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Un aperçu de la littérature francophone de l’océan indien

I. Introduction

Comment définir cette littérature de l’océan indien?

- une littérature insulaire (une littérature dont le sujet représenté est l’ile ainsi que les images
renvoyant a l’espace insulaire, pays d’origine des écrivains francophones de l’océan indien)
- une littérature indianoceanique (une littérature qui recouvre une zone particulière)
- une littérature postcoloniale (née après l’abolition de l’esclavage)
- une littérature diasporique (une littérature produite par des écrivains nés hors de leur patrie et
vivant à l’étranger, ou d’une littérature de l’exil et du déracinement )
-une littérature métisse (née de la convergence de multiples langues et cultures)

Les littératures de langue française dans les îles du sud-ouest de l’Océan Indien portent en elles
les traces de la colonisation.

Les îles du Sud-ouest de l’Océan Indien disposent - de manière plus ou moins partielle - d’une
langue partagée qui est la langue française. Les différentes îles de l’Océan Indien ont toutes été, à
un moment donné, en contact avec la France et le français.

Madagascar est considérée comme la Grande Île et Maurice et la Réunion sont des Îles sœurs,
parce que seules ces îles ont développé une réelle littérature francophone. Quand aux littératures
des autres iles comme les Seychelles et les Comores, la littérature écrite en français y est née
tardivement.

Les récits des îles du Sud-ouest de l’Océan indien diffèrent des textes occidentaux, mais ils sont
également très hétérogènes entre eux ; il n’y a pas une littérature indianocéanique, mais des
champs littéraires composites, contrastés, résultant de contacts de langues et de cultures
conflictuels. Dans chacune des iles, la littérature française est née d’un contexte extrêmement
violent. Chacune est liée à une situation coloniale, notamment à l’esclavage. Les littératures de
l’Océan Indien constituent un ensemble complexe, hétérogène.

II. Historique

Dans les ouvrages produits par les colons ou les voyageurs, l'Île n'est que mirage ou miroir. La
première littérature francophone a en effet été une littérature de voyage, puis et ou une littérature
coloniale. Un des exemples les plus représentatifs de cette littérature exotique et des valeurs
qu’elle véhicule est sans doute le roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788)
qui a pour cadre l’Île de France. Cet imaginaire exotique a longtemps bloqué une production
réellement autochtone, en présentant ces lieux comme fondamentalement exotiques. Depuis le
xvi siècle, on écrit en français sur et dans l'océan Indien : récits de voyage, robinsonnades,
utopies, fantasmes en tout genre, puis poésie exotique, romans coloniaux et enfin les littératures
autochtones ou d'exil. Cette production riche et diversifiée demeure cependant encore peu
connue même et surtout dans les pays de l'océan Indien, par son isolement geographique.

La production littéraire des pays de l’Océan Indien a été importante dès le 18e siècle à l’Île de la
Réunion et à l’Île Maurice et le 20e siècle fut particulièrement riche pour la littérature malgache.
Aux 18e et 19e siècles nombre de ces œuvres ont été publiées sur des presses et chez des éditeurs
locaux et ont connu une diffusion restreinte et localisée. Certains exemplaires ne se trouvent
aujourd’hui que dans de rares bibliothèques, dans les collections particulières ou les archives
familiales des pays d’origine.

III. Littérature malgache

Colonisation française de Madagascar (de 1895 à 1960) 

La littérature d’expression française occupe actuellement une place privilégiée dans le paysage
littéraire malgache, même si elle est assez méconnue. La production littéraire malgache en
français commence au début du XXe siècle avec la mise en place de l’enseignement en français,
devenu langue officielle, à la suite de l’annexion de Madagascar par la France en 1896. C’est en
1948 que le grand public francophone a découvert cette littérature, avec la publication par
Senghor de son célèbre  Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (Presses
universitaires de France) qui comptait, sur les six poètes d’Afrique noire répertoriés, trois auteurs
originaires de la Grande Ile. 

Les premiers auteurs francophones de Madagascar s’inspiraient de la littérature de la métropole


qu’ils avaient découverte à l’école, mais ils étaient également influencés par la littérature en
langue malgache écrite. L’originalité de cette poésie réside ainsi dans son identité double.
Il faut attendre les années 1980 pour voir émerger de nouveaux talents et de nouveaux genres
littéraires (nouvelles, romans, théâtre). 
Les écrivains contemporains emploient librement une écriture bilingue (français, malagache) qui
renvoie à la double appartenance linguistique et culturelle de la littérature malgache.

Le poète Rabéarivelo (1901-1937), fondateur de la littérature francophone de Madagascar.

Certains écrivains (surtout les écrivaines) optent pour la langue française car elle leur permet
permette de s’épancher et d’exprimer ce qui n’est pas possible en malgache

Auteurs majeurs qui sont connus à l’étranger, surtout en France et dans la région de l’Océan
Indien:

Auteurs malgaches

Jean-Joseph Rabéarivelo (le prince des poètes malgaches)


Jacques Rabemananjara
Jean-Luc Raharimanana
Michèle Rakotoson
Charlotte Rafenomanjato
Esther Nirina
Michèle Rakotoson

IV. Littérature mauricienne

Colonisation française de Maurice (de 1715 à 1810 )

Colonisation britannique ( de 1810 a 1968)

C’est sous la colonisation britannique que la littérature de langue française s’est développée à
Maurice, surtout à la fin du XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. Les revues littéraires
ont contribué à maintenir une vie culturelle à un moment où la conception des maisons d’éditions
était inefficace. Elle reste cependant une littérature fermée sur elle-même, avec peu de possibilité
de sortir de son insularité.
Ce n’est qu’après l’indépendance de Maurice que des écrivains ont réussi a se faire connaitre
avec des maisons d’éditions nationales.

Dans le dernier quart du XXe et le début du XXIe siècles, certains écrivains mauriciens ont eu
l’occasion de se faire connaître en France grâce a des maisons d’édition spécialisées, créées pour
promouvoir la littérature francophone de différentes aires culturelles (Les Editions l’Harmattan,
les Editions de l’Olivier, les Editions Gallimard)
Les auteurs mauriciens contemporains ont également pu se faire connaitre à travers les
anthologies, les prix littéraires et l’enseignement.

Auteurs mauriciens :

Nathacha Appanah
Malcolm de Chazal
Ananda Devi
Marie-Thérèse Humbert
Jean-Marie Gustave Le Clézio
Shenaz Patel
Barlen Pyamootoo

V. Littérature réunionnaise

Colonisation française de la Réunion (anciennement Île Bourbon, possession française dès 1638
et devenue un DOM en 1946)

Colonisation française de la Réunion ( elle devient en 1710 une colonie appartenant à la


Compagnie française des Indes orientales. C'est en 1848, avec l'abolition de l'esclavage, quelle
devient île de la Réunion, avant d'accéder en 1946 au statut de Département d'Outre-mer)

Cette littérature s'est d'abord développée grâce aux contes et à la poésie réunionnaise, florissante
dès le milieu du XVIIIe siècle.
Les Marrons de Louis Timagène Houat publié en 1844 à Paris est le premier roman produit par
la littérature réunionnaise.
C’est a partir des années 70 que la littérature réunionnaise remet en question le point de vue
occidental, en redonnant sa valeur aux textes vernaculaires (chants, contes, devinettes,
proverbes).
La production romanesque réunionnaise devient importante avec Marius et Ary Leblond,
théoriciens et praticiens du « roman colonial ».

Auteurs réunionnais

Daniel Vaxelaire
Axel Gauvin
Jean-Francois Samlong
Anne Cheynet
Riel Debars
Jean Albany

VI. Littérature comorienne et Littérature seychelloise

(les plus jeunes littératures du monde francophone)


La domination française des Comores ( 1841-1974)
La colonisation française des Seychelles (1742- 1811)

Le premier roman écrit par un Comorien date de 1985. Il s’agit de “La république des
imberbes” par Mohamed Toihiri.
Il faut attendre les années 90 pour que la littérature comorienne devienne plus visible a travers
des romans qui évoquent les défis de la jeunesse comorienne, faisant face à la polygamie, à la
corruption, l’émancipation de la femme comorienne.
Mais, la production littéraire aux Comores est confrontée à plusieurs obstacles, notamment celle
de l’édition, ainsi que le coût élevé des livres.

Au début de la colonisation et de l’histoire des Seychelles, le français était la langue d’instruction


et par conséquent celle dans laquelle la majorité des seychellois lisaient. Mais au début du XXe
siècle la littérature anglaise devient la principale source de lecture aux Seychelles.
Le père de la littérature seychelloise reste Antoine Abel (1934-1999), l’homme qui a su exposer
d’une façon exceptionnelle la tradition de la société seychelloise dans des contes, légendes et
fictions littéraires. Il écrivait en créole seychellois, en anglais ainsi qu’en français.

Auteurs comoriens

Mohamed Toihiri
Salim Hatubou
Nassur Attoumani
Ali Zamir

Auteurs seychellois
Antoine Abel
Les thèmes prédominants :
- résistance à la colonisation
- rapport entre le colon et l’esclave
- nostalgie des origines
- images de l’ile qui s’opposent aux clichés exotiques
- le racisme social et ethnique
- les dérèglements de la société moderne
- la quête d’identité
- l’exil

- les dérèglements de la société contemporaine

Le choix de la langue française (Pourquoi écrire en français ?)

Le choix massif du français comme langue littéraire est, je l’ai déjà dit, bien évidemment
étroitement lié à des raisons historiques (la colonisation) et stratégiques (la garantie d’un lectorat
beaucoup plus large ou, comme à Madagascar aujourd’hui, la simple garantie d’une édition). Il
semble pourtant également correspondre à une nécessité poétique : celle de dire l’exil, bien
souvent intérieur, et, de manière plus paradoxale, de se réapproprier une origine, grâce à une
langue permettant de briser le communautarisme et une insularité étouffante.

Le choix du français comme langue littéraire est lié à plusieurs raisons:


- facteur historique (la colonisation)
- facteur stratégique (la garantie d’un lectorat beaucoup plus large)
- facteur politique (langue de résistance face aux colons, un privilège qui n’est plus leur
monopole)
- facteur culturel (conserver le patrimoine culturel de l’ile et maintenir la tradition, à travers la
récupération écrite d’une littérature traditionnelle ou vernaculaire orale)
- facteur idéologique ( se forger une nouvelle identité afin d’échapper au cloisonnement
insulaire)

La volonté d’être reconnu, lu, ou simplement publié explique bien évidemment en grande partie
le choix d’une expression littéraire francophone. Le Français émerge également comme une
langue de résistance face à la domination anglaise et face a la colonisation elle-même (en ce qui
concerne l’ile Maurice). Il s’agit aussi de se forger une nouvelle identité. La littérature dans ces
îles gravite essentiellement autour du problème de l’origine, origine qui passe par le choix d’une
langue pour l’exprimer. Il y a aussi un besoin impérieux de conserver le patrimoine culturel de
l’ile et de maintenir la tradition : retrouver la culture ancestrale a travers la récupération écrite du
patrimoine orale (conte populaire, légende, chanson) du pays. Dans l’Océan Indien, la littérature
écrite, qu’elle soit en français ou dans n’importe quelle autre langue, ne peut se comprendre
qu’en interrelation avec la littérature orale.

 Le français, comme langue littéraire et langue écrite, a ainsi permis de faire passer à l’écrit une
littérature traditionnelle ou vernaculaire orale.
Une jeune littéraire qui a évolué au fil des siècles:

-La littérature des voyageurs, avec des écrivains principalement européens, teintée d'exotisme,
d'images locales, exotiques, voire folklorique.
-La littérature des colons qui prolonge celle des voyageurs.
-La littérature des insulaires, focalisée sur l'imaginaire sociale, l'identité d'une île déterminée.
- La littérature des exilés qui est l'écriture de ceux qui entretiennent une distance avec leur terre
originelle.

Conclusion

Cette littérature insulaire, qui est née a travers des récits de voyage, et surtout des ouvrages écrits
par les colons, s’est progressivement transformée en une littérature autochtone, qui cherche à se
libérer de la norme littéraire de la métropole et à rompre avec le regard extérieur de l’ Européen,
afin de favoriser le point de vue du natif sur le monde insulaire.
Aujourd’hui, il s’agit surtout d’une littérature plurielle, multiculturelle où se mêlent diverses
cultures et langues (français, malgache, créole,…), qui contribuent à la richesse d’une des
facettes majeurs d’une littérature francophone décomplexée. Une littérature qui mérite de
recevoir une meilleure reconnaissance, car tandis que l’accent davantage est mis sur les Antilles,
les Caraïbes, l’Afrique noire et le Maghreb, la zone océan indien semble peu présente au sein de
la francophonie littéraire.

Quelques extraits d’ouvrages :

Là-bas disait-il les Indiens labouraient les champs et ils étaient beaucoup mieux payés qu’en
Inde. Ajodha disait aussi (…) que son cousin avait trouvé de l’or sous les rochers. Comme ça, il
avait soulevé un rocher pas très lourd et là, en dessous, des pièces d’or brillantes sommeillaient
(…) l’île Maurice connue aussi sous le nom de l’île de France, dans l’océan Indien (…) Dans
cette colonie de Sa Majesté (…) ces agriculteurs seront bien traités et seront protégés par les
services de Sa Majesté (…) Les émigrants auront un billet gratuit de Calcutta à Maurice pour eux
et pour leur famille, avec nourriture, vêtements et assistance médicale durant le voyage. À leur
arrivée à Maurice, ils seront placés dans des établissements propres, où l’espace pour loger les
émigrants est satisfaisant. L’île est très fertile et pour une journée de travail, un agriculteur peut
gagner de dix annas à une roupie. Bien sûr un agriculteur qui travaille dur peut espérer gagner le
double (…) Certains la voyaient de loin cette terre promise. Dans leur pensées, les oiseaux
auraient guidé le bateau (…) Certains disaient que le soleil serait doux ce matin-là (…) Ils
voulaient tout voir de ce port tant attendu. Les femmes rêvaient d’arbres verts et de fleurs (…)
De couleurs en tout cas, qui borderaient l’eau. On verrait les montagnes repues et fertiles au loin
(…) Et les cannes en fleur bougeraient dans le vent pour les saluer. Ainsi les Indiens rêvaient-ils
du port de Maurice (…) qui leur ferait oublier l’air vicié de la cale, les morts, les grondements du
ventre de la mer, l’eau pourrie, les biscuits de chien et les coups de bâton.
Nathacha Appanah, Les rochers de Poudre d’or, 2002.

la monstruosité dépassait l’imagination : des hommes menaient d’autres hommes sous le fouet,
comme on conduit un troupeau de bœufs (…) On allait jusqu’à goûter la sueur du sujet…
Marcel Cabon, Brasse-au-vent, 1968
C’est cette mer-là que mon grand-père a dû rêver, une mer qui est elle-même la substance du
rêve : infinie, inconnaissable, monde où l’on se perd soi-même, ou l’on devient autre.
Jean-Marie G. Le Clézio, Voyage à Rodrigues, 1986.

(…) moi, je suis fille de l’eau. Quand je ne vais pas très bien (…) je vais nager. Je ne rentre pas
en marchant dans l’océan, j’y vais en courant (…) J’ai espéré (…) qu’une toute dernière fois, je
ne ferai qu’une avec la mer.
Ananda Devi, La vie de Joséphin le fou,

Peut-être nos étoiles ne sont-elles pas si lointaines, en fin de compte, pas plus loin, en tout cas,
que la barrière de nos propres limites, que les frontières de nos propres peurs.
Ananda Devi, Indian Tango, 2007

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