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Masarykova univerzita

Filozofická fakulta
Ústav románských jazyků a literatur

L´exil et les histoires identitaires dans la littérature


africaine francophone :
Daniel Biyaoula et Alain Mabanckou

Magisterská diplomová práce

Hana Bočková

Vedoucí práce

prof. PhDr. Petr Kyloušek, CSc.

Brno 2010
Prohlašuji, že jsem magisterskou diplomovou práci vypracovala samostatně a použila
jsem pouze uvedenou literaturu.

V Brně dne 19. dubna 2010

2
Děkuji panu prof. PhDr. Kylouškovi, CSc., za cenné rady a připomínky.

3
Table des matières

Introduction .......................................................................................................... 5

1. Littérature africaine francophone ..................................................................... 7

1.1 Caractéristique générale ............................................................................ 7

1.2 Biographies ............................................................................................... 23

2. Exil en tant que déclencheur de l´identité troublée ......................................... 26

3. La quête identitaire ou L´Impasse de Daniel Biyaoula ................................ .. 42

4. Le rêve français ou Bleu-Blanc-Rouge d´Alain Mabanckou .......................... 60

5. La vie dans la ZUP ou Agonies de Daniel Biayoula ………………………. . 74

6. « Il n´y a pas de futur ici-là » …………………………………………… …. 84

Conclusion ........................................................................................................ .. 90

Bibliographie ....................................................................................................... 92

4
Introduction

L´exil représente un des thèmes graves de la littérature contemporaine : il


signifie un point de faille dans la vie de l´homme qui quitte son pays natal et part
pour un espace inconnu du pays d´accueil. Il s´agit du « changement de monde »
dont l´impact sur l´homme devient encore plus fatal et pénible si le monde nouveau
représente une civilisation entièrement différente, éloignée du point de vue socio-
culturel. Ce travail s´oriente vers les conséquences identitaires de l´exil, car celui-ci,
en tant que changement de l´espace vécu, se manifeste comme un déclencheur des
transformations profondes du sujet.
Nous prêtons attention à cette problématique dans la littérature africaine
francophone où la thématique de l´exil a une longue tradition ; ses racines remontent
jusqu´à l´époque coloniale. Néanmoins, c´est la production romanesque
contemporaine qui se trouve au centre de notre intérêt, la production de la soi-disant
« Afrique sur Seine », des auteurs qui vivent en exil. Nous en choisissons deux
écrivains emblématiques – Daniel Biyaoula et Alain Mabanckou – dont les romans, s
´occupant de nombreux aspects des changements identitaires, traitent de la
problématique de l´exil en détail.
Le premier chapitre de notre travail s´oriente vers la délimitation de la notion
de littérature africaine francophone, il en suit le développement par étapes depuis l
´époque coloniale qui a établi les fondements de cette littérature. Nous nous
concentrons sur les aspects identitaires de la production littéraire africaine
francophone, sur l´attitude de ses écrivains envers la langue et culture françaises.
Une attention spéciale est prêtée à la génération contemporaine pour laquelle l´exil et
ses conséquences pour le psychisme de l´homme deviennent un des thèmes majeurs.
Nous présentons aussi la biographie de deux auteurs – Biyaoula et Mabanckou.
Dans le deuxième chapitre de notre travail nous définissons l´exil en tant que
« déclencheur de l´identité troublée ». Nous nous occupons des publications critiques
qui examinent des traits spécifiques de la thématique de l´exil et de ses aspects
narratologiques. Nous délimitons théoriquement la problématique des changements
identitaires du sujet. Nous prêtons une attention spéciale à la « négrification de la
langue française » qui est une manifestation spécifique du contact de deux mondes.

5
La partie suivante de notre travail a un caractère analytique : dans le troisième
chapitre nous concentrons notre attention sur le roman L´Impasse (1996) de
Biayoula, dans le quatrième chapitre sur l´oeuvre romanesque Bleu-Blanc-Rouge
(1998) de Mabanckou et dans le cinquième chapitre sur les Agonies (1998) de
Biyaoula. Dans toutes les trois analyses nous examinons les textes sous plusieurs
aspects : composition, narrateur, personnages, temps, espace et langue. Nous
observons les facteurs qui provoquent l´identité troublée, que celle-ci soit décelée
successivement dans les changements des « composantes identitaires » du
protagoniste (L´Impasse, Bleu-Blanc-Rouge) ou qu´elle soit démontrée sur une
mosaïque de « types identitaires » tout faits (Agonies).
Dans le sixième chapitre nous résumons nos acquis, nous cherchons à
démontrer la complexité des histoires identitaires des romans choisis. Nous essayons
d´évaluer l´apport des écrits de Biyaoula et Mabanckou pour la littérature africaine
francophone.

6
1. Littérature africaine francophone

1.1 Caractéristique générale

« Au bout du petit matin, la vie prostrée, on ne sait où dépêcher ses rêves


avortés, le fleuve de vie désespérément torpide dans son lit, sans turgescence ni
dépression, incertain de fluer, lamentablement vide, la lourde impartialité de l´ennui,
répartissant l´ombre sur toutes choses égales, l´air stagnant sans une trouée d´oiseau
clair. »1

Les années trente du XXème siècle ont été témoin de la naissance d´un
mouvement qui a ébranlé l´autorité de la société occidentale : c´était le mouvement
de la Négritude. Tout en représentant la revendication passionnée de la liberté et la
prise en charge du destin de l´homme noir, la Négritude a dénoncé le colonialisme,
rejetté la domination occidentale, refusé la francisation perçue comme opressante en
défendant la notion du « soi noir », c´est-à-dire la dignité de toutes les populations
noires du monde. Et c´est justement à cette époque-là qu´un nouveau phénomène
littéraire commence à s´imposer, à exprimer le refus d´un univers inadéquat aux
attentes du peuple noir, à ses désirs et ses souffrances : c´est la littérature africaine,
écrite en langue de l´administration coloniale française.
La notion de la littérature africaine est très vaste et floue, l´usage de l´adjectif
« africain » peut même être équivoque, car il peut s´appliquer aussi à la littérature
des Africains du Nord. Néanmoins ceux-ci appartiennent, comme le souligne
Nordmann-Seiler2, à la civilisation arabo-islamique, et ainsi ils ne forment pas un
ensemble homogène avec le peuple noir au sud du désert du Sahara. Pour éviter cette
ambiguïté, on recourt souvent au critère de géographie raciale, en désignant la
production littéraire comme celle de « l´Afrique noire ». Midiohouan mentionne que
« c´est ainsi qu´on est venu à forger le concept "négro-africain", plus précis qu
´ "africain" » qui « contribue à donner à l´élément géographique une connotation
culturelle »3. Ainsi la littérature de la Négritude et son héritage littéraire ultérieur qui

1
CÉSAIRE, Aimé, Cahier d´un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine 1983, p. 17.
2
NORDMANN-SEILER, Almut, La littérature néo-africaine, Paris, Presses Universitaires de France
1976, p. 5.
3
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression française,
Paris, L´Harmattan 1986, p. 17.

7
se réfèrent aux pays de la zone au sud du Sahara 4 sont-ils généralement désignés
comme la production négro-africaine d´expression française.
Néanmoins cette catégorisation de la production littéraire africaine n´est pas
exhaustive, car à l´époque contemporaine on utilise de plus en plus dans ce contexte
un nouveau critère en constatant que l´Afrique de l´ouest et du centre se présente
comme un haut lieu de la francophonie. La conception de la francophonie, qui
représente une composante importante de la politique étrangère de la France, est
habituellement définie comme l´ensemble de locuteurs qui utilisent la langue
française dans leur vie quotidienne ou dans les relations internationales entre pays 5.
A cette définition dans laquelle Bonn distingue deux critères – linguistique (l´usage
du français) et territorial (les auteurs non français) 6 – Fergusson ajoute les rapports
économiques, culturels et politiques7 (le sens encore plus politique se réfère au terme
de la Francophonie qui désigne une communauté constituée de populations
francophones et de leurs instances officielles et qui renvoie aussi à l´Organisation
internationale de la Francophonie).
Les racines du caractère francophone de l´Afrique noire sont profondes : elles
sont étroitement liées à l´expansion coloniale française et belge dans la zone
subsaharienne qui s´est réalisée au XIX e siècle et qui est devenue la cause du rapport
d´infériorité entre l´Afrique et son nouveau maître, le « point central de domination
coloniale »8, la France. Une des conséquences les plus graves de la colonisation est
devenue la politique d´assimilation, pratiquée par l´école française coloniale, qui
coupait les Africains peu à peu de leurs racines. Les Français ont exclu de l
´enseignement les langues nationales africaines (il s´agit de plus de mille langues

4
Les pays qui constituent l´Afrique noire sont nombreux. Par ordre alphabétique on peut citer : le
Bénin, le Burkina Faso (longtemps appelé la Haute-Volta), le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique,
le Congo (Brazzaville), la République Démocratique du Congo (Kinshasa) ou Zaïre, la Côte d´Ivoire,
le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, le Tchad, le Togo.
Voir BRAHIMI, Denise, Langue et littératures francophones, Paris, Ellipses 2001, p. 31.
5
SEMUJANGA, Josias, « Panorama des littératures francophones ». In NDIAYE, Christiane (Éd.),
Introduction aux littératures francophones. Afrique, Caraïbe, Maghreb, Montréal, Les Presses de l
´Université de Montréal 2004, p. 9.
6
BONN, Charles et al., Littérature francophone. I. Le roman, Paris, Hatier 1997, p. 9.
7
FERGUSON, Priscilla Parkhurst, « Littérature comparée et francophone ». In RIESZ, János (Éd.),
Semper aliquid novi : Littérature Comparée et Littératures d´Afrique, Tűbingen, Gunter Narr Verlag
1990, p. 48.
8
GARNIER, Xavier, « Entre définitions et étiquettes : les problèmes de catégorisation des littératures
"du Sud" », Notre librairie, no 160, La critique littéraire, décembre 2005 – février 2006, p. 24.

8
typologiquement différents9) et ainsi les ont-ils réduites, comme le mentionne
Semujanga, « aux rôles subalternes de communication quotidienne et locale » 10. Les
langues africaines n´étaient ni enseignées, ni écrites, et aux yeux des colonisateurs
étaient inférieures au français ; si elles n´étaient pas ignorées, elles étaient niées, et
ensemble avec les cultures africaines les langues ont subi le sort réservé à la vie de l
´homme « primitif ». Le degré de l´assimilation linguistique différait selon l´intensité
du pouvoir colonial, ce qui a pour conséquence le fait que la francophonie africaine n
´offre pas à l´époque contemporaine un visage uniforme. Nkot constate que de
manière globale, quatre catégories s´imposent : les pays francophones où seule la
langue française est la langue officielle, les pays francophones où le français est la
langue officielle concurremment avec l´anglais, les pays où le français est la langue
officielle concurrement avec une langue africaine et les pays où le français n´est pas
la langue officielle mais dans lesquels, pour des raisons historiques, on trouve une
communauté francophone importante et où le français est couramment utilisé dans
les centres urbains11. On peut donc voir que l´influence du pouvoir colonial a été fort
à tel point que même après la décolonisation la situation linguistique a demeuré sans
grands changements ; le français est supposé garantir l´unité nationale des pays
composés de plusieurs peuples et de nombreuses langues, ce que affirme aussi
Cornevin en mentionnant que « c´est en réalité à la tribune des Nations Unies à l
´automne 1960, année de dix-sept indépendances africaines, qu´est apparue la notion
d´une Afrique noire francophone, lorsque des ministres venant du Sénégal, du
Gabon, du Dahomey vinrent affirmer, dans un français impeccable, leur existence
nationale »12.
L´indépendance linguistique ne se réalise donc pas : les « révoltés » de la
Négritude aussi bien que les écrivains africains de nos jours choisissent le français
comme le moyen d´expression. Néanmoins les auteurs soulignent que souvent c´est

9
TABI MANGA, Jean, « Proposition pour un aménagement du plurilinguisme en Afrique
francophone ». In MENDO ZE, Gervais (Éd.), Le français, langue africaine. Enjeux et autouts pour la
francophonie, Paris, Publisud 1999, p. 32.
10
SEMUJANGA, Josias, « Panorama des littératures francophones ». In NDIAYE, Christiane (Éd.),
Introduction aux littératures francophones. Afrique, Caraïbe, Maghreb, Montréal, Les Presses de l
´Université de Montréal 2004, p. 14.
11
NKOT, Pierre Fabien et al., La francophonie en Afrique subsaharienne, Québec, CIDEF/AFI 2001,
p. 19.
12
CORNEVIN, Robert, Littératures d´Afrique noire de langue française, Paris, Presses universitaires
de France 1976, p. 31.

9
par la force des circonstances qu´ils sont amenés à écrire dans une langue qu´ils
perçoivent comme étrangère. Ainsi, comme le constate Midiohouan, la langue
française « est présentée comme un moyen obligé, un outil emprunté mis au service d
´un message original »13. Les raisons qui mènent les écrivains africains au choix du
français sont en général, de l´avis de Blachère14, deux : la première, c´est que les
écrivains possèdent mieux le français que leur langue maternelle, car l´une a été
enseignée et pratiquée dans les moindres recoins de sa rhétorique, tandis que l´autre
n´est qu´un outil de communication orale. La deuxième raison, c´est le désir de
communiquer avec le (supposé) vaste public de la francophonie, de faire entendre le
message nègre au-delà du continent.
Ainsi les écrivains africains ont-ils « apprivoisé » la langue française, mais
celle-ci ne demeure qu´un moyen d´expression emprunté. Ce fait touche
sérieusement non seulement l´identité de la littérature africaine depuis sa naissance,
mais aussi l´identité africaine en tant que telle. Or la tradition et la culture d´un
peuple est, comme le souligne Chevrier, « le lieu de sédimentation des manières de
faire et de penser de ce peuple » 15 et c´est en étudiant ses parties intégrantes, la
langue et la grammaire, que « l´on parvient, pour une large part, à en saisir les
articulations et la logique interne »16. Sur ce plan identitaire la langue française
ressemble à une arme à double tranchant qui provoque le sentiment d´ambiguïté :
Semujanga constate qu´on peut y voir même un certain paradoxe, car le français en
tant que langue étrangère et symbole de la domination coloniale « incarne la
déculturation (l´aliénation culturelle), mais en même temps il apporte des outils
intellectuels de libération individuelle » 17. Le « greffage » de la langue impropre sur
la branche des cultures africaines peut donc être bien pris, mais en même temps il
peut être incompatible avec l´esprit du peuple noir. Le fait d´utiliser une langue d

13
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 19.
14
BLACHÈRE, Jean-Claude, Négritures. Les écrivains d´Afrique noire et la langue française, Paris,
L´Harmattan 1993, pp. 134 -135.
15
CHEVRIER, Jacques, « L´implantation du français en Afrique noire ». In REBOUILLET, André et
TÊTU, Michel, Guide culturel. Civilisations et littératures d´expression française, Paris, Hachette
1977, p. 265.
16
Ibidem, p. 265.
17
SEMUJANGA, Josias, « Panorama des littératures francophones ». In NDIAYE, Christiane (Éd.),
Introduction aux littératures francophones. Afrique, Caraïbe, Maghreb, Montréal, Les Presses de l
´Université de Montréal 2004, p. 15.

10
´emprunt pour exprimer sa propre culture aboutit, comme Chevrier avertit, « non
seulement à une transformation du message, mais à une véritable trahison »18.
Le contact involontaire de l´Afrique subsaharienne avec l´Occident avait donc
pour conséquence des problèmes culturels ; c´était une couveuse de l´identité noire
troublée. Depuis l´époque coloniale l´Afrique a connu, au niveau de ses structures
politiques, sociales et économiques, de nombreux bouleversements radicaux.
Chevrier constate que « ces évolutions, souvent brutales et incontrôlées, n´ont pas
toujours laissé le temps aux individus de s´adapter ou de faire face à cette situation,
angoissante à plus d´un titre, et il en est résulté de sévères perturbations pour l
´ensemble de la communauté africaine » 19. Il n´est pas donc surprenant que la
question de l´identité ait toujours été au coeur de la philosophie et de la littérature
africaine francophone, tout en préocuppant aussi la diaspora noire des Antilles et des
États-Unis d´Amérique. L´identité troublée se réfère surtout aux sujets concernant la
différence, altérité, étrangeté, métissage racial et culturel, exotisme, carcéralité ou
délinquance20 qui sont tous étroitement liés à l´errance et la tension entre deux
conceptions de la vie différentes. Et c´est avant tout la littérature d´exil et d
´émigration qui se concentre sur le destin de l´homme noir et qui accompagne cet «
homme de l´entre-deux-mondes » dès le début de la recherche de son identité perdue.
Mongo-Mboussa confirme que « l´exil traverse la littérature négro-africaine d
´expression française depuis Cahier d´un retour au pays natal de Césaire (1947)
jusqu´à L´Impasse (1996) du Congolais Daniel Biyaoula »21.
Au début de l´identité troublée de l´homme noir se trouve la vision de
supériorité des colonisateurs qui justifiaient leur conduite et leur attitude par des
théories raciales et culturelles eurocentristes. Dans ce cas la littérature et sa forme ont
joué un rôle important, car l´Afrique noire précoloniale cultivait la tradition de la
littérature orale, qui a été riche et complexe, néanmoins les colonisateurs ne la
reconnaissaient pas. Ainsi, comme le constate Koné, en tant que « "peuple sans
écriture", les Africains devinrent automatiquement un peuple sans histoire, sans

18
CHEVRIER, Jacques, « L´implantation du français en Afrique noire ». In REBOUILLET, André et
TÊTU, Michel, Guide culturel. Civilisations et littératures d´expression française, Paris, Hachette
1977, p. 265.
19
CHEVRIER, Jacques, Littératures d´Afrique noire de langue française, Paris, Nathan 2000, p. 65.
20
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 15.
21
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 29.

11
civilisation. Et donc un peuple enfant » 22. La littérature orale, cette « source
inépuisbale des interprétations du cosmos, des croyances et des cultes » 23,
a développé de nombreux genres, mythes, légendes, épopées ou contes, néanmoins
peu à peu elle a cédé devant la force de la littérature écrite. Et ce n´est qu´après l
´époque des indépendances qu´on recommence à s´intéresser et recueillir les trésors
de cette tradition, les paroles des griots africains. En 1967 Amadou Hampate Bâ
a appelé l´attention sur la menace qui pèse sur la littérature orale en constatant que
« dans l´Afrique d´aujourd´hui, chaque vieillard qui meurt, c´est une bibliothèque qui
brûle »24.
La forme écrite de la littérature africaine était inévitable ; sous l´influence de l
´école de type occidental les futurs écrivains ont appris à créer des oeuvres littéraires,
mais ce n´était pas un simple plaisir d´écrire qui les a menés à l´adoption de la forme
et de la langue étrangères. Koné souligne qu´« en effet, c´est, au départ, plus
simplement l´humanité qu´a recherchée l´écrivain africain dans la création littéraire
»25. Or cette humanité a été entièrement piétinée dans le sol par le colonisateur et « l
´acquisition de l´écriture semblait être le moyen pour le nègre de prouver qu´il était
un homme, une personne »26. Ainsi, en faisant la synthèse de la culture de deux
mondes, les écrivains ont commencé à écrire leur histoire littéraire. Cependant ce n
´est que progressivement que ce nouveau phénomène s´est imposé comme formant
une littérature originale, surtout dans le cas du roman, le genre prédominant dans la
littérature africaine francophone moderne. Avant l´arrivée des Européens le roman
demeurait inconnu aux Africains. Nordmann-Seiler l´explique en constatant que c´est
une forme littéraire « d´une étendue souvent considérable » qui « ne permet pas la
présentation ou la consommation en une fois » 27 et qui ainsi rend la transmission

22
KONÉ, Amadou, « J´écris donc je suis: Perspectives sur la problématique de l´écriture chez les
Africains ». In DIOP, Papa Samba (Éd.), Littératures et Sociétés Africaines. Regards comparatistes et
perspectives interculturelles. Mélanges offerts à János Riesz à l´occasion de son soixantième
anniversaire, Tűbingen, Gunter Narr Verlag 2001, p. 70.
23
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
13.
24
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 7.
25
KONÉ, Amadou, « J´écris donc je suis: Perspectives sur la problématique de l´écriture chez les
Africains ». In DIOP, Papa Samba (Éd.), Littératures et Sociétés Africaines. Regards comparatistes et
perspectives interculturelles. Mélanges offerts à János Riesz à l´occasion de son soixantième
anniversaire, Tűbingen, Gunter Narr Verlag 2001, p. 70.
26
Ibidem, p. 71.
27
NORDMANN-SEILER, Almut, La littérature néo-africaine, Paris, Presses Universitaires de France
1976, p. 61.

12
orale impossible. La deuxième raison de l´absence du roman se trouve dans la
situation de la société africaine : Nordmann-Seiler mentionne que la société reposait
sur l´entraide et l´interaction directe de ses membres, qu´elle n´était « absolument
pas individualiste »28. Le roman français est donc devenu le modèle du roman
africain qui l´imitait fidèlement pendant longtemps : Kesteloot constate que « les
écrivains noirs n´ont fait oeuvre vraiment personnelle qu´à partir du moment où ils
ont pris conscience de leur identité culturelle distincte »29.
En général, on considère comme le premier signe littéraire de cette prise de
conscience de la condition douloureuse de l´homme noir l´oeuvre de René Maran
Batouala, véritable roman nègre (1921). Ce livre annonce la naissance de la
littérature réellement africaine et prouve que, comme le souligne Dabla, « l´une des
caractéristiques notoires de la littérature africaine écrite en français réside dans sa
jeunesse »30. Inspiré par la perspective des romanciers naturalistes français, ce roman
critique le système colonial et appelle l´attention sur son hierarchie sociale où les
Noirs sont même moins que des animaux. Le fait que Batouala a remporté le Prix
Goncourt en 1921 a fait scandale, la société française a été exaspérée, l´Académie
Goncourt a été critiquée et Maran, jusque-là inconnu, a été pris pour menteur. Le
livre a été interdit, néanmoins son étincelle a jailli sur d´autres écrivains noirs de
toutes les colonies (Ousmane Socé, Paul Hazoumé ou Jacques Roumain) et elle a
abouti au dégagement de l´avalanche de la Négritude.
Les racines de cette première grande rupture avec le colonialisme se trouvent
aux années 1920 dans le quartier Harlem à New York, où s´est formé le mouvement
à caractère littéraire et social « New Negro », la Renaissance nègre (Langston
Hughes, W. E. B. Dubois, Claude Mackay etc.), qui manifestait la volonté de
« remettre le Noir américain en possession de sa personalité aliénée par la culture
dominante »31. Après l´échec du mouvement de nombreux jeunes intellectuels noirs
se sont exilés en France, particulièrement à Paris qui a toujours été hautement estimé
en tant que centre des événéments de portée mondiale. Ainsi ont-ils influencé

28
NORDMANN-SEILER, Almut, La littérature néo-africaine, Paris, Presses Universitaires de France
1976, p. 62.
29
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
10.
30
DABLA, Séwanou, Nouvelles écritures africaines. Romanciers de la Seconde Génération, Paris, L
´Harmattan 1986, p. 11.
31
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 36.

13
directement les écrivains de la future Négritude. Néanmoins les premières voix de la
Négritude venaient des Antilles où la nécessité de regagner son identité noire perdue
durant plus de trois siècles de l´assimilation et de l´asservissement intensifs était
encore plus forte – car, comme Chevrier le souligne, tandis que l´Africain, même
exilé, a pu conserver le contact avec sa tradition culturelle, « l´Antillais vit l
´expérience traumatisante d´un double dépaysement : par rapport à l´Afrique perdue
et mythique, et par rapport à son peuple avachi d´esclavage et de mimétisme » 32.
Ainsi le peuple antillais s´est-il trouvé coupé de ses racines et hésitant entre l
´ambiguïté de son identité, puisque « voulant être Blanc il se découvre Nègre et que
voulant être Nègre il constate qu´il est Blanc »33.
Pour mieux se faire entendre, les défenseurs de l´identité noire ont créé leurs
propres tribunes, les revues dont l´existence a été souvent éphémère, mais très
importante : La Revue du monde noir (novembre 1931 – avril 1932), Légitime
défense (un seul numéro en 1932) et L´Étudiant noir (1934 – 1940). Ces revues
propageaient l´identité libre et la singularité ethnique de l´homme noir et elles ont
récusé « la vision manichéiste d´un monde primitif livré à la nécessaire mission
civilisatrice de l´Occident » et elles réclamaient « une littérature authentique qui
parlât enfin du Nègre sans fard ni exotisme » 34. L´Étudiant noir, rédigé par un
groupe d´étudiants africains et antillais, représentait le forum de la Négritude
naissante – les pères de son idéologie aussi bien que ses porte-paroles sont devenus
Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas. Pour pouvoir
exprimer leur angoisse existentielle des hommes noirs qui sont devenus étrangers
à eux-mêmes et leur revendication de la reprise en main de leur propre destin, les
créateurs de la Négritude ont choisi la poésie, non seulement puisqu´ils étaient
influencés par la tradition classique gréco-romaine et aussi par le surréalisme français
(Césaire a rencontré en 1941, après la fondation de la revue Tropiques, à Fort-de-
France André Breton qui a admiré son oeuvre Cahier d´un retour au pays natal),
mais surtout puisque leur révolte était une pure passion de douleur que seule la
poésie pouvait découvrir. Ainsi est née la Négritude, ce « Grand Cri Noir » 35, qui de l

32
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 67.
33
Ibidem, p. 70.
34
Ibidem, p. 37.
35
NGANANG, Patrice, Manifeste d´une nouvelle littérature africaine. Pour une écriture préemptive,
Paris, Homnisphères 2007, p. 151.

14
´avis de Césaire était « premièrement l´affirmation, la réclamation d´un héritage, cela
a été la revalorisation d´un héritage noir, la revalorisation de l´Afrique […] Et l
´affirmation de notre volonté non seulement de rester fidèle à cet héritage, mais
encore de développer cet héritage » 36. Cette prise de conscience des intellectuels
noirs, la reconnaissance des valeurs culturelles et la réhabilitation de l´Afrique a
restitué, comme l´affirme Midiohouan, « à "nègre" sa signification positive » 37 ; à ce
fait a contribué aussi l´étude systématique et stimulante de ce mouvement, écrite par
Jean-Paul Sartre dans la préface de L´Anthologie de la nouvelle poésie nègre et
malgache (1948) de Senghor. Dans son Orphée noir Sarte s´adresse d´abord au
monde occidental38 avant de faire une analyse des causes de la Négritude et de son
avenir ; de l´avis de Sartre la Négritude avait un caractère transitoire, elle représentait
un degré intermédiaire, une tension entre un passé perdu à jamais et un avenir où elle
cédera sa place à des valeurs nouvelles – ce qui s´est vraiment réalisé après les
indépendances.
Parallèlement à ce premier essor de la poésie africaine de langue française
(citons encore Birago Diop, Jean-Joseph Rabearivelo ou Flavien Ranaivo) il était
possible d´observer l´éclosion d´une première génération de romanciers, nouvellistes
et essayistes marqués par la Négritude. Leur tribune est devenue la revue Présence
Africaine qui, lancée simultanément à Paris et à Dakar en 1947, constitue (aussi
comme une maison d´édition) « un événement majeur pour la reconnaissance et la
promotion de la littérature africaine » 39. Les thèmes de la recherche de l´identité ont
été développés également dans des pièces de théâtre. Le théâtre néo-africain a pris
naissance, comme l´affirme Nordmann-Seiler40, sous l´influence de la Négritude dans
36
KESTELOOT, Lilyan, Césaire et Senghor: un pont sur l´Atlantique, Paris, L´Harmattan 2006,
p. 65.
37
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 16.
38
« Qu´est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires? Qu
´elles allaient entonner vos louanges? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu´à terre par la
force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l´adoration dans leurs yeux? Voici des hommes
noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d´être vus.
Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu´on le voie ; il était regard pur […]
Aujourd´hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches
noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions
balancés par le vent. » SARTRE, Jean-Paul, « Orphée noir ». In SENGHOR, Léopold Sédar,
Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, Presses universitaires
de France 1969, p. 9.
39
CHEVRIER, Jacques, Littératures d´Afrique noire de langue française, Paris, Nathan 2000, p. 24.
40
NORDMANN-SEILER, Almut, La littérature néo-africaine, Paris, Presses Universitaires de France
1976, p. 39.

15
la célèbre école « William-Ponty » au Sénégal, où les auteurs dramatisaient le
matériel ethnographique qu´ils avaient rapporté de leurs villages.
A partir des années 1950 l´Afrique était témoin d´une série de
bouleversements politiques et sociaux qui annonçaient les changements décisifs. Il
était de plus en plus évident que le cri de la grande révolte n´avait pas été réduit au
silence, qu´il n´avait pas été seulement une chanson nostalgique du passé perdu, que l
´homme noir était vraiment résolu à se débarasser de son « vêtement d´emprunt » 41,
celui de l´assimilation, à tenir sa destinée entre ses mains et affronter l´angoisse
quotidienne de vivre. En 1950 les étudiants noirs ont fondé la FEANF 42 et ensuite,
Alioune Diop, fondateur de la Présence Africaine, a organisé au nom de la Société
africaine de culture (SAC) des cycles de conférences destinées à faire connaître le
peuple noir et ses préoccupations. La SAC a organisé aussi les deux grands congrès
internationaux (le premier à Paris en 1956, le second à Rome en 1959) dont les sujets
principaux tournaient autour du racisme, de la suppression de la tradition africaine
(culturelle, de religion) par la colonisation occidentale et de ses survivances dans la
culture en Amérique française et portugaise. Du fait de l´interaction et de l´activité
de toutes ces organisations, l´idéologie de l´indépendance se mettait peu à peu en
place.
Tous ces grands changements se reflètent dans la littérature : après le règne de
la poésie pendant les années 1939 à 1950 (qui a presque gommé la production
romanesque) arrive l´âge du roman et ce genre prosaïque demeurera dominant même
jusqu´à aujourd´hui. Cette irruption du roman s´explique par sa capacité de décrire,
de donner une image plus précise sur les conditions d´existence des Noirs, d
´expliquer et analyser davantage que la poésie la nouvelle société qui était en train de
s´édifier. Charles Bonn souligne que le roman africain des années 1950 a été toujours
réaliste car « soumis à un projet politique et moral qui utilise l´écriture romanesque :
projeter la lumière sur la réalité coloniale » 43. Et celle-ci a été vue comme « le temps
de la négation de l´homme, le temps de la frustration permanente » 44. Les jeunes
écrivains avaient pour but de subvertir avec leur plume l´esprit de domination
41
La citation de Senghor tirée de KESTELOOT, Lilyan, Les Écrivains noirs de langue française :
naissance d´une littérature, Bruxelles, Université libre de Bruxelles 1965, p. 340.
42
La Fédération des étudiants d'Afrique noire en France.
43
BONN, Charles et al., Littérature francophone. I. Le roman, Paris, Hatier 1997, p. 21.
44
NKASHAMA, Pius Ngandu, La littérature africaine écrite en langue française, Issy-les-
Moulineaux, Les Classiques africains 1979, p. 47.

16
coloniale et montrer la réalité africaine authentique (Chevrier classifie ce type de
romans comme « les romans de la contestation » 45). Ainsi Camara Laye, Mongo Beti,
Cheikh Hamidou Kane, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane,
Édouard Glissant, Jacques-Stephen Alexis, Jean Malonga, Ake Loba, Olympe Bhêly-
Quenum, Seydou Badian et beaucoup d´autres racontent-ils, en critiquant la situation
coloniale, les histoires de l´homme noir au seuil de changements personnels et
sociaux, le passage d´un monde à l´autre, de l´enfance à l´âge d´homme, de la
campagne à la ville, de la tradition à la modernité, et parfois de l´Afrique à l´Europe.
Ce passage aboutit souvent à la tragédie, à la désillusion et au sentiment d´aliénation
des protagonistes.
Au cours des années 1950 les idées de l´indépendance de l´Afrique coloniale
devenaient de plus en plus fortes et pressantes, la Conférence de Brazzaville (janvier
1944, organisée par le Général de Gaulle) qui faisait des Africains « les Citoyens de l
´Union Française » n´avait pas satisfait les aspirations et l´euphorie des territoires
impatients. La situation politique existante était intenable, vers la fin de la décade le
pouvoir des colonisateurs a succombé définitivement à la force de la volonté des
peuples opprimés : le 24 août 1958 le Général de Gaulle (aussitôt appelé en Afrique
« l´homme des indépendances »46) a proposé les indépendances aux territoires
africains. En 1958 la Guinée a été la première colonie française de l´Afrique noire
émancipée, toutes les autres ont recouvré leur souveraineté en 196047.
Dans l´atmosphère de « l´euphorie des indépendances » 48 qui correspond aux
années 1960 – 1969 de nombreux intellectuels africains ont été immédiatement
promus à des postes de responsabilité, ainsi par exemple Léopold Sédar Senghor est
devenu le premier président du Sénégal. La production littéraire a continué dans sa
résolution d´être tout d´abord le témoin des évenements sociaux, les écrivains se sont
déployés, dans un premier temps, selon trois voies principales : le roman social
(Cheikh Hamidou Kane, Henri Lopes, Francis Bebey ou Médou Mvomo), les écrits d
´inspiration traditionnelle qui s´appuient sur la redécouverte de la littérature orale

45
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 103.
46
WYNCHANK, Anny et SALAZAR, Philippe-Joseph, Afriques imaginaires. Regards réciproques
et discours littéraires 17e – 20e siècles, Paris, L´Harmattan 1995, p. 212.
47
MAZRUI, Ali Al'amin et al., Histoire générale de l´Afrique VIII. L´Afrique depuis 1935, Paris,
Présence Africaine 1998, p. 125.
48
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
231.

17
(Nazi Boni, Boubou Hama, Nafissatou Diallo) et le théâtre historique (Amadou Cissé
Dia, Bernard Dadié, Bernard Zadi, Jean Pliya, Charles Nokan). Il faut mentionner
que tout comme les années 1950 constituaient une période de renouvellement du
roman africain, les indépendances ont inauguré un renouvellement du théâtre. L
´euphorie de l´époque s´est manifestée plus visiblement dans la poésie ; les poètes
(Charles Ngandé, Malick Fall, Lamine Diakhaté) célébraient la liberté par les
oeuvres d´une émotion directe, parfois très simples.
Cependant cette euphorie n´a pas duré éternellement, elle est tombée dans le
néant assez vite. De nombreux pays, ayant obtenu la liberté, n´ont pas été capables de
maintenir leur développement dans la paix et l´équilibre socio-politique. Ainsi
surgissent des régimes à parti unique, des coups d´État militaires, des dictatures, la
politique des répressions, corruptions et détournements des richesses des États,
accompagnée par des crises économiques et des famines. Sur le plan littéraire,
Jacques Chevrier constate que cette époque a engendré, pour l´essentiel, « une
littérature de désenchantement et de désillusion » 49. Tous les auteurs, à des degrés
divers, ayant observé les problèmes survenus après les indépendances, ont refusé de
rester figés sur « la vision utopiste de la Négritude » 50. Ils préféraient la vérité du
témoignage sincère, ce qui leur a coûté souvent cher : ils ont été condamnés au
silence involontaire, à la prison ou à l´exil. La poésie de l´esprit de la Négritude était
épuisée, les poètes (Tchicaya U Tam´si, Jean-Baptiste Tati Loutard) ont retrouvé le
sens du lyrisme personnel. Les écrivains cultivaient le genre de la nouvelle (du
caractère caricatural, pamphlétaire, allusif, etc.), dans le genre romanesque et
dramatique (Bernard Dadié, Maxime Ndebeka) pénétrait la satire politique. Les
romanciers s´interrogeaient sur l´évolution de leurs sociétés, traduisaient leur mal d
´être à travers les faits de leurs personnages qui représentaient aussi le reflet de la
dégradation de la société où ils évoluaient. Les noms des écrivains de cette époque-là
abondent. Citons au moins Ahmadou Kourouma dont l´oeuvre Les soleils des
indépendances représente une révolution dans la création littéraire, surtout grâce au
fait que Kourouma a inventé une langue d´écriture romanesque qui s´est enrichie des
traces nombreuses de sa langue maternelle, le malinké. Mais il y a aussi Yambo

49
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 139.
50
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
255.

18
Ouologuem, Tierno Monénembo, Sony Labou Tansi, Georges Ngal, Amadou Koné,
Tchivéla Tchichellé, Alioum Fantouré, Amadou Ousmane, Abdou Anta Ka,
Emmanuel Dongala, Massa Makan Diabaté, Denis Oussou-Essui.
Le sentiment de malaise existentielle qu´exprimait la plupart des écrivains
après les indépendances pourrait s´appliquer à la quasi-totalité des oeuvres
romanesques publiées à partir des années 1980, c´est-à-dire aux ouvrages des
écrivains qui forment la dernière génération dans le développement de la littérature
africaine d´expression française. Ces « enfants de la post-colonie » 51 écrivent la
littérature qui « se veut témoignage sur l´homme, témoignage fondé sur l
´individualité la plus profonde, la plus universelle »52. C´est que tous ces récits
dévoilent une même réalité, souvent terrible, qui va de la désagrégation du
personnage à la décomposition de l´univers qui l´entoure. Ce qui distingue ces
écrivains de leurs prédécesseurs, c´est un regard de nature et de portée différentes : il
n´est pas tourné nécessairement vers le continent noir, mais plutôt sur soi. Odile
Cazenave mentionne à l´adresse de ces auteurs que « souvent peu préoccupés par l
´Afrique elle-même, leurs oeuvres découvrent un intérêt pour tout ce qui est
déplacement, migration, et posent à cet égard de nouvelles questions sur les notions
de culture et d´identités postcoloniales, telles qu´elles sont perçues et vécues depuis
la France »53. Or cette nouvelle génération se fonde sur les écrivains qui ont décidé
de s´établir en France (à Paris) et qui produisent actuellement les trois quarts de ce
qui sort en littérature africaine. Fonkoua constate que pour cette raison les oeuvres de
cette génération « peuvent être considérées dans leur ensemble commes des
"dialogues d´exilés" »54.
Le héros des romans est souvent un homme du commun, presque futile ou
dérisoire, un personnage errant, humilié, perdu, avec le sentiment d´une profonde
aliénation. Kesteloot mentionne que ces personnages vivent dans des décors et
situations qui « vont du rouge sang (guerres, meurtres, répressions, tortures) au
51
CHEVRIER, Jacques, Littératures francophones d´Afrique noire, Aix-en-Provence, Édisud 2006,
p. 160.
52
DIOP, Papa Samba, « Littérature francophone subsaharienne : une nouvelle génération? », Notre
librairie, no 146, Nouvelle génération, octobre – décembre 2001, p. 12.
53
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 8.
54
FONKOUA, Romuald, « Roman et poésie d´Afrique francophone : de l´exil et des mots pour le
dire », Revue de littérature comparée, no 1 (67ème année), Littératures d´Afrique noire, janvier – mars
1993, p. 25.

19
bourbeux (corruptions, viols, débauche sexuelle, drogues, prostitutions) quand ce n
´est pas au noir absolu »55. Ainsi peut-on suivre dans les romans contemporains l
´importance croissante de la ville, le symbole du rêve d´une meilleure vie qui le plus
souvent tourne au cauchemar et n´offre en effet aux protagonistes que des obstacles,
la désillusion et la misère.
Néanmoins les changements se réalisent également dans la manière de
raconter, surtout au niveau du narrateur et du langage. Chevrier souligne que
désormais le narrateur omniscient du roman classique « cesse d´être l´instance
unique du récit et il doit de plus en plus partager ce statut privilégié » 56, il cède la
place (ou la partage) avec le protagoniste (ou les personnages secondaires) qui se
racontent à la première personne. L´innovation se manifeste aussi dans le mélange
des genres et des tons, les romanciers enrichissent leurs oeuvres par de nombreux
néologismes, des mots en langues africaines ou des traductions littérales. Cependant
le roman contemporain ne se concentre pas sur ce ton expérimental, les auteurs qui s
´intéressent à des jeux purement formels sont plutôt rares. Charles Bonn explique
cette orientation des écrivains en constatant que « les enjeux sont sans doute trop
importants pour permettre la gratuité dans l´écriture. La quête vitale de l´identité a
disqualifié chez eux toute forme de goût pour le superflu »57.
L´innovation de la génération contemporaine représente aussi la production
littéraire croissante des femmes. Or avant les années quatre-vingt, il n´y a
pratiquement pas d´écrivains féminins en Afrique. L´explication est, de l´avis de
Kesteloot58, simple : la vision traditionnelle de la femme la vouait aux occupations du
foyer et la privait de la possibilité de s´instruire et d´exprimer ses opinions. Le sujet
prédominant des romans des femmes auteurs devient donc l´aliénation de la femme
dans la société patriarcale et souvent polygame, l´homme est présenté comme le
grand responsable de ses souffrances. Ainsi, à part des auteurs marquants masculins
de cette génération, comme est Daniel Biyaoula, Alain Mabanckou, Patrice Nganang,
Sami Tchak, Simon Njami, Jean-Roger Essomba, Yodi Karone, Kangni Alem ou
Kossi Effoui, devons-nous mentionner les femmes de lettres, avant tout Calixthe
55
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
272.
56
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 153.
57
BONN, Charles et al., Littérature francophone. I. Le roman, Paris, Hatier 1997, p. 22.
58
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
280.

20
Beyala, Mariama Bâ, Angèle Rawiri, Aminata Maïga Ka, Delphine Zanga, Régine
Yaou ou Anne Marie Adiaffi.
La production poétique et dramatique est également influencée par la vision
préoccupante de l´homme qu´offre le roman, néanmoins elle ne s´est pas détachée de
ses prédécesseurs si rapidement. Ainsi la poésie africaine contemporaine s´oriente-t-
elle dans trois directions essentielles 59 : celle des épigones de la Négritude, celle de la
poésie militante qui conteste une vision idyllique de l´Afrique pré-coloniale et celle
de la poésie qui réalise une synthèse d´enracinement dans le passé et d´ouverture sur
le monde contemporain. Citons par exemple Frédéric Pacéré Titanga, Pierrette
Sandra Kanzié, Paul Dakeyo, Alain Mabanckou, Fernando d´Almeida et Bernadette
Sanou. La production dramatique se développe dans trois directions principales 60, c
´est-à-dire la dénonciation du colonialisme et de ses séquelles, l´analyse des conflits
de génération et la satire des moeurs politiques des États nouvellement indépendants.
Entre les auteurs dramatiques marquants citons Marouba Fall, Sylvian Bemba,
Bernard Dadié, Diawara Gaoussan, Philippe Elebe Lisembe, Bernard Zadi-Zaourou.
Néanmoins il y a une question d´identité qui se réfère à cette génération
contemporaine et qui n´a pas encore été résolue : c´est celle des littératures
nationales. Jusqu´aux années 1980 toute la production littéraire des Africains noirs
écrite en langue française constituait indifféremment le corpus unique, ce qui prouve
la conscience des écrivains de combattre pour les mêmes idéaux, pour la patrie
africaine. Mais la critique contemporaine est arrivée à la conclusion que cette
production littéraire était un ensemble trop vaste et disparate et qu´il fallait la
diversifier en littératures nationales. Toutefois la plupart des jeunes écrivains ont
refusé d´« entrer dans ces querelles de mandarins » et ont déclaré qu´ils « ne voyaient
nulle contradiction entre être auteur africain et auteur sénégalais » 61. Ainsi ont-ils
confirmé leur volonté d´écrire sur l´Afrique et pour l´Afrique, sans être écroués entre
les balustrades de la classification par nationalité.
La littérature africaine francophone a traversé, depuis Batouala jusqu´à l
´époque contemporaine, des changements tumultueux et elle a dû vaincre de
nombreux obstacles en quête de sa propre identité. Même si elle est qualifiée de
59
CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin 2004, p. 92.
60
CHEVRIER, Jacques, Littératures d´Afrique noire de langue française, Paris, Nathan 2000, p. 84.
61
KESTELOOT, Lilyan, Anthologie négro africaine. Panorama critique des prosateurs, poètes
et dramaturges noirs du XXe siècle, Poitiers, Edicef 1992, p. 485.

21
« jeune littérature », elle représente déjà un véritable phénomène qui a trouvé sa
place dans les littératures du monde. Kesteloot mentionne que c´est la conséquence
de « l´abondance et la qualité des oeuvres, la diversité des styles et des genres, l
´incontestable originalité des tempéraments »62 ; Arielle Thauvin-Chapot l´affirme en
constatant que le roman africain est déjà entré « dans l´âge adulte » 63. Ainsi la
littérature africaine francophone a-t-elle accédé au stade où elle commence à
influencer les autres ; Jacques Chevrier constate qu´elle représente aussi l´avenir de
la langue française, « un avenir qui de plus en plus va se jouer en dehors de la
France ; soit dans l´ensemble européen, soit dans ces pays du Sud, dont les habitants
sont tout de même plus nombreux que ceux de l´Hexagone » 64. Pour le lecteur, la
littérature africaine représente aussi le témoignage sur le monde contemporain :
Chevrier souligne que « ces littératures fonctionnent aussi beaucoup sur le mode de
reportage ; indépendamment de la dimension romanesque, il y a toujours une portée
politique, sociale, qui est extrêmement importante » 65. Il paraît donc qu´après avoir
surmonté des moments difficiles dans le passé, la littérature africaine francophone n
´a que de bonnes perspectives d´avenir.

1.2 Biographies

Daniel Biyaoula

Daniel Biyaoula66 est né le 11 septembre 1953 au Congo Brazzaville. Il a fait


ses études primaires et secondaires à Linzolo, puis au lycée Savorgan de Brazza

62
KESTELOOT, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Éditions Karthala 2004, p.
6.
63
THAUVIN-CHAPOT, Arielle, « Une littérature romanesque nouvelle en Afrique francophone ».
In GRASSIN, Jean-Marie (Éd.), Littératures émergentes. Actes du XIe Congrès de l´Association
Internationale de littérature comparée, Bern, Peter Lang 1996, p. 109.
64
CHEVRIER, Jacques – l´entretien. In CÉVAËR, Françoise, Ces écrivains d´Afrique noire, Ivry-sur-
Seine, Éditions nouvelles du Sud 1998, p. 174.
65
Ibidem, p. 176.
66
TATI LOUTARD, Jean-Baptiste et MAKITA, Philippe, Nouvelle anthologie de la littérature
congolaise d´expression française, Paris, Hatier International 2003, p. 118.
http://www.gnammankou.com/litterature_biyaoula.htm (consulté le 24/11/09)

22
avant de se rendre en France. Là, il a étudié d´abord à la faculté des Sciences de
Reims, puis à celle de Dijon et enfin à l´École nationale de biologie appliquée à l
´alimentation où il a passé son doctorat en microbiologie. Actuellement il réside dans
la région parisienne.
En tant qu´homme de sciences Biyaoula inscrit dans la littérature son regard
qui scrute l´existence des Africains qui se battent en France pour leur survie, à cheval
entre leurs racines ancestrales et la modernité des sociétés européennes. Ses romans
jouissent d´une grande vogue et de la faveur du public, aussi bien que de la critique :
pour un coup d´essai, son premier roman, L´Impasse (1996), a été un coup de maître
car il a obtenu le Grand Prix Littéraire de l´Afrique Noire en 1997. Il a publié deux
autres romans, Agonies (1998) et La source des joies (2002) et des nouvelles : Le
destin de Zu (1997), Le mystère de la « Tortue » (2001) et Le Dernier Homme
(2002). Biyaoula est aussi le co-auteur de l´ouvrage historique collectif Pouchkine et
le monde noir (1999).

Alain Mabanckou

Alain Mabanckou67 est né le 24 février 1966 au Congo Brazzaville. Après des


études supérieures à l´université Marien-Ngouabi, il s´est rendu en France et il a
continué ses études à l’Université Paris-Dauphine (Paris IX) où il a obtenu un
diplôme d´études approfondies en Droit des affaires. Il a été à la fois conseiller dans
une filiale du groupe Suez-Lyonnaise des Eaux de Paris et producteur et animateur
des émissions culturelles à Média Tropical. Mabanckou a co-dirigé la collection
« Poètes des cinq continents » aux éditions de L´Harmattan, parallèlement il a publié
des livres de poésie dont une a été couronnée par le Prix Jean-Christophe de la
Société des poètes français, puis il a fait paraître son premier roman, Bleu-Blanc-
Rouge, qui lui vaut le Grand prix littéraire d’Afrique noire.
Il a bénéficié d’une résidence d’écriture aux États-Unis en 2001 et a
démissionné de la Lyonnaise des Eaux lorsque l’Université du Michigan lui a
67
TATI LOUTARD, Jean-Baptiste et MAKITA, Philippe, Nouvelle anthologie de la littérature
congolaise d´expression française, Paris, Hatier International 2003, p. 113.
http://www.alainmabanckou.net/Biographie (consulté le 24/11/09)

23
proposé le poste de Professeur des littératures francophones en 2002. Il y a enseigné
pendant quatre ans avant d’accepter l’offre de la prestigieuse Université de
Californie-Los Angeles, où il enseigne actuellement au Département d’études
francophones et de littérature comparée. Alain Mabanckou est récipiendaire de la
bourse la plus prestigieuse des Humanités de Princeton University (USA) au titre de
« Fellow in the Humanities Council and the French and Italian department ».
L´oeuvre de Mabanckou a pour socle la poésie. Ses cinq recueils de poèmes –
Au jour le jour (1993), L´Usure des lendemains (1995, prix Jean Christophe de la
Société des poètes français), La légende de l´errance (1995, le récit-poème que
Mabanckou a consacré à sa mère après sa mort), Les arbres aussi versent des larmes
(1997), Quand le coq annoncera l´aube d´un autre jour (1999) – traduisent une
certaine angoisse au contact des choses et des êtres de notre époque bouleversée.
Vivant à Paris, Mabanckou ressent les pointes douloureuses de l´exil et il évoque
souvent son pays.
La problématique de l´homme exilé qui reste coincé entre deux mondes
continue à préoccuper l´écrivain même dans ses oeuvres romanesques. Les romans
de Mabanckou ont connu un grand succès auprès du public et la critique a chanté les
louanges de leur auteur : Bleu-Blanc-Rouge (1998, le Grand Prix Littéraire de
l’Afrique Noire en 1999), Et Dieu seul sait comment je dors (2001), Les Petits-Fils
nègres de Vercingétorix (2002), Africain psycho (2003), Verre cassé (2005, le Prix
des Cinq continents de la Francophonie, le Prix Ouest-France /Étonnants Voyageurs
et le Prix RFO du livre. Sélectionné par le jury du Prix Fémina, Verre Cassé a été
finaliste au Prix Renaudot 2005), Mémoires de porc-épic, (2006, le roman a reçu le
Prix Renaudot 2006, le Prix Aliénor d’Aquitaine 2006 et Le Prix de la rentrée
littéraire française 2006) et Black Bazar (2009, le roman a été classé parmi les 20
meilleures ventes de livres en France).

24
2. Exil en tant que déclencheur de l´identité troublée

Partir. C´est un phénomène qui est la partie intégrante de l´histoire humaine.


Qu´il s´agisse du départ volontaire ou du départ sous contrainte, il est toujours
étroitement lié au sentiment ambigu, voire contradictoire : d´un côté c´est l´espoir de
trouver « ailleurs » de meilleures conditions de vie, et de l´autre côté, le sentiment d
´éloignement, rupture, nostalgie, provoqué par la privation du lieu natal où l´homme
se sentait « chez soi ». Or, le départ ouvre les portes d´un espace inconnu, plein d

25
´attentes et d´incertitudes, un espace instable dans lequel les trajets des destinées des
hommes, des individus aussi bien que des groupes, se rencontrent, se croisent ou se
heurtent sans offrir un point d´appui fixe. Rester, c´est choisir la voie « droite », celle
de le sûreté, de « l´être, de l´identité et du même » 68, tandis que partir signifie prendre
la voie « sinistre », celle du « non-être, de l´altérité ou du manque-à-être » 69. Cette
voie, en tant que changement de l´espace vécu, est souvent l´occasion d´une épreuve,
sa motivation est « révélatrice de la psychologie » 70 de l´homme, aussi bien que « de
sa situation et de son rapport au monde »71. Ainsi, le départ découvre les désirs et les
angoisses de l´homme, et ses conséquences peuvent différer considérablement, car la
gravité de leur influence sur la formation d´une personnalité varie, en général, selon
la cause et la motivation du départ et la durée de la vie « ailleurs ». Or, « partir,
c´est simple ; partir pour toujours, c´est possible ; partir pour vivre ailleurs, c´est
changer de monde »72. Cette dernière variante du départ signifie la séparation de l
´homme de son « chez soi » ; le « changement de monde » devient encore plus
pénible et fatal si le monde nouveau, le « monde d´accueil » représente une
civilisation tout à fait différente, éloignée du point de vue culturel et traditionnel, et
si le départ de l´homme est définitif.
Ce « changement de monde », provoqué par le départ du pays natal, est
généralement identifié comme l´exil. L´idée de l´exil est souvent étroitement liée au
bannissement, et ainsi définie comme « l´action d´expulser quelqu´un hors de sa
patrie sans possibilité de retour » 73 et comme la situation qui résulte de cette action, c
´est-à-dire « la condition de celui qui est ainsi banni » 74. L´exil n´est pas seulement l
´acte de l´expulsion, de l´abandon du pays natal, conçu comme le voyage en trois
étapes « départ - chemin - arrivée » et ainsi perçu en tant que « mouvement du
corps » ; l´exil, c´est avant tout « l´esprit jeté en chemin » 75. Ainsi, nous pouvons

68
KANE, Momare Désiré, Marginalité et errance dans la littérature et le cinéma africains
francophones. Les carrefours mobiles, Paris, L´Harmattan 2004, p. 41.
69
Ibidem, p. 41.
70
PARAVY, Florence, L´espace dans le roman africain francophone contemporain (1970 – 1990),
Paris, L´Harmattan 1999, p. 17.
71
Ibidem, p. 17.
72
DREVET, Claude, « L´exil intérieur ». In NIDERST, Alain (Éd.), L´Exil. Actes du colloque,
Strasbourg, Klincksieck 1996, p. 218.
73
MÉVEL, Jean-Pierre et al., Dictionnaire Hachette, Paris, Hachette Livre 2004, p. 587.
74
Ibidem, p. 587.
75
NGANANG, Patrice, Manifeste d´une nouvelle littérature africaine. Pour une écriture préemptive,
Paris, Homnisphères 2007, p. 247.

26
comprendre l´exil, le déplacement physique de l´homme d´un pays à un autre (ou
même d´un continent à un autre) surtout comme une impulsion puissante qui ensuite
influence l´état d´esprit de l´homme exilé. Néanmoins, le « changement de monde »,
pour être radical et dur, représente une expérience douloureuse, et pour cette raison
son impact sur l´homme (surtout s´il s´agit d´un individu) n´est pas généralement
positif et son influence est plutôt nocive. Patrice Nganang constate qu´ainsi, le
chemin qui s´ouvre devant les pas de l´homme exilé devient-il une « souffrance d
´âmes départagées, déchirement de consicences bousculées, ambiguïté » 76. Or, même
une communauté de compatriotes exilés ne peut pas souvent compenser àl
´homme la perte du contact direct avec son pays natal, sa culture et sa famille.
Cependant, nous soulignons qu´il faut prendre en considération le contexte
précis de l´exil, car s´il implique toujours une forme de déracinement, il apporte à l
´homme toute une gamme des conséquences possibles. Christiane Albert mentionne
que l´exil « n´est pas vécu de la même façon selon les époques et il varie selon les
circonstances qui le provoquent, le choix du pays d´accueil, les modes d´intégration
dans le pays et les réactions et sentiments qu´il suscite » 77. Dans ce cas, la relation
entre la culture d´origine d´un côté et les coutumes culturels du pays d´accueil de l
´autre côté jouent un rôle prépondérant, car c´est leur ressemblance ou leur caractère
différent qui décident de la capacité de l´homme exilé de s´accomoder d´une
nouvelle vie dans le pays d´accueil.
Cette rencontre de deux cultures et conceptions de vie différentes est devenue
spécifique pour la caractéristique de la production littéraire d´exil d´origine africaine.
D´ailleurs, la littérature africaine, écrite en langue française 78, trouve ses origines
dans la situation coloniale et elle est donc même « née d´un certain type de rencontre
avec l´autre, l´étranger »79. Moukouri Edeme constate que « parler des Noirs et de l
´exil, c´est d´aborder un chapitre douloureux » 80, car la France, en tant que pays d

76
Ibidem, p. 247.
77
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 26.
78
Les circonstances et les causes historiques de l´emploi du français en tant que du moyen d
´expression par les Africains colonisés sont expliquées dans le chapitre précédent.
79
PARAVY, Florence, « L´altérité comme enjeu du champ littéraire africain ». In FONKOUA,
Romuald (Éd.), Les champs littéraires africains, Paris, Karthala 2001, p. 214.
80
MOUKOURI EDEME, Michel, « Négritude et exil », Revue Versants, no 10, L´Écrivain et l´exil,
1986, p. 109.

27
´accueil, n´est pas toujours accueillante ; la condition du Noir exilé est encore
aggravé à cause de la couleur de sa peau.
Néanmoins, la problématique de l´exil africain francophone nécessite encore
une spécification terminologique, car sur la notion de « l´exil », en tant que
« changement de monde », les théoriciens littéraires et les écrivains africains
francophones n´adoptent pas un point de vue identique : ils utilisent le terme « exil »,
mais aussi « émigration » ou « immigration ». Ces notions ont, à notre avis, trois
aspects fondamentaux : le premier aspect montre la relation spatiale, c´est-à-dire les
points de vues différents sur l´homme qui quitte sa patrie. L´émigration représente le
déplacement vu de l´Afrique, l´immigration, en tant que l´entrée dans un pays, offre
le point de vue de la France. Le deuxième aspect se réfère aux causes du départ de la
patrie, entre lesquelles prédominent soit des raisons politiques (dans ce cas on parle
de l´exil, en tant que du « mal social radical » 81 car il implique la rélégation, donc le
départ involontaire), soit des raisons économiques (cette situation est souvent décrite
comme l´immigration qui implique la décision volontaire). Enfin, le troisième aspect
représente la question de la possibilité du retour au pays natal. Si l´homme est banni
définitivement, on parle de l´exil, mais si le retour de l´exilé est possible et ne dépend
que de la décision de ce dernier, on parle plutôt de l´immigration. Néanmoins, c´est
la notion générale de l´« exil » qui prédomine dans cette quantité d´aspects et d
´arguments et nous nous permettrons de l´utiliser dans le contexte de la littérature
africaine francophone aussi.
L´exil qui devient pour l´Afrique « à la fois un fait et un thème » 82 acquiert
des formes différentes, ainsi peut-on distinguer dans sa représentation littéraire trois
périodes distinctes qui déterminent des configurations narratives différentes. La
première commence pendant la colonisation et s´achève dans les années 1960. Il s
´agit là de séjours des travailleurs exilés ou de séjours temporaires des intellectuels,
liés en principe « à l´assurance d´un retour au pays, le diplôme en poche sanctionnant
la possibilité d´un travail, d´une carrière une fois de retour chez soi » 83. Même si l
´exil de cette période est vécu de façon négative – la plupart des personnages, vivant

81
TOSEL, André, « Communauté d´exils et exils communautaires ». In GIOVANNONI, Augustin
(Éd.), Écritures de l´exil, Paris, l´Harmattan 2006, p. 243.
82
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 29.
83
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 180.

28
en France (donc au coeur d´une civilisation différente) « retournent brisés vers leurs
terres natales »84 – il ne laisse pas de traces sombres dans l´esprit de l´exilé ; celui-ci
finit par retrouver son équilibre mental au sein de son pays natal, son retour n
´implique aucun reniement de ses origines.
Pendant la seconde période qui commence avec les indépendances
et s´achève autour des années 1980 nous pouvons observer, de l´avis de Christiane
Albert, une sorte de fléchissement du thème. L´auteur explique que cela se doit au
fait que « au fur et à mesure que des Universités se crééront dans les anciennes
colonies, la nécessité de faire des études en France ne s´imposera plus » 85. Ainsi, la
figure du jeune étudiant en France disparaissait de la littérature et n´est apparue que
dans quelques récits autobiographiques. Mongo-Mboussa mentionne un autre trait
important du changement dans la littérature d´exil : il constate que « si, dans les
romans des années 1950, l´exil est essentiellement géographique, on assiste à partir
des Indépendances – du fait même de l´émergence des pouvoirs dictatoriaux – à la
présence dans les textes africains de ce qu´on pourrait appeler l´exil intérieur » 86. En
effet, privés des libertés essentielles (de presse, d´opinion etc.) et ne pouvant pas
partir, les écrivains « étouffent dans leur pays natal » 87 et traduisent leur mal d´être à
travers les faits et gestes des personnages qu´ils mettent en scène.
A partir des années 1980 le sujet de l´exil acquiert une grande visibilité,
puisque de nombreux écrivains africains s´exilent en France. Dans la littérature
apparaît ainsi un nouveau personnage : l´exilé politique qui s´enfuit de l´Afrique à
cause du régime dictatorial. L´exil devient un des thèmes majeurs de la dernière
génération des auteurs de la littérature africaine francophone, avant tout de ceux qui
se sont établis en France (à Paris) et reflètent dans leurs oeuvres leurs propres
84
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 30.
85
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 27.
86
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 31.
Dans le même contexte, Jacques Chevrier parle de « l´exil du dedans » (voir CHEVRIER, Jacques,
« D´un exil à l´autre : Exil du dehors et exil du dedans chez les romanciers africains contemporains » .
In MARCATO FALZONI, Franca (Éd.), Animisme et technologie dans la littérature francophone
subsaharienne, Bologna, CLUEB 1989, p. 114).
En relation avec la notion de « l´exil intérieur » Claude Drevet souligne que s´est une forme d´exil
plus subtile, moins saisissable, qui pousse à vivre dans le rêve personnel. Dans ce cas, « la fuite n´est
pas un changement de lieu, mais un changement d´être […] une fuite hors de soi ». DREVET, Claude,
« L´exil intérieur ». In NIDERST, Alain (Éd.), L´Exil. Actes du colloque, Strasbourg, Klincksieck
1996, p. 214.
87
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 31.

29
expériences. Ces écrivains de l´« Afrique sur Seine », dont Alain Mabanckou et
Daniel Biyaoula sont devenus représentants emblématiques, changent la perspective
de l´exil : en comparaison des générations précédentes, les écrivains s´orientent avant
tout vers le lieu d´arrivée de l´exilé et ses conditions de vie dans le pays d´accueil ; le
lieu du départ et le chemin jouent plutôt un rôle secondaire. Odile Cazenave l´affirme
en constatant que « le regard se tourne vers l´Hexagone en tant qu´espace de vie, plus
que vers l´Afrique, interrogeant le présent et le futur plus que le passé » 88. Pour ces
écrivains l´acte de déplacement en France signifie une transformation de la
personnalité de l´exilé et de sa vision du monde 89 ; ils découvrent avant tout le côté
psychologique de l´exil.
En ce qui concerne l´attitude envers la langue française, les écrivains
contemporains la perçoivent encore avec le sentiment d´une certaine ambiguïté,
néanmoins le français n´est plus un instrument d´oppression, il est devenu l
´instrument de créativité et le moyen de communication adopté – d´autant plus que
les écrivains, vivant en France, entretiennent une relation de proximité à la fois
culturelle et linguistique beaucoup plus grande que les générations précédentes 90.
Sélom K. Gbanou constate que ce qui caractérise la nouvelle génération du point de
vue linguistique, c´est une nouvelle manière d´écrire le français 91 : il s´agit de la «

88
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 283.
89
Jacques Chevrier souligne que cette transformation touche aussi les écrivains : après s´être exilés, ils
se sont trouvés dans un « nouvel espace identitaire », c´est-à-dire celui de « l´Afrique(s) sur Seine»,
situé à « équidistance entre l´africanité et la francité ». Ainsi, leurs propres expériences deviennent
leur Muse : « ils puisent leur inspiration dans leur hybridité et leur décentrement ». CHEVRIER,
Jacques, « Afrique(s)-sur-Seine : autour de la notion de "migritude" », Notre Librairie, no 155-156,
Identités littéraires, juillet – décembre 2004, p. 96.
90
Henri Lopès, écrivain congolais, résume l´attitude moderne envers la langue française en constatant:
« Français langue nationale? Français langue officielle? Français langue première ou seconde? En tout
état de cause, le français n´est plus en Afrique une langue étrangère. D´origine étrangère, elle est
aujourd´hui une langue africaine, au même titre que nos langues maternelles ». L´écrivain mentionne
aussi le glissement graduel dans la connaissance et de l´acquisition du français : « Ma grand-mère
faisait quelquefois l´effort de me parler en français, mon père parlait lingala et le français, je prétends
parler français ». LOPÈS, Henri, « Mes trois identités ». In KANDÉ, Sylvie (Éd.), Discours sur le
métissage, identités métisses, Paris, L´Harmattan 1999, p. 139.
91
Néanmoins, Makhily Gassama témoigne que les tendances à la « négrification » de la langue
française ont déjà une certaine tradition : c´est depuis les temps d´Ahmadou Kourouma et son oeuvre
Les soleils des indépendances que le romancier négro-africain est à la recherche des « modes d
´expression pouvant lui permettre de se distinguer du romancier occidental, des moyens de
communication susceptibles d´imprimer à son oeuvre un cachet authentiquement négro-africain ».
GASSAMA, Makhily, Kuma, Interrogation sur la littérature nègre de langue française (poésie –
roman), Dakar – Abidjan, Les Nouvelles Éditions Africaines 1978, pp. 236 – 237.

30
négrification de la langue française » 92. Ce phénomène, appelé aussi «l
´africanisation du langage »93 ou « la démarche linguistique hybride »94, est
généralement défini comme « l´utilisation, dans le français littéraire, d´un ensemble
de procédés stylistiques présentés comme spécifiquement négro-africains, visant à
conférer à l´oeuvre un cachet d´authenticité, à traduire l´être-nègre et à contester l
´hégémonie du français de France » 95. Négrifier le français par l´inclusion d
´africanismes est certainement un des signes identitaires africains qui se reflètent
dans la littérature et dans le langage des personnages. Ce procédé s´attache non
seulement au lexique, mais aussi à la syntaxe, aux techniques narratives.
Pour la génération de l´« Afrique sur Seine », le point central dans l´espace de
l´exil, c´est Paris96 : Paris est un point attirant, la matérialisation du rêve d´une vie
meilleure. Pascale Casanova explique que cette ville « symbolise la Révolution, le
renversement de la monarchie, l´invention des droits de l´homme – image qui vaudra
à la France sa grande réputation de tolérance à l´égard des étrangers et de terre d
´asile pour les réfugiés politiques » 97. Les personnages d´exilés choisissent de cette
image complexe, qui représente un stéréotype mental, seulement certains aspects,
ceux qui correspondent à leurs préférences ; il s´agit, avant tout, de la vision du bien-
être facilement abordable que les personnages ne peuvent jamais attendre en Afrique.
Ainsi, Paris représente avant tout « la capitale des lettres, des arts, du luxe et de la
mode »98.
Le fait que les écrivains de la génération de l´« Afrique sur Seine » s
´orientent surtout vers la vie en France signifie, entre autres, que les personnages de
leurs oeuvres représentent principalement les exilés qui s´installent définitivement
dans le pays d´accueil. Qu´il s´agisse des hommes dont le départ de l´Afrique est
92
GBANOU, Sélom K., « Jeux et enjeux des africanismes dans la nouvelle écriture africaine
francophone ». In LÜSEBRINK, Hans-Jürgen (Éd.), Les littératures de langue française à l´époque
de la postmodernité. État des lieux et perspectives de la recherche, Oberhausen, Athena 2004, p. 145.
93
SCHIFANO, Elsa, L´Édition africaine en France : Portraits, Paris, L´Harmattan 2003, p. 53.
94
MAMBENGA-YLAGOU, Frédéric, « Symbolisation culturelle de l´espace existentiel dans la
littérature africaine francophone ». In MAMBENGA-YLAGOU, Frédéric (Éd.), Ajouter du monde au
monde. Symboles, symbolisations, symbolismes culturels dans les littératures francophones d´Afrique
et des Caraïbes, Montpellier, Publications de l´Université Paul-Valéry 2005, p. 474.
95
BLACHÈRE, Jean-Claude, Négritures. Les écrivains d´Afrique noire et la langue française, Paris,
L´Harmattan 1993, p. 116.
96
Paris représente pour les Africains un aimant rutilant depuis l´époque de la colonistation ; déjà
Frantz Fanon constate que « le Noir qui connaît la métropole est un demi-dieu ». FANON, Frantz,
Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil 1952, p. 15.
97
CASANOVA, Pascal, La république mondiale des lettres, Paris, Éditions de Sueil 1999, p. 41.
98
CASANOVA, Pascal, La république mondiale des lettres, Paris, Éditions de Sueil 1999, p. 41.

31
volontaire et dont le retour au pays natal est « non envisagé » ou qu´il s´agisse de
ceux qui sont partis par contrainte et dont le retour est ainsi « non envisageable », ils
doivent tous traverser des écueils de « changement de monde » et essayer de réussir
à affirmer leur propre existence « non seulement dans l´espace de l´autre, mais aussi
dans son temps et dans ses représentations » 99. Ils sentent de façon frappante les
conséquences de la perte de contact avec sa patrie, du cordon ombilical sectionné. C
´est avant tout dans ce point que la question d´ « intrusion dans la personnalité » de l
´exilé devient plus profonde, en comparaison avec la situation des protagonistes des
oeuvres des générations précédentes qui retournent « chez eux », à leurs racines. L
´exilé des écrivains contemporains se sent déchiré ou mal à l´aise, néanmoins ce
sentiment n´est pas fondé seulement dans la relation avec la civilisation de l´ancien
colonisateur, mais « dans son rapport à tout ce qui l´entoure, en Afrique ou
ailleurs »100. L´exilé se trouve face à face avec la situation de rupture : à la
redéfinition de son lieu et à « la fondation de sa liberté comme ouverture à l´incertain
de la route et du futur »101.
C´est ainsi que la notion de l´« identité » entre dans les oeuvres de la
génération de l´« Afrique sur Seine » et devient le point central de la narration, en
constituant son moteur dynamique. L´identité est généralement définie comme « la
continuité ininterrompue dans le développement d´un être entre le premier et le
dernier stade de son évolution » 102, néanmoins cette continuité implique « la
similitude dans la continuité au service du même (individu) […] sans altérer
substantiellement l´être »103. Ainsi, comme la notion d´identité inclut « la
permanence dans le temps, le changement, la similitude dans la diversité » 104, nous
croyons que nous pouvons constater que pour la génération de l´« Afrique sur
Seine », l´exil représente le synonyme de l´« identité troublée ».

99
YINDA YINDA, André-Marie, « Une critique africaine de la citoyenneté transnationale ».
In GAFAÏTI, Hafid (Éd.), Migrances, diasporas et transculturalités francophones. Littératures
et cultures d´Afrique, des Caraïbes, d´Europe et du Québec, Paris, L´Harmattan 2005, p. 156.
100
PARAVY, Florence, « L´altérité comme enjeu du champ littéraire africain ». In FONKOUA,
Romuald (Éd.), Les champs littéraires africains, Paris, Karthala 2001, p. 215.
101
NGANANG, Patrice, Manifeste d´une nouvelle littérature africaine. Pour une écriture préemptive,
Paris, Homnisphères 2007, p. 239.
102
NGAL, Georges, Création et rupture en littérature africaine, Paris, L´Harmattan 1994, p. 76.
103
Ibidem, p. 76.
104
Ibidem, p. 76.

32
Pour les protagonistes des oeuvres de la génération de l´« Afrique sur Seine »
l´exil signifie la planche d´un plongeoir dans le vide, il perturbe la stabilité de leur
existence, il est un déclencheur des transformations de l´identité ; l´exil oblige l
´homme à réfléchir plus intensément sur ses origines et son futur, à s´occuper de lui
même. Charles Bonn constate que l´exil souligne « la vérité angoissante de la
mobilité essentielle de toutes les identités » 105. Ainsi, l´exilé se trouve-t-il dans une
tension constante entre le regard de « l´autre » et la perception de « soi » par lui
même, en étant la victime de « l´irruption de l´Europe » 106 en lui, c´est-à-dire de « la
consubstantialité de l´Autre dans l´être africain »107. Il semblerait que l´état de
l´« identité troublée » soit inévitable, que depuis que l´homme franchit la frontière de
son pays natal, il passe aussi la frontière de la certitude de son identité ; il habite
désormais « l´univers du relatif, de l´ambiguïté, des questions sans réponse »108.
Pour l´homme exilé le monde change, et l´homme change avec ce monde
et dans ce monde. Pour pouvoir analyser plus profondément l´identité de cet homme
dans son ensemble et avec ses transformations, il est important de connaître le
caractère des « modèles identitaires » 109. Petr Kyloušek110 souligne que pour pouvoir
déterminer la forme du modèle identitaire, il est nécessaire d´examiner tout d´abord
ses éléments constitutifs, c´est-à-dire le sujet (étroitement lié avec la question de
« moi », « nous » et « autre »), l´objet (auquel se joint la problématique du temps et
de l´espace) et le langage (en tant que moyen de caractérisation) ; en outre, il faut
analyser les « topiques spécifiques » 111 principales qui s´interpénètrent et dans
lesquelles la problématique d´identité se thématise – il s´agit, avant tout, des sphères
qui touchent étroitement des problèmes d´identité fondamentaux : le rapport entre l
´originalité et la non-originalité, l´identification collective et individuelle, la relation
entre la majorité et la minorité et l´attitude envers le temps et l´espace. Ces

105
BONN, Charles et al., Littérature francophone. I. Le roman, Paris, Hatier 1997, p. 16.
106
KOM, Ambroise, « Daniel Biyaoula et Achille Ngoye », Études littéraires africaines, no 11,
Comptes rendus Afrique noire francophone, juin 2001, p. 45.
107
Ibidem, p. 45.
108
BERNIER, Silvie, Les héritiers d´Ulysse. Essai, Outremont, Lanctôt 2002, p. 9.
109
KYLOUŠEK, Petr, « Dimension noétique de l´art ». In US-THEM-ME. The search for Identity in
Canadian Literature and Film / NOUS-EUX-MOI. La quête de l´identité dans la littérature et le
cinéma canadiens, Brno, Masarykova Univerzita 2009, p. 28.
110
Ibidem, pp. 28-29.
111
KYLOUŠEK, Petr, « Dimension noétique de l´art ». In US-THEM-ME. The search for Identity in
Canadian Literature and Film / NOUS-EUX-MOI. La quête de l´identité dans la littérature et le
cinéma canadiens, Brno, Masarykova Univerzita 2009, p. 29.

33
problèmes impliquent les questions de l´importance essentielle, concernant l´État et
la nation, ethnicité, religion, langue, traditions, pays, autochtonicité, mémoire,
colonisation, immigration. Le troisième point important du modèle identitaire est
constitué par les « relations structurantes » 112 qui déterminent la configuration des
éléments constitutifs et qui se font valoir dans les sphères topiques. Il est possible de
distinguer trois relations cardinales : exclusion, inclusion et médiation, dont les
combinaisons possibles dépendent de l´homogénéité ou l´hétérogénéité des éléments
constitutifs.
Pour pouvoir saisir l´identité de l´homme exilé dans sa complexité (exprimée
par les modèles identitaires) et pour souligner les conséquences du « changement de
monde », les écrivains de l´« Afrique sur Seine » témoignent non seulement de la
perte d´identité, mais aussi de sa mouvance ; dans cet ordre d´ideés ils introduisent
dans leurs récits les épisodes qui racontent (soit dans la chronologie linéaire, soit de
la manière rétrospective) la vie du protagoniste dans son pays natal, avec tous ses us
et coutumes, sa perspective du monde, ses rêves. Ainsi, grâce à l´évocation du passé
du personnage, les écrivains font ressortir davantage encore le contraste entre l
´identité qui se réfère au « moi d´avant exil » 113 et l´identité du « moi en exil ». Ce
glissement dans la conception de « moi » devient le problème clé du personnage
exilé, et sa capacité d´ancrer et de survivre dans la « nouvelle patrie » dépend de la
compréhension et de la conciliation avec la nouvelle situation.
Or, l´exil, en tant que déclencheur de la perte d´identité et de « la
désarticulation psychologique »114 implique le sentiment angoissant de l´altérité. Le
personnage exilé sent qu´il devient étranger à lui-même, à l´homme qu´il a été avant l
´exil, et il commence à se rendre compte du danger de la transformation d´identité
que Paul Ricoeur désigne comme la perception de « soi-même comme un autre » 115.
Comme l´exilé, ayant « changé de monde », s´est éloigné ou entièrement coupé de
toutes les « relations sacrées » 116: sentimentales, familiales, amicales, politiques,

112
Ibidem, p. 29.
113
BERNIER, Silvie, Les héritiers d´Ulysse. Essai, Outremont, Lanctôt 2002, p. 26.
114
FONKOUA, Romuald, « Roman et poésie d´Afrique francophone : de l´exil et des mots pour le
dire », Revue de littérature comparée, no 1 (67ème année), Littératures d´Afrique noire, janvier – mars
1993, p. 39.
115
Voir RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, ADAGP 1996, pp. 137 – 150.
116
MAKOUTA M´BOUKOU, Jean-Pierre, Les littératures de l´exil. Des textes sacrés aux oeuvres
profanes, Paris, L´Harmattan 1993, p. 10.

34
économiques, intellectuelles, culturelles, éthniques et spirituelles 117, et il subit, au
sein d´un milieu social nouveau, « une rupture définitive dans la linéarité de son
existence »118. Dans sa nouvelle patrie, l´exilé africain connaît le sentiment de l
´aliénation et de l´acculturation, aussi bien que de l´exclusion et de la marginalité qui
sont étroitement liées à la question du racisme ; il souffre à cause de la
désidentification de sa personnalité, de ce « Je devenu autre » 119. Il passe par la
redéfinition graduelle de son identité qui prend parfois une fin tragique, menant l
´exilé à la folie ou même à la mort120.
Coupés de leur pays natal et leurs traditions, étrangers à eux-mêmes et à la
société française, les éxilés sentent se retrouver dans un vide, dans une « dissolution
de tout champ existentiel »121. En comparaison des protagonistes des écrivains
pionniers de la « vie française » qui savaient que leur séjour était limité et qui s
´attachaient à l´assurance du retour au pays natal, les protagonistes de la génération
de l´« Afrique sur Seine » n´ont pas cette perspective (qu´ils ne souhaitent pas
forcément) et ainsi sont-ils condamnés à la vie sur une terre « qui ne leur est pas
étrangère sans pour autant totalement leur appartenir » 122. Ils se sentent déracinés,
parce que leur passé, avec tout ce qu´il représentait, a disparu à jamais, ils ne font
plus partie de la nation de leur pays natal, mais en même temps ils ne peuvent pas se
prendre pour les Français. Ils vivent à la limite de deux mondes dont ni l´un ni l´autre
ne leur fournit pas l´occasion d´une vie satisfaisante. Jacques Mounier constate que
ces êtres « ambigus » ont perdu « leur ancienne et originelle nature sans pouvoir
conquérir une nouvelle nature, celle que leur aurait donnée une harmonieuse

117
Ibidem, p. 10.
118
BERNIER, Silvie, Les héritiers d´Ulysse. Essai, Outremont, Lanctôt 2002, p. 24.
119
BISANSWA KALULU, Justin, « Littérature négro-africaine et francophonie ». In RIESZ, János
(Éd.), Français et Francophones. Tendances centrifuges et centripètes dans les littératures françaises/
francophones d´aujourd´hui, Bayreuth, Schulz&Stellmacher 2000, p. 108.
120
Dans cet ordre d´idées Jacques Chevrier mentionne les « figures de l´exil », un certain nombre de
situations-type qui définissent, en général, les formes possibles de l´exil (« du dehors », aussi bien que
« du dedans ») qui est considéré comme « une expérience existentielle de manque à être » . L´auteur
énumère « la folie, la blessure ou la maladie, l´enfermement, le parcours, l´errance, le cercle, et la
béance et son contrepoint, la pléthore ». CHEVRIER, Jacques, « D´un exil à l´autre : Exil du dehors et
exil du dedans chez les romanciers africains contemporains ». In MARCATO FALZONI, Franca
(Éd.), Animisme et technologie dans la littérature francophone subsaharienne, Bologna, CLUEB
1989, p. 119.
121
MALANDA, Ange-Séverin, Daniel Biyaoula et le récit de l´exil, Bonneuil, CIREF 2000, p. 96.
122
MAGNIER, Bernard, « Beurs noirs à Black Babel », Notre librairie, no 63, octobre – décembre
1990, p. 103.

35
synthèse de l´Afrique et de l´Occident » 123. Ainsi, les protagonistes devient-ils
représentants de l´« homme de l´entre-deux-mondes », aliéné à sa patrie africaine,
inadapté et perdu en France, son pays d´accueil. Tanella Boni caractérise l
´expérience du vide existentiel et de l´identité troublée de l´« homme de l´entre-
deux-mondes » en constatant que celui-ci se trouve « entre ici et là-bas, nulle
part… »124.
L´exil représente un espace du vide qui prend « le plus souvent la forme d´un
labyrinthe dans lequel déambulent les personnages » 125, étrangers les uns aux autres.
Mais c´est aussi le temps qui est un accompagnateur de cette errance. Le temps passe
également pour la patrie et pour le pays d´accueil, mais dans les pensées de l´exilé le
temps en Afrique s´est arrêté. Ainsi, deux formes du même pays sont confrontées –
le pays qui survit dans les souvenirs de l´exilé et le pays qui vit dans le temps présent
et qui doit forcément passer par des transformations. Si l´exilé retourne en Afrique
après une longue absence, la rencontre avec la réalité doit signifier pour lui un choc
et un désenchantement.
Tous ces aspects de l´identité troublée provoquée par l´exil se manifestent
dans la conception du protagoniste à tel point que celui-ci est même parfois désigné
comme un « héros problématique »126. Ce héros127 est un individu dont l´itinéraire
prend la forme d´une recherche de soi-même, d´une quête « qui n´est pas suscitée par
un désir narcissique, mais par le refus d´une réalité aberrante, absurde » 128.
Cependant la recherche de la certitude existentielle ne mène nulle part, le héros se
sent vide et incompris et, se renfermant en lui-même, il trouve le seul refuge dans la
123
MOUNIER, Jacques, « L´aventure ambiguë : Afrique / Europe aller-retour », Notre librairie, no 68,
Approche historique et thématique des littératures africaines, janvier – avril 1986, p. 70.
124
BONI, Tanella, « Entre ici et là-bas, nulle part… Variations sur l´idée d´indifférence »,
Africultures, no 68, Migrations intimes, septembre – novembre 2006, p. 40.
125
CHEVRIER, Jacques, Le lecteur d´Afriques, Paris, Honoré Champion 2005, p. 230.
126
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 198.
127
Sunday Anozie mentionne la catégorisation des personnages principaux selon trois configurations
dynamiques, c´est-à-dire trois « déterminations » principales : ces conditionnements de valeurs
correspondent à la nature des conflits et des obsessions des personnages. Ainsi, Anozie classe le
« héros problématique » dans la catégorie de « détermination intro-active », ou « lorsque l´individu-
héros est conditionné par des valeurs internes ». La deuxième catégorie est celle de « détermination
traditionnelle », ou « le conditionnement de l´individu-héros par des valeurs conservatrices », la
troisième catégorie représente la « détermination extro-active », ou « le conditionnement de l
´individu-héros par des motifs externes ou par des buts progressifs ». Voir ANOZIE, Sunday O.,
Sociologie du roman africain, Paris, Aubier-Montaigne 1970, pp. 22 – 23.
128
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 198.

36
solitude. Sunday Anozie souligne que « la solitude intérieure qu´éprouve le type de
héros considéré n´est pas forcément un acte de volonté, mais plutôt de peur, au sens
large du terme, pusique cette solitude ressort du sentiment qu´a le héros de son état d
´insécurité ontologique individuelle »129. Le héros se tient à l´écart de la société qui
lui rappelle son statut de l´étranger ; Anozie constate que « pour ce héros
problématique, toute expérience de contact avec la réalité externe constituerait une
menace grave contre ce qui est son identité réelle ou supposée » 130. Il se produit donc
un schisme (plus ou moins total) d´abord entre l´individu et son environnement
social, ensuite entre le héros et lui-même. Midiohouan mentionne qu´il en résulte
« un effet paralysant sur toute initiative d´action et de choix » 131 du héros, à moins qu
´il ne se laisse agir par sa folie : or, la solitude intérieure isole le personnage « dans
les pièges de la "déraison" »132. Devant l´impossibilité de trouver un point d´appui de
son existence, le héros se laisse aller au désespoir sans fin, à la folie ou même à la
mort, le suicide. Ainsi donc, le « héros problématique » est un personnage dont « la
vie se résume en la quête désespérée d´un équilibre jamais atteint, un personnage en
détresse, déboussolé, sans point d´ancrage ni valeur de référence réelle »133.
Cependant, à part le « héros problématique » qui apparaît aussi dans les
romans de la deuxième génération d´écrivains d´exil, la génération de l´« Afrique sur
Seine » laisse entrer en scène un nouveau caractère : celui de l´exilé qui par sa
marginalité, sa situation d´illégalité, son statut hors-norme convoque un nouveau
profil du « non-héros, à mi-chemin entre l´anti-héros, la victime, le dilettante, et l
´opportuniste »134, qui vivote dans le paysage urbain de Paris et ses banlieues. Là où
ce « dilettante, le marginal non productif » 135 apparaissait à l´arrière-plan des romans
de formation des années 1960 et 1970 à titre de figurant, de « personnage secondaire
généralement antipathique »136, ce même personnage prend dans les années 1990 de l

129
ANOZIE, Sunday O., Sociologie du roman africain, Paris, Aubier-Montaigne 1970, p. 43.
130
Ibidem, p. 43.
131
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 198.
132
NKASHAMA, Pius Ngandu, Écritures et discours littéraires. Études sur le roman africain, Paris,
L´Harmattan 1989, p.146.
133
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L´idéologie dans la littérature négro-africaine d´expression
française, Paris, L´Harmattan 1986, p. 199.
134
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 124.
135
Ibidem, p. 124.
136
CHEMAIN, Roger, La ville dans le roman africain, Paris, L´Harmattan 1981, p. 225.

37
´ampleur au point de devenir le protagoniste des romans. Odile Cazenave souligne qu
´avec ce héros, « ce qui était hors-norme, dénigré et vilipendé, devient la norme, pour
ne pas dire ce qui est recherché et prisé »137. Ces personnages s´exilent en France
avec le but de réaliser leur rêve (qui a en majorité un caractère matériel) et de mener
une vie plus facile ; néanmoins la réalité de l´exil (d´autant plus si celui-ci est illégal)
les traite implacablement et leur rêve français se termine souvent par un échec, donc
par une profonde désillusion, la perte d´identité et même par un retour (souvent
involontaire) au pays natal.
Les difficultés psychologiques et matérielles d´insertion sociale n´évitent
aucun type de protagoniste. Chacun d´eux représente une forme d´étrangeté, d
´identité troublée, d´une crise existentielle qu´il tente de surmonter. La recherche de
soi-même se reflète aussi dans la conception du narrateur ; comme nous l´avons
mentionné dans le chapitre précédent, les écrivains de la génération contemporaine
préfèrent la narration en première personne – c´est causé par le fait que ce type de
narrateur donne au récit le ton beaucoup plus personnel et qu´il peut ainsi mieux
exprimer tous les sentiments d´angoisse existentielle qui sont tout à fait subjectifs. Ce
type de narrateur donne aux écrivains une liberté créatrice sans limiter la force des
confessions personnelles ; Christiane Albert constate que « le "je" du narrateur » 138,
devenant une identité littéraire d´emprunt, « affranchit l´auteur du pacte
autobiographique tout en lui permettant d´expérimenter par l´écriture la construction
d´une identité d´immigré "fictif" hétérogène de la sienne » 139. La forme du récit de
vie personnel apparaît de ce fait comme « la plus propice pour explorer la part d
´étrangeté de l´identité »140. Pour accentuer le caractère intime de la narration, les
écrivains donnent souvent à leurs récits la forme de la correspondance, du journal
intime, du témoignage ou de la confession.
Il est difficile de trouver une issue rationnelle à tout l´ensemble compliqué
des problèmes liés avec l´exil. Chaque écrivain de l´« Afrique sur Seine » résout la
situation de son héros individuellement, pas à pas. Une conception complète de la

137
CAZENAVE, Odile, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris,
Paris, L´Harmattan 2003, p. 124.
138
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 86.
139
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 86.
140
Ibidem, p. 86.

38
solution qui surmonte les peines de l´identité troublée et qui permet à l´homme de s
´accommoder de l´identité d´étranger est formulée, par exemple, par l´écrivain exilé
Naïm Kattan. Sa situation n´est pas tout à fait identique avec celle des Africains,
puisqu´il est écrivain d´origine juive irakienne qui a trouvé sa nouvelle patrie au
Québec ; néanmoins, nous pouvons découvrir une analogie dans les traits
fondamentaux du problème. De l´avis de Kattan, il existe une alternative à l´exil :
celle de « la proclamation d´une nouvelle naissance » 141 qui implique que celui qui
quitte son pays, volontairement ou par contrainte, « accepte l´état d´étranger comme
une chance, une porte ouverte à une nouvelle naissance »142. Cette attitude exige un
effort acharné et une ferme volonté, car le processus de l´acceptation de la nouvelle
identité et du « recommencement social et humain » 143 est long et s´accomplit par
étapes. En premier lieu, l´exilé accepte son nouveau territoire , mais en même temps
il a besoin d´un lien avec sa patrie – ce « fil de continuité » 144, c´est sa mémoire qui l
´assure qu´il n´est pas de nulle part, son pays natal fait partie de son être. L´exilé
adopte la langue et la culture de son pays d´accueil, mais il ne renonce pas à ses
racines et exprime son héritage paternel. Kattan déclare : « J´accepte la
métamorphose. Ma mémoire sera ma sauvegarde contre l´anonymat. J´habite un
territoire et refuse d´en être prisonnier » 145. L´exilé accepte sa nouvelle identité à
condition de ne pas être un étranger à lui même ; ainsi, réussit-il à ne pas perdre ses
racines et, en même temps, à planter ses rhizomes.
Nous pouvons examiner cette problématique non seulement de la position du
sujet, c´est-à-dire du personnage de l´exilé, mais aussi du point de vue de la société
majoritaire du pays d´accueil. Dans le cas de la littérature africaine francophone (et
non seulement celle de la génération contemporaine), il s´agit, avant tout, du point de
vue sur un étranger qui se distingue par son altérité, signalé déjà par la couleur de la
peau. Ainsi, la perception de l´altérité se simplifie-t-elle au rapport « Noir – Blanc ».
Cependant, l´altérité peut être perçue même au sein de la communauté noire, dans

141
KATTAN, Naïm, « Avant-propos. Étranger et territorialité », Globe. Revue internationale d´études
québécoises, no 1, volume 10, Étranger et territorialité, 2007, p. 33.
142
Ibidem, p. 33.
143
Ibidem, p. 33.
144
Ibidem, p. 36.
145
KATTAN, Naïm, « Avant-propos. Étranger et territorialité », Globe. Revue internationale d´études
québécoises, no 1, volume 10, Étranger et territorialité, 2007, p. 36.

39
laquelle la teinte de la peau noire et l´appartenance à un groupe ethnique concret joue
souvent le rôle d´importance capitale.
Mais pour que l´exilé puisse accepter sa nouvelle identité, il lui faut être
accepté aussi par les autres, son environnement social nouveau. Dans cet ordre d
´idées Pert Horák distingue l´intensité de la tolérance : « la reconnaissance faible » et
« la reconnaissance forte de l´altérité »146. Petr Horák147 explique que « la
reconnaissance faible » n´est rien d´autre qu´une simple tolérance de l´autre, une
reconnaissance véritable fait alors défaut. Par contre, « la reconnaissance forte de l
´altérité » fait que l´individu, le groupe ou la collectivité considèrent l´autre comme
son égal. Ainsi, l´autre n´est pas toléré seulement en raison d´une obligation, mais on
l´envisage comme quelqu´un qui peut devenir un proche, un ami, quelqu´un qui
pourrait être admiré et aimé.
Toutefois, la perception positive et sans conflit de l´altérité est dans la
production de la génération de l´« Afrique sur Seine » assez rare, l´exil est présenté
presque toujours comme le déclencheur des problèmes identitaires. Une des
explications possibles en est aussi l´égard au lecteur. L´écrivain s´adresse, en
général, à deux types de lecteur : au « public de coeur » 148 africain et au « public de
raison »149 occidental, et à chacun de ce groupe il veut transmettre un message un peu
différent. Christiane Albert souligne que quand les écrivains dénoncent le sort
réservé aux exilés en France, leur discours peut aussi apparaître comme « une mise
en garde destinée à leurs concitoyens sur le leurre que peut représenter l´exil en
Europe »150. En décrivant la vie des exilés africains sous un aspect négatif, avec
toutes les difficultés, souffrances et désillusions qu´il implique, les écrivains peuvent,
d´une certaine façon « dissuader – ou tenter de le faire – les aspirants à l´exil » 151.
Ainsi, il paraît que le message pour les lecteurs africains ait pour objectif de
dénoncer des éspérances illusoires de la vie en France, de détourner des candidats
africains à l´exil de leurs projets. Cependant, c´est le public européen (français ou
146
HORÁK, Petr, « Identité, laïcité, tolérance – questionnements ». In US-THEM-ME. The search for
Identity in Canadian Literature and Film / NOUS-EUX-MOI. La quête de l´identité dans la littérature
et le cinéma canadiens, Brno, Masarykova Univerzita 2009, p. 16.
147
Ibidem, pp. 16-17.
148
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 25.
149
MONGO-MBOUSSA, Boniface, Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2002, p. 25.
150
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 102.
151
Ibidem, p. 102.

40
francophone, avant tout) qui est le client et le lecteur principal 152 de l´écrivain
africain francophone153. Christiane Albert constate qu´en égard à ce fait, les auteurs
écrivent leurs oeuvres aussi avec le but « d´exploiter le thème de l´immigration en
offrant à un public français une image attendue de l´immigration » 154. Nous croyons
que le profit personnel reste de côté, que les écrivains se servent de l´actualité du
sujet d´exil et de l´attrait qu´il suscite pour attirer l´attention sur la situation
désespérée des exilés africains en France.

3. La quête identitaire ou L´Impasse de Daniel Biyaoula

L´Impasse, le premier roman de Daniel Biyaoula, représente une des oeuvres


les plus marquantes de la génération de l´« Afrique sur Seine ». Publié en 1996, le
roman a été couronné une année plus tard par le Grand Prix Littéraire de l´Afrique
Noire qui est attribué annuellement par l´Association des Écrivains de Langue
Française (ADELF).
Construit sur l´axe de l´histoire des exilés, le roman découvre des problèmes
brûlants du monde contemporain. L´auteur situe l´action du récit dans deux milieux,
français et africain, ce qui lui permet de confronter deux contextes socioculturels
distincts. Ainsi, L´Impasse devient-elle une réflexion intense sur les thèmes qui
résultent de la recontre de deux mondes : questions de couleur, relations interraciales,

152
Dans cet ordre d´idées, Ambroise Kom constate qu´en réalité, « une bonne partie de la littérature
africaine peut être considérée non seulement comme une littérature de l´exil mais aussi comme une
littérature exilée tant il est vrai qu´elle est publiée, distribuée et même consommée essentiellement en
dehors du continent ». KOM, Ambroise, « Pays, exil et précarité chez Mongo Beti, Calixthe Beyala et
Daniel Biyaoula », Notre librairie, no 138-139, Actualité littéraire 1998 –1999, septembre 1999 –
mars 2000, p. 42.
153
Tanella Boni explique qu´écrire en français, pour un écrivain africain, c´est « d´abord écrire en
essayant de mettre de son côté toutes les chances de survie du texte qui adviendra un jour ». L´auteur
ajoute que l´écrivain africain ne peut pas écrire dans une langue africaine simplement parce que cette
langue est parlée mais n´est pas écrite. Et même si elle s´écrit, « combien de personnes sont-elles
capables de lire cette langue, dans des pays où les langues sont innombrables? ». BONI, Tanella,
« Écrivains et artistes francophones : pour qui? Et pourquoi? » In HUANNOU, Adrien (Éd.),
Francophonie littéraire et identités culturelles, Paris, L´Harmattan 2000, pp. 157 et 159.
154
ALBERT, Christiane, L´Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala
2005, p. 103.

41
tradition, authenticité, système de valeurs, classe et statut social, niveau de vie et
intégration du sujet au sein de la société française et de sa propre communauté. C´est
la question de l´identité qui est mise au premier plan de cette problématique
complexe ; l´identité du sujet qui passe par les deux mondes et qui tâche d´y trouver
sa place. Ainsi, pour analyser l´oeuvre de Daniel Biyaoula, nous allons nous appuyer
sur les aspects et les sujets qui se réfèrent aux « modèles identitaires »155.
Le rôle du narrateur dans le texte est marquant ; au début du récit il a un
caractère un peu énigmatique, il joue avec son lecteur, il l´oblige à franchir des
obstacles avant de lui révéler sa véritable identité. Depuis la première phrase le
narrateur156 donne l´impression d´avoir le statut « extradiégétique -
hétérodiégétique »157, il a l´air d´un observateur impartial : « Il est tout plein de bruit
et de monde l´aéroport Roissy Charles de Gaulle. Il y a surtout des Noirs, des
Africains » (L´Impasse158, p. 13). Cependant, après une description de la situation qui
semble objective, le narrateur change entièrement son point de vue et se présente
comme « je ». Ainsi, nous pouvons l´identifier en tant que narrateur de statut
« intradiégétique-homodiégétique »159, c´est-à-dire « le narrateur au second degré qui
raconte sa propre histoire »160. En même temps que se précise l´aspect du narrateur, c
´est aussi l´identité du protagoniste qui se découvre. Se trouvant dans un milieu de l
´aéroport international qui neutralise tous les traits caractéristiques possibles et ayant
une attitude improbative envers les Africains pomponnés dans leurs costumes avec
des attributs européens et africains à la fois (« […] ça me dérange trop ce qu´il y a
autour de moi. C´est un concentré d´Africains parés comme je n´en ai jamais vu », L
´Impasse, p. 14), le narrateur-protagoniste paraît être un homme blanc. Cependant,
ses idées prennent une direction inattendue – en regardant « un bal masqué » des
Africains, le narrateur commence à réfléchir si ce défilé de mode n´est pas plutôt la

155
KYLOUŠEK, Petr, « Dimension noétique de l´art ». In US-THEM-ME. The search for Identity in
Canadian Literature and Film / NOUS-EUX-MOI. La quête de l´identité dans la littérature et le
cinéma canadiens, Brno, Masarykova Univerzita 2009, p. 28.
156
Pour pouvoir déterminer le type du narrateur, nous avons recours à la méthode de Gérard Genette.
Celui-ci souligne dans sa théorie des statuts du narrateur qu´il faut distinguer la qualité d
´extradiégétique/intradiégétique, qui est « un fait de niveau narratif », et celle d´hétérodiégétique/
homodiégétique, qui est « un fait de relation (de "personne") », la relation du narrateur à l´histoire.
GENETTE, Gérard, Nouveau discours du récit, Paris, Éditions du Seuil 1983, pp. 55-56.
157
GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Éditions du Seuil 1972, p. 255.
158
BIYAOULA, Daniel, L´Impasse, Paris, Présence Africaine 1996.
159
GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Éditions du Seuil 1972, p. 256.
160
Ibidem, p. 256.

42
manifestation de l´homme qui est resté coincé entre deux traditions, entre deux
mondes différents. Le fait que le narrateur-protagoniste se pose des questions
identitaires montre que ce problème est pour lui-même très vivant. Ainsi, peu à peu,
le lecteur découvre l´identité du protagoniste : c´est un homme noir. D´ailleurs, il l
´affirme plus tard en constatant que les Africains sont ses compatriotes. A partir de
ce moment, l´histoire de L´Impasse revêt la forme de la confession personnelle du
narrateur-protagoniste dont le point de vue sur la réalité se transforme sans cesse,
sous la dépendance du degré de sa connaissance et du besoin de s´accomoder aux
nouvelles situations. Ange-Séverin Malanda, qui applique à ses théories la
terminologie de Genette161, constate que le narrateur de L´Impasse représente « "je
décentré, équivoque" au moment même où, se constituant et se transformant, il
atteste "qu´il est un moi sans fond, un moi sans moi" »162.
Ces changements identitaires du protagoniste se réflètent aussi dans la
composition de l´oeuvre. Le texte est divisé en trois parties de longueur inégale qui
correspondent non seulement au déplacement spatial du héros, mais aussi aux étapes
de sa souffrance intérieure, de son aliénation graduelle. Les premières parties,
intitulées « Première constriction » et « Deuxième constriction » indiquent un
rétrécissement de l´espace de vie, la diminution de l´offre des possibilités de se
réaliser. La troisième partie du texte qui porte le titre « La mue » reflète l´effort de
trouver une solution pour le protagoniste perdu dans le vide existentiel.
L´histoire représente un laps de temps relativement court, à peu près deux
ans, qui est ancré dans les années 1990. La narration est linéaire, de temps en temps
élargie par une digression rétrospective qui a pour objectif d´élucider certains aspects
du présent. Le cadre temporel étroit a pour conséquence le fait que le récit est
étroitement serré et que les changements par lesquels le héros principal passe
deviennent encore plus radicaux et marquants.
Le facteur qui est du point de vue du changement identitaire de l´exilé tout à
fait essentiel, c´est l´espace ; il matérialise tous les aspects de l´exil, de ce
déclencheur de l´identité troublée. Ce qui est caractéristique pour la génération de l
´« Afrique sur Seine », c´est, comme nous l´avons déjà constaté, une orientation vers
l´espace de l´exil, l´espace nouveau qui est peu à peu adopté. Néanmoins, dans le
161
Voir GENETTE, Gérard, Figures II, Paris, Éditions du Seuil 1969, pp. 13-14.
162
MALANDA, Ange-Séverin, Daniel Biyaoula et le récit de l´exil, Bonneuil, CIREF 2000, p. 84.

43
roman de Biyaoula l´espace embrasse les deux continents, concrètement la ville
française de Poury et le Congo – Brazzaville africain. L´image de la structure de l
´espace africain que le narrateur nous offre est riche ; un simple fait que le
protagoniste arrive de la France lui ouvre les portes menant dans tous les espaces de
vie de toutes les couches sociales, des cabanes misérables jusqu´aux palais
représentatifs des élites163. Le milieu français a une hiérarchie plus stable et ferme et
ne permet pas au protagoniste de pénétrer dans toutes ses couches, c´est pourquoi l
´espace de vie du personnage principal se réfère presqu´uniquement à la ZUP. 164
Mais ce sont aussi les aspects temporels qui sont incorporés dans l´espace africain ;
le protagoniste confronte l´image de l´Afrique qu´il a quittée il y a quinze ans avec l
´Afrique contemporaine. Il éprouve des sentiments d´aliénation et d
´incompréhension – et non seulement envers l´Afrique moderne, mais aussi envers sa
propre famille.
Le trait spécifique de l´oeuvre, c´est le style de sa langue, la manière de
choisir des expressions et de composer des phrases ; la langue de Biyaoula est ainsi
souvent désignée comme « désarticulée et foissonante de néologismes
provocateurs »165. Le caractère « désarticulé » du texte est causé par le fait que l
´auteur, en donnant l´ordre nouveau aux mots, ne respecte pas de temps à autre la
syntaxe française qui devient « bouleversée »166. Citons quelques exemples : « La
corde au cou que j´ai » (L´Impasse, p. 53), « Un diable que je suis » (L´Impasse, p.
91), « Bouche bée que j´en reste pendant quelques secondes. Vrai, électrocuté, sidéré
que je suis par le docteur » (L´Impasse, p. 259), « Mais c´est moi qu´on appelle! que
je me dis » (L´Impasse, p. 301). Ce caractère bouleversé de la syntaxe est parfois

163
Roger Chemain mentionne que les romanciers africains de toutes les générations prouvent une
sensibilité particulière à « l´organisation ségrégative de l´espace urbain ». CHEMAIN, Roger, La ville
dans le roman africain, Paris, L´Harmattan 1981, p. 80.
Denise Coussy l´affirme en constatant que dans l´espace urbain africain on distingue généralement
deux sphères : d´un côté « la ville blanche », le résultat de la création coloniale, « tracée à angles
droits […] divisée en quartiers administratifs ou résidentiels ». Ces quartiers perdurent après l´époque
des Indépendances et « abritent les nouvelles forces (armée, police), les nouveaux pouvoirs (palais
présidentiels) ». De l´autre côté on observe les quartiers noirs qui « étalent leur misère en une litanie
de descriptions indignées ». COUSSY, Denise, La littérature africaine moderne au sud du Sahara,
Karthala, Paris 2000, p. 26.
164
La Zone d´urbanisation prioritaire. Les quartiers désignés aux habitants économiquement faibles,
avant tout aux immigrés.
165
DIOP, Papa Samba, « Littérature francophone subsaharienne : une nouvelle génération? », Notre
librairie, no 146, Nouvelle génération, octobre – décembre 2001, p. 14.
166
MALONGA, Alpha Noël, Roman congolais. Tendances thématiques et esthétiques, Paris, L
´Harmattan 2007, p. 131.

44
interprété comme la conséquence du fait que le français n´est pour Biyaoula que la
langue d´emprunt167, mal adoptée, donc la conséquence d´un « processus de
traduction, conscient ou inconscient, d´une langue à l´autre » 168. Cependant, nous
croyons que tel n´est pas le cas de Biyaoula et nous penchons pour l´opinion que c
´est la conséquence de l´intention de l´auteur d´évoquer l´authenticité africaine, bref,
qu´il s´agit de la négrification de la langue169. Celle-ci se manifeste non seulement au
niveau syntaxique, mais aussi lexical. Citons les expressions le plus souvent utilisées,
celles qui se réfèrent à la famille ou à la hiérarchie dans la communauté africaine : «
Yà ou Yàya, Tàta, Màma, Mpangui » 170 ou celles qui se réfèrent à réalité africaine :
« sakala-sakala » (la danse) ou « foula-foula » (le moyen de transport). La langue de
Biyaoula est caractérisée aussi par le français parlé (parfois vulgaire) qui apparaît
dans les dialogues et qui donne au texte un aspect spontané et naturel : « T´es pas
dans le coup ou quoi? » (L´Impasse, p. 286), « Hé! Mais je vous connais, vous? » (L
´Impasse, p. 19), « Joseph!... mais qu´est-ce que tu te fais ch…, mon cher?... qu´est-
ce que tu as à t´emm… avec ce genre de choses? à te torturer ta cervelle en
permanence, hein? T´as pas assez de problèmes […]? » (L´Impasse, p. 184). La
spontanéité est souvent accentuée en graphique : « Et elle m´affirmait, Sabine, qu
´elle ne serait qu´à moi, qu´elle n´aimerait que moi !!! » (L´Impasse, p. 289), «

167
Lise Gauvin mentionne que ce problème linguistique qui a ses racines dans l´époque coloniale est
pour de nombreux écrivains d´origine africaine toujours vivant. L´auteur constate que « le français n
´est pas pour eux un acquis mais plutôt le lieu et l´occasion de constantes mutations et modifications
». GAUVIN, Lise, L´Écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Paris, Karthala 1997,
p. 5.
Dans cet ordre d´idées Ngalasso Mwatha Musanji mentionne que l´attitude de l´écrivain africain
envers le français, en tant qu´envers l´outil de travail, n´est pas encore dépourvue d´ambiguïté :
« Comment en effet exprimer pleinement son intériorité, son identité et sa sensibilité […] dans une
langue avec laquelle on n´a guère une véritable connivence? ». NGALASSO, Mwatha Musanji, « Des
langues pour dire/écrire la littérature au Zaïre ». In RIESZ, János (Éd.), Littératures du Congo-Zaïre,
Amsterdam, Matatu 1995, p. 130.
168
CHEVRIER, Jacques, « Mirages et réalités : L´emploi du français par les romanciers africains
contemporains ». In Cahiers du C.E.R.C.L.E.F., Études en littératures négro-africaines, no 2, Créteil,
L´Université Paris XII – Val de Marne 1984, p. 10.
169
Alpha Noël Malonga cherche une connexion directe entre la « désarticulation » syntaxique et la
situation des immigrés : l´auteur constate qu´« on retiendra chez Daniel Biyaoula que sa syntaxe
bouleversée montre une difficulté, voire une impossibilité d´intégration des personnages immigrés,
à la fois en Afrique, lorsqu´ils y reviennent, et en Europe où ils ont choisi de s´installer ».
MALONGA, Alpha Noël, Roman congolais. Tendances thématiques et esthétiques, Paris, L
´Harmattan 2007, p. 132.
170
Yàya ou Yà (en tant que forme abrégée) signifie « frère aîné », Tàta et Màma signifient « père et
mère » – ces mots n´expriment pas seulement les relations familiales, mais aussi un grand respect et
une soumission. Mpangui signifie « petit frère ». MAKOUTA M´BOUKOU, Jean-Pierre, Introduction
à l´étude du roman négro-africain de langue française. Problèmes culturels et littéraires, Abidjan,
Les nouvelles Éditions Africaines 1980, p. 285.

45
Comment as-tu fait pour avoir un poste dans une compagnie si importante, si
prestigieuse ??? » (L´Impasse, p. 20).
De nombreuses descriptions de situations constrastent avec cette spontanéité
des discours des personnages ; Biyaoula cherche à saisir la réalité avec objectivité, il
se sert même des expressions originaires de la discipline scientifique que lui-même a
étudiée : la microbiologie. Ainsi, l´impression ambiante de désagrégation et de
misère du monde africain est encore renforcée par la récurrence d´une série de
connotations associées à la maladie, à la pourriture : « […] on vit dans la disette,
dans la pénurie, que c´est une endémie ici, la misère » (L´Impasse, p. 75), « On dirait
qu´une peste est passée par là » (L´Impasse, p. 102), « Je compris que j´avais peur
de ce que j´y verrais […] que tout ça ne me bouleverse, ne crée dans mon être
meurtri, bourré de plaies, de bubons, de vagues, des tourbillons que je ne
parviendrais peut-être pas à calmer » (L´Impasse, p. 18). La force de la langue de
Biyaoula consiste donc aussi dans le mélange des niveaux de langue – argotique,
familier et soutenu.
Les aspects identitaires de l´oeuvre se réalisent le mieux en contact ou en
interaction du protagoniste avec les autres personnages. Ces personnages incarnent,
avant tout, un miroir présenté au protagoniste ; ils l´obligent à réfléchir sur lui-même
et à comparer sa propre vision du monde avec les autres conceptions de la vie. Mais
il ne s´agit pas seulement d´une confrontation superficielle des points de vue
différents, car le protagoniste, exposé à la pression des autres, change
successivement – que ce changement se réalise de plein gré du protagoniste ou
involontairement. Chaque personnage représente un certain type de la conception de
l´identité, un type tout fait et en sa substance statique. Toute la galerie des
personnages est une démonstration de la complexité et de la structuration de la
problématique identitaire, que celle-ci soit provoquée directement par l´exil ou
conséquemment à la colonisation dont les traces sont dans la société africaine
toujours distinctes.
Le fait important, c´est que le protagoniste rencontre chacun des personnages
marquants dans une étape déterminée de son évolution identitaire ; ses réactions à
leurs impulsions font progresser ainsi son développement personnel. Dans cet ordre d
´idées, ce n´est pas seulement le caractère marqué typologique et la variété des

46
personnages secondaires qui sont essentiels, mais c´est aussi la succession des
rencontres de ces personnages avec le protagoniste. Pour cette raison, en analysant
des changements de la personnalité du héros principal nous allons suivre l´axe de l
´action de l´oeuvre, ce qui nous permettra d´avoir aussi une vue de la problématique
plus complète171.
Du point de vue du développement de l´identité, L´Impasse ne représente pas
un roman d´exil typique ; tandis qu´en général le héros principal quitte sa patrie avec
le sentiment d´angoisse et l´exil provoque aussitôt dans son esprit des troubles et des
questions identitaires, dans le cas du texte de Biyaoula les choses sont bien au
contraire : le sentiment de l´identité troublée est causé par un retour temporaire de l
´exil au pays natal. L´exil répresente pour le protagoniste une certaine libération, il
lui a permis de franchir le seuil de la société traditionnelle, fondée sur la manière de
vie collective, et d´entrer dans le monde de la liberté individuelle. La couleur de peau
trop foncée du protagoniste, qui est devenue dans l´environnement familial l´objet du
racisme noir, condamne le héros principal à la marginalité en France aussi,
néanmoins, à l´intérieur de cette marginalité le héros est égal aux autres Noirs. La
majorité blanche ne perçoit pas la peau trop noire du héros comme un classement
dégradant dans la communauté des Noirs, elle ne distingue pas des catégories de la
couleur noire de la peau. Le protagoniste le commente avec une certaine
reconnaissance : « C´est qu´il y a ceci de bien avec les Blancs : ils considèrent qu´il y
a eux qui sont blancs, et tous les autres qui sont plus au moins sombres […] Ils
ignorent ce que c´est des métis. Il n´y a que des Noirs pour eux. Ça finit par enlever
une sacrée épine du pied à des gars comme moi » (L´Impasse, p. 53). Au fait, de ce
point de vue, l´exil représente pour le protagoniste un soulagement.
Nous rencontrons le protagoniste, Joseph Ĝakatuka, au moment où il retourne
après quinze ans au Congo. Son retour au pays natal n´est pas tout à fait volontaire, il
le réalise sous l´impulsion de son amie. Son premier conflit avec la réalité africaine
se déroule déjà dans un milieu international et donc du point de vue culturel neutre,
dans l´espace de l´aéroport : il s´agit de la rencontre avec un groupe des Noirs
carnavalesque qui ébahit le protagoniste. Cependant, cette rencontre qui provoque en

171
D´ailleurs, Georges Ngal confirme que « l´identité personnelle du personnage d´un récit, c´est-à-
dire de celui qui, dans le récit, fait l´action, n´est pas concevable en dehors de l´intrigue ». NGAL,
Georges, Création et rupture en littérature africaine, Paris, L´Harmattan 1994, p. 77.

47
protagoniste le mélange des sentiments de fausseté, de pitié et de honte, n´est qu´un
faible signe prémonitoire des conflits qui l´attendent à Brazza. Joseph constate à son
étonnement que lui-même est aussi inacceptable à ce groupe : pour être trop noir, il
fait partie de la dernière catégorie de la « noirceur » et, qui pis est, sa partenaire est
blanche, ce qui le déclasse au rang du « Noir vendu », et, enfin, son vêtement
européen de tous les jours ne correspond pas aux critères la de réussite, aux
demandes qu´on exige des « Noirs français ». Le groupe des Noirs exprime son
mépris en criant : « Hé !... Hé ! Voyez-moi celui-là ! […] C´est des gens comme ça
qui font honte à l´Afrique ! » (L´Impasse, p. 14). C´est dans cette situation
conflictuelle que Joseph rencontre les « Parisiens », les Noirs qui personnifient pour l
´Afrique le bien-être français, le rêve de la meilleure vie réalisé. Leur trait
caractéristique, c´est l´importance excessive qu´ils attachent à l´apparence physique
et vestimentaire, à « l´image » : ils ne parlent que français, ils portent des costumes
somptueux et mènent une vie coûteuse. C´est ainsi qu´ils se présentent en Afrique,
mais la réalité de leur vie en France est souvent différente. Ces « Parisiens » sont
devenus emblème de la nouvelle Afrique et de ses désirs ; il en va de même avec les
« Noires modernes » dont l´idéal de la beauté est une femme aux cheveux lisses
(et même blonds) qui s´adonne à l´éclaircissement de la peau. Il s´agit d´une
tendance de la dernière mode qui a ses racines dans le désir de s´approcher de l´idéal
de la femme blanche. Alors que les Noires, qui ne poursuivent ainsi que leur but de
plaire aux hommes, ne réfléchissent pas sur le fond de leur idéal, Joseph qui a des
expériences avec la société des Blancs ne s´identifie pas avec leur point de vue et
perçoit leur comportement comme une trahison de la race. Là où le Noir moderne
voit une belle femme, Joseph voit une sirène avec une « peau jaunâtre de cadavre »
(L´Impasse, p. 25), un épouvantail.
En même temps, Joseph entre en conflit avec la vieille Afrique, sa vieille vie :
c´est au moment où l´hôtesse de l´air l´appelle par le nom « Kala ». Ce sobriquet
péjoratif, oublié en France, lui rappelle toutes les injustices qu´il a vécues dans son
enfance. Le nom de Kala qui signifie « Le Charbon » et que lui a donné sa propre
mère, est devenu une flétrissure omniprésente pour Joseph, il l´a relégué au second
plan, entre les bas-fonds de la société et confirmait qu´il était indésirable : « Vous

48
voyez tout à travers votre noirceur […] Où que vous allez, vous avez le sentiment de
ne pas être à votre place. Vous vous sentez nul, quoi ! » (L´Impasse, p. 18).
Dès que Joseph atterrit en Afrique, il devient « homme de l´entre-deux-
mondes » – le vieux et le nouveau ; il n´accepte aucun de ces mondes et en même
temps, il est inacceptable pour les deux. Il retourne au pays natal en tant que l
´homme dont l´identité est formée par plusieurs « composantes identitaires » : celle
de l´ancien Kala, la composante dont il veut se débarasser, celle du « Parisien » que
toute la famille désire, celle de l´étranger, la composante identitaire marquée par une
longue séparation, et enfin celle du « Noir blanc », de l´individualiste, du
communiste, de l´homme incompréhensible. Toutes ces composantes sont liées
mutuellement et leur complexité et fatalité ont pour conséquence le fait que Joseph
devient un « héros problématique ».
Toutes ces quatre « identifications attribuées » se montrent le plus fortement
en contact avec la famille. Joseph refuse énergiquement la composante identitaire de
Kala ; il se débarasse donc du nom péjoratif, cependant le fond du problème reste. La
famille ne changera jamais son attitude envers la peau trop foncée. La composante
identitaire du « Parisien » est du point de vue de l´Afrique la plus importante. Il s
´agit de l´image de l´exilé idéal, de l´Africain qui a réussi en France – c´est-à-dire à
Paris – et qui n´a pas coupé les liens avec son pays natal. En Afrique, le Parisien est
adoré, et c´est, au fait, ce regard admiratif qui crée son identité ; car, sans ce miroir,
elle n´existerait pas. Le Parisien représente l´incarnation du rêve d´une meilleure vie
et, en tant que tel, il a deux attributs fondamentaux : l´apparance physique et
vestimentaire et les manières. Ce sont des règles de la convention tacite que le
Parisien ne doit pas violer, parce qu´on les attend de lui. Il s´agit de la grosseur, puis
des habits bariolés, des costumes qui combinent des éléments de la tradition africaine
et de la modernité et du luxe européens ; il s´agit du français qui a gardé depuis les
temps de la colonisation l´éclat de la langue des couches sociales plus élevées 172, et
de la conduite d´enrichis qui ne se passe des visites des bars africains à la mode, des
promenades en taxis ou en voitures luxueuses, ou de l´acte de buvoter du vin de
Champagne français. Les Parisiens qui retournent au pays n´osent pas perturber cette
172
André-Patient Bokiba souligne que la langue française, en tant que la langue du colonisateur, porte
la marque de l´autorité et ainsi devient-elle pour l´Afrique « un signe de prestige, de puissance et de
promotion sociale ». BOKIBA, André-Patient, Écriture et identité dans la littérature africaine, Paris,
L´Harmattan 1998, p. 26.

49
vision matérialisée du succès : c´est qu´elle est trop précieuse et essentielle pour les
Africains, elle laisse oublier pour un moment la misère de l´Afrique, le dénuement
que la France ne connaît pas. Joseph constate qu´« ainsi peut-être on se sent plus
proche des Blancs » (L´Impasse, p. 38).
Joseph enfreint cette image de l´idéal dans tous les aspects. Déjà son arrivée
représente pour la famille une amère déception : au lieu d´un homme gros et
richement vêtu ils voient un ouvrier maigre qui est hué par le public qui attend
à l´aéroport le retour des Parisiens. C´est un outrage insupportable pour toute la
famille. Pour cette raison, la famille, sous la direction du frère aîné Samuel, cherche
à transformer Joseph en un vrai Parisien au moins après coup et ainsi s´émanciper de
la société basse. La famille fête avec ostentation la présence du « Parisien », tout le
monde tente de parler français avec lui. Joseph est surpris par des connaissances que
ses alliés, surtout des jeunes, ont de la France ; leur devise de vie, c´est « Voir Paris
ou mourir ! » ou « Sans Paris pas de vie possible ! ». Pour eux, Joseph représente la
réussite, puisqu´il vit là-bas. Ces idéals, Joseph les trouve naïfs, mais il ne s´en
moque pas, parce qu´il sait bien que ces visions sont les fruits d´un profond
désespoir : « Je sais que ce n´est pas la peine que j´essaie de leur enlever leurs
illusions […] qu´ils ne comprendraient pas, que c´est tout ce qu´ils ont, que quand on
n´a rien, que des haillons de l´extérieur à l´intérieur, on n´entend plus rien d´autre
que le son de la misère, qu´on ne pense qu´à l´oublier, qu´à vouloir s´en dépêtrer, que
la voix de la raison on ne l´écoute plus, elle n´existe plus » (L´Impasse, p. 63).
Joseph se défend contre la pression de la famille, il ne veut pas feindre qu´il
est quelqu´un d´autre, de plus un « Parisien » pour lequel il n´a que du mépris. Mais
la force de la collectivité le contraint à jouer son rôle, tout au moins de l´extérieur.
Mais à l´intérieur, Joseph éprouve un sentiment de vendre son âme : « Pour moi, il
[Samuel] me demande de me prostituer, de m´asseoir sur mes idées, mes convictions,
de marcher sur ce que je pense le plus important dans ma vie » (L´Impasse, p. 45).
Ainsi, à l´honneur de la famille, on sacrifie l´honneur de Joseph.
Cependant, en substance Joseph reste le « Noir blanc », l´individualiste qui
ressent une distance forte par rapport à son milieu natal. Il ne comprend pas l´Afrique
contemporaine qui est devenue pendant son absence un collage des traditions et de la
modernité. Ce mélange culturel se manifeste identiquement à tous les niveaux de l

50
´échelle sociale – d´un côté, on se tient convulsivement aux relations collectives et
tribales traditionnelles et au respect pour les ancêtres et les chefs de famille, de l
´autre côté, on s´efforce de s´approcher des Blancs, on s´éclaircit la peau, on se
modernise, le village veut devenir la ville et la ville désire être Paris. L´exemple en
est aussi le sida qui est considéré comme une sorcellerie173 et ainsi soigné à la fois par
la force du christianisme et le pouvoir de la magie indigène.
Pendant quinze ans de la vie en France Joseph a pris de la distance qui lui
permet de voir la réalité africaine différemment et de pénétrer sous la surface des
choses et de les évaluer objectivement. Ainsi, le protagoniste découvre la misère la
plus atroce de la société africaine, dans laquelle la vie n´est qu´une hibernation
artificielle et où les gens ont changé en êtres végétatifs : « Plus nous nous
rapprochons de la périphérie, plus elle se dénude, la pauvreté, plus elle se fait crue. C
´est que des maisons de guingois, du genre de celles qu´on doit rencontrer dans les
enfers, dans lesquelles on n´imaginerait pas que des êtres de chair et de sang puissent
habiter, que je vois. Que des tombeaux » (L´Impasse, p. 102). Tandis que les rues de
Brazza sont pavées de bars, les écoles et les hôpitaux y font défaut. Il est impossible
de trouver du travail, l´amitié n´existe pas – tous sont seulement des « copains de
soûlerie » (L´Impasse, p. 75).
En même temps, Joseph, en tant qu´individualiste influencé par la manière de
penser européenne, désacralise la tradition africaine. Il enfreint le respect obligatoire
envers Samuel, son frère aîné, et en sa mère, qui représente traditionnellement la
figure la plus sacrée de toute la famille, Joseph ne voit qu´un clown blanchi, auquel
le désir d´avoir la peau claire a causé le cancer. La vue individualiste du monde de
Joseph se reflète aussi dans son attitude envers les Blancs ; sa famille ne supporte pas
qu´il ait une partenaire blanche, le racisme africain n´est pas moins grand que le
racisme des Blancs.

173
Ute Fendler mentionne que la littérature et le film africains des années 1990 se tournent vers le sida
que la société africaine supporte et dont elle souffre « sans pour autant désigner la maladie par son
nom ». L´auteur souligne la nécessité de l´utilisation de métaphores et de symboles pour pouvoir
parler de la maladie : « Cette stratégie occulte en même temps des mécanismes archaïques de
culpabilisation et de démonisation des personnes atteintes de la maladie, et de la maladie elle-même ».
FENDLER, Ute, « Briser le silence sans mots : Le Sida dans les textes et les films francophones d
´Afrique ». In LŰSEBRINK, Hans-Jürgen (Éd.), Les littératures africaines de langue française à l
´époque de la postmodernité. État des lieux et perspectives de la recherche, Oberhausen, Athena
2004, pp. 207 – 208.

51
Désabusé de la réalité de la ville africaine moderne, Joseph se réfugie au
village de son grand-père. Il espère y trouver les racines perdues, une Afrique vraie,
authentique. Mais cette visite apporte une désillusion ; Joseph n´y trouve que des
ruines de l´ancienne gloire, des « éléments indiscutables de la grande Afrique, ceux
de la pauvreté multiforme, profonde, endémique, permanente, future, incurable » (L
´Impasse, p. 134). Le grand-père de Joseph, le représentant de la vieille génération,
fortement traditionnaliste, est un francophile aussi : il parle français avec Joseph,
« un français du cru » et il ne cesse de causer de la France qu´il a visitée, de ce pays
aimé et du Général de Gaulle.
Ainsi, le seul appui de Joseph, c´est son frère François, un grand sceptique
qui présente à Joseph l´Afrique sous un autre jour – telle que Joseph ne pourrait pas
la voir lui-même pendant son court séjour au pays. François lui explique que le rêve
de Paris n´est qu´une partie du sommeil africain, que pour endormir le sentiment
amer de la misère, on a besoin encore de la foi aveugle et de l´alcool : « Que ce soit
dans la tête ou dans la poche qu´on l´a, la misère, on a besoin de l´oublier. L´alcool, l
´argent, la prière, la danse et les fesses sont là pour ça, pour la noyer ! » ( L´Impasse,
p. 110). François est en demi-sommeil, il ne veut pas mentir à lui-même, mais pour
survivre, il recourt à un compromis : l´alcool. Mais il respecte la hiérarchie et les
traditions familiales et c´est justement lui qui conseille à Joseph de se soumettre à la
pression de la collectivité familiale et de corriger ses défauts.
La tension dans la famille et la pression sur Joseph graduent. Finalement,
Joseph est contraint jusqu´à la plus grande humiliation : pour redresser l´affront à l
´autorité de Samuel, il s´agenouille et baise la terre devant son frère aîné. Ainsi,
Joseph voit lui-même en tant qu´une créature tout à fait ternie et piétinée. Il se trouve
donc dans une situation où il ne lui reste que la dernière composante identitaire :
celle de l´étranger ; car celle de Kala, il l´a réfusée, celle de Parisien, il l´a acceptée
seulement superficiellement, celle d´individualiste lui a été ôtée. Joseph n´a pas été
capable de s´adapter, il rejette l´image de l´Afrique moderne. Entre lui et sa famille
se trouve un mur insurmontable, son pays natal l´a répudié. Ainsi, le séjour en
Afrique qui originairement devait être seulement un intermède, devient un point de
faille de la vie de Joseph. Celui-ci est ainsi conduit vers la « première constriction »
de son identité.

52
La désagrégation identitaire que le protagoniste a vécu en Afrique devient
encore plus profonde après son retour à Poury. Il voit la réalité française d´un oeil
bien différent, nouveau : il a quitté la France en tant que « Noir blanc » et il revient
comme un étranger. Il cherche le refuge dans la relation avec Sabine, sa partenaire
blanche, qui s´efforce d´aider Joseph à résoudre ses problèmes d´aliénation. Sabine
demande à Joseph de rester l´« homme universel », pareillement comme elle est la
« femme universelle », et de ne pas juger les gens sous l´angle de la race, mais de
leur individualité. Cependant, même pour Sabine la relation avec Joseph, homme
noir, n´est pas facile – elle surmonte des réactions négatives des Blancs inconnus (de
nombreux actes d´hostilité dans la rue, des moqueries), mais aussi de sa propre
famille. Les parents sont indignés par la liaison de Sabine et ils la qualifient de
« contre-nature », la mère accepte Joseph seulement de peur de ne pas perdre sa fille,
le père se pose en représentant de la race supérieure, du point de vue culturel plus
évoluée. La domestique des parents se manifeste comme la raciste primitive.
Du point de vue du racisme, le membre de famille le plus compliqué c´est
Alain, le frère de Sabine. Au début, il se présente comme un « Blanc noir » amical,
un grand admirateur de l´Afrique et de sa culture qui voyage dans les régions
oubliées du contitnent noir pour connaître le vrai visage de la vie de là-bas. C´est
justement cet intérêt réel pour la destinée de l´Afrique qui rapproche Alain et Joseph.
Mais leur amitié se termine au moment où Alain apprend que Joseph a une relation
amoureuse avec Sabine. Ainsi, on découvre qu´en réalité, Alain n´est qu´un « Blanc
noir » superficiel : « C´était bon l´Afrique, l´Africain, quand ça se trouvait loin de
lui. Quand ça se rapprochait, que ça touchait presque à sa vie privée, ça devenait
embêtant, mauvais, inacceptable » (L´Impasse, p. 163).
Néamnoins, ce sont aussi les relations avec la communauté africaine à Poury
qui deviennent problématiques pour Joseph. Cette communauté représente une petite
copie de l´Afrique moderne en France. Joseph se lie d´amitié avec trois compatriotes
qui, malgré leur formation supérieure, ne font qu´un travail peu important. Leur rêve
est « inverse » de celui des Africains – ils désirent l´Afrique. Ils l´étudient
théoriquement, ils analysent scientifiquement son état contemporain ; et ils ne croient
pas Joseph qui dit que l´Afrique se trouve dans une situation désespérée et sans issue.
Or, les compatriotes ne projettent pas le voyage au pays natal, ils évitent le contact

53
direct avec la réalité africaine – ainsi, ils croient de loin qu´« on s´en sortira ». Ces
compatriotes sont l´exemple de l´homme qui s´est retrouvé entre deux mondes : ils
sont restés définitivement dans cet espace et ils ne noueront jamais une relation
solide avec aucun de ses deux mondes. Dans leur pensées, ils recourent à l´Afrique,
mais en même temps la vie hors de la France est pour eux inimaginable. Ces
« hommes de l´entre-deux-mondes » portent dans leurs âmes un sentiment
indéterminé de vide : « Des trois, Zabikila est mon préféré. Peut-être à cause de la
détresse qui se dégage de lui. À le voir, on dirait qu´il est complètement perdu, qu´il
ne sait pas qui il est, qu´il est travaillé de tous les côtés. Mais je crois qu´il se le
cache, qu´il veut se croire tout complet » (L´Impasse, p. 172).
Le contact avec l´Afrique et avec ces compatriotes a un impact fatal sur
Joseph ; il se trouve dans une position de « menteur universel » qui ment à tout le
monde – aux exilés quand il parle du désespoir de l´Afrique et aux Africains quand il
raconte la vie en France. Joseph a perdu la crédibilité pour les deux côtés. Il en est
tourmenté, néanmoins, il refuse d´accepter l´attitude de son meilleur ami Dieudonné ;
l´attitude qui paraît être le seul chemin praticable de l´homme exilé : construire un
mur autour de soi, oublier les problèmes identitaires et jouir de la vie. La majorité
des exilés de la ZUP ont choisi cette solution, mais Joseph n´est pas capable de s´y
identifier et il la trouve superficielle.
Joseph commence à se poser la question de la vraie identité noire et le rapport
entre les Noirs et les Blancs devient successivement son obsession. Il perçoit
intensément que la société blanche n´a jamais entièrement accepté les Africains, mais
en même temps elle ne cesse de leur imposer son modèle de la vie et détruit donc
leur propre identité africaine. Ainsi, Joseph interprète-t-il l´éclaircissement de la peau
noire comme la dépersonnalisation, et le copiage aveugle des moeurs de la
civilisation occidentale comme l´acte de cracher sur soi-même, comme la corruption
de l´être noir : « Comme quoi il y a des choses qui sont ce qu´on est, qui nous font,
qu´en les destructurant, en les modifiant, on se nie, on se refuse, on s´aliène. Comme
quoi un lion sans crinière ou un zèbre sans zébrure, eh bien, ce n´est ni un lion ni un
zèbre. Que si le lion il enlevait sa crinière, ce serait l´anéantissement de ce qui le
caractérise, de ce qu´il est […] Que le lion s´il se mettait des zébrures, il serait autre
chose qu´un lion, qu´il aurait beau clamer le contraire on aurait du mal à le croire. Je

54
dis que nous on est comme lui […] Je dis que nous autres on oublie vraiment que
notre couleur est la couleur extrême, la synthèse, la somme de toutes les autres, on la
perçoit comme ceux d´en face la violent et le veulent, on ne s´arrête qu´à son aspect
négatif, on l´associe comme eux aux ténèbres primordiales » (L´Impasse, p. 255).
Ces questions de l´identité déguisée s´emparent de Joseph, il en devient
entièrement dominé ; il mérite même un sobriquet, inventé par ses compatriotes : le
« fou de l´âme noire ». Peu à peu, Joseph se perd dans le cercle vicieux des
problèmes, il croit que toute l´identité du Noir moderne – en Afrique ou en Europe –
est fondée sur l´opinion des Blancs, ce qui est causé par les circonstances historiques
et par l´humiliation de toute la race noire. Ainsi, l´identité noire signifie d´un côté le
désir de garder sa personnalité et de démontrer son importance et son unicité, mais de
l´autre côté il y a le désir de s´approcher des Blancs et de leurs idéals.
Joseph commence à percevoir le monde seulement dans les contrastes noirs et
blancs, ce qui se montre aussi dans son rapport envers Sabine. Joseph perd
définitivement l´identité de l´homme universel, sa perception de « nous », c´est-à-
dire de lui et Sabine change en opposition de « nous » – les Noirs et « vous » – les
Blancs. Sabine s´aliène à Joseph : tandis qu´avant son voyage au Congo il percevait
comme « autres » ceux qu´il allait voir au pays, maintenant, cet « autre », c´est
Sabine. Finalement, Joseph l´abandonne. Ainsi, l´on peut voir qu´il est impossible
pour un individu de devenir un homme universel, si la société ne le lui permet pas :
« Tu sais ce que c´est être un Noir, un étranger ici, toi ? Tu sais ce que c´est qu´avoir
le sentiment d´être exclu, enterré en permanence ? qu´entendre autour de soi des
paroles acides ? » (L´Impasse, p. 232).
Ces questions pressantes provoquent des dépressions nerveuses de Joseph,
intensifiées par le fait qu´il a été licencié. Jour après jour, il se sent plus offensé par l
´image négative qu´on donne du continent noir dans les médias français, il ne sort
presque pas de son appartement pour ne pas devoir faire face aux Blancs. Il souffre
des maux de tête intolérables et des accès d´angoisse, sa crise identitaire l´amène
jusqu´à la moelle des réflexions existentielles. Il réfléchit sur le caractère du « x » de
l´équation qu´il a inventée déjà en Afrique : « x + Africain + Africaine + produits
cosmétiques = décoloration de la peau + défrisage des cheveux » (L´Impasse, p. 86).
Joseph croit que cet « x », c´est Dieu, que Dieu est la cause de toutes les souffrances

55
qu´il doit supporter : « Je ne peux pas m´empêcher de m´exclamer que la peau et sa
couleur, c´est que […] des bêtises de Dieu ! qu´Il n´avait pas besoin, Celui-là, de
créer une telle diversité pour exprimer son existence ! que quand on pense à la
multitude de gens crevés à cause d´elles ça ôte l´envie de croire en Lui ! » (L
´Impasse, p. 192). Cependant, Joseph enfin aboutit à la conclusion que ce n´est pas
Dieu qui a tourné sa vie en cauchemar, que cet « x », c´est l´homme, que l´homme
est la cause de tous les maux. Joseph ne peut plus porter le poids de sa crise
identitaire et il devient fou. La « deuxième constriction » culmine par la perte de
toute l´identité.
Joseph passe trois mois dans un hôpital psychiatrique, mais sa crise ne
disparaît pas ; ce n´est que le docteur Malfoi qui amène un changement essentiel. Il
peut sembler paradoxal que le traitement des problèmes identitaires de Joseph soit
mené par un Blanc, même s´il s´agit du « Blanc noir » qui a vécu longtemps en
Afrique. Il paraît que c´est une intention ironique de Biyaoula qu´un spécialiste de la
psychologie noire est un homme occidental (d´ailleurs, ce ton ironique, l´auteur nous
le donne à entendre par le nom du docteur). Malfoi s´étonne que Joseph se sente une
partie du « grand tout noir », parce qu´il croit qu´en réalité, Joseph en est trop sorti.
Ce tout noir, c´est, au fait, la communauté des Noirs modernes ; l´Afrique que Joseph
cherche n´existe plus. Malfoi souligne que c´est normal que la vie change, qu´il faut
vivre avec son temps. La thérapie du docteur consiste dans la réfutation graduelle de
toutes les attitudes et opinions précédentes de Joseph ; Malfoi montre à Joseph qu´il
se trompait dans toutes ses idées. L´argument le plus concluant, c´est la vision de l
´Afrique en tant que le continent de l´avenir : « Mais c´est une véritable chance que
vous avez là, monsieur !!!... La grande famille africaine, structurée, unie soudée !
[…] Regardez dons la société dans laquelle vous vivez ! Regardez ! Voyez combien
elle se déshumanise ! » (L´Impasse, p. 259).
Joseph accepte les opinions du docteur Malfoi, la thérapie est efficace – mais
c´est au prix de la simplification et de la désensibilisation. Joseph cesse de s´affliger
des questions, il comprend qu´il ne trouvera jamais les réponses : « Moi, je ne veux
plus crever sous le poids des mots. Alors j´entends sans entendre. Je constate. Puis je
vide ma tête et je n´y pense plus. Je reste superficiel. Je me transforme en zombie »
(L´Impasse, p. 263). « La mue » consiste donc dans le fait que Joseph revêt la forme

56
de l´« Africain moderne », la forme qu´il a tellement détestée. Sa nouvelle identité
naît successivement, mais elle n´est qu´une carapace de protection contre le monde,
sous laquelle aucune valeur nouvelle ne prend naissance. Auparavant, Joseph se
moquait de ses compatriotes de jouer à cache-cache avec la réalité, maintenant lui-
même se construit son propre monde : « Je m´inventerai mon monde, je le peindrai à
ma façon, comme je voudrai, j´y mettrai ce que je voudrai, je rêverai ! » (L´Impasse,
p. 267). De cette façon, il parvient à retrouver un certain équilibre.
Joseph se laisse appeler « Black » 174, parce qu´ainsi, il se débarasse
formellement des connotations négatives liées au nom de « Noir ». Il s´efforce de
devenir membre de la communauté noire, et qui plus est, il veut y gagner une
position privilégiée. Il se crée un plan de l´engraissement et il commence à acheter
des costumes de luxe ; il essaie même de s´éclaircir la peau. Il exige de ses jeunes
compatriotes de s´adresser à lui avec le titre « Vieux » ou « Grand » ; ce titre
représente le plus haut degré du respect que la communauté peut manifester. Par
cette façon d´agir Joseph veut remplir un vide intérieur, un « trou » qu´il sent. Joseph
change ; l´admiration de la communauté qu´il soulève le remplit de bonheur, il rêve
même de retourner au pays natal en tant qu´un « vrai Parisien ». Peu à peu, il adopte
tous les attributs de l´Africain moderne qu´il dédaignait auparavant. Il est croyant, il
compte sur la force de l´argent et ainsi il devient dépendant de la faveur des Parisiens
riches, mais il en est fier. Le costume africain est sa seconde peau.
Un jour, Joseph tombe sur Sabine et cette rencontre fortuite jette une lumière
crue sur sa nouvelle identité ; c´est un conflit du vieux et du nouveau Joseph. De la
conversation avec Sabine découle tout le caractère superficiel de Joseph, tout le tragi-
comique de sa nouvelle identité. Il est devenu un homme grotesque qui a échangé
« l´être » pour « le paraître ». La profondeur de la transformation de Joseph est
illustrée par sa vue sur le bébé de Sabine ; il se fâche de l´infidélité de Sabine, mais

174
Jean-Marie Borzeix explique l´histoire de ce titre de « Black » : au début, à l´époque de la
Négritude, il faisait référence à la fois à la modernité nord-américane et à la force vitale de l´Afrique
refusant rester prisonnière des images de la colonisation. Grâce à ce mot anglais, les étudiants
africains de l´époque échappaient « à leur condition d´enfants de l´Union française, d´indigènes
évolués et dominés ». L´auteur souligne que c´était « une façon symbolique de prendre son
indépendance par le truchement de la langue ». Des dizaines d´années plus tard, le mot « Black » est
toujours vivant. Borzeix constate que « les Noirs vivant en France, les jeunes et les moins jeunes,
continuent à utiliser le mot, comme s´il datait d´hier. Il incarne toujours la liberté, la réussite, la
modernité, la fierté auxquelles ils aspirent ». BORZEIX, Jean-Marie, Les carnets d´un francophone,
Clamecy, Bleu autour 2006, pp. 37 – 38.

57
dès qu´il parvient à constater que cet enfant est le sien, il n´accepte pas le rôle de
père – cela ne correspond pas à ses projets de la nouvelle vie et, en plus, il ne veut
pas se laisser gâcher la soirée à laquelle il se prépare depuis longtemps.
Néanmoins, à l´intérieur, sous cette carapace, il y a un monstre qui dort.
Joseph le sait ; pour cette raison, il obéit au conseil du docteur Malfoi et il ne
concentre son attention que sur son aspect extérieur. Il veut étouffer ce monstre qui l
´oppresse et, intentionnellement, il tombe en coma intérieur. Il devient un jouisseur,
le leitmotiv de sa nouvelle existence, c´est le plaisir du corps. Celui-ci permet à
Joseph de balayer toutes ses angoisses et inquiétudes : « Le plaisir, c´est ce qui vous
fait toucher la vie, la vraie ! Manger, boire, baiser, danser, s´habiller, parader ! C´est
dans cela que je trouve un véritable intérêt ! » (L´Impasse, p. 311).
Le point de faille de la création satisfaisante du nouveau « soi », c´est la
rencontre avec Justin. Cet homme, l´exilé trop noir, représente l´image reculée de
Joseph, avec toutes ses questions insolubles, ses peines et souffrances identitaires.
Joseph le comprend, mais en même temps il a honte de ses anciens sentiments et il ne
l´aidera pas. Quand il apprend que Justin s´est suicidé, il sent le monstre intérieur se
réveiller sous la cuirasse. Néanmoins, il croit que les visites plus fréquentes du
docteur Malfoi résoudront ce problème, il veut éffacer sa mémoire définitivement. Il
est arrivé au bout de l´impasse.
Le chemin de Joseph, sa quête identitaire, pose la question : qui est-ce qui est
un vrai Africain à l´époque contemporaine, et non seulement en exil, mais aussi dans
son pays natal. Car même le monde africain se trouve dans l´état de l´identité
instable.

58
4. Le rêve français ou Bleu-Blanc-Rouge d´Alain Mabanckou

Le premier roman d´Alain Mabanckou, Bleu-Blanc-Rouge (1998), situé par


son orientation thématique à la croisée des littératures africaine et française, est une
des oeuvres les plus remarquées des écrivains de l´« Afrique sur Seine ». La preuve
en est Le Grand Prix de l´Afrique Noire que le roman a obtenu en 1999. Lydie
Moudileno souligne qu´« Alain Mabanckou est l´un des écrivains contemporains qui
ont largement participé au renouveau des Lettres africaines que l´on peut constater
à la fin des années 1990 »175.
Pareillement comme dans L´Impasse, c´est le personnage de l´exilé africain et
son chemin identitaire qui se trouvent au centre de l´attention du Bleu-Blanc-Rouge.
L´histoire du protagoniste se déroule successivement dans deux mondes, et même s
´il n´abandonne pas le cercle de ses compatriotes, le monde africain et le monde

175
MOUDILENO, Lydie, Parades postcoloniales. La fabrication des identités dans le roman
congolais, Paris, Éditions Karthala 2006, p. 107.

59
parisien s´affrontent dans sa vie avec toutes les conséquences pour l´homme exilé
qui, de plus, se trouve au pays d´accueil clandestinement. Ce qui complique la
situation, c´est le fait que chacun de ces deux mondes a deux visages – le rêvé et le
réel.
Au commencement de la narration le lecteur est jeté dans le tourbillon des
pensées du protagoniste. Le fait que le narrateur est de statut « intradiégétique-
homodiégétique » rend la spécification du caractère du protagoniste plus difficile ; le
lecteur se perd dans ses pensées, dans les images brouillées et superposées. Cette
partie de l´oeuvre qui représente le prologue (appelé « Ouverture ») est la clé du récit
qui suit. Le narrateur présente le flot d´idées incohérent qui nie les dimensions du
temps et de l´espace, qui balance à la frontière entre les souvenirs et le rêve. Il est
évident que le narrateur-protagoniste se trouve dans une situation limite, qu´il ne se
comprend pas lui-même : « L´enchevêtrement des faits consume mes tempes […] Je
n´ai rien à cacher. Plus rien à perdre. Encore moins à gagner » (Bleu-Blanc-Rouge176,
pp. 26-27). Peu à peu, l´identité du narrateur-protagoniste devient nette: c´est un
homme exilé sans lendemain qui a été incarcéré et qui attend le rapatriement.
Éprouvant le sentiment de se trouver dans un monde fantasmagorique, le
narrateur-protagoniste veut mettre de l´ordre dans ses pensées, trouver des points
fixes de son histoire personnelle, il désire la comprendre. Ainsi, après l´Ouverture
suit la narration rétrospective de ses destinées. Celles-ci sont divisées en deux parties
de longueur égale et respectent le déroulement chronologique de la vie du
protagoniste – pendant la période de plus au moins quatre ans des années 1990 –
dans deux mondes : la première section est appelée « Pays », la suivante « Paris ».
A part cet aspect géographique qui se concentre sur un quartier de Pointe-Noire
congolaise et sur Paris, ces deux parties diffèrent par leur atmosphère – dans la
première le monde du rêve est construit, dans la deuxième il est détruit. L´épilogue
(appelé « Fermeture ») clôt le cadre indiqué par l´Ouverture : le narrateur a rangé ses
pensées et il cherche un nouveau chemin de sa vie.
Le récit n´est pas trop marqué par la négrification de la langue française. Ses
éléments se manifestent seulement au niveau lexical, là où il faut saisir la réalité
africaine dont les équivalents n´existent pas en langue française (par exemple le

176
MABANCKOU, Alain, Bleu-Blanc-Rouge, Paris, Présence Africaine 1998.

60
« foufou », le repas traditionnel des pauvres, ou le « boubou », l´habit de gala) ou
dans le cas des mots dont la forme française modifierait un peu leur sens d´origine
(par exemple le « marabout »). La seule phrase en langue africaine lingala (la langue
maternelle du protagoniste) qui se trouve dans l´oeuvre est pronocée paradoxalement
par un employé blanc ; au moment où les exilés africains, refusés par la France, se
préparent au rapatriement, l´employé les salue « M´boté na bino baninga ! », ce qui
signifie « Bonjour les amis! » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 220). Dans ce contexte la
phrase a le goût amèrement ironique. Le style de Mabanckou n´est pas
« désarticulé » comme celui de Biyaoula, ses mots courent légers. Papa Samba Diop
constate que ce qui assure aux oeuvres de Mabanckou leur « fécondité actuelle », c
´est d´abord « cette volonté de plier la narration à l´essentiel, la coïncidence du style
essentiel du récit et du style essentiel de l´existence »177.
La partie appelée « Pays » développe le sujet de l´édification systématique du
rêve de la meilleure vie. Le milieu africain, avec sa pauvreté et son désespoir, se
cramponne à la France, qui, en tant qu´ancien centre colonial sauvegarde
constamment son charme impérieux, sa position de l´idéal culturel et économique.
Néanmoins, dans l´imagination des Africains toute la France s´est retrécie à un seul
point – Paris, la « Ville-Lumière », belle et lointaine : « La France, ce n´était ni
Marseille, ni Lyon, encore moins des villes inconnues de nous comme Pau, Aix ou
Chambéry. La France, c´était Paris, là, au nord de ce pays… » (Bleu-Blanc-Rouge,
p. 88). Paris a une dimension mythique, tous désirent franchir le Rubicon imaginaire
et voir Paris, vivre dans cette ville et acquérir ainsi son bonheur suprême. La société
africaine admire la capitale française, plus précisement sa forme idéalisée. Comme le
départ est difficile, voire quelquefois impossible, tous visitent Paris au moins « par la
bouche ». Seul le son de ce nom les transporte dans une autre réalité : « Un seul mot,
Paris, suffisait pour que nous nous retrouvions comme par enchantement devant la
tour Eiffel, l´Arc de triomphe ou l´avenue des Champs-Élysées » (Bleu-Blanc-Rouge,
p. 36). L´admiration sans bornes pour Paris se montre par l´imitation du luxe et de la
vie de bohème parisienne, cependant, cette imitation acquiert parfois une forme
presqu´absurde, comme dans le cas du choix des noms de stations de métro en tant

177
DIOP, Papa Samba, « Littérature francophone subsaharienne : une nouvelle génération? », Notre
librairie, no 146, Nouvelle génération, octobre – décembre 2001, p. 16.

61
que pseudonymes. Ainsi, les jeunes Africains renoncent avec complaisance à leurs
noms traditionnels, seulement pour pouvoir s´appeler « Monsieur Strasbourg-Saint-
Denis ». Cette simple appellation, sans connaissance de la réalité, peut les enchanter
et aux yeux des autres Africains les rendre plus importants. Paris est donc le
synonyme du chemin menant vers la richesse et le prestige social.
Tous les types identitaires des personnages se découlent directement de ce
rêve parisien – que cela soit en harmonie avec le rêve ou qu´ils contrastent avec lui.
L´accomplissement absolu du rêve, c´est le personnage du « Parisien ». Il s´agit du
type identitaire qui se forme en Afrique déjà depuis des décennies, de génération en
génération. Il est basé sur la perception positive de la France, surtout grâce au
Général de Gaulle178 qui est apprécié par la génération plus âgée comme un héros,
une personnalité que les Africains s´approprient : « Digol, un grand homme comme
il n´en existe plus de nos jours. Des hommes comme lui, il n´y en a qu´un seul par
siècle. Et encore, il y a des siècles où le destin fait une impasse sur ses réserves d
´hommes géants » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 53).
L´image des « vrais Parisiens » est étroitement liée avec la réussite, la vie
dans l´abondance ; c´est celle des « hommes joufflus, à la peau claire et à l´allure
élégante » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 39). Ils retournent au pays une fois par an et leur
arrivée représente pour les Africains le plus grand événement : leurs héros
retournent. Les Parisiens sont les gens de la société moderne, cependant, ils
respectent aussi les traditions africaines 179. Ainsi, ils sont acceptables non seulement
pour la jeunesse affolée par le rêve parisien, mais aussi pour les membres plus âgés
des communautés. Les Parisiens respectent les règles de la société africaine
patriarcale – ce sont avant tout les chefs des familles qui reçoivent des cadeaux
parisiens. Les Parisiens retournent dans leur pays natal et en même temps ils
apportent de nouvelles impulsions et ils continuent à créer le « mythe postcolonial ».
La partie composante essentielle de ce mythe, c´est la foi que le milieu parisien a une
influence d´ennoblissement sur l´homme, l´influence qui est tout à fait naturelle. Elle

178
Nous mentionnons le rôle historique que le Général de Gaulle (appelé par les Africains-mêmes
« l´homme de Brazzaville » ou « l´homme des Indépendances ») a joué à l´époque de la lutte pour l
´indépendance des pays africains dans le premier chapitre de notre travail.
179
Au fait, les personnages des Parisiens sont identiques au type identitaire des « Congaulois »
(Congolais + Gaulois). Ce terme, invinté par le poète congolais Tchicaya U Tam´si, se réfère aux
« Congolais dont l´identité est indissociable de la part française ». MONGO-MBOUSSA, Boniface, L
´indocilité. Supplément au Désir d´Afrique, Paris, Gallimard 2005, p. 111.

62
se manifeste sur l´aspect physique de l´homme noir qui prend successivement du
poids et sa peau devient de plus en plus claire, transparente à tel point qu´il est
possible de distinguer des veines. Les yeux bleus (avec des lentilles) sont l
´accomplissement de cette métamorphose parisienne. L´influence se montre aussi
dans le domaine des relations sociales – par les manières distinguées et par l
´éloquence brillante qui enthousiasme le public africain. Le « vrai Parisien » parle
uniquement « un français français », le « fameux français de Guy de Maupassant »
et il n´emploie que des mots euphoniques et intéressants qui captivent l´oreille des
« vilains autochtones » ; ces mots sont utilisés souvent sans considération de leur
véritable signification (cette ignorance est prouvée aussi par le fait que ces
expressions sont désignées – avec admiration – comme des « gros mots »).
La partie constituante de l´image des Parisiens, ce sont aussi des
« lettres-type » qui fonctionnent comme des éléments constitutifs du culte pendant la
période de l´absence des Parisiens au pays : la famille du Parisien ne cesse de faire la
lecture à haute voix de cette lettre à tout le quartier. Les lettres-type ont toujours le
même contenu, écrit en même mots, mais personne ne s´en étonne, au contraire ce
fait est perçu comme la confirmation de l´identité de l´auteur – du vrai Parisien 180.
Également, les Africains écoutent avec reconnaissance les histoires éblouissantes des
Parisiens, construites laborieusement toujours selon le même schéma. La répétition
confirme la vérité du rêve parisien.
L´incarnation de l´idéal du Parisien dans le roman, c´est Moki. Il est le
créateur principal du rêve bleu-blanc-rouge. Moki porte tous les attributs du Parisien,
180
La « lettre-type » est une lettre préfabriquée, il s´agit d´un modèle ciselé, déterminé à être recopié.
Nous citons un large extrait d´une lettre-type, car elle contient tous les motifs fondamentaux qui
construisent l´image du Parisien. Du côté des Parisiens, cette lettre exprime la volonté de perpétuer le
rêve.
« Ma chère Marie-Josée
Je t´écris en face de la tour Montparnasse que je contemple chaque matin depuis la salle de bains de
notre magnifique appartement du quatorzième arrondissement. L´été vient de s´achever sur la plus
belle ville du monde. Nous allons vers l´automne, pour ensuite admirer la splendeur blanche de la
neige en hiver.
Je t´ai acheté beaucoup de cadeaux, des vêtements de grands couturiers du faubourg Saint-Honoré. Je
t´ai aussi acheté une paire de mocassins Weston. Je veux bien te les envoyer mais je crains que tu ne
fasses la java avec mes adversaires locaux, des gens qui ne savent même pas combien coûte un
pantalon Yoshi Yamamoto. Moi, je n´ai plus rien à prouver. Je suis un Parisien avec un grand P.
[…]
Je compte t´épouser pour le meilleur seulement, il n´y aura pas de pire avec moi. Je te donne ma
parole de Parisien. Compte sur moi, je prépare notre avenir. Je t´embrasse tendrement. Je t´aime, ma
petite Golden (c´est comme ça qu´ils appellent le genre de pommes que j´aime ici)…
Ton fiancé parisien » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 133).

63
il renforce sa condition de supériorité par de coûteux cadeaux qui arrachent sa
famille à la misère et la mettent à la tête de tout le quartier. Ainsi, la famille nourrit le
culte de Moki même pendant son absence. C´est justement l´argent de Moki qui
ensuite désagrège la structure de la société traditionelle : le père de Moki achète la
condition privilégiée dans le conseil du quartier, la condition qu´il devrait mériter
personnellement dans les circonstances normales. Ainsi, bien que les Parisiens
respectent les us et coutumes africains, ils exercent sur eux en même temps une
influence négative.
L´identité de Moki-Parisien est étroitement liée à son ancienne identité du
« sapeur ». Il s´agit du phénomène qui se réfère uniquement au Congo, qui est fondé
sur l´édification de l´image de l´élite des dandys, dépendants de la culture et de la
mode françaises181. Les sapeurs s´unissent dans les clubs (celui de Moki a été le
meilleur de tous, appelé les « Aristocrates ») qui rivalisent mutuellement d´élégance
et de connaissances de la culture et la littérature françaises, toujours en présence du
public et des admirateurs. Mais il ne s´agit pas d´une véritable élite intellectuelle,
leurs connaissances de la France, sur lesquelles ils fondent leur prestige et leur
respect, ne sont que superficielles. Leur but, ce n´est pas d´acquérir une somme du
savoir profond, mais de trouver une façon élégante de le traiter et de fasciner leur
auditoire. Ces esthètes de la mode véhiculent le rêve parisien auquel ils ont soumis
tout : « Ce qui nous préoccupait, c´était surtout l´habillement, la sape, et partir un
jour pour Paris. L´école devenait un handicap. Elle nous détournait de nos objectifs »
(Bleu-Blanc-Rouge, p. 77).
Les sapeurs donc réussissent à se créer l´identité et la condition des Parisiens
déjà en Afrique. Il ne leur reste que de partir pour Paris (dans la majorité des cas
clandestinement) et ainsi confirmer leur vraie identité : « Dès que je suis sorti de l

181
Ce phénomène a apparu dans la fin des années 1960 et il a atteint son comble dans les années 1980.
Justin-Daniel Gandoulou qui l´explore du point de vue sociologique définit la sape comme suit : « La
Sape est un mot d´origine argotique qui signifie vêtement, avec une connotation d´élégance
prestigieuse et de dernière mode. Ce mot veut aussi dire "Société des ambianceurs et personnes
élégantes" (SAPE). Se saper est une des principales activités de la fraction très minoritaire de la
jeunesse congolaise que constituent les sapeurs, fraction essentiellement urbaine et populaire. La
Sape, c´est pour ces jeunes, le symbole de l´Occident véhiculé par une certaine société congolaise,
celle des gens qui ont réussi, et la façade de tout un système de valeurs. Tout se situe au niveau des
apparences. Il s´agit de capter les signes extérieurs de la réussite, de les répercuter pour sa propre
satisfaction et pour l´approbation et le renforcement du groupe de référence ». GANDOULOU, Justin-
Daniel, Entre Paris et Bacongo, Paris, Centre Georges Pompidou, Centre de création industrielle
1984, p. 18.

64
´avion, j´ai pris avec assurance un taxi et j´ai indiqué au chauffeur l´itinéraire à
suivre. Il était éberlué. Pour lui, je n´étais pas un étranger. J´étais chez moi » (Bleu-
Blanc-Rouge, p. 85). Dans le quartier, une longue absence du jeune sapeur signifie
donc automatiquement que celui-ci est parti pour la Ville-Lumière et sa famille ne
fait qu´attendre impatiemment la lettre avec la photographie de son fils vêtu des
vêtements d´hiver ; car l´acquisition du statut de Parisien est plus persuasive si elle
est prouvée par les attributs dont l´Afrique ne dispose pas : c´est, avant tout, l´hiver
et la neige.
Le caractère exceptionnel du charme de Moki consiste donc dans le fait qu´il
représente un idéal double – du sapeur et du Parisien. Pour cette raison, son autorité
est tout à fait inébranlable. Moki se crée le privilège du véhicule de la vérité du rêve
parisien, il se présente comme l´expert en mode parisienne et le mentor et le
protecteur des « futurs Parisiens ». Grâce à Moki le rêve acquiert des contours d´une
nouvelle religion, même avec sa rhétorique. Moki devient « prophète » de cette
religion, il parle de Paris comme de la Terre promise, ses paroles ont la validité d´un
évangile. Les Africains (surtout les filles) le touchent comme pour chercher leur
bénédiction.
La parenté de Moki s´affilie à sa forte personnalité de Parisien, grâce au
contact avec lui ils obtiennent une partie de leur gloire. Ses frères se présentent
comme les « Parisiens potentiels » et cette étiquette suffit pour qu´ils deviennent plus
importants que les autres Noirs. De plus, ils profitent des prêts des vêtements que
Moki ne porte plus et ils s´adonnent à les « miner » 182. Même le chauffeur de Moki a
l´air hautain, sa devise étant simple et claire : « Le chien du roi est le roi des chiens »
(Bleu-Blanc-Rouge, p. 71). Au fait, tous ces gens parasitent sur le rêve parisien.
Le rêve bleu-blanc-rouge fonctionne bien, parce que l´autorité des Parisiens le
protège et du côté des « autochtones » il est accepté de façon peu critique. Le seul
homme qui puisse démasquer ce mirage de Paris, c´est le « Paysan ». Aux yeux des
Africains les Paysans représentent tout le contraire des Parisiens : ce sont des
étudiants pauvres qui vivent en France hors de la capitale, ils ne prêtent pas attention
à la mode, ils n´ont pas la peau claire. Les Paysans retournent au pays pendant la
182
« La mine », répandue dans le pays, consiste à emprunter des vêtements, moyennant une somme d
´argent, pour un rendez-vous ou une soirée. Ceux qui convoitent ces habits parisiens de dernière mode
s´appellent les « frimeurs ». Comme la demande dépasse l´offre, il faut réserver les vêtements même
une année à l´avance.

65
saison sèche aussi, mais personne ne les remarque, ce sont des solitaires. Ils n´ont ni l
´élégance, ni les manières des Parisiens. Leur attitude et leur aspect extérieur
désacralise le rêve et, qui pis est, ils préviennent les jeunes Africains du départ en
France, ils cherchent à montrer que la vie de ce pays-là n´est pas facile. En Afrique,
les Paysans veulent bien mettre en valeur leurs expériences et connaissances qu´ils
ont acquises en France, mais le public africain ne s´y intéresse pas. En général, les
Paysans sont considérés comme les grands menteurs, les Parisiens-mêmes les
appellent « faux-prophètes ». Dans le milieu africain qui est fondé sur la tradition
orale, leurs thèses de doctorat écrites n´ont pas de valeur pour le public, elles sont
entièrement éclipsées par de nombreuses présentations théâtrales des Parisiens. Sur l
´échelle sociale les Paysans se trouvent plus bas que ceux qui ne partiront jamais
pour Paris.
La première moitié du roman a le caractère de l´exposition : elle présente au
lecteur la structure de la société africaine, et cela en relation avec la France. Le
narrateur, Massala-Massala, fasciné, s´identifie avec cette image ; il se réjouit d
´avoir, de l´avis de Moki, « une bonne gueule de Parisien », il en voit la
prédestination à devenir un vrai Parisien. Au fait, ce ne sont que des préparatifs de
voyage du protagoniste qui préparent le développement de l´action du roman.
Un seul encouragement suffit pour qu´un « autochtone » peu confiant en soi
et passif devienne un « futur Parisien », fier, voire presomptueux ; Massala-Massala
et toute sa famille ont obtenu un billet d´entrée dans la haute société. Cette nouvelle
identité du protagoniste est organiquement greffée sur les traditions africaines :
Adeline qui court après les futurs Parisiens et qui apparaît un jour à la porte de la
famille du protagoniste, prétendant attendre un enfant de lui, ne peut pas –
conformément à la tradition – être refusée (même si Massala-Massala croit ne pas
être le père) ; cela serait un ternissement de l´honneur de la famille. Le protecteur de
ces traditions, c´est le père du protagoniste, c´est aussi lui qui donne à Massala-
Massala une poignée de la terre de la sépulture de sa grand-mère et qui exécute à l
´aéroport le rituel de protection. Seulement à ce moment-là une mise en garde contre
la race blanche retentit dans l´oeuvre – c´est que dans le rêve parisien, il n´y est pas
fait mention du conflit racial éventuel entre les Noirs et les Blancs. Paris est perçu
exclusivement comme l´espace pour la réalistation du rêve.

66
Massala-Massala abandonne l´Afrique en tant que « futur Parisien » qui est
convaincu de son succès au pays d´accueil, il est même résolu à dépasser son maître
Moki. La phrase de Moki « Paris est un grand garçon » est le premier signe
prémonitoire de la rencontre avec la réalité. Ce qui a une importance clé pour la
compréhension de l´identité de Massala-Massala, c´est une photographie, faite au
début même du séjour à Paris ; elle saisit une expression illuminée enfantine de l
´homme qui voit son rêve se réaliser. La vue naïve du monde est la seule constante
du protagoniste.
Dans la partie de l´oeuvre appelée « Paris » nous rencontrons le protagoniste
quelques mois après son arrivée dans la capitale. La partie « Pays », statique et plutôt
descriptive, est remplacée par l´action, parce que c´est justement grâce à l´action qu
´on découvre le vrai visage du rêve bleu-blanc-rouge. Au lieu d´un Parisien élégant
nous voyons un homme dépressif qui éprouve un sentiment profond d´injustice et de
déception : il n´est pas, comme il espérait, « chez lui », il s´est retrouvé dans un
monde étranger et hostile, dans les conditions de vie horribles. Ce n´est que
maintenant qu´il comprend avec amertume pourqoui Moki racontait au public
africain qu´un vrai Parisien doit savoir se débrouiller, connaître chaque rue, chaque
place, chaque station de métro ou de RER. Ce n´est pas à cause de l´admiration et l
´amour pour Paris, mais c´est une condition de la survie de la lutte pour l´existence
dans la rue. Paris est un grand garçon. Massala-Massala n´est pas capable de s
´accommoder du fait que le rêve auquel il croyait toute sa vie n´existe pas et il tombe
en léthargie. Il perd la confiance en Moki, il lui reproche d´avoir trahi sa foi, d´avoir
péché.
Peu à peu, Massala-Massala change en « héros problématique » : son identité
du Parisien est tombée en poussière au jour le jour, il bâtit un mur de protection
autour de lui, il ne communique pas. Massala-Massala devient partie d´une nouvelle
structure de laquelle il n´avait pas jusqu´à présent la moindre idée : c´est une
communauté des compatriotes qui a le caractère du gang de rues organisé. En tant
que le dernier venu, Massala-Massala se trouve sur le plus bas degré de la hiérarchie
de cette bande. Son identité est celle du « débarqué », du novice qui ne sait rien du
monde parisien et qui encore reste enfoncé dans le monde africain. Il fréquente le
marché africain, il prépare chaque jour des repas traditionnels du pays, comme la

67
bande l´exige de lui. Le marché africain est le seul refuge du protagoniste, bien qu´il
n´y reconnaisse pas « son Afrique » ; il s´agit d´une tour de Babel, d´un mélage de
toutes les cultures, qui sont de plus toutes déformées : les marabouts y offrent la
magie efficace contre la fonction publique française.
Massala-Massala se sent être étranger dans le monde nouveau. Étant tout
à fait perdu, il se cramponne à ses pensées au pays natal ; ainsi, il s´efforce de
remplir le vide angoissant qui le tracasse. Il décide de confier sa déconvenue à sa
famille à laquelle il écrit des lettres qui expriment sa colère et son désenchantement.
Mais ces lettres tombent aux mains de Moki qui les détruit et reproche à Massala-
Massala de se comporter naïvement et de façon irresponsable, comme un « pauvre
Paysan ». Moki lui explique qu´on ne peut rien faire contre la force du rêve : « Pour
qui te prends-tu ? Tu perds ton temps ; ils ne te croiront pas, au pays. Ces gens-là n
´ont jamais changé […] Ils aiment le rêve. Tu entends, le rêve. Ce sont des enfants,
ils raffolent de sucreries et ne comprennent pas que, pour les acheter, il faut l´argent
qu´on obtient au prix de maints efforts et sacrifices. Ne leur explique pas que Paris
est un grand garçon » (Bleu-Blanc-Rouge, pp. 131-132). Le résultat en est que
Massala-Massala envoie la lettre-type. Il a compris la responsabilité du rôle des
Parisiens, la volonté de perpétuer le mirage de Paris : « La religion du rêve est ancrée
dans la conscience des jeunes du pays. Briser ces croyances, c´est s´exposer au destin
réservé aux hérétiques. Je me sentais le devoir d´entretenir moi aussi le rêve. De le
cajoler. De vivre avec » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 139).
Moki montre à Massala-Massala que pour pouvoir être, aux yeux des
Africains, un « vrai Parisien », il lui faut être entouré de l´auréole d´un mystère. Il
doit se façonner une bonne image, l´image du « battant », du héros qui ne retourne
pas les mains vides ; car le jugement dernier, c´est au pays. Moki traverse
adroitement les deux mondes, en gardant toujours son autorité. Il change de masques
avec sang-froid, son sobriquet d´ « Italien » – déduit du fait que Moki achète des
vêtements en Italie et les revend comme la mode parisienne en Afrique aussi bien qu
´à Paris – prouve que Moki trompe tous les deux mondes : à Paris il profite de l
´identité de l´ancien sapeur, en Afrique il tire parti de l´identité du Parisien. Sa vraie
identité, c´est celle de caméléon : Moki a passé aussi par la désillusion du rêve bleu-

68
blanc-rouge, mais il a su s´en tirer, s´en accommoder. C´est le fait dont Massala-
Massala n´est pas capable.
Moki considère l´entrée dans le gang comme une occasion servie sur un
plateau d´or. Massala-Massala est obligé de l´accepter et ainsi il entre dans un monde
sans égards, un monde des crimes de rues. C´est la vie dans un squat, dans une
menace incessante, dans les relations qui ne sont qu´utilitaires. La communauté suit
ses règles strictes de la survie, ses « dogmes à retenir les yeux fermés » ; elles
concernent, entre autres, le devoir de ne pas deviner l´impact de ses actes et de ne pas
regarder en arrière. Pour la survie, il n´y a pas d´autre solution. La seule chose qui
compte, c´est le succès immédiat. Les compagnons de Massala-Massala représentent
des personnages des « presqu´anti-héros » qui vivent en France clandestinement, en
marge de la société. Chacun a son champ d´action, est un « spécialiste » dans un
autre domaine. Selon ces « spécialisations » les exilés ont obtenu leurs sobriquets –
ainsi, par exemple Conforama est spécialiste en électroménager et en hi-fi.
La seule chose qui réunit ce groupe des exilés hétérogène, c´est la
présentation du rêve parisien en Afrique. Pour cette raison, à part le gain de l´argent,
ils avalent des comprimés de Périactine pour prendre du poids, ils s´éclaircissent
artificiellement la peau par des détergents dangereux. Ensuite, ils montreront en
Afrique tous les attributs du vrai Parisien. Ainsi, le rêve parisien donne aussi un sens
à l´existence des exilés, car le vrai Paris n´est pour eux qu´un terrain de chasse. Ces
« sans-papiers » représentent les « hommes de l´entre-deux-mondes » : en tant que
Parisiens en Afrique et Africains à Paris, ils cherchent à survivre dans les deux
mondes, sans entièrement appartenir à aucun d´eux. Cependant, il arrive souvent que
le rêve, maintenu pendant de longues années, commence à se nécroser. Tel est le cas
de Préfet, chef du gang, qui a été le premier à venir à Paris. Il a rompu les liens avec l
´Afrique, néanmoins à Paris, malgré son immense fortune, il n´est qu´un proscrit.
Préfet a l´identité de l´étranger même parmi ses compagnons et il cherche la
consolation dans l´alcool.
Après des mois de temps prohibé, Massala-Massala est invité à entrer lui-
même en lutte pour la survie. Il ne peut pas travailler légalement, son visa touristique
a expiré il y a longtemps ; la seule pièce d´identité qu´il peut obtenir est donc celle
que Préfet procure. C´est ainsi que Massala-Massala gagne une identité nouvelle,

69
volée. Après avoir obtenu un nom nouveau – Marcel Bonaventure – le protagoniste
se trouve devant un grand dilemme : il ne peut pas accepter ce nom, car le nom est
pour lui le porteur des traditions de la famille, il contient un message. Considérant les
circonstaces, le sens africain du nom de Massala-Massala est plutôt ironique : « Dans
notre patois, cela veut dire : ce qui reste restera, ce qui demeure demeurera. Le nom
de mon père. Le nom de mon grand-père, de mes arrière-grands-parents. Je pensais
que le nom était éternel, immuable » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 127). Massala-Massala n
´est pas capable de percevoir le nom nouveau comme une simple étiquette, il est
persuadé que même ce nom-là a son histoire, la destinée de son ancien porteur le
tourmente : « Oui, je pensais que le nom était sacré. Qu´on ne le changeait pas
comme on change de vêtements pour mettre ceux qui correspondent à une réception
donnée » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 127). Massala-Massala doit comprendre que dans la
situation dans laquelle il s´est trouvé, sa nouvelle identité n´est qu´une autorisation à
l´ouverture des frontières, une fausse clé. Massala-Massala le perçoit comme une
trahison de la tradition et une approbation de la platitude. Cependant, celle-ci est la
condition de la survie au territoire étranger : l´homme exilé « sans papiers » doit être
capable de dédoubler infiniment son identité.
Les frais liés à la création de la nouvelle identité étant trop élevés, Massala-
Massala doit les acquitter par son travail. Il entre donc dans la lutte quotidienne pour
la subsistance. Avec un nouveau complet et une nouvelle identité la transformation
du protagoniste est parfaite. Mais pour Massala-Massala ce fait signifie qu´il ne sait
plus qui il est, quelle identité choisir : « Avant de sortir, je ne pus m´empêcher d
´avoir un ultime coup d´oeil sur cette glace brisée accrochée sur le mur. Le miroir me
renvoya une image dépecée et fragmentée. Un gros oeil. Deux bouches. Des dents
superposées. Quatre arcades sourcilières. Trois fosses nasales. Quelle importance? Je
ne savais plus qui j´étais » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 169).
Massala-Massala est chargé de prendre des lettres contenant des chèques qui
ont été volées par un des compagnons à la campagne et puis d´acheter avec ces
chèques un maximum de coupons oranges de métro et finalement de revendre ces
coupons au marché noir. Mais pour pouvoir remplir cette tâche, Massala-Massala
doit avoir une nouvelle, troisème identité : celle qui appartient au propriétaire du
carnet des chèques. Sur la carte d´identité, où est collée la photographie d´un homme

70
aux grands yeux émerveillés, un nouveau nom est écrit. Les paroles manquent au
protagoniste ; il constate seulement « je m´appelais Éric Jocelyn-George » (Bleu-
Blanc-Rouge, p. 173). De nouveau, il cherche à adopter une autre identité. Préfet l
´instruit comment profiter de la couleur de sa peau en cas de besoin pendant l´action.
Il s´agit d´un résumé cynique des destinées de la race noire. C´est le seul moment
dans l´oeuvre qui touche cette problématique sensible, et de surcroît d´une manière
irrespectueuse – l´histoire devient le moyen du chantage éhonté : « Si le guichetier
est pointilleux et te demande pourquoi tous ces cinq coupons, tu l´envoies balader en
lui signifiant que nous, les nègres, on a le droit d´avoir des familles nombreuses à
cause des pertes qu´on a subies pendant l´esclavage et toutes les autres conneries de l
´Histoire » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 174).
La naïveté de Massala-Massala se montre de nouveau au moment où il croit
que tous les Noirs sont alliés dans le monde étranger des Blancs, même s´ils sont
chacun d´un autre côté de la barricade. Son idée de l´unité et de la fraternité de tout
le peuple noir s´écroule quand il découvre que c´était une guichetière noire qui l´a
signalé à la police ; ensuite, il est arrêté par un policier noir. Ni la poignée de la terre
natale que Massala-Massala portait comme un talisman ne l´a protégé. Un policier la
déverse sur le trottoir comme une drogue louche.
La solitude de la prison fournit au protagoniste une occasion de mettre de l
´ordre dans ses idées, dans tout ce qui lui est arrivé. Il se rend compte du fait que
pour tous les compagnons il est devenu « renégat », l´homme qui n´a pas su réussir.
Il se sent esseulé et oublié, mais il sait que ses compagnons ne peuvent pas réagir
autrement ; leur vie orientée vers le présent ne leur permet pas de penser à lui. Dans
cette situation Massala-Massala décide de se concentrer sur lui-même. Il réfléchit sur
ses trois noms-identités et constate qu´il n´est plus capable de retourner à l´identité
originelle. Deux noms nouveaux sont déjà devenus partie constituante de son
existence, chacun d´eux a sa propre histoire que se réfère à sa vie. D´un côté,
Massala-Massala est l´homme de trois identités, de l´autre côté il se sent absolument
vide, effacé de la mémoire du monde. Quand il regarde dans une glace il voit lui-
même comme quelqu´un d´autre, étranger. Désespéré, il s´efforce de trouver une
solution, de noyer tous ses souvenirs, d´effacer ses pensées : « S´oublier. N´être plus

71
qu´un homme anonyme. Sans passé. Sans avenir. Condamné au présent immédiat, à
le porter jour après jour, le regard baissé » (Bleu-Blanc-Rouge, p. 203).
Massala-Massala commence à se rappeler l´Afrique. Mais il ne s´agit pas du
souvenir de la situation qu´il a abandonée, son souvenir a des dimensions d
´archétype. Il tient l´Afrique pour la mère qui le nourrit de son lait vivifiant, il pense
à sa beauté. Tout le souvenir prend forme d´une prière, d´une litanie. Ainsi, le rêve
africain prend la place du rêve parisien. Paris est un cauchemar, Massala-Massala n´a
pas été capable de s´adapter à son rythme diabolique.
La fin de l´emprisonnement apporte la liberté, mais aussi le rapatriement.
Massala-Massala se trouve de nouveau face à la réalité : il retourne non seulement
dans les bras de son aïeule africaine, mais aussi dans la communauté des gens
concrète, chez ses amis et sa famille. Il sait bien qu´il a déçu leurs attentes – il
retourne maigre, avec la peau foncée, mal habillé et sans cadeaux. Il gagne une
nouvelle identité, celle du « Parisien refoulé » qui se trouve au plus bas degré de la
hiérachie sociale africaine. Il sait qu´il sera la risée de tout le quartier, qu´il plongera
sa famille dans la honte et qu´Adeline l´abandonnera. Sous le poids de cette
connaissance il tente de se suicider. Il a atteint le fond-même de sa quête identitaire :
il croit qu´il n´est plus un homme.
Mais au moment où Massala-Massala se trouve à bord de l´avion et qu´il
quitte la France, le pays qui l´a répudié, une petite étincelle d´espoir se réveille dans
son âme. Il commence à croire que le temps guérira toutes les blessures, que la
famille acceptera son sort et que le quartier l´oubliera. Il laisse ses pensées courir
librement, le faux sentiment de soulagement s´empare de lui. Massala-Massala lui-
même est surpris quand dans sa tête commencent à pulluler les idées du retour en
France. De nouveau, l´identité de l´enfant émerveillé et avide reprend la parole. Le
rêve bleu-blanc-rouge revient.

72
5. La vie dans la ZUP ou Agonies de Daniel Biayoula

Avec le roman Agonies (1998) qui en fait, chronologiquement, a été écrit


avant L´Impasse, Daniel Biyaoula touche le sujet central de sa création littéraire : l
´exil et la précarité identitaire. Pareillement comme le Bleu-Blanc-Rouge et
L´Impasse, les Agonies posent la question de l´interrelation entre l´identité et l
´espace. Mais cette fois-ci cet espace est délimité par les frontières fixes : il s´agit de
la ZUP, le ghetto des exilés parisiens, des gens qui vivent en marge de la société. L
´exil est pour eux le déclencheur de l´identité troublée, mais l´espace spécifique de la
ZUP ne leur permet pas de résoudre les doutes identitaires, bien au contraire, il les
rend plus intenses, il les exacerbe à la frontière-même de l´absurdité. La ZUP
représente le monde renfermé en lui-même qui suit ses propres lois, cependant, il
subit quand même l´influence de la vie derrière les murs, l´influence qui en façonne
la forme. D´un côté c´est le monde des Blancs, du pays d´accueil, avec tous ses
préjugés et règles que l´exilé n´est pas capable d´accepter, mais de l´autre côté c´est
aussi le pays natal africain qui est enraciné profondément dans l´esprit des exilés et
qui les influence malgré la distance spatiale et temporelle. Les personnages d´exilés

73
de la ZUP n´échappent pas aux conséquences de l´affrontement des deux mondes
et leurs sentiments d´incertitude identitaire dans le monde étranger les mènent
souvent aux actes radicaux, quelquefois même hors les limites de la loi.
L´histoire des Agonies est dynamique, fondée sur les renversements de l
´action et les dialogues dramatiques. Malgré ce fait, le narrateur qui est de statut
« extradiégétique-hétérodiégétique » (c´est-à-dire le « narrateur au premier degré qui
raconte une histoire d´où il est absent »183) se réserve l´espace pour la méditation.
Aux passages dynamiques succèdent donc les réflexions qui résument et apprécient
philosophiquement l´action précédente ou, au contraire, elle l´anticipent. Telle est
aussi la réflexion introductive sur la mort : « Crever n´est pas spécifique au physique.
L´intérieur peut aussi être concerné. Il existe également un état particulier où on ne
sert pas de bouffe aux asticots et où la nuit ne s´est pas instalée en soi, un état
transitoire pendant lequel on a le sentiment de vivre alors qu´on est presque mort, où
on agonise sans s´en apercevoir » (Agonies184, p. 28). La mort et l´agonie représentent
le motif central qui se reflète dans toutes les composantes de la structure de l´oeuvre.
Ce sont justement ces réflexions qui ajoutent à l´histoire un ancrage plus profond ;
autrement, le lecteur pourrait se laisser emporter par l´action attrayante, s´intéresser
seulement aux destinées des personnages. Mais le narrateur dirige toujours l´attention
du lecteur sur ce qui se cache sous la surface : il rappelle la gravité des questions
identitaires, il souligne le ton sombre de l´oeuvre.
Le style de la narration ressemble à celui de L´Impasse, il est marqué par la
négrification de la langue avant tout au niveau de la syntaxe française qui devient
ainsi bouleversée, « désarticulée ». Citons quelques exemples : « C´est là que vous
descendez? qu´il fit alors Nsamu » (Agonies, p. 21) ou « La seule chose qu´il savait c
´est que tout son être, Maud qu´il voulait » (Agonies, p. 123). Des africanismes
apparaissent dans l´oeuvre aussi, toujours en liaison avec la hiérarchie et les relations
familiales (« Yà ») ou la culture africaine (la danse « Ntsué-Ntsué »). Le langage
distingué du narrateur constraste avec le langage des personnages ; il s´agit du
langage parlé, vif, expressif qui porte des marques du milieu social bas de la ZUP : il
est plein de vulgarismes (« Mais il est complètement dingue, ce c… ! En tout cas, y

183
GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Éditions du Seuil 1972, p. 255.
184
BIYAOULA, Daniel, Agonies, Paris, Présence Africaine 1998.

74
en a marre de ce sac de m… ! […] que fit Gislaine », Agonies, p. 209), sa spontanéité
est souvent accentuée en graphique (« Ici ??? à Parqueville ??? Tu as rêvé, Nsamu !
Ou bien t´as abusé de quelque chose de pas recommandable !! », Agonies, p. 22). La
spécialisation de la profession de l´auteur se manifeste surtout dans les passages des
réflexions, dans les situations où il veut s´exprimer le plus exactement possible –
dans ces cas il choisit des termes de la microbiologie : « La danse, la musique qu´on
dit qu´elles sont présentes jusqu´à la moelle des os chez les Africains, même il paraît
jusque dans leur génome » (Agonies, p. 126), « Les neurones en compote qu´il avait,
Camille » (Agonies, p. 243).
L´histoire est racontée de manière linéaire, elle embrasse la période d´une
année approximativement (des années 1990), mais elle contient aussi de nombreuses
digressions rétrospectives qui sont essentielles pour la compréhension de la
psychologie et des façons d´agir des personnages. Les digressions se réfèrent à l
´espace qui a formé la base même de la personnalité des exilés – à l´Afrique, car c
´est dans ses traditions que se trouve la clé du déchiffrement de l´identité des
personnages. Le pays natal de tous les personnages, c´est la Ntchiyafua, mais en
réalité c´est le Congo-Brazzaville qui se cache derrière ce titre, avec tous ses
problèmes actuels, tels que la pauvreté, la haine tribale et les guerres. Ces impulsions
négatives sont ensuite transmises dans une large mesure même à l´espace de la ZUP.
Le nom de la ZUP – Parqueville – est amèrement ironique, car il désigne un
espace réservé aux exilés qui déjà au premier coup de regard étouffe les rêves d´une
meilleure vie en France : « Parqueville, ce qu´on pouvait appeler un lieu de
liquéfaction, de décrépitude du vivant, qui vous cassait le moral rien que de le voir,
qui vous faisait vous demander si vous n´étiez pas déjà enterré » (Agonies, p. 12). Il s
´agit du quartier de Paris qui se noie dans sa malédiction – dans la misère totale
contre laquelle n´existe pas un remède : « […] vos sens étaient en train de perdre
complètement la boule tellement c´était cauchemardeux, tout d´un gris profond, et
même les couleurs criardes qui couvraient les bâtiments ; tellement c´était tout
poisseux, tout nausséeux, tout ordures, tout égout autour de vous, depuis les
immeubles jusqu´aux bêtes qu´on y croisait » (Agonies, p. 14). La description
naturaliste de Parqueville attaque tous les sens du lecteur ; elle ne cache pas que la

75
source de toute cette pourriture, c´est la putréfaction des relations humaines et des
valeurs.
La ZUP est habitée surtout par des « basanés », des exilés d´origine africaine,
mais aussi par des Blancs que la société a rejetés. Les lieux où ces Blancs habitent
sont appelés avec dérision la « pauvre Europe ». La ZUP représente une « petite
Afrique » à Paris, une société hiérarchisée, fondée sur le respect des restes des
traditions africaines que les représentants des tribus diverses amènent au pays d
´accueil. C´est justement l´entassement de différents us et coutumes qui cause que
ceux-ci se déforment et disparaissent petit à petit ; ainsi, le chemin le plus facile pour
sortir de ce labyrinthe est celui de l´acceptation de l´identité de l´ « Africain
moderne », inspirée par le modèle du Blanc. Au fait, la ZUP en tant que « petite
Afrique » n´a pas été créée de propre gré des exilés, mais sur la base de la décision
des Blancs ; ainsi, on oblige les membres des tribus africaines différentes à oublier
leur intolérance mutuelle et les souvenirs amers des conflits tribaux qui sévissent
dans leur patrie. C´est la condition de la survie. Cependant, l´idée de l´appartenance
raciale et tribale reste dans le subconscient de tous les habitants de Parqueville, elle
est le facteur qui hiérarchise la société. Elle est aussi une impulsion qui se cache sous
de nombreux événements dans la communauté.
La vie dans la ZUP a un impact fatal sur la destinée de l´exilé – elle lui
imprime pour toujours le stigmate de proscrit social. La seule manière de vivre dans
ce milieu signifie l´ignorer, chercher à ne pas le voir, à l´oublier : « Ce n´est pas qu
´ils ne s´apercevaient pas qu´ils vivaient dans une sorte de fange, non ! C´est
seulement qu´ils n´y prêtaient plus attention, qu´elle faisait partie de leur univers c
´est-à-dire, qu´ils avaient la flemme de s´en débarasser, comme s´ils eussent compris
qu´ils ne pourraient jamais en sortir tellement ils avaient plein de barrières autour d
´eux… » (Agonies, p. 41).
Tandis que dans L´Impasse ou le Bleu-Blanc-Rouge le véhicule de l´histoire
est un individu qui sous la pression des circonstances modifie son identité, dans le
cas des Agonies l´auteur choisit une autre stratégie – la protagoniste et en même
temps l´unificatrice de toutes les destinées, c´est la ZUP. Chacun des personnages
représente un type identitaire qui est au cours de toute la narration constant, l´auteur
choisit le type des conflits qui permet d´exacerber au maximum la problématique

76
identitaire. L´action de l´oeuvre est simple, il est même possible de consentir
à Bernard Mouralis qui caractérise les Agonies comme « le récit d´un fait divers
constitué par ce que l´on appelle un drame passionnel » 185. Mais nous nous
orienterons vers les points saillants du point de vue des modèles identitaires qui
montrent une large gamme de caractères humains qui vivent, ou plutôt survivent,
dans la ZUP.
Au centre de l´attention de l´oeuvre se trouve le thème du chagrin d´amour
qui se développe dans deux variantes : dans le premier cas il s´agit de l´amour qui ne
peut pas être réalisé à cause de l´appartenance des amants aux races différentes –
blanche et noire, dans le deuxième cas l´amour souffre à cause de l´appartenance aux
tribus africaines distinctes. Maud Tchinkéla et Guy Marotin représentent le couple
des mineurs qui ne se rendent pas compte de la problématique des barrières raciales ;
tous les deux sont étudiants de l´école mixte, où l´éducation mène au dépassement de
ces problèmes et où le sentiment d´égalité de la race noire et blanche est une
évidence. Ce n´est pas donc le milieu scolaire qui rend cette relation amoureuse
problématique – c´est le milieu de la famille et du cercle des amis familiaux de la
ZUP, les survivances de la manière de penser des gens de la génération plus âgée qui
conserve des préjugés. Guy est un Blanc qui souffre à cause de l´impossibilité de
défendre avec succès son amour pour une Noire : dans la famille africaine il est
refusé résolument, ses propres parents reçoivent au début un grand choc duquel ils se
remettent peu à peu et avec le temps ils acceptent la relation. Cela ne signifie pas qu
´ils ne sentiraient pas au fond de la liaison le danger du conflit découlant de la
différence raciale, mais l´amour pour le fils prend le dessus dans ce dilemme. Les
parents considèrent comme plus important le fait que leur fils soit heureux, ils se
tourmentent même en observant que la relation ne se développe pas favorablement.
Le sentiment chalereux pour le fils a surmonté des craintes de l´aversion du monde
environnant des Blancs.
Les surfaces de frottement ne prennent pas donc naissance sous l´impulsion
de Guy et de ses parents, mais du côté de la famille de Maud. Maud fait partie de la
génération des exilés qui commencent à se dégager de l´influence des traditions
africaines que leurs parents respectent encore. Maud est née en France, elle se sent
185
MOURALIS, Bernard, L´Illusion de l´altérité. Études de littérature africaine, Paris, Honoré
Champion 2007, p. 472.

77
Française. L´Afrique est pour elle un pays mythique pour lequel elle ne s´est pas
créée une relation réelle. Maud représente le type identitaire de la « Noire blanche »
qui perçoit sa négritude seulement à cause de la couleur de sa peau. L´éducation
moderne de l´école mixte entre en collision avec l´influence de la famille africaine
patriarcale, des deux côtés l´effet a la même intensité et cette pression ne permet pas
à Maud de s´identifier sans réserve avec un des deux modèles de la vie. Cette
ambiguïté a pour conséquence le fait que Maud se sent perdue : « […] elle ne se
sentait noire qu´à cause de sa peau. Cela lui posait d´ailleurs de nombreux
problèmes. En fait, elle ne savait pas trop qui elle était » (Agonies, p. 24). La
question raciale est absolument étrangère à Maud – ce qui prouve non seulement le
fait qu´elle a une liaison avec un Blanc, mais aussi le fait qu´elle ne comprend pas le
fond du désaccord de la famille : elle croit que la cause en est sa minorité.
Les parents de Maud, Gabriel Nkessi et Valérie, s´attachent avec ostentation
à leur pays natal qu´il considèrent comme la source de leur identité, ils renvoient
toujours à leur appartenance tribale originelle. L´exil qu´ils percevaient initialement
comme la réalisation du rêve parisien est devenu maintenant pour eux une réalité
désagréable : ils se heurtent sans cesse au rempart hostile des Blancs ; même la belle
neige exotique se transforme en froid omniprésent et fâcheux. C´est surtout Gabriel
qui abonde en ce négativisme ; à ses yeux, le rêve du pays d´accueil qui les a amenés
en France change en rêve de l´Afrique, de la Ntchiyafua. Mais celle-ci n´est plus
pour lui la patrie, elle représente le but des séjours de vacances qui, néanmoins,
renforcent Gabriel dans son opinion qu´il ne peut vivre ni en Afrique. En réalité il
sent qu´il ne peut vivre nulle part. Comme la majorité des exilés dans la ZUP Gabriel
représente le type identitaire de l´« homme de l´entre-deux-mondes ». Mais il s´est
trouvé un coupable, celui est la cause de son angoisse existentielle : c´est l´homme
blanc qui garrotte toujours la race noire avec les fers invisibles. Même s´il sent que l
´Afrique réelle disparaît petit à petit de sa vie, il tient presque convulsivement au
modèle familial traditionnel. Gabriel est une personnalité dominante, dans le
microcosme de sa famille il représente le membre déterminant, en même temps il est
le père brutal et le mari volage. Il est un produit de la « nouvelle tradition africaine »
(Agonies, p. 45), du mélange des coutumes de la vieille et de la nouvelle époque,
duquel il choisit seulement les traditions qu´il trouve utiles : c´est le respect, la

78
soumission qu´on doit aux aînés, à son mari. Pour maintenir son autorité dans la
famille, Gabriel n´hésite pas à menacer de recourir à la magie. Gabriel-même est
dominé par la peur de l´opinion publique de la ZUP – c´est sa seule autorité. Valérie,
l´épouse de Gabriel, est la représentante typique de la femme africaine de la société
traditionnelle qui se trouve dans la condition inférieure qu´elle considère comme
naturelle. Il est vrai que le milieu nouveau qu´est l´exil lui permet de connaître d
´autres modèles de l´existence, surtout celui de la femme moderne indépendante,
mais Valérie n´est pas capable de se détacher de son rôle originel. Elle persuade
Maud d´adopter cette attitude aussi.
La famille africaine ne peut pas accepter la relation de Maud et Guy, c´est un
grand outrage pour elle. Gabriel bat sa fille, il menace de la maudire. Maud n´est pas
capable de se rebeller contre cette pression et le monde étranger des Blancs ne lui
offre pas de refuge ; dans cette situation elle se soumet à la décision de son père. Elle
part pour l´Afrique, mais pas pour la Ntchiyafua mythique des rêves, mais au pays
dont elle ne connaît pas la langue et dans lequel des guerres tribales sanglantes se
déroulent. Elle part donc pour une zone dangereuse, mais aux yeux de la famille ce
risque est moins grave que la relation amoureuse avec un Blanc : si Maud faisait
suite à sa liaison, elle ridiculiserait sa famille devant toute la ZUP. Finalement, c´est l
´opinion de la ZUP qui triomphe – c´est que chacun des personnages est vaincu :
Maud perd son amour et son monde, les parents perdent leur fille.
Le deuxième thème auquel les « points saillants identitaires » sont liés, c´est
la relation entre Gislaine Yula et Camille Wombélé. Aux yeux des habitants de la
ZUP cette relation est inadmissible. C´est déjà le personnage même de Gislaine qui
est problématique ; l´Afrique est essentielle pour la formation de son identité, mais
elle est importante autrement que dans le cas de Gabriel. C´est que Gislaine refuse l
´Afrique traditionnelle dans laquelle elle a grandi et elle s´efforce de se détacher de
la hiérarchie patriarcale. A Paris, elle a été forcée à accepter l´habitation dans la
ZUP, mais Gislaine a été capable de s´y édifier son espace vital indépendant. Dans le
milieu européen son effort en vue de se libérer du patriarcat africain devient plus fort,
pour se transformer même en féminisme. Gislaine veut être indépendante de la
volonté de sa famille et elle préfère gagner sa vie par un travail non qualifié que d
´accepter l´argent de son père pour les études universitaires. Elle provoque toute la

79
ZUP par ses manières de femme émancipée, elle représente le type de l´« Africaine
ultramoderne ». La partie composante de son image de la femme moderne c´est aussi
l´éclaircissement de la peau et les coiffures européennes. L´idéal de la beauté ne peut
être atteint qu´au prix de la « dénoiritisation » (Agonies, p. 117). Le changement dans
la ligne radicale de la vie de Gislaine, c´est la rencontre avec Camille. Comme tous
les deux jugent les autres en tant qu´individus et non selon leur origine, ils ne voient
aucun obstacle dans leur amour. Mais pour la ZUP la liaison entre la femme de N
´djamabidja et un homme de Kinshaduala – deux ethnies ennemies – est tout à fait
impensable. Pour l´amour de Camille, Gislaine est prête à renoncer à sa conception
de la vie, même à ses amis qui n´approuvent pas sa relation. Ce n´est qu´une amère
déception qui la fait revenir à ses attitudes originelles.
Camille a vécu une misère horrible en Afrique avant que la bourse d´études
universitaires à Paris ne l´en ait arraché. Il est devenu un des élus auxquels on a
donné la possibilité d´aller à la rencontre du rêve français. Mais cette illusion a duré
seulement une année, car c´étaient seulement les étudiants blancs qui ont été admis
à la classe supérieure. La naïveté et l´enthousiasme du jeune étudiant noir ont été
remplacés par un profond désenchantement : il n´a pas été capable de s´imaginer que
les marques quotidiennes de racisme peuvent apparaître même dans le milieu de l
´élite intellectuelle. Même la communauté noire de laquelle Camille attendait dans
son malheur une aide et la solidarité l´a déçu. Le rêve parisien s´est transformé au
jour le jour en désillusion qui a enfin mené Camille vers la perte totale de la
confiance en l´homme : « Et dedans on pouvait lire comme l´horreur de découvrir ou
de rédecouvrir que l´homme, sans doute une erreur de la nature qu´il est, que l´âme
de l´homme et toutes les vertus, toutes les qualités qu´on lui flanque, c´est qu´une
vue de l´esprit, un idéal, un soleil inaccesible ; qu´il suffit de regarder autour de soi,
de sentir, d´entendre pour s´apercevoir comment elle est en réalité » (Agonies, p. 59).
La bourse était le seul « cran de sûreté » de Camille dans le monde des
Blancs, sa perte a signifié la chute libre jusqu´au fond de la société, entre les S.D.F.
Ainsi, Camille se retrouve dans la misère traumatisante. Finalement, il résout son
dénuement social par la relation avec une Blanche riche, mais le sentiment réel le lie
à Gislaine. Quand sa double vie est découverte, Camille choisit Florence, la
Blanche : la crainte de la misère prend le dessus. Mais la relation avec Florence ne

80
peut pas remplir le vide intérieur et quand Gislaine refuse de revenir, Camille
cherche la consolation dans les souvenirs de l´Afrique. Bien qu´il se débarrassât
pendant des années de l´influence de sa patrie et qu´il se formât avec fierté son
individualisme, maintenant il revient humblement dans ses pensées au pays natal en
voyant le seul refuge dans la vie africaine collective. Il ne veut pas admettre que ce n
´est qu´une idéalisation, un autre rêve irréalisable dans sa vie. La solitude dans le
monde hostile le détruit et le mène peu à peu jusqu´à la folie. Dans l´attaque du délire
onirique Camille tue Gislaine, frappe à coups de couteau son rival prétendu et
finalement se suicide.
À cette ligne tragique se branchent d´autres types identitaires qui rendent les
conflits plus intenses et qui poussent Camille dans l´impasse. Florence Boletot, l
´amie blanche de Camille est un exemple de l´attitude dédaigneuse de l´ancien
colonialiste puissant envers les Noirs : elle les perçoit comme la foule des colons qui
devraient être reconnaissants de l´intéret des Blancs. Elle ne sait rien de l´Afrique,
elle esquive les Noirs. Florence accepte les assiduités de Camille pour la seule
raison : elle ne veut pas être seule dans sa vieillesse. Grâce à son argent, Florence
assure à Camille une existence aisée, mais en même temps elle lui rappelle une des
formes du racisme blanc.
Mais c´est aussi le racisme noir qui a un impact dévastateur sur Camille. Son
incarnation, c´est Patrice Kariri et son épouse Anasthasie. Leur racisme noir découle
du fait qu´ils sont capables de suivre l´Afrique même dans les guerres tribales dont le
modèle ils appliquent à la ZUP : les membres des tribus brouillées sont ennemis
même à Paris. En même temps Patrice et Anasthasie ont une attitude raciste envers
les Blancs. La gravité de leurs opinions est encore augmentée par le fait qu´ils
appartiennent à l´élite intellectuelle africaine. Leurs avis ont pour la ZUP la valeur de
la loi. Pour cette raison, Camille, membre de la tribu ennemie, qui est aux yeux de
Patrice et Anasthasie « un moins qu´une crotte de chien, un inintellectuel, un tout
sale, un pas beau » (Agonies, p. 199), n´a pas de chance de se faire valoir dans leur
communauté ni comme partenaire de Gislaine, ni comme homme.
Les traces du racisme noir sont omniprésentes dans la ZUP ; c´est aussi
Bernard Kaba, l´ami de Camille, originaire de la tribu de N´djamabidja, qui les porte
dans son âme. Bernard qui a grandi en Afrique dans une atmosphère de la pureté et la

81
supériorité tribales, est devenu « un excellent produit de la Vérité » (Agonies, p. 160)
des gens de N´djamabidja, de leurs croyances et préjugés. Mais à Paris, en tant que
jeune étudiant il a dû réprimer cette partie de son identité, car pour s´imposer dans le
monde étranger des Blancs, les étudiants noirs se sont unis temporairement. Bernard
a honte de ses anciennes opinions, il commence à voir dans les luttes tribales la
manifestation du masochisme suicidaire des Africains auxquels la guerre permet d
´oublier leur misère. Néanmoins, le racisme noir survit à l´état latent dans son
esprit ; la seule remarque de Patrice (qui désigne l´amitié de Bernard avec Camille
comme « perversante ») suffit pour que Bernard commence à douter. A la fin ses
vieilles idées de l´inégalité tribale prévalent et Bernard trahit son ami.
Le dernier type identitaire est répresenté par Nsamu Miabola et son ami Bisso
Babomi. Ce sont les personnages des « presqu´anti-héros », des petits escrocs futés
qui ne s´occupent pas de la question de leur appartenance à l´Afrique ou à la France,
ils mettent les deux mondes à leur profit, il cherchent à tirer le maximum de leur
situation d´exilés. Même leur approche à l´héritage spirituel africain n´est qu
´utilitaire (Nsamu cherche à ensorceler Camille, son rival en amour, à l´aide d´un
élixir produit par un marabout), ils sont la preuve de la dévaluation du patrimoine
africain traditionnel.
Le titre des Agonies cible donc les deux mondes : l´Afrique qui se trouve dans
l´agonie à cause de son effort de masquer sa misère par la haine des guerres tribales,
et qui ne représente plus une bonne perspective d´avenir pour ses habitants. L´agonie
accompagne aussi ceux qui ont quitté le pays natal dans leur chemin vers le rêve
et qui ont été engouffrés par la ZUP. Celle-ci met les exilés dans l´impossibilité de
réaliser leurs désirs, elle leur offre seulement la vie dans un cercle vicieux de la
cruauté et de la haine mortelle. Elle démarre le processus de la putréfaction lente des
espérances et de l´existence.

82
6. « Il n´y a pas de futur ici-là »
Diction des rues de Yaoundé186

Trois oeuvres littéraires choisies, L´Impasse, Bleu-Blanc-Rouge et Agonies,


rendent témoignage des exilés africains qui ont décidé d´abandonner leur pays natal
et de suivre leur rêve d´une vie meilleure. Ce rêve est vivant en Afrique
contemporaine, mais ses racines remontent jusqu´à l´époque coloniale ; il reflète le
désir de s´arracher des conditions indigentes du pays et de devenir une partie
constituante de la civilisation européenne que l´Afrique regarde avec considération à
beaucoup d´égards. L´idéal qui est dans les romans incarné par le rêve parisien et qui
prend surtout la forme matérielle, est tellement fort que l´exilé est disposé à sacrifier
sa seule certitude – l´identité africaine – et à partir pour un espace inconnu qu´il n´a
approprié que dans ses pensées.
Néanmoins, le caractère différent de la culture et de la conception de vie des
deux mondes, africain et français, est à tel point marquant que les personnages ne
sont pas capables d´accepter un nouveau modèle de vie en exil. Ce problème est
186
NGANANG, Patrice, Manifeste d´une nouvelle littérature africaine. Pour une écriture préemptive,
Paris, Homnisphères 2007, p. 233.

83
exacerbé justement par le fait que les personnages ne partent pas simplement pour
vivre dans un monde distinct, ils partent pour vivre leur rêve. Ainsi, leur chemin
aboutit au naufrage : peu à peu, ils succombent à la désillusion qui les mène jusqu´au
sentiment d´aliénation, et non seulement envers le monde des Blancs, mais aussi
envers les compatriotes et finalement envers eux-mêmes.
Dans toutes les trois oeuvres les personnages ont la possibilité de retourner au
pays natal, cependant ce fait ne leur facilite pas la situation. Avec le temps, l´exilé
refonde l´image réelle de la patrie en rêve qui embrasse tous les éléments desquels il
est privé dans la nouvelle réalité : c´est la possibilité de s´appuyer sur la collectivité,
la famille. Le nouveau rêve africain est enrichi d´une dimension temporelle, il
comporte l´enfance du protagoniste, le passé que la réalité de l´exil efface. Le retour
en Afrique signifie la destruction de ce rêve : le personnage se trouve dans les
conditions qui diffèrent de celles qu´il a quittées. Ainsi, le sentiment de
désenchantement touche les deux mondes : le pays natal et le pays d´exil. Dans les
romans nous rencontrons trois variantes de ce modèle général ; Massala-Massala
(Bleu-Blanc-Rouge) se crée le rêve africain dans la défense contre la réalité
parisienne, mais le milieu africain où il retourne ne vit que pour le rêve bleu-blanc-
rouge. Il est donc logique que les deux parties ne se comprennent pas et s´aliènent
mutuellement. Les personnages des Agonies qui se sont retrouvés contre leur gré
dans la ZUP respectent les traditions africaines car celles-ci les aident à survivre.
Néanmoins, ils ne se proposent pas de retourner au pays ; ils savent bien que dans
leurs souvenirs ils l´idéalisent, mais ils ne veulent pas perdre le rêve qui représente le
seul point d´appui de leur existence dans la ZUP. L´exception de ce modèle général,
c´est Joseph (L´Impasse) qui ne se crée pas le rêve de la patrie, car il a fui l´Afrique
à cause de l´humiliation et l´exil lui fournit le refuge et l´anonymat.
Ces cas exacerbent intentionnellement la problématique identitaire de
manière que le sujet, observé du point de vue des « modèles identitaires », se montre
sous la lumière crue, avec toutes ses liaisons aux composantes objectales et aux
sphères topiques, par l´intermédiaire desquelles il est formé. Le thème central des
oeuvres, c´est l´exil en tant que déclencheur de la perte d´identité. L´exil est le
« coupage du cordon ombilical », le personnage abandonne le « nous » africain
originel, la collectivité traditionnelle qui lui accorde sa protection, qui prend des

84
décisions graves concernant sa vie, qui est son filet social de sécurité. La composante
africaine de l´identité de l´exilé est tellement forte que même si elle est réprimée
temporairement par un milieu social étranger, elle remonte toujours à la surface.
A l´abandon du « nous » africain suit la recherche et la non-trouvaille du « nous »
nouveau. L´exil cause donc la perte de l´identité collective, l´homme se trouve tout
seul face à la réalité ; ce fait le mène à se concentrer sur lui-même en tant qu
´individualité qu´il doit redéfinir dans les conditions de vie nouvelles. Il se trouve
dans un espace vide, dans une « dissolution du champ existentiel », et comme il ne
commence qu´à apprendre à vivre comme individu, il cherche un « nous de
rechange ». Mais il ne le cherche pas dans toute la largeur du milieu nouveau du pays
d´accueil, il a recours aux communautés qui lui fourniraient un point d´appui, un
nouveau filet social.
Dans une nouvelle communauté, on ne demande à l´exilé qu´une seule chose :
de satisfaire aux règles, de devenir un élément fonctionnel de la collectivité. L
´exemple en est le Bleu-Blanc-Rouge dans lequel le protagoniste Massala-Massala
entre dans une bande de criminels ; celle-ci lui permet la survie, mais elle ne lui offre
pas le sentiment de la vie collective et elle l´oblige à transformer sa personnalité. La
vie dans le gang ne signifie pas l´ancrage dans un espace nouveau de l´exil, il ne s
´agit que du lien utilitaire sans un environnement social et culturel plus large. C´est la
ZUP (Agonies) qui peut satisfaire une gamme plus riche des besoins des exilés ; mais
il faut souligner qu´elle ne prend pas naissance organiquement, du propre gré des
exilés, elle est créée comme un ghetto sous la pression de la société majoritaire. Pour
cette raison, elle ne fonctionne pas comme une commuanuté naturelle. La ZUP qui
de l´extérieur donne l´impression d´une « petite Afrique », est à l´intérieur
bouleversée sous l´influence de la société française moderne et de la diversification
ethnique de ses habitants. L´ethnicité produit dans ce milieu un effet à double
tranchant : l´appartenance à une tribu africaine peut servir à de soutien et de « nous »
que l´individu désire, mais en même temps elle le jette dans les conflits qui dans le
petit espace de la ZUP copient les guerres tribales africaines. L´exilé qui d´abord
accepte la protection de la ZUP avec reconnaissance, car il ne sait pas encore s
´orienter dans le milieu nouveau, commence à percevoir, après un certain temps, le «
nous » protecteur comme un poids qui ne lui permet pas de quitter le ghetto et de

85
réaliser son rêve parisien. Un autre point de vue sur la ZUP nous est offert grâce à
Joseph (L´Impasse). Celui-ci a essayé toutes les manières de la survie en exil et la
communauté de la ZUP représente pour lui la dernière possibilité. Cependant, ce n
´est pas la ZUP réelle, mais idéalisée, son image se forme conséquemment à la
simplification, Joseph l´adapte à ses besoins. Il s´agit de l´idée de la cohésion des
« frères et soeurs » qui n´a qu´un seul but : permettre la survie à Joseph.
Ce qui est essentiel pour la compréhension des changements identitaires
profonds des personnages, c´est le fait que les oeuvres ne saisissent pas seulement
leur mouvement dans la nouvelle réalité du pays d´accueil, mais elles élargissent l
´espace de l´action à l´espace de la patrie des exilés. Les romans dépeignent non
seulement la face réelle du pays natal avec toutes les liens sociaux et culturels, mais
ils prêtent attention aussi aux visions et aux illusions auxquelles le pays donne
naissance. C´est aussi le rêve parisien qui en fait partie; le rêve qui devient la mission
que l´exilé doit accomplir. Grâce à la peinture de la réalité africaine nous faisons
connaissance avec les conditions de vie desquelles l´exilé est sorti et nous
découvrons les racines de ses attentes. Ce fait nous aide à percevoir la complexité du
presonnage : ce n´est pas seulement un exilé, nous voyons un homme qui a son passé
et qui est représentant du patrimoine culturel de son pays africain 187. Ainsi, le temps
de la narration qui s´écoule de façon linéaire est souvent complété par des
digressions rétrospectives qui enrichissent les personnages justement par l´aperçu de
l´ancienne vie au pays natal.
Le besoin de la nouvelle auto-définition du personnage prend des formes
différentes, chacun cherche sa propre solution. Ainsi, plusieurs types identitaires des
personnages apparaissent dans les romans ; ces types sont expliqués dans trois
histoires identitaires que trois oeuvres choisies offrent. De ce point de vue, la ligne la
plus simple est celle du roman Bleu-Blanc-Rouge ; son protagoniste, Massala-
Massala, à l´origine le « pauvre autochtone », accepte, déjà en Afrique, l´identité du
« Parisien ». Au pays d´accueil, dans la phase où ses espérances se transforment en

187
Dans cet ordre d´idées, Abdelmalek Sayad, sociologue franco-algérien, souligne que « […] toute
étude des phénomènes migratoires qui néglige les conditions d´origine des émigrés se condamne à ne
donner du phénomène migratoire qu´une vue à la fois partielle et ethnocentrique : d´une part, comme
si son existence commençait au moment où il arrive en France, c´est l´immigrant – et lui seul – et non
l´émigré qui est pris en considération ; d´autre part, la problématique, explicite et implicite, est
toujours celle de l´adaptation à la société "d´accueil" ». SAYAD, Abdelmalek, La Double absence :
des illusions de l´émigré aux souffrances de l´immigré, Paris, Le Seuil 1999, p. 56.

86
désillusion et enfin en échec, l´identité du protagoniste change aussi – il devient, aux
yeux de ses compatriotes, le « Parisien refoulé ». C´est aussi L´Impasse qui,
pareillement comme le Bleu-Blanc-Rouge, présente sur le protagoniste tout un
ensemble d´aspects identitaires. Joseph change, sous l´influence des circonstances
heureuses ou tragiques, pour devenir finalement un « Africain moderne », simplifié
et superficiel. C´est que cette dernière identité l´aide à fermer les yeux sur toutes les
questions brûlantes et donc à survivre. Cette histoire identitaire montre que même le
retour en Afrique natale peut être perçu comme le voyage dans un autre exil, car il
est lié à l´aliénation et l´incompréhension. La troisième histoire identitaire, celle des
Agonies, dépeint toute un spectre de types identitaires qui se constituent sous l
´influence de la ZUP, l´Afrique française à Paris.
Les trois romans choisis montrent, grâce aux stratégies narratives différentes,
les problèmes identitaires à partir des points de vue distincts ; ils font ressortir les
types identitaires des personnages dans les conflits variés. Chaque oeuvre contribue à
la mosaïque de la problématique identitaire et ensemble elles créent l´image
complexe des topiques de la thématique de l´exil : des questions d´identification, de
nation, ethnicité, racisme blanc et noir, tradition, originalité, langue, colonisation,
autochtonicité, acculturation ou soi-disante « souffrance liée au biculturalisme » 188.
Dans la construction des types identitaires, ce sont les deux mondes, français
et africain, qui jouent un rôle important : c´est que de nombreux types de
personnages prennent naissance justement dans l´interaction de ces deux mondes.
Ainsi, nous trouvons en Afrique le type identitaire de « sapeur », de « Parisien » ou
de « Paysan », en France, aussi bien qu´en Afrique le type d´« Africain moderne » et
dans le milieu français le « Blanc noir » ou le « Noir blanc ». Tous les personnages
des trois oeuvres, qu´il s´agisse des protagonistes ou des personnages secondaires,
sont liés par un seul problème : par celui de redéfinir leur ancienne identité dans un
milieu étranger et de trouver une identité nouvelle, un « chez soi » nouveau. Tous
représentent le type de l´« homme de l´entre-deux-mondes », marqué par l´identité
troublée. Ainsi, aucun des personnages ne représente le « bon exilé » 189, l´homme qui
sait s´accommoder de son statut d´exilé sans pour autant oublier son passé et couper

188
DIOP, Papa Samba, « Le pays d´origine comme espace de création littéraire », Notre librairie, no
155-156, Identités littéraires, juillet – décembre 2004, p. 57.
189
GIOVANNONI, Augustin, Écritures de l´exil, Paris, L´Harmattan 2006, p. 15.

87
les liens avec sa patrie ; l´homme qui sait vivre dans les deux mondes. Seulement les
personnages des « presqu´anti-héros » s´approchent de ce type identitaire – les
personnages qui savent profiter cyniquement de leur condition de l´exilé, en France
aussi bien qu´en Afrique. Il ne s´agit pas donc de l´identification réelle avec les deux
espaces. Les autres personnages restent immobilisés dans le vide, avec le sentiment
de la désidentification de leur propre personnalité, quand « je » devient « autre ». Ils
jouent au cache-cache imaginaire avec eux-mêmes, ils ne vivent que dans le présent,
ils ont perdu leurs racines sans avoir planté les rhizomes. L´idéal du « bon exilé » est
resté pour eux un idéal. Ce sont des « héros problématiques » qui pendant leur quête
identitaire vivent plus souvent des « mésaventures » ; dans cet ordre d´idées, ils sont
même désignés comme les « héros (?) »190.
Les histoires des trois oeuvres sont racontées avec la méthode réaliste,
enrichie par des sondes psychologiques. Nous croyons que ce fait est justifiable par l
´ancrage-même des auteurs qui ont grandi sous l´influence du roman classique
réaliste européen et qui se sont inspirés de ses procédés. Néanmoins, c´est la
deuxième raison que nous considérons comme la plus importante : les auteurs ont
refusé intentionnellement les méthodes expérimentales, car la fonction primaire de
leurs textes, c´est de rendre témoignage. Les histoires sont trop graves, elles veulent
renseigner sur la réalité qui est douloureuse, actuelle, difficile à résoudre. Les
oeuvres représentent un appel, un refus d´envoyer au lecteur la « lettre-type » (Bleu-
Blanc-Rouge) qui idéalise le monde de l´homme exilé. Qui peut être le destinataire?
D´une part, c´est le Noir en Afrique pour lequel les histoires représentent la mise en
garde contre la tentation de succomber au rêve parisien, toujours vivant et attractif. D
´autre part, c´est le message aux lecteurs du monde entier (au sens le plus général du
mot) auxquels la question brûlante de l´exil est soit indifférente, soit ils ferment les
yeux sur toute cette problématique. Mais les romans sont aussi le témoignage sur les
conditions de vie en Afrique qui sont difficiles à tel point qu´elles provoquent le
besoin de partir et de s´implanter ailleurs.
En tant qu´oeuvres d´art, L´Impasse, le Bleu-Blanc-Rouge et les Agonies ont
une valeur incontestable, elles constituent une partie importante de la production
littéraire de l´« Afrique sur Seine ». Celle-ci enrichit la littérature francophone non
190
CHEVRIER, Jacques, Littératures francophones d´Afrique noire, Aix-en-Provence, Édisud 2006,
p. 161.

88
seulement du point de vue thématique, mais aussi par son style, son ton particulier. C
´est dû au fait que dans les oeuvres se reflète la soi-disant « hypoculture » 191 du
continent noir : les langues maternelles des auteurs et les cultures locales africaines.

Conclusion

Le but de notre travail a été de présenter le thème qui touche nous seulement
la destinée de l´homme en tant qu´individu, mais qui prend part aussi à la formation
de la civilisation moderne : c´est le thème de l´exil. Nous avons voulu montrer la
compléxité de la problématique de la recherche de l´identité et du « chez soi »
nouveau dans le monde étranger qu´est l´exil. Nous nous sommes concentrée sur la
thématique de l´exil africain, traitée par la génération contemporaine des auteurs de
la littérature francophone africaine, génération appelée « Afrique sur Seine ». Pour
notre analyse, nous avons choisi trois oeuvres romanesques emblématiques, L
´Impasse et les Agonies de Daniel Biyaoula et le Bleu-Blanc-Rouge d´Alain
Mabanckou. Or, ces trois textes dévoilent de manière radicale et implacable toutes
les ambiguïtés de l´insertion de l´exilé aussi bien en France qu´en Afrique.
La spécificité de l´exil, observé du point de vue de la littérature africaine
francophone de l´« Afrique sur Seine », consiste en connexités historiques qui ont
pris naissance à l´époque coloniale. Celle-ci a établi les fondements du lien solide
entre la France et l´Afrique et elle a commencé à construire la vision de la France en

191
DIOP, Papa Samba, « Littératures francophones : langues et styles ». In DIOP, Papa Samba (Éd.),
Littératures francophones : langues et styles, Paris, L´Harmattan 2001, p. 252.

89
tant qu´idéal désiré. Conséquemment à ce fait, les protagonistes des trois romans
choisis ne perçoivent pas leur départ de l´Afrique comme un voyage vers l´inconnu,
mais il partent pour vivre leur rêve. Ainsi, même la communauté africaine ne
considère pas le départ de son membre comme une perte, au contraire, elle le perçoit
comme une possibilité de s´émanciper des autres « autochtones ». Cependant, ces
espérances peuvent devenir un poids lourd, au cas où l´exilé n´est pas capable de
remplir les attentes, c´est-à-dire de devenir un « vrai Parisien ».
La tension entre les deux mondes, exacerbée par le contexte culturel et le
niveau social différents, et par le racisme noir et blanc, est la cause de la recherche
difficile de l´identité de l´exilé. Les trois romans qui ont le caractère psychologique
profond, suivent l´exilé africain dans son pays natal où son identité se forme, et dans
le pays d´accueil où son identité est perturbée ; ils suivent les personnages dans leur
combat pour trouver une façon viable d´être au monde.
Chacun des personnages s´accommode de la nouvelle réalité autrement ; ce
fait nous a menée à la détermination des types identitaires distincts. Tous les types
identitaires se forment dans l´interaction des deux mondes, aussi bien au pays d
´accueil où les exilés entrent en conflit avec la civilisation occidentale et même avec
les communautés de la ZUP, qu´au pays natal, où tous les aspects identitaires se
déroulent du « rêve parisien ». Malgré toutes les différences des histoires identitaires
(des composantes subjectales et objectales, des sphères topiques), les trois oeuvres
choisies ont un aspect en commun : une angoisse existentielle, une incertitude de l
´homme qui a perdu son monde originel, mais qui, en même temps, n´est pas capable
d´accepter sans réserve son monde nouveau, celui de l´exil. C´est un «
homme de l´entre-deux-mondes ».
Nous croyons que les écrits de Biyaoula et Mabanckou enrichissent la
littérature de l´exil mondiale non seulement par leur style particulier, dû à la
subculture africaine, mais aussi par l´intensité de leur appel.

90
Bibliographie

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