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Bernard Mouralis
-Un corpus qui correspond à la période 1880-1960 et qui, par là, montre que ce
grand ensemble est lié à la mise en place de la colonisation territoriale. Ce
corpus succède ainsi à celui de la littérature négrophile (fin du XVIIe-1848), liée
à la colonisation fondée sur l’esclavage.
-Une finalité : montrer le bien-fondé de l’entreprise coloniale.
-Une vision réductrice des hommes et des paysages.
-Des thèmes fantasmatiques : le blanc “décivilisé”, les amours entre
Européen(ne)s et Africain(e)s.
-Une doctrine littéraire : la littérature coloniale entend s’opposer à la littérature
exotique, représentée notamment par le cas de Loti, et tient à affirmer que seul
l’auteur qui participe au groupe social des colonisateurs peut produire un
discours “vrai” sur les “réalités” de l’Afrique, à la différence des simples
“voyageurs”, d’où la disqualification de Gide (Voyage au Congo et Retour du
Tchad). On notera à cet égard le rôle joué par les travaux de Roland Lebel, dès
1930, dans la définition de la littérature coloniale comme genre spécifique.
-Un statut minoritaire dans le champ littéraire français.
-Une contradiction théorique : les auteurs coloniaux entendent exposer les
réalités de l’Afrique, mais leurs textes dans leur grande majorité sont des
fictions.
Ces travaux ont conduit à formuler le principe selon lequel il y avait par
définition une différence essentielle entre littérature coloniale et littérature
africaine. Celle-ci ne pouvant que s’opposer, sur tous les points évoqués
précédemment, à la littérature coloniale. On a eu ainsi tendance à affirmer la
spécificité de l’une et de l’autre et à concevoir la littérature africaine comme
reposant sur un rejet de la littérature coloniale. Et cela, sur deux aspects :
-Le lexique, la représentation du monde social, l’idéologie.
-La situation de discours : la parole africaine se substitue à la parole du
colonisateur, dont on pense, non sans raison, qu’il ne pouvait écrire une phrase
comme celle qui constitue l’incipit de L’enfant noir de Camara Laye (1953) :
“J’étais enfant et je jouais près de la case de mon père”. Dans cette perspective,
la littérature africaine est perçue à juste titre comme se développant dans un
contexte de concurrence des discours, ce qui conduit à porter une attention
particulière à la question de l’intertextualité.
Mais cette opposition nettement tranchée entre littérature africaine et
littérature coloniale se modifie au tournant des années 1980.
Ce retour sur la période coloniale, opéré bien des années après l’indépendance,
ouvre la réflexion sur deux problèmes. D’un côté, il invite à se demander si cette
époque doit être considérée comme un moment révolu de l’histoire de
l’Afrique. De l’autre, notamment parce qu’elle met en scène des Africains qui
ont été, au rang qui leur était assigné, des acteurs du système colonial, cette
plongée dans l’histoire coloniale invite à se demander si l’ on a affaire dans ce
cas à un passé honteux, un “ passé qui ne passe pas ” pour reprendre
l’expression d’Eric Conan et Henri Rousso à propos de la mémoire de Vichy.
Notes
1 A titre indicatif : Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial (1863-
1914). L’Afrique à la fin du XIXème siècle, Paris, Karthala, 2006. Jacques Weber
(dir.), Littérature et Histoire coloniale, Paris, Les Indes savantes, 2005, Jean-
François Durand et Jean Sévry (dir.), Regards sur les littératures coloniales, trois
volumes, Paris, l’Harmattan, 1999. Roger Little dirige depuis 2002 une collection
de réédition de textes de l’ère coloniale (Paris, « Autrement Mêmes », éd.
L’Harmattan) qui en est, à ce jour à son quarantième volume (entre autres Lucie
Cousturier, Pierre Mille, Lafcadio Hearn, Roland Lebel, Jean d’Esme, Robert
Randau, Georges Hardy, Maurice Delafosse…) Une société savante, fondée à
Montpellier en 2002, la Société internationale d’étude des littératures de l’ère
coloniale (SIELEC ) publie ses travaux annuels aux éditions Kailash, Paris-
Pondichéry : Littérature et colonies (2003), Nudité et sauvagerie, fantasmes
coloniaux (2004), Fait religieux et resistance culturelle dans les littératures de
l’ère coloniale (2005), L’usage de l’Inde (2006).
3 On retiendra parmi les œuvres classiques qui reprennent (non sans nuances
parfois), le thème de la modernisation coloniale, Robert Delavignette, Les
paysans noirs, Paris, Stock, 1931 et Oswald Durand (Préface d’André
Demaison) Terre noire, éditions L. Fournier, 1935. Dans sa Préface, Demaison
oppose un « vrai » exotisme, qui correspond en fait à la visée réaliste des
littératures coloniales, à l’ « exotisme de convention » qu’il pense trouver chez
Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre et Pierre Loti.
5 Ibid., p.17.
11 Paris, Fayard, 1989, p.109-110 (1ère édition Londres, 1987). Le chapitre 9 est
consacré au thème des « arts renouvelés » à l’ère des Empires.
13 P. 4 et 5.
17 p. 242.
18 Robert Randau, Les colons, Paris, Sansot, 1907 (réédité par Raïd Zaraket,
L’Harmattan, 2007, collection « Autrement mêmes ») et Les Algérianistes, Paris,
Sansot, 1911. Jean d’Esme, Les Défricheurs d’Empires, Paris, Les éditions de
France, 1937. Louis Bertrand avait, dès 1899 avec Le sang des races (Paris,
Ollendorff)
19 Il visita l’Inde une première fois en 1888, puis en 1902 avec un détour par
Ceylan et la Birmanie. En 1892, il découvrit l’Egypte et la Judée. Il parcourut
plusieurs fois le Maroc, entre autres en 1905, 1913 et 1917, puis l’Algérie en 1923
et 1925. Il fut aussi un analyste attentif de l’évolution de la société américaine.
Terres mortes, Thébaïde Judée, Hachette, 1897. Réédition Paris, Phébus, 2002.
21 Sur tous ces points, voir Raymond Schwab, La Renaissance orientale, Paris,
Payot, 1950.
22 Dans l’Inde, p. 7.
23 p.16.
28 p. 21.
33 Vision certes réductrice qui ne tient pas compte dune histoire complexe au
cours de laquelle les routes et les voies d’échange existaient bien sûr, mais
souvent vers d’autres géographies que celle de l’Europe.
35 Ibid., p. 27.