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Année académique 2022-2023

UNIVERSITÉ DENIS SASSOU N’GUESSO


………………………….
FACULTÉ DES SCIENCES APPLIQUÉES
…………………..

COURS D’HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DES SCIENCES ET TECHNOLOGIE

Licence III

Dr Mickaël ETIRI
Bibliographie
ARISTOTE, Métaphysique, présentation et traduction par Marie Paule D. et
Annick Jaulin, Paris, Flammarion, 2008.
BACHELARD G., La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938.

DESSINGA Kevin Giscard, Introduction à la philosophie contemporaine, Paris,


Éditions Publibook, 2019.

FICHANT M., L’idée d’une histoire des sciences, Paris, Maspero,1969.

HANS Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1990 (1979).

MINYEM Jean Marie, Descartes et le développement, Paris, L’Harmattan,


2011.
ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes, Paris, Librairie Générale Française, 2013.

ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur les sciences et les arts, Paris, Librairie
Générale Française, 2013.
Wright, Brève histoire du progrès, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2004.
Lewin, L’évolution humaine, Paris, Seuil, 1989.

1
Sommaire
Bibliographie ..................................................................................................... 1

Sommaire ........................................................................................................... 2

Introduction........................................................................................................ 3

I. La définition de la science............................................................................... 3

II. La classification des sciences ......................................................................... 3

III. Le sens et l’utilité de l’histoire des sciences ................................................. 4

IV. L’évolution de la connaissance scientifique et époques ................................ 6

1. La préhistoire de la science ......................................................................... 6

2. La naissance et le parcours des sciences ...................................................... 8

2.1. La science dans l’Antiquité (Ve siècle av. J. à 529) ............................... 8

2.2. La science au Moyen-âge (529-1453).................................................. 10

2.3. La science aux Temps modernes (1453-1831) ..................................... 11

2.4. La science à l’époque contemporaine (1831-1945) .............................. 13

2.5. Le postmodernisme (1945 à nos jours) ................................................ 15

V. Naissance et ancrage de la technologie ........................................................ 15

VI. L’éthique du progrès techno-scientifique (une lecture philosophique du


progrès) ............................................................................................................ 17

1. Les acquis du progrès scientifique et technologique ................................ 17

2. la tragédie des sciences et de la technologie .............................................. 20

Conclusion ....................................................................................................... 25

2
Introduction
La plus grande invention de l’homme est bien la science. Car elle est le socle du
progrès de l’humanité. Le monde évolue au rythme de la science, et l’homme se
définit par et à travers l’influence de la science sur son existence. Tout le monde
voit dans la science la fierté du temps actuel et se définit comme scientifique.
Cependant, lorsque l’on demande ou l’on se demande ce qu’est réellement la
science, ses différentes figures, son histoire et son ancrage dans la société, l’on
reste étonnamment perplexe. C’est la philosophie des sciences qui s’est donné
la complexe mission de lever le voile autour de ces mystères. Ce cours se
propose, justement, de mettre de la lumière sur l’origine, le parcours et la valeur
de la science, et de dégager les mesures de la technologie dans le monde
d’aujourd’hui.

I. La définition de la science
Le concept science vient du latin « scientia », savoir, et peut se définir comme
toute connaissance rationnelle relative à un objet et vérifiée par des méthodes
quelquefois expérimentales. Dans le sens large, la science renvoie à une
connaissance systématisée, c’est-à-dire organisée en un ensemble cohérent,
suivant une méthode bien déterminée. Il s’agit de toute connaissance fondée sur
la raison, attachée à un fait ou à un phénomène et établie selon une méthode
déterminée. La science s’oppose ainsi au mythe et la religion dans l’explication
des faits ou des phénomènes.

II. La classification des sciences


Il existe plusieurs sciences, mais la philosophie des sciences les catégorise en
trois ordres :

- les sciences formelles (pures) : ce sont des sciences qui étudient les lois de la
pensée et s’appuient sur la déduction. Il s’agit des mathématiques, de la logique,
de l’analyse, etc.

3
- les sciences naturelles : ce sont des sciences qui ont la nature pour objet
d’étude. Elles rassemblent plusieurs disciplines, notamment la biologie (la
botanique, la zoologie, la neuroscience, la génétique, etc.), les sciences de la
terre (la géographie, la minéralogie, etc.), la chimie, la physique, etc. Rudolf
Carnap (1891-1970) en a extrait quelques-unes pour créer la catégorie des
sciences expérimentales.

- Les sciences humaines et/ou sociales : Ce sont des sciences de l’homme et de


la société. On y note la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie,
l’éthique, l’économie, etc.

Cette classification des sciences n’est guère exhaustive du fait de la relativité de


toutes les sciences, de la transversalité de certaines sciences et de la naissance de
nouvelles sciences. En travaillant sur la science dans le cadre de l’épistémologie,
Bachelard rencontre cette difficulté et affirme : « puisque tout savoir scientifique
doit être à tout moment reconstruit, nos démonstrations épistémologiques auront
tout à gagner à se développer au niveau des problèmes particuliers, sans souci de
garder l’ordre historique »1.

Par ailleurs, cet éclatement n’annule pas l’idée de la science en générale, à partir
de laquelle on détermine toutes les sciences particulières. La science comme
héritage de l’humanité renvoie, justement, au concept de science, c’est-à-dire à
la science comme type de connaissance. L’histoire des sciences n’est pas
l’histoire de chaque science particulière, mais celle de la science en général,
c’est-à-dire l’histoire de la connaissance scientifique.

III. Le sens et l’utilité de l’histoire des sciences


L’histoire des sciences ne représente nullement le récit ou la narration d’une
quelconque science particulière, elle est l’étude des contours et de l’évolution
progressive et objective de la connaissance scientifique. C’est dire que l’histoire

1
G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, p. 10.

4
des sciences décrit l’évolution de la connaissance humaine, tenant objectivement
compte de différentes séquences de cette connaissance, examinant avec un
regard épistémique les progrès, les tâtonnements, les difficultés, les bifurcations
et différentes avancées significatives réalisées par la science. L’histoire des
sciences est ainsi un examen de la courbe évolutive de la connaissance objective
de l’homme. Aussi montre-t-elle, chemin faisant avec son évolution, les mérites
et les faiblesses de la science.

L’histoire des sciences n’est pas l’histoire des techniques. Elles sont liées, mais
ne sauraient être identiques. Par exemple lorsque l’homme maitrise le feu, taille
des silex ou invente l’agriculture, il ne fait pas œuvre de science. Et les
connaissances qu’il a accumulées en l’occurrence ne sont pas des connaissances
scientifiques, mais des savoirs artisanaux traditionnels.

L’histoire des sciences rend raison de la construction de la connaissance


scientifique. Elle montre le sens ontologique de la science, c’est-à-dire qu’elle
explose les motivations qui ont concouru à l’élaboration de la science. Elle a, en
effet, un rôle épistémologique et philosophique.

À y regarder de près, l’histoire des sciences est l’intelligence même des


sciences, en tant qu’elle permet de comprendre l’avant-science (la préhistoire de
la science), la science et son parcours évolutif. Dans ce contexte, elle est l’étude
du développement des sciences, y compris les sciences naturelles et les sciences
sociales.

L’histoire des sciences admet deux grandes séquences, notamment la


préhistoire de la science (c’est-à-dire l’avant science, la période d’avant la
constitution et la construction de la pensée humaine en terme de savoir
scientifique) et l’histoire de la science (marquée par sa naissance, en raison de la
constitution de la pensée humaine en terme de savoir rationnel, son évolution et
son incidence).

5
L’histoire des sciences a fait les preuves de son utilité, en ceci qu’elle met en
lumière, dans un processus évolutif, les enjeux de la science, c’est-à-dire les
mérites et les faiblesses de la science. Celle-ci est un grand héritage culturel de
l’humanité qui a impacté la vie de l’homme dans toutes les générations.

Cet impact de la science a exhumé le génie de l’homme qui s’est déployé dans
tous les domaines de la vie humaine. Mais, chemin faisant avec le désir du
progrès et le besoin d’émancipation, l’homme a usé de la science, d’une manière
démesurée, jusqu’à en faire un cercle infernal. Ceci s’observe dans la mesure où
la science a fait de l’homme un véritable titan, un monstre gigantesque, une
machine vouée à la destruction de la nature. Conséquence directe de
l’affaissement, de la destruction de la nature, de l’environnement humain. Telle
est la résultante d’une crise éthique et environnementale consécutive au progrès
technoscientifique. C’est pourquoi, un décryptage historique de l’évolution des
sciences s’impose, en termes de nécessité afin de comprendre les forces et les
faiblesses de la science, et de dresser une approche palliative des dégâts, en vue
de mettre en perspective un management de la prévention et de la pérennisation
de l’environnement. C’est dire que nous partirons du parcours historique de la
science, en tant que grand héritage culturel de l’humanité, passant par ses forces
et faiblesses afin d’en dégager une approche prospective de conscientisation de
la science. Tel sera l’objet de notre cours.

IV. L’évolution de la connaissance scientifique et époques


La science comprend deux grandes séquences de son évolution, notamment la
préhistoire et l’histoire.

1. La préhistoire de la science
La préhistoire de la science détermine la période d’avant la naissance de la
science. Elle rend compte des pratiques cognitives traditionnelles. Cette période
est essentiellement marquée par l’absence de l’écriture et la prééminence de la
technique ou plutôt des pratiques rudimentaires, traditionnelles.
6
Historiquement, la technique précède la science. S’appuyant sur des procédés
empiriques, l’homme a mis sur pied, de façon très rapide, des instruments, des
outils traditionnels, et découvre le feu. C’était donc l’âge de la pierre taillée; le
paléolithique (qui commence il y a environ 2,5 millions d’années et s’achève
vers le XIe millénaire avant notre ère). À cette époque, nous ne saurions parler
d’aucune science en tant que telle, mais de l’usage monotone de la technique
manuelle.

Le développement de l’agriculture et de l’élevage ne sont pas non plus sans


rapport avec l’émergence de certaines proto-sciences. C’est le cas du calcul et
l’astronomie. Il faut, par exemple, compter les animaux, mesurer les quantités
des grains. Cela implique un certain art mathématique, mais aussi se préoccuper
de l’ordre des saisons pour les semailles et les récoltes; la naissance de
l’astronomie n’est peut-être pas non plus étrangère à ces impératifs.

Si ces grandes étapes de l’histoire de l’humanité (la période où l’homme ne


vivait que de l’élevage, de l’agriculture…) participent à la construction de ce qui
deviendra, bien des siècles plus tard, une pensée scientifique, il est essentiel,
pour comprendre l’histoire des sciences, de les tenir non pour des explications
de l’apparition de la science, mais bien pour des éléments d’une histoire
complexe. L’histoire des sciences n’est ni linéaire, ni réductible aux schémas
simplistes qui se retrouvent parfois dans certains livres de vulgarisation.

Il est fort évident de remarquer que la science n’est pas née ex nihilo, son
histoire sinon sa naissance est redevable à sa préhistoire, qui en a posé les bases.
Les procédés mécaniques et traditionnels qui ont marqué l’histoire des hommes,
ont consécutivement marqué la préhistoire de la science. Le comptage ou
dénombrement du bétail (dans l’élevage), qui ne nécessitait certainement pas un
savoir rationnel, a jeté les bases du calcul, de l’arithmétique. Les mesures
dimensionnelles et le traçage mécanique des terrains, en Égypte par exemple,
ont entrevu en perspective l’invention de la géométrie.

7
L’apparition et la lecture des astres au ciel (étoiles, lune,…) permettaient aux
hommes de déterminer les temps, de comprendre le mouvement de l’univers,
jetant ainsi les bases de l’astronomie et la météorologie. Toutes ces occurrences
montrent à suffisance que la connaissance humaine a connu une préhistoire,
avant de se constituer en science.

2. La naissance et le parcours des sciences


La science est un grand bien de l’humanité, un héritage culturel humain qui a
servi et continue à servir les hommes, à répondre pratiquement à toutes leurs
incertitudes à travers le monde. Elle traverse des générations et honte l’esprit de
l’homme, tournant ainsi le regard de celui-ci vers le progrès.

Mais la connaissance de la science, en tant que grand héritage culturel de


l’humanité, requiert la connaissance de son histoire, c’est-à-dire la connaissance
de son parcours évolutif. La science a connu un parcours historique, allant de
l’antiquité aux temps contemporains, passant par le moyen-âge et les temps
modernes.

2.1. La science dans l’Antiquité (Ve siècle av. J. à 5292)


À l’Antiquité, précisément au Ve siècle avant Jésus-Christ, il ne saurait y avoir
de distinction nette, ni de frontière entre la science et la philosophie. La plupart
des savants sont à la fois scientifiques et philosophes, pour la simple raison que
la science n’est pas encore formalisée. Tout comme la philosophie, elle utilise
exclusivement la langue naturelle pour s’exprimer. Ce n’est que plusieurs siècles
plus tard, avec Galilée, que la science se formalisera, et commencera à se
détacher de la philosophie. Cependant, on distingue deux grands mouvements de
pensée dont les influences s’entrecroisent. Ce sont, d’une part, le monisme ou
idée de l’unité du monde pris dans sa totalité, historiquement introduit par les
Milésiens, et proposant une vision d’un monde s’organisant à partir d’un
principe générateur (en découlent quelques aspects de la pensée atomiste et du
2
fermeture par l’empereur Justinien de la dernière école philosophique d’Athènes.

8
matérialisme) ; et d’autre part, le formalisme, historiquement introduit par
l’école pythagoricienne et proposant une vision mathématique d’un cosmos
ordonné par les nombres.

Ces deux courants qui faisaient office de la science grecque, et ayant pour
objectif de définir et interpréter le monde, portent en eux un attachement très
fort à l’expérience. On parle alors de la science « contemplative » pour désigner
l’attitude antique des scientifiques grecs. L’astronomie en est l’exemple parfait.
Si l’astronomie grecque, à ses débuts, était fortement imprégnée de
présupposées philosophiques (géocentrisme, mouvements circulaires uniformes
des astres), elle a su s’en écarter progressivement, à mesure que des observations
plus fines venaient contredire ces présupposées.

Les penseurs grecs sont considérés comme les fondateurs des mathématiques car
ils ont inventé ce qui en fait l’essence même : la démonstration. Celle-ci a
permis à la connaissance grecque de se détacher de la philosophie spéculative
pour se constituer, progressivement, en science autonome. Cette occurrence a
valu aux grecs le titre de pères de la science. Et Thalès est considéré comme le
premier philosophe qui a eu l’idée de raisonner sur les êtres mathématiques,
jetant ainsi les bases de la géométrie. IL a donné le coup d’envoi de la
connaissance scientifique en cherchant et en donnant une explication rationnelle
à la structure de l’univers. Il met en être la géométrie pour expliquer le monde.
Et Jean pierre Vernant de dire : « cette géométrisation de l’univers physique
entraine une refonte générale des perspectives cosmologiques ; elle consacre
l’avènement d’une forme de pensée et d’un système d’explication sans analogie
dans le mythe3. » C’est la naissance de l’esprit scientifique.

Avec l’invention de la démocratie, l’activité scientifique grecque connait un


essor saillant. Aussi plusieurs penseurs grecs ont contribué à l’émergence des
sciences. On note par exemple Ératosthène (mesure avec exactitude la

3
J. J. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, P.U.F, 1962, p. 120.

9
circonférence de la terre), Archimède (base de la mécanique), Théophraste (base
de la botanique), etc. Mais toutes ces prouesses sont rangées sous la bannière de
la philosophie, comme la science primordiale.

La liste des savants grecs importants est fort longue. On citera dans l’ordre
chronologique : Thalès, Pythagore, Hippocrate, Aristote, Euclide, Archimède,
Aristarque, Ératosthène, Hipparque, etc.

Il faut aussi noter qu’en dehors de la Grèce antique, la science a connu une
naissance ou plutôt une histoire disséminée qui s’est observée dans plusieurs
lieux du monde notamment en Égypte, à Rome, en Chine, en Inde…

2.2. La science au Moyen-âge (529-1453)


Au Moyen âge, la science connait une hibernation à cause de la consécration du
christianisme, qui rejette toutes les connaissances païennes et impose une vision
du monde fondée sur les dogmes religieux. La raison est dépouillée de son
autorité épistémique au profit de la foi. L’église a pris le pas sur toute la société,
et toute explication de quelque phénomène que ce soit, en dehors de Dieu était
prohibée, à la rigueur, sanctionnée par les hommes d’église. Ainsi, la science
s’est voulue résorbée, reléguée en arrière-plan. Les croyances religieuses ont
refait surface au détriment et au grand mépris de la raison. Dieu était placé en
avant-scène, il était le foyer centripète de toute connaissance, l’origine de tout
phénomène.

L’on note aussi l’utopie des sciences médiévales qui participe au déclin de la
science. La science tend à l’interprétation des phénomènes sur la vase des
théories élaborées sur fond d’exercice pure de la raison. Ces connaissances n’ont
guère d’impact direct sur le cours de la vie. Le désenchantement prend
systématiquement la place de l’engouement de l’âge d’or de la science. Il y a
aussi la relativité des connaissances scientifiques et la guéguerre des
scientifiques qui offensent la science.

10
Au Moyen-âge, les sciences grecques sont conservées, notamment par la
traduction en arabe de nombreux livres présents dans la bibliothèque
d’Alexandrie. Ces sciences sont alors enrichies et diffusées par la civilisation
arabo-musulmane, avec les savants comme Al-Khwârizmî, Alhazen, Al-Biruni,
Avicenne et Averroès.

On doit à cette civilisation de nombreux travaux en astronomie, en géographie,


en optique, en médecine, mais aussi en mathématiques (algèbre, analyse
combinatoire et trigonométrie).

2.3. La science aux Temps modernes (1453-1831)


Le silence de la science sera bientôt brisé à travers la révolution scientifique de
1550 à 1730. Il s’agit de l’avènement de la science moderne avec le sacre du
rationalisme par Descartes (1596-1650), l’intronisation de l’expérimentation
comme méthode de renforcement de la déduction par Galilée (1564-1642), les
découvertes de Newton et l’aube de la technique comme application de la
science.

Cette effervescence scientifique sera renforcée au XVIIIème siècle, avec l’idée


des Lumières. Ce mouvement, incarné par Montesquieu, Voltaire, Rousseau,
Diderot, etc., rompt d’avec toutes les croyances métaphysiques, place l’homme
au cœur de son destin et fait de la science l’unique source de connaissance vraie
et utile. La science a ainsi la mission de tout mettre en œuvre pour fournir des
informations fiables sur tout. On assiste alors à la naissance de nombre de
sciences et à la réalisation de plusieurs découvertes scientifiques (Charles
Darwin fonde la théorie de l’évolution en 1838, Louis Pasteur établit un vaccin
contre la rage en 1885, etc.).

L’une des principales caractéristiques des temps modernes est la Renaissance.


Celle-ci, avec pour point départ l’Italie, est un mouvement de l’histoire
européenne associé à la remise à l’honneur de la littérature, de la philosophie et
des arts de l’Antiquité gréco-romaine. Cette renaissance avait plusieurs raisons,
11
parmi lesquelles l’amélioration de la diffusion et de la propagation de la
connaissance, de la science. Cette éventualité a mis, progressivement, sur pied
l’invention du papier et de l’imprimerie, permettant ainsi de diffuser en plus
grand nombre des livres. Ceci en raison qu’une copie sur manuscrit prenait du
temps pour sa réalisation, davantage qu’avec l’impression.

Le désir de propager la connaissance a consécutivement permis à la science de


se propager et a donné à celle-ci une importance notoire. Le papier, l’imprimerie
ont permis la vulgarisation de la science à grande échelle.

Depuis l’Antiquité et jusqu’au XVIIIe siècle, la science est indissociable de la


philosophie (on nommait d’ailleurs la science, la philosophie naturelle) et
étroitement contrôlée par les religions. Mais sous la pression du savoir qui se
propage et qui s’accumule, elle vient sans cesse heurter les dogmes religieux. De
ce fait, le contrôle de la religion sur les sciences va progressivement diminuer et
se dissiper conjointement avec l’apparition de l’astronomie et de la physique
moderne, faisant des sciences un domaine autonome et indépendant.

Du point de vue scientifique, c’est l’astronomie qui déclenche le changement à


cette époque. En est témoin la refondation de l’algèbre accomplie par Viète
(1591). Après Nicolas Copernic, d’autres astronomes reprirent les observations
astronomiques : Tycho Brahe, Johannes Kepler, qui effectua un travail
considérable sur l’observation des planètes du système solaire et énonça les trois
lois sur le mouvement des planètes (lois de Kepler).

Dans les temps modernes on note plusieurs découvertes. Blaise Pascal fit des
découvertes en mathématiques (probabilités), et en mécanique des fluides
(expériences sur l’atmosphère terrestre). Christian Huygens développa une
théorie ondulatoire de la lumière, qui, pour avoir subi un siècle d’éclipse, n’en
est pas moins géniale.

12
On note aussi l’héliocentrisme (théorie scientifique qui place le soleil au centre
du système de planètes entourant la terre) de Galilée qui se veut confirmé de
multiple manière, et fut finalement accepté par l’église catholique romaine
(Benoît XIV) en 1714 et 1741, de sorte que les écrits de Galilée furent retirés de
l’Index (liste des livres interdits par l’Église catholique).

Mais le scientifique le plus important de cette époque est Isaac Newton. Avec
Gottfried Wilhelm Leibniz, il invente le calcul différentiel et intégral. Avec son
optique, il établit dans cette science une contribution tout à fait significative, et,
surtout, il fonde la mécanique sur des bases des mathématiques, établit ainsi de
manière chiffrée le bien-fondé des considérations de Copernic et Galilée Son
livre Philosophiae naturalis principia mathematica a marqué l’évolution de la
conception que l’homme se fait du monde comme aucun ouvrage avant lui, et a
été considéré comme le model insurpassable de théorie scientifique jusqu’au
début du XXe siècle. Le prestige de Newton aura largement dépassé les
frontières de la science, influençant ainsi de nombreux philosophe comme
Voltaire, David Hume, etc.

L’époque moderne a fait office de plusieurs découvertes qui ne sauraient être


énumérées dans cadre restreint du cours. C’est dire que la liste n’est pas
exhaustive.

2.4. La science à l’époque contemporaine (1831-1945)


L’époque contemporaine est marquée par l’évolution, le développement des
sciences à un rythme plus accéléré. Ce développement a lieu dans tous les
domaines de la science. On note plusieurs avancées significatives de la
connaissance scientifique. Ainsi, les mathématiques se raffinent grâce aux
travaux de nombreux savants parmi lesquels Cauchy, Galois, Gauss… la
géométrie est révolutionnée par l’apparition d’abord de la géométrie projective,
puis des géométries non-euclidiennes qui mettent fin au règne sans partage de la
première des théories mathématiques de l’antiquité.

13
L’optique de Newton subit une révision radicale avec les travaux de Young et
ceux de Fresnel : on passe de la conception corpusculaire de Newton à une
révision de la conception ondulatoire de Huygens. L’électricité et le magnétisme
sont unifiés au sein de l’électromagnétisme par James Maxwell à la suite de
travaux de nombreux physiciens et mathématiciens tels Ampère, Faraday…

La médecine qui avait longtemps stagné progresse avec, en particulier, la


découverte de vaccins par Jenner et Pasteur. On abandonne la théorie de la
génération spontanée.

La physique a connu de grandes avancées au XXe siècle, notamment avec la


physique atomique et la découverte de la structure du noyau atomique. La
théorie de la relativité restreinte définie par Albert Einstein permet de poser les
bases de la physique des objets à très grande vitesse. Son élargissement propose
une théorie de la gravitation et permet des tentatives de cosmologie.

L’astronomie a elle aussi connu de grandes avancées, grâce notamment aux


nouvelles découvertes en physique fondamentale, et à une nouvelle révolution
dans les instruments d’observation : les radiotélescopes construits dans les
années 1950-1960 ont permis d’élargir le spectre des rayonnements
électromagnétiques observables, l’informatique traitant les grandes masses de
données.

Le point marquant de cette évolution des sciences est bien entendu leur mise en
application. Les connaissances scientifiques sont essentiellement mises en
pratique pour améliorer et esthétiser la vie. La production s’accroit
systématiquement dans tous les domaines, et l’on parle de la révolution
industrielle. Le destin du monde est à l’entière disposition de l’homme, qui se
doit de créer un nouveau monde, un cosmos qui libère pleinement la modernité.

En 1769, J. Watt dépose un brevet améliorant la machine à vapeur. La machine


à vapeur est à l’origine de la révolution industrielle qui démarre en Angleterre.

14
Elle permet d’actionner des machines comme des métiers à tisser ou la
locomotive. Les premières industrialisations sont l’extraction du charbon, la
production du textile, la métallurgie, etc. L’industrialisation commence par le
travail domestique, et l’utilisation des machines volumineuses et l’augmentation
de la production ont conduit à la création des usines.

La construction de la première locomotive participe efficacement au processus


d’industrialisation. Car elle permet des dépassements de masse et le mouvement
des machines lourdes. C’est ainsi qu’on assiste au déplacement des habitants des
compagnes vers les villes. Ces ruraux viennent trouver en ville des emplois dans
les usines naissantes. L’urbanisation accompagne l’industrialisation.

Un autre facteur de la révolution industrielle est la croissance démographique en


Europe. Ce sont le recul de la mortalité du fait du progrès dans le domaine de la
médecine, l’hygiène et la bonne alimentation qui portent ce phénomène.

Cette révolution a eu un effet social notable. C’est la division de la société en


deux vastes camps : la bourgeoisie et le prolétariat. Le développement des
industries accroit le monde des ouvriers et le fossé s’approfondit davantage. Les
communistes tendent alors à renverser le pouvoir des bourgeois.

2.5. Le postmodernisme (1945 à nos jours)


Le postmodernisme est marqué par la fable de la liberté qui sacre l’athéisme
théorique ou verbal (l’on dit de ne plus croire en Dieu et l’homme devient son
propre créateur) et l’athéisme pratique (l’on prie mais on ne croit pas en Dieu),
le relativisme et le pessimisme.

V. Naissance et ancrage de la technologie


Le mot technologie est issu de la combinaison des notions grecques de
« technè » et de « logos », et signifie un discours sur la technique. La
technologie se définit alors comme l’étude des outils et des procédés de la
science et de la technique. Au sens purement technique, elle désigne l’étude des

15
outils, des procédés et des méthodes employés dans les diverses branches de
l’industrie. Elle fait donc l’état de l’art des pratiques scientifiques et techniques
aux diverses périodes de l’histoire en vue d’innover et d’en accroitre les
performances.

Cette définition, ou plutôt ces définitions, a (ont) évolué en convergeant vers


une signification moderne assez restreinte. La technologie renvoie à cet effet aux
nouvelles techniques de l’information et de la communication (TIC), entendus
l’internet, le Smartphone, le protocole Bluetooth, etc.

La notion semble avoir été utilisée pour la première fois par le physicien
allemand Johan Beckmann en 1772, quoique le consensus des étymologistes en
soit relatif. Et c’est un professeur de Harvard (Jacob Bigelow) qui systématise la
notion et son usage dans son texte intitulé Éléments of technology en 1829. De
ce baptême scientifique, le concept a pris de l’envergure et est entré dans le
langage courant au point d’incarner la modernité, le progrès de l’humanité, la
puissance de la communication, etc. Néanmoins, pour des raisons de prudence
intellectuelle, l’on se doit de faire observer que les pratiques de la technologie
auraient devancé le concept.

Dans sa forme actuelle, la technologie est l’onde de choc de nombre de


découvertes qui consacrent sa valeur et son ancrage. En effet, au cours de la
seconde moitié du 19e siècle, les travaux sur l’électromagnétisme permettent à
un phénomène déterminant pour la suite de l’histoire de l’humanité de voir le
jour : l’électricité. Après la première expérience de Thalès au 600 av. J. (il avait
remarqué qu’en frottant contre du tissu un morceau d’ambre ‘résine fossile
solide’ celui-ci attirait tout corps léger comme la paille), Thomas Alva Edison
invente la première ampoule électrique dès 1879 et inaugure les première
centrales électriques (sans oublier B.Franklin, Volta ‘première pile électrique’,
etc.), la centrale des chutes de Montmorency éclaire la terrasse Dufferin de la

16
ville de Québec en 1885, et, à la même époque, Paris commence à être
électrifiée.

L’électricité stimule les communications et conduit à la création de la


télégraphie électrique et plusieurs autres invention technologiques, comme le
téléphone (Alexander Graham Bell, 1876), les premiers robots industriels à
l’aube des années 60 (Al-Jarari, George Devol, 1954 ‘‘ robot industriel’’), le
premier vol commercial transatlantique reliant Paris et New York dès 1948, la
mécanisation de l’agriculture, le électroménagers déferlent dans les ménages, la
télévision pénètre dans les foyers dès les années 50, etc. Le premier satellite,
Spoutnik, est lancé en 1957 et la conquête de l’espace. Et l’invention du transtor
à la fin des années 40 ouvre la voie à la révolution informatique (Tim Berners-
Lee a inventé le World Wide Web en 1989 en vue de faciliter le partage
d’information, de courriers électroniques, etc.), et les premiers ordinateurs
personnels font irruption dans la vie des occidentaux à la fin des années 80.
C’est en 2000 que la télévision numérique voit le jour, la fibre optique
démocratise la même époque. Le réseau internet transforme et facilite les modes
de communication et le téléphone cellulaire fait son apparition dans les années
90 mais surtout dans les 2000.

VI. L’éthique du progrès techno-scientifique (une lecture philosophique du


progrès)
1. Les acquis du progrès scientifique et technologique
Le progrès techno-scientifique incarne le destin de l’humanité et constitue une
merveille incontournable du genre humain. La science et la technologie rendent
de grands services à l’homme. Elles portent le sens de la vie et agrémentent
l’existence. Ces construits de l’esprit mettent à la disposition de l’homme des
biens qui s’inscrivent dans la perspective de la réalité du quotidien et structurent
la conscience du temps actuels. Il est devenu impossible de vivre sans la science,
car elle fait désormais partie de nous et nous définit dans le sens de hisser la

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catégorie humaine à une dignité qui conjugue la prééminence du sujet. L’homme
s’est démarqué de la nature pour se mettre à la hauteur actuelle grâce à la
science et à la technologie. C’est dire que les produits de la science marquent le
pas de l’homme sur la nature et le distinguent davantage des autres êtres vivants.
Avec la science et la technologie, l’homme a déjà fait ses adieux à l’idée de la
nature humaine et s’est fait une seconde nature qui fait la fierté de la modernité.
La modernité comme conscience et réalité du progrès est donc l’effet de
l’évolution de la science à travers toutes ses figures.

La science a transformé l’ici-bas en un véritable paradis. La configuration des


cités offre une vue pittoresque qui éblouit les esprits et donne l’envie de vivre
longtemps. L’embellissement des villes, le confort des habitations, les
merveilles de la locomotion, la prestance des tenues d’apparat, le lustre des
génies, l’ornement des offices, etc. sont des réalités qui agrémentent l’existence
humaine. L’homme est plus que jamais heureux de vivre. La science a
transformé le cosmos et mis le sujet au cœur d’un optimisme qui fait rêver.

À travers les efforts de la médecine, la science défie l’absolutisme de la mort et


crée la perspective de l’élargissement de l’expérience de vie. Nombre d’homme
conjuguent leur longévité grâce au progrès technoscientifique dans le domaine
de la médecine. Sans ces prouesses, l’homme serait voué à la relativité de la vie
et soumis à la cruauté des destins. Le rêve de la science d’inventer l’éternité
pour les corps animé est bien en route et, à défaut de se réaliser, produit des
effets positifs. Bien des gens sont encore en vie aujourd’hui grâce à la science, et
ne serait-ce que pour cela, nous pouvons tous scander à plein poumon : merci la
science !

La science a beaucoup fait dans le monde du travail, et le travail commence à


perdre son agressivité sémantique et pratique. Le cadre du travail est devenu le
haut lieu de la quiétude, du fait de la climatisation des bureaux et du confort des
meubles. Cette évolution déborde les façades pour intégrer les activités, avec la

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robotisation du travail qui fait de l’homme un simple spectateur de son propre
travail. L’on note aussi la numérisation du travail qui engendre les phénomènes
combien merveilleux de télétravail et visio-conférence, qui font gagner le temps,
accroissent la performance et jouent la carte de l’efficacité.

La science fait entrer dans l’intimité de la nature afin d’en saisir les contours et
les mystères. Grace aux sciences naturelles, les lois de la nature sont mises au
grand jour. Les phénomènes nature sont maitrisés et soumis au contrôle de la
raison. C’est dans cet ordre d’idée que Descartes laisse à entendre que la science
doit nous rendre « maître et possesseur de la nature ». Tous les mystères de la
nature sont aujourd’hui maitrisés, contrôlés et mis à la disposition du jeu du
progrès. Cette connaissance de la nature a beaucoup évolué en passant de la
simple connaissance à la connaissance pratique. Car la science, en sa qualité
technique, transforme la nature en vue de répondre aux besoins existentiels. Les
composants de la nature sont métamorphosés et adaptés aux exigences de la vie
pour répondre à l’appel de la conscience de la modernité. Telle est la réponse de
la raison à l’invite marxienne de sa Onzième thèse sur Feuerbach, qui stipule
que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, il
importe de le transformer ». En suivant l’invitation de Marx, la science a
changé de figure et est devenu technique pour soumettre la nature aux besoins
quotidiens de l’homme. C’est pourquoi la science est entrée dans toutes les
scènes de la vie. Nous mangeons grâce à la science, nous nous déplaçons grâce à
la science, nous dormons mieux grâce à la science, nous nous habillons grâce à
la science, nous communiquons grâce à la science, etc.

La science porte alors le destin de l’humanité. Cependant, le progrès techno-


science n’est pas sans prix. La science, oui, mais à quel prix ? En donnant à
l’homme un nouveau statut existentiel, la science sape les fondamentaux de
l’humanité et offense l’éthique. Une lecture philosophique du progrès techno-

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scientifique parait nécessaire pour rappeler à la conscience du progrès les
rançons de la modernité.

2. la tragédie des sciences et de la technologie


La naissance et le progrès des sciences et de la technologie constituent une vraie
tragédie qui secoue les mœurs et structure les consciences selon une logique qui
offense l’éthique. Les sciences portent des empreintes du contexte spatio-
temporel irréversiblement corrompu dans lequel elles sont nées, et s’enlisent
dans la relativité des environnements sociologiques dans lesquels elles se
produisent. En effet, la naissance des sciences et leur progrès s’effectuent selon
le rythme de l’évolution pathétique de la société. Ce sont souvent des besoins
vitaux qui conduisent à des spéculations intellectuelles qui débouchent sur la
naissance et l’évolution des sciences.

C’est souvent le besoin de combler un vide et la volonté d’élever le destin


humain à un standing plus ou moins parfait qui conduisent à la mise en être des
artéfacts scientifiques. Cependant, cette intention de faire avancer la société
porte souvent les auteurs à sacrifier le souci éthique et à dégager des virus nocifs
qui, non seulement asphyxient la société, mais aussi colonisent les esprits. Les
sciences constituent de véritables facteurs de destruction des mythes fondateurs
de la société et du bien-être éthique de l’homme.

C’est alors qu’une bascule négative s’effectue dans le for intérieur de la


conscience collective. Ce tournant décisif, ou plutôt ce saut dans l’abime, est
consécutif à la naissance et au progrès des sciences. Et Rousseau d’écrire : « nos
âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés
à la perfection » (Rousseau 2013, p. 48). Les sciences sont la source de la ruine
de la conscience humaine et sapent au grand jour les vertus fondatrices de la
condition humaine. En fait, le progrès des sciences affecte les esprits et sape les
vertus intrinsèques de l’homme, en corrompant l’âme humaine à travers
l’offense des bonnes mœurs et la culture des contre-valeurs. Les sciences

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concourent ainsi à l’émergence et au développement des dispositions fâcheuses
dans l’esprit humain. Elles imposent à la conscience sociale des exigences
d’ordre esthétique qui la vacillent et occultent sa probité naturelle. Rousseau
passe en revue tous les miasmes qui se profilent à l’arrière-plan du progrès des
sciences

Le premier préjudice causé par le développement des activités scientifiques est


l’abus du temps : « la perte irréparable du temps est le premier préjudice
qu’elles causent nécessairement à la société » (Rousseau, 2013, p. 59). Le temps
est une disposition ontologique qui définit l’homme. Il l’accompagne et rythme
sa vie dans la perspective d’une intentionnalité catégorique. C’est ainsi que
l’homme songe à la perfection et à l’excellence. Cependant, l’essor des sciences
plonge l’esprit humain dans la réalité immédiate de la vie et éclipse la
conscience du temps à travers une métamorphose qui change la lecture de la vie
et occulte la conscience et le désir de la prospection qui portent le mythe
fondateur de la responsabilité humaine. Avec la consécration systématique des
délices charnels relatifs au progrès des sciences , on ne chercherait plus à vivre
ni à conserver sa vie, mais à la célébrer ; autrement dit, le couronnement des
sciences sublime la vie au rang d’une déesse à vénérer absolument, c’est-à-dire
qu’elle est plus vécue qu’envisagée, au point d’ignorer la loi du temps qui nous
rappelle notre responsabilité et fait la beauté de la vie. Ainsi, plus d’avenir ni de
progrès dans cet univers colonisé par le progrès des sciences, où le culte de la
vie bat son plein au détriment de la responsabilité humaine, face à l’impératif du
temps. C’est dire que, l’attraction des sciences immerge profondément l’esprit
dans un hédonisme chronophage.

Les délices des sciences et des arts détournent l’attention de l’homme de la


perception du temps en conjuguant le verbe de la vie exclusivement au présent ;
et cette immédiateté affaiblit l’éthique et la responsabilité humaine. À cet abus
du temps s’ajoute l’affirmation et l’intronisation du luxe : « d’autres maux pires

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encore suivirent les lettres et les arts. Tel est le luxe né comme eux de l’oisiveté
et de la vanité des hommes. Le luxe va rarement sans les sciences et les arts, et
jamais ils ne vont sans lui » (Rousseau, 2013, p. 59). Les sciences sont des
sources et des facteurs du luxe, et l’envie du luxe conduit à l’égarement de
l’esprit et à la profanation de la pudeur. Car, il apprend à résister à l’appel
intérieur de la conscience et à écouter la mélodie des passions qui résonne dans
le dispositif corporel aveuglant, pour ainsi dire, les esprits. L’homme intérieur
perd ses qualités, et le comportement humain change. Les valeurs morales sont
absolument effacées de la conscience, et un nouveau registre de vie s’empare de
l’esprit humain et détricote les fibres éthiques de la vie sociale.

Le luxe occasionne plusieurs désastres et véhicule plusieurs maux dans la


société. D’abord, le luxe corrompt le génie humain. Créé et favorisé par l’œuvre
des savants, le luxe produit un effet introspectif sur eux.

Tandis que les valeurs morales œuvrent pour la cohérence de la société, le luxe
creuse des fosses de distinction. Il se lève, en principe, et constitue l’emblème
du bonheur et de la domination de certains sur les autres, en mettant en doute le
principe d’universalité de la condition humaine. Le luxe constitue de facto le
langage par excellence de l’opulence et symbolise l’autorité financière. C’est,
alors que, toutes les sociétés sont divisées en différentes classes quelquefois
antagonistes, dont Marx a tant décrié la légitimité. C’est le luxe qui consacre de
façon tragique les différences dans les sociétés contemporaines. Car, pour
exprimer leur suprématie financière, les riches habitent dans des quartiers
différents, roulent dans des voitures luxueuses, construisent des maisons de luxe,
portent des habits de luxe, fréquentent dans les écoles de luxe, etc.

Le luxe handicape l’éduction. En effet, l’idée du luxe pénètre dans le secteur de


l’éduction et offre à l’enseignement un environnement fondamentalement
moderne et pittoresque. On parle, alors, de nouvelles technologies de
l’information qui semblent améliorer les conditions d’apprentissage, mais, au

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détriment des certaines exigences pédagogiques ; car, en y déployant un regard
plus profond, on s’aperçoit que, derrière cette innovation se profilent aussi des
agents pathogènes qui absorbent les facultés intellectuelles. À titre d’illustration
simple, la pédagogie de la technologie confère une place stratégique à la
machine, qui doit accomplir presque tout à la place de l’homme : elle calcule,
corrige les fautes, aide à écrire, etc. Et, dans ce contexte, l’apprenant serait un
inspecteur ignorant qui accompagne simplement sa machine. Ainsi, l’horizon de
l’esprit se rétrécirait et les facultés mathématiques déclineraient. Si l’on
demandait à nos enfants qui fréquentent aujourd’hui dans les écoles luxueuses,
où les machines écrivent et calculent en lieu et place de l’homme, de faire
quelques exercices intellectuels à la mode dans les systèmes classiques, on ne
sera pas étonné de les voir balbutier. Les soubresauts de l’esprit, qui inscrivent
l’homme actuel dans le cycle infernal du mal, résulteraient en partie du péché
relatif à l’évolution des sciences.

L’envie du luxe est loin d’éclore la chaîne des vices produits par l’évolution des
sciences, d’autres travers plus graves les accompagnent aussi. Le plus grand tort
que les sciences et les arts causent à la société est l’outrage aux bonnes mœurs.
Avec le progrès des sciences, le sujet trouve plaisir à fouler les bonnes manières.

En effet, la volonté du vivre-ensemble repose sur des valeurs morales, et chaque


société se définit par la qualité de son organisation, c’est-à-dire par sa façon de
promouvoir les valeurs fondamentales de la vie communautaire. Que dirons-
nous de l’Égypte, cette patrie qui « dut sans doute plus sa puissance extérieure à
son organisation avancée qu’à son agressivité » (J. Yoyotte 1980, p. 119). Ce
sont donc les mœurs qui construisent la splendeur de la société et confirment son
influence extérieure. Elles sont les bases de toute organisation politique et du
progrès éthique de l’humanité. Cependant, les sciences s’élèvent en toute
autorité et foulent aux pieds les honorables mœurs qui illuminent et transfigurent
les fondements de la société. Voici comment Rousseau le déplore : « Tandis que

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le gouvernement et les lois pourvoient à la sureté et au bien-être des hommes
assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et puissants
peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont
chargés, étouffent en eux le sentiment de liberté originelle pour laquelle ils
semblent être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu’on appelle
des peuples policés » (Rousseau 2013, p. 44). Le couronnement des sciences
auréole les esprits d’une gloire esthétique irrésistible et les détourne
irréversiblement de leur destin. Les sciences colonisent ainsi les âmes et les
inscrivent dans la logique de l’immoralité manifeste. L’homme se livre
entièrement aux exigences de l’esthétique en offensant les principes de la
morale. Les fondements de la société sont de facto basculés dans le cyclone du
creuset des sciences. Les sciences avilissent les mœurs.

La modernité est en définitive un bien aux effets relatifs. La responsabilité de


chacun est interpellée afin qu’une véritable politique de lutte contre les dérives
des sciences soit intériorisé, en vue de conserver les résidus de cultures, de
traditions, de mœurs et de civilisations qui subsistent à l’ouragan de la
modernité pour la modernité et rien que pour la modernité. Car, c’est le précieux
héritage qu’on doit léguer à la génération future. Il s’agit, par conséquent, du
postulat de l’éthique de la modernité qui est prônée par Hans Jonas, avec une
touche particulière sur la responsabilité humaine. Pour Hans Jonas, l’audace de
la modernité doit tenir impérativement compte du destin de l’humanité, car, « le
nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer
notre vie, mais non celle de l’humanité […] Nous n’avons pas le droit de choisir
le non-être des générations futures » (H. Jonas 1990, p. 40).

La science surexploite la nature et provoque la crise environnementale qui se


manifeste par des séismes mortels, des érosions sinistres, des changements
climatiques, des inondations répétitives, des canicules asphyxiantes, etc.

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L’on note aussi les égarements nucléaires de la science et de la technologie. La
science et la technologie mettent en perspective la possibilité de l’idée de
l’apocalypse pour chercher l’équilibre du monde et intimider les État à degré
scientifique et technologique faible. Plutôt que de chercher le bonheur de
l’humanité, la raison tourne contre l’homme pour élaborer des plans de son
extermination.

Par conséquent, l’idée et le déploiement d’une éthique du progrès paraissent


nécessaire, car la modernité, telle que portée par la science et la technologie, est
devenue une menace pour l’homme et pour la nature. Il faudrait alors une
tendance éthique qui rappelle à la conscience du progrès la prééminence de la loi
morale et la culture des valeurs, pour un devenir radieux de l’humanité.
L’avenir du monde réside dans le monde d’avenir, celui qui conjuguera la
science et la valeur, le besoin et le respect, la modernité et la tradition, etc.

Conclusion
L’histoire des sciences est marquée par nombre de révolutions qui jalonnent le
cours du destin de l’humanité. L’on note la naissance de la science au Vème
siècle, son hibernation au Moyen-âge, l’avènement de la science moderne, la
mutation de la science en technique et la consécration de la technologie. À
travers toutes ses figures, la science est un acquis pour le bonheur et pour le pire.
Et cela plaide pour la mise en route d’une véritable éthique de la science, de la
technique et de la technologie.

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