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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique


Université Larbi Ben M’hidi- Oum El Bouaghi
Faculté des Lettres et des Langues
Département de Français

Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de master


Spécialité : Littérature générale et comparée

Thème :

Kocoumbo l’étudiant noir : vers une épopée de


l’intellectuel africain migrant

Présenté par : Dirigé par :


Boukra Marwa Mme. Chahrazed Bakhouche

Membres du Jury :

Président Karima Bouchene Maitre assistant A Université d’O.E.B

Rapporteur Chahrazed Bakhouche Maitre assistant A Université d’O.E.B

Examinateur Karim Boulahbal Docteur Université d’O.E.B

Année universitaire : 2019/2020


Remerciements

Allah, l’ultime créateur qui inspire toute création

Mon encadrante Mme. Chahrazed Bakhouche : professionnalisme, pertinence, et qualités


humaines débordantes, merci ab imo pectore

Tous les professeurs qui ont contribué de près ou de loin à ma formation, et à


l’aboutissement de ce travail de recherche, merci !

Famille et amis, merci !

And last but not least, aux êtres les plus chers, mes parents.
Introduction

3
Dans l’histoire de la littérature africaine noire francophone, les interrogations se sont
pointées vers différentes directions. Ses premiers écrits manifestent une urgence de contrer
la littérature européenne qui fige le noir à l’intérieur d’un canon exotique. Ainsi, sous une
plume africaine, émergent des thématiques plus en phase avec la manière de faire connaître
le continent ; son histoire et sa civilisation anté-coloniale. A citer l’exemple du béninois
Paul Hazoumé avec Doguicimi, roman ethnographique et historique qui évoque l’ancien
Dahomey. La deuxième grande direction, est celle d’une « peinture coloniale », dans
laquelle, le Blanc ne détient plus le monopole d’observateur ; il est, de facto, regardé par le
Noir, observé, décrit, et jugé. Le roman Batouala de René Maran en atteste, ouvrant la voie
ainsi aux premiers écrivains africains tel que le guinéen Camara Laye, les camerounais
Ferdinand Oyono et Mongo Béti, le sénégalais Sembene Ousmane qui se partagent les
thématiques de l’historique, de la dénonciation, et du procès des anomalies du Blanc.

En abordant cette littérature, nous nous sommes penchés sur une troisième direction,
celle d’une écriture qui relève à la fois de l’autobiographie, du réalisme, et de l’expérience
migratoire en métropole de l’Après-guerre. Les écrivains qui portent les couleurs de cette
direction sont principalement les sénégalais Cheikh Hamidou Kane, et Ousmane Socé ou
bien l’ivoirien Gérard Aké Loba, dont l’œuvre constitue le corpus de cette étude. Né en
1927 à Abobo Baoulé, village périphérique de la capitale Abidjan. Ce dernier ‘fait la
France’ en situation coloniale à l’âge de dix-neuf ans, à l’instar des jeunes gens de son
époque. Il poursuit des études en philosophie et en comptabilité, de là, il connait les affres
de presque toute la communauté estudiantine noire en France. Il est donc inéluctable de
travailler en parallèle ; il est ouvrier agricole, puis employé de bureau à Paris. Sa carrière
est par ailleurs marquée par des postes importants : Secrétaire d’ambassade en Allemagne
puis en Italie, directeur des arts et des lettres de Côte d’Ivoire, ensuite maire de son village
natal de 1980 à 1990 ; date de son départ définitif vers la France où il s’éteint en2012.
L’héritage bibliographique quoique restreint, mais bien pesant comporte quatre romans, en
decrescendo: Le sas des parvenus en 1999, Les dépossédés en 1973, Les fils de Kouretcha
en 1966, et enfin, notre corpus, Kocoumbo, l’étudiant noir, paru en 1960 (année même de
l’indépendance de la Côte D’ivoire) aux éditions Flammarion : Paris. Ce choix est alimenté
par l’amour de la littérature d’Afrique noire, de ses colorations exotiques et sa forte
ornementation symbolique. Ce corpus fait découvrir, à son tour, une nouvelle coloration de
gris asphalte qui remplace la couleur ocre du sol et le bleu gai du ciel, un nouvel horizon se
dessine pour l’africain comme une nouvelle interrogation. Il s'agit d'un roman à tendance
4
autobiographique déguisée. Inscrit dans le général et le commun par plusieurs outils tel
que le jeu de l’effacement du ‘je’, à savoir le narrateur extradiégétique et l’inscription dans
une préoccupation générale qui touche au destin commun. L’échantillon est représentatif
des intérêts vers quoi tend la littérature francophone subsaharienne ; en commençant par
son titre même qui résume la situation conflictuelle de l’africain en cette époque :
Kocoumbo l'étudiant noir. Kocoumbo est un prénom africain, de prime abord, il ancre le
récit dans un espace africain traditionnel, mais, l’horizon d’attente du lecteur est sur le coup
heurté par le deuxième mot : l’étudiant, Kocoumbo fait donc partie d’une minorité
privilégiée à laquelle la muse à inspiré le savoir, parce que l’Afrique de ces temps, ne rime
toujours pas avec les études. Ce savoir en question ne s’acquiert cependant pas sans passer
par l’intermédiaire de l’école coloniale, donc, une sortie du monde traditionnel. Le
troisième, noir, un mot inscrit dans un contexte racial a priori défavorisé, et aussi induit-il
vers l’idée d’une homogénéité blanche dans laquelle le noir est intrus, menant
plausiblement vers la dichotomie Blanc/ Noir. Somme toute, un personnage, africain, noir,
étudiant peut-être hors du continent, puisqu’on réfère à sa couleur de peau, partagé entre
deux mondes, deux cultures. En effet, cette situation est d’usage en époque de l’après-
guerre qui connait les premiers frémissements des colonies qui envoient leurs enfants
quêter le savoir sur la terre de la modernité, ce qui fait de la présence du personnage-
élève-migrant en littérature, proliférante. Cela s’avère être l’une des caractéristiques
reconnues aux textes épiques ; « la pluralité des versions », ne seraient-ils pas des
chromosomes épiques qui errent dans l’ADN de cette forme romanesque moderne ?
Chose qui serait invraisemblable au vingtième siècle. C’est là notre hypothèse de recherche
qui prendra appui sur trois arguments, primo : elle est écrite contrairement aux épopées
traditionnelles qui sont transmises de griot en griot. Secundo : à genre romanesque, donc
elle n’est pas sous forme versifiée comme la conception générale de l’épopée. Tertio : elle
est plus réaliste que surnaturelle ?

Le personnage dont l'expérience est en question, pour notre cas, Kocoumbo, est
arraché à la familiarité de sa terre natale pour atterrir sur la métropole, un espace qui
inspire crainte et admiration à la fois. Il passe par une série grandissante de contraintes,
liées à la fois au retard de l'Afrique et à l'extrême développement de l'Europe. Tout au
long de ce voyage initiatique, il tâche à accomplir la quête du père qui consiste à faire du
5
fils le héros qui pourrait tirer sa race de l'abîme. C’est pourquoi, il convient de se
demander, quel est le foyer de la dimension héroïque1 du personnage migrant? Et en
quoi consiste la transgression qui le nourrit ? L’héroïsme comme valeur pourrait se
manifester sous une forme de guerre ? Une transgression de l’ordre établi par les forces
dominantes du Blanc ?

S’enchaîne donc la réflexion vers la genèse d’un personnage porteur de valeurs et


d’idéologies, qui sont issues de deux mondes différents, saurait-il apprendre sans
oublier ce qu’il sait déjà ? Se convertirait-il à une autre identité que la sienne ? Pour
reprendre les propos suivants : « peut-on apprendre ceci sans oublier cela, et ce qu’on
apprend, vaut-il ce qu’on oublie ? »2, par là réside le dilemme de l’intellectuel africain
migrant, entre deux mondes, deux cultures bien différents. Hypothétiquement parlant, Loba
habillerait son personnage de Francité3, il jetterait peut-être son pagne pour un complet
chic et impeccable et des chaussures qui meurtrissent le pied ? C’est le prix à payer. Aussi
se vouerait-il à mettre son roman au service d’une idéologie de modernisme importé de
France ?

Ainsi sera formulée la question autour de laquelle gravite notre travail de recherche : Dans
quelle mesure l’étudiant/noir/migrant en métropole, fait-il la matière symbolique
d’une épopée moderne en contexte des premiers souffles des indépendances
africaines ?

Tout cela mène vers l’émission de l’hypothèse qui suit : nous supposons que l’ouvrage
d’un personnage étudiant futur intellectuel est le symbole du déracinement, de
l’individualisme qui s’oppose aux valeurs idéologiques de l’épopée. Peut-être la
représentation de ce personnage dans le contexte cité prône le retour à l’ancestral et au
traditionnel avec le départ du colonisateur ?

1
C’est au XVIIIe siècle dans Les Beaux-Arts réduits à un même principe de Charles Batteux que la
substituabilité a été constatée entre le mot ‘épopée’ et ta heroika voulant dire ‘vers héroïques’
2
Les notables des Diallobé dans L’aventure ambigue de Cheikh Hamidou Kane s’interrogent si l’école
nouvelle ne constituera pas un facteur de dissolution de leur identité culturelle.

3
La Francité dans l’aire de la littérature d’Afrique noire est principalement représentée par le sénégalais
Léopold Sédar senghor. Ce dernier est un important défenseur et promoteur du rapprochement culturel
avec la France.
6
Pour ce faire, deux principaux chapitres feront la matière de ce travail de recherche. En
amont, le premier intitulé Au cœur de l’univers épique, où l’on partira d’un cas
paradigmatique, celui de la terre ancestrale, ensuite sera la transition vers la France et
Paris, qui est un espace important où évoluent les principaux épisodes de ce roman. Aké
Loba met en relation une large part de son intrigue avec cette ville moderne, elle embrasse
la trajectoire des différentes actions des différents personnages. Sur cet ordre d’idées, nous
nous intéresserons à cet élément de l’approche du texte littéraire « l’espace »et ses rapports
avec l’action de ce récit, en l’occurrence, sa représentation, sa signification dans
l’imaginaire du héros et son impact sur la quête. Celle-ci s’articule sur une double
conception, celle des rêves utopiques, et de la réalité palpable résultant de la rencontre
effective. En dressant les deux panoramas, c'est-à-dire, celui de la terre et celui de la cité,
ce chapitre tentera de peindre le caractère de la différence entre les deux, un monde de
tradition et un monde de modernité, et la transgression au cœur de l’espace qui embrasse la
quête du héros. L’approche de ce dernier prendra donc une large part de ce travail,
s’étalera sur les deux segments. En aval, le deuxième chapitre : Une hymne à l’intellectuel
africain migrant essaiera de compléter le puzzle avec le symbole d’intellectuel noir
migrant, nous aborderons son image édifiée par Loba, en jetant des ponts avec le contexte
effectif de ce roman, nous en verrons les relations avec les questions qui se heurtent dans la
pensée de l’Afrique en période charnière et transitionnelle qui requiert une redéfinition de
son héros et de ses valeurs. L’on entreprendra ainsi le traçage des lignes de la contribution
de ce roman dans la création d’une pensée qui repose sur un système de valeurs compatible
avec l’actualité. Vers la fin de ce mémoire, une conclusion s’impose pour trancher en ce
qui concerne les questionnements de la problématique et les hypothèses, et ce, en exposant
les différents aboutissements afin de priser la valeur ajoutée de cette recherche.

7
Chapitre I : Au cœur de l’univers épique

8
Aké Loba met en œuvre une double polarité4 de l’espace romanesque, l’intrigue se
répartit donc en deux espaces différents relevant d’une hégémonie et d’une domination du
deuxième sur le premier. Le premier, étant la terre ancestrale, tout ce qu’il y a d’intime et
de traditionnel, quant au deuxième, il représente le monde de l’Homme Blanc, la France du
développement et de la prospérité. Dans ce chapitre, nous visons à concevoir l’espace du
déroulement de l’action ‘épique’ du personnage principal, à travers une description à la
fois topographique et interprétative selon plusieurs points de vue, notamment du héros,
Kocoumbo, mais aussi, à travers une mise en relation de cet élément avec d’autres
composantes de l’analyse du texte littéraire ; la sémiologie entre autres. Parce qu’ici, le
rôle actantiel d’un personnage, diffère et varie selon qu’il soit un broussard, un habitant de
la ville, un parisien, ou un étudiant. Il est à préciser l’intérêt que porte l’étude d’une épopée
de l’intellectuel africain en France pour un tel champ de recherche, nous démontrerons
alors ce qui les lie ensemble en commençant par la mise en relief de l’expérience vécue du
migrant, en passant par la dépeinte de l’univers sociétal qui l’embrasse. Cependant, la
concentration aura toujours pour centre de gravitation le héros épique africain, le modèle
de l’honnête homme noir et les valeurs qu’il véhicule, sans pour autant l’ancrer dans le seul
folklore traditionnel de l’aire noire. Arrivant ainsi vers la question de la déception, puisque,
avec le changement de l’espace changent les valeurs notamment dans une disparité aussi
évidente que les deux mondes conceptuels, effectifs et antagonistes du Noir et du Blanc

Pour ce qui est de l’élément ‘espace’ nous évoquons cet « effet de réel » dont parle
Barthes, les différents espaces qui sont représentés dans ce roman, n’auraient presque rien
de différent de l’espace dans le monde réel. La description de la Brousse africaine ne
présente pas de contraste avec la description du village de Kouamo, une brousse barbelée
de ronces, flanquée d’éperons végétaux, de la vie ‘érémitique’ qu’il protège. Là ou se
joignent contrainte esthétique et contrainte référentielle pour donner un sens à l’objet. Ce
que nous pouvons assigner comme sens aux deux principales représentations spatiales
hypotyposiques.

4
Bourneuf, R. (1970, avril). L’organisation de l’espace dans le roman, Etudes littéraires, Volume (3), p. 85.
https://doi.org/10.7202/500113ar
9
1.1. La terre ancestrale

La ‘terre’, un mot qui induit vers une idée d’enracinement, d’appartenance. Bien que la
localisation spatiale reste floue, Kouamo peut se classer comme un village de la brousse
africaine : « uniforme […] identique à ses frères de la jungle africaine »5, donc, il
constitue un modèle commun du village typique africain avec tous les traits qui le
caractérisent.

1.1.1. Le partage géographique et social : communion et


appartenance
Kouamo, se veut un espace ésotérique et impénétrable, situé « dans les entrailles mêmes
de la forêt vierge »6 une sorte d’ile inaccessible qui porte sur elle une lignée pure, c’est la
tribu. Cette dernière, unie par l’espace, l’est aussi par le temps, on lui reconnait une
continuité diachronique ; tous ont les mêmes ancêtres, ils se partagent leur passé, mais
aussi leur présent. Leur histoire commune est un inépuisable modèle auquel on recourt au
moindre obstacle. Du côté architectural, les constructions sont, contrairement à celles de la
ville, platement rudimentaires « les habitations, le long de la rue, étaient elles aussi toutes
semblables : une forme primitive […] Personne ne voulait, comme en toute chose
d’ailleurs, faire mieux en cela que les autres. »7 Dormir à même le sol, manger des récoltes
issues des champs que ces villageois cultivent par leurs propres mains. Cette entité
géographique et chromosomique, semble mener une existence autonome, dans un coin
écarté du monde. Selon Roland Bourneuf : « Le romancier peut choisir de décrire les
lieux de l’action une fois pour toutes : l’espace est donné d’un bloc ; ou il peut émietter
cette description au cours du récit par souci d’alléger le rythme ou de mieux intégrer les
personnages à leur milieu »8. En lisant l’incipit du roman, une description à la voix du
narrateur s’enchaine, peint et dépeint l’espace de la terre natale, une grande partie de la
description de la terre y est donnée de l’extérieur vers l’intérieur. De la route, vers le
village surgissant, en passant par le sentier qui y conduit, il est à sentir que ce dernier est
muni dès le départ d’une pièce d’identité contenant ses traits caractéristiques. Vincent

5
Loba, A. (2015). Kocoumbo l’étudiant noir, Béjaia : Talantikit, p. 7.

6
Idem, p. 7.

7
Ibid, p. 24
8
Bourneuf, R. (1970, avril). L’organisation de l’espace dans le roman, Etudes littéraires, Volume (3), p. 86.
10
Jouve parle d’une fonction informative9 de l’incipit. De fait, comme il a été cité, ces
descriptions scrupuleuses construisent amplement l’espace initial à partir duquel les
évènements ultérieurs vont surgir. A la suite, nous aurons un village à la figure de
réclusion. Pour ses habitants, la vie commence et finit là-bas, rares sont ceux qui tendent
les yeux ailleurs, cette fermeture leur inspire un sentiment de sécurité et gonfle leur
sentiment d’appartenance, chose qui n’est pas ressentie en ville, cette dernière inspire une
inquiétude et une vastité aussi transparente que nonchalante, elle va à l’encontre de tout ce
qui fait les principes et traditions du vrai africain:

« La ville était à tout le monde et n’appartenait à personne.


Elle ressemblait à une pirogue vide sur la lagune : nul ne la
guidait ; c’était le vent qui seul qui l’entrainait. La ville
n’était peuplée que de gens sans village, sans tribu. C’était
un monde d’étrangers, étrangers les uns aux autres ; ceux qui
y vivaient ne se connaissaient pas ; ils allaient et venaient et
c’était tout. »10

En effet, la sociabilité du village africain ne ressemble sous aucun angle à la ville, espace
géographique relativement moderne, étranger à la vie traditionnelle. Aussi est-elle un sujet
de scepticisme, étant à la base des mœurs d’Afrique noire. Oudjo, père de Kocoumbo
personnage principal, avait justement ce scepticisme que nul ne pouvait l’en défaire:
« Depuis deux ans que ce fils avait obtenu son certificat d’études, il n’avait pas voulu le
laisser aller travailler en ville dans les bureaux. Il se serait bien gardé de l’envoyer se
corrompre. »11. Ainsi, pour les vieillards sceptiques, qualité par ailleurs vénérée dans la
culture africaine, la ville est un endroit sans traditions, sans histoire commune et sans
ancêtres, mais surtout, foyer de pullulement de mœurs nouvelles. Importées de l’Ailleurs,
ces mœurs sont considérées comme un danger de dissolution de celles de l’Ici, terre
ancestrale.

9
« Informer, pour l’incipit, consiste à répondre aux trois questions que se pose le lecteur lorsqu’il aborde
une histoire : Qui ? Où ? Quand ? » in Poétique du roman, Jouve dénombre plusieurs fonctions de l’incipit,
nous pouvons attribuer au nôtre une fonction informative qui se penche notamment sur la question ‘où ?’ du
premier pôle de l’espace qui est la terre natale ; le village de Kouamo.

10
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 24.

11
Idem, p. 24.
11
D’un autre côté, cette communion sous laquelle se présente la terre, le village en
l’occurrence, enveloppe tous les aspects de la vie quotidienne, et rend bien compte de la
monotonie qui couvre Kouamo le village natal de Kocoumbo ; des catégories sociales bien
distinctes vouées à des fonctions bien déterminées : « Dès que le soleil se lève, le village
est abandonné : qui débroussaille, qui ramasse sa récolte, qui fait la cueillette des fruits
sauvages. Les jeunes gens, eux, pourchassent le gibier dans les fourrés ou étalent leur
oisiveté remuante à l’ombre des bois géants »12. Des activités bien définies effectivement,
les jeunes gens chassant oiseaux et autres dans la forêt, ne le sont pas plus par la volonté
que par l’habitude ou par la tradition. Les plus âgés quant à eux, soit s’occupent de la
culture des champs. Restent ceux qui ont échafaudé les plus hautes marches de l’échelle de
l’âge, ils méditent, et étalent leur sagesse en contant les épopées de leurs aïeux. Toutes ces
catégories se côtoient formant une mini société, aux relations bien serrées. Il est à dire
cependant que malgré cette distinction des catégories à Kouamo, les liens restent bien
solides et réciproques :

« Dans les autres villages comme dans les villes, ils sont des
étrangers. Chacun d’eux avec son sort est lié à Kouamo : il
en est le membre, il en est le décor. S’il s’absente pour plus
d’une semaine, le voisin demandera de ses nouvelles et
prêtera attention au moindre écho le concernant. » 13

La sociabilité des habitants est due certainement à cette intimité entre eux, issus dans la
quasi-totalité du même lignage, donc, une parenté les lie qu’elle soit étroite ou moins, ce
qui se traduit, ainsi, essentiellement par l’entraide et le partage de tout ce qui constitue
l’existence de ces individus. Cela est d’ailleurs ce qui exprime l’âme de la société
traditionnelle africaine dans laquelle chaque individu : « continue d’avoir recours à ses
parents ou à ses voisins pour l’aider dans telle démarche le soutenir dans telle situation.
Mais cette solidarité est à deux faces, s’il peut demander leur appui, eux, de leur côté,
14
comptent sur lui. » . Ils sont donc porteurs d’une énergie commune, une énergie de
relations mutualistes, telle une association symbiotique, et cela bien sûr, sous l’égide d’un
patriarche.

12
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 9

13
Idem, p. 8.
14
Paulme, D. (1960). Structures sociales traditionnelles en Afrique Noire. Cahiers d'études africaines.
volume (1), p. 17.
12
Kocoumbo, a ces caractères dans le sang. Il est viscéralement lié à sa terre, pas
d’obstacles et de barrières entre les deux, des vêtements légers et pas de chaussures, les
pieds fondent au milieu des grains du sol, pendant la chasse ultime du protagoniste avant le
départ en France, une figuration subtile de la familiarité et l’intimité de l’africain avec son
sol est construite : « Il se releva sans bruits, balaya de la main le sol plein de feuilles
mortes. Il en expulsa quelques vers de terre gluants, puis s’étendit, cette fois à plat ventre
[…] » le ventre est le centre de la chaleur humaine, il est en contact direct avec le sol, ils
touchent, ils se transmettent leur énergie mutuelle, enfin, se joignent en complicité : « […]
il se sentait à l’abri de tout danger comme entre les murs de sa case. »15

Bien que la fermeture de cet espace est accentuée, un personnage reste à signaler. Nadan,
un jeune homme de l’âge de Kocoumbo. Ce personnage avec sa famille constituent une
non-conformité au sein d’un village aussi serré et homogène que Kouamo. « Tout le monde
avait d’ailleurs remarqué combien cette famille devenait indépendante. Elle agissait dans
son propre intérêt et non dans celui de la communauté. »16 Cela est ‘l’effet de l’ouverture
d’un espace clos’17, cette famille est porteuses de nouvelles mœurs en contraste avec celles
de la tradition africaine, elle possède une maison ‘d’un luxe sans précédent dans toute la
région’. Le fils, Nadan, travaillait en ville, et s’apprêtait à partir en France pour ses études.
Une décision aussi importante dans un village de la brousse africaine aurait du être prise
par le patriarche du village, ce qui justement va être développé dans la partie qui suit.

1.1.2. Kouamo, un village patriarcal

Le troupeau a bien besoin du berger qui le guide, le chef est à la société ce qu’est le
patriarche est au village, Oudjo, père de Kocoumbo le personnage principal, remplit la
fonction de patriarche au sein de son village. De par sa sagesse, il est sujet au respect de
tous les habitants, il détient aussi le pouvoir d’intervenir dans les conflits et les questions
d’ordre important surtout. Il s’agit dans cette partie, de dresser une sémiologie à partir de

15
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 14.
16
Idem, p. 26

17
« L’introduction de personnages inconnus dans un milieu clos, peut avoir pour effet de l’ouvrir, ou du
moins, d’en laisser entrevoir d’autres »in L’Organisation de l’espace dans le roman (Bourneuf, 1970). Ici, ce
n’est pas un personnage inconnu, mais un personnage hétérogène, qui ne partage pas les mêmes principes que
ses convillageois.

13
certains indices qui constituent l’image du patriarche Oudjo et sa relation avec la quête
principale qu’il cherche à atteindre en envoyant son fils à l’étranger.

Dans ce récit, Le patriarche est la figure du pouvoir suprême au sein du village, il est
doté de tous les caractères et les vertus qui font de lui la personne qu’on respecte, « Vieil
Oudjo par-ci, vénérable Oudjo par là »18 qu’on écoute et dont les conseils sont appliqués
comme un oracle. Il incarne le pouvoir bienveillant et juste sur les hommes :

« Le patriarche joue le rôle de tribun et de protecteur. Il est à


la fois un élément de modération et le pilier du bon exemple.
Gardien sévère de toutes les coutumes, il incarne la science
des morts. Il a le pouvoir d’évoquer ces derniers, de leur
demander conseil, de les entendre. C’est aussi le doyen du
village. Les dieux faisant un tri parmi les hommes, éliminent
les pires et les meilleurs, ne laissant vieillir que les rares
mortels qui ont vécu sans haine et sans excès pour qu’ils
conduisent la génération suivante. Le patriarche n’intervient
donc que pour trancher un débat difficile et surtout lorsque
l’intérêt général de la tribu est en jeu. Ses décisions sont
alors infaillibles ; ses paroles ne peuvent être mises en doute.
Tout ce qu’il dira sera le produit mûri de ses expériences et
de ses judicieuses constatations. Quand il condamne une
chose ou loue un comportement, tout le monde souscrit à sa
conception. La sobriété de sa parole, la discrétion de son
opinion, son scepticisme à l’égard des mœurs nouvelles sont
ses principaux soutiens. Il lui faut avant tout montrer que
l’homme doit évoluer vers le silence et la résignation. »19

Là, le vieillissement est un facteur principal dans le choix du patriarche du village, dans
les différentes communautés traditionnelles d’Afrique noire, le pouvoir de chefferie est
attribué aux personnes les plus âgées, ceux qui ont des fils adultes et dont la femme ne peut
plus procréer, « La société négro-africaine traditionnelle est gérontocratique. »20.
Pourquoi gérontocratique, parce que tout simplement, le vieux porte en lui des qualités et

18
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 25

19
Idem, pp 25-26.
20
Louis-Vincent Thomas chercheur spécialiste de l’Afrique, ayant étudié cette aire géographique sous
différents angles à savoir la sociologie, l’anthropologie et l’ethnologie, il qualifie la société d’Afrique noire
comme ‘gérontocratique’, géronto-, relatif aux personnes âgées, -cratique- vient du grec kratos qui signifie le
pouvoir, l’autorité, le gouvernement. Par là, les personnes ayant atteint un certain âge avancé sont
considérées, de par leur sagesse, comme digne du gouvernement et de la chefferie, et ce, quel que soit la
communauté et son étendue, donc, du plus petit village vers la nation.
14
des vertus qui le rendent capable de maitriser toutes les situations du village, il est quelque
part le gérant ultime de ce système eumétazoaire :
« De fait, dans l'Afrique traditionnelle, le vieux demeure le
garant de la tradition, donc de la stabilité sociale, à la fois
par la vertu de son exemple et la puissance de sa parole.
D'où son rôle d'inspirateur, de juge, de chef religieux, de
prêtre sacrificateur, de décrypteur de présages ou de rêves,
voire de poète. La vieillesse est souvent symbole de sagesse
; les vieilles personnes détiennent les traditions de la tribu et
sont responsables de leur continuité. Ceux qui sont très
vieux se trouvent assimilés aux ancêtres qu'ils vont bientôt
retrouver. Expérience qui donne le savoir, discernement,
équité, abnégation, sang-froid, font du vieillard l'arbitre par
excellence. »21

Par ailleurs, il est à noter que les vieux en Afrique noire sont moins nombreux que dans
les autres aires géographiques, il est connu par tous que le corps humain perd de son
immunité en gagnant des années, il sera donc vulnérable, en l’occurrence, au froid ; des
chiffres effrayants se tracent lors des saisons difficiles vu les condition de vie lamentables :

« Parmi les multiples traits que présente l'Afrique


noire rappelons : l'étonnante jeunesse de sa population due
au maintien d’un taux élevé de natalité et à une baisse
sensible du taux de mortalité infantile : puis le nombre
relativement modeste des vieillards […] le vieillissement
prématuré lié aux conditions précaires d'existence»22

C’est donc qu’Oudjo, vénérable vieillard de par sa fonction de père et de patriarche,


décide d’envoyer son fils en France pour étudier et s’instruire. Cela parait inordinaire
provenant du patriarche gardien des traditions, du patriarche qui ne voulait pas laisser son
fils travailler en ville de peur qu’il ne se corrompe, mais ici, ce n’est plus question de
traditions, d’ailleurs, il connaissait bien son fils :
« Mon fils Kocoumbo est un de mes ancêtres revenu sur la terre. C’est ma fierté,
c’est mon orgueil, c’est mon âme et c’est mon sang… »23

21
Thomas, L. (1983). La vieillesse en Afrique noire. Communications. Volume (37), p. 75.
22
Idem, p. 70.

23
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 24.
15
C’est une question d’intérêt général, il voyait le développement auquel sont arrivés les
français, pour lui, c’est de la sagesse, il était ostensiblement admiratif, notamment, quand il
voyait des avions « un plus lourd que l’air vole dans les airs »24 dit-il. Le but derrière cette
décision fut donc que son fils apprenne la sagesse de l’Homme blanc et qu’il revienne
l’exploiter sur sa terre d’origine au bien de tous ses compatriotes.

1.1.3. La valeur des ancêtres

La terre des ancêtres incarne l’identité même de l’africain, son âme, l’énergie qui
l’anime. Les esclaves autrefois, contraints à partir, se rebellaient jusqu’au moment où ils
devaient monter sur les bateaux, ils se jetaient en mer pour éviter de quitter leur pays, la
terre de leurs aïeux. Il est à ce niveau inadmissible de partir, de se déraciner, on risque la
malédiction, l’errance. C’est encore que dans l’obligation la plus contraignante que le bon
noir décide de quitter son pays, il reste toutefois viscéralement lié à sa terre (voir « Le
partage géographique et social: communion et appartenance »), à ses ancêtres. La
bienveillance de ces derniers est primordiale, on les honore, mais aussi, on implore leur
bénédiction et leur médiation avec les différentes forces divines par l’offrande et le
sacrifice (voir Chapitre I, Du sacrifice et de l’offrande), le protégé sera alors accompagné
de bienveillance tout au long de son voyage, et surtout, faire en sorte qu’il retourne vers
son origine et qu’il y soit enterré. Dans la littérature de la génération d’Aké Loba,
l’étudiant, qu’il aille en ville, en capitale, ou en France, ne conçoit pas la possibilité d’y
rester, donc le personnage s’inscrit dans un exil volontaire mais animé par un besoin, de
s’instruire, de prendre ce dont il a besoin, mais jamais, d’y rester, les jeunes noirs
s’entretenant dans la cale d’aller, dit l’un d’eux : « mon père me dit d’aller apprendre rien
que pour avoir mes diplômes[…] »25 Kocoumbo, ayant subi la décision de son père-
patriarche du village, Oudjo, d’aller en France, avec la résignation aussi bien que la
jubilation, ne compte pas de quitter la terre de ses ancêtres pour jamais, et encore moins
pour les habitants de son village, d’ailleurs, l’on tint à son adresse les propos suivants :
« _Que ton crâne revienne blanchir sous nos plaines comme les os de l’aigle reviennent

24
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 29.

25
Idem, p. 50
16
blanchir sur la terre. »26. Il répondit comme la tradition l’exige : « L’aigle plane au
firmament, au front des dieux, mais sa carcasse se retrouve dans nos bois, avait répondu
Kocoumbo. » 27

L’ancêtre est également l’incarnation du passé, toujours glorieux, l’homme d’aujourd’hui


est devant un future inconnu, pour se retrouver, le passé se présente comme un secours à ce
futur, il est une sorte d’ancrage qui fleurit un sentiment de sécurité pour l’individu, c’est la
raison pour laquelle les personnages de ce roman sont fortement attachés aux traditions
ancestrales, ils exécutent les traditions avec rigueur. Il est aussi d’une valeur indéniable
qu’un individu soit reconnu comme portant des qualités de l’un des ascendants, en danse,
chasse par exemple, c’est donc un grand privilège et un honneur inouïs. Kocoumbo, lors de
la chasse ultime qui a fait de lui ‘un homme’, se prend ce titre comme élément de
motivation et suramplificateur du courage et de la vigueur :

« Kocoumbo est un homme. Kocoumbo est un brave.


Kocoumbo ressemble à ses aïeux. Je savais bien que ce
jeune homme irait loin. C’est l’âme d’un de nos aïeux
revenu sur terre, un membre de notre tribu.
Malheureusement, ils sont rares de nos jours… » Tout ce
que les gens diraient l’excitait. Ses mains tremblaient de
courage, il avait du mal à se tenir tranquille. »28

Ressembler à ses aïeux, porter leurs vertus « de même que ses ancêtres avaient toujours
protégé les gens de son village, de même il devait protéger ses compagnons »29 veut dire la
reconnaissance du groupe, se faire valoir aux yeux de ses convillageois le pousse à se
surpasser en matière de courage et d’endurance physique et morale.

La valeur des ancêtres se manifeste également sur un autre terrain, à savoir une valeur
talismanique qui réside dans le cœur de l’homme noir traditionnel, c'est-à-dire, le
personnage principal : « Les bruits continus derrière les caisses devenaient agaçants à la
fin ! […] On aurait dit parfois un bruit humain. Peut-être, après tout, était-ce un signe de

26
Loba, A. Kocoumbo, l’étudiant noir, op.cit, p. 35

27
Idem, p. 35
28
Ibid p. 15.

29
Ibid, p.71.
17
ses ancêtres cachés là pour veiller sur lui. »30 . Un fort attachement au pouvoir protecteur
des ancêtres génère un sentiment de quiétude et de sureté.

Kouamo, à cette échelle, avec tous les symboles qu’il représente : -ascendance,
appartenance, valeurs et vertus- serait un village traditionnel africain, imbibé de traditions,
de principes inhérents à la vie commune, loin de toute vision individualiste. Il est l’énergie
qui anime tous ses habitant où qu’ils sont, ils l’ont dans le sang noir qui coule dans leurs
veines, ils l’ont dans la nuit noire sans rêves là où ils commencent à perdre espoir de la
vie, comme ce fut le cas pour notre étudiant noir quand il s’apprêtait à sombrer dans le
déroutement de ses principes :

« Une nuit, il fut réveillé par un rêve lugubre ; il se voyait


dans son village poursuivi par les éclats de rire aigus des
vieilles qui lui criaient : « Paresseux ! Tu as perdu ton temps
à bavarder comme une femme au lieu d’étudier pour nous
rapporter du pain, des vêtements ! » Et elles lui jetaient au
visage des colliers rouges, guirlandes et des petits drapeaux
préparés pour sa réception. »31

1.1.4. Du sacrifice, et de l’offrande

Il est inconcevable de penser la culture africaine et sa littérature loin des rituels


magiques, sacrés, des cérémonies d’initiation… En de pareils évènements, l’offrande et le
sacrifice s’érigent avec obligation, à l’intention des différentes divinités, mais aussi, des
ancêtres. A l’occasion, il faut distinguer entre l’offrande et le sacrifice dans la mesure où la
première concerne tous types d’aliments et la deuxième invoque l’immolation. Selon
Dominique Zahan, ethnologue et sociologue spécialisé de l’Afrique, la vie spirituelle
d’Afrique est profondément marquée par l’immolation dans le coté religieux, et l’idée du
sacrifice, en est tributaire : «[…] qui dit ici sacrifice dit sang s’écoulant des bêtes
égorgées. Or toute la valeur des sacrifices africains découle de ce sang réel des animaux
[…] »32. Pour l’offrande, c’est différent en matière de conditions, celle-ci peut comprendre
des aliments divers d’une région à l’autre, donc elle n’exige pas des pratiques

30
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 63.

31
Idem, p. 279.

32
Zahan, D. (1970). Religion spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, p. 58.
18
immolatoires. Dans la croyance africaine, Dieu (sur ses formes multiples), est responsable
de toutes les formes d’existence sur terre, de tous les êtres, ces derniers vivent à travers
l’énergie divine propulsée par celui-ci à travers le soleil, cela, à leurs yeux, peut affaiblir à
la force divine ce qui met en péril l’existence de tous les êtres. Raison pour laquelle il est
convenu de sacrifier pour nourrir spirituellement le Dieu afin de maintenir l’équilibre de la
nature. Il s’agit également d’une forme de manipulation des forces du pouvoir pour un
intérêt donné. A ce propos, Youssouf Cissé, ethnologue et historien malien, évoque le
sacrifice comme suit :

« […] étant le plus souvent prescrit par un devin et précédé,


accompagné ou suivi, selon les cas, de formulation de vœux
pieux, de récitations de prières, etc. Ainsi, pour défricher un
nouveau champ, ouvrir une mine, creuser les fondations
d’une maison, entreprendre des démarches matrimoniales ou
un voyage, aller à la chasse, introniser un chef, enterrer un
mort ou célébrer ses funérailles, initier de jeunes gens,
passer des examens, s’attirer les faveurs d’un supérieur,
etc. »33

Ce dernier cite des exemples de situations qui impliquent un sacrifice, dont deux, feront
apparition dans notre corpus- à savoir : la chasse et le voyage, notamment dans sa
dimension initiatique- et ce, dans des contextes un peu différents, mais l’intention, est
toujours la même.

A la page (9, 10, et 11), Kocoumbo et son ami Gand, sont témoins de la force du Dieu de
la forêt. Ils cherchent en vain un toucan qu’ils ont touché et qui est tombé par terre. Gand
dit que c’est à deux heures que « le dieu de est le plus redoutable pour ceux qui essaient de
tuer ses animaux » et il conte l’histoire du cousin de son père qui reçut les plombs dans
son cœur pour avoir essayé de tuer un animal le samedi. Cela démontre à quel point il est
dangereux de porter atteinte où de contredire les principes, on risquait sa vie. C’est
pourquoi l’offrande est suggérée pour apaiser la colère des dieux. Ce que firent les jeunes
gens, est une prière au génie de la forêt, et ce qui en fut le résultat, est la réapparition du
toucan.

33
Cissé, Y. (1981). Le sacrifice chez les Bambara et les Malinké. Systèmes de pensée en Afrique noire.
Volume( 5), mis en ligne le 04 juin 2013, consulté le 30/03/2020.

19
Kocoumbo, à la vielle de son départ en France, terre inconnue berceau de ses rêves et les
espoirs de ses compatriotes, fut honoré par un sacrifice, comme le dicte la tradition: « Le
jour du départ approchait. Une semaine avant de quitter le sol de ses aïeux, un sacrifice
s’imposait. On immola un chat noir aux mânes des ancêtres afin que le voyageur ne
mourût pas à l’étranger. »34

Ce sacrifice vise l’imploration des forces protectrices des dieux et la bienveillance des
ancêtres. Ces échanges entre le Dieu et sa création, l’être humain, servent sur un autre plan,
à résoudre des problèmes, à dépasser les obstacles également. Outre cette forme de
permutation de ressources, une plus intéressante et fructueuse est accentuée ; ce sacrifice
auquel s’adonne l’étudiant africain migrant pour contribuer au bien de tous (voir Chapitre
2)

1.1.5. Kocoumbo : Le héros épique typique


Avant d’aborder le sujet, il convient en premier d’exposer les traits qui nous ont
conduits à reconnaitre à ce roman une tendance épique. Tout d’abord, il est à exclure que
la tendance évoquée précédemment s’apparente à une classification du genre, ou une
typologie de ce récit sous une optique aristotélicienne, ce qui irait, d’ailleurs à l’encontre
de la première caractéristique de l’épopée africaine. Selon Christiane Seydou, chercheur
dans le domaine de l’épopée africaine, il a été observé dans quelques épopées africaines,
une convergence qui se présente dans trois points « (1) l'association de la parole et d'un
instrument de musique spécifique ; (2) la transgression comme ressort de l'action ; (3) la
fonction de cette production culturelle. »35. La première fonction n’est pas conforme à
notre corpus. Donc une parade évite d’aborder ce problème de l’énergétique des genres,
peut-être sera-il abordé dans des études ultérieures. Pour le moment, et par souci de
précision, nous nous contentons d’une vue partielle et visée. Ainsi, la centration prend le
deuxième et troisième point, c’est à dire, la transgression et la fonction de cette production
culturelle. La transgression ici réside dans l’acte de sortir de l’usuel et de s’auto-dépasser
pour le héros épique, quant à la fonction de cette production culturelle, elle sera abordée
plus loin dans le chapitre II. Concernant les traits du héros Kocoumbo, fils du patriarche,

34
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 35.
35
Seydou, C. (1983). Réflexions sur les structures narratives du texte épique. L'exemple des épopées peule et
bambara. L'Homme. Tome (23) n°3, p. 43. DOI : https://doi.org/10.3406/hom.1983.368414

20
ils concernent les valeurs morales, la chasse, et la danse dans sa mesure symbolique. Ce
dernier, doté d’une supériorité en ces éléments, parait le délégué adéquat pour accomplir
les vœux de son père :

1.1.5.1. Chants, danse et paroles de tam-tam


La combinaison de ces trois éléments prend une large part de la vie spirituelle de
l’Afrique noire, les chants et les battements de tam-tams accompagnent les rites et
rythment : la vie quotidienne, les rapports entre les individus et les rapports avec les dieux,
comme le dit Léopold Sédar Senghor : « le rythme c’est la marque essentielle de l’art
nègre »36 Sur la même ligne de réflexion, le rassemblement autour du feu accompagné de
tam-tam et de pas fervents sur le sol battu, a une symbolique bien particulière, il constitue
un lieu de communication entre les habitants de Kouamo, un endroit où l’on se considère et
on considère la valeur de chacun. Kocoumbo, de par sa supériorité en matière de danse, fut
élu champion, un privilège lui donne l’occasion d’exprimer ses sentiments envers Alouma,
fille qu’il désire épouser, il se sert donc de cet exercice artistique pour dire le non-dit, pour
s’imposer au sein de son village et manifester ses intentions sans qu’un mot ne sorte de sa
bouche. La danse, en effet, étant un exercice physique, demande beaucoup de virulence et
de droiture, et notamment, la danse d’Afrique noire. Dans cette expression artistique et
guerrière à la fois, le danseur mobilise son énergie au complet, ce n’est pas seulement son
corps qui bouge, mais son être le plus profond qui anime ses mouvements. D’ailleurs, les
danses qui s’opèrent quand le danseur est en transe sont qualifiée les plus belles, elles sont
une sorte de communication surnaturelle dont seuls les initiés son dotés.
Le héros en tant que danseur chevronné, s’empare de l’espace, il lui appartient, il n’en est
guère étranger, et son identité s’accomplit.

1.1.5.2. La dernière chasse avant le départ

Une étape du récit où Kocoumbo est devenu un vrai ‘homme’. Cette chasse est en fait un
symbole de passage, un rituel d’initiation à la fin duquel le sujet s’élève au rang d’adulte,
capable de se marier et de fonder un foyer. Les motifs de celle-ci ont germé dans son désir
de se faire valoir aux yeux de sa bien aimée. A la page 12, un ami du protagoniste lui dit :

36
Senghor, L-S. La spécificité du rythme africain. La librairie sonore. www.Frémeaux.com, page consultée
le 18/05/2020
21
« Ma fiancée ne m’aimait pas au début. Ma mère disait que
je n’étais pas d’âge à me marier ; mon père que j’étais un
peureux, que je ne ressemblais pas aux hommes de ma race,
que je ne serais jamais un vrai guerrier. Je suis parti en
brousse avec deux chiens rabatteurs et j’en suis revenu un
léopard sur le dos […] »

Comme il est à observer, ce roman débute par un défi pour le protagoniste, un exercice
de courage, car le chasseur, ne doit en un aucun cas hésiter, il risque sa vie. A la page 41,
en parlant de courage : « Le courage du guerrier, Kocoumbo l’avait montré devant le
sanglier. Il avait été seul à se battre et personne ne l’avait vu. Mais du résultat, tout le
monde en avait profité. ». Elle est également une mise en épreuve de ses capacités « il
savait lire la trace des animaux ; il savait déchiffrer le sens de leur marche et l’heure de
leur voyage. Tout cela formait sa science, celle que tout jeune homme devait acquérir
avant de pouvoir fonder un foyer »37mais aussi, son endurance ; un héros épique doit
certainement avoir des caractères qui le distinguent des autres, dans la tradition africaine,
la chasse en est le pilier, c’est l’épreuve des pouvoirs guerriers d’un individu. Or, nul ne
savait qu’elle ferait de Kocoumbo l’ « envoyé » pour une quête de sagesse dans le pays du
blanc. De cette manière, le voyage en France est considéré comme une épreuve du guerrier
qui est en chaque étudiant migrant, Lilyan Kesteloot résume ce voyage comme un parcours
où « le héros se débat, vainc, ou est vaincu. »38.

1.1.5.3. Valeurs morales

Kocoumbo bien qu’il ait fait l’école primaire coloniale, étant fils du patriarche, il fut
imprégné des valeurs de l’africain traditionnel, qui n’étaient guère à substituer :
« À la moindre entorse faite à la tradition, son père lui criait
aux oreilles : tu es la honte de la famille ! Nos ancêtres
enduraient tout, vivaient dans la résignation sans soupirer ! Il
n’ya que les femmes qui crient par-dessus les toits ce qui
leur pèse, qui supportent mal la faim et la soif. Il n y a que
les femmes qui geignent ; et encore, il y a des exceptions : ta
grand-mère, par exemple. Quand on est né homme, on est né
guerrier. On doit apprendre à tout supporter. La

37
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, pp. 13-14
38
Kesteloot, L. (1977). Les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature, Bruxelles,
Éditions de l’université de Bruxelles, p. 307.

22
circonspection et l’audace permettent à tout guerrier
d’atteindre ses visées et ce sont elles seules qui le lui
permettent. Un homme doit aller, continuer d’aller jusqu’au
bout, sinon, c’est une femme. »

Ce passage figurant aux pages 40 et 41, démontre pleinement la base de l’éducation


africaine traditionnelle ; tout ce qui fait de l’homme un homme, c’est le vœu d’Oudjo. Le
retour de la volonté du père, il veut que son fils porte en lui ces caractères d’endurance et
de persistance. Kocoumbo a prouvé cela en chasse, maintenant, il est envoyé en France
pour se prouver une deuxième fois. Serait-ce aussi simple ? Le protagoniste aura à faire
usage de ses valeurs en fonction de l’espace dans lequel il vit. ‘Aller jusqu’au bout’, il en
fera preuve quand il aura à faire et refaire les années vu son retard sur le plan intellectuel.
Kocoumbo, comme tous les héros des romans d’écrivains noirs francophones dits
‘d’apprentissage’, aura à supporter toutes les difficultés à commencer par froid glacial et
l’« astre anémique »39 qui accueille aux portes de Paris. Il fera usage de ces vertus contre
la misère de la situation lamentable de l’africain en France durant la période coloniale.

1.2. Faire la France : un voyage initiatique loin de la terre

Le voyage pour les études constitue une trame de narration pour une masse d’écrivains
africains francophones, à l’exemple de Camara Laye ou de Cheikh Hamidou Kane qui y
ont puisé la materia prima de leurs premiers romans40. Aké Loba en fait de même. Il
construit l’univers romanesque autour de ce déplacement qui constitue une forme de
transgression. Dans l’épopée africaine du Mvet, la transgression constitue le seul moyen de
rompre l’ordre des choses41 . Kocoumbo s’est imposé au sein des siens, il s’agit désormais
de s’imposer au sein des autres, une analogie peut être donc établie entre ce point et celui
des deux clans de l’épopée du Mvet. Notre héros est donc moteur de cette transgression qui
vise l’héroïsme, pour se prouver, il doit « sans cesse se vouer au plus grand risque
d’anéantissement »42. La décision d’envoyer le fils pour des études en France, correspond

39
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 120.
40
Camara Laye(L’enfant noir), Cheikh Hamido Kane(L’aventure ambigüe) au sens symbolique du terme
voyage, puisqu’il se confronte au changement lié à l’école française après l’école coranique
41
Selon cette épopée il existe deux clans rivaux et primordiaux qui sont les mortels et les immortels, un ordre
qui induit vers une idéologie de pouvoir politique (voir Seydou, C. (1988). Épopée et identité : exemples
africains. Journal des africanistes. Tome(58), fascicule (1))
42
Seydou, C. (1988). Épopée et identité : exemples africains. Journal des africanistes. Tome(58), fascicule
(1), p. 10. DOI : https://doi.org/10.3406/jafr.1988.2246
23
à une quête du père, car le fils en général, ne sentira pas le poids et l’enjeu de cet acte dès
le départ. Ce schéma traduit la quête en question :

Destinateur: Le Destinataire:
père L'Afrique

Objet:
Sujet: Le fils Instruction/
devenir "maitre"

Comme il est à voir, le fils est le sujet responsable de l’accomplissement de la quête


voulue. Ceux là sont aux yeux des pères les : « futurs réalisateurs de grands desseins. »43,
pour accomplir l’action, le sujet doit passer par un déracinement temporaire qui est le
voyage en France, et c’est bien là, où réside la complication du défi à relever, comme
nous l’avons démontré précédemment, la valeur de la terre et de l’identité est colossale
chez l’africain noir. Or, le rêve européen brille à qui mieux mieux, saurait-il ne pas se
démunir de l’amour de leur terre ? Sans oublier les enjeux de l’instruction et les obstacles,
tiendraient-ils leur promesse de revenir et sortir leurs frères de l’abyme de l’ignorance ?
Cette pièce de notre étude comporte une description interprétative du deuxième pole de
l’espace, qui est, La France métropolitaine. Le statut du nègre broussard devant un espace
qui inspire l’enchantement et la crainte. Il s’agit donc d’aborder le développement de la
quête principale et les différentes représentations de l’espace métropolitain avec les
mutations dans les symboliques qui résultent de la mise en parallèle -dans la conscience
du migrant- du mythe de la France avec la France en vérité.

1.2.1. Le départ et le trajet: émotions

A l’instar de beaucoup d’écrits de la veille des indépendances, Kocoumbo, l’étudiant noir


suit l’itinéraire tant chanté, du village vers la France, Paris pour être plus précis, puis le
retour éventuel au pays natal. Le départ regorge toujours d’émotions intenses, c’est le
moment où l’étudiant (futur-intellectuel) est livré à lui-même, où il devient maitre de son
propre destin. Famille, voisins et amis s’empressent pour lui dire ‘au revoir’, lui souhaiter

43
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 38
24
un bon voyage, et surtout, ‘un retour vers la terre ancestrale’ (voir Chapitre I, Du sacrifice
et de l’offrande), en addition, ils lui mettent leur responsabilité sur les épaules, chose prise
à la légère au début, car l’enjeu est de quitter sa « natte chaude » vers l’inconnu, se veut à
des fins personnelles. Toutefois, ce départ n’est pas épargné des doutes « pourquoi partait-
il ? Il aurait dû réfléchir à la proposition de son père. »44 . Le voyage se fait en bateau,
naturellement puisque l’Europe et l’Afrique sont séparées par l’océan, et le héros, faute
d’argent voyage en cale. Là il se trouve dans un monde étranger, lui qui avait toujours vécu
dans son village « le rideau que cette mère [la nature] envahissante avait toujours tendu
devant ses yeux pour l’empêcher de se connaitre venait de tomber ; il se trouvait seul
parmi des inconnus et étranger à lui-même […] »45. C’est une chose grave chez l’africain
que de se sentir étranger, cela le crible dans le plus profond de son être, parce que, son
identité se définit par rapport au groupe : « lui, fils de Oudjo, du village de Kouamo, serait
un jour un étranger sur sa propre terre »46 La construction particulière du nom complet
d’un individu en atteste, par exemple :

Prénom de l'individu+ prénom du


père

Prénom complet
Exemple: Kocoumbo+Oudjo=
Oudjo Kocoumbo

De sorte que le nom du père vienne toujours en premier. Si le fils ainé du protagoniste
aurait pour prénom Oudjo, son nom complet serait alors : Kocoumbo Oudjo. Cela
démontre la valeur des racines et de l’appartenance. Cette appartenance semble dans le
début de sa fin dans un espace étranger qu’est le bateau. Ce dernier, peint aussi une image
de classes sociales. Il est séparé selon la valeur pécuniaire que porte le voyageur, les
différents étages représentent les différentes classes et le service y est différent.

Sur une autre ligne, cette cale constitue un carrefour d’échange de rêves de grandeur
facile, de plans: « À les entendre, il fallait deux, trois ou quatre ans d’études pour pouvoir
exercer n’importe quelle profession si importante fût-elle. Tout était facile quant on était

44
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 39

45
Idem, p. 52

46
Ibid, p. 55
25
comme eux diplômé de l’enseignement primaire. »47 Au même rang, un endroit où les
voyageurs s’échangent les images utopiques de l’Autre qu’ils vont à sa rencontre.

Parallèlement, ce voyage en cale peut être rapproché par le voyage en cale des miséreux
esclaves franchissant l’océan vers de nouvelles terres, c’est une reproduction du scénario
de la traite négrière, mais dans une autre direction ; primo, les esclaves autrefois étaient
arrachés à leur terre, quant au élèves migrants, leur exil est volontaire, poussé par un désir
de changement. Secundo, il convient de dire qu’une fois le noir arrivé vers sa destination,
la chose est inversé, l’esclave va donner, être exploité, contrairement à l’étudiant qui va
prendre, cela peut ouvrir une piste vers l’hypothèse d’une reprise de droits sur le
colonisateur, l’exploitant Blanc. Tertio, le migrant ira en France en héros, et compte en
revenir en tel, le nègre vendu, ne verra de retour vers sa terre que s’il ce fut le rappel vers
le séjour des morts. La connotation de ce voyage semble faire la rupture dans l’Histoire des
nègres, une réappropriation de leur existence, une de leur ‘humanité’ et leur participation
opérante dans leur destin.

1.2.2. La découverte de la cité


1.2.2.1. Paris, la ville lumière

L’expression qualifiant Paris de « ville lumière » trouve ses origines dans le dix-septième
siècle, avec les milliers de lanternes et de bougies placées sur l’ordre du lieutenant général
de police Nicolas de la Reynie, cette réforme entre autres, avait pour but de sécuriser les
rues de la ville. Ce n’est cependant pas dans ce sens que l’intérêt est porté au mot
« lumière », car ce dernier peut se muter en une pléthore de formes significatives aux
interprétations multiples, dans notre cas, il importe, d’abord, de prendre cette ville sous
l’étiquetage « capitale française » ou bien « capitale de la métropole », cela va induire alors
vers toutes les images qui se forment naturellement dans l’esprit du noir colonisé. Pour
Kocoumbo, un broussard de couleur, la France est « quelque chose de si extraordinaire
qu’il en admettait l’existence sans grande conviction »48 et Paris, la capitale, représente
l’ultime sujet d’émerveillement, nous verrons ainsi retentir des expressions telles que : «

47
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 60

48
Idem, p. 31.

26
un autre monde où scintillaient des miracles, où résidait le bonheur»49, « grands magasins
de Paris »50, « de larges avenues de marbre »51, « musiques suaves »52… et le plus
important, « un monde où l’on travaillait peu »53 une idée récurrente qui persiste jusqu’au
plus récentes productions du canon littéraire africain nègre : « On dit qu’au pays du blanc,
même ceux qui ne travaillent pas ont de quoi boire et manger. »54. Somme toute, tout ce
qu’il y a de meilleur au monde pour un jeune africain, car dans son village, on devait
travailler pour exister, la culture des champs est rude, et « la terre maintenant devient de
plus en plus ingrate »55. Cette image bipolaire des deux mondes, la terre africaine et la
France met en relief l’hiérarchie à bien des égards. Kouamo, le pauvre petit village ne
saura égaler la capitale métropolitaine, source du savoir infini, terre de la liberté et de
l’égalité.

L’enthousiasme56 dont parle Xavier Garnier, débute dès que le personnage apprends la
‘bonne nouvelle’ selon laquelle il ‘ira en France’ et pas n’importe où, mais à Paris. La
jubilation atteint ses sommets ; « Paris est une ville merveilleuse en ce qu’elle investit de
gloire celui qui a pu y séjourner »57. Quand Kocoumbo sut qu’il allait partir à Paris, il
commençât à se détacher de sa terre natale :

« Dans la rue, la danse battait son plein, les tambours


l’appelaient, mais lui ne donnait plus aucune importance à
ces résonnances. Il en avait assez, assez des visages toujours
semblables, assez des filles arrogantes, assez de ces
tambours millénaires. Peu s’en fallait qu’il se demandât

49
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 32.
50
Idem, p. 32.

51
Ibid, p. 33.

52
Ibid, p. 33.
53
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 32.
54
Kangni, A. (2002). Atterrissage. Paris, éd Ndze, p. 13.

55
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 28.
56
Garnier, X et Warren, J-P. (2012). Ecrivains francophones en exil à Paris : Entre cosmopolitisme et
marginalité. Paris, Karthala.
57
Garnier, X et Warren, J-P. op.cit, p. 111.

27
comment il avait pu se complaire dans un tel milieu. Il n’y
avait plus que Paris dans son cœur. »58

Le noir cependant n’est pas à blâmer, cette petitesse, qui se transforme en rejet de ce qu’il
lui est propre, on le lui a inculquée dès son enfance, on lui a enseigné qu’il n’était pas un
Homme, que sa culture et ses traditions étaient rétrogrades, sans valeur devant celles de
l’Homme Blanc. La sous-race est naturellement en retard en matière de développement
technique vu son exploitation au fil des siècles. Au village de Kouamo, ce ne fut pas
longtemps que les habitants se sont débarrassés du joug du colonisateur et du travail forcé
dans ses champs, maintenant ils travaillaient dans leurs propres champs. Mais toujours est-
il que le noir reste sous la domination blanche ne serait-ce que sur le plan psychologique,
et Paris, est la figure sans-égal de cette domination. D’ailleurs, cette ville hanteuse domine
la piste des images en littérature subsaharienne francophone, jusqu’à en devenir un espace
mythique. Aké Loba en revanche, tente de déconstruire le mythe du paradis métropolitain,
et ce, par le récit de l’expérience du voyage en France comme un ‘voyage initiatique’, là où
le concerné se confronte à des problèmes colossaux, là où rares sont ceux qui réussissent
cette expérience en achevant leurs études et en s’auto-construisant comme ‘vrai
intellectuel’. Dans la partie qui suit, une série d’endroits marquant le parcours de
l’intellectuel seront abordé d’un point de vue topoanalytique.

1.2.2.2. De la topographie de l’urbanité: Structures de la


déception59

Le parcours dit ‘épique’ du personnage principal Kocoumbo, est fortement lié au monde
dans lequel l’action est menée. Son acheminement est marqué par des impressions qui
construisent des images du réel. L’espace prend donc, une large part de la nécessité
d’interprétation, parce que, sa représentation dans le roman passe toujours par un filtre,
soit, le filtre de l’imaginaire collectif, véhiculée par une idéologie impérialiste de la
« mission civilisatrice »60, soit le filtre du personnage qui est en contacte direct avec

58
Loba, A. Kocoumbo, l’étudiant noir, op.cit, p 32.
59
Sous la direction de Catherine Mazauric, professeur à l’université d’Aix Marseille, et dans le cadre d’une
thèse de doctorat en littérature française et francoiphone (Soutenue le 31 mars 2017), Nicolas Treiber parle
d’une déception du personnage noir en France à la suite de la chute du modèle eldoradien qui s’effondre sous
le poids de la civilisation déroutante.
60
A ce propos s’exprime André-Patient Bokiba in Ecriture et identité dans la littérature
africaine : « l’idéologie de la ‘mission civilisatrice’ prend sa source dans trois mythes, celui de la supériorité
28
l’espace en question, dans ce cas, interfèrent les différents évènements. Ce que nous avons
remarqué, en ce qui concerne la représentation du Paris effectif, est le jumelage entre une
admiration croissante et confirmée héritée partiellement du premier filtre, et une déception
persistante : « Alors, c’est ça Paris ?... bon ! »61 Malgré cette admiration de la France,
Paris, et la culture française, cet espace reste aussi un espace de souffrance, d’exil, de
solitude ; l’œuvre ne sera donc pas d’une aisance complaisante. Maintes fois l’étudiant sera
tenté de rentrer chez lui après l’une ou l’autre des déceptions, son courage de guerrier, son
sens de responsabilité se voient ébranlés par la froideur indifférente de la vie française et la
chute successive de ses rêves. En addition à cette vision sisyphéenne, vient le péril de la
dissolution des valeurs africaine. Les différents éléments choisis pour notre étude sont
intéressants en leur qualité d’accélérateurs ou de ralentisseurs de la quête de l’étudiant noir.

1.2.2.2.1. Divers moyens de transport

Paris parait vivant dans une autre époque, le siècle de la vitesse. En commençant par le
bateau luxueux dont il a pu tirer qu’une maigre part de jouissance dans la cale, Kocoumbo
est émerveillé par tout les moyens de transport de France ; Le train Marseille-Paris, et
ensuite le métro. Ce dernier, à Paris, est un sujet d’hébétude, un autre monde sous-terrain :
« C’est ça le métro, le train qui passe sous terre ! Est-ce
possible que je sois sous terre ? Oui, je ne vois plus le ciel.
Quel beau plafond ! Quelle belle voute ! De gros fils la
parcourent. Les lampes sont-elles toujours allumées ? Ces
carreaux blancs, sur le mur, quel travail ! Comme cela
semble solide ! Les voyageurs attendent. Je vais faire
comme eux. Tiens ! Voilà le chef de gare. Il a une casquette
blanche comme ceux de chez nous. Devant moi, à l’infini,
c’est le même trou étoilé ; il longe tout Paris. Quelle
immense ville ! »62

Ce train n’est pas comme les autres, il trouve sa pluri-dimensionnalité dans la profondeur
Paris est ne se contente pas seulement de la surface terrestre, mais se fraye des chemins qui
transcendent la terre. Elle est la figure absolue, c’est la ville ultime, indépassable pour lui.

blanche, celui du Blanc civilisateur, et comme corollaire des deux premiers, celui de l’infériorité et de la
primitivité du Nègre. » il est donc véhiculé à travers une récurrence d’images un ‘nègre sauvage’ que le
Blanc –de bonne volonté- civilise sur tous les plans. (voir la partie : « mission civilisatrice » et mythe du
nègre à partir de la page 155)

61
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p.100.

62
Idem, p. 93.
29
Kocoumbo parle également d’une ‘solidité’ des ‘murs épais qui tiennent bon’, son
étonnement dépasse donc le coté du confort ‘je ne sens aucune secousse’ et le coté
esthétique, vers l’ingéniosité du métro, « C’est curieux, pensait le jeune homme, je respire
bien ; je n’ai même pas l’impression d’étouffer. Tout se passe comme si je n’était pas dans
un trou »63 les deux sensations produisent un effet sans égal sur lui. Une comparaison
s’implique naturellement entre le train africain et le train français : « les trains de France
serait-ils faits autrement que ceux de chez nous ? Chez nous, dès que le train est en
marche, on se croirait en enfer. Les flammes jaillissent des locomotives, des étincelles
toutes rouges s’envolent et retombent en pluie sur les voyageurs ». En s’intéressant au
travail important du français pour l’accomplissement d’une telle œuvre, le protagoniste se
voit confirmer dans son esprit la suprématie du Blanc.

Plus loin, l’automobile vient écraser le bateau et le train par la grandeur qu’elle donne à
son propriétaire. Greimas parle de la voiture, du point de vue relation objet-valeur, comme
« […] un moyen de déplacement rapide, substitut moderne du tapis volant d’autrefois […]
un peu de prestige social ou un sentiment de puissance plus intime »64 c’est que la fonction
initiale de l’automobile comme moyen de transport prend une autre valeur dans ce roman,
une valeur fortement lié au caractère iconographique des éléments sémiotiques qui le
forment. Elle ne devient donc qu’: « un prétexte, qu’un lieu d’investissement des valeurs,
qu’un ailleurs qui médiatise le rapport du sujet à lui-même »65. L’automobile en question
était un cabriolet, un symbole d’attraction à la réussite, au bonheur, aux femmes « la plus
récalcitrante s’était vue conquise ; la plus riche s’était sentie en confiance, la plus subtile
était devenue sotte »66. Celle-ci est apparentée dans le récit à Durandeau, un personnage
qui personnifie l’illusion attractive de la réussite à ses compatriotes. (voir Chapitre 2)

1.2.2.2.2. La maison des Brigauds

Dans un univers étranger au héros, il fut reçu par les Brigauds dans une maison, quelque
peu familière à ses yeux, car tout est nouveau aux yeux de Kocoumbo, de la sonnerie à la

63
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit , p. 93.

64
Greimas, A J. (1983). Du sens II Essais de sémiotique. Paris, Seuil, p. 21.

65
Greimas, A J. op. cit, p. 21.

66
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 206.
30
67
porte au ‘pénible exercice de la fourchette et du couteau’ à table. mais étant un espace
clos, elle lui inspire la sécurité. L’accueil dans l’intimité des Brigauds, la chaleur qu’il y
trouvât le consolèrent dans une certaine mesure de l’éloignement de sa famille. En parlant
de chaleur ici, les deux dimensions sémantiques sont voulues, en premier, la chaleur de
l’accueil et l’obligation de ses derniers sur lui, mais aussi, la chaleur dans le sens de
température qu’il y sentit après avoir gouté à l’amertume du froid parisien « Transi de
froid, il arriva aux grands boulevards. Il prit le métro et rentra. La maison des Brigauds
lui parut un refuge céleste. »68. Or, la chaleur de cet espace ne peut dépasser celle de
l’espace natal. Il y a donc toujours quelque chose qui empêche l’intégration dans ce milieu.
Au sein de cet espace familial, la rêverie à la terre natale à sa chaleur à la fois ressentie par
le corps et par le cœur ne se rompe pas, En effet, rêver de la maison natale est participer à
cette « chaleur »69 à cette « matière bien tempérée du paradis matériel » c’est un élément
substituant qui vise à renforcer le lien avec les origines de l’être humain. De là, il peut être
conclu que cette maison représente le suppléant du ‘chez soi’ du héros.

1.2.2.2.3. Le lycée d’Anonon-Les-Bains

Un lieu où le protagoniste réalise non sans amertume son immense retard et celui de sa
race, un lieu où ses rêves se détruisent et construisent à tour de rôle. Il se retrouve élève
dans une classe entouré d’élèves moins âgés que lui non pas par des années mais par des
siècles. Ce retard est dû à un décalage dans l’enseignement entre la métropole et les
colonies (voir Chapitre II, partie: L’école coloniale au cœur de l’image canonisée de
l’intellectuel noir) L’incompatibilité de ses conceptions fera obstacle à bon nombre
d’objectifs, d’ailleurs, une pluralité de concepts de langue française n’existent pas pour lui,
il ne les saisira que lorsqu’il les aura vécu réellement. « L’abandon », un mot qui prendra
forme lors des vacances passées en solitaire au lycée d’Anonon –Les-Bains : « […] il se
souvint que ce vide inerte qui ouvrait sa gueule sinistre n’était rien d’autre qu’un abandon
passager. Un abandon … Ah ! Maintenant il comprenait le sens de ce mot… »70 Ce lycée
sera donc un espace d’initiation au travail et à la volonté de réussir, mais aussi, un espace

67
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 99

68
Idem, p. 101
69
Bachelard, B. (1961). La poétique de l’espace. Paris, PUF, (3ème éd).

70
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 120
31
d’écroulement du mythe de la sympathie absolue des français, car nonobstant l’extrême
bienveillance dont les élèves et professeurs et administrateurs ont fait preuve, Kocoumbo
prit la décision d’abandonner les études à cause d’un surveillant. Là, il s’agit d’un divorce
forcé du lycée dans son image de tuteur qui l’aidait à grimper les marches de la réussite.

1.2.2.2.4. Rues de Paris

Il est temps d’aborder ce tissu descriptif pour lequel opte Loba dans ce roman. Ce qui
serait utile à ce propos, est d’évoquer cet « effet du réel » dont parle Roland Barthes en
abordant l’espace topographique, en addition à cela, vient la signification de cet espace en
tant qu’élément sémiotique

Certaines rues de Paris peuvent prendre un aspect monotone et ordinaire pour un


parisien habitué, un nègre quant à lui, habitué aux couleurs ocre, au soleil torride, aura,
naturellement, l’œil en effervescence en voyant le génie architectural européen. Kocoumbo
ne sera pas un cas particulier, à l’instar de la majorité des personnages du roman africain
francophone, le premier contact avec la France, ou le Paris effectif ne sera pas sans effet,
ainsi, l’Eldorado qu’on se figure chez soi sous sa natte prend des dimensions réelles mais
avec une consistance dépassant à une infinité de niveaux. Le rêve prend le gout de la
réalité, alors le nègre se fait tout petit devant la métropole. D’abord, les avenues luxueuses
et les Champs-Elysées que « Si le paradis existe, il ne [les] dépassera pas en beauté. »71,
ensuite étaient les maisons, si hautes pour un habitué de l’horizontalité du village de
Kouamo qu’elles « découpaient une partie du ciel »72 . Ici, c’est la verticalité de l’image
externe de la ville, ce dont parle Bachelard en évoquant une « hauteur extérieure »73. La
place de la République, et sa statue, portent une signification profonde, cette statut, est le
symbole de la révolution française, un changement de l’état des choses à l’aide d’une
volonté stoïque, pour un étudiant qui se débat pour réussir, c’est un booste pour
réactualiser sa volonté. Elle est aussi porteuse des valeurs de la république ‘légalité entre
les hommes’. D’autres rues, dessinent le Paris sombre où les rêves crèvent, où le sous vaut
tout, où la misère prend de l’ampleur dans un froid, où la perversité des mœurs se fait

71
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 255
72
Idem, p. 100
73
« Les édifices n’ont à la ville qu’une hauteur extérieure » (Bachelard, idem) pour une ‘topoanalyse’ du
dedans et du dehors, en ville, s’antagonisent la verticalité du dehors, et l’horizontalité du dedans.
32
sentir, en particulier ce fut la rue Saint-Denis qui épouvanta le héros avec les défilés de
prostituées et l’agitation des ‘manœuvres au visage maigre’ et particulièrement la saleté de
l’endroit. Après ce fut la rencontre avec le quartier latin, où se rassemble bon nombre
d’étudiants, d’immigrés, de miséreux. Un spectacle écœurant pour Kocoumbo, le bon noir
qui n’a pas perdu ses valeurs.

1.2.2.2.5. Le Quartier Latin

Ce quartier est l’un des principaux éléments qui viennent souiller le Paris à l’allure
immaculée, il contribue à former les structures de la déception du jeune étudiant envers ce
monde qui l’enchantait autrefois. Ce quartier est ici personnifié, on lui a attribué des
actions des mobilités

« Le Quartier Latin en marche passe et repasse, dévisage le


sexe opposé comme pour chercher à en classer chaque
individu, stoppe devant les librairies dans le dessein de
surveiller du coin de l’œil le spectacle si hétérogène qui est
le sien, laisse tomber quelques phrases machinales à
l’adresse de connaissances croisées et s’écoule, glissant
entre les chaises des terrasses de cafés. Au dessus, la
mosaïque des consommateurs, des mains gesticulent, se
serrent, tracent dans l’air des lignes parlantes aussitôt
effacées. » 74

Le spectacle dont on parle dans ce passage n’est rien d’autre qu’une présence dans le
même endroit d’un ‘groupe de jeunes noirs’ qui dansaient, ‘quelques chinois’ au rythme
’asiatique’, un ‘arabe’, et un ‘indien en babouches orange et costume gris perle’ et un
tumulte d’étudiants miséreux. C’est l’espace de la vérité la plus crue, la vérité de la misère,
mais aussi de ‘l’escroquerie entre frères de la même race’ :

« la plupart des jeunes noirs de France, reprit-il, ne


manquaient pas d’argent, mais tout allait dans les frais de
costumes. Ils voulaient tous se faire passer pour des princes
africains aux yeux des filles qu’ils courtisaient. […]
s’habillant avec leur argent, ils se faisaient nourrir par les
naïfs. »75

74
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, pp. 161-162

75
Idem, p. 180
33
Une prise de conscience de l’état des africains en France est lié au Quartier Latin, la race
noire s’y met donc en spectacle sous une forme répugnante. L’image de celle-ci dérange
foncièrement l’idéalisme vertueux du héros, car selon lui :

« Un étranger porte en lui son pays entier, sa race entière,


avec ses tares, ses défauts, ses vertus […] Je suis africain,
tout mon comportement met en cause l’Afrique entière.[…]
je ne sentais rien de commun avec ces voyous et pourtant il
me semblait que c’était moi qui me dégradais en public […]
Quelle horreur ! C’était vrai, cette dégradation… »76.

1.2.2.2.6. L’appartement de Durandeau

Pour le protagoniste, ce lieu est la personnification de toutes ses ambitions d’un jeune
étudiant, c’était « la petite garçonnière […] confortable et élégante »77 . Tout ce qui est lié
à Durandeau, allèche les petites gens que sont ses compagnons. Dès le départ d’Afrique, il
se fit remarqué. L’écrivain tarde sur une description minutieuse de ce dernier :

« Il portait avec élégance un complet bleu marine qui venait


tout droit de Paris. Une gabardine pendait à son avant-bras
gauche et se balançait avec désinvolture au moindre de ses
gestes. Il parlait plus que les autres et s’écoutait parler. De
temps à autre il croisait les mains derrière son dos, puis
dégageait sa dextre, la soulever avec gravité pour faire
glisser la manche de sa chemise de soie blanche, et une
montre au clinquant tapageur apparaissait. Il y jetait un coup
d’œil, puis reprenait sa marche pour s’arrêter parfois et
bloquer ainsi tout le groupe qui cessait sa navette d’un arrêt
machinal. C’était un évolué très au fait des subtilités sociales
européennes, très fier de marcher sur les talons des français
dans ce domaine et de rien porter sur sa personne, pas même
son stylo, qui ne vint directement de Paris » 78

Cette image de Durandeau anime les esprits des jeunes, parce que ce dernier n’est pas
comme eux, il est déjà, chez lui, en allure, plus français 79 que certains colons. Son aspect
vestimentaire traduit un confort économique et sa posture et sa gestuelle disent son statut

76
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 203

77
Idem, p. 134

78
Ibid, pp. 41-42
79
Par ‘français’ ici nous entendons une image stéréotypée du français développée par différents médias et
catalogues ainsi que par les récits d’émigrés, qui ne représentent qu’une certaine classe de la société française
34
au sein de ses compatriotes. L’appartement de ce dernier se situe au quartier bourgeois
Saint-Germain-des-Prés, dans un immeuble à ascenseur, un nouvel espace découvert par
Kocoumbo ‘ une petite boite’. D’une part, un appartement de luxe qui représentait à
merveille l’image mythique de l’Europe moderne : « […] les murs si bien peints, le petit
poste de radio, le cabinet de toilette. Tout portait la marque du confort qu’il avait imaginé
en Afrique ; tout était européen. »80

D’autre part, il y a la promesse d’un monde meilleur, de bonnes notes surtout, qui est
véhiculée par le duo Durandeau/ appartement. C’était un privilège inouï d’avoir Durandeau
comme tuteur :

« Kocoumbo ne doutai plus de sa chance : Durandeau allait


l’instruire, le former, lui apprendre encore mille choses que
son sourire énigmatique ne révélait pas. Durandeau allait lui
faire connaitre des secrets dont ses études ne l’avaient pas
encore avisé ; il devancerait probablement ses camarades
d’Anonon-les-Bains, une fois sorti des mains de ce
maitre… »81

Là, nous remarquons le mot ‘maitre’, Durandeau s’élève au rang d’un maitre plus qu’un
compatriote, son appartement est donc un lieu d’apprentissage, un lieu de savoirs, lui qui
est si brillant dans ses études. Nous déduisons ainsi la communion et l’homogénéité de cet
espace avec la quête du héros ; contrairement à d’autres espaces où le protagoniste a vu ses
espoirs choir, ici en apprenant l’arsenal de succès à ce personnage, il se dit ‘L’Afrique était
relevée d’un coup !’, c’est le donc souci de relever l’Afrique, mais aussi, de se relever lui-
même. Cela dit, la symbolique de cet endroit se mue, les promesses de Durandeau qui ne
sont toujours pas tenues, et la découvertes des mensonges de ce dernier, font de
l’appartement un endroit à fuir puisqu’il traduit l’imposture du faux intellectuel/ faux frère,
un endroit qui n’est pas solide, fiable, parce qu’en lui-même, il est sorti des constituant de
la figure de l’intellectuel réussi d’autrefois, puisqu’il s’est avéré ne pas lui appartenir. Ce
modèle auquel l’étudiant noir se référait en matière de savoirs et d’intelligence, va en
dérive, et sa chute, lève une deuxième fois le voile sur la réalité amère de la condition
noire :

80
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 139

81
Idem, p. 135
35
« Depuis qu’il était en France, il recherchait toujours un
modèle idéal pour pouvoir y calquer sa conduite […]
Durandeau était à ses yeux le modèle des hommes noirs ; il
personnifiait l’Afrique en croissance. Aussi était-ce bien
plus une déception qu’il éprouvait à voir son héros renversé :
c’était une vraie dépossession de lui-même, la mort de ses
illusions. »82

Cela est en quelque sorte, le détachement du migrant du monde, une errance douloureuse
et absurde, puisque l’ancre qui l’y maintenait n’est plus. Cela entraine le sujet, sur le plan
psychologique, à un engourdissement des sens, des capacités de cognition et de réaction.

1.2.2.2.7. La chambre parisienne

De prime abord, un nom tel que ‘Cité des étudiants d’Afrique noire’ peut symboliser :
une élite estudiantine qui s’adonne au travail sans relâche, mais aussi un intérêt commun
aux étudiants d’Afrique noire qui est de relever leur terre et partager ce qu’ils apprennent
avec leur compatriotes une fois retourné chez eux. Il peut insuffler l’odeur du changement,
du soulèvement et de la modernité en voie d’accomplissement. Mais en fait, la réalité de
cet endroit ne correspond nullement aux hypothèses émises, c’est un « village exotique au
cœur de Paris »83. A la page 207, figure la cité loin des artifices langagiers :

« Dès le palier du rez-de-chaussée, le bruit l’assaillit comme


grêle. Ceux qu’il rencontra dans l’escalier déployaient un
zèle étonnant à se déplacer dans l’immeuble. […] Des
tourne-disques braillaient derrière bon nombre de portes sans
réussir à étouffer les clabaudages des hommes, les
criailleries des femmes et les pleurs des enfants. Chaque
étage possédait son clan d’oisifs qui prenaient le pallier pour
un salon où l’on clabaude, où l’on danse parfois et où l’on
s’agite beaucoup. »

La verticalité de la construction donne une impression d’entassement, avec le nombre


important d’habitants, et la mouvance constante de ceux-ci. La chambre, qui est d’habitude
un espace relativement intime et étroit, avec une fenêtre et une porte, connait une explosion
de frontières dans cette cité, ce qui engendre une annihilation de l’intimité. Cela se
manifeste aussi au niveau des escaliers qui constituent un endroit commun et aussi intime

82
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 209

83
Idem, p. 228
36
que les chambres aux murs -sonores et aux portes qui ne se ferment pas. La misère des
étudiants noirs dans cet espace prend de l’ampleur. C’est un lieu de faim, de
désenchantement. Un lieu dont les habitants « ne peuvent guère évoluer, car si des
influences extérieures pénètrent tout de même par les fissures, leur apport ne réussit qu’à y
rendre la manière de vivre et de penser plus baroque. »84

Après avoir gouté la misère en toute couleur il finit dans une chambre qui est pour lui
une descente aux enfers85, elle confirme les propos suivants : « A Paris, il n’y a pas de
maisons. Dans des boites superposées vivent les habitants de la grand’ville »86, c’est une
boite au sixième étage, étroite « c’est tout juste si l’on pouvait contourner le lit appuyé
contre la paroi ! »87, poussiéreuse, et mal éclairée. Son étroitesse même, semble la cause
derrière la germination de pensées claires qui ont illuminé la tête l’étudiant noir. Ce lieu
correspond à une revitalisation et la réactualisation de la volonté estudiantine. Il est le
berceau de ses nuits de révision sans sommeil. Mais cette même chambre qui lui a inspiré
une ‘énergie mystérieuse’, lui inspire désormais le dégout : « il ne pense déjà plus qu’a fuir
cette chambre où sont morts son espoir et sa force […] fuir, fuir, fuir… »88

Il constitue avec la partie de la chambre de bonne, un épisode d’engouffrement,


ralentissant ainsi la quête principale, puisque les conditions de vie y sont peu favorables à
l’étude ; un ventre qui gargouille et des oreilles qui ne chôment pas constituent un
immense obstacle dans l’acheminement vers l’objectif visé par Kocoumbo.

1.2.2.2.8. L’usine

L’usine, symbole de modernité, est un immense espace qui contient une masse
importante d’ouvriers comme le cas Kocoumbo. Celui-ci se tourne vers ce travail qui est
un symbole de sécurité économique afin d’arrondir, tant bien que mal, ses fins de mois.

84
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 228
85
Treiber, N.(2013) L’élève migrant africain au tournant des indépendances : Structures littéraires de
l’expérience coloniale, éd Musée national de l'histoire de l'immigration, adresse URL :
http://journals.openedition.org/hommesmigrations/1721

86
Bachelard, G. La poétique de l’espace, op. cit, p. 27
87
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op cit, p. 235

88
Idem, p. 246
37
Mais aussi, il est élément adjuvant à sa volonté de réussir son bac dans la mesure où
l’argent qu’il y gagne, puisse payer le loyer et retarder le retour vers son pays. Donc même
s’il partage cet espace avec les prolétaires, il reste en désharmonie, et sur le coup étranger.
Etranger par sa couleur, par ses origines, par ses préoccupations, par ses principes. Il est
hétérogène à ce milieu du bas monde français, d’infortunés qui chantent la paix en voulant
le chaos des classes sociales. Là, le protagoniste est initié aux idéologies marxiste et
capitaliste par Denise, une collègue et amie à lui, mais ce dernier n’est pas charmé par le
communisme, cela dit, être renseigné sur l’état des choses dans cet endroit différent de tout
ce qu’il avait vu, accroit sa déception de la civilisation vers le paroxysme :

« […] le communisme, c’est l’expression de la fatalité, du


malheur qui plane sur l’Européen. L’Européen si grand, si
admirable est voué à un sort terrifiant qui remplit Kocoumbo
de pitié et de crainte. Il n’est plus aussi sur que la civilisation
européenne qu’il admire tant soit un bien. »89

En sa qualité d’étudiant qui s’est sacrifié pour améliorer le sort de ses compatriotes, il
s’empêche de se laisser entrainer par des idéologies qui ne concernent pas sa quête à lui :
les études. Cet espace constitue un contraste réel avec ses convictions, par exemple, Pour
Denise, sa collègue acharnée de communisme, « la machine était la source de la misère du
peuple, la raison de son esclavage […]» pour lui : « […] la délivrance se trouvait dans la
machine même, dans les gigantesques usines qu’il espérait bien voir surgir sur le sol
africain. »90

89
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 272
90
Idem, pp. 278-279

38
1.2.2.2.9. La malle

Une malle fabriquée par Oudjo : « à l’aide de lamelles de zinc, de tôles et de planches
souples »91, c’est le seul objet qui suit le protagoniste là où il va. Elle est tout ce qu’il lui
reste de tangible de sa terre natale, grotesque et pesante mais utilitaire. Celle-ci est
jalousement gardée par le ‘broussard soupçonneux’ qu’est le héros : « […] décrocha de
son slip une petite chaine au bout de laquelle était ficelé un bouchon de liège […] sortit du
bouchon creux deux petites clefs C’étaient les clefs de sa malle. »92. Ailleurs, la malle
comme ayant la fonction de coffre, renferme d’une part une dimension du secret, de
l’intime93, d’autre part, elle enveloppe la métaphore du sacré, dedans, mis à part les effets,
le jeune migrant y a mit un livre de Victor Hugo ; Oceano Nox « couvert d’un papier
d’emballage très propre. »94. D’un autre coté, il portait dans sa malle un petit sac dans
lequel il portait de la terre de son village là où il mettait les rognures de ses ongles : « Cette
terre devait l’accompagner partout. Il aurait commis le plus grand sacrilège en la
négligeant car elle incarnait la grandeur de son village et la pensée de ses vénérables
héros […] » 95

A la page 78, la malle se transforme une arme pour se défendre. Face à Marseille ville à
laquelle il ne faut pas se fier, le héros porte sa malle sur son dos et « […] prêt à jeter sa
lourde malle sur quiconque l’aborderait. » . Poursuivons. Cet objet, destiné à transporter
d’autres objets, peut prendre également le sens d’un refuge, d’un sanctuaire où l’exilé se
cache quand il se trouve démuni de tout effort de combattre, comme c’est le cas avec le
protagoniste. En parlant du concerné le narrateur émet : « Mais Jacques connaissait son
ami. Il savait que celui-ci, lorsqu’il ne pouvait plus, ne s’asseyait jamais sur une chaise
mais sur sa malle » il s’agit d’une mutation dans la fonction de la malle, elle devient dans
les moments de tension une chaise, la chaise est essentiellement un objet sur lequel on se
tient pour se reposer, mais outre cela, d’autres types de chaises existent, à savoir la chaise
roulante, donc, une chaise qui se déplace. Par extension, s’assoir sur la malle peut exprimer

91
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 35

92
Idem, p. 65
93
Bachelard dans La poétique de l’espace aborde une dialectique du dedans et du dehors, pour le coffre, il
attribue une valeur d’intimité.

94
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 65
95
Idem, p. 128
39
un désir sous-jacent de se déplacer, pas n’importe où, mais vers la terre natale, puisque,
comme nous l’avons démontré, elle constitue ‘un morceau de la terre’ elle porte le
souvenir des racines.

La malle, apparait vers la fin du roman, à la page 286, avec l’approche du retour de
‘l’élève’ devenu ‘intellectuel’ vers son pays, cette présence de l’objet « d’allure
antique »96 ouvert devant lui, est accompagnée de toutes les senteurs de l’Afrique
accentuées par la nostalgie et la palpitation due à l’approche des retrouvailles.

***

Pour une vue d’ensemble de cette partie, nous attribuons comme cause à la déception,
une rencontre avec un monde dont on faisait des représentations surréelles et utopiques.
L’espace est donc en correspondance directe les autres éléments qui érigent ce récit.

96
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 286
40
Chapitre 2 : une hymne à l’intellectuel africain
migrant

41
2.1. Pour une identité d’intellectuel

Le parcours de l’étudiant africain en France, alias, futur intellectuel par nécessité, est
retracé en parallèle avec le processus de la construction de son identité-mosaïque. De
l’identité raciale, et sociale, vers l’identité d’intellectuel en passant par l’identité culturelle,
le personnage est surtout le produit de la rencontre de deux mondes foncièrement
conflictuels. Loba trace ici le chemin de son héros avec une forte consistance en réalisme,
tout en donnant à ce statut d’intellectuel tout le crédit qui lui est du. Ce réalisme dont nous
parlons puise dans l’époque de l’après-guerre, une étape d’effervescence pour ce qui est du
flux migratoire estudiantin en France métropolitaine en provenance d’Afrique noire, en
l’occurrence, la Cote d’Ivoire pays d’origine de notre écrivain qui a lui-même vécu cette
expérience non sans effets bouleversants. Il prend donc cette thématique pour son premier
roman Kocoumbo l’étudiant noir.

Pourquoi parler d’identité ? Et laquelle ? C’est un concept étroitement lié au contexte de


la modernité, de l’individualisation, la subjectivation. La construction de celui-ci procède
d’une invention de soi. Selon Magali Fourgnaud enseignant-chercheur à l’Université
Bordeaux Montaigne, les périodes de troubles politiques et sociaux, déclencheraient chez
l’individu : « une interrogation sur son passé et sur son avenir, sur ce qui définit sa
personnalité, sur la manière dont il se situe par rapport aux autres, en somme, un
questionnement existentiel et identitaire. »97 Autrement dit, ces dits « troubles »
provoquent une réévaluation de soi et de l’autre, et surtout, une réévaluation de ses
croyances. Dans ce roman, avec les frémissements des mouvements des jeunes d’Afrique,
vient une autre croyance, la figure héroïque de l’intellectuel qui remplace les croyances
ancestrales, qui est envoyé en France pour mettre la main sur les savoirs de l’homme
Blanc. Son identité est marquée par la pluralité dans l’espace et dans les mondes
conceptuels, livrant l’intellectuel africain à une identité, sans nul doute, de synthèse. Dans
ce travail, il s’agit de mettre la lumière : sur la contribution de cette identité d’individualité
héroïque dans la construction d’une identité noire à part entière, mais aussi, sur cette
littérature et la manière avec laquelle elle pense cette identité même. Pour ce faire, un
détour par certains éléments semble nécessaire. Le premier consiste en un tableau
descriptif et analytique de la figure de l’intellectuel avec ses deux faces, et ici nous avons

97
Fourgnaud, M. (2017). Pour une approche littéraire de l’identité, in Fictions de l’identité, Essais,
Bordeaux : Université Bordeaux Montaigne, (n°2).
42
opté pour les deux afin de montrer l’intérêt derrière l’existence du personnage/faux-
intellectuel Durandeau; c'est-à-dire, le lien avec la vocation pragmatique de ce récit. En
passant par cette étude, le lien sera établi entre le « texte » et le « con-texte » de cette
épopée de l’intellectuel africain migrant.

2.1.1. L’image de l’intellectuel et du faux-intellectuel

Si Loba s’évertue à peindre le milieu intellectuel des jeunes africains, sur le premier
plan, il s’efforce à ériger le tableau; il peint le revers de l’image stéréotypée justement pour
montrer son incapacité à rendre compte de la réalité des choses. Expliquons ; dans ce
roman, il est souvent connoté à travers des scènes montrant le nègre indétachable du canon
communément admis. Kocoumbo est intimidé par une question d’un garçon qui se
demandait : « […] si chez vous, vous vivez sur les arbres ! »98 cela démontre à quel point
est incrustée l’idéologie de la mission civilisatrice à laquelle André-Patient Bokiba
attribue : « […] un ensemble structuré d’images, de représentations, de mythes qui
déterminent certains types de comportement […] »99, donc nous trouvons cette écriture de
l’intellectuel africain se situant comme dispositif correcteur d’une imagerie d’Epinal100,
d’où il sera question d’une représentation d’une multiplicité de figues de personnages noirs
avec une diversité de caractères. Sur le deuxième plan, l’écrivain ivoirien ne se passe pas
d’ériger à l’égard du noir lui-même, une image positive de l’intellectuel en migration, en le
baptisant héros de ses temps.

Sur ces propos qui nous servent de toile de fond, nous aborderons le vif du sujet avec les
deux formes antagonistes de l’image de l’intellectuel africain en France, ses caractères
oscillent entre négatifs ou positifs selon le parcours du personnage. Pour étudier cette
représentation d’une figure importante de la modernité africaine, il va falloir aborder les
reliefs de la formation de l’être du personnage en question ; les facteurs qui, selon le tissu
narratif, font de son image ce qu’elle est. En premier, il faut signaler que le personnage
intellectuel africain est issu d’un milieu de colonisation, donc, en confrontation avec une

98
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p.133
99
Bokiba, A-P. (1998) Ecriture et identité dans la littérature africaine. Paris : L’Harmattan, p. 155

100
Idem
43
existence étrangère sur sa terre. Un noir, ayant des principes d’enracinement très subtils
(voir Chapitre I), sera troublé et déboussolé par la remise en question de son identité, de sa
valeur, il est relégué au rang inférieur de la bête, du sauvage qu’on doit civiliser101. Ce
drame dont parle Césaire « […] a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste
du monde, que la manière dont ce contact a été opéré. »102 Par ‘manière’ est voulue la
politique de la France impériale, qui, par sa seule présence, constitue une rupture dans
l’existence de l’homme noir. Franz Fanon, psychiatre, affirme qu’ :

« En Europe et dans tous les pays dits civilisés ou


civilisateurs, la famille est un morceau de nation. L’enfant
qui sort du milieu parental retrouve les mêmes lois, les
mêmes principes, les mêmes valeurs. Un enfant normal
ayant grandi dans une famille normale sera un homme
normal. Il n’ya pas de disproportion entre la vie familiale et
la vie nationale […] nous constatons l’inverse chez l’homme
de couleur. Un enfant noir normal, ayant grandi au sein
d’une famille normale, s’anormalisera au moindre contact
avec le monde blanc […] »103

Ce contact, débute dans le parcours de l’intellectuel noir dès l’école primaire coloniale.
Cette dernière étant la base de la construction, est lieu de réception de nouvelles valeurs
avec le contact de l’Autre éventuellement civilisé et dominant. L’imaginaire du petit
écolier est forgé et bourré d’images élogieuses de la France de l’égalité, la prospérité, les
sciences, les lumières… Elle constitue ainsi, un déchirement avec le milieu traditionnel.
D’un autre côté, ses méthodes et pratiques, différentes à plusieurs niveaux de l’éducation
familiale africaine, constituent un sujet d’étonnement aux apprenants. Dans ce roman, les
futurs étudiants en cale s’entretiennent à ce propos:

« - A l’école, répliqua le trapu, on nous dit qu’il faut, pour


qu’une plante pousse, remuer profondément la terre, la
creuser, la bourrer de fumier, nettoyer souvent le terrain en
enlevant les mauvaises herbes […] J’ai essayé, un soir, après

101
Procédé de légitimation des actes exercés par le Blanc dans sa mission pseudo-civilisatrice, couvre une
barbarie de cupidité économique et politique. La France, métropolitaine fut connue par une politique
d’effacement, cela rappelle la fameuse phrase de l’école coloniale « nos ancêtres les gaulois » qui vise la
dissolution de l’identité et la fortification du sentiment de dépendance et de servitude envers le maitre
civilisé.
102
Césaire, A. (1950). Discours sur le colonialisme, Paris : Présence Africaine.
103
Fanon, F. (2015). Peau Noire Masques Blancs. Béjaia : Talantikit, p. 162-164
44
l’école, de planter dans notre champ comme on nous l’avait
enseigné : tout ce que j’ai semé est mort. »104

Ces propos témoignent de l’étrangeté pour l’écolier avec ce qui lui est habituel et
familier. Les futurs étudiants dans ce roman, traitent de ‘fariboles’ les choses que les
blancs leur enseignent et qu’ils ne comprennent pas. Les plus grands, quant à eux,
regardent cette institution d’un œil méfiant, pour Oudjo, en tant que patriarche, cette
dernière met les valeurs propres à la société africaine traditionnelle105 en péril de
dissolution ; avec les jeunes filles qui se marient de plus en plus avec des étrangers, qui
rompent à cet effet le cercle fermé de la lignée, l’école est la première sur le banc des
accusés: « Le père de Kocoumbo disait que cette façon empressée qu’avaient les jeunes
filles auprès des étrangers venait d’une mentalité nouvelle née des écoles. »106

Ces quelques exemples montrent la segmentation dans la continuité imperturbable de la


vie en Afrique noire. Somme toute, les lianes qui joignent l’individu à sa terre sont
ébranlées et dissoutes, le laissant flotter nulle part puisqu’il ne sera jamais considéré
comme un français.

« pour transformer les peuples primitifs de nos


colonies […] c’est de prendre l’indigène dès l’enfance,
d’obtenir de lui qu’il nous fréquente assidûment et qu’il
subisse nos habitudes intellectuelles et morales pendant
plusieurs années de suite, en un mot, de lui ouvrir des écoles
où son esprit se forme à nos intentions. »107

L’indigène comme l’affirme Georges Hardy lui est permis d’être écolier dans la seule
mesure où il en résulte un subordonné. C’est une politique ayant pour but une instruction
conditionnée de l’élève ; là réside le bémol, l’école véhicule des valeurs factices à vision
idéologique, à savoir, faire de l’écolier un futur annexe aux autorités coloniales ; Mais ce
n’est pas tout, cette institution n’était accessible qu’à une élite de l’hiérarchie sociale

104
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 48-49
105
Nous avons consacré une grande partie du premier chapitre justement à la question des valeurs de la
société africaine traditionnelle.

106
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 19
107
Hardy, G. (2005). Une conquête morale – l’enseignement en AOF, Paris : L’Harmattan, pp. 6-7.

45
africaine108. L’on notera dans Kocoumbo l’étudiant noir, la présence d’un échantillon très
significatif de diplômés de l’école primaire supérieure en partance vers la France :
Kocoumbo fils de patriarche, Nadan travaille en bureau en ville, Joseph Mou futur
séminariste, et enfin Durandeau fils de famille aisée. Pour mener à bien cet exposé de
l’image de l’intellectuel, le point focal sera mis sur le premier et dernier personnage, qui
sont une antithèse l’un pour l’autre.

2.1.1.1. Un personnage déraciné :

Revenons vers les propos de Fanon. Par s’anormaliser, celui-ci vise une série de
comportements à caractère ‘anormal’ et ‘pathologique’. Le lecteur de Kocoumbo l’étudiant
noir sera dès les premières pages attiré par les comportements du personnage Durandeau,
nous aurons l’image du noir se croyant supérieur à ses frères de race, un sentiment
résultant d’une proximité du blanc, par un effort d’imitation. Celui-ci est un évolué109 qui
se disait plus européen qu’africain110.cela se manifeste par ce désir de se modeler, de se
modifier, de se transformer allant jusqu’au point de se faire appeler autrement, à l’origine
nommé Koukoto, Durandeau n’accepte pas, selon lui c’est :

«[…] un nom de sauvage. Ce n’étaient que les sauvages qui


admettaient les K, les K qui font claquer les mâchoires
comme celles d’un crocodile affamé. On savait que le
français admettait rarement les K. Durandeau n’était pas un
primitif pour conserver un nom rude qui vous tracassait le
tympan. »111

Ce personnage correspond à tout ce qui a de l’attrait pour les autres jeunes africains, cela
est justement l’idolâtrie de l’apparence qui est en jeu.

Cet effort d’imitation revient dans le profil du deuxième type de l’image, mais cette fois-
ci, en profondeur ; Elle se caractérise par une forme de complexe d’infériorité qui découle
d’une mise à nu de la réalité de la condition noire. Passons alors à la question épineuse de

108
Cette institution en Afrique noire regroupe à ses débuts une minorité de fils de chefs et d’interprètes Par
cela nous entendons des exemples tels que l’école des otages, et cela, sans compter de la méfiance des
indigènes à l’égard de l’école coloniale notamment avant la deuxième guerre mondiale
109
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p 41

110
Idem, p 76

111
Ibid, p. 76
46
la disparité entre les deux mondes pour l’écolier Kocoumbo. Quand celui-ci trouve
obstacle dans sa formation, le premier pense que c’est un privilège d’être diplômé de
l’école primaire supérieure. Il adopte une posture de supériorité à l’égard de ses
compatriotes, déjà par son statut social, son aspect physique et vestimentaire ‘à
l’européenne’ ‘très fier de marcher sur les talons des français’112 . La construction de soi
pour ce personnage repose sur l’effet visuel, c'est-à-dire, sur l’image.

Là, se manifeste le mythe personnel des deux types, correspondant d’un côté à une vision
individualiste, de l’autre, à une vision excluant l’individu en le dissolvant dans une visée à
profit racial. Par la mise en scène de l’intellectuel du type ‘Kocoumbo’ il est à supposer
avec insistance que même l’individualité de son identité s’offre sur l’autel est simplement
l’image de l’Afrique arriérée qui commence à se débattre pour se sortir du noir de
l’ignorance ; et ce personnage/héros du roman remplit le rôle de meneur pour ce continent
qui s’agrippe au cours de la modernité.

La réussite dans le milieu des étudiants noirs est sur un pied d’égalité pour ce qui
d’admiration, et celle-ci est incarnée par le subordonné Durandeau qui est africain, noir, et
issu d’une famille riche habitant la ville. Si l’auteur a introduit ce type de personnage, il
prend le chemin de la dénonciation en déconstruisant l’idylle (voir : Vocation pragmatique
d’une épopée moderne et prométhéisme) Dans ce roman, nous sommes témoins d’une
falsification et une remise en question de l’image canonisée de l’intellectuel, elle est
déconstruite pour laisser place à une image plus subtile et plus honnête (donc porteuse des
valeurs positives de l’africain).

La référence et le modèle sont important dans ce récit ; pour le faux-intellectuel du type


‘Durandeau’, le point de référence se stationne sur le camp du blanc. Pour l’intellectuel du
type ‘Kocoumbo’, l’image de soi même il cherche à la correspondre à l’image d’une
profession, celle d’avocat en l’occurrence, est pour ce personnage la profession de ‘toutes
les intelligences rares’ et celui qui l’exerçait ‘un pape de la science’.

112
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 41-42
47
2.1.1.2. L’identité, le père et la tradition

La position du vieux, du père, comme gardien des mœurs, comme ligament, comme
veilleur de l’identité africaine traditionnelle, titulaire d’une position hégémonique, se mue
pour enfiler les vêtements de moussaillon devant la culture, la civilisation, et le savoir
français (aux yeux du fils).

L’ancêtre comme pilier de l’idéologie patriarcale, est le modèle suivis par le père, et par
toute personne portant de vraies valeurs africaines. Le personnage principal, comme
porteur de ces valeurs, procède par sa conscience à dresser le tableau de comparaison entre
l’ancêtre africain et celui français, ce dernier se met en position d’avance. A la vue des
différents sites parisiens au génie architectural, Kocoumbo, stupéfait, émet à l’égard de
Raymond, fils des Brigauds (famille l’ayant hébergé dès son arrivée en
113
France) :« _Raymond, réellement, vos aïeux ont travaillé avec une conscience divine ! »
Ici, par le caractère concret, matériel de l’œuvre, l’aïeul français prend vie à chaque recoin
de ses traces ; à travers le travail bénéfique qu’il a fourni pour l’humanité tout entière :

« L’Européen travaille, c’est incontestable ! Il travaille pour


tout le monde, pour l’homme d’aujourd’hui comme pour
l’homme de l’avenir. Les Européens sont moins égoïstes
qu’on ne le croit. Ces hommes là ont travaillé ; aujourd’hui,
moi Kocoumbo, qui ne connait rien d’eux, j’en profite. »114

Loin des abstractions superstitieuses, ce concret met le père en question ; la tradition et


tout l’arsenal des croyances ancestrales africaines perdent leur pesanteur devant l’ancêtre
français. Ce que fournissent les ancêtres de l’africain, ne va nullement en harmonie avec le
besoin du monde moderne.

Le modèle du père est également ébranlé par cette admiration des français ; leur manière
d’être, de penser, de se comporter, de parler, enfin tout ce qui véhicule les couleurs de la
francité ; à commencer par ce « pardon, monsieur » qui ne quittait guère les bouches
françaises :

113
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 137

114
Idem, p. 93
48
« Cet homme ne l’avait pas bousculé, ne lui avait pas
marché sur les pieds, ne l’avait même pas frôlé, et il lui
demandait pardon […] Ce raffinement manifesté même à
son égard le ravit. Il s’était donc fait une fausse idée en
croyant que les français n’étaient polis qu’entre eux. Il y
avait ainsi des cas où ils respectaient des personnes autres
que celles de leur propre race »115

Cela démontre le degré de l’ouverture sur l’Autre, un sujet de fascination pour le


protagoniste, lui qui est issu d’un espace ésotérique où l’appartenance joue un rôle
primordial dans les relations. C’est aussi une : « […] société qui savait se distraire sans
cesser de se cultiver […] »116 avec des musiques suaves, des danses charmantes, des sujets
de discussion fascinants : œuvres d’Art, fusées, technologies de toute sortes…

C’est ainsi que cette permutation dans le modèle du père vers le modèle de la modernité,
du dynamisme qui va mieux aux mentalités de jeunes étudiants, donne le coup d’envoi
pour la génération des migrants noirs. Le jeune est enchanté de se distinguer du vieux, de
construire sa propre identité, d’enseigner à celui qui pour si longtemps avait été le pape du
savoir. Kocoumbo en est de même : « Si son père avait vécu, c’aurait été la première
maxime qu’il lui aurait expliquée à son retour en Afrique. Son père aurait dit alors avec
une fierté immense : « je t’avais bien dit que tu saurais un jour toute la sagesse des
Blancs »117 ce père en question, Oudjo, ne saura jamais si son projet a connu succès, ou
failli. C’est là où se nide l’autonomie et l’importance de l’intellectuel, elle provient et voit
la force sa génération de cette rupture avec le milieu traditionnel familial et filial.

L’identité traditionnelle reste donc accroupie à l’intérieur du motif de la migration


comme quête du père, et ce, au profit du groupe racial. L’intellectuel qui se sacrifie pour le
bien de sa race, reste en correspondance avec celle-ci par le lien consanguin. Cela est
justement ce qui sera abordé dans la partie qui suit, la position de l’intellectuel à l’égard de
sa race.

115
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 94
116
Idem, p. 106

117
Ibid , p. 239
49
2.1.1.3. L’intellectuel : sortir du joug du « mythe du
Nègre »

Il est facilement repérable que ce vers quoi tends le personnage principal est bel et bien
de se distinguer, de restituer son identité confisquée, car le bain des noirs à Paris, rime
souvent avec des connotations négatives. Comme spectateur de ce marché, le français ou le
Blanc en général, a tendance à généraliser en mettant tous les noirs sous la même
classification comportementale ; André-Patient Bokiba donne un caractère mythique à
cette image du nègre, il lui attribue des origines dans l’idéologie de la « mission
civilisatrice » et dans la : « paresse de l’esprit à saisir la complexité des êtres et des
choses »118 et, il affirme en citant Roland Barthes que le mythe : « prive l’objet dont il
parle de toute histoire »119 donc le nègre ne peut être plus qu’une image stéréotypée. Il
poursuit :

« La règle du mythe ignore l’exception. Cette tendance à


l’indifférenciation fonctionne à merveille ici, dans la mesure
où la prétendue intégrale ressemblance générique de tous les
Noirs sur le plan physique leur confère une sorte de psyché
collective et fonde l’impersonnalité de chaque Nègre. Le
Nègre ne saurait être un individu, il est son espèce. »

Indigné par les propos d’une française trompée par un noir ayant lancé un ‘vous êtes tous
les mêmes’, Kocoumbo :

« Vous êtes tous les mêmes ! Elle a raison, parfaitement


raison. Un étranger porte en lui son pays entier, sa race
entière, avec ses tares, ses défauts, ses vertus. On explique
son pays par ses idées, ses paroles, ses actions […] Quand je
me suis trouvé à Paris, que je voyais les Douk et les autres
faire les malins, j’avais honte sans savoir pourquoi ; je ne me
sentais rien de commun avec ces voyous et pourtant il me
semblait que c’était moi qui me dégradais en public comme
si je m’étais dédoublé, comme si j’avais triplé, comme si je
devenais une hydre à cent têtes. »

118
Bokiba, A-P. op. cit, p. 157.
119
Barthes, R. (1957). Mythologies, Paris : Seuil, p. 239.
50
C’est ce qui anime exactement la volonté derrière la construction de l’identité
d’intellectuel, elle part d’un processus d’individualisation, d’une recherche de salut dans
les études et dans la France. Cette tendance se manifeste chez le personnage principal lors
du voyage en cale vers la métropole, c’est une identité d’étudiant qu’il s’approprie : «un
plaisir délicieux lui gonfla la poitrine : il s’est mit debout, tira sa malle. Sur le dessus de
celle-ci s’étalait en gros caractères : OUDJO KOCOUMBO. Il se pencha pour ajouter à
côté : étudiant. »120 Cela démontre bien le poids des études dans la construction identitaire
évoquée précédemment, procédant ainsi d’une rupture avec l’image commune qui
prédomine pour se libérer enfin et libérer sa race.

2.2. Vocation pragmatique d’une épopée moderne et


prométhéisme

La littérature africaine doit son enfantement aux premiers romans historiques, d’une
part, nous pensons aux thématiques imprégnées d’historicité, de reprises, en l’occurrence,
de récits épiques. Cette tendance change au fil du temps, mais Le roman de Loba,
Kocoumbo l’étudiant noir en hérite quelques vestiges. D’autre part, ce que l’on reconnait
justement aux écrits à inspiration autobiographique121 de la littérature africaine, est cet
effacement du moi que l’on peut assigner à ceux de la littérature occidentale ; c’est un récit
du vécu, sans trop de lyrisme personnel, le seul excès que l’on note est peut-être la
glorification du personnage intellectuel noir. Le rôle de ce dernier à travers cet écrit,
s’avère héroïque :

« Quand je calcule que sur cent personnes, il y a cent ignares


calfeutrés dans leur brousse et leurs cases, qui rampent dans
l’ignorance comme l’escargot sous la feuille morte, quand
cette image se projette devant moi, je me répète qu’il faut un
remède, ou du moins un commencement. Puisque nous
avons la possibilité de venir nous instruire, il faut que ceux
qui commencent réussissent, non pour leur orgueil
personnel, mais pour donner l’espoir à ceux qui les suivront.
Si je repartais, je crois que je ferais du tort à mon pays. Les

120
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 69
121
Ici nous excluons par exemple L’enfant noir de Camara Laye auquel surtout Mongo Béti avait reproché
l’inscription dans le moi dans une période où le nous importait plus
51
pères diraient à leurs enfants : « Inutile d’essayer de vous
instruire, vos ainés ont échoué. »122

Là même réside la sacralisation et l’importance du rôle de l’intellectuel, voire même, le


hisser vers le rang du héros épique, ce qui figure en l’occurrence dans l’intitulé de notre
travail ; ‘vers une épopée de l’intellectuel africain migrant’, cela résume une masse de dits
et de non-dits, qui peuvent être lus à travers les multiples produits sémiotiques qui y sont
parsemés, il reste à dire que ce n’est pas cependant voulu par ces propos cloitre d’autres
perspectives d’interprétation, mais, de montrer le poids de ce personnage dans le
déroulement à la fois interne de cet écrit littéraire, mais externe aussi dans la vie effective
du continent noir. Cela est justement ce qui est exprimé dans Littérature et Politique en
Afrique, à travers le point de vue d’Umberto Eco au sujet de la vocation pragmatique de
l’écrit littéraire. Une jonction de la fiction avec la réalité, donc selon ce dernier, cette
relation binaire apporte, une ‘plus-value’ du point de vue pragmatique et cognitif. Et ce,
dans la mesure où le récit aide à comprendre le réel. Ainsi la lecture de la fiction narrative,
à cette échelle, s’achemine en faisant « […] comme si la réalité était constituée d’éléments
fictionnels » et de là, la projection du « monde imaginaire dans le monde réel »123.

Kocoumbo ayant atteint le climax de la conscience de sa responsabilité (voir la citation


ci-dessus en provenance du roman Kocoumbo l’étudiant noir), affirme que son rôle de
précurseur est consubstantiel à la renaissance de son pays, de sa race, et la France, parait
ici comme une pépinière des jeunes étudiants d’Afrique noire ; la terre d’où Prométhée a
volé le feu. Elle symbolise également la terre des divinités où Mwindo 124, un personnage
épique « civilisé et civilisateur » fait un voyage initiatique, à la fin duquel il est instruit du
bien et du mal. Dans une autre épopée, l’héroïsme peut signifier en somme : « une
idéologie du défi, une glorification de ce paradoxe qui veut que tout héros, pour se prouver
qu'il est, doive sans cesse se vouer au plus grand risque d'anéantissement »125

122
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 170
123
Malela, B, (2018). « Afrique centrale et violence symbolique dans le discours littéraire de la diaspora
afrodescendante », dans S,Jisa et B.Malela et S.Miscoiu. Littérature et politique en Afrique : approche
transdisciplinaire, Paris : Les éditions du Cerf, p. 67
124
Dans l’épopée Nyanga du Zaïre, le héros Mwindo incarne le pouvoir politique, le chef résultant d’une
métamorphose d’un héros surhumain (voir : Seydou, C. Epopée et identité : exemples africains)
125
Seydou, C. (1988). Op. cit, p. 10
52
Il s’agit dans ce roman de mettre les piliers pour une nouvelle forme de sacralisation, une
épopée moderne avec une redéfinition du héros de la race noire, et une alerte contre
l’avidité de la jeunesse noire d’une modernité faux semblante qui ne va au-delà de la
simple apparence. A ce propos, l’espace africain en cette période commence à ‘se
moderniser’ par l’adoption de mœurs européennes et négatives. En ville, par exemple :

« Tous croyaient faire preuve d’évolution, de civilisation en


s’abreuvant sans retenue de boissons si alcoolisées qu’on
aurait pu parler de mélange chimique. Coudoyer le Blanc
qu’on avait vu si longtemps seul admis auprès de cet autel
du progrès étanchait leur soif d’égalité et de revanche qui, au
début, n’avait eu aucun rapport avec la soif tout court. »126

Donc, le paysage de ce roman est aussi réaliste que fictif, le lecteur est mené par le
narrateur dans un voyage en le guidant pour distinguer le bien du mal, une réflexion
éthique sur la condition noire qui se déroule à travers le personnage principal en usant de
stratégies littéraires comme l’ironie et parfois l’humour. De plus, à cotéé de l’ancrage
pragmatique qui attribué à tout énoncé par des : « […] diéctiques qui renvoient aux
circonstances de l’énonciation, et sous forme de modalités qui indiquent les appréciations
que le locuteur porte sur les évènements qu’il relate »127. Ce se joignant à la forte
reférentialité (‘références au monde réel’128) de cette fiction; une subjectivité de l’écrivain
par une forme de dimension didactique de ce produit littéraire.

Kocoumbo est doté d’une fonction primordiale dans la trame narrative et descriptive du
récit, le vouloir et devoir-faire129 liés à celui-ci ciblent derrière lui toute une catégorie au
libellé ‘intellectuel’, se doivent d’être le nouveau slogan des jeunes africains ; vouloir
étudier et devoir construire une Afrique nouvelle et moderne au bon sens du terme. C’est à

126
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 253-254
127
Gardes-Tamine, J & Hubert, M-C. (2002). Dictionnaire de critique littéraire, Paris : Armand Colin, p. 70
128
« Dans la fiction narrative, les références au monde réel se mêlent si étroitement que, après avoir habité un
roman et en avoir confondu, ainsi qu’il convient de le faire, les éléments fantastiques et les références à la
réalité, le lecteur ne sait plus très bien où il en est. » Eco, U. (1996). Six promenades dans les bois du roman
et d’ailleurs, Paris : Grasset, p. 159. Ici, Eco met l’accent sur la fusion foncière de la réalité à la fiction
129
Selon Greimas, les modalités attribuées à un actant sont de trois types « virtualisantes (vouloir et devoir
faire), actualisantes (pouvoir et savoir-faire) et réalisantes (faire-être) » in Du sens II Essais sémiotiques, p.
94

53
la fin, la mission de l’intellectuel Kocoumbo et ses pairs ; aller en France a un objectif bien
précis : « […] pour apprendre et pour aller enseigner ensuite, donner ce qu’on nous a
donné, partager avec les autres ce qu’on a partagé avec nous. Si nous ne le faisons pas,
nous seront coupables, criminels : des traitres ! »130. Cette procédure pragmatique est
exprimée, comme nous l’avons signalé, par le vraisemblable, ce qui est proche du lecteur
de l’époque ; à la fois sur le plan identitaire, spatial, et temporel ; mais aussi, par ce que les
sémio-pragmatiques identifient comme étant : un code affectif ; partant du principe : « plus
on en sait sur un être, plus on se sent concernés par ce qu’il lui arrive. Dès lors, il suffit au
roman de nous faire pénétrer l’intériorité d’un personnage pour nous le rendre
sympathique. »131. Dans notre cas, la focalisation sur le personnage-protagoniste-
intellectuel, attache et arrache l’affection du lecteur par le taux très élevé d’informations le
concernant par rapport aux autres personnages, qui ne sont toujours pas représentée d’une
manière positive. Cela est justement ce qui justifie notre attention à la dichotomie
antithétique du vrai et faux intellectuel menée au début du chapitre ; de sa position, le
lecteur est amené à émettre un jugement à l’égard des deux personnages (affection,
sympathie, rejet, condamnation) car cela est largement lié à la présentation dont en fait le
narrateur132.

2.3. Kocoumbo l’étudiant noir tradition où modernité ?

Une question qui ne cesse de retentir tout au long de ce roman, elle est en vérité une
question d’actualité à la veille des indépendances de plusieurs colonies françaises à savoir
la Côte d’Ivoire. Aké Loba, par son expérience des études en métropole est le délégué
adéquat pour aborder la question du changement en Afrique noire ; chose faisant partie
d’une problématique transnationale et parfois, transcontinentale133. A la suite des

130
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 236

131
Jouve, V. (2001). La poétique du roman, Paris : Armand Colin (2ème éd), p. 70

132
Idée développée in Vincent Jouve, La poétique du roman, [cité précédemment], p 66

133
Transcontinentale dans la mesure des différents courants qui réunissent des noirs sénégalais comme
antillais mais encore américains.
54
mouvements nationalistes revendiquant l’identité raciale tel que la « négro-renaissance»134
aux Etats Unis d’Amérique, ou bien la Négritude en aire francophone qui en fut influencée
essentiellement via le poète Langston Hughes, Loba ne vise pas à nier complètement
l’œuvre et le mérite qu’a le blanc, ni encore moins, chanter son identité noire et la subtilité
de sa tradition ; il se situe à ce titre au milieu des deux pôles, donc, n’appartenant à aucune
idéologie précise.

Quand nous parlons de Négritude par exemple, il s’agit d’étudiants africains à Paris qui
se sont assigné la responsabilité de donner voix à tous les nègres y compris ceux de leurs
pays natals. Si nous allons plus en profondeur, la Négritude est elle-même venue d’un
souffle provenant des Etats unis d’Amérique, ainsi donc, nous remarquons que le vent du
changement pour l’Afrique vient toujours de l’ailleurs; cette entreprise demande donc une
ouverture sur l’autre monde, une rupture temporaire avec la terre et ses traditions afin de
pouvoir servir celle-là même. Kocoumbo le héros en fait de même, il voit en les
superstitions de la mentalité africaine le plus grand obstacle sur son chemin vers le savoir :

« Les Européens avaient de la chance. De naissance, ils


n’étaient pas superstitieux. Ils n’avaient pas le temps de
l’être. Comment peut-on croire n’importe quoi quand on sait
que tout phénomène a une cause ? […] les superstitions
pourrissaient la vie africaine. Tout africain qui voulait faire
quelque chose de positif devait commencer par détruire
toutes ces vieilles croyances […] Les croyances africaines,
quelle misère ! Tout venait des Dieux ; l’homme ne
cherchait pas_ n’avait même pas le droit de chercher à
comprendre. »

Donc, selon la pensée d’Aké Loba dans ce roman, Le retour vers la tradition ancestrale et
l’identité africaine traditionnelle ne résout guère les défis de la modernité. Ce n’est plus
comme le cas des premiers écrits littéraires de l’Afrique noire, ayant comme souci
d’exposer : « cette Afrique ancestrale et rayonnante »135, celui-ci tend vers une ouverture

134
Pour Lilyan Kesteloot, chercheur en littérature nègre, le but de ce courant est en principe d’« […] affirmer
la liberté pour le Nègre de s’exprimer tel qu’il est, tel qu’il a toujours été ; défendre son droit au travail, à
l’amour, à l’égalité, au respect ; assumer sa culture, son passé de souffrance, son origine africaine » in
Anthologie négro-africaine : la littérature de 1918 à 1981, Paris : Marabout, p. 21
135
Mabanckou, A. Les grandes thématiques de la littérature d’Afrique noire francophone, Chaire :Création
artistique (2015/2016), Collège de France, cours présenté le 5 avril 2016, https://www.college-de-
france.fr/site/alain-mabanckou/course-2016-04-05-14h00.htm

55
vers l’autre, le colonisateur en l’occurrence, et ce, en chassant des esprits maléfiques qui ne
cessent de faire le procès virtuel du Blanc ‘responsable du drame du continent noir’136,
donc ici, il ne s’agit plus d’aborder la confrontation Afrique/Europe, Noir/Blanc d’un point
de vue condamnateur, mais comme une prise de conscience de la réalité, une confrontation
de l’africain de couleur avec lui-même, le mettre dans la balance en face de du noir libéré
de toutes les contraintes qu’il peut être. Le héros de Loba dans ce roman, incarne cet effet,
ce qui en résulte, une situation aussi paradoxale et énigmatique que le regard envers celui
qui est, à la fois, le bourreau et le tuteur. Or, l’image du héros, que le narrateur présente,
impose au lecteur l’idée d’une subtilité du questionnement existentiel chez ce dernier, ce
qui fait que la modernité que prêche Loba dans Kocoumbo l’étudiant noir, n’est
aucunement une mutation imitatrice dans les valeurs sans une profonde réflexion sur la
condition noire, ce dont le noir a réellement besoin. Donc, à travers ce récit, la modernité
n’est pas la tentation de l’occidentalisation venue suite à certaines lois émancipatrices137,
elle n’est non plus, se croire « faire preuve d’évolution, de civilisation […] » en parlant de
la consommation de boissons alcoolisées vu que les lois n’interdisaient plus que les noirs
fréquentent bars et boites de nuit de Blancs. Ni non plus de : « Coudoyer le blanc qu’on
avait vu si longtemps seul admis auprès de cet autel du progrès […]. »138

Autre phénomène à signaler dans cette écriture qui prône l’évolution ; une étrange
absence de flash-backs, un fort ancrage dans les évènements du présent de l’histoire et
parfois de l’avenir. La marque du lien avec la terre est seule manifestée par le retour
toujours fatal. Mais là aussi, Loba manifeste la nostalgie aux chants du tam-tam, à la
dissolution de sa magie de plus en plus éminente :

« Ce tam-tam avait été pour leurs parents une puissance


intimement liée à leur existence. Aujourd’hui, il n’était plus
destiné qu’à annoncer un évènement plus ou moins digne
d’attention ; parfois, pour transmettre la gaité d’une fête ;
depuis la fin de la guerre, ce n’était plus qu’une modulation
écoutée sans panique par la jeunesse. Petit à petit, sans qu’on

136
Mabanckou parle dans son cours au Collège de France (2015/2016) (Chaire : Création artistique)d’une
période antérieure au commerce triangulaire, qui a vu d’autres formes d’exploitation et d’esclavagisme
notamment par les arabes, sans oublier la contribution des noirs mêmes dans l’expatriation de leurs frères de
race, in : L’Afrique face à son histoire :Du sanglot vers l’existentialisme noir,

137
Loi permettant aux noirs d’étudier en France, décider de leur destin, se mélanger aux blancs

138
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 253-254
56
sut au juste pourquoi, il avait perdu son importance dans les
cœurs : on osait même se l’avouer tout haut. »139

C’est ici une représentation positive de la vie africaine traditionnelle, cet appel au retour
à la terre natale s’accentue seulement vers la fin, et nullement ailleurs ; car la mission que
s’est assigné l’intellectuel ne comprend de retour que lorsqu’elle est accomplie. Seulement
après avoir passé par la terre de liberté, de cosmopolitisme de civilisation et de savoir que
l’intellectuel envisage d’aller partager ce qu’on a partagé avec lui. Le contenu de ce
partage constitue quelque chose d’étranger à l’ordinaire, du moderne par opposition au
traditionnel, et qui, réveillerait l’Afrique de son long engourdissement. Pour la question de
l’idéologie, force est de constater le refus de tout ce qui fait allusion à autre chose qu’au
travail qui serait, selon ce roman, la clé de ce réveil du continent noir. Cela est quelque part
la phrase de Vauvenargues que le héros aimait à se répéter : « Quand on veut faire de
grandes choses, il faut vivre comme si l’on ne devait jamais mourir. [Car celle-ci] avait le
don de ressusciter son ardeur au travail, sa foi en l’avenir. »140. A titre illustratif, la trame
narrative en relation avec le communisme en milieu de prolétaires, démontre pleinement
que le héros, peu tenté par les idéologies européennes, pour ne pas dire nullement, que ce
que ces prolétaires combattaient était : « […] précisément ce que le jeune homme admirait
le plus […] pour lui, la délivrance se trouvait dans la machine même, dans les
gigantesques usines qu’il espérait bien voir surgir sur le sol africain »141. Difficile de
trancher dans la question tradition/modernité ? Mais toujours est-il qu’il serait équitable de
formuler ce qui suit : La tradition n’est plus envisageable dans un monde qui impose
l’évolution technique et technologique, sans pour autant se détacher de la terre. Ce
mouvement constitue la prise du relai du pouvoir par l’intellectuel, par la jeunesse.

2.3.1. La figure du bourreau-tuteur

La conflictualité de la tâche du héros intellectuel africain migrant ne s’arrête pas au


franchissement de la frontière topographique-culturelle-politique et raciale, ni encore à la
quête héroïque et philanthropique, mais dans une autre forme de paradoxe, d’antagonisme

139
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit p. 290

140
Idem, p. 225

141
Ibid, p. 278-279
57
conceptuel, il convient de dire cela autrement et clairement ; dans l’élément adjuvant au
sujet : dire que la quête est le savoir, la science, le sujet passe inéluctablement par son
bourreau, par celui qui lui est, a priori, ennemi ou opposant -pour reprendre les termes du
schéma narratif-.par là il s’agit d’une subversion de l’ordinaire, du familier, du connu dont
la thèse affirme que le Noir et le Blanc sont d’éternels ennemis, leur passé en témoigne
bien avant la colonisation, le Blanc est bien le créateur de la malédiction qui couve sur le
Noir, il est ainsi l’auteur de l’aigre condition noire. Le premier contact direct de
Kocoumbo avec un français fut dans un train qui mène à Paris, dans une période où ce
dernier n’avait pas encore la conscience de l’ampleur de sa tache. Ce français avait parlé
d’un « problème africain » : « Vous voyez, mes amis, je m’intéresse à l’Afrique. J’aimerais
connaitre la pensée de l’Africain, savoir ce qu’il veut. Que sera l’Afrique de demain ? »142,
Au départ ce fut insaisissable : « L’Afrique était l’Afrique, et c’était tout ! Pourquoi parler
de chemin ? L’imagination des Blancs compliquait tout, décidément. »143 Mais surtout,
cette réflexion si profonde de la part d’un Blanc est loin d’être une évidence : « C’était la
première fois qu’un européen donnait tant d’importance à l’Afrique. »144Pour un jeune
africain noir colonisé, il est surprenant qu’un Blanc puisse descendre de sa tour de
perfection pour penser l’Afrique miteuse et arriérée, pour lui donner part de sa réflexion
précieuse et noble. Ce Blanc là, en fut autant et par bienveillance même :

« […] Vous qui venez ici, vous devrez aider vos


compatriotes à saisir la portée de l’évolution et surtout à
trouver et à suivre leur propre voie dans cette évolution […]
Surtout, ne croyez pas que nous sommes arrivés à notre
degré de civilisation sans de pénibles, d’interminables
tâtonnements. »145

Dans un autre cas, un personnage intéressant crible cette hypothèse de l’homme Blanc-
bourreau, avec son rôle qui le met en position médiane et modérée, loin des extrêmes

142
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 89

143
Idem, p. 90-91

144
Ibid, p. 90

145
Ibid, p. 90
58
pathologiques146. M.Gabe, un administrateur colonial au « visage bienveillant »147est
profondément apprécié au sein de la société des élèves migrants, car, les ayant aidés à
venir à bout des procédures administratives de leur voyage vers la France, peut être
substitué par une valeur d’objet magique. Selon Greimas ces objets : « […] une fois mis à
la disposition du héros ou de l’antihéros, ils les aident de différentes manières […] »148
l’aide ici consiste en ce rôle de facilitateur que prend cet adjuvant à des moments clés du
récit. La maison des Brigauds (Jeanne Brigaud, sœur de M.Gabe) dont nous avons parlé
dans le premier chapitre, a constitué l’espace clos et sécuritaire dans l’univers extra-ouvert
qui accueille Kocoumbo lorsqu’il va en France ; M.Gabe lui assure que sa sœur : « […]
t’accepte chez elle pendant le temps qu’il faudra pour te chercher une école ou une
résidence en province près du lycée. De cela, son brave mari se chargera. Tu n’as pas de
soucis à te faire […] »149. Ce monsieur est à cette échelle le garant de Kocoumbo dans son
voyage initiatique, son introducteur dans le monde nouveau qu’est la métropole. Vers la fin
de l’histoire, quand la cadence des évènements prend un goût infernal pour le protagoniste,
cela est revient vers l’action des épopées africaine et : « […] la progression paroxystique
propulsant le héros central vers l’acmé de son destin. »150 l’objectif de la quête allant en
déroute, quand l’air des évènements sens l’échec flagrant, M.Gabe vient en super héros le
tirer de l’abîme :

« Dès que tu étais dans le pétrin il fallait m’écrire, mon


petit !... j’ai le droit de t’appeler mon petit. Tu n’as pas le
droit de te méfier de moi. Si tu m’avais écrit, j’aurais fait
quelque chose. Avant tout, il faut savoir que je suis africain.
C’est pourquoi je t’appelle mon petit. Il y a quarante ans que
je suis en Afrique ! je t’ai vu naitre, j’ai vu naitre de plus
vieux que toi. J’ai tout sacrifié pour elle, pour l’Afrique ! Ma

146
A titre d’illustration, nous citons Fanon : « Pour nous, celui qui adore les nègres est aussi malade que celui
qui les exècre. » Peau noire, masques blanc, Béjaia : Talantikit. 2015, p. 7

147 ,
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit p.42

148
Algidras Julien Greimas, op. cit, p.19

149
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 42-43
150
Seydou, C. (2017), L’épopée chez les Peuls du Massina (Mali), Une approche ethnopoétique. Etudes
africaines. p. 30DOI : 10.4000/etudesafricaines.17990
59
jeunesse, ma femme, ma fortune, mon travail, enfin toute ma
vie, quoi ! »151

A la suite de l’apparition de cet élément dans le récit, le dénouement est là, Kocoumbo
atteint sa quête, ou bien la quête de son père, de l’Afrique tout entière. Il obtient son bac,
en addition à cela, plusieurs diplômes, et s’apprête au retour au pays natal pour remplir la
fonction de juge de paix. Cette figure est donc apparentée à la salvation, au salut, à la
question dilemmatique même qui résume le rôle de l’intellectuel comme porteur de l’égide.

151
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit , p. 283
60
Conclusion

61
L’analyse de l’épopée de l’étudiant africain migrant ; Kocoumbo l’étudiant noir, s’est
acheminée; d’un point de vue triadique ; valeur sémiotique du personnage Kocoumbo et de
la bi-spatialité effective et conceptuelle, et, la trajectoire régie par le besoin
d’accomplissement d’une quête. En suivant cette feuille de route tracée aux premiers pas
de cette recherche, nous avons pu dégager une construction romanesque qui s’implante
dans un contexte spécifique par un alliage d’une poétique de transgressions.

L’entrée en matière avec le premier chapitre a démontré, la transgression spatiale dans


la valeur de l’action héroïque/épique. Nous avons par ailleurs déterminé la relation
héros/espace qui constitue la pierre angulaire de l’energeia derrière cette action. Cette
dernière s’enracine dans l’immensité de la France et de Paris par rapport à la claustration
et l’ésotérisme de l’Afrique. Il arrive souvent dans le parcours du ‘héros
romanesque’/‘étudiant noir migrant’ ; que la France qui se préparait pour à l’accueillir se
transforme en un cimetière pour ses rêves. L’un des résultats est que la notion de
déception porte en elle le défi pour le protagoniste ; la transgression. Le personnage est en
dehors de sa zone de confort, loin de sa terre loin de ses traditions et du monde comme il
le connait, l’espace qui l’accueille n’est toujours pas chaleureux ; la manifestation de la
déception sera donc protéiforme ; de la simple résignation, vers l’imitation caricaturale du
Blanc, en passant par la réplique, une sorte de négritude152. De par l’étude de l’espace
parisien, nous avons été témoins d’une prise de position qui consiste en une conscience de
sa propre valeur, de sa grandeur, ou du moins, de son autonomie, en divorce avec le statut
d « aliéné », à ce sujet, le héros Kocoumbo profère d’intéressants propos à l’égard d’un
français, qui, surpris par le bon français qu’il parlait, lui demanda s’il ne parlait pas le
petit nègre :

«_Nous ne parlons ni le petit nègre ni le grand nègre ! Nous


parlons le français comme pourrait le parler tout étranger ; le
français n’est pas notre langue maternelle. Il n’y a pas plus
de petit nègre que de petit anglais ou de petit allemand ! En
face de chaque langue, il y a toujours un petit quelque chose

152
Ce mot ici n’est pas évoqué dans son sens de mouvement de pensée… mais comme : « le sentiment de
frustration éprouvé par l’homme noir dans un monde où il se sent bafoué et aliéné en raison de la couleur de
sa peau » in 152 Chevrier, J. (1989), La Littérature Nègre, Paris :Armand Colin, p. 45

62
quelque part. Depuis ce jour, sa réputation était faite : c’était
un garçon qui savait répondre. »153

En effet, par l’extrême étrangeté du monde français pour le protagoniste ; pas de


familiarité avec l’un ou l’autre des endroits, il aura à construire son propre espace avec
des fragments et débris de ce qu’il à de souvenirs et de principes de son origine en
jonction et fusion avec la modernité de la métropole. Nous avons pu déterminer, entre
autre, la relation de l’étudiant migrant à l’espace qui l’accueille en promenant trois
éléments : le noir en question, une caméra, et l’imaginaire commun qui domine la scène
de ce roman. A l’arrivée vers les portes de la cité sans accueil seule sa lourde malle à la
main, nous avons pu voir l’esprit de comparaison qui s’instaure dans l’imaginaire du
protagoniste. Au fur et à mesure que les péripéties se succèdent, nous auront un
personnage plus conscient à l’esprit plus critique, car après avoir touché les strates les
plus profondes de la réalité métropolitaine, il réalise que la ville, de par son extrême
complexité, symbolise le travail de l’homme Blanc qui construit une civilisation. Chaque
bâtisse, chaque monument est la trace d’un achèvement, et l’aboutissement vers une
œuvre concrète. Cette partie a pu démontrer une manière avec laquelle l’homme Noir
tente d’approcher l’espace urbain, et ses répercussions à l’échelle de son auto
construction. Autre point à citer ; l’espoir du retour vers la terre natale, qui reste la
demeure de l’enracinement et le fil d’Ariane. Toutefois, la construction évoquée ci-dessus
n’épargne pas l’identité, car il a été question d’une lecture critique d’une nouvelle identité
hybride.

Au niveau du deuxième chapitre, les résultats ont atteint une symbolique d’éléments
iconiques consubstantiels; Le couple intellectuel faux intellectuel, le faux intellectuel
représenté par le personnage Durandeau, il s'avère une reprise d'une existence antérieure,
même espace, c'est à dire Paris, mêmes manœuvres méphistophéliques, ne s'occupant que
de sa toilette et se faire entretenir par les femmes, c'est quelque part le personnage du
roman balzacien ou maupassien, le fameux étudiant qui quête fortune et notoriété à Paris
la berceuse de ses rêves de grandeur facile. Vu que c’est difficile d'en faire autant par soi
même, la galanterie et la séduction s'imposent comme un raccourci. Ce tableau s’est avéré
a posteriori, l'image du déracinement avec outrance qui empoisonne l'esprit des jeunes
africains par l'apparence de la facilité du succès, donc, repousser le chemin des vraies

153
Loba, A. Kocoumbo l’étudiant noir, op. cit, p. 149

63
études qui vont vraiment couler dans le chemin de la construction de l'Afrique de demain.
Ce qui ne fait que renforcer l’hypothèse d’une fonction pragmatique de ce texte littéraire et
par là, une jointure avec la vocation pragmatique de l’épopée

L’abord de l’identité de l’intellectuel a permis de déduire une autre forme de


transgression ; de l’ordre préétabli des choses. Un refus du déterminisme racial, d’une
classification fondée de l’individu sur la seule appartenance (voir Chapitre 2, Une sortie
du joug du « mythe du Nègre »). Quant à l’identité plurielle, elle s’est figurée d’une
manière sous-jacente sur le stand de l’unification du groupe autour d’un seul héros, une
fonction idéologique. Ainsi, l’interaction de l’analyse de l’espace social-topographique-
conceptuel et figuratif, du personnage et de son identité en relation avec sa quête a permis
de tirer des traits essentiels selon lesquels: la conscience de l’intellectuel comme héros
épique moderne, se révèle comme une forme d’existentialisme, une liberté de choix qui
l’accompagne durant son parcours sur la terre des savoirs. Tout le poids de sa volonté est
là, il est maître de son destin et de l’orientation du destin du continent noir. Ce voyage loin
de la terre, des traditions et des croyances superstitieuses, qui, de prime abord à l’air d’un
déracinement, s’avère plus porteur d’enracinement par le sacrifice (Voir chapitre 1) et les
valeurs de responsabilité inhérentes à l’édifice de l’étudiant Kocoumbo comme
personnage. Cela dit, l’éloignement de la tradition et sa fatalité banale semble contribuer à
la création d’une conscience moderne sans pour autant qu’elle le soit à la perversité du
terme, une conversion identitaire radicale, mais, un contacte bénéfique de l’Autre. C’est
donc dans ce roman que se joignent passé et avenir passant sous silence le présent ; le
passé, par le potentiel héroïque et surnaturel que portent les épopées africaines à travers
leurs personnages, et l’avenir, par la mise en perspective et l’ancrage dans le contexte des
besoins du Noir de demain. Force est de constater que cette querelle entre tradition et
modernité correspondrait à cette fusion au niveau des structures internes et peut-être
inconscientes que nous avons pu déceler à travers la présente étude entre épopée genre
littéraire traditionnel et le roman, genre importé ; au sein d’une vie en mouvance
perpétuelle, le traditionnel est là, à peine perceptible, mais aussi solide que le tronc d’un
baobab millénaire.

D’ailleurs nous avons pu en ressortir avec une infirmation de l’hypothèse qui nie les
traces de l’épique, l’épopée elle est là, elle se dissimule derrière un masque de réalisme et
de prétention que l’ère de l’épopée s’est éteinte. Nous irons même jusqu’au point de dire

64
que c’est une épopée moderne. Comme nous l’avons démontré précédemment, l’action
épique repose sur la transgression, celle-ci est présente avec un personnage broussard, fils
de patriarche envoyé par son père accomplir le plus noble des devoirs, vers une terre qui
lui est inconnue et parfois hostile par l’hégémonie qu’elle symbolise. Ce personnage est
confronté à des épreuves qui tendent vers l’idée de l’initiation, des épreuves et des
obstacles qui requièrent à la fois ses valeurs africaines (voir chapitre 1, Kocoumbo le héros
épique typique) et les valeurs cueillies sur son parcours dans le monde du Blanc. Donc
cette transgression de l’espace, cet enjambement des frontières de l’espace traditionnel,
ésotérique qu’il est, et non détachable d’un dépassement de soi et de ses capacités, un
prométhéisme et une quête du savoir et de civilisation au profit de toute une race et tout un
continent.

S’il est une vérité dont nous convainc ce travail, est que c’est une écriture pour le
changement, une écriture militante contre les anomalies qui se propagent chez l’homme
africain noir. Une plume qui tire le glas pour réveiller les consciences qui sont soit,
endormies, soit hypnotisées par les couleurs du bleu blanc rouge qui incitent très souvent à
porter le masque blanc sur sa peau noire pour un modernisme sans valeurs. C’est
également une écriture qui met en œuvre une palette de paramètres scripturaux qui versent
dans le traitement de la question de l’autoévaluation, de l’autocritique, une rencontre du
Noir avec lui-même. Elle cherche à travers l’amplification de l’action, un humanisme noir
visant l’inscription dans une idéologie positive par l’alliage ajusté des valeurs des deux
rives afin de générer une nouvelle existence identitaire, qui puise sa force dans
l’intellectuel, comme modèle incontournable.

Ce qui est à se demander, est si cette épopée fit son effet de ligament, si elle a réussi à
redéfinir le héros et l’identité, si l’Afrique de demain correspond aux espoirs d’hier…et le
plus important, si l’auteur Aké Loba a continué de jouer le rôle du conducteur de la troupe
à travers les crises. Pourrait-on donc prolonger, au sujet de cette écriture, la fonction
épique, idéologique et pragmatique ?

65
Bibliographie

Corpus:

Loba, A. (2015). Kocoumbo l'étudiant noir. Béjaia: Talantikit.

Œuvres littéraires:

Alem, K. (2002). Atterrissage. Paris: Ndze.

Kane, C. H. (1961). L'aventure ambigue . Paris: Julliard.

Laye, C. (1953). L'enfant noir. Paris: Plon.

Ouvrages théoriques et études:

Bachelard, G. (1961). La poétique de l'espace. Paris: PUF.

Barthes, R. (1957). Mythologies. Paris: Seuil.

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Chevrier, J. (1989). La littérature nègre. Paris: Armand Colin.

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68
Table des matières

Remerciements

INTRODUCTION…………………………………………………………………………3

CHAPITRE 1 : Au cœur de l’univers épique……………………………..…………….8

1.1. La terre ancestrale…………………………………………………………….10


1.1.1. Le partage géographique et social : communion et appartenance…10
1.1.2. Kouamo, un village patriarcal……………………………………...13
1.1.3. La valeur des ancêtres……………………………………………...16
1.1.4. Du sacrifice et de l’offrande……………………………………….18
1.1.5. Kocoumbo, le héros épique typique……………………………….20
1.1.5.1. Chants, danse et parole de tam-tam……………………….21
1.1.5.2. La dernière chasse avant le départ…………...……………21
1.1.5.3. Valeurs morales…………………………………………...22
1.2. Faire la France : un voyage initiatique loin de la terre………………………..23
1.2.1. Le départ et le trajet : émotions……………………………………24
1.2.2. La découverte de la cité……………………………………………26
1.2.2.1. Paris la ville lumière………………………………………26
1.2.2.2. De la topographie de l’urbanité:structures de la déception.28
1.2.2.2.1. Divers moyens de transport……………………29
1.2.2.2.2. La maison de Brigauds…………………………30
1.2.2.2.3. Le lycée d’Anonon-Les-Bains…………………31
1.2.2.2.4. Rues de Paris…………………………………..32
1.2.2.2.5. Le Quartier Latin……………………………… 33
1.2.2.2.6. L’appartement de Durandeau………………….34
1.2.2.2.7. La chambre parisienne…………………………36
1.2.2.2.8. L’usine………………………………………….37
1.2.2.2.9. La malle………………………………………...39

CHAPITRE 2 : Une hymne à l’intellectuel africain migrant…………………………….41

2.1. Pour une identité d’intellectuel………………………………………………42


69
2.1.1. L’image de l’intellectuel et du faux intellectuel…………………...43
2.1.1.1. Un personnage déraciné…………………………………...46
2.1.1.2. L’identité, le père et la tradition…………………………...48
2.1.1.3. Une sortie du joug du « mythe du Nègre »………………..50
2.2. Vocation pragmatique d’une épopée moderne et prométhéisme……………..51
2.3. Kocoumbo l’étudiant noir tradition ou modernité ?..........................................54
2.3.1. La figure bourreau/tuteur…………………………………………..57

CONCLUSION……………………………………………………………………………61

BIBLIOGRAPHIE……………………..………………………………………………….66

RESUMES…………………………………………………………………………………72

70
Intitulé : Kocoumbo l’étudiant noir : vers une épopée de l’intellectuel africain migrant.
Résumé : Cette recherche tente de jeter les ponts entre les symboles qui tournent autour du
personnage de l’intellectuel africain migrant en métropole, de son statut, de sa valeur et la
valeur de son action. Interroger ce parcours va mettre en exergue sa visée, non pas
défensive, mais autocritique, de cette image d’un héros moderne, une aspiration vers le
changement pour une Afrique moderne et développée. L’identité d’intellectuel à travers
cette recherche apparait comme la planche de salut dans une période de transition qu’est la
veille des indépendances, faisant ainsi la parenté de cette littérature au genre épique.
Mots clés : Littérature africaine francophone, l’intellectuel, action héroïque, épopée,
étudiant noir migrant.

Entitled: Kocoumbo the black student: about an epic of migrant African intellectual.
Abstract: Our analysis is calling upon a panoramic vision of a heroic statue. A positive
posture that is no longer defensive but a self-criticising. This awareness is the outcome of
the black African student Kocoumbo’s migration. A new identity is in a creation process. It
embraces a different vision towards the modern world, and makes the African continent in
a changing position, keeping up with the development scene. In other words, a literature
that contributes and reflects at the same time the African intellectual as the builder of
tomorrow’s Africa. This research work attempts to seek the relations between different
symbolic elements that make this character the new hero of a modern epic literature.
Key words: African francophone literature, intellectual, epic, black emigrant student
character.

‫ نحى ملحمخ المفكز اإلفزيقي المهبجز‬:‫ كىكىمجى الطبلت االسىد‬:‫العنوان‬


ّ
‫نقتزح في هذا الجحث دراسخ تهذف إلى تسليط الضىء على الزواثط ثين األدة الملحمي و األدة الزوائي‬:‫الملخص‬
,‫ الشخصيخ المزاد التطزق إليهب هي الطبلت األسىد اإلفزيقي المهبجز إلى فزنسب المتزوثىليخ‬.‫الحذيث في إفزيقيب السىداء‬
‫ استجىاة هذا المسبر األدثي يم ّكن من استخزاج‬.‫ثحكم مب تحمله هذه األخيزح من الزمىس التي تذرجهب في هذا السجل‬
‫هىيخ جذيذح أال و هي هىيخ المفكز اإلفزيقي المهبجز التي تعكس صىرح الطمىح و الميل نحى التغييز والحذاثخ للقبرح‬
‫ ظهىر هذه الشخصيخ في فتزح االستقالالد يجعلهب مؤهلخ للجطىليخ لمب تحمله من أجىثخ لألسئلخ و االحتيبجبد‬.‫السىداء‬
.‫في ظل تلك الظزوف‬.
‫ شخصيخ الطبلت األسىد المهبجز‬,‫ الملحمخ‬,‫ المف ّكز‬,‫ االدة اإلفزيقي الفزانكىفىني‬: ‫الكلمات المفتاحية‬

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