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Introduction Générale
L’intitulé du cours, parce que nous invitant à étudier la problématique de cette historiographie,
doit nous interpeller, eu égard au contexte de naissance de l’écriture de l’histoire africaine. Il nous met
face de la réalité selon laquelle cette historiographie est essentiellement née à un moment où l’Afrique
n’était pas maitresse de son destin. En conséquence, il nous invite à analyser comment cette
historiographie a connu une gestation difficile, parce qu’elle était mal engagée, détournée de l’objectif
premier qui devrait être l’écriture de son histoire au sens scientifique du terme. Ce contexte problématique
– les périodes des conquêtes coloniales et ensuite de la colonisation proprement dite - était tel qu’il
continue encore à marquer comme au fer rouge l’avenir de l’écriture de l’histoire africaine, tant les
préjugés, les contrevérités, les confusions nées de cette période charnière sont nombreuses et continuent
de donner du grain à moudre aux historiens spécialistes de l’Afrique.
Aujourd’hui encore, malgré tous les acquis, et les connaissances historiques bien établies sur
l’Afrique grâce à l’apport des historiens africains, et de ceux d’autres horizons débarrassés des préjugés
coloniaux, le travail de déconstruction de la production de cette première heure n’est pas, tant s’en faut,
fini. D’où il y a le lieu d’étudier dans le cadre de ce cours les principales étapes que cette historiographie
a traversées depuis la période des explorateurs, qu’ils soient européens ou arabes, jusqu’à nos jours.
L’approche est certes ambitieuse, mais l’utilité de connaître ces différentes étapes pour des futurs
historiens – et futurs spécialistes de l’histoire africaine, doit être un passage obligé pour la maitrise et la
confrontation des sources, de la méthodologie et l’utilité de la déconstruction d’un certain nombre de
préjugés qui ont encore la peau dure pour qu’ils soient corrigés dans la conscience collective.
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Comment définit-on une historiographie ?
Définir ce concept est d’une grande utilité quand on sait que nombre de gens le confondent avec
l’épistémologie de l’histoire, parfois même avec l’histoire elle-même. L’historiographie, en faisant
l’économie de toutes les théories qui existent sur la question, se définit de deux manières et les deux
définitions ne sont pas incompatibles. Bien au contraire, elle se complète. Elle est définie comme
l’ensemble des connaissances produites sur une région, un pays, une société, etc., à un moment donnée
de son histoire, de son évolution ou à travers le temps long. Quand on parle par exemple de
l’historiographie de l’Afrique durant la période coloniale, il s’agit de l’ensemble des connaissances
produites durant cette période sur le continent africain. Ces connaissances peuvent être diverses et
variées. L’historiographie africaine fait donc allusion aux connaissances anthropologiques, économiques,
sociologiques, géographiques, cartographiques. Que ces connaissances soient problématiques quant à
l’étude de son objet de recherche, cela n’enlève en rien au fait qu’elles font partie de cette historiographie.
Il appartiendra donc à l’historien de faire le travail nécessaire pour en tirer la meilleure partie pour ses
travaux.
Comme indiqué dans le titre de cette première partie, il s’agit ici de remettre en question,
d’interroger, et de pointer du doigt les nombreuses lacunes de la production historiographique au sujet
de l’’Afrique durant la période coloniale. Toutefois, il est important de noter avant de s’attaquer à cette
historiographie le fait de ne pas perdre de vue qu’une quantité non négligeable de sources ont été
également l’œuvre des géographes et des chroniqueurs arabes. El Bekri, El Omari, Ibn Khaldun, pour ne
citer que ceux-là, faisait partie de cette catégorie d’érudits ou de compilateurs arabes qui ont légué des
écrits sur l’Afrique, écrits à travers lesquels on peut lire beaucoup de confusions entre les peuples, les
lieux, les toponymies. Ces compilations font également partie des sources avec lesquelles on étudie
l’histoire de l’Afrique. Malgré leur intérêt certain, elles ne sont pas sans nourrir également un certain
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nombre de préjugés sur l’Afrique noire en particulier. À cause de la vision européocentriste de l’histoire,
cette historiographie n’a pas été valorisée durant la période coloniale de la même manière que les sources
internes à l’Afrique (chroniques éthiopiennes, traditions orales, écritures à caractères arabes appelées
adjami). Ce mépris porté aux productions antérieures à la conquête coloniale et aux productions internes
à l’Afrique est tel que beaucoup de chercheurs pensent que le début de l’historiographie africaine ne date
pas des rapports entre l’Afrique et les ex puissances coloniales, qu’elle va au-delà de cette période, quand
on sait que des textes sur l’Afrique ont été déjà produits depuis le temps d’Hérodote, quand bien même
ils seraient des fables, des contes et des descriptions dans le but d’émerveiller. Le débat reste donc
ouvert à ce niveau.
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légendes ou de mythes faisait à l’époque force de loi dans la production de ce qui était considéré comme
science historique. Il va sans dire qu’une telle vision européocentriste de l’histoire scientifique mettait
l’Afrique, dont les cultures étaient essentiellement orales, hors de course. Outre la domination
intellectuelle, culturelle, politique et économique, elle était également considérée comme un contient
anhistorique, qui n’a pas d’histoire. C’est peu de dire qu’elle est non seulement méprisée et traitée dans
la plupart des travaux de l’époque comme une terre d’exotisme, de découvertes, du tourisme.
Nombre de spécialistes de cette période, dont le Professeur Boubacar Barry de l’école historique
de Dakar, affirment que cette historiographie de la période coloniale était intéressée pour la simple et
bonne raison qu’elle accordait plus d’intérêts aux rouages commerciaux, aux maisons commerciales, aux
descriptions au niveau des côtes ou des comptoirs commerciaux. Les institutions politiques et sociales,
mais aussi les dynamiques internes des sociétés africaines faisaient figure de parent pauvre dans cette
historiographie coloniale. Dans l’anthropologie coloniale, tant anglaise que française, entre autres, les
sociétés africaines étaient comme des « monades repliées sur elles-mêmes » sans aucune
interconnexion entre elles. Les couples tradition/modernité, citadin/villageois, ville/village, rural/urbain,
civilisé/barbare, etc. étaient un métalangage connu durant cette période. Cela consistait à appliquer à la
lettre « la politique de diviser pour mieux régner ». Ces oppositions ou dichotomies crées sciemment,
mais aussi ces ethnies inventées de toutes pièces étaient de nature à maintenir l’Afrique dans une
situation conflictuelle, de mésentente pour continuer à l’exploiter et à faire d’elle une « vache laitière ».
Au vu de tout ce qui vient d’être résumé, on comprendra alors aisément que l’historiographie de
la période coloniale, malgré son intérêt, reste de nos jours encore problématique. Elle a retardé l’écriture
effective de l’histoire africaine. En ce sens, elle a donné du travail aux premiers et vrais spécialistes du
continent du grain à moudre, tant il fallait d’abord magistralement déconstruire toutes les contrevérités,
les vocabulaires inappropriés, les jugements de valeurs, les idées reçues, rectifier les falsifications aussi
nombreuses que complexes, mais aussi s’inscrire en faux contre l’idée selon laquelle l’Afrique était une
terre sans histoire avant la présence du colonisateur. Aussi bien les connaissances produites durant cette
période coloniale que l’esprit qui présidait à un tel projet, tout a été interrogé, remis en question. Ce
travail de déconstruction, qui continue d’ailleurs de nos jours encore, a posé non seulement un problème
de sources, mais aussi et surtout empêche les spécialistes des sociétés africaines d’étudier directement
leur objet de recherche sans devoir passer énormément du temps à ramener les choses à leurs justes
proportions chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Il est rare de voir de nos encore une étude sur les
sociétés africaines sans qu’elle n’accorde une place à la déconstruction de tout un vocabulaire galvaudé
hérité de cette période. .
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Toutefois, il est à noter que malgré le fait que l’essentiel de la production historiographique de la
période coloniale ait pour vocation d’aider le projet colonial à se mettre en place et à se consolider, force
est de noter qu’il n’y avait pas que du colonial, qu’il y avait parmi les historiographes de l’époque des gens
qui étaient animés pour des raisons scientifiques dans le cadre de leurs productions. Les travaux de
Delafosse (Haut-Sénégal-Niger), d’Hubert Deschamps, de Cornevin, entre autres, étaient et sont toujours
d’un intérêt scientifique. C’est le lieu donc de nuancer le propos selon lequel l’historiographie coloniale
était impérialiste, raciste et à but non scientifique. Autrement dit, il n’y a pas que du « colonial » dans
l’historiographie coloniale, il y avait également de vrais matériaux scientifiques produits à cette époque-
là par des anthropologues, des administrateurs coloniaux, des missionnaires blancs, etc. C’est dire que
ce que l’on appelle la « bibliothèque coloniale » avait à ce titre sa raison d’être dans l’écriture et la
compréhension de certains aspects de l’histoire de l’Afrique.
Au total, de la période des conquêtes coloniales aux années des indépendances qui tournent
autour de 1960, la production historiographique sur l’Afrique, faite selon l’idéologie dominante et par des
étrangers, des non scientifiques et des non historiens, était essentiellement préjudiciable et défavorable
à une écriture scientifique et, donc, objective de l’histoire de l’Afrique, une histoire qui lui était d’ailleurs
niée au prétexte fallacieux de l’absence d’une culture d’écriture avancée dans les sociétés africaines.
C’est contre cette manière que s’inscrira la première génération d’historiens africains.
L’évolution historiographique sur l’Afrique était telle qu’au sortir de la colonisation, quand des
Africains eux-mêmes se sont penchés sur l’écriture de leur histoire, il fallait tout revoir de fond en comble.
Des gens comme Cheikh Anta Diop, Ibrahima Baba Kaké, Djibril Tamsir Niane, Joseph Ki-Zerbo, Sékéné
Mody Cissoko, pour ne citer que ceux-là, formés à la rigueur de la discipline historique dans les universités
européennes, se sont inscrits en faux, d’une part, contre l’historiographie coloniale, truffée
d’inexactitudes, de condescendances, et de mépris à l’égard des cultures, des langues et des sociétés
africaines et, d’autre part, contre leurs maîtres, ceux-là même qui avaient dirigé leurs travaux.
L’historiographie devient à partir de ce moment engagée où le producteur/historiographe africain se met
au service de son continent pour produire des connaissances diverses et variées dans le but d’une
écriture scientifique et interne de l’histoire de l’Afrique pour tordre le cou à la vision européocentriste. Il
était alors question de montrer, contrairement aux thèses qui faisaient de l’Afrique une terre sans histoire,
qu’elle avait non seulement une histoire, mais aussi et surtout qu’elle a connu des périodes historiques
glorieuses à l’image du moyen-âge où elle avait vu naître et s’organiser des empires hautement structurés
d’un point de vue politique, économique, culturel, social, militaire, etc. C’est dans ce cadre que des études
sur les empires médiévaux (Ghana, Mali, Songhaï…) et des figures historiques ont été multipliées de la
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part des chercheurs comme Djibril Tamsir Niane, Sékéné Mody Cissoko, Ibrahima Baba Kaké. Cheikh
Anta Diop, allant encore plus loin dans le temps et dans la démonstration d’une histoire africaine aussi
ancienne que l’humanité, a invité de façon soutenue, malgré la mauvaise mention que ses maitres lui ont
accordée à la soutenance de sa thèse en 1962, l’Egypte ancienne et la place de l’élément noir dans
l’histoire de l’humanité. Tout cela participe du renouvellement historiographique sur l’Afrique et de la mise
sur orbite de la partialité de l’historiographie coloniale sur l’Afrique, celle de se mettre au service de
l’impérialisme et de l’exploitation culturelle, économique, politique, démographique de l’Afrique.
L’intérêt de ces travaux était tel qu’ils ont fini par donner force aux sources orales qui n’étaient
pas considérées comme de vraies sources pour faire une œuvre de l’histoire. Leur apport à faire avancer
les connaissances historiques était tel qu’il a clos les débats engagés autour des années 1950 sur leur
légitimité. Elles deviennent désormais non pas des sources complémentaires à celles écrites comme le
laissaient entendre certains discours, mais des sources à part entière au même titre que toutes les autres
pour l’écriture de l’histoire africaine dans sa complexité. Dans ce processus de réhabilitation de l’histoire
de l’Afrique, les productions historiographiques internes à l’Afrique n’ont pas été en reste. Les travaux
des géographes arabes, les chroniques éthiopiennes et les archives familiales des lettrés musulmans,
que l’on appelle Adjami (fulfulde, haussa en caractères arabes), tant négligées durant la période coloniale,
ont été valorisées et exploitées pour une meilleure compréhension des dynamiques internes des sociétés
africaines. Il était là question de démentir partiellement le jugement européocentriste selon lequel toutes
les parties de l’Afrique ignoraient l’écriture. Cette tendance a permis de multiplier la possibilité des sources
à convoquer dans l’écriture de l’histoire de l’Afrique. Ces sources ont progressivement et totalement
acquis leurs lettres de noblesse partout à travers le monde. Le débat sur leur légitimité est désormais
clos.
À côté des historiens qui se sont dépensés pour la réhabilitation de l’histoire de l’Afrique et pour
la mise en valeur des sources jusqu’ici ignorées ou volontairement méprisées pour le besoin de
l’entreprise coloniale, il y a également une autre catégorie d’historiographes que l’on appelle tantôt
développementalistes, tantôt tiers-mondistes, parmi lesquels l’économiste Samir Amine. Dans leurs
travaux, il est question de démontrer et d’établir les rapports entre le retard stratégique de l’Afrique et la
mainmise des puissances étrangères dans le cadre de la traite atlantique, de la colonisation, et de la
« néo colonisation », qui se manifeste par des rapports économiques et politiques inégaux en défaveur
toujours de l’Afrique. Dans cette série de travaux, il est montré que l’Afrique, qui a pourtant connu un
passé glorieux durant la période médiévale, a perdu toute perspective historique à cause de la traite
atlantique et de la colonisation qui seront suivies par des rapports inégaux. Une foison de travaux existe
à ce sujet.
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C’est dire qu’aussi bien ceux qui ont cherché à réhabiliter l’histoire et les sources de l’Afrique que
ceux qui ont essayé d’expliquer le retard de l’Afrique par la traite atlantique et son passé colonial, ont tous
un dénominateur commun, celui de rectifier les contrevérités, les exagérations contenues dans
l’historiographie coloniale. C’est en mettant en doute la démarche « historienne » de la période coloniale
qu’ils se sont imposés pour mettre en relief le point de vue africain dans l’écriture de l’histoire de l’Afrique
dans sa complexité.
On comprendra alors que non seulement l’historiographie africaine n’a non seulement jamais
cessé d’évoluer, mais aussi et surtout elle ne peut pas indéfiniment être associée qu’aux couples ex-
puissances coloniales/ex colonies. Les dynamiques internes de l’Afrique et les ruptures épistémologiques
de sa longue histoire débordent ce cadre. Les enjeux actuels étant devenus multiples et les acteurs
nombreux quant aux rapports de l’Afrique avec l’extérieur, il va sans dire que les connaissances produites
et la manière de les produire sur l’Afrique doivent également suivre la même cadence. Les rapports
extérieurs de l’Afrique englobent aujourd’hui, outre les anciennes puissances coloniales de l’Afrique,
d’autres parties du monde. Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, entre autres, sont aujourd’hui des acteurs sur
le terrain africain. La globalisation, la mondialisation ou l’uniformisation sont telles que l’Afrique est
connectée au même titre que toutes les parties du monde.
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aujourd’hui contestée par beaucoup d’historiens, car elle met non seulement la colonisation en relief et
en valeur dans les toutes les phases de l’histoire de l’Afrique, mais aussi et surtout réduit la longue histoire
de l’Afrique à cette parenthèse, certes douloureuse, mais réduite dans la longue histoire du continent.
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Conclusion
La discipline évoluant, les acteurs aussi, l’Afrique ne peut plus continuer à être étudiée que sous
le prisme de ses rapports avec les ex puissances coloniales, d’où une nouvelle tendance
historiographique qui remet systématiquement en cause le vocabulaire inapproprié de l’historiographie
coloniale et la triple périodisation (précoloniale, coloniale et postcoloniale). Les études régionales au
détriment des anciens empires coloniaux y sont également privilégiés pour mieux montrer les dynamiques
internes du continent et de balayer d’un revers de main la politique qui consistait à étudier les différentes
parties du continent distinctement. Le vocabulaire colonial infantilisant les populations et les croyances,
entre autres, est également revu. Au regard de nouveaux rapports qui se dessinent dans cette ère de
mondialisation, de nouveaux thèmes sont mis en relief au détriment des thèmes déjà épuisés.