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Notes de lecture

Valentin-Yves MUDIMBE
L’Invention de l’Afrique, Gnose, Philosophie et ordre de la
connaissance
(Présence africaine, Paris, 2021, 506 p., 20 €)

réalités africaines. L’auteur examine


ainsi les narrations externes qui ont
produit l’Afrique en un temps (1988)
où les débats étaient nombreux sur
la mise en scène de l’Autre. L’ambition
portée par ce volumineux ouvrage
(505 pages, dont 60 pages de
bibliographie un peu datée donc) est
de contribuer à produire une pensée
africaine sur l’Afrique en proposant
un état des lieux de la production
scientifique, des discours textuels
et des iconographies. Comme le
suggère l’auteur, pour éviter l’étreinte
de l’Occident, il est indispensable
« de mettre à jour non seulement 211
la compréhension rigoureuse des
modalités de notre intégration
aux mythes de l’Occident mais
aussi des questions explicites qui
permettraient d’être sincèrement
Il a fallu attendre trente-trois ans critique face à ce corpus ». Mudimbe
pour voir enfin une maison d’édition s’interroge ainsi sur la production
traduire en français (traduction des connaissances sur l’Afrique et
de l’anglais par Laurent Vannini), leur contexte historique, produit par
cet ouvrage de référence, cet essai la structure coloniale – conquête
incontournable des études africaines, territoriale, intégration des économies
The Invention of Africa, de Valentin- africaines dans celles des métropoles
Yves Mudimbe. Dans une approche et reformation des esprits africains.
large, cet ouvrage est une enquête Il s’agit donc bien d’un ouvrage,
sur les fondements du discours sur qui, bien qu’un peu ardu dans sa
l’Afrique, un peu commeL’Orientalisme lecture (l’approche philosophique
d’Edward Saïd l’avait été en son temps questionne ce que l’auteur
sur l’Orient. Dans cette perspective, nomme la « gnose africaine »,
l’ouvrage de Mudimbe soulève la soit le discours tant scientifique
question de ce que pourrait être un qu’idéologique sur l’Afrique), balaie
savoir à proprement parler africain, toutefois plusieurs champs des
en montrant les limites du regard sciences sociales et humaines pour
occidental dans l’appréhension des dévoiler et déconstruire les sources

Recherches internationales, n° 121, juillet-septembre 2021


Notes de lecture
ethnographiques et les imaginaires attendu 30 ans avant d’être livré au
qui leur sont associés afin de public francophone.
témoigner depuis l’Afrique, rendue À un moment où les discours sur
ainsi visible, de sa participation l’Afrique redeviennent caricaturaux et
cruciale et critique à la « librairie mal informés, ce livre est d’une grande
coloniale » qui a « inventé » une Afrique utilité (bien que daté, sans perdre pour
perçue comme le pendant négatif de autant toute sa vitalité) en tant que
l’Occident, était un des objets du programme d’une amplitude sans
livre, comme le souligne l’auteur. précédent, en tant « qu’archéologie
Ce panorama de la philosophie de la production des connaissances
africaine met au centre la production africanistes et africaines ». En cela,
scientifique des africains eux-mêmes l’auteur a su de belle manière faire
afin de lutter contre la colonisation dialoguer les modèles de recherche
non seulement des espaces mais américains et les traditions françaises
aussi des esprits. en engageant un vrai dialogue avec
Cet ouvrage est donc une les afrocentristes à qui ils reprochent
vraie somme, une « réelle base leurs discours trop ancrés dans un
de données » sur laquelle il est rapport de domination et pas assez
possible de s’appuyer pour mieux dans une production émancipée
appréhender le foisonnement de connaissances. A-t-il réussi ? La
intellectuel et la diversité des pensées réponse de Mamadou Diouf dans la
212 et de l’agir de l’Afrique. Cette diversité préface est on ne peut plus claire :
est ici essentielle à tous ceux et toutes « Ce livre, qui a déjà produit une
celles qui souhaitent s’intéresser et littérature importante, figure parmi
ou travailler sur ce terrain, car cet les lectures obligatoires dans toutes
ouvrage qui, comme d’autres, a connu les formations en études africaines
d’élogieux commentaires, mais aussi aux États-Unis ». C'est désormais vrai
d’acerbes critiques, est devenu une en France, ce qui ne sera sans doute
référence incontournable qui aura pas le seul de ses mérites.

Raphaël Porteilla

Recherches internationales, n° 121, juillet-septembre 2021

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