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41 | 1993
Mélanges Pierre Salmon II
Histoire et ethnologie africaies
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/civilisations/1594
DOI : 10.4000/civilisations.1594
ISSN : 2032-0442
Éditeur
Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 1993
ISBN : 2-87263-094-5
ISSN : 0009-8140
Référence électronique
Civilisations, 41 | 1993, « Mélanges Pierre Salmon II » [En ligne], mis en ligne le 30 juin 2009, consulté le
02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/civilisations/1594 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/civilisations.1594
SOMMAIRE
Dossier
coordonné par Gabriel Thoveron et Hugues Legros
Avant-propos
Gabriel Thoveron et Hugues Legros
Les perles au-delà du décoratif dans le golfe du Bénin à travers les âges
A. Félix Iroko
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2
Les juifs marocains dans l'Archipel des Acores - début d'une nouvelle mentalité
commerciale : l'exemple des Bensaude
Fatima Sequeira Dias
Sept tentatives, entre 1949 et 1953, pour lever « l'immunité parlementaire » de B. Boganda,
député du deuxième collège de l'Oubangui-Chari
Jean-Dominique Penel
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Dossier
coordonné par Gabriel Thoveron et Hugues Legros
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Avant-propos
Gabriel Thoveron et Hugues Legros
Version française
1 Ce deuxième volume de mélanges offerts à Pierre Salmon débute par une première
série de textes consacrés à l'ethnologie africaine avec les contributions de L. de Heusch,
D.V. Joiris, P. Wymeersch et Bilusa Baila Boingaoli ; ethnologie dont le texte de L. de
Heusch montre bien ce qu'elle peut apporter à l'histoire.
2 On entre ensuite dans cette dernière, dans la préhistoire, avec la contribution de
M. Cornevin et dans l'histoire précoloniale avec les textes de G. Kodjo, F. Iroko,
M.H. Buganza et Shaje a Tshiluila.
3 La partie la plus étendue du volume est consacrée à l'époque coloniale. Les textes de
E.A. Tiryakian, P. Laburthe-Tolra et H. Nicolaï présentent des images des mentalités
réciproques de l'Africain et de l'Européen au XIXe siècle. La contribution de
G. Thoveron sert de charnière afin de nous introduire dans les problèmes du travail
forcé, traités par M. Ngbwapkwa, T. Nsabimana, B. Fall, M. Camara et B. Fetter.
4 Les communications de F. Bontinck, P. de Maret, H. Legros et F. Dias traitent des rôles
économiques et politiques tenus par les Arabes, les Arabisés ou les Juifs.
5 Les contributions de A. Lederer, J.P. Harroy et J.D. Penel abordent des thèmes liés à
l'administration coloniale et celle de A. Verhaagen traite des structures
d'enseignement dans un pays qui ne fut jamais colonisé.
English version
6 This second volume of articles written in honour of Pierre Salmon starts with a series of
articles on African ethnology with contributions from L. de Heusch, D.V. Joiris,
P. Wymeersch and Bilusa Baila Boingaoli. The first text by L. de Heusch is a good
illustration of how ethnology can contribute to history.
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7 We then move into the realms of history itself; into prehistory with the contribution
from M. Cornevin and into precolonial history with the articles of G. Kodjo, F. Iroko,
M.H. Buganza and by Shaje a Tshiluila.
8 The main part of the volume is devoted to the colonial period. E.A. Tiryakan,
P. Laburthe-Tolra and H. Nikolai outline facets of the mentality of both the African and
the European of the 19th century. G. Thoveron contributes an article which serves as a
link between the latter and the problems of forced labour covered by articles from
M. Ngwapkwa, T. Nsabimana, B. Fall, M. Camara and B. Fetter.
9 Contributions from F. Bontinck, P. de Maret, H. Legros and F. Dias deal with the
economic and political roles of the Arabs, 'Arabised' peoples and the Jews.
10 A. Lederer, J.P. Harroy and J.D. Penel write on themes to do with colonial
administration and A. Verhaagen writes of educational structures in a country which
was never colonised.
AUTEURS
GABRIEL THOVERON
Faculté de Philosophie et Lettres – Université Libre de Bruxelles – Belgique
HUGUES LEGROS
Fonds National Belge de la Recherche Scientifique – Université Libre de Bruxelles – Belgique
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Version française
1 Né à Liège le 30 novembre 1926, Pierre Salmon conduira ses études supérieures à
l'U.L.B., où il sera successivement licencié en Philosophie et Lettres, groupe Histoire en
juillet 1950, puis agrégé de l'enseignement moyen du degré supérieur en décembre de
la même année et docteur en mai 1961. Lauréat des Bourses de Voyages en 1951, il
séjournera à l'Academia Belgica de Rome et sera en 1953-54, pensionnaire de l'Ecole
Normale Supérieure de Paris. C'est alors à l'histoire de l'Antiquité qu'il se consacre et il
publie, en 1965, un ouvrage fondamental sur la Politique égyptienne d'Athènes au VI e et Ve
siècles avant J-C. Un livre écrit en collaboration avec Georges Nachtergael, Des Gracques à
Auguste, vaut à ses deux auteurs d'être lauréats du Prix Joseph De Keyn en 1965.
2 Le travail de P. Salmon sur la politique égyptienne d'Athènes lui faisait déjà mettre un
pied sur le continent africain, mais le passage essentiel s'opère le 1 er juillet 1959 quand
il devient collaborateur scientifique au Centre scientifique et médical de l'U.L.B. en
Afrique centrale, poste qu'il occupera jusqu'au 31 décembre 1967. Le 1 er janvier 1968, il
devient Collaborateur au Centre d'Etudes Africaines de l'Institut de Sociologie de l'ULB,
Centre dont il deviendra co-directeur le 1er octobre 1984. Son intérêt principal se
tourne vers l'histoire de l'Afrique, à laquelle il va consacrer de nombreux livres et
articles, de La reconnaissance Graziani chez les Sultans du nord de l'Uélé, en 1963, jusqu'à La
carrière africaine de Harry Bombeeck, agent commercial, en 1990, et surtout, en 1986, sa
fondamentale Introduction à l'histoire de l'Afrique.
3 Parallèlement, il mène une carrière pédagogique à l'Athénée Léon Lepage (1950-1963), à
l'Institut d'Enseignement supérieur Lucien Cooremans (1961-1978) puis surtout au
Centre Universitaire de l'Etat à Anvers (depuis 1963) et à l'ULB (depuis 1970). Dans cette
dernière institution, il développera, principalement à la Faculté des Sciences Sociales,
Politiques et Economiques, des enseignements liés à ses deux orientations principales
de recherche, enseignements concernant aussi bien « La Société et les Institutions de
l'Antiquité » que « L'Ethnohistoire de l'Afrique ».
4 Mais ses préoccupations s'élargissent, un cours de "Critique historique" lui est confié,
et il publie Histoire et Critique (1969), un ouvrage qui sera traduit en espagnol et en
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portugais. Ses soucis éthiques lui font écrire Le Racisme devant l'Histoire (1973) comme
ses pratiques de loisir l'incitent à nous donner De la Collection au Musée (1958). Son
activité d'écriture est débordante : il n'est pas possible de donner ici la liste de ses
publications, marques d'une activité de recherche diverse, mais jamais relâchée, et qui
vaut à son auteur l'estime de ses pairs.
5 Pierre Salmon est élu membre associé de l'Académie des Sciences d'Outre Mer à Paris,
en 1973, puis, en 1977, membre de la classe des Sciences morales et politiques de
l'académie Royale des Sciences d'Outre Mer. Il est également membre correspondant de
l'Académie Européenne des Sciences des Arts et des Lettres depuis 1982.
6 Ses voyages et séjours à l'étranger sont nombreux, et là non plus il n'est pas possible de
dresser un inventaire. On peut le rencontrer aussi bien en Europe (il sera « professore a
contratto » à l'Université de Milan) qu'à Téhéran et Jérusalem, et surtout bien sûr en
Afrique, Professeur visiteur à Lubumbashi, Bujumbura, Yaounde, Abidjan, Niamey,
Cotonou et Kisangani. « Vous êtes sans doute l'un des historiens, sinon l'historien de
notre Université le plus connu à l'étranger » lui dira Mme le Recteur Thys-Clément lors
de la séance d'hommage aux Professeurs honoraires, le 20 novembre 1992.
7 C'est en effet à la fin de l'année académique 1991-1992 que Pierre Salmon, admis à
l'honorariat, abandonne l'essentiel de ses fonctions dans une Université à laquelle il a
beaucoup donné et donnera encore, une Université à la gestion de laquelle il a été
associé, comme Membre du Conseil d'administration (1976-1978 et 1986-1988),
Président de la Section des Sciences sociales (1976-1978), Conseiller du Recteur pour les
problèmes de coopération (1989-1992), puis Secrétaire général du Conseil de la
Coopération (1991) et ce ne sont là que quelques unes des fonctions assumées.
8 Partout, toujours, il fera la preuve aussi bien de sa capacité de travail, de son sens de
l'efficacité, que de son ouverture d'esprit, de son affabilité, d'une gentillesse qui l'ont
fait apprécier de ses étudiants, de ses collègues, autant que des nombreux
interlocuteurs qu'il a pu rencontrer lors de ses voyages à travers le monde.
9 L'abondance et la qualité des contributions réunies dans ces deux tomes d'hommages
en sont la preuve. Tous les coauteurs émettent le voeu de voir Pierre Salmon continuer
à produire longtemps, avec constance, de ces travaux qui nous sont si précieux.
English version
10 Born in Liège on 30th November 1926, Pierre Salmon graduated with a degree in
'Philosophie et Lettres', specialising in history, from the Université Libre de Bruxelles
in July 1950, obtained his teaching diploma for secondary schools and then obtained his
doctorate in May 1961. As the successful winner of a travel scholarship in 1951, he
stayed at the Academia Belgica in Rome and then spent 1953-54 as an intern at the
Ecole Normale Supérieure in Paris. He specialised in Ancient History and published, in
1965, a key text on Athens' Egyptian policy in the VIth and Vth centuries B.C. The book,
which he wrote in collaboration with Georges Nachtergael, "Des Gracques à Auguste"
earned its authors the Joseph de Keyn Prize in 1965.
11 Pierre Salmon's work on the Athens' Egyptian policy had already directed his interest
to the African continent, but the main thrust of his African work started on 1 st July 1959
when he became a scientific associate at the Scientific and Medical Centre of the U.L.B.,
in Central Africa, a post which he held until 31st December 1967. On 1st January 1968, he
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moved to the Centre of African Studies at the Institute of Sociology at the U.L.B.,
becoming co-director of the Centre on 1st October 1984. African history became his
main interest and he wrote numerous books and articles on the subject from "La
reconnaissance Graziani chez les Sultans du nord de l'Uélé", in 1963, to "La carrière
Africaine de Harry bombeeck, agent commercial", in 1990, and above all, in 1986, one of
his key works "Introduction à l'histoire de l'Afrique".
12 At the same time, he carried on his teaching career at the Léon Lepage Atheneum
(1950-1963), at the Lucien Cooremans Institute for Higher Education (1961-1978), and
particularly at the State University in Antwerp (from 1963) and at the U.L.B. (from
1970). It was at the U.L.B. that the principally developed in the Faculty of Social Science,
Politics and Economics, courses linked to his two main fields of research such as "La
société et les Institutions de l'Antiquité" and "l'Ethnohistoire de l'Afrique".
13 However, his interest began to widen and he was entrusted with the task of preparing a
course on historical criticism which led to the "Histoire et Critique" published in 1969
and later translated into Spanish and Portuguese. His ethical concerns moved him to
write "Le racisme devant l'Histoire" (1973) and his leisure activities led him to produce
"De la Collection au Musée" (1958). His writings proliferated and it is impossible to list
here all his publications, characterised by his thorough research which earned him
considerable esteem from his peers.
14 Pierre Salmon was elected associate member of the Académie des Sciences d'Outre-Mer
in Paris in 1973, then, in 1977, member of the classe des Sciences morales et politiques
de l'Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer. He has also been a 'membre
correspondant' de l'Académie Européenne des Sciences des Arts et des Lettres since
1982.
15 He has widely travelled and once again it is not possible to provide a list here. He was to
be seen in Europe (he was 'Professore a contratto' at the University of Milan) as well as
Teheran and Jerusalem, and naturally enough in Africa where he was Visiting Professor
at Lubumbashi, Bujumbura, Yaounde, Abidjan, Niamey, Cotonou and Kisingani. "You
are without doubt one of the historians, if not the historian, from our university who is
the best known abroad", commented Mrs Thys-Clément, Vice-Chancellor of the U.L.B.,
while paying tribute to a group of emeritus professors at the university, on 20 th
November 1992.
16 The end of the academic year 1991-1992 saw Pierre Salmon relinquish most of his
functions at the university to which he had contributed so much and will continue to
contribute not only in academic terms but also in its administration. He was a member
of the university's governing body (1976-1978 and 1986-1988), President of the
department of Social Sciences (1976-1978), Advisor to the Vice-Chancellor on matters of
co-operation (1989-1992), then Secretary-General of the Co-operation Council (1991), to
name but a few of the offices he has held.
17 Wherever and whenever he has shown his capacity for work, his efficiency, his open
mind, and his affability and kindness, all of which have earned him the esteem of his
students, colleagues and the numerous people with whom he has come into contact in
his travels throughout the world.
18 Both the quantity and the quality of the contributions brought together in these two
volumes dedicated to him serve as a token of this esteem. All the authors published in
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these volumes join in the wish to see Pierre Salmon continue his valuable work for a
long time to come.
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Luc de Heusch
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auprès de Isaza avec mission de le séduire. Enceinte de six mois, la belle retourna dans
le monde souterrain où, trois mois plus tard, elle mit au monde un fils, Isimbwa. Pour
attirer auprès de lui le père de l'enfant, Nyamiyonga lui envoya un couple de bovins,
qui entraîna bientôt Bihogo, la vache préférée de Isaza, dans le monde inférieur. Isaza
suivit sa vache et c'est ainsi qu'il retrouva sa femme et son fils auprès desquels il
demeura. Devenu adulte, Isimbwa décida de découvrir le royaume terrestre que son
père avait confié à la garde de Bukuku. Des devins avaient annoncé à celui-ci que sa fille
lui porterait malheur. C'est pourquoi il la tenait enfermée dans sa maison après lui
avoir fait couper un sein et arracher un oeil.
4 Isimbwa parvint jusqu'à elle déguisé en chasseur et la séduisit. Elle mit au monde un
fils, Ndahura. Bukuku fit jeter le nouveau-né dans la rivière, mais un potier le sauva et
l'éleva. Plus tard, Ndahura tua son grand-père maternel et reprit possession du trône
que celui-ci avait usurpé. Ndahura fit de nombreuses conquêtes militaires. Son père
Isimbwa vint le rejoindre et confirma sa légitimité ; Ndahura lui confia le
gouvernement de deux provinces. L'empire de Kitara s'étendit sur une large partie de
l'Ouganda occidental englobant notamment le Nkore. Ndahura disparut au cours d'une
campagne en Tanzanie, il fut mystérieusement avalé par la terre. Wamara, le fils aîné
de Ndahura, qui avait partagé le pouvoir avec son père, prit la succession. Il mit fin à
diverses rébellions, mais son règne fut troublé. Une série de présages funestes
annoncèrent la fin des Cwezi. Ils décidèrent alors de quitter le pays. La tradition orale
du Nkore qui reprend, avec de légères variantes, le même récit précise que les Cwezi
s'enfoncèrent sous terre ou dans les profondeurs d'un lac.
5 Un premier mot de commentaire. L'ensemble de ces récits obéit à une armature
symbolique évidente : associer au monde souterrain, par les femmes, une première
dynastie -, celle des Tembuzi, représentée par deux rois (Isaza et Isimbwa) – prélude à
une dynastie terrestre (celle des Cwezi) qui comprend aussi deux souverains (Ndahura
et Wamara). Ceux-ci sont appelés à revenir en leur lieu d'origine : le monde inférieur.
C'est bien une histoire en miroir que raconte la geste des Tembuzi-Cwezi. Au début des
temps, le premier roi tembuzi suit sa vache préférée Bihogo jusque dans le monde
souterrain. C'est un animal portant le même nom qui est à l'origine de la disparition
sous terre des Cwezi à l'époque du dernier souverain Wamara. Voici l'histoire. Mugenyi,
le neveu de Wamara avait fait serment de ne pas survivre à sa vache préférée, Bihogo.
Or celle-ci mourut et Wamara décida de consulter les auspices. Ceux-ci découvrirent
que Bihogo n'avait pas d'entrailles. Ils n'osèrent révéler cette terrible nouvelle à
Wamara. Un étranger s'en chargea, prophétisant que le règne des Cwezi était terminé.
Mugenyi semblait avoir oublié son serment de mourir avec la vache. Ce parjure eut le
don d'irriter sa propre tante. Humilié par les propos désagréables qu'elle lui tint,
Mugenyi prit la décision de quitter ce pays maudit où les femmes osaient se moquer des
hommes. Wamara approuva la décision de son neveu et tous les Cwezi se rallièrent au
projet de départ. Ils rassemblèrent leurs femmes, leurs troupeaux et leurs biens. Ils s'en
allèrent et on ne les revit plus jamais au Nkore (Mungonya, 1958).
6 Selon une autre version, les Cwezi seraient partis vers le Karagwe, une région située en
pays haya, au sud du Nkore (Tanzanie), où ils disparurent dans un lac (Oberg, 1970,
p. 124). Or la tradition haya reprend, pour expliquer la disparition de Wamara, la
thématique même du départ dans le monde souterrain de Isaza, le roi tembuzi. En voici
le résumé d'après Césard qui dit avoir vérifié l'authenticité de l'histoire auprès de
plusieurs informateurs (Césard, 1927, pp. 447-455).
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7 Deux chefs, Irungu (devenu esprit de la brousse) et Mugasha (devenu esprit du lac)
vivaient avec Wamara. Un chacal glapit dans la cour à minuit. Wamara décida de le
poursuivre avec ses deux compagnons. Le chacal entraîna les chasseurs en forêt, puis
dans un souterrain conduisant au royaume infernal du roi Kintu (appelé Kintu d'Igaba).
Kintu offrit des cadeaux à Wamara : de la bière de banane, du lait, des vaches et des
chèvres. Les terriens restèrent neuf jours auprès de Kintu. Mugasha fit une provision de
semences de légumes et ils retournèrent sur terre nantis de ces présents. Kintu
cependant avait recommandé à Wamara de ne pas oublier son hôte généreux. En
voyant sortir des vaches du souterrain, les hommes de Wamara furent effrayés, puis
émerveillés. Wamara confia le bétail à la garde de son frère aîné Ryangombe. Des
années passèrent et Wamara ne remercia pas Kintu. Au contraire, il fit boucher l'entrée
du souterrain. Alors Kintu envoya Rufu, la mort, qui réclama les vaches. Wamara, loin
de s'exécuter, fit rouer de coups le messager de Kintu. Rufu s'enfuit mais réussit plus
tard à attirer une vache blanche, particulièrement précieuse, dans une fosse
marécageuse. Or, jadis, Wamara avait fait le serment de mourir avec elle. Il se jeta dans
le gouffre avec Irungu et tous ses compagnons. Ils ne réapparurent plus jamais, mais
jusqu'à nos jours les fidèles initiés aux mystères religieux de Wamara sont
périodiquement visités par les esprits des Cwezi disparus.
8 Césard précise que le gouffre appelé Imara, où ces événements extraordinaires sont
censés s'être déroulés, se situerait « sur les confins du Karagwe ».
9 Le thème de la chasse mérite une attention particulière. Dans un chant rituel nyoro,
Wamara est célébré comme chasseur : « C'est lui, vraiment, qui chasse les animaux
sauvages des champs. C'est lui, Wamara... » (Berger, 1981, p. 19). Le récit nkore attribue
la même qualité à l'ensemble des Cwezi, qui se voient dotés de pouvoirs magiques
considérables (Oberg, 1970, p. 123 ; édition originale 1940). C'est aussi comme chasseur
que Isimbwa, le deuxième roi tembuzi, né dans le monde inférieur, surgit sur terre.
Inverssément, c'est comme chasseur que Wamara, deuxième roi cwezi, disparaît sous
terre dans la geste haya que l'on vient de lire. Dans cet épisode, qu'il n'y a aucune
raison de séparer de l'ensemble de la geste cwezi dont il n'est qu'une variante, la figure
centrale du roi Wamara nous est présentée à la fois comme éleveur (il reçoit le bétail du
monde inférieur) et comme chasseur. Il cumule ainsi deux caractéristiques
précédemment disjointes : il est un amateur de bétail piégé par le maître du monde
inférieur comme son arrière-grand-père Isaza, et un chasseur comme son grand-père
Isimbwa. En revanche tous s'accordent à reconnaître en Ndahura un grand guerrier
(Berger, 1981, p. 20). La structure narrative de cet ensemble mythique fait se succéder
les fonctions symboliques suivantes :
Isaza : pasteur
Isimbwa : chasseur
Ndahura : guerrier
10 Si Wamara est célébré dans la geste cwezi comme « celui qui complète » l'oeuvre de
Ndahura le conquérant (Wrigley, 1973, p. 227), son règne se caractérise cependant par
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un affaiblissement de la puissance des Cwezi que Ndahura avait imposée par les armes.
Les fonctions pastorale et cynégétique qu'il assume dans le mythe sont marquées
négativement : la vache Bihogo est porteuse d'un présage funeste et la dernière chasse
de Wamara l'entraîne dans le royaume des morts. On comprend qu'en pays haya, ce
génie tutélaire du bétail soit aussi le maître de l'au-delà (Césard, 1937, pp. 17-18).
11 J'ai souligné ailleurs la valeur de l'opposition chasseur/guerrier dans les gestes de
fondation de l'Etat en Afrique centrale (L. de Heusch, 1972 et 1982). J'attirais
notamment l'attention sur le fait que le héros chasseur est souvent dans le mythe
l'annonciateur de la royauté sacrée que fonde ultérieurement un héros guerrier. C'est
le cas chez les Luba-Lunda comme dans la région interlacustre qui nous concerne ici, au
Rwanda.
12 C'est encore un chasseur étranger, un nilotique, qui viendra fonder au Nyoro la
nouvelle dynastie, celle des Bito, après la disparition des Cwezi. Wrigley a bien montré
que l'irruption de Rukidi, le premier roi bito, s'intègre à l'ensemble mythique
comprenant les Tembuzi et les Cwezi (Wrigley, 1973). Il observe à juste titre que le nom
de Rukidi renvoie au terme kidi, qui désigne les hommes de la brousse ; Rukidi le
sauvage, le chasseur aux longs cheveux, s'oppose donc aux pasteurs cwezi
hypercivilisés que la tradition crédite de l'introduction de la royauté sacrée. C'est une
femme du clan cwezi, qui n'a pas suivi les siens dans l'exil, qui le civilise; elle lui
apprend à boire le lait. Wrigley se borne à interpréter cet épisode mythique comme un
rite d'initiation royal. Il n'aperçoit pas que cet apprentissage fait en quelque sorte
passer Rukidi de l'espace de la nature (marqué par la chasse) à l'espace culturel. Ce
mythème peut être interprété comme un retour à la civilisation après l'effondrement
culturel que constitue la disparition des Cwezi engloutis par les éléments naturels.
L'arrivée de Rukidi l'étranger, c'est aussi la fin de deux dynasties marquées par
l'autochtonie.
13 Rukidi est présenté comme un jumeau. Ce trait, dont Wrigley avoue ne pas comprendre
les liens avec la royauté sacrée, ne fait qu'accentuer la qualité d'« homme de la
brousse » de Rukidi. En effet, la gémelléité, toujours sacralisée positivement ou
négativement, apparaît souvent en Afrique comme l'irruption dans l'ordre culturel
humain d'une fécondité naturelle, excessive, animale3. Rukidi, c'est le retour du
sauvage, la régénération de la royauté cwezi déliquescente par l'irruption des forces
naturelles fécondantes. Car la puissance magique chthonienne des rois cwezi s'est
épuisée.
14 Ces fils jumeaux seraient nés de l'union d'un prince cwezi, le propre frère de Wamara,
et d'une femme nilotique (W.K., 1935). Le mythe de Rukidi s'inscrit donc bien dans la
continuité de la geste cwezi qu'il vient parachever. Il ne saurait être réduit, comme le
pense Wrigley, au passage de l'âge des dieux à l'âge des hommes. Au contraire,
l'insertion de Rukidi dans la généalogie des Cwezi souligne bien la continuité de la
royauté sacrée dans la discontinuité.
15 Après le départ des Cwezi du Nkore, c'est aussi un nouveau venu, Ruhinda, le chef d'un
clan hinda apparenté aux Bito nilotiques, qui prend le pouvoir dans ce royaume (L. de
Heusch, 1966, pp. 29-30). Cette fois le fondateur de la nouvelle dynastie est présenté
comme le fils bâtard de Wamara (Oliver, 1959). L'histoire s'articule donc avec le mythe,
qui en constitue en quelque sorte la charte de légitimation.
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Mythe et Histoire
19 Dans le Rwanda et la civilisation interlacustre, je m'efforçais pour la première fois
d'appliquer la méthode structurale à un ensemble mythique africain. A vrai dire à cette
époque lointaine, j'étais loin d'apercevoir la cohérence de la geste cwezi, telle que je
viens de l'esquisser. Mon intérêt principal se portait sur un aspect particulier de cette
mythologie, la geste rwandaise de Ryangombe.
20 Je reviendrai bientôt sur cet aspect. Occupons-nous pour l'instant de l'épineux
problème des rapports du mythe des Cwezi avec la réalité historique.
21 J'avais pris très au sérieux en 1966 les travaux de l'ethnohistorien anglais Oliver (1953,
1955) qui affirmait que la légendes des Cwezi conservait probablement le souvenir
d'une ancienne dynastie puissante, associée aux imposantes fortifications en terre de
Bigo et Ntusi au Nkore, au sud de la Katonga, c'est-à-dire dans la partie méridionale de
l'ancien empire de Kitara. Il n'y a pas de doute, pour Oliver, que le thème (évidemment
mythique) de la disparition mystérieuse des Cwezi ne masque une écrasante défaite
militaire face à des envahisseurs nilotiques venus du Nord. Les aventures de Ndahura et
Wamara pourraient donc très bien n'être que la transformation en mythe d'une
histoire réelle où une ancienne aristocratie dominante aurait dû céder le pouvoir à des
envahisseurs nilotiques, symbolisés par Rukidi le Bito.
22 Ce ne serait pas le seul exemple africain connu d'un culte de possession national
incorporant des rois disparus. Il suffit d'évoquer le cas de l'ancien royaume du
Monomotapa au Zimbabwe. A travers tout le pays shona, il existe des médiums associés
à des territoires particuliers. Au sommet de la hiérarchie des esprits possesseurs, l'on
trouve chez les Korekore les noms de Mutota, de ses fils Kagoro et Nebedza et de sa fille
Nehanda. Or, Mutota est incontestablement le nom du fondateur du royaume du
Monomotapa. En outre Nehanda (ou Nahanda) est le titre que portait l'une des trois
épouses-soeurs du roi. Les médiums les plus importants sont donc les représentants
actuels d'anciens rois ou reines. Bien que les médiums prolifèrent aujourd'hui, Kinsley
Garbett n'en est pas moins persuadé qu'il existe toujours une hiérarchie structurale
entre eux (Garbett, 1968). Ces médiums territoriaux n'ont sans doute pas grand chose à
voir avec les initiés au culte des Cwezi. Il est intéressant cependant de noter avec
Beattie que jadis, au Nyoro, chaque lignage possédait son médium attitré (Beattie,
1957).
23 La présence d'anciens rois au sommet de la hiérarchie des médiums cwezi au Nyoro et
au Nkore n'a donc rien qui puisse surprendre. En tout état de cause, il n'est pas interdit
non plus de déchiffrer derrière la trame mythique l'écho d'un certain nombre
d'événements. C'est un ethnohistorien chevronné, Jan Vansina, qui décrypte, à propos
de l'histoire du Rwanda, un « cliché » historique typique de la tradition orale dans cette
région : le fils d'un souverain est absent au moment d'un désastre militaire, il vit à
l'étranger et revient en triomphateur (Vansina, 1962, p. 51). Cette formule suggère et
dissimule en vérité l'avènement d'une nouvelle dynastie soucieuse de légitimité. Or
c'est exactement ce schème qui apparaît dans la transmission du pouvoir de Wamara à
Ruhinda, l'envahisseur. Selon la tradition du Nkore, ce fils illégitime de Wamara,
fondateur présumé de la nouvelle dynastie, était en train de guerroyer au Karagwe
lorsque les Cwezi décidèrent d'émigrer... précisément au Karagwe. La contradiction est
évidente. Elle travestit sans doute une tout autre réalité : l'écrasement au Karagwe des
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Cwezi par les Hinda (L. de Heusch, 1966, pp. 31-35). Vansina reprend d'ailleurs la thèse
d'Oliver : les Cwezi de l'Ouganda furent chassés entre 1450 et 1500 par les Bito
nilotiques (Vansina, 1972, p. 105).
24 La structure mythique d'un certain nombre de récits dynastiques anciens n'interdit
donc nullement de penser que leurs protagonistes ont eu une existence historique. Il y
a plus. La comparaison des mythes concernant les Cwezi au Nkore et dans les petits
royaumes méridionaux du pays haya, parmi lesquels figure le Karagwe, laisse entendre
que c'est sur ces confins méridionaux de l'empire du Kitara – où déjà Ndahura disparut
mystérieusement – que les Cwezi ont connu leur défaite finale. C'est là en effet que la
légende décrit le retour de la dynastie en son lieu d'origine souterrain après l'abandon
du Nkore. C'est précisément parce que les nouvelles dynasties (Bito ou Hinda)
entendent récupérer l'idéologie royale de leurs prédécesseurs pour fonder sur des
bases sacrées anciennes un pouvoir nouveau, usurpé, que toute trace de combat armé a
été soigneusement gommée. Il n'en va nullement ainsi lorsque les mêmes rois
nilotiques envahissent (sans succès durable) le Rwanda quelques générations après
Rukidi : le souvenir des défaites militaires est demeuré cuisant dans la mémoire
rwandaise.
25 En revanche, il y a lieu de croire que le cliché selon lequel le roi Ruganzu Ndori se serait
réfugié chez sa tante paternelle au Karagwe au cours d'une période de chaos avant de
reconquérir le Rwanda paternel, dissimule l'invasion du pays par un groupe étranger,
peut-être hinda, soucieux de s'inscrire dans la continuité dynastique rwandaise
(Vansina, 1962, p. 51).
Rectifications chronologiques
26 Je n'ai pas l'intention de m'enfermer ici dans la querelle chronologique. Je renoncerai à
dater ces événements. Je m'étais basé précédemment sur la chronologie Vansina qui
situait le règne de Ruganzu au début du XVIIe siècle. Mais cette hypothèse vient d'être
bouleversée par une datation au carbone 14 effectuée sur la momie de Cyirima Rujigira,
qui fixe la mort de ce sixième successeur de Ruganzu Ndori précisément à cette époque
et non, comme le pensait Vansina, au milieu du XVIII e siècle. Van Noten (1972, p. 50)
propose 1635 comme date la plus probable pour les ossements. Par ailleurs Berger
souligne les difficultés que pose le problème crucial du raccord chronologique de la
dynastie bito du Nyoro avec celle du Rwanda (Berger, 1981, pp. 135-136).
27 Dans l'état actuel de l'information, il est donc très difficile de situer dans le temps la fin
de l'empire cwezi et l'arrivée des conquérants nilotiques au Nyoro. J'avais suggéré le
cours du XVe siècle en reprenant l'estimation d'Oliver (Oliver, 1955). Il est probable que
ces événements se situent plus près de 1400 que de 1500. En tout état de cause, il n'y a
pas lieu de renoncer à l'hypothèse, suggérée par les traditions orales du pays haya qui
présentent les Hinda comme un sous-clan bito issu des conquérants du Nyoro (L. de
Heusch, 1966, pp. 29-30). La conquête ultérieure par les Hinda des petits royaumes
haya, sur les marches méridionales de l'empire de Kitara, pourrait donc avoir
commencé au cours du XVIe siècle, comme le suggéraient déjà Ford et Hall (1947). Ces
remous sur le flan oriental du bastion montagneux rwandais expliqueraient ainsi le
surgissement du Karagwe de Ruganzu Ndori, le fondateur d'une nouvelle dynastie, à
une date que nous nous garderons bien désormais de préciser.
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favoris, de même que Mugasa et Lubinga. Wamara qui entre en conflit en matière
religieuse avec le roi hinda se retire chez les siens, au Nkore où il se lie avec une bande
de brigands. Il devient voleur de bétail. Les Hinda refusent d'accepter la doctrine
religieuse de Wamara. Bientôt Ryangombe se sépare de Wamara, menacé par un
présage : il s'en va à la chasse. Wamara et ses fidèles disparaissent dans un tremblement
de terre et Ryangombe, qui a survécu au désastre, se mue en sauveur. Il fait annoncer
qu'il guérirait tous ceux qui l'imploreraient, et serait « le libérateur de tous ceux qui
sont attachés ». Mais il joue d'astuce. Il se présenta comme un Hinda et enjoint à ses
fidèles de rendre un culte à l'ancêtre éponyme Ruhinda, le fondateur de la nouvelle
dynastie. C'est sous cette couverture officielle que le nouveau culte se répand. Mais
celui-ci est manifestement en rupture de ban par rapport à l'ordre officiel hinda
puisque Ryangombe recommande à ses fidèles de voler, de commettre l'adultère, de
tenir des propos impudiques, de mendier, d'être gloutons, de braver toute autorité. A sa
mort, ses fidèles annoncent qu'il est parti préparer dans l'au-delà (dans la région des
volcans situés dans le nord -ouest du Rwanda) un lieu de séjour dont l'accès serait
interdit aux non-initiés (Bosch, 1930, pp. 202-207).
34 Ce récit prolonge directement la version sumbwa du mythe que je viens d'évoquer
puisqu'il fut rédigé en langue sumbwa par un Tutsi du Nyamwezi. Les Tutsi sont des
pasteurs dominants au Rwanda et le culte de Ryangombe leur est attribué en pays
sumbwa. Selon une croyance largement répandue en Tanzanie, le culte des esprits
swezi serait originaire de l'est, c'est-à-dire du Rwanda ou du Burundi (L. de Heusch,
1966, p. 284).
35 Mais curieusement, ni au Rwanda, ni au Burundi, Ryangombe, sauveur universel, n'est
présenté comme un membre de la caste tutsi dominante. En fait, il est en Tanzanie (au
Sumbwa comme au Nyamwezi) un rebelle hostile – au même titre que Wamara – au clan
dynastique hinda. Il fait donc figure de troublion. Et c'est cette fonction de contestation
mystique par rapport à l'ordre royal tutsi qu'il assume au Rwanda.
36 Lorsqu'il affronte le roi Ruganzu Ndori (qui est peut-être, rappelons-le, lui-même
d'origine hinda), Ryangombe le vainc, non par la force des armes, mais par son pouvoir
magique (L. de Heusch, 1982, pp. 207-210). J'ai suffisamment analysé ailleurs la
démesure anarchique de Ryangombe et de la petite troupe d'ilotes qui l'accompagnent
pour ne pas y revenir (L. de Heusch, 1982, chap. V). Bien que le culte soit représenté à la
Cour, une règle rigide interdisait au souverain du Rwanda d'être initié aux mystères du
« roi » Ryangombe. L'interprétation qu'en propose l'abbé Kagame me paraît
décidément trop faible : les initiés doivent se prosterner devant le medium qui incarne
Ryangombe lors des cérémonies ; or une telle attitude signifierait que le roi se soumet à
un autre, ce qui est évidemment inconcevable (Kagame, 1963, p. 62). Le roi Ruganzu
Ndori n'a-t-il pas vu cependant, selon le mythe évoqué il y a un instant, les armes de ses
guerriers se briser par une intervention magique décisive de Ryangombe ? Et, en
instituant son culte au moment de sa mort, celui-ci n'abolit-il pas les différences de
caste ? Au début du XXe siècle, un membre de la famille royale ne déclarait-il pas à
propos du culte de Ryangombe : « Nous laissons le travail (cultuel) aux Hutu (la caste
paysanne). Les Tutsi ne violent pas leurs traditions. Ni le roi, ni les grands Tutsi ne
peuvent devenir des Imandwa » (Loupias, 1908, p. 6). Berger reconnaît elle-même que
ce n'est qu'à une époque toute récente qu'un certain nombre de hauts personnages, y
compris la reine-mère, se firent initier, le kubandwa étant impliqué dans des intrigues
de cour (Berger, 1981, p. 84).
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42 C'est ainsi que le culte de Ndahura qui avait son siège principal à Mubende Hill
« appartenait » au clan Sazima, qui fournissait la prêtresse de son temple. Elle jouait un
rôle important dans les cérémonies de couronnement des rois nyoro (Berger, 1981,
p. 33). Quant à Wamara, son lieu de culte principal se trouvait plus au sud, à Masaka
Hill, dans le Bwera. Dans cette région qui recevait des pélerins venus de l'ensemble de
l'Ouganda occidental, le clan des Moli a longtemps conservé une indépendance
virtuelle. Voilà donc le clan moli déclaré propriétaire du culte de Wamara, sans aucune
considération pour les liens structuraux que cette figure mythique entretient avec la
précédente. Isaza, quant à lui, « représenterait » le clan sita, qui est toujours le plus
important numériquement au Nyoro et au Toro (idem, p. 33).
43 Arrivons-en à Ryangombe. Il s'agirait, selon Berger, d'une très ancienne divinité locale
associée au clan kirimbiri dans le sud-ouest de l'Ouganda, non loin de la frontière du
Rwanda. Ces liens sont indéniables et l'on sera reconnaissant à l'auteur d'avoir sorti de
l'ombre la figure du « roi des Imandwa ». Souverain mystique du Rwanda, Ryangombe
fait aussi figure, en Ouganda, de roi d'un petit Etat, le Gitara, situé entre le Mpororo et
le Ndorwa ; il était membre du clan dominant kirimbiri, qui est toujours représenté
dans le district d'Igara au nord du Mpororo (Berger, 1981, p. 59, d'après une étude
inédite de F. Géraud). Mais, se fondant sur la même source, Berger évoque aussitôt
après le témoignage d'un informateur du Nkore qui déclare : « le Cwezi Wamara a
donné le tambour Murorwa à Babinga, le père de Ryangombe, pour qu'il exerce le
gouvernement en son nom sur le Mpororo Rukiga ». On ne peut douter dès lors que le
personnage de Ryangombe fasse partie de la geste des Cwezi. C'est d'ailleurs ce que dit
expressément l'abbé Kagame (non cité par Berger) en confirmant le lieu d'origine du
héros : Ryangombe et ses compagnons sont des Cwezi (Ibicwezi), qui se seraient livrés à
un suicide collectif pour ne pas survivre à la mort de leur chef (Kagame, 1963, p. 62) ; ils
viennent « du Gitara », région du royaume actuel du Toro, en Ouganda. « Ils étaient,
précise-t-il encore, du clan des Cwezi (Abacwezi) lequel régna sur une vaste aire de ce
dernier pays » (Kagame, 1963, p. 61). On notera qu'il existe un doute sur la localisation
de ce « royaume » de Gitara, Kagame le situant, non près du Mpororo, c'est-à-dire non
loin de la frontière rwandaise, mais plus au nord, au Toro. En tout état de cause, le nom
Gitara n'apparaît pas dans l'histoire du Nkore entreprise par Karugire qui inclut
cependant celle du petit royaume de Mpororo, longtemps indépendant (Karugire,
1971).
44 Berger se garde bien de tirer parti de cette autre information, recueillie par Delmas, car
ce serait donner raison à ma thèse : « Wamara est Ryangombe et les Cwezi (Abacwezi)
sont les Imandwa des Nkore (Banyankole). Ils sont les mêmes que les nôtres, seuls
quelques noms ont changé » (Berger, 1981, p. 58).
45 A vrai dire, Berger ne peut nier l'existence de liens historiques entre la geste des Cwezi
et le mythe de Ryangombe ; mais elle est bien en peine de les expliquer. Elle se rallie
aussi, sans le reconnaître explicitement, à ma thèse selon laquelle le culte des Cwezi-
Imandwa s'est introduit au Rwanda à partir d'une région située quelque part au sud du
pays haya. Je lui suis reconnaissant d'apporter ici à mon argumentation un argument
nouveau de poids : le clan kirimbiri auquel, on l'a vu, appartient Ryangombe, se
retrouve au Buha, sur les confins méridionaux du Burundi (Berger, 1981, p. 59, d'après
des archives territoriales). Cette information est confirmée par J.H. Scherer ; dans trois
des six petits royaumes ha, les rois (tutsi) appartenaient au clan kirimbiri (Richards,
1960, p. 212). Berger en conclut à juste titre que le clan kirimbiri, originaire du sud-
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cru pouvoir isoler. Il y a donc lieu de croire que c'est sur les confins de l'expansion
hinda (là où les rois cessent d'intégrer la tradition cwezi dans leur propre passé
historique) que s'est effectué le passage de Wamara, le roi cwezi, à Ryangombe le
rebelle, roi des Imandwa. Les divergences entre les rituels des trois sous-groupes du
culte de Ryangombe suggèrent aussi que des évolutions historiques divergentes se sont
produites à partir d'un même foyer, que l'on peut situer sur la frange sud du pays haya :
dans une zone englobant le Bugufi, le Bushubi et le Buzinza. Celle-ci est située en effet
entre les royaumes haya (placés sous le signe de Wamara) et le Sumbwa-Nyamwezi, où
Ryangombe domine. Au Rwanda et, dans une moindre mesure, au Burundi, en pays
tutsi, les mystères de Ryangombe perdent leur coloration anti-hinda, sans cesser pour
autant de se présenter comme une religion de contestation, rivalisant avec le pouvoir
magique des Rois. L'histoire décidément ne peut se passer de prendre en considération
les données de l'ethnographie et de les interpréter.
49 Berger voit fort bien que dans l'aire septentrionale, le culte des Cwezi se déroule dans
des temples dédiés à une divinité particulière où les cérémonies sont conduites par des
prêtres et des médiums qui constituent un petit groupe de spécialistes, alors que dans
l'aire méridionale apparaissent des cultes de possession largement ouverts à tous
(Berger, 1981, p. 68). Mais elle n'aperçoit pas que partout l'accession au statut de
médium possédé implique une initiation dérobée au regard, où apparaissent un certain
nombre d'éléments récurrents. Le fait qu'au Nyamwezi, ces initiés soient membres
d'une société secrète participant à la compétition pour le pouvoir, alors qu'au Rwanda,
ils entrent dans une vaste confrérie religieuse jouissant d'un statut purement religieux,
appelle sans doute une explication sociologique. Mais ces variations historiques ne
doivent pas nous aveugler. Il s'agit bien, quoi qu'en pense Berger, d'un seul et même
ensemble structural fondé sur la communication avec les dieux par le truchement de la
possession. Il n'y a aucune raison de dissocier de cet aspect rituel – décrit par Berger
comme un substrat commun – les deux grands systèmes de croyances, centrés
respectivement sur Wamara et Ryangombe.
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le roi du Ziba est l'allié des médiums de Mugasha contre Wamara et les Cwezi (Schmidt,
1978, p. 66). La position excentrique du maître des eaux se trouve donc exploitée ici à
des fins politiques. On comprend mieux qu'un rapprochement structural ait pu
s'effectuer, ailleurs, entre ce Mugasha, puissant magicien mais de statut social
inférieur, avec Ryangombe, le révolté, en rupture de ban avec Wamara. C'est ainsi que
s'explique la curieuse association des deux esprits dans plusieurs versions du mythe. Au
Nyamwezi, Ryangombe quitte Wamara en même temps que Mugasha : le premier s'en
va chasser tandis que le second s'en va pêcher en compagnie d'un certain Lubinga.
Ensemble Mugasha et Lubinga dérobent un grand nombre de vaches à Wamara qu'ils
emmènent dans une île du lac Victoria. Ryangombe seul fonde un nouveau culte qui fait
figure de religion de salut (Bosch, 1930, pp. 207-217). Au Sumbwa, loin de se séparer de
Ryangombe, Mugasha est avec celui-ci le co-fondateur de ces mystères (Cory, 1955).
Enfin au Rwanda, il se trouve être le gendre de Ryangombe. La légende qui le concerne
n'est qu'une réplique du récit ziba présenté ci-dessus. C'est ce que nous apprend une
note de terrain de Vansina, que je résume ici (Berger, 1981, p. 145).
56 Mugasa était un serviteur de Ryangombe avec qui il a de nombreux sujets de friction. Il
enferma Kagoro dans un rocher et demanda en mariage Nyabibungo, la fille de
Ryangombe. Mugasa l'emmena dans une île du lac Kivu et libéra Kagoro. Kagoro
suggéra alors à Ryangombe de proposer au couple de venir vivre après des Imandwza
en promettant à Mugasa qu'il ne serait plus jamais maltraité.
57 Cette version ne laisse pas de doute que Ryangombe est au Rwanda une permutation du
Wamara de la légende ziba. Mugasa et Kagoro sont ici les rares compagnons de
Ryangombe à faire l'objet d'un récit. Pierre Smith en analyse fort bien les traits
distinctifs. Mugasa, « connu dans les royaumes ougandais », est « un personnage
vulgaire et grossier, puant et méchant qui dégoûte tout le monde et exige des droits de
passage pour la traversée des cours d'eau », alors que Kagoro, son adversaire,
« représente l'idéal aristocratique, pastoral et guerrier ». Cette opposition possède une
dimension cosmologique car, face à Mugasa esprit des eaux terrestres, Kagoro est
« associé au feu du ciel » (Smith, 1975, pp. 74-75)6. Ryangombe complète enfin ce couple
d'oppositions en introduisant un troisième terme structural : « Alors que Ryangombe
'aime trop les vagins' et prend n'importe quelle femme de rencontre, Kagoro est un
raffiné à qui la plupart des filles soulèvent le coeur et qui ne pourra se marier, très
tardivement, qu'avec la plus parfaite... » (Smith, 1975, p. 74). J'ai longuement décrit
précédemment le caractère anarchiste de Ryangombe, roi-chasseur, opposé au modèle
du roi-guerrier (L. de Heusch, 1982, pp. 196-213).
58 Mais Mugasa et Kagoro sont intégrés dans la famille de Ryangombe : si le premier est
son gendre, le second est considéré comme son demi-frère ou l'un de ses fils (Arnoux,
1912, p. 282 ; Pagès, 1933, p. 364). Cependant, les traditions orales qui les concernent se
séparent : le cycle de Kagoro, entouré de Preux, appartient à la littérature profane.
Dans un récit rapporté par Smith, Kagoro affronte les Nyoro qui ont envahi le pays à
l'époque des rois Mukobanya et Mutabazi : il combat un roi bito (Smith, 1975,
pp. 263-283). La geste mythique devient ici chanson de geste.
59 La mythologie cwezi associe donc de manière privilégiée Mugasha (ou Mugasa) et
Kagoro, deux divinités cosmologiques qui appartiennent sans doute à une très ancienne
strate mythologique7. Mais dans la généalogie officielle des Cwezi du Nyoro, Mugasa
figure comme oncle paternel de Wamara alors que Kagoro est son cousin parallèle
patrilatéral (Nyakatura, 1973, figure II). Au Nkore, Mugasha figurait avec Wamara,
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Kagoro et une certaine Nyakiriro8 parmi les quatre Imandwa principaux à qui l'on
rendait un culte en faveur du roi règnant sur un autel construit dans le palais de la
reine-mère (Oberg, 1970, p. 161). Ils font partie des grands Cwezi, dont Ryangombe et
quelques autres sont les serviteurs (Karugire, 1971, p. 84). Il est remarquable de
constater que ces esprits de seconde catégorie sont loin de jouir du même prestige que
les premiers. Karugire va même jusqu'à affirmer que l'on craint leur pouvoir de nuire.
Les offrandes faites en leur honneur n'ont d'autre fonction que d'apaiser leur courroux
pour mettre fin à une infortune qui leur est attribuée; jamais Ryangombe n'est invoqué
en dehors de ces cas particuliers.
60 C'est donc bien à une transformation radicale de la figure de Ryangombe que nous
assistons là où il se substitue au bienveillant Wamara, usurpant son titre royal. Ce
processus s'accompagne partout de processus syncrétiques particuliers et l'idée de
présenter le kubandwa comme une religion parfaitement homogène est évidemment
tout à fait étrangère à mon propos. La mythologie cwezi – comme toute mythologie –
est assurément le produit d'un bricolage historique, mais celui-ci opère selon une ligne
de clivage structurale. Un dernier exemple. Dans la geste haya rapportée par Césard,
Mugasha accompagne Wamara au cours de sa partie de chasse nocturne, qui le conduit
dans le monde inférieur où il reçoit du bétail. Un troisième larron, Irungu, se joint à
eux. Dans la quête de la richesse bovine qui est l'objet de cette partie du mythe, les
personnages se complètent symboliquement. Si Mugasha est l'esprit des eaux terrestres
(voleur de bétail selon la version nyanwezi), Irungu est l'esprit de la brousse, de la terre
non cultivée. Ce sont donc bien les représentants du monde sauvage, non domestiqué,
qui entourent Wamara dans sa folle équipée cynégétique qui le mettra en possession du
signe majeur de la civilisation : le bétail. On comprend que Kagoro le raffiné ne se soit
pas joint à eux. Il interviendra plus tard. Dans la geste nyoro et nkore, il a pour mission
de récupérer le bétail volé aux Cwezi (Berger, 1981, p. 143). Et dans la geste nyamwezi
récoltée par Bosch, il se précipite à la poursuite de Mugasha qui vient de dérober le
bétail de Wamara.
61 Wamara-Ryangombe, Mugasha et Kagoro forment donc dans l'aire méridionale de la
civilisation interlacustre une espèce de trio structural, étranger à la geste cwezi au
Nyoro. Cette élaboration est assurément le produit d'une histoire religieuse
particulière, mais l'on voit mal quels conflits claniques pourraient en rendre compte.
62 C'est bien là la faiblesse de la thèse de Iris Berger. Son ambition est de nous persuader
que la religion est un facteur de résistance dans cette partie de l'Afrique (c'est le titre
même de son livre). Mais qu'en est-il en fin de compte ? Examinons la conclusion de son
ouvrage. De nouveaux conquérants se trouvent partout, affirme-t-elle, confrontés à
l'opposition des autorités politiques établies qui s'expriment au nom de leur divinité
propre. Dans certains cas, ces esprits étaient d'anciens symboles religieux autochtones;
dans d'autres, des divinités étrangères présentant une forte réputation anti-dynastique
(c'est tout particulièrement le cas de Ryangombe) (Berger, 1981, p. 89). Dans les deux
cas, poursuit tranquillement l'auteur qui nage en pleine conjecture, ces oppositions à
coloration religieuse « offraient aux dissidents le moyen de protéger leur propre
position ou de mobiliser une résistance anti-gouvernementale ».
63 Voilà comment l'on peut faire, en s'appuyant sur une sociologie politique sommaire,
l'économie du sens. Si l'histoire n'a pas, à proprement parler, de sens, elle infléchit
cependant sans cesse les structures signifiantes, dont la religion fait partie, et elle doit
donc être prise au sérieux. C'est ce que j'ai tenté de faire, là où l'entreprise ne me
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paraissait pas tout à fait désespérée. Mais l'histoire, telle que la pratiquent Berger et
bien d'autres menace l'anthropologie dans ses fondements mêmes.
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NOTES
1. Pierre Salmon à qui je dédie ces pages est une notable exception.
2. Prononcer tchwézi.
3. On comparera avec la figure du roi jumeau dans la royauté mundang du Tchad (Adler, 1982).
4. Plus subtilement, Marcel d'Hertefelt me suggère de parler plutôt de catharsis que de
contestation (d'Hertefelt, 1981, p. 76).
5. Berger juge sans fondement la division que j'ai proposée entre le buha septentrional et le buha
méridional (Berger, 1981, p. 66). Elle la reprend pourtant à son compte un peu plus loin en
observant que l'on retrouve dans le nord du Buha, (et non dans le sud) une série de termes
liturgiques qui mettent en relation cette religion avec la zone cwezi septentrionale (idem, p. 76).
6. On notera que dans le récit ziba, Nkuba la Foudre passe du côté de Mugasa dans son combat
contre le guerrier Kagoro.
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7. Le thème de l'opposition entre un génie (fruste) des eaux terrestres, opposé à un héros
(hypercivilisé), maître de la Foudre, se retrouve dans la geste luba du Zaïre (L. de Heusch, 1972,
chap. II).
8. On notera avec intérêt que cet esprit féminin se retrouve dans le kubandwa rwandais comme
demi-soeur de Ryangombe (Sandrart, 1939, deuxième partie, p. 55).
RÉSUMÉS
The structural analysis of myth, far from being incompatible with historical interpretation, can
in fact be a great aid to it. This article is in response to I. Berger's 1981 reproach of L. de Heusch
Rwanda et la civilisation interlacustre (1966) for believing “that spirits, myths and rites form a
unified system, reaching across time and space”.
The cult of possession of the Kubandwa in the interlacustrian region of Central Africa is seen from
both synchronic and diachronic points of view as a system of transformation. Despite new
information brought to bear by I. Berger, the author here maintains the essential argument
which he put forward in 1966: the myth and initiatory cult of Ryangombe in the southern part of
the interlacustrian civilization come from the myth of Wamara and from the worship of Cwezi
spirits in Nyoro and Nkore (Uganda).
History, as practised by I. Berger and others, is a threat to the very foundations of anthropology.
AUTEUR
LUC DE HEUSCH
Faculté des Sciences sociales, politiques et économiques – Université Libre de Bruxelles –
Belgique
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Introduction
1 En dehors des Maasai, dont la réputation passe les frontières, le Kenya est une
mosaïque d'ethnies, fières jusque dans leur dénuement. Au Kenya, pays grand comme la
France, à peine 10 % des terres sont cultivables. La compétition entre le mode de vie
agricole et sédentaire et le mode de vie pastoral et nomade y ranime parfois les vieux
conflits ethniques. L'équilibre entre les agriculteurs de langue bantoue et les nomades
nilotes et couchites reste précaire.
2 Les Turkana, classifiés sous le vocable Nilotes des Plaines, sont aux environs de 250 000
et habitent le nord-ouest du pays dans une région extrêmement aride et désertique
entre le lac qui porte le nom de leur ethnie et l'Ouganda. C'est une région qui
appartient à la zone du climat sahélien : désert, caillasse, monticules de roches noires
et, çà et là, quelques épineux, des doums, de la brousaille, des arbustes chétifs et
torturés par le vent. Les points d'eau sont rares, espacés, parfois taris.
3 Demeurés longtemps en dehors de toute intrusion de l'état moderne – d'abord sous la
colonie et ensuite sous le Kenya indépendant – les Turkana, pasteurs nomades
parfaitement adaptés à un environnement hostile, ont pourtant dû, à la suite de la
grave sécheresse de 1961, diversifier leur économie pastorale. Certains sont devenus
pêcheurs.
4 Le lac Turkana est un phénomène extraordinaire de la nature. Situé au milieu d'un des
déserts les plus arides et les moins peuplés d'Afrique de l'Est, il s'étend sur près de 400
kilomètres de longueur et de 60 de largeur. Il est alimenté par des chutes de pluies qui
n'excèdent pas quelques centimètres par an et par l'Omo, venant d'Ethiopie.
5 Les Turkana du lac dépendent du palmier doum aux feuilles pointues qui sortent
directement du tronc comme d'énormes doigts. C'est le seul arbre qui réussit à vivre
dans cette région. On emploie le doum à tous les usages possibles. Son bois léger et
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spongieux sert à la fabrication des radeaux. La tige des feuilles est employée pour faire
les nasses à poisson et de fines lanières d'écorce servent de ficelle. Les feuilles
constituent le chaume du toit des huttes et l'on mange les fruits.
6 La pêche a connu un certain développement aux environs de Kalakol, avec la création
de coopératives. Cependant, le but de ce peuple est de renouer, dès la constitution d'un
nouveau cheptel, avec le mode de vie pastoral.
7 Tous les récits traditionnels concordent pour dire que les Turkana sont originaires du
Nord-Est de l'Ouganda, dans la région de Dodos. La date de leur dispersion au Kenya est
certainement antérieure au 17ème siècle. Ils repoussèrent les Maasai et d'autres ethnies
vers le sud et le sud-est.
8 A l'instar des Couchites et à l'inverse des Maasai, les Turkana ne pratiquent pas la
circoncision et la clitoridectomie. Nomades perpétuellement en quête de pâturages aux
confins du désert, les Turkana sont aussi de redoutables guerriers et voleurs de vaches.
Pour ces nomades, le bétail, les points d'eau et les maigres pâturages qui font
cruellement défaut pendant la sécheresse, sont l'enjeu journalier.
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Le camp de base, awi napolon, est situé dans l'adakar et est habité de façon plus ou
moins continue par les plus vieux et les plus jeunes enfants. Les jeunes guerriers
nomadisent parfois très loin du camp de base. Ils habitent alors un awi abor ou camp
temporaire.
14 Les membres vivant dans le même adakar ne sont pas nécessairement de la même
parenté (famille étendue et clan). Les Turkana choisissent plutôt comme voisins de
bons amis que des gens de la parenté. La famille étendue (eowe) est donc divisée
territorialement. Il n'y a pas de lignages segmentaires ou fissionnaires. Les clans
(ekitela), 28 au total, ne sont pas corporatifs et n'ont plus aucune fonction sociale et
politique. Ils ne jouent même plus de rôle dans le mariage dit exogamique.
15 Chaque adakar possède des puits d'eau creusés dans le lit asséché d'une rivière.
L'adakar peut refuser l'eau à des gens de passage si une demande explicite n'est pas
formulée.
16 Le rituel politico-religieux le plus important est l'akipeyore. C'est une communion de
tous les initiés mâles de l'adakar qui se réunisent toutes les semaines. Chaque homme
va, à tour de rôle, offrir un animal en sacrifice. Il est rituellement abattu, grillé et
mangé. Cet lors de ce rituel que les vieux traitent des affaires publiques des membres
de l'adakar et de ceux des adakar voisins.
L'art corporel
17 La première richesse de cette société c'est, évidemment, le bétail qui assure sa
subsistance. Tout se structure, s'organise donc autour et en fonction des animaux. Les
guerriers passent une partie de leur vie à pousser les troupeaux de pâturages en points
d'eau. Ils mènent, à travers des déserts interminables, une existence austère, presque
ascétique. Ils sont armés comme leurs ancêtres : lance et massue ne les quittent jamais.
La garde du petit bétail, chèvres et moutons, est confiée aux jeunes enfants. Le pacage
les entraîne moins loin du camp de base.
18 Les Turkana se divisent en petits groupes familiaux extrêmement mobiles pour tirer
leur maigre subsistance d'une terre hostile à la végétation éparse. Ils parcourent ainsi
des distances variées et ne possèdent qu'un minimum de biens matériels qu'ils doivent
être capables de rassembler aisément dès que nécessaire, afin de migrer sans
encombrement. Tout ce qu'ils possèdent doit être porté à dos d'âne.
19 Leurs habitations sont de simples structures de branchages et de peaux d'animaux. Aux
alentours du lac, les huttes ressemblent à des ruches faites de palmiers doums enfoncés
dans le sable. Chaque homme a plusieurs femmes, et chaque femme habite une hutte
avec ses enfants biologiques. Dans ce contexte, l'architecture et autres expressions
artistiques qui exigent un mode de vie plus stable, tels que le moulage des métaux ou la
sculpture sur bois, n'ont guère l'occasion de se développer ; c'est donc sur eux-mêmes
que les gens ont dirigé leur créativité, leur besoin d'embellir et de décorer.
20 Les Turkana accordent une importance particulière à la forme naturelle du corps. Ils
portent peu de vêtements, mais rehaussent leurs traits à l'aide de peinture et de
graisse, et arborent des coiffures et des couvre-chefs compliqués. Des bijoux soulignent
leurs membres élancés, aux gestes gracieux. Cet art sert de langage signalétique. Il
renseigne sur l'âge de l'individu, les exploits qu'il a pu accomplir et sa position sociale.
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Vivre du troupeau
27 Les Turkana sont organisés autour d'un système de classes d'âge, ou générations. Tout
individu de sexe masculin traverse obligatoirement une série d'étapes bien définies, qui
exigent de lui certains devoirs et un comportement conforme à la tradition. Ces étapes
sont au nombre de trois : l'enfance, l'âge de guerrier et l'âge d'aîné. Le passage d'un âge
à un autre est toujours marqué par des cérémonies rituelles très élaborées. Pour les
femmes, le processus est plus simple : elles passent directement de l'enfance à l'âge
adulte au moment de la puberté.
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28 Les migrations peuvent couvrir jusqu'à 200 kilomètres, sur des itinéraires habituels ou
occasionnels. Chaque jour, le troupeau se déplace du kraal vers les pâtures, le point
d'eau et les terres salées. Tous ces mouvements sont une technique d'élevage, mise au
point depuis des siècles et fixée par la coutume. Le matin très tôt le bétail part en quête
d'herbe, accompagné de ses gardiens ; il parcourt aisément de 10 à 20 kilomètres
chaque jour pour revenir le soir au kraal. Quand l'eau se fait rare, quand les troupeaux
ont épuisé la végétation environnante, ou simplement quand le campement devient
trop sale, les Turkana se remettent en route. Ils installent sur le dos de leurs ânes tous
leurs ustensiles de ménage. Dès qu'ils trouvent un nouvel endroit propice à
l'établissement d'un autre campement, ce sont les femmes et les enfants qui
construisent les habitations. Sur des armatures de branches fléchies, on pose des peaux
de bêtes et des feuillages.
29 Les Turkana élèvent à la fois des vaches, des dromadaires, des chèvres, des moutons et
des ânes. Ces animaux leur fournissent le lait, élément crucial de leur alimentation,
ainsi que les peaux qui leur permettent de construire leurs habitations, de se vêtir, de
s'étendre sur des litières. Ils constituent leur unique source de richesse, leur monnaie
d'échange, leur héritage et, par dessus tout, leur religion.
30 Contrairement aux bovins qui doivent paître, le dromadaire, comme la chèvre, broute
et se nourrit d'épineux et d'écorces rugueuses. Il peut se passer d'eau pendant quinze
jours ou plus et, quand il boit, il fait des provisions pour quinze autres jours. Sauf en cas
de détresse ou à l'occasion de cérémonies spéciales, les pasteurs Turkana répugnent à
abattre leurs dromadaires pour la chair. Quand ils le font, ils la mangent et utilisent la
peau pour fabriquer des pots.
31 Ces diverses espèces animales coexistent sur les pâturages et leur garde est confiée à
des garçons de divers âges, ce qui est un avantage pour l'éleveur. Toutes ces espèces
sont bien adaptées au milieu très difficile. Les Turkana sont très attentifs à la sélection
des races, pour maintenir celle qui lui convient.
32 Dans l'ensemble, le bétail est élevé pour ses multiples produits : le lait, la viande et le
sang. La base de la nourriture est le lait, mais il faut laisser leur part aux veaux qu'on
engraisse. Les conditions de vie sont si précaires que les hommes ne doivent leur survie
qu'au lait et au sang. Pour recueillir ce sang, il faut saillir une veine en plaçant un
garrot au cou. Mélangé avec du lait, ce breuvage alimente les habitants du kraal. Le
beurre sert d'avantage comme cosmétique que comme nourriture. La bouse séchée sert
aux feux de cuisine et de garde ; les poils, peaux, cornes, os et urine sont récupérés
pour fabriquer toutes sortes d'objets et pour nettoyer les pots.
33 Le bétail est la seule richesse, un capital qui s'accroît tout seul, en quelque sorte. Sa
gestion réclame plus de savoir-faire que de travaux pénibles : l'homme se borne à
défendre son troupeau, en le gardant dans un enclos d'épineux durant la nuit. Il creuse
des puits et doit puiser pour les abreuvoirs.
34 La garde d'un troupeau, au milieu d'autres troupeaux et de leurs pasteurs, est affaire de
courage et de relations humaines plutôt que de force physique. Il faut se renseigner sur
les régions atteintes par la sécheresse ou mieux arrosées, sur le mouvement de
nombreux autres troupeaux. Il faut négocier pour éviter les querelles autour des puits
et, éventuellement, se défendre contre les razzias ou lancer une expédition pour
récupérer son bien ou augmenter son propre troupeau.
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35 De nos jours encore, les Turkana n'abattent pas leurs bêtes pour vendre la viande aux
boucheries, mais seulement à l'occasion des fêtes et rituels religieux. Pour un
économiste moderne, c'est un scandale : un capital si important qui reste improductif.
En fait, l'économie traditionnelle est orientée non vers le marché, mais vers la
satisfaction de besoins humains. Constamment les Turkana ont besoin de leurs animaux
comme monnaie d'échange dans les transactions sociales en vue d'un mariage et dans
les multiples circonstances où la coutume veut qu'on fasse un cadeau.
36 La merveille d'un troupeau, c'est qu'il s'accroît de lui-même ; quand ce capital
augmente, la vie de la famille est assurée, les femmes portent de nombreux colliers en
perles multicolores. Malheureusement, un troupeau est fragile, il dépend étroitement
de l'environnement. Sans doute résiste-t-il mieux que les plantes cultivées à la
sécheresse : le bétail trouve toujours de quoi manger puisqu'il peut se déplacer. Aux
aléas du climat s'ajoutent les épizooties : on se souvient encore de la catastrophe que
fut la peste bovine des années 1890, qui décima les troupeaux.
37 Devant ces dangers, le raisonnement du Turkana consiste à laisser croître le troupeau
le plus possible et à le disperser autant que la sécurité le permet. Ainsi en cas de
catastrophe ou de razzia, tout le troupeau n'est pas perdu, il reste de quoi
recommencer un cycle d'expansion. Mais quand les troupeaux se multiplient, ils
mettent en danger l'équilibre écologique : les plantes surpâturées n'ont plus le temps
de repousser ; sur les itinéraires obligés et autour des puits, la couverture végétale est
piétinée et détruite. C'est pourquoi les Turkana vont toujours plus loin ; encore faut-il
qu'il y ait de l'espace disponible, ce qui pose actuellement des problèmes en cas de
sécheresse générale.
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éventuellement, monter une razzia. Toutes ces choses qui supposent un vaste réseau de
communications et de solidarité entre les familles.
42 La fécondité humaine et animale de laquelle l'avenir dépend, joue un rôle important
dans la vie de chaque jour et ses aspects rituels. Par tradition, l'enfant est élevé au sein
parfois jusqu'à deux ou trois ans. Au cours des premières années, la mère porte l'enfant
sur le dos presque toute la journée. Ils sont, de ce fait, toujours très proches
physiquement et il est rare d'entendre un bébé pleurer par besoin de tendresse, de
contact maternel.
43 Pour garder son troupeau, l'éleveur a besoin de main-d'oeuvre : les enfants. En effet,
pour le Turkana, la véritable richesse du kraal, c'est l'enfant. Celui qui a une
importante progéniture, est hautement considéré et peut souvent exercer une grande
influence sur les affaires publiques.
44 Le pasteur travaille donc en famille ; il confie à ses enfants diverses tâches selon leur
âge. L'enfant travaille très tôt et il est courant de voir un gamin de six ans, avec ses
frères aînés, faire parcourir au bétail 20 kilomètres en un jour. A dix ans, on lui confie
la garde des veaux, des moutons et des chèvres. Pendant ce temps, les filles apprennent
leur métier de femme : transporter l'eau, ramasser le bois, traire etc.
45 Les parents ont tendance à retarder le mariage de leur fils : en effet, le jeune a un
troupeau à lui, formé au long des ans depuis sa naissance, mais ces bêtes restent dans le
troupeau paternel. Au moment du mariage d'un fils, le père a besoin de plusieurs têtes
de bétail, comme biens matrimoniaux qui iront à la famille de la fille. Ce système de
compensation fait que souvent un garçon ne se mariera que grâce aux bêtes reçues à
l'occasion du mariage de sa soeur. L'intérêt des familles, c'est que les mariages soient
bien équilibrés entre voisins et ennemis potentiels : ainsi les solidarités naturelles sont
renforcées, les coups de main moins à craindre.
46 Les pères exercent un contrôle considérable sur les affaires de leurs enfants, même
après qu'ils aient atteint l'âge adulte. Un pasteur doit le plus souvent attendre la mort
de son père pour disposer comme il l'entend de tout ou partie du troupeau de la famille.
47 De leur côté, les fils désirent prendre leur indépendance, ils veulent se marier sans
tarder, de sorte que leurs intérêts s'opposent souvent à celui des parents. Il n'est pas
rare que les rapports entre père et fils soient tendus ; par la coutume, ils ne mangent
pas ensemble. Ce qui n'empêche pas la confiance, une affection réciproque. Le père sait
qu'un jour, il pourra compter sur l'aide de ses enfants et ceux-ci reconnaissent
l'expérience pastorale du père.
48 Les jeunes sont donc mis au travail dès leur enfance, ils apprennent le métier en
grandissant. Vivant ensemble au camp avec ceux de leur âge, ils gardent ensemble les
bêtes en brousse, ce qui développe chez le Turkana le sens de la responsabilité et de la
coopération.
49 Il n'est pas de vie sans eau ! Nulle part dans le monde cette évidence n'est plus
dramatique que chez les Turkana. Ils ne peuvent pas avoir de foyer fixe. Ils doivent
suivre les nuages de pluie, aller d'un trou d'eau à un autre trou d'eau et, quand leurs
dromadaires, leur bétail ont tondu les pâturages, se déplacer encore. Cette quête de
pâturages et d'eau instaure un mode de vie particulier, épuisant pour hommes et bêtes.
50 La vie des jeunes gardiens suit donc le rythme des saisons : dispersion puis
rassemblement. A la saison sèche, bergers et troupeaux s'en vont : les garçons sont
libres, laissés à eux-mêmes. Par contre, la saison des pluies ramène tout le monde au
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camp de base : c'est alors l'époque des fêtes, des amours, des mariages, mais aussi des
contraintes sociales. Le campement devient alors le théâtre de toutes les activités
rituelles.
51 Contrairement à d'autres pasteurs-nomades, le campement de base ne suit pas tout le
troupeau. La plus grande partie des bêtes, sous la direction des jeunes guerriers qui
s'installent dans des campements mobiles, part pour plusieurs mois. Le reste du bétail
demeure sur place et assure la subsistance des gens du campement de base ou awi
napolon.
52 Enfin, citons parmi les travaux féminins : traire, baratter, préparer la nourriture, laver
la vaisselle de bois et de cuir, nettoyer le kraal, entretenir le feu, construire des abris.
La femme Turkana a une vie moins éprouvante que sa soeur cultivatrice : elle est
souvent mieux nourrie, avec un régime plus riche en protéines. On compare volontiers
la femme à une vache. C'est que la femme, comme la vache, signifie permanence et
croissance de vie.
La passion pastorale
53 On a souvent parlé de manie ou de complexe pastoral, comme si c'était une anomalie. Il
s'agit plutôt d'une manière d'exister, un choix humain.
54 Quand on aime le bétail, c'est une passion et la vache devient merveilleuse. On 'adore'
la vache et la tauromachie est inconnue. Certes, on ne trouve pas non plus de temple en
honneur d'Apis ou de Hator comme dans l'ancienne Egypte, cependant les Turkana
pratiquent avec ferveur une vie d'intimité. On 'est' dans le bétail ! Un Turkana sans
vache est un homme mort.
55 Si par le fait de la sécheresse, le troupeau meurt, le pasteur est ruiné, sans ressources.
Mais c'est encore plus un homme humilié, profondément affecté. Un secours en vivres
peut sans doute l'aider, mais l'homme ne retrouvera sa fierté, son goût de vivre, qu'en
recommençant son troupeau.
56 En français le mot 'vache' a une connotation péjorative ! C'est tout le contraire pour les
Turkana. Chez eux, on pourrait parler de la 'culture bovine', qui s'exprime de multiples
façons, par exemple dans la profusion du vocabulaire. Les animaux reçoivent des noms
très poétiques, qui servent aussi à nommer leurs maîtres : on appelle un ami intime du
nom de son boeuf favori. Ils composent même des chants pour leurs bêtes préférées.
Tout en elles peut inspirer le lyrisme des gardiens, provoquer leur admiration. La
couleur de leur robe donne lieu à des associations d'idées inattendues. Le jeune homme
choie son boeuf favori. Il malaxe ses cornes de façon à leur donner des formes étranges.
57 Les guerriers dansent autour de leurs bêtes. C'est un ballet extraordinaire, merveilleux.
La poussière qui enveloppe les danseurs d'un nuage transparent, percé par les rayons
de la lune, enflamme leurs coiffures, jetant des ombres étranges autour d'eux. Le corps
nu des guerriers, frotté de graisse, luit. Ils dansent en formant un demi-cercle,
exécutent une série de pas glissés, chantent. Les jeunes filles ont la voix haut perchée.
Les guerriers leur donnent une réplique d'un ton rauque, solennel. Les vieux, drapés
dans leur orgueil méprisant, émettent des sons gutturaux.
58 Vers 18 h, le bétail rentre des pâturages en longues files. Il vient passer la nuit au kraal,
par mesure de sécurité et pour donner du lait à ses habitants altérés. On comprend qu'il
faut aimer le bétail pour supporter sa compagnie. Dans les conditions matérielles où se
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trouvent les Turkana, c'est une ascèse continuelle. En effet, la présence des bêtes attire
les mouches et il faut se faire à l'odeur de la bouse. Pour éloigner les insectes, on
entretient des feux ; mais la fumée finit par imprégner les gens et tout le matériel.
59 A l'image des garde-boeufs qui se posent parmi le bétail, le Turkana est souvent
longiforme et patient : il peut se tenir debout pendant des heures, immobile, attentif à
tout ce qui se passe dans les environs. Il a une âme de combattant : habitué à défendre
son troupeau, il sait se servir d'une lance et son idéal est le guerrier qui n'a peur de
rien. Endurant et sobre, il ignore le confort. Par fierté, il sait dominer ses besoins.
Courageux, téméraire même, il n'en est pas moins un homme intelligent, rusé, expert
en négociations. Il invente mille et une façon de berner l'autre. Il est maître dans l'art
de parler sans jamais livrer sa pensée.
Les rituels
60 Un élément important de la pensée religieuse est l'opposition entre la brousse et le
kraal : en-dehors menaçant et en-dedans familier. La vie du Turkana se déroule dans un
univers concret : la nature, connue certes, mais qui réserve toujours des surprises. C'est
la brousse, avec ses montagnes, ses fauves, ses plantes ; c'est encore la voûte du ciel
avec le soleil qui brûle, l'obscurité et ses pièges, la tornade qui arrose et l'éclair qui
foudroie. La question primordiale est alors : comment la nature peut m'être favorable ?
61 Le Turkana a cet avantage sur l'agriculteur qu'il voit venir à lui le bovin comme
manifestation précieuse de l'en-dedans familier. La vache est une sorte d'hôte,
bénéfique en tout point, reçue par l'homme qui la défend et l'accompagne dans son
double mouvement du pâturage au kraal. Elle est un don fait à l'homme-en-famille-au-
campement, c'est-à-dire à l'homme en quête de continuité, de permanence, de sécurité
et d'accroissement. Reçu des ancêtres et transmis aux descendants, le bovin fait partie
de la famille : par sa continuité, le troupeau devient une sorte de sacrement familial.
62 Cependant, la vie avec le troupeau connaît elle aussi ses aléas : maladie des hommes et
du bétail, sécheresse, accidents, mort. Le Turkana se trouve alors affronté à l'en-dehors
menaçant. Alors le chef de famille va utiliser le bovin pour calmer ces forces
dangereuses et menaçantes. Il va le renvoyer d'où il vient pour obtenir à nouveau la
bienveillance du sort : santé, prospérité, vie et bonheur. Ce sera le sacrifice du bétail.
63 On a souvent rendu le terme local Akuj par Dieu : mais ce mot est chargé de
signification théologique occidentale, il ne peut rendre la visée originale des Turkana.
Ainsi, En-Haut est le gardien des jours, des années, c'est lui qui donne la pluie ; mais
c'est encore son action qu'on reconnaît dans des anomalies comme les maladies. Là où
l'Occident manipule des entités, des êtres définis, les Turkana considèrent les
événements qui leur arrivent, bons ou mauvais, comme des manifestations de l'en-
dehors menaçant qui les cerne.
64 Le bétail est venu vers les ancêtres et ceux-ci l'ont accueilli, désormais, ils demeurent
ensemble. Une coutume illustre cette croyance : les Turkana enterrent leurs morts au
milieu du kraal. La vie entière, du berceau à la tombe, se déroule sous les auspices du
bovin. Le nouveau-né reçoit un nom bénéfique ; on évite de lui donner le nom d'un
raté ; on choisit plutôt celui d'un parent qui a du prestige et on ajoute un surnom
d'après les plus belles bêtes du troupeau. On éprouve la chance du nouveau-né en lui
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nomade. Ceux qui sont restés pêcheurs artisanaux sont devenus des parias de cette
société. Le complexe de Kalakol, qui a coûté des millions, est en train de tomber en
ruine par la rouille. Les hangars sont utilisés par les nomades en quête d'ombre aux
heures les plus chaudes de la journée.
70 Les Turkana ne cultivent pas. Surtout au sud, le gouvernement essaie de sédentariser
les pasteurs et de leur inculquer les principes de base d'une agriculture irriguée. La
plupart des projets sont de véritables échecs.
71 Depuis quelques années, la région turkana est 'infestée' par des missions bibliques
américaines et néerlandaises. Celles-ci essaient, avec n'importe quels moyens,
d'évangéliser les Turkana qui sont considérés comme des sauvages sans foi ni loi. Des
Turkana complètement appauvris et dépourvus de dignité 'nomadisent' maintenant
autour des missions. Ces nouveaux prolétaires du nord-ouest kenyan sont à la merci
des cultes dominicaux pour lesquels ils reçoivent une compensation en nourriture,
surtout du maïs.
72 Que seront-ils demain ? Les Turkana vivent en autarcie, maîtres d'eux-mêmes, tantôt
riches, tantôt pauvres. Face aux calamités naturelles, ils manifestent une grande
capacité d'adaptation. Ils se sont montrés peu perméables aux idées et aux pratiques du
monde moderne. Non sans raison.
73 Pour les Turkana comme pour l'ensemble des peuples traditionnels, l'impact du monde
moderne est terrible. Avec la colonisation puis les indépendances, de nouveaux
pouvoirs sont apparus. Les états modernes ne tiennent pas à partager le pouvoir avec
les pasteurs, à leur laisser leur autonomie ; leur genre de vie même pose des
problèmes : des populations sans demeure fixe échappent au contrôle de l'Etat, aux
impôts et aux règlements. Les plans de 'développement' ne les atteignent que
partiellement. Comment concilier la coutume pastorale d'abattre les bêtes seulement à
l'occasion des sacrifices et le marché qui exige régulièrement une quantité de bétail
pour la boucherie ?
74 Menacés dans leur existence même, les Turkana ont refusé la nouveauté. Ils
s'accrochent à leur genre de vie de toujours. Il faut avouer qu'ils ont réussi un équilibre
difficile, une performance remarquable : élever du bétail aux confins du désert. Leur
expérience séculaire leur permet de survivre, de bien vivre, là où la plupart des
humains auraient renoncé.
BIBLIOGRAPHIE
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WYMEERSCH, p. & BERßEN, P., 1986 – The homestead of Nakoro. Some socio-cultural aspects of
daily life among the Turkana of the Kerio region, Afrikanistische Arbeitspapiere, Schriftenreihe
des Kölner Instituts für Afrikanistik, Universität zu Köln, 5, p. 97-120.
WYMEERSCH, p. & BEKE, D., 1987 – The killing desert ? Droogte, nomadentradities en
ontwikkelingsbestuur bij de Turkana, Afrika Focus, Tijdschrift van de AVRUG, Afrika Vereniging
van de Rijksuniversiteit Gent, Nr. 3/4, p. 211-235.
WYMEERSCH, P., 1988 – Turkana cattle classification. Some preliminary notes, Afrikanistische
Arbeitspapiere, Schriftenreihe des Kölner Instituts für Afrikanistik, Universität zu Köln, 16,
p. 123-148.
RÉSUMÉS
The Turkana, a pulation of around 250,000 nomadic shepherds, live in the north-west of Kenya in
an extremely arid and barren area between lake Turkana and Uganda. Having lived many years
without any intrusion of the modern world, the Turkana, nomadic shepherds perfectly adapted
to their hostile environment, had to, however, diversify their pastoral economy following the
serious drought of 1961. Some of them took up fishing. The author, gives us a brief survey of the
social and economic structures of this ethnic group. Concentrating on the place of cattle, both
from a social and a symbolic point of view, within the Turkana community, he depicts the recent
changes that have taken place in their way of life following the wish of the Kenyan government
to 'develop' this region.
AUTEUR
PATRICK WYMEERSCH
Rijksuniversitair Centrum – College voor de Ontwikkelingslanden – Universiteit Antwerpen –
Antwerpen — Belgique
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1. Introduction
1 Maintes études ont déjà été réalisées sur les aspects politico-administratifs,
économiques, démographiques et socio-culturels de l'organisation des sociétés
africaines traditionnelles ainsi que sur le contact entre l'Afrique et les influences
extérieures (esclavage et colonisation). Cependant, peu de chercheurs se sont penchés
sur la dénomination réelle de certains groupes ethniques existant aujourd'hui. Presque
toutes les monographies reprennent, souvent sans critique, les noms laissés par les
premiers agents européens, alors qu'ils ne recouvrent pas la même importance, moins
encore la même signification pour les populations qu'ils désignent.
2 Si certains groupes apparaissent plus étudiés et mieux connus, d'autres ne le sont que
très imparfaitement. Biebuyck l'a d'ailleurs aussi constaté :
"Parmi la multitude de populations du Congo belge, il en existe qui, du point de vue
ethnologique, sont actuellement bien connues... Il existe cependant une vaste aire
occupée par une variété de populations et pour lesquelles nos renseignements
restent très fragmentaires et insuffisants. Ce manque de connaissance est d'autant
plus grave qu'il s'agit de groupes à très faible densité, dont la situation
démographique n'est généralement pas florissante et dont la société est de plus en
plus exposée à des influences nouvelles et à des modifications culturelles
profondes" (Biebuyck, 1960 : 20-21).
3 Il fait allusion, dans sa note, aux Pygmées et aux Pygmol des (Bambuti de l'Ituri, Batswa
de l'Equateur), aux Bakutu, aux Boyela et aux Ndengese de l'Equateur, aux Bakumu, aux
Balese et aux Medje du Haut-Zaïre.
4 Cette observation mérite d'être étendue aux Topoke, l'un des principaux groupes
ethniques du Haut-Zaïre et ayant une densité exceptionnellement élevée par rapport à
la moyenne régionale (14,61 hab./km2 chez les Topoke, contre 8,57 hab./km 2 pour la
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moyenne du Haut-Zaïre) (République du Zaïre, 1991 : 57-65). Ce peuple est connu, dans
la littérature existante, sous plusieurs appellations : ESO, GESO, GESOGO, GESOHO,
TOPOKE, TUPUKI, TOFORE, TUFUKI.
5 Ce bref exposé se propose de fournir des pistes susceptibles de contribuer à l'écriture
de l'histoire des Topoke. Le premier effort, dans cette perspective, passe par la
recherche de leur dénomination, élément si non essentiel, du moins fondamental
d'identification. Sont-ils « ESO » ou « TOPOKE » ? D'où proviennent les éléments de
contradiction ? Quelle est la forme localement acceptée ? Cet exposé s'efforce de
fournir des éléments de réponse à ces différentes questions.
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13 Pour De Book, administrateur territorial d'Isangi, l'origine des Topoke se situerait vers
le Nord (bassin de l'Ubangi-Uele), qu'ils auraient abandonné devant les menaces des
Baboa, poussés eux aussi par les Zande. Dans leur marche vers le Sud, ils se seraient
d'abord installés sur la rive droite du fleuve Zaïre (vers le bas Aruwimi). De là, ils
traversèrent ce fleuve pour s'établir dans l'angle formé par le Lomami et le fleuve
Zaïre, ayant ainsi repoussé les premiers occupants (Bambole et Bangando) plus au Sud
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45
(Betau, 1973 : 12). Cette version est reconnue par les traditions lignagères et
villageoises 2.
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23 Faisons remarquer que cette forme n'a de sens que dans la mesure où elle sert
d'élément déterminatif : « bana ba Topoke » qui signifie "les enfants de Topoke". Cet
élément (préfixe ba) ne permet cependant pas de fournir des renseignements sur la
descendance. La version locale voudrait "Ya Topoke", c'est-à-dire issus de Topoke.
D'une manière générale, les noms des villages, des familles ou des clans sont précédés
du préfixe Ya. Voyons-en quelques exemples :
Singulier Pluriel
Tofoke Topoke
Topoke Topoke
Tupuki Topoke
27 I-FOKE TO-FOKE
28 Ce qui est conforme à la règle générale, car les noms commençant par I ont leur pluriel
en TO :
29 Exemples :
• I-tanga, pluriel to-tanga (un petit filet, des petits filets);
• I-sandu, pluriel to-sandu (un arbres, des arbres).
30 Et même lorsqu'il s'agit des exceptions, l'usage ne correspond nullement à celui qui est
proposé par Van Bulck car, dans ce cas, les noms commençant par I ont leur pluriel en
ba :
31 Un exemple :
32 I-Lomi, au pluriel ba-lomi (un sein, des seins).
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47
33 3° Van Bulck fournit ensuite une liste de cinq colonnes. Seules les quatre premières
nous intéressent, la dernière n'étant qu'un élément de détermination. Ces quatre
colonnes sont les suivantes :
• col. 1 : le nom ethnique simplifié ;
• col. 2 : le nom ethnique scientifique au pluriel ;
• col. 3 : le nom ethnique scientifique au singulier ;
• col. 4 : le nom linguistique scientifique.
34 Au sujet des Topoke, cette règle s'applique comme suit :
35 Les critiques formulées à la rubrique précédente s'appliquent aussi à cette série. Van
Bulck distingue même, dans son étude, les Liutua des Topoke, alors qu'ils font partie
intégrante de ces derniers.
36 4° Il nous fournit une liste à 2 colonnes dont la première concerne le nom ethnique
d'usage courant, tandis que la seconde se rapporte à celle qu'il considère comme la
nomenclature scientifique de référence. On y voit ceci sur les Topoke :
tofoke topoke
topoke tupuki.
37 5° Enfin, dans la dernière liste de son étude, il répertorie les groupements ethniques du
Congo belge étudiés. Les Topoke y sont notés « Topoke ».
38 Enfin, Bryan parle de Poke (Topoke) ou Tofoke dont le nom de la langue se confond
avec celui du groupe ethnique. Parmi les sous-groupes de cette langue, il distingue les
suivants :
• Topoke
• Liutua
• Baluolambila, probablement d'origine non topoke (selon lui)
• (A) Lomboki (pseudo-lokele)
• Likolo (Bryan, 1959 : 46-47).
39 Cette dernière ne permet guère de faire progresser nos connaissances sur ce peuple.
D'abord le Topoke ne peut pas être considéré comme un sous groupe. Bryan voudrait-il
entendre par là certains clans topoke mal définis ? Ensuite les Liutua, les Baluolambila,
les Bolomboki et les Likolo appartiennent à la grande famille topoke.
40 Que s'est-il passé ? Pourquoi cet éventail d'orthographes et d'appellations ? Les travaux
existants offrent peu d'éclairage à cette question. Selon que l'on se réfère à tel ou tel
devancier, on adopte sa terminologie, en la remaniant peut-être, sans que des
justifications soient fournies sur l'état des investigations ayant abouti à tel ou tel
résultat. C'est peut-être à ce genre de difficultés que fut confronté Burssens qui inclut
les Topoke dans le groupe lokele (Burssens, 1954 : 21).
41 Les concepts « ESO » et « Topoke » recouvrent plusieurs significations. Etudions-les
séparément avant de préciser l'appellation qui est acceptée localement.
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1° Le concept ESO
42 Plusieurs hypothèses essaient d'expliquer les origines du mot ESO attribué aux Topoke.
Nous en avons retenu, dans cet exposé, quatre :
43 (a) « ESO » proviendrait de « ESU » signifiant "nous". ESU est le pluriel de « ELI » (c'est-
à-dire Moi).
44 Cette première hypothèse ne résiste pas à l'examen puisque le même pronom
personnel est aussi utilisé par les voisins des topoke (Bambole, Bangando, Lokele,
Turumbu) :
45 Par conséquent, tous ces groupes seraient aussi désignés par ce terme.
46 b) "ESO" signifierait les gens qui grimpent sur l'arbre appelé "OSOGO" pour y ramasser
des chenilles appelées "SOGO". Ainsi qu'on l'a fait pour le cas précédent, procédons par
la même démonstration :
47 Faisons remarquer que cette pratique est courante dans tous ces groupes ethniques, à
l'exception peut-être des Lokele qui sont riverains.
48 c) "ESO" proviendrait de "GESGO", qui voudrait dire chaleur, par référence à l'esprit
"belliqueux" des Topoke. Ici aussi, les données linguistiques montrent que cette
hypothèse ne satisfait pas la réflexion, ainsi qu'on peut le constater à travers les
éléments de comparaisons ci-après :
Topoke : GESOGO
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49
Lokele : ESOO
Bambole : ESOHO
Bangando : ESOHO
49 Si, dans l'ensemble, le même terme se rencontre dans tous ces groupes ethniques
voisins et renferment la même signification, le seul élément de différenciation se
situerait dans "l'état d'esprit" de ces populations. Les Topoke sont reconnus guerriers
et turbulents, par rapport à leurs voisins.
50 d) "ESO" signifierait "gens de l'intérieur", "qui habitent la forêt", par opposition aux
riverains appelés "LIANDE". On rapporte que lorsque les Européens arrivèrent pour la
première fois dans les terres d'Isangi, ils entrèrent d'abord en contact avec les
populations riveraines (donc les Lokele). Ils demandèrent alors à ces dernières s'il y
avait d'autres habitants dans l'épais manteau de forêt. Les Lokele répondirent "ESO". Ce
dernier terme finit par être retenu comme celui qui désignerait les Topoke.
2° Le concept "TOPOKE"
51 Une seule hypothèse existe de nos jours sur l'origine du nom "topoke". Ce concept
serait une déformation de "Tofoe", signifiant "nous ne comprenons pas". "Tofoe" est la
négation de "Toendoa", c'est-à-dire "nous saisissons", "nous comprenons", du verbe à
l'infinitif "OOI" ou "OOA", signifiant "comprendre, saisir". On rapporte que lorsque les
premiers colonisateurs s'étaient adressés, à leur tour, aux Topoke pour connaître leur
nom, ces derniers répondirent "Tofoe". Cette réponse, résultant de l'incompréhension
entre les deux parties en présence, serait dès lors adoptée pour désigner les Topoke.
52 La confrontation de toutes ces hypothèses avec les éléments tirés de l'histoire locale
nous permet de soutenir que "ESO" est effectivement le nom renseigné par les Lokele
aux premiers agents européens. Et de là se développa toute une attitude de mépris et
d'hostilité entre les Topoke et les Lokele, les derniers considérant les premiers comme
des gens de classe inférieure. Pour les Topoke, "ESO" n'est pas leur vrai nom. "ESO" est
rejeté parce qu'il est l'une des manifestations du mépris des Lokele à l'égard des
Topoke. L'expression "TOTOTO TWA ESO", c'est-à-dire "les petites gens de ESO"
courante chez les Lokele semble être le reflet d'un antagonisme permanent entre ces
deux groupes ethniques. "ESO" renferme donc une connotation péjorative et constitue
une injure à l'égard des populations que nos appelions "Topoke". C'est ce dernier terme
(Topoke) qui est accepté.
4. Perspectives d'avenir
53 Les Topoke constituent l'une des sociétés qui n'a pas encore fait l'objet d'investigation
scientifique sérieuse. Un effort est donc à accomplir, par exemple dans le domaine de
l'histoire, en vue d'établir l'identité de ces populations. Dans cet élan, il importera de
réfléchir sur l'antériorité ou la postériorité d'une appellation par rapport à l'autre.
54 Pendant nos investigations menées en 1979, certains Topoke nous avaient déclaré que
leurs noms seraient "Libelase", c'est-à-dire "qui a le pouvoir de procréer". Dans leurs
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50
BIBLIOGRAPHIE
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BILUSA, B.B., Histoire de la Population de la Zone d'Isangi (Haut-Zaïre), 1932-1973, Lubumbashi, UNAZA,
Campus de Lubumbashi, mémoire de licence en Histoire, 1980, (inédit).
BOLAMBA bo Yaya, Les Topoke face a la domination étrangère et leur rôle dans les mouvements de
décolonisation, Lubumbashi, UNAZA, Campus de Lubumbashi, mémoire de licence en Sciences
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MOELLER, A., Les grandes lignes des migrations des Bantous de la Province Orientale du Congo Belge,
Bruxelles, IRCB, 1936.
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Kasai et du Kwango Oriental. 1. Peuplades de la forêt. 2. Peuplades des prairies, Bruxelles, Annales du
Musée du Congo Belge, 1922.
Van BULCK, G., Les deux cartes linguistiques du Congo Belge, Bruxelles, IRCB, 1950.
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WALLE, S.B., "L'histoire politique des Topoke à Kisangani (Haut-Zaïre), des origines à 1964", in Les
Cahier du CEDAF, n° 3, Bruxelles, 1981.
NOTES
1. Cette compagnie fut créée par le décret du 5 juillet 1898 au capital de 3.000.000 frs et avait son
siège social à Bruxelles. Son premier directeur, le lieutenant Lemery, accompagné de ses deux
adjoints, MM. Blampain et Sterkx, arriva le 14 février 1899 à Ilambi (village topoke du clan
Kombe) sur la Lomami et y érigea le premier poste de la compagnie. Cfr Mouvement
Géographique, n° 18, 1899, p. 218.
2. Données d'enquête orale, recueillies à Tongombe, le 30/8/1979. Citées par Bilusa (1980 : 129).
3. Une étude sur les mutations socio-politiques observées dans la société topoke depuis le XIX e
siècle est actuellement en cours de réalisation.
RÉSUMÉS
Today, as a result of the numerous works on the matter, we know about the effects of European
penetration on the organization of African societies. We can hold up as an example the
emergence of a new political map of Africa where ethnic groups are scattered over various
territories and, on an economic level, Africa's insertion into a system unsuited to its basic
structures.
However, there is one subject that has not attracted the attention of historians until now. It
concerns the naming of ethnic groups which nowadays live in this part of our planet. Most of
these ethnic groups are known under various names. Even worse, some of them are known by
nicknames. These few lines concern the naming of the TOPOKE of High Zaïre which are also
known in written litterature as the ESO, GESO, GESOGO, GESOHO, TOPOKE, TUPUKI, TOFOKE,
TUFUKI.
AUTEUR
BILUSA BAILA BOINGAOLI
Assistant à la Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques, Université de
Kisangani, B.P. 2012, Haut-Zaïre.
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Introduction
1 Depuis 1980, plusieurs grandes études régionales menées par des équipes
pluridisciplinaires et multinationales ont apporté un appoint majeur à la connaissance
de la dernière phase humide du Sahara dans les domaines de la chronologie et de
l'écologie. Confrontées à de nouvelles conceptions en paléo-climatologie, les
découvertes archéologiques et les centaines de datations publiées depuis 1985
conduisent à rejeter certaines idées reçues et à proposer des hypothèses nouvelles sur
la diversité des Sahara humides comparée à l'unicité du Sahara actuel ; sur la durée et
les conséquences démographiques des épisodes de sècheresse constatés à l'intérieur de
la phase humide ; sur les conditions de circulation des hommes et des cultures jusqu'au
dessèchement total.
***
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53
4 Publiés surtout après 1987, les résultats de ces grandes études régionales ne sont pas
seuls à avoir apporté des précisions depuis longtemps attendues dans les domaines de
la chronologie et de l'écologie. Dans les années 80, de nombreux articles ont paru
traitant de recherches engagées dans la décennie précédente en Egypte, en Libye et en
Algérie, ainsi que de travaux consacrés plus spécifiquement à la paléoclimatologie
saharienne.
5 L'exploitation de cette importante bibliographie (dont une partie seulement est
indiquée ici) conduit à proposer des hypothèses nouvelles sur la diversité des Sahara
humides comparée à l'unicité du Sahara actuel, sur la durée et les conséquences
démographiques des épisodes de sècheresse constatés à l'intérieur de la phase humide,
sur les conditions de circulation des hommes et des cultures jusqu'au dessèchement
total.
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54
"Le Sahara entre le IXe et le Ve millénaire" d'après Van Neer – 1989 – (modifié)
9 La notion de "cycles courts" est tout à fait nouvelle et risque de mettre à mal
l'hypothèse d'un "Grand Aride mi-Holocène" entre -5500 et – 4500 (plus ou moins 500)
défendue dans les années 70. Entre – 6300 et – 4700, dates limites de l'optimum lacustre
dans le bassin de Taoudenni, les dépôts sédimentaires des paléolacs montrent les traces
de quatre séquences transgression/ régression ayant duré en moyenne 400 ans
chacune. Mieux encore, les variations de couleur examinées au centimètre près dans les
couches alternées de sel et d'argile de la mine d'El Beida témoigneraient de
"microcycles" d'une cinquantaine d'années (Fabre et Petit-Maire, 1988, p. 145).
10 Il apparaît de plus en plus, d'autre part, qu'on a surévalué l'influence de la sècheresse
sur le peuplement, ou plutôt le dépeuplement, du Sahara. Au Mali, les plus anciens sites
archéologiques sont postérieurs de plus de mille ans à l'établissement des lacs
permanents. Lors du dessèchement, la nappe phréatique restée longtemps proche du
sol a permis aux établissements humains de subsister plusieurs siècles après la
disparition des lacs (Hillaire-Marcel, 1983).
11 A qui ressemblaient les pêcheurs/chasseurs/cueilleurs qui ont laissé tant de harpons
(seulement au sud du 20°), de meules et de poteries, témoignant d'installations
sédentaires ? Une centaine de squelettes fossiles découverts en assez bon état de
conservation dans plusieurs sites aux alentours de Hassi el Abiod, à 300 km au nord de
Tombouctou, permettent d'apporter une réponse. Contre toute attente, Olivier Dutour
(1989) a montré qu'ils appartiennent au type mechtoïde ou "cromagnoïde africain"
reconnu dans plusieurs régions d'Afrique septentrionale, en particulier chez les
Ibéromaurusiens du Maghreb entre – 20000 et – 9000 environ, et chez les Qadiens de
Nubie entre – 10500 et – 4500 (Raimbault, 1991). Ces gens venus du nord arrivés dans
l'actuel Mali vers – 5000 y ont sans doute rencontré des négroïdes connaissant la
céramique descendus des massifs où ils étaient établis dans la deuxième moitié du Ville
millénaire (Roset, 1987).
12 Fouillé depuis 1974 par F. Wendorf et son équipe, le quadrant sud-est du désert occidental
d'Egypte a été présenté comme un "foyer primitif de néolithisation". Dans 23 sites
autour de Nabta Playa (100 km au nord-ouest d'Abu Simbel), Bir Kiseiba, Kharga, ont
été trouvés les témoins d'une occupation humaine discontinue entre – 7500 et – 3000
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(Wendorf, 1980, 1984). Dans cette région aujourd'hui hyperdésertique, les pluies n'ont
jamais dépassé 200 mm par an et la faune a toujours été très pauvre : lièvres du Cap,
gazelles dorcas et dama, oryx, addax... tous animaux adaptés à la sècheresse, bien
différents de la grande faune tropicale grosse consommatrice d'eau et de verdure
rencontrée dans le Sahara méridional.
13 En fonction de cette sècheresse, la découverte de fragments d'os de grands bovidés a
posé de difficiles problèmes d'interprétation. Wendorf et ses collaborateurs
reconnaissent les "conditions marginales pour la survivance de l'homme" qui règnaient
dans le Sahara oriental au début de l'Holocène (Close, 1990, p. 79) ; ils soulignent par
ailleurs la rareté et le caractère fragmentaire des ossements de grands bovidés qui
"rendent impossible la distinction entre formes sauvages et domestiques du Bos
primigenius" (Wendorf, Close, Schild, 1989, pp. 63-64). Ils n'en soutiennent pas moins
que le seul moyen de survie de petits groupes de chasseurs circulant entre des points
d'eau généralement petits et temporaires était le transport de leur nourriture sur pied,
en clair la domestication du Bos primigenius africain, ceci à partir du Ville millénaire.
14 Les travaux de B. Gabriel (1976, 1984, 1987) apportent un argument à la théorie
soutenant l'ancienneté de la domestication du boeuf. Les Steinplätze (= amas de pierres)
trouvés en grand nombre dans l'immense désert libyque (Egypte et Libye) ont été
interprétés comme des haltes de chasseurs/pasteurs néolithiques se déplaçant entre la
vallée du Nil et les massifs du Sahara central. Les plus anciens ont été datés des VIII e et
VIIe millénaire, ce qui correspond avec les dates indiquées par Wendorf pour le
Néolithique ancien (Early Neolithic) de Nabta Playa et Bir Kiseiba.
15 La moitié occidentale du désert occidental d'Egypte a été prospectée de façon
remarquable par les équipes pluridisciplinaires du BOS ou Besiedlungsgeschichte der Ost-
Sahara (Histoire des établissements humains dans le Sahara Oriental). Le grand intérêt
de l'ambitieux projet des universités de Cologne et de Berlin, mis en oeuvre en 22 mois
de campagne étalées entre 1980 et 1985, était d'étudier le Sahara oriental dans son
ensemble égyptien et soudanais. Depuis la dépression de Kattara, 29° N, jusqu'au Wadi
Howar, 16° – 18° N, plus de 500 sites préhistoriques ont été repérés et environ 200
fouillés ; plus de 250 dates ont été calculées en laboratoire (Kuper, 1989). Les résultats
déjà publiés (Neumann, 1989 ; Krzyzaniak, Kobusiewicz, eds., 1989) fournissent un
appoint majeur à la connaissance de la dernière phase humide du Sahara.
16 Alors que le Grand Erg libyque était considéré comme une barrière infranchissable, F.
Klees (1989) a montré l'existence de sources permanentes et d'une possible exploitation
du sel au début du VIe millénaire et, dans une deuxième période d'occupation, à la fin
du Ve millénaire, à Lobo sur sa bordure orientale. Il confirme ainsi les découvertes de
Gabriel sur la circulation à travers le Sahara septentrional entre la chaîne des oasis
égyptiennes : Kharga, Dakhla, Farafra, Bahariya et les massifs du Sahara central.
17 L'actuel Sahara soudanais était pratiquement inconnu au plan archéologique avant les
fouilles du BOS. Le secteur le plus intéressant est sans doute le cours du Wadi Howar,
affluent fossile du Nil qui prend sa source dans la République du Tchad, au sud du
massif de l'Ennedi. Avant qu'il n'apparaisse sur les images satellites Landsat prises en
1982, le tracé de son cours inférieur sur 400 km entre le Gebel Rahib et le coude du Nil à
la hauteur de l'ancienne Dongola n'était pas marqué sur les cartes (Pachur, Kröpelin,
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30 Au cours du IVe millénaire, la disparition des points d'eau rendit impossible les
relations entre la vallée du Nil égyptien et les massifs du Sahara central, sauf par la voie
des oasis (Siwa, Djeraboub, Aujila, Sokna) par laquelle on atteint le Fezzan. La vallée du
Nil soudanais était devenue une région d'élevage tandis que l'Egypte passait du
Néolithique au Prédynastique. Les éleveurs de l'actuel Soudan utilisèrent selon toute
probabilité la longue bande de plateaux à plus de 500 mètres d'altitude qui relie le Nil
moyen aux massifs du Sahara central où fleurit la "culture bovidienne" entre – 4500 et
– 2500 environ.
31 A la notion de "limite écologique" située approximativement au niveau de la frontière
égypto-soudanaise, se rattache celle – ignorée avant les années 80 – de "millénaires
obscurs" de la vallée du Nil égyptien, mise en valeur par Connor et Marks (1986). Entre
– 10.000 et – 6000 environ, le vide archéologique est total depuis Wadi Halfa à l'extrême
nord du Soudan jusqu'au delta. On l'attribue au déplacement sur les hauteurs de
l'actuel désert occidental des populations fuyant les inondations catastrophiques
décrites par Butzer (1980) sous le nom de "Nil sauvage", puis évitant, durant plus de
trente siècles, la vallée inondée en permanence.
32 Le problème central et actuellement non résolu de l'âge des gravures rupestres
archaïques – baptisées "bubalines" par Henri Lhote – reçoit par là un éclairage
nouveau. Les foyers de gravures rupestres de l'Atlas saharien, du Tassili-n-Ajjer (oued
Djerat), du Fezzan (Mathendus) situés tous les trois au nord du Tropique du Cancer ont
eu des contacts avec les chasseurs du désert occidental d'Egypte. Plus tard, lorsque les
points d'eau se sont progressivement asséchés au cours du V e et surtout du IV e
millénaire, les migrations est-ouest ont emprunté des voies plus méridionales et ont
concerné des pasteurs.
33 L'idée d'une très grande ancienneté des gravures du Fezzan soutenue depuis 1965 par
Fabrizio Mori a été reprise par sa compatriote Barbara Barich qui écrivait en 1991 : "Il
semble que l'origine de l'art rupestre saharien se situe dans la phase de transition entre
le Pléistocène et l'Holocène" (p. 16 et 30). Un argument de poids est apporté à cette
théorie par les nouvelles données climatologiques évoquées plus haut. Vers – 9000 déjà,
malgré la reprise d'aridité correspondant au Dryas 11 (– 10.300 à – 9.000 environ), le
niveau de la nappe phréatique au sud de l'Atlas saharien s'élevait à 60 mètres au-dessus
de l'actuel (Callot, 1991) ; des animaux gros consommateurs de verdure et d'eau étaient
présents dans les zones du Sahara septentrional où figurent leurs représentations
gravées.
34 L'affirmation par les paléoclimatologues de la simultanéité de la reprise des pluies au
Maghreb et au Sahel entraîne également un grand changement dans les idées
communément admises sur un repeuplement du Sahara (au sortir de la phase aride qui
sévissait depuis environ 10.000 ans) à partir du Sud. Des Noirs venant de la zone
guinéenne seraient arrivés dans les massifs du Sahara central méridional bien avant
que les Blancs venus du Maghreb ne parviennent dans le Sahara central septentrional.
Contraire aux données géographiques, cette proposition ne peut plus être soutenue
aujourd'hui.
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59
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RÉSUMÉS
Since 1980, many large regional studies led by interdisciplinary and multinational teams have
made a major contribution to our knowledge of the last wet period of the Sahara in the fields of
chronology and ecology. New conceptions of paleoclimatology, archeological discoveries and
hundreds of datings published since 1985 have led to the rejection of certain accepted ideas and
the putting forward of new hypotheses regarding the Sahara. These hypotheses deal with the
diversity of the wet Sahara compared to the unicity of today's Sahara, the length and
demographic consequences of periods of drought recorded within the wet period and on the
conditions of the movement of people and (agriculture) (cultures) up to the drying out of the
desert.
AUTEUR
MARIANNE CORNEVIN
Paris — France
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63
La disparition de la notion de
« caste » a kong : (XVIIIe-XIXe siècles)
Georges Kodjo Niamkey
1 La société dioula de Kong s'est constituée durant des siècles, à l'image des sociétés
soudanaises médiévales ; celles-ci se caractérisent par la division des hommes en
catégories apparemment figées, hommes libres, esclaves et artisans. Ceux-ci sont
généralement considérés comme des personnes qui appartiennent à des castes et qu'on
nomme communément nyamakala, littéralement ceux qui détiennent le nyama ou nya,
une puissance occulte. Le nyamakala de ce fait inspire la crainte, la méfiance. Son
savoir-faire, on le sait, est le résultat d'un héritage ancien qui s'est transmis en secret
de génération en génération ; on est persuadé aussi qu'il détient le secret des plantes et
de bien d'autres choses et ne veut en aucun cas le divulguer, d'où l'origine des barrières
séculaires et des interdits qui ont fait de lui un être hors du commun. Tout mariage
avec des hommes ou des femmes de cette communauté est formellement déconseillé 1.
2 La division du travail dans les sociétés mandé s'est donc accompagnée très tôt d'un
cloisonnement de celles-ci en groupes socio-professionnels. Le nyamakala est avant tout
un artisan à qui on confère des pouvoirs surnaturels qui l'isolent du reste du monde. A
Kong, comme dans le vieux Mandé, on naissait nyamakala, on ne le devenait ni par
alliance, ni par adoption. L'exercice de la profession, notamment celle de la forge ou de
la parole (griot), détermine ainsi la catégorie sociale du travailleur : au XVII e siècle, on
distinguait cinq catégories de nyamakala, les numu (forgerons), les garangé
(cordonniers), les dyésédan (tisserands), les dyéli (griots) et les kulé (fabricants de pilon).
3 Dans le travail que nous présentons ici, nous allons nous intéresser aux griots, aux
forgerons et aux tisserands qui ont constitué la cheville ouvrière de la société dioula au
XVIIe siècle. Nous montrerons comment l'univers des nyamakala a connu de profondes
mutations sous l'impulsion de l'essor commercial à partir du début du XVIII e siècle et
ceci grâce aux efforts du souverain Seku Watara en faveur des marchands.
Civilisations, 41 | 1993
64
Les dyéli
4 L'origine de cette caste remonte à la nuit des temps et il serait hasardeux de vouloir en
faire la genèse. Dans la société mandé, on distingue plusieurs catégories de dyéli : les
funé, les gawlo (essentiellement musiciens) et les dyéli proprement dits, les maîtres de la
parole ou généalogistes ; ils sont désignés dans certains documents sous le nom de
dûgha (vautour)2. Ce nom évocateur illustre bien le personnage en question qui vit au
dépens d'un maître généralement riche et toujours généreux. Le griot de Soundyata
Kéita (1230-1255), Bala Faseké disait à son maître, le futur Empereur du Mali : "Je suis la
parole et toi l'action, maintenant ton destin commence"3. Faseké souligne ici l'importance du
griot dans l'exercice du pouvoir au sein des sociétés mandé : il est toujours au coeur des
formations politiques ; il oriente l'action du souverain et perpétue sa mémoire. Il est
considéré aussi comme le détenteur du savoir. Ibn Battûta nous a laissé une image
inoubliable du dûgha du souverain Mâsa Souleyman (1341-1360) du Mali au XIV e siècle :
"On installe pour Dûgha un siège sur lequel il s'assied. Il joue d'un instrument de
musique fait de roseaux (...), sous lesquels se trouvent des petites courges. Il chante
des vers à la louange du sultan, dont il évoque les expéditions et les hauts faits. Les
épouses et les femmes esclaves chantent avec lui et jouent avec les arcs. Il y a avec
elles une trentaine de ses jeunes serviteurs vêtus de tuniques de draps rouge et
portant des shashiya blanches. Chacun d'eux porte suspendu au cou son tambour
qu'il frappe. Puis viennent ses compagnons, des adolescents : ils jouent, font des
sauts périlleux comme un habitant du Sind. Ils ont pour cela une habilité et une
légèreté surprenantes. Ils jouent admirablement avec les sabres. Dûgha joue (aussi)
avec le sabre d'une façon étonnante4. Le sultan ordonne alors de lui faire un
présent. Une bourse de 100 mithkal d'or lui est donnée et on lui mentionne le
contenu de la bourse".
5 Comme dans le vieux Mandé, les griots ont prospéré au XV e siècle dans la région de
Kong dès la mise en place des chefferies taraoré et des communautés marchandes. Les
sources orales et écrites disponibles permettent aujourd'hui de situer l'âge d'or des
griots au XVIIIe siècle. Un fait pourrait expliquer ce phénomène, la richesse
exceptionnelle des négociants du pays et la fortune légendaire des princes de la ville.
En effet, sous le règne de Seku Watara (1710-1745), parmi les gens qui accourent dans la
métropole dioula, on note un grand nombre de griots venus du Mandé pour louer leurs
services aux princes watara dont la renommée avait dépassé les frontières du Nord-Est
de la Côte d'Ivoire. Parmi eux, on signale surtout des Kuyaté originaires de Kangaba.
C'est à cette date que s'installent à Kong les ancêtres du célèbre griot Dyéli Késé 5.
6 La bonne marche des affaires va cependant influer sur le destin des griots : l'essor
commercial offre la possibilité à tout individu de pouvoir s'enrichir. Ce mouvement
n'épargne personne, pas même les gens de caste. Tout homme peut investir dans le
commerce et devenir riche, quelle que soit sa condition sociale. Sous le règne du grand
souverain Seku Watara, les griots vivent des dons des princes, mais aussi et surtout de
leurs affaires qui ne cessent de prospérer. Néanmoins, ils demeurent attachés aux
princes de la couronne et fréquentent assidûment la cour royale.
7 Les choses changent à la fin du XVIIIe siècle. Les successeurs de Seku Watara ont pris
l'habitude, à l'initiative de leur père, de résider sur leurs terres dans des fermes qu'on
appelle kongoso (résidences de brousse). Ceci ne fait pas du tout plaisir aux dyéli qui
détestent la rude et rustique vie de la campagne. Ils désertent donc les cours royales
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pour fixer leur résidence à Kong. La plupart d'entre eux se lancent désormais
résolument dans le négoce. Le griot se fait dioula.
8 Au début du XIXe siècle, on assiste à une situation curieuse : on rencontre des griots
plus riches que certaines familles régnantes. L'ère des Faama riches et généreux semble
révolue et avec elle celle des dyéli dépendants. Vers le milieu du XIX e siècle, quelques
familles de griots font encore la cour à de riches négociants, mais la plupart d'entre eux
ont fait fortune. Certains d'entre eux suivent les cours des ulémas et prennent des
titres élogieux de karamogo ou hommes de lettres ; ils n'ont désormais rien à voir avec
les griots traditionnels que nous avons signalés plus haut. A la fin du règne de Seku
Watara, certains dyéli prennent le dyamu de leurs hôtes, Watara, Taraoré ou Kéita.
Ecoutons l'un des descendants de ces anciens griots :
"Les mesures de sécurité mises en place par le sultan Seku Watara favorisaient le
commerce à longue distance qui procurait aux colporteurs des revenus
considérables. Tout le monde, y compris les dyéli, avait saisi l'occasion pour faire
fortune"6 les marchands réalisaient des bénéfices énormes sur les affaires ; au XIX e
siècle, Binger nous donne quelques chiffres : les profits pouvaient "varier de 100 à
500 pour 100 et même au-delà"7.
9 Le développement commercial a contribué ainsi à faire voler en éclats les barrières qui
faisaient du dyéli un être particulier. A Kong, il ne détenait plus le monopole de la
parole, ni celui de l'histoire du pays. A la fin du XIX e siècle, il n'existait plus dans la
région de Kong, de griots au vrai sens du mot, c'est-à-dire des familles qui tiraient leurs
ressources essentiellement de la puissance de la parole 8. La société dioula avait subi,
sous la pression des facteurs commerciaux, l'une des plus grandes mutations de son
histoire. Les dyéli ont rompu avec les traditions d'origine. Ils ne sont pas les seuls à
avoir été touchés par les effets du grand commerce : les tisserands et les forgerons ne
sont pas épargnés comme nous allons le voir.
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11 On sait très peu de chose sur les tisserands Selsuma13. Les sources orales de Kolon
soulignent que les autorités taraoré ne portaient pas ces artisans dans leur coeur à
cause de la puanteur des fosses à indigo. Elles considéraient la fabrication des pagnes
comme un métier impur et les Selsuma étaient souvent mal vus par la population. On
ne les fréquentait pas et la communauté des tisserands vécut repliée sur elle-même
jusqu'au XVIIe siècle.
12 Au début du XVIIe siècle, les choses changent ; on constate une demande de plus en plus
importante de pagnes, à la suite sans doute de nouveaux modèles mis sur le marché par
Dé Maghan. Celui-ci employa pour la première fois dans ses ateliers de nombreux
esclaves et créa de vastes plantations de cotonniers pour avoir sur place la matière
première nécessaire. Vers la fin du XVIIe siècle, toute la population de Kong se mit à
tisser des cotonnades et les artisans Selsuma disparurent face à cette grande
révolution. En moins d'un siècle, le caractère lucratif de cette profession transforma la
métropole dioula en une capitale du textile. On oublia les odeurs des fosses ; on
regardait désormais le tissage avec des yeux nouveaux et l'on en fit un métier noble.
Avant d'être guerrier, commerçant et roi, Seku Watara pratiqua le tissage comme
l'avait fait autrefois son grand-père Dé Maghan.
13 A la fin du XIXe siècle Binger a souligné l'importance du tissage :
"...partout où il y a un petit espace libre, on s'en est emparé pour y construire des
cages de tisserands"14
14 Le même auteur a situé la place des pagnes dans le commerce de Kong avec Dienné et
Tombouctou :
"Le tissu rouge et blanc fabriqué en bande à Kong est cousu par les femmes en
pagnes de 12, 13, 14 et 15 bandes. Ce pagne, qui est un vêtement de luxe pour les
femmes de Kong, l'est aussi à Djenné et à Tombouctou où on le nomme el- harottat
(...). Ces pagnes valent ici, suivant le dessin et surtout la grandeur, de 8.000 à 15.000
cauries. A Djenné, un pagne de 10.000 cauries vaut une barre de sel" 15.
15 D'après les documents que nous avons réunis, on peut estimer la production de pagnes
à Kong, en moyenne, à 300.000 par an16. A en croire les sources orales, ces chiffres
semblent avoir été largement dépassés à l'époque du grand souverain Seku Watara
(1710-1745)17. La révolution textile contribua fortement à ébranler les assises des
sociétés dioula. La fortune et le mérite étaient désormais les seuls critères de
différenciation sociale ; ceci dans une société qui avait privilégié autrefois la naissance,
la profession ou le patronyme. Le dyéli allait chercher désormais à se hisser au rang des
dyagotigi, c'est-à-dire des seigneurs du négoce. On cite le cas du dyéli Konaté qui sous
Seku Watara devint l'un des plus riches négociants de Kong et qui précisément devait
sa fortune au tissage18.
16 Les vieilles structures qui caractérisaient la société mandé tombèrent ainsi en
désuétude en moins de deux siècles. Penchons-nous maintenant sur le cas des numu.
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fer dans les entrailles de la terre considérées comme le domaine réservé aux dieux et le
transforment en outils indispensables à la vie ou en armes de destructions (flèches,
lances, voire fusils)21.
18 Il est difficile de dire à partir de quelle date précise les premiers numu ont fait leur
apparition dans la région de Kong. A en croire les sources orales du pays, ils
accompagnaient les Ligbi ou Kalo-Dioula (premiers commerçants mandé) dans leur
migration. On peut donc supposer qu'ils sont en place dans le nord de la Côte d'Ivoire
aux environs du XlVe siècle. Ils sont en tout cas à l'origine du développement de
l'agriculture dans la région de Kong.
19 Le terme numu, au cours des siècles, a pris une coloration patronymique dans le Nord-
Est de la Côte d'Ivoire. On est numu comme on est Kulibali ou Kéita. Dans des
publications récentes, on parle de migration Ligbi et Numu comme si ce dernier terme
avait une valeur ethnique. Tout se passe comme si en devenant numu, on perdait son
dyamu et si l'on faisait un pacte avec la profession ; ceci est très grave, car dans la
société mandé, on ne peut pas concevoir un individu sans un patronyme. Faut-il croire
que le numu est rejeté par la société, c'est-à-dire un être banni ? Est-ce à cause des
nombreux interdits qui pesaient sur les membres de la corporation ? Il est difficile de
répondre à cette question.
20 Au XVe siècle, les numu jouent un rôle important, non seulement au niveau de
l'agriculture, mais aussi et surtout dans la mise en place des chefferies taraoré en
fabriquant des armes pour leurs guerriers. Kong a connu plusieurs catégories de numu.
Les uns vivaient du fruit de leur forge, les autres tiraient leurs ressources de la chasse
et de la guerre. Ceux-ci vont rapidement abandonner la force pour bâtir des Etats, c'est
le cas des fameux Tondosama ou Samasoko qui au XVIIIe siècle jettent les bases du
puissant Royaume animiste de Kong et soumettent les numu traditionnels à de lourds
tributs. Intéressons nous à ce dernier groupe. Au XVIIe siècle, ces forgerons adoptent le
dyamu Watara. On signale la présence de nombreux forgerons dans les armées taraoré.
Comme leurs maîtres, ils deviennent guerriers. Aux alentours de Kong, on voit des
numu exercer le métier de tisserand ou colporteur : ils délaissent progressivement le
travail de la forge.
21 A la fin du XVIIIe siècle, les numu étaient noyés dans la masse de toutes les populations
qui portaient le dyamu Watara. Le développement commercial de Kong avec les régions
du nord et particulièrement les pays Bobo donna le coup de grâce au travail de la forge :
Bobo inonda le marché de Kong de toutes sortes d'objets en fer relativement moins
chers que ceux fabriqués sur place : ce fut la fin de l'artisanat du fer à Kong. Au XIX e
siècle, le Nord-Est de la Côte d'Ivoire vivaient de l'industrie du fer des états de Bobo-
Dioulasso. Les numu, comme le reste de la population s'adonnèrent désormais à des
professions plus lucratives, comme le commerce du sel, de l'or, des noix de kola ou le
tissage. A la fin du XIXe siècle, cette situation frappa Binger qui écrit :
"La ferronnerie, bêches, haches, lances de luxe, marmites en fer battu, etc.,
viennent du pays de Tiéba et fabriqués par les Tousia et les Tourounga, peuples
situés à l'ouest du Komono et des Dokhosié. Dans les environs de Kong, il n'y a ni fer
ni forgerons"22.
22 Braulot a confirmé les propos de Binger après son passage dans la ville : Kong importait
toute sa ferronnerie de Bobo-Dioulasso23.
23 A la suite des mutations successives liées au développement exceptionnel du commerce
dans la région de Kong, les critères de différenciation sociale avaient pratiquement
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changé. Tout reposait désormais sur le mérite et la fortune. On ne parlait plus de horon
(gens bien nés, nobles), ni de nyamakala ; certes ces termes n'avaient pas disparu mais
ils étaient désuets. L'important était désormais de chercher à se hisser au rang des
dyagotigi ou seigneurs du commerce et plus tard à celui de Karamogo ou alim. Les vieilles
barrières qui cloisonnaient la société en castes avaient pour ainsi dire disparu. Binger a
donc raison de souligner que :
"On voit partout ce que j'ai eu l'occasion de dire sur Kong et ses habitants : que les
Mandé-Dioula constituent une population active, laborieuse et intelligente.
J'ajouterai que le fanatisme religieux est absolument exclu chez eux et que l'esprit
de caste a presque disparu. Ainsi, on ne voit pas un seul griot chez les Dioula, et tout
le monde s'occupe de tissage et de teinture, tandis que chez les autres peuples que
j'ai visités, tout ce qui n'est pas cultivateur et guerrier fait partie d'une caste
inférieure et méprisée"24.
24 Cette expérience originale qui se développait dans le Nord-Est de la Côte d'Ivoire et qui
commençait à gagner les pays dioula des rives du Comoé ou du Bandama fut arrêté
brutalement à la suite de l'invasion samorienne en 1897. Néanmoins, on peut constater
de nos jours les vestiges de cette mutation : les jeunes gens qui, au début du siècle ont
repris le travail des forges ignorent le phénomène de caste et vivent en harmonie au
sein de la société dioula. La caste peut donc disparaître sous la pression des
bouleversements politiques, économiques ou sociaux.
NOTES
1. On sait cependant ques les princes soudanais au Moyen Age privilégiaient les mariages avec
les femmes numu ; voir à ce sujet N.G. KODJO "Contribution à l'étude des tribus dites serviles du
Songaï", Bulletin de l'I.F.A.N., série B n° 4, 1976, pp. 790-812. La notion de nya ou nyama se retrouve
dans les sociétés animistes de la région de Kong où s'est développé particulièrement le culte du
Nyamakurugu au XVIIe siècle sous l'impulsion des rois taraoré.
2. Voir à ce sujet "Le voyage d'Ibn Battûta au Mali" in Recueils des sources arabes..., Paris, 1975,
p. 304.
3. NIANE D.T., Soundjata, Paris, 1960, p. 109.
4. Danse réalisée en l'honneur des guerriers après la défaite du roi des Soso : voir NIANE D.T.,
op.cit., p. 139.
5. Ce griot a joué un rôle important au XIXe siècle dans les conflits entre Kong et Samori.
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7. BINGER L.G., Du Niger au golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi, Paris 1892, t. 1, p. 309.
8. Ce constat tendrait à prouver aussi que l'ère des grandes conquêtes était révolue et que les
Dioula étaient résolument tournés vers le commerce.
9. BAMORI TRAORE, Table ronde sur les origines de Kong..., Annales de l'Université d'Abidjan, série
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11. Cette thèse défendue par les princes watara de Kolon tend donc à confirmer l'existence d'un
tissage ancien dans la ville ; voir Bassina Ouattara (enquêtes réalisées en 1977 et 1979).
12. Marabaso signifie en dioula quartier des Maraba, nom que l'on donne aux Hausa.
13. On considère à Kong que ce terme désigne les premiers Taraoré qui ont embrassé l'Islam par
opposition aux Samasoko animistes qui vivent de chasse et de guerres.
14. BINGER, of.cit., p. 297.
15. BINGER, op.cit., p. 316.
16. KODJO N.G., Le Royaume de Kong des origines à 1897, thèse pour le doctorat d'Etat, Aix-en-
Provence, 1986, t. 2, p. 632.
17. Enquêtes réalisées Kong entre 1975 et 1977.
18. Enquêtes déjà citées.
19. KODJO N.G., "Contribution à l'étude des tribus dites serviles du Songaï", B.I.F.A.N.B., n° 4, 1976,
pp. 792-796.
20. Malam Issa Mahama, Le Damargu du XVIe au XIXe siècle. Repeuplement et formation de l'Etat Targi
des Immuzurag, Université d'Abidjan Département Histoire, 1990, p. 66. En fait on méprise celui
qui a déserté la forge et qui mène une vie de griot, "homme bien nourri, bien habillé et craint
pour son verbe, parfois conseiller écouté mais toujours méprisé et regardé comme le dernier des
hommes" voir Hamani (D) cité par Malam Issa.
21. Au XVIII e siècle le souverain de Kong Seku Watara avait un atelier de fabrication de fusils à
pierre à partir des modèles fabriqués à Birmingham ou à Liège.
22. BINGER, op.cit., p. 317.
23. BRAULOT, Arch. N.S.O.M., C.I., 3, 1893.
24. BINGER, op.cit., p. 328.
RÉSUMÉS
The 'dioula' people of Kong are characterised by the division of men into apparently fixed
categories: freemen, slaves and artisans. Very early, the division of labour in these ordered
societies is accompanied by a partioning into socio-professional groups. Thus the artisans
belonged to a caste called 'nyamakala', literally those who held the 'nyama' or 'nya' an occult
power. In the XVIIth century they were the mainspring of the dioula society. But from the
beginning of the XVIIIth century, the world of the nyamakala changed greatly due to commercial
expansion brought about by Seku Wara's efforts on beholf of the merchants. In the wake of
successive changes tied to the development of trade, the criteria for social differentiation also
changed, henceforth, everything was based on merit and wealth. Nyamakala was no longer
talked of and from then on what was important was to rise to the rank of a' lord of commerce'.
The old barriers which had divided society had practically disappeared.
AUTEUR
GEORGES KODJO NIAMKEY
Université National de Côte d’Ivoire — Abidjan — Côte d’Ivoire
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fonctions de grand prêtre sacrificateur d'Aïzan Daho17, divinité autour de laquelle les
princes se réunissent périodiquement pour des cérémonies religieuses.
7 En pays yoruba, une enfilade de perles dites ilèkè otutu okpun au poignet gauche du
babalawo – devin d'Ifa – constitue l'insigne de ses pouvoirs occultes et le distingue
quelque peu du commun des mortels qui n'est pas autorisé à en porter.
8 En pays aja dans le Mono béninois, il y a également des variétés de perles qui
interviennent dans la pratique oraculaire fa ; ce sont des perles jaunes à longue
perforation dites afasi-kuè ou monnaies de fa18. Il est d'autres variétés de perles qui, au
lieu d'être utilisées telles quelles dans le fa comme les afasi-kuè, sont écrasées et
réduites en poudre étalées par la suite sur le plateau divinatoire pour y recevoir les
différents signes divinatoires auxquels elles confèrent davantage de puissance pour
conjurer le mauvais sort ou guérir une maladie.
9 Spécialement apprêtées en matière d'occultisme, certaines perles servent à la
prophylaxie ou au traitement des maladies, ainsi qu'à la protection contre les morsures
de serpent, les sorciers, les mauvais esprits19 et, d'une façon générale, contre le mauvais
oeil. Il en est ainsi dans le Golfe du Bénin comme ailleurs en Afrique noire. Nous
retrouvons ce même usage en Afrique du Nord où D. Champault et M. de Langle ont vu
des enfants porter des perles pour se prémunir contre "le mauvais oeil" et l'action
maléfique d'esprits malins20.
10 Quiconque porte sur lui la perle nana cylindrique, bleu-azur plus ou moins
translucide21, magiquement préparée, ne périra jamais dans un incendie ou dans un feu
quelconque, car cette variété de perles, très prisée, a la caractéristique d'être résistante
au feu qui ne parvient jamais à la détruire ou à l'altérer. Très classique dans les aires
culturelles du Golfe du Bénin, une telle analogie n'en est pas moins frappante.
11 Réserve de valeur sur le plan monétaire puisqu'elles se prêtent à merveille à la
thésaurisation, les perles, denrée non périssable, participent aussi à la thésaurisation
funéraire à l'instar des cauris ; ainsi, de petites urnes funéraires en céramique
contenant les perles les plus précieuses sont placées dans les tombes dans l'intention de
constituer pour les morts de véritables réserves de numéraire et de parures pour l'au-
delà. Edouard Dunglas, admnistrateur des Colonies, a noté, lors de son séjour au
Dahomey22, une telle pratique, courante chez les Fon d'Abomey. Il arrive dans certaines
régions des aires culturelles ajatado et yoruba que des cauris soient associés à des
perles dans une urne funéraire ou mis dans un autre vase à côté de celui des perles. De
façon générale, celles-ci, dans le cas d'une femme défunte, constituent, en partie ou en
totalité, les richesses qu'elles possédaient de son vivant 23 ; il s'agit donc, en général, de
perles de son goût, ce dernier ne variant pas, pense-t-on, dans l'autre monde 24. Bien
"des gisements" de perles aujourd'hui mis au jour lors des travaux agricoles, de
terrassements ou de fouilles archéologiques ne sont rien d'autres que le trésor des
morts.
12 Les perles provenant de la thésaurisation funéraire sont particulièrement recherchées
dans des pratiques occultes de toutes sortes, car leur contact avec les morts a dû,
pense-t-on, accroître le pouvoir qui était naturellement le leur ; aussi coûtent-elles
toujours beaucoup plus cher que les perles qui n'ont circulé que parmi les vivants 25.
Elles ont en général des fonctions ambivalentes : destinées le plus souvent à des
pratiques occultes pour le bien-être des hommes, elles servent également à nuire dans
des circonstances particulières, où l'on dépose discrètement ces objets maléfiques dans
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les effets d'un individu en priant le mort dépossédé de venir chercher son bien volé en
se faisant accompagner – sans retour naturellement – par celui qui est en sa possession.
13 Par ailleurs, les perles ont une place non négligeable dans l'anthropologie des
naissances géméllaires : les statuettes de bois qui, dans les aires culturelles ajatado et
yoruba remplacent les jumeaux défunts, portent parfois des colliers ou des bracelets de
perles26. Chez les Guin ou Mina d'Aného, des mères de jumeaux ou de plusieurs enfants
(au moins trois) de même sexe nés successivement sans qu'un enfant d'un autre sexe
s'intercale entre eux, portent le abahun, bracelet garni d'une perle bleue 26. Bien des
variétés de perles, prescrites par l'oracle fa ou ifa27, sont spécialement apprêtées et
portées par les jumeaux pour leur protection ou pour leur enrichissement, surtout
lorsqu'ils sont nés sous le signe de la richesse.
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des marchands qui les placent dans leurs porte-monnaies pour protéger leur avoir du
regard rapace de ceux à qui l'on prête le pouvoir de voler l'argent d'autrui rien qu'en le
regardant attentivement35.
19 Une variété de perles que nous n'avons pu identifier aurait même naturellement le
pouvoir d'annihiler l'effet de la "monnaie de la ruine" destinée à entraîner la faillite de
marchands chez qui on a acheté un article avec une telle monnaie 36.
20 Toutes ces raisons jointes aux mythes archétypaux d'origine des perles, permettent de
comprendre pourquoi elles sont devenues dans l'esprit des habitants du Golfe du Bénin,
le symbole même de la richesse et de sa conservation au même titre que les cauris qui y
ont eu pourtant un rôle monétaire beaucoup plus important. Avoir des perles en
abondance, c'est être riche ; aussi, un important clan de l'aire culturelle ajatado porte-
t-il avec fierté le nom de Jèto ou cours d'eau des perles en souvenir de l'ancêtre qui, dit-
on, possédait une rivière où il allait ramasser à volonté des perles 37, sous le regard
envieux des gens de son milieu.
21 La notion de richesse incarnée par les perles a également une autre dimension
symbolique qui n'est pas toujours ni nécessairement fonction de leur quantité : appelé
dada – Sa Majesté – le roi du Danhomè dans ses louanges est habituellement désigné,
entre autres, par le nom jêhosu, c'est-à-dire le roi des perles, non pas nécessairement à
cause de l'abondance de perles précieuses contenues dans ses coffres, mais parce qu'il
était plus riche que quiconque dans son royaume : abondance de cauris, de tissus, de
métaux précieux, de verroteries, de biens meubles, etc. De nombreux auteurs ou
voyageurs ayant séjourné dans le royaume de Danhomè, ont porté des témoignages
élogieux sur les richesses des souverains du Danhomè : l'Anglais Bullfynch Lamb,
prisonnier du roi Agaja dans le premier quart du XVIIe siècle, envoya au Gouverneur
Tinker le 27 novembre 1724, une lettre dans laquelle il donne une idée de
l'impressionnante richesse de ce souverain conquérant :
"Je ne vois d'autre moyen de me racheter, sinon que la Compagnie lui envoye en
présent une couronne et un sceptre dont elle [Sa Majesté] pourrait prendre la
valeur sur ce qui reste dû au dernier roi d'Ardah. Je ne sais quel autre présent lui
faire qu'il ne le dédaigne, car il est très fourni de quantités de vaisselles d'or en
oeuvre, et de toutes sortes de richesses, aussi bien que de beaux habillements,
chapeaux, bonnets, de toute espèce : il abonde en outre en marchandises dont il ne
lui manque aucune : il donne des Boojes, Buyis (cauris) comme de la poussière, et il
distribue des liqueurs comme de l'eau. Il est extrêmement vain et présomptueux, et
je crois en effet qu'il est le Roi le plus riche et le plus grand guerrier dans cette
partie du monde...38.
22 C'est en fait beaucoup plus l'abondance et la qualité de tous ses biens qui sont
indirectement rappelées à travers le nom jêhosu39 donné au roi du Danhomè, qu'un
éventuel et inégalable volume de perles qu'il posséderait.
23 Assimilées ailleurs et dans d'autres circonstances à la richesse par excellence quand
elles sont abondantes, les perles, même absentes donnent leur nom à toutes richesses
comme dans le cas des souverains du Danhomè. Les perles incarnent la richesse ; la
richesse incarne indirectement les perles en ce sens qu'elle est supposée être aussi
précieuse et aussi difficile à acquérir qu'elles. La nuance, aussi ténue soit-elle, a son
prix et elle était toujours présente dans l'esprit des habitants du Golfe du Bénin quand
ils apprécient diversement les perles, aussi valorisées quand elles existent
abondamment que dans le cas où, absentes, leur silhouette est supposée se profiler à
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l'arrière-plan de tout tableau de grandes richesses, même dans les réalités politiques
comme à Abomey : il y a, en quelque sorte le pouvoir des perles et les perles du pouvoir.
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l'agencement de ces perles, leur fonction n'est jamais prioritairement l'esthétique, mais
l'érotisme : elles sont essentiellement destinées à exciter la sensualité, l'appétit sexuel
des hommes qui savent les apprécier à leur juste valeur : les jarretières de perles
donnent davantage de relief aux mollets que les hommes éprouvent du plaisir à
caresser en même temps que les perles multicolores48. Quant aux perles portées aux
reins, elles sont de taille extrêmement variable : des plus fines aux plus grosses en
passant par celles de taille moyenne. Cependant, les plus appréciées étaient celles qui
sont dites bébé ou abébé dans les aires culturelles yoruba et ajatado : ce sont des perles
discoïdes minces et plates, à très courte perforation centrale de couleur noire, bleue ou
rouge ; elles étaient assez fragiles et ne résistaient pas à l'épreuve du feu comme les
nana. Il en fallait un très grand nombre pour une rangée destinée à faire le tour de
ceinture d'une femme. Enfilées, elles se présentent sous l'aspect d'une grosse ceinture.
Selon leur goût, les femmes peuvent enfiler soit exclusivement des perles noires, soit
des perles rouges, soit des bleues, soit panacher les trois. De même, elles peuvent porter
soit uniquement des enfilades d'une seule couleur, soit des rangées de chacune des
couleurs. Certaines cependant se contentent d'enfilades d'un seul coloris non pas pour
une question de goût, mais à cause des interdits en liaison avec leur destinée 49.
32 Discrètement portées sous leurs pagnes par les femmes50, ces grosses rangées de perles
donnent de l'extérieur plus d'embonpoint à leur hanche, ce qui est très apprécié dans
ces milieux où la stéatogypie est perçue comme un des éléments d'attrait d'une femme.
En outre, dans des conditions d'intimité avec un homme, celle qui porte ces rangées de
perles est censée être plus sensuelle que celle qui en est dépourvue. Jusque dans la
première moitié du XXe siècle, il était rare qu'une femme ne porte pas de perles sous
ses pagnes. Cela a inspiré les Fon dans l'une de leurs manières de dire qu'un homme
s'est rendu coupable d'adultère avec une femme : é ha jè do alin ni : littéralement : il lui
a compté les perles aux reins. Cette forme d'euphémisme découle du fait qu'il faudrait
être dans la plus grande intimité avec une femme pour être en mesure, non pas
seulement de voir les perles qu'elle a aux reins sous ses vêtements et les toucher, mais
aussi de les compter. Cela ne signifie nullement qu'avoir des relations intimes
coupables avec une femme passe par le dénombrement des innombrables perles des
enfilades qu'elle porte mais c'est une manière plus élégante d'exprimer un adultère, en
se fondant sur le port de perles par les femmes.
33 Par ailleurs, fines, moyennes ou grosses, les enfilades de perles portées sous leurs
pagnes par les femmes jouent un autre rôle : elles servent a retenir par devant et par
derrière les deux bouts des couches hygiéniques dont elles "se protègent" lors des
périodes de menstrues.
34 Dans un autre ordre d'idées, l'on ne saurait faire une étude exhaustive de la musique
traditionnelle du Golfe du Bénin sans y mettre en relief le rôle des perles : des enfilades
de ces dernières harmonieusement agencées entourent amplement des gourdes, de
manière à ce qu'elles produisent des sons en tapant sur les parois de cette dernière
lorsqu'elle est rythmiquement secouée51.
35 Aucune étude n'a jusqu'ici porté sur la place des perles dans la littérature orale
traditionnelle des sociétés du Golfe du Bénin : nous n'insisterons plus sur le nom du
clan dénommé jêto (cours d'eau des perles) dont nous avons déjà parlé plus haut dans la
deuxième partie de cette approche ; le clan continue toujours de porter fièrement ce
nom, bien qu'il n'ait plus aujourd'hui le moindre lien avec un quelconque point d'eau à
perles. Par ailleurs, en liaison avec les perles, l'anthroponyme le plus connu dans
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l'histoire du royaume du Danhomè est Na Zognidi épouse du roi Guézo et mère de son
fils Glèlè. Ce nom fut donné à cette reine en fonction des innombrables épreuves qu'elle
a su traverser saine et sauve à la manière de la perle nana toujours résistante au feu 52.
36 Les Noirs du Golfe du Bénin ont aussi trouvé des sources d'inspiration dans l'usage des
perles pour élaborer leurs proverbes et dictons ; c'est ainsi que les Gun de Porto- Novo
pour signifier qu'il ne suffit pas de vouloir quelque chose pour être en mesure de l'avoir
disent souvent : "aco jro gidi ; yonu ma diké"53 : le singe voudrait bien se parer de beaux
atours, porter autour des reins des rangées de perles mais il lui manque l'attribut
principal : les fesses"54. Quant aux Fon d'Abomey, ils recommandent la patience en
toutes choses en utilisant le proverbe suivant : "Dada Sègbo so lankan gban nyi do ji, bo
hué su lo e no wen dokpo"55, "Dieu accrocha au firmament 30 perles précieuses lankan et
en décroche une par an"56.
37 Les exemples de la place des perles dans la littérature orale traditionnelle peuvent être
multipliés presque indéfiniment à partir de la constitution minutieuse d'un riche
corpus d'anthroponymes, de maximes, de dictons populaires, d'adages : de véritables
trésors d'imagination et de composition chez les peuples du Golfe du Bénin.
Conclusion
38 Les marchands européens qui, durant la période précoloniale, vendaient aux Noirs du
Golfe du Bénin des perles importées de chez eux ou d'autres points d'Afrique, ne
s'imaginaient nullement qu'elles pouvaient servir à d'autres fins qu'esthétiques. Or, les
Africains les ont intégrées à leurs cultures en allant au-delà du superficiel, du visible
immédiat que constitue le décoratif dont l'étude n'a plus aujourd'hui le charme de la
nouveauté, de l'inédit ou de la contribution.
39 Saisies de l'intérieur, les différentes fonctions non décoratives des perles sont riches de
perspectives et d'axes de réflexion pour le chercheur qui tente de cerner de très près ce
que représentent de plus profond et de plus intime pour les Africains : un filon pour
l'historien des mentalités, l'ethnologue et l'anthropologue des cultures en liaison avec
les structures mentales.
40 Cette approche introductive rapide qui n'a d'autres ambitions que celle de susciter un
débat autour d'une donnée apparemment anodine, fait entrevoir tout ce qu'il y a
encore à faire sur ces petits objets en matière de symbolique et d'attitudes collectives
des populations. Les études ultérieures gagneront cependant à être moins globalisantes
et plus fines : il s'agira pour elles, entre autres, de répertorier toutes les variétés
anciennes de perles ainsi que leurs noms dans les langues des milieux concernés par
leurs usages ; de recueillir tous les mythes et autres représentations de mentalités dont
elles sont chacune l'objet ; les différents usages auxquels elles étaient et sont encore
destinées ; d'insister sur les éléments ou facteurs de permanence ou de rupture dans
leurs usages ou leurs perceptions, les diversités d'un espace à l'autre de leurs
utilisations. Il n'est pas exagéré de dire que les perles sont un véritable fait de
civilisation en Afrique, d'où tout l'intérêt de leur étude qui attend d'être réalisée sur
une grande échelle à partir de très modestes monographies.
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NOTES
1. La bibliographie sur les perles dans le Golfe du Bénin est relativement abondante. Nous nous
contenterons de citer pour mémoire quelques titres pouvant permettre au lecteur de se faire une
idée des travaux sur la question.
– FORBES (F.E.) : Dahomey and the Dahomans. Being the Journals of two missions to the King of Dahomey
and residence at his capital in the years (1849-1850). London, Routledge and Kegan Paul, 1864
(Réédition de 1966, 372 p.).
– BURTON (Sir R.) : A Mission to Gelele king of Dahome. London, Routledge and Kegan Paul, 1864
(Réédition de 1966, 372 p.).
– ELLIS (A.B.) : The Ewe-Speaking peoples of the Slave Coast of West Africa : their religion, manners,
customs, laws, languages, etc. London, Chapman and Hall, 1890, 331 p., 1 carte.
– HESS (J.) L'âme nègre.Paris, 1898, pp. 119-120.
– BERTHO (R.P.J.) : "Perles d'aigry, d'accory ou de Popo". In Notes Africaines, n° 24, octobre 1944,
pp. 1-2.
– MAUNY (R.) : "Que faut-il appeler "pierres" d'aigry ?" In Notes Africaines, n° 42, avril 1949,
pp. 33-35.
– FAGE (J.D.) : "Some Remarks on Beads and Trade in Lower Guinea in the Sixteenth and
Seventeenth centuries". In Journal of African History, III, 2, 1962, pp. 343-347.
– LAMB (H.A.) et YORK (R.N.) : "A note on Trade-Beads as Type-Fossils in Ganaian Archaeology".
In West African Journal of Archaeology, 2, 1972, pp. 109-113.
– KOUAOVI (A.B.M.) : Proverbes et Dictons du Bénin. Lyon, 1981, 15 p. ill.
– QUENUM (M.) : Au pays des Fons. Us et Coutumes du Dahomey, Paris, Maisonneuve et Larose, 3 ème
édit. 1983, p. 71.
– RIVALLAIN (J.) et IROKO (A.F.) : Les collections monétaires. Paris, Administration des Monnaies et
Médailles, 1986, 89 p. XXXI pl.
– LAW (R.) : The Slave Coast of West Africa (1550-1750). The Impact of the Atlantic Slave Trade on an
African Society.Clarendon Press, Oxford, 1991, 376 p.
2. PAULME, D. : "Perles". In MAQUET , J. : édit. Dictionnaires des civilisations africaines. Paris,
Fernand Nathan, Editeur, 1968. Voir en particulier pp. 324-325.
3. Il y avait une extrême variété de perles en usage en Afrique durant la période précoloniale.
Celles de verre par exemple, dont les origines sont connues n'ont pas une place dans l'univers
religieux des Africains.
4. HESS, J. : L'âme nègre. Paris, 1898, pp. 119-120.
5. ELLIS, A.B., : op.cit., 1890, p. 49.
6. Idem Ibidem, 1890, p. 49.
7. DUNGLAS, E. : "Perles anciennes trouvées au Dahomey", in Première Conférence internationale des
Africanistes de l'Ouest, (comptes-rendus), Dakar, IFAN, 1951, T. II, p. 432.
8. Idem, Ibidem., 1951, p. 432.
9. BURTON (Sir R.) : op.cit., 1864 (mais en deux volumes, voir la page 98 du volume II).
10. QUENUM, M. : Au pays des Fons. US et Coutumes du Dahomey, Paris, Maisonneuve et Larose, 3 ème
édition, 1983, p. 71.
11. Idem, Ibidem, 1893, p. 71.
12. BERTHO, J. : "Pierres d'aigry, d'accory ou de Popo", in Notes Africaines, octobre 1944, p. 2.
13. Idem, Ibidem, 1944, p. 2.
14. BERTHO, J. op.cit., 1944, p. 2.
15. Les perles ne sont pas portées de la même manière par les Sakpatasi que par les Hêviososi
chez les Fon, par exemple.
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16. C'est l'ancêtre de cette collectivité qui, seul se nommait au XVII e siècle Gangnihèsu. Par la
suite tous les chefs de sa collectivité qui sont en quelque sorte ses successeurs portent son nom
dès qu'ils accèdent au trône.
17. C'est la grande divinité des Alladahonu de Huawé Zunzonsa. Les princes appartiennent à
cette collectivité.
18. BERTHO (R.P.J.), op.cit., p. 2.
19. Il n'est pas rare de placer des perles dans des offrandes déposées à un carrefour à l'intention
d'un esprit, d'un génie.
20. CHAMPAULT, D. et LANGLE M. de : "Notes sur l'emploi de quelques matériaux d'origine
marine en Afrique du Nord" in L'Ethnographie, N lle série, 1964-65, pp. 88-118. Voir en particulier la
page 4.
21. DUNGLAS E. : "Perles anciennes trouvées au Dahomey, 1951, p. 432.
22. DAHOMEY : ancien nom de la Colonie française aujourd'hui appelée République du Bénin.
23. Il arrive souvent qu'une partie des perles de la défunte soit partagée entre ses filles, le reste
étant placé dans sa tombe. Notons au passage que les perles sont toujours beaucoup plus utilisées
par les femmes que par les hommes, notamment comme parure. Il est rare, en dehors des
domaines politique, religieux magique et thérapeutique, qu'un homme porte volontiers des
perles comme parure.
24. N'oublions pas que nous sommes ici dans un contexte socio-culturel de croyance en la
survivance de l'âme dans l'au-delà où le mort continue à mener une existence outre-tombe : "les
morts ne sont pas morts" dit-on couramment en Afrique.
25. Ces statuettes – c'est bien connu – sont entretenues tout comme si elles étaient effectivement
des êtres humains vivants.
26. BERTHO (R.P.J.) : "Pierres d'aigry d'accory ou de Popo", 1944, p. 2.
27. Les fon disent fa et les yoruba ifa pour désigner la même réalité.
28. Voir supra, première partie de cette étude.
29. "Zone perle", "zone or", "zone cauris", etc., dans le sens où nous parlons aujourd'hui de zone
franc, zone dollar, etc.
30. MOUEZY, H. : Assinie et le royaume de Kninjabo. Histoire et coutumes, Paris, Larose, 286 p. voir en
particulier la page 19.
31. DELAFOSSE, M. : Essai de manuel de la langue agni parlée dans la moitié orientale de la Côte-d'Ivoire,
Paris, Librairie Africaine et Coloniale, J. André, Editeur, 1901, 226 p., lire en particulier la page 37.
32. SMITH, G. : PEREIRA, D.P. : Esmeraldo de situ arbis, Lisbonne, Edit. Lisboa Imp. Nat. 1892, p. 69
et 73.
33. BRAUN, S. : Cité par MAUNY, R. : Que faut-il appeler "pierre"s d'aigry ? in Notes Africianes,
n° 42, avril 1949, p. 34.
34. DUNGLAS, E : "Perles anciennes...", 1951, p. 431.
35. Cette croyance est très répandue dans le Golfe du Bénin où de multiples précautions – dont
celles à base de perles – sont prises par des marchands et surtout des marchandes pour "conjurer
le regard voleur" des gens mal intentionnés.
36. Il est très bien connu que l'achat d'une marchandise avec une pièce de monnaie
maléfiquement appelée et remise au vendeur provoquerait la ruine chez ce dernier qui
deviendrait progressivement pauvre. Il y a encore beaucoup à faire en matière de recherche sur
cette forme d'anthropologie commerciale, à notre connaissance très peu étudiée.
37. Certaines variétés de perles étaient importées d'Europe en Afrique, alors que d'autres
seraient localement pêchées dans des cours d'eau. C'est ainsi que maints chercheurs, entre autres
Théodore Monod, ont émis la thèse d'une telle origine à propos des fameuses perles d'aigris dont
l'origine a été si controversée (R. MAUNY, op.cit., 1949, pp. 33-35).
38. SMITH, G. : Voyage de Guinée Paris, 1751, T. II, pp. 89-91.
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39. Personne dans le royaume, quelle que soit sa richesse, n'a le droit de porter le nom de Jêhosu
en dehors du roi, sous peine de crime de lèse- majesté.
40. BERTHO, J. : "Coiffures-masques à franges de perles chez les rois yoruba de Nigéria et du
Dahomey", in Notes Africaines, n° 47, 1950, pp. 71-74.
41. L'on comprend que le R.P. Jacques BERTHO qualifie ce couvre-chef de Coiffures-masques
(BERTHO), 1950, n° 47, pp. 71-74.
42. Il semble qu'un tel couvre-chef fut utilisé par les rois d'Abomey à un moment donné de
l'histoire de leur royaume.
43. Les yoruba appellent ce couvre-chef adé-ilèkè ou couronne de perles.
44. ADEL, S.F. : "Native crowns", in Journal of the Royal African Society, n° 2, pp. 1902-1903,
pp. 312-315.
45. Il convient de retenir que l'harmonie dans l'enfilage et l'agencement des perles est toujours
recherchée dans tous ces domaines mais elle n'est jamais la priorité dominante comme dans le
cas des rangées de perles utilisées comme parures.
46. Des dignitaires, à titre strictement personnel et privé, apprêtaient magiquement, à leur
manière leurs colliers de perles qui sont parfois de véritables talismans protecteurs et porte-
bonheurs mais ce n'est qu'une initiative personnelle.
47. OJO, G.J.A. : Yoruba culture. University of Ife and University of London Press Ltd, 1966, 303 p.
Lire en particulier p. 259.
48. Ces pratiques, tombées en désuétude, sont aujourd'hui passées de mode, et ont disparu,
notamment des milieux urbains. De très rares survivances peuvent cependant, mais de façon
exceptionnelle, être observées dans des campagnes lointaines.
49. Nous sommes ici dans le domaine de la symbolique des couleurs et des interdits qui lui sont
liés.
50. Ces genres de perles qui ont complètement disparu aujourd'hui de la circulation – on peut en
trouver chez les femmes âgées – n'étaient jamais portées par des hommes. Elles étaient
exclusivement l'affaire des femmes.
51. Les gourdes entourées de filières de perles pour la musique sont beaucoup plus utilisées dans
l'aire culturelle yoruba que dans celle d'ajatado.
52. DUNGLAS, E. : "Perles anciennes...", 1951, p. 433.
53. KOUAVI, A.B.M., : Proverbes et Dictons du Bénin, Lyon, 1989, p. 100.
54. KOUAOVI, A.B.M., op.cit., 1989, p. 100.
55. Idem, Ibidem, 1989, p. 75.
56. KOUAOVI, A.B.M., op.cit., 1989, p. 75.
RÉSUMÉS
European traders selling pearls from Europe or from other parts of Africa to the blacks of Benin
could not have imagined that the pearls could have been used other than ornamentally. But the
Africans integrated the pearl into their different cultures, going quite beyond the superficial and
immediate visual effect. Studies of these effects contribute little having lost their originality.
However, from another perspective, the study of the different non-ornamental functions of
pearls help the researcher shed light on relevant lines of research for the historian and the
ethnologist and anthropologist seeking to understand mental structures.
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AUTEUR
A. FÉLIX IROKO
Université Nationale du Bénin – Département d’Histoire et d’Archéologie – Cotonou – Bénin
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Introduction
1 Il est significatif de constater qu'alors qu'en Afrique, et particulièrement au Zaïre, au
moment de la commémoration de l'arrivée de Diégo Câo à l'embouchure du fleuve
Zaïre, il ne fut question que de cinq siècles d'évangélisation, en Europe, la "Découverte
de l'Amérique" soit l'objet de vastes célébrations (l'Exposition de Séville) et que toute
l'année est pleine de rencontres scientifiques sur ce même thème. Tout se passe comme
si le christianisme fut le seul lien entre l'Europe et l'Afrique et comme si personne ne
voulait se rappeler de tant de souvenirs malheureux qui ont abouti aux actuelles
relations inégales.
2 Quoi qu'il en soit, nous n'avons aucunement l'intention d'approfondir ce problème.
Notre objectif est d'évoquer les circonstances diverses qui ont permis au petit état
côtier de Ngoyo de se former et de s'émanciper de la tutelle de ses voisins vers la fin du
16e siècle. Nous passerons en revue les éléments internes et externes qui ont favorisé
l'émergence de cet Etat ainsi que les conditions qui lui permirent d'être un moment le
partenaire des commerçants Portugais et Hollandais ; situation qui ne dura pas puisque
la traite atlantique des esclaves transforma rapidement ses dirigeants en simples
courtiers.
3 Pour ce faire, nous avons utilisé la nombreuse littérature existant sur les Etats de la
Côte occidentale de l'Afrique Centrale. Une lecture critique permet d'en tirer de
nombreux renseignements s'étendant sur près de cinq siècles. Ces éléments ont été
enrichis de quelques données de la tradition orale, qui, pensons-nous, malgré leur
aspect lacunaire, peuvent éclairer l'histoire de cette région. Ces données ont été
récoltées sur le terrain lors des missions effectuées chez les Woyo habitant le territoire
connu au Zaïre sous la dénomination administrative de "Collectivité de la Mer".
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bons soldats10, John Olgiby les traite d'impudiques en disant que "yet towards
strangers, they are churlish and uncivil"11. Plusieurs missionnaires rapportent le grand
attachement des Woyo à leur religion traditionnelle.
9 Merolla parle de peuple qui s'adonne à la sorcellerie et à la magie 12 avec ce que ces mots
avaient comme charge négative et de méprisant à l'époque ; il souligne aussi l'inimitié
qu'ils ont contre la religion chrétienne et ceux qui la pratiquent 13.
10 Plus tard, les Woyo (appelés souvent Kabindes) seront utilisés dans la traite des
esclaves, ils étaient considérés comme bons caravaniers : armés jusqu'aux dents, ils
étaient réputés pour leur peu de pitié. Ils étaient aussi considérés comme bons gardiens
de barracons, là où étaient entassés les esclaves avant l'embarquement. Ils étaient enfin
connus pour leur capacité à s'expatrier comme matelots ou pilotes à bord des navires
de guerre ou de commerce14. Sur terre, les Woyo suivaient les Portugais dans les petites
villes créées le long des principales routes d'Angola où ils étaient souvent boys-
lavandiers. Ils vivaient à part et avaient des fétiches15 de grande réputation.
13 Les traditions Woyo expliquent la fondation du royaume de Ngoyo par deux légendes
articulées autour de deux personnages féminins. La première met en scène une femme
du nom de Mpuenya qui serait venue du royaume de Kongo d'où elle aurait été chassée
pour avoir donné secrètement naissance à des triplés, deux garçons Tumba et Lilu et
une fille Silu23.
14 Avec ses enfants, elle serait parvenue à fuir et aurait débarqué au royaume de Ngoyo à
un lieu appelé Vumu. Elle aurait séjourné à Fumba24 avant d'atteindre Mbanza Ngoyo
où elle se maria à un noble Woyo et donna le jour à deux autres enfants, Panzu et
Pukuta. Devenus grands, les enfants furent nommés chefs des territoires au nord du
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par la domination de Loango sur le nord du fleuve Zaïre comme le supposent les
historiens et certaines traces dans la tradition.
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Emancipation de Ngoyo
32 Vers 1606, les états de Loango, Kakongo et Ngoyo sont en relation commerciale avec le
marchand Jorge Rondrigues da Costa à qui le Portugal avait loué l'île de Sao Ihome 43.
Ceci prouve l'existence à cette époque d'un état de Ngoyo autonome. Néanmoins,
Ngoyo garda des liens de vassalité et nous savons par Van den Broeke, qui arriva vers
1612 à Mbanza Ngoyo, qu'il persista des rivalités politiques entre Ngoyo et Loango.
Reçu par le Mangoyo, il rapporte ce qui suit: "Le roi est très vieux, c'est un homme
cruel. Il est continuellement en guerre contre les insicus. Il est grand ennemi du roi de
Loango"44. Tenant compte de ces éléments, particulièrement de l'âge accordé au roi 45,
on peut donc avancer que l'émancipation de Ngoyo est antérieure à 1600. Par ailleurs,
bien que la fondation du royaume ne fut pas une oeuvre de conquête, elle ne fut pas
non plus pacifique ; il fallut se défendre contre des envahisseurs (que certains
identifient aux Nsundii ou aux Babwende). Enfin en ce début du royaume, il est
probable que Ngoyo ait plus lutté contre Loango46 que contre Kakongo47.
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Conclusion
42 L'émergence du petit royaume de Ngoyo n'apparaît que vers la fin du 16 e siècle, un
siècle après l'arrivée des Portugais sur les rives du fleuve Zaïre. Cette longue absence
sur la scène politique de la région signifiait que le royaume était probablement encore
dépendant des royaumes de Kongo et plus tard de Loango. Avec ce dernier, des liens
divers vont persister notamment sous forme de tribut, en biens ou en femmes, payés à
l'avènement ou à la mort du Maluango.
43 La formation du royaume de Ngoyo fut rendue possible grâce à la centralisation du
pouvoir, jusque là détenu par les chefs de terre (fumu za si), les chefs de clans (fumu
za makanda) et les chefs religieux (fumu mpezo). L'autorité a été remise entre les
mains du roi, assisté des représentants de certaines catégories sociales. Assumant ces
divers aspects de l'autorité, le roi est la clé de voute d'une architecture sociale délicate.
Il en sera aussi le tendon d'Achille en ne laissant en place que le système de parenté
comme seule structure sociale.
44 L'autre facteur qui favorisa la formation du royaume de Ngoyo fut la présence
européenne à la Côte Atlantique. Celle-ci favorisa la création du port de Cabinda ainsi
que le développement du commerce entre la côte et les régions éloignées de l'intérieur.
Ce commerce exigeait une main-d'oeuvre abondante, notamment pour le transport de
produits comme le sel et les biens européens qui devaient être échangés contre l'ivoire,
le cuivre etc. Ce qui petit à petit transforma les relations entre les commerçants
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européens et leurs fournisseurs africains ; car, petit à petit, les produits demandés
vinrent à manquer. Il fallut donc chercher les principaux produits comme l'ivoire de
plus en plus loin. D'autre part, des esclaves étaient de plus en plus demandés, et il fut
nécessaire de s'en procurer ailleurs. Ainsi, les fournisseurs Woyo devinrent de plus en
plus des intermédiaires, dans un commerce qu'ils ne contrôlaient plus totalement. Dès
lors, le sort du royaume de Ngoyo fut lié à l'essor et au déclin de la traite
transatlantique. Il ne put jamais s'en dépêtrer.
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NOTES
1. NGUVULU A : L'humanisme négro africain au développement, Okapi, Kinshasa, 1971, p. 25.
2. Communication personnelle de Mr. Kanimba qui a effectué des fouilles à la localité Ngoyo
(Zaïre) en 1987.
3. VANSINA J. : Paths in the Rainforests, Toward a History of Political tradition of Equatorial Africa.The
University of Wisconsin Press, 1990, pp. 49-56.
4. HAGENBUCHER-SACRIPANTI P. : Les fondements spirituels du pouvoir au royaume de Loango,
ORSTOM, Mémoire n° 6, Paris 1973, pp. 22-25.
5. SERRANO, CMH : Os Senhores de Terra e os Homens do mar : antropologia politica de um reino
africano, FFLCM-OSP Sao Paolo 1983, pp. 72-84.
6. MULINDA Habi B., La société Woyo : structures sociales et religieuses, vol. I, thèse de doctorat en
sciences sociales, ULB, 1985, p. 222.
7. DE MATTOS e SILVA, J., Contribuicâo para o esrudio da regiâo de Cabinda, Lisboa, 1904, p. 301.
8. DAPPER O., Description d'Afrique, Wolfgang, Waesberge, Boon et Van Someren, Amsterdam,
1686, p. 340.
9. DEGRANDPRE, L., Voyage à la côte occidentale de l'Afrique fait dans les années 1786-1787, Dentu,
Paris 1801, vol. 1, p. 167.
PROYART : Histoire de Loango, Kakongo et autres royaumes d'Afrique, Beston, Paris, 1/6, pp. 1-2.
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10. DAPPER cité par MARTIN PH. M : The external trade of Loango, 1576-1870, Oxford Univ. Press,
Studies in African Affairs, Oxford, 1972, p. 32.
11. OLGIBY J. : Africa, Th. Johnson, London 16/0, p. 521.
PREVOST : Histoire générale des voyages, de Hondt, Paris, 1757, pp. 164-185.
12. MEROLLA do SORENTO J., A voyage to Congo and several other Countries ; in Churchill : collection
of voyages and travels, London, 1702, p. 712.
13. CUVELIER J. Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles, 1953, p. 6.
14. BOUET-WILLAUMEZ E., Commerce et traite des Noirs aux côtes occidentales d'Afrique, Imprimerie
Nationale, Paris 1848, p. 165.
15. MONTEIRO J.J., Angola and the River Congo, Macmillan and Co, London 1875, p. 254.
16. PULCHAS Samuel, Pulchas his Pilgrims, London 1613, Liv. VII, Cap. 346, p. 9/9.
17. Punto de Palmeino : nom qui fut longtemps donné à la Pointe de Banana (Jeune Palmier).
CRINE-MAVOR, B. "Contribution à l'étude de l'histoire de Banana", Zaïre Afrique, n° 190, 1984,
p. 622.
18. OGILBY, op.cit., p. 521.
19. DAPPER, op.cit., p. 340.
20. MEROLLA, op.cit., p. 716.
21. PROYANT, op.cit., p. 132.
22. Bien qu'il soit probable que les frontières orientales de Ngoyo aient pu atteindre Boma, nous
pensons que les dimensions que lui donne J. Pirenne sont quelque peu exagérées et ne
correspondent pas à la réalité historique. PIRENNE J., "Les éléments fondamentaux de l'ancienne
structure territorial en politique du Bas-Congo". Bul. Acad. Roy. Sciences Coloniales, 1959, V, S,
pp. 557-577.
23. Deux versions similaires sont données par : MARTINS L, "Monarchia do Ngoio Portugal in
Africa", Vol XII, 1956, p. 204 et SERRANO C.M.H. : op.cit., pp. 35-37.
24. Vumu et Fumba sont deux localités de la collectivité de la Mer au Zaïre. Vumu, dont il sera
aussi question plus loin, est un salinage près de la mer. Le nom serait une onomatopée. Ce serait
en effet le bruit produit lorsqu'on secoue dans un panier une quantité de sel pour le débarrasser
de l'eau.
25. NGUVULU A., op.cit., pp. 39-40. L'auteur est un descendant d'un des clans royaux, établi à
Siafumu au Zaïre. Par ailleurs, le même récit nous a été rapporté par le prêtre de Buunzi à
Muanda.
26. Cette structure serait à la base de l'organisation politique du Ngoyo. A certains endroits les
différents pouvoirs sont assurés par la même personne.
27. LABAT J.B. (Cavazzi) : Relation historique de l'Ethiopie Occidentale, J.B. Delespine, Paris, 1732,
Vol. 1, p. 240.
BASTIAN, A., Die deutsche expedition en der Loango kuste, Costenoble lena, 1874, pp. 85-87 et 223-225,
Vol. 11, p. 1/1.
BITTREMIEUX, La secte des Bakhimba au Mayombe, mémoire I.R.S.B., Bruxelles, 1936, pp. 135-137.
28. BASTIAN, op.cit., pp. 224-225.
DE MATTOS e SILVA, op.cit., p. 30.
29. SERRANO, op.cit., pp. 56-59.
30. Comme le souligne Gonçalves, dans les royaumes de culture kongo, le politique et le social
constitue un enchevêtrement très serré comme les fils de chaîne et les fils de trame d'un tissu.
Néanmoins, c'est le social qui assure la cohérence. C'est pourquoi on constate qu'aux disparitions
successives des différents royaumes kongo, le social assure la continuité de la société alors que la
politique est réduite à sa plus simple expression : la chefferie ou le village. GONCALVES A. : Le
lignage contre l'Etat, dynamique politique Kongo du XVIème au XVIII ème siècle, Instituto de Investigaças
Cientifica Tropical, Universidade de Evora, 1985, pp. 223-225.
31. Nkhazi signifie défenseur (couramment traduit par oncle).
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32. Seuls quelques vieux se rappellent encore cette institution. Le Bingu recommandait certaines
formes de mariages notamment le mariage avec la CC ou avec une esclave. Dans le premier cas,
les biens acquis restent sous la même autorité clanique et dans le deuxième cas, les enfants issus
de ce mariage sont intégrés au clan du Père.
33. SERRANO, op.cit., pp. 72-84.
34. VAZ, J.M., No Mundo dos Cabinda, Estudis ethnografico, ed. A.M. Lisboa 1970, Vol. I, pp. 41-42,
Vol. 11, p. 66 et p. 155.
35. Bakama (sing. nkama) est le terme de respect qui signifie femmes ; pour les masques, il
caractérise le fait que les membres de cette association doivent obéissance aveugle aux prêtres
du nkisi si. Par contre ceux-ci étaient sous le contrôle d'un conseil royal. Par ailleurs, on peut
considérer l'institution des masques comme une vieille institution qu'ont connu tous les groupes
de culture Kongo même si certains l'ont aujourd'hui perdue. Voir PREVOST, Histoire Générale des
Voyages, tome sixième, nouvelle édition, Pierre D'hondt, La Haye, 1/5, p. 2/9.
36. BASTIAN, A., op.cit., pp. 80-84.
VOLVAKA, Z., Le Ndunga, un masque, une danse, une institution sociale au Ngoyo, Arts d'Afrique Noire, 1,
19/6.
37. Comme pour le bingu, il s'agit d'un mariage prescrit.
38. L'hypothèse de la création de Ngoyo grâce à un riche Portugais rapportée par quelques
acteurs est assez révélateur à ce sujet. MEROLLA, op.cit., p. 716.
39. CUVELIER-JADIN, L'ancien Congo d'après les archives romaines (1518-1640), Bruxelles, 1954,
pp. 161-162 et 195.
40. PIGIFETTA PH. et LOPES : Description du royaume de Congo et des contrées environnantes (1591)
traduit et annotée par BAL W, Nauwelaerts, Louvain, Paris, 1963, p. 31.
41. BATTEL, A., The strange adventures of A. Battel in Angola and Adjoing Regions, Ravenstein,
London, 1901, p. 42.
BRASSIO A.D. Monumenta missionaria Africain, Vol. V, 1955, p. 241 et suites avance la date de 1607.
42. MARTIN PH. "The trade of Loango in the 17 th and 18 th centuries", in GRAY and O.
BIRMINGHAN (ed) Precolonial African Trade, Oxford Univ. Press, London NM Nairobi, 1970, p. 142.
Le commerce d'esclaves ne portait alors que sur quelques milliers d'individus par an.
43. NOGUEIRA J.A., "Os povos da margem direita do Zaïre interior no terceiro quartel de século
XVII", Boletim in do Instituto de Angola, I, 1953, p. 19.
44. CUVELIER, L'ancien Congo d'après P. Van den Broeke (1608-1612), Bull. ARSC, Vol. I, n° 2, 1955,
p. 190.
45. Contrairement à ce que dit Ivaristo Martins qui la situe en 1690. MARTINS I. : "Monarqui a do
Ngolo", Portugal em Africa, vol. XIII, 1956, p. 204.
46. On trouve les traces de la présence de Longo dans les expressions comme "si Mweloango", la
terre de Maloango pour parler du pays tout entier. On trouve aussi dans certains rituels
d'investiture l'expression "besi Kongo, habitants de Kongo" pour désigner les Woyo,
généralement d'ailleurs pour contester le pouvoir à quelqu'un.
47. Les conflits avec Kakongo débuteront ultérieurement sous l'instigation de Soyo.
48. Le voyageur l'atteint et le traverse le 12 mai 1612. C'est à la suite du conflit entre Ngoyo et
Soyo en 1631 que la frontière fut ramenée à Mamputu.
49. Du temps de Degrandpré, le Mongoyo était le fils d'un dignitaire d'un royaume de Kakongo.
50. Sambo Mankata-Kalombo, Simbo et Mpuna d'après SERRANO, op.cit., p. 58. Certains de ces
clans résultent des migrations successives (surtout au 18ème siècle).
51. A cause des dépenses occasionnées par l'intronisation ainsi que l'obligation de résider loin
des ports commerciaux, les deux derniers monarques ne furent pas intronisés et leurs
successions refusèrent de régner.
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RÉSUMÉS
The kingdom of Ngoyo emerged towards the end of the 16th century, a century after the arrival
of the Portuguese on the banks of the river Zaire. The formation of the kingdom was made
possible by the centralisation of power, authority being in the hands of the king helped by
representatives from certain social categories.
The other factor involved in the forming of the kingdom was the European presence on the
Atlantic coast. This presence helped the creation of the port of Cabinda and the development of
commerce between the coast and the interior regions far from the coast. This commerce needed
a considerable amount of manpower for the transport of salt and European goods which were
exchanged for ivory and copper. Gradually these products became in short supply and it was
necessary to seek both manpower and ivory further and further away. From this time, the fate of
the kingdom of Ngoyo was linked to the growth and decline of the transatlantic slave trade.
AUTEUR
HABI BUGANZA MULINDA
Institut des Musées Nationaux du Zaïre — Kinshasa — Zaïre
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97
Introduction
1 Le groupe Kongo fascine autant par son art que par son histoire qui est relativement
bien connue.
2 Cette population occupe au Zaïre la région administrative du Bas-Zaïre, mais elle
déborde à la fois sur la vaste région du Nord de l'Angola et dans l'enclave de Kabinda
ainsi que sur la partie occidentale de la République du Congo.
Historique
3 Lors de leurs premiers contacts avec la côte occidentale de l'Afrique à la fin du 15 ème
siècle, les explorateurs découvrent un grand royaume centralisé, le royaume du Kongo,
constitué de six provinces annexées et des territoires dépendants (Cuvelier 1946,
Vansina 1965). Ultérieurement, ils reconnaîtront l'existence de trois petits royaumes
côtiers florissants : le Loango, le Kakongo et le Ngoyo, également habités par des sous-
groupes Kongo.
4 Au cours du 14ème siècle, les tendances expansionnistes de Ntinu-Wene ou Nimi-a-
Lukeno, fondateur du royaume de Kongo, amènent ses fidèles lieutenants, en
l'occurence ses neveux utérins, à conquérir d'autres terres afin d'étendre les frontières
du royaume (Montesarchio cité par Cuvelier 1946 : 9-14 ; Vansina 1976 : 32-36).
5 Suivi de quelques parents claniques et de dignes serviteurs, ayant reçu du roi de Kongo
le pouvoir de régner et d'établir des chefs subalternes, Ne Mboma, neveu du roi du
Kongo et en l'occurence Chef du clan Mboma Ndongo, quitte Mbanza Kongo et se dirige
vers l'Ouest. La tradition rapporte qu'après un arrêt à Vunda dia Kongo, il traversa le
fleuve Zaïre à Nsanda Nzondo et occupe sur la rive gauche du fleuve la chefferie de
Boma qui dépendra dorénavant directement du royaume de Kongo. Cuvelier précise
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que cette chefferie s'étend jusqu'à la Lukunga et comprend surtout l'île de Boma aussi
appelée île des Princes (Cuvelier 1953a, 8 ; Maes 1938 : 129).
6 Dans la même vague de déplacements, Ne Mbinda, également investi Chef par le roi
Ntinu Wene, passe le fleuve Zaïre à Tadi dia Mpambu en amont de Matadi. Il étend son
autorité sur le territoire compris entre la Mao et la Lukunga. Habitées par les
Bamimbala, ces terres font partie du royaume de Kongo, du moins les chefferies de
Mbinda et de Nsanda (Cuvelier 1953a : 8).
7 Deux autres chefs, Manzadi et Mambungu, se dirigent vers le royame du roi de
Kakongo. Passant par les îles de Mateba, ils débarquent sur le territoire royal. A
l'époque, ce royaume est également tributaire de celui de Kongo (Cuvelier 1953a : 7 ;
Vansina 1976 : 32).
8 Avec l'autorisation du roi Makongo de Kakongo, Manzadi et Mambungu bénéficient
d'une cession de terres. Car, suivant les coutumes et usages, la terre appartient aux
premiers occupants (Cuvelier 1953b : 79 ; Ekholm 1972 : 71-82). Le droit à l'installation
et à l'exploitation s'obtient moyennant une somme (biens matériels, esclaves...)
équivalent à la valeur présumée du terrain minutieusement délimité (Delcommune
1922 : 44).
9 Unanimement reconnu comme acquéreur, le nouveau propriétaire, s'il dispose des
moyens matériels suffisants, cherchera à être investi du pouvoir cheffal sur ses
nouvelles terres. Par la suite, il devra cependant faire preuve de son allégeance en
payant régulièrement son tribut et en assistant, selon les besoins, le grand chef
propriétaire des terres (Vansina 1976 : 36).
10 Manzadi et Mambungu s'installent donc sur les terres du roi de Kakongo ; le premier
sur le littoral entre la Lukunga et la Lusona Mwana Mbola, le second remonte vers le
Nord et occupe le territoire compris entre ces mêmes rivières. "Toute la partie du
territoire comprise approximativement entre la rivière Lusona-Mbola et la frontière
portugaise de l'enclave de Cabinda à l'Ouest, la voie de chemin de fer du Mayumbe à
l'Est, le fleuve Zaïre au Sud, la rivière Lukula au Nord, relevait autrefois directement ou
indirectement du royaume de Kakongo" (Archives administratives de Boma ; Boone
1973 : 72).
11 Les aléas de l'historie font que les différents groupes Bakongo ba Boma se retrouvent
partagés entre deux royaumes séparés par la rivière Kalamu. A l'Est, le royaume de
Kongo avec ses tributaires et à l'Ouest, le royaume de Kakongo avec ses chefferies
vassales (Fotems 1960 : 80), chacun ayant une manière particulière de magnifier ses
chefs prestigieux par des monuments remarquables.
12 En 1932, l'administration territoriale coloniale essaye de regrouper les petites
subdivisions Bakongo ba Boma qui possèdent un profond lien historique. De la
concertation entre l'administration coloniale d'une part et le pouvoir traditionnel
d'autre part, naquit l'idée de créer les chefferies de Manzadi et de Bungu englobant
respectivement les anciens groupements suivants ; pour Manzadi : Shika Shenga, Kanzi,
Zambi, Sanzi, Katala et Loango Batshi ; pour Bungu : Bungu, Lusanga, Mahulu, Makai
Gubunga et Seke dia Bungu (Archives Administratives de Boma).
13 Les enquêtes entreprises par la suite dans la région ont abouti à adjoindre aux
groupements déjà créés d'autres petits ensembles dont les chefs recevaient autrefois
l'investiture soit directement du roi de Kakongo soit indirectement de ses vassaux
Mambungu ou Manzadi. Ainsi, par l'Arrêté n° 416/2040 AIMO du 15 juillet 1942, est
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Contacts et échanges
19 La proximité du fleuve Zaïre, navigable sur le tronçon Matadi-Océan Atlantique, et
l'accessibilité des rives de l'océan à la navigation ont ouvert assez tôt la région au
commerce avec l'extérieur. Les relations suivies établies dès le premier voyage de Diego
Cao en 1432 entre le Portugal et le royaume de Kongo ont débouché sur des échanges
commerciaux qui demeureront longtemps fructueux.
20 Dès la fin du 15ème siècle, s'installa entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie, un commerce
triangulaire qui, au fil des années, drainera des marchandises nouvelles. Les épices des
Indes transitent par les ports du royaume de Kongo avant de passer en Europe. Les
esclaves, à peu près 35.000 par an (Curtin 1969 : 4-8, Miller 1975 : 135-176) dans la
seconde moitié du 17ème siècle, vont grossir la main-d'oeuvre dans les plantations
européennes d'Amérique. Le nombre d'esclaves exportés à partir des côtes occidentales
de l'Afrique atteindra le chiffre exorbitant de 80.000 par an (Curtin et Vansina 1964 :
185-208 ; Curtin 1969) dans la seconde moitié du 18ème siècle.
21 Mais, à partir de 1830, la demande d'esclaves va décliner très rapidement pour céder la
place à la demande d'ivoire et de cire (Miller 1970 : 174-201). Le caoutchouc, les
arachides, les sésames, l'huile de palme, l'ivoire et le café achetés à Boma sont vendus
sur les marchés européens (Delcommune 1922 : 45).
22 Par la même occasion, d'importantes quantités de perles aux couleurs vives, provenant
d'abord de Magapatam en Inde au 16ème siècle, puis des ateliers verriers de Venise et
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d'Allemagne à partir du 17ème siècle, sont utilisées sur cette côte occidentale de
l'Afrique pour acheter d'abord les esclaves, puis l'ivoire, l'or, le cuivre... (Van der Sleen
1958 : 211-212 ; Monteiro 1968 : 191).
23 Le roi de Kongo, les chefs vassaux, les personnages suffisamment riches se procurent
facilement certains articles de luxe en provenance d'Europe : chapeaux, boissons
alcoolisées, faïences anglaises, hollandaises ou allemandes, etc... Il n'était pas rare
qu'un chef Kongo reçoive un cadeau somptueux. C'est ainsi qu'en 1643, le comte de
Nassau a offert au comte de Sohio, Daniel da Silva, un fauteuil, un manteau et un glaive
(Jadin 1975 : 661). Deux ans plus tard, ces objets remarquables attirent l'attention des
missionnaires envoyés par le Saint-Siège qui relatent ainsi leur première entrevue avec
le comte de Sohio : "Assis sur un fauteuil de damas et brocard fin. Près de lui, était une
très grande multitude de nobles et fidalgos qui l'entouraient et restaient agenouillés.
Du côté droit, un page portait une épée d'apparat bien ornée et à gauche, un autre
portait le sceptre (Jadin 1975 : 661).
24 L'usage des objets d'apparat ainsi que l'échange de cadeaux remontent aux premiers
contacts. Un passage de la Relatione de Pigafetta et Lopez en donne une bonne
illustration par le récit détaillé consacré à l'habillement de D. Catarina, épouse de D.
Alvaro 1er, roi de Kongo de 1468-1487 : "Sa tête était complètement rasée (comme au
rasoir) et couverte d'un bonnet de velours cramoisi de Milan ; elle portait un vêtement
d'étoffe noire, avec des revers de velours rouge, et des manches avec leurs revers à la
manière des vêtements que portent les auditeurs..." (Cuvelier et Jadin 1954 : 138). Et,
lorsqu'ils font la description du royaume de Kongo et des contrées environnantes,
Pigafetta et Lopez mentionnent également l'arrivée, au début de l'année 1491, des
navires qui avaient à leur bord les premiers évangélisateurs du Kongo ainsi que les
présents qu'envoyait le roi du Portugal Jean II au roi de Kongo, "les vêtements
sacerdotaux, les ornements de l'autel, les crucifix, les tableaux représentant des saints,
les bannières, le gonfalon et le reste" (Pigafetta et Lopez, traduit et annoté par Bal
1963 : 84).
25 Ces rapports suivis se caractérisent assez tôt par l'envoi d'émissaires et même par
l'échange d'ambassades (Ibidem : 80-197).
26 Les traces de ces contacts transparaîtront dans les monuments funéraires.
Localisation
Population
27 Nous nous étions d'abord intéressé aux Bakongo ba Boma qui vivent aux alentours de la
ville de Boma, dans la sous-région de Boma et qui produisent les deux types de
monuments funéraires, à savoir les sculptures en pierre et les céramiques.
28 Les enquêtes de terrain et le dépouillement des documents écrits (Verly 1955 ; Cornet
1981) ont élargi le champ d'investigation en y incluant les Mboma et les Kakongo du
Zaïre ainsi que les Assolongo et Mboma du Nord de l'Angola.
29 O. Boone (1973 : 40-169), qui subdivise les Kongo en trois grands groupes, les
occidentaux, les centraux et les orientaux, auxquels elle rattache les différents sous-
groupes kongo, mbata, ndibu, woyo..., ne mentionne nulle part les Bakongo ba Boma.
Mais, dans le paragraphe concernant la démographie, l'auteur cite une étude de 1970
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Monuments funéraires
35 Les sculptures en pierre et les céramiques richement décorées étaient utilisées comme
monuments commémoratifs érigés au départ à l'intention des personnalités investies
de pouvoir et par la suite également à la mémoire des hommes suffisamment riches.
36 Cette habitude culturelle représente une exclusivité en Afrique Sub-Saharienne où on
n'a signalé l'existence d'une sculpture en pierre avec une telle diversité de thèmes et
d'une grande céramique énigmatique que dans la sous-région de Boma au Zaïre et dans
le Nord de l'Angola.
37 L'étude menée dans la région met en évidence le lien étroit qui unit les différents types
de monuments à la nature du sol. La région montagneuse de formation ancienne, située
entre Boma et Matadi, qui se prolonge au Nord de l'Angola jusqu'à la hauteur de Nzeto
(Ambizete), a favorisé l'éclosion et l'essor de la sculpture en pierre. Le sous-sol de cette
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102
région est constitué de roches dures (Cahen et Lepersonne 1948 : 66) appartenant au
complexe critallophyllien.
38 D'autre part, la zone littorale comprise entre la côte et les premiers reliefs de la chaîne
cristalline est riche en argile propice au façonnage des céramiques. Délimitée par la
Lukunga à l'Est, la Lukula au Nord, la Lusona-Mwana Mbola au Sud-Ouest et le fleuve
Zaïre au Sud, cette région comporte des plages d'étendues très variables dont les sols
sont formés par des limons sableux et argileux qui se sont déposés jadis sur les rives du
fleuve et à l'embouchure de ses tributaires (Meulenberg 1949 : 32).
Signification
39 Des chercheurs qui s'étaient antérieurement intéressés à ce sujet avaient considéré
forme et fonction de ces monuments sur des paliers différents. Les uns s'étaient
contentés de la dimension historico-thématique, d'autres s'étaient arrêtés à une
classification stylistique sans aucune considération des variables pertinentes.
40 Notre démarche qui associe les traditions régionales à une analyse morphologique
rigoureuse et qui s'est appuyé selon les cas sur des documents écrits, historiques ou
linguistiques nous a amené à repenser certaines interprétations classiques et à déduire
que la forme de ces objets fascinants est liée à leur signification dans la mesure où elle
nous introduit dans l'univers symbolique kongo.
41 En effet, lorsque la pierre provient du massif montagneux (mont de cristal), la
céramique, également utilisée dans un contexte funéraire, provient elle de la zone
littorale. Elle rejoint cependant la sculpture en pierre par ses proportions et par leur
origine, les ravins et l'eau, considérés comme habitat par excellence des esprits de la
nature – bisimbi.
42 Lorsque la grande céramique est ornée de figurines, celles-ci sont empreintes du même
réalisme que les sculptures en pierre. Sa forme, proche de celle de la défense
d'éléphant, suggère que la céramique a servi de substitut à cette dernière.
43 Ainsi, dans cette société matrilinéaire d'agriculteurs sédentaires où le rôle de l'oncle
maternel, Chef du clan et officiant du culte familial, est continuellement mis en
évidence, la consécration d'un pouvoir politico-religieux est liée au rattachement à un
droit foncier transmis en héritage par la voie des femmes.
44 Ces mémorials finissent par apparaître ici comme des sinsu, diront nos informateurs,
c'est-à-dire des signes, des symboles qui poursuivent un triple but :
• marquer la terre à la manière des safoutiers (Dacryodes buettneri) et des palmiers élaïs
(Elaeïs ginneensi) qui délimitent un domaine foncier ;
• embellir et identifier la tombe d'un aîné ;
• et enfin transmettre aux générations futures le souvenir d'un prestige qui rejaillit sur toute
la descendance.
45 Les monuments modernes en ciment perpétuent cette tradition.
46 Cette conception est à rapprocher de la mentalité de l'époque où nous situons le
rayonnement des monuments funéraires.
47 En effet, dans la seconde moitié du 17ème siècle, écrit Hilton (1985 : 103), l'action des
missionnaires capucins fait apparaître une prolifération d'églises aussi bien dans la
capitale du royaume de Kongo à Mbaza Kongo que dans les provinces à Mbanza Soyo et
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à Mbanza Nsundi. Ces églises sont appelées nzo à nkisi, maison de nkisi ou de tombes. A
Mbanza Kongo, en effet, les églises servaient surtout de lieu d'inhumation pour les rois
et on y rendait un culte aux morts grâce auquel le roi en place légitimait son pouvoir en
rappelant ses liens avec ses prédécesseurs défunts. Dans les provinces, par contre, les
églises ne servaient pas de lieux de sépulture car les gouverneurs dépendaient du
pouvoir central qui les mettait en place ou les démettait selon son bon vouloir. Mais,
lors du passage des capucins, les gouverneurs utilisaient les églises pour exalter leur
position de contrôleurs du pouvoir.
48 Précisons encore que les gouverneurs de province étaient, suivant les usages et
coutumes, enterrés dans leur localité d'origine. Ainsi, les églises jouaient-elles à
Mbanza Kongo le rôle qui revenait aux cimetières des grands chefs dans les provinces.
49 Qu'on se trouve donc à Mbanza Kongo ou dans les anciennes provinces de Soyo et de
Mbamba, les monuments funéraires sont considérés comme des signes bisinsu qui
identifient en glorifiant. Le mot "glorifier" ainsi que ses synonymes "initier",
"consacrer" et "couronner" (Bentley 1895 : 434-5 ; Butaye 1909 : 266 ; Laman 1936 : 993 ;
Swartenbroeckx 1973 : 659) renvoient au terme Bitumba qui désigne les statues en
pierre.
50 Cependant on peut nous objecter que les mots "tumba" et "sinsu" sur lesquels nous nous
appuyons pour déceler la signification profonde de ces mémorials sont des mots
d'emprunts aux langues romanes.
51 Mais, une reconstruction linguistique de ces mots dont les radicaux verbaux se
retrouvent dans presque toutes les zones de langue bantoue, permet d'attester leur
origine ancienne et même proto-bantoue.
52 La langue bantoue kongo est classée par Guthrie (1948 : vol I à IV) dans la zone H 16. On
peut relever l'exemple du mot "tumba". Les dictionnaires consacrés aux différents
dialectes kongo donnent pour le verbe transitif kutumba aussi bien le sens de "to make a
great" make much, que celui de : "to initiate (into fetisch mysteries), to conservate, to
install in an appoint to an office, to invest with (Bentley 1895 : 434-5).
53 Dans le dictionnaire de Laman (1936 : 993-4), le radical – tumb – signifie : "introduire
dans, initier quelqu'un, promouvoir, couronner...", tandis que le sens du thème – tumba
– est : "ressemblance, image, photographie, statue, figure de porcelaine (pour les
tombes)".
54 Enfin, Swartenbroeckx (1973 : 659) donne pour le verbe kutumba le sens de "consacrer,
initier, introniser un chef, ordonner prêtre.
55 Lorsque nous considérons la langue buma en zone B74, voisine nord de la zone H, nous
constatons que le verbe transitif kututna qui apparaît sans la consonne bilabiale – b – a
le sens de "soulever, lever".
56 Cependant, en zone holoholo D28, Coupez (1955 : 151) mentionne deux radicaux à
extension – tumbuk – et – tumbul – dont le premier intransitif a le sens de "voler" (en
parlant d'un oiseau) et le second transitif signifie "soulever".
57 A l'Est, en zone J13, le verbe kutumba est mentionné en ganda avec comme signification
"se lever, s'élever". Il s'enrichit aussi du sens de monter, gonfler" (Kitchning and
Blackledge 1953 : 174).
58 Ce verbe se rencontre également en Rundi (J62) sous la forme gutumba et se traduit par
"être gonflé", "être enflé" tandis que les thèmes simutumba et agatumba signifient
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presque toutes les zones des langues bantoues, aussi bien à l'Est et l'Ouest qu'au Centre
et au Sud.
73 Il semble donc que le substantif tumba convient comme dénomination aux deux types
de mémorials (sculpture en pierre et céramique), parce qu'il rend bien leur
signification première d'objets qui élèvent, qui glorifient.
74 Le thème ntadi employé pour la statue en pierre est une métonymie qui désigne l'objet
achevé par la matière dans laquelle il est fabriqué, tandis que le substantif diboondo qui
signifie la céramique funéraire renvoie plutôt à la technique de modelage dibuumbi.
Conclusion
75 La tradition nous livre par un langage métaphorique la fonction de ces statues qui
glorifient et élèvent (tumba) en les comparant aux défenses d'éléphants et en les
considérant comme des signes, des symboles à rapprocher des photographies.
76 En effet, telles des photographies, ces statues-signes sont destinées à embellir et à
identifier certaines tombes le plus longtemps possible et cela à la manière prestigieuse
des défenses en ivoire, éléments de la nature, considérées métonymiquement comme
imposantes puisque provenant d'un animal réputé pour sa ténacité et sa force. Ainsi,
pour assurer l'identification d'une tombe prestigieuse, la synthèse nature – culture
exprimée par la statue en pierre prend toute son importance.
77 Ce sont nos informateurs eux-mêmes qui ont établi la comparaison avec des
photographies. Dans le même esprit, de Heusch (1963 : 103) parlait jadis de "portrait" à
peu près dans le même contexte. Il écrivait "là où le pouvoir central s'affirme, la
volonté aristocratique (en partie désacralisée) de perpétuer le souvenir aboutit à un art
du "portrait" royal".
78 On peut objecter que le "portrait" est inadéquat dans tous les cas puisque visiblement,
le sculpteur se réfère à un archétype. Mais c'est la fonction, non la forme, qu'il faut
apprécier ici. Les célèbres bustes d'Ife comme les statues kuba "re-présentent, au sens
fort du terme". Et, il arrive que la fonction commémorative et la fonction religieuse se
combinent...
79 Ainsi pour glorifier cette personnalité importante qui est un chef consacré, il s'avère
déterminant qu'il soit représenté sous son jour le plus avantageux, entouré de sa cour
ou d'éléments qui y font allusion.
80 Cette cour tournée vers l'extérieur est destinée au monde des vivants. Elle a son
pendant dans une autre cour placée à l'intérieur de la tombe et chargée d'accompagner
et de servir le Chef dans le village des ancêtres.
81 Cette dernière cour se présente aussi pleine de grandeur et on y rencontre mêlés,
esclaves et épouses, objets usuels et de prestige.
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RÉSUMÉS
The author has taken interest in the funerary monuments erected by the Bakongo ba Boma
group which lives not very far from the town of Boma. Signs of contacts with Europeans appear
on these monuments among which two different types can be distinguished: stone sculptures and
ceramics. These richly decorated sculptures were used as commemorative monuments erected in
honour of individuals entrusted with power or in memory of rich people. The use of stone or of
ceramics is primarily related to the type of ground.
To glorify a recognized chief, it is determining that he is represented looking his best,
surrounded by his court. This out-looking court is intended for the world of the living, it has its
counterpart in another court inside the tomb which is entrusted with accompanying and serving
the chief in the ancestors' village. There, we can find the chief's spouses and slaves, as well as his
everyday and prestigious objects.
Tradition explains the function of these statues. They aim to embellish and identify certain
tombs as long as possible; such is the role of elephant tusks, natural elements considered
imposing since they come from an animal renouned for its tenacity and strength. Therefore, in
order for a prestigious tomb to be identified, the synthesis of nature and culture expressed by the
stone statue is of a great importance.
AUTEUR
SHAJE TSHILUILA
Institut des Musées Nationaux du Zaïre – Kinshasa – Zaïre
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EDITOR'S NOTE
This is part of a larger unpublished study The Modernization of Africa
« La colonisation officielle se passait entre
hommes, c'était une affaire d'hommes » –
Kniebiehler et Gautier La Femme au Temps des
Colonies
1 The literature on the colonial period of Africa is very large, including sociological
analysis opened up by Balandier's seminal notion of "colonial situation" a generation
ago1. However, the imagery and role of women in the construction and evolution of
modern colonial Africa has had scant rigorous attention2. The topic deserves much
greater empirical and analytical weight for various reasons.
2 First, sexuality in the form of erotic imagery was part of the exoticism that provided an
additional enticement, besides economic and strategic reasons, to have colonies:
colonial "possessions" were in the collective imaginary possessions of sexual delights
that could not be directly expressed in the newly rationalize, industrial setting of the
second half of the nineteenth century and its ubiquitous somber Victorian ethos.
Whether a "Madame Butterfly" in the Far East, or the harem courtesan in North Africa
and the Middle East depicted in paintings from Ingres to Matisse, or the "Black Eve" on
French colonial stamps, the "native woman" was an important lure in attracting
European men from the private and public sectors to the colonies. Adventure, profits,
and exotic women were the other side of the coin of the image of Africa, whose "dark
side" was its unhealthy aspect making it unsafe for Europeans 3.
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3 In this we shall see how the African setting, in the formative years of colonization,
manifested itself in the perception of a selected group of Westerners: women travelers
in Africa. The rationale for devoting a chapter to such a group is as follows. First and
foremost, in Victorian-industrial society women were marginal to European society in
terms of the locus of economic and political power they did not vote and were in effect
excluded from most professions (law, medicine, university teching), managerial
positions, and occupations of high socio-economic status. One can speak, in
retrospective, of a certain "institutional sexism" present which made the situation of a
woman three-quarters of a century ago structurally similar to the situation of a Negro
in American society until quite recently. There was prevalent the biological myth of
women being of "the weaker sex", having mental and psychological characteristics so
different from men that their participation in the larger society, on an equal footing
with men, was unthinkable. Women were seen as more emotional, as dependent on
men, and lacking creativity... all this from "innate" biological or constitutional factors 4.
4 Second, demographically, as Table indicates, not only was colonial society at the turn of
the century asymmetrical in terms of whites /Africans, but sex ratios within the
dominant white population were equally distorted from the more normal sex ratio of
either the metropolitan setting of the traditional African one. Not until the late 1920s
and early 1930s did sex ratios in the European contingent of colonial society become
more "normal", to a large extent resulting from the development of commercial air
service and the availability of refrigerators, both of which permitted or facilitated the
setting up of "standard" European households. Colonial society may thus be said to
have been, in this context, a "no-woman's land", akin, particularly during its first
phase, to the setting of frontier society in the American case 5.
5 The demographic underrepresentation of European women in the new colonies
reflected many things; for many advocates of colonization it was a problem to be
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confronted, and different remedies were proposed. With hindsight one can say that
presuppositions, attitudes, and imagery grounded in the European societal context
were constitutive of the demographic problems of the colonial situation.
6 For one thing, the prevalent image of the tropics as a "White man's grave" was in itself
strong deterrent to bring in the "weaker sex" to Africa; in effect, by the turn of the
century, the deterrence of Africa's imagery might be more accurately portrayed as
""White woman's grave", as we shall see later in this essay. The evolution in the
nineteenth century imagery of women as the "weaker sex" bears passing attention
here, since it relates to the interesting marginalization of middle-class women from the
public sphere.
7 In the advanced industrial urban society of the nineteenth century, middle class
women were marginal to the new loci of economic and political power: they did not
vote and were excluded from most professions, managerial positions, and other
positions of high socio-economic status. Additionally, they were excluded from other
spaces, such as public schools and clubs. This institutional sexism was hettressed by the
biological myth of women being of the "weaker sex", not only physically weaker but
also having mental and psychological characteristics so different from men that their
participation in the public sphere on an equal footing with men was unthinkable.
Women were assumed to be more emotional, more dependent, and lacking creativity –
all this from "innate" constitutional factors.
8 The image of domesticity and gentility associated with middle-class city life in which
women found a niche (or a gilded cage) was obviously dissonant with the African
setting prior to World War I, where there were few cities and fewer still department
stores and emporia to provide the amenities of modern civilized life. The frontier
setting of the "bush" with its wild animals and military atmosphere which would
become animated on many occasions with "wars" against native rebels, was definitely
not seen as a "woman's world". One can even say that in termes of the total
configuration of early colonial society, resembling something of a cross between a
lumberjack camp, a military fort, a frontier setting and a penal colony, white middle-
class women, certainly white were something of an anomaly.
9 For the most part, however, the absence of white women was taken as a given and not
as a crucial obstacle to colonization. In an influential work, Bordier 6 had argued for the
cross-breeding of Europeans with natives to produce a new colonial race, which in
terms of his breeding analogy would produce a new, vigorous colonial race. Less
elevated or theoretical in tone, but of equal sociological interest, is a work published
nearly twenty years later by a French doctor with many years of experience in the
tropics: Barot's "Guide Pratique de l'Européen dans l'Afrique Occidentale" 7. As the title
indicates, this was meant to offer a complete gamut of advice on everyday living
problems in the colonies. Among its 500-odd pages is a section on sexual comportment,
addressed, naturally, to European males who find themselves in Africa, and who may
lack "the moral strength necessary to stand two years of absolute continence" 8. What to
do?
10 Barot advocates as the only reasonable thing to do: "to have a temporary union with a well
chosen native woman"9. The reasons for this sage advice are several. On hygienic
grounds, such a companion is much more likely to be healthy than a black prostitute.
On social grounds, a "marriage" with a native woman, especially the daughter of a
chief, can facilitate understanding and improve ties with influential Africans, while a
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footloose European who chases after married men's wives will not be well regarded by
blacks he deals with. On psychological grounds,
If the female is not too dumb, the European male gets attached to her, she distracts
him, takes care of him, takes away his boredom and sometimes prevents him from
alcoholism or sexual depravities which unfortunately are so common in tropical
countries10.
11 And lastly, argues Barot, there are sound pedagogic reasons in undertaking a
(temporary) union: it is one of the surest ways of learning African languages, of having
entry to the most hidden native customs, to learn songs and legends, in short "to
understand the black soul"11. Barot follows up with advice of the formal procedures
involved in securing such a union, as well as how to "cool the mark" when one is about
to return to Europe. He even provides the name of establishments in the French
territories (at Kita and at Dinguira) where for a nominal sum offsprings of such unions
can be brought up. Like Bordier before him, Barot saw offsprings of such unions as
beneficial to the task of colonization: "... it is by the creation of mulatto races that we
will most easily Frenchify West Africa"12.
12 Barot looked forward to the new colonial race of mulattos with great expectations,
partly because it would be a long time before white children could be brought up in
tropical climates, partly because the new breed of races could be attractive, strong and
intelligent. And he added that if mulattos have in the past been rather unfriendly to the
colonizers, it is because Europeans have tended to despise them rather than
understand them, which is very shortsighted and unintelligent on the part of whites 13.
13 Although statistics are lacking, quite likely a large number of European males, with or
without reading his book, followed Barot's advice. Yet, there were other voices who
advocated that for an effective and permanent colonization, the presence of white
women was indispensable to stabilize colonial society. One early presentation of this
viewpoint is contained in the publication of two addresses delivered at a meeting of
January 12, 1897, of the Union Coloniale Française, a major lobby for colonial
expansion14.
14 The first speaker, le Comte d'Haussonville, was not a specialist on colonies nor a
militant "feminist" in his own terms, but was interested in the amelioration of the
social situation of women. He argued that the new colonies offered women better
possibilities than could be had in Europe. He mentioned that presently (1897) men were
taking away jobs which were formerly the preserve of women and that men were
preventing women from taking jobs which they could do as well as men 15. Moreover, he
continued, many women in Europe have, through their educational training, acquired
aspirations which cannot be fulfilled in satisfactory careers. If the situation was bleak
in Europe, it was much brighter in the colonies, since the quantity and quality of
European women there left something to be desired. The kinds of women found in the
colonies, he noted, are the following: (a) a handful of devoted wives of civil servants,
wishing their husbands had been appointed elsewhere, (b) used-up entertainers
("divettes de café-concert") who can no longer get billings anywhere in the home
country, and (c) religious sisters or nuns. What is lacking is a fourth type, attractive and
intelligent nubile females, a sine qua non for the marriages of European males in the
colonies for "no marriages, no families, and without families, no more colonies in the
future"16. And, echoing the nineteenth-century Teutonic male credo of "Kinder,
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Kuchen, Kirche", Haussonville terminated his address by stressing that the real career
of a woman lies in marriage rather than in the school, the telegraph, or the telephone 17.
15 The major speech was given by Joseph Chailley-Bert, a tireless and influential
spokesman for colonial expansion. Colonies need stable colons and to be stable, colons
need be married. The Union Coloniale Française, which had done much in recent years to
attract colons from the ranks of impoverished farmers and impoverished petits
bourgeois, was now turning its attention to remedying the shortage of women in the
colonies, where the sex ratio was from 5: 1 to 10: 1. Chailley-Bert argued that the
colonies could provide an outlet for nubile women: he argued that with rising dowry
demands on the part of prospective husbands and declining resources of families with
daughters to marry18, there would be a surplus of women unable to marry and have a
place in society19.
16 Moreover, he pointed out, there was also a number of women who have diplomas and
have passed state examinations but have no means of livelihood open. The conclusion
was that the new colonies could provide outlets for the surplus population of women
(just as a few years before the colonies had been hailed as providing outlets for surplus
industrial production and surplus capital investments). In brief, Chailley-Bert made the
argument that the colonies were a place for social mobility for women 20.
17 Chailley-Bert envisaged the setting up of a "society of feminine emigration" to
encourage young women to go to the new colonies to look for a better situation and
hopefully, to get married, a society "patterned after English societies of the same
sort"21. Should the supply exceed the demand, applicants would be given
questionnaires, like English societies did, to select out the best. Then personal inquiries
would be made for a final screening.
18 Apparently, not many women "got the message", at least in the case of French Africa,
where, with the exception of Madagascar, women remained a small part of the
European population, as shown in Table p. 211.
19 Much later, when Robert Doucet wrote his Commentaires sur la Colonisation 22, the sex
ratio had not yet shown much improvement. Writing in 1926, the author noted that in
West Africa the ratio was 3: 1 and in Equatorial Africa, 5: 1 23. However, what is new in
this work is the amplification of the social role of white women in Africa. Essentially,
Doucet held that white women have a civilizing function vis-a-vis European males and
vis-a-vis Africans, stemming from the image of woman as having different natural
psychological characteristics from man.
20 Thus, Doucet urged the presence of white women in the African colonies because:
"Having nearly always horror of violence, a woman, simply by her being there,
prevents many acts of brutality"24. But more than not letting things happen, she also
can play a positive role in colonization "if she knows intelligently how to participate in
the task of domestication (l'oeuvre d'apprivoisement) which is a major objective in
colonial policy"25.
21 As a teacher, without any pretensions and solely by virtue of her equanimity and her
affability, a (white) woman can exercise a moral influence on natives, continued
Doucet, which is more efficacious than that of many male administrators or
instructors26.
22 To be sure, cautioned Doucet, a woman who is either loose or unintelligent, who can't
adapt to local conditions, who treats natives either by despising them or loving them, is
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a heavy burden for any colony to bear, for she "surely destroys the indispensable
prestige of the white over the colored man"27. As negative types of this kind found in
the colonies are on the one hand, the woman-apostle "having the soul of a
Livingstone"28, and, on the other, the vain if not sadistic type who will parade
undressed in front of her male servants under the pretext that "a black is not a man",
taking pleasure in arousing in servants "deplorable and dangerous" passions 29.
23 Finally, concluded the author, the white woman will have a positive influence on her
husband: by preventing him from living with native women (which is a moral lapse, he
added) and thereby this will naturally do away with offsprings of such union, who are
disavowed equally by both races30. Looking ahead to the near future, Doucet contended
that the presence of the white woman in the colonies would soon have an influence
which would have repercussions in the whole atmosphere of colonial society.
24 There was something prophetic about what Doucet had said, but with different results
than he had anticipated. In the next two decades, white women did come to Africa in
greater numbers, and the social atmosphere did change. With wives and children of
Europeans in the African colonies, residential and social segregation became
institutionalized, particularly so in British colonies: hotels, bars, social clubs, even food
stores – all these providing daily affronts to Africans no less bearable than other
aspects of colonial oppression31. To spell out in detail the influence of the increased
presence of white women in African colonial society would be a major undertaking
beyond the space available in this article, but we might content ourselves with the
observation of O. Mannoni, writing after World War II with quite a different evaluation
from that of the earlier one of Doucet:
A great psychological change has in fact come about in the course of a single
generation, which may in part be due to the racialist influence of the European
women32.
25 A psychologist, Mannoni suggested that the racialism of the European woman in the
colonies (at least in the case of Madagascar) had several key components: over-
compensation for an inferiority complex, the desire to show her superiority over the
Malagasy or native woman, and in issuing tyrannical orders to the native males, an
unconscious urge to dominate a male figure33. One can debate with the factors he
adduces, but that increased numbers of European women settled in the colonies, either
as housewives or as shopkeepers contributed to the exacerbation of racial antagonisms
by their treatment of Africans placed in subordinate roles is hardly to be doubted 34.
26 In brief, the colonization of Africa had a very ambibalent perspective on European
women. On the one hand, women were seen as having a role in domesticating the
colonial setting, but on the other hand, colonial society was seen as off-limits for
women, implicitly as a reserve for European masculine endeavors. Two groups of
European women fell in between the cracks. First, the religious orders which were
allowed because they provided valuable services in training African women and
providing various unpaid services for the colonial administration (Knibiehler and
Gautalier, chap. 5), and whose missions were on the margin of colonial society. Second,
an unusual group of transient (or "anomalous") persons, marginal by their gender and
unattachement to the colonial situation and to colonial ideology: Women travelers to
Africa35. It is accounts of the colonial setting by several of the latter to which we turn
for the remainder of this essay.
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rejected the then prevalent teachings of physical anthropology concerning cranial and
physiological differences between Africans and Europeans (p. 672f).
32 In another passage, she criticizes the then standard image of the African as a child:
... you cannot associate with them long before you must recognize that these
Africans have often a remarkable mental acuteness and a large share of common
sense... there is nothing really "child-like" in their form of mind at all. Observe
them further and you will find they are not a flighty-minded, mystical set of people
in the least...41.
33 The one area where she found Africans inferior to Europeans was in mechanical
aptitude, but in this it was more a matter of environmental circumstances rather than
stemming from innate biological factors:
This absence of mechanical aptitude... most likely has the very simple underlying
reason that the conditions under which the African has been living have been such
as to make no call for a higher mechanical culture42.
34 There was, it should be pointed out, one sector of the African population that Mary
Kingsley cared for little: those that had come under the influence of missionaries (she
could stand the latter even less). She describes the "missionary- made man" as vain and
conceited, and "very much like the 'suburban agnostics' in his religious method" – that
is, removing from his social prestigeful religion its austere and ascetic aspects (Hell,
Sabbath-Keeping, food interdictions, ideas of retribution)43. Her attitude towards the
Christianized and the Western-educated Africans was essentially negative, much like
later colonials' negative image of the "évolués", albeit in her case one cannot impute
this to the threat the évolués presented to the social position of whites. She had a
profound respect for native culture and society and did not feel that its elements, such
as polygamy or even "fetichism", should be decreed inferior in terms of Western
standards and thereby done away with. Her bête noire was not so much the missionary-
man but the missionary.
... regarding the native minds as so many jugs, only requiring to be emptied of the
stuff which is in them and refilled with the particular form of dogma he is engaged
in teaching, in order to make them the equals of the white races 44.
35 Her pronouncement in this quoted passage resembles in some ways the later attacks on
missionaries in some nationalist African circles, although for the latter the missionaries
were integral components of the global process of imperialism. Mary Kingsley was
neither imperialist nor anti-imperialist, but more of a nineteenth-century economic
liberal, believing that free trade is the key cement to international relations, including
relations between the West and Africa. Missionaries were a source of vexation to her
because of the false picture they painted about Africa. It was they who were rousing
public opinion about the liquor traffic in Africa whereas, she riposted, more "evil,
degradation and premature decay" can be observed in English urban areas than in West
Africa. If missionaries made such clamor at home about how bad things were in Africa,
it was because this was an efficient way of raising funds, playing upon their gullible
public's "perpetual thirst for thrilling details of the amount of Baptisms and
Experiences among the people they pay other people to risk their lives to convert" 45.
36 Her forte was to cut through the typical perceptual screens of her time and to observe
traditional African society as being as authentic and valid as Western society.
Moreover, although she wrote in advance of Levy-Bruhl's influential theses concerning
the qualitatively different approach of the "primitive mind" towards reality, in terms of
a "pre-logical" mode of thought which associates heterogenous elements in terms of a
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Among them, many women and children. I am certain the women dot not astonish
their mates and that unlike me, they are not assassinated with congratulations
more like condolences53.
42 In contrast to the glamorous view of the noble enterprise of colonization that was being
painted at home, she perceived the shabbiness of the colony, its run-down aspects as
well a place to run away from:
One feels the people here are in an overnight camp, that makeshift reigns, and that
we only export petty bureaucrats [paperassiers], customs officials and soldiers. In
brief one feels that each says to himself, "Once I have earned my money, I'll slip
out!"54.
43 The run down appearance of the streets and the docks was part of a general lack of
upkeep and physical improvements, with no provision for minimal urban comforts,
such as bath houses55. Later, in St. Louis, then the capital of Senegal and in French
hands since 1626, she cited the total absence of hotels. The shabbiness of goods was
part of the dismal scene of the colony, and she reported being told by French
merchants that "most of our purveyors, most of the French commercial houses have a
special, inferior manufacture for the colonies (even if the labels are the same)" and this
extended even to ammunition and shells sent to Africa being considered too old for use
in France56. Finally, in this context, although like her husband, Madame Bonnetain was
opposed to the military regime in the colonies, she was indignant at the treatment of
French soldiers. Parcel post gifts arriving from relatives for soldiers stationed in the
Sudan were doubly taxed, by Senegal and by the Sudan administrations, making these
gifts very expensive for the poorly paid soldiers, who in addition, were deprived of the
staples of the French table: bread and wine57. Moreover, shabbily outfitted, French
soldiers had to ride third-class on the train with the lowest-rung blacks:
The English would never treat thusly their men... How can you expect them to feel
well or be respected by the natives,58
44 Yet another reference to the superior English way of developing a colony occurs when
she takes a walk around St. Louis and notes the city is not badlooking although it
appears artificial and destitute; yet, it gives an idea of what could be done "if we
wanted to spend the necessary": the only solid and durable buildings adapted to the
climate are those, she points out, that were built by the British when they occupied St.
Louis (1758-1779, 1809-1817)59.
45 Wherein lies the reason for the French neglect of her West African colonies, Madame
Bonnetain thought that it due to the emphasis on the military regime, as well as the
negligence of the metropole. The French businessman or sales representative in the
colonies was the victim of the military mentality prevalent, which was scornful of the
former. And everyone in the military cadres was out for his own promotion. Thus, she
registered her disapproval of (then) Colonel Archinard (who became a great name in
the military history of the colonization of the West African hinterland) for allegedly
taking a military column "towards Timbuctu" while in reality, and against orders from
Paris, he "went off on a military expedition to Segou so as to win a general's stars
against natives in dethroning some native sovereign... and in uselessly allowing to have
killed a certain nomber of foot soldiers"60.
46 Madame Bonnetain thought that two elements were missing from the European
population, whose presence would give the colony a badly needed quality. First, there
was need for those with real knowledge of African affairs, for scientists, whereas
instead the colony has a plethora of "the military ambitious for an additional stripe or
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civil servants who happen by chance to be here, ignorant of Africa and not really
interested in studying and knowing it"61. And, second, French women were not a real
presence in the colonies, which made the European men careless in their appearances –
even officers went around shabbily and sloppily dressed. Rather than educating natives
on matters of cleanliness and hygiene, the military set no example; talking about one
officer she saw on the streets, she says: "undoubtedly he sleeps in a furnished room
whose furniture is no more adapted to the climate here than the house itself, stupidly
copied after the model of the metropolis"62. The French women who are in the colonies
hide indoors:
I am told they almost never go outside, except to go to church on Sundays, or from
time to time to an official soirée. I am not surprised that with that routine, they put
on weight, are bored, and are not in good health63.
47 Without saying it in so many words, Madame bonnetain touched on an essential feature
of colonial society, namely its inauthenticity, manifested in the quality of boredom. She
notes this in a variety of observations. Thus:
... people are bored, and to kill time, they gossip [on potine]. The militaries call here
by the expressive name of soudanitis a sickness which consists precisely in taking
boredom out in nasty gossip [médisances], restlessness [impatiences], and
quarrels64.
48 Another observations related to this point is the significance that people attach to
waiting for mail from home (p. 163). This is indicative of being away from "where the
action is", and basically of not accepting the setting of the colony as the most
important plane of one's existence; the colony is a temporary stage in one's life, a place
of exile perhaps or a place where one makes his fortune and career, but not a place one
accepts as home. In brief, one is only marking time in the colony 65, in the anticipation
of returning "home". Relevant here is her wry comment that everybody she meets talks
and dreams of being "back" in Pari – even if they havent't been there: "Ah, will the
month of ... ever come, when I shall return" is a typical conversation item, followed by
gossiping about others"66.
49 Also relevant to our study is Madame Bonnetain's perspective on the other half of the
colonial population, the Africans. She describes herself as "neither negrophile nor
negrophobe", and adds in the same breath:
The black has an extraordinary sentiment for justice. If he is at fault, he awaits and
stoically receives his punishment, despising you if you don't, but neither will he
forgive you if you punish him without just cause/good reason67.
50 It is the widespread institution of slavery which particularly catches her attention, and
the attitude of the French administration towards it which catches her ire. She notes
three kinds of slaves: those bought from owners, those born in the family (like ancient
Greece and Rome), and thirdly, those captured in warfare. The French army allows
slavery to go on by "buying" recruits from owners at a minimum of 300 francs each
(p. 74), these "recruits" having been captured in wars; the purchase price is officially
called a "bonus", but it is the owner, not the recruit who receives the premium.
Alternatively, recruiting is encouraged by the possibility of soldiers themselves getting
slaves in military expeditions; military authorities allow this to go on for fear that if
they did not, recruitment would fall off sharply. Thus, when the French captured
human booty from their great foe in the Sudan, Samory, the Africans, who had been
free before being captured by Samory were released to go back home, but those who
were born slaves were given over to soldiers in the French army: the men farmed out to
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friends, women and children kept around by the soldiers themselves 68. True, in theory
slaves could become free by asking the French authority for their freedom but in fact
they don't, unless they themselves can have their own slaves.
51 She saw, consequently, colonial society as resting upon a pervasive system of masters
and slaves, albeit the treatment of the latter by blacks is more benign than the French
treatment of its own troops. To maintain peace and French rule, she said, one can
understand perhaps that we allow black subjects (but not French citizens) to possess
other blacks. However, she added, in reference to the black citizens of the free
communes, "One cannot understand why we don't impose on the blacks wanting to be
our equal, to be voting citizens and to fill public offices, the obligation to spend at least
a year [in military service] and to renounce having the least captive (captive-slave). The
card of an elector is a diploma of French naturalization, and the law should be the same
for all"69.
52 It is, in brief, the exploitation of workers, of the lowly, irrespective of their skin color
that she objects to vehemently. Thus, at Bafoulabé, she rants at the poor lodgings of
ordinary French soldiers, living in wooden shacks which had quartered Chinese coolies
working on the railroad nearby; a great many of the latter had died not because of the
climate but because of a lack of sanitation, and she adds the same was true in Panama
and the Congo. Those who today profess the loudest against slavery (les libéromanes)
treat the unskilled workers far worse than slave traders treated their "bois d'ébène":
"disguised slavery is decidedly far worse than slavery admitted and regulated, which at
least grants to the captive guarantees against the white ferocity of the exploiters of the
struggle for life70.
53 Madame Bonnetain's travel notes contain far more observations than can be treated
here, but over all they show her as a concrete humain being relating to others
concretely, interested in the human aspect of the situation, rather than perceiving it in
terms of a priori categories.
54 A third female traveler in Africa who went there in the decade of the 1890s was a young
Englishwoman, Helen Caddick, who spent the year 1898 on an extensive journey going
from Capetown to Central Africa culminating at Lake Tanganyika, returning by way of
Mozambique and Zanzibar. She published a book focusing upon her journey from the
mouth of the Zambesi to Lake Tanganyika, whose preface states that she would like her
countrymen "to know how kind and attentive the natives, who are spoken of in
England as 'savages', can be to a lady travelling absolutely alone with them" 71.
55 Like Raymonde Bonnetain and Mary Kingsley, she recounts that she had to overcome
considerable pressure from well-meaning acquaintances not to venture, especially
alone, in Africa; this "made me the more desirous to set out" 72. What stands out in her
narrative is how she viewed the African setting and its people in positive terms; her
account is utterly devoid of lurid or sensational items.
56 Her remarks about Africans and traditional African society are always constructive,
without being patronizing or paternalistic. Thus, she says of her porters:
The natives have any amount of patient endurance, and also a keen sense of
humour – two very excellent qualities on a journey. I invariably found them honest,
and I am certain white men would not have been more careful of me, or have
behaved better, while they certainly would not have been so entertaining 73.
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an extensive travel to Africa's West Coast shortly before World War I 83. Much of her
observations echo themes we have previously discussed. Thus she noted how going to
Africa for a woman was considered so venture some as to border on the reckless:
Why, I know not, but English women are regarded as heroines and martyrs who go
out to West Africa with their husbands. Possibly it is because I am an Australian and
have had a harder bringing-up that I resent very much the supposition that a
woman cannot go where a man can... Yet here in the Gambia and all along the Coast
was the same eternal cry wherever there was a woman, 'How long can she stay, 84.
64 When a young District Commissioner tells her he would not bring his wife to the
Gambia from England because "she has such a delicate complexion that she has to wash
her face always in distilled water", Mary Gaunt notes in her book that the lady in
question was "buying her complexion at a very heavy cost is she was going to allow it to
deprive her of the joy of seeing new countries"85.
65 On Christmas eve she went to Government House in Bathurst at Government House,
where all the English gathered for the festivities. She noted how the colonists seemed
to consider themselves as living the life of exiles, and this drew her ire:
"After all, the English make this life in West Africa far harder than they need... if
England is to hold her pride of place as a colonising nation with the French and
Germans, she must make less of this exile theory and more of a home in these
outlands"86.
66 Similar to Mary Kingsley, she noted an aversion for missionaries and wished they
would "tend to the submerged folks of their own nations" rather than seek to civilising
Africans. And similar to Helen Caddick she felt the alleged fatality of the climate could
be mitigated by some simple preventives:
I cannot help thinking that a sane and sober life in the open air day and night
would be a more certain preventive against fever than all the quinine and
mosquito-proof rooms that were ever dreamt of87.
***
67 These brief extracts from the rich accounts of these and other women travelers in
Africa provide important and even unique materials about the colonial situation. The
women who went to Africa as observers before World War I were not motivated to
either uphold or expose colonialism. As marginals in European society, they were in
perhaps a better situation to observe and report on features of colonial society, myths
as well as reality, that are not found in other accounts.
NOTES
1. Georges BALANDIER, "La Notion de 'Situation coloniale'," in Balandier, Sociologie Actuelle de
l'Afrique Noire, pp. 3-38, 2nd ed. (Paris: Presses Universitaires de France, 1963). English translation:
"The 'Colonial Situatin' Concept", in The Sociology of Black Africa, pp. 21-56 (New York: Praeger,
1970).
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2. An important exception is the excellent study of Yvonne KNIBEHLER and Régine GOUTALIER,
La Femme au Temps des Colonies, (Paris: Stock 1985).
3. The classic study of the European imagery of Africa on the eve of the modern colonial period
is Philip D. CURTIN, The Image of Africa. British Ideas and Action 1780-1850, Madison: University of
Wisconsin Press, 1964.
4. The analogy with blacks can be extended further. The superiority of Western civilization in
relation to African society was in part buttressed by the argument that Africa had not produced a
high civilization, that Africans had not produced any inventions, any technological
developments; women, on their part, had not produced any significant contributions to
mathematics, philosophy, political science, music, etc. The "mind" of the two functioned in an a
logical way, irrational, infantile.
5. I do not deal here with sex ratios of the African population, which have their own
peculiarities. For various demographic materials in the late phase of colonial society and early
phase of post-colonial society, see K.M. BARBOUR and R.M. PROTHERO, Essays on African
Population (London: Routledge & Kegan Paul, 1961) and William BRASS et al., The Demography of
Tropical Africa (Princeton: Princeton University Press, 1968).
6. La colonisation scientifique, pp. 46-54.
7. Paris: E. Flammarion, 1902.
8. Ibid., p. 328.
9. Loc.cit.
10. Ibid, p. 329.
11. Loc.cit.
12. Ibid., p. 331.
13. Loc.cit. The mulatto as a marginal person in African colonial society has received scant
attention; excepting the "Cape Coloureds" in South Africa, and perhaps in the "old" colonial
society of Senegal, notably that of Saint-Louis, mulattos were, numerically, not a significant
element of the colonial population.
For a brief but insightful discussion of the difficult situation of the mulatto in Congolese society,
see Z. J. M'POYO KASA-VUBU, "L'Evolution de la femme congolaise sous le régime colonial belge",
in Pierre SALMON, ed., "Histoire et Sociologie Africaine", special issue of Civilisations, 37, n° 1
(1987): 159-90.
14. Published in the pamphlet, L'Emigration des Femmes aux Colonies. Paris, Armand Colin, 1897.
15. Ibid., p. 4. The situation bears a striking parallel with labor legislations in Central and South
Africa.
16. Op.cit., p. 6.
17. Ibid., p. 7. Undoubtedly, this reflects major occupational sources of employment open to
women at the time: schoolteachers, wireless operators, and telephone operators.
18. In Fance the 1901 census showed 492 males for 1,000 inhabitants, or 103 females per 100
males. Source: Album Géographique de la Statistique Générale de la France, Paris: Imprimerie
Nationale, 1907, p. 19. The number of unmarried women per age group is not given.
19. CHAILLEY-BERT, op.cif., p. 21f.
20. A few weeks later, before a different audience, having many elements of the radical left
which frequently interrupted him, Chailley-Bert also argued that the colonies were a place for
upward mobility for those "fils de la démocratie" (hard-working from humble ranks) who were
getting blocked from rising in the business world. CHAILLEZ-BERT, Le Rôle Social de la Colonisation,
Paris, Comité de Défense et de Progrès Social, 1987, p. 11f.
21. L'Emigration des Femmes aux Colonies, p. 35f.
22. Paris, Librairie Larose, 1926.
23. Ibid., p. 38.
24. Ibid., p. 39.
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25. Loc.cit.
26. Loc. cit.
27. Loc.cit.
28. Loc.cit., The character of Marie Hasluck in Joyce Cary's novel An American Visitor (London:
Michael Joseph, 1933) is a good literary approximation of this type (as well as being a vivid
representation of the maternal anthropologist seeking to protect the natives from the evils of
civilization).
29. Loc.cit., Ferdinan Oyono, in his bitter satires of colonial society has painted vivid portraits of
this type. See in particular Vie de Boy (Paris, Presses Pocket, 1970).
30. Ibid., p. 40.
31. Robert ROTBERG in his study of Central Africa mentions the ire of W.K. Sikalumbi of the
Northern Rhodesian Congress in his boycott campaign against the "hatch" system: "No Africains
could enter the 'holy place'–the shop where Europeans bought their meat. Buying 'pig in a poke',
Africans had to buy the rotten and bony meat which was unsuitable even for the dogs of
Europeans..."Cited in ROTBERG, The Rise of Nationalism in Central Africa, Cambridge: Harvard
University Press, 1965, p. 265.
32. O. MANNONI, Prospero and Caliban, tr. from the French by Pamela Powesland, New York,
Frederick A. Praeger, 1956, p. 116.
33. Loc.cit., Mannoni's discussion of the obscure psychological motives playing in the European
female's comportment toward African servants and others is in line with his general
psychologizing of the colonial situation. His study generated a good deal of controversy, but it
remains a landmark in suggesting depth layers of the "colonial situation".
34. As a personal observation, this writer in the course of earlier visits to Africa observed how
tyrannical women shopkeepers can be toward Africans. On the other hand, after seeing on
several occasions how female store owners in France can be equally tyrannical toward their
female employees, I think that racism is not the sole factor operative.
35. This section was prepared in advance of a recent work which explores this topic: Sara MILLS,
Discourses of difference: An Analysis of Women's Travel Writing and Colonialism, (London and New York:
Routledge 1991). Although there is some substantive overlap, the author approaches the
materials from a perspective of feminist textual theory, influenced by yet critical of the writings
of Michel Foucault and Edward Said.
36. J.E. FLINT, introduction to Travels in West Africa, 3 rd ed. London: Frank Cass & Co., 1965,
p. xviif.
37. Travels in West Africa, p. 435.
38. Although it is beside the point to discuss the literary merits of her writings, it might be
inserted here that few have surpassed her ability to describe the settings she found herself in, for
example, her climb of Mount Cameroun, her visit with "German society" at Buea ("German
society" being one solitary off icier), or her swatting of crocodiles on the head with her umbrella
while canoeing on rivers.
The inspiration for Katherine Hepburn's unforgettable role in "The African Queen", Mary
Kingsley has also been recently likened to Scarlett O'Hara by Jean Chalon in his Figaro Review
(March 18, 1992) of the recent French translation of West African Travels (Une Odyssée Africaine,
Paris, Phebus, 1992).
39. Travels in West Africa, p. 653.
40. Loc.cit.
41. Ibid., p. 439. 42.
42. Ibid., p. 670.
43. Ibid., p. 660f.
44. Ibid., p. 659.
45. Ibid., p. 663.
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46. Lucien LEVY-BRUHL, La Mentalité Primitive (1922), Paris, Retz-CEPL, 1976), pref. by L.-V.
Thomas.
47. Mary H. KINGSLEY, West African Studies, London & New York, Macmillan, 1899, p. 124. It might
be worth pointing out that increasingly since the end of World War II, Western industrial-
technological civilization – and not just its military technology either – has come to be seen by its
own sons as something demonic, which must be resisted by all means available, including magic
and exorcism. I refer here to various "hexing" episodes in the 1960s (of the Pentagon, or Wall
Street, etc.).
48. Une Française au Soudan, Paris, Librairie-Imprimeries Réunies, 1894.
49. Ibid., p. 2.
50. Ibid., p. 7. this is one of the many invidious comparisons of the French by a French person
comparing the situation with how the English do things in a comparable situation.
51. This was P. VIGNE d'OCTON, Terre de Mort (Paris, 1892), typical of the early colonial literature
we have discussed previously which presented Africa in darkest terms.
52. Une Française au Soudan, p. 12f.
53. Ibid., p. 20f.
54. Ibid., p. 21.
55. It should be kept in mind that at the turn of the century, the working class and the lower
middle class, at least in France, had for the most part to go to bath houses (établissements de
bain) since bathtubs and showers were luxury plumbing fixtures of the home.
56. Ibid., p. 27
57. Ibid., p. 13f.
58. Ibid., p. 38f.
59. Ibid., p. 42.
60. Ibid., p. 204. As it turned out, Archinard's military "exploits" the year that Madame Bonnetain
was in the Sudan had to take a backseat to Colonel Dodds' more headline-making feats in
Dahomey, so that it was the latter who received at the time the coveted general's appointment
(p. 366f).
61. Ibid., p. 185.
62. Ibid., p. 22.
63. Ibid., p. 44.
64. Ibid., p. 160.
65. From Heidegger's analysis in Being and Time, one can derive the proposition that the
separation of objectification of time away from one's self-conception is a fundamental
characteristic of the fallenness of existence from the authentic to the inauthentic plane. The
feeling of wasting time or marking time in the colony – a situational instance of the wasting of
one's self as a set of possibilities – reflects the inauthenticity of life. Although this is not the
occaison, an important dimension of the colonial situation in its different phases is that of
temporality, of the temporal horizon of actions and projects of actors involved.
66. Ibid., p. 23.
67. Ibid., p. 355.
68. Ibid., p. 77. Madame Bonnetain does not mention that French soldiers, a minority of colonial
troops, themselves kept captured slave women. This was an important "fringe benefit" of
colonial service.
69. Ibid., p. 75.
70. Ibid., p. 180. Italics hers.
71. Helen CADDICK, A White Woman in Central African, London, T. Fisher Unwin, 1900, p. v.
72. Ibid., p. 1.
73. Ibid., p. 130.
74. Ibid., p. 72
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75. Ibid., p. 39. It is a small but symbolically significant aspect of cultural colonization to change
the names of places; this functions to oblitlerate the cultural consciousness and hence identity of
the colonized. And equally symbolically important is the work of decolonization in replacing
colonial names (both of individuals and places) with "traditional" names.
76. Ibid., pp. 55-58.
77. Ibid., pp. 13-15. Just as Helen Caddick was horrified at Europeans on the steamship shooting
indiscriminately at birds, so had Raymonde Bonnetain observed on her train voyage from Dakar
to St. Louis European passengers shooting at practically anything in sight on four legs. The same
entertainment must have taken place with equal frequency among railroad passengers travelling
in the Great Plains Region of the United States a century ago.
78. Ibid., p. 20f.
79. Loc.cit.
80. Ibid., p. 58.
81. Ibid., p. 35.
82. Ibid., p. 36.
83. Mary GAUNT, Alone in West Africa, (London, T. Werner Laurie 1912). She also wrote a number
of novels.
84. Ibid., p. 46.
85. Ibid., p. 34.
86. Ibid., p. 45.
87. Ibid., p. 390.
ABSTRACTS
La littérature concernant l'histoire coloniale de l'Afrique est abondante et comprend bons
nombres d'analyses sociologiques dont celle relative à la « situation coloniale », initiée par
Balandier. Cependant, l'image et le rôle de la femme dans la construction et l'évolution de
l'Afrique coloniale moderne a peu retenu l'attention pour diverses raisons d'ordre culturel et
social. Au travers des écrits de Mary Kingsley, Raymonde Bonnetain et Helen Caddick, qui toutes
trois ont parcouru l'Afrique à la fin du siècle précédent, on se rend compte de ce que leur
perception de la situation coloniale était des plus pénétrantes. L'analyse des récits de ces femmes
fournit un matériel exceptionnel et souvent unique concernant la situation coloniale. Ces femmes
qui ont abordé l'Afrique au cours du 19e siècle n'avait pas pour motivation de soutenir le
colonialisme. Considérées comme des marginales par la société européenne, elles étaient dans
une situation exceptionnelle pour observer et comprendre les traits caractéristiques de cette
société coloniale – aussi bien mythiques que réels – que l'on ne trouve pas dans d'autres types de
récits. Ce regard particulier sur l'Afrique coloniale permet donc de mieux comprendre à la fois
les fondements de ces sociétés et l'image de la femme occidentale au sein de celles-ci.
AUTHOR
EDWARD A. TIRYAKIAN
Duke University – Durham – USA – Institut d’Etudes Politiques – Paris – France
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Intentions missionnaires et
perception africaine : quelques
données camerounaises
Philippe Laburthe-Tolra
NOTE DE L’AUTEUR
De rencontres trop brèves, mais riches, avec Pierre Salmon, j'ai gardé en mémoire son
encouragement amical à étudier l'histoire des variations de mentalités. Celle-ci se
constate en particulier dans l'événement, à la réflexion bien étrange, que constitue la
tentative de conversion religieuse, c'est-à-dire l'irruption d'un état d'esprit et d'une
volonté de changement forgés ailleurs dans une société qui jusque là vivait autrement.
On voudra bien trouver ici, en hommage au cher professeur Salmon, quelques faits
concernant la rencontre des missionnaires catholiques avec les Beti du Cameroun
méridional, éléments que j'espère développer dans un ouvrage ultérieur, en montrant
qu'ils entraîneront un changement effectif dans la manière de voir des Beti, mais ausi
dans celle des missionnaires.
1 Le 14 juillet 1884 fut célébré comme une fête, dans l'estuaire du Wouri, l'annexion du
Cameron à l'Empire allemand, annexion paradoxale, puisqu'elle résultait d'un vieux
désir des rois duala et d'une décision prise à contre-coeur par Bismark. Mais ceci est
une autre histoire.
2 A l'époque il n'y avait sur place, depuis 40 ans, que des missionnaires baptistes. Les
catholiques cherchèrent à se faire admettre à leur tour, et y parvinrent non sans peine
en 1890.
3 La langue de bois anti-colonialiste fait des missionnaires les complices de l'entreprise
coloniale (Cf. Mohr 1965, Messina 1988). Complices "objectifs", certes. Napoléon disait
déjà à leur propos :
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"Je les enverrai prendre des renseignements sur l'état des pays. Leur rôle les
protège et sert à couvrir des desseins politiques et commerciaux" (in Dansette 1965 :
150).
4 Mais c'est méconnaître que le christianisme, même comme religion d'Etat, a presque
toujours constitué un contre-pouvoir pour l'autorité politique, marquant par exemple
les limites de l'absolutisme royal et de l'arbitraire seigneurial. L'un des attraits du
protestantisme pour les princes fut l'élimination de l'appel extra-national au Pape.
5 Les colonisateurs allemands n'ignoraient pas l'histoire. Bismarck craignait en outre
l'effet désastreux outre-mer des rivalités confessionnelles. Il fit donc tout pour
empêcher les Missions de prendre pied dans ses protectorats (Berger 1978 : 25). Il
remplaça les pasteurs anglais déjà présents au Cameroun par les germanophones de la
Mission de Bâle, qu'il espérait plus soumis, et il louvoya avec cynisme pour éviter
l'arrivée des catholiques (op.cit. : 30-32), qui dut être imposée par le Reichstag grâce à
Windthorst et au Zentrum.
6 Agnostiques pour la plupart, les officiers et fonctionnaires allemands partageaient les
idées de Voltaire et de Napoléon sur la nécessité didactique de la religion. L'empereur
n'était-il pas chrétien ? A l'école gouvernementale de Douala, le premier instituteur
d'Etat (Reischsschulinspektor) fut Christaller, né en Gold Coast d'un pasteur de la mission
de Bâle. Christianisme et cantiques étaient conçus comme partie intégrante de la
culture à diffuser.
7 L'indépendance chrétienne des protestants n'en irritait pas moins le gouvernement
colonial. Il semble bien que le chancelier Leist ait tenté de faire tuer ce premier
instituteur officiel qui enseignait en duala, nommait son fils Ndumbe en l'honneur du
roi Bell, et qui constituait certes un témoin gênant quand les mercenaires dahoméens
du gouvernement s'insurgèrent, en décembre 1893, par suite des abus lubriques et
sadiques de Leist sur leurs femmes.
Christaller se réfugie chez le pasteur de Bonabéri, ou le roi Bell en personne vient le
prévenir qu'il n'a rien à craindre.
Mais Leist, gouverneur par intérim, intime l'ordre à l'instituteur de se réfugier sur
le bateau "Nachtigal". Avec sa femme et son bébé, il est contraint de s'embarquer
sur une chaloupe ; "laquelle, à leur grande-surprise, les amena non au "Nachtigal",
mais au "Soden", qui commença aussitôt à tirer de ses deux mitrailleuses sur
l'endroit de l'émeute. Etait-ce par erreur ou de propos délibéré qu'on les amenait
en plein combat ? Le chancelier voulait-il ainsi se venger du remuant instituteur et
de la mission évangélique qu'il haïssait à mort ? Aurait-il vu d'un assez bon oeil
qu'une balle des insurgés atteignît Christaller ? En tout état de cause, c'était une
façon très étrange de secourir les gens" (Boeckeler 1897 : 131).
Le petit Ndumbe hurle à chaque salve ; sa mère pense qu'elle aimerait mieux être
tuée vite plutôt que de devenir folle dans cet enfer. Pendant ce temps, le chancelier
et les autres blancs résident tranquillement à bord du "Nachtigal" qui se réfugie au
loin (ils vont y rester 9 jours). Durant les pauses, Christaller demande par trois fois
à ce qu'au moins sa femme et son fils aillent à bord du "Cyclop" qui sert de navire
hôpital à l'écart. Point de réponse. On les débarque dès la fin de l'émeute, et ils
retrouvent leur école criblée de balles allemandes.
(Tous les rebelles hommes attrapés alors seront pendus le 1 er janvier 1894, les
femmes emprisonnées ; d'autres hommes pris par la suite seront "grâciés" pour des
travaux forcés à perpétuité. Mais l'affaire fait scandale au Reichstag. Leist traduit
devant un conseil de discipline, sanctionné et révoqué, devra s'exiler à Chicago).
8 C'est dire que les rapports entre catholiques et officiels seront a fortiori difficiles.
Donnons-en quelques traits.
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(Fadipe 1970 : 288), qui croit au danger de mort éternelle qu'annonce le Christ, en
même temps qu'à la bonne nouvelle du salut qui sauve de ce danger pour donner accès
à la vie bienheureuse de l'éternité. Le type du missionnaire reste S. François Xavier, qui
baptise à tour de bras dans l'urgence comme un pompier qui essaie d'éteindre un
incendie, celui du feu de l'enfer engloutissant les païens.
31 Sous ce rapport, le message était le même qu'il s'agît de protestants ou de catholiques,
tous alors éloignés du relativisme sceptique de notre fin de siècle. La "saga" catholique
raconte à l'envi avec Mgr Hennemann (Skolaster 1924 : 239) que les néophytes posaient
des charbons ardents sur la peau des hésitants pour leur montrer le mal qu'ils
risquaient à refuser le baptême. En fait, tous prêchaient les vérités premières dans le
même style ; ainsi le Dr Good, mort la veille de ses 38 ans chez les Bulu le 13 décembre
1894 (Fame Ndongo 1989 : 15 n.l), à peu près quand commence l'histoire de la mission
catholique.
32 Selon le mémorial intitulé Nnanga Kon, ("le Fantôme Blanc" ; cf. L.T. 1981 : 170) voici son
dialogue de conversion avec Angoneman, une jeune fille qu'il a arrachée à la pendaison
lors du décès de son époux :
"L'âme a deux chemins : soit la mort dans un endroit où elle brûle pour toujours
sans répit ; soit la Vie dans un endroit ou règne éternellement la paix et où l'on ne
connaît ni la maladie, ni la mort, ni le chagrin.
– (...) Où se trouve cet endroit ? Comment est-il ?
– C'est Celui qui nous a tous créés et toutes les choses (...). Les âmes de ceux qui
commettent le péché vont au mauvais endroit où sévissent continuellement les
flammes. Tandis que celles des hommes qui posent des actes équitables vont dans
l'endroit agréable pour y demeurer éternellement.
– Nous y irons donc tous parce que les gens d'ici ne font que du bien et des choses
justes. Ils n'agissent que conformément aux recommandations de leurs fétiches (...).
33 Le missionnaire s'écrie qu'au contraire les fétiches qui voulaient tuer Angenoman elle-
même, qui permettent magie, polygamie, razzia, esclavage, mauvais traitements aux
femmes, mariage forcé, échange des épouses entre les maris, font commettre aux gens
autant d'horribles péchés.
– Tous les gens pécheurs (...) iront dans le redoutable endroit où ils brûleront dans
les flammes pour toujours.
– Heeg ! Quel épouvantable endroit ! Je sais comme de petites brûlures au doigt font
mal, combien plus passer toute sa vie dans le feu !
– Pas toute la vie ; mais éternellement. La vie d'ici bas est trop courte. Il ne faut pas
comparer cette abominable situation avec l'éphémère vie humaine (...).
– Que faut-il faire pour échapper à ce feu ? (...).
– Ecouter attentivement ! Quand Dieu... (...) vit que les hommes n'étaient pas justes,
qu'ils ne le suivaient pas, il voulut les exterminer tous. Il eut encore pitié d'eux ; il
envoya dans ce monde son Fils afin qu'il leur montrât Dieu et les ramenât vers lui
leur créateur (...).
– Comment s'appelait ce fils ?
– Il s'appelle JESUS... Nous devions périr pour nos péchés, mais Dieu offrit Jésus
pour qu'il mourût à notre place.
34 Le missionnaire se met alors à lire l'Evangile...
– Jésus dit aux pécheurs... Tu reconnais maintenant que tu es pécheresse ?
– Très... lorsque tu as fini de me dire ce qu'est le péché, je me suis rendu compte
que, si je meurs, mon âme ira certainement à ce lieu de feu (...). Parle ! Que dit Jésus
aux pécheurs ?
– Il dit : "Le sang de Jésus vous purifie de tout péché" ; "Venez à moi, vous tous qui
êtes fatigués et chargés, je vous donnerais le repos". Et puis : "Je suis le chemin, je
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suis aussi la vérité et la vie ; nul ne vient à mon Père que par moi". Et aussi "Dieu a
tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en
lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle".
35 Angoneman tombe à genoux, pleure ses péchés, les abjure, déclare qu'elle aime Jésus, et
reçoit sur l'heure le baptême (Njemba Mendou 1932, traduit du bulu par Fame Ndongo
1989 : 101-105).
36 En voyage en 1901, le P. Vieter se désole d'être survenu trop tard pour baptiser un bébé
d'un an qui vient de décéder : "Quel bel ange il eût fait au ciel !" (SVA 1901 : 154).
37 L'opposition des catholiques aux protestants est à chercher ailleurs. L'idée la plus
précise en serait probablement fournie par l'étude du Premier Synode Camerounais de
septembre 1906, où les supérieurs des postes missionnaires (Halbing, Nekes, Hoegn) se
réunirent autour du Vicaire Apostolique Vieter, juste de retour de son sacre en
Allemagne, pour instituer par décret les Statuts de la Mission catholique.
38 Ce long texte comporte certes des références évangéliques ; mais l'essentiel en est
constitué par des dispositions typiques du juridisme romain concernant l'organisation
hiérarchique du Vicariat et les conditions de validité des sacrements. Ce dernier souci
occupe 49 pages sur un total de 71.
39 L'élément qui surprend là le plus l'intellectuel relativiste, c'est que les décisions
"obligatoires" (chap I art. V) du Synode entérinent une morale et une philosophie dites
"naturelles", universelles, sur quoi se grefferait la religion. En particulier, en vertu de
cette morale scolastique, le mariage est de soi monogame et indissoluble. Il en découle
que le mariage païen est un véritable mariage. Le polygame qui se convertit devra
déterminer parmi ses unions laquelle constitue ce mariage unique, par rapport auquel
toutes les autres de ses relations jusque là considérées comme conjugales ne sont et
n'auront jamais été que concubinages illégitimes. On voit quelles tensions dramatiques
peuvent surgir : la question de savoir quelle épouse sera conservée comme la "vraie"
constitue l'intrigue majeure du roman de Mongo Béti : Le Roi Miraculé.
40 De toutes ces prescriptions, retenons ici qu'il est enjoint de conférer le baptême dès
qu'on le peut, en particulier aux païens en danger de mort.
41 Revenons-en à la perception initiale de cette entreprise par les Beti.
42 Ils n'en prennent connaissance qu'à partir de 1894, quand les premiers d'entre eux
conduits par Dominik voient la mer à Kribi, nom qui, selon l'étymologie populaire (këlë
mbil : "va au Trou" ; cf. L.T. 1985 : 49), signifie le bord du monde au-dessus du Gouffre de
l'Océan.
43 Tout peut paraître exceptionnel en un tel lieu, avec un tel horizon. Un texte du premier
converti et premier catéchiste beti, Martin Tabi (1911) permet de pressentir quelque
chose de l'effet produit par la mission, école et surtout église, que les catholiques
viennent d'y bâtir.
"Les Yaoundé lui donnaient le nom significatif de "Nda ngon Zamba", c'est-à-dire
de "maison de la fille de Dieu".
44 Ce nom est en effet fort expressif pour les Beti, car il rattache l'église à leur vieille
mythologie. La "fille de Zamba" (cf. L.T. 1985 : 28-33) est une entité mystérieuse qui
semble avoir eu un enfant incestueux de son père Zamba. Traduit à tort par "Dieu"
(L.T. 1985 : 21-36), ou alors il faudrait dire "un dieu", le mot zamba paraît désigner l'un
des Invisibles suprêmes, Ancêtre moniteur et père des hommes. Quoi qu'il en soit, il a
jeté ce fils au loin, et depuis sa fille le recherche sur terre en pleurant. On rendait à
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celle-ci un culte annuel de prémices au bord des rivières, car la fertilité des champs lui
était attribuée ; elle paraît être une sorte de souveraine des défunts, auxquels l'eau est
associée, et à plus forte raison l'Océan assimilé à l'Endam, le fleuve des enfers qui
entoure la terre et qui sépare les vivants des morts.
45 On ne pouvait donc s'étonner de trouver sa maison tout au bord de la mer comme l'est
l'église de Kribi, dédiée à Joseph, l'"époux" de la Vierge Marie, mère de Jésus. Les
homologies de cette dernières avec la fille de Zamba sont évidentes ; sa statue trônait à
l'intérieur de l'édifice.
46 Tabi poursuit :
"Que n'entendait-on pas raconter sur cette "nda ngon Zamba" de la part de ceux
qui l'avaient vu ! On prétendait que là, et aussi ailleurs sur la côte, on revoyait les
morts du pays".
47 Rien d'étonnant si, comme on vient de le dire, l'Océan est le fleuve des morts et la fille
de Zamba leur reine. De toutes façons, les Blancs qui hantent la côte ne sont-ils pas des
revenants ?
"Pour les gens (libres de dépeindre à leur guise tout ce qu'ils avaient vu d'autre sur
le "beach") régnait un strict interdit d'ouvrir la bouche à propos des choses
aperçues à l'intérieur de St Joseph, l'église de Kribi. Les statues des saints dans
l'église jouaient un rôle terrible dans le coeur de ces sauvages... Qui en trahirait le
secret était prévenu que, frappé par une puissance mystérieuse, il serait puni de
mort".
48 Un élément de secret sous peine de mort caractérisait la plupart des rituels, en
particulier l'initiation (L.T. 1985 : 230). Si l'on définit le sacré comme ce qui est séparé,
"tabou", l'opinion spontanée des gens ne pouvait guère rendre plus grand service aux
missionnaires que de leur préparer la tâche en sacralisant ainsi leur domaine, par
opposition aux autres réalisations dûes à la présence de l'homme blanc.
49 Les représentations anthropomorphes des Beti (ndzom So, ngun melan, statuettes et
masques du melan et du ngi, cf. L.T. 1985 : 272, 339 sq., 353-5 & planches ; L.T. 1991)
étaient exclusivement liées aux moments les plus dramatiques de leurs cultes. Le
réalisme des statues religieuses européennes de la fin du XIX e siècle faisait peur, parce
qu'on les croyait "vivantes" ; cette perfection apparente ne pouvait que plaider en
faveur du plus grand achèvement des rituels catholiques.
50 Bâtie de mars à décembre 1893 sur les plans du Préfet apostolique, l'église était une
construction en bois à trois nefs exécutée par des menuisiers d'Accra, "quoique très
simple", constate son architecte, "cette église fit sur les Africains une impression
profonde, car ils n'avaient jamais vu pareil édifice, de 26 mètres de long, 12 de large, 6
mètres 50 de haut, avec un petit clocher" où sont installées deux cloches (plus tard
trois) dont la plus grosse était offerte par le village natal du P. Vieter, Kappenberg. A soi
seul, l'édifice constituait un prodige.
"Les missionnaires, dans leurs habits ecclésiastiques, étaient pris pour les "Ngon
Zamba", les filles de Dieu elles-mêmes. La description de l'authentique fille de Dieu
par certains laissait sur sa faim : elle possédait quatre yeux, deux par-devant et
deux par-derrière. Le soleil ornait son visage, et la lune sa nuque, etc...".
51 Logiquement, un temple mène à la manifestation du dieu qu'il renferme ; dans mainte
religion africaine, le prête est en certaines occasions, le dieu qu'il sert. L'évocation de la
fille de Zamba semble être ici celle de la mythologie traditionnelle ; mais elle va bien
plus loin. J'incline à croire qu'elle est très influencée par la vue, lors de la messe, des
prêtres catholiques en ornements sacerdotaux, chapes et chasubles souvent brodées de
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BIBLIOGRAPHIE
Abréviations : L.T. = LABURTHE-TOLRA
SVA = Stern von Afrika, (l'Etoile de l'Afrique) revue des PP. Pallotins, Limburg an der Lahn, 1894-1922.
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l'allemand par Jacques Chavy, Plon, Paris 1964, 2e édition corrigée 1967, 342 p., avec références
(chiffres entre parenthèses) à la collection Gesammelte Aufsätze zur Religions – Soziologie, Band
I, 4 Aufl. Tübingen, reprenant l'édition de 1920-1903.
RÉSUMÉS
The intention of this article is to study variations in attitudes of mind. This can be especially
observed in events, which may be qualified as odd, such as attempts at religious conversion,
namely the coming about of a new way of thinking and the willingness to change forged in a
society which up that point in time had lived in a different manner. Some events concerning the
meeting of Catholic missionaries with the Beti of the southern Cameroons will be described. This
unusual meeting led to an effective change in the way that both the Beti and the missionaries saw
the world.
AUTEUR
PHILIPPE LABURTHE-TOLRA
Université René Descartes – Paris V – Sorbonne – Paris – France
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Le mouvement géographique, un
journal et un géographe au service
de la colonisation du Congo
Henri Nicolai
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Un objectif spécifique
5 Au contraire, le Mouvement Géographique aura comme activité esentielle la promotion
de l'action coloniale belge en Afrique. Si l'on consulte la table des matières de l'année
1886 par exemple, sur 258 rubriques classées géographiquement, 26 concernent
l'Afrique (dont 18 l'Afrique tropicale) et 118, soit 46 %, l'Etat Indépendant du Congo,
chaque rubrique pouvant d'ailleurs comprendre plusieurs articles. En 1890, les
proportions restent du même ordre : sur 255 rubriques, 111 pour l'Etat Indépendant du
Congo (44 %) et 88 pour le reste de l'Afrique. A la fin des années 1890, la part du Congo
diminuera pour faire place aux informations sur l'Asie et tout particulièrement sur la
Chine, qui sera l'autre théâtre des activités belges outre-mer. Elle ne sera plus ainsi que
de 21 % en 1899. Mais la part en pages sera toujours prépondérante.
6 Le Mouvement Géographique est donc un journal qui doit inévitablement retenir
l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la colonisation belge au Congo
et à l'histoire de sa connaissance géographique. Bien qu'il n'apporte que rarement des
documents de première main, il constitue une source documentaire de grande
importance. A son niveau de spécialisation et de périodicité, le Mouvement
Géographique n'a pas de véritable équivalent dans les autres pays colonisateurs. Certes
il y a eu ailleurs un "Journal des voyageurs" ou une "Koloniale Zeitung" mais le
Mouvement Géographique apparaît comme une entreprise très originale.
7 Le Mouvement Géographique naît au moment où les efforts de Léopold II sont sur le
point de déboucher sur la création d'une colonie mais d'une colonie d'un type un peu
particulier puisqu'elle relèvera d'un individu et non d'un pays. Il est fondé quelques
mois avant l'ouverture de la Conférence de Berlin où les puissances européennes vont
se pencher sur le sort de l'Afrique. Son propriétaire est l'Institut National de
Géographie, un "institut scientifique privé", en fait une société anonyme qui vient de
patronner en Afrique l'expédition du Dr Joseph Chavanne, chargé de lever la carte du
Congo, de l'embouchure au Stanley Pool, et de "chercher à résoudre, dans un voyage de
découvertes, le problème du lac Liba et de la rivière Ouellé" 3. Le rédacteur en chef est
Alphonse-Jules Wauters. Le journal se présente sous le couvert de la géographie. Son
programme, exposé dans l'éditorial du premier numéro (le numéro est du 6 avril 1884,
le texte est daté du 5), est de "donner utilement à un tel mouvement [de renaissance
géographique], l'appui et la coopération d'un organe spécial de propagande". Le
journal, qui se présente comme le "journal populaire des sciences géographiques", a
choisi le format de la gazette. Il "stimulera l'esprit d'entreprise et soutiendra tous ceux
qui s'efforcent d'ouvrir des horizons nouveaux, d'élargir le terrain de notre activité, de
pousser le pays à sortir pacifiquement de ses étroites frontières". L'éditorial rappelle
évidemment que ce mouvement de renaissance géographique est dû "en grande partie
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son beau-père est directeur. Historien de l'art, il a écrit une Histoire de la peinture
flamande, et c'est à ce titre qu'il entrera à l'Académie Royale de Belgique ; il enseignera
l'histoire de l'art à l'Académie – c'est-à-dire l'Ecole – des Beaux-Arts de Bruxelles. Mais
il s'est en même temps passionné pour les exploits des explorateurs de l'Afrique Noire.
C'est donc un géographe en chambre mais il serait injuste de lui dénier la qualité de
géographe. C'est un géographe engagé dans le journalisme, ou mieux peut-être, un
journaliste "colonial", le "fondateur de la Presse coloniale belge", dira de lui R.J.
Cornet6. Pendant trente ans, il va noter, compiler tout ce qui s'écrit et se dit sur
l'Afrique Noire, mais surtout sur le Congo, porter sur des cartes les itinéraires des
explorateurs, mettre régulièrement à jour une carte de l'Afrique centrale et écrire une
montagne d'articles qui sont toujours d'une grande conscience scientifique. Sur ce
plan, un de ses titres de gloire sera d'avoir résolu, par le raisonnement, un des derniers
grands "blancs" de la carte d'Afrique, le cours inférieur de l'Uele 7. Schweinfurth croyait
que cette rivière allait rejoindre le lac Tchad. Wauters, après le voyage de Grenfell, qui
a remonté l'Ubangi jusqu'à ses premiers rapides et constaté la courbe qu'il décrivait en
amont, fait l'hypothèse, en 1885, que cette rivière est le cours inférieur de l'Uele. Il le
dit dans un article au titre très journalistique qui occupe toute la largeur de la première
page du numéro : "Le dernier grand blanc de la carte d'Afrique. Un nouveau Congo. Le
problème de l'Ouellé. Hypothèse nouvelle". Mais son hypothèse laisse sceptiques les
explorateurs. Il faudra attendre 1887 pour que le voyage de Van Gèle la confirme. Sans
doute est-il un peu abusif de comparer Wauters, comme l'avait fait son ami Thys 8, à
l'astronome Le Verrier découvrant par le calcul l'existence de Neptune mais
incontestablement, il a été, tout en n'ayant jamais mis le pied en Afrique centrale, le
plus grand connaisseur de son temps de la géographie du Congo.
11 Le Mouvement Géographique publiera d'ailleurs de nombreux articles "géographiques"
de la main de Wauters. Certains annonceront la solution qu'un voyage d'exploration
apporte à un problème comme l'expédition Wissmann pour celui du Kasai. D'autres
discuteront par exemple l'écoulement du lac Mouta Nzige (lac Edouard). Ses eaux vont-
elles rejoindre le lac Albert Nyanza, donc le Nil ou se dirigent-elles vers le sud c'est-à-
dire en fin de compte vers le Congo ? Cette question aboutira en 1897 à un article dont
le titre barre la première page : "Comment le bassin de l'ancienne mer intérieure
"Albert-Edouard" a été rattaché au bassin du Nil par la Semliki "(3 janvier 1897, n°1). En
1894, dans deux grands articles, Wauters tentera même une synthèse générale du relief
et de sa formation : "Le relief du bassin du Congo et la genèse du fleuve" 9. Tout cela,
malgré une terminologie parfois discutable, est du même niveau que celui des revues
géographiques proprement dites. Wauters fera d'ailleurs une description géographique
détaillée de l'Etat Indépendant du Congo dans un livre publié en 1899 10.
12 Mais ce géographe "professionnel", comme on dirait peut-être aujourd'hui, est avant
tout engagé dans l'action coloniale. Dès la conférence géographique de Bruxelles, il
défend les initiatives africaines de Léopold II. Il écrit, dans le bulletin de la société belge
de géographie, un article réfutant les prétentions portugaises sur l'embouchure du
Congo11. Il publie aussi, à la même époque, un mémoire sur le Zambèze 12. Ses
contemporains ont vu, dans "Le Mouvement Géographique", un organe de presse créé à
l'initiative de Léopold II pour défendre sa politique africaine. Formellement ce n'est pas
exact mais il est évident qu'il était dans le mouvement de cette entreprise. Wauters
s'était lié d'amitié avec un jeune officier, Albert Thys, qui était un collaborateur du
colonel Strauch, à l'Association internationale africaine13. En 1833, le capitaine Thys,
devenu officier d'ordonnance du roi, est engagé davantage encore dans la politique
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dirigeait et dont il était l'âme. "Mais le journal précise : "Il [le général Thys] ne
demanda à A.-J. Wauters et à ses colaborateurs rien d'autre que de poursuivre l'oeuvre
qu'ils avaient commencée sans en changer l'esprit". Et le journal ajoute que "ses
inspirateurs ne furent jamais les maîtres de l'heure. Ils s'appelèrent Banning,
Beernaert, Paul Janson, Strauch, Van Neuss, pour ne citer que ceux, parmi les grands
citoyens, qui ont achevé leur tâche en ce monde".
18 Le Mouvement Géographique va consacrer une part importante de son contenu aux
activités des sociétés commerciales de la rue Bréderode. La création de la Compagnie du
Katanga et les expéditions menées dans ce territoire nourrissent des numéros entiers.
Le journal publie systématiquement les rapports annuels de ces sociétés et plus
particulièrement celui de leur société-mère. Il n'est pas étonnant de lui voir consacrer
un nombre élevé de rubriques au chemin de fer du Congo dont il suit la progression
kilomètre par kilomètre (44 rubriques en 1898, l'année du triomphe quand le 3 juillet,
le rail est officiellement inauguré ; ce dimanche-là Wauters intitule son article "La
conquête du Congo").
19 Le Mouvement Géographique, qui est devenu la propriété des sociétés coloniales, prend
bientôt ses distances envers l'Etat Indépendant du Congo. Le roi s'est engagé en effet
dans sa politique du domaine qui tend à réserver à l'Etat ou à de grandes compagnies
auxquelles il accorde un monopole, l'exploitation des terres qu'il considère comme
vacantes. Cela ne va pas sans gêner les compagnies de la rue Bréderode. Certes le
journal ne réagit pas lorsque la Compagnie du Katanga, filiale de la Compagnie du
Congo, est la première bénéficiaire de ce monopole. Mais en 1892, le Mouvement
Géographique change brusquement de ton. Les autorités de l'Etat Indépendant
viennent d'interdire aux indigènes de vendre du caoutchouc et de l'ivoire dans les
rivières Ubangi, Uellé, Bomu et leurs affluents en raison des droits de l'Etat sur les
domaines et menacent de sanctions les compagnies commerciales qui passeraient outre
à cette interdiction. L'affaire concerne la Société Belge du Haut Congo, filiale de la
Compagnie du Congo. Elle porte atteinte directement et de façon précise à la liberté
commerciale qui avait été garantie dans le bassin du Congo. Wauters est accablé sinon
indigné. "Pour ce qui nous concerne personnellement, écrit-il20, nous qui signons ces
lignes et qui, depuis quinze ans, servons sans marchander et avec foi l'idée généreuse et
pure, créatrice de l'oeuvre, nous ne cacherons pas que nous sommes déconcerté et
troublé". Le ton monte. Quinze jours plus tard, Wauters parle "d'un triste spectacle. Un
fatal moment d'arrêt, de recul se produit dans l'édification de la magnifique oeuvre
coloniale que la Belgique poursuit au Congo". Il veut croire qu'on a trahi la pensée
royale "en l'interprétant comme on vient de le faire en Ubangi".
20 Le Mouvement Géographique consacrera entre la fin juillet et le mois de décembre 1892
pas moins de 49 articles, notes et rubriques au "conflit entre l'Etat Indépendant du
Congo et les sociétés commerciales". Il dénonce de plus en plus vivement les dangers du
système que l'on veut mettre en place car l'Etat va ériger "ses agents en concurrents,
en les armant de tous les pouvoirs militaires et judiciaires". Il y voit "matière à mille
conflits, à des abus de toute nature". Il estime que "l'Etat trafiquant et ayant à sa solde
des agents excités à supprimer la concurrence voisine, c'est là une situation d'une
gravité exceptionnelle"21. Il s'écrie même : "la mesure est comble"22. Il rappellera, dans
un titre à la une, "les déclarations de la Conférence de Berlin en faveur de la liberté
commerciale au Congo" (11 septembre 1892, n° 21). Il fera des conférences sur ce sujet
par exemple à la Maison du Peuple pour les socialistes belges qui veulent des
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pas le produit, ni même des bavures. Elles proviennent du système de monopole mis en
place par l'Etat Indépendant. C'est une position d'ailleurs très voisine de celle de Morel
et de son Congo Reform Movement en Angleterre.
26 En 1908, le Mouvement Géographique attaque encore de façon plus explicite la
politique de Léopold II, particulièrement en ce qui concerne le domaine de la Couronne
dont la création lui paraît avoir été faite au détriment de sociétés commerciales déjà
installées. C'est qu'il s'impatiente devant les atermoiements dans le processus de
reprise du Congo par la Belgique. "Il y a treize ans qu'un premier projet d'annexion a
été déposé au Parlement... Il y a trois ans que le Parlement belge a émis son premier
vote de principe en faveur de la reprise... Catilina est à nos portes et nous délibérons
toujours !"36.
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NOTES
1. Nous avons consacré à ce thème une communication (à paraître) : "Les géographes belges et
les débuts du Congo" dans le cadre du Colloque "Géographies. Colonisations. Décolonisations",
organisé par le CEGET-CNRS à Bordeaux en mars 1992.
2. H. NICOLAI (1992), article cité.
3. Le Mouvement Géographique (celui-ci sera désigné dans les références suivantes sous
l'abréviation M.G.), 6 avril , n° 1, p. 2.. Le M.G. sera publié de 1884 à 1922, avec une interruption
due à la guerre 1914-1918. Nous ne l'étudierons que pendant la période qui correspond à
l'existence de l'Etat Indépendant du Congo, c'est-à-dire jusqu'en 1908, date de la reprise du
Congo par la Belgique.
4. Son prénom double le distingue de son oncle, Alphonse Wauters, archiviste de la ville de
Bruxelles, qui a été lui aussi historien de l'art, qui se présente également dans certains de ses
travaux comme géographe et qui a été président de la Société belge de géographie. On trouvera
des indications biographiques sur A.-J. Wauters dans :
– L. Solvay (1938), Wauters (Alphonse-Jules), in Biographie Nationale, tome 27, col. 115-119.
– R. Cambier (1951), Wauters (Alphonse-Jules), in Biographie coloniale belge, 2, col. 970-972.
– R. J. Cornet (1949), Le fondateur de la presse coloniale. A.J. Wauters, Revue Coloniale Belge, 1 er
décembre 1949, pp. 780-782.
5. Il semble que Wauters n'ait plus eu d'activité à la Société belge de géographie à partir du
moment où il s'occupe du Mouvement. Son nom n'apparaît plus dans la liste des membres.
Wauters aura même une altercation dans son journal avec le secrétaire général de la société Jean
Du Fief, les deux personnages se reprochant mutuellement de puiser des données dans la revue
de l'autre sans citer leur source (M.G., juillet 1887, n° 16).
6. R.J. Cornet (1949), article cité.
7. M.G., 31 mai 1885, n° 11, pp. 41-44.
8. L. Solvay (1938), article cité, col. 118 et R. Cambier (1951), article cité, col. 970.
9. M.G., 1897, n° 2 (10 janvier), col. 13-18.
10. A.-J. Wauters (1899), l'Etat Indépendant du Congo, Falk, Bruxelles.
11. A.-J. Wauters (1883), Le Congo et les Portugais. Réponse au Mémorandum publié par la
Société de Géographie de Lisbonne, Bulletin de la société belge de géographie, pp. 234-278.
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12. A.-J. Wauters (1878 et 1879), Le Zambèze. Son histoire, son cours, son bassin, ses produits, son
avenir, Bulletin de la société belge de géographie, 2e année, pp. 8-34, 114-138, 383-405, 566-621 et
3e année, pp. 450-482.
13. R.J. Cornet (1949), article cité.
14. A.-J. Wauters (1895), Bibliographie du Congo, Bruxelles, p. 2.
15. L. Solvay (1938), article cité, col. 117.
16. Nous avons traité ce thème dans H. Nicolaï (1988). L'image de l'Afrique centrale au moment
de la création de l'Etat Indépendant du Congo in Recueil d'études "Le centenaire de l'Etat
Indépendant du Congo", Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, Bruxelles, pp. 13-39.
17. On trouvera un bel exemple de ce type de réfutation dans le n° 2 du 24 janvier 1896 (pp. 5-6)
où Wauters, sous le titre "L'oeuvre du Congo et M. Peschuel-Loesche" reprend, dans une colonne,
les affirmations de Peschuel-Loesche et, dans la colonne voisine, des textes d'explorateurs qui,
selon lui, les démentent.
18. A.-J. Wauters (1885), Les Indes Africaines. Renseignements recueillis dans une entrevue avec
le Lieutenant Van Gèle, M.G., n° 12, 14 juin, pp. 47-48.
19. A.-J. Wauters (1889), Le chemin de fer du Congo à la Chambre des Représentants, M.G., n° 16,
28 juillet.
20. A.-J. Wauters (1892), Le commerce belge au Congo, M.G., n° 15, 24 juillet, pp. 61-62.
21. M.G., 31 juillet 1892, n° 16, p. 67.
22. M.G., 7 août 1892, n° 17, p. 70.
23. A.-J. Wauters (1910), L'oeuvre congolaise. Les débuts de l'absolutisme, 1901-1904, M.G., 16
janvier, col. 32.
24. A.-J. Wauters (1895), Bibliographie du Congo, ouvrage cité, p. 22.
25. J. Stengers (1955), Textes inédits d'Emile Banning, Bruxelles, Académie royale des Sciences
coloniales, p. 47.
26. Id., p. 50.
27. M.G., 21 mai 1901, n° 19, La société anglaise pour la protection des indigènes au Congo,
col. 223-224.
28. M.G., 1908, col. 148.
29. R. Cambier (1951) article cité, col. 971-972.
30. Baron Carton de Wiart (1944), Léopold II, Souvenirs des dernières années, 1901-1909,
Bruxelles, p. 83.
31. L. Solvay (1938), article cité, col. 119.
32. E. Reclus (1888), Nouvelle Géographie Universelle, tome XIII, p. 399.
33. E. Reclus (1905-1908), L'Homme et la Terre, Librairie Universelle, Paris, tome V, p. 447.
34. Id., tome VI, p. 252.
35. Nous devons ce texte à notre collègue J. Stengers qui nous l'a aimablement communiqué :
lettre de A.-J. Wauters du 5 septembre 1910 (sur papier à lettre du Mouvement Géographique),
dans Papiers Morel à Londres, liasse n° 8, Belgian Correspondence, 1909-1910. Un extrait de cette
lettre est reproduit dans Wm R. Louis et J. Stengers (1969), E.D. Morel's History of the Congo
Reform Movement, Oxford, p. 250 (dans le chapitre de J. Stengers, Morel and Belgium).
36. A.-J. Wauters (1908), L'Etat du Congo et l'Angleterre, etc., M.G., 1 er mars, col. 109-131.
37. Le Congo à la Maison du Peuple, Conclusion par A.-J. Wauters, M.G., 6 mars 1892, n° 5, p. 19c.
38. Il faudrait aussi rechercher quels étaient les lecteurs. Dans quelle mesure le journal
débordait-il le milieu directement intéressé à l'activité coloniale ? Le journal est-il entré dans les
familles bourgeoises comme l'espéraient ses fondateurs ? A-t-il joué un rôle de même nature que
celui que continuent à jouer des "magazines" géographiques qui, paraît-il, seraient aujourd'hui,
en France, les périodiques les plus achetés par les "cadres" ? Le Mouvement a-t-il vécu
uniquement grâce au soutien financier de la Compagnie du Congo, c'est-à-dire d'Albert Thys,
comme le laisse peut-être entendre l'éditorial du dernier numéro ? Quand il a été repris par la
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Compagnie du Congo, en 1890, le rapport de cette société, cette année-là, le présenta comme une
affaire légèrement déficitaire mais qui aurait dû, les années suivantes, dégager un léger bénéfice
(M.G., 21 décembre 1890, n° 29).
39. Comme l'affirme R.-J. Cornet, 1949, article cité, p. 781.
RÉSUMÉS
The first edition of the 'Mouvement Géographique' was published in Brussels on April 6 th 1884. Its
primary aim was the promotion of Belgian colonisation in Africa. Although rarely publishing first
hand information, the paper, nevertheless, constitutes a documentary source of great
importance. Two periods can be distinguished in the history of the 'Mouvement Géographique'.
Up to 1890, the paper is wholeheartedly behind the actions and plans of the Congo Free State and
the colonial policy of Léopold II. From 1890, when the paper became the property of the
'Compagnies du Congo pour le Commerce et l'Industrie', it distances itself from the Congo Free
State. Thus, in analysing the editorial contents of the paper and the personality of its founder,
A.J. Wauters, it becomes clear that this paper represents an essential document on the first thirty
years of Belgium involvement in the Congo. Furthermore, its level of specialisation and
regularity of publication means that there is no real equivalent in any other colonising country.
AUTEUR
HENRI NICOLAI
Laboratoire de Géographie Humaine – Université Libre de Bruxelles – Belgique
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2 Que pensait-on généralement du Congo en France ? Sans doute ce qui se pouvait lire
dans Le journal des Voyages, dont le titre était apparu en 1877, et où les adolescents qui
trouvaient trop mièvres les publications pour enfants sages qui leur étaient alors
destinées, allaient chercher de pleines brassées d'aventureuses émotions. Pierre
Versins a dressé en une phrase – assez longue il est vrai – le portrait de cet étonnant
hebdomadaire : "Raciste, sadique, chauvin, crédule jusqu'à l'imbécilité, flattant les
pires instincts de la Bête, faisant de l'image (ô les couvertures de Castelli, et les doubles
pages centrales suant la haine et la cruauté !) le support même du subconscient de
l'homme asservi par sa merde intérieure, bref, tout pour plaire, mais merveilleux par
l'imagination et riche de presque tout ce que la littérature populaire pouvait offrir à
l'époque, Le journal des Voyages et des Aventures de Terre et de Mer est peut-être le seul
périodique au monde à avoir écrasé trois-quarts de siècle de sa magnificence un peu
sulfureuse"4. Un jugement excessif dans la réprobation autant que dans l'éloge : mais
l'hebdomadaire comportait à la fois une partie littéraire où les meilleurs épigones de
Jules Verne se retrouvaient, offrant d'imaginatifs récits d'anticipation ou d'aventureuse
exploration, et une partie documentaire, celle qui va retenir notre attention ici, bien
qu'elle ne soit pas toujours la mieux informée. "Louis Boussenard, nous rappelle Denise
Escarpit, après avoir longtemps collaboré au Journal des Voyages dans lequel il écrit des
reportages de pays qu'il n'a jamais visités (...) se met à voyager et publie des romans
dont l'arrière-plan est constitué par les pays qu'il connaît..." 5. Qu'importe d'ailleurs aux
jeunes lecteurs qui se passionnent pour cette publication moins agressivement
pédagogique que le Magasin d'Education et de Récréation d'Hetzel, mais qui tout de même
peut être avantageusement montrée aux parents : on y apprend des choses.
3 Boussenard, dans Voyages et Aventures de Mlle Friquette, nous décrit l'enthousiasme de
son héroïne : "Trois sous par semaine, qu'elle portait d'une traite à la marchande de
journaux, en lui disant d'une voix émue : Le Journal des Voyages, s'il vous plait madame.
Car Mademoiselle Lili ne pouvait plus attendre la mise en volume des histoires (...). Elle
voulait les avoir de suite encore toutes chaudes, des presses de l'imprimerie...".
4 La vision du monde qu'elle peut en retirer, nous le voyons avec le recul, est
singulièrement faussée, mais répond sans doute, à cette époque, au sens commun. D'où
l'intérêt d'y aller voir.
5 Nous disposions des numéros compris entre le 9 octobre 1904 et le 26 avril 1908, nous y
avons cherché ce qui se rapportait à l'Etat libre du Congo. Quantitativement plutôt
maigre, notre moisson nous semble refléter assez bien l'orientation générale du Journal
des Voyages : hors du monde des hommes blancs, on ne trouve guère que de drôles de
gens, ayant de drôles de moeurs, des sauvages, puisqu'il faut les appeler par leur nom,
en tout cas des inférieurs, et qu'il est fort urgent d'aller civiliser.
6 Sur le territoire du Congo, la bizarrerie physique est celle surtout des pygmées "si
étranges que l'on a peine à croire à leur existence". Il y a les Batoua, il y a les
Mamboutti, ces derniers découverts par Stanley et largement décrits dans le N° 446 du
18 juin 1905 : "La tribu mamboutti, composée de personnages d'un mètre ou à peine
davantage, semble la moins sauvage des familles naines. Tandis que les Batoua sont
affreux, trapus, très velus, presque noirs et semblables de loin à de petits gorilles, les
Mamboutti ont la peau jaune clair, le front découvert, les yeux beaux et grands, l'air
franc". Mais gare à leurs flèches empoisonnées : "l'homme ou la bête atteints (...) sont
perdus". Or les Mamboutti, "se considérant comme les ennemis de leurs voisins (...)
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153
n'attendent pas toujours d'en être attaqués : au contraire, ils les provoquent souvent,
par la rapine et les pillages organisés".
7 Les "sauvages" que la nature n'a pas créés petits ou laids peuvent se rendre d'eux-
mêmes affreux ; ainsi de la négresse à plateau katangaise dont la photo figure dans le
N° 558 du 11 août 1907 : "Les lignes du menton ont disparu ; le nez semble s'être élargi,
les joues se sont creusées : la défiguration est complète ! Et le crâne, rasé de près, ajoute
à la laideur de notre Vénus congolaise. Nous aimons à espérer que cette barbare
pratique disparaîtra avant peu du Congo".
8 Il y a pire. Dans le N° 475 du 7 janvier 1906, on décrit la façon de se débarrasser des
Ancêtres encombrants : "Quand un vieillard est devenu impotent, sa famille lui
administre un narcotique, puis le coud dans un sac fait avec des peaux d'antilope, et le
transporte à bonne distance du village, pour le déposer sous les buissons non loin d'un
sentier. Le premier indigène qui passe feint de prendre le ballot pour une antilope et le
perce de sa sagaie. Les parents, qui se tenaient cachés non loin de là, accourent en
poussant des cris, et tous ces braves gens, y compris le meurtrier, déplorent le fatal
'accident' et se lamentent sur la 'mort prématurée' du vieillard".
9 Il y a pire. Il y a les anthropophages, tels ceux qui mangèrent l'explorateur Hodister. Ce
dernier souffrit "toutes les tortures morales et physiques. Un de ses tourmenteurs à
face de gorille, plus fort et plus raffiné que les autres, imagina joyeusement de lui
couper d'abord les deux mains et les deux pieds que l'on fît immédiatement griller sur
un brasier préparé à cet effet en face du supplicié. L'invitant ensuite à partager son
ignoble repas, le même anthropopithèque, à l'aide d'une baguette de bois pointue et
durcie au feu, lui introduisit de force dans la bouche des lambeaux brûlants de sa
propre chair (...) l'explorateur Hodister mourut, comme le loup de Vigny, sans un cri,
sans un mot. Sa dernière pensée fut pour la Belgique, sa patrie. Peut-être qu'en ce
nouveau calvaire il pardonna aussi à ces bourreaux inconscients qu'il s'était proposé,
comme tant d'autres, d'instruire et d'arracher à la barbarie". Cet atroce récit, titré
Mangé vivant ! remplit trois pages du N° 591 du 29 mars 1908, trois pages dont la Une,
toute consacrée à un dessin représentant le supplice.
10 On le voit, Le Journal des Voyages s'adresse à des lecteurs avides de sensations fortes.
11 Les 8 et 15 avril 1906, il va donc consacrer une partie importante de sa surface, et
chaque fois ses deux pages centrales illustrées de dessins, à un article intitulé Le Pays du
Caoutchouc rouge, "rouge du sang des malheureux indigènes qui devaient le fournir aux
Européens !"6. Les informations sont présentées avec beaucoup de précautions, bien
que le titre – sensationnel semble indiquer clairement l'orientation du texte.
L'hebdomadaire prend d'abord ses distances vis-à-vis des accusations anglaises : "Les
documents que nous analysons et les illustrations que nous reproduisons viennent
d'outre-Manche. C'est sous cette réserve que nous les enregistrons ici, et nous ne nous
rendons pas juges des accusations que nous ne pouvons cependant passer sous silence".
Mais "une commission d'enquête envoyée de Bruxelles a reconnu la réalité de
quelques-uns (sic) et la défectuosité du système qui les a produites" et son rapport est
rempli de faits qui, comme les témoignages produits par les Anglais, "donnent
l'impression d'un spectacle d'horreur". Ce sont quasi essentiellement les documents
fournis par la Commission que l'article, signé René Thierry, va citer, ce sont les
témoignages recueillis par la commission qui vont faire l'objet d'illustrations dont les
légendes sont significatives : "Quatre solides gaillards empoignaient le délinquant et
l'étendaient à terre, un cinquième, armé de la chicotte, lui administrait une sanglante
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154
fouettée" ; "Ils avaient vu tuer leurs parents sous leurs yeux" ; "Lomboto amena au
bateau la malheureuse femme Boachi à laquelle les soldats avaient coupé le pied pour
s'emparer de l'anneau qu'elle portait" ; "L'un des soldats indigènes avait saisi un enfant
et lui avait brisé la tête sur un tronc d'arbre" ; "Après avoir assassiné le chef Isékéfasou,
les soldats se précipitèrent sur les femmes et les enfants et les égorgèrent"...
12 Il y a donc une étrange contradiction entre le début du texte, annonçant qu'il faut se
méfier des témoignages évoqués, parce qu'ils sont anglais, et le corps de l'article qui se
rapporte quasi exclusivement à ce qu'a, semble-t-il, authentifié la Commission
d'Enquête, et que confirmeront finalement "une série de décrets du roi-souverain" qui
a introduit "d'importantes réformes dans l'administration congolaise", réformes visant
manifestement à éliminer les abus. Comme cela n'offre pas au lecteur les horribles
sensations qu'il attend, cette information, le 4 novembre 1906, n'occupe qu'un
entrefilet dans le supplément du journal, Sur Terre et sur mer – le mois géographique, tout
comme l'annonce, le 2 décembre de la même année, de la création d'une école de
médecine tropicale à Bruxelles.
13 Au moins les réformes permettent-elles de parler des excès au passé. Dans le N° 570 du
3 novembre 1907, un article illustré, titré Du caoutchouc ou des otages, évoque le régime
auquel avaient été soumis les Africains : "A la traite avait succédé l'abus du travail forcé
imposé aux indigènes. C'est au Congo surtout que cette barbare habitude était
implantée (...). Il y eut des choses pires. Le Journal des Voyages les a déjà dites, et il a
enregistré ici, en essayant d'en atténuer l'exagération, le long cri d'horreur soulevé
notamment en Angleterre par les lugubres récits de pillages et de répressions
sanglantes...". Il reste aujourd'hui le "système des otages qui choque moins le
sentiment des civilisés que celui des mains coupées et des exécutions sommaires (mais
qui) est encore excessif pour l'humanité d'aujourd'hui" : des chefs de famille étaient
détenus jusqu'à ce que des quantités suffisantes de caoutchouc aient été fournies.
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155
"Rendons cette justice à nos voisins les Belges qu'ils mettent tout en oeuvre pour
mettre fin à cette forme nouvelle de traite...".
14 D'ailleurs, lit-on dans un article paru dans le N° 561 du 1er septembre 1907, "nous nous
sommes bien gardés de nous mêler" à la campagne critiquant l'administration de l'Etat
indépendant du Congo. "C'est surtout dans le domaine de la politique coloniale que les
bons conseilleurs ne sont pas les meilleurs payeurs !". Evidemment, "il est
incontestable que le nègre qui n'a pas encore eu un long contact avec la civilisation est
(règle générale qui comporte assurément des exceptions) un grand enfant qu'il
convient de mener sévèrement. Quelques mots sur les photos inédites reproduites sur
cette page feront mieux comprendre notre pensée, qui n'a rien de malveillant envers la
race africaine". L'article, intitulé Le Service pénitentiaire an Congo, est illustré par une
image montrant une administration de chicotte : mais "qui prétendra que l'Angleterre,
que les Etats-Unis sont des pays sauvages ? Or, on fouette les malfaiteurs en Angleterre.
Et on les fouette aussi aux Etats-Unis...". Une autre photo montre deux hommes
enchaînés. "Certes, notre sensibilité souffre de voir ces deux malheureux ainsi traités.
Mais que dirions-nous, si nous les voyions enfermés dans un cachot étroit, privés d'air
et de lumière, comme cela se pratique trop souvent dans les colonies anglaises de
l'Afrique (...). Bien qu'enchaînés pour un simple délit, ces deux noirs peuvent encore
profiter de l'air et de la lumière". Une troisième photographie montre deux femmes,
nues et chargées de chaînes, otages gardées jusqu'au moment où leurs maris, qui
refusaient de travailler, reviendront à leur tâche. "Le moyen réussit (...). Que la nation
coloniale exempte de tout péché aussi léger jette aux Belges la première pierre !"
15 Une ligne éditoriale cohérente se dégage finalement de ce qui semble par moment
hésitant, voire contradictoire. Commercialement, le Journal des Voyages exploite le goût
du public pour ces "horribles détails" qui ont fait longtemps le succès des feuilles
occasionnelles, des "canards", tués par la presse populaire dans la seconde moitié du
dix-neuvième siècle ; politiquement, cet étalage de curiosités, qui va de l'affreux au
ridicule, sert à démontrer l'infantilisme de populations qu'il convient donc d'éduquer,
s'il le faut contre son gré, s'il le faut par la force. On relativise donc les manières un peu
brutales, on les justifie.
16 Au moins convient-il que les colonisateurs ne partagent pas la cruauté des indigènes
qu'ils civilisent. "Même quand nos troupes doivent employer la force contre les
indigènes, elles ne se départissent point des règles d'humanité et l'effusion de sang est
toujours aussi limitée que possible, lit-on dans le N° 429 du 19 février 1905 ; c'est la
raison pour laquelle, après la collision, les vaincus indigènes deviennent toujours nos
amis. Les Allemands n'agissent pas ainsi...". Les peuples n'ont pas tous les qualités de
coeur françaises. Les excès de certains sont cependant gênants dans la mesure où ils
risquent de jeter le discrédit sur l'ensemble de l'oeuvre coloniale : or il n'est pas
toujours possible de les taire.
17 Ainsi les exactions commises dans le pays du caoutchouc rouge ne peuvent être
dissimulées : la campagne menée par l'Angleterre a été trop bruyante. Il serait
d'ailleurs regrettable de ne pas exploiter des illustrations et des documents qui flattent
le goût sadique de nombreux lecteurs. Il convient donc de manifester pour une fois de
l'esprit critique et d'émettre quelques réserves. Jusqu'au moment où l'on pourra enfin
parler de ces crimes au passé et conclure leur rappel par une note optimiste : "Sans se
laisser émouvoir par les protestations de leurs adversaires d'outre-Manche, les Belges
sauront donner aux noirs du Congo un régime de travail qui respecte leur liberté et
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leurs droits (...). On ne verra plus (...) de longues caravanes de malheureux (...) porter
un tribut à l'homme blanc, souvent aussi détesté et toujours redouté par ces humanités
inférieures que le négrier ou le conquérant" (3 novembre 1907).
18 Etre redouté, c'était prudent, mais les civilisateurs européens voulaient aussi que
l'homme blanc soit aimé par ces "sauvages", ces "barbares", ces "humanités
inférieures", voire ces "anthropopithèques". De ce point de vue, l'action des agents de
Léopold II au Congo avait mauvais genre, les nouvelles la concernant faisaient le plus
détestable effet sur les opinions publiques : il était d'abord important de les relativiser,
urgent ensuite d'annoncer que tout était rentré dans le bon ordre colonial...
NOTES
1. Tarzan, le Seigneur de la Jungle, Paris, Edition Spéciale, 1970, traduction française, p. 178.
2. Jacques Baudou et Paul Gayot, Sherlock Holmes Memorial, Paris, Clancier-Guénaud, 1982, p. 10.
3. Paris, Robert Laffont, 1958, traduction française, p. 323.
4. Encyclopédie de l'Utopie et de la Science fiction, Lausanne, l'Age d'Homme, 2 e édition, 1984, p. 477.
5. La Littérature d'Enfance et de Jeunesse, Paris, PUF, Que sais-je, N° 1881, 1981, pp. 86-87.
6. N° 488, pp. 319 à 321 ; N° 489, p. 335 à 338.
RÉSUMÉS
The study of literature written for the working classes highlights the common stereotypes
existing at a given point in time, notably on African populations. On the basis of texts published
between 1904 and 1908 in "Le Journal des Voyages", it can be proven to what extent the image
imposed of the Congolese is generally awful or ridiculous. This period corresponds to the time
when accusations were made by Great Britain on the way in which the collection of rubber was
carried out for Leopold II's officials. "Le Journal" adopts an ambiguous attitude : the treatment of
information is sensational (the public's taste for horrible details is flattered) and their comments
are nuanced (it does not aim to contribute to an overall criticism of colonial activities).
AUTEUR
GABRIEL THOVERON
Faculté de Philosophie et Lettres – Université Libre de Bruxelles – Belgique
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Introduction
1 Confronté à des difficultés financières et convaincu de l'idée qu'une colonie doit être
rentable pour sa mère-patrie1, Léopold II prend, à partir de 1892, une série de mesures
destinées à lui procurer de l'argent, c'est-à-dire à rentabiliser le Congo. Certaines
régions sont déclarées "domaine privé" de l'Etat. Les bassins de l'Ubangi, du Mbomu et
de l'Uele, les bassins de la Mongala, de l'Itimbiri et de l'Aruwimi, les bassins des rivières
Lopori et Maringa ainsi que les régions de Busira et la Tchwapa sont constitués en
domaine privé2. L'exploitation du caoutchouc par des particuliers dans ce domaine
privé n'est pas autorisée. Une partie des territoires précités sera cependant concédée
aux sociétés "privées". La Société Anversoise pour le Commerce au Congo
("l'Anversoise") recevra le bassin de la Mongala, tandis que l'Anglo-Belgium India
Rubber ("l'Abir") aura le bassin de la Lopori-Maringa3.
2 En 1896, les bassins de la Busira et de la Momboyo, les bassins du lac Léopold II et de la
Lukenie sont érigés en Domaine de la Couronne4. Domaine privé ou domaine de la
Couronne, l'exploitation du caoutchouc dans ces territoires est faite par les agents de
l'Etat Indépendant du Congo.
3 Les témoignages des missionnaires protestants américains, suédois et anglais, le
rapport du consul britannique Roger Casement et de nombreux articles de la Congo
Reform Association de E.D. Morel ont révélé les conditions de travail très dures et quasi
inhumaines des populations dans le Domaine de la Couronne. Ils ont révélé également
que des atrocités avaient été commises par les agents de l'Etat 5. Cependant on ne s'est
jamais fait une idée claire sur les conditions de travail des populations vivant dans un
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territoire comme Banzyville. Notons que ce dernier territoire, bien que ne faisant pas
directement partie du Domaine de la Couronne, était malgré tout exploité directement
par l'Etat.
4 Notre étude se propose d'apporter une modeste contribution destinée à éclairer cette
page d'histoire de l'Etat Indépendant du Congo dans le territoire de Banzyville. Elle se
base sur les rapports politiques totalement inédits de 1902 à 1908. Ce document est
conservé dans les Archives des Pères Capucins à Anvers. L'étude sera axée sur deux
points : l'exploitation du caoutchouc et les conséquences qui en ont résulté.
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159
9 L'année 1900 est consacrée à l'enseignement à chaque village des procédés de la récolte
du caoutchouc. Les Ngbandi, qui sont déjà au courant du travail du caoutchouc, ont
essayé, mais en vain, de persuader Louis Royaux de l'inexistence de lianes et arbres à
caoutchouc dans leurs forêts. "Tous mes braves gens, écrit Royaux, n'ignorent point les
conséquences futures de cette nouvelle décision de Boula Matari. L'écho trop souvent
tragique de ce qui se passe dans la Mongala n'est pas pour les rassurer" 14.
10 Le lieutenant Louis Royaux quitte Banzyville le premier février 1901. Il y est remplacé
par le lieutenant Rodolphe Arnold15. Ce dernier a une réputation semblable à celle de
Léon Fiévez, commissaire du district de l'Equateur. Le lieutenant Arnold était chef de
poste d'Ekuta, dans le Sud- Ubangi, où il était chargé de la récolte du caoutchouc. En
janvier 1901, il avait attaqué le village Kanda (Mbanza) qui, disait-il, avait refusé de
récolter du caoutchouc. Deux cents personnes avaient été tuées. Cette opération lui
avait valu un simple blâme16. Sa mutation pour le poste de Banzyville était la sanction
suprême. Dans le poste de Banzyville, Rodolphe Arnold est de nouveau chargé de la
récolte du caoutchouc. Il laisse des souvenirs très amers dans la région. Durant une
période de deux ans et dix mois qu'il a passé dans le territoire, Arnold s'est occupé de la
récolte du caoutchouc avec des méthodes inhumaines. Il a été surnommé "Zebayi",
c'est-à-dire le léopard de Mobayi. Ce surnom traduit la manière dont le Lieutenant
Arnold traquait dans la forêt les réfractaires aux impositions 17.
11 Rodolphe Arnold est remplacé en août 1903 par un Italien, le capitaine Giovanni Aiuti 18,
après une courte période intérimaire du capitaine Jacques Saubert 19. Le capitaine Aiuti
s'occupe comme Arnold de la récolte du caoutchouc jusqu'en juin 1905 avec des moyens
très durs. Il quitte le poste en juin 1905. Il y est remplacé par un autre Italien, le
capitaine Biboloni. Celui-ci doit céder sa place au capitaine Dubreucq 20, après treize
mois de travail. Le capitaine Biboloni commande le territoire de septembre 1906 à
juillet 1908, avant de céder à nouveau le commandement au capitaine Jacques Saubert
durant les quelques mois qui précèdent l'annexion du Congo par la Belgique.
12 Chacun des officiers cités ci-dessus a essayé, en ce qui le concerne, d'obtenir des
populations la plus grande production possible de caoutchouc. En effet, pour activer la
production, des avantages étaient accordés aux officiers et agents de l'Etat (systèmes de
primes de dix pour cent ou d'avancement de grades)21. Aux avantages matériels
s'ajoutaient les injonctions de Bruxelles réclamant toujours du caoutchouc et
davantage de caoutchouc. Les officiers et agents de l'Etat étaient invités à ne rien
négliger pour procurer de grandes quantités de ce produit à l'Etat 22. C'est l'engrenage
du système léopoldien23. Les officiers et agents de l'Etat, motivés par les primes et
excités par les ordres pressants de Bruxelles, se livrent alors à des brutalités sur les
populations pour obtenir d'elles la plus grande production possible.
13 Le chiffre de la production du caoutchouc manque pour les deux premières années
c'est-à-dire de 1900 à 1901 ; par contre, du 1er janvier 1902 au 31 décembre 1908, il a été
récolté au poste de Banzyville 152.646 kilos de caoutchouc24, soit une moyenne de
21.806 kilos par an. Cette production, peut-on dire, est insignifiante par rapport à celle
de la Mongala, qui atteignait par moment 60.000 kilos par mois 25. Il faut noter que la
situation du poste de Banzyville est particulière. Plus de la moitié du territoire est
couverte par la savane ; la forêt n'occupe qu'une étroite bande ne dépassant pas vingt
kilomètres de profondeur au Sud-Ouest de Banzyville. C'est dans cette forêt que tous les
récolteurs doivent se rendre. Il en résulte des difficultés énormes pour eux de satisfaire
à ces impositions.
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160
14 En 1904, la forêt précitée est épuisée. En effet, comme le souligne R. Vaquier, la récolte
provenait de caoutchouc d'herbes (rhizomes) et de lianes, plantes sauvages dont
l'indigène, travaillant à son compte sans surveillance, obtenait le latex par coupe et
arrachages abusifs, détruisant les plantes et obligeant à aller de plus en plus loin pour
en trouver26. L'épuisement de la "forêt des Kawele" amène le commissaire du district, le
commandant Bertrand, à décider l'envoi du chef Yendani et son groupe pour récolter
du caoutchouc dans la forêt des Nzale. Ces derniers dépendent de l'administration de
Yakoma ; 19 récolteurs Basa sont massacrés27. Devant la révolte des Nzale, le
commissaire de district dirige tous les récolteurs de Banzyville dans la seule et unique
forêt qui renfermait encore des arbres et lianes à caoutchouc et qui se trouvait à
l'extrême Sud-Ouest du poste de Banzyville, entre les rivières Ngoko et Lua-Vindu.
Cette forêt est peuplée de Mbanza, de Ngbaka et de Ngombe, ce qui entraîne également
des guerres entre les Ngbandi et les groupes précités28.
15 A partir de la deuxième moitié de 1904, la forêt de Lua-Vindu qui n'était pas grande –
elle était limitée au sud par le domaine de l'Anversoise – doit accueillir journellement
une moyenne de 1.000 récolteurs, ce qui entraîne son épuisement total en 1907. Les
imposés ne parvenaient plus à s'acquitter de leurs obligations et ils se plaignaient
amèrement. En mai 1907, le capitaine Dubreucq décide de s'y rendre en personne pour
vérifier si les plaintes des récolteurs sont fondées. Voici ce qu'il écrit : "Grâce aux
indigènes qui m'accompagnaient, j'ai pu me rendre compte de l'impossibilité absolue
où se trouvent mes récolteurs de fournir la totalité de leurs impositions. Les irehs sont
devenus rares et tout ce qui subsiste encore sont épuisés par de trop nombreuses
saignées"29.
16 L'organisation du travail était la suivante : un tiers de chaque village récolteur partait
dans la forêt le 1er mars, le deuxième tiers suivait le 1 er mai et le troisième partait le 1 er
juillet. Le tiers parti le 1er mars rentrait fin avril ; celui parti le 1 er mai retournait fin
juin. Le troisième tiers, partant le 1er juillet, rentrait fin août. Le premier tiers repartira
le 1er septembre et ainsi de suite 30. L'organisation était conçue de telle manière que
chaque homme travaillait deux cent vingt quatre heures tous les six mois, c'est-à-dire
environ trente six heures par mois. Ce qui était loin d'être le cas. En effet, le nombre
très élevé de récolteurs (en moyenne 1.000 personnes) qui se rendaient dans la forêt de
Kawele et dans celle de Lua-Vindu, peu étendues et moins riches en arbres et lianes à
caoutchouc, faisait qu'un kilo de latex était obtenu au prix de plusieurs journées de
travail. Catherine Coquery-Vidrovitch souligne à ce propos qu'en 1911, au Congo
français, il fallait, pour faire un kilo de caoutchouc, trente-huit heures au moins, soit
quatre journées de travail à un ouvrier habile et minutieux travaillant sans relâche sur
des lianes riches et situées à proximité du village31. Dans le rapport précité, le capitaine
Dubreucq fait remarquer au Commissaire de district que le lieu de la récolte du
caoutchouc est très éloigné du poste de Banzyville. "En prenant Banzyville même
comme point de départ, il faut dix jours à l'aller, dix jours au retour, et huit pour
récolter 6 à 10 kilos de caoutchouc"32. Les trente-six par mois ne correspondaient
nullement à la réalité.
17 Lorsqu'un village ne parvient pas à satisfaire ses obligations ou comme l'écrit Arnold,
lorsqu'il vient à "se relâcher" au point de vue de la fourniture du caoutchouc, de vivres
ou d'autres prestations, on organise "une visite" d'un détachement de police pour le
mettre à la raison. Les visites militaires, promenades militaires... sont très nombreuses
du temps du lieutenant Arnold et du capitaine Aiuti. Il est difficile de les reprendre
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toutes ici. Nous en donnons quatre ou cinq en guise d'illustration des atrocités
commises par des officiers de l'Etat Indépendant du Congo chargés de la récolte du
caoutchouc33.
18 En janvier 1901, les Ndekere et les Vote se révoltent ; ils massacrent quatre soldats
(sentinelles) de la Force Publique. En guise de représailles, on décide une opération
militaire combinée des détachements de Banzyville commandés par Louis Royaux et de
Yakoma conduits par Auguste Gérard. Les forces de l'Etat, comprenant 98 hommes,
attaquent le 2 février les villages cités ci-dessus et les occupent pendant 6 semaines. Le
chef Kutene des Ndekere est tué et les Vote, à quelques exceptions près, s'enfuient sur
la rive droite de l'Ubangi, en territoire français34.
19 L'année suivante, le lieutenant Arnold, qui a succédé au poste de Banzyville à Louis
Royaux, revient chez les Vote et les Ndekere. A la tête de 40 soldats, il attaque ces
populations qui, après quelques escarmouches, "durs combats" selon Arnold, se
réfugient dans les collines de Kota-Koli. Zebayi (c'est ici que Arnold reçut son surnom)
les y poursuit. "A la fin les vivres leur manquaient ; quelques uns de leurs hommes
furent tués et beaucoup fait prisonniers. Lorsque j'eus fait assez grand nombre de
prisonniers, je partis avec eux, et j'allai camper à l'ancien village Yigbo, en attendant la
reddition des chefs. De nombreuses patrouilles circulaient dans les plantations pour
empêcher les indigènes de venir y chercher des vivres"35. Contraints par la faim et les
souffrances, le 5 mars, le chef Vote vient se livrer en compagnie de quelques notables ;
quelques jours après, le chef Ndekere vient également faire sa soumission. Les Vote et
les Ndekere sont sommés de payer leurs impositions et "les nombreux arriérés dus
après un si long chômage"36. Il y a eu par la suite d'autres expéditions punitives contre
les Vote et les Ndekere. Ces derniers ne se sont jamais complètement soumis avant
1908.
20 Des expéditions militaires ont été également dirigées contre les récolteurs à l'ouest de
Banzyville. Le 11, 12 et 13 juin 1902, le lieutenant Arnold attaque le village Lite de
Gbado accusé d'un "grand laisser-aller" dans la récolte du caoutchouc. "Ils ne viennent
au poste qu'avec une faible partie de leur imposition, et encore ne l'apportent-ils que
quelques jours après la date qui leur est fixée". Le chef Oko est accusé de se montrer
indocile. "Imposé pour 8 paniers de 35 kilos, il en apporte un ou deux, et son
caoutchouc est de mauvaise qualité et plein de matière étrangère". Lors de cette
opération, écrit Arnold, plusieurs coups de feu ont été tirés37. Les autres chefs Lite,
effrayés par les massacres, viennent faire leur soumission.
21 Le 29 janvier 1904, le capitaine Aiuti, à la tête d'une force comprenant 21 soldats, deux
caporaux et 55 pistonniers attaque le village Gbandu, village Mbanda à l'ouest de
Banzyville. On reproche aux habitants d'avoir, lors du défrichement de leurs champs,
coupé des arbres à caoutchouc. L'opération fait de très nombreuses victimes, comme en
témoigne le passage suivant de l'officier de la Force Publique lui-même. "Dans ma visite
au village, je trouvais 30 morts. Il doit y avoir eu bien des blessés, les traces de sang
relevées sur les sentiers étaient considérables. La porte d'entrée était barricadée
comme celle d'en-bas, et près d'elles, mêmes trophées de crânes humains" 38.
L'opération avait fait au total près de 60 morts, sans compter des blessés.
22 Le 7 mars 1904, le commissaire de district Bertrand arrive à Banzyville. Il donne ordre
au capitaine Aiuti de diriger une opération de représailles contre les Nzale qui avaient
tué 19 récolteurs Basa. Le capitaine Aiuti quitte Banzyville le 13 mars avec 96 soldats
pour une opération de guerre contre les Nzale. Plusieurs personnes sont tuées 39.
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indigènes mènent une vie de paresse qui leur plaît bien. Ils ne travaillent pas ou
presque pas, on n'exige d'eux aucun travail. Naturellement, cette vie sourit à nos
administrés, et au premier travail qu'on exige d'eux, ils passent la frontière" 44.
29 Mais l'exploitation du caoutchouc a surtout favorisé le développement de la maladie du
sommeil, cause première de l'extermination de villages entiers. Accablés par des
impositions, des hommes essaient de se sauver dans la forêt, mais ils ne peuvent résiter
à de dures conditions de vie loin de leurs villages et de leurs champs. La propagation de
la maladie du sommeil à partir de 1905 est rendue facile dans une population se
nourrissant mal, affaiblie moralement et physiquement45. Il est significatif de constater
que la maladie du sommeil a surtout fait des ravages dans les régions autour du poste,
dans les villages récolteurs suivants : Basa, Vote, Dondo et Ndekere à l'est ; Ngonda et
Lite à l'ouest ; par contre les Mbanza à l'ouest des Lite, qui étaient moins imposés,
n'étaient que très peu touchés par cette maladie.
Conséquences politiques
30 L'exploitation du caoutchouc a ébranlé partout l'unité des villages, soit par la mort du
chef de village lors des représailles militaires, soit par sa fuite, ce qui entraînait la
dispersion des habitants. Cette situation a permis à certains individus des clans cadets,
voire des étrangers au village, de revendiquer le pouvoir, dans bien des cas avec la
bénédiction du Blanc. Les difficultés résultant de ce changement subsistent encore de
nos jours dans de nombreux groupements.
Conséquences économiques
31 Les impôts en caoutchouc, en vivres, en pagayages... ont fait disparaître les marchés.
Les riverains Sango, Gbanziri, etc. sont obligés de livrer leur poisson au poste. Dans les
villages de l'intérieur, les champs sont continuellement détruits par d'incessantes
expéditions punitives et des occupations militaires qui en sont les corollaires.
L'occupation durait parfois jusqu'à six semaines. Des villages comme Vote, Ndekere et
Lite connaissaient deux à trois occupations par an. Pendant l'occupation, soldats et
officiers blancs vivaient sur les villages grâce à un régime de pillage systématique : vol
de poules, canards, chèvres et moutons. Bref, l'occupation était pour un village plus
dévastratrice qu'une nuée de sauterelles46. Les récolteurs sont supposés se trouver en
forêt vingt six jours sur trente, manquant ainsi de temps pour leur champ. En 1902, le
lieutenant Arnold accorde deux mois de repos à tous les imposés pour leurs besognes
(défrichement des champs, réparation des maisons...). Les travaux des champs
impliquant le défrichement, l'abattage des arbres, le brûlis et le semis, les deux mois
accordés pour ce travail sont insuffisants. Les femmes sont réduites à cultiver deux à
trois ans de suite le même champ, ce qui entraîne la diminution de la productivité.
Conséquences sociales
32 La longue absence des récolteurs a pour effet de les priver de leur femmes mais surtout
de les remplacer par les soldats, "des sentinelles". Ces soldats n'hésitent pas à tuer le
mari qui ose faire une quelconque réclamation. La présence continuelle des soldats
dans les villages et la fréquentation du poste par des femmes, soit pour livrer des
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vivres, soit pour faire des travaux, a pour conséquence la propagation des maladies
vénériennes, notamment de la syphilis... La transmission de ces maladies par les
femmes à leurs maris est le résultat de l'adultère autrefois sévèrement sanctionné par
la société.
Conclusion
33 L'analyse des rapports politiques de Banzyville a apporté un témoignage très
intéressant sur la période léopoldienne, période du reste très critiquée. On sait que des
atrocités ont été commises par les agents des sociétés à Charte, l'Anversoise et l'Abir,
mais aussi ceux de l'Etat Indépendant du Congo. Les informations détenues ne
concernent jusqu'à présent que le bassin de la Mongala exploité par l'Anversoise, le
bassin de Lopori-Maringa exploité par l'Abir et les bassins du Lac Léopold II et de la
Lukenie exploité par l'Etat lui- même.
34 Au poste de Banzyville, à cause de son isolement, les conditions de travail des
populations sont restées jusqu'alors inconnues. L'analyse des rapports politiques de
Banzyville a révélé que les populations, livrées aux seules caprices des agents de l'Etat,
ont travaillé partout dans des conditions inhumaines. Les révoltes ont été nombreuses ;
ces révoltes ont provoqué des représailles militaires faisant de nombreuses victimes.
35 L'histoire de l'exploitation du caoutchouc dans le territoire de Banzyville peut être
résumée dans cette réponse de Louis Royaux à Basile Tanghe qui lui demandait des
renseignements sur son séjour dans l'Ubangi : "Décrire dans ses détails la vie que je
qualifierai d'épouvantable qu'il me fallut mener en 1898, 1899, 1900 et 1901 et jusqu'en
février 1902, n'est guère possible ! Il y aurait matière à faire un livre, somme toute fort
peu intéressant en raisons des pages bien tristes dont il devrait être émaillé" 47.
NOTES
1. STENGERS, J. (1977), "Combien le Congo a-t-il coûté à la Belgique ?", Ar, roy. des Sc. Col.,
Bruxelles, p. 146.
2. Cfr. Bulletin Officiel, 1892, p. 307.
3. Archives Africaines, Fonds IRCB (721) 61 Concessions accordées par l'Etat Indépendant du
Congo.
4. Cfr. Bulletin Officiel, mai-juin 1902, p. 151. Cfr. également J. STENGERS, op.cit., p. 152.
5. VANGROENWEGHE D., (1986), "Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo", Hatier,
Bruxelles, p. 17.
6. Cfr. lettre du 6 octobre 1932 de Louis Royaux à Basile Tanghe, Archives des Capucins Belges,
ACB, III. Ubangi. 1. Correspondances.
7. COOSEMANS, M., Royaux (Louis-Joseph) (28.11.1866-7.8.1936), dans Biographie Coloniale
Belge, t. III, Bruxelles, 1952, col. 756-758.
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38. AIUTI G., Rapport politique du mois de janvier 1904. Cfr. A.C.B. VI.83 (66). Rapports politiques
de Banzyville.
39. AIUTI G., Rapport politique du mois de janvier 1904.
40. Le Gouverneur Général Wahis est, selon Vangroenweghe, l'instigateur de la méthode de prise
d'otages. Cfr. VANGROENWEGHE, op.cit., p. 74.
41. ARNOLD R., Rapport politique du mois d'avril 1903.
42. Cfr. NGBOKUDE Selo, entrevue du 28 juin 1988 à Sokoro (Ndekere). Cfr également R. ARNOLD,
Rapport politique du mois de mars 1902.
43. Cfr. lettre du 7 mars 1906 du Gouverneur Général à A. Baert. Cfr. IRCB (722) 73.
Correspondances échangées entre Baert et Léopold II.
44. ARNOLD R., Rapport politique du mois de mars 1902.
45. Cfr. Rapport de la Commission d'enquête dans Bulletin Officiel, 1905, pp. 236-237. Cfr
également VANDERVELDE E., op.cit., p. 104.
46. VANDERVELDE E., op.cit., p. 98.
47. Cfr lettre du 6 octobre 1933 de L. Royaux à Tanghe. Arch. citées ci-dessus. Cfr également
ROYAUX, L., Souvenirs..., art.cit., p. 381.
RÉSUMÉS
According to Léopold II, the profitability of the Congro (Zaïre) was to be assured through the
exploitation of rubber. However, the harvest of this product was carried out with violence as
illustrated in the example of the Banzyville territory (Mobayi-Mbongo), far from the eyes of
protestant missionaries. This study, based on an unpublished document, shows the working
conditions of the population left both in the hands of and to the whims of officers of the "Etat
Indépendant du Congo". Between 1902 and 1908, the territory produced 156,646 kg of rubber.
This production was obtained at the cost of enormous brutality inflicted on the population.
Numerous revolts were cruelly put down. The principle figures in these atrocities were the
lieutenants Louis Royaux and Rodolphe Arnold as well as captain Ciovanni Aiuti. None of these
officers was taken to court. The exploitation of rubber has left the population of Banzyville still
nursing these painful memories.
AUTEUR
TE MOBUSA NGBWAPKWA
Université de Kinshasa – Kinshasa – République du Zaïre
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Le contrôle de la main-d’œuvre au
Burundi (fin XIXe siècle environ
1930)1
Tharcisse Nsabimana
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acquis après une victoire étaient des moyens d'attirer une nouvelle clientèle qui allait
contribuer à l'augmentation de la main-d'oeuvre.
22 La terre et la vache étaient ainsi des signes de richesse et des atouts pour exercer une
influence sociale. Comme le fait remarquer F. Marchi parlant du Rwanda : "De
nombreux troupeaux sont synonymes de puissance parce que le propriétaire peut se
créer par cessions contractuelles diverses une vaste clientèle d'abagaragu qui vit
autour de lui, cultive, travaille et exécute les corvées etc."11.
23 Le roi, les chefs et les gens ordinaires qui bénéficiaient du travail des autres
cherchèrent également à s'en assurer de façon permanente. Il fallait pour ce faire
contrôler la reproduction de la main-d'oeuvre. Le système de distribution de la terre et
du bétail joua encore une fois ce rôle.
24 Les descendants d'un client continuaient à accomplir les obligations de leur père à
l'égard de ces autorités. Il en était de même des descendants des clients des gens
ordinaires bien que dans ce dernier cas, il ait été plus facile de casser le contrat. Un
informateur nous parle d'une situation de ce genre qu'il a connue: "Cambu, grand-père
de Nyawenda, avait obtenu une propriété foncière de mon grand-père Rusongore.
Lorsque ce dernier décéda, Cambu continua à fournir des prestations à mon père. A la
mort de ce dernier, c'était mon tour d'en bénéficier"12. Ainsi de père en fils, plusieurs
générations étaient impliquées dans ce système de clientélisme foncier. Il en était de
même pour le Bugabire où on note que le fils et le petit-fils de quelqu'un qui
fournissait des prestations pour une vache reçue, continuaient à rendre les mêmes
services au donateur13. Rappelons que le contrat d'Ubugabire prenait fin avec la remise
d'Inyokorano (la génisse remise au patron). Il convient de noter l'importance sociale
de ce système à travers lequel des relations sociales agissantes étaient tissées entre les
deux partenaires.
25 Au niveau du ménage, le contrôle de la reproduction de la main-d'oeuvre pouvait être
fait par les parents. A la fin du XIXe siècle, l'unité de production était le ménage. La
main-d'oeuvre était essentiellement familiale. Pour survivre, le ménage devait se
reproduire biologiquement, c'est-à-dire avoir des enfants. Ceux-ci constituaient une
main-d'oeuvre non négligeable. La question qui se pose ici est de savoir si le mariage
des enfants (filles et garçons) était un moyen de reproduction de main-d'oeuvre ou de
perte de celle-ci pour les parents.
26 En retardant le mariage de leurs enfants, certains parents bénéficiaient plus longtemps
de leur travail. Théoriquement, ils pouvaient le faire en refusant de payer la dot pour
leurs fils. Celle-ci était sous forme de gros bétail ou de houes. Ces biens étaient difficiles
à acquérir sans l'aide des parents. De même, une fille ne pouvait épouser quelqu'un
sans l'accord des parents.
27 Le mariage des filles était effectivement considéré comme une perte de main-d'oeuvre,
et la dot comme une sorte de compensation. Cependant si les autres conditions pour le
mariage étaient réunies (âge, bons rapports entre les futures belles familles), les
parents ne pouvaient pas s'opposer au mariage de leurs filles sous prétexte qu'ils
perdraient une main-d'oeuvre. En réalité, elles n'étaient pas complétement perdues. De
temps à autre, les femmes mariées revenaient donner un coup de main à leurs parents.
Plus tard, elles leur envoyaient un ou deux enfants pour y résider pendant une période
plus ou moins longue afin de les aider. Comme le disait P. Harimenshi "par le mariage,
la femme va rejoindre la demeure de son mari... elle s'intègre dans le clan de son mari,
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mais elle n'y entre pas. Elle reste sous l'influence des membres de sa famille d'origine
qui sont d'ailleurs prêts à l'exercer chaque fois que l'occasion se présente" 14.
28 Théoriquement, les garçons restaient sous le contrôle de leurs parents, comme le
rapporte cet informateur : "Au mariage de mon fils, il devient un chef de ménage, mais
aussi longtemps que je suis vivant, je reste chef de l'exploitation (Nyene urugo). On ne
dit pas qu'on va chez mon fils, même s'il est marié et puissant. Même s'il a déjà trois
enfants, on continue à considérer le père comme chef d'exploitation" 15. Les fils déjà
mariés étaient socialement obligés d'aider leurs parents pendant les saisons de grands
travaux. Tout comme les filles, les fils envoyaient un ou deux enfants chez leurs parents
pour les aider. Les parents comptaient sur un fils et ses enfants, plus souvent, que sur
une fille.
29 Pour répondre à la question posée de savoir si les parents retardaient le mariage de
leurs enfants et s'ils avaient une raison quelconque de le faire, nous dirons que les
parents avaient les moyens de le faire, mais qu'il n'y avait aucun intérêt. Des cas rares
pouvaient se produire et ce à cause de l'égoïsme des parents ou d'une mésentente entre
ces derniers et les enfants.
30 Ces mécanismes d'accumulation et de contrôle de la reproduction de la main-d'oeuvre
ont survécu pendant la période coloniale, mais d'autres ont été également mis en place.
De nouveaux besoins sont apparus. Ainsi le pouvoir de décision en matière de gestion
de la main-d'oeuvre échappa au roi, aux chefs, voire même au responsable du ménage
en ce qui concerne la main-d'oeuvre familiale.
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and which prevented the African from making an effort that would transcend his desire
to produce only for his immediate or primordial needs"23.
43 Aussi l'administration coloniale prétendait qu'une grande main-d'oeuvre était capturée
par le roi, les chefs et les sous-chefs à travers le système de prestations. Elle décida
d'abolir ces dernières. En réalité, c'était pour libérer une main-d'oeuvre nécessaire à
l'agriculture commerciale et à d'autres corvées coloniales24. Les résultats obtenus n'ont
pas été ceux qui étaient attendus. Il y eut plutôt un mouvement d'émigration vers les
territoires britanniques : l'Uganda et le Tanganyika Territory 25.
44 Le manque de main-d'oeuvre était donc un problème sérieux aussi bien au niveau
national que familial. La question qui se pose est de savoir comment elle a été répartie
entre les travaux domestiques, l'agriculture et les obligations coloniales.
45 Le temps imparti aux travaux domestiques devint plus long. Les cultures diffusées dans
le cadre de la lutte contre les famines (le manioc, la patate douce et la pomme de terre)
exigeaient un temps plus long pour la préparation du terrain que pour les céréales et
les légumineuses. Voici ce que nous confie un des informateurs à propos de la diffusion
de la pomme de terre : "Personne ne sait comment ces pommes de terre furent
diffusées, d'où la semence est venue. Lorsque nous préparions le terrain pour le sorgho,
nous arrachions de très grosses tubercules et les jetions derrière nous. Les gens pauvres
venaient alors nous en demander, et nous leur en donnions. Nous ne savions qu'en
faire. Ils les cuisaient sans les éplucher, et lorsqu'ils les mangeaient, ils vomissaient
après un temps, ils apprirent à enlever l'écorce en les frottant les unes contre les autres
dans un panier. Finalement, ils surent comment les éplucher et elles devinrent un bon
aliment"26.
46 Apparemment, il a fallu également du temps pour que les gens s'habituent à la
préparation de la pomme de terre. L'opération elle-même, à savoir éplucher toutes les
pommes de terre nécessaires pour un repas, une à une, prenait beaucoup de temps.
47 Il en était de même pour le manioc. Celui-ci était de deux variétés, une amère et une
autre douce. La variété amère était la plus diffusée et la plus difficile à préparer. Elles
résistait aux maladies cryptogamiques et n'était pas recherchée par les animaux
prédateurs. L'administration coloniale considérait les difficultés de préparation du
manioc comme un obstacle à son adoption par la population 27. En effet, comme pour la
pomme de terre, apprendre la préparation de la variété amère a pris beaucoup de
temps. Voici ce que nous raconte un informateur à ce propos. "Ce sont les chefs et les
sous-chefs qui faisaient cultiver le manioc sur un terrain en friches... Après leur récolte,
nous les rouissions et les séchions. Quelques temps plus tard nous les rouissions une
seconde fois et ensuite nous les séchions complètement" 28. Toutes ces opérations
constituaient un travail supplémentaire pour les femmes et les enfants qui étaient
responsables de la préparation des repas.
48 Le travail domestique était aussi accru par la pression coloniale pour améliorer les
conditions d'hygiène. Les différentes épidémies qui s'étaient développées à partir des
années 1890 n'avaient pas encore disparu après 193129.
49 Le gouvernement et les missions insistèrent d'abord sur la prévention et organisèrent
des campagnes de vaccination et de destruction des agents vecteurs de maladies telles
que la mouche tsé-tsé, l'anophèle, notamment dans la plaine de l'Imbo. Des
consultations prénatales et pour nourrissons furent aussi organisées. Des mises en
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quarantaine des malades affectés par des maladies contagieuses furent décidées et
exécutées. Parfois, on mettait le feu aux maisons qui avaient abrité les malades 30.
50 Ces actions médicales devaient certainement avoir un effet positif à moyen et à long
terme. Néanmoins, elles désorganisèrent le rythme de la production et causèrent la
panique parmi les populations. Ce sont les vaccinations qui causèrent le plus de tort à la
population. Elles provoquèrent des gonflements de bras, voire des ulcères au point que
les gens ne se rendaient aux centres de vaccination que par force. De plus, les distances
à parcourir pour se rendre à ces centres étaient longues. Comme alternative, une
équipe médicale itinérante fut mise sur pied pour visiter la population à domicile. Pour
l'administration, ce processus permettait de vérifier en même temps l'état hygiénique
des habitations. Les gens ne voyaient pas d'un bon oeil ces visites qui étaient gênantes.
51 Les programmes médicaux augmentaient le travail des femmes. C'étaient elles qui
menaient les enfants aux vaccinations et qui se rendaient aux consultations prénatales.
C'étaient elles qui devaient s'occuper des soins des enfants et de l'habitation.
Cependant, il s'agit ici d'un manque à gagner difficile à évaluer, car si, à court terme,
une bonne partie de la main-d'oeuvre a été empêchée de vaquer aux activités
habituelles de production, à moyen et à long terme, les effets positifs des services de
santé étaient certains. Ainsi pouvons-nous dire qu'à court terme, le travail domestique
et les soins de santé ont été en conflit avec les travaux agricoles initiés dans le cadre du
plan de redressement économique de Charles Voisin (voir note 20).
52 Quant aux activités agricoles de l'époque, elles peuvent être groupées en trois
catégories : celles relatives aux cultures vivrières régulières, celles concernant les
cultures vivrières obligatoires, et enfin celles relatives aux cultures de rapport. Les
cultures vivrières régulières étaient généralement annuelles ou saisonnières (céréales,
légumineuses). Les cultures vivrières obligatoires sont pérennes (manioc) ou
saisonnières mais résistant aux fluctuations climatiques (patates douces). Les cultures
de rapport étaient notamment le café, le coton, le quiquina, mais nous ne parlerons que
du café.
53 Les cultures annuelles exigeaient la même quantité de travail toutes les années, sauf la
première année, celle du défrichement. Les cultures saisonnières étaient en principe
celles qui devaient consommer le plus de main-d'oeuvre. Quant aux cultures pérennes,
elles exigeaient beaucoup de main-d'oeuvre au moment de l'installation des
plantations. Toutefois, les travaux d'entretien provoquaient un conflit de calendrier
avec les cultures annuelles et saisonnières non obligatoires, voire avec celles qui étaient
obligatoires (patates douces, pommes de terre).
54 Pour nous faire une idée du temps que les cultures obligatoires prenaient à
l'agriculteur, il nous suffit de rappeler les mesures fixant les superficies minimales par
"Homme Adulte Valide" (HAV). L'ordonnance du 7 novembre 1924 exigeait de chaque
chef de ménage d'établir cinq ares de cultures non-saisonnières. Le règlement n° 96
(Agri du 20 août 1931) exigeait quant à lui que toute personne adulte valide et non
salariée maintienne en culture une superficie minimale de 50 ares entièrement réservés
aux plantations vivrières parmi lesquels 15 ares étaient consacrés aux plantes non
saisonnières31.
55 Au niveau des exigences en main-d'oeuvre, ces deux règlements sont très différents.
Celui de 1924 exigeait au chef de ménage d'entretenir seulement cinq ares. Celui de
1931 imposait 50 ares à chaque personne adulte. On voit clairement, que dès 1931, rien
que pour les cultures vivrières obligatoires, la demande de main-d'oeuvre s'accrut de
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1.000 %. De plus, ceci prouve une fois de plus que le ménage cessait d'être la base pour
la gestion de la main-d'oeuvre au profit de l'individu (Homme Adulte Valide).
56 Mais pour que chaque personne adulte puisse mettre en culture 50 ares, il fallait des
terres supplémentaires. En effet, tout le monde n'en disposait pas. L'administration
demanda aux chefs et sous-chefs d'en fournir à chaque sujet qui en avait besoin. Le
rapport d'administration belge sur le Ruanda-Urundi de 1928 précise que "les chefs et
notables sont contraints, dans toute la mesure du possible, à livrer à leurs administrés
les terrains nécessaires aux plantations et ces derniers ont été tenus de travailler la
terre et de l'ensemencer"32.
57 Ceci eut beaucoup de conséquences sur la gestion de la main-d'oeuvre. Les terres
étaient généralement éloignées des domiciles des bénéficiaires. Ces derniers perdaient
beaucoup de temps sur le chemin en se rendant aux champs et en y revenant. De plus,
les cultures qui y étaient pratiquées étaient du manioc et des patates douces. Il fallait
donc transporter les boutures sur de longues distances. C'était une véritable corvée.
Voici un témoignage d'une de nos informatrice à ce propos : "J'ai transporté des
boutures de manioc, mon enfant aîné au dos. Nous étions réquisitionnés. Autrefois,
quand un homme allait faire du commerce (guhanzura), on le réquisitionnait pour les
travaux obligatoires. Quand on m'a réquisitionnée, mon mari était absent. Arrivé à la
maison, il a eu pitié de moi parce que je venais de mettre au monde et j'avais un enfant
au dos. Il est venu à ma rencontre pour m'aider. Il m'a rencontré à Rukonwe. J'avais un
lourd fagot de boutures de manioc et l'enfant au dos. Nous avons souffert" 33.
58 A ces cultures obligatoires, il faut ajouter le drainage des marais. Le rapport de
l'administration belge sur le Ruanda-Urundi, pendant l'année 1930, est clair à ce sujet.
"La transformation des marais en terres agricoles est un des autres objets assignés à
l'activité des autochtones". Dans certains cas, l'Administration est intervenue
directement, en ce sens qu'elle a pris à sa charge les travaux de drainage dont l'étendue
et la profondeur rebutaient les cultivateurs indigènes34.
59 L'intervention de l'administration devait alléger la population de ces lourds travaux de
drainage. Mais il ne suffisait pas de creuser les drains. Il fallait aussi les entretenir. Ce
n'était pas une tâche facile. Eeckhout, un expert du génie rural écrivait à ce propos en
1941 : "votre drainage... effectué, il ne reste qu'à l'entretenir chaque année, à nettoyer
les canaux pour les tenir ouverts à la profondeur et la largeur nécessaires : un travail
aussi important que le drainage même, car, s'il est négligé, il ne faut que quelques
années pour que tout soit à recommencer"35. La mise en valeur des marais était une
tâche difficile, et de surcroît, elle coïncidait avec la récolte des cultures de collines.
60 Les cultures de rapport exigeaient quant à elles un travail intensif, donc une main-
d'oeuvre presque permanente. Il fallait établir et entretenir une pépinière, transplanter
les plants, entretenir la plantation, récolter etc... Le café était et reste la culture de
rapport la plus importante au Burundi ; c'est sur elle que nous nous basons pour
estimer la main-d'oeuvre que les cultures de rapport pouvaient occuper. Nous partons
de son calendrier agricole.
61 Les activités relatives à la culture du café sont échelonnées sur plusieurs années. Ainsi,
la première année, de septembre à décembre, il y avait des activités relatives à
l'établissement de la pépinière. La deuxième année, d'octobre à décembre, c'était le
transfert des plants, de la pépinière à la plantation, préparée l'année précédente. La
troisième année et les années suivantes, le caféiculteur faisait des travaux d'entretien,
et lorsque le caféier commençait à produire, il fallait récolter. On pourrait faire les
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travaux obligatoires, nous ne travaillions plus notre propriété. Nous n'y travaillions pas
du tout. Tout le temps, nous étions déplacés, de lieu en lieu, et les champs sur nos
propres propriétés retournèrent en friches"39.
69 La main-d'oeuvre était un besoin permanent et non temporaire. Un travail important
reste à faire. Il faudra multiplier des enquêtes orales à travers des études de cas pour
comprendre l'histoire du travail et de son organisation, pendant la période coloniale,
voire après l'indépendance.
NOTES
1. Ce texte a été présenté au Colloque d'Antananarivo sur Pouvoirs et Etats dans l'histoire de
Madagascar et du Sud-Ouest de l'Océan Indien, organisé du 6 au 12 juin 1991. Nous remercions les
organisateurs de cette rencontre scientifique qui nous donné l'occasion d'y participer.
2. MWOROHA Emile et Alii, Histoire du Burundi des origines à la fin du XIX e siècle, Hachette, Paris,
1987, p. 74.
3. BOTTE Roger, "Processus de formation d'une classe sociale dans une Société Africaine Pré-
Capitaliste", in Cahiers d'Etudes Africaines, 14 (56), p. 610.
4. NSANZE Augustin, Un Domaine Royal au Burundi : Mbuye (environ 1850-1945), Paris, 1980, p. 3.
5. La littérature ethnographique fait croire que la relation d'Ubugabire s'établissait entre un
"supérieur" (autorité politique ou un riche pasteur en l'occurrence un mututsi) et quelqu'un de
condition inférieure (un sujet ou un agriculteur en l'occurrence un muhutu). Il s'agit là d'une
généralisation abusive. Toutefois, nous soutenons que l'Ubugabire créait une inégalité
psychologique entre patron et client, indépendamment de leur statut antérieur.
6. Il s'agit là des chiffres estimatifs à caractère indicatif. Il n'est pas moins vrai que la grande
peste bovine de 1891-1892 qui affecta toute l'Afrique orientale emporta beaucoup de troupeaux.
7. MBANZENDORE Caroline, enquêtes orales, Gahweza-Kinganda, juillet 1986.
8. Voir à ce propos l'article de Faustin RUTEMBESA : "Ubugabire dans le Burundi Ancien..., une
Institution Féodale ?", in Cahiers d'Histoire, n° 3, Département d'Histoire, Université du Burundi,
1985, pp. 41-51. Cet auteur précise qu'il "cite plusieurs catégories d'ingabire suivant le mode
d'entrée dans la relation Ubugabire" (p. 42). Dans le cas d'inka z'ubugenzi (bétail donné en signe
d'amitié), "les devoirs des parties n'étaient pas précis" (p. 43). Il n'y a donc pas nécessairement de
contre-partie en main-d'oeuvre.
9. MWOROHA Emile, Peuples et Rois d'Afrique des Grands Lacs, le Burundi et les Royaumes voisins au
XIXe siècle, Les Nouvelles Editions Africaines, Abidjan-Dakar, 1977, p. 189.
10. Pour plus de détails sur la question, lire notamment :
– CHRETIEN Jean-Pierre, "La Sidérurgie Ancienne du Burundi", in Culture et Société, 3, 1980,
pp. 65-74.
– CELLIS G., La Métallurgie traditionnelle au Burundi, Techniques et Croyances, Tervuren, Archives
d'Anthropologie 25, 1976.
11. MARCHI, F., "L'Elevage du gros et du petit bétail au Ruanda-Urundi", in Bulletin du Congo Belge
1939, p. 628, Abagaragu sont des clients.
12. MARIMBU Thomas, Enquêtes orales, Kiganda, août 1986.
13. MBANZENDORE Caroline, Enquêtes orales, Gahweza-Kinganda, juillet 1986.
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178
14. HARIMENSHI Pia, "La Femme Burundaise dans le Développement" in Au coeur de l'Afrique,
n° 3, 1975, p. 154.
15. RIRAGEZA, Enquêtes orales, Makamba, octobre 1986.
16. DICKERMAN Carol, "the Founding of Bujumbura", in Culture et Société, Centre de Civilisation
Burundaise, Vol VI, Bujumbura, 1983, p. 52.
17. Idem., p. 50.
18. LEARTHEN Dorsey, The Rwandan Colonial Economy, 1916-1941, Michigan State University, ph. D.
Dissertation, 1983, p. 73.
19. Le Rapport économique du Territoire de Kayogore, 1 er semestre 1926, Bujumbura, Archives
Nationales et Documentation, Kitega AA 109 /1918-1920.
20. LEARTHEN Dorsey, op.cit., pp. 56-57.
21. Ce programme avait entre autres objectifs de "remédier à la sous-alimentation des indigènes,
aux disettes et famines périodiques", par l'intensification des cultures, l'imposition à tout
indigène adulte et valide non exonéré, de cultiver et de maintenir en culture une plantation de
manioc ; reboisement systématique des territoires etc. Le texte intégral de ce programme est
repris dans le Rapport d'Administration belge sur le Ruanda-Urundi pendant l'année 1930,
pp. 5-6.
22. Lettre du Ministre belge des colonies au Gouverneur Général du Congo Belge du 10 avril 1928,
Bujumbura, Archives Nationales et Documentation. Kitega AA79 / 1928-32.
23. LEARTHEN Dorsey, op.cit., p. 56.
24. Idem., p. 63.
25. Voir à ce propos Jean-Pierre CHRETIEN, "Des sédentaires devenus migrants, les motifs de
départs des Burundais et des Rwandais vers l'Uganda (1920-1960), in Culture et Développement,
vol. X, n° 1, 1978, pp. 71-101.
26. MBANZENDORE Caroline, Enquêtes orales, Gahweza-Kiganda, juillet 1986.
27. Lettre du Président de l'Urundi du 8 janvier 1931 à tous les Administrateurs territoriaux.
Archives Nationales et documentation, Bujumbura, Kitega ABl / 1926-1931.
28. MBANZENDORE Caroline, Enquêtes orales, Gahwera-Kinganda, juillet 1986.
29. Voir à ce propos : NSABIMANA Tharcisse, Food Production History in Burundi : 1880-1945,
University of Wisconsin, Madison, ph. D. Dissertation 1988, pp. 83-115.
30. Rapport d'Administration Belge sur le Ruanda-Urundi pour l'année 1934, p. 84.
31. Réglement n° 96/Agri du 20 août 1931, du Résident de l'Urundi.
32. Rapport d'Administration Belge sur le Ruanda-Urundi pendant l'année 1928, p. 61.
33. NDIRAGORA, Enquêtes orales, Makamba, octobre 1986.
34. Rapport d'Administration Belge sur le Ruanda-Urundi pour l'année 1930, p. 83.
35. EECKHOUT, "Le Drainage des Marais", in Servir, n° 5, 2 ème année, 1941, p. 28.
36. RIRAGEZA, Enquêtes orales, Makamba, octobre 1986.
37. Instructions relatives à la campagne de culture du coton, Archives Nationales et
Documentation, Bujumbura, Kitega AA 132/139.
38. MBANZENDORE Caroline, Enquêtes orales, juillet 1986, Kiganda.
39. ...
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RÉSUMÉS
Manpower management is an important question in any production system, even if, when we
speak today, we associate the term with the modern factory. Yet, in any economy, ancient or
modern, a production unit whether small or large, must manage its manpower efficiently. Thus
all societies have organised work mechanisms. Burundian society, at the end of the 19 th century,
had its system for the management of manpower, which was modified when it came into contact
with colonialisation. This study examines this management over both periods up the 1930's.
AUTEUR
THARCISSE NSABIMANA
Université du Burundi – Bujumbura – Burundi
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que cette méthode ouvertement fondée sur la terreur n'ait que des résultats précaires,
l'administration s'est engagée à affiner la démarche en rapport avec la politique
indigène. Les chefs indigènes fournissent les effectifs nécessaires. L'administration tire
alors un meilleur parti de l'autorité et de l'influence morale que la société conférait
encore aux chefs traditionnels.
12 Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, la pression du B.I.T. conduit la France à
élaborer une réglementation des formes de recrutement par voie de force.
13 Deux nouvelles formes de travail forcé s'imposent par l'importance des effectifs
mobilisés : la deuxième portion du contingent militaire et de la main-d'oeuvre
prestataire.
14 La Prestation a consisté à réclamer aux contribuables, en plus de l'acquittement de
leurs impôts versés généralement en espèces, un nombre défini de jours de travail au
profit des chantiers publics d'intérêt local. La main-d'oeuvre prestataire s'est vue
confier, durant la période 1920-1938, tous les travaux des routes et des pistes ainsi que
l'entretien des terrains d'aviation.
15 La deuxième portion du contingent militaire a consisté à utiliser la loi militaire
obligatoire et à décider qu'une fraction du contingent sera employée pendant le temps
de son service actif sur des chantiers de travaux publics au lieu de recevoir un
enseignement purement militaire à la caserne ou d'être en "réserve inactive".
16 Ainsi les travailleurs de la deuxième portion du contingent sont des recrues tirées au
sort après le prélèvement de la première portion destinée à former le corps des
tirailleurs sénégalais. Pour ces recrues du service militaire, "l'outil remplace le fusil
entre les mains". On les a appelés ironiquement "les tirailleurs-la-pelle".
17 La main-d'oeuvre pénale utilisée à des fins de travaux a aussi été classée par le B.I.T.
dans la rubrique des formes de travail forcé. En A.O.F., cette catégorie de main-d'oeuvre
constituée de prisonniers a été utilisée à différents ouvrages : réalisation de chemins de
halage, réparation des quais de différents ports, travaux urbains ou suburbains de
voirie, réfection et entretien du réseau routier, des bâtiments et logements
administratifs. Cette main-d'oeuvre a été surtout une force de travail d'appoint.
18 L'obligation de cultiver est la dernière forme de travail forcé relevée par le B.I.T. Les
théoriciens de la colonisation estimaient que les indigènes étaient à peine arrachés de
la barbarie, qu'ils constituaient des peuples indolents, imprévoyants. Leur économie
agricole très primitive les prédisposait à ces attitudes. Aussi, la métropole devait, en
vue de faire progresser rapidement l'agriculture de ces régions, employer la pression
administrative pour imposer certaines cultures industrielles dites obligatoires qui
avaient, selon elle, une vertu éducative.
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RÉSUMÉS
In the first half of the 20th century, the social question in French West Africa was dominated by a
system of forced labour which reflected the intervention of the colonial state in the process of
mobilising manpower.
Through an analysis of the five legal types of forced labour and the different positions held by
African leaders and the resistance movements encountered amongst the workers under this
regime, the author attempts to understand why this state of affairs lasted until 1946.
AUTEUR
BABACAR FALL
Ecole Normale Supérieure de Dakar – Dakar – Sénégal
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Amadou M. Camara
1 D'importants projets de mise en valeur sont en cours d'exécution dans les bassins des
grands fleuves d'Afrique, comme pour ressusciter les civilisations qui y ont fleuri au
cours des âges (civilisation de l'Egypte ancienne dans la vallée du Nil, civilisations du
Soudan médiéval sur les boucles divergentes du Sénégal et du Niger...). Mais les
tentatives de rénovation de ces espaces, ne sont, dans la plupart des cas, qu'une sorte
de "remake" d'une idée née avec la pénétration européenne. La mise en valeur actuelle
du bassin du fleuve Sénégal en est un exemple.
2 En effet, des tentatives de colonisation agricole du delta aux périmètres irrigués actuels
de la SAED, de la SONADER ou de l'OVSTM 1, en passant par les jardins d'essai (de Saldé,
de Diorbivol...), seules les motivations ont dû changer. L'objectif de faire du bassin
d'abord une tête de pont prospère, puis un des greniers de la sous-région, est resté
intact ; les stratégies aussi, mais avec des fortunes diverses, riches d'enseignement pour
le présent et pour le futur.
3 Les formes actuelles de mise en valeur, avec leur cortège de problèmes ne sont ainsi
que l'aboutissement d'un processus, la maturation d'un projet qui aura traversé près de
deux siècles. A la lumière de l'expérience de colonisation agricole du delta, peut-on
comprendre quelques problèmes de mise en valeur actuelle de la vallée du fleuve ?
4 D'une manière générale, les cours d'eau ont joué un rôle prépondérant dans
l'exploration, la connaissance et la conquête du continent africain par l'Europe. La
présence européenne sur les côtes africaines s'est d'abord manifestée sur les
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embouchures des cours d'eau. Sur celle du Sénégal, elle remonte à 1450 avec le
Portugais Cada Mosto. Précédant de peu, la découverte de l'Amérique, elle ouvre
l'entreprise, "non préméditée" (est-il utile de le rappeler ?) de plus de trois siècles de
commerce triangulaire. Le congrès de Vienne abolit la traite en 1815. La Grande-
Bretagne supprime l'esclavage dans son empire et "monte la garde sur les trois mers
autour de l'Afrique"2. Cette nouvelle donne somme les puissances européennes de
s'adapter.
5 Ayant mis un terme à la traite en 1848, sous le Gouvernement provisoire, la France
cherche un substitut à l'approvisionnement des industries de la Métropole. Elle décide
alors de passer du comptoir au continent. Elle en est d'autant plus tentée que les
militaires l'y poussent depuis que le Colonel Schmaltz, après un voyage le long du
fleuve en 1817, avait vanté le fleuve Sénégal en le comparant au Gange et dont les rives,
disait-il, s'accommoderaient aussi bien de la canne à sucre, de l'indigotier que du coton,
ainsi que de "toutes les cultures qu'on y voudra".
6 Le colonel Schmaltz confortait ainsi le plan de colonisation agricole du Sénégal que le
Baron Portai avait mis au point à la demande de Louis XVIII. Celui-ci ne faisait que
compléter les plans déjà conçus pour la Guyane et pour Madagascar. Il fallut attendre
1821 pour que le Baron Roger, successeur de Schmaltz, mit en oeuvre ce plan de
colonisation agricole.
7 A travers la colonisation agricole, le plan visait à long terme la création d'une colonie
de peuplement. En effet, il avait été question, dans le plan Portai, de faire venir des
colons européens à qui seraient attribuées des terres qu'ils mettraient en valeur avec
de la main-d'oeuvre indigène.
8 Mais dans l'immédiat, l'objectif fut de trouver une stratégie de reconversion face au
"désordre" que l'abolition de la traite ne manquerait pas d'engendrer pour l'économie
française. C. Schefer3 a bien résumé cette intention : "à défaut de pouvoir transporter
les esclaves là où se trouvait le travail, on décidait de faire venir le travail là où il y
avait des ouvriers à bon marché". On sait que cette main-d'oeuvre bon marché fut
progressivement transformée en main-d'oeuvre servile par l'instauration plus tard du
travail forcé dans les colonies4.
9 Mais si l'entreprise était justifiée aux yeux de ses promoteurs et ses objectifs clairement
définis, sa réalisation n'en posait pas moins quelques problèmes parmi lesquels celui du
cadre géographique expérimental.
Le champ d'application
10 Nommé gouverneur en 1816, le Colonel Schmaltz avait jeté son dévolu sur le delta du
fleuve pour la matérialisation de l'idée. Au plan pédologique ce n'était certainement
pas le meilleur choix : la zone deltaïque souffrait en effet jusqu'à une période récente
encore de la remontée périodique de la langue salée loin à l'intérieur du fleuve (jusqu'à
Boghé parfois, à plus de 300 km de l'embouchure). Elle se caractérise ainsi par la nature
halomorphe de ses sols, c'est-à-dire "des sols dont l'évolution est dominée par la
présence de sels solubles dont la teneur élevée limite leur productivité et provoque une
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L'exploitation
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21 Les résultats des premières années de l'expérience furent assez mitigés. Les
expériences de cultures industrielles furent dans l'ensemble concluantes. Les
rendements du coton avoisinèrent et dépassèrent même 1 tonne à l'hectare. Les plantes
tinctoriales répondirent comme par écho à cette réussite. Des fabriques se
multiplièrent alors à Saint-Louis entre 1823 et 1824 : machines à égrener, ateliers de
tissage, indigoteries...
22 Les légumes cultivés en variétés locales comme en variétés importées connurent
également un succès. Par contre, l'échec fut cuisant pour les céréales, en particulier le
riz, et pour les fruits exotiques. Les difficultés de désherbage eurent raison de la
tentative de domestication du riz rouge. Les fruits importés quant à eux ne
s'acclimatèrent point.
23 Ces résultats étaient jugés malgré tout suffisants pour justifier l'extension du projet.
24 Les superficies du jardin furent étendues à tel point qu'en 1826, plus de 6.500 hectares
avaient été aménagés dans le delta. On fit venir des colons européens à qui l'on concéda
des exploitations individuelles dans des conditions de cessions de terres en porte à faux
avec les coutumes locales. Des primes de production furent instituées. Une "Société
d'agriculture" fut créée pour la recherche et la vulgarisation variétales. Le Baron
décida d'étendre le projet dans toute la vallée avec la création des jardins de Faj et de
Dagana. Des extensions furent même prévues à Demet, à Saldé et à Diorbivol dans la
moyenne-vallée. Elles resteront cependant lettre-morte car l'expérience ne survécut
point au départ du Baron en 1826.
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26 Gerbidon, un enquêteur que la France avait dépêché sur les lieux, insista dans son
rapport sur des causes écologiques : salinité des sols, effets néfastes de l'harmattan
(vent chaud et sec de composante est et de trajectoire continentale soufflant en saison
sèche) et agronomiques : mauvais calendrier cultural, labours trop profonds...
27 Raffenel, un voyageur français dans la région fut frappé par l'insécurité qui y régnait
entre 1827 et 1830.
28 Boubacar Barry7 fut plus prolifique en ramassant ainsi qu'il suit, les causes à la fois de
natures politique, économique et sociale : "la pression des peuples voisins à laquelle
s'ajoutaient les difficultés de cession des terres, l'emploi d'une main-d'oeuvre réticente
et enfin la résistance de l'ancien commerce des comptoirs de Saint-Louis (dont les
tenants alimentaient les hostilités par un commerce lucratif d'armes avec les
autochtones) ont pesé d'un lourd poids sur la balance de l'échec".
29 Les causes pédo-climatiques et techniques avancées par Gerbidon résistent cependant
très peu à l'analyse. Si ces facteurs peuvent justifier l'échec de certaines tentatives
d'acclimatation notamment pour les fruits, ils ont, à contrario, stimulé plusieurs autres
spéculations (légumes, cultures industrielles...). Du reste, les résultats obtenus entre
1822 et 1826 ne sauraient s'expliquer par le seul volontarisme du jardinier-pépiniériste.
Les résultats obtenus par la suite dans le delta, bien après les tentatives de colonisation
agricole, incitent à nuancer considérablement les conclusions de l'enquêteur.
30 Quant à l'insécurité rapportée par Raffenel, elle était bien réelle. Mais le chroniqueur
reste bien muet sur ses causes. La plus profonde reste la présence du projet lui-même –
une sorte de kyste sur le tissu socio-économique et politique local.
31 Parmi les facteurs proposés par Barry, un paraît tenace puisqu'ayant traverssé les
siècles et fait échouer plus d'un projet : le problème foncier.
32 De tous les problèmes qui se posent aujourd'hui à la politique d'aménagement de la
vallée (qu'on appelle ici "l'après-barrages") on peut dire sans risque de se tromper que
celui de la terre est le plus aigu. Le rapport de l'homme à la terre dans le bassin du
Sénégal constitue le socle sur lequel peuvent se superposer en concordance ou en
discordance tous les problèmes de développement dans leurs dimensions politiques,
économiques et techniques. Historiquement, l'échec de la tentative de colonisation
agricole du delta, éclaire sous certains aspects et d'une certaine manière les difficultés
actuelles de modernisation. Dès 1938, la M.A.S. (Mission d'aménagement du Sénagal)
butta sur la question foncière. Entre 1960 et 1962, l'OAD (Organisation autonome du
Delta), et l'OAV (Organisation autonome de la Vallée) échouèrent sur la même question.
33 Les procès des "saboteurs de digues" de protection des cuvettes retentissent encore
dans plusieurs localités de la vallée. Les casiers rizicoles actuellement aménagés sous
les auspices de la SAED, de la SONADER et de l'OVSTM vacillent sous les coups de
boutoir des propriétaires terriens. Le conflit qui a éclaté le 9 avril 1989 entre le Sénégal
et la Mauritanie trouve son orgine dans le problème foncier.
34 Force est de constater que ni les expéditions militaires de la garnison de Saint-Louis
que le Baron Roger organisait dès 1821 pour soutenir son projet face à l'hostilité des
populations locales, ni les lois domaniales post-indépendances n'ont pu venir à bout du
régime foncier traditionnel.
35 Sans doute, faut-il en arriver à la codification d'un régime foncier spécifique à la vallée,
c'est-à-dire adapté aux réalités sociales et historiques locales (ce que le socio-linguiste
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sénégalais Pathè Diagne appelle "droit riverain"), pour surmonter une des plus grosses
difficultés auxquelles se heurte l'aménagement de cette région !
NOTES
1. Organismes ayant en charge le développement de la culture irriguée dans le bassin du
Sénagal :
– SAED : Société d'aménagement et d'exploitation des terres du delta et des vallées du Sénégal et
de la Falémé (Sénégal)
– SONADER : Société Nationale pour le développement rural (Mauritanie)
– OVSTM : Opération Vallées du Sénégal, Térékolé - Magui (Mali).
2. KI-ZERBO Joseph : "Histoire de l'Afrique noire", Hatier 1973.
3. KI-ZERBO, op.cit.
4. FALL, Babacar "Le travail forcé en Afrique noire 1900-1946", Paris, Khartala, 1992.
5. Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) : "Etude socio-économique du
bassin du fleuve Sénégal. Partie C. L'introduction de la culture irriguée", 1980.
6. Richard-Toll : nom wolof signifiant littéralement : le champ de Richard. C'est ainsi que les
populations locales désignaient le jardin du pépiniériste.
7. BARRY, Boubacar : "Le Sénégal avant la conquête – Le royaume du Walo" Maspero, 1972.
RÉSUMÉS
Large development projects are in progress in the more important river basins of Africa.
Renovation attempts in these areas are, for the most part, re-makes of an idea which came to
Africa with the Europeans. The development of the Senegal river basin is an example of this.
Whether now or in the colonial era, the objectives of making the Senegal river basin a prosperous
beachhead, and one of the sub-regional breadbaskets have remained constant as have the
strategies involved although producing different outcomes which provide rich lessons for the
present and the future. Thus, we can analyse the attempt at agricultural colonisation, started in
Senegal by baron Roger with the creation in 1822, of an experimental garden on the present site
of the district of Richard Toll.
In the light of experience of agricultural colonisation of the delta, we can understand some of the
present problems of the development of the reiver valley.
AUTEUR
AMADOU M. CAMARA
Ecole normale supérieure – Dakar – Sénégal
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1 Comparison of the changing causes of death in two of Industrial Africa's largest mining
companies can indicate both characteristics of the protean work forces and differences
in company medical policies. Both the Corner House Group on the Witwatersrand and
the Union Minière in what was then Katanga were reticent in reporting both mortality
levels among their African workers and on causes of death. This essay will explore
statistical data provided in some relatively obscure publications which throw
additional light on the health consequences of early stages of the industrialization
process in Africa.
2 In both South Africa and what is today Zaïre, large scale mining began in the absence of
a labor market. European-managed mining companies therefore had the double task of
finding workers and persuading them to stay on the job. In the early years
managements depended for labor on constraint applied either directly by labor touts or
indirectly by colonial governments which imposed taxes on African populations
payable only in European money. Even then, certain potential sources were excluded
because of political considerations. In South Africa, objections by European miners and
politicians resulted in the elimination of Chinese workers after 1907, and those of
British officials in Central Africa led to bans on the recruitment of "tropical" Africans
between 1912 and 19331. Similarly, Belgian officials beginning in 1926 restricted
recruitment for the copper mines to the Belgian Congo and Ruanda-Urundi 2.
3 Once workers were found, managers had to assure working and living conditions
conductive to production. Africans responded eagerly to monetary incentives, but they
also had to be kept in good health in order to maximize their productivity. The
development of the mineral industry in Africa after 1900 depended on recent advances
in tropical hygiene made in other parts of the world. New institutes of tropical
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World War, however, that cause of death statistics for the early years were analyzed by
Dr. Robert Mouchet in a paper given during the German occupation to the Royal
Academy of Colonial Sciences11.
Table 1: Crude death rates at corner house and the union miniere
Sources: Corner House: Gorgas Papers, W.S. Hoole Special Collection, University of Alabama Library;
Report on Nyasaland Natives in the Union of South Africa and in Southern Rhodesia (Zomba, 1937); Rand
Mines Annual Report 1964. Union Minière – Service Médical, Rapports annuels, 1930.
8 Corner House managers were even more tight-lipped than those of the Union Minière.
Some statistics were reported at the time of Gorgas's mission just before the First
World War, but for the next twenty years, little seems to have been available in
periodicals such as the South African Medical Journal and the Proceedings of the (Transvaal)
Mine Medical Officers' Association. Orenstein broke the silence in a report to the Third
Empire Mining and Metallurgical Congress in 1930, divulging mortality levels and
changing causes of death among Corner House Group employees for the years 1911 and
1928 without providing statistics for the years in between12. Those appeared only in the
mid-thirties when the company was trying to convince British administrators in what
is now Malawi to allow the resumption of recruitment for the gold mines. In 1937, the
Corner House Group revealed annual figures for Crude Death Rates, pneumonia,
tuberculosis, and accidents in the form of a semi-logarithmic graph presented to John
C. Abraham, the Senior Provincial Commissioner for Nyasaland 13. This format
exaggerated small recent changes in mortality level at the expense of older, larger
ones.
9 Table 1 shows the Crude Death Rates for the camps of the two companies between 1911
and 1940. Mining operations were begun on the Witwatersrand in 1886, some 25 years
before the beginning of copper mining in Katanga, and, in that time, South African
managers made certain investments in the infrastructure of housing and health care
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which reduced mortality. In the early years of the twentieth century, Crude Death
Rates there were lower than in Katanga. Indeed, copper company CDRs did not
definitively cross the 30 per thousand threshold until 1929. As far as the Corner House
Group was concerned, mortality rates fell as a combined result of personnel selection
and improvements in medical facilities and in personnel selection and improvements in
medical facilities and in public health. The first major decline shown in Table 1 from
about 30 to below 20 per thousand took place between 1911 and 1913 as a result of a
ban on the recruitment of Africans from north of the Tropic of Capricorn, who
experienced far higher mortality levels than Africans from the temperate zone. For the
rest of the decade, despite a number of improvements brought by Orenstein, mortality
levels remained in the high teens. Indeed, before 1933, Corner House CDRs never fell as
low as ten per thousand, a rate achieved by Gorgas on the Panama Canal construction
in 191214. In the absence of age specific mortality statistics, part of the higher CDRs
could result from an older work force on the mines, but the contrast is nonetheless
striking.
10 As far as the Union Minière is concerned, CDRs reached a disastrous peak of 202 per
thousand in the Spanish Influenza year of 1918 and were as high as 53 in 1926. From
that point onward, however, rates plummeted, crossing those of the Corner House
Group in 1931. These latter improvements seem the direct result of the stabilization
policies which included not only lodging workers' nuclear families on the mine sites
but also substantial expenditures on housing, food, and medical care. Let us examine
cause of death statistics to see if we can identify which of the policies is most closely
associated with mortality reduction.
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Union Miniere
Sources: Corner House: A.J. Orenstein, "A Review of the Hygiene Organisation of the Witwatersrand
Gold Mines", in Proceedings of the Third Empire Mining and Metallurgical Congress (London, 1930),
134-148. Union Minière: R. Mouchet, "Documents anatamo-pathologiques sur la nosologie de la main-
d'oeuvre indigène a Elisabethville de 1915 a 1921", Bulletin I.R.C.B. 14, 2 (1943), 422-452; R. Van Nitsen,
L'Hygiène des travailleurs noirs dans les camps industriels du Haut-Katanga (Bruxelles, 1933).
11 In Katanga as well as the Witwatersrand, pneumonia was the single most important
cause of death both in the early years and around 1930. Both sites experienced a
substantial decline of at least 50 % in the death rate from pneumonia, but even at the
latter dates, these rates were high by Panamanian standards. There the pneumonia
death rate fell from nearly 19 per thousand in 1906 to 11 in 1907 to less the 3 per
thousand after 1908. The newly stabilized work force of the Union Minière was still
experiencing a rate twice that high in 1931.
12 Why did mortality rates from pneumonia remain so high in the African mines? They
did so in part because of the nature of the disease. Pneumonia does not come from a
single bacillus but from no less than eighty strains, each requiring separate
immunization. Incubation time is short, and those exposed to the bacillus either resist
it in short order or come down with a serious case15. Another factor appears to have
been crowding: as late as 1930, Orenstein reported that the optimal barracks size was
ten to a room but that some still housed as many as forty 16. Van Nitsen suggested in
1933 that no more than three single men should be housed in an individual dwelling 17.
Given the significance of the contribution of pneumonia to total mortality, the Union
Minière's higher housing standards would appear to account for the fall in total
mortality in the 1930s, when the Katanga mines began to approach Panamanian levels.
Witwatersrand pneumonia death rates did not fall until the introduction of
sulphonamids in the late 1930s18. In sum, pneumonia mortality could be reduced
through more than one policy. This was accomplished in Panama and, after 1931, in
Katanga, by eliminating crowding, while in Johannesburg similar results had to await
the introduction of broad-spectrum antibiotics.
13 Another set of diseases where different companies practised different policies were the
closely related conditions of typhoid and paratyphoid fevers. These conditions have
similar symptoms and are transmitted through microscopic fecal particles in water and
food19. As with pneumonia, there is little delay between exposure and illness. Initially,
mortality rates were considerably lower in South Africa than in Katanga. At the Corner
House mines, mortality rates went from 2.8 per thousand per year in 1911 to 1.5 per
thousand in 1928. The Union Minière rate began much higher, at 7.2 per thousand per
year in 1915, but fell to 0 in 1930. Orenstein's staff seemed to consider a small amount
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a separate listing for bacillary dysentery, although Crown Mines reported a 1912 death
rate of 0.9 per thousand. It would appear that bacillary dysentery was a far greater
threat to Union Minière workers than to those at the Corner House group. This
comparison, however, should not be taken as definitive, because it was often classed
with typhoid and paratyphoid fevers as an enteric fever. Nonetheless, a higher
incidence of dysentery would not be surprising in a tropical climate. Even there,
however, its incidence is not inevitable; people can be protected from its rapid onset
through a combination of clean water, washing hands, food, and eating utensils.
Conditions would be especially bad in areas of dense population.
19 In summary, both the Corner House Group mines and those of the Union Minière
presented dangers to the Africans who worked in them. Both companies made
considerable advances in the care of their workers between the early 1910s and the
1930s. Despite top of the line medical expertise, both groups knew that they were doing
less than an optimal job in protecting the health of their African workers. For the first
twenty years of their existence, mortality rates in the Union Minière camps were far
higher than those in the Corner House Camps, a condition not to be advertised. Even in
the latter, however, death rates in 1928 were still higher than those prevailing twenty
years earlier in the Panama Canal Zone. The failure was not so much one of medical
technology as the unwillingness to spend sums necessary to clean up the mines as
microenvironments. Mining managers were willing to spend money to improve the
productivity of their respective work forces, but reducing African mortality was not
their highest priority. Even the Panama black mortality rates were four times as high as
those experienced by whites working on the Canal26.
20 These choices were a novelty in the history of both medicine and industry. By 1905, the
consequences of the germ theory of disease were beginning to affect the practise of
medicine in that the expenditure of money could produce more effect health care 27.
Managers, who had long realized that the output of their work forces depended at least
in part on their health, were now confronted with deciding exactly how much to spend.
In colonial Africa, as in the Panama Canal Zone, managers made two decisions: to spend
relatively large sums on their European staffs and smaller sums on Africans. The gap
between European and African care frequently depended on the processes by which
companies allocated their resources. In order to understand improvements in health
care, then, we need to learn more about these budgetary procedures.
NOTES
1. Richardson, Peter, Chinese Mine Labour in the Transvaal (London and Basingstoke, 1982). Jeeves
Alan, Migrant Labour in South Africa'sMining Economy: the Struggle for the Gold Mines' Labour Supply,
1890-1920 (Kingston and Montréal, 1985).
2. Fetter Bruce, The Creation of Elisabethville, 1910-1940 (Stanford CA, 1976).
3. McCullough David, The Path between the Seas: the Creation of the Panama Canal, 1870-1914, (New
York, 1977).
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ABSTRACTS
En comparant les changements intervenus dans les causes de décès au sein de deux des plus
grandes compagnies minières d'Afrique, il est possible de mieux cerner les caractéristiques des
forces productives et les différences dans les politiques médicales de ces compagnies. Tant le
"Corner House Group" de Witwatersrand que l'Union Minière du Katanga ont été réticents à
rendre public les niveaux de mortalité parmi leurs travailleurs africains et les causes de décès de
ceux-ci. Cet article tentera d'analyser les données statistiques que l'on peut trouver dans
quelques publications peu répandues. Ces données permettront de mieux comprendre les
conséquences sanitaires des premières étapes du processus d'industrialisation de l'Afrique.
AUTHOR
BRUCE FETTER
University of wisconsin – College of Letters and Science – Milwaukee – USA
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1 La campagne menée par l'Etat Indépendant du Congo durant les années 1892-95 contre
les "Arabes", dominant la partie orientale de son territoire, a eu des conséquences dont
on ne saurait guère surestimer l'importance. A l'occasion du centenaire de ses débuts,
je me suis proposé d'apporter quelques éclaircissements sur deux sources historiques
qui s'y rapportent.
2 La première, matérielle, n'est autre qu'une belle coupe à inscriptions et décorations
arabes, sans doute prise en butin après la défaite de Sefu au combat de Chige, le
premier de la campagne (23 novembre 1892). La deuxième source, écrite celle-ci, est
une lettre du capitaine Scheerlinck adressée de Lusambo, le 3 novembre 1893, à un
certain "Henri". L'éditeur de cette lettre n'ayant pas identifié ce destinataire,
j'essayerai de le faire ; en outre, je lirai un passage de la même lettre estimé "illisible" ;
enfin j'apporterai quelques précisions sur le factorien américain mentionné dans la
lettre.
3 Ces notes critiques mineures se situent dans le prolongement des publications de notre
collègue à l'honneur, relatives à la présence arabe aux Stanley Falls avant la campagne.
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plus d'un mètre quatre-vingt. Hinde lui demanda d'apporter des vivres mais le chef
refusa : il n'ignorait pas que les Arabes se trouvaient sur la rive opposée, prêts à
traverser. Hinde eut alors recours à la manière forte. A un coup de sifflet, ses hommes
encerclèrent le chef et ses conseillers et les capturèrent. Les prisonniers ne furent
libérés qu'après avoir promis de ravitailler Hinde et ses soldats.
13 Sans doute, l'arrivée imprévue de Hinde au village de la traversée empêcha-t-elle Sefu
de passer la Lumami à cet endroit. Il se rendit donc un peu en aval du confluent de la
Lula, à quelques kilomètres de l'actuelle Tshofa. Là, sa traversée de la Lumami ne
rencontra aucune résistance. Sefu établit deux bomas (forts palissadés), un petit
précédent un grand, à une centaine de mètres de la rive gauche. Michaux désigne
l'endroit comme Chige alors que le Dr. Hinde l'écrit Jigge.
14 A son arrivée à Ngandu le 18 novembre, le commandant Michaux y trouva le chef du
poste d'Etat, Duchesne, et son adjoint Prégaldien6. Le 21, vers 6 h. du soir, le ngongo
Leteta informa Michaux que Sefu passait la Lumami à environ deux jours de marche en
amont de Ngandu. Immédiatement, Leteta partit avec ses guerriers vers la tête de pont
arabe. Le lendemain, au point du jour, les trois officiers belges se mirent eux aussi en
route, accompagnés d'une centaine de soldats de choix.
15 Vers le soir de ce 22 novembre, après une marche accélérée de douze heures, Michaux
fit sa jonction avec Leteta, auquel s'étaient joints Lumpungu, chef des Songye, le chef
des Bala à Kolomoni et une quarantaine de miliciens de la Force Publique sous les
ordres de deux gradés de Sierra Leone, Albert Frees et Benga. Durant la nuit la pluie ne
s'arrêtat pas de tomber, mouillant les fusils à piston des troupes auxiliaires, tant des
Arabes que des Européens. Michaux décida de profiter de cette aubaine.
16 Le 23 novembre au matin, la pluie cessa. Les rives de la Lumami ayant été occupées par
ses alliés congolais, tant en amont qu'en aval de Chige, Michaux lance l'attaque. Par une
brêche pratiquée dans la palissade par Benga, les assaillants s'engouffrent dans le boma
de front. Pris de panique, les défenseurs s'enfuient, mais la Lumami leur barre la
retraite, alors qu'en amont et en aval des bomas, la forêt est tenue par les hommes des
chefs ralliés à l'Etat. Les Arabes n'ont qu'une éventuelle issue : la rivière. Ils s'y jettent,
mais cent-quarante fusils à tir rapide continuant à leur envoyer une grêle de balles.
Trouvèrent ainsi la mort ou se noyèrent les principaux chefs arabes, parmi lesquels le
fils de Sefu, et plus de 3.000 de leurs hommes.
17 Ne disposant pas de pirogues pour traverser la Lumami et poursuivre les ennemis en
déroute, Michaux, ce même 23 novembre, reprit le chemin vers Ngandu. Il campa en
route et le lendemain, il rentra dans la capitale de Leteta. Quatre jours plus tard,
Michaux passa à l'offensive. Traversant la Lumami, le 1 er décembre, il occupa dans la
zone arabe le village abandonné de Dibwe. Mais le chef revint chez lui, faisant sa
soumission à l'Etat. D'après ses dires, les fuyards étaient repassés par Dibwe et l'avaient
pillé.
18 Quant au sort du village de Ngongo mu Tshofa (Gongo Muchufa), nous l'ignorons. Les
villageois avaient été forcés, eux aussi, à prêter leur concours aux Arabes ; sans doute,
ont-ils profité de la débâcle de ces derniers pour s'indemniser des pertes subies en
hommes et en biens (pirogues).
19 La coupe arabe conservée soigneusement au village du ngongo Tshofwe, l'actuelle
Kiofwe, a fait partie très probablement du butin pris à l'ennemi en déroute. Finement
travaillée, elle servait à quelque riche trafiquant arabe. Même si nous ignorons le nom
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de son propriétaire qui l'avait amenée au coeur de l'Afrique, elle constitue à mon avis
un rare vestige matériel rappelant le combat de Chige, prélude de la campagne anti-
arabe déclenchée il y a cent ans7.
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Le passage barré
31 Après avoir notifié à son correspondant qu'il a été promu capitaine le 1 er mai mais qu'il
est sans le brevet de sa nomination, en attendant les décisions supérieures, Scheerlinck
écrit : "Je suis tranquille pour l'avenir". Il ajoute alors dans la marge de la quatrième (et
dernière) page de sa lettre : "Mr. (texte barré) me donne raison quant à l'exécution (de
Leteta) et me donnera encore plus raison après le prochain courrier du Lualaba,
annonçant la défaite des arabes de Kabambarra... Un courrier arrivera d'ici peu
annoncer la défaite des arabes".
32 H. Installé, l'éditeur de la lettre, a estimé que le passage barré est "illisible". Il l'est sans
doute, mais le contexte montre que le Monsieur qui approuve Scheerlinck quant à
l'exécution de Leteta et qui l'approuvera encore davantage lors de l'arrivée prochaine
du courrier de Lualaba annonçant la défaite des Arabes, se trouvait alors à Lusambo.
Cet agent n'est autre que celui que Scheerlinck au début de sa lettre nomme :
"Monsieur l'Inspecteur Lemarinel". Dans le nom barré nous distinguons, par leur
hauteur, les lettres 1,I,L,1 (l'Inspecteur Lemarinel). Après deux termes au Congo
(1885-88 ; 1889-92), Paul Le Marinel (l'orthographe de Scheerlinck est défectueuse) y
retourna en qualité d'Inspecteur d'Etat ; son autorité s'étendait aux districts du Stanley
Pool, du Kwango, du Kasayi et du Lualaba15.
33 Il s'agissait donc d'un personnage très haut placé dont l'approbation tranquillisait
Scheerlinck "pour l'avenir".
34 Pourquoi est-ce que Scheerlinck a rendu son nom illisible ? Se méfiant de certaines
indiscrétions (censure de correspondances), Scheerlinck n'a pas voulu compromettre
l'Inspecteur d'Etat. Aussi, au moment de glisser la lettre dans l'enveloppe, a-t-il barré
soigneusement son nom. La lettre a été pliée à la hâte avant même que l'encre étendue
sur le titre et le nom ne soit séchée ; aussi la longue tâche se retrouve-t-elle sur la page
trois.
Le factorien américain
35 La veille de son départ, Scheerlinck écrivait : "Demain 4 courant, je pars avec Monsieur
l'Inspecteur Lemarinel... avec le SS "Princesse Clémentine". Je suis chargé de faire une
palabre dans le Sankuru où des indigènes sont hostiles au factorien américain".
36 Dans sa note 6, H. Installé écrit : "Selon toute probabilité, il s'agit de l'Américain Uncles
qui avait à Mukikamu ou Bena Lubudi (à l'embouchure de la Lubudi) un établissement
pour le traitement du caoutchouc. Il était un agent de la S.A.B. pour ce poste".
Mukikamu doit se comprendre comme : m u (à) Kikamu.
37 H. Installé se réfère à deux ouvrages du p. Marcel Storme. L'historien des débuts des
missions scheutistes au Kasayi a trouvé le nom du factorien américain, "Uncles", dans
le récit de voyage de son confrère Constant De Deken, Deux ans au Congo, Anvers, 1902.
"24 janvier (1893)... Nous stoppons à la factorerie de Bena-Lubudi, desservie par un
américain, M. Uncles, qui pour exploiter le caoutchouc, a fait venir du Brésil huit
ouvriers habitués à ce travail"16.
38 Le p. Jérôme Van Aertselaer, supérieur général de Scheut, qui était du même voyage,
nous informe que la factorerie de Bena-Lubudi se trouvait sur la rive gauche de la
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NOTES
1. Une traduction française, sous la direction du Capitaine Commandant Henri Avaert, parut
sous le titre La Chute de la domination des Arabes du Congo, Bruxelles, 1897. La Préface des Traducteurs,
signée par Avaert, est datée : Vilvorde, mai 1897.
2. La première édition (Bruxelles, 1907, 397 p.) fut suivie d'une deuxième, Namur, 1913, 413
p. J'ai utilisé cette deuxième édition.
3. Pour le déroulement détaillé de la campagne arabe, on peut se référer entre autres à F.
FLAMENT e.a., La Force Publique de sa naissance à 1914, Bruxelles, 1952 ; combat de Chige :
p. 221-225.
4. Sur Sefu, cfr. M. COOSEMANS, Biogr. col. belge, II, col. 843-847.
5. A propos du préfixe nya, citons l'ethnonyme Banyarwanda (les Rwandais) qui se compose de
préfixe pluriel b a, du possessif nya et du nom Rwanda (Banya-Rwanda) : les gens du Rwanda. Cfr
aussi les toponymes voisins : Nya Kagunda, Nya Kalemba, Nya Lukemba. Ailleurs, par ex. chez les
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Budja, le préfixe se rencontre sous la variante : ya. Ainsi Yambuku, Yalosemba, etc. Voir G.
HULSTAERT, Ya-namen, dans Aequatoria, III (1940) 1, p. 22, col. B.
6. Cfr M. COOSEMANS, Albert Duchesne (1865-94), B.C.B., II, col. 303-305 ; M. COOSEMANS, Pierre
Prégaldien (1863-93), B.C.B., II, col. 787-789.
7. La coupe est actuellement conservée à Kinshasa parmi les realia de la bibliothèque africaine du
Scolasticat scheutiste.
8. A. VERBEKEN, A propos de l'exécution du chef Gongo-Lutete en 1893, dans Bull. Séances Acad. Royale
Sciences Col, II (1956), p. 938-950.
9. A. VERBEKEN, A propos de l'exécution... Note complémentaire, dans Bull. ARSC, III (1957), p. 828-834.
10. M. LUWEL, Inventaire Papiers Cyriaque Gillain, Lieutenant Général (1857-1931), Tervuren, 1964,
p. 17, n° 36 ; texte : Bull. ARSC, III (1957), p. 832-834.
11. H. INSTALLE, Une lettre inconnue du lieutenant Jean-Désiré Scheerlinck relative à l'exécution de
Gongo Lutete, dans Africa-Tervuren, XXVI (1980), 4, p. 93-97.
12. Ibid., p. 95, n. 3.
13. Ibid., p. 97, n. 23 : notice biographique sur Constantin J.-B. Baele.
14. Cfr Le mouvement géographique, XIV (1897) n° 16 (16 avril), col. 185-189. Cfr aussi Les
accusations de sir Ch. Dilke a la Chambre des Communes (2 avril 1897) : ibid., col. 188-190. Notice
biographique d'Avaert : BCB, V, col. 20-24. Lettre du lieutenant Avaert à Coquilhat, Banana, 5
septembre 1883 : C. COQUILHAT, Sur le Haut-Congo, Bruxelles, 1888, p. 487-503. Portrait d'Avaert :
p. 491.
15. R. CAMBIER, Paul Le Marinel, BCB, I, col. 664-670.
16. Une première impression, sous le même titre et chez le même imprimeur-éditeur Clément
Thibaut, Anvers, avait paru en 1900. Le texte néerlandais : Twee jaren in Congoland, Antwerpen,
1902, et Twee jaar in Congo, Antwerpen, 1952. Le texte cité se trouve dans Deux ans au Congo,
Anvers, 1902, p. 65. Le nom "Uncles" se rencontre aussi p. 166-167.
17. Lettre de J. Van Aertselaer, Lusambo, 10 février 1893 : Missions en Chine et au Congo, II
(1892-94), p. 284-286.
18. F. VINCENT, Actual Africa or the Coming Continent, Londres, 1895, p. 455-456.
19. F. BONTINCK, Aux origines de l'Etat Indépendant du Congo. Documents tirés d'Archives Américaines,
Louvain-Paris, 1966, p. 439, n. 130.
20. "Near the factory are many large villages of the Bakubas, who are generally a very peaceable,
well-disposed people, in this respect differing entirely from the Basongos on the north bank, who
are savage and intractable and constantly at war with the Bakubas" : F. VINCENT, Actual Africa,
o.c, p. 456. D'après la notice biographique de Scheerlinck (BCB., I, col. 821 : "Il accompagna Paul Le
Marinel dans un raid contre les Bakubas". La notice reprend E. JANSSENS – A. CATEAUX, Les
Belges au Congo. Notices biographiques, Anvers, 1911, t. II, p. 207 : "En novembre... Scheerlinck
conduit une expédition militaire contre les Bakuba du Lubudi, un affluent du Sankuru".
J. VANSINA, Du royaume Kuba au "territoire des Bakuba", dans Etudes congolaises, XII (1969) 2, p. 11 :
"En janvier 1893, l'Américain Uncles fondit une station près de Bokila, où travaillaient huit
caboclos brésiliens pour recueillir du caoutchouc". Vansina ne fournit pas de précisions sur la
"palabre" à régler par Scheerlinck en novembre 1893. Bokila était un "des postes construits par
Unckless sur les deux rives de la Sankuru et commandés chacun par l'un des Brésiliens. La sève
laiteuse, récoltée par des indigènes dans des calebasses, est transporté au laboratoire central"
(de Bena Lubudi). DE DEKEN, Deux ans, o.c., p. 166.
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RÉSUMÉS
The campaign conducted by the Congo Free State from 1892-1895 against the 'Arabs', who
dominated the western part of its territory, had important consequences. Now, at the centenary
of the beginning of this campaign, it is time to shed light on two relevant historical sources of
this campaign.
The first is a beautiful cup with Arab inscriptions and decorations, no doubt taken as booty after
the Sefu defeat at the battle of Chige, the first of the campaign (23 November 1892).
The second source, this time written, is a letter from Captain Scheerlinck, sent from Lusambo, on
November 3rd 1893, to a certain 'Henri'. As the author has not identified the addressee, this
article will attempt to do so. The article will also try to decipher an 'illegible' passage in the letter
and to clarify the reference to an American 'Factorien' in the letter.
AUTEUR
FRANS BONTINCK
Université de Kinshasa – Kinshasa – République du Zaïre
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1 Au 18° et 19° siècles, l'empire luba fut l'un des plus grand états dynastiques de l'Afrique
Centrale. Ses dirigeants réclamaient tribut sur un territoire s'étendant de la frange sud
de la forêt équatoriale zaïroise jusqu'au nord de la Zambie. La réputation et le prestige
de cet empire étaient tels que de nombreux autres états de la région – que ce soit les
Lunda ou les Bemba par exemple –, se réclament encore d'un ancêtre Luba prestigieux 1.
2 Resté à l'écart du commerce à longue distance qui, au cours du 19° siècle, se déroulera
plus au sud, par l'intermédiaire des Lunda et des Bemba, l'état luba ne s'ouvrira que
fort tard aux influences extérieures. Les débuts de la pénétration étrangère dans le
pays luba ne datent d'ailleurs que du dernier tiers du 19° siècle, quand, sous l'impact du
commerce à longue distance qui s'établit avec l'Angola à l'ouest et la Tanzanie à l'est,
on assistera à l'effondrement de cet état.
3 Ce contexte remarquable rend l'étude du début de la pénétration étrangère dans cette
région particulièrement importante, d'autant plus qu'un des premiers commerçant
arabe à atteindre le coeur de l'empire luba n'est autre que le célèbre Hamed ben
Mohammed el Murjebi, surnommé Tippo Tip. Dans sa Maisha, son autobiographie
rédigée en Swahili, publiée et traduite en allemand par Brode en 1902, Tippo Tip relate
ses incursions en pays luba, de manière malheureusement assez brève. Jusqu'à ce jour,
aucune autre source ne permettait de vérifier les informations fournies par Tippo Tip,
ni de les compléter.
4 En 1975, l'un d'entre nous a eu la chance de découvrir chez un notable de la chefferie
luba de Mulongo, un manuscrit sur papier pelure qui était la copie, datée de 1935, d'un
rapport administratif établi en 1909 par l'administrateur de territoire Boterdal. Ce
document inédit, rédigé à partir des traditions orales du siècle précédent, se rapporte
aux luttes que se livrèrent pour le pouvoir deux lignages royaux rivaux de la chefferie
de Mulongo. Il nous fournit non seulement une généalogie complète des chefs, mais
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6 Ainsi, en plus d'un aspect méthodologique non négligeable, l'étude de ces traditions
permettra de mieux cerner l'ouverture vers l'extérieur de l'empire luba dans le dernier
tiers du 19° siècle. Tant par l'intérêt méthodologique des sources utilisées que par le
regard de l'étranger porté sur les populations africaines, les thèmes abordés dans cette
étude illustrent parfaitement un certain nombre de préoccupations chères à Pierre
Salmon.
7 Mulongo est une vaste agglomération qui s'étend sur six kilomètres le long de la rive
nord du lac Kabamba, à l'exutoire de celui-ci dans le Lualaba. Situé au flanc d'un massif
montagneux, Mulongo est localisé à l'extrémité septentrionale de la dépression de
l'Upemba et constitue de ce fait même un lieu de passage fréquent d'une rive à l'autre
du fleuve Zaïre. Les traditions orales luba font d'ailleurs souvent référence au passage
du fleuve en pirogue à cet endroit. Il s'agit donc d'un lieu crucial dans les échanges
entre les deux rives du Lualaba. Excentrée par rapport au coeur du pays luba, cette
chefferie importante est un point de passage quasi obligé pour tout ceux qui, venant de
l'est, désiraient contourner la dépression de l'Upemba, vaste étendue marécageuse, afin
de rejoindre la cour royale luba, située plus à l'est, à Kabongo. En plus de cette situation
géographique exceptionnelle, il s'agit d'un centre économique important. En bordure
du lac Kabamba et du Lualaba, les Luba de Mulongo tirent leur richesse de la pêche et
de leur rôle ancestral de passeurs d'eau. C'est aussi un lieu de marché important où
convergent des produits venant de la dépression de l'Upemba, du fleuve et des régions
montagneuses avoisinantes. Mulongo est donc un lieu stratégique, propice à l'étude de
la pénétration étrangère dans le royaume luba au 19° siècle, d'autant plus qu'une
documentation relativement abondante donne de précieux renseignements d'ordre
historique sur la région.
8 Lors de son deuxième voyage d'apprentissage, que l'on date de 1855-1860, Tippo Tip
écrit : "Nous arrivâmes dans l'Urua, chez le chef Mrongo Tambwe" 5. Il y décrit un
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commerce modéré. Il y achète de petites pointes d'ivoire, bien moins chères que les
grandes.
9 Plus tard, lors de son troisième voyage, vers 1870-1882, Tippo Tip parle à nouveau d'un
chef Mrongo Tambwe6. Après un séjour de plusieurs mois à Kayumba, à l'est de
Kinkondja, sur la rive droite du Lualaba (cf. carte), il se rend à Mulongo où il intervient
militairement en faveur du chef Mrongo Tambwe évincé par son rival Mrongo Kasanga.
Ce récit, plus long et plus précis que le précédent, atteste bien qu'il s'agit là du Mulongo
luba, au bord du lac Kabamba. L'itinéraire emprunté par Tippo-Tip et sa description du
lac et de ses activités de pêche le confirment. Assimilant logiquement le Mrongo
Tambwe du second voyage d'apprentissage à celui rencontré lors de son troisième
voyage, on considère généralement que Tippo Tip aurait donc visité une première fois
Mulongo en 1855-1860, avant d'y séjourner plus longuement en 1870-1882 7.
10 Cela n'est pas sans importance puisque, dès 1855-1860, Tippo Tip aurait donc atteint
Mulongo, c'est-à-dire le pays luba et le fleuve Lualaba à une époque où les autres
commerçants arabes se cantonnent encore aux alentours des lacs Tanganyika et Moero.
Partant de Mtowa, au nord de l'actuel Kalemie sur les bords du Tanganyika, il aurait
traversé tout le nord-Shaba, franchit la Lukuga et la Luvua pour s'arrêter au fleuve
Zaïre dans un territoire quasi inconnu, avec un petit groupe constitué d'une vingtaine
d'Arabes, lors de la première mission commerciale placée sous sa responsabilité.
11 Plusieurs éléments du texte de Tippo Tip permettent de douter de la réalité de ce
voyage. Partant de Mtowa, il se serait rendu directement à Mulongo avant
d'entreprendre presque immédiatement le trajet du retour. Traversant des territoires
inconnus, sur une distance de 350 km à vol d'oiseau, il n'aurait rien eu à raconter de ce
périple inédit. De plus, il signale que le commerce est modéré à Mrongo Tambwe. Or, la
région du lac Kabamba est riche et prospère comme il le décrit lui-même lors de son
troisième voyage8. Enfin, il indique que "tout le monde" achète des grandes pointes
d'ivoire. Il est hautement improbable que vers 1855-1860 il y ait tellement d'acheteurs
d'ivoire à Mulongo que Tippo Tip puisse écrire que tout le monde en achète. En effet, au
début des années 1860, les Arabes se concentrent principalement aux rives sud-ouest
du Tanganyika et n'opèrent pratiquement pas d'incursions plus à l'ouest. Par exemple,
en 1868, on signale à Livingstone qui séjourne à Kabambare que les Arabes ne sont à cet
endroit que depuis fort peu de temps9. Il serait donc étonnant de rencontrer un
commerce intense de l'ivoire à Mulongo vers 1855-1860.
12 Malgré cela, Bontinck estime que le Mrongo Tambwe mentionné lors du second voyage
d'apprentissage tout comme celui du troisième périple ont été rencontré l'un et l'autre
à Mulongo, au bord du lac Kabamba10. Pour cela, il va distinguer un Mrongo Tambwe
père, rencontré lors du second voyage d'apprentissage d'un Mrongo Tambwe fils qui
dispute le pouvoir à son frère Mrongo Kasanga, rencontré lors du troisième voyage.
Poursuivant son raisonnement, il rapproche Mrongo Tambwe père du Kilolo Ntambo
dont parle Livingstone, tué en 1868 lors d'une guerre contre des Arabes 11.
13 L'enquête territoriale effectuée en 1909 par l'administrateur Boterdal permet de
compléter les données fournies par Tippo Tip et de remettre en question l'arrivée de ce
dernier à Mulongo lors de son second voyage. S'intéressant plus particulièrement à
l'histoire de la chefferie, cette enquête nous fournit une généalogie complète et
commentée des différents Mulopwe de Mulongo. Elle mentionne, à partir d'une récolte
des traditions orales sur l'histoire de la région, l'intervention de Tippo Tip dans la lutte
qui oppose Mrongo Tambwe à Mrongo Kasanga. Le texte précise même que Tippo Tip y
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reçut le surnom de Mutshiupula que l'on peut rapprocher des surnoms Mutipula ou
Mutshipule qui lui sont donnés au Manyema12.
14 On observe une très bonne congruence entre les versions de Tippo Tip et de Boterdal.
Parmi ces éléments communs, on relève le trajet emprunté par Tippo Tip pour se
rendre de Kayumba à Mulongo et les différents villages traversés ; la querelle opposant
Mrongo Tambwe à Mrongo Kasanga et l'intervention de Tippo Tip en faveur de ce
dernier ; la venue d'émissaires de Mrongo Kasanga chez Tippo Tip, chargés de lui
vendre de l'ivoire que celui-ci refuse ; le vol de casseroles à des membres de son
équipage par des gens de Mulongo. Ce vol, du reste, sera le prétexte au déclenchement
de la guerre contre Mrongo Kasanga. Enfin, on peut encore citer l'arrivée à Mulongo,
peu après le départ de Tippo Tip, de Juma ben Salum Wad Rakad, surnommé Juma
Merikani13. Ces différents éléments d'ensemble et de détail permettent d'établir qu'il
s'agit bien du passage de Tippo Tip à Mulongo lors de son troisième voyage, 1870-1882.
Cette extraordinaire corroboration des deux récits montre que le rapport de Boterdal
se base vraisemblablement sur des témoins oculaires du passage de Tippo Tip, ce qui est
tout à fait possible puisque la rédaction de ce rapport a eu lieu au maximum trente ans
après les faits.
15 En dehors de cet épisode particulier, l'enquête établit l'historique de Mulongo, depuis
l'accession au pouvoir de son premier chef, intronisé par le Roi luba Kumimbwe Ngombe,
dont le règne s'étend de 1810 à 184014. Dès la création de cet Etat, on assiste à une lutte,
classique en pays luba, entre deux lignages royaux en vue de s'approprier le pouvoir.
Cette histoire, fort détaillée et corroborée par d'autres généalogies de Mulongo, ne
parle ni d'un Mulongo Tambwe père, ni d'un précédent voyage de Tippo Tip dans la
région15. Or, vu la précision de la généalogie fournie et les nombreux détails restitués
suite au passage de Tippo Tip lors de son troisième voyage, s'il y avait séjourner
précédemment, les traditions récoltées par Boterdal le mentionneraient très
vraisemblablement.
16 Par contre, ce rapport apporte la preuve du passage de Tippo Tip à Mulongo lors de son
troisième voyage. Ce séjour dut avoir lieu au cours des années 1871/1872. En effet, en
août 1874, Cameron rencontre Tippo Tip qui lui précise qu'il a séjourné au Katanga
depuis presque 2 ans16. Or, peu de temps avant sa rencontre avec Cameron, il nous
renseigne de "la troisième année de mon séjour dans l'Utetera" 17. On peut donc en
déduire qu'il arrive en pays Tetela au début ou courant de l'année 1872, après avoir
quitté Mulongo. Ainsi, son séjour de 9 mois à Mulongo doit avoir eu lieu au cours des
années 1871/72 et son séjour d'un an à Kayumba en 1870/71 18. Un témoignage de
Livingstone confirme ces dates puisqu'en juin 1872, depuis Tabora, il apprend les
informations suivantes : "Tippo Tip ... at Katanga and had purchased much ivory from
Kayombe or Kayombo in Rua"19. Cette information atteste bien de sa présence à
Kayumba pour la période considérée.
17 Pour se rendre à Kayumba, petit Etat luba client de la cour centrale, Tippo Tip part de la
rive orientale du lac Moero, passe par Mpweto en pays tabwa et traverse les villages
lomotwa dans les monts Kundelungu (cf. carte), soit une distance de 350 km à vol
d'oiseau.20 Auparavant, il s'était rendu en pays bemba. A. Roberts confirme ce passage
chez les Bemba et le date de 1869/70. Ces différentes informations correspondent donc
avec son départ de Bagamoyo en Tanzanie, aux environs de 1869 et non en 1870/71,
comme on le pense généralement21.
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titre luba désignant un notable : chef de terre ou de village, chef de guerre ou dignitaire
de la cour du Mulopwe29. Il s'agit d'un terme à la signification flottante, qui ne s'attache
pas à une fonction politique spécifique. On le retrouve d'ailleurs chez toutes les
populations parlant une langue de la zone L : Sanga, Kaonde, Zela, Lomotwa, Nwenshi
etc...
23 Pour tenter de cerner l'identité de ce Kilolo Ntambo, il parait important d'identifier
préalablement les différents protagonistes de cette histoire de vengeance.
24 Saïd ben Habib est un traitant arabe qui sillonna l'Afrique Centrale et Orientale. De 1845
à 1860, avec deux compagnons, il accomplit la traversée de l'Afrique, de Zanzibar à
Benguela et retour.30 Par la suite, il établira son commerce sur la rive occidentale du
Tanganyika. Au dire de Livingstone, son retour à Zanzibar, suite à la guerre qu'il mena
pour venger la mort de son frère, fut grandiose. A cette occasion, il aurait amassé tant
de richesses qu'il s'établit définitivement à Zanzibar 31.
25 Quant au Sef mentionné par Livingstone, il s'agit probablement de Sef Rupia ou Rubea.
On retrouve aussi ce personnage, surnommé alors Pembamoto, dans l'épisode du
meurtre de Kazembe VII Muongo. En ce qui concerne la mort de Salem ben Habib, c'est
Livingstone lui-même qui établit un lien de cause à effet entre les raids effectués par Sef
et le meurtre de ben Habib, aucune autre source ne confirmant cette version 32.
26 Quant à Katala, l'administrateur Verdick nous apprend qu'il s'agit du nom du chef
Kiona Ngoy des Zela, établi non loin de la rivière Kalumengogo. Verhulpen, en se
référant au chef Kiona Ngoy, parle d'ailleurs de "Katolo"(sic) que nous pouvons
raisonnablement rapprocher de Katala33.
27 Ainsi, les guerres menées par Sef et les frères ben Habib peuvent être localisée en pays
zela (cf. carte). Un autre élément confirme cette localisation. Livingstone, en
rapportant cet épisode, cite un autre personnage, "Makouammba,...un des chefs des
habitants des cavernes"34. Grâce à un témoignage de Juma Merikani recueilli par
Cameron en décembre 1874, nous apprenons que les Lomotwa vivent dans des cavernes
situées "5 Nkama et Makwamba", près des rives de la Lufira 35. Le personnage de
Livingstone ne peut donc être qu'un des chefs des Lomotwa, peuple voisin des Zela (cf.
carte). Les Lomotwa, qui sont établis dans les monts Kundelungu, séparant la vallée du
Lualaba de la vallée de la Lufira, étaient tributaires de Kazembe. Ils ont dans la région
une réputation de couardise venant du fait qu'en cas d'attaques ennemies, ils se
réfugiaient dans des grottes à flanc de montagne.36 Ces différents indices nous
permettent de situer la mort de Salem ben Habib et les représailles que mena son frère
Saïd ben Habib dans les régions habitées par les Zela et les Lomotwa, populations
tributaires du Royaume luba ou de Kazembe, localisées entre le Lualaba et le Moero.
28 En fonction de ces différents éléments, nous devons, de toute évidence, localiser Kilolo
Ntambo dans cette même région puisque son rôle est lié aux actions des frères ben
Habib et de Sef. Dans un tel contexte, il est possible d'identifier cinq personnages
répondant à l'ébauche de description fournie, pouvant porter le titre de Kilolo et le
nom de Ntambo.
29 1. Il existe un village Tambo sur la rivière Kalumengogo, à la frontière des chefferies
zela de Kiona Ngoy et Museka. Le titre de chef de village, dans cette région, étant Kilolo,
le chef de Tambo devait, selon toute vraisemblance, s'appeler Kilolo Ntambo.
30 2. Au sud-est des Zela se trouvent les populations Batembo. Durant toute la période
coloniale, les administrateurs belges vont confondre Zela et Batembo, au point de n'en
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faire qu'une seule et même population. Il est donc possible que Kilolo Ntambo soit en
fait un chef Tembo37.
31 3. Selon le père Stocky, qui a travaillé à Museka et à Kayumba, au sud, dans les monts
Kibara, se trouvait au moment de l'arrivée des Européens dans la région, le domaine du
chef Tumbe, lequel se disait Luba38. Ce personnage pourrait très bien être identifier à
Kilolo Ntambo.
32 4. Un des quatre lignages royaux pouvant revendiquer légitimement le titre de
Mulopwe chez les Zela de Kiona Ngoy est le lignage Ntamba. Or, comme nous l'avons
fait remarquer précédemment, le chef de lignage ou de village chez les Zela porte le
titre de Kilolo39.
33 5. Le chef de guerre, le Mwadya Mvita des Lomotwa du chef Mufunga est appelé Kilolo
Ntambo40.
34 Ces différentes identifications possibles renforcent notre hypothèse que les représailles
de Saïd ben Habib ont bien eu pour cadre le pays zela ou chez leurs voisins, les
Lomotwa ou les Tembo. En effet, dans cette région, pas moins de cinq personnages dont
la fonction a toujours un rapport direct avec le pouvoir ou avec la guerre peuvent
prétendre au titre de Kilolo Ntambo. Malheureusement, le manque de sources sur cette
région qui a peu retenu l'attention des historiens et des ethnologues ne permet pas de
préciser d'avantage l'identité de ce personnage. Tout au plus pouvons nous dire que
Kilolo Ntambo était un dignitaire politique de cette région entre Moero et Lualaba.
35 Cependant, ces éléments ne permettent pas d'affirmer que le Mrongo Tambwe
rencontré par Tippo Tip lors de son second voyage d'apprentissage ait un lien
quelconque avec le Kilolo Ntambo de Livingstone. Un seul indice, et des plus ténu,
donne une certaine validité au rapprochement de Mrongo Tambwe avec Kilolo
Ntambo : Tippo Tip indique la présence d'un certain commerce avec les Arabes chez
Mrongo Tambwe. Et, en effet, il semble bien que dès la fin des années 1860, des
commerçants arabes, comme les frères ben Habib et Sef, sillonnaient le pays des Zela et
des Lomotwa. Il se peut donc que Tippo Tip ait en fait parcouru cette région lors de son
second voyage d'apprentissage.
36 Pour aller plus avant dans l'identification de Kilolo Ntambo, et par là même de Mrongo
Tambwe, il faut encore préciser que l'on a régulièrement attribué le meurtre de ce chef
à Sef, épaulé d'alliés yeke de M'siri41. Il s'agit à nouveau d'une confusion, reposant
simplement sur des similarités onomastiques, à savoir ce fameux titre de Kilolo
Ntambo.
37 Cette confusion prend sa source dans un récit de l'administrateur Verdick qui décrit à
sa manière la mort de Salem ben Habib42. Selon lui, un Arabisé nommé Saïdi voulut se
rendre au Lualaba et fut attaqué par un chef luba, Kilolo N'Tambwe. Au cours de ce
combat, son jeune frère fut tué (Livingstone parle de son frère aîné). Saïdi demande
alors à M'siri des guerriers afin de venger la mort de son frère. Il envahit le pays de
Kilolo N'Tambwe et tue ce dernier. Par après, fortune faite, il rentre avec éclat à
Zanzibar.
38 En analysant attentivement le texte de Verdick, on se rend compte qu'il a opéré la
fusion de deux histoires distinctes. D'une part, il s'est inspiré du récit de Livingstone
concernant Saïd ben Habib et Kilolo Ntambo, comme le montrent différentes
contaminations : Salem, le frère aîné de Saïd chez Livingstone devient un frère cadet
chez Verdick ; le retour de Saïd à Zanzibar est nettement copié de Livingstone, aucune
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45 Soit Tippo Tip n'aurait jamais rencontré de personne de ce nom lors de son second
voyage d'apprentissage et aurait subi une contamination due aux aventures de Saïd ben
Habib. Il aurait appelé ce personnage Mrongo Tambwe par confusion avec le chef luba
réellement rencontré en 1871/72 ; ces deux individus s'appelant chacun Tambwe. Cette
hypothèse est plausible puisque Tippo Tip écrit ses mémoires quarante ans après le
déroulement de ces événements et sans notes. D'autres contaminations du même ordre
émaillent son récit. Ainsi, par exemple, il s'est attribué le meurtre de Kazembe VII
Muongo sous influence d'autres traditions arabes concernant la région du Luapula.
46 Soit enfin, lors de son voyage de 1855/60, Tippo Tip aurait séjourné dans un village
appelé Mulongo ou Tambo qu'il aurait par la suite confondu avec le Mulongo Tambo de
1871/72. Non loin de le rive occidentale du Tanganyika et de Mtowa où débarqua Tippo
Tip, plusieurs villages portent ce nom :
• Tambwe à l'est de Kongolo
• Tambwe à l'ouest de Kabambare
• Mulongo entre Kabalo et, plus à l'est, Nyunzu.
47 Il est plausible qu'il ait séjourné dans l'un de ces villages car, dès cette époque, un
commerce avec les Arabes s'y développait. Cette solution a l'avantage de conforter la
version de Tippo Tip qui fait allusion à une certaine activité commerciale dans la
contrée visitée. De plus, comme il indique n'avoir fait qu'un aller-retour entre ce village
et Mtowa, cette hypothèse est, géographiquement, la plus plausible. Dans ce cas, ce
serait aussi par contamination avec son voyage suivant à Mulongo, au bord du lac
Kabamba, qu'il aurait appelé le chef de ce village Mrongo Tambwe.
48 Sans avoir un rapport direct avec le problème qui vient de nous occuper, les traditions
de Mulongo nous donnent d'autres informations intéressantes concernant la
pénétration arabe dans la région. En effet, tant la Maisha de Tippo Tip que les traditions
récoltées par Boterdal nous informent du passage à Mulongo d'un autre commerçant
arabe, Juma Merikani. La complémentarité des deux sources autorisent une analyse
approfondie de ce séjour qui, de par ses objectifs et son déroulement, semble avoir été
calqué sur celui de Tippo Tip.
49 En 1872, peu de temps après avoir quitté Mulongo, Tippo Tip rencontre Juma ben Salum
wad Rakad, – surnommé Juma Merikani à cause des tissus américains qu'il
commerçait47 – dans la chefferie Kiluba, au nord de Mulongo, le long du Lualaba (cf.
carte)48. D'après Cameron, qui rencontra Juma Merikani en octobre 1894, ce dernier
avait fondé un établissement permanent dans cet état tributaire de la court luba 49.
Grâce au témoignage de Tippo Tip qui précise que c'est la première fois que Juma
Merikani sillonne cette région, on peut dater la fondation du camp permanent dans la
chefferie Kiluba de 1872/73.
50 Les traditions de Mulongo, quant à elles, indiquent qu'après le départ de Tippo Tip, un
autre Arabe, Fwamba Melikoni, que l'on peut identifier sans erreur à Juma Merikani, s'est
installé à son tour à Mulongo. Se mêlant aux affaires politiques du Royaume, il en vient
à chasser le chef Mulongo Tambwe et rappelle son rival Mulongo Kasanga 50. Ces
événements durent aussi se dérouler au cours des années 1872/73.
51 Durant son séjour à Kiluba, en plus de son incursion à Mulongo, Merikani a effectué
plusieurs voyages plus au sud, en territoire yeke où, d'après Cameron, il visita des
mines d'or et de cuivre, à Kambove notamment. Par la suite, en octobre 1874, il installe
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NOTES
1. Pour de plus amples informations sur l'histoire Luba, cf. T.Q. Reefe, 1981.
2. J. VANSINA, 1985, pp. 158-160.
3. Cf. F. BONTINCK, 1974, pp. 6-10.
4. Ibidem, p. 190.
5. F. BONTINCK, 1974, § 4, p. 42.
6. Ibidem, § 72-82, pp. 78-94.
7. F. BONTINCK, 1974, n. 18, pp. 182-183 ; G. DE PLAEN, 1979, pp. 15-18 ; T.Q. REEFE, 1981,
pp. 164-165 ; J. VANSINA, 1965, p. 236.
8. F. BONTINCK, 1974, § 75, pp. 80-81.
9. D. LIVINGSTONE, 1873, II, p. 58 ; A. WILSON, 1972, pp. 581-582.
10. F. BONTINCK, 1974, n. 18, pp. 182-183.
11. D. LIVINGSTONE, 1873, I, p. 335.
12. BOTERDAL, 1909, p. 3 ; F. BONTINCK, 1974, n. 95, p. 200 ; F. RENAULT, 1989, p. 230.
13. F. BONTINCK, 1974, § 74-81, pp. 80-83 ; BOTERDAL, 1909, pp. 3-4.
14. BOTERDAL, 1909, pp. 1-2 ; T.Q. REEFE, 1981, pp. 129-134.
15. W.F.P. BURTON, 1961, pp. 16-18 ; HEUTSEBAUT, 1918, pp. 1-4 ; E. VERHULPEN, 1936,
pp. 371-372.
16. V.L. CAMERON, 1877, II, p. 12.
17. F. BONTINCK, 1974, § 102, p. 96.
18. Ibidem, § 72, p. 79, § 82, p. 84.
19. D. LIVINGSTONE, 1873, II, p. 194.
20. F. BONTINCK, 1974, § 69-70, p. 77.
21. A.D. ROBERTS, 1973, pp. 136-195.
22. F. BONTINCK, 1974, § 68-69, pp. 76-77.
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23. F. RENAULT, 1987, pp. 54-55 ; A.D. ROBERTS, 1967, pp. 118-121 ; 1973, p. 199.
24. A.D. ROBERTS, 1967, pp. 118-121.
25. F. BONTINCK, 1974, n. 18, p. 182.
26. Ibidem, § 74, p. 80.
27. BOTERDAL, 1919, pp. 1-4 ; T.Q. REEFE, 1981, p. 134sq ; E. VERHULPEN, 1936, pp. 371-373.
28. F. BONTINCK, 1974, n. 18, pp. 182-183 ; D. LIVINGSTONE, 1873, I, p. 335 ; II, p. 19.
29. O.F.M. VAN AVEMAET, 1954, p. 360.
30. F. BONTINCK, 1974b, pp. 3-50.
31. D. LIVINGSTONE, 1873, I, pp. 336-337.
32. D. LIVINGSTONE, 1873, I, p. 337 ; A.D. ROBERTS, 1967, pp. 118-121.
33. E. VERDICK, 1951, p. 92 ; E. VERHULPEN, 1936, p. 383.
34. D. LIVINGSTONE, 1873, II, p. 19.
35. V.L. CAMERON, 1877, II, pp. 89-90, 314.
36. F.S. ARNOT, 1889, p. 198 ; A. VAN MALDEREN, 1936, p. 174 ; T.Q. REEFE, 1981, pp. 140-141.
37. E. VERHULPEN, 1936, p. 56, 139, 382-383.
38. Lettre de Stocky à Bequart, 1942, Tervueren, archives section préhistoire, dossier PR 278.
39. A. BOULANGER, 1977, p. 51.
40. A. VAN MALDEREN, 1936, p. 176.
41. F. BONTINCK, 1974, n. 18, pp. 182-183.
42. E. VERDICK, 1951, pp. 37-38.
43. Mémoires de Mukanda Bantu, 1919, pp. 254-255 ; A. MUNONGO, 1967a, p. 12 ; Mwanangwa
Nsamba Muloji & Mwanangwa Kafuku, 27 mars 1991, Bunkeya.
44. F. BONTINCK, 1974, n. 18, p. 183.
45. Mémoires de Mukanda Bantu, 1919, p. 260.
46. F. BONTINCK, 1974, § 83, p. 84.
47. Ces tissus assez grossiers de toile blanche sont d'ailleurs toujours vendus au Shaba et
dénommés "melikani".
48. F. BONTINCK, 1974, § 84, pp. 84-85.
49. V.L. CAMERON, 1877, II, pp. 51-56 ; Cf. F. BONTINCK, 1974, n. 230-231 ; T.Q. REEFE, 1981,
p. 164.
50. BOTERDAL, 1909, p. 5.
51. V.L. CAMERON, 1877, II, pp. 51-56.
52. F. BONTINCK, 1974, § 72-74, pp. 78-80.
53. Une prochaine publication aura pour thème cette occupation de Mulongo par les Yeke.
RÉSUMÉS
The tribal lands of the Luba of Mulongo, situated at the extreme north of the Upemba depression
are not only an almost obligatory point of passage for those coming from the east en route to the
heart of the Luba but are also an important market. It is therefore a very useful place to study the
Arab-Swahili penetration in the kingdom of Luba in the nineteenth century, especially as one of
the first merchants to reach this chefferie was none other than Tippo Tip. In his autobiography,
he briefly speaks of his incursions in Luba but up to now, no other source has permitted the
verification or the completion of the information provided by Tippo Tip.
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An unpublished administrative report dating from 1909, written up from the oral tradition of the
precedent century, tells of power struggles between two rival lineages of the Mulongo royalty.
The report not only provides a complete ancestry of the chiefs but also allows the accurate dating
of the stages of Arab-Swahili penetration in the kingdom of Luba. Furthermore, this document
refers to the passage of Tippo Tip in the region and gives us much information regarding the
events that took place during his stay. The congruence of the sources enables a relatively
detailed chronology of the passage of Tippo Tip to be established and a better definition of the
forms of the penetration and the political domination of Arab-Swahili at the heart of the Luba
empire.
AUTEURS
PIERRE DE MARET
Faculté de Philosophie et Lettre – Université Libre de Bruxelles – Belgique
HUGUES LEGROS
Fonds National Belge de la Recherche Scientifique – Université Libre de Bruxelles – Belgique
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demande avec de nouvelles productions vouées au déclin lorsque cette demande venait
à diminuer d'importance. Ainsi, dans une succession continue de "cycles" économiques
basés sur les productions agricoles, (on ignore encore l'existence de minerais dans le
sous-sol), l'archipel a produit tout au long des époques, en régime de substitution, du
pastel, du vin, du blé, du maïs, des oranges et, de nos jours, du bétail bovin 2.
5 Néanmoins, le régime de monoculture n'a jamais été complètement introduit
notamment parce que la demande de la métropole qui se trouvent également à mi-
chemin des centres économiques, n'a jamais coïncidé avec la demande internationale
des produits agricoles de l'archipel. Par conséquent, l'archipel, doublement dépendant,
était obligé de développer une certaine alternance des cultures en vue de répondre à
deux types différenciés de demande agricole.
6 Cependant les cultures dites coloniales n'ont jamais été introduites dans l'archipel du
fait de la douceur du climat et de leur faible rentabilité au vu de l'exiguïté du territoire.
Elles ont contribué de ce fait à ce que le binôme "esclavage noir – production de type
colonial" ait été absent du parcours économique de l'archipel. La quasi totalité de la
population de l'archipel était d'origine portugaise avec néanmoins des éléments
d'origine flamande et française3. Les quelques esclaves existants dans la société
insulaire étaient, par conséquent, occupés aux travaux domestiques, comme c'était le
cas dans le royaume.
7 Toutefois, la pauvreté de ces îles, comme en témoigne la redistribution déficiente des
terres, aggravée par la succession de calamités physiques qui dévastaient fréquemment
l'archipel – tremblements de terre et volcans –, a contribué à ce qu'il y ait eu une
émigration importante des habitants dès le début du peuplement.
8 Ainsi, malgré le fait que l'archipel des Açores était intégré dans les circuits de
navigation Atlantique et qu'il essayait de répondre aux sollicitations d'une demande
extérieure, nous percevons dans son intégration économique restée partielle jusqu'à la
moitié du XIXe siècle, des phénomènes de désarticulation, de dualisme et de
développement extraverti vis-à-vis des marchés exogènes (métropole et pays du
centre), mais aussi à l'intérieur de chaque île et entre les îles privilégiées et le reste de
l'archipel4.
9 La proximité du continent africain, des archipels portugais de Madère et du Cap Vert et
des îles espagnoles des Canaries, a amené les géographes européens jusqu'à la fin du
siècle dernier à appeler toutes ces îles, y compris l'archipel des Açores, "îles
d'Afrique"5, alors que le climat de l'archipel des Açores et ses productions agricoles
sont de type tempéré atlantique et donc différent de ceux des autres archipels
mentionnés.
10 Toutefois, cette "proximité" relative de l'Afrique et la croyance en un développement
économique "extraordinaire" dû à son intégration dans l'économie Atlantique dominée
alors par le Royaume Uni ont, sans l'ombre d'un doute, contribué à attirer une
importante communauté juive originaire du Maroc, au début du XIX e siècle.
11 Il faut néanmoins signaler que les Juifs marocains en fuite se sont dirigés non
seulement vers l'archipel des Açores, mais aussi vers l'Algarve, le sud de l'Espagne et
Gibraltar6. Les documents mentionnent leur établissement dans toutes ces régions vers
la même époque et font état du fait que leur activité économique principale était le
commerce ambulant à petite échelle.
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ANNEXES
Abréviations
B.P.A.P.D. – Bibliothèque publique et archive de Ponta Delgada
A.N.T.T. – Archive Nationale de la Torre du Tombo
B.P.A.A.H. – bibliothèque publique et archive d'Angra do Heroismo
B.P.A.H. – Bibliothèque publique et archive de Horta
A.C.C. – Archive de la Chambre de Commerce.
NOTES
1. Joao Marinho dos Santos, Os Açores nos secs. XV e XVI, Colecçao fontes para a historia dos
Açores, Secretaria Regional de Assuntos Culturals, s/d, 2 vols.
2. Carreiro da Costa, Esboco historico dos Açores, Ponta Delgada, I.U.A., 1978, pp. 185-ss.
3. Ibidem, pp. 53-87.
4. José Paulo Martins Casaca, "Economia insular e economia arquipelagica-Uma confrontaçao
necessaria" in Arquipélago, Economia, n° 1, Revista da Universidade dos Açores, 1988, pp. 61-74.
5. Azevac, Iles d'Afrique, Paris, Fermin Didot, frères éditeurs, 1848 et Ardoin et autres,
Dictionnaire universel du commerce de la banque, Bruxelles, Ed. Lacroosse, 1840, 2 ed., 2 vols.
6. José Maria de Abecassis, Genealogia hebraica, Portugal, e Gibraltar, sécs. XVII a XX, Lisboa,
Liva Ferin, 1990, 5 vols.
7. Notamment les héritiers de Mery Sabat, Cf. : Fatima Sequeira Dias, "Moisés Sabat – um caso de
insucesso na comunidade hebraica de Ponta Delgada no século XIX (...-1864) in arquipélago, Série
Historia, Revista da Universidade dos Açores, vol. XI, 1989, pp. 195-231 et Joaquim Bensaude, Cf. :
Alfredo Bensaude, A vida de José Bensaude, Porto, Litografia Nacional, 1936, p. 64.
8. Fernand Braudel, A dinamica do capitalismo, Lisboa, Teorema, 1985, p. 63 et La civilisation
matérielle, économique et capitalisme, XV-XVIIIe siècle, Paris, ARmand Colin, 1979, vol. III, p. 29.
9. Nestor de Sousa, "Sinais de presença britanica na vida açoreana (séculos XVI-XIX)" in
Arquipélago, Revista da Universidade dos Açores, n° especial, Relaçoes Gra Bretanha, 1988,
pp. 25-100.
10. L'inscription tumulaire de Abraham Bensaude au Cimetière israélien de Ponta Delgada fait
référence à son arrivée à Sao Miguel en 1818, alors que les archives de la mairie, datées du début
des années vingt réfèrent "les commerçants "Hebreos" arrivés il y a quelques mois...", Cf. :
B.P.A.P.D., Libro de Registos da Camara de Ponta Delgada, 1816-1823, fils 175-v a 176-v.
11. Ibidem, fls, 182 182-v.
12. Ibidem, fls 159-v a 164-v.
13. David Justino, A formaçao do espaco economico nacional-Portugal 1810-1913, Lisboa, Vega,
1989, vol. 1, p. 380.
14. B.P.A.H. – Livro de Registos da Camara Municipal da Horta, n° 14, fls 98 (lettre du 2 mai 1835),
Consultas das juntas geraes dos districtos Administrativos do reino e ilhas Adjacentes do anno de
1848, Lisboa, I.N. 1849, districto da Horta, pp. 2-3.
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15. B.P.A.P.D., Arquivo do Governo Civil de Ponta Delgada, Copiador de Correspondencia do... as
autoridades eclesiasticas, 1833-1842, n° 141.
16. Mariage de la fille d'Abraham Bensaude en 1854 avec José Maria do Couto Severim, un
catholique, cf. : Alfredo Bensaude, A vida de José Bensaude, Porto, op.cit., p. 63.
17. Quelques commerçants juifs étaient membres d'associations locales, notamment le Clube
Michaelense et l'Ateneu Commercial, et aussi étaient associés de l'organisation commerciale de la
ville de Ponta Delgada, Cf. : A.C.C. – Livro de Correspondencia expedida, 1841-1857, fls 5-6-v et
encore les commerçants juifs résidents à Ponta Delgada ont fait des dons aux victimes
d'innombrables catastrophes, et ont aidé à financer l'édification de la Bibliothèque publique de
Ponta Delgada, cf. : O Açoreano Oriental, n° 331, le 21 août 1841, n° 384 le 27 août 1842 et le n° 385
le 8 septembre 1842.
18. A.N.T.T. – M.R. Maço 259-260, Provincia dos Açores, Comarca de Angra.
19. Marcelino de Lima "Os Judeus na ilha do Faial" in Boletimm do nucleo cultural da Horta, n° 1,
vol. 1, décembre 1956.
20. B.P.A.P.D., Fundo Ernesto do Canto, Livro de Direitos de 15 % cobrados na Alfandega de Ponta
Delgada, 1821, n° 10, fls 50-v-ss.
RÉSUMÉS
The arrival of the Jews in the Azores took place between the end of 1818 and the beginning of
1819. From the 1830's onwards their commercial success was starling due to a greater
commercial aggressivity. This commercial success was linked to their ability to expand new lines
of business, their experience in handling money, bills of exchange and other sophisticated
accounting methods. Neither were they put off by long journeys, nor by selling on credit and
their complex network of business contacts all contributed to the rapid settling of Jews in the
archipelago in the 19th century. Although they were not resented by the local population, this
commercial success, with the exception of the Bensaude family, was relatively short-lived due to
stiff local competition and led to the departure of the few remaining merchants from the
archipelago after the second world war.
AUTEURS
FATIMA SEQUEIRA DIAS
Université des Açores – Ponta Delgada – Portugal
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montrant dans le lointain les Monts Mfumbiro, mais l'endroit où les Allemands
envoyaient les Anglais était la plaine de l'Ufumbiro. Confusion volontaire ou non à
cause de la quasi-homonymie ?3.
L'incident de l'Ufumbiro
6 Le 26 juin 1909, J.M. Coote, commissaire de district de M'Barara, en Uganda, adressa
une lettre du Mont Lubuna à F. Goffoel, chef de secteur de Rutshuru, annonçant que,
conformément aux instructions reçues, il venait occuper l'Ufumbiro. Dorénavant, la
limite de son district se situait à 29°47' est au nord de 1°20' de latitude sud, et non plus
au 30e méridien. Il en résultait que Rutshuru appartenait au district de M'Barara et il
invitait le commandant Olsen à le rencontrer à Lubuna en vue de conclure un accord,
en attendant une décision à prendre par les gouvernements4.
7 Coote, pénétrant avec une troupe au Congo en direction sud-ouest, suivit une bande de
territoire indiquée sur une carte par les Allemands et attribuée par ceux-ci aux Anglais,
de façon à leur donner un accès direct au lac Kivu, sans traverser le territoire belge 5.
8 L'avance avait été rapide, plusieurs facteurs ayant joué en faveur de Coote : région peu
occupée car non encore ouverte au commerce et à l'industrie, pas de reconnaissance
belge au sud de Rutshuru, mauvaise volonté de certains chefs indigènes qui n'avaient
pas signalé à l'autorité belge le passage de troupes étrangères.
9 En outre, il faut reconnaître que Coote avait mené son expédition avec astuce : rapidité
de la préparation, secret de l'opération, avance par bonds rapides et uniquement de
nuit.
10 Après avoir reconnu la rive du lac Kivu près de Coma, les Anglais installaient deux
camps fortifiés, l'un à Burungu, l'autre au Mont Lubuna5.
11 Olsen avait toujours veillé à la formation de ses subordonnés et à faire régner une forte
discipline dans les troupes sous ses ordres. Aussi, la réaction de Goffoel fut excellente.
Au reçu de la lettre de Coote, il lui fait savoir qu'il n'a pas qualité pour traiter pareille
question et qu'il a transmis sa demande au commandant Olsen, commandant supérieur
des territoires de la Ruzizi-Kivu, à ce moment en tournée d'inspection dans la région de
Kasindi, au nord du lac Edouard6 ; il informe également son supérieur, O. Baudelet, chef
de la zone de Beni-Rutshuru7.
12 D'après les indigènes porteurs du message de Coote, deux Européens et une troupe de
50 hommes se trouvent à 3 heures de marche au sud-est de Rutshuru, donc en territoire
nettement congolais. Pour vérifier ces dires, il envoie une mission dirigée par le
capitaine Wangermée et le lieutenant Brochard, accompagnés de 100 hommes. Copie de
toute cette correspondance est adressée au commandant Olsen8.
13 Wangermée rencontra Coote près de Bayanza ; il eut envie d'enlever le drapeau anglais
arboré au mât du camp, mais il n'osa accomplir ce geste par crainte des répercussions
qu'il aurait entraîné.
14 Wangermée remit le message de Goffoel à Coote, lui disant qu'il n'avait aucune qualité
pour le discuter, mais il engagea l'officier anglais à ne plus avancer au-delà du point où
il était arrivé9. Coote acquiesça, puis ils se mirent à converser amicalement ; l'Anglais
conclut que le point où il se trouvait était reconnu en zone britannique par les Belges.
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Réaction d'Olsen
16 De son côté, Olsen, qui se trouvait à Kasindi, ne reçut la lettre de Coote que le 1 er juillet
1909. Immédiatement, il envoya au gouvernement belge un télégramme déposé à Fort
Portai, en Uganda, dont voici la teneur : "Violation territoire belge par Anglais établie
Ufumbiro. Commissaire anglais annonce qu'il procède occupation et administration
Ufumbiro. Anglais prétendent Rutshuru situé territoire anglais. Je me dirige sur le
camp anglais Ufumbiro ; troupes pour me précéder. Emploierai tous moyens, même
force armée pour obliger Anglais respecter notre frontière. Commandant supérieur
Ruzizi-Kivu12.
17 Le 2 juillet 1909, Olsen envoyait à Coote une lettre (voir annexe) dans laquelle il disait
être très étonné du contenu de la lettre de Coote qui est en contradiction avec l'accord
mis au point en avril 1904 par une commission mixte anglo-congolaise. Ainsi, il
protestait de la façon la plus énergique contre la violation d'un territoire
incontestablement belge par une troupe anglaise (il faut savoir que c'est seulement le
27 juin 1913 que l'Angleterre reconnut l'E.I.C. comme Congo belge). Olsen se sent
d'autant plus fort que le Ministre Britannique à Bruxelles a fait savoir au
Gouvernement belge que les fonctionnaires anglais de l'Uganda ont été prévenus qu'ils
avaient à s'en tenir strictement à l'accord de 1904. Si vraiment, le Gouvernement
anglais avait eu l'intention d'occuper l'Ufumbiro, il eut été plus loyal d'en aviser le
Gouvernement belge13.
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ANNEXES
N° 396. Kasindi, le 2 juillet 1909
Monsieur le Commissaire de district,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre honorée lettre datée Lubuna le 26 juin
1909 et c'est avec le plus grand étonnement que j'ai pris connaissance de son contenu.
Conformément à l'arrangement du 12 mai 1894 intervenu entre nos deux
Gouvernements, la frontière entre le Protectorat de l'Uganda et le Congo Belge dans la
région Ufumbiro qui fait l'objet de votre lettre, est constituée par le 30 e méridien Est de
Greenwich. Ce 30e méridien vrai a été déterminé par une commission mixte anglo-
congolaise en 1907-08 et, en vertu de l'accord d'avril 1904 conclu entre l'Angleterre et
l'Etat Indépendant du Congo, aujourd'hui Congo Belge, la zone située entre le 30 e
méridien primitivement supposé (méridien Mac Donald) est provisoirement
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neutralisée. Il est interdit aux fonctionnaires des deux Gouvernements de faire acte
d'occupation dans ce territoire neutre.
Immédiatement à l'Ouest du méridien Mac Donald, limite occidentale de la bande
neutre, le territoire est incontestablement belge. Ce territoire est occupé et administré
par nous depuis plus de 10 ans sans avoir soulevé des objections des autorités anglaises.
Je proteste donc de la façon la plus énergique contre votre violation d'un territoire
nettement belge par une force armée anglaise.
Depuis plus de 10 ans que je séjourne dans la région frontière voisine du 30 e méridien,
c'est la première fois que je vois émettre des prétentions anglaises telles que vous les
exposez dans votre lettre et je suis à me demander s'il n'y a pas erreur de votre part
dans l'application des revendications du Gouvernement anglais. Je suis d'autant plus
étonné des actes que vous posez que tout récemment, comme suite à une
communication de son Excellence le Ministre de Sa Majesté Britannique à Bruxelles,
mon Gouvernement m'a informé de ce que les fonctionnaires anglais de l'Uganda
avaient été rappelés à une stricte observance des prescriptions de l'accord de 1904.
Non seulement vous vous mettez en flagrante contradiction avec les accords précités
en vous installant en bande neutre, mais vous pénétrez en territoire incontestablement
belge que vous prétendez administrer au nom du Gouvernement britannique.
J'ai peine à croire que le Gouvernement anglais émette de pareilles prétentions
qu'aucun acte antérieur ne permet de défendre. Mais cependant si, en violation des
traités et accords conclus, le Gouvernement Britannique manifestait l'intention
d'occuper l'Ufumbiro, territoire nettement belge et administré par nous depuis plus de
10 ans, il eut été plus loyal, plus conforme aux usages, de s'adresser directement au
Gouvernement Belge à Bruxelles.
Je n'ai personnellement aucune qualité pour conclure de nouveaux arrangements avec
le Gouvernement Britannique. Ma mission se borne à la défense des droits acquis et des
intérêts de mon Gouvernement et notamment de maintenir le respect de notre
frontière. Cette mission dont j'assume l'entière responsabilité envers mon
Gouvernement constitue pour moi le devoir le plus impérieux et le remplirai jusqu'au
bout.
Je considère votre mouvement en territoire belge comme une action hostile et je ne
puis donc avoir aucune entrevue avec vous aussi longtemps que vous vous trouverez à
l'Ouest de la bande neutre. Si malgré les avis que je vous donne, vous maintenez votre
occupation en territoire nettement belge, le Gouvernement Britannique devra
supporter la grande responsabilité des moyens que bien à regret je devrai employer
pour vous ramener au respect du territoire ressortissant à la Colonie Belge. J'ai
toutefois la plus grande confiance en votre sagesse, Monsieur le Commissaire de
district, et j'ai le ferme espoir que dès le reçu de la présente lettre vous reporterez
votre occupation à l'Est de la bande neutre laissant ainsi à nos gouvernements
respectifs le soin de régler les questions litigieuses. Je crois inutile d'attirer encore
votre attention sur l'interdiction d'occuper la bande neutre ; c'est un principe établi
par l'accord de 1904 qui vient d'être rappelé aux fonctionnaires des deux parties qui a
toujours été ponctuellement observé par nous.
Je vous exprime encore mes regrets de ne pouvoir vous accorder l'entrevue que vous
me demandez ; je subordonne ma ligne de conduite à la vôtre ; mais j'ose espérer,
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Monsieur le Commissaire de district, que vous ne vous ferez pas l'ouvrier d'incidents
regrettables et de nature à troubler la paix des populations indigènes.
J'ai l'honneur de vous prier, Monsieur le Commissaire de district, de vouloir bien agréer
l'assurance de ma haute considération.
Le Commandant Supérieur,
(s.) Olsen.
NOTES
1. FLAMENT, F. : 1952, La Force Publique de sa naissance à 1914, Bruxelles, Mém. de l'IRCB, cl. sc.
Mor. et Polit., sér. in 8°, 27, 1, 185-189.
2. LEDERER, A. : Le rôle des flottes fluviale et lacustre au Congo Belge durant la première guerre
mondiale, Bruxelles, 1988, Collectanea Maritima IV, byl. tot de intern. mar. gesch. Kon. Acad.
W.L.S.K. 123.
3. SPEKE, J.H. : 1864, The Journal of the discovery of the sources of the Nile, Edimbourg et
Londres, 214.
4. COOTE, J.M. à GOFFOEL, F. : Lettre de Mont Lubuna 26-6-1909, annexe lettre du G.G. au Min.
CoL, p. 38, AE 345, arch. ex-M.A.A.
5. COOTE, J.M., sept. 1956, The Kivu Mission 1909-1910, The Uganda Journal, vol. 20, n° 2, p. 106.
6. GOFFOEL, F. à COOTE, J.M. : Rutshuru, 27-6-1909, an. lettre Olsen au G.G., A.E. 345, p. 38, arch.
ex-M.A.A.
7. GOFFOEL, F. à OLSEN, F.W. , op.cit., p. 38.
8. GOFFOEL, F. à OLSEN, F.W. , idem.
9. GOFFOEL, F. à WANGERMEE, G. : Rutshuru, 28-6-1909, an. 1 à lettre du G.G. au Min. col., Boma,
6-9-1909, A.E. 345, p. 51, arch. ex-M.A.A.
10. COOTE, J.M. à GOFFOEL, F. : Rubana-Nile, 29-6-1909, an. 4 à lettre G.G. au Min. Col. 6-9-1909,
A.E. 345, arch. ex-M.A.A.
11. WANGERMEE, G. à GOFFOEL, F. : Bayanza, 28-6-1909, an. 2 à lettre G.G. au Min. CoL, Boma,
6-9-1909, A.E., 345, p. 51, ex-M.A.A.
12. OLSEN, F.W. à Min. Col. : Kasindi, 2-7-1909, AE, 345.
13. OLSEN, F.W. à COOTE, J.M. : Kasindi, 2-7-1909, A.E. 345, p. 396 (lettre donnée en annexe).
14. BROCHART à GOFFOEL, F. : 19-9-1909 et carte annexe, A.E. 345 et RENKIN J. à M.A.E.,
Bruxelles, 10-8-1909, dossier A.E. 345, arch. M. A.E. ; COOTE, J.M. à OLSEN, F.W. Kigezi 19-8-1909,
dossier A.E. 345, arch. M.A.E.
15. OLSEN, F.W. à COOTE, J.M. : Muhavura, 16.8.1909, dossier A.E., 345, arch. M.A.E. ; COOTE, J.M.
à OLSEN, F.W. : Kigezi, 19.8.1909, dossier A.E. 345, Arch. M.A.E.
16. VAN VRACEM, p. : Recherches sur la formation de la frontière orientale du Congo belge,
Bukavu et Bruxelles 1958, Inst. pour la recherche scientif. en Afrique centrale, onzième rap. an.,
pp. 135-137.
17. VANNESTE, P.M. ; Loupias, Paulin, Bruxelles, 1958, biogr. col. belge 2, col. 563-566.
18. LEDERER A. : Frederik Waldemar Olsen, Bruxelles, 1966, Bull. des s. de l'ARSOM, 1, 524, 525.
19. La frontière orientale, Bruxelles, 1910, Mouv. Géogr., col. 84.
20. La conférence de la frontière orientale du Congo belge, Bruxelles, 1910, Mouvement
Géographique, col. 106-107 et 263-264.
21. LEDERER, A. : Frederik Waldemar Olsen, op.cit., p. 525.
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RÉSUMÉS
As part of the Berlin Conference, the Neutrality Act defined the frontiers of the independant
state of the Congo. However, in 1885 the north-eastern part of the new state was still little
known. In the absence of any geographical precision, the defined limits of the state included the
two banks of the river Ruzizi and lake Kivu within the territory of the Congo. These innaccuracies
led to diverse incidents at the frontier of Kivu from 1899, first with the Germans and then with
the British, both of whom wished to settle on the banks of the lake. Again in July and August
1909, a series of incidents took place between the Congolais and the British and then the
Germans. The scale of the problem and the desire to avoid an escalation necessitated a diplomatic
solution to the Kivu border problem. Thus, in May 1910, an agreement was concluded between
the Belgians, the Germans and the British. This agreement put a definite end to all the border
conflicts in this region.
AUTEUR
ANDRÉ LEDERER
Université Catholique de Louvain – Belgique
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Preambule
1 Le présent article m'a été souvent demandé par des personnes inquiètes de ce
qu'aucune synthèse importante ait jamais décrit les étapes, amorçées vers 1920, qui ont
conduit le 26 novembre 1934 à la création de l'Institut des Parcs nationaux du Congo
Belge (I.P.N.C.B.). Et je me juge un peu responsable de cette lacune, étant devenu
aujourd'hui probablement le seul survivant des derniers témoins de la fin de cette
époque. J'exerçai, en effet, à partir du 25 mars 1935 la direction de cette institution
jusqu'au début 1948, rencontrant et interrogeant de nombreux acteurs de la décennie
précédente : Prof. Van Straelen, Colonel Hackars, Colonel Hoier, etc, et ayant à ce
moment accès à tous les dossiers anciens. N.B. Je n'ai pas jusqu'ici réussi à retrouver à
Bruxelles les archives de l'I.P.N.C.B. Il reste donc encore matière à de nouvelles
recherches et à de nouvelles rédactions.
2 Le titre de cet article dédié à mon ami Pierre Salmon, l'un des meilleurs historiens de
l'Afrique1, veut clairement indiquer les limites que j'ai tenu à assigner à mon texte : une
contribution à l'Histoire. D'autres publications devraient la compléter, dont peut-être
en premier lieu le bilan détaillé et commenté des remarquables réalisation de
l'I.P.N.C.B. entre 1934 et 1960.
3 Me cantonnant à une relation historique de la création de cet Institut, je renoncerai
donc à toute description biogéographique des réserves naturelles sous revue et à
propos desquelles le lecteur peut d'ailleurs consulter une très abondante bibliographie,
quand ce ne serait que les quelque 350 publications de l'Institut lui-même.
4 C'est au début de la seconde moitié du dix-neuvième siècle que prit corps la
préoccupation : dans maintes régions du globe, une chasse excessive menace de
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***
17 Une brève parenthèse se justifie ici pour évoquer l'essor que prenait pendant la
décennie 1920-1930, un courant, surtout européen, de volonté de protection
internationale de la Nature. En 1910, le Prof. suisse Paul Sarrasin avait déjà réussi, avec
le soutien de l'Union internationale des Sciences biologiques (UISB), à jeter les bases
d'une collaboration transfrontière en cette matière. Mais la guerre et le Conseil Fédéral
helvétique firent perdre quinze années à la gestation du projet. Et ce dernier ne refit
surface qu'en 1925 avec comme promoteurs autour du tenace Paul Sarrasin, le
Hollandais Peter Gerbrand van Tienhoven, le Polonais Michel Sielecki, quelques autres
naturalistes et trois Belges, le Prof. Jean Massart, le Prof. Victor Van Straelen et, on
dirait presque surtout, un jeune brillant zoologiste (Dr. Sc. ULB 1922), Jean-Marie
Derscheid.
18 Ce dernier y consacra tant d'efforts que, lorsqu'en juillet 1928 fut créé à Bruxelles, avec
pour siège la Fondation Universtaire rue d'Egmont, un "Office International de
Documentation et de Corrélation pour la Protection de la Nature" (OIPN), c'est lui qui
en devint le Secrétaire Général, avec pour Président P.G. van Tienhoven.
19 Toujours pendant la même période 1923-1927, le Dr. Derscheid, alors basé à Tervueren
comme adjoint au Dr. Schouteden, Directeur de la Section des Sciences Naturelles du
Musée, partagea son temps entre de premiers enseignements, ses tâches OIPN (en 1926,
on créa un Comité Belge de la protection internationale de la Nature dont il fut
également Secrétaire Général) et une dynamique participation à la promotion du projet
en gestation "Parc National Albert".
20 On aura remarqué que la préparation et la promulgation à Bruxelles du Décret du 21
avril 1925 coïncidaient chronologiquement avec la période où le Musée d'Histoire
Naturelle de New-York préparait sa nouvelle mission Akeley au Kivu.
21 Très logiquement, après des contacts où intervinrent l'Ambassadeur Baron Cartier de
Marchienne et plusieurs membres du Comité Américain du P.N.A., il fut convenu que la
Mission Akeley serait accompagnée par "un scientifique belge chargé de ramener un
maximum d'informations pouvant conduire à la mise en application sur le terrain des
prescriptions du décret du 21 avril 1925". Le choix se porta, on s'en doute, sur J.-M.
Derscheid. On insista sur le caractère prioritairement scientifique de la mission dont il
était revêtu.
22 Le chargé de mission Derscheid s'embarque à Marseille le 2 septembre 1926. Le 24 du
même mois, il est accueilli à la gare de Nairobi par Madame Akeley dont le mari se
relève difficilement d'une fièvre aigüe contractée deux mois plus tôt au Tanganyika
Territory. L'entente s'établit très vite entre les membres de la mission (six en tout, y
compris Derscheid). Les derniers préparatifs durent jusqu'au 16 octobre. Pendant ces
quelques semaines, J.-M. Derscheid est à Nairobi, officiellement invité au "Bureau de
Chasse gouvernemental" où il est documenté sur "l'organisation de la surveillance, les
mesures prises, les règlements sur la conservation du gibier, les lois relatives à la
Chasse depuis 1898 ainsi que leur historique" (Journal du Chargé de Mission).
23 Le 6 novembre, le groupe est à Rutshuru. Akeley est toujours souffrant. Avec un
courage magnifique, il refuse de renoncer et même de s'arrêter quelques jours pour se
reposer. L'exploration proprement dite des Volcans commence le 8 novembre, au
départ de ce qui fut longtemps un poste détaché du P.N.A. (et son potager) :
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31 Ce schéma fait apparaître une nouvelle distinction définie dans l'article 2 du décret "La
partie des territoires du Congo belge et du Ruanda-Urundi réservée à la poursuite à des
fins scientifiques de l'Institution comprend des réserves naturelles intégrales et des
territoires annexes". Les articles 6 et 7 suivants précisent les régimes, sévère pour les
réserves intégrales, beaucoup plus laxiste pour les territoires annexes, applicables dans
les territoires protégés.
32 La carte fait état de trois groupes de réserves intégrales : 1° le Secteur Septentrional
(plaine au Sud du Lac Edouard) 84.272 ha, 2° les Secteurs Centraux (Mikeno etc., partie
au Kivu, partie au Ruanda) 51.480 ha et Oriental (volcans éteints au Ruanda) 8.408 ha et
enfin 3° le Secteur Occidental (volcans actifs du Kivu : Nyamuragira et Nyiragongo)
57.552 ha. soit au total : 201.712 ha de réserve naturelle intégrale.
33 A quoi s'ajoutent 90.386 ha de territoires annexes, dont 55.902 ha au Binza (plaine de la
Rutshuru, au Sud du Secteur Septentrional), 18.644 ha au Sud des Secteurs Central et
Occidental (7.820 au Kivu et 10.874 au Ruanda) et enfin, en bordure S.-E. des Secteurs
Central et Oriental, une dernière portion de 15.840 ha. Total Général : 292.098 ha.
34 Le caractère "parastatal" du nouveau P.N.A. impliquait une grande audace politique et
constitutionnelle puisque des étendues importantes de territoires coloniaux ou sous
mandat S.D.N. allaient cesser de relever de l'autorité exclusive du Gouverneur Général,
des gouverneurs et des Territoriaux locaux, pour être désormais "administrés" par une
"Commission Administrative" d'une institution autonome bénéficiant de la
personnalité civile. Plus hétérodoxe encore, cette Commission aux pleins pouvoirs allait
en son sein compter, sur un total de 18 membres, six personnalités étrangères
concernées par la protection de la Nature. Cette disposition visait à mettre en exergue
le caractère international et prioritairement scientifique (cf. Discours Royal
d'Installation de la Commission le 19 octobre 1931) que la Belgique et son Souverain
entendaient conférer à la nouvelle institution.
35 Dépendait alors de la Commission, pour assurer la gestion courante, un Comité de
Direction présidé par le Président de la Commission, composé d'une demi-douzaine de
Membres Belges où, très logiquement, figurait le nom de Victor Van Straelen.
36 Enfin un directeur complétait, avec voix consultative, ces deux collèges supérieurs. La
nomination de J.-M. Derscheid comme directeur ne fit à l'époque l'objet d'aucune
objection. Quant à la Présidence, elle fut attribuée au Prince de Ligne, dans un contexte
un peu trouble que caractérise l'article précité du 23 octobre 1931 du "Pourquoi
Pas ?"... pour matelasser les choses (sic) on mit à la tête de ces docteurs un homme qui
n'était pas du métier : on leur donna le Prince de Ligne parce qu'il allait au Kivu chaque
année et qu'au moins lui ne jalouserait la place de personne".
37 En son article 5, le Décret constitutif de 1929 prévoyait "il peut être créé un corps
spécial de conservateurs et de gardes". Cette disposition concrétisait ce qui, comme dit
plus haut, allait pendant des années entretenir des tensions, voire des sources de
conflits, entre les représentants sur place, portant titre de conservateur, de la nouvelle
institution P.N.A. et les autorités locales, principalement Clément Hemeleers, qui
antérieurement avaient seuls assuré l'administration du Parc.
38 Fut ainsi engagé par le P.N.A. le 1er novembre 1929 (donc sans attendre) le colonel
danois Rasmus Hoier, ancien de la Force Publique et des Campagnes de l'Est-Africain.
39 Du 1er janvier au 1 er mai 1930, le Président et le Directeur entreprirent ce que le
Ministère qualifia de "seconde mission". Certains aspects de celle-ci ne furent pas du
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goût de tout le monde, ouvrant la voie à des remarques du genre "Pourquoi Pas ?"
quant à l'inexpérience du Président et justifiant des allusions en demi-teinte de Paul
Brien (sa Biographie, p. 225) : "tout était à créer, il fallait apaiser des réticences, vaincre
des oppositions. Le naturaliste Derscheid y était peu préparé. Son initiation aux
opérations administratives était récente encore. Néanmoins, il fallait aller de l'avant
malgré les obstacles, l'inexpérience, les tâtonnements, les hésitations, les erreurs
inhérentes à toute oeuvre nouvelle. Derscheid eût dû être guidé et soutenu. "Et
pointaient ainsi des orages qui allaient fin 1933 conduire à l'effacement du pionnier
Derscheid.
40 Je n'étonnerai personne ni ne divulguerai de grands secrets en révélant que les
mécontentements croissants éprouvés à l'égard de cette évolution peu satisfaisante des
premières réalisationns in situ du P.N.A., furent surtout ressentis par le Roi-fondateur
et son conseiller scientifique d'alors le Prof. Victor Van Straelen. Sous leur double
impulsion furent préparées au Ministère plusieurs décisions importantes dont
certaines se concrétisèrent dès le 21 novembre 1931. A cette époque, coïncidant avec de
premiers renouvellements triennaux de Membres de la Commission et du Comité de
Direction, la Présidence de l'Institution fut assumée par S.A.R. le duc de Brabant, ayant
à ses côtés un Vice-Président, en l'occurrence Victor Van Straelen. Etaient à cette date
Membres du Comité de Direction le Prof. R. Bouillenne (Lg), Paul Charles,
Administrateur Général des Colonies, le Prof. Robyns (Lv), le Prof. Schoep (Gd), H.
Schouteden (Tervueren) et J. Willems, Directeur du F.N.R.S. ; le Dr. J.-M. Derscheid
restait directeur.
41 Début 1932, le Roi Albert décida de se rendre sur place, en compagnie de Victor Van
Straelen (23 mars au 25 avril). C'était, on s'en souvient, l'année de l'expédition F.N.R.S.
au Ruwenzori. Au cours de ce périple, où le Roi entreprit l'ascension du Mikeno, furent
prises d'autres résolutions importantes, notamment pour lancer l'exploration
scientifique du P.N.A. et l'organisation de l'importante mission de récoltes et
d'observations de l'herpétologue Gaston-F. de Witte.
42 Fin 1932, après son inspection sur place, le Roi Albert avait également demandé au
Gouverneur Général, à ce moment le Général Tilkens, de lui désigner une personnalité
de grand format qui, avec le titre de Conservateur P.N.A., allait pouvoir se charger de
certaines tâches importantes et délicates. Le choix se porta sur le Colonel Henri M.
Hackars, ancien Commissaire de District d'Irumu. Celui-ci, complétant et même coiffant
le Colonel Hoier, exerça par intermittence les fonctions de Conservateur à Rutshuru,
régla de nombreux problèmes avec les autorités locales, procéda à des enquêtes de
rachats de droits indigènes et accomplit une série de reconnaissances préliminaires à
l'éventuelle ultérieure extension du P.N.A. vers le Nord (plaine de la Semliki, massif du
Ruwenzori). Il se livra aussi, cette fois loin du P.N.A., à de premières négociations
préalables à de futures créations en Uele (Garamba) et au Katanga (Upemba). Son
habileté, avec en filigrane l'appui du Roi et du Gouverneur Général, fit merveille.
43 L'année 1933 vit alors se dessiner l'amorce d'un professionalisme de gestion qui allait
utilement remplacer l'aimable amateurisme de 1929-1932. Le Duc de Brabant, qui
présidait en personne toutes les séances du Comité et de la Commission, joua un rôle
important dans cet encourageant virage annonciateur de l'ère de grande rigueur
qu'allait bientôt imposer la poigne d'un Van Straelen. En 1933, il se rendit sur place,
accompagné de la Princesse Astrid.
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ANNEXES
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NOTES
1. Il a bien voulu préfacer chacun de mes épais volumes : "Rwanda" puis "Burundi".
2. Le présent article a fait plusieurs emprunts à une biographie de J.-M. Derscheid rédigée par le
Prof. Paul Brien et parue dans la Biographie Nationale (Bruxelles), t. XXXVII, suppl. t. IX, fasc.
premier, pp. 211 à 235.
3. Tombe que j'ai restaurée et fleurie en avril 1937 et qui est toujours très bien entretenue par
les Zaïrois.
4. La famille Derscheid détient des archives de Jean-Marie auxquelles, on devine pourquoi, je n'ai
jamais eu accès, mais que d'aucuns ont pu consulter, dont l'historien rundi Joseph Gahama. Héros
de la Résistance, J.-M. Derscheid fut décapité à la hache le 13 mars 1944 dans la prison de
Brandebourg, sur ordre de Himmler.
RÉSUMÉS
Director of the National Parks Institute of the Belgian Congo from 1935 to 1948, the author
describes the steps undertaken at the beginning of the 20th century which led to the creation of
the Institute in 1934. With the discovery of the Kivu mountain gorillas in 1902, hunters were the
first to become interested in the Congo wildlife. But following the visit of the taxidermist Carl
Akelei to Kivu in 1920 for the benefit of the National History Museum of New York and the
appearance of his book "In Brightest Africa" in 1921, coupled with the visit of King Albert to
Yellowstone National Park in the United States in 1919, the idea of creating a reproduction in the
Congo of the American "National Park" took shape in Belgium and in 1925, the "Albert National
Park" was created at Kivu. This was the first protected territory in Africa to be called a National
Park. Following the increase in number and extent of the National Parks in the Congo, the
National Parks Institute of the Belgian Congo was set up in 1934.
AUTEUR
JEAN-PAUL HARROY
Faculté des Sciences sociales, politiques et économiques – Université Libre de Bruxelles –
Belgique
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Introduction
1 Même pour des périodes récentes, et presque contemporaines, l'histoire de l'Afrique
n'est pas toujours aisée à reconstituer. Les documents écrits peuvent ne pas être
accessibles, être perdus, détruits ou incomplets. Dans ce cas, le chercheur n'a pas la
tâche plus facile que lorsqu'il a affaire à des documents oraux ou de toute autre nature.
L'exposé qui suit s'appuie sur des recherches effectuées aux Archives de la France
d'Outre Mer à Aix-en-Provence, aux Archives de l'Assemblée Nationale à Paris et à la
Bibliothèque Nationale (à Paris et à l'annexe de Versailles). Ces recherches, comme on
va le voir, ont permis effectivement d'éclaircir des données méconnues ou ignorées. En
ce sens, elles font progresser la connaissance. Cependant, il n'est pas possible d'être, la
plupart du temps, exhaustif, c'est-à-dire de mettre un terme définitif à la
reconstitution des événements. Le chercheur est en conséquence, la proie de
sentiments contradictoires : heureux de sa contribution partielle mais insatisfait de
n'avoir pu mener les choses à leur terme complet. Le texte qu'on va lire illustrera cette
situation.
2 La recherche concerne Barthélémy Boganda, premier prêtre oubanguien, fondateur de
l'actuelle République Centrafricaine, mort en 1959, quelques mois avant
l'indépendance. B. Boganda a été élu député du deuxième Collège de l'Oubangui-Chari,
le 10 novembre 1946, contre un autre Oubanguien, J.B. Songomali, et contre un
Antillais, G. Tarquin. Sa candidature avait été encouragée et aidée par les autorités
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En effet, L'Humanité, le journal du Parti Communiste Français, publie dans son numéro
du 16 août 1949, une photo de l'abbé Boganda, accompagnée d'un long extrait de cet
article qui dénonce les méfaits de la colonisation. Le même jour, Allobroges, journal
communiste du Dauphiné, et peu après Le petit Varois emboîtent le pas en le citant de
la même manière. Un mois plus tard, Anko, un journal malgache publie, lui aussi, un
extrait du même article de Boganda (n'oublions pas que ce territoire est encore sous le
choc des événements de 1947 qui avaient entraîné une série de répressions et la levée
de l'immunité parlementaire des trois députés malgaches à l'Assemblée Nationale).
9 Cette publicité inattendue, donnée au journal de Boganda par des partis politiques
adverses au sien, aura plusieurs conséquences.
10 – La première fut la réaction en France du journal colonial Climats dans son numéro du
2 septembre 1949. De ce jour, cet hebdomadaire mènera une dure campagne contre
Boganda, à travers de nombreux articles. La querelle s'achèvera en 1953 par une plainte
en justice de Boganda contre ce journal pour diffamation (nous n'avons pas pu
retrouver les éléments de cette affaire judiciaire).
11 – La seconde conséquence fut la distance progressive que Boganda prendra envers le
MRP et qui aboutira à sa démission le 4 juin 1950. D'ailleurs, au moment où éclate
l'Affaire du N° 5 et 6 de Pour sauver un peuple, Boganda est sur le point de créer son
propre parti, le MESAN (Mouvement pour l'Evolution Sociale de l'Afrique Noire), dont
la première réunion constitutive a lieu le 27 septembre 1949.
12 – Une autre conséquence, qui nous intéresse plus particulièrement ici, est la lettre du
22 octobre 1949 du Procureur Général de l'AEF à Brazzaville qui envisage de réclamer
des poursuites judiciaires contre Boganda à cause du fameux article du N° 5 et 6 de
Pour sauver un peuple. Un rapport joint à la lettre indique que ce journal ronéoté est
tiré sur les machines du secrétariat de l'Assemblée Nationale par Mademoiselle
Jourdain, secrétaire du Député (qui deviendra son épouse le 13 juin 1950). Selon le
même rapport, "le tirage irait jusqu'à 3.500 exemplaires".
13 La poursuite en justice, qui impliquait la demande de la levée de l'immunité
parlementaire, n'eut pas lieu. Ceci s'explique au moins pour deux raisons. D'abord, en
octobre 1949, Boganda était encore au MRP. Le ministre de la France d'Outre-Mer,
p. Coste Floret, était lui-même MRP. Mieux, à la faveur d'un remaniement de
gouvernement, à partir du 29 octobre 1949, le président du Conseil, George Bidault, est
MRP. Quant au Secrétaire d'Etat à la France d'Outre-Mer, L.P. Aujoulat, député du
Cameroun, ancien MRP, appartenant depuis le 16 novembre 1948 aux Indépendants
d'Outre-Mer, c'est un ami personnel de Boganda. Boganda et lui avaient créé à Lyon, le
7 juin 1948, l'Association des Amis de l'Afrique Noire. Boganda disposait donc, sur
l'heure, d'appuis politiques importants. Mais, légalement, une raison empêchait les
poursuites contre le député de l'Oubangui-Chari : Pour sauver un peuple n'était pas
vendu publiquement mais distribué de manière individuelle et privée. Boganda
demandait à ceux qui recevaient sa publication de lui donner une contribution s'ils le
voulaient bien. La publicité qu'en avaient faite les journaux de gauche n'était pas
directement imputable à Boganda. L'affaire en resta là.
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19 Les conseillers, élus en décembre 1946, étaient à l'époque patronnés par Boganda, mais
depuis longtemps la rupture est consommée entre eux et le député.
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20 – Boganda avait fondé l'Union Oubanguienne en septembre 1947 avec Georges Darlan,
le président du CROC. Or Boganda qui était le plus souvent à Paris devait s'en remettre
à Georges Darlan qui résidait à Bangui. Par suite de dissenssions avec G. Darlan,
Boganda démissionna le 15 octobre 1948. Ce faisant, il ne s'opposait pas seulement à G.
Darlan mais aussi aux conseillers qui soutenaient leur président.
21 – Les effets de la rupture s'observent au moment où le Conseil Représentatif de
l'Oubangui-Chari doit désigner un représentant au Conseil de la République (Sénat à
Paris). Bien que n'étant pas membre du Conseil Représentatif, Boganda peut participer
au vote en tant que député à l'Assemblée Nationale. Le 16 novembre 1948, pour ses
élections, Pierre Indo, le candidat de Boganda n'obtient qu'une seule voix (la sienne) !
J.B. Songamoli obtiendra 4 voix, et Jane Vialle, soutenue par G. Darlan, aura 16 voix et
emportera le siège de sénateur.
22 – A la même époque, en novembre 1946, Boganda se verra refuser par le conseil
représentatif de l'Oubangui-Chari des crédits pour sa coopérative, la Socoulole, alors
que les autres conseillers en obtiendront : G. Darlan pour sa Cotoncoop et Jane Vialle
pour L'espoir Oubanguien.
23 Boganda n'a donc plus du tout l'appui des conseillers Oubanguiens qui le désavouent.
Georges Darlan sera d'ailleurs candidat contre Boganda, le 17 juin 1951, au siège de
député à l'Assemblée Nationale.
L'Eglise
24 A la veille des élections de 1951, la rupture de Boganda avec l'Eglise est consommée. En
1946, Monseigneur Grandin avait aidé Boganda, mais dès son arrivée à Paris en
décembre 1946, le député ne s'était pas établi chez les Pères du Saint-Esprit, rue
Lhomond à Paris. En décembre 1949, les prises de position de Boganda et sa liaison avec
Mademoiselle Jourdain marquent un tournant décisif. Boganda envoie une longue
lettre à Monseigneur Cucherousset, le 1er décembre 1949, au sujet du célibat des
prêtres, où il s'en prend notamment aux missionnaires de l'Oubangui. L'évêque
réplique en faisant informer tous les fidèles, le 25 décembre 1949, que des sanctions
écclésiastiques ont été prises contre Boganda qui ne peut plus désormais exercer son
ministère.
25 Boganda perd ainsi, semble-t-il, le soutien de toute une importante partie de son
électorat. Il y sera certainement sensible car le 12 juin 1951, juste à la veille des
élections, il adressera une lettre à Monseigneur Cucherousset pour lui enjoindre de ne
pas faire pression sur les chrétiens en leur demandant de voter contre lui.
L'administration coloniale
26 Entre Boganda et l'administration coloniale, c'est la guerre ouverte qui porte sur deux
fronts : les injustices et les coopératives. On ne retiendra ici que le deuxième point qui
touche directement à notre sujet.
27 Boganda avait déposé les statuts de sa coopérative, la Socoulole, le 22 mai 1948 (parus
au Journal Officiel du 1/11/1948) pour laquelle il ne bénéficiera d'aucune subvention à
la différence des autres Oubanguiens comme G. Darían, J. Vialle, G. Condmat, Gandji-
Kobokassi. Boganda se débrouillera seul et assez bien pendant un certain temps.
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32 La procédure suit son cours. Le jugement du tribunal de Mbaïki est notifié à Boganda le
26 mai 1951. Il fait aussitôt appel le 2 juin. Il peut donc se présenter aux élections du 17
juin qu'il remporte malgré les pressions et les fraudes.
33 La machine judiciaire n'est pas stoppée pour autant. Le jugement en appel doit avoir
lieu le 6 novembre 1951 mais il est repoussé au 27. Stupéfaction ! La Cour d'Appel de
Brazzaville condamne Boganda à 45 jours de prison ferme sous l'inculpation de
provocation à attroupement, de pistage et coxage de produits. La procédure de flagrant
délit n'est pas retenue en ce qui concerne les menaces sous condition. Les trois autres
prévenus sont relaxés. Les journaux Le Monde et L'Observateur publient le jugement
dans leur édition du même jour. Lorsque Boganda rentrera à Bangui le 23 décembre
1951, il sera reçu triomphalement par la population.
34 Le 1er février 1952, Boganda reçoit notification de l'arrêt de la Cour d'Appel de l'AEF. Le
4 février 1952, Maître Paul Crémona, agissant comme mandataire au nom de Boganda,
pose un pourvoi en cassation. Le 11 avril 1953, la Cour de Cassation casse et annule
l'arrêt de la Cour d'Appel et renvoie la cause et le prévenu devant la cour d'Appel
autrement composée. Il n'y aura pas de suite. Le 1er décembre 1953, Boganda recevra
l'arrêt de relaxe de la Cour de Cassation pour le jugement du 29 mars 1951. Les faits
incriminés étaient, de toute façon, amnistiés par la Loi du 6 août 1953 qui libérait les
peines antérieures au 1er janvier 1953 si elles n'excédaient pas 3 mois de prison ou 1
année avec sursis, qu'il y ait eu amende ou non (il ne nous a pas été possible de
retrouver les archives judiciaires).
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presque, des candidats pour les élections du 30 mars 1952 et il est lui-même candidat
pour la Lobaye.
38 A ce point interviennent deux affaires :
39 – L'une est directement politique. Pour sa candidature, Boganda rédige une profession
de foi (que nous n'avons pas pu retrouver) si violente que le gouverneur et surtout des
membres de l'administration projettent de le poursuivre pour diffamation. Le
gouverneur préféra ne pas suivre cette voie. Il aura un entretien avec Boganda qui
accepta de revenir sur sa première déclaration et de produire un texte moins
enflammé.
40 Boganda avait eu du mal à digérer cette affaire. C'est pourquoi le 2 juillet 1952, il
enverra à tous les fonctionnaires de l'AEF la reproduction de l'article d'un français,
Marc Wincler, publié dans le numéro du 25 juin 1952 du journal Combat sous le titre :
"Rafle et corvée encore pratiquées au Gabon". Boganda joindra une lettre au
gouverneur Cédile en lui disant : "je me permets de vous demander de bien vouloir
faire un rapprochement entre cet article et ma profession de foi qui m'a fait passer aux
yeux de l'administration, des colons et des missionnaires pour un exalté et un ennemi
des blancs. L'avenir nous dira qui a raison. Déjà la lumière commence à se faire sur
certains points".
41 – La deuxième affaire est indirectement politique. Le 4 février 1952, Boganda remet un
chèque de 55.000 FCFA tiré sur la banque BAO, à la Société Agricole de la Mpoko, pour
régler l'achat de 20.000 briques ; seul problème, le chèque est sans provision.
42 Le 29 mars 1952, c'est dire juste à la veille des élections à l'Assemblée Territoriale de
l'Oubangui-Chari, la société dépose une plainte contre Boganda au tribunal de 1 ère
instance de Bangui.
43 Le lendemain, 30 mars 1952, Boganda est élu et son parti, le MESAN, obtient la majorité
absolue à cette nouvelle assemblée. Mais l'affaire suit son cours et le 10 mai 1952 est
adressée au Procureur Général une demande pour lever l'immunité parlementaire de
Boganda. Le 5 juin 1952, à la Commission des Immunités Parlementaire de l'Assemblée
Nationale à Paris, M. Grousseaud est nommé rapporteur de l'affaire Boganda, avec M.
Grouzier et Diallo comme membres de la sous-commission. Le 21 octobre 1952, Boganda
adresse une lettre d'excuse à Groussaud car il ne peut se rendre à la Commission des
Immunités Parlementaires. La réunion a donc lieu, sans lui, le 30 octobre. Le journal Le
Monde en parle dans son édition du 1er novembre 1952.
44 Le 5 novembre 1952, Boganda rembourse sa dette à la Société Agricole de la Mpoko par
deux chèques, l'un de 50.000 frs et l'autre de 5.000 frs. La situation est donc changée.
45 Le 6 novembre 1952, à la Commission des Immunités Parlementaires, Grousseaud, qui
avait précisément demander la levée de l'immunité parlementaire de Boganda,
démissionne de son poste de rapporteur qui est confié à Lacaze. Le 8 novembre 1952,
devant l'Assemblée Nationale, Lacaze déplore l'acte de Boganda mais propose de rejeter
l'autorisation de lever l'immunité parlementaire puisque la dette a été remboursée.
46 Le 13 novembre, l'Assemblée Nationale renvoie à nouveau le cas de Boganda à la
Commission des Immunités Parlementaires, car il semble que la Société Agricole de la
Mpoko maintienne sa plainte contre Boganda, malgré le remboursement. Le même jour
à la Commission des Immunités Parlementaires, Lacaze dit qu'il attend de nouvelles
informations.
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47 Malgré nos recherches, nous avons perdu la trace de l'affaire jusqu'au 12 mars 1953, où
à la Commission des Immunités Parlementaires, Lacaze indique qu'il a posé trois
questions au Ministre de la France d'Outre-Mer au sujet du problème de Boganda mais
que celui-ci n'a pas répondu.
48 Le cas de Boganda était suffisamment particulier pour que le 25 mars 1953, lors d'une
discussion générale à l'Assemblée Nationale sur le problème de l'immunité
parlementaire, le cas de Boganda soit évoqué au Ministre Garde des Sceaux par Lacaze
lui-même.
49 On retrouve encore mention de l'affaire à la Commission des Immunités Parlementaires
en date du 13 mai 1953. On apprend que Lacaze va rencontrer Boganda.
50 A partir de cette date, nous n'avons plus rien retrouvé et il nous est impossible de dire à
quel moment précis le dossier a été clos, puisque l'immunité parlementaire de Boganda
n'a jamais été levée.
51 Cette affaire de chèque pose beaucoup de questions irrésolues : pourquoi Boganda a-t-il
tant tardé pour régler ses dettes ? Qui étaient les propriétaires de la Société Agricole de
la Mpoko ? Pourquoi ont-ils maintenu leur plainte quand la dette a été réglée ? Cette
affaire réclamerait encore bien du travail pour être éclaircie.
Conclusion
54 Au terme de cette étude, on dégagera les conclusions suivantes :
55 * La lecture des archives et de divers documents prouve clairement les intentions de
l'administration oubanguienne à l'égard de Boganda. En effet, à part l'affaire du chèque
sans provision d'abord imputable à Boganda lui-même, tout le reste relève de la
politique : quatre cas concernent des textes (article de Pour sauver un peuple 1949,
article de Terre Africaine 1951, profession de foi électorale 1952, article de
L'Observateur 1953) et deux des actions (réunion illégale 1950, flangrant délit 1951). Il
est remarquable que la politisation excessive du "flagrant délit" de janvier 1951 a
permis à Boganda de gagner les élections du 17 juin 1951 et qu'elle a joué aussi en sa
faveur pour son histoire de chèque sans provision. Dans les débats à la Commission des
Immunités Parlementaires, plusieurs intervenants firent allusion à l'affaire de janvier
1951 et se sont demandés s'il ne s'agissait pas à nouveau d'une histoire politique.
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56 * Néanmoins, comme on l'a expliqué au début, la recherche, tout en mettant à jour des
aspects oubliés ou ignorés de la vie politique de Boganda, éclaire autant qu'elle
manifeste des zones d'ombres. Le travail est loin d'être achevé.
RÉSUMÉS
Barthélémy Boganda, the head Ubangan priest, founder of the present Central African Republic,
was elected a member of the second chamber of Ubangi-Shari in 1946. He enrolled in the
'Assemblée Nationale' of Paris in the M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire) as it seemed to
befit his role as a priest. Everything seemed set for success both from the point of view of the
Church and that of the colonial administration who thought that they had found a precious
political aid.
However, relations swiftly deteriorated; opposition and violent conflict flared up and boganda
was condemned by the administration. Between 1949 and 1953, seven attempts were made to lift
his parliamentary immunity; all failed. Only two were carried out through official and legal
channels, the other five are, however, revealing in that they show the frame of mind of the
administration and the colonial authorities towards Boganda. The aim of this article is to
examine these seven attempts.
AUTEUR
JEAN-DOMINIQUE PENEL
Université du Burundi – Bujumbura – Burundi
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jour patronnait deux établissements16 et, enfin, l'Eglise presbytérienne unifiée d'Amérique
du nord établit, elle, une école à Sayo.
9 L'enseignement dispensé dans ces institutions était généralement gratuit et recouvrait
à peu près les mêmes curricula qu'en Europe, les langues d'enseignement étant, par
ailleurs, tantôt l'anglais, le français ou l'amharique, tantôt une combinaison de deux
d'entre elles ou des trois17.
10 Ménélik II allait donc léguer ainsi à ses successeurs les fondements d'un système
éducatif largement conçu à l'aune occidentale et qu'il leur reviendrait de développer
face aux défis futurs qu'avait présagés ce gouvernant averti.
11 Ras Tafari Makonnen, régent depuis 1917, à la suite d'une des sempiternelles périodes
de troubles qui ont ébranlé la dynastie salomonide depuis la nuit des temps, et qui a
provoqué la chute de Lij Yasu, lequel a furtivement succédé à Ménélik II, mort en 1913,
va poursuivre la politique d'éducation lancée par le père de l'Ethiopie moderne.
12 Inaugurant, en 1927, l'école Tafari Makonnen, destinée à remplacer l'ancienne Ménélik
II, le régent souligne, dans son allocution, la corrélation entre éducation et
indépendance, le progrès, et donc l'indépendance, étant subordonnés à l'enseignement.
Et, finançant Tafari Makonnen de ses propres deniers, l'héritier du trône a ébauché la
voie à suivre18, c'est au peuple qu'il incombe dès lors de persévérer] Les cours (français,
anglais, anglais, arabe, arithmétique, chimie, physique) inclus dans le curriculum de
cette nouvelle école sont dispensés par des professeurs français et libanais
francophones, dont le traitement sera, en partie, garanti, dès 1926, par le prélèvement
d'une taxe (6 % ad valorem) sur toute opération d'import-export. Il s'agit là de la
première mesure de financement du secteur de l'éducation par les pouvoirs publics 19.
13 La même année encore, le pouvoir impérial crée, cette fois, une école pour esclaves
affranchis, et, de 1928 à 1929, l'école Saint-Georges (F) 20 ainsi que différents
établissements provinciaux21. Toutefois, éternelle pierre d'achoppement, seule la
noblesse a les moyens d'y envoyer ses fils.
14 L'année de son intronisation (1930), l'empereur, qui a pris le nom d'Haile Sellassie I 22,
institue le ministère de l'Education et des Beaux-arts, lequel se voit allouer, en sus du
produit de la taxe imposée depuis 1926, deux pour cent des revenus du Trésor 23. Au
début des années trente, huit établissements d'enseignement officiel sont ouverts en
province et sept à Addis Ababa, dont le Lycée Haile Sellassie I (F) 24. Et c'est en 1931
qu'apparaît la première institution d'enseignement pour filles de la noblesse, Itegue
Menen, du nom de l'impératrice, qui en a promû la création. Parallèlement est fondée
Medane Alem, école destinée à accueillir les enfants des balabat, chefs locaux des
marches méridionales de l'empire.
15 Pendant quelques années encore, le pouvoir accroît le nombre d'établissements
scolaires25, fondant également, en 1935, une école pour les enfants des ressortissants
grecs, arméniens et indiens. En outre, il accorde des bourses d'études pour l'étranger,
envoyant quelques centaines d'étudiants dans plusieurs pays du Proche-Orient, de
même qu'en Europe occidentale et aux Etats-Unis.
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264
16 L'invasion italienne de 1935 va toutefois mettre à bas les projets impériaux. En fait,
depuis 1907 déjà, en Erythrée, l'occupant a décrété le développement séparé, qui porte
en germe le ferment de la politique dévastatrice que feront leur, à partir de 1922, les
maîtres du futur et éphémère empire d'Afrique orientale. Aussi, dès l'occupation d'Addis
Ababa, en mai 1936, les Italiens excluent-ils virtuellement les autochtones de
l'enseignement secondaire, ferment nombre d'écoles officielles, expulsent quasi tous
les missionnaires étrangers, au premier rang desquels les protestants, et l'ordre
mussolinien s'installe pour cinq ans.
17 Après la libération du pays, en mai 1941, le pouvoir semble entendre doter le secteur de
l'enseignement de nouveaux moyens, instituant, en 1947, une taxe foncière qui servira
à financer les activités du ministère de l'Education nationale, et portant son budget de
un million de dollars éthiopiens26 en 1943, à dix millions en 1950. Cette majoration se
révèle d'autant plus nécessaire que, en ce début des années cinquante, il est
sérieusement envisagé de jeter les bases d'un enseignement supérieur alors que,
jusqu'à présent, seul un séjour à l'étranger permettait de s'affranchir du niveau de
l'enseignement secondaire.
18 Ainsi, en décembre 1950, la première institution d'enseignement supérieur, le University
College of Addis Ababa, dirigée par des jésuites canadiens, ouvre ses portes, accueillant
220 étudiants. Dans le but de diversifier un enseignement à caractère fort général au
départ, il est vrai, le University College se voit adjoindre, en quelques années, différents
départements : ingénierie (1953), génie civil (1954), agronomie (1954) et santé publique
(1954). Tout aussi intéressante est la création, dès 1953, du University College Extension
Service, système original s'adressant aux Ethiopiens appartenant à la classe moyenne de
la population active et désireux d'acquérir une formation complémentaire tout en
poursuivant leurs activités professionnelles. Il s'agit de cours de fin de journée, étalés
sur sept ou huit années et conférant trois niveaux différents de diplôme 27. D'emblée,
cette seule section enregistre 150 inscriptions en 1953, et déjà 367 trois ans plus tard 28.
19 Partant, en cette fin de décennie, l'avenir de l'enseignement semble, apparemment, se
dessiner sous de favorables auspices et, a fortiori, lorsque, en 1959, une mission
universitaire américaine de l'Etat d'Utah met la dernière main au projet de fondation
de l'Haile Sellassie I University, dont un comité ministériel a esquissé l'idée depuis 1951.
20 En 1961, l'empereur, qui, en décembre de l'année précédente, a failli être renversé par
un soulèvement de la garde, inaugure la Conférence des ministres de l'Education des Etats
africains. La conférence d'Addis Ababa vise, d'une part, à proposer un plan
d'africanisation des systèmes hérités de la colonisation et, d'autre part, à inventorier
les carences existantes ainsi que les adjuvants nécessaires à l'essor du secteur.
21 Et, stupéfaction, un des principaux documents de travail29 jette l'anathème sur
l'Ethiopie ! En effet, les synopsis statistiques renvoient invariablement l'empire au rang
des laissés-pour-compte. L'Ethiopie, symbole, égérie même, de ces Etats, aurait-elle
failli, envers ses sujets, à un des premiers devoirs que, précisément, entendent
s'assigner ses jeunes pairs ? Pourquoi ?
22 Avant d'aborder le fondement de cette situation particulièrement délétère, il
conviendrait de se référer brièvement à quelques éléments statistiques caractéristiques
de l'année scolaire 1960-196130. Ainsi, pour l'enseignement primaire, le nombre total
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265
des inscriptions ne représente que 5,6 % de la classe d'âge des degrés (grade) 1 à 8 31, à
savoir quatre millions d'élèves potentiels ; pour l'enseignement secondaire, 1 % de la
classe d'âge des degrés 9 à 12, soit environ deux millions et demi d'élèves potentiels 32 ;
quant à l'enseignement supérieur, le pourcentage est insignifiant. En ce qui concerne
les écoles, 1019 ont été ouvertes dans le primaire et 46 dans le secondaire. Toutefois,
sur les 1019 premières, 30 % seulement dispensent un enseignement jusqu'au degré 6,
et, de ces 30 %, uniquement les deux tiers assurent un enseignement jusqu'au degré 8.
Pour le secondaire, seuls 28 des 46 établissements sont officiels ; de ces 28, 14 sont
localisés à Addis Ababa et regroupent 40 % de toutes les inscriptions du pays pour les
degrés 9 à 12, avec même 60 % de toutes les inscriptions du pays pour le degré 12 33.
23 Mais ce n'est pas à l'aune des critères d'évaluation de la situation prévalant dans
d'autres pays africains que doit être approché le problème de l'éducation en Ethiopie,
en cette année 1961, en ce sens que ce sont les réalités profondes de la société elle-
même qui recèlent en leur sein la logique causale de cette situation, légitimant, somme
toute, tout à fait les options du pouvoir.
24 En fait, la structure pyramidale de la société est dominée par un seul homme,
l'empereur, monarque absolu. Toutefois, depuis les temps immémoriaux, constants ont
été les accès des éditions des grands feudataires et les intrigues de palais précipitant
l'accession au trône d'un nouveau prince amhara34. En sus, depuis la fin du dix-
neuvième siècle, l'Abyssinie s'est considérablement étendue du fait des conquêtes de
Ménélik II, et ces marches de l'empire que forment les nouvelles provinces lointaines
ne sont pas encore totalement colonisées. C'est pourquoi, dès son avènement, et même
avant, Haile Sellassie I n'aura de cesse d'oeuvrer pour la consolidation de son pouvoir
et la prééminence de la culture amhara. Et ce par le biais d'une administration
hypercentralisée, sinon totalement amhara au moins amharophile, dont l'allégence
sera indéfectiblement garantie au roi des rois dès lors que c'est à lui, initiateur du réseau
d'enseignement qui la générera, qu'elle devra son existence et ses privilèges,
principalement fonciers, lesquels ne peuvent être concédés que par l'empereur,
propriétaire, de droit divin, de toutes les terres du pays. Aussi, dès 1917, comme nous
l'avons vu déjà, celui qui n'est encore que le régent de l'empire va entreprendre le
développement de son système d'éducation.
25 En aval des institutions d'enseignement se situent le University College et la future
Haile Sellassie I University, dont les épreuves éliminatoires favorisent notoirement les
candidats de l'ethnie dominante, consentant toutefois à des étudiants non-amharas de
conclure brillamment leurs études, non par condescendance, mais dans l'idée qu'ils
constitueront plus tard les mandataires utiles de l'autorité impériale auprès des
peuplades colonisées, dès lors que, étant des leurs, ils s'y intégreront moins difficilement.
Il y a lieu de remarquer cependant que les cols-blancs non-amharas n'accéderont, en
règle générale, que sporadiquement à des responsabilités supérieures ; ainsi, par
exemple, sur les 119 portefeuilles ministériels attribués de 1944 à 1966, 96 écherront à
des Amharas, dont 85 à des Shoans35.
26 En amont se trouve le réseau des écoles secondaires et primaires, dont il n'y a pas lieu
d'accroître le nombre puisque, si les effectifs sont limités dorénavant à quelque 250.000
inscrits dans le primaire et le secondaire, moins d'un pour cent auront,
vraisemblablement, accès, plus tard, à l'enseignement supérieur, ce qui suffira à
assurer la relève dans l'administration et, partant, la pérennité du système.
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267
arts. En réalité, une initiative identique avait déjà vu le jour dans les années cinquante
mais, vite jugée inintéressante sans doute, elle avait détourné d'elle toute prodigalité
impériale. Cette fois, un vice-ministre est nommé à la tête de ce département dont
l'effectif, fort seulement de quelques fonctionnaires, va, hélàs, devoir se disperser
considérablement au vu du nombre de ses attributions : curricula, matériel didactique,
planification, statistiques, mass media, organisation des examens, recherche et
publication.
33 En 1968, le gouvernement adhère au Programme mondial d'alphabétisation 44 lancé par
l'Unesco et le PNUD, et dont la FAO ainsi que l'OIT prendront en charge les formations
agricole et professionnelle. Le fonds spécial du PNUD assurera le financement du projet
à concurrence de 1,5 million US $, auquel s'ajouteront 2,5 millions US $ sous forme de
matériel fourni par le gouvernement. Conformément aux prescriptions de l'Unesco, les
experts commis au PAAOP45 sélectionnent ainsi des micro-environnements spécifiques,
où, conformément au nouveau concept d'alphabétisation fonctionnelle, il sera possible
d'évaluer l'incidence d'une symbiose réalisée entre l'alphabétisation et les activités
menées traditionnellement en ces sites46. Il s'agit là en réalité d'une optique novatrice
de l'Unesco dès lors que, jusqu'au milieu des années soixante, l'organisation
internationale a privilégié l'aspect scolaire de l'alphabétisation. Toutefois, considérant
le coût rhédibitoire, pour les pays moins développés, d'une telle entreprise visant
exclusivement à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, l'Unesco entend
désormais coordonner curricula des campagnes d'alphabétisation et développement
socio-économique des pays concernés, dans le but de rentabiliser son action, tout en lui
préservant sa dimension de promotion de la dignité humaine. L'alphabétisation
fonctionnelle implique donc la préparation de curricula et d'un matériel didactique en
étroite relation avec les activités quotidiennes des 100.000 futurs apprenants prévus.
C'est ainsi qu'abécédaires, textes de suivi, films d'animations et émissions
radiophoniques mis au point pour ce projet, qui devrait s'échelonner jusqu'en 1973, se
concentreront sur des thèmes afférents, tels l'agriculture, le foyer, l'artisanat rural, la
manufacture ou encore l'éducation sanitaire.
34 Ces années soixante s'achèvent, en fait, sur un constat à tout le moins ambigu. En effet,
d'une part, les révélations de la conférence d'Addis Ababa pourraient incliner à penser
que les gouvernants éthiopiens, aidés par la communauté internationale certes,
mettront tout en oeuvre pour que leur pays recouvre le prestige considérable dont il
jouissait auprès de ses pairs africains, et le vaste projet PAAOP ainsi que l'essor de
l'université Haile Sellassie I sont peut-être les premiers signes d'une telle nouvelle
détermination. D'autre part cependant, et paradoxalement a priori puisqu'ils semblent
désormais attirer la meilleure attention des autorités tutélaires, les étudiants
contestent de plus en plus ouvertement ces mêmes gouvernants, mais en dépassant
largement le cadre des traditionnelles revendications puisque, aussi bien, ils remettent
en cause les fondements de la société éthiopienne. L'interrogation se pose dès lors de
savoir si, en cette fin de décennie, les nouvelles dispositions arrêtées par les
gouvernants s'inscrivent réellement dans une stratégie globale de développement du
système éducatif ou bien s'il ne s'agit là que d'un cautère sur une jambe de bois,
appliqué par un pouvoir refusant de sentir que, déjà, peut-être, ses bases vacillent
dangereusement.
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Le système formel
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sinon de combler à court terme le fossé séparant les deux pôles de la société, au moins
d'enrayer cette involution du secteur de l'enseignement.
39 En données absolues, incontestablement, l'éducation nationale a engrangé des résultats
positifs. Ainsi son budget est-il passé de 28 millions de dollars éthiopiens en 1962, à 56,6
millions en 1967, et à 96,6 millions en 1974 ; ce qui constitue une majoration de 245 %
en 12 ans51. Toutefois la ville a, à nouveau, accaparé les investissements aux dépens du
milieu rural. Ainsi, bien qu'elles ne regroupent que 10 % de la population, les zones
urbaines disposent de la moitié des infrastructures scolaires du pays 52.
40 Le corps enseignant, quant à lui, est constitué à raison de 47 % de professeurs
étrangers, indiens principalement ; et la plupart de ces expatriés sont directement
rémunérés par l'aide occidentale. C'est d'ailleurs afin de pallier cette carence que, en
1972, la BIRD53 et l'AID ont financé la création de l'académie pédagogique de Bahir
Dahr, l'assistance technique et le matériel étant garantis par l'Unesco et le PNUD.
L'académie s'emploie à former des pédagogues éthiopiens qui, à leur tour, devront
mettre sur pied un réseau d'écoles normales.
41 Par ailleurs, les termes relatifs de l'évolution du secteur de l'enseignement dans le
primaire et le secondaire54, mettent en évidence la modicité des moyens mis en oeuvre,
par rapport aux besoins d'une population dont le rythme annuel de croissance avoisine
3 %55. En outre, la multiplication des écoles privées, 1.283 sur les 3.287 inventoriées
pour l'année 1973-197456, confirme cette faiblesse, beaucoup plus structurelle que
conjoncturelle, nous l'avons déjà noté. La conclusion en est que "(...) le pourcentage des
enfants en âge d'aller à l'école primaire et qui y [vont] effectivement ne dépass[e] pas
18 % ; le pourcentage correspondant [est] de 8 % environ pour le premier cycle de
l'enseignement secondaire et de 3 % environ pour le deuxième cycle. Le taux de
scolarisation [est] encore plus faible dans les zones rurales, très souvent inférieur à 1 %
des enfants d'âge scolaire"57.
42 Mais, en ce début d'année 1974, ce sont, cette fois, les enseignants éthiopiens, qui, à
leur tour, entrent en lice. En fait, ceux-ci veulent s'opposer à une réforme du système
d'éducation prônée par les experts internationaux, lesquels, entre autres, soulignent la
nécessité de généraliser l'enseignement primaire. Or, si cette réforme aboutit,
beaucoup d'entre eux devront quitter Addis Ababa pour l'intérieur du pays, perspective
qu'ils refusent catégoriquement.
43 Enfin, dernier niveau de l'éducation formelle, l'enseignement supérieur est agité,
depuis quelques années, de soubresauts préoccupants. En effet, il convient de se
rappeler que, en 1964, les étudiants ont réclamé l'institutionnalisation de l'ethiopian
university service, initiative qui trahit la préoccupation d'aucuns quant aux conditions de
vie de l'écrasante majorité de la population. Un an plus tard, ils ont manifesté pour la
proclamation d'une réforme agraire, remettant par là en question le mode de tenure
foncière dont ils savent pertinemment qu'elle constitue l'instrument essentiel de la
pérennité de la société et, partant, de ce pouvoir. En réalité donc, il ne s'agit pas tant de
vilipender le régime pour la qualité de l'enseignement, bien que, en termes relatifs, les
crédits aient diminué de moitié, entre 1970 et 1973, vu l'accroissement du nombre
d'étudiants, soit 1.000 inscrits en 1962-1963 et plus de 4.000 en 1969-1970. Le sujet
d'inquiétude est plutôt l'insuffisance de débouchés professionnels dans un secteur
secondaire pratiquement inexistant, alors que la fonction publique, elle, est déjà
pléthorique.
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NOTES
1. Les habitants de la péninsule yéménite entretenaient, depuis l'antiquité, des relations
commerciales suivies avec une peuplade occupant l'autre rive du Bâb al-Mandab, les Habascha. Et,
par extension, ils dénommèrent ainsi toute la région. C'est ainsi que, aujourd'hui encore,
Habascha signifie Ethiopie en arabe classique. Les géographes européens, se fondant sur cette
appellation, désignèrent dès lors du nom d'Abyssinie le plateau granitique situé à l'est de
l'Afrique, entre la mer Rouge et le Nil.
2. Le guèze est une des langues de la troisième (sémitique) branche d'une (afro-asiatique) des
quatre familles qui se partagent l'Afrique. issu du guèze, l'amharique, langue de l'ethnie au
pouvoir jusqu'en 1974, les Amharas, fut consacré langue officielle du pays par la constitution
révisée de 1955. Supplanté par l'amharique comme langue nationale, le guèze allait néanmoins
demeurer la langue liturgique de l'Eglise copte ethiopienne.
3. En 1988, les agriculteurs constituaient encore 88 % de la population totale (Cfr. Rapport mondial
sur le développement humain 1990, New York, Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD), 1990, p. 154).
4. Cfr. PANKHURST, R., "Education Language and History : An Historical Background to Post-War
Ethiopia", The Ethiopian journal of Education, Vol. VII, n° 1, June 1974, pp. 75-77.
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5. Certes existait également un réseau d'écoles coraniques, mais beaucoup moins nombreuses, et
dont le curriculum d'enseignement se limitait à l'apprentissage et l'interprétation des textes
sacrés.
6. Cfr. SEDOC ETHIOPIA, L'Ethiopie aujourd'hui. Aspects du développement, Addis Ababa, French
Embassy, Service of Documentation and Communication for Development, novembre 1977,
p. 116 : "Ménélik eut à faire face à un phénomène complètement nouveau pour un empereur
éthiopien : le besoin d'une élite éduquée pour faire face à l'ouverture au monde moderne de
l'Ethiopie. Addis Abeba était remplie de légations étrangères déterminées à signer des traités,
fixer des frontières, établir des relations commerciales et obtenir des concessions ; mais aussi de
marchands, agents, aventuriers, cherchant à obtenir des contrats, franchises et emplois comme
conseillers, interprètes, artisans, mercenaires etc...".
7. Cfr. ROSEN, E., Eine deutsche Gesandtschaft in Abyssinien, Leipzig, 1907, p. 267.
8. En vertu d'un accord historique signé en 1300, l' abouna, métropolite de l'Eglise copte
(monophysite) d'Ethiopie, ne pouvait être éthiopien, de même était-il investi par le patriarche
d'Alexandrie. Cette situation prévalut jusqu'à la fin de la première moitié du vingtième siècle.
9. Afin de faciliter l'appréhension du système d'éducation, nous appliquerons, en ce qui
concerne les réseaux d'enseignement, la terminologie en vigueur en Belgique. Ainsi
distinguerons-nous les écoles officielles, ou gouvernementales (governmental), des écoles libres
(church's) et privées (public).
10. Cfr. PANKHURST, E.S., Ethiopia. A cultural History, Woodford Green, 1955, pp. 534-535.
11. Cfr. JONES, T.J., Education in East Africa, London, s.d., p. 327.
12. En arabe classique, askari signifie gardien ou homme d'armes. Aussi les explorateurs
européens, partis de la côte orientale de l'Afrique, dénommèrent-ils askari les Noirs enrôlés pour
protéger leurs caravanes. Par extension, ce nom fut donné, plus tard, aux soldats des troupes
d'infanterie indigène recrutés parmi les populations musulmanes d'Afrique et d'Asie.
13. L'empereur Zara Jacob, qui était monté sur le trône en 1434, avait divisé l'empire en unités
administratives. C'était ainsi que la province de la mer – Erythrée étant une dénomination purement
européenne – était dirigée par le roi de la mer, le bahar nagash.
14. A Alitena, Gula et Addis Alem.
15. Mission suédoise évangélique et Mission suédoise des amis de la bible.
16. A Addis Ababa et Addis Alem.
17. Cfr. PANKHURST, R., op.cit., p. 89.
18. Plus exactement, le régent suivait la ligne de Ménélik II dont le trésor impérial avait financé
la mise sur pied et le fonctionnement de la première école officielle (Cfr. SEDOC ETHIOPIA, op.cit.,
p. 116).
19. Cfr. PANKHURST, R., op.cit., p. 90.
20. (F) = le français comme langue d'enseignement.
(E) = l'anglais comme langue d'enseignement.
21. A. Dessie (F), Dire Dawa (F-E), Djidjiga (E) et Lekempt (E).
22. Haile Sellassie signifie force de la Sainte-Trinité enamharique.
23. Cfr. PANKHURST, R., op.cit., p. 91.
24. Rebaptisé Lycée franco-éthiopien à la révolution de 1974.
25. A Harar (F), Ambo (F), Djimma (F), Salale (F), Asba Tafari (E), Gondar (E), Debre Markos (E),
Adwa (E) et Makale (E).
26. Rebaptisé birr le21 septembre 1976, la devise éthiopienne vaut 0,4825 US $.
27. Certificate, diploma, degree.
28. Cfr. GOVERNMENT OF SOCIALIST ETHIOPIA, Twenty Years of Experience in the Reform,
Redirection and Expension of Educational Services. The Case of Ethiopia, Country paper prepared for
MINEDAF 5, The Conference of Ministers of Education and those responsible for Economic
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Planning of African member States, on Educational Policy and Cooperation, Harare, Zimbabwe, 28
June to 3 July 1982, Addis Ababa, Ministry of Education, May 1982, pp. 42-43.
29. Cfr. The Educational Situation in Africa Today, Conference Document EDAF/s/', 1961.
30. L'Ethiopie utilise le calendrier julien. L'année commence le 11 septembre (maskarem 1) et
comprend douze mois de 30 jours ainsi qu'un mois de 5 ou 6 jours (pagume), selon que l'année est
bissextile ou non. Notre année scolaire 1960-1961 correspond donc à l'année scolaire éthiopienne
1953. Nous utiliserons ici le calendrier grégorien.
31. L'enseignement primaire et secondaire étant, à l'époque, réparti en, respectivement, 8 et 4
années, nous respecterons cette distinction. En 1967, la structure sera modifiée comme suit :
niveau primaire (primary) : degrés 1 à 6 ; niveau secondaire, cycle inférieur (junior secondary) :
degrés 7 et 8 ; niveau secondaire, cycle supérieur (senior secondary) : degrés 9 à 12.
32. Cfr. GOVERNMENT OF SOCIALIST ETHIOPIA, Twenty Years.., op.cit., p. 5.
33. Cfr. ibid., p. 6.
34. En arabe classique, ahmar qualifie un individu métissé et l'analogie avec le teint
généralement clair de l'ethnie ahmara semble plausible. Depuis le quatorzième siècle, comme le
relate le Kebra Nagast (ce Livre des rois est une chronique compilée par les moines éthiopiens
depuis cette époque), les Ahmaras de la province du Shoa dominent l'empire.
35. Cfr. VANDERLINDEN, J., L'Ethiopie et ses populations, Bruxelles, Complexe, 1977.
36. Yefidal serawit, en amharique.
37. Cfr. THE DEPARTMENT OF ADULT EDUCATION, General Adult Education Programmes in Ethiopia
with Emphasis on the National Literacy Campaign, Addis Ababa, Ministry of Education, September
1980, p. 2 : "In a country where about ninety languages are spoken, fourteen of which are widely
spoken the official language, Amharic, was the language used as the only medium of instruction,
both in the formal and non formal education".
38. Cfr. COMITE DE COORDINATION DE LA CAMPAGNE NATIONALE D'ALPHABETISATION, Chaque
Ethiopien saura lire et écrire pour toujours !, Addis Ababa, mai 1981, pp. 8-10.
39. AID, groupe de la Banque mondiale.
40. Cfr. GOVERNMENT OF SOCIALIST ETHIOPIA, Twenty Years..., op.cit., p. 9 : "Capital funds were
provided through the first and second IDA Credit Programmes which began in February 1966, for
the purpose of equiping schools in which students were already enrolled".
41. En 1966, avec l'ouverture de la faculté de médecine, l'extension de l'université se clôturera.
42. Le système restera en vigueur jusqu'en 1970-1971.
43. Cfr. GOVERNMENT OF SOCIALIST ETHIOPIA, Twenty Years..., op.cit., pp. 44-46.
44. Pour l'Ethiopie, ce sera un Projet d'alphabétisation des adultes à orientation professionnelle,
PAAOP.
45. Pour l'ensemble des données et enseignements du PAAOP Ethiopie, Cfr. Functional Literacy in
Ethiopia, Imperial Ethiopian Government/UNDP/UNESCO Work-Oriented-Adult-Literacy-Project,
Addis Ababa, Ministry of Education and Fine Arts, 1974, 75 pages, 6 annexes ; SINGH, B.N. &
EVALUATION AND RESEARCH SECTION, IMPERIAL ETHIOPIAN GOVERNMENT/UNDP/UNESCO –
Work Oriented Adulte Literacy Pilot Project – Ethiopia – Final Evaluation Report, Addis Ababa, Ministry
of Education and Fine Arts, December 1973.
46. Quatre zones d'action furent retenues : le centre de développement agricole de Wollamo
(projet du gouvernement et de la Banque mondiale dans la région de Sidamo, le centre de
développement agricole de Chilalo (projet de l'Agence suédoise internationale de développement
- SIDA - dans l'Arssi), les caféières de Djimma et le complexe industriel en développement le long
de l'axe Addis Ababa – Metahara.
47. Cfr. COMITE DE COORDINATION DE LA CAMPAGNE NATIONALE D'ALPHABETISATION, op.cit.,
p. 11.
48. Ibid., p. 13.
49. Ibid., p. 12.
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RÉSUMÉS
Having only been left to the initiative of the clergy till the end of the 19 th century, the first
official schools were created under Melenik I's reign. This education system, together with a
certain nomber of private schools set up by western religious orders, was to develop thanks to, in
particular, the establishment of a Ministry of Education in 1930 by Hailé Selassie. The momentum
was interrupted between 1935 and 1941 with the Italian invasion but it picked up from then
onwards with the introduction of a land tax aimed at financing the education system.
The first Conference of the African States' Education Ministers took place in Addis Abbeba in
1961 and the Unesco report presented there denounced the short-comings of the education
system in Ethiopia : primary education only covered 5.6 % of the children from the related age
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bands. Furthermore, education was restricted to the dominant ethnic group, in their language,
Ahmaric, and clearly favoured cities over rural areas.
Once this situation was denounced, the Empire tried to boost the fortunes as a Modern State by
implementing policies for literacy and for developing education.
Nevertheless, just before the 1974 military coup, the situation, increasingly denounced by
students themselves, had hardly changed: 18 % of children were in primary school in towns and
only 1 % in the countryside.
AUTEUR
ALAIN VERHAAGEN
Faculté des Sciences sociales, politiques et économiques – Université Libre de Bruxelles –
Belgique
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