MERCREDI 3 JANVIER 2024
80E ANNÉE – NO 24572
3,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Nos villes sous l’œil de l’intelligence artificielle
▶ Nice, Angers, Lyon,
Orléans… Les villes « vidéo-
gérées » se multiplient,
faisant parfois appel à
des caméras couplées à de
l’intelligence artificielle (IA)
À NOS LECTEURS
2023 aura été une année impor-
tante à plus d’un titre pour
Le Monde. Fidèle à sa mission,
la rédaction s’est déployée pour
couvrir les événements tragiques
qui ont marqué l’année. Cette
mobilisation, soutenue par
un renforcement de nos moyens
éditoriaux, s’est traduite par une
progression de 3 % de notre diffu-
sion payée, confortant notre rang
de premier quotidien natio-
nal. Cette place doit tout à votre
fidélité, dont nous vous sommes
reconnaissants, et au nombre
croissant de jeunes lecteurs
et d’abonnés numériques, gage
de notre pérennité.
Afin de poursuivre cet élan
en 2024, avec des élections aux
Etats-Unis et dans l’Union
européenne, mais aussi des Jeux
olympiques à Paris, nous avons
dû nous résoudre à augmenter,
dès cette édition, notre prix
de vente en kiosque pour
compenser la cherté de nos coûts
industriels. Cette hausse est
de 20 centimes en semaine,
à 3,60 euros, le prix de notre
édition datée du samedi restant
inchangé. Nous avons conscience
de l’effort que cela représente
et nous ferons tout pour être
à la hauteur de vos attentes.
Cette année, nous avons aussi
simplifié la structure de notre
actionnariat, avec cet été la sortie
de Daniel Kretinsky, afin de
préparer la reconfiguration, début
2024, de notre capital autour
de deux pôles, le Fonds pour
l’indépendance de la presse (qui
détiendra les parts de Xavier Niel
et de Matthieu Pigasse) et le Pôle
d’indépendance (qui regroupe
l’actionnariat salarié et la Société
des lecteurs). Nous espérons que
l’année qui s’ouvre permettra à
d’autres titres de suivre cette voie,
avec des droits renforcés pour les
rédactions et une diversité accrue
des lignes et des formats édito-
riaux. En vous remerciant pour
votre confiance, nous vous sou-
haitons une bonne année 2024.
louis dreyfus (président
du directoire du « monde »)
et jérôme fenoglio
(directeur du « monde »)
Cinéma
Avec « Priscilla »,
Sofia Coppola
« fait tomber
les idoles »
Entretien avec Cailee
Spaeny, l’Américaine
de 25 ans qui incarne
à l’écran l’épouse d’Elvis
Presley. Pour l’actrice, pri-
mée à la Mostra de Venise,
ce film interroge sur
la féminité et la célébrité
PAGE 1 4
SCIENCE
& MÉDECINE
PA G E S 1 8 - 1 9
▶ Un « hyperviseur » per- ▶ Un des logiciels souvent ▶ Reportage à Nîmes ▶ Pour le chercheur
met de gérer l’espace pu- utilisés peut permettre où la Ligue des droits Guillaume Gormand,
blic en temps réel, de mo- de procéder à la reconnais- de l’homme s’inquiète de « la plupart des systèmes
difier d’un clic l’éclairage sance faciale de n’importe la gestion des données in- déjà en place ne sont pas
d’un quartier ou de mettre quel individu ; pratique dividuelles depuis la mise vraiment exploités »
une amende à distance interdite par la loi en place de l’IA à l’automne PAGE S 8 - 9
Politique
Emmanuel
ISRAËL Macron affiche
LA COUR SUPRÊME
sa détermination
INFLIGE UNE DÉFAITE à réformer
À NÉTANYAHOU
Lors de ses vœux télévisés
aux Français, le chef de
l’Etat a souhaité tourner
la page après une année
▶ La haute juridiction de crises. Depuis la
a rejeté la disposition- Guyane, Elisabeth Borne,
elle, reste à distance des
clé de la réforme judi-
ciaire du gouvernement rumeurs de remaniement
PAGE 7
▶ La guerre n’a pas
empêché les juges de
Taïwan
prendre cette décision
▶ En fracturant profon- « La guerre avec
dément la société,
cette réforme est la Chine n’est
accusée d’avoir fragilisé
le pays avant l’attaque
ni imminente
ni inévitable »
du Hamas, le 7 octobre
PAGE S 2 À 3 E T idées PAGE 2 1 Benyamin Nétanyahou, Dans un entretien
à la base militaire au « Monde », le ministre
de Kirya, à Tel-Aviv,
le 24 décembre 2023.
des affaires étrangères,
Joseph Wu, dénonce
OHAD ZWIGENBERG/AP
le non-respect par Pékin
du statu quo militaire
PAGE 4
Sciences L’ombre du racisme sur Social
E. O. Wilson, géant de la biologie Thibaut Guilluy,
un fidèle Un nouveau
du président,
nommé à la tête Hors-Série
de France Travail
PAGE 1 0
Hors-série Décembre 2023-janvier 2024
Enquête
BEST OF
En Argentine,
les enfants
2023
des tortionnaires
de la dictature
se rebellent
PAGE 1 3
Edward Osborne Wilson, à Paris, en 2000. JOHN FOLEY/OPALE
edward osborne wilson – plus tiers de la « science raciste » du
1
ÉD ITO R IAL
connu comme « E. O. Wilson » – XIXe siècle. Depuis plusieurs
Avec 11 pages de jeux conçues par le magazine
n’a pas seulement légué à ses mois, la découverte de courriers
pairs une œuvre scientifique qui troublants dans sa correspon- RDC : LES DÉFIS
a inspiré des générations de con-
servationnistes et de biologistes
dance suscite des échanges
d’autant plus vifs entre cher- D’UNE ÉLECTION
de l’évolution. Il leur a aussi laissé
des questions embarrassantes
cheurs que l’homme est une
icône de la biologie et de la pro- CONTESTÉE EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND
sur ses affinités avec les milieux tection de l’environnement. P A G E 23 DE JOURNAUX
scientifiques suprémacistes, héri- PAGE 1 9
Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 3,90 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 4 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT
2|
INTERNATIONAL
G U E R R E I S R A Ë L- H A M A S
La Cour suprême
inflige un camouflet
à Nétanyahou
La disposition-clé de la réforme judiciaire
du gouvernement visant à réduire le pouvoir
des juges, qui avait profondément divisé
la société avant la guerre, a été invalidée
jérusalem - correspondance
L
a guerre n’a pas influé sur sa déci-
sion. La Cour suprême israélienne
a invalidé, lundi 1er janvier, une
disposition-clé de la réforme judi-
ciaire très controversée promue
par le gouvernement de Benja-
min Nétanyahou, qui prévoyait d’ôter au pou-
voir judiciaire le droit de se prononcer sur « le
caractère raisonnable » des décisions de l’exé-
cutif ou du parlement israélien. Architecte de
cette réforme et numéro deux du gouverne-
ment, le ministre de la justice, Yariv Levin, a
accusé sur Telegram la Cour de « s’arroger
tous les pouvoirs ». « Dans les faits, les juges
tiennent entre leurs mains, avec cette décision,
tous les pouvoirs qui, dans un régime démo-
cratique, sont répartis de manière équilibrée
entre les trois pouvoirs [exécutif, législatif et
judiciaire] », a-t-il fustigé, non sans critiquer
la publication de cet arrêt « en pleine guerre, ce
qui va à l’encontre de l’unité nécessaire pour le
succès de nos combattants sur le front ».
Rejetée par huit des quinze juges, la mesure
invalidée avait déclenché l’un des plus impor-
tants mouvements de contestation de l’his-
toire d’Israël, éclipsé, depuis, par la guerre
menée par l’armée israélienne dans la bande
de Gaza en représailles à l’attaque sanglante
lancée le 7 octobre par le Hamas sur le terri-
toire hébreu. La décision de la Cour suprême
ramène sur le devant de la scène un sujet qui
a profondément divisé la société, aboutissant
à la contestation la plus massive de l’histoire
de ce pays de neuf millions d’habitants. Cha-
que semaine pendant sept mois, de janvier
jusqu’à l’été, des centaines de milliers de per-
sonnes sont descendues dans la rue à l’unis-
son, selon les sondages, d’une majorité de
l’opinion publique. La puissance du mouve-
ment n’avait cependant pas fait reculer
Benyamin Nétanyahou. Après avoir feint de
négocier, le premier ministre avait finale-
ment appuyé la réforme votée, dans une pre-
mière étape, en juillet 2023.
UN VIDE INSTITUTIONNEL COMBLÉ
Celle-ci consistait principalement en un
amendement, à majorité simple, d’une Loi
fondamentale – un corps de règles tenant lieu
de Constitution en Israël – retirant à la haute
juridiction le pouvoir d’annuler une décision
du gouvernement pour des motifs jugés « dé-
raisonnables ». Ce pouvoir était utilisé afin
d’empêcher des nominations dans l’exécutif
ou d’invalider des décisions administratives,
pour des questions d’éthique ou contre des
risques de corruption ou de conflit d’intérêts.
Il avait notamment servi à écarter, en fé-
vrier 2023, d’un poste ministériel, Arié Deri, le
chef du parti Shass, puissant allié dans la coa-
lition de Benyamin Nétanyahou, alors qu’il
s’était justement engagé à ne pas solliciter de
portefeuille.
Aucun contre-pouvoir n’aurait alors été en
mesure de contrôler les décisions de la majo-
rité gouvernementale. Dans un pays sans
deuxième chambre parlementaire, les juges
comblent ainsi un vide institutionnel. « Les
critiques considéraient la loi comme un laissez-
passer gratuit pour la corruption et le népo-
tisme, ouvrant la voie à une prise de contrôle
politisée de la fonction publique et à un pou-
voir exécutif totalement libre », écrivait lundi
soir Dahlia Scheindlin, analyste politique,
dans le journal israélien Haaretz. Profitant de
leur courte majorité à la Knesset – 64 sièges
sur 120 – le vote de juillet n’était que la pre-
mière étape d’une complexe refonte législa-
tive conçue par le ministre de la Justice, Yariv
Levin. La réforme devait cependant être exa-
minée par la Cour suprême, dont le gouverne-
ment estimait qu’elle n’avait pas autorité
pour se prononcer sur des Lois fondamenta-
les, même votées sans majorité qualifiée.
RENFORCEMENT « DE L’EXÉCUTIF »
A mobilisation historique, réponse du même
acabit. Les juges avaient annoncé qu’ils
comptaient tous se prononcer – ce qui n’est
pas toujours le cas. Etant donné la sensibilité
du sujet, les uns après les autres, les quinze ju-
ges de la Cour suprême ont détaillé les raisons
de leur décision dans des textes d’une
moyenne de 40 à 45 pages. Le jugement
rendu, qui en compte 738, se divise en deux
parties. La plus importante, pour laquelle
douze des quinze juges se sont prononcés,
reconnaît la Cour compétente pour juger des
Lois fondamentales et pour intervenir lors-
qu’elle estime que le gouvernement outre-
passe ses prérogatives en légiférant sur les
dispositions institutionnelles. « Aujourd’hui,
nous devons franchir une étape supplémen-
taire et décider que dans les rares cas où le
cœur battant de la Constitution israélienne est
lésé, ce tribunal est autorisé à déclarer l’invali-
dation d’une Loi fondamentale qui a, d’une
manière ou d’une autre, outrepassé l’autorité
de la Knesset », a déclaré Esther Hayut, la prési-
dence en partance de la Cour suprême.
La deuxième partie du jugement, qui a fait
l’objet d’une courte majorité avec huit juges
pour, concerne le rejet de l’amendement sur
la raisonnabilité voté en juillet. Isaac Amit,
l’un des juges appelé à succéder à Esther
Hayut, reconnaît qu’il faut des mécanis-
mes additionnels pour renforcer la démocra-
tie – un argument avancé par la coalition
pour mener une plus vaste réforme. « Mais
l’amendement à la Loi fondamentale qui éli-
LE MINISTRE mine les motifs raisonnables pour ce qui con-
DE LA DÉFENSE, cerne les décisions du cabinet et de ses minis-
tres va dans la direction opposée et renforce en-
YOAV GALLANT, core le pouvoir de l’exécutif », dit le magistrat.
Parmi les juges qui sont allés dans le sens de
AVAIT PRÉVENU, EN la réforme judiciaire du gouvernement, trois
MARS 2023, QUE LE ont néanmoins exprimé de profondes réser-
ves à l’égard de cet amendement, estimant
PROJET DE RÉFORME qu’il devrait être interprété de manière étroite
afin de préserver le caractère de la Loi fonda-
CONSTITUAIT UNE mentale que le gouvernement avait pour pro-
jet d’annuler. La loi est ainsi non seulement
MENACE IMMÉDIATE rejetée, mais la Cour suprême a étendu le péri-
À LA SÉCURITÉ mètre de ses compétences. L’échec est d’abord
cinglant pour le ministre de la Justice, Yariv
NATIONALE Levin. « Cela ne nous arrêtera pas », a-t-il pro-
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Le premier
ministre
israélien,
Benyamin
Nétanyahou,
lors d’une
réunion
au ministère
de la défense,
à Tel-Aviv, le
24 décembre
2023. OHAD
ZWIGENBERG/REUTERS
mis. M. Nétanyahou, lui, n’avait toujours pas
réagi mardi matin. Son parti, le Likoud, a dé-
claré qu’il était « regrettable que la Cour su-
prême ait décidé de rendre un arrêt au cœur du
désaccord sociétal en Israël, alors que des sol-
dats de Tsahal de droite et de gauche se battent
et mettent leur vie en danger ».
Alors que le gouvernement d’unité natio-
nale n’est en place que pour gérer les affaires
liées à la guerre contre le Hamas, l’exécutif ne
peut rien faire. « Le Likoud n’a pas intérêt à être
vu comme une force qui divise. Il n’y aura pas
de conséquences politiques à court terme », es-
time Myriam Shermer, analyste politique is-
raélienne. Lundi, les deux ministres supré-
macistes du gouvernement, Bezalel Smotrich
et Itamar Ben Gvir, se sont contentés de décla-
rations courtes. Le président du Parlement
lui-même, Amir Ohana, a admis : « Nous ne
pouvons gérer cela tant que nous sommes en
pleine guerre. » D’autant plus que la coalition
est en mauvaise position dans les sondages :
sur les 98 dernières enquêtes – depuis le mois
de mars –, elle perd du terrain, semaine après
semaine. Le Likoud a ainsi vu plonger la po-
pularité d’un tiers de ses députés.
La division du pays apparaît de plus en plus
comme l’un des facteurs de l’entrée en guerre
du Hamas, qui pensait porter un coup fatal à
Israël le 7 octobre. Et les avertissements ont
été sciemment ignorés, jusque par Benyamin
Nétanyahou lui-même, tout entier consacré à
faire passer la réforme judiciaire. Le directeur
de la direction du renseignement militaire de
l’armée avait envoyé quatre lettres au pre-
mier ministre l’avertissant que les « ennemis »
avaient détecté une opportunité « historique »
d’attaque. Le ministre de la Défense, Yoav Gal-
lant, avait, lui, prononcé un discours, en
mars 2023, dans lequel il avait prévenu que le
projet de réforme constituait une menace im-
médiate à la sécurité nationale.
L’opposition apparaît donc comme la
grande gagnante de la décision de la Cour su-
prême. Selon Benny Gantz, chef du Parti de
L’unité nationale, membre du gouvernement
temporaire et du cabinet de guerre, « nous de-
vrons à l’avenir nous mettre d’accord entre les
différentes composantes du gouvernement et
légiférer sur une Loi fondamentale. Nous le fe-
rons avec un large accord ». « Le projet de ré-
forme judiciaire est derrière nous, désormais.
Et la décision la plus importante est que la Cour
suprême a affirmé qu’elle était en mesure de se
prononcer sur des Lois fondamentales », af-
firme au Monde un opposant qui ne souhaite
pas être cité. Quand bien même la guerre se
terminerait prochainement, la priorité sera
au redressement de l’économie et au soin ap-
porté à une société traumatisée par l’attaque
la plus violente de son histoire sur son terri-
toire. Avec ce double jugement, les juges de la
Cour suprême ont restauré leur autorité me-
nacée, et pour longtemps. p
samuel forey
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MERCREDI 3 JANVIER 2024 international | 3

En mer Rouge, la force

multinationale au défi
Des Palestiniens soignés
des attaques houthistes à bord du « Dixmude »
L’Iran a déployé un navire de guerre sur une Le porte-hélicoptères français transformé en hôpital accueille des blessés
route maritime essentielle pour le commerce

riat proche » avec l’Egypte, sans opérée il y a quelques jours, dès discussion avec un certain nom-
beyrouth - correspondante
REPORTAGE laquelle l’opération n’aurait pu son arrivée. « Lorsque mon mari bre de pays en Europe, notam-
LES HOUTHISTES al-arich (égypte) - envoyée spéciale
aboutir. m’a retirée des décombres, j’avais ment les partenaires britanni-

U S’EN PRENNENT
n face-à-face tendu op-
pose les rebelles yéméni-
tes soutenus par l’Iran et
la force multinationale de protec-
tion maritime conduite par les
Etats-Unis en mer Rouge. Lundi
1er janvier, l’Iran a déployé dans la
zone le navire de guerre Alborz, au
lendemain d’une confrontation
meurtrière entre l’armée améri-
caine et les houthistes. Ce dé-
ploiement complique les efforts
de Washington pour arrêter les at-
taques houthistes contre des na-
vires marchands dans ce carre-
four maritime mondial. Si le pré-
sident américain, Joe Biden, n’ex-
clut pas des frappes directes
contre les houthistes au Yémen,
selon des médias américains, il a
jusqu’à présent privilégié la dis-
suasion afin d’éviter une propa-
gation régionale du conflit entre
Israël et le Hamas.
Le déploiement, mi-décem-
bre 2023, de la force navale multi-
nationale n’a pas mis fin aux atta-
ques. Depuis le début de la guerre
entre Israël et le Hamas à Gaza, les
houthistes, qui contrôlent une
grande partie du Yémen, ont mul-
tiplié les attaques contre des navi-
res qu’ils estiment « liés à Israël ».
Selon le Pentagone, ils ont lancé
plus d’une centaine d’attaques au
drone et au missile, visant dix na-
vires marchands. Ils détiennent
AUX BATEAUX
QU’ILS ESTIMENT
« LIÉS À ISRAËL »,
EN SOLIDARITÉ
AVEC GAZA
tre des bases américaines, il est ré-
ticent à ordonner des frappes
contre des sites de drones et de
missiles au Yémen. Outre le ris-
que d’un embrasement régional,
une opération américaine pour-
rait mettre en péril les pourpar-
lers entre les houthistes et l’Ara-
bie saoudite, qui cherche à se dé-
sengager de la guerre au Yémen.
Afin d’accentuer la pression
contre les rebelles yéménites, le
secrétaire américain à la défense,
Lloyd Austin, a annoncé, le 18 dé-
cembre 2023, la constitution
d’une force multinationale de
protection maritime, coalition
vouée à mener des patrouilles
dans le sud de la mer Rouge et
dans le golfe d’Aden et à venir en
aide aux navires marchands en
cas de besoin. Une vingtaine de
pays se sont engagés à y partici-
per dont la France, le Royaume-
Uni, le Canada, l’Italie, les Pays-
K
halid Khalifa agite sa
main droite quand il
évoque les avions israé-
liens qui ont obscurci le
ciel de la ville de Gaza, le 15 no-
vembre 2023. Son bras gauche,
amputé, est pansé. « Les Israéliens
ont aperçu du ciel que, parmi nous,
il y avait des enfants et des fem-
mes. Ils ont quand même largué
leurs bombes », dit ce Palestinien
de 41 ans, rencontré sur le Dix-
mude, le 31 décembre.
Le porte-hélicoptères amphibie
français, transformé partielle-
ment en hôpital, est ancré depuis
fin novembre 2023 dans le port
d’Al-Arich, en Egypte, à l’ouest de
Gaza, pour venir en aide aux bles-
sés de l’enclave palestinienne. Le
bâtiment de la marine nationale
française dispose de quarante
lits, de deux blocs opératoires,
d’une salle de soins pour les
grandes brûlures, de scanners et
de laboratoires d’analyses. Près
de 70 personnels soignants civils
et militaires sont à bord. Khalid
Khalifa est l’un des 88 patients
pris en charge par le Dixmude de-
puis le début de sa mission.
Assis sur une chaise dans la
zone d’hospitalisation légère du
navire, ce vendeur de légumes et
de fruits raconte les quarante-
huit heures qu’il a passées sous
les décombres à attendre que ses
Pour que les blessés puissent
sortir de Gaza par Rafah, « il faut
l’accord des Israéliens, celui des
Egyptiens, ainsi que des autorités
médicales à Gaza, indique une
source médicale à bord. La prio-
rité est également donnée aux pa-
tients atteints de cancer, traités
pour une tumeur, et les enfants ».
Entre le moment où les Palesti-
niens font la demande d’évacua-
tion d’un blessé et le moment où
celui-ci arrive sur le Dixmude, il
s’écoule « un délai moyen d’une
semaine ». Le navire-hôpital tra-
vaille en liaison avec trois hôpi-
taux égyptiens du nord de Sinaï.
Deux enfants palestiniens sont
arrivés en France le 28 décem-
bre 2023 où ils ont été pris
en charge dans des services pé-
diatriques.
Sur le Dixmude, derrière Khalid
Khalifa, des femmes sont alignées
en rang sur des chaises. Face à el-
les, dans les tentes, sont installés
d’autres blessés, femmes, hom-
mes et enfants, arrivés de Gaza.
Sur le visage de Warda, Gazaouie
de 39 ans, les points de suture
sont toujours visibles. Elle a été
un visage encore plus défiguré que
maintenant », dit-elle. Le 20 no-
vembre 2023, la maison de son
oncle, dans la ville de Gaza, où
Warda, son mari et leurs sept en-
fants avaient trouvé refuge, a été
bombardée.
Un « cauchemar »
A bord, Warda a pu se connecter
au groupe WhatsApp de sa fa-
mille. Et apprendre la mort de
trois de ses enfants. « Ils s’appel-
lent Masoud, 12 ans, Sawsen,
10 ans, et Abdullah, 5 ans. » Depuis,
cette mère de famille reste sans
nouvelles de ses autres enfants,
soignés dans différents hôpitaux.
Sa nièce qui l’accompagne sur le
Dixmude part chercher des mou-
choirs. Warda n’a même plus son
téléphone pour regarder les pho-
tos familiales.
En cette soirée de réveillon,
l’avenir de l’opération humani-
taire du porte-hélicoptères fran-
çais reste incertain. « Le Dix-
mude va encore rester quelques
semaines, explique Sébastien Le-
cornu aux journalistes français
et égyptiens présents. On est en
DOMINO FILMS PRÉSENTE
ques, allemands ou d’autres pays,
pour regarder comment on peut
continuer cette organisation. »
Dans la bande de Gaza, les com-
bats continuent. Selon les autori-
tés locales, l’enclave palesti-
nienne compte aujourd’hui
21 978 victimes, en majorité des
femmes, des adolescents et des
enfants. Le Hamas détient en-
core 129 otages, selon les Israé-
liens, qui ont élargi leur offensive
terrestre dans le centre de l’en-
clave, en représailles à l’attaque
menée en Israël, le 7 octobre, par
le mouvement islamiste qui a
fait 1 140 victimes.
Warda regarde deux enfants
qui déambulent autour d’elle sur
des fauteuils roulants. « Pourquoi
les Israéliens tuent les enfants ?,
s’interroge-t-elle. Les enfants ne
sont pas du Hamas. Ils ne font pas
la guerre. » Khalid Khalifa répète
en boucle le mot « cauchemar »
en arabe. « La nuit, je vois les en-
fants morts, glisse-t-il. Je veux
juste que la guerre s’arrête. Mais
qu’est-ce qui va rester de Gaza ?
C’est un tout petit territoire… » p
ghazal golshiri

depuis novembre le Galaxy Leader
et ses 25 membres d’équipage. En
conséquence, les géants du trans-
port maritime avaient suspendu
le passage de leurs navires en mer
Rouge, un axe par lequel transi-
tent 12 % du commerce mondial.
Le 31 décembre 2023, les pre-
miers accrochages meurtriers
ont eu lieu avec l’armée améri-
caine en mer Rouge. Le comman-
dement militaire américain pour
le Moyen-Orient (Centcom) a an-
noncé avoir coulé trois navires
des rebelles, après des attaques
contre un porte-conteneurs du
transporteur danois Maersk, au
large de Hodeïda. Dix rebelles
houthistes ont été tués dans cette
frappe, selon leur porte-parole
militaire, Yahya Saree. Pendant
cette opération de secours, le des-
troyer américain USS Gravely a
abattu deux missiles balistiques
tirés depuis le territoire yéménite
contrôlé par les houthistes « en di-
rection des navires » militaires
américains, a ajouté le Centcom.
Un dilemme pour Washington
« L’ennemi américain assume les
conséquences de ce crime », ont
dénoncé les rebelles houthistes
dans un communiqué, et « ses
mouvements militaires en mer
Rouge pour protéger les navires is-
raéliens n’empêcheront pas » les
houthistes d’« accomplir leur de-
voir religieux, moral et humani-
taire en soutien à ceux qui ont été
lésés en Palestine et à Gaza ». Le
géant danois du transport mari-
time Maersk a annoncé suspen-
dre pendant quarante-huit heu-
res le transit de sa flotte en mer
Rouge. Ses navires venaient juste
de retourner dans la zone, tout
comme ceux de l’armateur fran-
çais CMA CGM.
Cet incident pose un dilemme à
l’administration Biden. Des res-
ponsables américains appellent à
des actions plus musclées pour
restaurer la dissuasion contre les
milices pro-iraniennes qui atta-
quent les forces américaines. Si
Joe Biden a donné son feu vert à
plusieurs frappes en Irak et en Sy-
rie en riposte à des attaques con-
Bas, la Norvège et la Grèce.
« Les forces navales du Yémen
conseillent une fois de plus à tous
les pays de ne pas se laisser entraî-
ner dans les plans américains vi-
sant à déclencher un conflit en mer
Rouge », a mis en garde, diman-
che, le porte-parole houthiste, Ya-
hya Saree. Les rebelles yéménites
promettent de mettre fin à leurs
attaques « si Israël cesse ses crimes
et que la nourriture, les médica-
ments et le carburant parviennent
à la population assiégée » de la
bande de Gaza.
Les Etats-Unis et leurs partenai-
res de la coalition tentent d’exer-
cer des pressions sur l’Iran pour
faire cesser les attaques houthis-
tes. Lundi, Mohammed Abdulsa-
lam, porte-parole et négociateur
des rebelles houthistes, était à Té-
héran où il a rencontré le secré-
taire du Conseil suprême de la sé-
curité nationale iranien, Ali Akbar
Ahmadian. La Maison Blanche a
accusé l’Iran d’être « très impliqué
dans la planification » des atta-
ques des houthistes en leur li-
vrant « des équipements militaires
sophistiqués » et une « aide en ma-
tière de renseignement », sans la-
quelle les rebelles yéménites
« auraient du mal à repérer et frap-
per » les bateaux en mer Rouge.
La République islamique a re-
jeté ces accusations. « Nous avons
clairement fait comprendre aux
Américains que ces groupes ont
agi, en fonction de leurs intérêts
(…), a déclaré, samedi, le ministre
des affaires étrangères, Hossein
Amir Abdollahian. Nous ne leur
avons pas ordonné et ne leur or-
donnerons pas d’arrêter les atta-
ques », a-t-il poursuivi. Les Etats-
Unis accusent aussi Téhéran
d’être derrière l’attaque au drone
qui a visé un chimiquier, le même
jour, en mer d’Arabie, au large de
l’Inde. Téhéran a nié toute impli-
cation. Un responsable des gar-
diens de la révolution iraniens,
Mohammad Reza Naqdi, a néan-
moins averti que d’autres voies
de navigation deviendront im-
praticables si la guerre entre Israël
et le Hamas se poursuit. p
hélène sallon
LE COUP DE COEUR
voisins le trouvent. Puis Khalid
Khalifa a vu arriver les chars israé-
liens. « J’étais entouré de morts.
DE LA PRESSE
★★★★
Mes voisins m’ont déterré en ca- 62e SEMAINE
DE LA CRITIQUE
chette, pour que les Israéliens ne CANNES 2023
me voient pas. Sinon ils m’auraient
embarqué avec eux », explique
ALLOCINÉ
l’homme à la barbe et aux che-
veux poivre et sel. NAHUEL CÉLESTE
Gravement blessé, il ne se rend PÉREZ BISCAYART BRUNNQUELL
pas à l’hôpital à cause des bom-
bardements intenses. « De plus, il
n’y avait pas d’ambulance », glisse-
t-il. Son bras gauche devenant
noir et s’infectant, il se résout tout
de même à aller à l’hôpital Al-
Aqsa, « dans un car, tiré par un che-
val, précise-t-il. J’avais des os ap-
parents. Les médecins dans l’hôpi-
tal m’ont dit que mon bras aurait
pu être sauvé, mais que c’était trop
tard ». Il est amputé.
L’équipe médicale le met sur la
liste des demandes d’évacuation
vers l’Egypte. Il arrive sur le Dix-
mude à la mi-décembre, laissant
derrière lui, dans le sud de Gaza,
près du point de passage avec
l’Egypte, à Rafah, sa fille et sa
femme. « J’ai pu les appeler ce ma-
tin grâce au téléphone de l’hôpital,
dit-il. Elles vont bien, Dieu merci ! »
Selon le ministre français des
armées, Sébastien Lecornu, en
visite sur le Dixmude, à l’occasion
du Nouvel An, la majorité des
blessés pris en charge dans le
porte-hélicoptères ont déjà reçu
des soins dans la bande de Gaza,
où le système sanitaire est cepen-
dant gravement impacté par la
guerre. « Ils [les blessés] présen-
tent des complications importan-
tes », explique à bord le ministre,
qui met l’accent sur le « partena-
L’AVENIR UN FILM DE
ERWAN LE DUC
DE L’OPÉRATION
HUMANITAIRE PAR LE RÉALISATEUR DE PERDRIX ET SOUS CONTRÔLE
DU BÂTIMENT ACTUELLEMENT AU CINÉMA
DE LA MARINE
FRANÇAISE
RESTE INCERTAIN
4 | international 0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024

Taïwan:
«L’ingérence
chinoise est
de plus en plus
sophistiquée»
Pour Joseph Wu, ministre des
affaires étrangères de l’île, la guerre
avec la Chine n’est cependant
« ni imminente ni inévitable »

hongkong- correspondance sondages semblent indiquer que

le DPP, mené par l’actuel vice-pré-

Q ualifié de « séparatiste-
indépendantiste irréduc-
tible » par Pékin, le mi-
nistre des affaires étran-
gères de Taïwan, Joseph Wu, a été
sident Lai Ching-te [William Lai],
pourrait se maintenir au pouvoir
pour un troisième mandat de
quatre ans ; à l’issue du scrutin, il
serait donc en mesure de l’empor-
l’un des trois premiers Taïwanais ter face à Hou Yu-ih du Kouomin- Le ministre des affaires étrangères de Taïwan, Joseph Wu, à Prague, le 14 juin 2023. DAVID W CERNY/REUTERS
à être sanctionnés par la Chine en tang (KMT), le vieux parti natio-
mai 2021. « A vrai dire, j’en suis très naliste et grand rival des commu-
fier. Beaucoup de gens ici à Taïwan nistes chinois durant la guerre ci- Pourtant, si le ministre accepte tion maritime dans cette région, solides, confirme Joseph Wu. Le
sont jaloux ! », plaisante-t-il lors vile, paradoxalement devenu la
La définition que son parti, le DPP, soit étiqueté notamment en mer de Chine méri- niveau des consultations et des
de l’entretien exclusif qu’il a ac- seule formation politique avec la- du statu quo « statuquoiste » plutôt qu’indé- dionale et dans le détroit de communications entre Taïwan et
cordé au Monde, le 29 décem- quelle Pékin accepte aujourd’hui pendantiste, il reconnaît aussi Taïwan, afin de préserver la paix et les Etats-Unis n’a jamais été aussi
bre 2023, par liaison vidéo. de dialoguer en raison de son atti-
bouge. que la définition du fameux statu la stabilité de la région. » Il se ré- bon, comme le soutien en matière
Pourtant, selon lui, cette sanc- tude plus conciliante. « Les Chinois quo bouge. « Il s’agit d’un accord jouit également du nombre accru de sécurité, notamment pour ce
tion n’est pas fondée sur la réalité « La Chine tente de faire passer tacite, établi entre Taïwan et la de visites de parlementaires fran- qui est de la mise à disposition des
des huit dernières années l’idée que ces élections sont un
ne le respectent Chine, que les deux parties ont res- çais et rappelle l’investissement matériels militaires, mais aussi
au cours desquelles, son parti, le choix entre la guerre et le ralentis- plus », explique pecté au fil des ans. Mais les Chi- de 5,2 milliards d’euros de l’entre- pour la formation de nos soldats
DPP (Parti démocrate progres- sement économique [si le DPP ga- nois ne le respectent plus : ils ne prise taïwanaise ProLogium et la maintenance de nos équipe-
siste, indépendantiste, selon sa gne] ou la paix et la prospérité [si
Joseph Wu cessent de faire voler leurs avions à Dunkerque (Nord). ments. Mais, bien sûr, la défense de
charte), était au pouvoir, et a, con- le KMT l’emporte] », affirme Jo- de chasse dans le détroit, ils cou- Mais pour le ministre, la partie Taïwan relève de notre propre res-
trairement aux accusations de seph Wu en dénonçant « une ingé- pent la ligne médiane, ils mènent la plus importante du statu quo ponsabilité. Aucun pays n’a l’obli-
Pékin, « défendu très vigoureuse- rence chinoise de plus en plus so- guerre cognitive faite de désinfor- des exercices navals de grande en- bilatéral est plus politique que gation d’aider Taïwan. »
ment le statu quo de part et d’autre phistiquée ». mation, doublée de cyberattaques vergure, des navires de guerre s’ap- militaire : « La République popu- Le diplomate observe égale-
du détroit de Taïwan ». et d’infiltration ainsi que de pres- prochent très près de Taïwan… ce laire de Chine n’a jamais mis le ment avec satisfaction l’engage-
A moins de deux semaines de « Préserver la paix » sions économiques. Et tous ces élé- qu’ils ne faisaient pas avant. » pied à Taïwan et n’a jamais gou- ment plus large des Etats-Unis
l’élection présidentielle taïwa- « Mais le premier devoir du gou- ments se sont multipliés. » Mais, verné Taïwan un seul jour. Par con- dans la région. « Même si cela n’est
naise, Joseph Wu insiste donc sur vernement taïwanais a justement tempère-t-il, « sur la base de notre Outil de propagande séquent, la République populaire pas directement lié à Taïwan, cela
la position « très modérée et res- été de garantir la paix et la stabi- analyse, ici à Taïwan, couplée à « Certes, ajoute le diplomate, ils de Chine ne devrait pas revendi- a des implications très importan-
ponsable » que l’île, dirigée par la lité dans le détroit de Taïwan et celles d’autres communautés de n’entrent pas dans notre espace quer sa souveraineté sur tes pour le détroit de Taïwan », es-
présidente Tsai Ing-wen depuis d’éviter que la guerre ne se pro- renseignement, en particulier des aérien réel parce qu’ils risque- Taïwan. Le fait que les Taïwanais time-t-il en citant le nouveau pro-
2016, n’a cessé de tenir malgré duise, poursuit-il. La guerre est sy- Etats-Unis, la conclusion, à ce raient alors de déclencher la votent pour leurs dirigeants, que jet de trialogue annuel entre les
l’aggravation des tensions entre nonyme de désastre pour Taïwan, stade, est que la guerre n’est ni im- guerre (…) Mais la Chine s’est éga- ce soit ce gouvernement qui dirige deux puissances voisines du
les deux rives du détroit et entre mais aussi pour la Chine, pour minente ni inévitable ». lement lancée dans une guerre ju- avec une juridiction exclusive sur Nord que sont la Corée du Sud et
Pékin et Washington. La cheffe de tous les autres pays qui seront im- Le diplomate a lui-même œuvré ridique pour tenter de faire accep- ce territoire, ou moi en tant que le Japon et les Etats-Unis, mis au
l’Etat a, en effet, selon lui, « veillé à pliqués et pour le reste du monde. activement, au gré de nombreux ter que Taïwan fait légalement ministre des affaires étrangères, je point à Camp David (Maryland) le
ne donner aucune excuse au gou- Nous voulons évidemment l’éviter voyages, notamment en Europe partie de la Chine, en se basant no- délivre des passeports et des visas, 18 août 2023.
vernement chinois pour justifier à tout prix. » de l’Est et du Nord, à sensibiliser tamment sur la résolution 2758 ces aspects-là sont les plus impor- Quant à la situation au sud de
de lancer une guerre contre Le ministre admet pourtant que la communauté internationale des Nations unies [datée du 25 oc- tants du statu quo. » l’île, « les Etats-Unis, le Japon, l’Aus-
Taïwan, tout en renforçant ses ca- la situation sécuritaire dans le dé- au risque de conflit dans le dé- tobre 1971, celle-ci entérine l’ex- Ce dernier n’existerait pas non tralie et d’autres collaborent étroi-
pacités de sécurité ou de défense, troit de Taïwan n’est « pas troit. « Nous sommes très heureux clusion de la République de plus sans le soutien historique tement avec les gardes-côtes des
afin que le gouvernement chinois bonne » : « La menace militaire de voir que de nombreux partenai- Chine, nom officiel de Taïwan, et des Etats-Unis à Taïwan, qui sont Philippines pour les aider à faire
comprenne que s’emparer de chinoise contre Taïwan s’accroît, res de Taïwan, y compris la France, reconnaît la République popu- engagés par le Taiwan Relations face au harcèlement de la marine
Taïwan ne sera pas facile ». en particulier au cours des deux mentionnent régulièrement l’im- laire de Chine comme “unique Act (1979) à fournir à l’île les chinoise. Cela fait beaucoup de
Bien que l’écart se réduise entre dernières années. De plus, la Chine portance de la paix et de la stabi- gouvernement légitime de Chine” moyens militaires de se défendre. pays dans cette région prêts à faire
les deux principaux candidats, les nous livre une guerre hybride, une lité dans le détroit de Taïwan et ex- sans toutefois statuer sur la sou- « Les relations entre Taïwan et les face à tout type d’éventualité cau-
priment leur opposition à la modi- veraineté de Taïwan], et pour faire Etats-Unis sont très fortes et très sée par la Chine… ».
fication unilatérale du statu quo, admettre le détroit de Taïwan Joseph Wu conclut en confir-
Xi promet une « réunification inévitable » en particulier par la force ou la comme des eaux chinoises. » mant que Pékin, par le biais de ses
coercition. » « Ça aussi, souligne Joseph Wu, outils de propagande, a aussi
Lors de son discours du Nouvel An, dimanche 31 janvier 2023, Paradoxalement, depuis l’inva- ce sont des modifications du statu
« Le niveau des tenté de faire perdre confiance
Xi Jinping a réaffirmé que la « réunification » de Taïwan à la Chine sion russe de l’Ukraine, l’attention quo. Heureusement, la commu- consultations aux Taïwanais dans les Etats-
est « historiquement inévitable ». Sans agiter explicitement la internationale portée à l’île s’est nauté internationale continue de Unis. « En ce moment, ils utilisent
perspective d’une menace militaire, le président chinois a cepen- accrue. « Si la chaîne d’approvision- considérer le détroit de Taïwan
entre Taïwan la guerre en Ukraine pour dire aux
dant usé d’une tonalité sensiblement plus martiale que l’année nement de Taïwan était perturbée comme des eaux internationales. » et les Etats-Unis Taïwanais que, puisque les Etats-
précédente, à moins de deux semaines des élections présiden- [par un conflit], l’impact sur le Au passage, le ministre se félicite Unis ne sont pas sérieux dans leur
tielle et législatives prévues le 13 janvier à Taïwan. La Chine, qui reste du monde serait bien plus de la promulgation, en août 2023,
n’a jamais été aide à l’Ukraine, ils ne seront pas
n’a jamais renoncé à utiliser la force pour parvenir à cette réunifi- grave que celui qu’a eu la guerre en de la loi de programmation mili- aussi bon » sérieux dans leur aide à Taïwan.
cation, considère l’île comme son « territoire sacré », a ajouté le Ukraine », prévient Joseph Wu, qui taire française (2024-2030) qui Mais les faits sont très clairs : la
JOSEPH WU
numéro un chinois, pour qui « les compatriotes vivant de part et rappelle qu’environ 90 % des pu- précise : « La France, en tant que Chine menace Taïwan et les Etats-
ministre des affaires
d’autre du détroit doivent être liés par un but commun et partager ces électroniques les plus avan- puissance présente dans l’Indo-Pa- Unis nous soutiennent. » p
étrangères taïwanais
la gloire du renouveau de la nation chinoise ». cées sont produites sur l’île. cifique, défend le droit à la circula- florence de changy

Proche-Orient : pourquoi pas…

une « solution à 12 États » ?

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0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Vladimir Poutine intensifie
les frappes sur l’Ukraine
Des missiles russes ont de nouveau visé le territoire ukrainien, mardi,
privant 250 000 habitants de Kiev et de sa région d’électricité
moscou - correspondant
U
n « acte terroriste ». La
Russie qualifie ainsi
tout contrecoup de la
guerre qu’elle mène
en Ukraine se produisant sur son
propre territoire. Vladimir Pou-
tine n’a pas dérogé à cette règle,
lundi 1er janvier, en évoquant les
frappes qui ont touché deux jours
plus tôt la ville russe de Belgorod
– les plus meurtrières depuis le
début de l’invasion de l’Ukraine,
avec vingt-cinq civils tués, dont
quatre enfants, et une centaine de
blessés.
En guise de représailles, de nou-
velles frappes aériennes massi-
ves se sont abattues sur l’Ukraine,
mardi 2 janvier au matin, provo-
quant la mort d’au moins quatre
personnes, selon un bilan encore
provisoire, à Kiev, où six quar-
tiers de la capitale ont été tou-
chés, mais aussi dans la ville fron-
talière de Kahrkiv où une femme
a succombé à ses blessures. Plus
de 250 000 Ukrainiens sont éga-
lement privés d’électricité à Kiev
et dans sa région, une partie du
réseau ayant été endommagé, a
annoncé l’opérateur national
Ukrenergo.
La veille, le président russe s’ex-
primait depuis un hôpital mili-
taire dans la région de Moscou, en-
touré de soldats convalescents. La
veille, dans ses vœux à la nation, il
n’avait pas eu un mot pour cette
ville située à une vingtaine de kilo-
mètres de la frontière ukrai-
nienne, face à Kharkiv. M. Poutine
s’était contenté d’évoquer le con-
flit en termes généraux, vantant
l’unité du pays : « Nous avons
prouvé à maintes reprises que nous
pouvons résoudre les tâches les
plus difficiles et que nous ne recule-
En Géorgie, l’oligarque Bidzina Ivanichvili
revient officiellement dans la vie politique
L’ex-premier ministre, fondateur du parti au pouvoir, dirigeait le pays dans l’ombre
I l dirigeait la Géorgie dans
l’ombre, le voici qui sort du
bois, « à contrecœur ». Samedi
30 décembre, l’ancien premier mi-
nistre (2012-2013) et oligarque Bid-
zina Ivanichvili a fait son retour of-
ficiel dans la vie politique en s’at-
tribuant l’étiquette de président
d’honneur du parti au pouvoir,
Rêve géorgien, qu’il a cofondé.
Une décision « désagréable », a-t-il
souligné lors d’un congrès im-
prévu du parti, et dont les raisons
restent assez floues.
M. Ivanichvili a assuré que ce re-
tour n’avait aucun rapport avec les
élections législatives, prévues en
octobre 2024, et que son parti est
certain de remporter, selon lui. « Si
les élections parlementaires
avaient lieu maintenant, Rêve
géorgien obtiendrait entre 90 et
100 mandats, même sans campa-
gne électorale. Mon objectif princi-
pal n’est donc pas de [le] renforcer
davantage, mais de protéger une
équipe des tentations humaines »,
a-t-il expliqué, évoquant le risque
de discorde et de « corruption »
dans les rangs du parti. Le milliar-
daire a ajouté qu’il n’avait aucune
ambition de devenir premier mi-
nistre. « L’activité politique n’est pas
dans ma nature », a-t-il plaidé.
S’il revient en politique, c’est
aussi, assure-t-il, en raison de « dé-
fis accrus » et d’une « situation géo-
politique compliquée », dans la-
quelle « même la plus petite erreur
rons jamais car aucune force ne
peut nous diviser. »
Lundi, le président a fait mine
d’interroger les militaires réunis
face à lui quant à la réaction ap-
propriée, assurant que « [lui]
aussi bouillait », avant de tran-
cher : « Nous frappons avec des ar-
mes de précision les lieux de prise
de décisions, les lieux où se ras-
semblent les soldats et les merce-
naires, d’autres centres de ce type,
des installations militaires avant
tout. C’est ce que nous continue-
rons de faire (…), l’Ukraine n’est
pas notre ennemie », a indiqué
Vladimir Poutine, promettant
toutefois une « intensification »
de ces frappes.
« Provoquer une riposte »
Selon lui, les forces ukrainiennes
auraient délibérément mené des
bombardements en « plein centre
de la ville, là où les gens se promè-
nent, avant le réveillon du Nouvel
An », qui plus est en utilisant des
systèmes de lance-roquettes mul-
tiples, « une arme qui frappe de
manière indiscriminée » – que les
troupes russes ont utilisée à d’in-
nombrables reprises depuis le dé-
but du conflit contre les villes
ukrainiennes.
Les images du bombardement
de Belgorod rappellent de fait cel-
les qui parviennent régulière-
ment d’Ukraine : immeubles en-
dommagés, voitures en flammes,
cadavres sur les trottoirs, civils
paniqués… Nombre d’habitants
se sont plaints, samedi 30 décem-
bre 2023, que les abris antiaériens
étaient restés fermés et que les si-
rènes avaient fonctionné avec re-
tard, alors même que la ville est
l’une des plus exposées de Russie
aux bombardements ukrainiens.
Le bilan est le plus lourd enregis-
des autorités en place peut avoir de
graves conséquences ». Outre la
« protection de l’identité natio-
nale » et la défense de la « souverai-
neté de l’Etat », « la principale tâche
de la Géorgie en politique étran-
gère aujourd’hui est l’intégration
dans l’Union européenne », a af-
firmé l’ancien premier ministre.
Le pays a obtenu, en décembre, le
statut de candidat officiel à
l’Union européenne, malgré des
réformes à la traîne et son rappro-
chement spectaculaire avec Mos-
cou depuis l’invasion de l’Ukraine.
Bidzina Ivanichvili, qui a fait for-
tune en Russie et dont les actifs,
évalués à près de 6 milliards
d’euros, ont bondi de 17 % en 2023,
selon l’agence Bloomberg, a pré-
cisé qu’il serait le « principal con-
seiller » de Rêve géorgien mais
qu’Irakli Kobakhidzé en resterait
le président. Il s’agit du deuxième
retour officiel de l’oligarque.
Après l’arrivée au pouvoir de Rêve
géorgien en 2012 dans ce pays du
Caucase, il a occupé le poste de
premier ministre pendant un peu
plus d’un an, avant de céder sa
place à son protégé, Irakli Gariba-
chvili, en 2013. L’homme d’affai-
res est toutefois revenu sur le de-
vant de la scène en 2018 en deve-
nant président de Rêve géorgien à
l’approche de l’élection présiden-
tielle, considérée à l’époque
comme un test important pour le
parti. Grâce à son soutien, Salomé
« Nous ne
reculerons jamais
car aucune force
ne peut nous
diviser »
VLADIMIR POUTINE
président de la Russie
tré en une journée sur le terri-
toire russe.
Jusqu’à présent, les frappes
ukrainiennes se concentraient
sur des cibles militaires, nom-
breuses dans la région de Belgo-
rod. Même si aucune déclaration
en ce sens n’a été faite par Kiev, il
semble bien que le bombarde-
ment du 30 décembre ait été dé-
cidé en réponse à la vague d’atta-
ques contre des villes ukrainien-
nes qui, la veille, avait fait une
quarantaine de morts et touché
des immeubles, une maternité ou
encore un centre commercial.
Même la rhétorique ukrai-
nienne ressemble, dans ce cas
précis, à un miroir de celle utili-
sée par Moscou. Des sources au
sein des services de sécurité
ukrainiens ont ainsi assuré au
site Oukraïnska Pravda et à
d’autres médias que les destruc-
tions observées à Belgorod
étaient le résultat du « travail non
professionnel » de la défense anti-
aérienne russe – accusations sys-
tématiquement portées, là en-
core, par l’armée russe à l’encon-
tre de la défense antiaérienne
ukrainienne.
Moscou a aussi tenté de porter
la riposte sur le terrain diplomati-
que. Une porte-parole du minis-
tère des affaires étrangères a ac-
cusé « les Anglo-Saxons » d’être
Zourabichvili a été élue prési-
dente, poste qu’elle occupe tou-
jours, devenu, depuis, essentielle-
ment honorifique.
En janvier 2021, après avoir as-
suré une troisième victoire consé-
cutive de son parti aux législatives
de 2020, l’oligarque s’est de nou-
veau retiré de la vie politique, esti-
mant que sa « mission » avait été
« accomplie ». A chaque départ of-
ficiel, le milliardaire a toutefois
continué de diriger le pays dans
l’ombre, grâce à un gouvernement
à sa solde et composé, en partie, de
ses anciens employés.
Lutte d’influence
Le premier ministre, Irakli Gariba-
chvili, a salué ce retour « néces-
saire ». « L’ordre international est en
train de changer (…). Le rôle de Bid-
zina est crucial (…). Car les dix pro-
chaines années au moins seront
une période très difficile non seule-
ment pour la région mais aussi
pour le monde entier », a-t-il dé-
claré. L’invasion de l’Ukraine a exa-
cerbé les tensions dans le pays,
dont 20 % du territoire sont occu-
pés par les troupes russes depuis la
guerre de 2008. La Géorgie se re-
trouve au cœur d’une lutte d’in-
fluence entre Moscou et Bruxelles,
soucieux de ne pas laisser cette an-
cienne république soviétique bas-
culer dans le camp du Kremlin.
Dans l’opposition, le retour de
M. Ivanichvili est vu comme la fin
derrière l’attaque, déclenchée
pour faire oublier « les échecs de
l’armée ukrainienne au sol ». Une
réunion du Conseil de sécurité
des Nations unies a été convo-
quée, au cours de laquelle le re-
présentant russe a, lui aussi, évo-
qué une « attaque terroriste ».
L’essentiel de la « réponse »
russe a surtout pris la forme, tout
aussi attendue, de nouveaux
bombardements. Dès le soir du
30 décembre, la ville de Kharkiv a
été visée, en particulier un hôtel
dans lequel se trouvaient, selon le
ministère russe de la défense,
« jusqu’à 200 mercenaires ». Seu-
les victimes avérées, deux journa-
listes étrangers blessés.
Une nouvelle attaque a ensuite
eu lieu durant la nuit du Nouvel
An sur tout le territoire de
l’Ukraine, entraînant de nou-
veaux morts à Izioum, Kharkiv,
Kherson, Odessa… Si cette atta-
que a été massive, avec 90 drones
et huit missiles tirés, ce n’est pas
encore « l’intensification » pro-
mise par Vladimir Poutine. Pour
l’expert militaire russe en exil
Nikolaï Mitrokhine, la partie
ukrainienne aurait d’ailleurs pu
bombarder Belgorod « précisé-
ment pour provoquer une riposte
et évaluer l’état réel des réserves
russes en missiles et drones ».
Lundi, le chef du Kremlin a une
nouvelle fois tenu à afficher sa
confiance quant à la capacité de
son pays à obtenir la capitulation
de l’Ukraine : « Ceux qui, hier, par-
laient de porter une défaite straté-
gique à la Russie cherchent
aujourd’hui les moyens de sortir
du conflit le plus vite possible, a-
t-il affirmé. Nous voulons aussi
terminer ce conflit le plus vite pos-
sible, mais à nos conditions. » p
benoît vitkine
d’une mascarade. « Il a enfin été
confirmé que, oui, l’oligarque russe
n’a jamais quitté la politique géor-
gienne, a réagi Sopo Japaridze,
membre du Mouvement national
uni, parti d’opposition de l’ex-pré-
sident Mikheïl Saakachvili. [M. Iva-
nichvili] a aussi confirmé sa crainte
que des changements soient inévi-
tables en 2024 avec la large partici-
pation de Mikheïl Saakachvili et du
Mouvement national uni », a-t-elle
ajouté. Guiorgui Gakharia, ancien
membre du gouvernement passé
à l’opposition, s’est réjoui « de voir
qu’Ivanichvili a enfin réussi à sortir
de sa cachette ».
Ce retour alimente les spécula-
tions. L’économiste Ghia
Khoukhachvili l’analyse comme
une tentative de neutraliser les cri-
tiques et d’obtenir une certaine
« immunité » contre des sanctions
de l’UE. L’une des mesures exigées
par Bruxelles avant d’ouvrir les né-
gociations d’adhésion est, en effet,
la « désoligarchisation », un terme
en référence à la toute-puissance
de M. Ivanichvili dans la gouver-
nance du pays. D’autres analystes
estiment que cela traduit la crainte
du milliardaire avant les élections
législatives. Les derniers sondages
donnent cependant Rêve géorgien
en tête avec 25 % des voix, loin de-
vant le principal parti d’opposi-
tion, le Mouvement national uni,
qui plafonne à 13 %. p
faustine vincent
international | 5
La Serbie et le Kosovo
mettent fin à leur
différend sur les plaques
d’immatriculation
Depuis le 1er janvier, les voitures kosovares
sont autorisées à circuler sur le territoire
serbe sans se masquer sous un autocollant
varsovie - correspondance
L a discorde qui envenimait
les relations entre la Serbie
et son voisin le Kosovo
depuis plus de deux ans a pris fin.
Une toute première voiture im-
matriculée au Kosovo et portant
la mention « RKS » (République du
Kosovo) a pu franchir, lundi 1er jan-
vier, peu après 8 heures, le passage
frontalier de Jarinje, entre le nord
de ce territoire des Balkans à majo-
rité albanaise et la Serbie. Le véhi-
cule ne portait pas l’autocollant
qui était obligatoire jusqu’ici pour
masquer ces mêmes lettres, ainsi
que l’écusson du Kosovo, avant
d’entrer sur le territoire serbe.
Le média Kosovo Online, qui a
rapporté la nouvelle, photos et
vidéo à l’appui, précise que, côté
serbe, une affiche placardée au
poste-frontière se charge de rap-
peler que la mesure est purement
pratique et qu’elle ne constitue en
aucun cas une « reconnaissance
de l’indépendance unilatéralement
déclarée du soi-disant Kosovo ».
Cette histoire de plaques
d’immatriculation n’a l’air de rien,
mais elle constitue un progrès
dans la normalisation des rela-
tions entre les deux pays, alors
que la Serbie refuse de reconnaître
l’indépendance du Kosovo, pro-
clamée en 2008, après la guerre de
1998-1999 entre ces deux entités
de l’ex-Yougoslavie. Au moment
de pénétrer au Kosovo, les auto-
mobilistes immatriculés en Serbie
se devaient de masquer les emblè-
mes nationaux, en particulier les
lettres relevant de l’immatricula-
tion réservée au Kosovo dans le
système administratif serbe, ce
qui faisait bondir Pristina. Le
premier ministre kosovar, Albin
Kurti, avait assuré que la récipro-
cité serait appliquée en cas
d’assouplissement côté serbe.
Relatif apaisement
Sur ce dossier brûlant, c’est donc
Belgrade qui a fait un pas en
avant. Le 25 décembre 2023,
le chef du bureau serbe pour le
Kosovo, Petar Petkovic, avait
annoncé que « l’autorisation sera
donnée à tous les véhicules de cir-
culer (…) afin de faciliter la liberté
de mouvement des personnes ».
La Serbie et le Kosovo avaient ac-
cepté de reconnaître mutuelle-
ment leurs plaques d’immatricu-
lation après un accord conclu
en 2011 sous l’égide de l’Union
européenne (UE). Sauf que la déci-
sion n’a jamais été complètement
appliquée. Pis, elle avait mis le feu
aux poudres lorsque, à l’automne
2021, Albin Kurti avait banni les
plaques serbes du Kosovo, avant
de revenir sur sa décision. Des bar-
ricades dans le nord du Kosovo, où
une minorité serbe de 40 000 ha-
bitants échappe au contrôle de
Pristina, étaient alors apparues.
Pour ces ressortissants que tout
rattache à Belgrade – du numéro
de téléphone au passeport, en
passant par la monnaie –, il ne
saurait être question d’arborer les
symboles du Kosovo sur leur
véhicule. De facto, les insignes du
Kosovo serbe avaient déjà prati-
quement disparu des plaques
d’immatriculation fin 2023.
A l’été 2022, c’était encore
autour des plaques d’immatricu-
lation que s’étaient cristallisées
les tensions dans le nord du Ko-
sovo, alors que le chef de l’exécutif
du territoire refusait de prolonger
l’accord de 2011, prévoyant une
période de dix ans pour les Serbes
du Kosovo afin qu’ils adoptent
une plaque kosovare. Il n’en fallait
pas plus pour que les Serbes
employés dans les institutions
Cette histoire de
plaques constitue
un progrès dans
la normalisation
des relations
entre les
deux pays
publiques locales démissionnent
et que s’ouvre un nouveau chapi-
tre de violence. Enfin, le 24 sep-
tembre 2023, un commando
serbe lourdement armé avait fait
irruption au Kosovo et tué un
policier avant d’être intercepté.
C’est au moment où Belgrade
fait face à un mouvement de
contestation de sa propre popula-
tion que la Serbie tend la main à
son voisin. L’opposition serbe, qui
dénonce une fraude électorale lors
des élections municipales et légis-
latives anticipées du 17 décem-
bre 2023, remportées par le parti
du président nationaliste Aleksan-
dar Vucic, manifeste depuis le
18 décembre. Les observateurs
internationaux présents sur place
se sont inquiétés d’« achats de
votes » et de « bourrages d’urnes ».
La décision de lâcher du lest sur
les plaques d’immatriculation
permet à la Serbie de faire bonne
figure auprès des Etats-Unis et de
l’UE, sur le qui-vive depuis ces
irrégularités. « C’est un pas dans la
bonne direction, qui ne doit rien au
hasard, prévient Igor Bandovic,
directeur du Centre de Belgrade
pour les politiques de sécurité. Il
s’agit d’une concession nette de la
part d’Aleksandar Vucic, le prési-
dent ne pouvant pas se permettre
de perdre le soutien des Améri-
cains alors que son aura faiblit à
l’international. »
Belgzim Kamberi, analyste au
sein de l’Institut Musine Kokalari,
un centre de réflexion basé à Pris-
tina, note que la reconnaissance
des plaques s’inscrit dans un
contexte de relatif apaisement :
« Plusieurs avancées concrètes ont
été conclues entre la Serbie et le
Kosovo récemment. Il y a eu un ac-
cord entre les entreprises d’électri-
cité serbe et kosovare [la majorité
des Serbes du nord du Kosovo ne
payaient pas leurs factures d’élec-
tricité depuis 1999] et de nouvelles
élections municipales anticipées se
dessinent dans le nord du Kosovo. »
Pour cet expert, Aleksandar Vu-
cic a su « renvoyer la balle du côté
de Pristina : la pression repose dé-
sormais sur le Kosovo pour mettre
en place l’association des munici-
palités à majorité serbe du Ko-
sovo ». Soit autant de jalons qui at-
testent de la mise en œuvre en ca-
timini du plan franco-allemand
de normalisation des relations
entre le Kosovo et la Serbie,
accepté verbalement par les deux
parties en 2023, sans être signé.
« Ces mesures s’accompagnent de
discours belliqueux contradictoi-
res, à Pristina comme à Belgrade.
Or les deux pays doivent aussi
normaliser leurs discours et cesser
de s’accuser mutuellement »,
poursuit Belgzim Kamberi.
Autre avancée tangible pour les
ressortissants du Kosovo : à
l’exception de la minorité serbe
qui utilise les passeports émis par
la « direction de la coordination
serbe », ils peuvent désormais
voyager librement, depuis le
1er janvier, sur la base de leur seul
passeport, au sein de l’espace
Schengen, pour quatre-vingt-
dix jours sur une période de cent
quatre-vingts jours. p
hélène bienvenu
6 | planète
De violents
séismes
secouent
le Japon
Une série de puissantes secousses
a fait près de cinquante morts,
selon un bilan provisoire
tokyo - correspondance
L
e calme n’était pas revenu
au petit matin du mardi
2 janvier sur la côte de la
mer du Japon, où s’enchaî-
nent les répliques – plus de 150 de-
puis le puissant séisme de magni-
tude 7,6 et les vagues de tsunami
survenus la veille et dont le der-
nier bilan faisait état de quarante-
huit morts et de dizaines de bles-
sés dans plusieurs départements,
Ishikawa, Niigata ou encore Fukui
et Gifu. Plusieurs personnes se-
raient coincées sous les décom-
bres de bâtiments effondrés. Le bi-
lan aurait toutefois été plus lourd
sans l’efficacité des messages
d’alerte et des normes de cons-
truction en vigueur.
Les alertes aux tsunamis ont été
levées dans la nuit de lundi à
mardi, ceux-ci n’ayant pas provo-
qué de dégâts, mais l’Agence mé-
téorologique du Japon (JMA) conti-
nuait d’appeler à la vigilance sur la
côte allant de l’île de Hokkaido, au
nord, à celle de Kyushu, au sud-
ouest. Le premier ministre, Fumio
Kishida, a ordonné le déploiement
des Forces d’autodéfense (FAD,
l’armée nippone) vers les zones si-
nistrées, malgré « l’accès rendu dif-
ficile en raison des routes coupées ».
Les secours et moyens de pre-
mière nécessité devaient être
acheminés par air ou par mer.
« Des dégâts très importants ont
été confirmés, incluant de nom-
breuses victimes, des bâtiments ef-
fondrés et des incendies », a déclaré
M. Kishida. « Nous devons mener
une course contre la montre » pour
sauver des vies, a-t-il ajouté. Le le-
ver du jour a révélé l’ampleur des
dégâts. Kanazawa, capitale du dé-
partement d’Ishikawa, le plus pro-
che de l’épicentre, a subi un glisse-
ment de terrain. Des maisons se
sont effondrées et les murailles de
son château sont endommagées.
Les villes les plus sinistrées se-
raient celles de la péninsule de
En Sologne, l’«engrillagement » des forêts se poursuit, malgré la loi
Des propriétaires persistent à installer des clôtures pour créer des enclos de chasse, alors que les animaux doivent pouvoir circuler
blois - correspondant régional
D es poteaux jaune vif en
pin où sont fixés d’impo-
sants grillages en acier…
Depuis quelques mois, ces clôtu-
res hermétiques sont apparues
dans plusieurs secteurs de la forêt
solognote qui en comptait déjà
près de 4 000 kilomètres, selon
un recensement de 2018.
Une floraison de grillages à l’op-
posé de la loi promulguée le 2 fé-
vrier 2023 prévoyant que les nou-
velles clôtures ne dépassent pas
1,20 mètre de hauteur et soient dis-
posées à 30 centimètres du sol
pour laisser circuler cervidés et
sangliers. A Millançay (Loir-et-
Cher), à une douzaine de kilo-
mètres de Romorantin, une bar-
rière neuve de près de 400 mètres
de long atteint par exemple
1,70 mètre de hauteur et semble
enterrée dans le sol. Dans cette
zone forestière de 500 000 hecta-
Noto, à quelques dizaines de kilo-
mètres au nord de Kanazawa.
Dans le port de Wajima, un incen-
die a détruit une cinquantaine de
bâtiments des quartiers proches
du fleuve Kawaharata, connus
pour leurs vieilles maisons et le
marché qui s’y installe tous les ma-
tins pour vendre des produits de la
mer pêchés dans la nuit. L’immeu-
ble de six étages abritant les bu-
reaux de la maison Goshimaya, un
fabricant d’objets laqués, une spé-
cialité locale, s’est effondré. Un hô-
pital de la ville doit soigner une
partie des blessés sur le parking.
Crainte d’un accident nucléaire
Wajima a aussi subi la vague de
tsunami la plus haute. Mesurée à
1,20 mètre, elle a atteint le port
une dizaine de minutes après le
plus puissant des séismes. Des va-
gues, qui n’ont pas dépassé quel-
ques dizaines de centimètres, ont
été observées sur une grande par-
tie de la côte du nord de l’Archipel,
et jusqu’à celles de la Russie et de
la péninsule coréenne.
Les coupures d’électricité ont
touché plus de 35 000 foyers et
forcé les hôpitaux à fonctionner
sur un groupe électrogène. Pour
ajouter au drame des victimes, le
froid s’est intensifié dans la nuit. Il
faisait – 2 oC dans la péninsule
mardi matin, et la pluie devait
tomber dans la journée. Quant au
trafic ferroviaire, il a été suspendu.
Près de 1 400 personnes se sont
Les coupures
d’électricité ont
touché plus de
35 000 foyers, et
des hôpitaux ont
dû fonctionner
sur un groupe
électrogène
res et 3 000 étangs, à 90 % privée et
classée en zone Natura 2000, des
propriétaires semblent vouloir
mettre les autorités devant le fait
accompli et profiter de ce que les
décrets d’application de la loi ne
soient toujours pas parus. Inter-
rogé, le ministère de la transition
écologique assure que « les deux
derniers textes d’application seront
mis à la consultation du public en
janvier » et que leur signature est
prévue « fin février ».
Enclos illégaux
Cette « accélération de l’engrillage-
ment » a été dénoncée dans un
communiqué commun par Fran-
çois Bonneau, le président (Parti
socialiste) de la région Centre-Val
de Loire et Raymond Louis, le pré-
sident de l’Association des amis
des chemins de Sologne, à l’occa-
sion d’une rencontre, le 4 octobre,
avec le ministre de la transition
écologique, Christophe Béchu,
Un bâtiment effondré après le tremblement de terre à Wajima, au Japon, le 2 janvier. KYODO/VIA REUTERS
retrouvées coincées dans les
trains à grande vitesse Shinkan-
sen et la compagnie ferroviaire JR
West devait relancer une partie du
trafic en milieu de journée, mardi.
La menace de tsunami a ravivé
les craintes d’un accident nu-
cléaire. En 2011, le séisme de ma-
gnitude 9 et le tsunami qui avait
suivi avaient provoqué la catastro-
phe de Fukushima, dans le nord-
est de l’Archipel. Mais aucune des
neuf centrales de la côte de la mer
du Japon, à commencer par la plus
proche de l’épicentre, Shika, dont
les deux réacteurs sont en mainte-
nance, n’aurait connu de problè-
mes majeurs.
L’efficacité des systèmes d’alerte
aux séismes et au tsunami, conju-
guée à la sévérité des normes anti-
sismiques, semble avoir limité le
bilan d’un tremblement de terre
mesuré au niveau 7 sur l’échelle ja-
ponaise d’intensité des secousses.
A ce niveau, explique la JMA, « il
est impossible de rester debout ou
de se déplacer sans ramper. Les
personnes peuvent être projetées
dans les airs. Les murs en béton
armé peuvent s’effondrer. De
violents glissements de terrain
peuvent survenir ».
Depuis 2007, la JMA développe
un système d’alerte au séisme an-
nonçant quelques secondes à
l’avance les intensités sismiques
estimées et le moment du trem-
blement de terre. Ces estimations
sont fondées sur une analyse de
qui a en retour promis une inten-
sification des contrôles.
Ces clôtures infranchissables
permettent de fabriquer des en-
clos de chasse illégaux où s’em-
prisonne le gibier. Pour y attirer
des animaux, certains riches
propriétaires peuvent même y
mettre en œuvre des dispositifs
interdits, comme des portails
s’ouvrant d’un seul côté, grâce à
des détecteurs de mouvement. La
bête est alors attirée à l’intérieur
par de la nourriture disposée op-
portunément et ne peut plus
s’échapper. Le 10 octobre, pour
avoir eu recours à un tel système,
un propriétaire installé entre
Giens et Montargis a ainsi perdu
son pourvoi en cassation pour
« infraction à la réglementation de
la chasse » et s’est vu retirer son
permis pour deux ans.
A l’Association des amis des che-
mins de Sologne, Raymond Louis
assure avoir documenté depuis
Epicentre du séisme du 1er janvier, à 8 h 10 (heure de Paris),
d'une magnitude de 7,6
Intensité de la secousse selon l’agence météorologique japonaise
7. Effondrement de murs, impossibilité de rester
debout ou de se déplacer sans ramper
6. Difficulté à rester debout,
chute de vitres et de meubles
5. Difficulté à marcher,
chute d’objets Mer du
Japon
4. Déplacement (mer de l’Est)
d'objets (lampes,
lampadaires, cadres...)
Wajima
Concentration
des séismes Kanazawa
du 1er janvier,
Kyoto
à 8 h 06
(heure de Paris),
Kobe
au 2 janvier
à 8 h 01
(heure de Paris)
200 km Sources : USGS ; agence météorologique japonaise (JMA)
données collectées par près de
2 000 sismographes.
Certes imprécise en raison de la
complexité des mouvements sis-
miques, cette alerte à l’avance
« vise à atténuer les dégâts en dé-
clenchant automatiquement des
contre-mesures comme l’arrêt des
trains ou celui des ascenseurs »,
mais aussi à « permettre à la popu-
lation de se protéger rapidement ».
La JMA est également capable de
déclencher des alertes au tsunami
février vingt nouvelles infrac-
tions à la loi, soit un tiers de celles
constatées par l’Office français de
la biodiversité (OFB) pour la seule
Sologne, concernant principale-
ment le Loiret et le Loir-et-Cher.
Changer les comportements
Chaque constat de l’OFB donne
lieu à un courrier de la préfète de
la région. « Ces courriers ont un ef-
fet, car ils permettent de figer les
chantiers, se réjouit Loïc Obled, di-
recteur général délégué chargé de
la police à l’OFB. Et lorsque ce n’est
pas le cas, la nouvelle visite de nos
inspecteurs a souvent permis des
régularisations d’initiative. Pour
les plus récalcitrants, des procédu-
res judiciaires sont engagées. »
Le responsable souligne par
ailleurs que la nouvelle loi « per-
met un exercice réel de la police
dans les parcs forestiers et enclos »
dans la mesure où un agent de
l’OFB n’a désormais plus besoin
Hokkaido
Zone de
vigilance
Péninsule tsunami
de Noto au 2 janvier
Sado JAPON
Kashiwazaki OCÉAN
PACIFIQUE
Toyama
Tokyo
Limite
des plaques
tectoniques
Infographie Le Monde
dans les secondes suivant un
tremblement de terre. Ces alertes
sont envoyées sur les téléphones
portables.
A chaque cataclysme, les chaî-
nes de télévision interrompent
leurs programmes. La NHK, obli-
gée par la loi de transmettre les in-
formations sur les catastrophes,
relaie en temps réel les données
collectées par la JMA : intensité,
hypocentre – l’origine du tremble-
ment de terre, différent de l’épi-
d’une permission pour pénétrer
dans une forêt privée et constater
l’infraction.
Trois affaires sont actuellement
traitées par la procureure du
tribunal de Blois (Loir-et-Cher).
Deux dans le Loiret, dont l’une
s’est terminée par une dépose des
clôtures illégales, assortie d’un
stage de sensibilisation environ-
nementale. « Certains cas ne nous
sont pas encore officiellement
transmis, dans l’attente d’un cadre
dérogatoire », fait-on valoir au tri-
bunal judiciaire d’Orléans.
Des doutes peuvent en effet
subsister lorsqu’une haute clô-
ture est posée sur une parcelle en
bord de route, au nom de la « sé-
curité publique » ou lorsqu’elle
encercle une vaste parcelle dispo-
sant d’un étang. Un petit élevage
de carpes pourrait suffire à appor-
ter une activité agricole au ter-
rain, exonérant celui-ci de toute
limitation à son engrillagement.
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
centre qui se situe à sa verticale,
en surface –, lieu du séisme et aler-
tes aux tsunamis. Depuis 2011, elle
a renforcé ses services d’informa-
tion sur les téléphones portables,
notamment avec une messagerie
en plusieurs langues, dont l’an-
glais, le vietnamien et le français.
Dès l’annonce des risques de tsu-
nami du 1er janvier, ses présenta-
teurs n’ont pas hésité à crier « éva-
cuez ! gagnez un lieu en hauteur » à
destination des auditeurs.
A cela s’ajoutent des normes
antisismiques strictes dans la
construction, qui réduisent les
risques d’effondrement des bâti-
ments, et un réseau dense de
lieux d’évacuation. Après la catas-
trophe de 2011, le Japon a revu ses
cartes des risques naturels. Un
site a été créé pour que chacun
puisse vérifier les risques mena-
çant son lieu de résidence et les
lieux d’évacuation.
Ces services resteront essentiels
dans la région d’Ishikawa, où la
vigilance est toujours de mise.
Interrogé par la NHK, Naoshi
Hirata, de l’université de Tokyo,
rappelle que « l’activité sismique
est très intense dans la région de
Noto depuis décembre 2020. Il est
possible qu’un nouveau tremble-
ment de terre extrêmement violent
se produise, suivi d’un tsunami ».
La JMA redoute un séisme de ma-
gnitude supérieur à 7 dans la se-
maine qui vient. p
philippe mesmer
« Ce sont autant d’exemples qui
méritent des éclaircissements et
c’est pour ça que les décrets d’ap-
plication sont très attendus, in-
siste Raymond Louis, qui déplore
le silence des maires sur ces pra-
tiques. Ils ont peur de se mettre à
dos les plus riches de leurs admi-
nistrés, des amateurs de grande
chasse qui font travailler les entre-
prises locales toute l’année. »
« Ces résistances, c’est tout à fait
normal », analyse l’ancien séna-
teur Les Républicains du Loiret
Jean-Noël Cardoux, l’auteur de la
loi sur la limitation de l’engrilla-
gement : « Cela prendra cinq ou
dix ans pour changer les compor-
tements, mais la loi est là : les
“tontons flingueurs”, c’est fini. »
Selon la nouvelle loi, les proprié-
taires ont jusqu’en 2027 pour
mettre en conformité les ancien-
nes clôtures, érigées depuis
moins de trente ans. p
jordan pouille
 FRANCE |7
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024

Macron affiche sa « détermination » à réformer

Après une année de crises, le chef de l’Etat veut renouer avec les « fiertés françaises », sans préciser son cap

C’
est debout dans la
nuit noire, devant les
drapeaux des na-
tions olympiques
plantés dans les jardins de l’Elysée,
qu’Emmanuel Macron a choisi, di-
manche 31 décembre 2023, de pro-
noncer ses vœux aux Français
pour l’année 2024. Une année de
« détermination, de choix, de régé-
nération, de fierté », a martelé le
chef de l’Etat sur un ton grave,
comme pour contrecarrer l’usure
de son pouvoir après une année
de crises. L’année 2024 sera, pro-
met-il, « un millésime français ».
Après six ans et demi à la tête de
l’Etat et luttant pour « agir encore,
dans l’intérêt de la nation », le pré-
sident de la République dresse le
constat sombre d’une France te-
naillée en 2023 par les menaces ex-
térieures et les fractures intérieu-
res. « La peur du retour de la guerre,
du déclassement, de la perte de con-
trôle sont bien là », énumère-t-il, en
citant les conflits en Ukraine et au
Proche-Orient et en rendant hom-
mage aux quarante et un Français
assassinés lors des attaques terro-
ristes du Hamas, le 7 octobre.
L’inflation, « qui rend tout plus
difficile », et « les divisions », « les
gestes de haine, parfois, des violen-
ces », fragilisent aussi « la cohésion
de la nation », ajoute-t-il, dans une
allusion aux émeutes de l’été 2023
qui ont sidéré le pays, sans que le
gouvernement offre, jusqu’ici, de Capture d’écran des
réponses jugées convaincantes vœux aux Français
par les Français. « Je sais bien sûr les d’Emmanuel Macron,
impatiences, oserais-je dire que je sur France 2,
les partage, même si les premiers le 31 décembre 2023.
changements sont visibles », avan- SÉBASTIEN BOZON/AFP
ce-t-il, prêt à faire « plus et plus
vite », et convaincu que « dans ce
contexte de crises peut naître le
meilleur ». Le président de la Répu- et à des « lois historiques » sur l’ar- valeurs universelles qui s’appren- mois, la France rayonnera dans le plit l’impossible », s’anime le chef
blique a balayé d’un revers de la mée ou la justice. La réforme des
Le terme de nent dès le plus jeune âge », déve- monde, promet le chef de l’Etat, à de l’Etat, paraissant saluer sa pro-
main la crise politique qui traverse retraites, qui a ouvert la première « réarmement » loppe le chef de l’Etat, qui affirme travers la célébration du 80e anni- pre audace lorsqu’il souligne que
son camp depuis le vote de la loi crise de son second quinquennat, vouloir « rétablir l’autorité partout versaire du Débarquement en ce n’est qu’« une fois par millénaire
relative à l’immigration, le 19 dé- permet « d’être en mesure de finan-
du pays laisse où elle manque face aux incivilités Normandie et la tenue des Jeux que l’on rebâtit une cathédrale ».
cembre, avec les voix du Rassem- cer notre modèle social », et celle de à penser que et à la délinquance ». olympiques de Paris. La recons- « A nous de choisir plutôt que de su-
blement national, au prix de la dé- l’assurance-chômage doit aider le truction de la cathédrale Notre- bir, de tracer la route plutôt que de
mission du ministre de la santé, pays à atteindre le plein-emploi.
M. Macron aurait Touches d’espérance Dame de Paris, après l’incendie suivre », conclut-il, semblant for-
Aurélien Rousseau, et d’un ma- Des crises traversées, Emmanuel eu à combler les Dans ce tableau très sombre d’un qui l’avait ravagée cinq ans plus mer le vœu que son volontarisme
laise partagé par d’autres mem- Macron retient surtout que « ces pays en proie aux doutes, Emma- tôt, montrera que la France, « lors- le fasse sortir de l’impasse. p
bres du gouvernement et une ky- mois passés ont été bien loin de
incuries passées nuel Macron accentue la portée qu’elle est fière d’elle-même, accom- claire gatinois
rielle de députés de la majorité. Il a l’impuissance qu’on nous prédisait, dramatique des mois à venir et
préféré vanter « la force de carac- et c’est heureux ». Le président se des « choix décisifs » attendus aux
tère, vertu des temps difficiles ». place « inlassablement du côté de d’un pouvoir sans boussole. Il n’en élections européennes, où l’ex-
ceux qui agissent au service du pays est plus question. « Depuis sept trême droite dispose d’une avance
Rétablir l’autorité et jamais de ceux qui (…) à la fin ans, là où vous m’avez placé, je tâ- significative dans les sondages.
Alors que cette loi emprunte à la nous affaiblissent. Jamais du côté che de rendre la France plus forte et « Vous aurez au mois de juin pro-
« préférence nationale » défendue de ceux qui privilégient les calculs plus juste et de libérer, protéger, chain à vous prononcer sur la pour-
par l’extrême droite, en distin- électoraux, les petits arrangements unir. Tel est le cap et nous le tenons, suite de ce réarmement de notre
guant travailleurs étrangers et ou leurs intérêts personnels », cin- il en fut de même en 2023 », rectifie- souveraineté européenne face aux
nationaux pour verser des presta- gle-t-il, en visant ses opposants à t-il, ressuscitant son slogan de périls, dit-il aux Français. Arrêter la
tions sociales, ou impose une l’extrême droite ou au sein de la campagne de 2017 : « Libérer, pro- Russie et soutenir les Ukrainiens ou
caution aux étudiants étrangers, gauche radicale, mais aussi une téger ». Il donne ensuite rendez- céder aux puissances autoritaires
Emmanuel Macron la présente partie de son propre camp. vous aux Français « dans les semai- en Ukraine ; continuer l’Europe ou
comme nécessaire pour « lutter Le président de la République nes qui viennent » pour expliciter la bloquer ; poursuivre la transition

contre les passeurs et l’immigra-
tion clandestine » et « mieux inté-
grer ceux qui ont vocation à de-
meurer sur notre sol : réfugiés, étu-
prend soin de remercier « tout par-
ticulièrement » sa première minis-
tre, Elisabeth Borne, et son gouver-
nement, alors que plane la rumeur
« comment notre nation relèvera
ces défis », maintenant un certain
flou sur son projet, résumé en
« année de la détermination, de l’ef-
LES RÉSERVES
écologique et productive ou revenir
en arrière ; affirmer la force des dé-
mocraties libérales ou céder aux
mensonges qui sèment le chaos »,

diants, chercheurs, travailleurs ».
Le « réarmement » du pays, terme
employé à sept reprises, laisse
penser que le chef de l’Etat, au-delà
d’un grand « mouvement », selon
le mot de l’Elysée, attendu pour le
mois de janvier, qui pourrait signi-
fier un remaniement jusqu’à
ficacité et des résultats ».
Pour 2024, beaucoup reste à
faire, prévient Emmanuel Macron,
qui projette d’« engager notre réar-
DE SANG SONT
avertit Emmanuel Macron, en
donnant le ton de sa campagne
des européennes, bien qu’il n’ait
pas encore désigné la tête de liste

d’accomplir son programme,
aurait eu à combler les incuries
passées. La France, se félicite-t-il, a
été « réarmée », grâce à son action
Matignon. Invité de l’émission
« C à vous », le 20 décembre, le chef
de l’Etat avait promis un « nouveau
cap » qui ferait taire la critique
mement civique », insistant sur
l’éducation nationale, grande
priorité. « La France, c’est une cul-
ture, une histoire, une langue, des
BASSES.
de la majorité présidentielle.
Quelques touches d’espérance et
de « fiertés » ponctuent enfin ce
panorama. Dans les prochains

Aidez-nous à répondre aux

En Guyane, Borne loin des rumeurs de son départ de Matignon
élisabeth borne a eu chaud ce diman-
che 31 décembre 2023. Il est un peu plus de
midi, heure locale, lorsqu’elle atterrit dans
le climat tropical de Guyane, région
d’outre-mer limitrophe du Brésil. Depuis
Cayenne, la cheffe du gouvernement s’ap-
prête à survoler une partie de la forêt ama-
zonienne à bord d’un hélicoptère pour re-
joindre sa destination : la base militaire
avancée du 9e régiment d’infanterie de ma-
rine, où elle réveillonnera dans la soirée.
Avant de décoller, elle écoute religieuse-
ment les vœux du président de la Républi-
que, qui, à plus de 7 000 kilomètres de là,
dépeint une année 2023 sombre, mais, aux
dires de l’Elysée, pleine de « courage ».
La première ministre, à la tête d’une ma-
jorité relative ébranlée par l’adoption, le
19 décembre 2023, de la loi sur l’immigra-
tion, vécue par le Rassemblement national
comme une « victoire idéologique » de l’ex-
trême droite, n’ignore rien de la rumeur
grandissante d’un remaniement qui pour-
rait la chasser du 57, rue de Varenne.
Le conseil des ministres reporté
L’Elysée annonce un grand chambarde-
ment pour le mois de janvier. Le chef de
l’Etat « mâchonne », selon son expression,
le plan visant à relancer le second quin-
quennat. Et, afin de « travailler aux actions
du mois de janvier », selon le palais, a pré-
féré reporter le conseil des ministres prévu
mercredi 3 janvier au mercredi suivant.
Dans sa brève allocution, Emmanuel
Macron ne laisse rien paraître d’un grand
soir, se disant satisfait que les douze mois
écoulés aient fait mentir le procès en « im-
besoins des malades.
puissance » qui le vise. Et remercie « tout
particulièrement » la première ministre
pour le travail accompli. A l’écoute des
Donnez votre sang dès
vœux, Elisabeth Borne sourit, jugeant le maintenant, vous ferez le
compliment mérité. Mais son entourage
s’interroge. Cette reconnaissance inhabi- plus beau des cadeaux.
tuelle de la part du chef de l’Etat signifie-t-
elle : « Merci pour tout, bon vent » ? En
juillet 2020, Emmanuel Macron avait salué
le « travail remarquable » d’Edouard Phi-
lippe, avant de s’en séparer le lendemain.
Tout juste décorée par les militaires de
l’Etoile forêt d’or, récompensant l’aptitude
à la survie dans la jungle, Mme Borne pour- RENDEZ-VOUS
SUR NOTRE SITE
suivait le 1er janvier son périple à bord d’une
pirogue, sur le fleuve Maroni, lui permet-
tant de se tenir, quelques heures encore, à dondesang.efs.sante.fr
distance de Paris où se joue son destin. p
c. g.
8 | france 0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024

VIDÉOSURVEILLANCE

Pourquoi les
« hyperviseurs »
urbains suscitent
engouement
et craintes
Alors que Nîmes a inauguré un centre pour
« vidéogérer » la ville, avec des caméras ayant
recours à l’intelligence artificielle, d’autres
communes sont séduites. Un système qui
pose la question de l’utilisation des données

L
a salle a des allures de centre
spatial : un mur de plus de
20 mètres de long totalement
recouvert d’écrans, 76 au total,
chacun pouvant se diviser en
neuf. Ici parviennent les images
des 1 300 caméras disposées dans la ville de
Nîmes et de certaines communes de son
agglomération. A la pointe depuis 2001 sur
le thème des caméras urbaines, se classant
sur le podium des villes les plus vidéosur-
veillées du pays, Nîmes a inauguré, le 13 no-
vembre 2023, son « hyperviseur ». Ce
plateau technique et confidentiel de 600 m2
est entièrement consacré à une « nouvelle
démarche de territoire intelligent », indique
le maire, Jean-Paul Fournier (Les Républi-
cains) réélu pour un quatrième mandat
en 2020. Avec cet outil dernier cri, sur lequel
se relaient nuit et jour une cinquantaine de
personnes, la ville fait un grand pas de plus
vers la smart city (la « ville connectée »), une
tendance en plein développement pour la
gestion des collectivités.
Ce matin-là, les agents en poste peuvent
facilement repérer, à partir d’images de très
haute qualité, un stationnement gênant, un
véhicule qui circule trop vite, un dépotoir
sauvage, un comportement étrange… L’hy-
perviseur concentre toutes les informations
en lien avec la gestion de l’espace public (sé-
curité, circulation, stationnement, environ-
nement…), permet de gérer d’un simple clic
l’éclairage public d’un quartier, de mettre
une amende à distance (leur nombre a aug-
menté de 23 % en un an avec la vidéoverbali-
sation) ou de repérer une intrusion dans un
des 375 bâtiments municipaux connectés.
CET OUTIL DERNIER
CRI PERMET DE GÉRER
D’UN SIMPLE CLIC
L’ÉCLAIRAGE PUBLIC
D’UN QUARTIER, DE
METTRE UNE AMENDE
À DISTANCE
OU DE REPÉRER
UNE INTRUSION
La collecte et la circulation des données en
temps réel sont au cœur du programme. Le
système s’appuie sur des caméras dotées, et
c’est la nouveauté, de logiciels d’intelli-
gence artificielle dont les algorithmes
fournissent de nouvelles informations. Car
il ne s’agit plus seulement de filmer et de
surveiller. « Nous utilisons des caméras qui
permettent de gérer en temps réel la ville et
apportent des analyses pour optimiser la
consommation d’énergie, par exemple, ou
gérer un flux de circulation grâce à un logi-
ciel capable de faire du comptage et de la sta-
tistique », explique Christelle Michalot, res-
ponsable de ce centre opérationnel d’hy-
pervision urbaine.
Si la municipalité n’hésite pas à présenter,
sur ses réseaux sociaux, ce nouveau disposi-
tif, elle est en revanche beaucoup plus
discrète lorsqu’il s’agit d’évoquer les logi-
ciels utilisés. Selon nos informations, la ville
travaille avec Ineo, une entreprise française
spécialisée dans le domaine de la ville
intelligente. Le centre de police municipale
est également équipé du logiciel de sur-
veillance automatisée Syndex, et d’un
logiciel d’analyse pour images de vidéosur-
veillance très performant, Briefcam.
RECONNAISSANCE FACIALE
Ce dernier logiciel, de plus en plus répandu
dans les collectivités françaises, a été mis au
point par une société israélienne rachetée
par le japonais Canon, en 2018. Il est surtout
au cœur de plusieurs polémiques et
d’autant d’actions en justice intentées par
des syndicats, des associations et des col-
lectifs qui lui reprochent, notamment, de

«La plupart des systèmes de vidéosurveillance ne sont pas exploités»

Le chercheur Guillaume Gormand estime que, pour que ces dispositifs soient efficaces, il faut adapter « toute la chaîne de sécurité »

ENTRETIEN de nouveaux marchés ou l’aug-

mentation du marché existant.
Il y a, en revanche, un potentiel
d’efficacité extrêmement inté-
cerne les actes de délinquance les
plus courants, ceux du quotidien.
charge symbolique d’efficacité
assez favorable. Mais il y a aussi
L’accès aux données est-il
effectif pour les universitaires,

A uteur d’une thèse en 2017

sur l’évaluation de la
vidéosurveillance au sein
des politiques publiques, Guil-
laume Gormand a mené, en 2021,
une étude sur les dispositifs de
vidéosurveillance en matière de
délinquance du quotidien pour le
Centre de recherche de l’Ecole des
officiers de la gendarmerie na-
tionale. Le chercheur associé et
enseignant à Sciences Po Greno-
ble, également chargé de mission
pour Grenoble-Alpes Métropole,
regrette que les termes du débat,
entre préservation des libertés et
meilleure sécurité, prennent rare-
ment en compte une donnée
essentielle : l’efficacité de la vidéo-
surveillance.
Le marché de la vidéosur-
veillance est en pleine crois-
sance alors que ce dispositif est
souvent décrié pour son man-
que d’efficacité ou de potentiel-
les atteintes aux libertés publi-
ques. Comment l’expliquer ?
Cette croissance de la vidéosur-
veillance de la voie publique est
très nettement perceptible de-
puis les années 2000. Il y a un lob-
bying très insistant de la part d’ac-
teurs privés mus par la conquête
Mais il existe aussi, à mon sens,
un climat favorable d’un point de
vue idéologique et politique.
Depuis des années, beaucoup de
responsables publics mettent en
avant cette technologie à travers
une approche sécuritaire position-
nant systématiquement la vidéo-
surveillance dans un débat univo-
que entre des opinions favorables
à la sécurité et d’autres à la préser-
vation des libertés individuelles.
Le débat porte très rarement sur la
question centrale du sujet : est-ce
véritablement efficace ?
Quels sont les écueils auxquels
se heurte la vidéosurveillance
en matière d’efficacité dans
la prévention et la résolution
des actes les plus fréquents
de délinquance ?
Toutes les études s’accordent
sur le fait que la vidéosurveillance
ne dissuade pas. A la limite, elle
peut provoquer un déplacement
de la délinquance, non sur le plan
géographique mais sur celui de la
méthode : les délinquants peu-
vent s’adapter à cette menace
potentielle mais ils ne seront
jamais dissuadés par la seule
présence de caméras, c’est un
fantasme que l’on peut balayer.
ressant pour l’aide à l’interven-
tion des policiers sur le terrain.
Mais pour cela, il faut des opéra-
teurs qui soient constamment
derrière les écrans, qui pilotent
les caméras, connaissent le terri-
toire, les policiers. C’est toute la
chaîne de sécurité, dont la vidéo-
surveillance n’est qu’un maillon,
qu’il faut adapter.
Cela signifie-t-il que le seul
aspect technologique
de la vidéosurveillance ne
présente pas d’intérêt en soi ?
Il faut bien comprendre que la
plupart des systèmes de vidéo-
surveillance en France aujour-
d’hui ne sont pas exploités : les ca-
méras sont installées, les flux
d’images sont enregistrés mais ils
ne sont utilisés qu’a posteriori en
cas d’infraction. Idem pour la dé-
tection d’infractions, la vidéosur-
veillance le permet mais, en réa-
lité, pas beaucoup plus qu’un
agent sur le terrain.
Et l’élucidation des faits ?
Lors d’une étude que j’ai menée
en 2021 avec l’Ecole des officiers
de la gendarmerie nationale, on
s’est aperçu que les résultats
étaient assez faibles en ce qui con-
Il y a des raisons à cela, comme la
difficulté pour les enquêteurs à
identifier certains propriétaires
de caméras comme les exploi-
tants de commerces, par exemple.
Encore une fois, ce n’est pas tant
le nombre de caméras qui
importe que l’ingénierie qui per-
mettrait de rationaliser le béné-
fice potentiel de cet outil. Depuis
1995, on a toujours systématique-
ment investi dans le matériel, les
caméras, les réseaux, les logiciels,
mais très peu en ingénierie pour
intégrer cet outil dans le fameux
« continuum de sécurité ».
En dépit de ces carences,
les élus qui font la promotion
de ces dispositifs évoquent
souvent la forte demande
de leurs administrés…
Ils ont raison. De nombreuses
études soulignent de manière
assez constante que, depuis une
quinzaine d’années, les citoyens
sont globalement favorables à la
vidéosurveillance pour lutter
contre l’insécurité. Certes, les res-
ponsables politiques contribuent
à susciter cette impression et met-
tent en avant cette solution tech-
nologique parce que la vidéosur-
veillance est accompagnée d’une
un effet de propagation. Une com-
mune qui ne veut pas forcément
investir dans cette technologie va
être mise sous pression par la
population parce que les commu-
nes voisines ont fait installer des
caméras ; une autre va installer
des caméras pour étoffer son offre
de sécurité parce qu’elle redoute
de perdre son attractivité…
Des territoires se dotent
de comités d’éthique. Ces
initiatives sont-elles efficaces ?
Elles existaient déjà à la fin des
années 1990 pour accompagner
des primo-installations de camé-
ras par des communes qui enten-
daient légitimer ces dispositifs. Je
n’ai pas connaissance de persis-
tance dans le temps de ces comi-
tés, qui avaient très peu de
pouvoir effectif de contrôle et
aucun pouvoir de contrainte sur
le fonctionnement des systèmes.
Une Commission nationale de
la vidéosurveillance, ensuite
renommée « Commission natio-
nale de la vidéoprotection », a
même existé quelques années [de
2007 à 2018], avant de disparaître
sans que personne ou presque ne
s’en aperçoive. Tout cela est
souvent un peu cosmétique.
les chercheurs ?
En parallèle du terrain de
recherche ouvert en 2021 par la
gendarmerie nationale, certaines
communes ont accueilli ou com-
mandé des démarches sérieuses
d’évaluation, comme Montpellier
pour ma thèse, Grenoble au
début des années 2010 ou Lyon,
avec un travail commandité à
l’inspection générale des services
de la ville. Mais le manque d’accès
aux données constitue un frein
majeur depuis des années.
Bien sûr, il y a des exceptions,
comme ça a été le cas pour les tra-
vaux que l’Ecole des officiers de la
gendarmerie nationale m’a per-
mis de mener. Mais globalement,
les blocages subsistent. Un cher-
cheur, Philippe Robert, écrivait
en 2010 [dans un article de la re-
vue Projet] qu’en France, l’évalua-
tion de la vidéosurveillance était
entravée au maximum par les
décideurs publics nationaux et
locaux. Treize ans plus tard, c’est
encore le cas. De nombreux cher-
cheurs aimeraient ou auraient
aimé travailler sur cette thémati-
que, mais ils n’ont jamais eu accès
au terrain de manière favorable. p
propos recueillis par
antoine albertini
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024 france | 9

Tags anti-Israël à Bourges : l’étudiant

Dans
l’« hyperviseur »
de Nîmes, le 13
chinois peut rester en France
novembre 2023. La justice a annulé, vendredi, l’obligation de quitter le territoire
MIKAËL ANISSET/ « LE MIDI
LIBRE »/MAXPPP
de Xilong C., étudiant à l’Ecole nationale supérieure d’art

permettre la reconnaissance faciale de
n’importe quel individu en activant une
fonctionnalité spécifique.
Le 22 novembre, le tribunal administratif
de Caen a condamné la communauté de
communes normande Cœur-Côte-Fleurie,
ardente promotrice de cette solution tech-
nologique, « à l’effacement des données à
caractère personnel contenues dans le
fichier », en estimant que l’utilisation de ce
type de caméras dites « intelligentes » était
susceptible de constituer « une atteinte
grave et manifestement illégale au respect de
la vie privée ». D’autres décisions de la jus-
tice administrative, comme à Nice et à Lille,
n’ont pas condamné l’usage en soi du logi-
ciel, dès lors que la possibilité de procéder à
la reconnaissance faciale n’était pas activée.
« JUSTE UNE AFFAIRE DE PARAMÉTRAGE »
A Nîmes, le développement de cette « sur-
veillance de masse » inquiète la Ligue des
droits de l’homme (LDH), la seule associa-
tion locale à avoir soulevé la question de
l’utilisation des données personnelles au
moment de la campagne municipale, et qui,
aujourd’hui encore, s’interroge. « Nous
avons le sentiment qu’on nous raconte des
en hyperviseur, Nîmes, qui consacre 8 % de
son budget annuel à la sécurité et
dépense 300 000 euros pour installer entre
vingt-cinq et trente nouvelles caméras par
an, a déboursé 1 million d’euros.
La métropole s’est inspirée de Dijon, qui a
mis en place un poste de commandement
partagé avec les vingt-trois communes de
son territoire il y a cinq ans. En 2018, elle est
arrivée deuxième aux World Smart City
Awards, le prix mondial de la ville intelli-
gente. Dans l’agglomération, de grands
panneaux lumineux indiquent en temps
réel des situations précises. Un accident, et
les automobilistes en sont informés dans
les secondes qui suivent par le biais de ces
mâts citadins ou sur leur smartphone, ce
qui leur permet d’éviter le secteur. Baptisé
« OnDijon », ce projet, qui mise aussi sur
l’open data, a nécessité un investissement
de 105 millions d’euros. La ville s’est associée
à des entreprises privées (Bouygues Tele-
com, Citelum, Suez et Capgemini).
A Dijon, un comité d’éthique et de gouver-
nance de la donnée a été mis en place. Il
réunit des habitants, des représentants de la
collectivité, des associations et des entrepri-
ses pour établir une charte « de la donnée
numérique et des usages, explique Denis
Hameau, adjoint au maire socialiste Fran-
çois Rebsamen et élu communautaire. La
technique permet de faire des progrès dans
de nombreux domaines, il faut s’assurer
qu’elle produit des choses justes dans un
cadre fixe. Les données ne sont pas là pour
opprimer les gens, ni les fliquer ».
« DE PLUS EN PLUS PERFORMANTS »
Nice, Angers, Lyon, Deauville (Calvados),
Orléans… Les villes vidéogérées, de toutes
tailles, se multiplient, et avec elles les
questions éthiques concernant l’usage,
pour le moment assez flou, des données
personnelles et la surveillance individuelle,
même si peu de citoyens semblent s’en em-
parer. La Commission nationale de l’infor-
matique et des libertés (CNIL), elle, veille.
« Les systèmes deviennent de plus en plus
performants, avec des caméras numériques
capables de faire du 360 degrés et de zoomer,
observe Thomas Dautieu, directeur de
l’accompagnement juridique de la CNIL. Et il
y a un nouveau phénomène : certaines d’en-
tre elles sont augmentées, c’est-à-dire capa-
bles d’analyser, et ne se contentent pas de
filmer. Elles intègrent un logiciel capable de
faire parler les images, et ces images vont
dire des choses. »
Cette nouveauté est au cœur de nouveaux
enjeux : « On passe d’une situation où on
était filmé dans la rue à une situation où nous
sommes analysés, reprend Thomas Dau-
L e tribunal administratif
d’Orléans a décidé, ven-
dredi, d’annuler les déci-
sions prises le 13 novembre 2023
par la préfecture du Cher à
l’encontre de Xilong C., étudiant
chinois de 26 ans inscrit à l’Ecole
nationale supérieure d’art (ENSA)
de Bourges depuis 2020, qui
s’était vu notifier le retrait de son
titre de séjour et une obligation
de quitter le territoire français,
assortie d’une interdiction d’y
revenir pendant trois ans, et qui
avait été brièvement placé en cen-
tre de rétention administrative.
Dans la nuit du 17 au 18 octobre,
Xilong C. avait recouvert les palis-
sades d’un chantier en face de
l’établissement de graffitis rela-
tifs au conflit entre le Hamas et
Israël, déclenché dix jours aupara-
vant. Il avait dessiné un avion
orné d’une étoile de David bom-
bardant un hôpital, inscrit « Arrê-
tez le génocide contre les Palesti-
niens ! » et « A bas le zionisme ! », et
mis sur le même plan une étoile
de David et une croix gammée
par le signe mathématique égal.
Mesure « disproportionnée »
Rapidement identifié grâce à la
vidéosurveillance, l’étudiant avait
été placé en garde à vue pour apo-
logie du terrorisme. Le parquet de
Bourges avait décidé de classer
sans suite, car cette infraction
n’était « pas suffisamment carac-
térisée », selon la procureure de la
République de Bourges, Céline
« Les tags
reprochés
relèvent
d’un acte isolé
de la part d’un
étudiant qualifié
de brillant », lit-on
dans le jugement
Visiedo. Mais la préfecture du
Cher avait ordonné son expulsion,
« conformément aux directives du
ministre de l’intérieur », au motif
qu’il s’agissait d’un message « clai-
rement antisémite », assimilant
« l’ensemble de la communauté
juive, par le symbole de l’étoile de
David, à la croix gammée ».
L’avocat du jeune homme, Ra-
phaël Kempf, avait dénoncé « une
mesure complètement dispropor-
tionnée » et indiqué que si « l’équi-
valence entre étoile de David et
croix gammée pos[ait] un grave
problème », l’étoile de David, aux
yeux de son client, « ne [représen-
tait] pas le peuple juif, mais l’Etat
d’Israël ». Face au tribunal admi-
nistratif d’Orléans, le 22 décembre,
Xilong C. a lu une courte déclara-
tion dans laquelle il disait regret-
ter « profondément » son geste.
Le tribunal lui a donné raison.
« L’association de l’étoile de David
et du svastika assimile la commu-
nauté juive et l’Etat d’Israël au
présentent
nazisme, idéologie raciste et totali-
taire, lit-on dans le jugement. Ce-
pendant, pour choquante que soit
l’association de ces deux symboles
parfaitement identifiables, laquelle
présente un caractère provocateur,
il ressort du dossier que Xilong C.
n’a jamais manifesté de comporte-
ment raciste ni violent et n’a jamais
appelé à la haine envers quelque
communauté que ce soit. Les tags
reprochés relèvent d’un acte isolé
de la part d’un étudiant qualifié de
brillant et de prometteur par ses en-
seignants, de généreux, sensible et
profondément pacifiste par ses ca-
marades, et qui a en outre sincère-
ment déclaré regretter son action. »
Le tribunal a estimé que les graf-
fitis incriminés n’étaient pas de
nature à porter atteinte à l’ordre
public. « Ces graffitis, réalisés en
pleine nuit, ont été effacés dès le
lendemain matin 9 heures et il
n’est pas allégué qu’ils auraient
entraîné des réactions », lit-on
encore dans le jugement.
Xilong C. n’en a peut-être pas fini
avec la justice. La préfecture du
Cher peut faire appel de la déci-
sion. Si tel n’est pas le cas, le par-
quet de Bourges a encore la possi-
bilité de se saisir de l’affaire, par un
autre biais que celui de l’apologie
du terrorisme. « Il n’est pas exclu
qu’on le poursuive, par exemple,
pour provocation à la haine en rai-
son de l’appartenance à la nation »,
notait, il y a quelques semaines, la
procureure Céline Visiedo. p
henri seckel

SPÉCIALISATIONS
choses partielles quant à l’utilisation de ces tieu. Avec l’éventuel développement des
données personnelles », explique le vice-pré- caméras augmentées, quand vous mettrez

APRÈS UN
sident de l’antenne nîmoise, Jean Launay. un pied dans la rue, si vous restez trop long-
« Nous ne sommes pas vraiment informés, temps sur un banc, si vous prenez un sens

et cela pose la question des libertés indivi-
duelles, estime celui qui craint une escalade
sans fin. Nous avons décortiqué les logiciels :
ils sont prévus pour éventuellement faire de
la reconnaissance faciale. C’est juste une
affaire de paramétrage. » Reconnaissance
faciale officiellement interdite par la loi. Il
n’empêche, la LDH estime que « le droit à la
vie privée passe par l’existence d’une sphère
intime. Et force est de constater que cette
sphère, à Nîmes, se réduit comme peau de
chagrin », résume M. Launay.
L’élu à la ville et à Nîmes Métropole Frédé-
ric Escojido s’en défend : « Nous ne sommes
pas Big Brother ! Et nous ne pouvons pas faire
n’importe quoi. L’hyperviseur fonctionne en
respectant la loi, le RGPD [règlement général
sur la protection des données] et selon un
cahier des charges très précis. » Pour moder-
niser son infrastructure et la transformer
« ON PASSE D’UNE
SITUATION OÙ L’ON ÉTAIT
FILMÉ DANS LA RUE À
UNE SITUATION OÙ NOUS
SOMMES ANALYSÉS »
THOMAS DAUTIEU
directeur de l’accompagnement
juridique de la CNIL
BAC +3/+4
interdit, vous pourrez être filmé et analysé.
Ces systèmes sont susceptibles de modifier
votre comportement dans l’espace public. Si
l’individu sait qu’il va déclencher une alerte
s’il se met à courir, peut-être qu’il ne va pas
courir. Et cela doit tous nous interpeller. »
Actuellement, juridiquement, ces caméras
augmentées ne peuvent analyser que des
objets (camions, voitures, vélos) à des fins
27 JANVIER 2024
statistiques. « Celles capables d’analyser des
comportements individuels ne peuvent être Paris Montreuil Expo
déployées », assure le directeur à la CNIL.
Mais c’est une question de temps. « Ce sera
prochainement possible, sous réserve qu’elles
soient déployées à l’occasion d’événements
particuliers. » Comme les Jeux olympiques.
Le 19 mai 2023, le Parlement a adopté une
loi pour mieux encadrer l’usage de la vidéo-
protection dite « intelligente ». « Le texte per-
met une expérimentation de ces dispositifs,
et impose que ces algorithmes ne soient mis
en place, avec autorisation préfectorale,
dans le temps et l’espace, que pour une durée
limitée, par exemple pour un grand événe-
ment comme un concert. Ce qui veut dire que,
en dehors de ces cas, ce type de dispositif ne
peut pas être déployé », insiste Thomas
Dautieu. La CNIL, qui a déjà entamé des
contrôles de centres d’hypervision urbains
en 2023, en fait l’une de ses priorités pour
l’année 2024. p INSCRIPTION GRATUITE
antoine albertini
et agathe beaudouin
SAMS.GROUPELEMONDE.FR
(nîmes, correspondante)
10 | france
Un fidèle de Macron à la tête de France Travail
La nomination de Thibaut Guilluy, ami de jeunesse du chef de l’Etat, est bien accueillie dans le monde syndical
PORTRAIT
P
ouvait-il vraiment en
être autrement ? Le
choix n’a en tout cas pas
surpris grand monde.
Architecte de la transformation
du service public de l’emploi de-
puis dix-huit mois, Thibaut Guil-
luy a pris la tête de Pôle emploi, le
21 décembre 2023, devenu France
Travail, lundi 1er janvier. Celui qui
était jusque-là haut-commissaire
à l’emploi a quitté le faste de
l’hôtel du Châtelet, qui abrite le
ministère du travail, dans lequel il
occupait un bureau sans âme à la
lumière blafarde, pour la moins
clinquante porte des Lilas, dans le
20e arrondissement de Paris, où se
situe le siège de l’opérateur public.
Sa nomination, annoncée en
conseil des ministres le 12 décem-
bre, relevait de l’évidence, tant le
nom de Thibaut Guilluy est asso-
cié à la création de France Travail
qu’il a dessinée et pilotée. La
transformation du service public
de l’emploi fait partie des leviers
sur lesquels compte le gouverne-
ment pour atteindre son objectif
de plein-emploi – autour de 5 % de
chômage, contre 7,4 % aujour-
d’hui – d’ici à 2027.
Son arrivée à la tête de France
Travail vient concrétiser un
parcours et un engagement qui
ne se sont jamais éloignés du
social. « J’ai le sentiment d’avoir les
moyens de mieux servir la mission
que je sers depuis vingt-cinq ans »,
confie le nouveau directeur géné-
ral au Monde. Fondateur d’un
grand nombre d’entreprises ou
d’associations, toutes en lien avec
le secteur social et celui de l’inser-
tion, le quadragénaire a déjà
derrière lui une carrière presque
boulimique d’entrepreneur. « Co-
fondateur multirécidiviste », se
présente-t-il sur LinkedIn, idiome
« start-up nation » de rigueur.
« Sentiment de responsabilité »
« J’ai toujours monté plein de
projets, je suis un créateur d’entre-
prises », revendique-t-il, façon
homme pressé toujours paré d’un
costume cravate soigné. Une soif
d’entreprendre qu’il tient de son
passage à l’Ecole supérieure de
commerce de Paris, dont il sort
diplômé en 1999. Mais dès ses
études, il s’investit auprès
d’Emmaüs ou des Apprentis
d’Auteuil. Une attention pour les
plus démunis qu’il considère
détenir de son héritage familial.
Issu de la bourgeoisie d’Etaples
(Pas-de-Calais), dans une famille
où l’on est médecin de campagne
Pôle emploi se transforme pour atteindre l’objectif de plein-emploi
Avec France Travail, le gouvernement souhaite mieux coordonner les acteurs du secteur et doubler les contrôles de chômeurs
N ouveau nom, nouveau
logo, nouveau directeur
général et nouvelles
missions. Le changement est
total pour Pôle emploi, officielle-
ment devenu France Travail, le
1er janvier. Une transformation du
service public de l’emploi censée
permettre d’atteindre le plein-
emploi – autour de 5 % de chô-
mage, contre 7,4 % aujourd’hui –,
l’objectif du second quinquennat
d’Emmanuel Macron.
L’ambition de France Travail est
de mieux coordonner tous les
acteurs de l’emploi : les missions
locales, qui accompagnent les
jeunes, Cap Emploi, qui s’adresse
aux personnes handicapées, ainsi
que les services de l’Etat et les col-
lectivités territoriales. Le nouvel
opérateur doit ainsi tenir lieu de
porte d’entrée unique pour tous
les publics, et l’ensemble des de-
mandeurs d’emploi seront désor-
mais inscrits – d’ici à 2025 au plus
Thibaut Guilluy, à Marseille, le 15 novembre 2023. NICOLAS VALLAURI/ « LA PROVENCE »/PHOTOPQR/MAXPPP
de père en fils, Thibaut Guilluy ne
tire pas de cette ascendance
confortable un « sentiment de
culpabilité », mais plutôt un « sen-
timent de responsabilité ». « Le mé-
rite ne fait pas tout », juge-t-il, il
faut que « ceux avec qui la vie a été
généreuse se mobilisent pour ceux
avec qui elle l’a moins été ».
Reste que diriger France Travail,
établissement de 55 000 agents à
la dimension éminemment poli-
tique, est une mission d’une tout
autre ampleur que ce qu’il a déjà
connu. Plusieurs responsables du
Medef, sans vouloir le dire offi-
ciellement, doutent de ses capaci-
tés à diriger un tel navire. Un scep-
ticisme que ne partage pas le vice-
président de la Confédération des
petites et moyennes entreprises,
Eric Chevée : « Il a montré qu’il
avait les qualités pour cette mis-
sion, on doute plus de la nouvelle
machine que de l’homme. » Prési-
dent de l’Assemblée des départe-
ments de France, François Sauva-
det loue son « pragmatisme », son
« courage » et son « sens de
l’écoute ». « C’est bien que celui qui
a conçu France Travail en prenne
la direction, c’est même un exem-
ple de ce qu’il faut faire », complète
le président de la Côte-d’Or.
tard – à France Travail. Y compris
les 2 millions de bénéficiaires du
revenu de solidarité active (RSA).
Comme cela a été entériné par la
loi sur le plein-emploi adoptée en
novembre, ces derniers devront
s’acquitter « d’au moins quinze
heures » d’activité hebdomadai-
res pour toucher leur allocation.
Nouveau régime de sanctions
Tous les demandeurs d’emploi
signeront un « contrat d’engage-
ment » dans lequel sera défini le
suivi individualisé de la personne.
En cas de non-respect du contrat,
la personne risquera une radia-
tion de France Travail. Pour les
bénéficiaires du RSA, un nouveau
régime de sanctions a été mis en
place, afin de suspendre tempo-
rairement le versement de l’allo-
cation. La somme pourra être ver-
sée rétroactivement si la situation
est régularisée, dans une limite de
trois mois. Une première étape
Subjugué par
la cérémonie
au Louvre, le soir
de la victoire de
Macron en 2017,
il décide de se
porter candidat
aux législatives
Une chose est sûre : son
parcours n’a rien à voir avec celui
de son prédécesseur à Pôle
emploi, Jean Bassères, qui a
connu l’itinéraire classique des
hauts commis de l’Etat – Ecole
nationale d’administration,
direction de l’inspection géné-
rale des finances. « On n’a pas du
tout la même trajectoire », con-
vient Thibaut Guilluy. L’un et
l’autre, qui ont travaillé conjoin-
tement à la transformation de
Pôle emploi en France Travail
pendant plus d’un an, se vouent
un grand respect mutuel. Avant
de tirer sa révérence après douze
années à la tête de l’opérateur,
Jean Bassères a dit, lors de son
pot de départ, le 17 décembre, sa
avant une possible suppression
totale ou partielle de la prestation.
C’est dans ce cadre que le ministre
du travail, Olivier Dussopt, a
annoncé, le 15 décembre 2023,
dans Les Echos, le renforcement
des « contrôles » de recherche
d’emploi. « Je souhaite qu’on
double au moins le nombre de
contrôles », a-t-il expliqué, alors
qu’il en existe 500 000 par an
aujourd’hui. Le conditionnement
du versement du RSA ne sera
toutefois généralisé qu’à partir du
1er janvier 2025, a annoncé le
ministre du travail, vendredi
29 décembre, sur Franceinfo.
L’accent doit également être mis
sur l’accompagnement des entre-
prises pour les aider à dénicher
leurs salariés dans les viviers de
France Travail, plutôt qu’indé-
pendamment. « Cet accompagne-
ment est aussi important que l’ac-
compagnement des demandeurs
d’emploi, a souligné le nouveau
« fierté » de voir lui succéder
Thibaut Guilluy.
La passation de pouvoir s’opère
ainsi en douceur depuis plusieurs
mois, un « changement dans la
continuité », selon l’ancien direc-
teur général de l’Association pour
la réinsertion économique et
sociale. Ou plutôt « une révolution
dans la continuité », précise-t-il. Le
vocabulaire ne doit rien au
hasard. Il rappelle évidemment le
titre – Révolution – du livre-pro-
gramme d’Emmanuel Macron
en 2016 (XO). Thibaut Guilluy fait
partie des fidèles de la première
heure du chef de l’Etat, amis de
jeunesse du Touquet, station
balnéaire voisine d’Etaples.
« Quand Emmanuel Macron a
lancé son mouvement, le “ni droite
ni gauche”, ça m’a parlé », expli-
que-t-il, car « quand on vient du
terrain on ne regarde pas les
choses sous un prisme idéologi-
que, on cherche juste à trouver des
solutions aux problèmes ».
Tellement séduit par le macro-
nisme qu’il s’implique personnel-
lement dans l’aventure. Encore
subjugué par la cérémonie au
Louvre, le soir de la victoire
d’Emmanuel Macron en 2017,
qu’il vit aux premières loges, il
directeur général, Thibaut Guil-
luy, lors de son audition devant
les parlementaires en vue de sa
nomination. Si les services se sont
grandement améliorés à l’égard
des entreprises, il est vrai que les
entreprises, et notamment les plus
petites, sont trop nombreuses à ne
pas en bénéficier. » Une plate-
forme unique doit ainsi être créée
pour permettre aux employeurs
de diffuser leurs offres d’emploi à
tous les inscrits à France Travail,
ainsi qu’à l’ensemble des acteurs
du service public de l’emploi.
Tous les
demandeurs
d’emploi
signeront
un « contrat
d’engagement »
décide de se porter candidat aux
législatives dans la 4e circonscrip-
tion du Pas-de-Calais avec comme
suppléante, « une vieille amie »,
Tiphaine Auzière, fille de Brigitte
Macron. « La circo est ingagna-
ble », le prévient Jean-Paul Dele-
voye, alors chargé des investitu-
res. En effet, l’aventure se solde
par une défaite au second tour,
face au député Les Républicains
sortant, Daniel Fasquelle, baron
de la droite locale.
« Il n’avait pas les codes »
Un échec qui ne l’éloigne pas de
la Macronie. En 2018, c’est Muriel
Pénicaud, alors ministre du
travail, qui fait appel à ses servi-
ces pour prendre la présidence
du Conseil de l’inclusion par
l’emploi. Il découvre les arcanes
de la décision publique. Comme
Emmanuel Macron, ses relations
avec les corps intermédiaires
sont parfois faites d’incompré-
hension. Plusieurs représentants
syndicaux l’ayant côtoyé à ce
moment-là se souviennent de
son peu d’appétence pour les
organisations qui n’allaient pas
dans son sens.
« Il ne connaissait pas bien l’Etat,
il n’avait pas les codes », relève
La mue de l’opérateur public de-
vrait coûter entre 2,3 milliards et
2,7 milliards d’euros sur la période
2024-2026. Alors que le nouvel ac-
compagnement des bénéficiaires
du RSA est testé dans dix-huit
territoires depuis le printemps,
en se concentrant sur de très fai-
bles cohortes, plusieurs observa-
teurs doutent de la capacité à gé-
néraliser ces expérimentations à
grande échelle avec un tel budget.
Emploi des seniors
Un certain scepticisme plane éga-
lement sur la capacité de France
Travail à permettre d’atteindre le
plein-emploi. On observe, depuis
la fin de l’année 2023, un léger
retournement du marché de
l’emploi et les économistes esti-
ment que le chômage devrait
encore continuer d’augmenter
d’ici à 2026 ou 2027, autour de 8 %.
Reste que le gouvernement a
d’autres pistes en tête pour parve-
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Antoine Foucher, ancien direc-
teur du cabinet de Muriel Péni-
caud au ministère du travail, qui
se souvient d’une « certaine in-
crédulité, voire de l’agacement,
devant le fonctionnement de
l’Etat ». Pour Thibaut Guilluy, « il y
a un problème entre les engage-
ments sincères des hommes politi-
ques et ce qui se passe concrète-
ment sur le terrain, car le système
n’est pas le plus efficace ». D’où
son choix de rejoindre France
Travail afin d’être « au service de
la politique publique de l’inclusion
et de l’emploi ».
« Une vraie conviction »
Aussi bien pour ses proches que
pour des interlocuteurs plus cri-
tiques à son égard, sa nomina-
tion à la tête de France Travail ne
doit toutefois rien à sa proximité
avec le chef de l’Etat, quand bien
même c’est ce dernier qui a
proposé sa candidature. Oppo-
sée à la réforme du revenu de
solidarité active (RSA) qui accom-
pagne la création de France
Travail, la secrétaire générale de
la CFDT, Marylise Léon, le pense
« sincèrement convaincu par le
social ». Au regard « de la qualité
du travail » entrepris depuis des
mois, ajoute-t-elle, sa nomina-
tion est « logique ».
« Sa légitimité précède son ami-
tié avec Macron », défend de son
côté l’ancien haut-commissaire
aux solidarités actives contre la
pauvreté lors du mandat de Nico-
las Sarkozy, Martin Hirsch, qui l’a
connu lors du Grenelle de l’inser-
tion, en 2008. « Il sait parfaite-
ment naviguer dans ce monde du
macronisme, c’est évidemment
aussi pour ça qu’il en est là,
analyse Antoine Dulin, vice-prési-
dent du Conseil d’orientation des
politiques de jeunesse. Mais tout
ça s’accompagne d’une vraie
conviction chevillée au corps de
préoccupation pour les plus fragi-
les, son parcours le prouve. »
Depuis cinq ans, il a su façonner
sa connaissance de la puissance
publique au gré de ses différentes
fonctions au sein du ministère du
travail et se sent aujourd’hui
« bien préparé » pour sa nouvelle
mission. Pour Martin Hirsch, il
fait désormais partie des « rares
personnes à avoir les trois cordes
indispensables à son arc » pour
réussir : « Une fibre sociale sincère,
une vraie capacité entrepreneu-
riale et une implication dans la
politique publique. » Comme une
autre version du « en même
temps » macroniste. p
thibaud métais
nir à cet objectif. Dans son entre-
tien aux Echos, Olivier Dussopt a
annoncé un « acte II de la
réforme » du marché du travail. En
ligne de mire : le « délai de contes-
tation en justice » des licencie-
ments, de douze mois actuelle-
ment, qui pourrait, selon le mi-
nistre, « freiner des embauches ».
Alors que vient de débuter la
négociation entre partenaires
sociaux sur l’emploi des seniors
et le compte épargne temps uni-
versel, annoncée par Emmanuel
Macron lors de la sortie de la crise
des retraites, l’exécutif compte
sur l’amélioration du taux d’em-
ploi des seniors pour continuer
de faire baisser le chômage. Les
conditions d’indemnisation des
chômeurs seniors pourraient être
durcies, alors que deux réformes
de l’assurance-chômage, depuis
2017, ont déjà réduit les droits des
demandeurs d’emploi. p
th. m.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
« Les JO ne sont pas
incompatibles avec
des droits sociaux »
Pour Bernard Thibault, coprésident du comité de suivi
de la Charte sociale, adoptée pour Paris 2024, « il faut
se battre pour faire appliquer le droit qui existe »
ENTRETIEN
L’
ancien secrétaire géné-
ral de la CGT, Bernard
Thibault, copréside, de-
puis 2018, le comité de
suivi de la Charte sociale, signée
par les organisations syndicales,
patronales, et les collectivités im-
pliquées dans l’organisation des
Jeux olympiques et paralympi-
ques (JOP) de Paris 2024. Il siège
au sein du Comité d’organisation
des Jeux et au conseil d’adminis-
tration de la Solideo, l’établis-
sement public chargé des infra-
structures construites.
La Solideo a annoncé que 84 %
des chantiers des JOP seront
terminés au 31 décembre. Quel
bilan faites-vous de cette pre-
mière phase de réalisation ?
Les syndicats sont plutôt satis-
faits de la coopération avec la Soli-
deo sur la conduite des chantiers
puisqu’ils ont pu s’y rendre régu-
lièrement, être force d’alerte, et
nos messages pris en compte. La
Solideo avait affiché deux priori-
tés : la sécurité, dans une filière
BTP qui compte un mort par jour
de travail ouvré, et la lutte contre
le travail illégal. Selon le dernier
décompte, il y a eu 464 accidents
dont 25 accidents graves. C’est
trop. Mais si l’on rapporte au
nombre d’heures effectuées, cela
représente quatre fois moins
d’accidents qu’ailleurs en France.
La Solideo a porté un message
simple auprès des majors du BTP :
vous avez la responsabilité de la
sécurité pour tous les personnels
travaillant dans votre périmètre, y
compris les sous-traitants et les
intérimaires. Ce n’est pas une pra-
tique courante. Les inspecteurs du
travail ont par ailleurs été beau-
coup plus présents. En moyenne,
un inspecteur est passé chaque
jour sur l’un des chantiers. Cette
Les chantiers des Jeux olympiques arrivent dans les temps
Solideo, la société créée pour construire ou rénover les équipements, a globalement tenu ses échéances en livrant 84 % des travaux
U n homme savourait plus
que les autres cette ren-
contre organisée mardi
19 décembre, au cœur du village
olympique et paralympique des
Jeux de Paris 2024, à deux pas du
Stade de France, en Seine-Saint-
Denis. On était à douze jours du
31 décembre 2023, la « date pivot »
que Nicolas Ferrand s’était fixée
six ans plus tôt, lorsqu’il a pris la
tête de la Solideo, la société créée
pour construire ou rénover en un
temps record les équipements
nécessaires à la compétition.
Parmi les gros morceaux : le vil-
lage des athlètes (14 250 lits), celui
des médias, un centre aquatique,
une salle de 9 000 places. « En jan-
vier 2018, l’opinion générale était
de dire qu’on n’y arriverait pas. Le
métro du Grand Paris avait du mal
à sortir, EuropaCity (le mégacom-
plexe au sud de Roissy) ne sortait
pas. » Or là, l’échéance, « globale-
expérience devrait servir à repen-
ser la sécurité sur les chantiers et à
diminuer un taux de mortalité ex-
cessivement important.
On a quand même vu
des travailleurs sans papiers
occuper certains chantiers…
Le travail illégal est un facteur
d’accidentologie important. On a
agi ensemble pour mettre fin aux
situations de travail sans papiers
dont on a eu connaissance, en ob-
tenant des régularisations.
Il y avait des objectifs d’inser-
tion. Cela se traduira-t-il
par des emplois post-Jeux ?
Dix pour cent des heures tra-
vaillées devaient être réservées à
un public éloigné de l’emploi. A ce
jour, 3 644 personnes ont pu avoir
un contrat de travail de 714 heures
en moyenne. Ce sont pour moitié
des personnes au chômage de-
puis plus d’un an et pour moitié
résidentes de la Seine-Saint-De-
nis. Il va falloir mesurer le nom-
bre de personnes en insertion
pouvant, si elles le souhaitent,
rester durablement dans le bâti-
ment. C’est trop tôt pour l’évaluer.
Quels sont vos points
de vigilance sur l’organisation?
Dans la sécurité privée, les con-
fédérations syndicales ont com-
mencé à travailler sur les entrepri-
ses ayant obtenu des marchés
pour repérer celles qui sont non
respectueuses du droit, à travers
des heures sous-déclarées ou le re-
cours à des sans-papiers. La sécu-
rité privée est un sujet de litige. Ce
secteur est en sous-effectif, car il
est difficile d’en vivre décemment.
Cela fait plusieurs années que l’on
dit à l’Etat, avec des syndicats et
des employeurs, qu’il faut revalo-
riser la filière. Le choix politique
fait pour les JO a été de proposer
une formation raccourcie, contre
l’avis de la majorité des acteurs du
secteur. Résultat, ce sont essen-
tiellement des petites entreprises
qui se sont positionnées, dont on
ment, on la tient », annonçait fiè-
rement, voire avec émotion, l’in-
génieur, lors de son point annuel
– et donc le dernier – sur l’avancée
des chantiers.
En ce début de 2024, il reste trois
dossiers tendus, mais 84 % des tra-
vaux sont livrés. « Ce qui compte »,
rappelle Nicolas Ferrand, qui a
connu quelques frayeurs avec la
pandémie de Covid-19, la guerre
en Ukraine, les émeutes de juin,
« c’est la transmission des clés fin
février, début mars au Cojop [co-
mité d’organisation des Jeux] ».
Avant Noël, des bruits de per-
ceuse résonnaient toujours, dans
les rues du village olympique, ce
morceau de ville sorti de terre en
« moins de trois ans » au nord de la
capitale, à cheval sur trois commu-
nes (Saint-Denis, Saint-Ouen, l’Ile-
Saint-Denis). Des camions li-
vraient encore quelques-uns des
9 000 arbustes qui doivent, d’ici à
« Nous avons
aussi cherché
à fixer les limites
des missions
pouvant faire
l’objet de
bénévolat »
sait qu’elles n’ont pas encore les
effectifs pour remplir la mission.
Et dans la restauration ?
On regarde ce que fait Sodexo
pour le village des athlètes. C’est
un gros point de vigilance. Pour
avoir le niveau d’exigence at-
tendu et respecter le droit du tra-
vail, il faut déjà un niveau de re-
crutement suffisant. Ils cherchent
6 000 personnes. Les contrats
proposés sont principalement
des CDD de deux à neuf semaines.
Ce n’est pas assez. Il va falloir for-
cer les portes pour aller au-delà.
Est-ce votre mission d’essayer
de « forcer les portes » ?
Depuis le début, on a conscience
de nos limites. On part de zéro. Il
n’y a jamais eu, dans l’histoire des
Jeux, de reconnaissance officielle
d’une place aux syndicats du pays
organisateur. On va me dire que
c’est peu. C’est déjà énorme.
Maintenant, il faut se battre pour
faire appliquer le droit qui existe.
Alors pour aller au-delà…
Le modèle économique des JO
est-il compatible avec cet ob-
jectif de mieux-disant social ?
Comparativement à d’autres
éditions, en Chine, en Russie ou
au Brésil, les standards sociaux
sont meilleurs. Si l’on compare
avec la Coupe du monde de foot-
ball au Qatar, il n’y a pas photo. Ce
n’est pas étonnant, d’accord, mais
si on laissait faire, on pourrait y
être. On a tout un tas de déroga-
tions au prétexte des Jeux. Au dé-
part, certains n’excluaient pas de
l’été, apporter un peu de vert à cet
ensemble d’une cinquantaine
d’hectares encore très minéral,
mais l’essentiel se terminait.
Satisfecit
En janvier, s’ouvre la période de
réserves. Les entreprises ont deux
mois pour effectuer les retouches,
avant la remise des clés au Cojop,
début mars, qui aménagera alors
les intérieurs. La place olympique,
futur lieu de rencontre des athlè-
tes avec leurs familles et la presse,
est désormais dotée d’une rampe
hélicoïdale qui relie le mail cen-
tral du village aux berges de la
Seine, lesquelles ont été réaména-
gées pour faciliter la promenade.
C’est en face, sur l’Île-Saint-De-
nis, que trois immeubles (500 lits)
seront livrés avec retard – « cou-
rant mars » – en raison de soucis
sur le gros œuvre. Et puisque la to-
nalité est au satisfecit, Nicolas
Le village des athlètes, à Saint-Denis, le 19 décembre 2023. CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »
s’en prendre à la question sociale.
Cela a été une bataille pour y
échapper. Mais cela revient.
C’est-à-dire ?
On vient d’être mis devant le fait
accompli avec un décret sur
l’ouverture exceptionnelle de
commerces de détail, le diman-
che à Paris, entre le 15 juin et le
30 septembre. C’est inacceptable.
Nous avons un autre litige sur la
dérogation au repos hebdoma-
daire, publiée par décret en no-
vembre. Tous les syndicats y
étaient opposés. Cela se fait prin-
cipalement à la demande d’une fi-
liale du Comité international
olympique (CIO) chargée de la
captation des images et du son,
qui a expliqué avoir besoin que
ses équipes travaillent en con-
tinu. On a discuté. Pour nous, le
Ferrand rappelle que « 2 200 TPE et
PME, venues de 86 départements
ont travaillé » sur le chantier vi-
trine. « Toute la France a donc
construit le village olympique. »
Un peu plus loin sur l’A1, à Dugny,
les bâtiments où seront logés les
médias sont terminés, les planta-
tions ont commencé. En face du
Stade de France, le centre aquati-
que sera livré avec un mois
d’avance, en mars. Les bassins sont
remplis d’une première eau, colo-
rée, pour vérifier l’étanchéité. De
l’autre côté du périphérique, porte
de la Chapelle, d’autres essais ont
lieu, plus techniques. Il s’agit de cli-
matiser ou de chauffer sans cou-
rant d’air la nouvelle Arena ac-
cueillant les épreuves de gymnas-
tique rythmique et sportive et de
badminton. Un premier match de
basket y sera disputé le 11 février.
La rénovation du Grand Palais
(escrime et taekwondo) s’est avé-
risque était d’ouvrir une vanne
pour tous les salariés. L’arrêté
n’est pas satisfaisant, mais il li-
mite le champ d’application de la
dérogation aux seules personnes
qui auraient un tel niveau de res-
ponsabilité au sein des Jeux que
leur présence est indispensable
en continu. Le sujet reste à suivre.
Vous avez, au fond, des points
de litige avec le CIO…
Oui, mais nous ne l’avons ja-
mais comme interlocuteur.
Même s’il est omniprésent. Je
sais, en raison du rôle que j’ai eu à
l’Organisation internationale du
travail, combien le dialogue avec
les instances sportives est diffi-
cile. L’OIT cherche à les responsa-
biliser. Notre objectif avec l’expé-
rience française, c’est d’essayer de
démontrer que les grands événe-
rée, elle, plus complexe, et est l’un
des trois projets surveillés de près.
« Le chantier est énorme, c’est la
deuxième grande rénovation après
celle de Malraux dans les années
1960 », explique le directeur de la
Solideo. La grande nef est termi-
née, mais pas les galeries. Quand le
Cojop s’installera, mi-avril, les ré-
serves ne seront pas toutes levées.
Et puis, il y a la piscine de Colom-
bes, dans les Hauts-de-Seine, site
d’entraînement de la natation ar-
tistique. La découverte d’amiante
et de ferronneries rouillées a re-
tardé l’opération. Aujourd’hui,
« l’option préférentielle » est de
croire que c’est jouable, avec un
transfert à Paris 2024 fin juin, à un
mois du début des Jeux.
Côté budget, Nicolas Ferrand
présente un montant « stable en
euros 2016 » de 4,5 milliards
d’euros, dont 1,7 milliard d’euros
de subventions publiques. « Si on
| 11
ments ne sont pas incompatibles
avec des droits sociaux élevés.
L’organisation des Jeux repose
aussi sur les bénévoles : 45 000
pour Paris 2024...
Cela a presque toujours existé
dans l’organisation des Jeux et le
bénévolat occupe une grande
place dans les structures sportives.
Nous avons cherché à fixer les li-
mites des missions. Si l’on voulait
imposer au CIO d’indemniser tout
le monde, il n’y aurait pas de rai-
son de ne pas le faire pour d’autres
événements. On est dans un con-
texte où des groupes privés aime-
raient que ces événements spor-
tifs soient aux mains de firmes. Je
ne crois pas que cela rendrait ser-
vice au mouvement sportif. p
propos recueillis par
iris derœux
a réussi – car on a réussi, en fait –
c’est parce que (…) Paris 2024 et le
CIO ont été relativement sobres. »
Très peu de modifications de pro-
grammes – 773 – ont été deman-
dées, contre « 6 000 à Londres,
surtout la dernière année, sur un
projet du double du nôtre ».
La Solideo salue la stabilité de la
gouvernance, des décisions prises
à l’unanimité, à l’exception de
l’abstention de la région sur la voie
réservée au covoiturage sur le péri-
phérique. « On a tout le temps étu-
dié des plans B ». Lorsque le tunnel
destiné à enfouir les lignes à haute
tension du village a été noyé, que
le tunnelier est tombé en panne, il
a été envisagé de « suspendre les câ-
bles au-dessus de l’A86 ». Pour Co-
lombes, si l’option est « d’aller jus-
qu’au bout », une alternative a for-
cément été considérée. p
émeline cazi
et nicolas lepeltier
12 | économie & entreprise
Au Sénégal,
le coût des
engrais étrangle
les maraîchers
Enjeu de sécurité alimentaire,
les intrants sont un exemple
frappant de la dépendance de
l’Afrique à des produits importés
REPORTAGE
diogo (sénégal) - envoyée spéciale
E
n wolof, on appelle ça le
« dior ». Le terme désigne
cette terre très sableuse,
sèche, que l’on trouve no-
tamment dans la région des
Niayes, pourtant l’un des bassins
agricoles du Sénégal. Dans cette
zone côtière qui va de Dakar à
Saint-Louis, abritée de l’océan At-
lantique par une rangée de dunes,
le climat est adapté à l’agriculture,
l’eau plutôt disponible, mais les
sols très peu fertiles.
« Sans engrais, on ne peut pas du
tout cultiver ici, garantit Amar Sall,
66 ans, abrité du soleil sous un
large chapeau pointu tradition-
nel, tressé de paille et de cuir.
Compte tenu de la nature très pau-
vre de ce sol, la plante ne couvre
pas ses besoins, donc les apports en
engrais sont décisifs. » Lui répand
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rompt avec tout classicisme, pour acquérir une dimension
expressive et visuelle puissante et inédite.
Son lyrisme exprime le spleen, un mal de vivre où l’ennui,
la peur se font l’écho du désir et d’une beauté crue,
hors des préjugés moraux de son époque.
environ 450 kilos de ces petites
billes contenant des nutriments à
chaque cycle (à raison de deux ou
trois cycles par an) pour produire
oignons, pommes de terre, carot-
tes et autres choux sur une par-
celle d’environ cinq hectares, si-
tuée en retrait du village de Diogo.
Au jour le jour, ce hameau des
Niayes vit au rythme du maraî-
chage et de la pêche – mais aussi
des départs en pirogue, tournant
parfois au drame, des jeunes qui
veulent gagner l’Europe. En ce
vendredi à la mi-journée, Diogo
se prépare au marché qui aura
lieu après la grande prière hebdo-
madaire : des camions regorgeant
de diakhatou (également appelée
« aubergine africaine ») ou de pas-
tèques encombrent la rue princi-
pale, des femmes commencent à
préparer leurs étals et les bouti-
ques d’engrais, aux devantures
peintes de prometteurs légumes
présente
Redécouvrez les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature
dans une édition prestigieuse.
altaya.fr
colorés, ont ouvert leurs portes.
Dans celle d’Adama Beye s’entas-
sent de gros sacs de 50 kilos, dont
les prix ont touché des records ces
dernières années. « C’est allé jus-
qu’à 40 000, 45 000 francs CFA
[environ 60 à 70 euros] le sac,
c’était très difficile de s’approvi-
sionner, raconte en wolof le gé-
rant de 37 ans, couvrant le cracho-
tement d’une télé qui rompt la
quiétude ambiante. Cette année,
ça a baissé considérablement,
mais ça reste trop, trop cher. C’est
encore à 20 000 francs CFA. »
Avant 2020, le prix tournait
autour de 12 000 francs CFA pour
les deux produits les plus con-
sommés ici : l’urée, un engrais
classique à l’azote, et le NPK, un
mélange d’azote, de phosphore et
de potassium.
Renforcement du dollar
Face à cette inflation, détaille en
écho M. Sall, les paysans achètent
moins de sacs, limitant ces in-
trants dont l’usage est déjà très
faible au Sénégal (en moyenne
9 kilos par hectare de terre arable,
contre 153 en France et 375 en
Chine, selon la Banque mon-
diale). « Quand on réduit, ça se res-
sent tout de suite dans les rende-
ments », ajoute le maraîcher. Avec
une conséquence double pour les
« Compte tenu
de la nature
très pauvre
de ce sol, la
plante ne couvre
pas ses besoins,
donc les apports
sont décisifs »
AMAR SALL
maraîcher
Couvertures
cartonnées
au design
soigné.
Dessins
originaux avec des
symboles uniques
inspirés du contenu
de chaque
ouvrage.
OFFRE DE
LANCEMENT
LE VOLUME 1
1,99 € ou Actimel un leader des produits
paysans : une récolte qui ne cou-
vre pas les besoins de la famille et
pas de revenus supplémentaires
pour acheter d’autres aliments.
Comment s’expliquent cette ra-
reté et cette cherté ? Le Sénégal a
fait les frais d’une situation mon-
diale, tout comme ses voisins afri-
cains qui importent massive-
ment leurs engrais. L’explosion
des prix a commencé par la crise
liée au Covid-19, qui a désorganisé
les filières d’approvisionnement,
puis s’est amplifiée avec l’inva-
sion de l’Ukraine par la Russie. Au-
delà de la hausse des coûts de
l’énergie (dont les engrais sont
gourmands) que la guerre a pro-
voquée, il se trouve que la Russie
est l’un des premiers producteurs
d’engrais au monde. Enfin, s’est
ajouté le renforcement du dollar
face aux monnaies locales, ren-
chérissant pour les Africains le
coût des importations.
Les prix des engrais ont ainsi
doublé au Nigeria, triplé en Ethio-
pie et presque quadruplé au Zim-
babwe entre début 2022 et début
2023, selon une étude de l’ONG
ActionAid. Interrogé sur leur évo-
lution récente au niveau plané-
taire, John Baffes, économiste se-
nior spécialiste des questions
agricoles pour la Banque mon-
diale, souligne qu’ils sont désor-
mais revenus au niveau pré-Co-
vid-19. « Mais les prix dans certains
marchés restent élevés. Parmi les
explications, il y a le fait que les en-
grais disponibles [sur place] ont
été achetés au prix fort ou en rai-
son de la dépréciation des mon-
naies locales », écrit-il par e-mail.
Au Sénégal, l’Etat tente de lon-
gue date de réguler les variations
par des subventions massives.
Cette année, 40 milliards de
francs CFA, soit 40 % de l’enve-
loppe publique de soutien à l’agri-
culture, ont été consacrés aux
subventions pour les engrais.
Danone cède
ses produits laitiers
bio aux Etats-Unis
Le groupe agroalimentaire français va vendre
ses activités de produits laitiers biologiques
au fonds d’investissement Platinum Equity
D anone poursuit le toilet-
tage de son portefeuille
de marques. Le groupe
agroalimentaire français a an-
noncé, mardi 2 janvier, la cession
de ses activités de produits laitiers
biologiques Horizon Organic et
Wallaby aux Etats-Unis au fonds
d’investissement américain Plati-
num Equity. Le montant de la
transaction n’a pas été dévoilé.
L’opération n’est pas une surprise,
puisque Danone avait dévoilé son
intention de se délester de ses
marques américaines de lait,
crème de café, yaourt et beurre
bio, il y a quasi un an. Un ensemble
qui représente près de 3 % du chif-
fre d’affaires du groupe, soit envi-
ron 800 millions d’euros, mais
pèse sur sa croissance organique
et sa rentabilité opérationnelle.
Horizon Organic et Wallaby
étaient entrées dans le périmètre
du numéro un mondial du yaourt
lors de l’acquisition de la société
WhiteWave en 2017 pour 11,7 mil-
liards d’euros. Un rachat qui avait
pour ambition de faire du proprié-
taire des marques Evian, Activia
bio et végétaux outre-Atlantique.
10 % du chiffres d’affaires
Mais le marché des produits lai-
tiers bio n’est plus aussi florissant
aujourd’hui. Et les marques Hori-
zon Organic et Wallaby ne répon-
dent pas aux attentes fixées. Leur
vente, après celle annoncée en dé-
cembre 2023 de la marque Michel
et Augustin à CTH Invest, une hol-
ding belge liée au groupe italien
Ferrero, s’inscrit dans le plan stra-
Au-delà de la
hausse des coûts
de l’énergie,
la Russie est
l’un des premiers
producteurs
d’engrais
au monde
Théoriquement, les cultivateurs
ne payent qu’environ 50 % d’un
sac d’urée ou de NPK. Mais ce sys-
tème est miné par la mauvaise
gestion et les malversations, ré-
duisant son impact, s’accordent à
dire nombre d’acteurs de la filière.
Projet de conversion
Pour se protéger des chocs, le sec-
teur s’impatiente surtout de voir
se développer une production lo-
cale. « Quand vous dites NPK au
Sénégal, le N, l’azote, est importé,
et le K, le potassium, est importé.
Tout est importé sauf le phos-
phate », dresse Moulaye Kandé,
président de l’Association sénéga-
laise des professionnels de l’en-
grais. Car le pays en est un produc-
teur. Dans la même région des
Niayes, le groupe Industries chi-
miques du Sénégal (ICS), qui ap-
partient au géant asiatique Indo-
rama, exploite en effet une
grande mine dont une partie du
produit transformé, le phos-
phore, est utilisée sur place pour
fabriquer un NPK destiné au mar-
ché local – le reste est exporté.
M. Kandé possède lui-même
une petite unité de production
d’engrais NPK, pour laquelle il
s’approvisionne en phosphate en
partie auprès des ICS, « mais au
prix du marché international.
Même si le phosphate est sénéga-
lais, il est coté au jour le jour ! », dé-
tégique « Renew Danone », pré-
senté par son directeur général,
Antoine de Saint-Affrique en
mars 2022. Il s’était engagé à gérer
dynamiquement le portefeuille
de marques, en cédant les moins
rentables et en procédant à des ac-
quisitions ciblées. Un renouvelle-
ment qui devait potentiellement
concerner 10 % du chiffre d’affai-
res. Avec l’objectif de renouer avec
une croissance rentable dès 2023.
« Cette cession, une fois réalisée,
nous permettra de nous concentrer
davantage sur notre portefeuille de
marques fortes, centrées autour de
la santé, et réinvestir dans nos seg-
ments en croissance prioritaires »,
affirme M. de Saint-Affrique dans
le communiqué, qui précise que le
groupe « conservera une participa-
tion minoritaire non consolidée »
dans les deux marques.
En 2022, Danone avait vu son
chiffre d’affaires bondir de 13,9 % à
27,7 milliards d’euros, porté par
l’inflation, mais sa rentabilité avait
continué à s’éroder, avec une
marge de 12,2 %. Le résultat net
avait été divisé par deux à 959 mil-
lions d’euros après la dépréciation
de ses activités russes. Le groupe
avait décidé en octobre 2022 de cé-
der le contrôle de sa filiale mais, en
juillet 2023, un décret signé par
Vladimir Poutine avait entériné sa
nationalisation. Cette filiale, qui
représente près de 5 % du chiffre
d’affaires, a dû être sortie du
groupe. La mésaventure devrait se
traduire par une nouvelle dépré-
ciation dans les comptes 2023, qui
seront publiés en février. p
laurence girard
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
plore-t-il, soulignant qu’il n’y a
pas de subventions pour les pro-
ducteurs d’engrais et que son
unité ne tourne pas en continu
faute de rentabilité.
Face aux contraintes d’un mar-
ché très mondialisé, l’Etat du Sé-
négal développe enfin une tout
autre stratégie : améliorer l’accès
aux engrais organiques, qu’il a
commencé à subventionner, éga-
lement à hauteur de 50 %. A
Diogo, le président de la coopéra-
tive agricole Coopadin, Ngagne
Diop, est enthousiaste – il a
même bénéficié d’un projet de
conversion dans son propre
champ. « La terre se dégrade avec
l’effet des engrais, donc on est en
train d’orienter les agriculteurs
vers le bio », salue-t-il, installé
dans son minuscule bureau, où
des sacs de matériels occupent la
moitié de l’espace. Mais l’organi-
que connaît des défis similaires :
coûts (seulement quelques mil-
liers de tonnes subventionnées,
contre 180 000 tonnes pour les
engrais chimiques), faible pro-
duction locale, formation des cul-
tivateurs, etc.
Avant de partir pour la prière
du vendredi, Ngagne Diop sou-
lève quand même une dernière
piste, souvent oubliée dans la
course aux rendements : « Les
pertes post-récoltes, ça aussi c’est
de l’argent ! » Soit ces tomates,
oignons ou pommes de terre qui
pourrissent dans les champs ou
sur les marchés faute de stoc-
kage. Toutes filières confondues,
elles représentent au Sénégal en-
tre 13 % et 70 % de la production,
selon l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et
l’agriculture. p
marion douet
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ÉPAR GN E
Prêts Helvet Immo :
BNP Paribas
pourrait payer jusqu’à
600 millions d’euros
Après sa condamnation
en appel fin novembre 2023
dans le cadre de l’affaire
des prêts immobiliers Helvet
Immo, BNP Paribas a trouvé
une solution à l’amiable avec
l’association de consomma-
teurs CLCV, qui pourrait lui
coûter entre 400 et 600 mil-
lions d’euros a révélé
Le Parisien, mardi 2 janvier.
Cela concerne environ
4 400 clients. Commercialisé
au cours des années 2008 et
2009, ce prêt destiné à l’in-
vestissement locatif défisca-
lisé avait la particularité
d’être libellé en francs suisses
mais remboursable en euros.
Dans le sillage de la crise
financière, l’euro a fortement
décroché face à la devise
helvète : les montants à rem-
bourser ont alors flambé et
les contrats sont devenus des
gouffres financiers. – (AFP.)
AU TOMOBI LE
Embellie pour le marché
français en 2023 et
record pour l’électrique
En 2023, le marché automo-
bile français a grimpé de
16,07 % et a vu la mise en cir-
culation d’un nombre re-
cord de voitures électriques
et hybrides rechargeables,
mais 2024 s’annonce plus dif-
ficile. Au total, 1,775 million
de voitures particulières neu-
ves ont été mises en circula-
tion et une voiture sur quatre
vendue en France se branche
sur une prise, soit en 100 %
électrique, soit en hybride
rechargeable, un niveau ja-
mais atteint selon les chiffres
publiés lundi 1er janvier par la
Plate-forme automobile, qui
représente constructeurs et
équipementiers. Cependant,
le marché est toujours sous
le seuil des 2 millions de véhi-
cules, qui était habituelle-
ment franchi avant la pandé-
mie de Covid-19. – (AFP.)
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
buenos aires - envoyée spéciale
A
nalia Kalinec était une petite
fille modèle. La voici deve-
nue une « désobéissante »
(desobediente, en espagnol),
autrement dit une femme
prête à contester l’ordre fa-
milial. Elle a mis des années à accepter que
son père, cet homme aimant qui, le soir, la
chatouillait en l’appelant « mon petit lièvre »,
était la même personne qui, dans la journée,
enlevait et torturait. « La figure du père est si
structurante que mon schéma mental a ex-
plosé, confie cette femme de 44 ans, institu-
trice et psychologue. Penser que j’avais peut-
être dans mon sang quelque chose d’anormal
et que je pouvais le transmettre à mes en-
fants me terrifiait. »
Ce père, c’est Eduardo Emilio Kalinec, un
ancien policier condamné, en 2010, à la pri-
son à perpétuité, pour ses agissements pen-
dant la dictature militaire (1976-1983) dans
les centres clandestins de détention connus
sous les noms d’Atlético-Banco-Olimpo. Ana-
lia n’a appris la vérité à son sujet qu’après l’ar-
restation de son père, en 2005. Auparavant,
ces années sombres, marquées par la dispari-
tion de quelque 30 000 personnes, selon les
organisations de défense des droits hu-
mains, n’étaient à ses yeux qu’une période
vague de l’histoire de l’Argentine.
Après les premiers procès des tortionnai-
res, en 1985, le pays avait décidé de tirer un
trait sur cette époque, d’amnistier les quel-
ques condamnés et de tout cacher sous le
manteau de l’impunité. L’arrivée au pouvoir
du péroniste Nestor Kirchner, en 2003,
change la donne : celui-ci demande pardon
au nom de l’Etat, fait de « la mémoire, la vérité
et la justice » une politique nationale et per-
met la réouverture de procès pour crimes
contre l’humanité. A ce jour, 1 204 person-
nes ont été jugées et condamnées.
En 2005, Analia Kalinec vit les premiers
mois de la détention de son père – pendant
l’instruction – dans une sorte de brume
d’ignorance. « J’allais lui rendre visite en pri-
son, et on parlait de tout et de rien, mais ni de
la dictature ni de ce qu’il avait fait. » Sa mère
et ses deux sœurs cadettes, fonctionnaires
de police, le soutiennent. « Tout ça est une
erreur, papa va bientôt être libéré », assure sa
mère. Analia se met à chercher des réponses
ailleurs, dans des livres, des documentaires,
des conférences. Car le pays recouvre peu
à peu la mémoire…
« TRAHISON »
En lisant l’acte d’accusation de son père,
en 2008, la jeune femme mesure l’ampleur
de l’horreur. « C’est un point d’inflexion dans
ma vie, j’y ai lu des témoignages horribles, ra-
conte-t-elle dans le bureau de sa maison du
quartier populaire de Flores, à Buenos Aires.
On l’accusait d’avoir participé à des tortures,
sous le pseudo de “Docteur K”. Il était impli-
qué dans 181 enlèvements. » Les victimes, des
opposants réels ou supposés du régime,
étaient « arrêtées » hors de tout contexte ju-
diciaire, torturées dans des lieux de déten-
tion clandestins, avant de disparaître, pour
la plupart à jamais.
Dans le dossier de son père, Analia Kalinec
découvre le témoignage d’une survivante,
Ana Maria Careaga, âgé de 16 ans au mo-
ment de son enlèvement, le 13 juin 1977. En-
ceinte de trois mois, elle fut conduite au cen-
tre clandestin de détention d’El Atlético et
torturée. Devant la justice, elle dit que le
« Docteur K » la frappait chaque fois qu’il la
croisait devant les toilettes.
« A un moment, j’ai entendu un tortionnaire
dire à un autre, en lui tendant la gégène [tor-
ture électrique]: “Tiens, continue, je dois aller
chercher ma fille à l’école”, se souvient cette
psychanalyste de 62 ans, exilée en Suède
après sa libération, trois mois plus tard. Je me
suis dit : comment est-ce possible que ces gens
aient une famille, qu’ils caressent leurs enfants
avec les mêmes mains que celles avec lesquel-
les ils nous torturent ? »
La lecture des témoignages glace le sang
d’Analia Kalinec. Elle interroge son père :
« Mais alors tu as bien participé à la répres-
sion ? Tu as été dans une salle de torture ? »
Elle aurait voulu qu’il réponde « jamais »,
mais il s’est justifié : « Mon devoir était d’évi-
ter des attentats, est-ce que tu ne ferais pas
tout pour ça, toi aussi ? »
De retour chez elle, elle écrit une « lettre
ouverte à un tortionnaire ». « Je t’aimerai tou-
jours, mais ce que tu as fait est terrible, et (…)
ton manque de regrets me blesse. (…) Autorise-
toi à te remettre en question », lui enjoint-elle.
Dans une autre lettre, destinée à sa mère qui
Analia Kalinec, à Buenos Aires, le 26 décembre. ANITA POUCHARD SERRA POUR « LE MONDE »
En Argentine,
les enfants
rebelles
de la dictature
Des filles et des fils d’hommes accusés d’avoir
participé à la répression à l’époque du régime
militaire (1976-1983) découvrent peu à peu ce passé,
et n’hésitent pas, pour certains, à renier leur père
lui reproche sa « trahison », elle utilise, sans le
savoir, les mêmes mots que la victime, Ana
Maria Careaga : « C’est très dur de savoir que
mon père a manié la gégène avec les mêmes
mains que celles avec lesquelles il me tou-
chait. » La famille explose.
Analia Kalinec a longtemps cru être un cas
unique. Mais d’autres enfants de tortion-
naire ont parcouru un chemin similaire. Par
exemple, Bibiana Reibaldi, 67 ans, fille de Ju-
lio Reibaldi, officier du « bataillon d’intelli-
gence 601 », un corps spécial qui rassemblait Le père d’Analia
les informations obtenues sous la torture. Kalinec, Eduardo, à
Elle a parlé au Monde, dans son petit apparte- la fin des années 1970.
ment de Villa Crespo, à Buenos Aires. « Un COLLECTION KALINEC
jour, pendant la dictature, j’ai demandé à
mon père d’aider une collègue dont le mari
avait été enlevé, se remémore-t-elle. Il m’a ré-
pondu qu’il fallait qu’elle cesse de le chercher
parce qu’il était mort. Il m’a dit : “On est en
guerre et, dans toute guerre, il y a des inno-
cents qui meurent.” Pour la première fois de
ma vie, j’ai crié sur lui. »
Dans les années 1990, à la publication des
premières confessions de tortionnaires, elle
l’a imploré de parler. Comme d’autres, il s’est
muré dans le silence.
Julio Reibaldi est mort en 2002. Sa fille a
longtemps gardé pour elle son désespoir,
jusqu’à ce jour de 2017 où elle a découvert
sur Facebook un appel à « réunir les enfants
de génocidaires qui n’endossent pas leurs cri-
mes ». Le texte était signé Erika Lederer, fille
d’un obstétricien ayant accouché des oppo-
santes en détention et enlevé les bébés.
Erika Lederer venait de participer à une ma-
horizons | 13
nifestation contre un arrêt de la Cour su-
prême permettant une réduction des peines
de prison des tortionnaires.
Dans la foule se trouvait aussi Analia
Kalinec et Liliana Furio, fille du chef d’une
division du renseignement de l’armée,
condamné à la réclusion à perpétuité
en 2012. Les deux femmes s’étaient connues
après la sortie d’un livre dans lequel Analia
Kalinec avait témoigné. Ensemble, elles ve-
naient de créer un collectif, Historias desobe-
dientes (« histoires désobéissantes »).
Bibiana Reibaldi, toute tremblante, se rap-
proche d’elles et participe, à leur invitation, à
une grande manifestation organisée le
3 juin 2017 par le collectif féministe Ni una
menos (« Pas une de moins ») contre les vio-
lences faites aux femmes. « Mon émotion
était indescriptible. Il y en avait donc d’autres
comme moi ! » Très vite, le groupe s’élargit.
Aujourd’hui, les « désobéissants » sont envi-
ron cent cinquante, femmes et hommes,
et d’autres collectifs se sont formés.
Dans un premier temps, les associations de
familles de victimes de la dictature – tou-
jours très actives en Argentine – sont per-
plexes. Que cherchent donc ces enfants de
tortionnaires, alors qu’au même moment
des personnalités comme Cecilia Pando,
épouse de militaire, ou Victoria Villarruel
(fille d’un officier de l’état-major qui se van-
tait d’avoir participé à la répression et nièce
d’un capitaine accusé de crimes contre l’hu-
manité) défendent les militaires arrêtés ? Ne
s’agirait-il pas d’une manœuvre, d’une ten-
tative de noyautage des organisations de dé-
fense des droits humains ? Les doutes sont
vite balayés. « Nous avons constaté que ces
enfants de tortionnaires défendaient au con-
traire les politiques de mémoire, de vérité et
de justice, assure Ana Maria Careaga. Ce sont
les procès rouverts dans les années 2000 qui
ont créé les conditions pour qu’ils sachent ce
qu’avaient fait leurs pères et décident d’adop-
ter une position éthique. »
Depuis, Ana Maria Careaga, la victime, et
Analia Kalinec, la fille du tortionnaire, se
sont rencontrées plusieurs fois. Elles se sont
rendues, ensemble, sur le site d’El Atlético,
détruit lors de l’édification d’une autoroute,
et qui fait l’objet de fouilles archéologiques.
« A peine entrée, je me suis effondrée en lar-
mes, témoigne Analia Kalinec. Ana Maria
m’a prise dans ses bras. J’avais honte d’être
celle qui pleurait alors qu’elle y avait été tortu-
rée. Elle m’a dit : “Cela veut dire qu’il y a encore
de l’humain dans tout cela.” »
« ZONE OCCULTÉE DE LA MÉMOIRE »
Très vite, des « désobéissants » d’autres pays
d’Amérique latine se sont manifestés et ont
créé des antennes au Brésil, au Paraguay, en
Uruguay, sans oublier le Chili, encore marqué
par la dictature d’Augusto Pinochet (1973-
1990). Une femme, installée à Paris, peut en
témoigner : Veronica Estay Stange, fille d’op-
posants partis se réfugier en France, et nièce
de Miguel Estay Reyno, condamné en 1994 à
la prison à perpétuité pour l’assassinat de
trois militants du Parti communiste.
« En termes pragmatiques, nous ne pouvons
pas apporter grand-chose à la justice, dit-elle.
Notre apport est d’ordre symbolique. Comme
les bourreaux ne parlent presque jamais, avoir
accès à cette zone occultée de la mémoire à
travers leurs descendants est une manière de
comprendre comment un système totalitaire
agit à l’intérieur des familles et peut amener
une personne à accomplir de telles atrocités. »
L’espoir des « désobéissants » : que d’autres
proches de tortionnaires les rejoignent.
Avant le premier tour de l’élection présiden-
tielle en Argentine, Historias desobedientes
a diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux
invitant la candidate à la vice-présidence,
Victoria Villarruel, à « désobéir à son mandat
familial », autrement dit à condamner les ac-
tions de son père et de son oncle pendant la
dictature. Elle a été élue le 19 novembre aux
côtés de Javier Milei. Tous deux nient l’exis-
tence du terrorisme d’Etat à cette époque.
Le père d’Analia Kalinec a contre-attaqué. Il a
tenté, en 2019, de l’exclure de l’héritage de sa
mère, disparue quatre ans plus tôt, en deman-
dant à la justice de la déclarer « indigne ». Ses
filles cadettes se sont jointes à la procédure.
Le tribunal a proposé une conciliation. « J’ac-
cepterai s’il donne des informations sur les per-
sonnes disparues », a rétorqué Analia Kalinec.
La conciliation n’a pas eu lieu. La juge a dé-
bouté Eduardo Kalinec en mai. Sa fille, elle,
n’éprouve aucune pitié envers ce père incapa-
ble de repentir. « Lorsque tu mourras, j’irai cra-
cher sur ta tombe, écrit-elle dans son livre.
Pour la tombe de ceux qui n’ont pas de tombe.
(…) Je porterai sur moi mon nom et le tien, et
j’en ferai une bannière de désobéissance. » p
angeline montoya
14 |
CULTURE
« Coppola m’a bluffée par sa détermination »
Cailee Spaeny, 25 ans, primée à la Mostra de Venise, incarne à l’écran Priscilla, l’épouse d’Elvis Presley
ENTRETIEN
C
hevelure brune et déliée,
vêtements amples,
verbe précis, regard
pétillant, Cailee Spaeny
offre, à 25 ans, un miroir souriant
et assuré aux Américaines de sa
génération. Pourtant, c’est en
prêtant ses traits à une icône d’un
autre âge, Priscilla Presley, qu’elle a
révélé ses talents d’actrice, jusqu’à
remporter le prix d’interprétation
féminine à la Mostra de Venise, en
septembre. Dans Priscilla, de Sofia
Coppola, elle dévoile toute la force
de caractère de cette femme
longtemps réduite à son statut
d’épouse d’Elvis, dont l’émancipa-
tion résonne, par-delà l’apparente
désuétude de ses apprêts, avec
bien des combats actuels. Dans un
entretien par vidéoconférence, de-
puis son appartement donnant
sur Central Park, à New York, la
comédienne revient sur ce rôle
pour lequel elle semblait taillée.
Avant d’interpréter
le personnage titre
de « Priscilla », que représen-
tait Sofia Coppola pour vous ?
C’était tout simplement ma ci-
néaste préférée. Je suis issue d’une
famille de cols bleus, d’origine ita-
lienne. Mon père est ouvrier dans
le bâtiment, ma mère a fait tout
un tas de métiers pour nous éle-
ver, mes huit frères et sœurs et
moi. Nous avons grandi dans une
petite ville de l’Etat du Missouri,
l’Amérique moyenne dans toute
sa splendeur. On regardait Top
Gun ou Titanic, des films à gros
budget. Un jour, je suis tombée
sur Virgin Suicides. C’est la pre-
mière fois que je me suis de-
mandé : « Qui est derrière la ca-
méra ? » Il se trouve que c’était une
femme. Dès lors, j’ai dévoré toute
la filmographie de Sofia. Le calme
et l’intimité de son cinéma, son
regard sur la solitude des jeunes
filles m’ont bouleversée.
Est-ce Sofia Coppola
qui vous a contactée ?
Quand je vivais encore dans le
Missouri, j’ai passé des essais
pour un projet d’adaptation de La
Petite Sirène, que Sofia aurait dû
réaliser et qu’elle a finalement
abandonné. J’avais fait vingt-cinq
heures de route pour la rencon-
trer à Los Angeles ! Plus tard, j’ai
auditionné pour Megalopolis, de
son père, Francis Ford. Même si ça
ne s’est pas fait, je suis restée en
contact avec les Coppola. Sofia a
apprécié ma performance dans la
série Mare of Easttown. Puis son
amie l’actrice Kirsten Dunst, à qui
je donne la réplique dans Civil
War, d’Alex Garland, lui a dit du
bien de moi. Jusqu’à ce que Sofia
Portrait d’une jeune fille sous l’emprise du King
La réalisatrice américaine tisse l’histoire d’une adolescente enfermée dans une cage dorée par une star abusive
PRISCILLA
pppv
C’ est l’histoire d’une ado-
lescente qui grandit et
devient adulte dans un
univers hors norme. Lorsque Pris-
cilla, 14 ans, rencontre Elvis Pres-
ley, de dix ans son aîné, elle s’en-
nuie ferme sur une base militaire
allemande de l’Air Force, où son
père et le chanteur officient. Jeune
vierge conduite, par des amis de la
star, sur l’autel du Love Me Tender,
la collégienne rappelle de loin la
fille de l’empereur d’Autriche
mise en scène par Sofia Coppola
en 2006 (Marie-Antoinette).
Moins décadente que l’archidu-
chesse incomprise vendue à
Louis XVI, Priscilla (Cailee Spaeny,
prix d’interprétation à la Mostra
m’appelle pour me proposer de
prendre un café, à New York.
De quoi avez-vous parlé ?
De tout et de rien. A la fin, Sofia a
sorti une photo de Priscilla
Presley, la femme d’Elvis. J’y ai vu
un autre signe du destin : depuis
ma tendre enfance, Elvis faisait
partie de ma vie, j’avais visité sa
maison, à Graceland… Le dernier
jour du tournage de Civil War, j’ai
appris qu’on m’offrait le rôle de
Priscilla. Kirsten m’a prise dans
ses bras, on a fondu en larmes.
Sofia Coppola a-t-elle été
à la hauteur des attentes
que vous placiez en elle ?
Elle les a dépassées. On dit
toujours : « Ne rencontrez jamais
vos idoles ! » Or Sofia m’a bluffée
par sa délicatesse et sa détermi-
nation. Elle parle peu, mais bien.
C’est une main de fer dans un
gant de velours, elle sait exacte-
ment ce qu’elle veut, tout en
restant ouverte aux suggestions.
Nous n’avions que trente jours
de tournage, je devais interpréter
une vraie personne, encore en
vie, de ses 14 à ses 27 ans… Je n’ai
de Venise) s’imagine un temps
avoir tiré le gros lot – le grand
amour, le luxe, la fantaisie – avant
de se laisser absorber par la vie du
King (Jacob Elordi) qui se trouve
bien incapable de consommer
leur mariage. Le film s’ouvre sur
des images qui ont valeur de pro-
gramme : elle enfonce ses petits
pieds aux ongles délicatement
vernis dans une moquette moel-
leuse. Elle fixe au bord de sa pau-
pière une rangée de faux cils. Dans
son miroir, se reflète un disque
d’Elvis… Une description en forme
de métamorphose pour une jeune
femme qui va, pendant les dix an-
nées à venir, se conformer à ce que
son célèbre mari attend d’elle.
Variation sur l’adolescence
(comme Virgin Suicides, Lost in
Translation, Marie-Antoinette,
pppp CHEF-D'ŒUVRE
« Le film de Sofia
fait tomber
les idoles
de leur piédestal,
avec beaucoup
de subtilité »
jamais ressenti une telle
pression. Il ne fallait décevoir ni
Sofia ni Priscilla.
Avez-vous rencontré Priscilla
Presley ?
Plusieurs fois. Avant notre
premier rendez-vous, j’étais
anxieuse. J’avais lu ses Mémoires,
j’avais des tas de questions à lui
poser… En même temps, je ne
voulais pas être intrusive, il fallait
qu’elle se sente en confiance. Dès
qu’elle s’est présentée devant
moi, mes craintes se sont volatili-
sées. J’ai énormément appris rien
qu’à voir sa manière de se tenir
debout, à l’entendre parler de son
passé… Elle m’a accompagnée
pendant toute la production, avec
générosité. Nous avons décou-
Somewhere, The Bling Ring, Les
Proies, en somme à peu près
toute l’œuvre de la réalisatrice), le
film traite aussi de la société de
consommation, des femmes au
foyer, des époux, des sixties, du
rock’n’roll, de la drogue, et ra-
conte, à travers l’illusion de la
belle vie, la hantise de la solitude
et de l’ennui.
L’accessoire et l’illusion
Peu de cinéastes donnent l’im-
pression de saisir à la surface des
choses une humeur, un état d’âme
comme le fait ici Sofia Coppola. As-
sumant la chronologie aléatoire, la
succession de temps faibles, la pe-
tite musique du quotidien, la mise
hors champ des grands succès de
l’artiste, elle nous plonge dans la
vie privée du couple, d’après les
pppv À NE PAS MANQUER
vert le film côte à côte, à Venise. A
la fin, elle s’est tournée vers moi :
« J’ai vu ma vie défiler à travers
vous. » C’est le plus beau compli-
ment qu’on m’ait jamais fait.
Est-elle, selon vous,
une pionnière du féminisme ?
C’est une femme d’une autre gé-
nération. Elle rencontre l’homme
le plus célèbre au monde alors
qu’elle n’a que 14 ans. Elvis lui
offre tout ce dont les femmes
avaient prétendument besoin, à
l’époque : un époux de rêve, une
jolie maison, une famille… Malgré
cela, Priscilla le quitte pour re-
prendre le contrôle de sa vie. Elle
veut plus, pour elle et pour sa fille.
Le film de Sofia fait tomber ces
idoles de leur piédestal, avec
beaucoup de subtilité. Il nous les
montre au quotidien, dans toute
leur humanité, avec leurs failles et
leurs faiblesses. Cela pose, je
pense, des questions très contem-
poraines sur la féminité, la célé-
brité, la santé mentale. Jacob
Elordi interprète à merveille cet
homme troublé et compliqué,
Elvis, qui aimait pourtant profon-
dément sa femme.
Mémoires de Priscilla Presley, El-
vis et moi, parus aux Etats-Unis
en 1985. On ne compte pas les
scènes de chambre, magnifiées
par la pénombre du chef opéra-
teur français Philippe Le Sourd,
où les amants, malgré une fran-
che complicité, glissent vers le
désastre, en commençant par les
pilules données sans restriction
à Priscilla pour dormir, la trans-
formant deux jours durant en
Belle au bois dormant.
Au-delà de la minutieuse et
splendide reconstitution de Gra-
celand (avant qu’Elvis ne la ré-
nove en 1970 et telle qu’on peut la
visiter aujourd’hui), la maison
fait figure d’écrin, exposant une
sélection d’objets choisis sous la
forme d’une panoplie glamour, le
long desquels erre Priscilla. Rien
ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS
Comme à son habitude,
Sofia Coppola a particulière-
ment soigné la bande-son.
Quelle chanson vous a
le plus touchée ?
La plupart des morceaux qu’elle
a utilisés figuraient déjà dans le
scénario, pour vous donner une
idée de la minutie de son travail !
Elvis et Priscilla s’embrassent
pour la première fois sur Crimson
and Clover, de Tommy James
& The Shondells. Cette chanson
confère à la scène une dimension
éthérée, onirique, presque ir-
réelle. Le film se termine sur I Will
Always Love You, de Dolly Parton.
C’est un titre qu’Elvis voulait en-
registrer, mais Dolly a refusé, car il
demandait un trop haut pourcen-
tage de droits d’auteur. Cela fait
écho aussi à ce qu’Elvis a déclaré à
Priscilla en sortant du tribunal,
lors de leur divorce : « Je t’aimerai
toujours. » Pour Sofia, il était im-
portant que le film s’achève sur
une voix de femme.
D’où vient votre prénom,
Cailee ?
Ma mère a décidé de donner à
tous ses enfants un prénom com-
n’est froissé, c’est doux, ça brille,
tout est parfaitement disposé. Il y
a chez Sofia Coppola un goût pour
l’accessoire, son cinéma regorge
d’inserts sur des bijoux, des sacs à
main, des chaussures, qui don-
nent l’illusion d’un bonheur à
portée de main. Priscilla a l’air de
vivre dans une maison de pou-
pées dont elle est devenue la prin-
cipale protagoniste, attendant
d’être déplacée, appelée, divertie
– un chiot, une voiture, un pisto-
let assorti à sa tenue – , habillée…
Une scène de shopping est parti-
culièrement réussie : entouré de
sa bande, Elvis emmène Priscilla
choisir quelques robes de soirée. Il
commente – « Tu es petite, les mo-
tifs ne te mettent pas en valeur » –,
les garçons ponctuent. Elle n’a pas
vraiment son mot à dire. Priscilla
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
vvvv ON PEUT ÉVITER
Priscilla Presley
(Cailee Spaeny). SABRINA LANTOS
mençant par un C. Et il y avait
beaucoup de Lee parmi mes ancê-
tres… Quand je commande un café
chez Starbucks, mon prénom est
toujours massacré, c’est amusant !
Dans quelle direction
voulez-vous faire évoluer
votre carrière ?
En avril sortira Civil War, d’Alex
Garland. J’y joue une reporter
couvrant une nouvelle guerre ci-
vile qui ravage les Etats-Unis. Le
film fait déjà beaucoup de bruit,
tant mieux. Puis il y aura Alien :
Romulus, de Fede Alvarez. Je suis
particulièrement friande de cette
franchise, qui a fait date dans
l’histoire du film d’horreur. A
l’avenir, je rêverais de tourner une
comédie musicale. Le Magicien
d’Oz, Chantons sous la pluie ou Les
Demoiselles de Rochefort figurent
parmi mes films de chevet. Mais,
pour l’heure, je vais rentrer dans
le Missouri, pour les fêtes. Depuis
deux ans et demi, j’enchaîne les
tournages et les voyages, je vis
dans une valise. Ça fait du bien de
se poser, auprès des siens. p
propos recueillis par
aureliano tonet
cherche à s’émanciper d’un cadre
de vie aussi déliquescent que ri-
gide à son égard, mais finit tou-
jours par n’être qu’un objet de lè-
che-vitrine pour son époux.
Une petite chose laissée dans un
coin, à disposition, jusqu’à ce
qu’elle trouve suffisamment de
ressources pour vivre sa vie. C’est
là que réside la beauté du film de
Sofia Coppola. Priscilla est entrée
dans son mariage seule : malgré
son attachement, Elvis n’a jamais
fait que la rejoindre dans des
chambres dont il lui indiquait
préalablement le chemin, afin
qu’elle l’y attende sagement. p
maroussia dubreuil
Film américain de Sofia
Coppola. Avec Cailee Spaeny
et Jacob Elordi (1 h 53).
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Quand Wang Bing filme l’amour
à l’ombre des machines textiles
Le cinéaste livre un magnifique documentaire sur de jeunes ouvriers
JEUNESSE
(LE PRINTEMPS)
pppv
u rang des métaphores
qui collent bien au
cinéma, l’une des plus
opérantes serait le
métier à tisser, griffe mécanique
capable de créer des étoffes,
comme le cinéaste assemble des
écheveaux de réalité, traversés par
le fil d’une idée. On soupçonne
l’analogie d’avoir caressé l’esprit
de Wang Bing, devant les hordes
de machines à coudre parmi les-
quelles il a promené sa caméra, et
leurs ronronnements furieux
remplissant les ateliers de confec-
tion de la ville textile de Zhili, à
150 kilomètres de Shanghaï.
Le documentariste chinois ins-
tallé à Paris a infiltré ces manufac-
tures pendant cinq ans, entre 2014
et 2019, avant que la pandémie de
Covid-19 n’y mette un coup
d’arrêt. Après avoir chroniqué le
déclin d’un vaste ensemble indus-
triel (A l’ouest des rails, 2003),
rappelé les dérives concentration-
naires de la Révolution culturelle
(Le Fossé, 2010 ; Les Ames mortes,
2018), filmé l’extraction du
charbon (L’Argent du charbon,
2009) ou l’hôpital psychiatrique
(A la folie, 2013), l’infatigable réali-
sateur poursuit ici son tableau
dissident de la Chine contempo-
raine, opposant chaque fois un
contrechamp à l’« économie so-
cialiste de marché ».
Si Wang Bing avait déjà filmé les
ateliers textiles de Huzhou dans
Argent amer (2016), Jeunesse (Le
Printemps) s’impose comme son
film le plus rayonnant, porté par
l’énergie vitale des jeunes gens
qui l’habitent. Ils ont la vingtaine,
affluent en masse des provinces
avoisinantes et constituent la
main-d’œuvre corvéable des fa-
briques foisonnantes de Zhili, qui
ne tournent qu’une partie de l’an-
née, quand le climat l’autorise. Le
temps étant compté, et le salaire
versé à la pièce, les mécaniciens
turbinent à plein régime, assem-
blent des vêtements pour enfants
bon marché destinés au marché
intérieur, à des horaires extensifs
de tôt le matin à tard le soir.
Wang Bing fait la tournée des
enseignes, petites entreprises fa-
miliales qui fonctionnent toutes
sur le même modèle. A mesure,
s’esquisse un aperçu de cette ville-
atelier où les fabriques se succè-
dent à longueur de rue, où il sem-
Une Laure Calamy en pleine crise de couple
La réalisatrice d’« Antoinette dans les Cévennes », Caroline Vignal, reforme son duo avec l’actrice
IRIS ET LES HOMMES
pvvv
V ingt ans avaient séparé
Les Autres Filles (sorti
en 2000) d’Antoinette
dans les Cévennes (2020), son
premier et son deuxième long-
métrage. Ce dernier, on s’en
souvient, avait remonté le moral
des spectateurs français, à l’épo-
que de la pandémie de Covid-19.
Le succès qu’il rencontra (plus de
700 000 entrées) explique sans
doute le retour, rapide cette fois,
de Caroline Vignal à la réalisation.
La cinéaste n’hésite pas, trois
ans plus tard, à reformer son duo
avec Laure Calamy à qui sa pour-
suite amoureuse dans les monta-
gnes cévenoles valut, en 2021, le
César de la meilleure actrice. Sa
présence dans Iris et les hommes
apparaît comme la meilleure idée
Dans un atelier de Zhili, dans la région de Shanghaï. HOUSE ON FIRE/GLADYS GLOVER/CS PRODUCTION
Le réalisateur
s’aventure
au cœur
des rapports
de production,
ce jeu de dupes
de la plus-value
ble n’y avoir rien en dehors de la
confection. Chaque atelier est
doté de ses propres dortoirs spar-
tiates, laissant à la main-d’œuvre
la possibilité de passer directe-
ment de son poste de travail à sa
chambre, et inversement.
On y vit comme en « colo », entre
les piles et les chutes d’étoffe,
patchwork infernal de matières et
de déchets. La promiscuité aidant,
les jeunes pensionnaires se cham-
brent et se chamaillent, les visages
rétroéclairés par la lumière des
smartphones, de fait unique fenê-
tre sur un dehors. Et puis, ça dra-
gue à tout va, les premières scènes
étant dévolues aux problèmes
concrets qui en découlent : gros-
sesses, avortements, affaires de
mésalliance, parents affolés, etc.
Wang Bing consacre, en outre, de
splendides passages aux amours
adolescentes, à ce qui se joue entre
de la nouvelle comédie de
Caroline Vignal, au demeurant
fort décevante, tant sur l’histoire
que sur la forme adoptée.
Adieu les verts pâturages, les
chemins accidentés du GR70,
l’âne Patrick et ses caprices. C’est
dans un Paris bourgeois que l’on
retrouve Laure Calamy (Iris), den-
tiste exerçant dans son propre ca-
binet, mariée depuis plus de vingt
ans à Stéphane (Vincent Elbaz),
architecte débordé avec qui elle
partage une vie sans nuages, un
appartement cossu et deux ado-
lescentes brillantes.
Bref, cette famille-là, les amis
l’envient et l’admirent. Iris, elle,
s’y étiole. La raison, aussi banale
qu’inavouable : cinq ans qu’elle et
son cher et tendre n’ont plus fait
l’amour. La cinquantaine appro-
chant, il serait temps de réagir.
Puisque l’époux ne manifeste
garçons et filles, ou comment l’on
se conte fleurette en cousant côte
à côte. Matière de bagatelle à la-
quelle le cinéaste ne nous avait
pas habitués, qui marque dans
son œuvre une bouffée de légè-
reté, d’évanescence.
Toujours au bon endroit
Le documentaire agit ainsi sur
deux niveaux. Le premier est celui
de la condition ouvrière et de
l’aliénation au travail : les sil-
houettes pliées sur les machines,
les cadences infernales, les gestes
enchaînés, la paye toujours insuf-
fisante… Le second rassemble le
portrait spécifique de la généra-
tion qui se constitue dans ces ate-
liers. Face au travail, la caméra en-
registre aussi ce qui résiste au
travail : les interstices de liberté ou
de joie que garçons et filles ne ces-
sent de s’inventer au cœur du sys-
tème. Par-dessus le bourdonne-
ment des machines, la techno qui
résonne encore plus fort, les ro-
mances pop entonnées en chœur.
Face aux gestes rationalisés, exé-
cutés à haute vitesse (prenant
parfois de court la caméra), les pa-
roles badines ou vagabondes.
Wang Bing opère par blocs de
réalités, son approche se mesu-
rant au temps passé parmi ses
personnages. Filmeur à la pré-
sence insistante qui ne cherche
plus aucun désir, Iris s’aidera d’un
site de rencontre pour chercher
les plaisirs de la chair.
Caractère daté
Le film, qui avait plutôt bien
commencé, s’essouffle rapide-
ment, dès lors qu’il se met à suivre
son héroïne au fil de ses rendez-
vous extraconjugaux. Etreintes
arrachées à un emploi du temps
serré, parties de sexe plus ou
moins maladroites, faussement
cocasses, se succèdent. Produi-
sant les mêmes effets (messages
tombant en rafale sur le portable,
effondrement progressif de l’as-
sistante chargée de jongler avec
l’agenda) et transportant l’épouse
frustrée vers un épanouissement
croissant qui ne libérera pas seu-
lement le corps. La parole aussi se
déchaîne, qui fera trembler les
murs du foyer. Tandis que passent
E
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jamais à se cacher, il arrache les
prises aux circonstances. Sa force
est d’être là, toujours au bon
endroit, comme lorsqu’une
échauffourée éclate entre petits
coqs d’atelier, qui s’envoient leurs
ciseaux au visage. Ou lors de ces
passages sidérants où les ouvriers
se liguent pour interpeller le
patron, et négocier de modestes
augmentations de salaire.
Jeunesse s’aventure alors au cœur
des rapports de production, ce jeu
de dupes de la plus-value,
inchangé depuis Marx, et qui
prend ici la forme d’un effarant
dialogue de sourds.
Le film se déployant sur 215 mi-
nutes n’a rien d’un monolithe ou
d’une plongée en apnée. Au
contraire, ce qui sidère ici, c’est à
quel point la force politique rési-
dant dans le simple fait de filmer
le travail s’articule à un éventail de
portraits, jeunes pousses exhalant
des bouffées de rêves et de senti-
ments. Jeunesse (Le Printemps)
réagence ainsi en termes d’élans
et de promesses quelque chose du
chiasme forgé par Godard dans
Passion (1982) : « Aimer à travailler,
travailler à aimer. » p
mathieu macheret
Documentaire français,
luxembourgeois et néerlandais
de Wang Bing (3 h 35).
les hommes, réduits chacun à la
portion congrue, Iris s’exalte, au
point d’offrir une séquence de
comédie musicale qui tombe
comme un cheveu sur la soupe. Et
qui, surtout, confirme le caractère
daté du film, dont l’esthétique et
le ton rappellent certaines comé-
dies françaises des années 1980.
Si bien que, dans Iris et les
hommes, les écrans tactiles et les
réseaux sociaux paraissent eux
aussi prendre un coup de vieux. Il
faut bien le talent, la fantaisie, le
sens du rythme de Laure Calamy
pour donner un peu de relief et de
souffle à cette comédie qui en
manque cruellement. p
véronique cauhapé
Film français de Caroline Vignal.
Avec Laure Calamy,
Vincent Elbaz, Suzanne
de Baecque (1 h 38).
culture | 15
ppvv À VOIR
L’Usine, le bon, la brute et le truand
Documentaire français de Marianne Lère Laffitte (1 h 15).
Au printemps 2021, la réalisatrice et productrice Marianne
Lère Laffitte, diplômée de la Fémis, découvre le combat de
trois élus du personnel, Julien, Cyril – tous deux syndiqués
à la CGT – et Arnaud, cadre sans étiquette, en lutte contre
la fermeture de la papeterie Chapelle-Darblay. Située à Grand-
Couronne (Seine-Maritime), à quelques kilomètres de Rouen,
l’usine est le dernier site, en France, à fabriquer du papier
100 % recyclé, assurant l’équivalent du tri de 24 millions de
personnes par an. En 2019, le propriétaire finlandais (UPM)
décide de vendre l’entreprise et de licencier le personnel.
A l’arrêt depuis juin 2020, l’usine est menacée d’être transfor-
mée en site de production d’hydrogène. Ce qui aurait pour
conséquence, au-delà de la catastrophe sociale, que le papier
recyclé devrait être à l’avenir importé… Un non-sens
écologique à l’heure où les pouvoirs publics, de surcroît en
pleine crise due au Covid-19, ne parlent que de réindustriali-
sation et de production locale. Les salariés de la papeterie
Chapelle-Darblay, les « pap-chap » comme ils disent, n’enten-
dent pas se laisser faire. Le documentaire suit le quotidien de
Julien (« le bon »), Cyril (« la brute ») et Arnaud (« le truand »),
qui essayent de faire valoir auprès des pouvoirs publics
la candidature d’un repreneur spécialisé dans le tri (Veolia
et Fibre Excellence), avec l’aide du collectif Alliance écologi-
que et sociale – anciennement Plus jamais ça. La musique
du film n’est pas d’Ennio Morricone (1928-2020), mais le ton
y ressemble, installant la dramaturgie dès les premières ima-
ges. Cela ressemblerait presque à une fiction, ou à un feel-
good movie, tellement l’histoire finit bien. Mais tout est vrai,
et ça crève l’écran. p cl. f.
pvvv POURQUOI PAS
Amours à la finlandaise
Film finlandais de Selma Vilhunen (2 h 01).
Après avoir découvert que son mari, pasteur, la trompait,
une politicienne (de gauche, assurément) décide d’accepter
la chose et propose à son époux de vivre une relation
ouverte à d’autres rencontres. Elle entame, en conséquence,
une liaison avec un brancardier que l’on pourrait définir
comme non-binaire (pourquoi pas ?). Les choses se corsent
lorsque la maîtresse se retrouve enceinte et que les beaux-
parents apprennent la situation. Un tel récit aurait pu ouvrir
la voie à une bonne comédie de situations vacharde. La li-
berté sexuelle est-elle possible ? semble s’interroger le film.
Hélas, le choix d’un naturalisme sociétal appliqué, de la
quête d’une vérité sociologique introuvable, ne débouche
que sur une suite de clichés, de scènes attendues et de con-
tradictions très vite désamorcées. Avec son psychologisme
un peu geignard, sa mise en scène d’une grande platitude,
le film de Selma Vilhunen enfonce plusieurs portes ouvertes
et prend le risque de n’être qu’une vision purement sympto-
matique, une fenêtre ouverte avec un point de vue imprena-
ble sur les idées reçues du moment. p j.-f. r.
Le Plongeur
Film canadien de Francis Leclerc (2 h 07).
Stéphane (Henri Picard), 19 ans, étudiant en graphisme dont
l’ambition est de devenir illustrateur, file un mauvais coton.
Accro aux machines à sous qui, partout dans Montréal, le
narguent, il emprunte auprès de ses amis, ne paie plus son
loyer depuis des mois, accumule les dettes. Décidé à se ressai-
sir, il accepte un travail de plongeur dans un restaurant chic
et feutré de la ville. Dans l’arrière-cuisine où s’affole et
s’insulte toute une petite brigade, il règne, en revanche, une
ambiance de troufions. Cela n’empêche pas les belles amitiés
de se former, que favorisent (ou pas), après le boulot, les
tournées dans les bars, lieux de détente mais aussi de danger
pour Stéphane. Récit d’apprentissage et de rédemption tiré
du roman du même nom, best-seller au Québec, de Stéphane
Larue (Points, 2020), Le Plongeur parvient, un temps, à nous
hypnotiser grâce à la justesse et la nervosité que sa réalisa-
tion accorde au quotidien chaotique de son jeune héros.
L’alternance systématique des séquences dans l’arrière-
cuisine et des virées nocturnes, qu’unifie une esthétique
inspirée des années 1970 façon Scorsese, finit cependant par
provoquer le sentiment d’un jour sans fin. Et le jeune Henri
Picard, hélas, n’a pas la carrure d’un Al Pacino. p v. cau.
vvvv ON PEUT ÉVITER
Moi capitaine
Film italien, belge et français de Matteo Garrone (2 h 04).
Depuis Gomorra (2008), qui avait fait vive impression par
son incursion chorale dans les cités populaires de Naples aux
prises avec la Mafia, le cinéma de l’Italien Matteo Garrone n’a
jamais complètement retrouvé une telle portée. Sa tendance,
de Reality (2012) à Pinocchio (2019), fut plutôt à l’hyperbole,
à la fuite vers l’allégorie, voire à la boursouflure numérique.
Moi capitaine, Lion d’argent à la Mostra de Venise, en
septembre, variation sur la crise migratoire, opère un retour
à une réalité largement documentée, narrant sur la base
de témoignages le périple de deux jeunes Sénégalais vers
l’Europe. Seydou (Seydou Sarr) et Moussa (Moustapha Fall),
adolescents et amis, décident de faire le grand saut. Ils s’envo-
lent de Dakar, se fient à des passeurs, mais, avant de gagner
Tripoli, se perdent de vue quand leur convoi est pris d’assaut
par des mercenaires libyens, mafieux esclavagistes. Les mê-
mes brigands propulseront un Seydou inexpérimenté à la
tête d’un rafiot croulant de monde, balancé dangereusement
vers les côtes italiennes. Moi, capitaine entend ainsi renverser
le point de vue européen en adoptant celui du migrant,
l’enjeu pour Garrone étant, d’abord, de se transporter dans
une autre culture que la sienne. Il fait de Seydou un nouveau
« Candide », voyageur naïf dont les illusions se heurtent aux
atrocités du monde, l’ironie en moins. Déconcertante est,
en effet, la façon dont le film embrasse cette naïveté pour
repeindre le parcours de migration aux couleurs du conte
de fées. On ne saurait imaginer registre plus malvenu, en ce
qu’il implique une forte dose de spectacularisation et même
de mythification. Où qu’on regarde, Moi capitaine enfouit
la tragédie migratoire sous une patine angélique. p ma. mt
À L’AFFICHE ÉGALEMENT
La Hess
Film français d’Alexandre Lemoine-Courx (1 h 05).
Night Swim
Film américain de Bryce McGuire (1 h 38).
16 | télévision
Crime et magie en pays navajo
La fiction policière « Dark Winds » parvient à se réapproprier un territoire et une culture
POLAR+
MARDI 2 - 20 H 55
SÉRIE
E
crasées de soleil ou en-
neigées, les buttes de
Monument Valley veil-
lent, impassibles, sur les
quêtes du lieutenant Joe Lea-
phorn (Zahn McClarnon), de la
police tribale navajo. Vues d’un
fauteuil de cinéma, on aurait pu
croire que ces formations ro-
cheuses étaient la propriété de
John Ford qui en fit l’arrière-plan
de quelques westerns majeurs.
Avant d’être un décor hollywoo-
dien, Monument Valley est un
lieu sacré navajo. Les deux sai-
sons de Dark Winds, que l’on
pourra découvrir dans leur conti-
nuité sur Canal+, sont, autant
qu’une série policière à la méca-
nique impressionnante, une
œuvre de réappropriation esthé-
tique et politique, le contre-
champ longtemps attendu de la
conquête de l’Ouest américain.
Publiée entre 1970 et 2006, la
série de romans de Tony
Hillerman qui suit la piste de Joe
Leaphorn et de son cadet Jim
Chee a été pour beaucoup une in-
troduction à la culture navajo.
En 1991, sous l’égide de Robert
Redford, le documentariste Errol
Morris (auteur du récent Tunnel
aux pigeons, consacré à John le
Carré) a tenté d’adapter l’un des
récits d’Hillerman, confiant le
rôle de Leaphorn à un acteur
d’origine européenne, Fred Ward.
Les désaccords entre Redford et
Morris ont conduit au départ du
second, et The Dark Wind est resté
inédit aux Etats-Unis (il est briè-
vement sorti en salle en France).
Son producteur devait le renier.
« Les trucs indiens »
En 2002, Tony Hillerman racontait
dans le Los Angeles Times qu’un
agent artistique lui avait expliqué
que « le seul moyen de le vendre
[pour une adaptation] était de se
débarrasser de tous les trucs in-
diens ». Vingt ans plus tard, Robert
Redford, qui est finalement resté
détenteur des droits, est à nou-
veau au générique de Dark Winds,
en tant que producteur exécutif.
Cette fois, le créateur, Graham Ro-
land, les scénaristes, les réalisa-
teurs et les interprètes sont issus
de différentes nations amérin-
GRILLE N° 24 - 002
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
II
III
IV
V Importante cité du Péloponnèse.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 001
HORIZONTALEMENT I. Chausse-trape. II. Rumba. Ne. Bal. III. Amourette.
Te. IV. DIN. Dreads. V. Il. Boer. Epia. VI. Ninon. Iéna. VII. Gainions. Tom.
VIII. Une. Questure. IX. Et. Oui. Ail. X. Sempervirent.
VERTICALEMENT 1. Cradingues. 2. Humiliante. 3. Amon. Nie. 4. Ubu.
Bon. Op. 5. Sardonique. 6. Ere. Ouïr. 7. Entériné. 8. Téta. Essai. 9. Eden.
Tir. 10. AB. Spatule. 11. Pat. Or. 12. Elégamment.
Kiowa Gordon (à gauche) et Zahn McClarnon dans « Dark Winds », de Graham Roland. MICHAEL MORIATIS/STALWART PRODUCTIONS/AMC
diennes et les « trucs indiens » sont
l’essence même de cette fiction.
Roland est un vétéran des séries
d’action, de Prison Break à Jack
Ryan. C’est sans doute de ce côté
que l’on doit chercher l’origine du
versant classique de Dark Winds.
La série s’ouvre sur un spectacu-
laire hold-up dans les rues de
Gallup (Nouveau-Mexique), suivi
d’une fuite en hélicoptère qui fait
atterrir les braqueurs au cœur de
la réserve navajo. L’agent du FBI
chargé de l’enquête (Noah
Emmerich, dans une version
sombre du personnage qu’il in-
carnait dans The Americans) s’est
adjoint les services d’un débu-
tant doué, Jim Chee (Kiowa
Gordon), qui présente l’avantage
d’être lui-même navajo.
On est au début de la décennie
1970, et les scénaristes jouent des
frictions entre la vie quotidienne
sur la réserve, son dénuement,
son mode de vie pastoral menacé
par la réalité du marché, l’ombre
de la guerre en Asie du Sud-Est, la
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
Les deux
saisons sont
le contrechamp,
longtemps
attendu, de la
conquête de
l’Ouest américain
renaissance du militantisme
amérindien. Sur leur chemin, le
duo d’enquêteurs verra surgir des
figures classiques du roman noir
américain – le policier corrompu,
le magnat des affaires pervers.
Sur ces fondations familières,
Dark Winds construit un édifice
nouveau, traversé de courants
d’air étranges. D’une saison
l’autre, la magie et la croyance
cherchent leur place dans la pen-
sée forcément rationnelle des
policiers. Bernadette Manuelito
(Jessica Matten), l’adjointe de Lea-
HORIZONTALEMENT
I. Passer ses nuits dans l’angoisse et
l’horreur. II. Arrive en renfort. Se jette
en Seine. III. Durable et persistante,
elle restera chez vous. Parti de J. C.
IV. Pièce de la charrue. Sonja,
patineuse norvégienne, championne
du monde et olympique. Cours de la
botte. V. Bouts de lin. A gauche toutes.
VI. Homme du siècle. VII. Coupé de
la communication orale. Préposition.
Le quatrième fut terrible. VIII. Roule
en piste. Manifestèrent. IX. Niche
pour l’éternité, dans la construction.
X. Gros et graves problèmes
de la circulation. Me lançais.
VERTICALEMENT
1. Tranquilles promenades hier,
elles se sont emballées aujourd’hui.
2. Bonne disposition des caractères.
3. Laitue de mer chez les algues.
Risque d’attraper froid. Sur la portée.
4. L’œil de Washington sur le monde.
Tiges des fougères et des palmiers.
5. Tranchée et réduite. Piégée.
6. Grecques venues des îles.
7. Personnel. Dans les profondeurs.
8. Cinéaste italien. Pousse vers l’ex-
ploit en trichant. 9. Reprendras le tra-
vail à pleines mains. 10. Pas facile à
cuire. Voyagera librement. 11. Dans
l’erreur. Saint en région. Contre tout.
12. Entraînent dans un univers
de détente et de délassement.
phorn, compte sur les plantes et
les roches de son territoire pour
tenir à distance les forces du mal.
Symétriquement, les hommes
qui ont fait de la réserve une zone
de guerre comptent dans leurs
rangs une sorcière qui maîtrise
une magie destructrice.
Récit contemplatif
Tout cela n’est pas simple à met-
tre en scène, et Dark Winds se fait
parfois didactique dans sa cons-
tante volonté de représenter sous
tous ces aspects une pensée, une
culture que la fiction américaine,
du Dernier des Mohicans aux wes-
terns révisionnistes des années
1970, a toujours considérées du
dehors. Si elles ralentissent l’ac-
tion, ces digressions – comme
celle qui évoque le programme de
stérilisations forcées en pays na-
vajo, conséquence perverse
d’une loi sur le planning familial
votée en 1970 – font aussi le prix
d’un récit qui sait se faire contem-
platif. Souvent dialoguées en lan-
SUDOKU
N°24-002
CRUCIVERBISTES,
À VOS CRAYONS !
100 GRILLES
gue navajo, ces séquences offrent
aux acteurs l’espace nécessaire
pour déployer des personnages
qui prennent de l’épaisseur au fil
des épisodes.
Zahn McClarnon, qui tient aussi
un rôle de policier bienveillant
dans le formidable Reservation
Dogs (dont Disney+ France fait
toujours attendre la troisième et
dernière saison), laisse peu à peu
transparaître la fragilité d’un
homme usé par la contradiction
entre les deux définitions de sa
mission : l’officielle qui voudrait
qu’il maintienne l’ordre améri-
cain sur le territoire concédé aux
vaincus, l’officieuse qui fait de lui
le protecteur de son peuple con-
tre ce même ordre américain. p
thomas sotinel
Dark Winds, série crée par
Graham Roland avec Zahn
McClarnon, Kiowa Gordon
(Etats-Unis, 2022-2023, deux
saisons de 6 × 50 minutes).
Polar+, le mardi à 20 h 55.
Chez votre marchand de journaux
et sur lemonde.fr/boutique
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
NOTRE
SÉLECTION
M ER CR ED I 3 JAN V IER
Arte
Plein soleil
20.55 Si l’adaptation à l’écran du
roman de Patricia Highsmith par
René Clément marque pour
beaucoup l’acte de naissance de
la star Delon, Alain ne brille que par
la puissance du duel auquel il se livre
avec Maurice Ronet, magnifique,
devant les yeux verts de Marie Laforêt.
OCS Pulp
Apaches
21.00 Romain Quirot nous plonge
dans le Paris de 1900, à feu et à sang,
alors que des bandes d’anarchistes
gangsters, les apaches, font régner
la peur et la terreur. Corsetée
et fardée, Alice Isaaz en impose.
France 5
Les Trésors de Marie-Antoinette
à Versailles
21.05 Alors que le château fête
ses 400 ans, la journaliste Sophie
Jovillard ouvre les portes du chantier
des appartements de la souveraine,
épouse de Louis XVI, de son petit
théâtre, de son « hameau » restauré
et donne à voir sa correspondance
avec le comte de Fersen.
le 26 novembre 2022.
France 3
La Traversée de Bourvil
21.10 Le récit, chronologique, relate
à l’aide d’archives, parfois familiales,
la vie de ce fils de paysans
normands, intelligent et naïf, qui
a percé dans la chanson grâce au
Crayons avant d’exploser à l’écran
à partir de La Traversée de Paris,
et de tourner avec les plus grands.
Canal+
Dans 5 ans
21.10 Envie de voir à quoi
ressemblera la France en 2028 ?
Accrochez-vous à cette comédie
dystopique écrite et portée par
le stand-upeur Hakim Jemili,
entouré de tout un tas d’humoristes,
Roman Frayssinet en tête.
Culturebox France 4
Aldebert - Enfantillages 4
au Zénith de Paris
21.10 Un concert du chanteur-
compositeur Guillaume Aldebert
pour petits et grands. Avec poésie,
une super-mamie volante,
des effets spéciaux et des
multi-instrumentistes virtuoses.
Un spectacle de circonstance
capté au Zénith de Paris.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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Courrier des lecteurs
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93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
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Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024 carnet | 17
Hervé, Véronique, Pascale, Isabelle, Corinne, Christiane, Jean-Patrick Françoise et Jacques Malardel,
Stéphane, et Francis (†) Martini, Claire et Thierry Simon,
Anniversaire de décès
ses enfants, ses enfants
et leurs conjoints, Anne et Pierre-Louis Blelly, Il y a dix ans, notre cher
Le Carnet leurs conjoints,
en vente Ses petits-enfants, Ses petits-enfants, Jacques et Florence Robineau,
actuellement Ses arrière-petits-enfants, ses enfants, Philippe
Ses arrière-petits-enfants,
Ses petits-enfants,
Vous pouvez nous faire parvenir ont la tristesse de faire part du décès
K En kiosque vos textes soit par e-mail :
ont la tristesse de faire part du rappel de Ses arrière-petits-enfants, nous quittait.
à Dieu de Bernard Bagot,
carnet@mpublicite.fr Mme Anne MARTINI, Une personne chère ne disparaît
Cécile Bagot,
HORS-SÉRIE

(en précisant impérativement M. Jacques DUBOIS, veuve de jamais ; elle vit au plus profond de
M. Jean MARTINI, Nicole Bagot,
votre numéro de téléphone et époux de nos cœurs.
votre éventuel numéro d’abonné Mme Nicole DUBOIS, ses frère, nièce et sœur
L’HISTOIRE DU
ou de membre de la SDL)
ingénieur général
survenu le 27 décembre 2023,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Ainsi que toute la famille,
Que tous ceux qui l’ont connu et
PROCHE ORIENT
10 000 ans de civilisation
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
des ponts et chaussées,
oicier de la Légion d’honneur,
La cérémonie religieuse sera célébrée ont la tristesse de faire part du décès
aimé aient une pensée afectueuse
pour lui.
le 5 janvier 2024, à 14 h 30, en l’église du
commandeur de l’Immaculée Conception, à Boulogne-
L’équipe du Carnet reviendra vers
de l’ordre national du Mérite, Billancourt (Hauts-de-Seine). De la part de
vous dans les meilleurs délais
ÉDIT ION

Comprendre le présent à la lumière du passé

20 23
docteur Thérèse
pour vous confirmer la parution. le 22 décembre 2023, Cet avis tient lieu de faire-part et ROBINEAU - BAGOT, Colette Meyer,
Hors-série au Havre, de remerciements. ancien interne son épouse,
carnet@mpublicite.fr à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. des Hôpitaux de Paris, Camilla Winkler, Ilona Maintigneux
https://carnet.lemonde.fr Paris. Bruxelles. Nantes. ancien chef de clinique, et Léopold Meyer,
La cérémonie religieuse sera
100 GRILLES
Mme Nicole Mouton, pédiatre, ses enfants.
célébrée le jeudi 4 janvier 2024, à
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 8
15 heures, en l’église Saint-Denis de née Ngo Dinh Luyen,
AU CARNET DU «MONDE» Sainte-Adresse.
son épouse, survenu le 19 décembre 2023, Concert
Dimitri Mouton,
Gaëlle Mouton et Romain Busnel, à Longjumeau,
Anniversaire de naissance 47, rue d’Ignauval, Vanessa et Guillaume Aldebert, à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
76310 Sainte-Adresse. ses enfants et ses gendres,
Unglaubich aber trotzdem wahr Apolline, Noah et Tom,
Heute bin Ich achtzig Jahr* ses petits-enfants, La cérémonie religieuse sera célébrée
Neuilly-sur-Seine.
le mardi 9 janvier 2024, à 10 h 30, en
Elfriede (Humbert) FERRONI. ont la tristesse de faire part du décès l’église Saint-Jean-Baptiste de Sceaux
Magazine n° 8 Mme Nicole Giuliano, de
Néo-octogénaire ! son épouse, (Hauts-de-Seine), 1, rue du Docteur
Florence et Laurence, M. Philippe MOUTON, Berger, suivie de l’inhumation dans
*Contre vents et marées quatre- ses illes, ancien secrétaire général la sépulture familiale, au cimetière
HORS-SÉRIE

vingts belles années. Maximilien, du groupe Pernod Ricard,

ancien président de Sceaux.
son petit-ils, L’Association A4
de la Fédération française
Décès Jean-Loïc, des spiritueux,
Claire Simon, organise un concert caritatif,
son gendre, ancien président
47, rue Charles-Péguy, pour recueillir des fonds
40
Laurent, Philippe et Cécile Amar, de la Confédération européenne
ses enfants, ont l’immense douleur de faire part des producteurs de spiritueux, 91120 Palaiseau. ain de permettre la détection
CARTES Erri, Vincent, Benjamin, Alexis et du décès du
POUR COMPRENDRE

survenu le 21 décembre 2023, précoce chez les bébés

UN MONDE FRACTURÉ Mathis,
à l’hôpital de Nanterre, Sa ille présentant des troubles du spectre
ses petits-enfants, docteur Gérard GIULIANO,
Claude, Max, Samuel, Henri et à l’âge de soixante-dix-huit ans. Et son beau-ils, de l’autisme, dès la crèche.
Hors-série Jacqueline,
ses frères et sœur, survenu le 28 décembre 2023, La cérémonie d’adieu aura lieu le
à Neuilly-sur-Seine, vendredi 5 janvier 2024, à 14 h 15, ont la tristesse de faire part du décès
Inscrivez-vous vite !
HORS-SÉRIE

ont la douleur d’annoncer le décès à l’âge de quatre-vingt-un ans. au crématorium du Mont-Valérien, de

à Nanterre.
de
Le 12 janvier 2024, à 20 h 30,
L’ATLAS
DES
6 000 ANS 150 CARTES
Roger AMAR,
Une cérémonie religieuse sera
célébrée le 5 janvier 2024, à 14 h 30,
en l’église Saint-Pierre de Neuilly-
La famille tient à remercier par
avance toutes les personnes qui
Georges SANGIS,
salle Cortot, 78, rue Cardinet, Paris 17e,
D’HISTOIRE & INFOGRAPHIES
s’associeront à sa peine. avec Clémence Guerrand,
survenu le 29 décembre 2023, à Paris, sur-Seine. survenu le 27 décembre 2023.
dans sa quatre-vingt-huitième année. Un don peut être fait en sa pianiste internationale.
L’inhumation aura lieu au cimetière mémoire, au proit de l’association Il sera inhumé, entouré de ses Pour réserver sa place (42 €)
Florence Bouzinac, ancien de Neuilly-sur-Seine. France Parkinson.
proches et amis, le 3 janvier 2024, au https://a4-autisme.fr
sa sœur,
Beatrix Pensa, famillemouton45@gmail.com cimetière d’Arbonne-la-Forêt. 06 60 19 68 52.
Cet avis tient lieu de faire-part.
son amie,
Hors-série
ont la douleur de faire part du décès Ses ils,
de Ses frères,
L’ensemble de sa famille
HORS-SÉRIE

François BOUZINAC, Et de ses amis,

journaliste,
UN LONG CHEMIN
VERS L'INFINI
survenu à l’âge de soixante-cinq ans,
ont l’immense peine de faire part du
décès de
Quotidien + numérique
le 24 décembre 2023, à Saint-Cloud.
Mme Monique GRINARD,
Les obsèques ont eu lieu le
vendredi 29 décembre, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e. survenu le 23 décembre 2023,
à l’âge de soixante-douze ans. Le journal
Hors-série f.bouzinac@free.fr
bpensa@orange.fr Ses obsèques se tiendront le mardi
et ses suppléments
Musée d'Histoire de Nantes
9 janvier 2024, à 15 h 30, en la salle
de la Coupole du crématorium du
livrés chez vous
Les membres de l’association
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24
HORS-SÉRIE

Afaires publiques cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

Comment
les Mongols
ont changé font part du décès de Cet avis tient lieu de faire-part.
Tous les contenus
numériques sur le site
le monde

Joël CARTRON,
GENGIS docteur en droit public
Orléans.
et les applications
KHAN En partenariat
de l’université Paris 1-Sorbonne,
responsable du site
afaires-publiques.org
Christian de Montilbert,
son compagnon,

169 € pour 6 mois

avec

Jérôme Martin et Sophie Todescato,

survenu à Paris, le lundi 25 décembre ses enfants
Hors-série 2023, à l’âge de soixante-sept ans. et leurs conjoints,
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Anna et Avi,
son petit-ils,
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Benjamin et Bernadette, sa sœur
CHEFS -D’OEUVRE ses enfants et leurs conjoints, Et Claude Mouchard,
EN M I N I AT U R E Jean Picard, son beau-frère,
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE son compagnon, Jean et Daniel Mouchard, Abonnez-vous en ligne sur :
Rébecca, Deborah et Assaf, Jérémie ses neveux, abo.lemonde.fr/quotidien6M
et Jessica, Ruben et Judith, Itamar,
Parents et alliés,
Raphaël, Zoé, Anton,
ses petits-enfants, Les amis de la librairie Les Temps
Ses douze arrière-petits-enfants, modernes, qu’elle fonda à Orléans en

ont la grande tristesse de faire part

1964,
BULLETIN D’ABONNEMENT 231EMQAD6M
A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
du décès de ont la tristesse de faire part du décès
de Je m’abonne à l’ofre Quotidien + numérique du Monde Nom :
Mme José CIMERMAN,
née SCHWETZ, pendant 6 mois pour 169€ au lieu de 577,20€ (prix de vente au numéro). Prénom :
Mme Catherine MARTIN-ZAY.
Adresse :
6 quotidiens + « M le magazine du Monde »
Actuellement en vente, survenu le 22 décembre 2023, La cérémonie aura lieu le vendredi Code postal :
dans sa quatre-vingt-huitième année. + tous les contenus numériques sur le site
le volume n° 1 5 janvier 2024, à 15 heures, au Temple
et les applications + les archives du Monde depuis 1944 Localité :
LES FLEURS DU MAL d’Orléans, suivie de l’inhumation au
La cérémonie funéraire aura lieu + l’application La Matinale + plus de 2000 grilles de jeux
grand cimetière. E-mail :
le mardi 9 janvier 2024, à 13 h 15,
Nos services au crématorium du cimetière du en ligne. @
*Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse

Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Cet avis tient lieu de faire-part et Je règle par : J’accepte de recevoir des ofres du Monde OUI NON
Paris 20e. de remerciements. ou de ses partenaires OUI NON
Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde
Lecteurs Carte bancaire (paiement sécurisé)
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Société éditrice du « Monde » SA en appelant le 03 28 25 71 71 (tarif d’un appel local) Bulletin à compléter et à renvoyer à :
K Abonnements Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
Sur abo.lemonde.fr Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
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Par tél. au 03 28 25 71 71
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Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann Immeuble Boîte aux lettres : Bât. N° spécifique
K Le Carnet du Monde Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo Digicode N° Nominative Collective Escalier N° le week-end
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carnet@mpublicite.fr Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin, SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 67/69, AVENUE PIERRE-MENDÈS-FRANCE - 75707 PARIS CEDEX 13 - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 124 610 348,70€. Ofre réservée aux nouveaux abonnés, valable en France
Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées) métropolitaine jusqu’au 31/12/2023. Les CGV applicables à l’abonnement souscrit sont consultables et téléchargeables au lien suivant : https://moncompte.lemonde.fr/cgv. Si vous êtes mineur, la souscription du
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Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
18 |
SCIENCE & MÉDECINE
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024

Dry January,
sans le soutien de l’Etat
Près de soixante associations et collecti-
vités soutiennent le Dry January (« défi de
janvier »), la cinquième édition de cette
campagne qui se tient chaque début
d’année. Popularisée au Royaume-Uni,
elle consiste à faire une pause dans sa
consommation d’alcool. Cette campagne
a trouvé un certain écho dans la société,
malgré l’absence du soutien de l’Etat.
Un sondage, réalisé en décembre par
OpinionWay pour la Ligue contre le can-
cer, a montré que 70 % des Français ne
voient « aucun problème à laisser des mi-
neurs consommer de l’alcool » à l’occasion
des fêtes de fin d’année. L’association dé-
plore une large banalisation de l’alcool et
critique la « position ambiguë » de l’Etat.

ment qui permette à l’usager de trouver

ses propres motivations et ressources pour
changer », précise Lucie Pennel.
Lors d’une étude pilote sur le pro-
gramme Etape menée de 2014 à 2017 et
publiée en décembre 2019 dans la revue
ADSP du Haut Conseil de la santé publi-
que, il a été montré que les aidants (114 au
MALIJO départ) présentaient une amélioration si-
gnificative des scores de dépression (47 %),

Alcoolisme : des groupes

du sentiment de compétence à soutenir
l’usager (41 %), d’anxiété (35,5 %) et de qua-
lité de vie (32 %). L’amélioration s’est main-

C
e lundi de décembre, une tenue à douze mois. Les effets sont aussi

de parole pour aider l’entourage

vingtaine de personnes − ce
jour, uniquement des fem-
mes − sont assises en cercle
dans une salle louée dans une
église du XVIIe arrondissement de Paris.
Elles sont mères, conjointes, filles de per-
sonnes ayant un trouble lié à l’alcool, et se
retrouvent chaque semaine pour cette
réunion de l’association Al-Anon, qui
dure environ deux heures.
Ces groupes sont nés aux Etats-Unis
en 1951, à l’initiative des épouses des fon-
dateurs des Alcooliques anonymes (AA).
L’association Al-Anon, créée en France
en 1962, compte à ce jour 135 groupes dans
l’Hexagone. Un seul but : aider les familles
de malades alcooliques. Une campagne,
appelée « Une bouteille à la mer », vient de
débuter pour faire connaître ces groupes
de parole, car « les dégâts collatéraux de
l’alcool sur l’entourage des malades alcoo-
liques sont rarement abordés ».
Se dégager de la culpabilité
« Nous croyons que l’alcoolisme est un mal
familial − une personne alcoolique fait
souffrir en moyenne cinq personnes de son
entourage − et que le changement d’atti-
tude des aidants peut contribuer au réta-
blissement », c’est ainsi que démarre la
réunion, ouverte cette semaine par
Jeanne (les prénoms ont été modifiés).
L’anonymat est la règle. Lors d’un premier
tour de table, l’appréhension des fêtes de
fin d’année, où les occasions de boire se-
ront nombreuses, revient souvent. Le
thème de ce lundi, « Un jour à la fois », est
l’un des outils Al-Anon. Cette méthode en
douze étapes s’appuie sur celle des AA,
sorte de guide vers le rétablissement.
Rappelons que l’alcool, responsable di-
rectement ou indirectement de plus de
200 maladies, tue environ 41 000 person-
ADDICTION - L’association Al-Anon propose un accompagnement
des familles de personnes ayant un problème avec l’alcool. L’objectif ?
Réduire la souffrance des aidants et les rendre acteurs du parcours de soins
nes chaque année en France. C’est le pre-
mier facteur de risque de mortalité pré-
maturée et d’incapacité chez les 15-49 ans.
Epouse d’un mari alcoolique devenu
abstinent il y a déjà longtemps, Sandra,
qui fait partie du groupe depuis une ving-
taine d’années, décrit son état de sidéra-
tion face au « tsunami » qu’ont provoqué
la maladie psychique de son fils et sa con-
sommation d’alcool de plus en plus im-
portante. Toutes les femmes de ce groupe
sont arrivées « désespérées », l’une disant
« ne plus savoir à qui s’adresser », une
autre « pensant que [sa] vie était termi-
née », une troisième parlant d’« un
brouillard monstre, un trou noir ».
Ainsi de Lucie, dans le groupe depuis
juin 2020 : « J’étais à bout de forces, en
mode survie. Le problème d’alcool de mon
fils était mon obsession. » Son fils, qui
souffrait de phobie scolaire, a vu dans l’al-
cool une solution à ses troubles anxieux,
c’est devenu pour lui une béquille à partir
de 16 ans. « Il s’est mis en danger à plu-
sieurs reprises, avec des accès de violence,
de nombreuses hospitalisations. C’est in-
supportable de voir son enfant boire sous
ses yeux, se détruire, explique-t-elle. En ar-
rivant dans le groupe, j’ai eu pour la pre-
mière fois une lueur d’espoir, du réconfort,
car je pouvais m’exprimer avec des gens
qui connaissaient ce problème, et on vit
des trucs tellement extrêmes… » Elle a
aussi pu se dégager de la culpabilité d’être
une mauvaise mère, se dire qu’elle n’allait
pas bien et essayer de changer les choses.
« Je n’ai trouvé nulle part ailleurs ce sou-
tien, ni du côté des psychiatres, ni des mé-
decins. J’essaie de vivre au mieux et d’être
un soutien, par ricochet. »
« Le fait de comprendre que l’addiction
est une maladie neuropsychiatrique, qui se
manifeste par une perte de contrôle vis-à-
vis d’un produit ou d’un comportement,
entraîne un changement drastique de pos-
ture », estime Lucie Pennel, médecin au
centre de soins, d’accompagnement et de
prévention en addictologie (Csapa), ratta-
« JE N’AI TROUVÉ
NULLE PART AILLEURS
CE SOUTIEN,
NI DU CÔTÉ
DES PSYCHIATRES,
NI DES MÉDECINS »
LUCIE
UNE MÈRE DANS LE GROUPE
DEPUIS JUIN 2020
ché au service universitaire de pharmaco-
addictologie du CHU Grenoble Alpes.
Convaincus du rôle essentiel des aidants,
le professeur Maurice Dematteis, chef du
service, et Lucie Pennel ont créé en 2014 le
programme « Education Thérapeutique
Addiction Patient Entourage » (Etape) au
sein du Csapa. Objectif : réduire la souf-
france des aidants, les rendre acteurs du
parcours de soins.
Fondée sur les principes de l’éducation
thérapeutique du patient et de l’entretien
motivationnel, cette méthode s’inspire
du programme de psychoéducation Pro-
famille, venu du Canada, destiné aux per-
sonnes schizophrènes et/ou bipolaires.
En pratique, le programme Etape consiste
en dix ateliers sur environ six mois. « Les
demandes viennent souvent d’un parent
ou d’un conjoint qui n’en peut plus et qui
veut que son proche aille se faire soigner »,
explique Lucie Pennel.
Le programme débute par l’informa-
tion sur la pathologie addictive et les
soins. C’est l’occasion de travailler sur tou-
tes les représentations autour de la mala-
die, les fausses croyances ou la stigmati-
sation, et les stratégies de soins. Puis « des
outils sont proposés pour communiquer
de façon apaisée, désamorcer les conflits,
aider l’entourage à créer un environne-
bénéfiques pour les usagers eux-mêmes,
qui ont plus recours aux soins. « C’est un
changement de paradigme, observe la spé-
cialiste. Dans un système familial, à partir
du moment où une personne commence à
se questionner sur sa propre qualité de vie,
un cercle vertueux s’enclenche. »
« Dimension transgénérationnelle »
Noémie, dont le mari est alcoolique, dit
« choisir [son] vocabulaire. Je ne parle plus
d’alcool avec lui, mais de son bien-être, de
nous, des fêtes, et c’est mieux ». Les mots
« impuissance », « culpabilité », « colère »,
« tristesse » reviennent souvent chez ces
femmes de tous milieux. Elles évoquent
aussi le proche qui dit « ne pas aimer la vie
sans… ». Elodie, mère de deux enfants, qui
se présente comme « future ex-femme
d’alcoolique » − elle a décidé de divorcer −,
se bat depuis neuf ans contre l’addiction
de son mari. Elle craint la séparation, ra-
conte les coups de son mari, ses combats,
la vie compliquée. Elle ne peut retenir ses
larmes. Le silence s’installe un instant.
« Il faut accompagner l’entourage, qui
peut être un acteur du soin. La famille peut
faire partie du problème et doit faire par-
tie de la solution », explique le psycholo-
gue clinicien Jean-Pierre Couteron. « Dans
des familles de personnes qui ont une
problématique addictive, il y a souvent
une dimension transgénérationnelle. La
consommation elle-même n’est souvent
qu’un médicament pour anesthésier des
difficultés de vie », explique le psycholo-
gue et chercheur Grégoire Vitry, qui a di-
rigé l’ouvrage Comprendre et soigner les
addictions avec les approches systémi-
ques (Dunod, 252 pages, 30 euros). La psy-
choéducation fait son chemin, mais c’est
encore loin d’être généralisé. p
pascale santi

L’intelligence artificielle déniche une nouvelle classe d’antibiotiques

MÉDECINE - Une méthode de sélection de molécules par des réseaux de neurones ouvre des perspectives pour répondre à l’antibiorésistance

D écouvrir de nouvelles
classes d’antibiotiques
grâce à l’intelligence arti-
ficielle (IA) devient une perspec-
tive crédible. De quoi dégager un
horizon assombri par le fléau de
l’antibiorésistance grandissante.
Une équipe du Broad Institute du
MIT et de Harvard (Cambridge,
Massachusetts) a ainsi identifié
une classe de composés capables
de tuer une bactérie résistante aux
médicaments. Leur toxicité mesu-
rée pour les cellules humaines ap-
paraît très faible, ce qui permet d’y
voir des candidats-médicaments.
Mais on est encore loin du déve-
loppement d’un antibiotique.
L’intérêt de cette recherche, pu-
bliée le 20 décembre dans Nature,
réside avant tout dans la méthode
utilisée, plus que dans les molécu-
les identifiées. Ce n’est pas un ha-
sard si Felix Wong, premier signa-
taire de l’article, est physicien et
mathématicien, pas microbiolo-
giste. La recherche biomédicale
recourt déjà à l’IA, mais, ici, c’est le
mode d’apprentissage profond
imaginé qui est innovant.
Les chercheurs ont d’abord dé-
terminé les activités antibiotiques
de 39 312 composés, des sous-
structures chimiques de molécu-
les déjà connues, ainsi que leur
cytotoxicité sur des cellules hu-
maines. Des réseaux de neurones
ont ainsi été entraînés à identifier
les structures chimiques associées
à une activité antimicrobienne. Ils
ont ensuite été utilisés pour passer
au crible plus de 12 millions de
composés et prédire leur activité
antibiotique et leur cytotoxicité.
Finalement, 283 composés ont
été sélectionnés pour être testés
empiriquement contre le staphy-
locoque doré. Des tests sur des
souris ont permis d’identifier une
classe de structure qui s’est avérée
antimicrobienne à l’égard d’un
staphylocoque résistant à la mé-
thicilline et d’entérocoques résis-
tants à la vancomycine, deux anti-
biotiques classiques. Le mot est
lâché, ce serait la voie pour une
nouvelle « classe » d’antibiotiques.
Cela fait plusieurs décennies que
les antibiotiques arrivant sur le
marché ne sont que des versions
améliorées ou au spectre élargi de
familles existantes.
« Un résultat spectaculaire »
Didier Mazel, responsable de
l’unité Plasticité du génome bacté-
rien à l’Institut Pasteur, salue, dans
cette étude, un « résultat spectacu-
laire ». « Ils ont démasqué une
famille de molécules qui n’étaient
pas connues pour leur activité anti-
microbienne, cela valide leur mo-
dèle », ajoute le généticien. Si le re-
cours à l’IA a déjà permis, par
exemple, d’obtenir de nouvel-
les structures de protéines ayant
un possible intérêt biologique, la
puissance de calcul à laquelle
l’équipe américaine a eu accès a
permis de franchir une étape.
Les travaux de Felix Wong s’ins-
crivent dans le projet Antibio-
tics-AI du MIT, piloté par James
Collins, professeur d’ingénierie
médicale et de sciences au célèbre
institut du Massachusetts. L’ob-
jectif est de découvrir, d’ici à sept
ans, de nouvelles classes d’anti-
biotiques contre sept types de
bactéries mortelles, affirme le
MIT dans un communiqué.
Pour le microbiologiste Etienne
Ruppé, professeur de bactériologie
à l’université Paris Cité, il faut rela-
tiviser l’efficacité des molécules
trouvées ici. Il relève « des concen-
trations minimales inhibitrices sur
le staphylocoque de l’ordre de 2 mil-
ligrammes par litre, ce qui est
élevé » et pose la question de l’ap-
plication à l’homme. Et de regret-
ter que cette première étude se
soit concentrée sur les staphyloco-
ques. « Aujourd’hui, ce sont les ba-
cilles Gram négatif qui posent le
plus de problèmes et sont responsa-
bles de morts dans le monde en-
tier », insiste-t-il. Pour autant,
Etienne Ruppé salue la qualité des
données avec lesquelles a été en-
traînée l’IA, ce qui a permis cette
« preuve de concept intéressante ».
Ce modèle devrait permettre
d’avoir « un ticket d’entrée moins
important, afin d’identifier plus ra-
pidement les candidats potentiels
pour de futurs antibiotiques ».
Infectiologue à l’hôpital Bichat
(AP-HP), Nathan Peiffer-Smadja,
reconnaît que les antibiotiques
sont devenus les « parents pauvres
de la recherche dans l’industrie
pharmaceutique ». Mais il met en
garde contre le Graal que certains
placent dans la découverte de nou-
velles classes d’antibiotiques. « Les
bactéries évoluent plus vite que
l’humain, et la résistance à une
nouvelle classe arrivera aussi rapi-
dement », prévient le spécialiste
qui souligne la menace que l’anti-
biorésistance fait peser, à terme,
sur des pans entiers de la méde-
cine. « Si demain on ne sait plus
traiter les complications infectieu-
ses, on ne pourra plus faire de greffe
d’organe ni de chimiothérapie
agressive », insiste le docteur Peif-
fer-Smadja, pour qui l’enjeu est de
mieux se servir des antibiotiques
existants, en réduisant par exem-
ple la durée de traitement, avant
d’en découvrir de nouveaux. p
jean-baptiste jacquin
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
E. O. Wilson : l’ombre du racisme
sur un géant de la biologie
RECHERCHE - La découverte, dans la correspondance du grand chercheur américain mort
en 2021, de liens avec John Philippe Rushton, l’un des représentants des thèses sur
l’inégalité des « races humaines », suscite de vifs échanges dans la communauté scientifique
N
é en 1929 et disparu voilà deux
ans, le 26 décembre 2021, le
célèbre biologiste et myrméco-
logue (spécialiste des fourmis)
Edward Osborne Wilson – mieux
connu comme « E. O. Wilson » – n’a pas seule-
ment légué à ses pairs une œuvre scientifique
qui a inspiré des générations de conserva-
tionnistes et de biologistes de l’évolution. Il
leur a aussi laissé des questions embarrassan-
tes sur ses affinités avec les milieux scientifi-
ques suprémacistes – héritiers de la « science
raciste » du XIXe siècle. Depuis plusieurs mois,
la découverte de courriers troublants dans sa
correspondance suscite de vifs échanges dans
la communauté scientifique. D’autant plus
vifs qu’E. O. Wilson est une icône de la biologie
et de la protection de l’environnement – il a
popularisé la notion de « biodiversité » –, et
qu’il est considéré par certains comme le suc-
cesseur de Darwin.
La révélation de ses liens avec l’un des princi-
paux représentants du « racisme scientifique »
nord-américain, le psychologue canadien John
Philippe Rushton (1943-2012), provient de deux
examens distincts de ses archives personnel-
les, léguées à la bibliothèque du Congrès. C’est
en février 2022 que les historiens des sciences
Mark Borrello (université du Minnesota) et
David Sepkoski (université de l’Illinois à
Urbana-Champaign), d’une part, et Matthew
Gibbons et Stacy Farina (université Howard à
Washington), de l’autre, publient les résultats de
leur plongée dans la correspondance du grand
biologiste, respectivement dans la New York
Review of Books et dans Science for the People.
Les deux analyses concordent et dressent le
tableau d’un grand savant soucieux d’éviter la
controverse publique, mais jouant de son
prestige, dans la coulisse, pour favoriser des
thèses pseudoscientifiques sur l’inégalité des
« races humaines ». « La relation entre Wilson
et Rushton n’est pas une histoire de culpabilité
par association ou d’erreurs commises de
bonne foi, écrivent Matthew Gibbons et Stacy
Farina. C’est une histoire sur la manière dont
des idées racistes sont intégrées au corpus de la
science avec le soutien de puissants alliés qui
opèrent en secret. »
Une publication dans les « PNAS »
En 1986, E. O. Wilson est déjà membre de l’Aca-
démie des sciences américaine. A ce titre, il
peut « parrainer » la publication d’articles
dans la prestigieuse Proceedings of the Natio-
nal Academy of Sciences (PNAS). Au printemps
1986, John-Philippe Rushton demande à
E. O. Wilson de faire publier dans les PNAS l’un
de ses articles sur une prétendue « coévolution
génétique et culturelle » de comportements
sociaux complexes.
A l’époque, Rushton est déjà très controversé
pour ses déclarations et ses recherches tein-
tées de racisme (dont de nombreuses ont été
rétractées). A la Western University de l’Onta-
rio (Canada), son propre département a publié
en 2020, huit ans après sa mort, une déclara-
tion se désolidarisant complètement de l’an-
cien professeur : « Bien que Rushton ait cessé
d’enseigner au département de psychologie au
début des années 1990, il a continué à mener
des études racistes et défectueuses, parfois sans
approbation éthique nécessaire, pendant en-
core deux décennies. »
L’article de Rushton, parrainé par E. O. Wil-
son, sera publié dans les PNAS en octo-
bre 1986, offrant à son auteur visibilité et res-
pectabilité scientifiques. Et ce, en dépit d’un
avis très négatif de l’un des relecteurs sollici-
tés pour expertiser le manuscrit.
L’année suivante, Rushton renouvelle une
demande auprès du grand biologiste, pour
un nouvel article, bien plus inflammable.
Celui-ci propose d’appliquer aux « races »
humaines un modèle de sélection (dit « mo-
dèle r/K ») utilisé pour décrire les stratégies
de reproduction des espèces animales. Sélec-
tion de type « r » : une progéniture abondante
mais peu de soins apportés par les parents à
leur descendance. Sélection de type « K » :
progéniture peu nombreuse, mais fort inves-
tissement parental dans la protection et
l’éducation des petits.
« L’intention de Rushton était de démontrer
que les différentes “races” humaines ont des
stratégies de reproduction différentes, écrivent
Mark Borrello et David Sepkoski. Les Noirs
seraient “r-sélectionnés”, tandis que les Blancs
Edward Osborne Wilson, en 2000. MICHEL MONTEAUX/OPALE.PHOTO
seraient “K-sélectionnés”, poursuivent les
deux historiens. En outre, il a soigneusement
expliqué à Wilson que ce modèle expliquait les
disparités raciales en matière de quotient intel-
lectuel [QI], postulant que les Noirs ne sont pas
sélectionnés pour une intelligence élevée, leur
stratégie de sélection favorisant la quantité au
détriment de la qualité. »
Cette idée est l’une des lignes de force des
doctrines racistes. « Au sein de mouvements
comme la Nouvelle Droite
européenne, l’une des princi-
« CETTE pales idéologies pseudoscien-
tifiques racistes est que les
CORRESPONDANCE “non-Européens” ont un QI in-
EST LE SEUL férieur et font plus d’enfants,
et forment une civilisation dif-
EXEMPLE OÙ férente de celle de l’Europe,
WILSON ÉVOQUE plus “avancée”, explique l’his-
torien américain Christopher
EXPLICITEMENT Donohue (National Human
CES QUESTIONS Genome Research Institute),
spécialiste de l’histoire de la
DE DIFFÉRENCES génétique et de l’eugénisme.
RACIALES » Selon cette idée, les hommes
blancs pourraient être numé-
PHILIPPE HUNEMAN
PHILOSOPHE À L’IHPST riquement débordés par des
populations “racialement” et
“génétiquement inférieures”.
Cette idée paranoïaque du surnombre est l’un
des principaux éléments de la théorie du
“grand remplacement”. »
Cette fois, E. O. Wilson refuse de parrainer
l’article de Rushton dans les PNAS. Non par
hostilité, mais plutôt par prudence stratégi-
que. « Vous avez mon soutien à bien des
égards », écrit-il à Rushton, tout en expliquant
que son parrainage « d’un article sur les diffé-
rences raciales dans les PNAS serait contre-pro-
ductif pour [eux] deux ». Depuis la publication
de son livre Sociobiology. The New Synthesis
(Harvard University Press, 1975), E. O. Wilson
craignait les critiques de plusieurs de ses collè-
gues de Harvard, en particulier Stephen Jay
Gould et Richard Lewontin, deux autres
géants de la biologie, qui lui reprochaient de
promouvoir la « biologisation » de l’étude des
sociétés humaines.
E. O. Wilson ne souhaite pas apparaître
comme parrain d’un article soutenant la réa-
lité de différences de comportements entre
« races » humaines, mais il suggère à Rushton
science & médecine | 19
de soumettre son manuscrit à une autre re-
vue, Ethology and Sociobiology. Il se propose
d’évaluer l’article en tant qu’expert anonyme
pour le compte de l’éditeur en chef. Ses com-
mentaires sont dithyrambiques. « Il s’agit d’un
article brillant, l’un des plus originaux et des
plus heuristiques sur la biologie humaine ces
dernières années, écrit-il. C’est la première
théorie cohérente des variations raciales hu-
maines en matière de comportement et de phy-
siologie de la reproduction. S’il ne portait pas
sur les différences raciales, ou s’il concernait
une autre espèce, il serait accepté dans Nature
ou Science. » En dépit de ce soutien, l’article ne
sera pas accepté, l’autre reviewer sollicité par
la revue le jugeant « erroné ».
Quelques années plus tard, E. O. Wilson
prend discrètement fait et cause pour Rush-
ton, visé par une enquête disciplinaire de son
alma mater. Le grand biologiste écrit à l’un
des professeurs chargés d’instruire le cas Rus-
hton que la Western University de l’Ontario
« est sur le point de violer la liberté académi-
que d’une manière telle que cela lui offrira une
notoriété historique ». Le psychologue ne sera
in fine pas sanctionné.
Esprit de solidarité ?
Le soutien d’E. O. Wilson à Rushton est-il la
preuve de penchants réellement racistes ? Le
philosophe Philippe Huneman (Institut
d’histoire et de philosophie des sciences et
des techniques, CNRS) met en garde contre
les conclusions hâtives. « Ces éléments de cor-
respondance sont, à ma connaissance, les
seuls exemples où Wilson évoque explicite-
ment ces questions de différences raciales,
dit-il. Il est possible qu’il ait soutenu Rushton
par esprit de solidarité, parce que lui-même
avait été attaqué, des années auparavant, par
certains de ses collègues marqués à gauche et
se revendiquant de l’antiracisme. » La Fonda-
tion E. O. Wilson pour la biodiversité rappelle
de son côté que l’intéressé avait écrit, dans la
préface à la seconde édition (2004) de son On
Human Nature (Harvard University Press,
1978), que « la plupart des scientifiques recon-
naissent depuis longtemps que tenter de défi-
nir des races humaines disjointes est un exer-
cice futile ». « De telles entités, en réalité, n’exis-
tent pas », ajoutait-il. p
stéphane foucart
La saveur inimitable
du cheddar
en équations
MICROBIOLOGIE - Les interactions
bactériennes à l’origine du goût
du fromage ont été mises au jour
D es notes de beurre et des nuances de
noisette… chaque saveur du fro-
mage est le résultat d’une collabora-
tion étroite de micro-organismes lors de sa
fabrication. Une étude, publiée le 21 décem-
bre dans Nature Communications, se penche
sur le rôle de ces interactions dans le goût du
cheddar. Comme d’autres aliments fermen-
tés, il est le produit de l’activité de plusieurs
bactéries. Mais c’est surtout l’ajout d’une
culture de levain qui détermine la texture et
la saveur. L’équipe scientifique menée par le
Danois Chrats Melkonian a testé, pendant
une année, différents lots de cheddar en va-
riant la combinaison de deux bactéries utili-
sées dans l’industrie alimentaire, Streptococ-
cus thermophilus (streptocoque thermophile)
et Lactococcus (les lactocoques).
« L’étude montre la construction des interac-
tions microbiennes. A ma connaissance,
aucune recherche n’a exploré ce thème avec un
tel niveau de détail », souligne Anne Thierry,
de l’unité Science et technologie du lait et de
l’œuf (STLO) de l’Institut national de recher-
che pour l’agriculture, l’alimentation et l’en-
vironnement (Inrae) Bretagne-Normandie.
Le lait, matière première du fromage, est un
milieu riche contenant différentes protéines
et peptides, de la matière grasse et d’autres
nutriments. Lors de sa transformation en fro-
mage, c’est un gigantesque réseau d’interac-
tions qui se crée. Dans cette quête de l’origine
du goût du cheddar, les scientifiques se sont
concentrés sur l’activité bactérienne.
Processus de fermentation
Trois niveaux d’interactions ont été identi-
fiés. D’abord entre S. thermophilus et Lacto-
coccus. La première bactérie joue un rôle cru-
cial : « Elle s’est avérée bénéfique à la fois pour
la croissance des Lactococcus et pour le profil
métabolique final du fromage », souligne
l’étude. En menant une expérience où S. ther-
mophilus est absent, les chercheurs ont ob-
servé des différences significatives dans la
concentration de sucre lactique comme le
lactose et le galactose. En l’absence de cette
bactérie, le lactose n’était pas entièrement
consommé, et le galactose tout simplement
pas produit. Ces résultats soulignent l’im-
portance de cette bactérie dans le processus
de fermentation, montrant son influence di-
recte sur les aspects gustatifs du fromage.
L’étude va plus loin en s’intéressant à diffé-
rentes sous-espèces de Lactococcus. « Ces
souches ont beaucoup de points communs,
mais à l’échelle bactérienne, les petites diffé-
rences génomiques peuvent revêtir une impor-
tance capitale dans les produits alimentaires
fermentés », explique Anne Thierry. C’est le
deuxième niveau d’interaction décrit.
L’étude s’intéresse plus particulièrement à
L. lactis et L. cremoris, deux sous-espèces.
S. thermophilus a une interaction spécifique
avec chacune d’entre elles, qui interagissent
elles-mêmes entre elles. De quoi provoquer
des maux de tête…
Il existe une compétition entre ces sous-
espèces dans la formation de citrate, l’une
des principales sources de sucre du lait.
L. cremoris se révèle jouer un rôle crucial
dans l’élaboration du goût beurré du ched-
dar en limitant la formation de deux compo-
sés volatils, le diacétyle et l’acétone. Ces der-
niers, s’ils sont présents en trop grande
quantité, peuvent entraîner une « saveur dé-
sagréable », précise la chercheuse. « En réa-
lité, il n’existe pas de composé aromatique in-
trinsèquement bon ou mauvais, c’est l’équili-
bre et la concentration de ces éléments qui
font la singularité de chaque fromage. »
Si l’idée que les micro-organismes influent
sur la saveur n’est pas nouvelle, cette étude
se distingue par les échelles de modélisation
employées qui incluent du séquençage gé-
nétique. « Nous avons combiné la génomi-
que, la métatranscriptomique [l’étude des
ARN messagers], la métabolomique [des mé-
tabolites] et la modélisation métabolique
pour percer les interactions microbiennes-
clés dans la fabrication du fromage », conclut
l’équipe de recherche.
Il faut néanmoins relever une lacune de
l’étude, soulignée par la chercheuse Anne
Thierry : « Les auteurs évoquent la saveur sans
avoir effectué d’évaluations sensorielles. Per-
sonne ne peut prédire un goût uniquement à
partir de la concentration des composés aro-
matiques. » Même avec du cheddar ! p
lina tamine
20 | styles
Le choix de l’ultraplat
De Richard Mille
à Audemars Piguet,
de Bulgari
à Jaeger-LeCoultre,
l’heure est à la
finesse du boîtier.
Une prouesse
technique pour
un design entre
épure moderne
et allure rétro
HORLOGERIE
U
ne épaisseur de 1,75 milli-
mètre. C’est à ce jour le
record de la montre la
plus fine au monde. Cette
prouesse de technicité est signée
Richard Mille, l’horloger suisse qui
a dévoilé en 2022 un partenariat avec
la marque automobile italienne Fer-
rari pour le modèle RM UP-01 Ferrari.
Son poids ? Trente grammes. Et six
mille heures de travail. Son fin boîtier
en titane est doté d’un calibre à re-
montage manuel, qui lui assure une
réserve de marche de quarante-
cinq heures. On retrouve sur ce petit
bijou de design le cheval cabré, sym-
bole de Ferrari gravé au laser. « Avec
un tel projet, tout le savoir acquis pen-
dant des années de pratique, toutes
les normes horlogères doivent être mi-
ses entre parenthèses, explique Julien
Boillat, directeur technique habillage
chez Richard Mille. Partir à la con-
quête de ces derniers centièmes de mil-
limètres d’épaisseur a impliqué un pro-
cessus exigeant et de longue haleine. »
En moyenne, les épaisseurs de mon-
tres plates vont de 6 à 10 millimètres
tandis que les plus épaisses peuvent
mesurer jusqu’à 2 centimètres. Les
modèles extraplats font donc preuve
d’une technicité et d’une précision
sans faille. Sans pour autant rogner
sur le style ni le design. « Ce sont de vé-
ritables prouesses techniques, observe
Geoffroy Ader, expert en horlogerie et
commissaire-priseur au sein de la
maison de vente Artcurial. Les modè-
les extraplats sont nés en réalité d’un
besoin à la fin du XVIIIe siècle, quand
les montres de poche ou de gilet étaient
encore la norme. Il fallait alors qu’elles
soient le moins épaisses possible pour
pouvoir être rangées dans les poches
des vestes sans entraver les mouve-
ments, ni être trop lourdes. »
Ancêtre des montres ultraplates ac-
tuelles, le calibre Lépine, au XVIIIe siè-
cle, ou bien le calibre Bagnolet, au
XIXe siècle, ont posé les bases de cette
esthétique. « Ce sont encore des cali-
bres très recherchés par les collection-
neurs, explique Geoffroy Ader. A la fin
des années 1950, c’est la maison Piaget
qui a révolutionné le monde horloger
en lançant sur le marché son modèle
Altipiano. » Avec ses 2 millimètres
d’épaisseur, l’Altipiano a en effet
bousculé les codes.
Petit précis de raffinement
Présentée au salon horloger de
Watches & Wonders de Shanghaï
en septembre 2023, la dernière ver-
sion de l’Altipiano de Piaget est le mo-
dèle Ultimate Concept. Cette montre
mécanique, toujours de 2 millimètres
d’épaisseur, est à remontage manuel,
déclinée dans un alliage de cobalt et
dotée d’un cadran bleu foncé et d’un
bracelet en alligator, également bleu
foncé. Elle succède au modèle vert
émeraude présenté lors de l’édition
genevoise du salon Watches & Won-
ders, en avril 2023. Les deux sont do-
tées du mouvement manufacture
900P-UC, un mouvement mécanique
extraplat à remontage manuel.
La maison italienne Bulgari s’est, elle
aussi, aventurée depuis une dizaine
d’années sur le terrain de l’extraplat.
« Pour un designer, c’est un challenge
particulièrement excitant, confesse Fa-
brizio Buonamassa Stigliani, directeur
de la création horlogère chez Bulgari.
Nous avons en effet très peu de marge
de manœuvre sur de telles pièces pour
ajouter des ornements ou des éléments
de la décoration par exemple. C’est un
retour à l’épure, à l’essentiel du design. »
La dernière création en date de la
collection Octo Finissimo est en effet
un petit précis de raffinement. La
« Pour
Octo Finissimo Ultra, avec son boîtier un designer,
octogonal en titane de 40 millimètres
de diamètre, mesure 1,8 millimètre
c’est un challenge
d’épaisseur. Son bracelet, également particulièrement
en titane articulé par des maillons
rectangulaires, mesure quant à lui
excitant »
1,5 millimètre d’épaisseur. Elle est do- FABRIZIO
tée d’un mouvement à remontage BUONAMASSA STIGLIANI
mécanique BLV Calibre 180. « C’est directeur de la création
une montre facile à porter, très con- horlogère chez Bulgari
temporaine », commente Fabri-
zio Buonamassa Stigliani.
Tendre vers l’épure et la modernité,
c’est aussi l’objectif d’Audemars Pi-
guet qui propose cette année dans
ses collections une nouvelle varia-
tion ultraplate de la Royal Oak quan-
tième perpétuel automatique. Le mo-
dèle compte 256 composants, conte-
nus dans un boîtier de 6,2 millimètres
d’épaisseur et de 41 millimètres de
diamètre. En titane – boîtier, bracelet
et lunette – avec des reflets satinés et
Les cadrans passent au vert
à chaque saison sa couleur horlo-
gère. Si pour les boîtes et les bracelets,
la tendance 2024 est à l’or rose patiné
ou au cuir façon croco, c’est le vert qui
s’impose pour les fonds de cadran.
Voilà quelques années que les cadrans
colorés se sont invités dans les propo-
sitions horlogères, aussi bien sur les
modèles féminins que masculins.
Après une déferlante de bleu, une
pointe de rouge ou encore quelques
modèles élégants couleur saumon,
place au vert et à ses nuances. Si on
verse dans la symbolique, il est pour
beaucoup la couleur de la chance, du
renouveau, mais aussi de la prospérité.
Un cocktail de bonnes vibrations à
avoir à son poignet, en somme. On re-
trouve ces cadrans aussi bien dans les
collections des grandes maisons hor-
logères et à des prix stratosphériques
(Patek Philippe, Audemars Piguet,
Cartier…) que chez les marques plus
accessibles ou confidentielles, comme
Swatch ou March Lab.
Chez Patek Philippe par exemple, le
vert s’affiche cette saison sur une réin-
terprétation d’un modèle sorti en 2011
dans la collection Grandes Complica-
tions, la 5270. Ce chronographe à quan-
tième perpétuel est ici proposé avec
un boîtier en platine et un mouve-
ment mécanique à remontage ma-
nuel. Le cadran est laqué, dans un vert
Richard Mille,
RM UP-01
Ferrari.
RICHARD MILLE
surmontée d’un cadran bleu nuit, elle
est dotée du mouvement Calibre 5133
à remontage automatique.
Pour une allure plus classique, c’est
chez Jaeger-Lecoultre qu’il faudra se
tourner. La maison suisse a dévoilé
cette année la Master Ultra Thin
Moon, une montre ronde en or rose,
avec un cadran bleu nuit dégradé et re-
haussé du calibre automatique Jaeger-
LeCoultre 925. Elle est montée sur un
bracelet en cuir alligator bleu qui rap-
pelle le cadran. Ses proportions ? Tren-
te-neuf millimètres de diamètre pour
9,3 millimètres d’épaisseur. Si elle
n’est pas aussi fine que ses concurren-
tes, ce modèle, qui tombe tout de
même dans la catégorie des garde-
temps plats, a tout de la montre de
ville discrète et élégante. Avec un petit
côté rétro qui lui va bien.
Regarder dans le rétroviseur, c’est
aussi le parti pris de la marque gene-
voise Frederique Constant qui réin-
terprète la Classics Carrée Automatic
– lancée en 2003 –, en s’inspirant pour
cette nouvelle version des années
1920 et de l’esthétique Art déco. La
boîte rectangulaire, de 9,71 millimè-
tres d’épaisseur, est disponible en
acier ou en or rose plaqué, avec des
bracelets en cuir de veau. Animées
du calibre automatique FC-303, visi-
ble par le fond saphir, ces nouveaux
modèles bénéficient d’une réserve
de marche de trente-huit heures. p
maud gabrielson
qui s’estompe du plus clair au plus
foncé en partant du centre. Un petit
précis d’élégance avec un bracelet en
cuir d’alligator cousu main, avec un fil
vert, évidemment.
La marque indépendante March Lab
a fait du vert sa signature depuis ses
débuts, en 2011 : cadrans, bracelets,
packaging, décor de la boutique pari-
sienne, le vert est partout et avec goût.
Cette saison, la nouveauté est fémi-
nine et s’appelle Oblongue Emerald.
Avec son cadran vert sapin ovale et lé-
gèrement allongé de 20 millimètres
sur 40 millimètres et son mouvement
suisse à quartz développé par la manu-
facture Ronda, ce nouveau modèle,
disponible avec un bracelet en cuir ou
un autre façon gourmette, tend vers
les montres bijoux.
Esprit bijou
Chez Tudor, l’esprit bijou n’est pas loin
non plus puisque le vert se marie ici
avec de l’or 18 carats, sur la Black Bay
58 18K. Ce modèle est inspiré des pre-
mières montres de plongée de la mar-
que, sorties sur le marché en 1958. Seul
garde-temps de la manufacture suisse
avec un fond transparent, laissant
donc voir le mouvement Calibre Ma-
nufacture MT5400 au verso de la
Cartier, Tank Louis Cartier. montre, il est décliné ici dans un boî-
VINCENT WULVERYCK/CARTIER tier en or de 39 millimètres, disponi-
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Jaeger-
LeCoultre,
Master Ultra
Thin Moon.
JAEGER-LECOULTRE
Bulgari,
Octo Finissimo
Ultra.
BULGARI
Frederique
Constant,
Classics Carrée
Automatic.
FREDERIQUE CONSTANT
ble avec deux bracelets : en cuir alliga-
tor ou en tissu… vert.
Chez Vacheron Constantin, la nou-
velle collection Traditionnelle Tour-
billon passe elle aussi par le vert. Pro-
posé dans un boîtier en platine de
41 millimètres, ce modèle présenté
au salon horloger Watches & Wonders
de Genève en avril 2023 est décliné
avec un cadran d’un vert profond. Il
est doté d’un mouvement mécanique
à remontage automatique, pour envi-
ron quatre-vingts heures de réserve de
marche. Son bracelet en cuir alligator
est également vert.
Les bracelets en acier inoxydable,
toujours très populaires en horlogerie,
se marient également parfaitement
avec cette couleur froide. Le modèle
Big Bold Irony Forest Face de Swatch en
est la preuve. Cette montre à mouve-
ment à quartz et à prix accessible (aux
alentours de 200 euros) est proposée
cette saison dans un cadran vert foncé,
illuminé par des aiguilles argentées.
Enfin, chez Cartier, c’est la mythique
Tank Louis Cartier qui succombe au
vert cette saison. Avec son mouve-
ment mécanique manufacture à re-
montage manuel, sa boîte en or jaune,
son bracelet en cuir d’alligator et son
cadran laqué vert, le modèle est d’une
grande élégance et unisexe. p
m. g.

0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024
Vincent Lemire
C’est toute l’histoire
du conflit israélo-palestinien
qui se rejoue en accéléré
L
e 13 juin 2023, j’étais à Gaza pour
présenter mon Histoire de Jérusa-
lem en bande dessinée (Les Arè-
nes, 2022), devant un public
d’étudiants palestiniens, de collè-
gues universitaires et d’habitués
de l’Institut français, qui accueillait la
rencontre. Trois semaines plus tôt, le
24 mai 2023, j’avais présenté ce même
ouvrage devant des collègues et des étu-
diants de l’université Bar-Ilan, en Israël.
Dans les deux cas, les échanges avaient
été riches et chaleureux. A Gaza comme à
Bar-Ilan, les étudiants avaient anticipé les
futures publications de cette bande dessi-
née en arabe et en hébreu, en traduisant
quelques planches avec leurs ensei-
gnants. A la fin de ces rencontres, on avait
partagé gâteaux et jus de fruits en parlant
de choses et d’autres, insouciants.
Depuis, le monde a basculé sur son axe.
Ces souvenirs heureux ont été ensevelis
dans le fracas des massacres et des bom-
bardements. Dix-huit étudiants de Bar-
Ilan sont morts dans les attaques terro-
ristes du 7 octobre ou dans les combats
qui ont suivi, et 5 000 d’entre eux sont
mobilisés au sein de l’armée israélienne.
L’Institut français de Gaza a été bom-
bardé le 3 novembre, et Ahmed Abu
Shamla, qui y travaillait depuis vingt ans,
a été tué dans un bombardement israé-
lien, alors qu’il s’était réfugié à Rafah
avec une partie de sa famille.
Au-delà de ces deux points d’observa-
tion, l’ampleur des tragédies en cours
permet de comprendre le traumatisme
que traversent ces deux sociétés : 1 200 Is-
raéliens sont morts le 7 octobre, ce qui, à
l’échelle de la population française, cor-
respondrait à plus de 9 000 morts, en
une seule journée. Et 23 000 Palestiniens
de Gaza sont morts depuis le 7 octobre, ce
qui, là encore, à l’échelle de la France, cor-
respondrait à près de 700 000 morts, en
deux mois et demi. Ces chiffres donnent
le vertige : oui, ce qui se déroule sous nos
yeux est vertigineux et presque indicible,
parce que sans précédent.
Face à un tel déferlement de violence, le
débat politique français reste marqué par
son inanité binaire : chacun est sommé
de choisir son camp, comme si nos posi-
tions d’observateur pouvaient se confon-
dre avec celles des familles d’otages israé-
liens disparus ou des civils palestiniens
noyés sous les bombes. Notre rôle, à dis-
tance des combats, ne consiste pourtant
pas à « jouer à la guerre » en faisant sem-
CE QUI EST EN TRAIN
DE SE JOUER N’EST RIEN
DE MOINS QUE LE CINQUIÈME
ET DERNIER ACTE DU CONFLIT
ISRAÉLO-PALESTINIEN,
CELUI DU DÉNOUEMENT,
QUI RISQUE DE SE CONCLURE
PAR L’ANÉANTISSEMENT
DE L’UN OU DE L’AUTRE
DES BELLIGÉRANTS
Parce que Israéliens et Palestiniens
sont confrontés à un risque existentiel,
la communauté internationale n’a
d’autre choix que d’agir avec rapidité,
en vue d’obtenir un cessez-le-feu
durable, selon l’historien
blant d’être sur le champ de bataille, car
nous n’y sommes pas.
Loin du fracas des armes, nous pouvons
et nous devons, au contraire, rester lucides
pour analyser froidement ce qui est en
train de se jouer : rien de moins que le cin-
quième et dernier acte du conflit israélo-
palestinien, celui du dénouement, qui ris-
que de se conclure par l’anéantissement
de l’un ou de l’autre des belligérants. Après
la genèse des projets nationaux concur-
rents (1897-1917), après les affrontements
sporadiques sous tutelle internationale
(1917-1947), après les guerres convention-
nelles entre Etats (1947-1987), après les in-
tifadas et le processus d’Oslo (1987-2017),
nous voici entrés dans la guerre existen-
tielle, un combat à mort qui décidera du
sort des deux protagonistes.
TRAUMATISMES MÉMORIELS
Le risque existentiel est immédiat pour
les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza,
affamés, assoiffés, privés de tout, dépla-
cés de force vers le sud, puis intensé-
ment bombardés dans leur refuge provi-
soire et désormais explicitement mena-
cés d’expulsion. Les images captées le
26 décembre 2023 par le satellite euro-
péen Sentinel-2 sont de ce point de vue
édifiantes : elles montrent un territoire
balafré, défoncé, retourné, un sol la-
bouré jusqu’au sable, toute trace de vie
terrassée, le béton des habitations ense-
veli sous des dunes recréées par les bull-
dozers israéliens. Quant aux photos pri-
ses au sol, elles révèlent des cimetières
éventrés, sens dessus dessous, les cada-
vres à peine enterrés et déjà exhumés,
désarticulés, déshumanisés…
Ce n’est plus une guerre pour « éradi-
quer » le Hamas, c’est une dévastation
volontaire, systématique et délibérée,
pour extirper les civils de la bande de
Gaza, par la mort ou par l’exode, par la
famine ou par l’épidémie. Ce bascule-
ment à la fois stratégique et anthropolo-
gique a été préparé dès le 9 octobre 2023
par le ministre de la défense israélien,
Yoav Gallant, quand il affirmait combat-
tre des « animaux humains ».
De fait, le gouvernement israélien ne
cache plus son véritable objectif de
guerre : le 25 décembre 2023, Benyamin
Nétanyahou a déclaré à ses supporteurs
du Likoud qu’il allait « réduire la popula-
tion de Gaza à son minimum » et, le 31 dé-
cembre, le ministre des finances, Bezalel
Smotrich, a dévoilé un objectif chiffré :
« 100 000 ou 200 000 Arabes à Gaza », ce
qui supposerait d’en expulser plus de
2 millions.
Nul n’échappe à ce projet d’éviction qui
nécessite de terroriser une population
entière : le 16 décembre 2023, deux fem-
mes catholiques habitantes de Gaza, Na-
hida Khalil Anton et sa fille Samar, ont été
abattues sans sommation par un sniper
israélien à l’intérieur de la paroisse de la
Sainte-Famille, dans le quartier de Zei-
toun. Vingt-trois autres paroissiens sont
morts dans les bombardements, et des
dizaines d’enfants de la paroisse souf-
frent de dysenterie aiguë après avoir bu
de l’eau contaminée.
Le risque existentiel est moins immé-
diat, mais non moins menaçant pour Is-
raël, qui perd chaque jour un peu plus de
crédit auprès de l’opinion publique inter-
nationale. Le 12 décembre, cent cinquante-
trois pays de l’Assemblée générale de
l’ONU ont voté en faveur d’un cessez-le-
feu immédiat, dix seulement ont voté
contre. On aurait tort de n’y voir qu’une
gesticulation diplomatique sans lende-
main : l’Etat d’Israël a été créé à la suitea-
près un vote de cette Assemblée générale,
en 1947, et, à ce titre, c’est un des rares Etats
de la planète à ne pouvoir se payer le luxe
de perdre toute légitimité internationale.
Vladimir Poutine peut commettre les
pires horreurs en Ukraine, personne n’a
jamais contesté la souveraineté russe en
Russie. Le jeune Etat d’Israël n’est pas
dans cette situation. Ses ennemis sont lé-
gion, le soutien des Etats-Unis n’est plus
une assurance-vie, et la guerre d’anéantis-
sement menée contre les Palestiniens de
Gaza précipite cette perte de légitimité,
mortifère à moyen ou à long terme.
Si cette guerre est existentielle, c’est
également parce qu’elle réactive les trau-
matismes les plus profondément ancrés
dans les mémoires des deux peuples.
Pour les Israéliens, les massacres terroris-
tes du 7 octobre, par l’atrocité des modes
opératoires, par les violences inouïes per-
pétrées contre les corps, vivants ou
morts, ont fait ressurgir le souvenir des
pogroms antijuifs survenus en Europe
centrale, à la fin du XIXe siècle. Pour les
Palestiniens, les déplacements forcés des
populations civiles de Gaza réveillent le
traumatisme de la Nakba, la « catastro-
phe » inaugurale, marquée par l’expul-
sion de 750 000 Palestiniens en 1948,
d’autant plus que 80 % des habitants ac-
tuels de Gaza sont justement des descen-
dants de réfugiés.
Depuis le 7 octobre, c’est donc toute
l’histoire du conflit israélo-palestinien
qui se rejoue en accéléré, dans une tem-
poralité rétrécie et dans un espace com-
primé, d’où cette sensation d’étouffe-
ment qui nous gagne toutes et tous,
après la sidération des premiers jours.
Ce sont aussi les mémoires traumati-
ques des deux peuples qui sont réac-
tivées, l’une après l’autre, comme si
l’approche du dénouement déclenchait
une série de flash-back hallucinatoires,
incontrôlables et contagieux. Pour frei-
ner cette course à l’abîme, la commu-
nauté internationale n’a d’autre choix
que d’agir avec rapidité et intensité, en
vue d’obtenir un cessez-le-feu durable, et
ce pour au moins trois raisons.
D’abord parce que la guerre contre le
Hamas est sans issue. Sur un plan tacti-
que, l’armée israélienne ne détruit
qu’une partie de la surface de la bande
de Gaza, là où habitent les civils. En sous-
sol, les centaines de kilomètres de tun-
nels abritent toujours les combattants
du Hamas, qui économisent leurs forces
et minimisent leurs pertes. Plus large-
ment, sur un plan stratégique, chacun
sait que les bombardements aveugles,
loin d’entamer la détermination des Pa-
lestiniens, fabriquent au contraire les
IDÉES | 21
terroristes de demain. De fait, de plus en
plus d’Israéliens comprennent que seul
Benyamin Nétanyahou a intérêt à pour-
suivre indéfiniment cette guerre, non
plus pour détruire le Hamas, mais pour
servir l’agenda idéologique de ses alliés
d’extrême droite (expulser les popula-
tions civiles de Gaza) et son agenda per-
sonnel (retarder au maximum la reprise
de ses procès).
Ensuite parce que le risque d’embrase-
ment est réel, à la fois en Cisjordanie,
alors que plus de 250 000 ports d’arme
ont été accordés aux colons israéliens ces
dernières semaines (soit plus que ces
vingt dernières années), et dans le nord,
alors que les tensions ne cessent de mon-
ter à la frontière libanaise. Trois cents Pa-
lestiniens ont été tués en Cisjordanie de-
puis le 7 octobre et plusieurs centaines de
milliers de civils ont été évacués des deux
côtés de la frontière israélo-libanaise.
EXIGENCE MORALE ET REALPOLITIK
Enfin, parce que cette guerre ébranle tous
les fragiles équilibres internationaux,
dans un contexte géopolitique déjà extra-
ordinairement tendu, depuis l’interrup-
tion du trafic des porte-conteneurs en
mer Rouge, qui a un lourd impact sur le
commerce mondial, jusqu’aux accusa-
tions portées contre les diplomaties occi-
dentales, plus enclines à se mobiliser
pour les quelque 10 000 civils ukrainiens
tués en deux ans que pour les 23 000 ci-
vils palestiniens tués en deux mois.
Une fois n’est pas coutume, exigence
morale et realpolitik se rejoignent. Profi-
tons-en. Quant aux moyens de pression
et d’action, ils sont immédiatement dis-
ponibles : les Etats-Unis fournissent ac-
tuellement, à flux tendu, l’essentiel des
missiles tirés par l’armée israélienne ;
l’Europe reste le premier partenaire com-
mercial de l’économie israélienne ; l’ONU
détient les paramètres d’un apaisement
durable parce que juste, fondé sur le res-
pect du droit ; la France, qui abrite les plus
importantes communautés juives et mu-
sulmanes d’Europe, a des liens anciens et
puissants avec Israël et la Palestine. Elle
est également le seul pays de l’Union
européenne à disposer d’un siège perma-
nent au Conseil de sécurité.
Face à une telle explosion de rage, à la
fois meurtrière et suicidaire, l’inaction ne
serait pas seulement criminelle, elle se-
rait déraisonnable. Alors que 2024
s’ouvre sur un paysage de ruines et de dé-
solation, formons un vœu accessible
pour l’année qui commence : que le cin-
quième acte de la tragédie israélo-palesti-
nienne soit celui d’une prise de cons-
cience salutaire, celle qui commande l’ac-
tion. Car, si les étudiants de Gaza et de
Bar-Ilan méritent notre compassion, ils
exigent surtout notre intervention et
donc notre interposition, immédiate,
avant qu’il ne soit trop tard. p
Vincent Lemire est professeur
d’histoire à l’université Gustave-Eiffel.
Il a dirigé le Centre de recherche fran-
çais à Jérusalem de 2019 jusqu’en août
2023. Il conduit le projet de recherche
européen « Open Jerusalem ». Il est
notamment l’auteur, avec Christophe
Gaultier, de la bande dessinée « Histoire
de Jérusalem » (Les Arènes, 2022)
22 |
IDÉES
0123
MERCREDI 3 JANVIER 2024

A Paris, une équation budgétaire lourde d’incertitudes

begie des subventions aux associations, la capacité d’autofinancement, qui atteint ment du marché immobilier. David Alphand,
ANALYSE préemption intense d’appartements pour les 569,9 millions d’euros en 2024, soit une vice-président du groupe LR, ébauche un

S
i, lundi 11 décembre 2023, le Conseil
de Paris a voté, sans suspense, son
budget 2024 pour un montant de
11,3 milliards d’euros, c’est un autre
chiffre qui a fait bondir l’opposition : 9,9 mil-
liards d’euros. Soit le niveau d’endettement
qui devrait être atteint par la Ville à la fin du
deuxième mandat de l’édile socialiste,
en 2026, selon les prévisions de sa propre
ENTRE majorité. La dette « était de 4 milliards
LA MAIRIE ET en 2014 », lors de la première élection d’Anne
Hidalgo à la mairie, rappelle le conseiller
SES OPPOSITIONS, municipal (Horizons) Pierre-Yves Bournazel,
tandis que Maud Gatel, députée (MoDem) et
C’EST UNE GUERRE conseillère de Paris, juge cette trajectoire
PERPÉTUELLE financière « particulièrement inquiétante »,
en soulignant « l’augmentation de la durée de
DES CHIFFRES désendettement de la Ville », qui passe de
treize à quinze ans pour 2024.
ET DE LEUR Comment en est-on arrivé là ? Entre la
Mairie de Paris et ses oppositions, c’est une
INTERPRÉTATION guerre perpétuelle des chiffres et de leur
interprétation. M. Bournazel, candidat à la
Mairie de Paris en 2026, ne cesse de pointer,
depuis des années, « une Ville qui vit au-des-
sus de ses moyens ». « Il existe de nombreuses
pistes pour réduire les dépenses de fonction-
nement, mais où est le plan d’économies de
200-250 millions d’euros promis en 2022 par
l’exécutif municipal ? », s’interroge-t-il.
Marie-Claire Carrère-Gée, présidente Les
Républicains (LR) de la commission des
finances au conseil de Paris, dénonce « la ga-
transformer en logements sociaux à des fins
électoralistes et le recrutement de 650 agents
en 2023, en plus des 58 000 agents exis-
tants… » Elle craint « un fait nouveau, un ris-
que d’effet d’avalanche. On accumule beau-
coup de dettes, et il faut dorénavant prendre
en compte l’explosion des taux d’intérêt, qui
s’ajoutent à ces dépenses de fonctionnement
non maîtrisées. Si l’on continue ainsi, les
finances de la Ville seront bientôt à la main
des banques et de l’Etat ».
Scénario catastrophe
Volonté de préserver la qualité de ses services
publics et municipaux, investissements
structurants, mise en place d’un plan de
sobriété énergétique pour faire des écono-
mies, rétorque l’exécutif parisien. Qui ne
s’alarme de rien, surtout pas de sa capacité
intacte à s’endetter, appuyant sa conviction
sur l’agence de notation Standard & Poor’s,
qui lui a attribué « AA » en octobre 2023, avec
ce sous-texte : la Ville de Paris est plutôt en
bonne santé financière. Mais l’exécutif pari-
sien ne nie pas non plus que l’équation budgé-
taire est de plus en plus complexe. « L’équilibre
est serré, admet Paul Simondon, adjoint
d’Anne Hidalgo aux finances. Le niveau d’épar-
gne brute est inférieur à ce que l’on espérait. »
L’épargne brute – la différence entre les
recettes (9,8 milliards pour 2024) et les dé-
penses de fonctionnement (9,2 milliards) –
est une donnée essentielle : elle mesure sa
baisse de 306,1 millions par rapport à 2023.
L’exécutif impute ces difficultés à l’inflation
galopante et à la crise immobilière. Sur ce
dernier point, le coup d’arrêt des ventes de
logements met à mal les finances de la Ville
(– 1,45 milliard d’euros), qui bénéficiait, jus-
qu’ici, d’une rente sous forme d’une part per-
çue sur les frais de mutation.
Pour Anne Hidalgo, le gouvernement a éga-
lement une grande part de responsabilité
dans ses difficultés actuelles. Elle met en
cause un désengagement financier de l’Etat
envers les collectivités locales qui « s’accen-
tue », pour représenter, à Paris pour 2024,
« une dotation globale de fonctionnement de
zéro euro ».Alors même que les dépenses de
péréquation – les dépenses affectées par
Paris à d’autres collectivités par le biais de
mécanismes de solidarité – imposées par ce
même gouvernement continuent de croître
pour dépasser 770 millions d’euros en 2024.
La Mairie de Paris pensait pouvoir renflouer
ses caisses grâce à l’augmentation de la taxe
foncière (+ 52 %), décidée en novembre 2022.
Se donner de l’oxygène et faire taire les mena-
ces de mise sous tutelle de la Ville brandies,
jusqu’à l’obsession, par la droite. Las, les nou-
velles recettes dégagées par l’impôt local
seraient déjà « cramées », selon Maud Gatel. A
ce titre, les oppositions dénoncent un man-
que d’anticipation, coupable de la diminu-
tion drastique de la manne issue des frais de
mutation, en sous-estimant un tel retourne-
nouveau scénario catastrophe : « La chute des
prix de l’immobilier ne fait que rapprocher
Paris de l’abîme et du syndrome de Birmin-
gham », en référence à la ville britannique qui
s’est déclarée en faillite en septembre 2023.
Malgré tout, Anne Hidalgo fait preuve d’un
volontarisme constant. Selon elle, la dette
« doit servir à ne pas laisser aux générations
futures une ville qui ne sera plus vivable ». Elle
met donc en exergue les 1,8 milliard d’euros
d’investissements inscrits au budget pour fi-
nancer deux priorités : le volet social (550 mil-
lions d’euros attribués au logement social,
1,5 million d’euros consacrés à l’hébergement
d’urgence, etc.) et l’accélération de la transi-
tion écologique (800 millions). Surtout au
moment où l’Hôtel de ville de Paris met en
œuvre un nouveau plan climat.
Mais quitte à s’endetter, les écologistes sou-
haiteraient que les orientations budgétaires
soient fléchées dans la bonne direction. Or,
lors des négociations qui ont précédé l’adop-
tion du budget, un bras de fer s’est instauré au
sein de la majorité municipale. Fatoumata
Koné, présidente du groupe écologiste, a criti-
qué publiquement le « pognon de dingue »
– 118 millions d’euros en 2024, selon elle –
investi par la Mairie de Paris dans l’organisa-
tion des Jeux olympiques et paralympiques,
au détriment de la rénovation thermique des
bâtiments ou de la création de nouveaux
espaces verts dans la capitale. p
laurent telo (service politique)

CHRONIQUE | PAR ÉRIC ALBERT L’ÉPOPÉE JUDICIAIRE DE LA MUSIQUE NOIRE

Les travaillistes veulent LIVRE Ce livre passionnant parle aussi
bien de figures oubliées ou mé-
que d’écouter Caroline ou Séquel-
les. La raison ? Un conflit entre le

séduire la City de Londres E t si la musique trouvait le

meilleur témoin de son his-
toire dans la loi ? C’est, en
tout cas, le pari de Fabrice Epstein.
Déjà auteur de Rock’n’roll justice
connues comme Mississippi John
Hurt – dont les descendants se
disputeront l’héritage – que des
superstars comme Michael Jack-
son, George Clinton, Jimi Hen-
chanteur et son producteur Poly-
gram, à l’origine d’un conten-
tieux complexe qui a donné rai-
son à « Claude MC », mais dont la
conséquence était l’impossibilité

C ourant décembre, le Parti tra-

vailliste a annoncé pour fé-
vrier la tenue d’une confé-
rence consacrée à sa politique indus-
trielle et économique. A priori, rien
que de plus banal. La même confé-
rence s’est tenue en 2022. Mais, cette
fois, l’intérêt de tout ce que le Royau-
me-Uni compte d’organisations
patronales et autres groupes de
pression économique a été extrême-
ment vif. « La tenue de l’événement a
été annoncée à 7 heures. A 9 heures,
toutes les places étaient vendues »,
confie le lobbyiste d’une grande ban-
que américaine, basé à Londres, qui
sera présent.
Les élections législatives britanni-
ques doivent se tenir d’ici à un an. Lé-
galement, janvier 2025 est la dernière
date possible, mais le plus probable
semble être un scrutin à l’automne
2024, même si la possibilité d’une dis-
solution surprise, dès le printemps,
ne peut être écartée. Les travaillistes
font figure de grands favoris. Les son-
dages leur donnent 43 % de soutien
en moyenne, contre 25 % pour les
conservateurs.
Dans ce contexte, le monde des en-
treprises, et en premier lieu la City,
s’intéresse de très près aux travaillis-
tes. Et ces derniers font tout pour
leur plaire et faire oublier les années
très à gauche, quand Jeremy Corbyn
dirigeait le parti (2015-2020) et pro-
posait nationalisations, augmenta-
tion d’impôts et dépenses publiques
tous azimuts. Cette fois-ci, au risque
de décevoir ses propres militants,
Keir Starmer, le leader actuel du
parti, s’évertue à paraître économi-
quement sérieux et prudent avec
l’argent public.
Très symboliquement, il s’est affi-
ché, pendant l’été 2023, aux côtés de
l’ancien premier ministre Tony Blair,
seul leader travailliste à avoir gagné à
trois reprises les élections, mais de-
venu un épouvantail pour l’aile gau-
che du parti. « On a besoin de trois
choses : de la croissance, de la crois-
LE LEADER DU LABOUR, KEIR
STARMER, PROMET DE SUIVRE
LES RÈGLES BUDGÉTAIRES
MISES EN PLACE
PAR LES CONSERVATEURS
sance, de la croissance », lançait-il
alors, en écho à la promesse de Tony
Blair, en 2001, de s’attaquer à « l’édu-
cation, l’éducation, l’éducation ».
M. Starmer refuse de promettre
(La Manufacture de livres, 2021),
l’avocat d’affaires et chroniqueur
au magazine Rock & Folk récidive
avec, cette fois, Black Music Justice.
Une histoire judiciaire des musi-
drix, James Brown ou les Rolling
Stones, qui devront affronter les
tribunaux pour des histoires de
droits d’auteur, de plagiat ou de
drogue. Le rap n’est évidemment
d’exploiter ses trois premiers al-
bums. Un accord a heureusement
été trouvé, et les anciennes chan-
sons de Solaar sont désormais
disponibles.
monts et merveilles, peignant une BLACK MUSIC JUSTICE ques noires (La Manufacture de li- pas oublié, même s’il n’occupe A travers ces histoires, Fabrice
image noire de la conjoncture de Fabrice Epstein, vres, 360 pages, 27 euros). qu’une partie mineure du livre. Epstein dessine le portrait d’un
britannique. « La situation économi- La Manufacture de livres, En soixante et un chapitres sur courant musical complexe et très
que actuelle est pire que la crise des 360 pages, 27 euros papier glacé et une playlist de cin- Les Blancs côtoient les Noirs riche. Il ne tombe pas dans le
années 1970 [quand le Royaume-Uni quante titres, Epstein embarque le Fabrice Epstein revient néan- piège de la lecture ethnique : les
était surnommé le « pays malade de lecteur dans un voyage allant des moins sur les démêlés judiciaires musiciens blancs côtoient les
l’Europe »], que celle des années 1980 années 1930 à nos jours. Il explore des rappeurs français, aussi bien noirs. Car ce qui compte pour
ou même que celle de 2008 [lors de la tous les sous-genres musicaux de Suprême NTM et le Ministère Epstein est bien le message uni-
grande crise financière], expliquait-il cette « black music » : blues, funk, A.M.E.R. qu’Orelsan. versel de la musique. L’auteur
en décembre. A l’époque, les parents rock, rap, reggae, soul… Le prin- Le cas de MC Solaar est aussi s’en explique en conclusion :
pensaient que l’avenir serait meilleur cipe est le même que dans l’opus évoqué : une bonne partie du ré- « [L’écrivain américain James]
pour leurs enfants que pour eux. Ce précédent : « C’est une grande pertoire du chanteur du Val-de- Baldwin le disait de Martin Luther
n’est plus le cas. » S’il arrive au histoire de la musique noire, à tra- Marne, pourtant figure éminem- King Jr : “Ce qu’il dit aux Noirs, il le
pouvoir, sa marge de manœuvre vers ses rencontres judiciaires, ses ment respectée du rap des an- dit aux Blancs ; ce qu’il dit aux
économique sera donc très limitée, combats politiques et financiers, nées 1990 pour ses textes littérai- Blancs, il le dit aux Noirs.” Dans le
prévient-il : « Ceux qui imaginent que ses revendications morales, ses res et très référencés, n’existait meilleur des mondes, on devrait
les travaillistes ouvriront rapidement disputes familiales, ses mœurs pas jusqu’à récemment sur les dire la même chose de la musi-
les vannes de la dépense publique se présumées dissolues, que ce livre plates-formes de streaming. Pen- que. » Et Fabrice Epstein s’y em-
trompent. » s’efforce de raconter », explique dant longtemps, il était donc im- ploie, livre après livre. p
l’auteur dès l’introduction. possible pour un quadra nostalgi- abel mestre
Améliorer la productivité
Il promet de suivre les règles budgé-
taires mises en place par les conserva-
teurs, qui auto-imposent de viser un
excédent budgétaire courant (hors in- Ukraine en peine | par serguei
vestissements) d’ici à trois ans et une
baisse de la dette publique d’ici à cinq
ans. L’une de ses priorités sera d’amé-
liorer la productivité du Royaume-
Uni, « ce qui est très inhabituel pour le
Parti travailliste », souligne M. Star-
mer. Enfonçant le clou, il promet « de
soutenir les entreprises en apportant
de la stabilité, un environnement fiscal
compétitif, de l’aide à l’apprentissage et
une stratégie de politique industrielle ».
La City apprécie. « L’offre du Parti
travailliste est très différente de celle
de 2019 [lors des dernières élections,
quand M. Corbyn en était le leader]
et la différence entre les deux partis
est désormais beaucoup plus faible,
estime Tom Johnson, codirecteur
des marchés financiers à la banque
britannique Barclays. Du point de
vue des marchés, il est improbable
que l’élection apporte un énorme
changement. »
Dans les années 1990, Tony Blair
avait lancé une grande opération de
charme auprès des milieux financiers
surnommée l’« offensive du cocktail
de crevettes », le nec plus ultra culi-
naire des rendez-vous mondains de
l’époque. Cette fois-ci, la préférence
gastronomique n’est pas déterminée.
Mais le grand rapprochement entre
les milieux patronaux, la City et le
Parti travailliste est en cours. p
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MERCREDI 3 JANVIER 2024 0123 | 23

FRANCE | CHRONIQUE EN RDC, LES

par s ol e nn de roye r
LOURDS DÉFIS tions chaotiques et contestées, et une pre- gions, fermant les yeux sur leur corruption

D’UNE ÉLECTION mière alternance en 2018, le rendez-vous ou leur violence passée. M. Tshisekedi se tar-

La politique CONTESTÉE
électoral avait valeur de test, à la fois pour le
pays et pour le président sortant, Félix An-
toine Tshisekedi, 60 ans, fils d’Etienne Tshi-
gue d’avoir mis en place la gratuité de l’en-
seignement primaire, mais ses promesses
de développement se sont heurtées à la cor-
au miroir de la fiction sekedi – figure historique de l’opposition
aux présidents Mobutu puis Kabila père et
fils –, mort en 2017.
ruption généralisée, à une démographie in-
contrôlée, à la captation des immenses res-
sources minières du pays par ses voisins de
L’annonce, dimanche 31 décembre, de la l’Est, à leur exploitation par des sociétés
réélection, avec plus de 73 % des voix, de ce- étrangères sans bénéfice pour la population.

U ENCORE UNE
n discret défilé. Plu-
sieurs proches d’Em-
manuel Macron, dont
son influent conseiller
mémoire, Bruno Roger-Petit, et
son ancienne plume, Jonathan
Guémas, se sont récemment suc-
cédé chez le scénariste Eric Ben-
zekri pour visionner le premier
épisode de La Fièvre, la nouvelle
série de l’auteur de Baron noir, at-
tendue à la mi-mars sur Canal+.
Après trois saisons très politiques
autour du Parti socialiste (PS), l’ex-
collaborateur de Jean-Luc Mélen-
chon et Julien Dray explore cette
fois les fractures identitaires qui
traversent la France.
La série s’inscrit dans le milieu
du football français, plongé dans
une tempête médiatique. Lors
d’une remise de prix, un joueur à
la peau noire assène un coup de
tête à son entraîneur en le traitant
de « sale toubab » (« sale Blanc »).
S’ensuit une guerre d’influence
entre la communicante du club et
une spin doctor qui « instrumen-
talise l’événement en attisant les
déchirures identitaires et sociales
qui lézardent le pays », selon un
communiqué de la chaîne.
Encore une fois, celui qui, dans
Baron noir, avait écrit l’ascension
d’une candidate centriste jusqu’à
l’Elysée, bien avant l’élection
d’Emmanuel Macron, vise juste, la
fiction, écrite il y a trois ans, de-
vançant le réel. Le scénario de La
Fièvre fait en effet singulièrement
écho au drame du bal de Crépol
(Drôme), au cours duquel un ado-
lescent a été tué, fin novembre,
lors d’affrontements entre des
FOIS, L’AUTEUR
DE « BARON NOIR »
VISE JUSTE, SA FICTION
« LA FIÈVRE », ÉCRITE
IL Y A TROIS ANS,
DEVANÇANT LE RÉEL
Plusieurs scènes de Baron noir
et de La Fièvre ont été tournées à
l’Elysée, qui sert de décor à de plus
en plus de films. Mais de nom-
breuses personnalités politiques
n’hésitent pas à jouer leur rôle
dans des fictions : Gaspard Gant-
zer dans Le Poulain, de Mathieu
Sapin, le ministre Clément
Beaune dans Parlement, qui ra-
conte les coulisses des institu-
tions européennes, ou encore
Thomas Thévenoud, ex-ministre
déchu, qui joue un rôle de minis-
tre dans De grandes espérances,
de Sylvain Desclous.
Dans un moment d’intense
crise démocratique, où tous les
repères apparaissent brouillés, ce
troublant mélange des genres ris-
que de renforcer l’idée que la poli-
tique est un théâtre, l’Elysée un
simple décor de carton-pâte, et le
président un acteur. Et que tout
est entertainment (« divertisse-
ment »), le côté sacré et la gravité
consubstantiels à la politique,
déjà plombés par l’accélération
du temps politico-médiatique et
les réseaux sociaux, s’envolant.
O rganiser des élections nationales
dans un pays grand comme l’Eu-
rope mais presque dépourvu de
routes carrossables relève déjà de la gageure.
Que la pauvreté y soit généralisée, l’éduca-
tion rare et l’Etat, déjà faible, confronté à des
conflits communautaires et régionaux, et à
des incursions armées, rend le défi colossal.
Telles sont pourtant les circonstances dans
lesquelles ont eu lieu, à partir du 20 décem-
bre, les scrutins présidentiel et législatif en
République démocratique du Congo (RDC),
ancien Congo belge et ex-Zaïre. Un pays
dont les deux tiers des 105 millions d’habi-
tants vivent avec moins de 2,20 dollars
(2 euros) par jour et où l’espérance de vie ne
dépasse guère 60 ans. Après des années de
guerre sanglante, après une série d’élec-
lui que ses partisans désignent par l’acro-
nyme « Fatshi » laisse dubitatif quant à son
ampleur de raz de marée. De même que les
maigres 18 % attribués à son principal adver-
saire, Moïse Katumbi, ancien gouverneur du
Katanga, par une commission électorale
dont l’indépendance est contestée.
Les accusations de « coup d’Etat électoral »
portées par l’opposition renvoient à la fa-
çon outrageuse dont le président sortant a
abusé des moyens de l’Etat pour sillonner
le pays en avion, distribuer des prébendes
aux électeurs et accaparer les médias. Elles
mettent aussi en cause l’organisation chao-
tique du scrutin, qui a été prolongé de plu-
sieurs jours et marqué par des pénuries de
machines à voter.
Indéniable, la popularité du chef de l’Etat
s’appuie sur le parti politique le plus struc-
turé du pays, l’Union pour la démocratie et
le progrès social, longtemps symbole d’op-
position à l’oppression. Elle procède aussi de
l’habileté politique de son chef qui a su se
rallier des barons politiques des grandes ré-
HORS-SÉRIE
En outre, pour masquer son échec à rega-
gner militairement les territoires conquis
dans la province du Nord-Kivu (Est) par la
rébellion du Mouvement du 23 mars soute-
nue par le Rwanda, pour faire oublier les
centaines de milliers de personnes dépla-
cées par les combats et les échecs de sa di-
plomatie désordonnée, le président a usé et
abusé d’une rhétorique nationaliste et bel-
liqueuse, n’hésitant pas à accuser certains
de ses adversaires de ne pas être « complète-
ment congolais ».
Toute la question est désormais de savoir
si Félix Tshisekedi saura utiliser la victoire
retentissante – mais contestée – qu’il re-
vendique, non pour consolider son em-
prise, mais pour lutter contre le cancer de la
corruption et réconcilier le pays, condi-
tions sine qua non d’une véritable lutte
contre la pauvreté et pour l’unité. Cela sup-
pose d’associer ses adversaires à la recons-
truction et à la pacification d’un pays mor-
celé, attaqué, sans cesse au bord de l’implo-
sion et du chaos. p

rugbymen du village et des jeunes
d’un quartier sensible de Romans-
sur-Isère. L’événement a aussitôt
fait l’objet de lectures divergentes,
la droite et l’extrême droite, no-
tamment par le biais de CNews,
promouvant la thèse d’une
« guerre civile » et raciale, au risque
d’alimenter les tensions identitai-
L’HISTOIRE
En Ukraine, le président Volody-
myr Zelensky est l’achèvement de
cette folle confusion. Après avoir
joué le président dans une série,
Serviteur du peuple, où il a forgé sa
popularité, l’acteur s’est fait
élire… président. Si ce glissement
entre fiction et réalité est vertigi-
neux, la manière dont il a orga-
DU

res, tandis que d’autres, à gauche,
plaidaient pour une tragique mais
banale bagarre ayant mal tourné.
Autour de Baron noir, fiction et
réalité s’entremêlaient déjà de
manière troublante. La gifle reçue
par Emmanuel Macron en 2021
lors d’un bain de foule faisait
écho à celle reçue, un an plus tôt,
par la présidente (fictive), Amélie
Dorendeu, dans la saison 3.
En 2020, la série avait campé un
blogueur antisystème, qui avait
donné des sueurs froides à l’Ely-
sée, où l’on avait redouté l’émer-
gence d’une figure populiste per-
turbant le jeu de 2022. Ce fut Eric
Zemmour… « En politique, le réel
crée la fiction, et la fiction crée le
réel », répète l’ancien conseiller
élyséen Gaspard Gantzer.
La série a eu un tel impact que
son créateur est désormais con-
sulté comme un oracle par de
nombreuses personnalités politi-
ques qui viennent se nourrir de sa
connaissance fine et inspirée de la
politique. Pendant la campagne
présidentielle de 2022, Emmanuel
Macron l’a même reçu à dîner à
l’Elysée. L’intéressé, qui refuse de
confirmer ou d’infirmer ces ren-
dez-vous discrets, se défend d’être
un « devin » : « Je lis tout et j’écoute
tout le monde, c’est tout. On est ar-
rivés à un tel point de spectaculari-
sation de la politique que l’on ne
parvient plus à voir le réel tel qu’il
est. C’est à cela que sert la fiction :
mettre le réel devant nous… »
PLUS LA DÉSAFFECTION
À L’ÉGARD DE
LA POLITIQUE EST
FORTE, PLUS LES SÉRIES
QUI LA RACONTENT
FONT FLORÈS
PROCHE ORIENT
nisé son cabinet ne l’est pas
moins. En février 2023, Le Monde
racontait comment Zelensky au
pouvoir s’était entouré de scéna-
ristes et de dialoguistes issus de
sa maison de production.
Mise en abyme
Paradoxalement, plus la désaffec- 10 000 ans de civilisation
tion à l’égard de la politique est
forte, plus les séries qui racontent
la politique font florès. Alors que
le récit politique s’appauvrit, et
que les dirigeants peinent à dessi-
ner un horizon, les scénaristes,
qui, par définition, savent racon-
ter des histoires, comblent le vide.
« Dans un monde de plus en plus
complexe et déstructuré, les séries
proposent une lecture organisée É DI T ION
du réel », observe l’essayiste Ra-
phaël Llorca. Coordinatrice de
2023
l’ouvrage collectif Les Séries. Labo-
ratoires d’éveil politique (CNRS édi- Comprendre le présent à la lumière du passé
tions, 2023), la philosophe Sandra
Laugier va plus loin : selon elle, la
fiction a un impact direct sur la
réalité, la façonne. « Dans une pé-
riode de dépolitisation, la fiction
politique peut aider à réenchanter, Écriture, sciences, religions, architecture, urbanisme… le Proche-Orient
voire à sublimer la politique », a longtemps illuminé l’humanité de ses splendeurs. Comment ce berceau
avance, de son côté, le professeur
de science politique Rémi Lefeb- de civilisations majeures est-il devenu, en un peu plus d’un siècle, une
vre, qui a coordonné avec Emma- région d’affrontements aux conséquences géostratégiques mondiales ?
nuel Taïeb l’ouvrage Séries politi-
ques. Le pouvoir entre fiction et vé- Alors que le conflit israélo-palestinien s’est à nouveau embrasé en cette
rité (De Boeck Supérieur, 2020). fin d’année 2023, les meilleurs spécialistes nous donnent une profondeur
Edouard Philippe incarne cette
mise en abyme. L’ancien premier historique pour analyser et comprendre… au-delà de l’émotion.
ministre, qui se prépare à une can-
didature à la présidentielle de
2027, écrit dans le même temps le
L’HISTOIRE DU PROCHE-ORIENT
scénario d’une série mettant en
scène un candidat et sa garde rap-
prochée, lancés dans la conquête Un hors-série
de l’Elysée. Il reste à savoir quel 164 pages - 14,90 €
scénario aura le plus de succès. Ce-
chez votre marchand de journaux
lui que le « scénariste », comme il
s’est présenté aux Rencontres Ha- et sur boutique.lavie.fr
vre Séries, a concocté pour les té-
léspectateurs de France 2. Ou celui
qu’il prépare pour les Français. p