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Dr TIDOU D. Christian
Août 2019
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS
SYLLABUS
Intitulé : Problèmes généraux de la Littérature Orale
Type : CM
Code : TLO 6411
Volume horaire : 14 heures
UE de rattachement : Traditions et Littérature Orale : initiation/étude de documents
Niveau : Licence 1/FIP 1
Semestre : 01
Crédit : 02
Enseignants : Dr TIDOU D. Christian
Grade : Maître-Assistant
Contact : 09 01 99 89
Email : christian.tidou@gmail.com
Statut : Permanent
OBJECTIF GENERAL
Ce cours a pour objectif de présenter et d’analyser les problèmes majeurs auxquels la Littérature Orale, en tant que
discipline universitaire doit faire face en contexte moderne.
OBJECTIFS SPECIFIQUES
Au terme de ce cours, les étudiants doivent être capables de :
Définir les concepts clefs ;
Comprendre la philosophie et la vision du monde attachées à la Littérature Orale ;
Identifier les défis majeurs de la littérature orale dans un contexte moderne ;
Analyser les réponses à ces défis scientifiques et disciplinaires.
PRE-REQUIS
Les prérequis demandés aux étudiants sont des notions de base sur la littérature et une connaissance suffisante de leur
culture et des cultures africaines.
CONTENUS
INTRODUCTION
I DEFINITIONS
II ENJEUX DE LA LITTERATURE ORALE
III ATTRIBUTS, PHILOSOPHIE ET VISION DU MONDE EN LITTERATURE ORALE
IV DEFIS MAJEURS DE LA LITTERATURE ORALE EN CONTEXTE MODERNE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET WEBOGRAPHIE
1. BIDIMA (Jean Godefroy), La Philosophie négro-africaine, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1995.
2. BAUMGARDT (Ursula) & UGOCHUKWU (Françoise) (dir.). Approches littéraires de l’oralité africaine.
Paris, Karthala, 2005, 334 p.
3. BAUMGARDT (Ursula) et DERIVE (Jean), Littérature orales africaines, perspectives théoriques et
méthodologiques, Paris, Kartala, 2008, 440 pages
4. CALAME-GRIAULE (Geneviève), « L’Art de la parole dans la culture africaine », n° XLVII, in Présence
Africaine, Paris, 1996.
5. CHEMAIN (Roger), L’Imaginaire dans le monde africain, Paris, L’Harmattan, 1986.
6. GALLY (Michèle). « Paul Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale ». In Médiévales,
n°13, 1987. Apprendre le Moyen-âge aujourd'hui. pp. 167-168
7. GAYIBOR (Nicoué Théodore), Sources Orales et histoires africaine, Paris, L’Harmattan, 2011, 222 pages
8. GOSSELIN (Gabriel), « Tradition et traditionalisme », In Revue française de sociologie, 1975, 16-2,
pp.215-227.
9. HECQUET (Vincent), « Littératures orales africaines », Cahiers d’études africaines [En ligne], 195 | 2009,
mis en ligne le 22 septembre 2009, consulté le 30 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14052
10. HEYNDELS R, éEtude du concept de vision du monde : sa portée en théorie de la littérature » In :
L’Homme et la société, N°43-44, 1977, Inédits de Lukàcs et textes de Lukàcs, pp. 133-140
11. KALBERG (Stephen), « L’influence passée et présente des « visions du monde ». L’analyse wébérienne
d’un concept sociologique négligé ». In Revue de Mauss, 2007/2 (N°30), pp. 321-352
12. KOFFI (Djéguéma), « Tradition, tradition orale, littérature orale », in En-Quête, n°1, Revue scientifique
de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH), Université de Cocody, Abidjan, PUCI,
pp.161-177.
13. JEWSIEWICKI (Bogumil), « Le primitivisme, le postcolonialisme, les antiquités «nêgre » et la question
nationale », In. Cahiers d’Etudes africaines, vol.31 ; n°121-122, 1991, La malédiction, pp. 192-213
14. KOUDJO (Bienvenu), Pour une nouvelle taxinomie de la parle littéraire en Afrique, problématique des
genres de la littérature orale, Lomé, Awoudy, 2015, 198 pages.
15. STASZAK (Jean François), « Qu’est-ce que l’exotisme ? » In Le Globe, Revue génévoise de géographie,
tome 148, 2008, L’exotisme, pp. 7-30
16. TIDOU (Djè Christian), Etude comparée du décepteur dans la littérature médiévale française et du
décepteur dans les contes traditionnels ouest-africains, Thèse Unique, Université AO, Bouaké, 2012,
595 pages
17. TOUOUI BI (Irié Ernest), « Tradition Orale Africaine et philosophie de la vie », In Revue Ivoirienne
d’Anthropologie et de Sociologie, KASA BYA KASA, n°3 – 2002, p. 108-118
18. ZADI (Zaourou), Anthologie de la littérature orale de Côte d’Ivoire, Ouagadougou, L’Harmattan Burkina,
2011, 307 pages
19. ZUMTHOR (Paul), « Médiéviste ou pas », in Poétique, 31, Paris, Seuil, septembre 1977, pp. 306-321
3
PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS
INTRODUCTION
L’entraînement à la lecture auquel les apprenants s’exercent dans les lycées et
collèges les conduit nécessairement à tenir les livres pour unique viatique vers la
littérature. Que leur approche de la littérature se limite au seul code de l’écrit se
comprend, les enseignements insistant rarement sur l’oralité. De fait, ces études ne
peuvent vraiment prétendre cerner le littéraire dans ses codes, sens et esthétique.
C’est pourquoi l’apprentissage de la littérature orale (africaine) reste aujourd’hui une
découverte pour nombre d’étudiants des facultés de lettres, surtout en Afrique-même.
Ce processus est l’aboutissement d’une marche dont les premiers pas ont été
amorcés au XXème s.
1
- Dans le discours prononcé le 26 juillet 2007 à Dakar, M. Sarkozy, alors Président de la République de France,
affirmait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain qui,
depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne reconnaît que
l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet
imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »
Le rapprochement avec la pensée hégélienne est facile à faire. Pour s’en convaincre, lisons quelques propos du philosophe
allemand dans La raison dans l’histoire (1830) : 1-« Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer
l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre
représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. » ; 2-« Il résulte de tous ces différents
traits que ce qui détermine le caractère des nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible d’aucun
développement, d’aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie
de l’arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n’a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les
manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que
nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. »
Un groupe d’Intellectuels, publiant L’Afrique Noire répond à Sarkozy, lui a mené le débat suite aux propos de M. Sarkozy.
2
- La question est d’actualité, notamment en ce qui concerne les œuvres d‘art africaines détenues dans les
musées occidentaux en général et français en particulier. Le Bénin, ex Dahomey, réclame plusieurs de ces pièces à l’ex
puissance colonisatrice.
3
- C’était l’esprit des grandes découvertes que d’aller à la conquête des terres sauvages d’Afrique.
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l’Afrique a eus avec le reste du monde d’une part – surtout occidental – et dans
l’histoire de l’Europe elle-même, d’autre part.
500 ans de Traite des Noires4 ont historiquement fait pencher les rapports (de force)
en faveur de l’Occident. La colonisation n’a guère arrangé les choses, pensant et
organisant l’hégémonie européenne sur l’Afrique5. Les conséquences de ces
phénomènes historiques touchent la quasi-totalité des domaines de la vie sociale.
Elles influencent les mouvements des idées. C’est à deux de ces idées émanant du
XIXème s. en Occident qu’il faut demander les tenants de la perception moyenâgeuse
dont l’Afrique, son art et sa littérature ont été affublés. Nous traiterons d’abord de
l’exotisme ensuite du primitivisme.
4
- Ces 500 ans de commerce honteux ont été classé crime contre l’humanité par l’Unesco. Les débats actuels qu’il
suscite porte sur le dédommagement à verser ou non aux peuples ayant subi cette pire forme d’esclavage. Abolie dans
les colonies de France par le Décret n° 2262de la Convention Nationale du 16, jour Pluviôse, an second de la République
Française, le 4 février 1794, l’Esclavage est pourtant rétabli en 1802 en France par Napoléon Bonaparte du Napoléon 1er
5
- Sur cette question, il est bon de rappeler que l’Afrique n’a pas été le seul continent colonisé par l’Occident qui
a soumis autant les Indes que les Amériques.
6
- E.U, p. 846
5
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l’exotisme relève d’un imaginaire géographique, il ne débouche pas moins sur des
pratiques bien réelles qui ont un impact sur le monde réel […]»7
Le processus conscient que Staszak désigne par l’exotisation naît, selon lui, de la
superposition du « bizarre » et du « lointain » après « assimilation de l’étrange et de
l’étranger qui suppose une superposition des distances symboliques et des distances
matérielles ». C’est en partant du point de vue du sujet (énonciateur) et de ses normes
que toute altérité, à mesure qu’elle est amplifiée par l’éloignement géographique,
devient exotique. Ainsi, « ce qui est exotique ne l’est que dans la bouche et dans les
yeux de l’Occident ». Mais il le devient davantage dans la mesure où le sujet combine
deux processus complémentaires : la dé-contextualisation puis la re-
contextualisation. En définitive, l’exotisation revient à « organiser le malentendu, ce
qui, pour STASZAK, n’est pas difficile ».
Les conséquences des conquêtes n’ont pas été identiques pour tous. Sur le
continent noir, la pensée exotique s’est nourrie de la conviction de retrouver une
civilisation pure et à l’âge de l’enfance, de même que des êtres primitifs.
Le primitivisme forme une paire avec l’exotisme. Ce sont deux faces d’une même
médaille, deux manifestions d’une seule et même posture : l’hégémonique d’un
7
- STASZAK Jean François, Qu’est-ce que l’exotisme ? In Le Globe, Revue génévoise de géographie, tome 148,
2008, L’exotisme, p. 7
8
- STASZAK Jean François, op. cit, pp. 14-15
9- Jean-Paul Sartre, Orphée Noire, Préface à l‘Anthologie de la nouvelle
poésie africaine et malgache, par Senghor en 1948, p. ix
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Occident curieux. Retournons dans la seconde moitié du siècle des romantiques pour
mieux en comprendre la démarche :
« A la suite de JJ Rousseau, L’Occident considère sa culture avec circonspection, en
perçoit les travers ou les impasses et rêve à un passé dont l’ailleurs est l’incarnation
géographique ; état de nature ou de sauvagerie d’une humanité heureuse et innocente,
civilisations en enfance, fortes et authentiques ; traditions anciennes d’un monde pré-
moderne. L’exotisme est une forme de nostalgie ; le voyage dans l’espace, un
déplacement dans le temps. L’antimodernisme fin de siècle qui se développe en
Europe dans les années 1880 nourrit bien sûr le primitivisme (le goût pour l’antan)
mais aussi le l’exotisme (le goût pour l’ailleurs, comme l’illustrent si bien la vie et
l’œuvre de Paul Gauguin. »10
10
- STASZAK Jean François, op. cit, p. 16. C’est le lieu de rappeler que le « mal du siècle » est l’une des
caractéristiques de la sensibilité romantique. Il trouve sa résolution dans la tension vers l’altérité et dans le goût pour ce
qui est exotique.
11- JEWSIEWICKI Bogumil, Le primitivisme, le postcolonialisme, les antiquités «nêgre » et la question nationale,
In. Cahiers d’Etudes africaines, vol.31 ; n°121-122, 1991, La malédiction, p. 192.
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emblématique de ces préjugés. Observant les peuples noirs rencontrés entre 1785 et
1787 dans les contrées occidentales d’Afrique, il décrit :
« Semblables aux enfants, les Noirs de l’âge le plus mûr appliquent l’attention d’une
journée entière à des occupations faciles, à des conversations qui, dans notre esprit,
ne passeraient que pour caquetages. Ils passent des journées entières à faire des
contes et des histoires. »12
Que disent ces deux définitions ? Que LA civilisation distingue les sociétés
avancées des sociétés non avancées. Que les sociétés avancées sont celles qui ont
quitté l’état de la Nature et qui se sont éloignées de la Barbarie, alors que les sociétés
non avancées ont conservé l’état de Nature et sont restées rivées à la Barbarie. Dans
12- GOLGERRY (Xavier Meinrad), Fragments d’un voyage en Afrique, Paris, Treuttel et Würtz, 1802.
13-Le Petit Robert 2013, p. 444
14-Idem
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la logique de l’exotisme que nous avons expliquée plus haut, les sociétés d’Afrique
figurent parmi les non civilisées. LA civilisation classe donc DES civilisations.
15-TIDOU D. Christian, Etude comparée du décepteur dans la littérature médiévale française et du décepteur
dans les contes traditionnels ouest-africains, Thèse Unique, Université AO, Bouaké, 2012, p. 53
16-KAGAMA Alexis, La Philosophie bantu comparée, Paris, Présence Africaine, 1976, p. 49
17- TIDOU D. Christian, Idem, p. 54
18- « L’Âme de l’Afrique », le Point Référence, Novembre-Décembre 2012, p.10
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Chacun de ces onze (11) points caractérisant une civilisation se vérifie dans le cas
de l’Afrique, du système linguistique au système religieux. Cet enseignement permet
de vérifier davantage le point 8 qui a trait à la norme des réalisations artistiques
(littéraire, musicale, plastique …). Ainsi comprise, une civilisation, avec la succession
des générations, engendre des traditions.
2-De la notion de Tradition
Le « tradere » latin est relatif à la « remise » et/ou à la « transmission non matérielle
». Les sens actuels du mot tradition conservent ces références. Trois nuances sont
apportées par Le Petit Robert :
1-doctrine, pratique religieuse ou morale transmise de siècle en siècle, originellement
par la parole ou l’exemple ;
2-information plus ou moins légendaire, relative au passé, transmise d’abord
oralement, de génération en génération, ensemble d’informations de ce genre ;
3-manière de penser, de faire ou d’agir, qui est un héritage du passé.
19- KOFFI (Djéguéma), « Tradition, tradition orale, littérature orale », in En-Quête, n°1, Revue scientifique de la
Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH), Université de Cocody, Abidjan, PUCI, p. 165
20- GOSSELIN Gabriel, Tradition et traditionalisme, In Revue française de sociologie, 1975, 16-2, pp.217.
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Les traditions, dans les sociétés africaines, ont été transmises d’une génération à
une autre par la parole. Les sociétés africaines, sociétés d’oralité, ont ainsi privilégié
la confiance en l’humain, plutôt que celle dans un système d’écriture. Ce choix a valu
à l’Afrique d’avoir été traitée de continent ayant ignoré l’écriture. Ce genre de débat,
inutile aujourd’hui, trouve des réponses dans la mise au jour des nombreux systèmes
d’écritures découverts dans toute l’Afrique au sud du Sahara.
Dans certaines langues d’Afrique noire, des mots font clairement référence aux
actions de LIRE et d’ECRIRE. Le site www.lisapoyakama.org révèle :
en Swahili : lire = kusoma ; écrire = kwandika ;
en lingala : lire = kotanga ; écrire = kokoma ;
en Bambara : lire = kalan ; écrire = sébé ;
en Haoussa : lire = karatou ; écrire = rouboutou ;
en Peul ; lire = djangougol ; écrire = windougol.
La présence de ces mots dans les langues noires prouve que les actions de lire et
d’écrire ont bel et bien existé dans leur culture. Sinon pourquoi créer des mots pour
des réalités méconnues. Certes, on admettra que « nulle part, chez nous, en Afrique,
l’écriture (…) n’a acquis un caractère de masse »22 bien qu’elle ait existé, comme le
confirme l’existence de plusieurs systèmes d’écriture africains :
l’écriture du royaume Bamoun au Cameroun ;
L’écriture Mendé en Sierra Léone avec 212 signes ;
l’écriture Bété inventé par Bruly Bouabré ;
le Guez en Ethiopie ;
l’écriture Nsibidi au Nigeria et au Cameroun ;
l’écriture Gicandi des Kikuyu du Kenya ;
l’écriture Vaï de Sierra Léone;
les écritures Pkelle, Loma et Basa du Libéria ;
l’écriture Oberi Okaime du Nigéria ;
l’écriture Djuka de Surinam ;
Malgré l’existence de ces systèmes, l’écriture semble avoir été une affaire de
privilégiés, l’affaire d’une « élite minoritaire » dans les sociétés précoloniales. La
transmission des traditions ne pouvait s’opérer que par la parole ou par
l’enseignement direct des pratiques. Pour Zadi Zaourou, la tradition orale concerne
donc :
« Tout le savoir du passé, qu’il se laisse classer dans le domaine de l’économie, de
la science ou du droit, toute notre littérature profane ou sacré, en somme, tous les faits
de civilisation de nos sociétés anciennes, ou bien s’exprimaient oralement et
appartiennent de ce fait au domaine de la tradition orale, ou bien se manifestaient sous
des formes concrètes et visibles qui, parce que non classifiées et commentées par des
ouvrages, ne peuvent nous être révélées aujourd’hui que par les témoignages
oraux. »24
Cette définition est valable pour toute autre partie de l’Afrique au moins. Et elle
ouvre sur une forme de littérature qui n’est autre que la littérature orale.
4-De la notion de Littérature Orale
La Littérature Orale est un aspect de la tradition orale dont l’existence est annoncée
dans les civilisations (africaines) dès lors qu’elles possèdent, un système linguistique
et surtout une norme des réalisations artistiques (littéraire, musicale, plastique …).
Son objet est principalement « la parole artistique proférée », « toute parole artistique
non pétrifiée par l’écriture ». Plusieurs définitions en ont été proposées. Revenons ici
sur celles qui nous paraissent plus éclatantes quant à la connaissance de ce
domaine.
23- Pour l’inventaire des systèmes d’écriture, le site www.lisapoyakama.org cite comme sources L’histoire
générale de l’Afrique noire, volume 1, chapitre 10, Pathé Diagne, pages 280-286.
24- ZADI, idem, p. 10
25- Idem, ibidem
26- Cité par Koffi Djéguéma, op. cit, p. 171.
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Chez Roland Colin, la littérature orale opère par distinction des paroles :
« La pluie vient des nuages, mais tous les nuages ne donnent pas la pluie. Ainsi la
littérature (orale) est parole, mais toute parole n’est pas littérature. Pourquoi ? La
parole littéraire est une parole forte, qui prend une certaine forme lui permettant
d’atteindre tous les hommes et qui survivra aux circonstances or elle a été prononcée.
Elle contient des choses qui se rapportent au sens de la vie de l’homme et au sens du
monde de quelque manière et elle donne à ce qu’elle exprime une forme que l’on
accueille avec un certain bonheur, comme la saveur d’un fruit. »27
Selon Beleka Bamba, la littérature orale est : « l’usage esthétique du langage qui
permet d’exprimer d’une façon particulière, un état d’âme, une vision du monde, une
histoire, un fait ».29
Avec Eno Belinga, la littérature orale, « on peut la définir comme, d’une part, l’usage
esthétique du langage non écrit, et d’autre part, comme l’ensemble des
connaissances et des activités qui s’y rapportent »30.
Pour Zadi Zaourou, le terme de « littérature étant impropre et étriqué », la littérature
orale devrait plutôt être désignée « parole artistique proférée ».31
Littérature Orale ou parole artistique proférée, parole tournée vers le bien dire, cet
aspect de la culture et de l’art reconnus aux sociétés africaines s’exprime par des
genres dont la taxonomie emprunte des chemins différents de ce qui s’observe dans
le cadre de la littérature écrite. Dans entrer ici dans une critique de ces genres – ce
n’est pas le propos de ce cours – nous pouvons les énumérer avec Bienvenu
Koudjo32. Ainsi, la littérature orale s’intéresse-t-elle à/au :
mythe ;
la légende ;
l’épopée ;
conte ;
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la fable ;
proverbe ;
la devinette ;
nom ;
la devise ;
le panégyrique ;
la poésie (lyrique) traditionnelle ;
la chanson ;
la prière ;
l’incantation.
Comme on le voit les oralités africaines s’intéressent à tous les types de textes
profanes ou sacrés, en dehors du parler ordinaire né des conversations quotidiennes.
Bien que l’on la localise volontiers sur le champ de la civilisation africaine, l’oralité
n’est en rien spécifique aux peuples sub-sahariens. Donnons-en deux preuves :
33- HECQUET (Vincent), « Littératures orales africaines », Cahiers d’études africaines [En ligne], 195 | 2009, mis
en ligne le 22 septembre 2009, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14052,
consulté le 12 août 2019 à 21h41.
34- https://fr.wikipedia.org/wiki/Milman_Parry, consulté le 12 août 2019, à 21h46.
35- https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Lord, consulté le 12 août 2019, à 21h50.
36- ZUMTHOR (Paul), « Médiéviste ou pas », in Poétique, 31, Paris, Seuil, septembre 1977, pp. 306-321
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Entendons donc que la littérature orale connaît des champs culturels et sociaux
d’existence, autres que l’Afrique noire. Cela dit, si l’enseignement d’une littérature ne
peut se faire sans parti pris idéologique, quelle est la pertinence et quels sont les
enjeux d’un enseignement de la littérature orale dans nos universités ?
Cette liste des artisans de l’exhumation de l’oralité africaine s’enrichit de noms des
« fils aînés du XXème siècle africain » : Boubou Hama, Amadou Hampaté Bâ, Léopold
Sedar Senghor, Birago Diop, Alioune Diop, Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo.
Cheikh Hamidou Kane, Georges Balandier, Lilyan Kesteloot, Djibril Tamsir Niagne
Christiane Seydou, Jean Dérive… sont d’autres éminences que l’on peut associer à
« quatre combats » importants :
« [1] assurer la défense et l’illustration de l’identité africaine, noire notamment ; [2]
riposter au mépris colonial par le défi intellectuel, artistique, scientifique ; [3] redonner
à l’Afrique sa vraie place dans l’histoire humaine et, enfin, [4] conquérir en une son
nom une part plus équitable dans le monde.»39
37- GALLY Michèle. Paul Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale. In: Médiévales, n°13, 1987.
Apprendre le Moyen-âge aujourd'hui. pp. 167-168
38- Tououi Bi, op cit, Idem
39- « L’Âme de l’Afrique », Le Point Référence, Novembre-Décembre 2012, p.9
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A l’échelle d’un continent, d’une civilisation et d’une culture, les quatre combats
ainsi menée ne sont jamais gagnés définitivement, pas plus que leurs résultats ne
peuvent passer pour des évidences, une fois acceptées pour toute et par tous. Bien
au contraire, dans l’âpre concurrence entre les peuples qui est aussi une concurrence
des cultures, seules une réelle connaissance par les Africains de ce qu’ils sont et de
ce qu’ils apportent à l’humanité, toujours en construction, peut légitimer leur place et
le respect de leur identité. Se connaître soi-même pour mieux aller vers les autres. Il
s’agit aussi de décolonialiser des mentalités qui ont fini par se plier au diktat du regard
exotique « blanc » dépeint par Sartre. C’est un travail patient, qui doit s’appuyer sur
l’exhumation de tous les trésors encore enfoui dans les hommes, ceux des sachants
qui vivent encore et leurs disciples, et dans les hameaux les plus reculé du monde
rural.
Les enjeux de la littérature orale sont de plusieurs ordres. On peut en énumérer
quelques-uns :
les enjeux socio-historiques sont d’autant plus important que Djibril Tamsir
Niagne confesse avoir parcouru « entrepris un voyage d’étude à la recherche
des traditions orale véhiculées depuis des siècles par les griots des territoires
mandingues »42 afin de proposer en 1960 une version de l’épopée de
Soundiata que l’on connaît aujourd’hui. La matière orale, même 60 ans après
conserve un pan important de l’histoire des sociétés africaines. Gayibor traite
longuement de cette question.43
En enseignant cette discipline, nous faisons avec nos apprenant un voyage vers
la découverte d’eux-mêmes, nous recherchons qu’il jette sur eux et sur leurs culture,
un autre regard plus positivement construit et qu’il tue tout complexe lié à leur histoire
et à leur identité. Les enjeux ici sont certes disciplinaires. Mais, lieux, ils sont
identitaires et culturels. C’est pourquoi, l’étude des textes ne va pas sans faire la part
belle à la philosophie et à la vision du monde qui en découlent.
Pour ce qui est du rythme, il faut le rechercher dans « les faits de styles » liés aux
« insistances phoniques, aux cadences de récurrences, à la mesure de l’expression
plus oratoire et même au choc des images »46 selon Tououi Bi. Le rythme qui vise
l’expressivité maxima veut aussi toucher la cible du discours dans la profondeur de
sa sensibilité.
2-Philosophie de la littérature orale
47- KALBERG (Stephen), L’influence passée et présente des « visions du monde ». L’analyse wébérienne d’un
concept sociologique négligé. In Revue de Mauss, 2007/2 (N°30), pp. 321-352. Consulté sur www.cairn.info le 22 août
2019 à 21h21
48- Idem
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Pour Lüscher, une vision du monde est un modèle opératoire de du monde, c’est-
à-dire une idée que l’in se fait du monde, idée basée sur ce qu’est la vie, idée qui
commande le choix des valeurs. Elle est aussi représentation du monde. Jaspers,
Lukacs, Goldman, etc. l’ont introduite dans l’analyse de l’esthétique littéraire.
L’analyse de Heyndels devient alors très intéressante sur ce point ; il saisit la vision
monde comme « l’expression structurelle et fonctionnelle de la situation relative d’un
groupe social dans un ensemble plus vaste »49. En littérature (écrite), elle marque la
« rencontre du génie de l’individu et de l’esprit du peuple ». Et Heyndels de poser les
questions littéraires liées à cette notion :
« On examinera plutôt ici le mécanisme à l’œuvre théorique dans le recours à notre
concept. Il s’agit donc de décomposer ce recours, et d’envisager, par cette opération,
quelle conception de la littérature, de création, il suppose et impose. »50
49- Heyndels, R, Etude du concept de vision du monde : sa portée en théorie de la littérature In : L’Homme et la
société, N°43-44, 1977, Inédits de Lukàcs et textes de Lukàcs, pp. 135
50- Idem, Ibidem
51- Cf. Roulon-Doko, « Le statut de la parole » In Littératures Orales Africaines, Perspective théoriques et
méthodologiques, Paris, Karthala, 2008, pp. 35-47
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS
La collecte des textes : le patrimoine parolier africain doit être collecté. C’est
aujourd’hui une urgence perçu par l’Unesco qui a lancé un projet dans ce sens dès
les années 2010 et par l’Union africaine qui, par le biais du CELTHO du Niger poursuit
en ce moment un projet dans ce sens. L’histoire de l’Afrique, ses formes de pensées,
sa vision du monde restent encore à questionner à travers la matière orale auprès
des sachants et des communautés rurales. Les chercheurs sont appelés à cette tâche
importante.
La transcription des textes collectés : certes, il s’agit d’une matière orale, mais
le patrimoine parolier ne peut définitivement demeurer dans cet état. La conservation
par l’humain a montré ses limites. Le travail de transcription ne peut s’opérer que
grâce à une collaboration nécessaire avec les linguistes dont la science, peut mieux
saisir les nuances des langues africaines.
La diffusion de la matière orale : c’est ici qu’il faudra faire entendre et percevoir
ce qu’apporte et propose l’Afrique en matière de culture en général et de littérature
en particulier. Cette diffusion doit prospecter toutes les voies qui s’offrent à elle. Les
livres. Oui ! Mais aussi le cinéma, les bandes dessinées, la peinture, les festivals…
Dans ce sens, nous proposons aux étudiants la lecture du recueil de contes Les
entrailles de la terre de Tououi Bi. Il faut saluer le travail de l’Ivoirien Zohoré52 qui a
animé la légende baoulé de la Reine Pokou pour les écrans. Quant à la maison
d’édition Africa Reflets Editions53, elle a initié la collection Africonte dédiée aux contes
52
-Patron de presse, initialement illustrateur de presse.
53
Maison d’Edition de Côte d’Ivoire fondée en 2012. Meilleur éditeur de Côte d’Ivoire en 2017.
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PARCOURS DE LITTERATURES ORALES (LIO)
GENRES NARRATIFS ORAUX - GENRES POÉTIQUES ORAUX - GENRES TRANSCODÉS
L’insertion dans les programmes scolaires : ce vœu fut cher au Maître Zadi
Zaourou qui lançait : « Il faut créer des instruments pédagogiques pour que la
littérature orale soit enseignée dans nos écoles, de la maternelle à l’université. »54 En
Côte d’Ivoire une œuvre comme Soundiata ou l’épopée mandingue est lue dès le
second cycle. Pour le premier cycle, deux contes de la collection Africonte de Africa
reflets Editions dont au programme : Kpatakolou et Gbeugbeugbeu, inspiré d’une
chanson traditionnelle de Tima Gbahi par Zadi Zaourou, et Djomoya ou la folle
promesse, un conte sénoufo.
CONCLUSION
L’Oralité est un choix de civilisation en Afrique. Elle se retrouve aussi sur d’autres
continents et dans d’autres cultures. L’Afrique bien qu’ayant connu plusieurs
expériences d’écriture, est resté attachée à transmission orale et à la tradition orale.
La littérature orale est un aspect de la tradition orale. Elle concerne le patrimoine
parolier transmis de bouche à oreille, de génération en génération. Sa dimension
esthétique vient du désir de bien dire. C’est pourquoi, elle est « parole artistique
proférée ». C’est un art qui est vécu grâce à la performance des porteurs de parole.
La littérature orale qui véhicule la philosophie africaine de la littérature, dit aussi la
vision du monde des peuples noirs dont elle émane. Avec la modernité, elle doit
relever de nombreux défis sont les plus urgents ont pour noms : collectes des textes,
transcription des textes collectés, conservations des textes collectés, diffusion de la
matière orale, insertion dans les programmes scolaire, recherche de méthode
d’analyse propres.
54
- ZADI Zaourou, op.cit., p. 3
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