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Résumé
Regards sur la littérature postcoloniale nous révèlent une
manifestation de ses nouvelles tendances dans la littérature africaine qui
tente de répondre au Centre impérial et de bouleverser l‟hégémonie
littéraire eurocentrique. Notre étude nous conduit à percevoir les écrivains
postcoloniaux de l‟Afrique francophone comme transgresseurs qui
s‟approprient et transgressent les canons eurocentriques littéraires,
évoquant la mode du réalisme magique et linguistique pour cerner toutes
les réalités périphériques. De Bildungsroman postcolonial et du texte
autoethnographique, ces écrivains déconstruisent le paradigme européen
pour s‟ouvrir une nouvelle perspective identitaire qui rejette l‟exotisme et
l‟indigénisme, tout en appropriant l‟idiome européen pour mettre au défi
les grands récits de la représentation eurocentrique à l‟égard de l‟Afrique.
Mots-clés : Transgression, postcolonial, autoethnographie,
Bildungsroman, réalisme magique, littérature africaine
Introduction
Dans leur ouvrage programmatique, The Empire Writes Back, Bill
Ashcroft, G. Griffiths et H. Tiffin avouent que la littérature africaine fait
partie de la littérature postcoloniale qui comporte de l‟Afrique
francophone (Mourra 9). Bien que les critiques comme E. San Juan,
Feroza Jussawalla parmi autres soulignent la problématique de cette
catégorisation générique, la géographie postcoloniale qui inclut l‟Afrique
et l‟Asie s‟élargit aujourd‟hui pour approprier quelques pays occidentaux
d‟où vient l‟une des problématiques de la théorie, d‟après Jean-François
Bayart et Liam Connell. En dépit de multiples accusations et défenses
surtout autour des sens différents du préfixe « post », la littérature
postcoloniale se fortifie du jour au jour, en s‟appuyant sur sa polarité
spatiale binaire d‟« ici/là » ou du « Centre/Périphérie »et sa polarité
pronominale binaire de « nous/eux/autre ». En guise de politiser la
représentation culturelle, elle inclut l‟écriture du colonisé et exclut celle
du colonisateur, supprimant la voix eurocentrique au profit de la voix
périphérique qui devient plurivoque ; elle s‟engage dans la politique
d‟exclusion et de sélection qui aboutit à la création du canon postcolonial
ou à la canonisation postcoloniale de la création littéraire périphérique.
Comme dit San Juan (7), la critique postcoloniale tente de restituer la
subalternité des gens de couleur en faisant l‟éloge de leur positionnalité
hybride, leur situation décentrée et leur altérité catégorique. Relégué au
background, l‟empire se met à réécrire, donnant la voix aux subalternes
sans voix. Ashcroft, Griffiths et Tiffin servent d‟espace pour définir la
postcolonialité, et s‟en vont pour souligner que l‟émergence de la théorie
postcoloniale résulte de l‟incapacité de la théorie européenne de cerner
toutes les réalités culturellement complexes de l‟écriture postcoloniale
(11). Les études postcoloniales « vont donc s‟efforcer de rendre justice
aux conditions de production et aux contextes socioculturels dans lesquels
s‟ancrent ces littératures » (Mourra 7).Dans Can the Subaltern
Speak ?,Gayatri Chakravorty Spivak déconstruit la positionnalité
hégémonique de l‟Occident comme sujet, en rendant l‟Autre comme sujet
3 Modes de transgression : l‟écriture francophone africaine …
masculine pour assister au cours dans une école coranique, comme Zahra
qui préside les funérailles de son père à la mosquée dans la Nuit Sacrée.
Se faire passer pour Driss, Fathma pénètre l‟espace scolaire coranique
réservé au masculin, autour d‟où elle avait l‟habitude de rôder « comme
folle recevant l‟écho des versets récités par l‟ensemble de
classe…maladroitement, sans rien comprendre…en maudissant l‟école et
le vieux fqih aveugle » (27). Quoiqu‟elle reçoive un châtiment approprié
après la découverte de son usurpation d‟identité, ce plaisir éphémère lui
apporte une influence catégorique et une obsession pour la France.
Fathma confesse qu‟à partir de ce jour : « l‟école devient mon rêve
unique. Par celle-là qui n‟aimait pas les filles, mais l‟autre qui forme des
ingénieurs, des professeurs, des pilotes… » (27).
Paradigmatique du Bildungsroman, Les Yeux baissés chronique le
voyage de Fathma en France qui inaugure son interaction avec la culture
exotique et dominante, incitant une prise de conscience de son
appartenance au lieu de postcolonialité et son identité subjective. A l‟aide
de Mme Simone, son processus d‟éducation occidentale et son immersion
linguistique sont en vigueur, malgré la nostalgie épisodique qui
caractérise la première phrase de son rite de passage. Fathma peint son
école française comme lieu où « les garçons et filles étaient ensemble et
l‟instituteur n‟avait pas de bâton » (77), une comparaison référentielle à
l‟école coranique marocaine qui est sexuellement politisée et
culturellement patriarcale. Caractéristique du rite de passage, sa scolarité
occidentale entre en conflit avec ses valeurs indigènes ; Fathma se met à
supplanter sa langue berbère, parlant le français à son parent monolingual.
Elle favorise l‟individualisme européen et défavorise le communalisme
africain (120) ; cette fille berbère approuve son présent et désapprouve
son passé (96) ; et rejette l‟islamisme pour le sécularisme religieux. Agée
de 15 ans, Fathma fait l‟un de ses retours intermittents au bled qui
confirme son indifférence qu‟elle perçoit comme une nouvelle forme
d‟intelligence (131). Contrairement au paradigme du
héro/héroïne/protagoniste postcolonial (Jussawalla) qui n‟habite pas
l‟espace liminal hybride, le passé de Fathma apparaît comme une brebis
17 Modes de transgression : l‟écriture francophone africaine …
Conclusion
La théorie postcoloniale émerge comme une mode de transgression
qui permet aux écrivains périphériques de déconstruire les métarécits et
les grands récits eurocentriques. Réécrire au Centre exige cette mode
transgressive de ces écrivains postcoloniaux de l‟Afrique francophone qui
s‟appuyant sur les genres conventionnels européens, les transgressent
pour s‟affronter au siècle du mensonge. Par exemple, Partir de Ben
Jelloun, un texte autoethnographique maghrébin, admet que le Maghreb
se plonge dans la migration postmoderne, mais l‟Europe débute ce
phénomène migratoire de patera vers le Maroc avant l‟indépendance. Le
Bildungsroman perpétue le discours nationaliste alors que le
Bildungsroman postcolonial comme les Yeux baissés de Ben Jelloun
déconstruit le nationalisme pour créer une identité fragmentée,
postmoderne et autonome qui n‟a allégeance ni au pays d‟origine ni au
pays adopté. Bien que Scholastique Mukasonga adopte le français comme
langue de communication littéraire dans Inyenzi ou les Cafards, son
français est domestiqué et désigné, soumis aux caprices de l‟auteure qui
marie les formes de Kinyarwanda avec le français. Cette langue étrangère
est incapable de représenter toutes les réalités périphériques ; néanmoins
elle permet au romancier postcolonial de projeter le point de vue
périphérique, autrefois obscurci par le réalisme et le scientisme
occidental. Mythes, fables et tous les éléments de la tradition indigène
sont évoquées pour transgresser et créer un réalisme qui devient magique.
La Vie et demie de Labou Tansi sert de son discours du revenant pour
19 Modes de transgression : l‟écriture francophone africaine …
illustrer une société africaine hybride où les frontières entre les vivants et
les morts sont détruites. Pour l‟écrivain postcolonial africain, la
transgression apparaît comme une orientation attitudinale littéraire qui
distingue la littérature africaine.
Notes
1. Ouvrage rédigé par Homi Bhabha et ses contributeurs, publié à l‟Edition
Routledge en 1990. Il présente un collectif des articles sur le discours national
qui montre la représentation de la nation comme une forme de récit.
2. « Autoethnographie évocatrice » (evocative autoethnography) fait une partie
intégrale d‟ethnographie qui, opposée à l‟autoethnographie analytique, est
décrit comme une méthodologie qui, comme roman ou autobiographie, adopte
une mode narrative, et cela déconstruit les frontières qui séparent normalement
les sciences sociales et la littérature (Voir Leon Anderson. Journal of
Contemporary Ethnography 4.5 (2006) : 373-395)
3. Un mélange de français et d‟anglais, chiac est la langue vernaculaire parlée par
plusieurs acadiens de la région sud-est du Nouveau-Brunswick,
particulièrement autour de Moncton. (Voir Catherine Leclerc dans TTR :
Traduction, Terminologie, Rédaction 18.2 (2005) :161-192). Cette
comparaison est nécessaire pour souligner l‟état dialogique de l‟écriture de Ben
Jelloun qui oscille entre deux idiomes : indigène et exotique.
Recherches en Langue et Littérature Françaises, Année 8, N0 13 20
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21 Modes de transgression : l‟écriture francophone africaine …