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Universitatea „Ştefan cel Mare”, Suceava

Facultatea de litere și științe ale comunicării


An universitar 2018-2019
An III, semestru I
Curs Opţional franceză : Littérature et intertextualité
Prof. dr. Elena- Brânduşa STEICIUC
Student: SAVA CRISTINA

L’intertexte des literatures


francophones

Depuis une quinzaine d’années, le terme de « littératures francophones » tend


progressivement à remplacer les autres termes comme « littératures de langue française hors de
France » ou « littératures d’expression française » pour prospecter la vie des lettres francophones dans
le monde, en optant pour un découpage géographique, comme la plupart des études sur le sujet. De
manière générale, c’est l’histoire littéraire globale qui est favorisée, sans pour autant rejeter les rares
études axées sur la dimension littéraire des textes, comme les livres de Michel Beniamino sur
l’institution littéraire francophone , de Dominique Combe sur les poétiques francophones ou de
Farid Laroussi et Christopher Miller sur les rapports entre littératures francophones et littérature
française, pour ne citer que ceux-là. C’est pourquoi l’histoire littéraire sera le critère majeur
d’organisation de ce chapitre, en ce qu’il est un des lieux principaux de rencontre entre littérature et
société, dans cette étude qui vise un panorama des littératures francophones. Ce parti pris pour
l’histoire littéraire permettra de montrer que, loin d’être des annexes régionales ou exotiques de la
littérature française, les littératures francophones en sont devenues des axes de renouvellement aussi
bien sur le plan de l’écriture que celui des méthodes critiques, en l’occurrence sur la notion d’histoire
littéraire.
La littérature francophone désigne les oeuvres de littérature en langue française. Les
littératures francophones en forment des sous-ensembles: ce sont les domaines littéraires de langue
française qui se sont développés hors des limites de l'Hexagone, dans des pays ou des régions dont ils
contribuent à forger l'identité. Les littératures francophones ont manifesté leur existence propre et leur
vitalité en même temps que s'affirmait la notion de «francophonie», c'est-à-dire surtout depuis les
années 1960 et les décolonisations. On a pris alors conscience du fait que la langue française n'était plus
la propriété exclusive des seuls Français et qu'elle pouvait dire les valeurs et les rêves des peuples les
plus divers. Les littératures francophones se sont donc constituées à partir d'interrogations identitaires.
Une littérature francophone regroupe des textes ayant en commun l'usage du français, mais
aussi de se référer, d'une manière ou d'une autre, à un pays, une région ou une communauté. Ces textes
circulent à l'intérieur des pays ou communautés concernés (ils y sont écrits, édités, diffusés, lus,
critiqués, censurés, etc.): ils construisent ainsi un espace de mots, de figures, de mythes qui permet à
une collectivité de se reconnaître et parfois de forger une conscience nationale.
Un texte appartient à une littérature francophone s'il s'insère dans sa circulation littéraire, s'il
prend place dans l'espace imaginaire qu'elle construit. Cette appartenance peut d'ailleurs être relative,

1
intermittente, quand un texte se glisse dans plusieurs espaces, entre dans plusieurs circulations
littéraires.
Soit l'exemple de la littérature francophone d'Afrique noire, qui a lentement affirmé son
indépendance par rapport à la littérature française. On peut fixer son acte de naissance à la publication,
en 1948, de l' Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française préparée par
Léopold Sédar Senghor et préfacée par Jean-Paul Sartre. Elle se développe dans les années 1950 avec la
publication de romans d'auteurs africains (Camara Laye, Cheikh Hamidou Kane, Mongo Beti,
Ferdinand Oyono...), qui sont tantôt revendicatifs et militants, tantôt simplement désireux de raconter l'
Afrique. Tous ces textes sont écrits en relation avec l'Afrique, mais ils sont publiés par des éditeurs
français et s'adressent au public de l'intelligentsia française, qui soutient les efforts de libération des
peuples colonisés.
On dira donc que, à l'époque, cet ensemble de textes africains continue de s'inscrire dans le
prolongement de la littérature française.
,, Pour ce qui est de l’Afrique et des auteurs francophones que ce continent a donnés, on assiste
à un regain d’intérêt, car assez souvent l’avant-scène littéraire leur est réservée et pour cause. Les
universitaires roumains qui s’en occupent, sans être très nombreux, réussissent à éveiller l’intérêt de
leurs étudiants, à tous les niveaux –licence, master et doctorat – soit pour l’Afrique subsaharienne, soit
pour le Maghreb, soit pour d’autres «suds », souvent assimilés à l’Afrique (les Antilles, par exemple).
Parmi eux, citons le travail du professeur Teodor Saulea à Bucarest, de Voichita Sasu à Cluj-Napoca,
de Margareta Gyurcsyk à Timisoara, de Cristina Chilea-Matei à Bacau et de Elena-Brandusa Steiciuc à
Suceava et Iasi. ‘’1
Dans la littérature francophone on peut aussi se souvenir Liliana Lazar qui est une
écrivaine roumaine née en 1972 dans la région de Moldavie. Elle écrit en français. Après une jeunesse
passée dans la grande forêt du village de Slobozia (Villefranche), dans le județ de Iași, où son père était
garde forestier, elle entre à l'Université Alexandru Ioan Cuza de Iași où elle étudie la littérature
française. Après la chute de Ceaușescu, elle quitte la Roumanie pour s'installer dans le sud de la France
où elle réside depuis. Slobozia sert de décor à son roman Terre des affranchis, paru en 2009 chez Gaïa.
Reconnue par la critique et par ses pairs illustres comme J.M.G. Le Clézio, récompensée par de
nombreux prix, Liliana Lazăr s'est installée durablement dans le paysage littéraire français. "Terre des
affranchis" (Gaïa, 2009, Lauréate 2010 du Prix des cinq continents de la francophonie, Prix Première
2010 des auditeurs de la RTBF, Prix Littéraire Québec-France Marie-Claire-Blais 2011, etc.) et
"Enfants du diable" (Seuil, 2016) sont désormais des succès de librairie.
Avec son deuxième roman, «Enfants du diable» (Ed. du Seuil, 2016), Liliana Lazar nous fait
voyager de nouveau dans le paysage imaginaire de sa Moldavie natale, et plus précisément à Prigor,
village «dont les habitations se pelotonnaient en lisière des bois». L’endroit ne doit pas être situé trop
loin de celui de Slobozia où se déroulait l’action de son premier roman, «Terre des affranchis» (Ed.
Gaïa, 2009), et cela pour au moins deux aspects qui construisent leur univers si particulier :
l’éloignement du reste du monde et son extrême porosité au merveilleux, deux éléments qui ouvrent les
portes à une narrativité qui aime jouer avec les frontières du réel et la plonge à bras ouverts dans le
territoire du fabuleux.
Les romans impressionnent par la capacité de l'écrivain à utiliser cette langue avec excellence
et par la manière dont elle réussit à traduire un univers roumain spécifique dans lequel abondent des
éléments sacrés et profanes, mythes et légendes, de personnages à forte charge symbolique. La prose
doit être ancrée dans la dure réalité de la dictature communiste, de la déshumanisation, de la peur et de
la suspicion généralisée.
Victor Luca, le personnage principal, surnommé « Bœuf muet », est la victime d’un père
violent, ancien mineur handicapé par un accident de travail, qui – après chaque saoulerie – déverse ses

1
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 9

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frustrations sur sa famille2 un nom qui prédestinerait son propriétaire à une vie auréolée de gloire et de
lumière. Paradoxalement, il est celui d’un monstre, du noir héros de Terre des affranchis, un premier
roman écrit directement en français par l’écrivain d’origine roumaine, Liliana Lazar.
Plein d’énigmes et de secrets bien gardés, donnant à lire une réalité sombre, que seulement une
frontière poreuse sépare du fantastique, Enfants du diable tisse son histoire autour de quelques grands
thèmes, dont les plus importants sont l’enfance et la maternité sous la chape de plomb de la dictature. 3
Liliana Lazar aborde ici un des thèmes les plus douloureux de cette période de l’histoire
roumaine contemporaine, celui des enfants abandonnés par des parents dépassés par la politique de
natalité forcée menée par le régime du dictateur Ceausescu. Les drames engendrés par cette politique
sont multiples et touchent d’abord à la vie des femmes réduites au rang des machines à enfanter ou
obligées, pour des raisons diverses, de mettre leur vie en danger en se faisant avorter clandestinement.
Plus encore, cette politique touche à la détresse des enfants non désirés, vite oubliés et délaissés, en
réalité des «enfants du diable» qui vont remplir les orphelinats dans des conditions de vie d’une rare
cruauté. Un de ces orphelinats sera ouvert à Prigor, village où viendront s’installer Elena Cosma et son
fils Damian. Enfermant dans son cœur un lourd secret, Elena fuit la capitale où elle a exercé pendant
des années le métier de sage-femme, mission qui consistait, à l'époque, non seulement à aider les
enfants à venir au monde mais aussi à dénoncer les femmes tentées par l’avortement clandestin. Le
régime exige de la part du personnel médical la tenue de registres avec les noms de toutes les femmes
de moins de 45 ans susceptibles de procréer.
Très vite, le petit monde de Prigor, va basculer dans une série d’événements et d’énigmes, les
uns plus difficiles à garder que les autres. Une tacite complicité va s’installer entre les personnages de
cette narration où les destins s’entrecroisent et se consument à une vitesse à couper le souffle. Le
monde saisissant décrit par Liliana Lazar perd rapidement ses repères d’humanité et se fige dans le huis
clos de cet orphelinat aux allures de pénitencier, conduisant ainsi à un questionnement majeur sur la
vulnérabilité des enfants et sur la fragilité de l’être humain en général face à un système dictatorial qui
manie avec cruauté à la fois une autorité aveugle et une indifférence assassine quant aux drames qu’elle
engendre.
Il suffit de pousser les portes de cet établissement de Prigor soumis au bon vouloir de la petite
bande de tyrans et de violeurs qui bénéficient de l’indifférence de l’encadrement et agissent sous l’œil
bienveillant du camarade père du peuple dont le portrait trône sur les murs de ces lieux sordides. Cette
violence est tellement destructrice que l’on se demande si ce pays de famine, de froid et d’adversité
permanente n’est pas devenu lui-même et dans son intégralité un laboratoire à grande échelle, soumis à
la seule décision d’un système politique où corruption et violence rejoignent la folie d’une destruction
planifiée de tout un peuple, surtout de ses êtres les plus fragiles, les enfants. En cela, la métaphore
évangélique des «enfants du diable» et de son pendant d’«enfants de Dieu» prend des accents
dramatiques qui renforcent l'image d'un monde coupé en deux parties irréconciliables et définitivement
divisées non pas par une volonté individuelle ou par un jugement moral et juste mais par un système
lui-même abusif, dictatorial et, par définition, démoniaque.
Signalons un épisode qui pourrait faire sourire les lecteurs français qui se rappellent bien de
l’épisode de l’accident de la centrale de Tchernobyl. Liliana Lazar nous propose dans son roman la
version roumaine de cet événement qui montre bien que, dans sa magnanimité, le vent avait tourné vers
des directions tout aussi contraires à l’Est qu’en Europe occidentale pour épargner les citoyens des deux
côtés... Arrivent ensuite la révolution de ’89 et la chute du régime communiste. Les premières aides
humanitaires provenant de France sont acheminées et des Français présents sur place prennent
connaissance de la situation de l’orphelinat de Prigor.

2 Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 26
3
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 30

3
,, Le motif de l’enfant volé/battu/abusé/abandonné est une présence constante tout au long du
roman. Les trois enfants qui en sont les protagonistes (Damian, Lucian et Laura) partagent le sort des
autres petits, anonymes.’’4
À l’époque du « génie des Carpates »,on appelait « enfants du diable », les enfants non désirés,
lâchés, abandonnés par leurs géniteurs. Sur cette « terre des hommes », nous arrivons tous comme
« enfants de dieu » mais gare aux parents indignes/de nation/d’adoption : ils peuvent à tout moment
nous faire basculer dans un univers néfaste, en faisant de nous des « enfants du diable ».
Révélant à une scène au chapitre 9, à partir de la dernière partie de décembre a une nuit très
froid, ,, à l'orphelinat, des inconnus avaient déposé Durant la nuit quelques sachets de bonbons devant le lourd portail
fermé à clé. Les surveillants se les partagèrent , laissant seulement les plus durs aux orphelins. 5 À l'orphelinat , le froid e
l'humidité des dernières semaines avaient affaibli beaucoup d'enfants et les maigres bouillons qu'on leur servait en guise de
collation ne suffisaient plus à les remettre sur pied. Elena demande à la camarade Toma d'utiliser des pots de chamber
pour èviter aux plus petits le long trajet jusqu'aux toilette. 6Malgré toutes ces precaution , il arrivait quand même qu'un petit
fasse pipi dans son lit durant la nuit.’’7
En parallèle avec les punitions de plus en plus violentes et les menaces , elle commence par la
simple violence verbale, en passant par la claque et la douche froide, et culmine avec le nettoyage dans
la neige,elle inculque aux enfants le culte de la personnalité, mystifiant la réalité et glissant dans
l’inconscient des enfants l’idée d’une gratitude obligatoire envers le président. Celui-ci est d’ailleurs
présent partout, même si en effigie, son grand portrait trônant dans chaque dortoir des enfants :8
- Tu connais les règles de la maison ? grondait Toma lorsqu’elle attrapait un gamin souillé d’urine.
Le plus dur était de ne pas pleurer. La vue des larmes pouvait mettre la femme dans une colère noire.
- Regarde-moi, regarde-moi pour voir si t’as compris. Qu’est-ce que tu crois ? criait-elle. Je suis pas ta mère !
Elle obligeait l’enfant à se tourner vers le portrait du président qui était cloué au mur et continuait :
- C’est lui ton père ! C’est grâce à lui qu’on t’a donné un abri, c’est lui qui te nourrit ! Et voilà comment tu le
remercies ! En pissant dans les draps qu’il a achetés pour toi ! En te moquant de ceux qu’il paie pour s’occuper de toi !
Réponds ! Dis quelque chose !9
Sans doute, la société roumaine a beaucoup changé depuis. «Enfants du diable» nous rappelle
que ce chemin vers la lumière fragile du changement a connu bien des moments de douleur et de doutes
et surtout bien des drames humains. Lucian dans ses 9 ans a été violée , par le surveillant surnommé
« Vlad l’Empaleur » qui, abandonné par ses parents (son nom est VladGasitu, i.e. « Trouvé »), a été
élevé lui aussi dans une maison d’enfants. Arrivé à l’âge adulte, sa sexualité déviante ne fait que
reproduire le schéma de son enfance et il fait subir aux petits - dont il semble être le maître absolu – ce
qu’il avait subi pendant son enfance à lui. C’est un des visages de l’Ogre, ivre de « chair fraîche », une
des facettes moins connues d’un système aliénant. 10
Liliana Lazar arrive à nous le redire sans faire appel à une moralité facile et sans la
condescendance d’un oubli complaisant, mais avec un permanent souci de la vérité des faits.
Le suspense reste intact jusqu’à la fin du roman, dilué, comme il se doit, dans un substrat
narratif utilisant magistralement une intrigue multiforme et se servant des éléments naturels, surtout de
celui de l'eau toujours omniprésente sous forme de pluie, de grêle, de neige, devenant de plus en plus
pesante, un vrai obstacle à la vie et à la normalité du village.
Un vrai chef d’œuvre de réalisme contemporain et de totale immersion dans le fantastique si
cher aux collines de la Moldavie roumaine !
Un autre auteur très important dans la littérature française est aussi Rodica Iulian. Rodica Iulian
constitue une figure emblématique, car elle incarne les traits de l’intellectuel exilé, du Roumain
francophone et francophile, dont la voix s’est fait entendre avec courage pendant la dictature. Vivant
depuis les années 80 en France, Rodica Iulian (néé Rodica-Iuliana Coporan, à Craiova, en 1931) avait

4 Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 33
5 Liliana Lazar, «Enfants du diable»,Paris, Éditions du Seuil, mars 2016, 143
6
Liliana Lazar, «Enfants du diable», Paris, Éditions du Seuil, mars 2016, 144
7 Liliana Lazar, «Enfants du diable», Paris, Éditions du Seuil, mars 2016, 145
8 Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 34
9 Liliana Lazar, «Enfants du diable», Paris ,Éditions du Seuil, mars 2016, 145
10
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 33

4
laissé dans son pays d’origine une carrière littéraire importante, qui comptait un Prix de l’Union des
Ecrivains (pour le roman Cronica nisipurilor/Chronique des sables). 11
Sensible aux réflexes, Rodica Iulian cultive un trait de pathos tempéré dans la poésie lyrique et
une prose parabolique de méditation subtile transcrite de manière essayiste.
Rodica Iulian est l’auteure d’une longue série d’ouvrages dans presque tous les genres –
poèmes, romans, essais -, écrits en roumain et en français, langues qu’elle pratique plutôt en alternance,
selon les différentes étapes de sa biographie.12 Il a fait ses débuts dans le magazine "Luceafărul" avec
un cycle de poésie en 1962. Il a également publié des paroles, des traductions, des notes, etc. dans
"Romanian Life" et "Chronicle". Son premier volume, Intersections, a été publié en 1967. En 1980, à
49 ans, il obtient l'asile politique en France. Devient citoyen français en 1985. De 1981 à 1993, il
collabore aux programmes radiophoniques de Radio Free Europe et, depuis 1985, à "Itinéraires
français" de Radio France International. Opéra: "Intersectii", paroles, Bucarest, 1967 / "Elegiile de pe
pod" paroles, Bucarest, 1969 "Palinodii", paroles, Bucarest, 1970 / "Facerea conului" Bucarest, 1971 /
"Scrisori de toata ziua", , prose, Bucarest, 1977 / "Cronica nisipurilor", Roumain, Bucarest, 1978, "Le
Repentir", Paris, 1991 / "Les Hommes de Pavlov" 1995 / "Lettres à minuit", Bucarest, 1995 / "Fin de
chasse", Paris, 2001.
Dans le processus de son établissement en tant qu'écrivain en Occident, elle repositionnera la
littérature roumaine dans le cadre du canon de la littérature européenne. Dans ce contexte, les romans
de Rodica Iulian révèlent les malentendus entre les perceptions roumaines et les attentes de nouveaux
contacts avec la culture française.
Les romans de Rodica Iulian, rédigés en français, reflètent le dilemme de l'exil, rompu entre
son "devoir" vis-à-vis de sa culture d'origine et le désir de s'implanter de nouvelles racines dans le pays
d'adoption. Pour Rodica Iulian, l'exil représente précisément une telle aventure spirituelle et c'est
pourquoi sa relation à sa nouvelle langue d'écriture n'est nullement tendue. Bien au contraire, elle avait
été attirée d'emblée par le côté cartésien de la langue française, opposé à une certaine imprécision
propre au roumain. Si dans ses romans de la période roumaine elle avait su tirer profit de cette
imprécision très féconde au point de vue poétique, dans les romans écrits en français elle rend siennes
la rigueur de l'expression et la clarté du style qui obligent l'écrivain français d'aller droit à l'essentiel.
Nous ne croyons pas exagérer en disant que de ce point de vue Fin de chasse est un roman plus français
et plus classique que nature, par la limpidité des idées et par le style dépouillé, contrastant avec le
nouveau baroque qui caractérise l'écriture postmoderne. Encore faut-il ajouter que l'auteur situe l'action
de son roman en France ou, pour être plus précis, dans une France réduite elle aussi à son essence, c'est-
à-dire aux archétypes censés représenter la permanence, la stabilité, la pérennité d'un monde et de ses
valeurs, au-delà des aléas de l'Histoire.
Les deux premiers romans écrits par l’exilée Rodica Iulian dans la langue de son pays
d’accueil, Le repentir et Les Hommes de Pavlov sont le résultat d’une réflexion longuement mûrie sur
la relation de l’artiste et de l’intellectuel avec les régimes totalitaires, quels qu’ils soient; sur les
mécanismes de ces régimes et leur impact sur la liberté; sur les mêmes événements et horreurs qui se
répètent dans l’Histoire, comme dans un palimpseste qui ne cesse de révéler de nouvelles couches. 13
,, Le repentir’’ un roman témoignage qui démontre les mécanismes du pouvoir totalitaire,
capable de modeler les esprits et leur ôter jusqu’au sens de la pérennité. Le roman ,, Le repentir’’se
concentre l'attention sur la relation entre art et politique. Rodica Iulian se concentre sur la restauration
d'une œuvre d'art par son protagonist. Matei, peintre restaurateur, est contraint d'abandonner ses
principes pour répondre à un ordre politique. Alors que dans son pays d’adoption Matei restaure la
fresque d’une vieille église de campagne, le remords et la culpabilité faite de silence et de soumission

11 Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 43-44
12
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 44
13
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 45

5
l’envahissent. Matei est exilé en France où il dirige les travaux de restauration d'une église en
Champagne, où la vue lui rappelle son pays d'origine, et plus particulièrement la région de La Hétraie.
,, La Hétraie partait en lambeaux , s'émiettait , se dissolvait. Des champs de couleur se décollaient d'un seul
coup.Devant le manoir, l’herbe tombait en petits fragments humides, les grands hêtres fondaient en une pâte molle qu’il
enlevait au couteau. Des îlots de peinture résistaient par endroits, informes, aplatis, dépossédés de leur raison d’être, par la
disparition des structures environnantes. Les mâchoires serrées, il détruisait ainsi, de ses mains, le sens même de son
métier. Il ne pouvait pas s’empêcher de comparer ce sacrilège à la destruction qui se poursuivait, jour après jour, autour de
lui. Les radiographies pratiquées après l’effacement de la première couche mettaient en évidence des repentirs. ‘’14
Le dilemme du peintre-restaurateur commence au moment où la radiographie de la toile
intitulée « La Hêtraie » révèle l’existence d’un portrait d’homme, recouvert par le paysage peint
ultérieurement et les « nouveaux maîtres » lui donnent l’ordre d’effacer la seconde couche, pour garder
la première, qui porte la signature du peintre, redécouvert et accepté entre temps. Se décidant, après
moult hésitations, à détruire ce paysage, dernière trace d’un mode de vie disparu, créé par un artiste
mort sans sépulture, Matei renonce en fait à toute éthique, à toute droiture morale.15
Après l'exil, Matei est submergé par un sentiment de culpabilité plus fort que ce repentir.
Si Le Repentir concentre son attention principalement sur la relation de l’Art à la politique, Les
Hommes de Pavlov est une chronique de l’expérience vécue par les paysans roumains dans les années
50-60, obligés de signer l’adhésion aux kolkhozes et de perdre leur terres, héritées de père en fils.16
Les Hommes de Pavlov relate l’expérience douloureuse de la dépossession, vue par les yeux
de l’héroïne - Marina17 ,une jeune femme médecin assiste à des évènements tragiques dans un village
perdu aux pieds des Carpates. Parfois obligée à y prendre part, elle s'interroge sur l'amour qu'elle
croyait partager avec son fiancé, sur le sens de sa profession, sur l'existence de Dieu. Ce roman
révèle une terreur exercée par le régime communiste sous l'une de ses pires formes.
Autres œuvres importantes de la Fin de chasse (2001) et Le Harponneur (2010), deux romans
de valeur réelle. Au niveau thématique les deux romans sont reliés par un souci de dénoncer les
« plaies » du monde contemporain, par une méditation amère sur les formes que peuvent prendre le
bien et le mal en ce début de millénaire.18
Dans Fin de chasse est présent un village au pied des Pyrénées. En haut, sur la montagne, la
première neige vient de tomber. La voisine de Jérôme Rabastens alerte les gendarmes : ce professeur
d'histoire à la retraite est parti en randonnée selon son habitude, pour deux jours. Et voilà plusieurs
semaines qu'il n'est pas rentré chez lui. Il décide de vivre seul, en pleine nature, parce qu'il a été marqué
par le désotisme dans lequel il n'a pas trouvé sa place en détruisant le monde rural.
Dans ce désert au milieu de la neige, il parle avec des fantasmes tutélaires. Accident ?
Meurtre ? Sa mort est une énigme ne sachant pas s'il s'agit d'un accident ou s'il a été tué par la balle qui
lui a transpercé le crane.
La même vision sombre se dégage du bref roman Le Harponneur, dont le narrateur, Daniel
Sénéchal, écrivain et critique d’art, apprend – impuissant - le meurtre de la femme qu’il aime, Nora.
L’assassin, Briac, un tueur en série complexé par son enfance malheureuse et par sa condition sociale,
se venge symboliquement sur la société en perpétrant des crimes dont la police ne réussit pas à
découvrir l’auteur.19
,, A mon tour, j'accusais Robert de ne pas se soucier du mal qui rôdait autour de Nora, autour de lui-même. Dans
mon esprit, un lien existait entre l'inconnu qui lui avait vandalisé la boutique et le guetteur sur la falaise ; le même ou deux
de la même engeance. Le Mal.

14
IULIAN, Rodica, «Le Repentir», Paris : Balland, 1991, pag 168
15
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 46
16
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 46
17
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 47
18
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 48
19
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III, pagina 49

6
Le bien, le mal. Oui, je suis de ceux qui y croient encore - espèce en voie de disparition -, encore que je me sache
habité par les deux, très souvent emmêlés, le bien très souvent subverti par le mal. ‘’
Le dernier roman de Rodica Iulian sonne comme une alarme, une alarme sur les tueurs qui
marchaient sans arrêt dans les rues.
On peut dire de Rodica Iulian que c'est une valeur de la littérature francophone.

Bibliographie :
A. Corpus:
LAZĂR, Liliana, Enfants du diable,Paris, Éditions du Seuil, mars 2016
IULIAN, Rodica, Le Repentir, Paris : Balland, 1991
IULIAN, Rodica, Les Hommes de Pavlov. Paris :J.P. Lattès, 1995
IULIAN, Rodica, Fin de chasse. Paris : L’Harmattan, 2001
IULIAN, Rodica ,Le Harponneur. Paris : La Bruyère, 2010

B. Références critiques :
Steiciuc, Elena-Brandusa, Littérature et intertextualité, Curs opţional anul III,
Prof. Dr. Elena- Brânduşa Steiciuc, 2018.

C. Sitographie:
https://artsrtlettres.ning.com/group/groupeed/page/les-litteratures-francophones
https://books.openedition.org/pum/10657
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liliana_Lazar
http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/roman/review/1940335-le-drame-des-enfants-dans-les-
orphelinats-roumains-dans-enfants-du-diable-de-liliana-lazar
http://www.referatele.com/referate/romana/Rodica-Iulian/index.php

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