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Semen
Revue de sémio-linguistique des textes et discours

18 | 2004
De la culture orale à la production écrite : littératures africaines

Littératures africaines, Oral, Savoir


Bernard Mouralis
https://doi.org/10.4000/semen.2221

Index terms
Mots-clés : Littérature africaine, Littérature orale, Africanisme, Colonisation, Enseignement
colonial

Full text
1 Les littératures africaines produites dans les langues européennes naissent à partir du
moment où les écrivains manifestent la volonté de substituer leur propre discours à celui
que l’Occident tenait sur l’Afrique et qu’il s’efforçait d’imposer comme le seul que l’on pût
tenir légitimement sur ce continent et ses sociétés. Sur le plan méthodologique, le rappel
de ce fait est important car il invite à mettre l’accent sur la situation de concurrence des
discours dans laquelle se sont trouvés placés, dès le début, les écrivains africains et, ainsi,
à prendre de la distance avec la thèse souvent défendue qui tend à réduire l’écriture du
texte africain à l’expression d’une expérience vécue par un sujet : hier, celle du monde
colonial, aujourd’hui, celle du monde postcolonial.
2 C’est dans cette perspective, qu’il faut situer l’intérêt que les écrivains africains ont
porté très tôt, dès avant la Grande Guerre, à la littérature orale et qui s’est manifesté sous
la forme de nombreuses publications : recueils de textes, traductions, analyses, etc. Cette
attitude répondait à une volonté de défendre et d’illustrer les langues et les cultures
africaines, jusqu’alors occultées ou méprisées par l’Occident. Mais ce qui pouvait
apparaître comme la manifestation d’un nationalisme culturel et que l’on retrouve dans
le mouvement de la négritude, au cours des années trente, devait se heurter à trois
obstacles principaux. Le premier tenait d’abord au fait que le colonisateur s’était lui-
même intéressé depuis longtemps aux langues et aux littératures orales et cela venait
brouiller ou affaiblir la dichotomie Afrique vs Europe sur laquelle reposait au départ
cette attitude de résistance culturelle. Le second était constitué par les difficultés
spécifiques que pouvaient rencontrer les écrivains pour publier des articles ou des
ouvrages : dans la plupart des cas, il leur fallait passer par des structures éditoriales qui
dépendaient du colonisateur, ce qui impliquait que leurs textes soient considérées comme
recevables, en fonction de critères académiques ou politiques. Enfin, l’intérêt pour les
littératures orales tendait souvent à graviter autour de la notion de « tradition », très
connotée politiquement, aussi bien en France qu’en Afrique, et les écrivains enclins à
utiliser et, éventuellement, valoriser cette notion pouvaient se demander dans quelle
mesure elle était susceptible de contribuer à un progrès des sociétés africaines et à leur
libération.
3 L’examen de la situation dans laquelle se sont trouvés placés les écrivains africains par
rapport aux littératures orales permettra d’abord de préciser un contexte particulier,
marqué notamment par une interférence constante entre dimension culturelle et
dimension politique, entre légitimité africaine et légitimité coloniale, connaissance et
institution. L’analyse conduira ensuite à souligner comment un déplacement progressif
va s’opérer, lisible dans l’importance croissante que les écrivains africains vont porter à
la question du savoir que les textes oraux sont susceptibles de véhiculer.

1. Les limites d’une dichotomie


4 Dans son ouvrage, La conquête de l’espace public colonial, Hans-Jürgen Lüsebrink a
consacré tout un chapitre à « Presse coloniale et littérature orale africaine » (Lüsebrink,
2003 : 55-79). A cette occasion, il met en lumière le développement, dès la fin des années
quarante, d’un discours de type manifestaire qui apparaît en particulier dans des
préfaces de recueils de contes produits par des auteurs africains ou dans des articles qui
leur sont consacrés, et parfois même dans des textes proprement politiques, comme par
exemple le propos tenu par Bernard Dadié devant le tribunal de Grand-Bassam en 1949 et
repris dans ses Carnet de prison : « L’on semble vouloir étouffer notre génie afin de mieux
nous asservir ». (Lüsebrink, 2003 : 55). Ce discours, conformément à la rhétorique du
genre, insiste sur le caractère de rupture que représentent les œuvres en question et sur
la volonté de leurs auteurs de mettre fin à la « répression » dont la « tradition orale, et en
général [les] cultures africaines traditionnelles », ont été l’objet de la part du « pouvoir
colonial et tout au long de la période coloniale. » (Lüsebrink, 2003 : 56).
5 Lüsebrink, s’appuyant sur de nombreux exemples, montre que ce discours qui paraît
avoir la force de l’évidence n’est en définitive qu’un des topoi du mouvement de la
négritude. La prise en compte de l’historiographie et de la bibliographie fait apparaître en
effet une réalité sensiblement différente, dans laquelle deux éléments essentiels doivent
être soulignés. On constate, tout d’abord, que dès le milieu du XIXe siècle, s’opère, au sein
des milieux européens, un mouvement d’intérêt croissant pour les langues africaines et
les littératures orales1. Cette activité est menée principalement par des missionnaires, des
agents de l’administration et des chercheurs (principalement des linguistes et des
ethnologues). Bien sûr, cette production est multiforme et elle ne peut être appréhendée
aujourd’hui qu’à la condition de distinguer un certain nombre de critères : la formation et
le parcours des auteurs de ces recherches, leur position au sein de la société coloniale,
leur statut dans le champ académique de leur époque, la validité scientifique de leurs
travaux.
6 Dans ces conditions, il est difficile de parler stricto sensu de refoulement ou de
répression des cultures africaines. Néanmoins, c’est bien en ces termes que l’action du
colonisateur a été perçue par de nombreux Africains. Comment expliquer cette
distorsion ? Pour l’essentiel, elle me semble liée au fait que le colonisé ne pouvait guère
avoir une expérience de ce type d’activité car la plupart des Européens avec lesquels il
était en contact n’étaient pas en règle générale ceux qui menaient ces recherches sur les
cultures et les littératures africaines. Mais, même s’il en avait été ainsi, on sait très bien
que l’indigénophilie peut fort bien s’accommoder de l’autoritarisme.
7 Parallèlement, on constatera que cette activité de recherche n’est nullement le
monopole des Européens. Les Africains y participent eux aussi et dès les premières
années du XXe siècle. C’est ce que montrent, par exemple, les deux catalogues de la
Bibliothèque nationale établis par Paulette Lordereau (Lordereau, 1984 et 1991) ou la
monumentale bibliographie établie par Veronika Görög (Görög, 1981). Ainsi, dans les
ouvrages recensés par celle-ci, on pourra noter, parmi les plus anciens, les travaux de
Moussa Travélé, auteur d’un Petit manuel français-bambara dont la première édition a
paru chez Geuthner en 1910 et d’une étude sur les Proverbes et contes bambara, de 240 p.,
parue en 1923 (Görög, 1981 : 310), de Mamby Sidibé, auteur de nombreuses études parue
dans le Bulletin de l’enseignement de l’AOF, entre 1916 et 1928 (Görög, 1981 : 287), de Dim
Delobsom, auteur d’une étude devenue classique sur « Le morho-naba et sa cour », paru
dans le Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques de l’AOF en 1928 (Görög,
1981 : 96), de Maximilien Quenum, auteur d’une étude, Au pays des Fons, parue dans le
même périodique en 1935 (Görög, 1981 : 261).
8 Là encore, il est difficile de parler de répression des littératures et des cultures orales.
Ceci dit, comme pour la production européenne, nous avons affaire à un ensemble très
diversifié qui pose un certain nombre de questions. A cet égard, il convient d’être attentif
au statut de ces travaux et aux motivations qui en sont à l’origine. Dans certains cas, la
recherche répond à une initiative personnelle ; dans d’autres, elle s’inscrit plus
directement dans le cadre des activités professionnelles des auteurs. Ainsi, les très
nombreux travaux publiés dans le Bulletin de l’enseignement de l’AOF sont dus
principalement à des instituteurs qui étaient invités par leur hiérarchie à recueillir des
textes oraux, à des fins pédagogiques ou en vue de contribuer à une meilleure
connaissance de la société à laquelle appartenaient leurs élèves. Il est significatif
d’ailleurs que beaucoup de ces articles sont très courts, n’excédant pas quelques pages.
Par ailleurs, certaines de ces contributions ont un statut plus nettement scientifique,
comme on peut le voir avec celles parues dans le Bulletin du Comité d’Etudes Historiques
et Scientifiques de l’AOF ou publiées par des éditeurs spécialisés dans la production
scientifique, tels Larose ou Geuthner. Le rôle des préfaciers est également un indicateur
intéressant (Maurice Delafosse, Georges Hardy, etc.), qui souligne à la fois une
reconnaissance et une subordination du chercheur africain. Un autre élément peut
encore être retenu sur le plan éditorial dans la mesure où on peut distinguer dans cette
production deux pôles assez distincts : d’un côté, les publications officielles, de l’autre la
nébuleuse formée par les multiples journaux et périodiques, à la durée de vie souvent
éphémère, dans lesquels on trouve de nombreux contes et nouvelles inspirées par la vie
traditionnelle. C’est de ce côté aussi qu’il faut situer, tout au long de la période coloniale,
les ouvrages et brochures publiés à compte d’auteur et traitant des traditions et de la
littérature orale.

2. Politique coloniale et recherche sur les


littératures orales.
9 De la fin du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe, les pays européens ont vu
essentiellement dans l’Afrique subsaharienne un monde qui leur fournissait des esclaves
qu’ils capturaient et déportaient dans leurs colonies d’Amérique et des Antilles et
quelques matières premières comme l’or, l’ivoire ou la gomme arabique. Ce système de
domination se limitait pour l’essentiel à l’occupation de quelques points de relâche pour
les navires, de forts et de factoreries. Mis à part quelques exceptions représentées par des
missionnaires, notamment au royaume du Congo, cette longue période est marquée par
une absence à peu près totale d’ouvrages sur l’Afrique.
10 La colonisation territoriale, telle qu’elle est entreprise à partir du début des années
1880, va constituer à cet égard un tournant considérable. En effet, cette nouvelle forme de
domination se traduit, de la part de chacun des Etats européens, par la volonté
d’instaurer, après la phase de conquête, un contrôle total des territoires fondé sur la mise
en place d’un système politique et administratif tout à fait inédit, avec la création d’un
certain nombre de grands services : douanes, finances, fiscalité, santé publique,
enseignement, travaux publics, etc. Ce dispositif de contrôle territorial s’accompagne
aussi d’une volonté très nette de produire parallèlement une connaissance scientifique de
l’Afrique, dans les domaines de la géographie, de la géologie, de l’histoire, de l’agronomie,
des sociétés, des langues, etc. Sur ce plan, la comparaison entre les deux formes
d’exploitation de l’Afrique est frappante : dès les premiers moments de la conquête, on
voit se multiplier les publications d’ouvrages faits de témoignages ou proposant l’étude de
tel ou tel aspect des territoires soumis à la domination européenne.
11 Cette orientation, lisible en particulier dans les directives que les gouverneurs envoient
aux administrateurs et dans lesquelles ils les invitent à mener des recherches, répond
d’abord, du moins au début, à un objectif plus pragmatique que proprement scientifique,
en vertu du principe : « mieux connaître pour mieux dominer. » C’est dans cette
perspective qu’il faut replacer l’intérêt manifesté pour les langues africaines et les
littératures orales. Ainsi, Maurice Delafosse, dans la préface qu’il donne au livre de
Moussa Travélé, Petit manuel français-bambara, paru en 1910, insiste sur l’intérêt
pratique de l’ouvrage :

On se souviendra que l'auteur a modestement intitulé son ouvrage 'petit manuel', indiquant par là
qu'il n'a pas eu la prétention de faire une étude complète de sa langue, mais a cherché simplement à
permettre aux Européens résidant en pays bambara d'arriver facilement et vite à bien parler et à se
faire bien comprendre. Ainsi défini, le but de Moussa Travélé sera certainement atteint, et je suis
heureux que M. le Gouverneur Clozel m'ait fourni l'occasion d'y aider. (Travélé, 1910 : IV).

12 Equilbecq, auteur d’un important ouvrage sur les Contes populaires d’Afrique
occidentale, réalisé dans le cadre d’une enquête dont l’avait chargé l’administration à la
veille de la Première Guerre, montre encore plus nettement le lien entre politique
coloniale et connaissance de la littérature orale :

Au point de vue pratique, l'utilité de ces récits n'est pas moindre pour le fonctionnaire qui entend
diriger les populations au mieux des intérêts du pays qui l'a commis à cette tâche. Il faut connaître
celui que l'on veut dominer, de façon à tirer parti tant de ses défauts que de ses qualités en vue du
but que l'on se propose. Ce n'est qu'ainsi qu'on parvient à s'assurer sur lui du prestige moral qui fait
les suprématies effectives et durables. [...] A cette heure ou l'Islam envahit de plus en plus la terre
d'Afrique, il est bon d'enregistrer sans retard des traditions qui ne sont pas encore tout à fait
dénaturées dans les pays déjà islamisés et qui, dans les régions encore intactes, ont conservé -ou
peu s'en faut- leur pureté. Ces traditions sont les suprêmes vestiges des croyances primitives de la
race noire et, à ce titre, méritent d'être sauvées de l'oubli. (Equilbecq, 1972 : 22).

13 Outre la formule : « Il faut connaître celui que l’on veut dominer », qui se passe de
commentaires, il est intéressant de noter comment ce texte développe une thèse qui a été
centrale dans l’africanisme français et qui consiste à opposer une Afrique profonde et une
Afrique superficielle. L’Islam est ainsi perçu comme un élément second par rapport à une
Afrique véritable, « authentique », apparaissant notamment dans l’animisme ainsi que
dans les langues autochtones et la littérature orale. Dès lors, le colonisateur peut fonder
sa légitimité politique et scientifique en se présentant comme celui qui a pour mission de
révéler aux Africains la véritable Afrique et de la conserver identique à elle-même contre
les assauts des cultures étrangères.

3. Enseignement colonial et littératures orales


14 Parallèlement, le système d’enseignement mis en place par le colonisateur, dès le début
du XXe siècle, manifeste un grand intérêt pour les littératures orales. Ceci peut a priori
surprendre si l’on songe que la France, contrairement à la politique suivie par
l’Allemagne ou l’Angleterre dans leurs propres colonies, a toujours exclu les langues
africaines et fait du français la seule langue d’enseignement. Mais cette place faite aux
littératures orales s’inscrit logiquement dans la perspective d’un enseignement qui se
veut afro-centré. En effet, comme le montre l’examen des mesures successives qui l’ont
organisé, le colonisateur assigne essentiellement à cet enseignement une triple fonction :
créer un groupe social qui occupera une place intermédiaire entre la masse de la
population africaine et le monde européen, former des exécutants subalternes, former
des fonctionnaires d’un certain niveau de qualification (instituteurs, emplois dans
l’administration, médecins et vétérinaires).
15 Par sa structure et ses contenus, ce système d’enseignement colonial, qui prendra fin
avec l’instauration de l’Union française en 1946, écarte le principe d’un enseignement
secondaire de type général au profit d’un cursus mettant l’accent sur la finalité
professionnelle, que ce soit dans le primaire ou dans le cycle qui lui fait suite et qui
permet sur concours très sélectif d’entrer dans les écoles fédérales, comme, par exemple
l’Ecole William Ponty2. S’opposant à une conception assimilationniste, les autorités
veillent en particulier à ce que cet enseignement ne coupe pas les élèves de leur milieu
social et ne fasse pas d’eux des « déclassés » ou des « aigris » -ces mots sont fréquemment
employés dans les textes officiels- qui deviendraient hostiles à la France. Elles mettent
ainsi en place un système qui est censé insérer ou réinsérer fortement l’élève dans les
« réalités africaines ». C’est ce que définit bien Georges Hardy, qui fut un des
organisateurs de l’enseignement en AOF au début du XXe siècle, lorsqu’il évoque, dans
son ouvrage, Une conquête morale, la fonction de l’école coloniale :
Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de
notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout
entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes.
(Hardy, 1917 : 350).

16 Cette « réalité », le colonisateur va la rechercher essentiellement du côté de la tradition


et confirmer ainsi, dans l’esprit des élèves comme des instituteurs, l’image d’une Afrique
rurale, ainsi qu’on peut le constater dans les lectures proposées par les manuels scolaires
qui sont marqués par une volonté d’africaniser les contenus. Les auteurs n’hésitent pas
au besoin à produire de la « poésie africaine », parfois même chantée. Georges Hardy
l’explique très nettement :

Aussi, avons-nous tenté de leur [les élèves] servir, pour ce genre de repas comme pour les autres,
des mets appropriés. Aux alouettes fluettes, aux moulins argentins, au rémouleur gai chanteur, à
l’été doré, nous avons substitué la tiédeur bienfaisante des grandes pluies d’hivernage, le joyeux
pagayeur, le passage de la barre, la libération des captifs, le moustique et le mangemil. Comme il ne
faut rien laisser perdre, le commentaire de la chanson vient s’ajouter aux leçons de choses. (Hardy,
1917 : 266).

17 Mais cette réalité n’est pas inventée pour autant de toute pièce. Elle s’appuie largement
sur des recherches concernant les traditions africaines et la littérature orale. Au plan
strictement pédagogique, celles-ci offrent des ressources intéressantes. Ainsi, Davesne et
Gouin, auteurs de la célèbre série de manuels, Mamadou et Binéta, toujours édités
d’ailleurs, donnent l’exemple d’une pratique caractéristique :

Rien n’est plus pénible qu’une récitation chantonnante dépourvue de vie et d’expression. Pour
lutter contre la manie scolaire -si fréquente- de la lecture et de la récitation monotone, il est un
procédé qui nous a donné des résultats remarquables et que nous croyons devoir signaler à titre
documentaire. Nous faisions venir en classe un conteur africain qui, dans le dialecte local, racontait
aux enfants avec sa mimique habituelle –si merveilleusement expressive– une fable du pays aussi
vivante que possible. Les élèves redisaient la même fable avec les même gestes, les mêmes
intonations ; puis ils la lisaient ou la récitaient dans sa traduction française. Ils introduisaient alors
aisément dans cette lecture ou cette récitation l’entrain, la malice, le ‘sens du théâtre’ qui leur sont
naturels. (Davesne et Gouin, 1952 : 4).

18 Sur le plan de la recherche, les instituteurs africains étaient vivement invités à


recueillir des coutumes et des contes qu’ils présentaient souvent dans la langue d’origine3
avec une traduction en français. A cet égard, le Bulletin de l’enseignement de l’AOF a
constitué un véritable laboratoire qui, incontestablement, a fait du conte un matériau
pédagogique et qui a pu donner lieu à des pratiques tout à fait originales comme on le
voit à travers la place que Charles Beart, professeur à l’Ecole William Ponty, puis
directeur, a assigné au théâtre dans la pédagogie de cet établissement, au cours des
années trente (Traoré, 1958).
19 Mais, comme le montre bien H. J. Lüsebrink qui a étudié de près ce Bulletin ainsi que les
autres publications dans lesquelles des Africains ont donné des textes de littérature orale,
les responsables de l’enseignement ont eu tendance à privilégier surtout le conte et,
notamment, le conte mettant en scène des animaux. Cette orientation permettait, pensait-
on, « d’acquérir des connaissances sur la mentalité des écoliers, leur façon d’agir et de
penser » (Lüsebrink, 2003 : 61) et de leur proposer des textes qui leur étaient familiers et
que l’on pouvait dans un deuxième temps leur faire comparer aux Fables de La Fontaine.
Mais elle laissait de côté d’autres types de textes, publiés dans le Bulletin ou d’autres
périodiques tout aussi officiels. Sur ce plan, Lüsebrink cite deux cas significatifs. Le
premier est constitué par un article d’un instituteur dahoméen, Paul Hazoumé, « Noms
donnés aux Européens à Ouidah », paru dans le Bulletin de l’enseignement de l’AOF (n° 33,
juin 1915). Cet article, basé sur l’étude de proverbes et de la terminologie concernant les
blancs dans la langue fon, faisait apparaître pour le moins une image critique du rôle des
Européens (Lüsebrink, 2003 : 63-64). Le second est constitué par une article d’Abdoulaye
Sadji, « Ce que disent les vieilles mélopées sénégalaises », paru dans le quotidien Paris-
Dakar (n° 691, 11 mai 1938). Dans cet article, l’écrivain sénégalais proposait, en version
bilingue (wolof-français) un ensemble de textes poétiques chantés qui évoquaient la
douleur des femmes après le recrutement de leurs mari lors de la Grande Guerre.
(Lüsebrink, 2003 : 73-75).
20 On constate ainsi une certaine sélectivité à l’égard de la production orale, qui met
l’accent plutôt sur le conte, considéré comme l’expression d’une culture traditionnelle et
intemporelle, et tend à écarter les textes renvoyant aux tensions et conflits nés de la
situation coloniale. Lüsebrink parle à ce sujet de « dé-historisation » (Lüsebrink, 2003 :
78).
21 Cependant, comme on peut le constater dans certaines pièces du théâtre de William
Ponty, même si la préférence est accordée aux comédies de mœurs et aux pièces centrées
sur tel ou tel aspect des pratiques sociales traditionnelles4, l’histoire n’est pas totalement
absente du champ pédagogique. Mais, dans ce cas, la vision qui en est donnée tend à
reprendre le point de vue du colonisateur, notamment dans l’évocation des personnages
historiques qui ont tenté de s’opposer à la conquête, comme, par exemple, Lat Dior,
l’adversaire de Faidherbe au Sénégal. Ainsi, analysant des pièces ayant pour héros le
souverain sénégalais ou Béhanzin, Bakary Traoré note, dans son étude Le théâtre négro
africain et ses fonction sociales, que « les auteurs de l’école William Ponty n’ont pas
présenté les anciens monarques africains , autrement que ne l’a fait l’Histoire officielle,
c’est-à-dire comme des rois sanguinaires. » (Traoré, 1958 : 100) et il signale à cette
occasion une critique de l’ethnologue Bernard Maupoil souhaitant, dans un article paru
en 1937, que les élèves « respectent l’histoire et s’entourent à cet égard de conseils
désintéressés. » (Traoré, 1958 : 101).

4. Pédagogie et esthétique littéraire


22 Cette attitude sélective qui conduit la pédagogie coloniale à privilégier le genre du conte
s’explique aussi par les conceptions que les responsables de l’enseignement développent
sur le plan de l’esthétique littéraire. Comme le montrent les directives officielles et les
manuels entre 1900 et 1946, l’enseignement du français vise essentiellement à faire
acquérir aux élèves une langue standard qui doit plus tard leur permettre de satisfaire
aux exigences professionnelles qu’on attend d’eux. Les exercices proposés sont des
descriptions, des lettres, des rapports, dans lesquels les qualités attendues sont la
précision des termes et une capacité à organiser un texte de façon cohérente et aisément
compréhensible par le destinataire.
23 Ce pragmatisme s’inscrit ainsi dans une logique opposée à celle de l’enseignement
secondaire, tel qu’il existe au même moment en France, et dont le caractère généraliste,
marqué traditionnellement par une grande place accordée aux disciplines littéraires, est
considéré comme inadapté aux réalités africaines5. L’enseignement de la littérature
tendra donc à être écarté. En effet, quel profit pourraient tirer les élèves d’une discipline
où l’accent est mis sur des préoccupations esthétiques dont le caractère gratuit semble
bien éloigné des objectifs l’on cherche à atteindre ? Dans Une conquête morale, Georges
Hardy le souligne nettement :

Pour les grands élèves, nous ne nous soucions pas de les initier aux beautés de notre littérature
classique, dont l’intelligence suppose en même temps qu’un grand nombre de connaissances
accessoires lentement acquises, un sens certain de la langue française ; nous préférons les voir lire
du Jules Verne ou du Labiche, ce qui, du reste, leur plaît infiniment et les garde d’une
grandiloquence peu désirable. […]. En composition française, nous exigeons avant tout des phrases
courtes, exactes, des précisions justes, et nous luttons férocement contre l’abus des images,
l’amphigourisme, l’enflure et les mots qui ne veulent rien dire. Les sujets de devoir sont empruntés
à des circonstances locales ; ils obligent à observer, à regarder de près, et ne favorisent nullement
les belles envolées. Nous réservons une large place aussi aux lettres d’affaires, aux comptes rendus,
aux rapports. Tout cela ne développe pas l’imagination littéraire de nos élèves, mais elle n’a que
trop de tendances à se développer sans nous. […]. On trouvera certainement que cet enseignement
manque d’ampleur et qu’il sacrifie une bonne part de son charme. Mais il ne faut pas oublier que
les défauts d’esprit que nous devons combattre ont, durant des siècles, maintenu dans un abîme de
sauvagerie des races qui, par ailleurs, ne sont dénuées ni d’intelligence ni de qualités morales. Un
enseignement à tendances purement littéraires donnerait à ces défauts un nouvel aliment, il
griserait les élèves comme une musique, il leur ferait perdre de vue le reste de notre programme,
dont l’utilité est notoirement supérieure. (Hardy, 1917 : 193-194).

24 Ce texte est particulièrement révélateur par la façon dont il développe deux thèses qui
ne relèvent pas en fait du même ordre de préoccupations. L’une renvoie à une orientation
pédagogique : Georges Hardy souligne la nécessité de mettre en place un enseignement
du français à visée utilitaire et l’on notera les exemples de lectures qu’il préconise, ainsi
que les exercices d’écriture qui lui paraissent adaptés à ce projet visant à mieux insérer
l’élève africain dans son milieu et dans sa future profession.
25 L’autre concerne la finalité de la colonisation : reprenant le thème classique de la
« mission civilisatrice », Georges Hardy rappelle que les contraintes ainsi imposées aux
élèves permettront de conduire une action de transformation, souhaitable pour l’Afrique
aussi bien que pour la France. Mais, ce faisant, il vient buter sur la question de la
« sauvagerie » qu’il lui est bien difficile de définir. En effet, conformément aux catégories
intellectuelles caractéristiques de l’idéologie coloniale, il y a une logique à définir la
colonisation comme un processus qui fera passer l’indigène de la sauvagerie à la
civilisation. Mais alors, comment expliquer que cette sauvagerie qu’il faut éliminer soit
définie comme une propension à utiliser le langage dans une perspective spécifiquement
artistique ? Tel est bien le paradoxe de ce texte : ce n’est pas de la sauvagerie et de la
rusticité qu’il faut éloigner les élèves, mais de l’art, dans ce qu’il peut avoir de plus
complexe, de plus raffiné, de plus gratuit. Les termes employés sont particulièrement
significatifs : « abus des images », « amphigourisme », « belles envolées », « enflure »,
« mots qui ne veulent rien dire », « qui griserait les élèves comme une musique ». Ce qui
est ici remis en cause, c’est une pratique langagière qui aime s’abandonner à « cette
hésitation prolongée entre le son et le sens » comme le dit Valéry dans Tel quel (Valéry,
1971 : II, 63), qui met l’accent sur la fonction poétique, et l’indignation de Georges Hardy
rappelle en définitive la condamnation que Platon porte contre les poètes dans La
République.
26 Ces considérations de Georges Hardy illustrent une interrogation que l’on retrouve tout
au long du discours que l’Occident a tenu sur le primitif et dans lequel on n’a cessé de se
demander si celui-ci devait être défini comme un être simple, frustre, solide
psychologiquement ou, au contraire, comme un être complexe, et, parfois même,
décadent et dégénéré, comme le suggère bien le terme d’ » amphigourisme ». Cette
hésitation concernant la place qu’il faut accorder au primitif dans l’histoire des
civilisations6, nous la retrouvons encore dans un passage de l’ouvrage d’André Davesne,
Croquis de brousse. Evoquant le rapport que l’Africain entretient avec le langage, Davesne
écrit :

Le Noir est ainsi préparé par ses traditions verbales à distinguer dans les mots que lui présente la
langue française deux valeurs : l'une abstraite et intellectuelle, la signification ; l'autre concrète et
sensuelle, la musicalité. Que l'apprenti écrivain ait une intelligence 'vierge', qu'il soit un être simple,
un primitif, comme on dit, le choix entre ces deux valeurs lui sera dicté par son instinct plutôt que
par un effort de réflexion, c'est-à-dire qu'il accordera plus de prix à la musicalité du mot qu'à sa
signification. [...] Dans la pratique, cette utilisation conduit à des assemblages de mots assez
inattendus et qui ne laissent pas de nous dérouter quelque peu. C'est ainsi que nous sommes
éberlués quand nous découvrons dans la lettre qu'un jeune amoureux africain écrit à sa dulcinée,
après une bouderie, ce cri de détresse : 'O ma beauté, je vous contemple d'un oeil monocorde !' Mais
cette invocation, que nous serions tentés de déclarer insolite, voire abracadabrante, procède, en
réalité, d'une technique habile qui, somme toute, s'apparente...aux découvertes les plus subtiles de
la poésie pure. (Davesne, 1942 : 246-247).

27 Comme on peut le constater, la réflexion de Davesne entend se situer sur un plan plus
proprement linguistique que chez Hardy. En particulier, elle prend comme point de
départ les « traditions verbales » du locuteur africain qui conduit à distinguer, dans
l’usage des mots auxquelles le préparent celles-ci, deux pôles : d’un côté la
« signification », « abstraite et intellectuelle », de l’autre, la « musicalité », « concrète et
sensuelle ».. Selon Davesne, cette opposition serait plus marquée dans les langues
africaines qu’en français, et, en procédant ainsi, l’auteur s’engage dans une voie risquée,
qui consiste à affirmer l’existence de propriétés sémantiques et stylistiques inhérentes
aux langues considérées. Mais ce qui retiendra davantage notre attention, c’est l’exemple
qu’il donne lorsqu’il cite cette phrase écrite par un jeune amoureux africain « à sa
dulcinée » : « O ma beauté, je vous contemple d'un oeil monocorde ! ». Ce qui est
intéressant, dans le commentaire que donne Davesne de cette formule, c’est justement la
difficulté dans laquelle il se trouve pour la définir. En effet, d’un côté elle lui paraît
relever de la « fonction expressive » : elle est un « cri de détresse ». De l’autre, elle traduit
une performance stylistique tout à fait consciente puisque son caractère « insolite », voire
« abracadabrant », procède « d’une technique habile qui, somme toute, s'apparente...aux
découvertes les plus subtiles de la poésie pure. » Là encore, le commentaire hésite : a-t-on
affaire au cri d’un primitif ou à la trouvaille d’un poète savant et pleinement maître de
son art ?7
28 Cette question, Senghor devait y répondre quelques années plus tard, dans son poème
Masque nègre du recueil Chants d’ombre, paru en 1945, dont le dernier vers est
justement : « Je t’adore, ô Beauté, de mon œil monocorde. » (Senghor, 1990 : 18)8.. Senghor
connaissait très probablement ce passage de Davesne puisqu’il se réfère à deux reprises,
dans un de ses essais, « Le français langue de culture »9, repris dans Liberté I. (Senghor,
1964 : 360 et 362), à un développement de Croquis de brousse consacré aux langues
africaines. Au-delà de cet aspect un peu factuel, il est intéressant de noter que le jugement
porté par Senghor sur Davesne est plutôt élogieux et, une fois de plus, nous avons là un
bel exemple de la façon dont Senghor se plaît, non sans malice, à brouiller les pistes, en
procédant à ce va-et-vient constant entre sources européennes et sources africaines pour
définir la spécificité de la culture et de la poésie négro-africaine10.

5. Littérature africaine et africanisme.


29 Les écrivains africains qui ont voulu se tourner vers la littérature et les traditions orales
ne sont donc pas partis de rien. Ils se sont trouvés - dès le début - confrontés à la
production réalisée en ce domaine par les Européens. Cette confrontation leur a posé un
certain nombre de problèmes, d’ordre politique et institutionnel, d’une part, d’ordre
épistémologique et proprement littéraire, d’autre part.
30 On s’est souvent interrogé sur la validité scientifique de la production africaniste
européenne. Sans doute, celle-ci s’est-elle inscrite au départ dans une volonté de mieux
connaître l’Afrique pour mieux la dominer. Ce que confirme le fait que nombre de
travaux aient été suscités par l’administration. Mais, assez vite, la recherche africaniste
s’est éloignée de cette dépendance par rapport à une demande politique. Et cela, pour
trois raisons principales. Tout d’abord, le pouvoir colonial, pour des raisons budgétaires,
n’a jamais fait de la recherche une priorité et cette situation a laissé en définitive une
assez grande latitude aux chercheurs. D’autre part, même quand la recherche a pour
origine une demande du pouvoir colonial, celui-ci n’exerce guère de contrôle sur sa
réalisation et son auteur peut mener son investigation comme il l’entend. C’est ce qu’on
observe bien dans cette grande somme écrite à la veille de la guerre de 1914-1918, par
Delafosse, Haut-Sénégal Niger (Delafosse, 1972). Enfin, nombre de chercheurs ont perçu
rapidement l’inconvénient que pouvait représenter pour eux cette dépendance par
rapport au politique et se sont efforcés d’obtenir une reconnaissance académique, comme
le montre, par exemple, le parcours de Delafosse ou de Griaule qui ont d’ailleurs
largement été reconnus au plan international11.
31 Mais cette recherche est menée pour l’essentiel par des Européens et pendant
longtemps l’Africain se voit confiné dans le rôle d’ » informateur » ou d’auxiliaire de cette
recherche ainsi qu’on l’a vu à propos des travaux publiés dans des revues comme le
Bulletin de l’enseignement de l’AOF. Le recours aux données fournies par l’informateur
n’est pas toujours opéré de façon rigoureuse et le travail d’interprétation que se réserve le
chercheur européen peut devenir pour le moins incertain. Dans un passage de son
autobiographie, Amkoullel l’enfant peul, Amadou Hampâté Bâ rappelle de façon
savoureuse la façon dont avait travaillé justement Equilbecq, dans le cadre de la mission
dont il avait été chargé par l’administration pour recueillir des contes :

Quand M. Equilbecq arriva à Bandiagara en juin 1912, le commandant de cercle convoqua le chef
Alfa Maki Tall pour lui demander d’envoyer au nouvel arrivant tous ceux, hommes, femmes,
vieillards ou enfants, qui connaissaient les contes. Je figurais parmi les enfants choisis. Chaque
conte retenu était payé à l’informateur dix, quinze ou vingt centimes, selon sa longueur ou son
importance. Au début, Wangrin les traduisait à M. Equilbecq, qui prenait des notes. Mais bientôt ce
dernier se déchargea sur lui du soin de recueillir directement la plupart des contes. Wangrin
rédigeait une première traduction en français, puis la communiquait à M. Equilbecq, lequel y
apportait éventuellement des corrections ou des modifications de son cru. Il devait publier une
grande partie des contes recueillis en 1913 chez E. Leroux, dans la “Collection des contes et chants
populaires”, texte qui sera repris en 1972 par les éditions Maisonneuve et Larose sous le titre Contes
populaires d’Afrique occidentale. Il n’est pas sans intérêt de savoir que Wangrin en a été l’un des
principaux rédacteurs. Son nom est cité au bas de la plupart des contes, précédé de la mention
“traduit par” ou “ interprété par”.. Mon nom y figure aussi par endroits, sous l’appellation bizarre
de “Amadou Bâ, élève rimâdio de l’école de Bandiagara” -bizarre car le mot rimâdio n’existe pas ;
tout au plus peut-on dire qu’il mêle curieusement les deux mots dîmadjo et rimaïbé, respectivement
singulier et pluriel de captif de case’. (Bâ, 1991 : 268-269)12.
32 La recherche africaniste de l’époque coloniale introduisait ainsi une hiérarchie entre
les rôles dévolus respectivement au chercheur européen et à l’informateur africain. Placé
dans cette position de subordination, celui-ci pouvait d’abord manifester une attitude de
ruse face à l’assurance manifestée par celui-là. Mais il ne s’agissait là que d’une forme
relativement sommaire de résistance. Plus fondamentalement, l’Africain qui estimait
disposer d’un savoir sur les traditions et les littératures orales de l’Afrique devait
s’efforcer de sortir de ce rôle d’informateur ou d’auxiliaire de la recherche pour devenir à
son tour chercheur à part entière en exerçant, sous sa signature, la prérogative de
l’interprétation. C’est ce que montre, parmi bien d’autres exemples qui pourraient être
invoqués, l’itinéraire de Hampâté Bâ, dans lequel on distingue trois moments
significatifs : la collecte personnelle de données pendant l’enfance et les années 1920-1940
durant lesquelles il occupe divers postes comme fonctionnaire en AOF ; l’affectation, à
partir de 1942 à l’IFAN, à la demande de Théodore Monod,

à la section ‘Ethnologie’ en qualité, d’abord, de Préparateur, puis d’Agent technique. Le rôle du


préparateur était d’aller récolter des renseignements sur le terrain, puis de remettre son travail aux
Agents techniques qui y mettaient la dernière main. (Bâ, 1987 : 217) ;

33 enfin, à partir de la fin des années 50, la période des grandes publications, au cours de
laquelle Hampâté Bâ, pour reprendre la formule de Kusum Aggarwal, exerce pleinement
la « fonction auctoriale » (Aggarwal, 1999), notamment en reprenant sous sa seule
signature des textes écrits précédemment en collaboration, comme l’ouvrage consacré à
Tierno Bokar ou la nouvelle version de Kaïdara (Aggarwal, 1999 : 207-227).
34 Cependant, les difficultés auxquelles se heurte le chercheur africain dans ce travail
d’appropriation de la fonction auctoriale ne sont pas uniquement d’ordre institutionnel.
Celui-ci se trouve aussi confronté à la question de la « tradition ». Pendant longtemps, en
effet, la recherche européenne a eu tendance à confondre dans un même ensemble
« littérature orale » et « littérature traditionnelle ». Cette orientation mettait l’accent sur
les contenus de cette littérature en insistant ainsi sur leur ancienneté, conformément à
l’étymologie du terme « tradition », qui vient du verbe latin tradere signifiant
« transmettre ». De la sorte, on établissait un partage de la production littéraire africaine :
d’un côté, la production orale, généralement considérée comme traditionnelle ; de l’autre,
la production moderne, et éditée, dans les langues africaines et européennes. Pendant
longtemps, le monde de l’africanisme s’est montré peu intéressé par les recherches
portant sur cette deuxième catégorie, dans la mesure où elle paraissait relever d’une
« africanité » superficielle, par opposition à l’Afrique véritable, telle qu’elle était censée
apparaître dans les cosmogonies, les épopées, les contes, etc.
35 Mais, au tournant des années 1960-1970, on voit apparaître une évolution tout à fait
significative, qui établit une distinction entre deux concepts : « littérature orale » et
« oralité »13. Le premier renvoie à un corpus de textes oraux, classés selon des critères qui
peuvent être d’ordre géographiques, linguistiques, génériques (conte, épopée, chant
propre à telle ou telle catégorie sociale, etc.). Le second désigne le mode de production, de
transmission, de réception de ces mêmes textes oraux. C’est dans cette perspective que se
situent notamment des travaux comme ceux de Maurice Houis, Anthropologie linguistique
de l’Afrique noire (Houis, 1971) ou de Camara Sory, Gens de la parole (Camara Sory, 1976) .
36 En prenant notamment en compte, beaucoup plus qu’on ne l’avait fait avant eux, la
dimension propre de la communication littéraire orale, ces travaux ont ainsi mis l’accent
sur le présent, au plan social, linguistique et esthétique, dans lequel se situe
l’actualisation du texte littéraire oral. Cette orientation a conduit à des études accordant
une large place à la notion de champ littéraire (Derive, 2001) ou à la question de la
formation du conteur, à sa position dans la société (Camara Sory, 1976) et au rapport qu’il
entretient avec son propre répertoire (Baumgardt, 2000)14.

6. Trois modalités de rapport à l’oral


37 Le rappel qui précède permettra de mieux cerner le rapport que l’écrivain africain peut
entretenir avec la littérature orale et l’oralité dans son propre projet littéraire. Ce rapport
apparaît à travers trois modalités principales. La première consiste tout simplement à
publier un recueil de contes ou un texte emprunté au monde de la littérature orale. C’est
le cas, pour ne citer que quelques exemples, de Birago Diop, avec Les Contes d’Amadou
Koumba, Les nouveaux contes d’Amadou Koumba et Contes et lavanes, de Bernard Dadié,
avec Le pagne noir, de Joseph Brahim Seid, avec Au Tchad sous les étoiles, de Jean
Malonga, avec La légende de M’Pfoumou Ma Mazono. Dans ce type d’ouvrages, l’auteur
apparemment s’efface derrière un contenu qu’il se limiterait à transmettre. Mais, bien
évidemment, il s’agit d’un artifice. En effet, quelle que soit la part que constitue l’emprunt
à une « tradition », nous avons affaire chaque fois à un livre qui n’aurait jamais existé
sans le rôle joué par celui dont le nom figure sur la couverture. A cet égard, on sera en
particulier sensible à la fonction que remplit la préface du livre. Ainsi, l’ » Introduction »
que Birago Diop a placée en tête du premier volume de ses Contes retrace de façon
précise le processus qui a permis à l’auteur de s’approprier progressivement ces textes et
de devenir à son tour un autre Amadou Koumba. Le thème se trouve d’ailleurs confirmé
dans les prologues d’un assez grand nombre de contes, comme Les Mamelles ou Sarzan..
Au demeurant, ce problème est classique : songeons seulement aux Contes de Perrault,
des frères Grimm, ou encore aux Poèmes d’Ossian ou aux Chansons madécasses de Parny.
38 Cette question de l’auteur apparaît tout autant dans les textes à finalité plus savante et
qui apportent au lecteur des informations ethnologiques et linguistiques, avec en règle
générale une version bilingue, ce qui permet d’apporter un certain nombre de précisions
sur la façon dont on peut rendre dans la langue européenne choisie le texte original. Sur
ce plan, un exemple intéressant est constitué par la première version de Kaïdara que
Hampâté Bâ a éditée en collaboration avec Lilyan Kesteloot (Bâ, 1968). Cet ouvrage,
conformément aux principes de la collection, présente toutes les caractéristiques propres
à l’édition scientifique et, comme l’indiquent le titre, l’introduction et les nombreuses
notes, nous avons affaire à un texte « rapporté », présenté tel qu’il a été recueilli. Mais
ceci, là encore, ne doit pas faire illusion : sans Hampâté Bâ, Kaïdara n’aurait jamais existé
comme livre et on peut donc, sans attacher une importance excessive aux frontières entre
les catégories de textes, considérer tout simplement Kaïdara comme une œuvre littéraire
écrite par un auteur. D’ailleurs, Hampâté Bâ lui-même nous oriente dans cette direction
puisque, quelques années plus tard, il devait publier, sous son seul nom, une autre
version de ce texte (Bâ, 1978). Celle-ci contient encore une introduction et des notes
nombreuses, mais l’orientation est, cette fois nettement plus thématique, comme si
Hampâté Bâ voulait conférer à ce texte un statut plus proprement « littéraire » que
« scientifique »15.
39 Cette référence à la littérature orale peut s’opérer aussi à travers une deuxième
modalité : la citation. Souvent utilisée dans les textes romanesques, elle consiste tout
simplement à interrompre le fil de la narration et à insérer dans l’espace ainsi ouvert un
texte oral qui peut être un conte ou une poésie. Ainsi, évoquant une soirée à laquelle
participe son héros, Ousmane Socé, dans Karim, roman sénégalais, tient à faire connaître
à son lecteur que le monde des contes est encore bien vivant malgré les transformations
qui marquent la société sénégalaise des années trente :

Dans la cour, toute la maisonnée était réunie pour écouter les contes de tante Aminata. Lentement
elle nouait des actions, les faisait progresser, puis les dénouait. [...] Il était une fois, poursuivait
Aminata, une vieille femme qui avait beaucoup de biens. (Socé, 1935 : 72-73).

40 Dans cet exemple, le texte du conte est évoqué au style indirect, mais il peut être, dans
d’autres cas, cité intégralement et occuper plusieurs pages. Par ailleurs, l’utilisation de ce
procédé est plus ou moins bien réussi. En effet, le texte cité donne parfois l’impression
d’avoir été plaqué dans le roman. Dans d’autres cas, au contraire, l’insertion du texte
répond à une logique dans la mesure où il peut faire écho aux sentiments profonds
éprouvés par un personnage ou à sa situation. C’est le cas dans l’utilisation que Mongo
Beti, dans Mission terminée, fait de La complainte du petit orphelin que Yoannès le
Palmipède apprend au narrateur, avec une intention bien précise :

J'avais beau lui faire remarquer, en toute amitié que, pour ma part, je n'avais encore perdu aucun
de mes parents, il me répondait invariablement que je les perdrais bien un jour et que je serais
alors orphelin comme tout le monde -tiens, comme lui, par exemple. Je me résignais donc à
interpréter la chanson dans le genre pleurnichard, ce qui plut énormément à Yoannès le Palmipède.
C'est pour toutes ces raisons que j'ai appelé cette chanson : La complainte du petit orphelin. (Beti,
1985 : 147).

41 Dans un exemple comme celui, il y a, comme on le voit, tentative de l’écrivain pour


établir une certaine circulation, voire homologie, entre texte oral et texte écrit.
42 Enfin, une troisième modalité, plus rare il est vrai, consiste pour l’écrivain à tenter de
substituer la relation conteur/public à la relation auteur/lecteur et à introduire ainsi dans
son texte les caractéristiques de la communication littéraire orale. L’exemple le plus
caractéristique reste à ce jour le célèbre roman de Kourouma, Les soleils des
indépendances (Kourouma, 1970). Sur ce plan, l’innovation introduite par Kourouma se
situe à deux niveaux16. Tout d’abord, la narration est censée être assurée, non par un
écrivain, mais par un conteur s’adressant à un public, comme on le voit par les
nombreuses interpellations opérées en direction de celui-ci :

Vous paraissez sceptique ! Eh bien, moi, je vous le jure, et j’ajoute : si le défunt était de caste
forgeron, si l’on n’était pas dans l’ère des Indépendances (les soleils des indépendances, disent les
Malinkés), je vous le jure, on n’aurait jamais osé l’inhumer dans une terre lointaine et étrangère. »
(Kourouma, 1970 : 7-8)17. Néanmoins, le procédé est loin d’être suivi tout au long du roman et, très
fréquemment, Kourouma revient à la description à la troisième personne avec emploi classique des
temps du passé : « Fama fut réveillé en pleine nuit par les picotements de ses fesses, dos et épaules
qui cuisaient comme s’il avait couché dans un sillon de chiendent. (Kourouma, 1970 : 98).

43 D’autre part, Kourouma s’est efforcé d’utiliser une langue caractéristique de la langue
parlée. Cette option apparaît en particulier à travers deux caractéristiques qui ne sont pas
en fait du même ordre. La première réside dans l’interférence que Kourouma établit
entre le malinké et le français. Nombre de formules ou de constructions verbales, à
commencer par le titre du roman, sont apparemment des calques ou des traductions du
malinké. Cet aspect proprement linguistique ajoute une nuance supplémentaire dans la
mesure où le malinké, même si cette langue a donné lieu depuis longtemps à des
transcriptions, tend à être associé à l’oral : il est la langue parlée effectivement par
beaucoup d’Africains dans l’Ouest du continent. La seconde réside dans le niveau de
« style » -j’emploie ce mot faute de mieux !- qui paraît prédominer dans Les soleils des
indépendances : la prose de Kourouma apparaît d’emblée comme « populaire »,
« familière », « argotique », « incorrecte », voire « grossière ». Bref, elle n’a rien à voir avec
la prose souvent philosophique de Cheikh Hamidou Kane, dans L’aventure ambiguë, ou la
prose très écrite de Mongo Beti, du moins jusqu’à L’histoire du fou.
44 Mis à part quelques exceptions, au moment de la parution du roman, la critique a loué
à l’envi Kourouma pour avoir su rompre avec l’emploi du français académique, voire
scolaire, qui avait marqué jusqu’alors la pratique des romanciers africains et pour avoir
introduit ainsi dans le texte romanesque l’oral d’une langue africaine. Mais, comme l’a
analysé avec beaucoup de pertinence Albert Gandonou, il s’agit en fait d’une illusion car
cet oral de Kourouma est en réalité un oral écrit, exactement comme chez Céline. Le
procédé suivi par Kourouma peut être comparé

à celui qui caractérise l’écriture de Louis-Ferdinand Céline, dans Voyage au bout de la nuit. Il
consiste dans l’invention d’un style à effet de voix populaire. […] Dans l’écriture des Soleils des
indépendances d’Ahmadou Kourouma, il est assez facile de découvrir que les formes défectueuses
sont le fait d’un choix délibéré et visent le même but que les autres plus conformes aux normes :
imposer au lecteur l’impression, l’illusion qu’il entend la voix d’un personnage issu du peuple
malinké. […] Il fait subir au français diverses transformations qui vont […] des plus régulières aux
plus inattendues qu’on puisse trouver dans une œuvre qui se veut littéraire. En fait chez les
Malinké, personne ne parle comme lui, Kourouma, écrit. (Gandonou, 2002 : 307-314).

45 Ceci permet également de relativiser les libertés que Kourouma est censé prendre avec
les normes de la langue française. Gandonou, nous le voyons, parle ici de « formes
défectueuses ». Mais on notera qu’il est assez nuancé sur cette question et rappelle à
plusieurs reprises qu’il s’agit là encore, dans bien des cas, d’une illusion. Comme chez
Céline, il y a en fait chez Kourouma très peu d’ » incorrections » et son écriture reste
conforme aux usages de la langue. Certes, elle présente des formes inhabituelles, par
exemple : « courber une prière », « tuer un sacrifice ». Mais ne trouve-t-on pas des
formulations assez comparables dans la syntaxe de Mallarmé ? Comme le précise
Gandonou, au terme d’une analyse très systématique, dans Les soleils des indépendances,

Le code littéraire traditionnel est plus présent dans le roman que les traits de langue de niveau
plutôt relâché. L’écriture de Kourouma est un mélange de ces deux styles et l’on doit, après analyse,
admettre que ce sont les éléments littéraires, savants, qui dominent : emplois de mots rares, du
passé simple, de l’imparfait du subjonctif, de nombreux procédés de style, emplois de techniques
poétiques, de la négation absolue à deux unités… (Gandonou, 2002 : 316).
46 Ces remarques de Gandonou montrent ainsi le double effet que Kourouma, dans
l’écriture des Soleils des indépendances, est parvenu à produire chez ses lecteurs de façon
très concertée : donner l’illusion que son texte est un décalque du malinké et qu’il s’écarte
du français académique au profit d’une langue « populaire », uniquement parlée.

7. La question du sujet
47 Mais, au-delà de la question concernant les modalités à travers lesquelles le texte écrit
est susceptible de se référer à la littérature orale et à l’oralité, l’écrivain africain a été
confronté également à un autre problème plus spécifiquement littéraire. En effet, la prise
de parole qui va aboutir à un livre, même quand elle s’opère avec la volonté de parler au
nom d’une collectivité dont la culture a été jusqu’alors occultée ou méprisée, est un acte
individuel. Dès lors, l’écrivain peut-il se contenter d’un rôle qui se réduirait à transmettre
une culture préexistant à cet acte de prise de parole ? N’y a-t-il pas une contradiction
profonde entre recours à la tradition et création littéraire ? Ce problème, au demeurant,
se pose aussi pour le conteur : doit-on le considérer comme quelqu’un qui transmet un
texte fixé une fois pour toutes depuis des temps immémoriaux ?
48 Un examen de la production littéraire qui se réfère au monde de la littérature orale
montre que les écrivains ont apporté à ces questions deux types de réponses tout à fait
opposés. Les uns ont estimé que la littérature produite dans les langues européennes
pouvait servir à diffuser les contenus de la tradition et permettre la conservation de celle-
ci. Cette intention est souvent exprimée dans des préfaces ou des textes à caractère
manifestaire. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, Djibril Tamsir Niane, dans la préface
de Soundjata ou l’épopée mandingue, avertit son lecteur de façon très explicite :

Ce livre est donc le fruit d’un premier contact avec les plus authentiques traditionalistes du
Mandingue. Je ne suis qu’un traducteur, je dois tout aux maîtres de Fadama, de Djéliba Koro et de
Keyla et plus particulièrement à Djéli Mamadou Kouyaté, du village de Djéliba Koro (Siguiri), en
Guinée. (Niane, 1960 : 9).

49 Cette déclaration ne doit pas cependant nous faire perdre de vue que Soundjata ou
l’épopée mandingue est un livre qui n’aurait jamais existé sans le travail d’écriture opéré
par un auteur, Djibril Tamsir Niane.
50 Néanmoins, il y a bien ici affirmation d’une conception de la littérature qui réduit un
ouvrage de ce type à la transmission d’un donné préexistant. Ce qu’il convient de noter à
cet égard, c’est que la thèse a maintes fois été exprimée par des anthropologues
européens qui ont vu en particulier dans le texte oral légué par la tradition une sorte de
trésor enfoui que la recherche devait s’efforcer de faire apparaître, à la façon de
l’archéologue mettant à jour une œuvre d’art qui gisait dans le sol. Cette attitude apparaît
en particulier chez Griaule, toujours désireux de faire surgir dans toute son intégrité une
africanité profonde. Ainsi, il présente en ces termes les circonstances qui lui ont permis
d’avoir accès à la cosmogonie que lui a révélée Ogotemmêli et qu’il expose dans Dieu
d’eau :

En octobre 1946, il [Ogotemmêli] manda chez lui l'auteur et, durant trente-trois journées, des
entretiens inoubliables se déroulèrent, mettant à nu l'ossature d'un système du monde dont la
connaissance bouleversera de fond en comble les idées reçues concernant la mentalité noire
comme la mentalité primitive en général. [...] Ce faisant, l'auteur souhaite atteindre deux buts :
d'une part, mettre sous les yeux d'un public non spécialiste, et sans l'appareil scientifique habituel,
un travail que l'usage réserve aux seuls érudits ; d'autre part, rendre hommage au premier Noir de
la fédération occidentale qui ait révélé au monde Blanc une cosmogonie aussi riche que celle
d'Hésiode, poète d'un monde mort, et une métaphysique offrant l'avantage de se projeter en mille
rites et gestes sur une scène où se meut une multitude d'hommes vivants. (Griaule, 1966 : 4-5).

51 Là encore, on pourrait faire la même remarque qu’à propos de Djibril Tamsir Niane :
Dieu d’eau a-t-il pour « auteur » Ogotemmêli ou Griaule, qui, à vrai dire, semble un peu
hésiter puisqu’il emploie ce terme ?
52 Dans cette perspective, l’accent se trouve ainsi placé sur les contenus de la tradition, sur
ses énoncés, avec une adhésion au principe selon lequel ceux-ci doivent présenter un
caractère fixe et permanent. En revanche, d’autres écrivains voient les choses
différemment. Pour eux, ce qu’il faut retenir de ce que l’on appelle la « tradition », ce sont
moins ses contenus que le processus à travers lequel cette tradition s’actualise, dans une
parole vivante et toujours renouvelée. Une parole qui, en outre, n’est pas nécessairement
claire et qu’il faut par conséquent savoir interpréter. Dans un de ses contes, La biche et les
deux chasseurs, Birago Diop a particulièrement exprimé cette nécessité :

Les chiens de N’Dioumane, nés dans sa demeure, avaient reçu de son père les noms de Worma
(Fidélité), Wor-ma (Trahis-moi), Digg (Promesse) et Dig (Haie mitoyenne). Le père de N’Dioumane
pensait qu’en ces mots s’enfermait assez de sagesse pour l’homme qui ne voulait point avoir de
déceptions dans son existence. Car, disait-il, comme Worma et Wor-ma étaient les mêmes, Fidélité et
Trahison allaient de pair ; en effet, expliquait-il, si la Fidélité devait durer toujours, l’eau ne cuirait
jamais le poisson qu’elle a vu naître et qu’elle a élevé. Il disait aussi que la Promesse était une
couverture bien épaisse, mais qui s’en couvre grelottera aux grands froids. Il disait encore qu’avoir
la même haie mitoyenne n’a jamais donné deux champs de même étendue, pas plus que deux
hilaires de même longueur ne suffisaient pour remplir de mil deux greniers de même contenance. Il
ne disait pas, mais il le pensait sans doute, qu’il y avait chasseur et chasseur, ce que M’Bile-la-Biche
ignorait peut-être, malgré son grand savoir. Il disait encore d’autres paroles de sagesse que son fils
parut avoir oubliées le jour où s’arrêta sur le seuil de sa maison, chantant et dansant au son du tam-
tam, cette bande joyeuse de jeunes femmes plus jolies les unes que les autres. (Diop, 1969 : 144-145).

53 Ainsi, loin d’être un donné préexistant qu’il serait facile de cerner, la parole est d’abord
incertitude. Ce caractère apparaît notamment, non seulement à travers la multiplicité des
langues qui constitue un obstacle à la compréhension mutuelle des hommes, mais aussi
dans les homonymes existant dans toute langue, le phénomène de la métaphore ainsi que
dans la possibilité de voir une même chose sous des angles opposés.
54 Mais cette ambiguïté du langage ne signifie pas nécessairement une limite intolérable
de la condition humaine car on peut y voir le champ offert à la liberté de l’homme. C’est
ce que souligne bien ce propos de Tierno Bokar rapporté par Hampâté Bâ :

En donnant à l’homme le verbe, Dieu lui a délégué une part de sa puissance créatrice. C’est par la
puissance du verbe que l’homme, lui aussi, crée. Il crée non seulement pour assurer les relations
indispensables à son existence matérielle, mais aussi pour assurer le viatique qui ouvre pour lui les
portes de la béatitude. (Bâ, 1980 a : 126).

55 L’exercice de la parole est ainsi un processus de construction du sens, aussi bien dans le
domaine des relations sociales et des valeurs qui la sous-tendent que dans celui de la
recherche théorique.
56 Hampâté Bâ n’a cessé d’insister sur cette nécessité dans laquelle se trouve placé
l’homme de construire et d’interpréter. Il lui est arrivé de se définir comme
« traditionaliste », mais le mot terme ne doit prêter à confusion :

L’homme qui voyage découvre et vit d’autres initiations, enregistre les différences ou les
ressemblances, élargit le champ de sa compréhension. […] On peut dire que celui qui est devenu
traditionaliste-doma a été, toute sa vie, un chercheur et un questionneur, et qu’il ne cesse jamais de
l’être. (Bâ, 1980 b : 221).

57 Le « traditionaliste », au sens où l’entend Hampâté Bâ, accorde toujours une importance


prédominante à l’activité de l’intelligence, à la capacité d’établir des relations entre les
faits et les textes recueillis.
58 De la sorte, Hampâté Bâ redonne au sujet toutes ses prérogatives, dans une perspective
tout à fait différente de celle de Griaule qui a eu toujours tendance, même s’il fut
probablement le premier anthropologue à s’effacer devant la parole africaine pour se
mettre à son écoute, à considérer cette parole comme un tout qu’il fallait recueillir tel
quel18. C’est pourquoi, on peut considérer qu’il y a une dimension proprement
philosophique dans l’œuvre d’Hampâté Bâ puisqu’elle ne cesse de mettre l’accent sur la
nécessité d’interpréter la tradition, ce qui, étymologiquement, est une contradiction, mais,
bien évidemment, une contradiction féconde.
59 Cette démarche est assez proche en définitive de celles de Paulin Hountondji ou de V. Y.
Mudimbe, en particulier par la façon dont elle formule une double problématique
centrale chez ces deux auteurs. La première concerne le rapport à la tradition qui, par
exemple pour Mudimbe, n’a de sens que s’il est critique et situé dans la conscience
historique du sujet :

Dire les limites et les faiblesses d’une tradition n’implique, au départ, ni nihilisme ni goût pour le
sacrilège. C’est seulement faire l’histoire d’une aliénation, d’une vérité, ou d’un fait. […] Le point est
d’inscrire notre combat dans le présent, c’est-à-dire de prendre la responsabilité de notre futur.
Nous nous savons être des enfants du passé. Nous en sommes aussi les maîtres. Il serait erroné de
lui accorder un pouvoir de totalisation qu’il n’a jamais eu et ne pourrait avoir. […] Nos singularités
et différences (langue, condition, projets actuels) définissent pour chacun d’entre nous une
géographie et un espace d’actions possibles. A nous de le transformer, ce passé ; c’est-à-dire de le
coloniser, de l’arranger pour qu’il s’intègre dans les lieux d’accomplissement de notre liberté.
(Mudimbe, 1994 : 121).
60 La deuxième se rapporte à la question du corpus dans lequel réside la tradition. En
effet, on ne peut parler de tradition sans partir des textes qui sont censés l’exprimer :

Plus personne ne s’avise aujourd’hui de parler de la philosophie africaine sans référence à la


littérature qui l’exprime ; plus personne ne la projette dans l’absolu comme un en-soi, comme un
système clos et, de toute éternité, identique à lui-même ; plus personne ne l’imagine en dehors de
son histoire. Dans ce retour au réel, il faut voir un des résultats les plus tangibles de la critique de
l’ethnophilosophie, quels que soient par ailleurs les problèmes liés à cette redécouverte de
l’histoire. (Hountondji, 1997 : 151).

61 En insistant sur la nécessité de prendre en compte ces textes sans lesquels, justement,
cette tradition n’existerait pas ou se réduirait à un fantasme ou une idéologie, Hountondji
définit ainsi les conditions qui rendent possible la critique de la tradition qui, comme tout
texte, est toujours susceptible de faire l’objet d’une analyse.
62 Ces quelques exemples illustrent la dimension philosophique dans laquelle peut
s’opérer le rapport critique à la tradition et aux textes qui la constituent. Mais cette
attitude apparaît aussi dans son versant proprement littéraire. Si certains écrivains,
comme on l’a vu à propos de Djibril Tamsir Niane, réduisent l’utilisation qu’ils font de la
tradition en se définissant -un peu rapidement- comme simples « traducteurs », d’autres,
en revanche, entretiennent avec celle-ci une relation plus complexe, transgressive même.
Dans le chapitre 11 de L’enfant noir, Camara Laye évoque l’épisode dramatique de la mort
de son camarade Check, survenue alors que le narrateur est revenu à Kouroussa pour la
durée des vacances scolaires. Check vient de mourir et son corps n’a pas été encore
inhumé. Le narrateur, qui écrit le récit bien après cet événement, relate en ces termes ce
qu’il ressent au moments des faits :

Il me semble revivre ces jours et ces nuits, et je crois n'en avoir pas connu de plus misérables.
J'errais ici, j'errais là ; nous errions, Kouyaté et moi, comme absents, l'esprit tout occupé de Check.
[...] 'Check !' pensais-je, pensions-nous, et nous devions nous contraindre pour ne pas crier son nom
à voix haute. Mais son ombre, son ombre seule, nous accompagnait... Et quand nous parvenions à le
voir d'une manière un peu plus précise -et nous ne devions pas le voir d'une manière un peu plus
précise-, c'était au centre de sa concession, étendu sur un brancard, étendu sous son linceul, prêt à
être porté en terre ; ou c'était en terre même, au fond de la fosse, allongé et la tête un peu surélevée,
attendant qu'on posât le couvercle de planches, puis les feuilles, le grand amoncellement de feuilles,
et la terre enfin, la terre si lourde.... 'Check !... Check !...' Mais je ne devais pas l'appeler à voix haute :
on ne doit pas appeler les morts à voix haute ! Et puis, la nuit, c'était malgré tout comme si je l'eusse
appelé à voix haute : brusquement, il était devant moi ! (Camara Laye, 1985 : 207-208).

63 Ce texte, apparemment, nous introduit à un nouvel aspect de l’Afrique traditionnelle, à


l’occasion d’un moment particulièrement poignant vécu par le narrateur. Mais, sur deux
points majeurs, celui-ci infléchit son récit : d’une part, il rappelle que Kouyaté et lui
parviennent à « voir d'une manière un peu plus précise » le corps de Check et, d’autre
part, il souligne qu’à plusieurs reprises ils appellent, en prononçant son nom, leur
malheureux camarade. Or, dans les deux cas, le narrateur prend soin de préciser que cela
ne doit pas se faire : « nous ne devions pas le voir d'une manière un peu plus précise »,
« on ne doit pas appeler les morts à voix haute ! ». Lui et Kouyaté ont donc violé un
double interdit. Mais ce qui me paraît essentiel ici, c’est que Camara Laye, en donnant à
son texte la forme d’une prétérition, opère en quelque sorte une transgression au second
degré puisque celle-ci a lieu, d’abord dans le cadre des événements rapportés, puis dans
le temps de la narration. Par là-même, l’écrivain définit une fonction capitale de la
littérature : dire explicitement ce que l’on n’a pas le droit de dire ou de faire. On voit donc
à quel point on ne peut réduire L’enfant noir à un projet visant à reconstituer, sur le mode
du récit autobiographique, le monde traditionnel. La démarche de Camara Laye est ainsi
à l’opposé de cette logique de « traduction », dont parlait Djibril Tamsir Niane et son
attitude ne constitue nullement une exception. On la retrouve chez de nombreux
écrivains qui ont insisté notamment, comme Achebe, dans Things Fall Apart (Achebe,
1958) , ou Mongo Beti, dans Mission terminée, sur l’insatisfaction éprouvée par l’individu
dans le milieu traditionnel ou chez ceux qui ont souligné, comme Soyinka dans The
Interpreters (Soyinka, 1965) que ce monde traditionnel n’avait pas de sens clair et qu’il
était nécessaire de toujours l’interpréter et de maintenir active une exigence de « self-
apprehension » (Soyinka, 1976 : XI, XII)19.
8. Conclusion.
64 Il était logique que les écrivains africains voient dans l’univers de la littérature orale un
ensemble de matériaux susceptible de nourrir leur projet littéraire. Cette attitude
répondait à une volonté de redonner sa place à la culture africaine, de contribuer à sa
défense et à son illustration et de produire ainsi un discours qui puisse se substituer à
celui que l’Europe tenait depuis des siècles sur l’Afrique et ses sociétés.
65 Placé dans cette situation de concurrence des discours évoquée précédemment,
l’écrivain africain devait cependant se heurter à deux difficultés principales. Il devait tout
d’abord constater très vite que le colonisateur avait accordé, dès le début de la conquête,
une grand attention à la littérature orale et aux sociétés africaines traditionnelles et, de ce
fait, il a été conduit à s’interroger sur la validité de ce savoir colonial et sur la façon dont
il lui était possible de s’en démarquer. La réponse apportée à cette interrogation est loin
d’être uniforme et, à cet égard, une ligne de partage peut être tracée entre deux attitudes
bien différentes. Les uns voient dans la littérature orale l’expression d’une tradition
constituée essentiellement d’un ensemble de contenus qui leur apparaissent comme
spécifiquement africains. Les autres mettent l’accent au contraire sur le processus qui
permet l’actualisation de ces contenus et, par conséquent, sur la parole envisagée dans le
temps même où elle est proférée.
66 Cette opposition ne recoupe pas nécessairement un antagonisme entre Africains et
Européens. Elle renvoie plutôt à la conception que l’on se fait du savoir et du type de
savoir que la littérature est susceptible de véhiculer. Sur ce plan, on se souviendra que le
mot « savoir » a, en français, deux acceptions. Envisagé comme substantif, le terme
renvoie à un contenu déjà constitué. Ainsi, on peut dire d’une personne qu’elle dispose
d’un grand savoir dans le domaine du droit ou de la biologie. Mais le terme « savoir » est
d’abord un verbe, employé à l’infinitif et, à ce titre, il met l’accent, non sur ce contenu,
mais sur le processus, progressif et jamais achevé, à travers lequel celui-ci se constitue.
C’est cette deuxième acception que retient Hampâté Bâ et l’importance qu’il accorde au
présent de la parole et à la nécessité de toujours considérer celle-ci comme une réalité à
interpréter le distingue de Griaule, attaché, ainsi qu’on l’a souligné, à la mise à jour d’une
africanité enfouie et constituée une fois pour toutes.
67 On comprendra dès lors ce que peut avoir de paradoxal l’utilisation que de nombreux
écrivains font de la « tradition » : en privilégiant ce présent de la parole et en jetant le
soupçon sur le contenu de celle-ci, Camara Laye, Soyinka, Birago Diop, Mongo Beti,
Hountondji, Mudimbe, manifestent incontestablement une volonté de faire de l’écriture
un acte qui se situe à l’écart d’un environnement culturel préexistant, qui tente de
« détacher une parole seconde de l'engluement des paroles premières que […] fournissent
[à l’écrivain] le monde, l'histoire, son existence, bref un intelligible qui lui préexiste, car il
vient dans un monde plein de langage » (Barthes, 1964 : 15), et qui répond en définitive au
principe défini par Mallarmé dans sa célèbre conférence sur Villiers de l’Isle Adam :
« Sait-on ce que c'est qu'écrire ? Une ancienne et très vague mais jalouse pratique, dont gît
le sens au mystère du cœur. Qui l'accomplit, intégralement, se retranche ». (Mallarmé,
1945 : 485).

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Notes
1 Parmi les travaux en français les plus anciens, signalons l’ouvrage du baron Roger, Fables sénégalaises (Roger, 1828) ainsi que
ceux de Casalis consacrés à la langue séchuana et aux Bassouto (Casalis, 1841 et 1859). Pour un historique de la perception des
littératures orales de l’Afrique par la recherche européenne, voir notamment le chapitre que Ruth Finnegan consacre à cette
question dans Oral Literature in Africa (Finnegan, 1970). Pour un bilan de l’apport africaniste de Roger, voir l’article de K.
Aggarwal (Aggarwal : 2003).
2 Sur la législation organisant cet enseignement colonial ainsi que sur sa structure et ses contenus, voir l’analyse que je lui ai
consacrée dans Littérature et développement. (Mouralis, 1984 : 59-99).
3 Cette pratique montre, comme l’exemple donné précédemment par Davesne et Gouin, que, dans la réalité, les langues
africaines n’étaient pas toujours bannies de l’école coloniale.
4 Les pièces montées chaque année par les élèves avaient pour point de départ des enquêtes menées par ceux-ci dans leurs
régions d’origine au cours des grandes vacances. Bakary Traoré cite quelques-uns des questionnaires remis aux élèves par leurs
professeurs avant leur départ et à partir desquels ils conduisaient leurs recherches (Traoré, 1958 : 48-49).
5 A la thèse préconisant pour les élèves africains un enseignement qui ne les coupe pas de leur environnement, dans une
logique d’enseignement primaire supérieurs pour les grandes classes, s’ajoute une exigence plus proprement politique :
l’existence en Afrique d’un enseignement secondaire conduirait au baccalauréat et donc à la possibilité d’entreprendre des
études universitaires, ce qui poserait un problème de concurrence sociale et professionnelle entre les Africains et les Européens
titulaires de mêmes diplômes.
6 Cette hésitation, ou, si l’on préfère, cette aporie du discours occidental a connu des développements significatifs à travers
l’association souvent établie, dans des travaux psychiatriques à partir de la fin du XIXe siècle, entre l’enfant, le fou le primitif.
Voir sur cette question l’analyse que j’en fais dans le chapitre I de L’Europe, l’Afrique et la folie, « L’Afrique comme figure de la
folie » (Mouralis, 1993 : 15-74). Ce discours hésite en particulier entre deux figures opposées : la transe et le sommeil. A noter que
ce type d’association n’est jamais opéré par les anthropologues, y compris chez Lévy-Bruhl.
7 On trouve également une hésitation de ce type chez Guéhenno, évoquant dans la France et les Noirs, la poésie des Dogon
révélée par les anthropologues : « J’envie les ethnographes. Les textes qu’ils recueillent et sur lesquels ils travaillent ne sont pas
sans analogie avec les poèmes de M. Claudel ou de M. Alexis Léger. C’est une sorte de gangue verbale confuse et obscure, une
marne grise mais où des mots éclatent parfois comme des pépites d’or. » (Guéhenno, 1954 : 74-75). Précisons que La France et les
Noirs est le récit de la tournée que Jean Guéhenno a effectuée en AOF en 1953 comme inspecteur général de l’Education
nationale. Ces considérations sur la poésie de la cosmogonie dogon doivent être mises en parallèle avec les réflexions qu’il
présente sur l’enseignement de la langue et de la littérature françaises en Afrique, à l’époque de l’Union française.
8 Le fait que ce poème soit dédié à Pablo Picasso a évidemment son importance.
9 Cet essai, « Le français langue de culture » a paru pour la première fois dans Esprit en novembre 1962.
10 Dans cet essai, Senghor, reprend, dans sa deuxième référence à Croquis de brousse, une partie de la citation indiquée plus
haut mais il ne retient pas la formule « l’apprenti écrivain » et ne fait pas apparaître les coupures qu’il introduit dans le texte de
Davesne. (Senghor, 1964 : 362).
11 Pour un bilan de l’africanisme et un exposé des problèmes théoriques ainsi qu’une analyse des parcours des acteurs, voir
Anne Piriou et Emmanuelle Sibeud, éd., L’africanisme en questions (Piriou et Sibeud, 1997) et Emmanuelle Sibeud, Une science
impériale pour l’Afrique ? (Sibeud, 2002).
12 Wangrin, dont il est ici question, est évidemment le personnage dont Hampâté Ba a retracé l’ascension et le déclin dans son
célèbre récit, L’étrange destin de Wangrin (Bâ, 1973).
13 A noter que cette évolution se produit d’ailleurs au moment où de plus en plus de chercheurs africains présentent leurs
travaux dans le cadre universitaire et, à la différence de ce que l’on observait pendant la période coloniale, la distinction entre
les prérogatives respectives des Africains et des Européens dans le domaine de la recherche n’a plus beaucoup de réalité.
14 Bien sûr, cette sensibilité au présent du texte littéraire oral apparaît déjà dans des travaux plus anciens et, à cet égard, on
peut signaler l’attitude tout à fait novatrice de Charles Beart s’intéressant à la question des jeux et des jouets. (Beart, 1955 et
1960).
15 Il paraît important de noter que cette nouvelle version de Kaydara est publiée quelques années après Wangrin, c’est-à-dire à
un moment où Hampâté Bâ se voit davantage perçu par le public à travers un statut d’écrivain. Par ailleurs, il se pourrait qu’il y
ait un certain aspect ludique dans l’usage que l’auteur fait des notes de bas de page dans cette nouvelle version. C’est ce qu’on
pourrait appeler son côté Borges.
16 Bien entendu, je laisse de côté une autre innovation, thématique celle-ci, et qui n’entre pas dans mon propos : l’introduction
dans la littérature africaine de la thématique de l’indépendance, traitée par Kourouma dans une perspective de
désenchantement.
17 A noter l’emploi de « sceptique » au singulier, conformément à l’usage du « vous » à l’écrit, qui est un pseudo pluriel. Selon la
procédure choisie par Kourouma, on devrait avoir plutôt « sceptiques », correspondant au pluriel désignant les membres d’un
public.
18 L’œuvre d’Hampâté Bâ et celle de Griaule illustrent particulièrement cette situation de concurrence des discours, mais celle-
ci est d’autant plus significative que Griaule, en se mettant à l’écoute de la parole africaine, fut un grand novateur et qu’on ne
saurait le réduire au rôle d’ethnologue colonial.
19 Cette thèse selon laquelle le monde dit traditionnel n’est pas un donné clair et que l’homme ne peut s’y référer,
éventuellement, qu’après l’avoir interprété est centrale chez Soyinka. Voir en particulier son essai, Myth, Literature and the
African World (Soyinka, 1976) ainsi que le discours prononcé lors de la remise du prix Nobel, Que ce passé parle à son présent
(Soyinka, 1986).

References
Electronic reference
Bernard Mouralis, “Littératures africaines, Oral, Savoir”, Semen [Online], 18 | 2004, Online since 29 April
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Bernard Mouralis

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