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C’est une histoire qui se déroule en trois parties: «Saint-Antoine» (p.9), «Dominique» (p.

53),
«L’envol» (p.79) faisant chacune appel à la caution d’un poète en guise d’épigraphe, se
succèdent ainsi Éluard, Baudelaire et Mallarmé. Le «héros» de ce que l’auteur appelle lui-même
une «traversée rythmique» se nomme Antoine (Chrisostome Ephémère) Brézeau, et son aventure
sans histoire se trouve résumée dans la courbe du vol d’un étrange pigeon blanc qui apparaît à la
première ligne du récit pour revenir boucler le conte, à la dernière ligne. Antoine, qui porte le
même nom que celui du saint-patron de son quartier («Enfant, Antoine était fasciné par le saint.»
p.21) est une sorte de monstre abandonné par sa famille évadée aux États-Unis et confié à une
tante Angela, femme forte du quartier Saint-Antoine. Mais le véritable personnage de cette
chronique, c’est la petite foule de cet îlot de Port-au-Prince, en pleine période Duvalier : Gédéon
le vantard, Marie-Rose la bonne, Caca Clairin le clochard ivrogne détenteur de toutes sagesses,
Ti Cadet le mort-trop-tôt, l’épicier et sa femme-matrone, la vieille Hermann cannibale, la tante
Angela au caractère de chien, vieille fille sacrifiée, Hermance la langue de vipère, Lumière
Rouge, la prostituée forcément au grand cœur, Marco le prêteur sur gages, Carmencita la putain
rêvée par Caca Clairin, Timoléon au ventre infernal, Mario l’enquiquineur et Willy l’usurier, les
voyous associés, une volée d’enfants rieurs, une vague de vieillards à la dérive, un petit peuple
de petit quartier... un grouillement de personnages.

                        Calmement, Antoine enseigne ce qu’il sait dans son atelier d’alphabétisation où
l’a rejoint Dominique, celle qui, enfant, avait don de voyance mais que sa mère avait fait
«éteindre» par un breuvage magique, enfant aux pouvoirs châtrés, la fille des beaux quartiers
échouée à Saint-Antoine par amour des autres, et par amour, tout simplement pour cet étrange
garçon, ce saint qui s’ignore dans son apostolat. Antoine accumule presque tous les défauts
physiques mais c’est un être généreux et doux. Dominique se donne à lui malgré les rires des
autres. Mais Dominique sera rattrapée par sa famille, en partculier par sa mère, Madame Rivière,
habitante de Babiole «orchidées et fougères, flamboyants et roses rouges, leçons de piano et
pâtisserie française...» (p.57) et, sans doute, par son éducation: «elle avait grandi à Babiole, dans
une maison plus que cinquantenaire, une maison haute entourée d’arbres, vieille demeure
majestueuse héritée par son père d’une tante sans progéniture...» (p.57). Dominique «des beaux
quartiers», «des fleurs blanches», «des matins frais de la vieille ville», «des fleurs aux branches»,
Dominique aime Antoine mais ne pourra résister à la terrible pression de ce quartier de fous. Elle
ne revient plus, retenue prisonnière : «Dans sa chambre à Babiole, elle regarde voler les pigeons
romains que sa mère a payés très cher. Fenêtre ouverte sur ailleurs.» Dominique s’est évaporée.
Antoine reste seul dans son quartier, («Déjà, dans sa conscience ailleurs était nulle part. Il se
sentait cloué au quartier dont il portait le nom. Pareil au saint. Immobile.»p.22) ce sera sa façon,
à lui, de s’envoler, il  sait depuis le début de cette histoire qu’il n’est taillé ni pour la liberté, ni
pour le bonheur : «l’indépendance est éphémère...» (pp.79, 84) Sous l’œil d’un simple pigeon
blanc, auquel un pacte ancien le lie :
«Cette nuit-là, c’est-à-dire une nuit comme les autres, Antoine rêva d’un pigeon blanc avec
lequel il fit alliance contre la solitude.» (p.51)
Oiseau neigeux, totem, témoin involontaire, tchulel, psychopompe, envoyé d’un autre monde, de
l’autre monde, le seul, en définitive qui soit éternel.

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