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Les archives de Jean-Maurice Lahy

(1872-1943) à Sainte-Anne
Regard croisé d’historiens,
de psychologues et de sociologues

Coordonné par le Groupe de recherche et d’étude


sur l’histoire du travail et de l’orientation (GRESHTO)
Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)

www.octares.com
Les archives de Jean-Maurice Lahy
(1872-1943) à Sainte-Anne
Regard croisé d’historiens,
de psychologues et de sociologues

Coordonné par le Groupe de recherche et d’étude


sur l’histoire du travail et de l’orientation (GRESHTO)
Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)
Image de couverture : M. Simonnet, Fonds Guyot (photographie)
et Mme Carine Franceschi – Roudil d’Ajoux,
Direction de la Communication du GHU Paris (montage).

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les
« copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utili-
sation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement
de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article 40).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du
Centre français d’exploitation du droit de copie (cfc), 20, rue des Grands-Augustins, 75006
Paris, tél. 01 44 07 47 70, fax 01 46 34 67 19.

Première édition
© 2020 OCTARÈS Éditions
11 rue des Coffres, 31000 Toulouse, France
www.octares.com
ISBN 978-2-36630-099-4
Travail et Histoire

« On ne connaît pas complètement une science tant qu’on n’en sait pas l’histoire. »
(Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 2e leçon, 1830).

Depuis 1991, Octarès consacre ses publications à l’actualité des sciences du


travail, participe à la diffusion des idées, des théories et des méthodes et à leur
circulation parmi les professionnels et les chercheurs en s’efforçant de privilégier
les rencontres entre les disciplines. L’apparition de nouvelles formes d’organisation
du travail et leur incidence sur les trajectoires et parcours professionnels, l’analyse
de l’activité réelle des Travailleurs, les contraintes du travail, leur impact sur leur
qualité de vie et leur santé, la multiplication des dispositifs d’accompagnement,
sollicitent toujours davantage la compréhension des dynamiques sociales en œuvre.

Dans un contexte de changement rapide où de nombreux repères sont brouillés,


le recours à l’histoire est une ressource pour retrouver les racines des évolutions, en
conserver les traces, les analyser et les structurer, se situer et agir dans le monde du
travail. C’est pourquoi, les Éditions Octarès ont favorisé la publication de plusieurs
ouvrages en version papier développant une approche historique et des ouvrages
en version électronique dont certains libre d’accès. Ces ouvrages permettent de mieux
comprendre l’influence du passé sur le présent pour préparer l’avenir et ainsi de
tisser des liens entre les différents ouvrages proposés dans les collections.

Ouvrages électroniques
André Ombredane (1898-1958) – Jean-Marie Faverge (1912-1988) – L’analyse du travail,
ruptures et évolutions sous la coordination de Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-
Fassina
Suzanne Pacaud (1902-1988) – De la psychotechnique à l’ergonomie – L’analyse du travail
en question sous la coordination de Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina
Connaissance du travail et orientation – Une histoire en débats sous la coordination de
Serge Blanchard et Régis Ouvrier-Bonnaz

Ouvrages papier
« Performances Humaines & Techniques » d’hier vers aujourd’hui sous la coordination
de Marie Christol-Souviron, Sylvain Ledux, Annie Drouin et Pascal Étienne
Les histoires de la psychologie du travail – Approche pluridisciplinaire sous la direction
d’Yves Clot
Travail, Personnalisation, Changements sociaux – Archives pour les histoires de la psycho­
logie du travail de Jacques Curie
Alain Wisner et les tâches du présent – La bataille du travail réel sous la direction de
Jacques Duraffourg et Bernard Vuillon (Introduction d’Yves Schwartz Postface de
François Daniellou)
Sociologie du travail de Claude Durand
IV Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Ergonomie – Travail, Conception, Santé – Cinquantenaire de la Société d’ergonomie de


langue française sous la coordination d’Annie Drouin
Henri Piéron (1881-1964) Psychologie, orientation et éducation sous la direction de
Laurent Gutierrez, Jérôme Martin et Régis Ouvrier-Bonnaz
L’analyse du travail en psychologie ergonomique sous la coordination de Jacques Leplat
Psychologie de la formation – Jalons et perspectives (Choix de textes 1955-2002) de Jacques
Leplat
Des pratiques en réflexion – Dix ans de débats sur l’intervention ergonomique sous la coor-
dination de Christian Martin et Dominique Baradat (préface de Jacques Leplat)
Les compétences en ergonomie – Textes choisis et présentés par Jacques Leplat et Maurice
de Montmollin
Sur le travail – Choix de textes (1967-1997) de Maurice de Montmollin
La construction de l’idée de temps – Archives francaises sous la direction de Jean-Marc
Ramos
Réflexions sur l’ergonomie (1962-1995) d’Alain Wisner

DVD
Histoire d’ergonomie – Le temps des pionniers (1950-1980) de Christian Lascaux
Liste des auteurs

Dominique Brendel
Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
Centre hospitalier Sainte-Anne – Archives J.-M. Lahy
dominique.brendel@bbox.fr

Sophie Coeuré
Professeure des Universités
Laboratoire Identités – Cultures – Territoires (EA 337)
Université Paris 7 – Diderot
sophie.coeure@univ-paris-diderot.fr

Isabelle Gouarné
Chargée de recherches au CNRS
Centre universitaire de recherches sur l’action publique et la politique,
épistémologie et sciences sociales (CURAPP-ESS)
Université d’Amiens
isabelle_gouarne@hotmail.com

Jérôme Martin
Chercheur associé
Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation
(GRESHTO) – Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
– Conservatoire national des arts et métiers
jm.jeromemartin@gmail.com

Serge Nicolas
Professeur des Universités
Laboratoire Mémoire & Cognition
Institut de Psychologie, Université Paris – Descartes
serge.nicolas@parisdescartes.fr

Marco Saraceno
Chercheur associé
Centre d’études des techniques, des connaissances et des pratiques (Cetcopra)
Université Paris 1
ma.saraceno@gmail.com
Marcel Turbiaux (1931-2019)
Membre du Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orienta-
tion (GRESHTO) – Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
– Conservatoire national des arts et métiers
Responsable du classement des archives J.-M. Lahy au Musée d’histoire de la
psychiatrie et des neurosciences du centre hospitalier Sainte-Anne
Directeur scientifique du colloque : « J.-M. Lahy et ses archives : retour à Sainte-Anne ».
Sommaire

Avant-propos.........................................................................................................................1
Présentation – Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
En annexe : bibliographie de J.-M. Lahy établie par Marcel Turbiaux
Marcel Turbiaux (1931-2019).................................................................................................3

Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées


par les nazis et restituées par la Russie
Sophie Coeuré........................................................................................................................ 39

Rationalisme savant, eugénisme et communisme :


quelques interrogations à partir de l’itinéraire de Jean-Maurice Lahy
Isabelle Gouarné.....................................................................................................................59

Jean-Maurice Lahy, franc-maçon entre études maçonniques et sciences du travail


En annexe : témoignage d’Henri Jaskarzec, membre de la loge « Agni » (GODF)
Dominique Brendel................................................................................................................77

Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs


Marco Saraceno.................................................................................................................... 105

Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme


durant la Première Guerre mondiale – Sélection des soldats mitrailleurs
par le psychologue français Jean-Maurice Lahy en 1916
Serge Nicolas........................................................................................................................ 119

Le comité de « l’école à l’atelier » de la rue de Lesseps :


la question de l’orientation dans les archives de Jean-Maurice Lahy
Jérôme Martin......................................................................................................................151
Avant-propos

Marcel Turbiaux travaillait à la préparation des actes du colloque, Jean-Maurice


Lahy et ses archives : retour à Sainte-Anne », qui s’est tenu au Centre hospitalier
Sainte-Anne du Groupe hospitalier universitaire (GHU) – Paris Psychiatrie & Neuro-
sciences le 15 novembre 2018. Spécialiste reconnu et apprécié de l’œuvre de J.-M.
Lahy, il était le plus compétent pour assurer la direction scientifique de ces actes.
Décédé le dimanche dix-sept mars 2019, il n’a pu mener à bien cette tâche. Pour lui
rendre hommage, la coordination de cette publication a été assurée par les mem-
bres du Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation
(GRESHTO) du Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD) du
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) auquel Marcel Turbiaux apparte-
nait depuis sa création avec l’aide et le soutien du service Bibliothèques & Documen-
tation du GHU Paris – Psychiatrie & Neurosciences.

Le texte qu’il avait rédigé pour présenter les archives de J.-M. Lahy déposées
au Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier
Sainte-Anne et dont il avait mené à bien l’inventaire introduit ces actes. Pour lui, il ne
s’agissait pas de parler de l’homme en lui-même mais de son œuvre en l’inscrivant
dans un temps, des lieux, des institutions et une société donnés pour mieux saisir et
comprendre les situations, les expériences et les activités qui ont joué un rôle dans
sa façon de concevoir la psychotechnique en tant que discipline et le poids de cette
conception sur sa manière d’aborder les processus en jeu dans l’analyse du travail et
de l’orientation professionnelle.

Comme en témoigne le sommaire de ces actes, les auteurs des textes dans leur
domaine et à leur façon, se sont inscrits dans cette logique, pour compléter et
développer les différents aspects de la trajectoire et de l’œuvre de Lahy et préciser
l’apport des archives déposées à Sainte-Anne. D’une certaine façon, en procédant
ainsi toutes et tous participent au maintien de la mémoire de Marcel Turbiaux en
donnant une nouvelle vie au travail qui l’a mobilisé une grande partie de sa vie et
dont rendent compte les nombreux articles ou chapitres d’ouvrage qu’il a rédigés
sur le sujet. Qu’ils en soient ici remerciés.

Ces actes sont dédiés à Marcel Turbiaux (1931-2019) avec toute notre
reconnaissance pour sa contribution à l’histoire de la psychologie
Présentation
Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943)
à Sainte-Anne

Marcel Turbiaux

Cette présentation vise à rendre plus claire la lecture de l’inventaire des archives
de Jean-Maurice Lahy1.

Jean-Maurice Lahy est né le 7 août 1872 à La Réole (Gironde), fils de Jean Lahy,
menuisier ébéniste et de Marie Guithon, modiste. Il décédera le 22 août 1943 à
Saint-Léger-le Guérétois (Creuse).

Carrière
Carrière professionnelle
On manque de renseignements sur ses premières années.
En 1892, il entra aux Postes et Télégraphes comme commis auxiliaire et sur­­
numéraire à Bordeaux. À son retour du service militaire au 27e régiment de
dragons, effectué de novembre 1893 à octobre 1896 et qu’il termina au grade de
maréchal des logis fourrier, il est nommé titulaire sédentaire à la ligne du Sud-
Ouest, puis commis aux bureaux ambulants de la ligne de Lyon en 1898. En 1906
il sera nommé au grade de commis de 3e classe au service de la trésorerie et des
postes aux armées.
Le 16 février 1901 à Paris, il épouse Marie Blanche Trouillet (1881-1950),
mariage dissous par divorce par jugement du tribunal civil de la Seine en date
du 2 juillet 19192, mais qui lui mit le pied à l’étrier. En effet l’épouse était nièce de
Jean-Paul Trouillet (1855-1919), créateur en 1888 des Tablettes coloniales et auteur de
plusieurs ouvrages sur la politique coloniale, membre de nombreuses institutions
coloniales et directeur de La dépêche coloniale, « organe quotidien des possessions
françaises d’outre-mer et pays de protectorat », la plus importante feuille consa-
crée aux colonies, où Lahy émargeait déjà. C’est d’ailleurs avec la carte de visite de
rédacteur à La dépêche coloniale, bien que son nom n’y apparaisse pas en clair – un

1. Les archives de Jean-Maurice Lahy (alias J.-M. Lahy, son nom de plume), conservées au Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier Sainte-Anne, ont été inventoriées
par deux personnes de bonne volonté (Marcel Turbiaux et Dominique Brendel) mais non des archivistes
professionnels. C’est pourquoi, conscientes des imperfections possibles de leur travail, elles ont intitulé
le document présentant les archives « pré-inventaire ».
2. Il se remariera, le 30 janvier 1921, avec Marie-Charlotte Héloïse Hollebecque (1881-1957).
4 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

certain J. M., est-ce lui ? tenait la rubrique théâtre, concerts – que J.-M. Lahy assiste
au Congrès international de psychologie de 1900 (présidé par Théodule Ribot,
1839-1916).
Une profonde amitié liait Jean-Paul Trouillet à Eugène Étienne (1844-1921),
chef du parti colonial français, sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies en
1887, puis de nouveau de 1889 à 1892 et qui devint ministre de l’Intérieur en 19053.
Grâce à cette amitié, Lahy fut d’abord attaché puis sous-chef de cabinet du ministre,
le 28 septembre 1905. Quand Étienne passa au ministère de la Guerre (novembre
1905-octobre 1906), Lahy le suivit et devint chef adjoint de son cabinet civil ; ensuite,
en novembre 1906 il sera attaché au cabinet du ministre du Commerce et de l’Indus-
trie, Gaston Doumergue (1863-1937).
Cependant dès le 21 avril 1906 excipant de ses fonctions de chef adjoint au
cabinet civil du ministre de la Guerre, il avait sollicité du ministre des Finances,
Raymond Poincaré (1860-1934), un poste de receveur particulier des finances ou de
percepteur dans les environs de Paris. Il sera par arrêté du nouveau ministre des
Finances Joseph Caillaux (1863-1934) en date du 20 juillet 1908 nommé percepteur-
receveur municipal titulaire des sept communes composant la perception de Saint-
Leu-d’Esserent et en conséquence mis en disponibilité des Postes. Puis, par arrêté
du 21 mai 1922, il est nommé percepteur des sept communes composant la réunion
de Claye-Souilly, jusqu’à sa retraite en 1928.

Études
En dépit de ses obligations professionnelles, « Autodidacte, [il] avait été à l’école
des Hautes études pour s’initier à la sociologie  »4 à côté de Téodule Ribot, dont
il déclarera en 1939 : « Je dois à Ribot une part de ma vocation psychologique. »5
Il  avait aussi suivi au Collège de France les cours de physiologie de François-
Franck (1849-1921) qui étaient suivant la tradition de Claude Bernard essentielle-
ment consacrés à des expériences. Mais aussi selon Roger Piret6, il fut initié à la
physiologie par Auguste Chauveau (1827-1917) et Étienne-Jules Marey (1830-1904).
Dans une lettre à Raoul Husson (1901-1967) du 22 août 1930, il écrit à propos de
François Simiand (1873-1935) : « Il a été formé comme moi-même par la sociologie

3. En 1907 La dépêche coloniale publie d’ailleurs en deux volumes, sous le titre Eugène Étienne, Son
œuvre coloniale, algérienne et politique (1881-1906), un recueil de ses discours et écrits divers et
c’est Eugène Étienne qui prononça l’oraison funèbre de Jean-Paul Trouillet lors de son inhumation
au Père-Lachaise (Information communiquée par Bernard Trouillet, arrière petit neveu de Jean-Paul
Trouillet).
4. Henri Piéron. Cinquante ans de psychologie française, L’année psychologique, 1949 (1951), p. 552-
563, p. 560. Alors que les personnalités avec lesquelles il sera appelé à travailler étaient Nicolas
Vaschide, licencié en philosophie et en instance de soutenir sa thèse de médecine lorsqu’il mourut,
Piéron, agrégé de philosophie, licencié ès-science et docteur en médecine et Henri Laugier, docteur en
médecine et docteur ès-sciences.
5. Centenaire de Th. Ribot : jubilé de la psychologie scientifique française (1839-1889-1939), Agen,
Imprimerie moderne, p. 131.
6. Un grand disparu : J.-M. Lahy, Cahiers de pédagogie, 1946, 1, p. 24.
Présentation 5

de Durkheim (1858-1917) », ce que confirme Bruno de Burel de Chassey qui a


relevé chez Lahy de nombreuses références à Durkheim7.
Il suivit également dès 1901 à l’École pratique des hautes études les conférences
des religions des peuples non civilisés de Marcel Mauss (1872-1950) et obtint le titre
d’élève diplômé en 1907, avec un mémoire sur Les sociétés secrètes en Mélanésie.
À l’exception de l’année 1912-1913, il suivra encore les conférences d’Henri Hubert
(1872-1927) sur Les religions primitives de l’Europe, qui remplacèrent celles de Mauss
jusqu’en 1914.

Conceptions philosophiques et politiques


Les convictions philosophiques et politiques de Lahy ont marqué sa vie et son
œuvre. Son appartenance à la Franc-maçonnerie, puis ultérieurement son adhésion
au Parti communiste, en sont les références.

Le franc-maçon8
Il était entré au Grand Orient de France le mois précédent son mariage, sans
doute à l’incitation de sa future belle-famille qui avait des liens très étroits avec des
francs-maçons, notamment Eugène Étienne. Il sera initié le 21 janvier 1901 à la loge
« Les Amis triomphants ». Il deviendra compagnon le 4 mars 1902, maître le 1er juil-
let de la même année et représentera la loge au convent de 1904. Il sera vénérable
en 1905 et le restera jusqu’en 1919. Entre temps en 1906, « Les Amis triomphants »
prendront le nom d’« Athéna », sans doute sous l’influence de Lahy qui fondera en
1920 la loge « Agni », dont le but était « de réunir les travailleurs intellectuels, les
techniciens et l’élite intellectuelle des travailleurs manuels pour appliquer à l’étude
maçonnique des questions sociales actuelles les méthodes de la Science moderne »9.
Il est élu au Conseil de l’Ordre en 1912 et de 1921 à 1924. Il s’investira beaucoup
dans cette organisation10 : il créera les Conférences du dimanche, « œuvre d’éducation
philosophique  », décidée par «  Les Amis triomphants  » en 1904, pour «  faire ce
que ne faisaient pas ni les universités populaires, ni l’enseignement public », c’est-
à-dire montrer «  que tous les phénomènes cosmiques, biologiques, sociaux, sont

7. Mémoire de maîtrise de sociologie intitulé À la genèse des sciences sociales du travail : Jean-
Maurice Lahy (1995).
8. L’investissement de Jean-Maurice Lahy dans la Franc-maçonnerie se manifeste aussi dans ses rela-
tions. C’est pourquoi l’appartenance de celles-ci à cette organisation est signalée.
9. 1920 est aussi l’année où Jean-Maurice Lahy adhère au Parti communiste. La fondation de la nou-
velle loge semble marquer son souhait de concilier l’idéologie franc-maçonne et l’idéologie marxiste
(voir Travail d’Agni. Rapport sur la question A : La nouvelle économie ne sera pas distributive, ni fédé-
raliste, ni étatiste, elle sera marxiste, s.d. et 26 janvier 1936, à l’ordre du jour de la loge : « Appliquons
la méthode marxiste aux problèmes actuels »).
10. Jean-Maurice Lahy s’engagea très tôt dans la vie sociale : par exemple en 1900, il était vice-président
de l’Union des sociétés de gymnastique.
6 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

déterminés par des lois scientifiques connues » et ainsi saper « les bases mêmes de
la croyance religieuse »11.

Les cycles de conférences traitent de sujets précis :

L’évolution de la pensée humaine 1907-1908


Les éléments de l’évolution contemporaine 1908-1909
L’action et l’idéal 1909-1910
La vérité scientifique 1910-1911
L’individu et la société 1912-1913

À partir de ces conférences, il envisagea une Encyclopédie d’enseignement


supérieur, où la science et l’idéologie se mêleraient. Quinze brochures étaient
prévues dans cette collection publiée par les frères Schleicher, un des premiers
éditeurs de Karl Marx. Y paraîtront notamment, précédées d’une introduction de
Lahy, Évolution des mondes, suivi de l’Histoire des progrès de l’astronomie en 1906 par
M.I. Nergal (Martial Imbert, 1854-1914), lui-même franc-maçon de la loge « L’ave-
nir » et dans lequel Lahy expose, p. 1-11, les principes et le plan de cette encyclo-
pédie ; Histoire de la terre, par Charles Sauerwein (1876-1913), s.d. ; L’origine de la
vie en 1908 par J. M. Pergame.
Aux conférences s’ajoutaient de 1904 à 1913, des promenades scientifiques,
des matinées enfantines, des cours, des concerts, des spectacles, dont il rédi-
geait les comptes rendus. Lui-même dans ce contexte prononcera les conférences
suivantes :

La pensée 12 mars 1905


La pensée moderne 15 mars 1908
L’homme moderne 21 mars 1909
L’idéal d’action 6 mars 1910
La science et la vérité 5 mars 1911

C’est dans La revue socialiste, fondée par Benoît Malon (1841-1893) et dirigée alors
par Eugène Fournière (1857-1914), tous deux francs-maçons, qu’il publie plusieurs
de ses premiers travaux scientifiques. Surtout, il professe de 1909 à 1914 un cours
de sociologie au Grand-Orient de France. Celui-ci de son côté soutient son action
scientifique  :  Sélection des individus par l’orientation professionnelle en vue du travail
social : « Avant toute chose, il est nécessaire de SÉLECTIONNER LES INDIVIDUS
selon les méthodes si clairement exposées par le F. LAHY, c’est-à-dire de mesurer
leur valeur sociale en s’inspirant du travail social. »12 « Cette solution portera donc

11. Lui-même eut le projet d’un ouvrage, en trois volumes de 500 pages, illustré de 750 gravures, inti-
tulé De la Matière à l’Intelligence, essai de coordination des résultats acquis par les méthodes scienti-
fiques pour établir une connaissance de l’Univers, de la Vie, de l’Homme, de la Pensée et de la Société.
12. Convent, Grand Orient de France, septembre 1922, p. 306.
Présentation 7

sur les dispositions de chacun à la productivité. Ensuite, on devra procéder à


l’orga­nisation du travail social. »13
C’est en tant que membre du Conseil de l’Ordre qu’il installe rituellement le
11 février 1912 à Laval, la nouvelle loge « Volney » et la loge « Shakespeare » en 1923.
Quand le 11 mars 1923 le Grand Orient de France en accord avec la Ligue de l’ensei-
gnement célèbre au Trocadéro le centenaire de la naissance d’Ernest Renan (1823-
1892), Lahy, en tant que vice-président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient,
prononce un hommage au « saint laïc » (l’expression est de lui) devant cinq mille
personnes.

Il sera animateur de l’Action maçonnique par la vulgarisation scientifique,


groupe qui inspirera la publication des ouvrages de la collection Athéna, dont
Les religions – Étude historique et sociologique du phénomène religieux, par Henri Beuchat
(1878-1914) et Marie Hollebecque, francs-maçons tous deux, paru, en 1910, aux
jeunes éditions socialistes Marcel Rivière, créées en 1909, où, dans une longue pré-
sentation, il précise le but de la collection : « Faire connaître à tous les résultats du
vaste labeur scientifique. » Il est rapporteur de la commission des études politiques
et sociales en 1919. Membre, en 1921, du comité central de l’Œuvre des patronages
laïques de France (Fédération nationale d’enseignement populaire et d’éducation
morale et civique)  ; en 1922, du Groupe fraternel des francs-maçons membres de
l’enseignement ; en 1924, du Comité républicain de radiodiffusion, du Comité de
la dotation des amitiés laïques, association déclarée en 1923, ayant pour but « de
venir en aide aux serviteurs de l’École et de l’idée laïque », dont le premier titulaire
sera Maurice Bouchor (1855-1928) ; membre du Comité maçonnique de lutte contre
la guerre impérialiste, inspiré du congrès mondial de lutte contre la guerre impé-
rialiste, tenu à Amsterdam les 27 et 28 août 1932, à l’initiative de Romain Rolland
(1866-1944) et Henri Barbusse (1873-1935).
En 1920, alors qu’il est question de reprendre des relations diplomatiques entre
la France et le Vatican, le Grand-Orient proteste contre cette reprise (Bulletin, 1920,
p. 33) et en 1921, après que le pape Benoit XV eut levé officiellement le 25 janvier
l’interdit contre la loi de séparation de l’Église et de l’État, la reprise des rela-
tions avec le Vatican, interrompues depuis 1904, fut votée finalement au Sénat le
11 décembre 1921 par 169 voix contre 123. Il y eut des manifestations contre cette
reprise. Le 20 avril, Lahy participa à un meeting des jeunesses républicaines, prési-
dées par le F. Louis Ripault (1877-1953), contre cette reprise.
Le « Cercle parisien de la Ligue de l’enseignement », créé en 1867, avait pour
objet la propagation de l’instruction populaire. C’était une association essentielle-
ment maçonnique, dirigée également par Louis Ripault, qui vient d’être cité. Lahy
en est membre. Également, en 1930, il fera partie du comité d’études de l’Union
rationaliste, fondée par Paul Langevin (1872-1946), lui aussi franc-maçon et qui avait
pour but de « défendre et répandre dans le grand public l’esprit et les méthodes de
la Science », selon le programme défini par Albert Bayet (1880-1961), franc-maçon

13. Ibid., p. 308.


8 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

aussi. Enfin, c’est son ami Felix Chevrier (1884-1962), vénérable d’honneur de la loge
« Agni », qui prononcera son éloge funèbre.

Le compagnon de route du Parti communiste


Lahy adhèrera au Parti communiste dès sa création en 1920. Mais le IVe congrès
de l’Internationale tenu à Moscou du 5 novembre au 5 décembre 1922 ayant conclu
à l’incompatibilité du socialisme et de la Franc-maçonnerie et enjoint au comité
directeur «  de liquider, avant le 1er janvier 1923, toutes les liaisons avec la franc-
maçonnerie, sous peine d’exclusion, privant, en outre, pendant deux ans, les anciens
francs-maçons du droit d’occuper des postes importants dans le Parti », Lahy, alors
membre du Conseil de l’Ordre et garde de Sceaux du Grand-Orient, choisit de
demeurer franc-maçon. Il restera cependant un « compagnon de route » du Parti,
songeant comme il a été indiqué plus haut, en créant la loge Agni, de concilier
marxisme et franc-maçonnerie.
En 1928, il sera élu conseiller municipal du Lavandou sur la liste « républicains
socialistes et d’intérêt local », mais votera toujours avec les communistes. En cette
même année 1928, il sera membre du Cercle de la Russie neuve, fondé par Gabrielle
Duchêne (1870-1956), avec un certain nombre d’artistes et d’écrivains amis de
l’URSS, «  pour faire connaître la nouvelle Russie  ». Il prononcera de nombreuses
conférences de propagande en faveur de l’URSS, qu’il envisageait de réunir en un
volume, comme «  L’hygiène mentale en URSS  », «  L’enseignement en URSS  » en
1932, sous l’égide du Groupe fraternel de l’enseignement de la région parisienne14 et
participera à de nombreuses manifestations, pétitions, réunions décidées par le Parti.
En 1931, il organisa la tenue de la VIIe Conférence internationale de psychotechnique
à Moscou. En 1932 un petit groupe de professeurs15 sous le patronage de Romain
Rolland et d’Henri Barbusse, créera l’Université populaire16, dont le but était « pour-
suivre l’instruction générale, professionnelle et technique de toutes les catégories de
travailleur », que Marcel Cachin (1869-1958) caractérisait comme « un centre indis-
pensable au développement du marxisme en France »17. Lahy fera partie du comité
de patronage. En 1933, épaulé par Langevin, il créera l’Académie matérialiste, dont
le but était « de rechercher les rapports entre les diverses disciplines scientifiques
et la doctrine du matérialisme scientifique ». Toujours en 1933, conjointement avec
Henri Wallon (1879-1962) et Langevin, il inaugurera, au musée Pédagogique, une
exposition sur « L’enseignement en URSS ». En 1934, il retournera à Moscou, où il
sera reçu, le 28 septembre, par Alexander Arosev (1890-1938), président de la VOKS
(Société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger).
Il sera membre du Comité de défense et d’amnistie des Indochinois, constitué
en mars 1933, pour réclamer l’amnistie des prisonniers politiques indochinois,

14. Ce groupe publia, en 1932 (Paris, Figuière) « Protégeons l’enfance contre l’enseignement clérical,
documents authentiques sur la morale, la science, l’histoire », avec une préface de Marceau Pivert
(1895-1958).
15. Paul Bouthonnier (1885-1957), Georges Cogniot (1901-1978), Georges Politzer (1903-1942).
16. J.O. n° 295 du 19 novembre 1932, p. 13055.
17. Pour une université ouvrière à Paris, L’Humanité, n° 12399, 24 novembre 1932.
Présentation 9

présidé par Romain Rolland, Henri Barbusse et Paul Langevin. Il participera au


grand meeting de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires18, au palais
de la Mutualité, le 8 mars 1934, présidé par le franc-maçon Jean Cassou (1897-1986).
En suite de la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934, fut fondé
le Comité d’action et de vigilance antifasciste. Paul Rivet (1876-1958) en fut le
président, Alain Émile-Auguste Chartier, (1868-1951) et Paul Langevin les
vice-présidents, avec une double tâche : vigilance à l’égard du fascisme, lutte intel-
lectuelle contre la démagogie fasciste. Lahy fut parmi les premiers adhérents (Com-
mune, n° 5-6, janvier-février 1934, p. 862)19. Le 8 mars 1934, il participe à un meeting
contre le fascisme de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, fondée
en 1932 par des écrivains et artistes communistes ou sympathisants et dont son
épouse est membre.
En 1935, il figure parmi les conseillers scientifiques de L’Humanité, rassem-
blés afin «  d’affirmer la confiance du prolétariat dans la science, dans le progrès
intellectuel, dans la conquête du monde par le savoir et la technique ». En 1936, il
interviendra à l’École internationale des militants de l’enseignement, organisée par
l’Internationale des travailleurs de l’enseignement, fondée en 1920 et groupant des
éducateurs qui, notamment, acceptent la lutte de classes pour l’émancipation des
travailleurs et la création d’une école rationnelle.
En 1938, il sera membre du Comité d’initiative pour l’union nationale des amis
de l’enfance, sous la présidence de la journaliste « engagée », Andrée Viollis (1870-
1950), de Langevin et de Wallon, fondé en décembre. En janvier 1939, il présidera,
avec quelques autres « Amis de l’URSS », association créée à Moscou en 1927, à l’oc-
casion du 10e anniversaire de la révolution d’octobre, « chargée de défendre l’URSS
contre les calomnies des régimes bourgeois », la commémoration du 15e anniversaire
de la mort de Lénine, ayant déjà, en 1932, participé au 15e anniversaire de l’octobre
russe, organisé par l’université syndicaliste, organe de la section des professeurs de
la Fédération unitaire de l’enseignement. Il aurait cependant en 1939 selon son ami
Georges Refeuil désapprouvé le pacte germano-soviétique20, pourtant salué comme
une victoire de Staline par la presse communiste.

Carrière scientifique
L’année qui suivit son mariage, le 29 décembre 1902, Lahy entre comme élève
au laboratoire de « psychologie expérimentale » 21 qu’Édouard Toulouse (1865-1947),
nommé médecin-chef en 1898, avait ouvert à l’asile de Villejuif et dont il sollicitera

18. Créée en 1932, en tant que section française de l’Association internationale des écrivains révo-
lutionnaires, AIER (Moscou), l’association avait pour vocation de fédérer les acteurs d’une véritable
culture ouvrière et populaire engagée dans le combat politique.
19. En juillet 1936, après la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, en 1936, en suite de désaccords
sur l’attitude à adopter à l’égard des états fascistes, les amis de Langevin, communistes ou sympathi-
sants, quittèrent le comité.
20. Lettre à Raymond Carpentier, novembre 1980, archives personnelles.
21. Le personnel scientifique de l’École pratique des hautes études était non rémunéré, d’où la néces-
sité, pour Jean-Maurice Lahy, d’avoir une source de revenus, que lui procurait sa charge de percepteur,
10 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

et obtiendra le rattachement à l’École pratique des hautes études en 1900 afin de


« travailler à la détermination d’une méthode scientifique, rigoureuse et précise »
qui lui avait manqué pour son Enquête médico psychologique sur les rapports de la
supériorité intellectuelle et de la névropathie, dont le premier volume, consacré à Émile
Zola, avait paru deux ans plus tôt.
Il est très probable que l’admission de Lahy au laboratoire de Toulouse a été
facilitée par leur appartenance à la Franc-maçonnerie. En outre, le directeur de
l’asile de Villejuif de 1900 à 1904 était Louis Lucipia (1843-1904)22, président du
Conseil de l’Ordre du Grand-Orient de France. Peut-être même fut-ce à l’invitation
de Toulouse ?
Lahy y trouva Nicolas Vaschide (1874-1907), chef des travaux entré au labo­­
ratoire en 1900, suivi d’Henri Piéron (1881-1964)23, préparateur en 1901 puis chef des
travaux en 1907 quand Vaschide sera nommé directeur adjoint du nouveau labo­­
ratoire de psychologie pathologique dirigé par Pierre Marie (1853-1940). D’élève,
Lahy sera successivement et au fur et à mesure des promotions de Piéron, attaché
(1905), préparateur (1907), enfin chef des travaux, en 1908. Quand, à la mort de Binet
en 1911, Piéron sera nommé directeur du laboratoire de psychologie physiologique
de la Sorbonne, Lahy demeurera le seul collaborateur de Toulouse24, disposant ainsi
pour ses recherches de grandes facilités qu’il n’eut pu trouver ailleurs. Il sera promu
directeur adjoint du laboratoire en 1925. Et en 1927 quand Toulouse nommé médecin-
chef de l’hôpital Henri-Rousselle créera l’Institut de psychiatrie et de prophylaxie
mentale, comprenant quatre laboratoires fondamentaux auxquels s’ajouteront
ultérieurement trois autres laboratoires dont celui de physiologie dirigé par Henri
Laugier (1888-1973), Lahy sera directeur du laboratoire de psychologie et psycho-
technique25, qui comprendra trois sections, la section des tests, où étaient mises au
point les épreuves, la section de statistique et la section de recherches.

l’essentiel du travail étant assuré par un commis, rétribué par le percepteur, ce qui accordait à celui-ci
une certaine disponibilité.
22. Il avait été également président du conseil municipal de Paris en 1899.
23. On ignore les conditions dans lesquelles Nicolas Vaschide et Henri Piéron ont intégré le laboratoire
de Toulouse. Il s’agit, très probablement, d’une démarche personnelle.
24. Le laboratoire de psychologie expérimentale fusionnera, en 1912, avec le laboratoire de « psycho-
logie physiologique » de la Sorbonne, créé par Henri Beaunis (1830-1921), en 1889, puis, à partir de
1894, dirigé par Alfred Binet (1857-1911) jusqu’à sa mort, où Henri Piéron (1881-1964) en devint le
directeur.
25. Alfred Fessard (1900-1982) entré, en 1921-22, au laboratoire, où il resta deux ans, grâce à un cama-
rade de lycée, lié à Lahy, a laissé des souvenirs de son passage : « À cette époque le laboratoire était
occupé à mettre au point des tests, temps de réaction, dynamographe, tests de fatigabilité, de suggestibi-
lité, épreuves de mémoire, réflexe psycho-galvanique […] etc. Les tests, en principe, auraient dû servir
à des examens systématiques de malades. En fait, cet usage était rare, et l’œuvre essentielle de ce labo-
ratoire au cours des quatre années qui suivirent, fut surtout consacré à la mise au point d’une méthode
expérimentale et statistique destinée à la sélection professionnelle des conducteurs d’autobus de la
STCRP » (Naissance et premiers pas des laboratoires de l’hôpital Henri-Rousselle, Cinquantenaire de
l’hôpital Henri-Rousselle, 1922-1972, Rueil-Malmaison, Laboratoire Sandoz, 1973, p. 32-36, p. 32).
Présentation 11

Toulouse créera également, sous la présidence de Justin Godard (1871-1956),


une association d’études sexologiques, ayant « pour but l’étude des problèmes de la
sexologie et de leurs rapports avec la vie sociale ». Lahy en sera le trésorier.
Les travaux de Lahy porteront sur le travail professionnel, la sélection et l’orien-
tation professionnelles.

Le travail professionnel
C’est donc dans le laboratoire de Toulouse à Villejuif que Lahy effectua ses pre-
mières recherches.
Toulouse orienta son laboratoire dans trois directions :
–– étude du sommeil et des rêves (Vaschide) ;
–– mise au point d’appareils de mesure des sensations (Vaschide et Piéron) avec
la publication de Technique de psychologie expérimentale chez O. Doin en 1904,
signé de Toulouse, Vaschide et Piéron ;
–– le monde du travail (Lahy), qui se référera à ce dernier ouvrage26 pour
rechercher la supériorité professionnelle (comme Toulouse avait étudié la
supériorité intellectuelle chez Émile Zola27, Henri Poincaré et Jules Dalou)
dans des professions nouvelles où l’aspect intellectuel prédominait sur
l’aspect musculaire.
Ces professions étaient :
–– les dactylographes28 ,
–– les conducteurs de tramways, à une époque où la traction électrique
commence à remplacer la traction animale,
–– les compositeurs d’imprimerie, quand l’utilisation de la linotype sera
substituée à la composition à la main,
–– les marins radios télégraphistes et autres spécialités de la marine de
Guerre en 1927-1928.

Ayant commencé ses travaux en référence à la Technique de psychologie expéri­­


mentale, il dégagera de ses recherches sur la supériorité professionnelle des indica-
teurs d’aptitude, ce qui le conduira à concevoir de nombreux tests29 : d’attention
diffusée, de temps de réaction simple, de pointage, du tourneur (1925), d’attention
concentrée (1933), de mémoire, d’intelligence logique30, d’intelligence technique, de
traçage, de suggestibilité motrice, du tachodomètre, etc.

26. Les auteurs affirmaient (p. 17) « Avec notre technique, on pourra faire, ce qui est un des buts de la
psychologie expérimentale et ce qui est d’importance au point de vue social, légal et pédagogique, des
examens individuels étendus, permettant d’attribuer à des individus comme des formules numériques
relatives à leurs opérations mentales et même des coefficients personnels. »
27. Enquête médico-psychologique sur les rapports entre la supériorité intellectuelle avec la névro­­
pathie, Paris, Société d’éditions scientifiques, 1896.
28. « Dactylographe », personne qui se sert d’une machine à écrire, apparaît en 1900.
29. Il créa également divers instruments de laboratoire, comme un dispositif portable pour étudier les
échanges respiratoire, un chronographe imprimeur, etc. (Voir bibliographie).
30. Ce test a fait l’objet d’une « étude critique » de Chrysostome, Frère Kloosternaam van Lawrence
Toussaint Dayhaw ; Jean Martin, Bulletin de l’Institut pédagogique Saint-Georges, Montréal, 1939.
12 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

En 1927 avec Gaston Guyot (1879-1943), il créera les Établissements d’applica-


tions psychotechniques (EAP), association en participation ayant notamment, pour
but l’étude et la mise au point et le cas échéant la construction et la vente d’appareils
de physiologie, de psychologie et de psychotechnique.
En mai 1913 est constituée au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale,
une commission chargée des « études relatives à la physiologie du travail profes­­
sionnel ; aux conditions de l’existence, aux aptitudes professionnelles et à leur
formation² des familles ouvrières et paysannes ». En octobre, Lahy sera nommé
secrétaire de cette commission, mais les travaux de la commission seront inter­­
rompus par la guerre.
Pendant celle-ci affecté au commandement d’étapes de l’armée de Chalons,
payeur adjoint en 1915, il en profitera pour étudier la psychologie du combattant.
En outre il sera chargé par le ministère d’étudier le mitrailleur au combat, en vue
d’une formation plus rapide.
La Guerre de 1914 et l’arrivée en masse des femmes dans les usines pour rem-
placer les hommes mobilisés soulevèrent des problèmes spécifiques, qui poussèrent
les ministres Albert Thomas (1878-1932) et Léon Bourgeois (1851-1925) à fonder le
1er mai 1917, l’École des surintendantes d’usine, devenue en 1922 « et des services
sociaux  ». À l’origine, l’École avait pour mission de former le personnel féminin
chargé de l’encadrement des ouvrières des usines de guerre. Elles étaient notamment
chargées « d’attribuer, à chaque ouvrière et employée, la tâche qui lui convient le
mieux, dans les meilleures conditions d’hygiène, de sécurité et de salaire »31. Cette
sélection se faisait de façon empirique. Avec le concours de Lahy, une sélection médi-
cale et psychotechnique fut expérimentée et instaurée à l’usine Geo, au Kremlin-
Bicêtre. À partir de 1930, Lahy professera aussi des leçons à l’École.
Après la guerre en 1921, Toulouse créera la Ligue de prophylaxie et d’hygiène
mentale avec neuf commissions. La 4e, Travail professionnel, est présidée par Lahy.
C’est dans ce cadre qu’il appliquera ses méthodes psychotechniques à de grandes
entreprises  : le 7 janvier 1925 sera inauguré le laboratoire psychotechnique de la
Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), où sera orga-
nisée la sélection des machinistes, des receveurs, des apprentis et des manœuvres.
Ce laboratoire servira de modèle aux tramways de Marseille, de Bordeaux, de Liège
et de Varsovie. Les villes de Riga, Barcelone, Bucarest, La Haye enverront des mis-
sions pour étudier ses méthodes et les appliquer dans leur pays.
Lahy créera d’autres laboratoires, le laboratoire psychotechnique de la Fabrique
nationale d’armes d’Herstal-les-Liège (1926), usine de cycles et d’automobiles, pour
la sélection des ouvriers des diverses spécialités, ainsi que des apprentis. Il intervien-
dra en 1927 pour la sélection, dans la Marine de guerre, d’abord pour les matelots
radiotélégraphistes, puis pour les diverses spécialités, pointeurs, télémétristes, élec-
triciens, mécaniciens, ainsi que le recrutement de l’école de maistrance. Il intervien-
dra également en 1928 chez Citroën, chez Renault et chez Peugeot. Il envisagera par
ailleurs la sélection des vendeuses de grands magasins (Galeries Lafayette) en 1934

31. Rapport de Mlle Catelet sur la sélection professionnelle, Association des surintendants d’usines et
des services sociaux, Assemblée générale, 21 février 1928, p. 26).
Présentation 13

et chez Hachette en 1935. Il créera le laboratoire psychotechnique des Chemins de


fer du Nord, inauguré le 12 janvier 1934, pour les employés aux services de sécurité,
les mécaniciens et aiguilleurs, les manœuvres, les dactylographes, les employés aux
machines comptables, aux machines de calcul et aux machines statistiques puis celui
des chemins de fer de l’Etat polonais.
Il fera partie du comité de la revue Industrial Psychology, fondée en 1926, éditée
par Donald Anderson Laird (1897-1969), de l’université Colgate, à Hamilton (N.Y.).
En 1928, il figure comme « membre biologiste » de la Société clinique de méde-
cine mentale, fondée en 1908.
En 1932, il a les honneurs de The Pychological Register de Carl Murchison (t. III,
Worcester, Clark University Press).
Le Journal officiel du 15 avril 1933 institue le Conseil supérieur de la recherche
scientifique auprès du ministre de l’Éducation nationale, dont le but est « de facili-
ter les recherches désintéressées de science pure ». Lahy figure dans le groupe n° 5
- « Sciences biologiques » (Deuxième catégorie).
En 1934, les compagnies d’assurances adhérentes au groupement automobile
décidèrent de créer un laboratoire de sélection pour les conducteurs de poids lourds.
Lahy fit des propositions.
En 1935, il préside la Société de psychologie.
En 1936, il sera contacté pour faire pratiquer des examens dans les garnisons
du Maroc pour les spécialistes des corps de troupe.
En juillet 1937 il sera chargé par Henri Queuille (1884-1970), ministre des Tra-
vaux publics, d’étudier la sélection professionnelle des mineurs de fer, qu’il fit, aux
mines du bassin de Briey et dont il rendit compte sous le titre «  Utilisation de la
psychotechnique pour la sélection parmi les chômeurs d’ouvriers susceptibles de
travailler dans les mines de fer ».
En outre, il tire de ses résultats des méthodes d’enseignement rationnel et de
perfectionnement des techniques et préconise la collaboration du psychophysio-
logiste et de l’ingénieur dans la création des machines. Il est d’ailleurs sollicité par
l’usine de mécanique de précision MAP (Manufacture d’Armes de Paris) à Saint-
Denis, qui fabrique des machines à écrire, pour étudier les conditions mécaniques de
ses machines les plus favorables pour l’exercice de la profession de dactylographe.
Avec l’ingénieur Jean-Henri Estoup, il mettra au point en 1930, une « machine à
écrire ‘‘rationnelle’’ ».
La notion d’aptitude (disposition naturelle) le rendra attentif à combattre le
taylorisme, dans le premier livre entièrement consacré à sa critique, rédigé en 1914
mais paru en 1916 et dans de nombreux articles, revendiquant, comme Toulouse et
d’autres, « le rôle d’arbitre impartial de la science expérimentale à la recherche de la
solution réellement équitable » aux problèmes du travail ».
Jean Coutrot (1895-1941) estimant comme Jules Romains (1885-1972), «  que le
développement scientifique des derniers siècles a accru le pouvoir de l’homme
sur la nature et parfois sur les autres hommes, mais a diminué son contrôle sur
lui-même […] Il faut rétablir l’équilibre en développant les sciences de l’homme »,
fut un des premiers industriels français (papeteries Gaut & Blancan) à percevoir
l’intérêt de l’utilisation de la psychologie et de la sociologie dans les entreprises.
14 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Le Centre d’étude des problèmes humains (CEPH), qu’il fonda officiellement le


29 avril 1937, bien que sa création effective remontât à juillet 1936, avait pour but
(article 2 des statuts) de « coordonner les efforts de tous ceux qui, en groupe ou iso-
lément, s’unissent pour rechercher, en s’inspirant des méthodes appliquées par les
sciences expérimentales et dans le plus grand respect des personnes humaines, les
conditions d’équilibre interne et externe de l’être social », rassemblant « un certain
nombre d’esprits de toute formation ; psychologues, biologistes, médecins, sociolo-
gues, littérateurs, ingénieurs », chargés d’étudier les problèmes humains. Le comité
exécutif comprenait, outre Jean Coutrot président, Henri Focillon (1881-1943),
Aldous Huxley (1894-1963), Alexis Carrel (1873-1944), Georges Guillaume. Lahy
est un des quarante membres conseillers. Néanmoins, ce sont les travaux d’Henri
Laugier qu’il mobilisera pour constituer, au sein de CEPH, un groupe d’études
« psycho-biologiques » et lorsqu’il créera, en 1938, un nouvel Institut de psycholo-
gie appliquée, ouvert à tous ceux qui « veulent tenter un redressement de leur vie et
souhaitent un rendement accru de leurs efforts », c’est à Henri Arthus, fondateur de
L’éveil, « mouvement pour l’évolution individuelle et sociale », qu’il fera appel, mais
qui quittera son poste de directeur au bout d’un an32.
En outre, déjà membre de la Commission des statistiques sociales et du coût de
la vie, en avril 1938, Lahy est sollicité par le directeur de la statistique générale et de
la documentation, André Fourgeaud (1894-1966), pour améliorer le rendement du
personnel travaillant au dépouillement des fiches de recensement. Il sera nommé
en mai membre de la Commission technique des méthodes et calculs, présidée par
Georges Darmois (1888-1960) 33, Président du conseil, direction de la statistique géné-
rale de France, parmi les « personnes qualifiées pour leur compétence scientifique,
technique et statistiques ».

L’orientation professionnelle34
En 1920, en accord avec Pierre Bovet (1878-1965) directeur de l’Institut Jean-
Jacques Rousseau de Genève, où depuis 1918 existait un service d’orientation
professionnelle ouvert avec le concours de Julien Fontègne (1879-1944), Édouard
Claparède (1873-1940) invita un certain nombre de personnalités à une conférence
internationale de psychotechnique appliquée à l’orientation professionnelle, qui se
tint les 24 et 25 septembre et dont le thème était « Aptitudes natives et aptitudes
acquises. Dans quelle mesure les tests applicables aux premières peuvent-ils rensei-
gner sur l’éducabilité ? » À l’issue de cette conférence, les congressistes décidèrent

32. Jean Coutrot proposera à Henri Laugier de le remplacer par Marc-Edmond Morgaut (1911-2004),
directeur de l’office d’orientation d’Orléans (auteur de Les Intérêts de l’enfant et l’orientation profes-
sionnelle, préfacé par Henri Piéron, 1936).
33. Auteur, notamment, de Les mathématiques de la psychologie (1940).
34. Édouard Toulouse (Les services ouverts, L’informateur des aliénistes et des neurologistes, n° 7,
juillet 1926, p. 153-164, p. 163), salue Jean-Maurice Lahy, « l’apôtre de l’orientation professionnelle ».
Jules Amar (1879-1935, Le travail humain, Paris, Plon, 1923, p. 32-33) revendiquera être l’auteur de
l’expression « orientation professionnelle » : « J’ai donné ce nom il y a dix ans, à une méthode physio-
logique toute expérimentale pour évaluer, précisément, les aptitudes humaines individuelles. »
Présentation 15

de poursuivre leurs travaux et chargèrent la 4e Commission (organisation du travail


et orientation professionnelle) de la Ligue d’hygiène mentale de Paris35 d’assurer le
secrétariat de l’Association internationale de psychotechnique36. Désigné comme
secrétaire général de la conférence en 1921, Lahy sera élu secrétaire général perma-
nent de l’association, en 1927 37.
Or dès 1921 le directeur de l’école de garçons de la rue de Lesseps avait pris l’ini-
tiative de créer un comité dit « de l’école à l’atelier » composé d’industriels du quar-
tier et de membres de l’enseignement et qui s’occupait de chercher des débouchés
pour les élèves à leur sortie de l’école. Soucieux de conseiller le plus judicieusement
possible les futurs apprentis sur le choix de leur carrière, il fut décidé d’utiliser les
méthodes de la psychotechnique et de créer un office d’orientation, dont Lahy fut
chargé, le 21 décembre 1921.
Au laboratoire de psycho-pédagogie et d’orientation professionnelle du comité
de « l’école à l’atelier » de la rue de Lesseps, s’ajoutera l’école de garçons avenue de
Saint-Ouen.
Les compétences de Lahy en matière d’orientation professionnelle lui vaudront
d’être nommé membre en 1924 de la 2e sous-commission « orientation profession-
nelle » de la commission des réformes à appliquer aux méthodes de travail des PTT
et en 1925, de la Commission nationale d’orientation professionnelle, par Yvon Del-
bos (1885-1956) le sous-secrétaire d’État de l’Enseignement technique, dont Henri
Laugier était le directeur de cabinet.
À cette époque, Toulouse pouvait déplorer qu’il n’y eût que les chambres de
commerce pour s’occuper de l’orientation des ouvriers et qu’il n’existât pas d’office
technique psycho-physiologique ni techniciens formés, en dépit des recherches
scientifiques poursuivies par des chercheurs isolés, pour conclure que « la généra-
lisation du choix expérimental des travailleurs permettrait de résoudre peu à peu

35. La Ligue d’hygiène et de prophylaxie mentale avait été fondée le 8 décembre 1920. Sa quatrième
commission, présidée par Jean-Maurice Lahy, comportait trois sous-commissions dont « la sélection
des écoliers en vue de l’orientation professionnelle ». Dans le compte rendu qu’il fera de la conférence
de Genève (La conférence psychotechnique de Genève, Journal de psychologie normale et patho­­
logique, 15 janvier 1922, p. 65-76), Jean-Maurice Lahy exposera sa propre conception de l’orientation
professionnelle.
36. L’Association internationale de psychotechnique a, dans sa commission de terminologie, proposé
de la définir comme « l’application des méthodes de la psychologie expérimentale à la poursuite de fins
pratiques dans toutes les sphères de la vie humaine, individuelle et sociale ». Le mot lui-même avait été
proposé en 1903 par William Stern (1871-1938, « Psychotechnik », Angewandte Psychologie, Beiträge
zur Psychologie der Aussagen, I, 1903, p. 4-45, p. 28-35), dans un sens très large, pour désigner toutes
les applications de la psychologie expérimentale aux « différentes conditions externes qui affectent le
travail humain à l’école et dans les activités professionnelles ». Ce serait au cours d’une promenade en
bateau sur le lac de Genève que William Stern, Jean-Maurice Lahy et Édouard Claparède se seraient
mis d’accord sur une définition plus restreinte d’application aux problèmes humains des données de la
psychophysiologie et de la psychologie expérimentale.
37. En 1955, le XIe congrès de l’Association internationale de psychotechnique remplaça « psychotech-
nique » par « psychologie appliquée ».
16 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

un grand nombre des questions importantes, qu’on n’aborde actuellement que de


façon approximative »38.
Or en 1928, est créé sous les auspices de l’enseignement technique, l’Institut
national d’orientation professionnelle (Inop), dont le but est d’assurer la formation
technique des conseillers d’orientation, organiser un service de recherches destinées
à favoriser les applications des techniques scientifiques aux problèmes de l’orien-
tation et de la sélection et de contrôler la rigueur des méthodes adoptées, etc. Il est
dirigé par Fontègne, Piéron et Laugier, Piéron en étant le directeur effectif. Lahy fera
partie du conseil d’administration et sera chargé de cours sur la sélection dans ses
rapports avec l’orientation professionnelle.

Biotypologie ou Laugier rival de Lahy


Mais bientôt la psychotechnique est supplantée par la biotypologie, qui selon
les statuts de la Société de biotypologie (1932) « a pour but l’étude scientifique des
types humains par la recherche des corrélations entre les divers caractères morpho-
logiques, physiologique, psychologiques, pathologiques, psychiatriques et l’appli-
cation de ces données dans les diverses branches de l’activité humaine : eugénique,
pathologie, psychiatrie, pédagogie, orientation et sélection professionnelles, organi-
sation rationnelle du travail humain, prophylaxie criminelle ». Le schéma d’examen
a été établi par une commission biotypologique, composée de Léon Mac-Auliffe
(1876-1937), Christian Champy (1885-1962), Maurice Delaville (1899-1963), Georges
Heuyer (1884-1977), Laugier, Piéron et Robert Weismann-Netter (1894-1980). C’est
celui qui sera appliqué au laboratoire du travail des chemins de fer de l’État pour le
recrutement du personnel et sa répartition entre les diverses fonctions, aiguilleurs,
mécaniciens, etc., par Laugier et Weinberg (1897-1946).
En 1933, l’Institut d’organisation commerciale et industrielle de la chambre
de commerce de la Ville de Paris projette la création d’un laboratoire central, à la
disposition des chefs d’industries, en vue de la sélection et l’orientation profession-
nelle. Lahy et Laugier présentent, chacun, un projet, le premier centré sur la psycho­­
technique, le second sur la biotypologie. Toulouse, consulté, tranche en faveur du

38. Outre les chambres de commerce, il faut citer les services de placement, les ateliers-écoles, les
comités de patronages d’apprentis, et aussi des œuvres privées. En fait, si l’idée de la nécessité d’une
orientation professionnelle était largement admise, pour certains elle était de la compétence de l’ins-
tituteur, pour d’autres, elle devait se faire à l’usine ou à l’atelier. Pour Jean-Maurice Lahy et d’autres,
la psychologie expérimentale en était la base. En 1922, Émile Gauthier (L’orientation professionnelle,
Revue internationale du travail, n° 6, mai, p. 759-773 p. 769) signalait : « En France, sauf peut-être
pour les villes de Strasbourg, Marseille et Roubaix, les offices [de placement] ont estimé qu’il y avait
lieu de différer l’emploi des méthodes psychotechniques, encore insuffisamment au point. » Encore
en 1936-37, sur 69 offices départementaux d’orientation professionnelle, 14 seulement utilisent des
tests (Michel Huteau, Édouard Toulouse et les débuts de la psychotechnique en France, Psychologie
et histoire, 3, 2002, p. 28-30). Sur les débats suscités par l’emploi des tests en orientation, voir Jérôme
Martin, L’usage des tests en orientation professionnelle dans la France de l’entre deux-guerres : un
enjeu scientifique, professionnel et social, Psychologie de l’enfance et du développement au 20 e siècle,
colloque, Genève, 2012.
Présentation 17

second39. Le service d’orientation professionnelle d’Henri-Rousselle devait être


transformé à partir de janvier 1934 en « Centre de biotypologie de la Seine », avec
Toulouse comme directeur et Laugier comme directeur-adjoint. Faute de moyens
financiers, cette création demeurera symbolique40.
Dans une enquête biotypologique en 1935 sur un groupe d’écoliers parisiens,
« au point de vue moteur, il était recommandé d’étudier la précision et la vitesse des
mouvements au moyen de dispositifs psychotechniques et Lahy s’était chargé de
faire appliquer le test de temps de réaction et celui d’association des mouvements.
Mais les résultats n’ont pu être utilisés, Lahy nous ayant signalé que des facteurs per-
turbateurs ont troublé ces expériences ». Dans le compte rendu de cette application41,
qui fut faite selon le schéma défini dans le XVe arrondissement de Paris, les auteurs
affirment que «  l’orientation professionnelle est l’un des domaines où l’étude de
l’homme par les méthodes biotypologiques doit trouver une de ses applications les
plus utiles ». Pour la série d’examens psychologiques qui s’adressait aux fonctions
sensorielles, aux fonctions sensori-motrices, aux fonctions intellectuelles et à l’affec-
tivité et au caractère, – ce qui distingue de la pratique de Lahy – a été utilisée la fiche
d’orientation de M. et Mme Piéron, plus quelques épreuves employées et étalonnées
au laboratoire du travail des chemins de fer de l’État. Lahy, bien qu’il eût figuré
parmi les fondateurs de la Société de biotypologie (qui deviendra de biométrie en
1930 et gouvernementale, ne dépendant plus des chemins de fer, lorsque Lau-
gier démissionnera de sa chaire du Conservatoire national des arts et métiers pour
occuper celle de physiologie à la Sorbonne), ne sera pas mentionné sur la longue
liste des collaborateurs de Biotypologie (juin 1957, p. 10). Il est vrai qu’il s’opposait à
la biotypologie42, ca, pour lui, « l’organisme humain est un complexe de fonctions
diverses dont les activités se chevauchent et dont les valeurs, variables avec chaque
individu, se suppléent les unes les autres […] en d’autres termes, le rendement pour
un seul test ne peut classer un groupe de sujets dans une activité professionnelle,
en raison des suppléances qui se créent entre les diverses fonctions mises en jeu »
et aussi parce que la démarche biotypologique introduit des examens cliniques qui
n’ont pas le caractère objectif de la psychotechnique.

39. Jérôme Martin, Le mouvement d’orientation professionnelle en Franc. Entre l’école et le marché
du travail (1900-1940). Aux origines de la profession de conseiller d’orientation, thèse, 2011, p. 212.
40. Michel Huteau, Psychologie, psychiatrie et société sous la troisième république, Paris, L’harmattan,
2002, p. 319.
41. A.B. Fessard, H. Laugier et D. Weinberg. Biotypologie, décembre 1935, p. 145-182.
42. « La biotypologie n’est pas une science et ne possède aucune base scientifique ; elle apporte,
au contraire, une confusion dans la science et ses applications […]. On entend par biotypologie
la recherche au moyen d’épreuves variées tant psychologiques que physiologiques de caractéristiques
individuelles permettant de situer un individu donné dans une classification. Une telle classification non
seulement risque d’être arbitraire et par conséquent d’échouer pratiquement, mais encore elle deman-
dera des années de recherches pures avant de pouvoir même être discutée » (Archives SNCF déposées
à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle [Inetop], lettre du 28 novembre
1935 à Robert Le Besnerais (1893-1948), alors directeur de la compagnie du Nord, cité par Régis Ouvrier-
Bonnaz, L’histoire des chaires du Conservatoire national des arts et métiers concernant l’Homme au tra-
vail (1900-1945) entre production de savoirs et engagement politique, Cahiers d’histoire, 2010, p. 118).
18 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Lahy qui envisageait en 1927 d’étendre son action à toutes les écoles de la Ville
de Paris, ce qui n’eut pas lieu, fera cavalier seul en appliquant ses propres méthodes,
outre à l’« école à l’atelier » et à celle de l’avenue de Saint-Ouen, à l’école de filles de
la rue de Lesseps (1930), aux écoles rue des Pyrénées (1931), de garçons rue Sorbier,
de filles rue de la Bidassoa (1936-1937), du boulevard Saint-Marcel, de la rue Monge
(1934), aux classes de pré-apprentissage de l’école de garçons avenue Gambetta, aux
écoles avenue de Choisy, de Courbevoie, de la rue Saint-Louis-en-l’Île, afin de guider
les jeunes vers les professions pour lesquelles ils sont le mieux qualifiés.
En 1934, un projet, formé par Lahy, de création d’un centre de psychologie appli-
quée dans le groupe scolaire Karl Marx à Villejuif, dont le maire (communiste) était
Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), bien que très avancé, n’aboutira pas pour des
raisons budgétaires.
Ce projet illustre les liens entre le « compagnon de route du Parti commu-
niste » et l’activité professionnelle de Lahy. Ils se concrétiseront avec l’intervention
de Lahy et Heuyer à « L’avenir social » de Mitry-Mory, orphelinat créé en 1906 par
Madeleine Vernet (1878-1949). Le manque de ressources conduisit celle-ci à faire
appel aux syndicats. Mise en minorité à partir de 1922 par les organisations syndi-
cales et politiques, dont elle avait demandé le soutien, Madeleine Vernet, refusant
d’adhérer au Parti communiste, dut démissionner. L’orphelinat dépendit alors de
la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). En 1925, l’orphelinat démé-
nagera à La Villette-aux-Aulnes, à Mitry-Mory, mais, en 1926, il devra faire appel
au Secours ouvrier international (SOI), qui imposera Michel Onof (1893-1964),
secrétaire de la section parisienne du SOI. L’avenir social ne sera plus qu’une
maison d’éducation de classe, un foyer d’éducation prolétarienne, une pépinière
de futurs militants actifs dans le mouvement ouvrier, où l’éducation est « appuyée
des exemples qui nous viennent de la Russie soviétique […] profondément révolu-
tionnaire » (Claude Favier, 1927). « Les enfants sont répartis par communes portant
le nom d’un militant ou militante, connu et estimé du mouvement ouvrier inter-
national, dont il est fait aux enfants une petite apologie » (Onof, La vie enfantine
à La Couarde-sur-Mer, La solidarité sociale, n° 16, 15 septembre 1935, p. 2-3). L’ave-
nir social était dirigé en 1934 par Félix Brunand (1905-1981), nommé directeur par
le SOI, puis adjoint au maire de Mitry-Mory en 1935 lorsque la liste communiste
l’emporta. Brunand fera appel à Lahy pour organiser un service «  d’orientation
professionnelle et de sélection d’enfants retardés ». Lahy interviendra également
dans les 5 groupes scolaires de cette commune. Avec Heuyer, il s’attachera à repérer
les enfants anormaux, car « à la base d’une éducation de classe, il faut des enfants
sains de corps et d’esprit. La lutte contre le régime capitaliste veut des combattants
intelligents, calmes, actifs, disciplinés  » (Brunand), conformément aux principes
de l’école léniniste internationale43. Il n’est plus question d’orientation, mais de
« dépistage » des « moins doués » et des « mieux doués », à propos desquels Lahy,

43. Mais les enfants « anormaux » ne furent pas abandonnés par la création d’un dispensaire psycho-
pédagogique, dirigé par Dragutin Feller.
Présentation 19

au Grand-Orient, défendra « les méthodes scientifiques d’orientation profession-


nelle comme base de l’égalité devant l’enseignement »44.
On retrouvera les mêmes personnages et les mêmes desseins dans les vacances
populaires enfantines (fondées en 1922 avec Lahy vice-président) et trois colonies de
vacances. Celle de La Couarde-sur-Mer était dirigée par Dragutin Feller que Lahy
avait fait nommer en 1937 directeur de La Villette-aux-Aulnes. Il s’agit là encore « de
former chez les enfants une conscience communiste, leur donnant la ferme convic-
tion qu’ils sont membres de la classe ouvrière en lutte pour l’humanité, membres
de la grande armée internationale ». Une fête précédait chaque départ, en présence
du maire, du député et du secrétaire du Parti communiste, Maurice Thorez (1900-
1964), qui, dans une allocution solennelle rappellera aux enfants et à leurs parents
«  de s’insurger contre les agressions de la bourgeoisie capitaliste, responsable de
leur misère ».
Lahy fait partie du comité d’honneur de « La maison de l’enfant », centre de vie
sociale et culturelle pour l’enfance et la jeunesse sous les auspices de l’Association
nationale pour le soutien et la protection de l’enfance et de la Fédération de l’enfance
(communiste), dont le siège est à son domicile parisien et dont son épouse a publié
le manifeste avec pour rôle non seulement de développer et de satisfaire les goûts et
les facultés des enfants, mais aussi de les « associer à un travail d’ensemble – celui
des masses – et les mener vers le progrès », avec référence à l’éducation en URSS.
Suivant la formule de Kürt Loewenstein (1885-1939) : « Il s’agit de former chez les
enfants une conscience communiste, leur donner la ferme conviction qu’ils sont
membres de la classe en lutte pour l’humanité, membres de la grande armée du
prolétariat international. »
Suivant la consigne de Marx « d’éduquer les éducateurs », Lahy organisera des
cours pour la formation des dirigeants de patronages, de colonies de vacances et
de Maison de l’enfant, lui-même traitant de « L’organisation générale d’une colonie
de vacances – Principes et méthodes », faisant référence à l’URSS, où l’on s’efforce
à préparer l’enfant «  à comprendre les transformations sociales dont il va être le
témoin  […] du fait que ses tendances personnelles et jusqu’à sa volonté sont
déterminées socialement, à la fois comme cause et comme effet. »
En 1937, il est nommé rapporteur auprès du Conseil supérieur de protection de
l’enfance (orientation professionnelle), au ministère de la Santé publique.
Par arrêté du 30 septembre 1937 paru au Journal officiel du 1er octobre, avait été
créé sur proposition de Marc Rucart (1893-964), ministre de la Santé publique, un
Conseil supérieur de l’enfance visant notamment à coordonner tous les organismes

44. Dans le programme du Comité d’hygiène mentale (L’informateur des aliénistes, n° 11, 25 novembre
1920, p. 323-324), Édouard Toulouse insistait sur la nécessité de ce triage : « Des sujets d’aptitudes
très diverses sont mêlés dans les classes, où le trop grand nombre d’élèves empêche d’individualiser
l’enseignement. Les écoliers d’intelligence supérieure ou moyenne sont entravés dans leurs progrès
par la présence de condisciples dont certains sont plus ou moins arriérés et ne parviennent pas à suivre,
même au prix d’efforts fatigants, un enseignement dont le niveau est cependant abaissé pour eux.
Il arrive, par contre, que des enfants très doués accaparent toute l’attention du professeur au détriment
des sujets moyens. » De même, la sélection professionnelle permettra de constituer une élite qui fera
avancer la démocratie.
20 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

ayant pour but la protection et la surveillance de l’enfance. Lahy, par arrêté du


29  octobre, sera nommé un des trois rapporteurs (orientation professionnelle,
enseignement technique, ménage, apprentissage), mais «  les résultats furent
minces (débats, conférences, sensibilisation de l’opinion publique) »45.

Activités d’enseignement et de propagande


Enseignement
Lahy avait dès avant la Première Guerre mondiale l’expérience de l’enseigne-
ment, avec ses cours de sociologie professés de 1909 à 1914 au Grand-Orient de
France.
Le décret du 31 juillet 1920, relatif à la constitution des universités, qui réorgani-
sait les études universitaires permit à Piéron la mise en place au sein de l’université
de Paris, d’un Institut de psychologie, créé par arrêté du 27 janvier 1921, projet qu’il
nourrissait depuis 1917.
L’Institut comprenait trois sections : psychologie générale, psychologie pédago-
gique et une section de psychologie appliquée, qui se développera avec Lahy. Ses
cours portaient sur les méthodes des tests, la physiologie et les statistiques, la déter-
mination des aptitudes, les gestes professionnels et les signes de la fatigue. Depuis
1924 une partie des étudiants suivait aussi une formation pratique au laboratoire de
la Société des transports en commun de la région parisienne, fondé par Lahy
Il assurera également un cours de psychotechnique au Centre de préparation
aux affaires de la chambre de commerce de Paris créé en octobre 1930 et dont l’Ins-
titut d’organisation industrielle et commerciale, dont il est membre de la commis-
sion consultative, subventionne le laboratoire de psychologie appliquée des Hautes
études. Il enseigne également à l’École des surintendantes d’usines.
À l’Institut national d’orientation professionnelle, il sera aussi chargé de cours,
mais il avait d’autres projets.

Divers projets
En 1920, Jules Amar (1879-1935) démissionne de la direction du laboratoire de
recherche sur le travail musculaire professionnel du Cnam dont il avait été chargé
en 1913. Lahy est l’un des quatre candidats retenus à sa succession (sur six), mais il
sera en deuxième ligne derrière Jean-Paul Langlois (1862-1923), qui sera confirmé et
le laboratoire transformé en chaire d’organisation technique du travail humain. C’est
Jean-Henri Pottevin (1865-1928), qui lui succédera et la chaire sera rebaptisée d’hy-
giène et physiologie du travail, puis deviendra de « physiologie du travail, hygiène
industrielle et orientation professionnelle » et sera confiée à Laugier. En 1928, alors
que l’Inop vient d’être créé, Lahy intervient auprès de Maurice Petsche (1898-1951),
rapporteur du budget de l’Enseignement technique46, pour que soit créée une chaire

45. Jacqueline Roca. De la ségrégation à l’intégration. L’éducation des enfants inadaptés, de 1909 à 1975.
Paris, CTNERHI, 1992, p. 82.
46. Maurice Petsche, député, deviendra sous-secrétaire d’État à la Guerre en novembre 1928.
Présentation 21

de psychotechnique au Cnam, puis, en 1931, soulignant que l’enseignement de la


psychotechnique ne touche qu’un public sélectionné et très restreint, il se met en
relation avec Antoine-Frédéric Brunet (1868-1932), franc-maçon, sous-secrétaire
d’État à l’Enseignement technique, pour réclamer à nouveau un enseignement de la
psychotechnique au Cnam, qui complèterait les enseignements consacrés à la phy-
siologie du travail, à l’organisation scientifique du travail, aux accidents du travail
et former avec eux un ensemble, d’où doit sortir « un Institut du travail »47 qui ne
verra pas le jour. Selon Charles Spinasse (1893-1979), rapporteur du budget, Édouard
Daladier (1884-1970), ministre des Travaux publics, était favorable à la création de
la chaire, mais l’affaire ne se fit pas. Alors en 1932, Lahy sollicite le rattachement du
laboratoire de psychologie appliquée de l’École des hautes études au Cnam, mais il
devra attendre 1938 et l’importance du nombre des chômeurs pour que le ministère
du Travail s’intéresse à la psychotechnique.
Antérieurement, il avait en février 1928 proposé alors qu’il intervenait pour la
Marine de guerre à Toulon, la création d’un laboratoire de psychotechnique, sis à
Paris et dont il aurait été le directeur, mais sans succès.
Philippe Serre (1901-1991), sous-secrétaire d’État au Travail du 22 juin 1937 au
18 janvier 1938 et du 13 mars au 8 avril 1938, en suite du décret du 26 septembre
1936 sur le « recensement qualitatif des chômeurs », créera le « Centre scientifique
de la main-d’œuvre », inauguré le 8 avril 1938, en vue de « procéder à la sélection
et à la réorientation professionnelle des chômeurs et travailleurs à reclasser profes-
sionnellement en faisant appel à des techniques les plus modernes et se livrer à des
recherches et études générales sur la psychologie du travail », Lahy étant chargé
d’organiser un centre psychotechnique prévu au premier étage du bâtiment conçu
par Le Corbusier48 (Charles Édouard Jannenet, 1887-1965), aujourd’hui détruit, dans
le but de « faciliter l’orientation et le reclassement professionnel des chômeurs par
leur examen biologique ». Laugier avait été également sollicité et l’adjectif « bio­­
logique » semblait incliner vers ce dernier. En conséquence, Lahy s’abstint. L’année
précédente, à l’occasion de l’exposition universelle le 24 mai au Palais de la Décou-
verte, l’organisation de la section «  Biologie  » avait été confiée à Henri Laugier,
assisté de Raymond Bonnardel (1901-1998), qui s’arrogeront la partie «  biologie
humaine », où de nombreux appareils de psychotechnique seront présentés, mais
le nom de Lahy ne sera pas cité, contrairement à ceux de Weinberg et de Fessard.
De même, il ne sera pas présent à la « Journée de l’Homme au travail » du 1er octobre
1937, à laquelle participeront Laugier, Bonnardel et Weinberg, signe des désaccords
existant entre les deux hommes49.

47. Rappelons que dès 1900, Édouard Toulouse avait soumis à Alexandre Millerand (1859-1943),
ministre du Commerce, un projet de « laboratoire de recherches biologiques et sociales, qu’il relancera
en 1905 auprès du nouveau ministre Fernand Dubief (1850-1916), sans autre suite qu’une subvention.
48. Jean-Maurice Lahy figurera parmi les collaborateurs de L’esprit nouveau (1920-1925), la revue de
Le Corbusier et préfacera le livre de Paul Dermée (1886-1951), directeur de la revue et Eugène Courmont,
Les affaires et l’affiche, Paris, Dunod, 1922.
49. Outre de possibles questions de personne, ce désaccord était aussi méthodologique. De nombreuses
recherches de Henri Laugier et de Jean-Maurice Lahy portaient sur les mêmes thèmes, mais, alors que
Jean-Maurice Lahy cherchait à répondre à des problèmes spécifiques « en fonction des besoins de l’entre-
22 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Quant à la section « physiologie des sensations », elle était présidée par Piéron,


assisté de l’ingénieur André Meifred-Devals (1883-1944) qui s’occupait de l’entretien
des appareils.

Propagande scientifique
Outre son activité d’enseignement, soucieux de répandre ses idées scientifiques,
mais aussi politiques et philosophiques, Lahy déploie une intense activité.
Sur le plan scientifique, il multiplie les conférences et publie les résultats de ses
recherches dans de nombreuses revues (voir bibliographie).
En 1927, alors qu’il avait formé le projet avorté d’une Revue de psychologie appli-
quée à l’industrie, à l’éducation et à la psychiatrie, il fonda, en 1929, sa propre revue, La
science du travail, avec le médecin belge Paul Sollier (1861-1933) et l’ingénieur luxem-
bourgeois Jean-Pierre Arend, dans « le but de tenir ses lecteurs au courant de toutes
les tentatives faites en vue d’organiser rationnellement le travail et d’obtenir une
meilleure adaptation de l’individu au travail professionnel, d’une part, celui de faire
connaître, d’autre part, les recherches scientifiques qui, dans cette voie, aboutissent
à des applications pratiques », avec un programme ambitieux, mais la revue fut un
échec et ne compta que deux années de parution. Aussi Lahy se résigna-t-il à s’asso-
cier avec Henri Laugier pour créer Le Travail humain, qui paraît toujours, dont il fut
l’inspirateur, en 1933, avec pour but la « connaissance de l’Homme en vue de l’utilisa-
tion judicieuse de son activité » et couvrant un champ très large : « la physiologie du
travail, la psychotechnique, l’orientation et la sélection scolaires et professionnelles, le
contrôle biologique de l’éducation physique et des sports ». Ce fut leur seule collabo-
ration bien que, dans ses recherches Laugier eût recours à des tests conçus par Lahy.

Propagande politique et philosophique


Lahy fit de nombreuses conférences pour transmettre ses idées politiques et
philosophiques, mais il chercha aussi à le faire par la presse.

prise dans laquelle il [le laboratoire] est intégré », Henri Laugier était davantage intéressé à découvrir
des informations d’une application plus générale. Ainsi, tandis que Jean-Maurice Lahy (1933) crée
un « laboratoire psychotechnique » pour les Chemins de fer du Nord, Laugier et Weinberg fondent, la
même année, à la gare Saint-Lazare, « Le laboratoire du travail des chemins de fer de l’État français »,
qui sera transféré à Viroflay en 1936 (Le Travail humain, n° 3, septembre 1936, p. 237-268), préci-sant
(p. 237) : « Le laboratoire n’a pas été conçu comme un simple organisme d’application devant utiliser
les nombreuses données acquises au cours d’un passé récent par les psychotechniciens en vue de la
sélection du personnel ; il doit être en outre  un véritable organe de recherches ayant pour but de faire
progresser activement les méthodes et les techniques relatives à l’utilisation rationnelle de la main
d’œuvre des grandes entreprises. » Jean-Maurice Lahy (1933, p. 410) critique cette conception, qui
oblige « les entreprises industrielles […] à de gros frais pour un rendement, parfois ‘‘plus apparent que
réel’’. » Le laboratoire de Viroflay était en concurrence avec celui de Jean-Maurice Lahy. Les méthodes
de sélection établies par le laboratoire de Viroflay ont été appliquées aux Établissements Hispano-
Comentry, où un laboratoire a été créé. Un chargé de missions du centre organisa des laboratoires sem-
blables à Bordeaux et à Sochaux. En juin 1939, le laboratoire de biométrie fut chargé d’appliquer ses
méthodes de sélection à celle des pilotes d’avions, des pointeurs de tir, des télémétristes et à l’étude des
conditions de travail en atmosphère close (fortifications, coupoles de tir, etc.).
Présentation 23

Il avait fait ses classes de journaliste à La dépêche coloniale, mais c’est dans Le rappel,
où il était chargé de la chronique scientifique et sociale, qu’il trouva une tribune en
publiant entre 1902 et 1930, plus de 150 articles50. En 1917, étant hospitalisé à Troyes,
il fournit également des articles au Petit troyen, sans compter des contributions spo-
radiques à d’autres journaux et Les cahiers d’Agni. C’est lui qui aurait lancé La vérité
sur les événements et les hommes, journal bimestriel, d’une seule feuille, paru du 24
avril 1934 au 25 septembre 1937, anticlérical, pro-soviétique et anonyme : seul le
nom du gérant, Robert Monnier, apparaît.
Joseph Berthelot affirme que les frères (FF) sont « instamment priés de donner
une ‘‘assistance morale et pécuniaire’’ à […] cette publication, si propre à exercer
une grande influence sur les adultes [qui] peut être vulgarisée, monnayée de deux
manières : en diffusant ses extraits par le tract ou l’affiche, en utilisant sa face vide
pour en faire une sorte de journal de commune ou de canton par des articles repro-
duits au moyen de la pâte à papier. »51

Les archives de Jean-Maurice Lahy


Dès la fin de septembre 1938, Lahy s’inquiétait du devenir de son laboratoire en
cas de mobilisation. Dans une lettre, conservée dans ses archives, adressée à « mon
cher ami » (?), il rappelait que « c’est de ce laboratoire qu’est né et que s’est déve-
loppé le grand mouvement de la psychotechnique » et soulignait qu’« il serait regret-
table de laisser inoccupé pendant la durée des hostilités l’outillage [qu’il] possède à
l’hôpital Henri-Rousselle » et demandait, à son correspondant, « ce qu’il y aurait lieu
de faire pour que mes collaborateurs et moi-même puissions apporter un concours
à la Défense nationale. »
Or, dès mai 1940 Lahy se trouvait en mission au laboratoire psychotechnique
de la Marine de guerre, qu’il avait créé et, du fait de l’entrée des troupes alle-
mandes à Paris le 14 juin, il demeura dans sa propriété du Lavandou. Il dut quitter
Le Lavandou en février 1943, prévenu de son arrestation imminente par les officiers
italiens52, pour se réfugier dans la Creuse, où il mourra le 22 août, tandis qu’à Sainte-
Anne René Zazzo (1910-1995) occupait la place « jusqu’au retour de Lahy, afin d’évi-
ter que les autorités de Vichy n’en disposent à leur guise » (Zazzo, 1992).
Dans une lettre à Piéron du 13 juillet 1943, Lahy l’informait : «  Mes travaux
suivent tant bien que mal. J’ai fait une étude sur Claude Bernard, car je dois bien de
la reconnaissance à sa mémoire pour les grandes joies que j’ai éprouvées dans ma vie
en suivant ses enseignements écrits. Cet acte de reconnaissance ne sera pas un éloge
aveugle. Pour être équitable, j’ai dû le placer dans le mouvement de la connaissance.

50. En 1921, L’ère nouvelle et Le rappel fusionneront « afin de coopérer plus étroitement à l’entente des
partis de gauche et à la propagande démocratique dont tous les républicains sentent le pressant besoin »
et deviendra L’Europe nouvelle. Jean-Maurice Lahy figurera toujours au nombre des collaborateurs,
mais n’y publiera pas.
51. Joseph Berthelot, Où en est le Grand-Orient, Études, 5 mars 1936, p. 638-654, p. 653.
52. L’occupation italienne dans le sud de la France, d’abord limitée, fut généralisée en novembre 1942.
Au Lavandou était le PC du 48e Régiment d’artillerie, dépendant du XXIIe Corps d’Armée, basé à Hyères
et commandé par le général Mario Vercellino (1879-1961).
24 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Les chapitres sont dispersés dans chacune de mes étapes, mais je les réunirai facilement
plus tard. Il en sera de même pour des “Principes de la psychotechnique” et un
“Manuel de psychotechnique ferroviaire’’ », qui semblent avoir disparu.
En effet selon Georges Refeuil, Lahy aurait détruit une partie de ses archives
avant de quitter Le Lavandou et lui-même, Georges Refeuil, franc-maçon, aurait
brûlé d’autres archives de Lahy, le 10 août 1940, à Brignoud (Isère).
Or fin juin-début juillet 1940 fut instauré à Paris l’Einsatzstab Reichsleiter
Rosenberg (ERR, Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg), ramification
opérationnelle du bureau qu’Alfred Rosenberg (1893-1946) dirigeait depuis 1934
pour la supervision de l’ensemble de la formation et de l’éducation spirituelle et
idéologique du parti nazi, les francs-maçons étant tenus pour « ennemis du régime
nazi ».
D’un autre côté par la loi du 13 août 1940, les sociétés secrètes, dont la Franc-
maçonnerie, furent dissoutes. (J.O. du 14 août, n° 201, p. 3365-3366). La loi sera com-
plétée par celle du 11 août 1941 (J.O. n° 221, p. 3365-3366), qui disposait en son article
Ier (p. 3366), que « Les noms des anciens dignitaires des sociétés secrètes dissoutes
seront publiés au Journal officiel ». Cette liste figure dans la même livraison et le nom
de Lahy est mentionné p. 3372 : « LAHY (Jean-Maurice), directeur du laboratoire
de psychologie appliquée à l’École des hautes études et à l’Institut de psychologie,
université de Paris, grade de 33e, ancien membre du Conseil de l’Ordre, 22 rue de
l’Observatoire, Paris 14. ». Il sera révoqué de son poste de la Sorbonne.
Cependant, l’inventaire publié en 2016 des saisies de l’Einsatzstab Reichsleiter
Rosenberg (http://www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html), qui désigne
Lahy effectivement comme franc-maçon et émigré (il était dans le Midi), indique
que ses archives ont été saisies les 20 et 21 novembre 194053, comportant 43 caisses
de livres et de manuscrits psychologiques. Cet inventaire n’indique pas le lieu de
la saisie, mais donne les deux adresses de Lahy, à Malakoff et au Lavandou. Cette
maison de Malakoff, œuvre de l’architecte-décorateur Georges dit Djo-Bourgeois
(1898-1937)54, où Lahy avait aménagé en avril mais qu’il n’habita guère, fut occupée
et saccagée par les soldats allemands qui l’occupèrent La lettre de remerciements
de Marie Lahy-Hollebecque, son épouse, qui ne figure pas sur cette liste, citée par
Sophie Coeuré (La mémoire spoliée, Paris, Plon, 2007, p. 189) : « Les caisses de livres
viennent de me parvenir, je les ai ouverts aussitôt et, à me trouver parmi ces œuvres
qui ont formé pendant des années le cœur même de ma pensée, j’ai éprouvé une si
forte émotion que je viens vous le dire, à vous qui me l’avez procurée »55, confirme

53. Dans une lettre du 17 février 1945, le Dr Le Cann, ancien médecin de l’établissement des pupilles
de la Marine, franc-maçon comme Lahy, accusera le médecin de Marine François Bayle (1906-1976),
affecté en 1937 à la division d’instruction de la Marine, puis, en 1941 détaché auprès du secrétariat géné-
ral à la Jeunesse et nommé au centre de formation des conseillers d’orientation à Clermont-Ferrand,
d’abord comme directeur, puis comme adjoint à Daniel Lagache (1903-1972) ; ultérieurement observa-
teur au procès des médecins de Nuremberg (décembre 1946-août 1947), de l’avoir dénoncé à la Gestapo
(dossier militaire de Bayle, archives de la Marine à Vincennes).
54. Il avait également aménagé son appartement parisien, avenue de l’Observatoire.
55. Selon l’inventaire de l’ERR, 10 000 volumes avaient été saisis chez les Lahy, 381 furent restitués
en 1948, plus un certain nombre d’autres et 174 en 1950.
Présentation 25

que c’est à la villa de Malakoff, que les archives de Lahy ont été enlevées. Elles furent
expédiées à Berlin pour être exploitées.
Après la capitulation de l’Allemagne à Stalingrad le 2 février 1943, l’intensifi-
cation des bombardements anglo-américains sur Berlin entraînèrent le déménage-
ment des archives spoliées et leur mise à l’abri, dispersées dans des caches « abris
militaires, châteaux pourvus de souterrains ou mines de sel » (Cœuré, 2007, p. 61).
Selon Patricia Kennedy Grimsted, de l’Université Harvard, à qui je dois de bien
précieuses indications, les archives de Lahy, avec d’autres, auraient été mises à
l’abri dans la banlieue de Kattowitz (Katowice) en Silésie, puis évacuées à Minsk
(aujourd’hui en Biélorussie) en octobre ou novembre 1945, où l’Armée rouge, lors de
son avancée, les récupéra comme « archives trophées ». Elles furent versées dans un
dépôt secret dépendant du Commissariat du peuple aux Affaires intérieures (NKVD),
les « archives spéciales centrales d’État », fondées par décret du 9 mars 1946 et placées
sous l’autorité du Conseil des commissaires du peuple, à Moscou. À Minsk, il resterait
encore des livres ayant appartenu à Lahy et à son épouse, qui n’ont pas été restitués.
En effet, Grimsted y a identifié au moins 8 ouvrages provenant de leur bibliothèque,
dont un exemplaire de La ville radieuse, dédicacé à Lahy par Le Corbusier.
Pendant cinquante ans, l’existence de ces archives secrètes a été ignorée.
La glasnost inaugurée par Mikhaïl Gorbatchev en 1986 entraîna la chute du mur
de Berlin en 1989, la dissolution de l’URSS et la création de la Fédération de Russie.
Boris Eltsine (1931-2005), son premier président en 1991 étant plus ouvert à l’Occi-
dent, l’existence des archives « trophées », provenant des spoliations nazies et que
l’on croyait détruites, commença à être dévoilée.
En février 1990, le quotidien Izvestia, n° 18-22 (Piat’dnei v Lsobom arkhive, Trois
jours aux archives), fit état de microfilms des registres du camp de concentration
d’Auschwitz transmis à la Croix-Rouge, mais ce ne fut qu’un an et demi après que
Patricia Kennedy Grimsted apprit d’un archiviste ami que plus de sept kilomètres
linéaires d’archives françaises que l’on croyait définitivement perdues se trouvaient
en fait depuis cinquante ans à Moscou, dans les « Archives spéciales ».
L’ambassade de France à Moscou entreprit alors des négociations qui furent
longues et laborieuses, la Russie exigeant en échange beaucoup de choses se trou-
vant en France. Finalement, un accord fut conclu entre les deux ministres des
Affaires étrangères, Roland Dumas et Andrey Kozyrev, le 12 novembre 1992. Dans
le même temps, les « Archives spéciales » prenaient le nom de « Centre de conser-
vation des collections historico-documentaires ». La France paya pour la restitution
des archives 3,5 millions de francs, plus 500 000 francs pour la « préparation de la
collection » et 50 000 francs pour l’aide aux recherches ; en outre, l’envoi en Rus-
sie d’archives provenant du gouvernement tsariste (comme les livres de bord des
navires russes mouillés en Tunisie dans les années 1920 ou les archives de la mis-
sion militaire russe à Paris pendant la Première Guerre mondiale). Pourtant, c’est
seulement fin 1993-début 1994 qu’un premier ensemble de documents, environ
deux-tiers des archives, fut rapatrié de Moscou56. Mais les conflits violents dans les

56. Bernard Cohen, dans Libération rendait compte de « La bataille des archives » et « Moscou accepte
de restituer 20 tonnes de documents des deuxièmes bureaux », annonçaient Jacques Isnard et Michel
Tatu (1933-2012) dans Le Monde du 14 novembre 1994.
26 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

territoires de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie entre 1991


et 1995 provoquèrent un sursaut nationaliste en Russie et une partie des députés
de la Douma excipa de la seconde rotation de camions français « pour soulever le
scandale d’un patrimoine bradé », faire bloquer les retours (Coeuré, 2007. p. 151)
et adopter, le 5 février 1997, une « loi fédérale sur les biens culturels transférés vers
l’URSS à la suite de la Seconde Guerre mondiale et se trouvant sur le territoire de
la Fédération russe », votée par 291 voix contre 1 et 4 abstentions et promulguée
le 15 avril 1998, prévoyant la nationalisation des « trésors culturels » se trouvant
en Russie depuis la guerre, quelles que fussent les circonstances de leur arrivée57,
bien que la Fédération de Russie en devenant le 28 février 1996, le 39e état membre
du Conseil de l’Europe, eût marqué que la Fédération de Russie avait « l’intention
de régler rapidement toutes les questions relatives à la restitution de biens récla-
més par des États membres du Conseil de l’Europe et, notamment, les archives
transférées à Moscou en 1945 » (Avis n° 193 (1996) relatif à la demande d’adhésion
de la Russie au Conseil de l’Europe), texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier
1996 (7e séance), mais cette « intention » n’avait pas force de loi.
Cependant la loi du 5 février 1997 fut amendée par le président Vladimir Pou-
tine en mai 2000, par la distinction entre « les héritiers des puissances de l’Axe, dont
la Russie conserverait les biens et les nations victimes du nazisme, qui pouvaient,
seules, les réclamer  », mais avec des compensations financières pour le stockage
des archives et frais divers. Entre 2000 et 2002, la quasi-totalité des fonds d’archives
revendiqués parvint au quai d’Orsay, au total 944 718 dossiers (au sens russe du
terme) ont été restitués en 1993-1994 et 164 708 en 2000, mais il reste du matériel
archivistique dans d’autres dépôts d’archives de l’ancienne URSS, qui n’ont pas
encore été identifiés.
Le 14 décembre 2000, un carton (fonds 189) intitulé « Laboratoire de psycho-
logie expérimentale de l’École pratique supérieure  » (= des hautes études), 17
dossiers contenant, d’une part, des documents relatifs à l’activité du laboratoire
ou personnels et d’autre part des documents relatifs à l’Association internationale
de psychologie appliquée, a été remis par le directeur des archives au ministère
des Affaires étrangères au Pr Daniel Frédy, alors président de l’Association des
amis du Musée du centre hospitalier Sainte-Anne. Son contenu a été intégré aux
autres archives de J.-M. Lahy (fonds 275), qui avaient été restituées à son petit-fils,
Pierre-Octave Lahy, issu du premier mariage de son grand-père et qui, par contrat
signé avec Maurice Goudemand (1927-2009) alors directeur du musée du centre
hospitalier Sainte-Anne, en a fait don à ce musée, soit 68 cartons contenant 1236
dossiers le 26 février 200258.

57. Ph. D, dans Le Monde du 7 février 1997, titrait « Des trésors de guerre russifiés par la loi ».
58. D’autres archives de Jean-Maurice Lahy sont conservées ailleurs. Celles d’Henri Piéron, aux
Archives nationales, contiennent 239 lettres de Jean-Maurice Lahy, le fonds André Lebey (1894-1938), à
l’Office universitaire de recherches socialistes, 7 lettres ; les archives municipales de Toulouse, 1 lettre à
Émile Cartailhac (1845-1921) et la liste devrait être complétée. Par ailleurs, Marcel Turbiaux, au nom de
Madame Myrtille Lahy, petite-fille du second mariage de Lahy, ayant droit, a reçu les archives de Marie
Hollebecque-Lahy (fonds 276, 9 cartons contenant 111 dossiers) du ministère des Affaires étrangères le
27 février 2008. Elles ont été déposées par lui au musée du centre hospitalier Sainte-Anne.
Présentation 27

Annexe – Bibliographie de Jean-Maurice Lahy établie par


Marcel Turbiaux dans le cadre de l’inventaire des archives
déposées au Musée de la psychiatrie et des neurosciences de
Sainte-Anne59
– (avec N. Vaschide) : la technique de la mesure de la pression sanguine, parti-
culièrement chez l’homme. Archives générales de médecine, 79e année, nouvelle série,
1902, t. VIII (septembre) pp. 349-383, (octobre) pp. 480-501, (novembre) pp. 602-639.
– (Id) : Les données expérimentales et cliniques de la mesure de la pression
sanguine. Archives générales de médecine, 79 e année, nouvelle série, 1902, décembre
pp. 711-779.
– (Id) : Coefficient respiratoire et circulatoire de la musique. Rivista musicale
italiana, 1902, vol. IX, fasc. 1, p.148, fasc. 3, p. 717.
– Les coefficients respiratoires et circulatoires de la musique. Rivista musicale
italiana, 1903, vol. X, n° 2-10, p. 95.
– L’émotion musicale et les idées associées. Rivista musicale italiana, 1904, vol. XI,
fasc. 1, p. 1-23.
– Un cas de réactions motrices du fœtus sous l’influence d’une émotion musicale
éprouvée par la mère. Bulletin de l’institut général psychologique, 1903, 4e année, n° 1
(janvier-février), pp. 109-114.
– (avec N. Vaschide) : la technique sphygmographique. Revue de médecine, 1904,
24e année, n° 2 (février) pp. 165-178, n° 4 (mars), pp. 220-255.
– La lecture des tracés graphiques. Revue de psychiatrie et de psychologie expérimen-
tale, 1904, 3e série, 8e année, t. VIII, n° 3 (mars), pp. 112-121.
– Application de la méthode d’observation directe en psychologie expérimen-
tale. Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale, 1904, 3e série, 8e année, t. VIII,
n° 12 (décembre), pp. 504-509.
– (avec N. Vaschide) : Les coefficients physiologiques du plaisir et de la joie chez
une idiote. Archives générales de médecine, 1904, 81e année, t. II, n° 50 (13 décembre),
pp. 3153-3160.
– Les modifications des échanges nutritifs chez l’homme sous l’influence de la
fatigue musculaire. La revue scientifique, 1905, 5e série, t. III, n° 7 (18 février), pp. 201-
204 ; n° 8 (25 février), pp. 230-238 ; n° 9 (4 mars), pp. 267-273.
– Sur le temps perdu des réactions physiologiques sous l’influence des excitants
émotionnels. Archives générales de médecine, 1905, 82e année, t. I, n° 11 (14 mars),
pp. 647-651.
– Sur un nouveau procédé d’inscription des mouvements de faible amplitude en
méthode graphique. Atti del V Congresso internationale di psicologica tenuto a Roma del
26 al 30 aprile 1905. Roma ; Forzani e C, 1906, pp. 300-302.

59. Note du GRESTHO : cette bibliographie est reproduite telle qu’elle a été rédigée par Marcel Turbiaux
avant son décès le 17 mars 2019. La mise en forme et le contenu ont été strictement respectés. N’y
figurent pas les articles publiés dans les journaux de la presse journalière ou hebdomadaire cités dans
l’article de présentation des archives. Aux dires de Marcel Turbiaux, la tâche était impossible à mener à
bien par une seule personne compte tenu de leur nombre et de la diversité des supports.
28 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

– Genèse de la notion d’âme d’après quelques textes ethnographiques. Atti del


V Congresso internationale di psicologica tenuto a Roma del 26 al 30 aprile 1905. Roma ;
Forzani e C, 1906, pp. 707-714.
– Les phénomènes de conscience dans l’ontogenèse. Archives de neurologie,
1905, vol. XX, 2e série (27e année), n° 118 (octobre), pp. 280-302.

Conférences du dimanche
Ces conférences organisées par le Grand Orient de France et un groupe de loges
de la région parisienne sur l’initiative de la R.  : L.  : « Athéna  » (anciennement
« Les amis triomphants ») avec l’appui du G. : L. : GODF et du conseil fédéral de
la GLDF, 2e année 1905-1906. Rapport présenté par le F :. J.-M Lahy, Vén. De la R.L.
« Athéna  » et approuvé à la réunion des loges adhérentes le 23 avril 1906. Paris  ;
l’Émancipatrice ; 190660.

– Introduction à l’étude des phénomènes sociaux, s.1, 1907.


– Les formes primitives de groupement. École pratique des hautes études. Mémoire
de la section des sciences religieuses, 1907.
– Exposé des principes et plan d’une encyclopédie d’enseignement populaire
supérieur. L’Humanité nouvelle, 1907, pp. 235-24561.
– L’individu et la société. La revue socialiste, 1908, t. 47, n° 281 (mai), pp. 385-394.
– La méthode graphique en physiologie et en psychologie. Revue de psychiatrie
et de psychologie expérimentale, 1908, 5e série, 12e année, t. XII, n° 11, (novembre),
pp. 461-472, n°12 (décembre) pp. 537-545.
– Les conflits du travail, hommes et femmes typographies. La revue socialiste,
1909, t. 49, n° 292 (avril) pp. 289-312.

60. Ces conférences ont fait l’objet de compte rendu dans diverses publications maçonniques : l’Aca-
cia, : novembre 1910, 1ère année, 10e volume, n° 11, pp. 81-93 : les conférences du dimanche organisées
au GODF par les Ateliers de Paris sur l’initiative de la R. : L. : Athéna et avec l’appui du GODF :
l’œuvre philosophique des six premières années 1904-1910 : p. 128 : programme des conférences
et promenades du dimanche en 1911 : la vérité scientifique. Étude des procédés par lesquels l’homme
peut atteindre actuellement la vérité (le 5 mars 1911) ; Jean-Maurice Lahy prononça lui-même une
conférence intitulée : la science et la vérité) décembre 1910, n° 12 : les Conférences du dimanche, suite,
pp. 161-179. Décembre 1911, 9e année, 17e volume, n° 12 : les Conférences du dimanche organisées au
Grand Orient de France par les Ateliers de Paris, la septième année 1910-1919, pp. 721-729. Avril 1913,
11e année, 20e volume, n° 4, la huitième année 1911-1012, pp. 161-178 (conférence de J.-M. Lahy :
l’Étude scientifique de la conscience, p. 170) La lumière maçonnique, janvier 1910, pp. 14-16 : Confé-
rences du dimanche et la théâtre d’art. Annales des fêtes et cérémonies civiles. Septembre 1910, n° 1,
pp. 11-12 : conférences populaires et fêtes civiques. Novembre-décembre 1910, n° 3, pp. 125-136 et
janvier 1911, n° 5 pp. 218-219 : l’œuvre de la société des conférences du dimanche, à Paris. Septembre
1911, n° 13, pp. 596-600 : les Conférences du dimanche en 1910-1911. Mars 1912, n° 18, pp. 113 et
avril 1912, n° 19, p. 169 : les Conférences du dimanche en 1910-1912 (le 3 mars 1912, conférence de
Jean-Maurice Lahy sur « la vie sociale et la conscience individuelle ».
61. Dans cette collection paraîtront notamment, précédées d’une introduction de Jean-Maurice Lahy :
Histoire de la terre, par Charles Sauerwein. Paris ; Schleicher frères, s.d. L’Origine de la vie, par J.M.
Pergame, Ibid.
Présentation 29

– La morale comme fait social. La revue socialiste, 1909, t. 49, n° 293 (mai),
pp. 289-312.
– Le problème de la femme ouvrière. La revue socialiste, 1909, t. 49, n° 296 (août),
pp. 673-676.
– La franc-maçonnerie et la morale sociale. L’Acacia, 1909, 7e année, 14e volume,
pp. 211-234.

Cours de sociologie (résumés). Paris ; Grand Orient de France ; 1909-1914.

1. Étude préliminaire sur la nature du phénomène moral (avril 1909).


2, 3, 4, 5. Étude des éléments anciens de la morale actuelle, la morale chrétienne
primitive (mai-juin ; octobre-novembre 1909), sophiques (décembre 1909).
6. La libre recherche et les préjugés philosophiques, (décembre 1909).
7.8. L’organisation de l’enseignement de Jésus par ses continuateurs immédiats.
La morale de Saint-Paul (janvier et février 1910).
9, 10. Le rôle de l’individu dans la formation de la morale sociale. Recherches sur
une définition de la morale (mars et avril 1910).
11, 12. L’idéal d’action. Esquisse d’une morale rationnelle à notre époque (mai
et juin 1910).
13, 14, 15. La famille. Son origine, son évolution, sa nature, son état actuel
(octobre, novembre, décembre 1910).
16, La famille moderne (janvier 1911).
17, 18. La vérité scientifique et la morale sociale (février 1911).
19, 20, 21. La société secrète (avril, mai, juin 1911).
22, 23, 24. L’organisation sociale des sentiments moraux : la pudeur et la chasteté
(octobre, novembre, décembre 1911).
25, 26. Les formes primitives de l’initiation à la société secrète (janvier et février
1912).
27, 28, 29, 30. L’origine de la notion de Dieu et le problème sociologique de la
sincérité du croyant (mars, avril, mai, juin 1912).
33, 34, 35. I. De la science à l’industrie  : l’utilisation rationnelle du moteur
humain. II. Comment une notion scientifique de l’univers peur éclairer le problème
social. La notion d’énergie et l’organisation du travail (décembre 1912 ; janvier et
février 1913).
36, 37, 38, 39. Le système Taylor. La morale familiale.
43, 44. I. Eugène Fournière. II. Origine sociale des sentiments sociaux : la ven-
geance et la haine. Première partie : les formes les plus simples des représailles : la
vendetta australienne (janvier et février 1914).
45, 46. Deuxième partie : les formes les plus simples des représailles : expéditions
de vengeance en Malaisie. Troisième partie : les caractères de la vengeance chez les
Hébreux à l’époque patriarcale (mars et avril 1914)62.

62. D’autres résumés de ces cours ont paru dans l’Acacia (8e année, 15e volume) en 1910, n° 1 (janvier)
pp. 25-37, n° 2 (février) pp. 84-101, n° 3 (mars) pp. 182-198, n° 4 (avril) pp. 241-253, n° 5-6 (mai- juin),
pp. 321-330.
30 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

– Recherches sur les conditions de travail des ouvriers typographes composant


à la machine dite « linotype », Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. Direction
du travail (2e bureau). Bulletin de l’Inspection du Travail et de l’Hygiène industrielle. 1910,
18e année, n° 1 et 2, pp. 45-103.
– Rôle de l’individu dans la formation de la morale. Revue philosophique de la
France et de l’étranger, 1910, 35e année, n° 12 (décembre), pp. 581-599.
– Frédéric Desmons, Souvenir du Convent du 1909, L’Acacia, 1910, 8e année,
15e volume, n° 1 (janvier), pp. 21-22.
– La morale de Jésus, sa part d’influence dans la morale actuelle. Paris ; F. Alcan ; 1911.
– Contribution à l’étude des organisations sociales ; la société secrète chez les peuples
primitifs ; s. 1, 191.
– La fonction sociale de la franc-maçonnerie. La lumière maçonnique, 1911, n° 1,
pp. 23.
– La franc-maçonnerie, le patriotisme et l’internationalisme. La lumière maçon-
nique, 1911, n° 1, novembre, pp. 315-319.
– De la valeur des courbes enregistrées à l’aide des leviers inscripteurs.
Archives de biologie, 1912.
– De la valeur pratique d’une morale fondée sur la science. Revue philosophique
de la France et l’étranger, 1912, 37e année, n° 2 (février), pp. 140-166.
– La morale laïque, discours prononcé au Convent de 1911, L’Acacia, 1912,
10e année, 18e volume, n° 4 (avril), pp. 278-296.
– De la correction photographique des courbes. Bulletin de l’institut général
psychologique, 1912, 12e année, n° 2-3 (mai-juillet), pp. 111- 117.
– (avec G. Hélitas) : Modification des échanges respiratoires sous l’influence
du travail musculaire. Une technique nouvelle. Ses résultats. Journal de physiologie et
de pathologie générale, 1912, t. XIV, n° 6 (novembre), pp. 1129-1137.
– La libre pensée dans l’église gothique. Annales des fêtes et cérémonies civiles, 1912,
p. 25 (novembre), pp. 465-470.
– La physiologie du travail, d’après W. Taylor et le problème de la fatigue professionnelle,
s. 1, 1913.
– Rectification des tracés déformés par des mouvements circulaires du style  :
l’orthographie. Institut de France. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’acadé-
mie des sciences, 1913, t. 156, (28 avril), pp. 1314-1317.
– L’adaptation organique dans les états d’attention volontaires et brefs. Institut
de France. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences, 1913,
t. 156, (13 mai), pp. 1479-1482.
– Les signes physiques de la supériorité professionnelle chez les dactylographes.
Institut de France. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences,
1913, t. 156, (2 juin), pp. 1702-1703.
– Étude expérimentale de l’adaptation psycho-physiologique aux actes volon-
taires brefs et intenses. Journal de psychologie normale et pathologique, 1913, 10e année,
n° 3 (mai-juin), pp. 220-236.
– Le problème de l’organisation scientifique du travail, s. 1, 1913.
– Le système Taylor, le chronométrage et la sélection professionnelle. L’action
nationale, 1913 (janvier), pp. 648-668.
Présentation 31

– Comment se maintient et se renforce la croyance. Revue philosophique de la


France et l’étranger, 1913, n° 6 (juin), pp. 568-592.
– Les conditions psycho-physiologiques de l’aptitude au travail dactylogra-
phique. Journal de physiologie et de pathologie générale, 1913, t. XV, n° 4 (5 juillet),
pp. 826- 834.
– Une calculatrice prodige. Étude expérimentale d’un cas de développement
exceptionnel de la mémoire des chiffres. Archives de psychologie, 1913, t. XIII, n° 51
(septembre), pp. 209-243.
– Le système Taylor et l’organisation intérieure des usines. La revue socialiste,
1913, t. 58 (15 août), pp. 126-138.
– La méthode Taylor peut-elle déterminer une organisation scientifique du
travail ? « Pages libres » n° 552, 2e série. La Grande Revue, 1913, 17e année, n° 18
(25 septembre), pp. 345-361.
– La supériorité professionnelle des conducteurs de tramways dans ses rapports
avec la consommation d’énergie électrique. La technique moderne, 1913, t. VII, n° 11
(1er décembre), pp. 388-390.
– L’étude scientifique du mouvement et le chronométrage. La revue socialiste,
1913, t. 58 (15 décembre), pp. 502-520.
– Un vibrateur à réglage étendu pour les appareils utilisés en psychologie expé-
rimentale. Journal de physiologie et de pathologie générale, 1914, t. XVI, n°1 (janvier),
pp. 39-44.
– Les signes objectifs de la fatigue dans les professions qui n’exigent pas d’effort
musculaire. Institut de France. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’académie
des sciences, 1914, t. 158, (9 mars), pp. 727-729.
– Les effets comparés de la pression du sang, de la fatigue physique produite par
une marche prolongée et de la fatigue physique résultant d’un travail d’attention.
Institut de France. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences,
1914, t. 158, (22 juin), pp. 1913-1916.
– Comment peut-on scientifiquement déterminer la fatigue chez les ouvriers qui
n’accomplissent pas d’efforts musculaires. IIIe Congrès international des maladies
professionnelles  ; Vienne, 1914. Das osterreichische Sanität wesen, 1918, 30e année.
Supplément au n° 1-26.
– Présentation d’un appareil portatif pour l’étude des échanges respiratoires.
Das osterreichische Sanität wesen, 1918, 30e année. Supplément au n° 1-26.
– La psychologie du combattant dans la guerre de tranchée et dans le combat
corps à corps. La Grande Revue, 1915, 19e année, n° 1-3 (mai), pp. 317-355.
– L’organisation du travail chez les combattants. La Grande Revue, 1915, 19e année,
n° 7 (septembre), pp. 297-318.
– Le système Taylor et la physiologie du travail professionnel. Paris ; Masson ; 1916.
– Sur la psycho-physiologie du soldat mitrailleur. Institut de France. Comptes
rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences, 1916, t. 163, n° 26 (juillet),
pp. 33-35.
– La psychologie du chef. I- Au cantonnement. La Grande Revue, 1916, 20e année,
n° 9 (septembre), pp. 390-412. II- Au combat. La Grande Revue, 1916, 20e année, n° 10
(octobre), pp. 605-627. III- Le chef et sa troupe. La Grande Revue, 1916, 20e année, n° 11
32 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

(novembre), pp. 123-128. IV- Les influences subies. La Grande Revue, 1916, 20e année,
n° 12 (décembre), pp. 282-304 (signé : un officier).
– La notion du temps chez les combattants. La Grande Revue, 1918, 22e année, n° 7
(juillet), pp 45-61 ; n° 8 (août), pp. 241-255.
– Le système Taylor et la physiologie du travail professionnel. Paris ; Gauthier-Villars,
1921.
– L’aptitude à lire les manuscrits. Mon bureau, 1921, 12e année, fascicule L XXXV,
(15 mars), pp. 175-176.
– Une épreuve de sélection pour les employés de bureau. Mon bureau, 1921,
12e année, fascicule XCI (15 septembre), pp. 635-636.
– L’école, le laboratoire et le marché de la main-d’œuvre. IIe conférence inter­­
nationale de psychotechnique appliquée à l’orientation professionnelle. Barcelone, 20-30
septembre 1921, Barcelona ; Instituto de orientacion profesional, 1922, pp. 184-187.
– La sélection dans les transports. Barcelona ; Instituto de orientacion profesio-
nal, 1922, pp. 235-241.
– Existe-t-il des aptitudes psychophysiologiques pour l’exercice d’une profes-
sion ? Association française pour l’avancement des sciences. Conférences. Comptes rendus
de la 45e session. Rouen, 1921, pp. 1274-1279.
– La conférence de psychotechnique de Genève. Journal de psychologique normale
et pathologique, 1922, XIXe année, n° 1 (15 janvier), pp. 65-79.
– Une étude expérimentale de l’apprentissage en dactylographie. Mon bureau,
1922, 13e année, fascicule XCVI (15 février), pp. 101-103.
– L’efficacité des épreuves psychologiques pour l’orientation professionnelle.
Mon bureau, 1922, 13e année, fascicule XCVII (15 mars), pp. 184-185.
– La psychologie expérimentale, base de l’orientation professionnelle. Le bulletin
médical, 1922, n° 22 (24-27 mai), pp. 438-441.
– Le réflexe galvano-psychique. La médecine, 1922, 3e année, n° 9 (juin), pp. 696-701.
– L’orientation professionnelle. La pensée française, 1922, 2e année, n° 30 (8 juillet),
pp. 1-2.
– La fiche médicale de contre-indication. Le concours médical, 1922, 44e année, n° 28
(9 juillet), pp. 2 305-2 310.
– L’esprit d’initiative, élément de succès dans les affaires. Mon bureau, 1922,
13e année, fascicule 104 (15 octobre), pp. 741-744.
– Fabre ne fut qu’un médiocre biologiste. La pensée française, 1922, 2e année, n° 41
(23 décembre), pp. 12-13.
Qu’est-ce qu’une aptitude professionnelle  ? IIIème conférence internationale de
psycho-technique appliquée à l’orientation professionnelle, Milan, 2-4 octobre 1922.
Atti della III confrerenza internazionale de psicotecnica applicata al orientamento profesio-
nale, Milan ; Societa umanitaria, 1923, pp. 31-38.
– La fiche médicale de contre-indication. Atti della III conferenza internazionale de
psicotecnica applicata all’orientamento professionale, Milan  ; Società umanitaria, 1923,
pp. 74-78.
– L’éducation professionnelle du point de vue de l’hygiène sociale. Compte rendu
du congrès international de propagande d’hygiène sociale. Paris, 1922, pp. 99-111.
Présentation 33

– Préface à  : Paul Dermée et Eugène Courmont  : Les affaires et l’affiche. Paris :


Dunod, 1922.
La fiche médicale de contre-indication. La formation professionnelle technique et
artistique, 1923, 19e année, n° 61 (20 avril), pp. 255-258.
– Étude graphique de la frappe des dactylographes. Institut de France. Comptes
rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences, 1923, t. 176, n° 20 (14 mai),
pp. 1 412-1 414.
– Ce que Renan a apporté à la pensée moderne. L’Acacia, 1923, n° 1, nouvelle
série (juin), pp. 23-27.
– La fonction sociale de la franc-maçonnerie. L’Acacia, 1923, n° 2 (septembre),
pp. 57-59.
– Dieu, le roi, le président. L’Acacia, 1923, n° 3 (octobre), pp. 113-115.
– Jean Macé. L’Acacia, 1923, n° 3 (octobre), pp. 144-147.
– Les méthodes dactylographiques. Mon bureau, 1923, fascicule 115 (septembre),
pp. 743-745.
– Les bases scientifiques du travail des dactylographes. Mon bureau, 1923,
fascicule 116 (octobre), pp. 827-832.
– Les bases scientifiques du travail des dactylographistes, les méthodes dactylo-
graphiques. Mon bureau, 1923, fascicule 117 (novembre), pp. 935-938.
– Jean Macé. La vie universitaire, 1923 (novembre), pp. 1-5.
– Recherches expérimentales sur la frappe des dactylographes. Association
française pour l’avancement des sciences. Conférences. Comptes rendus de la 47e session.
Bordeaux, 1923, Paris, A.P.A.S. ; Masson et Cie ; 1924, pp. 988-995.
– Taylorsystem und die Physiologie des beruflichen Arbeit. Deutsche autorisierte
Ausgabe von Dr J. Wasburger, Berlin : Julius Springer, 1923.
– An experimental inquiry into the stroke of the typist. VIIth international congress
of psychology hold at Oxford, from july 26 to august 2, 1923, Cambridge: the University
Press ; 1924, pp. 351-358.
– La profession de dactylographe – Étude des gestes de la frappe. Étude et docu-
ments, série J (enseignement) n° 3, 1924.
– La sélection psycho-physiologique des machinistes de la société des transports
en commun de la région parisienne. L’année psychologique, 1924, t. XXV, pp. 106-172.
– La sélection psycho-physiologique des conducteurs de tramways et d’autobus
à la société des transports en communs de la région parisienne. La prophylaxie men-
tale, 1925, 1ère année, n° 1/2 (1er et 2e trimestre), pp. 28-35.
– Qu’est-ce qu’une aptitude professionnelle ? La prophylaxie mentale, 1925, 1ère année,
n° 3 (3e trimestre), pp. 81-85.
– La sélection scientifique des enfants bien doués La prophylaxie mentale, 1925,
1ère année, n° 4 (4e trimestre), pp. 102-103.
– L’unité technique dans la mesure des temps de réaction. L’année psychologique,
1925, t. XXVI, pp. 159-168.
– Psychotechenische Untersuchung über das Maschinenschreiben, Industrial
Psychologie, 1925, t. II, n° 5, pp. 142-155.
– (avec D. Weinberg) : La courbe de fréquence des temps de réactions dans les
cas de troubles neuro-psychiatriques et chez les normaux. Congrès des médecins
34 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française. XXIXe session,


Paris, 28 mai-11 juin 1925. Compte rendu publiés par le Dr J.-M. Dupain, Paris :
Masson et Cie, pp. 209-213.
– La méthode de l’orientation professionnelle. Congrès des médecins aliénistes
et neurologistes de France et des pays de langue française. XXIXe session, Paris,
28 mai-11 juin 1925. Compte rendu publiés par le Dr J.-M. Dupain, Paris : Masson
et Cie, pp. 301-304.
– (avec G. Heuyer) : Quelques résultats de l’orientation professionnelle dans une
école publique de la ville de Paris. Congrès des médecins aliénistes et neurologistes
de France et des pays de langue française. XXIXe session, Paris, 28 mai-11 juin 1925.
Compte rendu publiés par le Dr J.-M. Dupain, Paris : Masson et Cie, pp. 305-309.
– Les profils psychologiques dans la sélection et l’orientation professionnelle.
La prophylaxie mentale, 1926, 2e année, n° 5 et 6 (1er et 2nd trimestre), pp. 178-181.
– Le laboratoire de psychologie expérimentale et la clinique psychiatrique.
L’encéphale, 1926, t. XXI, n° 6 (juin), pp. 417-424.
– French psychologists improve typewriting. Industrial psychology, 1926, t. I,
n° 5, pp. 333-337.
– (avec D. Weinberg) : La courbe de fréquence des temps de réaction dans des
cas de trouble neuropsychiatrique et chez les normaux. La prophylaxie mentale, 1926,
n° 7-8, (3e et 4e trimestre), pp. 207-215.
– (avec G. Heuyer) : Quelques résultats de l’orientation professionnelle dans
une école publique de la ville de Paris. Communication faite au congrès des alié-
nistes et neurologistes de mai-juin 1925. La prophylaxie mentale, 1927, n° 1 (1er trimestre),
pp. 267-271.
– La recherche d’une méthode pour déterminer le rapport entre deux valeurs
relatives à des fonctions différentes, fournies par un même test. L’encéphale, 1927,
t. XXII, n° 3 (mars), pp. 210-214.
– Méthode de mise au point et d’étalonnage d’un test d’aptitude professionnelle.
Le test du tourneur. Journal de psychologie normale et pathologique, 1927, t. XXIV, n° 4
(15 avril), pp. 356-369.
– Le facteur psychologique dans la construction des machines à écrire. L’année
psychologique, 1927, 28e année, pp. 245-247.
– Un test d’intelligence logique. Comptes rendus de la IVe conférence internationale
de psychotechnique, Paris 10-14 octobre 1927 ; Paris ; Alcan : 1929, pp. 188-192.
– Du clan primitif au couple moderne. Histoire de la famille à travers les âges. Paris :
éd. Radot ; 1927.
– La sélection psychophysiologique des travailleurs, conducteurs de tramways et d’autobus.
Paris : Dunod ; 1927.
– La psychotechnique, science du travail humain, et son rôle dans l’individu.
L’action industrielle et commerciale, 1928, supplément au n° du 31 mai.
– La sélection psychotechnique des conducteurs de tramways et d’autobus.
Bulletin de l’Institut général psychologique, 1928, 28e année, n° 4-8, pp. 101-113.
– The measurement of two variables. Journal of the national institute of industrial
psychology, 1928, t. IV, n° 8, pp. 35-38.
Présentation 35

– Le facteur humain dans les accidents du travail. Comptes rendus de la Ve confé-


rence internationale de psychotechnique, Utrecht, 10-14 septembre 1928, Utrecht-Nimègue,
V. Dekher, V. D. Vegt et J.W. Van Leeuwen, 1929, p. 46-62.
– L’apprenti. Psychologie professionnelle et sélection. Revue de la science du tra-
vail, 1929, t. I, n° 1, pp.13-25.
– Les profils psychologiques dans la sélection et l’orientation professionnelle.
Revue de la science du travail, 1929, t. I, n° 1, pp. 81-84.
– Le facteur « volonté » dans les accidents du travail. Revue de la science du
travail, 1929, t. I, n° 1, n° 3, pp. 354-361.
– VIe congrès international de psychotechnique. L’année psychologique, 1929,
t. XXX, pp. 196-207.
– Notation automatique des résultats de quelques tests psychomoteurs. Descrip-
tion des appareils et barème des résultats. Revue de la science du travail, 1930, t. II,
n° 1, pp. 1-17.
– (avec J.H. Estoup) : Étude graphique de la frappe du dactylographe. La psycho-
logie dactylographique et la construction rationnelle des machines à écrire. Revue
de la science du travail, 1930, t. II, n° 2, pp. 171-185.
– La valeur professionnelle des travailleurs appréciée à l’aide des méthodes psycho-
technique. Revue de la science du travail, 1930, t. II, n° 3 et 4, pp. 400-410.
– Mesure de la suggestibilité motrice. L’année psychologique, 1930, t. XXXI,
pp. 242-245.
– La sélection des machinistes de tramways et d’autobus. Congrès de médecine
industrielle. Liège, 1930.
– La méthode à suivre pour la sélection des travailleurs  : les dactylographes.
Anals de l’institut d’orientacio profesional, 1930, n° 3, p. 65-78.
– (avec D. Weinberg)  : Étalonnage et contrôle de la cohérence de trois tests
psychomoteurs. VIe conférence internationale de psychotechnique. Barcelona, 1930,
26-30 avril.
– Sélection des radiotélégraphistes. Comptes rendus de la VIe conférence internatio-
nale de psychotechnique, Barcelona, avril 1930. Anals de l’institut d’orientacio profesional,
1930, n° 4, pp. 231-235.
– La sélection dans les transports. Amélioration de l’apprentissage. Diminution
des accidents. Comptes rendus de la VIe conférence internationale de psychotechnique,
Barcelona, avril 1930. Anals de l’institut d’orientacio profesional, 1930, n° 4, pp. 235-242.
– (avec D. Weinberg)  : Variation inter- et intra-individuelles dans le test du
dynamographe. Comptes rendus de la VIe conférence internationale de psychotechnique,
Barcelona, avril 1930. Anals de l’institut d’orientacio profesional, 1930, n° 4, pp. 242-247.
– Notation automatique de quelques tests psychomoteurs. Description des
appareils et barème des résultats. Comptes rendus de la VIe conférence internationale de
psychotechnique, Barcelona, avril 1930. Anals de l’institut d’orientacio profesional, 1930,
n° 4, pp. 248-257.
– Épreuves collectives de temps de réaction. Comptes rendus de la VIe conférence
internationale de psychotechnique, Barcelona, avril 1930. Anals de l’institut d’orientacio
profesional, 1930, n° 4, pp. 258-261.
36 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

– (avec D. Weinberg) : Contributions expérimentales à la question du minimum


de mesures pour l’étalonnage d’un test. Étalonnage d’un test d’intelligence logique.
Comptes rendus de la VIe conférence internationale de psychotechnique, Barcelona, avril
1930. Anals de l’institut d’orientacio profesional, 1930, n° 4, pp. 262-270.
– Les psychotechniciens à Barcelone (congrès international 1930). Bulletin de
l’Institut national d’orientation professionnelle, 1931, 3e année, n° 4 (avril), pp. 96-98.
– Étalonnage du test d’habilité mécanique de Stenquist. Bulletin de l’Institut
national d’orientation professionnelle, 1931, 3e année, n° 5 (mai), pp. 121-134.
– Psychotechnique. Conférences prononcées à l’école d’application du centre de
préparation aux affaires de la chambre de commerce de Paris. Circa 1930.
– L’intelligence et les classes sociales. Conférence faite à l’Institut de psychiatrie
et de prophylaxie mentale, le 8 mai 1931.
– (avec G. Heuyer) : Dépistage des psychopathies chez les écoliers par les
méthodes psychologiques et l’examen clinique. L’Hygiène mentale, 1931, t. XXVI, n° 8
(septembre- octobre), pp. 197-203.
– (avec A. Courtois) : L’examen préventif des enfants psychopathes. La prophy-
laxie mentale, 1931, 6e année, n° 32 (novembre- décembre), pp. 434-441.
– (avec S. Korngold) : Sélection des opératrices comptables. L’année psychologique,
1931, t. XXXII, pp. 131-149.
– Influence de la sélection sur l’amélioration de l’apprentissage et la diminution
des accidents dans les transports urbains. Comptes rendus du congrès de la British Asso-
ciation for the Advancement of Science, Londres, 1931.
– Sélection des opératrices de machines à calculer Elliot Fischer. Compte rendu du
XVIIe congrès international de psychotechnique, Moscou, 8-13 septembre 1931 ; Moscou ;
édition d’État de la littérature économique sociale.
– La sélection du personnel par la psychotechnique et en particulier la sélection
des opératrices de machines comptables, Banque, 1932, pp. 798-806.
– Les bases scientifiques de la psychotechnique. Psychoteknika i psychophysiologia
truda, 1932, t. IV, n° 4-6, pp. 300-320 (en russe).
– Les fondements scientifiques de la psychotechnique. L’Hygiène mentale, 1932,
t. XXVIII, n° 10, pp. 273-302.
– La prophylaxie mentale et la psychotechnique en U.R.S.S. Conférence faite à
l’institut de psychiatrie et de prophylaxie mentale, le 24 avril 1932.
– Sur la validité des tests exprimés en « pour cent » d’échecs. Le Travail humain,
1933, t. 1, n° 1, pp. 24-31.
– Un test d’intelligence logique. Le Travail humain, 1933, t. 1, n° 2, pp. 129-151.
– Docteur Paul Sollier. Le Travail humain, 1933, t. 1, pp. 219-220.
– Un test d’attention à réactions manuelles Le Travail humain, 1933, t. 1, n° 3,
pp. 304-308.
– Le premier laboratoire psychotechnique ferroviaire français aux Chemins de
fer du Nord, Le Travail humain, 1933, t. 1, n° 4, pp. 409-431.
– Méthode de la sélection psychotechnique appliquée aux conducteurs d’auto-
mobiles. Congrès pour la sécurité de la route, 5, 6, 7 et 8 octobre 1933.
– La psychotechnique et la psychiatrie. La prophylaxie mentale, 1934, 9e année,
n° 38 (janvier- juin), pp. 87-102.
Présentation 37

– La sélection professionnelle des aiguilleurs. Le Travail humain, 1934, t. II, n° 1,


pp. 15-38.
– Otto Lippman. Ibid., pp. 105-106.
– Rôle de la psychotechnique dans le système des sciences et de la production.
Compte rendu de la VIIIe conférence internationale de psychotechnique, Prague, 11-15 sep-
tembre 1934, pp. 41-46. Prague : Orbis, 1935.
– (avec S. Korngold) : Sélection professionnelle des aiguilleurs. Compte rendu
de la VIIIe conférence internationale de psychotechnique, Prague, 11-15 septembre 1934,
pp. 245-265. Prague : Orbis, 1935.
– Sur l’emploi des appareils de mesure des temps de réaction en psychotech-
nique. Un appareil nouveau : le chronographe imprimeur. Le Travail humain, 1935,
t. III, n° 1, pp. 82-87.
– L’intelligence et les classes sociales. Essai d’une définition objective de l’intel­­
ligence. Journal de psychologie normale et pathologique, 1935, t. XXXII, n° 7-8 (15 juillet-
15 octobre), pp. 543- 601.
– (avec S. Korngold) : Recherches expérimentales sur les causes psychologiques des
accidents du travail, Paris : Cnam ; 1936.
– (avec S. Korngold) : Recherches expérimentales sur les causes psychologiques
des accidents du travail. Le Travail humain, 1936, t. IV, n° 1, pp. 1-64.
– (avec S. Korngold)  : La fatigabilité est-elle cause des accidents  ? Le Travail
humain, 1936, t. IV, n° 2, pp. 153-162.
– (avec S. Korngold) : Sélection des opératrices des machines à perforer « Samas »
et « Hollerith ». Le Travail humain, 1936, t. IV, n° 3, pp. 280-290.
– Jean Wojciechowski. Le Travail humain, 1936, t. IV, n° 5, pp. 468-469.
– Un service de psychotechnique scolaire et sociale avec dispensaire psycho­­
pédagogique dans une commune rurale. Le Travail humain, 1937, n° 2, pp. 150-181.
– Une table spéciale pour application de tests psychomoteurs. Le Travail humain,
n° 3, pp. 317-318.
– (avec S. Korngold) : Recherches expérimentales sur la psychologie des sujets
qui se blessent fréquemment au travail. Journal de psychologie normale et pathologique,
1937, t. XXXIV, n° 3/4 (15 mars-15 avril), pp. 291-294.
– (avec S. Korngold) : Stimulation à cadence rapide et motricité chez les sujets
fréquemment blessés. L’année psychologique, 1937, t. XXXVIII, pp. 86-139.
– L’hygiène mentale dans l’orientation professionnelle. IIe congrès international
d’hygiène mentale, Paris 19-23 juillet 1937. Comptes rendus publiés par le Dr René
Charpentier, t. I, 1938, Cahors ; imprimerie A. Coueslan, pp. 287-302.
– Préface à Raoul Husson : Principes de méthodologie psychologique. Paris : Hermann ;
1937.
– (avec S. Korngold) : Nouvelles recherches sur la motricité des sujets fréquem-
ment blessés au travail. Onzième congrès international de psychologie, Paris, 25-31 juillet
1937. Rapports et comptes rendus. Paris : librairie Félix Alcan ; 1938 : pp. 394-395.
– Un test d’attention diffusée avec présentation mécanique de l’apprentissage
et mesure de la durée des temps de réaction. Le Travail humain, 1938, t. VI, n° 2,
pp. 129-171.
38 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

– Contribution à la méthodologie psychotechnique. Le coefficient d’apprentis-


sage. Le Travail humain, 1938, t. VI, n° 4, pp. 407-431.
– William Stern et la psychotechnique. Le Travail humain, 1938, t. VI, n°  4,
pp. 465-467.
– Un « dispatching » pour le contrôle permanent du fonctionnement des labo­­
ratoires de psychotechnique. Le Travail humain, 1939, n° 2, pp. 147- 152.
– Tests de vision pour conducteurs d’automobiles : vision nocturne, éblouisse-
ment et champ du regard pratique. Le Travail humain, n° 4, pp. 353-400.
– La méthode psychologique dans l’œuvre de Th. Ribot. Centenaire de Th. Ribot.
Agen : imprimerie moderne ; 1939, pp. 131-136.
– Préface à Roger Piret : Étude sur les tests collectifs d’intelligence. Paris : Masson,
1944.
– (avec S. Pacaud) : Analyse psychologique du travail des mécaniciens et des chauffeurs
de locomotives. Paris : Presses Universitaires de France ; 1948.
La sélection des machinistes de tramways et d’autobus et l’examen de leur
valeur professionnelle. L’hygiène du travail (en russe).

* *
*

Film : Le tourneur-outilleur, mars 1922, présenté au IIIe Congrès international


de psychotechnique appliquée à l’orientation professionnelle, Milan, 1922.
Les archives de Jean-Maurice Lahy
et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées
par les nazis et restituées par la Russie

Sophie Cœuré

Voici plus de vingt ans que sont rentrées de Russie les archives spoliées pen-
dant la Seconde Guerre mondiale par les nazis, puis saisies par l’Armée rouge et
conservées au secret en Union soviétique pendant plus de cinquante années.
Le  temps est venu de la valorisation de ces fonds restitués, dont l’histoire établie
dans les années 2000 connaît toujours de nouveaux rebondissements1.

Les archives butin de guerre


Un « crime mineur »
Il s’agit tout d’abord de revenir aux années sombres de la Seconde Guerre mon-
diale, du nazisme et de l’Occupation et de replacer une histoire et un drame person-
nel – la perte en 1941 des archives et de la bibliothèque de Jean-Maurice dit « J.-M. »
Lahy (1872-1943) et de Marie Lahy-Hollebecque (1881-1957) – dans l’histoire géné-
rale des spoliations nazies du patrimoine culturel. La spoliation du patrimoine docu-
mentaire, des livres2 et des archives est moins connu que celles des œuvres d’art,
qui connaît une actualité juridique, marchande, médiatique importante, de l’affaire
Gurlitt à des films mobilisant un tableau de Klimt ou la figure des Monument Men.
Elle n’en n’a pas moins été importante tant quantitativement que pour ses consé-
quences durables. C’est un « crime mineur », selon l’expression d’un petit ouvrage
du Centre de documentation juive contemporaine consacré en 1947 à ce pillage du
patrimoine culturel sous la direction de Jean Cassou3, un crime qui accompagne, et
redouble par ses conséquences durables des crimes de guerres autrement sanglants
et la politique génocidaire des nazis.
Comment expliquer ce «  crime mineur  »  ? Les destructions et le déplacement
forcés du patrimoine culturel, dont les archives font partie, s’inscrivent dans la
longue durée des guerres civiles et internationales. Les pratiques de confiscation

1. Je me permets de renvoyer à mes propres travaux, et pour l’ensemble de ce chapitre à S. Cœuré


(2013 [2007]) ainsi qu’à B. Fonck, H. Servant et S. Cœuré (2019) pour une réflexion sur les retours et
la valorisation.
2. L’ouvrage de référence est M. Poulain (2013 [2008]). Sur les œuvres d’art, cf. les ouvrages pionniers
de L.H. Nicholas (1995) et H. Feliciano (2008).
3. Le pillage par les Allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France
(1947) recueil de documents sous la dir. de Jean Cassou, précédé d’une introduction sur la doctrine
esthétique du national-socialisme et l’organisation des beaux-arts sous le IIIe Reich par Jacques Sabile.
40 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

des documents courants des administrations de pays occupés étaient anciennes et


discutées. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la base juridique était la convention
« concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre » signée à La Haye en 1907
à la suite de la seconde conférence internationale de la Paix. Elle protégeait, pour
la première fois, les « établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruc-
tion, aux arts et aux sciences », interdisait toute « saisie, destruction ou dégradation
intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres
d’art et de science », et ne tolérait les saisies de documents que s’ils pouvaient être
directement utiles à la «  conduite de la guerre  ». Ce terme fit évidemment débat,
mais quelle que soit son interprétation, il ne pouvait en aucun cas concerner des
documents privés. Dans le cas des époux Lahy, il s’agissait donc d’une spoliation,
illégale au regard du droit international.
Pour la comprendre, il faut aussi se tourner vers l’histoire plus récente des
régimes que l’on peut qualifier de totalitaires. Quelles que soient l’opposition radi-
cale de leurs idéologies et les profondes différences de leurs pratiques politiques,
économiques et sociales, les régimes soviétique et nazi partageaient la volonté d’uni-
fier les sociétés, de briser les corps intermédiaires préexistants (familles, Églises,
partis politiques, syndicats, etc.), d’exclure ou d’éliminer les ennemis intérieurs,
d’intervenir au plus profond des consciences individuelles. Dès lors, l’écriture de
l’histoire, l’usage des archives pour identifier les ennemis du régime, la destruc-
tion ou la protection des patrimoines culturels devenaient dans les années 1930 des
enjeux profondément politiques.
La combinaison de ces objectifs stratégique et idéologiques explique l’engage-
ment, qui peut sembler étonnant en pleine guerre totale, d’équipes d’hommes et de
femmes qualifiés et assez nombreux, chargés de spoliations méthodiquement prépa-
rées, pour la plupart illégales au regard du droit international, organisées et menées
à bien par les nazis dans toute l’Europe occupée. En effet, dès le mois de mai 1940
et jusqu’en 1944, Paris vaincu fut ainsi parcouru par des équipes allemandes parfois
rivales, qui collectaient des archives et des livres pour les envoyer à Berlin, après
parfois un premier tri sur place. Nous laisserons de côté le « commando Künsberg »
dépendant directement du ministère des Affaires étrangères von Ribbentrop et qui
s’empara de l’original du traité de Versailles, « les commissions d’archives » diplo-
matiques, militaires liées à différents ministères allemands, le Bibliotheksschutz et
l’Archivschutz de l’administration d’occupation, car elles s’intéressaient uniquement
aux documents publics. Plusieurs organismes nazis revendiquaient les investiga-
tions dans les archives et bibliothèques privées, appartenant à des personnalités,
cultes, partis, syndicats ou associations considérés comme « ennemis » du Troisième
Reich et du peuple allemand. Les deux principaux étaient le RSHA (Reichssicherheit-
shauptamt), Office central de sécurité du Reich créé en 1939 par la fusion de divers
services dont la Gestapo, le Service de sécurité du Reich (SD) et la Police de sûreté.
Le RSHA était un service d’élite destiné aux tâches de renseignement, dont fai-
saient partie les « recherches et l’évaluation idéologique », la documentation et des
études. Il s’intéressa tant aux documents publics comme ceux de la Sûreté nationale
française qu’aux associations et syndicats (la Ligue des droits de l’homme, la CGT)
aux personnalités antinazies, et comprenait également une «  section antijuive  ».
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 41

En parallèle, ses hommes menaient des tâches plus « opérationnelles » de surveil-


lance, d’arrestations, etc., et participèrent activement à l’extermination des popula-
tions juives d’Europe.

Le rôle de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg


Mais c’est l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg ou ERR qui nous intéresse surtout
dans la spoliation des archives des Lahy (Grimsted, 2016a). Proche d’Hitler, le baron
balte Alfred Rosenberg, profondément antisémite et anticommuniste, avait été char-
gé de l’idéologie et de « la formation et l’éducation intellectuelles et morales » au
sein du parti nazi. Il obtint un « droit de perquisition dans les bibliothèques, loges
et autres institutions scientifiques et culturelles ». Son objectif était de créer à terme
une Haute École (Hohe Shule) formant les futures élites nazies, et les alimentant en
documents sur le judaïsme, la maçonnerie mais aussi sur l’émigration russe et tous
les « ennemis du régime », avec une bibliothèque centrale à Berlin et un institut de
recherche à Francfort. Il organisa à l’échelle européenne une action large qui visa
également les œuvres d’art, les instruments de musique, le matériel archéologique.
Ces spoliations étaient conduites en parallèle de la répression politique et de la
politique génocidaire que Rosenberg dirigea ensuite directement dans les territoires
occupés d’Union soviétique.
Dès l’entrée des troupes allemandes dans Paris le 14 juin 1940, les grandes
organisations du judaïsme français comme l’Alliance israélite universelle, la Franc-
maçonnerie (le Grand Orient, la Grande Loge de France), les institutions liées aux
Églises catholique et protestante, d’innombrables logements de personnalités fran-
çaises, allemandes ou russes, désignées comme juives et/ou connues pour leur
engagement antinazi furent ainsi perquisitionnés et vidés de leur contenu, prin-
cipalement en 1940-1941. À ces recherches ciblées s’ajouta en 1942 la Möbelaktion
«  l’Action meuble  », opération de pillage parallèle à l’extermination planifiée des
Juifs. Il s’agissait de récupérer les biens des Juifs pour les redistribuer à des Alle-
mands ruinés par les bombardements alliés. En France, en Belgique et aux Pays-Bas,
des dizaines de milliers d’appartements furent entièrement vidés de leur contenu :
vêtements, meubles, ustensiles de ménage, vaisselle, linge de maison, mais aussi
photos, papiers personnels (certificats, polices d’assurance, correspondances, etc.),
montrant que toute trace culturelle et mémorielle de l’existence de ces famille était
destinée à être éradiquée (Wieviorka, 2004).
os, papiers
personnels (certificats, polices d’assurance, correspondances, etc.), montrant que toute trace
culturelle et mémorielle de l’existence de ces famille était destinée à être éradiquée
(Wieviorka, 2004).
42 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 1 – Yad Vashem (Photo Archives)


L’État-major d’intervention du Reichsleiter Rosenberg dans les territoires occupés
(sans date)
Fig. 1 – Yad Vashem (Photo Archives)
jorLes hommes de Rosenberg, qui étaient souvent dans le civil en Allemagne des
L’État-mahistoriens
d’interven tion du Reichsleit
et des bibliothécaires, er Rosenberg
étaient secondés dans les
par des gendarmes territoires
et des démé- occupés
nageurs français, dans le cadre de la (sans date)
politique de collaboration. Ils entraient parfois
en concurrence non seulement avec le RSHA, mais aussi avec la politique répressive
et spoliatrice menée par le gouvernement de Vichy, qui perquisitionna et saisit les
Les hommes organisations
de Rosenberg communistes et les loges
, qui étaient franc-maçonnes,
souvent sous l’égide
dans le civil du directeur de
en Allemagne des historiens
et
la Bibliothèque nationale Bernard Faÿ et du « service des Sociétés secrètes ».
des bibliothécaires, étaient secondés par des gendarmes et des déménageurs français, dans le
cadre de la politique de Collaborat
La spoliation des archivesion. deIls Jean-Maurice
entraient parfois Lahy enetconcurrenc
Marie Lahy- e non seulement
avec le RSHA, mais aussi
Hollebecque, de avec
Malakoff la politique répressive
et Paris à Berlin et spoliatrice menée par le
et Ratibor
gouvernement de Vichy, qui perquisitionna et saisit les organisations communistes et les loges
Que sait-on sur cette spoliation particulière ? Tout d’abord, même si on a encore
ranc-maçonnes, sous l’égidesurdula directeur
peu d’informations préparation de la Bibliothèq
en amont ue nationale
de ces actions, Bernard Faÿ et du
on peut facilement
« service des Sociétés secrètes
deviner qu’un homme».de gauche, antifasciste, proche du Parti communiste français,
franc-maçon, ayant voyagé en URSS4, ait attiré l’attention du renseignement nazi.
J.-M. Lahy était d’ailleurs surveillé par le Deuxième bureau, service de renseignement

4. Cf. les articles du présent ouvrage et J. Girault et M. Trebitsch (2010). 39


Que sait-on sur cette spoliation particulière ? Tout d’abord, même si on a encore peu
d’informations sur la préparation en amont de ces actions, on peut facilement deviner qu’un
homme de gauche, antifasciste, proche du Parti communiste français, franc-maçon, ayant
voyagé en URSS66, ait attiré l’attention du renseignement nazi. J.-M. Lahy était43d’ailleurs
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées…
surveillé par le Deuxième bureau, service de renseignement de l’Armée française, et par le
ministère de l’Intérieur dont dépendait la Sûreté nationale. En témoigne une fiche nominative
de l’Armée française, et par le ministère de l’Intérieur dont dépendait la Sûreté
qui a faitnationale.
elle aussi le voyage aller-et-retour vers Moscou parmi les archives spoliées du
En témoigne une fiche nominative qui a fait elle aussi le voyage aller-et-
ministèreretour
de l’Intérieur, et que
vers Moscou je les
parmi remercie
archivesÉmilie
spoliéesCharrier des Archives
du ministère nationales
de l’Intérieur, et que de
je m’avoir
transmise. Cette fiche
remercie Émiliequi le signale
Charrier comme nationales
des Archives « militant de ardent dans
m’avoir les milieux
transmise. Cetteextrémistes
fiche du
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nesignale
correspond à aucun dossier
comme « militant ardent: soit
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milieuxde novembredu1939
extrémistes n’a pas entraîné
Lavandou »
ne d’un
la création correspond à aucun
dossier dossier :
dans les soit le fichage
conditions de novembre
de la guerre, soit, ce1939
quin’an’est
pas entraîné la
pas complétement
création d’un dossier dans les conditions
impossible, le dossier se trouverait toujours à Moscou.de la guerre, soit, ce qui n’est pas complé-
tement impossible, le dossier se trouverait toujours à Moscou.

Fig. Fig.
2 – 2Archives
– Archivesnationales (Pierrefitte)
nationales (Pierrefitte)
Fichier Fichier central de la direction de la Sûreté.
central de la direction de la Sûreté. Fonds de Fonds de Moscou
Moscou (cote(cote
19940508/1404)
19940508/1404)
Quant à Marie Lahy-Hollebecque, normalienne, agrégée des lettres, journaliste,
Quant à écrivaine,
Marie Lahy-Hollebecque, normalienne,
c’était une femme engagée agrégée desantifascistes
dans les mouvements lettres, journaliste,
et féministesécrivaine,
c’était une femme engagée dans les mouvements antifascistes et féministes etconnue
et de défense des enfants, proche elle aussi du Parti communiste, mais moins de défense des
et moinselle
enfants, proche visible quedu
aussi sonParti
époux, cas de figuremais
communiste, classique
moinsdans les couples
connue intellectuels
et moins visible que son
de l’entre-deux-guerres (Dreyfus, 2012). Son nom ne figure pas sur les listes de
époux, cas de figure classique dans les couples intellectuels de l’entre-deux-guerres (Dreyfus,
l’ERR : elle n’était donc pas visée directement, mais ses livres et ses papiers furent
2012). Son nom neavec
emportés figure
ceuxpas
de sur
son les listes
mari. deLahy
J.-M. l’ERR : elle n’était
se trouvait donc pas
en mission visée directement,
au laboratoire
mais ses psychotechnique
livres et ses papiers
de lafurent
Marineemportés
nationale avec ceuxaudemoment
à Toulon son mari.
de laJ.-M. Lahy
défaite se trouvait en
française

66
Cf. les articles du présent ouvrage et J. Girault et M. Trebitsch (2010).

40
44 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de 1940 (Turbiaux, 2007). Il décida alors de ne pas rentrer dans son appartement
parisien du 22 avenue de l’Observatoire dans le XIVe arrondissement, et de demeurer
dans sa propriété de Saint-Clair, au Lavandou. Marie Lahy-Hollebecque quant à elle
dut faire face aux visiteurs allemands, à Paris et à Malakoff en banlieue parisienne,
de la
au momentDjo-Bourgeois
dans la villa que le couple venait que de la deMarfaire nationale à Tou
ine construire parlon l’architecte
mission au laboratoire psychotechni de ne pas rentr er dans son
rue de Finlande (rue Hoche x,actuelle). 2007). Il décida alors
défaite française de 1940 (Turbiau servatoir e dans le XIV e arrondissement, et de

appartemPersuadés
ent parisiend’accumuler
du 22 avenuede de lal’Ob
documentation non seulement pour la t àguerre,
elle mais
t-Cla ir, au«Lava ndou. Marie Lahy-Hollebecque quan
aussi
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dans sa les
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Sain d’un Reich de mille ans », Rosenberg et
ienne, dans ses lahommes
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allemavec à Paris et à Malakoff en banlieue paris
dutorganisaient
faire face aux leurs saisies impressionnante
l’arc hitec te Djo-minutie
Bou rgeo bureaucratique.
is rue de Finlande Les tra-
le coup le venait deetfaire construire par
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que de l’historienne archiviste américaine Patricia Kennedy Grimsted ont permis
(ruedes he actuelle)
Hocprogrès . mais auss i pour les
spectaculaires pour tatioreconstituer
n non seulemele nt puzzle desre,
pour la guer archives encore existantes
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de l’ERR, dispersées dans une dizaine
ans », Rose de
nber gpays.
et ses Grâce
hom à ses recherches, à la Commis-
futures élites d’un « Reich de mille trava ux deJean-Claude archiviste
l’historienne etKuperminc,
sion française
avec une impressionnante minudes archives tie juives
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perm is des progrès spectaculaires pour reconstituer
qu’à la Conference
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Fran ce. Un table
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lectures surveillées, les bibliothèques
tutio nsfrançaises
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com (Poulain, 2013 [2008]) 6
.
synthétique des personnes et insti rès son ouvrage Livres pillés,68lectures
Parmi ces listes
Martine Poulain et le Mém de l’ERR,orialtrois
de mentionnent
la Shoa h d’ap J.-M. Lahy.
l’Oc cupation (Poulain, 2013 [2008]) . Parmi
surveilléLaes,première,
les bibliothè « ques
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complète des bibliothèques préalablement emballées par
ent»J.-M . Lahy.
leliste
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« Liste com plète des bibli othè ques préalablement emballées par
LaArchives
première, nationales de Washington (NARA). Elle mentionne
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il demanuscrits 23 mars 1941 et se trouve actuellem nt la« Léo »
ernadit
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livre s et Jean-Maurice
de manuscrits conc Lahy
Was hington (NARA). Elle le, fran c-ma çon haut
« Né en 1872 à La Réole, franc-maçon dit « Léo » « haut Né en placé
1872 à La ainsiRéoque professeur, émigré
psychologie chez Jean-Maurice Lahy men tion, ains i que l’éto nnan t
connu ». Cette dernière
placé ainsi que professeur, émigré
mention, conn uainsi
». que
Cett e l’étonnant
dern ière surnom de « Léo », laissent
ine confusio n dansdes l’identification des cibles de
deviner
surn om de une « Léocertaine
», laissentconfusion
deviner unedans certal’identifi cation cibles de la spoliation.
la spoliation.

Reichsleiter Rose
l’Einsatzstabfrançaises nberg
Fig. 3 – Les listes
othède saisies
ques dess par
française bibliothèques
Fig. 3 – Les listes de saisies des bibli
par l’Einsatzstab Reichsleiter
en Fran ce. Rosenberg en France.
ublicat/listes_ERR_Fr
/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/p
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://www.cfaj.fr/publicat/
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listes_ERR_France.html
vom ArbeitsgebietParis verpackt en Büchereien
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Gesamtaufstellung der bisher vom ArbeitsgebietParis
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le
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lablemen t emb allée s par
Liste complète
Liste complètedes bibliothèques préa
des bibliothèques préalablement emballées par le groupe de travail de Paris
23 mars 1941 - ERR
23 mars 1941 - ERR
ième liste, bilan de
mbre 1940, est confirmée par la deux
La date de la saisie, 20 et 21 nove se trou ve aux Arch ives d’État d’Ukraine à
5.l’act
Lesion desde
listes « unité s opér
saisies des bibliothèques Paris, quipar
ationnelles » àfrançaises l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg en France.
http://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/livres-et-archives-pilles-en-france-par-l-einsatzstab-reichsleiter-
rosenberg-err_67074 et P.K. Grimsted (2016b). r Rosenberg en France.
françaises par l’Einsatzstab Reichsleite
Les listes de saisies des bibliothèques stab-reichsleiter-rosenberg-
6.67http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/bibliotheques_spoliees/document/personnes.php
/livres-et-archives-pilles-en-france-par-l-einsatz
http://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser
err_67074
et P.K. Grimsted (2016b). s/document/personnes.php
load/minisites/bibliotheques_spoliee
68
http://www.memorialdelashoah.org/up
41
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 45

La date de la saisie, 20 et 21 novembre 1940, est confirmée par la deuxième liste,


bilan de l’action des « unités opérationnelles » à Paris, qui se trouve aux Archives
d’État d’Ukraine à Kiev, et date au plus tard d’avril 1942. Elle mentionne également
43 caissesKiev,
et l’adresse
et date au plusde
tardl’appartement de Jean-Maurice
d’avril 1942. Elle mentionne Lahy
également 43 caisses au 22 de
et l’adresse avenue de
Kiev, et date au
de plus tard d’avril 1942. Elle mentionne également 43 caisses et l’adresse de
l’Observatoire.
l’appartement Jean-Maurice Lahy au 22 avenue de l’Observatoire.
l’appartement de Jean-Maurice Lahy au 22 avenue de l’Observatoire.

Fig.listes
Fig. 4 – Les 4 – Les listes de saisies
desdes bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter
Fig. 4 – Lesde saisies
listes de saisies bibliothèques
des bibliothèques françaises
Rosenberg enfrançaises
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France par l’Einsatzstab Reichsleiter
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Rosenberg en France http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://
Rosenberg en France
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www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html
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- Positive
- PositiveEinsatzstellen Paris
Einsatzstellen Paris
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Unités - Positive Einsatzstellen
opérationnelles positives Paris
de Paris
Unités opérationnelles
Unités opérationnelles positives
positives de de Paris
Paris
Avant le 21 janvier 1942
Avant
Avantlele 21 janvier
21 janvier 1942
1942

EnfinEnfin
Enfin
la troisième liste, qui se trouve elle aussi à Kiev et date de 1944, est une longue liste de
la troisième liste,
la troisième liste,
noms propres. quiqui se trouve
se trouve elle aussi àelle
Kievaussi à Kiev
et date de etune
1944, est date deliste
longue 1944,
de est une
longue liste de noms propres.
noms propres.

Fig. 5 – Les listes de saisies des bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter
42
42
Rosenberg en France. http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:http://
www.cfaj.fr/publicat/listes_ERR_France.html
Aufstellung der Namen der Pariser Akten
Liste des noms des actions parisiennes
3 avril 1944
46 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Il est certain que cette spoliation systématique de la documentation privée prit


par surprise les élites françaises visées. Malgré les liens de ces intellectuels avec
l’émigration antifasciste allemande qui pouvait témoigner des persécutions et des
autodafés, ce type de pratique restait impensé et aucune mesure de protection ne
fut prise (Cœuré, 2012). Au contraire, en 1938, le professeur Lahy avait cru mettre
à l’abri de la guerre annoncée une partie des archives du laboratoire de psychologie
appliquée de l’École pratique des hautes études, en les transportant à Malakoff.
Il ne semble pas que les Allemands aient perquisitionné le laboratoire lui-même, à
l’hôpital Sainte-Anne, ni d’ailleurs le laboratoire de psychologie de la Sorbonne, au
46, rue Saint-Jacques dont Henri Piéron était directeur. Ni les listes allemandes, ni
les sources françaises sur les spoliations, ni l’inventaire des archives de l’Institut de
psychologie, versé par le rectorat de Paris aux Archives nationales ne mentionnent
de visite dans ces institutions7. Dans une liste de « noms de personnes ayant par-
ticipé au vol  », établie à la Libération, Marie Lahy-Hollebecque mentionna deux
noms : celui du Dr. Johannes Meyer et celui du Dr. Sohr8. Ses archives personnelles
nous en diraient peut-être plus sur la tragique rencontre avec les envoyés de l’ERR
que fut cette visite domiciliaire de deux jours. Comme tant dans d’autres domiciles
visités, celui de Léon et Suzanne Blum, ou celui de Marc Bloch par exemple, tout fut
emporté, sans prendre le temps de trier : livres, papiers de travail, correspondances,
documents domestiques, papiers d’identité. Ce n’est que plus tard que J.-M. Lahy
menacé par la Gestapo dans le Var, puis dans la Creuse, brûla ou fit brûler un certain
nombre de papiers (Turbiaux, 2007), la destruction volontaire étant on le sait une
autre cause des pertes liées aux guerres.
Que devint ce butin de guerre ? Entassées dans divers dépôts parisiens, les cen-
taines de caisses d’archives, de documents et de livres spoliés furent rapidement
envoyées à Berlin pour la future bibliothèque de l’ERR, où très peu furent déballées
et exploitées, que ce soit pour la recherche, ou pour des expositions. Suite à l’inten-
sification des bombardements des Alliés sur Berlin et sa région, les principales
activités de recherche et de documentation de l’ERR, ainsi que les livres et archives
provenant de tous les pays d’Europe furent à partir de l’été 1943 déplacées vers l’Est
du Reich, de même qu’étaient évacuées et cachées les œuvres d’art volées par l’ERR,
ou les dignitaires nazis comme Goering.

Recherches et restitutions après 1945 : Paris, Moscou, Minsk


Les investigations des Alliés et les restitutions à la France et aux spoliés
À la Libération, l’avancée des armées alliées convergeant vers Berlin fut accom-
pagnée de trouvailles dans les couvents, les châteaux, les mines, où avaient été
dissimulés les biens culturels spoliés. D’abord fortuite, la collecte de biens culturels
spoliés fut très rapidement organisée, tant par les Monument Men américains que

7. Archives nationales 20010498/189-20010498/190 https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/


siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_023379 et L. Le Coz (2014).
8. Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), F 17 17977, Archives de la Commission de récupération
artistique, Sous-commission des livres.
organisée,Lestant par les
archives de Jean-Maurice
MonumentLahy américains
Menet de que par la spoliées…
Marie Lahy-Hollebecque 47
Commission de récupération
artistique française et par les « Brigades des trophées » soviétiques. En ce qui concerne les
livres et les
pararchives françaisdepris
la Commission par l’ERR,
récupération les principales
artistique française découvertes eurent lieu
et par les « Brigades des en Silésie
trophées » soviétiques. En ce qui concerne les livres et les archives français pris par
aux alentours de la petite ville de Ratibor (aujourd’hui Racibórz, en Pologne), à 70 km au sud-
l’ERR, les principales découvertes eurent lieu en Silésie aux alentours de la petite
ouest de Kattowitz (aujourd’hui
ville de Ratibor (aujourd’huiKatowice,
Racibórz, enen Pologne),
Pologne), à Mysłowice
à 70 km au sud-ouest et dans des châteaux
de Kattowitz
avoisinants (Grimsted,Katowice,
(aujourd’hui Hoogewoud & Ketelaar,
en Pologne), 2013 [2007]).
à Mysłowice et dans des châteaux avoisinants
(Grimsted, Hoogewoud & Ketelaar, 2013 [2007]).

Fig. Fig.
6 – 6Yad
– Yad Vashem (Photo Archives)
Vashem (Photo Archives)
Livres confisqués par l’ERR trouvés à Ratibor (sans date)
Livres confisqués par l’ERR trouvés à Ratibor (sans date)
Le cadre légal avait été établi par la déclaration interalliée du 5 mars 1943,
dénonçant les spoliations et les ventes sous contrainte. Mais la partie soviétique
Le cadre n’appliqua
légal avaitque ététrès
établi par la déclaration
partiellement interalliée
les principes du 5préférant
de restitution, mars 1943, dénonçant les
voir dans
spoliationslesetbiens
les retrouvés
ventes sous contrainte.
des «  trophées  Maiscompenser
» venant la partielessoviétique
souffrancesn’appliqua
du peuple que très
soviétique,
partiellement en s’appuyant
les principes de sur la notion depréférant
restitution, réparationvoir
mentionnée
dans pendant
les biensla confé-
retrouvés des
rence de Yalta, puis abandonnée par les États-Unis, la Grande-Bretagne
« trophées » venant compenser les souffrances du peuple soviétique, en s’appuyant sur la et la France.
notion deDès lors, dans l’Allemagne occupée et Berlin partagée en quatre puis en deux « sec-
réparation mentionnée pendant la conférence de Yalta, puis abandonnée par les
teurs », si des commissions interalliées dialoguaient, les politiques appliquées furent
États-Unis,
trèsladifférentes.
Grande-Bretagne et lapoints
Les collecting France. Dès lors,
anglo-saxons dans l’Allemagne
rassemblèrent les biens occupée
culturels et Berlin
partagée en quatre puis en deux « secteurs », si des commissions interalliées dialoguaient, les
politiques appliquées furent très différentes. Les collecting points anglo-saxons rassemblèrent
les biens culturels découverts dans de vastes dépôts, principalement celui de Tanzenberg,
ancien abri de l’ERR en zone britannique d’administration de l’Autriche et celui d’Offenbach,
dans les locaux de l’entreprise l’IG Farben à sept kilomètres de Francfort, qui centralisa tous
les livres, papiers et objets culturels de la zone américaine.
48 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

découverts dans de vastes dépôts, principalement celui de Tanzenberg, ancien abri


de l’ERR en zone britannique d’administration de l’Autriche et celui d’Offenbach,
dans les locaux de l’entreprise l’IG Farben à sept kilomètres de Francfort, qui centra-
lisa tous les livres, papiers et objets culturels de la zone américaine.
En France c’est l’Office des biens et intérêts privés (OBIP), créé en 1919 pour
l’exécution des clauses économiques du traité de Versailles relatives aux biens pri-
vés, qui fut chargé du recensement et de la restitution des biens spoliés. Une Com-
CRA dépendait
mission dedu récupération
ministère deartistique
l’Éducation
(CRA)nationale,
reçut quantquià en
elleconfia la direction
la responsabilité desà Albert
Henraux,investigations.
président du Créée
Conseilen supérieur
novembre des 1944,musées
la CRAetdépendait
l’installadu auministère
Jeu de Paume, exorcisant
de l’Édu-
cation nationale, qui en confia la direction à Albert Henraux,
ainsi le souvenir des tableaux accumulés dans ce musée par Rosenberg et Goering. En président du Conseil
Allemagne,supérieur des Musées
le Bureau centralet l’installa au Jeu de Paume,
des restitutions du Grandexorcisant
Berlinainsi le souvenir
centralisait des
l’information
tableaux accumulés dans ce musée par Rosenberg et Goering.
venant de France ou collectée sur place, et la communiquait à la Direction réparations- En Allemagne, le
Bureau central des restitutions du Grand Berlin centralisait l’information venant de
restitutions du Gouvernement militaire de la zone française d’occupation à Baden-Baden,
France ou collectée sur place, et la communiquait à la Direction réparations-restitu-
commandé par
tions dule général Koenig.
Gouvernement Desdemissions
militaire de recherche
la zone française et d’identifications
d’occupation à Baden-Baden, des biens
français commandé
furent envoyées par Paris
par le général et confiées
Koenig. à des conservateurs
Des missions de recherche etde musée, à des des
d’identifications archivistes,
à des bibliothécaires, à des
biens français furent rabbins.
envoyées parRose
Paris Valland,
et confiées connue pour son «deespionnage
à des conservateurs musée, à » des
services des archivistes, lorsqu’elle
de Rosenberg à des bibliothécaires, à des de
était attachée rabbins. Rose Valland,
conservation connue
au musée dupour sonPaume à
Jeu de
« espionnage » des services de Rosenberg lorsqu’elle était attachée
Paris, joua un rôle clé dans ces recherches, tant en France que dans le Reich vaincu et en de conservation
au musée du
ruines (Bouchoux, 2006Jeu; de Paume
Cœuré, à Paris, joua un rôle clé dans ces recherches, tant en
2017).
France que dans le Reich vaincu et en ruines (Bouchoux, 2006 ; Cœuré, 2017).

Fig. Fig.
7 – 7Yad
– YadVashem
Vashem (Photo Archives)
(Photo Archives)
Back to France. Retour de livres confisqués par l’ERR depuis le dépôt d’Offenbach, (sans date)
Back to France. Retour de livres confisqués par l’ERR depuis le dépôt d’Offenbach,
(sans date)

Parallèlement, les Britanniques et les Américains déclenchèrent des procédures de restitution


rapide. Plus d’un million d’ouvrages, manuscrits ou pièces d’archives furent ainsi traités à
Paris, au fur et à mesure qu’on les retrouvait dans les zones d’occupation anglo-saxonnes,
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 49

Parallèlement, les Britanniques et les Américains déclenchèrent des procédures


de restitution rapide. Plus d’un million d’ouvrages, manuscrits ou pièces d’archives
furent ainsi traités à Paris, au fur et à mesure qu’on les retrouvait dans les zones
d’occupation anglo-saxonnes, mais aussi dans des dépôts parisiens où des centaines
de livres étaient abandonnés, parfois de nouveau pillés et revendus aux libraires
d’occasion. La moitié environ fut retournée aux spoliés français, grâce à l’inlassable
travail de la bibliothécaire Jenny Delsaux9, responsable de la « sous-commission des
livres » de la CRA. Le travail d’identification – grâce aux ex-libris, aux listes et aux
photographies fournis par les spoliés – puis de restitution, s’acheva au début des
années 1950. Le monumental Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939-
1945 publié en 14 volumes entre 1947 et 1949 par le Bureau central des restitutions, et
qui inventoriait l’ensemble des biens réclamés, est désormais numérisé par le minis-
tère de la Culture10. On y retrouve les pertes déclarées par Marie Lahy-Hollebecque,
désormais veuve de Jean-Maurice Lahy qui était décédé d’une crise cardiaque dans
la Creuse en 1943. De Malakoff où elle s’engagea pour promouvoir une politique de
l’enfance dans la municipalité communiste11, elle réclamait une « Documentation
professionnelle » de psychologie, philosophie et sociologie, des « notes manuscrites,
œuvres personnelles » et enfin 16 000 ouvrages avec des « documents et manuscrits
personnels ».

9. J. Delsaux (1976). La sous-commission des livres à la récupération artistique (1944-1950). Paris, dact.
10. http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
11. « L’empreinte des élues », Malakoff infos, septembre 2007, p. 11 https://www.malakoff.fr/fileadmin/
user_upload/mediatheque/pdf/1_A_propos_pdf/Malakoff_infos/2007/MALAKOFF-INFOS-
212-SEPTEMBRE-2007.pdf
ministère de la Culture72. On y retrouve les pertes déclarées par Marie Lahy-Hollebecque,
désormais veuve de Jean-Maurice Lahy qui était décédé d’une crise cardiaque dans la Creuse
en 1943. De Malakoff où elle s’engagea pour promouvoir une politique de l’enfance dans la
municipalité communiste73, elle réclamait une « Documentation professionnelle » de
psychologie, philosophie et sociologie, des « notes manuscrites, œuvres personnelles » et
50 Les« archives
enfin 16 000 ouvrages avec des documentsde etJean-Maurice Lahy (1872-1943)
manuscrits personnels ». à Sainte-Anne

Fig.
Fig.88 –– Répertoire
Répertoire des
des biens
biensspoliés
spoliésen
enFrance
Francedurant
durant la
la guerre
guerre 1939-1945
1939-1945
http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
72
http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_7.pdf
73 Marie Lahy-Hollebecque
« L’empreinte ne retrouva
des élues », Malakoff infos, quep.quelques
septembre 2007, 11 centaines de livres sur les
16 000 qui avaient disparu. La lettre qu’elle écrivit en 1948 en remerciements témoigne
https://www.malakoff.fr/fileadmin/user_upload/mediatheque/pdf/1_A_propos_pdf/Malakoff_infos/2007/MALA
KOFF-INFOS-212-SEPTEMBRE-2007.pdf
de ce que signifia, pour ces hommes et ces femmes, une perte qui était bien plus que
matérielle : 46
« Les caisses de livres viennent de me parvenir, je les ai ouvertes aussi-
tôt et, à me retrouver parmi ces œuvres qui ont formé pendant des années
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 51

le corps même de ma pensée, j’ai éprouvé une si forte émotion que je viens
vous le dire, à vous qui me l’avez procurée.12 »
Elle mourut en 1957 sans que rien n’ait filtré en France de l’arrivée en URSS de
convois de biens culturels, qui étaient pour partie d’origine soviétique et retour-
naient légitimement en URSS, mais qui étaient aussi pour partie issus de saisies
nazies en Europe occidentale, et qui allaient donc être « deux fois spoliés » (selon
l’expression de Patricia Grimsted) par Staline.

Secret et archivage en URSS : Moscou et Minsk


Malgré ses efforts, Rose Valland n’avait obtenu que très peu de restitutions de
l’URSS. Si les archives nazies étaient saisies selon les lois de la guerre par l’ensemble
des Alliés, les Soviétiques étaient parfaitement conscients de l’illégalité de la conser-
vation de documents déjà spoliés. Ils se saisissaient de «  trophées  » considérés
comme de légitimes compensations à leurs souffrances, mais aussi de documents
«  opérationnels  », et plus généralement, emportèrent tout ce que l’Armée rouge
découvrait. Le système politique stalinien fondé sur l’inquisition personnelle rendait
les dossiers individuels, tant publics (or il y avait par exemple de nombreux dossiers
de communistes français et étrangers antinazis dans les dossiers de renseignement
français découverts en 1945) que privés, particulièrement utiles à l’État soviétique.
Puis la Guerre froide gela les discussions Est-Ouest. La création de la République
fédérale d’Allemagne (RFA) et de la République démocratique allemande (RDA),
l’arrêt des discussions sur les restitutions entraînèrent dans la clandestinité d’une
gestion secrète de plus de cinquante années les œuvres d’art, le mobilier, les livres et
les documents trouvés par l’URSS en Allemagne.
La quasi-totalité des archives fut envoyée à Moscou, où était créé en 1946 un
centre secret dit des Archives spéciales (Osobye Arkhivy), gérée directement par le
NKVD, comme à l’époque toutes les archives centrales d’État, mais avec un person-
nel assermenté au secret. Le classement mené dans les années 1950 visait à la rapidité
avec un plan à remplir, et à l’efficacité avec une indexation nominative, sans respect
des fonds. Des documents furent ainsi extraits pour envoi à toute administration
intéressée, diplomatique, policière ou culturelle. En réalité, seuls quelques fonds
français concentrèrent l’intérêt des Soviétiques : le fonds de la Sûreté générale (puis
nationale) du ministère de l’Intérieur français qui reçut significativement le numé-
ro 1, les archives du ministère de la Guerre, et notamment de son contre-espionnage,
celles de la Préfecture de Police de Paris. Parmi les associations ou les archives per-
sonnelles, celles de la Ligue des droits de l’homme, de la Section française de l’Inter-
nationale ouvrière (SFIO) et de Léon Blum furent exploitées en priorité.
Néanmoins, tous les fonds furent inventoriés selon les principes de l’archivis-
tique soviétique : fonds (fond), inventaire (opis), dans notre cas il n’y en eut qu’un
seul, numéro de dossier (inv.) et numéro de boîte pouvant contenir plusieurs dos-
siers (karobka). Les inventaires russes reflètent l’ordre initial du classement par les

12. Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), F 17 17992, Archives de la Commission de récupé-


ration artistique, Sous-commission des livres. « Remerciements de spoliés », lettre de Mme Lahy-
Hollebecque le 13 octobre 1948.
l’entassement52et les transports successifs par les soldats nazis et soviétiques. Ainsi, les
Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
archivistes soviétiques créèrent deux fonds personnels, numéros 275 et 276, montrant qu’ils
avaient repéréproducteurs,
l’intérêt des deuxpeu
quelque personnalités époux LahyetetlesHollebecque
bousculé par l’entassement (même si le fonds
transports successifs
de Marie Lahy-Hollebceque
par les soldats nazis etcomprend un dossier
soviétiques. Ainsi, de correspondances
les archivistes soviétiques créèrent deuxadressées à son
fonds personnels, numéros 275 et 276, montrant qu’ils avaient
mari…). Ils inventorièrent les papiers (68 cartons et 9 cartons respectivement) repéré l’intérêt desen distinguant
deux personnalités époux Lahy et Hollebecque (même si le fonds de Marie Lahy-
leurs dossiersHollebceque
de travail,comprend
les dossiers de presse
un dossier et de publications,
de correspondances adressées les correspondances
à son mari…). et les
papiers personnels. Ils créèrent
Ils inventorièrent enfin(68un
les papiers fonds
cartons et 9 189,
cartonscomposé d’unenseul
respectivement) carton et dénommé
distinguant
leurs dossiers de travail, les
« Laboratoire de psychologie expérimentale ». dossiers de presse et de publications, les correspon-
dances et les papiers personnels. Ils créèrent enfin un fonds 189, composé d’un seul
carton et dénommé « Laboratoire de psychologie expérimentale ».

Fig. 9 – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –


Fig. 9 – Musée d’histoire de la psychiatrie
Centre hospitalier et des neurosciences –
Sainte-Anne – Paris
Centre du
Carton d’archives hospitalier Sainte-Anne
fonds 276 Marie – Paris
Lahy-Hollebecque (photo 2019)
CartonPour
d’archives du fonds 276 Marie Lahy-Hollebecque (photo 2019)
comprendre pourquoi une partie au moins de la bibliothèque des Lahy se
retrouva à Minsk, il faut rappeler que la politique nazie de spoliations concerna toute
l’Europe annexée ou occupée, dont une grande partie de l’Ukraine et la Biélorussie
Pour comprendre pourquoi
soviétiques, unerapidement
conquises partie auaprès
moins de la bibliothèque
le déclenchement d’une guerre des
éclairLahy
contre se retrouva à
Minsk, il fautl’URSS
rappeler que
en juin la À
1941. politique
Minsk, unenazie
unitéde spoliationsdeconcerna
opérationnelle toute àl’Europe
l’ERR commença tra- annexée
vailler le 18 novembre 1941 avec une équipe de 15 Allemands et d’une trentaine
ou occupée, dedont une grande partie de l’Ukraine et la Biélorussie soviétiques, conquises
collaborateurs locaux, et pilla notamment la quasi-totalité de la Bibliothèque
rapidement après le déclenchement
nationale (Dean, sans date). d’une guerre éclair contre l’URSS en juin 1941. À Minsk,
une unité opérationnelle de l’ERR commença à travailler le 18 novembre 1941 avec une
équipe de 15 Allemands et d’une trentaine de collaborateurs locaux, et pilla notamment la
quasi-totalité de la Bibliothèque nationale (Dean, sans date).
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 53

Fig. 10 – Yad Vashem Photo Archives


Fig. 10 – Yad Vashem Photo Archives
Entrepôt de l’ERR à l’Académie des Sciences de Minsk, mai 1943
Entrepôt de l’ERR à l’Académie des Sciences de Minsk, mai 1943
En 1945, le directeur de la bibliothèque de Minsk, I.B. Simanovski, entreprit
des recherches actives, accompagnant les « brigades des trophées » sur le territoire
En 1945, lededirecteur de laReich,
l’ex-Troisième bibliothèque
retrouvantdecertains
Minsk,livres
I.B.enSimanovski, entreprit
Tchécoslovaquie, desàrecherches
d’autres
actives, accompagnant
Königsberg (actuelles « Kaliningrad),
brigades des d’autres
trophéesenfin
» surà le territoire
Ratibor. de l’ex-Troisième
En 1945, 56 wagons Reich,
retrouvant certains livres en Tchécoslovaquie, d’autres à Königsberg (actuel Kaliningrad),
furent envoyés à Minsk, avec un chargement contenant approximativement un
d’autres enfin à Ratibor.
demi-million En 1945,
de livres pillés 56
danswagons furent envoyés
les bibliothèques à Minsk,
en Biélorussie avec
et dans les un
payschargement
baltes, mais également au moins un demi-million de livres d’Europe de l’Ouest,
contenant dont
approximativement un demi-million de livres pillés dans les bibliothèques en
au moins la moitié provenait probablement de France et de Belgique, et
Biélorussiequelques
et dansarchives
les pays baltes,apparemment
ramassées mais également au moins
de manière un :demi-million
aléatoire  loges maçon- de livres
d’Europe niques,
de l’Ouest, dont napoléoniens,
manuscrits au moins lapapiers moitiédeprovenait probablement
la famille Reinach, de France et de
etc. (Steburaka,
Belgique, et quelques archives ramassées apparemment de manière aléatoire
2016). Ces documents furent alors intégrés dans le « département des livres rares » : Loges
de la Bibliothèque nationale, mais aussi dispersés dans d’autres
maçonniques, manuscrits napoléoniens, papiers de la famille Reinach, etc. (Steburaka, bibliothèques de 2016).
la ville, notamment l’Académie des sciences.
Ces documents furent alors intégrés dans le « département des livres rares » de la
Bibliothèque nationale,
Oublis, mais et
révélations aussi dispersés dans d’autres bibliothèques de la ville,
retours
notamment l’Académie des sciences.
Dans la France des IVe et Ve République, sans qu’il y ait eu de construction orga-
Oublis, révélations et retours
nisée d’une mémoire officielle, la gestion de ces absences d’archives, ou plutôt leur
« non-gestion », c’est-à-dire le silence si vite retombé après les recherches intenses
de la CRA peut se lire comme partie intégrante de la  mémoire refoulée de Vichy au
Dans la France des IV et V République, sans qu’il y ait eu de construction organisée d’une
e e

mémoire officielle, la gestion de ces absences d’archives, ou plutôt leur « non-gestion », c’est-
à-dire le silence si vite retombé après les recherches intenses de la CRA peut se lire comme
partie intégrante de la mémoire refoulée de Vichy au niveau de l’État . Au niveau des 75

familles, les correspondances émouvantes reçues par les instances de restitution et


d’indemnisation montrent combien la perte des archives et des objets spoliés fut
douloureusement vécue. Pour les survivants de la Shoah, la disparition du cadre de vie
54 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

niveau de l’État13. Au niveau des familles, les correspondances émouvantes reçues


par les instances de restitution et d’indemnisation montrent combien la perte des
archives et des objets spoliés fut douloureusement vécue. Pour les survivants de
la Shoah, la disparition du cadre de vie familier redoublait le deuil des êtres chers
assassinés (Fogg, 2017). Les écrivains, les professeurs perdaient des années de travail
avec leurs bibliothèques et leurs papiers. La reconstruction collective et individuelle
passait par les recherches et les réclamations – Marie Lahy-Hollebecque s’investit
ainsi dans une éphémère association de spoliés présidée par le juriste Henry Lévy-
Bruhl14 – mais aussi, en une dynamique complexe, par l’acceptation de la perte de ce
patrimoine que personne n’imaginait caché en URSS, permettant de se tourner vers
l’avenir et vers de nouveaux enjeux internationaux.
Après cinquante années de silence, la révélation de la présence d’archives fran-
çaises à Moscou suivit de près la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS
en 1991. Dès lors commence l’histoire de leur retour, dans le cadre de l’accord signé
dès 1992 entre les ministres des Affaires étrangères Dumas et Kozyrev et des lois
sur les archives promulguées par la Fédération de Russie (1993 et 2004). En Russie
post-soviétique, la sensibilité exacerbée de la mémoire de la Seconde Guerre mon-
diale et son instrumentalisation nationaliste expliquent les difficultés à mettre en
œuvre l’accord, et l’étalement de l’arrivée des camions jusqu’aux années 2004-2005.
Les  fonds restitués à la France furent alors confiés aux Archives diplomatiques,
qui se chargèrent de l’identification des ayant-droits (Fonck, Servant & Cœuré,
2019). Dans le cas d’archives privées, les ayant-droits étaient libres de l’usage des
documents retrouvés. C’est ainsi que les documents de J.-M. Lahy et Marie
Lahy-Hollebecque ont été déposées au Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences du Centre hospitalier Sainte-Anne, institution publique, pertinente
par rapport à l’histoire et au contenu du fonds, et susceptible de le classer et de le
valoriser de manière pérenne.
Les États successeurs de l’ex-URSS, Ukraine et Biélorussie, n’étaient pas concer-
nés par les accords Dumas-Kozyrev. C’est au compte-goutte que filtrèrent les infor-
mations sur les fonds spoliés français qui se trouvaient toujours à Minsk, transmises
par des bibliothécaires et historiens, Vladimir Makarov dans les années 2000 puis
Anatole Steburaka dans les années 2010, intrigués et touchés par la présence de ces
collections étrangères dans leurs collections. Les traces de leur provenance avaient
été effacées. Seuls les ex-libris ou les dédicaces ont permis à Anatole Steburaka de
retrouver 21 ouvrages dédicacés à Marie Lahy Hollebecque ou au couple, et 8 livres
avec un envoi à Jean-Maurice Lahy, dont un superbe exemplaire de La ville radieuse
de Le Corbusier (1935). La dédicace – « A. M. Lahy. Que ‘‘l’intelligenzia’’ vienne
nous appuyer. Notre travail est fait. Que l’idée maintenant pénètre la masse sociale »
pourrait servir de conclusion provisoire à l’histoire étonnante de ces archives, et de

13. H. Rousso (2001). Sur la lente prise de conscience par les musées français de la présence de tableaux
spoliés MNR « Musées nationaux récupération », cf. C. Bouchoux (2013) et le site internet dédié du
ministère de la Culture http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/pres.htm
14. Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 38 AJ 5937 Archives du service de restitution des biens
des victimes des lois et mesures de spoliation, dossier « bibliothèques ».
Les archives de Jean-Maurice Lahy et de Marie Lahy-Hollebecque spoliées… 55

point de départ à une nouvelle histoire, celle de leur valorisation par le Musée d’his-
toire de la psychiatrie et des neurosciences du Centre hospitalier Sainte-Anne et de
leur utilisation pour la recherche.

Fig. 12 – Bibliothèque nationale de Biélorussie


BY-HM0000:096/339К
Fig. 12 – Bibliothèque nationale de Biélorussie
Références BY-HM0000:096/339К

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Cœuré, S. (2013 [2007]). La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi
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Rationalisme savant, eugénisme et communisme :
quelques interrogations à partir de l’itinéraire
de Jean-Maurice Lahy

Isabelle Gouarné

Figure atypique dans l’univers de la psychologie scientifique française de l’entre-


deux-guerres, Jean-Maurice Lahy le fut à plus d’un titre. Issu d’un milieu modeste1,
non-bachelier et de ce fait dépourvu des diplômes universitaires qui fondent à cette
époque l’autorité académique en psychologie ou l’annoncent (l’agrégation de phi-
losophie et le doctorat de médecine), il acquit néanmoins une forte reconnaissance
scientifique : après être entré, en 1901 comme « élève », au laboratoire de psycho-
logie expérimentale fondé, à l’asile de Villejuif, par le docteur Édouard Toulouse et
rattaché à l’École pratique des hautes études (EPHE), il en devint en 1925 le direc-
teur ; il participa également à la création de nombreux services de psychotechnique
(notamment, en 1924, à la Société des transports en commun de la région parisienne
[STCRP], ou, par exemple, dans les écoles parisiennes et de la banlieue). Sa carrière
académique, en outre, se combina avec un intense engagement politique. En rup-
ture avec « la politique de l’apolitisme » (Charle, 1994), dominante dans les milieux
scientifiques-universitaires, Lahy déploya un militantisme actif, notamment, au sein
de la Franc-maçonnerie, au Grand Orient de France, où il fut initié en 1901, et aussi
auprès du mouvement ouvrier, d’abord dans les milieux socialistes avant de rallier,
en 1920, la cause communiste.
C’est sur cet engagement en faveur du communisme soviétique qu’on s’arrêtera
ici pour interroger la postérité, à première vue paradoxale, de Lahy. Il compte, en
effet, parmi les scientifiques-universitaires français les plus engagés en faveur du
communisme soviétique dans l’entre-deux-guerres. Il fait partie de ces premiers
« grands » intellectuels, notabilités influentes de la science républicaine française,
qui rejoignent le mouvement communiste en tant que « compagnon de route »,
à l’instar du physicien Paul Langevin, du psychologue Henri Wallon ou encore
du biologiste Marcel Prenant. Pourtant, Lahy a été, pendant longtemps, une figure
(relativement) oubliée de l’histoire des intellectuels communistes et compagnons
de route. Si les recherches biographiques menées par Marcel Turbiaux depuis les
années 1980 (Turbiaux, 1982-1983) permirent de saisir le rôle qu’il avait joué dans le
domaine des sciences du travail et de l’inscrire dans une histoire de la psychologie
en France (Carroy, Ohayon & Plas, 2006, par exemple), le parcours de Lahy ne retint

1. Le père de J.-M. Lahy était menuisier, sa mère modiste.


60 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

que tardivement l’attention des historiens du communisme, surtout focalisés initia-


lement, il est vrai, sur l’engagement des écrivains et des artistes2.
Ce sont donc les raisons de cet effacement qu’on se propose d’examiner ici, en
revenant sur l’itinéraire politico-scientifique de Lahy et les rapports qu’il a noués
avec le communisme. Son philosoviétisme fut, en fait, indissociable de sa quête
d’une reconnaissance, savante et politique, de la psychotechnique, ce programme
de recherche fondé sur la psychologie expérimentale visant, à travers ses applica-
tions dans les domaines du travail et de l’éducation, à une «  organisation ration-
nelle de l’activité humaine  ». Ce retour biographique invite ainsi à interroger les
adhérences et les tensions qui ont pu exister entre rationalisme savant républicain
et communisme autour d’une ambition partagée de gouverner les populations par
les sciences.

Philosoviétisme savant des années 1920-1930


Lahy fut un des rares universitaires-scientifiques français à développer tout au
long de l’entre-deux-guerres un philosoviétisme actif. Étroitement associé aux élites
politiques et intellectuelles républicaines, il avait milité, à la suite de son engagement
dreyfusard, à la Ligue des droits de l’homme et au Grand Orient de France. Toute-
fois, au moment du Congrès de Tours (1920), il soutint l’adhésion à l’Internationale
communiste, comme d’ailleurs un certain nombre d’universitaires engagés à gauche
et critiques à l’égard des élites socialistes qui, à leurs yeux, avaient trahi la cause
du mouvement ouvrier lors de la Première Guerre mondiale (le physicien Paul
Langevin, le linguiste Marcel Cohen, le biologiste Marcel Prenant, par exemple).
Tous s’en éloignèrent, cependant, rapidement, au moment où, avec la phase de bol-
chevisation puis la période dite « classe contre classe », s’affirmèrent dans le mou-
vement communiste des positions ouvriéristes et anti-intellectualistes, aboutissant
à favoriser un recrutement ouvrier et à marginaliser les intellectuels de profession
(Pudal, 2005). En 1923, Lahy quitta le Parti communiste, alors que la double appar-
tenance Franc-maçonnerie et Parti communiste était désormais interdite par l’Inter-
nationale communiste.
Ce repli sur l’engagement maçonnique, bien qu’il ait impliqué un retrait des
organisations communistes, ne signifiait pas, néanmoins, une distanciation critique
par rapport au communisme soviétique. Au contraire, dans les années 1920, Lahy
s’est efforcé de promouvoir des formes de philosoviétisme, aussi bien dans le monde
scientifique qu’au Grand Orient de France, où il occupa des positions importantes3.
En 1920, notamment, il fut à l’origine de la création d’une nouvelle loge, la loge
« Agni », dont l’objectif était « de réunir les travailleurs intellectuels, les techniciens

2. Voir la notice J.-M. Lahy par J. Girault et M. Trebitsch, dans C. Pennetier et P. Boulland (2007-2019).
Voir à ce sujet le témoignage de Guy Michelat dans les actes des Journées d’hommage à Nicole Racine
(Cahiers Jean-Richard Bloch, 21, 2015). Il rappelle comment, alors que Nicole Racine, en charge du
corpus « intellectuels » du Maitron, se focalisait sur les écrivains, il l’encouragea à travailler sur
d’autres types d’intellectuels, notamment les psychologues et sociologues, dont J.-M. Lahy, Georges
Politzer, Pierre Naville ou encore Henri Lefebvre (« Table ronde », p. 257).
3. Il fut, par exemple, vice-président du conseil de l’Ordre (1921-1923).
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 61

et l’élite intellectuelle des travailleurs manuels pour appliquer à l’étude maçonnique


des questions sociales actuelles les méthodes de la Science moderne4 ». Réaffirmer
la légitimité politique de la science fut la visée première de cette loge, qui adopta
des positions nettement pro-soviétiques et marxistes. Par exemple, à la question
mise à l’étude en 1929, «  Étudier les conditions économiques capables d’utiliser
et d’accroître toutes les possibilités de production des richesses et d’en assurer la
circulation et la répartition légitime », la loge « Agni » répondra : « […] Ce qui est
à l’origine du mal dont nous nous plaignons, c’est que la répartition des richesses
produites n’est pas assurée comme il faudrait. […] Cet état des choses provient d’un
régime de propriété qui est en retard sur le système de production. Pour assurer
la répartition juste de toutes les richesses, il faut changer le régime de la propriété.
[…] Le changement du régime de la propriété ne pourra être obtenu que par une
révolution sociale. Les conditions de cette révolution ont fait l’objet de nombreuses
études depuis plus d’un siècle. Il nous paraît inutile de revenir sur les recherches
décisives de Karl Marx et de ses disciples, d’autant plus que l’exemple de l’URSS
suffit à illustrer les méthodes employées pour accroître les richesses et en assurer
l’équitable répartition. […] La Maçonnerie ne saurait se déclarer contre le progrès,
elle doit donc avoir le courage de ses actes et se déclarer pour le socialisme. Or le
socialisme ne se réalisera que par la révolution, et la révolution ne sera réalisée que
par la dictature du prolétariat. »5
Au début des années 1930, l’engagement philosoviétique de J.-M. Lahy connut
des ajustements en raison de la redéfinition de la politique soviétique vis-à-vis des
intellectuels occidentaux. Désormais, les instances soviétiques s’efforçaient, de
façon bien plus active et systématique qu’auparavant, de mobiliser les intellectuels
de profession en développant des instruments de diplomatie culturelle. Créée en
1925 avec l’objectif de diffuser en Occident des représentations positives de l’Union
soviétique, la VOKS (Vsesoû́ znoe óbŝestvo kulʹtúrnoj svấzi s zagranicej), l’organisation
soviétique en charge des échanges culturels avec l’étranger, déploya alors un intense
travail de mobilisation des intellectuels à l’étranger (Cœuré, 1999 ; David-Fox, 2012 ;
Fayet, 2014). Elle organisa pour cela de nombreux voyages d’intellectuels en Union
soviétique (Cœuré & Mazuy, 2011) et créa aussi, dans la plupart des pays européens,
ce qu’elle appelait des « Sociétés du rapprochement culturel », comme en France
où une société de ce type est créée sous le nom de « Cercle de la Russie neuve », en
regroupant des intellectuels favorables à la cause soviétique, mais généralement
sans lien avec le Parti communiste.
C’est ainsi au début des années 1930 que J.-M. Lahy entra dans la sphère d’in-
fluence de la diplomatie culturelle soviétique, à l’occasion de sa venue en Union
soviétique en 1931 pour le VIIe Congrès international de psychotechnique qui se
tint à Moscou. Les relations étroites qu’il noua avec la VOKS fonctionnaient selon

4. Lettre de J.-M. Lahy de demande de constitution symbolique d’un nouvel atelier, datée du 3 avril
1920. Archives du Grand Orient, Carton « Agni ».
5. Réponse de la loge « Agni », Question A, 1929. Archives du Grand Orient, Carton Agni. Précisons ici
que la loge « Agni » comptera, dans les années 1930, plusieurs intellectuels philosoviétiques (R. Husson,
H. Mineur, A. Sauvageot, A. Varagnac), engagés, comme J.-M. Lahy, dans des associations liées à la
diplomatie culturelle soviétique ou au Parti communiste français.
62 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

le système tacite d’échanges alors établi entre intellectuels occidentaux et instances


communistes : ces intellectuels acceptaient d’apporter leur caution au projet poli-
tique qu’incarnait l’Union soviétique, de mettre leur renommée au service de cette
cause, en échange de quoi les instances communistes reconnaissaient leur pouvoir
symbolique, le valorisaient, proposant aux intellectuels un ensemble de rétributions
symboliques et matérielles, comme la diffusion de leurs travaux en Union sovié-
tique, la mise en contact avec les milieux savants soviétiques ou encore l’organisa-
tion de voyages.
En lien dès 1931 avec la VOKS, Lahy multiplia dès lors les démarches visant
à mobiliser les intellectuels français en faveur du communisme et du marxisme.
D’une part, il prononça, en France, diverses conférences sur son séjour en Union
soviétique  : comme tout intellectuel philosoviétique de retour d’URSS, il produi-
sit des comptes rendus de voyage dans lesquels il mettait en avant les réalisations
soviétiques, en particulier dans ses domaines de compétence, à savoir la science, la
psychologie et l’hygiène mentale. Surtout, Lahy devint, à partir de 1931, un membre
actif du Cercle de la Russie neuve, cette association d’intellectuels qui, on l’a vu,
avait été créée sous l’impulsion de la VOKS et qui se restructura alors en commis-
sions (théâtre, cinéma, économie, science) : il s’investira dans la commission scienti-
fique de ce Cercle, contribuant fortement à la définition du programme de travail et
aux réflexions de ce groupe.
Premier groupement d’universitaires et de scientifiques français favorables à
l’Union soviétique, désireux de s’informer sur la « science soviétique » et de mener
une réflexion commune sur l’apport de la méthode marxiste au travail de recherche,
la commission scientifique du Cercle de la Russie neuve a joué un rôle matriciel dans
l’histoire des intellectuels communistes. Parmi ses membres actifs, on compte, outre
Lahy, le psychologue Henri Wallon, qui fut le président de la commission scientifique,
Paul Langevin qui en fut le président d’honneur. Y participèrent également Marcel
Cohen, Marcel Prenant ainsi que de jeunes intellectuels, sociologues ou ethnologues,
comme Georges Friedmann, Jacques Soustelle, André Varagnac, André-Georges
Haudricourt, qui deviendront des figures majeures des sciences sociales françaises
après la Seconde Guerre mondiale. Ce groupe publia, en 1935 et 1937, deux volumes
intitulés À la lumière du marxisme, qui feront date dans l’histoire des intellectuels
communistes : rassemblant les conférences prononcées à la commission scientifique
du Cercle de la Russie neuve sur la question des rapports entre sciences et société et
sur la pensée marxiste dans ses rapports avec les « grands » auteurs français (Comte,
Durkheim, Descartes, Proudhon et alii), ces ouvrages témoignent du ralliement des
premiers universitaires français au communisme et au marxisme.
En effet, au cours des années 1930, en particulier au moment du Front popu-
laire, les intellectuels de ce groupe furent associés de plus en plus étroitement à l’ac-
tion du Parti communiste français, soucieux désormais de constituer autour de lui
une nébuleuse d’intellectuels. Bien que peu d’entre eux aient alors adhéré au Parti
communiste français, la plupart se définirent comme des « compagnons de route » :
ils participèrent activement aux revues liées au Parti communiste français (Commune,
Europe, notamment), à ses associations, à ses maisons d’édition (les Éditions sociales
internationales, en particulier la collection «  Socialisme et culture  »), ses écoles,
et seront également fortement mobilisés dans la lutte antifasciste communiste.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 63

Progressivement, le Cercle de la Russie neuve, qui était né sous l’influence de la


diplomatie culturelle soviétique, donc sans lien institutionnel avec le Parti commu-
niste français, connut ainsi un processus d’intégration dans l’entreprise culturelle
du Parti communiste français, processus qui aboutira, en 1939, à la création de la
revue La Pensée, sous-titrée Revue du rationalisme moderne, une des principales revues
culturelles communistes (Gouarné, 2013).
Durant ces années 1930, Lahy a donc joué un rôle central dans la mobilisation et
l’organisation des universitaires et scientifiques français philosoviétiques. Ce rôle est
resté, toutefois, largement invisible. Lahy ne contribua pas aux publications issues
des réflexions menées au sein du Cercle de la Russie neuve, ni n’occupa de fonction
officielle dans le dispositif culturel communiste (comme président d’association,
directeur de revues ou de collections publiées par les éditions communistes, par
exemple). De fait, Lahy, même s’il a été un universitaire réputé en France et qu’il a
déployé un militantisme philosoviétique intense, fut peu mis en avant par le Parti
communiste français, ni de son vivant ni après sa mort : les instances communistes
n’ont guère mobilisé son capital symbolique, contrairement à d’autres scientifiques
comme Paul Langevin ou Henri Wallon, eux fortement valorisés. Cet «  oubli  »
pourrait s’expliquer, en partie du moins, par l’engagement maçonnique de Lahy
qui l’aurait obligé à une certaine réserve, les rapports entre Parti communiste et
Franc-maçonnerie, malgré des périodes d’ouverture comme celle de l’après-Seconde
Guerre mondiale, restant tendus. Sans doute tient-il aussi au programme de sciences
du travail que Lahy a cherché à promouvoir en France et à l’étranger, et à la légi-
timité qu’il a pu obtenir un temps en Union soviétique, avant d’y être condamné.
Ce sont donc aux relations que Lahy a établies avec les milieux savants soviétiques,
autour d’une posture critique partagée vis-à-vis du taylorisme, qu’il faut maintenant
s’intéresser.

Face à la « science soviétique » :


légitimité et contestation de la psychotechnique
Dès le milieu des années 1920, en effet, Lahy noua des relations étroites avec
des psychologues soviétiques, et d’abord avec Ossip Arkadievitch Ermanski (1866-
1941). Après avoir joué un rôle de premier plan dans le Parti menchevik, ce dernier
s’était spécialisé, dans les années 1920, sur les questions d’organisation du travail et
de rationalisation. Comme Lahy, il se montrait très critique à l’égard du taylorisme,
dont les fondements théoriques étaient, selon lui, « faux » et « bourgeois » : à ses
yeux, il convenait non pas de les retravailler, mais de fonder une nouvelle organi-
sation du travail sur des bases scientifiques et prolétariennes. Il fut donc de ceux
qui mobilisèrent en Union soviétique les travaux de l’école psychotechnique fran-
çaise. En 1924, il rédigea la préface à la publication, en russe, du livre Le Système de
Taylor de Lahy (1921), qu’il présenta à cette occasion comme un « savant bourgeois
(quoi qu’il se dise socialiste)6  ». Malgré les «  observations critiques  » formulées

6. Compte rendu du Pr. Ermanski de Moscou sur le livre de J.-M. Lahy, rédigé le 17 mars 1924 – Archives
J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 25.
64 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

par Ermanski à l’encontre des analyses de Lahy, cette traduction s’inscrivait dans
une stratégie visant à promouvoir un programme « scientifique » et « prolétarien »
d’organisation du travail, en rupture avec le taylorisme, jugé inadapté au socialisme
puisque « bourgeois ». « Un des plus pertinents [ouvrages] jamais écrit sur le tay-
lorisme », selon François Vatin, le livre de Lahy en présentait, en effet, une analyse
critique, pointant la « triple erreur » de « cette conception nouvelle du travail » : psy-
chologique, en raison de l’assimilation que Taylor fait de l’homme à une machine ;
sociologique, avec l’ignorance des conditions sociales de l’ouvrier, dans et hors de
l’usine ; industrielle, en négligeant les transformations en cours dans l’usage de la
machine et leurs effets sur le travail de l’homme (Vatin, 1999, chap. IV).
Les thèses de Lahy furent ainsi diffusées en URSS au moment où les débats
sur la « rationalisation capitaliste » restaient ouverts et que la position officielle
de l’Internationale communiste n’était pas encore fixée (Ribeill, 1984). La « construc-
tion du socialisme  » doit-elle reposer sur des savoirs accumulés sous le capi-
talisme  ? Ou bien faut-il élaborer des connaissances totalement nouvelles  ? Tels
étaient, depuis les interventions de Lénine (Linhart, 1976, chap. 3), les enjeux sous-
jacents aux débats sur le taylorisme, qui divisaient le Mouvement d’organisation
du travail (NOT) (Lieberstein, 1975 ; Smith, 1983 ; Sochor, 1981). Certains, comme
Alexeï Gastev, considéraient que le taylorisme était transposable en URSS sous
réserve de quelques adaptations. D’autres s’opposaient à ce transfert et rejoignaient
les positions de Lahy, tels Ermanski ou encore le psychotechnicien Isaak N. Spielrein
(Koltsova, Noskova, Oleinik & Yu, 1990), le chef de file de l’école psychotechnique
soviétique que Lahy fit entrer, en même temps que Grigory Ivanovitch Rossolimo,
en 1926, à l’Association internationale de psychotechnique, dont il était le secrétaire
scientifique.
Lahy pouvait voir, en effet, dans ces savants soviétiques un appui en vue de faire
reconnaître à l’étranger, en premier lieu par le régime soviétique, son programme
de psychologie appliquée. En octobre 1925, par exemple, il écrivait à Ermanski :
« Notre alliance franco-russe contractée […] semble s’élargir ou pouvoir être élargie.
J’avais des conversations avec le Prof. Atzler, le Docteur Lipmann et d’autres à
Berlin. Et j’aperçois déjà quelques éléments d’une petite Internationale en perspec-
tive. Certes, cette Internationale “in spe” ne touche pas les sympathies cordiales,
même les idées et sympathies sociales [sic], restant resserrée dans les limites du pro-
blème de l’organisation scientifique du travail. »7
C’est également grâce à l’appui de Lahy que la proposition soviétique d’organi-
ser le prochain congrès de l’Association internationale de psychotechnique à Moscou
fut acceptée en 1930, malgré les vives réticences qu’elle suscita (Gouarné, 2007).
En tant que secrétaire scientifique de l’Association, Lahy s’efforça par la suite,
avec son collègue soviétique Spielrein, de faire de ce congrès un événement scien-
tifique, attachant un grand soin à l’organisation matérielle, au programme scien-
tifique et au choix des délégations. « Au point de vue du Congrès, nous pouvons

7. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –


Carton 29.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 65

enregistrer un succès absolu », écrivit-il ainsi à Spielrein à son retour d’Union


soviétique8.
Ce congrès de psychotechnique, organisé à Moscou en septembre 1931, fut de
fait une réussite, au sens où il permit une démonstration spectaculaire de la science
soviétique. L’État soviétique put se présenter comme un État savant, soucieux de
s’appuyer sur la science pour « la construction du socialisme » et visant à promou-
voir une « science socialiste » face à la « science capitaliste ». Participa, en effet, à
ce congrès une délégation soviétique de plus de quatre cents psychotechniciens,
montrant par-là l’intérêt que portait l’État soviétique à ces recherches. Spielrein y fit,
en outre, une intervention remarquée sur les fondements théoriques de la psycho-
technique, dans laquelle il entendait définir la spécificité de la «  psychotechnique
soviétique  » face à la psychotechnique «  bourgeoise  »  : il reprochait aux savants
« bourgeois », d’une part, de surestimer les facteurs liés à l’hérédité biologique et,
d’autre part, de développer une approche statique des phénomènes psychologiques,
les aptitudes n’étant, avec la méthode des tests, envisagées que comme des entités
stables et immuables, donc de façon déconnectée des conditions sociales9.
L’intervention de Spielrein ne peut se comprendre que située dans le contexte
stalinien marqué, selon l’expression de Grégory Dufaud, par « le déconfinement
par le haut du monde scientifique, [les autorités soviétiques] se donnant le droit d’y
intervenir », y compris par la violence (Dufaud, 2015, p. 202). Contraint, au début des
années 1930, à l’autocritique, Spielrein s’efforça de reformuler ses positions scienti-
fiques en fonction des nouveaux cadrages politiques. Résultat de la politisation des
sciences soviétiques, ses prises de position sur la psychologie occidentale eurent un
large écho sur la scène savante internationale des années 1930 : au-delà de l’indigna-
tion que provoqua cette mise en cause de la thèse d’une science pure et désintéres-
sée, elles incitèrent, on y reviendra, à une réflexion sur les fondements théoriques et
méthodologiques de la psychotechnique, que ce soit sur le rapport entre biologique
et social, sur la validité de la méthode des tests et des statistiques ou encore sur les
usages sociaux et politiques des recherches.
Ainsi, à partir des années 1920, entre Lahy et ces intellectuels soviétiques s’était
nouée une véritable alliance visant à faire reconnaître, face au taylorisme, leur pro-
gramme psychotechnique par le pouvoir communiste. Organisé avec le soutien des
instances soviétiques, le congrès de 1931 à Moscou sembla attester de la réussite de
cette stratégie. Lahy fut alors officiellement invité à poursuivre sa carrière scienti-
fique en Union soviétique, invitation qu’il déclina, considérant comme « [son] devoir
social et même scientifique d’exprimer ici [en France] les idées matérialistes qui ont
été toujours le guide le plus sûr pour [sa] carrière10 ».
Cette reconnaissance par le pouvoir communiste sera toutefois de courte
durée. Comme pour les statisticiens soviétiques étudiés par Alain Blum et Martine

8. Lettre de J.-M. Lahy à I.N. Spielrein, 2 octobre 1931 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la
psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 27.
9. Cette intervention d’I.N. Spielrein, parue initialement en russe, a été traduite et publiée en français
dans le Bulletin de psychologie, 2012, 3(519), 277-281.
10. Lettre de J.-M. Lahy à I.N. Spielrein, 2 octobre 1931 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de
la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 27.
66 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Mespoulet (2003), le projet des psychotechniciens consistait à élaborer des outils


de connaissance au service de la gestion rationnelle du social ; or, ce projet entrait
en contradiction avec celui des dirigeants soviétiques qui se méfiaient de l’autorité
des scientifiques. Déjà violemment critiquée au début des années 1930, au moment
de l’offensive culturelle stalinienne, la psychotechnique fut de nouveau sous le feu
des critiques au milieu des années 1930 en même temps que l’hygiène mentale et
la paidologie, discipline consacrée à l’étude du développement de l’enfant (Siegel-
baum, 1990 ; Etkind, 1992). Cette fois-ci, les critiques s’accompagnèrent de mesures
concrètes. De nombreux instituts de recherches psychotechniques fermèrent en 1934.
La revue Sovetskaja Psihotehnika cessa de paraître. En 1936, les sections de Moscou
et de Léningrad de l’Association panunioniste de psychotechnique arrêtèrent leurs
activités. La psychotechnique fut officiellement condamnée par le Comité central
du Parti communiste d’URSS en juillet 1936. Spielrein fut accusé de « propagande
contre-révolutionnaire » et de « trotskisme » : il fut arrêté en janvier 1935, déporté, il
sera exécuté en décembre 1937 (Koltsova et alii, 1990). De même, Ermanski, qui avait
été déjà plusieurs fois arrêté car menchevik, fut de nouveau arrêté en 1937 puis en
1940 : déporté, il décèdera en 1941.
Cette condamnation de la psychotechnique en Union soviétique ne fut pas
ignorée des milieux savants occidentaux, ni l’arrestation de Spielrein. J.-M. Lahy,
qui était devenu en France un «  compagnon de route  » actif, tenta, par exemple,
de s’informer, lors de son séjour en Russie de 1936 avec sa femme Marie Lahy-
Hollebecque, du destin de son collègue soviétique auprès de représentants autori-
sés du Parti communiste d’URSS. Le sujet fut ainsi évoqué lors d’une entrevue avec
Ernst Kolman, responsable du secteur scientifique au Comité du Parti communiste à
Moscou. Sa réponse rendait de fait délicat tout soutien à Spielrein venant de l’étran-
ger. D’après les notes prises, sans doute par Marie Lahy-Hollebecque, lors de cette
rencontre, Kolman aurait déclaré au sujet de cette affaire « Il ne s’agit pas de fautes ni
d’erreurs, mais de crimes envers l’État. Crimes politiques contre le pays. [Spielrein,
membre du PC, a eu des relations coupables avec l’étranger]. S’est engagé dans les
questions internationales (accusé en ce qui concerne l’argent). »11
Analyser l’itinéraire politico-scientifique de Lahy amène ainsi à interroger les
mécanismes d’aveuglement politique dans lesquels ont été pris ces milieux intel-
lectuels français, confrontés aux transformations profondes et brutales de l’Union
soviétique stalinienne, et incapables d’en comprendre la logique. Or cette question
de l’aveuglement des intellectuels a été longtemps obscurcie par les plaidoyers pro
domo et les dénonciations politiques, rendant difficile un examen sérieux des res-
sorts et des conditions qui ont conduits ces intellectuels à être « pris », ou non, dans
cette croyance. L’attrait du communisme ne peut en fait s’expliquer sans interroger
les multiples projections dont faisait l’objet l’expérience soviétique (Pudal & Penne-
tier, 2017). C’est ainsi sur l’image de l’Union soviétique dans le champ scientifique
français qu’il convient, pour finir, de s’arrêter : celle d’un État savant, qui, face aux

11. Archives Marie Lahy-Hollebecque (non classées) – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neuro­­
sciences – CH Sainte-Anne.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 67

dérives capitalistes et fascistes des sociétés contemporaines occidentales, a pu


s’inscrire dans l’horizon d’attente des utopies rationalistes.

Psychotechnique, eugénisme et « projet socio-biocratique »


communiste
À travers la figure de Lahy, est in fine interrogé le malaise des milieux savants
français face au destin de la psychologie soviétique, et plus largement de la science
soviétique dans les années 1930, et surtout face à ce qu’il relevait, en creux, des
adhérences politiques du rationalisme savant. Ce retour biographique invite ainsi à
ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur les convergences qui ont pu exister entre
le rationalisme savant républicain et le communisme, autour de ce que Bernard
Pudal propose d’appeler « un projet socio-biocratique », c’est-à-dire une volonté
de maîtriser le destin des hommes, de gouverner les populations par le recours
aux sciences biologiques, psychologiques, physiologiques ou sociologiques (Pudal,
2020). On touche, avec cette question, à l’histoire de l’eugénisme au XXe siècle, où
le risque d’anachronisme est fort, tant cette histoire s’est d’abord focalisée sur les
usages criminels, en premier lieu sous le nazisme et, en France, sous le régime de
Vichy, qui en furent faits, laissant de côté les autres manifestations de l’eugénisme.
Depuis une trentaine d’années, toute une série de travaux exhumant les multiples
formes qu’a pris l’eugénisme au XXe siècle sont venus remettre en cause ce processus
d’occultation (Carol, 1995 ; Kühl, 2013 ; Pichot, 2000, notamment) et les oppositions
longtemps admises entre un « eugénisme négatif » et un « eugénisme positif » res-
pectable (Rosental, 2016).
L’eugénisme fut, en réalité, un lieu commun de l’Europe de l’entre-deux-guerres,
où il fit l’objet de multiples déclinaisons, qu’il faudrait, comme le suggère Pudal,
situer dans « une nébuleuse idéologique polarisée entre deux tendances nettement
opposées : l’une naturalisant le social, qui peut conduire à l’eugénisme radical et
meurtrier  ; l’autre fondée sur la dominance du social dans la compréhension des
‘‘types humains’’ » (Pudal, 2020). Cette hypothèse de recherche permet, en effet, de
mieux distinguer et de spécifier les divers projets de gouvernement des populations
par les sciences et, en même temps, de mieux saisir les évolutions qu’ils suivirent et
les liens qu’ils entretiennent entre eux.
Abordée dans cette perspective, l’histoire du communisme au XXe siècle peut
se concevoir comme celle d’une entreprise de rationalisation du gouvernement des
populations, qui, conformément à l’approche marxisante, « [faisait] de l’être social
de l’homme le cœur de son anthropologie politique » (Pudal, 2020). Ce projet socio-
biocratique fit, certes, l’objet de successives redéfinitions et put se mêler à des modes
de compréhension du social à tendance naturalisante, en particulier dans les années
1920 où l’eugénisme connut un mouvement d’institutionnalisation en Union sovié-
tique (Adams, 1990  ; Krementsov, 2011). Toutefois, à partir des années 1930, alors
que l’eugénisme est condamné en Union soviétique, le communisme soviétique
stalinisé se définit avant tout par son « sociologisme », à la fois dans ses discours et
dans ses pratiques (Pudal, 2020).
68 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

C’est donc aussi par rapport à cette histoire complexe de la « gouvernementalité


socialiste » (Foucault, 2004, p. 94 et sq.), et des relations qu’elle entretient avec divers
projets savants de rationalisation des comportements humains, qu’il convient de
situer la psychotechnique défendue par Lahy. Son itinéraire fut, en effet, celui d’un
intellectuel, qui, issu du milieu savant républicain, donc pris dans une culture scien-
tiste, teintée d’eugénisme, rejoint le mouvement communiste. Lahy fut, en effet, aux
côtés d’Henri Laugier, Henri Piéron, Édouard Toulouse ou encore Dagmar Wein-
berg, un acteur central de ces sciences du travail de l’entre-deux-guerres, dont Paul-
André Rosental a souligné combien elles incarnèrent cette sensibilité eugéniste,
caractérisée par une « théorie morale, reposant sur un triple axiome : 1) il existe une
différence de qualité entre les êtres humains ; 2) cette différence est mesurable par
les savants et les experts qui s’en réclament ; 3) elle est susceptible de modification
à l’échelle des populations » (Rosental, 2016, p. 29).
Lahy fut l’élève et resta proche de Toulouse, dont la place centrale dans la science
républicaine du début du XXe siècle a été mis au jour grâce notamment à la bio-
graphie que lui a consacrée Michel Huteau  : héritier du positivisme républicain,
Toulouse défendait, sous le terme de « biocratie » puis de « biotypologie », un pro-
jet de gouvernement des populations par les sciences de la vie, fondé sur le pou-
voir d’une élite scientifique de « techniciens biologistes » et visant à la maîtrise du
destin des hommes (Huteau, 2002). Une telle ambition était aussi sous-jacente au
programme psychotechnique de Lahy, qu’il avait lui-même défini, dans les années
1920, comme une « biotechnique » (terme qu’il aurait d’ailleurs préféré initialement
à celui de psychotechnique), c’est-à-dire comme « une science visant à appliquer
les méthodes scientifiques de la biologie, plus particulièrement celles de la psycho-
logie, à l’organisation de l’activité humaine »12. Par le recours aux tests, la visée était
de mesurer les « aptitudes » (en premier lieu, l’intelligence) qu’il définissait comme
« des dispositions naturelles qui se reconnaissent par des réponses motrices ou
mentales – mesurables – à des excitations définies13 », afin de classer, de « trier » les
individus et d’aboutir à une répartition harmonieuse, bénéfique à tous, des indivi-
dus dans l’organisation du travail et la société.
S’attachant, à partir du début des années 1930, à inscrire son programme psycho-
technique dans « la voie du matérialisme historique » et de la « science soviétique »,
présentée sur la scène internationale, comme étant en opposition radicale avec la
« science fasciste », Lahy fut amené à questionner le socle épistémologique, ancré
dans la psychophysiologie, sur lequel s’étaient construites les sciences du travail
en France.
D’une part, sur « la question méthodologique la plus grave » (Lahy, 1937a, p. 14),
celle des tests, Lahy ne développa certes pas une critique radicale de cette méthode,
qui restait, selon lui, à la base de la psychologie scientifique. Il s’opposait, toutefois,

12. Lahy, J.-M. [s.d.], L’organisation scientifique du travail en France. Physiologie et psychologie –
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 25.
13. Lahy, J.-M. [s.d.]. Qu’est-ce qu’une aptitude professionnelle – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire
de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 69

au recours extensif qu’en faisait la biotypologie en multipliant les mesures phy-


siologiques, anthropométriques et psychologiques. C’est avant tout sur les tests
psychologiques qu’il convenait, selon lui, de focaliser l’attention, en prenant soin
de contrôler les biais qu’ils présentaient et de compléter les résultats obtenus par le
recours à des observations : celles-ci devaient être menées selon « les règles géné-
rales du matérialisme historique », en considérant « le caractère comme un aspect
individuel de la superstructure idéologique, aspect qui est déterminé par le ‘‘schème
d’aperception’’ de l’individu (Adler), c’est-à-dire l’angle sous lequel l’individu voit
le monde et sa propre position dans le monde [et] qui détermine sa conduite » (Lahy,
1935, p. 570-571).
D’autre part, sans rejeter radicalement toute influence du facteur biologique, il
ne cessa de mettre l’accent sur les déterminants sociaux des phénomènes psycho­­
logiques et encouragea l’ouverture de la psychotechnique vers la sociologie,
notamment grâce aux liens qu’il entretenait avec le sociologue marxiste Georges
Friedmann, lui aussi activement engagé aux côtés du mouvement communiste.
En 1934, par exemple, dans son article « La psychotechnique et la psychiatrie », Lahy
concluait : « La nature sociale de l’intelligence se trouve confirmée puisque, même
gravement atteint le cerveau de l’homme conserve la marque que lui a imprimée la
classe à laquelle il appartient. Insistons sur le fait que nous ne prétendons pas que la
classe non cultivée soit par sa nature inférieure, au point de vue intellectuel, à l’autre
classe sociale. […] Nos expériences montent, en effet, comment les facteurs écono-
miques arrêtent l’évolution du cerveau d’une classe sociale toute entière. Ce fait
confirme d’une manière irréfutable l’hypothèse de la relation étroite qui existe entre
les facteurs économiques et l’hygiène mentale. Ainsi se trouve posé sous son aspect
biologique et social le problème de l’hygiène de l’esprit compris non seulement dans
le sens étroit de la prophylaxie mentale mais dans le sens plus général du perfection-
nement du cerveau humain » (Lahy, 1934, p. 100-101).
Avec cette double critique, Lahy marquait ses distances vis-à-vis de la « biotypo-
logie », portée dans les années 1930 par Laugier et Toulouse14 : conçue comme une
« science de l’homme en tant que complexe biologique en action », la « biotypologie »
devait servir de guide à « l’eugénique » et à « l’amélioration des races humaines »,
en permettant d’établir une « sélection dans tous les domaines, anthropologiques,
pathologiques (caractères de la résistance aux maladies), éducatif (professionnel),
militaire, criminel  »  ; pour cela, elle cherchait à découvrir, par les méthodes
statistiques, des «  corrélations, somatiques et fonctionnelles, physiologiques et
psychologiques, normales et pathologiques » afin de dégager «  les lois qui régis-
sent l’ensemble des caractères d’un individu ou d’un groupe, caractères [supposés]
tous interdépendants et subordonnés les uns aux autres de manière à aboutir à un
seul facteur premier ou plutôt à un petit nombre de facteurs essentiels » (Toulouse,
1937).

14. Si J.-M. Lahy fut membre de la Société de biotypologie, créée en 1932, il n’y apporta de fait aucune
contribution. Voir à ce sujet M. Turbiaux (2006). Sur les rivalités entre H. Laugier et J.-M. Lahy, voir
également G, Ribeill (1994).
70 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Les repositionnements intellectuels auxquels procéda Lahy dans les années


1930, certes, ne marquèrent pas une rupture avec la filiation eugéniste et hygiéniste
des sciences du travail. Ils permirent, néanmoins, d’articuler un temps la psycho-
technique avec le projet de transformations sociales et politiques qu’incarnait le
communisme soviétique et, par-là, de contester la légitimité, politique et savante,
de programmes concurrents, comme l’était la biotypologie, même si les uns et les
autres purent se retrouver dans des entreprises collectives15. Dans ces luttes savantes,
le communisme devint dans les années 1930 une ressource légitimatrice16. Présenté
comme un État savant, l’Union soviétique était désormais perçue en Occident
comme une instance de légitimation, objet de ce fait de fortes concurrences entre
divers projets socio-biocratiques. Toulouse, lui-même, malgré ses réticences initiales
à l’égard de la violence bolchevique, déclarait en 1936, selon Huteau, avoir « sou-
vent proclamé son admiration pour l’idéal communiste, qui lui paraît le plus grand,
le plus beau, le plus empreint d’inspirations biologiques  » (Huteau, 2002, p.  53).
En 1931, de retour du congrès de psychotechnique qui s’était tenu à Moscou, Lahy
écrivait ainsi au psychiatre soviétique I. Z. Velʹvovskiĭ de Kharkov : « J’ai beaucoup
regretté que vous ayez eu, à Moscou, des conversations avec Mademoiselle Wein-
berg, car l’interprétation qu’elle en a faite ici n’est pas du tout conforme à ce que
nous avons dit. Elle a, notamment, affirmé au Docteur Toulouse que vous lui offriez
des millions pour aller à Karkhoff installer l’Hygiène mentale. Heureusement que
mon ami Toulouse, qui est un homme, comme vous le savez, d’un très grand bon
sens, n’a pas accepté cette fantaisiste proposition. Dès mon retour, j’ai expliqué à
Toulouse que tout en admirant son œuvre, au point de vue technique, vous étiez en
désaccord avec lui sur la position que doit occuper, dans une société bien organisée,
l’Hygiène mentale et la Psychiatrie. Il s’est rendu compte, devant mes arguments,
que sa position était beaucoup moins exacte que la vôtre et c’est avec plaisir que je
le vois, aujourd’hui, faire l’étude plus attentive du Matérialisme Dialectique, dont
l’immense réalisation que vous faite en ce moment démontre toute la valeur à la
fois pratique et scientifique. »17

Avec son ancrage dans le jeu politique républicain et les succès électoraux rem-
portés, notamment au moment du Front populaire, dans de nombreuses villes et
communes de la région parisienne, le Parti communiste français put aussi servir
d’appui dans cette quête d’une reconnaissance politique de la psychotechnique.
Au milieu des années 1930, en effet, Lahy parvint à utiliser les relations qu’il avait
nouées avec des dirigeants communistes pour occuper des fonctions d’expertise
dans les villes de la banlieue parisienne conquises par le Parti communiste. Il mit en

15. Lancée en 1933, la revue Le Travail humain était par exemple codirigée par J.-M. Lahy et H. Lau-
gier. Centrée sur les questions théoriques et pratiques d’« organisation rationnelle de l’activité
humaine », elle visait avant tout « les biologistes, physiologistes, psychologues, médecins, hygiénistes
qui se préoccupent des applications de la biologie à la vie sociale » (Lahy & Laugier, 1933).
16. Voir également à ce sujet D. Papiau (2017).
17. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 27.
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 71

place des services de psychologie appliquée, notamment à Villejuif18 et à Mitry-Mory,


où, après avoir instauré des examens psychologiques pour les enfants de l’orpheli-
nat « L’avenir social », il créa, en 1935, « un service de psychotechnique scolaire et
sociale ».
Cette expérience fut avant tout celle d’une confrontation avec les institutions en
charge de ce qui, depuis le début du XXe siècle, était qualifié d’« enfance anormale »,
ce domaine d’intervention, situé à la périphérie des grandes institutions d’État (les
institutions scolaire, médicale et juridique), pour « gérer leurs dysfonctionnements »
« après l’entrée en masse dans l’école publique (du fait de l’obligation scolaire) des
enfants des fractions les plus basses du prolétariat » (Pinell & Zafiropoulos, 1983 ;
Muel, 1975). Contestant le monopole qu’avaient jusque-là les médecins aliénistes sur
cette question, un ensemble de nouveaux spécialistes (psychologues, éducateurs)
parvint à « se ménager entre l’école et l’hôpital un terrain d’intervention » (Pinell &
Zafiropoulos, 1983). Si, en 1909, la création des « classes de perfectionnement »
sembla attester leur réussite, leur reconnaissance par les pouvoirs publics restait
fragile, les obligeant à rechercher de nouveaux relais politiques. C’est cette straté-
gie que déploya Lahy auprès des municipalités communistes, dont il dut calmer
les réticences initiales vis-à-vis de la psychotechnique. Dans sa lettre à Lahy du
17 février 1934, par exemple, le maire de Villejuif, après avoir annoncé la décision
du conseil municipal d’annuler la création du service de psychotechnique pour des
raisons financières, ajoutait : « Je reste personnellement sceptique sur les avantages
pratiques d’un tel service dans les cadres sociaux présents, mais j’y reconnais une
grande valeur démonstrative qui suffit à en justifier la création. La discussion du
budget nous a imposé d’autres considérations. Villejuif est l’une des Communes du
Département de la Seine où les charges contributives sont les plus lourdes. […] Nous
croyons possible d’expliquer aux travailleurs de la Commune que les impôts sont
augmentés par suite de la participation communale dans le paiement des secours
de chômage ou l’ouverture d’une nouvelle école. Mais nous croyons impossible de
justifier l’augmentation des contributions par la création d’un service intéressant,
mais qui n’est pas vital pour les travailleurs. »19
Ces négociations aboutirent néanmoins à dessiner un plan d’action fondé sur des
dispositifs de dépistage, de rééducation, de prévention et de surveillance axés sur
la famille et l’école. Les services psychotechniques mis en place visaient à procéder
à un « triage des enfants » afin de ne laisser à l’école que les enfants « normaux » et
d’envoyer les « anormaux », dans « une classe de perfectionnement », mobilisant des
méthodes pédagogiques adaptées. Un autre mesure-clé proposée par Lahy consistait
en la création d’un dispensaire psycho-pédagogique, où seraient associés un
médecin et un psychotechnicien, sous la direction d’un psycho-pédagogue, et où
« les parents et les instituteurs [seraient] conseillés pour tout ce qui concerne leur

18. Dans le groupe scolaire Karl Marx, J.-M. Lahy ouvrit, en 1933, un service visant à évaluer psycho-
logiquement les enfants et à préparer l’orientation professionnelle.
19. Lettre du maire de Villejuif à J.-M. Lahy, 17 février 1934 – Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire
de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – carton 19. Je remercie vivement Marco
Saraceno de m’avoir indiqué cette lettre.
72 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

tâche éducative, cas par cas », selon les informations recueillies sur chaque enfant
(Lahy, 1937b). La visée, par-là, était d’œuvrer à « l’adaptation permanente des indi-
vidus aux tâches qu’ils sont destinés à accomplir », de créer les conditions d’« une
amélioration continue de l’hygiène mentale » et par là de « l’espèce humaine » :
« Il s’agit pour nous, non pas de créer une élite intellectuelle, mais d’aboutir à la for-
mation d’une masse populaire où chaque individu serait un intellectuel, non pas par
profession, mais par attitude. […] Les répercussions que l’hygiène mentale comprise
de cette façon peut avoir pour le progrès, non seulement du cerveau humain, mais
de toute la superstructure sociale, sont immenses. Comme il n’existe pas de pratique
sans théorie et de théorie sans pratique, chaque profession, si banale qu’elle soit, ne
peut que gagner lorsqu’elle sera exercée par un homme intellectuellement élevé.
Le perfectionnement du cerveau entraîne le perfectionnement de toutes les activités
humaines » (Lahy, 1937a, p. 17).

Conclusion
Sans doute faudrait-il étudier de plus près ces expériences de psychologie appli-
quée menées par Lahy et ce qu’elles révèlent de l’entremêlement des idées et pra-
tiques eugénistes ou hygiénistes, républicaines et communistes, autour de dispositifs
visant à « éduquer » les classes populaires. L’alliance qui se noua un temps entre
la psychotechnique et le communisme municipal, bien qu’elle se situât en rupture
avec l’optique médicale et sa définition biologisante des « tares » sociales et qu’elle
permit, dès l’entre-deux-guerres, d’opposer à l’idée d’incurabilité celle d’éducabilité,
aboutissait toutefois à transposer dans le monde communiste les techniques d’éva-
luation et d’encadrement des populations élaborées par la science républicaine
dans un souci d’adaptation des classes populaires aux besoins de la société et
d’inculcation d’un code moral.
Cette rencontre du rationalisme savant avec le communisme, dont Lahy est un
cas symptomatique, ne fut donc pas sans susciter de multiples tensions. Les riva-
lités entre élites ouvrières et intellectuelles qui, depuis le XIXe siècle, travaillaient le
mouvement ouvrier se cristallisèrent alors autour de définitions concurrentes sur le
rôle que devaient jouer les sciences (et quelles sciences) dans le gouvernement des
populations. C’est donc à poursuivre cette histoire croisée de la science républicaine
et du communisme au XXe siècle qu’invite ce retour biographique, afin de saisir
quelles furent, dans les sciences françaises républicaines, les voies de sortie (et leurs
limites) d’une pensée eugéniste et scientiste et aussi de comprendre comment ont
pu persister « des logiques de domination culturelle au sein des mécanismes mêmes
de transgression de l’ordre social, au cœur de l’entreprise de lutte contre la domina-
tion » (Pudal, 2004 [2000], p. 771).
Rationalisme savant, eugénisme et communisme 73

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Jean-Maurice Lahy, franc-maçon,
entre études maçonniques et sciences du travail

Dominique Brendel

Dans sa présentation des archives de Jean-Maurice Lahy déposées au centre


hospitalier Sainte-Anne, Marcel Turbiaux a consacré à celui-ci tout un chapitre
bien documenté à propos de son appartenance à la Franc-maçonnerie (FM). Dans
cette communication nous essayerons de montrer comment la Franc-maçonnerie a
offert à Lahy un cadre, une assise philosophique, des valeurs et des moyens pour
donner à sa pensée, concernant les sciences de l’homme au travail, l’espace dont il
avait besoin. À partir de l’étude des documents conservés dans ces archives et celles
du Grand Orient de France (GODF), nous nous efforcerons de présenter les activi-
tés susceptibles de documenter le lien postulé entre les études maçonniques et les
sciences du travail chez Lahy.

L’entrée de J.-M. Lahy en maçonnerie :


la loge des « Amis triomphants »
Jean-Maurice Lahy a été initié au Grand Orient de France le 21 janvier 1901
dans la loge « Les Amis triomphants » devenue plus tard la loge « Athéna », loge
qu’il quitte en 1920 pour fonder la loge « Agni ». Nous savons peu de choses sur
les raisons qui l’ont décidé à entrer en Franc-maçonnerie : il y aurait été incité par
sa belle-famille, la famille Trouillet et peut-être été parrainé par Édouard Toulouse
(1865-1947) qui avait fondé en 1898 un laboratoire de psychologie expérimentale
à l’hôpital psychiatrique de Villejuif auquel Lahy a été rattaché dès 1901 en tant
qu’élève1.
À l’intérieur du Grand Orient de France, toutes les loges ne se ressemblent pas
et l’obédience est loin d’être homogène. La loge « Les Amis triomphants » est une
loge très progressiste, ce que confirme le livre édité pour le 200e anniversaire de cette
loge qui cite comme exemple, en 2e de couverture, un épisode lié à la Commune
de Paris :

1. Voir Marcel Turbiaux (2011). Compte rendu de lecture : « 1809-2009. Deux siècles d’une Loge dans
son histoire Athéna-Les Amis triomphants », Bulletin de Psychologie, 511, 83-85.
78 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 1 – 2e page de couverture du livre rédigé par la loge « Athéna » en 2009
Fig. 1 – 2e page de couverture pourdu
le bicentenaire
livre rédigéde sa la
par création
loge « Athéna » en 2009 pour le
bicentenaire de sa création

À la fin du XIXe siècle, la franc-maçonnerie se prononce sur un certain nombre de sujets à


débattre en rapport avec le monde du travail, par exemple : les libertés syndicales, les

68
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 79

À la fin du XIXe siècle, la Franc-maçonnerie se prononce sur un certain nombre


de sujets à débattre en rapport avec le monde du travail, par exemple : les libertés
syndicales, les prud’hommes, le repos hebdomadaire, l’hygiène et la sécurité, la
situation difficile des instituteurs.
La loge « Les Amis triomphants » est composée en majorité d’ouvriers. Très
sensible aux questions sociales elle oriente ses activités vers la philanthropie
(caisses de solidarité : travail, décès, invalidité, logement, orphelins de guerre) et
le soutien aux mouvements laïques (patronages, Ligue de l’enseignement).
En 1874, un conférencier de la loge invite « les ouvriers probes et intelligents »
constituant la majorité de la loge à approfondir les questions d’économie sociale et
du positivisme afin de travailler au perfectionnement et à l’amélioration du sort des
prolétaires. Il évoque les causes politiques, religieuses et sociales qui empêchent le
progrès d’avancer plus vite (Georger, 2009, p. 64), la loge adhère alors à la Société
maçonnique du travail. Cette même année 1874, la loi portant la création de l’Inspec-
tion du travail joue un rôle essentiel dans l’évolution des dispositions concernant la
protection des travailleurs en confiant à l’Inspection, devenue corps d’État, la tâche
de surveiller, en liaison avec la Commission supérieure du travail (CST) créée par la
loi du 7 décembre 1868 et le Comité consultatif des arts et des manufactures (CCAM)
né des décrets des 20 mai 1854 et 5 juin 1861, l’application des lois générales sur le
travail. Si celles-ci ne concernent que les seuls enfants, filles ou garçons, mineurs
employés sur machines dangereuses ou manipulant des substances toxiques, très
vite et bien avant que le législateur généralise la protection à l’ensemble des travail-
leurs, les inspecteurs du travail vont faire en sorte d’étendre leur responsabilité à
l’ensemble de l’atelier (Ouvrier-Bonnaz, 2014).
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le climat social est favorable aux
réformes. Les grands conflits du travail de la fin du XIXe poussent la gauche républi-
caine mais aussi les catholiques sociaux à soutenir les réformes en faveur du monde
ouvrier. Dans ce contexte, plusieurs dispositions législatives ouvrent la voie en
matière de progrès social : légalisation des syndicats en 1884 permettant la création
de la Confédération générale du travail (CGT) en 1895, création en 1891 de l’Office
du travail, organisme chargé de mener des enquêtes sur tous les aspects du travail,
des relations sociales et de produire des statistiques afin de conseiller au mieux ceux
qui s’intéressent aux réformes sociales, et bien sûr la loi du 2 novembre 1892 qui ren-
force le pouvoir de contrôle de l’Inspection du travail issu de la loi du 19 mai 1874
sur le travail des enfants dans le monde industriel. En 1896, le frère Arthur Groussier,
député socialiste, dépose une résolution demandant le regroupement dans un même
document de toutes les lois et règles qui constitueront le code du travail2.
Cette volonté réformatrice favorise l’accélération de la remise en cause, initiée
par les philosophes des Lumières au XVIIIe siècle, des notions de dispositions natu-
relles et d’ordre divin justificatrices de l’organisation de la société et de l’organisa-
tion du monde du travail qui en découlent. À la même époque, Le Grand Orient de
France adopte un vœu demandant la suppression de l’article 1er de la constitution de
la Franc-maçonnerie qui fixe comme principes l’existence de Dieu et l’immortalité

2. Convent de 1877 – Archives du GODF.


80 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de l’âme3. Le Grand Orient de France a dorénavant pour principe « la liberté absolue
de conscience » (Georger, 2009, p. 64). En 1891 paraît l’encyclique Rerum Novarum
du pape Léon XIII qui définit la doctrine sociale de l’Église. Cette encyclique traite
de la question ouvrière. Elle dénonce, à la fois, l’égoïsme des capitalistes et réfute les
théories socialistes en réaffirmant le droit à la propriété privée contre le collectivisme
et y encourage le syndicalisme chrétien. La Franc-maçonnerie se doit de se position-
ner face à cette Église qui l’accuse d’être responsable des maux « des pauvres, de
l’ouvrier, du fonctionnaire, des honnêtes gens »4 et, à son tour, de faire de la ques-
tion sociale un enjeu central. Les sujets les plus traités alors dans la loge « Les Amis
triomphants » tournent autour de la lutte des classes et de l’anticléricalisme.
En 1892, pour mener à bien cette réflexion en maçonnerie, la Société d’édu-
cation civique appelée aussi Société des conférences populaires, transformée
en Conférences du dimanche en 1904, est créée. De convents en convents5, l’obé-
dience travaille sur les réformes sociales. C’est dans ce contexte que Lahy est ini-
tié dans une loge particulièrement engagée dans toutes ces réflexions. La loge est
devenue à dominante radical-socialiste avec une minorité de révolutionnaires.
Très rapidement Lahy en prend la direction, il devient Vénérable en 1905 (après
4 ans seulement de présence) et le restera officiellement jusqu’en 1919. La com-
position sociologique de la loge a progressivement changé, professions libérales,
artistiques, chefs d’entreprise, ingénieurs, quelques employés ont remplacé les
ouvriers du siècle précédent.
Anticlérical, scientiste, positiviste, Lahy prône la diffusion des idées maçon-
niques vers l’extérieur (externalisation) et l’efficacité. Sous son vénéralat, la loge
est de plus en plus active, proposant des thèmes de réflexion à l’ensemble de l’obé-
dience dans le cadre « des questions à l’étude des loges » et en invitant des conféren-
ciers de haut niveau. Quelques exemples de thèmes ou de sujets traités témoignent
de cette activité :
• La psychologie de l’intolérance.
• La pensée humaine et la personnalité humaine.
• Le dogmatisme religieux et l’esprit scientifique.
• La question de la morale. (Lahy a laissé de nombreux textes sur ce sujet de la
morale, en particulier la morale sociale.)
• La philosophie des sciences physiques et chimiques.
• La nécessité d’accompagner un mouvement social efficace de préoccupations morales
et philosophiques.

3. Convent de 1877 – Archives du GODF.


4. Voir à ce sujet le discours de Mgr Delamaire, Évêque de Périgueux et de Sarlat prononcé à l’Hyppo­­
drome de Lille le 22 novembre 1903 : « La vérité sur la Franc-maçonnerie et son œuvre en France ».
Par exemple pages 54-55 : « Je vous ai dit : vos persécuteurs, les bourreaux de votre liberté, de votre
patriotisme et de votre foi, les voilà : ce sont les francs-maçons ! […] vous pouvez, grâce à votre union,
grâce à votre nombre, grâce aussi et surtout à la bénédiction de Dieu promise aux hommes de bonne
volonté, répondre enfin aux provocations de la franc-maçonnerie, par une vaillante, générale, et victo-
rieuse offensive. »
5. Le convent est l’assemblée générale annuelle de l’obédience.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 81

De nombreuses questions sociales et sociétales sont abordées. En 1909, Lahy


prononce le discours de clôture du convent sur le thème : « la Franc-maçonnerie et
la Morale sociale ».

Fig. 2 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Fac-similé de la couverture du discours


de clôture de l’assemblée générale de 1909 du GODF de J.-M. Lahy
82 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Dans ce texte6, il oppose comme toujours la religion à la raison et à la science.


La Morale issue des religions ou de certaines philosophies serait immuable, innée
et universelle, en opposition à la morale sociale  : chaque société, chaque groupe
humain produit sa propre morale, ce qui en assure la cohésion et la survie. Pour lui
la sociologie en a fait la démonstration : la conscience du groupe, c’est cette « âme
collective » et non un être transcendantal – Esprit ou Dieu.
En 1906, à la demande des membres de la loge et sous l’impulsion de Lahy
«  Les Amis triomphants  »  devient la loge « Athéna  ». Le choix de ce nom est à
rapporter au mythe et à ce qu’Athéna représente symboliquement dans la mythologie
grecque. Athéna est la fille de Métis et de Zeus qui avala cette dernière peu de temps
avant l’accouchement. Accouchée de la tête de Zeus qui avait demandé à son fils,
Héphaïstos, de lui fendre le crâne, Athéna en sort toute armée. Athéna est d’abord la
déesse de la raison : Protectrice d’Ulysse et d’Héraclès, elle symbolise l’aide apportée
par l’Esprit à la force. C’est une guerrière, mais une guerrière qui combat pour la
raison. Divine artisane, déesse de l’activité intelligente, elle est l’inspiratrice de tous
les arts et la protectrice de tous ceux qui travaillent (Grimal, 1996 [1951]).

La loge « Athéna », support de nouvelles activités pour J.-M. Lahy


Dès que Lahy en devient vénérable, l’orientation des travaux de la loge change
et repose en partie sur ses travaux profanes personnels, sur ses orientations profes-
sionnelles et philosophiques. C’est à cette époque que démarrent les Conférences du
dimanche et les cours de sociologie. Lahy en est le grand organisateur. Toute la vie
de la loge va désormais être entièrement consacrée à ce travail.
Gros travailleur lui-même, Lahy sait faire travailler les autres. « Jean-Maurice
Lahy est un esprit fort, un homme d’action, qui veut et aime laisser son empreinte
dans les domaines qu’il aborde : préférant parfois l’efficacité à certaines formes de
démocratie. Il est aussi unanimement reconnu par ceux qui l’ont côtoyé comme un
cœur généreux empreint de solidarité, responsable et au cerveau lucide » (Georger, 2009,
p. 129). Jusqu’au divorce d’après-guerre entre sa loge et lui-même : «  La période
de la guerre et de l’immédiat après-guerre a marqué un éloignement progressif,
sans véritables dissensions, entre Athéna et son vénérable. Les frères de la loge ont
continué à travailler en-dehors de son emprise, avec un certain soulagement. Lahy
semble avoir compris qu’il ne réussirait pas à faire revenir la loge à ses méthodes de
fonctionnement antérieures » (Georger, 2009, p. 134).

J.-M. Lahy et les conférences du dimanche


La Société d’éducation civique, qui existait depuis 20 ans s’était endormie.
Elle va renaître sous la forme des Conférences du dimanche, officiellement le 7 juin
1904. Ces conférences s’adressent aux Maçons, à leurs familles et à tous profanes.
Elles ont lieu le dimanche, rue Cadet, dans le Grand Temple, et sont gratuites. C’est

6. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne –


dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 83

la loge « Les Amis triomphants » qui en prend l’initiative, menée par Lahy, elle
entraîne avec elle jusqu’à 70 loges.
Lahy fait le constat que ni les Universités populaires, en perte de vitesse, ni
l’enseignement scolaire ne sont capables de «  présenter un système de faits coor-
donnés qui montrent comment l’explication scientifique peut se substituer aux
affirmations puériles des dogmes religieux7 ». Selon lui, l’enseignement y est trop
fractionné, ne mettant pas en lien et en continuité les différentes connaissances des
différents champs scientifiques. Chaque science se subdivise de plus en plus et plus
personne n’est capable d’en faire la synthèse, contrairement à la figure du savant
des siècles passés. La science reste le privilège d’une élite, et même les enseignants
ne peuvent acquérir ce savoir universel qui reste fragmentaire et se limite aux élé-
ments nécessaires des programmes. Les connaissances ne sont pas suffisamment
répandues, de plus : « l’activité des hommes est réglée par les images qu’ils se font
du monde et d’eux-mêmes » et plus loin : « il [l’individu] agit surtout en tant que
membre d’un groupe, et selon les idées qui règnent dans le groupe. Ces représenta-
tions collectives sont très peu influencées par les progrès des sciences »8.
Pour Lahy, il y a deux grandes classes d’explication du monde :
• les conceptions religieuses, métaphysiques qui tiennent par la force de la
tradition, un système complet fermé, apparemment logique et rationnel où
toutes les objections sont résolues d’avance ;
• les explications scientifiques qui relèvent d’une élaboration constante, plus
difficiles d’accès, et qui se heurtent aux représentations du groupe d’appar-
tenance souvent traditionaliste.

7. Rapport présenté par le F : . Lahy de la loge « Les Amis triomphants » – 20 juin 1905, p. 1. Archives
J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier
n° 42 « Activités maçonniques ».
8. L’éducation philosophique & artistique aux conférences du dimanche (rapport établi par Lahy), p. 9-10.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne –
dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
résolues d’avance ;
• les explications scientifiques qui relèvent d’une élaboration constante, plus difficiles
d’accès, et qui se heurtent aux représentations du groupe d’appartenance souvent
traditionaliste.
84 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 3 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Page de garde du rapport des Conférences
du dimanche après un an de fonctionnement (20 juin 1905)

Pour Lahy, « Les croyances religieuses ne tiennent pas devant les découvertes
scientifiques. En montrant, comme ces découvertes nous y autorisent, que tous les
103
L’éducation philosophique & artistique aux conférences du dimanche (rapport établi par Lahy), p. 9-10.
phénomènes, cosmiques, biologiques, sociaux, sont déterminés par des lois scienti-
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités fiquement
maçonniquesconnues,
». nous sapons les bases mêmes de la croyance religieuse9» .

9. Rapport des Conférences du dimanche présenté par le F :. Lahy – 20 juin 1905, p. 4. Archives J.-M.
73
Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités maçonniques ».
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 85

Pour cela, il est nécessaire de faire pénétrer plus de rationalisme dans les
consciences, faire mieux connaître ce qu’est l’Humanité, la Société, : « comment cet
esprit humain... est arrivé à développer toujours davantage ses précieuses facultés
de généralisation et d’abstraction pour devenir en somme une encyclopédie, pour
acquérir toujours de plus en plus de connaissances fondées uniquement sur l’expé-
rience, sur le libre examen, sur le rationalisme le plus absolu. »10
Il critique l’enseignement en général, et se lance dans un programme très ambi-
tieux pour « enseigner la Vérité. Un ordre existe dans l’Univers – de caractère pure-
ment mécanique. Les choses qui existent… se sont organisées grâce à un jeu de forces
physiques, chimiques, biologiques, sociologiques, … Ces phénomènes ne sont pas
isolés, comme le ferait croire leur analyse par les sciences particulières, mais liés
entre eux : nous appellerons ordre le rapport entre les phénomènes. En fait tout se
suit, tout s’enchaîne ; tout se précède et se succède dans la nature, il n’y a que des
séries. »11
Tous les programmes seront construits selon ces convictions. Il s’agit de former
un faisceau des acquis de la Science pour arriver à une conception rationnelle de
l’Univers, de l’Homme et des Sociétés. Lahy défend une philosophie basée sur l’ex-
périence et l’observation qui doit allier l’émotion à la compréhension.
Il fait appel à des conférenciers de renom. Un sujet est abordé chaque dimanche.
Par exemple, en 1907 à partir du thème : « le développement de l’Homme en partant
de l’Homme primitif jusqu’à la pensée contemporaine » sont traités :
• La civilisation des peuples primitifs.
• La civilisation de l’Égypte, de la Chaldée Assyrie, et des Hébreux.
• Puis : L’Extrême Orient, les civilisations grecque et romaine, alexandrine et
chrétienne
• Le Moyen-Âge, de la Réforme à la Révolution.
• L’Art et la civilisation à Paris.

10. Allocution du Président – Présentation des Conférences du dimanche - tapuscrit non daté – p. 2.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne –
dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
11. Rapport des Conférences du dimanche présenté par le F :. Lahy (1907), p. 12. Archives J.-M.
Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités maçonniques ».
86 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 4 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Exemple de programme annuel


Fig. 4 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Exemple de programme annuel
(année
(année 1905-1906)
1905-1906) desdes Conférences
Conférences du dimanche
du Dimanche

LahyLahy intervientintervient régulièrement.


régulièrement. Quelques exemplesQuelques
permettentexemples permettent
de saisir la diversité des de saisir la
thèmes
diversité
abordés et des
leur thèmes
originalité.abordés
Dans leetprogramme
leur originalité. Dans où
de 1905-1906 le programme
il est présentéde 1905-1906
comme
«où il est présenté
assistant comme
du Laboratoire de « assistant du Laboratoire
psychologie expérimentale de psychologie
de l’École pratique desexpérimentale
hautes-
études il fait une conférence intitulée «
de l’École pratique des hautes-études », il fait une conférence intitulée « Ledeméca-
», Le mécanisme de la Pensée et les Phénomènes
conscience ». Le 21 mars 1909 présenté comme « chef de travaux au laboratoire de l’École
nisme de la Pensée et les Phénomènes de conscience  ». Le 21 mars 1909 présenté
des hautes-études », il fait une conférence « L’Homme moderne » dont l’objectif est de faire
comme
la synthèse« chef
de tousdelestravaux
travaux au laboratoire
précédents, ded’une
enrichis l’École des hautes-études »,
approche il fait une
nouvelle : la Sociologie
conférence
qui « permet de « L’Homme
montrer que moderne »
l’homme moderne dont est
l’objectif
donc une estrésultante
de fairedulamilieu
synthèse
dans de tous les
lequel
iltravaux précédents,
vit. Ce milieu connu, on enrichis d’une
peut suivre les approche
éléments qui nouvelle :
composentlalasociologie qui « permet
pensée individuelle, les de
montrer
actions queréactions
et les l’homme qui moderne est donc
la déterminent, une résultante
et à l’aide du milieu
de quels instruments dansl’homme
divers, lequel il vit.
Ce milieu
prend connu,
conscience de on peut suivre
l’Univers, de sa les éléments
force, comment quiil composent la pensée
cherche à prévoir et à individuelle,
préparer
l’Avenir et tend ainsi vers un idéal sans cesse plus élevé ». Pour
les actions et les réactions qui la déterminent, et à l’aide de quels instruments
107
Lahy, la sociologie permet divers,
l’homme prend conscience de l’Univers, de sa force, comment il cherche à prévoir
et à préparer l’Avenir et tend ainsi vers un idéal sans cesse plus élevé12 ». Pour Lahy,
107
Les Conférences du dimanche. « L’Homme Moderne » par J.-M. Lahy – 21 mars 1909, p. 1.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
«12.
Activités maçonniquesdu
Les Conférences ». dimanche. « L’Homme Moderne » par J.-M. Lahy – 21 mars 1909, p. 1. Archives
J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier
n° 42 « Activités maçonniques ». 75
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 87

la sociologie
de comprendre permet
le lien de comprendre
qui s’établit entre les le lien qui s’établit
déterminismes entre et
du milieu lesladéterminismes
prise de conscience
et ainsi développer les capacités des Hommes à agir et à penser leur avenir.des Hommes à
du milieu et la prise de conscience et ainsi développer les capacités
agir et à penser leur avenir. 

Fig. 5 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne – Première page de la Conférence


Fig. 5 – Archives J.-M. Lahy – CH
du dimanche Sainte-Anne
prononcée - Première
le 21 mars 1909 page de la Conférence
du dimanche prononcée le 21 mars 1909

À ces conférences est adjointe, un dimanche sur deux, une « Promenade scientifique » en lien
avec chacune des conférences. Ainsi, le dimanche 31 mai 1908, Lahy propose une visite du
Laboratoire de Psychologie expérimentale de l’École des hautes études à l’Asile de Villejuif.
Les visites proposées en 1909 montrent la diversité des choix :
88 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

À ces conférences est adjointe, un dimanche sur deux, une « Promenade scienti-
fique » en lien avec chacune des conférences. Ainsi, le dimanche 31 mai 1908, Lahy
propose une visite du Laboratoire de psychologie expérimentale de l’École des
hautes études à l’Asile de Villejuif.
Les visites proposées en 1909 montrent la diversité des choix :
• L’Observatoire de Meudon.
• L’Observatoire de Meudon.
• LE Museum : la galerie d’Anthropologie, de Paléontologie.
• Le Museum : la galerie d’Anthropologie, de Paléontologie.
• Le Conservatoire national des arts et métiers.
• Le• Conservatoire national des arts et métiers.
Le Musée du Luxembourg.
• Le Musée du Luxembourg.
• Deux villes d’art : Beauvais, Versailles…
• Deux
• villes d’art : Beauvais, Versailles…

Fig. 6 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne –


Programme des manifestations de l’année 1909
Fig. 6 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne –
Programme des manifestations de l’année 1909

77
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 89

Une éducation artistique est proposée. Des concerts sont organisés, mais tou-
jours avec cette même volonté d’éduquer : « Il ne suffit pas de présenter au public
Une des œuvres
éducation choisies
artistique est pour avoir
proposée. Deséduqué son
concerts goût.
sont Il fautmais
organisés, lui faire pénétrer
toujours le méca-
avec cette
même volonté d’éduquer : « Il ne suffit pas de présenter au public des œuvres choisies pour cer-
nisme de la création artistique et le faire juger entre plusieurs œuvres d’après
avoirtains critères
éduqué psychologiques
son goût. Il faut lui faireetpénétrer
sociaux.leDans la séance
mécanisme de laducréation
25 février, le frère
artistique et leLahy a
faire donné un enseignement
juger entre plusieurs œuvressur des œuvres
d’après qui étaient
certains critères exécutéesetcesociaux.
psychologiques jour-là,Dans
il a montré
la
séance du 25
quels février,
étaient leslecaractères
frère Lahydifférentiels
a donné un entre
enseignement sur des des
les meilleures œuvres qui étaient
petites œuvres qui
exécutées ce jour-là,
traitent des mêmesil a montré quels
sujets. étaient
Dans unelesseconde
caractères différentiels
partie entre lesentre
il a comparé meilleures
eux deux
des petites
grands œuvres qui traitent
maîtres, Schumann des mêmes sujets. Dans
et Beethoven. Auune deuxième
sujet partiede
de l’œuvre il aSchumann,
comparé entre Amour
eux deux grands maîtres, Schumann et Beethoven. Au sujet de l’œuvre de Schumann, Amour
du Poète, il a comparé l’expression purement littéraire des sentiments de H. Heine
du Poète, il a comparé l’expression purement littéraire des sentiments de H. Heine dans
dans Intermezzo et leur interprétation par Schumann. »13
Intermezzo et leur interprétation par Schumann. »108

Fig. 7 –Fig. 7 – Archive


Archive J.-M. J.-M.
Lahy Lahy
– CH–Sainte-Anne
CH Sainte-Anne – Concert
– Concert du 15du 15 décembre
décembre 1907 1907

Lors de cesLors de ces conférences,


conférences, des matinéesdes matinées
enfantines sontenfantines sont
prévues pour lesprévues pour
enfants des les enfants
auditeurs
des «auditeurs
que des que dévoués
collaborateurs des « collaborateurs dévoués
s’efforcent d’amuser et s’efforcent
commencer d’amuser et commencer
aussi leur éducation
artistique et morale. « Il y avait une annexe à ces séances du GO, un coin remuant, bruyant et
joyeux : celui de nos Matinées enfantines, Petites causeries égayés de Lanterne magique, de
cinéma, de théâtre
13. Rapport d’ombres,
présenté par le F :chants,
. Lahy desaynètes interprétées
la loge « Les par des enfants,
Amis triomphants » collation
– 20 juin 1905, et
p. 8. Archives
distribution de jouets,
J.-M. Lahy il yd’histoire
– Musée eut pour de nous des minutesetcharmantes
la psychiatrie à occuper
des neurosciences – CHl’imagination
Saint-Anne de – dossier
n° 42 « Activités maçonniques ».
108
Rapport présenté par le F : . Lahy de la loge des amis Triomphants – 20 juin 1905, p. 8.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42
« Activités maçonniques ».

78
90 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

aussi leur éducation artistique et morale. « Il y avait une annexe à ces séances du
GO, un coin remuant, bruyant et joyeux : celui de nos Matinées enfantines, Petites
causeries égayés de Lanterne magique, de cinéma, de théâtre d’ombres, chants, saynètes
interprétées par des enfants, collation et distribution de jouets, il y eut pour nous des
minutes charmantes à occuper l’imagination de ce petit monde babillard et amusé.
Le zèle ingénieux de Mlle Hollebecque [Mad. Lahy] animait ces récréatives éduca-
tives. »14 Les Conférences du dimanche ne reprirent pas après la guerre, « dans le
désarroi moral qui la suivit, il apparut difficile à Lahy de remonter les Conférences
du dimanche. Il y a des gestes qui se recommencent difficilement ; l’œuvre, peut-
être aussi, avait donné l’essentiel de ce qu’on pouvait attendre ; et puis, il y avait
des vides dans la phalange de collaborateurs qui s’étaient groupés autour de Lahy
[…]. Les Conférences du dimanche ont laissé derrière elles comme une traînée
lumineuse. »15
Dans l’éloge funèbre prononcé aux obsèques de Lahy le 25 août 1943, Félix
Chevrier (1884-1962), membre de la loge « Agni », donne des indications sur la façon
dont Lahy concevait son enseignement dans ces Conférences du dimanche : « Dans
les milieux éclairés où il organisait cet enseignement mutuel qui fut une des grandes
passions de sa vie, il oubliait volontiers son titre de professeur des hautes-études
[…]. De sa chaire Lahy suivait, animait, dirigeait ces débats fraternels, les aiguillait
vers des solutions claires, des conclusions pratiques, vers l’action raisonnée et le
devoir humain. »16

J.-M. Lahy et les cours de sociologie


Les cours de sociologie scientifique comme les cours commerciaux donnés gra-
tuitement sont des sortes de cours de formation continue, organisés régulièrement à
partir de 1909, les thèmes traités sont proches de ceux abordés lors des Conférences
du dimanche. Les cours ont lieu le jeudi à 20h30 heures, 16 rue Cadet. Le programme
de 1910 comprend deux sujets traités alternativement : l’étude générale des phéno-
mènes sociaux dont une partie concerne « L’art et la technique » et les questions de
philosophie scientifique. Des visites de musées et laboratoires sont organisées pour
permettre des démonstrations et des expériences17. Ces cours concernent majoritaire-
ment l’étude de l’organisation sociale comme en porte témoignage le programme de
l’année 1912-1913 : « Comment une Notion scientifique de l’Univers peut éclairer un
problème social »18, mais aussi celles concernant le monde du travail comme dans le

14. Loge « L’Avenir ». Les Conférences du dimanche du GODF. Souvenirs du F :. Robert Tomas des
L :. .L :. « L’Avenir » et « Agni », p. 18. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences – CH Saint-Anne – dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
15. Opus cit., Souvenirs du F :. Robert Tomas, p. 19.
16. Éloge funèbre prononcé par Félix Chevrier rapporté par M. Turbiaux (2007). « Le mystère de la
mort de J.-M. Lahy », Bulletin de psychologie, 489, 267-273.
17. Cours de sociologie du Grand Orient de France, L’Acacia, sept-oct., 1910, p. 132.
18. Les cours de l’année 1911-1912 comportent deux thèmes : l’étude générale des phénomènes sociaux
et l’origine des sentiments moraux (programme des cours commerciaux et de sociologie scientifique de
l’année 1911-1912). Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
CH Saint-Anne – dossier n° 42 « Activités maçonniques ».
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 91

cours : « La Notion d’énergie et d’Organisation du travail ». Les liens entre civilisa-
tion et technique industrielle sont aussi régulièrement tissés : « La technique indus-
trielle exprime mieux que toutes les autres traces le degré de civilisation. Elle affirme
la présence de l’Homme sur terre avant toutes les autres traces » […]. « Si cette maî-
trise [la maîtrise progressive des techniques] a amélioré le bien-être de l’Homme,
elle en a aussi généré ses excès et a conduit aux luttes sociales. »

Figure
Figure 8 – Archives
8 – Archives J.-M.– Lahy
J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne
CH Sainte-Anne – Programme– Programme
des cours dedes cours de
sociologie
de décembre
sociologie 1912 – janvier
de décembre 1912 –etjanvier
février et
1913
février 1913

L’activité
L’activité professionnelle
professionnelle est unestthème
un thème central
central de cesdecours.
ces cours.
DansDans le cours
le cours inti-« De la
intitulé,
tulé, « De
science la science à L’utilisation
à l’industrie. l’industrie. L’utilisation
du moteurduhumainmoteur»,humain », Lahy développe
Lahy développe la méthode à
la méthode
employer pourà étudier
employer pour étudier
l’activité l’activité: professionnelle :
professionnelle
• étudier l’activité humaine dans le milieu de travail et non en laboratoire ;
• • Étudier
s’appuyer sur lahumaine
l’activité critique de Taylor
dans ;
le milieu de travail et non en laboratoire.
• combiner l’ensemble des sciences
• S’appuyer sur la critique de Taylor. concernées mais aussi les conditions du milieu
physique et moral, les conditions générales du travail.
• Combiner l’ensemble des sciences concernées mais aussi les conditions du milieu
physique et moral, les conditions générales du travail.
Pour Lahy, « il ne s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les conditions

ordinaires du laboratoire, mais dans un milieu déterminé, le milieu du travail […].
Pour Lahy, « il ne s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les conditions ordinaires du
D’ailleurs, les professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus activement
laboratoire, mais dans un milieu déterminé, le milieu du travail […]. D’ailleurs, les
des recherches, ne se prêteraient pas à des observations qui ne respecteraient pas
professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus activement des recherches, ne se
prêteraient pas à des observations qui ne respecteraient pas entièrement le milieu » (Lahy,
1912, p. 607-608). En 1913, l’activité scientifique de Lahy est importante et vient nourrir le
contenu des cours de sociologie scientifique au Grand Orient de France. Il commence à
ébaucher sa critique du taylorisme qui fait son entrée en France après la traduction en français
du livre de Taylor, Principles of scientific management, en 1912. Ces critiques déboucheront
sur la publication d’un livre terminé en 1914 mais publié en 1916, Le système Taylor et la
physiologie du travail. Il publie, parallèlement plusieurs études à orientation plus
92 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

entièrement le milieu  » (Lahy, 1912, p. 607-608). En 1913, l’activité scientifique de


Lahy est importante et vient nourrir le contenu des cours de sociologie scientifique
au Grand Orient de France. Il commence à ébaucher sa critique du taylorisme qui
fait son entrée en France après la traduction en français du livre de Taylor, Principles
of scientific management, en 1912. Ces critiques déboucheront sur la publication d’un
livre terminé en 1914 mais publié en 1916, Le système Taylor et la Physiologie du travail.
Il publie, parallèlement plusieurs études à orientation plus physiologique, son
travail sur les dactylographes et les conducteurs de tramways, études fondatrices
à l’origine de la conception qu’il se fait de la psychotechnique19. Pour Lahy, franc-
maçon, la conscience des faits n’existe pas d’emblée, la prise de conscience n’existe
que dans le rapport aux autres et au monde. Le taylorisme en amputant une partie
de l’homme ne peut rendre compte de son activité au travail. Chez Taylor et Lahy,
il y a un même rapport au positivisme : la science est l’outil du rationalisme. Ce qui
diffère c’est l’intention. « Taylor a voulu construire dans l’abstrait un ouvrier-type,
travaillant dans une usine-type avec des outils-types. » Or cet ouvrier ne correspond
pas à l’idée que se fait Lahy du travailleur moderne « intelligent, actif, plein d’ini-
tiative, créateur dans le cercle de ses compétences » (Lahy, 1916, p. 177). La visée
de Taylor est le rendement, le rendement de l’homme étant pensé à l’identique du
rendement de la machine. Taylor pense l’homme en ingénieur et non en physio­
logiste, en psychologue et en sociologue. « Pas une minute il ne s’est imaginé que
les groupes sociaux pouvaient exister hors de l’usine et que leur action était aussi
nécessaire à l’homme que son gagne-pain » et Lahy de conclure : « une erreur de
méthode lui a fait appliquer à l’étude du travail humain les mêmes procédés qu’il a
employés pour l’étude du travail mécanique ».
L’entrée en guerre donne l’occasion à Lahy de découvrir d’autres terrains
d’étude et de développer d’autres activités. Au début de la guerre Lahy est affecté
au service de la trésorerie et des Postes de l’Armée à Châlons-sur-Marne. Il reste très
actif, en lien avec sa loge, fonde la Société des Amis Bienfaisants qui prend en charge
les maçons et leurs familles touchés par la guerre. Il publie une revue mensuelle
d’Athéna qui fait la liaison avec les frères mobilisés.
Il fait une étude sur les tirailleurs20. Puis il est hospitalisé à Troyes, surmené et
dépressif. En 1917, il s’affilie à une loge troyenne et s’éloigne progressivement de la
loge « Athéna ». Pendant toute la durée de la guerre, le frère Vitalien, un médecin,
conduit la loge à sa place. Quand Lahy y revient, il a perdu de son influence, au
grand soulagement des autres membres. Il finit par renoncer à reprendre la loge en
mains et se lance dans la création d’une nouvelle loge, la loge « Agni ».

La création de la loge « Agni »


Au début des années 1920, les sujets traités dans les loges sont encore marqués
par l’expérience de la guerre. Ils tournent alors autour de la guerre, de la paix, de la

19. Voir la bibliographie établie pour l’année 1913 par Marcel Turbiaux dans l’ouvrage.
20. Voir l’article de Serge Nicolas dans l’ouvrage.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 93

démocratie, du capitalisme, du socialisme. La révolution Russe a soulevé beaucoup


d’espoir, mais dès 1919 le Convent critique la politique des soviets21.
La loge « Agni » est créée le 3 avril 1920 par Lahy et sept frères de la loge « Athéna »
et « installée » officiellement le 26 novembre de la même année par des membres
du conseil de l’Ordre dont Marcel Sembat22.

Fig. 9 –Extrait
Fig. 9 – Extraitdudu procès-verbal
procès-verbal d’installation
d’installation de lade la loge
loge « Agni »
« Agni »
– Archives Lahy – CH Saint-Anne
– Archives Lahy – CH Sainte-Anne

Le but poursuivi
Le but poursuivipar par
les les
fondateurs de cette
fondateurs nouvelle
de cette nouvelle logeloge
(déclaration
(déclarationd’intention
d’inten- du 6
novembre
tion du 6 novembre 1920) : « trouver de nouvelles formes de travail collectif et lesà une
1920) : « trouver de nouvelles formes de travail collectif et les appliquer
étude sur l’Action sociale de la haute Finance » paraît un peu décalé s’il n’est pas référé au
appliquer à une étude sur l’Action sociale de la haute Finance » paraît un peu décalé
contexte de l’époque. Au début des années vingt, le développement industriel qui s’accélère,
s’il n’est pas référé au contexte de l’époque. Au début des années vingt, le dévelop-
favorise et encourage la concentration financière. Le cartel ou entente entre firmes jusqu’alors
pement industriel qui s’accélère, favorise et encourage la concentration financière.
en concurrence se développe pour fixer les quotas de production et les prix de vente et gérer
Le cartel ou entente entre firmes jusqu’alors en concurrence se développe pour
de manière autoritaire la régulation de la rémunération du travail. Dès 1920, la fiscalité pèse
fixer les quotas de production et les prix de vente et gérer de manière autoritaire
lourdement sur les consommateurs populaires (impôts indirects), sur les salariés (impôt
la régulation de la rémunération du travail. Dès 1920, la fiscalité pèse lourde-
cédulaire) et marque une grande « indulgence envers les possesseurs de capitaux »118. Face à
ment sur les consommateurs populaires (impôts indirects), sur les salariés (impôt
cette situation, le mouvement politique est divisé. En décembre 1920 à Tours, au congrès de
la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), la scission est effective et aboutit à la
création par les partisans de l’adhésion à la Troisième Internationale d’un nouveau parti qui
prend le nom de Section française de l’Internationale communiste auquel Lahy adhère. En
1922,
21. Lorsles socialistes générale
de l’assemblée qui rejoignent le Kominterm
du 27 septembre doivent
1920, le frère obéir àqu’« il
Labey indique 21 serait,
conditions
d’une dont
l’interdiction d’appartenir àdelareprendre
certaine façon, antimaçonnique franc-maçonnerie. Lahy
les rapports avec comme Le
la Russie ». Sembat
nom dechoisit de rester en
Lahy n’apparaît
pas dans les débats.
maçonnerie. Dossiern’empêche
Ce choix loge « Agni » –
pasArchives
Lahy de du rester
GODF.fidèle au marxisme pour reconnaître,
22. Voirautre,
entre Archives
le du GODF – Dossier
déterminisme loge « Agni
comme ». M. Sembat
loi générale de la(1862-1922), députéà socialiste
réalité. Ainsi de
la Conférence
Paris, plusieurs fois
internationale de ministre en 1914 et 1916,
psychotechnique de vote au Congrès
Moscou de de Tours
1931, en 1920
lors des pour l’adhésion
rapports de la
concernant la
SFIO à la IIIe Internationale communiste.
question des fondements de la psychotechnique, Lahy déclare : « au lieu d’appliquer les faits
(que l’expérience immédiate ne permet pas d’atteindre), j’ai eu la chance de trouver
l’explication du matérialisme dialectique. Je l’ai accepté et je l’accepte119 ».

118
Voir A. Sauvy (1965/1967). Histoire économique de la France entre les deux guerres, p. 101 cité dans
Histoire de la France contemporaine. Tome V : 1918-1940. Volume coordonné par D. Tartakowsky et C.
Willard, (1980, p. 42-43).
119
Sténogramme de la discussion figurant dans les archives de J.-M. Lahy cité par M. Turbiaux (2013). Sous le
94 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

cédulaire) et marque une grande « indulgence envers les possesseurs de capitaux »23.


Face à cette situation, le mouvement politique est divisé. En décembre 1920 à Tours,
au congrès de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), la scission
est effective et aboutit à la création par les partisans de l’adhésion à la Troisième
Internationale d’un nouveau parti qui prend le nom de Section française de l’Inter-
nationale communiste auquel Lahy adhère. En 1922, les socialistes qui rejoignent
le Kominterm doivent obéir à 21 conditions dont l’interdiction d’appartenir à la
Franc-maçonnerie. Lahy comme Sembat choisit de rester en maçonnerie. Ce choix
n’empêche pas Lahy de rester fidèle au marxisme pour reconnaître, entre autre, le
déterminisme comme loi générale de la réalité. Ainsi à la Conférence internationale
de psychotechnique de Moscou de 1931, lors des rapports concernant la question
des fondements de la psychotechnique, Lahy déclare : « au lieu d’appliquer les faits
(que l’expérience immédiate ne permet pas d’atteindre), j’ai eu la chance de trouver
l’explication du matérialisme dialectique. Je l’ai accepté et je l’accepte24 ».
Lors de l’installation de la loge « Agni », Sembat tient un discours très politique
en expliquant : « comment la FM pouvait et devait secouer la torpeur, l’indifférence,
le découragement même qui atteignent quelques militants de la démocratie, en face
des évènements actuels ». Lahy prend également la parole en tant que vénérable
provisoire25. Il précise les « deux aspects de la pensée symbolique : Athéna et Agni »
et lit un texte hindou tiré des Védas (Agni signifie Feu en sanskrit, dieu hindouiste
présent également dans le bouddhisme)26.
La même année 1920, Lahy participe, en tant que garde des Sceaux, membre du
conseil de l’Ordre, à la rédaction des six questions soumises aux loges dont l’une
porte sur « La Morale Professionnelle ». « Dans le cadre de la morale professionnelle,
il conviendrait d’insister sur cette idée qu’il s’agit des principes consentis par
chacun en vue de réaliser et de parfaire le travail c’est-à-dire les principes consentis
par chacun en vue de réaliser et parfaire son travail. »27
• Quels sont les droits et devoirs par rapport aux instruments et aux outils et aux
matériaux ?
• Quel idéal de morale professionnelle dans l’organisation sociale de l’époque ?
• Est-il possible d’imaginer un ordre du travail et de la vie économique établi sur l’éga-
lité et la justice ?
• Le travailleur est-il influencé dans son travail par l’idée de perfection ?

23. Voir A. Sauvy (1965/1967). Histoire économique de la France entre les deux guerres, p. 101 cité
dans Histoire de la France contemporaine. Tome V : 1918-1940. Volume coordonné par D. Tartakowsky
et C. Willard, (1980, p. 42-43).
24. Sténogramme de la discussion figurant dans les archives de J.-M. Lahy cité par M. Turbiaux (2013).
Sous le drapeau rouge : la Conférence internationale de psychotechnique de Moscou de 1931. 2e partie :
« Le soleil se couche à l’Est », Bulletin de psychologie, 528, p. 514. Voir également la note n° 6 du
même auteur dans le présent ouvrage.
25. Il sera installé en tant que vénérable de manière officielle lors de la séance du 20 décembre 1920.
26. Compte rendu du 1er décembre 1920 rédigé par le F :. Languine qui a ouvert la loge avec Marcel
Sembat.
27. Circulaire n° 4, p. 11-13. Compte-rendu des travaux – Actes du convent de l’année 1920 publié en 1921.
travail. »

§ Quels sont les droits et devoirs par rapport aux instruments et aux outils et aux
matériaux ?
§ Quel idéal de morale professionnelle dans l’organisation sociale de l’époque ?
§ Est-il possible
Jean-Maurice d’imaginer un
Lahy, franc-maçon, ordre
entre dumaçonniques
études travail et deetlasciences du travail établi95sur
vie économique
l’égalité et la justice ?
§ Le travailleur est-il influencé dans son travail par l’idée de perfection ?
§ • Comment
Comment conçoit-il
conçoit-il ses rapports
ses rapports avec sesavec sesses
chefs, chefs, ses collègues,
collègues, ses subor­­
ses subordonnés ? -
donnés ?

Fig. 10 – Archives J.-M. Lahy – CH Sainte-Anne –


Fig.Questions
10 – Archives J.-M.
à l’étude desLahy
loges–pour
CH l’année
Sainte-Anne
1920 –
Questions à l’étude des loges pour l’année 1920
Une question porte sur l’enseignement technique. Quatre autres questions
120
Il sera installé en tant que vénérable de manière officielle lors de la séance du 20 décembre 1920.
121 portent
Compte rendusur du
l’admission
1er décembre de larédigé
1920 Femmepar leen
F :.Franc-maçonnerie,
Languine qui a ouvert lalaloge
reconstitution finan-
avec Marcel Sembat.
122 cière de la France, la paix mondiale et la Franc-maçonnerie, l’appréciation à porter
Circulaire n° 4, p. 11-13. Compte-rendu des travaux – Actes du Convent de l’année 1920 publié en 1921.
sur les républiques de l’Europe orientale et les rapports que devra entretenir avec
elles la République française.
83
Pour Lahy si le travail en maçonnerie est important, son externalisation est
essentielle pour le faire connaître au plus grand nombre. Lors d’un conseil, « Le
F :. Lahy présente un projet d’organisation de la propagande au sein de la Franc-
maçonnerie, instituant un délégué par région et une coordination nationale suite
au vœu émis par le convent de 1920 qui a renvoyé à l’examen du conseil de l’Ordre
une proposition ainsi conçue : le convent de 1920 émet le vœu que la propagande
maçonnique devant être intensifiée et la presse étant le moyen le plus efficace, soit
étudié et mis au point par le conseil de l’Ordre la possibilité d’avoir indirectement
l’accès et l’appui d’un journal déjà existant qui sera soutenu par les abonnements
des FF 28 :. désireux de voir diffuser les idées républicaines […] Il y a là tout un service

28. FF : utilisé pour frères. F pour frère.


96 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de propagande à créer, qui rendrait à notre Ordre d’incontestables services29.  »


Ce vœu vise à contrecarrer la propagande de l’église comme le précise le rap-
port de l’assemblée générale du 22 septembre 1921 du F :. Marcel Huart concer-
nant la propagande cléricale où il est précisé que « l’église bénéficie de nombreux
journaux »30.
En 1923 Lahy est embarqué dans une sombre histoire de calomnie, qui lui vau-
dra un procès en interne, dont il sortira innocenté, mais atteint. Il doit, en particu-
lier se défendre face à ses détracteurs sur sa qualité de scientifique et de chercheur.
Il écrit à un ami : « Vous faîtes une grave erreur en assimilant l’École Pratique des
Hautes Études avec la boîte à Dick-Mery dite École des Hautes Études Sociales. Cette
dernière ‘‘École’’ est une parlotte mondaine comme celle des Annales. Par contre
l’École Pratique des Hautes Études fait partie de l’Université de France ainsi que le
prouvent les nominations réitérées dont j’ai été l’objet et que je vous montrerai. Vous
trouverez au Budget de l’Instruction Publique (p. 409 du rapport que je possède)
cette école à côté de l’Université de Paris, de l’École des Langues orientales… »
« Je ne pense pas être obligé à montrer, comme dû le faire Lanquine lorsqu’on l’a
calomnié, l’affiche officielle où est indiqué l’enseignement que je donne. »
Et il énumère ses titres et diplômes :
« J’ai passé ma thèse et obtenu un diplôme de l’École des Hautes Études le 23
juin 1907 (après 6 ans de travaux de recherches et de scolarité) sujet : Les Sociétés
Secrètes de la Mélanésie, contribution à l’étude des formes primitives de l’Associa-
tion ; nommé préparateur au Laboratoire de Psychologie Expérimentale de l’EPHE
(arrêté ministériel du 28 septembre 1907) ; nommé Chef des Travaux au même Labo-
ratoire (arrêté du 11 janvier 1908) ; chargé par l’Institut de Psychologie de l’Univer-
sité de Paris d’un enseignement pratique de Psychologie appliquée. » Et il ajoute :
« Voilà de quoi répondre si, par hasard, on vous parle de moi. »31

29. Compte rendu des travaux du GODF du 1er janvier au 31 mars 1921 établi par le F :. Marcel
Huart, p. 111-114.
30. Voir le chapitre : « La propagande par la presse », p. 253-256. Lahy représente la loge « Agni » à cette
assemblée générale.
31. Lettre datée du 18 décembre 1922 – Loge « Agni » – Archives du GODF.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 97

Fig. 11 – Archives du GODF –


Lettre de Fig.
Lahy11
à « un ami » datée
– Archives dudu 22 décembre
GODF – 1922
Lettre de Lahy à « un ami » datée du 22 décembre 1922
Il y a peu de traces des travaux en loge de la loge « Agni », ces travaux étant
archivés par lades
Il y a peu de traces loge elle-même.
travaux Comme
en loge de la de nombreuses
loge loges,
« Agni », ces la logeétant
travaux « Agni » s’est par la
archivés
débarrassée de ses archives pendant la guerre sous le régime de Vichy du fait des
loge elle-même. Comme de nombreuses loges, la loge « Agni » s’est débarrassée de ses
risques de mise sous séquestre encourus et des conséquences de cette spoliation
archives pendant la guerre sous le régime de Vichy du fait des risques de mise sous
pour la sécurité de ses membres32. Dès lors, on peut juger du travail de la loge126
séquestre
essen-
encourus et des conséquences
tiellement de cetteaux
par ses contributions spoliation pour
débats de la sécuritéetdeplus
l’Obédience membres . Dès lors,
ses particulièrement
on peut juger du travail de la loge essentiellement par ses contributions aux débats de
l’Obédience et plus particulièrement en étudiant les réponses de la loge aux questions
proposées à l’Étude des Loges qui ont pu être conservées dans les archives du GODF.
32. Loi du 13 août 1940 sur l’interdiction des sociétés secrètes auxquelles la Franc-maçonnerie est
Par exemple, en novembre 1923, la loge « Agni » émet un vœu concernant la politique de la
associée. Une grande partie des archives de la loge « Agni » auraient été détruites par Georges Refeuil,
Francemembre
à l’égard
de lade l’Allemagne.
loge, Elle
proche de J.-M. appelle
Lahy à changer
(témoignage de politique,
oral d’Henri Jaskarzec,quand
membreilde
enlaest
logeencore
temps,« Agni »
pour contrer la contacté
depuis 1963 montéepardes forces
nos soins qui réactionnaires
tient l’information et revanchardes
de Georges au détriment du
Refeuil lui-même).
peuple allemand. Elle condamne la politique du pire, celle des éléments nationalistes et

126
Loi du 13 août 1940 sur l’interdiction des sociétés secrètes auxquelles la franc-maçonnerie est associée. Une
grande partie des archives de la loge « Agni » auraient été détruites par Georges Refeuil, membre de la loge,
proche de J.-M. Lahy (témoignage oral d’Henri Jaskarzec, membre de la loge « Agni » depuis 1963 contacté par
nos soins qui tient l’information de Georges Refeuil lui-même).
98 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

en étudiant les réponses de la loge aux questions proposées à l’Étude des Loges
qui ont pu être conservées dans les archives du GODF.
Par exemple, en novembre 1923, la loge « Agni  » émet un vœu concernant la
politique de la France à l’égard de l’Allemagne. Elle appelle à changer de politique,
quand il en est encore temps, pour contrer la montée des forces réactionnaires et
revanchardes au détriment du peuple allemand. Elle condamne la politique du pire,
celle des éléments nationalistes et réactionnaires français et invite à soutenir les répu-
blicains allemands,
réactionnaires français età invite
aider àausoutenir
relèvement économique
les républicains et financier
allemands, de l’Allemagne.
à aider au relèvement
économique et 33financier de l’Allemagne. La loge demande au Grand Orient Poincaré
La loge demande au Grand Orient de France d’interpeller Raymond de France
(1860-1934)
d’interpeller dans Poincaré
Raymond ce sens. (1860-1934)127 dans ce sens.

Fig.Fig.
12 12 –
– Réponse dede
Réponse lalaloge
loge« « Agni »
Agni » ààla
laquestion
question posée
posée àà l’Étude
l’Étudedes
desLoges
logesen
en1923
1923
concernant
concernantl’Allemagne
l’Allemagne

Lahy neLahycessera de s’engager.


ne cessera Ainsi enAinsi
de s’engager. 1935,enquand
1935,l’obédience
quand l’obédiencepropose propose comme
comme question à
l’Étude des Loges : « L’École laïque en péril », il prend position
question à l’Étude des Loges : « L’École laïque en péril », il prend position
128
. Lahy dont l’intérêt34 pour la
. Lahy
question scolaire n’a jamais cessé fait une critique virulente du
dont l’intérêt pour la question scolaire n’a jamais cessé fait une critique virulente ducléricalisme, dénonce ses
moyens,
cléricalisme, dénonce ses moyens, ses méthodes, alors qu’en face le camp laïque sede
ses méthodes, alors qu’en face le camp laïque se montre faible, divisé, à l’image
la Gauche
montreetfaible,
ne se divisé,
bat pas àsuffisamment.
l’image de laIlGauche termineetpar necette
se batproposition : « Créer des
pas suffisamment. conseils
Il termine
de parents d’élèves de l’école laïque qui pourraient être forces de proposition par rapport aux
politiques. Et le devoir de tout maçon serait de créer un conseil et d’en prendre la direction.
Ce 33.
serait alors
Sénateur, un président
ancien lieu pour lutter contre
de la République les forces cléricales et les politiques
et du Conseil.
réactionnaires. »129
Comme toujours, Lahy met ici
34. Cette question n’est pas nouvelle en Franc-maçonnerie, dès son engagement
la fin du XIX maçonnique
e
siècle, elle aau
étéservice
à l’ordredu
progrès social
du jour et dedeslaloges.
du travail liberté
Voirdesurconscience.
ce sujet la thèse de Jean-Paul Delahaye (2003), « La Franc-maçonnerie
er l’Instruction publique de 1861 à 1882 ».
Conclusion

Les archives J.-M. Lahy déposées à centre hospitalier Sainte-Anne comprennent un fonds
important concernant la franc-maçonnerie et le rôle que Lahy y a joué. Compte tenu de la
destruction des archives des loges suite à la condamnation de la franc-maçonnerie par le
régime nazi et le gouvernement français au début de la Seconde Guerre mondiale, ce fonds est
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 99

par cette proposition : « Créer des conseils de parents d’élèves de l’école laïque qui
pourraient être forces de proposition par rapport aux politiques. Et le devoir de tout
maçon serait de créer un conseil et d’en prendre la direction. Ce serait alors un lieu
pour lutter contre les forces cléricales et les politiques réactionnaires. »35 Comme
toujours, Lahy met ici son engagement maçonnique au service du progrès social et
de la liberté de conscience.

Conclusion
Les archives J.-M. Lahy déposées au centre hospitalier Sainte-Anne comprennent
un fonds important concernant la Franc-maçonnerie et le rôle que Lahy y a joué.
Compte tenu de la destruction des archives des loges suite à la condamnation de
la Franc-maçonnerie par le régime nazi et le gouvernement français au début de la
Seconde Guerre mondiale, ce fonds est essentiel. Il permet de suivre le parcours de
Lahy en Franc-maçonnerie mais également dans la société civile et ainsi de mesurer
et d’analyser le rapport, postulé en début de notre communication, entre les études
et travaux maçonniques conduit au Grand Orient de France et l’engagement scien-
tifique mis en œuvre dans ses différents lieux d’exercice pour construire la psycho-
technique comme science du travail. La lecture de l’inventaire des archives de J.-M.
Lahy nous en convaincrait si c’était nécessaire : Lahy a été un franc-maçon actif et
constant, s’étant engagé autant dans ses loges successives d’appartenance que dans
les instances de son obédience, le Grand Orient de France. S’il est couramment admis
que l’appartenance à la franc-maçonnerie relève de la sphère privée, de l’intime,
pour Lahy, il semble en être allé tout autrement, non parce que cette appartenance
serait de notoriété publique, mais parce qu’elle est une dimension essentielle du per-
sonnage tellement sa vie profane et sa vie maçonnique ont été intimement mêlées,
et se sont nourries l’une l’autre tout au long de sa vie. 

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Paris : Maison de la Bonne Presse.
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nelle du moteur humain, 591-610 (Décembre 1912). Paris : Grand Orient de France 

35. Réponse de la loge à la question A « L’École laïque en péril ».


100 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Lahy, J.-M. (1913). Les conditions psycho-physiologiques de l’aptitude au travail


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Lahy, J.-M. (1913). Le système Taylor et l’organisation intérieure des usines. La revue
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tifique du travail ? La Grande Revue, 17e année, 18, (25 septembre), 345-361.
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ses rapports avec la consommation d’énergie électrique. La technique moderne,
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psychologie, 528, 513-526.
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 101

Annexe – Témoignage d’Henri Jaskarzec, membre de la loge


« Agni » (Grand Orient de France)36
Une question se pose : comment un même homme, penseur mais surtout réali-
sateur, J.-M. Lahy, a-t-il pu être reconnu comme important à la fois comme cher-
cheur, comme franc maçon responsable de haut niveau en même temps qu’adepte
irréprochable, comme engagé politiquement en toute clarté aux marges du Parti
communiste et des organisations philosoviétiques ? Mon hypothèse est que, dans
le cas de Lahy, ces catégories ne doivent pas être vues comme des appartenances.
Elles procèdent d’engagements cohérents d’un homme totalement sincère et fidèle
à sa vision du monde progressiste et humaniste, émergeant d’une pratique scienti-
fique et technique qui doit beaucoup aux Lumières mais aussi à une interprétation
philosophique non dogmatique du matérialisme dialectique et historique. Et sans
doute aussi à la passion.
Chaque engagement de Lahy était pour lui rationnellement justifiable en
toute circonstance, sans jamais recourir à l’argument d’autorité. C’est ainsi qu’il put
avoir de très graves divergences d’idées, tant sur la science qu’en politique, avec
des chercheurs tels que Henri Piéron, ou Henri Laugier et les garder comme amis.
Chacun connaît le chercheur Lahy mais la forme, le sens et la portée de l’engagement
de Lahy franc-maçon sont moins accessibles. Lointain successeur de Lahy dans la
loge « Agni » qu’il créa à Paris en 1920, mais ayant fréquenté dès 1962 des membres
qui eux l’avaient connu en loge, je souhaite montrer les convergences qui permirent
à cet homme exceptionnel d’exhiber plusieurs vies très riches, à première vue indé-
pendantes sinon incompatibles.
Et d’abord il faut rappeler que la maçonnerie du Grand Orient de France qui
accueillit Lahy à trente ans en 1901 était différente de ce qu’elle est devenue et encore
plus de l’image que charrient tous les préjugés. On était en pleine affaire Dreyfus, la
séparation entre les églises et l’État se préparait justement dans les loges, les frères
étaient encore souvent issus de milieux populaires, la République était à la fois
triomphante et fragile : bien des libertés restaient à conquérir, le social était négligé.
Le progressisme avait un sens, souvent confondu avec la foi en la science, ses avan-
cées, sa diffusion élargie. On en attendait même beaucoup pour le progrès moral.
Mais la caractéristique principale était le refus de tout dogmatisme, l’ouverture par
principe à toutes les idées humanistes et visant le progrès. C’est dans ce milieu que
le jeune et pauvre et même pas bachelier Lahy fut introduit par sa belle-famille plus
bourgeoise, son patron le docteur Édouard Toulouse ou encore Louis Lapicque,
deux figures maçonniques du milieu des « savants républicains » de haut niveau.
Le potentiel de Lahy comme chercheur, qui sut acquérir très vite en autodidacte des
connaissances et compétences du plus haut niveau, était très visible ; et bien accueilli
par ces chercheurs bienveillants.
La carrière de Lahy franc-maçon fut elle aussi brillante. Lahy fut là aussi
vite reconnu, élu par deux fois (les mandats sont de trois ans) dans les instances

36. Henri Jaskarsec consulté par nous dans le cadre de la préparation de notre intervention a assisté
au colloque et y apporté son témoignage retranscrit ici.
102 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

dirigeantes, président de sa première loge. C’est là qu’il créa et anima une sorte
d’université populaire du Grand Orient de France à Paris  : les Conférences du
dimanche, largement ouvertes au public, accueillaient des conférenciers, maçons ou
non, qui présentaient leurs travaux et en discutaient, tout spécialement en psycho-
logie, sociologie, morale. Après son retour de la guerre de 14/18, Lahy créa la loge
« Agni » en 1920, explicitement vouée à l’application de la théorie marxiste, théorie
et pratique des progressistes aux yeux de Lahy, aux questions de société souvent
traitées dans les loges du Grand Orient de France. Et Lahy poursuivit sa démarche
pédagogique, interne au Grand Orient de France, en publiant les cahiers jaunes
d’Agni, qui diffusaient des contributions de frères de la loge ou d’intervenants exté-
rieurs, presque toujours des chercheurs. Lahy accueillit à « Agni », des personnalités
scientifiques diverses, dont son ami, disciple comme lui du docteur Édouard Tou-
louse, Henri Laugier.
On retrouve le lien très net que faisait Lahy entre sa perspective inspirée par
Durkheim autant que par un moment important de la pédagogie maçonnique, met-
tant en avant la glorification de la science et de la raison, liées au progrès moral. La
science apporte cela à la maçonnerie. Et en sens inverse, Lahy a pu se sentir conforté
par son appartenance au Grand Orient de France à certains moments difficiles. Par
exemple, sa contestation hardie de Taylor dès 1913, acte majeur face à une conception
triomphante du management du travail, discutable humainement et socialement, se
fit aussi au Grand Orient de France. Et pour Lahy, tard reconnu par l’Université,
la considération facilitée (et largement justifiée) d’universitaires maçons de renom
(Louis Lapicque comme Édouard Toulouse, plus tard Henri Laugier) était précieuse.
Tout ce monde n’était pas communiste, parfois y était très hostile, mais l’ouverture
et l’écoute étaient les bases de l’éthos maçonnique. Et Lahy, malgré ses sympathies
affichées, et son adhésion au Parti communiste en 1920, le quitta en 1922, sommé par
la direction du Parti de choisir entre la loge et la cellule. Il semble n’y être revenu
qu’en pleine guerre, après la rupture du pacte germano-soviétique.
Il nous faut distinguer le sens que peut avoir pour nous l’engagement marxiste
en même temps que philo-soviétique de Lahy et celui qu’il avait pour lui. Et admettre
que dans l’entre-deux guerres Lahy pouvait parfaitement conjuguer cet engagement
avec son vécu de franc-maçon, comme de chercheur, y consacrer l’essentiel de son
temps. Lahy fut pour beaucoup dans le succès de la conférence de psychotechnique
de Moscou en 1931, qui désenclavait la science soviétique, juste avant le revirement
stalinien qui l’enferma pour longtemps. Quand Lahy y jouta durement contre Henri
Piéron, positiviste farouche, c’était en plein accord avec la vision marxiste fonda-
mentale d’une recherche plongée dans un monde pratique, ayant un sens social et
politique à côté de sa pureté formelle ; on n’en était pas aux excès du lyssenkisme et
Lahy pouvait à la fois honorer Claude Bernard et Durkheim. En même temps il était
en plein accord avec la vision maçonnique des Lumières traditionnelle au Grand
Orient de France. Sur le philosoviétisme de Lahy, il se heurta tristement pour lui à
l’exécution en 1937 lors d’une purge stalinienne de son principal lien avec la science
soviétique, Isaak Spielrein, en la faveur de qui il avait vainement tenté d’intervenir.
Comme tout homme d’action, Lahy ne se fit pas que des amis en franc-maçonnerie.
Lorsque la guerre de 14-18 l’éloigna de la loge « Athéna », qu’il présidait, bien des
Jean-Maurice Lahy, franc-maçon, entre études maçonniques et sciences du travail 103

frères furent soulagés. Très présent et autoritaire, Lahy y était admiré, suivi, aidé et
difficile à supporter. Mais il ne s’y fit pas d’ennemis déclarés. Plus tard, dans la loge
« Agni », il recruta des frères ayant des idées proches des siennes mais bien d’autres
aussi. « Agni  » fut une loge républicaine et progressiste, où la référence marxiste
subsistait dans certains travaux, mais n’était pas un argument. Référence non dogma-
tique faut-il dire en 2019.
Lahy vécut donc marqué par l’éthos maçonnique du Grand Orient de France,
comme par celui du monde de la recherche. Et il conjugua aisément les deux, dans
une perspective constante d’ouverture par le dialogue, la dispute bien réglée, vers
ceux de ses frères, ou confrères, qui ne partageaient pas ses très fermes convictions
particulières. J’ose le dire : il y a formellement et dans l’idéal une grande proximité
entre les échanges maçonniques et les confrontations entre chercheurs. Écoute, liber-
té de la critique et valorisation de la critique. Et dans le cas de Lahy il y avait une
même vision du statut de la vérité. Plus concrètement, Lahy profita de son double
ancrage, dans le milieu maçonnique comme dans celui de la recherche, ancrage que
je vois comme non conflictuel et même logiquement fécond, pour sa réussite scien-
tifique. C’est aux chercheurs d’aujourd’hui de dire si les réalisations de Lahy furent
exceptionnelles, marquées par une ambition d’ordre éthique bien particulière, celle
incarnée largement par le Grand Orient de France de son époque.
Pour ma part, je tiens à dire ma conviction : l’appartenance maçonnique de Lahy,
qui sut judicieusement et légitimement en profiter, fut bien plus pour lui, et pour
nous ses héritiers, qu’utilitaire. Jamais il ne subordonna la maçonnerie à l’intérêt des
chercheurs, ni ne pervertit la recherche au profit de francs-maçons. Sa quête était
celle du progrès humain par l’étude scientifique des rapports entre les hommes, les
idées, les forces, les choses.
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs

Marco Saraceno

Marcel Turbiaux (2006) a largement contribué à faire connaitre l’activisme hors


pair de Jean-Maurice Lahy dans l’application des méthodes psychotechniques dans
différents secteurs de la vie économique et sociale. Il est en ce sens à juste titre à
considérer comme l’un des pères fondateurs de la psychologie appliquée ou peut
être, il faudrait dire de la psychotechnique ou même de la psychotechnique appli-
quée. L’on verra que cette question de la définition du rapport entre la discipline
scientifique et son application « pratique » n’est pas sans intérêt pour notre propos.
Après ses années de formation et ses premières recherches sur la supériorité profes-
sionnelle, Lahy chercha en effet à multiplier l’utilisation pratique de ses conclusions
expérimentales.
Cela résulte clairement des archives déposées au centre hospitalier Sainte-Anne
où on trouve les traces des échanges épistolaires que Lahy entretenait avec les
institutions (mairies, écoles, ministères) et avec les entreprises pour proposer
ses services. On y suit ses succès, certains très connus, d’autres moins, mais égale-
ment les différents refus qu’il dut essuyer comme celui de la mairie communiste de
Villejuif qui ne voyait pas d’intérêt immédiat à la psychotechnique pour la classe
ouvrière.
Cet activisme dans l’application commerciale des tests psychotechniques
conduira Lahy à créer «  l’Établissement d’application psychotechnique  » dont le
nom est déjà en soi une question épistémologique non indifférente. L’histoire de cette
entreprise qui a fait l’objet d’une publication il y a une dizaine d’années (Guyot &
Simonnet, 2008), révèle la motivation complexe qui a guidé l’activité de Lahy : il
s’agit en effet à la fois de se construire une légitimité scientifique, de contribuer au
progrès rationnel de la société, mais également de valoriser commercialement ses
travaux scientifiques.
Notre chapitre ne rentrera pas dans les détails historiques de ces initiatives, mais
cherchera plutôt à questionner le sens de cet activisme dans l’épistémologie de la
psychotechnique de Lahy. Pour faire cela, nous nous proposons de nous intéresser à
la place que joue le « laboratoire » dans l’évolution du discours de Lahy. L’image du
laboratoire et la manière dont elle est mobilisée, sont une bonne entrée pour étudier
sa conception du rapport entre sciences et sociétés, entre sciences et travail et plus
généralement entre sciences et applications. En effet, le laboratoire est devenu entre
la fin du XIXe et le début du XXe le locus classicus de la nouvelle psychologie en quête
de légitimité scientifique (Carroy & Schmidgen, 2006). Or, si la psycho­­technique
de Lahy s’inscrit tout à fait dans cette histoire qui a fait l’objet de nombreuses
recherches, ses laboratoires – c’est-à-dire les installations qu’il organise au sein des
entreprises et des administrations auxquelles il offre ses services – représentent un
autre locus de la science, épistémologiquement plus complexe.
106 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Certes le terme laboratoire en lui-même est un défi épistémologique pour une


science qui cherche à étudier l’activité de production. L’étymologie du terme ren-
voie en effet à l’espace où on travaille. Ainsi, le laboratoire est le lieu de travail de la
science, mais également le lieu dans lequel se déroule l’activité objet de la science.
L’on dira que les applications que Lahy réalise dans les différentes institutions pri-
vées et publiques auprès desquelles il s’engage peuvent être pensées, d’une certaine
manière, comme une continuation du laboratoire expérimental en dehors du locus
classicus de la science. C’est justement ce statut ambigu des laboratoires créés par
Lahy qui nous intéresse.

Le laboratoire et la « sortie du laboratoire » :


« laboratorisation », engagement social et « milieu propre »
Il y a dans cette association de ces trois termes le condensé de la place de Lahy
dans l’histoire épistémologique des sciences du travail. Cette place originale fait
que les sciences du travail contemporaines ont le plus grand mal à se confronter
avec cet épisode pourtant essentiel de leur histoire. Nous faisons l’hypothèse que
c’est justement ce rôle ambigu du laboratoire qui pose problème. En effet, si Lahy
fut parmi les premiers en France à insister sur l’importance d’étudier l’activité pro-
fessionnelle in situ, il fut également un vigoureux défenseur de la méthode expéri-
mentale, ce qui en faisait un opposant convaincu à toute interprétation « clinique »
de l’analyse du travail.
Comment concevoir un laboratoire hors les murs du laboratoire ? C’est-à-dire,
un espace de contrôle expérimental de l’administration des tests qui soit néanmoins
assez proche des lieux d’exercices pour pouvoir s’adapter aux modifications tech-
niques et organisationnelles et pour pouvoir également contribuer à leurs transfor-
mations ? Les archives de Lahy nous montrent comment cette problématique n’est
pas exclusivement méthodologique, mais aussi fondamentalement politique et
épistémologique au sens large, puisqu’elle pose justement la question du rapport
entre les instruments de modélisation du réel et l’action sur celui-ci.
Cette question est d’abord spatiale et concerne le « lieu de la science ». Nous
avons déjà évoqué la relation très étroite entre le développement de la nouvelle
psychologie expérimentale et son « entrée » dans le laboratoire en réaction au ver-
biage de la psychologie philosophique. Or, le sens et la réalité de ces espaces que
l’on appelait « laboratoire » pouvaient changer radicalement de Leipzig à Paris, en
passant par Turin et Cambridge (Massachusetts) ; mais ces lieux répondaient tous à
la même ambition d’observer les faits psychiques « objectivement » en éliminant les
variations dues à la sensibilité subjective et aux interférences environnementales, en
suivant en cela le chemin général de la science : « Le physicien et le chimiste ne se
croient forts que dans leur laboratoire ; le biologiste garnit chaque jour son arsenal
de nouveaux engins, s’arme de toutes pièces, multiplie ses moyens de mesure et ses
instruments, tend à substituer l’enregistrement passif et mécanique des phénomènes
à leur appréciation subjective, toujours faillible et vacillante » (Ribot, 1879, p. VII).
Certes, la nature de cette objectivation demeurait la source de vastes débats,
mais en tant que lieu physique le laboratoire est la matérialisation de la séparation
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 107

entre la vie quotidienne où les faits apparaissent « vague et fuyants » et l’expérience


scientifique qui s’attache à les fixer. Le laboratoire d’Édouard Toulouse dans lequel
Lahy rentre comme assistant en 1901, est l’un des produits de cette histoire : « Le
but du psychologue doit être d’obtenir des résultats comparables, s’il veut en tirer
quelque chose d’utile. Or quand il s’agit d’une matière observée aussi complexe et
aussi variable que l’esprit humain, on ne saurait trop prendre de précautions pour
diminuer les facteurs de perturbation et de variation, qui sont extrêmement nom-
breux » (Vachide, Piéron & Toulouse, 1904, p. 233).
D’ailleurs, la rhétorique même de «  sortie du laboratoire  » sur laquelle se
construira une grande partie du discours scientifico-réformiste du projet biocratique
de Toulouse (Huteau, 2002) trouve son fondement dans cette image du laboratoire
comme neutralisation de l’environnement. La sortie du laboratoire n’est donc pas
pensée comme une critique épistémologique des pratiques expérimentales, mais
comme un engagement, une « application », une consécration de la science à une
finalité sociale, opposée à une démarche « purement spéculative ».
Mais l’idée de laboratoire de Lahy est également le résultat d’une histoire
parallèle que l’on pourrait appeler celle des « stations ». Par stations nous enten-
dons l’ensemble des installations scientifiques fixes ou mobiles qui se propose
d’étudier leur objet dans son «  milieu  ». Les premières stations furent ouvertes
par les biologistes marins pour répondre à la difficulté d’observer la variété des
espaces marine loin des mers et des océans (Fischer, 2002). Par la suite apparurent
des stations botaniques, climatologiques, volcanologiques. Ainsi, pendant que la
science se définissait par sa capacité à se construire dans les laboratoires, elle cher-
chait en même temps à investir le monde entier. Ce double mouvement, à première
vue contradictoire, n’a fait que très peu l’objet d’une recherche attentive. Il révèle
pourtant la tension au sein d’une approche dite scientiste entre  : la quête d’une
modélisation capable de « fixer » le réel en lois constantes et la volonté d’en saisir
exhaustivement la variété contingente.
Cette tension se répercutait également dans le processus de «  scientification  »
de l’étude des « faits humain ». Si d’une part, il paraissait fondamental de regarder
l’homme en dehors du flux de l’existence, d’autre part, ce flux apparaissait comme
un élément essentiel nécessaire à sa connaissance puisqu’il en constituait le
« milieu ». Il ne faut pas penser ces deux mouvements comme foncièrement oppo-
sés : l’idée de Claude Bernard de « milieu intérieur » permettait par exemple de
penser les deux démarches comme coïncidentes. Sa médecine expérimentale se
fondait sur le principe que pour étudier la vie, il fallait stabiliser le « milieu inté-
rieur  » de l’organisme avec un dispositif expérimental afin d’observer son fonc-
tionnement « normal ».
En ce sens, la construction des stations scientifique, plus qu’une «  sortie du
laboratoire » avant la lettre, se révèle être la prise en compte du danger artefactuel
de la science expérimentale et la découverte du rapport entre vie et milieu. C’est
dans cette perspective, en s’inspirant directement de la station de biologie marine
de Naples qu’en 1871 Étienne-Jules Marey a l’idée de fonder une « station de phy-
siologie humaine » afin d’étudier l’activité motrice dans son contexte réel. Le but
n’était pas d’observer le mouvement de la vie quotidienne, mais de l’étudier sans le
108 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

modifier par le protocole expérimental. Il s’agissait en effet pour Marey de dépasser


les études de la physiologie accomplie sur des muscles détachés ou sur des sujets
contraints par les conditions de l’expérience de laboratoire. Cela impliquait d’obser-
ver dans un contexte toujours expérimental le « mouvement normal » des membres :
« On a vu dans ces dernières années se créer de toutes parts des établissements en
rapport avec les besoins nouveaux de la science. Les laboratoires, où pourtant de si
grandes découvertes ont été faites, sont devenus insuffisants à certains égards : ainsi
dans l’étude du corps organisé comme dans celle des forces physiques du globe, on
est bientôt arrêté si l’on ne peut aller observer la nature dans son propre domaine »
(Marey, 1883, p. 275).
La critique du laboratoire qui émerge de l’histoire de la station scientifique est
donc différente de celle positiviste mobilisée par Toulouse qui différencie le labo-
ratoire comme espace de spéculation et la « sortie du laboratoire » comme applica-
tion pratique. Certes Marey envisageait des « applications » sociales de la science,
mais la station physiologique du Parc des Princes n’avait pas immédiatement un but
réformiste, mais épistémologique. C’est dans la lignée de cette étude scientifique des
phénomènes humains dans « le milieu qui leur est propre » que s’inscrit également
la « psychologie individuelle » d’Alfred Binet. Son ambition d’étudier l’exercice des
« facultés supérieures » (Binet & Henri, 1895) qui ne sont pas observables avec des
tests standardisés le conduira en effet à délaisser progressivement le laboratoire de
la Sorbonne pour investir les écoles. Ainsi Binet «  fonde  » sa psychologie expéri-
mentale sur la critique de l’indifférenciation entre observation et expérimentation
véhiculé par Bernard affirmant la nécessité d’observer les phénomènes «  avec les
caractères qu’ils possèdent naturellement » en dehors de l’espace clos de l’expérience
de laboratoire (Bidet, 1894, p. 20). Même dans ce cas, si l’application sociale de ces
recherches est décidément affirmée, l’entrée dans les classes de Binet a d’abord une
raison fortement épistémologique. Son ouvrage sur la Fatigue intellectuelle écrit avec
Victor Henri est en effet une critique des « méthodes de laboratoire » incapable de
saisir le fonctionnement de l’activité psychique des écoliers à partir de l’observation
d’efforts courts, intenses et répétitifs (Binet & Henri, 1898).
Le rapport de Lahy à l’espace du laboratoire est marqué par cette triple influence :
l’histoire de la «  laboratorisation  », celle de la «  station  » et celle de l’application
sociale de la psychologie.

Une première sortie hésitante du laboratoire entre enjeux


sociaux et épistémologique (1910-1913)
Dans les premières recherches d’avant-guerre sur les linotypistes et les dactylo-
graphes, Lahy utilise à plusieurs reprises la formule de la « sortie du laboratoire ».
À première vue, cela s’inscrit dans un dispositif rhétorique hérité de Toulouse et
mobilisant le rapport entre le laboratoire et son « dehors » pour présenter l’engage-
ment scientifique dans l’espace social. Toutefois, chez Lahy la question de la sortie
semble poser d’entrée des problèmes épistémologiques majeurs qui vont au-delà
du discours réformiste du moment et où émerge le constat : « qu’il y a peut-être une
erreur scientifique à considérer que l’individu est identique à lui-même, étudié dans
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 109

les conditions spéciales du laboratoire ou dans son activité psychologique normale »


(Lahy, 1910, p. 51).
Le premier paragraphe du long article qui rend compte de la recherche sur les
typographes dans le Bulletin de l’Inspection du travail illustre, dans sa prose un peu
alambiquée, la difficulté de la coordination entre ce que l’on peut appeler la « sor-
tie réformiste  » du laboratoire et la «  sortie épistémologique  »  : « Le laboratoire
de psychologie expérimentale de l’École pratique des Hautes Études s’est donné
pour tâche, sous l’impulsion de son Directeur, M. le docteur Toulouse, de créer des
techniques capables d’être appliquées, aux conditions spéciales créer [sic.] dans les
laboratoires. D’autre part, le docteur Toulouse ayant signalé, il y a quelques années
déjà, l’intérêt qu’il y aurait à faire intervenir les données de la physiologie et de
la psychologie dans l’élude des conflits sociaux, pour en rendre plus parfaites les
solutions, nous avons essayé d’appliquer les méthodes établies à la recherche de ces
solutions. Notre travail poursuivra donc un double but : étudier expérimentalement
les conditions de l’activité des travailleurs – question sur laquelle portera seule le
présent mémoire – et juger de la valeur des techniques, les modifier et en créer de
nouvelles, suivant les nécessités actuelles que nous indiqueront les conditions du
travail » (Lahy, 1910, p. 45).
Le rapport de Lahy avec le locus du laboratoire est donc, dans les premières
recherches sur la « supériorité professionnelle » réalisée dans les années 1910 sous la
tutelle de Toulouse, tiraillé par la difficulté à coordonner la question de l’application
sociale avec celle de l’expérimentation. L’idée positiviste de Toulouse, consistant à
penser l’application comme un simple usage politique des résultats du labo­­ratoire,
se heurte à la reconnaissance progressive d’une transformation nécessaire des
méthodes expérimentales. Ainsi, si la sortie du laboratoire est présentée comme une
rupture dans laquelle le locus classicus apparaît rhétoriquement comme un repous-
soir de la science « théorique » et «  spéculative », elle apparaît aussi comme une
continuité dans le travail de validation expérimentale de la psychologie.
En effet, si Lahy insiste sur l’impossibilité de considérer l’homme étudié dans
le laboratoire à l’identique de celui étudié dans les conditions variables de la vie, il
souligne en même temps la nécessité de produire des résultats semblables à ceux du
laboratoire, c’est-à-dire « constant et universels ». Ainsi, d’après Lahy : « la critique
des méthodes très nombreuses qui existent dans les laboratoires, et qui perdent de
leur valeur dès qu’on les transporte dans les conditions complexes de la vie [...]
outre qu’il rendra un service à la science et à ses techniques, préparera, par élimina-
tion d’abord, par voie de perfectionnement et de création ensuite, un ensemble de
méthodes qui conserveront même entre les mains de ceux qui ne les manient pas
habituellement, une exactitude qui en rendre tous les résultats comparable »  (Lahy,
1910, p. 51).
Voici donc le premier élément épistémologique de la sortie du laboratoire  :
concevoir des méthodes qui puissent s’adapter aux situations variables tout en pro-
duisant des résultats constants, mais également proposer des outils exploitables par
ceux qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les lieux de la science. On retrouve ici un
point qui jouera un rôle de plus en plus grand dans la conception du rapport entre
le laboratoire et son dehors dans la pensée de Lahy et que nous pouvons définir
110 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

comme un anachronisme : une sorte de « démocratie scientifique ». On entend par


là, le processus par lequel la science en se standardisant et en simplifiant devien-
drait facile à manier pour tous. Cette question d’une « sortie du laboratoire » qui
devrait permettre de prolonger les méthodes élaborées dans le laboratoire apparaît
clairement dans l’un des cours de sociologie que Lahy réalise pour le Grand Orient
de France en 1912. Dans ce texte consacré à «  l’utilisation rationnelle du moteur
humain  », où le sous-titre renvoie au déplacement « de la science à l’industrie »,
l’auteur reste constamment ambigu sur le sens à donner à ce mouvement. S’agit-il
de l’ouverture de la science vers l’application productiviste ou d’un déplacement du
travail scientifique lui-même vers l’atelier industriel ?
De toute manière, ce mouvement loin de marquer un abandon de l’expéri-
mentalisme apparaît comme sa continuation : « Les recherche à inaugurer ou à
continuer ne sont pas destinées à constituer une science nouvelle, contrairement à
l’opinion trop souvent exprimée en ce sens. C’est une application des techniques de
laboratoire et des principes généraux de la science expérimentale à des problèmes
particuliers. Ce qui a pu faire illusion à certains, c’est que ces problèmes d’une com-
plexité extrême, n’ont pas, encore été l’objet d’une étude méthodique. Pour qui en
comprend bien les données, il ne s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les
conditions ordinaires du laboratoire, mais dans son milieu déterminé, le milieu du
travail. Au lieu de transporter l’ouvrier en travail dans le laboratoire et d’assimiler
son activité ainsi déformée au travail habituel, il faut transporter l’outillage scienti-
fique convenable dans l’atelier » (Lahy, 1912, p. 607-608).
Ce n’est pas un hasard si ces pages sont reprises dans l’ouvrage critiquant le
taylorisme publié quatre ans plus tard par Lahy (1916, p. 208). Sauver la méthode
du laboratoire contre les tentations de « l’observation directe et toute empirique »
(p. 171) du travail industriel dont l’ingénieur américain représentait le modèle, cela
semble l’enjeu de Lahy. Contre l’idée d’une organisation « scientifique » qui se base-
rait sur l’observation empirique du travail dans l’atelier, Lahy propose d’adapter
l’étude scientifique du travail dans le laboratoire en prenant en compte le rôle du
milieu. En ce sens, le milieu industriel ne serait pas un simple espace d’application,
mais se présente comme un des composants essentiels du travail humain qu’il s’agit
d’étudier.
La question du milieu comme élément déterminant le phénomène du travail
que la science expérimentale cherche à objectiver semble progressivement devenir
le facteur principal de la démarche de Lahy. Cette nécessaire attention au milieu est
d’ailleurs pour Lahy rendue encore plus pressante au vue de l’évolution du travail
dans la société moderne. Comme il l’avait souligné dès ses recherches sur les lino-
typistes : « à l’heure actuelle, le travail tend de plus en plus à mettre en jeu moins
les muscles que l’activité intellectuelle de l’homme. Un nombre toujours croissant
d’industries échappe de ce fait aux recherches purement physiologiques, car les
méthodes de cette science ne permettent de mesurer qu’imparfaitement la fatigue de
l’habilité motrice, de l’attention, de la mémoire, et les troubles que la fatigue impose
à la synthèse mentale » (Lahy, 1910, p. 46).
On retrouve ici un écho de la méthode d’Alfred Binet et de son idée que les
« facultés supérieures » variables chez chaque individu ne sont observables que dans
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 111

un milieu propre. « Ces professions qui doivent à l’heure actuelle solliciter le plus
activement les recherches ne se prêtent pas à des observations qui ne respecteraient
pas entièrement le milieu. » Il ne s’agit donc pas d’abandonner l’espace expérimen-
tal pour une approche clinique, mais d’élargir le domaine même de l’expérimenta-
lisme. Cela est très clair dans la première recherche de Lahy sur les conducteurs de
tramway en 1913. « Les conditions actuelles du travail industriel se présentent de
telle sorte que l’outillage du laboratoire ne suffit pas à les révéler avec toutes leurs
conséquences, et qu’il est besoin de créer avec des méthodes nouvelles un matériel
plus parfait et plus étendu d’expérimentation » (Lahy, 1913, p. 388).
Toutefois, si Lahy dès ses recherches d’avant-guerre pose la sortie du laboratoire
comme une problématique épistémologique et pas seulement sociale, il ne parvient
pas encore à formuler une nouvelle définition de l’espace de la science et conserve
la dichotomie entre « études de laboratoire » et « étude de terrain ». Le statut pro-
fessionnel de Lahy n’y est probablement pas pour rien. Ces premières recherches
sont menées au sein du laboratoire de Toulouse, considéré comme le principal
laboratoire français de psychologie. Lahy n’a pas à cette époque, l’indépendance et
la légitimité pour imaginer sa propre vision du laboratoire. Ce n’est que durant la
guerre qu’émerge l’image d’un laboratoire « hors du laboratoire », c’est-à-dire l’idée
d’un laboratoire psychotechnique. Cette idée faisait par ailleurs évoluer la concep-
tion même de la discipline psychotechnique. Lahy ne se contente plus de penser sa
démarche comme une science appliquée, telle que l’avait pensée Toulouse, il cherche
progressivement à construire une épistémologie propre à cette science appliquée.

Le « premier laboratoire de psychotechnique »


Du point de vue terminologique, c’est l’engagement de Lahy auprès de la Société
des transports en commun de la région parisienne (STCRP), à partir de 1924, qui
marque la fondation selon ses propres mots du «  premier laboratoire de psycho-
technique  » (Lahy, 1924, p. 107) dans des locaux mis à disposition par la société
de transport au 15 rue du Hainaut à Paris. Si c’est à cette occasion que le terme de
« laboratoire de psychotechnique » apparaît, à notre connaissance pour la première
fois, l’idée d’un laboratoire hors les murs avait déjà fait son chemin dans une autre
réalisation de Lahy. Il s’agit d’une « application » non pas sur le terrain industriel,
mais sur celui de l’école  : le comité «  l’école à l’atelier  » de la rue Lesseps, expé-
rience commencée en 1920 qui conduira Lahy à ouvrir un office de sélection au
sein d’une école de garçons du XXe arrondissement (Turbiaux, 2006). Toutefois, le
terme labo­­ratoire pour rendre compte de cet espace doté d’outils scientifiques n’est
pas immédiatement utilisé. Lahy dans le rapport sur le fonctionnement de l’office
d’orientation rédigé en 1923 parle encore de « la mise à disposition d’outils de labo-
ratoire » (Lahy, 1923). Ce ne sera qu’en 1924 au moment de l’ouverture du labora-
toire de la rue Hainault que Lahy utilise le terme pour qualifier l’espace de la rue
Lesseps en l’appelant le « laboratoire de l’école publique de la rue Lesseps » (Lahy,
1924, p. 108).
C’est à partir du moment où des sollicitations émergent pour mettre en place
des solutions de sélection et d’orientation du personnel que Lahy commencent à
112 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

définir un lieu nouveau de la science qui est le laboratoire de psychotechnique.


Il s’attache ainsi à la description des espaces et à la conception d’instrument adapté.
Il pense en ce sens ces espaces comme des véritables laboratoires scientifiques
d’un type nouveau, d’où l’émergence d’une tension insoluble entre la nécessité de
modifier les méthodes et les outils en fonction des conditions spéciales et la volonté
de ne pas transiger sur la nécessité d’une approche scientifique rigoureuse. La psycho-
technique demeurant une discipline expérimentale, Lahy s’émeut de l’usage des
instruments expérimentaux par des opérateurs non formés à la précision scienti-
fique : « Remarquons en passant, que cette besogne d’établissement des tests tend
aujourd’hui à sortir des Laboratoires pour tomber entre les mains inexpertes de
gens qui manquent de la véritable formation scientifique et de cet esprit critique
sans lequel aucune œuvre viable ne peut être accomplie » (Lahy, 1922, p. 186).
Il dénonce également la détérioration et la contamination même de l’espace du
laboratoire par le choix de lieux mal adaptés aux méthodes expérimentales comme
les wagons-laboratoire d’une certaine psychotechnique développée en milieu ferro-
viaire. Dans la critique de ce genre de dispositifs Lahy réaffirme la nécessité, dans
le cadre d’un laboratoire qui prend en compte le « milieu », d’isoler les sujets et de
« neutraliser » les variables environnementales. « Nous nous sommes rendu compte
qu’il serait impossible de réunir dans un wagon les conditions nécessaires pour un
bon examen psychotechnique. Quelles que soient les précautions que l’on prenne sur
des vois de garage, on n’évitera jamais le bruit et l’on n’isolera jamais suffisamment
les sujets dans une organisation de ce genre » (Lahy, 1933, p. 413).
Ainsi la sortie du laboratoire de ses murs, comme nous avons défini ce mouvement,
n’implique pas une ouverture au regard clinique, mais au contraire un renforcement
de la standardisation des méthodes et de leur application. L’affaiblissement des cri-
tères de validations scientifique est d’ailleurs l’une des « déviations à craindre » de
la psychotechnique comme il l’affirme dans un texte inédit figurant dans les archives
conservées au Musée de la psychiatrie et des neurosciences du centre hospitalier
Sainte-Anne : « Il ne se passe guère de semaine sans que les laboratoires dont nous
avons la direction ne reçoivent des personnes qui croient s’être initiés au cours d’une
simple visite aux méthodes qu’on leur expose. [...] L’apparence qu’ont nos labora-
toire d’être très mécanisés crée l’illusion qu’on peut employer les test et appareils
que nous avons été amené à choisir de la même manière que des balances à peser
des légumes ou du charbon » (Lahy, 1928).
Cette crainte d’une détérioration des méthodes expérimentale lorsqu’elles sont
utilisées en dehors du terrain « classique » de la science, conduit Lahy à construire
un ensemble de gardes fou qui peut être défini comme une « rationalisation indus-
trielle  » du travail scientifique. Cela implique tout d’abord un contrôle vertical
très strict des tâches.Comme en témoignent des lettres que Lahy (1927a) envoie
aux directions auxquelles il propose les services de la psychotechnique. Ainsi à
l’administrateur des usines Citroën il écrit : « Les recherches seront faites, sous mon
contrôle et ma responsabilité, par l’une de mes assistantes qui consacrera tout son
temps à l’usine [...]. » Lahy peut alors devenir le directeur superviseur de tous les
laboratoires psychotechniques qu’il ouvre entouré d’assistants sans responsabilités
scientifiques. 
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 113

La question de la démocratie scientifique que nous avons évoquée se décline


donc d’une manière particulière. Si en effet pour Lahy, il est fondamental que le
psychotechnicien puisse s’appuyer sur l’aide d’autres figures professionnelles, ces
contributions doivent être encadrées et standardisées et les assistantes, souvent des
femmes (Le Bianic, 2007), doivent limiter leur action au respect des normes scien-
tifiques établies. Le recrutement de « petites mains » exécutant les ordres du « chef
de laboratoire » se révèle essentiel au fur et à mesure que le laboratoire « sort de ses
murs » pour devenir un élément du processus de production industrielle, soumis
à ses rythmes et à ses exigences de rentabilité : « C’est qu’un chef de laboratoire de
psychotechnique doit être un psychotechnicien ; mais il doit avoir à côté de lui de
aides qui ne doivent être que de simples opérateurs ; c’est une condition essentielles
parce que jamais on pourrait payer un nombre de psychotechniciens suffisent pour
faire marcher un laboratoire comme la TCRP » (Lahy, 1930).
Lahy conçoit donc le laboratoire de psychotechnique comme une forme d’indus-
trialisation de l’espace de la science, dans lequel le travail scientifique, comme celui
des ouvriers, doit se mécaniser et se rationaliser, à travers la standardisation des pro-
cédés et l’automatisation des mesures. De manière paradoxale, Lahy semble prêcher
une sorte de taylorisation de la science qu’il condamne par ailleurs : « Lorsqu’une
méthode scientifique passe du laboratoire de recherches au laboratoire de psycho-
technique c’est-à-dire lorsqu’elle s’industrialise, l’homme de science cesse d’être un
expérimentateur. Une division du travail devient nécessaire. Les expérimentateurs
ou plus exactement, les opérateurs, doivent agir mécaniquement en ne se preoc-
cupant, ni des hypothèses qui sont à la base du travail qu’ils accomplissent, ni des
interprétations qu’ils seraient tentés de faire après les résultats enregistrés » (Lahy,
1927b, p. 3).
L’industrie n’est donc pas exclusivement un terrain d’application du labora-
toire, il devient d’une certaine manière son modèle épistémologique donnant une
perspective décidément pragmatiste au mouvement « de la science à l’industrie »
des années 1910. La distinction entre science pure du «  laboratoire  » et «  science
appliquée » se brouille et se complexifie dans les années 1920-1930. Lahy cherche
d’ailleurs à présenter la psychotechnique comme le dépassement même de la dicho-
tomie entre experimentalisme et applicationnisme. Le laboratoire psychotechnique
faisant de l’application à l’activité professionnelle la source même de la validation
expérimentale  : «  Si elle [la psychotechnique] utilise les méthodes générales des
sciences, et en particulier celles de la psychologie expérimentale, elle en crée chaque
jour de nouvelles qui enrichissent le fonds commun des méthodes et des techniques
scientifiques. Un malentendu, qui a déjà trop duré, vient de ce que, contrairement à
la psychologie théorique officielle, les applications de la psychotechnique se confondent
avec l’expérimentation. Cela n’a rien de spécial. La genèse et l’évolution des sciences
sont assez connues pour que nous n’entreprenions pas de démontrer que ce sont les
préoccupations pratiques qui se trouvent à l’origine des sciences et que ces préoccu-
pations précèdent la connaissance. Les sciences dérivent des créations réalisées par
l’homme dans le domaine de la pratique. C’est de la pratique, et à l’aide de méthodes
de plus en plus perfectionnées, que naît la théorie et que, par le mouvement dia-
lectique, apparaît la science. La science n’est donc ni la pure théorie, ni la simple
114 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

application, mais une synthèse de la pratique dirigée par la théorie et de la théorie


sans cesse enrichie par la pratique » (Lahy, 1932, p. 276).

« Analyser l’activité comme l’on valide un test »,


le laboratoire et la clinique
Ce raisonnement épistémologique se comprend mieux en regardant la façon
dont Lahy conçoit le rapport entre le progrès expérimental des sciences de l’esprit
et l’application de la science à la rationalisation du travail industriel. La méthode
expérimentale en psychologie se résume en effet, selon Lahy, à la mesure «  des
réactions psychomotrices qui peuvent caractériser la personnalité ». L’outil de cette
mesure est justement le test. Or, cela déplace le travail essentiel de la science sur le
plan de la validation et de la standardisation de test. C’est là que l’application du
test à l’activité professionnelle se révèle être un passage épistémologique fondateur :
« De même que la psychologie, en s’affinant méticuleusement dans les laboratoires
de recherche a poussé les études sur le fonctionnement du système nerveux au-delà
des limites qu’on avait atteints avec l’aide de la pathologie mentale, de même la
psychotechnique, par l’examen d’un très grand nombre de sujets comparables entre
eux, apportera des idées nouvelles pour la connaissance de l’organisme humain »
(Lahy, 1927b, p. 3).
« L’application » de la science à la sélection du personnel devient ainsi la source
de l’expérimentation psychologique. En effet, la confrontation des résultats des
tests avec les évaluations professionnelles permet de s’assurer de l’objectivité de
la mesure puisqu’elle conduit à confronter les mesures de laboratoire avec des
classements disponibles. Ainsi, nous dit Lahy, comparer les individus autour des
caractéristiques élémentaires qui sont l’objet de la psychologie expérimental est
extrêmement difficile, au contraire, cela est possible pour des activités complexes
comme le travail professionnel. On retrouve là, la circularité épistémologique de la
psychotechnique qui avait été pointée par Maurice Reuchlin dans les années 1950 :
« S’il s’agit de mesurer une fonction mentale assimilable à un rendement dans une
autre activité, pourquoi ne pas prendre ce rendement même comme mesure « directe
qui n’aura plus besoin d’être validée puisqu’elle sera identifiée par définition  »
(Reuchlin, 1954, p. 374). Cette « tautologie » épistémologique de laquelle Lahy ne
semble jamais véritablement sortir est liée à une autre ambiguïté de la définition et
de l’utilisation du laboratoire dans son œuvre. Celui-ci est à la fois le laboratoire
expérimental dans lequel les fonctions sont isolées et les différences individuelles
réduites au minimum et l’espace dans lequel évaluer ces mêmes différences. Cela est
la caractéristique du laboratoire hors les murs : poursuivre le travail d’étude séparé
des grandes fonctions mentales préconisé par la « psychologie de laboratoire » tout
en comparant de grandes masses d’individus entre eux, tels que l’avait pensé Binet
en abandonnant les instruments du laboratoire de la Sorbonne.
Ainsi en étudiant les résultats professionnels en lien avec les « dispositions
naturelles » des individus Lahy pouvait à la fois objectiver des fonctions générales
de la psychologie tout en partant d’une hypothèse différentielle. Cela est à l’origine
de ce qui est probablement le plus important legs de la psychotechnique de Lahy.
Jean-Maurice Lahy et le laboratoire hors les murs 115

C’est en effet la nécessité de cette confrontation entre classement professionnel et


résultat du test qui conduisent Lahy à s’intéresser au geste professionnel dans sa
« réalité » ergonomique. Le psychotechnicien doit se méfier des classements qui lui
sont fournis par les entreprises ou les administrations et doit les construire lui-même
puisqu’on ne sait souvent pas ce qui est un « bon ouvrier ». Cela implique d’étudier
les gestes de travail et de s’intéresser à leur efficacité. En ce sens, la circularité que
la méthode Lahy produit n’est pas une soumission de la science aux valeurs de la
production industrielle : c’est à la science elle-même de définir ce qui est un geste
efficace.
Cela apparaît de manière très claire dans le texte inédit d’une conférence pour
un cours que Lahy tient en 1930 à l’hôpital Rousselle : « Il faut se dire : je ne transi-
gerai pas, je ne ferai pas de l’application, je ne vais pas chercher le moyen de donner
une forme de gagner de l’argent par des procédés plus ou moins empiriques, mais je
vais appliquer une méthode scientifique ; j’irai jusqu’au bout de mes expériences et
si je réussis on constatera que la science s’est trouvée d’accord avec la pratique ; si je
ne réussis pas nous dirons qu’il n’y a pas eu accord et nous partirons » (Lahy, 1930).
La psychotechnique dans ce texte cesse définitivement d’être une science appliquée
pour devenir le sommet de l’expérimentalisme. En effet, Lahy rassure immédiate-
ment son public : s’il n’y a pas accord entre le laboratoire et l’entreprise c’est soit que
la méthode appliquée n’était pas scientifique, soit que les ingénieurs et les patrons
attendent autre chose qu’une méthode scientifique. Il affirme ainsi que « jamais avec
une méthode scientifique on ne peut arriver à un échec » (Lahy, 1930).
C’est là que l’expérimentalisme et la clinique étonnamment se rencontrent. Lahy
commence sa conférence en présentant une étude de sélection des soldats tirailleurs
réalisée en 1928 pour la Marine. Il explique que lorsqu’ils avaient trouvé un désac-
cord entre ses tests et le classement d’efficacité redigé par les supérieurs, il avait
décidé de refaire lui-même un classement professionnel pour s’assurer du résultat.
Il avait donc été amené à étudier l’activité de travail des artilleurs, puisque tout sim-
plement les supérieurs ne savaient pas définir « un monsieur qui sait bien tirer avec
un canon ». Pour Lahy, ce rapprochement qu’il développera tout au long des années
1930 est une « découverte majeure » de la méthode qu’il défend : « Il faut considérer
le test de l’activité professionnelle comme un véritable test ; si vous ne retirer de cet
entretien que cet enseignement aujourd’hui, vous n’aurez pas perdu votre temps.
Dorénavant quand vous voudrez faire de la psychotechnique, il faudra à étudier
[sic] le travail professionnel comme un test lui appliquer les même méthodes » (Lahy,
1930).
Ce n’est pas un hasard si dans cette leçon prononcée face à un public de psy-
chiatres cliniciens, Lahy insiste sur ce rapprochement. Pour Lahy, la psychotechnique
contribue en effet à fixer les typologies de la clinique et à conforter la pertinence des
diagnostics qu’elle permet d’établir. Dès lors, si on peut étudier l’expérience pro-
fessionnelle comme un test, on doit pouvoir étudier les troubles psychiatriques
comme des échelles de valeurs : « La corrélation qui a pu être fixée entre un profil
psychologique établi à l’aide de certains tests choisis et les travaux professionnels
nous fait espérer qu’une corrélation du même ordre pourrait s’établir entre les profils
psychologiques et des types cliniques » (Lahy, 1926, p. 420).
116 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Conclusion
Si donc, comme le rappelle Canguilhem, l’histoire des sciences doit toujours
se prémunir contre le «  virus du précurseur  », on peut affirmer que Lahy est un
homme de laboratoire, loin de l’attention clinique portée au travail réel par les
futures ergo-disciplines. Mais le virus du précurseur qui affecte les historiens des
sciences, prend souvent la forme du « virus de l’erreur de jeunesse » chez les spé-
cialistes d’un domaine qui regardent avec un certain effroi les difficultés épistémo-
logiques de leurs ainées. Lahy est celui qui le premier a saisi la nécessité d’étudier
le travail comme une activité de concrétisation, c’est-à-dire comme une pratique qui
n’est jamais une simple utilisation des facultés psychophysiologiques, mais la condi-
tion même de leurs émergences : dans une perspective typiquement marxiste pour
Lahy l’homme se produit dans le travail pendant qu’il produit. Les facultés psycho­­-
physiologiques sont donc à la fois le substratum de la production et son résultat. Lahy
et son laboratoire dont on ne cesse jamais de sortir sont un enseignement très riche
pour les sciences du travail. Mais ils le sont également pour toutes ces sciences que
Max Weber appelait « du particulier » qui cherchent à saisir les phénomènes dans
leur dimension située sans renoncer à fournir des explications fondées sur des
relations de cause à effet.

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Un laboratoire de psychologie
près des tranchées de Verdun et de la Somme
durant la Première Guerre mondiale
Sélection des soldats mitrailleurs par le psychologue
français Jean-Maurice Lahy en 19161

Serge Nicolas

À la fin de l’année 1916, au cours de la Première Guerre mondiale, les autori-


tés militaires françaises reçoivent un rapport2 de 63 pages intitulé : « Recherches
expérimentales sur la psycho-physiologie des mitrailleurs combattants  » 3 .
Jean-Maurice Lahy (1872-1943) est l’auteur de ce long texte, dont les principales
conclusions avaient déjà été données lors d’une communication (Lahy, 1916a) faite
à l’Académie des Sciences le 3 juillet 1916 dont les journaux spécialisés et grand
public de l’époque avaient fait grand cas. Déjà âgé de 44 ans, Lahy est un officier
qui a le grade de capitaine dans l’armée française. Il est depuis quelques années déjà
connu dans le milieu de la recherche comme un psychologue d’orientation scienti-
fique pour ses travaux dans le domaine de la psychologie appliquée (Ribeill, 1980 ;
Schneider, 1991 ; Turbiaux, 1983)4, notamment pour ses études portant sur les condi-
tions psycho-physiologiques de la supériorité professionnelle des dactylographes,
des linotypistes et des conducteurs de tramways. Le rapport qu’il remet à l’armée
cette année-là est le fruit d’un travail réalisé sur le front, auprès des combattants
et à proximité des tranchées, dans un laboratoire de psychologie itinérant qu’il a
lui-même institué. Il s’agit d’une étude scientifique très précise destinée à faciliter
le recrutement des soldats mitrailleurs dans l’armée française. Ce travail débuta
d’abord sur le front de l’Argonne, près de Verdun, entre janvier et mai 1916, puis fut
poursuivi sur le front de la Somme entre septembre et novembre 1916. Ayant mis
en place depuis quelques années déjà tout un arsenal technique destiné à mesurer
les aptitudes pour certaines professions, il va mettre en œuvre ses connaissances

1. À la mémoire de mes arrière-grands-pères Martin Louis Hillaire et Auguste Nicolas, âgés tous deux
de 37 ans en 1914, qui combattirent à Verdun et sur le front français durant toute la guerre. On m’a
raconté que le premier avait été épargné par un soldat allemand durant un combat au corps à corps à la
baillonnette en pleine nuit lors de l’attaque allemande de sa tranchée. Je conserve pieusement dans mon
bureau de travail leurs portraits et les cadres de leurs décorations.
2. Ce rapport conservé dans les archives J.-M. Lahy sera ultérieurement classé secret défense.
3. Archives J.-M. Lahy.
4. L’historien spécialiste de Lahy en France est Marcel Turbiaux. On lui doit la publication de nom-
breux articles auxquels le lecteur pourra se référer avec profit.
120 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

pour étudier les « professionnels » du tir à la mitrailleuse Saint-Étienne, une arme


redoutable (bien que peu fiable) à l’époque, crainte par les combattants.
Depuis la fondation du laboratoire de Wilhelm Wundt en 1879 à Leipzig (Nicolas,
2005), de très nombreux laboratoires de psychologie avaient vu le jour à travers le
monde au sein des universités ou des hôpitaux. Celui que Lahy installe durant la
Première Guerre mondiale est cependant une structure de recherche très atypique.
Le projet s’inscrit dans le cadre du développement de la psychologie appliquée
voulue par Édouard Toulouse (1865-1947) depuis le début des années 1900 qui se
voulait proche des populations étudiées concernées. Durant la guerre, dès 1915-
1916, quelques structures de sélection des troupes avaient vu le jour, mais celles-ci
se situaient dans des centres éloignés du front. En Allemagne (cf. Gundlach, 1996,
2010), les psychologues s’organisent et se mettent au service de l’armée. Le plus
connu d’entre eux fut sans nul doute Walther Moede (1888-1958), ancien élève et
assistant de Wundt à Leipzig, qui installe à Berlin en 1915 un laboratoire d’essai
pour la sélection des chauffeurs du bataillon automobile des corps de la garde prus-
sienne. En 1918, plusieurs laboratoires de sélection de ce type sont créés par l’armée
allemande et des procédures strictes, essentiellement basées sur une situation de
simulation de conduite et la mesure des temps de réaction, sont appliquées pour le
recrutement des chauffeurs (Moede, 1919, 1930). Des méthodes semblables seront
aussi utilisées par les médecins allemands ayant reçu une formation en psycho­­
logie pour le recrutement des aviateurs de guerre5. C’est également le cas en France
pour cette dernière classe de combattants (Piéron, 1920). Dès le début de l’année
1916, le médecin chef principal de la place de Paris, Émile Marchoux (1862-1943),
se préoccupe d’assurer un examen complet des aviateurs. Il les adresse à des spé-
cialistes divers (otologistes, ophtalmologistes, etc.) et demande à un physiologiste,
Jean Camus (1872-1924), d’établir une méthode d’examen psycho-physiologique
des candidats pilotes. La méthode médico-psychologique de Camus, appliquée par
son collaborateur Henri Nepper (1881-1918), consistait notamment à enregistrer la
vitesse des réactions psycho-motrices visuelles, auditives et tactiles, et les réactions
émotionnelles (respiratoires, cardiaques, vasculaires) sous l’influence d’un coup
de pistolet (Camus & Nepper, 1916a, 1916b ; Nepper, 1917). Des temps de réaction
courts et stables, une grande résistance aux perturbations émotives caractérisèrent
les bons aviateurs examinés par Camus et Nepper6. Des travaux analogues pour
l’étude et la sélection des aviateurs ont aussi été réalisées par les autres belligérants
(Piéron, 1920).

5. H. Gundlach (2010) rapporte également que d’autres méthodes psychologiques avaient été mises au
point pour la sélection des observateurs d’avions, des agents des services de phonométrie et de photo-
métrie, des radio-télégraphistes, des canonniers-pointeurs, et des officiers de marine. L’armée française
n’a semble-t-il pas utilisé des méthodes de ce type pour la sélection de ses spécialistes, exception faite
des aviateurs.
6. À la suite de ces travaux, un centre d’examen fut créé en 1918 dont la direction fut confiée au neuro-
logue Georges Guillain (1876-1961).
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 121

Lorsqu’il réalise ses investigations expérimentales sur les mitrailleurs, Lahy


prend connaissance des résultats des travaux de Camus et Nepper. Cependant des
divergences apparaissent entre les données obtenues sur les pilotes et sur les mitrail-
leurs, notamment en ce qui concerne la mesure des temps de réaction aux stimula-
tions visuelles et auditives, beaucoup plus courtes chez ces derniers. Une controverse
s’engage, relayée par Charles Richet (1850-1935) qui venait de recevoir le prix Nobel
de physiologie avant-guerre (1913). La méfiance envers les données rassemblées par
Lahy a peut-être desservi son image auprès des militaires en tant que psychologue
professionnel mais sa pugnacité et son entêtement lui ont tout de même permis de
devenir entre les deux guerres le psychologue le plus connu et le plus versé dans
les applications de la psychologie scientifique en France. L’histoire qui va suivre va
montrer tout le sérieux méthodologique et scientifique que Lahy a accordé à ses tra-
vaux. C’est ainsi qu’il peut être considéré comme l’un des fondateurs et le promoteur
de la psychologie appliquée en France.

Mise en place d’un laboratoire près des tranchées –


Le matériel du laboratoire sur le front
Lahy est engagé sur le front à sa demande en 1916 (Turbiaux, 2010) où il exerce
la fonction d’officier payeur aux armées près des combattants. Lorsque, au début de
la guerre, les armées françaises refluent devant l’invasion, trois faits attirent l’atten-
tion  de Lahy : 1°) le grand nombre d’actes héroïques accomplis individuellement
ou par petits groupes de soldats ; 2°) le rôle joué par les officiers et sous-officiers
combattants pour donner sa valeur à la troupe ; 3°) l’impression de surprise causée
chez les soldats français par la quantité importante de mitrailleuses utilisées dans
l’armée allemande, alors que l’armée française manquait cruellement de matériels
de ce type. Mais les généraux français avaient rapidement compris qu’il fallait abso-
lument augmenter le nombre de ce type d’armes au sein des bataillons et y affecter
des hommes de « talent » pour s’en servir. Cependant, aucune sélection préalable
n’avait été réalisée, sinon celle d’être assez fort physiquement pour manipuler une
mitrailleuse lourde.
Les deux premières observations avaient conduit Lahy à réunir, pendant toute
la campagne, une série d’éléments sur la psychologie du combattant (Lahy, 1915a,
1915b, 1918) et la psychologie du chef (Lahy, 1916b, 1916c, 1916d, 1916e) qui ont été
publiés en grande partie dans la Grande Revue entre 1915 et 1918. La troisième
observation avait conduit Lahy à penser qu’il était nécessaire de réaliser une étude
scientifique précise sur les mitrailleurs, vu leur importance fondamentale dans le
soutien des fantassins dans la défense des tranchées et durant les offensives sou-
vent très meurtrières. C’est ainsi qu’il décida d’entreprendre l’étude expérimentale
des signes de la supériorité professionnelle des mitrailleurs. Ce travail ne fut rendu
possible que grâce à l’appui du général James-Édouard Hirtzmann (1862-1924),
commandant la 250e brigade de la 125e division d’infanterie, qui témoigna de façon
très vive l’intérêt qu’il portait à ce projet d’études. C’est grâce à l’aide du lieutenant
Abel Ferry (1881-1918), député des Vosges depuis 1909, et ancien sous-secrétaire
d’état aux Affaires étrangères (1914-1915), qui venait d’être récemment rattaché à
122 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

la 250e brigade d’infanterie, que Lahy va implanter un laboratoire itinérant près du


front7, tantôt dans une maison abandonnée, tantôt dans une cave ou un hangar, afin
d’étudier le comportement des soldats mitrailleurs.
Comme le laboratoire était itinérant, Lahy a rassemblé un matériel robuste
qui pouvait être aisément déplacé. Le matériel que Lahy apporte sur le front était
constitué par les instruments de base utilisés habituellement dans les laboratoires de
psychologie. La psychologie nouvelle s’est d’abord appelée « psychologie physio-
logique » comme en témoignent le fameux traité de Wundt (1874) et d’autres ouvrages
du même type publiés à l’époque (e.g. Sergi, 1888). Le premier laboratoire français
de psychologie fondé par Henry Beaunis (1830-1921) en 1889 portait d’ailleurs le
titre évocateur de « Laboratoire de psychologie physiologique » (Nicolas, Gras &
Segui, 2011  ; Nicolas & Sanitioso, 2012). L’expression de «  psychologie physio­­
logique » était employée dans le but de montrer que la psychologie n’était plus fon-
dée sur la spéculation philosophique, mais sur l’expérimentation, en lien avec les
méthodes et les instruments utilisés en physiologie. Les premiers psycho­­logues de
laboratoire se sont ainsi beaucoup intéressés aux variations physiologiques consé-
cutives aux divers états mentaux (les processus mentaux étant étroitement liés aux
états corporels).

Fig. 1 – CylindreFig. 1 – Cylindreentraînant,


enregistreur enregistreur entraînant,
au moyenaudemoyen de laplacée
la poulie poulie sur l’un de ses
placée sur l’un de ses axes, le chariot
axes, le chariot
De cetteDefaçon
cettelefaçon le déplacement
déplacement des inscripteurs
des inscripteurs devantdevant le cylindre
le cylindre se fait automatiquement.
se fait automatiquement. Les poulies
Les poulies possèdent plusieurs gorges et celle portée par l’enregistreur
possèdent plusieurs gorges et celle portée par l’enregistreur peut se placer sur deux peut
de se
sesplacer
axes. On peut
ainsi,sur deux
grâce de ses
à ces axes. On peut
combinaisons, ainsi, un
obtenir grâce à ces
grand combinaisons,
nombre obtenir
de vitesses un grand du
de translation nombre
chariot.
de vitesses de translation du chariot.

Ainsi lorsque se constituèrent les premiers laboratoires de psychologie, on y transporta tout


d’abord l’instrumentation destinée aux recherches physiologiques, et en particulier tous les
7. Malgré les obstacles, J.-M. Lahy fit venir sur le front le matériel scientifique nécessaire, installant son
appareils de la méthode graphique mis au point par Étienne Jules Marey (1830-1904). En
laboratoire de fortune qui dû à plusieurs reprises être déménagé pour sauver du bombardement ce
effet, lamatériel
méthode graphique
délicat et coûteux. a été étendue et popularisée notamment par Marey au cours des
années 1860 et 1870 (Dagonet, 1987) dans les sciences expérimentales (Marey, 1878, 1897).
Selon Marey, « La plupart des progrès réalisés dans les sciences expérimentales comme dans
les sciences d’observation pure sont dus aux perfectionnements des méthodes et des
instruments employés » (Marey, 1868a, p. 3). Et il ajoute : « Par l’emploi de la méthode
graphique disparaissent les illusions de l’observateur, la lenteur des descriptions, la confusion
des faits » (Marey, 1868b, p. v-vi). Marey avait développé en physiologie au cours des années
1850-1860 la méthode graphique, en mettant au point notamment des cylindres rotatifs
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 123

Ainsi lorsque se constituèrent les premiers laboratoires de psycho­logie, on


y transporta tout d’abord l’instrumentation destinée aux recherches physio-
logiques, et en particulier tous les appareils de la méthode graphique mis au point
par Étienne Jules Marey (1830-1904). En effet, la méthode graphique a été étendue
et popularisée notamment par Marey au cours des années 1860 et 1870 (Dagonet,
1987) dans les sciences expérimentales (Marey, 1878, 1897). Selon Marey, « La plu-
part des progrès réalisés dans les sciences expérimentales comme dans les sciences
d’observation pure sont dus aux perfectionnements des méthodes et des instru-
ments employés » (Marey, 1868a, p. 3). Et il ajoute : « Par l’emploi de la méthode
graphique disparaissent les illusions de l’observateur, la lenteur des descriptions, la
confusion des faits » (Marey, 1868b, p. V-VI). Marey avait développé en physiologie
au cours des années 1850-1860 la méthode graphique, en mettant au point notam-
ment des cylindres rotatifs enregistreurs à régulation de Foucault avec tambours à
levier (Figure 1) (Marey, 1868b). Sur le papier noirci d’un cylindre enregistreur s’ins-
crit la trace du mouvement d’un tambour imprimant à un le­vier des déplacements ;
ces déplacements sont comman­dés par un mouvement d’air transmis, le long de
tubes de caoutchouc, par un autre tambour constituant un appareil explorateur :
le pneumographe (Marey, 1865) pour la respira­tion (Figure 2), le sphygmographe
(Marey, 1859) pour le pouls artériel (Figure 3), le cardio­graphe pour les battements
du cœur, etc. Tous ces appareils vont être du voyage près des tranchées de Verdun
et de la Somme.

Fig. 2. – Deux types de pneumographes issus des catalogues


Fig. 2. – Deux types de pneumographes
du constructeur issus des
Charles Verdin aucatalogues
tournant dudusiècle
constructeur Charles
Verdin
Il s’agit d’un appareil auàtournant
destiné dulesiècle
enregistrer rythme et l’amplitude
Il s’agit d’un appareil destiné
des àmouvements
enregistrer le
derythme et l’amplitude des mouvements de
la respiration.
la respiration.
Fig. 2. – Deux types de pneumographes issus des catalogues du constructeur Charles
Verdin au tournant du siècle
124 Les archives
Il s’agit d’un appareil destiné de Jean-Maurice
à enregistrer Lahy (1872-1943)
le rythme et l’amplitude à Sainte-Anne
des mouvements de
la respiration.

A.

106

B.

Figure
Figure 3 – 3Sphygmographes
– Sphygmographes de Marey d’aprèsd’après
de Marey le catalogue Boulitte (1913).
le catalogue BoulitteCet(1913).
appareil
est un instrument de mesure mécanique destiné à enregistrer
Cet appareil est un instrument de mesure mécanique destiné à enregistrer le pouls le pouls
A. Sphygmographe direct de Marey. L’appareil est placé sur le poignet. Le papier placé
A. Sphygmographe
sur un support direct de Marey.
est entraîné L’appareil
avec une vitesse est placé et
uniforme surconnu
le poignet.
par le Le papier placé
mouvement
sur un support placé
d’horlogerie est entraîné avec qui
sous le papier unefaitvitesse
ainsi seuniforme
déplacer laetbande connu par ledevant
de papier mouvement
la
d’horlogerie placé sous
plume inscrivante. Lalecarcasse
papierdequi fait ainsi
l’appareil est se déplacer
semblable la bande
à celle de papier devant
du sphygmographe à
la plume inscrivante.
transmission La carcasse
de Marey et se fixe de l’appareil
de la même façon estsur
semblable
le poignet.à Cet
celle du sphygmographe
appareil permet de
à transmission
prendre des detracés,
Mareysoit et se
au fixe
noir de
de la mêmesoit
fumée, façon sur le Àpoignet.
à l’encre. cet effet,Cet
desappareil
plumes permet
de
chaquedes
de prendre sorte sont fournies
tracés, avec de
soit au noir l’appareil.
fumée, soit à l’encre. À cet effet, des plumes de chaque
B. Sphygmographe
sorte sont fournies avec àl’appareil.
transmission de Marey. Un patin vient s’appliquer sur l’artère et
est relié à la membrane
B. Sphygmographe de la cuvette
à transmission depar une tige
Marey. Unarticulée et venant
patin vient s’accrochersur
s’appliquer surl’artère
le
patin. Ce dernier est porté par un ressort qui exerce sur l’artère une pression que l’on
et est relié à la membrane de la cuvette par une tige articulée et venant s’accrocher sur
fait varier à volonté par la manœuvre d’un bouton. Un autre bouton permet, après avoir
le patin. Ce dernier
décroché la tige duestpatin,
portéde par un ressort
renverser qui exerce
en arrière sur l’artère
la cuvette, une pression
ce qui facilite que l’on
le placement
fait varier à volonté
de l’appareil par
sur le la manœuvre
poignet. d’un bouton.
Un tube permet de relier Un autre au
la cuvette bouton
tambourpermet, après avoir
inscripteur.
décroché la tige du patin, de renverser en arrière la cuvette, ce qui facilite le placement
de l’appareil
À l’époque surlalepsychométrie
poignet. Unforme tube encore
permet dedes
une relier la cuvette
parties au tambour
les plus avancées de lainscripteur.
psychologie
des laboratoires (Nicolas & Pins, 2014). Ce qui intéresse notamment les psychologues c’est
d’effectuer une mesure de la vitesse d’un acte mental. On peut faire cette mesure avec une
précision extrême (Figure 4). Grâce à des chronomètres de précision, on peut mesurer le
temps exact qui s’écoule entre le signal donné et le mouvement du sujet : c’est ce qu’on
appelle un temps de réaction. Les temps de réaction nous renseignent : 1°) sur l’état des nerfs
sensitifs et moteurs et l’état des centres nerveux ; 2°) sur l’état de l’attention, sur la fatigue,
etc. Lahy ne va pas utiliser pour ses travaux de recherche le fameux chronoscope de Hipp qui
est l’instrument dont on se servait habituellement dans les laboratoires de psychologie où on
s’occupait spécialement des temps de réaction. Il s’agissait d’un instrument coûteux, délicat à
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 125

À l’époque la psychométrie forme encore une des parties les plus avancées
de la psychologie des laboratoires (Nicolas & Pins, 2014). Ce qui intéresse notam-
ment les psychologues c’est d’effectuer une mesure de la vitesse d’un acte mental.
On  peut faire cette mesure avec une précision extrême (Figure 4). Grâce à des
chronomètres de précision, on peut mesurer le temps exact qui s’écoule entre le
signal donné et le mouvement du sujet : c’est ce qu’on appelle un temps de réaction.
Les temps de réaction nous renseignent : 1°) sur l’état des nerfs sensitifs et moteurs
et l’état des centres nerveux ; 2°) sur l’état de l’attention, sur la fatigue, etc. Lahy ne
va pas utiliser pour ses travaux de recherche le fameux chronoscope de Hipp qui est
l’instrument dont on se servait habituellement dans les laboratoires de psychologie
où on s’occupait spécialement des temps de réaction. Il s’agissait d’un instrument
coûteux, délicat à manier, et encombrant (Nicolas & Thompson, 2015), pouvant
donner des mesures au millième de seconde. Il va préférer utiliser un chronomètre
mis au point par Jacques Arsène d’Arsonval (1851-1940) en 1886 et un chronoscope
nouveau à marche électrique mis au point par Lucien Bull (1876-1972). Le chrono-
mètre d’Arsonval (Nicolas & Thompson, 2015) est un petit instrument facilement
transportable et sensible au centième de seconde. Il était parfaitement adapté pour
la mesure des temps de réaction en dehors du laboratoire. Cet instrument avait
pour but de mesurer très simplement et directement les temps de réaction. Le chro-
nomètre de Bull, également utilisé par Lahy, est basé sur le même principe que le
chronomètre d’Arsonval. L’aiguille du chronoscope se meut, à la vitesse d’un tour
par seconde, sur un cadran gradué en 100 parties. Un électro-aimant, qui sert d’axe
à l’appareil, l’entraîne. Sur l’autre face, l’aiguille est attirée par un second électro-
aimant fixe, dont l’action est aidée par un léger ressort. Lorsque le courant passe
dans les deux électro-aimants, l’aiguille est fixe. À la rupture du courant, l’aiguille
est entraînée à une vitesse connue et constante. Le système se compose donc de
deux appareils : la lame vibrante et le moteur qui agit sur l’aiguille. Pour imprimer
à tout le système une régularité absolue, la lame doit donner exactement 50 vibra-
tions doubles par seconde. Un interrupteur placé sur la lame permet de laisser pas-
ser à chaque vibration un courant d’une durée très courte, dans un électro-aimant
qui exerce ses attrac­tions successives sur les dents de la roue motrice de l’axe de
l’appareil. La force électro-motrice nécessaire est de 6 volts.
agit sur l’aiguille. Pour imprimer à tout le système une régularité absolue, la lame doit donner
exactement 50 vibrations doubles par seconde. Un interrupteur placé sur la lame permet de
laisser passer à chaque vibration un courant d’une durée très courte, dans un électro-aimant
qui exerce ses attractions successives sur les dents de la roue motrice de l’axe de l’appareil.
La force126 Les archives
électro-motrice nécessaire est de 6devolts.
Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 4 Fig.
– Chronomètre
4 – Chronomètred’Arsonval
d’Arsonval et et chronoscope
chronoscope de Bull.
de Bull
A. Le chronomètre d’Arsonval se compose d’un mécanisme d’horlogerie qui actionne une
A. Le chronomètre d’Arsonval
aiguille, et lui se compose
fait parcourir d’un mécanisme
en une seconde d’horlogerie
un cadran divisé qui actionne
en 100 parties égales, une aiguille, et lui
de sorte
fait parcourir en unecompris
que l’espace secondeentre
un cadran
chacunedivisé
de cesen 100 parties
divisions égales,
est égal à un de sorte que
centième l’espace compris entre
de seconde.
chacune deB. ces divisions
L’intérêt est égal à un
du chronoscope decentième
Bull résidededans
seconde.
le moteur électrique imprimant le mouvement
à l’électro-aimant qui sert d’axe à l’appareil. Il permet de réunir les avantages du chronomètre
d’Arsonval,
B. L’intérêt avec unedemarche
du chronoscope pratiquement
Bull réside indéfinie.
dans le moteur Comme imprimant
électrique le chronomètre d’Arsonval,à l’électro-
le mouvement
aimant quiil donne le centième
sert d’axe de seconde.
à l’appareil. Il a l’inconvénient,
Il permet comme le du
de réunir les avantages chronoscope
chronomètrede Hipp, d’être avec une
d’Arsonval,
un peu bruyant,
marche pratiquement et d’exiger
indéfinie. une mise
Comme en relation pard’Arsonval,
le chronomètre fils avec un diapason
il donne fixé à un murde
le centième (qui,
seconde. Il a
entretenu électriquement, donne 100 vibrations par seconde) et d’être par conséquent
l’inconvénient, comme le chronoscope de Hipp, d’être un peu bruyant, et d’exiger une mise en relation parmoins
transportable
fils avec un que à
diapason fixé le un
chronomètre
mur (qui,d’Arsonval
entretenu (cf. Toulouse & Piéron,
électriquement, donne 1911).
100 vibrations par seconde) et
d’être par conséquent moins transportable que le chronomètre d’Arsonval (cf. Toulouse & Piéron, 1911)
Parmi les appareils spéciaux dont Lahy a fait usage dans son laboratoire de
fortune on trouve l’appareil à suggestion motrice (Figure 5) de Binet (1901). Il s’agit
d’un système de transmission du mouvement par courroie, combiné à un système de
frein qui empêche la roue induite de communiquer son mouvement à la roue induc- 108
trice, tout en la rendant obéissante à cette dernière. Le système des courroies permet
à la roue induite de résister au mouvement inducteur, et de patiner un peu, de sorte
que le mouvement de résistance du sujet s’inscrit sur les tracés. Voici les consignes
données à un sujet qui a les yeux bandés : « L’expérience se divise en deux parties :
induite de communiquer son mouvement à la roue inductrice, tout en la rendant obéissante à
cette dernière. Le système des courroies permet à la roue induite de résister au mouvement
inducteur, et de patiner un peu, de sorte que le mouvement de résistance du sujet s’inscrit sur
les tracés. Voici les consignes données à un sujet qui a les yeux bandés : « L’expérience se
127
divise enUndeux
laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme…
parties : dans la première partie, vous suivez mon mouvement (je montre la
solidarité des deux roues). Cela dure un temps que je ne vous dis pas d’avance ; ensuite,
seconde dans la àpremière
partie, partie,
mon signal, vousfaites
vous suivez
unmon mouvement
mouvement (je c’est-à-dire
actif, montre la solidarité
que vousdes
êtes seul à
deux roues). Cela dure un temps que je ne vous dis pas d’avance ; ensuite, seconde
tourner la roue, et vous tâchez alors de percevoir la différence entre les deux espèces de
partie, à mon signal, vous faites un mouvement actif, c’est-à-dire que vous êtes
mouvements.
seul à»tourner la roue, et vous tâchez alors de percevoir la différence entre les deux
espèces de mouvements. »

Fig. 5 – Appareil à roues. Vue de face et vue du côté de l’enregistrement


Sur un bâti supportant l’ensemble de l’appareil, sont fixées deux roues ou poulies d’entraîne-
Fig. (R
ment 5 –et Appareil
R’), réunies à roues.
par Vue
la corde sansde
fin face et vue du côté
C et commandées demanivelles
par les l’enregistrement
M, M’ dont
l’une, M, est folle sur son axe. Ces manivelles peuvent être rendues solidaires ou indépen-
dantes
Sur un bâti pendant l’ensemble
supportant la marche audemoyen d’un frein.
l’appareil, sont fixées deux roues ou poulies d’entraînement (R et
R’), réunies par la corde sans fin C et commandées par les manivelles M, M’ dont l’une, M, est folle sur
L’appareil àpeuvent
son axe. Ces manivelles suggestion
être de Binet,solidaires
rendues utilisé parouLahy, est formé pendant
indépendantes de deux la
roues pla- au moyen
marche
d’un frein.cées sur un même plan vertical, l’une, que fait mouvoir l’expérimentateur, l’autre

109
plan vertical, l’une, que fait mouvoir l’expérimentateur, l’autre entraînée par celle-
d’une courroie sans fin. Chaque roue commande le mouvement de va-et-
ntal d’un stylet inscripteur indépendant (voir Figure 6). Le sujet, dont les yeux
, prend en main
128
la manivelle Les d’une des roues. L’expérimentateur tient la manivel
archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne
e d’entraînement et imprime un mouvement que le sujet doit suivre passivement. A
mbre déterminé depar
entraînée tours deauroue,
celle-ci l’expérimentateur
moyen d’une s’arrête
courroie sans fin. Chaque ; selon que le sujet c
roue commande
le mouvement de va-et-vient horizontal d’un stylet inscripteur indépendant (voir
ôt, ou continueFigurele6).mouvement
Le sujet, dont lesimprimé à saprend
yeux sont fermés, roueendevenu libre, d’une
main la manivelle on juge
des de son deg
tibilité. Pour Binet (1901), le sujet qui tient en main la poignée de la roue peut
roues. L’expérimentateur tient la manivelle de la roue d’entraînement et imprime
un mouvement que le sujet doit suivre passivement. Après un nombre déterminé
uer le mouvement,
de tours dequand l’expérimentateur
roue, l’expérimentateur cesse
s’arrête ; selon qued’agir ; c’est
le sujet cesse la suggestion
aussitôt, ou pure
plement exécutée ; 2°) s’opposer au mouvement, pendant que l’expérimentateur a
continue le mouvement imprimé à sa roue devenu libre, on juge de son degré de
suggestibilité. Pour Binet (1901), le sujet qui tient en main la poignée de la roue peut :
ivre le mouvement
1°) continuerquand l’expérimentateur
le mouvement, agit,cesse
quand l’expérimentateur et d’agir
s’arrêter
; c’est laquand
sugges- l’expériment
e. La situation n° 1 est la suggestibilité sous sa forme banale ; que
tion purement et simplement exécutée ; 2°) s’opposer au mouvement, pendant la situation n°
l’expérimentateur agit ; 3°) suivre le mouvement quand l’expérimentateur agit, et
férence à la s’arrêter
suggestion.
quand l’expérimentateur s’arrête. La situation n° 1 est la suggestibilité sous
sa forme banale ; la situation n° 3 est l’indifférence à la suggestion.

Fig. 6 – Appareil à suggestion de Binet utilisé par J.-M. Lahy


– Appareil à suggestion de Binet utilisé par J.-M. Lahy au cours de ses recher
au cours de ses recherches (collection R. Simonnet)

(collection R. Simonnet)
Procédure de sélection

édure de sélection
L’objectif de Lahy était de réaliser une division du travail parmi les combat-
tants, comme cela devait se faire dans l’industrie pour les travailleurs. Pour obtenir
le maximum de rendement, il s’agissait d’affecter à des fonctions déterminées les
individus les plus qualifiés. Ainsi, le problème que Lahy pose pour les mitrailleurs
ctif de Lahyn’est
était de application
qu’une réaliser du une division
problème du travail
plus général parmipréa­
de la sélection leslable
combattants,
des tra- comme
se faire dansvailleurs
l’industrie
de toutespour les travailleurs.
professions. Pour obtenir
La méthode de recherche le maximum
est identique : il s’agit de de rendeme
réaliser un examen psycho-physiologique permettant de désigner, avant l’entrée en
ait d’affecter à des
formation d’un fonctions déterminées
groupe de candidats lesaptitudes
présentant les individusles plusles plusceuxqualifiés. Ains
diverses,
me que Lahy pose pour
qui possèdent les spéciales
les qualités mitrailleurs n’estduqu’une
caractéristiques application
bon « tra­vailleur » dans unedu problème
profession donnée (ici un soldat pour devenir un bon mitrailleur). Toute étude de
l de la sélection préalable
ce genre, comme Lahy en des travailleurs
avait déjà deemplois
réalisé pour les toutescivils,professions.
commence par La méthod
che est identique
la réunion: ild’un
s’agit
nombre desuffisant
réaliser un d’élite
de sujets examen psycho-physiologique
dont on recherche les caractères permettan
communs.
er, avant l’entrée en formation d’un groupe de candidats présentant les aptitude
iverses, ceux qui possèdent les qualités spéciales caractéristiques du bon « travaill
ne profession donnée (ici un soldat pour devenir un bon mitrailleur). Toute étude d
comme Lahy en avait déjà réalisé pour les emplois civils, commence par la réu
ombre suffisant de sujets d’élite dont on recherche les caractères communs.
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 129

que Lahy a établiDécomposition


le tableaudesdes gestesgestes à effectuer
du mitrailleur par les sujets et indiqué – à ti
et du chargeur :
une étude des tâches
d’hypothèse – les fonctions psycho-physiologiques qui semblent concourir à leur réalisati
La détermination
parfaite. Dans l’armée française,des caractères
chaque communs aux
mitrailleuse sujets
était d’élite par
servie doit au
se focaliser
moins 4 hommes q
autour des fonctions particulières qui entrent en jeu dans le « travail » du mitrail-
ui sont attachés
leuren propre
. C’est
8 : lequechef
à cet effet Lahyde pièce,
a établi ayant
le tableau des habituellement
gestes à effectuer parlelesgrade
sujets de caporal
ireur, 1 chargeur, et 1 –pourvoyeur.
et indiqué à titre d’hypothèse Dans– lesce personnel
fonctions nombreux,
psycho-physiolo­ giquesilqui
faut distinguer ceux q
semblent
concourir à leur réalisation parfaite. Dans l’armée française, chaque mitrailleuse
prennent une part directe à la manœuvre de la mitrailleuse, de ceux qui lui sont adjoi
était servie par au moins 4 hommes qui lui sont attachés en propre : le chef de pièce,
omme aides. Le tireur
ayant et le chargeur
habituellement le grade de forment
caporal, 1la base
tireur, de l’équipe.
1 chargeur, Le rôleDans
et 1 pourvoyeur. de chacun de c
ce personnel nombreux, il faut distinguer ceux qui
hommes est nettement déterminé. Dans son étude Lahy s’attache aux mitrailleurs prennent une part directe à la qui utilise
manœuvre de la mitrailleuse, de ceux qui lui sont adjoints comme aides. Le tireur
a mitrailleuse etSaint- Étienne
le chargeur (voir
forment Figure
la base 7), une
de l’équipe. arme
Le rôle classique
de chacun à l’époque
de ces hommes est utilisée p
’armée française maisdéterminé.
nettement qui avait Dansla sonfâcheuse
étude Lahy tendance
s’attache aux àmitrailleurs
s’enrayer facilement avec u
qui utilisent
la mitrailleuse Saint-Étienne (voir Figure 7), une arme classique à l’époque utilisée
utilisation prolongée et une manipulation inappropriée lors du chargement des bandes
par l’armée française mais qui avait la fâcheuse tendance à s’enrayer facilement avec
artouches. une utilisation prolongée et une manipulation inappropriée lors du chargement des
bandes de cartouches.

Fig. 7 – Fig.
Mitrailleuse
7 – Mitrailleusefrançaise Saint-Etienne
française Saint-Étienne
(collection personnelle S. Nicolas)
(Collection personnelle S. Nicolas)
Le tireur est assis sur le siège bas adapté à son arme, les jambes étendues en
Le tireur est assis surle le
avant, siège
corps bas adapté
légèrement à son
voûté afin arme, les
de maintenir l’œiljambes étendues
à la hauteur du cranen
de avant, le co
mire, la main droite à la crosse, la main gauche au volant pour régler la hauteur
égèrement voûté afin de maintenir l’œil à la hauteur du cran de mire, la main droite à
(Figure 8).
rosse, la main gauche au volant pour régler la hauteur (figure 8).

8. J.-M. Lahy ne fait pas intervenir dans ces recherches l’étude de la force musculaire, estimant qu’il
est bien évident que le mitrailleur devant transporter éventuellement sa pièce, soit 25 kg, doit être d’une
force supérieure à celle des autres fantas­sins. C’est d’ailleurs une qualité dont on tenait compte pour
l’affectation des mitrailleurs même avant la guerre.
Fig. 7 – Mitrailleuse française Saint-Etienne
(Collection personnelle S. Nicolas)

Le tireur est assis sur le siège


130 Lesbas adapté de
archives à son arme, les jambes
Jean-Maurice Lahy étendues en avant,
(1872-1943) le corps
à Sainte-Anne
légèrement voûté afin de maintenir l’œil à la hauteur du cran de mire, la main droite à la
crosse, la main gauche au volant pour régler la hauteur (figure 8).

Fig. 88 –– Dans
Fig. Dans l’armée
l’armée française,
française, chaque
chaque mitrailleuse
mitrailleuse était
était servie
servie par
par au
au moins
moins 44 hommes
hommes
quiqui
lui lui
sontsont
attachés en propre : le chef de pièce (à gauche de la photographie),
attachés en propre : le chef de pièce (à gauche de la photographie), ayant
habituellement
ayant habituellement le grade de caporal, 1 tireur, 1 chargeur, et 1 pourvoyeurde la
le grade de caporal, 1 tireur, 1 chargeur, et 1 pourvoyeur (à droite
photographie).
(à droite de laLephotographie).
tireur et le chargeur
Le tireur(auetcentre de la photographie)
le chargeur (au centre de laforment la base de
photographie)
l’équipe. Le rôle de chacun de ces hommes est nettement déterminé.
forment la base de l’équipe. Le rôle de chacun de ces hommes est nettement déterminé.
(Collection personnelle S. Nicolas)
(collection personnelle S. Nicolas)

Dans son rapport de 1916, Lahy décompose (Tableau I) la série des gestes que
le tireur doit accomplir et les qualités psycho-physiques grâce auxquelles ces gestes
111
assurent le tir parfait.

Gestes à réaliser Caractéristiques


Fonctions
par le tireur psycho-physiologiques

1°. Pointer Prompte immobilité Adaptation fonctionnelle


musculaire
2°. Commencer le tir Presser le déclic Rapidité motrice. Absence
de la détente de suggestibilité motrice
3°. Finir le tir Lâcher le déclic Rapidité motrice. Absence
de la détente de suggestibilité motrice
4° Réglage en Main gauche : volant Rapidité motrice
hauteur
5° Réglage latéral Main droite : mouvements Rapidité de décision,
latéraux de la poignée précision dans les
petits mouvements
6° Régler la rapidité Agir sur le tambour Dissociation des
de vitesse mouvements
7° Passer du tir fixe Main droite : levier Dissociation des
au tir fauchant ou mouvements
inversement
Tab. I – Série des gestes que le tireur doit accomplir et les qualités psycho-physiques
grâce auxquelles ces gestes assurent le tir parfait d’après le rapport de Lahy
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 131

Au combat, ces diverses opérations se succèdent avec une extrême rapidité et


dans un ordre variable. Pour être exécu­tées, elles supposent un sujet calme, ayant
la pleine maîtrise de lui-même. L’effort à faire est assez analogue à celui que réalise
le mécanicien sur sa machine, avec cette circonstance aggravante que le tireur est
soumis aux émotions de l’attente, du bombardement, de la fusillade, et est influencé
par le désordre qui se produit autour de lui. Il ne peut remplir sa mission que s’il
demeure maître de lui-même, et, en apparence, insensible aux causes de troubles les
plus graves.
Le chargeur, avec un genou à terre, doit prendre, soit sur un tas préparé à l’avance,
devant lui, soit des mains d’un aide (le pourvoyeur), les bandes de cartouches qu’il
élève à une hauteur d’environ 80 centimètres et qu’il engage dans le couloir d’ali-
mentation de la mitrailleuse. Les bandes comprennent 25 cartouches ; elles ont 403
millimètres de long et millimètres de large. Le couloir d’alimen­tation a une largeur
de 76 millimètres. Chaque bande doit être exactement placée à plat, suivre la précé-
dente sans la heurter, ni laisser un vide, car la plus légère pression oblige le barillet
à faire plus d’un demi-tour, et détermine un blocage qui arrête le tir. Les  gestes
du chargeur sont moins complexes que ceux du tireur, mais ils doivent être très
réguliers et s’accomplir dans des conditions tout aussi stressantes lors des com-
bats. En  outre, la plus petite irrégula­rité détermine un enrayage. Les  enrayages
proviennent non seulement de la lenteur des mouvements, mais encore de leur ina-
daptation : bandes qui chevauchent, mauvais engagement dans le couloir, pression
trop forte sur la bande engagée. C’est donc, d’une manière générale, le problème de
l’exactitude du geste qui se trouve posé. Un chargeur habile et de sang-froid arrive
à placer 24 bandes en deux minutes et demie. Les gestes du chargeur doivent donc
être d’une précision parfaite.
Lahy commença par demander aux officiers de sa brigade de lui désigner les
bons et mauvais mitrailleurs, qu’il classa d’après leur valeur comme tireurs, comme
chargeurs et aussi d’après leur sang-froid au feu. Il procéda ensuite à une série d’ex-
périences méthodiques afin de caractériser l’ensemble des signes qui affirmaient leur
aptitude générale. Lahy put observer la réunion fréquente, chez le même mitrailleur,
de plusieurs apti­tudes différentes : la rapidité motrice, l’exactitude des gestes et le
sang-froid.

La sélection des sujets et leur classement


Lahy demanda ainsi aux officiers de désigner d’une part les meilleurs mitrail-
leurs (par catégories distinctes : les bons tireurs, les bons chargeurs), et, d’autre part,
des hommes pourtant éprouvés par 18 mois de stationnement dans les tranchées qui
ne possédaient pas ces qualités. L’objectif de Lahy était de confronter ce classement
« professionnel » des mitrailleurs établi par les officiers avec le classement psycho-
physiologique (psychotechnique) qu’il se proposait de faire.
De façon générale, deux méthodes ont été employées pour le classement des
sujets après la sélection par les officiers. La première consistait à faire tirer avec la
mitrailleuse Saint-Étienne 100 cartouches sur une cible de 6 mètres de haut et de
2 mètres de large placée à 150 mètres de distance ; sur cette cible était peinte une
ligne sinueuse noire de 10 centimètres de large. La seconde consistait à faire tirer à
132 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

250 mètres de distance 150 cartouches à la vitesse de 300 coups à la minute (cadence
normale) sur une cible de 6 mètres sur 2 mètres recouverte de papier jaune avec
une bande noire de 15 centimètres de large. Ce tir était beaucoup plus difficile que
le premier.
Le classement des soldats en tant que chargeurs s’opérait en leur faisant alimenter
une mitrailleuse à la cadence rapide, jusqu’à ce qu’un enrayage, provoqué par leurs
gestes, arrête complètement le fonctionnement de l’arme. Les bons chargeurs étaient
habituellement aussi de bons tireurs et, presque toujours, des hommes doués de
sang-froid. Comme il était impossible de suivre tous les soldats à la fois dans l’action,
la valeur comme le sang-froid était appréciée dans le combat et corroborée par l’avis
des officiers qui commandaient ces hommes et le jugement des camarades. Il fut en
outre reconnu par les chefs que les bons tireurs et chargeurs étaient presque toujours
des hommes calmes et courageux dans l’action.
Dans le rapport adressé au ministère de la Guerre, Lahy présente les cas de
5 mitrailleurs choisis parmi les meilleurs (Tableau II). Non seulement la supériorité
des bons s’affirme dans la fonction de tireur comme dans celle de chargeur, mais il
observe également grâce aux méthodes employées qu’il existe un rapport entre le
résultat du tir et celui au chargement (les mêmes sujets faisaient alternativement le
service de tireur et celui de chargeur).
Bandes passée
Tir Tir Sang-froid
Noms en tir (cadence
dans la cible dans la bande dans l’action
rapide)

Pi. 149/150 78/150 23 Très bon

Gu. 143 93 20 Très bon

Ri. 139 65 19 Bon

Ch. 132 52 11 Idem

Po. 117 47 8 Idem


Tab. II – Performances de 5 mitrailleurs d’élite avec leur classement au tir
et au rechargement. Il est en outre indiqué leur niveau de sang-froid au combat

Les principaux résultats obtenus sur les temps de réaction des


soldats mitrailleurs : une critique de la part de Charles Richet
Pour que la fonction soit utilement remplie, les gestes des mitrailleurs – et, en
particulier, ceux des chargeurs – doivent être rapides. La rapidité motrice, obtenue
par la répétition d’un mouvement simple, doit fournir la principale indication pour
classer les sujets. Lahy va montrer que les meilleurs mitrailleurs n’étaient pas tou-
jours ceux qui témoi­gnaient de la plus grande rapidité de gestes, mais ceux dont les
temps de réaction étaient à la fois les plus courts et les plus réguliers.
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 133

Le 3 juillet 1916, Lahy (1916a) expose les résultats de ses premières recherches
dans une courte note présentée à l’Académie des sciences à Paris par le zoologiste
et anatomiste Edmond Perrier (1844-1921). Il ressort de ce texte sommaire publié
dans le numéro 26 (10 juillet 1916) des Comptes rendus hebdomadaires des séances de
l’Académie des sciences que les aptitudes qu’un bon mitrailleur doit présenter sont les
suivantes : une grande rapidité des temps de réaction (avec un faible écart moyen),
un faible indice de fatigabilité, une absence de suggestibilité et un grand sang-froid
(mesuré par des indices physiologiques). Mais la note de recherche de Lahy est très
laconique. De plus, des critiques s’élèvent à propos des données recueillies par Lahy,
notamment celles relatives aux temps de réaction qui paraissent aberrants à Charles
Richet (1850-1935) (Wolf, 1993). Ce dernier lui adresse ainsi une lettre non datée
(Archives J.-M. Lahy, carton 57) reçue par Lahy le 21 juillet où il l’informe aimable-
ment qu’il va présenter une note à l’Académie des sciences où il critique les données
fournies par ses mitrailleurs et Richet d’ajouter : « Je m’imagine que vous n’avez pu
expérimenter qu’avec des appareils imparfaits.  » Cette critique (Richet, 1916) fut
relayée par Jean Camus et Henri Nepper (1916b) lors de la séance du 24 juillet 1916
à l’Académie des sciences. Camus et Nepper qui, au même moment, étudiaient à
Paris, dans leur service, des candidats à la fonction d’aviateur, soulevèrent en effet
également des objec­tions au sujet des chiffres donnés (ils étaient trop rapides) par
Lahy pour la mesure des temps de réaction visuelle (151 ms) et auditive (127 ms).
En effet, les expériences réalisées par Lahy avaient porté sur les temps de réac-
tions visuels et les temps de réaction auditifs. Plusieurs physiologistes et psycho-
logues avaient avant lui tenté l’établissement sys­tématique de ces moyennes. Pour
obtenir un chiffre, en apparence admis­sible par tous, Richet (1898, p. 19) avait fait la
moyenne de ces moyennes, et donné les chiffres suivants :
Temps de réaction visuelle……….
Temps 195 ms
de réaction auditive………. 150 ms
Temps de réaction auditive………. 150 ms

Fig. 9 – Chronomètre électrique de Bull pour la mesure des temps de réaction.


Fig. 9 – Chronomètre électrique de Bull pour la mesure des temps de réaction. Position
Position du sujet et de l’expérimentateur pour l’étude des temps de réaction visuels
du sujet et de l’expérimentateur pour1918,
(Grimaud, l’étude des temps de réaction visuels
p. 128)
(Grimaud, 1918, p. 128)

Pour la mesure des temps de réaction visuels, Lahy avait utilisé la bobine de Ruhmkoff qui
était introduite dans le circuit du chronomètre. Il obtenait, lors de la rupture du courant, une
étincelle qui jaillissait entre deux électrodes convenablement disposées. Ainsi une excitation
vive, nette et brève, se produisait dans l’obscurité, sans retard appréciable. Comme le note
Lahy dans son rapport, les réactions qui affectent le plus vivement les mitrailleurs, qu’il
134 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Pour la mesure des temps de réaction visuels, Lahy avait utilisé la bobine de
Ruhmkoff qui était introduite dans le circuit du chronomètre. Il obtenait, lors de la
rupture du courant, une étincelle qui jaillissait entre deux électrodes convenable-
ment disposées. Ainsi une excitation vive, nette et brève, se produisait dans l’obscu-
rité, sans retard appréciable. Comme le note Lahy dans son rapport, les réactions qui
affectent le plus vivement les mitrailleurs, qu’il s’agisse des tireurs ou des chargeurs,
ont pour cause une excitation visuelle. C’est, en effet, par la vue que se règle le tir, et
c’est par la vue que se trouve assurée l’exactitude des mouvements rapides accom-
plis en chargeant9. Lahy a abouti à un premier classement qui se rapprochait du clas-
sement professionnel établi par les officiers. L’examen des résultats montre que les
soldats reconnus par les chefs comme de bons mitrailleurs se placent, presque tous,
pour la rapidité de leurs temps de réaction visuels, au début de la liste.
Pour la mesure des temps de réaction auditifs, l’excitation était produite par le
choc du marteau qui rompt le courant et fait déclencher l’aiguille du chronomètre
d’Arsonval ou de Bull. Le sujet avait les yeux bandés (voir Figure 10). La mesure des
temps de réaction auditifs a fourni un procédé de classement qui se rapproche mieux
encore des données fournies par la valeur professionnelle.

9. Dans son rapport J.-M. Lahy écrit : « Si l’on ajoute à ceci le fait que nos sujets d’élite étaient des
mitrailleurs en activité, fixés depuis 18 mois en Argonne, dans un secteur où les lignes françaises et
allemandes se rapprochent parfois jusqu’a 50 mètres, sur un terrain propice aux surprises, où le guet
doit se faire sans arrêt, où les engins de tranchées dont les Allemands usent à profusion obligent les
hommes à une attention constante, à des réactions promptes sous peine d’être tués, on conviendra
qu’ils différaient singulièrement des candidats que MM. Camus et Nepper ont étudiés dans leur labo-
ratoire de Paris. »
« Certes nous reportons sur des différences de technique une part de l’écart qui s’observe entre leurs
résultats et les nôtres. Mais l’assimilation de leurs sujets aux mitrailleurs de l’Argonne semblera inac-
ceptable à ceux qui ont vu et vécu la guer­re dans cette région. Nous ne pouvons pas davantage accepter
sans examen leur affirmation que leurs sujets "appartenaient au même milieu et avaient à peu près la
même vie" que ceux que nous avons examinés. »
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 135

Fig. 10. Disposition pour la mesure des temps de réaction auditifs. Lahy produit l’excitation
Fig. 10. Disposition pour la mesure des temps de réaction auditifs. Lahy produit
par le choc d’un marteau, et le sujet qu’il examine a les yeux bandés
l’excitation par le choc d’un marteau, et le sujet qu’il examine a les yeux bandés.
On voit surOn
la photographie l’utilisation
voit sur la photographie du chronomètre
l’utilisation d’Arsonval
du chronomètre pour la mesure des
d’Arsonval
temps de réaction auditifs (Grimaud, 1918, p. 122)
pour la mesure des temps de réaction auditifs (Grimaud, 1918, p. 122)

Temps deTemps de réaction


réaction rapide,
rapide, écart écart faible,
moyen moyen telfaible, tel premier
fut le fut le premier
résultatrésultat
positif positif
obtenu par
obtenu par Lahy pour caracté­r iser le mitrailleur d’élite. Mais la
Lahy pour caractériser le mitrailleur d’élite. Mais la durée des temps de réaction visuelle etdurée des temps
de réaction
auditive visuelle etcomparée
des mitrailleurs, auditive des à lamitrailleurs,
durée moyenne comparée
dite «à classique
la durée moyenne
», indiquediteque les
meilleurs mitrailleurs sont doués d’une rapidité de réaction qui les place de rapidité
«  classique », indique que les meilleurs mitrailleurs sont doués d’une façon très de nette
parmiréaction
une élitequi les place de façon très nette parmi une élite psycho-physiologique. Les
psycho-physiologique. Les objections qui avaient été faites à ses résultats
objections qui avaient été faites à ses résultats relativement à l’extrême rapidité des
relativement à l’extrême rapidité des temps de réaction n’ont pas surpris Lahy. En effet, les
temps de réaction n’ont pas surpris Lahy. En effet, les chiffres enregistrés présen-
chiffres enregistrés présentaient des différences avec ceux obtenus dans les laboratoires
taient des différences avec ceux obtenus dans les laboratoires classiques et s’écar-
classiques et s’écartaient des moyennes établies par Richet. On peut admettre ces derniers
taient des moyennes établies par Richet. On peut admettre ces derniers chiffres
chiffres
commecomme des des points
points de repère
de repère commodes
commodes pourpour les comparer
les comparer à ceuxà ceux
obtenusobtenus par Lahy
par Lahy
avec avec
ses mitrailleurs.
ses mitrailleurs. Les premières moyennes obtenues sur les 20 soldats mitrail- de
Les premières moyennes obtenues sur les 20 soldats mitrailleurs
Lahyleurs
en 1916 sontende1916
de Lahy 151sont
msdepour
151 msles pour
réactions visuellesvisuelles
les réactions et 127 etms127pour les réactions
ms pour les
auditives. Les chiffres sont donc nettement plus rapides que ceux
réactions auditives. Les chiffres sont donc nettement plus rapides que ceux obtenus obtenus par d’autres
expérimentateurs,
par d’autres notamment par Camus
expérimentateurs, et Nepperpar
notamment (1916a,
Camus 1916b) qui avaient
et Nepper (1916a,expérimenté
1916b) à
la même époque sur des aviateurs et dont les moyennes se situaient
qui avaient expérimenté à la même époque sur des aviateurs et dont les moyennes au niveau de celles de la
méta-analyse
se situaientde Richet
au niveau(1898). Maisdeleslaexpériences
de celles méta-analyse dede Lahy avaient
Richet (1898).étéMais
réalisées dans des
les expé-
riencesbien
conditions de Lahy avaient
différentes deété réalisées
celles dans des
de Camus conditions
et Nepper. Lahy bien différentes de pas
n’expérimentait celles
sur des
de Camus
candidats et Nepper.
aux fonctions Lahy n’expérimentait
d’aviateur ou de mitrailleur,pas sur mais dessurcandidats aux fonctions
des combattants aguerris
d’aviateur
éprouvés ou de mois
par dix-huit mitrailleur, mais
de séjour ensur des combattants
Argonne. De plus, aguerris éprouvés
il n’opérait par les
pas dans dix-huit
conditions
mois du
ordinaires de laboratoire,
séjour en Argonne. Deun
mais dans plus, il n’opérait
milieu pas dans
singulièrement les conditions
différent (le frontordinaires
de l’Ouest) de
celui du
où labora­
l’on atoire, mais de
coutume dans un milieudes
poursuivre singulièrement différent (le (dans
recherches scientifiques front dedesl’Ouest)
laboratoires
de celui oùEnfin,
universitaires). l’on aaucune
coutume de rationnelle
étude poursuivren’ayant
des recherches
été faite scientifiques
pour prouver (dans qu’un des
aviateur
laboratoires universitaires). Enfin, aucune étude rationnelle n’ayant
d’élite doit posséder des caractères physiologiques identiques à ceux d’un mitrailleur d’élite, été faite pour
prouver
les sujets qu’unn’étaient
de Lahy aviateurpas
d’élite doit posséder
comparables à ceux desdecaractères
Camus etphysiologiques
Nepper. Sur lesiden- 20 sujets
dont Lahy publie l’étude, 11 représentent une élite, 2 sont bons, et 7 pas
tiques à ceux d’un mitrailleur d’élite, les sujets de Lahy n’étaient comparables
mauvais, choisis àparmi
plusieurs centaines de sujets déjà sélectionnés comme mitrailleurs par l’armée.
Suite aux critiques de Richet, Lahy, expérimentateur rigoureux, va procéder au cours du
second semestre de l’année 1916 à des vérifications générales de l’appareillage utilisé pour la
mesure des temps de réaction, en comparant ses premiers résultats avec ceux obtenus par
d’autres méthodes. L’emploi des chronomètres ne permettait pas d’obtenir une précision égale
à celle de la méthode d’inscription graphique. C’est pour cela que sur un cylindre noirci, il a
136 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

ceux de Camus et Nepper. Sur les 20 sujets dont Lahy publie l’étude, 11 représentent
une élite, 2 sont bons, et 7 mauvais, choisis parmi plusieurs centaines de sujets déjà
sélectionnés comme mitrailleurs par l’armée.
Suite aux critiques de Richet, Lahy, expérimentateur rigoureux, va procéder au
cours du second semestre de l’année 1916 à des vérifications générales de l’appa-
reillage utilisé pour la mesure des temps de réaction, en comparant ses premiers
résultats avec ceux obtenus par d’autres méthodes. L’emploi des chronomètres ne
permettait pas d’obtenir une précision égale à celle de la méthode d’inscription gra-
phique. C’est pour cela que sur un cylindre noirci, il a notamment enregistré, grâce
au signal double de Deprez, l’excitation et la réaction et, parallèlement, les vibrations
de la lame. Les résultats ainsi fournis ont été à peu près du même ordre que ceux
donnés par le chronomètre. Et en admettant même que le chronomètre utilisé n’était
pas totalement fiable au centième de seconde, il s’était prémuni contre ce problème
en réalisant sur chaque sujet un très grand nombre d’expériences afin d’aboutir à
une exactitude suffisante dans l’établissement d’une moyenne individuelle (celle-ci a
toujours été déduite de 30 expériences consécutives, renouvelées à plusieurs inter-
valles ; les sujets les plus intéressants ont même été étudiés jusqu’à 10 reprises, soit
300 expériences). Quoiqu’il en soit, il réalisa des corrections sur ses premières don-
nées critiquées par Richet et multiplia les expériences jusqu’à aboutir à de nouvelles
moyennes : 168 ms pour les réactions visuelles et 151 ms pour les réactions auditives.
Ces résultats étaient assez semblables en moyenne pour les réactions auditives
(151 vs. 150 ms) à ceux obtenus par la plupart des expérimentateurs, mais encore
beaucoup plus rapides pour les réactions visuelles (168 vs. 195 ms). « Nous avions
été frappé nous-même par cette rapidité. Cependant, après avoir vérifié avec soin
et refait nos expériences, force nous était d’accepter ces résultats peu coutumiers et
de les publier. Bien plus, ils nous semblent aisés à expliquer » (p. 22 du rapport).
En fait, les vingt sujets dont Lahy a donné les réactions ne sont pas des sujets quel-
conques. Ils constituent une élite, des volontaires parmi les meilleures troupes. Leur
sélection a commencé dès le début de la guerre, avant même que l’on ait extrait des
rangs tout autre spécialité de combattant. Le choix en a été fait après des « épreuves
de longue durée », puisqu’ils ont échappé, outre la chance, par leur habileté motrice,
par la promptitude de leurs gestes, aux vicissitudes de la guerre. Or, les dangers
étaient permanents en Argonne, où la guerre, très meurtrière, se faisait de tranchée
à tranchée très rapprochées (à parfois moins de 50 mètres). Si l’on établit la moyenne
de la durée des temps de réaction des vingt premiers sujets, on obtient les chiffres
suivants (voir Tableau III) :

Pour 13 bons Pour 7 mauvais Moyenne


mitrailleurs mitrailleurs générale
Temps de
144 ms 214 ms 168 ms
réaction visuelle
Temps de
116 ms 188 ms 151 ms
réaction auditive
Tab. III – Temps de réaction pour les stimulations visuelles et auditives
chez les bons et mauvais mitrailleurs
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 137

Ces chiffres sont donc de 27 ms au-dessous de la moyenne pour les temps de


réaction visuelle et de 1 ms au-dessus de la moyenne pour les temps de réac­tion
classiques établis par Richet (1898). Mais ce ne sont que des moyennes, Lahy est bien
conscient qu’il existe des différences individuelles car dans le tableau on voit bien
que les bons mitrailleurs sont encore plus rapides et les mauvais mitrailleurs sont
encore plus lents que les moyennes établies par Richet. En fait, il est assez fréquent
de rencontrer des sujets à réactions très lentes et des sujets à réactions très rapides.
Chez les dactylographes, Lahy note qu’il existe par exemple également des sujets
d’exception. Les chiffres n’ont qu’une valeur relative et ne visent qu’à établir la for-
mule générale à laquelle aboutit le présent travail de Lahy à savoir que l’extrême
rapidité des sujets (surtout face à des stimuli visuels) sont un indice en faveur de
l’excellence à la fonction de mitrailleur, surtout si les chiffres présentent un faible
écart moyen. De nouvelles expériences, poursuivies sur le front de l’Argonne et sur
celui de la Somme, n’eurent pour but que de con­firmer les résultats précédemment
obtenus, en vue d’un classement rationnel rapide. Mais cette formule était de l’aveu
même de Lahy nettement insuffisante, car un certain nombre de sujets y échappent.
Ainsi d’autres signes doivent être recher­chés et ajoutés pour affirmer la supériorité
psycho-physiologique du bon mitrailleur. Un bon mitrailleur est un tout complexe ;
tels éléments défaillants chez lui peuvent être suppléés par d’autres.

D’autres mesures à réaliser sur les soldats en vue de leur sélection comme
mitrailleurs
L’importance de la rapidité et de la fatigabilité des mouvements a été mise en
évidence par le procédé suivant : à l’aide d’un stylet en ébonite terminé par une
petite boule de cuivre, le sujet exécute aussi rapidement qu’il le peut, une série de
frappes sur une plaque de cuivre. La mise en contact du stylet et de la plaque amène
la fermeture d’un circuit électrique ; un signal de Deprez introduit dans le circuit,
marque sur un cylindre enregis­treur chaque coup donné par le sujet (voir Figure 11).
Chaque sujet devait effectuer des frappes rapides pendant 45 secondes (générale-
ment à ce moment-là un fléchissement de leur rapidité motrice apparaît). L’examen
des résultats permet de constater que, d’une façon générale, la rapidité motrice
n’est pas le signe nécessaire de la supériorité des mitrailleurs. Par contre, l’indice de
fatigabilité (différence numé­rique observée entre le nombre de tapes, frappées par
un sujet au début d’une série et le nombre frappé à la fin, pour un temps donné) a
permis d’établir un classement des mitrailleurs qui, sans se juxtaposer individu par
individu sur le classement fourni par l’étude des temps de réaction, groupe cepen-
dant tous les bons sujets en tête de la liste et rejette à la fin tous ceux qui ont un indice
de fatigabilité élevé. L’importance de la rapidité et de l’exactitude du mouvement,
comme on pouvait s’y attendre avec les chargeurs, n’a pas pu être démontrée expé-
rimentalement ; les méthodes directes de laboratoire n’ont pas donné de résultats
concluants10. Lahy indique cependant que la méthode indirecte qui consiste à juger
la valeur d’un sujet, en ce qui concerne la précision du mouvement, par la délicatesse

10. Faute d’une installation convenable, J.-M. Lahy n’a pas pu utiliser la méthode photographique et
cinématographique qui, dans toute étude des gestes, est à préconiser.
rapidité et de l’exactitude du mouvement, comme on pouvait s’y attendre avec les chargeurs,
n’a pas pu être démontrée expérimentalement ; les méthodes directes de laboratoire n’ont pas
donné de résultats concluants140. Lahy indique cependant que la méthode indirecte qui
consiste à juger la valeur d’un sujet, en ce qui concerne la précision du mouvement, par la
138sa sensibilité musculaire
délicatesse de Les archives de Jean-Maurice
a montré Lahy (1872-1943)
des résultats prometteurs.à Sainte-Anne
À l’aide d’un myo-
esthésimètre (Nicolas, 2018), Lahy a trouvé chez les sujets supérieurs une sensibilité
de safine
musculaire plus sensibilité musculaire
que chez a montré
les sujets des résultats prometteurs. À l’aide d’un myo-
médiocres.
esthésimètre (Nicolas, 2018), Lahy a trouvé chez les sujets supérieurs une sensibilité
musculaire plus fine que chez les sujets médiocres.

Fig. 11 – Installation complète pour l’étude des gestes


Il s’agit ici de la mesure de la rapidité d’un mouvement (Grimaud, 1918, p. 127)
Fig. 11 – Installation complète pour l’étude des gestes
S’il n’a pas été possible d’étudier avec le soin et la délicatesse que comportent
Il s’agit ici de la mesure de la rapidité d’un mouvement (Grimaud, 1918, p. 127)
ces expériences, la sensibilité musculaire, Lahy a pu confirmer son hypothèse par
l’étude graphique de la suggestibilité motrice avec l’appareil de Binet (1901). La sen-
S’il n’a passibilité
été musculaire
possible joue
d’étudier
dans cetteavec le soin
expérience un rôleetimportant.
la délicatesse quepluscomportent
Le sujet suit ou ces
expériences,moins docilement lemusculaire,
la sensibilité mouvement qu’on Lahylui imprime et qu’il ne voit
a pu confirmer pas,hypothèse
son selon que sa par l’étude
sensibilité musculaire est plus ou moins affinée. Or, les bons mitrailleurs sont d’une
docilité absolue, ils reproduisent non seulement les arrêts, et les départs du mou-
140 vement
Faute d’une qu’on leur
installation communique,
convenable, J.-M.mais aussi
Lahy n’alespas
pluspulégères variations
utiliser de vitesse.
la méthode photographique et
Les mauvais
cinématographique qui, dansmitrailleurs
toute étudeont
desune suggestibilité
gestes, motrice manifeste. Ils continuent le
est à préconiser.
mouvement invariablement qu’on leur a imprimé ; leur graphique ne dessine aucune
variation de vitesse correspondant à celle de l’expérimentateur. On remarque chez la 118
plupart une sorte d’hallucination motrice. Ils croient sentir des mouvements ou des
variations de rapidité, qu’on n’imprime pas à leur main. Leur graphique marque de
l’incohérence motrice. Ce sont des sujets chez lesquels la persistance des sensations
motrices empêche le libre exercice de leur volonté. Lahy note que dès que les coups
de leur propre mitrailleuse causent une trépidation habituelle, ils continuent à tirer
jusqu’à ce que la mitrailleuse ne soit plus alimentée (alors que dans certaines situa-
tions ils devraient arrêter le tir).
Enfin, Lahy a recherché chez ses sujets d’élite, par l’étude des courbes respi-
ratoires et circula­toires, les signes d’un état organique qui les caractérisaient.
L’homme qui conserve son sang-froid au milieu du danger possède, selon Lahy, un
organisme supérieur – et devant rester tel, dans toutes les circonstances – à celui
de l’homme que la peur transforme. Bien qu’il ait constaté que les mitrailleurs les
plus aptes au maniement de l’arme étaient presque toujours les hommes qui, dans
l’action, montrent le plus grand sang-froid, il ne pouvait pas se contenter d’une telle
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 139

approximation. Il lui fallait rechercher des signes physiologiques de cette qualité


psychologique. Un homme a du sang-froid lorsque, quelles que soient les circons-
tances, ses gestes restent adaptés au but qu’il doit atteindre. Cette attitude néces-
site une lucidité d’esprit et une habileté motrice constantes11. Lahy fait l’hypothèse
que les gens doués de sang-froid sont ceux dont l’organisme se maintient le mieux
dans son équilibre fonctionnel. Il n’était pas nécessaire pour Lahy de créer pour
réaliser ses expériences des émotions factices. Ce qui importe, c’est de connaître le
fonctionnement d’un organisme à l’état normal, car il est certain que les influences
mises en jeu dans la guerre par l’adversaire ne pourront qu’aggraver les troubles
de l’organisme soumis à un mauvais fonctionnement. L’homme doué de la meil-
leure plasticité fonctionnelle est sûr de ses gestes et de sa pensée en toutes circons-
tances. Si on perçoit chez des candidats mitrailleurs les signes caractéristiques de
cette plasticité fonctionnelle, on peut alors affirmer qu’ils présentent les qualités
habituelles primordiales pour avoir dans l’action le sang-froid désirable. Pour y
parvenir, Lahy a enregistré les variations du pouls et de la respiration pendant que
le sujet réalisait un acte bref, mais nécessitant un effort constatable de l’attention :
le tir à la carabine.

11. J.-M. Lahy donne quelques exemples (p. 36-38 du rapport) pour appuyer ses propos : « L’un d’eux,
au cours d’une attaque allemande, voit éclater à côté de lui un obus de 105 et, par suite d’une chance
inouïe, il n’est pas blessé. Le support de sa mitrailleuse est brisé. Sans se déconcerter, notre homme
prend le reste de sa mitrailleuse et l’installe un peu en arrière après l’avoir réparée avec des moyens
de fortune. Nous connaissons des mitrailleurs qui, au moment d’une action, avant d’ouvrir le feu sur
des troupes qui attaquent, roulent une cigarette et la fument en tirant. Voici un de nos excellents sujets,
qui a gagné sa Croix de guerre, comme fantassin, aux Éparges. Il est au feu d’un calme imperturbable.
Il "blague" sans cesse dans les moments critiques et maintient la gaieté autour de lui. Les exemples
de cette nature sont nombreux. On comprend qu’il ait été facile de discerner les sujets de sang-froid
parmi nos sujets. D’ailleurs, tous les bons mitrailleurs, au cours de l’action la plus vive, cessent de viser
pour pencher la tête à gauche, s’assurer du point d’arrivée des balles, rectifier le tir en manœuvrant le
volant et la crosse. Que se passe-t-il chez ces hommes ? Il est hors de doute que les images qu’ils ont
dans l’esprit sont celles du but à atteindre. Leurs muscles obéissent sans trouble, avec la plus grande
exactitude, aux directions imprimées par le cerveau. Aucune image, aucun geste parasite, ne parvient à
les troubler. D’autres individus placés dans des conditions identiques sont assaillis par des images terri-
fiantes et ressentent des émotions graves qui faussent leurs pensées aussi bien que leurs gestes. Les plus
inaptes de nos sujets m’ont toujours paru enclins à un pessimisme profond. Tel mitrailleur, parmi les
mauvais me parlait spontanément de ses émotions, de ses craintes. Les expériences qui se faisaient sous
ses yeux le laissait à peu près indifférent. Les fatigues, la longueur de la guerre, l’ennui des tranchées,
étaient, pour lui comme pour ses pareils, la pensée dominante, contrairement à ce que j’observais chez
les sujets d’élite. La vie que mènent tous les mitrailleurs est identique. Ce sont donc des interprétations
différentes de mêmes sensations qui déterminent ces attitudes variées. Or, pour cela, il faut que les orga-
nismes soient différents. Certes, nous ne connaissons pas le travail intime du cerveau, mais nous savons
que les fonctions de la vie végétative, la respiration, la circulation, sont indépendantes de notre volonté
et conditionnent cependant notre activi­té psychique. Les émotions, la peur par exemple, intéressante à
rappeler en la circonstance, sont concomitantes de troubles res­piratoires et circulatoires – pour ne parler
que des fonctions faciles à étudier. Un homme dont le cœur est soumis à des varia­tions de rythme trop
graves éprouvera pour des causes futiles une impression de désordre moral. »
de cette plasticité fonctionnelle, on peut alors affirmer qu’ils présentent les qualités
habituelles primordiales pour avoir dans l’action le sang-froid désirable. Pour y parvenir,
Lahy a enregistré les variations du pouls et de la respiration pendant que le sujet réalisait un
acte bref, mais nécessitant un effort constatable de l’attention : le tir à la carabine.
140 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

Fig. 12 – Lahy enregistre sur un cylindre tournant grâce à des appareils spéciaux
Fig. 12 – Lahy enregistre
(pneumographe, sur un cylindre
sphygmographe), tournant
les variations plus ougrâce
moinsàgrandes
des appareils
du pouls spéciaux
et de la respiration dans le tir au fusil
(pneumographe, sphygmographe), les variations plus ou moins grandes du pouls et de la
(Grimaud, 1918, p. 123)
respiration dans le tir au fusil
L’expérience commençait(Grimaud, par un signal1918, p. 123)
correspondant à l’ordre « Visez » et la
fin par l’enregistrement du coup lui-même, grâce à un dispositif spécial adapté à la
L’expériencecarabine (voir Figure
commençait par12).unIci signal
Lahy ne correspondant
cherchait pas à étudier l’aptitude
à l’ordre au tir, »
« Visez mais
et la fin par
seulement les indices physiologiques d’un individu pendant cet acte. Le tir sur cible
l’enregistrement du coup lui-même, grâce à un dispositif spécial adapté à la carabine (voir
permettait de juger de l’intensité de l’attention et du degré précision atteint. L’étude
Figure 12). duIcisang-froid
Lahy neestcherchait
à tous égardspaslaàpartie
étudier l’aptitude
la plus délicate deau tir, mais
l’examen seulement les indices
psycho-physio-
physiologiqueslogiqued’un individu pendant cet acte. Le tir sur cible permettait de juger de
des mitrailleurs.
L’examen des
l’intensité de l’attention graphiques
et du respiratoires
degré précision (FigureL’étude
atteint. 13) a permis de distinguer
du sang-froid estlesà tous égards
bons des mauvais mitrailleurs. Il n’existe pas un type unique de respiration pour les
la partie la plus délicate de l’examen psycho-physiologique des mitrailleurs.
bons mitrailleurs, mais le graphique de leur activité thoracique est toujours d’une
L’examen des graphiques
très grande respiratoires
régularité. (Figure
Les sujets d’élite 13) aainsi
fournissent permis de de
trois types distinguer
modification les bons des
mauvais mitrailleurs.
respiratoire.Il1°)n’existe
le sujet ne pas un type
modifie unique
pas très de respiration
sensiblement sa pour; les
respiration bons
2°) le sujetmitrailleurs,
arrête complètement sa respiration ; 3°) le sujet ralentit sa respiration.
mais le graphique de leur activité thoracique est toujours d’une très grande régularité. Les Qu’il s’agisse
sujets d’élitede bons mitrailleurs de l’un ou l’autre type respiratoire, un fait reste commun à
fournissent ainsi trois types de modification respiratoire. 1°) le sujet ne modifie
tous : c’est la dimi­nution de la respiration pendant l’expérience et l’augmentation
pas très sensiblement sa respiration
après. Le ralentissement ; 2°) lenesujet
respiratoire seraitarrête
qu’un complètement
moyen mécaniquesad’adapter
respiration ; 3°) le
sujet ralentitles sa respiration.
muscles Qu’ilEn s’agisse
à l’immobilité. de bons
règle générale, mitrailleurs
les meilleurs sujets fontdeavant
l’unla visée
ou l’autre type
une provision nouvelle d’oxygène qu’ils épuisent lentement
respiratoire, un fait reste commun à tous : c’est la diminution de la respiration pendant en arrêtant leur respi-
l’expérienceration jusqu’au tir. Il s’agit de réduire les mouvements respiratoires en allongeant le
et l’augmentation après. Le ralentissement respiratoire ne serait qu’un moyen
mouvement d’expiration qui exige le moins d’effort, au détriment de l’ins­piration
mécanique d’adapter
qui en exigeles un muscles
plus grandà et l’immobilité. En règle
plus saccadé. Chez générale,
les sujets les plus les meilleurs sujets font
exceptionnels,
avant la visée une provision
le temps de visée estnouvelle
souvent trèsd’oxygène
court, et qu’ils épuisent lentement
ils ne ralentissent en arrêtant leur
pas significati-
respiration jusqu’au tir. Il s’agit de réduire les mouvements respiratoires enuneallongeant le
vement leur respiration. Si le temps de visée est un peu plus long, on trouve
ébauche d’arrêt respiratoire. Dans tous les cas, on observe une augmentation des
mouvement mou­ d’expiration qui exige le moins d’effort, au détriment de l’inspiration qui en exige
vements respiratoires après l’expérience. Le mauvais mitrailleur a toujours sa
un plus grand et plus saccadé.
respi­ration troublée au cours Chezdelesla visée
sujetset les plusaugmentation
aucune exceptionnels, le vtemps
des mou­ ements de visée est
souvent trèsrespiratoires
court, et ils ne l’expérience.
après ralentissentCes pasdysfonctionnements,
significativementtraduisentleur respiration.
selon Lahy Si un le temps de
état mental émotif particulier.
visée est un peu plus long, on trouve une ébauche d’arrêt respiratoire. Dans tous les cas, on
observe une augmentation des mouvements respiratoires après l’expérience. Le mauvais

120
mitrailleur a toujours sa respiration troublée au cours de la visée et aucune augmentation des
Un laboratoire
mouvements de psychologie
respiratoires près des tranchées
après l’expérience. Ces de traduisent141
Verdun et de la Somme…
dysfonctionnements, selon Lahy
un état mental émotif particulier.

Fig. 13 – Examen pneumographique


Fig. 13 – Examen
(Archives pneumographique
photographiques Insep)
(Archives photographiques Insep)
L’examen des graphiques de la pression sanguine à l’aide du sphygmographe
L’examen a montré égalementde
des graphiques desladifférences
pression entre
sanguineles bons et les du
à l’aide mauvais mitrailleurs.a montré
sphygmographe
Chez les sujets tout à fait supérieurs, en raison de
également des différences entre les bons et les mauvais mitrailleurs. Chez lesleur sang-froid et de leursujets
valeurtout à fait
supérieurs, en raison de leur sang-froid et de leur valeur professionnelle, la courbel’ex-
professionnelle, la courbe de pression sanguine se maintient horizontale avant de pression
périence ou légèrement et rythmiquement ondulée, puis elle s’élève lorsque com-
sanguinemencese maintient horizontale avant l’expérience ou légèrement et rythmiquement
la visée. Son ascension est progressive jusqu’au coup de fusil qui marque la
ondulée, fin
puis elle s’élève lorsque
de l’effort volontaire. commence
Ensuite, la visée.
elle cesse Son pour
de s’élever ascension
retomberest de
progressive
façon pro- jusqu’au
coup de gressive
fusil quià lamarque
normale. laLafin de l’effort
rapidité volontaire.
avec laquelle se faitEnsuite,
ce retour àelle cesse de
la normale s’élever pour
indique
retomberpourde façon
Lahy uneprogressive
plus grande à laplasticité
normale.fonctionnelle
La rapidité du aveccœur.laquelle
Chez les se fait
sujetscequi
retour à la
manquent de sang-froid, ou qui en ont moins, on trouve rarement
normale indique pour Lahy une plus grande plasticité fonctionnelle du cœur. Chez les sujets les mêmes carac-
tères. Leur
qui manquent courbe d’ensemble
de sang-froid, ou qui est en plus irrégulière.
ont moins, on En géné­rrarement
trouve al, dès queles l’on prévient
mêmes caractères.
le sujet qu’il va avoir à fermer les yeux pour se préparer à l’expérience
Leur courbe d’ensemble est plus irrégulière. En général, dès que l’on prévient le sujet qu’il va et à mainte-
nir son immobilité, sa courbe circulatoire est troublée. Lahy en conclut : « Donc, la
avoir à fermer les yeux pour se préparer à l’expérience et à maintenir son immobilité, sa
régularité de la réaction circulatoire, son importance, sa soudaineté, constituent bien
courbe circulatoire est troublée.
les signes objectifs Lahyfonctionnelle »
de la plasticité en conclut : (p. « Donc, la régularité
47 du rapport). de la réaction
Il faut ajouter
circulatoire,
que son importance,
l’effort psychique sa soudaineté,
nécessaire pourconstituent bienpendant
fixer l’attention les signes objectifs
le tir s’accompagnede la plasticité
fonctionnelle
– ainsi» que
(p. Lahy
47 du(1913)
rapport). Il faut
l’a montré ajouter
dans que l’effort
des recherches psychique
antérieures nécessaire
– d’une augmen- pour fixer
tation du nombre des pulsations. Cette observation est
l’attention pendant le tir s’accompagne – ainsi que Lahy (1913) l’a montré dans desconfirmée chez les meilleurs
recherchesmitrailleurs,
antérieures autant pour augmentation
– d’une ceux qui visentdu rapidement
nombre des que pulsations.
pour ceux qui visent
Cette plus
observation est
lentement. Chez les sujets qui manquent de sang-froid, on observe des réactions
confirmée chez les meilleurs mitrailleurs, autant pour ceux qui visent rapidement que pour
diverses ; le plus souvent, le nombre de leurs pulsations diminue pendant la visée.
ceux quiCesvisent plus paradoxales
réactions lentement. Chez les sujetspeuvent
ou incohérentes qui manquent
s’expliquer de pour
sang-froid,
Lahy par onl’état
observe des
réactionsdediverses
trouble ;quasi
le plus souvent,dans
permanent le nombre
lequel sedetrouvent
leurs pulsations
ces sujets. diminue
Lorsque le pendant
travail la visée.
Ces réactions paradoxales
psychique commence, ou laincohérentes
circulation est peuvent s’expliquer
déjà soumise pour Lahy par l’état de trouble
à des oscillations.
quasi permanent Les épreuves
dans lequel imaginées par Lahy
se trouvent pour tester
ces sujets. la valeur
Lorsque de sespsychique
le travail mitrailleurs au
commence, la
point de vue psycho-physiologique
circulation est déjà soumise à des oscillations. sont très informatives. Il existe bien un ensemble
Les épreuves imaginées par Lahy pour tester la valeur de ses mitrailleurs au point de vue
psycho-physiologique sont très informatives. Il existe bien un ensemble de signes révélateurs
d’une aptitude générale à une fonction donnée. Pour les mitrailleurs, chargeurs ou tireurs, la
plus grande rapidité des temps de réaction, le faible écart moyen (régularité), un faible indice
de fatigabilité et l’absence de suggestibilité révèlent des aptitudes certaines, accrues lorsque la
précision et la rapidité motrices s’ajoutent aux signes précédents. Si on se reporte à l’étude
142 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de signes révélateurs d’une aptitude générale à une fonction donnée. Pour les
mitrailleurs, chargeurs ou tireurs, la plus grande rapidité des temps de réaction, le
faible écart moyen (régularité), un faible indice de fatigabilité et l’absence de sug-
gestibilité révèlent des aptitudes certaines, accrues lorsque la précision et la rapidité
motrices s’ajoutent aux signes précédents. Si on se reporte à l’étude des gestes du
mitrailleur, tels qu’ils ont été présentés plus haut dans le Tableau I, on trouve que les
qualités de précision, régularité et rapidité sont nécessaires à la fois au tireur comme
au chargeur. L’examen psychologique réalisé par Lahy sur ses sujets montre que les
gestes des bons mitrailleurs doivent en effet témoigner de leur régularité et de leur
précision. La précision est, certes, la qualité fondamentale, ainsi que le démontre la
sensibilité musculaire très délicate chez les meilleurs sujets et très imparfaite chez les
sujets médiocres ; mais la régularité a une importance au moins égale. On s’en rend
compte en constatant chez les sujets bien doués le faible écart moyen dans les temps
de réaction aussi bien visuels qu’auditifs, et le faible indice de fatigabilité. La rapi-
dité des réactions et des gestes semble au premier abord avoir moins d’importance.
Comme le souligne Lahy : « Il est exact d’appliquer aux mitrailleurs la remarque que
nous avions faite sur les dactylographes, à savoir que, pour l’exercice régulier de la
profession et le meilleur rendement, "une action relativement lente et bien adaptée
est préférable à une action rapide et peu coordonnée" » (p. 59 du rapport). Mais la
différence avec les dactylographes est que chez les mitrailleurs la rapidité ne peut
pas être négligée ni même être mise au second plan. En effet, les résultats obtenus
par Lahy montrent que tous les bons mitrailleurs à l’exception d’un seul, possèdent
des réactions, tant auditives que visuelles, rapides. Si des mouvements réguliers et
précis sont préférables à des mouvements rapides et peu coordonnés, la rapidité,
lorsqu’elle accompagne les autres qualités, donne une valeur incontestable au soldat
mitrailleur. Pour Lahy : « Des réactions brèves avec un faible écart moyen, un indice
de fatigabilité faible allié à une rapidité motrice supérieure sont les indices certains
d’une supériorité marquée dans cet ordre d’activité psycho-physiologique » (p. 59
du rapport).
Mais en plus des aptitudes de précision, de régularité et de rapidité des gestes du
tireur ou du chargeur, une qualité intervient qui les domine toutes : le sang-froid au
combat. Or, le sang-froid qui joue chez le combattant – et, disons-le, plus particulière-
ment chez le mitrailleur – un rôle capital, est l’expression d’aptitudes physiologiques
générales qui dépassent les qualités nécessaires pour les professions ordinaires.
Pour étudier le sang-froid, Lahy s’est appuyé sur l’étude des mouvements respira-
toires et cardiaques de ses sujets. Il considère en effet que le sang-froid mesuré par
des indices physiologiques est une donnée d’importance. Ils sont pour lui le signe de
la valeur morale d’un homme au combat. Chez les mauvais mitrailleurs les troubles
respiratoires et circulatoires doivent surtout retenir l’attention car, pour auto­­
matiques et involontaires qu’ils soient dans leurs causes, ils deviennent conscients
dans leurs effets. Toute modification inter­venue dans ces fonctions est sentie par le
sujet. Si les modifi­cations sont régulières, ordonnées, le sujet n’en éprouve pas de
troubles ; si elles sont irrégulières, désordonnées, le sujet en éprouve du malaise,
de l’angoisse ; il se crée en lui un terrain propice à la peur. C’est ainsi que Lahy qui
avait d’abord classé la valeur de ses sujets en fonction de leurs performances aux
épreuves de temps de réaction, corrige son classement en prenant en compte les
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 143

données physiologiques de ses sujets12. En coordonnant ainsi les résultats de son


étude, Lahy tend vers l’établissement d’une loi qui est l’expression synthétique de la
valeur psycho-physiologique d’un individu. Les termes de cette loi sont encore bien
vagues et ne présente pas la précision mathématique que l’on serait en droit d’en
attendre, mais Lahy en perçoit toute l’importance.

Conclusion
Les recherches originales de Lahy ne conduisirent malheureusement à aucune
application pratique pour la sélection des mitrailleurs dans l’armée française.
En effet, le rapport dont nous venons de présenter un résumé et les extraits les plus
importants fut classé sans suite par les autorités militaires qui néanmoins vont le
consigner comme document secret à ne pas diffuser. Cependant, Lahy fournira
d’amples informations et de nombreuses photographies au journaliste scientifique
Octave Grimaud13 qui fit paraître en janvier 1918 un article synthétique (Grimaud,
1918) sur l’examen psycho-physiologique des soldats mitrailleurs publié dans
la revue La Science et la Vie. La publication de cet article fut la réponse de Lahy au
refus de l’armée française d’appliquer la procédure de sélection aux mitrailleurs
sur la base des épreuves innovantes proposées.
L’armée française fut toujours réticente face aux avancées de la psychologie
scientifique, et n’accepta d’ailleurs jamais les propositions des psychologues
français pour améliorer la sélection des combattants. Déjà quelques années avant
le début du premier conflit mondial, Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon
(1873-1961) avaient par exemple demandé l’application de leur test d’intelligence
sur les soldats du contingent (Binet & Simon, 1908)14 et montré lors de la séance
du 29 novembre 1909 à la Société médico-psychologique son utilité (Binet & Simon,
1910) pour la sélection des recrues inaptes au service militaire ; mais ils n’avaient

12. Il semble qu’une rapidité motrice supérieure soit une gêne pour les sujets mal doués à d’autres
égards et accroisse leur inaptitude professionnelle. Cependant, les temps de visée sont en général assez
longs chez les mitrailleurs médiocres.
13. Nous n’avons pas pu trouver de renseignements sur ce personnage (peut-être s’agit-il d’ailleurs de
Lahy lui-même utilisant un pseudonyme ?).
14. « Signalons la très grande utilité d’humanité qu’il y aurait à faire l’examen intellectuel des jeunes
recrues avant de les incorporer. Beaucoup de débiles, c’est-à-dire des jeunes gens que leur faiblesse
d’intelligence rend incapables d’apprendre et de comprendre la théorie et l’exercice des armes, et de
se soumettre à une discipline régulière, se présentent à l’examen médical ; et on les déclare « bons pour
le service », parce qu’on ne sait pas les examiner au point de vue intellectuel. Nous avons appris qu’en
Allemagne on s’est préoccupé de la débilité mentale des recrues, et on l’apprécie avant l’incorporation au
moyen d’un questionnaire rédigé par le Dr Schultze, professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine
de Greifswald. Ce questionnaire est composé de telle sorte qu’un enfant de douze ans, d’intelligence
moyenne, et sans culture, peut y répondre. L’un de nous a saisi de la question le ministère de la Guerre,
qui a bien voulu répondre qu’il demanderait un rapport à ses bureaux. Nous avons des raisons de croire
que cette réponse ne constitue pas un refus poli qui est habituel aux administrations de l’État, quand elles
sont importunées par des propositions émises en dehors d’elles. Et très probablement nous aurons le plai-
sir d’exposer bientôt aux lecteurs de l’Année les résultats de nos essais expérimentaux sur la débilité des
conscrits, et les moyens de la dépister, en évitant la simulation » (Binet & Simon, 1908, p. 94).
144 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

pas convaincu à l’époque les médecins de l’armée (Simonin, 1909) sur lesquels s’ap-
puyaient les autorités militaires pour prendre des décisions. Par contre, quelques
années plus tard (1917), le psychologue Robert M. Yerkes (1876-1956) réussit à
convaincre l’armée américaine (Yerkes, 1918, 1919) et proposa avec l’aide de Lewis
Terman (1877-1956), Henry H. Goddard (1866-1957) et d’autres psychologues un
test d’intelligence issu des travaux de Binet et appliqué avec succès aux recrues en
1918 (Kevles, 1968 ; Samelson, 1977 ; Sokal, 1987 ; Carson, 1993). Les applications
militaires furent également nombreuses en Allemagne durant la guerre, comme l’at-
teste l’article publié par Carl Stumpf (1848-1936) en 1918 (Stumpf, 1918) qui expose
notamment le rôle du psychologue dans la recherche des procédés de repérage des
sons, dans les examens d’aptitudes professionnelles pour les conducteurs de véhi-
cules terrestres (Moede, 1919), les aviateurs (Stern, 1919), les observateurs aériens
(Benary, 1919), et les radiotélégraphistes (Lipmann, 1919). L’effervescence de cette
nouvelle orientation de la recherche appliquée apparaît au grand jour avec la publi-
cation en 1917 de la première revue américaine de psychologie dans le domaine, le
Journal of Applied Psychology (Geissler, 1917 ; Kozlowski, Chen & Salas, 2017) publié
par G.S. Hall (1844-1924), J.W. Baird (1869-1919) et L.R. Geissler (1879-1932), et
en Allemagne avec la publication en 1919 de Praktische Psychologie par W. Moede
(1888-1958) et C. Piorkowski (1888-1939). Les États-Unis et l’Allemagne réalisèrent
de grands progrès dans le domaine de la psychologie appliquée durant la Première
Guerre mondiale, l’expérience acquise va permettre aux psychologues profession-
nels de ces pays d’œuvrer après-guerre dans les entreprises et les services publics.
En France, les psychologues de métier ne furent pas appelés à contribuer à la
sélection des militaires. La seule institution française de sélection aux armées recon-
nue pendant la Première Guerre mondiale fut le centre de sélection des aviateurs
de combat, dirigée par des médecins. Au point de vue physiologique, on examinait
le fonctionnement normal des organes sensoriels, du système nerveux, du système
respiratoire et du système cardio-vasculaire des futurs candidats aviateurs. Il s’agis-
sait d’une sélection physiologique qui avait pour but d’éliminer les sujets non adap-
tés. Au point de vue psychologique, étaient examinés les processus perceptifs, les
processus perceptivo-moteurs et les réactions émotives des potentiels futurs avia-
teurs (voir Figure 14). Il s’agissait d’une sélection psychologique qui a pour but de
rechercher des individus possédant les aptitudes nécessaires. L’approche médico-
psychologique proposée par Jean Camus (1872-1924) et Henri Nepper (1881-1918)
était donc très différente (Camus & Nepper, 1916a, 1916b, 1917 ; Nepper, 1917, 1919)
de l’approche psychotechnique que Lahy avait développée sur les soldats mitrail-
leurs. Si ce dernier avait eu à réaliser une sélection des candidats à la fonction de
pilote d’avion de combat, il aurait certainement débuté par une analyse fine des
gestes et actions du pilotage afin d’établir les fonctions ou les opérations psycho-
physiologiques qui le constitue (détermination psychophysiologique du pilotage)
et aurait procédé à une sélection au plan psychophysiologique des meilleurs pilotes
de guerre de l’époque en leur proposant une série d’épreuves à réaliser. Sur la base
des résultats obtenus, une série de tests aurait été établie pour être administrés aux
futurs candidats aviateurs. Mais ce mode de recrutement n’était pas à l’ordre du jour
dans l’armée française où officiaient des médecins non exercés aux pratiques de la
recherche en psychologie appliquée.
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 145

Au sortir de la guerre, Lahy constate le grand engouement à l’étranger15 pour


les applications de la psychologie dans de nombreux domaines de la vie civile et se
positionne comme le représentant français le plus en vue. En 1920, il participe en tant
que Secrétaire général à la première conférence internationale de psychotechnique16
à Genève (Lahy, 1922), sous le patronage d’Édouard Claparède (1873-1940), et
constate l’engouement pour cette nouvelle branche de la psychologie. Dans son
programme de recherches à poursuivre pour l’organisation scientifique du travail
humain, Lahy (1921) plaçait en premier lieu le problème de la sélection profession-
nelle préalable, en second lieu la formation méthodique des jeunes travailleurs par
la connaissance des conditions scientifiques de l’activité professionnelle. Si la guerre
avait interrompu les activités de recherches que Lahy avait engagées dans les entre-
prises, il va témoigner dans les années d’après-guerre d’une activité de recherche
constante et soutenue dans le domaine de la psychologie appliquée à une époque
où celle-ci va connaître une croissance sans cesse renouvelée.

Fig. 14 – Série
Fig.d’épreuves proposées
14 – Série d’épreuves par par
proposées Jean Camus
Jean Camus (1872-1924)
(1872-1924) et et Henri
Henri Nepper (1881-
Nepper
1918) pour la sélection des aviateurs
(1881-1918) pour (d’après
la sélectionLe
desPays de France, 15 janvier 1917)
aviateurs
(d’après Le Pays de France, 15 janvier 1917).

15. On constate par exemple que des sections de psychologie appliquée (éducation, industrie, méde-
Références
cine) sont créées par la British Psychological Society dès 1919.
16. Au coursBenary,
des années suivantes
W. (1919). KurzerdeBericht
nombreux congrès zu
über Arbeiten furent programmés ;
Eignugsprüfungen für l’Association
Flieger- inter­­
nationale de psychotechnique deviendra
Beobachter. Zeitschrift en 1955Psychologie,
für Angewandte l’Association internationale de psychologie appliquée.
15, 16-192.
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125
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684; – 5e éd. 1902/03, vol. I: pp. xv, 553; vol. II: pp. viii, 686; vol. III: pp. ix, 796; –
Un laboratoire de psychologie près des tranchées de Verdun et de la Somme… 149

6e éd. 1908/11, vol. I (1908): pp. xv, 725; vol. II (1910): pp. viii, 782; vol. III (1911):
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Le comité de « l’école à l’atelier » de la rue de Lesseps :
la question de l’orientation dans les archives
Jean-Maurice Lahy

Jérôme Martin

Parmi les scientifiques promoteurs de l’orientation, Jean-Maurice Lahy (1872-


1943) occupe une place particulière. À côté d’Henri Piéron (1881-1964) considéré
comme le fondateur de la psychologie scientifique en France (Gutierrez, Martin &
Ouvrier-Bonnaz, 2016) et d’Henri Wallon (1879-1962), fondeur de la psychologie de
l’enfant (Netchine & Netchine-Grynberg, 2018), le nom de J.-M. Lahy reste attaché
à la psychotechnique dont il est un des fondateurs. L’inventaire de ses archives
reflète sa curiosité intellectuelle et la diversité de ses activités1. Il a été le promoteur
de l’application de la psychologie à de nombreux domaines, dans les transports, le
commerce ou l’armée. Il a été un infatigable entrepreneur scientifique et pratique,
inséré dans un réseau dense d’associations. Il a été également un acteur central de la
structuration internationale d’un réseau scientifique avec la création de l’Association
internationale de psychotechnique (AIP) et un scientifique engagé dans la Franc-
maçonnerie et au côté du Parti communiste. Enfin, Lahy a toujours eu une activité
éditoriale intense, publiant dans de nombreuses revues. Le classement des archives
de Lahy conforte l’image d’un scientifique à multiples facettes.
On peut appliquer aux archives de Lahy la question que Bernard Andrieu
a posée à propos de celles d’Alfred Binet : comment les constituer en archives ?
(Andrieu, 2011). Nous aborderons cette question sous l’angle de l’histoire de l’orien-
tation professionnelle, plus particulièrement du comité de « l’école à l’atelier » dont
l’histoire est déjà connue (Turbiaux, 2006) mais qui peut être réexaminée à la lumière
d’une nouvelle lecture des archives après leur classement : en quoi ces dernières
constituent-elles une source de premier ordre pour faire l’histoire de l’orientation ?
Il s’agit dans un premier temps de situer le comité « l’école à l’atelier » et l’action de
Lahy dans la dynamique de la politique républicaine d’insertion sociale et profes-
sionnelle de la jeunesse populaire parisienne puis, dans un second temps, de souli-
gner l’apport des archives J.-M. Lahy pour comprendre cette dynamique.

L’école laïque à la conquête des quartiers populaires parisiens


Le comité de « L’école à l’atelier » est créé au sein d’un quartier populaire du
XXe arrondissement de Paris, dans une période où intervient une transformation

1. Pré-inventaire des archives de J.-M. Lahy (1872-1943), Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences - CH Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14, établi par Marcel Turbiaux et
Dominique Brendel.
152 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de la composition sociale de la population. Alors qu’au début du XXe siècle celle-ci


était très homogène, essentiellement ouvrière, dans les années 1920, une différencia-
tion professionnelle se dessine. Si 45 % des élèves sont issus des milieux ouvriers,
artisanaux et « divers » (manœuvres, ouvriers, chiffonniers, forains, etc.), les com-
merçants (18  %) et les employés (21  %) sont plus nombreux. Un arrondissement
populaire donc, mais déjà beaucoup moins ouvriers que dans les années 1910. Dans
les années 1920, l’immigration prend une place importante. Dans ces écoles des XIe
et XXe arrondissements, en moyenne, 18 % des élèves sont issus de l’immigration
(Blanc-Chaléard, 1991, p. 670).
À  partir des années 1890, la municipalité parisienne développe le réseau des
écoles : les quartiers populaires sont l’objet de l’attention des républicaines qui s’at-
tachent à concrétiser les promesses d’un renforcement de l’école. Dans les arrondis-
sements les plus populaires, la forte poussée démographique des années 1880-1890
s’est accompagnée d’une dégradation des conditions de scolarisation. Les années
1890 voient l’ouverture de nouveaux groupes scolaires : rue de Belleville (1891), rue
des Grands Camps (1893), rue Ménilmontant (1894), rue des Pyrénées (1894-1898)
(Krop, 2014, p. 37). Le groupe scolaire de la rue de Lesseps est inauguré en janvier
1898 (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1898, p. 450-451). Dans les années
d’après-guerre, la scolarisation progresse dans un contexte de baisse des effectifs
scolarisés. Les effets démographiques de la guerre sont visibles, avec des effec-
tifs qui sont inférieurs de 20 à 30 % à ceux d’avant-guerre. Le nombre des élèves
qui allongent leur scolarité au-delà de quatre ans augmente et l’accès au certificat
d’études progresse. En 1926, dans les 8 classes de préapprentissage du XXe, 34 %
des élèves sont titulaires du Certificat d’études primaires (Copigneaux, 1927).
Dans ce tableau plutôt positif, il convient de signaler un bémol. La bataille de
la «  fréquentation régulière » n’est pas encore totalement gagnée. Dans les écoles
des quartiers populaires, on relève autour de 10 % de réfractaires. De plus, l’insta-
bilité des populations scolarisées demeure importante. Au début des années 1920,
Lahy fait le constat de l’existence d’« une population flottante assez insaisissable »
qui échappe à tout encadrement (Heuyer & Lahy, 1927, p. 168). Malgré les progrès
de la scolarisation, les contraintes sociales restent très fortes. Elles se lisent dans les
données chiffrées des orientations des élèves. Dans les années 1920, 16 % des élèves
accèdent à un cours complémentaire ou à une école primaire supérieure (EPS),
tandis que 15 % entrent en apprentissage et que 13 % sont mis au travail (Blanc-
Chaléard, 1991, p. 667). Ces chiffres correspondent avec les orientations des élèves
des classes de préapprentissage en 1926. Dans le XXe arrondissement, 56 % des élèves
se destinent à l’apprentissage et rares sont ceux qui accèdent à une prolongation
d’études, même professionnelle (Copigneaux, 1927).
Le programme scolaire républicain s’efforce de déborder la seule scolarité obli-
gatoire2. Dans le XXe arrondissement, on trouve ainsi les trois principales formes
de l’extension de l’offre scolaire et postscolaire menée par les républicains (Martin,
2017). Il s’agit d’une part de l’ouverture de cours complémentaires destinés à offrir
une prolongation des études au-delà de l’obligation légale. En 1914, à Paris ils sont

2. 13 ans (loi du 28 mars 1882) puis 14 ans (loi du 9 août 1936).


Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 153

au nombre de 12 pour les garçons, et de 20 pour les filles (16 cours manuels et ména-
gers et 4 cours complémentaires d’enseignement commercial). À la fois théoriques
et pratiques, ils sont destinés aux jeunes gens et jeunes filles de 13 à 15 ans. En 1914,
le XXe compte deux cours complémentaires d’enseignement, rue Henri-Chevreau
et rue de Lesseps. Parallèlement, la Ville de Paris développe l’enseignement du
travail manuel (D’Enfert, 2007). En 1914, 16 ateliers fonctionnent qui s’ajoutent aux
140 écoles primaires pourvues d’ateliers du bois et aux 52 du fer (Office central des
œuvres, 1912, p. 237-238).
Le maillage scolaire républicain s’appuie sur un réseau de personnalités poli-
tiques, administratives et scientifiques liées entre elles par une communauté d’idées
dont la Franc-maçonnerie est une des matrices. Lahy s’inscrit dans ce milieu qui
lui fournit les appuis institutionnels importants. Il dispose ainsi de soutiens impor-
tants au sein du conseil municipal de Paris. Alphonse Loyau (1877-1951) en est un
exemple. Ouvrier mécanicien, secrétaire de l’Union corporative des ouvriers méca-
niciens de la Seine, élu socialiste, il est conseiller municipal de Paris du quartier du
Père-Lachaise (XXe). C’est lui qui dépose une demande de subvention devant le
conseil municipal dès la seconde année d’existence du comité « l’école à l’atelier »
(Loyau, 1922). Dans les années suivantes, il s’assure du renouvellement de la sub-
vention municipale. Ainsi en avril 1930, il intervient en faveur du comité, insistant
« très vivement pour que cette affaire soit examinée sans retard » (Bulletin municipal
officiel de la Ville de Paris, 1930, p. 1623).
Lahy peut également compter sur le soutien d’un autre élu parisien, Antoine
Frédéric Brunet (1868-1932). D’origine modeste, franc-maçon et socialiste, il est
conseiller municipal du XVIIe arrondissement de Paris (quartier des Épinettes) de
1907 à 1925, et préside, en 1923, le conseil général de la Seine. Député républicain-
socialiste du département de la Seine (1914-1919 ; 1924-1932), il est un éphémère
sous-secrétaire d’État à l’Enseignement technique (13 décembre 1930-27 janvier
1931). Brunet se fait le promoteur des initiatives prises par Lahy. En juin 1920, lors
d’un débat sur la création de classes de préapprentissage et de cours d’apprentis,
il préconise l’examen « des aptitudes psycho-physiologiques des enfants à une
profession  » et cite Lahy comme « un de [ses] amis qui a  imaginé des appareils
mécaniques permettant de déterminer les aptitudes des individus pour tel ou tel
travail » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1920, p. 2867). C’est un soutien
important car Brunet est lié à la Ligue d’hygiène mentale. C’est à ce titre qu’il pro-
pose la création du centre de psychiatrie et de prophylaxie mentale, à Sainte-Anne,
où Édouard Toulouse (1845-1947) vient d’être nommé médecin-chef (Turbiaux,
2006, p. 224 ; Huteau, 2002).
Dans le milieu des édiles parisiens, l’action de Lahy est parfois même présen-
tée comme l’expression d’une volonté de la municipalité destinée à « organiser, à
titre d’expérience, dans une de nos écoles, l’orientation professionnelle, destinée
à obtenir le plus grand rendement social compatible avec le plus grand bien-être
individuel » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1927, p. 4580). Le comité
de « l’école à l’atelier » est ainsi un enjeu pour une municipalité qui se veut à la
pointe des avancées scientifiques et investie dans les réformes sociales au service
de la population.
154 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

« L’école à l’atelier », un patronage laïque inscrit dans le Paris


populaire
Dans le XXe arrondissement, dans les années 1910, on recense 7 patronages laïcs,
1 protestant mais aussi 6 catholiques (Office central des œuvres de bienfaisance
et services sociaux, 1912, p. 237-238). L’essor des patronages laïcs en faveur de la
jeunesse doit permettre de répondre aux enjeux du placement en renforçant l’enca-
drement et la mise au travail des jeunes. Cette période de transition entre école et
travail est alors construite comme un enjeu civique, économique et social. La Ligue
de l’enseignement encourage les structures postscolaires à se doter d’un « office local
de placement gratuit » (Deuxième congrès national des œuvres post-scolaires, 1901,
p. 48). À la veille de la guerre, le tissu des patronages s’est considérablement densifié.
À Paris, on compte 60 patronages laïcs (Office central des œuvres de bienfaisance,
p. 451-454). Des bureaux de placement gratuit associés à un patronage sont parfois
ouverts. Ainsi, le patronage scolaire du IIe arrondissement de Paris se consacre au
placement gratuit (Andler, 1895, p. 462) tandis que, dans le VIIIe arrondissement
de Paris, c’est la caisse des écoles qui est à l’origine d’une institution de placement.
La Ligue encourage également les associations d’anciens élèves (« Petites A »).
La plus ancienne serait celle de l’école de la rue Boulard, dans le XIVe arrondissement,
créée en 1889 et dont le modèle aurait ensuite essaimé (Office central des œuvres de
bienfaisance et services sociaux, 1912, p. 452). Comme les patronages, ces associa-
tions s’attachent à combler le fossé existant entre l’école et le métier. Celle de l’école
de la rue d’Aligre, dans le XIIe arrondissement de Paris, inscrit parmi ses objectifs de
« procurer des emplois à ses membres à leur sortie de l’école ou à ceux qui pourraient
se trouver sans ouvrage » (Andler, 1895, p. 459-460). Ainsi, la politique républicaine,
scolaire et post-scolaire, encouragée par les élus parisiens tisse un réseau dense d’or-
ganisations dans les quartiers populaires. Pour comprendre la spécificité du comité
de « l’école à l’atelier », il convient de le situer dans le dispositif parisien d’orienta-
tion professionnelle. Les premières initiatives en matière d’orientation remontent
aux années 1900 mais se développent surtout dans les années 1920 (Martin, 2017).
En 1907, l’association des anciens élèves de l’école primaire supérieure Jean-Baptiste
Say se dote d’un service d’informations professionnelles (Chaintreau, 1910, p. 248-
455). La cheville ouvrière de cette création est Émile Chaintreau, surveillant général
de l’école Turgot à Paris. D’autres établissements, Colbert, Lavoisier et Arago, parti-
cipent également à ce mouvement. Les associations des écoles primaires supérieures
(EPS) mutualisent les demandes et offres d’emplois et mettent en place des réunions
régulières (Andler, 1895, p. 453). Elles rassemblent une documentation sur les écoles
professionnelles, les emplois et les concours administratifs. Le comité de patronage
des apprentis du XVIe arrondissement de Paris, constitué en février 1912, intègre
le service d’information professionnelle créé par Chaintreau (Piéron, 1930, p. 82).
Cet organisme entretient des liens avec la Société de protection des apprentis et des
enfants employés dans les manufactures qui se dote, en 1912, d’un comité d’orienta-
tion (Association internationale pour la lutte contre le chômage, 1912, p. 121).
Certains élus municipaux préoccupés par la question de la formation profes-
sionnelle des jeunes travailleurs soutiennent la création de comités de patronage
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 155

d’apprentis dans le cadre de la loi du 2 novembre 1892. À la vielle de la guerre, il


n’existe toutefois que 10 comités de patronage qui fonctionnent dans les divers arron-
dissements de Paris et dans la Seine. Les tentatives menées pour créer un organisme
central d’orientation échouent. Le conseil général de la Seine et le conseil municipal
de Paris subventionnent les comités de patronage et les offices d’orientation profes-
sionnelle (OP) locaux mais refusent la création d’un organisme central. Ce sont donc
les comités de patronage d’apprentis qui occupent le champ de l’orientation (L’Ap-
prentissage et l’OP, 1929, p. 28). En 1928, le conseil général de la Seine subventionne
19 offices d’OP (12 à Paris et 7 en banlieue) (L’Apprentissage et l’OP, 1929, p. 15).
La création des comités de patronage mobilise plusieurs secteurs de la société,
notamment les entreprises et le corps enseignant primaire. À cet égard, la création
du comité de « l’école à l’atelier » est significative. En 1920, le directeur de l’école
primaire de garçons de la rue de Lesseps du XXe arrondissement et un professeur du
cours complémentaire professionnel de cette école se tournent vers les entreprises
du quartier afin de placer leurs élèves. L’école primaire, « institution de proximité »
(Chanet, 1988, p. 37), exploite ainsi son enracinement social. Ces initiatives vont
au-delà des prescriptions officielles qui invitent les instituteurs à collaborer avec les
organismes d’orientation mais sans prendre en charge cette dernière3.
«  Une grave question se posa bientôt aux initiateurs de ce comité de l’école à
l’atelier. Les industriels qui avaient répondu avec empressement à une première
convocation et collaboré à une organisation provisoire où l’on ne demandait aucune
cotisation étaient de métiers très différents. Quels élèves du cours complémentaire
primaire fallait-il conseiller pour répondre aux demandes formulées  ; il y avait
surtout des mécaniciens, des menuisiers, des ébénistes, sans compter des électri-
ciens, des opticiens, des fourreurs ; beaucoup d’enfants désiraient continuer leurs
études dans une école professionnelle déterminée  ; d’autres, mal dirigés précé-
demment, voulaient suivre un enseignement plus général dans une école primaire
supérieure.4 »
En 1921, le succès de l’initiative conduit à la création d’un service d’orientation
dont le fonctionnement est confié à Lahy. Ce n’est pas une exception car les comi-
tés de patronage ont recours à des personnalités reconnues dans le domaine de
l’orientation. Ainsi dans le XVe arrondissement, l’office d’OP s’attache les services
du docteur Laufer, médecin-inspecteur des écoles. Dans le Xe arrondissement, le
comité choisit Victor Vaney, ancien proche collaborateur de Binet (L’Apprentissage
et l’OP, 1926, p. 16 et p. 19). À la fin des années 1920, une nouvelle organisation de
l’orientation est adoptée. Une circulaire du 10 mai 1927 du préfet de la Seine insti-
tue dans chaque école une commission d’orientation (L’Apprentissage et l’OP, 1927,
p. 1-2 ; 1929, p. 17). On le voit, le comité de la rue de Lesseps s’inscrit dans un tissu

3. Circulaires du 19 juillet 1920 et du 17 mars 1921 Bulletin administratif, n° 2584, t. CXXI, 1.3.1927,
p. 256-258.
4. Bailly, Comité de l’école à l’atelier. Enquête 1931, 21 pages manuscrites. Le rapport est suivi d’une
note de 4 pages rédigée par Bailly et intitulée « Nouvelle méthode à adopter ». Archives J.-M. Lahy –
Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
156 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de comités dont le succès est inégal mais qui maille le territoire du département de
la Seine et s’appuie de plus en plus sur les écoles.
« L’école à l’atelier » peut être considéré comme un « centre de psychotech-
nique appliquée à l’orientation professionnelle  » (Lahy, 1929, p. 20). À la lecture
des archives du comité de « l’école à l’atelier », force est de constater que l’école
élémentaire constitue un enjeu à la fois pratique et scientifique pour les hommes de
sciences comme Lahy qui cherchent à promouvoir une application sociale des
travaux d’une psychologie en voie de développement. L’école de la rue de Lesseps
est le creuset d’une alliance qui se noue entre des membres de l’institution scolaire
et les scientifiques (Ouvrier-Bonnaz, 2011). Du côté des scientifiques, il s’agit d’accé-
der au public scolaire afin d’expérimenter leurs travaux et d’étalonner les tests.
Le scientifique sollicite régulièrement les membres de l’instruction publique, cherche
à étendre le réseau de maitres et d’école grâce auxquelles il pourra conforter ses
travaux en multipliant les opérations de validation de tests afin d’établir, au terme
de ce patient travail, des profils plus facilement utilisables. Lahy dresse des listes
de directeurs d’école, leur écrit à plusieurs reprises. Au début des années 1930, il
envoie plusieurs courriers à des directrices et directeurs d’école (18 à Paris et 20 en
province) afin de « constituer, pour chaque classe, des listes de questions essentielles,
celles que tout élève moyen doit avoir pu s’assimiler en fin d’année5 ».

L’école primaire, institution de légitimation de l’orientation


Tout un discours de légitimation est déployé autour du placement, en école ou
en apprentissage, et du contrôle de l’efficacité de l’orientation. L’enquête menée en
1931 par Bailly dont l’original figure dans les archives Lahy, est publiée dans une
version courte dans le BINOP sous le titre « Essai de contrôle de l’orientation pro-
fessionnelle » (Bailly, 1932, p. 143-146). En 1925, Lahy et Heuyer présentent devant
le congrès des aliénistes et neurologistes un bilan de l’orientation professionnelle
dans laquelle ils s’attachent à montrer l’efficacité de leur méthode à partir de 89 cas
orientés entre juillet 1922 et 1924. Le contrôle de l’orientation s’accompagne souvent
d’un discours de légitimation sociale : « Nous pensons accomplir un devoir social
d’humanité en évitant de céder aux besoins de la main-d’œuvre juvénile dans les
industries du quartier et en basant nos décisions sur le diagnostic médical d’abord,
puis sur les aptitudes psycho-physiologiques qui nous sont révélées par les rensei-
gnements concordants venus de diverses sources contrôlées. Nous devons dire que
les industriels comprennent parfaitement ce devoir, puisqu’ils soutiennent notre
œuvre. Ils apprécient d’ailleurs les services que nous pouvons leur rendre en leur
fournissant des apprentis stables et aptes, ainsi que nous allons le montrer à l’aide
des résultats obtenus » (Heuyer & Lahy, 1927, p. 167).
Du côté des personnels enseignants du primaire, il s’agit d’étendre l’emprise
scolaire sur les élèves et les familles, et ainsi de rehausser le prestige symbolique de

5. Courriers de J.-M. Lahy aux directeurs d’école, s.d. Un second courrier fait référence à un premier
daté du 24 janvier. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences –
CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 157

la fonction scolaire. Les années 1920 voient s’opérer une inflexion dans le rapport
que les instituteurs entretiennent avec l’environnement social de l’école. Réticents
dans les années 1910 à s’engager dans le domaine de l’orientation, ils voient dans
l’orientation une prolongation des œuvres post-scolaires et l’accomplissement de
la fonction sociale de l’école (Martin, 2015).
Dans ce contexte le comité de la rue de Lesseps élargit son audience. En 1931
s’ajoutent l’école de filles du 40 rue des Pyrénées qui comporte un cours complé-
mentaire d’enseignement général, l’école de garçons du 15 rue Sorbier, avec un
cours complémentaire commercial, l’école de filles de la rue de la Bidassoa et la
classe de préapprentissage de l’école de garçons, 151 avenue Gambetta (Turbiaux,
2006, p. 225). À partir de 1930, le comité « l’école à l’atelier » est intégré aux comi-
tés de patronage d’apprentis et son action étendue à l’ensemble des écoles du XXe
arrondissement6.
La pratique de l’orientation du comité « l’école à l’atelier » comporte également
une forte dimension prophylactique que l’on retrouve dans la plupart des offices
d’orientation. Les acteurs de l’orientation – conseillers d’orientation, psychologues,
médecins, instituteurs – insistent sur l’état sanitaire des populations scolaires. Dans
les écoles des XIe et XIIe arrondissements, l’instabilité des effectifs inscrits est en
partie due à l’état de santé des élèves. Les départs à la campagne ou en preventorium
pour raison de « santé délicate » peuvent représenter autour de 10 % des effectifs
(Blanc-Chaléard, 1991, p. 665). Les rapports des offices d’orientation font état d’une
population scolaire en mauvaise santé. Préoccupés des aptitudes physiques des
élèves, les directeurs d’office et les conseillers ne manquent pas de souligner ce
constat. Ainsi, à Lyon, en 1924, l’office affirme avoir « constaté que, parmi les jeunes
gens dont l’état de santé laissait à désirer, il s’en trouvait assez fréquemment qu’une
éducation physique rationnelle et prudente serait certainement susceptible d’amé-
liorer » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Lyon, 1925, p. 101-104).
Théodore Simon souligne ainsi le « formidable bénéfice à l’actif de l’OP en faveur
des enfants des milieux sociaux où la misère et l’ignorance exercent leurs ravages.
Et ils sont hélas nombreux dans les grandes villes en certains quartiers. La recherche
des aptitudes physiques, si imparfaites et imprécises que soient encore nos connais-
sances relativement à ce que demandent les métiers, amène l’enfant devant le
médecin. Il a donc les plus grandes chances de bénéficier de soins médicaux qui ne
lui eussent souvent pas été donnés sans la préoccupation d’OP » (L’Apprentissage et
l’OP, 1928, p. 3-4). Dans cette période, pour tous les promoteurs de l’orientation les
enjeux sanitaires constituent une préoccupation majeure. On comprend ainsi l’im-
portance accordée par Lahy, en collaboration avec Georges Heuyer, à l’élaboration
d’une fiche médicale et à la place accordée aux examens psychiatriques (Turbiaux,
2006, p. 222). Cette préoccupation pose toutefois la question de la place de la méde-
cine dans les procédures d’orientation. Malgré les demandes répétées des scienti-
fiques et des conseillers d’orientation, l’État échoue à mettre en place une véritable
médecine scolaire, dans les grandes villes comme Paris ou Lyon, ce sont les muni-
cipalités qui organisent la médecine scolaire (Martin, 2011, p. 339-361). Les archives

6. C. Bailly (1932), Comité de « l’école à l’atelier ».


158 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

de J.-M. Lahy témoignent des tensions suscitées par l’entrée de la psychotechnique


dans l’école. Le corps médical chargé de l’inspection scolaire y voit une concurrence
et demande à être informé des recherches menées7.

« L’école à l’atelier » et la fabrique de l’orientation


Les archives Lahy constituent une source importante pour observer les pratiques
d’orientation dans la période de l’entre-deux-guerres. Rares sont effet les sources qui
décrivent précisément en quoi ces pratiques consistaient. Leur exploitation permet
de dresser un triple constat. Le premier porte sur les objectifs scientifiques pour-
suivis par Lahy, le deuxième sur les méthodes d’orientation mise en œuvre dans le
cadre du comité et le troisième sur l’influence exercée par l’école elle-même.

L’activité scientifique de Lahy au comité de l’école de la rue de Lesseps peut être


lue comme une étape dans un projet défini dès les années 1900. Dans son célèbre
ouvrage Le système Taylor et la physiologie du travail professionnel paru en 1916, il
assigne à la psychologie la fonction de sélectionner dès la sortie de l’école les futurs
travailleurs : « Au lieu d’attendre qu’un individu ait témoigné de ses aptitudes par-
ticulières une fois sa profession choisie, seul moyen de sélection employé jusqu’ici,
nous nous sommes efforcés de déterminer les signes psycho-physiologiques de la
supériorité professionnelle afin de guider les ouvriers dès le temps de l’apprentis-
sage. Ceci fait, il apparaît qu’un examen psycho-physiologique préalable complétant
l’examen de validité devrait être imposé à tous les candidats. On imagine aisément
le gain réalisé par l’ouvrier qui, au sortir de l’école, pourrait accéder aux carrières
auxquelles il est physiquement apte. Ainsi s’éviteraient les déboires d’un apprentis-
sage long et souvent coûteux » (Lahy, 1921, p. 84).
Les recherches de Lahy au sein du comité s’inscrivent dans le projet de « mise
au point d’une méthode de sélection pour les apprentis ». En 1929, il s’en explique
dans l’éphémère revue Science du Travail. Psychotechnique et organisation : « Pendant
plusieurs années, nous avons fait des essais, test par test, sans atteindre le but que
nous cherchions, c’est-à-dire d’ajuster nos méthodes de laboratoire à la mesure de la
valeur professionnelle des apprentis. Nous nous rendions bien compte que nos pro-
cédés étaient efficaces, par l’ensemble des résultats obtenus, mais nous ne pouvions
mesurer, si je puis dire, cette efficacité, ni perfectionner nos méthodes, ni surtout
les multiplier pour les rendre applicable à un grand nombre de sujets. Nos enfants,
quittant l’école, s’éparpillaient dans diverses écoles professionnelles, dans divers
ateliers aux travaux variés, sans qu’une commune mesure professionnelle puisse être
appliquée à tous » (Lahy, 1929, p. 13-25).
Parallèlement aux recherches menées auprès des écoliers parisiens, Lahy entame
des recherches dans des écoles d’apprentissage de trois entreprises afin de com-
parer les classements scolaires des apprentis et les classements psychotechniques
en formation. Lahy s’inscrit ainsi pleinement dans l’héritage d’Édouard Toulouse,

7. Lettre du Dr Julien Noir à J.-M. Lahy, 27 décembre 1931. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de
la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 159

celle d’une conception de la psychotechnique qui seule peut fonder rationnellement


l’organisation sociale.

Un deuxième constat concerne les méthodes d’orientation mise en œuvre dans la


cadre du comité de « l’école à l’atelier ». Dans la plupart des offices, le recours à la
psychotechnique était très sommaire, l’essentiel des opérations consistant dans l’uti-
lisation de fiches, scolaires et médicales. C’est le cas à l’école de la rue de Lesseps.
L’orientation s’appuie sur une fiche scolaire, une fiche médicale et une fiche psycho-
logique remplie par l’instituteur établie par Fessard (Turbiaux, 2002, p. 222). C’est
une activité importante qui repose sur la mobilisation des institutrices et instituteurs.
Si l’on en croit les archives Lahy, le comité de la rue de Lesseps est plutôt pauvre
en appareils. Cela n’a rien d’exceptionnel dans une période où, bien que mis en
avant comme outil d’une orientation scientifique, l’usage des tests par les offices
d’orientation, reste rare (Martin, 2011, p. 366-375). Un inventaire de décembre 1931
fait état du signal de Deprez, d’un dynamographe d’Henri, d’un « appareil Binet »,
et précise que le « cylindre enregistreur 4 vitesses est à Sainte-Anne »8. On sait que
les élèves sont conduits au laboratoire de psychologie expérimentale à l’hôpital
Sainte-Anne pour les examens. La méthode revendiquée par Lahy est celle d’une
orientation professionnelle « en profondeur » sur de faibles effectifs en multipliant
les examens (Heuyer & Lahy, 1927, p. 167). Une partie des tests est effectuée sous la
forme d’un examen collectif afin « d’examiner collectivement le plus grand nombre
de sujets dans le temps le plus courts ». À chaque page correspond un test : sont
mesurées l’intelligence logique, le mémoire et l’attention, ces deux dernières regrou-
pées dans un cahier (Cahier E scolaire)9. C’est, à ma connaissance, le seul cas en
France de l’utilisation de cette méthode. La « fiche psychopédagogique d’orientation
pour les éducateurs » de Piéron, publié en 1930, sera peu utilisée, même critiquée par
les maîtres en raison de sa lourdeur de mise en œuvre (Piéron, 1926 ; Blanchard &
Sontag, 2005).
Les tests papiers sous forme de cahier mobilisent l’essentiel des ressources
financières et humaines du comité. Une seconde série de tests, individuels cette fois,
portent sur les aptitudes motrices (test du tourneur, temps de réactions et dynamo-
graphe). Des examens individuels complémentaires sont effectués « dans les cas
spéciaux » où l’enfant veut accéder directement au travail et si les tests effectués ne
prennent pas en compte l’étude des aptitudes supposées nécessaires à l’exercice du
métier10. Si la psychotechnique fonde en grande partie l’orientation, elle n’exclue pas
pour autant d’autres pratiques. Le comité du XXe, comme tous les autres comi-
tés, organise des conférences à destination des familles et des élèves, utilise les

8. Inventaire des appareils à l’école 11, rue de Lesseps, décembre 1931. Archives J.-M. Lahy – Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
9. Remarques sur la méthode des « Cahiers, dactylographié, 4 pages. Archives J.-M. Lahy – Musée
d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
10. Sélection des enfants et orientation professionnelle, Année 1931-1932, dactylographié, p. 3.
Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne –
Carton 19.
160 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

projections cinématographiques dans le cadre d’une ébauche d’information profes-


sionnelle (Martin, 2011, p. 404-417).
Le troisième constat porte sur la relation entre psychologie et école. Alors
que les premiers services d’orientation sont apparus à l’extérieur de l’école, celle-
ci devient de plus en plus le lieu où s’effectue l’examen des élèves (Martin, 2015).
Le comité du XXe est pionnier puisqu’il est, dès sa création, installée dans une école.
Les comptes rendus des opérations de tests collectifs montrent les difficultés de posi-
tionnement des psychologues dans l’institution scolaire. Les opérateurs ne sont
pas des institutrices ou des instituteurs mais des psychologues. Si le maître est pré-
sent lors de l’examen, il n’intervient pas. Il y a là une différence fondamentale avec
la conception développée par Alfred Binet et Théodore Simon selon laquelle, il
convient de former les maîtres à la psychologie expérimentale afin de la faire entrer
dans la classe (Klein, 2014).
En janvier 1931, le déroulement d’un examen collectif témoigne que les possi-
bilités d’intervention du psychologue sont conditionnées par le maintien de l’ordre
scolaire :
« À 1 h 16 les enfants se mettent au travail. La classe est très disciplinée. Bien
qu’il n’y ait pas d’écran, les enfants n’essayent pas de regarder ce que font les
voisins. Aucune perturbation imputable aux sujets. Au contraire, il faut signaler
quelques perturbations causées par l’instituteur.
1 h 20. L’instituteur abandonne la chaise pour céder sa place à l’opérateur …
À 2 h 16 l’opérateur prévient ceux qui n’ont pas fini, qu’ils disposent encore d’un
quart d’heure. À ce moment l’instituteur adresse à l’opérateur quelques phrases
qui provoquent la distraction générale. Puis il cause avec les enfants de telle
sorte qu’il devient impossible de prolonger fructueusement l’application du test.
L’instituteur étant parti, l’opérateur profite du silence pour ordonner aux sujets
de se remettre au travail. »11

Les fiches individuelles d’orientation rédigées par les opérateurs conservées


dans les archives de Lahy sont riches d’enseignements. L’orientation pratiquée est
souvent à finalité scolaire. Il s’agit souvent de donner un conseil sur les possibilités
de poursuites d’études et de faire un choix entre le lycée, l’enseignement primaire
supérieur, le cours complémentaire ou l’apprentissage. Cette évolution ne contrarie
pas les intentions de Lahy qui considère que « l’organisation d’un système scolaire
dit École unique actuellement en voie de réalisation est […] insuffisamment pré-
parée  »12. Les recherches et l’activité du comité s’inscrivent dans un réformisme
social permettant « le redressement de certaines injustices qui font d’ailleurs perdre
à la société des hommes de valeur » (Heuyer & Lahy, 1927, p. 270). Il voit dans la
prise en charge d’une orientation scolaire et non plus professionnelle l’opportunité
de construire les outils scientifiques qui permettraient au projet d’école unique de

11. École de garçons de la rue Sorbier. Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie et des
neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
12. « Remarques sur la méthode des cahiers ». Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychiatrie
et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
Le comité de « L’école à l’atelier » de la rue de Lesseps 161

s’imposer définitivement par la sélection des meilleurs élèves aptes à poursuivre


des études secondaires (Garnier, 2008). Il initie des recherches afin de «  fixer une
méthode de sélection psychologique préalable associée à l’examen psychotique des
enfants13 ». Il fait ainsi pratiquer des tests d’intelligence sur 950 élèves issus de dif-
férents établissements scolaires de Paris et de province (Turbiaux, 2006, p. 226-230).
Ce rapprochement découle également de la réorganisation administrative des
comités de patronage d’apprentis qui, à partir de 1930, sont rattachés aux écoles.
Ainsi dans le XXe arrondissement, ce sont 37 écoles de filles et de garçons qui sont
réparties dans 18 groupes constituant chacun un « comité scolaire ».
Dans les commentaires concernant les cas individuels, « jugements scolaires »
et jugements scientifiques se mélangent singulièrement. Contrairement au projet
scientifique initial, il ne s’agit plus de déterminer les aptitudes des élèves par rap-
port à des métiers ou des activités professionnelles mais d’évaluer des aptitudes
intellectuelles supérieures déconnectés de leur application et sans lien avec les
métiers (Blanchard & Sontag, 2005). Ainsi, à propos d’un élève de l’école de l’avenue
Gambetta, un opérateur note :
« Assez intelligent pour sa classe mais comme intelligence brute, moyen faible.
Mémoire moyenne. Médiocre dans l’exécution des consignes.
A été surveillé médicalement à Henri Rousselle, la Salpêtrière, Tenon.
La famille désire qu’il soit agent d’assurance. Échec certain. Se montre nul par-
tout à l’école. Manque d’intérêt pour quoi que ce soit. Un père musicien.
Désire être musicien. »14

Les catégories utilisées relèvent davantage de celles de l’école primaire que de


la psychologie. De même, concernant cette fois une élève de l’école Lesseps âgée de
13 ans, ce sont des préoccupations scolaires qui dominent :
« Très intelligente, très originale, tournure statique mais pas méchante.
Famille intelligente : un frère à Physique et chimie, sœur à Sophie Germain.
Au point de vue santé, l’enfant n’est pas souvent malade mais ne mange pas.
Passera cours complémentaire.
Si on persiste pour une administration (les chemins de fer ou les Postes), ira dans
une école primaire supérieure.
Nous conseillons EPS, car l’enfant a des ressources suffisantes pour aller au
brevet. »15

Ces observations donnent à penser que, contrairement à ce qui se passera après,


le corps enseignant du primaire et les psychologues partagent finalement une même
vision du monde social et se positionnent dans un rapport d’autorité et d’expertise

13. Rapport dactylographié intitulé « Écoles ». Archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psychia-
trie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
14. Orientation professionnelle, exercice 1932-1933, archives J.-M. Lahy – Musée d’histoire de la psy-
chiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
15. Orientation professionnelle, exercice 1932-1933, archives J.-M. Lahy, Musée d’histoire de la psy-
chiatrie et des neurosciences – CH Sainte-Anne – Carton 19.
162 Les archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943) à Sainte-Anne

des populations qu’ils orientent. Loin de porter une critique ou d’être en décalage
avec les pratiques enseignantes, la psychologie vient les conforter.

Conclusion
Les archives de Lahy constituent une source indispensable à l’histoire de l’orien-
tation afin d’en apprécier l’épistémologie, les formes, les pratiques et les limites.
Elles montrent d’abord l’ampleur du projet scientifique de Lahy dont l’action au
sein du comité de « L’école à l’atelier » s’inscrit dans une ambition plus large, celle
de construire les outils d’une orientation scientifique capable de résoudre les contra-
dictions de l’école dans la perspective réformiste de l’école unique. Elles confirment
ensuite que le mouvement d’orientation professionnelle ne peut pas être abordé que
sous l’angle des scientifiques qui en sont des promoteurs. Si la psychologie en consti-
tue la base théorique, ce mouvement est également inscrit dans un cadre social et
politique qui en infléchit les formes et les pratiques. Au contact de l’école, l’orienta-
tion tend à prendre une connotation scolaire. Les archives de Lahy dévoilent enfin la
fabrique de l’orientation. Elle ne consiste pas dans un simple transfert des travaux de
laboratoire vers les pratiques sociales, mais comme une pratique sociale mobilisant
des acteurs et des enjeux socio-politiques dépassant le simple espace scientifique.

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À partir de la présentation des archives de Jean-Maurice Lahy (1872-1943)
déposées au Musée d’histoire de la psychiatrie et des neurosciences du
Centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, les actes du colloque organisé par
Marcel Turbiaux (1931-2019) et Régis Ouvrier-Bonnaz du Groupe de recherche
et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation du Centre de recherche
sur le travail et le développement du Conservatoire national des arts et
métiers (GRESHTO - Cnam) et Catherine Lavielle, responsable du service
Bibliothèques & Documentation du Groupe hospitalier universitaire de
psychiatrie & neurosciences (Hôpitaux Sainte-Anne, Maison Blanche et
Perray-Vaucluse) rendent compte de qui a été Jean-Maurice Lahy : sa carrière,
ses engagements et son œuvre.

Le parcours des archives, de Paris à Moscou via l’Allemagne et retour à


Paris ayant été analysé et présenté, leur exploitation diversifiée permet de
préciser le rôle novateur que Jean-Maurice Lahy a joué dans le développement
de la psychotechnique dont il a été l’un des créateurs dans la première
partie du XXe siècle. L’objectif est de mieux comprendre, à partir du travail
d’exploitation de ses archives, son approche de la Femme et de l’Homme
au travail, les influences qui l’ont marquées et les travaux qu’il a réalisés
pour mieux saisir et discuter son apport à l’installation et au développement
en France de l’ergonomie, de la psychologie du travail et de l’orientation et
plus généralement de la psychologie.

Liste des auteurs : Dominique Brendel, Sophie Coeuré, Isabelle Gouarné,


Jérôme Martin, Serge Nicolas, Marco Saraceno, Marcel Turbiaux (1931-2019).

EAN : 978-36630-099-4

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