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Olivera MIOK
D'un univers « multiculturel » à une écriture de
« l'identité composée » : l'exemple d'Amin
Maalouf
Mémoire de Master en
Juin 2010
2
Mon utopie, pour résumer : que chacun au monde soit minoritaire,
ou que personne ne le soit ; que chacun au monde soit étranger,
ou que personne ne le soit.
Amin Maalouf
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Plan du mémoire
D'un univers « multiculturel » à une écriture de
« l'identité composée » : l'exemple d'Amin Maalouf
Introduction
I. L'univers « multiculturel »
1. 1. La société multiculturelle : la théorie et l'introduction à cette
problématique chez Maalouf
1. 2. La nostalgie pour les empires multiculturels
1. 3. Les conflits interculturels au niveau de la macrostructure des
récits
II. Le passage de la cohabitation indifférente vers l'interaction
2. 1. Le plurilinguisme
2. 2. Les voyages et l'expérience de l'exil : les rencontres avec l'Autre
2. 3. La résistance à la haine raciale et à la discrimination
III. ..............................................................................................
L'identité composée : l'idylle interculturelle
3. 1. Les appartenances multiples
3. 2. L'interprète interculturel
3. 3. Un exemple de la compréhension de l'Autre : le mariage entre
Ossyane et Clara
Conclusion provisoire
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Introduction
Dans ces définitions on voit que la distinction entre ces concepts n'est
pas forcement claire, et qu'il existe plusieurs éléments qui se répètent
presque toujours : par exemple, la dimension (auto)biographique et
l'élément du voyage, d'un déplacement en général. Il semble qu'un
métissage qui caractérise les écritures migrantes (le métissage des styles,
des langues, des genres) affecte aussi leur théorie.
« Les écritures migrantes forment un micro-corpus d'œuvres littéraires
produites par des sujets migrants : ces écritures sont celles du corps et de la
mémoire ; elles sont, pour l'essentiel, travaillées par un référent massif, le
pays laissé ou perdu »4.
Bien qu’Amin Maalouf soit un sujet migrant du Liban, qui habite en
France depuis 1976, certains théoriciens, parmi eux, Pascal Solon,
définissent son style d'écriture différemment des Berrouët et Fournier, dont
la définition est citée ci-dessus.
L'histoire, pour moi, n'est pas que pour l'histoire, le passé que pour le passé.
Il s'agit toujours de préoccupations liées à aujourd'hui, aux questions de
coexistence, aux affirmations exacerbées d'appartenance, aux conflits
proches, qu'il s'agisse du Liban, de la Palestine et d'Israël, du Proche-Orient
en général. L'histoire est un réservoir immense d'événements, de
personnages, dont on peut tirer toutes sortes d'enseignements. On la
reconstruit, à chaque époque, selon ses propres besoins d'explication du
monde14.
l'exil qui, bien souvent, ne se reconnaissent de véritable territoire que dans l'écriture. »,
Evelyne Argaud, « Les Appartenances multiples chez Amin Maalouf », Français dans
le monde, janvier-février 2006, p. 35.
12 L'année de la première parution de son premier roman Léon l'Africain. À propos de
l'écriture de ce livre, Maalouf explique : « Arrivé à la centième page de Léon
l'Africain, j'ai démissionné de mon journal pour me consacrer jour et nuit à ce livre,
rageusement ». Ibid.
13 Amin Maalouf, Léon l'Africain, Livre du Poche (première publication : Édition Jean-
Claude Lattès, 1986.), Paris, 2009
14 Maurice Tournier, « Identité et appartenances. Entretien » (entretien avec Amin
Maalouf), Mots, Les langages du politique, mars 1997, p. 121.
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pratiques, des positions différentes ou même antagonistes15.
[…] lorsque j'ai essayé d'écrire des textes de fiction en arabe, j'ai été gêné par
la différence qui existe entre la langue parlée et la langue écrite. […] Quand il
s'agit d'un […] texte de fiction et surtout dans un dialogue, je n'ai jamais pu
dépasser la barrière psychologique qui consiste à faire parler un personnage
dans une langue que personne ne parle actuellement20.
15 Stuart Hall, « Qui a besoin de l' "identité"? », in: Stuart Hall, Identités et Cultures,
Politique des cultural studies, Éditions Amsterdam, Paris, 2008, p. 270.
16 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Le Livre du Poche 2009 (première
publication: Éditions Grasset & Fasquelle, 1998), p. 8.
17 « Le mot ethnicité reconnaît la place de l'histoire, de la langue, et de la culture dans la
construction de la subjectivité et de l'identité, ainsi que le fait que tout discours est
placé, positionné, situé et que tout savoir est contextuel. », Stuart Hall, « Nouvelles
ethnicités », in Stuart Hall, Identités et Cultures, Politique des cultural studies,
Éditions Amsterdam, Paris, 2008, p. 270.
18 Maurice Tournier, « Identité et appartenances. Entretien » (avec Amin Maalouf), Mots,
Les langages du politique, mars 1997, p. 123.
19 Pascale Solon, « Ecrire l'interculturalité : l'exemple de l'écrivain francophone Amin
Maalouf », p. 163-177, in Hans-Jürgen Lüsebrink (éd. et introd.) ; Katharina Städtler
(éd.), Les Littératures africaines de langue française à l'époque de la postmodernité :
État des lieux et perspectives de la recherche, Oberhausen, Allemagne, Athena, 2004,
p. 167.
20 Cité selon : Pascale Solon, « Ecrire l'interculturalité : l'exemple de l'écrivain
francophone Amin Maalouf », p. 163-177, in Hans-Jürgen Lüsebrink (éd. et introd.) ;
Katharina Städtler (éd.), Les Littératures africaines de langue française à l'époque de
la postmodernité : État des lieux et perspectives de la recherche, Oberhausen,
Allemagne, Athena, 2004, p. 173.
9
Les théoriciens de la littérature migrante posent la question des
modalités d'inscription de ces textes (des écrivains émigrés) dans les
littératures nationales : « ces textes font-ils partie du champ littéraire dans
lequel ils sont publiés ou bien le concept de littérature nationale n'est-il pas
remis en question dans ses fondements? »21. Par rapport à ces questions, et
à la distinction entre la littérature française et la littérature francophone,
Maalouf explique:
identité et altérité, pluralisme et exclusion, présent dans tous les romans, se trouve
condensée et approfondie. », Pascale Solon, « Ecrire l'interculturalité : l'exemple de
l'écrivain francophone Amin Maalouf », p. 163-177, in Hans-Jürgen Lüsebrink (éd. et
introd.) ; Katharina Städtler (éd.), Les Littératures africaines de langue française à
l'époque de la postmodernité : État des lieux et perspectives de la recherche,
Oberhausen, Allemagne, Athena, 2004, p. 163.
35 Egi Volterrani, « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec Amin Maalouf),
[en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org (pages consultées
29 mai 2010)
36 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1998), Paris, 2008, p. 28.
37 Par contre, le terme « multiculturalisme » « […] indique les stratégies et les lignes
politiques adoptées pour ordonner ou régir la diversité et la multiplicité qu'engendrent
les sociétés multiculturelles. », Stuart Hall, « La Question multiculturelle », in : Stuart
Hall, Identités et Cultures, Politique des cultural studies, Éditions Amsterdam, Paris,
2008, p. 373.
13
qui forment la macrostructure du récit ; autrement dit, ils sont les cadres
des vies et des destins des personnages principaux (Ossyane, Clara,
Tanios). Ces personnages prennent une certaine distance par rapport à ces
événements et leurs identités se définissent au travers de valeurs opposées :
l'ouverture à l'Autre, le plurilinguisme (parce que la langue commune est la
première condition pour le dialogue), le respect des us et coutumes
différents.
Dans la deuxième partie, on se concentrera sur la question des langues
et des voyages, qui offrent l'opportunité de la rencontre directe avec
l'Autre. On a déjà constaté que les personnages d'Amin Maalouf sont
plurilingues, et vu que la langue est importante dans la construction de
l'identité (au niveau personnel, même comme au niveau d'un peuple ; à
propos de ce dernier Maalouf affirme : « La langue est souvent l'élément
essentiel de l'identité d'un peuple »38), l'analyse de cette question semble
particulièrement parlante dans l'explication de l’évolution du concept de
« multiculturel » vers celui du « interculturel », c'est-à-dire, dans
l'explication du passage entre une cohabitation et une interaction.
38 Egi Volterrani, « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec Amin Maalouf),
[en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org (pages consultées
29 mai 2010)
39 « L'interculturel dans un sens large désigne tout ce qui concerne le contact, les
relations, l'entrecroisement, les conflits et interactions entre des cultures.
L'interculturel, plus spécifiquement, traite des possibilités pour comprendre l'Autre'
inconnu, aux termes que la compréhension ne signifie pas d'asservir, d'incorporer, ou
de dissoudre cet altérité. La compréhension est un processus d'une connaissance
partielle et graduelle d'autre en préservant la distance et la différence. En plus, le
préfixe inter- est destiné à designer l'échange, la réciprocité et l'état d'être entre »,
explique Zipfel dans l'article « Migrant concepts : multi-, inter-, transkulturalität,
métissage/creólisation and hibridity as new paradigms for literary criticism », in
Danielle Dumontet/Frank Zipfel (eds.), Écriture migrante/ Migrant Writing, Georg
Olms Verlag AG, Hildesheim, 2008, p. 7.
14
Dans la troisième partie, les appartenances multiples et la notion de
l'identité composée seront l'objet de notre étude. On essayera d'expliquer le
rôle de la figure du médiateur interculturel de nos personnages.
Je suis un peu nostalgique des vieux empires, non pas pour leur côté impérial,
forcément hégémonique et dominateur […] - mais par le fait que ces empires
rassemblaient justement des gens qui venaient des cultures différentes, qui
avaient des religions différentes, des langues différentes49.
Il a fait autour de lui un cercle des étrangers qui ont les mêmes idéaux.
Il l’a établi au niveau de la microstructure du récit, mais aussi par rapport à
sa propre vie une interaction « interculturelle » qui serait la phase suivante
du multiculturalisme - tout comme Ossyane et Clara par la suite.
Chez Maalouf, les récits des empires multiculturels ne sont pas un
simple cadre historique pour les actions de ses romans. L’histoire a, dans
son écriture, la fonction de l'exemple « didactique ». Le choix des sociétés
multiculturelles est lié à sa vision de la situation actuelle.
50 Amin Maalouf, Les Échelles du Levant, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1996), Paris, 2009, p. 59.
51 Amin Maalouf affirme : « La langue est souvent l'élément essentiel de l'identité d'un
peuple. », dans l'entretien : « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec
Amin Maalouf), [en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org
(pages consultées 29 mai 2010)
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1. 3. Les conflits interculturels au niveau de la macrostructure des
récits
On a déjà souligné que les empires que Maalouf évoque n'étaient pas
« idéaux ». Dans la vie quotidienne, il existait une proximité, des échanges
plutôt commerciaux entre les différents peuples, mais en même temps, ces
communautés restaient fermées. « Les identités deviennent "meurtrières"
lorsqu'on se enferme dans une conception tribale de l'identité »52, explique
Maalouf dans son essaie Les Identités meurtrières. Autrement dit, des
personnes qui étaient voisines pendant des décennies peuvent devenir des
ennemis les plus fanatiques. Dans ses romans, Maalouf utilise ces conflits
interculturels pour encadrer des idylles interpersonnelles. Comment
fonctionne cet encadrement?
Dans Les Échelles du Levant, Maalouf commence son roman par un
cadre plus vaste : la situation politique. Il décrit les événements
historiques : « les gens de Beyrouth préféraient parler le français [à
l'époque Liban s'est libéré du gouvernement turc après la Première guerre
mondiale et la France a été alors, suite au démantèlement de l'empire
ottoman, mandatée par la Société des Nations pour développer et
moderniser certains territoires ex-ottomans] et oublier le turc »53. Dans
cette situation où la famille d'Ossyane, famille turque, était tout à fait
indésirable, Maalouf introduit l'amitié du père d'Ossyane (qui est turc) et
de son grand-père (arménien, encore plus indésirable) pour faire contraste :
« Des relations d’affaires, des échanges mondains courtois, de l’estime
réciproque, oui, dans certains milieux, cela se voyait encore, semble-t-il ;
une véritable amitié, une complicité profonde, non. Les rapports entre les
deux communautés se détérioraient à vue d’œil »54.
Ensuite, Maalouf dépeint un certain type d'ignorance par le fait que
différentes appartenances existaient au même moment. Dans le mariage
entre Ossyane et Clara, déjà à l'aube de la guerre israélo-arabe en 1948, le
père d'Ossyane force la communication entre l'oncle de Clara, qui est juif,
et le beau-frère d'Ossyane. Il ne faut pas oublier que ce deuxième
personnage étant musulman, il a du quitter Haïfa, où il avait habité, parce
que la ville est devenue une partie d’Israël, après l'indépendance d'Israël
en 1948.
Il y avait chez lui [son père] un profond mépris pour cette attitude, très
répandue au Levant, qui prétend « ménager » les susceptibilités et les
52 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1998), Paris, 2008, p. 46.
53 Amin Maalouf, Les Échelles du Levant, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1996), Paris, 2009, p. 57.
54 Ibid, p. 34.
20
appartenances ; cette attitude qui consiste par exemple à chuchoter à ses
invités : « Attention, Untel est juif! », « Untel est chrétien! », « Untel est
musulman! » Alors les uns et les autres s'efforcent de censurer leurs propos
habituels, ceux que l'on prononce lorsqu'on est « entre nous », pour débiter
les banalités mielleuses qui sont censées reflètent le respect qu'on a pour
l'autre, et qui ne reflètent en réalité que le mépris et l'éloignement. Comme si
l'on appartenait à des espèces différentes55.
Cette scène est contrastée par celle du mariage entre la mère d'Ossyane
et son père, qui s'est passé en 1914 (un an avant le génocide arménien
commis par les turcs et quatre ans avant la chute définitive de l'Empire
ottoman).
55 Ibid, p. 153.
56 Ibid, p. 43.
57 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1998), Paris, 2008, p. 90.
21
nouvelle en prenant justement la France pour modèle58.
[…] les mots d'occupation et d'occupant ne produisaient pas chez moi l'effet
de révolte immédiat qu'ils pouvaient produire sur un Français. Je viens d’une
région du monde où il n'y a eu, tout au long de l'histoire, que des occupations
successives, et mes propres ancêtres ont occupé pendant des siècles une
bonne moitié du bassin méditerranéen. Ce que j'exècre, en revanche, c'est la
haine raciale et la discrimination. Mon père est turc, ma mère était
arménienne, et s'ils ont pu se tenir la main au milieu des massacres, c'est
parce qu'ils étaient unis par leur refus de la haine80.
80 Amin Maalouf, Les Échelles du Levant, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1996), Paris, 2009, p. 79.
81 Ibid., p. 134.
82 Ibid., p. 166.
27
Non seulement les personnages Ossyane et Clara sont contre cette
« fermeture d'esprit », autrement dit, contre le repli de chaque communauté
sur elle-même : mais de plus, ils sont prêts à se mettre à la place d’autrui
pour mieux comprendre les problèmes de cet autre et ceux de sa
communauté – car on peut être plus objectif si on garde une certaine
distance. Ossyane se souvient que « Lorsque Clara me contredisait, c'était
pour aller plus loin dans le sens des Arabes, pour me dire que je devrais
mieux les comprendre ; et moi, quand je la reprenais, c'était pour lui dire
qu'elle se montrait trop sévère avec ses coreligionnaires »83.
Cette inversion de perspectives (dans un sens absolument positif) est
possible à cause de la libération d'une identité fixe et invariable, qui est
remplacée par une identité composée.
83 Ibid., p. 169.
84 Egi Volterrani, « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec Amin Maalouf),
[en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org (pages consultées
29 mai 2010)
85 Stuart Hall, « Qui a besoin de l' "identité"? », in: Stuart Hall, Identités et Cultures,
Politique des cultural studies, Éditions Amsterdam, Paris, 2008, p. 267.
86 Ibid., p. 269.
87 Ibid., p. 269.
28
D'où vient ce besoin d’une nouvelle conception de l’identité? Qui a
besoin de l'"identité"? Et pourquoi maintenant? Cette nouvelle conception
pourrait-elle influence la création d'un nouveau genre littéraire?
Premièrement, la nouvelle notion d'identité est nécessaire pour
empêcher l'exclusion. Maalouf explique :
88 Egi Volterrani, « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec Amin Maalouf),
[en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org (pages consultées
29 mai 2010)
89 Evelyne Argaud, « Les Appartenances multiples chez Amin Maalouf », Français dans
le monde, janvier-février 2006, p. 36.
90 Maurice Tournier, « Identité et appartenances. Entretien » (avec Amin Maalouf), Mots,
Les langages du politique, mars 1997, p. 123.
91 Stuart Hall, « Qui a besoin de l' "identité"? », in: Stuart Hall, Identités et Cultures,
Politique des cultural studies, Éditions Amsterdam, Paris, 2008, p. 270.
92 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Livre du Poche (première édition : Éditions
Grasset & Fasquelle, 1998), Paris, 2008, p. 31.
29
contraire des identités fragmentées et fracturées (Stuart Hall), il propose
une identité composée de toutes les appartenances, c'est-à-dire, une identité
unifiée et complète.
Pour parvenir à cet idéal, une personne devrait être ouverte à l'Autre,
mais aussi à elle-même, au sens de la possibilité d'adopter toutes ses
appartenances. Ces personnes, qui sont parfois les êtres frontières, êtres
pluriels, « ceux qui se trouvent […] à la frontière entre deux nations, entre
deux ethnies »93, ont souvent le rôle du médiateur dans la communication
et dans l'interaction interculturelle. Ils « peuvent être une sorte de "liant"
pour les sociétés »94. Leur rôle et la communication interculturelle sont
importants, parce que « les conflits dans le monde aujourd'hui ne sont plus
idéologiques, mais identitaires »95.
3. 2. L'interprète interculturel
93 Egi Volterrani, « Amin Maalouf. Identité à deux voix » (entretien avec Amin Maalouf),
[en ligne] texte disponible sur le site : http://www.aminmaalouf.org (pages consultées
29 mai 2010)
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Pascal Solon, « Ecrire l'interculturalité : l'exemple de l'écrivain francophone Amin
Maalouf », p. 163-177, in Hans-Jürgen Lüsebrink (éd. et introd.) ; Katharina Städtler
(éd.), Les Littératures africaines de langue française à l'époque de la postmodernité :
État des lieux et perspectives de la recherche, Oberhausen, Allemagne, Athena, 2004,
p. 164-165.
30
interculturelles, parce que son enseignant était le pasteur anglais, lui-même
protestant dans un village catholique). Dans l'exil, il rencontre une femme,
qui est aussi étrangère, et il se demande « fallait-il que les vagues de la vie
me rejettent aussi loin pour que j'aie droit à cet instant de bonheur? Intense
comme s'il était la raison d'être de mon aventure »97. Mais la raison de son
aventure n'était pas cette passion éphémère, mais son engagement dans les
négociations pour la paix entre les anglais, les turcs et les égyptiens. Dans
cette situation tendue, il avait le rôle de traducteur, c'est-à-dire, de
médiateur. Les éléments mentionnés ici, et sa résistance à la vengeance et à
la haine, font de lui un vrai médiateur interculturel : il tend toujours aux
dialogues et à essayer de comprendre l’Autre, au lieu de céder à la solution
du conflit.
Dans Les Échelles du Levant, Ossyane est porteur de ce rôle.
Provenant d'une famille multinationale, dont l'importance dans sa
formation est soulignée plusieurs fois, il a obtenu une éducation
interculturelle. Ses enseignants, de différentes nationalités et confessions,
l’ont préparé en vue d’une éducation en France ; où la position
d’ « étranger » n’a pas été source de malaise. Il a compris cette situation et
quelles en étaient les raisons, ce qui fait qu’il s'est très bien adapté.
Être étranger était une réalité de mon existence, que je devais prendre en
compte. […] Ce n'était pas en soi une abomination. Cela impliquait que je
fasse et dise certaines choses plutôt que les autres. J'avais mes origines, mon
histoire, mes langues, mes secrets, d'innombrables sujets de fierté, peut-être
même mon charme propre... Non, être étranger ne m'incommodait pas, et
j'étais plutôt heureux de ne pas être chez moi98.
Conclusion provisoire
On a vu que, dans son œuvre, Amin Maalouf fait un passage vers un
univers multiculturel fait d'identité composée. Cette conception de
l'identité, qui se met en accord avec les théories contemporaines, et
notamment les cultural studies, sert à l'écrivain dans la construction de ses
personnages principaux. Ces derniers sont toujours, et plus
particulièrement dans nos deux romans, les porteurs des valeurs de
tolérance, de respect pour l'Autre, de compréhension.
Dans ses romans, Maalouf, conscient du pouvoir de la littérature à
transmettre des nuances précises, essaie de trouver « des solutions
imaginatives pour apprendre coexister avec l'Autre »106. Ses romans
proposent une réponse possible à la question, qui est fondamentale pour
Maalouf : « comment faire vivre ensemble ces hommes [différents par la
langue, par la religion, par la condition sociale… etc.], ces groupes
humains, sans violence, sans oppression, sans génocide, sans haine »107.
L'importance de l'analyse de cette question en Littérature, et de façon
34
Bibliographie
I. Les Œuvres de référence
1. MAALOUF Amin, Le Rocher de Tanios, Livre du Poche (première
édition : Éditions Grasset & Fasquelle, 1993), Paris, 2009, p. 282
2. MAALOUF Amin, Les Échelles du Levant, Livre du Poche
(première édition : Éditions Grasset & Fasquelle, 1996), Paris, 2009, p. 254
3. MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, Livre du Poche
(première édition : Éditions Grasset & Fasquelle, 1998), Paris, 2008, p. 189
35
IV. Les Œuvres sur l'autobiographie
1. CARRON Pierre-Jacques, Ecriture et identité, pour une
poétique de l'autobiographie, Ousia, Bruxelles, 2002, p. 202
2. ANDERSON Linda, Autobiography, Routledge, New York,
London, 2001, p. 156
3. GASPARINI Philippe, Est-il je ? : roman autobiographique et
autofiction , Éditions du Seuil
4. CALLE-GRUBER Mireille et ROTHE Arnold (dir.),
Autobiographie et biographie, A.-G. Nizet, Paris, 1989, p. 249
37