Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Anselme GUEZO
Département d’Histoire et d’Archéologie
Université d’Abomey-Calavi
République du Bénin
guezo53@yahoo.fr
RESUME
Les historiens togolais viennent de publier, par les soins des Presses de l’Université de
Lomé, un ouvrage important, en plusieurs volumes, sur l’histoire de leur pays. Ce faisant,
ils peuvent être comptés parmi les rares historiens africains ayant déjà réussi un tel exploit.
Ce travail collectif, conduit de main de maître par le Professeur Nicoué Gayibor, présente de
nombreuses qualités. Mais, comme le suggère le titre de l’ouvrage, l’approche d’une histoire
par le bas, c’est-à-dire, une histoire des peuples du Togo peut, si on n’y prend garde, sacrifier
à l’exhaustivité, la question lançinante de la construction nationale. La présente revue attire
l’attention sur cette faiblesse de l’ouvrage et propose le réaménagement méthodologique
nécessaire pour une histoire du Togo.
Mots-clés : Historiens, Togo, Togolais, Peuples, Construction nationale, Réaménagement.
SUMMARY
Togolese historians have just published, at the Lomé University Press, an important book,
in two volumes, on the history of their country. By so doing, they can be counted among the
few African historians to have already achieved such a deed. This collective work, under the
leadership of Professor Nicoué Gayibor, offers many qualities. But, as it is suggested by the
title of the book, an approach of history from below, that is, a history of the peoples of Togo,
can easily, if care is not taken, sacrifice to exhaustiveness the all important question of nation
building. The present review article draws attention to this weakness in the book and proposes
the methodological reshuffle necessary for a history of Togo.
Keywords : Togo, Historians, Togolese, Peoples, Nation building, Reshuffle.
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 77
d’une histoire du Togo, tout en soulignant, pour conclure, les présupposés théoriques
de cette approche contradictoire.
4 Voir Anignikin Sylvain,’Le Concept d’Histoire Nationale : Dimensions Théoriques et Fonctions Pratiques’
in Afrika Zamani, Nouvelle série – No.1, Juillet 1993, pp.9-21
5 Voir par exemple, Diawara, M., de Moraes Farias, P.F., Spittler, G. ed. Heinrich Barth et l’Afrique, Rüdiger
Köppe Verlag Köln,2006.
6 Sur les fondements idéologiques du discours ethnographique voir Eboussi Boulanga, F. (1982) La
Crise du Muntu, Présence Africaine, Paris. Il peut paraître abusif d’entretenir ici une confusion entre
histoire et ethnographie. Mais non seulement les groupes ethniques ont été définis et décrits par les
administrateurs-ethnographes coloniaux le savoir sur lequel les historiens font aujourd’hui reposer leur
reconstruction a été largement accumulé par eux.
7 Voir Fage, J.D. ‘L’évolution de l’historiographie de l’Afrique’ in Histoire Générale de l’Afrique, Méthodo-
logie et Préhistoire Africaine, Ki-Zerbo J.ed. volII, 1989, 45-63.
8 Voir Medeiros F. de (1985) L’Occident et l’Afrique (XIII-XVe siècles), Karthala, 136-147.
9 Voir Fairchild, H.N. The Noble Savage (New York, 1928)
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 79
d’ordre pratique, il faut ajouter le sentiment de culpabilité que ressentent les Blancs
pour leur participation à la traite des nègres que leur rappelle quotidiennement la
présence massive des descendants d’esclaves. Ce sentiment de culpabilité les
amène à consacrer une attention disproportionnée à l’étude de la traite des esclaves
en comparaison avec les autres thèmes de l’histoire africaine.
De leur côté, les Africains-Américains ne parlent pas toujours le même langage
que les Africains restés sur le continent. Pour eux, la motivation profonde est la
quête d’identité dans une société à dominance blanche. Pour cette raison de survie,
la recherche des racines africaines doublée de la défense et l’illustration de cette
culture retrouvée, souvent idéalisée, paraît primordiale. Ceci les amène à focaliser
l’attention sur telle ou telle nation africaine, au mépris de la situation économique
souvent catastrophique prévalant dans ces pays. Ce comportement laisse aux
Africains continentaux un arrière goût amer de l’afro-centrisme qui ne viserait pas,
fondamentalement, à remettre en cause l’ordre du monde.
La dernière définition de l’histoire nationale, discutée par ce travail, est celle
proposée par les historiens africains, basés sur le continent, qui n’est pas non plus
sans ambiguïtés. Pour ces derniers, il s’agit de retracer l’évolution, dans le temps,
des jeunes nations africaines, de la période précoloniale à nos jours. Mais cela pose
d’énormes problèmes théoriques et méthodologiques. Les Etats-nations africains
sont très récents. Ils remontent seulement au dix-neuvième siècle où, à la conférence
de Berlin de 1884-85, les puissances européennes se sont partagé le continent en
différentes colonies françaises, anglaises, portugaises, allemandes, espagnoles et
italiennes. Ce découpage s’est effectué selon les convenances topographiques sans
tenir compte de l’espace géographique occupé par les entités politiques africaines.
Ce faisant, plusieurs peuples, en particulier ceux vivant à cheval de part et d’autre
d’une frontière, se sont vus séparés, de manière arbitraire, par une ligne géométrique
de démarcation.
De même, se retrouvent, par accident, sur le même territoire, des peuples qui se
connaissaient peu ou prou, dans le passé précolonial, ou mieux, qui avaient été hos-
tiles les uns aux autres. Comment donner à cet ensemble hétéroclite la conscience
d’une nation? La puissance coloniale, du fait de sa présence musclée et du fait de
l’exploitation subie par tout le monde, sans exception, a réussi, à son corps défendant,
à forger une conscience nationale marquée par l’unité d’action de l’élite dans la lutte
de libération. Mais, après l’indépendance, les données ont changé. Face aux difficultés
liées à la construction nationale, cette unité de façade s’est rapidement effritée. Com-
ment définir et enseigner l’histoire nationale dans un tel contexte? Plusieurs solutions
ont été expérimentées par la pratique quotidienne des historiens africains. En puisant
dans le stock de documents écrits accumulés depuis la colonisation il est possible de
retracer l’évolution de l’Etat-nation, au moins depuis ses origines coloniales jusqu’à
la période récente. C’est ce que les historiens africains ont baptisé histoire nationale
coloniale et postcoloniale.
Cette histoire peut, facilement, se déployer dans un temps linéaire et continu.
Quant à la longue période qui s’étend, au-delà de la césure coloniale, elle est plus
malaisée à maîtriser, en raison de la nature des sources et de la diversité des peuples
qui débordent, à l’occasion, l’espace géographique à eux assigné aujourd’hui. Pour
14 Voir Cheik Anta Diop, (1955) Nations nègres et culture, Editions Africaines, Paris
15 Voir Bagodo Obarè (2007) ‘Périodes précoloniales sans terminus a quo en historiographie africaine
récente (1965-2005) : approche archéologique’ communication au Ive congrès de l’Association des
Historiens Africains : Addis-Abéba, 22-25 mai 2007.
16 Voir Fanon, Frantz. Pour la révolution africaine, Paris : Maspero, 1964.
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 81
Mais les nouveaux concepts mis en jeu dans les discours dominants en Afrique
ont cessé de mettre en confrontation l’Europe et l’Afrique pour revêtir une dimension
nationale. L’inversion de signes, au détriment de l’Europe, fut opérée dans la fièvre
de la lutte coloniale qui faisait feu de tout bois, y compris la barbarie supposée dont
fit preuve l’Occident tout au long de son histoire. Cette barbarie l’aurait déchue de
son piédestal et dissipé l’aura de sainteté qui entoure encore la personne du Blanc.
Une telle attitude se comprend, facilement, lorsqu’on la place dans l’optique de la
dialectique du maître et de l’esclave17. Au plan national, par contre, il est difficile de
justifier une inversion horizontale, c’est-à-dire entre les groupes ethniques. C’est
pourquoi, dans un premier temps, fut prôné le relativisme culturel qui mettait tout les
groupes ethniques sur le même pied d’égalité.
Mais derrière cette façade d’égalitarisme culturel et politique, se cache le jeu subtil
d’une hiérarchisation qui ne dit pas, ouvertement, son nom. Ainsi, jouant sur l’équa-
tion interne/externe est décrété que tout ce qui est entaché de culture européenne
est inauthentique et donc à bannir. Il découle, logiquement, de cette prémisse que
les groupes ethniques méridionaux ayant entretenu un contact prolongé avec les
Européens ont de ce fait une culture adultérée. Ils sont donc moins représentatifs
de l’Afrique que leurs confrères de l’intérieur, restés à l’abri de telles influences débi-
litantes. Par une curieuse amnésie intellectuelle ce type de raisonnement ignore,
à dessein, que l’intérieur du continent africain a été exposé pendant des siècles à
l’influence de l’Islam qui est une religion étrangère à l’Afrique, sans perdre, à leurs
yeux, sa supposée identité culturelle. Bien souvent ces positions idéologiques viennent
renforcer un rapport de force politique en faveur des groupes ethniques de l’intérieur.
Mais comment expliquer ce renversement de la vapeur en faveur du Nord qu’on
observe sur l’échiquier politique de presque tous les pays du Golfe du Bénin, depuis
la Côte d’Ivoire jusqu’au Nigeria ? Pendant longtemps, l’intégration économique
des peuples d’Afrique de l’Ouest par le marché s’est réalisée, à partir de l’intérieur
du continent. C’est ce qui explique l’émergence, à partir du XIeme siècle des grands
empires du Soudan nigérien. Cependant, après la bataille de Tondibi, en 1591, qui
est interprétée par certains historiens, comme une réaction des peuples d’Afrique du
Nord contre la ‘découverte’ des côtes africaines par les navigateurs portugais, cette
intégration économique par le marché a changé de cap pour prendre une direction
Sud-Nord. Du coup, les peuples méridionaux ou côtiers, jusque-là périphériques à
ces grands empires, furent en bonne position de prendre la direction de l’évolution
économique et politique du sous-continent. Or, une des conséquences de l’intégration
économique par le marché est le démantèlement progressif des solidarités primaires,
entretenues par les rapports lignagers, et leur remplacement à terme, par des soli-
darités nouvelles étayées par les rapports marchands.
Ceci représenterait un passage obligé car seul l’individu libre, détaché du groupe,
est capable de vendre sa force de travail. En Europe, ce résultat fut atteint, de manière
brutale, par l’accumulation primitive, caractérisée par l’expropriation forcée des
paysans et leur réduction en vagabonds ou ouvriers dans les industries naissantes,
localisées dans les villes. En Angleterre, plus précisément, où l’élevage prit le pas
sur l’agriculture ce processus fut enclenché par le mouvement des enclosures18. En
17 Voir Fanon, Frantz.Les Damnés de la Terre.Paris : Maspero, 1978.
18 Voir Wallerstein I.(1983) Le Capitalisme historique. Coll. Repères, Ed. La Découverte, Paris.
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 83
tour de force les auteurs ont dû défricher, méthodiquement, des documents en anglais,
français et allemand et maîtriser un minimum de trois langues africaines dont l’éwé
réduit à l’écriture depuis le début du XXeme siècle par les missionnaires allemands.
Cependant, là ne s’arrête pas le contraste entre les deux volumes. Si le deuxième
volume qui traite la période coloniale est l’œuvre collective de plusieurs historiens de
nationalités différentes, le premier volume couvrant la période précoloniale semble
provenir de la plume experte d’un seul historien. Pour enrichissante qu’elle soit la
multiplicité des auteurs pose un problème de style et de continuité dans le débit du
récit. Parfois le lecteur a nettement l’impression que le récit se reprend par endroits,
même si la répétition est une astuce bien connue des pédagogues. Curieusement,
cette organisation thématique du deuxième volume, malgré l’approche généralement
diachronique le rapproche du traitement synoptique des sources du premier volume.
En effet, pour être à même de couvrir tous les groupes ethniques dans leur évolution
il n’y a pas meilleure formule que de les prendre, palier par palier, à travers le temps,
depuis la préhistoire jusqu’à la veille de la colonisation. Si cette méthode livre au lec-
teur avisé une masse impressionnante de renseignements inédits sur les formations
politiques précoloniales de l’espace togolais elle dissimule le fil conducteur du récit.
Mais peut-être n’en existe-t-il aucun. L’objectif ici n’est pas de suivre une évolution
mais de présenter une série de tableaux synchroniques à des périodes différentes.
Mais on peut se demander le lien réel de ce récit avec la nation togolaise pour mériter
ce titre, d’autant plus que les formations politiques en question débordent largement
de part et d’autre des frontières actuelles. A mon sens ceci représente la faiblesse
majeure de ce travail magnifique.
Il y a une nuance subtile entre Histoire des Togolais et Histoire du Togo. En optant
pour le premier titre les auteurs ont voulu éviter toutes controverses ou polémiques
à tendance régionaliste. Mais de ce fait ils se sont embourbés dans des difficultés
théoriques et méthodologiques. Histoire des Togolais qui apparaît comme une ter-
minologie générale à la fois incolore et inodore selon les auteurs arrangerait toutes
les susceptibilités. Mais, à y regarder de près, cette option est une fuite en avant qui
camoufle, habilement, la question lancinante de la construction nationale. Ce faisant,
les auteurs tombent dans le piège du discours ethnographique qui a toujours adopté
une attitude conservatrice vis-à-vis de l’Etat-nation hérité du colonialisme. Or, les
Africains devaient s’approprier cet héritage et l’orienter selon les objectifs de leur
développement.
En effet, une histoire des Togolais voudrait bien dire une histoire des populations
du Togo, telles qu’elles ont été définies par le colonisateur qui leur a affublées, arbitrai-
rement, les différentes étiquettes ethniques. Comme le prouve largement le premier
volume ces carcans sont bien désuets et artificiels. Ils ne sauraient rendre compte de
la fluidité des appartenances ethniques avant la colonisation. A tous points de vue,
les groupes ethniques ne sont pas réductibles aux langues comme le colonisateur a
tendance à le faire croire. Les langues sont des moyens efficaces de communication
facilement assimilables par des groupes de populations étrangers les uns aux autres
mais obligés d’échanger par l’entremise du marché. Revenir à ces démarcations
artificielles comme base de rédaction d’une histoire nationale a tout l’air d’une option
rétrograde qui fait remonter à la mémoire les formules tendancieuses de peuplades
et de races africaines en vogue pendant la période coloniale.
21 Voir Nietzshe, F . The Use and Abuse of History, translated from the German by Adrian Collin, New
York, The Liberal Arts Press, 1949.
22 Leçon inaugurale prononcée par le Professeur Paulin J. Hountondji à l’occasion de l’inauguration du
BIGSAS, Bayreuth International School for African Studies.
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 85
III- HISTOIRE DU TOGO : DE LA PROSPECTIVE A LA RETROSPECTIVE
L’idée que se fait le commun des mortels de l’historien est celle d’un homme dont
le regard est irrémédiablement rivé sur le passé et qui, par conséquent, est dépassé
par les événements. Nous savons depuis Benedetto Croce qu’il n’en est rien. Comme
nous l’enseigne ce grand historien italien toute histoire est de l’histoire contemporaine.
Le regard que porte l’historien sur le passé est forcément coloré par les préoccupa-
tions quotidiennes de ses contemporains. Pour paraphraser Albert Camus, l’historien
comme l’homme de lettres, est inséré dans le temps. C’est pourquoi une histoire du
Togo ne saurait perdre de vue la situation présente du pays ainsi que les inquiétudes
et les aspirations des Togolais pour leur avenir. En définitive, une histoire du Togo
pourrait se traduire par une histoire de la nation togolaise dont l’édification est projetée
dans l’avenir mais qui tire sa source du passé.
Le Togo comme tous les autres pays d’Afrique est confronté à la crise de l’Etat-
nation d’essence jacobine dont la faillite est patente sur tous les plans. Nous savons
que cette situation provient de l’inadéquation des institutions importées vis-à-vis de
la culture africaine. Ces institutions ne sont pas générées par l’évolution interne des
sociétés africaines mais furent imposées par la force par les différentes puissances
colonisatrices. De ce fait, elles n’ont pas été assimilées par les Africains. L’Etat-nation
se comporte comme un corps étranger qui n’a pas réussi à intégrer politiquement
et économiquement les populations disparates rassemblées sur son territoire. Les
Etats-nations africains ont été conçus avant tout comme des structures allogènes
au service d’intérêts étrangers. C’est pour cela qu’ils sont de plus en plus contestés
par les populations africaines.
En raison de la détérioration des termes de l’échange qui met à rude épreuve la
survie d’un monde paysan très endetté la pauvreté se répand à un rythme effréné dans
les campagnes et engendre un flux migratoire en direction des villes. Cependant, les
villes elles-mêmes sont la proie de la stagnation économique. En l’absence de toute
industrie, ces dernières sont prises d’assaut par le secteur informel où s’engouffre la
foule des chômeurs et des sans-emploi. A plusieurs reprises, les institutions finan-
cières internationales, comme la Banque Mondiale et le FMI, sont intervenues pour
proposer un certain nombre de solutions au marasme économique. L’ensemble de
ces mesures connues sous l’appellation d’ajustement structurel a fini par révéler ses
limites23. A ces problèmes communs à tous les Etats-nations africains, avec la nuance
que pour certains comme le Togo l’exportation de ressources minières a joué un rôle
plus important, s’ajoutent ceux qui sont particuliers au pays comme par exemple le
monolithisme politique que subirent les Togolais pendant plusieurs décennies.
Face à la faillite de l’Etat-nation certains intellectuels préconisent l’abandon pur
et simple du modèle jacobin et le repli sur soi pour marquer une pause et s’inspirer
de valeurs authentiquement africaines. Une telle solution a tout l’air d’une fuite en
avant. Bien au contraire, il faut poursuivre la réforme de l’Etat-nation, en lui assurant
des bases autocentrées. Autrement dit, faire en sorte que l’Etat-nation fonctionne en
le remettant sur ses pieds. Pour y parvenir il faudrait que les Africains commencent
par produire pour eux-mêmes. En définitive, ce train de réformes ne peut porter des
23 Pour plus de détails sur ces questions voir Anselme Guézo ‘Nationalités, Etats-nations et intégration
régionale en Afrique de l’Ouest au XXe siècle’ in Igué O.John ed. Les Etats-nations face à l’intégration
régionale en Afrique de l’Ouest – Le cas du Bénin, Karthala, Paris, 2006, pp.93-117.
24 Voir Pirenne Jacques, The Tides of History, vol : From the Expansion of Islam to the Treaties of
Westphalia, translated from the French by Lovett Edwards, George Allen and Unwin Ltd, 1963, pp.146-
153.
25 Voir Thomson David (1973) Europe Since Napoleon, Longman, London, p.45.
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 87
La dimension interne de la rétrospective se propose de retracer les grandes
étapes de l’évolution politique et économique des peuples d’Afrique depuis les bal-
butiements technologiques de la préhistoire et de la protohistoire jusqu’à l’émergence
des royaumes précoloniaux. De toute évidence, une telle approche ne peut qu’être
comparative. Elle prend appui sur les traits communs à toutes les sociétés africaines
qui sont au même stade de développement dans leur évolution. De cette manière, est
résolue la difficulté de la projection de la nation au-delà de la colonisation. Il s’agit,
par exemple, de faire ressortir l’antériorité des structures de parenté matrilinéaires
dont les survivances sont encore palpables dans bien des sociétés contemporaines
d’Afrique. En effet, les premières techniques de production, depuis le ramassage
jusqu’à la domestication des premières plantes comestibles, en passant par la
découverte de la poterie et de la cuisson des aliments, ont été le fait des femmes.
La femme jouait encore un rôle prédominant dans les sociétés africaines au stade
de plantage-bouturage. Cependant, avec la diffusion de la céréaliculture qui exige un
plus grand contrôle des forces de production et de reproduction le rôle social de la
femme fut, graduellement, relégué au second plan26. On peut suivre tous ces déve-
loppements à partir de la riche moisson de renseignements sur toutes les populations
du Togo contenue dans le premier volume de cet ouvrage. Après le tournant décisif
de la céréaliculture les relations de parenté patrilinéaires commencent par prendre
partout le dessus
Le patriarche devient la clé de voûte de la société, à la fois un intermédiaire avec le
monde des ancêtres et un médiateur avisé dans les relations avec d’autres sociétés.
C’est lui qui, par son autorité politique et religieuse, garantit la pérennité des unités de
production représentées par les différentes branches de la famille élargie. Mais il est
également une figure de proue dans la reproduction de ces groupes, à travers son
rôle d’intermédiation dans les échanges matrimoniaux27. Lorsque plusieurs groupes
lignagers s’installent dans une même localité apparaît le village dirigé par un chef
choisi au sein de la famille qui la première occupa le terroir. La chefferie villageoise
fonctionne comme une institution gérontocratique dont le dirigeant n’est qu’un primus
inter pares. Il est assisté dans la gestion au quotidien des affaires du village par un
collège de chefs de lignages. La chefferie villageoise est la forme d’organisation
politique la plus répandue sur le continent.
Cependant, il est rare que son fonctionnement soit libre de toutes contradictions.
En temps de crise intervient généralement un médiateur étranger qui finit par fonder
la première dynastie, à la suite de son mariage avec une femme du cru. C’est là un
modèle très répandu en Afrique qui pose le problème du rôle joué par les individus
dans l’histoire du continent. Mais au-delà de leur rôle, ce qui est en jeu est la capacité
des sociétés africaines à susciter des individualités, en raison de la provenance étran-
gère de ces personnages. En histoire africaine, ces personnages légendaires sont
souvent assimilés à des forgerons ou à des chasseurs doués de pouvoirs surnaturels.
Le premier volume nous renseigne abondamment sur le rôle joué par les forgerons
dans l’émergence des royaumes du Togo. Sans doute les forgerons et les chasseurs
qui utilisent les techniques de la violence basées sur la maîtrise de la métallurgie du
fer sont-ils bien placés pour assumer une autorité politique. Ils s’organisent d’habitude
26 Voir Vansina Jan (2004) How Societies are born – Governance in West Central Africa before 1600,
University of Virginia press, Charlottesville and London.
27 Voir Meillassoux Claude, Femmes, Greniers et Capitaux, François Maspero, Paris 1977, pp.45-49.
CONCLUSION
Comme partie intégrante de l’histoire africaine l’histoire nationale qui s’enseigne
aujourd’hui dans toutes les universités du continent est une discipline récente qui
cherche encore ses marques. Pour cela, les historiens ne s’accordent pas sur son
contenu. Si pour les Européens et les Américains elle s’inscrit en droite ligne dans
la tradition ethnographique et continue de fonctionner comme une courroie de trans-
mission de renseignements stratégiques sur le continent africain, pour les Africains
28 Voir Heinrich Barth cité par Davidson Basil, The Lost Cities of Africa, revised edition, little, Brown and
Company, Boston, New York, Toronto, London, 1987, p.67.
29 Voir Moseley, Katharine Payne op.cit pp.423-434
Anselme GUEZO (2013), Histoire des togolais ou histoire du togo : les ambiguites de l’histoire
nationale 89
elle se veut un forum de production de connaissance par eux-mêmes. Ces deux
perspectives se livrent une lutte acharnée dans le splendide ouvrage récemment
publié sur l’histoire des Togolais. Après une revue critique de l’ouvrage qui est une
véritable tour de force compte tenu de la masse d’information brassée par ses auteurs,
à majorité togolais, l’article démontre que ces derniers ne se sont pas franchement
démarqués de la logique binaire sous-tendant la démarche ethnographique. Ceci
ressort clairement du titre de l’ouvrage qui suggère l’intention d’amalgamer les diffé-
rentes histoires ethniques. Ce choix idéologique n’est certainement pas innocent. Il
dénote l’abandon postcolonial du projet d’édification de la nation, cher aux pères de
l’indépendance, au profit de la compétition pour le contrôle de l’appareil d’Etat hérité
du colonisateur. L’article démontre que les Africains n’ont d’autre alternative que de
reprendre ce projet dans un cadre régional en remettant sur leurs pieds les états-
nations africains qui fonctionnent aujourd’hui comme des mécanismes d’exploitation
des masses au service du capital. C’est dans cette perspective qu’une histoire du
Togo prend tout son sens. Pour terminer, l’article énonce les conditions d’une telle
approche de même que ses préalables théoriques et méthodologiques.
Remerciements
Aux collègues historiens togolais pour le don au Département d’Histoire et d’Archéologie de l’Université
d’Abomey-Calavi (République du Bénin) des trois tomes de Histoire des Togolais. Depuis, une nouvelle
édition a été publiée par Karthala sans changer fondamentalement le contenu de l’ouvrage. Cette revue
reste donc valable malgré son caractère un peu daté.