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Afrique noire: à l'origine de l'historiographie africaine de langue française

Author(s): Catherine Coquery-Vidrovitch


Source: Présence Africaine , 1er semestre 2006, Nouvelle série, No. 173 (1er semestre
2006), pp. 79-90
Published by: Présence Africaine Editions

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43617259

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Afrique noire : à l'origine de l'historiographie africaine
de langue française

Catherine Coquery-Vidrovitch*

Les « africanistes » français paraissent l'oublier trop souvent : les toutes


premières thèses en Histoire africaine (d'État s'entend, la thèse de 3e cycle
n'existait pas encore) furent écrites et soutenues par des historiens africains.
Certes, les directeurs de recherche et les membres du jury étaient, à l'époque,
tous français et l'université de Dakar n'était pas encore autonome, elle dépen-
dait de celle de Bordeaux. C'est néanmoins à Toulouse le Mirail que soutint
en 1978 le Nigérien André Salifou, sur un texte dont l'un des membres du
jury, Henri Brunschwig, revint de la soutenance, je m'en souviens encore,
enchanté (voire vaguement étonné?) de la qualité du travail1. Avant lui
n'avaient eu lieu (sauf erreur toujours possible de ma part) que deux autres
soutenances d'État, toutes deux majeures : celle d'Abdoulaye Ly, le premier à
aborder sans complexe l'histoire de la traite négrière adantique à propos de la
Compagnie du Sénégal (titre de son travail), et le premier historien africain à
soutenir, dès 1955, avant l'indépendance donc, une thèse d'État, ce qui l'au-
rait habilité à enseigner à l'Université s'il n'avait pas choisi dès l'indépendance
une vie de militant politique2; et celle, mémorable, de Cheikh Anta Diop, en
1958. Son projet primitif, paru en 1954 sous le titre de Nations nègres et

* Professeure émérite, Université Diderot-Paris 7.

1. Colonisation et sociétés indigènes au Niger de la fin du XIXe siècle au début de la Seconde


Guerre mondiale. Le directeur de sa thèse de 3e cycle (sur l'histoire du Damagaran) avait été,
en 1970, Jacques Godechot. Celui de sa thèse d'État fut Xavier Yacono. Tous deux étaient
spécialistes de l'histoire du Maghreb colonial.
2. En 1955, Abdoulaye Ly avait aussi soutenu ce qu'on appelait alors la «thèse complémen-
taire» (qui fut ressuscitée plus tard, au milieu des années 1960, sous la forme de thèse de 3e
cycle), Le sujet en était l'analyse du Journal de bord d'un navire négrier, L'Amitié, opérant
sur les côtes sénégalaises en 1685. À noter qu'à peu près à la même date, Pierre Léon, qui
allait devenir un historien réputé de l'économie française, soutenait sa thèse complémentaire
sur les investissements négriers dun marchand de Franche-Comté...

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80 PRÉSENCE AFRICAINE

Culturé, n'avait pas paru «soute


seconde version4 fut fermemen
gues, par l'ethnologue Marce
«gauchisme». Abdoulaye Ly, m
l'idée classique que l'establishme
naissait alors comme thèse d'Ét
sujet relativement délimité, non
sources primaires essentiellem
Ibrahima Thioub en a néan
l'époque5. Cheikh Anta Diop,
beaucoup a déjà été écrit sur
conception même de l'égypto
véritable tollé, difficile à comp
depuis, à commencer par le p
son tour l'objet de nombreuses
indiscutable que ce savoir « in
construction scientifique élab
datées des premiers égyptologu
revendiquait alors comme la se
difficile de faire admettre à se
pour d'autres de se revendiquer
la même «mère». Il en résulta d
ques, qui se soldèrent par un
rédigé à l'issue du colloque du
l'historien médiéviste Jean Dev
version originale du tome 2 d
l'UNESCO). Ce fut une espèce
aux partisans de Cheikh Anta D
(les égyptologues alors les plus r
Yves Leclant ayant consenti à re
caractères proches des société
autant la grande réserve des ég
directe entre l'Égypte et l'Af

3. Sous-titre : De l'Antiquité nègre égy


jourd'hui, , Paris, Présence Africaine.
4. L'Afrique noire précoloniale. Étude co
l'Afrique noire de l'Antiquité à la form
5. «L'historiographie de « l'École de
l'histoire», in M. C. Diop, Le Sénégal
153.).
6. Bernai (Martin), Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization. T. I : The
Fabrication of Ancient Greece , 1785-1985 , 1988 (traduit L'invention de la Grèce antique,
1785-1985, Paris, Presses universitaires de France, 1996).

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AFRIQUE NOIRE : À L'ORIGINE DE L'HISTORIOGRAPHIE. . . 81

assiste encore à des querelles parfois ridicules, quand on prétend par exemple
démontrer la couleur de Cléopâtre, dernière reine de la dynastie ďorigine
grecque des Ptolémée ďÉgypte, couleur dont d'évidence on ignore tout (le
premier à l'évoquer fut Shakespeare au XVIe siècle, qui la traite de « tawny ») 7 ;
c'est que les Anciens n'avaient pas encore codifié le racisme anti-noir né
surtout de l'organisation systématique des traites négrières, par les Arabes
puis par les Européens, ultérieure de plusieurs siècles. L'Égypte ancienne était
un carrefour de peuples venus de toutes les directions et de plusieurs conti-
nents, et un creuset culturel où les gens, de diverses origines, présentaient
d'évidence des traits variés ; il suffit pour s'en convaincre d'observer le profil
des personnages peints sur les fresques des tombeaux. La plupart - les
pharaons comme les autres - étaient probablement basanés, de toutes les
nuances du plus clair au plus foncé, compte tenu aussi de l'ampleur des lati-
tudes du pays8.
C'est donc de Cheikh Anta Diop que date une certaine rupture, ou plutôt
une idée de rupture car les faits le contredisent souvent, dans l'historiogra-
phie francophone du continent, entre Africains et africanistes. Pour les
premiers, en Afrique occidentale et surtout au Sénégal dont il était originaire,
Cheikh Anta Diop est le père fondateur de l'histoire africaine de langue fran-
çaise, incontestable et difficile à contester. Pour la plupart des seconds, il fut
un généreux illuminé, historien non professionnel qui a certes rendu aux
Africains la fierté de leur histoire, mais non sans affirmer un certain nombre
de sottises. Je n'entrerai pas dans cette querelle qui a déjà fait couler beaucoup
d'encre, et qui traduit d'ailleurs de part et d'autre parfois des blocages regret-
tables9. Il vaut mieux en revenir aux faits.
Le fait brut est là, et déjà dit : les premiers historiens de l'Afrique furent
des historiens africains dûment estampillés par leur discipline (comme
Abdoulaye Ly et Joseph Ki-Zerbo), alors qu'en France il s'agissait majoritaire-
ment d'autodidactes de l'histoire africaine souvent non professionnels ou
issus d'une autre discipline (le géographe Jean Suret-Canale récemment
décédé, ou l'historien de l'Allemagne Henri Brunswchwig, ou encore le
spécialiste du haut Moyen-Âge chrétien Jean Devisse). La plupart furent d'an-
ciens administrateurs d'Outre-mer gagnés, sur leur champ d'exercice, par la
curiosité, voire par la passion scientifique : ainsi le furent les premiers ensei-

7. Mary Lefkowitz, Not out of Africa. How Afrocentrism became an excuse to teach myth as
history y Harpers Collins Pubi., 1996, versus Molefi Kete Asante, Afrocentric Idea , 2e éd. rév.,
1998.

8. Voir par exemple, à ce sujet, C. Coquery-Vidrovitch, « Le postulat de la supériorité blanche


et de l'infériorité noire », Le livre noir du colonialisme. XVT - XXIe siècle : de l'extermination à la
repentance (Marc Ferro éd.), Paris, Robert LafFont, p. 646-685.
9. Querelle soulignée par le fait que le site Internet de l'encyclopédie Wikipedia est actuelle-
ment officiellement bloqué, en raison du caractère apparemment irréductible des désaccords
exprimés.

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82 PRÉSENCE AFRICAINE

gnants en Sorbonne, Hubert De


sont aussi eux qui furent les pre
Non que la connaissance de l'A
l'indépendance, c'était en Franc
à l'origine de l'essor de l'ethno
riens, la conviction générale dem
histoire». L'intitulé de la chair
anti-colonialiste maghrébiniste
toire africaine, mais l'histoire d
(mais pas toujours) par le person
ne fussent et ne demeurent incontestablement utiles : ainsi le militaire
Angoulvant écrivit-il La pacification de la Côte d'Ivoire dont il avait été l'un
des principaux acteurs avant la guerre de 1914, ou l'administrateur civil
Robert Delavignette devint-il entre les deux guerres, avant la lettre, l'un des
premiers anthropologues africanistes digne de ce nom. C'est même l'accumu-
lation des écrits de ces spécialistes, parfois remarquables, qui a constitué le
fond de la « bibliothèque coloniale » définie par Valentin Mudimbe, biblio-
thèque coloniale qui a exercé sur tous les jeunes apprentis en histoire afri-
caine, quelles que soient leur nationalité et leur couleur, la même influence,
puisque tous étaient soumis aux mêmes cours, aux mêmes lectures et aux
mêmes diplômes10.
On ne refera pas ici l'histoire de l'historiographie africaine française, qui
commence à être bien explorée. Il suffit de se reporter à quelques articles ou
à quelques travaux de fond, comme la récente tribune organisée par Sophie
Dulucq dans le numéro 6 de la revue Afrique et Histoire (2006) sur l'évolu-
tion de l'histoire de la colonisation française en Afrique de 1960 à nos jours
ou bien, naturellement beaucoup plus détaillé, le mémoire d'HDR (habilita-
tion à diriger des recherches) rédigé par le même auteur sur la genèse de l'his-
toire africaine en France avant les années I96011. Ce type de travail n'en est
encore qu'à l'ébauche pour l'historiographie des historiens africains : par
exemple, une thèse vient d'être soutenue à Toulouse sur l'historiographie
nigérienne (2006), un article de fond est en gestation sur l'École de Dakar12.

10. Valentin Mudimbe, The Invention of Africa. Gnosis , Philosophy, and the Order of
Knowledge , Bloomington, Indiana University Press, 1988; The Idea of Africa, Ibid., 1994.
1 1 . Aux origines de l'histoire de l'Afrique. Historiographie coloniale et réseaux de savoir en
France et dans les colonies françaises d'Afrique subsaharienne (de la fin du XIXe siècle aux
indépendances), HDR.ģ , volume 3, Université Paris-7, novembre 2003.
12. Entendons-nous sur l'École de Dakar (à laquelle Ibrahima Thioub a consacré un article
de fond : «L'historiographie de «l'École de Dakar»... », op. cit. Ce que l'historien français
Marc Michel appelle l'École de Dakar ne désigne que les origines françaises du département
d'histoire, du temps colonial ou de la première décennie de l'indépendance où tous les profes-
seurs titulaires étaient français. Ce sont effectivement eux (le dernier en date fut, au début
des années 1970, le maître-assistant d'histoire grecque Raoul Lonis, alors le plus «titré» du
département) qui ont formé la première génération des étudiants africains de l'université ;

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AFRIQUE NOIRE : À L'ORIGINE DE L'HISTORIOGRAPHIE. . . 83

Par ailleurs, on peut remarquer au passage que compte tenu de leur forma-
tion et de leurs concepts partagés, des historiens africains ont pu, comme
leurs homologues européens, continuer à approvisionner leur « bibliothèque
héritée» commune.
Il n y a ni à s'en étonner, ni à le regretter, ni même à le stigmatiser : c'était
la normalité de l'époque. Il n'y a pas non plus à s'étonner du fait que certains
Africains aient été plus rapides que les Européens à passer de l'histoire colo-
niale à l'histoire africaine : à partir de 1960, pour eux, il s'agissait désormais
de construire leurs nouveaux États, en établissant aussi une vision autocen-
trée de leur histoire à partir du dedans et non plus du dehors. Ce fut, d'évi-
dence, la tâche à laquelle s'attela le premier agrégé d'histoire africain : Joseph
Ki-Zerbo. Il est regrettable qu'il n'y ait pas eu à l'époque (au début des années
1970, où les structures universitaires africaines francophones étaient encore
balbutiantes) pour le soutenir un universitaire français aussi sensible à l'origi-
nalité de son œuvre que ceux qui acceptèrent (malgré leurs réticences
évidentes) de faire soutenir Cheikh Anta Diop. Si Joseph Ki-Zerbo avait été
estampillé « professeur d'université » titulaire (la condition sine qua non restant
alors la thèse d'État, même pas encore ou si peu soutenable «sur travaux»), il
aurait pu jouer à plein, au sein de l'université, son rôle dans l'évolution de la
recherche historique africaine; il n'aurait pas, par exemple, été «remercié» du
comité interuniversitaire qu'il avait lui-même créé à Ouagadougou, le
CAMES (à l'image du CSU devenu CNU français), destiné à coopter, pour
les diverses universités francophones qui en relèvent, les meilleurs thésards13. . .
Car Joseph Ki-Zerbo fut aussi le premier Africain à écrire ce qui n'avait
naguère jamais été entrepris (sinon sous la plume de Suret-Canale ou de
Mauny de façon plus fragmentaire car ne concernant que l'Afrique ex-fran-
çaise « précoloniale » ou coloniale) : une histoire générale de l'Afrique noire,
des origines à nos jours. Il est remarquable de noter que cette œuvre, à peu de
chose près, parut en même temps que les premières tentatives scientifiques du
même ordre issues d'historiens français (si l'on excepte les compilations événe-

ceux-ci ont conservé envers eux gratitude et admiration. Mais ce que Boubacar Barry (ancien
étudiant d'Yves Person, qui réalisa la totalité de son cursus à l'université de Dakar, et ne vint
à Paris que pour soutenir en Sorbonne sa thèse de troisième cycle) appelle l'École de Dakar,
c'est le travail réalisé par l'équipe innovante des jeunes doctorants et docteurs africains, dès
lors que, la coopération française de substitution ayant pris fin, ce sont les nationaux qui se
sont mis au travail, d'une façon nécessairement différente. Abdoulaye Bathily et Boubacar
Barry furent les deux premiers docteurs d'État qui soutinrent dans leur université d'après
l'indépendance (1983). Mais ils s'étaient attelés à la tâche plus de dix ans auparavant.
13. On remarque sur le WEB la déception de certains rédacteurs qui n'arrivent pas à
comprendre ces nuances d'un autre temps : ainsi Wikipedia le qualifie de « docteur en
sciences politiques » tandis qu'un autre site lui attribue la « chaire d'histoire africaine » de
l'université de Dakar : certes, et heureusement, Ki-Zerbo enseigna dans diverses universités
(dont celle de son pays, à Ouagadougou), mais faute de ce diplôme de «docteur ès lettres» il
ne pouvait malheureusement en devenir titulaire...

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84 PRÉSENCE AFRICAINE

mentidles de Robert Cornev


bibliophile passionné mais piètr
par Hubert Deschamps parut
volume de la collection « Nouve
même (qui ne démarre d'ailleu
Joseph Ki-Zerbo réalisa seul,
monument d'érudition paru en
connue date de 1978) 15. Ce t
même si, bien entendu, aujourd
de la connaissance historique
assertions en apparaissent déso
tous les travaux en sciences soc
leur espace et du point de vue
ce plan la victime des rigidités
une thèse d'État, on l'a dit, une
- : il eût d'évidence fallu que so
telle16. . .

C'est aussi que, quelque peu enfermés dans le cercle enchanté de leur
académisme, les historiens français de la fin des années 1950, dans leur
ensemble, ne saisirent guère, sauf exception, l'importance de la quête d'his-
toire de leurs collègues africains. Le rôle de la revue Présence Africaine fut en
ce domaine révélateur : son message fut à la fois essentiel et méconnu du
monde universitaire français, alors que la revue, pourtant lancée dès 1947 de
Paris, jouait en Afrique occidentale et dans les Antilles aussi bien franco-
phones qu'anglophones (puisque la revue est éditée dans les deux langues) un
rôle culturel majeur. Or, dans leur ensemble et sauf exception, les historiens
français ne se sont pas intéressés à la revue. Sur 40 ans de son existence, de
1947 à 1987, on ne trouve la signature que de deux historiens universitaires
français, tous deux alors enseignant à la Sorbonne : Raymond Mauny et
Henri Moniot. L'équipe des rédacteurs, il est vrai, était surtout composée de
littéraires, puisqu'il n'existait guère encore d'historiens africains francophones.

14. Deschamps (Hubert) (sous la dir. de), Histoire générale de l'Afrique noire, Paris, PUF, en
2 vol., 1970 et 1971.
15. En langue anglaise, la première édition du petit manuel si longtemps utile et maintes fois
réédité de John Fage et Raymond Oliver, A short History of Africa, date pour sa part de 1961.
16. C'est d'autant plus stupide qu'on avait oublié, par ailleurs, qu'au contraire, avant la
Seconde Guerre mondiale, on exigeait du thésard qu'il présentât au jury un exemplaire
original mais imprimé de^son travail : cette obligation fut supprimée en raison des restric-
tions en papier résultant des pénuries de l'après-guerre. On a au moins remédié depuis lors à
ce règlement absurde en admettant la « soutenance sur travaux ». Si celle-ci avait existé du
temps de Ki-Zerbo (né en 1922), il n'y aurait eu aucun problème... Notons qu'à peu de
choses près au même moment Yves Person soutint sa thèse en 1970 alors que le volume 1 en
était publié depuis deux ans (mais les deux autres le furent l'année de la soutenance).

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AFRIQUE NOIRE : À L'ORIGINE DE L'HISTORIOGRAPHIE. . . 85

Il n'empêche : un nombre élevé des articles, souvent écrits par des sociolo-
gues, des philosophes ou autres spécialistes en sciences sociales ou humaines
où se distinguaient entre autres les historiens anglophones, touchent de façon
parfois très directe à l'histoire du continent17. À la relecture, ils frappent par
leur qualité, la variété des sujets abordés (même si fes thèmes relatifs à
l'Afrique de l'Ouest sont de loin les plus nombreux), leur appel à la rigueur
scientifique et leur souci de ne pas se laisser aller à une quelconque agressivité
militante dans la reconstitution de l'histoire africaine et des histoires natio-
nales. Ce fut, à l'époque, avant 1960 (date de naissance des Cahiers d'Études
africaines ), la seule revue, avec la Revue de l'IFAN-B de Dakar (et quelques
autres revues locales qui en dépendaient plus ou moins, comme les Études
guinéennes, les Études voltaïques ou les Études congolaises) , à traiter d'histoire
africaine. Ce fut surtout la première et longtemps la seule revue africaine de
langue française donnant prioritairement la parole à des chercheurs africains.
Certes, à partir des années 1980, l'école française d'histoire africaine s'est
développée, alors qu'au contraire, face à la crise économique et politique et
aux réductions de crédits qui en ont résulté, le vivier africain s'est réduit sur
place. Les revues d'histoire locales, qui publiaient d'ailleurs essentiellement
les travaux de terrain des chercheurs français, disparurent presque toutes avec
l'indépendance. Jusqu'aux années 1990 et aux lois dites Pasqua, du nom du
ministre de l'Intérieur de l'époque qui réduisit de façon drastique et brutale
les entrées d'étudiants africains en France, les enseignants français ont donc
joué dans leurs universités le rôle que les Britanniques avaient entrepris une
bonne génération auparavant aussi bien dans les grandes universités anglo-
phones d'Afrique (Ibadan, Ife, Legon, Dar es Salam...) que dans les deux
centres britanniques, la SOAS {School of Oriental and African Studies dirigée à
l'Université de Londres par Roland Oliver depuis 1947) et le centre d'Histoire
africaine créé par John Fage à Birmingham à son retour du Sierra Leone où il
avait été aussi nommé professeur en 1947, à une époque où aucune univer-
sité francophone n'existait encore : 1947, rappelons-le, c'était l'année de l'in-
dépendance de l'Inde. En France, il fallut attendre 1960...
En France, le nombre des Africains diplômés de troisième cycle en histoire
africaine fut pendant toute cette période très largement supérieur à celui de
leurs homologues français. Le pourcentage moyen, dans les années 1970-
1990, jusqu'à ce que les lois Pasqua et les Programmes d'Ajustement struc-
turel ne réduisent drastiquement l'entrée des étudiants africains en France,
était au niveau du troisième cycle de l'ordre de trois-quarts d'étudiants origi-
naires d'Afrique contre un quart de Français. Ils ont accumulé une masse de
travaux originaux en histoire africaine, réalisés et soutenus pour leur quasi-
totalité dans les universités de Paris- 1, de Paris-7 et d'Aix-en-Provence. Rares

17. Voir l'article que j'en ai tiré dans le gros volume consacré à la revue : «African History
and Historians», The Surreptitious Speech : Présence Africaine and the Politics of Otherness
1947-1987 (Valentin Mudimbe ed.), Chicago University Press, p. 59-94.

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86 PRÉSENCE AFRICAINE

néanmoins sont les travaux qu


entendu, ne le méritait pas. Mai
chaient des terrains originau
histoire du XXe siècle (histoire
santé
ou de l'éducation, histoi
démographique et des migra
histoire genrée). Tous contribuè
de nos connaissances commun
savoir de leurs maîtres et de le
gone. Car ces mémoires bien
recherche dans les instituts qui
rent consultables. Ainsi la tran
par les travaux publiés des ch
avaient accès, et qui prenaient l
rences.

Ce sont aussi ces jeunes docteurs africains qui, de retour en Afri


de leur diplôme français, occupèrent les postes dans les université
phones auparavant dépourvues du personnel national nécessa
surtout depuis les années 1980-1990 qu'ils sont à leur tour en
former les nouvelles générations sur place, dans des universités d
africaines de la base au sommet.
Il n'est pas inintéressant de souligner que, contrairement aux a
vues de France, on comptait au début des années 1980 autant si
tage d'Africains18 que de Français19 docteurs d'État en Histoir
même si nombre de chercheurs, quelle que fût leur nationalité
attendu ce diplôme pour démontrer leur excellence (soulignons

18. Abdoulaye Ly (Bordeaux 1956), Cheikh Anta Diop (Paris 1960), André Sali
1978), Mody Cissoko (Paris- 1 1979), Joachin Bony (Paris- 1 1980), Pierre Ki
Gayibor (Paris-7 et Paris-1 1981), Semi-Bi Zan (Paris-7 1982), Iba derTh
1983), Seti Gbedemah (Aix-en-Provence 1984), Abdoulaye Bathily et Boubacar B
1985 et 1986), René-Pierre Anouma (Aix-en-Provence 1987), Félix Iroko et
(Paris-1 et Paris-7 1988), Madina Ly-Tall (1991), Oumar Kane (Nantes 1992), J
Kiéthéga (Paris-1 1997), et j'en oublie assurément quelques autres. À souligner l
Soumonni qui soutint au début des années 1980 son Ph.D. à l'université d'Ile-
19. Excluant de cette liste d'universitaires ceux qui n'ont pas spécifiquemen
histoire africaine subsaharienne (à savoir Henri Brunschwig et Jean Dev
Deschamps (1937!) et Raymond Mauny (1961), Yves Person et Catheri
Vidrovitch (1970), Denise Bouche (1976), Claude-Hélène Perrot (1978),
(1979), mais il fallut attendre 1986 pour Jean Boulègue, 1987 pour Hélèn
Topor, 1988 pour Monique Lakroum, 1989 pour Françoise Raison et 1991 pou
Triaud. Tous les autres soutinrent plus tard (Colette Dubois 1996, Odile G
puis la plupart passèrent du régime (écrasant) de la thèse d'État à celui de l'
que cette liste ne prend pas en compte les docteurs d'État français en histoire d
ne débouchèrent pas sur l'université, mais dont un certain nombre furent aussi

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AFRIQUE NOIRE : À L'ORIGINE DE L'HISTORIOGRAPHIE. . . 87

que le critère de la thèse ďÉtat, privilégié ici en qualité d'indicateur, n'est


significatif que de ce qu'il est, c'est-à-dire non garantie en soi de la qualité du
chercheur : on compte quelques-uns des meilleurs spécialistes francophones
en histoire africaine, aussi bien en Afrique qu'en France, qui ne sont «officiel-
lement» pas allés au-delà de la thèse de 3e cycle20). Comme il y avait aussi
infiniment davantage de thèses de troisième cycle soutenues en France par
des étudiants africains que par des étudiants français (sans compter celles qui,
à partir de ces années-là, commencèrent à être soutenues dans les universités
africaines), en termes quantitatifs l'école historique africaine francophone a
toujours été largement plus nombreuse que l'école française stricto sensu : un
espace semi-continental contre un seul pays, rien de plus normal. En termes
qualitatifs, il serait d'évidence injurieux de considérer les noms de tous ceux
que je cite en note comme de moindre qualité que leurs homologues français.
Assez nombreux furent en revanche les jeunes docteurs africains de 3e cycle
en Histoire (qui ont compté plusieurs centaines d'individus sur une vingtaine
d'années et qui, dans leur quasi-totalité, se sont consacrés à l'histoire de leur
continent et le plus souvent de leur propre pays), dont un certain nombre
excellents, presque tous absorbés par de nombreuses universités en création
sinon par des fonctions politiques ou diplomatiques, qui furent débordés de
travail et parfois lâchèrent pied.
En définitive, une différence majeure de notoriété entre l'école africaine et
l'école française d'histoire de l'Afrique fut la diffusion . Elle ne tient ni au
nombre ni à l'utilité des travaux : elle réside en grande partie dans le fait que
la quasi-totalité des thèses d'État françaises que je viens d'énumérer furent
publiées (toutes sauf celle de Monique Lakroum et d'Alain Tirefort), le plus
souvent un an ou deux au plus après la soutenance. Ce fut aussi le cas de
nombreuses thèses de troisième cycle françaises. Ce ne fut le cas que pour une
minorité des thèses africaines : sept thèses d'État seulement (sur les 18 réper-
toriées ici), dont les trois premières (Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop, André
Salifou) puis celles de Pierre Kipré (en 1985), de Mody Cissoko (en 1986-88,
dix ans après la soutenance), de Boubacar Barry (en 1988), et celle de Madina
Ly (en 1991). Faute de financement, aucune thèse d'État d'historien africain
ne fut publiée après celle-ci21.

20. Deux exemples majeurs en France : Elikia Mbokolo et Jean-Pierre Chrétien, la thèse
d'État n'étant exigée ni à l'EHESS ni au CNRS. En France, la thèse de doctorat ès Lettres,
dite communément thèse d'État, était en fait le reliquat d'un autre âge qui néanmoins fut
maintenu après 1968. Elle était requise pour devenir professeur titulaire de chaire en univer-
sité. Elle n'existe plus que par « extinction » en France pour les candidats qui se sont inscrits
avant sa suppression officielle, alors que la plupart des universités francophones d'Afrique,
peu novatrices en matière de réglementation à la française, la pratiquent encore.
21. C'est l'ACCT (et non directement la France) qui contribua à la publication par
l'Harmattan des thèses de Mody Cissoko et de Madina Ly. En revanche, l'IFAN de Dakar
subventionna plus souvent qu'à son tour des auteurs français, même après l'indépendance.
De même, l'IRD (ex-ORSTOM), qui a publié tant de thèses françaises sur l'Afrique, innove

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88 PRÉSENCE AFRICAINE

Quant aux thèses de troisième


cains, un pourcentage relativem
convaincre de consulter le répe
autres mémoires inédits d'histoi
cophones, sans même parler des
Tous les travaux, bien entendu,
ne rendirent pas service à la pro
dénué de mépris, qui leur fit pa
gers alors qu'ils ne l'auraient
type de conduite fut minoritai
ces travaux méritaient davantag
que nombre de thèses d'auteurs
néanmoins publiées), faute d'un
moyens scientifiques et techniq
d'édition ne visant pas exclusi
préparer un manuscrit en vu
personnel pour ce faire. Tout c
coloniaux, a manqué à partir

en publiant, quasi pour la première


toute récente ; la très heureuse initia
1986) la thèse d'État fondamentale (d
Memel-Foté, L'esclavage dans les sociétés
établie par Joseph Brunet-Jailly. Pr
IRD, 2007, 1 000 p. La thèse d'E. Terr
avait été publiée par Karthala 10 ans a
deux fois plus vite. . .
22. Catherine Coquery-Vidrovitc
« Recensement analytique des travaux
cophones d'Afrique noire», Cahiers d
n° 16, 1995, et n° 21, 2003.
23. Ce fut, autrefois, le rôle de l'IFAN
hérités de cette structure qui réussir
tions, comme l'Institut nigérien. Rap
France (publiées ou non par ailleurs) f
par le Centre spécialisé de Lille-III qu
taires (certaines des thèses soutenues p
durant un certain nombre d'années le
sous forme de microfiches. Enfin bea
tutelle des subventions facilitant leur
caines dès lors que les crédits de coop
la fin des années 1970. Quant aux th
ment inenvisageable. Il est d'usage d
Éditions de l'Harmattan qui publiera
minime ou inexistante) des livres de q
faire connaître, à un public qui ne les
inégaux (mais il en est aussi d'excelle
aussi du nombre massif d'ouvrages pu

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AFRIQUE NOIRE : À L'ORIGINE DE L'HISTORIOGRAPHIE. . . 89

travail d'érudition resta donc largement inédite, sauf pour les membres des
jurys qui les firent soutenir24.
Souffrant sur place d'un manque évident de soutien scientifique et maté-
riel et aussi d'un contrôle suffisant, beaucoup de chercheurs africains n'ont
guère poussé au-delà du troisième cycle leurs études ni, trop souvent, leurs
recherches. En dépit de ce handicap et de formidables dysfonctionnements
internes, on constate aujourd'hui la qualité de l'école historique francophone
qui en est résulté, par le nombre et la réputation d'enseignants d'histoire afri-
cains soit en poste dans les universités et autres centres de recherche de leur
continent (dont on ne peut que s'émerveiller pour certains de leur capacité à
produire dans les conditions où ils sont contraints de le faire), soit éparpillés
dans une vaste diaspora universitaire (en Allemagne, aux États-Unis, au
Canada, et même parfois en France!). Ceci est l'objet de ce numéro consacré
à l'écriture de l'histoire africaine aujourd'hui. Ce n'est pas l'objet de cet article,
qui s'est limité à évoquer les origines de cette évolution. Mais il devient
important d'en dresser un inventaire et un bilan systématiques et d'en tirer
les enseignements. Il est incontestable que l'histoire africaine francophone à
ses débuts doit beaucoup à quelques rares passionnés français, comme Yves
Person, qui enseigna à l'université de Dakar avant d'arriver en 1971 à Paris-
let se fit, dans les années 1960 et 1970, l'ardent avocat des « traditions orales »
de l'histoire africaine, ou Jean Devisse qui enseigna aussi à Dakar, ce qui
détermina sa carrière à venir d'« africaniste » et sa passion pour l'archéologie
africaine. À partir de 1972, quand le départ de Person pour la France eut fait
disparaître de l'université le seul directeur en histoire moderne et contempo-
raine, je dois à l'initiative de Boubacar Barry d'avoir été habilitée à diriger les
recherches par le conseil de l'Université de Dakar. Cela permit à l'équipe des
historiens africains de créer un DEA national (première année de préparation
au doctorat) en Histoire. Moyennant une brève mission de six semaines par
an, j'apportai pendant une dizaine d'années la «caution» professorale exigée,
mais il est évident que ce sont les historiens en poste sur place, sénégalais,
maliens et guinéens, qui assumèrent l'essentiel de la formation des nouvelles
générations africaines d'historiens, y compris la plupart des soutenances.
Ainsi l'histoire africaine francophone doit au moins autant à ses «inventeurs»

africains francophones (de toutes disciplines) sont désormais TRÈS nombreux, et que,
compte tenu de la misère du continent, c'est presque le seul endroit où il leur est permis de
publier. Ainsi, à l'exception des deux premières, les trois autres thèses d'État africaines d'his-
toire publiées en France le furent par l'Harmattan (Madina Ly, Cissoko et Barry).
24. Les thèses de troisième cycle africaines d'histoire publiées en France - de l'ordre d'une
douzaine - le furent soit par les soins des Éditions Karthala (subventionnées par le ministère
de la Coopération) soit par L'Harmattan (aidé par le laboratoire CNRS/SEDET, ex «Tiers
mondes, Afrique» de Paris-7). En Afrique, les Nouvelles Éditions africaines qui publièrent la
thèse d'État de Pierre Kipré (prix Noma Award 1988) devinrent en règle générale hors d'état
d'assumer ces dépenses.

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90 PRÉSENCE AFRICAINE

africains quaux enseignants fr


d'avoir permis ou aidé à l'origi
tardif, l'émergence d'une «école
bien longtemps qu'ils n'en sont

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