dans sa démesure jusqu’à succomber. Ces enquêtes rendent compte des
formes et des motivations propres à chaque culture du guerrier impie (tels
que les Grecs Achille et Bellérophon, les Romains César et Julien l’Apostat,
l’Irlandais Cuchulainn, le Scandinave Harald l’impitoyable, voire l’Anglais
Richard III).
(Coll. Kubaba, série Antiquité, 22.00 euros, 224p.)
ISBN : 978-2-336-30260-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35479-8

FIGURES ROYALES DES MONDES ANCIENS


Sous la direction de Michel Mazoyer, Alain Meurant et Barbara Sébastien
Dans les mondes indo-européen et méditerranéen, la royauté apparaît
comme la forme naturelle et privilégiée de la souveraineté. Son souvenir est
particulièrement bien conservé, nos sociétés modernes en ont largement
hérité. Dix variations sur la royauté dans l’Antiquité, du monde celtique au
domaine gréco-romain en passant par celui des Scythes et des Hittites sont
ici proposées.
(Coll. Kubaba, 23.00 euros, 230p.)
ISBN : 978-2-343-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-53505-3
ESSAIS D’HISTOIRE GLOBALE
Sous la direction de Chloé Maurel — Préface de Christophe Charle
L’histoire globale est une approche novatrice qui transcende les
cloisonnements étatiques et les barrières temporelles et promeut un va-et-
vient entre le local et le global. Développé depuis plusieurs années aux
États-Unis, ce courant connaît un essor récent en France. Voici un tour
d’horizon varié des travaux récents en histoire globale (concernant
l’abolition de l’esclavage, l’histoire du livre et de l’édition, des revues et
celle des organisations internationales).
(23.00 euros, 226p.)
ISBN : 978-2-336-29213-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-53077-5

VERS UN NOUVEL ARCHIVISTE NUMÉRIQUE


Ouvrage collectif coordonné par Valentine Frey et Matteo Treleani
La réinvention permanente apportée par le numérique suscite de nombreux
débats. Notre rapport à la mémoire et à l’histoire, longtemps basé sur l’objet
matériel et sa conservation physique, est à présent bouleversé. Les
techniques ont beaucoup évolué, apportant de nouvelles problématiques,
dans le domaine de l’informatique comme celui des sciences humaines.
Quelles tensions entre technique et mémoire ? Comment se souvenir du
passé à travers ses vestiges ? Que change le numérique ?
(Coll. Les médias en actes, 22.00 euros, 224p.)
ISBN : 978-2-336-00174-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53103-1

MENSONGES (LES) DE L’HISTOIRE


Monteil Pierre
Chaque génération hérite des a priori et des idées reçues de la génération
précédente. Ainsi, nombreux sont les mensonges de l’Histoire qui ont
survécu jusqu’à nos jours. Nos ancêtres les Gaulois ? Napoléon était petit ?
Au Moyen Age, les gens ne se lavaient pas ? Christophe Colomb a
découvert l’Amérique ? Ce livre revient sur 80 poncifs considérés par
beaucoup comme une réalité...
(Coll. Rue des écoles, 28.00 euros, 282p.)
ISBN : 978-2-336-29074-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51351-8
FLAVIUS JOSÈPHE
Les ambitions d’un homme
Cohen-Matlofsky Claude
Quelles furent les ambitions cachées de Flavius Josèphe, historien Juif de
l’Antiquité ? Il prône, à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type
hasmonéen, à savoir d’un roi-grand prêtre, comme réponse à tous les maux
de la Judée. La question fondamentale est la suivante : comment les élites
locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance romaine et quel rôle
les membres de l’élite ont-ils assigné à leurs traditions et constitution
politique dans cet environnement d’acculturation ?
(Coll. Historiques, série Travaux, 15.50 euros, 152 p.)
ISBN : 978-2-336-00528-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51387-7

MER (LA), SES VALEURS


Groupe « Mer et valeurs » Sous la direction de Chantal Reynier — Préface
de Francis Vallat
La mer, plus que jamais, est la chance des hommes et la clef de leur avenir.
Elle leur apprend la responsabilité, suscite l’esprit d’initiative, mais elle
oblige tout autant à rester humble devant ses forces naturelles. Le groupe de
réflexion « Mer et Valeurs », réunissant navigants et universitaires, examine
l’influence de ces valeurs rapportées à toutes les activités humaines. Des
références historiques et géographiques illustrent le développement
intellectuel et économique des pays qui se sont tournés vers la mer.
(21.00 euros, 188 p.)
ISBN : 978-2-336-00836-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51412-6

MÉTAMORPHOSES RURALES
Philippe Schar : itinéraire géographique de 1984 à 2010
Sous la direction de Dominique Soulancé et Frédéric Bourdier
Philippe Schar était convaincu que la géographie ne saurait exister sans la
dimension du temps et la profondeur de l’histoire, seules capables de mettre
pleinement en lumière le présent et de le restituer dans toutes ses
dimensions. On retrouve en filigrane dans ses recherches concises et
pointues la volonté de replacer les opérations de développement à
l’interface des logiques promues par les décideurs d’un côté et par les
populations de l’autre. Cet ouvrage présente une sélection de ses écrits.
(33.00 euros, 320p.)
ISBN : 978-2-296-99748-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-51501-7

POUVOIR DU MAL
Les méchants dans l’histoire
Tulard Jean
L’Histoire n’est pas une magnifique suite d’actions héroïques et de gestes
admirables. Sans le Mal pas d’Histoire. Et il faut l’avouer, les méchants
sont les personnages les plus fascinants de la saga des peuples. En voici
treize, présentés à travers des dramatiques interprétées jadis sur les ondes.
Treize portraits où l’on retrouve méchants célèbres comme Néron ou Beria
et héros insolites comme Olivier Le Daim ou le prince de Palagonia. Ils
illustrent le pouvoir du Mal.
(Coédition SPM, 25.00 euros, 270p.)
ISBN : 978-2-917232-01-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51010-4

VIES (LES) DE 12 FEMMES D’EMPEREUR ROMAIN


Devoirs, intrigues et voluptés
Minaud Gérard
Grâce à un méticuleux travail de recherche se redéploie ce que furent les
vies de 12 femmes d’empereur et leur influence, non seulement sur leur
mari mais aussi sur le destin de Rome. Les pires informations se mêlent. Un
amour maternel allant jusqu’à l’inceste, un amour conjugal virant au
meurtre, un amour du pouvoir justifiant tout. D’un autre côté, un sens du
devoir exceptionnel, une habileté politique remarquable, un goût du savoir
insatiable.
(34.00 euros, 332p.)
ISBN : 978-2-336-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50711-1

MONDE (LE) DES MORTS


Espaces et paysages de l’Au-delà dans l’imaginaire grec d’Homère à la
fin du Ve siècle avant J.-C.
Cousin Catherine
Ce livre propose d’étudier l’évolution des conceptions que les Grecs ont pu
se former des espaces et des paysages de l’au-delà, jusqu’à la fin du Ve
siècle avant J.-C. Monde invisible, interdit aux vivants, mais sans cesse
présent à leur esprit, les Enfers relèvent pleinement de l’imaginaire. Une
comparaison entre productions littéraires et iconographiques enrichit cette
étude et laisse entrevoir l’image mentale que les Grecs se forgeaient du
paysage infernal.
(Coll. Kubaba, série Antiquité, 39.00 euros, 402p.)
ISBN : 978-2-296-96307-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50624-4
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