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La littérature chinoise a connu une évolution fulgurante depuis la mort de

Mao en 1976 jusqu’à l’attribution du prix Nobel de littérature à Gao Xingjian


en 2000. L’amateur l’aborde souvent au gré de flâneries en librairie, dans les
bibliothèques ou par une critique dans la presse. Mais il est quelque peu
démuni s’il veut s’y retrouver dans le foisonnement des mouvements et des
écoles, ou tout simplement avoir des informations sur les auteurs. Ce Petit
Précis lui propose des clés pour se repérer dans la production de ces vingt-
cinq dernières années. Il privilégie les œuvres traduites en français - tout en
signalant certaines qui ne l’ont pas été et méritent de l’être -, présente leurs
auteurs, les situe dans l’histoire littéraire chinoise et mesure leur impact en
Chine et en Occident. Sans se cantonner à la Chine continentale, il englobe
les littératures de Hong Kong, Taiwan et les écrivains vivantà l’étranger.
Un livre clair et facile d’accès pour qui est curieux d’en savoir plus sur la
Chine et ses écrivains.
Noël DUTRAIT

Petit précis à l’usage


de l’amateur de littérature
chinoise contemporaine
(1976-2006)
Edition revue et complétée
Je remercie Liliane Dutrait, avec qui j’ai traduit plusieurs auteurs chinois contemporains, qui a relu
patiemment cet ouvrage et m’a fait part de ses précieuses suggestions.

© 2002, Editions Philippe Picquier


© 2006, Editions Philippe Picquier, pour la présente édition
Mas de Vert
B.P.20 150
13 631 Arles cedex

www.editions-picquier.fr
Conception graphique : Picquier & Protière
Mise en page : Ad litteram, M.-C. Raguin–Pourrières (Var)
ISBN (papier) : 2-87730-588-0
ISBN (ePub) : 978-2-8097-0550-8
La version ePub de ce texte a été réalisée en partenariat avec le Centre National du Livre.
INTRODUCTION

La littérature chinoise contemporaine est restée jusqu’au début des années


1980 pratiquement absente des librairies et des bibliothèques d’Occident, à la
différence des littératures japonaise ou latino-américaine qui ont connu un
essor considérable durant la deuxième moitié du siècle qui vient de s’achever.
La situation politique de la Chine en est responsable, puisque, de 1966 à
1976, pendant la Révolution culturelle, les écrivains chinois n’ont eu aucune
possibilité de s’exprimer, si ce n’est pour chanter les louanges du Parti
communiste au pouvoir et de son grand leader. La disparition de Mao Zedong
en 1976 a donc été décisive pour la renaissance de la littérature chinoise.
Parallèlement, en Occident, le développement des études chinoises a permis
la formation de chercheurs et de traducteurs qui se sont attelés à la tâche de
faire connaître cette nouvelle littérature, reflet des bouleversements profonds
que la Chine a connus à partir de la fin des années 1970. Sous la plume
d’écrivains jeunes ou moins jeunes sont nées des œuvres puissantes,
originales, inspirées des réalités du pays, mais aussi irriguées par les
recherches formelles menées en Occident, au Japon ou en Amérique latine.
Nombreux sont les romans ou nouvelles en langue chinoise qui ont été
traduits en français depuis deux décennies ; à partir du milieu des années
1990, le rythme s’est accéléré à la mesure de l’engouement du public français
pour les arts et la littérature de Chine – tout particulièrement le cinéma, qui a
enthousiasmé et conquis un grand nombre d’amateurs, avec les films de
Zhang Yimou, Chen Kaige, Jiang Wen, Hou Hsiao-hsien, Wong Kar-wai et
bien d’autres. Naturellement, l’attribution du prix Nobel de littérature de l’an
2000 à Gao Xingjian, premier écrivain de langue chinoise à recevoir cette
distinction, n’a fait qu’amplifier le phénomène.
Le nombre des traductions reste cependant modeste si on le met en regard
avec les centaines d’œuvres qui paraissent chaque année en Chine, mais la
sélection déjà effectuée par les traducteurs et les éditeurs peut laisser espérer
au lecteur français qu’il dispose d’œuvres de qualité ou qui, au moins, auront
été remarquées dans le monde littéraire chinois. L’amateur aborde souvent
cette littérature au hasard d’une flânerie en librairie, d’un emprunt dans une
bibliothèque ou de la lecture d’ une critique dans la presse. Mais il est
quelque peu démuni lorsqu’il cherche des repères pour se retrouver dans le
foisonnement de mouvements, courants, écoles, qui ont fleuri depuis la
Révolution culturelle, ou tout simplement pour avoir des informations sur les
auteurs. Les études restent rares, surtout pour la période la plus récente1. Les
articles dans des revues spécialisées sont certes plus nombreux, mais pas
toujours faciles à consulter pour tout un chacun.
La production romanesque chinoise est loin d’être issue exclusivement de la
Chine continentale. Elle s’est développée selon des voies originales aussi
bien à Taiwan et à Hong Kong que dans d’autres régions du monde : Asie du
Sud-Est, Etats-Unis d’Amérique et Europe, surtout depuis les événements
dramatiques de 1989 qui ont poussé à l’exil nombre d’intellectuels. Cette
littérature de la « diaspora » fait figure de parent pauvre en Occident : les
études sont quasi inexistantes en français, et seules quelques traductions sont
disponibles, même si les éditeurs commencent à s’y intéresser.
Ce petit livre n’a pas pour objet d’analyser de manière exhaustive
l’ensemble de la création littéraire depuis 1976, date de la mort de Mao
Zedong. Il n’a d’autre ambition que d’exposer au public francophone dans
quelles conditions un roman, une nouvelle, un poème ou une pièce de théâtre,
ont pu être écrits, de présenter leurs auteurs, de les situer dans l’histoire
littéraire chinoise, et de montrer parfois comment l’œuvre a été reçue en
Chine et dans les pays francophones. Aussi, puisque beaucoup d’œuvres
originales resteront inaccessibles au lecteur non sinophone, nous avons
délibérément choisi de privilégier la présentation d’œuvres traduites, tout en
signalant certaines qui ne l’ont pas été et mériteraient de l’être. Un tel parti
pris présente évidemment le risque de négliger, parce qu’ils n’ont pas été
traduits, des auteurs influents dans le monde littéraire chinois et de privilégier
tel ou tel écrivain parce qu’il aurait connu le succès à partir de traductions de
ses œuvres à l’étranger. Le danger est réel de renvoyer de manière déformée
l’image que les Chinois se font de leur littérature en la considérant à travers le
prisme de la critique occidentale. Nous nous efforcerons donc chaque fois
que possible de confronter l’évaluation littéraire occidentale avec celle qui a
cours en Chine – ou dans « les Chines ». Les récentes études chinoises sur la
littérature contemporaine montrent souvent que le succès remporté à
l’étranger par un auteur ne fait que renforcer l’aura qui l’entoure dans son
propre pays, même s’il l’a quitté.
Au cours des trente dernières années, depuis la mort de Mao Zedong en
1976 jusqu’à aujourd’hui, l’évolution de la vie littéraire chinoise a été d’une
fulgurante rapidité, à l’instar des transformations en profondeur que la société
chinoise a connues dans de nombreux domaines. De la poésie « obscure » au
roman néoréaliste, de la « littérature des cicatrices » à l’écriture
postmoderniste, des romans de cape et d’épée de Hong Kong et Taiwan à la
nouvelle littérature féminine de Chine continentale, la création littéraire a été
traversée par une multitude de courants. En introduction, un bref rappel des
faits historiques dans le monde des arts et lettres entre 1949, date de
l’accession du Parti communiste au pouvoir, et 1976, donnera au lecteur
l’extrémité du fil d’Ariane qui le guidera dans ce labyrinthe.
Depuis 2002, date de la parution de la première édition de cet ouvrage,
l’engouement pour la Chine s’est accru et le nombre des traductions de
littérature chinoise n’a fait qu’augmenter. L’organisation des Années croisées
entre la Chine et la France en 2003-2004 et 2004-2005, et l’invitation de la
Chine au Salon du livre de Paris en mars 2004 ont renforcé ce phénomène.
Des compléments et des notes ont été rajoutés au fil des pages lorsqu’une ou
plusieurs œuvres d’un écrivain sont venues s’ajouter à celles que nous avions
déjà évoquées dans la première édition.
Les goûts personnels de l’auteur de ces lignes, également traducteur, ont
naturellement influencé ses choix, qu’il assume et livre au débat et à la
critique. Son seul désir est de donner envie de connaître et de mieux
comprendre cette littérature issue d’une tradition prestigieuse et qui est en
train de prendre sa place dans le concert littéraire mondial.

1 Voir la bibliographie en fin d’ouvrage.


DE LA LITTÉRATURE
COMME INSTRUMENT DE LA POLITIQUE
À L’ANÉANTISSEMENT DE LA LITTÉRATURE
PAR LA POLITIQUE

La littérature des premières années du régime (1949-1966)


Depuis le fameux discours que Mao Zedong prononça en 1942 à Yan’an2 –
où les communistes s’étaient regroupés en 1935 après la Longue Marche –, le
rôle que la littérature et les arts devaient jouer dans la société n’était plus
soumis à discussion : ils étaient placés « au service des ouvriers-paysans et
soldats ». Les écrivains étaient priés de réserver leurs attaques et leurs
sarcasmes aux anciennes classes dirigeantes et de se tenir résolument du côté
du peuple. « La littérature et l’art prolétariens, déclarait Mao Zedong, font
partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat ; ils sont,
comme disait Lénine, “une petite roue et une petite vis” du mécanisme
général de la révolution. » L’instrumentalisation des arts et lettres devenait un
dogme qui ne serait plus remis en cause jusqu’à la fin des années 1970, même
si quelques tentatives infructueuses pour élargir un peu le rôle de la littérature
seront faites par des écrivains comme Wang Meng (1934-) ou Liu Binyan
(1925-).
En 1949, après la victoire du Parti communiste sur le Guomindang, la
plupart des écrivains se rallièrent au nouveau régime, considérant comme
extrêmement noble et exaltant le slogan « Servir le peuple ». Leur
organisation fut calquée sur le modèle soviétique : l’Association des écrivains
les plaçait directement sous la coupe de la propagande officielle, mais leur
assurait aussi un statut et un revenu stables. En contrepartie, ils eurent à créer
et à animer des revues – ce seront Renmin wenxue (Littérature du peuple) ou
Wenyibao (La Gazette des arts et lettres) –, et aussi, bien sûr, à écrire romans,
nouvelles, reportages, poèmes et pièces de théâtre à la gloire des réalisations
du nouveau régime. L’Etat détenait le monopole de l’édition, avec les
Editions de littérature populaire de Chine (Zhongguo renmin wenxue
chubanshe), et de la diffusion, avec les librairies Xinhua shudian (Chine
nouvelle), ce qui évidemment renforçait son contrôle sur les œuvres. Si les
écrivains avaient adhéré dans leur grande majorité à la nouvelle idéologie – à
l’exception de figures comme Lin Yutang (1895-1976), Hu Shi (1891-1962)
ou Liang Shiqiu (1903-1987), qui partirent à Taiwan ou aux Etats-Unis –, ils
restaient suspects aux yeux du pouvoir qui les soupçonnait de ne pas partager
sa vision du monde en raison de leur passé3.
Un certain nombre d’affaires célèbres ont ainsi ponctué la vie artistique et
littéraire chinoise jusqu’à la Révolution culturelle. Ce fut par exemple en
1951 la critique du film La Vie de Wuxun de Sun Yu, dont le héros positif
était un ancien vagabond qui, au milieu du XIXe siècle, avait décidé de créer
des écoles pour aider des jeunes gens misérables. Le pouvoir lui reprocha de
développer des idées de collaboration avec le féodalisme, de faire preuve de
réformisme et de manquer d’esprit révolutionnaire. Ce fut aussi la
dénonciation de l’écrivain et philosophe Hu Shi en 1952 : on critiqua son
idéologie « libérale » et le fait qu’il se soit « vendu à la culture impérialiste »,
car il avait été ambassadeur aux Etats-Unis. Autre « affaire » en 1954 : Hu
Feng (1902-1986), personnage important du régime, ancien disciple de
l’écrivain Lu Xun (1881-1936), écrivit au Comité central du Parti pour
dénoncer les « cinq poignards plantés dans le cerveau des écrivains
révolutionnaires », ce qui lui valut une critique particulièrement acerbe,
portée directement par Mao Zedong. Arrêté en 1955, il fut condamné et
incarcéré jusqu’en 19784. Lors de chacune de ces « affaires », toute velléité
de s’écarter du dogme fut sévèrement condamnée.
Parmi les écrivains déjà consacrés, certains préférèrent se taire
définitivement, comme Shen Congwen (1902-1988) qui se consacra
exclusivement à une carrière d’archéologue et d’historien d’art. Ba Jin (1904-
2005), lui, choisit de refléter la réalité grâce au reportage. Ses écrits sur la
guerre de Corée qui exaltent la lutte anti-impérialiste et le courage des soldats
chinois engagés sur le front en sont le meilleur exemple. Grand romancier,
Lao She (1899-1966) se consacra essentiellement au théâtre et à l’essai. Ses
pièces sont souvent à la gloire du régime, mais La Maison de thé5 constitue
une magnifique fresque de l’histoire de la Chine moderne que le public
chinois n’a cessé d’apprécier depuis 1957. Autre grande figure de la
littérature chinoise engagée, Mao Dun (1897-1981), occupa après 1949 de
hautes fonctions au sein du gouvernement : il resta ministre de la Culture
jusqu’en 1965, et ce, au détriment de sa carrière d’écrivain. Enfin, Guo
Moruo (1892-1978), le chantre du romantisme rallié au marxisme dans les
années 1920, ira jusqu’à rejoindre la cause de la Révolution culturelle en
1966, tandis que ses compagnons étaient les uns après les autres soumis à la
critique, jetés en prison ou contraints au suicide.
Jusqu’en 1966, la plupart des romans et des nouvelles mettent en valeur les
réalisations du pouvoir communiste, sans véritable regard critique, à
l’exception des écrits de Liu Binyan ou de Wang Meng, où ils développent
l’idée que la littérature doit « intervenir dans la vie » et dénoncer les « aspects
sombres » de la société, prenant exemple sur certains écrivains soviétiques
spécialistes du reportage qui ont acquis leur célébrité quelques années après
la mort de Staline. A leurs yeux, il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause
la nature du régime, mais plutôt d’aider à l'améliorer en mettant en lumière
ses aspects négatifs. Leur cible principale, ce sont les excès de la bureaucratie
et le manque de démocratie dans les relations sociales. Ce courageux combat
vaudra à ces auteurs d’être étiquetés comme « droitiers » après le mouvement
des Cent Fleurs de 19576. D’autres écrivains ou journalistes profitent des
contradictions internes du système pour tenter de faire passer une certaine
critique. Ainsi Deng Tuo (1912-1966) au début des années 1960, qui écrit en
collaboration avec Liao Mosha (1907-1990) et Wu Han (1909-1969)
Sanjiacun zhaji (Notes du Village des Trois Familles), recueil de courts textes
incisifs critiquant à mots couverts Mao Zedong, qui ne feront que précipiter
leur chute. Deng Tuo, également auteur de Yanshan yehua (Propos du soir à
Yanshan), se suicida en 1966, dès le début de la Révolution culturelle7.
De 1949 à 1966, les écrivains chinois ont donc tenté de poursuivre leur
travail de création, tantôt en se mettant totalement et avec conviction au
service du régime, tantôt en luttant courageusement pour disposer d’un peu
plus de liberté. Le nombre d’écrits produits est considérable, et certains
romans connaissent un grand succès en Chine. Très rares cependant sont les
œuvres qui seront traduites en français en dehors du cadre officiel – et
presque confidentiel – des Editions en langues étrangères de Pékin qui
publiaient la revue Littérature chinoise. Dès le début de la Révolution
culturelle en 1966, la plupart de ces écrivains devaient subir des persécutions
d’une rare violence, malgré le dévouement dont ils avaient pu témoigner.

Le désert des arts et lettres


La Révolution culturelle ouvre une période catastrophique pour la littérature
chinoise dans la mesure où pratiquement tous les écrivains sont réduits au
silence. Nombreux se suicident ou meurent par suite des mauvais traitements
qui leur sont infligés. Cas unique, Guo Moruo, écrivain réputé, président de
l’Académie des sciences, au lieu de profiter de sa célébrité pour tenter de
défendre ses pairs, préfère renier ses écrits et se livre à une autocritique
retentissante qui se termine par ces mots : « Du point de vue d’aujourd’hui et
en termes stricts, tout ce que j’ai écrit devrait être brûlé8. »
Un nom émerge de ce désert, celui de Hao Ran (1932-), écrivain d’origine
paysanne, qui est pratiquement le seul à n’avoir pas cessé d’être publié après
1966. Doué d’un réel talent, il excelle à décrire la vie à la campagne,
montrant comment se préparent les « lendemains qui chantent9 ». Il est
aujourd’hui intéressant de comparer sa vision de la campagne chinoise avec
celle qu’en auront quelques années plus tard un Liu Heng (1954-) ou un Li
Rui10 (1950-). Alors que la vie des paysans était sans nul doute extrêmement
dure au cours des années 1950 et 1960, Hao Ran en donne une vision presque
idyllique, convaincu que ces hommes parviennent à surmonter leurs
problèmes grâce au Parti communiste. Beaucoup moins complaisants, les
jeunes auteurs des années 1980 et 1990 décrivent la terrible arriération de ces
campagnes que le « boom économique » des années 1980 aurait dû éradiquer.
Très critiqué après la chute de la Bande des Quatre en 1976, Hao Ran
continuera à écrire en incarnant la tendance minoritaire très dogmatique du
monde des arts et lettres de Chine qui relève régulièrement la tête à chaque
durcissement du régime.
Aujourd’hui, les histoires de la littérature chinoise contemporaine publiées
en Chine admettent la coexistence de deux types de littérature pendant la
Révolution culturelle : la littérature « souterraine » ou clandestine, et la
littérature officielle soumise aux ordres du pouvoir11.

2 Mao Zedong, « Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yan’an », dans Œuvres
choisies, Pékin, Editions en langues étrangères, 1963, t. III, p.72-98.
3 Pour l’histoire de la Chine de 1895 à 1949, et tout particulièrement le mouvement des idées
politiques, la littérature et l’art, on lira La Chine au XXe siècle, d’une révolution à l’autre, sous la
direction de Marie-Claire Bergère, Lucien Bianco et Jürgen Domes, Paris, Fayard, 1989.
4 Au sujet de ces « affaires », voir Jacques Guillermaz, Le Parti communiste chinois au pouvoir, 2
vol., 3e édition, Paris, Payot, 1979. Sur l’affaire Hu Feng, on peut lire le terrifiant « Commentaire sur le
deuxième recueil de matériaux concernant le groupe contre - révolutionnaire de Hu Feng, 24 mai
1955 » de Mao Zedong, dans Mao Tse-toung, Textes 1949-1958, Paris, éditions du Cerf, 1975, p.72-75.
5 Pékin, Editions en langues étrangères, 1980.
6 On peut lire de Liu Binyan l’un de ses plus célèbres reportages : Les Nouvelles confidentielles de
notre journal, dans Le Cauchemar des mandarins rouges, traduit par Jean-Philippe Béja, Paris,
Gallimard, 1989. La préface du traducteur montre comment Liu Binyan s’est inspiré de l’auteur de
reportage russe Ovetchkine.
7 On trouvera de nombreuses références à ces trois auteurs dans le livre de Bonnie S. McDougall et
Kam Louie, The Literature of China in the Twentieth Century, Londres, Hurst & Company, 1997, mais
leurs écrits n’ont pas été traduits en français.
8 Cité par Jacques Guillermaz dans Le Parti communiste chinois au pouvoir, op. cit., p.352.
9 Hao Ran, Nouvelles de la campagne chinoise, traduit et présenté par Claire Jullien, Claude Lafue et
Chantal Séguy, Paris, Mazarine, 1980. Deux autres textes de Hao Ran sont parus en traduction
française : Ma plume au service du prolétariat, Lausanne, Eibel, 1976, et Les Enfants de Xisha,
Lausanne, Eibel, 1976.
10 Pour Liu Heng ou Li Rui, voir l’Anthologie de nouvelles chinoises contemporaines, présentée par
Annie Curien, Paris, Gallimard, 1994, et plus bas le chapitre « Le retour du réalisme ou le
néoréalisme ».
11 Voir par exemple l’ouvrage dirigé par Chen Sihe, Zhongguo dangdai wenxue shi jiaocheng (Cours
sur l’histoire de la littérature contemporaine chinoise), Shanghai, Fudan daxue chubanshe, 1999, p.162,
chap. 9 : « La littérature de la période de la Grande Révolution culturelle », dont la première partie est
intitulée : « Les dommages portés à la littérature pendant la Grande Révolution culturelle et le
mouvement littéraire clandestin à l’époque de la Révolution culturelle ».
LITTÉRATURE CLANDESTINE
ET « POÉSIE OBSCURE »

Des manuscrits diffusés sous le manteau


Pour contourner la censure, à la fin des années 1970, des écrivains amateurs
diffusent leurs textes autour d’eux sous forme manuscrite. Leurs lecteurs les
recopient et les communiquent à leurs proches et à leurs amis. C’est le cas du
roman Di’er ciwoshou12 (La Deuxième Poignée de mains) de Zhang Yang
(1944-) qui met en scène des chercheurs scientifiques partagés entre le devoir
et l’amour. Réécrite trois fois par son auteur depuis 1963 et diffusée sous des
titres différents, l’œuvre ne risquait pas d’être autorisée puisqu’elle faisait la
louange des intellectuels, considérés pendant la Révolution culturelle comme
la « neuvième catégorie puante », c’est-à-dire la lie de la société. Elle
évoquait aussi l’amour entre homme et femme, thème tabou pendant cette
période. Ce roman a posé très tôt la question de la position des intellectuels :
Devaient-ils avant tout servir leur pays, servir la science à laquelle ils
consacraient leur vie, ou s’occuper en priorité de leur vie personnelle ? Zhang
Yang subira quatre années d’emprisonnement pour avoir fait circuler ce
roman qui ne sera publié officiellement qu’en 1979.
Vagues13 de Bei Dao (de son vrai nom Zhao Zhenkai, né en 1949) est
diffusé de la même manière à partir de 1974. Abandonnant narration et
intrigue, ce court roman explore de nouvelles voies formelles : le monologue
intérieur alterne avec des dialogues émanant de personnages qui semblent
ballottés au gré des « vagues » provoquées par les bouleversements de la
société. En tête de chaque chapitre ou sous-chapitre figure le nom du
personnage dont les pensées sont rapportées. Au chapitre 7, le personnage
nommé Xiao Ling semble dialoguer avec elle-même.
L’amour se lève tremblant au-dessus de ce bourbier de souffrances.
Cette délivrance est aussi violente que la mort, si bien que, souvent, j’ai
envie d’ouvrir la vanne, de laisser l’écume de la joie jaillir avec un
sifflement.
Tu es folle ?
Oui, je suis folle. Si je n’ai pas encore été asphyxiée par la médiocrité
je consens volontiers à être folle, une folle à l’humeur joyeuse, car face à
ce qu’on appelle une vie normale, la folie est une sorte d’opposition et
tout ce qui est opposition est beau.
Aurais-tu oublié tes responsabilités ?
Non, mais au cœur des responsabilités je pense à des choses
étrangères à elles, à l’amour, nimbé d’une lumière étrange.
En voilà assez, c’est trop abstrait ! (Vagues, p.132-133.)
L’œuvre est publiée à Pékin pour la première fois en 1979 dans la revue non
officielle Jintian (Aujourd’hui), fondée par Bei Dao et le poète Mang Ke
(1950-).
Précurseur dans l’expression de la subjectivité, Bei Dao se distingue par
l’originalité de son style et une grande maîtrise de l’utilisation du
« monologue intérieur », bien avant Wang Meng à qui l’on a coutume d’en
attribuer l’introduction en Chine, en même temps que du « courant de
conscience ». A la même époque, Bei Dao écrit, souvent sous des
pseudonymes, plusieurs récits ou nouvelles (13, rue du Bonheur, Le Retour
du père14) que l’on peut rattacher à la « littérature des cicatrices ». Par la
suite, il délaissera la prose pour la poésie.
Si la littérature clandestine chinoise n’a pas connu la même ampleur qu’en
Union soviétique, elle a sûrement compté et reste un champ d’étude peu
abordé15. Ces œuvres, qui entendaient dénoncer les aspects négatifs du régime
et les souffrances endurées pendant la Révolution culturelle – misère, abus de
pouvoir des cadres, détournements de fonds, etc. – ont paru ensuite dans des
revues officielles et ont rejoint les œuvres de « littérature des cicatrices » en
vogue à la fin des années 1970.

Une nouvelle sensibilité


A partir de 1978 se révèle au grand jour une poésie dite « poésie obscure »,
produite par de jeunes auteurs qui se heurtent aussitôt à l’incompréhension de
leurs aînés, exprimée avec véhémence par Ai Qing (1910-1996), grand poète
réaliste – qui a lui-même subi à plusieurs reprises les critiques du Parti –,
admirateur de Verhaeren et de Maïakovski, ou Gu Gong (1928-), poète des
armées, qui écrit un texte très émouvant à propos de son fils Gu Cheng
(1956-199316). Après un mouvement spontané de colère, le père prend peu à
peu conscience du nouveau mode d’expression que représente cette poésie :
« En comprenant l’évolution qui s’est faite chez mon fils, je comprends la
poésie. En comprenant l’évolution de la poésie, je comprends mon fils, et la
nouvelle génération17… »
Le poème de Gu Cheng La terre est courbe, daté de 1981, reflète une
qualité d’expression – sensible, visuelle, colorée – et un questionnement
philosophique qui ont pourtant suscité l’incompréhension et la critique :
la terre est courbe
qui te cache à mon regard
je n’aperçois que le ciel bleu
de ton cœur dans le lointain
est-ce du bleu ? Du vrai bleu
le bleu même du langage
j’aimerais apporter la joie au monde
mais les sourires se figent sur les lèvres
qu’on me donne plutôt un nuage pour effacer les clairs moments
viennent les larmes à mes yeux
vienne le sommeil à mon soleil. (Les Yeux noirs, p.9.)
Les œuvres de ces jeunes poètes sont qualifiées de menglong, « obscures »,
« floues », « imprécises ». En fait, ils n’obéissent plus aux lois du réalisme
socialiste et du romantisme révolutionnaire imposées par les officiels du Parti
communiste dans le domaine des arts et lettres.
Certains de ces poèmes « obscurs » sont des cris de révolte et de
scepticisme. Ainsi Réponse de Bei Dao, écrit au moment de la répression des
manifestations d’avril 1976 sur la place Tian’anmen en hommage au Premier
ministre Zhou Enlai décédé :
Je ne crois pas que le ciel soit bleu ;
Je ne crois pas à l’écho du tonnerre ;
Je ne crois pas que mes rêves soient faux,
Je ne crois pas que la mort ne soit pas rétribuée18.
La poésie, pour Shu Ting (née en 1952), permet aussi la restauration d’un
certain humanisme face à l’« inhumanité » que la Chine vient de connaître :
Je voudrais que, dans la mesure du possible, ma poésie soit l’expression
de ma sollicitude envers l’Homme, les obstacles doivent être franchis,
les masques devront être ôtés. Mais je suis persuadée que les hommes
finiront par s’entendre, parce qu’on peut toujours trouver le chemin qui
mène à leur âme19.
Si les poètes dits « obscurs » ont adopté un mode d’expression très moderne
et même qualifié à l’époque de « moderniste », ce n’est certainement pas,
estime Bei Dao, en raison des influences qu’ils auraient subies. Lui-même,
lorsqu’il a commencé à écrire, ne connaissait que Baudelaire et Aragon, ainsi
que quelques poètes « modernistes » chinois, tels Dai Wangshu (1905-1950)
et Wen Yiduo (1899-1946). La raison est à chercher ailleurs :
Si l’on veut parler d’influence, alors je crois que pour l’essentiel, elle
vient des souffrances que l’époque a imposées à notre génération, des
sentiments et des idées qu’elle a fait germer en elle. […] Notre poésie
est le produit de nous-mêmes, non d’un modèle. Elle nous est dictée par
une exigence intérieure, et peu à peu, cette exigence a créé un style
moderne20.
Les poètes « obscurs » se retrouvent dans la revue Jintian (Aujourd’hui) et
participent au mouvement démocratique de 1978-1979, appelé le « printemps
de Pékin en hiver », qui voit de jeunes contestataires réclamer la démocratie,
considérée par le plus célèbre d’entre eux, Wei Jingsheng, comme la
« cinquième modernisation » indispensable pour que réussissent les quatre
autres : modernisation des sciences et techniques, de l’industrie, de
l’agriculture et de la défense. Soutenu dans un premier temps par le nouveau
maître du Parti, Deng Xiaoping, qui en profite pour se débarrasser de la
vieille garde maoïste, le mouvement est ensuite durement réprimé et vaudra à
Wei Jingsheng une condamnation à quinze ans de prison21.
Hormis Bei Dao, Shu Ting et Gu Cheng, les représentants les plus célèbres
du courant de la « poésie obscure » sont Mang Ke, cofondateur avec Bei Dao
de la revue Jintian (Aujourd’hui), Yang Lian (né en 1955) et Ma Desheng qui
poursuivent leur œuvre poétique22. Ce dernier, peintre, poète et calligraphe,
est établi en France, où il a publié en 1992 Vingt-quatre heures avant la
rencontre avec le dieu de la mort, long poème non ponctué qui témoigne de
la puissance de son expression poétique, et en 2003, Rêve blanc, âmes noires,
accompagné en vis-à-vis des calligraphies de l’auteur.
12 Shanghai, Zhongguo qingnian chubanshe, 1979.
13 Les références des œuvres publiées en Chine après 1976 et traduites en français sont données dans
la bibliographie. Sauf mention contraire, les indications de pages signalées en fin de citation sont celles
de la traduction française.
14 Dans le recueil 13, rue du Bonheur.
15 Le poète chinois Bei Ling effectue des recherches sur cette littérature dans la revue littéraire
publiée aux Etats-Unis Qingxiang (Tendancy). On peut lire aussi le recueil Le Retour du père, traduit
par Hervé Denès, Paris, Belfond, 1981, et La Face cachée de la Chine, traduit par Jean - Philippe Béja
et Wojtek Zafanolli, Paris, Editions Pierre-Emile, 1981, qui rassemble les textes les plus représentatifs
de cette littérature souterraine.
16 Gu Cheng s’est suicidé en 1993 après avoir tué sa femme à coups de hache, en Nouvelle-Zélande
où il vivait depuis 1987.
17 Article paru dans la revue Shikan (Poésie), octobre 1980, traduit par Chantal Chen-Andro dans
Europe, n°672, avril 1985, p.108-115.
18 Dans Poèmes & art en Chine, les « non-officiels », Doc(k)s, n°41, hiver 1981-1982, f° 302. Le
numéro de cette revue entièrement consacré aux écrivains et artistes de cette époque est l’un des rares
témoignages en langue française sur ce mouvement poétique.
19 Cité par Wojtek Zafanolli, « Le nouveau cours littéraire », dans La Société chinoise après Mao,
Paris, Fayard, 1986, p.177-178.
20 Voir son entretien pour la revue Zhengming (Débats) en 1985, cité et traduit dans La Société
chinoise après Mao, op. cit., p.173.
21 Sur le mouvement démocratique de 1978-1979, voir L e Printemps de Pékin, novembre 1978-mars
1980, présenté par Victor Sidane, Paris, Gallimard/ Julliard, 1980. On peut lire également Wei
Jingsheng, Lettres de prison, 1981-1993, traduit par Marie Holzman, Paris, Plon, 1997.
22 On peut lire d’autres poèmes appartenant à cette mouvance dans Europe, n°672, avril 1985, ainsi
que dans Wojtek Zafanolli, « Le nouveau cours littéraire », op. cit. Voir aussi l’ouvrage de Tony
Barnstone, Out of the Howling Storm, The New Chinese Poetry, Hanover (USA), University Press of
New England, 1993. The Columbia Anthology of Modern Chinese Literature, New York, 1995,
comprend aussi quelques poèmes des auteurs cités ici. Voir également Quatre poètes chinois : Beidao,
Gu Cheng, Mangke, Yanglian, traduit par Chantal Chen-Andro et Annie Curien, Paris, Ulysse fin de
siècle, 1991 ; et Action poétique, n°148-149, automne-hiver 1997: « Douze poètes chinois », dossier
présenté par Chantal Andro.
On peut encore consulter Isild Darras, Poètes chinois d’aujourd’ hui, Paris, L’Harmattan, 2003, et
Inspirations chinoises, poèmes de Yu Jian, Gu Cheng, Wang Jiaxin, Zang Di, Xidu, Paris, L’Harmattan,
2004. Voir également Chantal Chen-Andro et Martine Valette-Hémery (éd.), Le Ciel en fuite.
Anthologie de la nouvelle poésie chinoise, Paris, Circé, 2004. Un long poème de Yu Jian est paru aux
éditions Bleu de Chine : Dossier 0.
« CICATRICES », REPORTAGES ET RÉFLEXION

Lu Xinhua et La Plaie, Liu Xinwu et Le Professeur principal


C’est la publication d’une nouvelle d’un étudiant de l’université Fudan de
Shanghai, La Plaie, parue en août 1978 dans le quotidien Wenhuibao de
Shanghai, qui donne son nom à la « littérature des cicatrices » (shanghen
wenxue), la « gigantesque cicatrice que les dix années de troubles ont laissée
au peuple chinois23 ». Lu Xinhua (1954-) y raconte comment, après la chute
de la Bande des Quatre, une jeune fille désire revoir sa mère injustement
accusée de trahison et persécutée. Lorsqu’elle peut enfin rentrer chez elle, la
mère est morte. La publication de cette nouvelle allait déclencher un grand
débat : jusqu’où les « aspects sombres » du socialisme pouvaient-ils être
dénoncés sans remettre en cause le socialisme lui-même ? La dénonciation de
ces « aspects sombres » n’allait-elle pas mener la jeune génération au dégoût
et au pessimisme ? La conclusion fut qu’une plus grande liberté pouvait être
laissée à la critique de la société, à condition de ne pas dépasser certaines
limites.
La « littérature des cicatrices » aborde essentiellement deux thèmes : les
malheurs des gens du commun pendant la période de la Révolution culturelle,
les persécutions (physiques et morales) qu’ils ont subies, ainsi que les luttes
qu’ils ont menées ; le sort de la génération des « jeunes instruits24 » durant la
même période, comment ils se sont consacrés corps et âme à ce mouvement
pour en devenir bientôt la cible principale.
La nouvelle de Liu Xinwu (1942-), Le Professeur principal, publiée en
1977, inaugure ce courant littéraire : l’auteur décrit comment un professeur
de collège se dévoue pour remettre dans le droit chemin un jeune délinquant
qui, sous la Bande des Quatre, aurait sans doute été condamné comme contre-
révolutionnaire – et non pas pris en considération en tant qu’être humain. La
nouvelle marquait un retour à un certain humanisme que l’on aurait taxé
d’« humanitarisme bourgeois » pendant la Révolution culturelle. La Place de
l’amour dans la vie, autre nouvelle de Liu Xinwu, réintroduit dans la
littérature le thème de l’amour entre homme et femme, totalement banni
depuis le début de la Révolution culturelle. Si ces écrits peuvent aujourd’hui
paraître assez naïfs – voire manichéens, à l’instar des productions à la gloire
du Parti des temps passés – et d’une qualité littéraire réduite, ils ont pourtant
marqué le départ de ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature de la
nouvelle période » (xin shiqi wenxue), de 1978 à aujourd’hui. La question de
la louange ( gesong) des aspects positifs de la société, en oubliant les drames
du passé, ou de la dénonciation (jielu) des aspects sombres de cette société
afin de l’améliorer, se posera avec plus d’insistance encore pour la
« littérature de reportage » qui doit s’appuyer sur l’évocation de faits réels.
Les faiblesses de ces œuvres expliquent sans doute que très peu de
traductions en aient été faites à l’époque où elles connaissaient en Chine un
immense succès. Le décalage était grand entre un lectorat chinois qui sortait
de plus de douze années de troubles politiques graves, où la lecture d’une
œuvre interdite pouvait conduire à de très fortes condamnations, et un lectorat
occidental peu au fait de la réalité de la situation en Chine25.

Yu Luojin et Le Nouveau Conte d’hiver


Le roman de Yu Luojin (1948-) Le Nouveau Conte d’hiver s’inscrit dans la
mouvance de la « littérature des cicatrices », mais, rédigé à la première
personne et nourri de faits réels, il peut aussi être considéré comme un
reportage. Ecrit en 1974, revu en 1979 et publié en 1980, de manière
tronquée, dans la revue Dangdai (Epoque contemporaine), ce récit
autobiographique allait déclencher une nouvelle polémique entre critiques
littéraires libéraux et conservateurs, car il s’agissait assurément du texte le
plus osé que l’on avait pu lire depuis longtemps. En évoquant la vie difficile
d’une jeune fille reléguée au Hebei et dans le Nord-Est, Yu Luojin levait le
voile sur la misère sexuelle qui sévissait parmi les « jeunes instruits ».
L’héroïne décrit sans complaisance sa nuit de noces avec un mari qu’elle
épouse par nécessité et sa terreur face au désir de celui-ci. Et elle s’interroge :
Nos connaissances sexuelles ne vont pas plus loin que celles des
enfants ! Nous n’avons aucune préparation en la matière, et notre
ignorance profonde est tout à fait déplacée à un certain âge ! Combien
de jeunes filles connaissent les mêmes malheurs que moi! Ne serait-il
pas nécessaire de nous enseigner tout cela ? (Le Nouveau Conte d’hiver,
p.164.)
Vingt ans plus tard, à la lecture des romans « sulfureux » de Weihui et Mian
Mian26, on mesure le chemin parcouru par la population chinoise en matière
de sexualité !
Un deuxième roman de Yu Luojin, Conte de printemps, paru en 1981, lui
aussi autobiographique, évoque son divorce avec une personnalité connue de
Pékin. Par la suite, Yu Luojin a quitté la Chine et s’est installée en 1986 en
Allemagne.

La littérature de reportage :
Liu Binyan et Entre hommes et démons
Pratiqué depuis longtemps en Chine, le reportage est devenu l’une des
formes littéraires les plus en vogue à la fin des années 197027. Ce genre
permettait aux écrivains d’exprimer les griefs qu’ils avaient contre la société
et de les dénoncer tout en affirmant ne reproduire que la stricte vérité. En fait,
le reportage n’était pas totalement fidèle à la réalité puisque les théoriciens
littéraires recommandaient une composition dite des « trois tiers » : un tiers
de réel (les faits journalistiques), un tiers de peaufinage artistique et un tiers
d’opinion personnelle, en l’occurrence l’opinion politique de l’auteur,
souvent simple reflet de la propagande en vigueur. En jouant avec subtilité
sur le « dosage » de réel et d’opinion personnelle, certains écrivains ont
cependant osé « dire tout haut » ce que nombre de lecteurs pensaient en leur
for intérieur.
L’un des reportages les plus célèbres de cette période est Entre hommes et
démons de Liu Binyan publié en septembre 1979 dans la revue Renmin
wenxue (Littérature populaire). Le journaliste y dénonce un scandale
financier qui avait défrayé la chronique la même année : la directrice de la
compagnie des combustibles d’un district du Nord-Est avait détourné une
somme – considérable à l’époque – de quatre cent cinquante mille yuans.
Reconnue coupable, elle fut exécutée en public. Au lieu de se contenter des
explications officielles affirmant que cette femme était le type même des
cadres corrompus mis en place par la Bande des Quatre, Liu Binyan enquêta
lui-même, démontant les mécanismes inhérents au système qui avaient
permis qu’un tel scandale arrive. C’était en fait le fonctionnement même du
Parti qui était remis en cause. L’auteur concluait son récit par un
avertissement :
L’affaire de corruption Wang Shouxin a été élucidée. Mais les
conditions sociales qui ont permis qu’existe et que prospère une Wang
Shouxin ont-elles tellement changé ? N’y a-t-il pas encore dans tous les
coins du pays de grandes et petites Wang Shouxin, qui continuent à
ronger le socialisme, à infecter l’organisme du Parti sans subir le
châtiment de la dictature du prolétariat ? (La Face cachée de la Chine,
p.292-293.)
Pour Liu Binyan, il ne s’agissait pas de remettre en cause le régime, mais de
tenter de l’amender en dénonçant ceux qui en entravaient la bonne marche.
Ses reportages lus par des millions de lecteurs ont joué un rôle important dans
la transformation de la société chinoise.
La personnalité de Liu Binyan est très représentative de cette période : né en
1925 à Changchun dans le Nord-Est, il devient journaliste après 1949 et tente
d’exercer son métier en conciliant propagande pour le Parti – auquel il
appartient – et vérité des faits. En 1956 déjà, il publie le reportage Les
Nouvelles confidentielles de notre journal28, qui met en lumière les difficultés
d’une journaliste chinoise, tiraillée entre sa conscience et les nécessités de la
propagande :
Pour obtenir sa carte [du Parti], on peut s’abstenir de défendre les
intérêts du Parti. Pour obtenir sa carte, il faut dissimuler ses opinions
personnelles ! (Le Cauchemar des mandarins rouges, p.108.)
Critiqué pendant le mouvement antidroitier qui a suivi le mouvement des
Cent Fleurs en 1958, Liu Binyan est envoyé en « rééducation » à la
campagne, puis, de 1969 à 1978, dans une école de cadres du 7 Mai29. Après
la publication de Entre hommes et démons, il n’a plus cessé de dénoncer « les
aspects sombres » de la société, tout en refusant d’être considéré comme un
dissident. Les événements de mai-juin 1989 l’ont contraint à l’exil aux Etats-
Unis d’où il continue à observer la vie politique chinoise30. Un an auparavant,
en 1988, interrogé lors de son passage en France, il estimait qu’il était encore
trop tôt pour parler exclusivement de littérature, car « les problèmes que la
France a réglés il y a deux cents ans [c’était l’année avant le bicentenaire de
la Révolution française], la Chine ne les a toujours pas réglés31 ».
Il revendiquait donc le droit de parler davantage de problèmes de société
que de problèmes purement littéraires. Liu Binyan a continué à donner son
avis sur l’évolution de la situation politique de la Chine dans la presse de
Hong Kong, sans que cette situation ne puisse lui permettre de rentrer dans
son pays.

Xu Chi et Le Problème de Goldbach


En 1978, un autre reportage, Le Problème de Goldbach, connaît un grand
retentissement : ce texte de Xu Chi (1914-1996), écrivain connu pour être
l’un des premiers « modernistes » avant 1949, au sujet du mathématicien
Chen Jingrun, marquait la réhabilitation des intellectuels. Ceux-ci, qu’ils
fussent, selon l’expression en vigueur, « rouges et experts » ou « blancs et
experts », auraient de nouveau un rôle à jouer dans la société socialiste.
Autrement dit, l’engagement politique des intellectuels ne devait plus primer
sur leurs compétences. Malgré des conditions de vie extrêmement difficiles
engendrées par la Révolution culturelle, malgré la situation politique troublée
du pays, le mathématicien Chen Jingrun n’avait jamais cessé de travailler à la
résolution d’un problème de mathématique pure qu’aucun savant du monde
entier n’était parvenu à résoudre32. Pour frapper l’attention des lecteurs, le
reportage parut le 16 février 1978 à la une du Quotidien du peuple et du
quotidien Clarté, et il débutait par un extrait de la thèse du mathématicien,
truffé de formules mathématiques inaccessibles au commun des mortels. Le
message était lancé : le savoir pur n’était plus considéré comme réactionnaire,
il devait servir le pays dans le cadre du lancement des « quatre
modernisations ».
De nombreux reportages ont été publiés par la suite, traitant de problèmes
de société comme le divorce, l’enfant unique, la pénurie de logements et les
difficultés économiques rencontrées par les jeunes couples, les catastrophes
naturelles comme le tremblement de terre de Tangshan de 1976, etc. Le
manque de liberté d’expression qui a continué à caractériser la presse
chinoise jusqu’à aujourd’hui fait que la littérature de reportage, publiée dans
des revues ou sous forme de livres, a joué un rôle de « caisse de résonance »
des problèmes en tout genre de la société chinoise, à l’instar de la presse
d’investigation dénonçant les scandales ou les « affaires » en Occident.

La littérature de témoignage : Zhang Xinxin et Feng Jicai


Très proche du reportage, la « littérature de témoignage » est un genre dans
lequel la romancière Zhang Xinxin (1953-) a excellé au milieu des années
1980. Celle-ci s’associe alors avec un journaliste de Hong Kong, Sang Ye,
pour interroger de simples citoyens – une centaine d’interviews seront
réalisées – sur leur vie quotidienne. Cette démarche novatrice devait donner
naissance à une intéressante et vivante galerie de portraits de Chinois des
années 1980, L’Homme de Pékin. Tout retravail littéraire était banni, le style
oral des témoignages conservé, comme en témoigne par exemple le chapitre
intitulé « Le fils » qui donne la parole à un jeune homme, dont la liberté de
ton était encore exceptionnelle dans la littérature :
Je viens d’avoir dix-neuf ans, je n’ai pas encore travaillé, je ne suis
pas étudiant, ni en attente d’emploi. L’an dernier, je me suis présenté au
concours d’entrée de l’Ecole des beaux-arts. Avec mes bonnes notes en
dessin, en peinture et en arts plastiques, j’étais dans les candidats
classés. Mais cette école de merde ne m’a pas inscrit, ou plutôt n’a pas
osé me prendre parce qu’il était marqué dans mon dossier : « Trois ans
de camp de rééducation. »
Tu te souviens qu’en 1980 des casseurs ont saccagé le Centre du
commerce extérieur ? Ben, j’étais dedans.
C’était pas prémédité, c’était pas non plus par vengeance. C’est
simplement que j’étais pas bien, je voyais tout en noir. Tu comprends
ça ? (L’Homme de Pékin, p.249.)
La même année, en 1986, Zhang Xinxin publiait le récit d’un voyage à
bicyclette le long du Grand Canal, de Pékin à Hangzhou, Au long du Grand
Canal. Cet ensemble de notations sur les paysages qu’elle traverse et les
personnages qu’elle rencontre, entrecoupées des messages qu’elle envoie aux
membres de sa famille, est qualifié par l’auteur elle-même de « littérature de
carte postale ». Tout en restant sensible aux préoccupations sociales de son
époque, Zhang Xinxin a indéniablement apporté à la littérature chinoise des
années 1980 une légèreté et une fraîcheur qui lui faisaient défaut jusqu’alors,
autant de qualités que l’on retrouve dans ses romans psychologiques Sur la
même ligne d’horizon, Le Partage des rôles, Une folie d’orchidées, publiés
en Chine de 1983 à 1989.
La démarche de Feng Jicai (1942-) est proche de celle de Zhang Xinxin. Cet
écrivain prolifique qui avait dès 1979, dans un court roman intitulé A !33,
décrit l’atmosphère de la Révolution culturelle et les dégâts qu’elle avait
provoqués dans les milieux intellectuels, fit paraître une annonce dans un
quotidien pour appeler des personnes à témoigner sur les dix années de
Révolution culturelle. Ce n’est qu’en 1997 qu’il en publiera la version
définitive, Dix ans de la vie de gens ordinaires34. Le résultat est hallucinant et
constitue un témoignage supplémentaire sur une catastrophe que Feng Jicai
aborde aussi dans une nouvelle de 1985, traduite sous le titre Que cent fleurs
s’épanouissent35, dont le personnage principal est un élève de l’Institut d’art
de Pékin envoyé en rééducation dans une fabrique de céramique au fin fond
d’une lointaine province. Feng Jicai s’est expliqué sur sa démarche de
romancier témoin de l’histoire :
J’ai commencé mon métier d’écrivain en 1979 et j’ai écrit pas mal de
romans, touchant de nombreux sujets, suivant mon inspiration, mais je
n’ai jamais renoncé à l’engagement que j’avais pris au début de la
Révolution culturelle, c’est-à-dire consigner et faire connaître ce
qu’avait vécu et ressenti une génération entière de Chinois ordinaires.
Depuis 1986, je me suis plongé dans la mémoire de ces faits, consacrant
mon temps à écouter et à enregistrer des gens qui me racontaient leur
histoire. […] En même temps que j’écris cette préface, qui me ramène à
cette époque, vieille de trente ans et pour le moins pénible, je me sens
délivré, comme jamais auparavant, d’un sentiment de tristesse qui
m’étreignait depuis longtemps. (L’Empire de l’absurde, p.14.)

La littérature de réflexion :
Wang Meng, Zhang Xianliang et Zhang Jie
La « littérature de réflexion » (fansi wenxue) – ou « d’introspection » – a eu
la particularité, au début des années 1980, de produire une analyse de la
situation du pays au cours de la Révolution culturelle et des conséquences de
celle-ci d’un point de vue social et politique, par le truchement de la nouvelle
ou du roman. On est frappé à la lecture de Wang Meng (Le Papillon et Le
Salut bolchevique) ou de Zhang Xianliang (1936-) (L’Ame et la Chair, à
partir duquel a été tourné le film de Xie Jin, L e Gardien de chevaux, et
Mimosa) de voir à quel point ces auteurs restent fidèles à leurs convictions
politiques, malgré les souffrances qu’ils ont endurées pendant le mouvement
antidroitier puis pendant la Révolution culturelle, et sur lesquelles ils ne
cessent de revenir. Au début des années 1980, Zhang Xianliang, qui a passé
vingt ans dans un camp de travail, et Wang Meng, contraint de s’exiler au
Xinjiang, restent des communistes très proches des idéaux de leur jeunesse,
dont ils pensent qu’ils sont justes. Leur peine n’est pas sans rappeler la
souffrance que subirait un chrétien pour connaître la rédemption. En 1999,
dans un entretien, l’écrivain Mo Yan (1956-) analysait l’état d’esprit de ses
aînés :
Wang Meng et Zhang Xianliang ont subi une trop forte influence de
la littérature russe et soviétique. Ils continuent à vouloir exprimer un
idéal, à suivre une ligne politique et à entretenir un très fort sens des
responsabilités. Ils se réclament de la phrase de Staline, je crois : « Les
écrivains sont les ingénieurs des âmes. » Pour eux, les écrivains doivent
être les porte-parole du peuple, ils ont la responsabilité de changer la
société et sont à l’avant-garde du peuple. Ces auteurs donnent une
coloration politique à la littérature. Ils ont été taxés de droitiers, puis
critiqués au moment de la Révolution culturelle, mais ils persistent à
affirmer : « Nous sommes les enfants du Parti, nous avons été victimes
d’une injustice, notre mère (le Parti) nous a maltraités, nous devons donc
aider notre mère à changer36. »
La publication de La moitié de l’homme, c’est la femme de Zhang Xianliang
a donné lieu à de violentes polémiques en 1985. A la fois roman politique et
roman d’amour – le héros est tiraillé entre son idéal marxiste et ses pulsions
–, il fut très vite qualifié de « roman érotique », en raison de certaines scènes
jugées audacieuses en regard de ce qui s’écrivait à cette époque. On l’accusa
aussi d’être un roman subversif, car il n’hésitait pas à dénoncer les échecs du
socialisme au cours de mouvements comme le Grand Bond en avant ou la
Révolution culturelle. Pourtant, Zhang Xianliang ne voyait dans ces
événements qu’une perversion de l’idéologie marxiste, et son idéal restait
intact. Aujourd’hui encore, il estime que sa visée est plus fondamentalement
d’ordre philosophique : c’est l’homme qui l’intéresse, dans ses aspects
existentiels37.
Ailes de plomb, de Zhang Jie (1937-), désigné ailleurs comme « roman
politique », est souvent cité comme le prototype de la littérature de réflexion.
Achevé en 1981, ce roman décrit le monde bureaucratique et corrompu du
ministère de l’Industrie. L’auteur, fonctionnaire, membre du Parti
communiste chinois, est familière des sphères qui détiennent le pouvoir. Son
roman est en fait une critique sans complaisance des hauts cadres
conservateurs qui freinaient de toutes leurs forces les réformes mises en place
par Deng Xiaoping à partir de 1978, au cours du fameux 3e Plénum du Parti.
Très proche du reportage, Ailes de plomb a aujourd’hui essentiellement une
valeur documentaire sur l’état de la société chinoise du début des années
1980.

La « réflexion » des anciens : les souvenirs de Ba Jin


Cette littérature de « réflexion » est loin d’avoir été produite uniquement par
des écrivains jeunes ou d’âge moyen. Des vétérans de la littérature comme
des écrivains confirmés, tels Ba Jin, Yang Jiang, Bai Hua, Gu Hua ou Lu
Wenfu, s’engagent aussi dans cette démarche d’introspection et de
remémoration pour tenter de comprendre en profondeur les causes de la
catastrophe que la Chine venait de connaître.
Le vieux Ba Jin (Pa Kin38) (1904-2005) y participe de manière significative
en rédigeant ses souvenirs. De 1978 à 1986, il publie Suixianglu (Notes au fil
de la plume), à Hong Kong puis à Pékin, environ cent cinquante textes,
traduits partiellement en français sous le titre Pour un musée de la Révolution
culturelle. La critique littéraire chinoise a reproché à l’auteur de négliger son
style, mais Ba Jin s’en est justifié, affirmant qu’il ne rédigeait pas ces
souvenirs en tant qu’écrivain, mais parce que les souffrances de la majorité
des hommes et sa souffrance personnelle l’avaient poussé à prendre la plume.
Il considérait comme urgent de comprendre comment des écrivains, qui
pendant longtemps avaient appelé à la vérité, avaient perdu à une époque
toute capacité à réfléchir par eux-mêmes… Ba Jin n’hésitait pas à
s’autocritiquer et à poser la question :
Comment un peuple, des masses de plusieurs centaines de milliers de
personnes, ont-ils pu participer à ces troubles, dans une atmosphère de
superstition et d’adoration39 ?
Lors de son retour sur la scène littéraire en 1978, Ba Jin avait annoncé son
intention d’écrire un grand roman sur les tourments que la Chine avait
connus. En fait, il a essentiellement écrit ses souvenirs, ainsi qu’un très beau
texte, A la mémoire d’un ami, publié en 1988, dans lequel il rend hommage à
son ami Shen Congwen qui avait choisi le silence en 1949. Il y exprime son
remords d’avoir laissé le grand écrivain dans la solitude et de n’avoir osé le
soutenir dans les moments difficiles. Par la suite, Ba Jin ne cessera d’apporter
son aide aux écrivains les plus novateurs. A la fin de A la mémoire d’un ami
perce son amertume :
Il me reste encore des dettes. Je ne parviendrai pas à quitter la vie sur
la pointe des pieds et sans déranger personne. Aussi, que mon cœur se
consume longuement jusqu’à ce que je me sois acquitté de mes dettes.
Que faire ? La tragédie des intellectuels chinois, je n’ai pas pu y
échapper. (A la mémoire d’un ami, p.46.)

Les Mémoires décousus de Yang Jiang


Dans plusieurs textes en prose réunis en recueil, Six récits de l’Ecole des
cadres, Sombres nuées : chronique des années Bing Wu et Ding Wei, et
Mémoires décousus, Yang Jiang (1911-), l’épouse du grand écrivain Qian
Zhongshu (1910-), décrit le sort des intellectuels depuis le Grand Bond en
avant jusqu’à la fin de la Révolution culturelle : les difficultés, les lâchetés,
les désillusions, toutes les mesquineries et les souffrances qu’ils subissent
depuis le début de l’instauration de la République populaire. Au fil de ces
récits souvent dramatiques percent de petites touches d’humour qui
permettent de garder un certain espoir. Evitant les discours grandiloquents,
Yang Jiang adopte une espèce de détachement paisible. Si son style est
empreint de simplicité, l’érudition de l’auteur – professeur, chercheur en
littérature occidentale et traductrice – transparaît dans la profusion d’allusions
littéraires qui ne se limitent pas au domaine chinois mais s’étendent à la
littérature occidentale, et qui rendent parfois le propos difficile à comprendre.
Soumise à la critique dès 1951 – au cours du mouvement contre les trois
anti40 – à l’université Qinghua de Pékin où elle enseignait la littérature
anglaise, Yang Jiang, accusée de « ne jamais parler d’ouvriers dans ses
cours » et de « ne s’intéresser qu’à l’amour », décrira de manière saisissante
et émouvante dans Mémoires décousus les sentiments qui l’agitent suite à ces
accusations :
En quittant la salle des fêtes, j’étais comme un diable échappé de
l’enfer, exhalant de tout son corps une odeur de soufre et hérissé de
flammes ardentes : tout le monde s’écartait de mon chemin. […] En
m’apercevant, d’aucuns se détournèrent au plus vite, tandis que les
autres feignaient de ne pas me voir. Il en est, toutefois, qui me saluèrent
comme à l’accoutumée, et deux ou trois personnes m’adressèrent la
parole. […] Ceux qui m’évitèrent étaient mus par le bon sens et je ne
m’en suis pas formalisée. Quant à ceux qui n’ont pas cherché à me fuir,
je leur en saurai gré éternellement. (Mémoires décousus, p.100-102.)

Polémiques : Bai Hua et Ah ! Maman, Gu Hua et Hibiscus


Ancien droitier condamné en 1958, Bai Hua (1930-) a été jeté en prison dès
le début de la Révolution culturelle en tant que « membre de la bande noire »,
c’est-à-dire « ennemi irrécupérable de la révolution ». Lorsqu’il reprend la
plume après sa réhabilitation, dix années plus tard, c’est notamment pour
écrire en 1979 le scénario d’un film, Kulian (Un amour amer), qui
provoquera la colère des autorités. Bai Hua y raconte la vie d’un peintre
chinois établi en Amérique du Sud, qui rentre en Chine par patriotisme en
1949. Persécuté pendant la Révolution culturelle, il finit par mourir de faim et
de froid. Le film qui en a été tiré ne sera jamais distribué et Bai Hua accusé
de « manquer d’amour pour la patrie socialiste ». La polémique autour de
cette œuvre a été l’une des plus violentes de la période, et l’auteur n’a jamais
cessé d’être critiqué, d’abord à l’occasion du « mouvement contre la pollution
spirituelle » en 1983, puis chaque fois que le régime s’est durci. Il a malgré
tout poursuivi son activité d’écrivain ave c de nombreuses pièces de théâtre,
des romans, des nouvelles et des récits de voyage. Un seul roman de Bai Hua
est aujourd’hui disponible en français, Ah ! Maman, paru en Chine en 1981,
le portrait d’un fils de militants communistes qui ne doit sa vie et sa carrière
qu’à des femmes, autant de « mamans » salvatrices qu’il doit pourtant trahir
les unes après les autres pour gravir les échelons. Le livre a été fortement
critiqué, car on reprochait à son auteur de dénaturer l’histoire officielle et de
ternir l’image des dirigeants. A une époque où le poids de l’idéologie restait
très fort, Bai Hua écrit en prologue de son roman :
Toutes les contraintes du monde, vertu, rituel, idéologie, ne sont rien
pour un bébé qui tète, elles n’ont aucune emprise sur lui. Un bébé remet
sans condition sa confiance, ses désirs et même son existence aux mains
de sa mère qui, de son côté, l’aime sans condition de toutes les forces de
sa vie, et le protège jalousement. Si un bébé connaît un principe, c’est sa
mère, parce que sa mère est pour lui l’univers qui englobe tous les
phénomènes ainsi que tous les principes humains. (Ah ! Maman, p.30.)
Publié la même année, le roman Hibiscus de Gu Hua (1942-) déclencha lui
aussi une ardente discussion. Il y dépeint la vie d’une bourgade du Hunan de
1963 à 1979, sans cacher les misères et les difficultés endurées par des
personnages très bien campés, dans des situations pleines de vérité. L’excès
de « réalisme » dont faisait preuve Gu Hua n’était pas encore autorisé à
l’époque où le roman fut publié. Un exemple, cette lettre que l’ouvrier
agricole Wang Qiushe adresse au secrétaire du Parti :
Très honoré secrétaire, lorsqu’en 1959 la commune organisa une exposition
sur la lutte des classes, vous m’aviez emprunté mon ancienne veste
rembourrée, qui est en bien meilleur état que celle que je porte aujourd’hui.
Pourriez-vous ouvrir la vitrine du musée et me laisser faire l’échange ?
(Hibiscus, p.45-46.)
Ce genre de vérité, assénée avec ironie, ne pouvait manquer d’attiser la
colère des autorités communistes en matière d’art et de littérature.
L’adaptation cinématographique de Hibiscus par Xie Jin a connu un immense
succès en Chine et dans une certaine mesure à l’étranger, tandis que le roman
était traduit dans une dizaine de langues étrangères.

Lu Wenfu et Vie et passion d’un gastronome chinois


Lu Wenfu (1928-2005) a acquis une certaine célébrité avant la Révolution
culturelle avec la nouvelle Au fond de la ruelle (1956) qui décrivait la
reconversion d’une prostituée. Plusieurs fois soumis à la critique et envoyé en
rééducation à la campagne en 1965, Lu Wenfu se remet à écrire à partir de
1978, publiant de nombreux romans et nouvelles. Vie et passion d’un
gastronome chinois, récompensé par le prix du meilleur roman de taille
moyenne41 de l’année 1983-1984, est une réflexion pleine d’humour sur la
société chinoise moderne à travers le portrait d’un homme dont la passion est
la bonne chère. Lu Wenfu y montre comment l’évolution des mœurs en
matière de gastronomie suit de près les bouleversements politiques du pays.
Ce court roman est aussi un constat de la façon dont le régime communiste
est parvenu à empiéter sur le domaine privé des Chinois, les empêchant
même de profiter de ce qui fait la fierté de la Chine : sa cuisine. L’ensemble
de l’œuvre de Lu Wenfu, écrivain exclusivement attaché à la ville de Suzhou,
constitue une analyse très fine de l’évolution de la société chinoise et de la
mentalité des Chinois. Dans Une faible lumière, il a exprimé en 1985 avec
sensibilité et émotion sa conception du rôle de l’écrivain dans la société :
Je me sens toujours une certaine responsabilité historique, et un
devoir d’écrire sur les multiples chemins de la vie humaine et les
vicissitudes de la société : il faut que je verse dans la lampe à huile ma
peine personnelle aussi bien que les larmes que j’ai répandues, que cela
brûle et brûle encore pour émettre un faible éclat, et pour que les
hommes qui cheminent dans la nuit vers le bonheur, apercevant au loin
cette petite lumière, se sentent un peu réconfortés et se disent : Hâtons-
nous d’arriver là-devant, à notre havre. (La Remontée vers le jour,
p.248.)
Pour Lu Wenfu, a écrit un critique littéraire, « la grande histoire passe
toujours par le filtre de toutes petites histoires42 ». Son roman Nid d’hommes
décrit ainsi les vies d’une bande d’amis qui seront brisées par l’évolution
politique de la Chine.
Cette littérature de réflexion, on peut le voir, n’est pas strictement délimitée
dans le temps, car elle est le fait d’écrivains de tous âges – les vétérans ayant
atteint l’âge d’écrire leurs mémoires et pouvant le faire de manière plus libre
grâce au relatif relâchement de la censure – et s’est développée jusqu’à une
époque récente.

23 Voir Zhongguo wenxuejia cidian (Dictionnaire des littérateurs chinois), Chengdu, Sichuan wenyi
chubanshe, 1985, à la rubrique Lu Xinhua, t. 4, p.110.
24 L’expression « jeunes instruits », zhishi qingnian, désigne les jeunes gens qui furent envoyés à la
campagne dès 1968, lorsque Mao Zedong voulut faire rentrer dans le rang la jeunesse turbulente sur
laquelle il s’était appuyé pour déclencher la Révolution culturelle. Voir à ce sujet le magistral ouvrage
de Michel Bonnin, Génération perdue, le mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne en
Chine, 1968-1980, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 2004.
25 Outre le recueil Le Retour du père, op. cit., deux autres recueils, qui ont eu le mérite de présenter
des nouvelles d’un très grand intérêt dont certaines peuvent être rattachées à la « littérature des
cicatrices », sont parus, l’un en 1981, l’autre en 1988. La Face cachée de la Chine, op. cit., et La
Remontée vers le jour (Nouvelles de Chine 1978-1988), Aix-en-Provence, Alinéa, 1988. Le n°672 de la
revue Europe (avril 1985) contient aussi plusieurs traductions de nouvelles, ainsi que des articles
consacrés à la nouvelle et à la littérature de reportage chinoises.
26 Au sujet de ces deux écrivains, voir le chapitre « La littérature féminine ».
27 Voir Noël Dutrait, Ici la vie respire aussi et autres textes de littérature de reportage (1926-1982),
Aix-en-Provence, Alinéa, 1986, qui contient le reportage le plus célèbre du genre, Ouvrières de louage,
écrit en 1936 par Xia Yan, dénonçant les conditions de travail inhumaines des ouvrières chinoises
employées dans les filatures japonaises. Voir aussi l’entretien avec Liu Binyan publié en 1985 dans
Europe, op. cit., p.86-93.
28 Dans Le Cauchemar des mandarins rouges.
29 Les « écoles de cadres », ou « écoles du 7 Mai » ont été créées suite à une directive de Mao
Zedong du 7 mai 1966. Ce sont des « écoles » de rééducation à l’usage des intellectuels.
30 Voir Liu Binyan, China’s Crisis, China’s Hope, traduit par Howard Goldblatt, Cambridge,
Massachusetts/Londres, Harvard University Press, 1990.
31 Voir La Littérature chinoise contemporaine : tradition et modernité, Aix-en-Provence,
Publications de l’université de Provence, 1989, p.29.
32 Le thème du « problème de Goldbach » est le sujet d’un roman écrit en anglais par Apostolos
Doxiadis, Oncle Petros et la conjecture de Goldbach, Christian Bourgois, 2000. D’après la quatrième
page de couverture, « l’éditeur anglais offre une récompense d’un million de dollars à toute personne
qui résoudra la conjecture de Goldbach », ce qui semble montrer qu’elle n’a pas été résolue, ou que les
travaux de Chen Jingrun ne sont pas connus en Occident…
33 Paru dans la revue Shouhuo, n°6, 1979.
34 Traduit en français sous le titre L’Empire de l’absurde ou Dix ans de la vie de gens ordinaires.
35 Le titre original est : Ganxie shenghuo, Merci la vie. On peut lire aussi de Feng Jicai Le Petit
Lettré de Tianjin et autres récits. Ces dix-sept récits mettent en scène des personnages pittoresques
vivant à Tianjin au siècle dernier.
36 Voir Noël Dutrait, « Interview de Mo Yan », Perspectives chinoises, n°58, mars-avril 2000, p.58-
64.
37 Voir Annie Curien, « L’individu dans les œuvres récentes de Zhang Xianliang », dans Littérature
chinoise : état des lieux et mode d’emploi, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence,
1998, p.18.
38 De son vrai nom Li Feigan. Le pseudonyme Ba Jin (selon la transcription officielle) est aussi
orthographié Pa Kin, nom sous lequel il est plus connu en Occident. On a souvent écrit que ce
pseudonyme avait été composé avec la première syllabe du nom de Bakounine et la dernière de celui de
Kropotkine, hommage de l’auteur à l’anarchie à laquelle il avait adhéré dans sa jeunesse. Ba Jin a lui-
même démenti cette explication.
39 Cité par Hong Zicheng dans Zhongguo dangdai wenxue gaishuo ( Précis de littérature
contemporaine chinoise), Hong Kong, Qingwen shuwu, 1997, p.116.
40 Mouvement de masse organisé par le Parti communiste à partir de 1951 pour prendre le contrôle
de la population, en luttant contre la corruption, le gaspillage et les excès de la bureaucratie.
41 On distingue en Chine le roman long (changpian xiaoshuo), le roman de taille moyenne
(zhongpian xiaoshuo) et le roman court (duanpian xiaoshuo), c’est-à-dire la nouvelle.
42 Voir André Clavel, Le Temps, 9 novembre 2002.
LE RETOUR DE L’INFLUENCE OCCIDENTALE

La traduction des œuvres étrangères


Dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, alors qu’ils
dénonçaient les méfaits de la Révolution culturelle, voire du Grand Bond en
avant, et analysaient l’origine de ces événements dramatiques, les écrivains
ont soudain eu accès à la littérature du monde entier, grâce au relâchement de
la pression politique et à l’immense travail des traducteurs chinois. Beaucoup
prirent alors conscience que le fond et la forme étant étroitement liés, il leur
devenait de plus en plus nécessaire d’étudier les formes littéraires utilisées en
Occident, s’ils voulaient renouveler une littérature chinoise qui restait
attachée à une certaine tradition.
En 1980, cette question de la tradition se posait d’une manière
particulièrement aiguë. Les écrivains chinois avaient été depuis longtemps
confrontés à d’autres littératures, que ce soit à la fin du XIXe siècle, avec la
publication d’œuvres occidentales qui connurent un franc succès comme La
Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, traduit par Lin Shu en 1899
(celui-ci « traduisit » sans connaître aucune langue étrangère plus de deux
cents œuvres occidentales en s’en faisant raconter l’histoire !), ou après le
mouvement du 4 Mai 1919 avec la publication d’innombrables œuvres du
monde entier. Mais, à partir du moment où le Parti eut la mainmise sur les
arts et lettres de Chine, le nouveau modèle fut la littérature réaliste socialiste
venant de l’Union soviétique et des autres pays communistes, créant ainsi une
sorte de « nouvelle tradition » ! Après le conformisme imposé dès 1949 et
amplifié pendant la Révolution culturelle, où les seuls « modèles » littéraires
étrangers ne pouvaient venir que du Vietnam, de l’Albanie et de quelques
pays du tiers-monde, les écrivains chinois eurent du mal à déterminer quelle
voie suivre pour innover, et surtout craignirent, en innovant, de s’attirer les
foudres du Parti. Après la mort de Mao Zedong, le rôle des traducteurs a donc
été capital, car ils ont fourni un matériau nouveau qui a considérablement
nourri l’inspiration des auteurs.
Déjà avant la Révolution culturelle, les œuvres de quelques écrivains de
gauche – Federico García Lorca, Pablo Neruda, Louis Aragon, entre autres –
avaient été traduites, mais aussi, de manière confidentielle, des écrivains
comme Kafka ou Camus, provoquant ce que le poète Bei Dao a appelé la
« révolution silencieuse » : l’innovation sur le plan littéraire viendrait de la
lecture de ces œuvres traduites43.

Premier essai sur l’art du roman moderne


En 1981, Gao Xingjian (1940-), dramaturge, écrivain et traducteur du
français, publiait Xiandai xiaoshuo jiqiao chutan44 (Premier essai sur l’art du
roman moderne), dans lequel il présentait les procédés utilisés par les
romanciers occidentaux pour composer leurs chefs-d’œuvre. Il entendait ainsi
démontrer que des formes dites « modernes » n’engendraient pas forcément
des œuvres « décadentes », comme l’orthodoxie avait encore souvent
tendance à l’affirmer. Préfacé par Ye Junjian (1914-1999), un écrivain
« moderniste » des années 1930, l’ouvrage reçut une bonne critique de Wang
Meng qui devait devenir ministre de la Culture en 1985, après avoir été élu
membre suppléant du Comité central du Parti communiste en 1982. Le rôle
clef que ce petit essai a joué dans le développement des arts et lettres au
début des années 1980 est souligné par les historiens de la littérature chinoise
contemporaine, même dans des ouvrages parus après que Gao Xingjian eut
quitté la Chine en 1987 et après les sévères critiques qui furent dirigées
contre lui à la suite des événements de la place Tian’anmen de 1989. Dans
une lettre adressée en 1982 au critique littéraire Li Tuo (1939-), l’écrivain
Feng Jicai déclarait :
J’ai hâte de t’annoncer que je viens de lire le petit livre de Gao Xingjian
Premier essai sur l’art du roman moderne comme si je venais de finir un
verre de vin au goût moelleux. Si tu ne l’as pas encore lu, va chez Xingjian
lui en demander un exemplaire. J’ai entendu dire que c’était un best-seller.
Alors que très peu de personnes se sont avancées à l’heure actuelle dans le
jardin du « roman moderne », on dirait qu’un merveilleux cerf-volant déploie
soudain ses ailes dans un ciel désert45.
De 1981 à 1983, la vie littéraire chinoise est agitée par la question du
« modernisme ». Elle fournit l’occasion de faire connaître les grands courants
littéraires occidentaux « modernes » ainsi que bon nombre d’écrivains et
philosophes du monde entier : le nouveau roman, l’existentialisme, le courant
de conscience, le symbolisme, Freud et la psychanalyse, le surréalisme, etc.
En 1984, la très officielle maison d’édition Renmin wenxue chubanshe
(Editions de littérature du peuple) publie un recueil de huit cent soixante-cinq
pages sur la littérature moderne occidentale, qui présente les courants et les
œuvres et recense les principaux articles parus en Chine sur le sujet. On y
trouve en annexe des traductions de textes de Maeterlinck, Freud, Jung,
Sartre, Butor, etc.46. Même si le mouvement contre la « pollution spirituelle »
de 1984 devait freiner le développement de la tendance « moderniste », celle-
ci reprit beaucoup de vigueur aussitôt qu’il eut cessé. Dans un article publié
en 1988, Gao Xingjian tirait lui-même les conclusions de la polémique sur le
modernisme :
A présent, il est temps de mettre un terme à ce débat et de prendre du
recul face à cette polémique. Bien qu’il ait été un peu détourné par des
questions non littéraires, comme l’avaient été jusqu’à présent tous les
débats sur la littérature contemporaine dans notre pays, ce débat n’en
reste pas moins celui sur la littérature proprement dite, facteur nouveau
depuis 1949, et très significatif. Il s’agit donc là d’un progrès marquant.
En effet, ces discussions n’abordent que la méthode et la technique
littéraires propres, excluant de ce fait tout cadre traditionnel, politique,
idéologique, social et moral. L’existence même de cette polémique a
déjà exercé une influence non négligeable sur l’évolution de la littérature
chinoise. […] La littérature mondiale d’aujourd’hui n’a pas de « courant
maître ». Ce qu’elle attend, ce sont des œuvres qui auront de la valeur
esthétique et qui aideront les gens à voir d’un œil nouveau le monde et à
mieux se connaître. Elle se moque du débat entre le réalisme et le
modernisme. Toute étiquette, « moderniste » ou de « recherche des
racines », ou même d’« écrivain du terroir » ne sert en rien l’estimation
d’une œuvre47.

Le théâtre expérimental
Les techniques d’écriture moderniste ne seront pas uniquement utilisées
dans le domaine romanesque. L’art théâtral en subira aussi une profonde
influence.
En Chine, le « théâtre parlé » – par opposition avec la multitude de styles du
théâtre chanté, dont le plus connu en Occident est l’opéra de Pékin – a
commencé à se développer à partir des années 1920 sous l’influence
d’auteurs occidentaux comme Ibsen ou Tchekhov. Par la suite, le théâtre
chinois fut très fortement marqué par l’école soviétique et le réalisme
socialiste. En 1982, Gao Xingjian collabore avec le metteur en scène Lin
Zhaohua pour monter sa première pièce de théâtre, Juedui xinhao48 (Signal
d’alarme), puis en 1983 L’Arrêt d’autobus qui fut rapidement interdite. Gao
Xingjian subit ensuite une très sévère critique pendant le mouvement contre
la « pollution spirituelle ». L’Arrêt d’autobus met en scène huit personnages
représentant la société chinoise – le vieux monsieur, la jeune fille, le loubard,
le jeune aux lunettes, la mère de famille, l’artisan, le responsable, l’homme
silencieux – en train d’attendre un autobus qui n’arrive jamais. La virulente
critique que subit cette œuvre n’a pas empêché qu’elle soit considérée comme
la première pièce de théâtre expérimental à être jouée en Chine continentale
et qu’à sa suite, le théâtre chinois ait continué à rechercher de nouvelles
voies49.

Wang Meng et le « courant de conscience »


On cite souvent Wang Meng comme l’un des premiers auteurs
« modernistes ». Né en 1934 à Pékin, il entre au Parti dès 1948. En 1956, la
nouvelle Zuzhibu laile ge nianqingren (Un jeune homme arrivé récemment
au Département de l’organisation) lui vaut d’être taxé de « droitisme ». En
1963, il est envoyé au Xinjiang où il apprend la langue ouïgoure et traduit de
la littérature ouïgoure en chinois. A partir de 1976, c’est l’un des écrivains
chinois les plus prolifiques : reportages, nouvelles, romans, articles de
critique littéraire. Après les événements de la place Tian’anmen de 1989, il
est destitué de ses fonctions de ministre de la Culture et remplacé par le très
orthodoxe He Jingzhi.
On peut lire que Wang Meng aurait introduit le « courant de conscience »
dans la littérature chinoise, mais on a vu plus haut que Bei Dao avait déjà
utilisé ce procédé dans Vagues. En fait, les romans de Wang Meng (Le
Papillon, Le Salut bolchevique) restent très marqués par l’analyse réaliste des
personnages et des situations, même si l’univers intérieur des protagonistes
est rendu par le « courant de conscience » ou le « monologue intérieur50 ». En
1986, une des œuvres maîtresses de Wang Meng, le roman Huodong bian
renxing (Pantins articulés), évoque le drame des intellectuels chinois
bousculés entre les mœurs orientales et occidentales. Dans ses textes parus
par la suite, jouant de plus en plus avec la langue et les mots, Wang Meng
manie la parodie, l’ironie, la métaphore, l’allusion – ce qui lui vaudra des
critiques, puisqu’on l’a accusé d’avoir attaqué Deng Xiaoping dans la
nouvelle Jianying de xizhou51 (Epaisse bouillie claire) et qu’il ira en justice
pour se défendre. Ministre de la Culture de 1986 à 1989, Wang Meng s’est
engagé dans la vie politique, ce que bon nombre de ses collègues écrivains lui
reprocheront. Il démissionne de ce poste après la répression du mouvement
de la place Tian’anmen en juin 1989. Il a continué à écrire nouvelles, romans,
reportages, petits textes en prose. On dispose en français de plusieurs recueils
de ceux-ci52, mais malheureusement d’aucun roman comme son récent La
Renarde verte qui évoque la vie d’une femme écrivain dans la société
chinoise actuelle53. Souvent cité comme possible prix Nobel de littérature,
Wang Meng fait figure de « candidat officiel » du gouvernement chinois
puisqu’il déclare que « la clé pour la stabilité de la Chine, c’est la direction du
PCC. Peu importent les critiques de l’Occident54 ». En 1998, il avait
cependant déclaré : « Au cours de ma vie, j’ai changé plusieurs fois de titre,
de fonction et d’identité. Mais une chose n’a jamais changé : j’ai été, je suis
et je serai toujours un écrivain. Je veux être un bon écrivain et je veux être un
témoin de la vie dans la Chine contemporaine. Je souhaite que mes écrits
servent de mémoire à la Chine moderne55. » Indéniablement, son approche
distanciée de la réalité chinoise et son humour constituent un élément
indispensable pour comprendre l’évolution de la Chine depuis le milieu du
siècle dernier. En outre, la connaissance du monde ouïghour qui transparaît
souvent dans ses écrits apporte une grande originalité à son œuvre.

Ecritures modernistes : Xu Xing, Liu Suola, Gao Xingjian


Les critiques littéraires chinois s’accordent pour reconnaître que c’est
surtout après 1985 que des œuvres réellement influencées par la littérature
« moderniste » occidentale ont vu le jour ; ils citent souvent le roman de Liu
Suola (1955-) Ni bie wu xuanze (Tu n’as pas d’autre choix56) ou celui de Xu
Xing (1958-) Variations sans thème57, deux écrivains – de formation
musicale par ailleurs – qui se plaisent à brouiller les points de vue, l’ordre
chronologique et spatial du récit. Dans Variations sans thème, le narrateur
exprime un certain désarroi devant l’art :
Je n’aime pas tous ces morceaux compliqués que joue Lao Q. Mais il
paraît que Debussy préférait composer sans thème… Ça m’arrive bien,
parfois, de me laisser prendre par un mec comme Tchaïkovski, mais un
instrument tout seul, sincèrement, je trouve ça monotone. A part la
trompette. C’est monotone aussi, la trompette, mais au moins c’est
vivant et ça fait de chouettes sensations qui entrent et qui sortent.
Malheureusement, c’est pas du tout de la trompette que joue Lao Q et
ça, même au moment où on était fous amoureux l’un de l’autre, ça m’a
toujours un peu chiffonné. Son violon italien a beau être célèbre et
séculaire, j’arrive pas à avaler tous ces exercices de doigté, ces essais,
ces séances pour accorder… alors là oui, merde, c’est trop sans thème !
Autant un vrai morceau sans thème, tiens, sans contenu, sans cohérence,
si c’était pas ce côté purement formel, ça ressemblerait bien un peu aux
nouvelles que j’écris. Et ça aussi, c’est un truc qui me chiffonne
salement. (Le Crabe à lunettes, p.10-11.)
Gao Xingjian lui-même s’est essayé à un style d’écriture « moderniste »
d’abord dans des nouvelles puis dans le long roman commencé en Chine en
1982 et achevé à Paris en 1989, La Montagne de l’Ame, qui lui a valu le prix
Nobel de littérature 2000 et sur lequel nous reviendrons plus loin. Dans la
nouvelle Une canne à pêche pour mon grand-père (1986), il expérimente un
emploi nouveau des pronoms personnels qui lui permet de changer le point
de vue du narrateur, passant parfois du « je » au « tu » dans la même phrase,
au risque de déconcerter le lecteur :
J’ai demandé où se trouvait la rue du lac du Sud, mais les gens t’ont regardé
très étonnés, comme s’ils n’avaient pas compris ce que tu avais dit, je pouvais
encore parler le dialecte local… (Une canne à pêche pour mon grand-père,
p.63.)
Gao Xingjian renonce à l’intrigue et aux descriptions pour privilégier la
narration, mêlant souvenirs d’enfance, rêves et réalité. Dans la postface de
l’édition chinoise de Une canne à pêche pour mon grand-père, il développait
plusieurs principes qu’il tentera de mettre en pratique dans son œuvre future :
1. Mes romans ne racontent pas une histoire, ils ne comportent
aucune intrigue et ils n’ont pas la saveur destinée à attirer le lecteur que
l’on trouve habituellement dans les romans. Leur saveur, si saveur ils
ont, vient uniquement de la langue que j’utilise. […]
2. Dans mes romans, je n’ai pas recours à la description de figures de
personnages, j’utilise des pronoms personnels à différentes personnes
pour fournir au lecteur différents angles d’impression. […] A mon avis,
cela procure une compréhension beaucoup plus riche que les prétendus
caractères clairs et nets du roman.
3. Dans mes romans, j’ai banni toute description objective et simple
de l’environnement. Même s’il reste quelques descriptions, elles sont
faites de tel ou tel point de vue purement subjectif58.

Le modernisme comme déclencheur…


L’importance de cette phase « moderniste » pour l’évolution de la littérature
chinoise a été soulignée par le critique Li Tuo :
S’il n’y avait pas eu l’influence très forte du modernisme (et même à un
certain niveau du postmodernisme), la littérature contemporaine de Chine
continentale n’aurait jamais pu connaître ses changements ultérieurs, et il
n’aurait pu se produire le « changement brusque » de 1985. Avant
l’apparition de la littérature des racines, les écrivains qui désiraient
ardemment le changement ne pouvaient qu’emprunter la terminologie
moderniste occidentale pour se dresser contre « l’art et la littérature des
ouvriers-paysans-soldats » afin de se trouver un certain espace59.
Pourtant, les jeunes écrivains qui sont entrés en contact avec la réalité de la
Chine profonde lors de leur séjour forcé à la campagne à partir de 1968, en
réaction contre l’influence occidentale et le modernisme, vont, pour certains,
rechercher leur inspiration dans les racines de la civilisation chinoise.

43 Voir Beidao, « La traduction, une révolution silencieuse », texte traduit par Chantal Chen-Andro,
dans Littérature d’Extrême-Orient au XXe siècle, Arles, Editions Philippe Picquier, 1993, p.125-131.
44 Guangzhou, Huacheng chubanshe, 1981.
45 Cité dans Xifang xiandaipai wenxue wenti lunzhengji (Recueil sur le débat au sujet de la littérature
moderniste occidentale), Pékin, Renmin wenxue chubanshe, 1984, vol. 2, p.499.
46 Xifang xiandaipai wenxue wenti lunzhengji (Recueil sur le débat au sujet de la littérature
moderniste occidentale), op. cit.
47 « La littérature contemporaine chinoise et le modernisme », traduit par Liu Fang, Littérature
chinoise, n°1, 1er trimestre 1989, p.56-62. La version chinoise de cet article, « Chidao de xiandaizhuyi
yu dangjin Zhongguo wenxue » (Le modernisme en retard et la littérature chinoise actuelle), a paru
dans Wenxue pinglun, n°3, 1988, reprise et complétée dans Meiyou zhuyi (Ne pas avoir de -isme), Hong
Kong, Tiandi tushu, 1996.
48 Parue dans Shiyue (Octobre), n°5, 1982. Voir l’article de Sebastian Veg, « Un Signal d’alarme à
Pékin, vingt ans après », Vacarme, n ° 24, été 2003, p.76-79. L’article de Sebastian Veg, « Le théâtre
en Chine depuis 1979 », Théâtre/ Public, n°174, juillet-septembre 2004, p.32-42, constitue un excellent
panorama historique de cette époque. Ce numéro contient aussi un dossier très complet sur le théâtre
chinois actuel intitulé « Chine, le théâtre contre le cynisme ? ».
49 De Gao Xingjian, on ne dispose en français, pour les pièces qu’il a écrites en Chine, que d’un
extrait de L’Arrêt d’autobus et de la traduction de L’Autre Rive (1986) dans Le Quêteur de la mort,
Paris, Seuil, 2004. Pour les autres pièces écrites en France, voir n.1, p.105 et la bibliographie.
50 Les critiques chinois confondent parfois le « monologue intérieur » utilisé par Wang Meng avec le
véritable « courant de conscience » de James Joyce ou Virginia Woolf, comme le fait remarquer Paul
Bady dans La Littérature chinoise moderne, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1993.
51 Traduite par Françoise Naour sous le titre en forme de jeu de mots Dur, dure le brouet, dans
Contes et libelles. Françoise Naour a, d’autre part, consacré une thèse de doctorat à Wang Meng et le
courant de conscience, dans laquelle elle montre que celui-ci ne connaissait pas les œuvres de James
Joyce ou Virginia Woolf. La seule influence étrangère que Wang Meng a subie est celle des littératures
russe et soviétique traduites en chinois. Voir Françoise Naour, Le Courant de conscience dans la
littérature romanesque chinoise contemporaine : le cas de Wang Meng (1978-1980), thèse de doctorat,
université Lille III-Charles de Gaulle, 2000. 2004.
52 Voir la bibliographie de Wang Meng en fin d’ouvrage.
53 Qinghu (La Renarde verte), Pékin, Renmin wenxue chubanshe, 2004.
54 Cité par Pierre Haski dans Libération, 18 mars 2004, supplément « Livres », p. V.
55 Ibid.
56 Pékin, Zuojia chubanshe, 1986. Dans The Literature of China in the Twentieth Century, op. cit.,
p.414, Bonnie S. Mc Dougall et Kam Louie y voient même « the first example of Chinese post-
modernism » !
57 Traduit dans Le Crabe à lunettes. Ces textes ont été réédités dans une traduction remaniée sous le
titre Variations sans thème, Paris, Editions de l’Olivier, 2003. On peut lire aussi du même auteur Et tout
ce qui reste est pour toi, publié en 2004 chez le même éditeur.
58 Gao Xingjian, Gei wo laoye mai yugan, Taibei, Lianhe wenxue chubanshe, 1989, p.260. Cette
postface n’a pas été reprise dans la traduction du recueil en français.
59 Li Tuo, « 1985 », Jintian, n°3-4, 1991, p.69.
LA QUESTION DE LA TRADITION

La recherche des racines


Dans le numéro 4 de la revue Zhongguo zuojia (Ecrivains chinois) de 1985,
Han Shaogong (1953-) publiait un article intitulé « Les racines de la
littérature » qui passe désormais pour le manifeste de ce mouvement littéraire
(xungen wenxue) :
La littérature a des racines. Elles doivent être profondément enfouies
dans le terreau de la culture traditionnelle nationale, si les racines ne
sont pas profondes, les feuilles auront de la peine à se développer. La
tâche des écrivains consiste à libérer l’énergie des idées nouvelles pour
refondre et donner du lustre au « soi » de la nation60.
Quinze ans plus tard, lors d’un passage à Paris en mai 2000, Han Shaogong
commentait sa démarche initiale :
L’article que j’ai écrit sur les « racines de la littérature » en 1985
avait seulement pour but de réintroduire dans le débat littéraire la
question de la tradition parce que beaucoup d’écrivains à l’époque
cherchaient à s’occidentaliser. C’était un phénomène global qui
consistait à se tourner vers l’Occident, à écrire systématiquement à
l’occidentale. Les écrivains chinois étaient obnubilés par l’idée d’imiter
les grands maîtres occidentaux comme Borges et Kafka. Le problème
n’est pas, bien sûr, qu’on s’intéresse à la littérature occidentale ou à
d’autres littératures : au contraire, c’est tant mieux ! Il s’agit plutôt de la
capacité à digérer, à assimiler, à faire la synthèse61.
La même année 1985, d’autres écrivains comme A Cheng (1949-), Zheng
Wanlong (1944-) ou Li Hangyu (1959-) écrivirent eux aussi des articles qui
s’inscrivaient dans cette démarche : la littérature chinoise devait être édifiée
en creusant en profondeur dans la culture nationale ; si les écrivains étaient
capables de « re-connaître » la littérature chinoise et de l’approfondir, alors
ils pourraient dialoguer avec le monde entier.
L’inspirateur de ce mouvement de « recherche des racines » est Wang
Zengqi (1920-1997) qui, dès le début des années 1980, après trente ans de
silence forcé, décrivit dans une prose poétique nourrie de souvenirs ou
d’observations les paysages et les mœurs de la région de Gaoyou au Jiangsu,
sa province natale. Bien que ses récits aient pour cadre la Chine des années
1930, Wang Zengqi a eu une forte influence sur des écrivains comme A
Cheng. En 1994, il écrivait :
Je pense que l’écrivain a pour devoir de donner des sentiments de joie
au lecteur, de lui faire sentir qu’il fait bon vivre, que la vie est belle,
poétique, et qu’on peut l’apprécier au même titre qu’une œuvre d’art.
[…] Il y a quelques années, pris d’un vif intérêt pour dépeindre sans la
moindre retenue tout ce qui est laid, des jeunes romanciers ont lancé un
slogan bizarre venu d’on ne sait où : « Apprécier la laideur ». Ainsi se
croyaient-ils dignes du « modernisme ». Cela me dépasse, moi, un
écrivain de soixante-quatorze ans62.
A partir de 1985, chaque écrivain des « racines » se « spécialise » dans une
région donnée, souvent celle dont il est originaire : le grand Nord-Ouest et ses
vastes espaces pour Zhang Chengzhi (1948-), l’Ouest du Hunan et sa culture
antique pour Han Shaogong, le Tibet et ses traditions pour Zhaxi Dawa
(1959-) – considéré également comme un maître du « réalisme fantastique »
–, etc. Originaire de Pékin, A Cheng décrit les lieux où il a été envoyé
pendant la Révolution culturelle comme « jeune instruit » : le Shaanxi, la
Mongolie intérieure et le Yunnan.
Ces écrivains ont joué un rôle capital dans la renaissance de la littérature
chinoise. Envoyés à la campagne à partir de 1968, ils découvrent avec
effarement les conditions réelles d’existence de la population rurale. Certains
ressentent alors le besoin de re n d re compte, grâce à l’écriture, de ce qu’ils
voient : superstitions et croyances, absence de conscience politique des
paysans, pratiques choquantes… Délaissant la vision manichéenne de la
société et du monde qui prévalait jusque-là, ils renouvellent les contenus mais
aussi la forme, en s’appuyant aussi bien sur les procédés du réalisme le plus
classique que sur le réalisme magique, le fantastique et la prose poétique.
C’est sans doute grâce à eux que la littérature chinoise de la deuxième moitié
du XXe siècle a retrouvé sa place au sein de la littérature mondiale : la plupart
ont créé une œuvre véritable qui a été maintes fois rééditée en Chine et
traduite dans de nombreuses langues. Si la tendance à la « recherche des
racines » était largement encouragée par une partie de la critique et des
écrivains, elle faisait aussi l’objet d’attaques très vives. Certains fustigèrent
ce qu’ils voyaient comme un dangereux retour à la tradition chinoise
ancienne et déplorèrent que ces écrivains s’intéressent plus à la vie dans des
régions arriérées, et même sauvages, qu’à l’expression des véritables
contradictions qui agitaient la société moderne.
Tout en retournant aux sources de la culture chinoise, les écrivains des
« racines » se sont nourris des grandes littératures mondiales, et l’obtention
du prix Nobel de littérature en 1982 par Gabriel García Márquez avec un
roman tel que Cent ans de solitude les a certainement beaucoup encouragés.

Han Shaogong et Pa pa pa
Han Shaogong, figure emblématique du mouvement, est né en 1953 au
Hunan. Son père, professeur, se suicide au début de la Révolution culturelle.
Han Shaogong participe au mouvement des gardes rouges avant d’être
envoyé à la campagne à la fin de l’année 1968. Il commence à publier en
1979, et plusieurs de ses textes sont primés lors de concours nationaux de
nouvelles. Son court roman Pa pa pa, paru en 1986, est l’un des exemples les
plus fameux de la littérature de « recherche des racines ». Le personnage
principal, Bingzai, l’« avorton », est né de père inconnu dans un village d’une
Chine primitive qui a oublié ses origines et dont les habitants « parlent un peu
comme autrefois63 ».
L’avorton, lui, ne sait prononcer que deux mots : « papapa » pour appeler un
père disparu quelques années plus tôt, et « putain de ta mère » – la sienne est
accoucheuse –, un juron dont il ne connaît même pas le sens.
Derrière l’histoire de cet avorton aphasique et de son village se dessine une
métaphore de la Chine des années 1970, qui ne connaissait plus sa propre
histoire et avait perdu jusqu’à son propre langage.
Les deux « réalités » du lieu, ce sont la culture des champs et les serpents.
Le reste relève du mystère ou du mythe. Le langage et les coutumes des
habitants sont étranges et laissent supposer que leur origine est différente.
Même le mot « papapa » que prononce Bingzai n’existe pas dans leur langue.
Le père viendrait donc d’ailleurs (comme le marxisme ?). L’origine
mythologique du village est donnée, mais elle ne correspond pas à celle qui
est établie par les mandarins historiens venus enquêter au village voisin. Que
faut-il croire : les légendes ou l’histoire officielle ? Un doute qui sera aussi
exprimé par Gao Xingjian dans La Montagne de l’Ame.
Lorsque les céréales viennent à manquer, on décide de sacrifier Bingzai,
dont l’existence semble la plus inutile. Mais lorsque l’animosité pousse à la
guerre contre le village voisin, on sacrifie finalement un bœuf. Après la
bataille, évoquée par quelques cliquetis et cris étouffés à peine perçus par
l’avorton, on fait cuire dans la même marmite viande de porc et chair des
vaincus, et on oblige Bingzai à en manger. Le thème du cannibalisme que Lu
Xun avait abordé dans le Journal d’un fou64, dès 1919, reparaît, comme il le
fera dans le roman de Mo Yan Le Pays de l’alcool, en 1993, ou dans le
reportage de Zheng Yi (1947-), Stèles rouges, la même année.
Toutefois, toute interprétation trop restrictive des œuvres de Han Shaogong
serait risquée, si l’on en croit l’auteur lui-même :
Une des traditions de la littérature chinoise – particulièrement dans la
littérature du Sud de la Chine – est de ne pas limiter la métaphore à un
procédé rhétorique, mais de l’envisager sous l’angle d’une
compréhension de l’essence de la vie, procurant calme et pureté65.
Le succès rencontré par Pa pa pa en Chine montre néanmoins que l’auteur
avait su aborder – fût-ce de manière métaphorique et onirique – les questions
fondamentales auxquelles la Chine était confrontée.
Han Shaogong a développé une œuvre importante composée essentiellement
de nouvelles (Séduction, Femme femme femme, Bruits dans la montagne) où
il décline les thèmes amorcés dans Pa pa pa : rêve et réalité, voyages dans
des lieux anciens et mystérieux, difficulté de communication entre les êtres,
souvenirs de la campagne, montée de la « modernité » après la période de la
Révolution culturelle.
En 1996, Han Shaogong publie sous l’appellation « roman » un ouvrage des
plus original : Maqiao cidian (Le Dictionnaire de Maqiao66), une compilation
de mots ou expressions qui seraient utilisés dans le village (imaginaire ?) de
Maqiao. Une tentative pour élucider le mystère du langage et la question de la
standardisation du chinois. Dans la postface, Han Shaogong explique ce qui a
inspiré sa démarche : les habitants de l’île de Hainan où il réside ont été
incapables de lui donner le nom d’un certain poisson en chinois standard
(putonghua), alors que le dialecte local dispose de quantités de mots précis
pour désigner chacune des espèces67.

A Cheng et ses « Trois Rois »


On rattache souvent A Cheng au courant de « recherche des racines ». Son
père, critique cinématographique, fut une victime célèbre du mouvement
antidroitier, après avoir publié un article réclamant une plus grande liberté
d’expression pour le cinéma chinois. Envoyé à la campagne où il va passer
dix ans de sa vie, jusqu’en 1978, A Cheng commence à publier en 1984.
Dans Le Roi des échecs, la nouvelle qui l’a rendu célèbre, il met en scène un
homme capable de s’extraire totalement des contingences de la vie difficile
des « jeunes instruits » de l’époque pour se consacrer à sa passion : le jeu
d’échecs. Toute l’œuvre de A Cheng est traversée par des personnages qui
conservent une capacité à agir malgré les entraves posées par la société : le
joueur d’échecs est capable de jouer en tout lieu et en toute circonstance ;
l’instituteur du Roi des enfants, « jeune instruit » affecté à l’école d’un village
isolé du Yunnan, enseigne selon ses méthodes personnelles, sans céder aux
directives officielles ; le bûcheron du Roi des arbres, un vieux soldat
démobilisé, écologiste avant l’heure, préfère mourir plutôt que de laisser
abattre un arbre pluricentenaire au nom d’une absurde logique.
Dans des textes très courts où il excelle, A Cheng renoue avec le style des
« romans au fil du pinceau » (biji xiaoshuo) de la tradition littéraire chinoise,
pour évoquer des personnages, des situations, des paysages qui l’ont frappé68.
Publiés après son retour à Pékin, la plupart des textes de A Cheng avaient en
fait été rédigés à l’époque où il était l’un de ces « jeunes instruits » envoyés à
la campagne par Mao Zedong. Il portera plus tard un regard critique sur ses
propres écrits, assurant que leur succès venait de ce qu’ils tranchaient avec la
littérature dite des « ouvriers-paysans-soldats » d’autrefois. Le plus
important, pour lui, était qu’ils se basent sur des faits et des préoccupations
de la vie quotidienne. Le « roi des échecs » apporte autant d’application,
voire de passion, à s’alimenter qu’à jouer. Après la Révolution culturelle où
les restrictions et la faim avaient sévi, A Cheng est un des premiers écrivains
à redonner en littérature une telle place à la nourriture, jusqu’à en faire de
véritables morceaux d’anthologie :
Voyant qu’il [le « roi des échecs »] s’intéressait autant à la nourriture,
je me mis à l’observer pendant qu’il mangeait. Lorsque le repas était
servi dans les wagons des jeunes instruits, Wang Yisheng avait l’air
inquiet s’il n’était pas absorbé par une partie d’échecs. Au bruit du
cliquetis des gamelles dans les compartiments voisins, il fermait les
yeux, serrait fortement les lèvres comme s’il était saisi par la nausée.
Une fois servi, il se mettait immédiatement à manger à toute vitesse, la
pomme d’Adam se rétractant à chaque bouchée, les veines du visage
gonflées. Parfois, il s’arrêtait subitement et ramenait avec son doigt les
grains de riz et les gouttes d’huile qui s’étaient collés au bord de sa
bouche ou sur son menton. Si un grain de riz tombait sur ses habits, il le
récupérait immédiatement en le remontant avec son pouce jusqu’à la
bouche. S’il n’y par venait pas et si le grain de riz tombait par terre, il se
penchait pour le ramasser, sans bouger les pieds. A cet instant, s’il
rencontrait mon regard, il mangeait un peu moins vite. A la fin du repas,
il léchait ses baguettes, remplissait sa gamelle d’eau, puis aspirait les
gouttes d’huile qui flottaient à la surface. Ensuite, il la vidait à petites
gorgées avec la physionomie du navigateur en vue du rivage. (Les Trois
Rois, p.22.)
En 1987, A Cheng s’installe à Los Angeles. Lors d’une conférence en 1994,
il s’est exprimé sur cet « exil » volontaire, dénué de toute arrière-pensée
politique : son seul souhait était de disposer d’un bureau sur lequel écrire sans
que quiconque intervienne dans son travail de création. Et son ignorance de
l’anglais ne le gênait pas davantage que son ignorance des dialectes locaux
lorsqu’il vivait au Yunnan comme « jeune instruit ». Une façon de relativiser
les conséquences de son expatriation, non sans humour, tout comme il avait
minimisé la gravité de ses dix années d’exil forcé à la campagne. Dans sa
court e autobiographie publiée dans la première édition chinoise du Roi des
échecs, A Cheng écrivait : « J’ai été envoyé à la campagne au Shanxi, en
Mongolie intérieure, puis au Yunnan : je n’y suis resté guère plus de dix
ans69. » Entre 1989 et 1993, A Cheng a publié de courts textes (biji xiaoshuo)
dans le mensuel Jiushi niandai (Les Années quatre-vingt-dix) de Hong Kong,
où il évoque des personnages rencontrés en Chine – aucun n’est en rapport
avec sa vie aux Etats-Unis – ainsi que des situations de la vie quotidienne70.
Son intention est de redonner sa place au quotidien et, en le décrivant, de
faire ressortir ce qui en fait le charme ou, au contraire, la monstruosité, en
évitant tout effet de style.
Toujours dans cette volonté de réhabiliter le côté « séculier » (par
opposition non pas à la religion, mais à la pensée officielle) de la littérature, il
publie en 1994 à Taiwan Xianhua xianshuo, Zhongguo shisu yu Zhongguo
xiaoshuo (Bavardages au sujet de la vie quotidienne chinoise et le roman
chinois), un recueil de textes courts et incisifs traduit en français sous le titre
Le Roman et la Vie. Commentant l’histoire de la littérature chinoise, il montre
comment les meilleurs auteurs savent faire la part belle à la vie quotidienne, à
l’instar de Zhang Dai qui excellait au XVIIe siècle à évoquer les spécialités
culinaires régionales ou encore la fête des lanternes à Shaoxing71, et à quel
point la « vie quotidienne » (shisu) des Chinois a été perturbée par les
bouleversements que le pays a connus depuis des siècles. Le renouveau de la
littérature chinoise de la fin du XXe siècle passe justement par cette
réintégration du quotidien et l’abandon de son aspect pédagogique.
Parcourant la philosophie, la linguistique, la littérature, les arts, la politique
de la Chine, l’écrivain témoigne d’une érudition et d’une finesse d’analyse
qui forcent l’admiration de nombre de ses contemporains.
A Cheng ne s’est jamais déclaré comme dissident et se rend régulièrement
en Chine continentale comme à Taiwan. Il continue à publier des textes brefs,
ironiques et incisifs, certains rassemblés en 1999 dans le recueil Changshi yu
tongshi72 (Connaissances générales).
Deux autres écrivains ont parfois été rattachés à ce mouvement de
« recherche des racines », mais chacun a suivi une voie résolument originale
qui exige de leur faire une place à part : Can Xue (1953-), dont il sera plus
loin question, et Mo Yan, qui entamait avec Le Clan du sorgho une œuvre
très prolifique.

Mo Yan et la fureur d’écrire


De son vrai nom Guan Moye, Mo Yan est né en 1955 au Shandong dans
une famille de paysans. Entré dans l’armée à l’âge de vingt ans, puis au Parti
en 1979, il travaille ensuite au département de la culture de l’Armée
populaire de libération jusqu’en 1999, date de sa démission. Il s’agit donc là
d’un authentique écrivain d’origine paysanne, éduqué entièrement grâce à
l’armée, qui se distingue en cela de nombreux écrivains chinois
contemporains issus de milieux cultivés. Mo Yan a souvent rappelé qu’il
s’était formé, durant l’enfance, en écoutant les histoires que racontait sa
grand-mère, alors que ses pairs écrivains avaient baigné dans la lecture des
grands romans classiques chinois. Cette authenticité fait en grande part la
force de son œuvre.
Après la parution de la nouvelle Le Radis de cristal en 1981, histoire d’un
jeune innocent indifférent à ce qui l’entoure, qui lui assure un premier succès,
Mo Yan s’attache à décrire la vie dans les campagnes de sa province natale
d’un point de vue historique – saga familiale dans Le Clan du sorgho (1986)
–, politique – dans La Mélopée de l’ail paradisiaque (1988) – ou
ethnologique – avec l’évocation de coutumes anciennes dans nombre de ses
œuvres. Quel que soit l’angle d’approche, la part de l’autobiographie est
large. Dans Le Clan du sorgho qui évoque un épisode de la résistance de
paysans du Shandong contre l’envahisseur japonais, ce n’est autre que Mo
Yan enfant qui rapporte l’histoire de sa famille :
Un jour, un jeune garçon est venu ici faire paître sa chèvre et tandis
que tranquillement elle broutait, l’enfant, debout sur la pierre, a pissé un
grand coup furieux et s’est mis à chanter : « Les sorghos ont rougi… Le
Japon est ici… Debout mes camarades !… Prêts à la canonnade ! » On
raconte que c’était moi, ce petit berger. (Le Clan du sorgho, p.10.)
Dans une écriture réaliste, qui fait aussi appel à l’étrange et au magique, Mo
Yan évoque la peur, la fureur, le sang, les chairs meurtries avec autant de
force que la couleur rouge des champs de sorgho73. Dans la même veine, Mo
Yan écrit de nombreuses nouvelles, comme La Rivière tarie, La Faute ou
Déluge74, où il se remémore son enfance difficile de petit paysan du
Shandong, au milieu de la violence et des sensations
fortes. Si le foisonnement de son œuvre, marquée aussi du sceau du
fantastique et de l’humour, en fait déjà à coup sûr l’un des géants de la
littérature chinoise contemporaine, Mo Yan ne cesse de poursuivre une
recherche sur le plan de la forme.
Les Treize Pas, paru en 1989, est construit en treize parties. Selon Mo Yan
lui-même, c’est une sorte de « jeu de massacre », au comique atroce : il met
en scène deux professeurs de physique dont les épouses sont, l’une, chargée
du dépeçage des bêtes dans une conserverie de viande de lapin, l’autre,
esthéticienne au funérarium ! Les tentatives très poussées sur le plan de la
construction de ce roman le rendent assez obscur et parfois difficile à suivre.
En 1993, il publie Le Pays de l’alcool qui a pour héros un inspecteur envoyé
enquêter dans une ville du Shandong, Jiuguo (le Pays de l’alcool), sur de
hauts cadres que la rumeur accuse d’avoir mangé des enfants au cours de
grands banquets. Le récit de cette enquête est savamment entrecoupé de
lettres échangées entre l’auteur – Mo Yan , nommé dans le texte – et un
étudiant qui aurait écrit un récit relatant cette histoire de repas d’enfants.
Fiction et réalité se mêlent au sein du roman. Les situations rocambolesques
se succèdent, avec comme inévitable prémisse l’alcool, qui donne son nom à
la ville, tout comme l’ail est omniprésent dans La Mélopée de l’ail
paradisiaque. Mo Yan a dit dans un entretien75 avoir écrit Le Pays de l’alcool
sous le coup de la colère, après les événements de juin 1989 sur la place
Tian’anmen, afin de dénoncer la corruption généralisée qui s’installait en
Chine. En usant du roman dans le roman et en recourant à la parodie, passant
d’un chapitre rédigé en pur style maoïste à un chapitre écrit à la manière de
Lu Xun ou comme un conte ancien, il pouvait décrire avec un humour
ravageur les hauts cadres qui passent leur temps et l’argent de l’Etat dans des
banquets extravagants. Le Pays de l’alcool a été couronné en 2000 en France
par le prix Laure Bataillon qui récompense la meilleure œuvre de littérature
étrangère traduite de l’année.
En 1995, Mo Yan renoue avec la tradition de la saga familiale en publiant
Beaux seins belles fesses, hymne à sa mère et à sa terre :
J’ai eu l’ambition de tracer à grands traits et d’une manière artistique cent
ans d’histoire de mon village natal, situé au nord-est de Gaomi ; je pense
sincèrement avoir fait dans ce livre l’éloge de ma mère, l’éloge du peuple,
l’éloge de la terre ; évidemment, j’ai voulu critiquer vivement le retard et la
bêtise qui se cachent derrière ce glorieux Village du Nord-Est de Gaomi76.
Dans ce roman, Mo Yan s’en donne à cœur joie dans la description
néoréaliste, hyperréaliste et parfois même « surréaliste » de la vie au
Shandong pendant cent ans. Sévèrement critiqué et interdit à sa sortie, Beaux
seins belles fesses a pourtant reçu en 1996 le prix littéraire Dajia, doté de cent
mille yuans77.
En évoquant la guerre civile au Shandong qui a mis aux prises les forces du
Guomindang et celles du Parti communiste, Mo Yan était « politiquement
incorrect » : les chefs du Guomindang semblent souvent plus sympathiques
que ceux du Parti communiste et, du reste, des atrocités sont pratiquées avec
autant de cruauté de part et d’autre. C’est sans doute plus cet aspect du roman
qui a entraîné son interdiction que ses passages érotiques.
Mo Yan est actuellement l’un des auteurs contemporains chinois les plus
traduits en français : sont parus successivement La Carte aux trésors, dans
laquelle il fait preuve de son prodigieux talent de narrateur, Explosion, qui
évoque la question de la restriction des naissances en Chine, Enfant de fer,
qui regroupe seize nouvelles sur le thème de l’enfance, ainsi que Le Maître a
de plus en plus d’humour, qui traite avec un humour décapant la question de
la mise au chômage des employés des usines d’Etat insuffisamment rentables.
Avec le sulfureux Supplice du santal78, Mo Yan ose aborder un sujet sensible,
la torture, dans un récit qui, dit Yinde Zhang, « brouille la question troublante
des rapports entre l’imaginaire et le réel79 ».

Littérature et cultures non han


Né en 1948, Zhang Chengzhi n’appartient pas à l’ethnie majoritaire han –
c’est-à-dire chinoise –, qui représente 94 % de la population de la Chine,
mais à la minorité ethnique hui, musulmane. Après avoir terminé ses études
secondaires à Pékin en 1967, il est envoyé « à la campagne » en Mongolie
intérieure où il devient berger. Par la suite, il entre à l’Académie des sciences
sociales de Chine, puis à l’Association des écrivains. Chercheur en
archéologie et en histoire des religions, il se rend fréquemment en Mongolie,
au Xinjiang et au Ningxia. Son œuvre littéraire est composée de romans, de
nouvelles et d’essais qui exaltent la beauté des paysages du Nord-Ouest de la
Chine et des steppes mongoles, tout en menant vers une profonde réflexion
philosophique. Dans une Chine en pleine expansion économique, la voix de
Zhang Chengzhi, nostalgique des grands espaces, sonne d’une manière
originale. Son lyrisme a conquis les lecteurs chinois.
L’historien Zhang Chengzhi laisse parfois transparaître sa passion dans ses
écrits. Ainsi dans cette diatribe contre les explorateurs occidentaux qui ont
parcouru ses régions de prédilection :
Je hais les explorateurs du XXe siècle. Ils ont parcouru tous mes
chemins. Mais je les admire aussi, je les ai admirés pendant si
longtemps. Lattimore, avec sa femme au bras, avait parcouru toute la
Mongolie dans la gloire. Là où s’arrêtait sa voiture, des rangées de
soldats du Guomindang les accueillaient en grande pompe. Et moi
j’étudiais ses œuvres. Je hais à mort ces aventuriers. Je les ai connus
grâce à toutes leurs biographies. J’ai lu toutes leurs œuvres. Quand j’ai
enfin eu le droit de les juger, une haine vive m’a saisi. (Fleur-Entrelacs,
p.108-109.)
L’importance et la variété des cultures non chinoises ont beaucoup inspiré
les écrivains des trente dernières années. Hormis Zhang Chengzhi, Han
Shaogong ou Gao Xingjian se sont largement nourris de la richesse des
cultures des minorités ethniques de leur pays. De père tibétain et de mère
chinoise, Zhaxi Dawa s’interroge sur les traditions, l’histoire et la religion de
son pays, le Tibet, dans La Splendeur des chevaux du vent, une œuvre au
lyrisme exacerbé.
Les littératures des cultures non han restent souvent en Occident du
domaine de l’ethnologie et font rarement l’objet de traductions ou d’études80.
L’écrivain Ma Jian a placé aussi le Tibet, les Tibétains et leurs coutumes au
centre de plusieurs de ses courts romans écrits pendant les années 1980,
notamment La Mendiante de Shigatze. Il a même abordé le thème des
« funérailles célestes », lorsque les corps des morts sont découpés en
morceaux au sommet d’une montagne afin que les rapaces les emportent au
plus vite vers le ciel. Exilé à Hong Kong puis à Londres, Ma Jian a écrit plus
tard Chemins de poussière rouge dans lequel il raconte le long voyage au
Tibet qui lui a ouvert les yeux sur la réalité du bouddhisme tibétain et l’a
détourné de sa quête mystique.

60 Han Shaogong, « Wenxue de gen » (Les racines de la littérature), Zhongguo zuojia (Ecrivains
chinois), n°4, 1985.
61 Voir « Han Shaogong, de Mao au Tao », interview par Sean James Rose, Libération, 25 mai 2000.
62 Wang Zengqi, « La création romanesque et l’appréciation du beau », traduit par Shi Kangqiang
dans Curien Annie (éd.), Lettres en Chine, rencontres entre romanciers chinois et français, Paris, Bleu
de Chine, 1996, p.24-25.
63 Han Shaogong, Pa pa pa, p.27.
64 Le Journal d’un fou est considéré comme l’œuvre fondatrice de la « nouvelle littérature » issue du
mouvement du 4 Mai 1919. Traduit par Michelle Loi, dans Lu Xun, Cris, Paris, Albin Michel, 1995,
p.25-44.
65 Voir la préface de Han Shaogong à Femme femme femme.
66 Pékin, Zuojia chubanshe, 1996.
67 Ce roman a suscité de nombreux commentaires aussi bien en Chine qu’en Occident. On peut en
lire un extrait (l’entrée « sucré » du dictionnaire) traduit par Annie Curien dans La Nouvelle Revue
française, n°559, octobre 2001, p.256-260, ainsi que la présentation qui en est faite. Yinde Zhang a
écrit un article très intéressant à son sujet dans Le Monde romanesque chinois au XXe siècle, p.440-
461. Il y évoque l’accusation de plagiat portée contre Han Shaogong qui aurait, selon certains critiques,
« copié le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic ».
68 Ces textes sont réunis dans Perdre son chemin.
69 Cette autobiographie est traduite intégralement dans Noël Dutrait, « Analyse d’un succès : A
Cheng et son œuvre », Etudes chinoises, vol. XI, n°2, automne 1992, p.39.
70 Une partie d’entre eux sont traduits dans Chroniques.
71 Voir Zhang Dai, Souvenirs rêvés de Tao’a n, traduit par Brigitte Teboul-Wang, Paris, Gallimard,
coll. Connaissance de l’Orient, 1995, p.85 et 112.
72 Pékin, Zuojia chubanshe, 1999.
73 Dans son ouvrage La Petite Révolution culturelle, Arles, Editions Philippe Picquier, 1994,
intéressante étude sur la vie culturelle chinoise de 1978 à 1994, Marie-Claire Huot définit justement Mo
Yan comme « un primaire qui s’enivre des mots, des sons, des odeurs et des couleurs ».
74 Dans Le Radis de cristal.
75 Noël Dutrait, « Interview de Mo Yan », op. cit., p.59.
76 Cité par Yan Chunde dans Noël Dutrait (éd.), Littérature chinoise, état des lieux et mode
d’emploi, op. cit., p.34.
77 Une somme importante à cette époque, environ douze mille deux cents euros.
78 A paraître en 2006 au Seuil, traduit par Chantal Chen-Andro.
79 Yinde Zhang, Le Monde romanesque chinois au XXe siècle, p.437.
80 On dispose seulement du recueil traduit par Annie Curien , Littératures enchantées des Dong,
Paris, Bleu de Chine, 2000, ou du numéro de la revue Action poétique, n°157, hiver 1999-2000,
consacré à la poésie tibétaine.
L’ÉCRITURE « EXPÉRIMENTALE »
DES AVANT-GARDISTES

Les nouveaux concepts


Dans l’article « Une explication du roman d’avant- garde » publié en 1994
dans la revue Wenxue pinglun (Critique littéraire), Chang Qie énumère les
étiquettes apposées aux romans qui ont rompu avec la tradition littéraire :
xinchao xiaoshuo, « roman de la nouvelle vague », houxinchao xiaoshuo,
« roman post-nouvelle vague », tansuo xiaoshuo, « roman de recherche »,
shiyan xiaoshuo, « roman expérimental », xiandaizhuyi xiaoshuo, « roman
moderniste », houxiandaizhuyi xiaoshuo, « roman postmoderniste », xin
xiaoshuo, « nouveau roman », xin xinxiaoshuo, « nouveau nouveau roman »,
xianfeng xiaoshuo, « roman d’avant-garde », etc. Si les appellations sont
multiples, le roman d’avant-garde, selon Chang Qie, se caractérise avant tout
par le fait qu’il rompt avec la tradition littéraire du mouvement du 4 Mai
1919, qui conférait très clairement à la littérature une mission éducative,
voire subversive, sans hésiter à rechercher des modèles à l’étranger parmi les
auteurs occidentaux consacrés. En Chine, les auteurs qualifiés d’« avant-
gardistes » sont nés dans les années 1950 et 1960 et sont apparus sur la scène
littéraire aux alentours de 1985. Chang Qie cite Liu Suola, Xu Xing, Ma
Yuan, Hong Feng, Yu Hua, Su Tong, Ge Fei, Sun Ganlu, Ye Zhaoyan, Can
Xue et Wang Shuo81. Certains de ces auteurs, on l’a vu, ont déjà été classés
parmi les « modernistes ». D’autres, comme Yu Hua et Su Tong, seront
considérés un peu plus tard comme les meilleurs représentants de l’école
néoréaliste.

Ma Yuan, Ge Fei, Yu Hua et Sun Ganlu


Ma Yuan, né en 1953 dans le Liaoning, est en général désigné comme le
pionnier du roman d’avant- garde. Après avoir été envoyé à la campagne
pendant quatre ans à partir de 1970, il est devenu ouvrier ajusteur, puis
journaliste, métier qu’il exerce au Tibet pendant deux ans à partir de 1982. En
1986, il publie Vieille chanson himalayenne où il conte, entre rêve, souvenir
et réalité, la vie d’un chasseur d’une minorité ethnique du Tibet, qui s’achève
par ses « funérailles célestes », où son corps découpé en morceaux est
emporté par les vautours vers le ciel. Cette seule œuvre traduite en français
jusqu’à ce jour laisse peu appréhender l’écriture expérimentale de Ma Yuan
inspirée, selon Chen Sihe, par « le modernisme occidental et le
structuralisme82 ».
L’écriture de Ge Fei (né en 1964 au Jiangsu), enseignant à l’école normale
de Chine orientale de Shanghai, est traversée par des réminiscences
d’écrivains occidentaux tels Alain Robbe-Grillet, Gabriel García Márquez ou
Jorge Luis Borges. Il a expliqué lui-même comment, en 1986, il était entré en
écriture :
Au moment où je me suis mis à écrire la nouvelle A la mémoire du
docteur Wu You, j’ai pris connaissance pour la première fois des
relations mystérieuses qu’entretiennent la vie, la mémoire et l’écriture.
Je me trouvais dans un train bondé et bruyant. Des relents de sueur, de
poisson et crevettes emplissaient le wagon. Par la fenêtre, je voyais un
soleil radieux, des montagnes vert foncé. Forêts, rivières, campagne
défilaient. C’est au cours d’un voyage de quatorze heures que j’ai écrit
en entier cette histoire, dans un carnet, continuellement plongé dans une
émotion confuse, ayant presque oublié la notion du temps. Les qualités
et les défauts de cette nouvelle importent peu sans doute ; par contre,
l’exercice de l’écriture s’est révélé très particulier. Car je semblais déjà
vaguement percevoir qu’il faut passer par l’écriture pour donner un nom
à certaines choses de la mémoire, tandis qu’en même temps l’écriture
me révélait son secret et sa signification83.
L’écriture des récits réunis dans Nuée d’oiseaux bruns ou Impressions à la
saison des pluies se joue de la logique et de la linéarité narrative pour
entretenir mystère et incompréhension.
Yu Hua, né au Zhejiang en 1960, a exercé le métier de dentiste pendant six
ans avant de devenir écrivain à partir de 1984. L’univers qu’il met en scène
dans ses récits est inquiétant, menaçant, voire morbide. Les deux nouvelles
réunies dans Un monde évanoui se présentent comme des enquêtes policières
où se mêlent hallucinations, maladie, folie et rêves étranges. Yu Hua
maltraite le sens, déroute le lecteur. Ainsi, certains personnages de Un monde
évanoui sont-ils désignés par un chiffre :
La femme de 7 la fixait d’un air effaré ; 7 demeurait tête baissée ; le père de
4 était rentré chez lui. Le regard que la femme de 7 posait sur elle gênait
l’accoucheuse. (Un monde évanoui, p.101.)
A la fin des années 1980, Yu Hua publie de court s romans où son écriture
évolue vers le néoréalisme. La nouvelle Un amour classique emprunte la
forme d’un conte fantastique à l’ancienne, à la manière des Chroniques de
l’étrange de Pu Songling84 qui datent du XVIIe siècle : il met en scène un
jeune lettré tombé amoureux d’une belle jeune femme. Mais la cruauté de
certains passages – la jeune fille est vendue comme viande de boucherie et
débitée vivante ! – rejoint le thème, récurrent dans la littérature
contemporaine, du cannibalisme.
Yu Hua déploiera tout son talent avec les romans de la veine néoréaliste qui
lui attireront un immense succès : Le Vendeur de sang et Vivre85.
Le Shanghaïen Sun Ganlu (1959-), qui commence à écrire en 1983, est
considéré par Chen Sihe comme un « avant- gardiste modèle86 » avec les
textes qu’il publie à partir de 1986. Le mal-être existentiel d’un jeune dandy
de Shanghai et ses chaotiques relations amoureuses constituent le thème
central du roman Respirer qui se déroule dans une atmosphère
« postmoderniste » :
Luo Ke s’était toujours franchement dit: « Tu t’es fait plaquer. »
Cette fille qu’il aimait, qui à présent ne l’aimait plus, avait sur lui ce
jugement: névrosé. Il comprenait parfaitement cette ancienne mais pâle
(pathologiquement ?) définition : l’amour est un état morbide. Jusqu’à
présent, l’usage de termes médicaux pour décrire une chose conférait
aisément une sorte d’autorité. Comme si votre sac à main était bourré
d’amphétamines, de pilules de Kelitelana (un genre de benzédrine), de
barbituriques (des tranquillisants utilisés comme somnifères) et
d’atropine. Si Luo Ke voulait toujours essayer de devenir écrivain
(essaie de lire ces termes à voix haute, combien diabolique est leur
prononciation), il devait alternativement utiliser tous ces machins-là, ou
du moins en parler abondamment pour que son moi fût englouti dans le
trouble et le désespoir. Comme Sartre, passé la quarantaine. (Respirer,
p.125-126.)
Très inspirés par les écrivains occidentaux comme Gabriel García Márquez,
Jorge Luis Borges, Alain Robbe-Grillet, et même Philipe Sollers dans le cas
de Sun Ganlu, les écrivains de « l’avant- garde » semblent renier la tradition
chinoise. S’ils font effectivement souffler sur la création littéraire un grand
air de nouveauté, en se préoccupant davantage de la question « comment
écrire ? » plutôt que « quoi écrire ? », une fois traduites en français, leurs
œuvres prennent souvent une teinte de pâle imitation des maîtres qui les ont
inspirées.

81 Voir à ce sujet Annie Curien, « Sur la nouveauté dans la littérature chinoise contemporaine »,
Esprit, n ° 8-9, août-septembre 1996, p.216-231.
82 Voir Chen Sihe, Zhongguo dangdai wenxue shi jiaocheng, op. cit., p.407.
83 Voir Ge Fei, « Roman et mémoire », dans Lettres en Chine, rencontre entre romanciers chinois et
français, op. cit., p.51.
84 Pu Songling, Chroniques de l’étrange, traduit par André Lévy, Arles, Editions Philippe Picquier,
2005.
85 Voir infra p.75-76.
86 Chen Sihe, Zhongguo dangdai wenxue shi jiaocheng, op. cit., p.415.
LE RETOUR DU RÉALISME
OU LE NÉORÉALISME

La définition du concept
Un critique chinois, Yang Jianlong, a ainsi défini le roman néoréaliste (xin
xieshi xiaoshuo) : « 1. Sur le plan du contenu, le roman néoréaliste met
l’accent sur la description de la vie quotidienne, il s’efforce de tout décrire
avec fidélité pour faire ressortir la vie dans tous ses aspects, sans rien éviter,
sans rien cacher, sans enjoliver, sans élever, sans que les œuvres assument
volontairement un rôle éducatif sur le plan idéologique et moral. 2. En guise
de structure, il utilise le procédé de description qui consiste à suivre à la trace
ses personnages et à construire l’œuvre au rythme de l’écoulement du temps
dans la vie ; il met l’accent sur la vie même et non sur les histoires qui s’y
déroulent, il insiste sur les détails et non sur l’intrigue, il met en lumière la
vie humaine réelle et son souffle. 3. Sur le plan de la langue, il utilise un
langage simple et vulgaire, il s’attache aux couleurs originales du langage,
sans éviter ni les grossièretés ni les bavardages, en insistant sur la description
de la vie quotidienne à l’aide d’un langage de tous les jours. 4. Pour le style,
le roman néoréaliste décrit fidèlement tous les faits que l’on côtoie chaque
jour, ce qui lui donne le charme du naturel et une tonalité de tristesse
involontaire, le compromis et l’identification avec le destin donnant à l’œuvre
un style esthétique pathétique87. »
La vogue des romans « néoréalistes » a repris à l’automne 1989, quelques
mois après les événements de la place Tian’anmen, même si le terme
« néoréalisme » (xin xieshizhuyi) était utilisé dès 1980. A cette date, était en
effet publiée à Hong Kong une anthologie de nouvelles dites néoréalistes. En
1989, dans l’esprit des initiateurs du mouvement, les rédacteurs de la revue
littéraire Zhongshan, il était nécessaire « d’en revenir à une expression
romanesque simple et proche des masses et de leurs problèmes sociaux
concrets88 ».
Il s’agissait là d’une réaction à la fois contre les mouvements
« modernistes » et le mouvement de « recherche des racines » dont
l’hermétisme de certaines œuvres avait pu dérouter les lecteurs.
Liu Heng, Liu Xinglong et de nouveau… Yu Hua
Liu Heng (1954-) a commencé à écrire en 1977, après avoir effectué six
années de service militaire dans la marine et exercé quatre ans le métier
d’ouvrier ajusteur dans une usine d’automobiles de Pékin. Sa nouvelle
Céréales de merde est primée meilleure nouvelle de l’année 1985-1986, le
consacrant comme l’étoile montante du genre néoréaliste. La vie, la mort, la
sexualité, la violence des rapports humains sont au cœur de ses récits qui ont
pour cadre le monde paysan. Céréales de merde correspond bien aux critères
établis par Yang Jianlong : la vie quotidienne est dépeinte dans toute sa
banalité et sa trivialité, sans éviter la grossièreté du langage, comme dans ce
passage où l’épouse de Yang Tiankuan, le héros du récit, insatisfaite du
partage des terres, est montée sur le toit de sa maison pour injurier le chef du
village :
On savait bien que Yang Tiankuan avait pris pour épouse une
goitreuse, laide à faire rire, mais on ignorait encore à quel point elle
avait le verbe haut. C’était un vrai démon, auquel personne n’osait se
frotter. Tiankuan aussi avait un peu peur ; plus elle proférait d’injures,
plus son goitre, rond comme une bombe, était lumineux. Alors,
Tiankuan se faisait tout petit, ne se sentant pas de taille à être l’époux
d’une femme si franche.
« Tu te fatigues, lui dit-il en prenant une louche d’eau sur le poêle,
allez !… viens boire, implora-t-il.
— Hé toi, pourquoi que tu causes pas, t’es muet ? Quand tu pisses, tu
fais trois gouttes, tes fesses ne lâchent pas un pet. Espèce de bon à rien !
Si je descends, tu vas venir prendre ma place pour les engueuler ? Tu
vas m’enculer les ancêtres de ces pourris… ? » (Anthologie de nouvelles
chinoises contemporaines, p.244.)
Liu Heng a signé le scénario du film de Zhang Yimou, Qiu Ju femme
chinoise, qui renoue avec la veine néoréaliste du cinéma chinois. Il est aussi
l’auteur du roman Judou ou l’Amour damné porté à l’écran par le même
cinéaste.
Liu Xinglong (1956-), ancien ouvrier devenu écrivain professionnel de la
province du Hubei, est aussi considéré comme un des chefs de file du
« néoréalisme ». Ses nouvelles décrivent sans pitié la société chinoise
contemporaine dans toutes ses contradictions : les écart s immenses qui se
sont creusés entre pauvres et riches, ruraux et citadins, la constitution d’une
population flottante, etc. Liu Xinglong garde une prédilection très forte pour
le terroir, qu’il oppose à la ville, « piètre source d’inspiration89 » à ses yeux.
En 1992, Yu Hua publie Vivre, porté à l’écran par Zhang Yimou l’année
suivante, une fresque pleine de rebondissements qui couvre près de quarante
ans d’histoire depuis les années 1930 jusqu’aux années 1970-1980. Dans Le
Vendeur de sang, c’est l’histoire d’une famille paysanne qui est aussi retracée
sur une quarantaine d’années. Si la toile de fond peut faire penser à un roman
réaliste paysan, la forme est originale : chapitres courts, primauté du
dialogue, importance de la parole. Ainsi, ce chapitre où sont rapportées les
conséquences de la violente bagarre qui a opposé deux enfants du village.
— Tu as entendu ce que les gens disent ? demanda Xu Sanguan à Xu
Yulan.
Les gens dirent : « Le docteur Chen a sauvé le fils de Fang le
forgeron. Il est resté plus de dix heures en salle d’opération… Il a la tête
tout enveloppée de gaze. On ne lui voit plus que les yeux, le bout du nez
et une moitié de la bouche… Après sa sortie de la salle d’opération, il
est resté plus de vingt heures sans émettre un son. Ce n’est que le
lendemain matin qu’il a enfin ouvert les yeux… Il a pu boire un peu de
bouillon de gruau, mais il l’a revomi aussitôt, avec de la merde, en plus.
Il rend même de la merde par la bouche… »
— Tu as entendu ce que les gens disent ? demanda Xu Sanguan à Xu
Yulan.
Les gens dirent : « Le fils de Feng le forgeron est toujours hospitalisé.
Tous les jours, il faut des médicaments, des piqûres, des bouteilles de
goutte-à-goutte… Ça coûte pas mal d’argent par jour. Qui va payer ? Xu
Sanguan ? ou He Xiaoyong ? Quoi qu’il en soit, Xu Yulan ne pourra pas
se dérober. C’est bien elle la mère… » (Le Vendeur de sang, p.66.)
Dans le même roman, le repas d’anniversaire « imaginé » avec lequel le
père tente d’assouvir la faim de ses enfants en cette période de famine,
constitue un morceau d’anthologie90.
Su Tong et le « nouveau roman historique »
Né en 1963 à Suzhou, Su Tong, qui vit à Nankin comme écrivain
professionnel, aime situer ses récits dans un passé qu’il n’a évidemment pas
connu et excelle à brosser des portraits de femmes. Dans Epouses et
concubines, il raconte la vie de quatre concubines dans une grande maison, au
début du siècle. Cette évocation des mœurs du passé, sur fond de rivalités et
de passions, a connu un immense succès en Chine, ainsi qu’à l’étranger,
surtout grâce au film que Zhang Yimou en a tiré. Dans Visages fardés, Su
Tong évoque la vie de jeunes prostituées emmenées dans des camps de travail
pour rééducation après 1949, pendant les premières années du régime
communiste.
Les années 1930 sont la toile de fond de Riz. Su Tong narre l’arrivée dans
une ville pas très éloignée de Shanghai d’un pauvre réfugié chassé de son
village natal par une inondation – l’époque où se déroule le roman n’est
évoquée que par allusions. Wu Long, le réfugié, confronté à la violence et à
l’humiliation dès son arrivée dans la ville, apprend la haine. Il ne survit que
grâce à une poignée de riz de son pays natal, qu’il a gardée dans son sac, puis
se fait embaucher dans une boutique de riz – son élément naturel – où il
arrivera peu à peu à « prendre le pouvoir » presque sans effort. Mais son rêve
absolu est de retourner dans son village natal avec des montagnes de riz. On
est frappé par l’absence de tout sens moral chez Wu Long et par la
résignation des personnages qui l’entourent. Riz est un roman où se mêlent la
violence, la passion amoureuse (souvent réduite à de simples actes sexuels où
les femmes ne trouvent guère leur compte), le sang et la mort91. Même les
enfants sont cruels. Su Tong se sert du réalisme ou de l’hyperréalisme pour
brosser le portrait d’un homme pour lequel le lecteur ne peut éprouver aucune
espèce de sympathie. L’opposition campagne/ville que Su Tong met en
valeur semble indiquer que hors du contexte social rural, l’homme perd tous
ses repères et devient un loup pour ses congénères. Sur le plan de la forme,
Su Tong fond les dialogues dans la narration, sans les distinguer visuellement
par des guillemets, ce qui empêche parfois de discerner ce qui appartient au
dialogue ou au monologue intérieur. La traduction anglaise a respecté ce
procédé, mais – c’est à regretter – pas l’éditeur français.
Paru en Chine en 1992, Je suis l’empereur de Chine, dont le titre original est
« Ma carrière d’empereur », est le meilleur exemple d’une écriture
fictionnelle de l’histoire. Su Tong y montre toute la cruauté des rapports
humains dans une cour de Chine imaginaire, sans doute plus vraie que nature,
où l’empereur passe de la gloire à la déchéance. L’auteur déploie ses talents
de conteur pour inonder le lecteur d’images saisissantes aussi inoubliables
que les plans des films de Zhang Yimou. Et, comme Mo Yan dans Le
Supplice du santal, il ose décrire froidement des scènes de torture.
Etrangement, la vie de cet empereur imaginaire est accompagnée, du début à
la fin du récit, par un livre évoqué à chaque moment important, les Entretiens
de Confucius, à propos desquels le héros, devenu moine, déclare de façon
énigmatique : « Après toutes ces années passées à étudier les Entretiens, j’ai
parfois l’impression que ce vénérable livre renferme toute la sagesse du
monde et, parfois, j’ai l’impression qu’il n’a rien à m’apprendre. » Su Tong
n’exprime-t-il pas par la bouche de son personnage un doute profond à
l’égard de la pensée de Confucius qui a modelé la société chinoise depuis des
siècles ?
Su Tong a défini lui-même avec finesse sa démarche d’écrivain par rapport
au réel, à la fiction et à l’histoire :
Richesse et privilège de l’auteur, la fiction prolonge à l’infini la
dimension créatrice de sa vie. Elle est aussi une exaltation qui conduit à
faire naître en soi des désirs illimités en vers le monde et la foule des
hommes, dépeints de manière personnelle. Une telle écriture se distingue
de l’histoire consignée par les historiens, des informations ou des
rumeurs diffusées par les journaux et de toute autre création
romanesque92.

Absence d’émotion ou volonté de choquer ?


La froideur et l’indifférence apparente d’écrivains comme Yu Hua, Su Tong
ou Ge Fei leur ont été reprochées. Ainsi, dans la revue Wenxue pinglun
(Critique littéraire) : « La description froide interdit que les sentiments
propres de l’auteur soient présents dans l’œuvre. Dans son travail de création,
l’auteur reste dans l’expectative. L’histoire que raconte l’écrivain n’est que
l’histoire de “eux”, ce n’est pas l’histoire de “nous”. Ces œuvres qui ont
perdu toute appréciation au plan des sentiments perdent aussi leur force
émotionnelle. Le roman n’a plus alors la faculté d’exprimer les sentiments.
Des œuvres comme Riz évitent tout échange spirituel avec le lecteur et tout
rapprochement avec quelque sentiment sacré que ce soit. L’auteur se cache
complètement derrière ses personnages, les laissant parler par eux-mêmes. Le
roman nous dit que dans la tête même de l’écrivain, les critères de jugement
sur la vérité et la réalité ont disparu93. »
Plus loin, la question est posée : « Jusqu’à quand des auteurs comme Yu
Hua, Su Tong ou Ge Fei pourront-ils rester froids face aux réalités de
l’existence chaque jour plus choquantes ? »
Cette critique de la distanciation de l’auteur par rapport à ce qu’il écrit
n’est-elle pas inspirée par une certaine nostalgie du temps où la littérature
était au service du politique ou du social ? Force est cependant de constater
que cette « absence d’émotion » est bien présente dans les romans de Yu
Hua, Ge Fei et Su Tong. Ce dernier s’en est expliqué :
Bien sûr, on pourrait considérer mon roman comme une exploration
du mal. Cela a conduit certains lecteurs à considérer mon livre comme
immoral. Mais je pense que la littérature ne peut jamais être accusée de
cela : la fiction est un moyen utile pour explorer les possibilités des
choses, pour poursuivre une idée jusqu’au bout afin de voir jusqu’où elle
mène. Je pense que j’ai voulu que mes lecteurs deviennent conscients
des potentialités du mal. […] J’ai voulu faire quelque chose de différent
du roman traditionnel. Les romans chinois que j’ai lus au cours de mon
adolescence respectaient un équilibre parfait entre le bien et le mal. On
peut considérer Riz comme une réaction au roman traditionnel. J’ai
voulu écrire quelque chose qui n’avait jamais été écrit auparavant. J’ai
voulu choquer. Et pendant que j’écrivais ce roman, j’ai été choqué moi-
même. Mes amis me disaient que j’avais le visage d’un homme malade
pendant que je l’écrivais94.

Jia Pingwa : de la littérature du terroir au roman à scandale


Jia Pingwa (1952-) est d’abord connu pour ses descriptions de la vie
quotidienne des paysans de sa province natale, le Shaanxi. Pourtant, en 1993,
c’est un roman qui se déroule en milieu urbain, La Capitale déchue, qui
défraye la chronique. Il s’en vendra plusieurs millions d’exemplaires, il sera
interdit – taxé de pornographie par les autorités –, mais continuera à circuler.
Un vaste débat s’engage alors dans le monde de la critique et des
intellectuels : s’agit-il là, à l’instar des romans classiques du XVIIe ou XVIIIe
siècle, Le Rêve dans le pavillon rouge et le Jinpingmei (Prunes en fiole d’or),
du nouveau grand roman érotique chinois décrivant une société décadente –
le milieu intellectuel de Xi’an ? S’agit-il au contraire d’un roman de bas
étage, pornographique, décrivant avec complaisance des situations et des
personnages connus de l’auteur, mais publié dans un seul but commercial ?
La Capitale déchue est certainement un peu tout cela. Lancé à grand renfort
de publicité six mois avant sa parution (on annonce un « nouveau
Jinpingmei »), le roman touche à deux tabous encore très forts dans la société
chinoise : la sexualité et la vie politique – ici, les agissements des officiels de
la ville de Xi’an. Son succès était donc prévisible, amplifié par son
interdiction ! Le fait qu’il témoigne du glissement d’un écrivain rural vers le
milieu urbain est révélateur de l’évolution de la Chine qui passe en quelques
années d’une société à quatre-vingts pour cent paysanne à une civilisation
urbaine. La Capitale déchue restera à coup sûr comme un témoignage du
passage à la modernité d’une ville comme Xi’an. Le nom du héros a un sens :
Zhuang Zhidie, littéralement le « papillon de Zhuangzi », allusion à
l’anecdote où le philosophe Zhuangzi s’interroge sur la vérité vraie et la
vérité rêvée. Il y a là un clin d’œil à la « vérité » de ce roman : est-elle réelle
ou seulement rêvée (fantasmée) ? On peut se poser la question quand on voit
le héros, écrivain quadragénaire, séduire toutes les jolies jeunes femmes de la
ville uniquement grâce à son talent littéraire – il ne paie pas de mine et se
déplace sur un vieux vélomoteur. Le texte fonctionne comme un roman
classique – pas d’intrigue véritable, mais une suite de scènes qui ne font pas
progresser l’action –, comme un roman pornographique – des scènes
décrivant des actes sexuels ponctuent le récit, mais elles sont autocensurées95,
donc plus suggestives encore –, tout en fournissant un semblant de
description des relations humaines au sein d’un milieu donné. Comme dans
certains romans de Su Tong ou de Yu Hua, les sentiments sont étrangement
absents ou stéréotypés, la dureté des relations omniprésente, les sens moral
ou religieux inexistants. Comme chez Mo Yan ou A Cheng, et surtout chez
les auteurs « néoréalistes », les besoins naturels (manger, copuler, déféquer,
etc.) sont abondamment décrits dans leurs moindres détails.
Dans un roman écrit en 1996, Le Village englouti, Jia Pingwa renoue avec la
veine néoréaliste pour aborder l’urbanisation forcée des campagnes chinoises
à la périphérie des grandes villes96. Dans un quartier encore rural de la
banlieue de Xi’an, les constructions se répandent à pas de géant, avec leur lot
de malversations, combines, frustrations, etc.

La littérature, reflet de l’évolution de la société :


Liu Xinwu et Liu Zhenyun
Comme la presse chinoise reste encore très largement soumise au pouvoir,
les lecteurs trouvent souvent un reflet de l’évolution de leur société dans la
littérature. Certains écrivains excellent dans la description des pénibles
conditions de travail que connaissent les laissés-pour-compte des réformes et
de l’ouverture, suscitant chez le lecteur enthousiasme et gratitude profonde
pour avoir osé montrer la réalité.
En 1992, Liu Zhenyun dénonce dans Les Mandarins « la corruption,
l’hypocrisie et le contrôle social qui règnent dans les bureaux
postmaoïstes97». Dès 1990, il avait connu un grand succès avec Yidi jimao
(Tracas à perte de vue), qui raconte les tracasseries quotidiennes rencontrées
par un jeune couple citadin ordinaire98.
Liu Xinwu, quant à lui, le père de la « littérature de cicatrices », a continué
une carrière d’écrivain tournée vers la description des problèmes sociaux et
une réflexion en profondeur sur les drames qu’a connus la Chine depuis cent
cinquante ans. La Cendrillon du canal aborde les malheurs rencontrés
aujourd’hui par une jeune femme de la campagne venue travailler à Pékin,
tandis que L’Arbre et la Forêt, destins croisés évoque l’histoire de la Chine
des soixante dernières années à travers la vie de personnages réels dont les
photographies accompagnent le texte. La Démone bleue est un récit
autobiographique dans lequel l’auteur revient sur l’histoire de son enfance.
Dans un entretien qu’il a accordé à son traducteur, Liu Xinwu définit ainsi sa
démarche :
Mon regard porte surtout sur les couches les plus modestes de la
société. Même si un individu est capable de se soustraire à l’espace dans
lequel il vit, il lui est impossible d’échapper à son époque. Les gens
ordinaires ont du mal à échapper à leur destin […]. Il est vrai que
s’intéresser à la destinée des petites gens est un point de vue qui passe
pour naïf et obsolète aux yeux de beaucoup99.

Le « phénomène » Wang Shuo


Wang Shuo (1958-) est d’abord un auteur de séries télévisées – dont l’une
des plus célèbres, Bianjibu de gushi (Histoires d’une salle de rédaction), a
connu un engouement sans précédent. Qu’il s’adresse à des téléspectateurs ou
à des lecteurs, il ne met plus son talent au service du pouvoir, de la politique,
ni même de la réflexion critique, mais au service du plaisir et de la
distraction, partant du constat que la Chine doit désormais compter avec une
« société civile » qui a besoin de se divertir. Parmi une production prolifique,
Feu et glace décrit plutôt la vie des paumés, marginaux et autres petits
délinquants de la capitale, tandis que Je suis ton papa évoque la situation
d’un père divorcé qui élève seul son fils. L’intérêt de ces deux romans,
traçant un portrait plein de vie de la société pékinoise contemporaine, tient à
la saveur de la langue, l’argot des rues, qui tranche sur la langue officielle.
Ainsi, lorsqu’une amie du personnage principal de Feu et glace lui révèle ce
qu’elle pense réellement de lui :
Avant, dit Chen Weiling lentement, en détachant chaque mot, je
croyais que tu étais une canaille de haut vol, un voyou qui avait de la
classe, que même tombé si bas, tu te montrais quand même exigeant sur
l’art et la manière, veillais à faire les choses correctement. Je viens
seulement de comprendre que tu n’es guère différent des petites frappes
qui traînent dans les rues. S’il fallait à tout prix trouver une différence,
ces petits voyous ont au moins un minimum d’esprit chevaleresque, un
minimum de courage, ils assument, et cela force le respect ; alors que toi
tu n’es qu’un sale con ! un parfait salaud, irrécupérable. (Feu et glace,
p.48.)
Dans l’histoire de la littérature chinoise actuelle, Wang Shuo restera comme
le premier écrivain qui a retrouvé le contact avec le grand public. Ayant fait
fortune grâce à ses romans qui atteignent des chiffres de vente inégalés
(meilleurs encore que ceux de Jia Pingwa !), il a cessé d’écrire pendant un
temps pour se consacrer aux affaires, devenant l’exemple même de l’écrivain
qui s’est « jeté à la mer », selon l’expression consacrée. En 1999, il a de
nouveau publié un roman, accompagné d’un cédérom, Kanshangqu hen mei
(Quand on continue à regarder, c’est très beau), essentiellement consacré à
ses souvenirs d’enfance100.

Wang Xiaobo, l’inclassable


Ancien « jeune instruit » envoyé à la campagne, Wang Xiaobo (1952-1997)
a pratiqué plusieurs métiers manuels avant d’entreprendre des études
scientifiques, puis de se rendre aux Etats-Unis où il a préparé une maîtrise de
littérature. Il commence alors à écrire et acquiert une grande notoriété dans le
monde littéraire en 1991 avec la nouvelle L’Age d’or. A l’instar de A Cheng,
il relativise, avec un humour froid, le drame vécu par les « jeunes instruits »
envoyés en rééducation, tout en montrant à quel point la vie privée des
individus a été violée tout au long de ces années. Le succès que Wang Xiaobo
a remporté avec ce texte tient au contexte de l’époque: au début des années
1990, une certaine nostalgie de la Révolution culturelle et de la vie qu’
avaient menée les « jeunes instruits » s’était emparée de beaucoup
d’intellectuels. Autre raison de ce succès, sans doute: à la différence de A
Cheng, Wang Xiaobo aborde librement la vie sexuelle de ses personnages.
Avant d’être emporté par une crise cardiaque en 1997, il écrira plusieurs
romans qui font une place à la science-fiction et à la politique-fiction,
incursions peu fréquentes de ces genres dans le paysage littéraire chinois.

Li Rui, Zhang Wei et Shi Tiesheng, les solitaires


Comme beaucoup d’écrivains de sa génération, Li Rui (1950-) a passé six
ans comme paysan au Shanxi à partir de 1969, avant de devenir écrivain. Son
œuvre est centrée sur la vie des villageois qu’il a côtoyés à l’époque de la
Révolution culturelle. Si sa nouvelle Une union funèbre peut être rattachée au
courant « néoréaliste », le roman Arbre sans vent se distingue par sa
construction originale et son style. Il est composé d’une succession de
chapitres où les multiples personnages – pas forcément des hommes, parfois
des animaux – s’expriment à la première personne, sans que des guillemets
viennent distinguer ce qui est prononcé en style direct de ce qui est raconté
par le narrateur :
Elle dit, Oncle Boiteux, de quoi as-tu peur ?
Je dis, va-t’en vite, si je te supplie tu le feras ?
Sur ce, elle écarte le rideau pour entre r, elle sort de son vêtement une
bouteille d’alcool, qu’elle me fourre dans la main. […]
Je reconnais cette bouteille, dans laquelle il reste un fond d’alcool, en
une seule gorgée je la vide. C’est du vrai Wucheng, une goutte
t’enflamme. Je ne sais pas combien de temps elle l’a gardée contre son
sein, l’alcool est chaud au contact de sa poitrine.
Je ris, et je dis, Erhei, aujourd’hui c’est un bon jour, il y a de l’alcool.
Erhei, dis-moi, de qui j’ai peur ? De quoi j’ai peur ? (Arbre sans vent,
p.68.)
Sensualité, violence, mystère, musicalité parcourent ce roman poétique et
envoûtant, qui donne à voir une peinture pleine de force d’une société tout à
la fois primitive et soumise aux grands principes de la Révolution culturelle.
Zhang Wei (1956-), originaire du Shandong, commence à écrire après des
études de chinois à l’école normale de Yantai et devient écrivain
professionnel en 1983. Au cours des années 1980, il publie de très nombreux
romans et nouvelles101 : si les premiers sont davantage marqués par une
recherche historique, les secondes, où la nature est très présente, sont écrites
dans un style de prose poétique plein de fraîcheur et de nostalgie.
Définissant sa conception du rôle de l’écrivain, Zhang Wei dresse une sorte
d’autoportrait :
A la différence de ces romanciers prompts et extravertis, qui se
tiennent à la pointe de l’époque et bouleversent tout sur leur passage, de
ces romanciers qui à des niveaux différents montrent des capacités de
commandants en chef et lèvent haut la voix, nous devons prêter attention
à une écriture qui murmure pour elle-même, aux états proches du silence
chez l’homme ; nous devons veiller à débusquer les intentions d’un
écrivain à la lumière des fruits de son travail à long terme. Car cet
écrivain-là est sans doute un solitaire – solitude qui désigne tant sa
situation dans la vie quotidienne que son état d’esprit intellectuel. La
solitude d’un bon artiste ne se choisit pas102.
Shi Tiesheng, né en 1951 à Pékin, passe trois ans de sa vie à la campagne
pendant la Révolution culturelle. Atteint d’une paralysie des jambes, il rentre
dans la capitale et commence à écrire en 1979. Ses nouvelles ont pour thèmes
privilégiés la fatalité, le handicap physique, ainsi qu’une réflexion sur le
destin103. Contrairement à ce que laisserait entendre le titre, la conclusion de
sa nouvelle Plusieurs façons simples de résoudre une énigme brouille les
pistes sur la confiance de l’écrivain en son écriture :
La difficulté de cette énigme est comparable à l’écriture romanesque.
Aujourd’hui j’ignore de plus en plus à quelles règles doit obéir cette
écriture. Le lecteur qui aura non sans mal eu le courage d’achever la
lecture de ce texte n’est pas tenu de le considérer absolument comme
une œuvre romanesque. Comme certains en font la proposition :
prenons-le tout simplement pour une lecture. Détente générale. (Fatalité,
p.126.)

Nouveaux écrivains, nouveaux talents, nouveaux thèmes


La manifestation « Les lettres chinoises » au Salon du livre de Paris en 2004
a indéniablement stimulé la traduction d’œuvres de littérature chinoise
contemporaine. Les romans d’un auteur aussi attachant que Bi Feiyu (né en
1964) ont été à cette occasion révélés au public français. De la barbe à papa
un jour de pluie met en scène le fils d’un héros de la guerre de Corée qui ne
se reconnaît plus dans les valeurs morales auxquelles il est censé adhérer ;
L’Opéra de la lune évoque le monde du théâtre et ses relations avec le
marché, tandis que Trois sœurs décrit, comme le dit l’auteur dans sa préface,
« le destin [de trois sœurs], le destin de leur âme, de leur dignité, leur destin
sentimental et sexuel ». Cette évocation de la condition féminine en Chine,
dans ses aspects souvent les plus cruels, n’est pas sans rappeler celle que l’on
trouve sous la plume de Mo Yan. Ecorché vif, Bi Feiyu a évoqué dans un
entretien comment il se situait dans la société chinoise actuelle :
J’appartiens à une génération qui a été cassée, qui est tombée en
morceaux. Nous avons reçu une éducation idéaliste, mais, juste avant
d’entrer à l’université, tout cela s’est écroulé. Nous ne comprenions plus
le monde. Il a fallu s’adapter, répondre à la pression économique et se
demander si on était dans le jeu ou pas104.
Naturellement, le roman chinois contemporain ne peut faire l’économie
d’une réflexion sur le passé le plus proche. Témoin le livre de Yan Lianke (né
en 1953), Servir le peuple105, censuré à sa sortie en 2005, qui ose aborder des
interdits comme le désir sexuel et la soif du pouvoir en pleine Révolution
culturelle.
La Forêt Zèbre de Tian Yuan (née en 1987), L’Insecte sur la toile de Dai
Lai (née en 1973), ou encore La Forêt de pierre de Guo Xiaolu (née en 1973)
montrent à quel point une nouvelle génération d’écrivains est prête à refléter
ses angoisses et ses attentes en usant des procédés les plus divers, allant
même chez un Diao Dou (né en 1960), auteur de Nid de coucou et Jumeaux,
vers une écriture expérimentale106. Le temps permettra de faire un tri parmi
les œuvres récentes, mais la diversité des thèmes abordés et les recherches
stylistiques des jeunes écrivains sont très prometteuses. La plus jeune, Tian
Yuan, témoigne de ce désarroi de la jeune génération qui constituera
certainement le ferment de nombreuses œuvres à venir :
Comme beaucoup de gens de mon âge, je me sens angoissée, pas en
sécurité. Tout a été trop vite en Chine et nous ne savons plus quel est le
sens de la vie, ce que nous voulons vraiment. La génération précédente,
au moins, avait un guide, quelque chose en quoi croire ou à quoi
s’opposer107.

87 Voir Xinhua wenzhai, n°12, 1999, p.192-193.


88 Voir Annie Curien, « Sur la nouveauté dans la littérature chinoise contemporaine », op. cit., p.218.
89 Voir « La Glèbe », dans La Déesse de la modernité, p.21.
90 Dans la veine néoréaliste, on lira aussi de Zhan Zhenwei et Liu Xinglong, Croquants de Chine,
ainsi que Zhou Daxin, Les Marches du mandarinat.
91 Un critique littéraire du Monde (10 avril 1998) a parlé de « roman violent et nihiliste ».
92 Voir « L’ultime pouvoir des écrivains », dans Annie Curien et Jin Siyan (dir.), Littérature
chinoise, le passé et l’écriture contemporaine, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme,
2001, p.175-176.
93 Voir Xie Youshun, « Zhongzhi youxi yu jixu shengcun – guanyu xianfeng xiaoshuo » (Cesser de
jouer et continuer à exister – au sujet du roman d’avant-garde), Wenxue pinglun, n°3, 1994, p.71.
94 Propos rapportés par Mark Leenhouts dans « The Contented Smile of the Writer », China
Information, vol. XI, n°4, 1997, p.70-80. Voir aussi sur le même sujet Noël Dutrait, « La violence dans
le roman chinois contemporain », dans Où va la Chine, Paris, éditions du Félin, 2000, p.172-190, ainsi
que l’article de Su Tong, « L’ultime pouvoir des écrivains », dans Annie Curien et Jin Siyan (dir.),
Littérature chinoise…, op. cit., p.175-176.
95 Jia Pingwa remplace les passages trop crus par de petits carrés en précisant : « Ici l’auteur coupe
tant de caractères. »
96 Pour la veine « campagnarde » de Jia Pingwa, lire Le Porteur de jeunes mariées.
97 Ainsi que l’écrit son traducteur, Sebastian Veg, dans une postface éclairante intitulée « Discours
révolutionnaire et spirale bureaucratique dans Les Mandarins ».
98 A paraître en 2006 aux éditions Bleu de Chine dans un recueil intitulé Peaux d’ail et plumes de
poulet.
99 Voir l’entretien avec Roger Darrobers, « Je privilégie la littérature sous forme de document,
entretien avec l’écrivain Liu Xinwu », Perspectives chinoises, n°72, juillet-août 2002, p.70-75. Les
ouvrages de Liu Xinwu traduits par Roger Darrobers sont accompagnés de textes de présentation de
l’auteur et de son œuvre particulièrement intéressants, aussi bien sur la démarche de celui-ci que sur
l’atmosphère du monde des lettres en Chine aujourd’hui.
100 Pékin, Huayi chubanshe, 1999.
101 Un dossier est consacré à Zhang Wei dans la revue Poésie 2001 , n°88, juin 2001, p.11-31.
102 Zhang Wei, « Une époque de lecture et d’imitation », ibid., p.100. Voir aussi Zhang Wei,
« Pauvreté de l’imagination et disparition de la personnalité ; inquiétudes sur les courants littéraires de
la fin du siècle » et « Liberté : droit de choisir et élégance », dans Annie Curien et Jin Siyan (dir.),
Littérature chinoise, le passé et l’écriture contemporaine, op. cit., p.145-154 et 171-173.
103 Voir Fatalité, recueil de six récits traduit par Annie Curien.
104 Voir Pierre Haski, « L’opéra de Nankin selon Bi Feiyu », Libération, 18 mars 2004.
105 A paraître aux Editions Philippe Picquier en 2006.
106 Cette littérature de la nouvelle génération est analysée par Yinde Zhang dans son article
« Intertextualité franco-chinoise » dans Le Monde romanesque chinois au XXe siècle, p.133-156.
107 Voir « Jeunes regards sur la Chine en mouvement », Le Monde, supplément « Livres » du 19
mars 2005, p.
VI
.
LA LITTÉRATURE FÉMININE

Tout comme la littérature moderne issue du mouvement du 4 Mai 1919


avait vu s’épanouir de grands talents féminins : Ding Ling (1904-1986), Xiao
Hong (1911-1942) ou Bing Xin108 (1900-1999), pour ne citer qu’elles, l’un
des phénomènes frappants de la nouvelle littérature chinoise de la fin du XXe
siècle est l’apparition d’une littérature féminine riche, prolifique et
audacieuse.

Zhang Kangkang : un « pessimisme critique »


Issue d’un milieu d’intellectuels communistes, Zhang Kangkang (1950-) a
participé avec conviction aux débuts de la Révolution culturelle, puis s’est
portée comme volontaire pour aller s’installer à la campagne comme des
centaines de milliers de jeunes Chinois. Elle travaille alors dans une ferme
d’Etat du grand Nord comme paysanne, comme ouvrière, puis comme
reporter. Après avoir publié une nouvelle dès 1972, puis en 1975 un roman
dans la « ligne du Parti », elle publie à partir de 1979 des nouvelles qui seront
primées comme meilleures nouvelles de l’année, où elle évoque sur un mode
moins idéaliste les drames humains engendrés par les turbulences que la
Chine vient de traverser, en s’attachant à l’analyse psychologique des
personnages. Elle-même victime de ses illusions, elle s’intéresse à l’évolution
des mentalités des hommes et des femmes de son époque, face aux
transformations rapides que la société chinoise connaît à partir de 1979. Dans
Les Pavots blancs, paru en 1980, elle rappelle la vie pleine de difficultés et de
souffrances des « jeunes instruits » à la campagne. Une quinzaine d’années
plus tard, dans L’Impitoyable et Tempêtes de sable109, elle se préoccupe du
devenir de ces hommes et de ces femmes victimes de leur époque, avec son
cortège de désillusions, de déceptions et parfois de mesquineries. Le
« pessimisme critique110 » dont fait preuve l’ancienne « jeune instruite »
Zhang Kangkang incite à garder confiance dans une certaine pérennité des
valeurs morales. C’est sans doute ce qu’elle exprime dans un entretien :
J’estime qu’il est plus important pour moi d’être une intellectuelle qui
a des connaissances solides et défend un point de vue totalement
indépendant, que d’être un bon écrivain. Avant que d’être écrivain, je
veux être une personne saine et de valeur111.
Le roman Yinxing banlü (Le Compagnon caché), paru en 1986, marque
l’influence de la psychanalyse sur son œuvre. Au cours des années 1990,
certains des romans de Zhang Kangkang ont obtenu un succès considérable,
tel Qing’ai hualang (La Galerie de l’amour), publié en 1996 et sept fois
réédité par la suite avec d’énormes tirages. Un succès qui s’explique sans
doute par la sincérité de l’écrivain. En 1999, à la question « Pourquoi écrivez-
vous ? », Zhang Kangkang répondait :
Le monde extérieur cruel et troublé auquel nous sommes confrontés
me contraint à me tourner vers l’intérieur de moi-même pour chercher la
liberté. L’écriture fait naître en moi des questions sur l’homme, la vie et
la société ; grâce à elles, je peux mettre de l’ordre en moi et trouver un
certain réconfort. Chez un peuple privé de la liberté de l’esprit, l’écriture
est un canal permettant au moins de respirer112.

Wang Anyi et le roman psychologique


En dépit de la profusion d’une œuvre publiée dès l’âge de vingt-deux ans,
on ne peut lire aujourd’hui en français qu’un seul roman de Wang Anyi
(1954-). Cette ancienne « jeune instruite », fille de la femme de lettres Ru
Zhijuan, envoyée à la campagne en 1970, vit aujourd’hui à Shanghai où elle a
passé son enfance. Son roman Xiao Baozhuang (Le Petit Bourg des Bao),
rattaché au mouvement de « recherche des racines », reçoit le prix du
meilleur roman de l’année 1985. De même que A Cheng montrait dans ses
nouvelles la pérennité des valeurs morales en Chine, Wang Anyi dépeint dans
Xiao Baozhuang comment une communauté villageoise était restée
indifférente au monde extérieur et avait gardé le sens de l’entraide et du
respect mutuel, à une époque où la Révolution culturelle ébranlait
profondément les fondements de la société. Après avoir évoqué la vie des
« jeunes instruits » dans de nombreux romans et nouvelles, elle aborde en
1986-1987 le thème de l’amour et de la sexualité dans une trilogie qui devait
faire scandale113. Parmi ses romans récents, Les Lumières de Hong Kong
s’intéresse à la situation de ces Chinois et de ces Chinoises des Etats-Unis, de
Taiwan, de Chine continentale ou d’Australie, qui se rencontrent à Hong
Kong, la ville ouverte, la ville des rendez-vous :
Hong Kong était un immense terrain pour retrouvailles fortuites,
c’était un lieu d’essence magique propice à d’innombrables rencontres.
Elle partageait son identité avec ses citoyens passionnés, hommes et
femmes qui chaque nuit se retrouvaient à l’occasion de réunions ou de
fiançailles, et qui propageaient avec ardeur sa convivialité chaleureuse et
sa musique. (Les Lumières de Hong Kong, p.7.)
La question de l’identité se pose dans cette situation d’éclatement – un des
personnages, Laowei, dans l’avion pour San Francisco, s’interroge sur la
condition des Chinois des Etats-Unis et surtout sur l’avenir de leurs enfants :
Laowei se rappelait les crevasses qui couraient entre le sol et les murs
de brique du quartier chinois, tout lui re venait à l’esprit avec une facilité
déconcertante. La génération de leurs enfants partirait de Chinatown
pour ne jamais y revenir. Ils parlaient américain, mangeaient des
hamburgers, et, dès dix-huit ans, déménageraient de chez leurs parents.
Ils accompagnaient leurs repas de boissons fraîches. […] Ils avaient une
allure étrangement différente : ils n’avaient pas l’air d’être chinois, mais
ne ressemblaient pas non plus à de vrais Américains ; tout en étant
conformes au credo de l’Amérique, ils avaient le visage typique de
l’immigrant. (Les Lumières de Hong Kong, p.48.)

Chi Li, peintre de la réalité sociale


Chi Li (1957-), qui vit à Wuhan, est devenue romancière à partir de 1981
après avoir exercé la médecine plusieurs années. Elle se rattache résolument à
la littérature réaliste (jishi wenxue), observant au plus près ses contemporains.
Triste vie, publié en 1987, décrit la vie quotidienne d’un couple d’ouvriers et
ses mille tracas : un logement exigu, l’obligation de faire la queue pour
prendre l’autobus mais aussi pour accéder aux toilettes collectives, les
difficultés insurmontables pour acheter de l’alcool à l’occasion d’un
anniversaire, et bien d’autres complications. Histoire d’un couple encore dans
Trouée dans les nuages, publié dix ans plus tard, des « quadras » qui
semblent parfaitement heureux :
A l’Institut de recherches métallurgiques, ils étaient aussi visibles que
deux étoiles par une claire nuit d’été. On aurait juré, à les voir, que les
dangers, que les catastrophes ne pouvaient survenir qu’à la télévision,
dans les journaux ou dans les commérages. La vie quotidienne n’était
que paix, tranquillité et calme : des existences sages jusqu’à la banalité.
(Trouée dans les nuages, p.19-20.)
Sous l’apparence de cette douceur, un drame se prépare. Les époux se
livrent chaque soir à une série de confessions qui conduisent à la découverte
d’une vie cachée insoupçonnée. L’écrivain sait maintenir un suspens qui
aiguise l’intérêt du lecteur jusqu’au dénouement final.
Pour qui te prends-tu ?, paru en 1995, constitue un témoignage pénétrant
sur l’évolution du mode de vie des habitants d’une grande ville chinoise au
milieu des années 1990. L’art du récit de Chi Li se déploie à plein pour
montrer et analyser les transformations sans précédent que subit la société
chinoise. On y lit même le début de la nostalgie des vieux ouvriers pour les
logements inconfortables qu’ils ont occupés pendant des années – dont une
peinture très noire avait été brossée dans Triste vie :
Quel que soit le regard que les gens des années 1990, parvenus à un
autre stade de l’histoire, portent sur ces Logements rudimentaires, et en
dépit du nombre de gens prêts à tout pour les quitter, le couple formé par
Lu Nigu et Wu Guifen éprouvait pour ce lieu un profond attachement
prolétarien. Ils aimaient cet endroit. Ils aimaient l’odeur de graisse, de
mazout et d’essence qui baignait le quartier. Ils aimaient les ouvriers de
tous âges qui, chaque jour, à l’heure de la sortie des usines regagnaient
leur logis comme un banc de poissons […]. Les époux Lu Nigu et Wu
Guifen avaient déjà signifié à plusieurs reprises à leurs quatre enfants, en
particulier à l’aîné Lu Wuqiao, qu’ils seraient heureux de mourir ici.
(Pour qui te prends-tu ?, p.35-36.)
Dans Soleil levant, paru en Chine en 1990, Chi Li décrit avec minutie la vie
d’un couple et son évolution psychologique à la naissance d’un enfant, dans
le contexte difficile des tracasseries administratives et des tracas matériels qui
sont le lot commun des Chinois ayant décidé de mettre au monde l’enfant
unique autorisé par l’Etat. Elle souligne les contradictions entre les traditions
qui entourent la grossesse et l’accouchement, et les nouveaux modes de
vie114.
Can Xue : l’absurde et l’horreur
Can Xue est une autodidacte née en 1953. Son père journaliste a été
condamné comme droitier après le mouvement des Cent Fleurs en 1957 et
envoyé en camp de rééducation par le travail. Au début des années 1980, elle
fonde un atelier « privé » de couture. Elle commence à écrire en 1983 et à
publier en 1985 des textes qui seront regroupés en 1988 dans un recueil
intitulé Dialogues en paradis. Fortement influencée par l’œuvre de Kafka,
Can Xue bâtit dans ses écrits un monde irréel et changeant, un monde de rêve
et de cauchemar, qui n’est pas sans surprendre, voire choquer, dans le
paysage littéraire de l’époque. L’absurde, le morbide, le scatologique s’y
mêlent comme au début de la nouvelle La Lucarne115 :
Le père d’un de mes collègues brûle des cadavres au crématorium.
Cela fait des années qu’il incinère les morts. Son corps tout entier n’est
plus que cette odeur de crémation. Un jour, les membres de sa famille,
après une discussion à huis clos, ont décidé de l’abandonner. Il vit
depuis lors, solitaire et glacé, dans une hutte, près du crématorium.
D’après ce que j’en sais, il vit ainsi depuis plus de dix ans. Un jour, dans
la matinée, je reçus de lui une lettre étrange ne portant pas le cachet de la
poste. A la place de celui-ci était tracé au crayon un grand squelette ;
pourtant, la lettre arriva dans ma boîte. Le message qu’elle contenait
était bizarre :
Ici, tout va bien. Le ciel est bleu, clément le temps. Dans l’air
fleurissent à foison des pavots ciliés. Les raisins, en grosses grappes,
voltigent dans le brouillard. Chaque nuit, il y a une drôle de danse…
Le père du collègue A. (Dialogues en paradis, p.81-82.)
La lecture des écrits de Can Xue, sorte de vision en négatif de la vie, n’est
pas toujours facile. Des critiques chinois lui ont reproché le caractère répétitif
de ses œuvres116. Il demeure néanmoins qu’elle a su ouvrir une voie pour la
littérature chinoise, en explorant les possibilités offertes par l’absurde,
l’horrible, le cauchemar et l’horreur. C’est grâce au soutien d’écrivains
comme Wang Meng qu’elle a pu poursuivre son travail de création, même si
ce dernier a lui-même déclaré un jour qu’il n’arrivait pas à lire ses textes
jusqu’au bout…
Un autre recueil, La Rue de la Boue Jaune, écrit en 1983, donne une vision
cauchemardesque de la Chine, dont cette rue délabrée constitue une allégorie.
La terre jaune, berceau de la civilisation chinoise, n’est ici qu’une boue non
pas illuminée par le soleil rouge radieux des communistes, mais par un soleil
blafard noyé dans la poussière…

Fang Fang : la noirceur du quotidien


Fang Fang (1955-) est considérée à la fois comme une représentante de la
« littérature expérimentale » et du courant néoréaliste. Ses romans décrivent
la vie quotidienne en milieu urbain, mais son écriture recourt à des procédés
qui tranchent avec ceux qu’utilise traditionnellement le roman réaliste. Son
roman Une vue splendide (1987) est l’histoire – traitée sur un mode quasi
hyperréaliste – d’une famille de neuf enfants logée dans un quartier pauvre de
Wuhan, observée à travers les yeux d’un nouveau-né mort à l’âge de deux
semaines et enterré sous la fenêtre. Ce récit noir et glacial se termine
cependant sur une note plus douce, avec cette remarque de l’enfant dont la
sépulture va être déplacée en raison de travaux de rénovation urbaine :
Je sais que je ne peux plus rester avec Père et Mère. Plus de vingt ans
de doux bonheur. J’ai joui d’un amour familial si chaleureux, si
chaleureux. Cette douce couche de terre qui enveloppe mon fragile petit
corps. Et ces fleurs rouges resplendissantes comme le feu qui sont en
train d’éclore sur cette terre chaude. (Une vue splendide, p.153.)
Soleil du crépuscule, publié en 1991, est la peinture mordante d’une famille
dans une grande ville de Chine. Le suicide raté d’une grand-mère fait
apparaître la méchanceté, l’opportunisme et le cynisme de ses deux fils qui
voudraient par tous les moyens abréger sa vie.
La noirceur et la violence des récits de Fang Fang rappellent Can Xue, mais
peut-être ont-ils une force plus grande encore, car ils s’appuient sur une
réalité décrite avec minutie et non sur des visions oniriques et
cauchemardesques.

Mian Mian et Weihui : les scandaleuses de Shanghai


La parution en 2000 des écrits de ces deux jeunes femmes a provoqué en
Chine un scandale assorti de leur interdiction, ce qui, naturellement, a fait
augmenter le chiffre des ventes. Car malgré la censure, en 2000, il était facile
de se procurer à Shanghai même les deux romans en question : Les Bonbons
chinois117 de Mian Mian (1970-), et Shanghai Ba by de Weihui (1973-).
Après La Capitale déchue de Jia Pingwa, qui volontairement censurait les
passages les plus osés de son œuvre, les deux femmes décrivent sans tabou
leur vie sexuelle et n’hésitent pas à évoquer les dérives de leur existence vers
la drogue et la folie. L’une, Mian Mian, a accusé l’autre, Weihui, de plagiat,
ce qui n’a pas manqué d’accroître la notoriété dont elles jouissaient. En
France, la sortie des traductions de leurs livres était accompagnée d’une
campagne de presse intense et de la venue en personne des auteurs.
Originaire du Zhejiang, Weihui est diplômée de chinois de l’université
Fudan de Shanghai. Après avoir obtenu son diplôme en 1995, elle a exercé
plusieurs métiers : journaliste, animatrice d’une station de radio, serveuse
dans un café, publicitaire. Dans un entretien accordé à une revue de Hong
Kong, elle s’explique sur sa démarche :
En écrivant Shanghai Baby, je n’avais pas du tout l’intention d’attirer
le lecteur par des descriptions érotiques. J’ai voulu exprimer la réalité et
la folie de la jeune génération. […] Je mène une vie tout à fait courante.
Les critiques aiment exagérer le côté décadent et coller des étiquettes à
tort et à travers. Ils négligent la part de vérité, de passion et d’esthétisme
que contient le roman. Ils disent toujours que cette génération mène une
vie dépravée, dingue et chaotique, mais je préfère mettre en avant nos
points forts : nous sommes autonomes, passionnés et créatifs. C’est cela
le plus important118.
Chaque chapitre de Shanghai Baby de Weihui est introduit par une citation
placée en exergue, qui multiplie les références à l’Occident, de Duras à
Ginsberg, de Bob Dylan à Virginia Woolf, d’une chanson des Beatles à
Brecht ! Le récit porte sur les amours tumultueuses d’une jeune femme
shanghaïenne « branchée » en train d’écrire un roman, dont l’amant chinois
est impuissant, tandis que l’ami allemand est une « bête de sexe ». La
romancière s’interroge sur ses relations avec son héroïne, posant le problème
de l’autobiographie :
J’ai toujours considéré que l’écriture était un acte plein d’imprévus et
de suspense, qui relève de la sorcellerie. L’héroïne de mon roman ne
veut pas d’une vie ordinaire et en cela elle me ressemble. Elle est
ambitieuse, a deux hommes dans sa vie et n’a jamais connu de
tranquillité d’esprit. Une chose lui importe, jouer les sangsues et vider la
vie de son suc, de ses plaisirs secrets, de ses blessures inconscientes, de
ses passions spontanées et de ses désirs éternels. Comme moi, elle a peur
d’aller en enfer, de ne plus voir de films, de ne plus porter de chemises
de nuit soyeuses, de ne plus entendre les meilleurs de ses vinyles et
d’étouffer d’ennui. (Shanghai Baby, p.119-120.)
Dans le cadre de la Shanghai de la fin des années 1990 évolue une galerie
de personnages qui passent leur temps en soirées entrecoupées de happenings
ou en vernissages d’expositions d’art occidental d’avant-garde.
Le roman de Mian Mian, Les Bonbons chinois, paraît plus authentique,
moins sophistiqué que celui de Weihui. L’auteur, née à Shanghai en 1970, a
commencé à écrire à l’âge de dix-sept ans, après avoir abandonné ses études
pour partir à Shenzhen, la ville bâtie de toutes pièces entre Canton et Hong
Kong, symbole de la nouvelle politique économique de la Chine, où elle a
connu la drogue et une vie dissolue. Après deux cures de désintoxication,
c’est bien son expérience qu’elle raconte dans ce roman, un texte très sombre,
désespéré, dont elle dit pourtant :
Mon œuvre n’est pas autobiographique. C’est un roman. Je n’ai pas
envie d’être le porte-parole de la vie citadine alternative. J’ai toujours
voulu écrire pour démontrer que ces jeunes filles sans cesse en butte aux
discriminations doivent, elles aussi, avoir un printemps. […] Je suis
vraiment contre ce qui est décrit, c’est-à-dire ces habitudes de vie
dangereuse. Une lecture attentive de mon roman permet d’ailleurs de
bien le comprendre119.
La publication de ces deux romans et leur interdiction, qui n’a pas entravé
leur succès, sont de véritables phénomènes de société révélateurs à la fois de
l’évolution extraordinaire de la littérature chinoise en une vingtaine d’années
et de l’incapacité pour la censure d’empêcher la parution des œuvres qui la
dérangent120. Ils reflètent aussi l’état de la société shanghaïenne qui est passée
en quelques années dans une « postmodernité » effrénée aussi visible dans
son architecture que dans sa littérature ou ses arts plastiques.
108 On lira : Ding Ling, La Grande Sœur, traduit par Chantal Gressier et Ah Su, Paris, Flammarion,
1980; Xiao Hong, Des âmes simples, traduit par Anne Guerrand-Breuval, Paris, Arléa, 1995 ; Bing Xin,
Poèmes de Ping Hsin, traduit par Anne Cheng, Paris, Publications orientalistes de France, 1979.
109 Traduit dans L’Impitoyable.
110 Voir Michel Bonnin, préface à L’Impitoyable, p.9.
111 Voir Noël Dutrait, « L’écriture comme respiration, entretien avec Zhang Kangkang »,
Perspectives chinoises, n°60, juillet-août 2000, p.72. Dans son ouvrage Génération perdue, Michel
Bonnin cite à plusieurs reprises des œuvres de Zhang Kangkang qui jettent un regard très perspicace sur
le mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne.
112 Voir Noël Dutrait, « L’écriture comme respiration… », op. cit., p.70.
113 La trilogie de Wang Anyi, Huangshan zhi lian (Amour dans une montagne dénudée), Xiaocheng
zhi lian (Amour dans une petite ville), Jinxiugu zhi lian (Amour dans une vallée brodée d’or), a été
traduite en anglais, mais pas en français. De nouvelles traductions de romans de Wang Anyi seront
publiées aux Editions Philippe Picquier en 2006, dont Changhen ge (Chant des regrets éternels).
114 A propos de Chi Li, mais aussi de Fang Fang ou Liu Zhenyun, voir « La rhétorique néoréaliste
de Chi Li », dans Yinde Zhang, Le Monde romanesque chinois au XXe siècle, p.359-377.
115 Dans Dialogues en paradis.
116 Cités dans Bonnie S. McDougall & Kam Louie, op. cit., p.410.
117 La traduction des Bonbons chinois est faite d’après une version publiée à Taibei. Elle est très
différente de l’édition publiée à Pékin en 2000, dans laquelle manquent les passages les plus crus
concernant les relations sexuelles.
118 Voir Jiang Xun, « Jeunes, belles et libérées », article du Yazhou zhoukan traduit dans Courrier
international, n°507, 20-26 juillet 2000, p.33.
119 Voir Jiang Xun, « Jeunes, belles et libérées », op. cit., p.33.
120 Les sites de jeunes citadines qui se disent écrivains fleurissent sur Internet. Elles remportent
beaucoup de succès en étalant au grand jour leur vie amoureuse et leurs activités sexuelles. Cette
« littérature sur Internet », qui échappe largement à la censure, est bien représentée par le livre de Mu
Zimei, Journal sexuel d’une jeune Chinoise sur le net, qui, s’il constitue un certain phénomène de
société, ne présente guère de qualités littéraires (traduit par Catherine Charmant, Albin Michel, 2005).
LE PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE 2000 :
GAO XINGJIAN

Une distinction très convoitée


« En cette fin de XXe siècle, un objectif reste à l’horizon des ambitions des
écrivains chinois : monter sur la tribune pour recevoir le prix Nobel de
littérature121 », écrivait en 1998 Yan Chunde, spécialiste de littérature
chinoise contemporaine. Depuis sa création en 1901, cette prestigieuse
récompense n’avait jamais été attribuée à un écrivain chinois. Les noms de
plusieurs d’entre eux avaient été prononcés : Lu Xun (1881-1936) qui avait
affirmé qu’il refuserait le prix, car il considérait qu’il concernait
essentiellement les Occidentaux, Lao She (1899-1966), Shen Congwen
(1902-1988), Ba Jin (1904-2005), et, pour la période contemporaine, Bei
Dao, considéré comme grand favori pendant plusieurs années, Wang Meng et
Bai Xianyong. L’entrée à l’Académie suédoise en 1987 du sinologue suédois
Göran Malmqvist, traducteur à la fois de littérature chinoise classique et
contemporaine, avait laissé présager que cette institution allait davantage
s’intéresser à la Chine…

« Une œuvre de portée universelle »


Pourtant, le 10 octobre 2000, l’attribution du prix Nobel à Gao Xingjian
« pour une œuvre de portée universelle, marquée d’une amère prise de
conscience et d’une ingéniosité langagière, qui a ouvert des voies nouvelles à
l’art du roman et du théâtre chinois122 », a provoqué une immense surprise,
aussi bien en Occident où Gao Xingjian restait peu connu, qu’en Chine où ses
œuvres étaient soit interdites soit oubliées. La réaction officielle des autorités
chinoises ne s’est pas fait attendre : dès le 14 octobre, une dépêche de
l’Agence Chine Nouvelle indiquait que, dans une conférence de presse, un
responsable de l’Association des écrivains avait déclaré que cette récompense
avait des visées politiques et non littéraires. Même si les réactions
personnelles des écrivains chinois furent diverses – Mo Yan et Wang Shuo
applaudirent de bon cœur –, officiellement, ce prix Nobel était vécu comme
une offense envers la Chine. En revanche, à Taiwan, Gao Xingjian était
honoré avec enthousiasme par les autorités gouvernementales et
universitaires, tandis qu’à Hong Kong, il était fait docteur honoris causa de la
prestigieuse Chinese University.
L’attribution du prix Nobel de littérature de l’an 2000 à un écrivain de
langue chinoise, tout en déclenchant une violente polémique aussi bien dans
les revues de Taiwan que de Hong Kong, constituait cependant un immense
encouragement pour les écrivains chinois. La littérature de langue chinoise
prenait enfin une dimension internationale, et rien n’empêchait de penser
qu’à l’instar du Japon, de l’Irlande et d’autres pays, la communauté
sinophone puisse « décrocher » un autre prix Nobel de littérature dans les
années à venir.
Nous avons vu plus haut comment Gao Xingjian, au début des années 1980,
avait contribué à l’introduction de nouveaux procédés littéraires dans le
roman chinois. La distinction qui l’a couronné en l’an 2000, ainsi que
l’abondance et la qualité des œuvres produites après son départ de Chine
justifient que l’on s’attarde plus en détail sur son œuvre théâtrale et
romanesque.

La Fuite
Invité par une fondation allemande en 1987, Gao Xingjian s’installe à Paris
dès 1988. En prise directe sur les événements de 1989, il écrit une pièce de
théâtre, La Fuite, commandée par un théâtre américain mais refusée, car elle
ne glorifie pas suffisamment les étudiants qui ont animé le mouvement de la
place Tian’anmen, et l’auteur refuse de la transformer123. Gao Xingjian a
souvent affirmé par la suite que du temps où il était en Chine, le Parti
communiste n’était pas parvenu à lui faire changer une ligne de ce qu’il
écrivait et que ce n’était pas hors de Chine qu’il allait commencer. La Fuite
met en scène trois personnages, le jeune homme de vingt ans, la jeune fille de
vingt-deux vingt-trois ans et l’homme de quarante ans, quelque part au cœur
d’une grande ville, dans un entrepôt désaffecté, sur fond de bruits de tanks en
marche et de tirs automatiques de fusils d’assaut. L’action se situe après le
massacre et analyse la psychologie du jeune couple étudiant et de l’homme,
un écrivain désabusé. A l’homme, qui dit presque à la fin de la pièce :
Je ne crains pas particulièrement la mort. Ce qui m’effraie, c’est le
désespoir… Le désespoir avant la mort, qui pousse les gens à s’entre-
déchirer dans une sorte de danse hystérique.
la jeune fille répond :
Ce qui te fait peur, c’est toi-même ! Tu peux fuir n’importe où :
jamais tu ne pourras échapper à toi-même ! Tu as peur de la solitude,
comme la plupart des gens. En fait, tu n’es rien d’autre qu’un grand
enfant qui a besoin d’être consolé. (La Fuite, p.60.)
Cet éloge de la fuite et cette introspection de l’individu au lendemain d’un
immense mouvement collectif (l’occupation de la place Tian’anmen) ont
choqué tout à la fois ceux qui avaient pris fait et cause pour les manifestants,
et les dirigeants du Parti qui y ont vu une reconnaissance du mouvement de
contestation par un écrivain célèbre. Gao Xingjian se trouvait donc
totalement et doublement isolé.
Au bord de la vie, écrite en français en 1993, met en scène trois
personnages : la femme, le clown, la danseuse. Gao Xingjian reprend un
procédé qui lui est cher : le personnage féminin monologue à la troisième
personne. La pièce commence sur ces mots :
Elle dit qu’elle est lasse ; elle dit ne plus pouvoir le souffrir, ne plus
du tout pouvoir le souffrir. […]
Elle dit qu’elle ne comprend pas ce qui a pu l’attacher à lui, la retenir.
Leurs liens sont si rudes, si distants, si irritables, si tendus, si drus,
qu’elle veut qu’enfin tout se délie. Son esprit a failli se rompre, oui, son
esprit ou plutôt son énergie… L’esprit ou l’énergie, n’est-ce pas la
même chose ? Ne pas jouer sur les mots ! Il doit l’entendre. (Au bord de
la vie, p.9.)
Et tout le texte se déroule ainsi, ponctué des réactions et mimiques de
l’homme, simple pantin devant la femme. Une danseuse intervient parfois,
comme si elle représentait un mode d’expression autre que la parole : le
langage corporel.

La Montagne de l’Ame
Les thèmes qui traversent le théâtre de Gao Xingjian : la fuite, la recherche
des souvenirs, la séparation dans le couple, le déchirement, les visions
oniriques, et bien d’autres, sont présents dans le roman La Montagne de
l’Ame, écrit entre 1982 et 1989, commencé à Pékin et achevé à Paris, qui
constitue son œuvre maîtresse. Ce roman n’a pas été publié en Chine, il a été
très peu lu par les Chinois, même à Taiwan où il a paru en 1990 et s’est
vendu en un très petit nombre d’exemplaires jusqu’à l’obtention du prix
Nobel. Le paradoxe est qu’il a eu sans doute plus de succès à l’étranger qu’en
Chine même. Est-ce parce que Gao Xingjian, résolument « moderniste »
depuis la publication du Premier essai sur l’art du roman moderne, avait une
approche des problèmes du roman plus occidentale qu’orientale ? Est-ce
parce que le contenu du roman apportait plus aux Occidentaux qu’aux
Orientaux ? Il est certain que son aspect autobiographique a sans doute séduit
les lecteurs occidentaux, alors que les lecteurs chinois avaient déjà eu de
nombreuses occasions de lire des témoignages assez proches.
La Montagne de l’Ame constitue une sorte de roman total qui utilise aussi
bien les caractéristiques du roman traditionnel (en chinois, xiaoshuo, c’est-à-
dire « menus propos » ou « discours mineur124 ») : récits de voyages, légendes
populaires, contes anciens, notes au fil du pinceau, que celles du roman
occidental contemporain : utilisation des pronoms personnels – « je », « tu »,
« il », « elle », jamais « nous » – à la place de noms de personnages,
monologue intérieur, abandon de l’intrigue, recours à l’écriture automatique,
« courant de langage » que Gao Xingjian substitue au « courant de
conscience ».
Tu lui demandes de quoi elle a peur.
Elle dit qu’elle ne sait pas le dire, elle dit aussi qu’elle a peur du noir,
qu’elle a peur de sombrer.
Ensuite, ce sont les joues brûlantes, les langues de feu sautillantes,
aussitôt englouties par les ténèbres, les corps qui se tordent, elle te dit
doucement, elle crie qu’elle a mal ! Elle se débat, te traite de bête
sauvage ! Elle est traquée, chassée, déchirée, avalée. Ah… cette
obscurité dense, tangible, ce chaos fermé, ni ciel ni terre, ni espace ni
temps, ni être ni non-être, ni être de l’être, le feu brûlant du charbon de
bois, les yeux humides, la caverne ouverte, […] le voleur de feu s’est
enfui, au loin la torche entre dans le noir, elle diminue, la flamme n’est
plus qu’un petit point vacillant dans la bise. Elle s’éteint.
J’ai peur, dit-elle.
De quoi ?
Je n’ai pas peur de quelque chose, mais je veux dire que j’ai peur. (La
Montagne de l’Ame, p.165-166.)
A sa sortie en France en 1995, La Montagne de l’Ame a reçu un excellent
accueil de la part de la critique et a connu un succès de librairie peu habituel
pour un roman chinois contemporain125.

Le Livre d’un homme seul


En 1999, Gao Xingjian publie à Taiwan un nouveau roman, écrit en France,
Le Livre d’un homme seul. Bien qu’il eût maintes fois déclaré qu’avec La
Montagne de l’Ame, il avait réglé ses comptes avec la nostalgie du pays natal,
Gao Xingjian, naturalisé français en 1998, éprouve le besoin de revenir à
l’histoire de son pays d’origine. Le héros du Livre d’un homme seul, comme
dans La Montagne de l’Ame, est désigné tantôt par le pronom « il », tantôt par
le pronom « tu » – « je » a disparu. « Il » représente le personnage
d’autrefois, celui qui vivait en Chine, « tu » le personnage actuel, celui qui
tente de s’adapter à sa nouvelle vie. Le protagoniste rencontre une jeune juive
allemande, Marguerite, qui le pousse à raconter son passé et même à l’écrire.
Elle le contraint à une sorte de « devoir de mémoire » que lui-même voudrait
refuser, puisqu’il s’interdit de se poser en héros ou en donneur de leçons.
L’« accouchement » est douloureux, mais il est possible grâce à la volonté de
raconter et au travail sur la langue :
Tu es en quête d’un mode de description très simple, tu t’apprêtes à
recourir à la langue la plus limpide pour exposer la vie telle qu’elle est,
totalement polluée par tout un fatras politique, et ce n’est pas facile non
plus. (Le Livre d’un homme seul, p.202.)
Le résultat est un réquisitoire implacable contre le régime qui domine la
Chine depuis 1949 et refuse toute liberté à l’individu. C’est également un
roman de la douleur de l’homme, seul dans ses choix, qui n’obtient de soutien
que de lui-même.

La Raison d’être de la littérature


Le communiqué de presse de l’Académie suédoise publié le 12 octobre
2000 soulignait l’importance de La Montagne de l’Ame, mais précisait que
l’ensemble de l’œuvre de Gao Xingjian était récompensé : essais théoriques,
nouvelles, romans ou pièces de théâtre. Après avoir insisté sur l’originalité de
La Montagne de l’Ame – « un roman qui ne peut être comparé à nul autre » –,
le communiqué mettait l’accent sur la force de dénonciation du Livre d’un
homme seul. La part érotique de l’œuvre de Gao Xingjian était aussi
remarquée : « Les thèmes érotiques donnent à ses textes une tension
fiévreuse, et la chorégraphie de la séduction constitue le motif de plusieurs
d’entre eux. En cela, il est l’un des rares écrivains masculins à accorder le
même poids à la vérité de la femme qu’à la sienne propre. »
Apprécié et reconnu depuis longtemps par un petit nombre d’admirateurs,
l’écrivain et peintre Gao Xingjian126 acquérait soudain une notoriété
mondiale, tandis que ses livres devenaient des best-sellers tant dans leur
version chinoise qu’en langues étrangères. Pressé de prendre position sur la
situation politique de la Chine et sur le débat engendré par l’attribution du
prix, Gao Xingjian s’est tenu à quelques idées phares exprimées dans son
discours de réception à Stockholm prononcé en décembre 2000, qu’il a
intitulé La Raison d’être de la littérature : le drame de la littérature chinoise
est d’avoir été, depuis le début du XXe siècle, littéralement polluée par la
politique. La littérature peut aborder tous les sujets sans exception – y
compris politiques –, mais ne doit pas être assujettie à la politique. A partir du
moment où les écrivains chinois ont pu se dégager de ce fardeau, ils ont été
capables de créer de grandes œuvres. La création littéraire est un acte solitaire
qui ne doit pas devenir un moyen de subsistance.

L’après-Nobel
Après l’obtention du prix Nobel de littérature, Gao Xingjian a entamé sa
« troisième vie », comme il le dit lui-même127. Pris dans le tourbillon
médiatique auquel il se prête volontiers, il doit répondre à d’innombrables
sollicitations. Il effectue un voyage à Hong Kong et son passage dans cette
« zone administrative spéciale » qui a été rétrocédée à la Chine continentale
en 1997 ne laisse pas la presse indifférente, mais lui-même préfère déclarer
qu’il n’est là qu’à titre personnel et que sa visite n’a aucun caractère
politique. Il se rend ensuite à Taiwan où il est reçu en véritable héros
national. L’ensemble des forces politiques de l’île font taire leurs disputes
pour lui réserver un accueil triomphal qui contraste avec la froideur et la
réprobation que les autorités continentales ont affichées au moment de la
proclamation du prix.
Pour le centenaire du prix Nobel, Gao Xingjian a prononcé en 2001 un
discours à l’Académie suédoise, intitulé « Le témoignage de la littérature, la
recherche du réel ». Il reprend les thèmes qu’il avait énoncés lors de son
discours de réception du prix un an plus tôt et conclut de manière
relativement apaisée :
Bien que les hommes aient autant de difficultés à se comprendre entre
eux, bien qu’ils soient enfermés dans leur propre expérience, le recours à
la littérature leur offre une certaine communication, et cette écriture
littéraire, qui à l’origine était dénuée de toute motivation, leur laisse
finalement un témoignage de l’existence. Si la littérature conserve
encore un sens, c’est sans doute celui-ci. (Le Témoignage de la
littérature, p.158.)
En 2001, une rétrospective de son œuvre picturale était organisée au palais
des Papes à Avignon et ses pièces de théâtre étaient jouées en marge du
festival. Un peu plus tard, la Ville de Marseille décidait que l’année 2003
serait l’« Année Gao à Marseille ». Une exposition de ses peintures eut lieu
au Centre de la Vieille-Charité, accompagnée de la publication d’un
catalogue intitulé L’Errance de l’oiseau, titre d’un de ses poèmes. La pièce
Le Quêteur de la mort était créée à Marseille à cette occasion. La même
année, Quatre quatuors pour un week-end était joué à la Comédie-Française.
Mais Gao Xingjian avait eu dès 2002 la possibilité de réaliser un rêve
ancien : monter une pièce de théâtre comptant de très nombreux acteurs,
mêlant techniques théâtrales, musiques et techniques d’Orient et d’Occident.
La Commission culturelle de Taiwan avait décidé de lui fournir tous les
moyens nécessaires à la création de La Neige en août, une pièce écrite
quelques années plus tôt, qui retrace la vie de Huineng, le Sixième Patriarche,
père du bouddhisme Chan. Jouée par les plus grands acteurs de l’opéra de
Pékin résidant à Taiwan, mise en scène par Gao Xingjian lui-même, sur une
musique d’un compositeur de Chine continentale résidant à Paris, Xu Shu-ya,
sous la direction d’un chef d’orchestre français, La Neige en août a été créée
en décembre 2002 à Taibei et donnée à l’Opéra de Marseille en janvier 2005.
La création d’un opéra chanté en chinois sur une musique très influencée
par la musique occidentale (Wagner, Ravel, Messiaen…), ayant pour thème
un grand personnage de la tradition bouddhiste et écrit par le premier prix
Nobel de littérature de langue chinoise restera symbolique de la diversité
culturelle induite par la mondialisation du début du XXIe siècle. La création
de La Neige en août est un événement majeur dans l’histoire des arts et lettres
de langue chinoise puisqu’elle a marqué la naissance d’un nouvel opéra
chinois128.

121 Voir Littérature chinoise, état des lieux et mode d’emploi, op. cit., p.37.
122 Communiqué de presse de l’Académie suédoise du 12 octobre 2000.
123 La plupart des pièces de théâtre écrites en français de Gao Xingjian sont publiées par les éditions
Lansman en Belgique. En 2004 a paru aux éditions du Seuil Le Quêteur de la mort, suivi de L’Autre
Rive et La Neige en août, traduites du chinois.
124 Pour une définition du roman à l’époque classique, voir André Lévy, La Littérature chinoise
ancienne et classique, Paris, PUF, Que sais-je ?,1991, le chapitre IV : « La littérature de
divertissement : roman et théâtre ».
125 Voir Noël Dutrait, « La réception littéraire de deux écrivains chinois contemporains, A Cheng et
Gao Xingjian », dans France-Asie: un siècle d’échanges littéraires, textes rassemblés et présentés par
Muriel Détrie, Paris, You Feng, 2001.
126 Les conceptions esthétiques de Gao Xingjian sont exposées dans un album de reproductions de
ses peintures à l’encre de Chine, Pour une autre esthétique, Paris, Flammarion, 2000.
127 Gao Xingjian se plaît à dire que sa première vie allait de sa naissance à son départ définitif pour
l’étranger en 1987, la deuxième jusqu’au prix Nobel et la troisième après celui-ci.
128 Voir N. Dutrait, « La naissance d’un opéra d’expression chinoise, La Neige en août de Gao
Xingjian », Perspectives chinoises, n°75, janvier-février 2003, p.71-74, repris dans La Neige en août,
Arles, Opéra de Marseille/Actes Sud, 2005. Voir aussi L’Ecriture théâtrale et romanesque de Gao
Xingjian , actes du colloque qui s’est tenu en janvier 2005 à Aix-en-Provence, Paris, Seuil, 2006.
LA LITTÉRATURE DE TAIWAN ET DE HONG KONG

Une richesse à explorer


La scène littéraire taiwanaise est particulièrement riche, animée à la fois par
les écrivains de souche qui revendiquent leur identité insulaire – parfois
même par des écrivains d’origine non chinoise, aborigènes –, par des
écrivains d’origine continentale, arrivés en même temps que le Guomindang
dans l’île en 1949 ou ultérieurement, enfin par les écrivains de la « diaspora »
vivant aux Etats-Unis ou dans d’autres pays d’Asie mais qui ont une
influence considérable sur la littérature taiwanaise. Le fait que ces écrivains
aient été très tôt en contact avec l’Occident et n’aient pas eu à subir les
diktats et la censure du pouvoir communiste – même si la censure du pouvoir
nationaliste n’avait rien à envier à celle du continent jusqu’à l’abrogation de
la loi martiale en 1987129 – confère son originalité à la littérature taiwanaise
au sein de la littérature chinoise. Enfin, depuis 1985, les relations culturelles
étant de nouveau autorisées e n t re les deux rives du détroit de Taiwan, on
assiste, du côté continental, à un fort engouement pour la littérature de
Taiwan, et du côté taiwanais à un grand intérêt pour la littérature du
continent. L’ouvrage publié en 1994, Sishinianlai Zhongguo wenxue130 (La
Littérature chinoise depuis quarante ans), fruit d’un colloque qui a réuni des
écrivains et critiques littéraires des deux rives en 1993 à Taibei, a permis de
faire le point sur ces littératures.
A Taiwan, un renouveau de la littérature se dessine en 1956 avec la création
de la revue Xiandai wenxue (Littérature moderne), où s’expriment de jeunes
talents comme Chen Ruoxi ou Bai Xianyong. Dans les années 1960, les
écrivains en réaction contre les « modernistes » qui se revendiquent avant
tout comme taiwanais produisent ce que l’on a appelé la « littérature du
terroir » (xiangtu wenxue). Un phénomène comparable au courant de la
« recherche des racines » apparu sur le continent vingt ans plus tard. En fait,
cette « littérature du terroir » s’appuyait sur un réalisme qui a conduit certains
écrivains à dénoncer la situation de l’île, s’attirant parfois de graves
condamnations de la part des autorités.

Bai Xianyong et Gens de Taipei


L’un des écrivains phares de la littérature taiwanaise – et sans doute de la
littérature chinoise dans son ensemble – est Bai Xianyong. Il est né en 1937 à
Guilin dans le Sud de la Chine, son père était un général du Guomindang qui
s’est réfugié à Taiwan en 1949. En 1963, il part faire ses études aux Etats-
Unis où il s’installe. En 1971, il publie un recueil de nouvelles, Gens de
Taipei, que le sinologue allemand Helmut Martin n’hésite pas à qualifier
comme « l’un des événements majeurs dans la création littéraire chinoise
après la guerre131 ». Les quatorze nouvelles de Gens de Taipei, écrites dans la
deuxième moitié des années 1960, constituent une galerie de portraits de
Taiwanais encore mal remis d’avoir perdu leur terre natale, la Chine
continentale. Les souvenirs d’autrefois se mêlent avec la réalité de Taiwan
qui entre dans la modernité une vingtaine d’années plus tôt que le continent.
Garçons de cristal132, publié en 1983, est l’histoire de jeunes garçons qui se
prostituent dans les parcs de Taibei. Ce roman sur l’homosexualité
déclenchera de vives controverses, à la suite desquelles Bai Xianyong
réclamera la reconnaissance du droit à l’existence des homosexuels à Taiwan.
L’atmosphère qui se dégage de ce roman est étrange : les enfants qui
fréquentent un parc de Taibei pour se vendre cherchent en même temps à
retrouver une famille et à créer une certaine solidarité.
Notre royaume ne connaît que la nuit noire. Il ignore le jour. Dès que
le soleil s’éclaire, notre royaume se cache, car c’est un Etat on ne peut
plus illégal : nous n’avons ni gouvernement ni constitution. Nul ne nous
reconnaît ni ne nous respecte. Notre nation ressemble à la cohue d’un
rassemblement de corbeaux. Il nous arrive de nous choisir un chef – une
personne âgée et honorable qui présente bien, qui a de l’allure, un
caractère amène, mais, désinvoltes, nous sommes aussi prêts à le
renverser si tel est notre bon plaisir, car nous sommes une population qui
adore le nouveau, déteste les vieilleries, et non pas un peuple de bonne
conduite. (Garçons de cristal, p.15.)

Wang Wenxing et Processus familial


Wang Wenxing, né au Fujian en 1939, est considéré, avec Bai Xianyong,
comme le second « père » de la littérature taiwanaise moderne. Bien qu’ayant
fort peu écrit (deux romans et un recueil de nouvelles133), il a su, dans
Processus familial, publié à Taibei en 1972, introduire des innovations qui
ont déclenché critiques et polémiques : sur le fond, il osait remettre en cause
la sacro-sainte piété filiale qui caractérise la société taiwanaise pétrie de
confucianisme – un fils se révolte contre son père –; sur la forme, il
construisait le récit de façon ingénieuse, faisant alterner de courts chapitres,
« numérotés » de A à O, qui concernent le temps présent, avec cent
cinquante-sept chapitres qui décrivent l’évolution du fils dans son rapport au
père. Loin de donner une tonalité « fabriquée » au récit, cette structure
originale le rend très attirant. Tout aussi surprenant : Wang Wenxing utilise,
pour noter des onomatopées, des lettres de l’alphabet latin, ainsi que des
lettres de l’alphabet phonétique en usage à Taiwan. Naturellement, ces
curiosités typographiques ne peuvent être rendues par la traduction. Mais l’
auteur entendait montrer ainsi à la fois sa « modernité » et son appartenance à
Taiwan – puisque cet alphabet phonétique n’est utilisé que dans l’île.

Huang Fan et Zhang Dachun : regards sur la société taiwanaise


Huang Fan (né en 1950 à Taibei) commence à écrire dans la mouvance de la
« littérature du terroir » avant de passer à une littérature plus urbaine. Son
court roman L e Goût amer de la charité, couronné par le prestigieux prix du
quotidien Lianhebao en 1984, permet de prendre toute la mesure du passage à
la modernité de la société taiwanaise. Un jeune étudiant d’une petite
bourgade de province arrive à Taibei pour faire ses études. Logeant dans un
immeuble où vivent des hommes et des femmes d’origines sociales très
différentes, il découvre la réalité de la société en même temps que l’amour.
La propriétaire de l’immeuble cède par héritage chacune des chambres à
chacun de ses locataires. Ainsi, à sa mort, tous se trouvent dans l’obligation
de cohabiter. Naturellement, la discorde s’installe ; c’est le « goût amer de la
charité ».
Zhang Dachun (1957-), quant à lui, jette un regard mordant plein d’ironie
sur la société qui l’entoure : par exemple, dans La Stèle du général, sur les
vieux généraux du Guomindang dont le pouvoir disparaît peu à peu. A
Taiwan, il brise un autre tabou, en s’attaquant à la personne même du
président de la République, Li Denghui, dans un roman politique qui a
déclenché des polémiques : Sahuang de xintu (Le Disciple du mensonge).
Zhang Dachun dérange et certains l’accusent de vouloir à tout prix imiter les
Occidentaux134.

Li Ang la provocatrice
Elle fait régulièrement scandale sur la scène littéraire et politique de
Taiwan. Li Ang (1952-), chef de file des féministes, publie en 1983 La
Femme du boucher135. Partant d’un fait divers qui avait défrayé la chronique
– une femme victime quotidiennement de la violence de son mari finit par le
tuer –, Li Ang met en scène un homme fruste, un boucher qui prend un plaisir
évident à égorger les porcs, alors que, dans la mentalité traditionnelle
taiwanaise, un bon bouddhiste ne doit pas tuer des animaux ; le boucher
transgresse donc les tabous religieux dans sa vie quotidienne. De la même
manière, persuadé de la supériorité de l’homme sur la femme, il n’hésite pas
à violenter son épouse sans craindre le qu’en-dira-t-on, y prenant le même
plaisir qu’à tuer les animaux. Les commentateurs littéraires ont vu dans ce
roman une critique radicale de la société taiwanaise et de ses valeurs
hypocrites. En outre, alors qu’il est prouvé qu’elle était maltraitée, la jeune
femme sera quand même condamnée à mort après avoir été promenée dans
les rues de la ville, ligotée à l’arrière d’une fourgonnette. Le livre connut un
grand succès et fut couronné par le prix littéraire du Lianhebao. Il commence
sous la forme d’un article de journal rapportant le fait divers et qui se conclut
ainsi :
Un tel spectacle (le fait de faire défiler la condamnée à mort dans la
ville) est néanmoins toujours salutaire. Montrer ainsi aux masses une
perverse qui a tué son mari, même si elle n’était pas coupable d’adultère,
permet de conforter la morale, qui en a bien besoin, en ces temps
incertains où des femmes réclament, à l’instar des Occidentales, une
quelconque égalité avec les hommes, voulant, par exemple, faire des
études dans des écoles étrangères, et apparaître ainsi au grand jour,
faisant fi des principes millénaires qui ont toujours régi le comportement
des femmes vertueuses. (La Femme du boucher, p.7.)
Depuis, Li Ang ne cesse de faire parler d’elle. Son recueil de nouvelles
Beigang xianglu renren cha (Chacun peut se brancher dans le brûle-parfum
de Beigang136) a connu un succès considérable ; à sa sortie, on le trouvait
dans la moindre petite épicerie de campagne. Dans le texte qui donne son
nom au recueil, elle décrit sans états d’âme comment une femme politique
parvient à ses fins en se servant de son corps pour corrompre les hommes qui
se dressent sur son passage. La large place occupée par les descriptions
réalistes de scènes sexuelles explique en partie le succès commercial de
l’œuvre. Violemment attaquée, Li Ang se défend en arguant que ce qu’elle
écrit concerne le domaine littéraire et non le domaine politique137.
Deux romans de Li Ang parus en 2003 et 2004 donnent l’occasion aux
lecteurs français d’apprécier le talent de cet écrivain et la qualité de son
écriture : Le Jardin des égarements, livre de la mémoire et de la passion
amoureuse, constitue un magnifique récit dans lequel est évoquée la place de
la femme dans la société taiwanaise postmoderne, tandis que Nuit obscure
dénonce avec force les dérives de cette même société.

Taiwan entre modernité et postmodernité


Hormis ces écrivains plus provocateurs, il existe à Taiwan un monde
littéraire très vivant qui traite en termes plus mesurés de la condition humaine
à la fin du XXe siècle. Les femmes sont présentes dans cette réflexion,
notamment Zhu Tianwen (1956-), scénariste de Hou Hsiao-hsien. Dans
Shijimo de huali (Beauté de fin de siècle138), publié en 1990, Zhu Tianwen
s’attache aux aspects matériels de la modernité et de la postmodernité : la
mode, les parfums, les biens d’équipement, dans une société qui, vingt ans
plus tôt, était presque entièrement rurale. Taiwan est devenue l’un des pays
les plus riches, qui a su accéder à un mode de vie démocratique ; les
Taiwanais voyagent dans le monde entier et sont confrontés aux valeurs les
plus éloignées des leurs : la libération de la femme, l’homosexualité assumée
au grand jour, la redécouverte de la Chine continentale, autant de thèmes qui
font basculer leur littérature dans la postmodernité139.
Un autre trait de la littérature taiwanaise réside dans le clivage entre les
écrivains qui se considèrent avant tout comme chinois – et dont les parents
sont issus de Chine continentale – et ceux qui se considèrent résolument
taiwanais. Ces derniers, souvent proches du mouvement indépendantiste, se
regroupent au sein de la revue Wenxue Taiwan (Taiwan littéraire), éditent des
« histoires de la littérature taiwanaise » et produisent des œuvres qui
évoquent l’histoire de l’île, l’histoire et la réalité de ses aborigènes, ainsi que
la possibilité pour Taiwan de vivre en tant qu’entité indépendante. La plupart
sont regroupés dans le Sud, à Gaoxiong et à Tainan. Si l’on considère le recul
du Guomindang et la progression des indépendantistes, il ne fait aucun doute
que ce mouvement littéraire est appelé à se développer vigoureusement. A
l’oral, ces écrivains s’expriment bien sûr prioritairement en taiwanais, mais la
nature de l’écriture chinoise fait qu’ils ne peuvent manifester leur
indépendance sur le plan linguistique, leurs productions écrites pouvant
seulement faire une place plus ou moins grande au dialecte140.

Ecrivains de Hong Kong : Xi Xi et Ye Si


Les écrivains de Hong Kong restent méconnus en Occident ; ils n’ont pas
encore retenu l’attention des éditeurs, peut-être parce que la ville est
seulement considérée, à tort, comme une plaque tournante du commerce
international141. Pourtant, avant la rétrocession du territoire à la Chine
communiste, les autorités de Hong Kong avaient consacré des fonds
importants au développement d’activités culturelles et éditoriales. Depuis la
rétrocession, les écrivains continuent de publier, en restant en contact aussi
bien avec Taiwan qu’avec la Chine continentale ou la Chine de la diaspora.
La visite privée que Gao Xingjian a pu effectuer en février 2001 dans la zone
administrative spéciale montre que, pour ce qui concerne la vie intellectuelle,
le territoire reste indépendant du continent où le prix Nobel est persona non
grata.
Xi Xi, née à Shanghai en 1938, s’est installée en 1950 à Hong Kong où elle
est l’un des écrivains les plus réputés. Son recueil de nouvelles Une fille
comme moi, publié à Taiwan en 1984, a remporté un certain succès. Grave,
ironique, chargée de poésie, la tonalité des écrits de Xi Xi est séduisante et
tranche avec la littérature du continent. Au début de Jour de congé, l’écrivain
donne ses recettes d’écriture :
— Permettez-moi de m’asseoir pour écrire une nouvelle (dit
l’écrivain). Lorsque je m’apprête à écrire une nouvelle, je m’assieds,
devant ma table de salle à manger. C’est une table de bois, tout comme
les quatre chaises qui lui sont assorties. […] Le bois est une matière
chaude. J’ai également chez moi une table pliante, mais je m’y installe
rarement pour écrire ; peut-être parce qu’il me faut la déplier avant de
l’utiliser, mais plus probablement à cause de la froideur de ses
composants : plateau en formica ininflammable, pieds métalliques
renforcés, à leur extrémité, par des embouts de plastique. (Une fille
comme moi, p.85.)
Puis, dans un long monologue, elle réfléchit à l’acte d’écrire et exprime sa
nostalgie devant la montée de la modernité qui fait abandonner le papier au
profit de la télécommunication, l’éventail pour la climatisation, etc.
Dans la nouvelle éponyme du recueil, Xi Xi décrit avec sensibilité et
justesse une jeune fille pour qui l’amour est impossible, du fait de son métier
– maquilleuse de défunts – qui fait fuir les éventuels prétendants.
L’écrivain, poète et critique littéraire Ye Si (1948-), de son vrai nom Leung
Ping-kwan, a centré son œuvre sur la question de l’identité de Hong Kong, sa
complexité et ses mutations incessantes142. Dans la nouvelle Iles et
continents, publiée en 1997 et remaniée en 1999, il exprime sa perplexité face
aux relations entre Hong Kong et la Chine ainsi qu’aux rapports entre Orient
et Occident.
A regarder d’ici, c’est le crépuscule d’une ville commerciale ; de
minuscules voitures rampent dans les rues en dessous, prises dans les
embouteillages à cette heure de sortie du travail, lent tortillement bloqué.
Mais quand on lève la tête, qu’on dépasse le sommet des hauts
immeubles commerciaux, on voit de pâles rayons de lumière dorés
transparaître dans le ciel sous le voile des nuages gris ; ils posent une
lumière dorée chimérique sur les sommets de la ville moderne glacée.
Reste que devant moi une ligne d’immeubles bouche continuellement la
moitié de la montagne, et cache en partie les sources de lumière ; dans
les vitres d’un immeuble se reflète l’ombre d’un autre immeuble. Tu dis
que tu tapis ton moi dans une grotte, que tu es une grotte ; quand bien
même ça ne marche pas dans la ville, toutes sortes d’implications et
d’imbroglios rendent impossible d’exiler son moi hors des rapports et
des changements pesants143.

La littérature de « cape et d’épée »


A l’instar du cinéma du même genre, la littérature de « cape et d’épée »
connaît à Hong Kong une grande vogue. Le plus populaire de ses écrivains
est Jin Yong (connu aussi sous le nom de Louis Cha). Né en 1925 au
Zhejiang, il travaille au journal Dagongbao de Hong Kong pendant la guerre
de résistance contre le Japon (1937-1945), puis il fonde le Mingbao dont il
deviendra rédacteur en chef. Le nom de Jin Yong est, dit-on, connu de tous
les Chinois de la planète. Ses romans se basent sur des faits historiques à
partir desquels il conte ces histoires merveilleuses dont les lecteurs chinois
sont friands. Xueshan feihu (Renards volants des montagnes enneigées) a
ainsi été réédité douze fois entre 1976 et 1993 ! Certains des ouvrages de Jin
Yong atteignent des tirages de l’ordre du million d’exemplaires. Dans un
entretien daté de 1981, Jin Yong explique que la littérature chinoise moderne,
c’est-à-dire des années 1920, 1930 et 1940, n’est en fait que de la « littérature
étrangère » traduite en chinois. Lui, en revanche, cherche à perpétuer la
tradition littéraire chinoise antérieure au mouvement du 4 Mai 1919, comme
le font les peintres traditionnels ou les acteurs d’opéra de Pékin. Jin Yong est
aujourd’hui considéré comme un grand classique de la littérature chinoise,
même si, à l’instar de ce qui s’est produit en Occident autour de l’œuvre d’un
Alexandre Dumas, certains lui ont vivement contesté cette qualité144.

129 Au sujet de Taiwan, voir Christine Chaigne, Catherine Paix et Chantal Zheng (dir.), Taiwan,
enquête sur une identité, Paris, Karthala, 2000 ; et Herman Halbeisen, « Taiwan l’autre Chine », dans
Marie-Claire Bergère, Lucien Bianco et Jürgen Domes, La Chine au XXe siècle, op. cit., p.321-344.
130 Zhang Baoqin, Shao Yuming, Ya Xian (éd.), Sishinianlai Zhongguo wenxue (La Littérature
chinoise depuis quarante ans), Taibei, Lianhe wenxue chubanshe, 1994.
131 Helmut Martin (éd.), Modern Chinese Writers Self-portrayals, New York and London, M. E.
Sharpe, 1992, p.181.
132 En chinois Niezi, Les Mauvais Fils.
133 Huit de ces nouvelles sont traduites en français sous le titre La Fête de la déesse Matsu.
134 L’écrivain Ye Lingfang accuse Zhang Dachun d’avoir imité tour à tour García Márquez et
Kundera. Voir à ce sujet Noël Dutrait, « Rencontre avec quatre écrivains taiwanais », Perspectives
chinoises, n°46, mars-avril 1998, p.44-51.
135 En chinois Shafu, Tuer son mari.
136 Taibei, Maitian chubanshe, 1997.
137 Une des nouvelles de ce recueil, Une salle funéraire déserte, a été traduite par Sandrine
Marchand dans Le Nouveau Recueil, n°61 , décembre 2001-février 2002, p.10-41.
138 Taibei, Yuanliu chubanshe, 1990 ; traduit en anglais par Eva Hung, Fin de Siècle Splendor, dans
The Columbia Anthology, op. cit., p.444-459. Voir aussi Anthologie de la famille Chu. Le Dernier
Train et autres nouvelles qui réunit des nouvelles de Chu Hsi-ning, Chu T’ien-wen (Zhu Tianwen) et
Chu T’ien-hsin.
139 Lire aussi Séparations de Su Weichen, un recueil de quatre courts romans écrits par une
romancière née en 1954.
140 Pour la littérature taiwanaise, voir l’anthologie de nouvelle s contemporaines A mes frères du
village de garnison, textes choisis et édités par Angel Pino et Isabelle Rabut, Paris, Bleu de Chine,
2001.
141 Voir l’excellente revue semestrielle Renditions éditée par la Chinese University of Hong Kong,
qui publie des traductions de littérature classique, moderne ou contemporaine venant de toutes « les
Chines », par exemple le numéro spécial consacré à la nouvelle poésie de Hong Kong, n°56, automne
2001.
142 Voir « Comment utiliser la langue pour exprimer Hong Kong ? », entretien avec Annie Curien,
Poésie 2001, n°88, juin 2001, p.57-61.
143 Traduit par Annie Curien dans Perspectives chinoises, n°59, mai-juin 2000, p.68.
144 Voir Jin Yong, La Légende du héros chasseur d’aigles. De Gu Long, autre représentant de ce
genre littéraire, on peut lire Les Quatre Brigands du Huabei.
CONCLUSION

« Les plus grands romanciers anglais et américains du dix-neuvième siècle


sont Pouchkine, Gogol, Dostoïevski, Tolstoï, Stendhal et Balzac traduits en
anglais145 », affirme dans son savoureux Vérités et mensonges en littérature
l’écrivain et critique Stephen Vizinczey. Et l’un des plus grands auteurs
dramatiques français serait Shakespeare traduit dans la langue de Molière !
L’argument qui voudrait que la traduction déforme de manière exagérée
l’œuvre originale n’est pas valable, selon Vizinczey, car « la littérature ne
traite pas de la langue, mais de la vie ; son essence ne tient pas dans les sons
des mots, mais dans leur signification146 ». Si l’on considérait de la même
façon les littératures de France et de Chine, on pourrait affirmer que Romain
Rolland – que tous les Chinois ont lu et relu – est l’un des plus grands
romanciers chinois du XXe siècle, et Gao Xingjian un romancier français
majeur de la fin du siècle. On pourrait continuer ce jeu en disant que
Marguerite Duras, dont L’Amant a été maintes fois traduit en Chine, Milan
Kundera ou Gabriel García Márquez sont trois grands romanciers chinois
contemporains !
La prétendue difficulté, voire impossibilité, de traduire la langue chinoise –
qui serait trop éloignée du français et des autres langues occidentales – et de
comprendre en profondeur la mentalité de ce pays lointain – qui serait
impossible à pénétrer sans y avoir séjourné au moins vingt ans – est une
rengaine tenace. Il existe parfois de mauvaises traductions, autant du français
vers le chinois que dans l’autre sens, mais l’audace de certains éditeurs et la
passion de quelques traducteurs donnent à espérer que le public francophone
aura bientôt accès à un grand nombre d’œuvres chinoises de qualité, comme
cela lui est possible avec d’autres littératures étrangères. Quant à la prétendue
différence de mentalité, si elle est réelle sur des détails, la littérature montre
précisément que les grands sentiments et comportements humains sont
étonnamment proches, à condition de tenir compte des contextes historiques
et sociaux. Aspect positif de la mondialisation, la confrontation des
littératures, loin de souligner une quelconque incommunicabilité, laisse
percevoir au contraire des constantes et des identités de vue dans l’attitude
humaine face aux problèmes de la société et de la vie quotidienne.
Naturellement, les œuvres ne sont pas toujours appréciées pour les mêmes
raisons dans chaque région du monde : le succès du Livre d’un homme seul
de Gao Xingjian en France vient sans doute de ce qu’il est un témoignage fort
sur le régime communiste, tandis qu’à Taiwan il tient en grande partie à la
liberté du comportement amoureux de son héros.
Les écrivains qui ont animé les trente années de littérature chinoise
présentées dans ce petit précis ont préparé le terrain pour qu’apparaissent de
nouvelles œuvres plus riches et plus diverses encore. Avec un courage qui
force l’admiration, ils ont osé braver les interdits politiques et moraux pour
affirmer l’indépendance de la littérature. Leur exemple s’est communiqué à la
jeune génération d’écrivains, dont certains n’hésitent pas à remettre en cause
des aînés qui jusqu’à présent faisaient l’unanimité. Aujourd’hui, même la
figure emblématique de Lu Xun est discutée, comme l’a montré un
questionnaire auquel ont répondu soixante-cinq jeunes écrivains147. 98,2 %
d’entre eux refusaient de considérer Lu Xun comme un modèle, et 91 %
niaient son rôle de leader de la littérature chinoise contemporaine. Ce refus de
rechercher des modèles ou des maîtres parmi les écrivains chinois ne conduit
pas pour autant les jeunes auteurs à se tourner vers les modèles occidentaux,
comme l’avaient fait leurs aînés au début du XXe siècle ; en effet, à la
question : « Avez-vous lu Heidegger, Roland Barthes et Foucault ? », 91 %
ont répondu par la négative. A travers cette enquête était aussi fortement
remis en question le rôle de la très officielle Association des écrivains de
Chine, des critiques littéraires chinois, des sinologues étrangers et des revues
littéraires. Il y a donc eu une réelle « cassure » – le terme est utilisé pour
désigner cette enquête – qui ouvrira certainement de nouveaux horizons.
Après la révolution littéraire que la Chine a connue au début du XXe siècle,
après l’instrumentalisation de la littérature au profit de la lutte de résistance
contre le Japon puis de la révolution communiste, le bouillonnement
intellectuel des vingt-cinq dernières années a fait naître d’innombrables
vocations. Les résultats sont déjà engageants et promettent d’apporter une
forte touche d’originalité à la littérature mondiale.

145 Vizinczey Stephen, Vérités et mensonges en littérature, traduit par Philippe Babot et Marie-
Claude Peugeot, Monaco, éditions du Rocher, 2001, p.25.
146 Ibid., p.21.
147 Voir le questionnaire et ses réponses dans Beijing wenxue (Littérature de Pékin), n°10, 1998,
p.20-47.
BIBLIOGRAPHIE

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Grandeur et décadence d’une maison de thé, traduit par Cheng Yingxiang,
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xiaowu, 1985], A Mei aux idées noires par jour de soleil [A Mei zai yige
taiyangtianli de chousi, 1986], Dans la campagne désolée [Kuangyeli, 1986],
La Lucarne [Tianchuang, 1986], Les Choses qui me sont arrivées en ce
monde [Wo zai nage shijieli de shiqing, 1986], Dialogues en paradis
[Tiantangli de duihua, 1987-1988], Jours de soleil dans le Sud somptueux
[Meili Nanfang de xiari, 1986]).
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rensheng, 1987].
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Actes Sud, 1999 [Yun po chu, 1997].
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Dai Lai
L’Insecte sur la toile, traduit par Véronique Chevaleyre, Paris, Bleu de
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Diao Dou
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Sonnette, Le Gourmet, Une faible lumière [1985]).
Une faible lumière, traduit par Jacques Dars, dans La Remontée vers le jour,
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traduit par Emmanuelle Péchenart (édition bilingue), Arles, Actes Sud, 1992
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Chemins de poussière rouge, traduit de l’anglais par Jean- Jacques Bretou,
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Le Chantier, traduit par Chantal Chen-Andro, Paris, Scanéditions, 1993
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Le Clan du sorgho, traduit par Pascale Guinot et Sylvie Gentil, Arles, Actes
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Enfants de fer (nouvelles), traduit par Chantal Chen-Andro , Paris, Seuil,
2004.
Explosion, traduit par Camille Loivier, Paris, Caractères, 2004 [Baozha,
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La Faute, traduit par Chantal Chen-Andro, dans Anthologie de nouvelles
chinoises contemporaines, Paris, Gallimard, 1994 [Zuiguo, 1986].
Le maître a de plus en plus d’humour, traduit par Noël Dutrait, Paris, Seuil,
2005 [Shifu yuelai yue youmo, 1999].
La Mélopée de l’ail paradisiaque, traduit par Chantal Chen-Andro, Paris,
Messidor, 1990 [Tiantang suantai zhige, 1988] ; réédité dans une version
révisée, Paris, Seuil, 2005.
Le Pays de l’alcool, traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait, Paris,
Seuil, 2000 [Jiuguo, 1993].
Le Radis de cristal, traduit par Pascale Wei-Guinot et Wei Xiaoping, Arles,
Editions Philippe Picquier, 1993, Picquier poche n°148 (comprend Le Radis
de cristal [Touming de hong luobo, 1984] et Déluge [Qiushui, 1985]).
La Rivière tarie, traduit par Gao Changhui et Danièle Turc-Crisa, dans La
Remontée vers le jour, nouvelles de Chine (1978-1988), Aix-en-Provence,
Alinéa, 1988 [Ku he, 1985].
Les Treize Pas, traduit par Sylvie Gentil, Paris, Seuil, 1995 [Shisanbu,
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A la mémoire d’un ami, traduit par Isabelle Rabut et Angel Pino, Paris,
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Pour un musée de la Révolution culturelle, présenté et traduit par Angel
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Shi Tiesheng
Fatalité, nouvelles traduites par Annie Curien, Paris, Gallimard, 2004.
Su Tong
Epouses et concubines, traduit par Anne Au Yeung et Françoise Le Moine,
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Fantômes de papier, traduit par Agnès Auger, Paris, Desclée de Brouwer,
1999 (comprend dix-huit nouvelles sans date ni références).
Je suis l’empereur de Chine, traduit par Claude Payen, Arles, Editions
Philippe Picquier, 2005 [Wode diwang shengya, 1992].
Riz, traduit par Noël et Liliane Dutrait, Paris, Flammarion, 1998 [Mi, 1991].
Visages fardés, traduit par Denis Bénéjam, Arles, Editions Philippe
Picquier, 1995, Picquier poche n°199 (comprend Visages fardés [Hongfen,
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Séparations, petits romans traduits par Véronique Jacquet-Woillez, Paris,
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Respirer, traduit par Nadine Perront, Arles, Editions Philippe Picquier, 1997
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La Forêt zèbre, traduit par Sylvie Gentil, Paris, Editions de l’Olivier, 2004
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Les Lumières de Hong Kong, traduit par Denis Bénéjam, Arles, Editions
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Contes de l’Ouest lointain, nouvelles traduites par Françoise Naour, Paris,
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Les Tribulations du chef de service Mehmet – « Humour noir chez les
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nouvelles de Chine (1978-1988), Aix-en-Provence, Alinéa, 1988 [Maimaiti
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Je suis ton papa, traduit par Angélique Lévi et Wong Li-Yine, Paris,
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La Fête de la déesse Matsu, nouvelles traduites par Camille Loivier, Paris,
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L’Age d’or, traduit par Jacques Seurre, Versailles, éditions du Sorgho, 2001
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Les Fleurs du dîner, traduit par Annie Curien, dans L a Remontée vers le
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Les Trois Amis de l’hiver, traduit par Annie Curien, Arles, Editions Philippe
Picquier, 1989 (comprend Les Trois Amis de l’hiver [Suihan san you, 1980] ;
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Weihui
Shanghai Baby, traduit par Cora Whist, Arles, Editions Philippe Picquier,
2001, Picquier poche n°196 [Shanghai baobei, 1999].
Xi Xi
Une fille comme moi, traduit par Véronique Woillez, La Tour-d’Aigues,
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Xu Chi
Le Problème de Goldbach, traduit par Noël Dutrait, dans Ici la vie respire
aussi et autres textes de littérature de reportage (1926-1982), Aix-en-
Provence, Alinéa, 1986 [Gedebahe caixiang, 1978].
Xu Xing
Le Crabe à lunettes, traduit par Sylvie Gentil, Paris, Julliard, 1992
(comprend Variations sans thème [Wu zhuti bianzou, 1985] et quatre textes
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l’Olivier, 2003 [Shengxiade dou shuyu ni, 2003].
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Le Bain, traduit par Nicolas Chapuis, Paris, Christian Bourgois, 1992
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Six récits de l’Ecole des cadres, traduit par Isabelle Landry et Zhi Sheng,
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Sombres nuées : chronique des années Bing Wu et Ding Wei, traduit par
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Yu Hua
Cris dans la bruine, nouvelles traduites par Jacqueline Guyvallet, Arles,
Actes Sud, 2003.
Un amour classique, traduit par Jacqueline Guyvallet, Arles, Actes Sud,
2000 (comprend Une certaine réalité [Xianshi yizhong, 1988] ; Un amour
classique [Gudian aiqing, 1989] ; Quelques pages pour Yang Liu [Ci wen
xiangei shaonü Yang Liu, 1989] ; Un événement fortuit [Ouran shijian,
1990]).
Un monde évanoui, traduit par Nadine Perront, Arles, Editions Philippe
Picquier, 1988, Picquier poche n°208 (comprend Un monde évanoui [Shishi
ru yan, 1988] et Erreur au bord de l’eau [Hebian de cuowu, 1988]).
Le Vendeur de sang, traduit par Nadine Perront, Arles, Actes Sud, 1996 [Xu
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Dossier 0, traduit par Li Jinjia et Sebastian Veg, Paris, Bleu de Chine, 2005
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Fleur-Entrelacs, traduit par Dong Qiang, Paris, Bleu de Chine, 1995
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La Stèle du général, traduit par Mathilde Chou et Pierre Charau, Arles,
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Ailes de plomb, traduit de l’allemand et révisé par Constantin Rissov, Paris,
Maren Sell, 1986 [Chenzhong de chibang, 1981].
Galère, traduit par Michel Cartier et Zhitang Drocourt, Paris, Maren Sell,
1989 [Fangzhou, 1983].
Zhang Kangkang
L’Impitoyable, traduit par Françoise Naour, Paris, Bleu de Chine, 1997
(comprend L’Impitoyable [Canren, 1995] et Tempêtes de sable [Shabao,
1993]).
Les Pavots blancs, traduit par Rosalie Casella et Chantal ChenAndro, dans
La Remontée vers le jour, nouvelles de Chine (1978-1988), Aix-en-Provence,
Alinéa, 1988 [Bai yingsu, 1980].
Zhang Wei
Nouvelles :
Partance, récits d’ailleurs…, traduit par Chantal Chen-Andro, Paris, Bleu
de Chine, 2000 (comprend Scènes d’hiver [Dong jing, 1989] ; Partance [Lala
gu, 1982] ; La Forêt d’azeroliers [Shanzhalin, 1982] ; La Combe nivelée
[Shiqu de ren he suiyue, 1989]).
Un étang d’eau claire, traduit par Annie Curien, dans Anthologie de
nouvelles chinoises contemporaines, Paris, Gallimard, 1994 [Yitan qingshui,
1984].
Poèmes :
« Au café Figaro », « Les gens la nuit noire », traduits par Chantal Chen-
Andro dans Poétiques chinoises d’aujourd’hui, Poésie 2001, n°88, juin 2001
[tirés de Guiyi zhi lu, 1997].
Prose :
« En attendant la neige », traduit par Chantal Chen-Andro dans Poétiques
chinoises d’aujourd’hui, Poésie 2001, n°88, juin 2001 [tiré de Zhangwei
mingpian jingxuan, 1989].
« Un lieu d’exutoire », « L’hiver de la forêt », traduits par Chantal Chen-
Andro dans Poétiques chinoises d’aujourd’hui, Poésie 2001, n°88, juin 2001
[tirés de Ningwang, 1998].
Zhang Xianliang
Le Gardien de chevaux (L’Ame et la Chair), dans Dix auteurs modernes,
éditions Littérature chinoise, 1983 [Mumaren, 1981]. Mimosa, Pékin, éditions
de Pékin, collection Panda, 1986 [Lühuashu, 1986].
La moitié de l’homme, c’est la femme, traduit par Yang Yuanliang, avec la
collaboration de Michelle Loi, Paris, Belfond, 1987 [Nanren de yiban shi
nüren, 1985].
La mort est une habitude, traduit par An Mingshan et Michelle loi, Paris,
Belfond, 1994 [Xiguan siwang, 1989].
La Première Fois, traduit par Constance-Hélène Halfon, dans La Remontée
vers le jour, nouvelles de Chine (1978-1988), Aix-en-Provence, Alinéa, 1988
[Chuwen, 1984].
Zhang Xinxin
Au long du Grand Canal, traduit par Anna Grondona, Arles, Actes Sud,
1992 [Zai lushang, 1986].
Le Courrier des bandits, traduit par Emmanuelle Péchenart et Robin Setton,
Arles, Actes Sud, 1989 [Feng, pian, lian, 1985].
L’Homme de Pékin (en collaboration avec Sang Ye), traduit par Bernadette
Rouis et Emmanuelle Péchenart, Arles, Actes Sud, 1992 [Beijingren, 1986].
Le Partage des rôles, traduit par Emmanuelle Péchenart, Arles, Actes Sud,
1994 [Zhei ci ni yan nayi ban ?, 1988].
Sur la même ligne d’horizon, traduit par Emmanuelle Péchenart, Arles,
Actes Sud, 1986 [Zai tongyi dipingxian shang, 1981].
Une folie d’orchidées, traduit par Cheng Yingxiang, Arles, Actes Sud, 1988
[Fengkuang de junzilan, 1983].
Zhaxi Dawa
La Splendeur des chevaux du vent, traduit par Bernadette Rouis, Arles,
Actes Sud, 1990 (comprend L’Invitation du siècle [Shiji zhi yao, 1988] ;
Tchime homme libre [Ziyouren Qimi, 1985] ; La Splendeur des chevaux du
vent [Fengma zhi yao, 1987] ; La Lumière de l’abîme [Xuanyan zhi guang,
1988]).
Le Mutisme du sage, traduit par Bernadette Rouis, dans Anthologie de
nouvelles chinoises contemporaines, présenté par Annie Curien, Paris,
Gallimard, 1994 [Zhizhe de chenmo, 1986].
Zheng Yi
Stèles rouges, traduit par Françoise Lemoine et Annie Auyeung, Paris, Bleu
de Chine, 1999 [Hongse jinianbei, 1993].
Zhou Daxin
Les Ma rches du mandarinat, traduit par Geneviève Imbot-Bichet, Paris,
Stock, 1998 [Xiang shang taijie, 1996].
RECUEILS DE TEXTES ET ANTHOLOGIES
A mes frères du village de garnison. Anthologie de nouvelles taiwanaises
contemporaines, textes choisis et présentés par Angel Pino et Isabelle Rabut,
Paris, Bleu de Chine, 2001.
Anthologie de la famille Chu. Le dernier train pour Tamsui et autres
nouvelles de Chu Hsi-ning, Chu T’ien-wen et Chu T’ienhsin, traduit par
Angel Pino et Isabelle Rabut, Paris, Christian Bourgois, 2005.
Anthologie de nouvelles chinoises contemporaines, présenté par Annie
Curien, Paris, Gallimard, 1994.
Chen-Andro Chantal et Vallette-Hémery Martine (éd.), Le Ciel en fuite.
Anthologie de la nouvelle poésie chinoise, Paris, Circé, 2004.
La Face cachée de la Chine, trois nouvelles traduites par Jean-Philippe Béja
et Wojtek Zafanolli, Paris, Editions Pierre-Emile, 1981.
Ici la vie respire aussi et autres textes de littérature de reportage (1926-
1982), présenté par Noël Dutrait, Aix-en-Provence, Alinéa, 1986.
Lau Joseph, Goldblatt Howard (ed.), The Columbia Anthology of Modern
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1982. Quatre poètes chinois : Beidao, Gu Cheng, Mangke, Yanglian, traduit
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La Remontée vers le jour, nouvelles de Chine (1978-1988), Aix-en-
Provence, Alinéa, 1988.

148 Le titre original et la date de la première publication en chinois figurent entre crochets.
On peut également consulter la bibliographie établie par Jie Formoso et Christine Thomes dans Annie
Curien et Jin Siyan (dir. ), Littérature chinoise, le passé et l’écriture contemporaine, op. cit., p.197-212.
La version papier a été achevée d’imprimer
sur les presses de l’imprimerie Corlet
à Condet-sur-Noireau
Dépôt légal : janvier 2006
La version ePub de ce texte a été préparée par Lekti en février 2012.

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