o Michel Serres L2 livres pour

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saga Disney,
Blanche Neige
r Black Panthers

hel Pastoureau
; couleurs de la société
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 LE NOUVELALBUM DE RSF

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SEMPE 1OO DESSINS

POUR LA LIBERTÉ
DE LA PRESSE

Ch ezvotre marchand de journaux et votre Iibraire.

REPORTERS
SA]IIS FRONTIERES
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REPRÉSENTANT LÉGAL ET DIRECTEUR DE

PUBLICÀTION : Jean-FranÇois Dortier
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Mélina Lanvin - Nathalie Raison - Sylvie Rilliot
Les apprentis sorciers de I'eugénisme
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Héloi§e Lhérété - 03 A6?217 20 11 à 21 AcruALtrÉ
RÉDACIEUR EN CHEF ADJOINT
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coNsErLLÈREs DE LA RÉDAcrtoN 22 à 25 ConaPRENDRE

Martine Fournier - Martha Zuber

RÉDACTEURS De Blanche Neige à Black Panther

Hugo Albandea - 03 467217 34
Hélène Frouard - 03 A67217 31 (cheffe de rubrique Actu)
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26 à29ENrREnEN
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Michel Pastoureau
sEcRÉTARhT DE RÉDACTION ET RÉVISION Les couleurs de la société
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30 à 59 DosslER
Devaux

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Corps et esprit du prochain numéro
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30 Les mystères de I'esprit Rouna Rnaror
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ÉDITIoNS ScIEilCES HUMAINES 42 D'où viennent les troubles psychosomatiques ? A.o'* Aurner
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45 Et si la santé mentale était dans l'assiette ? Rouna Rrrraror
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RESPONSABLE ADMINISTRATIF ET FINAI{CIER 48 Soigner le corps pour guérir l'âme Manc oraxo
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coMPT BllrrÉ 51 Le corps nbublie rien E*rnErrer avec Bessetvar oen Kotx
Jocelyne Scotti, Coraline Ouimbre - 03e6?2O7 02
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53 Des psychologues au chevet des malades Anne'clatneTxÉntzots
FABRrcanoN - pHoroGRAvuRE - PRÉPRESsE
natacha,reverre@scienceshumaines.fr - 0601 70 10 76
56 Le pouvoir énigmatique des guérisseurs or-rvren scxurz
IMPRESSIOil
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58 Le mental des vainqueurs Manc LevÊoue
Origine du papier Suède
Taux de fibres recyclées: 0qo
Certification : FSC, PEFC
. lmpact sur l'eau , : Ptot 0.005 kg/tonne
60 à 65 RÉrÉnence
ih6lfu Étu Michel Serres

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Un conteur en philosophie
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Couverture: @ Catrin Welz-Stein. @ Getty. O Éric Fougère/
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Commission paritaire: o522 D 81596 70 AcENDA
ISSN: 0996-69s4
Dépôt légal à parulion Août-septembre20lglSqeHces HuttwHes 3
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 La force du mental et la ruse de f intestin
« La force du mental » est l'expérience
humaine laplus courante etlaplus
insaisissable qui soit.
La plus courante: du matin au soir, le film de nos
pensées tourne en permanence; la foule d'idées
- ces entités invisibles qui nous trottent dans Ia
tête- semble être la source de nos actions.
|e pense donc j'agis. Pour écrire cet éditorial, je
perçois les choses ainsi. Des idées me viennent en
tête; aussitôt, je les transforme en mots, j'entends
même ma petite voix intérieure , ce « discours que
l'âme tient en silence auec elle-même" (Platon). Mes
doigts tapent les mots sur le clavier et ils s'affichent
sur l'écran. Miracle, l'esprit devient matière ! Le
verbe s'est fait corps...
C'est du moins ainsi que les choses m'apparaissent.
Évidemment, on saittous que cet esprit, ce petit
démiurge invisible et désincarné, cache une
alchimie cérébrale faite d'influxnerveux, de
neuromédiateurs et de circuits neuronauxqui
s'activent frénétiquement.
Derrière le psychologique, le
biologiqu€. Derrière le mental,le corps joue
sa partition. Et quel corps ! Pas simplement un
inconscient cognitif qui fait de l'activation de
dizaines de milliards de neurones. Voilà qubn
nous apprend que, du fond de nos entrailles, la flore
intestinale or) grouillent des milliards de bactéries
agirait en sous-main pour guider nos envies et
certaines de nos idées. Freud pensait lui que
l'inconscient, le « ça », était une affaire de sexe. Aux
dernières nouvelles « ça » viendrait aussi du colon...
Uintestin est mon deuxième cerveau !
Comment concilier cette double et inconfortable
perception des choses: d'un côté un esprit se
percevant comme un dieu immatériel et souverain,
et de l'autre, un corps matériel régi pas des lois
organiques?
Comment raccrocher une âme si pure à tous ces
kilos deviande?
Le neurobiologiste Pier Vincen zo P iazza raconte
l--
(dans Homo biologicus, à paraître - septembre
20L9 - chez Albin Michel) qu'il débute son cours
de neurobiologie par cette annonce: «Dans les
prochaines séances nous allons étudier les bases
neurobiologiques des addictions ». Aussitôt des
étudiants interviennent: « ljaddiction, ça ne se
réduit pas à une cause biologique!»
- Mais à quoi d'autres? demande le professeur.
- À la psychologie, aux influences sociales...
- Mais, rétorque le professeur,la psychologie serait-
elle séparée du corps?
En matière dhddiction - tabac, alcool,
drogue ou jeuxvidéos, ilva de soi que l'individu
est sous influence de dispositifs biologiques
(neuromédiateurs, circuits neuronaux) poursuit
le professeur. Mais ces circuits sont mis en branle
suite à des expériences devie. Le sportif qui
s'entraîne voit aussi son corps se transformer suite
aux actions qu'il lui fait subir. Le cerveau n'est
pas une entité autonome comme le montrentles
travaux récents sur la plasticité cérébrale.
Voilà une façon de retourner Ie problème corps/
esprit. La neurobiologie est en train de sortir de
l'âge du déterminisme biologique où les gènes et les
neurones agissent en circuits fermés et sous leur
effet propre.
Certes, nul ne saitvraiment comment s'articulent
les actions réciproques entre le cerveau, le cæur,
le sexe, les intestins, les influences extérieures
et l'expérience consciente et inconsciente. Mais
les études récentes sur l'addiction, l'hypnose, la
psychosomatique, l'effet placebo, la visualisation
mentale, présentées dans ce dossier
contribuent à rebattre les cartes duvieux
problème « corps-esprit».
Ce n'est pas la revanche du mental sur
le biologique, ni le triomphe de l'intestin
sur le moi souverain. C'est la base d'une
nouvelle réflexion sur le sujet.r
|raN-FneNçoIS DoRTIER
Août-septembre20I9lSoeHcesHuurtHes 5
N'srz I
 Nrcolls
Jounrer
Que dit le Coran de la guerre
iuste?
Dans son article sur les «Itinéraires
de jihadistes» (n'315, juin 2019, page
43) Xavier Crettiez mentionnait que
certains justifiaient leur combat en
se reportant au texte du Coran.
Et il ajoutait: « La fameuse sourate
de la Vache (uersets 190- 193) appelle
par exemple à tuer les ennemis
d'Allah (« Combattez-les jusqu'à ce
qu'il n'y ait plus d'association, et que
Ia religion soit entièrement à Allah
seul. ,). Sa lecture uaut ici ordre d'action » (NDLR: contre
certains chrétiens, car «association» désignerait ici Ie
fait d'assimiler Iésus à Dieu, comme le professaient les
Nazaréens, que le Prophète connaissait bien).
Or, nous a reproché Monsieur Roeland Cauwenberghs,
ce texte serait une traduction inexacte et tronquée de
ce passage de la sourate, dont il nous donne une version
plus développée extraite de la traduction de Malek Che-
bel, parue chez Fayard, en 2011.
Ainsi, le paragraphe l9O: « Combattez dans la uoie de
Dieu ceux qui uous combattent, mais ne soyez pas des
prouocateurs, car Allah n'aime pas les transgresseurs, »
Le 191 : «Tuez-les partout où uous les rencontrez, chassez-
les des endroits d'où ils uous ont chassés, car la subuer-
sion est plus graue que le meurtre. En reuanche, il ne faut
pas combattre au sein de la Mosquée sacrée jusqu'à ce
qu'ily ait engagement des hostilités. Mais, dès lors qu'ils
uous combattent, tuez-les, car tel est le traitement des
incroyants. »
Le 192 : « S'l/s interromp ent leur agression, (u ous en ferez
de même) Allah est celui qui pardonne et quifait miséri-
corde.,
Le 193 : « Quant au combat, il doit aller jusqu'à ce que la
discorde cesse et que la religion de Dieu s'impose. Sitôt
I'agression finie l'hostilité ne sera plus dirigée que uers les
injustes. »
Dans cette version développée, Ia guerre légitimée par le
Prophète n'est donc pas totale: elle est défensive, enca-
ÉcnrvEz-Nous
!
Vous souhaitez réagir à ce numéro, contacter un iournaliste ou soulever un débat?
Ecrivez-nous à I'adresse suivante :
n icolas.jou rnet@scienceshu ma i nes.fr
6 Sqerces HurvurHes 20le
I ft:ir;.l"-bre
I
drée par des règles de respect de l'adversaire vaincu, tout
en visant, on ne l'oubliera pas quand même, à imposer la
religion du Dieu unique.
Au reproche adressé par notre lecteuf, nous apporterons
donc deux réponses. D'abord, que l'intention de Xaüer
Crettiez n'était pas du tout d'entrer dans un débat sur
Ies écritures, mais de reproduire certains des arguments
fournis par des jihadistes eux-mêmes pour légitimer leur
combat. Or, il se trouve que parmi eux, certains évoquent
cette sourate, sans plus de détail.
Ensuite, que le texte cité par l'auteur provient d'une ver-
sion du Coran circulant largement, puisque distribué à la
sortie d'une mosquée d'Istanbul.
Loin de nous donc l'idée que ce passage brièvement
repris dans nos colonnes représente l'intégralité et la
vérité profonde du message coranique au sujet de la
guerre juste. Mais il semble évident que, comme sur bien
d'autres sujets, on puisse tirer des paroles du Prophète
des maximes plus ou moins radicales. Ce n'est pas être
n islamophobe » que de faire ce constat. La plasticité est
une propriété des textes fondateurs de toutes les reli-
gions qui ont réussi. r
Nrcor.ls Jounx:r
Ne pas confondre langue
et écriture
i e me permets de vous adres-
*i ser ces quelques remarques
concernant le dossier sur les
dyslexies contenu dans Sciences
Humaines no 31 6 (uillet 201 9)
et particulièrement I'encadré de
la page 23. ll y est en effet ques-
tion de "langue logographique"
et de " langue alphabétique ",
deux notions que I'on rencontre
trop souvent dans des articles
de psycholinguistique, mais qui sont aberrantes. Elles
recouvrent en effet une confusion trop fréquente entre
langue et écriture: une orthographe peut être alphabé-
tique, une langue, non. Ouant à la notion de logographie,
elle est encore plus inappropriée pour la simple raison
qu'une orthographe ne peut jamais fonctionner à partir
de la seule représentation de mots. l-écriture du manda-
rin et plus encore celle du japonais, souvent citées à ce
propos, sont hybrides: certains signes notent effecti-
vement des morphèmes (mots ou idées), mais d'autres
notent des syllabes, donc des sons. ll existe sur cette
question un ouvrage très éclairant de John deFrancis
datant de 1989, intitulé Visible Speech; the Diverse
Oneness of Writing Sysfems, qui disqualifie les notions
de " langue logographique " et plus encore, " idéogra-
phique ".
Cela dit, cette réaction mise à part, je suis un lecteur
assidu de votre magazine depuis bien des années et
l'apprécie toujours autant.
Cordialement. r
lerl-Ptenne JarrnÉ
I A"tricte^ent parlet vous avez raison: aucune
T langue n'est intrinsèquement u alphabétique » ou
«logographiquer. Seule son écriture, et donc son ortho-
graphe, le sont, avec pour preuve le fait que le üetnamien,
par exemple, a d'abord été noté à l'aide de caractères
en bonne partie idéogrammatiques, avant de I'être en
caractères alphabétiques (officialisés en l91B). Vous avez
également raison de souligner qu'il n'existe pas actuelle-
ment de système d'écriture largement enseigné qui soit
exclusivement idéographique ou logographique. Seule
une création artificielle, le Bliss (inventé par Charles K.
Bliss en 1952), peut revendiquer ce priülège.
Mais, par tradition, certaines langues sont, depuis qu'elles
s'écrivent, transcrites à l'aide d'un système plutôt phono-
graphique ou plutôt idéographique. Le français et la plu-
part des langues d'Europe utilisent des alphabets (romain,
grec ou cyrillique). Cela ne les empêche d'ailleurs pas de
recourir à de rares idéogrammes, comme l'esperluette (&)
ou les chiffres 1,2, 3, 4, etc.
Parler de « langues alphabétiques , (ou en général " pho-
nographiques r) pour les opposer aux n logographiques,
(ou n idéographiques ») est donc une facilité de langage
qui, à strictement parler, ne dewait désigner que des
conventions d'écriture. Mais, pour les psychologues
spécialistes de la dyslexie, il apparaît que les troubles de
l'orthographe sont, dans un tiers des cas, associés à des
troubles de la parole. Comment, dans ce cas, séparer com-
plètement la langue de l'orthographe ? Tout n'a peut-être
pas été dit à ce sujet.
N.r.
Solastalgie : un sentiment
planétaire ?
Dans un bref article traitant du sentiment de " solastalgie'
(un analogue de la nostalgie s'appliquant à l'environ-
nement) publié dans notre mensuel n"3 l 5 (Juin 201 9),
I'auteure poursuivait ainsi:
Morizot étend
" En 201 9, te phitosophe français Baptiste
ce concept à notre condition face aux métamorphoses
dues au changement climatique. La solastalgie, c'est Ltn
"mal du pays sans syil,, écrit-il. La nature est en muta-
tion; on ne reconnaît plus le paysage ott l'on a grandi,
on est dépossédé de son environnement. L'humain est
désormais " plus stable que son milieu ", des espèces
animales et végétales sont en danger, /es saisons boule-
versées. "
À ce propos, Iean-David Huet nous a fait parvenir le
commentaire suivant:
/1 I ""t joliment dit, mais ce sentiment planétaire me
lr-rf semble être une fabrication: sauf exception, un indi-
vidu X situé dans un environnement Y n'est pas en mesure
d'attribuer les changements qu'il perçoit au réchauffement
du climat de la Terre ou à l'érosion de la biodiversité, phé-
nomènes globaux, de nature statistique, et constatés par de
savants calculs. Autant demander à un habitant du dépade-
ment désertifié de la Haute-Loire de percevoir le poids des
sept milliards et demi d'habitants que porte désormais notre
planète. En revanche, le fait que bien des choses changent
autour de nous est un ressenti courant, et qui n'est pas
particulièrement nouveau: la nostalgie de I'enfance est un
des principaux moteurs de la littérature autobiographique
depuis qu'elle existe. Ou'on soit aujourd'hui tenté de donner
une dimension planétaire à ce sentiment de perte est com-
préhensible, puisque le réchauffement climatique est un fait
largement rendu public. Mais est-ce bien le rôle du philo-
sophe que d'entretenir cette confusion ? r
J-D. Huer
t"rôle du philosophe est de tenter de saisir Ia vérité
/
ÿ de son époque. Rien n'interdit de penser que ce
que nous éprouvons subjectivement soit affecté par des
faits dont nous n'avons pas d'expérience directe, mais
seulement entendu parler.
Le changement perçu était encore, il n'y a pas si long-
temps, attribué à l'action du n progrès r, Que c€ soit pour
le déplorer ou non. Aujourd'hui, il est pe.rçu sous I'angle
de la n menace, sur le climat ou des « pertes » affectant
la nature. Ce n'est plus tout à fait le même sentiment: la
solastalgie est sans remède.
N,J.
Août-septembre 20lglScrerces Hurlatues 7
N" 317 I
l
 2
.Epoqr"

Les apprentis sorciers

de l'eugénisme
Le chercheur He
Jiankui affirme avoir a
modifié I'ADN de
deuxiumeiles o"pfi
-fTrITI ? résrstantes au virus
du Sida. Shenzen, ,'{S
fl I ,'l Chine,2O16.
i
/. )
,l

---

Après le choix du sexe par diagnostic préimplantatoire,

cipation qui lui fut attribué s'avère justifié: la
le choix de la couleur des yeux est désormais possible. perspective d'un eugénisme high tech se
Et sans doute bientôt celui du quotient intellectuel... précise.
Retour sur les années 1990, époque ou
A quoi jouent les généticiens chinois ? S'achemine-t-on Niccol tournait son film; une nouvelle bio-
technologie, le diagnostic préimplantatoire
vers une sélection tous azimuts des embryons? (DPl), prenait alors son essor. Elle vise, en
principe, à détecter la présence d'anomalies
uand la réalité rejoint la fiction... Si venue à Gattaca, censé se passer dans un génétiques chez deè embryons conçus par
la formule est rebattue, elle n'est futur proche, est-il en passe de se réaliser. fécondation in vitro (FlV). Concrètement,
pas toujours galvaudée. Ainsi, le Une vingtaine d'années après la sortie sur une ou deux cellules de chaque embryon
scénario imaginé par le réalisateur néo- les écrans, en 1997, de cette ceuvre ciné- sont prélevées au troisième jour de déve-
zélandais Andrew Niccol pour son film Bên- matographique, le qualificatif de film d'anti- loppement, lorsque cet embryon n'en com-

Sqences Huuarrrs I Août-septembre 2019

I n"3t7

I

porte que huit. Le passage de ces cellules
au crible de I'analyse génétique permet de
sélectionner les embryons "53ins", sus-
ceptibles d'être transférés dans l'utérus de
la future mère. En France, le DPI est très
encadré, et réservé à des cas où existe
une forte probabilité de maladie génétique
grave et incurable. Ailleurs dans le monde,
les dérives se multiplient. Déjà, les Britan-
niques s'autorisent à écarter les embryons
présentant un risque de futur strabisme;
déjà, plusieurs pays, comme la Thaïlande,
permettent de choisir, grâce au DPl, le sexe
d'un enfant conçu par FIV; déjà les États-
Unis offrent la possibilité de sélectionner
la couleur des yeux. Une porte ouverte sur
le "bebe à la carte"? Car pourquoi ne pas
choisir aussi la taille, voire plus tard le poten-
tiel intellectuel de I'enfant à naître? Trier un
jour les embryons en fonction de leurs sup-
posés "gènes de I'intelligence, est moins
inenvisageable qu'il n'y paraît. Pour débus-
quer ces gènes, la Chine est à la manæuvre.
Le graal des «gènes de
l'intelligence,
En première ligne de cette quête, le Cogni-
tive Genomics Lab, un laboratoire lié à
I'un des plus grands centres mondiaux de
séquençage de IADN :le Beijing Genomics
/nstltute (BGl), désormais implanté à Shen-
zhen, non loin de Hong Kong. Créé en 2011,
ce laboratoire chinois veut explorer la géné-
tique de la cognition humaine; et ce, grâce
à de brillants chercheurs souvent issus du
nec plus ultra des institutions occidentales:
Caltech, Harvard, Berkeley, Yale, Massachu-
setts /nstitufe of Technology (MlT), King's
College de Londres... Ces scientifiques
ont collecté des échantillons d'ADN chez
un grand nombre de sujets parmi les plus
intelligents au monde, du moins considé-
rés comme tels au regard de leur fort Ol ou
paramètre du même type. Et ce, en vue de
comparer leur génome à celui d'individus de
Ol plus modeste, dans I'espoir de débus-
quer les allèles -les variants des gènes-
qui déterminent *l'intelligence,... Comme
si cette dernière revêtait une forme unique
Animaux à la carte
Comment créer des singes
génétiquement programmés pour
souffrir? La méthode a été publiée en
janvier 2019 par des chercheurs de
Shanghai, membres de I'Académie
des sciences, qui l'ont testée avec
succès. Étape no1 : manipuler
génétiquement un embryon de
macaque de manière à perturber
I'horloge biologique. Étape no2:
vérifier qu'après la naissance le singe
génétiquement perturbé, maintenu de
surcroît en permanence à la lumière,
souffre d'insomnie, d'anxiété, de
dépression. Étape no3: cloner ce
macaque pour obtenir des individus
génétiquement identiques,
condamnés à vivre le même
cauchemar. Et dans quel but cette
négation de la souffrance animale ?
Celui de tester des médicaments pour
I'humain... en traitant ses cousins
primates comme des animaux-
machines.
C'est grâce aux nouvelles techniques
d'édition génétique, permettant de
uréécrire" aisément les gènes d'un
individu, que la Chine a pu se lancer
dans la manipulation tous azimuts
des animaux. Avec des réalisations
pour le moins surprenantes. En 2015,
des scientifiques chinois annonçaient
IADN en des points non ciblés -des gènes
impliqués dans la genèse de cancers par
exemple. Ensuite, parce que, néfastes ou
non, ces modifications effectuées au stade
de l'æuf seront transmissibles à la descen-
dance. Lasfbut not least, parce qu'une étude
de deux chercheurs de Berkeley, publiée ce
3 juin dans Nature Medicine, vient de mon-
trer que la mutation du gène CCRS -celui-là
même qu'a inactivé He Jiankui chez les deux
fillettes- était de nature à diminuer I'espé-
rance de vie: réalisée chez des sujets natu-
rellement porteurs en double exemplaire, sur
avoir réussi à produire des chiens de
race beagle aux muscles
surdéveloppés. Pour les créer, il a
suffi aux chercheurs de neutraliser le
gène codant pour la myostatine, un
facteur inhibant la croissance
musculaire dans les conditions
naturelles. De tels animaux
bodybuildés pourraient, paraît-il, être
utiles à la police. Mais gurd des
cochons miniatures présentés la
même année à Shenzhen par le
Beijing Genomics tnstitute? À quoi
vont-ils bien pouvoir servir? Proches
de I'homme sur le plan biologique, les
mini-cochons sont destinés à la
recherche: pas besoin de cages de
grande taille pour élever ces animaux
idéalement calibrés pour les
laboratoires. Mieux, le BGI a décidé
d'en commercialiser comme animaux
de compagnie -avec en option le
choix de la couleur.
En tant que représentant de
lAcadémie chinoise des sciences,
Duanqing Pei a salué le travail
effectué sur les chiens de race beagle
comme une contribution maieure au
grand effort de son pays pour
modifier génétiquement les animaux
-effort qualifié de priorité scientifique
nationale. r
deux chromosomes homologues, d'une telle
mutation, cette étude montre en effet un sur-
croît de mortalité des individus concernês.
Le fait que I'intérêt médical de la manipulation
réalisée par He Jiankui soit à peu près nul,
les fillettes n'étant pas réellement menacées
par le virus du SIDA, amène par ailleurs à se
poser la question de savoir si la protection
contre cette maladie était bien le but recher-
ché. Comme s'en est fait l'écho en février
2019 la MIT Technology Review, plusieurs
études avaient auparavant montré que I'inac-
tivation du gène CCRS augmentait, chez>
Août-septembï:3#l scteuces HuNatles e
 2
^Epoqr"
) et ne dépendait que de facteurs génétiques.
Reste que ce programme inquiète par ses
possibles visées eugénistes. Permettra-t-il
à terme aux couples chinois ayant recours à
la FIV de sélectionner par DPI les embryons
les plus prometteurs?
Dans Contrôle r le génome, un documentaire
de la réalisatrice Bregtje van der Haak sorti
en 2014 et diffusé en 2016 sur Arte, Lau-
rent Tellier - I'un des chercheurs du team de
direction scientifique du Cognitive Geno-
mics Lab de Shenzhen venu de I'Université
de Copenhague- se montre enthousiaste:
"J'explique aux gens que c'est une vision
tout à fait réaliste de l'avenir, que la sélection
d'embryons se banalisera, et que j'envisage
moi-même de le faire depuis que je suis tout
petit. Et ce n'est même pas de I'eugénisme.
Le but n'est pas d'encourager les couples
intelligents à avoir des enfants. ll est d'en-
courager tous /es futurs parents à avoir les
enfants les plus pertormants possible."
Dêfinition de I'eugénisme selon le diction-
naire Larousse : "Théorie cherchant à opérer
une sélection sur les collectivités humaines
à partir des lois de la génétique". . . Si ce que
veut faire Laurent Tellier n'est pas de I'eugé-
nisme, cela y ressemble étrangement. Trier
les humains, Iût-ce au stade embryonnaire,
n'est-ce pas déjà considérer que certains
sont par essence supérieurs à d'autres?
Visiblement, ce genre d'interrogation éthique
n'ébranle pas les convictions des chercheurs
IO Août-septembre 2019
n'317
du Cognitive Genomics Lab, persuadés
d'æuvrer pour le bien de I'humanité. Pour
eux, le meilleur des mondes, c'est le monde
des " meilleurs,... Un monde où I'on consi-
dère la valeur des individus comme un para-
mètre quantifiable à I'aune de la génétique.
De I'embryon manipulé
au bébé oGM
Si se profile le risque que le check-up géné-
tique devienne, dans des pays à faibles réfé-
rences éthiques, un outil de sélection sans
limites des embryons, la banalisation actuelle
de leur modification génétique ne laisse pas
non plus d'inquiéter. Cela fait aujourd'hui
quatre ans qu'a été révélée la première
modification génétique d'un embryon
humain, réalisée à I'université Sun-Yatsen
de Guangzhou. Depuis, plusieurs expéri-
mentations du même type ont été conduites
en Chine, avant que ne finisse par y être
franchie la barrière éthique du bébé OGM:
le 26 novembre 2018, He Jiankui annonçait
la naissance de Lulu et Nana, deux jumelles
génétiquement modifiées afin de les rendre
résistantes au virus du SIDA. Une première,
dont la présentation lénifiante par ce cher-
cheur n'a absolument pas convaincu la com-
munauté scientifique, provoquant même un
tollé quasi général. D'abord, parce que, pour
précise qu'elle soit, la technologie d'édition
génétique CRISPR-Cas9 utilisée reste sus-
ceptible d'engendrer des modifications de
la souris en particulier, les performances
cognitives, dont la mémoire. S'agissait-il en
fait de tester I'effet d'une telle inactivation
chez I'humain? Une hypothèse que l'on ne
peut totalement exclure. Depuis quelque
temps, I'intérêt marqué des scientifiques
chinois pour les gènes impliqués dans la
cognition humaine ne se dément pas. À titre
d'illustration récente, une équipe de cher-
cheurs dirigée par Bing Su, de l'Académie
chinoise des sciences, annonçart en mars
2019, dans un article de la National Science
Review, avoir doté des macaques de la ver-
sion humaine du gène MCPHI -lequel est
impliqué dans le développement et l'évolu-
tion du cerveau- afin de tester son impact.
Selon les auteurs, ces singes transgéniques
présentaient une meilleure mémoire à court
terme et un temps de réaction plus court
que leurs congénères de type sauvage. La
transhumanisation des macaques est-elle un
prélude à celle des humains ? Toujours est-il
que la génétique chinoise s'est d'ores et dé,jà
lancée dans la manipulation à grande échelle
des animaux (voir encadré).
Dénuée de préoccupations éthiques, la
Chine? Certes, on y trouve des comités
ad hoc, mais le curseur de I'acceptabilité
semble y être placé à un autre niveau qu'en
Occident. Sous la pression du scandale
provoqué par I'annonce des expérimenta-
tions hasardeuses de He Jiankui, les choses
semblent cependant bouger: en mars 201 9,
le ministère de la Santé a rédigé une régle-
mentation stipulant que les scientifiques
seraient dans I'obligation d'obtenir une auto-
risation avant de modifier génétiquement
des embryons humains. Autre changement
notable en perspective: le futur code civil
chinois prévoirait de rendre responsables
ceux qui manipulent le génome humain des
éventuelles conséquences néfastes chez les
individus concernés. r
Ielr,r- Fnlrçors Bouver
Docteur ès science§, auteur de Bébés à la carte
(Équateurs, 201 7)
Antonio Regaldo, China's CRISPR Twins might have
had their Brains lnadvertently Enhanced, MIT
Technology Review, 21 février 2O1 9.
 il
SCIENCES

Uactrvité de nos gènes affectée par Ia pauvreté

/^\n savait que grandir dans codé leur statut socio-écono- cette étude "aide à identifier les limites de l'étude. " Elle ne per
Lrf r" pauvreté affectait la mique à différents moments de processus biolog iq ues (ici, la met pas de dater I'impact des
santé, augmentant par exemple leur vie, depuis I'enfance méthylation de certains gènes) co nd itio n s socio- é con o m i q u es

le risque de développer un can-
cer ou du diabète. Ce que l'on
ne savait pas, c'est que nos
gènes eux-mêmes pourraient
être touchés, comme le montrent
des chercheurs de I'Université
de Chicago.
Leur étude se concentre sur le
processus de méthylation de
I'ADN, qui ne modifie pas le
codage des gènes, mais leur
capacité à s'exprimer. Les cher-
cheurs ont analysé le sang de
500 personnes habitant aux Phi-
lippines. En parallèle, ils ont
jusqu'au début de la vie adulte.
Constat: dans un peu moins de
100/o des gènes, il existe un lien
entre le statut socio-écono-
mique et le prolil de méthylation.
Or, certains des gènes concer-
nés jouent un rôle important
dans les réactions immunitaires
aux infections, ou encore le
développement du squelette et
du système nerveux.
Raphaëlle Chaix, chercheuse en
anthropologie génétique au
CNRS et au Muséum national
d'histoire naturelle, conf irme que
responsab/es des inégalités de
santé entre diflérents stafufs
socio-économ iq ue s, m i ses e n
évidence depuis longtemps par
d'autres recherches". Ce travail
contribue ainsi à l'épigénétique,
cette discipline qui s'attache à
"comprendre lafaçon dont l'en-
vi ron ne m ent façon ne l' activité
de notre génome et les proces-
sus sous-7âcents à I'embodi-
ment, c'est-à-dire la façon dont
les expériences de vie s'ins-
crivent dans le corps". La cher-
cheuse pointe néanmoins les
sur les méthylations", explique-
t-elle. A-t-il lieu dès la vie fætale ?
Dans la petite enfance? Plus
tard à I'adolescence? Reste
pour I'heure un constat: le corps
a bonne mémoire, et semble se
souvenir d'une enfance
pauvre. I
GaÉmlre Porssoruren
Thomas W. McDade et coll. Genome:
Wide Anelysis of DNA Methylation in
Relation to Socioeconomic Status
during Development and early
Adulthood,,4meric an J ournal ol
Physical Anthropology, Mai 2019; no1.

EN.ÊTRE I FAMILLE I SOCIÉTÉ ICULTURE I DÉBAI5

LLE
ÉDUcÀTroN

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xourelles . Famille
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Août-septembre 2019lSoeNces Huuatles II

N.317 I

I
E DUCAT ION

Pour être une bonne mère,

inutile de bondir aux moindres pleurs
psy-
l-\eRuis les travaux des
lJchologues John Bowlby et
Mary Ainsworth au milieu du
20" siècle, on sait qu'il existe
une diversité de modes d'atta-
chement d'un enfant à son
parent. Parmi eux, l'.attache-
ment sécure,. Considéré
comme optimal, il reste mal
compris malgré des décennies
de recherche, les scientifiques
peinant à caractériser ce qui,
dans le comportement paren-
tal, le favorise. Pendant long-
temps, c'est la.sensibilité" du
parent, c'est à dire sa capacité
à répondre vite et adéquate-
ment à la moindre sollicitation
du nourrisson, qui a été consi-
dérée comme déterminante. Un
modèle récusé par des cher-
cheuses américaines en psy-
chologie qui ont récemment
proposé une alternative, valori-
sant la capacité du parent à
Durant sept mois, elles ont éva-
lué la sensibilité des mères
îlt, j ainsi que leur capacité à consti-
tuer une base de sécurité et les
ont comparées aux modes
d'attachement des enfants. À
en croire les résultats, le fait
d'être une "base de sécurité"
serait I fois plus associé à un
mode d'attachement .sécure "
que le fait d'être sensible. Un
signe qu'il pourrait être temps
d'amender notre représentation
de la bonne parentalité, afin de
constituer une "base de sécu- par des comportements sécu- donner plus de poids à un
rité» pout I'enfant, c'est-à-dire risants tels que bercer ou parler modèle moins interventionniste
à adopter une attitude rassu- avec douceur. De même, ce vis-à-vis de I'enfant mais aussi
rante. Ainsi, face aux pleurs de modèle peut se traduire par le moins exigeant pour les
I'enfant, alors que le modèle de . fait de laisser I'enfant explorer parents... r
la sensibilité valorise une inter- son environnement, tout en lui BÉlrnrce Klmuenen
vention parentale immédiate au montrant qu'on est présent s'il
Woodhouse S. S. et coll, Secure Base
premier gémissement, celui de en a besoin. Pour montrer la
Provision: A New Approach to
la *base de sécurité" se foca- pertinence de leur modèle, les
Examining Links Between Maternal
lise sur la capacité du parent à chercheuses ont étudié 83 Caregiving and lnfant Attachment, Chld
obtenir I'apaisement complet dyades mère-nourrisson. Development, 2019.

Ouand I'origine sociale pèse sur la motivation

p éussir au collège, ce n'est
I \pas seulement savoir lire,
écrire et compter, mais aussi
aimer apprendre et avoir
confiance en soi. Une étude du
ministère de l'Éducation natio-
nale se penche sur l'évolution
des compétences socio-émo-
tionnelles, dites u conatives ,,
des collégiens, de leur arrivée
sociale ne joue aucun rôle. Les
écarts s'observent plutôt entre
les garçons et filles, ces der-
nières se montrant sensible-
ment plus motivées par I'intérêt
intrinsèque des apprentis-
sages. Toutefois, cette donnée
initiale va se modifier progressi-
vement et laisser apparaître des
inégalités. Ainsi, entre la sixième
pos d'autres compétences,
comme l'anxiété ou le sentiment
d'eff icacité scolaire, qui désigne
la confiance des élèves dans
leur capacité à réussir scolaire-
ment. En revanche, I'inégalité
s'inverse lorsqu'il s'agit du sen-
timent d'efficacité sociale, qui
concerne plutôt leur confiance
dans leur aptitude à se faire des
social en troisième qu'en
sixième. Leur indice progresse
de près de O,1 point alors que
celui des enfants de parents
diplômés de l'enseignement
supérieur diminue".t
Tnomrs Le Guenrrc
Tristan Augereau et Linda Ben-Ali,
.La motivation et le sentiment

en sixième à leur départ en troi-
sième. La première compé-
tence étudiée est la motivation
à apprendre. Au moment de
I'arrivée au collège, I'origine
et la troisième, la motivation de
tous les collégiens s'érode,
mais plus fortement pour ceux
issus de milieux défavorisés. Ce
clivage s'observe aussi à pro-
amis et à s'affirmer. Les auteurs
du rapport notent que "/es
élèves dont le responsable de
famille n'aaucun diplôme déve-
loppent davantage leur réseau
d'efficacité ijes élèves baissent de façon
socialement différenciée au cours du
collège,, Note dlnformation de la
Direction de l'évaluation, de la
prospective et de la performance,mars
2019, n'l9.

t2 Août-septembre2019
N'317
A quoi on servit vos études ?
450/oliiËi:ï:::
considèrent que leurs études
les aident fréquemment dans
leur travail, révèle une étude de
I'lnsee. Ce sentiment varie
selon le nombre d'années
d'études. " De même que les
chances d'accès à l'emploi, le
sentiment d'utilité des études
est globalement croissant avec
le niveau de diplôme
remarque I'institut de statis-
tiques. Ainsi, seuls 14o/o de
ceux qui ont au plus le brevet
des collèges jugent leurs
études très utiles pour leur
emploi contre 570/o des diplô-
més du supérieur. Le type de
filière joue également un rôle
important. Au sein des jeunes
ayant arrêté leurs études au bac
ou avant, les filières profession-
nelles semblent avoir été plus
utiles : 1 9 o/o des jeunes en bac
général jugent les connais-
sances qu'ils ont acquises
indispensables pour leur travail,
", un taux qui monte à 230/o pour
les lauréats d'un bac technolo-
gique et à 41 o/o pour les titu-
laires d'un CAP ou BEP. La
distinction selon les filières se
retrouve dans I'enseignement
supérieur: 920/o des diplômés
d'une filière paramédicale ou
sociale jugent très utiles leurs
études, contre 67 o/o des
anciens élèves d'école d'ingé-
nieurs et seulement 520/o des
titulaires d'un masteren lettres,
sciences humaines, droit ou
gestion. Enfin, ce ressenti est
aussi lié au niveau de qualifica-
tion de I'emploi actuellement
occupé : 46o/o de ceux qui
pensent que leurs études ne les
aident pas du tout occupent
des emplois non qualifiés
contre à peine 2olo chez ceux
occupant une fonction de
cadre. Le niveau de salaire a
également un impact. A
diplôme égal, ceux qui consi-
dèrent leurs études comme
salutaires dans leur job ont, en
moyenner un salaire supérieur
deTo/o au salaire médian. Et ils
sont deux fois moins à vouloir
changer d'emploi que les
jeunes considérant leur cursus
comme inutile dans leur par-
cours professionnel. r
Flonrre GrlÉnor
Tiaray Razafindranovona, . 450/o des
jeunes en emploi considèrent que leurs
études les aident beaucoup dans leur
travail,, lnsee focus, 201 9, n"1 53.

Au travers de cet ouvrage,

'lhierry Ripoll tente de donner
au plus grand nombre les outils De I'esprit
pour comprendre les boulever-
sements philosophiques qu in- Mieux comprendre au cerveau
duit l'émergence des sciences de
l'esprit, et le passionnant débat les liens entre
contemporain qui en découle.
notre cerYeau
et nos actions
I-lauteur est Professeur de psychologie
ÉdH'
cognitive à l'Université d'Aix-Marseille
et membre du Laboratoire de Psvcho-
logie Cognitive. ISBN : 978-2-36106-505-8
Collection Essai - 336 pages - 20 €

lrn librairic ou sur comnraude :

editions. scienceshumaines. com En librairie

ScrrNces
}IUMÀNEs ou par téléphone ar.r 03 86 72 07 00

13
PSYCHOLOGIE

Une nouvelle cartographie du cerveau

fordons d'abord le coup à
I une idee reÇue: non,
n'existe pas des personnalités
différentes liées à I'utilisation du
«cerveau droit,, soi-disant
créatif, ou du « cerveau
gauche,, siège de la raison. En
revanche, nos activités men-
tales sont bel et bien réparties
à différents endroits de nos
hémisphères cérébraux. Une
équipe de recherche franco-
italienne vient de réussir à car-
tographier les endroits précis
où se trouvent certaines de ces
activités. La communication
symbolique, c'est-à-dire le lan-
gage, les mathématiques, ou
encore le solfège, utilise plus
I'hémisphère gauche, tandis
que les prises de décision, la
il perception et I'action, ainsi que
les émotions, se retrouvent plu-
tôt dans l'hémisphère droit.
Les scientifiques ont pour cela
mené une méta-analyse qui
croise les clichés d'imagerie
cérébrale de 163 personnes,
un atlas des structures du cer-
veau et plus de 11 000 articles
portant sur les activations fonc-
tionnelles de celui-ci. "Cette
base de données, en plus
d'être importanfe, esf vraiment
originale, réagit Hervé Platel,
chercheur en neuropsycholo-
gie et neuroimagerie à I'Univer-
sité Caen-Normandie. Les
résultats sont intéressants,
notamment parce qu'ils
montrent que plus une fonction
cognitive est latéralisée d'un
point de vue cérébral, moins la
connectivité [avec d'autres
zonesl seraforte."
Autrement dit, le cerveau répar-
tit les différentes fonctions
dans des régions bien précises
qui assureront elles-mêmes le
traitement de I'information,
sans avoir besoin d'établir de
liens avec I'autre hémisphère.
*La question est: pourquoi la
nature a-t-elle privilégié cette
organisation ? commente
Hervé Platel. La réponse clas-
sique esf qu'au cours de l'évo-
lution, alors que le cerveau
devenait de plus en plus impo-
sanf, /es activités exigeantes,
comme le langage, ont été laté-
ralisées afin de les rendre
redoutable me nt ef f i c aces. Ce
qui ne veut pas dire qu'il ne se
passe rien dans l'autre hémis-
phère." Mais cette construc-
tion ne présente pas que des
avantages: les auteurs de
l'étude soulignent qu'en cas de
lésion cérébrale, une fonction
perdue sera difficile à rétablir
précisément en raison de la
faible connectivité entre les
deux hémisphères. I
Mvntril Demuv
Architecture
V. P. Karolis et coll. The
of Functional Lateralisation and its
Relationship to Callosal Connectivity
in the Human Btain, Nature
comm u nications, 29 mars 201 9.

Le compâs, Ie cheveu et le neurologue

les mécanismes de la sensation et de l'acuité tactiles, en
apposant par exemple des pointes de compas sur la peau.
-1 Peu à peu, les recherches s'affinent et les physiologistes
demandent aux industriels de fabriquer des appareils ad
--\ \_
hoc, les uesthésiomètres,. Le plus surprenant est celui
conçu par Maximilian von Frey à la fin du 19" siècle. Le
.}*h
savant a l'idée d'étudier la sensation produite par un simple
*.lrrcg rl cheveu ! Encore faut-il procéder scientifiquement: von Frey
fait donc construire un mécanisme permettant de mesurer
/È précisément la pression avec laquelle il est déposé. Le
savant parvient ainsi à " déterminer le seutT nécessa ire pour

I
d
z
o Test de sensrbilité tactile produire la sensation du toucher ou de la douleur",lorsque
É dit du "cheveu de von le cheveu est en contact avec la cornée ou la pulpe des
-**s#' Frey". 7s strisl doit dire
: s'il ressent la pressrbn doigts. La machine est si ingénieuse qu'elle est encore
du filament sur sa peau. utilisée de nos jours en neurologie, sous le nom de
"cheveux de von Frey",1 Pruure Perrt
I I n simole cheveu et le monde se transforme. .. Au cours
lJ o, 191 siècle, les processus mentaux font l'objet de Serge Nicolas et Dalibor Voboiil. Weber's Compass and Aesthesiometers: History
nombreuses recherches physiologiques. Empruntant of the Technical Evolution of Devices for Tactile Discriminalion, L'Année

autour d'eux les outils du quotidien, les savants explorent psychologique,20'l 9, vol. 1 1 9, n" 1.

14 ScrercEs HuunrHes 20le

I *:Tl;.o""rbre

I
 ScrtrcEs HUMAINES
LANGAGE ABONNEZ-VOUS

La diversité linguistique
fruit d'un bon climat Choisissez votre formu le
ffiffiffi
Pourquoi parlons-nous plusieurs langues? Lorsque des Âüüt{hlËMËt\tï AN Simple
groupes humains se séparent, ils cessent d'échanger entre
Entourez le tarif choisi ,,:.:,T*ql::,-
eux et leurs façons de parler divergent peu à peu iusqu'à PARTIfULIËR FRANCE 48', 65
donner naissance à différents idiomes. Le fait d'être éloignés ËTUDIANT FRANCE
41 55
ou séparés par une frontière dite naturelle -montagne, NSNTUTION TT PAYS ffRANGEFII
àr5dâtrs. bibliothèquè}. 58 82
océan. .. - pourrait donc apparaître comme un facteur clé de {ëntreprise, adfrjni§tracm,

PAR AVION ajouter : 7 € pour un abonnement simple - 10 € Pour un complet

ces divisions. Mais cette idée reçue est inexacte, selon une
étude statistique et cartographique sur la répartition des 2 numéros hors-série/an

langues à travers le monde: leur diversité dépendrait plutôt oproN HoRS-sÉR

du climat. Lorsque celui-ci est idéal pour se nourrir -propice
à la croissance des végétaux, pas trop imprévisible, etc.-,
les humains ont tendance à se sédentariser en petits
:-ï;:Y',::J : mffi
groupes autonomes qui communiquent moins les uns avec Cochez les cases correspondantes:

les autres. lls développent de ce fait différentes langues, OUl, je m'abonne à Sciences Humaines au prix de €
OUl, j'ajoute l'option Hors-Série au prix de €
même lorsquhucun obstacle physique ne les sépare. En
OUl, je choisis l'acheminement par avion au prix de- €
revanche, lorsque le climat est plus incertain, ne facilite pas
la production de ressources, qu'il devient difficile de
Je règle ouiourd'hui lq somme de - €
Par chèque (bancaire ou postal) à l'ordre de Sciences Humaines
subvenir à ses besoins, Ies populations sont plus mobiles, Par Carte bancaire
-
sbrganisent entre elles et finissent par utiliser une même Expire le Date et signature obligatoires :

langue. François Pellegrino, directeur de recherche en

Cryptogramme
(3 derniers chlffres CB)
-
sciences du langage au CNRS (laboratoire DDL, Lyon)
Mes coordonnées:
souligne l'intérêt de l'étude: «On sait depuis longtemps que Nom Prénom
la diversite linguistigue est plus grande là oit la biodiversité Société

est importante, comme au niveau de l'équateur. Mais il était Adresse

difficile de dire si cela traduisait un lien de cause à effet -un

envi ronnement foisonnant favoriserait la prolifération de
langues par exemple- ou une simple corrélation.o L'étude
penche pour la seconde option: biodiversité et diversité des
langues seraient deux effets d'une même cause climatique.
pas tout, nuance F. Pellegrino,
"Toutefois, celle-ci n'explique
d'autres facteurs -culturels et sociaux notamment- entrent
aussien compte.» I Abonnez-vous par téléphone au 03 86 7207
FaErer TnÉcounr
Xia Hua êtcotl.,The Ecological Drivers of Variation in Global Language
Diversity, rvature Communicaüons 10, 2019.
CP Ville
Pays
Courriel
Profession/Cycle et filière (pour les étudiants)
À compléter et à retourner avec votre rèSlement
dans une enveloppe NON AFFRANCHIE à l'adresse:
Scienres Humaines - Libre Réponse 50 546 - 89 019 Auxerre Cedex
OO- Code 317
En letournanl ce formulake, vous acceplez que Sc,ences lrumain6 tesponsable de trallement, ulilise
vos données personnelles pour les besolns de votle commande, de la relalion Cllent e, d'actlons
markerlnp sur ses orodulls el servlces. Pour connaître les modalitês de lraltemenl de vos donnée§ alnsi
que les-droils doit vous dlsposez (âccès, rectlfrcallon, effacemenl, oPposltlon, porfabillté, llmitatlon
des lrallemeôls, sorl des données après décès), consullez nolre pohlique de confldenllalllé à lâdresse
httosy'/M.sclenceshumalnes.com/pôlltlgue-conffdenliâllte ou écrlvez à noke Délégué à la prolecllon des
donôées à sci€nces Humâlnei BP 256 - 89OO4 Auxere Cedex ou lhgQslelrcsbu!3hesÉ

Août-septembre 2019 ! Screrces Huualtes 15

N'317 I

I
IMAGE DU MOIS
Le continent perdu
de la photographie indienne
Depuis quelques années, I'anthropologue Zoé Headley
est partie sur les traces des anciens studios photos indiens.
Ces lieux autrefois omniprésents ont archivé durant un siècle
et demi la vie quotidienne.
,n\ue les iours de congés
L]sont longs, lorsqu'on est
anthropologue et qu'on travaille
dans une campagne isolée
Voilà pourquoi Zoé Headley,
spécialiste des castes du sud
de I'lnde, décide un dimanche
d'aller flâner dans un marché
d'occasion à Madurai, la capi-
tale du Tamil Nadu. C'est alors
qu'elle tombe sur de vieux cli-
chés photographiques traînant
dans la poussière: jetés au pied
des étals, ils lui sont cédés pour
16 Ssences Humlesl
i:Ëi;"l"-ore
I
à photographie couleur, trop coû-
I teuse pour beaucoup de ces
2
quelques roupies. Dans un pays
ou I'art de la récup'est poussée
à son paroxysme, la vraie valeur
! marchande réside bien plutôt
dans la revente du bois et du
verre des cadres. C'est de cette
rencontre fortuite qu'est né un
magnifique projet de collecte et
d'enquête sur la photographie
indienne. Car intriguée par ces
clichés, Zoé Headley découvre
que rien, ou presque, n'a jamais
été écrit dans le domaine. Les
seuls travaux existant sont
20re
consacrés à la photographie
coloniale ou aux clichés appar-
tenant à la famille royale. Pour-
tant I'lnde s'est ouverte préco-
cement à la photographie: dès
les années 1840, les premiers
appareils à daguerréotypes
sont débarqués sur les quais de
Madras, Calcutta ou Bombay.
Les lndiens s'en emparent rapi-
dement. Bientôt toutes les villes
indiennes ont leur studio photo.
Le métier, appris sur le tas, se
transmet de père en fils ou
d'oncle en neveu -cinq généra-
tions se sont parfois succédé
dans le même atelier.
Pour I'immense majorité de la
population, le studio photo est
le seul accès à la photographie
.jusqu'à ce que I'arrivée de la
petites structures, puis le numé-
rique, conduisent dans les
années 1980 à la fermeture de
la plupart des studios. Se faire
photographier -souvent à I'ex-
térieur devant une toile peinte-
est un rituel pratiqué pour faire
faire des documents d'identité
autant que dans les grandes
occasions comme le mariage
ou les cérémonies de puberté.
Et les portraits sont I'occasion
pour les photographes, brico-
leurs et inventifs, de faire des
expériences esthétiques :
retouches peintes, flous ou
surimpressions transformant à
qui mieux mieux les tirages. Les
défunts eux-mêmes sont
immortalisés : photographiés
dans la position traditionnelle
assise ou I'on place les corps,
un travail de retouche permet de
leur redonner un regard vivant.
Les praticiens des studios
couvrent aussi les événements
sportifs ou touristiques pour la
presse, et documentent les
scènes de crime pour la police.
Aujourd'hui, les derniers studios
ferment leurs portes. Les arti-
sans vieillissent, leurs clichés
disparaissent. Zoé Headley et
son équipe multiplient les tra-
vaux pour préserver cette his-
toire et mieux la comprendre:
pourquoi la photographie n'est-
elle pratiquées ni par les musul-
mans, ni par les intouchables, ni
par les brahmanes? Ouel rap-
port à soi expriment ces clichés
posés, à l'heure où les Euro-
péens privilégient la photo de
famille nsur le vif,? Ouels sont
les circuits économiques,
depuis I'importation des appa-
reils jusqu'à la revente des sels
d'argent des négatifs?
Après la redécouverte toni-
truante de la photographie afri-
caine, il est temps de sauvegar-
der ce patrimoine, témoignage
exceptionnel d'un siècle et demi
de vie en lnde. r
HÉLÈNE FRoUARD
ZoéHædley
"Archive latente et bribes d'histoire :
les studios photos dans le sud de l'lnde
(1 880-1 980),, séminaire
d'anthropologie politique de la
mémoire, École des hautes études en
sciences sociales, 19 avril 201 9.
SOCIOLOG]E

Les chiens plus gâtés que les chats

Âuand on aime. on ne
\Jcorpt" pas ! Colleen Kirk,
chercheuse américaine en
management, a montré que les
amoureux des chiens sont
prêts à dépenser plus pour leur
animal que ceux qui ont choisi
d'avoir un chat. Une différence
qu'on retrouve même au sein
des foyers où sont présentes
les deux espèces. Ainsi, les
chiens sont amenés plus sou-
vent chez le vétérinaire que les
chats, sans que cette diffé-
rence de traitement n'ait de
justification médicale. D'ail-
leurs, 800/o des propriétaires
de chiens contre 690/o des
propriétaires de chats interro-
gés déclarent qu'ils " paieraient
n'importe quel prix pour garder
leur animal en bonne santé".
Pourquoi ? Selon Colleen Kirk,
plusieurs facteurs expliquent
ces divergences dans la valeur
économique qu'accordent les
propriétaires à leur compagnon
à quatre pattes. D'abord, plus
un individu a le sentiment de
"contrôler" son animal, plus il
s'en sent responsable et enclin
à lui offrir des soins et des pro-
duits personnalisés. Or le sen-
timent d'être . maître , est
davantage présent chez les
propriélaires de chiens que
chez les propriétaires de chats
-tout le monde le sait, les
chiens obéissent, alors que les
chats se font servir... Le félin
n'est-il
qu'un
attrape-souris
qui ne mérite pas
nos sous? Les pro-
priétaires de chats
sont en tout cas plus
nombreux à douter de I'amour
que leur porte leur animal de
compagnie. Or les liens affec-
tifs sont également importants
dans le choix du budget qui
sera alloué au chien ou au chat.
Mais c'est surtout le sentiment
d'avoir personnellement
uformé, son animal domes-
4
rU
atexelim,zAdobe eSt détermi-
nant: I'envie de
dépenser plus pour le chien
disparaît lorsque celui-ci est
dressé par quelqu'un d'autre. I
Pluuxe Peflr
Colleen P. Kirk, Dogs Have Masters,
Cats Have Staff: Consumers'
Psychological Ownership and their
Economic Valualion of Pets,
Journal of Business Research, vol. 99,
n"306-318,2019.

Ouand la ptzza remplace le potager

âausse globale de l'lMC (indice de masse corporelle) sur
la période est due à une augmentation de cet indicateur
dans /es zones rurales», o§servent les auteurs, Dans les

"ffi
pays à faibles revenus, à I'exception de I'Afrique
subsaharienne, 800/o de la progression de l'lMC est
observée à la campagne. Alors que traditionnellement,
les ruraux mangeaient davantage de produits de leur
potager, les scientifiques observenl une "urbanisation
de la vie rurale" avec une consommation banalisée des
produits ultratransformés, moins d'exsrcice physique du
fait de la mécanisation et de la disparition des emplois
agricoles. Dans les pays industrialisés, la campagne se
prête
"morns à la marche à pied et offre un accès plus
restreint aux infrastructures sportives et de 19151i5» qui
f f ivre à la campagne n'est pas un rempart contre
favorisent la dépense énergétique. r
lf t'ouetite, bien au contraire. Une équipe de Flontxe GrlÉnot
chercheurs est arrivée à cette conclusion après avoir
analysé plus de 2000 études parues entre 1985 el2017. NCD Risk Factor Collaboration, nRising rural body-mass index is the main
plus de 55% de la driver of the global obesity epidemic in adults,, Nafure (letter), 8 mai 2019.
"Contrairement à l'idée dominante,

Août-septembre 201{ Sctetces Hurrtltres l7

N.3r7 I

I
-E
PH]LOSOPHIE

A Philosophia, l'histoire en questions

Le festival Philosophia s'est déroulé
du 22 au 26 mai à Saint-Émilion, en Gironde,
sur le thème de I'histoire.
Batade historique lors du festival Philosophia, Saint-É,milion, 2019.
À qroi sert I'histoire? Quelle
Apt"ce pour le récit indivi-
duel dans la mémoire collec-
tive? Ces questions ont animé
les débats du festival Philoso-
phia, au cceur des vignobles
de Gironde, du 22 au 26 mai.
Créé en 2007 dans le cadre du
premier festival européen de
philosophie, Philosophia a pour
ambition de populariser la disci-
pline dans une ambiance festive,
portée par une équipe de béné-
voles fidèles et enthousiastes.
Cette treizième édition a attiré
5000 personnes. Un très bon
cru rassemblant connaisseurs
comme simples curieux autour
du thème de I'histoire.
Après une introduction à Harambat, s'appuyant sur des
Libourne les 22 et 23 mai, le
vendredi 24 mai était consa-
cré à la jeunesse, spécificité
du festival. Le village médiéval
de Saint-Émilion a accueilli des
jeux et des discussions pour
initier à la pensée critique dès
le plus jeune âge. Une journée
animée par des philosophes,
dont Sophie Geoffrion, Jean-
Paul Mongin, fondateur des
éditions Les petits Platons, ou
encore Mazarine Pingeot.
Mais c'est le week-end que
le festival a battu son plein.
Samedi matin, le public assis-
tait à une conférence rafraî-
chissante sur la BD historique.
L'auteur et dessinateur Jean
croquis réalisés en direct, a tive. C'est le cas en HaiTi où
expliqué, devant un auditorat
captivé, comment la puissance
du mythe pouvait être abor-
dée par I'esquisse. Un thème
qu'il n'a eu cesse lui-même de
décliner, de son album Ulysse,
racontant le retour du héros
grec à lthaque, à Opération
Copperhead sur les espions
britanniques de la Seconde
Guerre mondiale, en passant
par Les lnvisibles, sur ces
Gascons qui se révoltent contre
la gabelle, en 1665. "Antigone
a raison mais Créon a aussi
ses raisons", assène-t-il, sou-
lignant I'ambigulté entre le bien
et le mal. Aussi mythique soit-il,
tout être humain reste limité par
rapport au contexte social ou à
la nature.
Balade philo
À SaintÉmilion, justement, la
nature a été objet de réflexion. À
travers une balade philo, s'arrê-
tant sous un arbre ou contem-
plant les vignes, les participants
ont pu lire ou relire les textes
de Montaigne, en compagnie
de I'historienne Anne-Marie
Cocula, le samedi après-midi.
Le dimanche, cette déambu-
lation s'est faite autour des
textes de Montesquieu sur le
climat, la philosophe Catherine
Larrère rappelant I'importance
des relations que nous entre-
tenons avec notre milieu ter-
restre. Lorsque la nature cause
des événements dramatiques
à grande échelle, la croyance
en une malédiction s'installe
parfois dans la psyché collec-
le séisme de 2010, suivi d'un
ouragan et d'une épidémie de
choléra, sont venus accabler
un peuple déjà meurtri. ll y a
alors "une forme de consola-
tion dans la malédiction», pout
reprendre les mots de Didier
Le Bret, ancien ambassadeur
en Haiti.
Enfin les intervenants se sont
demandés quel était le temps
de l'histoire ? fhistorienne
Marie-Françoise Baslez et le
philosophe Jean-François Petit
ont raconté, le samedi, dans
le cloître de l'église, la rup-
ture provoquée par le sac de
Rome par les Wisigoths, en
41 0 : Saint-Augustin, rompant
avec le temps cyclique de la
philosophie antique, pensait un
temps orienté vers le royaume
de Dieu; un temps subjectif,
mais qui ne doit pas dissuader
I'action humaine. Changeant
d'échelle, les astrophysiciens
Jean Audouze et Michel Cassé
sont remontés 13,7 milliards
d'années en arrière, durée ver-
tigineuse qui nous ramène à
* I'inStant zéro »,
moment Sup-
posé de la naissance de I'uni-
vers. " Le problème des origines
nous interroge tous", a rappelé
la biologiste Marie-Christine
Maurel.
Au final, ces trois jours per-
mirent de constater à quel point
la philosophie, discipline trans-
versale par excellence, continue
à passionner le public, pour peu
qu'elle soit présentée de façon
accessible et amusante. r
Marrxreu Srntcor

l8 Sqelces Huunrnes 20Ie

| î""j,1""0,"-Ore

I
Métaphysique du chevalier noir
À. lé en 1939 sous la olume
l\0"" américains Bob Kane
et Bill Finger, Batman a fêté
ses 80 ans cette année. Com-
ment expliquer une telle longé-
vité ? Pour le philosophe
Emmanuel Pasquier, les super-
héros "condensent un grand
nombre de figures mytholo'
giques tout en opérant des
jeux de distinction les uns par
rapport aux autres". Dans ce
panthéon, la figure paradigma-
tique de Superman serait un
dieu solaire venu aider les
hommes, à I'image d'Achille
dans L'lliade et I'Odyssée
d'Homère - la kryptonite fai-
sant office de talon... El " Bat-
man en est un parfait contre-
point: nocturne, torturé,
fondant sur /es criminels
comme sur des proies., En
à bien des égards I'homme
"aux mille (polutropos
1euys,"
en grec) de la Grèce antique,
incarné par Ulysse dans l'épo-
pée homérique. Batman, ses
gadgets et son sens affûté de
I'investigation sont à I'image
I duels fratricides avec Super-
lË
IP
IP
l§
nocturne du cheval de Troie.
Celui qui s'en tire toujours
grâce à ses sfratagèmes ou
son ingéniosité technolo-
gique", relève E. Pasquier.
Dans un même esprit, Batman
est I'un des rares héros n'ayant
man font écho à cette victoire
de I'humanité que symbolise le
geste d'Ulysse: le héros est en
effet aussi celui qui - par
opposition à Achille- refuse
I'immortalité sur l'île de Circé,
renonçant par là à devenir
l'égal d'un dieu. Pour autant,
"Batman renvoie davantage à
un imaginaire chrétien et
gothique, tempère E. Pasquier.
ll est comme les gargouilles,
ces démons qui inspirent la
crainte bien qu'ils aient voca'
tion à protéger les cathé-
drales. " Sa lutte contre le
crime est elle aussi ambiguë,
toujours à mi chemin entre
vengeance personnelle - ses
parents ayant été assassinés-
et sens de la justice. r
FaErer TnÉcounr

outre, le chevalier noir évoque d'Ulysse, "héros de la ruse aucun pouvoir surhumain; ses

Socrate in love
I e maître de Platon tenait-il son amour de la sagesse
La'rn" femme restée dans I'ombre? C'est I'hypothèse
défendue par Armand d'Angour, professeur de lettres
classiques à Harvard. Dans fe Banquet, en effet,
Socrate évoque une femme qu'il aurait connue dans sa
jeunesse et qui I'aurait
"instruit des câoses concernant
l'amour,,tant sur un plan érotique que politique ou
philosophique. Cette muse est un personnage fictif
nommé Diotime dans le dialogue, mais elle renverrait
en fait à Aspasie de Milet. Cette contemporaine de
Socrate était une étrangère installée à Athènes,
devenue la compagne de I'homme d'État Périclès, et
une femme d'une grande renommée. Connue pour son
érudition, ses talents d'oratrice et son influence
politique - des qualités rarement reconnues aux
femmes de l'époque-, elle aurait fréquenté Socrate
lorsqu'ils avaient tous deux une vingtaine d'années,
devenant même son interlocutrice privilégiée, Pour A.
dAngour, leurs échanges auraient largement inspiré les
réflexions du philosophe sur I'amour, la beauté ou
encore la sagesse. Cette interprétation n'est pas inédite
contrairement à ce que suggère l'ouvrage. Mais elle est
ici soutenue par un travail de reconstitution historique
important, précis et détaillé, construit de façon
convaincante à partir de rares indices. Reste que sur
des périodes aussi reculées que le 5" siècle av. J. C., il
est difficile d'avoir la moindre certitude. Et qu'4.
dlngour se contente tout au plus de suggérer que
Socrate et Aspasie auraient filé le parfait amour dans le
dos de Périclès. I F.T.
DAngour A., Socrate in Love: The Making oî a Philosopher, Bloomsbury 2019"
 Ce que disent les odeurs
" ll est puant, je ne peux pas le sentir !, Pourquoi associe-t-on
certaines valeurs morales à des odeurs ? La sociologue
Brigitte Munier répond en plongeant dans I'histoire longue.

Pourquoi travailler sur
l'odeur?
L'odorat est un sens mineur,
qui fut longtemps méprisé
dans la culture occidentale
contrairement à I'ouïe ou la
vue, très valorisées. Pour-
tant, il recèle une richesse
réelle et symbolique extraor-
dinaire. Pensez à toutes les
métaphores qu'on utilise:
à I'image repoussante d'un
mufle humant de diffuses
exhalaisons, on oppose par
exemple le flair du détective !
parce qu'ils se nourrissent de
viandes, c'est-à-dire de chairs
mortes, qui conditionnent leur
vie physiologique en la pla-
çant sous le signe de la cor-
ruption et de la mort: I'huma-
nité se définit par le ventre et
la puanteur. Les dieux, eux, ali-
mentent leurs beaux corps de
substances impondérables et
parf umées (ambroisie, nectar,
fumées aromatiques) aussi ne
sont-ils pas humiliés par la
digestion et, bien odorants,
ne meurent pas. La puanteur
par métaphore: nous recou-
rons à la pestilence pour
désigner notre rejet comme
en témoigne par exemple
le vocabulaire de la haine
raciste qui proclame toujours
la puanteur de l'étranger, de
l'ennemi supposé. L'argument
de I'odeur est péremptoire.
On comprend alors mieux le
lien entre odeur et morale:
la saleté de celui qui impose
les relents de ses rancis-
sures glisse souvent du sens
« propre, au figuré, ce qu'on

L'odorat est à la fois spirituel
et charnel : c'est le lieu oùr
ces deux dimensions de la
vie se marient le plus intime-
ment. Lorsque nous sommes
confrontés à une odeur insup-
portable ou à un délice olfac-
tif, nous le traduisons immé-
diatement en leur donnant
une signification qui dépasse
la sensorialité et touche au
jugement moral. La puanteur
est associée à la saleté, la
maladie, I'impureté et l'immo-
ralité; le parfum, à ses exacts
contraires.
D'où vient ce lien entre
odeur et morale ?
ll remonte aux mythologies
les plus anciennes. Selon
le mythe grec de Promé-
thée, les hommes empestent
est attachée à la mortalité et,
par extension, à tout ce qui est
sale et pourrit, phénomènes
organiques ou faits moraux ;
à I'inverse, le parfum est lié à
la lumière et à la pureté, phy-
sique et morale.
Ce symbolisme perdure
aujourd'hui. L'ami embaume
et, pour les amants, I'exquise
fragrance de l'être aimé révèle
le parfum de son âme. La
publicité joue d'ailleurs de ce
registre, faisant appel pour
vendre les parfums à des
notions comme la beauté,
la pureté, l'immortalité. Au
contraire, inhaler une mau-
vaise odeur donne le senti-
ment de se laisser contaminer
par de la saleté pénétrant en
soi et cette expérience banale
est si forte que nous en usons
retrouve aussi dans I'idée de
I'infamante odeur du pauvre.
C'est ce qui fait de la
mauvaise odeur un motif
d'exclusion ?
Au 19" siècle, I'argument
olfactif contribua de plus en
plus à la fracture sociale... À
Paris, notamment, le baron
Haussmann créa des avenues
aérées, pourvues d'égouts et
bordées d'immeubles dont
les appartements spacieux
disposaient de cabinets de
toilette ou les riches appre-
naient à jouir de leur intimité
parfumée. Mais demeuraient
les quartiers pauvres où s'en-
tassaient les misérables dans
une promiscuité et une saleté
rebelles, faute d'accès aisé à
l'eau. Crasse et puanteur font
si bon ménage avec la mala-
die que les pauvres passèrent
pour compromettre délibé-
rément la santé des riches.
Aujourd'hui encore, le SDF
sollicite des subsides pour
manger, dormir en sécurité...
et rester propre, une condi-
tion indispensable pour être
accepté. Oui, la puanteur
nous angoisse autant qu'elle
nous incommode tant elle
nous rappelle notre condition
de mortel dont le corps se
corrompra. I
Pnopos REcuErLLrs PAR
GlÉure Porssornren

20 Screuces Humrnes 20Ie

| f:fi;"r,"*ore

I
 ARCHEOLOG]E
,

§apien§ fu1rg+t
lHrMArNEsl

a un nouveau cousin
Ouelques os de pied et de main, quelques dents, le
fémur d'un enfant. .. Au nord de Luçon, dans l'archipel
des Philippines, les fouilles de la grotte de Callao ont
(C Là où la vie emmure,
livré les restes fossiles d'au moins trois individus qui
ne rentrent pas dans les cases des différentes
f intelligence Perce
espèces humaines connues iusqu'à présent. Une
découverte qui amène à proposer une nouvelle
une issue 1927
Marcel Proust' Le tenps retrouvé'
branche, I'Homo luzonensis, à l'arbre de plus en plus
buissonnant du genre humain ...
Les caractéristiques de ces restes, datés de 50000 à
60000 ans sont originales. Les prémolaires, avec trois
racines, apparaissent primitives, comme celles des
Australopithèques qui vécurent il y a plus de deux
fr-o-rveauté
millions d'années. En revanche, les molaires, toutes
Bruno Poissonnier
petites, sont très modernes par leur aspect et leur
Patrick Rigolet
taille. Quant aux phalanges de pied, elles sont très
courbées avec des insertions marquées, signes que
ces humains grimpaient aux arbres. Pourtant, la
bipédie est déià en place dans I'espèce humaine
depuis au moins trois millions d'annéestComment
expliquer ce mélange étonnant?
À léchelle du temps humain, I'archipel des Philippines
a toujours été un espace insulaire, accessible
uniquement par la mer. Or des outils de pierre et des
os portant des traces de boucherie, trouvés sur un site
SORTIR
Des lumières en prison
voisin, attestent d'une présence humaine depuis
environ 700000 ans. U hypothèse la plus plausible est
que des Homo erectus venus du continent se seraient
installés sur l'île de Luçon, et auraient ensuite connu
un développement spécifique en raison de I'isolement
insulaire. Une hypothèse déià attestée dans l'île
voisine de Florès, où la petite taille de la population
s'expliquerait par l'isolement. Dans tous les cas, il
faudra bien accepter qu'Homo saprbns ne fut pas le
seul à avoir le pied marin, et qu'il y a 50000 ans, au ISBN: 978-2-3é1065414 / 224 poges- l5 €

moins, quatre autres espèces humaines

baguenaudaient de par le monde. r
Vrrcerr Cepoepuv
editions. scienceshumoines.com
. .-.. ,:, ' , 03 86720700
Florent Détroit et coll. "/4 new spec ies of Homo ûrcm the Late
t ,,.t:>- ..ç:., 72 r +r i.t"-e r.a,taO)|j:,..L-
Pleistocene of the Philippine ", Nature, 201 9.

Août-septembre 2019 Sqelces HuuarNEs 2l

n'317

t
Co,,,prendre
De Blanche Neige à BlackPanther
LasagaDisney
Le monde, les attentes et les sensibilités ont profondément changé depuis la sortie de
Blanche Nerge au cinéma (f 937) Pourtant, Disney résiste. Mieux, ses films triomphent
dans le monde entier. Quelle est la potion de l'empire aux grandes oreilles?
ibérée, délivrée... Si vous avez
un enfant de plus de 3 ans,
avouez que vous n'en pouvez
plus d'entendre cette ritour-
nelle. La Reine des Neiges a été pour
Disneyun succès mondial. Finie l'ère des
princes charmants, désormais c'est la
tendresse et la solidarité indéfectibles
entre sæurs qui incarne le vrai, le pur
amour.
Les métamorphoses de Ia firme aux
grandes oreilles, sa formidable capacité
dhdaptation auxmutations du monde, sa
force pour conserver l'adhésion du plus
grand nombre - alors que l'humanité
d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec
celle qui existait lors de sa création en
1923 aux États-Unis -, ont quelque chose
de sidérant. Depuis 1937, date de la sortie
de Blanche Nelge, premier film d'anima-
tion de la firme, Disney a accompagné la
mondialisation, en saisissant à la fois ses
ressorts et son évolution.
Elle a d'abord été le fidèle reflet et le
vecteur de la domination américaine,
imposant ses valeurs WASP (r) au monde
entier, avant de devenir un puissant
moteur de mutation des mentalités,
non seulement en donnant la parole aux
minorités discriminées, mais aussi en
accompagnant lémergence des peuples
hier dominés, à la faveur du bascule-
ment des hiérarchies mondiales et du
déclin de lAmérique, à l'image entachée
par le repli isolationniste trumpien.
22 Screxces Hur,unesl Août-septembre 2019
I N" srz
I
I
I
Svr.ue Bnutel
Géographe, auteure, professeure à Sorbonne
Université. Elle a notammenl publié La Planète
disneylandisée,Sciences Humaines, 2012.
Dernier ouvrage paru: Ioufes ces idées qui
nous gâchent la vre, Lattès, 2019.
Résultat: presque aussi puissant que les
GAFA avec sa capitalisation boursière
de 164 milliards de dollars, l'empire
Disney ne suscite pourtant pas, très loin
s'en faut, les mêmes haines. Disney a
su, en dépit des bouleversements et des
mutations du monde, rester une firme
de consensus, une firme aimée autant
par les enfants que par leurs parents,
reflet du capitalisme le plus achevé,
mais qui a su pourtant trouver une place
dans le cæur de l'humanité.
Simple opportunisme économique
Pas seulement. Les mutations de Disney
reflètent la marche du monde. Les 1600
imagineers (concepteurs) californiens
de la firme, souvent jeunes, branchés,
membres eux-mêmes de ces minorités
agissantes que sont Ies LGBT, com-
prennent parfaitement quels mes-
sages il faut délivrer aujourd'hui pour
être entendus et aimés du plus grand
nombre.
Émancipationféminine
Revenons aux fronts baptismaux. Quand
Walt Disneylance Blanche-Neige et les sept
nains,le2l décembre 1937 à Los Angeles,
transposant un conte européen des frères
Grimm en dessin animé ,il prend un
risque économique insensé. Le tout pre-
mier long-métrage animé de l'histoire du
cinéma a demandé plus de trois ans de
travail à cet inventeur génial de 34 ans
seulement, créateur de Mickey Mouse,
qui a déjà reçu deux Oscars à Holll.wood.
Pourle réaliser, il ahypothéqué samaison,
poussé à bout ses équipes. La facture a
explosé. Dans le théâtre du CarthayCircle,
Laurel et Hardy, Cary Grant Clark Gable,
Marlene Dietrich, mais aussi des réalisa-
teurs prestigieuxcomme George Cukor ou
ErnstLubitsch se sont déplacés...
Le film est un triomphe. Ilutilisation de Ia
caméra multiplane a permis de donner de
la profondeur de champ, montrant cette
capacité inventive des studios du grand
? Walt, qui fait déjà leur signature. Lutili-
sation de vrais comédiens transposés en
animation (comme on utilisera de vrais
animaux pour Bambi en 1942) donne
toute leur vérite aux personnages. Quant
à la sombre histoire de Grimm, elle a été
reüsitée pour insuffler du merveilleux et
unhappy end. La recette Disney est née.
Elle nh plus jamaisvarié.
Résumons-la. Au départ, un individu
soumis à un corset de normes. Il va les
enfreindre au prix dépreuves aussi ter-
ribles qu'effrayanteà pour pouvoir se réa-
liser. S'accomplir, révéler ce que nous
portons en nous de meilleur -grandir,
devenir adulte - suppose dâvoir le courage
de franchir les limites, de s'aventurer en
 Co-prendre

film, accusé de faire lhpologie de l'homo-

t
sexualité avec le personnage ambigu de
Gaston, et surtout de son fidèle compa-
gnon, est boycotté par lAmérique pro-
fonde. Mais Disney a bien d'autres cibles
à conquérir et ce n'est pas un hasard si
l'actrice Emma Watson, la Hermione
Granger géniale delasaga Harry Potter,
icône du féminisme militant engagée
dans l'humanitaire, joue le personnage de
Belle. Représentée en intellectuelle acti-
viste, Belle n'a cure du prétendu Prince
charmant. Comme Mulan la guerrière,
Vaiana, I'audacieuse princesse polyné-
sienne, Raiponce, Rebelle (où Mérida
refuse de se marier et surpasse ses pré-

I
:1 IJaspiration popote à se
{ marier a laissé place à la

I volonté d'accomplir son

destin en toute

l r\
tendants au
indépendance.
a
tir à l'arc), ou encore Elsa,
Belle estplusforte etplusintrépide que les
personnages masculins. Fini Ie ménage

Dans La Betle et la
I
Bête version 2017, Emma Watson incarne une héroihe intrépide
IË
de Blanche-Neige dans la chaumière
ô des sept nains, ou de Cendrillon chez la
méchante belle-mère ! Comme dans La
Belle au Bois dormant (1959), Anna dans
et indépendante. La Reine des Neiges tombe amoureuse
au premier regard, mais le prétendant
territoire inconnu, au-delà des frontières lui, ne cesse d'évoluer. La marque de s'avère machiavélique, donnant raison à
rassurantes de l'univers familier. Il faut fabrique de la toute première industrie un homme
sa sceur Elsa : « On n'épouse pas

transgresser l'interdit pour réussir sa
quête identitaire, mais cette audace, chez
Disney, est toujours ré compensée. Happy
end. Après avoir tremblé, Ie spectateur
quitte la salle rasséréné. Les familles sont
réconciliées, le message paraît universel.
Mais si la recette Disney puise à Ia fois
dans la psychanalyse et dans les grands
mythes fondateurs de I'humanité, si elle
repose sur ce que la nature humaine peut
porter en elle de meilleur, le référentiel,
mondiale du divertissement, marquée
d'un sceau moral profond qui estun mes-
sage d'amour et de confiance envers la
capacité amélioratrice de l'humanité, se
révèle au final d'une grande plasticité.
C'est l'aboutissement du capitalisme,
capable en permanence de se réinven-
ter pour répondre au désir évolutif des
marchés.
Quand la version filmée de La Belle et la
Bête, avec Emma Watson, sort en 20l7,le
qu'on uient à peine de rencontrer.»laspi'
ration popote à se marier avec un homme
jeune, noble, riche et beau pour lui faire
beaucoup d'enfants a laissé place à la
volonté d'accomplir son destin en toute
indépendance, en faisant fi des conven-
tions sociales. IJamour conjugal disparaît.
Un message qui parle sans doute plus
aux femmes, disposant d'un pouvoir
d'achat croissant, dans des foyers de plus
en plus monoparentaux. Les grandes )
23

I
 Co*prendre
princesse du film tt
éponyme,2010.
Le premier site
touristique de France
Avec 16 millions de visiteurs annuels
-deux fois plus que Louvrel-
Disneyland Paris, à Marne-la-Vallée,
est devenu le premier employeur
monosite de France, avec 15000
salariés et près de 60000 emplois
indirects, le lieu touristique le plus
fréquenté de l'Hexagone, mais aussi
son premier âub ferroviaire. Disney
procure à lui seul 6o/o des recettes
touristigues françaises I Depuis
lbuverture de Walt Disney Studios en
2OO2,la firme voit grand et multiplie
les investissements, le partenariat
public-privé initial ayant été prorogé
jusqu'en 2030. Sensible à l'air du
temps, Eurodisney soutient la
constitution de son cartel, autant dans
l'immobilier que dans I'industrie du
divertissement, par I'acquisition des
licences Pixar, Lucas film, Marvel,
Century Fox, et l'accompagne d'un
engagement résolument social et
écologique : recrutement de
travailleurs handicapés, accueil
d'enfants défavorisés, salaires et
conditions de travail et de logement
enviables pour le personnel
permanent du parc (à condition qu'il
adhère sans réserve aux valeurs
Disney...), mise en æuvre d'une
politique environnementale poussée.
Là encore, la firme se veut
irréprochable. r
24 Screxces Humrles
I ft:Ël;"r"*bre
I
) oreilles le savent: dans les pays riches,
ne sont-ce pas d'abord elles aujourd'hui
qui emmènentleurs enfants au cinéma et
dans les parcs dâttraction?
Revanchedespauwes
Disneyreste fidèle à l'esprit américain fon-
dateur, celui du pionnier qui sâventure au
péril de sa vie en territoire inconnu, socle
commun à tous les grands récits mis en
scène dans l'æuvre cinématographique
ô
de la firme, mais son message est sorti de
lAmérique conservatrice enserrée dans
ses valeurs traditionnelles. Désormais
la transgression est propre à Ia culture
Disney, la quête identitaire de chacun
de ses personnages, qui tous s'affran-
chissent des normes et des limites propres
à un milieu sclérosé pour se réinventer
et retrouver une forme de pureté, ont
changé. La frontière n'est plus lAmérique,
mais le monde entrain de basculeç avecla
revanche des gueux dominés et méprisés
d'hier, ces colorés, hier colonisés, qui sont
en train de prendre leur revanche. Ce ne
sont plus les Occidentaux vieillissants et
envoie de disparition démographique qui
mènent Ia danse consumériste, mais les
nouvelles classes moyennes du monde,
désormais sorties de la pauvreté, et en
quête autant de divertissement que de
reconnaissance. Leur nombre sâccroît de
200 millions de personnes chaque année,
elles sont en train de former les nouveaux
bataillons du tourisme mondial, passé de
25 millions d'Occidentaux en 1950 à 1,2
milliard de nouveaux riches en 2019 issus
majoritairement de l'ex tiers-monde. Pour
ne parler que des touristes internationaux,
carilfautleurajouter 6 milliards au moins
de touristes intérieurs ! Célébrer la fête des
morts dans le magnifique Coco (2017), c'est
reconnaître Ia culture mexicaine,
À travers toute la planète, un monde d'ur-
bains de plus en plus connectés est en
train de naître. Que veulent-ils ? La recette
est éternelle: du pain et des jeux... Cinq
milliards de clients potentiels aujourd'hui,
dix milliards en 2050. Alors que cer-
taines destinations se ferment à cause de
l'insécurité, alors que les déplacements
deviennent de plus enplus complexes avec
la montée des protocoles de sécurité, la
20le
bulle touristique offre autouriste en quête
de merveilleux un «royaume magique»
dont Disney a su devenir l'incarnation et
Ie dépositaire. La firme sait aussi qu'un
message qui plaît rencontre rapidement
un succès planétaire, amplifié par l'usage
intensif des réseaux sociaux. Remplir les
salles de ciném4 les parcs dhttraction, et
désormais la colossale industrie mondiale
du streaming demande dànticiper I avenir,
voiredelécrire.
Reflet des mutations
dumonde
Il suffit de voir lévolution des films pour
s'en convaincre. Au départ, de Blanche
Neige à La Belle et la Bête en lggl, en
passant par I e Liure de la Jungle en 1967,
Walt Disney magnifie la domination
occidentale et exalte la nature sauvage
qui caractérise le concept anglo-saxon
de wilderness. Puiser à la fois dans le folk-
Iore traditionnel européen, avec le recy-
clage de Perrault, Grimm ou Andersen,
mais aussi dans l'architecture du vieux
continent, travailler chaque détail avec
un soin maniaque, faire appel aux plus
grands, architectes, métiers d'art, tech-
niques les plus avancées... Tout ce qui
caractérise aujourd'hui les parcs Disney
à travers le monde, véritables musées à
ciel ouvert de I'histoire de l'humanité,
s'affirme initialement sur le socle de
valeurs des États-Unis et de l'Europe.
Le choix des sites des parcs d'attraction
témoigne ainsi de ce parti pris affirmé
de firme occidentale tournée vers les
consommateurs urbains, aisés, hétéro-
sexuels et blancs, issus de ce que les géo-
graphes appellent la Triade. Le premier
parc à thèmes, Anaheim, naît en 1955 en
Californie. Le second en Floride en 1971
-Orlando est devenu depuis la capitale
mondiale du divertissement «hors-sol »,
avec la multiplication des bulles touris-
tiques essaimant autour du noyau Disney
initial. Le troisième est créé à Tokyo en
1983. Le quatrième voit le jour en région
parisienne en 1992'à Paris et cible une
clientèle européenne et moyen-orientale.
Les nouvelles créations des studios Disney
comme le choix d'implantation des nou-
veaux parcs reflètent les mutations du
 Co*prendre

Respecter les minorités

hommes et femmes du Wakanda portent
au contraire un message émanciPa-
teur. Valoriser Ie berceau de l'humanité,
même à travers un pays imaginaire, Ie
Wakanda, jamais colonisé, d'une sagesse
supérieure, et possédant une ressource
fabuleuse, le vibranium, capable de don-
ner les armes et les technologies les plus
avancées, c'est réunir en un seul film
tous les ingrédients de nature à redon-
ner à lAfrique, régulièrement qualifiée
de mauvais élève du développement,
perçue comme une menace pour Ie
,9 monde àtravers Ia crise du Sahel etl'émi-
o
gration, toute sa place dans le concert
des nations. Une Afrique pharaonique,
La chanson d'ouverture d'Aladdin (1992) a été accusée de véhiculer
certes idéalisée, mais qui mêlerait en un
des préjugés sur les pays arabes.
syncrétisme parfait la beauté des pay-
Hier, les méchants étaient des onzième saison, pourtant déjà réalisée, sages montagneux dAfrique orientale,
Ia fière tenue des Masaïs et des Zoulous,
colorés haineux qui payaient de leur vie est tout simplement annulée ! Ouelques
leur acharnement à détruire le pur et mois plus tard, il récidive avec le I'authenticité de traditions millénaires,
blanc héros. Aujourd'hui, le méchant a scénariste des Gardiens de la galaxie, tout en étant capable d'écrire l'avenir et
de résoudre les problèmes de l'humanité.
changé et surtout il s'amende. James Gunn, pourtant loué pour son
La revanche du « pouvoir noir» - et on ne
"Parlons-nous, surmontons nos travail, après la résurgence de vieux
différences au lieu de nous haii."Les tweets qui moquaient le viol et la peut que penser au Black Panther Party,
films qui ont fait la reconnaissance de pédophilie. Le racisme d'Aladdin 1992 fondé en 1966 aux États-Unis.
la firme seraient impensables (Nuits dArabie, la chanson d'ouverture, Pourtant, ce blockbuster est profondé-
aujourd'hui. Moquer les nains? les proclame: nJe viens d'un pays oir les ment américain: conçu dans les studios
Asiatiques? Les Arabes? Vous n'y coutumes sont barbaresÙ a été de Hollywood, financé par des capitaux
pensez pas ! En 2018, Bob lger, le sérieusement lifté dans la version américains, tourné hors dâfrique, en
PDG de la firme, n'hésite pas à mettre 2019... Une réécriture morale du décors de synthèse. Mais réalisé par un
fin à une série à succès, Roseanne, du monde qui tient compte des nouvelles Noir, Ryan Coogler, avec des acteurs
nom de son actrice principale, sensibilités certes, mais surtout de noirs (Chadwick Boseman, Lupita
Roseanne Barr, limogée après un tweet leurs conséquences en termes Nyong'o, Forest et Denzel Whitaker,
homophobe. Vingt ans d'existence sur financiers quand les marchés ont Angela Bassett, Daniel Kaluuya...).
la chaîne ABC? Peu importe, la changé. r Lâfrique l'a accueilli comme le messie,
au point que toute critique déchaîne,
tel un crime de lèse-majesté, un torrent
monde: il faut désormais satisfaire les personnages incontournables du réper- d'imprécations sur les réseaux sociaux.
Africains, Sud-Américains, Asiatiques toire du grand Walt, consacre l'entrée de Disney annonce l'opus 2 pour 2021. Et
et Moyen-Orientaux qui souhaitent pui- Ia Chine dans le club fermé des grandes il vient d'inspirer l'Union africaine, à
ser dans leur fonds culturel propre pour puissancesmondiales. qui deux pays, le Zimbabwe etlaZam-
magnifier leur civilisation et affirmer leur Le succès planétaire de Black Panther, bie, viennent d'offrir des terres, situées
fierté. Le cinquième Parc Disney ouvre à sorti en 2018 après l'acquisition par autour des chutes Victoria, pour créer...
HongKong en 2005. Le sixième «Royaume Disney de la licence Marvel et ses supers Wakanda One, le premier projet de déve-
magique» est né en 2016 à Shanghai, avec héros, est le reflet de l'émergence d'un loppement de la SADC (South African
une mise de fond colossale de cinq mil- continentlongtemps ostracisé,lAfrique, ment C ommunity), I'alliance
D eu elop
liards de dollars. Jusque-là, les nombreux et de l'aspiration à la reconnaissance régionale de lAfrique australe. Nous
parcs d'attraction chinois reposaient sur des peuples noirs. Alors quele Roi Lion sommes bien loin de Blnnche Neige... t
l'imitation et la contrefaçon. IJouverture de 1994 se déroule dans une Afrique (1) White Anglo-Saxon Protestant, en référence aux
officielle d'un parc Disney, dontl'architec- sans humains et repose sur une logique hommes blancs, anglo-sâxons et protêstants, dont le
tureetlacultureseveulentprofondément essentialiste de respect du cycle de la mode de vie et les valeurs inspirèrent le modèle
siniséesendépitdelaprésencedetousles vie (et de Ia place dévolue à chacun), les américain.

25
.Entretien
RENCONTRE AVEC MICHEL PASTOUREAU
Les couleurs
de la société
Mouvement des Gilets jaunes, combats
écologiques des Verts, gloire footballistique
des Bleus, bannières üolettes des féministes,
la société française se déclinerait-elle
en couleurs?
our Michel Pastoureau, les couleurs ont
une histoire. Au départ, cet historien est
un spécialiste des symboles et de l'imagi-
naire des sociétés du passé. À la fois histo-
rien de l'art, philologue, sémiologue, ce
n'est pas sans difficulté qu'it a pu imposer ses pre-
miers travaux dans les années 1960, considérés
comme anecdotiques par la communauté
académique.
Cependant, le jeune historien est encouragé dans
son entreprise par les grands maîtres de l'époque,
Georges Duby et Iacques Le Goff, qui plaident pour
le développement d'une histoire des mentalités dans
laquelle l'imaginaire de nos ancêtres est largement
partie prenante. Aujourd'hui, l'histoire culturelle
a trouvé ses lettres de noblesse. M. pastoureau est
devenu l'auteur d'une ceuvre à la fois originale et
reconnue par la communauté historienne pour ses
analyses portant sur les emblèmes, les symboles, les
bestiaires, Ies codes sociaux...
Son histoire symbolique des couleurs a rencontré
une large audience au point que, dans ses trois der-
niers livres, il la prolonge jusqu'à aujourd'hui. Après
Le Petit Liure des couleurs, paru en 2005, il publie Ies
Couleurs de nos souuenirs, « journal chromatique »
s'étendant de 1950 à 2010, où il analyse les rapports
des couleurs avec la société contemporaine dans tous
les domaines de la vie culturelle, du sport, de la publi-
26 Août-septembre 2019
N'3r7
cité, de la mode, des automobiles et autres emblèmes
de la vie actuelle. La couleur devient alors un lieu de
mémoire, auquel s'ajoute, pour le plus grand plaisir
du lecteur, de nombreux souvenirs personnels à la
fois humoristiques et nostalgiques. En 2017, dans (Jne
couleur ne uient jamais seule, il poursuit ses enquêtes
en montrant l'omniprésence des couleurs dans les
sociétés contemporaines.
Selon uous, quhpporte l'histoire des couleurs à
I' hi sto ire cult urelle ?
Les couleurs reflètent les mutations sociales, idéolo-
giques, religieuses de chaque période de l,histoire.
Ces mutations entraînent des gotrts nouveaux, des
regards symboliques et des sensibilités différentes. Ie
dis souvent à mes étudiants que ce n'est pas la nature
qui fait les couleurs, ni même l'ceil ou le cerveau, mais
la société. Mes idées surles couleurs ne sontpas celles
des physiciens ou des chimistes.
À toutes les époques, il existe des pratiques et des
symboliques de la couleur. Une caractéristique du
monde occidental est d'ailleurs que chaque époque
ajoute sa couche de significations sans éliminer les
précédentes. C'est pourquoi la symbolique des cou-
leurs est très diversifiée: chaque couleur est ambi-
valente, elle a ses bons et ses mauvais aspects, qui
prennent sens selon le contexte et les couleurs qui s,y
opposent.
Vous sortez à la rentrée 2Ol9 un liure sur la
couleurjaune. Lejaune a une grande actualité
depuis quelqaes temps. Pouuez-aous retracer les
significations symboliques de ct)tte couleur qtt
fildutemps?
Dans l'histoire, le jaune a été longtemps une couleur
mal aimée.
Il est valorisé dans lAntiquité grecque et romaine,
 Entretien

r-l
ü
MICHEL PASÏOUREAU
est directeur d'études
rl émérite à l'École pratique
i
des hautes études, ou il a
occupé pendant 35 ans la
chaire d'histoire de la
symbolique occidentale.
trrl Ses recherches portent
aussi sur l'héraldique,
I'histoire des animaux et des
végétaux, et sur l'histoire des
couleurs, dont il est devenu
un spécialiste reconnu au
plan international.
M. Pastoureau est auteur de
nombreux ouvrages, dont
1
entre autres:
Une couleur ne vient jamais
seu/e, Le Seuil, octobre
2017.
Le loup : une histoire
LA culturelle, Le Seuil, 201 L
À paraître : Histoire du
7'aune, octobre 2019, Seuil.

à
q
5

I
9

notamment dans les vêtements des femmes. Mais
il commence à se dévaluer au cours du Moyen Âge
au profit de l'usage de l'or qui prend de plus en plus
de place dans la mise en scène du pouvoir et dans la
création artistique. Il ne reste alors au jaune que les
mauvais aspects. Dèslafin duMoyenÂge, le jaune est
associé d'un côté au mensonge, à la trahison, I'hypo-
crisie et la perfidie; de l'autre à la maladie, au poison,
au pourrissement et à la décrépitude... On retrouve
cela dans les textes, Ies proverbes, l'iconographie.
Dans les miniatures, les chevaliers félons ont des
armoiries jaunes. Le personnage le plus négatif dans
le MoyenÂge chrétien, Judas le traître, est représenté
habillé d'une robe jaune,
Laspect positif - fécondité, prospérité, chaleur
richesse - est accaparé par lbr.
Cette symbolique a traversé les siècles jusqu'à nos
jours: au théâtre par exemple, Ie jaune est la couleur
des traîtres, des trompeurs ou des maris trompés.
C'est aussi Ia couleur associée aux syndicats ouvriers
qui roulent pour le patronat. Ceci explique pourquoi
en Europe, en politique jusqu'à aujourd'hui, tout le
monde évitait soigneusement la couleur jaune.
C'est pourta ntla couleur revend.iquée par le
nrcuuentent des Gilets jaunes. Assiste-t-on ùun
revirement?
Il faut préciser que, à l'échelle de l'histoire longue
de cette couleur, les Gilets jaunes constituent pour
le moment un phénomène presque anecdotique !
Quelques mois dans trois mille ans d'histoire, et sur
un territoire limité qui ne concerne que la France.
Le gilet jaune est la couleur du gilet obligatoire que
, nous avons dans nos voitures, mais certains modèles
sont parfois aussi orange. Le choix du jaune pour
ce mouvement d'opinion paraît peu judicieux pour
l'historien de la couleur! C'est pourquoi, malgré les
critiques que m'attirent ce constat, je pense que Ie )
Août-septembre 2019 Screlces Huuatles 27
N'317

I
Entretien
) mouvement actuel aurait mieux fait d'être symbolisé
par le gilet orange !
Les enquêtes d'opinion sur les couleurs préférées
et détestées existent depuis la fin du 19" siècle. Ce
qui est frappant est que les goûts sont toujours les
mêmes malgré les changements de société: pour les
Européens, le bleu arrive largement en tête (SO % de la
population), puis viennent le vert, le rouge, le blanc,
le noir, et toujours en dernier le jaune (moins de 2%
des réponses).
Arriu e - t -il q u' une couleur change radicalement
de signification àl'occasion d'un évéruefiLent
historique p ar exemple ?
II existe quelques exemples, même s'ils sont peu
nombreux.
Au 18" siècle le drapeau rouge est un drapeau paci-
fique. Les autorités municipales le sortent pour
signaler un danger; ou pour demander à une foule
de se disperser. Mais le 17 juillet 1291, lors des événe-
ments du Champ de Mars à Paris, où Ia foule réclame
la destitution de Louis XVI, Ie drapeau rouge est agité
pour demander à la population trop nombreuse de
se disperser alors que la garde nationale se met à tirer
sur les manifestants. Il s'ensuit plusieurs dizaines
de morts et, du jour au lendemain, le drapeau rouge
devient le symbole des martyrs de la révolution en
marche et de l'insurrection, et prend le sens politique
qu'il garde toujours aujourd'hui.
On attend donc de voir si, à la suite des événements
de ces derniers mois, le jaune va devenir une couleur
choisie et non plus rejetée.
'Pour Européens, le bleu arriue largement
les
entête (50% delapopulation) des couleurs
préférées, puis uiennent le uert, le rouge,
le blanc, le noir, et toujours en dernier
,le jaune (moins de 2 % des réponses).
Quelles sont les couleurs symboliques en
politique ? La couleur verte se trouve également valorisée par
En politique, la palette des couleurs est assez res-
treinte, car on ne choisit pas les nuances. En Europe,
le bleu est plutôt la couleur des conservateurs, le
rouge progressiste ou révolutionnaire, le noir anar-
chiste, le blanc monarchiste et le vert écologiste. Le
violet est Ia couleur des féministes depuis la fin du
19" siècle. Donc pour créer un parti nouveau, que
2B Screrces HumHes 20te
| *:il;"l"-ore
I
I
I
choisir? La révolution récente en Ukraine a adopté
le orange, un choix dont le sens n'est pas anodin, en
rapport avec la couleur des bouées de sauvetage.
Cependant, dans la presse américairue,
l'opposition rouge /bleu est inuersée. Le rouge est
la couleur des conseruateurs et le bleu celle des
démocrates, ce qui est surprenant pour les
Européens...
Cela tient à I'histoire des colons américains qui, à Ia
fin du 18", se révoltent contre la couronne britannique
pour obtenir leur indépendance. Le pouvoir britan-
nique étant symbolisé depuis longtemps par le rouge,
les insurgés (qui sont devenus le parti des démo-
crates) ont choisi le bleu. Alors que pour la majorité
des Européens, le rouge est lié à la révolution, au
socialisme , au communisme, aux idées de gauche
en général. En revanche, dans la même période, en
France, le bleu devient la couleur des bourgeois et des
conservateurs.
Le uert du mouuetnent écologistefait référence
bien sûr à la nature,.. Mais en a-t-il toujours été
ainsi?
Le vert a une histoire tourmentée; tantôt aimé,
tantôt mal aimé. Mal aimé par les Romains qui le
considèrent comme la couleur des Barbares. Lorsque
sous l'Empire, certaines matrones commencent à
s'habiller en vert sous l'influence germanique, cela
scandalise les vieux Romains !
Au Moyen Âge, on se met à bien aimer le vert qui
devient la couleur de la chevalerie, des tournois et de
l'amour courtois. Puis son image se dégrade à la fin de
cette période, où il devient la couleur du diable et de
ses créatures... Certaines explications avancent que
c'est parce que le vert est fabriqué en peinture et en
teinture à partir de produits toxiques (par exemple
tous les verts de cuivre sont connus pour être des
poisons en peinture). Cette mauvaise réputation du
vert s'étend entre le 14" et 18" siècle.
C'est Ie romantisme qui le revalorise en associant le
végétal à l'idée de nature. c'est une nouveauté car,
depuis lAntiquité, la nature n'a aucun rapport avec
la végétation. Elle est représentée par l'eau, l'air, la
terre et le feu.
l'urbanisation galopante des lg" et 20" siècle où le
besoin « d'espaces verts » se fait ressentir.
En outre, la théorie des couleurs complémentaires,
apparue entre le 17" et le 18" siècle chez les peintres
et les scientifiques, en fait le complément du rouge.
Comme le rouge est devenu Ia couleur de l'interdit, le
vert devient celle de la liberté. On le voit encore avec

nos feux tricolores ou la signalétique marine; tout
comme avec l'expression « donner Ie feuvert»'
La nature d'un côté, la liberté de l'autre, ont participé
de la valorisation du vert. Aujourd'hui, on lui donne
Ia mission de sauver Ia planète. Et comme l'écologie
politique en a fait son symbole, si vous dites que c'est
votre couleur préférée - comme c'est mon cas depuis
l'enfance -, vous êtes immédiatement rangés dans les
écologistes !
Pourquoi le uert est-il uotre couleur préJérée?
Ie crois que depuis mon enfance, j'aime la conso-
nance de ce mot. Et je pense que dans le choix des
couleurs, le poids des mots est considérable. Le terme
qui désigne Ia couleur est peut-être plus important
que la couleur elle-même. C'est ce qu'expliquent
les marchands de peinture pour artistes. Liun d'eux
m'a raconté que certains clients changeaient leur
choix en raison du nom de tel ou tel pigment' Ce qui
explique des goûts et des expressions différentes
selon les pays. On change par exemple les couleurs
dans expressions populaires: en français, quand on
est ivre, on est « noir », en allemand on esl « bleu »Un
roman noir en France est un roman jaune en Italie"'
Et que diriez-uous de Ia gloire footballistique
« des Bleus » ?
Le bleu est Ia couleur de Ia France. Au 18" siècle, pour
Ies étrangers, le bleu représente la France, le rouge
lAngleterre et le vert lâllemagne.
La Révolution française a fait la guerre aux symboles
monarchiques, mais pas au bleu qui symbolisait déjà
la nation française sous lAncien régime, et a continué
de Ie faire avec la République' Selon les règles mili-
taires, lorsque les soldats plient le drapeau tricolore,
seul Ie bleu doit restervisible.
C'est ce qui fait que les sportifs qui représentent la
France portent en général un maillot bleu (même s'ils
ne sont pas les seuls). Dans une compétition interna-
tionale, si léquipe de France doit changer la couleur
de son maillot (en raison des couleurs de l'autre
équipe), les statistiques montrent que les joueurs
gagnentmoins!
Dans lAntiquité, le bleu était une couleur rejetée,
considérée avec le vert comme la couleur des Bar-
bares. Avoir les yeux bleus était ridicule pour les
hommes ou l'apanage des femmes de mauvaise vie'
Mais, après un renversement radical de valeur au
milieu du Moyen Âge, Ie bleu connaît une histoire
plus linéaire. Il devient la couleur du ciel en peinture,
celle de laVierge et du roi de France'
Durant la Réforme, les protestants moralisent les cou-
leurs, qu'ils répartissent ent re « couleurs honnêtes » et
L-
E r.r",iun
o couleurs malhonnêtes r.Noir, blanc, gris et bleu pour
les premières; rouge, jaune, vert pour les secondes,
considérées comme trop voyantes. Cela aura une
incidence durable sur les vêtements' Notamment
pour les hommes qui vont abandonner les costumes
de couleur vive, ce qui se voit encore de nos jours
dans le quotidien.
Le uiolet, que l'on connaît commela couleur des
ruouuements féministes a- t-il aussi son histoire ?
Le violet est une couleur du deuxième rang. Selon le
classement dâristote, les couleurs de premier rang
sont: blanc, rouge, noir, vert, jaune, bleu. Le gris, le
brun, Ie violet, Ie rose et l'orangé sont appelées cou-
Ieurs du deuxième rang.
Dans les sociétés anciennes, le violet est vu comme
un sous-noir ou demi-noir (subniger en latin)' II est
utilisé comme couleur de demi deuil. La découverte
du spectre de Newton (1666) lui donne une nou-
velle place entre Ie rouge et le bleu' Sa symbolique
se revalorise. Au 19" siècle, il devient la couleur
emblématique des évêques, et commence à susciter
f intérêt des artistes et des poètes. Les symbolistes,
notamment, yvoient une couleur «secrète», en prise
avec le mystère des êtres et des choses. Depuis la fin
du 19" siècle, Ie violet est la couleur traditionnelle
des féministes, portée par les suffragettes. Dans les
enquêtes d'opinion, pour la majorité des Européens,
le violet est perçu comme excentrique et inquiétant'
A contrario,les créateurs de mode et les designers y
voient «une couleur subtile, inuentiue et chargée de
sens ».
Vos trauaux portent sur I'Europe. Qubn est-il
d.ans les autres Parties du monde ?
Les variations d'une culture à l'autre sont grandes'
Hors de l'Europe, qui est mon terrain d'enquête, les
usages et les goûts sont autres' Au Japon par exemple,
le blanc est la couleur dominante devant le rouge et
Ie rose. En Chine, le rouge devance Ie jaune et le bleu'
En Inde et dans la péninsule indo-chinoise le rose et
l'orangé, souvent mariés ensemble d'ailleurs, sont
bien mieux considérés qu'en Europe, alors que le
bleu n'est guère prisé. Dans les pays dAfrique et en
Asie centrale, il est parfois plus important de savoir si
une couleur est sèche ou humide, Iisse ou rugueuse
que de déterminer si elle s'inscrit dans la gamme des
rouges, des bleus ou desjaunes.
Ces différences entre les sociétés sont fondamentales,
car elles mettent en valeur le caractère profondément
culturel de tout ce qui touche à la couleur' r
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Les influences ,
reclproques
Dossier coordonné par Martine Fournier et Romina Rinaldi
\
travers les siècles et les
cultures, il a été admis
que, dans lbrdre du
vivant, devaient coexister
entités matérielles et
immatérielles. D'un côté, Ia substance
physique,la chair, concrète, propre à
Ibbservation et mortelle par essence.
De l'autre, l' éthéré, I'insaisissable, que
lbn nommera selon les convenances et
croyances : l'âme, l'esprit, les pensées,
Ia conscience... Ce qui questionne sur
notre propre nature, parfois même le
sens de nos existences: d'où émerge
notre capacité à penseç à rire, à rêver,
à créer? S'agit-il d'une production du
corps ? Et si oui, peut-on l'y résumer ?
Des débats séculaires se reformulent
en permanence sous l'impulsion
des recherches en philosophie,
en psychologie, en éthologie, en
neurosciences...Pourtant, il reste
à une part de mystère. Loin d'être clos,
o
l'ancestral problème corps/esprit
avance àpetits pas dans un parcours
I
o
continu, fait d'immenses bonds en
avant, et de douloureux retours à la
case départ.
Ainsi, àl'heure oùlbnpeine encore à
soulager ceux pour qui les pensées, trop
prégnantes ou au contraire trop peu
accessibles, sont source de douleurs
physiques, on cherche encore à mieux
comprendre comment à lhide d'un
pendule, un guérisseurparvient à
soulager des maux qui jusqu'alors
résistaient aux approches médicales
traditionnelles.Et nous sommes
capables d'observer la façon dont des
milliers de neurones communiquent
en temps réel, sans pouvoir expliquer
précisément comment cette activité
donne lieu à une expérience tout à fait
unique dumonde quinous entoure.
Dans ce dossier, nousvous
invitons dans le grand labyrinthe
psychosomatique : entrez-y par le corps
ou l'esprit, mais sachez dbres et déjà
que si certains chemins y sont balisés,
d'autres restent obscurs.I
@tp"sprit
Les influences réciproques
Les mystères de l'esprit
Qu'est-ce que l'esprit? Se résume-t-il à l'activité de notre cerveau? Aujourd'hui
la neurobiologie tente, avec un succès modeste, de dissiper le mystère.
esprit esr avanr tout un objet
T -I
I de fascination, qui trans-
I . cendelesépoquesetlesdisci-
,.J plines, etdontlesreprésenta-
tions évoluent et se transforment au fil
du temps. Aujourd'hui, on le voit comme
un phénomène psychologique, parfois
psychiatrique, souvent synonyme d'une
forme de conscience. Dans la vision
cartésienne, il renvoyait uniquement
auxfonctions « supérieures », contrôlées
par la raison -les émotions étant relé-
guées au rang de processus primaires.
Puis, avec les avancées de la psycholo-
gie cognitive et des neurosciences, on a
compris que ces deux niveaux étaient
interdépendants et que la raison ne
pouvait fonctionner sans les émotions.
Au final, l'esprit désigne aujourd'hui les
productions cérébrales au sens large.
On retrouve cette idée dans le langage
courant qui voit la pensée comme une
forme de conversation privée et conti-
nue avec soi-même, mêlant des conte-
nus très rationnels et des éléments pure-
ment affectifs et intuitifs. Quelque chose
de très intime, auquel nous n'avons pas
pleinement accès.
IJesprit
en neurosciences
Depuis les philosophes matérialistes
des Lumières, l'idée circule que l'esprit
n'est pas un phénomène immatériel,
voire surnaturel, mais relève bel et bien
du corps. Plus particulièrement, pour
les neurosciences contemporaines, il
relève de fonctions liées aux opérations
du système nerveuxcentral - autrement
dit au cerveau et auxneurones. En neu-
rosciences, on parlera alors rarement
32 Août-septembre 2019
N'317
Rourll Rtnalor
Docteure en psychologie et chargée de cours
à l'Université de Mons (Belgique)
d'esprit, mais plutôt de conscience. La
conscience est considérée comme une
fonction biologique dont le but final est
la régulation du comportement. Lutili-
sation du terme conscience est pourtant
délicate à bien des égards, car si dans
ses productions, «l'esprit est conscient»,
toute son activité n'est pas volontaire, ou
contrôlée. Beaucoup d'expériences de
) toutefois voulu dissocier de tout support
Lesrêueslucides,
la mé ditation, l' hypno s e,
la transe... sont auta,nt
de uoyages de la
conscience qui sont
ànotreportée,
la conscience sont gérées de façon tout
à fait automatique -par exemple le sens
que nous donnons à une image ou une
odeu! ou les prises de décisions rapides
etintuitives.
C'est sans doute en partie en raison
de cette ambiguïté étymologique que,
longtemps, Ies scientifiques furent réti-
cents à s'intéresser à la conscience. Au
20" siècle, Ia psychologie fut en effet tour
à tour dominée par la psychanalyse,
valorisant l'inconscient, faisant de Ia
conscience un objet mal défini, voire
mystique; puis par le comportementa-
lisme (behaviorisme), qui rejetaitvigou-
reusement l'étude de l'inobservable,
dontles états mentaux.
Un peu plus tard, la psychologie cogni-
tive proposa de réhabiliter létude empi-
rique des processus mentaux. Dans le
champ de la philosophie analytique,
les philosophes de l'esprit vinrent alors
à la fois s'inspirer de cette discipline
émergente, mais aussi l'alimenter de
leur vision de la conscience comme
phénomène subjectif (que certains ont
matériel).
Les scientifiques avancèrent donc
d'abord sur le sujet de la conscience à
tâtons; aussi curieux que méfiants à
légard de cette entreprise. Or, comme
le rappelle Michel Jouvet dans son
ouvrage Le Sommeil, la Conscience et
l'Éueil(Odile Jacob, 2016), «ce n'est pas
parce que la conscience est inobseruable
par essence qu'elle n'est pas propice à
l'étude scientifique. »
Dans le courant des années 1980, les
choses changent et quelques pionniers
des neurosciences cognitives font de
la conscience un sujet d'étude à part
entière, incluant de nouvelles méthodes
d'investigation, ouvrant le champ d'une
recherche scientifique coordonnée de
l'esprit. Malgré cela, un certain scep-
ticisme persiste. Sans doute parce que
comme l'esprit, la conscience reste dif-
ficile à défini
Pensercorrune
une chauve-souris
Qu'est-ce ainsi que la conscience? C'est
notamment l'existence d'une expérience

#r
r.*
+
:!t::È:r'-.
subjective qui peut prendre la forme
de pensées, de perceptions, d'images
mentales... Celles-ci disparaissent,
par exemple, Iors d'une anesthésie,
lorsqu'une personne se trouve dans
le coma, ou durant certaines phases
de sommeil. Dans cette définition on
perçoit à quel point les définitions de
l'esprit et de la conscience se recoupent
largement pour ce champ épistémique
précis. Lesneurosciences distinguent
alors deux dimensions principales: le
niveau de conscience (aussi appelé éveil)
qui est largement contrôlé par le tronc
cérébral; et Ie contenu de la conscience
qui est dépendant de projections de neu-
rones multiples et bidirectionnelles entre
Ie thalamus etle cortex(l).
Ce contenu, cette expérience subjective,
c'est l'aspect phénoménologique de Ia
conscience; aussi appelé qualia pour
désigner les impressions directes que
nous avons des choses. Pour saisir cet
aspect expérientiel, essayez, comme
Ie suggérait le philosophe de l'esprit
Thomas Nagel, de vous mettre dans la
peau d'une chauve-souris. Une chauve-
souris une expérience sensorielle bien
a que représente l'éveil, qui peut facile-
différente de la nôtre: elle s'oriente par
écholocation, c'est-à-dire qu'elle émet
des cris à haute fréquence et utilise
l'écho renvoyé par les obstacles et les
"s#I
,t
E
.E
à
0
proies pour s'orienter. Nous, humains,
étant incapables d'écholocation, ne
sauront jamais vraiment ce que cela fait
d'être dans la peau d'une chauve-souris.
Thomas Nagel tentait de prouver l'irré-
ductibilité de Ia conscience à l'activité
du cerveau.
Ce sont pourtant bien des structures
matérielles (des neurones) qui pro-
duisent I'expérience subjective. Toute-
fois, le passage de l'ombre à la lumière
ment être modélisé par des connexions
dans un réseau de neurones - un Peu
comme une diode qui permettrait la
création d'un courant- ne résume en
33
@tp.:*sprit
Les influences réciproques
)effet en rien l'expérience de l'esprit, de
la conscience.
La preuve par la rupture
Ces deux dimensions, l'éveil et le
contenu, sont donc nécessaires. Même
pour évoquer les formes les plus
« simples » de conscience: l'éveil seul
n'est pas suffisant. C'est tout le pro-
blème qui émerge de ce qu'on quali-
fie aujourd'hui d'«états de conscience
altérés/modifiés». Un patient végétatif
peut être dans une forme d'éveil non
conscient pendant des années, ne pas
pouvoir réagir au monde qui I'entoure.
Cela pose une foule de questions philo-
sophiques, biologiques, éthiques...
Ainsi, à mesure que nous comprenons
que les frontières de l'esprit sont plus
larges et plus poreuses que «le simple
éveil» ou «le simple contrôle», nous
sommes amenés à envisager ce que le
philosophe australien David Chalmers
qualifiait de problèmes faciles ou dif-
ficiles de la conscience. Les problèmes
faciles sont ceux qui sont observables.
Par exemple, l'activité neuronale liée à
une pensée ou une perception. Les pro-
blèmes difficiles, c'est le fait qu'aucune
réalité physique ne semble exister hors
de l'expérience que nous en faisons et
qui est hautement individuelle.
Un peu comme cette anecdote rappor-
tée par le philosophe Iohn Locke, d'un
aveugle érudit qui se vanta un jour de
comprendre ce que signifiait Ia couleur
écarlate. Son ami, intrigué, lui demanda
ce que c'était. Laveugle de répondre
« c'est comme le son d'une trompette ».
Lexpérience de l'esprit ne sécrit jamais
qu'à la première personne du singu-
lier. Comment alors les neuroscienti-
fiques pourraient shtteler à comprendre
celle-ci?
Comme souvent les recherches scienti-
fiques, ce sont les états de privation ou
de dysfonctionnement qui permettent
d'alimenter nos connaissances. Ainsi,
les théories connurent un magnifique
essor à partir de létude des états modi-
fiés de conscience. Ces états, nous les
expérimentons chacun quand nous
rêvons ou, quand étant éveillés, nous
34 Août-septembre 2019
N" 317
Le champignon magique
Si les données actuelles permettent
de comprendre que le corps (les
neurones) est au moins en partie à
I'origine de I'esprit, certains
phénomènes naturels ébranlent
notre vision des choses. C'est le
cas d'une forme de vie appelée b/ob
en français (Physarum
polyce ph a I u m). Découverte en 1 822,
cette cellule, d'abord classée
comme un champignon est
maintenant considérée comme une
forme d'eucaryote unicellulaire (être
vivant formé d'une seule cellule).
Ouel lien avec I'esprit, direz-vous?
ll s'avère que cet organisme
unicellulaire est capable d'une
variété assez incroyable de
fonctions considérées comme
mentales chez l'être humain. Ainsi,
en traduisant des problèmes
généralement proposés à des
humains (ex. trouver son chemin
dans un labyrinthe, résoudre un
problème de planification...) en
utilisant sa nourriture préférée
(guelques flocons d'avoine), on
observe que cet organisme sans
cerveau est non seulement capable
sommes «ailleurs», dans la lune. Les
rêves lucides, la méditation, l'hypnose,
la transe, la dissociation... sont autant
de voyages de la conscience qui sont à
notre portée et à portée de l'étude des
neuroscientifiqrues. A contrario, les états
altérés de conscience, comme le coma,
reflètent l'extrémité du continuum ; là
oir l'esprit, possiblement, s'estompe. Ces
états suivent souvent un traumatisme
sévère provoquant des lésions irréver-
sibles au niveau des structures de la
conscience. De nombreux chercheurs
se concertent dans leurs efforts au jour
le jour pour mieux les évaluer; ce qui
permet, Ià aussi, de progresser dans la
compréhension de l'esprit. Avec cette
de prendre des décisions
adéquates, d'intégrer des
informations de différentes sources,
de les transmettre, de mémoriser
les pistes non pertinentes, mais
aussi de trouver des solutions plus
innovantes et intelligentes que
l'esprit humain (r). Des prouesses
gui, dans notre compréhension
actuelle des choses, ne sont
possibles qu'à travers de larges
réseaux de neurones. Par ailleurs,
au-delà de cette cellule de
référence, de nombreuses
recherches s'articulent aujourd'hui
sur des formes de perception, de
traitement de l'information, de
mémoire et de communication des
plantes 1zy. Des données qui, si elles
restent controversées, questionnent
indéniablement notre conception
même de I'activité mentale. r
R.R.
(1) Beekman M. & Latty T. (2015) Brainless but
Multi-Headed: Decision Making by the Acellular
Slime Mould Physarum Polycephalum. Journalof
Molecular Biology, 427 (23), 37 34-37 43.
(2) Gagliano M. et al., (2012) Out of Sight but Not
out of Mind: Alternative Means of Communication in
Plants. PLOS ONE 7(5): e37382.
question lancinante: Esprit, y es-tu
(encore) ?
Leur objectif est alors d'appréhender
de la façon la plus fiable possible Ia
présence ou l'absence d'une «forme de
conscience» quand Ie corps ne répond
plus - notamment grâce à l'étude de
I'activité électrique du cerveau ou à des
mesures comportementales. Qu'aurait
dit Descartes, en lisant Le Scaphandre
et le Papillon, cette autobiographie de
Jean-Dominique Bauby, ancien rédac-
teur en chef du magdzine E//e qui, suite
à grave accidentvasculaire cérébral, se
retrouve enfermé dans son propre corps
(locked-in syndrome), en possession de
toutes ses facultés et perceptions, sinon

lmage du fiTm Le scaphandre et le papillon retraçant la vie de Jean-Dominique Bauby
atteint à l,âge de 43 ans d,une attaque cérébrale qui a paralysé tout son corps,
à l'exception de son æil gauche.
celle fondamentale de se manifester à
l'autre ? force. Des chercheurs développent des
Décadence et magnificence
de l'esprit seul
Lesprit reste donc un sujet de fascina-
tion. La psychologie cognitive, Ies neu-
rosciences, loin de résoudre l'énigme
n'ont fait que lui donner de l'ampleur.
De grands débats animent toujours ces
disciplines au sujet de Ia conscience, du
corps et de l'esprit. Au début des années
1990, alors que les théories dominantes
de l'esprit étudient l'analogie homme-
ordinateur ou les réseaux de neurones,
des scientifiques comme Francisco
Varela prirent des positions radicales sur
les liens corps-esprit: les fonctions cor-
porelles (sensorielles etmotrices) étaient
des constituants à part entière de I'esprit
et non pas des systèmes secondaires au
service de l'esprit. Aujourd'hui encore,
cette vision, Ia «cognition incarnéer,
imprègne bon nombre de recherches en
sciences cognitives.
Paradoxalement, un peu plus tard, l'es-
w
R
prit sans le corps fait un grand retour en
systèmes contrôlés à distance pat «la
force del'esprll». Comme ces chercheurs
de l'Université deWashington qui créent
en2017 un instrument contrôlé par Ia
pensée. Celui-ci se base sur la technique
du biofeedback; c'est-à-dire un ensemble
de dispositifs qui permettent de mesurer
une activité physiologique (ici: l'acti-
vité électrique du cerveau via I'élec-
troencéphalogramme) et de traduire
cette activité en un signal observable
pour Ie patient (ici: un signal auditif)'
L'encéphalophone, ainsi dénommé,
transforme alors le signal cérébral en
note de musique en étant couPlé à un
synthétiseur.
Les défis futurs
Que restera-t-il alors de notre espritlorsque
les neurosciences en auront fait le tour?
Sans compter que les développements de
I'informatique et les avancées de I'intelli-
gence artificielle ont déplacé les façons de
penser la problématique corps-esprit.
It y a à peine trois ans, dans son désor-
mais best-seller Homo Deus (Albin
Michel, 2017), l'historien Yuval Noah
Harari parle des derniers jours de la
mort. Dans une perspective transhuma-
niste, demain peut-être, nous pourrons
dématérialiser I'essence humaine dans
un corps artificiel, sans contraintes,
réparable à l'infini. Des chercheurs che-
vronnés s'attellent déjà à l'entreprise de
construire des robots humanoïdes dont
I'architecture cognitive mime le compor-
tement humain iusque dans ces aspects
les plus insaisissables, Ies plus dyna-
miques. Des robots dotés d'une forme
d'esprit, qui relégueront possiblement le
test de Thring aux archives'
Avec l'avancée des technologies vient
aussi l'avancée des ambitions. En 2007,
le projet Blue Brain présente un super-
calculateur créé grâce au concours de
35 chercheurs de disciplines variées
(biologie, mathématiques, informatique,
physique...) et capable d'effectuer 23
milliards d'opérations par seconde. La
première étape d'une entreprise visant
à créer un cerveau virtuel de mammi-
fère en 2018, et à comprendre les mys-
tères de la pensée et de Ia conscience en
2033, selon les estimations du professeur
Henry Markram, à l'origine du Human
Brain Proiect Une entreprise toujours
en cours.
Que sera I'esprit demain ? Nous n'en
savons rien. Mais nous pouvons dire
qu'aujourd'hui, grâce auxprogrès d'ima-
gerie, la question implique sans doute
plus de ramifications que jamais aupa-
ravant. Les neurosciences ont tracé des
sillons de réflexion, fermé des portes,
pour en ouvrir d'autres, touché du doigt
certaines dimensions de I'esprit. Elles ont
localisé Ia perception, Ie sens donné, Ie
passage de lëveil à f inconscience... Tou-
tefois, à l'instar de toutes les questions
qu'elle approche, pour l'esprit aussi, Ia
neurobiologie peut à peu près tout expli-
quer, sans permettre pour autant de tout
comprendre. I
(1) Boly, M. et al. (2018). Consclous ness Regained:
Disentangling Mechanisms, Brain Systems, and
Behavioral Responses. The Journal of Neuroscience,
37(45), 1 0882-1 0893.
Août-septembre 20l9lScrercEs HunrrHes 35
N" 317 I
l
@tg,.*sprit
Lesinfluences

taprincesse
etle philosophe
Le «problème corps-esprit» est né d'une quesüon posée par É[sabeth
de Bohême à
Descartes sur sa conception duariste de la nature humaine.
Ce problème n'a pas été résolu, mais est repensé aujourd'hui sur de nouvelles bases.

Jear-Fnatçors Donnen

I était une fois une princesse très
intelligente qui voulait tout com-
prendre. Elle entretenait une cor-
respondance avec un des grands
philosophes de son temps.
La princesse s'appelait Élisabeth de
Bohême (1618-1680). Et te philosophe
nétait autre que Descartes (1596-1650).
Élisabeth avait été émerveillée par le
système de Descartes. Le monde, expli-
quait-il, est régi par des lois physiques.
Pour rendre compte du mouvement des
astres, nul besoin de faire appel à une
intervention divine: Dieu est un grand
horloger qui crée l'univers selon des lois
impérieuses que les lois mathématiques
peuvent dévoiler. Ilarc-en-ciel est un
phénomène physique explicable par
des lois de l'optique et non comme un
miracle. Le corps est comme celui des
animaux, une machine hydraulique, fait
d'une armature d'os et de chairreliés par
des câbles, des tubes où circulent diffé-
rents fluides.
Les êtres humains ont un corps qui fonc-
tionne selon les mêmes principes que
celui des animaux. En revanche, ils pos-

36 Scretces HuunrHes
I Août-septembre 2019

lN.srz
I
sèdent quelque chose de plus: un esprit;
celte « substance pensante», immaté-
rielle, qui nous donne Ia faculté de pen-
ser. Les humains sont donc composés de
deux natures: une nature matérielle (le
corps) et une nature pensante (l'esprit).
Descartes suppose que la jonction entre
le corps et l'esprit s'opère au niveau de
la glande pinéale, une petite structure
nichée au cceur du cerveau.
Élisabeth était séduite par cette belle
théorie. Mais une question Ia chiffon-
nait. En mai 1643, elle Prend donc sa
plume pour interroger Descartes sur
une contradiction apparente. Si, écrit-
elle, pour réaliser une action volon-
taire (écrire une lettre par exemple) son
esprit agit sur son corps (pour prendre
la plume), cela revient à introduire une
causalité extérieure (l'esprit) dans le
fonctionnement mécanique du corps.
Or, cette intervention extérieure dans le
monde physique revient à violer le prin-
cipe cartésien selon lequel un corps ne
peut être mu que par un autre corps' Une
intervention de I'esprit dans le monde
des corps matériels revient à réintroduire
les miracles que Descartes a répudié
dans sa théorie du monde.
Sans le vouloir, É. de Bohême vient de
mettre le doigt sur un énorme problème.
Descartes aura du mal à apporter une
réponse convaincante. La conception
dualiste de Descartes comportait une
faille apparente qui allait déclencher
un débat philosophique de plusieurs
siècles le problème corps-esprit sur
Iequel les philosophes continuent de
s'affronter fttoir encadré).
En philosophie, Ia théorie dualiste oppo-
sant un corps - entité matérielle - et un
esprit immatériel est généralement
attribuée àDescartes. En fait, elle a des
racines plus profondes. Bien plus tôt dans
l'histoire de la philosophie, la question
de savoir comment combiner un monde
d'idées pures, immatérielles et invi-
sibles, et un monde matériel embourbé
dans une matière aussi réelle que solide
et périssable, avait déjà donné du fil à
retordre aux philosophes de lAntiquité
(voir encadré l'âme dAristote).
Le dualisme des philosophes ne fait lui-
même que s'inscrire dans un schéma
hérité des traditions religieuses. La plu-
part des religions du monde sont ani-
mistes au sens ou que lui donne Edward
§lor, le fondateur du terme (voir encadré
«animisme r). Au monde d'ici-bas oùr
vivent les hommes, Ies animaux, Ies
plantes, se superpose un « au-delà »:
celui des dieux, des anges, des âmes des
défunts et autres entités invisibles. Après
la mort, cette partie immatérielle se
séparerait du corps et irait donc rejoindre
ce monde des âmes.
Mens sana in corpore sano
Le dualisme entre le corps et l'âme, entre
la matière et l'esprit, ne serait donc pas
une invention philosophique de Des-
cartes mais aurait un ancrage cogni-
tif beaucoup plus profond. Telle est Ia
thèse défendue par des psychologues
ou anthropologues pour qui le dualisme
ne relève pas du monde réel, mais de Ia
façon de Ia concevoir par le psychisme
humain.
Pour l'anthropologue Maurice Bloch,
dans toutes les cultures humaines, les
gens se représentent eux-mêmes comme
étant fait de deux entités distinctes: un
corps et un esprit. Que l'on aille en Nou-
Le u problème corps-esPrit
(ou problem»)
"mind body
Le problème corps-esprit trouve sa
source dans une question Posée Par
É. de Bohême à Descartes à propos
du dualisme: comment un esprit peut
agir sur une corps matériel sans violer
les principes de la physique ? Ce
problème est la source de nombreux
développements philosophiques ; il
porte non seulement sur la causalité
(esprit-corps) mais aussi sur la nature
de la conscience et sa fonction.
Déjà débattu en leur temps par
Malebranche ou Leibniz, le problème
a été relancé récemment en
philosophie de I'esprit en lien avec
I'essor des ordinateurs, des
neurosciences ou de la physique
quantique.
velle-Guinée ou en Amazonie, l'expé-
rience ordinaire des pensées intérieures
poussent les gens à les percevoir comme
différentes de leur corps. Les enfants
malgaches par exemple, nbntpas besoin
d'avoir lu Descartes pour penser que
leur esprit et leur corps sont deux choses
différentes (r1. Lianthropologue britan-
nique fack Goody refusait lui aussi de
considérer que la distinction esprit/corps
était une invention propre à l'Occident:
«Ijhumanité conçoit le monde au trauers
de certaines dualités, enl'occurrence la
dualité de l'esprit et du corps, comme dans
le dicton latin "mens sana in corpore
sano" . Il y a un esprit à l'intérieur du corps
et les deux sont considérés comme oppo-
sés et complémentaires. Cette distinction
représente I'expérience que les humains
ont de leur corps physique et de I'appareil
auec lequel ils pensent l'esprit » Philippe
Descola, professeurau Collège de France
en estvenu à admettre aussi que le dua-
lisme âme/corps est universel (2).
Les bébés cartésiens
La distinction corps/esprit étant univer-
selle, elle a sans doute des racines très
profondes dans Ie psychisme humain.
C'est que soutient le psychologue cana- )
»
De nombreux philosophes
contemporains ont aPPorté des
contributions au débat (H. Putnam, D.
Davidson, P. Churchland, J. Searle, J'
Fodor, D. Dennett, D. Chalmers, T.
Nagel, G. Strawson, etc.). lls se
partagent en différents courants de
pensée : éliminativistes, physicalistes,
f onctionnalistes,êmergentistes,
occasionnalistes et autres tenants du
panpsychisme (voir encadré).
En France, François Loth propose
une nouvelle solution appuyée sur
I'idée de tropes.
Loth Le Corps et I'Esprit. Essal sur /a causalité
F.,
mentale,Yrin,2013.
https://www.f rancoisloth.com
Août-septembre 2019lScreuces Hurlarnes 37
N.317 I
I
@tP.:*sprit
Les influences réciproques
; dien Paul Bloom, de l'Université deYale
(États-Unis), pour qui les bébés humains
sont naturellement « cartésiens » 1e1.
Des expériences montrent qu'ils com-
prennent très tôt que les choses (comme
une pierre, une bouteille, un livre) ne
peuvent pas se mouvoir tout seuls.
Inversement, ils attribuent très tôt aux
humains et aux animaux une volonté
propre qui les font se mouvoir seuls,
comme s'ils étaient nanimés, de l'inté-
rieur. Très tôt, les bébés manifestent donc
une vision « dualiste » de la réalité. Selon
P. Bloom, le cerveau humain disposerait
de deux dispositifs mentaux, (appelés
« modules r), générant chacun leur propre
façon d'appréhenderla réalité : le premier
module voit les objets comme étant mûs
par des relations physiques de ncause et
effet»,lhutre module admet que certains
êtres sont mus par leurs idées, des inten-
tions, de nature immatérielle. Le pro-
blème surgit aussitôt quand on chercher
à appliquer aux humains les deux types
d'explications.
Deuxfaçons devoir
lemonde
Le problème du corps et de l'esprit ne
serait donc qu'un casse-tête non pas
dû à la nature de la réalité (séparée
en deux entités) mais à notre struc-
ture mentale qui crée artificiellement
deux entités séparées: le corps et l'es-
prit. Il suffirait de remplacer le mot
Ou'est-ce que l'animisme ?
lJanthropologue britannique Edward
Tylor est I'inventeur du terme "animisme"
par lequel, il désigne la "doctrine des
âmes", présente dans toutes les
"cultures primitives".l âme est une
entité invisible, immatérielle et
immortelle; elle est le souffle vital qui
donne vie aux plantes, aux animaux, aux
humains. Mais elle survit à leur existence
matérielle et rejoint le monde de
I'au-delà. Les âmes ont de multiples
formes: celle des divinités, des esprits
des ancêtres, des forces de la nature qui
3B Août-septembre 2019
N'3I7
«esprit» pâr «çs1ysau» pour résoudre
le problème. Si l'esprit n'est rien d'autre
que le cerveau en activité cela signifie
que quand j'ordonne à mon bras de se
lever, l'aire frontale (oir se prennent les
décisions) agit sur l'aire motrice (qui
commande l'action des membres).
Tout n'est donc qu'interaction entre
différents sous-systèmes du cerveau.
Ce n'est pas l'esprit qui commande le
corps mais un organe (le cerveau) qui
agit sur un autre.
Le problème corps-esprit serait résolu
par une approche neuroscientifique.
Sauf que cette solution apparemment
simple ne l'est pas tant que cela. Si on
admet que I'esprit est l'autre nom du
cerveau en activité, il reste pourtant
des problèmes théoriques à résoudre:
pourquoi la conscience subjective
existe-t-elle ? Le cerveau pourrait fonc-
tionner de façon inconsciente comme
un ordinateur, un robot ou un lecteur
de code-barres sans faire appel à la
conscience subjective que nous res-
sentons tous lorsque l'on pense. Ce
problème de la nature de Ia conscience
subjective reste une point problème
difficile que la vision matérialiste a du
mal à expliquer. De fait, la conscience
est soit répudiée, soit considérée
comme un « épiphénomène )), sans
aucun rôIe pour la plupart des solu-
tions matérialistes. Son existence reste
donc mystérieuse.
déclenchent la pluie et les orages, celle
des fantômes qui rôdent.
Pour Tylor, "l'homme primitif a modelé
/es étres spirituels sur l'idée qu'il s'est fait
de son âme propre". Les âmes peuvent
être bienveillantes (ce sont les "mânes")
ou malveillantes (ce sont les démons),
La croyance en I'existence des âmes
n'est pas propre aux religions primitives:
elle est universellement répandue. E.
Tylor affirme nl'unité psychique de
I'humanité,.r
E. Tylor, Primitive Cultures, 1871, 2 vol. (en ligne).
Hâme selon Aristote
Pour Aristote, l?me n'est pas le propre
de I'esprit humain comme chez
Descartes. lJâme est plutôt conçue
comme une "force vitale" qui anime
les plantes, Ies animaux et les
humains. Dans son Traité sur l'âme,
Aristote assimile lâme à une "forme"
qui organise la matière et impulse son
mowement. L'ârne d'Aristote est une
préfiguration de ce gu'est IADN,
entendue comme ce qui donne forme
à un organisme, comrende son
développement et impulse certaines
conduites instinctives.
ll en distingue ensuite plusieurs
degrés. Lâme végétative est présente
chez les plantes, êtres vivants qui
naissent, croissent et se reproduisent.
Les animaux possèdent de surcro^rt
une âme sensitive qui les fait se
mouvoir et qui leur donne la facuhé de
percevoir le monde qui les entoure au
moyen des sens. Les humains
possàJent en plus des âmes
végétative et sensitive, une âme
intellective qui leur permet de penser.
Chez Aristote, la faculté pensante ou
"l'ir*ellect" ("noûs"), est un attribut
exclusif des humains "et de tout être
de cette sorte ou supérieur, s'il en
existe». r
De plus la causalité neuronale (qui
consiste à tout traiter en termes d'acti-
vité cérébrale) trouve aussi ses limites.
Le bras qui se lève sous l'effet d'un ordre
extérieur (l'obligation sociale de lever
Ie doigt avant de parler par exemple),
impose de sortir du cadre neuronal
pour faire appel à une causalité exté-
rieure, dans laquelle les sociologues par
exemple, auront beau jeu de s'immiscer
pour proposer leur propre causalité.
Problème plus difficile encore. Il se
peut que ce soit Ia lecture d'un livre
Descartes qui ait enclenché une dyna-
mique cérébrale de réflexion, polts-
sant Élisabeth de Bohême à prendre
la plume pour lui éèrire. Dans ce cas il
reste à comprendre comment une idée
exposée par Descartes dans ses livres
(et doncvia des signes graphiques tracés
sur une page) a déclenché une série de
Uextension du domaine de la conscience
La conscience et I'intelligence furent
longtemps considérées comme le
«propre de l'homme,. Or, dePuis
quelques temps, il est admis que les
animaux sont aussi des êtres à la fois
sensibles et I'intelligents. Les poissons
ressentent le douleur, les poulpes sont
rusés. Une conscience primaire est
largement distribuée dans le monde
animal,
Voici que la sensibilité et I'intelligence
semblent présentes sous certaines
formes chez les plantes. Des
expériences récentes ont montré par
exemple que les arbres sont dotés
d'un certain sens du toucher. Chose
encore plus inattendue, quand le vent
est trop fort, les arbres réagissent en
réduisant leur croissance (pour éviter
la prise au vent) et augmentent leur
enracinement pour mieux résister au
souffle du vent. Des électrodes
placées sur des tiges de jeunes
peupliers ont aussi enregistré des
réactions électriques, ressemblant à
un influx nerveux.
Panpsychisme
Les animaux, les plantes et même les
bactéries possèdent des formes de
conscience, pourquoi pas les objets
inanimés ? C'est ce qu'affirment
certains philosophes comme Thomas
Nagel ou David Chalmers qui
redonnent vie au «panpsychisme":
une idée déjà présente chez Spinoza
et Leibniz et selon laquelle les
éléments de la nature possèdent des
réflexions sous forme de connexions
neuronales. Et comment une même
« idée » si on la réduit à son suPPort
matériel peut-elle être véhiculée par
des supports: des signes graphiques
(écriture), des ondes sonores (par Ia voie
orale), des supports numériques (par la
voie de l'ordinateur) ou des influx ner-
veux (voie neuronale) ?
Les neuroscientifiques peuvent obser-
ver les neurones en activité, mais ils ne
formes élémentaires de volonté et de
conscience.
Prenons la cas d'un ordinateur: il
perçoit et analyse des informations
reÇues de son environnement (via ses
récepteurs externes que sont le
claviel un micro ou une caméra
webcam). Voilà qui le rend
nconscient, de son environnement.
Selon David Chalmers, un
thermomètre qui réagit à la
température extérieure peut aussi être
considéré comme conscient. Certes
ce n'est pas une conscience
comparable à celle des humains: le
thermomètre n'éprouve pas le chaud
et le froid comme nous le faisons.
Mais I'objet n'y est pas insensible
puisque le niveau de mercure monte
peuvent expliquer comment les idées
qu'ils contiennent s'associent, se per-
cutent, ou se combattent et provoquent
parfois des éclairs de génies ou des
énigmes irritantes.
À travers des canaux matériels de trans-
mission bien différents - neurones,
livres, écrans, paroles- Élisabeth de
Bohême a en fait soulevé une tempête
d'idées qui continue à animer Ie monde
des philosophes de l'esprit. Comme si
ou descend en fonction de la
température.
À la limite, les atomes qui agissent les
uns sur les autres et réagissent
disposent d'une forme de conscience
élémentaire selon les tenants du
panpsychisme.
"Objets inanimés, avez-vous donc
u ne âme !",s'interrogeait Baudelaire.
"QL,i ", répondent les théoriciens du
panpsychisme, qui redistribuent à leur
façon les cartes d'un vieux débat entre
le corps et I'esprit. r
Thomas Nagel, L'esprit et le cosmos. Pourquoi la
conception matérialiste néo-darwinienne de la nature
est très probablement fausse, Vrin, 2018
David Chalmers, L'esprit conscient. À la recherche
d'une théorie fondamentale, lthaque, 201 0.
l'esprit retors continuait à planer au-
dessus de leur tête. r
(1) Bloch M., .Les en{ants mâlgaches sont-ils
ss46gisns", Sc,:ences Humalnes, Hors série, n'23l1999.
(2) Descola P,, Par-delà nature et cukure, Gallimard,
2005. La distinction corps/esPrit est universelle mais
quâtre types de visions du monde -totémiste, animiste,
naturaliste, analogique- se distinguent selon les êtres à
qui on attribue ou non une âme.
(3) Bloom P., Desca rles' Baby: How the Science of
Child Development Explains What Makes Us Human,
Arow' 2004.
39
@t9.t"sprit
Les influences réciproques
Alexithymie,
lémotion indéchiffrable
5 à 15 To de la population souffrirait d'alexithyrnie: les personnes concernées
ont du mal à identifrer etverbaliser leurs émotions, lesquelles ressurgissent
souvent sous forme de douleurs et maladies.
voir le cæur qui bat rapide-
ment, I'estomac noué... est
reconnu par la plupart des
individus comme signe évo-
cateurs de l'anxiété. En effet, pour que
nous puissions y accéder consciemment,
nos émotions sont enrichies d'une
variété de réactions corporelles (change-
ment de température corporelle,
contractions viscérales...) qui nous ren-
seignent sur Ia qualité et l'intensité de ce
que nous ressentons. Certaines per-
sonnes, cependant, sont incapables
d'identifier ces signaux corporels comme
étant liés à la présence d'une émotion et
donc de distinguerle ressenti qui accom-
pagne par exemple la colère ou la peur.
Ces personnes éprouvent également des
difficultés à reconnaître ce qui traduit la
présence d'une émotion chez une autre
personne, comme les expressions
faciales ou le ton de la voix.
IJalexithymie, terme que l'on peut tra-
duire par « sans mots pour les émotions »,
est un trait de personnalité qui caracté-
rise ces personnes éprouvant des diffi-
cultés non seulement à identifier leurs
émotions, mais aussi à les exprimer.
Comme tous les traits de personnalité,
il est présent à des degrés divers chez
chacun d'entre nous, et les symptômes
ne sont généralement pas assez « impor-
tants» pour un diagnostic mental à part
entière. Il peut être évalué à l'aide de
questionnaires - comme la Io ronto Alexi-
thymia Scale-, qui permettent de déter-
miner dans quelle proportion ce trait est
présent et s'il dépasse un certain seuil
(un score donné) permettant de qualifier
40 ScreHcEs Huuenes I Août-septembre 2019
I N'srz
I
I
I
Olvren Luurter
Directeur de recherche au Fonds belge de la
recherche scientifique (FRS-FNRS),
professeur extraordinaire à l'Université
catholique de Louvain et chargé de cours
à l'Université libre de Bruxelles.
une personne dk alexithymique ». Selon
les études, 5 à 15 % de la population géné-
rale serait concernée.
Àlécouteducorps
La conception prédominante des mala-
dies psychosomatiques jusqu'en 1970
impliquait l'existence de sept maladies
mises en directe correspondance avec
un conflit psychique spécifique. Depuis,
Quand le cæur s'emballe
Xavier consulte une série de
spécialistes pour une hypertension
chronique. Ses examens sont
rassurants. Pourtant, dès qu'il est
hors de chez lui, voilà que
resurgissent les maux. ll décrit dans
les moindres détails les ressentis
corporels qui le gênent: la sensation
d'oppression de sa cage thoracique,
sa gorge qui se noue... Ce qu'il est
incapable de nommer, c'est I'anxiété
qui précède. ll ne parlera jamais de
peur, sera incapable d'identifier la
suite de pensées (les inquiétudes,
I'exagération des menaces et
conséquences négatives...) qui I'ont
mené à I'attaque panique provoquant
ses nsymptômes cardiaques,. ll
Ieur conceptualisation a largement évo-
lué (uoir l'article p.,12), et elles sont aussi
mieux comprises. Notamment grâce aux
efforts concertés de deux chercheurs,
Peter Sifneos et Iohn Nemiah 1r; qui, à
travers le recoupement systématique
dbbservations éparses, mirent en exergue
un point commun chez des patients souf-
frant dâffections variées (hypertension,
ulcère peptique...): alors que ceux-ci
pouvaient décrire avec précision leurs
sensations corporelles, ils semblaient
incapables de les faire correspondre à
leurs sentiments subjectifs et de nommer
ceux-ci. Ces patients, sont par ailleurs
généralement peu imaginatifs. Sifneos
ressent ces sensations corporelles
comme si elles étaient le symptôme
d'une maladie somatique, et non
I'expression d'une émotion. Les
médecins ne parviennent pas à
provoquer chez lui une introspection
suffisante. Ses tentatives d'accéder à
son vécu émotionnel sont très
pauvres, comme s'il ne possédait pas
le vocabulaire pour l'évoquer. Ces
sollicitations I'agacent par ailleurs et il
rejette assez vigoureusement
I'hypothèse d'une origine
psychologique. ll est en revanche prêt
à passer à I'action par tous les
traitements et tous les examens
nécessaires pour faire taire ses
maux.r Romrxr Rrtmor
 \ \
lt
&;
et Nemiah posent alors Ies prémices du
concept d'alexithymie et des dimensions
quilacomposent.
La « cécité émotionnelle » récentes indiquent une forme de disso-
Les personnes concernées ressentent
des émotions. Mais elles peinent à se les
représenter mentalement, à les distinguer,
à traduire ces sensations internes en un
langage verbal articulé et à communiquer
à propos de ce qu'elles ressentent. C'est
pourquoi lhlexithymie est parfois décrite
comme une «cécité émotionnelle». Tout
comme Ie monde continue d'exister hors
de la vision d'une personne aveugle, les
émotions sont alors présentes, notam-
ment à traversles signauxcorporels, mais
inaccessibles à la mentalisation et à Ia
description.
À ces dimensions émotionnellesviennent
s'ajouter des dimensions cognitives. Ces
personnes ont ainsi une vie fantasma-
tique particulièrement pauvre. Enfin,
les personnes qui présentent un «haut
niveau » d'alexithymie ont également
tendance à avoir unmode de pensée qua-
lifié dbpératoire, tourné vers les aspects
concrets de l'existence au détriment des
aspects affectifs, lorsqu'ils sont face à des
situations traumatiques ou conflictuelles
(un deuil, une dispute conjugale). En
quoi cette «cécité émotionnelle» rêDd-
elle plus vulnérable aux maladies dites
psychosomatiques? Les données les plus
ciation, de coupure plus ou moins nette,
entre l'activité physiologique réelle, les
signaux corporels liés à la présence d'une
émotion, et le ressenti subjectif qui devrait
correspondre.
En effet, lors d'expériences oùr des per-
sonnes alexithymiques sont soumises
au stress, leur corps réagit moins, alors
qu'elles expriment ressentir paradoxa-
lement un stress plus important... Ou
encore alors qu'elles doiventvisualiser un
film déplaisant, par exemple évoquant Ia
douleur du protagoniste, leur réactivité
physiologique est beaucoup plus élevée,
alors qu'elles évoquent moins de déplaisir.
Cette difficulté à lier les ressentis corpo-
rels de façon subjective et consciente à
des émotions provoque une expérience
émotionnelle incohérente, qui ne ferait
qu'accroître les signaux somatiques -un
peu comme si le corps « augmentait le
volume, jusqu'à ce que l'émotion soit
« enfin entendue ». Avec, comme corol-
laire chez Ie patient, la recherche d'une
aide plutôt médicale que psychologique.
t
\ t
P
,é
E
\:,
Une alliance difficile
avec le thérapeute
Ce qui implique une autre question fon-
damentale: comment aider psychologi-
quement une personne qui ne peut com-
muniquer ses émotions au thérapeute?
Paradoxalement, il ne semble pas que la
présence de traits alexithymiques rende
plus difficile l'engagement dans la théra-
pie. En revanche, un niveau initial élevé
sur ce trait ralentit le processus. Face à ces
difficultés, il estnécessaire d'enüsager des
interventions spécifiques laissant la place à
dâutres états de conscience, comme I'hyp-
nose ou sollicitant d'abord les réponses
corporelles comme la relaxation. Orienter
lâttention sur les émotions positives plutôt
que négatives et insister sur des aspects
ludiques de la thérapie contribueront à
améliorer lhlliance thérapeutique ce qui
permettra ensuite d'explorer les émotions
douloureuses et non mentalisées. r
(1) Nemiah J. C. et al., Alexithymia: A View of the
Psychosomatic Process. ln: Hill OW, editor.
Modern Trends in Psychosomatic Research. Vol. 3.
Buttersworth; London: 1 976r
POUR EN SAVOIR PLUS:
Luminet O., Vermeulen N., & Grynberg D' (2013)
L'alexithymie. Comment le manque d'émotions
peut alfecter notre sanré. Bruxelles : De Boeck,
collection Le point sur.
4l
@"tp
Michel Bouquet dans Le
Malade imaginaire au
théâtre de la Porte-Saint-
Martin, Paris,2008.

%
\i I

Dbùviennent
les troubles
psychosomatiques ?
Le mot psychosomatique vient à l'esprit dès que l'on suspecte une origine
psychologique à un symptôme ou à une maladie. D'où viennent précisément
ces états, gui en souffre, et comment les soigner?
Aurt Aurner
es situations sont en fait Professeur honoraire de neurologie à regroupement des symptômes n'est pas
variées. De nombreuses mala- l'Université François Rabelais de Tours logique, Ies bilans répétés normaux et le t
dies - avec des symptômes, des recul suffisant pour exclure une cause
I
anomalies aux examens com- grec : psuchéI'esprit, somale corps). organique.
plémentaires et des lésions spécifiques - Très différents sont les états patholo- Notons enfin que près de deux tiers des
sont ainsi sensibles à des facteurs psy- giques, invalidants et chroniques, appe- patients qui consultent pour Ia première
chologiques : l'asthme, l'eczêma, Iés troubles somatiques ou conversions fois un généraliste n'ont tout simple-
l'hypertension artérielle ... sont des (voir encadré) qui ne correspondent pas ment aucune lésion organique. Ce qui
exemples incontestés. Leur aggravation une maladie « lésionnelle » classique et ne veut pas dire, loin s'en faut, qu'ils ne
en cas de stress prouve cette interaction posent la question d'une origine psy- souffrent pas...
entre psychisme et état somatique (en chologique. On les évoque lorsque le Dans ces différentes situations, lécoute

42 Sqerces Huuarles I Août-septembre 20lg

I N'srz
I
I
I
 attentive suggère un dysfonctionnement
psychologique, en quelque sorte une
nblessure de l'âmer. Ces faits sont connus
t
depuis l'aube de la médecine. Depuis, la
Iecture de ces troubles somatiques d'ori-
I
gine psychologique a évolué, sans pour-
tant qu'il soit répondu à toutes les ques-
tions, et que toutes les zones dbmbre aient
été éclaircies.
Au-delà des difficultes diagnostiques pour
les cliniciens, ces troubles posent avant
toutde redoutables problèmes auxpatients
eux-mêmes. Ces derniers excluent généra-
Iement toute origine psychol ogique (« Je ne
suis pasfour), et cherchent, en vain, une
maladie là oùr elle n'est pas. Par défaut, ils
peuvent préférer s'orienter vers des expli-
cations irrationnelles, non prouvables,
souvent façonnées parle contexte culturel
(syndrome de Ia guerre du Golfe, effet des
radiations électromagnétiques, vaccina-
tions.. ) oumettre en causela compétence
du système médical. Le médecin traitant
peut d'ailleurs participer à ce déni de
" cérébrale inhabituelle,
lbrigine psychologique». En conséquence,
il a parfois tendance à multiplier les exa-
mens somatiques; ce qui accroît l'inquié-
tude du patient et sa méfiance envers le
monde soignant, surtout si les comptes-
rendus laissent place au doute.
Comment expliquer cette puissante
influence de l'esprit surle corps? Plusieurs
théories psychodynamiques, plus ou
moins validées, suggèrent que la somati-
sation est liée à une prédisposition acquise
dans l'enfance. Notamment, Freud et
Breuer, à partir des psychanalyses des cas
historiques dAnna etde Dora, ontproposé
l'idée de la transformation d'un «émoi
psychique» en symptôme somatique.
Dans la théorie initiale de la séduction
proposée par Freud, Iémoi déclenchant
est une agression sexuelle -dont il recon-
naîtra plus tard qu'elle peut avoir été plus
imaginée que réelle. Ce traumatisme a
été refoulé. Son souvenir a été remplacé
par une mémorisation partielle des évé-
nements associés. C'est à partir de ceux-ci
que se sont élaborés, de métaphore en
métaphore, les symptômes somatiques.
Toutefois, cette conception théorique
n'a jamais donné lieu à des plans expéri-
mentaux de validation. Et c'est infiniment
regrettable, dâutantquelespsychanalyses
n'ont pas non plus démontré une efficacite
éclatante, et que parmi les conséquences
désastreuses des traumatismes sexuels, la
survenue ultérieure de symptômes soma-
tiques nhpparaît pas avoir une prévalence
particulièrement élevée (r,z).
Pourtant, avec les mouvements de dénon-
ciation des abus sexuels, lhctualité nous
offre un argument de validation sociétale
de ces théories: suite à un abus sexuel,
quelle qu'en soit la gravité, la réaction est
nécessaire pour entreprendre un travail
de résilience!
Une deuxième piste psychologique, issue
des réflexions psychanalytiques, est la for-
t tômes somatiques ou de conversion. Ces
Certains patients ont
crééune organisation
quel'onpeut quaWer
de «üuialüe».
+ la mémoire autobiographique et affective.
mation dans l'enfance d'une personnalité
psychosomatique. Le score dhlexithymie
(uoir article p.40), qui mesure l'ensemble
des traits de cette personnalité, se trouve
ainsi significativement élevé dans les s1m-
dromes douloureux non lésionnels chro-
niques et prédisposerait à certaines patho-
logies comme lhsthme ou l'hlpertension
artérielle(e). Ce point est important, car il
permet de passer des hypothèses auxfaits
scientifiques démontrés.
Enfin, d'autres mettent en avant le rôle
néfaste d'un attachement non sécuri-
sant. Le mode d'attachement -un concept
notamment théorisé par le psychiatre
fohn Bowlby- désigne la façon dont Ie
petit enfant a appris à gérer le premier
stress qu'il a rencontré: l'éloignement
de sa mère ou de son substitut. En cas
de réponses non sécurisantes, l'enfant
a tendance à amplifier ses appels et ses
plaintes en vue de retrouver le calme et
la sécurite. II mémorise l'efficacité de ses
comportements déüants, et formate ainsi
les modalités de sa réaction ultérieure
face à un stress, qui se fera ainsi par le tru-
chement des symptômes appris antérieu-
rement. Les modalités de I'attachement
sont appréciables par des échelles déva-
luation. De nombreuses études ont pu
ainsi démontrer la plus grande fréquence
d'un attachement dysfonctionnel chez
des patients présentant des symptômes
somatiques ou douleurs non lésionnelles.
IJapport des neurosciences
Plus récemment, la neuroimagerie tente
aussi déclairer ces mécanismes psychoso-
matiques. Notamment dans quelques cas
particulièrement bien étudiés de symp-
travaux soutiennent I'hypothèse évoquée
plus haut, selon laquelle ces patients ont
créé, du fait de leur histoire personnelle,
une organisation dufonctionnement céré-
bral inhabituelle, que lbn peut qualifier de
«déviante». Celle-ci peut être mise en jeu
Iors de souvenirs à forte connotation émo-
tionnelle, par I'intermédiaire dtne activa-
tion des zones cérébrales impliquées dans
Ces travaux suggèrent que lhctivation de
ces zones peut interférer sur le fonction-
nement encéphalique physiologique habi-
tuel. Chez ces patients, des perturbations
du comportement moteur ou sensitif,
des crises, ou des troubles de la mémoire
peuvent alors survenir sous l'impulsion
de facteurs psychologiques(+,s). Si une
explication de ce type peut être envisagée
pour les douleurs non lésionnelles qui
sont toutes associées à un hyperfonction-
nement des zones cérébrales impliquées
dans Ia douleur, cette vue reste cependant
àdémontrer.
Ces organisations déüantes ont un impact
très variable d'un sujet à un autre. Nous
n'avons pas tous la même sensibilité au
stress ni la même capacité à réagir. On
peut regarder ces différences interindiü-
duelles comme la résultante de l'interac-
tion entre notre état encéphalique consti-
tutionnel (qui est modulé par nos propres
singularités génomiques), etnotre histoire
personnelle. Les événements de I'enfance;
Août-septembre 20lglScleHces Huurtres 43
N" 3l? I
I
@tp..tusprit
Les influences réciproques
Des maladies réelles ?
Selon les classifications nord-
américaines (DSM), les maladies
correspondant à des symptômes
somatiques ou des conversions
correspondent à une gêne durable,
affectant différents secteurs de la vie de la
personne, sans anomalie aux examens
répétés et qui n'évoque aucune maladie
répertoriée. La forme la plus grave est le
trouble de somatisation qui débute
généralement avant 30 ans et associe
plusieurs symptômes douloureux, des
troubles gastro-intestinaux, sexuels et
d'allure neurologique. Dans des formes
plus atténuées, et plus fréquentes, ces
états se manifestent par un symptôme
prédominant: fatigue, atteinte d'un organe
(colon, vessie, organes sexuels...),
douleurs musculaires dont la fibromyalgie,
céphalées chroniques quotidiennes, etc.
Les conversions sont une forme spécifique
dont les symptômes évoquent des troubles
du système nerveux : crise, paralysies,
trouble moteur, confusion, trouble de la
mémoire..., sans lésion anatomique. r A.A.
)ne sont peut-être pas la seule interpréta-
tion, et on peut aussi avancer l'idée qu'une
organisation déviante puisse se réaliser à
un âge plus avancé en réaction à des évé-
nements traumatisants.
Certains éléments de vie pourraient pré-
8&
a\
I
t
:,
& Albin Michel;et Les Effets placebo,2013, llHarmattan.
44 Août-septembre 2019
N'317
cipiter la transition vers un état psycho-
somatique. L apparition des premiers
symptômes pourrait résulter d'une n
occasion» correspondant à un stress
actuel ou la résurgence d'une probléma-
tique ancienne, justement via lhctivation
des circuits dela mémoire affective. Dans
Ia conception de Bowlby, le symptôme
somatique est une réaction au stress et un
appel à l'aide. Ce point est majeur, car il
n'est compris ni des patients ni du monde
soignant. Dans la conception spécifique-
ment freudienne, il permet de rejouer
sans interdit la scène cedipienne incon-
sciemment désirée, et l'extension des
symptômes est un mécanisme de défense
face à un accroissement de la culpabilité.
Une fois la transition amorcée,lévolution
de l'état psychosomatique est fonction
de I'interdépendance entre le stress et
les symptômes somatiques. Ilanxiété
génère des symptômes. Les symptômes
accroissent l'anxiété. Une spirale infer-
nale est ainsi amorcée. Au plan scienti-
fique, ces tendances peuvent être éva-
luées par des échelles qui mesurent la
sensibilité à la douleur et la sensibilité à
l'anxiété(o). Le modèle biologique sous-
jacent estproche de celui de I'effetnocebo
qui est la survenue de symptômes lors
d'une annonce négative. On sait que cet
effet est en relation avec des modifications
de la neurotransmission intracérébrale
,n
it,, r*1
Femmes souffrant
fibromyalgie
et en particulier avec une réduction de Ia
libération d'endorphine et de dopamine.
Létat se pérennise via des processus de
plasticité cérébrale. Ultérieurement le
patient adapte sa vie à ses symptômes et
inversement. Livré à lui-même, il s'en-
fonce dans une impasse dont il méconnaît
Ies déterminants
De la reconnaissance
ausoin
Les mécanismes dhction de toute théra-
peutique s'inscrivent de façon compré-
hensible dans ce modèle. Tout d'abord Ie
patient doit être persuadé qu'il n'a pas de
maladie somatique causale: ses symp-
tômes étant l'expression d'un stress actuel
ou passé, la solution est en lui-même. Il
faut toutefois pouvoir soulager les symp-
tômes gênants (en usant d'antalgiques à
des doses non toxiques, d'anxiolytiques et
dântidépresseurs, si besoin), mais aussi
Iâmeneràune meilleure hygiène psycho-
logique de la vie avec activités relaxantes
et investissements de toute nature permet-
tant un nlâcher-priser, une saine gestion
des stress et une restauration des figures
d'attachement. Les placebo-thérapies
peuvent avoirunintérêtponctuel, à condi-
tion qu'elles ne soient pas nocives et ne
retardent pas une prise en charge de fond.
Les psychothérapies doivent être discu-
tées au cas par cas. r
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 \
\*"1

Bu,* tlr

t* l-f

t
%
\

Et sila santé mentale

était dans thssiette ?
Certains aliments pourraient s'avérer particulièrement bénéfiques pour nos
fonctions mentales. Quand la nourriture ne suffït pas, faut-il se ruer
sur les compléments alimentaires?
Romru Rrulor

es dernières années, les
recherches sur les aliments du
bonheur, de la mémoire, du
sommeil... déjà bien présentes
dans la littérature scientifique, se sont
multipliées. En effet, l'intérêt croissant
pourlâxe cerveau intestin (voirencadré)
a donné un terrain propice à l'idée que
notre alimentation influe bien au-delà de
notre système digestif. Une idée «vieille
comme le monde r, dès lors légitimée par
la découverte progressive (et toujours en
cours) des mécanismes complexes qui
orchestrent la régulation de notre mental
à partir du contenu de nos entrailles.
Après tout, notre activité mentale est liée
à des processus biologiques fonctionnels
ou dysfonctionnels. Dès lors, les micro-
nutriments contenus dans certains ali-
ments, par leur action diffuse, auraient la
capacité soit de protéger, soit de mettre
en péril les processus en question.
Dans le domaine de la santé mentale,
le phénomène prend une ampleur suf-
fisante pour qu'un journal prestigieux
tel que le Lancety coirsacre un article
de synthèse en 2015. Cet article s'ouvre
sur le constat que jusqu'ici, l'approche
pharmacologique des troubles mentaux,
dont I'anxiété et la dépression sont les )
Août-septembre 20l9lScreHcEs Huuarues 45
N" srz I
I
I
I
@tP:*sprit
Les influences réciproques

)plus prévalentes à travers le monde, s'est Haxe cerveau - intestin

avérée relativement peu efficace. Non
seulement à long terme, mais surtout en
matière de prévention de ces troubles.
Une raison suffisante pour aller son-

der ce qui se passe chez les enfants et
adolescents, futures victimes toutes
désignées a priori. Cela commencerait
alors possiblement dès la vie intra-uté-
rine, oùr les carences en macronutri-
ments importants - protéines, lipides
et glucides (notamment en raison de
périodes de famine)- pourraient mener
à des troubles du comportement dans
la petite enfance. Et cela se poursuivrait
à l'adolescence oùr la
malbouffe engen-
drerait une moins bonne santé mentale.
Ces relations sont bien sûr complexes et
toujours à l'étude, mais les recherches
ont le mérite dâttirer l'attention sur I'im-
portance de l'alimentation, dès le plus
jeune âge, et des modes d'intervention
non pharmacologiques possibles pour
améliorer la santé mentale.
Les nourritures affectives
Une telle approche a-t-elle fait ses
preuves ? Les données disponibles
laissent en effet à penser qu'il s'agit d'une
piste prometteuse. Ainsi, dans une méta-
analyse parue en 2017 dans la revue psy-
chiatry Research,2l études ont été mises
en perspectives afin de juger de l'impact
du régime alimentaire sur le risque de
dépression à l'âge adulte. Il en ressort un
effet significatif montrant que le régime
alimentaire ditméditerranéen (de l'huile
dblive, des céréales complètes, des fruits
et légumes, du poisson...) avait tendance
à diminuer le risque de dépression, alors
que le régime dit occidental (de laviande
rouge, du beurre, des aliments transfor-
més...) lhugmentait. Les auteurs de cette
étude soulignent plusieurs mécanismes
d'action potentiels pour cette relation
favorable.
Premièrement, le fait que les antioxy-
dants naturellement présents dans
les fruits et légumes ont Ia capacité de
réduire le stress oxydatif des neurones.
Deuxièmement, la présence, dans ces
mêmes aliments, d'acide folique (vita-
TE
Popularisé par le best-seller, Ie
charme discret de l'intestin {G. Enders,
2014, Actes Sud), l'axe cerveau-intes-
tin suscite un intérêt croissant des
scientifiques et du grand public. En
anglais gut microbiota-brain axis, iI
se réfère àun réseau bidirectionnel
de communication entre l'intestin et
le cerveau.
La compréhension de ce réseau à mentl'anxiété). Toutefois, laplupart des
double voie entre nos entrailles et notre
vénérable cerveau reste encore mys-
térieuse pour certains aspects de son
fonctionnement. Mais les chercheurs
ont pu identifier que les 100 trillions de
bactéries du corps humain adulte (dont
mine 89) qui a une fonction primor-
diale dans le développement neuronal.
C'est pourquoi les femmes enceintes se
voient prescrire systématiquement de
lhcide folique sous forme de comprimés.
Ces compléments d'acide folique ont
par ailleurs déjà fait leur preuve dans
le traitement de la dépression 1ry. pour
comprendre, il faut savoir que la dépres-
sion est liée à une dérégulation dans
la synthèse de messagers chimiques
entre les neurones appelés neurotrans-
metteurs, plus particulièrement de l'un
d'entre eux, la sérotonine. D'ailleurs,
\
B0% dans l'intestin) étaient à la fois
influencées dans leur composition et
leur organisation par des événements
de vie qu'on pensait plutôt limités au
système nerveux central (le cerveau)
- par exemple, le stress. Mais aussi,
qu'en retour, la qualité de cette joyeuse
colonie appelée microbiote avait une
influence sur la santé mentale (notam-
études sont pour le moment limitées à
l'animal (r).t R.R.
(1) Wans, H. X., & Wans, Y. P. (2016). Gut
microbiota-brain axis- Chi nese Med ical Journal,
1 29(1 9), 2373-2380. https://doi.org/1 0.41 O3/0966-
6999.1 90667
Ies médicaments dits antidépresseurs
sont souvent des inhibiteurs de la recap-
ture de Ia sérotonine; c'est-à-dire qu'ils
font en sorte que ce messager chimique
reste plus présent, plus longtemps, de
sorte à réguler les mécanismes de com-
munication entre les neurones. Lacide
folique étant un précurseur important
pour la synthèse de la sérotonine, c'est
en cela que sa présence dans le corps
pourrait réduire le risque de dépression.
Enfin, la présence de n bonnes graisses »,
les oméga 3, réduiraient les processus
inflammatoires et améliorerait la trans-

46 ScreHces Hurvrnrr.res I Août-septemb re 20lg

I N" 317
I
I
I
mission neuronale.
En effet, s'il y a bien des molécules plé-
biscitées - seules ou en association à une
médication « traditionnelle, - pour leurs
effets sur les émotions et les fonctions
cognitives, ce sont les oméga3, aussi
appelés acides gras, notamment présents
dans les poissons. Il y a presque cinq ans
déjà, alors que j'assistais à un congrès
international de psychiatrie, parmi les
«symposiums Pfizer», les «tables de dis-
cussion Roche », quelle ne fut pas ma sur-
prise de voir apparaître au programme
toute une session sur les oméga 3. Le
monde médical se rendait-il compte que
Ia biologie du corps humain ne sârrêtait
pasauxmédicaments?
Pour simplifier, ces acides gras, qui ne
sont fabriqués par l'organisme qu'en
faible quantité, pourraient notamment
participer à une bonne myélinisation des
neurones. C'est-à-dire qu'i1s renforce-
raient la gaine, appelée myéline, qui isole
les neurones, et permet une conduc-
tion optimale, un peu comme celle d'un
fil électrique. Les études concernant
l'implication des acides gras dans des
maladies neurodéveloppementales
comme l'autisme, la psychose ou encore
les troubles déficitaires de l'attention, se
sont multipliées, sans pour autant mon-
trer de résultats cohérents jusqu'ici(z).
Le régime qui boostevos
neurone§
Dans d'autres conditions, et aux bonnes
doses, ces acides gras semblent cepen-
dant participer à ralentir le vieillisse-
ment cognitif. En effet, selon une équipe
italienne de chercheursqa;, certaines
molécules (dont les oméga 3 et la vita-
mine B9), administrées sous forme de
compléments alimentaires, bénéficie-
raient de preuves jugées suffisantes pour
considérer qu'elles participent au bon
fonctionnement cognitif chez Ia per-
sonne âgée. Lexplosion du nombre de
démences (maladies neurodégénéra-
tives), l'engouement envers les régimes
« anti-Alzheimer, est tangible. Un
régime appelé MIND, reprenant grosso
modo les principes du régime méditer-
ranéen, est ainsi au centre de toutes les
attentions depuis que plusieurs études
ontmis en évidence ses effets protecteurs
surle déclin cognitif Iié à l'âge, mais aussi
sur le ralentissement dans la progression
de la maladie dAlzheimer.
Larecettedubonheur
est parfois hasardeuse !
Si les études dont nous avons parlé
peuvent servir de lignes directrices pour
adopter un style de vie plus sain, notam-
ment de meilleures habitudes alimen-
taires, les promesses grandiloquentes
doivent toutefois être nuancées. En effet,
l'alimentation n'est qu'un facteur parmi
des milliers d'autres (certains sur les-
Le fantasme
de la pureté du corps
Dans la coürse effrénée à la santé, it
faut veiller à ne pas s'égarer. FJt éle*,,
à force de vouloir créer u* esprit plus
performant par un cûrps pfus sain,
nous pourrions être amenés à derenir
maniaques du contrôI,e lotsqu'il s'aglt
de ce que nous ingérons" C'est æ que
suggèrent les données sur
l"orthorexie, un coneept thénrigue
développé en 1997 par b Dr. Steren
Bratman pour décrire la tendarrce
obsessionnelle à n'ingérer gue des
aliments considérés comme osains"
et qui rnet I'aecent sur la qualité, [a
composition et la pureté des aliments-
Les consâquences les plus erridcfites
étant les carences nutritionnelles, une
perte de poids importante, un retrait
social, une dêtresse émotionnefle, ou
encore des complications médicales
diverses (rénales par exemple) et, plus
rarement certes, un giissernent vers
l'anorexie mentale. Une attifude, on
I'imagine, qui est loin d'être optimale
si I'on veut arréliorer sa santé
mentale, sa quatité de vie etson
bien-êûre général. r Scoping Review. Journal of Nutrition, Health and
R.R.
quels nous avons prise, d'autres pas).
Aussi, quand les effets de l'alimenta-
tion sont passés au crible, les résultats
peuvent parfois être... surprenants.
À ce sujet, il faut citer une étude menée
en 2013 [1] par deuxchercheurs en onco-
logie et intitulée (traduit) : Est-ce que
tout ce que nous mangeons est lié au can'
cer? -(Jne revue systématique du liure
de cuisine. Les auteurs ont utilisé une
méthodologie aussi drôle qu'astucieuse.
Partant d'un livre de cuisine, ils ont
sélectionné aléatoirement 50 ingrédients
communs puis recherché dans une base
de données scientifiques de référence les
articles étudiant I'effet de ces ingrédients
sur la probabilité de survenue d'un can-
cer. Sur les 50 ingrédients, 40 étaient
associés dans la littérature tantôt à un
plus grand, tantôt à un plus faible risque
de développerun cancer. Au menu : du
vin, des tomates, du sucre, du porc, du
café, du thé, du sel, du beurre, du pain,
du citron, du lait, des æufs, des pommes
de terre, des olives, du maTs, etc. Le plus
drôle étant de voir que la plupart des
ingrédients ont au moins une étude met-
tant en avant leur potentiel protecteur et
une autre mettant en avant leur potentiel
néfaste (le café, par exemple, vous sau-
vera et vous tuera simultanément); seul
le porc étant considéré par les études
complètement néfaste et les olives com-
plètement protectrices.
En prenant un peu de recul, nous pou-
vons donc affirmer que lorsqu'il s'agit
d'isoler les bienfaits de tel ou tel ingré-
dient, on trouve rapidement à boire et à
manger!r
(1) GiHædç S. et aI. (2007). ls low lolate a riskfactor
for depression? A meta-analysis and exploration of
heterogeneity. )ournal of Epidemiology and
Community Health, 61 (7), 631-637.
(2) Agostoni, C. et a[. (201 7). The Role of Omega-3
Fatty Acids in Developmental Psychopathology: A
Systematic Review on Early Psychosis, Autism, and
ÂDHD. lnternational Journal of Molecular Sciences,
18(12),1-25.
(3) tofascon, G. et at- (2016). Are Dietary
Supplements and Nutraceuticals Eflective for
Musculoskeletal Health and Cognitive Function? A
Aging,21(5),1-12.
47
&..ry.r*rn i,
Les influences

+-

Soigner le corps
pourguérirlâme
Les approches corporelles comme le yoga ou la méditation s'intéressent
aux blocages corporels synonymes de mal-être.
Comment fonctionnent-elles ? Peut-on parler de thérapies ?

Manc Outto

'éditation de pleine
conscience, cohérence
cardiaque, relaxation,
yoga, bioénergie, mas-
sages thérapeutiques, focusing... les
pratiques centrées sur le corps sont aussi
nombreuses que diverses. Chaque
année, de nouvelles techniques font leur
apparition. Très prisées par les coachs et
formateurs en développement person-
nel, elles ont en général pour objectif de
nous recentrer sur nos sensations pri-
maires et d'améliorernotre bien-être à la
fois physique et psychique. De plus en
plus de psychothérapeutes utilisent aussi
ces approches pour compléter un travail
verbal, l'image de Ia thérapie cognitive
à
basée sur la pleine conscience {uoir enca-
dré). lapproche corporelle peut s'avérer
utile pour atténuer le stress, pour traiter
des phobies, des troubles du sommeil,
une dépression, un traumatisme ou
encore des douleurs physiques, comme
les migraines ou le mal de dos. Mais pour
parler de thérapies, lhpproche corporelle
doit être intégrée dans un travail avec un
psychothérapeute formé. Si certaines
disciplinesviennent dâpparaître dans le
paysage, d'autres ont une longue
histoire.
Libérerlecorps
des énergies séquestrées
Le psychanalyste autrichien Wilhelm
Reich (1897-1952), disciple de Freud, a
été l'un des premiers à développer dans
les années 1930 une approche centrée
sur le corps. Pour W Reich, les conflits
de l'enfance étaient non seulement sus-
ceptibles d'engendrer des problèmes
psychologiques par la suite, mais s'ins-
crivaient également de manière durable

48 Screlces Huuunes 20le

I *ïl;"n"-bre
I
I
I
dans le corps et les centres cérébraux
gérant l'expression émotionnelle. Les
tensions musculaires, les attitudes figées,
le désinvestissement de certaines régions
du corps auraient pour conséquence
fâcheuse de confiner l'énergie vitale à
I'intérieur du corps. La personne perdrait
alors en spontanéité, en expressivité,
en aisance relationnelle. Pour W. Reich,
exprimer verbalement des sentiments
refoulés est certes nécessaire, mais non
suffisant pour arriver à un mieux-être.
Pour cela, il faut « libérer les énergies
séquestrées par les tensions corporellesr,
tout comme les émotions enfouies et
refoulées. Dans la continuité de W. Reich,
le psychothérapeute américain Alexan-
der Lowen (1910-2008) développa dans
les années 1950 l'analyse bioénergétique.
Pour A. Lowen, certaines informations
renfermées par Ie corps sont inacces-
sibles à la conscience. Il parle de désu-
nion entre l'esprit et Ie corps. On retrouve
cette scission chez les individus qui ont
vécu des traumas importants ayant
laissé des traces indélébiles, par exemple
des attitudes défensives ou une hyper-
sensibilité. Cette désunion apparaît aussi
au grand jour lorsqu'une personne épui-
sée mentalement est soudainement vic-
time d'un lumbago, d'une chute ou d'une
crise d'eczéma par exemple. On a alors
coutume de d ire « c'est le corps qui parle , .
Quandl'espritn'arrive plus à assimiler ce
qui se passe, ce serait donc le corps qui
prendrait le relais pour dire stop ?
Quandle corps se met
à parler
Les investigations neuroscientifi ques des
dernières années ont confirmé les intui-
tions des premiers thérapeutes psycho-
corporels. Elles mettent en évidence Ie
rôle crucial des expériences sensorielles
et émotionnelles et le manque d'impact
du cognitif sur ces formes d'expression.
Schématiquement, on peut scinder l'ex-
périence en deux modules: une par-
tie sensori-émotionnelle (c'est le vécu
immédiat) et une partie cognitive (c'est le
vécu rationnel quipasse parle langage et
permet de prendre de la distance). Pour
arriver à un équilibre psychique, il faut
tenir compte des deuxcomposantes. Une
focalisation excessive du côté rationnel
peut troubler cet équilibre. Si nous ne
sommes plus du tout à l'écoute de nos
sensations corporelles et de nos émo-
tions par exemple, alors, « le corps va
parlerr. Selon les études en neuroimage-
rie, les effets du cognitif sur I'émotionnel
seraient bien moins importants que dans
Ie sens inverse. On retrouve davantage de
voies neuronales allant du système lim-
bique (cerveau «émotionnel») au cortex
frontal (cerveau «rationnel») que dans
lâutre sens. « La transformation de la uie
émotionnelle, uia la pensée rationnelle,
est donc limitée (...). Ce que nous pensons
et ce que nous disons n'a que peu d'impact
sur nos émotions, sur nos manières d'agir
Les effets indésirables de la pleine conscience
Aujourd'hui, la méditation de pleine
conscience (technique de méditation
laque inspirée de pratiques bouddhistes)
s'invite un peu partout comme le remède
miracle à tous les maux: dans les écoles,
les entreprises, les facultés, les régimes,
les cours de préparation à
I'accouchement... Mais cette méthode
est-elle réellement si efficace que I'on
prétend? Des voix critiques s'élèvent, à
I'image de celle du chercheur australien
Nicholas Van Dam qui met en cause la
validité de nombre d'études sur la pleine
conscience en raison de leurs failles
méthodologiques. Par ailleurs, une méta
analyse de 2014 n'a pu conclure qu'à des
effets faibles à modérés de la pleine
conscience sur la santé, voire parfois des
effets inexistants. Au départ destinée à
soulager I'anxiété et les douleurs
associées à des maladies graves, telles
que le cancer et le sida, cette technique
s'est ensuite étendue au traitement du
stress, de la dépression, des phobies,
des troubles du comportement
alimentaire ou encore de I'hyperactivité.
Mais selon N. Van Dam, peu d'études
alertent sur ses effets indésirables. Des
slogans tels que "méditer au lieu de
médiquen font croire aux gens que la
ousur nos comportement*,, », écritle psy-
chologue et formateur en analyse bioé-
nergétique Guy Tonella. Pour A. Lowen,
le changement des comportements ne
peut se faire de manière durable qu'en
mettant en mouvement le corps et les
émotions.
Des pratiques diverses
etvariées
Il existe plusieurs modalités pour tra-
vailler sur Ie corps. Certaines techniques
psychocorporelles utilisent le toucher.
On peut citer le Rolfing (développée par
I'américaine Ida Rolf), une technique
de massage énergique, de palpations
et manipulations en vue de rééduquer
la posture et le mouvement. D'autres)
méditation est exempte d'effets
secondaires. Or c'est faux I Certains
patients auraient témoigné d'épisodes de
vide mental ou de dépersonnalisation se
voyant, comme dans un film, perdre le
contact avec la réalité. Ces effets seraient
particulièrement préoccupants pour les
personnes fragiles souffrant de troubles
dissociatifs ou de paranoiâ. Aussi, les
séances de méditation peuvent parfois
réveiller des traumatismes enfouis, sans
que la personne y soit préparée. Elles
peuvent la mettre face à des sensations
d'angoisse intense et réveiller des idées
suicidaires pourtant mises de côté. Le
risque de la popularisation à tout va de la
pleine conscience est de faire croire qu'il
s'agit d'une thérapie qui se suffirait à
elle-même. C'est oublier le travail de
préparation avant, et de reprise après les
séances, idéalement fait par un
thérapeute, qui justement peut mettre en
garde contre les effets secondaires. r
M.O.
Van Dam N. T., Van Vugt M. K., Vago D. R., Schmalzl
1., Saron C. D., Olendzki A., & Fox K. C. (2018), Mind
the Hype: A Critical Evaluation and Prescriptive Agenda
for Research on Mind{ulness and Meditation,
Perspectives on Psychological Science, 1 3(1), 36-61.
Août-septembre 20IglScrelces HuurHes 49
N.317 I
I
I
I
@tP..t"sprit
Les influences réciproques
)approches privilégient la gymnastique,
c'est-à-dire des exercices corporels pour
assouplir le corps. Les méthodes orien-
tales telles que leyoga (uoir encaclré),le
Qi Gong ou le Tai-chi-chuan connaissent
beaucoup d'adeptes en France. Il existe
aussi des techniques occidentales,
comme la méthode Feldenkrais ou l'Eu-
tonie (lit. «juste tonus»), une approche
développée par une Danoise atteinte
de rhumatismes aigus. Autre Point
d'entrée: la relaxation, à I'image de la
relaxation progressive de Jacobson ou
du training autogène de Schultz, une
forme d'apprentissage autorelaxant qui
consiste à focaliser son attention sur ses
sensations corporelles pour chasser les
pensées néfastes. Plusieurs techniques
s'intéressent également à la respiration,
comme notamment la soPhrologie ou
la cohérence cardiaque, une méthode
qui consiste à mieux contrôler sa res-
Un engouement sans précédent pour le yoga
Avec 2,6 millions d'adeptes (79% de
femmes), le yoga fait partie des
techniques psychocorporelles les
plus populaires... et les Plus
anciennes I Son origine remonte à
plusieurs siècles avant J.C. en lnde.
Étymologiquement, le terme a deux
significations : arrêter, mettre au
50
pirationà travers des séries d'exercices
de cinq minutes trois fois par jour. Une
technique plus spectaculaire est la
méthode Rebirth, qui utilise un pro-
cédé d'hyperventilation (respiration
amplifiée) dans l'optique de provoquer
une hyperoxygénation du cerveau pour
Iever les inhibitions et libérerle corps des
émotions refoulées. D'autres approches
travaillent sur la prise de conscience
des sensations corporelles. On peut citer
la très populaire méditation de pleine
conscience, Ia thérapie sensori-motrice
de Pat Ogden ou encore le Focusing
d'Eugene Gendlin. Cette technique
invite à se focaliser sur des impressions
corporelles pour essayer de mieux les
appréhender. Enfin, d'autres approches
font intervenir Ie corps à travers des
activités artistiques: Ia danse, le chant,
le théâtre, le modelage...
Ce marché des thérapies corporelles en
repos (le mental) et unifier (le
physique, le mental et le spirituel).
Dans sa version occidentale, le yoga
est devenu un réel outil de
développement personnel. Objectif :
se sentir mieux dans son corps, plus
équilibré mentalement et plus en
harmonie avec les autres.
pleine expansion est aussi le reflet d'une
société oir tout sâccélère. De plus en plus
de personnes sont confrontées au stress,
à I'épuisement mental, aux troubles du
sommeil. Pour arrêter la machine, on
cherche alors du réconfort dans des
remèdes nouveaux. Mais attention, il y
a à prendre et à laisser dans le domaine.
Charlatans et thérapeutes autoproclamés
côtoient des professionnels sérieux et
formés. Il importe donc de se renseigner
sur le parcours du thérapeute en question
pour éviter de tomber sur des impos-
teurs formés en trois semaines au détour
d'une reconversion professionnelle et qui
vous promettent de changer votre vie en
quelques séances. Mieux vaut de toute
façon se projeter sur le long terme, car
on ne change pas des habitudes ancrées
dans le corps depuis fort longtemps en un
coup de baguette magique... r
Concrètement, il s'agit d'exercices
physiques coordonnés à la
respiration qui peuvent se pratiquer
seul ou en groupe. !l en existe
différentes variantes: le yoga
dynamique, le yoga postural, le yoga
doux... lJoptique est la détente tant
au niveau physique (assouplir les
muscles, travailler sur l'équilibre
postural ...) que psychique
(réduction du stress, de I'anxiété,
améliorer sa concentration). Pour
830/o des pratiquants, la motivation
première est d'évacuer le stress,
pour 650/o d'entre eux, c'est
d'entretenir son corps. Le yoga était
autrefois réservé à une clientèle
plutôt âgée. Les yoguistes
d'aujourd'hui sont de plus en Plus
ieunes (3so/o ont,moins de 34
""il.l.
https://www.unionsportcycle.com/f ilieresport/
territoires/201 9-04-1 7/le-yoga-attire-deja-2-6-
millions-de-francais
ENTRETIEN AVEC BESSEL VAN DER KOIK

Le corps
nbublie rien
Les traumatismes psychiques laissent une empreinte corporelle. Des méthodes telles
que I'EMDR ou l'hlpnose peuvent aider à retrouver un sentiment de sécurité.

Qubst-ce qu'un traum.atistne exactement? Que se

pro duit- iI p end. ant, et après ?
Un traumatisme est une expérience qui réinitialise le
système nerveux central et le fait fonctionner d'une autre
manière. Les perceptions du cerveau, son organisation, sa
mémoire ont changé: il continue à voir le danger. Se croyant
dans une situation de stress, le système nerveux central est
hyperactif. Un certain nombre de changements ont alors
lieu dans l'organisme qui, bien après la menace, continue à
se sentir menacé.

Y compris quand le corps ne lh pas concrètement éü ?

La plupart du temps, il lâ vraiment été. Il peut aussi arriver
que les personnes aient été traumatisées après en avoir vu
d'autres mourir ou être blessées. Quoi qu'il en soit, ce que
l'on retrouve dans tous les traumatismes, c'est le sentiment
profond d'une menace.

Peut-on distinguer plusûeurs l1ryes de traumatismes?

On peut en effet en distinguerplusieurs types mais dans tous
les cas la réaction est assez similaire, malgré des variations
mineures. Cela dit, la grande différence vient de la source
de la menace. Si elle émane d'une personne que Ibn aime et
en qui on a confiance, d'un mari, d'une femme, d'un parent,
c'est-à-dire du «système de caregiuing»,il peut devenir extrê-
mement difÊcile de faire ensuite de nouveau confiance à qui
que ce soit. De se sentir en sécurité.

Peut-on parler de « petits traumatismes » ?

Un traumatisme est un traumatisme. Le pire traumatisme est
celui que les gens nomment, à tort, « petit traumatisrne » : c'est
celui d'être abandonné ou négligé par les personnes censées
prendre soin de vous. Plus vous avez rencontré de ruptures
dans votre « système d'attachement » lorsque vous étiez
enfant, plus vous aurez de chances d'être traumatisé ensuite,
une fois adulte. Le pire traumatisme est le traumatisme
d'attachement. Nous sommes des primates interconnectés,
et donc Ie traumatisme relationnel est le pire de tous.
Psychiatre américain d'origine néerlandaise et professeur de
psychiatrie à la Boston University, Besse/ van der Kolk a
soigné pendant quarante ans des personn'es ayant vécu un
traumatisme. Spécialiste du syndrome de stress post-
traumatique, il vient de publier Le corps n'oublie rien: le
cerveau, I'esprit et le corps dans la guérison du traumatisme'.

Août-septembre 20I9lScrerces Huultxes 5l

w'srz I

I
@try.t"sprit
Les influences réciproques
ENTRETIEN AVEC BESSEL VAN DER KOLK
D'an point de vue thérapeutique, comment agir ?
Llobjectif est, d'abord, d'aider la personne à retrouver un sen-
timent de sécurité pour que son organisme ne se sente plus
menacé. Ensuite, une fois cet état obtenu, il s'agit de revisiter
l'expérience pour l'aider à réaliser que ce qu'elle a vécu par le
passé est terminé. Il existe plusieurs moyens pour y arriver:
l'hypnose, I'EMDP. (Eye Mouement Desensitization and Repro -
cessing, ou désensibilisation par les mouvements oculaires),
parfois la médicamentation... Mais le plus important est de
rétablir, physiologiquement, un sentiment de sécurité. Ce qui
est assez difficile.
La plupart de ces leaiers tlu1rapeutiques aisent d.onc le
corps en prem.ict licu. Peut-on ainsi traiter le corps
pour guérir l'esprit?
Seule une poignée de personnes pensent que lbn peut sépa-
rer l'esprit du corps, ceux qui vivent
encore dans le monde de Descartes
sans doute... Le reste du monde
sait que les deux sont connectés. << Le traumatisme
Passer par le corps peut permettre
de retrouver un sentiment de sécu-
déborde sur théâtre le
rité : par le toucher, par des mou- de uotre corps.
vements, par la musique, par des
activités réalisées avec d'autres
personnes, etc. Les moyens sont nombreux. C'est ainsi que
I'on rassure un bébé, en le portant, en chantant, en bou-
geant. Dans la plupart des cultures on utilise ces différentes
méthodes... Ce qui n'est pas tellement la manière de procéder
en Europe ou aux États-Unis. Dans le reste du monde, on
surmonte souvent le traumatisme en dansant et en chantant
ensemble.
Quell.es méthodes thérapeutiques uous semblent les
plus prometteusesface au traumatisme? Quid d.e
I' EM DR ou de lhypnose p ar exemple ?
LEMDR permet de modifier le circuit de la douleur, ce qui
permet aux manifestations somatiques du traumatisme de
se calmer, et au lobe temporal, dont l'une des fonctions est
dhssimiler l'expérience, d'intégrer que le traumatisme s'est
produit il y a longtemps. IJexpérience devient ainsi moins
physique. Par ailleurs, l'hypnose a toujours été, en particulier
en France, le moyen traditionnel pour traiter le traumatisme.
L idée est d'aider la personne à redevenir très calme et à
observer, dans cet état d'apaisement, sans être submergée
par les émotions, ce qui se produit lorsqu'on revient sur ce
qui a provoqué Ie traumatisme. D'un point de vue clinique,
il s'agit d'activer la partie du cerveau et de l'esprit qui permet
de ressentir que, oui, le traumatisme s'est bien produit, mais
que c'est terminé maintenant.
52 Screlces Huruanes 20Ie
I i:ii;"r"-bre
I
Vous traitez égalcment, dans votre ouvrage, de la
méditation de pleine conscience. Peut- elle ai.der lors
d.'antraumntîsme?
EIle permet en effet au corps, à l'esprit et au cerveau de réaliser
ce qu'il se passe. Elle peut cependant se révéler extrêmement
difficile à vivre pour une personne traumatisée, car les traces
du passé ont tendance à revenir. Cette expérience peut être
très dérangeante. Elle ne peut donc être vraiment efficace que
lorsqu'elle est accompagnée d'une grande compassion pour
soi-même. Il faut vraiment être capable de s'aimer malgré
toutes les histoires que lbn découvre à propos de soi.
Qu'en est-il d.e la thérapic par la parole, sachant que
uous citez plusiaursfoh Sigmund Freud dans uotre liare?
C'est le fondement de toute psychologie que d'être capable de
trouverdes mots pourdécrire ce qui esten train de se passeren
soi. Cela participe de ce qu'il faut
faire pour aller mieux... Mais ce
n'est probablement pas suffisant.
Comprendre pourquoi on se sent
mal, traumatisé, ne permet pas
nécessairement de faire dispa-
») raître ce sentiment. Nous avons
donc besoin de trouver les mots
pour savoir ce qu'il se passe en
nous mais nous avons aussi besoin de désactiver les circuits
neuronaux qui ont été affectés par le traumatisme. Et pour y
parvenir, parler ne suffit pas.
Pour vous, l'insécuriü ressentie par la personne qui a été
traum.atisée, insecuriü susceptible de prouoqucr à la
fois dcs symptômes physiologiques et psychalogiques, est
danc la preuae que le corps et lbsprit neJont qu'un.,. ?
Avez-vous waiment besoin d'une preuve que l'esprit est lié au
corps? Croyez-vous que votre esprit vole au-dessus de lbcéan
qu'est votre corps? La fonction de votre cerveau est, en réalité,
de prendre soin de votre corps. C'est pourquoi nous mangeons,
et dormons, et allons à la salle de bain. Nous sommes nos corps.
Ils sont un bateau dans lequel nous vivons. Et quand vous êtes
traumatisé, toutes vos fonctions corporelles sont perturbées:
vous rencontrez des problèmes musculaires, intestinaux, des
problèmes de thyroide, des perturbations du système immuni-
taire... Vous ne ressentez plus la douleur, vous ne ressentez plus
le plaisir. . . Le traumatisme déborde sur le théâtre de votre corps.
Comme l'avait montré le médecin neurologue Iean-Martin
Charcot à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris ily a de cela 150
ans. Les Français ont été les premiers à articuler tout cela. Il est
intéressant de constater qu'ils l'ont oublié. r
Pnopos necuetlrs pln Auonev Mtxlnr
"Traduit de l'anglais par Aline Weill, Albin Michel, septembre 2018.
Trfeoiginal:The Body KeepstheScore: Bnin, Mind,and Body inthe Healing ofTrauma.
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Visite d'ut*

flespsychol
au chevet des malades
À l'hôpital, les psychologues aident les patients à aftonter la maladie
et la peur. Même si ils ont parfois du mal à faire entendre que l'humain
n'est pas réductible à son corps.
Axxe-Gurne TxÉnrzor.s
Psychologue et journaliste

écrire précisément le rôle d'un
1
psychologue hospitalier est
quasi impossible: il existe
autant de missions et de sta-
tuts que de professionnels. On peut toute-
fois établir une cartographie globale de
Ieurs domaines d'intervention: la clinique
notamment par la contribution à I évalua-
tion des diagnostics, puis le soutien aux
patients et à leurs familles et enfin, la
coordination entre les services ou au sein
d'un même service autour d'un patient,
fonction plus institutionnelle et plus rare.
Si beaucoup de psychologues hospitaliers
exercent en psychiatrie et en pédopsy-
chiatrie, Ieur terrain historique etlogique,
on les trouve aussi désormais dans des
services oùr on les attend moins a priori
tels la neurologie, lbncologie ou les soins
palliatifs. De la naissance à la mort, le
psychologue hospitaliera son rôle àjoueç
dans une institution où la machine rem-
place de plus en plus souvent l'homme
dans les actes médicaux, où l'urgence
laisse peu de place à Ia relation dâide et oir
la parole intime se fait rare.
«Au moment où on entre à l'hôpital, on
confie sa uie à d'autres qu'à soi-même.
Une régression s'opère quipeut générer de
I'inquiétude, de I'angoisse, un sentiment
de dépendance très fort et un sentiment
d'impuissance puisque si on est là, c'est
que l'on ne peut plus s'aider soi-même.
On peut auoir l'impression, en outre, de
ne plus être un sujet, d'être réduit à sa
maladie», analyse François Marq(1). Ce
psychologue et psychanalyste témoigne
aussi du phénomène de décompensation
qui peut se produire à divers moments )

Août-septembre20lfl Soetces HuutHes 53

t'r"gtzl
I
I
&tP,.t*sprit
Les influences réciproques
)de I'hospitalisation, entraînant un état
dépressif, sans oublier les réactions
familiales d'effondrement ou d'agres-
sivité contre les soignants que peut
entraîner l'évolution de la maladie.
En outre, le psychologue effectue un
travail de soutien auprès des équipes,
notamment dans les services de réani-
mation oir la maladie et le voisinage de
la mort finissent par attaquer le moral
des soignants.
+ ont contribué à faire comprendre aux
Le rôle du psychologue
est de donner unpeu de
temps aupatientpour
q u'il s'approprie le lieu,
les soins, la situation.
a venue s'ajouter à Ia prise en charge de la
Le psychologue hospitalier est donc
celui sur qui repose, idéalement, le
mieux-être non seulement du patient
mais aussi de son entourage et des
équipes soignantes. Ce soutien moral
de tous a une influence sur la situation
somatique du patient: «La guérison est
fauorisée par le bien-être psychique. Un
patient hyper angoissé risque de uoir son
hospitalisation prolongée parce que les
soins auront été moins bien assimilés. Si
on aide cette personne dans la gestion
de sa maladie, de sa souffrance, de sa
douleur, on contribue forcément à une
amélioration globale de son état (...). il
nÿ a pas une maladie du corps qui n'ait
de rapport auec quelque chose qui soit Iié
à la personne elle-même, son parcours de
uie, son histoire », ajoute F. Marty.
Dès lors, il ne s'agit plus seulement
pour le patient de ne parler que de soi
à travers ses symptômes, pour susciter
l'intérêt du corps médical, mais de pou-
voir utiliser la parole au sein de l'hôpital
pour un dialogue qui porte aussi sur les
blessures intimes, les peurs, I'affect. En
effet, à mesure que la médecine gagne
en précision technique, l'humain est
54 Screrces Huuarles 20le
I ft:Tl;.r"-bre
I
menacé de perdre du terrain. Et c'est là
tout l'enjeu du travail de psychologue
hospitalier. Une « réhumanisation » hospitalier « d'épine irritatiue » qui vient
des soins dont la philosophie tend à bien souvent déranger l'organisation
s'étendre à toutes les spécialités médi-
cales et tient ses origines du domaine
des soins palliatifs {z). Ceux-ci ont vu le
jour en Angleterre dans les années 1950
sous l'impulsion de Cicely Saunders,
infi rmière devenue médecin qui codifi a
la prise en charge de la douleur à l'aide
de la morphine et dont les recherches
professionnels de santé Ia souffrance
des malades, leur angoisse ainsi que
celle de leur entourage. En France, ce
sont d'abord des bénévoles auxquels on
a fait appel pour soulager les patients,
essentiellement par l?coute, avant que
naisse la première unité de soins pallia-
tifs, en 1987, à l'hôpital international de
l'Université de Paris. Au fil des ans est
douleur en fin de vie celle de l'état psy-
chologique des malades avec des inter-
ventions szr rnesure » de psychiatres et
<<
psychologues auprès des patients et de
leurs familles.
Uqéqyilibre encore
pngca1re
Quelle est la latitude laissée aux psy-
chologues hospitaliers pour humaniser
l'institution et par-là même être effi-
caces auprès des malades ? Là est toute
la question. « Le psychologue dans le
seruice public occupe la place du "Tri-
boulet stratège", lefou de François I', il
incarne celui qui joue et met en drame
ce qui, dans l'institution, dysfonctionne
et questionne la société de façon plus
générale. Peut-ëtre, pour ces raisons,
esl-il uoué aux gémonies ?», Serge-G.
Raymond, psychologue hospitalier
honoraire, souligne Ià avec une ironie
grinçante l'ambiguïté du positionne-
ment des psychologues hospitaliers,
soumis au bon vouloir des hiérarchies
hospitalières, affublés de statuts variant
d'un établissement à l'autre, d'un ser-
vice à l'autre et parfois, dans le même
lieu d'exercice, d'une équipe à l'autre,
o selon l'humeur r,..
Un constat partagé par François Marty
qui qualifie la fonction de psychologue
bienhuilée d'une médecine qui travaille
dans I'urgence. Le rôle du psychologue
est d'établir une temporalité à échelle
humaine, autrement dit de donner un
peu de temps au patient pour qu'il s'ap-
proprie le lieu, les soins, la situation. Ce
n'est possible que si le service considère
que ce temps-là est important. Et cela
ne dépend bien souvent que du bon
vouloir, du ressenti et de la sensibilité du
médecin chef.
Autre difficultépourle psychologue hos-
pitalier: faire comprendre aux équipes
médicales, qui ont tout pouvoir, pour-
quoi tel ou tel patient refuse un soin
pourtant médicalement parfaitement
justifié. François Marty cite l'exemple
de la diabétologie oir les médecins
demandent aux psychologues de tra-
vailler auprès des patients pour leur
faire accepter des soins souvent contrai-
gnants. Certes, refuser ces soins met leur
santé potentiellement en danger, mais
derrière ce «simple refusr, ily a souvent
une dynamique complexe dont il faut
pouvoir tenir compte . o Chez les ados,
le refus de traitement est une façon de se
subjectiuer, de se sentir uiuant, de ne pas
être I'objet de la médecine et de se réap-
proprier son corps. C'est compliqué auec
les équipes soignantes de mettre en auant
la ualeur positiue du refus dans ce cas. Il ne
s'agit éuidemment pas d'en rester au refus
qui parfois serait un équiualent suicidaire
mais de leur faire comprendre que cette
é t ap e e s t né c e s s air e », explique -t-il
Difficile métier donc que celui qui
consiste à témoigner, dans un environ-
nement du tout somatique, que l'hu-
main n'est pas réductible à son corps,
à son comportement, à ses actes. Mais
qtre, o derrière le malade, il y a une per-
sonne prise dans des complexités, qui a
unefamille, une histoire et quine sortpas
de nullepart», conblut François Marty. r
{1) Le psychologue â l?rôpiüa{ ln Press, 2007.
(2) Psÿchologue dans un réseau de soins palliatifs:
une pratique clinique orientée par le réel, Bulletin de
psychologie, 201 2/6 (Numéro 522).
 Esthéticienne
travaillant dans le
seruice d'oncologie
du CHR de
Thionville, Frcnce,
2012.
Du baume au corps et au c(Eur
Dans les maladies graves, les « soins de support» visent à améliorer le moral
T\ éfinis lors du premier Plan can-
I lcerut en 2003 et mis en æuvre
L-rl uriourd'hui encore essentielle-
ment en cancérologie, les soins de sup-
port constituent l'ensemble des soins et
soutiens nécessaires auxpersonnes et à
leurs proches tout au long de la maladie
et parfois au-delà. Médecins spécia-
listes de la douleur, psychiatres, nutri-
tionnistes, socio-esthéticiennes ou
encore assistantes sociales peuvent
donc être autant d'acteurs de ces soins.
Avec les progrès de la médecine, la
majorité des patients vivent aujourd'hui
plus longtemps avec la maladie, ses trai-
tements et leurs éventuelles séquelles. À
Ia seule urgence de Ia survie a succédé la
nécessité de les accompagner de façon
plus globale. Les équipes de soins de
support interviennent dès lhnnonce de
Ia maladie avec les psychologues et les
psychiatres. Elles permettent de remé-
dier aux effets secondaires de certains
traitements. Ainsi, par exemple, si des
troubles digestifs ou des problèmes
de peau surviennent, ils seront pris en
charge par des diététiciens et derma-
et la qualité de vie des patients.
tologues. Pendant et après Ia maladie,
lorsque l'image corporelle est détério-
rée et que la confiance en soi est mise
à mal , il peut être nécessaire de faire
appel à des esthéticiennes, à des coachs
en relaxation ou en méditation... Cette
prise en charge peut s'avérer utile après
Ia rémission et même après Ia guérison,
lorsque surgit la peur de la récidive.
Une approche plébiscitée
«Les soins de supportfont partie de la
prise en charge oncologique globale et
c'est l'équipe oncologique q ui coordonne
tous les acteurs entre eux et oriente les
patients uers des professionnels, que ces
p atients soient hospitalisés ou pas r, pré-
cise Sarah Dauchy, psychiatre et chef
du service de soins de supports à UIGR
(Institut Gustave Roussy). Autrement
dit, qu'ils soient effectués à l'hôpital ou
auprès de professionnels extérieurs, les
soins de support doivent être proposés
et prescrits par l'équipe médicale pour
être considérés comme tels et être rem-
boursés, au moins dans le cas des soins
les plus basiques.
On l'aura compris: le champ est vaste
des prises en charge possibles autour
des effets de la maladie. Chacune
d'entre elles doit être très personna-
lisée et faire l'objet d'une écoute du
patient et d'une bonne coordination de
l'équipe médicale. Si I'on peut imaginer
aisément les bienfaits de ce soins, Ies
résultats détudes récentes portant par
exemple sur l'anémie ou les nausées
induites par certaines chimiothéra-
pies le confirment(2). Selon une étude
menée en 2013 par l'Institut Curie (s),
Ies patients plébiscitent d'ailleurs lar-
gement cette approche. On ne peut
que souhaiter qu'elle se généralise plus
encore, car, pour l'heure, la mise en
æuvre des soins de support est encore
très inégale selon les établissements. r
Axre-Gurne TxÉnrzors
* 2003 à 20tr3, à consurter sur re site
**ï:::î:
"Les soins de support pour
(2) F. Scotté et coll,,
amêliorer la qualité de vie du patient", la lettre du
cancérologue n'4, avril 2017.
(3) Baromètre cancer lnstitut Curie Viavoice 2013
Août-septembre 20191 Soences Hurarxes 55
N":tz I
I
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@tp:*sprit
Les influences
.1
Le pouvoir énigmatique
des guérisseurs
Chercher à comprendre les mécanismes par lesquels les croyances
agissent sur le corps, c'est aussi accepter que ceux-ci se dérobent en partie
aru( explications rationnelles...
epuis plusieurs décennies, les
ethnologues s'intéressent aux
pratiques des guérisseurs,
chamanes et autres spécia-
listes de l'art de soigner. Les premiers
travaux allant dans ce sens remontent à la
publication en 1949 de deux célèbres
articles de Claude Lévi-Strauss, intitulés
respectivement« Le sorcier et sa magie» et
« L'efficacité symbolique, 1r;. L auteur y
souligne tout d'abord le rôle incontour-
nable de la croyance, tant du chamane,
du patient que de Ia communauté dans
les pouvoirs du thérapeute, formant ce
qu'il appelle le o complexe shamanis-
tique». Atravers ce concept, Lévi-Strauss
56 Soences Huuarues I Août-septembre 2019
lN'srz
I
I
I
:*l
I Chamane se. à
OuvreR Scxurz
Socio-anthropologue, chercheur qualifié à
I'lnstitut de Recherche Santé
et Société de I'Université Catholique de
Louvain (Belgique). Auteur de Soigner par
l' invisi ble, lmago, 2006.
tente d'expliquer les effets de la cure en la
comparant à une forme de psychothéra-
pie sauvage, invoquant des mécanismes
identiques à ceux que l'on retrouverait
dans la cure psychanalytique et qui pour-
raient venir à bout de toutes sortes de
désordres de type psychosomatique.
Malgré les critiques qui furent adressées
à ces deux textes depuis, le champ de
recherche n'a eu de cesse de se
développer.
[T'T
vt
*.,sI
!'al+
prQtarant à une I
cérémonie, ô
Équateur,2009.
=
L'une des étapes ultérieures a consisté
à montrer que les pratiques de guéris-
sage s'inséraient toujours dans des sys-
tèmes symboliques complexes, et que
la croyance, même partagée, ne pouvait
suffire à elle seule. Les guérisseurs ne
peuvent en effet pas être réduits à des
sortes de « psys sauvages », au vu de la
nature sociale et culturelle des processus
qu'ils mobilisent. Les travauxde lânthro-
pologie médicale nord-américaine per-
mettent aussi de dépasser l'hypothèse de
la « simple » placebo-thérapie 1z;. Malgré
l'intérêt des hypothèses de travail que ces
travaux contiennent, la plupart portent
sur des pratiques chamaniques qui ne
peuvent qu'être prudemment rappro-
chées de celles des guérisseurs exerçant
en Europe occidentale francophone par
exemple qui, eux-mêmes, ne forment pas
un groupe homogène. Néanmoins, tous
Ies deux, chamane et guérisseur, tirent
leur pouvoir thérapeutique d'une expé-
rience initiatique particulière : un voyage
dans Ie monde des esprits pour le pre-
mier, une expérience de maladie ou de
souffrance intense pour le second. Mis à
part les contextes culturels etles systèmes
symboliques respectifs, ils mobilisent
des forces invisibles à forte composante
affective.
Et de la placebo-thérapie
En Wallonie(3), par exemple, Ie guéris-
seur, est celui ou celle qui est investi(e)
d'vn « don », qu'une partie de la com-
munauté reconnaît comme efficace, à
travers les témoignages de ceux qui ont
fait l'expérience de leur pouvoir et qui,
par la même occasion, entretiennent
ainsi sa reconnaissance. Les patients les
consultent souvent en dernier recours,
après avoir épuisé la liste des thérapeutes
officiels qui nbnt pu soulager leurs dou-
Chamanes et hypnotiseurs
Certains ethnologues ont poursuivi
les efforts de rapprochement entre
thérapies symboliques et
psychothérapies. llapport essentiel de
I'anthropologue et ethnologue français
Bertrand Hell (r) a consisté à montrer
combien les mécanismes à l'æuvre
dans la cure chamanique sont proches
de ceux que les hypnothérapeutes
nomment par des concepts comme
ceux " d'accordages affectifs", qui
renvoient à une forme de relation
thérapeutique que I'on pourrait qualifier
de "totale", en ce qu'elle repose sur
une expérience partagée des mêmes
douleurs ou symptômes. Le guérisseur,
comme le chamane, sont généralement
n passés, par des expériences
semblables à celles de leurs patients,
ce qui leur permettrait de mieux
comprendre ce par quoi ils passent.
leurs ou les aider à mieux supporter leurs
traitements médicamenteux. Après avoir
écouté attentivement son patient, le gué-
risseur utilise un pendule ou une antenne
de Lecher, autre artefact faisant désor-
maispartie de lârsenal moderne, impose
les mains, oubientravaille d'une manière
ou d'une autre sur les énergies qui éma-
nent du corps de son patient.
Peu importe les pratiques, d'ailleurs,
celles-ci semblent n'être que l'emballage
d'une constante: tous disent en effet soi-
gner ceux qui les consultent par Ia pen-
sée, en invoquant une divinité, en leur
transférant de lénergie, ou en prenant sur
euxle mal, etc. Enbref, c'estparlapensée
et par le pouvoir de leur esprit que, dans
le cadre de leur cabinet de consultation,
les guérisseurs disent soigner. Dans un
tel cadre, la part «rituelle» de la relation
thérapeute-patient est souvent réduite
à sa plus simple expression, ce qui n'est
jamais le cas despratiques chamaniques,
nonobstantl'usage parle thérapeute d'un
vocabulaire riche en expressions dési-
gnant des forces invisibles, des ondes, etc.
Si l'on prend au sérieux le discours des
guérisseurs eux-mêmes, de même que
Une telle relation fondée sur la
communication des affects permettrait
au thérapeute de mieux accompagner
son patient vers la guérison(2). Les
nombreux rapprochements que font les
auteurs entre cure chamanique et cure
hypnotique ouvrent ainsi la voie à une
compréhension mutuelle des
mécanismes tant sociaux qu'individuels
que se partageraient I'ensemble des
cures -y compris celles des
guérisseurs de nos régions- mobilisant
des dimensions propres à I'esprit
humain, dimensions que la
biomédecine a longtemps sous-
estimées. r sttucturale. Paris, Plon, 1958.
(1) E. Collot & B. Hell. Sorgner/es âmes. L'invisible
dans la psychothérapie et la cure chamanique.
Dunod,2011.
(2) Voir notamment Michaux D., Hypnose et
dissociation psychigue. Paris, lmago, 2006.
Ies nombreux témoignages attestant de
leurs pouvoirs, force est d'admettre que
ceux-ci sontpartie prenante du processus
de construction perpétuel de ce qu'on
appelle la nculture, d'une communauté
donnée, mais qui ne saurait suffire ici
pour expliquer les résultats obtenus. Il
reste ainsi à identifier les autres éléments
sur lesquels reposent les mécanismes
sociocognitifs rendantlapensée des gué-
risseurs « efficace », au sens thérapeutique
du terme. Pour ce faire, il shgit cependant
dâdopter une attitude critique, déviter Ia
surinterprétation, en prenant acte d'une
tension entre, d'une part, une tendance
largementprésente dans le monde scien-
tifique à considérer vaine toute tentative
d'attribuer à Ia pensée du guérisseur une
réelle efficacité physiologique ou psycho-
Iogique et, dâutre part, la multiplication
d études (parfois même expérimentales),
tendant à montrer I'effet thérapeutique
de la prière ou d'autres pratiques incluant
une dimension symbolique.
Vers lhlliance thérapeutique
Toutefois, si l'on reconnaît à I'esprit et à
la pensée du guérisseur un quelconque
pouvoir thérapeutique, il est important
de préciser ce que le guérisseur, par son
esprit, peut ou peut ne pas «guérir».
Aucun guérisseur en effet ne prétendrait
pouvoir guérir un cancer, par exemple.
Cependant, les témoignages de ceux qui
y recourent confirment qu'untel les a
guéris de leurs douleurs, deleureczéma...
Autant de symptômes qui, a fortiori, ont
une forte composante psychosomatique.
Les travaux récents ouvrent des perspec-
tives qui, résumées, ont magistralement
illustré I'inventivité des hommes et des
sociétés à bricoler lhlliance thérapeutique
qui, partout et toujours, semble être Ia clé
d'une forme d'efficacité de la pensée sur
les corps (uoir enc«dré).t
(1) Tous deux re-publiés dans /nlhropologie
(2) Voir notamment Hali{ax J., Shaman: The
Wounded Healer. Londres, Thames & Hudson, 1982
;
Achterberg J., The Shaman: Master Healer in the
lmaginary Realm, in S. Nicholson (Dir), Shamanism.
Wheaton-Madras, Ouest Books, 1 987.
(3) Voir Schmitz O., Soigner par l'invisible. Enquête
sur les guérisseurs aujourd'hui. Paris, lmago, 2006.
Août-septembre 20l9lSoeHces Huurtres 57
N"3l7l
I
@tp..t*sprit
Les influences réciproques
Le mental
desvainqueurs
La psychologie du sport a émergé en France dans les années 1980
pour venir soutenir l'effort des apprentis champions.
\ Manc LevÊoue
I deuxreprises dans l'histoire, le
/t tireur àrabine trois positions
1fl Matthew Emmons se retrouve
L lleader avant la dernière salve
de tirs. Aux l.O dAthènes (2004) il envoie
sa dernière balle sur la cible voisine.
Quatre ans plus tard à Pékin, à nouveau
possible vainqueur avant le dernier tir, il
appuie sur Ia gâchette à contretemps et
finit second. Deux fois de suite en posi-
tion favorable pour la médaille d'or il
échoue en commettant des fautes « de
débutant». La technique d'un sportif peut
être parfaite... et son mental tout
saboter!
En marge d'une tradition sportive cen-
trée sur la préparation physique, la psy-
chologie du sport entend façonner le
mental des athlètes afin de renforcerleur
motivation et leur combativité, de leur
permettre de résister au stress, de mieux
maîtriser leurs émotions. À ses débuts,
cette dimension psychologique du com-
portement sportif apparaissait comme
prometteuse, susceptible dbptimiser le
travail, de départager les concurrents.
En apportant des stratégies de prépara-
tion mentale, I'objectif était également
de faciliter I'adaptation des athlètes à
un mode de vie spécifique, souvent en
marge du reste de la société et à une
charge de travail éIevée, d'accompagner
leur projet. Autant de modalités d'aide
et de soutien à la performance que les
psychologues du sport semblaient en
mesure de fournir aux jeunes s'enga-
geant dans la filière sportive dite de haut
niveau,
La référence à la préparation mentale
dans le milieu sportif est effectivement
58 ScreHces HuuarHes I Août-septembre 2019
I N"srz
I
T
I
I
Psychologue du sport et professeur à
I'Université d'Orléans.
devenue un standard, les facteurs psy-
chologiques sont convoqués pour analy-
ser les résultats, attribuer les causes, dis-
séquer les comportements. Elle apris une
place prépondérante en tant quélément
du discours, en tant qu'injonction: à
valeur égale le mental fait la différence. Il
suffit découter les commentateurs spor-
tifs louer les qualités psychologiques, la
détermination des athlètes, jugée aussi
importante (sinon plus) que les qualités
physiques. Le champion de biathlon,
Martin Fourcade, une illustration parmi
a cette rencontre ratée entre les psycho-
À ualeur égale, le mental
faitla différence.
d'autres, est plus souvent décrit pour son
caractère combattant et son self-control
que pour ses performances, pourtant au
rendez-vous.
Malgré cela, force est de constater que
le terrain sportif a fortement résisté à
l'intégration des intervenants spécialisés,
tout en ne cessant de désigner comme
prioritaire la dimension psychologique
du comportement. Ainsi, la greffe ne
prend pas: l'entraînement mental qui
tient une place de choix dans les pays
nord-américains ou anglo-saxons reste
un væu pieux en France. Pire, dans cet
univers en friche, de multiples inter-
venants tentent de s'engouffrer et pro-
posent leurs services, s'appuyant sur des
stratégies commerciales parfois dénuées
de toute déontologie ou sur d'obscures
méthodes de suggestion. Un marché du
coaching conjuguant la compétence, le
bricolage... l'imposture s'est installée
dans notre panorama et de nombreux
intervenants peu familiers du terrain
sportif y convoitent l'extension de leur
clientèle. La profession de coach n'est
pas réglementée en France et les sportifs
de haut niveau représentent une cible
commerciale, parleurs ressources etleur
notoriété publique susceptible de valori-
serla «carte devisite» du coach.
Quelles raisons évoquer pour expliquer
logues du sport et les acteurs du sport
de performance? Aucune ne s'impose,
mais elles peuvent se conjuguer. Les
résistances des entraîneurs, mais aussi
de l'institution sportive, le recours à des
formules conjuratoires (résister à la pres-
sion, ne rien lâcher, prendre du plaisir...)
par les athlètes et les entraîneurs ou les
commentateurs, autant dbbstacles qui
font du psychologue du sport un «inter-
mittent du spectacle » ! Deux cultures
peinent à s'associer.
Le retour de la lune de miel
Ces résistances à la psychologie du
sport
n'excluent pas une forme de séduction
pour ce qu'elle pourrait apporter, ni
une forme d'idéalisation par le grand
public du champion, véritable icône,
parfois figure héroïque parée de vertus
que notre société magnifie. De toutes

#
bn
lit
l
parts des messages éducatifs, publici-
taires, médiatiques... nous incitent à
améliorer nos performances et à élever
le niveau de notre «estime de soi», pour
qu'elle nous renvoie une image positive
de nous-mêmes, nous protège des aléas
et turbulences d'une vie ordinaire. À cet
égard le sportif de haut niveau semble
exemplaire auxyeux du grand public. Il
incarne I'énergie, la maîtrise de soi, l'ac-
complissement de son projet personnel.
Il travaille avec assiduité et générosité.
Une image idéalisée de sa réalisation
personnelle nous est proposée, la publi-
cité s'est emparée de I'image du sportif
comme emblème de santé, elle a paré
de multiples produits commerciaux
des vertus attribuées aux champions.
Nos grands athlètes après leur carrière
vont prêcher la bonne parole dans les
entreprises devant des cadres séduits et
admiratifs, le monde productif rêve de
transférer dans ses ateliers, ses bureaux,
les qualités incomparables affichées par
les sportifs.
Cette façade embellie masque les
dérives, excès et autres perversions géné-
rés par la pratique intensive (surentraî-
nement, antijeu, agressivité excessive,
tricherie, dopage, corruption...). Elle
simplifie aussi à l'extrême, occulte ou
Martin Fourcade
Iors des
championnats
du monde
de biathlon,
' .Suède,2019.
efface Ia complexité des interactions
entre Ie corps et le psychisme en sport.
Bien sûr, les dispositions psychologiques,
Ies atermoiements vécus, Ie doute sur sa
valeur ou son niveau affectent le poten-
tiel. Lianxiété précompétitive impacte
lénergie résiduelle le jourf, les émotions
en situation retentissent sur le tonus
musculaire, l'enjeu perçu altère la moti-
vation. Liestime de soi ou le sentiment
d'efficacité personnelle entravent la
mobilisation des ressources physiques
ou techniques. Mais ces facteurs inter-
viennent avant tout dans une dynamique
qui reste aléatoire, au moins partielle-
ment incontrôlable.
Dépasserles facteurs
psychologiques
S'il convient de considérer et réaffirmer
le facteur psychosomatique - dans le
domaine du sport comme ailleurs- les
professionnels savent à quel point il peut
s'avérer compliqué de comprendre les
influences réciproques du corps sur le
psychisme et du psychisme sur le corps:
tensions, inhibitions, perte d'attention,
troubles de la perception, perturbation
de lénergie, dérèglement des rythmes
internes etlou des capacités cognitives...
C'est pourquoi dépasser les facteurs
psychologiques (dispositions mentales,
croyances, émotions...) qui nuisent à la
performance ne se résume pas à mobiliser
une technique donnée le momentvenu.
Il s'agit d'un travail de longue haleine
demandant aux sportifs de s'y consacrer
pleinement s'y engager résolument, pour,
éventuellement, voir apparaître les effets
àmoyenterme.
Réajuster I e timing, recalibrer
les objectifs
C'est sans doute ici aussi que le bât blesse,
que le sport et la psychologie peinent à
trouver un terrain d'entente. Le premier
problème est un clivage d'objectifs: le
monde sportif est en effet friand de résul-
tats expérimentaux, de données concrètes,
de paramètres et critères déchiffrables,
manipulables dans la méthodologie de
l'entraînement, parce qu'il est tenu par
des impératifs d'efficacité. Il oublie que
ce corps efficient est aussi un corps vécu,
habité, voire fantasmé, un corps auquel
s'impose sa résonance subjective et son
histoire individuelle. Le schéma corporel
travaillé à l'entraînement ne neutralise
pas le corps imaginaire. Aussi, lhttente
envers le psychologue qu'il puisse four-
nir une préparation mentale opératoire
et instrumentée, mise à disposition des
sportifs pour exercer un contrôle absolu
sur les manifestations corporelles, émo-
tionnelles, comportementales parasites,
est une illusion! Parce que le corps et le
psychisme s'accouplent en des résonances
subtiles et fi nement individualisées. Lem-
prise du mental sur la production corpo-
relle relève du fantasme duterrain sportif.
Le second clivage est celui du timing: au
lieu de tenter tardivement une greffe qui
provoque souventle rejet Ie terrain sportif
serait bien inspiré d'intégrer précocement
auprès des jeunes talents un psychologue
spécialisé et de les familiariser progressi-
vement, dans une perspective éducative,
à lécoute et l'analyse des émotions qui
colorent leur expérience de la perfor-
mance athlétique. r
POUR ALLER PLUS LOIN
Marc Levêque, Au Cceur de la compélition sportive,
Mardaga (2010).
Août-septembre 201 9l SoeNces HuuntHes
N.3t7 I
I
 Michel Serres
un conteur
enphilosophie
Philosophe médiatique à la faconde espiègle, Michel Serres s'est éteint
à l'âge de BB ans. Son (Euvre n'a cessé de tracer des diagonales entre sciences
et humanités. De la crise écologique au déploiement du numérique,
il avait anticipé nombre de bouleversements contemporains.
a philosophie a eu longtemps
l'ambition d'être une science, et
même la science des sciences;
elle a aussi eu la tentation d'ex-
pulser d'elle-même sa part poétique,
peut-être en proportion même de sa
volonté de faire science. Deux légendes
circulent ainsi sur Platon: il aurait cédé
toute sa fortune pour acquérir les æuvres
de Pythagore, qui contenaient toute la
Science; et il aurait brûlé les tragédies
écrites dans sa jeunesse.
Michel Serres aimait ces anecdotes.
Mais il était aussi homme à ne renoncer
à rien: sa passion des sciences ne l'a
jamais conduit à renierla poésie. On peut
dire qu'il avait une façon assez unique
de tracer des lignes et des diagonales
entre univers séparés, de l'histoire des
technique à l'écologie, de l'art à la vie
quotidienne. « La philosophie est ainsi:
elle passe partout, disait-il à Sciences
Humaines dans le dernier entretien qu'il
nous a accordé 1r1. C'est un uéhicule tout-
terrain. Elle fait le tour du monde, elle
faitle tour des sciences, ellefaitle tour des
hommes. C'est sa singularité. C'est aussi
saforce dans le monde d'aujourd'hui, oit
tous les problèmes sont transuersaux.. ),
60 Scteuces Hur,rnHes I Août-septembre 2019
I N'arz
I
I
I
Jear-Cr.ruoe Motoo
Ancien élève de l'École normale supérieure,
agrégé de philosophie, Jean-Claude Monod
est chargé de recherche au CNRS et
enseignant à l'ENS-Ulm.
Ce goût pour le chemin de traverse,
sinon pour la traversée, se manifeste
déjà dans sa biographie. D'origine gas-
conne, -il conserva de sa région le verbe
haut et l'accent chantant (celui de Fran-
cis Cabrel), - fils d'un batelier, le jeune
Michel Serres entra d'abord à l'École
navale avant de démissionner et de bifur-
quer vers I'École normale supérieure et
l'agrégation de philosophie. C'est sans
doute chez Gaston Bachelard, sous la
direction duquel il rédigea son diplôme
détudes supérieures, qu'il rencontra la
première figure d'une histoire capable
de faire dialoguer la science avec toutes
les dimensions de la culture, notamment
la poésie et la psychanalyse. Comme il
l'écrit dans I'introduction de Hermès I:
«Bachelard disparu, la science ua son
chemin et I'analyse culturelle le sien, mais
leur destin est désormais lié. »
Serres est fasciné par Leibniz et son
«système soupler, auquel il consacre
un doctorat qui fait date. Ce système
leibnizien intègre le maximum de varié-
tés; ilse présente comme une ency-
clopédie du monde: tout être, même le
plus microscopique, reflète le meilleur
ordre possible, cette harmonie dont on
peut saisir les rapports en raffinant les
modèles mathématiques (Leibniz est un
des inventeurs du calcul infinitésimal et
de la machine calculer). Uordre sans la
à
variété serait ennui, la variété sans ordre
serait chaos.
Raconter I'histoire
des sciences
Un anti-spécialiste: voilà ce que doitêtre
le philosophe aux yeux de Serres. Mais
pour cela, il lui faut s'informer de tout,
et en particulier des sciences. Comme
il le dit dans un entretien {Télérama, 14
mars 2014): « Cette uision pantopique de
la philosophie était une réponse à mes
collègues qui, à l'heure postrnoderne,
annonçaient, eux, lafin des grands récits
[thème popularisé par ]ean-François
Lyotard], Penser, c'est inuenter, trouuer du
nouueau. J'ai eula èhance d'assister dans
mauie à aumoins quatre immensesréuo-
lutions scientifiques: les nouuelles mathé-
matiques, la mécanique quantique, la
théorie de l'information, Et j'étais copain

auec Jacques Monod et François Jacob
quand ils ont découuert IADN ! »
À l'Université de Clermont-Ferrand, oùr
Serres commence à enseigner, il par-
tage son goût pour Ia philosophie des
mathématiques avec Iules Vuillemin.
Il rencontre aussi Michel Foucault, qui
travaille sur les espaces culturels des
savoirs - et leur lot d'exclusions. Il suit
brièvement ce dernier dans l'expérience
de l'Université de Vincennes, avant
d'être élu - dans le département d'his-
toire, comme historien des sciences- à
Ia Sorbonne (en 1970) et d'enseigner aux
États-Unis, à l'invitation de René Girard.
C'est dans ce cadre qu'il commence à
«raconter» l'histoire des sciences, en
l'incarnant par personnages - histo-
riques, mythiques ou inventés, de «Tha-
lès au pied des pyramides» jusqu'à Pan-
tope, le valet de Phileas Fogg, héros du
Tour de monde en B0 jours de Iules Verne
(Pantope, portrait-robot du philosophe,
signifie «Passe-partout») ou Petite Pou-
cette. II suit la science en train de se faire,
multiplie les articles, qui finissent par
former des livres; illit Lucrèce comme
un véritable physicien, voire comme
l'instaurateur de la physique (dans Ia
Naissance de la physique dans le texte
de Lucrèce. Fleuues et turbulences,1977),
ce qui n'est pas incompatible, note-t-il,
avec le fait qu'il soit un poète. II relit Zola
au prisme de la machine à vapeur, la
dégénérescence des Roago n- M acq uar t
comme une application de Ia thermody-
Référ"rr..
o
È
namique (dans Feux et signaux de brume,
Zola,1975),hJ les Verne avec les cartes de
l'Odyssée (Hermès I, L969, et Jules Verne,
la science et l'homme contemporain,
2003), convoque la peinture pour com-
prendre la géométrie (Esthétiques sur
Carpaccio, 1975), se fixe ce programme
«insensé naguère (...): comprendre d'un
coup le miracle grec des mathématiques et
laJloraison délirante de leur mythologie.,
(Hermès I, introduction).
Il accédera à la notoriété dans les années
1980-1990 par des ouvrages courts et
ciselés, mais aussi pàr la grâce de sa
faconde malicieuse, qui éblouit les télés-
pectateurs et les auditeurs. I-lhomme des
messages devient une bête de médias,
espiègle et parfois colérique. Il prend à;
Août-septembre 20l9lSoeHces Hur,trtuEs 6l
N.3l7l
l
Référ"rr..
> contre-pente le discours volontiers tech-
nophobe des intellectuels, souvent peu
au fait du détail des techniques; mais il
développe en même temps une critique
avertie de l'ère atomique et des ravages
écologiques. Son coup d'æil lui permet
des coups de génie: en couverture et
ouverture de son Contrat naturel (tire
page 6s), il choisit et commente le tableau
de Goya qui montre ces querelleurs tel-
lement absorbés par leur combat qu'ils
ne voient pas la terre dans laquelle ils
s'enfoncent -des sables mouvants. Pré-
cieuse allégorie de notre aveuglement
écologique!
À partir des années 1990, il développe
une philosophie de l'écologie à la fois
humaniste et vigilante. Son originalité,
sur ce terrain-là, aura été de concilier
technophilie et écologie. IJamoureux des
sciences nâ jamais renoncé à défendre le
progrès technologique. I1 n'a pas caché
non plus Ie choc définitif que fut pour lui
Hiroshima: depuis la bombe atomique,
plus l'apocalypse comme
"on n'explique
un texte, on la prépare comrne un éuéne-
ment ». Le génie scientifico-technique,
reconnaît-il, peut pourvoir à la destruc-
tion massive de l'humanité et du vivant
(c'est ce qu'il appellela « thanatocratie »).
I1 faut se confronter sans cesse à cette
réalité biface.
C'est aussi avec un fond d'inquiétude
qu'il défend le projet européen. Témoin
dès son plus âge des effets de guerres suc-
cessives (réfugiés de la guerre d'Espagne,
débâcle, guerres coloniales...), il a sou-
vent dit sa reconnaissance à la construc-
tion européenne pour avoir apporté ce
bien lui aussi mésestimé: la paix.
Points de controverses
Un consensus règne le plus souvent à
la disparition d'une grande figure, dont
on tend à effacer les aspérités, ou dont
on oublia qu'elle adopta des positions
polémiques, provocantes, ou des partis
pris qui n'échappèrent pas à la critique.
Devenu un philosophe très médiatique,
Serres produisit, dans la dernière décen-
nie, des livres de plus en plus courts,
utilisant parfois des raccourcis et des
facilités. Ses best-sellers, Petite Poucette
62 Screxces Huuarues ! Août-septembre 2019
I N'srz
I
I
I
) comme un événement scientifique de
Uamoureuxdes sciences
nh jamais renoncé
à défendre le progrès
technologique.
. tifique mal comprise (voir facques Bou-
ou C'était mieux auantf qui construit
et moque le personnage de Grand Papa
Ronchon qu'il ne voulait pas être, furent
des contributions plaisantes au débat
public plutôt que des ouvrages d'une
teneur conceptuelle très élevée. Plus
problématique, à force de chercher
des «ponts» et des «passerelles» entre
sciences et philosophie, Serres n'a-t-il
pas fait un usage relâché, voire aberrant,
d'énoncés ou de théorèmes scientifiques
arrachés à leur contexte? C'est ce que lui
reprochent Alan Sokal et Iean Bricmont
dans leur pamphlet, Impostures intellec-
tuehes (1997). D ansles Eléments d' histoire
des sciences(1989), Serres présentait ainsi
Un art très français de philosopher
Penseur non-systématique mais
méthodique à sa manière, Michel
Serres s'inscrit dans une longue
tradition de philosophie en langue
française. Sa plume libre le
rapprochait parfois d'un Montaigne
ou d'un Diderot, dont il était un
fervent admirateur. ll avait tendance à
dédaigner les philosophes allemands
(je me souviens d'un débat avec
Jean-Luc Marion ou Serres fit moult
grimaces et dit combien certaines
propositions de Heidegger,
commentées avec vénération, lui
paraissaient triviales). ll était tout
aussi peu convaincu par la
philosophie analytique (" Prenez un
problème comme le climat: il sollicite
en même temps la physique, la
chimie, la biologie, la biochimie, la
cosmologie, l'économie... Si vous
première importance une application du
théorème de Gôdel à la société par Régis
Debray; or un philosophe de Ia connais-
sance commefacques Bouveresse ditson
effarement à voir Serres parler tranquil-
lement du «principe de Debray-Gôdel,
pour ce qui nétait à ses yeux qu'une bien
douteuse utilisation d'une source scien-
veresse, Prodiges et uertiges de l'analogie,
Raisons d'agir éditions, 1999). D'un autre
côté, Serres a paru désinvolte à l'égard
des sciences sociales, dont il minimisait
Ia valeur en comparaison des apports
des sciences dures à l'humanité: dans
la préface de 2018 au Contrat naturel, ll
contraste les effets respectifs de I'enga-
gement « idéologique » de Bourdieu et
de celui, techno-scientifique, de Türing,
l'inventeur de lbrdinateuS pour suggérer
que «le trauail de mutation réelle, actifr,
a été du côté de l'informaticien. On ne
contestera pas que Ttrring a davantage
changé la face du monde que Bourdieu,
mais cette comparaison est-elle perti-
nente? Bien peu de savants des sciences
essayez de résoudre une question
environnementale par une méthode
analytique, vous étes sûr de rater !").
Dans la belle collection qu'il dirigea
chez Fayard, uCorpus des ceuvres
de philosophie en langue française,,
Michel Serres voulut remettre en
circulation et en discussion des
auteurs comme D'Alembert, Arnauld,
Condillac, Fontenelle, Guyau, La
Mettrie, Linguet, Ouinet, Renouvier,
Volney... Cette volonté de réhabiliter
un trésor de pensée -et de langue-
occulté n'avait rien à voir avec un
nationalisme. Elle allait de pair avec
I'idée qu'il se faisait de la
philosophie : une discipline
transversale, en mouvement, alliant
les charmes de la fable, la rigueur de
la science et I'optimisme de la
volonté. rl-C, M.

Le site de "Dark Hedges" en lrlande du Nord. Dès /es années 1990, Michel Serres
développe une philosophie de l'écologie qui influencera les générations suivantes.
dures résisteraient à la comparaison
avec Ttrring, à ce titre... Il est vrai que
l'argument vise plutôt à contester le fait
que les politiques soient formés quasi
exclusivement aux sciences sociales
(économie, sociologie, etc.) et ignorent
tout des sciences dures, à un moment
oir les enjeux en sont si considérables.
Sur ce point, il est difficile de lui donner
tort: Serres déplore que l'enseignement
actuel aboutisse à une division entre des
o cultiués ignorants » (cultivés en humani-
tés mais ignorants en sciences, qui four-
nissent le gros des dirigeants politiques)
et des « experts incultes ». Les réflexions
sur l'éducation développées dans Ie
Tiers-instruit tentaient de remédier à ce
fossé entre les ndeux cultures». Toute
éducation, pour lui, était indissociable
d'un métissage des cultures.
Interférences et héritages
multiples
Linfluence de Serres fut évidemment
multiple, faite d'«interférences». On peut
en distinguer quatre moments, quatre
foyers.
o Le moment «structural». Le premier
moment serait celui d'une présence
diffuse dans le champ philosophique
français des années 1960-1970. En s'in-
téressant à l'idée de structure, à partir
o médias: elle se prolonge dans les travaux
@
de Leibniz, et aux interférences entre la
science et les autres espaces culturels,
Serres ne pouvait que piquer la curiosite
etl'intérêtde tous les philosophes etrepré-
sentants des sciences humaines qui par-
tageaient son goût pour lâge classique ou
ses interrogations sur le code et Ia struc-
ture: Foucault le cite dans LArchéologie
du sauoir,Deleuze multiplie les références
à Serres dans son lumineux ouvrage sur
Leibniz etle b arcque (Le Pli), Lévi-Strauss
l'invite àprendre part à son séminaire sur
l'identité...
. Lihistoire et la philosophie des sciences.
C'est à partir des années 1980 que Serres,
sans « faire école », inspire directement
les recherches d'une nouvelle génération
d'historiens des sciences très peu scien-
tistes: Isabelle Stengers ou Bruno Latour
étaient ainsi au nombre des collabora-
teurs des Eléments d'histoire des sciences,
et ils explorent à leur tour les coulisses
du travail scientifique, les manæuvres
plutôt que les arguments à l'æuvre dans
certaines controverses, la dimension
polémique d'une science qui se donne
le masque de l'objectivité pure tout en
dénonçant violemment ce qui n'est pas
elle... Isabelle Stengers s'interroge ainsi
sur la possibilité d'une «autre science»,
plus respectueuse des savoirs indigènes
et des pratiques non-scientifiques. Dans
.tléfér.rr."
Face à Gaïa (2015), Latour prolonge le
mot de Serres, qui disait qu'il faudrait
aujourd'hui compléter le mot de Gali-
lée, «Et pourtant, la Terre se meut», par
celui-ci: «Et pourtant, la Terre s'émeuî».
Elle s'émeut de nos activités, pour nous
émouvoiren retour etnous inciter à mieux
lutter contre le «nouueau régime clima-
tique»,Lalour la personnifie sur Ie mode
mythique: Gaia.
r De la communication aux réseaux.
Un troisième foyer d'influence se trouve
assurément dans Ia réflexion de Serres
sur la communication, les réseaux et les
de Pierre Lévy sur les origines de l'ordi-
nateur, dans les élaborations de modèles
formels pour penser I'arborescence des
savoirs, dans notre propre travail sur les
transformations de l'écriture mais aussi
des relations humaines à I'âge du SMS et
dumail(Écrire, à l'heure du tout message,
J-C. Monod, Flammarion, 2013). Serres
notait, dans Hermès I, que «l'histoire des
idées est I'hisToire de la diffusion, de la
propagation, de la communication des
iües». Cette intuition fonde la «médio-
logie» de Régis Debray; elle est au cceur
de certains travaux d'historiens sur les
supports matériels d'échanges et de
communication.
. Le nouveau contrat écologique. Un
dernier foyer d'influence se développe à
mesure que grandit la prise de conscience
écologique: de Corine Pelluchon (Ies
Nourritures. Une philosophie du corps
politi4ue, Seuil, 2015) à Dominique Bourg,
l'exigence d'un nouveau contrat social qui
s'attaque au développement vertigineux
des inégalités en même temps qu'à la
destruction de Ia planète, comme deux
faces d'un système économico-politique
intenable, se réclame des avertissements
de l'auteur du Contrat naturel.
Héritage multiple, donc, fait parfois
d'interférences plus que d'influences, à
I'image de cette æuvre philosophique
voyageuse, toujours sous légide d'Her-
mès, dieu des routes, des carrefours et des
næuds.r
(1)
"Penser est une irie profonde", entretien avec H.
Lhérété, Scrences Humaines n"274, 2015,
(2) rbid.
63
.tLfér.rr."

Michel Serres
dans ses (Euvres
L'æuwe de Michel Serres est foisonnante. Voici quelques-uns des écrits qui
apparaissent comme des pierres blanches de son parcours philosophique.

a runntwÈs
5volumes (1969-19S0)
Composés d'articles, ces cinq volumes
sont placés sous l'aile d'Hermès, le mes-
sager des dieux. L idée leibnizienne
que le monde est un système où tout
communique se trouve ici redéployée
au contact de Ia génétique du code,
des théories cybernétiques du nbruitr,
sur le fond duquel doit s'arracher la
communication. Le dialogue plato-
à
nicien, étudié dans Hermès 1, ne fait iI
pas autre chose: il arrache les idées au
bruit du monde empirique. Les Grecs,
souligne Serres, n'inventent pas les Hermès, le messager des dieux.

formes géométriques mais inventent un
discours sur les formes. lls « traduisent ».
La possibilité de convertir une forme en
caractères, en schéma, ouvre un espace
indéfini de variations. Uétude culturelle
de la science est aussi l'étude des bruits
qui Ia brouillent, des «interférences,
fatales ou fécondes (Hermès 11). Avec
Lévi-Strauss, Serres défend « I'importa-
tion» delanotion de structure, dbrigine
algébrique, dans Ie champ culturel. Il
développe son propre stucturalisme
généralisé, imaginant un réseau qui
semble anticiper le codage de toutes les
données en données numériques.
Dans une réédition, Serres pourra se
vanter, non sans raison, d'avoir anti-
cipé le basculement d'une ère qui ne
jurait que par la production à l'ère
oùr tout passe sous le contrôle de la
communication-codification, oir les
maîtres des accès et des flux (Google, les
réseaux sociaux...) dominent le monde
économique.
Avec Hermès, Serres propose une cir-
culation tous azimuts entre science et
mythes, personnages historiques et
figures de romans, encyclopédies et
récits de voyages. Le cinquième et der-
nier volume, sous-titré « Le Passage du
Nord-Ouest », explore cette métaphore
du passage attendu entre Ies sciences
exactes etles sciences humaines, -pas-
sage qui n'a rien de simple selon Serres,
mais implique plutôt de multiplier les
lignes, les rapprochements, de recon-
naître et de contourner les obstacles.
a LEPARASfTE(rsso)et
LEMALPROPRE(zoos)
C'est avec de courts essais, comme
Le Parasite et Le Mal propre, qve
Serres conquiert un public plus large.
Comme Gilles Deleuze, il privilégie
au commentaire de texte la « création
de concepts et de personnages philoso-
phiques». Ainsi s'intéresse-t-il au para-
site, figure absente de la pensée (alors
que la notion d'échange a fait couler
beaucoup d'encre): celui qui prend
sans donner, celui qui brouille les
échanges et leur équilibre plutôt que
de se préoccuper de réciprocité et d'en-
tente. Serres souligne, à partir d'une
multitude d'exemples littéraires ofi un
hôte abusif s'installe dans une mai-
son et profite des richesses du maître
des lieux, que le parasite «échange de
bons morceaux contre des bons mots,
il paie son repas, il l'échange en mon-
naie de langue ». Distrayant, comme
Le Neueu de Rameau chez Diderot,
se rendant parfois indispensable à Ia
bonne humeur, comme un bouffon,
ou se faisant le miroir, le confesseur, la
conscience de I'hôte (comme Tartuffe),
le parasite devieni un personnage de
la société aristocratique et bourgeoise
des 17" et 18" siècle : « Un riche sans
parasite paraît être humble et de basse
condition», notait Lucien de Samosate.

64

Pas de richesse sans parasitisme ! Iuste
retour des choses: I'accumulation de
richesses privées ne se fait-elle pas tou-
jours au détriment des biens communs,
de telle sorte que le riche a souvent
été décrit à son tour comme le para-
site social par excellence -surtout s'il
est oisif et vit du travail d'autrui? Les
exemples tirés de la biologie montrent
en fait des relations complexes entre le
parasite et l'organisme sur lequel il se
fixe: de la destruction pure à un certain
« échange de services r.
Le passage réussi du biologique ou
de I'éthologique au social se retrouve
dans Le M al propre, une réflexion aussi
paradoxale que décapante sur la pro-
priété. Comment un chat, un chien ou
un tigre marque-t-il sa propriété ? En
pissant, en salissant l'espace qui est le
sien, en délimitant ainsi son périmètre.
Autrement dit : Ie propre, c'est le sale. Je
possède ce que je peux salir à ma guise.
Le pollueur se comporte aujourd'hui
comme un chien, et l'Occident indus-
trialiste et colonial s'est approprié le
monde en le salissant.
. LE CONTRAT
NATUREL(tsso1
Le Contrat naturel avance une thèse
radicale: le parasite, c'est nous
aujourd'hui ! Un parasite qui ne voit
pas qu'il prépare sa propre destruc-
tion en abusant de son nhôter. Serres
nous invite à passer à la symbiose:
"Ie
symbiote admet le droit de I'hôte, alors
que le parasite -notre statut actuel-
condamne à mort celui qu'il pille et
qu'il habite sans prendre conscience
qu'à terme il se condamne lui-même à
disparaître, (Le Contrat naturel, 1990,
rééd. Le Pommier, p.88).
Entièrement absorbé par l'histoire
des hommes, de leurs droits et de
leurs pouvoirs, l'Occident moderne
a visé une « maîtrise et possession »
de la nature qui ne lui reconnaissait
aucun droit. IJusage a tourné à l'abus.
Or Ia nature n'est pas un objet inerte,
c'est un ensemble de conditions avec
lesquelles il faut compter, comme le
savaient deux genres de travailleurs
dont Serres note le vertigineux déclin
numérique au 20" siècle: les paysans
et les marins. Les gouvernants ne se
sont jamais recrutés parmi eux, et les
politiques actuels, hommes des villes,
des administrations, n'ont aucune
notion des équilibres, des interactions
constantes entre l'activité humaine et
la nature.
Il leur faudrait cesser d'être « immergé
uniquement dans le contrat social»,
et pour cela Serres conçoit un nou-
veaù « contrar»: le contrat naturel, qui
viendrait rendre voix à ces absents de
l'histoire et à ces partenaires muets
de Ia connaissance (les animaux, les
plantes, Ies objets...).
Ce petit essai a un caractère prophé-
tique: non seulement le droit recon-
naîtra de plus en plus, au tournant
des 20" et 21" siècles, la sensibilité des
animaux qu'on ne peut pas traiter
comme de simples meubles, mais il
conférera une personnalité juridique
à des fleuves ou à des espaces naturels
pour les défendre contre une exploita-
tion industrielle abusive ou contre une
destruction programmée. Un nouveau
droit est en gestation, oir les intérêts de
7 génération qui manie
I
.. TE
5
Y
W^/
Référ"n."
la nature sont mieux représentés, don-
nant corps au contrat naturel tacite.
a PETITE POUCETTE (zorz)
Pour caractériser une génération mon-
tante que l'époque nomme digital natiues,
Serres la baptise d'un nom de conte (fémi-
nisé, car Serres confie que ses meilleurs
étudiants furent des étvdiantesl); Petite
Poucette. La jeunesse manie son pouce
avec une dextérité inouïe pour démul-
tiplier les messages, mails mais surtout
SMS - elle presse si vite les touches que le
téléphone portable va devenir une quasi-
prothèse de l'humanité duZI siècle. Le
leibnizien qu'il est s'enthousiasme aussi
pour le développement des réseaux:
Internet, c'est une intelligence collective
en gestation, qui relève d'un nouvel oar,
de penser, comparable à ceux qu'inven-
taient les hauts esprits du Grand Siècle.
On reproche à Serres une apologie naïve
du nouveau? Il rappelle des progrès sou-
vent oubliés (déclin des épidémies qui
tuaient des populations entières, de Ia
mortalité infantile, augmentation fantas-
tique de la durée de vie...), mais note que
si « ce n'était pas mieux auanfi ça peut être
pire après r.t
Michel Serres a
baptisé * Petite
Poucette . la jeune
le smartphone avec
dextérile.
Août-septembre 20l9lSoeNces HuNarues 65
N.317l
I
 Lire
Des liwes
\
à emporter
en vacances
I elon un sondage récent, il apparaît que

déclarent lire le plus souvent pour

s'instruire, les autres cherchant surtout à
\"ir Er se distraire. Ce n'est déià pas mal. Mais si
on faisait les deux en même temps? À
l'annonce de l'été, comme chaque année,
Scrences Humaines a concocté pour vous
un petit choix de livres récents sur des
§uiets qui tiendront votre curiosité et votre
appétit de savoir en éveit, même au soleil.

Lutte des classes et crustacés

MAI(À A LA PLAgts
Le Capital dans un
transat
Jean-Numa Ducange,
Dunod,2O19, 144 p.,
15,90e
e nom de Karl Marx tout
Il-comme prin-
le titre de son
cipal ouvrag e, Le Capitat
(1867), évoquent des images
d'ouvriers en haillons, des sen-
teurs de fumées d'usine et des
clameurs de chants révolution-
naires. Bien loin, donc, du
moment de calme habituelle-
ment recherché lorsqu'on
s'étend sur un drap de bain.
Pour autant, I'historien Jean-
Numa Ducange parvient dans
ce petit livre à rendre récréative
la découverte des idées du
père du communisme, et ce
sans les trahir.
Avec précaution, il rappelle
que la pensée de Marx, bien
que témoignant d'un "génie
incontestable", est avant tout
le produit d'une époque, le 19"
siècle. Selon la vulgate
marxiste, I'industrialisation qui
ébranle alors I'Europe exa-
cerbe un antagonisme oppo-
sant, d'un côté, les entrepre-
neurs capitalistes, et de I'autre,
les prolétaires. Les premiers
exploitent et dominent avec
toujours plus d'avidité les
seconds, et c'est cette injus-
tice, emblématique du capita-
lisme, que Marx entend
démontrer scientif iquement.
Plus encore, il veut armer les
esprits contre elle: " Les philo-
sophes n'ont fait qu'interpréter
diversement le monde. Ce qui
importe désormais, c'est de le
changer ", proclamait-il alors
qu'il n'avait que 27 ans. Au fil
des pages, les textes de Marx
mais aussi ceux de ses héri-
tiers (Lénine, Trotsky, Althus-
ser, etc.) et des penseurs libé-
raux qu'il a inspirés (Weber,
Aron, Keynes), sont abondam-
ment cités, contextualisés et
commentés. Au passage, plu-
sieurs préjugés sont écornés,
comme celui d'un Marx étatiste
à I'excès, dont les écrits porte-
raient les ferments du mal tota-
litaire stalinien. Or, le philo-
sophe s'est à de nombreuses
reprises élevé contre la
bureaucratie et la domination
des masses qu'elle a pour mis-
sion d'exercer. L'auteur révise
aussi la fameuse "dictature du
prolétariat", dénoncée tout au
long du 20" siècle comme une
preuve des velléités despo-
tiques de Marx. Jean-Numa
Ducange montre que sous la
plume du philosophe, la for-
mule renvoie à une concentra-
tion légale et temporaire du
pouvoir, comme au temps de la
Rome antique, entre les mains
des masses opprimées, et
donc de. la multitude. Cette
forme de "démocratie radi-
cale", explique I'auteur, a peu à
voir avec la dictature d'un
parti.:
Cr-Éueu Qurrrano

66 Scrences Hur,nrles I Août-septembre 2019

lN"gtz
Ode à une nature morte
!est à une promenade nostalgique que la sociologie du quotidien doit à
autour de mots oubliés que nous l'ornithologie pratiquée par le caractériel
se
invite l'historien Romain Bertrand. Ces Tom Harrisson, qui promena lors de la
'iiâiHo
LE DÉTAIL Seconde Guerre mondiale sa méthode
cadavres exquis sont d'abord les termes
DU MONDE de I'observateur invisible chez les
r ii r.!Cr rt r-i air..rrrl,t
{ t Êrnr:,-
par lesquels les savants voyageurs
I cannibales du Sarawak et les prolétaires
SEIJII du 19" siècle, Alexandre de Humboldt,
,
de Manchester. ll décrivit le comportement
, t.f Jean-Jacques Audubon, Alfred Russel
des soûlards dans les pubs avec le même

r#$ Wallace, Charles Darwin ou Bernardin de

Saint-Pierre, tentaient d'évoquer la nature.
C'était au temps des savoirs discontinus
détachement que celui des passereaux
des tropiques.
Bamnésie écologique, le fait de vivre en
qui se constituaient en science. pensant que le monde gue nous
Une forêt tropicale pouvait se décrire connaissons n'a pas changé alors gue la
le oÉrat comme une cathédrale. Car si l'on avait vie y a diminué, neutralise l'empathie
DU MONDE abondance de termes pour camper chaque que nous porterions autrement à une
lJart perdu détail architectural, chaque teinte nature agonisante. L histoire littéraire
de !a description artificielle, de I'architrave au zinzolin, il évoquée par Romain Bertrand soulève un
de la nature coin du voile, s'offre en remède amer
manquait à I'Occident le lexique pour
Romain Bertrand,
nommer le monde naturel. Et nul mieux à l'oubli. Darwin, lors de son tour du
Seuil, 2O19,277 p., 22€.
monde, s'émerveillait des vols de millions
que ces premiers naturalistes n'avait
de papillons qui obscurcissaient le ciel
compris que baptiser le monde, c'est se
d'Amérique du Sud.
l'approprier.
En guise d'épilogue, Romain Bertrand
On suit donc Wallace et Darwin dans leur
oppose la peau à I'excavation. La peau,
quête désespérée de savoir sur les
c'est I'art de lire la surface, les cicatrices
coléoptères, dans leur collecte maniaque
et ce qu'elles disent de I'histoire quand
de prothorax et de thorax, dans leur talent
on trouve les mots vrais, comme ces lbans
d'inciseurs qui les rend capable de vider
de Bornéo qui disposent "de trente termes
de leurs fluides et de figer pour l'éternité
disfincfs pour désigner le riz selon le galbe
les coléoptères. Audubon procède de
de ses feuilles et la cambrure de sa tige".
même, fusillant méthodiquement les
lJexcavation, c'est la volonté méthodique
oiseaux, les désarticulant pour les
de disséquer, au risque de perdre
immobiliser à grands renforts de fil de fer
définitivement ce que l'on archive.
et les peindre en posture nnaturelleu.
(...).
Les populations de mammifères vacillent "Ce n'est pas que le monde est muet
Les câoses sont là, fidèles au poste:
sous les tirs d'administrateurs coloniaux
ce sonf /es mots qui manquent à l'appel, et
et de riches dilettantes comme Albert l''
ce pour la seule et trisfe raison que nous
de Monaco, avant de se retrouver
les avons oubliés. O,ui sait encore ce qu'est
pétrifiées pour l'éternité dans la poussière
un élytre, et comment se'comptent les
des musées. La taxidermie est l'art de
tarses et /es ocelles ?" t
l'archivage du vivant.
Launerr Tesror
On croise aussi Francis Ponge, Jean-Paul
Sartre et Virginia Woolf. On apprend ce

Août-septembre 20lglScrerces HuuerHrs 67

N"317 I

I
 Lire
Linvention du restaurant
I a France passe pour un pays de bons
Lvivants et est souvent louée pour sa
douceur de vivre. Ce que perçoivent surtout
les étrangers semble-t-il. Et les restaurants y
sont pour beaucoup. Or, leur invention est
assez récente puisque le lieu, de même que
la profession de restaurateur, ne remontent
guère au-delà de la Révolution. On peut s'en
étonner, car à l'époque le pays connaît encore
des épisodes de famines. Alors que la loi du
Maximum (1793) entend lutter contre la
@ffi
spéculation sur les blés, de nombreux
Parisiens ne mangent pas à leur faim, et
pourtant on voit fleurir ce nouveau type
LA FRANCE d'établissements. Antoine de Baecque ne
GASTRONOME manque pas de souligner les paradoxes qui
Comment le entourent leur naissance. Alors que I'idée
restaurant est entré même de gastronomie (le terme apparaît à
dans notre histoire l'époque) est liée à I'Ancien Régime et à
Antoine de Baecque, I'aristocratie, ces lieux de bonne chère se
Payot, 2O19, 240 p., 22 €, répandent dans Paris, sans égard pour
l'égalitarisme des Sans-culottes.
En fait, l'émigration de nombreux nobles, et
principalement des plus titrés, qui laissait
sans ouvrage leurs cuisiniers, y est pour
quelque chose. Auparavant existaient des
auberges, des tavernes et des gargotes
proposant des mets en général peu délicats.
Si le restaurant s'impose, c'est qu'à I'exode
des aristocrates répond I'arrivée dans la
capitale des députés des États-généraux,
puis des assemblées, constituante et
législative. À ces messieurs, il faut un lieu où
manger correctement, à la fois paisible et
adapté à leurs horaires: le restaurant saura
remplir ces fonctions.
D'abord regroupés autour du Palais-Royal,
les premiers établissements se multiplient
rapidement: dépassant le millier en 1825, ils
sont plus de deux mille en 1834, gagnant le
quartier des Boulevards. En 1835, le mot
entre dans le Dictionnaire de l'Académie
française dans son acception moderne. De
ce nouveau lieu découlent toutes sortes
d'innovations: un environnement cossu, voire
luxueux, des tables individuelles, le menu à la
68 Screrces HuuarNes 20le
I ft:iiir"-bre
I
carte avec les prix affichés, le paiement de
I'addition à la fin du repas. Toute une nouvelle
sociabilité fait descendre les plaisirs culi-
naires des nobles hôtels particuliers aux
tables démocratiques des restaurants. Si, à la
différence des auberges bruyantes, on peut y
converser de politique, de philosophie,
d'affaires, on y parle aussi et surtout de ce
qu'on mange, de ce qu'on a mangé, de ce
qu'on va manger. On y reçoit igs "gaslrolo-
gues", qui devisent sur la nourriture et
deviendront bientôt des gastronomes, à
mesure qu'un certain goût se met en place.
Particularité hexagonale durable, le discours
sur I'art culinaire se développe à partir de la
fin du 18" siècle tandis que la cuisine se
transforme. Elle gagne en simplicité, en
délicatesse et s'organise selon un service
plus sobre, appelé u à la russe, : . La nouvelle
cuisine parvient à simplifier le repas parce
qu'elle sait mieux en c/asser les saveurs et
réussit à en faire sentir toute la gamme des
goûts". Les manières de table se mettent en
place également à cette époque, de même
que l'organisation des repas en petit-déjeu-
ner, déjeuner, dîner. C'est dans les restâu-
rants qu'on croise le chemin des grands noms
de la gastronomie française, ceux qui ont fait
la cuisine, ceux qui I'ont dite et la feront
devenir ce qu'elle est: Roze de Chantoiseau,
Brillat-Savarin, Grimod de La Reynière, Méot,
Carème, Beauvilliers, Escoffier... Mais aussi,
par la suite, ces mangeurs magnifiques que
furent Balzac, Alexandre Dumas ou Victor
Hugo, dont I'appétit laisse pantois. Peu à peu,
I'offre se diversifiant sur les Boulevards,
apparut ce qui semblait quelques années
auparavant encore un oxymore: des restau-
rants pour les pauvres. On vint ainsi du
monde entier pour manger à Paris, et la ville
est alors devenue le venlre du monde. I
TxrennY Joeano
Les deux George
f) eau doublé pour Mona Ozouf et Michelle
IJI Perrot: les deux historiennes se
connaissent depuis 1955, elles entretiennent
une amitié, nourrie par six décennies de
conversation. Et voilà que, sans se concerter,
elles ont travaillé simultanément sur deux
jumelles de la littérature: la française George
MiCI-iE!LE
Sand (1804-'1876) pour Michelle Perrot, la
PER RiOT britannique George Eliot (1819-1880) pour
Mona Ozouf. Un réjouissant hasard qui
dépasse de loin le prénom de plume des
romancières. Les deux essais bruissent
d'échos réciproques, sur I'identité (comment
,t' devient-on soi ?), les arbitrages personnels
des femmes, le désir de reconnaissance, la
genèse et la débâcle des rêves. Michelle
GEORGE SAND
lisant George, Mona lisant ul'autre George",
À ruonarur
tirent un fil commun: nos manières d'habiter
Une maison d'artiste
la vie retentissent sur nos façons de penser et
Michelle Perrot,
d'ceuvrer.
Seuil,2O18,464 p.,24€
C'est par le lieu que M. Perrot entre dans
I'univers de George Sand. Nohant, la bâtisse
que Sand a héritée de sa grand-mère, au
cceur du Berry, est le foyer oir s'est organisée
sa quête. M. Perrot se saisit d'un épais
matériau autobiographique pour faire
t,AUTNE ressurgir " cette maison foisonnante, vibrante
GDOITGD
de passions et de musique, où /es cris des
enfants se mêlent aux aboiemenfs des chiens
et au chant des oiseaux". Matriarche, Sand
décidait de tout, ajoutant une chambre ici, un
bureau là, plantant, redessinant... L'impo-
p{ sante demeure Ancien Régime devint une
chaleureuse maison de famille; le refuge
provincial propice au travail se transforma en
un phalanstère d'artistes, puis en une cellule
communautaire inspirée par le socialisme
UAUTRE GEORGE
républicain de Pierre Leroux. Ce perpétuel
À ta rencontre de
réaménagement de I'espace privé raconte les
George Eliot
reformulations successives des idéaux du
Mona Ozouf,
siècle. Nohant est le creuset de rêves jamais
Gallinard,2Ol8,
256 p.,20€ tout à fait réalisés. " Mais nos rêves peuvent-il
l'être?", interroge M. Perrot.
George Eliot, un peu plus jeune, admirait
George Sand. "My divinity", disait-elle à son
propos. M. Ozouf s'intéresse aussi aux lieux: la
douceur brumeuse des campagnes anglaises,
les terres cloisonnées par des rideaux de
feuilles - "vivre entre deux haies fait l'exis-
tence recluse et soupçonnesgg"-, les usines
ou s'usent les hommes, les chambres abritant
amours et agonies... Eliot est plus ombra-
geuse que Sand, moins politique. Mais ses
engagements affleurent sous son talent de
conteuse. Ses romans narrent I'ankylose du
vieux monde, l'émergence d'un nouveau,
marqué par l'industrialisation, I'exode rural, la
démocratisation, I'individualisation, le désir
d'égalité. Comment s'orienter dans un monde
sans repères ? llécho de cette question
résonne encore. G. Eliot répond par un
"conservatisme de progrès". Là où Sand croit
en un possible recommencement à neuf des
existences, elle considère la dette des homme
envers le passé. On ne se délie pas si
aisément de la mémoire des choses et des
affects. Cela vaut pour la vie des individus
comme pour celle des peuples. La table rase
est un leurre.
La Française et I'Anglaise ont beaucoup en
commun: toutes deux ont pris leur destin en
main, bravé les interdits, milité, aimé, créé,
toutes deux féministes avant I'heure, subver-
sives et moralistes à la fois. À l'époque des
héros éclatants de Walter Scott et de Dumas,
leurs romans témoignent d'un souci des vies
ordinaires, banales et bancales. Ces vies
parfois riantes, souvent abîmées, toujours
complexes, soumises à ce travail de la durée
que seul le roman donne si bien à percevoir:
" La vie ordinaire existe, atteste M. Ozouf. La
substance humaine se recompose, après et
autour de la souffrance. " Les deux livres
peuvent être lus indépendamment des textes
et lieux qu'ils prennent pour objet et qu'ils
donneront toujours envie de visiter. Servis par
des plumes magnifiques, ils proposent
davantage qu'une analyse littéraire: une
réflexion puissante sur I'existence des femmes
et leur capacité à tisser leur vie, avec art, par
delà les assignations. r
HÉr-oilse LxÉnÉrÉ
Août-septembre 20191 ScreHces Huuarues 69
N.3l7l
I
 Un ami fait sur mesure
l\u chihuahua de deux kilos au
lJoogru allemand de plus de
soixante-dix, les chiens forment
une seule et même espèce dont
le fondateur et membre perma-
nent est Canis lupus, le loup.
Une telle diversité tient au fait
que, depuis plus de 30000 ans,
I'homme a mis la main à la pâte.
Premier mammifère domestiqué
entre tous, le chien a été, depuis
g+*ruglffi,ffils la plus haute Antiquité, custo-
misé pour satisfaire aux multiples
emplois que lui destinaient ses
HOMO CANIS maîtres: la chasse, la garde des
Une histoire des troupeaux, la course, le combat
chiens et de sportif, l'accompagnement, et
I'humanité même la satisfaction du palais du
Laurent Testot, gourmet. Le moins qu'on puisse
Payot, 2O18,350 p.,22€ dire est qu'ils'est prêté au jeu car,
Spirou, un héros dans Ia tourmente
Âréé à I'aube de la Seconde
LrrGu"rr" mondiale par I'il-
lustrateur français Rob-Vel,
UESPOIR popularisé par Jijé et Franquin,
MALGRÉ TOUT le célèbre groom bruxellois est
amené, dans cet album en
forme de f lash - back, à dévelop-
per une conscience politique.
Dès les premières planches,
une bataille de boules de neige
entre enfants donne le ton de la
Belgique des années 1940 : "À
mort les Boches", "Crevez,
SPIROU, sales Français", "Les Rosbifs,
Uespoir malgré tout on en fait du pâté !"... Jusqu'au
Émile Bravo, moment où un gamin glisse un
Dupuis,2O18, 8D,88 p., caillou dans sa boule et en
16,50c
blesse un autre à la tête. Spirou
s'interpose mais assiste impuis-
sant à la montée de I'intolé-
rance, du racisme et du belli-
cisme. La reconstitution
70 Screlces HumrNEs 201e
I *:il;.r"-bre
I
aujourd'hui, rien ne prouve que
les premiers chiens aient été plus
que des mascottes. C'est ce
long, multiforme, et parfois cruel
façonnage que Laurent Testot,
sautant de continent en conti-
nent, de lignée en lignée et de
siècle en siècle, restitue dans ce
livre érudit et enjoué pour le plus
grand plaisir du lecteur, même
amateur de chats. Du spitz nor-
dique au bichon affectionné des
Romains, du bouledogue sumé-
rien au mâtin féroce des congur's-
tadores, la saga des chiens
montre, s'il en était besoin, que
ce compagnon est, pour le meil-
leur comme pour le pire, le plus
humanisé des mammifères. Du
cabot baveur de Pavlov à Laika,
historique est d'une rare préci-
sion. Émile Bravo s'est appuyé
sur une abondante documenta-
tion et notamment sur les rap-
ports de Paul Struye, un politi-
cien belge qui a décrit la vie
quotidienne sous I'occupation
nazie. Le dessinateur privilégie
une gamme de couleurs ter-
reuses et multiplie les scènes
sous la pluie au fil de I'histoire.
Spirou découvre la réalité du
conflit: les combats et les
morts, la nécessité de prendre
les armes, ou bien de fuir vers
la France... qui a fermé ses
frontières aux réfugiés. Amou-
reux d'une jeune juive commu-
niste disparue en Allemagne,
ami d'un peintre abstrait taxé de
"dégénéré", il rencontre des
boy-scouts embrigadés, des
la première cosmonaute, sa
contribution à la science est plus
qu'honorable. Sa fidélité et son
dévouement lui ont valu maintes
fois des décorations, des statues
et des enterrements en grandes
pompes. Ouel est son avenir?
Même si, selon les observateurs,
la majorité des chiens peuplant
la planète sont des bâtards
errants, et que certains sont
retournés à l'état sauvage, le
descendant domestiqué de
Canis lupus ne saurait, selon L.
Ia disparition de
Testot, survivre à
ses maîtres. Or, sans le chien, le
destin d'Homo sapêns eût été
sans doute moins brillant. N'ou-
blions pas ce que nous lui
devons. r NlcoLAs Jounrer
curés anticommunistes, mais
aussi des paysans humanistes
et probablement résistants. Les
tensions entre Flamands et
Wallons, attisées par l'occu-
pant, sont évoquées à travers
des mouvements comme la
Ligue flamande et le rexisme.
Encore très jeune, Spirou se
forge peu à peu son opinion
dans une histoire appelée à se
développer sur plusieurs tomes.
Son ami Fantasio, lui, fait office
d'homme naif de son temps.
N'ayant pas de recul sur les
événements, se laissant facile-
ment embrigader s'il y trouve un
intérêt, il bascule dans le jour-
nalisme de collaboration. Cette
leçon d'histoire en images est à
mettre entre toutes les mains. I
Faerel TnÉcounr
Du bon usage des crânes
1Àomme le rappelle avec justesse
\rFr"n"". Larson, anthropologue et
historienne, il n'est pas si facile de
trancher une tête humaine. Ne parlons pas
d'en disséquer une, ce qui demande à la
fois un bel effort physique et un travail
précis et délicat:
"ll faut scier le cou,
enlever la peau du visage, couper la tête
entre les deux yeux et inciser la boîte
crânienne avant de la scier pour en
extraire le cerveau". On ne se rend sans
doute pas compte de la dextérité des
coupeurs de têtes, sans parler de celle
des réducteurs jivaros.
La figure traditionnelle du bourreau illustre
rÊres PERDUES pour sa part I'ambiguité qui entoure la
er rÊres rRouvÉes décapitation: dégoût et fascination. On
Pourquoi on coupe craint et respecte le bourreau, on attend de
des têtes et ce qu'on lui qu'il exécute proprement sa tâche. Mais
en fait s'il rate son coup, gare à lui. On connaît
Frances Larson,
ainsi des fins difficiles comme celle de
éd itio ns O m blage, 201 9,
Marie Stuart, décapitée avec une hache
32O p., 21€
mal aiguisée, ou bien le comte de Chalais,
sous Louis Xll!, pour lequel il fallut s'y
reprendre plus de trente fois. Comme quoi,
il vaut toujours mieux avoir affaire à de
vrais professionnels, équipés en
conséquence. La guillotine fût
incontestablement un progrès pour les
suppliciés.
Mais plus encore que I'acte de séparer la
tête du tronc devant une foule nombreuse
et rassemblant toutes les couches de la
société, c'est ce qui advient de ladite tête
qui montre l'étendue de l'imaginaire
humain. Là encore, deux sentiments
contraires se mêlent: le respect et la
volonté d'humilier. Les exemples abondent
de ces rebelles anglais du 17" siècle dont la
tête resta fichée sur une pique, bien en
vue, durant des années, afin de servir
d'exemple. Ce sont là des mæurs d'un
autre temps, mais, rappelle F. Larson, la
chasse aux crânes japonais était encore
chose courante durant la Guerre du
Pacifique. Les soldats américains
inventaient des méthodes pour nettoyer
correctement les crânes avant de les
expédier à leur fiancée ou bien de s'en faire
un trophée. Car c'est bien de cela qu'il
s'agit: conserver le crâne d'un ennemi, c'est
à la fois honorer sa valeur guerrière et
affirmer une forme de pouvoir sur lui.
Mais ce n'est pas là I'unique usage des
têtes coupées. Elles possèdent un pouvoir
étrange, qui n'est pas seulement macabre.
Elles peuvent être montrées lors des
dîners en ville à titre de curiosité, comme
ce fut le cas du crâne de Cromwell durant
deux siècles. Elles trônent dans nombre
d'églises, enchâssées d'or et d'argent, afin
de les préserver et de bénéficier
éventuellement de leur sainte influence.
La grande époque de la chasse aux crânes
fut le 19'siècle en raison d'une part, de
l'expansion coloniale, et de I'autre, du
développement de I'anthropologie
physique et raciale. Les effets de la
phrénologie se firent longtemps sentir et
l'on expédia des milliers de crânes du
monde entier afin de les mesurer, les
comparer, les répertorier dans les musées
européens et américains. lls y sont encore.
La demande fut telle qu'elle produisit des
effets pervers, principalement en Océanie
et à Bornéo. Face à la demande des
Européens, qui troquaient des fusils contre
des crânes, la chasse aux têtes devint un
marché florissant, quitte à viser quelques
Blancs pour faire bonne mesure. La
craniologie est aujourd'hui tenue pour une
science inutile, mais la fascination pour les
crânes est de tous les temps. C'est que
l'antique interrogation d'Hamlet
contemplant le crâne de Yorick habite
chacun d'entre nous. De sorte qu'à les
regarder, les exposer, les mesurer, les
interroger, il semble qu'on les entende
murmurer: nCe que tu es, je l'ai été. Ce que
je suis, fu /e seras», r
Txrennv Joeano
Août-septembre 2019 | Sctences Hur,nnes 71
N"317 I
I
 La Californie, terre d'accueil
a Californie, ses palmiers, ses plages,
I
Let...ses couscous. De San Francisco à exemple vient de Marrakech à 20 ans pour
Los Angeles, la région est devenue la terre
d'élection de plusieurs milliers d'immigrés
d'origine maghrébine. Difficile de connaître
leur nombre exact: une fois devenus
citoyens américains, ils se fondent dans la
population générale. Tout au plus peut-on
compter ceux qui ont conservé leur
passeport d'origine : en 2010, les
Marocains, Tunisiens et Algériens étaient
environ lOOOOO aux États-Unis, dont un sur
dix installé en Californie. Dans cette région,
ces nouveaux venus peuvent retrouver le
LE NOUVEAU RÊVE
parfum des orangers et des eucalyptus, le
AMÉRICAIN
charme des champs d'oliviers et des
Du Maghreb
palmiers, et le bleu de leur Méditerranée
à Ia Californie
Marie-Pierre Ulloa, d'origine ou du moins celle de leurs
CNRS édftions, 2019, parents. C'est à ces Californiens que Marie-
384 p., 25€ Pierre Ulloa a consacré une thèse, puis ce
livre. Entre 2011 et 2015, accueillie à
I'Université de Stanford, elle a mené des
entretiens avec un peu moins d'une
centaine d'interlocuteurs originaires du
Maghreb ou français d'origine maghrébine.
Elle a aussi assisté à leurs activités
collectives, de la célébration de la fin du
Ramadan au spectacle de l'humoriste Gad
Elmaleh, en passant par les cérémonies de
Yom Kippour.
Venus directement du Maghreb ou passés
par la France, juifs ou musulmans, arabes
ou berbères, religieux ou athées, ils ont
migré à des dates et pour des raisons
variées. Tous en revanche ont un point en
commun : souvent diplômés, ils ont vu
dans la Californie l'opportunité de
construire une vie meilleure et de trouver
une carrière. En la matière, la Silicon Valley
est particulièrement attractive, avec sa
dynamique high tech et ses starf-up
foisonnantes. Globalement, la Californie a
72 ScrelcEs HuuarNes 20le
I ft:il;"l"*ore
I
tenu ses promesses. Mourad Lahlou par
suivre des études d'économie. ll ouvre
finalement deux restaurants, dont l'un
étoilé au guide Michelin. Kamel Ounadjela,
né en France en 1958, ancien chercheur au
CNRS, émigre en Californie où il crée avec
succès une entreprise de panneaux
solaires. Tous certes n'ont pas réussi avec
autant d'éclat. Mais sur la centaine de
personnes rencontrées par I'auteure,
seules deux sont reparties.
Dans le climat méditerranéen de la
Californie, le rapport au Maghreb se
transforme. ll se dissout en partie dans
l'américanité ou s'y métisse, comme lors
des baby-sâoÿÿers, une fête commerciale
américaine au cours de laquelle la future
mère reçoit yns «pluie de cadeaux",
combinée ici avec le thé à la menthe et les
gâteaux orientaux. lidentité se loge dans la
nourriture ou le foot. Le rapport à la France
change lui aussi. La langue française joue
souvent le rôle de lingua franca entre les
différentes communautés du Maghreb. Les
stigmates du racisme métropolitain
peuvent enfin s'effacer, comme dans le cas
de Kamel, franco-algérien né à Dreux. En
France, ce pâtissier-chocolatier ne cessait
d'être renvoyé à son identité arabe. À Los
Angeles, il est perçu comme un
professionnel de la cuisine française, ce
qui lui ouvre le marché du travail. Malgré un
enchaînement rapide des exemples qui
donne parfois le tournis, ce livre original est
passionnant, et remet en cause le
stéréotype français de l'immigration
maghrébine.
HÉr-Ère Fnoulno
Aux sources du fantastique
I of Thrones (Le Trône de feù
(lari rlr rrt l .ar rington
\MINTER
ISCOMING
lt.r ntir, t ntrtliii rtlt.t
rlt' (iuntt lf !hn,ttt'
WINTER IS COMING
Les racines médiévales
de Game of Thrones
Carolyne Larrington,
Passés composés,2019,
288 p.,21 €
Ni somme technique indigeste
vol simpliste, cet ouvrage de réference
réunit les contributions de spécialistes
reconnus. Douze chapitres font le point
sur des approches parfois très opposées
(comme la psychanalyse et les neuros-
ciences), solidement implantées dans
la pratique (comme la psychologie
du développement) ou plus récentes
(comme la psychologie de la santé),
presentalt à la fois leurs fondemens,
leurs méthodes, leur actualité et leurs
perspectives. En plus de présenter une
réfexion sur l'histoire de la psycholo-
gie, ce manuel dresse ['état actuel de la
profession pour contribuer à orienter les
étudimts dms leurs choix.
Avec les contdbutions de : Marie-Frédérique
Bacqué, Georges Cognet, Ewa Drozda-
Senkowska, Gusrave-Nicolæ Fischer, Agnès
Florin, Hervé Guillemain, Michel Hansenne,
Viviane Kovess, Jacques Lecomte, Patrick
læmaire, Edmond Marc, Charles Martin-
Krumm, Sébætien Montel, Florent Serina,
Cmille Târquinio, Cyril Tarquinio, Thibaud
Tiochu, Robert Voyæpoulos.
| À linteris comrnoestletitre
V V a, tout premilr épisode
de la série romanesque Game
créée par George R. R. Martin,
portée à l'écran et déclinée en
une interminable saga de 73
épisodes suivis par des millions
d'amateurs passionnés. C. Lar-
rington est spécialiste de littéra-
ture médiévale, et invite son
lecteur à une remontée aux
sources de I'imaginaire fertile du
romancier. Luttes dynastiques
(inspirées par la Guerre des
deux roses, 1455-1485), règles
de succession (primogéniture
instaurée au 1 1" siècle), femmes
de pouvoir (Marguerite dAnjou),
ni sur-
[Jne exploration
des psychologies
d'aujourd'hui.
En librairie ou sut comrnande:
ou par téléphone au 03 867207 00
conflits d'honneur ou d'amour,
chevalerie, tournois, confréries,
étuves, lépreux, usuriers, mais
aussi dragons, loups-garous et
épées magiques: on découvre
vite qu'aussi bien les péripéties
que le cadre du Trône de Fer
trouvent d'innombrables échos
dans les faits historiques, mais
aussi dans les contes, romansr
légendes et icones d'un long
Moyen Âge occidental. Les châ-
teaux des Westeros sont ceux
de lAngleterre du 14" siècle, et
la cité imaginaire de Braavos,
avec ses banquiers et ses
guildes d'assassins, ressemble
fort à ce que pourrait être un
portrait composite de Venise et
Août-septembre 2019 !SoeucEs HUMAtNES 73
de Bruges au 15" siècle. G. Mar-
tin s'est invité dans la géogra-
phie spéculative des Européens
du Moyen Âge, lorsqu'on disait
qu'au delà des Irontières de I'Est
existaient des hommes àtête de
chien et d'autres qui se dra-
paient dans leurs oreilles. C. Lar-
rington ne minimise en rien I'ima-
ginaire de Game of Thrones:
elle rend hommage à l'érudition
de son auteur sans gâcher I'in-
trigue. Et si, d'aventure, vous
êtes de ceux qui n'ont jamais
voulu accorder un coup d'æil à
cette saga, il est possible
qu'après la lecture de ce livre,
vous changiez d'avis.r
Nrcouslounuer
§xrs la rlir«{ion de
Jr:lt-l'nlr(rrs illrtvrrr
PSYCHOLOGIE
[ine expL:ration
ISBN : 978-2-36106-525-6
3l2pages-20€
@
N.317 I
l
 Lire

Philosophie du charpentier
Kant pour aller tâter du chêne,
[élaisser
Ulàcher le Dalloz pour manier la scie
égoihe, ne plus laisser courir machinale-
ment ses doigts sur le clavier d'ordinateur
c'est s'inscrire dans le temps long. Convo-
quant les thèses des sociologues Zygmunt
Bauman et Hartmut Rosa, I'auteur fustige
une société dans laquelle on réclame la

ü philosophie pour se faire charpentier. Dans
cet essai aux allures de récit d'apprentis-
ment de vie lui a donné des "clés pour
[s]'orienter dans notre époque frénétique".
LA VIE SOLIDE
La charpente comme
éthique du faire
Arthur Lochmann,
Payot,2O19,2OO p.,
15,50€
mais tourner ses paumes vers soi pour en
retirer les échardes... ll y a dix ans, Arthur
Lochmann quitte ses études de droit et de
sage, I'auteur explique combien ce change-
Tout en faisant le récit de ses chantiers,
Lochmann expose "l'éthique 6, 12i7s» que
lui ont inspirée ses années de formation en
charpenterie. Elle s'articule en trois étapes:
la redécouverte de I'intelligence manuelle, la
reconquête du sens du travail et I'inscription
de son action dans la durée. Au contact du
bois, I'auteur réapprend d'abord à "sentir
ayec ses mains", Dans l'esprit des travaux
du sociologue Richard Sennett sur la culture
de l'artisanat, il célèbre la répétition du
geste nécessaire à l'apprentissage. Scier ou
clouer, c'est acquérir une "pensée maté-
76lfs», permettant de comprendre physique-
ment le matériau et de transformer cette
compréhension en savoir-faire. Face à
I'externalisation des connaissances,
stockées et accessibles immédiatement
grâce aux nouvelles technologies, I'auteur
prône un retour au savoir acquis par
I'expérience, propre à "l'éthique artisanale
du bien faire".
À l'heure des bullshit joôs, Lochmann
présente I'artisanat comme un remède.
D'une part, le travail manuel permet de
«renouer avec le sentiment de responsabilité
de I'action", de s'engager à nouveau dans le
monde via la production d'une ceuvre utile
au bien commun. D'autre part, il redonne la
sensation de la durée des choses : bâtir,
sauvegarde du patrimoine tout en vouant un
culte frénétique à l'innovation et la flexibilité.
Ces contradictions ne mènent qu'à "l'aboli-
tion de la durée par l'avènement d'un temps
détemporalisé,. En revanche, perché sur un
clocher dont les ardoises et les pièces de
chênes sont en place depuis des siècles, il
se souvient avoir éprouvér non pas I'immobi-
lité des choses, mais leur pleine durée.
À la lecture de ce livre, on repense à
Matthew B. Crawford et à son É,loge du
carburateur, récit de la reconversion d'un
universitaire en réparateur de motos. Tous
deux font I'apologie des professions
manuelles qui réconcilient l'homme avec le
sens du travail, réaffirmant l'égalité des
intelligences de la main et de I'esprit. Mais
contrairement à son homologue américain
qui a persévéré dans la mécanique, Loch-
mann a laissé de côté le travail du bois pour
se consacrer à la traduction littéraire. Son
essai n'est donc pas un appel à quitter la
plume pour le marteau, mais une invitation à
s'inspirer de I'ethique artisanale pour
construire une "vie solide". On y lit surtout
le besoin de se confronter au concret et la
soif contemporaine du "vivre autrement",
Pour qui resterait insensible à cette éthique
élaborée sur les toits, I'ouvrage offre un
éloge instruit du métier de charpentier et de
belles pages sur ses outils, son vocabulaire
et ses traditions. On y apprend par exemple
qu'à la fin d'un chantier, les charpentiers
allemands laissent ce qu'ils appellent une
"bombe à retardement"r un message à
I'intention de ceux qui, quelques années
plus tard, se verront confier l'entretien de
leur ceuvre...l Pauure Perrr

74 Sqerces HuuarHes 20le

I ft:Tl;"r"*ore

I
Iouez le je!
 ui dit vacances dit aussi loisir de
(I o"nr"r. à soi, de réfléchir à ce que l'on
mrlA[ilt8üÂ[.LA]r
veut et à ce que I'on devient. Autrement dit,
Pril§rI-tl0ll$ de mettre en ceuvre I'antique devise du
uRililtilï temple de Delphes: "Connais toi toi-
8r0uu0lls même". Si ce précepte, tant prisé par
Gn0YH Ptil$tfi Socrate, est aussi ancien que la
HII philosophie, I'essai de Marianne Chaillan
flmilrsr propose de s'y conformer d'une façon
PT
ffmÏIirtfi... plutôt moderne, amusante et inédite.
Pensez-vous vraiment ce que vous croyez
penser?est en effet un livre dont vous êtes
PENSEZ-VOUS le héros, tout comme ces enquêtes
VRAIMENT CE OUE policières destinées aux adolescents qui
VOUS CROYEZ ne se lisent pas d'un seul trait. Des
PENSER?
énigmes vous sont soumises au début de
Marianne Chaillan,
l'ouvrage, et selon vos réponses vous
Équateurs, 2018, 192 p.,
poursuivez au chapitre 2 ou au chapitre 7.
18€,
L'exercice se répète jusqu'à ce que vous
trouviez le bon cheminement. Dans celui
de M. Chaillan, il n'y a ni criminels à
démasquer, ni mobile à découvrir. C'est une
enquête de philosophie morale, et la seule
personne à identifier, celle qui s'enfonce
dans des contradictions ou au contraire se
révèle parfaitement cohérente, c'est vous.
Les questionnaires que l'auteure propose
au fil des chapitres amènent le lecteur à se
positionner sur des dilemmes existentiels.
Exemple: trouvez-vous immoral que
quelqu'un ne travaille pas alors qu'il a du
talent? Chacun vous semble-t-il libre de
faire ce qu'il veut tant qu'il ne dérange
personne? Se couper I'oreille, comme Van
Gogh, vous paraît-il plus acceptable que
d'attaquer une tierce personne avec un
couteau ? Ges deux actions vous semblent-
elles tout aussi condamnables? Au fil de
vos réponses, vous apprendrez à vous
situer dans les grands courants de la
philosophie morale. Vous pourrez être
maximalistes, tout comme Emmanuel Kant
et Jeremy Bentham, mais plutôt à la
manière déontologique, comme le premier,
ou bien conséquentialiste, comme le
second. D'autres s'en tiendront à une
morale minimaliste, comme celle du
philosophe Ruwen Ogien, qui ne retenait
qu'un seul principe moral : ne pas nuire à
autrui.
Ainsi, l'ouvrage nous initie en douceur à
l'histoire de la philosophie. Les grands
courants doctrinaux sont longuement
exposés, ainsi que des exemples de prises
de positions explicites par des
philosophes. Mais le principal intérêt de ce
livre est de pousser le lecteur dans ses
retranchements, de révéler ses failles et
ses contradictions, et de nous montrer à
quel point il est difficile d'assumer toutes
les conséquences de nos convictions
morales. Au fil des pages, I'ouvrage se
resserre sur des suiets plus familiers et
actuels. De grandes questions bioéthiques
notamment occupent le cæur de l'ouvrage:
l'euthanasie, la gestation pour autrui,
I'assistance sexuelle aux personnes
handicapées... Mais des sujets plus
intimes sont également abordés, comme la
masturbation ou la paresse. Lobjectif de M.
Chaillan, écrit-elle, est de promouvoir
l'examen rationnel et argumenté, comme
substitut au climat §s npanique morale"
empêchant toute réflexion conséquente. Le
lecteur sera amené à éprouver la stupeur
qui saisit chacun de nous lorsqu'il refuse
d'admettre une conséquence pourtant
parfaitement logique des idées qu'il croit
être les siennes. C'est probablement ce
que ressentaient les interlocuteurs de
Socrate. r
Faerer TnÉcounr
Août-septembre 20191 Sqeuces HuuatHes 75
N.317 I
I
 Kant et Luc§Luke
ans sa pratique de professeur de
philosophie, Thibault de Saint Maurice, a
pa pni@oVta
découvert qu'il pouvait capter l'intérêt de ses
élèves en prenant des exemples dans des
& DES }IEROS
P.m. bôlod. m piilôbphi. ô hv.6 films, des séries télé et des comrcs. Ce
pdo.^o§.rt.6d3
no.
détour pédagogique lui a inspiré un essai
couronné de succès, Philosophie en sén'es
(Ellipses, 2009), suivi d'un second tome
l'année suivante, où il dégageait les enjeux
moraux de fictions télévisées telles que
-T Desperate Housemves, Prison Break ou
encore Dr House. Représentant
incontournable d'une philosophie pour le
DES PHILOSOPHES
ET DES nÉnos plus grand nombre, il récidive avec cet opus
Thibaut de Saint Maurice, consacré à des héros de la culture populaire.
éditions First, 2O19, Une quarantaine de personnages de films,
256 p., 14,95€
de bandes dessinées ou de romans sont
examinés avec l'æil de Platon, de Nietzsche,
de Kierkegaard et de bien d'autres penseurs.
Première bonne surprise: leur diversité.
James Bond côtoie Cendrillon, d'Artagnan
croise Pocahontas, Albator rencontre Tintin.
ll y en a pour tous les goûts et tous les âges,
tant pour les fans de super-héros en collants
que les lecteurs de Harry Potter et les
amateurs d'Autant en emporte le vent.
Lbuvrage est divisé en courts chapitres, six
pages en moyenne, le plus souvent rédigés
sur le même modèle : le portrait du héros,
suivi d'un exposé des enjeux philosophiques
qu'il incarne ou d'analyses qubnt pu en
proposer des auteurs classiques. Comme
dans ses précédents ouvrages et ses
chroniques radio, le style de T. de Saint
Maurice est accessible, pédagogique et
agréable. C'est une porte d'entrée idéale
pour les néophytes en philosophie, ceux qui
en ont gardé un mauvais souvenir ou s'en
sont toujours méfiés. lJautre qualité de
l'ouvrage est de rester précis et rigoureux
sous le vernis pop-culturel. On devine le
76 Screlces Hur,mres 20ls
| *:tl;.r","ore
I
professeur de lycée qui, tout en cherchant
des exemples amusants, doit aussi aider ses
élèves à préparer le bac. ll n'y a aucun
artifice dans la façon dont T. de Saint
Maurice rattache un concept philosophique
à un héros, dont on découvre de nouvelles
facettes. Ainsi, Lucky Luke , ce justicier
parfaitement désintéressé, dénué de toute
ambition et intérêt personnel, fait écho à la
conception kantienne du devoir. Le
désintéressement est en effet, selon Kant,
une condition nécessaire à l'action morale,
celle-ci devant être exempte de toute
motivation particulière pour avoir une portée
universelle. Mais la droiture du poor
lonesome cowboy a aussi son revers: Lucky
Luke semble presque trop lisse, trop vide
d'appétit et de désir singulier pour être
vraiment humain. La rigoureuse conception
kantienne de la morale qu'il incarne passe
du même coup pour peu réaliste. C'est un
bon exemple du genre d'analyse que réalise
T. de Saint Maurice en quelques pages
ciselées, témoignant d'une réelle
connaissance des héros qu'il convoque et
des idées qu'ils incarnent.
Ainsi, Wonder Woman fait preuve d'une
conception de la justice fondée sur I'amour
et la charité, conforme à celle que proposait
Leibniz. Robin des bois incarne ul'homme
révolté" dAlbert Camus, préférant la
solidarité et la liberté humaines au respect
de lois perçues comme injustes. Katniss
Everdeen, de la série romanesque Hunger
Games, accepte les règles d'un jeu cruel
pour mieux s'en libérer et déclencher une
révolution, passant de l'état de domination à
celui de suiet capable de se iouer des
règles, ainsi que l'aurait'décrit Michel
Foucault. Chaque chapitre formant un tout,
le lecteur est libre de picorer selon ses
goûts et son envie du moment parmi les
héros de son choix. r Faereil TnÉcounr

LA REVUE DU MOIS
rstt Ê "SUR LES TRACES
-:-
. 228-2al '*:.' î
nTEMPS
ET POUVOIR",
GTES"". Actes de la re-
r@@E@ cherche en sciences
sociales,
vol. 226-227, no. 1,
2019, 128 p.,2O,sO€.
du temps, un marqueur de nos sociétés mo-
Il- I accélération
dernes ? Pas si simple: il n'y a pas de rapport au temps
propre à chaque culture, comme le montre ce numéro d'Acfes.
La façon dont nous I'appréhendons est très diverse au sein
d'une société et influe sur d'autres dispositions -scolaires,
professionnelles ou politiques. Un article collectif montre
ainsi comment les inégalités scolaires en dépendent: plus on
monte dans la hiérarchie sociale, plus le rapport au temps
inculqué par la famille correspond à celui qui permet de réus-
sir à l'école. Ponctualité, régularité et planification y sont da-
vantage encouragées, ce qui produit une "discipline tempo-
rel/e" cruciale pour les écoliers. À l'inverse, I'usage du temps
est plus "spontanéiste" dans les familles moins favorisées. ll
y a notamment moins d'horaires fixes pour les repas, le cou-
cher ou le temps passé sur écran. Autant d'habitudes utiles
dans le cadre scolaire... mais aussi dans le cadre profession-
nel. Les travailleurs sociaux ne s'y trompent pas: pour retrou-
ver le chemin de I'emploi, mieux vaut avoir déjà des horaires
de bureau. lls s'emploient par diverses tactiques à structurer
et encadrer les pratiques temporelles des chômeurs, pour leur
imposer un rapport au temps plus légitime à leurs yeux. C'est
lç "gouvernement par le temps", selon Pauline Blum et Samuel
Neuberg. Gouverner par le temps, c'est aussi gouverner par
I'attente. Javier Auyero documente celle imposée aux plus
pauvres par les services sociaux de Buenos Aires. En repor-
tant indéfiniment I'accès à une prestation sociale, pour parfois
la refuser finalement, l'État décourage les demandes et reven-
dications. llattente joue ainsi un *rôle majeur dans la subor-
dination des pauvres", écrit J. Auyero. Des logiques similaires
se retrouvent entre médecins et visiteuses médicales, qui
prospectent pour les médicaments de laboratoires pharma-
ceutiques. Le rapport de force y est cependant plus équitable:
les médecins leur accordent plus ou moins de temps, mais
peuvent aussi avoir besoin de les côtoyer pour se constituer
un réseau. Le temps devient alors une monnaie d'échange.
GaÉTANE Porssorrren
R.,ou.
DE LA SANTÉ ENVIRONNEMENTALE,,
Écologie & politique, n"58,2019, 2OO p., 22€.
e dernier numéro de la revue Écologie & politique s'intéresse
I
l-aux impacts de I'environnement sur la santé. Si le phénomène
est connu de longue date, les mots pour en parler et les techniques
pour le traiter ont évolué. Depuis une quinzaine d'années, les poli-
tiques sanitaires s'emparent du sujet en promouvant la notion de
"santé environnementale". Cette institutionnalisation n'a pas é1é
sans difficultés et semble encore inaboutie, explique l'économiste
J. Forbat, les modèles médicaux du 19" siècle faisant toujours réfê-
rence. Construits sur le traitement de la bactérie, ils peinent à re-
connaître la légitimité d'une approche pluricausale, ouverte sur des
{acteurs environnementaux ou écologiques à proprement parler.
Cette nouvelle approche suscite le débat. En témoigne la contro-
verse sur la reconnaissance de la forme chronique de la maladie
de Lyme, mettant aux prises praticiens et associations de malades.
Ces dernières plaident pour que I'expertise des patients, issue de
la connaissance intime de leur environnement quotidien, soit plei-
nement reconnue par le pouvoir médical. r
Txomrs Le Guerrrc
"UÉVÉNEMENT POLITIQUE EN LIGNE,,
Sciences de la société no 102, 2019,226 p., 21 €.
e constat semble entendu: lnternet aurait bouleversé notre
I
l-façon de nous informer; la démocratisation des outils de com-
munication permettrait à tout un chacun de produire de I'informa-
tion, de faire entendre une voix di{férente, etc. La collection
Sciences de la société a néanmoins voulu vérifier cette intuition,
en s'appuyant tant sur des questions fondamentales - qu'appelle-
t-on un "événement politique"? Une information en ligne est-elle
si différente d'une nouvelle dans le journal ? - que sur des études
de cas. Des articles se penchent par exemple sur la circulation de
récentes rumeurs sur lnternet, le succès d'une pétition en ligne
contre un projet de loi, ou encore le rôle d'un réseau social pen-
dant la présidentielle de 2012. Des phénomènes s'avèrent certes
inédits ou émergents; I'information en ligne a par exemple une
élasticité et une pérennité différente de celles de médias clas-
siques Mais le razeb reste paradoxalement marqué par une forte
horizontalité des échanges -journalistes et politiques gardent
largement la main... - et elle n'échappe pas à des processus
d'homogénéisation des discours, notamment lorsqu'un événement
est jugé important ou s'impose dans l'actualité. r Feereil TnÉcounr
.DÉVETOPPEMENT DURABLE,, Scienbes du Design
2019/1 (n'9),PUF,84 pages, 18€.
.TIERS LIEUX: UNE ÉMAiICIPATION EN ACTES?»,
r Sociologies pratiques 2019/1 (N" 38), Presses de Scrences
Po, 136 pages, 25€.
Août-septembre 2019 | ScteHces HutuntNEs 69
N"317

DU 12AU 19JUILLET
. CERISY'LA.SALLE
TERRITOIRES
SOLIDAIRES EN
COMMUN
CONTROVERSES À
I]HORIZON DU
TRANSLOCALISME
Ce colloque vise à débattre des
questions des territoires soli-
daires en commun. ll question-
nera notamment les manières
dont les solidarités locales au-
tour de diverses ressources
(santé, logement, énergie, em-
ploi, culture...) s'articulent au-
jourd'hui à des solidarités jouant
à des échelles territoriales plus
larges jusques et y compris
mondiales.
Le châtea u. 502 1 0 Cerisy-la- Salle
Té1. : 02 33 46 91 66
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www. cci c-ce r i sy.
22 JUILLET
. CERISY.LA.SALLE
RACONTER TENOUÊTE
UNE FORME POUR
LES RÉCIS DU 21'
SIÈCLE?
ll s'agira d'identifier la présence
de I'enquête dans les récits du
21'siècle et d'en définir les fonc-
tions, de mesurer combien la
structu re progressive-régressive
est devenue une forme trans-
genre des récits d'aujourd'hui. La
réflexion portera sur des récits
fictifs ou factuels dans lesquels
on reconnaît une enquête, sans
Retrouvez l'agenda
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Si vous souhaitez faire connaître une manifestation,
merci d'adresser votre annonce directement à:
www.scienceshumaines.com/agenda.do
Renaud Beauval
(renaud.bea uval@scienceshuma ines.f r)
7B
pour autant constituer des ro-
mans ou des films policiers. Elle
s'ouvre non seulement à la litté-
rature contemporaine, mais aus-
si au cinéma et à la BD, et encore
aux récits construits par les
sciences humaines, en particulier
les disciplines dont la démarche
repose sur I'interprétation de
traces.
Le château. 5021O Cerisy-la-Salle
Té1. : 02 33 46 91 66
i n f o. ce r i sy @cc ic -
ww w. cc i c- ce r i sy.
JUSOUAU
. PARIS
ROYAUMES OUBLIÉS
LES HÉRITIERS DE
I]EMPIRE HITTITE
L'empire hittite, grande puis-
sance rivale de l'Égypte an-
tique, domina I'Anatolie et éten-
a s so.fr dit son influence sur le Levant,
as so.'f r jusqu'aux alentours de 1200 av.
J.-C. Sa chute donna lieu
l'émergence de royaumes néo-
hittites et âraméens dans les
territoires de la Turquie et de la
Syrie modernes, héritiers des
traditions politiques, culturelles
et artistiques de I'empire dis-
paru.
L'exposition invite à redécouvrir
les sites mythiques de cette
civilisation oubliée dont les ves-
tiges majestueux du site de Tell
Halaf, situé près de I'actuelle
frontière turco-syrienne.
Musée du Louvre
https: //www. Io u vre.f r/ex positi o ns/
royau m e s-o u b I ie sl e s-
empire-hittite
complet
Pour tout renseignement : .PARIS
août-septembre 2019
N" 3t7
JUSOUAU 5 JANVIER 2O2O
OPARIS
PARIS.LONDRES. MUSIC MIGRATIONS
MUSÉE DE I-'HISTOIRE DE UIMMIGRATION
Du début des années 1960 à la fin des années 1980, de multiples
courants musicaux liés aux flux migratoires ont transformé Paris et
Londres en capitales multiculturelles. Paris-Londres. Music Migra-
tions propose un parcours immersif et chronologique pour traver-
ser ces trois décennies décisives de I'histoire musicale de Paris
et de Londres.
l-exposition montre comment plusieurs générations d'immigrés,
dans ces deux anciennes puissances coloniales, se sont emparées
de la musique pour faire entendre leurs droits à l'égalité, revendi-
ce r i sy. ass o.f r
a s so. f r
quer leur place dans I'espace public et contribuer aux transforma-
tions à la fois urbaines, économiques et culturelles des deux pays.
12 AOÛT Musée de I'histoire de I'immigration
http://www.histoire-immigration.f r
JUSOU'AU 25 AOÛT questionne les phénomènes
. LYON visuels, sonores et tactiles qui
YOKAINOSHIMA, trompent notre cerveau. Des
ESPRITS DU JAPON illusions qui vont forcer le cer-
MUSÉE DES veau à combler une information
CONFLUENCES ,
" fausse transmise par les
sens (il doit combler un vide,
Au Japon, divinités et êtres sur-
à interpréter une sensation) selon
naturels sont omniprésents.
des mécanismes d'analyse
Tout au long de I'année, lors des
cérébrale.
rites masqués, le port de cos-
Ouatre mécanismes sont pré-
tumes permet de les invoquer
sentés: le cerveau interprète, le
pour demander protection, ri-
cerveau sélectif, le cerveau
chesse et bonheur.
sensible et le cerveau expert.
L'exposition trace un lien entre Palais de la découverte
les photographies contempo- h I
ttp I w w w p al a i s- d e co u v e r te. fr
raines de Charles Fréger, qui
donnent à voir un grand nombre JUSOUAU 4 NOVEMBRE
de figures masquées rituelles, .PARIS
et les collections japonaises du BOUDDHA, LA LÉGENDE
musée. DORÉE
Laissez-vous guider dans cette Pour la première fois en France
île aux esprits, depuis les fon- une exposition événement est
h e riti e r s-de- l- dements des spiritualités japo- consacrée à la vie du Bouddha
naises jusqu'aux pratiques ac- et à la diffusion du bouddhisme
tuelles comme le manga, le en Asie.
cosplay ou le jeu vidéo. L'exposition met en exergue la
Musée des confluences
richesse des traditions icono-
http : //www. m u seedesco nf I u ences.f r/
graphiques et stylistiques se
f r leve n e m e nt s /yo ka i n o s h i m a- e s p ri ts-
du-japon rapportant à la représentation
de la vie exemplaire et édifiante
JUSOUAU 25 AOÛT du fondateur du bouddhisme.
Musée Guimet
httpllwww. g u i met.hleve nt /
ILLUSIONS expobouddhah
Le Palais de la Découverte
 r@l
|
,EErEliTFiEl IR!ÇLiFE
i l-artdeparler j .-L?ttachement
1"..*".u li
12qùe«ion5 I
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50 OTiers-monde:afndesmythes 150 LlAmitié,affinité,empathie... 230SDPourquoi apprendre?
57 E Oùr va le commerce mondial? 151 D Aux origines des civilisations 231 il Tous accros ?
62 O L,esprit redécouvert t 5Z U À quoi sert te.jeu ? 232 tr Comment être parent.aujourd'hui ?
67 u Norjveaux regards sur la science 53 :l L'étole en débat
'1
2335 E Et si on repensait TOUT ?
71 ilCommentno-usvoyonslemonde 155 tJOùenestlapsychanalyse? 234 Jlnventersavie
80 -alLesscienceshumai-nessont-ellesdessciences?156 UOùvalafamillé? 235 IlLesidentitéssexuelles
g2 []Lalecture 157 OQui sontlestravailleursdusavoir? 236 ODanslatêtedel'électeur.
83 D Du signe au sens 58 D Làs nouvelles formes de la domination au travail 2375 tJ Qui sont les França.is ?. . .
1

81 Ô ttfeOiËtionr el négociations 159 [.1 Pourquoi parle-t-on ? 238 U Comment naissent les idées nouvelles?
gS LlNorreauxmodèËsféminins 160 tlDieuiessuscité 239 SPeut-onralentirletemps?
g6 tr La liberté 161Str Enquêtes sur la lecture 240SC L'imaginaire du voyage
87 D L'émergence de la pensée 163 O La iexualité est-elle libérée? 24151L',intellig.gnce.
àe AÀnàtorfiÈàÀlavie'quotidienne 165 iJOùestpasséelasociété? 242 JLetravail.Dubonheuràl'enfer
89 OViolence:étatdes ieux 166 JDeDarwinàl'inconscientcognitif - 243 DL'autorité'Lesnouvel esrèglesdujeu
90 E L'imaginaire contemporain 167SiJ La pensée éclatée 2445fJ2O12-2013. Les idées en mouvement
91 BL'individuenquêtedesoi 169 ilL'iritelligencecollective 245 ilVivreentempsdecrise
92 -l Les ressorts dê la motivation 170 U Qui a pèur de la culture de masse ? 246 ) Le langage en 2 questions T

93 tr Échange et lien social 1'72 JLa lutte pour la reconnaissance 2475Ü Violence
94 Dlavieiesgroupes 173 -.lArtrupeitre 248 f,Comment,pensons-nous?
95 eAuxfrontiüesàelaconscience 174 lQu'est-cequel'amour? 249 )L,afindel'homme?
96 ELedestindesimmigrés IT5SIAgirparsoi-même 250 UFaut-il sefieràsesintuitions?
91 ,J Rêves, fantasmes, h'allucinations 176 iJ Côminent devient-on délinquant? 251 tr L'ère culinaire
98 J Apprendre 177 U Le souci des autres 252SJ Générations numériques, des enfants
99 u Nbrmes, interdits, déviances 178sll La guerre des idées fnutants?
100 trLesscienceshumaines i79 -lTravail.Jet'aime,jetehasl 253:lEcrireDuromanauSl\,4S
1O'l O La parenté en question 180 f, lO questions sur la_ mondialisation 254 tr Reprendre.sa vie en main..
1 02 A Les' récits de viè 81 J Le riouveau pouvoir des institutions
1 2555 A La bibliothèque des idées d'aujourd'hui
103 B L'altruisme 182 tr Conflits ordihaires 256 -.1 L'lndividu Secrets de fabrication
104 üUnmondederéseaux 183 tllmitation 257 llApprendreparsoi-même
]06 O Les sagesses actuelles 184 B Les lois du bonheur 258 iJ Le climatfait'il l'hi<-toire.?
107 D Souveiirs et mémoire 185 O Des Mings auxAztèques 259SU Psychologie de l'enfant Etat des lieux
108 UHomme/animal:desfrontièresincertaines 186 OQuevauil'écoleenFrance? 260:lPeut-onvivresanscroyances?
109 ULeslogiquesdel'écriture '187 ilD'oirvientlamorale? 261 :lDevenirgarçon,devenirfille
110 LlCulturts 188 f,Faut-il réinventerlecouple? 262,Jlsquestionssurnosorigines
111 Ll L'école en mutation 190 D Au-delà du Ql 263 tr Eduquer au 21" siècle
112 3 Les hommes en question 191 O lnégalités: le retour des riches 264 U Les clés de la mémoire
113 llFreudetlapsychànalyseaujourd'hui
- 192 UEnseigner:L'inventionauquotidien 265 ?L'artdenégocier.
'l 14 DTravail,moàe'd'emplôi 194 QLesanimauxetnous. 266 OLesgrandesquestionsdenotretemps
115 LlLesnouvellesfrontièresdudroit 195 ULecorpssouscontrôle 267 tllnégalités
116 trL'intelligence:uneoumultpe? 196 BNospéchéscapitaux 263 alLamotivation
117 trAutorité-: delahiérarchieàlanégociation 197 iJLesrouagesdelamanipulation 269:JVieillir,pouroucontre?
118 trLapenséeorientale 198 trLesneurônes.expliquent-ilstout? 270S!lLaphilosophieaujou-rd'hui
'l 19 trLahaturehumaine 199 DPsychologiedelacrise. 271 uLaconfianceUn ienfondamenta
t2O a L'enfant 200SD Pehsées pour demain 272 flLe sport, une philosophie?
121 JQuelssavoirsenseigner? 201 ULestroublesdelamémoire 273 ftLespouvoirsdel'imaginaire
122 JLechangementperionnel 202 trPauvreté.Commentfareface? 2-74'JL'snfantetlelangage
123 f, Criminaiité 203 tr École. Guide de survie. 275 ! Libertélusqu'où sommes'nous libres?
124 DSociétédurisque 204 ODémocratie.Criseourenouveau? 276 UAimerau2l"siècle
125 Ll Organisations' 205SLt Changer sa vie 2775f]25 ans Numéro anniversaire
126 Ll Leipremiers hommes 206 ll Repenserle développement 278 I Les.lois de_la réputation
i27 ALemondedesjeunes 207 )Lanouvellesciencedesrêves 279 trViolence15questionspourcomprendre
1 28 Lt Les représentaiions mentales 2O8S tr L'enfant violent. 280 D Passions quand la passion nous embarque
129 trLafabiiquedel'information 209 DL'artdeconvaincre. 2S1SUNatureculturelafindesfrontières?
130 OLasexuâlitéaujourd'hui 210 ULetravail enquêtedesens. 282 flApprendre.àcoopérer. -
]32 OLesouci ducorps 21 lsuLeclashdesidées:1989à2009 283 LlLesnouvellespsychothérapies
133 ULesmétamorphosesdel'état 212 Q)el'enfantsauvageàl'autisme. 284 ULesexeen59questions.
134 DLalittérature,unesciencehumaine? 213 3L'énigmedelasoumission 285SLlQu'est-cequ'unebonneécole?
135 f,l Manger, une pratique culturelle 214 tr L'ère du post-féminisme 286 tr Commentallons-noustravaillerdemain?
136 ULesnbuveauivisalesdesinégalités 215 nL'analogiemoteurdelapensée 287 aLamanipulation_
137 ULessavoirsinvisiblès 2l6SLlLesépreuvesdelavie 2SSSaJEtsi onchangeaittout?
138 uLestroublesdumoi 2'17 DLessecretsdelaséduction 289 SLesnouveauxvisagesdelaprécarité
1 39 Ll Les mondes professionnels 21 8 ü La littérature: fenêtre sur e monde. 290 f, La mondialisation en questions
140 BLesnouvelles'frontièresdelavieprivée 2195tlÀquoi pensentlesenfants? 29]S'JLestroublesdel'enfant
141 ,l La force des passions 220 L'autonomie,
l-l nouvelle utopie? 292 E Qu'est-ce que le racisme?
'142 JL'éducation,unobjetderecherches 222SJ2Oansd'idées, lebasculement 293 DL'empathie
1 43 :l Cultures et civilisations 223 J Le retour de la solidarité 294 U Nos vies intérieures
'144 al Les mouvements sociaux 224 J La course à la distinction 295 tr Les grands mythes de l'histoire de France
145 U Voyages, migration, mobilité 225 U Sommes-nous rationnels? 296SiJ Comment gpprend-on?
146 tr Hohmes, femmes. Quelles différences ? 2265 Ll Le monde des ados 297 l) La société française
147 OOùenestlapsychiatrie? 227 OConflitsautravail 298 OPsychologiedel'attention
'148 U Contes et récits 228 U L'état, une entreprise comme une autre? 299 U Les livres de l'année

NUMÉROS 2018 Prix unitaire hors frais de port

3005 J Comment va le monde ? 6,90 € 31 0S u Le cerveau en T 2 questions 6,70 €

301 J Jusqu'où féminiser la langue française ? 5,50 € 311 iJ Abécédaire des idées d'aujourd'hui 5,70 €
302 J Qu'est-ce qu'une belle vie ? 5,70 € 312 J Lart de parler 5,70 €
3035 .J Les intelligences de l'enfant 6,70 € 313 Ll Etre un homme aujourd'hui 5,70 €
304 D Penser l'emprise... et ÿen défaire 5,70 € 3145 J L'attachement, un len vita 6,70 €
305 [] Linvention des vacances 5,70 € 31 5 J Radicalités 5,70 €
3065 J Qu'est-ce que l'amour ? 6,70 € 316 U Que devient la famille ? 5,70 €
3075 J Éduquer. I e ro,rfit oes .looè'es. 6,70 € 3I 75 J Corps et esprit 6,70 €
308 J La motivation au travail 5,70 €
309 'l Humains. Nos origines repensées 5,70 €
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Août-septembre 20I lSclelcEs HUMAtNES 79
N"317l

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GRANDS DOSSIERS DES SCIENCES HUMAINES (tTiMCStTiCI)

Prix unitaire : 7,50 € hors frais de port

1 tr L'origine des cultures 17 f Villes mondiales 31 tr Histoire des psychothérapies 44 J Les métamorphoses de la
2 -l La moralisation du monde 18 -l France 2010 32 -l L'amour un besoin vital société française
3 JLes nouvelles psychologies 19 I Les pensées vertes 33 f, Vers un nouveau monde 45 I Les grands penseurs de
4 fFrance 2006 21 tr Freud, droit d'inventaire 34 -I L'art de penser l'éducation
5 tr L'origine des religions 22 tr Consommer 35 I Le bonheur 46 J Les grands penseurs du
6 f Peut-on changer la société? 23 JApprendre à vivre 36 f Changer le travail langage
7 -l Psychologie 24 f, L'histoire des autres mondes 37 tr Les grands mythes 47 I Les âges de la vie
9 I Uorigine des sociétés 25 tr Affaires criminelles 38 f lnnovation et créativité 48 ..1 Eurêka ! L'histoire des grandes
11 I Entre image et écriture 26 I Guide des cultures pop 39 J Élever ses enfants découvertes
13 J Paroles d'historiens ]
27 Transmettre «) tr Villes durables 49 J Ces pionnières qui ont fait
14 J ldéologies 28 -.1 Uhistoire des troubles 41 tr De la formation au projet l'histoire
15 I Les psychothérapies mentaux de vie 50 J La psychologie en débats
15 -I Les ressorts invisibles 29 f Un siècle de philosophie 42 J La psychologie aujourd'hui
de l'économie 30 I Les penseurs de la société 43 J Lâ philosophie, un art de vivre

GRANDS DOSSIERS DES SCIENCES HUMAINES (trimestriel)

Prix unitaire :7,90 € hors frais de port

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52
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I
Les sagesses orientales ......-......
Le pouvoir des images ....,.-...-..
Soigner. Une science humaine ,..
Les grands psychologues... .--

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grande histoire de 8,50 € 4,50€
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Prix unitaire hors frais de port --soË:s
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2 f,Comprendre le monde 12,00 € 7,20 €
4 I Femmes, combats et débats 7,90 € 4,50 €
5 fL'école en questions 7,90 € 4,50 €
7 trLa grande histoire de la psychologie 8,50 € 4,50 €
8 -lComprendre Claude Lévi-Strauss 8,50 € 4,50 €
9 trLesgrandsphilosophes 8,50 € 4,s0 € non âbonnés abonnés
10 I Le sexe dans tous ses états 8,50 € 4,50 € 18I Edgar Morin 8,50€ 4,s0€
11 :l La grande histoire du capitalisme 8,50 € 4,50 € 19I Michel Foucault 8,50 € 4,50 €
'12 :l Une autre histoire des religions 8,s0 € 4,50 € 20 J Les grands penseurs des sciences
l3 J À quoi pensent les philosoÈhes ? 8,50 € 4,50 € humaines 8,50 € 4,50 €
14 JA la découverte du cerveau 8,50 € 4,s0 € 21 f Les grandes idées politiques 8,50 € 4,50 €
15 J L'æuvre de Pierre Bourdieu 8,50 € 4,50 € 22 -l Quelle éthique pour notre temps ? 8,50 € 4,50 €
16 -l La philosophie en quatre questions 9,80 € 4,50 € 23 -.1Comprendre le Moyen-Orient 8,90 € 4,50 €
17 J De la pensée en Amérique 8,50 € 4,50 € 24 J Où va la France ? Enjeux de notre temps 8,90 € 4,s0 €

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l LES GRANDS ENJEUX DU
SE SOIGNER ? HISTOIRE DU MONDE . . n*oro,
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DES SCIENCES HUMAINES
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PHILO: LESAUTEURS
LESTHÈMES, LESTEXTES
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DES ORIGINES [-:r d LESTÉCONOMIE
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160 pages pages :-:_-.;..:a,i.

BO Août-septembre2Ol9
N'317
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LIVRES
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(D 'r la Bibliothèque humaines
idéale des sciences 416 p 14,70 € J L'Avenir Les entret ens d'Auxerre 280 p 23,00 €
(ÈlLeDictionnairedesscienceshumaines 832p 19,80 € J L'Aventure occidentale 160p 15,00€
. I J Une Histoire des sciences humaines 400 p 25,40 € (à J Le Dictionnaire encyclopédique du développement
S .l une Histoire des sciences humaines (Éd. 201 2) 320 p 12,70€ durable 720p 19,50€
S JCinqsièclesdepenséefrançaise 192p 10,20 € $ -t Les Grandes idées politiques 176 p 12,70 €
@ -:Littératureetscienceshumaines 160p 10,20 € J Nations et nationalisme 400 p 22,00 €
(È -.t t-e Dictionnaire des sciences sociales 464p 17,00 € $ J Géopolitique de l'alimentation N'" édition 168 p 12,70 €
@ -lHistoireetphilosophiedessciences 312p 12,70€ tF -.t t-a Grande Histoire de l'lslam Nouveauté 168 p 12,70 €
-l La science en question(s) Les entretiens dAuxerre 304 p 22,30€ Éoucertoru ET FoRMATToN
tr§ -.tlesPenseursdelasociété 160p 10,20 €
, i J Éduquer et Former 496 p 25,40€
o connaissances 480 p 25,40€ p
, -.1 Les Sciences humaines. Panorarna des I Nos Enfants. Les Entretiens d'Auxerre 296 22,30 €
t» -lLesGrandspenseursdesscienceshumaines 224p 12,70 €
-l une Histoire de l'éducation et de la formation 288 p 22,30€
$ JlesGrandsmythes 116p 12,70 € J Lire et Écrire 336 p 22,30 €
SCIENCES SOCIALES J Les Mutations de l'école 288 p 22,30 €

@ J Pierre Bourdieu, son ceuvre, son héritage 1 28 p 10,20 € I À la découverte de la lecture 192p 15,20€

,_' JLaCulture,de'universe aupartcuier 384p 23,40€ J Le Guide du jeune enseignant N " édit on 312p 17,50€
' J Familles, permanence er métamorphoses 336 p 23,40€ $ I Apprendre Pourquoi ? comment? 160 p 10,20 €
,
t'' Jldentités,llndlvidu,legroupe,lasoclétéNr"édition 352p 25,40€ ÂÊ J lournal intime d'un collège 256p 17,00 €
,'i I L'lndividu contemporain, regards sociologiques 256 p 25,40€ D li'a.t a'earquer ses enfaits 336 p 22,00€
J L'lntelligence de l'enfant, l'empreinte du social 304 p 22,30€ (§ J Les Grands penseurs de l'éducation 160 p 12,70 €.

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j I rnillénaire
Les Religions Des origines au lll" 512p 25,40€ PHILOSOPHIE/PSYCHOLOGIE/SCIENCES COGNITIVES
.,'.r -l mutation
Les Sciences sociales en 640 p 29,40€ ir -JLeCerveauetlaPenséeNr"édition 480p 25,40€
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La Sociologie listoire, rdées, 256p 12,70€ -l Comment Homo est devenu sapiens 320 p 25,40 €
@ JLeTravailsoustensions Nouveauté 152p 12,70€ J L'Homme, cet étrange animal 408 p 15,00 €
, .r J La Santé, un enjeu de socrété 352p 2s,40€ -l Les Humâins mode d'emploi 256 p 15,20 €
t§ JViolence(s)etsociétéaujourd'hui 256p 12,70€ @ -l L'lntelligence de l'enfant 256 p 12,70 €
(à -.t ta parenté en question(s) 236p 12,70 €.

(D -l La reconnaissance 128p 10,20€ ;'JLeMoiDunormalaupathoogique 384p 23,40€

J Le sexe d'hier à aujourd'hui 248 p 16,00 € . l J Philosophies de notre temps p 376 23,40 €
IÈ J La révolution végétarienne 160 p 12,00 € f'l JLaPsychanalyse.Pointsdevuepluriels 336p 25,40€
,4k J Au cæur des autres 160 p 12,00 € (D u La Psychologie 256p 12,70€.
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@ .t qu'est-ce que l'adolescence ? Nouveauté ' N]' éd 12,70 €
J L'école française de socioanthropologie 304 p 19,00 € (D -: t-e Langage 256 p 12J0 €
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(à -l La Famille aujourd'hui Nouveauté 200 p 12,70€ $JPhilosophiesetpenséesdenotretemps 192p 10,20€
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.êÊ trSortir.Deslumièresenprson Nouveauté 224p 15,00 € i: -J La morale 400 p 25,40 €.
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.J La fabrique des folies 360 p 16,00 €
@ -lPenséesrebelles.Foucauit,Derrida,Deeuze 192p 1O,2O€
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,-'l J Le Management Fondements et renouve lements 360 p 25,40€ $ gLesclésdulangage.Nature,Orlgine,Apprentissage 128p 10,20€
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,'-' Histoire Globale Un autre regard sur le monde 288 p 2s,40€ J Éthique et Sport 84 p 1 17,00 €
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".) -J Une histoire du monde Global 352 p 25,40€ 13,00€
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,(E J La Motivation 28 p 1 10,20 €
,..' J Le Pouvoir Concepts, Lieux, Dynamiques 352 p 25,40€. Q J La Psychologieaujourd'hui 1929 12,70€
J LArgent Les entret ens d'Auxerre 256 p 22,30€ lI J La Philosophie, un art de vivre 212 p 22,00 €
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J Le Peuple existe-t-il ? Les entret ens d'Auxerre 288 p 22,30€. ià rl Les Troubles de l'enfant 28 p 1 12,70 €
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,''t -.1 Laguerre, des origines à nos jours 272p 19,00 € @ I Lesgrands penseursdu langage Nouveauté 136 p 12,70€
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