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Textyles
Revue des lettres belges de langue française

19 | 2001
La Classe des lettres
Comptes rendus
Ouvrages généraux

Albert (Christiane), dir.,


Francophonie et identités culturelles
Paris, Karthala, coll. Lettres du Sud, 1999, 344 p.

Pierre Halen
p. 128-130
https://doi.org/10.4000/textyles.991

Référence(s) :
Christiane Albert, dir., Francophonie et identités culturelles. Paris, Karthala, coll. Lettres du Sud, 1999, 344 p.

Texte intégral
1 La problématique des identités culturelles semble boucher l’horizon
contemporain, et non seulement dans le domaine quelque peu confiné, de la
critique des littératures francophones. Apparemment, on s’y retrouve sans peine.
La doctrine du respect des différences n’est pourtant plus le ferment libérateur
qu’elle a été pour des populations opprimées : elle est devenue l’idéologie
officielle de la Francophonie politique. Dès lors, quoi de moins risqué, que de
consacrer un livre de plus à cette question, dont, pourtant, on a assez montré à
présent l’ambigüité (cf. e.a. « La culture contre la civilisation ? », dans Textyles,
n°14, 1997, pp. 199-205) ? Reprenant les actes d’un colloque qui s’est tenu à
l’Université de Pau en mai 1998, avec l’appui de nombreuses instances locales et
nationales, le présent ouvrage ne témoigne toutefois pas seulement de ce
ronronnement consensuel.
2 Disons d’abord qu’on s’en est tenu à ce qu’on finira peut-être un jour par
appeler la francophonie touristique (vue de France) : celle des voyages au loin,
vers le Sud, les iles et le Québec. Des premiers, on nous rappelle que le français y
est « la résultante d’une situation de colonisation » ; du second, on nous assure
que l’identité s’y est construite « en s’émancipant du modèle linguistique et
littéraire proprement français ». Justifications un peu courtes et par trop
convenues, qui coïncident comme par hasard avec les domaines de spécialité de
l’éditrice, et qui n’expliquent pas l’éviction d’autres zones. On ne nous dit pas, du
reste, pourquoi l’espace francophone, non français, aurait une pertinence
scientifique eu égard à la question des identités. Certes, il sera beaucoup question
de la langue dans ces travaux, et plus précisément des relations entre des langues
en contact ; mais on ne nous démontre pas qu’il en va autrement pour d’autres
langues internationales. Pratiquement, la formule aurait pu permettre, en
principe, un centrement de la réflexion à l’intérieur d’un système institutionnel
qui a aussi une histoire propre. Mais de là à poser l’existence d’une « identité
francophone », il y a encore un pas.
3 On distingue ici deux axes de réflexion. Le premier concerne les relations des
écrivains avec la langue ; le second, « les réalités historiques et sociales comme
éléments structurants de l’identité ». Soient 21 contributions pour le moins
variées, suivies d’une table ronde. Pointons d’abord, pour ne pas les oublier,
deux articles de qualité, qui font clairement le point sur leur sujet : celui que
Léon-François Hoffmann consacre à « La langue française en Haïti », et celui par
lequel Jacques-Gérard Lapacherie retrace l’histoire des grecs-catholiques
d’Égypte.
4 Quant à la réflexion sur les identités, elle ne présente guère de cohérence à
l’intérieur du volume, en dépit des réflexions générales qu’on trouve tout à la fin.
Certaines contributions procèdent en effet d’une conception dualiste qui n’a pas
varié depuis les années 1950 : l’identité aurait été niée par le colonialisme, il
s’agirait alors de la retrouver sous la forme d’une nature, comme le suggère A.
Kom qui en appelle à « la longue marche [...] pour la conquête de l’identité
africaine » (p. 212) ; de même, André Ntonfo, à propos de la Martinique, perpétue
l’idée d’un « substrat culturel », d’une « nature » identitaire propre, etc. ; selon la
même vision sans doute inspirée par le romantisme national et une certaine
ethnologie, Roger Toumsoun pose que l’identité métisse est une contradiction en
soi (p. 242). Mais d’autres auteurs ont là-dessus un point de vue plus
contemporain, pour qui l’identité métisse pourrait bien être, à l’inverse, une
tautologie. Ainsi, Rosa de Diego, à propos de l’écriture migrante au Québec,
souligne le lien qu’il y a entre modernité et déracinement, exil ontologique et
géographique (p. 190) ; ceci entraine que l’exil est une situation universelle, et
que le déchirement, dont le ressassement douloureux caractérise la pensée
dualiste, peut être vu au contraire comme la condition positive d’une écriture
jamais réconciliée avec aucune « communauté ». Ou plutôt avec « le fantôme
d’une communauté inopérante », pour reprendre le titre de l’analyse que
propose Jean-Xavier Ridon à propos de la Traversée de la mangrove de Maryse
Condé. En fin de compte, c’est bien la « mocherie du monde » qui importe alors,
telle que la voit Abel Kouvouama dans l’œuvre de Sony Labou Tansi, et non la
question de savoir si la langue d’écriture est la sienne ou non (on écrit toujours
contre la langue). À cet égard, on notera qu’une certaine lassitude par rapport au
questionnement identitaire s’exprime aujourd’hui dans le chef de certains
créateurs : c’est le mérite de la contribution de Pierre Soubias (« Entre langue de
l’Autre et langue à soi ») que de s’être exercée à une intéressante rétrospective, à
l’aide de citations qui montrent assez clairement l’évolution des phraséologies en
la matière.
5 Il y a un autre problème de cohérence, qui semble lié à la répartition des
travaux en deux « axes », comme si l’on pouvait tenir une réflexion sur la langue
en dehors d’une réflexion sur les contextes. C’est ce lien qui me parait manquer à
la contribution de Lise Gauvin, évoquant la « surconscience linguistique » de
l’écrivain francophone qui serait condamné à « penser la langue » et à recourir à
des « stratégies de détour ». Sans doute, mais, d’abord, de quel écrivain parlons-
nous ? Beaucoup n’éprouvent aucun problème de ce genre. Et parler de stratégies
implique un point de vue plus institutionnel, donc une analyse du système de
réception dont nous, critiques universitaires, faisons partie. Le même problème
se ressent dans la contribution de L. Kesteloot à propos du « style instituteur » et
de l’irrégularité : comment séparer les choix linguistiques des contraintes que
fait peser sur eux le système littéraire dans son ensemble, y compris la critique
colloquante ? Éric Babou Benon, à propos du théâtre, et Salaka Sanou à propos
du roman au Burkina Faso, s’interrogent eux aussi sur cette sorte
d’hypercorrectisme qu’ils déplorent : tout se passe comme si nous avions à juger
des productions littéraires en fonction d’un seul modèle, implicite, celui d’une
« modernité » formelle qui n’est sans doute que la condition, à la fois, de
rencontrer la faveur des intellectuels et d’être exportable (ce qui explique que la
« volonté de plaire avant tout aux publics visés » soit ici présentée comme un
défaut). Le point de vue est tout différent, et plus productif, chez Michel Laronde
qui, à propos du « décentrage littéraire », aboutit à constater l’existence,
notamment chez C. Beyala, d’« une stratégie d’écriture post-coloniale consciente »
(p. 298). Il y a là un acquis dont toute analyse des identités — comme discours et
comme postures — devrait faire son bien aujourd’hui.
6 L’essai que consacre Christiane Albert aux Antilles, à mon sens le plus
intéressant du volume, est à cet égard révélateur. (Ceci pose tout de même
question : pourquoi diantre l’organisatrice, qui a visiblement une pensée neuve
et un peu bousculante sur le sujet, n’a-t-elle pas davantage conçu le colloque en
fonction de son approche personnelle ?). Dans « Le discours de la créolité et celui
du régionalisme français avant la Seconde Guerre mondiale : effets de mode et
enjeux identitaires » (pp. 247-258), Ch. Albert opère un rapprochement un
tantinet iconoclaste, mais néanmoins pertinent, entre deux mouvances dont la
doxa aimerait pouvoir penser qu’elles sont tout à fait étrangères l’une à l’autre. Il
n’en est rien, et la démonstration est particulièrement convaincante, qui montre,
outre de semblables « effets de mode » dans la réception, des enjeux idéologiques
en grande partie communs. Or, il est de bon ton de laisser penser que les Glissant
et autres Chamoiseau sont du « bon côté de l’Histoire », du côté progressiste,
s’entend, et qu’en outre ces « post-coloniaux » sont les porte-paroles novateurs de
populations opprimées, non les bénéficiaires de faveurs parisiennes. Le propos
de Ch. Albert, dans l’ensemble aussi convainquant que stimulant, me semble
malgré tout sous-estimer la part d’innovation contemporaine que comporte le
discours de la créolité, dans son adéquation théorique avec les productions du
« village global » post-colonial, et notamment avec la question du métissage qui
est reprise par ailleurs. D’autre part, il est tentant d’aller plus loin et de
s’interroger à propos de la mouvance plus large des littératures africaines et
antillaises (vues comme « exotiques ») dans ce qu’elles ont hérité du roman
colonial : ce dernier, en effet, n’est pas sans affinité avec le régionalisme littéraire
de l’entre-deux-guerres, et pour cause, puisqu’il s’est théorisé à ce moment dans
un système institutionnel de centre et de périphérie dont les constituants n’ont
guère varié depuis. Ceci, évidemment, dépasse le cadre bien circonscrit de cette
contribution.
7 Le fait est, d’une manière générale, que nous n’assistons à « l’éclatement des
modèles centralisateurs » dont parle J.-M. Grassin (p. 302) qu’à la surface des
discours. Le motif de la différence identitaire masque des enjeux matériels et
symboliques sans rapport avec la prétendue émergence de systèmes de plus en
plus indépendants. Certes, il existe des régimes de production locaux dans tous
les pays francophones : or, précisément, non seulement les écrivains qui y
ressortissent se soucient peu d’afficher leur « différence », mais ce n’est pas de
ceux-là qu’on s’occupe dans ce genre d’assemblée universitaire. Comme l’écrit
Soubias : « on sourira peut-être un jour de cette francophonie « plurielle » et
idyllique, dans laquelle les différences profondes […] sont machinalement
qualifiées de richesses et ne sauraient plus se vivre comme des contradictions »
(p. 134).
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Halen, « Albert (Christiane), dir., Francophonie et identités culturelles », Textyles, 19 | 2001,
128-130.

Référence électronique
Pierre Halen, « Albert (Christiane), dir., Francophonie et identités culturelles », Textyles [En ligne],
19 | 2001, mis en ligne le 27 juillet 2012, consulté le 24 janvier 2024. URL :
http://journals.openedition.org/textyles/991 ; DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.991

Auteur
Pierre Halen
Université de Metz / U.I.A.

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