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06/04/2023, 13:28 POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES) - Universalis.

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POSTCOLONIALES FRANCOPHONES
(LITTÉRATURES)
AUTEUR
Jean-Marc MOURA : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-
Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France

Les littératures postcoloniales ont été identifiées comme telles dans les années 1980 par
des théoriciens des littératures anglophones. L’épithète « postcoloniale » concernait
d’abord les littératures des pays sous domination de l’ancien empire britannique, bien
que certains critiques aient remarqué de nombreux points communs avec les productions
littéraires issues d’autres empires européens : francophones, mais aussi hispanophones,
lusophones et néerlandophones. Dès les années 1990, les littératures de langue française
sont étudiées selon la perspective postcoloniale tout en prenant en compte la spécificité
d’œuvres nées dans le contexte de l’ex-empire français, dont l’histoire est différente de
celle des anciennes colonies britanniques. L’ensemble littéraire francophone
postcolonial se nourrit de thèmes et d’approches – quête de l’identité, redécouverte de
l’histoire autochtone, déconstruction des modèles hérités du colonialisme ou issus du
néo-impérialisme – qu’on retrouve dans la plupart des pays et régions qui composent la
francophonie.

Le postcolonialisme n’est pas une grille de lecture binaire opposant mécaniquement le


monde colonial au monde postcolonial, il distingue une colonie de peuplement comme
le Québec des histoires coloniales des pays ou régions d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes,
de l’océan Indien et du Pacifique, tout comme il refuse de réduire la pluralité de styles,
de thèmes et d’orientations incluse dans la notion de postcolonial. Seul un examen
détaillé de chaque littérature nationale pourrait rendre justice à la variété des œuvres
concernées. Pourtant, un survol diachronique permet de mettre en évidence de multiples
caractéristiques communes.

Étant donné l’ampleur des questions abordées, le terme « postcolonial » apparaît comme
un principe fédérateur plus qu’un concept précis. Il détermine une perspective d’étude
sur les littératures de pays marqués par l’histoire coloniale, qu’il s’agisse de littératures
en langues européennes ou de littératures en langues vernaculaires issues de régions
extérieures à l’Europe.

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De la littérature coloniale aux littératures francophones


La notion de « littérature coloniale » s'était établie dans la littérature française du début
du XXe siècle : le Mercure de France lui consacrait une chronique régulière. Théorisée
notamment par les Réunionnais Marius-Ary Leblond, elle accompagnait l'entreprise
coloniale en tentant d’en dévoiler les aspects les moins connus : peinture vraie des
mœurs, plongée dans l'âme « indigène », exaltation de l'œuvre civilisatrice parfois
nuancée de quelques critiques. Pour les tenants de la littérature coloniale, l'éclosion de
talents littéraires autochtones devait témoigner de la réussite de la colonisation. Dans les
pays de la péninsule indochinoise, Cambodge, Laos, Vietnam, la littérature s’inspirait
fréquemment des grands modèles français, mais manifestait aussi une création originale,
comme le montrent les essais de Pham Quynh ou la poésie de Pierre Do-Dinh au
Vietnam, et les poèmes et romans de la Cambodgienne Makhali-Phâl.

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Léopold Sédar Senghor au Conseil de l'Europe (Strasbourg, 1949)


Universitaire, député sénégalais à l'Assemblée constituante de 1945, Léopold Sédar Senghor (1906-
2001) participe ici, en 1949, aux premiers travaux du Conseil de l'Europe.

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En 1921, le prix Goncourt est décerné à un administrateur de la colonie de l'Oubangui-


Chari, le Guyanais René Maran, pour Batouala, véritable roman nègre. Le sous-titre
suggère que Maran se situe dans la littérature coloniale, mais il y introduit une distance
critique. La préface et quelques scènes sans complaisance ont suscité à l'époque
polémique et réprobation de la part des milieux coloniaux. Vingt ans plus tard, René
Maran sera présenté par Léopold Sédar Senghor comme le précurseur du mouvement de
la négritude.

La rupture entre la littérature coloniale et ce qu'il est convenu d'appeler « littératures


francophones » s'est opérée lentement. Les premiers essais littéraires du Malgache Jean-
Joseph Rabearivelo sont soutenus par les autorités coloniales. Cependant, avec la
vigoureuse critique de la colonisation qui se développe dès les années 1930, une tension
se crée entre la littérature d'adhésion au monde colonial et la littérature de protestation.
Ce que montre la publication, en 1932, par un groupe d'étudiants martiniquais à Paris,
de la revue-manifeste Légitime Défense. La littérature coloniale antillaise y est dénoncée
pour son inauthenticité. Rétrospectivement, ces œuvres apparaissent comme les
pionnières des littératures postcoloniales.

La notion de postcolonial
Avec le postcolonialisme, il s’agit moins de présenter un concept historique qu’une
théorie et une critique de la littérature renvoyant aux lettres naissant dans un contexte
marqué par la colonisation. On distingue donc ici « post-colonial », qui désigne le fait
d’être postérieur à la période coloniale, et « postcolonial », qui se réfère à des pratiques
de lecture et d’écriture intéressées par les phénomènes de domination, et plus
particulièrement par les stratégies textuelles de mise en évidence, d’analyse et d’esquive
des idéologies impérialistes. Une situation d’écriture, avec ses présupposés et ses
options formelles, est envisagée, et non plus seulement une position sur l’axe du temps.
Comme l’affirment les pionniers des études postcoloniales, les universitaires australiens
Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin : « Ce que ces littératures ont en commun
au-delà des spécificités régionales, est d’avoir émergé dans leur forme présente de
l’expérience de la colonisation et de s’être affirmées en mettant l’accent sur la tension
avec le pouvoir colonial, et en insistant sur leurs différences par rapport aux assertions
du centre impérial. »

Différents modes d’écriture sont considérés. D’abord polémiques à l’égard de l’ordre


colonial, ils se caractérisent ensuite par le déplacement, la transgression, le jeu, la
déconstruction des codes européens – en particulier des formes totalisantes propres à
l’historicisme occidental – tels qu’ils ont cherché à s’affirmer dans la culture concernée.

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Le postcolonialisme trouve ses origines dans le questionnement des générations venant


après les indépendances : des immigrants issus de régions naguère colonisées, inscrits
dans les universités et les collèges des États-Unis et du Royaume-Uni, commencent à
formuler des interrogations liées à leur histoire. Ces intellectuels étaient postcoloniaux
en un triple sens : ils étaient nés dans des sociétés du Sud exposées aux reconfigurations
épistémologiques induites par l’hégémonie européenne, étaient précocement
occidentalisés et cherchaient à refonder, depuis l’Occident, un ordre dans lequel ce
même Occident n’occuperait plus une position centrale. Leur prise de parole et
l’émergence d’œuvres littéraires issues de leurs pays vont attirer l’attention des
universitaires sur le fait que la plupart des histoires littéraires en Occident impliquaient
une définition européocentrique de la littérature. En même temps, ils mettent en
évidence la singularité des littératures émergentes du Sud par rapport au canon
occidental, ce qui aboutit à l’identification d’un corpus littéraire postcolonial. Dans
l’espace francophone, des intellectuels et des écrivains issus de toutes les parties de l’ex-
empire vont accomplir un travail identique de rénovation de l’histoire littéraire. Ils ont
été aidés en cela par des précurseurs.

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Débuts des littératures francophones postcoloniales

Aimé Césaire

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Avec le Cahier d'un retour au pays natal (1939), Aimé Césaire donne pleinement voix à la négritude.
Outre son œuvre poétique, il est également l'auteur d'une ample œuvre théâtrale, où se détache La
Tragédie du roi Christophe (1963).

C’est à la fin des années 1930, dans le milieu des étudiants d'origine africaine ou
antillaise à Paris, que se cristallise la notion de négritude. Ce mouvement manifeste le
rejet du projet colonial visant à transformer les colonisés africains en « Français noirs ».
Chez le Martiniquais Aimé Césaire (1913-2008), elle procède aussi de la prise de
conscience de la dénégation séculaire opposée par le système esclavagiste à l'humanité
de l'homme noir. Le mot « nègre », chargé de l'opprobre raciste, est repris et glorifié
pour cette raison même (Cahier d'un retour au pays natal, 1939 pour la première
version). Les écrivains des colonies françaises se trouvent alors confrontés au sentiment
d'une perte d'identité. Jean Amrouche (1906-1962), né dans l'une des rares familles
algériennes converties au christianisme, trace dans son essai L'Éternel Jugurtha (1946)
un portrait de l'homme maghrébin, qui a su adopter les mœurs et la langue des autres
tout en restant fidèle « à sa vraie patrie, où il entre par la porte noire du refus ».

La poésie de la négritude, révélée à un large public avec l'Anthologie de la nouvelle


poésie nègre et malgache de langue française publiée en 1948 par Léopold Sédar
Senghor (1906-2001), pour le centième anniversaire de l'abolition de l'esclavage, se
présente d'abord, sous le signe d'Orphée, comme une poésie de résurrection. « Orphée
noir » est le titre de la préface de Jean-Paul Sartre, qui le commente ainsi : « Il s'agit
donc pour le noir de mourir à la culture blanche pour renaître à l'âme noire. »

La poésie a été la forme littéraire privilégiée de la négritude, mais le roman a été le


genre de la prise de conscience avant la période de la décolonisation. Si l'autobiographie
romancée du Guinéen Camara Laye, L'Enfant noir (1953), a été accusée par la revue
Présence africaine (fondée en 1947 et devenue l'organe du mouvement de la négritude)
de présenter un tableau idyllique de la vie africaine sous la colonisation, les romans de
Mongo Beti (Le Pauvre Christ de Bomba, 1956), Ferdinand Oyono (Une vie de boy,
1956), Bernard Dadié (Climbié, 1956), Sembène Ousmane (Les Bouts de bois de Dieu,
1960), Olympe Bhely-Quénum (Un piège sans fin, 1960) entreprennent de dénoncer la
situation coloniale et d'exalter des valeurs propres à la vie africaine. Au Maghreb,
Nedjma (1956), l’œuvre hors-norme de Kateb Yacine (1929-1989), brosse le portrait
d’une Algérie aliénée par le colonialisme. Cette première génération visait sans doute un
lectorat plus européen qu'africain, mais leurs œuvres ont été vite inscrites aux
programmes scolaires des pays nouvellement indépendants pour devenir les premiers
« classiques » de la littérature africaine moderne.

Avec les décolonisations, la littérature coloniale appartient définitivement au passé


tandis que s’affirme la notion de littératures francophones : des littératures distinguées
de la tradition littéraire française dont beaucoup naissent dans d’ex-colonies. Elles sont
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post-coloniales, et très souvent aussi postcoloniales dans la mesure où elles s’efforcent


de déjouer les schémas impérialistes. Élaborées « dans la gueule du loup », selon
l’expression de Kateb Yacine, elles contrecarrent les visées hégémoniques des
colonisateurs dans leur propre langue et affirment des spécificités culturelles ignorées ou
niées par le système colonial. La volonté d’échapper au centralisme littéraire français, le
refus de la vision exotisante européenne, l’expression d’une conscience nationale en
formation après l’indépendance, enfin la réponse à l’internationalisation croissante de la
vie littéraire vont nourrir une remarquable diversité littéraire francophone postcoloniale.

Littérature et néo-colonialisme
En Afrique et aux Caraïbes, la primauté d’un mouvement synthétique comme la
négritude se voit remise en question. Le roman du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane,
L'Aventure ambiguë (1961), présente l'archétype de la dualité culturelle vécue par les
intellectuels colonisés à travers l’itinéraire de son personnage, Samba Diallo, qui meurt
à la fin du roman, sans doute par impossibilité de concilier foi musulmane africaine et
raison occidentale.

Les romanciers font éclater les cadres traditionnels, parodiant les mythes attachés à
l’image de l’Afrique (Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, 1968) ou inventant
une langue d’écriture originale, comme Ahmadou Kourouma (1927-2003), dans Les
Soleils des indépendances (1968 pour l’édition québécoise, 1970 pour l’édition
française). Les romans témoignant de la déstructuration de la société, en particulier de la
dictature, fleurissent (Alioum Fantouré, Henri Lopes). Certains auteurs, tels Williams
Sassine (1944-1997) ou Mongo Beti (1932-2001), évoquent un monde néocolonial
dominé et malade.

À partir de la fin des années 1970, l’écriture féminine vient témoigner de la condition
des femmes africaines dans le contexte post-colonial, avec la Sénégalaise Mariama Bâ
(Une si longue lettre, 1979). À Madagascar, alors qu’un Jean-Joseph Rabearivelo (1901-
1937) avait privilégié une poésie située dans « l’entre-deux-langues », transposant des
formes poétiques traditionnelles tel le hain-teny, les écrivains des années 1960 se font
plus militants, à l’instar de Jacques Rabemananjara (Antidote, 1961).

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Édouard Glissant
À la fois poète et romancier, Édouard Glissant a également beaucoup milité pour l'affirmation de
l'identité antillaise. Sa réflexion sur le « Tout-Monde » se situe, à la suite de Simone Schwarz-Bart et
Maryse Condé, dans une réflexion sur la notion de créolisation, mise en...

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En Haïti, indépendant dès 1804, l’œuvre romanesque de Jacques Roumain (1907-1944 ;


Gouverneurs de la rosée, 1944) puis celle de Jacques Stephen Alexis (1922-1961 ;
Compère général Soleil, 1955) associent thématique populaire, imagination animiste
tout en mêlant langues française et créole. Aux Antilles, le souci d’un enracinement dans
l’île, voire d’une union avec l’ensemble de la Caraïbe, prend la forme de l’Antillanité,
courant illustré dès 1958 par le roman d’Édouard Glissant (1928-2011), La Lézarde. Les
caractéristiques des peuples créoles, nés de l’esclavage et de l’univers des plantations,
constituent une thématique fondatrice pour les œuvres de Simone Schwarz-Bart (Pluie
et vent sur Télumée Miracle, 1972) et de Daniel Maximin (L’Isolé Soleil, 1981). Elles
ont été présentées et plus systématiquement analysées par le mouvement de la créolité, à
la fois art poétique et manifeste politique, défendu par Jean Bernabé (1942-2017),
Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans Éloge de la créolité (1989).

Dans l’ex-Indochine française, la succession des conflits donne lieu à des écritures de
témoignage, où les œuvres françaises (Jean Hougron) coexistent avec leurs homologues
francophones (les Vietnamiens Pham Duy Khiêm et Pham Vàn Ky), sans que l’on puisse
vraiment parler d’une inspiration postcoloniale.

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Assia Djebar
Dans une œuvre romanesque où le travail sur la langue va de pair avec une interrogation sur l'histoire
de l'Algérie, Assia Djebar a su donner une parole aux femmes du Maghreb.

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Au Maghreb, des œuvres romanesques et poétiques majeures (Driss Chraïbi, 1926-


2007 ; Mohammed Dib, 1920-2003 ; Kateb Yacine) et des essais d’une grande puissance
(Albert Memmi, 1920-2020 ; Frantz Fanon, 1925-1961) ont accompagné les
décolonisations. Le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée qui s’est ensuivi a
mis en évidence le statut ambigu de la langue française : instrument d’un salutaire recul
critique pour les uns, langue de l’aliénation pour les tenants de l’arabisation. Les œuvres
de Mohammed Khaïr-Eddine (1941-1995), Tahar Djaout (1954-1993) ou Assia Djebar
(1936-2015) témoignent de la diversité de ces littératures qui connaîtront une inflexion
au début des années 1990, certains auteurs algériens prenant alors pour thème l’actualité
de la vague islamiste (Rachid Mimouni, 1945-1995).

Les deux dernières décennies du XXe siècle sont en effet marquées par un élargissement
international ouvrant de nouvelles perspectives aux écrivains. En Afrique, les romans de
Sony Labou Tansi (1947-1995), publiés à partir de 1979 (La Vie et demie), témoignent
de la déstructuration du Congo, pays appartenant à l’espace africain francophone et
parfois rebaptisé péjorativement « Françafrique ». Ahmadou Kourouma revient à
l’écriture de fiction en 1990 (Monné, outrages et défis). En Haïti, la diaspora continue
de publier tandis que le mouvement de la créolité se développe aux Antilles (Patrick
Chamoiseau, Raphaël Confiant, Lettres créoles : tracées antillaises et continentales de
la littérature, Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane [1635-1975], 1991). Dans le
Pacifique, L’Île des rêves écrasés de Chantal Spitz, premier roman de langue française
d’un auteur polynésien, paraît en 1991. En dépit de la diversité de ces écritures, l’accent
est souvent placé sur les rémanences coloniales et sur la déstructuration des cultures
autochtones. La notion même de francophonie se voit soupçonnée d’être un instrument
politique prolongeant l’hégémonie française sur ses ex-colonies (Mongo Beti, La
France contre l’Afrique, retour au Cameroun, 1993).

Caractéristiques
On a pu comparer les littératures postcoloniales à une forme de traduction par laquelle la
langue du colonisateur se voit déformée, remaniée, retravaillée afin de présenter la
réalité sociale ou d’exprimer la vision du monde d’une culture dominée. Le fait d’écrire
dans la langue du colonisateur est ainsi assimilé métaphoriquement à la traduction d’une
altérité qui se présente sous trois modalités : elle est une résistance au colonialisme et à
l’impérialisme, une entreprise plurilingue et cultive une esthétique de l’hybridité de plus
en plus affirmée.

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Une esthétique de la résistance


Nombre d’auteurs postcoloniaux refusent l’idée de l’art pour l’art. Ils pratiquent une
esthétique de la résistance, appuyée tant sur des essais de combat (Aimé Césaire,
Discours sur le colonialisme, 1950 [puis 1955 chez Présence Africaine pour l’édition
que l’on peut considérer comme définitive] ; Albert Memmi, Portrait du colonisé,
1957 ; Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, 1961) que sur la poésie (Aimé Césaire,
Cahier d’un retour au pays natal, 1956 pour l’édition définitive) ou le roman (Mongo
Beti, Le Pauvre Christ de Bomba, 1956 ; Sony Labou Tansi, Les Sept Solitudes de Lorsa
Lopez, 1985). Les revendications féministes s’y expriment d’autant plus fortement que
les femmes subissent une double oppression en raison de leur genre et de leur statut
dans la société coloniale puis post-coloniale (Simone Schwarz-Bart , Pluie et vent sur
Télumée Miracle ; Aminata Sow Fall , La Grève des bàttu, 1980 ; Assia Djebar, Femmes
d’Alger dans leur appartement, 1980). Il ne s’agit pas pour autant d’écritures
étroitement manichéennes, mais plutôt d’une littérature engagée au sens où elle se veut
d’abord la dénonciation d’un inacceptable, selon la formule de Chloé Chaudet, voire la
proposition d’un modèle de société plus juste parce qu’adapté aux réalités autochtones.
Au Québec, l’œuvre d’un Gaston Miron (1928-1996), qui invoque le modèle poétique
d’Aimé Césaire, exprime une aliénation sociale et linguistique, mais veut également
affirmer une culture francophone spécifique (L’Homme rapaillé, 1970). Au Maghreb, à
partir de 1966, la revue marocaine Souffles rassemble les recherches de jeunes
intellectuels (Abdellatif Laâbi, Mohammed Khaïr-Eddine, Abdelkébir Khatibi, Tahar
Ben Jelloun) qui associent critique de l'idéologie bourgeoise et transformation des
formes littéraires. Leurs œuvres privilégient la transgression des genres, la subversion
langagière, la libération de l'imaginaire. Une recherche parallèle se développe en Algérie
avec Nabile Farès et Habib Tengour.

Une esthétique du plurilinguisme


L’auteur francophone, pour qui le français est souvent une langue seconde, est un
véritable passeur de langue, dont l’écriture maintient la tension qui existe entre deux ou
plusieurs idiomes, ce que le Marocain Khatibi, entre arabe et français, appelle la
bilangue. Dans la création postcoloniale, lorsque la langue du colonisateur a été
acceptée, prise comme « un butin de guerre » (Kateb Yacine), elle va servir la force
expressive de l’œuvre. Les auteurs s’approprient le français, en affichent les variantes
(français d’Afrique, diversité des créoles) pour inventer une écriture métissée (Gisèle
Pineau, La Grande Drive des esprits, 1993). À la suite d’Ahmadou Kourouma et de
Sony Labou Tansi, certains écrivains africains entreprennent de « tropicaliser » la langue
française. Aux Antilles, le mouvement de la créolité construit une langue littéraire à

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l’intersection du créole et du français (Patrick Chamoiseau, Solibo Magnifique, 1988),


dynamique qui rejoint plus discrètement les îles de l’océan Indien (Axel Gauvin,
L’Aimé, 1990) et que le Réunionnais Jean-Louis Robert nomme la « mélangue » (À
l’angle Malang, 2004).

Une esthétique de l’hybridité


À partir des années 1990, les circulations des écrivains postcoloniaux les plus connus
entre leur région ou leur pays et la France se font plus nombreuses. Par ailleurs,
beaucoup appartiennent à une diaspora, à l’image des auteurs haïtiens qui publient en
France ou au Québec (René Depestre, Dany Laferrière). Édouard Glissant entreprend de
dénoncer les tentations de l'esprit de système universalisant au profit d'une poétique
concrète de la relation. Son roman Tout-Monde (1993) annonce une dimension inédite
du monde, à la fois « enraciné et ouvert ». Son projet d'écrire « en présence de toutes les
langues du monde » propose un type nouveau de rapport à l’espace, rompant avec les
logiques de domination propres à l’Occident pour envisager une mondialisation
créolisée. Il s'accorde avec la dynamique des littératures postcoloniales sans toutefois
s’en réclamer (Philosophie de la Relation, 2009). En Afrique, le Malien Amadou
Hampâté Bâ (1901-1991), gardien des traditions orales, notamment peules, et conteur à
la façon des griots, évoque le passé colonial avec une ironie teintée de nostalgie
(Amkoullel, l'enfant peul, 1991). Le despotisme tropical est mis en accusation à travers
la figure récurrente de l'ogre du pouvoir (Tierno Monénembo, Henri Lopes). Perdant les
illusions lyriques de la période de décolonisation, le roman se fait problématique,
s'interrogeant sur le devenir de l'Afrique, à travers des héros dont l'identité reste flottante
dans un monde sans repères (Kossi Efoui, La Fabrique de cérémonies, 2001). Au
Maghreb, le paysage littéraire et intellectuel, bouleversé par la violence de la vague
islamiste, n’a pas empêché les grands anciens tels que Mohammed Dib, les auteurs
confirmés comme Tahar Ben Jelloun, mais aussi des écrivains de générations
postérieures tels Anouar Benmalek ou Mahi Binebine d’écrire en français. La présence
en France même de nombreuses immigrations venues des pays du Sud tend à brouiller la
distinction entre centre et périphérie, comme le montrent les ouvrages de Leïla Sebbar
(Fatima, ou les Algériennes au square, 1981), Sami Tchak (Place des fêtes, 2001) ou
Fatou Diome (Le Ventre de l’Atlantique, 2003).

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Alain Mabanckou
Chez l'écrivain Alain Mabanckou, le questionnement sur l'identité n'est séparable ni de l'humour ni
de l'invention verbale. Le Congo, Paris, les États-Unis : l'œuvre invente sa trajectoire au gré de
l'itinérance de son auteur.

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Sur un plan général, les œuvres se caractérisent par une polyphonie naissant de la
pluralité des registres culturels convoqués. Les thématiques sont organisées autour de
réalités contrastées et de milieux extraordinairement divers. Entre un réalisme revivifié
par l’évocation de sociétés multiculturelles touchées, à différents degrés, par la
mondialisation, et le recours à une inspiration comme le réalisme magique (Sony Labou
Tansi en Afrique, Gisèle Pineau aux Antilles), les œuvres cultivent une esthétique
hybride liée au cosmopolitisme des écrivains. Des auteurs comme Alain Mabanckou,
Patrick Chamoiseau ou Yanick Lahens évoluent et écrivent au carrefour de plusieurs
cultures plutôt que dans un contexte national. Ces « enfants de la postcolonie »
(Abdourahman Waberi) s’efforcent de donner sens à l’étourdissant multiculturalisme de
la société mondialisée. Il s’agit moins d’un art du syncrétisme que de la vision d’un
monde fissuré perçu selon un point de vue mobile, décentré.

Ce multiculturalisme ne fait pas toujours du combat contre le néo-impérialisme un


thème majeur. Il témoigne plutôt de la collision omnidirectionnelle des cultures et des
bouleversements qu’elle entraîne, que ce soit au Maghreb (le Franco-Algérien Anouar
Benmalek), en Afrique subsaharienne (le Congolais In Koli Jean Bofane), aux Caraïbes
(la Guadeloupéenne Gisèle Pineau), dans le Pacifique (la Kanak Déwé Gorodey, la
Polynésienne Titaua Peu), dans l’océan Indien (la Mauricienne Ananda Devi) ou au
Québec (le Libano-Québécois Wajdi Mouawad). Les auteurs s’engagent moins alors
dans l’évocation nostalgique d’une culture ou la défense d’une identité intangible que
dans la construction d’un lieu d’énonciation où les interactions culturelles engendrent
des aliénations inédites et de nouvelles distributions du sens.

Les littératures postcoloniales au XXIe siècle


Dès 2000, la critique anglophone observait que le postcolonialisme connaissait sa crise
du milieu de la vie (midlife crisis). La théorisation avait donné naissance à des porte-
parole notoires, notamment, outre les Australiens Ashcroft, Griffiths et Tiffin, Edward
Said, Palestinien installé à New York, Gayatri Spivak et Homi K. Bhabha tous deux
originaires du sous-continent indien et travaillant aux États-Unis. Ils se voient alors
reprocher par une partie de la critique de projeter des concepts occidentaux sur une
réalité socioculturelle dont ils sont coupés. En France, des historiens s’interrogent sur le
flou épistémologique et le manque d’analyses concrètes des études postcoloniales (Jean-
François Bayart). Pourtant, ces travaux ont continué de se développer, comme en
témoigne la création de sociétés savantes et de départements universitaires dans de
nombreux pays, au Nord comme au Sud. Elles ont ainsi accompagné une production
littéraire tant anglophone que francophone, pour ne citer que ces deux exemples, qui n’a
cessé de croître et d’affirmer son importance internationale.
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Kamel Daoud
Romancier et chroniqueur, Kamel Daoud s'est fait connaître avec Meursault, contre-enquête. Cette
réécriture inspirée de L'Étranger d'Albert Camus déplace le point de vue initial en mettant en
évidence les non-dits du roman. Qui était cet Arabe que Meursault a tué sur la plage...

Une large partie des littératures dites francophones sont postcoloniales, et constituent
désormais un espace littéraire transnational qui joue un rôle majeur dans la définition
d’un canon littéraire mondial. Les références et les inspirations en sont
remarquablement variées. Ahmadou Hampâté Bâ puisait au fonds traditionnel peul et
bambara. Désormais, l’Algérien Kamel Daoud réécrit Albert Camus (Meursault, contre-
enquête, 2013), la Franco-Vietnamienne Anna Moï déambule dans l’imaginaire
indochinois de Marguerite Duras (Le Pays sans nom. Déambulations avec Marguerite
Duras, 2017). La question identitaire, cruciale pour les auteurs francophones venant
après les indépendances, se pose à présent dans un cadre planétaire où le centre français
a perdu de son importance. Édouard Glissant se référait à William Faulkner, l’Algérien
Boualem Sansal s’inspire de George Orwell (2084 : la fin du monde, 2015), la
Camerounaise Leonora Miano évoque une personnalité « afropéenne » qui unit deux
continents et qui s’affranchit des appartenances nationales étroites (Afropean Soul,
2008).

La dimension postcoloniale pourrait sembler moins présente dans la mesure où la notion


de résistance à l’hégémonie qui oriente le postcolonialisme se complique singulièrement
avec la mondialisation. Toutefois, dans un monde caractérisé par des migrations d’une
ampleur inédite, par l’étonnante expansion des communications et par la puissance sans
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précédent des États-Unis comme, désormais, de la Chine, les littératures postcoloniales


ne peuvent que se développer pour témoigner des échanges déséquilibrés entre le Nord
et le Sud (Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, 2019) et affiner ainsi leurs
outils critiques. Les références internationales, voire mondiales, n’excluent nullement le
retour sur la colonisation (Tierno Monénembo, Le Roi de Kahel, 2008), un travail sur la
mémoire (Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil, 2012) ou la présentation des
déstructurations sociales produites par les rémanences coloniales, voire par de nouvelles
formes d’impérialisme (In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises, 2008 ;
Nathacha Appanah, Tropique de la violence, 2016).

Dans le contexte de relations internationales en transformation rapide, bouleversant les


sociétés du Sud comme celles du Nord, les littératures postcoloniales francophones sont
un témoignage sur l’univers de l’échange généralisé qu’on appelle mondialisation. Elles
informent leurs lecteurs de ces négociations interculturelles, sans nombre et si souvent
marquées par une sourde violence, qui caractérisent le monde contemporain.
— Jean-Marc MOURA

POUR CITER L’ARTICLE

Jean-Marc MOURA, « POSTCOLONIALES FRANCOPHONES


(LITTÉRATURES) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 6 avril 2023.
URL : http://www.universalis-edu.com.bnf.idm.oclc.org/encyclopedie/postcoloniales-fra
ncophones-litteratures/

BIBLIOGRAPHIE

B. ASHCROFT, G. GRIFFITHS & H. TIFFIN, The Empire Writes Back. Theory and Practice
in Post-Colonial Literatures, Routledge, Londres-New York, 1989 (L’Empire vous
répond, trad. franç. M. Mathieu-Job et J.-Y. Serra, Presses Universitaires de Bordeaux,
Bordeaux, 2012)

J.-F. BAYART, Les Études postcoloniales. Un carnaval académique, Karthala, Paris,


2010

H.K. BHABHA, The Location of Culture, Routledge, Londres, 1994 (Les Lieux de la
culture. Une théorie postcoloniale, trad. franç. F. Bouillot, Payot, Paris, 2007)

P. BLANCHARD & N. BANCEL dir., Culture post-coloniale 1961-2006, Autrement, Paris,


2006

C. CHAUDET, Écritures de l’engagement par temps de mondialisation, Classiques-


Garnier, Paris, 2016

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