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Littératures postcoloniales
et francophonie
Conférences du séminaire de Littérature comparée
de ^Université de la Sorbonne Nouvelle
Textes réunis par
Jean Bessière et Jean-Marc Moura
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HONORÉ CHAMPION
PARIS
Colloques, congrès et conférences
sur la Littérature comparée
Collection dirigée par Jean Bessière
1
LITTÉRATURES POSTCOLONIALES
ET FRANCOPHONIE
LITTÉRATURES POSTCOLONIALES
ET FRANCOPHONIE
Conférences du séminaire de Littérature comparée
de l’Université de la Sorbonne Nouvelle
Textes réunis
par
Jean BESSIÈRE et Jean-Marc MOURA
S3D-FFLCH-USP
Mi
■INIBÌ 283775
PARIS
HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR
7, QUAI MALAQUAIS (VIe)
2001
Diffusion hors France : Editions Slatkine, Genève
SHT-q
Ouvrage publié
20900014635
Les études réunies dans cet essai procèdent d’un constat simple.
L’usage du terme postcolonialisme à propos des littératures franco
phones contemporaines est peu fréquent tant chez les écrivains franco
phones que chez les critiques francophones. Il faut sans doute voir là le
partage des traditions critiques francophone et anglophone, encore qu’il
convienne de rappeler que la critique anglophone qui a retenu le terme
de postcolonial est souvent inspirée, de Fanon à Foucault, de sources
francophones. Il faut sans doute voir là encore les partages culturels des
deux traditions, qui entraînent que la colonisation, la décolonisation,
T après-décolonisation ne se disent pas, ne se lisent pas de la même
manière dans chacune des traditions. Il faut plus essentiellement recon
naître là que l’histoire coloniale et post-coloniale n’est pas construite de
manières similaires dans chacune des traditions.
Le moindre usage du terme de postcolonialisme correspond ainsi
dans les littératures francophones contemporaines à un réexamen de la
période coloniale et de la décolonisation qui exclut de poser les ques
tions de territoire, de culture, d’histoire suivant le simple rappel d’une
résistance au pouvoir, à la colonisation, mais commandent de considérer
le tout de ces questions et, en conséquence, l’en deçà et l’au-delà de la
colonisation et de la décolonisation. La référence à l’histoire apparaît
comme une référence continue, qui permet donc de considérer plus fine
ment les rapports de culture dominante à culture dominée, et exclut de
lire le postcolonialisme sous le signe d’une manière d’autonomie. Cette
référence continue est encore exclusive d’une lecture de l’histoire
suivant les schémas occidentaux, en même temps qu’elle commande un
moindre rappel de 1’«africanité» et une interrogation sur l’organisation
et la caractérisation des espaces anciennement colonisés, ainsi que le
montre Bernard Mouralis.
Ce moindre usage correspond encore au statut des littératures fran
cophones contemporaines: littératures d’États-nations, littératures de
territoires, littératures éditées, écrites en France même, ces littératures
sont donc simultanément des littératures transnationales, sans qu’elles
puissent être cependant décrites totalement sous le signe d’une «World
fiction». Placer ces littératures sous une formulation en français équi
valente à celle de «World fiction» revient à traiter ces littératures
8 INTRODUCTION
comme les représentations d’un monde et d’une fiction unes par le fait
même que ces littératures existent dans une langue européenne, disent
Tailleurs de l’Europe, à partir de cet ailleurs de l’Europe. Une telle
hypothèse, qui est celle de la «World fiction», équivaut à lire ces litté
ratures comme l’exemple même d’une globalisation littéraire; elle ne
doit pas conduire à ignorer ce qui fait l’articulation de tels champs litté
raires. La dualité de ces littératures qui sont principalement des littéra
tures d’États-nations et, par le fait même de l’usage du français et des
variantes des références coloniales, des littératures transnationales,
entraîne qu’elles se donnent pour indépendantes les unes par rapport
aux autres, et pour interdépendantes. Il y aurait là d’abord à noter l’arti
culation même des champs des littératures francophones. Il y aurait là
aussi à noter que les littératures francophones, suivant leur jeu de dissé
mination, pour reprendre le terme utilisé par Charles Bonn, dessinent un
état de globalisation de la littérature, qui n’exclut pas les divisions
internes des divers champs nationaux - y compris le champ français - et
qui suppose la spécificité des actualités politiques, sociales des divers
pays. Aussi ce dispositif, cette disposition des littératures francophones
n’apparaît-il plus relever, stricto sensu, d’un postcolonialisme, mais du
croisement de situations nationales et de cette situation transnationale
qui est la justification même de la francophonie. Cette situation transna
tionale permet de dire un état des nations, en même temps qu’elle
permet de révoquer, d’une part, la lecture homogénéisante que fait la
critique postcoloniale des littératures du Tiers monde, et, d’autre part, la
thèse de la propriété d’une interdépendance systématique des cultures,
qui serait formulée à la suite des thèses relatives à la globalisation des
économies.
C’est pourquoi, lorsque l’on s’attache spécifiquement à ces littéra
tures francophones, la question n’est plus tant celle du postcolonialisme
que celle de la prise en charge complète par la littérature de l’histoire
des pays concernés - le cas de l’Algérie est exemplaire aujourd’hui tant
en termes littéraires qu’en termes politiques, ainsi que le montre
Abdallah Mdarhri Alaoui -, sans que cette prise en charge suppose
nécessairement les problèmes d’identité ou les problèmes de rupture
avec la culture de la puissance française - la littérature contemporaine
de la Polynésie française serait ainsi l’illustration d’une littérature qui se
construit hors d’un rapport polémique avec le français et dans la
recherche d’une mémoire qui ne suppose pas le constat de l’aliénation.
La double référence, française et algérienne, chez un poète algérien,
Mohamed Ould Cheikh, qu’analyse Ahmed Lanasri, témoigne de la
même chose: la situation coloniale ne contredit pas nécessairement la
constitution d’une parole propre qui est la condition de la prise en
INTRODUCTION 9
10 INTRODUCTION
Jean Bessière
Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III
Jean-Marx Moura
Université de Lille III
I
Marc Ferro, La Grande Guerre, 1914-1918, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1990,
p. 8.
148 AMMARIA LASNARI
Ammana Lanasri
Université de Valenciennes
LITTÉRATURES FRANCOPHONES
ET POSTCOLONIALISME
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE
ET DU RÉEL
EN PASSANT PAR S ALMAN RUSHDIE,
KATEB YACINE, MOHAMED DIB, AMADAIHAMPÂTÉ BÂ,
AHMADOU KOUROUMA,
RAPHAËL CONFIANT, ERNEST PÉPIN
ET D’AUTRES
1 Une anthologie critique permet de faire aisément le pointl sur la notion: Bill
Ashcroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, éd., The Post-Colonial Studies Reader,
Londres, Routledge, 1995.
2
Sur la notion d’interdépendance, voir Richard Kilminsler, The Sociological
Revolution. From thè Enlightenment to the Global Age, Londres, Routledge, 1998,
p. 134-136.
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 171
I.
4
Voir Fredric Jameson, « Third World Literature in thè Era of Multinational Capital»,
Social Text, Fall 1986, p. 73, et The Geopolitica! Aesthetic. Cinema andSpace inthe
World System, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1992. Pour
un commentaire de ces points, ajouter Aijaz Ahmad, In Theory. Classes, Nations,
Literatures, Londres, Verso, 1992.
5 Edward Said, « Representing the Colonized: Anthropology’s Interlocutors»,
Criticai Inquiry, Winter 1989, n° 15.
174 JEAN BESSIÈRE
6
Salman Rushdie, Midnight’s Children, Londres, Jonalhan Cape, 1981.
7
Salman Rushdie, The Moor’s Last Sigh, New York, Pantheon Books, 1995.
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 175
8
Abdelwahab Meddeb, Phantasia, Paris, Sindbad, 1986.
9
Ibid., p. 69.
178 JEAN BESSIÈRE
10 Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, Paris, Le Seuil, 1994. Coll. «Points», 1997.
180 JEAN BESSIÈRE
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On le sait: la critique postcoloniale lit la littérature de la colonisation
de F après-colonisation sous le signe d’une symbolique de la résistance.
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 181
12
Salman Rushdie, Patries imaginaires, Paris, U.G.E., coll. «10-18», 1993, p. 439.
Éd. originale, Imaginary Homelands, New York, Granta Books, 1991.
13 Kateb Yacine, Nedjma, Paris, Seuil, 1956.
14 Édouard Glissant, La Lézarde, Paris, Le Seuil, 1958. Coll. «Points» 1984.
184 JEAN BESSIÈRE
III.
23
Hampâté Bâ, Oui mon commandant!, Arles, Actes Sud, 1994.
24
Hampâté Bâ, L’Étrange Destin de Wangrin, Paris, U.G.E., 1972 et 1998.
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 189
25
Mohamed Dib, Le Maître de chasse, Paris, Le Seuil, 1973. Coll. «Points», 1997.
190 JEAN BESSIÈRE
I sens de sa fin; elle fait sens de ces deux unités qu’elle expose et de la
! double lecture que permet chacune de ces unités.
Par ce retournement de la notation de l’oppression coloniale, l’his
toire d’après les indépendances n’est pas cela qui doit être l’objet d’une
réappropriation, pas plus que ne doit l’être la culture locale. Les
pratiques et les habitudes de pouvoir attestent qu’histoire et cultures ont
été toujours appropriées. Cette représentation historique et littéraire du
! pouvoir et de l’oppression, le constat de cette constante appropriation
entraînent que le temps colonial et l’héritage du temps colonial ne soient
plus donnés comme l’expression et l’allégorie du pouvoir et de l’op
pression coloniaux, ni la résistance à cette oppression et à ce pouvoir
comme l’allégorie de l’histoire nationale. Dans ces conditions, la
sagesse consiste bien à ne pas se raconter d’histoire, ni à faire, en consé-
I quence, de cette histoire le récit de l'Histoire même - à ne pas faire de
| la colonisation et de l’après-colonisation le seul argument de l’Histoire.
Cette sagesse n’implique cependant aucun mépris pour le legs d’his
toires, de récits, de mythes et de problèmes que transmet le passé le plus
proche - colonisation et après-colonisation - et le plus ancien - celui
qui se lit encore dans le temps de la colonisation et dans le temps de
l’après-colonisation. Cette sagesse s’accompagne au contraire d’un
intérêt pour ces expressions qui ont cherché à donner un sens au temps
et à faire face à la surpuissance d’une réalité immaîtrisable et écrasante
- celle-même de la nature et du pouvoir tel qu’ il était avant la colonisa
tion. Avec ce legs vont les histoires mêmes de la colonisation et de sa
superpuissance, qui ont eu une fin et qui relèvent, en conséquence, aussi
de ce jeu d’expressions et de pratiques qui ont cherché à donner un sens
au temps. Se dessine ainsi, dans cette littérature francophone, une
manière dejualité culturelle explicite: elle consiste dans l’exposé égal
de ce qui est le colonial et de ce qui est le local. Il y a contresens à
comprendre qu’il y aurait une évasion dans le legs des histoires, comme
il y aurait contresens à retenir qu’il y aurait un partage de la colonisation
et de l’après-colonisation, si l’on ne considère pas seulement un point
de vue historico-politique, mais aussi un point de vue culturel.
La leçon de l’histoire n’est plus celle d’une généalogie, ni celle de la
’ manière dont un passé et un futur peuvent se lire ou ne pas se lire dans
l’histoire de diverses familles, de divers acteurs. Cette leçon n’est pas
non plus celle de la résistance au pouvoir - cette résistance ne définit
l’histoire que provisoirement. Si l’on revient au double exposé de l’his
toire, selon l’action du pouvoir, ainsi qu’on l’a appris de l’Occident,
selon l’affrontement de tout pouvoir - n’importe quel pouvoir politique,
le pouvoir même de la nature -, la leçon de l’histoire est simplement
celle de la survie face à tout pouvoir. Où il y a la négation du schéma
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 191
26
Ahmadou Kourouma, Le Soleil des Indépendances, Paris, Le Seuil, 1970. Coll.
«Points», 1995.
27
Raphaël Confiant, Eau de Café, Paris, Grasset, 1991.
192 JEAN BESSIÈRE
lite libérée de l’histoire, prêtée aux Noirs des Antilles dans Les Indes.
C’est chaque fois retrouver le schéma occidental de l’histoire en faisant
de l’accomplissement à venir la finalité de l’histoire, et de l’exposition
de la maîtrise de la littérature également cet exposé. Plus simplement et
de façon plus exactement ethnologique, Raphaël Confiant note que
l’histoire est indissolublement celle du pouvoir, de la résistance au
pouvoir et de la réalité - d’une réalité telle que le pouvoir ne peut la faire
autre qu’elle n’est. Pas même le pouvoir spirituel : La Vierge du Grand
Retour est, entre autres choses, l’histoire de la défaite de la surpuissance
spirituelle, occidentale, face à la surpuissance du réel - d’un réel qui
comprend les Noirs mêmes.
La littérature francophone contemporaine, dans ces quelques
exemples, apparaît ainsi comme ce qui joue d’une représentation reçue
de l’histoire et d’une représentation libre de l’histoire. Cette représenta
Ì tion libre n’est pas tant, si l’on rappelle ce qui a été dit de Salman
I Rushdie, suivant la liberté de la composition des données intercultu
! relles que selon une représentation de l’histoire qui se confond avec
! l’événement du réel. L’événement du réel est cela qui advient dans ce
réel - le pouvoir, la résistance au pouvoir, le nouveau pouvoir - et ce
réel même en tant qu’il ne cesse d’être un événement par la nature
même, par les hommes, tels qu’ils sont naturellement, tels qu’ils sont
selon leur culture. Si l’on dit ainsi le réel et l’histoire, on les dit inévita
blement suivant un jeu d’interdépendance, local, global: un tel réel est
un.
IV.
28 Pour cette thématique, voir Xavier Garnier, La Magie dans le roman africain, Paris,
PUF, 1999.
194 JEAN BESSIÈRE
29
Sur ce point, voir Jean Bessière, «Écriture du droit, fiction, représentation - Jean
Rhys, Mohamed Dib, Édouard Glissant, André Brink», dans J. Bessière et J.-M.
Moura, Littératures postcoloniales et représentations de railleurs. Afrique,
Caraïbe, Canada, Paris, Champion, 1999.
FICTIONS DE L’INTERDÉPENDANCE ET DU RÉEL 195
logie et l’histoire familiales sont un récit du défaut de sens, que les croi
sements avec les littératures et les terres occidentales confirment.
La leçon est explicite. Il est peut-être inventé toute allégorie, toute
notion critique - postcolonialisme - ; le réel subsiste qui est à la fois sa
visibilité, son invisibilité et son histoire. Venir à ce réel ne suppose pas
les jeux sur la représentation du réel de l’après de la décolonisation, les
conventions de cette représentation, mais le passage au dessin de l’in
terdépendance, qui est la représentation et la convention de représenta
tion disponibles, et ce qui fait taire toute prophétie du droit, toute pensée
de l’histoire suivant la finalité. Il y a là la continuité des littératures fran
cophones.
Jean B essere
Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
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09
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LL i
I
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2Li
TABLE DES MATIÈRES
Bernard Mouralis
Des comptoirs aux empires, des empires aux nations :
rapport au territoire et production littéraire africaine . 11
Charles Bonn
Postcolonialisme et reconnaissance littéraire
des textes francophones émergents :
l’exemple de la littérature maghrébine et de la littérature
issue de l’immigration 27
Sylvie André
Littérature francophone et institutions
en Polynésie française 67
Daniel-Henri Pageaux
La créolité antillaise entre postcolonialisme
et néo-baroque 83
Ahmed Lanasri
Mohammed Ould Cheikh, un poète algérien
de langue française : la double référence .. 117
Jacques Chevrier
La marginalité, figure du postcolonialisme
dans l’œuvre romanesque de Williams Sassine? 131
202 TABLE DES MATIÈRES
Ammana Lanasri
Amos Tutuola: littérature africaine et oralité 141
Jean-Marc Moura
Sur quelques apports et apories de la théorie postcoloniale
pour le domaine francophone 149
Jean Bessière
Littératures francophones et postcolonialisme.
Fictions de l’interdépendance et du réel.
En passant par Salman Rushdie, Kateb Yacine,
Mohamed Dib, Hampâté Bâ, Ahmadou Kourouma,
Raphaël Confiant, Ernest Pépin et d’autres 169
Index 197
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