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(1872-1943) à Sainte-Anne
Regard croisé d’historiens,
de psychologues et de sociologues
www.octares.com
Les archives de Jean-Maurice Lahy
(1872-1943) à Sainte-Anne
Regard croisé d’historiens,
de psychologues et de sociologues
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Paris, tél. 01 44 07 47 70, fax 01 46 34 67 19.
Première édition
© 2020 OCTARÈS Éditions
11 rue des Coffres, 31000 Toulouse, France
www.octares.com
ISBN 978-2-36630-099-4
Travail et Histoire
« On ne connaît pas complètement une science tant qu’on n’en sait pas l’histoire. »
(Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 2e leçon, 1830).
Ouvrages électroniques
André Ombredane (1898-1958) – Jean-Marie Faverge (1912-1988) – L’analyse du travail,
ruptures et évolutions sous la coordination de Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-
Fassina
Suzanne Pacaud (1902-1988) – De la psychotechnique à l’ergonomie – L’analyse du travail
en question sous la coordination de Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina
Connaissance du travail et orientation – Une histoire en débats sous la coordination de
Serge Blanchard et Régis Ouvrier-Bonnaz
Ouvrages papier
« Performances Humaines & Techniques » d’hier vers aujourd’hui sous la coordination
de Marie Christol-Souviron, Sylvain Ledux, Annie Drouin et Pascal Étienne
Les histoires de la psychologie du travail – Approche pluridisciplinaire sous la direction
d’Yves Clot
Travail, Personnalisation, Changements sociaux – Archives pour les histoires de la psycho
logie du travail de Jacques Curie
Alain Wisner et les tâches du présent – La bataille du travail réel sous la direction de
Jacques Duraffourg et Bernard Vuillon (Introduction d’Yves Schwartz Postface de
François Daniellou)
Sociologie du travail de Claude Durand
IV Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
DVD
Histoire d’ergonomie – Le temps des pionniers (1950-1980) de Christian Lascaux
Liste des auteurs
Dominique Brendel
Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
Centre hospitalier Sainte-Anne – Archives J.-M. Lahy
dominique.brendel@bbox.fr
Sophie Coeuré
Professeure des Universités
Laboratoire Identités – Cultures – Territoires (EA 337)
Université Paris 7 – Diderot
sophie.coeure@univ-paris-diderot.fr
Isabelle Gouarné
Chargée de recherches au CNRS
Centre universitaire de recherches sur l’action publique et la politique,
épistémologie et sciences sociales (CURAPP-ESS)
Université d’Amiens
isabelle_gouarne@hotmail.com
Jérôme Martin
Chercheur associé
Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation
(GRESHTO) – Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
– Conservatoire national des arts et métiers
jm.jeromemartin@gmail.com
Serge Nicolas
Professeur des Universités
Laboratoire Mémoire & Cognition
Institut de Psychologie, Université Paris – Descartes
serge.nicolas@parisdescartes.fr
Marco Saraceno
Chercheur associé
Centre d’études des techniques, des connaissances et des pratiques (Cetcopra)
Université Paris 1
ma.saraceno@gmail.com
Marcel Turbiaux (1931-2019)
Membre du Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orienta-
tion (GRESHTO) – Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
– Conservatoire national des arts et métiers
Responsable du classement des archives J.-M. Lahy au Musée d’histoire de la
psychiatrie et des neurosciences du centre hospitalier Sainte-Anne
Directeur scientifique du colloque : « J.-M. Lahy et ses archives : retour à Sainte-Anne ».
Sommaire
Avant-propos.........................................................................................................................1
Présentation – Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
En annexe : bibliographie de J.-M. Lahy établie par Marcel Turbiaux
Marcel Turbiaux (1931-2019).................................................................................................3
Le texte qu’il avait rédigé pour présenter les archives de J.-M. Lahy déposées
au Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier
Sainte-Anne et dont il avait mené à bien l’inventaire introduit ces actes. Pour lui, il ne
s’agissait pas de parler de l’homme en lui-même mais de son œuvre en l’inscrivant
dans un temps, des lieux, des institutions et une société donnés pour mieux saisir et
comprendre les situations, les expériences et les activités qui ont joué un rôle dans
sa façon de concevoir la psychotechnique en tant que discipline et le poids de cette
conception sur sa manière d’aborder les processus en jeu dans l’analyse du travail et
de l’orientation professionnelle.
Comme en témoigne le sommaire de ces actes, les auteurs des textes dans leur
domaine et à leur façon, se sont inscrits dans cette logique, pour compléter et
développer les différents aspects de la trajectoire et de l’œuvre de Lahy et préciser
l’apport des archives déposées à Sainte-Anne. D’une certaine façon, en procédant
ainsi toutes et tous participent au maintien de la mémoire de Marcel Turbiaux en
donnant une nouvelle vie au travail qui l’a mobilisé une grande partie de sa vie et
dont rendent compte les nombreux articles ou chapitres d’ouvrage qu’il a rédigés
sur le sujet. Qu’ils en soient ici remerciés.
Ces actes sont dédiés à Marcel Turbiaux (1931-2019) avec toute notre
reconnaissance pour sa contribution à l’histoire de la psychologie
Présentation
Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943)
à Sainte-Anne
Marcel Turbiaux
Cette présentation vise à rendre plus claire la lecture de l’inventaire des archives
de Jean-Maurice Lahy1.
Jean-Maurice Lahy est né le 7 août 1872 à La Réole (Gironde), fils de Jean Lahy,
menuisier ébéniste et de Marie Guithon, modiste. Il décédera le 22 août 1943 à
Saint-Léger-le Guérétois (Creuse).
Carrière
Carrière professionnelle
On manque de renseignements sur ses premières années.
En 1892, il entra aux Postes et Télégraphes comme commis auxiliaire et sur
numéraire à Bordeaux. À son retour du service militaire au 27e régiment de
dragons, effectué de novembre 1893 à octobre 1896 et qu’il termina au grade de
maréchal des logis fourrier, il est nommé titulaire sédentaire à la ligne du Sud-
Ouest, puis commis aux bureaux ambulants de la ligne de Lyon en 1898. En 1906
il sera nommé au grade de commis de 3e classe au service de la trésorerie et des
postes aux armées.
Le 16 février 1901 à Paris, il épouse Marie Blanche Trouillet (1881-1950),
mariage dissous par divorce par jugement du tribunal civil de la Seine en date
du 2 juillet 19192, mais qui lui mit le pied à l’étrier. En effet l’épouse était nièce de
Jean-Paul Trouillet (1855-1919), créateur en 1888 des Tablettes coloniales et auteur de
plusieurs ouvrages sur la politique coloniale, membre de nombreuses institutions
coloniales et directeur de La dépêche coloniale, « organe quotidien des possessions
françaises d’outre-mer et pays de protectorat », la plus importante feuille consa-
crée aux colonies, où Lahy émargeait déjà. C’est d’ailleurs avec la carte de visite de
rédacteur à La dépêche coloniale, bien que son nom n’y apparaisse pas en clair – un
1. Les archives de Jean-Maurice Lahy (alias J.-M. Lahy, son nom de plume), conservées au Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier Sainte-Anne, ont été inventoriées
par deux personnes de bonne volonté (Marcel Turbiaux et Dominique Brendel) mais non des archivistes
professionnels. C’est pourquoi, conscientes des imperfections possibles de leur travail, elles ont intitulé
le document présentant les archives « pré-inventaire ».
2. Il se remariera, le 30 janvier 1921, avec Marie-Charlotte Héloïse Hollebecque (1881-1957).
4 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
certain J. M., est-ce lui ? tenait la rubrique théâtre, concerts – que J.-M. Lahy assiste
au Congrès international de psychologie de 1900 (présidé par Théodule Ribot,
1839-1916).
Une profonde amitié liait Jean-Paul Trouillet à Eugène Étienne (1844-1921),
chef du parti colonial français, sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies en
1887, puis de nouveau de 1889 à 1892 et qui devint ministre de l’Intérieur en 19053.
Grâce à cette amitié, Lahy fut d’abord attaché puis sous-chef de cabinet du ministre,
le 28 septembre 1905. Quand Étienne passa au ministère de la Guerre (novembre
1905-octobre 1906), Lahy le suivit et devint chef adjoint de son cabinet civil ; ensuite,
en novembre 1906 il sera attaché au cabinet du ministre du Commerce et de l’Indus-
trie, Gaston Doumergue (1863-1937).
Cependant dès le 21 avril 1906 excipant de ses fonctions de chef adjoint au
cabinet civil du ministre de la Guerre, il avait sollicité du ministre des Finances,
Raymond Poincaré (1860-1934), un poste de receveur particulier des finances ou de
percepteur dans les environs de Paris. Il sera par arrêté du nouveau ministre des
Finances Joseph Caillaux (1863-1934) en date du 20 juillet 1908 nommé percepteur-
receveur municipal titulaire des sept communes composant la perception de Saint-
Leu-d’Esserent et en conséquence mis en disponibilité des Postes. Puis, par arrêté
du 21 mai 1922, il est nommé percepteur des sept communes composant la réunion
de Claye-Souilly, jusqu’à sa retraite en 1928.
Études
En dépit de ses obligations professionnelles, « Autodidacte, [il] avait été à l’école
des Hautes études pour s’initier à la sociologie »4 à côté de Téodule Ribot, dont
il déclarera en 1939 : « Je dois à Ribot une part de ma vocation psychologique. »5
Il avait aussi suivi au Collège de France les cours de physiologie de François-
Franck (1849-1921) qui étaient suivant la tradition de Claude Bernard essentielle-
ment consacrés à des expériences. Mais aussi selon Roger Piret6, il fut initié à la
physiologie par Auguste Chauveau (1827-1917) et Étienne-Jules Marey (1830-1904).
Dans une lettre à Raoul Husson (1901-1967) du 22 août 1930, il écrit à propos de
François Simiand (1873-1935) : « Il a été formé comme moi-même par la sociologie
3. En 1907 La dépêche coloniale publie d’ailleurs en deux volumes, sous le titre Eugène Étienne, Son
œuvre coloniale, algérienne et politique (1881-1906), un recueil de ses discours et écrits divers et
c’est Eugène Étienne qui prononça l’oraison funèbre de Jean-Paul Trouillet lors de son inhumation
au Père-Lachaise (Information communiquée par Bernard Trouillet, arrière petit neveu de Jean-Paul
Trouillet).
4. Henri Piéron. Cinquante ans de psychologie française, L’année psychologique, 1949 (1951), p. 552-
563, p. 560. Alors que les personnalités avec lesquelles il sera appelé à travailler étaient Nicolas
Vaschide, licencié en philosophie et en instance de soutenir sa thèse de médecine lorsqu’il mourut,
Piéron, agrégé de philosophie, licencié ès-science et docteur en médecine et Henri Laugier, docteur en
médecine et docteur ès-sciences.
5. Centenaire de Th. Ribot : jubilé de la psychologie scientifique française (1839-1889-1939), Agen,
Imprimerie moderne, p. 131.
6. Un grand disparu : J.-M. Lahy, Cahiers de pédagogie, 1946, 1, p. 24.
Présentation 5
Le franc-maçon8
Il était entré au Grand Orient de France le mois précédent son mariage, sans
doute à l’incitation de sa future belle-famille qui avait des liens très étroits avec des
francs-maçons, notamment Eugène Étienne. Il sera initié le 21 janvier 1901 à la loge
« Les Amis triomphants ». Il deviendra compagnon le 4 mars 1902, maître le 1er juil-
let de la même année et représentera la loge au convent de 1904. Il sera vénérable
en 1905 et le restera jusqu’en 1919. Entre temps en 1906, « Les Amis triomphants »
prendront le nom d’« Athéna », sans doute sous l’influence de Lahy qui fondera en
1920 la loge « Agni », dont le but était « de réunir les travailleurs intellectuels, les
techniciens et l’élite intellectuelle des travailleurs manuels pour appliquer à l’étude
maçonnique des questions sociales actuelles les méthodes de la Science moderne »9.
Il est élu au Conseil de l’Ordre en 1912 et de 1921 à 1924. Il s’investira beaucoup
dans cette organisation10 : il créera les Conférences du dimanche, « œuvre d’éducation
philosophique », décidée par « Les Amis triomphants » en 1904, pour « faire ce
que ne faisaient pas ni les universités populaires, ni l’enseignement public », c’est-
à-dire montrer « que tous les phénomènes cosmiques, biologiques, sociaux, sont
7. Mémoire de maîtrise de sociologie intitulé À la genèse des sciences sociales du travail : Jean-
Maurice Lahy (1995).
8. L’investissement de Jean-Maurice Lahy dans la Franc-maçonnerie se manifeste aussi dans ses rela-
tions. C’est pourquoi l’appartenance de celles-ci à cette organisation est signalée.
9. 1920 est aussi l’année où Jean-Maurice Lahy adhère au Parti communiste. La fondation de la nou-
velle loge semble marquer son souhait de concilier l’idéologie franc-maçonne et l’idéologie marxiste
(voir Travail d’Agni. Rapport sur la question A : La nouvelle économie ne sera pas distributive, ni fédé-
raliste, ni étatiste, elle sera marxiste, s.d. et 26 janvier 1936, à l’ordre du jour de la loge : « Appliquons
la méthode marxiste aux problèmes actuels »).
10. Jean-Maurice Lahy s’engagea très tôt dans la vie sociale : par exemple en 1900, il était vice-président
de l’Union des sociétés de gymnastique.
6 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
déterminés par des lois scientifiques connues » et ainsi saper « les bases mêmes de
la croyance religieuse »11.
C’est dans La revue socialiste, fondée par Benoît Malon (1841-1893) et dirigée alors
par Eugène Fournière (1857-1914), tous deux francs-maçons, qu’il publie plusieurs
de ses premiers travaux scientifiques. Surtout, il professe de 1909 à 1914 un cours
de sociologie au Grand-Orient de France. Celui-ci de son côté soutient son action
scientifique : Sélection des individus par l’orientation professionnelle en vue du travail
social : « Avant toute chose, il est nécessaire de SÉLECTIONNER LES INDIVIDUS
selon les méthodes si clairement exposées par le F. LAHY, c’est-à-dire de mesurer
leur valeur sociale en s’inspirant du travail social. »12 « Cette solution portera donc
11. Lui-même eut le projet d’un ouvrage, en trois volumes de 500 pages, illustré de 750 gravures, inti-
tulé De la Matière à l’Intelligence, essai de coordination des résultats acquis par les méthodes scienti-
fiques pour établir une connaissance de l’Univers, de la Vie, de l’Homme, de la Pensée et de la Société.
12. Convent, Grand Orient de France, septembre 1922, p. 306.
Présentation 7
aussi. Enfin, c’est son ami Felix Chevrier (1884-1962), vénérable d’honneur de la loge
« Agni », qui prononcera son éloge funèbre.
14. Ce groupe publia, en 1932 (Paris, Figuière) « Protégeons l’enfance contre l’enseignement clérical,
documents authentiques sur la morale, la science, l’histoire », avec une préface de Marceau Pivert
(1895-1958).
15. Paul Bouthonnier (1885-1957), Georges Cogniot (1901-1978), Georges Politzer (1903-1942).
16. J.O. n° 295 du 19 novembre 1932, p. 13055.
17. Pour une université ouvrière à Paris, L’Humanité, n° 12399, 24 novembre 1932.
Présentation 9
Carrière scientifique
L’année qui suivit son mariage, le 29 décembre 1902, Lahy entre comme élève
au laboratoire de « psychologie expérimentale » 21 qu’Édouard Toulouse (1865-1947),
nommé médecin-chef en 1898, avait ouvert à l’asile de Villejuif et dont il sollicitera
18. Créée en 1932, en tant que section française de l’Association internationale des écrivains révo-
lutionnaires, AIER (Moscou), l’association avait pour vocation de fédérer les acteurs d’une véritable
culture ouvrière et populaire engagée dans le combat politique.
19. En juillet 1936, après la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, en 1936, en suite de désaccords
sur l’attitude à adopter à l’égard des états fascistes, les amis de Langevin, communistes ou sympathi-
sants, quittèrent le comité.
20. Lettre à Raymond Carpentier, novembre 1980, archives personnelles.
21. Le personnel scientifique de l’École pratique des hautes études était non rémunéré, d’où la néces-
sité, pour Jean-Maurice Lahy, d’avoir une source de revenus, que lui procurait sa charge de percepteur,
10 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
l’essentiel du travail étant assuré par un commis, rétribué par le percepteur, ce qui accordait à celui-ci
une certaine disponibilité.
22. Il avait été également président du conseil municipal de Paris en 1899.
23. On ignore les conditions dans lesquelles Nicolas Vaschide et Henri Piéron ont intégré le laboratoire
de Toulouse. Il s’agit, très probablement, d’une démarche personnelle.
24. Le laboratoire de psychologie expérimentale fusionnera, en 1912, avec le laboratoire de « psycho-
logie physiologique » de la Sorbonne, créé par Henri Beaunis (1830-1921), en 1889, puis, à partir de
1894, dirigé par Alfred Binet (1857-1911) jusqu’à sa mort, où Henri Piéron (1881-1964) en devint le
directeur.
25. Alfred Fessard (1900-1982) entré, en 1921-22, au laboratoire, où il resta deux ans, grâce à un cama-
rade de lycée, lié à Lahy, a laissé des souvenirs de son passage : « À cette époque le laboratoire était
occupé à mettre au point des tests, temps de réaction, dynamographe, tests de fatigabilité, de suggestibi-
lité, épreuves de mémoire, réflexe psycho-galvanique […] etc. Les tests, en principe, auraient dû servir
à des examens systématiques de malades. En fait, cet usage était rare, et l’œuvre essentielle de ce labo-
ratoire au cours des quatre années qui suivirent, fut surtout consacré à la mise au point d’une méthode
expérimentale et statistique destinée à la sélection professionnelle des conducteurs d’autobus de la
STCRP » (Naissance et premiers pas des laboratoires de l’hôpital Henri-Rousselle, Cinquantenaire de
l’hôpital Henri-Rousselle, 1922-1972, Rueil-Malmaison, Laboratoire Sandoz, 1973, p. 32-36, p. 32).
Présentation 11
Le travail professionnel
C’est donc dans le laboratoire de Toulouse à Villejuif que Lahy effectua ses pre-
mières recherches.
Toulouse orienta son laboratoire dans trois directions :
–– étude du sommeil et des rêves (Vaschide) ;
–– mise au point d’appareils de mesure des sensations (Vaschide et Piéron) avec
la publication de Technique de psychologie expérimentale chez O. Doin en 1904,
signé de Toulouse, Vaschide et Piéron ;
–– le monde du travail (Lahy), qui se référera à ce dernier ouvrage26 pour
rechercher la supériorité professionnelle (comme Toulouse avait étudié la
supériorité intellectuelle chez Émile Zola27, Henri Poincaré et Jules Dalou)
dans des professions nouvelles où l’aspect intellectuel prédominait sur
l’aspect musculaire.
Ces professions étaient :
–– les dactylographes28 ,
–– les conducteurs de tramways, à une époque où la traction électrique
commence à remplacer la traction animale,
–– les compositeurs d’imprimerie, quand l’utilisation de la linotype sera
substituée à la composition à la main,
–– les marins radios télégraphistes et autres spécialités de la marine de
Guerre en 1927-1928.
26. Les auteurs affirmaient (p. 17) « Avec notre technique, on pourra faire, ce qui est un des buts de la
psychologie expérimentale et ce qui est d’importance au point de vue social, légal et pédagogique, des
examens individuels étendus, permettant d’attribuer à des individus comme des formules numériques
relatives à leurs opérations mentales et même des coefficients personnels. »
27. Enquête médico-psychologique sur les rapports entre la supériorité intellectuelle avec la névro
pathie, Paris, Société d’éditions scientifiques, 1896.
28. « Dactylographe », personne qui se sert d’une machine à écrire, apparaît en 1900.
29. Il créa également divers instruments de laboratoire, comme un dispositif portable pour étudier les
échanges respiratoire, un chronographe imprimeur, etc. (Voir bibliographie).
30. Ce test a fait l’objet d’une « étude critique » de Chrysostome, Frère Kloosternaam van Lawrence
Toussaint Dayhaw ; Jean Martin, Bulletin de l’Institut pédagogique Saint-Georges, Montréal, 1939.
12 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
31. Rapport de Mlle Catelet sur la sélection professionnelle, Association des surintendants d’usines et
des services sociaux, Assemblée générale, 21 février 1928, p. 26).
Présentation 13
L’orientation professionnelle34
En 1920, en accord avec Pierre Bovet (1878-1965) directeur de l’Institut Jean-
Jacques Rousseau de Genève, où depuis 1918 existait un service d’orientation
professionnelle ouvert avec le concours de Julien Fontègne (1879-1944), Édouard
Claparède (1873-1940) invita un certain nombre de personnalités à une conférence
internationale de psychotechnique appliquée à l’orientation professionnelle, qui se
tint les 24 et 25 septembre et dont le thème était « Aptitudes natives et aptitudes
acquises. Dans quelle mesure les tests applicables aux premières peuvent-ils rensei-
gner sur l’éducabilité ? » À l’issue de cette conférence, les congressistes décidèrent
32. Jean Coutrot proposera à Henri Laugier de le remplacer par Marc-Edmond Morgaut (1911-2004),
directeur de l’office d’orientation d’Orléans (auteur de Les Intérêts de l’enfant et l’orientation profes-
sionnelle, préfacé par Henri Piéron, 1936).
33. Auteur, notamment, de Les mathématiques de la psychologie (1940).
34. Édouard Toulouse (Les services ouverts, L’informateur des aliénistes et des neurologistes, n° 7,
juillet 1926, p. 153-164, p. 163), salue Jean-Maurice Lahy, « l’apôtre de l’orientation professionnelle ».
Jules Amar (1879-1935, Le travail humain, Paris, Plon, 1923, p. 32-33) revendiquera être l’auteur de
l’expression « orientation professionnelle » : « J’ai donné ce nom il y a dix ans, à une méthode physio-
logique toute expérimentale pour évaluer, précisément, les aptitudes humaines individuelles. »
Présentation 15
35. La Ligue d’hygiène et de prophylaxie mentale avait été fondée le 8 décembre 1920. Sa quatrième
commission, présidée par Jean-Maurice Lahy, comportait trois sous-commissions dont « la sélection
des écoliers en vue de l’orientation professionnelle ». Dans le compte rendu qu’il fera de la conférence
de Genève (La conférence psychotechnique de Genève, Journal de psychologie normale et patho
logique, 15 janvier 1922, p. 65-76), Jean-Maurice Lahy exposera sa propre conception de l’orientation
professionnelle.
36. L’Association internationale de psychotechnique a, dans sa commission de terminologie, proposé
de la définir comme « l’application des méthodes de la psychologie expérimentale à la poursuite de fins
pratiques dans toutes les sphères de la vie humaine, individuelle et sociale ». Le mot lui-même avait été
proposé en 1903 par William Stern (1871-1938, « Psychotechnik », Angewandte Psychologie, Beiträge
zur Psychologie der Aussagen, I, 1903, p. 4-45, p. 28-35), dans un sens très large, pour désigner toutes
les applications de la psychologie expérimentale aux « différentes conditions externes qui affectent le
travail humain à l’école et dans les activités professionnelles ». Ce serait au cours d’une promenade en
bateau sur le lac de Genève que William Stern, Jean-Maurice Lahy et Édouard Claparède se seraient
mis d’accord sur une définition plus restreinte d’application aux problèmes humains des données de la
psychophysiologie et de la psychologie expérimentale.
37. En 1955, le XIe congrès de l’Association internationale de psychotechnique remplaça « psychotech-
nique » par « psychologie appliquée ».
16 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
38. Outre les chambres de commerce, il faut citer les services de placement, les ateliers-écoles, les
comités de patronages d’apprentis, et aussi des œuvres privées. En fait, si l’idée de la nécessité d’une
orientation professionnelle était largement admise, pour certains elle était de la compétence de l’ins-
tituteur, pour d’autres, elle devait se faire à l’usine ou à l’atelier. Pour Jean-Maurice Lahy et d’autres,
la psychologie expérimentale en était la base. En 1922, Émile Gauthier (L’orientation professionnelle,
Revue internationale du travail, n° 6, mai, p. 759-773 p. 769) signalait : « En France, sauf peut-être
pour les villes de Strasbourg, Marseille et Roubaix, les offices [de placement] ont estimé qu’il y avait
lieu de différer l’emploi des méthodes psychotechniques, encore insuffisamment au point. » Encore
en 1936-37, sur 69 offices départementaux d’orientation professionnelle, 14 seulement utilisent des
tests (Michel Huteau, Édouard Toulouse et les débuts de la psychotechnique en France, Psychologie
et histoire, 3, 2002, p. 28-30). Sur les débats suscités par l’emploi des tests en orientation, voir Jérôme
Martin, L’usage des tests en orientation professionnelle dans la France de l’entre deux-guerres : un
enjeu scientifique, professionnel et social, Psychologie de l’enfance et du développement au 20 e siècle,
colloque, Genève, 2012.
Présentation 17
39. Jérôme Martin, Le mouvement d’orientation professionnelle en Franc. Entre l’école et le marché
du travail (1900-1940). Aux origines de la profession de conseiller d’orientation, thèse, 2011, p. 212.
40. Michel Huteau, Psychologie, psychiatrie et société sous la troisième république, Paris, L’harmattan,
2002, p. 319.
41. A.B. Fessard, H. Laugier et D. Weinberg. Biotypologie, décembre 1935, p. 145-182.
42. « La biotypologie n’est pas une science et ne possède aucune base scientifique ; elle apporte,
au contraire, une confusion dans la science et ses applications […]. On entend par biotypologie
la recherche au moyen d’épreuves variées tant psychologiques que physiologiques de caractéristiques
individuelles permettant de situer un individu donné dans une classification. Une telle classification non
seulement risque d’être arbitraire et par conséquent d’échouer pratiquement, mais encore elle deman-
dera des années de recherches pures avant de pouvoir même être discutée » (Archives SNCF déposées
à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle [Inetop], lettre du 28 novembre
1935 à Robert Le Besnerais (1893-1948), alors directeur de la compagnie du Nord, cité par Régis Ouvrier-
Bonnaz, L’histoire des chaires du Conservatoire national des arts et métiers concernant l’Homme au tra-
vail (1900-1945) entre production de savoirs et engagement politique, Cahiers d’histoire, 2010, p. 118).
18 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Lahy qui envisageait en 1927 d’étendre son action à toutes les écoles de la Ville
de Paris, ce qui n’eut pas lieu, fera cavalier seul en appliquant ses propres méthodes,
outre à l’« école à l’atelier » et à celle de l’avenue de Saint-Ouen, à l’école de filles de
la rue de Lesseps (1930), aux écoles rue des Pyrénées (1931), de garçons rue Sorbier,
de filles rue de la Bidassoa (1936-1937), du boulevard Saint-Marcel, de la rue Monge
(1934), aux classes de pré-apprentissage de l’école de garçons avenue Gambetta, aux
écoles avenue de Choisy, de Courbevoie, de la rue Saint-Louis-en-l’Île, afin de guider
les jeunes vers les professions pour lesquelles ils sont le mieux qualifiés.
En 1934, un projet, formé par Lahy, de création d’un centre de psychologie appli-
quée dans le groupe scolaire Karl Marx à Villejuif, dont le maire (communiste) était
Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), bien que très avancé, n’aboutira pas pour des
raisons budgétaires.
Ce projet illustre les liens entre le « compagnon de route du Parti commu-
niste » et l’activité professionnelle de Lahy. Ils se concrétiseront avec l’intervention
de Lahy et Heuyer à « L’avenir social » de Mitry-Mory, orphelinat créé en 1906 par
Madeleine Vernet (1878-1949). Le manque de ressources conduisit celle-ci à faire
appel aux syndicats. Mise en minorité à partir de 1922 par les organisations syndi-
cales et politiques, dont elle avait demandé le soutien, Madeleine Vernet, refusant
d’adhérer au Parti communiste, dut démissionner. L’orphelinat dépendit alors de
la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). En 1925, l’orphelinat démé-
nagera à La Villette-aux-Aulnes, à Mitry-Mory, mais, en 1926, il devra faire appel
au Secours ouvrier international (SOI), qui imposera Michel Onof (1893-1964),
secrétaire de la section parisienne du SOI. L’avenir social ne sera plus qu’une
maison d’éducation de classe, un foyer d’éducation prolétarienne, une pépinière
de futurs militants actifs dans le mouvement ouvrier, où l’éducation est « appuyée
des exemples qui nous viennent de la Russie soviétique […] profondément révolu-
tionnaire » (Claude Favier, 1927). « Les enfants sont répartis par communes portant
le nom d’un militant ou militante, connu et estimé du mouvement ouvrier inter-
national, dont il est fait aux enfants une petite apologie » (Onof, La vie enfantine
à La Couarde-sur-Mer, La solidarité sociale, n° 16, 15 septembre 1935, p. 2-3). L’ave-
nir social était dirigé en 1934 par Félix Brunand (1905-1981), nommé directeur par
le SOI, puis adjoint au maire de Mitry-Mory en 1935 lorsque la liste communiste
l’emporta. Brunand fera appel à Lahy pour organiser un service « d’orientation
professionnelle et de sélection d’enfants retardés ». Lahy interviendra également
dans les 5 groupes scolaires de cette commune. Avec Heuyer, il s’attachera à repérer
les enfants anormaux, car « à la base d’une éducation de classe, il faut des enfants
sains de corps et d’esprit. La lutte contre le régime capitaliste veut des combattants
intelligents, calmes, actifs, disciplinés » (Brunand), conformément aux principes
de l’école léniniste internationale43. Il n’est plus question d’orientation, mais de
« dépistage » des « moins doués » et des « mieux doués », à propos desquels Lahy,
43. Mais les enfants « anormaux » ne furent pas abandonnés par la création d’un dispensaire psycho-
pédagogique, dirigé par Dragutin Feller.
Présentation 19
44. Dans le programme du Comité d’hygiène mentale (L’informateur des aliénistes, n° 11, 25 novembre
1920, p. 323-324), Édouard Toulouse insistait sur la nécessité de ce triage : « Des sujets d’aptitudes
très diverses sont mêlés dans les classes, où le trop grand nombre d’élèves empêche d’individualiser
l’enseignement. Les écoliers d’intelligence supérieure ou moyenne sont entravés dans leurs progrès
par la présence de condisciples dont certains sont plus ou moins arriérés et ne parviennent pas à suivre,
même au prix d’efforts fatigants, un enseignement dont le niveau est cependant abaissé pour eux.
Il arrive, par contre, que des enfants très doués accaparent toute l’attention du professeur au détriment
des sujets moyens. » De même, la sélection professionnelle permettra de constituer une élite qui fera
avancer la démocratie.
20 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Divers projets
En 1920, Jules Amar (1879-1935) démissionne de la direction du laboratoire de
recherche sur le travail musculaire professionnel du Cnam dont il avait été chargé
en 1913. Lahy est l’un des quatre candidats retenus à sa succession (sur six), mais il
sera en deuxième ligne derrière Jean-Paul Langlois (1862-1923), qui sera confirmé et
le laboratoire transformé en chaire d’organisation technique du travail humain. C’est
Jean-Henri Pottevin (1865-1928), qui lui succédera et la chaire sera rebaptisée d’hy-
giène et physiologie du travail, puis deviendra de « physiologie du travail, hygiène
industrielle et orientation professionnelle » et sera confiée à Laugier. En 1928, alors
que l’Inop vient d’être créé, Lahy intervient auprès de Maurice Petsche (1898-1951),
rapporteur du budget de l’Enseignement technique46, pour que soit créée une chaire
45. Jacqueline Roca. De la ségrégation à l’intégration. L’éducation des enfants inadaptés, de 1909 à 1975.
Paris, CTNERHI, 1992, p. 82.
46. Maurice Petsche, député, deviendra sous-secrétaire d’État à la Guerre en novembre 1928.
Présentation 21
47. Rappelons que dès 1900, Édouard Toulouse avait soumis à Alexandre Millerand (1859-1943),
ministre du Commerce, un projet de « laboratoire de recherches biologiques et sociales, qu’il relancera
en 1905 auprès du nouveau ministre Fernand Dubief (1850-1916), sans autre suite qu’une subvention.
48. Jean-Maurice Lahy figurera parmi les collaborateurs de L’esprit nouveau (1920-1925), la revue de
Le Corbusier et préfacera le livre de Paul Dermée (1886-1951), directeur de la revue et Eugène Courmont,
Les affaires et l’affiche, Paris, Dunod, 1922.
49. Outre de possibles questions de personne, ce désaccord était aussi méthodologique. De nombreuses
recherches de Henri Laugier et de Jean-Maurice Lahy portaient sur les mêmes thèmes, mais, alors que
Jean-Maurice Lahy cherchait à répondre à des problèmes spécifiques « en fonction des besoins de l’entre-
22 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Propagande scientifique
Outre son activité d’enseignement, soucieux de répandre ses idées scientifiques,
mais aussi politiques et philosophiques, Lahy déploie une intense activité.
Sur le plan scientifique, il multiplie les conférences et publie les résultats de ses
recherches dans de nombreuses revues (voir bibliographie).
En 1927, alors qu’il avait formé le projet avorté d’une Revue de psychologie appli-
quée à l’industrie, à l’éducation et à la psychiatrie, il fonda, en 1929, sa propre revue, La
science du travail, avec le médecin belge Paul Sollier (1861-1933) et l’ingénieur luxem-
bourgeois Jean-Pierre Arend, dans « le but de tenir ses lecteurs au courant de toutes
les tentatives faites en vue d’organiser rationnellement le travail et d’obtenir une
meilleure adaptation de l’individu au travail professionnel, d’une part, celui de faire
connaître, d’autre part, les recherches scientifiques qui, dans cette voie, aboutissent
à des applications pratiques », avec un programme ambitieux, mais la revue fut un
échec et ne compta que deux années de parution. Aussi Lahy se résigna-t-il à s’asso-
cier avec Henri Laugier pour créer Le Travail humain, qui paraît toujours, dont il fut
l’inspirateur, en 1933, avec pour but la « connaissance de l’Homme en vue de l’utilisa-
tion judicieuse de son activité » et couvrant un champ très large : « la physiologie du
travail, la psychotechnique, l’orientation et la sélection scolaires et professionnelles, le
contrôle biologique de l’éducation physique et des sports ». Ce fut leur seule collabo-
ration bien que, dans ses recherches Laugier eût recours à des tests conçus par Lahy.
prise dans laquelle il [le laboratoire] est intégré », Henri Laugier était davantage intéressé à découvrir
des informations d’une application plus générale. Ainsi, tandis que Jean-Maurice Lahy (1933) crée
un « laboratoire psychotechnique » pour les Chemins de fer du Nord, Laugier et Weinberg fondent, la
même année, à la gare Saint-Lazare, « Le laboratoire du travail des chemins de fer de l’État français »,
qui sera transféré à Viroflay en 1936 (Le Travail humain, n° 3, septembre 1936, p. 237-268), préci-sant
(p. 237) : « Le laboratoire n’a pas été conçu comme un simple organisme d’application devant utiliser
les nombreuses données acquises au cours d’un passé récent par les psychotechniciens en vue de la
sélection du personnel ; il doit être en outre un véritable organe de recherches ayant pour but de faire
progresser activement les méthodes et les techniques relatives à l’utilisation rationnelle de la main
d’œuvre des grandes entreprises. » Jean-Maurice Lahy (1933, p. 410) critique cette conception, qui
oblige « les entreprises industrielles […] à de gros frais pour un rendement, parfois ‘‘plus apparent que
réel’’. » Le laboratoire de Viroflay était en concurrence avec celui de Jean-Maurice Lahy. Les méthodes
de sélection établies par le laboratoire de Viroflay ont été appliquées aux Établissements Hispano-
Comentry, où un laboratoire a été créé. Un chargé de missions du centre organisa des laboratoires sem-
blables à Bordeaux et à Sochaux. En juin 1939, le laboratoire de biométrie fut chargé d’appliquer ses
méthodes de sélection à celle des pilotes d’avions, des pointeurs de tir, des télémétristes et à l’étude des
conditions de travail en atmosphère close (fortifications, coupoles de tir, etc.).
Présentation 23
Il avait fait ses classes de journaliste à La dépêche coloniale, mais c’est dans Le rappel,
où il était chargé de la chronique scientifique et sociale, qu’il trouva une tribune en
publiant entre 1902 et 1930, plus de 150 articles50. En 1917, étant hospitalisé à Troyes,
il fournit également des articles au Petit troyen, sans compter des contributions spo-
radiques à d’autres journaux et Les cahiers d’Agni. C’est lui qui aurait lancé La vérité
sur les événements et les hommes, journal bimestriel, d’une seule feuille, paru du 24
avril 1934 au 25 septembre 1937, anticlérical, pro-soviétique et anonyme : seul le
nom du gérant, Robert Monnier, apparaît.
Joseph Berthelot affirme que les frères (FF) sont « instamment priés de donner
une ‘‘assistance morale et pécuniaire’’ à […] cette publication, si propre à exercer
une grande influence sur les adultes [qui] peut être vulgarisée, monnayée de deux
manières : en diffusant ses extraits par le tract ou l’affiche, en utilisant sa face vide
pour en faire une sorte de journal de commune ou de canton par des articles repro-
duits au moyen de la pâte à papier. »51
50. En 1921, L’ère nouvelle et Le rappel fusionneront « afin de coopérer plus étroitement à l’entente des
partis de gauche et à la propagande démocratique dont tous les républicains sentent le pressant besoin »
et deviendra L’Europe nouvelle. Jean-Maurice Lahy figurera toujours au nombre des collaborateurs,
mais n’y publiera pas.
51. Joseph Berthelot, Où en est le Grand-Orient, Études, 5 mars 1936, p. 638-654, p. 653.
52. L’occupation italienne dans le sud de la France, d’abord limitée, fut généralisée en novembre 1942.
Au Lavandou était le PC du 48e Régiment d’artillerie, dépendant du XXIIe Corps d’Armée, basé à Hyères
et commandé par le général Mario Vercellino (1879-1961).
24 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Les chapitres sont dispersés dans chacune de mes étapes, mais je les réunirai facilement
plus tard. Il en sera de même pour des “Principes de la psychotechnique” et un
“Manuel de psychotechnique ferroviaire’’ », qui semblent avoir disparu.
En effet selon Georges Refeuil, Lahy aurait détruit une partie de ses archives
avant de quitter Le Lavandou et lui-même, Georges Refeuil, franc-maçon, aurait
brûlé d’autres archives de Lahy, le 10 août 1940, à Brignoud (Isère).
Or fin juin-début juillet 1940 fut instauré à Paris l’Einsatzstab Reichsleiter
Rosenberg (ERR, Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg), ramification
opérationnelle du bureau qu’Alfred Rosenberg (1893-1946) dirigeait depuis 1934
pour la supervision de l’ensemble de la formation et de l’éducation spirituelle et
idéologique du parti nazi, les francs-maçons étant tenus pour « ennemis du régime
nazi ».
D’un autre côté par la loi du 13 août 1940, les sociétés secrètes, dont la Franc-
maçonnerie, furent dissoutes. (J.O. du 14 août, n° 201, p. 3365-3366). La loi sera com-
plétée par celle du 11 août 1941 (J.O. n° 221, p. 3365-3366), qui disposait en son article
Ier (p. 3366), que « Les noms des anciens dignitaires des sociétés secrètes dissoutes
seront publiés au Journal officiel ». Cette liste figure dans la même livraison et le nom
de Lahy est mentionné p. 3372 : « LAHY (Jean-Maurice), directeur du laboratoire
de psychologie appliquée à l’École des hautes études et à l’Institut de psychologie,
université de Paris, grade de 33e, ancien membre du Conseil de l’Ordre, 22 rue de
l’Observatoire, Paris 14. ». Il sera révoqué de son poste de la Sorbonne.
Cependant, l’inventaire publié en 2016 des saisies de l’Einsatzstab Reichsleiter
Rosenberg (http://www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html), qui désigne
Lahy effectivement comme franc-maçon et émigré (il était dans le Midi), indique
que ses archives ont été saisies les 20 et 21 novembre 194053, comportant 43 caisses
de livres et de manuscrits psychologiques. Cet inventaire n’indique pas le lieu de
la saisie, mais donne les deux adresses de Lahy, à Malakoff et au Lavandou. Cette
maison de Malakoff, œuvre de l’architecte-décorateur Georges dit Djo-Bourgeois
(1898-1937)54, où Lahy avait aménagé en avril mais qu’il n’habita guère, fut occupée
et saccagée par les soldats allemands qui l’occupèrent La lettre de remerciements
de Marie Lahy-Hollebecque, son épouse, qui ne figure pas sur cette liste, citée par
Sophie Coeuré (La mémoire spoliée, Paris, Plon, 2007, p. 189) : « Les caisses de livres
viennent de me parvenir, je les ai ouverts aussitôt et, à me trouver parmi ces œuvres
qui ont formé pendant des années le cœur même de ma pensée, j’ai éprouvé une si
forte émotion que je viens vous le dire, à vous qui me l’avez procurée »55, confirme
53. Dans une lettre du 17 février 1945, le Dr Le Cann, ancien médecin de l’établissement des pupilles
de la Marine, franc-maçon comme Lahy, accusera le médecin de Marine François Bayle (1906-1976),
affecté en 1937 à la division d’instruction de la Marine, puis, en 1941 détaché auprès du secrétariat géné-
ral à la Jeunesse et nommé au centre de formation des conseillers d’orientation à Clermont-Ferrand,
d’abord comme directeur, puis comme adjoint à Daniel Lagache (1903-1972) ; ultérieurement observa-
teur au procès des médecins de Nuremberg (décembre 1946-août 1947), de l’avoir dénoncé à la Gestapo
(dossier militaire de Bayle, archives de la Marine à Vincennes).
54. Il avait également aménagé son appartement parisien, avenue de l’Observatoire.
55. Selon l’inventaire de l’ERR, 10 000 volumes avaient été saisis chez les Lahy, 381 furent restitués
en 1948, plus un certain nombre d’autres et 174 en 1950.
Présentation 25
que c’est à la villa de Malakoff, que les archives de Lahy ont été enlevées. Elles furent
expédiées à Berlin pour être exploitées.
Après la capitulation de l’Allemagne à Stalingrad le 2 février 1943, l’intensifi-
cation des bombardements anglo-américains sur Berlin entraînèrent le déménage-
ment des archives spoliées et leur mise à l’abri, dispersées dans des caches « abris
militaires, châteaux pourvus de souterrains ou mines de sel » (Cœuré, 2007, p. 61).
Selon Patricia Kennedy Grimsted, de l’Université Harvard, à qui je dois de bien
précieuses indications, les archives de Lahy, avec d’autres, auraient été mises à
l’abri dans la banlieue de Kattowitz (Katowice) en Silésie, puis évacuées à Minsk
(aujourd’hui en Biélorussie) en octobre ou novembre 1945, où l’Armée rouge, lors de
son avancée, les récupéra comme « archives trophées ». Elles furent versées dans un
dépôt secret dépendant du Commissariat du peuple aux Affaires intérieures (NKVD),
les « archives spéciales centrales d’État », fondées par décret du 9 mars 1946 et placées
sous l’autorité du Conseil des commissaires du peuple, à Moscou. À Minsk, il resterait
encore des livres ayant appartenu à Lahy et à son épouse, qui n’ont pas été restitués.
En effet, Grimsted y a identifié au moins 8 ouvrages provenant de leur bibliothèque,
dont un exemplaire de La ville radieuse, dédicacé à Lahy par Le Corbusier.
Pendant cinquante ans, l’existence de ces archives secrètes a été ignorée.
La glasnost inaugurée par Mikhaïl Gorbatchev en 1986 entraîna la chute du mur
de Berlin en 1989, la dissolution de l’URSS et la création de la Fédération de Russie.
Boris Eltsine (1931-2005), son premier président en 1991 étant plus ouvert à l’Occi-
dent, l’existence des archives « trophées », provenant des spoliations nazies et que
l’on croyait détruites, commença à être dévoilée.
En février 1990, le quotidien Izvestia, n° 18-22 (Piat’dnei v Lsobom arkhive, Trois
jours aux archives), fit état de microfilms des registres du camp de concentration
d’Auschwitz transmis à la Croix-Rouge, mais ce ne fut qu’un an et demi après que
Patricia Kennedy Grimsted apprit d’un archiviste ami que plus de sept kilomètres
linéaires d’archives françaises que l’on croyait définitivement perdues se trouvaient
en fait depuis cinquante ans à Moscou, dans les « Archives spéciales ».
L’ambassade de France à Moscou entreprit alors des négociations qui furent
longues et laborieuses, la Russie exigeant en échange beaucoup de choses se trou-
vant en France. Finalement, un accord fut conclu entre les deux ministres des
Affaires étrangères, Roland Dumas et Andrey Kozyrev, le 12 novembre 1992. Dans
le même temps, les « Archives spéciales » prenaient le nom de « Centre de conser-
vation des collections historico-documentaires ». La France paya pour la restitution
des archives 3,5 millions de francs, plus 500 000 francs pour la « préparation de la
collection » et 50 000 francs pour l’aide aux recherches ; en outre, l’envoi en Rus-
sie d’archives provenant du gouvernement tsariste (comme les livres de bord des
navires russes mouillés en Tunisie dans les années 1920 ou les archives de la mis-
sion militaire russe à Paris pendant la Première Guerre mondiale). Pourtant, c’est
seulement fin 1993-début 1994 qu’un premier ensemble de documents, environ
deux-tiers des archives, fut rapatrié de Moscou56. Mais les conflits violents dans les
56. Bernard Cohen, dans Libération rendait compte de « La bataille des archives » et « Moscou accepte
de restituer 20 tonnes de documents des deuxièmes bureaux », annonçaient Jacques Isnard et Michel
Tatu (1933-2012) dans Le Monde du 14 novembre 1994.
26 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
57. Ph. D, dans Le Monde du 7 février 1997, titrait « Des trésors de guerre russifiés par la loi ».
58. D’autres archives de Jean-Maurice Lahy sont conservées ailleurs. Celles d’Henri Piéron, aux
Archives nationales, contiennent 239 lettres de Jean-Maurice Lahy, le fonds André Lebey (1894-1938), à
l’Office universitaire de recherches socialistes, 7 lettres ; les archives municipales de Toulouse, 1 lettre à
Émile Cartailhac (1845-1921) et la liste devrait être complétée. Par ailleurs, Marcel Turbiaux, au nom de
Madame Myrtille Lahy, petite-fille du second mariage de Lahy, ayant droit, a reçu les archives de Marie
Hollebecque-Lahy (fonds 276, 9 cartons contenant 111 dossiers) du ministère des Affaires étrangères le
27 février 2008. Elles ont été déposées par lui au musée du centre hospitalier Sainte-Anne.
Présentation 27
59. Note du GRESTHO : cette bibliographie est reproduite telle qu’elle a été rédigée par Marcel Turbiaux
avant son décès le 17 mars 2019. La mise en forme et le contenu ont été strictement respectés. N’y
figurent pas les articles publiés dans les journaux de la presse journalière ou hebdomadaire cités dans
l’article de présentation des archives. Aux dires de Marcel Turbiaux, la tâche était impossible à mener à
bien par une seule personne compte tenu de leur nombre et de la diversité des supports.
28 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Conférences du dimanche
Ces conférences organisées par le Grand Orient de France et un groupe de loges
de la région parisienne sur l’initiative de la R. : L. : « Athéna » (anciennement
« Les amis triomphants ») avec l’appui du G. : L. : GODF et du conseil fédéral de
la GLDF, 2e année 1905-1906. Rapport présenté par le F :. J.-M Lahy, Vén. De la R.L.
« Athéna » et approuvé à la réunion des loges adhérentes le 23 avril 1906. Paris ;
l’Émancipatrice ; 190660.
60. Ces conférences ont fait l’objet de compte rendu dans diverses publications maçonniques : l’Aca-
cia, : novembre 1910, 1ère année, 10e volume, n° 11, pp. 81-93 : les conférences du dimanche organisées
au GODF par les Ateliers de Paris sur l’initiative de la R. : L. : Athéna et avec l’appui du GODF :
l’œuvre philosophique des six premières années 1904-1910 : p. 128 : programme des conférences
et promenades du dimanche en 1911 : la vérité scientifique. Étude des procédés par lesquels l’homme
peut atteindre actuellement la vérité (le 5 mars 1911) ; Jean-Maurice Lahy prononça lui-même une
conférence intitulée : la science et la vérité) décembre 1910, n° 12 : les Conférences du dimanche, suite,
pp. 161-179. Décembre 1911, 9e année, 17e volume, n° 12 : les Conférences du dimanche organisées au
Grand Orient de France par les Ateliers de Paris, la septième année 1910-1919, pp. 721-729. Avril 1913,
11e année, 20e volume, n° 4, la huitième année 1911-1012, pp. 161-178 (conférence de J.-M. Lahy :
l’Étude scientifique de la conscience, p. 170) La lumière maçonnique, janvier 1910, pp. 14-16 : Confé-
rences du dimanche et la théâtre d’art. Annales des fêtes et cérémonies civiles. Septembre 1910, n° 1,
pp. 11-12 : conférences populaires et fêtes civiques. Novembre-décembre 1910, n° 3, pp. 125-136 et
janvier 1911, n° 5 pp. 218-219 : l’œuvre de la société des conférences du dimanche, à Paris. Septembre
1911, n° 13, pp. 596-600 : les Conférences du dimanche en 1910-1911. Mars 1912, n° 18, pp. 113 et
avril 1912, n° 19, p. 169 : les Conférences du dimanche en 1910-1912 (le 3 mars 1912, conférence de
Jean-Maurice Lahy sur « la vie sociale et la conscience individuelle ».
61. Dans cette collection paraîtront notamment, précédées d’une introduction de Jean-Maurice Lahy :
Histoire de la terre, par Charles Sauerwein. Paris ; Schleicher frères, s.d. L’Origine de la vie, par J.M.
Pergame, Ibid.
Présentation 29
– La morale comme fait social. La revue socialiste, 1909, t. 49, n° 293 (mai),
pp. 289-312.
– Le problème de la femme ouvrière. La revue socialiste, 1909, t. 49, n° 296 (août),
pp. 673-676.
– La franc-maçonnerie et la morale sociale. L’Acacia, 1909, 7e année, 14e volume,
pp. 211-234.
62. D’autres résumés de ces cours ont paru dans l’Acacia (8e année, 15e volume) en 1910, n° 1 (janvier)
pp. 25-37, n° 2 (février) pp. 84-101, n° 3 (mars) pp. 182-198, n° 4 (avril) pp. 241-253, n° 5-6 (mai- juin),
pp. 321-330.
30 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
(novembre), pp. 123-128. IV- Les influences subies. La Grande Revue, 1916, 20e année,
n° 12 (décembre), pp. 282-304 (signé : un officier).
– La notion du temps chez les combattants. La Grande Revue, 1918, 22e année, n° 7
(juillet), pp 45-61 ; n° 8 (août), pp. 241-255.
– Le système Taylor et la physiologie du travail professionnel. Paris ; Gauthier-Villars,
1921.
– L’aptitude à lire les manuscrits. Mon bureau, 1921, 12e année, fascicule L XXXV,
(15 mars), pp. 175-176.
– Une épreuve de sélection pour les employés de bureau. Mon bureau, 1921,
12e année, fascicule XCI (15 septembre), pp. 635-636.
– L’école, le laboratoire et le marché de la main-d’œuvre. IIe conférence inter
nationale de psychotechnique appliquée à l’orientation professionnelle. Barcelone, 20-30
septembre 1921, Barcelona ; Instituto de orientacion profesional, 1922, pp. 184-187.
– La sélection dans les transports. Barcelona ; Instituto de orientacion profesio-
nal, 1922, pp. 235-241.
– Existe-t-il des aptitudes psychophysiologiques pour l’exercice d’une profes-
sion ? Association française pour l’avancement des sciences. Conférences. Comptes rendus
de la 45e session. Rouen, 1921, pp. 1274-1279.
– La conférence de psychotechnique de Genève. Journal de psychologique normale
et pathologique, 1922, XIXe année, n° 1 (15 janvier), pp. 65-79.
– Une étude expérimentale de l’apprentissage en dactylographie. Mon bureau,
1922, 13e année, fascicule XCVI (15 février), pp. 101-103.
– L’efficacité des épreuves psychologiques pour l’orientation professionnelle.
Mon bureau, 1922, 13e année, fascicule XCVII (15 mars), pp. 184-185.
– La psychologie expérimentale, base de l’orientation professionnelle. Le bulletin
médical, 1922, n° 22 (24-27 mai), pp. 438-441.
– Le réflexe galvano-psychique. La médecine, 1922, 3e année, n° 9 (juin), pp. 696-701.
– L’orientation professionnelle. La pensée française, 1922, 2e année, n° 30 (8 juillet),
pp. 1-2.
– La fiche médicale de contre-indication. Le concours médical, 1922, 44e année, n° 28
(9 juillet), pp. 2 305-2 310.
– L’esprit d’initiative, élément de succès dans les affaires. Mon bureau, 1922,
13e année, fascicule 104 (15 octobre), pp. 741-744.
– Fabre ne fut qu’un médiocre biologiste. La pensée française, 1922, 2e année, n° 41
(23 décembre), pp. 12-13.
Qu’est-ce qu’une aptitude professionnelle ? IIIème conférence internationale de
psycho-technique appliquée à l’orientation professionnelle, Milan, 2-4 octobre 1922.
Atti della III confrerenza internazionale de psicotecnica applicata al orientamento profesio-
nale, Milan ; Societa umanitaria, 1923, pp. 31-38.
– La fiche médicale de contre-indication. Atti della III conferenza internazionale de
psicotecnica applicata all’orientamento professionale, Milan ; Società umanitaria, 1923,
pp. 74-78.
– L’éducation professionnelle du point de vue de l’hygiène sociale. Compte rendu
du congrès international de propagande d’hygiène sociale. Paris, 1922, pp. 99-111.
Présentation 33
* *
*
Sophie Cœuré
Voici plus de vingt ans que sont rentrées de Russie les archives spoliées pen-
dant la Seconde Guerre mondiale par les nazis, puis saisies par l’Armée rouge et
conservées au secret en Union soviétique pendant plus de cinquante années.
Le temps est venu de la valorisation de ces fonds restitués, dont l’histoire établie
dans les années 2000 connaît toujours de nouveaux rebondissements1.
Fig. Fig.
2 – 2Archives
– Archivesnationales (Pierrefitte)
nationales (Pierrefitte)
Fichier Fichier central de la direction de la Sûreté.
central de la direction de la Sûreté. Fonds de Fonds de Moscou
Moscou (cote(cote
19940508/1404)
19940508/1404)
Quant à Marie Lahy-Hollebecque, normalienne, agrégée des lettres, journaliste,
Quant à écrivaine,
Marie Lahy-Hollebecque, normalienne,
c’était une femme engagée agrégée desantifascistes
dans les mouvements lettres, journaliste,
et féministesécrivaine,
c’était une femme engagée dans les mouvements antifascistes et féministes etconnue
et de défense des enfants, proche elle aussi du Parti communiste, mais moins de défense des
et moinselle
enfants, proche visible quedu
aussi sonParti
époux, cas de figuremais
communiste, classique
moinsdans les couples
connue intellectuels
et moins visible que son
de l’entre-deux-guerres (Dreyfus, 2012). Son nom ne figure pas sur les listes de
époux, cas de figure classique dans les couples intellectuels de l’entre-deux-guerres (Dreyfus,
l’ERR : elle n’était donc pas visée directement, mais ses livres et ses papiers furent
2012). Son nom neavec
emportés figure
ceuxpas
de sur
son les listes
mari. deLahy
J.-M. l’ERR : elle n’était
se trouvait donc pas
en mission visée directement,
au laboratoire
mais ses psychotechnique
livres et ses papiers
de lafurent
Marineemportés
nationale avec ceuxaudemoment
à Toulon son mari.
de laJ.-M. Lahy
défaite se trouvait en
française
66
Cf. les articles du présent ouvrage et J. Girault et M. Trebitsch (2010).
40
44 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
de 1940 (Turbiaux, 2007). Il décida alors de ne pas rentrer dans son appartement
parisien du 22 avenue de l’Observatoire dans le XIVe arrondissement, et de demeurer
dans sa propriété de Saint-Clair, au Lavandou. Marie Lahy-Hollebecque quant à elle
dut faire face aux visiteurs allemands, à Paris et à Malakoff en banlieue parisienne,
de la
au momentDjo-Bourgeois
dans la villa que le couple venait que de la deMarfaire nationale à Tou
ine construire parlon l’architecte
mission au laboratoire psychotechni de ne pas rentr er dans son
rue de Finlande (rue Hoche x,actuelle). 2007). Il décida alors
défaite française de 1940 (Turbiau servatoir e dans le XIV e arrondissement, et de
appartemPersuadés
ent parisiend’accumuler
du 22 avenuede de lal’Ob
documentation non seulement pour la t àguerre,
elle mais
t-Cla ir, au«Lava ndou. Marie Lahy-Hollebecque quan
aussi
demeure r pour
dans sa les
propfutures
riété de élites
Sain d’un Reich de mille ans », Rosenberg et
ienne, dans ses lahommes
visiteurs ands, une
allemavec à Paris et à Malakoff en banlieue paris
dutorganisaient
faire face aux leurs saisies impressionnante
l’arc hitec te Djo-minutie
Bou rgeo bureaucratique.
is rue de Finlande Les tra-
le coup le venait deetfaire construire par
villavaux
que de l’historienne archiviste américaine Patricia Kennedy Grimsted ont permis
(ruedes he actuelle)
Hocprogrès . mais auss i pour les
spectaculaires pour tatioreconstituer
n non seulemele nt puzzle desre,
pour la guer archives encore existantes
Persuadés d’accumuler de la documen mes orga nisa ient leurs saisies
de l’ERR, dispersées dans une dizaine
ans », Rose de
nber gpays.
et ses Grâce
hom à ses recherches, à la Commis-
futures élites d’un « Reich de mille trava ux deJean-Claude archiviste
l’historienne etKuperminc,
sion française
avec une impressionnante minudes archives tie juives
bure aucr et à
atiqu son
e. Les directeur ainsi
perm is des progrès spectaculaires pour reconstituer
qu’à la Conference
américaine Patricia Ken on
nedy Jewish
Grim sted Material
ont Claims Against Germany et à son
ine de pays. Grâce directeur
tantes deonl’ER
exisFisher, R, dispersées dans une diza
de recherche,
le puzz le des archives Wesley
encoreA. peut consulter juive s en
et à ligne
son
5
direc dixteurlistes
Jean-Claprovenant
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l’ERR,
à ses recherch en es,
rapport avec des archives et bibliothèques
ms Against en
Germ France.
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qu’àpersonnes t de publié
Kupsynthétique A. et
Fishinstitutions
er, on peut spoliées
cons ulter en vient
ligne67compléter
dix listes prov celui
enandéjà
de recherche, Wesley au
parteur
direc Martine Poulain et le Mémorial
des archives de la
et Shoah
bibli othèd’après
ques en son
Fran ce. Un table
ouvrage Livres pillés,
l’ERR, en rapport avec le pillage pléte r celu i déjà publ ié par
lectures surveillées, les bibliothèques
tutio nsfrançaises
spol iées sous
vien t l’Occupation
com (Poulain, 2013 [2008]) 6
.
synthétique des personnes et insti rès son ouvrage Livres pillés,68lectures
Parmi ces listes
Martine Poulain et le Mém de l’ERR,orialtrois
de mentionnent
la Shoa h d’ap J.-M. Lahy.
l’Oc cupation (Poulain, 2013 [2008]) . Parmi
surveilléLaes,première,
les bibliothè « ques
Listefran çaises sous
complète des bibliothèques préalablement emballées par
ent»J.-M . Lahy.
leliste
ces groupe deR,
s de l’ER travail
trois mendetionn
Paris date du 23 mars 1941 et se trouve leactuellement groupe de aux
« Liste com plète des bibli othè ques préalablement emballées par
LaArchives
première, nationales de Washington (NARA). Elle mentionne
ent aux Arch ivesune
natiosaisie
nale s de
de livres
Paris » date du
il demanuscrits 23 mars 1941 et se trouve actuellem nt la« Léo »
ernadit
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trava concernant
men tionn la
e psychologie
une saisi e de chez
livre s et Jean-Maurice
de manuscrits conc Lahy
Was hington (NARA). Elle le, fran c-ma çon haut
« Né en 1872 à La Réole, franc-maçon dit « Léo » « haut Né en placé
1872 à La ainsiRéoque professeur, émigré
psychologie chez Jean-Maurice Lahy men tion, ains i que l’éto nnan t
connu ». Cette dernière
placé ainsi que professeur, émigré
mention, conn uainsi
». que
Cett e l’étonnant
dern ière surnom de « Léo », laissent
ine confusio n dansdes l’identification des cibles de
deviner
surn om de une « Léocertaine
», laissentconfusion
deviner unedans certal’identifi cation cibles de la spoliation.
la spoliation.
Reichsleiter Rose
l’Einsatzstabfrançaises nberg
Fig. 3 – Les listes
othède saisies
ques dess par
française bibliothèques
Fig. 3 – Les listes de saisies des bibli
par l’Einsatzstab Reichsleiter
en Fran ce. Rosenberg en France.
ublicat/listes_ERR_Fr
/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/p
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/publicat/
http://webcache.googleusercontent.com
ance.html
listes_ERR_France.html
vom ArbeitsgebietParis verpackt en Büchereien
Gesamtaufstellung
Gesamtaufstellung der bisher vom ArbeitsgebietParis
der bish er
le
verpackten
groupe Büchereien
de travail de Paris
lablemen t emb allée s par
Liste complète
Liste complètedes bibliothèques préa
des bibliothèques préalablement emballées par le groupe de travail de Paris
23 mars 1941 - ERR
23 mars 1941 - ERR
ième liste, bilan de
mbre 1940, est confirmée par la deux
La date de la saisie, 20 et 21 nove se trou ve aux Arch ives d’État d’Ukraine à
5.l’act
Lesion desde
listes « unité s opér
saisies des bibliothèques Paris, quipar
ationnelles » àfrançaises l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg en France.
http://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/livres-et-archives-pilles-en-france-par-l-einsatzstab-reichsleiter-
rosenberg-err_67074 et P.K. Grimsted (2016b). r Rosenberg en France.
françaises par l’Einsatzstab Reichsleite
Les listes de saisies des bibliothèques stab-reichsleiter-rosenberg-
6.67http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/bibliotheques_spoliees/document/personnes.php
/livres-et-archives-pilles-en-france-par-l-einsatz
http://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser
err_67074
et P.K. Grimsted (2016b). s/document/personnes.php
load/minisites/bibliotheques_spoliee
68
http://www.memorialdelashoah.org/up
41
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 45
Fig.listes
Fig. 4 – Les 4 – Les listes de saisies
desdes bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter
Fig. 4 – Lesde saisies
listes de saisies bibliothèques
des bibliothèques françaises
Rosenberg enfrançaises
par l’Einsatzstab
France par l’Einsatzstab Reichsleiter
Reichsleiter
Rosenberg en France http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://
Rosenberg en France
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/publicat/listes_ER
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/publicat/listes_ER
www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html
R_France.html
ERRERR R_France.html
- Positive
- PositiveEinsatzstellen Paris
Einsatzstellen Paris
ERR
Unités - Positive Einsatzstellen
opérationnelles positives Paris
de Paris
Unités opérationnelles
Unités opérationnelles positives
positives de de Paris
Paris
Avant le 21 janvier 1942
Avant
Avantlele 21 janvier
21 janvier 1942
1942
EnfinEnfin
Enfin
la troisième liste, qui se trouve elle aussi à Kiev et date de 1944, est une longue liste de
la troisième liste,
la troisième liste,
noms propres. quiqui se trouve
se trouve elle aussi àelle
Kievaussi à Kiev
et date de etune
1944, est date deliste
longue 1944,
de est une
longue liste de noms propres.
noms propres.
Fig. 5 – Les listes de saisies des bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter
42
42
Rosenberg en France. http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://
www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html
Aufstellung der Namen der Pariser Akten
Liste des noms des actions parisiennes
3 avril 1944
46 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. Fig.
6 – 6Yad
– Yad Vashem (Photo Archives)
Vashem (Photo Archives)
Livres confisqués par l’ERR trouvés à Ratibor (sans date)
Livres confisqués par l’ERR trouvés à Ratibor (sans date)
Le cadre légal avait été établi par la déclaration interalliée du 5 mars 1943,
dénonçant les spoliations et les ventes sous contrainte. Mais la partie soviétique
Le cadre n’appliqua
légal avaitque ététrès
établi par la déclaration
partiellement interalliée
les principes du 5préférant
de restitution, mars 1943, dénonçant les
voir dans
spoliationslesetbiens
les retrouvés
ventes sous contrainte.
des « trophées Maiscompenser
» venant la partielessoviétique
souffrancesn’appliqua
du peuple que très
soviétique,
partiellement en s’appuyant
les principes de sur la notion depréférant
restitution, réparationvoir
mentionnée
dans pendant
les biensla confé-
retrouvés des
rence de Yalta, puis abandonnée par les États-Unis, la Grande-Bretagne
« trophées » venant compenser les souffrances du peuple soviétique, en s’appuyant sur la et la France.
notion deDès lors, dans l’Allemagne occupée et Berlin partagée en quatre puis en deux « sec-
réparation mentionnée pendant la conférence de Yalta, puis abandonnée par les
teurs », si des commissions interalliées dialoguaient, les politiques appliquées furent
États-Unis,
trèsladifférentes.
Grande-Bretagne et lapoints
Les collecting France. Dès lors,
anglo-saxons dans l’Allemagne
rassemblèrent les biens occupée
culturels et Berlin
partagée en quatre puis en deux « secteurs », si des commissions interalliées dialoguaient, les
politiques appliquées furent très différentes. Les collecting points anglo-saxons rassemblèrent
les biens culturels découverts dans de vastes dépôts, principalement celui de Tanzenberg,
ancien abri de l’ERR en zone britannique d’administration de l’Autriche et celui d’Offenbach,
dans les locaux de l’entreprise l’IG Farben à sept kilomètres de Francfort, qui centralisa tous
les livres, papiers et objets culturels de la zone américaine.
48 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. Fig.
7 – 7Yad
– YadVashem
Vashem (Photo Archives)
(Photo Archives)
Back to France. Retour de livres confisqués par l’ERR depuis le dépôt d’Offenbach, (sans date)
Back to France. Retour de livres confisqués par l’ERR depuis le dépôt d’Offenbach,
(sans date)
9. J. Delsaux (1976). La sous-commission des livres à la récupération artistique (1944-1950). Paris, dact.
10. http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
11. « L’empreinte des élues », Malakoff infos, septembre 2007, p. 11 https://www.malakoff.fr/fileadmin/
user_upload/mediatheque/pdf/1_A_propos_pdf/Malakoff_infos/2007/MALAKOFF-INFOS-
212-SEPTEMBRE-2007.pdf
ministère de la Culture72. On y retrouve les pertes déclarées par Marie Lahy-Hollebecque,
désormais veuve de Jean-Maurice Lahy qui était décédé d’une crise cardiaque dans la Creuse
en 1943. De Malakoff où elle s’engagea pour promouvoir une politique de l’enfance dans la
municipalité communiste73, elle réclamait une « Documentation professionnelle » de
psychologie, philosophie et sociologie, des « notes manuscrites, œuvres personnelles » et
50 Les« archives
enfin 16 000 ouvrages avec des documentsde etJean-Maurice Lahy (1872-1943)
manuscrits personnels ». à Sainte-Anne
Fig.
Fig.88 –– Répertoire
Répertoire des
des biens
biensspoliés
spoliésen
enFrance
Francedurant
durant la
la guerre
guerre 1939-1945
1939-1945
http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
72
http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
73 Marie Lahy-Hollebecque
« L’empreinte ne retrouva
des élues », Malakoff infos, quep.quelques
septembre 2007, 11 centaines de livres sur les
16 000 qui avaient disparu. La lettre qu’elle écrivit en 1948 en remerciements témoigne
https://www.malakoff.fr/fileadmin/user_upload/mediatheque/pdf/1_A_propos_pdf/Malakoff_infos/2007/MALA
KOFF-INFOS-212-SEPTEMBRE-2007.pdf
de ce que signifia, pour ces hommes et ces femmes, une perte qui était bien plus que
matérielle : 46
« Les caisses de livres viennent de me parvenir, je les ai ouvertes aussi-
tôt et, à me retrouver parmi ces œuvres qui ont formé pendant des années
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 51
le corps même de ma pensée, j’ai éprouvé une si forte émotion que je viens
vous le dire, à vous qui me l’avez procurée.12 »
Elle mourut en 1957 sans que rien n’ait filtré en France de l’arrivée en URSS de
convois de biens culturels, qui étaient pour partie d’origine soviétique et retour-
naient légitimement en URSS, mais qui étaient aussi pour partie issus de saisies
nazies en Europe occidentale, et qui allaient donc être « deux fois spoliés » (selon
l’expression de Patricia Grimsted) par Staline.
mémoire officielle, la gestion de ces absences d’archives, ou plutôt leur « non-gestion », c’est-
à-dire le silence si vite retombé après les recherches intenses de la CRA peut se lire comme
partie intégrante de la mémoire refoulée de Vichy au niveau de l’État . Au niveau des 75
13. H. Rousso (2001). Sur la lente prise de conscience par les musées français de la présence de tableaux
spoliés MNR « Musées nationaux récupération », cf. C. Bouchoux (2013) et le site internet dédié du
ministère de la Culture http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/pres.htm
14. Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 38 AJ 5937 Archives du service de restitution des biens
des victimes des lois et mesures de spoliation, dossier « bibliothèques ».
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 55
point de départ à une nouvelle histoire, celle de leur valorisation par le Musée d’his-
toire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier Sainte-Anne et de
leur utilisation pour la recherche.
51
56 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
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Rationalisme savant, eugénisme et communisme :
quelques interrogations à partir de l’itinéraire
de Jean-Maurice Lahy
Isabelle Gouarné
2. Voir la notice J.-M. Lahy par J. Girault et M. Trebitsch, dans C. Pennetier et P. Boulland (2007-2019).
Voir à ce sujet le témoignage de Guy Michelat dans les actes des Journées d’hommage à Nicole Racine
(Cahiers Jean-Richard Bloch, 21, 2015). Il rappelle comment, alors que Nicole Racine, en charge du
corpus « intellectuels » du Maitron, se focalisait sur les écrivains, il l’encouragea à travailler sur
d’autres types d’intellectuels, notamment les psychologues et sociologues, dont J.-M. Lahy, Georges
Politzer, Pierre Naville ou encore Henri Lefebvre (« Table ronde », p. 257).
3. Il fut, par exemple, vice-président du conseil de l’Ordre (1921-1923).
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 61
4. Lettre de J.-M. Lahy de demande de constitution symbolique d’un nouvel atelier, datée du 3 avril
1920. Archives du Grand Orient, Carton « Agni ».
5. Réponse de la loge « Agni », Question A, 1929. Archives du Grand Orient, Carton Agni. Précisons ici
que la loge « Agni » comptera, dans les années 1930, plusieurs intellectuels philosoviétiques (R. Husson,
H. Mineur, A. Sauvageot, A. Varagnac), engagés, comme J.-M. Lahy, dans des associations liées à la
diplomatie culturelle soviétique ou au Parti communiste français.
62 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
6. Compte rendu du Pr. Ermanski de Moscou sur le livre de J.-M. Lahy, rédigé le 17 mars 1924 – Archives
J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 25.
64 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
par Ermanski à l’encontre des analyses de Lahy, cette traduction s’inscrivait dans
une stratégie visant à promouvoir un programme « scientifique » et « prolétarien »
d’organisation du travail, en rupture avec le taylorisme, jugé inadapté au socialisme
puisque « bourgeois ». « Un des plus pertinents [ouvrages] jamais écrit sur le tay-
lorisme », selon François Vatin, le livre de Lahy en présentait, en effet, une analyse
critique, pointant la « triple erreur » de « cette conception nouvelle du travail » : psy-
chologique, en raison de l’assimilation que Taylor fait de l’homme à une machine ;
sociologique, avec l’ignorance des conditions sociales de l’ouvrier, dans et hors de
l’usine ; industrielle, en négligeant les transformations en cours dans l’usage de la
machine et leurs effets sur le travail de l’homme (Vatin, 1999, chap. IV).
Les thèses de Lahy furent ainsi diffusées en URSS au moment où les débats
sur la « rationalisation capitaliste » restaient ouverts et que la position officielle
de l’Internationale communiste n’était pas encore fixée (Ribeill, 1984). La « construc-
tion du socialisme » doit-elle reposer sur des savoirs accumulés sous le capi-
talisme ? Ou bien faut-il élaborer des connaissances totalement nouvelles ? Tels
étaient, depuis les interventions de Lénine (Linhart, 1976, chap. 3), les enjeux sous-
jacents aux débats sur le taylorisme, qui divisaient le Mouvement d’organisation
du travail (NOT) (Lieberstein, 1975 ; Smith, 1983 ; Sochor, 1981). Certains, comme
Alexeï Gastev, considéraient que le taylorisme était transposable en URSS sous
réserve de quelques adaptations. D’autres s’opposaient à ce transfert et rejoignaient
les positions de Lahy, tels Ermanski ou encore le psychotechnicien Isaak N. Spielrein
(Koltsova, Noskova, Oleinik & Yu, 1990), le chef de file de l’école psychotechnique
soviétique que Lahy fit entrer, en même temps que Grigory Ivanovitch Rossolimo,
en 1926, à l’Association internationale de psychotechnique, dont il était le secrétaire
scientifique.
Lahy pouvait voir, en effet, dans ces savants soviétiques un appui en vue de faire
reconnaître à l’étranger, en premier lieu par le régime soviétique, son programme
de psychologie appliquée. En octobre 1925, par exemple, il écrivait à Ermanski :
« Notre alliance franco-russe contractée […] semble s’élargir ou pouvoir être élargie.
J’avais des conversations avec le Prof. Atzler, le Docteur Lipmann et d’autres à
Berlin. Et j’aperçois déjà quelques éléments d’une petite Internationale en perspec-
tive. Certes, cette Internationale “in spe” ne touche pas les sympathies cordiales,
même les idées et sympathies sociales [sic], restant resserrée dans les limites du pro-
blème de l’organisation scientifique du travail. »7
C’est également grâce à l’appui de Lahy que la proposition soviétique d’organi-
ser le prochain congrès de l’Association internationale de psychotechnique à Moscou
fut acceptée en 1930, malgré les vives réticences qu’elle suscita (Gouarné, 2007).
En tant que secrétaire scientifique de l’Association, Lahy s’efforça par la suite,
avec son collègue soviétique Spielrein, de faire de ce congrès un événement scien-
tifique, attachant un grand soin à l’organisation matérielle, au programme scien-
tifique et au choix des délégations. « Au point de vue du Congrès, nous pouvons
8. Lettre de J.-M. Lahy à I.N. Spielrein, 2 octobre 1931 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la
psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 27.
9. Cette intervention d’I.N. Spielrein, parue initialement en russe, a été traduite et publiée en français
dans le Bulletin de psychologie, 2012, 3(519), 277-281.
10. Lettre de J.-M. Lahy à I.N. Spielrein, 2 octobre 1931 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de
la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 27.
66 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
11. Archives Marie Lahy-Hollebecque (non classées) – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neuro
sciences – CH Sainte-Anne.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 67
12. Lahy, J.-M. [s.d.], L’organisation scientifique du travail en France. Physiologie et psychologie –
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 25.
13. Lahy, J.-M. [s.d.]. Qu’est-ce qu’une aptitude professionnelle – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire
de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 69
14. Si J.-M. Lahy fut membre de la Société de biotypologie, créée en 1932, il n’y apporta de fait aucune
contribution. Voir à ce sujet M. Turbiaux (2006). Sur les rivalités entre H. Laugier et J.-M. Lahy, voir
également G, Ribeill (1994).
70 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Avec son ancrage dans le jeu politique républicain et les succès électoraux rem-
portés, notamment au moment du Front populaire, dans de nombreuses villes et
communes de la région parisienne, le Parti communiste français put aussi servir
d’appui dans cette quête d’une reconnaissance politique de la psychotechnique.
Au milieu des années 1930, en effet, Lahy parvint à utiliser les relations qu’il avait
nouées avec des dirigeants communistes pour occuper des fonctions d’expertise
dans les villes de la banlieue parisienne conquises par le Parti communiste. Il mit en
15. Lancée en 1933, la revue Le Travail humain était par exemple codirigée par J.-M. Lahy et H. Lau-
gier. Centrée sur les questions théoriques et pratiques d’« organisation rationnelle de l’activité
humaine », elle visait avant tout « les biologistes, physiologistes, psychologues, médecins, hygiénistes
qui se préoccupent des applications de la biologie à la vie sociale » (Lahy & Laugier, 1933).
16. Voir également à ce sujet D. Papiau (2017).
17. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 27.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 71
18. Dans le groupe scolaire Karl Marx, J.-M. Lahy ouvrit, en 1933, un service visant à évaluer psycho-
logiquement les enfants et à préparer l’orientation professionnelle.
19. Lettre du maire de Villejuif à J.-M. Lahy, 17 février 1934 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire
de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – carton 19. Je remercie vivement Marco
Saraceno de m’avoir indiqué cette lettre.
72 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
tâche éducative, cas par cas », selon les informations recueillies sur chaque enfant
(Lahy, 1937b). La visée, par-là, était d’œuvrer à « l’adaptation permanente des indi-
vidus aux tâches qu’ils sont destinés à accomplir », de créer les conditions d’« une
amélioration continue de l’hygiène mentale » et par là de « l’espèce humaine » :
« Il s’agit pour nous, non pas de créer une élite intellectuelle, mais d’aboutir à la for-
mation d’une masse populaire où chaque individu serait un intellectuel, non pas par
profession, mais par attitude. […] Les répercussions que l’hygiène mentale comprise
de cette façon peut avoir pour le progrès, non seulement du cerveau humain, mais
de toute la superstructure sociale, sont immenses. Comme il n’existe pas de pratique
sans théorie et de théorie sans pratique, chaque profession, si banale qu’elle soit, ne
peut que gagner lorsqu’elle sera exercée par un homme intellectuellement élevé.
Le perfectionnement du cerveau entraîne le perfectionnement de toutes les activités
humaines » (Lahy, 1937a, p. 17).
Conclusion
Sans doute faudrait-il étudier de plus près ces expériences de psychologie appli-
quée menées par Lahy et ce qu’elles révèlent de l’entremêlement des idées et pra-
tiques eugénistes ou hygiénistes, républicaines et communistes, autour de dispositifs
visant à « éduquer » les classes populaires. L’alliance qui se noua un temps entre
la psychotechnique et le communisme municipal, bien qu’elle se situât en rupture
avec l’optique médicale et sa définition biologisante des « tares » sociales et qu’elle
permit, dès l’entre-deux-guerres, d’opposer à l’idée d’incurabilité celle d’éducabilité,
aboutissait toutefois à transposer dans le monde communiste les techniques d’éva-
luation et d’encadrement des populations élaborées par la science républicaine
dans un souci d’adaptation des classes populaires aux besoins de la société et
d’inculcation d’un code moral.
Cette rencontre du rationalisme savant avec le communisme, dont Lahy est un
cas symptomatique, ne fut donc pas sans susciter de multiples tensions. Les riva-
lités entre élites ouvrières et intellectuelles qui, depuis le XIXe siècle, travaillaient le
mouvement ouvrier se cristallisèrent alors autour de définitions concurrentes sur le
rôle que devaient jouer les sciences (et quelles sciences) dans le gouvernement des
populations. C’est donc à poursuivre cette histoire croisée de la science républicaine
et du communisme au XXe siècle qu’invite ce retour biographique, afin de saisir
quelles furent, dans les sciences françaises républicaines, les voies de sortie (et leurs
limites) d’une pensée eugéniste et scientiste et aussi de comprendre comment ont
pu persister « des logiques de domination culturelle au sein des mécanismes mêmes
de transgression de l’ordre social, au cœur de l’entreprise de lutte contre la domina-
tion » (Pudal, 2004 [2000], p. 771).
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 73
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Jean-Maurice Lahy, franc-maçon,
entre études maçonniques et sciences du travail
Dominique Brendel
1. Voir Marcel Turbiaux (2011). Compte rendu de lecture : « 1809-2009. Deux siècles d’une Loge dans
son histoire Athéna-Les Amis triomphants », Bulletin de Psychologie, 511, 83-85.
78 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. 1 – 2e page de couverture du livre rédigé par la loge « Athéna » en 2009
Fig. 1 – 2e page de couverture pourdu
le bicentenaire
livre rédigéde sa la
par création
loge « Athéna » en 2009 pour le
bicentenaire de sa création
68
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 79
de l’âme3. Le Grand Orient de France a dorénavant pour principe « la liberté absolue
de conscience » (Georger, 2009, p. 64). En 1891 paraît l’encyclique Rerum Novarum
du pape Léon XIII qui définit la doctrine sociale de l’Église. Cette encyclique traite
de la question ouvrière. Elle dénonce, à la fois, l’égoïsme des capitalistes et réfute les
théories socialistes en réaffirmant le droit à la propriété privée contre le collectivisme
et y encourage le syndicalisme chrétien. La Franc-maçonnerie se doit de se position-
ner face à cette Église qui l’accuse d’être responsable des maux « des pauvres, de
l’ouvrier, du fonctionnaire, des honnêtes gens »4 et, à son tour, de faire de la ques-
tion sociale un enjeu central. Les sujets les plus traités alors dans la loge « Les Amis
triomphants » tournent autour de la lutte des classes et de l’anticléricalisme.
En 1892, pour mener à bien cette réflexion en maçonnerie, la Société d’édu-
cation civique appelée aussi Société des conférences populaires, transformée
en Conférences du dimanche en 1904, est créée. De convents en convents5, l’obé-
dience travaille sur les réformes sociales. C’est dans ce contexte que Lahy est ini-
tié dans une loge particulièrement engagée dans toutes ces réflexions. La loge est
devenue à dominante radical-socialiste avec une minorité de révolutionnaires.
Très rapidement Lahy en prend la direction, il devient Vénérable en 1905 (après
4 ans seulement de présence) et le restera officiellement jusqu’en 1919. La com-
position sociologique de la loge a progressivement changé, professions libérales,
artistiques, chefs d’entreprise, ingénieurs, quelques employés ont remplacé les
ouvriers du siècle précédent.
Anticlérical, scientiste, positiviste, Lahy prône la diffusion des idées maçon-
niques vers l’extérieur (externalisation) et l’efficacité. Sous son vénéralat, la loge
est de plus en plus active, proposant des thèmes de réflexion à l’ensemble de l’obé-
dience dans le cadre « des questions à l’étude des loges » et en invitant des conféren-
ciers de haut niveau. Quelques exemples de thèmes ou de sujets traités témoignent
de cette activité :
• La psychologie de l’intolérance.
• La pensée humaine et la personnalité humaine.
• Le dogmatisme religieux et l’esprit scientifique.
• La question de la morale. (Lahy a laissé de nombreux textes sur ce sujet de la
morale, en particulier la morale sociale.)
• La philosophie des sciences physiques et chimiques.
• La nécessité d’accompagner un mouvement social efficace de préoccupations morales
et philosophiques.
la loge « Les Amis triomphants » qui en prend l’initiative, menée par Lahy, elle
entraîne avec elle jusqu’à 70 loges.
Lahy fait le constat que ni les Universités populaires, en perte de vitesse, ni
l’enseignement scolaire ne sont capables de « présenter un système de faits coor-
donnés qui montrent comment l’explication scientifique peut se substituer aux
affirmations puériles des dogmes religieux7 ». Selon lui, l’enseignement y est trop
fractionné, ne mettant pas en lien et en continuité les différentes connaissances des
différents champs scientifiques. Chaque science se subdivise de plus en plus et plus
personne n’est capable d’en faire la synthèse, contrairement à la figure du savant
des siècles passés. La science reste le privilège d’une élite, et même les enseignants
ne peuvent acquérir ce savoir universel qui reste fragmentaire et se limite aux élé-
ments nécessaires des programmes. Les connaissances ne sont pas suffisamment
répandues, de plus : « l’activité des hommes est réglée par les images qu’ils se font
du monde et d’eux-mêmes » et plus loin : « il [l’individu] agit surtout en tant que
membre d’un groupe, et selon les idées qui règnent dans le groupe. Ces représenta-
tions collectives sont très peu influencées par les progrès des sciences »8.
Pour Lahy, il y a deux grandes classes d’explication du monde :
• les conceptions religieuses, métaphysiques qui tiennent par la force de la
tradition, un système complet fermé, apparemment logique et rationnel où
toutes les objections sont résolues d’avance ;
• les explications scientifiques qui relèvent d’une élaboration constante, plus
difficiles d’accès, et qui se heurtent aux représentations du groupe d’appar-
tenance souvent traditionaliste.
7. Rapport présenté par le F : . Lahy de la loge « Les Amis triomphants » – 20 juin 1905, p. 1. Archives
J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier
n° 42 « Activités maçonniques ».
8. L’éducation philosophique & artistique aux conférences du dimanche (rapport établi par Lahy), p. 9-10.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne –
dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
résolues d’avance ;
• les explications scientifiques qui relèvent d’une élaboration constante, plus difficiles
d’accès, et qui se heurtent aux représentations du groupe d’appartenance souvent
traditionaliste.
84 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. 3 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Page de garde du rapport des Conférences
du dimanche après un an de fonctionnement (20 juin 1905)
Pour Lahy, « Les croyances religieuses ne tiennent pas devant les découvertes
scientifiques. En montrant, comme ces découvertes nous y autorisent, que tous les
103
L’éducation philosophique & artistique aux conférences du dimanche (rapport établi par Lahy), p. 9-10.
phénomènes, cosmiques, biologiques, sociaux, sont déterminés par des lois scienti-
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités fiquement
maçonniquesconnues,
». nous sapons les bases mêmes de la croyance religieuse9» .
9. Rapport des Conférences du dimanche présenté par le F :. Lahy – 20 juin 1905, p. 4. Archives J.-M.
73
Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités maçonniques ».
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 85
Pour cela, il est nécessaire de faire pénétrer plus de rationalisme dans les
consciences, faire mieux connaître ce qu’est l’Humanité, la Société, : « comment cet
esprit humain... est arrivé à développer toujours davantage ses précieuses facultés
de généralisation et d’abstraction pour devenir en somme une encyclopédie, pour
acquérir toujours de plus en plus de connaissances fondées uniquement sur l’expé-
rience, sur le libre examen, sur le rationalisme le plus absolu. »10
Il critique l’enseignement en général, et se lance dans un programme très ambi-
tieux pour « enseigner la Vérité. Un ordre existe dans l’Univers – de caractère pure-
ment mécanique. Les choses qui existent… se sont organisées grâce à un jeu de forces
physiques, chimiques, biologiques, sociologiques, … Ces phénomènes ne sont pas
isolés, comme le ferait croire leur analyse par les sciences particulières, mais liés
entre eux : nous appellerons ordre le rapport entre les phénomènes. En fait tout se
suit, tout s’enchaîne ; tout se précède et se succède dans la nature, il n’y a que des
séries. »11
Tous les programmes seront construits selon ces convictions. Il s’agit de former
un faisceau des acquis de la Science pour arriver à une conception rationnelle de
l’Univers, de l’Homme et des Sociétés. Lahy défend une philosophie basée sur l’ex-
périence et l’observation qui doit allier l’émotion à la compréhension.
Il fait appel à des conférenciers de renom. Un sujet est abordé chaque dimanche.
Par exemple, en 1907 à partir du thème : « le développement de l’Homme en partant
de l’Homme primitif jusqu’à la pensée contemporaine » sont traités :
• La civilisation des peuples primitifs.
• La civilisation de l’Égypte, de la Chaldée Assyrie, et des Hébreux.
• Puis : L’Extrême Orient, les civilisations grecque et romaine, alexandrine et
chrétienne
• Le Moyen-Âge, de la Réforme à la Révolution.
• L’Art et la civilisation à Paris.
10. Allocution du Président – Présentation des Conférences du dimanche - tapuscrit non daté – p. 2.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne –
dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
11. Rapport des Conférences du dimanche présenté par le F :. Lahy (1907), p. 12. Archives J.-M.
Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités maçonniques ».
86 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
la sociologie
de comprendre permet
le lien de comprendre
qui s’établit entre les le lien qui s’établit
déterminismes entre et
du milieu lesladéterminismes
prise de conscience
et ainsi développer les capacités des Hommes à agir et à penser leur avenir.des Hommes à
du milieu et la prise de conscience et ainsi développer les capacités
agir et à penser leur avenir.
À ces conférences est adjointe, un dimanche sur deux, une « Promenade scientifique » en lien
avec chacune des conférences. Ainsi, le dimanche 31 mai 1908, Lahy propose une visite du
Laboratoire de Psychologie expérimentale de l’École des hautes études à l’Asile de Villejuif.
Les visites proposées en 1909 montrent la diversité des choix :
88 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
À ces conférences est adjointe, un dimanche sur deux, une « Promenade scienti-
fique » en lien avec chacune des conférences. Ainsi, le dimanche 31 mai 1908, Lahy
propose une visite du Laboratoire de psychologie expérimentale de l’École des
hautes études à l’Asile de Villejuif.
Les visites proposées en 1909 montrent la diversité des choix :
• L’Observatoire de Meudon.
• L’Observatoire de Meudon.
• LE Museum : la galerie d’Anthropologie, de Paléontologie.
• Le Museum : la galerie d’Anthropologie, de Paléontologie.
• Le Conservatoire national des arts et métiers.
• Le• Conservatoire national des arts et métiers.
Le Musée du Luxembourg.
• Le Musée du Luxembourg.
• Deux villes d’art : Beauvais, Versailles…
• Deux
• villes d’art : Beauvais, Versailles…
77
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 89
Une éducation artistique est proposée. Des concerts sont organisés, mais tou-
jours avec cette même volonté d’éduquer : « Il ne suffit pas de présenter au public
Une des œuvres
éducation choisies
artistique est pour avoir
proposée. Deséduqué son
concerts goût.
sont Il fautmais
organisés, lui faire pénétrer
toujours le méca-
avec cette
même volonté d’éduquer : « Il ne suffit pas de présenter au public des œuvres choisies pour cer-
nisme de la création artistique et le faire juger entre plusieurs œuvres d’après
avoirtains critères
éduqué psychologiques
son goût. Il faut lui faireetpénétrer
sociaux.leDans la séance
mécanisme de laducréation
25 février, le frère
artistique et leLahy a
faire donné un enseignement
juger entre plusieurs œuvressur des œuvres
d’après qui étaient
certains critères exécutéesetcesociaux.
psychologiques jour-là,Dans
il a montré
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séance du 25
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les meilleures œuvres qui étaient
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exécutées ce jour-là,
traitent des mêmesil a montré quels
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Dans unelesseconde
caractères différentiels
partie entre lesentre
il a comparé meilleures
eux deux
des petites
grands œuvres qui traitent
maîtres, Schumann des mêmes sujets. Dans
et Beethoven. Auune deuxième
sujet partiede
de l’œuvre il aSchumann,
comparé entre Amour
eux deux grands maîtres, Schumann et Beethoven. Au sujet de l’œuvre de Schumann, Amour
du Poète, il a comparé l’expression purement littéraire des sentiments de H. Heine
du Poète, il a comparé l’expression purement littéraire des sentiments de H. Heine dans
dans Intermezzo et leur interprétation par Schumann. »13
Intermezzo et leur interprétation par Schumann. »108
78
90 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
aussi leur éducation artistique et morale. « Il y avait une annexe à ces séances du
GO, un coin remuant, bruyant et joyeux : celui de nos Matinées enfantines, Petites
causeries égayés de Lanterne magique, de cinéma, de théâtre d’ombres, chants, saynètes
interprétées par des enfants, collation et distribution de jouets, il y eut pour nous des
minutes charmantes à occuper l’imagination de ce petit monde babillard et amusé.
Le zèle ingénieux de Mlle Hollebecque [Mad. Lahy] animait ces récréatives éduca-
tives. »14 Les Conférences du dimanche ne reprirent pas après la guerre, « dans le
désarroi moral qui la suivit, il apparut difficile à Lahy de remonter les Conférences
du dimanche. Il y a des gestes qui se recommencent difficilement ; l’œuvre, peut-
être aussi, avait donné l’essentiel de ce qu’on pouvait attendre ; et puis, il y avait
des vides dans la phalange de collaborateurs qui s’étaient groupés autour de Lahy
[…]. Les Conférences du dimanche ont laissé derrière elles comme une traînée
lumineuse. »15
Dans l’éloge funèbre prononcé aux obsèques de Lahy le 25 août 1943, Félix
Chevrier (1884-1962), membre de la loge « Agni », donne des indications sur la façon
dont Lahy concevait son enseignement dans ces Conférences du dimanche : « Dans
les milieux éclairés où il organisait cet enseignement mutuel qui fut une des grandes
passions de sa vie, il oubliait volontiers son titre de professeur des hautes-études
[…]. De sa chaire Lahy suivait, animait, dirigeait ces débats fraternels, les aiguillait
vers des solutions claires, des conclusions pratiques, vers l’action raisonnée et le
devoir humain. »16
14. Loge « L’Avenir ». Les Conférences du dimanche du GODF. Souvenirs du F :. Robert Tomas des
L :. .L :. « L’Avenir » et « Agni », p. 18. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
15. Opus cit., Souvenirs du F :. Robert Tomas, p. 19.
16. Éloge funèbre prononcé par Félix Chevrier rapporté par M. Turbiaux (2007). « Le mystère de la
mort de J.-M. Lahy », Bulletin de psychologie, 489, 267-273.
17. Cours de sociologie du Grand Orient de France, L’Acacia, sept-oct., 1910, p. 132.
18. Les cours de l’année 1911-1912 comportent deux thèmes : l’étude générale des phénomènes sociaux
et l’origine des sentiments moraux (programme des cours commerciaux et de sociologie scientifique de
l’année 1911-1912). Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
CH Saint-Anne – dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 91
cours : « La Notion d’énergie et d’Organisation du travail ». Les liens entre civilisa-
tion et technique industrielle sont aussi régulièrement tissés : « La technique indus-
trielle exprime mieux que toutes les autres traces le degré de civilisation. Elle affirme
la présence de l’Homme sur terre avant toutes les autres traces » […]. « Si cette maî-
trise [la maîtrise progressive des techniques] a amélioré le bien-être de l’Homme,
elle en a aussi généré ses excès et a conduit aux luttes sociales. »
Figure
Figure 8 – Archives
8 – Archives J.-M.– Lahy
J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne
CH Sainte-Anne – Programme– Programme
des cours dedes cours de
sociologie
de décembre
sociologie 1912 – janvier
de décembre 1912 –etjanvier
février et
1913
février 1913
L’activité
L’activité professionnelle
professionnelle est unestthème
un thème central
central de cesdecours.
ces cours.
DansDans le cours
le cours inti-« De la
intitulé,
tulé, « De
science la science à L’utilisation
à l’industrie. l’industrie. L’utilisation
du moteurduhumainmoteur»,humain », Lahy développe
Lahy développe la méthode à
la méthode
employer pourà étudier
employer pour étudier
l’activité l’activité: professionnelle :
professionnelle
• étudier l’activité humaine dans le milieu de travail et non en laboratoire ;
• • Étudier
s’appuyer sur lahumaine
l’activité critique de Taylor
dans ;
le milieu de travail et non en laboratoire.
• combiner l’ensemble des sciences
• S’appuyer sur la critique de Taylor. concernées mais aussi les conditions du milieu
physique et moral, les conditions générales du travail.
• Combiner l’ensemble des sciences concernées mais aussi les conditions du milieu
physique et moral, les conditions générales du travail.
Pour Lahy, « il ne s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les conditions
•
ordinaires du laboratoire, mais dans un milieu déterminé, le milieu du travail […].
Pour Lahy, « il ne s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les conditions ordinaires du
D’ailleurs, les professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus activement
laboratoire, mais dans un milieu déterminé, le milieu du travail […]. D’ailleurs, les
des recherches, ne se prêteraient pas à des observations qui ne respecteraient pas
professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus activement des recherches, ne se
prêteraient pas à des observations qui ne respecteraient pas entièrement le milieu » (Lahy,
1912, p. 607-608). En 1913, l’activité scientifique de Lahy est importante et vient nourrir le
contenu des cours de sociologie scientifique au Grand Orient de France. Il commence à
ébaucher sa critique du taylorisme qui fait son entrée en France après la traduction en français
du livre de Taylor, Principles of scientific management, en 1912. Ces critiques déboucheront
sur la publication d’un livre terminé en 1914 mais publié en 1916, Le système Taylor et la
physiologie du travail. Il publie, parallèlement plusieurs études à orientation plus
92 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
19. Voir la bibliographie établie pour l’année 1913 par Marcel Turbiaux dans l’ouvrage.
20. Voir l’article de Serge Nicolas dans l’ouvrage.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 93
Fig. 9 –Extrait
Fig. 9 – Extraitdudu procès-verbal
procès-verbal d’installation
d’installation de lade la loge
loge « Agni »
« Agni »
– Archives Lahy – CH Saint-Anne
– Archives Lahy – CH Sainte-Anne
Le but poursuivi
Le but poursuivipar par
les les
fondateurs de cette
fondateurs nouvelle
de cette nouvelle logeloge
(déclaration
(déclarationd’intention
d’inten- du 6
novembre
tion du 6 novembre 1920) : « trouver de nouvelles formes de travail collectif et lesà une
1920) : « trouver de nouvelles formes de travail collectif et les appliquer
étude sur l’Action sociale de la haute Finance » paraît un peu décalé s’il n’est pas référé au
appliquer à une étude sur l’Action sociale de la haute Finance » paraît un peu décalé
contexte de l’époque. Au début des années vingt, le développement industriel qui s’accélère,
s’il n’est pas référé au contexte de l’époque. Au début des années vingt, le dévelop-
favorise et encourage la concentration financière. Le cartel ou entente entre firmes jusqu’alors
pement industriel qui s’accélère, favorise et encourage la concentration financière.
en concurrence se développe pour fixer les quotas de production et les prix de vente et gérer
Le cartel ou entente entre firmes jusqu’alors en concurrence se développe pour
de manière autoritaire la régulation de la rémunération du travail. Dès 1920, la fiscalité pèse
fixer les quotas de production et les prix de vente et gérer de manière autoritaire
lourdement sur les consommateurs populaires (impôts indirects), sur les salariés (impôt
la régulation de la rémunération du travail. Dès 1920, la fiscalité pèse lourde-
cédulaire) et marque une grande « indulgence envers les possesseurs de capitaux »118. Face à
ment sur les consommateurs populaires (impôts indirects), sur les salariés (impôt
cette situation, le mouvement politique est divisé. En décembre 1920 à Tours, au congrès de
la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), la scission est effective et aboutit à la
création par les partisans de l’adhésion à la Troisième Internationale d’un nouveau parti qui
prend le nom de Section française de l’Internationale communiste auquel Lahy adhère. En
1922,
21. Lorsles socialistes générale
de l’assemblée qui rejoignent le Kominterm
du 27 septembre doivent
1920, le frère obéir àqu’« il
Labey indique 21 serait,
conditions
d’une dont
l’interdiction d’appartenir àdelareprendre
certaine façon, antimaçonnique franc-maçonnerie. Lahy
les rapports avec comme Le
la Russie ». Sembat
nom dechoisit de rester en
Lahy n’apparaît
pas dans les débats.
maçonnerie. Dossiern’empêche
Ce choix loge « Agni » –
pasArchives
Lahy de du rester
GODF.fidèle au marxisme pour reconnaître,
22. Voirautre,
entre Archives
le du GODF – Dossier
déterminisme loge « Agni
comme ». M. Sembat
loi générale de la(1862-1922), députéà socialiste
réalité. Ainsi de
la Conférence
Paris, plusieurs fois
internationale de ministre en 1914 et 1916,
psychotechnique de vote au Congrès
Moscou de de Tours
1931, en 1920
lors des pour l’adhésion
rapports de la
concernant la
SFIO à la IIIe Internationale communiste.
question des fondements de la psychotechnique, Lahy déclare : « au lieu d’appliquer les faits
(que l’expérience immédiate ne permet pas d’atteindre), j’ai eu la chance de trouver
l’explication du matérialisme dialectique. Je l’ai accepté et je l’accepte119 ».
118
Voir A. Sauvy (1965/1967). Histoire économique de la France entre les deux guerres, p. 101 cité dans
Histoire de la France contemporaine. Tome V : 1918-1940. Volume coordonné par D. Tartakowsky et C.
Willard, (1980, p. 42-43).
119
Sténogramme de la discussion figurant dans les archives de J.-M. Lahy cité par M. Turbiaux (2013). Sous le
94 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
23. Voir A. Sauvy (1965/1967). Histoire économique de la France entre les deux guerres, p. 101 cité
dans Histoire de la France contemporaine. Tome V : 1918-1940. Volume coordonné par D. Tartakowsky
et C. Willard, (1980, p. 42-43).
24. Sténogramme de la discussion figurant dans les archives de J.-M. Lahy cité par M. Turbiaux (2013).
Sous le drapeau rouge : la Conférence internationale de psychotechnique de Moscou de 1931. 2e partie :
« Le soleil se couche à l’Est », Bulletin de psychologie, 528, p. 514. Voir également la note n° 6 du
même auteur dans le présent ouvrage.
25. Il sera installé en tant que vénérable de manière officielle lors de la séance du 20 décembre 1920.
26. Compte rendu du 1er décembre 1920 rédigé par le F :. Languine qui a ouvert la loge avec Marcel
Sembat.
27. Circulaire n° 4, p. 11-13. Compte-rendu des travaux – Actes du convent de l’année 1920 publié en 1921.
travail. »
§ Quels sont les droits et devoirs par rapport aux instruments et aux outils et aux
matériaux ?
§ Quel idéal de morale professionnelle dans l’organisation sociale de l’époque ?
§ Est-il possible
Jean-Maurice d’imaginer un
Lahy, franc-maçon, ordre
entre dumaçonniques
études travail et deetlasciences du travail établi95sur
vie économique
l’égalité et la justice ?
§ Le travailleur est-il influencé dans son travail par l’idée de perfection ?
§ • Comment
Comment conçoit-il
conçoit-il ses rapports
ses rapports avec sesavec sesses
chefs, chefs, ses collègues,
collègues, ses subor
ses subordonnés ? -
donnés ?
29. Compte rendu des travaux du GODF du 1er janvier au 31 mars 1921 établi par le F :. Marcel
Huart, p. 111-114.
30. Voir le chapitre : « La propagande par la presse », p. 253-256. Lahy représente la loge « Agni » à cette
assemblée générale.
31. Lettre datée du 18 décembre 1922 – Loge « Agni » – Archives du GODF.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 97
126
Loi du 13 août 1940 sur l’interdiction des sociétés secrètes auxquelles la franc-maçonnerie est associée. Une
grande partie des archives de la loge « Agni » auraient été détruites par Georges Refeuil, membre de la loge,
proche de J.-M. Lahy (témoignage oral d’Henri Jaskarzec, membre de la loge « Agni » depuis 1963 contacté par
nos soins qui tient l’information de Georges Refeuil lui-même).
98 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
en étudiant les réponses de la loge aux questions proposées à l’Étude des Loges
qui ont pu être conservées dans les archives du GODF.
Par exemple, en novembre 1923, la loge « Agni » émet un vœu concernant la
politique de la France à l’égard de l’Allemagne. Elle appelle à changer de politique,
quand il en est encore temps, pour contrer la montée des forces réactionnaires et
revanchardes au détriment du peuple allemand. Elle condamne la politique du pire,
celle des éléments nationalistes et réactionnaires français et invite à soutenir les répu-
blicains allemands,
réactionnaires français età invite
aider àausoutenir
relèvement économique
les républicains et financier
allemands, de l’Allemagne.
à aider au relèvement
économique et 33financier de l’Allemagne. La loge demande au Grand Orient Poincaré
La loge demande au Grand Orient de France d’interpeller Raymond de France
(1860-1934)
d’interpeller dans Poincaré
Raymond ce sens. (1860-1934)127 dans ce sens.
Fig.Fig.
12 12 –
– Réponse dede
Réponse lalaloge
loge« « Agni »
Agni » ààla
laquestion
question posée
posée àà l’Étude
l’Étudedes
desLoges
logesen
en1923
1923
concernant
concernantl’Allemagne
l’Allemagne
Les archives J.-M. Lahy déposées à centre hospitalier Sainte-Anne comprennent un fonds
important concernant la franc-maçonnerie et le rôle que Lahy y a joué. Compte tenu de la
destruction des archives des loges suite à la condamnation de la franc-maçonnerie par le
régime nazi et le gouvernement français au début de la Seconde Guerre mondiale, ce fonds est
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 99
par cette proposition : « Créer des conseils de parents d’élèves de l’école laïque qui
pourraient être forces de proposition par rapport aux politiques. Et le devoir de tout
maçon serait de créer un conseil et d’en prendre la direction. Ce serait alors un lieu
pour lutter contre les forces cléricales et les politiques réactionnaires. »35 Comme
toujours, Lahy met ici son engagement maçonnique au service du progrès social et
de la liberté de conscience.
Conclusion
Les archives J.-M. Lahy déposées au centre hospitalier Sainte-Anne comprennent
un fonds important concernant la Franc-maçonnerie et le rôle que Lahy y a joué.
Compte tenu de la destruction des archives des loges suite à la condamnation de
la Franc-maçonnerie par le régime nazi et le gouvernement français au début de la
Seconde Guerre mondiale, ce fonds est essentiel. Il permet de suivre le parcours de
Lahy en Franc-maçonnerie mais également dans la société civile et ainsi de mesurer
et d’analyser le rapport, postulé en début de notre communication, entre les études
et travaux maçonniques conduit au Grand Orient de France et l’engagement scien-
tifique mis en œuvre dans ses différents lieux d’exercice pour construire la psycho-
technique comme science du travail. La lecture de l’inventaire des archives de J.-M.
Lahy nous en convaincrait si c’était nécessaire : Lahy a été un franc-maçon actif et
constant, s’étant engagé autant dans ses loges successives d’appartenance que dans
les instances de son obédience, le Grand Orient de France. S’il est couramment admis
que l’appartenance à la franc-maçonnerie relève de la sphère privée, de l’intime,
pour Lahy, il semble en être allé tout autrement, non parce que cette appartenance
serait de notoriété publique, mais parce qu’elle est une dimension essentielle du per-
sonnage tellement sa vie profane et sa vie maçonnique ont été intimement mêlées,
et se sont nourries l’une l’autre tout au long de sa vie.
Références
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fonctionnaire, des honnêtes gens. Paris : Maison de la Bonne Presse.
Encyclique Rerum novarum du Pape Léon XIII sur la condition des ouvriers (nd).
Paris : Maison de la Bonne Presse.
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triomphants. Paris : Éditions du Grand Orient de France.
Grimal, P. ([1951] 1993). Athéna. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine
(p. 57-58). Paris : Presses universitaires de France, (13e édition).
Lahy, J.-M. (1912). Cours de sociologie. De la science à l’industrie. L’utilisation ration-
nelle du moteur humain, 591-610 (Décembre 1912). Paris : Grand Orient de France
36. Henri Jaskarsec consulté par nous dans le cadre de la préparation de notre intervention a assisté
au colloque et y apporté son témoignage retranscrit ici.
102 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
dirigeantes, président de sa première loge. C’est là qu’il créa et anima une sorte
d’université populaire du Grand Orient de France à Paris : les Conférences du
dimanche, largement ouvertes au public, accueillaient des conférenciers, maçons ou
non, qui présentaient leurs travaux et en discutaient, tout spécialement en psycho-
logie, sociologie, morale. Après son retour de la guerre de 14/18, Lahy créa la loge
« Agni » en 1920, explicitement vouée à l’application de la théorie marxiste, théorie
et pratique des progressistes aux yeux de Lahy, aux questions de société souvent
traitées dans les loges du Grand Orient de France. Et Lahy poursuivit sa démarche
pédagogique, interne au Grand Orient de France, en publiant les cahiers jaunes
d’Agni, qui diffusaient des contributions de frères de la loge ou d’intervenants exté-
rieurs, presque toujours des chercheurs. Lahy accueillit à « Agni », des personnalités
scientifiques diverses, dont son ami, disciple comme lui du docteur Édouard Tou-
louse, Henri Laugier.
On retrouve le lien très net que faisait Lahy entre sa perspective inspirée par
Durkheim autant que par un moment important de la pédagogie maçonnique, met-
tant en avant la glorification de la science et de la raison, liées au progrès moral. La
science apporte cela à la maçonnerie. Et en sens inverse, Lahy a pu se sentir conforté
par son appartenance au Grand Orient de France à certains moments difficiles. Par
exemple, sa contestation hardie de Taylor dès 1913, acte majeur face à une conception
triomphante du management du travail, discutable humainement et socialement, se
fit aussi au Grand Orient de France. Et pour Lahy, tard reconnu par l’Université,
la considération facilitée (et largement justifiée) d’universitaires maçons de renom
(Louis Lapicque comme Édouard Toulouse, plus tard Henri Laugier) était précieuse.
Tout ce monde n’était pas communiste, parfois y était très hostile, mais l’ouverture
et l’écoute étaient les bases de l’éthos maçonnique. Et Lahy, malgré ses sympathies
affichées, et son adhésion au Parti communiste en 1920, le quitta en 1922, sommé par
la direction du Parti de choisir entre la loge et la cellule. Il semble n’y être revenu
qu’en pleine guerre, après la rupture du pacte germano-soviétique.
Il nous faut distinguer le sens que peut avoir pour nous l’engagement marxiste
en même temps que philo-soviétique de Lahy et celui qu’il avait pour lui. Et admettre
que dans l’entre-deux guerres Lahy pouvait parfaitement conjuguer cet engagement
avec son vécu de franc-maçon, comme de chercheur, y consacrer l’essentiel de son
temps. Lahy fut pour beaucoup dans le succès de la conférence de psychotechnique
de Moscou en 1931, qui désenclavait la science soviétique, juste avant le revirement
stalinien qui l’enferma pour longtemps. Quand Lahy y jouta durement contre Henri
Piéron, positiviste farouche, c’était en plein accord avec la vision marxiste fonda-
mentale d’une recherche plongée dans un monde pratique, ayant un sens social et
politique à côté de sa pureté formelle ; on n’en était pas aux excès du lyssenkisme et
Lahy pouvait à la fois honorer Claude Bernard et Durkheim. En même temps il était
en plein accord avec la vision maçonnique des Lumières traditionnelle au Grand
Orient de France. Sur le philosoviétisme de Lahy, il se heurta tristement pour lui à
l’exécution en 1937 lors d’une purge stalinienne de son principal lien avec la science
soviétique, Isaak Spielrein, en la faveur de qui il avait vainement tenté d’intervenir.
Comme tout homme d’action, Lahy ne se fit pas que des amis en franc-maçonnerie.
Lorsque la guerre de 14-18 l’éloigna de la loge « Athéna », qu’il présidait, bien des
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 103
frères furent soulagés. Très présent et autoritaire, Lahy y était admiré, suivi, aidé et
difficile à supporter. Mais il ne s’y fit pas d’ennemis déclarés. Plus tard, dans la loge
« Agni », il recruta des frères ayant des idées proches des siennes mais bien d’autres
aussi. « Agni » fut une loge républicaine et progressiste, où la référence marxiste
subsistait dans certains travaux, mais n’était pas un argument. Référence non dogma-
tique faut-il dire en 2019.
Lahy vécut donc marqué par l’éthos maçonnique du Grand Orient de France,
comme par celui du monde de la recherche. Et il conjugua aisément les deux, dans
une perspective constante d’ouverture par le dialogue, la dispute bien réglée, vers
ceux de ses frères, ou confrères, qui ne partageaient pas ses très fermes convictions
particulières. J’ose le dire : il y a formellement et dans l’idéal une grande proximité
entre les échanges maçonniques et les confrontations entre chercheurs. Écoute, liber-
té de la critique et valorisation de la critique. Et dans le cas de Lahy il y avait une
même vision du statut de la vérité. Plus concrètement, Lahy profita de son double
ancrage, dans le milieu maçonnique comme dans celui de la recherche, ancrage que
je vois comme non conflictuel et même logiquement fécond, pour sa réussite scien-
tifique. C’est aux chercheurs d’aujourd’hui de dire si les réalisations de Lahy furent
exceptionnelles, marquées par une ambition d’ordre éthique bien particulière, celle
incarnée largement par le Grand Orient de France de son époque.
Pour ma part, je tiens à dire ma conviction : l’appartenance maçonnique de Lahy,
qui sut judicieusement et légitimement en profiter, fut bien plus pour lui, et pour
nous ses héritiers, qu’utilitaire. Jamais il ne subordonna la maçonnerie à l’intérêt des
chercheurs, ni ne pervertit la recherche au profit de francs-maçons. Sa quête était
celle du progrès humain par l’étude scientifique des rapports entre les hommes, les
idées, les forces, les choses.
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs
Marco Saraceno
un milieu propre. « Ces professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus
activement les recherches ne se prêtent pas à des observations qui ne respecteraient
pas entièrement le milieu. » Il ne s’agit donc pas d’abandonner l’espace expérimen-
tal pour une approche clinique, mais d’élargir le domaine même de l’expérimenta-
lisme. Cela est très clair dans la première recherche de Lahy sur les conducteurs de
tramway en 1913. « Les conditions actuelles du travail industriel se présentent de
telle sorte que l’outillage du laboratoire ne suffit pas à les révéler avec toutes leurs
conséquences, et qu’il est besoin de créer avec des méthodes nouvelles un matériel
plus parfait et plus étendu d’expérimentation » (Lahy, 1913, p. 388).
Toutefois, si Lahy dès ses recherches d’avant-guerre pose la sortie du laboratoire
comme une problématique épistémologique et pas seulement sociale, il ne parvient
pas encore à formuler une nouvelle définition de l’espace de la science et conserve
la dichotomie entre « études de laboratoire » et « étude de terrain ». Le statut pro-
fessionnel de Lahy n’y est probablement pas pour rien. Ces premières recherches
sont menées au sein du laboratoire de Toulouse, considéré comme le principal
laboratoire français de psychologie. Lahy n’a pas à cette époque, l’indépendance et
la légitimité pour imaginer sa propre vision du laboratoire. Ce n’est que durant la
guerre qu’émerge l’image d’un laboratoire « hors du laboratoire », c’est-à-dire l’idée
d’un laboratoire psychotechnique. Cette idée faisait par ailleurs évoluer la concep-
tion même de la discipline psychotechnique. Lahy ne se contente plus de penser sa
démarche comme une science appliquée, telle que l’avait pensée Toulouse, il cherche
progressivement à construire une épistémologie propre à cette science appliquée.
Conclusion
Si donc, comme le rappelle Canguilhem, l’histoire des sciences doit toujours
se prémunir contre le « virus du précurseur », on peut affirmer que Lahy est un
homme de laboratoire, loin de l’attention clinique portée au travail réel par les
futures ergo-disciplines. Mais le virus du précurseur qui affecte les historiens des
sciences, prend souvent la forme du « virus de l’erreur de jeunesse » chez les spé-
cialistes d’un domaine qui regardent avec un certain effroi les difficultés épistémo-
logiques de leurs ainées. Lahy est celui qui le premier a saisi la nécessité d’étudier
le travail comme une activité de concrétisation, c’est-à-dire comme une pratique qui
n’est jamais une simple utilisation des facultés psychophysiologiques, mais la condi-
tion même de leurs émergences : dans une perspective typiquement marxiste pour
Lahy l’homme se produit dans le travail pendant qu’il produit. Les facultés psycho-
physiologiques sont donc à la fois le substratum de la production et son résultat. Lahy
et son laboratoire dont on ne cesse jamais de sortir sont un enseignement très riche
pour les sciences du travail. Mais ils le sont également pour toutes ces sciences que
Max Weber appelait « du particulier » qui cherchent à saisir les phénomènes dans
leur dimension située sans renoncer à fournir des explications fondées sur des
relations de cause à effet.
Références
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411-465.
Binet, A. & Henri, V. (1898). La fatigue intellectuelle. Paris : Schleicher frères.
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Würzburg (1890-1910). Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 24(1), 171-204.
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ments d’applications psychotechniques. Paris : L’Harmattan.
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Lahy, J.-M. (1913). La Supériorité professionnelle chez les conducteurs de tram-
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moderne. 1er décembre, 388-390.
Lahy, J.-M. (1916). Le Système Taylor et la physiologie du travail professionnel. Paris :
Masson.
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 117
Serge Nicolas
1. À la mémoire de mes arrière-grands-pères Martin Louis Hillaire et Auguste Nicolas, âgés tous deux
de 37 ans en 1914, qui combattirent à Verdun et sur le front français durant toute la guerre. On m’a
raconté que le premier avait été épargné par un soldat allemand durant un combat au corps à corps à la
baillonnette en pleine nuit lors de l’attaque allemande de sa tranchée. Je conserve pieusement dans mon
bureau de travail leurs portraits et les cadres de leurs décorations.
2. Ce rapport conservé dans les archives J.-M. Lahy sera ultérieurement classé secret défense.
3. Archives J.-M. Lahy.
4. L’historien spécialiste de Lahy en France est Marcel Turbiaux. On lui doit la publication de nom-
breux articles auxquels le lecteur pourra se référer avec profit.
120 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
5. H. Gundlach (2010) rapporte également que d’autres méthodes psychologiques avaient été mises au
point pour la sélection des observateurs d’avions, des agents des services de phonométrie et de photo-
métrie, des radio-télégraphistes, des canonniers-pointeurs, et des officiers de marine. L’armée française
n’a semble-t-il pas utilisé des méthodes de ce type pour la sélection de ses spécialistes, exception faite
des aviateurs.
6. À la suite de ces travaux, un centre d’examen fut créé en 1918 dont la direction fut confiée au neuro-
logue Georges Guillain (1876-1961).
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 121
A.
106
B.
Figure
Figure 3 – 3Sphygmographes
– Sphygmographes de Marey d’aprèsd’après
de Marey le catalogue Boulitte (1913).
le catalogue BoulitteCet(1913).
appareil
est un instrument de mesure mécanique destiné à enregistrer
Cet appareil est un instrument de mesure mécanique destiné à enregistrer le pouls le pouls
A. Sphygmographe direct de Marey. L’appareil est placé sur le poignet. Le papier placé
A. Sphygmographe
sur un support direct de Marey.
est entraîné L’appareil
avec une vitesse est placé et
uniforme surconnu
le poignet.
par le Le papier placé
mouvement
sur un support placé
d’horlogerie est entraîné avec qui
sous le papier unefaitvitesse
ainsi seuniforme
déplacer laetbande connu par ledevant
de papier mouvement
la
d’horlogerie placé sous
plume inscrivante. Lalecarcasse
papierdequi fait ainsi
l’appareil est se déplacer
semblable la bande
à celle de papier devant
du sphygmographe à
la plume inscrivante.
transmission La carcasse
de Marey et se fixe de l’appareil
de la même façon estsur
semblable
le poignet.à Cet
celle du sphygmographe
appareil permet de
à transmission
prendre des detracés,
Mareysoit et se
au fixe
noir de
de la mêmesoit
fumée, façon sur le Àpoignet.
à l’encre. cet effet,Cet
desappareil
plumes permet
de
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de prendre sorte sont fournies
tracés, avec de
soit au noir l’appareil.
fumée, soit à l’encre. À cet effet, des plumes de chaque
B. Sphygmographe
sorte sont fournies avec àl’appareil.
transmission de Marey. Un patin vient s’appliquer sur l’artère et
est relié à la membrane
B. Sphygmographe de la cuvette
à transmission depar une tige
Marey. Unarticulée et venant
patin vient s’accrochersur
s’appliquer surl’artère
le
patin. Ce dernier est porté par un ressort qui exerce sur l’artère une pression que l’on
et est relié à la membrane de la cuvette par une tige articulée et venant s’accrocher sur
fait varier à volonté par la manœuvre d’un bouton. Un autre bouton permet, après avoir
le patin. Ce dernier
décroché la tige duestpatin,
portéde par un ressort
renverser qui exerce
en arrière sur l’artère
la cuvette, une pression
ce qui facilite que l’on
le placement
fait varier à volonté
de l’appareil par
sur le la manœuvre
poignet. d’un bouton.
Un tube permet de relier Un autre au
la cuvette bouton
tambourpermet, après avoir
inscripteur.
décroché la tige du patin, de renverser en arrière la cuvette, ce qui facilite le placement
de l’appareil
À l’époque surlalepsychométrie
poignet. Unforme tube encore
permet dedes
une relier la cuvette
parties au tambour
les plus avancées de lainscripteur.
psychologie
des laboratoires (Nicolas & Pins, 2014). Ce qui intéresse notamment les psychologues c’est
d’effectuer une mesure de la vitesse d’un acte mental. On peut faire cette mesure avec une
précision extrême (Figure 4). Grâce à des chronomètres de précision, on peut mesurer le
temps exact qui s’écoule entre le signal donné et le mouvement du sujet : c’est ce qu’on
appelle un temps de réaction. Les temps de réaction nous renseignent : 1°) sur l’état des nerfs
sensitifs et moteurs et l’état des centres nerveux ; 2°) sur l’état de l’attention, sur la fatigue,
etc. Lahy ne va pas utiliser pour ses travaux de recherche le fameux chronoscope de Hipp qui
est l’instrument dont on se servait habituellement dans les laboratoires de psychologie où on
s’occupait spécialement des temps de réaction. Il s’agissait d’un instrument coûteux, délicat à
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 125
À l’époque la psychométrie forme encore une des parties les plus avancées
de la psychologie des laboratoires (Nicolas & Pins, 2014). Ce qui intéresse notam-
ment les psychologues c’est d’effectuer une mesure de la vitesse d’un acte mental.
On peut faire cette mesure avec une précision extrême (Figure 4). Grâce à des
chronomètres de précision, on peut mesurer le temps exact qui s’écoule entre le
signal donné et le mouvement du sujet : c’est ce qu’on appelle un temps de réaction.
Les temps de réaction nous renseignent : 1°) sur l’état des nerfs sensitifs et moteurs
et l’état des centres nerveux ; 2°) sur l’état de l’attention, sur la fatigue, etc. Lahy ne
va pas utiliser pour ses travaux de recherche le fameux chronoscope de Hipp qui est
l’instrument dont on se servait habituellement dans les laboratoires de psychologie
où on s’occupait spécialement des temps de réaction. Il s’agissait d’un instrument
coûteux, délicat à manier, et encombrant (Nicolas & Thompson, 2015), pouvant
donner des mesures au millième de seconde. Il va préférer utiliser un chronomètre
mis au point par Jacques Arsène d’Arsonval (1851-1940) en 1886 et un chronoscope
nouveau à marche électrique mis au point par Lucien Bull (1876-1972). Le chrono-
mètre d’Arsonval (Nicolas & Thompson, 2015) est un petit instrument facilement
transportable et sensible au centième de seconde. Il était parfaitement adapté pour
la mesure des temps de réaction en dehors du laboratoire. Cet instrument avait
pour but de mesurer très simplement et directement les temps de réaction. Le chro-
nomètre de Bull, également utilisé par Lahy, est basé sur le même principe que le
chronomètre d’Arsonval. L’aiguille du chronoscope se meut, à la vitesse d’un tour
par seconde, sur un cadran gradué en 100 parties. Un électro-aimant, qui sert d’axe
à l’appareil, l’entraîne. Sur l’autre face, l’aiguille est attirée par un second électro-
aimant fixe, dont l’action est aidée par un léger ressort. Lorsque le courant passe
dans les deux électro-aimants, l’aiguille est fixe. À la rupture du courant, l’aiguille
est entraînée à une vitesse connue et constante. Le système se compose donc de
deux appareils : la lame vibrante et le moteur qui agit sur l’aiguille. Pour imprimer
à tout le système une régularité absolue, la lame doit donner exactement 50 vibra-
tions doubles par seconde. Un interrupteur placé sur la lame permet de laisser pas-
ser à chaque vibration un courant d’une durée très courte, dans un électro-aimant
qui exerce ses attractions successives sur les dents de la roue motrice de l’axe de
l’appareil. La force électro-motrice nécessaire est de 6 volts.
agit sur l’aiguille. Pour imprimer à tout le système une régularité absolue, la lame doit donner
exactement 50 vibrations doubles par seconde. Un interrupteur placé sur la lame permet de
laisser passer à chaque vibration un courant d’une durée très courte, dans un électro-aimant
qui exerce ses attractions successives sur les dents de la roue motrice de l’axe de l’appareil.
La force126 Les archives
électro-motrice nécessaire est de 6devolts.
Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. 4 Fig.
– Chronomètre
4 – Chronomètred’Arsonval
d’Arsonval et et chronoscope
chronoscope de Bull.
de Bull
A. Le chronomètre d’Arsonval se compose d’un mécanisme d’horlogerie qui actionne une
A. Le chronomètre d’Arsonval
aiguille, et lui se compose
fait parcourir d’un mécanisme
en une seconde d’horlogerie
un cadran divisé qui actionne
en 100 parties égales, une aiguille, et lui
de sorte
fait parcourir en unecompris
que l’espace secondeentre
un cadran
chacunedivisé
de cesen 100 parties
divisions égales,
est égal à un de sorte que
centième l’espace compris entre
de seconde.
chacune deB. ces divisions
L’intérêt est égal à un
du chronoscope decentième
Bull résidededans
seconde.
le moteur électrique imprimant le mouvement
à l’électro-aimant qui sert d’axe à l’appareil. Il permet de réunir les avantages du chronomètre
d’Arsonval,
B. L’intérêt avec unedemarche
du chronoscope pratiquement
Bull réside indéfinie.
dans le moteur Comme imprimant
électrique le chronomètre d’Arsonval,à l’électro-
le mouvement
aimant quiil donne le centième
sert d’axe de seconde.
à l’appareil. Il a l’inconvénient,
Il permet comme le du
de réunir les avantages chronoscope
chronomètrede Hipp, d’être avec une
d’Arsonval,
un peu bruyant,
marche pratiquement et d’exiger
indéfinie. une mise
Comme en relation pard’Arsonval,
le chronomètre fils avec un diapason
il donne fixé à un murde
le centième (qui,
seconde. Il a
entretenu électriquement, donne 100 vibrations par seconde) et d’être par conséquent
l’inconvénient, comme le chronoscope de Hipp, d’être un peu bruyant, et d’exiger une mise en relation parmoins
transportable
fils avec un que à
diapason fixé le un
chronomètre
mur (qui,d’Arsonval
entretenu (cf. Toulouse & Piéron,
électriquement, donne 1911).
100 vibrations par seconde) et
d’être par conséquent moins transportable que le chronomètre d’Arsonval (cf. Toulouse & Piéron, 1911)
Parmi les appareils spéciaux dont Lahy a fait usage dans son laboratoire de
fortune on trouve l’appareil à suggestion motrice (Figure 5) de Binet (1901). Il s’agit
d’un système de transmission du mouvement par courroie, combiné à un système de
frein qui empêche la roue induite de communiquer son mouvement à la roue induc- 108
trice, tout en la rendant obéissante à cette dernière. Le système des courroies permet
à la roue induite de résister au mouvement inducteur, et de patiner un peu, de sorte
que le mouvement de résistance du sujet s’inscrit sur les tracés. Voici les consignes
données à un sujet qui a les yeux bandés : « L’expérience se divise en deux parties :
induite de communiquer son mouvement à la roue inductrice, tout en la rendant obéissante à
cette dernière. Le système des courroies permet à la roue induite de résister au mouvement
inducteur, et de patiner un peu, de sorte que le mouvement de résistance du sujet s’inscrit sur
les tracés. Voici les consignes données à un sujet qui a les yeux bandés : « L’expérience se
127
divise enUndeux
laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme…
parties : dans la première partie, vous suivez mon mouvement (je montre la
solidarité des deux roues). Cela dure un temps que je ne vous dis pas d’avance ; ensuite,
seconde dans la àpremière
partie, partie,
mon signal, vousfaites
vous suivez
unmon mouvement
mouvement (je c’est-à-dire
actif, montre la solidarité
que vousdes
êtes seul à
deux roues). Cela dure un temps que je ne vous dis pas d’avance ; ensuite, seconde
tourner la roue, et vous tâchez alors de percevoir la différence entre les deux espèces de
partie, à mon signal, vous faites un mouvement actif, c’est-à-dire que vous êtes
mouvements.
seul à»tourner la roue, et vous tâchez alors de percevoir la différence entre les deux
espèces de mouvements. »
109
plan vertical, l’une, que fait mouvoir l’expérimentateur, l’autre entraînée par celle-
d’une courroie sans fin. Chaque roue commande le mouvement de va-et-
ntal d’un stylet inscripteur indépendant (voir Figure 6). Le sujet, dont les yeux
, prend en main
128
la manivelle Les d’une des roues. L’expérimentateur tient la manivel
archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
e d’entraînement et imprime un mouvement que le sujet doit suivre passivement. A
mbre déterminé depar
entraînée tours deauroue,
celle-ci l’expérimentateur
moyen d’une s’arrête
courroie sans fin. Chaque ; selon que le sujet c
roue commande
le mouvement de va-et-vient horizontal d’un stylet inscripteur indépendant (voir
ôt, ou continueFigurele6).mouvement
Le sujet, dont lesimprimé à saprend
yeux sont fermés, roueendevenu libre, d’une
main la manivelle on juge
des de son deg
tibilité. Pour Binet (1901), le sujet qui tient en main la poignée de la roue peut
roues. L’expérimentateur tient la manivelle de la roue d’entraînement et imprime
un mouvement que le sujet doit suivre passivement. Après un nombre déterminé
uer le mouvement,
de tours dequand l’expérimentateur
roue, l’expérimentateur cesse
s’arrête ; selon qued’agir ; c’est
le sujet cesse la suggestion
aussitôt, ou pure
plement exécutée ; 2°) s’opposer au mouvement, pendant que l’expérimentateur a
continue le mouvement imprimé à sa roue devenu libre, on juge de son degré de
suggestibilité. Pour Binet (1901), le sujet qui tient en main la poignée de la roue peut :
ivre le mouvement
1°) continuerquand l’expérimentateur
le mouvement, agit,cesse
quand l’expérimentateur et d’agir
s’arrêter
; c’est laquand
sugges- l’expériment
e. La situation n° 1 est la suggestibilité sous sa forme banale ; que
tion purement et simplement exécutée ; 2°) s’opposer au mouvement, pendant la situation n°
l’expérimentateur agit ; 3°) suivre le mouvement quand l’expérimentateur agit, et
férence à la s’arrêter
suggestion.
quand l’expérimentateur s’arrête. La situation n° 1 est la suggestibilité sous
sa forme banale ; la situation n° 3 est l’indifférence à la suggestion.
(collection R. Simonnet)
Procédure de sélection
édure de sélection
L’objectif de Lahy était de réaliser une division du travail parmi les combat-
tants, comme cela devait se faire dans l’industrie pour les travailleurs. Pour obtenir
le maximum de rendement, il s’agissait d’affecter à des fonctions déterminées les
individus les plus qualifiés. Ainsi, le problème que Lahy pose pour les mitrailleurs
ctif de Lahyn’est
était de application
qu’une réaliser du une division
problème du travail
plus général parmipréa
de la sélection leslable
combattants,
des tra- comme
se faire dansvailleurs
l’industrie
de toutespour les travailleurs.
professions. Pour obtenir
La méthode de recherche le maximum
est identique : il s’agit de de rendeme
réaliser un examen psycho-physiologique permettant de désigner, avant l’entrée en
ait d’affecter à des
formation d’un fonctions déterminées
groupe de candidats lesaptitudes
présentant les individusles plusles plusceuxqualifiés. Ains
diverses,
me que Lahy pose pour
qui possèdent les spéciales
les qualités mitrailleurs n’estduqu’une
caractéristiques application
bon « travailleur » dans unedu problème
profession donnée (ici un soldat pour devenir un bon mitrailleur). Toute étude de
l de la sélection préalable
ce genre, comme Lahy en des travailleurs
avait déjà deemplois
réalisé pour les toutescivils,professions.
commence par La méthod
che est identique
la réunion: ild’un
s’agit
nombre desuffisant
réaliser un d’élite
de sujets examen psycho-physiologique
dont on recherche les caractères permettan
communs.
er, avant l’entrée en formation d’un groupe de candidats présentant les aptitude
iverses, ceux qui possèdent les qualités spéciales caractéristiques du bon « travaill
ne profession donnée (ici un soldat pour devenir un bon mitrailleur). Toute étude d
comme Lahy en avait déjà réalisé pour les emplois civils, commence par la réu
ombre suffisant de sujets d’élite dont on recherche les caractères communs.
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 129
Fig. 7 – Fig.
Mitrailleuse
7 – Mitrailleusefrançaise Saint-Etienne
française Saint-Étienne
(collection personnelle S. Nicolas)
(Collection personnelle S. Nicolas)
Le tireur est assis sur le siège bas adapté à son arme, les jambes étendues en
Le tireur est assis surle le
avant, siège
corps bas adapté
légèrement à son
voûté afin arme, les
de maintenir l’œiljambes étendues
à la hauteur du cranen
de avant, le co
mire, la main droite à la crosse, la main gauche au volant pour régler la hauteur
égèrement voûté afin de maintenir l’œil à la hauteur du cran de mire, la main droite à
(Figure 8).
rosse, la main gauche au volant pour régler la hauteur (figure 8).
8. J.-M. Lahy ne fait pas intervenir dans ces recherches l’étude de la force musculaire, estimant qu’il
est bien évident que le mitrailleur devant transporter éventuellement sa pièce, soit 25 kg, doit être d’une
force supérieure à celle des autres fantassins. C’est d’ailleurs une qualité dont on tenait compte pour
l’affectation des mitrailleurs même avant la guerre.
Fig. 7 – Mitrailleuse française Saint-Etienne
(Collection personnelle S. Nicolas)
Fig. 88 –– Dans
Fig. Dans l’armée
l’armée française,
française, chaque
chaque mitrailleuse
mitrailleuse était
était servie
servie par
par au
au moins
moins 44 hommes
hommes
quiqui
lui lui
sontsont
attachés en propre : le chef de pièce (à gauche de la photographie),
attachés en propre : le chef de pièce (à gauche de la photographie), ayant
habituellement
ayant habituellement le grade de caporal, 1 tireur, 1 chargeur, et 1 pourvoyeurde la
le grade de caporal, 1 tireur, 1 chargeur, et 1 pourvoyeur (à droite
photographie).
(à droite de laLephotographie).
tireur et le chargeur
Le tireur(auetcentre de la photographie)
le chargeur (au centre de laforment la base de
photographie)
l’équipe. Le rôle de chacun de ces hommes est nettement déterminé.
forment la base de l’équipe. Le rôle de chacun de ces hommes est nettement déterminé.
(Collection personnelle S. Nicolas)
(collection personnelle S. Nicolas)
Dans son rapport de 1916, Lahy décompose (Tableau I) la série des gestes que
le tireur doit accomplir et les qualités psycho-physiques grâce auxquelles ces gestes
111
assurent le tir parfait.
250 mètres de distance 150 cartouches à la vitesse de 300 coups à la minute (cadence
normale) sur une cible de 6 mètres sur 2 mètres recouverte de papier jaune avec
une bande noire de 15 centimètres de large. Ce tir était beaucoup plus difficile que
le premier.
Le classement des soldats en tant que chargeurs s’opérait en leur faisant alimenter
une mitrailleuse à la cadence rapide, jusqu’à ce qu’un enrayage, provoqué par leurs
gestes, arrête complètement le fonctionnement de l’arme. Les bons chargeurs étaient
habituellement aussi de bons tireurs et, presque toujours, des hommes doués de
sang-froid. Comme il était impossible de suivre tous les soldats à la fois dans l’action,
la valeur comme le sang-froid était appréciée dans le combat et corroborée par l’avis
des officiers qui commandaient ces hommes et le jugement des camarades. Il fut en
outre reconnu par les chefs que les bons tireurs et chargeurs étaient presque toujours
des hommes calmes et courageux dans l’action.
Dans le rapport adressé au ministère de la Guerre, Lahy présente les cas de
5 mitrailleurs choisis parmi les meilleurs (Tableau II). Non seulement la supériorité
des bons s’affirme dans la fonction de tireur comme dans celle de chargeur, mais il
observe également grâce aux méthodes employées qu’il existe un rapport entre le
résultat du tir et celui au chargement (les mêmes sujets faisaient alternativement le
service de tireur et celui de chargeur).
Bandes passée
Tir Tir Sang-froid
Noms en tir (cadence
dans la cible dans la bande dans l’action
rapide)
Le 3 juillet 1916, Lahy (1916a) expose les résultats de ses premières recherches
dans une courte note présentée à l’Académie des sciences à Paris par le zoologiste
et anatomiste Edmond Perrier (1844-1921). Il ressort de ce texte sommaire publié
dans le numéro 26 (10 juillet 1916) des Comptes rendus hebdomadaires des séances de
l’Académie des sciences que les aptitudes qu’un bon mitrailleur doit présenter sont les
suivantes : une grande rapidité des temps de réaction (avec un faible écart moyen),
un faible indice de fatigabilité, une absence de suggestibilité et un grand sang-froid
(mesuré par des indices physiologiques). Mais la note de recherche de Lahy est très
laconique. De plus, des critiques s’élèvent à propos des données recueillies par Lahy,
notamment celles relatives aux temps de réaction qui paraissent aberrants à Charles
Richet (1850-1935) (Wolf, 1993). Ce dernier lui adresse ainsi une lettre non datée
(Archives J.-M. Lahy, carton 57) reçue par Lahy le 21 juillet où il l’informe aimable-
ment qu’il va présenter une note à l’Académie des sciences où il critique les données
fournies par ses mitrailleurs et Richet d’ajouter : « Je m’imagine que vous n’avez pu
expérimenter qu’avec des appareils imparfaits. » Cette critique (Richet, 1916) fut
relayée par Jean Camus et Henri Nepper (1916b) lors de la séance du 24 juillet 1916
à l’Académie des sciences. Camus et Nepper qui, au même moment, étudiaient à
Paris, dans leur service, des candidats à la fonction d’aviateur, soulevèrent en effet
également des objections au sujet des chiffres donnés (ils étaient trop rapides) par
Lahy pour la mesure des temps de réaction visuelle (151 ms) et auditive (127 ms).
En effet, les expériences réalisées par Lahy avaient porté sur les temps de réac-
tions visuels et les temps de réaction auditifs. Plusieurs physiologistes et psycho-
logues avaient avant lui tenté l’établissement systématique de ces moyennes. Pour
obtenir un chiffre, en apparence admissible par tous, Richet (1898, p. 19) avait fait la
moyenne de ces moyennes, et donné les chiffres suivants :
Temps de réaction visuelle……….
Temps 195 ms
de réaction auditive………. 150 ms
Temps de réaction auditive………. 150 ms
Pour la mesure des temps de réaction visuels, Lahy avait utilisé la bobine de Ruhmkoff qui
était introduite dans le circuit du chronomètre. Il obtenait, lors de la rupture du courant, une
étincelle qui jaillissait entre deux électrodes convenablement disposées. Ainsi une excitation
vive, nette et brève, se produisait dans l’obscurité, sans retard appréciable. Comme le note
Lahy dans son rapport, les réactions qui affectent le plus vivement les mitrailleurs, qu’il
134 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Pour la mesure des temps de réaction visuels, Lahy avait utilisé la bobine de
Ruhmkoff qui était introduite dans le circuit du chronomètre. Il obtenait, lors de la
rupture du courant, une étincelle qui jaillissait entre deux électrodes convenable-
ment disposées. Ainsi une excitation vive, nette et brève, se produisait dans l’obscu-
rité, sans retard appréciable. Comme le note Lahy dans son rapport, les réactions qui
affectent le plus vivement les mitrailleurs, qu’il s’agisse des tireurs ou des chargeurs,
ont pour cause une excitation visuelle. C’est, en effet, par la vue que se règle le tir, et
c’est par la vue que se trouve assurée l’exactitude des mouvements rapides accom-
plis en chargeant9. Lahy a abouti à un premier classement qui se rapprochait du clas-
sement professionnel établi par les officiers. L’examen des résultats montre que les
soldats reconnus par les chefs comme de bons mitrailleurs se placent, presque tous,
pour la rapidité de leurs temps de réaction visuels, au début de la liste.
Pour la mesure des temps de réaction auditifs, l’excitation était produite par le
choc du marteau qui rompt le courant et fait déclencher l’aiguille du chronomètre
d’Arsonval ou de Bull. Le sujet avait les yeux bandés (voir Figure 10). La mesure des
temps de réaction auditifs a fourni un procédé de classement qui se rapproche mieux
encore des données fournies par la valeur professionnelle.
9. Dans son rapport J.-M. Lahy écrit : « Si l’on ajoute à ceci le fait que nos sujets d’élite étaient des
mitrailleurs en activité, fixés depuis 18 mois en Argonne, dans un secteur où les lignes françaises et
allemandes se rapprochent parfois jusqu’a 50 mètres, sur un terrain propice aux surprises, où le guet
doit se faire sans arrêt, où les engins de tranchées dont les Allemands usent à profusion obligent les
hommes à une attention constante, à des réactions promptes sous peine d’être tués, on conviendra
qu’ils différaient singulièrement des candidats que MM. Camus et Nepper ont étudiés dans leur labo-
ratoire de Paris. »
« Certes nous reportons sur des différences de technique une part de l’écart qui s’observe entre leurs
résultats et les nôtres. Mais l’assimilation de leurs sujets aux mitrailleurs de l’Argonne semblera inac-
ceptable à ceux qui ont vu et vécu la guerre dans cette région. Nous ne pouvons pas davantage accepter
sans examen leur affirmation que leurs sujets "appartenaient au même milieu et avaient à peu près la
même vie" que ceux que nous avons examinés. »
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 135
Fig. 10. Disposition pour la mesure des temps de réaction auditifs. Lahy produit l’excitation
Fig. 10. Disposition pour la mesure des temps de réaction auditifs. Lahy produit
par le choc d’un marteau, et le sujet qu’il examine a les yeux bandés
l’excitation par le choc d’un marteau, et le sujet qu’il examine a les yeux bandés.
On voit surOn
la photographie l’utilisation
voit sur la photographie du chronomètre
l’utilisation d’Arsonval
du chronomètre pour la mesure des
d’Arsonval
temps de réaction auditifs (Grimaud, 1918, p. 122)
pour la mesure des temps de réaction auditifs (Grimaud, 1918, p. 122)
ceux de Camus et Nepper. Sur les 20 sujets dont Lahy publie l’étude, 11 représentent
une élite, 2 sont bons, et 7 mauvais, choisis parmi plusieurs centaines de sujets déjà
sélectionnés comme mitrailleurs par l’armée.
Suite aux critiques de Richet, Lahy, expérimentateur rigoureux, va procéder au
cours du second semestre de l’année 1916 à des vérifications générales de l’appa-
reillage utilisé pour la mesure des temps de réaction, en comparant ses premiers
résultats avec ceux obtenus par d’autres méthodes. L’emploi des chronomètres ne
permettait pas d’obtenir une précision égale à celle de la méthode d’inscription gra-
phique. C’est pour cela que sur un cylindre noirci, il a notamment enregistré, grâce
au signal double de Deprez, l’excitation et la réaction et, parallèlement, les vibrations
de la lame. Les résultats ainsi fournis ont été à peu près du même ordre que ceux
donnés par le chronomètre. Et en admettant même que le chronomètre utilisé n’était
pas totalement fiable au centième de seconde, il s’était prémuni contre ce problème
en réalisant sur chaque sujet un très grand nombre d’expériences afin d’aboutir à
une exactitude suffisante dans l’établissement d’une moyenne individuelle (celle-ci a
toujours été déduite de 30 expériences consécutives, renouvelées à plusieurs inter-
valles ; les sujets les plus intéressants ont même été étudiés jusqu’à 10 reprises, soit
300 expériences). Quoiqu’il en soit, il réalisa des corrections sur ses premières don-
nées critiquées par Richet et multiplia les expériences jusqu’à aboutir à de nouvelles
moyennes : 168 ms pour les réactions visuelles et 151 ms pour les réactions auditives.
Ces résultats étaient assez semblables en moyenne pour les réactions auditives
(151 vs. 150 ms) à ceux obtenus par la plupart des expérimentateurs, mais encore
beaucoup plus rapides pour les réactions visuelles (168 vs. 195 ms). « Nous avions
été frappé nous-même par cette rapidité. Cependant, après avoir vérifié avec soin
et refait nos expériences, force nous était d’accepter ces résultats peu coutumiers et
de les publier. Bien plus, ils nous semblent aisés à expliquer » (p. 22 du rapport).
En fait, les vingt sujets dont Lahy a donné les réactions ne sont pas des sujets quel-
conques. Ils constituent une élite, des volontaires parmi les meilleures troupes. Leur
sélection a commencé dès le début de la guerre, avant même que l’on ait extrait des
rangs tout autre spécialité de combattant. Le choix en a été fait après des « épreuves
de longue durée », puisqu’ils ont échappé, outre la chance, par leur habileté motrice,
par la promptitude de leurs gestes, aux vicissitudes de la guerre. Or, les dangers
étaient permanents en Argonne, où la guerre, très meurtrière, se faisait de tranchée
à tranchée très rapprochées (à parfois moins de 50 mètres). Si l’on établit la moyenne
de la durée des temps de réaction des vingt premiers sujets, on obtient les chiffres
suivants (voir Tableau III) :
D’autres mesures à réaliser sur les soldats en vue de leur sélection comme
mitrailleurs
L’importance de la rapidité et de la fatigabilité des mouvements a été mise en
évidence par le procédé suivant : à l’aide d’un stylet en ébonite terminé par une
petite boule de cuivre, le sujet exécute aussi rapidement qu’il le peut, une série de
frappes sur une plaque de cuivre. La mise en contact du stylet et de la plaque amène
la fermeture d’un circuit électrique ; un signal de Deprez introduit dans le circuit,
marque sur un cylindre enregistreur chaque coup donné par le sujet (voir Figure 11).
Chaque sujet devait effectuer des frappes rapides pendant 45 secondes (générale-
ment à ce moment-là un fléchissement de leur rapidité motrice apparaît). L’examen
des résultats permet de constater que, d’une façon générale, la rapidité motrice
n’est pas le signe nécessaire de la supériorité des mitrailleurs. Par contre, l’indice de
fatigabilité (différence numérique observée entre le nombre de tapes, frappées par
un sujet au début d’une série et le nombre frappé à la fin, pour un temps donné) a
permis d’établir un classement des mitrailleurs qui, sans se juxtaposer individu par
individu sur le classement fourni par l’étude des temps de réaction, groupe cepen-
dant tous les bons sujets en tête de la liste et rejette à la fin tous ceux qui ont un indice
de fatigabilité élevé. L’importance de la rapidité et de l’exactitude du mouvement,
comme on pouvait s’y attendre avec les chargeurs, n’a pas pu être démontrée expé-
rimentalement ; les méthodes directes de laboratoire n’ont pas donné de résultats
concluants10. Lahy indique cependant que la méthode indirecte qui consiste à juger
la valeur d’un sujet, en ce qui concerne la précision du mouvement, par la délicatesse
10. Faute d’une installation convenable, J.-M. Lahy n’a pas pu utiliser la méthode photographique et
cinématographique qui, dans toute étude des gestes, est à préconiser.
rapidité et de l’exactitude du mouvement, comme on pouvait s’y attendre avec les chargeurs,
n’a pas pu être démontrée expérimentalement ; les méthodes directes de laboratoire n’ont pas
donné de résultats concluants140. Lahy indique cependant que la méthode indirecte qui
consiste à juger la valeur d’un sujet, en ce qui concerne la précision du mouvement, par la
138sa sensibilité musculaire
délicatesse de Les archives de Jean-Maurice
a montré Lahy (1872-1943)
des résultats prometteurs.à Sainte-Anne
À l’aide d’un myo-
esthésimètre (Nicolas, 2018), Lahy a trouvé chez les sujets supérieurs une sensibilité
de safine
musculaire plus sensibilité musculaire
que chez a montré
les sujets des résultats prometteurs. À l’aide d’un myo-
médiocres.
esthésimètre (Nicolas, 2018), Lahy a trouvé chez les sujets supérieurs une sensibilité
musculaire plus fine que chez les sujets médiocres.
11. J.-M. Lahy donne quelques exemples (p. 36-38 du rapport) pour appuyer ses propos : « L’un d’eux,
au cours d’une attaque allemande, voit éclater à côté de lui un obus de 105 et, par suite d’une chance
inouïe, il n’est pas blessé. Le support de sa mitrailleuse est brisé. Sans se déconcerter, notre homme
prend le reste de sa mitrailleuse et l’installe un peu en arrière après l’avoir réparée avec des moyens
de fortune. Nous connaissons des mitrailleurs qui, au moment d’une action, avant d’ouvrir le feu sur
des troupes qui attaquent, roulent une cigarette et la fument en tirant. Voici un de nos excellents sujets,
qui a gagné sa Croix de guerre, comme fantassin, aux Éparges. Il est au feu d’un calme imperturbable.
Il "blague" sans cesse dans les moments critiques et maintient la gaieté autour de lui. Les exemples
de cette nature sont nombreux. On comprend qu’il ait été facile de discerner les sujets de sang-froid
parmi nos sujets. D’ailleurs, tous les bons mitrailleurs, au cours de l’action la plus vive, cessent de viser
pour pencher la tête à gauche, s’assurer du point d’arrivée des balles, rectifier le tir en manœuvrant le
volant et la crosse. Que se passe-t-il chez ces hommes ? Il est hors de doute que les images qu’ils ont
dans l’esprit sont celles du but à atteindre. Leurs muscles obéissent sans trouble, avec la plus grande
exactitude, aux directions imprimées par le cerveau. Aucune image, aucun geste parasite, ne parvient à
les troubler. D’autres individus placés dans des conditions identiques sont assaillis par des images terri-
fiantes et ressentent des émotions graves qui faussent leurs pensées aussi bien que leurs gestes. Les plus
inaptes de nos sujets m’ont toujours paru enclins à un pessimisme profond. Tel mitrailleur, parmi les
mauvais me parlait spontanément de ses émotions, de ses craintes. Les expériences qui se faisaient sous
ses yeux le laissait à peu près indifférent. Les fatigues, la longueur de la guerre, l’ennui des tranchées,
étaient, pour lui comme pour ses pareils, la pensée dominante, contrairement à ce que j’observais chez
les sujets d’élite. La vie que mènent tous les mitrailleurs est identique. Ce sont donc des interprétations
différentes de mêmes sensations qui déterminent ces attitudes variées. Or, pour cela, il faut que les orga-
nismes soient différents. Certes, nous ne connaissons pas le travail intime du cerveau, mais nous savons
que les fonctions de la vie végétative, la respiration, la circulation, sont indépendantes de notre volonté
et conditionnent cependant notre activité psychique. Les émotions, la peur par exemple, intéressante à
rappeler en la circonstance, sont concomitantes de troubles respiratoires et circulatoires – pour ne parler
que des fonctions faciles à étudier. Un homme dont le cœur est soumis à des variations de rythme trop
graves éprouvera pour des causes futiles une impression de désordre moral. »
de cette plasticité fonctionnelle, on peut alors affirmer qu’ils présentent les qualités
habituelles primordiales pour avoir dans l’action le sang-froid désirable. Pour y parvenir,
Lahy a enregistré les variations du pouls et de la respiration pendant que le sujet réalisait un
acte bref, mais nécessitant un effort constatable de l’attention : le tir à la carabine.
140 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
Fig. 12 – Lahy enregistre sur un cylindre tournant grâce à des appareils spéciaux
Fig. 12 – Lahy enregistre
(pneumographe, sur un cylindre
sphygmographe), tournant
les variations plus ougrâce
moinsàgrandes
des appareils
du pouls spéciaux
et de la respiration dans le tir au fusil
(pneumographe, sphygmographe), les variations plus ou moins grandes du pouls et de la
(Grimaud, 1918, p. 123)
respiration dans le tir au fusil
L’expérience commençait(Grimaud, par un signal1918, p. 123)
correspondant à l’ordre « Visez » et la
fin par l’enregistrement du coup lui-même, grâce à un dispositif spécial adapté à la
L’expériencecarabine (voir Figure
commençait par12).unIci signal
Lahy ne correspondant
cherchait pas à étudier l’aptitude
à l’ordre au tir, »
« Visez mais
et la fin par
seulement les indices physiologiques d’un individu pendant cet acte. Le tir sur cible
l’enregistrement du coup lui-même, grâce à un dispositif spécial adapté à la carabine (voir
permettait de juger de l’intensité de l’attention et du degré précision atteint. L’étude
Figure 12). duIcisang-froid
Lahy neestcherchait
à tous égardspaslaàpartie
étudier l’aptitude
la plus délicate deau tir, mais
l’examen seulement les indices
psycho-physio-
physiologiqueslogiqued’un individu pendant cet acte. Le tir sur cible permettait de juger de
des mitrailleurs.
L’examen des
l’intensité de l’attention graphiques
et du respiratoires
degré précision (FigureL’étude
atteint. 13) a permis de distinguer
du sang-froid estlesà tous égards
bons des mauvais mitrailleurs. Il n’existe pas un type unique de respiration pour les
la partie la plus délicate de l’examen psycho-physiologique des mitrailleurs.
bons mitrailleurs, mais le graphique de leur activité thoracique est toujours d’une
L’examen des graphiques
très grande respiratoires
régularité. (Figure
Les sujets d’élite 13) aainsi
fournissent permis de de
trois types distinguer
modification les bons des
mauvais mitrailleurs.
respiratoire.Il1°)n’existe
le sujet ne pas un type
modifie unique
pas très de respiration
sensiblement sa pour; les
respiration bons
2°) le sujetmitrailleurs,
arrête complètement sa respiration ; 3°) le sujet ralentit sa respiration.
mais le graphique de leur activité thoracique est toujours d’une très grande régularité. Les Qu’il s’agisse
sujets d’élitede bons mitrailleurs de l’un ou l’autre type respiratoire, un fait reste commun à
fournissent ainsi trois types de modification respiratoire. 1°) le sujet ne modifie
tous : c’est la diminution de la respiration pendant l’expérience et l’augmentation
pas très sensiblement sa respiration
après. Le ralentissement ; 2°) lenesujet
respiratoire seraitarrête
qu’un complètement
moyen mécaniquesad’adapter
respiration ; 3°) le
sujet ralentitles sa respiration.
muscles Qu’ilEn s’agisse
à l’immobilité. de bons
règle générale, mitrailleurs
les meilleurs sujets fontdeavant
l’unla visée
ou l’autre type
une provision nouvelle d’oxygène qu’ils épuisent lentement
respiratoire, un fait reste commun à tous : c’est la diminution de la respiration pendant en arrêtant leur respi-
l’expérienceration jusqu’au tir. Il s’agit de réduire les mouvements respiratoires en allongeant le
et l’augmentation après. Le ralentissement respiratoire ne serait qu’un moyen
mouvement d’expiration qui exige le moins d’effort, au détriment de l’inspiration
mécanique d’adapter
qui en exigeles un muscles
plus grandà et l’immobilité. En règle
plus saccadé. Chez générale,
les sujets les plus les meilleurs sujets font
exceptionnels,
avant la visée une provision
le temps de visée estnouvelle
souvent trèsd’oxygène
court, et qu’ils épuisent lentement
ils ne ralentissent en arrêtant leur
pas significati-
respiration jusqu’au tir. Il s’agit de réduire les mouvements respiratoires enuneallongeant le
vement leur respiration. Si le temps de visée est un peu plus long, on trouve
ébauche d’arrêt respiratoire. Dans tous les cas, on observe une augmentation des
mouvement mou d’expiration qui exige le moins d’effort, au détriment de l’inspiration qui en exige
vements respiratoires après l’expérience. Le mauvais mitrailleur a toujours sa
un plus grand et plus saccadé.
respiration troublée au cours Chezdelesla visée
sujetset les plusaugmentation
aucune exceptionnels, le vtemps
des mou ements de visée est
souvent trèsrespiratoires
court, et ils ne l’expérience.
après ralentissentCes pasdysfonctionnements,
significativementtraduisentleur respiration.
selon Lahy Si un le temps de
état mental émotif particulier.
visée est un peu plus long, on trouve une ébauche d’arrêt respiratoire. Dans tous les cas, on
observe une augmentation des mouvements respiratoires après l’expérience. Le mauvais
120
mitrailleur a toujours sa respiration troublée au cours de la visée et aucune augmentation des
Un laboratoire
mouvements de psychologie
respiratoires près des tranchées
après l’expérience. Ces de traduisent141
Verdun et de la Somme…
dysfonctionnements, selon Lahy
un état mental émotif particulier.
de signes révélateurs d’une aptitude générale à une fonction donnée. Pour les
mitrailleurs, chargeurs ou tireurs, la plus grande rapidité des temps de réaction, le
faible écart moyen (régularité), un faible indice de fatigabilité et l’absence de sug-
gestibilité révèlent des aptitudes certaines, accrues lorsque la précision et la rapidité
motrices s’ajoutent aux signes précédents. Si on se reporte à l’étude des gestes du
mitrailleur, tels qu’ils ont été présentés plus haut dans le Tableau I, on trouve que les
qualités de précision, régularité et rapidité sont nécessaires à la fois au tireur comme
au chargeur. L’examen psychologique réalisé par Lahy sur ses sujets montre que les
gestes des bons mitrailleurs doivent en effet témoigner de leur régularité et de leur
précision. La précision est, certes, la qualité fondamentale, ainsi que le démontre la
sensibilité musculaire très délicate chez les meilleurs sujets et très imparfaite chez les
sujets médiocres ; mais la régularité a une importance au moins égale. On s’en rend
compte en constatant chez les sujets bien doués le faible écart moyen dans les temps
de réaction aussi bien visuels qu’auditifs, et le faible indice de fatigabilité. La rapi-
dité des réactions et des gestes semble au premier abord avoir moins d’importance.
Comme le souligne Lahy : « Il est exact d’appliquer aux mitrailleurs la remarque que
nous avions faite sur les dactylographes, à savoir que, pour l’exercice régulier de la
profession et le meilleur rendement, "une action relativement lente et bien adaptée
est préférable à une action rapide et peu coordonnée" » (p. 59 du rapport). Mais la
différence avec les dactylographes est que chez les mitrailleurs la rapidité ne peut
pas être négligée ni même être mise au second plan. En effet, les résultats obtenus
par Lahy montrent que tous les bons mitrailleurs à l’exception d’un seul, possèdent
des réactions, tant auditives que visuelles, rapides. Si des mouvements réguliers et
précis sont préférables à des mouvements rapides et peu coordonnés, la rapidité,
lorsqu’elle accompagne les autres qualités, donne une valeur incontestable au soldat
mitrailleur. Pour Lahy : « Des réactions brèves avec un faible écart moyen, un indice
de fatigabilité faible allié à une rapidité motrice supérieure sont les indices certains
d’une supériorité marquée dans cet ordre d’activité psycho-physiologique » (p. 59
du rapport).
Mais en plus des aptitudes de précision, de régularité et de rapidité des gestes du
tireur ou du chargeur, une qualité intervient qui les domine toutes : le sang-froid au
combat. Or, le sang-froid qui joue chez le combattant – et, disons-le, plus particulière-
ment chez le mitrailleur – un rôle capital, est l’expression d’aptitudes physiologiques
générales qui dépassent les qualités nécessaires pour les professions ordinaires.
Pour étudier le sang-froid, Lahy s’est appuyé sur l’étude des mouvements respira-
toires et cardiaques de ses sujets. Il considère en effet que le sang-froid mesuré par
des indices physiologiques est une donnée d’importance. Ils sont pour lui le signe de
la valeur morale d’un homme au combat. Chez les mauvais mitrailleurs les troubles
respiratoires et circulatoires doivent surtout retenir l’attention car, pour auto
matiques et involontaires qu’ils soient dans leurs causes, ils deviennent conscients
dans leurs effets. Toute modification intervenue dans ces fonctions est sentie par le
sujet. Si les modifications sont régulières, ordonnées, le sujet n’en éprouve pas de
troubles ; si elles sont irrégulières, désordonnées, le sujet en éprouve du malaise,
de l’angoisse ; il se crée en lui un terrain propice à la peur. C’est ainsi que Lahy qui
avait d’abord classé la valeur de ses sujets en fonction de leurs performances aux
épreuves de temps de réaction, corrige son classement en prenant en compte les
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 143
Conclusion
Les recherches originales de Lahy ne conduisirent malheureusement à aucune
application pratique pour la sélection des mitrailleurs dans l’armée française.
En effet, le rapport dont nous venons de présenter un résumé et les extraits les plus
importants fut classé sans suite par les autorités militaires qui néanmoins vont le
consigner comme document secret à ne pas diffuser. Cependant, Lahy fournira
d’amples informations et de nombreuses photographies au journaliste scientifique
Octave Grimaud13 qui fit paraître en janvier 1918 un article synthétique (Grimaud,
1918) sur l’examen psycho-physiologique des soldats mitrailleurs publié dans
la revue La Science et la Vie. La publication de cet article fut la réponse de Lahy au
refus de l’armée française d’appliquer la procédure de sélection aux mitrailleurs
sur la base des épreuves innovantes proposées.
L’armée française fut toujours réticente face aux avancées de la psychologie
scientifique, et n’accepta d’ailleurs jamais les propositions des psychologues
français pour améliorer la sélection des combattants. Déjà quelques années avant
le début du premier conflit mondial, Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon
(1873-1961) avaient par exemple demandé l’application de leur test d’intelligence
sur les soldats du contingent (Binet & Simon, 1908)14 et montré lors de la séance
du 29 novembre 1909 à la Société médico-psychologique son utilité (Binet & Simon,
1910) pour la sélection des recrues inaptes au service militaire ; mais ils n’avaient
12. Il semble qu’une rapidité motrice supérieure soit une gêne pour les sujets mal doués à d’autres
égards et accroisse leur inaptitude professionnelle. Cependant, les temps de visée sont en général assez
longs chez les mitrailleurs médiocres.
13. Nous n’avons pas pu trouver de renseignements sur ce personnage (peut-être s’agit-il d’ailleurs de
Lahy lui-même utilisant un pseudonyme ?).
14. « Signalons la très grande utilité d’humanité qu’il y aurait à faire l’examen intellectuel des jeunes
recrues avant de les incorporer. Beaucoup de débiles, c’est-à-dire des jeunes gens que leur faiblesse
d’intelligence rend incapables d’apprendre et de comprendre la théorie et l’exercice des armes, et de
se soumettre à une discipline régulière, se présentent à l’examen médical ; et on les déclare « bons pour
le service », parce qu’on ne sait pas les examiner au point de vue intellectuel. Nous avons appris qu’en
Allemagne on s’est préoccupé de la débilité mentale des recrues, et on l’apprécie avant l’incorporation au
moyen d’un questionnaire rédigé par le Dr Schultze, professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine
de Greifswald. Ce questionnaire est composé de telle sorte qu’un enfant de douze ans, d’intelligence
moyenne, et sans culture, peut y répondre. L’un de nous a saisi de la question le ministère de la Guerre,
qui a bien voulu répondre qu’il demanderait un rapport à ses bureaux. Nous avons des raisons de croire
que cette réponse ne constitue pas un refus poli qui est habituel aux administrations de l’État, quand elles
sont importunées par des propositions émises en dehors d’elles. Et très probablement nous aurons le plai-
sir d’exposer bientôt aux lecteurs de l’Année les résultats de nos essais expérimentaux sur la débilité des
conscrits, et les moyens de la dépister, en évitant la simulation » (Binet & Simon, 1908, p. 94).
144 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
pas convaincu à l’époque les médecins de l’armée (Simonin, 1909) sur lesquels s’ap-
puyaient les autorités militaires pour prendre des décisions. Par contre, quelques
années plus tard (1917), le psychologue Robert M. Yerkes (1876-1956) réussit à
convaincre l’armée américaine (Yerkes, 1918, 1919) et proposa avec l’aide de Lewis
Terman (1877-1956), Henry H. Goddard (1866-1957) et d’autres psychologues un
test d’intelligence issu des travaux de Binet et appliqué avec succès aux recrues en
1918 (Kevles, 1968 ; Samelson, 1977 ; Sokal, 1987 ; Carson, 1993). Les applications
militaires furent également nombreuses en Allemagne durant la guerre, comme l’at-
teste l’article publié par Carl Stumpf (1848-1936) en 1918 (Stumpf, 1918) qui expose
notamment le rôle du psychologue dans la recherche des procédés de repérage des
sons, dans les examens d’aptitudes professionnelles pour les conducteurs de véhi-
cules terrestres (Moede, 1919), les aviateurs (Stern, 1919), les observateurs aériens
(Benary, 1919), et les radiotélégraphistes (Lipmann, 1919). L’effervescence de cette
nouvelle orientation de la recherche appliquée apparaît au grand jour avec la publi-
cation en 1917 de la première revue américaine de psychologie dans le domaine, le
Journal of Applied Psychology (Geissler, 1917 ; Kozlowski, Chen & Salas, 2017) publié
par G.S. Hall (1844-1924), J.W. Baird (1869-1919) et L.R. Geissler (1879-1932), et
en Allemagne avec la publication en 1919 de Praktische Psychologie par W. Moede
(1888-1958) et C. Piorkowski (1888-1939). Les États-Unis et l’Allemagne réalisèrent
de grands progrès dans le domaine de la psychologie appliquée durant la Première
Guerre mondiale, l’expérience acquise va permettre aux psychologues profession-
nels de ces pays d’œuvrer après-guerre dans les entreprises et les services publics.
En France, les psychologues de métier ne furent pas appelés à contribuer à la
sélection des militaires. La seule institution française de sélection aux armées recon-
nue pendant la Première Guerre mondiale fut le centre de sélection des aviateurs
de combat, dirigée par des médecins. Au point de vue physiologique, on examinait
le fonctionnement normal des organes sensoriels, du système nerveux, du système
respiratoire et du système cardio-vasculaire des futurs candidats aviateurs. Il s’agis-
sait d’une sélection physiologique qui avait pour but d’éliminer les sujets non adap-
tés. Au point de vue psychologique, étaient examinés les processus perceptifs, les
processus perceptivo-moteurs et les réactions émotives des potentiels futurs avia-
teurs (voir Figure 14). Il s’agissait d’une sélection psychologique qui a pour but de
rechercher des individus possédant les aptitudes nécessaires. L’approche médico-
psychologique proposée par Jean Camus (1872-1924) et Henri Nepper (1881-1918)
était donc très différente (Camus & Nepper, 1916a, 1916b, 1917 ; Nepper, 1917, 1919)
de l’approche psychotechnique que Lahy avait développée sur les soldats mitrail-
leurs. Si ce dernier avait eu à réaliser une sélection des candidats à la fonction de
pilote d’avion de combat, il aurait certainement débuté par une analyse fine des
gestes et actions du pilotage afin d’établir les fonctions ou les opérations psycho-
physiologiques qui le constitue (détermination psychophysiologique du pilotage)
et aurait procédé à une sélection au plan psychophysiologique des meilleurs pilotes
de guerre de l’époque en leur proposant une série d’épreuves à réaliser. Sur la base
des résultats obtenus, une série de tests aurait été établie pour être administrés aux
futurs candidats aviateurs. Mais ce mode de recrutement n’était pas à l’ordre du jour
dans l’armée française où officiaient des médecins non exercés aux pratiques de la
recherche en psychologie appliquée.
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 145
Fig. 14 – Série
Fig.d’épreuves proposées
14 – Série d’épreuves par par
proposées Jean Camus
Jean Camus (1872-1924)
(1872-1924) et et Henri
Henri Nepper (1881-
Nepper
1918) pour la sélection des aviateurs
(1881-1918) pour (d’après
la sélectionLe
desPays de France, 15 janvier 1917)
aviateurs
(d’après Le Pays de France, 15 janvier 1917).
15. On constate par exemple que des sections de psychologie appliquée (éducation, industrie, méde-
Références
cine) sont créées par la British Psychological Society dès 1919.
16. Au coursBenary,
des années suivantes
W. (1919). KurzerdeBericht
nombreux congrès zu
über Arbeiten furent programmés ;
Eignugsprüfungen für l’Association
Flieger- inter
nationale de psychotechnique deviendra
Beobachter. Zeitschrift en 1955Psychologie,
für Angewandte l’Association internationale de psychologie appliquée.
15, 16-192.
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1900). L’Année Psychologique, 7, 524-536.
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Psychologique, 14, 1-94.
125
146 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
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684; – 5e éd. 1902/03, vol. I: pp. xv, 553; vol. II: pp. viii, 686; vol. III: pp. ix, 796; –
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 149
6e éd. 1908/11, vol. I (1908): pp. xv, 725; vol. II (1910): pp. viii, 782; vol. III (1911):
pp. xi, 810. – Traductions : Trad. française sur la seconde édition allemande par
É. Rouvier (1886). Éléments de psychologie physiologique (vol. I : pp. xxxii, 571 ;
vol. II : pp. 532). Paris : F. Alcan ; Trad. anglaise du premier volume sur la cin-
quième édition allemande par E.B. Titchener (1904). Principles of physiological
psychology (Vol. I. : pp. xvi, 347). London: Swan Sonnenschein & Co.; New York:
Macmillan & Co.).
Yerkes, R.M. (1918). Psychology in relation to the war (I). – Report of the psychology
committee of the National research council. Psychological Review, 25(2), 85-115.
Yerkes, R.M. (1919). Psychology in relation to the war (II). – Report of the psychology
committee of the National research council. Psychological Review, 26(2), 83-149.
Le comité de « l’école à l’atelier » de la rue de Lesseps :
la question de l’orientation dans les archives
Jean-Maurice Lahy
Jérôme Martin
1. Pré-inventaire des archives de J.-M. Lahy (1872-1943), Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences - CH Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14, établi par Marcel Turbiaux et
Dominique Brendel.
152 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
au nombre de 12 pour les garçons, et de 20 pour les filles (16 cours manuels et ména-
gers et 4 cours complémentaires d’enseignement commercial). À la fois théoriques
et pratiques, ils sont destinés aux jeunes gens et jeunes filles de 13 à 15 ans. En 1914,
le XXe compte deux cours complémentaires d’enseignement, rue Henri-Chevreau
et rue de Lesseps. Parallèlement, la Ville de Paris développe l’enseignement du
travail manuel (D’Enfert, 2007). En 1914, 16 ateliers fonctionnent qui s’ajoutent aux
140 écoles primaires pourvues d’ateliers du bois et aux 52 du fer (Office central des
œuvres, 1912, p. 237-238).
Le maillage scolaire républicain s’appuie sur un réseau de personnalités poli-
tiques, administratives et scientifiques liées entre elles par une communauté d’idées
dont la Franc-maçonnerie est une des matrices. Lahy s’inscrit dans ce milieu qui
lui fournit les appuis institutionnels importants. Il dispose ainsi de soutiens impor-
tants au sein du conseil municipal de Paris. Alphonse Loyau (1877-1951) en est un
exemple. Ouvrier mécanicien, secrétaire de l’Union corporative des ouvriers méca-
niciens de la Seine, élu socialiste, il est conseiller municipal de Paris du quartier du
Père-Lachaise (XXe). C’est lui qui dépose une demande de subvention devant le
conseil municipal dès la seconde année d’existence du comité « l’école à l’atelier »
(Loyau, 1922). Dans les années suivantes, il s’assure du renouvellement de la sub-
vention municipale. Ainsi en avril 1930, il intervient en faveur du comité, insistant
« très vivement pour que cette affaire soit examinée sans retard » (Bulletin municipal
officiel de la Ville de Paris, 1930, p. 1623).
Lahy peut également compter sur le soutien d’un autre élu parisien, Antoine
Frédéric Brunet (1868-1932). D’origine modeste, franc-maçon et socialiste, il est
conseiller municipal du XVIIe arrondissement de Paris (quartier des Épinettes) de
1907 à 1925, et préside, en 1923, le conseil général de la Seine. Député républicain-
socialiste du département de la Seine (1914-1919 ; 1924-1932), il est un éphémère
sous-secrétaire d’État à l’Enseignement technique (13 décembre 1930-27 janvier
1931). Brunet se fait le promoteur des initiatives prises par Lahy. En juin 1920, lors
d’un débat sur la création de classes de préapprentissage et de cours d’apprentis,
il préconise l’examen « des aptitudes psycho-physiologiques des enfants à une
profession » et cite Lahy comme « un de [ses] amis qui a imaginé des appareils
mécaniques permettant de déterminer les aptitudes des individus pour tel ou tel
travail » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1920, p. 2867). C’est un soutien
important car Brunet est lié à la Ligue d’hygiène mentale. C’est à ce titre qu’il pro-
pose la création du centre de psychiatrie et de prophylaxie mentale, à Sainte-Anne,
où Édouard Toulouse (1845-1947) vient d’être nommé médecin-chef (Turbiaux,
2006, p. 224 ; Huteau, 2002).
Dans le milieu des édiles parisiens, l’action de Lahy est parfois même présen-
tée comme l’expression d’une volonté de la municipalité destinée à « organiser, à
titre d’expérience, dans une de nos écoles, l’orientation professionnelle, destinée
à obtenir le plus grand rendement social compatible avec le plus grand bien-être
individuel » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1927, p. 4580). Le comité
de « l’école à l’atelier » est ainsi un enjeu pour une municipalité qui se veut à la
pointe des avancées scientifiques et investie dans les réformes sociales au service
de la population.
154 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
3. Circulaires du 19 juillet 1920 et du 17 mars 1921 Bulletin administratif, n° 2584, t. CXXI, 1.3.1927,
p. 256-258.
4. Bailly, Comité de l’école à l’atelier. Enquête 1931, 21 pages manuscrites. Le rapport est suivi d’une
note de 4 pages rédigée par Bailly et intitulée « Nouvelle méthode à adopter ». Archives J.-M. Lahy –
Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
156 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
de comités dont le succès est inégal mais qui maille le territoire du département de
la Seine et s’appuie de plus en plus sur les écoles.
« L’école à l’atelier » peut être considéré comme un « centre de psychotech-
nique appliquée à l’orientation professionnelle » (Lahy, 1929, p. 20). À la lecture
des archives du comité de « l’école à l’atelier », force est de constater que l’école
élémentaire constitue un enjeu à la fois pratique et scientifique pour les hommes de
sciences comme Lahy qui cherchent à promouvoir une application sociale des
travaux d’une psychologie en voie de développement. L’école de la rue de Lesseps
est le creuset d’une alliance qui se noue entre des membres de l’institution scolaire
et les scientifiques (Ouvrier-Bonnaz, 2011). Du côté des scientifiques, il s’agit d’accé-
der au public scolaire afin d’expérimenter leurs travaux et d’étalonner les tests.
Le scientifique sollicite régulièrement les membres de l’instruction publique, cherche
à étendre le réseau de maitres et d’école grâce auxquelles il pourra conforter ses
travaux en multipliant les opérations de validation de tests afin d’établir, au terme
de ce patient travail, des profils plus facilement utilisables. Lahy dresse des listes
de directeurs d’école, leur écrit à plusieurs reprises. Au début des années 1930, il
envoie plusieurs courriers à des directrices et directeurs d’école (18 à Paris et 20 en
province) afin de « constituer, pour chaque classe, des listes de questions essentielles,
celles que tout élève moyen doit avoir pu s’assimiler en fin d’année5 ».
5. Courriers de J.-M. Lahy aux directeurs d’école, s.d. Un second courrier fait référence à un premier
daté du 24 janvier. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 157
la fonction scolaire. Les années 1920 voient s’opérer une inflexion dans le rapport
que les instituteurs entretiennent avec l’environnement social de l’école. Réticents
dans les années 1910 à s’engager dans le domaine de l’orientation, ils voient dans
l’orientation une prolongation des œuvres post-scolaires et l’accomplissement de
la fonction sociale de l’école (Martin, 2015).
Dans ce contexte le comité de la rue de Lesseps élargit son audience. En 1931
s’ajoutent l’école de filles du 40 rue des Pyrénées qui comporte un cours complé-
mentaire d’enseignement général, l’école de garçons du 15 rue Sorbier, avec un
cours complémentaire commercial, l’école de filles de la rue de la Bidassoa et la
classe de préapprentissage de l’école de garçons, 151 avenue Gambetta (Turbiaux,
2006, p. 225). À partir de 1930, le comité « l’école à l’atelier » est intégré aux comi-
tés de patronage d’apprentis et son action étendue à l’ensemble des écoles du XXe
arrondissement6.
La pratique de l’orientation du comité « l’école à l’atelier » comporte également
une forte dimension prophylactique que l’on retrouve dans la plupart des offices
d’orientation. Les acteurs de l’orientation – conseillers d’orientation, psychologues,
médecins, instituteurs – insistent sur l’état sanitaire des populations scolaires. Dans
les écoles des XIe et XIIe arrondissements, l’instabilité des effectifs inscrits est en
partie due à l’état de santé des élèves. Les départs à la campagne ou en preventorium
pour raison de « santé délicate » peuvent représenter autour de 10 % des effectifs
(Blanc-Chaléard, 1991, p. 665). Les rapports des offices d’orientation font état d’une
population scolaire en mauvaise santé. Préoccupés des aptitudes physiques des
élèves, les directeurs d’office et les conseillers ne manquent pas de souligner ce
constat. Ainsi, à Lyon, en 1924, l’office affirme avoir « constaté que, parmi les jeunes
gens dont l’état de santé laissait à désirer, il s’en trouvait assez fréquemment qu’une
éducation physique rationnelle et prudente serait certainement susceptible d’amé-
liorer » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Lyon, 1925, p. 101-104).
Théodore Simon souligne ainsi le « formidable bénéfice à l’actif de l’OP en faveur
des enfants des milieux sociaux où la misère et l’ignorance exercent leurs ravages.
Et ils sont hélas nombreux dans les grandes villes en certains quartiers. La recherche
des aptitudes physiques, si imparfaites et imprécises que soient encore nos connais-
sances relativement à ce que demandent les métiers, amène l’enfant devant le
médecin. Il a donc les plus grandes chances de bénéficier de soins médicaux qui ne
lui eussent souvent pas été donnés sans la préoccupation d’OP » (L’Apprentissage et
l’OP, 1928, p. 3-4). Dans cette période, pour tous les promoteurs de l’orientation les
enjeux sanitaires constituent une préoccupation majeure. On comprend ainsi l’im-
portance accordée par Lahy, en collaboration avec Georges Heuyer, à l’élaboration
d’une fiche médicale et à la place accordée aux examens psychiatriques (Turbiaux,
2006, p. 222). Cette préoccupation pose toutefois la question de la place de la méde-
cine dans les procédures d’orientation. Malgré les demandes répétées des scienti-
fiques et des conseillers d’orientation, l’État échoue à mettre en place une véritable
médecine scolaire, dans les grandes villes comme Paris ou Lyon, ce sont les muni-
cipalités qui organisent la médecine scolaire (Martin, 2011, p. 339-361). Les archives
7. Lettre du Dr Julien Noir à J.-M. Lahy, 27 décembre 1931. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de
la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 159
8. Inventaire des appareils à l’école 11, rue de Lesseps, décembre 1931. Archives J.-M. Lahy – Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
9. Remarques sur la méthode des « Cahiers, dactylographié, 4 pages. Archives J.-M. Lahy – Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
10. Sélection des enfants et orientation professionnelle, Année 1931-1932, dactylographié, p. 3.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 19.
160 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
11. École de garçons de la rue Sorbier. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
12. « Remarques sur la méthode des cahiers ». Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie
et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 161
13. Rapport dactylographié intitulé « Écoles ». Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychia-
trie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
14. Orientation professionnelle, exercice 1932-1933, archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psy-
chiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
15. Orientation professionnelle, exercice 1932-1933, archives J.-M. Lahy, Musée d’histoire de la psy-
chiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
162 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
des populations qu’ils orientent. Loin de porter une critique ou d’être en décalage
avec les pratiques enseignantes, la psychologie vient les conforter.
Conclusion
Les archives de Lahy constituent une source indispensable à l’histoire de l’orien-
tation afin d’en apprécier l’épistémologie, les formes, les pratiques et les limites.
Elles montrent d’abord l’ampleur du projet scientifique de Lahy dont l’action au
sein du comité de « L’école à l’atelier » s’inscrit dans une ambition plus large, celle
de construire les outils d’une orientation scientifique capable de résoudre les contra-
dictions de l’école dans la perspective réformiste de l’école unique. Elles confirment
ensuite que le mouvement d’orientation professionnelle ne peut pas être abordé que
sous l’angle des scientifiques qui en sont des promoteurs. Si la psychologie en consti-
tue la base théorique, ce mouvement est également inscrit dans un cadre social et
politique qui en infléchit les formes et les pratiques. Au contact de l’école, l’orienta-
tion tend à prendre une connotation scolaire. Les archives de Lahy dévoilent enfin la
fabrique de l’orientation. Elle ne consiste pas dans un simple transfert des travaux de
laboratoire vers les pratiques sociales, mais comme une pratique sociale mobilisant
des acteurs et des enjeux socio-politiques dépassant le simple espace scientifique.
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Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 163
EAN : 978-36630-099-4