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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)

GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

 Université Félix Houphouët-Boigny – Abidjan – Août 2019


 UNIVERSITE FELIX HOUPHOUET-BOIGNY
 UFR LLC
 Département de Lettres Modernes

PROBLEMES GENERAUX DE LA LITTERATURE ORALE


C o u r s M a g i s t r a l

Dr TIDOU D. Christian

Août 2019

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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

SYLLABUS
 Intitulé : Problèmes généraux de la Littérature Orale
 Type : CM
 Code : TLO 6411
 Volume horaire : 14 heures
 UE de rattachement : Traditions et Littérature Orale : initiation/étude de documents
 Niveau : Licence 1/FIP 1
 Semestre : 01
 Crédit : 02
 Enseignants : Dr TIDOU D. Christian
 Grade : Maître-Assistant
 Contact : 09 01 99 89
 Email : christian.tidou@gmail.com
 Statut : Permanent

OBJECTIF GENERAL
Ce cours a pour objectif de présenter et d’analyser les problèmes majeurs auxquels la Littérature Orale, en tant que
discipline universitaire doit faire face en contexte moderne.

OBJECTIFS SPECIFIQUES
Au terme de ce cours, les étudiants doivent être capables de :
Définir les concepts clefs ;
Comprendre la philosophie et la vision du monde attachées à la Littérature Orale ;
Identifier les défis majeurs de la littérature orale dans un contexte moderne ;
Analyser les réponses à ces défis scientifiques et disciplinaires.

PRE-REQUIS
Les prérequis demandés aux étudiants sont des notions de base sur la littérature et une connaissance suffisante de leur
culture et des cultures africaines.

CONTENUS
INTRODUCTION
I DEFINITIONS
II ENJEUX DE LA LITTERATURE ORALE
III ATTRIBUTS, PHILOSOPHIE ET VISION DU MONDE EN LITTERATURE ORALE
IV DEFIS MAJEURS DE LA LITTERATURE ORALE EN CONTEXTE MODERNE
CONCLUSION

METHODE, STRATEGIE D’ENSEIGNEMENT ET LANGUE


Méthode et stratégie d’enseignement : CM-TD
Langue d’enseignement : français
MODALITE D’EVALUATION
Composition sur table pour CM ;
Exposé de groupe en TD ;
Composition sur table pour CM2 sessions dont une de rattrapage.
ŒUVRES POUR LES TD
Les entrailles de la terre, Tououi Bi, (recueil de contes)
Kpatakolou et Gbeugbeugbeu, Abidjan, ARE, 2016 (livre de conte)
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BIBLIOGRAPHIE ET WEBOGRAPHIE

1. BIDIMA (Jean Godefroy), La Philosophie négro-africaine, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1995.
2. BAUMGARDT (Ursula) & UGOCHUKWU (Françoise) (dir.). Approches littéraires de l’oralité africaine.
Paris, Karthala, 2005, 334 p.
3. BAUMGARDT (Ursula) et DERIVE (Jean), Littérature orales africaines, perspectives théoriques et
méthodologiques, Paris, Kartala, 2008, 440 pages
4. CALAME-GRIAULE (Geneviève), « L’Art de la parole dans la culture africaine », n° XLVII, in Présence
Africaine, Paris, 1996.
5. CHEMAIN (Roger), L’Imaginaire dans le monde africain, Paris, L’Harmattan, 1986.
6. GALLY (Michèle). « Paul Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale ». In Médiévales,
n°13, 1987. Apprendre le Moyen-âge aujourd'hui. pp. 167-168
7. GAYIBOR (Nicoué Théodore), Sources Orales et histoires africaine, Paris, L’Harmattan, 2011, 222 pages
8. GOSSELIN (Gabriel), « Tradition et traditionalisme », In Revue française de sociologie, 1975, 16-2,
pp.215-227.
9. HECQUET (Vincent), « Littératures orales africaines », Cahiers d’études africaines [En ligne], 195 | 2009,
mis en ligne le 22 septembre 2009, consulté le 30 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14052
10. HEYNDELS R, éEtude du concept de vision du monde : sa portée en théorie de la littérature » In :
L’Homme et la société, N°43-44, 1977, Inédits de Lukàcs et textes de Lukàcs, pp. 133-140
11. KALBERG (Stephen), « L’influence passée et présente des « visions du monde ». L’analyse wébérienne
d’un concept sociologique négligé ». In Revue de Mauss, 2007/2 (N°30), pp. 321-352
12. KOFFI (Djéguéma), « Tradition, tradition orale, littérature orale », in En-Quête, n°1, Revue scientifique
de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH), Université de Cocody, Abidjan, PUCI,
pp.161-177.
13. JEWSIEWICKI (Bogumil), « Le primitivisme, le postcolonialisme, les antiquités «nêgre » et la question
nationale », In. Cahiers d’Etudes africaines, vol.31 ; n°121-122, 1991, La malédiction, pp. 192-213
14. KOUDJO (Bienvenu), Pour une nouvelle taxinomie de la parle littéraire en Afrique, problématique des
genres de la littérature orale, Lomé, Awoudy, 2015, 198 pages.
15. STASZAK (Jean François), « Qu’est-ce que l’exotisme ? » In Le Globe, Revue génévoise de géographie,
tome 148, 2008, L’exotisme, pp. 7-30
16. TIDOU (Djè Christian), Etude comparée du décepteur dans la littérature médiévale française et du
décepteur dans les contes traditionnels ouest-africains, Thèse Unique, Université AO, Bouaké, 2012,
595 pages
17. TOUOUI BI (Irié Ernest), « Tradition Orale Africaine et philosophie de la vie », In Revue Ivoirienne
d’Anthropologie et de Sociologie, KASA BYA KASA, n°3 – 2002, p. 108-118
18. ZADI (Zaourou), Anthologie de la littérature orale de Côte d’Ivoire, Ouagadougou, L’Harmattan Burkina,
2011, 307 pages
19. ZUMTHOR (Paul), « Médiéviste ou pas », in Poétique, 31, Paris, Seuil, septembre 1977, pp. 306-321

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INTRODUCTION
L’entraînement à la lecture auquel les apprenants s’exercent dans les lycées et
collèges les conduit nécessairement à tenir les livres pour unique viatique vers la
littérature. Que leur approche de la littérature se limite au seul code de l’écrit se
comprend, les enseignements insistant rarement sur l’oralité. De fait, ces études ne
peuvent vraiment prétendre cerner le littéraire dans ses codes, sens et esthétique.
C’est pourquoi l’apprentissage de la littérature orale (africaine) reste aujourd’hui une
découverte pour nombre d’étudiants des facultés de lettres, surtout en Afrique-même.
Ce processus est l’aboutissement d’une marche dont les premiers pas ont été
amorcés au XXème s.

Apportant la contradiction aux théories négationnistes centrées sur Europe dont


des bribes persistent en ce début de XXIème s1. et, se libérant du nihilisme colonial,
dont l’une des ambiguïtés a consisté à faire butin d’une partie considérable des
œuvres d’art africaines2 tout en leur déniant leur génie, la seconde moitié du XXème s.
a impulsé une perception plus juste de la civilisation africaine par la reconnaissance
de son patrimoine culturel. Avant ce siècle, les discours sur le continent noir et l’image
qui en était présentée étaient réduits à de méchants clichés qui décrivaient une terre
sauvage3 habitée de peuplades et d’êtres primitifs, tenant plus de la bête que de
l’humain, étranges, et à qui l’idée de civilisation ne s’appliquait point. Pour beaucoup,
les racines de tels mythes déshumanisants se situent dans la nature des rapports que

1
- Dans le discours prononcé le 26 juillet 2007 à Dakar, M. Sarkozy, alors Président de la République de France,
affirmait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain qui,
depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne reconnaît que
l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet
imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »
Le rapprochement avec la pensée hégélienne est facile à faire. Pour s’en convaincre, lisons quelques propos du philosophe
allemand dans La raison dans l’histoire (1830) : 1-« Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer
l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre
représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. » ; 2-« Il résulte de tous ces différents
traits que ce qui détermine le caractère des nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible d’aucun
développement, d’aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie
de l’arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n’a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les
manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que
nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. »
Un groupe d’Intellectuels, publiant L’Afrique Noire répond à Sarkozy, lui a mené le débat suite aux propos de M. Sarkozy.
2
- La question est d’actualité, notamment en ce qui concerne les œuvres d‘art africaines détenues dans les
musées occidentaux en général et français en particulier. Le Bénin, ex Dahomey, réclame plusieurs de ces pièces à l’ex
puissance colonisatrice.
3
- C’était l’esprit des grandes découvertes que d’aller à la conquête des terres sauvages d’Afrique.
4
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l’Afrique a eus avec le reste du monde d’une part – surtout occidental – et dans
l’histoire de l’Europe elle-même, d’autre part.

500 ans de Traite des Noires4 ont historiquement fait pencher les rapports (de force)
en faveur de l’Occident. La colonisation n’a guère arrangé les choses, pensant et
organisant l’hégémonie européenne sur l’Afrique5. Les conséquences de ces
phénomènes historiques touchent la quasi-totalité des domaines de la vie sociale.
Elles influencent les mouvements des idées. C’est à deux de ces idées émanant du
XIXème s. en Occident qu’il faut demander les tenants de la perception moyenâgeuse
dont l’Afrique, son art et sa littérature ont été affublés. Nous traiterons d’abord de
l’exotisme ensuite du primitivisme.

L’exotisme européen se développe en réaction aux tendances de la société


industrielle consécutive de la révolution de 1750. C’était une perception des choses :
« Une œuvre d’art est appelée exotique non pas à cause de la seule présence
d’éléments étrangers […], mais lorsqu’elle est inspirée par les émotions provoquées
par l’évocation de pays étrangers ou par leur contact, en particulier par certains pays
de l’Orient et du Midi. La gamme de ces émotions va de la fascination pour les
coutumes inusitées et bizarres […] ou pour les passions exaspérées et même
monstrueuses […], à la jouissance d’une vie plus riche et libre de contrainte morale.
Cette vie, les romantiques et les décadents l’imaginèrent dans un Orient que les
rapports des voyageurs leur faisaient supposer plonger dans une atmosphère
excitante et voluptueuse […], et les continuateurs modernes des tendances
romantiques (Sherwood Anderson et D.H. Lawrence) la localisèrent chez des peuples
primitifs censés être les dépositaires d’instincts que la civilisation et la cérébralité ont
taris ou détruits au sein de la société industrielle. »6

Staszark perçoit des bases géographiques au discours exotique et souligne qu’il


procède d’une construction et d’une représentation qui partent d’un soi, posé comme
sujet :
« Pour comprendre l’exotisme, écrit-il, conçu comme un discours, il faut examiner
qui l’énonce, et dans quelles conditions – non seulement en termes d’histoire sociale
et politique, mais aussi en termes d’histoire culturelle et des représentations. Si

4
- Ces 500 ans de commerce honteux ont été classé crime contre l’humanité par l’Unesco. Les débats actuels qu’il
suscite porte sur le dédommagement à verser ou non aux peuples ayant subi cette pire forme d’esclavage. Abolie dans
les colonies de France par le Décret n° 2262de la Convention Nationale du 16, jour Pluviôse, an second de la République
Française, le 4 février 1794, l’Esclavage est pourtant rétabli en 1802 en France par Napoléon Bonaparte du Napoléon 1er
5
- Sur cette question, il est bon de rappeler que l’Afrique n’a pas été le seul continent colonisé par l’Occident qui
a soumis autant les Indes que les Amériques.
6
- E.U, p. 846
5
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l’exotisme relève d’un imaginaire géographique, il ne débouche pas moins sur des
pratiques bien réelles qui ont un impact sur le monde réel […]»7

Le processus conscient que Staszak désigne par l’exotisation naît, selon lui, de la
superposition du « bizarre » et du « lointain » après « assimilation de l’étrange et de
l’étranger qui suppose une superposition des distances symboliques et des distances
matérielles ». C’est en partant du point de vue du sujet (énonciateur) et de ses normes
que toute altérité, à mesure qu’elle est amplifiée par l’éloignement géographique,
devient exotique. Ainsi, « ce qui est exotique ne l’est que dans la bouche et dans les
yeux de l’Occident ». Mais il le devient davantage dans la mesure où le sujet combine
deux processus complémentaires : la dé-contextualisation puis la re-
contextualisation. En définitive, l’exotisation revient à « organiser le malentendu, ce
qui, pour STASZAK, n’est pas difficile ».

Quelques précautions hégémoniques complètent le processus dont le centre est


l’Europe. Et Staszak de préciser :
« N’est exotique qu’une étrangeté mesurée, acceptable, appréhendable. Domesticable
et domestiquée. […] Le sauvage n’est exotique que quand c’est un bon sauvage, ou
en tout cas, un sauvage anodin. Le barbare peut fasciner, mais on ne trouve pas
exotique ce qu’il y a de féroce. »8

C’est donc avec un regard exotique que l’Europe se lance à la rencontre-conquête


du monde non-européen en général et de l’Afrique en particulier. Sartres dans Orphée
Noire dénonçait déjà ce parti pris « blanc » en à juste titre :
« Car le Blanc a joui trois mille ans durant du privilège de voir sans qu’on le voie ; il
était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l’ombre natale, la
blancheur de sa peau c’était un regard encore, de la lumière condensée. L’homme
blanc, parce qu’il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc
comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l’essence secrète et
blanches des êtres. »9

Les conséquences des conquêtes n’ont pas été identiques pour tous. Sur le
continent noir, la pensée exotique s’est nourrie de la conviction de retrouver une
civilisation pure et à l’âge de l’enfance, de même que des êtres primitifs.
Le primitivisme forme une paire avec l’exotisme. Ce sont deux faces d’une même
médaille, deux manifestions d’une seule et même posture : l’hégémonique d’un

7
- STASZAK Jean François, Qu’est-ce que l’exotisme ? In Le Globe, Revue génévoise de géographie, tome 148,
2008, L’exotisme, p. 7
8
- STASZAK Jean François, op. cit, pp. 14-15
9- Jean-Paul Sartre, Orphée Noire, Préface à l‘Anthologie de la nouvelle
poésie africaine et malgache, par Senghor en 1948, p. ix
6
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Occident curieux. Retournons dans la seconde moitié du siècle des romantiques pour
mieux en comprendre la démarche :
« A la suite de JJ Rousseau, L’Occident considère sa culture avec circonspection, en
perçoit les travers ou les impasses et rêve à un passé dont l’ailleurs est l’incarnation
géographique ; état de nature ou de sauvagerie d’une humanité heureuse et innocente,
civilisations en enfance, fortes et authentiques ; traditions anciennes d’un monde pré-
moderne. L’exotisme est une forme de nostalgie ; le voyage dans l’espace, un
déplacement dans le temps. L’antimodernisme fin de siècle qui se développe en
Europe dans les années 1880 nourrit bien sûr le primitivisme (le goût pour l’antan)
mais aussi le l’exotisme (le goût pour l’ailleurs, comme l’illustrent si bien la vie et
l’œuvre de Paul Gauguin. »10

Insistons sur quelques notions importantes tirées de la citation précédente : « état


de nature ou de sauvagerie », « humanité heureuse et innocente », « civilisations en
enfance, fortes et authentiques » ; « traditions anciennes d’un monde pré-moderne ».
La satisfaction de cette curiosité et l’intensité du dépaysement aux attentes
préconçues ne sont possibles qu’à travers la rencontre du « civilisé et du sauvage,
du bon sauvage ». Robert Goldwater a ainsi souligné « le cheminement parallèle du
primitivisme et de la colonisation. » Un tel parallélisme n’est guère surprenant si l’on
convoque la logique selon laquelle le premier (primitivisme) justifie les visées
civilisatrices du second (colonisation). En parcourant les textes de Goldwater et
d’Apollinaire, Bogumil Jewsiewicki note …
« … la persistance de cette conception du primitif dont l’humanité s’exprimerait par
des émotions plutôt que par la raison, raison dont celui-ci se servirait d’ailleurs peu.
Sa vie émotive le porterait aux extrêmes ; soit il serait en proie à l’affliction la plus
profonde, soit au contraire, il éprouverait une joie immense. »11

L’examen de ces deux concepts - exotisme et primitivisme - éclaire l’image de


l’Afrique selon le point de vue Occidental et tout l’imaginaire qui en a découlé : espace
lointain et bizarre, ce continent à l’état de nature ne peut qu’être habité par des sous-
hommes, des peuples vivant à l’état sauvage, des peuples primitifs chez qui l’idée
d’une pratique de l’art ne peut qu’être réduite à un piètre bégaiement. Si le discours
général sur l’Africain était si dévalorisant, comment pouvait-il en être autrement pour
son art ? En un mot, l’Africain n’était pas capable, dans la pensée du XIXème s. d’art
ni même de parole, à plus forte raison de belles paroles ayant quelqu’accent littéraire.
La boutade de Silvestre Xavier Meinard Golberry sur les actes paroliers des Noirs est

10
- STASZAK Jean François, op. cit, p. 16. C’est le lieu de rappeler que le « mal du siècle » est l’une des
caractéristiques de la sensibilité romantique. Il trouve sa résolution dans la tension vers l’altérité et dans le goût pour ce
qui est exotique.
11- JEWSIEWICKI Bogumil, Le primitivisme, le postcolonialisme, les antiquités «nêgre » et la question nationale,
In. Cahiers d’Etudes africaines, vol.31 ; n°121-122, 1991, La malédiction, p. 192.
7
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emblématique de ces préjugés. Observant les peuples noirs rencontrés entre 1785 et
1787 dans les contrées occidentales d’Afrique, il décrit :
« Semblables aux enfants, les Noirs de l’âge le plus mûr appliquent l’attention d’une
journée entière à des occupations faciles, à des conversations qui, dans notre esprit,
ne passeraient que pour caquetages. Ils passent des journées entières à faire des
contes et des histoires. »12

Ce retour dans la pensée occidentale du XIXème s. permet de mesurer, à leur juste


valeur, les efforts des chercheurs et des pionniers qui ont réussi à faire de la littérature
Orale une discipline aussi riche que fondamentale dans les curricula de plusieurs
universités d’Afrique et du monde. Quels sont les concepts en présence dans cette
discipline ? Quel est son objet ? Quels sont ses enjeux ? Que recouvre sa
philosophie ? Quelle vision du monde véhicule-t-elle ? Quel état des lieux peut-on
faire en ce qui la concerne ? Quels défis doit-elle résoudre en contexte de modernité ?
Les questions abondent pour lesquels il convient maintenant de préciser les notions
clefs.

I- DEFINITIONS DES NOTIONS


La discipline universitaire de constitue la Littérature Orale ouvre les étudiants à de
nouvelles terminologies et à de nouveaux concepts. Ces notions tournant autour de
la civilisation ne demandent qu’à être clarifiées.

1-De la notion de Civilisation


Le Petit Robert (2013) distingue LA civilisation d’UNE civilisation et propose les
définitions ci-après :
LA civilisation : ensemble des caractères communs aux vastes sociétés considérées
comme avancées ; ensemble des acquisitions des sociétés humaines (par opposition
à Nature et à Barbarie)13 ;
UNE civilisation : ensemble des phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques,
scientifiques, techniques) communs à une grande société ou à un groupe de sociétés
(Civilisation chinoise, égyptienne…)14.

Que disent ces deux définitions ? Que LA civilisation distingue les sociétés
avancées des sociétés non avancées. Que les sociétés avancées sont celles qui ont
quitté l’état de la Nature et qui se sont éloignées de la Barbarie, alors que les sociétés
non avancées ont conservé l’état de Nature et sont restées rivées à la Barbarie. Dans

12- GOLGERRY (Xavier Meinrad), Fragments d’un voyage en Afrique, Paris, Treuttel et Würtz, 1802.
13-Le Petit Robert 2013, p. 444
14-Idem
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la logique de l’exotisme que nous avons expliquée plus haut, les sociétés d’Afrique
figurent parmi les non civilisées. LA civilisation classe donc DES civilisations.

Dans une approche plus anthropologique, UNE civilisation pourrait s’appréhender


comme …
« … un ensemble de réponses spécifiques apportées par des individus à leurs
préoccupations. Ces réponses ayant fini par s’installer dans leur conscience
collective, elles se sont muées en habitudes, distinguant ainsi ce groupe d’individus
de tout autre peuple. »15

Selon le rwandais Alexis Kagamé, le concept de « civilisation objective » repose


sur onze critères16. UNE civilisation se reconnaît ainsi par :
1-un système linguistique ;
2-un vaste territoire ;
3-une ancienneté d’occupation du territoire initial ;
4-un système économique efficace ;
5-un système de droit interne et international (ou tribal ou interclanique) comportant
en particulier l’administration de la justice ;
6-un système de coutumes sociales régissant les relations entre personnes et les
rapports entre groupes,
7-un ensemble de connaissances techniques proportionnées aux besoins réels des
groupes ;
8-une norme des réalisations artistiques (littéraire, musicale, plastique …) ;
9-un ensemble de connaissances scientifiques réelles et supposées ;
10-un système de pensée profonde ou philosophique ;
11-un système religieux qui donne à l’homme la réponse sur son origine, une règle de
conduite à tenir dans ses relations avec les trépassés, vis-à-vis aussi des forces
suprasensibles en soi inexpliquée et vis-à-vis de l’Existant éternel, ainsi que sur le
pourquoi de l’existence de l’homme sur la terre ou sa fin ultime.17

Sur cette même question de la caractérisation et de la distinction des civilisations


dans le monde, le traditionnaliste Jean Dérive pose trois critères essentiels qui
reprennent, en partie, les onze points d’Alexis Kagamé. Pour le Français, ce qui
distingue une civilisation d’une autre, c’est :
« [1] le rapport à l’au-delà et les rituels sacrés qui en découlent ; [2]
l’histoire avec son poids de mythes qui s’accumulent au fil des relectures et fondent
l’identité des groupes qui se reconnaissent à un passé commun ; [3] une structure
hiérarchisée, enfin, qui assigne à chacun sa place et dicte aux individus des normes
de comportement. »18

15-TIDOU D. Christian, Etude comparée du décepteur dans la littérature médiévale française et du décepteur
dans les contes traditionnels ouest-africains, Thèse Unique, Université AO, Bouaké, 2012, p. 53
16-KAGAMA Alexis, La Philosophie bantu comparée, Paris, Présence Africaine, 1976, p. 49
17- TIDOU D. Christian, Idem, p. 54
18- « L’Âme de l’Afrique », le Point Référence, Novembre-Décembre 2012, p.10
9
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Chacun de ces onze (11) points caractérisant une civilisation se vérifie dans le cas
de l’Afrique, du système linguistique au système religieux. Cet enseignement permet
de vérifier davantage le point 8 qui a trait à la norme des réalisations artistiques
(littéraire, musicale, plastique …). Ainsi comprise, une civilisation, avec la succession
des générations, engendre des traditions.
2-De la notion de Tradition
Le « tradere » latin est relatif à la « remise » et/ou à la « transmission non matérielle
». Les sens actuels du mot tradition conservent ces références. Trois nuances sont
apportées par Le Petit Robert :
1-doctrine, pratique religieuse ou morale transmise de siècle en siècle, originellement
par la parole ou l’exemple ;
2-information plus ou moins légendaire, relative au passé, transmise d’abord
oralement, de génération en génération, ensemble d’informations de ce genre ;
3-manière de penser, de faire ou d’agir, qui est un héritage du passé.

Après un passage en revue de ces définitions, Koffi Djéguéma précise qu’une


tradition est un « ensemble de valeurs et de pratique et qui donne sa spécificité à
chacune de nos sociétés »19 et apparente le sens du mot tradition à celui de
l’anglicisme Folklore.
Le Larousse, dictionnaire des synonymes et des contraires est plus court ; par
tradition, il entend « ce que transmet une génération » avant de lister comme
synonymes : coutume, habitude, héritage, pratique, rite, rituel, routine, usage.
Quant à Balandier, il distingue, comme le révèle Gosselin, la tradition vue de
l’extérieur et la tradition vu de l’intérieur :
« Vue de l’extérieur, la tradition représente ‘’le système des connaissances, des
valeurs, des prescriptions, des enseignements, des contraintes, qui assure l’adhésion
de l’individu à l’ordre social et culturel existant, et qui est transmis de génération en
génération’’ […] Vue de l’intérieur, la tradition est une fidélité au passé (une contre-
prospective). C’est pourquoi elle apparaît comme un legs qui sert de norme aux
pratiques présentes »20

La conséquence de la dimension intérieure de la tradition est qu’elle peut justement


être orale.

19- KOFFI (Djéguéma), « Tradition, tradition orale, littérature orale », in En-Quête, n°1, Revue scientifique de la
Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH), Université de Cocody, Abidjan, PUCI, p. 165
20- GOSSELIN Gabriel, Tradition et traditionalisme, In Revue française de sociologie, 1975, 16-2, pp.217.
10
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3-De la notion de Tradition Orale


Gabriel Gosselin écrit :
« Plus fondamentalement, la tradition est définie de l’intérieure par son moyen
principal, la parole (du moins dans bien des sociétés africaines). Cette parole ancienne
est un savoir qui remonte aux origines et qui fonde l’ordre présent. Elle est souvent
identifiée à ceux qui en ont la garde, et perçue comme un patrimoine que l’on se
transmet de génération en génération. ‘’Donc, actualisation du savoir ancien, plus
continuité de ce savoir’’.» 21

Les traditions, dans les sociétés africaines, ont été transmises d’une génération à
une autre par la parole. Les sociétés africaines, sociétés d’oralité, ont ainsi privilégié
la confiance en l’humain, plutôt que celle dans un système d’écriture. Ce choix a valu
à l’Afrique d’avoir été traitée de continent ayant ignoré l’écriture. Ce genre de débat,
inutile aujourd’hui, trouve des réponses dans la mise au jour des nombreux systèmes
d’écritures découverts dans toute l’Afrique au sud du Sahara.
Dans certaines langues d’Afrique noire, des mots font clairement référence aux
actions de LIRE et d’ECRIRE. Le site www.lisapoyakama.org révèle :
en Swahili : lire = kusoma ; écrire = kwandika ;
en lingala : lire = kotanga ; écrire = kokoma ;
en Bambara : lire = kalan ; écrire = sébé ;
en Haoussa : lire = karatou ; écrire = rouboutou ;
en Peul ; lire = djangougol ; écrire = windougol.

La présence de ces mots dans les langues noires prouve que les actions de lire et
d’écrire ont bel et bien existé dans leur culture. Sinon pourquoi créer des mots pour
des réalités méconnues. Certes, on admettra que « nulle part, chez nous, en Afrique,
l’écriture (…) n’a acquis un caractère de masse »22 bien qu’elle ait existé, comme le
confirme l’existence de plusieurs systèmes d’écriture africains :
l’écriture du royaume Bamoun au Cameroun ;
L’écriture Mendé en Sierra Léone avec 212 signes ;
l’écriture Bété inventé par Bruly Bouabré ;
le Guez en Ethiopie ;
l’écriture Nsibidi au Nigeria et au Cameroun ;
l’écriture Gicandi des Kikuyu du Kenya ;
l’écriture Vaï de Sierra Léone;
les écritures Pkelle, Loma et Basa du Libéria ;
l’écriture Oberi Okaime du Nigéria ;
l’écriture Djuka de Surinam ;

21- GOSSELIN Gabriel, Op. cit, idem


22- ZADI (Zaourou), Anthologie de la littérature orale de Côte d’Ivoire, Ouagadougou, L’Harmattan Burkina,
2011, p.10
11
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

l’écriture wolof du Sénégal.23

Malgré l’existence de ces systèmes, l’écriture semble avoir été une affaire de
privilégiés, l’affaire d’une « élite minoritaire » dans les sociétés précoloniales. La
transmission des traditions ne pouvait s’opérer que par la parole ou par
l’enseignement direct des pratiques. Pour Zadi Zaourou, la tradition orale concerne
donc :
« Tout le savoir du passé, qu’il se laisse classer dans le domaine de l’économie, de
la science ou du droit, toute notre littérature profane ou sacré, en somme, tous les faits
de civilisation de nos sociétés anciennes, ou bien s’exprimaient oralement et
appartiennent de ce fait au domaine de la tradition orale, ou bien se manifestaient sous
des formes concrètes et visibles qui, parce que non classifiées et commentées par des
ouvrages, ne peuvent nous être révélées aujourd’hui que par les témoignages
oraux. »24

A la question de savoir ce qu’est un document de tradition orale (en Côte


d’Ivoire), le spécialiste répond :
« Est donc document de tradition orale toute parole juridique, historique, artistique,
etc., non pétrifiée par l’écriture mais, également, tout discours sur la pratique
scientifique, technologique, économique ou autre de nos société ancienne. »25

Cette définition est valable pour toute autre partie de l’Afrique au moins. Et elle
ouvre sur une forme de littérature qui n’est autre que la littérature orale.
4-De la notion de Littérature Orale
La Littérature Orale est un aspect de la tradition orale dont l’existence est annoncée
dans les civilisations (africaines) dès lors qu’elles possèdent, un système linguistique
et surtout une norme des réalisations artistiques (littéraire, musicale, plastique …).
Son objet est principalement « la parole artistique proférée », « toute parole artistique
non pétrifiée par l’écriture ». Plusieurs définitions en ont été proposées. Revenons ici
sur celles qui nous paraissent plus éclatantes quant à la connaissance de ce
domaine.

Pour Geneviève Calame-Griaule, la littérature fait appel à des codes linguistiques


et culturels. Elle est : « La mise en forme, réglée par un code propre à chaque langue
et à chaque société d’un fond culturel »26.

23- Pour l’inventaire des systèmes d’écriture, le site www.lisapoyakama.org cite comme sources L’histoire
générale de l’Afrique noire, volume 1, chapitre 10, Pathé Diagne, pages 280-286.
24- ZADI, idem, p. 10
25- Idem, ibidem
26- Cité par Koffi Djéguéma, op. cit, p. 171.
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

Chez Roland Colin, la littérature orale opère par distinction des paroles :
« La pluie vient des nuages, mais tous les nuages ne donnent pas la pluie. Ainsi la
littérature (orale) est parole, mais toute parole n’est pas littérature. Pourquoi ? La
parole littéraire est une parole forte, qui prend une certaine forme lui permettant
d’atteindre tous les hommes et qui survivra aux circonstances or elle a été prononcée.
Elle contient des choses qui se rapportent au sens de la vie de l’homme et au sens du
monde de quelque manière et elle donne à ce qu’elle exprime une forme que l’on
accueille avec un certain bonheur, comme la saveur d’un fruit. »27

Avec Jeanine Fribourg,


« Les œuvres de la littérature orale sont (…) cette partie de la tradition orale qui a pris
une forme littérature, une structure propre au groupe qui la produit, et qui obéît en
outre bien souvent (mais pas toujours) à certaines règles d’expression (interdits).»28

Selon Beleka Bamba, la littérature orale est : « l’usage esthétique du langage qui
permet d’exprimer d’une façon particulière, un état d’âme, une vision du monde, une
histoire, un fait ».29

Avec Eno Belinga, la littérature orale, « on peut la définir comme, d’une part, l’usage
esthétique du langage non écrit, et d’autre part, comme l’ensemble des
connaissances et des activités qui s’y rapportent »30.
Pour Zadi Zaourou, le terme de « littérature étant impropre et étriqué », la littérature
orale devrait plutôt être désignée « parole artistique proférée ».31
Littérature Orale ou parole artistique proférée, parole tournée vers le bien dire, cet
aspect de la culture et de l’art reconnus aux sociétés africaines s’exprime par des
genres dont la taxonomie emprunte des chemins différents de ce qui s’observe dans
le cadre de la littérature écrite. Dans entrer ici dans une critique de ces genres – ce
n’est pas le propos de ce cours – nous pouvons les énumérer avec Bienvenu
Koudjo32. Ainsi, la littérature orale s’intéresse-t-elle à/au :
 mythe ;
 la légende ;
 l’épopée ;
 conte ;

27- Cité par Koffi Djéguéma, op. cit, p. 171.


28- Idem, ibidem
29- Cité par Koffi Djéguéma, op. cit, p. 172
30- Cité par Tououi Bi dans Tradition Orale Africaine et philosophie de la vie, In Revue Ivoirienne d’Anthropologie
et de Sociologie, KASA BYA KASA, n°3 – 2002, p. 108
31- ZADI (Zaourou Bernard), idem, pp. 9-23
32- KOUDJO (Bienvenu), Pour une nouvelle taxinomie de la parle littéraire en Afrique, problématique des genres
de la littérature orale, Lomé, Awoudy, 2015, 198 pages.

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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

 la fable ;
 proverbe ;
 la devinette ;
 nom ;
 la devise ;
 le panégyrique ;
 la poésie (lyrique) traditionnelle ;
 la chanson ;
 la prière ;
 l’incantation.

Comme on le voit les oralités africaines s’intéressent à tous les types de textes
profanes ou sacrés, en dehors du parler ordinaire né des conversations quotidiennes.
Bien que l’on la localise volontiers sur le champ de la civilisation africaine, l’oralité
n’est en rien spécifique aux peuples sub-sahariens. Donnons-en deux preuves :

Preuve 1 : l’oralité dans l’Antiquité grecque.

Comme le souligne Vincent Hecquet33, les premiers à faire exégèse de ce pan de


civilisation sont Milman Parry (1902-1935) et son élève Albert Lord (1912-1991) qui
étudiaient les poèmes d’Homère, l’antique poète grec qui a vécu au VIIIème s. avant
JC. « En 1928, révèle le site Wikipédia, [Milman Parry] obtient le titre de docteur ès
lettres à la Sorbonne pour sa thèse intitulée L'épithète traditionnelle chez Homère,
fondant ainsi ce qu'on appellera ensuite la théorie de l'«oralité»34. Lorsque Parry
décède, Lord, son disciple continue ses travaux. Dans son ouvrage The Singer of
Tales publié en 1960, Albert Lord « tenta de démontrer que les grandes épopées
d’Europe et d’Asie étaient les héritières non seulement d’une tradition orale mais
aussi d’une composition orale »35.

Preuve 2 : l’oralité du Moyen-Âge occidental (français)

Plus proche de nous, au Moyen-Âge, la littérature était « diffusée oralement et


consommée auditivement »36 avec les diseurs, ménestrels, jongleurs, troubadours,
trouvères… La lecture de la Chantefable Aucassin et Nicolette, qui alterne parties
chantées et parties dites, de même que les branches d’un Roman de Renart prouve

33- HECQUET (Vincent), « Littératures orales africaines », Cahiers d’études africaines [En ligne], 195 | 2009, mis
en ligne le 22 septembre 2009, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14052,
consulté le 12 août 2019 à 21h41.
34- https://fr.wikipedia.org/wiki/Milman_Parry, consulté le 12 août 2019, à 21h46.
35- https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Lord, consulté le 12 août 2019, à 21h50.
36- ZUMTHOR (Paul), « Médiéviste ou pas », in Poétique, 31, Paris, Seuil, septembre 1977, pp. 306-321
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

la littérature de cet espace occident et de ce temps à des origines orales. Analysant


des livres de Zumthor, Michèle Galy, écrit :
« P. Zumthor réaffirme une nouvelle fois avec force la spécificité des œuvres
médiévales : leur caractère essentiellement oral et la prédominance - au cœur même
des premières mises en écrit de la fiction - de la parole vive. Il nous invite à modifier
le regard critique que nous portons sur le Moyen Age et à le comprendre comme « le
lieu de résonance d'une voix »37.

Entendons donc que la littérature orale connaît des champs culturels et sociaux
d’existence, autres que l’Afrique noire. Cela dit, si l’enseignement d’une littérature ne
peut se faire sans parti pris idéologique, quelle est la pertinence et quels sont les
enjeux d’un enseignement de la littérature orale dans nos universités ?

II- ENJEUX DE LA LITTERATURE ORALE


Si la contestation de la valeur littéraire du patrimoine parolier de l’Afrique – et
d’ailleurs aussi – est aujourd’hui « anachronique », c’est parce que, comme le
souligne Tououi Bi, on le doit au fait que
« De nombreux travaux, et non des moindres, ont été consacrés à l’étude des
traditions orales africaines. En la matière, des noms illustres d’africanistes tels Marcel
Griaule, Dominique Zahan, Roland Colin, Jean Cauvin, etc., ainsi que des chercheurs
africains comme Bernard Zadi Zaourou, Pierre N’da Kan et bien d’autres encore
marquent à jamais l’impressionnant travail d’exhumation et de revalorisation de la
culture africaine. »38

Cette liste des artisans de l’exhumation de l’oralité africaine s’enrichit de noms des
« fils aînés du XXème siècle africain » : Boubou Hama, Amadou Hampaté Bâ, Léopold
Sedar Senghor, Birago Diop, Alioune Diop, Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo.
Cheikh Hamidou Kane, Georges Balandier, Lilyan Kesteloot, Djibril Tamsir Niagne
Christiane Seydou, Jean Dérive… sont d’autres éminences que l’on peut associer à
« quatre combats » importants :
« [1] assurer la défense et l’illustration de l’identité africaine, noire notamment ; [2]
riposter au mépris colonial par le défi intellectuel, artistique, scientifique ; [3] redonner
à l’Afrique sa vraie place dans l’histoire humaine et, enfin, [4] conquérir en une son
nom une part plus équitable dans le monde.»39

37- GALLY Michèle. Paul Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale. In: Médiévales, n°13, 1987.
Apprendre le Moyen-âge aujourd'hui. pp. 167-168
38- Tououi Bi, op cit, Idem
39- « L’Âme de l’Afrique », Le Point Référence, Novembre-Décembre 2012, p.9
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

A l’échelle d’un continent, d’une civilisation et d’une culture, les quatre combats
ainsi menée ne sont jamais gagnés définitivement, pas plus que leurs résultats ne
peuvent passer pour des évidences, une fois acceptées pour toute et par tous. Bien
au contraire, dans l’âpre concurrence entre les peuples qui est aussi une concurrence
des cultures, seules une réelle connaissance par les Africains de ce qu’ils sont et de
ce qu’ils apportent à l’humanité, toujours en construction, peut légitimer leur place et
le respect de leur identité. Se connaître soi-même pour mieux aller vers les autres. Il
s’agit aussi de décolonialiser des mentalités qui ont fini par se plier au diktat du regard
exotique « blanc » dépeint par Sartre. C’est un travail patient, qui doit s’appuyer sur
l’exhumation de tous les trésors encore enfoui dans les hommes, ceux des sachants
qui vivent encore et leurs disciples, et dans les hameaux les plus reculé du monde
rural.
Les enjeux de la littérature orale sont de plusieurs ordres. On peut en énumérer
quelques-uns :

 les enjeux identitaires pour continuer le travail de défense et d’illustration


de l’identité africaine, des identités nationales contenues dans les textes et
discours artistiques. C’est un travail qui permet, après les « fils aînés du XXème
siècle africain », à ceux qui ont la responsabilité de le recherche, de continuer
à tisser la corde;

 les enjeux idéologiques et intellectuels parce que trop de complexes sont


encore présents dans les mentalités africaines qui (s’) ignorent dans ce
contexte postcolonial et mondial. Les voyages historiques et culturels que
permettent les textes oraux offrent ainsi aux jeunes générations l’opportunité
de se redécouvrir et d’expérimenter l’entrée effective de leurs sociétés dans
l’histoire. De la sorte, elles auront un rapport plus juste vis-à-vis de leur
identité et de leurs cultures. L’enjeu idéologique réside aussi dans
l’affirmation de l’existence d’un art de la parole précolonial. Avec Zadi, il faut
rejeter l’idée selon laquelle « nos peuples n’ont découvert la parole artistique
qu’avec la domination coloniale européenne »40 et affirmer, au contraire, avec
Césaire « qu’aucune race ne possède le monopole de la beauté, de
l’intelligence, de la force, …) »41;

40- ZADI Zaourou, op.cit, p. 15


41- Idem, ibidem
16
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

 les enjeux scientifiques, discipline universitaire, la littérature orale a acquis


son caractère de science qui ouvre elle-même sur d’autres sciences plus
sociales comme anthropologie, la sociologie, la linguistique, l’histoire. Même
si elle possède un objet propre (le texte oral), elle entretient une
interdisciplinarité porteuse et pertinente;

 les enjeux socio-historiques sont d’autant plus important que Djibril Tamsir
Niagne confesse avoir parcouru « entrepris un voyage d’étude à la recherche
des traditions orale véhiculées depuis des siècles par les griots des territoires
mandingues »42 afin de proposer en 1960 une version de l’épopée de
Soundiata que l’on connaît aujourd’hui. La matière orale, même 60 ans après
conserve un pan important de l’histoire des sociétés africaines. Gayibor traite
longuement de cette question.43

 les enjeux esthétique et stylistique, bien qu’ils se posent moins aujourd’hui


qu’hier n’en demeurent pas moins centraux dans la mesure la découverte
des genres oraux africains et de leurs spécificités dans les cultures dont ils
émanent appelle sans cesse une actualisation des analyses et des outils
d’analyse ; il ne faut point se figer.

En enseignant cette discipline, nous faisons avec nos apprenant un voyage vers
la découverte d’eux-mêmes, nous recherchons qu’il jette sur eux et sur leurs culture,
un autre regard plus positivement construit et qu’il tue tout complexe lié à leur histoire
et à leur identité. Les enjeux ici sont certes disciplinaires. Mais, lieux, ils sont
identitaires et culturels. C’est pourquoi, l’étude des textes ne va pas sans faire la part
belle à la philosophie et à la vision du monde qui en découlent.

III- ATTRIBUTS, PHILOSOPHIE ET VISION DU MONDE EN


LITTERATURE ORALE
C’est nous appuyant sur les articles de Tououi Bi, de Heyndels et de Kalberg que
nous traiterons ce point. Dans leurs, le premier aborde les attributs et la philosophie
de la littérature orale quand les deux autres s’intéressent à la notion de vision du
monde.

42- Le Point-Référence, Novembre-Décembre 2012, p. 40


43- GAYIBOR (Nicoué Théodore), Sources orales et histoire africaine, Paris, L’Harmattan, 2011, 222 pages
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1-Attributs de la Littérature Orale africaine


La symbolisation et le rythme sont comme les deux attributs principaux qui
caractérisent la littérature orale africaine. D’où viennent les symboles et la pensée
symbolique. A ce sujet, Tououi Bi écrit :
« La pensée traditionnelle africaine, en effet, s’élabore essentiellement et non
exclusivement sur le principe de la pensée forte, c’est-à-dire le langage embelli par
toutes formes de rapprochements, d’analogie ou d’oppositions qui rendent le discours
narratif encore plus pertinent. »44

Puis plus, il définit :


« La symbolisation est donc un trait essentiel du souci d’esthétisation du référent.
Symboliser, c’est représenter, exprimer ou matérialiser par un symbole, selon le
Robert. Et le symbole lui-même, est ce qui représente une chose en vertu d’une
correspondance analogique»45

Pour faire un commentaire de ces deux informations, il faut comprendre que le


champ discursif des oralités africaines fait un large recours à des personnages
(animaux, objets, eaux…) qui tiennent autant de l’humain que du non humain pour se
construire. Pour parler d’un tel, le conte dira plutôt araignée, de tel autre de
Gboglokoffi. De la sorte, le discours pourra traiter son objet sans heurter de front.
C’est ce qui l’embelli. La parole utile le vivant et l’existant pour construire des
significations. Le conte, le proverbe, la poésie… opèrent de cette manière. L’image
est reine, avec le symbole et ce qui est présenté, pour être compris, demande un
décodage du symbole utilisé.

Pour ce qui est du rythme, il faut le rechercher dans « les faits de styles » liés aux
« insistances phoniques, aux cadences de récurrences, à la mesure de l’expression
plus oratoire et même au choc des images »46 selon Tououi Bi. Le rythme qui vise
l’expressivité maxima veut aussi toucher la cible du discours dans la profondeur de
sa sensibilité.
2-Philosophie de la littérature orale

Les attributs de la littérature Orale véhiculent sa philosophie, en tant que systèmes


d’idées qui cherchent à établir les fondements d’une science, (Larousse). Dégageons
ici quelques aspects de cette philosophie :

44-Tououi Bi, op. cit. p. 111


45-Idem, ibidem
46- Idem, p. 113
18
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

 la conception de l’esthétique : l’œuvre d’art n’a de valeur que parce qu’elle


contribue à mieux faire comprendre la société dont elle est tributaire ;

 la conception de la création littéraire : la création artistique est une re-création.


L’artiste n’est donc pas celui qui invente (forcément du nouveau), mais plutôt celui
qui se saisit d’une matière partagée pour la renouveler par son dire, avec sa
sensibilité personnelle ;

 la conception de la critique artistique : elle se fonde sur la connaissance des


principes suivis par les créateurs traditionnels et non sur des principes extérieurs à
l’œuvre créée, lesquels principes proviennent d’une philosophie endogène au
groupe ;

 la conception de l’auteur : l’auteur de l’œuvre d’art n’est pas un individu, comme


le serait celui d’un roman policier, qui seul, sur sa table de travail écrit. L’auteur
africain est d’abord un anonyme le conte vient du père du l’a reçu de son père, ainsi
de suite…) parce que la création est collective. Il n’y a pas de propriété absolue.
Tous travaillent sur la même matière.

3-Vision du monde attachée à la littérature orale


Si une vision peut s’analyser comme une projection à long terme de ce que l’on
envisage dans un monde idéal, la vision du monde, elle, rend compte de l’essence
d’une société telle qu’elle se positionne dans le réel et en appréhende les différentes
réalités. Les sciences humaines l’appliquent au groupe social et rarement à l’individu
bien qu’il faille chercher, surtout pour l’art, la rencontre de ces deux entités
individuelle et collective. Le concept a connu diverses fortunes en sociologie avant
que Weber ne lui accorde davantage d’importance et le mette en relation avec les
groupes sociaux47.
Selon Kalberg, la vision du monde, selon Weber, repose sur quatre grandes
questions :
« Quel est le sens de la vie ?
Comment vivre au mieux la nôtre ?
Quel but assigné à nos existences ?
Pourquoi la souffrance, l’injustice et la misère ne connaissent-elles pas de fin ? »48

47- KALBERG (Stephen), L’influence passée et présente des « visions du monde ». L’analyse wébérienne d’un
concept sociologique négligé. In Revue de Mauss, 2007/2 (N°30), pp. 321-352. Consulté sur www.cairn.info le 22 août
2019 à 21h21
48- Idem
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

Pour Lüscher, une vision du monde est un modèle opératoire de du monde, c’est-
à-dire une idée que l’in se fait du monde, idée basée sur ce qu’est la vie, idée qui
commande le choix des valeurs. Elle est aussi représentation du monde. Jaspers,
Lukacs, Goldman, etc. l’ont introduite dans l’analyse de l’esthétique littéraire.
L’analyse de Heyndels devient alors très intéressante sur ce point ; il saisit la vision
monde comme « l’expression structurelle et fonctionnelle de la situation relative d’un
groupe social dans un ensemble plus vaste »49. En littérature (écrite), elle marque la
« rencontre du génie de l’individu et de l’esprit du peuple ». Et Heyndels de poser les
questions littéraires liées à cette notion :
« On examinera plutôt ici le mécanisme à l’œuvre théorique dans le recours à notre
concept. Il s’agit donc de décomposer ce recours, et d’envisager, par cette opération,
quelle conception de la littérature, de création, il suppose et impose. »50

En faisant de l’oralité son mode privilégié de transmission, de jouissance,


d’expression, de communication, de réception, de consommation, la littérature orale
africaine place l’homme et la parole au cœur du vivant. C’est à lui qu’est adressée la
parole, c’est pour lui qu’elle prend des détours et se pare et s’embellit. Agrément, elle
est véhicule de civilisation et canal de rapprochement. Elle entend l’améliorer et
améliorer son existence. L’homme africain est un homme de la parole, un artiste de
la performance par la parole.
La parole justement acquiert un statut particulier51. Elle vit une fois qu’elle est
émise. Cette vie peut s’avérer productive et positive si les humains savent la manier.
Dans le cas contraire, la parole créatrice, la parole sacrée, la parole qui convoque et
appelle les réalités immanentes ici-bas, la parole qui maudit et qui bénit, qui soigne
et qui sauve, lien horizontal entre les hommes actuels, ceux d’hier et ceux de demain,
lien vertical, entre le Ciel et la terre, cette parole-là, de sa puissance peut devenir
destructrice.
Dans la vision du monde africaine, la parole accompagne et dit la vie en société, la
vie des groupes dans lesquels doivent résolument fondre les individus. Quels Sont
les défis majeurs de sa pratique aujourd’hui ?

49- Heyndels, R, Etude du concept de vision du monde : sa portée en théorie de la littérature In : L’Homme et la
société, N°43-44, 1977, Inédits de Lukàcs et textes de Lukàcs, pp. 135
50- Idem, Ibidem
51- Cf. Roulon-Doko, « Le statut de la parole » In Littératures Orales Africaines, Perspective théoriques et
méthodologiques, Paris, Karthala, 2008, pp. 35-47
20
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

IV- DEFIS MAJEURS DE LA LITTERATURE ORALE EN CONTEXTE


MODERNE
Entrée en modernité avec la marche inexorable du temps, la littérature orale, art et
discipline universitaire, donc science, doit faire face à des défis en vue de
sauvegarder la matière orale tout en continuant de l’injecter dans la société moderne
pour créer des changements positifs. Enumérons et commentons certains de ces
défis.

La collecte des textes : le patrimoine parolier africain doit être collecté. C’est
aujourd’hui une urgence perçu par l’Unesco qui a lancé un projet dans ce sens dès
les années 2010 et par l’Union africaine qui, par le biais du CELTHO du Niger poursuit
en ce moment un projet dans ce sens. L’histoire de l’Afrique, ses formes de pensées,
sa vision du monde restent encore à questionner à travers la matière orale auprès
des sachants et des communautés rurales. Les chercheurs sont appelés à cette tâche
importante.

La transcription des textes collectés : certes, il s’agit d’une matière orale, mais
le patrimoine parolier ne peut définitivement demeurer dans cet état. La conservation
par l’humain a montré ses limites. Le travail de transcription ne peut s’opérer que
grâce à une collaboration nécessaire avec les linguistes dont la science, peut mieux
saisir les nuances des langues africaines.

La conservation des textes recueillis : ce serait un premier objectif à atteindre


afin d’éloigner tout risque de perte de données. A ce niveau tous les supports sont à
explorer avec les évolutions technologiques : clef USB, cd, bandes son, écriture,
vidéo…

La diffusion de la matière orale : c’est ici qu’il faudra faire entendre et percevoir
ce qu’apporte et propose l’Afrique en matière de culture en général et de littérature
en particulier. Cette diffusion doit prospecter toutes les voies qui s’offrent à elle. Les
livres. Oui ! Mais aussi le cinéma, les bandes dessinées, la peinture, les festivals…
Dans ce sens, nous proposons aux étudiants la lecture du recueil de contes Les
entrailles de la terre de Tououi Bi. Il faut saluer le travail de l’Ivoirien Zohoré52 qui a
animé la légende baoulé de la Reine Pokou pour les écrans. Quant à la maison
d’édition Africa Reflets Editions53, elle a initié la collection Africonte dédiée aux contes
52
-Patron de presse, initialement illustrateur de presse.
53
Maison d’Edition de Côte d’Ivoire fondée en 2012. Meilleur éditeur de Côte d’Ivoire en 2017.
21
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS

authentiques d’Afrique. Le livre Kpatakolou et Gbeugbeugbeu sera étudié pour


étudier cette entrée du conte traditionnel dans la modernité et les modèles de
traditionalisme mis en œuvre.

L’insertion dans les programmes scolaires : ce vœu fut cher au Maître Zadi
Zaourou qui lançait : « Il faut créer des instruments pédagogiques pour que la
littérature orale soit enseignée dans nos écoles, de la maternelle à l’université. »54 En
Côte d’Ivoire une œuvre comme Soundiata ou l’épopée mandingue est lue dès le
second cycle. Pour le premier cycle, deux contes de la collection Africonte de Africa
reflets Editions dont au programme : Kpatakolou et Gbeugbeugbeu, inspiré d’une
chanson traditionnelle de Tima Gbahi par Zadi Zaourou, et Djomoya ou la folle
promesse, un conte sénoufo.

L’analyse esthétique : car il revient aux chercheurs et aux enseignant-chercheurs


d’inventer des méthodes d’analyse qui soient capable de exhumer la part d’histoire et
de discours que cache encore nos contes et mythes. De nombreux travaux existent
avec d’illustres chercheurs cités plus haut dans ce cours. Mais la critique doit sans
cesse renouveler ses formes et valoriser davantage cette matière précieuse qu’est
l’Oralité littéraire.
Concluons !

CONCLUSION
L’Oralité est un choix de civilisation en Afrique. Elle se retrouve aussi sur d’autres
continents et dans d’autres cultures. L’Afrique bien qu’ayant connu plusieurs
expériences d’écriture, est resté attachée à transmission orale et à la tradition orale.
La littérature orale est un aspect de la tradition orale. Elle concerne le patrimoine
parolier transmis de bouche à oreille, de génération en génération. Sa dimension
esthétique vient du désir de bien dire. C’est pourquoi, elle est « parole artistique
proférée ». C’est un art qui est vécu grâce à la performance des porteurs de parole.
La littérature orale qui véhicule la philosophie africaine de la littérature, dit aussi la
vision du monde des peuples noirs dont elle émane. Avec la modernité, elle doit
relever de nombreux défis sont les plus urgents ont pour noms : collectes des textes,
transcription des textes collectés, conservations des textes collectés, diffusion de la
matière orale, insertion dans les programmes scolaire, recherche de méthode
d’analyse propres.

54
- ZADI Zaourou, op.cit., p. 3
22

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