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Études littéraires

Jean-Pierre Gourdeau, La littérature négro-africaine


d’expression française, Collection Thema/Anthologie, Paris,
Librairie Hatier / 1973.
M. Ngal

Volume 7, numéro 3, décembre 1974

Littérature négro-africaine

URI : https://id.erudit.org/iderudit/500349ar
DOI : https://doi.org/10.7202/500349ar

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Département des littératures de l'Université Laval

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0014-214X (imprimé)
1708-9069 (numérique)

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Ngal, M. (1974). Compte rendu de [Jean-Pierre Gourdeau, La littérature
négro-africaine d’expression française, Collection Thema/Anthologie, Paris,
Librairie Hatier / 1973.] Études littéraires, 7(3), 489–491.
https://doi.org/10.7202/500349ar

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COMPTES RENDUS 489

Jean-Pierre GOURDEAU, La littéra- ouvrir ici un débat sur le caractère


ture négro-africaine d'expression élaboré de ces deux œuvres. Mais il
française, Collection Thema/Antho- eut été préférable de les ranger dans
logie, Paris, Librairie Hatier/1973. la littérature écrite et de réserver la
première section de l'ouvrage à des
Il ne s'écoule pas une seule année —
œuvres proprement de littérature
pour ne pas dire un trimestre — sans
orale.
que les lettres francophones ne s'en-
richissent d'une publication impor- Le lecteur s'étonnera également de
tante sur la littérature négro-africaine. la vision manichéenne imprimée par
Ceci est un indice certain de l'intérêt M. J. P. Gourdeau à l'ensemble de
(de l'engouement) croissant que con- l'ouvrage. Le plan présente en effet
naît celle-ci. Il convient cependant de l'univers négro-africain de manière
souligner que ces nombreuses publi- antithétique: Noir/blanc; Refus;
cations — de valeur très inégale — Noir/noir; Jeune/vieux; Politique en
laissent une ambiguïté assez inquié- noir/blanc; Ville/brousse. Question
tante. On pourrait se poser la ques- de méthode, sans doute! qui peut
tion : pourquoi cet engouement? donner des résultats féconds. Et les-
Quel en est le « background » ? quels? Mais l'impression d'ensemble
Sommes-nous en présence d'un inté- qui s'en dégage est celle du Noir
rêt réel ou d'une nouvelle «vogue du éternellement en opposition, posé
nègre et de son art »? Ils se comptent face à son ancien maître, (re)-défini
par centaines ceux-là qu'on pourrait toujours par référence à celui-ci. On
appeler «voyageurs de la saison sè- se trouve en présence de ce stéréo-
che» qui, après avoir lu l'une ou type hérité de la vision coloniale, qui
l'autre des anthologies négro- continue de caractériser le canon
africaines, se lancent dans l'aventure d'une certaine critique des anciennes
d'une publication hâtivement rédigée Métropoles peu soucieuse des dis-
sur la «littérature nègre». Les résul- tances prises depuis quelques an-
tats sont souvent décevants: dans de nées par la critique universitaire afri-
nombreux cas, la vision du Noir et caine. On se reportera au Colloque
des problèmes négro-africains est de Yaoundé sur la critique littéraire
déformante. en avril 1973 et aux préparatifs qui
ont précédé cette rencontre, publiés
La littérature négro-africaine d'ex- par la revue Présence Africaine en
pression française de la collection son Bulletin intérieur du deuxième et
Thema/Anthologie sort des sentiers troisième trimestre 1970:
battus en ce qu'elle accorde une
certaine place à la littérature orale qui Chaque société a ses normes d'apprécia-
renferme autant de richesses que la tion. Celles-ci sont partie intégrante de
littérature écrite et qui, par ailleurs, l'éthique de la vie. Les courants extérieurs,
si généreux soient-ils, ne sauraient rem-
continue d'inspirer celle-ci. Le choix
placer l'effort personnel de recherche et
des œuvres n'est malheureusement de confrontation qui seul, permet d'éclai-
pas toujours très heureux. On peut rer le jugement à travers le contexte d'une
regretter que l'auteur n'ait pas ex- civilisation spécifique.
ploité à fond son intention première:
Les œuvres artistiques et littéraires de
le lecteur s'étonnera de voir assimiler
l'Afrique sont présentées au peuple afri-
purement et simplement à la pure cain, son destinataire légitime, par la criti-
oralité les Contes d'Amadou Koumba que occidentale. Celle-ci apprécie, consa-
de Birago Diop et Le pagne noir de cre ou désavoue la démarche de nos
Bernard Dadié. Je ne voudrais pas créateurs. Elle s'arroge le droit de tracer
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les lignes directrices, d'intégrer dans des rant très net dans la critique littéraire
catégories élaborées par elle, une part universitaire, qui cherche les critères
importante de notre patrimoine culturel. d'appréciation non plus, par référence
L'on est grand écrivain, grand peintre, au canon élaboré au bord de la Seine,
grand sculpteur, par la volonté des tenants
mais dans la tradition africaine. Dé-
de telle ou telle école de Paris ou de
Londres, de Bruxelles ou de New York. Et, marche non arbitraire. Nos œuvres
très souvent, si ces marques extérieures littéraires, en effet, sont très enraci-
de considération flattent le peuple afri- nées dans la tradition. Ainsi un roman
cain, celui-ci ne se sent pas profondément de Mogo Beti ou d'Oyono est vu
concerné... etc... d'abord, dans cette optique, c o m m e
un roman d'enracinement (cfr: Th.
Cette prise de position me paraît Melone : Mongo Beti, l'homme et son
parfaitement conforme aux progrès destin, Présence Africaine; N g a l :
récents de l'anthropologie. Il se cons- L'Enracinement in Les Nouvelles Lit-
titue en effet une «anthropologie dif- téraires, 3 déc. 1973; voir J. Falq et
férente, autrement o r i e n t é e » : a) dy- M. K a n e : Littérature africaine, Textes
namique qui tient c o m p t e du « m o u - et travaux, Les Nouvelles Éd. Africai-
vement interne des sociétés, des for- nes et Nathan/Afrique, 1974). Ce ren-
ces internes qui les constituent tout versement d'optique trouve sa meil-
autant qu'elles les modifient; b) criti- leure illustration dans la série audio-
que, car elle ne s'en tient p a s . . . à visuelle de 13 films sur la littérature
l'affirmation des théories officielles négro-africaine produite par l'Équipe
qui les justifient» (G. Balandier: de l'Université Laval avec la collabo-
Anthropo-Logiques, chap. «Ordre ration et la participation des profes-
traditionnel et contestation», P.U.F. seurs africains. Le principe de base
1974, p. 221-222). Si l'Anthropologue — implicitement affirmé — est le
a pris conscience d'un changement dépassement de l'opposition orali-
d'optique dans l'approche des réali- té/écriture. L'oralité féconde l'écri-
tés africaines, pourquoi le critique t u r e ; l'écriture devient un support de
littéraire s'en tiendrait-il à un mode celle-là. Il ne s'agit pas d'un « retour à
d'approche du fait littéraire négro- l'oral» mais d'une «participation aux
africain «gelé», «figé», colonial, en verbi-voco-visual explorations»
retard sur les progrès réalisés par les (McLuhan).
sciences humaines, notamment par
l'ethnologie? Sur ce terrain, les criti- Dans cet ordre d'idées, la réalisa-
ques littéraires africains sont en tion de l'Université Laval peut être
avance sur leurs homologues occi- considérée c o m m e un événement et
dentaux en ce qui concerne l'appro- une révolution dans la critique litté-
che de la littérature négro-africaine. Il raire africaine et dans la critique tout
s'agit en s o m m e , en paraphrasant G. court.
Balancier, d'élaborer une critique de
«l'actuel littéraire africain». Si le col-
loque de Yaoundé n'a pas clairement
dégagé ces critères, il a fait cepen-
Cette longue mise au point me
dant progresser d'un pas de géant la
paraissait nécessaire à une époque
critique littéraire en Afrique par la
où une certaine opinion conserva-
prise de conscience du mal dont elle
trice, néo-coloniale et paternaliste
souffrait, c o m m e d'un préalable indis-
continue d'ignorer systématiquement
pensable. Mais depuis lors, un pro-
la reprise en main par les Africains de
grès a été fait. Il se dessine un cou-
leur «destin littéraire» et de considé-
COMPTES RENDUS 491

rer la littérature africaine comme un civilisation européenne, il faut être


sous-produit de l'Europe. Par ail- attentif au contraire, à la pluralité des
leurs, elle en appelle une autre. Nous opinions au sein même de l'Afrique»
échappons également à l'accusation (p. 36). La solution des problèmes
du culte à outrance de la «différen- africains n'est pas à chercher dans un
ce », de l'« originalité » et de la « spéci- universel insuffisamment défini, mais
ficité », qualifié d'« esthétisme intellec- dans son dynamisme intérieur, dans
tuel bourgeois, fourvoyé sur les tra- sa capacité créatrice. Et c'est cette
ces de l'ethnologisme attardé» (Kalil capacité de l'Afrique à se renouveler
Zamiti, Système impérialiste contem- sans nécessairement devoir se réfé-
porain, phénomène de dépen- rer à des modèles extérieurs, qui
dance..., in Sociologie de l'Impéria- paraît être la condition première de
lisme, sous la direction d'Anouar Ab- sa marche en avant.
del Malek, Éd. Anthropos, 1971, p.
C'est dans ce cadre d'une problé-
525; P. Hountondji: Libertés, Contri-
matique générale de l'approche des
bution à la Révolution Dahoméenne,
problèmes africains qu'il fallait repla-
Éd. Renaissance, 1973, p. 48: «Mais
cer l'Anthologie de M. J. P. Gourdeau.
ce qui est dangereux, c'est que cette
À côté des qualités de l'ouvrage que
préoccupation légitime en vienne à
nous soulignerons dans un instant, il
masquer les liens essentiels entre
convient de relever la part relative-
notre environnement et les autres, et
ment mince du nombre d'auteurs: 24
à produire l'illusion que l'Afrique est,
écrivains seulement! L'auteur donne
et sous tous les rapports, différente
trois extraits d'Oyono tandis que
des autres continents. Cela aboutit
Mongo Beti est passé sous silence!
fatalement à tuer dans l'œuf tout sens
Quatre extraits de Sembène Ous-
des problèmes, toute conscience de
mane ; quatre de Bernard Dadié ; cinq
relativité...». Et de conclure: «Peut-
poèmes de L. S. Senghor; trois ex-
être est-il temps aujourd'hui de re-
traits d'Aimé Césaire. Quel est le
connaître courageusement que nous
critère qui a présidé au choix des
avons fait fausse route, que nous
auteurs? Pourquoi le privilégiement
avons été victimes de ce qu'il faut
de certains? L'oubli de certains
bien appeler l'idéologie africaniste:
grands? On se trouve donc en pré-
idéologie selon laquelle, les problè-
sence d'un choix d'auteurs et de
mes africains seraient absolument
textes qui laisse le lecteur un peu
spécifiques, les sociétés africaines
perplexe.
absolument originales, et par suite,
les besoins des Africains absolument Nous serions injuste si nous pas-
différents des exigencesHuniverselles sions sous silence la qualité des intro-
de l'homme raisonnable «ce qui per- ductions. Elles sont, dans l'ensemble
mettrait à l'occasion de leur réserver et dans la perspective de l'auteur,
un traitement différent, en bafouant bonnes. Les notes faites suivant les
impunément et sans risques, leur soif exigences de la collection pourront
de liberté et de justice».» p. 50. susciter chez l'élève la réflexion.
Sur le plan didactique et technique,
La position de P. Hountondji pour- l'ouvrage rendra, moyennant la cor-
rait paraître absolue mais il n'en est rection des réserves que nous avons
rien. Car « le vrai débat, dit-il, le débat formulées sur la vision déformante de
décisif n'est pas entre l'Europe et l'univers littéraire négro-africain, les
l'Afrique, il est intérieur à l'Afrique services que l'on peut attendre.
elle-même. Plutôt que d'opposer glo-
balement la civilisation africaine à la M.aM.NGAL

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