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L’historiographie de « l’École de Dakar 1 ».

Entre militantisme anti-colonial et mémoires


communautaires. La quête d’une écriture professionnelle de l’histoire
Ibrahima Thioub2

Introduction

Depuis plus d’un demi-siècle, les Africains participent à l’écriture de l’histoire de leurs sociétés dans le
cadre de l’institution universitaire. Pour l’école de Dakar, le texte qui inaugure cette entrée dans l’espace
académique a été rédigé par Abdoulaye Ly qui, en 1955, a soutenu une thèse de doctorat d’État à
l’Université de Bordeaux sur « l’évolution du commerce français d’Afrique noire dans le dernier quart
du XVIIe siècle / La Compagnie du Sénégal de 1673 à 1696 » passée à la postérité avec un titre tronqué
La Compagnie du Sénégal (Ly, 1993 : VIII). À la même époque, Cheikh Anta Diop soumettait à la
Sorbonne une thèse d’Égyptologie, publiée deux ans après sous le titre Nations nègres et cultures, où il
pose les premiers jalons de sa théorie établissant une parenté génétique entre la civilisation pharaonique
de la vallée du Nil et celles des sociétés de l’Afrique au sud du Sahara. Les travaux de ces deux figures
considérées comme les pères fondateurs de l’École historique de Dakar (Barry, 2000) continuent
d’exercer une influence certaine sur les courants et tendances de l’historiographie produite à Dakar.
Absorbés par leur engagement politique partisan ou victimes de l’ostracisme des autorités étatiques et
universitaires, entre autres raisons, ces deux chercheurs n’ont pas participé directement à la formation
des historiens dans les différents départements d’histoire de l’université de Dakar. Leurs œuvres
majeures ont cependant eu un impact variable selon les conjectures sur les étudiants en histoire à
l’Université de Dakar, à l’époque de la tutelle des universités françaises de rattachement, Paris et
Bordeaux ou plus récemment avec le renouveau des études égyptologiques survenu au début des
années 1980 (Thioub et Diop, 2001).
La présente réflexion sur ce demi-siècle de production historiographique, aujourd’hui largement
entamée3, peut s’inscrire dans plusieurs perspectives compte tenu de la diversité de ses filiations et
des multiples influences qui se sont exercées sur elle. L’Université de Dakar, principal lieu de
production de cette histoire, a été au départ une institution française née de l’érection de l’École des
Hautes Etudes de Dakar en université en 1957-58. La formation des historiens africains qui
fréquentent cette institution répond aux cursus académiques définis par les universités françaises de

1
La présente contribution poursuit une réflexion entamée dans une perspective restreinte à l’analyse du traitement de
l’espace chez les historiens de l’École de Dakar (Thioub, 2000 : 91-110). Ce premier texte avait fait l’objet d’une lecture
critique de Mamadou Diouf que je remercie pour avoir, à cette occasion, attiré mon attention sur les questions discutées dans
la première partie de la présente étude. Je voudrais également remercier Boubacar Barry, Jean Copans, Ousmane Kane,
Ebrima Sall et le lecteur anonyme dont les commentaires m’ont permis d’améliorer la forme et le fond de texte.
2 Texte paru sous le titre « L’historiographie de “l’École de Dakar” et la production d’une écriture académique de l’histoire »,
in M. C. Diop, Le Sénégal contemporain, Paris, Karthala, 2002, pp. 109-153 [Tome 1].
3
La plupart des thèses soutenues par les historiens de Dakar comportent une introduction critique à cette historiographie. La
réflexion exclusivement consacrée à celle-ci est inaugurée par Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj (1986 : 207-214). Ces
deux historiens ont analysé dans l’ouvrage African Historiographies. What History for Which Africa ?, les thèmes et les
approches privilégiés de l’historiographie sénégalaise. Dans le même ouvrage, Martin Klein montre comment le long tutorat
assuré par les universités françaises a inhibé l’émergence d’une écriture autochtone de l’histoire et les difficultés à briser les
liens de dépendance qui en ont résulté, en particulier la lenteur du processus d’africanisation des thèmes de recherche et
d’enseignement, (Klein, 1986 : 215-223). Ibrahima Thioub a récemment étudié les modes de traitement de l’espace dans les
travaux des historiens de Dakar (Thioub, 2000 : 91-110). Dans l’introduction de sa Sénégambie, Boubacar Barry analyse
l’évolution de l’École de Dakar, la contribution des diverses disciplines en sciences sociales à la connaissance de cette
région, (Barry, 1988 : 15-18). Voir également sa contribution dans cet ouvrage).
2

rattachement où l’histoire africaine, après sa reconnaissance tardive comme discipline digne d’être
enseignée, occupe une place pour le moins congrue (Coquery-Vidrovitch, 1997 : 91-100). Jusqu’au
début des années 1970 4, les études conduites par les chercheurs français en poste à Dakar et les
programmes d’enseignement dispensés informent plus sur la présence française en Afrique que sur la
dynamique interne des sociétés africaines5. Les savoirs académiques sur l’Afrique ont été
principalement élaborés par des disciplines — ethnologie, ethnographie, histoire coloniale 6,
anthropologie — qui ont légué à l’historiographie du continent une orientation, des concepts et des
outils méthodologiques dont il est difficile de l’émanciper (Thioub, 2000) 7.
C’est au milieu des années 1960 que des enseignants-chercheurs français, répondant à des demandes
fortes ou à partir de leur initiative propre, révolutionnent les recherches en histoire d’Afrique, ouvrant
ainsi la perspective d’une écriture de l’histoire de la Sénégambie à partir de l’intérieur. Ils ont procédé
à une critique féconde des savoirs coloniaux et des traditions orales désormais reconnues comme
source incontournable pour écrire l’histoire de l’Afrique. À travers les enseignements dispensés et la
direction des mémoires et thèses des étudiants, mais aussi par leur engagement militant pour l’histoire
de l’Afrique, Yves Person puis Catherine Coquery-Vidrovitch et Jean Devisse ont apporté ― à Dakar
et à Paris ― une remarquable contribution à la formation de générations d’historiens de l’Université
de Dakar. Il faut également mentionner le travail pionnier de Jean Suret-Canale qui, expulsé de Dakar
en 1947 par l’administration coloniale, a poursuivi ses recherches en histoire de l’Afrique, publiant
plusieurs articles et ouvrages de références sur l’histoire coloniale du continent. L’influence des

4
La contestation de la politique éducative de l’État sénégalais par le mouvement étudiant lors des événements de mai-juin
1968 à Dakar débouche sur une réforme des programmes d’enseignement marquée, entre autres, par une africanisation des
contenus, particulièrement en histoire (Sylla, 1992 : 379-429).
5
À titre indicatif voici les questions inscrites au programme d’histoire au Certificat d’Etudes Supérieures en histoire pour
l’année académique 1959-1960 (Université de Dakar, 1959 : 270-71).
Histoire moderne et contemporaine : Gabriel DEBIEN, Professeur
1. La vie rurale en France du XVe au XXe siècle
2. Les voyageurs du XVIIIe siècle en Afrique de l’Ouest ; L’Angleterre au XIXe siècle
3. La vie agricole dans l’Ouest africain avant le XIXe siècle
4. Le Brésil au XIXe et au XXe siècle
5. Les sciences de l’homme en Europe au XVIIIe siècle.
Histoire du Moyen Age, Jean DEVISSE, Chargé d’enseignement
1. La Gaule, de 486 à 830
2. L’Afrique musulmane du début du IXe à la fin du XVe siècle : Maghreb – Afrique noire
3. Les villes en Occident et en terre d’islam jusqu’au XVe siècle
4. Les hérésies, la vie religieuse et l’Action de l‘Eglise aux XIIe et XIIIe siècles
5. L’économie européenne aux XIVe et XVe siècles.
Histoire ancienne, M. DESANGES, Chef de travaux
1. Crète, Phénicie et Egypte jusqu’à la fin du IIe millénaire avant J.-C.
2. Athènes, de la fin des guerres médiques à la guerre du Péloponnèse
3. Les Lagides
4. La République romaine des Grecs à la mort de César.
6
L’histoire coloniale a souvent été l’œuvre d’amateurs, administrateurs coloniaux curieux du passé des sociétés africaines
mais surtout préoccupés de produire un savoir utile à la gouvernabilité des colonies. Avec ses courants et tendances
multiples, elle a concentré ses efforts sur certains espaces, privilégié certains types d’information, sélectionné les sources
répondant à des préoccupations politico-administratives plus que scientifiques (Fall, 1986 : 181-207).
7
Une abondante documentation a été accumulée aux cours de diverses missions exploratoires et études scientifiques,
conduites à des fins principalement marchandes au XVIIIe siècle, diplomatiques et militaires à l’époque de la conquête,
ethno-sociologiques dans les années de triomphe de l’ordre colonial. La plus grande partie de cette documentation est
l’œuvre des agents de l’administration coloniale qui ont eux-mêmes conduit les recherches pour lesquelles les services
publics ont procuré les ressources financières et institutionnelles, orienté les questionnements, parrainé la publication des
résultats qui ont fortement influencé les différentes « politiques indigènes » suivies par les colonies. Pour une analyse
exhaustive de cette recherche administrée, son évolution, les trajectoires suivies par ses acteurs et les influences qui les ont
marqués, voir l’introduction de Jean Schmitz à l’ouvrage de Cheikh Muusa Kamara (1998) et Pondopoulo, (1997 : 723-732).
3

travaux d’anthropologues comme Claude Meillassoux ouvre l’historiographie de l’École de Dakar aux
autres disciplines des sciences sociales. Dans la même veine mais de plus en plus au sein des
institutions académiques françaises, les études de Jean Boulègue, Yves Saint-Martin et Christian
Roche chez les historiens, de Christian Coulon, Jean Schmitz, et Jean Copans en sociologie et
anthropologie, ont contribué à la dynamique de l’École de Dakar 8. Cette contribution ne se limite pas
aux études consacrées aux sociétés sénégalaises par l’africanisme français. Elle prend la forme
d’analyse critique des modes de production des savoirs par l’intelligentsia africaine (Copans, 1991 :
325-362).
Pourtant en France, en dépit de ces appréciables contributions, l’histoire de l’Afrique s’est
difficilement frayée un chemin et aujourd’hui encore, nombre de spécialistes des sciences sociales de
l’Hexagone, particulièrement les non-africanistes, accordent peu d’attention aux travaux des
Africains. Certes, ils partagent ce travers avec leurs homologues des autres pays du Nord. Un certain
nombre d’éléments contribue à renforcer le caractère unidirectionnel des échanges académiques en
défaveur de la recherche africaine (Bernault, 1999 : 325-362) : la faiblesse quantitative de la
participation des universitaires africains à la production des savoirs sur le continent et la diffusion
restreinte de leurs publications, du fait de la déliquescence de l’édition et de la distribution locales.
Ces travers nuisibles à l’avancée des sciences sociales résultent de la difficulté qu’éprouvent les
chercheurs, du Nord comme du Sud, à se départir des complexes hérités de la colonisation, sources de
comportements paternalistes ou de refus des regards croisés. L’inégalité des échanges académiques
dont profitent les « marabouts » du Nord, selon l’expression de Boubacar Barry (Fall, 1993 : 10), avec
toutes les frustrations dont elle est porteuse, alimente la rugosité des polémiques.
Pour des raisons historiques, l’influence française est restée prépondérante sur l’École de Dakar
comparée à celle des autres Écoles africanistes. Toutefois, Dakar a très tôt été fréquentée par de
nombreux chercheurs en sciences sociales, spécialistes de la Sénégambie, Africains, Nord-américains
et Britanniques, qui ont ouvert de nouvelles perspectives où l’approche anthropologique occupe une
place importante, valorisant à leur façon les traditions orales et mémoires collectives des sociétés
étudiées.
Le contexte dans lequel s’élaborent les premiers textes de l’historiographie de l’École de Dakar est
marqué par l’affirmation d’un puissant mouvement anti-colonial qui eut un impact considérable sur
l’écriture de l’histoire. L’exclusion de l’Afrique et des sociétés africaines du champ de l’histoire étant
partie intégrante de l’idéologie coloniale, les historiens africains ont d’entrée de jeu placé leurs
recherches dans les combats anti-coloniaux, faisant de l’écriture académique de l’histoire un projet à la
fois scientifique et ouvertement militant.
Les pères fondateurs de l’École historique de Dakar ont produit une œuvre relativement dense et
largement informée par cette contrainte dont la remise en cause n’a été envisagée que relativement tard.
La crise politique de mai-juin 1968 ayant largement affecté l’Université de Dakar provoqua une première
remise en cause de la tutelle française sur les institutions universitaires sénégalaises. Toutefois, la
majorité des historiens de Dakar ont continué à recevoir leur formation doctorale dans les universités
françaises 9, en dépit de l’ouverture progressive vers le universités nord-américaines où de nombreuses

8
Cette liste non exhaustive ne peut omettre les noms de Charles Becker, Victor Martin, Nize Isabel de Moraes et Guy
Thilmans qui ont traduit, annoté et publié divers documents, sources de l’histoire de la Sénégambie.
9
Abdoulaye Bathily est le premier Sénégalais à avoir soutenu un doctorat en histoire à l’Université de Birmingham (Bathily,
4

études sont entreprises sur l’histoire de la Sénégambie.


Les premiers historiens de Dakar ont été confrontés à un défi majeur : écrire l’histoire selon les normes
académiques élaborées à partir des trajectoires historiques des sociétés européennes. La question posée à
ces historiens était la suivante : est-il possible, avec les outils et méthodes de la discipline alors en
vigueur, d’écrire une histoire d’Afrique disposant de la crédibilité nécessaire à sa validation par les
autorités académiques de cette époque?
Plus que la critique du modèle académique constitué à partir de l’histoire de l’Europe, la crise du
mouvement nationaliste et la mise en évidence de la diversité des intérêts de ses différents segments ont
provoqué les premières remises en cause de l’orientation de l’historiographie de l’École de Dakar. Elles
ont permis de poser la question de l’origine et de la longévité des positions subalternes du continent dans
l’échiquier international. Pourtant, aussi radicales qu’elles furent, ces remises en cause sont resté
enfermées dans l’horizon des paradigmes structurant les idéologies des indépendances : rôle central du
politique et de l’État dans les processus historiques ici centrés sur la construction de l’État-nation et la
mise en œuvre de son projet de développement conçu comme un rattrapage de l’occident. Installés dans
ces certitudes des premières années postcoloniales, les historiens ont focalisé leurs efforts plus sur le
contenu de l’histoire que sur les manières de l’écrire..
C’est au milieu des années 1980 que sont rédigées les premières analyses critiques de l’historiographie
de l’École de Dakar. D’une part, elles coïncident avec la remise en cause des paradigmes dominants dans
les sciences sociales et, d’autre part, avec la complexité croissante des mutations qui affectent les
sociétés africaines depuis le milieu des années 1970. Ces différents éléments ont contribué à mettre fin à
la quiétude des producteurs de savoirs sur l’Afrique avec une multiplication des interrogations sur la
validité voire les légitimités de leurs œuvres (Bernault, 1999 : 73-87). La radioscopie de notre héritage
historiographique permet d’évaluer l’efficacité des outils méthodologiques disponibles et la pertinence
des paradigmes selon lesquels s’écrivent les histoires des sociétés africaines.
Avant de procéder à l’analyse des courants et tendances qui structurent l’écriture des historiens de
Dakar10, j’examine d’abord les éléments capables de valider le postulat de l’existence de l’École de
Dakar à partir des œuvres produites dans l’enceinte de l’université. Je consacre la troisième et la
quatrième partie de ma réflexion à l’étude des changements survenus dans les manières d’écrire
l’histoire au cours de la période postcoloniale.

I. L’École de Dakar en question

Une réelle difficulté s’attache à la définition de l’expression « École de Dakar » que nous devons à
Boubacar Barry (1988 : 16-17). Elle est aujourd’hui largement diffusée du fait de sa commodité qui ne
doit pas nous dispenser de questionner sa pertinence. Les limites de l’objet ainsi dénommé demeurent
mouvantes et son contenu imprécis puisque cette École ne s’est pas formellement constituée avec un
manifeste, un programme de recherche, des outils méthodologiques spécifiques. Suffit-il d’avoir passé
une partie ou la totalité de sa carrière de chercheur ou d’enseignant universitaire à Dakar pour faire
partie de cette École ? Est-il possible d’établir une généalogie de l’ensemble des travaux des historiens

1975).
10
La présente réflexion est centrée sur les travaux des historiens. Il reste entendu que l’École de Dakar compte des
spécialistes d’autres disciplines ― sociologie, anthropologie, littérature, philosophie, etc. ― qui ont produit des œuvres
comportant une dimension historique incontestable.
5

de Dakar pour les rattacher à une tradition historiographique spécifique ? Si cette tradition est établie,
peut-on la faire remonter à Yoro Diao, aristocrate du Waalo, formé à l’École coloniale des fils de chefs
(Barry, 2000), y inclure Duguay Clédor, « instituteur indigène » inspiré par Faidherbe pour apporter sa
« contribution à la belle et glorieuse histoire de [son] pays, qui a tant de fois donné de son sang et de sa
chair pour la gloire et la prospérité de la plus Grande France (Duguay-Clédor, 1930 : 28-29) ».
Assumer de telles filiations comporte un risque de confusion entre, d’une part, les récits historiques
produits dans le cadre universitaire, selon des normes académiques établies, et d’autre part, les mémoires
dynastiques des États et communautés de la Sénégambie ou les textes de l’hagiographie coloniale, ces
deux derniers relevant d’autres critères de validation11. Adossé au projet nationaliste anti-colonial, les
historiens de Dakar ont procédé à une vigoureuse critique qui a déconstruit et remis à sa place les textes
des idéologues de la colonisation (Bathily, 1976 : 77-107). Cette critique radicale portée sur la vision
coloniale du passé des sociétés africaines contraste avec la faiblesse de la prise de distance des historiens
par rapport aux mémoires autochtones — étatiques ou communautaires — qu’ils ont souvent reproduites
ou acceptées comme récits historiques et traitées dans le même registre que l’histoire en tant que
discipline universitaire (Becker, 1985 : 213-242). Le souci d’avoir une historiographie la plus ancienne
possible et celui d’établir une continuité dans le processus de production des récits historiques ont
conduit à une minoration de l’importance de la rupture intervenue dans les années 1950 entre les lectures
traditionnelles du passé et la participation des Africains à la production des savoirs académiques dans le
champ de l’histoire. Boubacar Barry a raison de considérer la publication de Nations nègres et cultures
de Cheikh Anta Diop et de La Compagnie du Sénégal de Abdoulaye Ly comme « une rupture
épistémologique majeure dans l’historiographie coloniale ». Un rapport similaire peut être établi entre
ces deux œuvres et les lectures du passé produites par les traditionalistes des sociétés sénégambiennes.
Au contraire, la suite de l’étude de B. Barry développe un hymne « à la tradition orale détenue par les
griots et [aux] Tarikhs écrits par les lettrés musulmans ». La première a transmis « les faits et gestes des
sociétés africaines dans le but précis de dire l’histoire » et les seconds ont « entrepris d’écrire…
l’histoire pour témoigner du passé » 12.
Il est également tentant voire commode d’attribuer la nationalité sénégalaise à cette historiographie. Il en
résulte une difficulté majeure tenant à la constitution d’un corpus qui discrimine strictement les travaux
des Sénégalais de ceux de leurs collègues africains voire européens de Dakar 13.
Ces considérations liminaires ouvrent le débat sur l’identité de cette École historique dont l’existence
est, jusqu’ici, simplement postulée. Cette École n’a également pas produit des outils spécifiques ou une
façon à elle de lire le passé. Dans le sens où je l’emploie, l’expression « École de Dakar » désigne un
pôle, parmi d’autres en Afrique ― Makerere, Ibadan, Dar Es-Salam ―, où des spécialistes de diverses
disciplines élaborent des savoirs sur les sociétés africaines largement informés dans leur genèse par la
montée en puissance du mouvement anti-colonial, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Au-
delà de l’activité professionnelle portant sur la production des savoirs selon les règles établies au sein de
l’institution universitaire, l’École de Dakar se définit, comme ses homologues africaines, par la volonté
affirmée de ses animateurs de dévoiler la falsification délibérément opérée par les savoirs coloniaux

11
Les problèmes liés à ce risque de confusion sont abordés dans la quatrième partie de cette étude.
12
Cf. sa contribution dans cet ouvrage.
13
Se sont essayés à cet exercice, Martin Klein (1985 : 215-223), Jean Copans (1991 : 327-362) et, dans une perspective
englobant l’ensemble des travaux universitaires sur l’histoire du Sénégal, Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj (1985 : 207-214).
6

portant sur les sociétés africaines.


En dépit de la multiplicité des courants et tendances, les animateurs de l’École de Dakar ont convergé au
moins sur un objet d’étude clairement inscrit dans un espace : la Sénégambie (Barry, 1988). De plus, ses
membres revendiquent une spécificité qui déborde largement les contraintes liées à l’université, pour
faire de l’écriture un acte revendicateur d’un engagement aussi militant que professionnel.
Pour les Africains, l’écriture de leur histoire dans le cadre de l’institution universitaire démarre au
lendemain de la deuxième guerre mondiale. L’ambiance intellectuelle et politique de cette période a eu
un impact onsidérable sur l’historiographie africaine. Pour nombre d’historiens africains de cette époque,
la production scientifique est au cœur du projet politique anti-colonial ; la décolonisation de l’écriture de
l’histoire d’Afrique en constitue un volet central.
Il n’est dès lors pas étonnant que la revendication de ce lien soit présente dans tous les textes de genèse
de cette historiographie et, d’une thèse à l’autre, il est possible de multiplier les citations renvoyant à la
profession de foi militante des historiens de l’École de Dakar. Dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop, la
convergence entre projet politique et recherche historique demeure si forte qu’elle tend à fusionner les
deux champs. Le caractère polémique de ses écrits, les controverses et passions qu’ils continuent de
susciter ont beaucoup à voir avec la fonction politique qui leur est assignée. Conséquence majeure,
l’œuvre reste dominée par les questions de philosophie historique globalement appliquée à l’histoire du
continent vue sous le prisme de ses origines égyptiennes affirmées. La recherche historique portant sur
une période, un espace ou une société particulière occupe une faible place dans les travaux de Cheikh
Anta Diop. Pour Abdoulaye Ly, « l’engagement militant était […] la marque de l’émigration à finalité
politique et scientifique », s’imposant comme une nécessité à « l’intellectuel sénégalais pris dans son
destin en pleine crise du système colonial (Ly, 1993 : V) ».
Les historiens aux prises avec les questions posées par les nouveaux régimes des indépendances,
affirment plus que jamais l’étroitesse des liens entre investigation scientifique et engagement militant.
Dans une étude consacrée à l’analyse des savoirs coloniaux sur les sociétés sénégambiennes, Abdoulaye
Bathily, alors jeune historien, engage les militants politiques à « …, étudier l’œuvre faidherbienne
comme toute autre pour contribuer à sa démystification mais surtout pour acquérir une connaissance
scientifique des lois du développement social sans laquelle la théorie et la praxis révolutionnaire ne
seraient, comme disait Lénine, que « charlatanisme » (Bathily, 1976 : 77-107) ». Fidèle à cette option,
l’historien du Galam nous apprend dans la préface de sa thèse rédigée dix ans plus tard que son travail de
recherche s’inscrit « dans les préoccupations dégagées par le programme du Parti », à savoir « la
nécessité de connaître notre société pour la transformer (Bathily, 1989 : 32) ».
Au regard du traitement jusqu’alors réservé aux sociétés africaines par l’historiographie coloniale, la
question de la finalité militante de l’investigation historique s’impose comme un impératif. Cependant, le
lien entre récit historique et position politique partisane pose de sérieux problèmes épistémologiques. La
volonté affirmée de faire que « la conduite scientifique [l’emporte] sur toute autre considération (Ly,
1993 : XV) » ne garantit pas la nécessaire distinction entre les démarches scientifiques et les prises de
position idéologique.
Au fil du temps, cet engagement militant vécu intensément dans la genèse de l’historiographie de l’École
de Dakar comme partie du combat pour la décolonisation de l’histoire et des mentalités africaines, finit
par prendre des formes et des contenus divers. À la fin des années 1980, il prend une autre tonalité chez
7

les plus jeunes historiens de Dakar qui entretiennent des rapports plus distants avec les traumatismes de
l’ordre colonial. Les traces de cet engagement se retrouvent dans les combats affirmant les liens
génétiques entre les civilisations pharaoniques et les cultures des sociétés africaines contemporaines ou
dans la répétition sans fin des problématiques qui font de l’Afrique et des Africains des victimes d’une
histoire subie et faite d’agressions extérieures.
Les éléments qui donnent cohérence à l’historiographie de l’École de Dakar et participent à l’élaboration
de son identité ne se réduisent pas à l’engagement militant de ses chercheurs. Suffisamment de facteurs
de convergence sont repérables dans les pratiques de l’École de Dakar pour donner consistance au
postulat de son existence. Certes, les approches scientifiques et les options idéologiques diffèrent d’un
chercheur à l’autre mais une certaine similitude est repérable dans la constitution des objets d’études 14,
l’usage des outils méthodologiques et les sources mises en œuvre dans l’écriture de l’histoire (traditions
orales largement dominées par les mémoires des élites autochtones, écrits européens, plus rarement
textes en langue arabe).
Dans les années 1950, les historiens de l’École de Dakar ont très peu fait usage des traditions orales de la
Sénégambie. Leur préoccupation première était de faire accepter une écriture possible de l’histoire
d’Afrique répondant aux normes académiques de l’époque excluant, tout au moins dans le domaine
français qui était le leur, l’usage des traditions et témoignages oraux comme source d’histoire. Dès lors
s’imposait à eux le recours à des sources, l’élaboration de chronologies et la production de récits
historiques comparables voire similaires à ceux en usage chez les historiens de l’Europe. L’abondance
des références grecques et latines dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop a à voir avec le poids de telles
contraintes. Celles-ci ont dû jouer sur les choix de Abdoulaye Ly qui, soucieux de comprendre l’impact
de la traite atlantique des esclaves sur les sociétés sénégambiennes, porte sa réflexion sur L’Évolution du
commerce français d’Afrique noire dans le dernier quart du XVIIe siècle et limite ses investigations aux
documents écrits, archives et récits de voyages. Du reste, il s’en explique dans l’introduction à la
seconde édition de La Compagnie du Sénégal : « Partant de la structure de l’enseignement de « l’histoire
coloniale », à l’université de ce temps-là, nous considérions le commerce d’Afrique noire au XVIIe siècle
et, avec lui, forcément la traite négrière, non seulement comme un fait de connexion essentiel entre
l’histoire mondiale et l’histoire africaine, mais encore comme une première voie d’accès relativement
sûre dans celle-ci grâce à l’utilisation des sources écrites du colonisateur (Ly, 1993 : VII) ».
La tradition orale s’impose comme source crédible à partir des années 1960 avec L’épopée Manding
de Djibril T. Niane (1961), impulsée par la suite par le Samory de Yves Person, une thèse
monumentale à la française qui montre l’exemple du bon usage et la valeur informative de cette
source. Déjà au début du siècle dernier, Amadou Duguay-Clédor, dans un texte participant pour une
large part de l’hagiographie coloniale, n’en estimait pas moins que « Dans ces pays d’Afrique noire
où les traditions orales connues et conservées de père en fils par les témoins oculaires constituent les
seuls documents, il est impossible à un narrateur européen d’écrire une histoire quelconque, sinon

14
À une écrasante majorité, les textes des historiens africains de Dakar des années 1950-1980, aussi différents que soient
leurs lieux de formation, questionnent un espace et une période : les terroirs étatisés suite à la dislocation du Jolof, entre les
XVe et XIXe siècles. L’étude des grands empires du Soudan occidental — Ghana, Mali et Songhay — s’est révélée d’un
intérêt majeur pour les historiens africains (Cissokho, 1975, Bathily, 1977(a), Mbow, 1989 : 107-124). Elle a offert
l’opportunité d’afficher l’existence de constructions étatiques élaborées et raffinées, impulsées par une dynamique interne et
traitant d’égale à égale avec les puissances non africaines de leur époque, Toutefois, les historiens de l’École de Dakar n’ont
pas investi cette période historique autant qu’ils l’ont fait pour ce qui concerne l’histoire des Etats issus de la traite
atlantique.
8

celle des « rapports et documents officiels arrangés »… » (Duguay-Clédor, 1930 : 28) ». Le recueil de
ces traditions, entamé depuis le début du siècle par les ethnologues, les administrateurs coloniaux,
historiens-amateurs ou professionnels, poursuivie depuis lors, de valeur inégale d’une région à une
autre de la Sénégambie, a permis de rassembler un corpus largement utilisé dans l’écriture de
l’histoire de cet espace.
Parmi les historiens de l’École de Dakar, Oumar Kane s’est le plus identifié aux traditions du Fouta,
des Denyanke aux Torobe et Mbaye Guèye à celles des pays wolof et sereer. Abdoulaye Bathily a fait
des traditions soninke la colonne vertébrale de sa thèse sur le Gajaga (Bathily, 1989 : 14-29 ). La
sociologie des informateurs que l’auteur livre à cette occasion montre la portée et les limites de cette
source mais aussi les pièges qu’elle recèle. Abdoulaye Bathily met en exergue différents éléments à
prendre en compte dans l’analyse critique de la tradition orale, le statut social de l’informateur,
porteur institutionnel ou non de la tradition, son genre. La conclusion de sa longue analyse des
contenus et formes de la tradition orale, des modes de transmission sonne comme un avertissement : il
n’existe pas une mais des traditions orales. La prise en compte de cette pluralité permet de situer le
rôle et la place des différents protagonistes dont les mémoires se parlent dans cette source portée par
des vivants donc plus que les autres « ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie (Nora,
1997 : 24) ». Cette précaution méthodologique n’épuise pas la nécessité d‘un protocole de prise de
distance qui assure le minimum de rigueur scientifique au récit de l’historien.
Pour Bathily, les traditions autochtones apportent une contribution largement supérieure en valeur
informative aux sources écrites des voyageurs et commerçants arabes ou européens, généralement
ignorants des fonctionnements internes des sociétés sénégambiennes ou aveuglées par divers préjugés.
Cette condamnation sans appel n’a-t-elle pas fait négliger la documentation autochtone en langue
arabe ?
Plus que la question de l’accessibilité linguistique, facilement résolue par une coopération avec les
enseignants chercheurs spécialistes des civilisations et langues arabes, l’emprise du modèle
historiographique européen sur les historiens de l’École de Dakar a relégué à une place secondaire la
documentation en langue arabe. Paradoxalement, la voie vers l’exploitation de cette source avait été
ouverte par les administrateurs-ethnologues européens à l’époque coloniale. Les historiens de l’École
de Dakar n’ont pas suivi ces précurseurs dans l’usage de ces sources qui présentent un intérêt majeur
pour la connaissance des sociétés sénégambiennes, en particulier celles d’entre elles qui ont une
longue tradition islamique. Les Tarikhs du Soudan occidental 15 et les témoignages des voyageurs et
commerçants arabes de l’époque médiévale 16 ont été certes largement utilisés. Cependant, les écrits
des lettrés musulmans, de plus en plus nombreux, avec l’expansion de l’Islam en Afrique de l’ouest
ont été ignorés par les historiens.
La recherche des manuscrits en arabe a mis en évidence l’intérêt que représente l’usage de cette
littérature relativement abondante pratiquant des genres narratifs variés. Cette source comporte deux
types de documents au regard de la langue utilisée. Les documents sont en arabe classique ou en
langues autochtones transcrites avec l’alphabet arabe. Ce dernier genre a une histoire relativement
longue et demeure une pratique contemporaine très commune en pays pulaar (ajami) (Robinson,

15
Il s’agit du Tarikh al-fattash de Mahmūd Ka’ti (1964), du Tarikh es-Sudan de Abdrahmān es-Sa’dī (1981) et, dans une
moindre mesure, du Tedzkiret en-Nisiān (Houdas, 1966).
16
Ces auteurs ont été traduits et publiés dans Cuoq (1975).
9

1982 : 251-261), manding et wolof (wolofal). La fréquentation de cette « bibliothèque » présente un


intérêt académique majeur du fait, entre autres, qu’elle combine la dynamique interne des sociétés
sénégambiennes à l’influence de la culture arabo-musulmane. L’exploitation de ces sources est
porteuse d’une possibilité de renouvellement des paradigmes de l’écriture de l’histoire de la
Sénégambie.
Parmi les textes les plus connus dans ce genre figurent la Quacida de Mohammadou Aliou Tyam
(Gaden, 1935) largement utilisée par l’historien américain David Robinson (1988), l’œuvre
monumentale de Cheikh Moussa Kamara 17 et celle de Muusa Ka portant sur les exils de Cheikh
Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie des Mourides (Faye, 1998).
Recourant à des traditions déjà recueillies, traduites et transcrites, Boubacar Barry, Mamadou Diouf et
Rokhaya Fall ont eu à faire moins de terrain pour écrire leurs thèses respectives sur le Waalo, le
Kajoor et le Bawol. Ces auteurs s’appuient principalement sur les sources écrites européennes
(archives et récits de voyages). Tout en gardant à l’esprit que la majorité des traditions orales ainsi
fixées comme les sources écrites européennes portent exclusivement leur attention sur les aristocraties
au pouvoir dont les « hauts faits […] sont chantés par les griots et les archives n’ont conservé que les
traces des rapports qu’elles entretenaient avec le commerce de Saint-Louis (Barry, 1972 : 322) », les
auteurs de ces thèses ont pour l’essentiel écrit une histoire politique des élites de ces États. Ils ont
procédé autant que possible à déconstruire les mémoires nationalistes adossées sur ces gestes
aristocratiques. Le succès de ce travail critique opéré par le récit historique universitaire a mis
l’ouvrage de Mamadou Diouf sur le Kajoor au centre d’une polémique entretenue par les descendants
des aristocraties dont les mémoires ont fait l’objet du travail de l’historien 18. Une telle situation est
révélatrice de la difficulté des historiens de Dakar à faire face ou à s’émanciper de la forte emprise
des récits communautaires proliférant dans tous les discours se référant au passé.
Dans une certaine mesure, Abdoulaye Ly et Cheikh Anta Diop ont échappé à ce type de contrainte. Ils
ont centré leur réflexion sur des objets et des espaces occupant une place limitée dans les mémoires
communautaires contemporaines. Le premier a consacré une bonne partie de sa carrière professionnelle à
l’administration de la recherche comme directeur adjoint de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire, le
second est resté confiné dans son laboratoire dans la même institution, jusque dans les dernières années
de sa vie où il est autorisé à donner des cours au département d’Histoire de la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines. Abdoulaye Ly a marqué de son empreinte le courant historiographique qui a investi
la dynamique atlantique en Sénégambie alors que le second s’est imposé comme le père fondateur de
l’Égyptologie dakaroise.

II. Nos ancêtres les Egyptiens !

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, plusieurs obstacles se dressent quant à la possibilité


de faire accepter une écriture de l’histoire de l’Afrique. Prenant prétexte de l’oralité dominante dans
les cultures africaines, les idéologues coloniaux ont dénié au continent toute possibilité d’avoir une
histoire impulsée par une dynamique interne. Jusque dans les années 1950, ce point de vue a été suivi
voire renforcé par les élites savantes contrôlant les normes en science sociale dans les universités. Le

17
La traduction en français et la publication de l’œuvre de Cheikh Moussa Kamara, entamées depuis 1973 a franchi un pas
décisif avec l’édition du Zuhur al-Basatin (Kamara, 1998)
18
À ce sujet, voir l’article de Mamadou Diouf (1981 :47-54) et la réaction de Amadou Bamba Diop (1982 : 53-56).
10

moule historiographique constitué au cours du XVIIIe siècle a ainsi imposé la manière dont l’histoire
de l’Europe s’est écrite comme référent universel dont les histoires des autres aires culturelles ne
peuvent être, tout au plus, que des variantes souvent dégradées (Chakrabarty, 1999 : 73-109).
Les premiers historiens africains ne se sont nullement posé la question de la pertinence de ce modèle
pour l’écriture de l’histoire de leurs sociétés ; au contraire, ils l’ont accepté comme tel pour restituer
un passé de l’Afrique répondant aux normes académiques ainsi définies. Paradoxalement, le modèle
excluait l’Afrique du champ de l’historicité et la confinait dans le domaine de l’ethnologie. Mieux,
dans les savoirs de ce temps-là, le continent africain restreint à sa partie au sud du Sahara est identifié
à la race noire, notion dont il sera difficile d’émanciper la réflexion des sciences sociales sur les
sociétés de cet espace.
En acceptant les termes du débat ainsi posé, les historiens africains ont alors eu au moins trois défis
majeurs à relever. Premièrement, réintroduire l’Afrique dans le champ de l’historicité sans déroger
aux règles académiques d’écriture de l’histoire selon le modèle européocentrique admis comme
référent universel. Deuxièmement, l’histoire dont il est question est bien celle des Noirs.
Troisièmement, l’écriture de l’histoire s’est imposée comme une tâche politique dont l’exécution
devait fournir au combat du mouvement nationaliste ses légitimités.
L’œuvre historiographique répondait alors à une demande politique et idéologique avec le risque d’en
altérer la démarche scientifique. Cheikh Anta Diop a consacré le gros de sa réflexion à relever le défi
d’écrire une histoire d’Afrique non contestable au regard des canons académiques de son temps. Au
moment où il soumet à la Sorbonne les ouvrages constitutifs de sa thèse, les élites savantes qui
produisent et valident les savoirs sur l’Afrique, dans leur écrasante majorité, ne conçoivent
l’historicité des sociétés africaines que sous l’impulsion d’une dynamique externe : arabo-islamique
avant le XVe siècle, européenne après. Toute civilisation ou culture un tant soit peu élaborée localisée
dans l’aire culturelle africaine était attribuée à des forces historiques extérieures au continent.
Chez Cheikh Anta Diop, la réfutation de cette thèse passe, d’une part, par la démonstration de
l’existence d’une antiquité africaine antérieure à celle de la Grèce et de Rome — modèle dominant la
production historiographique de l’Europe — et capable par ses réalisations spirituelles et matérielles
de les égaler au moins, et d’autre part, par l’établissement de sa filiation avec les sociétés africaines
des époques modernes et contemporaines. L’Egypte répondait parfaitement à cette quête ; le problème
étant de démontrer, selon les canons du modèle historiographique dominant que la civilisation qui
s’est développée dans la vallée du Nil dans l’antiquité était le fait d’Africains de « race nègre ».
Mieux, ses auteurs comme la civilisation qu’ils ont élaborée entretiennent des liens de parenté
génétique avec le reste du continent africain dans une trajectoire historique ininterrompue jusqu’à la
colonisation.
Cheikh Anta Diop a défendu que l’humanité qui émerge dans le paléoclimat de l’Afrique orientale ne
pouvait être que pigmentée. Poursuivant dans la même logique et se fondant sur des sources solides, il
montre que la brillante civilisation pharaonique prend sa source dans la haute vallée avant d’instruire
sur le tard les autres sociétés méditerranéennes.
S’appuyant sur les auteurs anciens, les données archéologiques et les évidences ethnologiques, toutes
sources reconnues dignes d’intérêt par les sciences sociales de son époque, donc incontestables par les
tenants de l’idéologie coloniale, l’Égyptologue sénégalais soutient que la couleur noire de la peau des
11

Égyptiens relève de l’évidence historique. Du reste, pour Cheikh Anta Diop, la contestation de cette
thèse par ceux qu’il nomme les idéologues opposés à la vérité scientifique a une genèse toute récente
dans le projet de domination coloniale. Jusqu’au XVIIIe siècle, aucun des spécialistes européens de la
vallée du Nil ne conteste cette évidence dont témoigne la majorité des auteurs de l’antiquité. Donc les
fondements idéologiques de la position qui nie, occulte ou minimise le débat sur la couleur des
Égyptiens sont contemporains de l’impérialisme colonial.
Cheikh Anta Diop a également défendu la thèse de l’unité culturelle de l’Afrique en établissant ses
bases historiques sur le séjour partagé des sociétés du continent dans la vallée du Nil et non dans le
Sahara jugé trop primitif.
C’est sur le tard qu’il aura l’occasion d’exposer ses idées aux universitaires de Dakar, écarté qu’il a été
du corps enseignant du département d’histoire jusqu’au début des années 1980. Le départ de Léopold S.
Senghor du pouvoir et son remplacement par Abdou Diouf a largement contribué à la décrispation des
relations du pouvoir avec Cheikh Anta Diop qui s’est vu confié des enseignements au département
d’Histoire, rompant ainsi trois décennies d’isolement de l’égyptologue. L’expérience connaît son
apothéose avec le symposium de 1982 organisé par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de
l’Université de Dakar et les Editions Sankoré de Pathé Diagne. L’occasion est donnée à Cheikh Anta
Diop d’exposer devant la communauté universitaire de Dakar ses thèses discutées par des enseignants et
chercheurs de diverses disciplines. Dès avant la fin de cette expérience de courte durée interrompue par
le décès de Cheikh Anta Diop survenu en 1986, le département d’histoire avait recruté deux enseignants
spécialistes des études égyptologiques, Aboubacry Moussa Lam et Babacar Sall.
Deux tendances se sont affirmées dans l’Egyptologie de l’École de Dakar. La première incarnée par
Aboubacry Moussa Lam fait de l’Egypte un point de départ pour comprendre l’histoire des sociétés
africaines. A. M. Lam s’est affiché comme le véritable successeur de Cheikh Anta Diop 19. Il a repris
et défendu avec passion l’ensemble de ses thèses. La quasi-totalité des textes qu’il consacre à
l’Egyptologie et les mémoires qu’il encadre portent sur le comparatisme entre la civilisation de la
vallée et les cultures matérielles et spirituelles, les institutions politiques des sociétés de la
Sénégambie contemporaine. Il assure la vulgarisation des thèses de Cheikh Anta sur l’unité culturelle,
l’origine des groupes ethniques de la Sénégambie, l’antériorité des civilisations nègres, etc. (Lam,
1994) 20.
Toutefois, cette tendance historiographique renouvelle très peu la problématique de l’Egyptologie
héritée de son inspirateur. Son approche porte très fréquemment sur les ethnies de la Sénégambie dont
elle cherche à établir la parenté génétique avec les cultures matérielles et spirituelles pharaoniques.
Son objet, l’ethnie, est très peu discuté, ses mutations, ses expériences historiques autres
qu’égyptiennes sont gommées par un immobilisme qui lui ôte l’essentiel de sa dynamique historique.
Orienter la recherche sur l’étude des migrations de populations de la vallée du Nil à celle du Sénégal,
sans perdre de vue les autres expériences historiques accumulées au cours de ces mouvements
constitue un chantier qui renouvellerait les études sur les antiquités africaines en les sortant du ghetto
sénégambien et du fixisme ethnologique.

19
L’influence de Cheikh Anta Diop déborde largement les limites de l’École de Dakar. Théophile Obenga demeure un de ses
plus fidèles continuateurs.
20
A. M. Lam s’est par ailleurs investi dans la fiction littéraire avec la publication d’un roman illustrant les mêmes thèses
(Maat), il est également le co-auteur d’un manuel d’initiation à l’écriture hiéroglyphique destiné aux élèves de l’école
élémentaire.
12

Babacar Sall, enseignant à l’UCAD, ouvre la perspective de « l’Egypte point d’arrivée » d’une longue
évolution qui prend son départ dans la haute vallée. Cet égyptologue a l’avantage de ne sortir ni de la
vallée, ni de l’antiquité. Dans sa thèse (Sall, 1999), il interroge les relations primitives entre les entités
géopolitiques et/ou géographiques que sont l’Egypte, l’Ethiopie et la Libye au sens des écrivains de la
Grèce ancienne. Il montre que l’Egypte pharaonique a été la fille aînée d’un ensemble de courants
culturels nilotiques et africains, première grande réussite culturelle de l’humanité sortant de la
préhistoire (Sall, 1999 : 18-19). La perspective historique qu’il dessine écarte avec autorité la notion
de race comme facteur d’explication historique. C’est là une rupture de taille avec les thèses de
Cheikh Anta Diop.
Après avoir établi que l’ancrage de l’Egypte pré-dynastique dans l’univers éthiopien apparaît
nettement dans ses traits généraux, l’historien n’en reste pas moins prudent. En dépit des nombreux
éléments de preuves accumulés, il laisse ouverte la possibilité, plus que probable, d’influences extra-
africaines, asiatique en particulier, dans le « making of Egypt ». La conclusion qu’il en tire porte sur la
nécessité de refonder sur des bases scientifiques l’ethnohistoire en vogue. Il sera impératif alors
d’opérer une rupture majeure longtemps différée par la passion des polémiques et le radicalisme des
thèses exclusivistes : la recherche de toute l’Egypte dans l’Afrique noire conduisant paradoxalement à
la défense de la thèse du piétinement culturel. Ce changement de perspective replace l’Egyptologie
dans un champ historique beaucoup plus large comme partie intégrante des études des antiquités
africaines où l’Egypte devient une fin et non un début.
Les thèses de Babacar Sall appuyées sur une analyse érudite de la littérature grecque, des données
paléobotaniques, archéologique, épigraphique, paléontologique et paléoclimatologique ouvre une
perspective porteuse de possibilités de renouvellement des paradigmes de l’étude des antiquités
africaines.
Jusqu’ici, la compilation des travaux antérieurs l'emporte largement sur l'émergence de questions et
d'approches nouvelles 21. La persistance de l'acharnement à combattre les mêmes adversaires, déclarés
mille fois vaincus à propos de la thèse de l'Égypte nègre et de l'unité culturelle de l'Afrique noire,
n'est-elle pas un indice révélateur de la difficulté à aller au-delà de ces questions.
Prendre conscience de ces problèmes et les résoudre nous semble être une condition sine qua non de
la vivification de la pensée de Ch. A. Diop qui, dans le cas contraire, sera "momifiée" dans des éloges
frileux et stériles. C’est là une condition pour renouer avec les débats qui ont dominé l’écriture post-
coloniale de notre histoire : les origines historiques du sous-développement de l’Afrique et sa
subordination aux logiques du système capitaliste dominé par l’Europe dont l’influence sur l’Afrique
est largement minimisée par les Egyptologues défenseurs d’une forte stabilité et d’une continuité
exceptionnelle entre la vallée du Nil et le reste de l’Afrique ; la traite saharienne et atlantique, la
colonisation étant une parenthèse négligeable.
21
Ailleurs, nous avons montré que le symposium organisé en 1982 à l’Université de Dakar où Cheikh Anta Diop a exposé à
la critique des universitaires l’ensemble de ses thèses a suscité un regain d’intérêt pour l’Egyptologie (Thioub et Diop, 2001).
Pour les étudiants qui se spécialisèrent, de plus en plus nombreux, dans cette discipline, la découverte de son œuvre a comblé
le vide angoissant créé par les thèses qui avaient nié l’existence, en Afrique, d’une continuité historique plongeant ses racines
dans la vallée du Nil et informant la conscience historique des peuples du continent. Cependant, l'ombre tutélaire de Ch. A.
Diop a été si forte sur les travaux de maîtrise postérieurs à 1982, que le risque d'une inhibition intellectuelle, frein au
renouvellement des questions dans cette discipline, demeure une menace permanente. L'ouverture vers d'autres espaces
historico-culturels et la prise en compte des expériences historiques des peuples africains postérieures à leur "migration
d'Égypte", la rupture d'avec le fixisme dans la manière de concevoir les objets étudiés (ethnies, langues, cultures matérielles)
donneraient un souffle nouveau à l'initiation à la recherche en Égyptologie.
13

Prenant une perspective différente des thèses néo-pharaoniques, le courant historiographique initié par
Abdoulaye Ly a posé la question des origines de la position subalterne des sociétés africaines dans
l’architecture actuelle du monde. Il en a cherché la réponse dans l’analyse de l’impact de ce que le
précurseur de ce courant appelle « la connexion capitaliste des trois continents par l’Atlantique » qui
occupe depuis lors une place centrale dans l’historiographie de l’École de Dakar.

III. La dynamique atlantique en Sénégambie

L’école de Dakar a fait sa renommée en questionnant les multiples processus enclenchés en Sénégambie
par la connexion par l’Atlantique des continents européen, africain et américain. Le texte fondateur de ce
courant est consacré à l’histoire d’une entreprise française dont l’existence est liée au commerce
d’Afrique du XVIIe siècle. La politique économique de l’État français sous Colbert offre à Abdoulaye Ly
un point d’appui empirique pour penser les rapports du système capitaliste mondial dans sa phase de
construction et de consolidation et le rôle de chacun des espaces qu’il absorbe dans le processus.
Le rôle du commerce colonial dans l’accumulation du capital constitue l’objet implicite de la thèse, avec
en filigrane, la compréhension du rôle joué par la Sénégambie, centre des activités africaines de la
Compagnie du Sénégal, dans l’accumulation du capital à son centre et ses effets dé-structurants dans les
pays subordonnés à ses logiques. Les conséquences ne sont pas seulement économiques, elles sont aussi
sociales et politiques et c’est sous ce rapport qu’ils intéressent également Abdoulaye Ly.
Les historiens continuateurs de l’œuvre de Abdoulaye Ly — Boubacar Barry, Abdoulaye Bathily,
Mamadou Diouf, Rokhaya Fall — ont focalisé leur attention sur un des versants de la connexion
triangulaire : la Sénégambie. La séquence historique la plus étudiée et la mieux connue de l’École
historique de Dakar est celle qui couvre la période du XVe au XIXe siècle. Pour ce courant
historiographique, l’histoire de la Sénégambie de cette période se noue dans les relations entre trois
phénomènes majeurs rythmés par la dynamique atlantique : l’islamisation et l’intervention des leaders
musulmans dans le champ politique et économique 22, l’évolution des pouvoirs ceddo et la présence
européenne, de sa phase mercantile à celle de la mise en œuvre du projet de conquête coloniale.
Interpellé par l’effritement des idéaux panafricanistes et l’échec du projet de construction des États-
nations dans l’espace des territoires hérités de la colonisation, les animateurs de ce courant
historiographique ont mis à l’ordre du jour la réflexion sur les processus historiques producteurs du mal-
développement ayant durablement affecté l’existence des peuples du continent depuis leur articulation à
l’économie-monde capitaliste. Les historiens de Dakar ont soumis à une analyse serrée le rôle joué par
cette connexion des sociétés africaines à la dynamique atlantique, entre les XVe et XXe siècles. Ils ont
démontré que cette séquence historique ne pouvait être assimilée à une parenthèse négligeable comparée
à la prégnante influence de l’héritage pharaonique, comme le soutient Cheikh Anta Diop ou à un « mal
nécessaire » débouchant sur l’avatar colonial selon le point de vue senghorien.
Mettant en exergue le caractère contradictoire des processus historiques, les historiens de Dakar, au
cours des années 1970-1980, ont rompu avec « la légende dorée » d’une histoire de l’Afrique réduite à
la geste des grands hommes. En interaction avec les courants africanistes français, britannique, nord-
22
Dans l’historiographie de la Sénégambie, l’islam est rarement étudié en tant que religion. L’histoire de ses spiritualités, les
mutations dans les pratiques religieuses (dévotion, enseignement, etc.), les arts et les cultures islamiques sont souvent
occultées au profit du regard sur ses rapports à l’économie et à la politique. Ce handicap se renforce avec la faiblesse des
échanges entre historiens et arabisants de l’UCAD.
14

américain et les écoles historiques africaines (Ibadan, Dar es Salam, Makarere), ils ont étudié les
grandes structures socio-économiques et politico-institutionnelles, les mutations qui y opèrent au
détriment d’une approche partant des acteurs. Cette prépondérance de l’approche structurelle et
institutionnelle où les monographies historiques de terroirs l’emportent sur l’entrée par les acteurs 23
est portée par l’optimisme « développementaliste » des années 1960. La réflexion historique de cette
époque porte sur les réponses apportées par les différents segments des sociétés africaines aux défis
posés par la traite atlantique des esclaves et la domination coloniale.
Les monographies historiques des États issus du démembrement de l’empire du Jolof consécutif au
développement de la traite des esclaves dominent la production historiographique. Elles ont produit
une analyse des mécanismes et des conséquences socio-économiques et politiques de la participation
des sociétés sénégambiennes au commerce atlantique.
La puissance de l’influence de la traite des esclaves centrée sur l’Atlantique dans les transformations
des sociétés africaines, l’importance de la période coloniale dans le façonnage de leurs destins et le
lien étroit entre cette période et celle des indépendances acquises dans les années 1960 forment la
trame explicative de cette orientation historiographique.
Le traitement réservé à l’espace intercontinental connecté à l’Atlantique, dans une perspective
africaine, a coïncidé dans l’Afrique des trois premières décennies des indépendances, avec
l’affirmation vigoureuse des histoires « nationales ». Par leur nombre, les études sur les États
précoloniaux détruits par la colonisation présentent une grande similitude dans leur structuration, leur
problématique et les sources utilisées.
Une fois posé le cadre structurel géographique et écologique, la réflexion se poursuit sur
l’architecture sociale du groupe linguistique numériquement majoritaire, telle que véhiculée par les
traditions souvent réduites à celles des classes dirigeantes qui tendent à la présenter sous une forme
figée depuis sa genèse. La restitution des mythes fondateurs des Etats tels transmis par les traditions
orales, permet de rendre compte des rapports de vassalité au Jolof. La perspective historique, en partie
tributaire des sources européennes, reprend ensuite ses droits à partir de la dislocation de l’empire du
Jolof, première manifestation notable de l’impact négatif de la traite atlantique des esclaves.
L’ouverture sur l’économie de l’atlantique est décrite comme une perte progressive de l’initiative
historique par les sociétés africaines due aux conséquences de la traite des esclaves largement
documentées.
La traite négrière est étudiée comme un événement historique imposé à l’Afrique et aux Africains,
victimes de l’Europe ou du système capitaliste mondial qui leur ont attribué des fonctions changeantes
mais constamment subalternes dans l’édification du système-monde capitaliste. Les études consacrées
à cet événement historique ont privilégié l’analyse des trajectoires de l’élite — ceddo ou
maraboutique — des États dynastiques de la Sénégambie de l’époque de la traite atlantique des
esclaves.
Sans gommer les autres facteurs : croyances religieuses, environnement écologique, système des

23
Les historiens de l’École de Dakar ont très peu exercé leurs talents sur le genre biographique. Iba der Thiam (1977) a
rédigé une biographie de Maba Diakhou Ba, Boubacar Barry (1976) a retracé la vie de Bokar Biro, Abdoulaye Bathily
(1978), la carrière de Job ben Salomon, Ousseynou Faye, celle de Kaaň Fay et Ibrahima Thioub (1992 ; 1998), celles de
Yaadikkoon et d’Abdou Njaay.
15

castes, configuration ethnique, mouvement démographique, etc., le primat de l’analyse des rapport de
classes et du poids des facteurs économiques dans l’explication des processus historiques de cette
époque n’a pas toujours permis de sortir de cette histoire vue d’en haut.
La centralité des facteurs considérés comme externes à l’Afrique — traite négrière, Islam,
colonisation — dans l’écriture de l’histoire des sociétés africaines a renforcé la tendance de
l’historiographie à privilégier le travail sur les segments sociaux, classes, États, individus, en rapport
direct avec la dynamique atlantique, accordant une place subalterne ou niant les autres processus et
événements historiques non directement connectés à cette dynamique. L’historiographie de cette
époque tend à réduire sa lecture du passé aux rapports entre dynasties ceddo, élites musulmanes et
acteurs européens (commerçants, explorateurs, administrateurs, conquérants) dans le contexte de la
traite atlantique des esclaves suivie de la conquête et de l’institution des régimes coloniaux. À partir
des traditions restituées par Yoro Diaw et Amadou Wade, principaux informateurs autochtones sur
« les sociétés wolof » 24, Siré Abbâs Soh 25 et Cheikh Moussa Kamara sur le Fuuta-Toro et les sources
écrites européennes, s’est construite une histoire par le haut centrée sur le politique et qui, par
ailleurs, éprouve tant de mal à s’émanciper du genre narratif que l’Europe des Lumières a imposé au
discours historique universitaire et à la vision transmise par les traditions élitistes des sociétés
étudiées. Ces limites n’altèrent en rien l’apport considérable de cette génération à la connaissance de
la période du XVe au XIXe siècle. Les historiens qui ont étudié cette période en Sénégambie ont
focalisé leur attentions sur trois thèmes : la traite atlantique des esclaves, l’expansion de l’Islam et la
conquête coloniale. À partir d’études portant sur des terroirs spécifiques, tous s’accordent sur
l’importance des mutations qui s’opèrent dans cet espace et le poids décisif de ces trois événements
historiques dans le destin de cet espace. Toutefois, il existe des divergences notables chez les
historiens portant sur la signification des processus historiques structurés par ces trois objets centraux
dans l’historiographie de la Sénégambie..
Les années 1970-1980 au cours desquelles s’écrit cette histoire sont témoins de mutations importantes
dans l’environnement des historiens de l’École de Dakar, créant ainsi les conditions d’un changement
notable de perspectives dans l’orientation de son historiographie.
Une filiation thématique voire spatiale peut être établie entre les textes des historiens qui soutiennent
leurs thèses dans les années 1970-1980 et la perspective ouverte par Abdoulaye Ly. Pourtant, il serait
réducteur de s’en limiter à cette relation, tant sont nombreux les facteurs aux effets cumulatifs
intervenant dans la mise en place d’un contexte intellectuel nouveau qui informe largement l’écriture
de l’histoire.
L’accession à l’indépendance des pays africains et les projets de construction d’Etats-nations dans
l’espace des anciens territoires coloniaux débouchent après une décennie d’expérience sur des
impasses politiques et économiques aux conséquences souvent tragiques. Les historiens se sont senti
interpellés pour l’éclairage des racines historiques de ce présent (Bathily, 1989 : 9). Les différentes
écoles du marxisme, très en vogue dans ces années, et principalement la théorie « dépendantiste »

24 Les traditions transmises par Yoro Diaw irriguent toutes les monographies sur les États dits précoloniaux : le Kajoor, le
Waalo, le Jolof voire le Siin et le Saalum. R. Rousseau, « Le Sénégal d’autrefois. Etude sur le Cayor. Cahiers de Yoro
Dyaô », BCEHS-AOF, 16, avril-juin 1933. H. Gaden, « Légendes et coutumes sénégalaises. Cahiers de Yoro Dyaô », Revue
d’Ethnographie et de sociologie, 3-4, 1912. Amadou Wade, « Chronique du Wâlo sénégalais(1186 ?-1855) », BIFAN, 26
(B), 3-4, 1964, pp. 440-498.
25 Siré Abbâs Soh, Chroniques du Fouta sénégalais, Paris, Leroux, 1913, 328 p. [Traduction de l’Arabe au Français par M.
Delafosse et H. Gaden].
16

élaborée à partir des études sur le sous-développement des pays latino-américains offrent un cadre
théorique pour rendre compte du changement qualitatif que constitue le passage des sociétés
africaines de la phase « prémercantiliste », dominée par le commerce transsaharien, à l’intégration à
l’économie monde capitaliste par le biais du commerce négrier26. Les historiens de Dakar participent à
ce vaste mouvement intellectuel qui tente de comprendre le rôle de la traite négrière dans la mise en
dépendance des sociétés africaines. Parmi les œuvres qui ont exercé une influence marquante sur les
historiens de Dakar figurent la thèse de Walter Rodney sur l’esclavage et la traite négrière dans la
« Upper Guinea Coast » et ses travaux ultérieurs effectués à l’Université de Dar es Salam. Dans les
années 1960-1970, Dakar accueille également des chercheurs anglo-saxons qui participent aux débats
sur les mutations qui affectent les sociétés sénégambiennes confrontées à la dynamique atlantique.
Martin Klein publie sa thèse sur le Sine Saloum (Klein, 1968), David Robinson, Lucie Colvin et V.B.
Coifman conduisent leurs recherches respectivement sur le Fouta Toro de la révolution Torodo à la
conquête coloniale, sur les relations du Kajoor à la colonie du Sénégal et sur le Jolof. La prise en
compte de la multiplicité des dimensions embrassées par les processus historiques et leurs caractères
contradictoires et complexes amènent les historiens à être plus attentifs aux approches développées
par les autres disciplines des sciences sociales.
Ces facteurs ont largement contribué au changement de perspective qui s’opère dans l’analyse des
processus historiques informés par la traite atlantique des esclaves en Sénégambie, l’expansion de
l’islam et la conquête coloniale.
Pour l’École de Dakar, l’histoire interne des sociétés sénégambiennes du XVe au XIXe siècle s’éclaire à
la lumière de leurs relations à l’économie atlantique. Les luttes de factions au sein des classes dirigeantes
pour le contrôle du pouvoir qui donne accès aux ressources introduites par la traite, leur opposition à
certaines formes d’exploitation coloniale (colonisation agricole du Waalo), les initiatives populaires
auxquelles l’Islam offre un cadre d’expression constituent autant de modalités d’ajustement des sociétés
africaines aux mutations de l’économie-monde capitaliste. Dans la préface à la première édition de la
thèse de Boubacar Barry sur le Waalo, Samir Amin dresse un tableau complet des différentes périodes
de l’intégration de l’Afrique à ce système, les mécanismes d’articulation et le sens historique des
stratégies d’adaptation mises en œuvre par les différentes classes sociales des sociétés africaines (Barry,
1972 : 7-54).
La contestation de cette analyse par Philip Curtin (1975) suscita un vif débat auquel ont pris part les
historiens de l’École de Dakar. Les questions posées par l’historien américain, son approche
quantitativiste basée sur des sources de seconde main et les conclusions qu’il en tire ont été reconnues
comme particulièrement stimulantes par les historiens de Dakar qui ont les ont combattues avec une
vigueur remarquable. Boubacar Barry, dans sa synthèse sur la Sénégambie, a procédé à une critique
serrée de la thèse de Curtin en lui reprochant sa tendance à sous-estimer la « saignée
démographique (Barry, 1988 : 103 et ss) » que fut la traite atlantique des esclaves en limitant ses sources
aux documents officiels, passant sous silence la traite interlope. L’opposition la plus virulente porte sur
trois thèses de Curtin : la primauté accordée au coût démographique de la traite transsaharienne sur celle
de l’Atlantique y compris au XVIIIe siècle, la sous-estimation de la rentabilité de la traite atlantique pour
les compagnies européennes (Bathily, 1989 : 288 et 300) et la négation du lien entre la dégradation de
l’environnement écologique en Sénégambie et le système prédateur qui y sévit tout au long de la traite

26
Cf. la préface de Samir Amin à Barry (1972).
17

atlantique des esclaves (Barry, 1988 : 162 ; Becker et Martin, 1975 : 270-300 et 1977 : 203-247).
La faiblesse de la thèse de Curtin est située dans le fait qu’il isole la Sénégambie des autres espaces
impliqués dans la traite et porte peu d’intérêt aux aspects qualitatifs de la traite atlantique. Les
historiens de Dakar affirment avec vigueur que la dynamique atlantique est devenue le facteur central
de l’évolution des sociétés de la Sénégambie par l’influence exercée sur tous les aspects dont elle
influence la vie économiques, politique et religieuse de ses populations.
Dans sa thèse, Abdoulaye Bathily introduit le débat sur le rôle de l’islam dans l’émergence de l’État
au Soudan nigérien. Il développe une longue critique contre l’interprétation romantique de l’ère
islamique, construite à partir d’une faible critique des sources arabes (auteurs arabes et tarikhs locaux
en arabes), qui fait remonter l’émergence de l’État au Soudan occidental à l’arrivée de l’islam. Aussi,
conteste-t-il le point de vue développé par Yves Person, faisant de l’islam le moteur qui a sorti les
sociétés du Soudan occidental de leur quiétude en bouleversant le destin de toute cette région
(Bathily, 1989 :84).
Bathily corrige le caractère fragmentaire de la documentation disponible sur la question de la genèse
de l’État en recourant à la théorie matérialiste de l’histoire pour donner consistance à sa thèse. Se
fondant sur les éléments objectifs que sont les transformations économiques et sociales multiformes
entamées avec la « révolution néolithique », propulsées par le développement des activités de pêche,
de chasse, d’élevage et, surtout, la naissance de l’agriculture et de la métallurgie qui ont jeté les bases
nécessaires et suffisantes à l’essor général de la production et, partant, à l’accumulation d’un surplus
impulsant les échanges internes et externes, Bathily postule l’existence de rapports sociaux
hiérarchisés attestés par le niveau relativement avancé de leur base matérielle ». Ces éléments lui
permettent de conclure que le Gajaaga de l’ère préislamique est « une société de classes », réunissant
les conditions nécessaires et suffisantes à la formation de l’État pris comme instrument de la
domination d’une classe ou d’une association de groupes sociaux sur le reste de la société (Bathily,
1989 :88).
Poursuivant dans la même veine, A. Bathily renverse la perspective ouverte par Lamin Sanneh (1974)
qui a développé des thèses novatrices sur les Jaaxanke considérés comme les clercs musulmans,
fraction du groupe Soninke dont ils se distinguent par la maîtrise des savoirs religieux et la
prééminence de l’agriculture, de la mobilité marchande sur l’activité guerrière. Il conteste la
prépondérance des fonctions religieuses dans l’explication de la dispersion de ce groupe de
commerçants chevronnés maître de l’exploitation de l’or du Bambuxu et du Buré, du fer du Haut-
Sénégal et des marchés d’esclaves du Haut-Niger et de la Haute-Gambie. Tout en reconnaissant
l’importance du facteur religieux, « stimulant à l’action économique globale » chez les Jaxaanke,
Abdoulaye Bathily affirme la prééminence de l’économique comme facteur explicatif de la dispersion
(Bathily (1989 : 116-117). Toutefois, l’importance de l’islam au cours de cette période historique est
telle que l’historien du Galam s’en sert pour opérer une périodisation originale de l’histoire de
l’espace étudié. Il distingue une période préislamique suivie de l’ère musulmane (VIIIe-XVe sicècles)
et de la période coloniale. L’originalité de cette périodisation tient au fait qu’elle fait démarrer la
période coloniale de l’arrivée des Européens sur les côtes atlantiques et le démarrage de la traite
négrière facteur central de la dynamique atlantique.
Les débats sur l’Islam qui occupe une place centrale dans les processus historiques et l’actualité des
18

sociétés de la Sénégambie s’est également nourri des controverses sur la signification des jihad et de la
récurrence du renouveau islamique entre les XVIIe et XIXe siècles. La variété des dimensions affichées
par les mouvements populaires dirigés par des réformateurs musulmans et la complexité des contextes où
ils éclosent sont à l’origine des nombreuses controverses opposant les chercheurs sur ce thème de
recherche.
Quelques exemples suffisent pour illustrer les nuances fortes entre les différentes approches.
Globalement, les historiens de la Sénégambie s’accordent sur le passage, à partir de l’essor du commerce
atlantique, d’un islam de cour accepté ou toléré disposant dans quelques Etats d’enclaves plus ou moins
autonomes, à un islam militant et conquérant. Toutefois, les désaccords s’affichent dès qu’il s’agit de
l’analyse concrète d’un mouvement spécifique.
Contestant la généralisation à l’ensemble de la Sénégambie du modèle tiré de l’expérience Toroodo au
Fouta Toro où l’islam a servi de ciment à une révolution qui a bouleversé l’ordre social et politique,
Mamadou Diouf établit une chronologie marquée par le passage de l’islam de cour à l’islam militant. Il
soutient que l’image des souverains ceddo, radicalement opposés à l’islam, est une construction
postérieure issue de l’idéologie des Jihad du XVIIIe-XIXe siècles. Il est vrai que de plus en plus
nombreux, les souverains du Kajoor ont embrassé l’Islam qu’ils ont pratiqué de façon superficielles.
Jusqu’à l’essor du commerce négrier, les marabouts du Kajoor, intégrés au pouvoir dont ils gèrent le
domaine magique, n’ont pas senti le besoin de mobiliser les milieux populaires pour contester le pouvoir
des Damel. L’exclusion du pouvoir dont étaient victimes les badolo a constitué un obstacle objectif à
une telle perspective. La donne change complètement avec le développement de la traite des esclaves qui
provoque des fissures dans la classe dirigeante. Sa fraction maraboutique se scinde en deux groupes dont
l’un — seriň lamb — soutient les pouvoirs établis alors que les autres — serin Fak taal — établissent
leurs communautés dans des espaces sanctuaires, protégeant ainsi les éventuelles victimes des activités
prédatrices du pouvoir ceddo (Diouf, 1990 : 83 et sq).
Analysant la guerre des marabouts conduite par Nasr al-Din contre les régimes ceddo de la Sénégambie
septentrionale, Boubacar Barry construit un solide lien entre ce mouvement et les effets désastreux de la
traite atlantique sur les sociétés sénégambiennes qui les rendent réceptives au discours des leaders du
parti maraboutique qui exprime les difficultés des sociétés sahariennes victimes du détournement des
routes du commerce par les compagnies européennes installées sur les côtes atlantiques. Il conteste
vigoureusement l’analyse de Philip Curtin niant l’impact de la traite négrière dans la mise en dépendance
de l’Afrique et son rôle dans les réactions populaires islamiques des XVIIe et XVIIIe siècles.
Boubacar Barry a, par ailleurs, établi une filiation entre cette première « guerre des marabouts » dans la
Sénégambie de l’ère des négriers avec les autres jihad qui ont balayé la région. Dans son analyse du
jihad de El Hadji Oumar Tall, il a procédé à une critique serrée des interprétations livrées par un certain
nombre d’historiens. Partageant les mises au point et critiques de B. O. Oloruntimehim et de David
Robinson, il remet en cause l’approche réductrice construisant une signification du jihad à partir de l’une
de ses caractéristiques isolée de la complexité du contexte. Contrairement à l’idée défendue par Jean
Suret-Canale fondant le succès de la guerre sainte sur le caractère égalitaire et plus démocratique de la
Tijaniyya prônée par Oumar sur la vieille confrérie Qadiriyya, Barry montre que le blocage des
opportunités d’ascension sociale et l’étroitesse des perspectives offertes par la vieille théocratie à la tête
du Fouta ont beaucoup facilité la mobilisation des Foutake au profit de Cheikh Oumar Tall. Ainsi, au-
delà de l’aspect religieux, le contenu politique du projet oumarien a offert une alternative crédible à ceux
19

qui refusent la situation de soumission des classes dirigeantes du Fouta Toro à l’expansion coloniale.
La présence française en Sénégambie a forcé El Hadji Oumar à s’orienter vers l’Est. Par « réalisme
politique et militaire », cette option orientale évite la confrontation avec les troupes coloniales.
Toutefois, soutient Barry en désaccord avec Yves Saint-Martin qui l’interprète comme une « volonté de
paix », elle ne remet pas en question la position de principe anticoloniale du jihadiste. B. Barry s’insurge
littéralement contre l’idée de l’historien français traitant la conquête coloniale et les guerres oumariennes
comme deux impérialismes en compétition pour le contrôle du Soudan occidental. Pour réfuter cette
thèse jugée pernicieuse, il a recours à la théorie dépendatiste pour montrer que le projet impérial
oumarien est une réponse africaine apportée par El Hadji Oumar à la crise de son temps. Au contraire,
l’impérialisme colonial français a pour unique objectif d’imposer « la domination économique et
politique d’une formation capitaliste parvenue à sa maturité à une formation nettement en retard, de type
pré-capitaliste, inaugurant ainsi le processus de dépendance et d’exploitation directe du continent, dans
le cadre de l’échange inégal ». À part l’incident de Médine, la thèse de la résistance s’appuie sur
l’incitation à l’émigration du Fouta Toro devenu « le pays de l’Européen ». Dans l’explication de l’échec
relatif du Jihad, cette thèse permet de faire passer au second plan les résistances des sociétés du Soudan
occidental au profit du fait colonial français
Sékéné Mody Cissokho a livré une analyse du jihad oumarien, en s’appuyant sur la restitution détaillée
de ses différentes phases. Ses conclusions sont plus nuancées quant à la part du mouvement oumarien
dans la résistance anticoloniale. Tout en admettant que la guerre sainte a contribué à l’islamisation du
Soudan nigérien, Cissokho soutient que les conversions superficielles furent reniées en grande partie
avec la défaite du jihad. Cet historien a mis en évidence ses effets destructeurs sur les structures des
sociétés vaincues à qui s’est imposée « une pax toucouleur », substituant une nouvelle aristocratie
« foutanke et musulmane » à l’ancienne. Il souligne le caractère plutôt conservateur du mouvement
religieux à propos des questions sociales : l’essor de la captivité, le maintien du système des castes et le
coût démographique élevé alimenté par les victimes de la guerre, des exodes massifs et des famines qui
ont « largement pesé sur le devenir du Haut Sénégal-Niger ».
Le changement de perspective intervenu dans l’orientation historiographique de l’École de Dakar
s’opère au moment où les processus conduisant à l’indépendance avaient déjà divorcé d’avec les
visions panafricanistes pour s’engouffrer dans des voies politiques érigeant les anciens territoires
coloniaux en sites de constructions d’États-nations indépendants. La production, la vulgarisation par
divers médias et l’enseignement d’une histoire inscrite dans l’espace de l’État-nation en construction
vinrent à l’ordre du jour dans l’ensemble des États issus de la décolonisation, suite à l’échec des
projets visant l’unité politique du continent. Moins d’une décennie après les indépendances, les
régimes politiques ont presque tous conduit à des impasses dont il a fallu rechercher les racines
historiques dans la subordination aux logiques de l’accumulation du capital entre le XVe et le XIXe
siècle. La génération des années 1970-1980 se donne un objet interne, contrairement à leur
inspirateur : les États des sociétés du Nord de la Sénégambie.
Une analyse rapide des espaces privilégiés par l’historiographie de l’École de Dakar, en particulier le
regard porté sur les modalités de la connexion à l’Atlantique et la place jusqu’ici fort restreinte qu’y
occupe l’espace méridional et oriental du pays, sont suffisamment révélateurs du poids de la
colonisation et de l’architecture des segments du mouvement nationaliste dans l’élaboration de cette
production historique, y compris pour les périodes dites précoloniales.
20

IV. Historiographie et constructions hégémoniques en contexte postcolonial

Le mouvement nationaliste qui prend une ampleur considérable au lendemain de la deuxième guerre
mondiale se caractérise par la pluralité des segments socio-politiques qui y participent. La diversité de
leurs héritages et trajectoires, de la représentation qu’ils en ont, le contenu et la forme du projet, autant
que les moyens et les mécanismes de sa réalisation, constituent autant de difficultés à doter le
mouvement d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs. Dans les différents espaces où ce projet
s’exprime, la recherche et l’actualisation de l’unité du mouvement ont été pensées ou réalisées dans une
farouche compétition de ses composantes; chacun des protagonistes cherchant à imposer sa vision, son
orientation non comme l’expression d’intérêts particuliers, mais comme ceux de la volonté commune et
de l’intérêt général du mouvement.
Ainsi, la construction de la conscience idéologique du mouvement anti-colonial n’a pas échappé à ces
luttes souvent aussi virulentes que celles l’opposant au pouvoir colonial. Pour contourner les contraintes
liées à cette diversité, des coalitions ont été forgées par agrégation et exclusion, regroupant, selon les
affinités d’intérêts, certains segments du mouvement. La lutte anti-coloniale a recours à des répertoires
multiples, des références diverses dans la construction de ses mémoires. L’indépendance acquise, la lutte
pour l’hégémonie a pris des allures plus tranchées. Suivant leurs positions par rapport aux pouvoirs en
place, les constructions idéologiques ont élargi ou restreint les répertoires sollicités dans l’élaboration
des légitimités de leur projet.
Dans ce travail de construction hégémonique, les discours historiques formulés dans l’institution
universitaire n’ont pas laissé indifférentes les factions ou coalitions en lutte pour la conquête du
pouvoir. Au Sénégal, Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop et Léopold Sédar Senghor ont marqué le pôle
intellectuel de l’écriture des idéologies des indépendances au sens large, chacun avec sa touche
personnelle. Si tous convergent sur la nécessité d’affirmer une identité panafricaine ou nationale
sénégalaise, ils divergent radicalement sur le statut conféré à la lecture du passé et à son écriture selon
les canons académiques. Nul besoin de revenir sur les thèses défendues par les deux premiers 27.
Avec le mouvement de la Négritude, le Socialisme africain et la Francophonie, Léopold Sédar
Senghor a développé une orientation culturaliste des bases de l’édification du devenir de la société
sénégalaise, privilégiant ainsi des disciplines telles que la linguistique, la littérature et l’ethnologie
(Barry, 2000). Le discours historique chez Senghor se limite à des références très précises largement
diffusées dans l’opinion sénégalaise par des relais médiatiques au service de son pouvoir. L’envoi
d’un cahier des doléances aux États Généraux de la Révolution française de 1789 par le Sénégal 28, la
combinaison des références exaltant le rôle des bâtisseurs de l’empire ouest-africain de la France et
celui des résistants africains à la pénétration coloniale française forment l’ossature du discours
historique senghorien. La première référence lui permet de bricoler un fondement historique à la
démocratie sénégalaise dont la négation est ainsi voilée. La seconde permet de célébrer deux grandes
figures, au rôle et à la place opposés et complémentaires dans la conception senghorienne de la
colonisation : Lat Joor Diop, le dernier damel du Kajoor, symbole de la résistance et de la
préservation de l’identité africaine, héros national du Sénégal, Louis Faidherbe, gouverneur de la

27
Cf. 2e et 3e parties.
28
Sur la déconstruction des mythes tissés autour de ces cahiers de doléances voir Diallo (1999 : 101-111), Diouf (1989) et
Van Chi Bonnardel (1990 : 51-59).
21

colonie « bâtisseur » des infrastructures de base, des institutions administratives et scolaires du


Sénégal, préface à la vision « développementaliste » dont l’État senghorien s’est voulu l’héritier.
Ces références sélectives au passé, très secondaire dans l’idéologie senghorienne, y remplissent des
fonctions très précises : donner une légitimité à son attachement à la Francophonie ainsi inscrite dans
l’héritage historique du Sénégal sans remettre en cause son « enracinement » local inspiré des régimes
autochtones précoloniaux, particulièrement ceux du pays wolof où son régime puise ses héros, dotés
de valeurs et de vertus atemporelles, confectionne des gestes dont l’État indépendant du Sénégal
assurerait la continuité. La distance ainsi établie par rapport à l’histoire académique dans l’élaboration
de l’idéologie nationale a eu un double effet : l’occupation de cet espace par des opposants notoires
du pouvoir et la relative liberté — manque d’intérêt — laissée aux historiens universitaires dans
l’exercice de leur profession 29. Pourtant, le pouvoir post-colonial, si tatillon dans ses tentatives de
contrôle des espaces de la création, a laissé grandir une École historique dont la production démontre
les effets néfastes de la soumission aux logiques de l’économie capitaliste. La période précoloniale
privilégiée par la recherche historiographique qui s’est très peu préoccupée de l’histoire immédiate a
produit un effet inhibiteur sur le contrôle étatique. La prise de parole politique des universitaires en
général et des historiens en particulier a plus préoccupé le régime de Senghor que l’impact de leurs
écrits en histooire 30.
Ce retrait n’a pas empêché les différentes variantes des idéologies des indépendances d’influencer
l’écriture de l’histoire universitaire dont elle a contribué à forger les questions voire les outils
méthodologiques et conceptuels. Celle-ci s’est insérée dans l’imaginaire des théoriciens de la
construction nationale — les élites au sommet de l’État en sont les principaux animateurs — chez qui la
nation sénégalaise emprunte les éléments de son élaboration à un double héritage : les traditions des
« terroirs politico-culturels » de l’espace situé au nord de la Gambie et centré sur l’Atlantique et
l’héritage colonial.
Les études les plus représentatives de cette historiographie de l’École de Dakar ont analysé les
mécanismes d’exercice du pouvoir et les déterminants socio-économiques dans le cadre des espaces
politiques issus de l’essor de la traite atlantique des esclaves. En privilégiant l’histoire de l’État dans
les sociétés hiérarchisées et en occultant celle des sociétés lignagères, l’École de Dakar a focalisé son
attention sur les mécanismes sociaux de reproduction du pouvoir politique (Diallo, 1972 ; Kane,
1986 ; Fall, 1983 ; Bathily, 1989 ; Barry, 1972 ; Diouf, 1990), l’impact de la traite atlantique (Guèye,
1962), les transformations induites par la domination coloniale (Mbodj, 1978 ; Kane, 1987 ; Gueye,
1990 ; Thiam, 1983).
Compte tenu de son objectif implicite mais fondamental — décoloniser l’histoire d’Afrique en restant
dans les canons dominants de l’historiographie universitaire — l’historiographie postcoloniale ne
pouvait ni accepter, ni s’accommoder des mémoires communautaires, encore moins des savoirs
véhiculés par les idéologues de la colonisation dans l’analyse de la traite des esclaves comme dans

29 Ceddo, le film de Ousmane Sembène a été interdit de diffusion au Sénégal. La polémique sur la gémination, a fait écran
aux raisons politiques à l’origine de la censure qui ne s’est jamais exercé sur les écrits des historiens en dépit de leurs
oppositions notoires au pouvoir et à son régime de vérité historique. Le régime et son chef ont eu tendance à ignorer le
discours historique universitaire au profit de celui des porteurs de mémoires dynastiques des États précoloniaux.
30
Les historiens et ceux qui s’intéressent à cette discipline ont été très en vue dans l’opposition politique au régime de
Léopold Sédar Senghor : Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Ly, Majhmout Diop, Amadou Mokhtar Mbow, dans les années
1960, Iba Der Thiam, Abdoulaye Bathily ultérieurement. Léopold Sédar Senghor a privilégié la réflexion linguistique et
ethnologique et Mamadou Dia est resté fortement influencé par la réflexion sur les questions économiques.
22

celle de la conquête et de la domination coloniales.


À propos de la signification de la traite des esclaves, plusieurs versions circulent au sein l’École de
Dakar. L’approche nationaliste et chromatique pointe un doigt accusateur sur les puissances européennes
qui ont doté les compagnies de commerce animatrices de l’inique système dont l’inhumanité relève de
l’évidence. Cette thèse dédouane les États et élites aristocratiques africains dont le rôle central dans la
mise en place et le fonctionnement du système est analysé comme une contrainte imposée par les
demandes de l’Europe. Elle occulte l’adhésion des élites africaines à la traite atlantique, un régime
conforme à leurs intérêts politiques et économiques et pour lequel ils ont produit une idéologie
légitimant leurs activités prédatrices. Cette lecture, appuyée sur des données peu consistantes, piste les
moindres oppositions, pour fonder la thèse de la résistance des aristocraties sénégambiennes à la traite
atlantique. Ainsi, les démêlées qu’il a eues avec André Bruë permettent de prêter à Lat Sukaabe Fall,
damel du Kajoor et teeň du Bawol, des velléités d’opposition à la traite atlantique des esclaves (Guèye,
2000 : 199-216). Ce souverain a contribué à la centralisation et à la militarisation du pouvoir dans ces
États et au monopole de la violence dans son lignage maternel, s’octroyant ainsi les moyens de
renégocier en position de force, avec la Compagnie du Sénégal, les termes du marché de la traite des
esclaves conformes à ses intérêts. Ce qui est loin d’une remise en cause du marché lui-même ! Des
contraintes ont pesé sur les élites aristocratiques de la Sénégambie, favorisant ainsi leur implication dans
le trafic négrier. Toutefois, les multiples tentatives d’inversion des termes de l’échange esclavagistes ne
peuvent s’interpréter en termes de résistance à la traite des esclaves. Le mouvement de renouveau
islamique s’est opposé à la réduction des musulmans en captivité. Cependant, les États nés des
révolutions islamiques, des plus précoces (XVIIe siècle) au plus tardifs (XIXe siècle) ont fini par produire
des régimes dynastiques qui ont participé à la traite des non-musulmans.
Prenant le contre pied des thèses nationalistes et chromatiques, l’approche dépendantiste inscrit le
système de la traite atlantique dans le développement de l’accumulation du capital en Europe, avec la
subordination à cette logique des régimes politiques africains. Elle a développé une critique
particulièrement sévère des régimes ceddo qui ont servi de relais africain dans la mise en lace du
système dont ils sont demeurés fortement solidaires 31.
Tout en s’appuyant sur les résultats accumulés par leurs prédécesseurs, combinés aux données de
l’archéologie, l’École de Dakar développe des approches novatrices sur la traite atlantique des esclaves,
en étudiant son inscription dans l’espace ou dans les processus de transformations technologiques et
leurs conséquences économiques et socio-politiques en Sénégambie.
Brahim Diop a interrogé les modifications de l’espace comme source d’information sur les
transformations socio-culturelles introduites par la traite (Diop, 1997(a) : 137-153 et (b) ; 2000 :177-
196) 32. En dépit de ses limites dont les auteurs ont bien pris conscience — difficultés liées au
repérage et à l’interprétation des vestiges, prédominance de l’archéologie de surface plus que de fond,
hésitations fréquentes dans les conclusions — cette approche par l’espace est porteuse d’un
renouvellement des connaissances sur la période de la traite des esclaves mais surtout, elle rend
31
Cf. La postface de la réédition de la thèse de A. Ly ciblant les « indignes et cruelles monarchies esclavagistes dont le
pouvoir reposait en dernière analyse sur leurs coupables relations d’échanges avec l’Europe capitaliste …(Ly, 1993 :
357) ».
32
Ailleurs, nous avons montré comment l’hypothèse d’une lecture possible de la traite atlantique des esclaves par une
analyse de son inscription dans l’espace renouvelle l’approche de cette question centrale dans la compréhension des
processus ayant conduit les sociétés sénégambiennes à la perte de l’initiative historique entre le XVe et le XVIIIe siècle
(Thioub, 2000).
23

possible, mieux que les autres sources, une comparaison avec les périodes antérieures pour dessiner
les évolutions, en s’appuyant sur des sources dures.
Privilégiant les données archéologiques, Hamady Bocoum (2000 : 51-66) défend une thèse novatrice
sur les causes de la subordination des sociétés sénégambiennes aux logiques d’accumulation à
l’œuvre dans la traite atlantique des esclaves. Son approche se structure autour de la défaite des
complexes technologiques de la sidérurgie africaine face à ses homologues européens, à partir du
XVe-XVIe siècles. Cette défaite résulte de l’incapacité des régimes politiques africains et des artisans
de la réduction du fer de soutenir la concurrence victorieuse de la révolution technologique fondée sur
les performances que permet la réduction directe du minerai de fer. Avec la perte du contrôle des
moments stratégiques de la chaîne opératoire du fer en faveur de l’Europe, les sociétés africaines ont
été progressivement réduites à de simples consommatrices des produits sidérurgiques européens
stratégiques dans l’économie de la violence qui alimente la traite. Jaaogo (une note)
Hamady Bocoum montre que la thèse selon laquelle l’Afrique aurait reçu en échanges de ses hommes
de la pacotille, échange inégal à l’origine de son sous-développement, résiste mal à l’analyse des faits.
Les zones de production du minerai de fer en Afrique ont été progressivement éteintes avec
l’importation de la barre de fer et de ses dérivés. L’attaque a lieu dans les espaces atlantiques non
producteurs de fer qui ne se ravitaillent plus dans l’hinterland. Le contrôle du marché de la barre de
fer par les élites des provinces atlantiques du Jolof a pesé sur la restructuration de la carte politique de
la région. Les puissances européennes ont alors imposé les conditions du marché avec l’échange de
leurs produits contre les esclaves.
À partir de ce moment, la victoire du complexe technologique issu du Moyen age européen sur son
homologue africain a scellé, pour une longue période historique, le sort de l’Afrique subordonné aux
logiques d’accumulation impulsées depuis l’Europe. Dans ce processus, les artisans du fer ont perdu
leur rôle central dans le dispositif du pouvoir.
L’ampleur de la régression économique et son effet pervers, la rigidité des structures sociales qui en
résulte (système des castes), ont été interprétés à tort comme le signe d’une stabilité et d’une
harmonie caractéristiques des sociétés africaines, alors qu’elle révèle une stagnation des forces
productives (Barry, 1988 : 322). Ainsi, les lectures idéologiques tendent à gommer les dynamiques
ayant engendré les structures sociales plutôt perçues et présentées comme données naturelles (système
des castes).
La recherche historique a considéré la traite atlantique des esclaves comme un moment clé de la perte
de l’initiative historique par les peuples africains. En privilégiant l’approche technologique, Hamady
Bocoum (2000 : ibid) explique en quoi les intérêts économiques et socio-politiques des élites des
terroirs côtiers de la Sénégambie étaient objectivement liés à la pénétration de l’économie négrière
dans cet espace. Elles ont acquis les moyens de briser les chaînes de leur dépendance vis-à-vis de
l’hinterland africain, pour arrimer leur destin à la dynamique atlantique, sans prendre conscience du
danger de l’acceptation de cet instrument de libération qui les réduit à de simples consommateurs.
Dans l’étude de la pénétration coloniale, la vision nationaliste emprunte une démarche réductrice
consistant à accepter la conquête comme une série de guerres classiques opposant les armées
coloniales, avec leur supériorité technique aux armées africaines caractérisées par la bravoure et
l’ingéniosité tactique de leurs leaders. La lecture critique des sources montre la prédominance des
24

guerres de pillages et de rapines, de raids destructeurs sur les combats réguliers entre armées
ennemies (Diouf, 1990). La focalisation sur le politique empêche cette perspective historiographique
d’inclure dans l’analyse le rôle des badolo statutairement exclus de la compétition pour le pouvoir.
L’interprétation nationaliste du passé a des difficultés à rendre compte des guerres et conflits entre
protagonistes autochtones. En lieu et place d’une analyse des intérêts dont les différentes factions en
lutte pour le pouvoir sont porteuses et qui informent leur diplomatie et leur politique d’alliance, elle
met en avant la perversité de l’intervention extérieure sur monde dont l’harmonie traditionnelle se
fonde sur des relations de parenté 33.
La conquête achevée, la mise en place de l’ordre colonial s’effectue par l’insertion des élites
autochtones dans des processus d’accommodation conduite par les leaders religieux qui ont discipliné
les populations au service de l’exploitation coloniale. L’écriture nationaliste de l’histoire aura de la
peine à rendre compte de cette situation historique qui heurte ses présupposés idéologiques et risque
de fissurer les bases historiques de la coalition sociale dont elle traduit les intérêts. C’est là que réside
le silence des historiens sénégalais sur l’histoire des confréries religieuses. La réflexion sur cet objet
est dominée par les autres disciplines universitaires, les historiens se contentant d’exposer les
persécutions subies par les fondateurs de confréries pour donner corps au concept de résistance
culturelle, non-violente ou passive et à l’exaltation de l’ingéniosité tactique des cheikh de confréries
dans le combat pour la préservation des cultures autochtones contre l’agression culturelle étrangère34.
Tout à l’opposé de cette soumission à différentes mémoires, un courant critique très précoce s’est
développé dans l’historiographie de l’École de Dakar. Dans l’analyse des rapports à l’Europe, ce
courant montre la complexité des processus d’appropriation, d’adaptation et d’accommodation
efficaces qui puisent leurs légitimités dans une pluralité de répertoires tout en développant un discours
de légitimation qui en voile les ressorts.
Le courant historiographique qui a ainsi réussi à s’affranchir de la demande nationaliste analyse les
mécanismes de la traite négrière et de la domination coloniale en termes d’intérêts de groupes.
Empruntant la plupart de ses outils d’investigation aux diverses variantes du marxisme, ses
animateurs ont intégré ces séquences historiques dans le processus d’expansion du système
capitaliste. Ils ont ainsi évité un double écueil dans l’écriture de l’histoire des relations entre l’Afrique
et l’Europe : la lecture chromatique des événements et la tentative d’absoudre les classes dirigeantes
africaines dans les conséquences désastreuses de la traite et de l’exploitation coloniale. Ce courant
historiographique montre que la responsabilité des classes dirigeantes est engagée dans la mise en
dépendance de la Sénégambie victime de l’étroitesse d’esprit des leaders des régimes dynastiques
incapables de dépasser l’horizon borné du rôle de consommateur (Ly, 1993).
Sous ce rapport, il est intéressant de voir comment dans la postface à la seconde édition de La
Compagnie du Sénégal, Abdoulaye Ly établit une double filiation : d’une part entre son texte de 1958

33
La thèse avancée par Mbaye Guèye pour rendre compte des causes de la bataille de Guilé illustre parfaitement cette
difficulté. Prenant le contre-pied de Duguay Clédor, il considère que « cette guerre entre le Kajoor et le Jolof souligne avec
force l’hypocrisie de l’administration coloniale qui sous le prétexte de « civiliser les populations » leur apporte plutôt la mort,
la misère. Des parents que tout devait unir sont devenus des ennemis qui se sont voués des haines tenaces, (Préface de
l’ouvrage de Duguay-Clédor, 1985 : 16).
34
Le premier mémoire de maîtrise sur la confrérie des Mourides date de 1990 (Babou, 1990). Penda Mbow a produit une
réflexion novatrice sur les successions dans la branche Sy de la Tijaniyya sénégalaise, la pression exercée sur l’historienne a
fait différer la publication du texte. On se reportera, en guise d’illustration, au texte très informé de Mbaye Guèye (1995 : 41-
57) sur les exils de Ahmadou Bamba, mais enfermé dans un étau positiviste et hagiographique.
25

et les travaux ultérieurs de Boubacar Barry et Abdoulaye Bathily et, d’autre part, entre les élites
sénégambiennes qui ont conduit la traite atlantique des esclaves et celles qui ont hérité du pouvoir
colonial et qui gouvernent présentement les États de la région. Ici, l’engagement militant refait surface
sans nuire à la perspicacité scientifique.
Reprenant la question sous un autre angle, Mamadou Diouf (1981 : 47-54) montre comment les
classes dirigeantes sénégalaises ont tenté d’imposer une autre lecture de ce passé pour se doter de
légitimités. Il remet à leur place les héros célébrés par les mémoires nationalistes. Il en fait des acteurs
d’une histoire où la lutte des intérêts pour le contrôle du pouvoir réfute la ligne de partage
chromatique des protagonistes. Ce travail de déconstruction des mémoires nationalistes demeure
encore un chantier en friche.
Ainsi, il est repérable dans l’historiographie de la Sénégambie, l’affrontement entre deux courants
d’analyse des relations établies dans cet espace avec l’Europe depuis le XVe siècle. Toutefois, ces
approches, bien que basées sur des sources fort différentes, n’en restent pas moins enfermées dans les
logiques des sociétés dites hiérarchisées à État centralisé. Il est frappant de constater, et il importe de
s’y arrêter, que les historiens de Dakar des années 1970-1980 ont développé une tendance forte à
exclure la Basse Casamance de leurs travaux. Cette omission a une histoire à mettre en relation avec
la définition et la gestion coloniale de l’espace qui ont exercé une influence considérable sur une
bonne partie de l’historiographie de l’École de Dakar soumise aux paradigmes de l’idéologie de la
construction nationale.
La connaissance de cette région a été plutôt laissée à la curiosité des ethnologues et anthropologues 35
et ses historiens sont exclusivement des africanistes européens ou américains (Roche, 1976 ; Mark,
1985). L’irrédentisme régionaliste qui y sévit depuis le début des années 1980 n’est pas étranger à
cette nouvelle préoccupation des historiens de Dakar (Faye, 1994(a) et 1994(b). La constitution de
l’espace comme objet d’étude et sa vision en tant qu’entité historiquement constituée prennent une
place considérable dans les travaux récemment consacrés à la Basse Casamance par les historiens.
L’explication de cette approche réside dans le fait que la rébellion qui s’y développe pose le problème
en des termes obligeant les historiens à se préoccuper du contexte géopolitique et à discuter les
légitimités qui fondent l’identité géopolitique des espaces revendiqués ; le mouvement irrédentiste
s’étant lui-même engagé dans la production d’un discours historique opposable à celui de l’État
sénégalais 36. On est frappé par les phénomènes d’opposition-identification développés par le
mouvement irrédentiste dans la confection de ses mémoires par un recours à des données puisées du
passé colonial du territoire revendiqué. Le mouvement contestataire de la territorialité sénégalaise
opère une autre périodisation de la domination coloniale qui permet de soustraire la Casamance du
projet colonial français pour fonder une résistance casamançaise qui prend ses racines dès la présence
portugaise dans la région 37.

35
Pendant longtemps, la thèse de Louis-Vincent Thomas a fait autorité dans la connaissance des populations Joola (Thomas,
1958).
36 O. FAYE, « L’instrumentalisation...
37
Sur la question de la crise casamançaise, Voir les contributions de Jean-Claude Marut, de Geneviève Gasser et de Vincent
Foucher da ns ce volume. ans ce volume les
26

V. Dynamiques actuelles et perspectives

Au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler, l’École de Dakar a accumulé une riche expérience et
légué un héritage qui ne se limite pas au corpus analysé dans les premières parties de cette réflexion. Elle
a participé à l’affirmation de l’histoire africaine dans le champ académique. Pour l’espace sénégambien,
sa production demeure incontournable. Les courants et tendances formant l’ossature de cette
historiographie innervent l’écriture contemporaine de l’histoire dans un contexte marqué par des
mutations rapides dans les sociétés étudiées comme dans les modèles jusqu’ici dominants dans l’écriture
de l’histoire.
L’analyse des dynamiques actuelles révèle une crise de croissance ouvrant de nombreuses
perspectives d’évolution. Dans les années 1960, les historiens de Dakar ont pris une part active dans
la création et l’animation d’institutions à vocation panafricaine destinées à impulser la recherche dans
les sciences sociales à l’échelle du continent. Dès le départ, ces initiatives se sont inscrites dans la
continuité du combat pour la libération politique, économique mais surtout idéologique du continent.
Elles se sont largement reflétées dans la participation des historiens de Dakar aux travaux
préparatoires et la rédaction de l’ouvrage Histoire Générale de l’Afrique entreprise par l’UNESCO en
1964. En 1972 se tient à Dakar le congrès constitutif de l’Association des Historiens Africains
(AHA). La capitale du Sénégal est choisie comme siège de l’organisation panafricaine qui s’était
donné pour objectifs de mettre l’histoire africaine décolonisée à la place qui lui revient dans le
développement national et dans l’enseignement, d’harmoniser la formation de la jeunesse africaine à
enraciner dans son passé pour l’aider à comprendre et à bâtir son avenir et son unité, de promouvoir la
collaboration entre les chercheurs africains par une coordination de leur recherches historiques.
L’AHA a tenu son deuxième congrès au Cameroun en 1975 avant de sombrer dans une longue
léthargie que les prochaines assises de Bamako — du 9 au 16 septembre 2001 — auront la tâche de
dépasser. À son actif, il importe de souligner la publication d’une revue scientifique, Afrika Zamani,
dont la gestion a été assurée les dernières années par des historiens de Dakar en coordination avec le
CODESRIA. Boubacar Barry, Abdoulaye Bara Diop, Makhtar Diouf et Samir Amin ont joué un rôle
actif dans la conception et la mise sur pied de cette dernière organisation créée en 1973. Le
CODESRIA, mieux que l’AHA plutôt implantée dans les pays francophones du continent, a joué un
rôle moteur dans l’impulsion de l’activité scientifique interdisciplinaire à l’échelle du continent. À
partir de son siège jouxtant l’UCAD, il développe des programmes nationaux et régionaux de
recherche en équipes, offre une opportunité d’accès à la documentation scientifique la plus récente
dans le domaine des sciences sociales et un espace de publications des résultats de la recherche,
participe au financement de la recherche africaine, sous la forme de subventions aux thèses et
mémoires de maîtrise, et à l’animation scientifique et culturelle de l’espace académique de Dakar.
L’institution est aujourd’hui confrontée à des conflits de leadership qui ont pris un caractère virulent
depuis la IXe assemblée générale tenue à Dakar du 14 au 18 décembre 2000.
À la fin des années 1980 survient un phénomène dont on n’a pas encore mesuré l’impact sur
l’historiographie de l’École de Dakar qui de plus en plus développe des tendances isolationnistes
fortes. Elle a d’abord tourné le dos à l’Afrique avec une « sénégalisation » du personnel enseignant et
de recherche des départements d’histoire de l’université de Dakar. Jusqu’à cette époque, des
historiens de la Guinée et du Mali avaient participé à faire la renommée de l’École de Dakar. La
politique de recrutement fondée sur une préférence nationale silencieuse a tari cet apport qui avait
27

ouvert Dakar à l’histoire du monde manding, du haut fleuve Sénégal à la boucle du Niger, avec les
travaux de Sékéné Mody Cissokho et de Madina Ly Tall et celle du monde Pulaar, du Fouta Djallon
avec Thierno Diallo et Boubacar Barry. Aujourd’hui, il n’existe aucun programme d’échanges ou de
coopération entre l’UCAD et une autre université africaine impliquant les départements d’histoire. Le
privilège d’avoir le siège du CODESRIA à Dakar ne résout pas le problème puisque cette organisation
panafricaine de recherche n’entretient aucun lien institutionnel avec les départements d’histoire de
l’université de Dakar même si chercheurs et étudiants, individuellement, bénéficient de son appui.
Ce relatif isolement de l’École de Dakar se renforce par la faiblesse des liens avec la recherche
internationale. À la diffusion restreinte au campus de Dakar de ses revues (Annales de la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines, Revue Sénégalaise d’Histoire) et la longue période d’hibernation des
diverses publications de l’IFAN, récemment relancées, s’ajoute le fait que la grande majorité des
chercheurs des départements d’histoire de l’UCAD font peu usage des ressources académiques
aujourd’hui disponibles sur la toile mondiale (le Web). En conséquence, ils prennent une part pour le
moins dérisoire dans les multiples débats sur les mutations en cours dans la discipline. La tendance
lourde de repli dans le cocon illusoirement sécurisant des départements autour de thèmes et des
méthodes de recherche et de diffusion d’un autre âge par rapport à l’actualité de la discipline qui
connaît de fortes remises en cause n’atténue pas ce risque 38. La frilosité dans les échanges fait perdre
l’opportunité que les historiens de Dakar pouvaient tirer de la présence de chercheurs de haut niveau
fréquentant les archives de l’AOF que Dakar a le privilège d’abriter.
À cet isolement collectif fait écho la solitude individuelle des enseignants-chercheurs. Ainsi, au sein
des départements d’histoire, chaque enseignant poursuit son projet individuel de recherche, sans
coordination avec ses collègues. Les groupes de recherche auto-proclamés et les laboratoires ont une
existence plus virtuelle que réelle. La faiblesse des ressources disponibles devrait encourager les
projets collectifs qui ont du mal à s’imposer du fait de la contrainte de gestion de carrières
académiques individuelles soumises à un système d’évaluation peu favorable à la recherche en
équipe. La mobilité scientifique qui aurait pu suppléer ce déficit des échanges reste confinée dans le
monde francophone au sein duquel elle demeure fort localisée 39. La contrainte linguistique constitue
également un sérieux obstacle à l’ouverture sur le monde anglo-saxon qui aujourd’hui exerce une
influence certaine dans les débats historiographiques en cours ; les francophones étant souvent à la
traîne.
Après un demi-siècle d’existence, le département d’histoire de l’UCAD n’a pas réussi à mettre sur
pied une école doctorale digne de sa renommée. Du fait de la dispersion des projets de recherche
qu’elle entraîne, cette situation est devenue un obstacle à la valorisation des enseignements qui y sont
dispensés. Elle est le résultat de plusieurs facteurs dont le legs des liens de tutelle avec les universités
françaises, la politique conduite dans le domaine de l’enseignement supérieur au moment des
indépendances mais aussi le manque d’initiatives des enseignants et chercheurs de la discipline.
En écartant, au milieu des années 1950, du corps enseignant les premiers africains docteurs en
histoire, les autorités académiques et politiques hypothéquèrent pour longtemps toute possibilité de
mise sur pied d’une école doctorale à Dakar. La tutelle assurée par les universités françaises, le mode

38
Cf. les débats sur la post-modernité, les subalterns studies (Diouf, 1999)
39
Le Département d’Histoire de la Faculté des Lettres de l’UCAD n’est impliqué que dans un programme CAMPUS
d’échanges annuels d’enseignants et d’appui matériel avec les universités françaises de Paris 7 et d’Aix-en-Provence.
28

de recrutement et la longueur des cursus académiques ont, jusqu’à récemment, écarté les Africains du
corps professoral, donc de la capacité à assurer la formation doctorale en histoire à Dakar. Sékéné Mody
Cissokho est le premier africain recruté à un poste d’enseignement à Dakar en 1966. Il est également le
premier africain en poste à Dakar à soutenir une thèse d’État, en 1979 (Klein, 1985 : 215-223). Vingt
quatre ans après la thèse de Abdoulaye Ly ! La lenteur de cette carrière n’a rien d’exceptionnel, ses
suivants immédiats, Mbaye Guèye et Oumar Kane mettront autant sinon plus de temps à accéder à la
titulature professorale. Il n’était alors pas étonnant que la licence obtenue, rarement la maîtrise, la
majorité des étudiants arrête leurs études et entre dans la fonction publique comme enseignant.
Du reste, les seules thèses soutenues à Dakar en histoire sont le fait d’étudiants salariés 40. Dès après la
maîtrise, les étudiants qui suivent un cursus normal éprouvent des difficultés à poursuivre leurs études
à Dakar. Ils sont exclus des œuvres universitaires, ont peu de chance de conserver leurs bourses
d’étude et ne sont accueillis par aucun programme de recherche structuré au sein du département
d’histoire. Ils sont alors réduits réduits à des tête-à-tête irréguliers avec un des enseignants du
département — une demi-douzaine de rang professoral — qui consacre peu de temps au suivi de la
recherche doctorale. Dès lors, il ne leur reste qu’une seule issue : l’exil dans les universités du Nord
boursier ou non pour s’y insérer dans des programmes. De plus en plus, les destinations se diversifient
mais après la soutenance, les départements d’histoire de l’UCAD offrent peu de postes. La politique
de recrutement et la surcharge horaire acceptée voire recherchée par les enseignants limitent l’accès
aux postes d’enseignement.
Toutefois, il est réducteur de se limiter à l’inégalité des rapports entretenus avec les universités du
Nord, le long maintien de la tutelle de Bordeaux et Paris sur Dakar, voire les difficiles conditions
matérielles de la recherche et de la formation dans les universités africaines pour rendre compte de la
situation. Dakar compte aujourd’hui suffisamment d’enseignants de rang magistral, en mesure
d’assurer l’encadrement des études doctorales en histoire. De façon plutôt sporadique, des thèses de
troisième cycle ou d’État y sont soutenues. Mais l’absence d’École doctorale en mesure d’impulser
une recherche en équipe, autour de champs thématiques définis, demeure un sérieux handicap pour
assurer l’encadrement coordonné des doctorants. Recrutés dans les structures d’enseignement ou de
recherche universitaires à un âge fort avancé, il faut à ces diplômés de Dakar beaucoup d’abnégation
et de temps pour atteindre la titulature professorale, souvent à la veille de la retraite s’ils n’ont pas
tout bonnement renoncé à la thèse d’État.
La réforme de 1979 en introduisant le système des Unités de Valeur n’a pas remis en cause les deux
thèses à la française dont les contre-performances ont été largement éprouvées à Dakar comme
ailleurs (Thioub, 1995 : 87-91). Pour les enseignants comme pour les étudiants, en dépit des
ressources humaines suffisantes, la solution adoptée pour être présent au monde reste l’expatriation
vers les universités du Nord.
Le diagnostic lucide de la situation devrait mobiliser la réflexion interne — s’il n’est pas trop tard —
pour que l’École de Dakar ne perde sa renommée. Aux années avortées du fait des fréquentes
perturbations de l’espace universitaire, s’ajoutent des modes de transmission du savoir favorisant le
psittacisme dans les premier et second cycles et les pratiques plagiaires en nombre croissant en
maîtrise. Dans le meilleur des cas, on assiste à une apologie de la « science indigène » où les

40
Les rares exceptions étant les étudiants de nationalité autre que sénégalaise boursiers de leur gouvernement.
29

chercheurs s’arrogent, au nom de leur « autochtonie », le privilège de l’investigation de leurs objets


d’études, partie des instruments de leur construction identitaire. Dès lors, la faiblesse de la prise de
distance par rapport à l’objet de leur recherche tend à réduire les historiens en simples porteurs de
mémoires de leurs communautés d’origine. Cette orientation qui prend de plus en plus d’ampleur,
n’est ni neutre ni désintéressé.
Ainsi, la menace la plus séreuse dans les dynamiques actuelles demeure la confusion entre histoire et
mémoires; les historiens professionnels n’aidant pas à l’établissement de ces différences. Au Sénégal, la
fin du XXe siècle a été marquée par les célébrations et commémorations d’événements et de personnages
considérés comme figures emblématiques de la nation sénégalaise : anniversaire de l’accueil du Général
de Gaule par les porteurs de pancartes lors du Référendum constitutionnel de 1958, centenaire de la mort
de Lat Joor, bicentenaire de la révolution française, centenaire de la création de l’AOF, bicentenaire de
la mort de El Hadji Oumar, centenaire de l’exil de Ahmadou Bamba, l’exil et la mort de Aliin Sitoe
Jatta. Il est difficile avec la ferveur et l’exigence de communion qui accompagnent ces événements, de
marquer la frontière entre récits d’histoire académique et discours mémoriels.
Par ailleurs, les deux dernières décennies du XXe siècle ont été témoins d’une poussée vigoureuse de la
compétition de différentes mémoires où diverses communautés ont affiché leur passé comme digne
d’être publiquement célébré. Dans ces opérations, elles réussissent à impliquer les pouvoirs à un point tel
que ces mémoires communautaires apparaissent comme une représentation de la totalité nationale ou au
moins une de ses composantes majeures. Ce phénomène est lié à la crise des pouvoirs et aux mutations
qui s’opèrent à divers niveaux dans la société et l’affirmation de nouveaux acteurs qui se cherchent un
passé auquel adosser leurs prétentions au leadership national ou à la défense d’anciennes positions
remises en cause. Les pouvoirs publics trouvent dans cette compétition entre différentes mémoires un
moyen efficace d’élargir les bases de leur légitimité et de contenir les dissidences et les pratiques
subversives.
Les pouvoirs publics ont tenté de suivre ou parfois d’anticiper le mouvement contestataire. Sous la
direction du ministère de l’Education nationale, alors dirigé par l’historien Iba Der Thiam, à
l’engagement nationaliste affiché, il a été procédé à de nombreux baptêmes d’établissements scolaires
dont on a au préalable gommé l’éponymie coloniale. Les historiens s’impliquent de leur propre initiative
ou sont sollicités pour donner une légitimité académique à toutes ces activités de mobilisation
mémorielle.
La plus grande mobilisation de l’époque a été la célébration du centenaire de la mort de Lat Joor Joop,
alors élevé au rang de héros national du Sénégal. À cette occasion, le discours idéologique dominant à
réussi momentanément à rendre à peine audibles les rares voix discordantes.
Toutes les disciplines des sciences sociales ont porté leur attention sur la résolution des problèmes
issus de ces évolutions. Elles ont défini de nouveaux objets, posé des questions inédites, modifié les
approches méthodologiques et les thèmes de recherche.
L’historiographie de l’École de Dakar s’est largement impliquée dans ces nouveaux paradigmes de la
recherche. Même si la question identitaire reste au cœur de ses interrogations avec la production de
textes de plus en plus nombreux relevant de l’ethnohistoire, le plus novateur a été la mise en scène de
nouveaux acteurs jusqu’ici exclus des préoccupations des historiens : les jeunes, les clercs du monde
musulman, les femmes, les marges, les étudiants, la société civile, les agents du secteur dit informel, de
30

nouveaux thèmes : la maladie, la société civile, les mentalités, les prisons, les pouvoirs locaux, la vêture,
la mode, la sexualité, la déviance sociale, le rêve, etc. Ces mutations font écho aux interrogations qui, sur
la scène internationale, ont ouvert des objets nouveaux à la recherche en science sociale. Une de leurs
conséquences majeures est que l’histoire contemporaine et immédiate s’affirme de plus en plus au
détriment des périodes antérieures dans les travaux des historiens de Dakar. Ce changement de
paradigme ouvre des possibilités de dérives avec la perspective féconde mais difficilement maîtrisable
d’usage de méthodes, d’appareils conceptuels à adapter à la discipline historique.
Cette ouverture vers des thèmes nouveaux n’a pas comblé la faiblesse de la production en histoire des
faits culturels. Ainsi, les nombreuses études consacrées à l’histoire de l’Islam se sont focalisé sur
l’analyse de l’islam politique et militant, en particulier les guerres saintes et les constructions
étatiques fondées en principe sur la sharia. La construction et la transmission des mémoires
constitutives de l’éthique musulmane en Sénégambie, les modes de transmissions des savoirs
religieux et profanes, la littérature islamique qui s’est exercée dans tous les genres, les diverses modes
d’expression de la spiritualité, les œuvres artistiques et architecturales, à l’exception de ceux des
grands empires, ont été largement occultés.
Une des réussites majeures du département d’histoire de la Faculté des Lettres de l’Université Cheikh
Anta Diop de Dakar est d’avoir formé une masse critique d’historiens qui constitue une solide base
sur laquelle il est possible de construite une école doctorale. L’actualisation d’un tel projet passe par
la mise sur pied et le suivi d’équipes de recherche comprenant tous les niveaux du système à partir du
DEA, en y associant les autres départements d’histoire de l’université. L’environnement
technologique actuel exige une ouverture large vers les universités africaines et internationales par la
constitution de réseaux d’échanges durables. Le récent ouvrage dirigé par Mamadou Diouf (1999)
mettant en débat l’historiographie indienne montre la fécondité d’une telle ouverture. Sous ce rapport,
après un demi-siècle de production historiographique, le confinement de tous les historiens de Dakar
sur l’histoire d’Afrique 41 est aujourd’hui questionnable. Les rares exceptions que sont Brahim
Diop et Mamadou Fall 42 ont rejoint les rangs dès leur retour en Afrique. Le premier a travaillé sur
l’Europe médiévale et le second sur l’Indochine. Aujourd’hui les contraintes matérielles et
l’environnement académique ont contribué à les ramener à une spécialisation en histoire de la
Sénégambie.

Conclusion

Dans le prologue de son Exil d’Alboury, pièce de théâtre épique écrite en 1960, Cheikh Ndao exprime
une différence radicale entre son interprétation du passé et celle des historiens universitaires. « Une
pièce d’histoire, assume le dramaturge, n’est pas une thèse d’histoire. Mon but est d’aider à la
création de MYTHES QUI GALVANISENT LE PEUPLE ET PORTENT EN AVANT (sic). Dussé-je
y parvenir en rendant l’histoire plus historique (Ndao, 1985 : 17 ». La différence affichée tient à son
rapport à l’usage du matériel de reconstruction du passé et à son public, aux objectifs visés et au
contenu du récit. Pourtant, l’histoire universitaire dans les sociétés qui sortent de la domination

41
L’exception des spécialistes de l’Antiquité, tous les historiens de Dakar travaillent sur ue portion de l’espace de la
Sénégambie.
42
Le premier a soutenu à l’Université d’Aix-en-Provence une thèse d’histoire médiévale sur l’Europe méditerranéenne et le
second, à l’Université Paris 7, sur l’Indochine à l’époque coloniale.
31

coloniale, est confrontée à des exigences similaires qui la mettent en écharpe entre les normes
académiques à respecter, les sensibilités personnelles des historiens déterminées par divers facteurs
dont le moindre n’est pas la trajectoire universitaire qu’ils ont suivie et le contexte global où
s’élaborent les savoirs auxquels ils contribuent. Le poids spécifique de chacun de ces éléments situe la
distance de l’œuvre produite par l’historien universitaire par rapport à la pièce d’histoire. En histoire
d’Afrique, plus qu’ailleurs, cette distance est difficile à tenir tant y occupe une place importante le fait
que l’écriture s’y déroule en situation post-coloniale.
Écrire l’histoire d’Afrique au lendemain de la deuxième guerre mondiale fut un acte à la fois politique et
scientifique. Dès la genèse de cette écriture, les historiens africains ont pris la mesure des problèmes
épistémologiques posés par la question du sujet historique. La négation de l’historicité des sociétés
africaines par les idéologues de la colonisation s’est révélée une position intenable à laquelle s’est
substituée avec subtilité, l’affirmation de l’origine externe de toutes les dynamiques historiques. Ainsi,
les sociétés africaines ont été réduites en objets historiques dont les évolutions sont impulsées par des
facteurs et des acteurs externes au continent. La question posée aux historiens des textes de genèse de
cette historiographie était toute simple : comment mettre en évidence la falsification de l’histoire
africaine opérée par l’idéologie coloniale, tout en restant dans les normes académiques de cette époque.
La dimension politique aura pris une épaisseur considérable dans l’écriture de l’histoire d’Afrique par
les Africains, expression du contexte pleinement rempli par la lutte anticoloniale. La tâche des historiens
fut avant tout un travail de déconstruction de l’idéologie coloniale déniant à l’Afrique et aux Africains
toute capacité d’initiative historique. Deux voies ont été balisées par les pères fondateurs de l’École de
Dakar. La première a rédigé le texte expliquant les origines de la perte de l’initiative historique par les
peuples africains victimes de la soumission de ses élites politiques à la logique d’accumulation
capitaliste qui, impulsée de l’Europe, connecte les continents américain, africain et européen par
l’Atlantique. La seconde dresse un attachement ombilical entre les sociétés africaines et l’antiquité
pharaonique qui a l’avantage de joindre l’ampleur des réalisations à son antériorité par rapports à toutes
ses homologues de la Méditerranée. Établir une parenté génétique offre l’opportunité de réduire à sa plus
simple expression la séquence historique du XVe-XIXe siècle pour renouer les fils d’une histoire digne
d’être célébrée.
L’engagement militant qui transparaît dans les textes de plus d’une génération d’historiens de Dakar
permet à Boubacar Barry de forger l’expression École de Dakar dont l’usage devient aujourd’hui
problématique tant s’est modifié le critère principal qui lui a donné naissance. L’écriture militante de
l’histoire a pris des tonalités aujourd’hui si variées et, de plus en plus, elle fait place à la revendication
d’une pratique du métier d’historien plutôt orientée vers le professionnel au détriment du militant. Cette
mutation résulte d’une série de ruptures informées par l’évolution de la discipline et des sociétés sujet et
objet de cette histoire.
Une première rupture s’opère à la fin de la première décennie des indépendances. Deux facteurs agissent
concomitamment pour donner une base à cette rupture dans l’historiographie de l’École de Dakar : la
crise du projet politique nationaliste et la reconnaissance de la tradition orale comme source fiable pour
questionner le passé des sociétés sénégambiennes.
Aussi radicale qu’elle soit, cette écriture reste élitiste : la diversification de ses sources n’empêche que ce
sont les mémoires des élites qui parlent à travers les traditions orales locales, les archives et récits de
32

voyages des Européens. Les historiens des années 1980 ont maintenu l’unité dans leur objet, leurs
méthodes et outils d’analyse en dépit de la diversité de leur conclusion.
La seconde rupture épistémologique est aussi induite par une double mutation socio-politique et
scientifique. L’échec du projet « développementaliste » des États post-coloniaux et des solutions mises
en œuvre pour y remédier ouvre l’espace public à des acteurs dont les trajectoires ont été peu investies
par les historiens. Au même moment sont remises en cause les modèles historiographiques qui ont
dominé la discipline pendant des générations. Ce facteur a eu moins d’effets sur l’École de Dakar dont
les animateurs, confrontés à la déliquescence de l’institution universitaire, ont du mal à suivre les débats
historiographiques en cours à l’échelle internationale.
Aujourd’hui, l’École de Dakar peut faire valoir un passé relativement long d’autonomie scientifique et
institutionnelle. Toutefois, en ce domaine, rien n’est définitivement acquis. De nouveaux obstacles
affectent sa dynamique actuelle et menacent, à terme, sa capacité à maintenir sa renommée : la
réduction drastique des moyens de la recherche et de l’enseignement, l’absence d’école doctorale et
une de ses conséquences majeures : la poursuite de l’exode et de l’exil des étudiants et enseignants-
chercheurs vers les universités du Nord. Dans l’horizon visible, cette situation a peu de chance de
s’inverser, au moins pour l’étude de certaines périodes historiques.

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