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DE L’ALTÉRITÉ DANS LE ROMAN AFRICAIN
John W. Maury
Nous nous proposons dans ce travail d’étudier l’altérité dans le roman africain en
S’il est vrai que le personnage de l’Autre dans le texte demeure une figure
construite par une instance narrative, force est de constater que cet Autre dans le contexte
africain s’est formé essentiellement à partir d’une situation bien définie, à savoir
dit, nous avons décidé de souligner la situation socio-historique qui l’a créé. Cette
approche à la fois globalisante et génétique veut comprendre les conditions qui ont
autre de l’Autre. Ce travail veut donc combler le manque d’études systématiques sur la
appuyant sur des romans africains, nous tenterons de dégager une synthèse du discours
nous démontrons comment l’altérité dans le roman africain est construite dans une
ii
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évidente dans les oeuvres de Mongo Beti, Camara Laye, Cheikh Hamidou Kane, Albert
iii
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REMERCIEMENTS
Je tiens à l’honneur d’avoir été dirigé dans l’élaboration de cette thèse par le
réflexions pertinentes pendant toute la durée de ce travail. Son expertise reconnue dans
le domaine de la littérature africaine et antillaise m’a efficacement guidé dans mon étude.
Je remercie aussi très chaleureusement les deux autres membres de mon comité:
le professeur Parth Bhatt et le professeur Janet Paterson pour leur confiance et pour les
précieux conseils qu’ils m’ont dispensés tout au long de la rédaction de cette thèse.
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TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION........................................................................................... 1
CHAPITRE 1 : Les champs d ’investigation de Valtérité 11
Quelques considérations générales 19
Considérations théoriques de l’altérité 21
CHAPITRE 2 : Évolution du roman et évaluation de la critique 59
Prétexte et texte africains: les premiers lieux de l’altérité
Le roman en Afrique: produit de l’Autre 61
L’école coloniale: lieu d’apprentissage de la langue française 70
Écrire en langue étrangère.................................................................. 75
Approche généralisante de l’Europe envers la culture africaine 79
Évaluation de la critique du roman en Afrique 84
Critique envers les premiers africains 90
Évaluation des oeuvres africaines en fonction des canons étrangers
CHAPITRE 3 : Les micro-considérations de l ’altérité 122
Le personnage de l’Autre et l’altérité
L’enfant 131
L’épouse blanche 158
L’archétype du missionnaire et du prêtre africain 184
CHAPITRE 4: Les macro-considérations de l ’altérité 214
Les institutions
L’école 219
L’Église et la mission 235
La ville 252
CHAPITRE 5: Quelques jalons du postcolonialisme 273
L’Occidentalisme 275
L’Entre-deux 279
La parole de l’Autre 286
CONCLUSION 312
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INTRODUCTION
C’est parler d’évidence que de dire que l’altérité, sous une forme ou une autre, a toujours
simplement en philosophie mais dans presque toutes les disciplines. Or, le contexte
migrations massives, a largement contribué à attiser le débat. L’Autre imaginé est devenu
plus proche. On le rencontre plus souvent. Qui est l’Autre? Comment dois-je me
Alors que la vision ethnocentrique du monde a toujours essentialisé l’Autre comme étant
principalement “non-européen et non-blanc”, notre objectif dans cette thèse est d’exposer
la vision autre de l’Autre. Ce travail veut donc combler le manque d’études systématiques
sur la question de l’altérité à partir d’une perspective autre qu’européenne. Ainsi, en nous
appuyant sur des romans africains, nous tenterons de dégager une synthèse du discours
des romanciers sur cette question. Comment le romancier africain voit-il l’Autre? La
Le Corpus:
Notre corpus comprend essentiellement des oeuvres de certains auteurs africains qui sont
Sembène sont de culture musulmane, Mongo Beti est catholique et Albert Memmi est de
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voulons voir si les différences culturelles des romanciers influent sur la vision et la mise
Les travaux d’Eric Landowski1 démontrent que l’altérité dans le texte littéraire est une
construction érigée par des moyens discursifs. Autrement dit, il serait erroné pour un
lecteur de considérer à priori, un personnage tel que l’étranger, le mendiant ou le fou - est
signes disséminés dans le texte pour pouvoir conclure qu’un personnage est marqué par
l’altérité, pour le désigner comme Autre. Or, nous avons voulu nous situer avant le stade
nous avons décidé de souligner la situation socio-historique qui l’a créé. Cette approche
à la fois globalisante et génétique veut comprendre les conditions qui ont influencé, voire
déterminé le discours romanesque en Afrique. Nous nous sommes donc situés au stade de
pré-construction. Il s’agit pour nous de mettre en relief les éléments clés qui ont défini le
genre littéraire qui a été importé en Afrique à la suite de la colonisation, que le roman
considéré lui-même comme Autre? Tout porte à croire que le contexte socio-historique
présentent de l’Autre. “Le contexte colonial” utilisé à maintes reprises dans notre thèse
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colonisation. Rien ne peut mieux illustrer ceci que certains romans de Sembène où le
Notre étude est divisée en cinq chapitres. Dans le premier chapitre, “Champs
d’investigation de l’altérité” nous insistons sur les rapports que l’Afrique a tenus avec
l’Europe et le rôle que ceux-ci ont joué dans la conceptualisation même de l’altérité et de
l’Autre. Il est raisonnable de postuler qu’il existe un lien important entre colonisation et
altérité. Cela posé, nous voyons que la présence du colonisateur dans l’univers africain a
neutralisé toutes les distinctions que les Africains établissaient entre eux. Le colonisateur
ne tenait pas compte des différences entre les clans, les tribus, les enfants et les vieux, les
colonisateurs et colonisés, Blancs et Noirs. Par les valeurs que le colonisateur incarnait, à
tout ce qui est africain, le colonisateur s’est déclaré Autre et voulait qu’il soit ainsi
considéré par les habitants. En réfléchissant aux méthodes les plus pertinentes pour
conclusion qu’il fallait choisir des auteurs, penseurs et théoriciens qui ont axé leurs
analyses sur la situation locale. En orientant notre travail dans cette perspective, nous
avons voulu démontrer que la notion de l’Autre telle qu’elle apparaît dans les textes
africains, est ancrée dans le système colonial. À cet égard, on observe qu’à travers les
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que trois auteurs, l’imaginaire collectif est nourri de schèmes coloniaux. Il résulte donc
nettement de leurs réflexions que quiconque entend étudier l’Autre dans le contexte
africain doit nécessairement tenir compte des structures mises en place par le système
colonial. Ces structures sont à la fois physiques - par exemple, les systèmes
administratifs - mais surtout mentales, telles que les croyances ou idéologies qui sont à la
Afin de cerner le concept de l’altérité dans les textes littéraires, nous avons exploité la
notion du “personnage de l’Autre” tel qu’il est utilisé par Eric Landowski. La
de l’Autre rend visible l’altérité. Selon le théoricien, la différence n’est pas synonyme
d’altérité. L ’altérité est perçue seulement quand la différence est actualisée. Cette
Les différences pertinentes, celles sur la base desquelles se cristallisent les véritables
que dans la mesure où les sujets les construisent et que sous la forme qu’ils leur
donnent.2
S’il est vrai qu’un texte romanesque peut construire différents genres d’altérité et qu’elles
ne sont pas fixées à priori, pourtant, à bien des égards, l’univers romanesque africain
2 Eric Landowski, Présences de l ’autre. Paris: Presses Universitaires de France, Paris, 1997, 25.
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Blancs/Noirs. Ainsi notre tâche est de tenter de réconcilier ces deux perspectives qui
du roman, nous soulignons comment le romancier lui-même peut être considéré comme
Autre. En effet, de par les rapports étroits qui le liaient au colonisateur, le romancier
critique littéraire était également Autre. Cette partie de notre étude essaie de reconstruire
“personnages autres” ont été ‘inventés’ par le colonisateur. En nous appuyant sur divers
textes, nous démontrons que l’acte d’écrire un roman dans une société qui jusqu’ici a été
de l’acculturation. Selon ce même point de vue, aux yeux des colonisateurs, le roman
pouvaient écrire comme des Français. Retraçant les moments forts de la critique littéraire
critiques littéraires et des universitaires africains dans leur but d’africaniser3 cette
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littéraire par l’élite africaine a permis au lecteur de découvrir le réseau pluriel de textes
précédants et les discours environnants dont le texte romanesque est issu. C’est ainsi
qu’on peut mesurer la contribution de la critique par des Africains dans la formulation
implicite d’un système axiologique déterminé pour juger l’oeuvre en question. Ceci a
d’une approche qui privilégie l’apport des réseaux interdisciplinaires qui sont implicites à
l’art africain.
Le chapitre trois est axé sur le personnage de l’Autre. De loin le plus long chapitre de
que prend l’altérité chez le personnage romanesque. Tout écart est facilement repérable
plus manifeste de l’aspect “Autre”. Bien que nous ne puissions pas traiter tous les
référence”, nous avons décidé d’en exploiter trois: l’enfant, l’épouse blanche et le
missionnaire.
s’opposant aux adultes qui constituent le groupe de référence, les enfants représentent
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un entre-deux, une double culture. Ils partagent souvent une vision qui se compose de
deux manières d’être, deux sensibilités - les valeurs occidentales et le monde traditionnel.
Constamment en mouvance, Camara dans L ’enfant noir4 est comme tiraillé entre les
“lieux africains”, plus particulièrement, la forge de son père et les lieux étrangers -
l’école et la ville.
Une autre figure de l’altérité qu’on retrouve souvent est celle de l’épouse blanche.
Généralement jeune et belle, elle est celle que le colonisateur ou l’Africain ramène au
pays. Dans le premier cas, elle est là pour accompagner son mari qui a une position
professionnelle, son rôle est de servir son mari. Qui plus est, son incapacité de
pour tout ce qui est local, la pousse à se réfugier mentalement dans une France mythique.
Dans le deuxième cas, à savoir, l’épouse que l’Africain ramène au pays, la jeune femme
blanche refuse tout compromis. On a l’impression que cette attitude est dictée par une
certaine ontologie culturelle. Incapable de s’adapter aux mœurs locales, l’épouse mène
une vie de tensions. Son but premier est de repartir en métropole auprès de ses parents et
amis.
Le missionnaire et les prêtres africains sont ceux qui incarnent l’altérité de la façon la
plus marquée. D ’emblée soulignons que le prêtre africain est missionnaire en Afrique. Sa
mission est la même que celle du prêtre blanc qui arrive en Afrique pour transformer la
communauté selon l’Évangile. En effet, sa vision du monde dans le présent ainsi que
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l’avenir dans l’au-delà s’opposent aux croyances traditionnelles et le rôle des ancêtres
l’individu et les institutions. Il faudrait voir derrière l’institution un appareil colonial qui
ne reconnaît pas les structures qui étaient déjà en place à l’arrivée des Européens. Les
nouvelles institutions mènent ainsi une action commune en vue d’imposer des modes de
étudierons aussi trois motifs institutionnels les plus communs dans le roman africain:
l’école, la mission ou l’Église et la ville africaine. Telle que soulignée dans la partie
consacrée à l’enfant, l’école représente une institution clé dans la vie et l’avenir de
millénaires au profit de la “modernité” Dans cette même optique, l’école pousse l’enfant
représente non seulement l’Occident chrétien mais une menace réelle pour la société
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passer d’une croyance considérée comme fausse à la vérité présumée”5 - démontre bien
l’écart qui existe entre l’Église et la communauté locale. Dans les analyses textuelles
détaillées, nous verrons comment par son comportement et son discours, l’Église prône
Dans la dernière partie de ce chapitre, nous traiterons la ville comme une institution
‘autre’. S’il est vrai que la ville africaine a préexisté à la colonisation, il faudrait quand
Symbole d’un réseau de forces coloniales qui contrôlent l’économie et la politique locale,
la ville est un espace étranger pour la plupart des personnages. Le départ de ces derniers
pour la ville est souvent un signe précurseur qui signifie l’éloignement de la communauté
et des valeurs africaines. Pour ceux qui y sont depuis longtemps, il n’est pas difficile de
constater le changement qui s’est opéré en eux. Poussés par l’individualisme, ils n ’ont
aucun égard pour leur communauté, surtout pour les nouveaux arrivants du village qui
la théorie littéraire. Ceci fait suite aux difficultés d’appliquer une théorie littéraire à
l’analyse de romans africains. Par la force même des choses, on constate d’une part que
l’émergence du roman en Afrique a été causée par la colonisation. D ’autre part, son
itinéraire est marqué par la lutte contre les forces coloniales et néo-coloniales. Il est donc
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grilles de lecture et d’interprétations textuelles qui ne reconnaissent pas ces facteurs dans
Ce n’est que de façon rétrospective que nous avons entrepris de considérer l’approche
post-coloniale. Comment écrire une telle thèse et passer sous silence les bouleversements
que provoquent cette nouvelle critique et ce, surtout en raison de son impact sur les
aborder le roman africain. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on pourrait l’appliquer
que le discours africain doit être considéré comme ‘autre’ et ‘subalterne’, le post
qu’elle se dégage dans le roman. Puisque le sujet du roman africain est essentiellement
1’altérité, il importe de trouver un outillage qui nous permet de le saisir. En faisant un bref
tour des diverses voix dans le post-colonialisme, notre optique est de considérer quelques
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CHAPITRE 1
problème: quelle est la définition de l’altérité que nous adopterons pour notre travail?
délimiter notre travail que celui de fournir une piste opératoire afin d’échapper à la
confusion qui entoure le terme. Ce n’est certes pas par coïncidence que l’altérité, l’Autre,
l’étranger et l’étrangeté sont devenus des sujets à la mode vers la fin du dernier millénaire
et au début du nouveau. Pour des raisons qui tiennent d’une part à la colonisation, à
Notre but est d’analyser les principales figures qu’assument le personnage de l’Autre
dans des romans africains de quelques écrivains qui, à première vue, ne partagent pas les
et Cheikh Hamidou Kane, auteurs musulmans sénégalais, d’Albert Memmi Juif tunisien
musulmane est-elle différente d’un “auteur catholique” tel que Ferdinand Oyono ou d’un
ancien séminariste tel que V.Y. Mudimbe? Notre sélection d’œuvres a été dictée en
fonction non seulement des motifs qu’elles contiennent mais aussi en raison de leur
‘place’ dans la littérature africaine. Par exemple, alors que L ’enfant noir et L'aventure
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ambiguë1 sont considérés comme des classiques de la littérature africaine, Entre les eaux2
L’hypothèse principale avancée est que la problématique de 1’altérité telle que perçue et
l’identification psychique s’est faite et se fait encore, la notion de l’altérité est une
que traverse l’Afrique. Si l’effacement des frontières culturelles et nationales est rendu
There is much rhetoric involved. Our search for purity, homogeneity and boundedness
primordial meanings.4
La quête de valeurs authentiques par le personnage principal dans un monde marqué par
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Si le terme “altérité” est apparu en français vers 12705, ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il
précisions, des mises en garde, des exemples, des notes explicatives ou des références au
quotidien. Vu qu’il est impossible de trouver une définition qui puisse être valable pour
toutes les cultures, le concept doit être constamment ré-articulé en fonction des assises
naturellement “Autre” dans une culture donnée ne l’est pas nécessairement dans une
autre.
De par la pluralité de significations que l’altérité embrasse, nous nous demandons s’il est
possible, voire souhaitable d’imposer une définition à un concept qui par la force des
choses est si dynamique. Or, loin d’être de simples variantes qui relèvent des frontières
par l’Être doit tenir compte de l’environnement d’où elle est issue. Par exemple, il est peu
pratique ou même illogique de justifier une étude de 1’altérité d’un groupe ethnique ou
culturel donné en utilisant des critères appartenant à un groupe différent. Aussi, notre
travail sur cette problématique dans le contexte africain veut-il non seulement faire écho
à la pensée africaine telle qu’elle est articulée par les philosophes, théoriciens, critiques et
5 Françoise Mies, De l ’autre, essai de typologie. Namur: Presses Universitaires de Namur, 1994, 6.
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Il est certain que Paltérité n’est ni une spécificité africaine ni une caractéristique propre
aux oeuvres romanesque de ce continent. A notre avis, tout roman se construit à priori, à
partir d’une structure de l’altérité. Il est peu probable de concevoir une oeuvre où cette
structure ne soit pas présente sous une forme quelconque. Un personnage du récit - pas
valeurs, au moyen de “personnages interposés” qui agit comme mécanisme central qui
fait naître, nourrit, domine et résolve l’intrigue. En d’autres termes, cette structure
autres personnages du cadre romanesque. S’il est assez aisé de déterminer quel
de l’œuvre.
Ce qui ressort de ces annotations c’est que le personnage de l’Autre serait celui qui en fin
Sur le premier plan, le ‘Soi’ et son ‘Autre’ devraient être conçus comme deux
6 Philippe Hamon, Le personnel du roman: le système des personnages dans les Rougon M acquart d 'E mile
Zola. Genève: Droz, 1983, 9.
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parfaites étant donné que tout individu est Sujet à part entière, à part égale avec
En nous inspirant de Landowski, nous postulons que F altérité dans le texte n’est pas un
discursifs. En d’autres termes, en prenant par exemple une oeuvre dans laquelle tous les
personnages, à l’exception d’un seul, appartiennent à une ethnie, cela ne signifie pas pour
l’Autre. L’essence ethnique n’est en aucun cas nécessairement une marque d’altérité.
pivote le discours romanesque. Le personnage “minoritaire” peut soit partager les mêmes
valeurs soit avoir plus en commun avec le groupe majoritaire qu’un des membres de la
laquelle le concept de l’altérité dans la pensée africaine et dans le roman africain, doit
L ’ère coloniale a instauré chez les Africains une nouvelle vision du soi et de l’Autre. Se
être la principale démarche des écrivains africains. C’est la raison pour laquelle leurs
oeuvres offrent un riche champ d’investigations aux chercheurs qui désirent appréhender
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leur vision générale de l’Autre. S’il est vrai que ces réflexions ne sont pas propres à
l’Afrique, néanmoins il faut admettre que la confrontation de cette dernière avec l’Autre,
a eu lieu dans des conditions singulières, comme l’attestent d’ailleurs les théoriciens dont
colonisation ont tous deux redéfini les protagonistes, à savoir les esclaves et les maîtres,
transformé profondément la conscience collective africaine. Ceci est évident dans les
thèmes de prédilection des romanciers africains dont les oeuvres abondent en réflexions
sur l’identité, l’altérité et à l’aliénation. L’oeuvre est souvent synonyme d’une quête
rapport aux choix qui leur sont présentés. A qui vont-ils accorder leur allégiance? Dans
Par contre, pour ces derniers, c’est leur moment de décision soit pour dénoncer le monde
rend présent - un monde qui co-existe à côté de l’univers dominant. Dans un premier
temps, il n’est qu’un intrus. Aussi, seulement deux rôles s’offrent-ils à lui: en tant
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dominant ou se faire expulser du groupe car il est une menace à l’ordre social.
L’intégration et l’expulsion demeurent les choix les plus évidents du personnage. Par
exemple, Marie dans Agar1, est incapable de laisser la vision et les valeurs occidentales
alors qu’elle vit en Tunisie. Dès son apparition dans le texte, elle refuse obstinément tout
compromis avec la tradition juive de son mari. Bien que le personnage de l’Autre
aux situations les plus diverses, son appartenance est sans ambiguïtés dans le roman; le
lecteur reconnaît son camp. La notion de représentation sous-tend une autre - celle de la
compréhension:
In order to represent something, one has to comprehend it first and then endeavour to
Or ce qui importe ici, ce n’est pas tout simplement ce que le personnage de l’Autre
représente dans l’univers romanesque mais aussi comment cette représentation est
accomplie; c’est-à-dire le genre de rapports qu’il entretient avec les autres personnages.
A bien des égards, l’univers romanesque semble divisé par une vision binaire de la
problématique des différences selon laquelle l’Autre défend avec assiduité et passion son
droit à la différence au milieu même d’un environnement qui lui est farouchement hostile.
Le lecteur a souvent l’impression qu’il n’assiste qu’à la dernière étape d’un drame
intérieur chez le personnage principal. Cette crise est vécue comme étant antérieure aux
premiers mots du roman. On est ainsi convié à penser que l’oeuvre propose en quelque
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sorte une réponse au désordre social et culturel. En guise d’illustration, la communauté se
rallie - explicitement et implicitement - autour du jeune Nalla dans les arènes tandis
qu’elle condamne Diattou, la mère, à quitter le village (Sow Fall, L'appel). A notre avis,
cette crise sociale est doublement étrangère: elle vient à la fois d’un ailleurs, et d’une
Sous le dynamisme des échanges culturels, il est tout à fait naturel que l’altérité “risque
de se perdre souvent dans un halo de significations" (Mies, De l ’autre, 7). Le terme, pour
le moment, jouit d’un réseau sémantique très large et parfois contradictoire. A la lumière
de ces conjonctures, il est donc impératif de trouver une perspective qui nous permette
non seulement de déblayer le terrain afin d’écarter certaines considérations mais surtout
d’en souligner d’autres qui s’avéreront cruciales pour nos analyses textuelles à venir.
Il n’est pas possible de parler d’altérité sans une comparaison quelconque avec un
8 Gerald C. Cupchik, “Compréhension and Représentation in Everyday and Aesthetic Life”, Recherches
Sémiotiques/Semiotic Inquiry, vol. 14, nos. 1-2, 1994, 111-124.
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découle-t-elle d’un positionnement d’un personnage, d’un observateur, d’un narrateur ...
etc., vis-à-vis de son sujet. Autrement dit, l’altérité n’existe pas en soi car ce qui se
manifeste d’abord, c’est l’identité - ces traits qui nous permettent de cerner
ontologiquement un individu. Or, dire que quelqu’un est “Autre” signifie qu’il extériorise
soit des comportements soit des discours qui révèlent un intérieur différent. Mais être
différent, c’est fonctionner “par rapport à”. “L ’Autre” est donc contraint à se mesurer
selon les traits d’un autre personnage ou des autres personnages. L ’opposition entre un
processus d’identification et une quête de 1’altérité est fondamentale. Dans le premier cas,
c’est:
ressemblances sont davantage mises en valeur que les différences” (Margolin, “La
d’attirer l’individu, en privilégiant chez lui certains traits que le “positionné” ne partage
pas. L’altérité est d’abord le constat d’une distanciation. Il reste de ce qu’on fera de cette
distanciation. Dire que quelqu’un est “Autre”, c’est reconnaître que cette distanciation
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est problématique. Soit l’Autre est repoussé ou exclu, soit il est fêté et adopté - en raison
de son écart. Si cet écart est perçu comme infranchissable, l’Autre est banni, déclaré
Étranger et étrangeté sont liés, avec une volonté d’exclusion, née souvent de fantasmes
marginalisation d’un personnage est traduite par un interdit formel ou subtil de fréquenter
certains espaces.
L’altérité instaure un nouveau dynamisme dans le texte romanesque. Elle est de prime
dans son acte de lecture. Ce dernier doit, par conséquent, accorder une attention
imposer son rythme et sa vision du monde aux autres personnages en les mettant en
“autre”, ce personnage est minitieusement examiné et suivi par le narrateur, les autres
est tantôt le déstablisateur de l’ordre social, tantôt le rassembleur des différentes factions
du groupe:
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Dans le contexte de notre travail, le choix de théoriciens est fondamental pour penser la
mentionner que quelques-uns, nous avons cru bon de nous inspirer surtout de critiques et
de théoriciens qui ont réfléchi sur la question de l’hégémonie occidentale. A cette fin,
d’Edward Said.
Quelle que soit la diversité des ressources théoriques sur lesquelles nous comptons, il est
Frantz Fanon. Effectivement, on peut affirmer que Fanon, considéré comme précurseur,
les rapports que l’Africain entretient avec l’Autre. Dans son analyse de la situation
économique, politique et culturelle de l’Afrique des années 50, Fanon accuse les
Européens d’avoir provoqué une crise dans les colonies et ex-colonies. S’il est vrai que
la contribution de Fanon est très distincte dans la mesure où ses études abondent en
57-78.
10 Milagros Ezquerro, avant-propos à Identité et altérité. Caen: Presses Universitaires de Caen, 1994, 7—9.
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observations personnelles des comportements entre Noirs et Blancs. Ceux-ci sont surtout
psychanalyse. L ’originalité de Fanon réside dans le fait qu’il dépeint les rapports
fanonienne de la situation du colonisé: ce dernier a été dans son être affecté par le
colonialisme à un niveau bien plus profond qu’on avait jusque là admis: “l ’analyse que
collectivités: elle est ressentie de prime abord comme une menace à la santé psychique de
l’individu. On peut donc dire - tout comme la décolonisation qu’elle - “[...] ne passe
jamais inaperçue, car elle porte sur l’être, elle modifie fondamentalement l’être.”12
Quoique tout changement puisse être positif, neutre ou négatif, celui du Noir est perçu
comme étant totalement néfaste, ce qui implique une invitation au rejet. Qui plus est,
frappé par une épidémie, ce qui nécessite donc une intervention rapide. Dans un premier
temps, les écrits de Fanon sont destinés à provoquer une prise de conscience mondiale,
surtout en France où ses textes ont été d’abord publiés. Dans un deuxième temps, pour
“les souffrants” - les victimes - l’auteur tente de provoquer une crise de conscience:
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dissoudre. Il s’agit de l’en préserver et, peu à peu, de le libérer de ce désir inconscient
[Fanon] place cette aliénation du Noir colonisé non seulement sur le terrain
économique, comme l’a fait Marx, mais encore sur le terrain psychologique...[elle]
n’est pas seulement déterminée par la société coloniale mais encore par
C’est ainsi que ceci nous conduit à une dimension du diagnostic fanonien: le
Autrement dit, pour l’auteur, l’entreprise coloniale en dépit des variations dans ses
Martinique, dans son essence et ses conséquences sur les populations indigènes demeure
fondamentalement la même:
Très concrètement, l’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières
premières des pays coloniaux: Amérique latine, Chine, Afrique (Fanon, Damnés, 59).
On voit au terme de cette remarque que la notion d’altérité chez Fanon, s’articule en
fonction de colonisé et colonisateur. Ce dernier est l’antagoniste du premier. S’il est vrai
13 Richard-Gérard Gambou, “Aliénation et désaliénation chez Fanon”, L'actualité de Frantz Fanon, Actes
du colloque de Brazzaville (12 -16 décembre 1984). Paris: Karthala, 1986, 107-112.
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décolonisation, cette dernière n’est pas la première visée. Peut-être qu’une telle approche
renouvelées: un problème une fois posé, une première réponse est apportée [...]
n’était pas un monde homogène. Or, le processus de la colonisation a fait peu de cas des
distinctions, si majeures soient elles, entre les groupes, tribus, clans, et autres catégories.
Par exemple, les différences entre les diverses communautés telles que la langue du
milieu étaient ignorées. Nous assistons aussi pour ainsi dire à la même perspective chez
Fanon qui radicalise l’altérité africaine. De par la position qu’il adopte, Fanon refuse de
diagnostiquer “chaque” présence coloniale. Par contre, il répond par une vision
surprenant de noter un effet de durcissement des positions des protagonistes. Ils sont
représentés comme des êtres incapables de sortir de leurs catégories raciales respectives:
Le Blanc est enfermé dans sa blancheur. Le Noir dans sa noirceur (Fanon, Peau Noire,
27).
colonisation ne permet pas de terrain d’entente, d’un juste milieu où ces deux catégories
puissent trouver un compromis. Cette impasse est motivée dans un premier temps par
une certaine conviction des colonisateurs que l’altérité du Noir est extrême:
14 Michel Giraud, “Théorie et pratique dans la pensée politique de Frantz Fanon”, L'actualité de Frantz
Fanon. 219—226.
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altérité, le forçant ainsi à se mouvoir dans une “zone de non-être, une région
S’il est vrai que l’oeuvre de Fanon est nourrie d’expériences personnelles et celles vécues
manque. Ainsi, la tradition orale africaine est perçue comme une “absence d’écriture”.
positionnement, tout signe d’altérité africaine est appréhendé comme une menace, et doit
Dans Les damnés de la terre, Fanon identifie dans des termes directs cet “Autre “ de
Aux colonies, l’étranger venu d’ailleurs s’est imposé à l’aide de ses canons et de ses
[...] l’espèce dirigeante est d’abord celle qui vient d’ailleurs, celle qui ne ressemble
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qu’il provient d’un ailleurs, un espace non-africain. Il est indéniable que l’espace n ’est
jamais une catégorie neutre dans la littérature: en fait, le personnage est souvent porteur
des valeurs de l’espace qu’il est censé représenter. C’est la raison pour laquelle le
personnage de Tailleurs est reçu avec une certaine méfiance, voire avec beaucoup de
crainte par les gens locaux. Sous cette angle, nous pouvons dire que la thématique de la
migration dans le texte littéraire sert de prétexte au narrateur pour exposer Taltérité.
En général, les personnages d’un texte littéraire peuvent être répartis en fonction de leurs
liens à un certain espace romanesque. D’emblée nous retrouvons des personnages qui
sont en parfaite harmonie avec le milieu de l’espace romanesque dans lequel ils évoluent.
Issus de ce lieu, leurs gestes et leurs pensées semblent défendre le statut quo car ils se
sentent menacés par tout changement si minime soit- il. A l’opposé de cette première
dans l’espace des premiers sont associés à un ailleurs auquel de nombreuses allusions
sont faites. Il s’agit souvent de personnages distincts dans la mesure où ils se font repérer
soit par leurs apparences, (traits physiques, mode vestimentaire, la langue parlée ) soit par
leurs traits psychologiques ou par leur manière d’être. Ils sont caractérisés par un certain
malaise, voire une gaucherie évidente. Dans la plupart des cas, à leurs premières
rarement dans l’oeuvre. Incapables d’interrompre le cours des événements, les étrangers
repartent chez eux. Chez Fanon, l’Autre, TÉtranger, le Blanc ou l’Européen sont
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synonymes et les termes sont utilisés de façon interchangeable. L ’étranger est tenu
Noir. Par conséquent, il doit repartir en Europe. Cette démarche n’est pas aussi simple
qu’il le paraît. En effet, cette situation n’est plus la même car la décolonisation est, pour
ainsi dire, un fait accompli pour les peuples africains. Or, si tel est le cas officiellement,
décolonisation. L’Europe continue de maintenir sa mainmise sur les ex-colonies sur tous
les plans. C’est ce constat qui a poussé Fanon à préconiser une lutte sur tous les fronts
action est tout à fait logique vu les intérêts qui découlent de sa présence en Afrique, les
autochtones doivent considérer toutes les mesures possibles - même la violence - pour
libérer l’Afrique.
Les damnés de la terre propose au lecteur une disposition spatiale issue de la rencontre
avec l’Autre. Si la forme évidente de l’espace envahi est celle de la séparation entre
indigènes et étrangers, il est, avant tout, question du contrôle spatial. Effectivement, c’est
le contrôle qu’ils détiennnent sur l’espace africain qui permet aux colonisateurs de le
diviser en zones noires et blanches. Un certain nombre d’indices nous laissent penser que
c’est l’entreprise coloniale qui fait naître et rend possible cette répartition géographique.
Qui plus est, la colonisation dans son inspiration et dans son accomplissement repose
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elles sont liées toutes deux à la présence des Autres. En somme, colonisation et
un “Autre”. Il faut dire que c’est l’altérité des peuples, d’abord par leur apparence
colonisation. Dans les autres cas, on a plutôt parlé d’occupation et d’invasion étrangère.
compte de sa dimension historique est celle d’un univers activement spatialisé et coupé
en zones distinctes. Ces observations nous permettent de dire que pour Fanon, les
diverses subtilités impliquées, perçues ou ressenties dans l’Altérité sont exposées par
cette division de l’espace africain entre colonisateurs et colonisés. Les frontières sont
cloisonnement physique n’est qu’un reflet des différences mentales et psychiques bien
plus importantes.
L’analyse par Fanon de l’altérité dans le contexte africain est aussi indissociable de la
psychologiques/psychiatriques de ses patients que chez le Blanc ou le Noir qui vit dans le
souligner que cette altérité est perçue, vécue comme totalement inégalitaire. Le
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[...] l’indigène est déclaré imperméable à l’éthique; absence de valeurs mais aussi
négation de valeurs. Il est, osons l’avouer l’ennemi des valeurs (Fanon, Damnés, 10).
Cette problématique est appréhendée par le biais des espaces physiques de l’univers
colonial. Les espaces publics du monde colonial traduisent les caractéristiques tangibles
cohabitation. Si celle-ci est possible dans de telles conditions, c’est que cette altérité est
sauvagement protégée par la mise en place de zones distinctes qui sont farouchement
gardées par les gendarmes. En fait, si le colonisateur a pu vivre en toute aise en Afrique,
c’est qu’il avait pu y établir des villes conformes à celles d’Europe. C’est dans ces villes
que chaque nouveau visiteur européen y était inséré à son arrivée en terre africaine. En
y est totalement absent. Par conséquent, le bazar ou le marché, lieux d’échange “où les
communautés s’y rencontrent et y rencontrent les étrangers venus du large” ne fait pas
partie du monde colonial. Il faudrait peut-être ajouter, que le marché ne signifie pas
négoce des marchandises et le négoce des identités.”15 Dans un certain sens, on peut dire
que l’étranger arrivant en Afrique n’éprouve aucun besoin de négocier son identité ou du
moins cette négociation a été très brève. L ’absence d’échanges commerciaux entre
Blancs et Noirs du monde colonial signifie entre autres la rigidité des rapports qui
unissent ces derniers car “entrer en négociation, c’est prendre un risque, risque de
15 Georges Matoré, L ’espace humain: l ’expression de l'espace dans la vie, la pensée et l'art
contemporains. Paris: Colombe, 1962, 52.
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désaccord, de rupture offensante.”16 Nul doute que toute négociation est d’abord fondée
sur la légitimité des partenaires. Or, vu que la colonisation est en elle-même illégitime sur
tous les plans, elle entrave sérieusement le processus de l’échange. L ’Européen qui a
nécessairement évoluer aux confins de sa communauté dans “sa” propriété protégée par
des fils de fer barbelés. Chez les dominés, nous assistons à une démarche contraire:
vouloir à tout prix transgresser les frontières physiques et psychologiques qui les
enferment. Dans un premier temps, le Noir envie le Blanc, son mode de vie et sa ville
“repue, paresseuse, son ventre plein de bonnes choses à l’état permanent” (Fanon,
Damnés, 2). Cependant ce mouvement vers l’intégration est aussitôt repoussé par les
colonisateurs, car pour eux, l’identité ne repose pas sur l’avoir ou le faire mais plutôt sur
Face à une telle position, en l’absence de toute négociation identitaire, les Noirs
réagissent en voulant “ coûte que coûte prouver au monde blanc, l’existence d’une
civilisation nègre” (Fanon, Peau Noire, 47). Il est incontestable que l’écriture du roman
africain peut être classée dans cet encadrement d’où cette obsession qu’on y trouve
L’effet de contexte est un fait indéniable de la littérature africaine. Un simple examen des
titres de romans nous met sur la piste de la préoccupation identitaire des écrivains. Une
telle posture s’inspire, à notre avis, de cet impératif du devoir de la définition de soi dans
16 Jean Métrai, “Réflexions sur le cosmopolitisme des villes de la Méditerranée orientale 1850-1950”,
Chypre, hier et aujourd’hui entre Orient et Occident, Actes de Colloque tenu à Nicosie 1994, Université de
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un univers hostile, particulièrement au niveau culturel vis-à-vis de tout ce qui n’est pas
européen. Ce thème est évident dans les ouvrages d’Albert Memmi. Afin de ne pas laisser
opprimé dans sa relation avec l'Autre. La problématique dans ses oeuvres théoriques et
romanesques demeure la même. Dès 1966, il révèle sa préoccupation: “un jour je finirais
par donner ce portrait général de l’opprimé.”17 Deux ans plus tard, il avoue que cette
Ces diverses études sont des gammes pour ce grand livre sur l’oppression que
Ce trait fondamental de l’œuvre de Memmi est aussi présent chez de nombreux auteurs
africains qui tentent d’articuler à leur manière le portrait général de l’Africain - cet Autre
simple que le romancier africain ne cesse de multiplier les situations dans lesquelles le
personnage de l’Autre est en conflit avec un certain ordre économique et social. Parmi les
divers systèmes présents dans l’univers romanesque, il est souvent question d’une prise
de position quelconque contre les valeurs africaines. Il semble donc que le narrateur est
résolu à bien indiquer au lecteur les enjeux. Ainsi le personnage est-il contraint à choisir
son bord. Par exemple, Marie dans Agar ne chancelle pas. Elle maintient sa position du
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début jusqu’à la fin du roman, celle de ne pas accepter le monde de son mari et de la
communauté de ce dernier.
Bien que Memmi ne soit pas noir, son écriture - ses essais ainsi que ses romans - révèle
judaïsme en terre maghrébine qu’il faut faire référence lorsqu’on désire situer et
tyranneaux” (Dugas, Albert Memmi, 11). Ce qui importe encore plus, c’est que les
communauté arabo-musulmane et les Juifs. Or, les rapports entre ces deux communautés
- environ 200,000 Juifs qui vivaient parmi les 12 millions de musulmans - étaient très
En définitive, on peut dire que Memmi considère que son statut de colonisé fait partie
personnalité n’avaient pas été affectés par cette donnée. Pas seulement ma pensée, mes
propres passions et ma conduite, mais aussi la conduite des autres à mon égard
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Inévitablement, une telle perception oriente les essais de Memmi. Cela nous amène à
nous interroger sur l’image qu’il peint du colonisé. Si le personnage de l’Autre dans le
texte romanesque est une construction, Memmi avance la thèse selon laquelle le colonisé
est au départ un être fabriqué par les circonstances socio-politiques qui découlent de la
colonisation:
Ce “ drame” de la colonisation recèle les deux composantes principales: d’abord dans son
sens premier, celui d’une pièce théâtrale, d’un jeu où les acteurs - colonisateurs et
colonisés - évoluent selon un script écrit par les colonisateurs. Dans un deuxième temps,
ce drame est teinté par une dimension tragique au niveau ontologique pour ces deux
“colonisateurs.” Dès lors, il apparaît que tous les critères, distinctions, différences ou
similarités entre les êtres sont anéantis au profit d’une seule catégorie. Autrement dit, la
colonisation pour Memmi est un processus “d’altérisation” car elle force les êtres à
statue de sel,20 “ l’Autre est le Colonisateur. Il peut aussi être le Blanc, le non-Juif, ou
19 Dugas, Guy. A lbert Memmi, écrivain de la déchirure. Sherbrooke: Editions Naaman, 1984, 11.
20 Albert Memmi, La statue de sel, Paris: Gallimard, 1966.
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générale dans les oeuvres africaines caractérise l’étranger comme “Autre”, ce n’est pas
vrai dans tous les cas. Ceci confirme la nécessité de bien préciser comment la
construction de l’Autre s’effectue dans l’oeuvre. Pour le jeune Mordekhaï, vivre veut
au milieu de gens qui puisent leur identité en fonction d’autres traits marquants. Dans
bien des cas, la question de l’identité devient cruciale, car elle est intimement liée au
partage du pouvoir. A ce titre, nous pourrions prendre comme exemples les diverses
crises que le monde connaît actuellement: que ce soit en Inde où “la montée en puissance
de la droite nationaliste hindoue, dont l’une des stratégies [consiste] de mettre en cause
l’indianité des musulmans et des chrétiens du pays”21; au Kosovo où les musulmans sont
victimes ou au Québec avec sa forte tendance indépendantiste - ces “conflits” sont tous
marqués, par le désir soit d’accéder au pouvoir soit d’empêcher à un groupe quelconque
d’y accéder. Dans le cas d ’Alexandre Mordekhaï Bennillouche, cette situation équivaut à
une double privation de pouvoir, tout comme Albert Memmi. D ’abord en tant que
colonisé, puis en tant que Juif vivant parmi une communauté majoritairement
musulmane:
dans un pays de colonisation, juif dans un univers antisémite, Africain dans un monde
Il va sans dire que dans les grandes lignes, Memmi et Fanon adoptent la même position à
l’égard de la colonisation: ils sont tous deux convaincus que seule la décolonisation, voire
21 Assayag J., et Tarabout Gilles, Altérité et identité, Islam et Christianisme en Inde. Paris: L ’école des
hautes études en sciences sociales, Collection Pumsartha, 1997, 9.
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manifestement implique une prise en charge des structures du pays colonisé par les
culturel. Cependant, pour ces deux prophètes de la décolonisation,22 il s’agit plutôt d’une
libération de l’être. Autrement dit, les chaînes de la colonisation forcent les colonisés -
découle de l’implication que la minorité colonisatrice détient le pouvoir. Etant donné que
ce pouvoir est non-négociable, le seul recours du colonisé est d’imiter les attitudes ou
comportements des détenteurs du pouvoir. A cet effet, on peut donc parler d’un manque
d’authenticité ou la présence d’un artifice chez le colonisé. Ce dernier veut à tout prix
Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les
De manière quelque peu similaire aux dynamiques rapportées par Fanon, Memmi pousse
son analyse plus loin en affirmant qu’il s’agit d’un comportement qui caractérise non
[...] l’opprimé n’a pas que du ressentiment, d’abord envers son oppresseur. Il
l’admire, et l’aimerait, en effet, d’une sorte d’amour, s’il le pouvait (Memmi, Dominé,
15).
dernier envers son être. Qui plus est, elle marque ce désir inconscient du Noir d’être
Autre, d’être semblable au non-semblable, au dominateur. On peut dire que pour Memmi,
subie par “tous les Opprimés [qui] se ressemblaient en quelque mesure” (Memmi,
22Jouve, Edmond, A lbert Memmi, prophète de la décolonisation. Paris: Sepeg International, 1993.
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Dominé, 54) car “ [...] n’importe quel homme dominé retrouve l’essentiel de sa condition
Il convient de rappeler brièvement que Césaire a lui aussi contribué à ce débat sur
l’avenir du colonisé dans une série de rapports dialectiques avec l’Autre. Si le Cahier
d ’un retour au pays natal expose la situation de l’homme noir dans des termes poétiques,
la critique du rôle qu’a joué l’Europe n’est pas pour autant moins sévère:
Cette accusation des puissances coloniales se poursuit d’ailleurs dans Discours sur le
colonialisme 24 Même si les divers aspects de la colonisation ont suscité une variété de
réflexions chez Césaire, Memmi et Fanon, il n’en reste pas moins, qu’ils rendent tous
largement compte d’un nombre important de dynamiques qui affectent le colonisé dans
l’image que ce dernier se donne. Ces portraits de colonisés sont tous marqués par une
scission de l’identité. En d’autres termes, le colonisé est un être diminué, rendu presque
Nous voici loin de Césaire [...] Mais combien, du même coup, sommes nous proches
de Fanon et de sa révolte, celle-ci ayant d’abord pour origine l’oppression dont souffre
23 Aimé Césaire, Cahier d ’un retour au pays natal. Paris: Présence Africaine, 1971, 24-25.
24 Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme. Paris: Présence Africaine, 1955.
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Cette rupture s’avère nécessaire car dans la confrontation du colonisé avec l’Autre, ce
temps, ceci est accompli au moyen d’un processus de négativisation à l’égard de tout
colonisé. Nous voyons là la cible des critiques: un comportement chez une personne
quelconque n’est jamais mis au compte de l’individu tout seul mais il est plutôt interprété
comme un trait marquant de toute la communauté des colonisés. Par conséquent, ces
traits sont alors utilisés par les colonisateurs pour caractériser les dominés. Il faut le dire:
c’est une question de pouvoir. Ce sont, en effet, les Autres - les colonisateurs européens
[,..]il est le mal absolu. Élément corrosif, détruisant tout ce qui l’approche, élément
Damnés, 3).
l’occupation. Etant donné que dans la perspective du dominateur, toute “qualité concédée
La rupture avec le colonisateur - telle est la prescription que Memmi propose au colonisé
afin de le guérir de son mal. Cette rupture est fondamentale si ce dernier veut retrouver
son identité véritable, et “ reconquérir son Soi”. Si le Soi peut être reconquis, ceci
implique qu’il peut être perdu ou égaré. Dès lors, il apparaît qu’un lien étroit existe entre
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plus profondes. En effet, il ne s’agit plus d’un vernis culturel où les autochtones adoptent
tout simplement des comportements identiques aux Européens, mais tout en le faisant, les
Africains sont en train de transformer leur Soi, de se transformer. Selon Howard Mel,
Le soi d’un être, c’est sa nature intrinsèque. C’est la totalité des caractéristiques
internes propres à lui, qui le définit comme unique et qui le distingue du monde
Or, quand Memmi parle de la nécessité de reconquérir le soi, il renvoie non pas à un soi
individuel mais surtout à un soi collectif qui serait partagé par toute la communauté des
colonisés. Il n’y a aucun doute que la rencontre coloniale a été négative pour le colonisé
telle désintégration se manifeste sur l’ensemble de la communauté car “une telle crise
d’identité peut avoir [...] sur le groupe en situation acculturative, des effets
auxquelles le Soi est souvent associé, nous avons intérêt à l’utiliser avec prudence. Selon
Robert Jaulin, le Soi signifie d’emblée, le “tout” qui est à la fois multiple:
25 Gounongbé Ari. La toile de Soi, culture colonisée et expressions d'identité. Paris: L ’Harmattan, 1995,
29.
26Howard C. Mel, “La périphérie biologique et le soi”, Soi et non-soi, , ed. Jean Bernard, Marcel Bessis and
Claude Debru. Paris: Seuil, 1990, 119-129.
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Il est évident que pour Memmi, protéger son soi contre l’invasion coloniale, c’est se
métaphysique pour que le dominé puisse retrouver son intégrité, son tout. Laisser une
partie de ce tout sous la domination de l’Autre, c’est risquer toute la personnalité même
de l’être:
Pour nous en tenir au point de vue pratique, il est clair que prétendre refouler son
origine, son histoire, sa culture pour intérioriser d’emblée le monde de l’autre, est le
moyen le plus sûr de s’exposer aux dissociations psychiques qui caractérisent les
Il est donc impératif que l’être retrouve son identité. Il s’agit pour l’individu d’assumer
les valeurs et d’exhiber les comportements qui ont toujours fait partie de la communauté.
Dans le cas de l’Afrique, les barrières entre les ethnies, les pays, les nations sont
démolies en faveur de l’unité de la communauté africaine. Ce qui est impliqué dans cette
représentation fictive du monde, c’est que certains traits caractériels peuvent être
début de l’œuvre romanesque, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit impossible de les
identifier. Ils sont plus facilement identifiables dans leur manifestation. C’est peut-être
pour cette raison que les situations quotidiennes se multiplient dans le roman africain.
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Puisqu’il est difficile d’inventorier une liste de traits attribuables à un groupe quelconque,
il est certes plus facile d’identifier un trait caractériel chez un personnage, de le démonter
afin de démontrer son mécanisme intérieur pour justifier, en fin de compte, son
appartenance au Soi ou à l’autre. Qui plus est, en raison des innombrables formes que
l’Autre est appelé à adopter ou à renier, il est plus simple de procéder au moyen d’une
confronté:
On n’a pas besoin de s’affirmer soi-même que face à l’autre et cette affirmation de
l’identité est d’abord une auto-défense, car la différence apparaît toujours, au premier
mieux se situer. La question est de savoir pourquoi et de quel droit le soi occupe la
différence est l’unique moyen de reconnaissance: identifier ce qu’on n’est pas, c’est
Tout être vivant se doit de défendre son intégrité. Dans ce but, il doit pouvoir
de valeurs différentes, le colonisé se met à défendre farouchement ces valeurs qui l’ont
28 Robert Jaulin, Gens du soi, gens de l ’autre. Paris: Union générale d’Editions, Paris, 1973, 20-21.
29 Jean Dausset, “La définition biologique du soi”, Soi et non-soi. 19-30.
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de mobilisation et de pouvoir politique. Si une identité existe, n’est-il pas légitime que
et, d’un même pas, exclut ceux qui ne partagent pas cette identité.30
En dépit des variantes et des nuances dans les termes du soi et de l’identité, il est utile de
les substituer l’un par l’autre dans le contexte de cette analyse. Aussi, l’appel de Memmi
pour que le colonisé oeuvre pour une reconquête de son soi est en fait un appel à ce
dernier d’affirmer son identité, en pensées, paroles et actions. Le roman africain devient
arènes, le jeune héros refuse d’accepter les valeurs occidentales personnifiées par sa
mère, Diattou.
Même si l’identité est une “notion complexe et difficile à définir [qui] désigne aussi bien
ce qui perdure que ce qui distingue, ce qui rassemble, que ce qui sépare”31, il est
principale quant à la définition de l’identité réside, à notre avis, dans les diverses
est cruciale dans la vision que l’on fait soit de l’identité soit de l’altérité. Une fois que les
n ’est pas inutile d’insister non plus qu’une démarche inverse mènerait aux mêmes
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catégorisation est soutenu par de divers discours politiques ou autres. Il importe donc,
pour les besoins de ce travail, de “déconstruire” l’identité ou le soi africain tel qu’il a été
globalisation. Peut-on dire dans de tels cas, que les peuples concernés n’existent plus?
Cela démontre que l’identité ne peut être construite que sur un ensemble de pratiques. A
cet effet, on peut citer l’exemple des Inuits qui abandonnent leur mode de vie
traditionnel. Cela ne veut pas dire pour autant, qu’ils n’existent plus.
Une des catégories la plus importante pour les besoins de notre étude est le deuxième
ensemble, l’auteur reconnaît le rôle fondamental que joue l’Autre dans la constitution de
l’identité : “l’identité sociale n’est pas seulement définie pour soi, mais aussi construite
pour et par l’autre.” A considérer les effets de l’Autre dans la construction identitaire, il
31 Freddy Raphaël, “Critique de la raison identitaire” dans Image de soi, image de l'autre. 191-197.
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serait logique d’admettre que “le soi ne peut pas se définir sans le non-soi.”32 On en
arrive à formuler une hypothèse selon laquelle plus puissante est la collectivité, plus
habile est-elle à définir son identité et celle de l’autre. Pour revenir au contexte colonial,
il faut insister sur les rapports de force entre colonisateurs et colonisés. Appuyés dans
leur entreprise coloniale au moyen de leur “ensemble institutionnel”, les Européens ont
vite “maîtrisé” les principales identités. Face à une telle démarche, les écrivains africains
ont utilisé leurs oeuvres - romans et textes théoriques - pour cerner et pour véhiculer
souvent à celui du personnage avec une charge idéologique, visant une prise de
conscience chez le lecteur. Entre autres, nous assistons à une tentative d’auto
identification, sinon à une réflexion sur les motivations ou les justifications d’une telle
discours qui vise à mettre en lumière, d’une part, les profonds changements qui ont pris
l’urgence d’une action bien déterminée en vue de les combattre. C’est dans ce contexte
Les réflexions de Mudimbé sont en quelque sorte similaires à celles d’Albert Memmi,
non seulement d’un point de vue thématique (le sujet de la colonisation et ses effets sur
l’ensemble des peuples africains reviennent dans leurs oeuvres comme un leitmotiv),
mais surtout par les moyens qu’ils utilisent pour provoquer, chez le lecteur, une prise de
tous deux, à la fois romanciers et théoriciens. Qui plus est, ils semblent promouvoir un
32 Jean-Didier Vincent. “L ’autre fait-il la singularité de l’un - Discussion”, Soi et non-soi. 31-34.
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dialogue dynamique entre les ouvrages de fiction et leurs réflexions théoriques sur la
Dans son étude sur Mudimbé, Bernard Mouralis situe l’auteur et son oeuvre comme étant
gourou ou un surdoué.33
Y. Mudimbé, 9), ce dernier ne laisse aucun doute concernant les prémisses de son
voire une manie - inconsciente, chez certains - de se situer par rapport à la colonisation,
Although in African history the colonial experience represents but a brief moment
from the perspective of today, this moment is still charged and controversial, since to
say the least, it signified a new historical form and the possibility of radically new
33 Bernard Mouralis, V Y. Mudimbé ou le Discours, l ’É cart et l ’É criture. Paris: Présence Africaine, 1988,
9.
34V. Y. Mudimbé, The invention ofAfrica -Gnosis, Philosophy, and the Order o f knowledge. Bloomington
and Indianapolis: Indiana University Press, 1988, 1.
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colonisation qui est à l’origine du problème. Autrement dit, les changements imposés par
les colonisateurs au niveau culturel, politique, économique n’auraient pas été perçus
comme étant si radicaux s’ils s’étaient échelonnés sur une plus longue période et donc
L’originalité des analyses de Mudimbe repose, à notre avis sur son point de départ. Si de
dans The invention o f Africa et The idea o f Africa conteste les fondements “mythiques”
du continent. En fait, selon l’auteur, la connaissance, les idées, et les perceptions que la
plupart des gens - y compris les Africains eux-mêmes - ressentent au sujet de l’Afrique
ont été alimentées par une diversité de pensées et de croyances qui sont la conséquence
logique de la colonisation:
Whatever theory one accepts, the application remains the same, leading to what I have
called the colonizing structure responsible for producing marginal societies, cultures
Because of its colonializing structure, a dichotomizing System has emerged, and with
versus modem; oral versus written and printed; agrarian and customary communities
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Il peut être éclairant à cet égard d’examiner la notion de “structure”, terme que l’on
retrouve souvent chez les écrivains africains dans leurs analyses de la colonisation:
Or, comme le constate Georges Gurvitch, il n’est pas aisé de trouver une définition
simple pour le terme “structure”, de par la pluralité des connotations qu’elle évoque dans
le contexte des sciences sociales. Parmi les nombreux concepts qui sont mentionnés par
distinction que l’auteur fait ressortir entre organisations et structures sociales: “ les
ensemble constitué seulement d’éléments [...] dont les relations soient observables.
“latents”. Ces derniers éléments, et les relations qui s’établissent entre eux et avec les
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En contextualisant ces propos, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle les structures
coloniales ne sont pas facilement identifiables car elles ne sont nullement désignées
comme telles dans les traités ou autres documents coloniaux. En prenant comme exemple
l’observation de Mudimbe - à savoir, que les structures coloniales donnent lieu à des
dernier insiste que si des disparités considérables sont perçues aujourd’hui entre Africains
sociales: “ [MJarginality désignâtes the intermediate space between the so-called African
tradition and the projected modernity of colonialism” (Mudimbe, The invention, 5). C’est
As approached and circumscribed here, this idea is a product of the West and was
Dans L ’autre face du royaume?9 l’auteur remet en question la validité des conclusions
fait, non pas en contestant les résultats par le biais des méthodologies utilisées, mais
38 V. Y. Mudimbé, préfacé to The idea o f Africa. Bloomington: Indiana University Press, Indiana, 1994.
39 V. Y. Mudimbé, L ’autre face du royaume. Dole: Presses Jurassiennes, 1973.
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Le problème essentiel posé par cette hypothèse moyenne est celui des limites
L’enjeu est de taille: il n’est guère exagéré d’affirmer que l’anthropologie a été largement
de l’échelle:
The subject of anthropology was, therefore, racist from the start and was not intended
to serve an African interest. Rather, it was intended to humiliate and insult Africans by
Dans l’image que les sociétés coloniales ont construit d’autres groupes humains, la
science a été sollicitée, ou au moins invoquée. Elle l’a été à la fois pour collecter des
questionnement qui n ’était pas initialement le sien et qui portait en lui des pièges.41
En poursuivant son étude sur les fondements structuraux de l’Afrique, Mudimbe analyse
40 Ifi Amadiume, ReinventingAfrica, Matriarchy, religion & culture, London: Zed Books Ltd., 1997, 2.
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respectivement dans l’art européen - dans les tableaux en particulier. Dans ces “textes”
qui doublent le discours des formes travaillées, l’Africain est tantôt représenté comme un
tout cas esclave dont la noirceur permet régulièrement à la blancheur d’éclater, vive et
belle dans le cadre” (Mudimbe, L'autre face, 28). Dans le même ordre d’idées, l’auteur
étudie le rôle qu’ont joué les voyageurs européens - ainsi que les objets d’arts qu’ils
rappeler que les voyages vers l’Afrique, vers le début du XVIIIe siècle, à la suite de la
traite, s’amplifiaient. Dans ces circonstances, les objets d’art africains ont gagné une
African art. They were viewed as primitive, childish and nonsensical (Mudimbe, The
invention, 10).
Dans cette évaluation des objets d’art, il y a lieu de souligner qu’ils n’ont pas la même
valeur en Afrique qu’en Occident. Alors que des qualités purement esthétiques sont
conférées aux objets d’art en Europe, en revanche, en Afrique ils ne s’agissent que
d’objets pratiques, ustensiles utilisés dans le quotidien, par exemple - les calebasses.
Nous y retrouvons aussi les masques qui ont des fonctions rituelles.42 Ces objets
rapportés en Europe, une fois soumis à un examen esthétique “étranger”, sont qualifiés de
“primitifs”:
41 Jean Benoist, “Races et racisme: à propos de quelques entrechats de la science et de l’idéologie”, L Autre
et Nous “Scènes et Types”. 21-26.
42Marceau Rivière, Les chefs-d''oeuvre africains des collections privées françaises. Paris: Editions PHILBI,
1975, 9.
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50
In the eighteenth century and in the nineteenth, not to speak of preceeding centuries,
this “art” or, more precisely, the objects meant by the term “art” were generally
the déviation existing between the aesthetic and creativity of the West and the rest
De même, les expositions coloniales tenues un peu plus tard, dans certaines villes
n’hésite pas à accuser l’Europe d’avoir utilisé des discours empruntés de diverses
disciplines pour dévaloriser les populations africaines et leurs cultures, l’auteur maintient
que les Africains ont tenté de refaire leur image et de recréer leur identité. Au regard des
faits historiques et sociaux, c’est un mouvement qui puise ses origines hors de l’Afrique:
[...] everyone would agree that the Indian criticism of colonialism, beginning in the
1920s, and the growing influence of Marxism from the 1930s onwards opened a new
era and made way for the possibility of new types of discourses [...] The most original
include the négritude movement, the fifth Pan-African Conférence and the création of
L ’appui de Jean-Paul Sartre par le biais de son essai célèbre, Orphée Noire44 au
capital. Très schématiquement, on peut dire que la négritude préconise un retour aux
43Voir la section intitulée “L ’Exhibition de rAutre”dans L'Autre et Nous “Scènes et Types”. 144-177.
44Jean-Paul Sartre, “Orphée Noire”, préface à L'Anthologie de Senghor, Paris: P.U.F., 1948.
45Léopold Sédar Senghor, Les fondements de l ’africanité ou négritude et arabité. Paris: Présence Africaine,
1967.
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51
Dubois comme leader, c’était un regroupement de Noirs luttant pour leurs droits
permettant aux nationalistes africains de langue anglaise d’entrer en contact avec certains
Ceci a été rendu possible grâce aux nombreuses résolutions qui y ont été votées, à savoir;
conscience chez les Africains au niveau collectif et national. Plus tard, certains dirigeants
politique, non seulement renouvelant ainsi la réflexion sur le devenir de l’Afrique mais en
offrant surtout une occasion en or aux Africains, de concrétiser leur vision dans la réalité
politique.
transformation par lequel les Européens à travers l’entreprise coloniale - bénéficiant des
ont créé dans leur imaginaire, une population qui serait l’envers de la population
occidentale. Tout trait physique, toute manifestation culturelle, serait perçu comme
négatif. Qui plus est, la représentation de l’Afrique et des Africains dans l’art européen a
46Philippe Decraene, Le panafricanisme. Paris: P.U. F . , coll. Que sais-je, 1959, 6—7.
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52
Cette représentation négative a été sans doute appesantie par les objets ramenés en
Europe à la suite de voyages. Face à une telle “attaque”, les Africains ont réagi à travers
combattue à son tour par la négritude exagérée. Sur la base de ce binôme, on arrive
Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de rappeler que ce combat contre cette Afrique
inventée, n’est pas l’exclusivité des auteurs noirs et des pays subsaharariens. En fait
Edward Said, a été parmi les premiers à évoquer cette notion d’invention pour décrire la
dernier et Mudimbe:
The Orient was almost a European invention, and had been since antiquity a place of
Dans Orientalism, The question o f Palestine48 et Covering Islam49, Edward Said pose
l’essentiel de sa thèse sur l’Orient, à savoir que “ Orientalism is a style of thought based
upon an ontological and epistemological distinction between “the Orient” and ( most of
the time ) “the Occident” (Said, Orientalism, 3). Par là, nous voyons que tout processus
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53
d’identification n’est pas motivé par la quête d’un pouvoir quelconque, si minime soit-il?
collectivités si les résultats de cette classification - les statistiques - ne seront pas utilisés
l’ennemi, il importe donc d’abord de le classifier. Qui plus est, en partant du principe de
par une liste exhaustive d’éléments identificateurs d’une catégorie quelconque est
impossible, voire inutile. A titre d’illustration, si un seul élément nous permet à coup sûr
d’identifier une certaine catégorie, nous n’aurions plus besoin de retenir d’autres
discours de Balfour sur l’Egypte, Said met en relief la dynamique qui existe entre la
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54
We know the civilization of Egypt better than we know the civilization of any other
country. We know it further back; we know it more intimately, we know more about
it.50
[...] knowledge of the subject races or Orientais is what makes their management
easy and profitable; knowledge gives power, more power requires more knowledge,
Orientalism, 36).
colonisateur au nom des colonisés, par l’Occident au nom de l’Orient, par l’Europe au
Still he [Balfour] does speak for them in the sense that what they might have to say,
were they to be asked and might they be able to answer, would somewhat uselessly
confirm what is évident: that they are a subject race, dominated by a race that knows
them and what is good for them better than what they could possibly know themselves
Et l’on voit déjà se dessiner ici la motivation des écrivains africains et “orientaux” pour
soutenir la guerre des indépendances menée sur le front de la connaissance et sur la scène
politique internationale. Bien que ces deux domaines soient intimement liés, la prise en
charge par les Africains de leur avenir politique devait être précédée par un certain
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55
“recherches scientifiques” sur l’Afrique et les Africains. Quels étaient les principaux
Point n’est besoin d’expliquer que la “connaissance” était la force motrice qui a donné
l’Africain est Autre. Pour Edward Said, l’Orient et l’orientalisme ont été sujets de la
pseudo-connaissance européenne:
In the system of knowledge about the Orient, the Orient is less a place than a topos, a
some bit of previous imagining, or an amalgam of ail these (Said, Orientalism, 177).
Mais, l’auteur pousse son analyse plus loin en dénonçant la motivation de la recherche
qui doit se conformer par “ [...] certain things, certain types of statement, certain types of
work have seemed for the Orientalist correct” donnant ainsi lieu à “ [...] a system of
représentations framed by a whole set of forces that brought the Orient into Western
202-203).
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uncivilized, and retarded, the Orientais were viewed in a framework constructed out of
discours de l’Autre et discours sur l’Autre. Chez les intellectuels, cette double prise de
demeurant, la motivation des écrivains pour répandre leurs connaissances sur la société et
oeuvres.
roman africain bien que pluriforme, émane et continue de faire partie du combat de
collectif. Alors que pour l’Afrique Noire cette lutte est livrée par le discours du roman et
par l’entremise des revues littéraires, on note une démarche parallèle dans le roman
51 Nous verrons dans le prochain chapitre en plus de détails comment la naissance de Présence Africaine a
apporté un nouveau discours critique sur la le roman africain.
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l’identité, à la fois parce qu’il est un colonisé ou ex-colonisé et parce qu’il est un
52
écrivain, c’est-à-dire un homme de doute et de tension.
C’est sans nul doute à l’intérieur d’un tel quadrillage, que s’inscrit la démarche de
l’écrivain arabo-musulman, concernant l’avenir de son peuple qui est comme écrasé entre
deux cultures:
Il semble d ’ailleurs que, dans les romans de ces dernières années, la dénonciation
sociale et politique, sans vraiment disparaître, ait cédé la place à une réflexion plus
tournée vers des problèmes liés à la personnalité de chacun (Madelain, L ’errance, 58).
réalité quotidienne ainsi qu’une insistance sur des pratiques et cérémonies religieuses
d’où une interprétation constante du Coran ou de la Torah. En fait, d’un point de vue
P Autre.
Bien que la notion de l’altérité ne soit pas facilement saisissable, il ressort que dans le
roman, elle est d’abord une lecture du monde par le narrateur ou l’écrivain. Ce monde
qui oeuvre intérieurement vers l’harmonie et la cohérence est fondé sur une vision binaire
et dualiste qui opère selon un système de classement des personnages. C’est cette vision
qui fait l’Autre. Dans le cas des écrivains africains, en dépit des différences culturelles,
sociales, ethniques et autres, cette vision semble être motivée par des facteurs socio-
et culturel en Afrique. Leurs textes offrent des réflexions afin de ralentir cet effritement
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58
sinon de l’arrêter. De nombreuses autres voix ont aussi contribué au débat. Si leurs
travaux n’ont pas connu l’envergure de ceux des théoriciens sus-mentionnés, leur
influence n ’est pas négligeable. Le discours romanesque et le discours critique ont tous
deux oeuvré pour présenter une vision plus cohérente du monde africain. C ’est dans cette
optique que nous voulons examiner quelques jalons du cheminenent du roman africain et
de la critique littéraire africaine. Cette démarche vise à cerner leurs rôles respectifs dans
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59
Chapitre 2
romanciers durant la période coloniale et des indépendances. Or, pour certains auteurs
cette situation ne s’est pas beaucoup transformée. Le concept d’une “écriture en pays
dominé” connaît une résonance de plus en plus large. Cette question fait l’objet de tout
une réflexion chez Patrick Chamoiseau. En quelque sorte, cette situation caractérise tout
Comment écrire alors que ton imaginaire s’abreuve, du matin jusqu’aux rêves, à
des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes? Comment écrire
quand ce que tu es végète en dehors des élans qui déterminent ta vie? Comment
écrire, dominé?1
sérieux risques car elle nous engage à nous positionner à un moment pré-textuel. Or,
naître” l’auteur. Si nous en faisons mention, c’est que certains romanciers n’hésitent pas à
en parler.
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demeurent des phénomènes complexes quand on examine les rapports qui existaient entre
les romanciers, les éditeurs et les colonisateurs. Ceci est à la base de la littérature
africaine qui est produite, lue et commentée. Dans ce même ordre d’idées on pourrait
suggestions et exigences. Quels sont les critères utilisés pour la publication et quel est le
étrangères? S’il n’est pas possible pour nous d’avoir des réponses précises, il faut
néanmoins en souligner les enjeux pour démontrer comment l’écrivain lui-même est en
Ce n’est certes pas seulement aujourd’hui que ces interrogations sont soulevées. Dès
1967, lors d’une discussion sur le rôle de l’écrivain dans une Afrique moderne, Olympe
Mais lorsqu’il [l’écrivain] attaque certaines réalités, l’écrivain doit entendre que
son texte ne vaut rien ou bien: “Monsieur, nous ne pouvons pas le publier.3
admettre que l’altérité n’est pas tout simplement un élément textuel parmi d’autres mais
qu’elle constitue la dynamique même de ce genre. Il serait vain de tenter d’élucider cette
notion sans tenir compte du parcours historique du roman en Afrique. Une recherche sur
2 Le romancier était “autre” dans la mesure où il écrivait dans une langue qui n ’était pas comprise par la
majorité de son peuple.
3 Olympe Bhêly-Quénum, “From the discussion”, The writer in modem africa. Uppsala: Almqvist &
Wilsels Boktrycheri Aktiebolag, 1968, 28.
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l’altérité et les modes de représentations de l’Autre dans le roman doit insister sur les
rapports - bien qu’ils apparaissent en filigrane - que l’Afrique a tenu avec les autres dans
Maints travaux ont insisté sur le fait que le roman était un genre inconnu dans l’Afrique
traditionnelle:
colonisation. S’il est vrai que l’écriture n’était pas totalement étrangère à l’Afrique, ce
West african novelists, by an ironie twist of history have to make their literary
Par rapport aux genres littéraires, le roman est récent faisant irruption sur la scène
littéraire africaine. Importé de l’Europe, il était non-existant dans les traditions africaines.
Bien que le genre romanesque africain ait bénéficié des souffles d’originalité qui sont
évidents chez certains auteurs, le modèle européen s’est imposé dès sa naissance. Dans
4 Amadou Koné, D es textes oraux au roman moderne: étude sur les avatars de la tradition orale dans le
roman ouest-africain. Frankfurt: Für Interkulturelle Kommunikation, 1993, 28.
5 Emmanuel N. Obiechina, “Language and the african novel”, Language and theme,Essays On African
literature. Washington DC: Howard University Press, 1990, 53.
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Rares sont les thèmes de la littérature africaine qui ne réflètent pas son orientation
européenne. L ’explication de cet état de choses est à chercher dans les conditions
Certes, les écrivains africains nourrissent leurs oeuvres de données qui sont propres à leur
espace géographique. S’il est vrai qu’un lecteur averti pourrait énumérer certains
(dans la plupart des cas) n’est pas très différente de celle d’un roman français. Mais outre
ces correspondances avec le modèle français, le roman africain est issu de son
Dès le début des indépendances des pays africains, les écrivains dans un élan visant à se
La colonisation est par essence mortelle à toute culture: elle nie l’initiative
spirituelle.7
On est tenté de dire que selon cette formule, il s’agit d’un aveu - déguisé, si l’on veut -
qui remet en question l’apport véritable du roman en tant que genre littéraire
mesure le roman parvient-il à véhiculer les valeurs africaines? S’il n’est pas possible dans
les limites de notre travail de répondre à cette question, il importe quand même de la
6Mohamadou Kane, “L ’écrivain africain et son public”, Présence Africaine, no. 58, 2e trimestre, 1966,
14-17.
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poser. Comment un genre qui est censé “détruire” une culture peut-il avoir comme
significatif encore pour nous, c’est que ceci ne s’applique pas qu’au roman mais aussi
Dans un premier temps, l’acte individuel qu’est la lecture d’un roman et le pacte
implicite qui existe entre le romancier et le lecteur sont issus de la société individualiste.8
économique des États africains par un autre mais une transformation radicale des
La période coloniale [...] est aussi forcément une période de mutation sociale au
cours de laquelle, plongées dans la situation coloniale, les petites unités sociales
transformations économiques.9
Au fur et à mesure que la société précoloniale qui était fondée sur la pratique de
des chefs nommés par l’administration coloniale provoquait un certain malaise chez les
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mondiale a entraîné par la suite un changement dans la mentalité des Africains vis-à-vis
des produits occidentaux. On assistait entre autres, à un déclin des travaux ruraux. C’est
dans ce contexte que le livre, l’objet de lecture et d’appréciation solitaire a été introduit
en Afrique:
bourgeoise.10
Chez les Mbochi, par exemple, l’art oral n’était pas séparé des travaux quotidiens.
[...] constitue un message transmis par un agent à l’intérieur d’un certain contexte
culturel et social par l’intermédiaire d’une langue et doit pour être reçu s’adresser
Il est important de retenir ici que la littérature traditionnelle nécessitait un auditoire pour
d’écrire un roman renvoie à celle de l’activité solitaire qu’est la lecture de l’oeuvre. Ceci
implique pour l’écrivain (et donc, son lecteur) de longues heures d’isolement voire d’exil
L ’interaction cruciale de la représentation orale est absente dans la lecture du roman. Qui
plus est, une fois l’oeuvre publiée, à l’exception des critiques et quelques rares précisions
9 Nicolas Métégué N ’nah, Domination coloniale au Gabon: la résistance d ’un peuple, 1839-1960, Tome 1.
Paris: L ’Harmattan, 1981, 8.
10 Albert Gérard, “Le double problème de l'écrivain africain”, Littératures Africaines et Enseignement:
actes du colloque de Bordeaux, 15-17 mars 1984. Bordeaux: Presses Universitaires de Bordeaux, 1985,
161-170.
11 G. Calame-Griaule, introduction à Essais d ’ethnolinguistique. Paris: Maspéro, 1977, 24.
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contrat écrit tel qu’il est perçu en Europe a dévalué les accords oraux qui ont prévalu en
de la communauté par le biais de son lignage et de son clan s’est vu imposer une nouvelle
échelle de valeurs où le travail, dans le but d’acquérir des profits personnels, se situait au
stade supérieur. La colonisation était une entreprise économique pour l’Europe en vue
également la quête de nouveaux marchés afin d’écouler des produits européens qui ne
pouvaient être vendus sur les marchés locaux. L’obsession des Africains envers la
prolifération de produits fabriqués en Europe qui se trouvaient sur le marché local est
caricaturisée chez Dansou, “le fils du fétiche” qui cultive un goût particulier pour tout ce
qui ne vient pas du pays, “tricots, bérets, pagnes, lunettes, parfums.” 13 Cette nouvelle
demande a provoqué l’exode des milieux ruraux pour la nouvelle ville africaine.
pas qu’au contexte africain. En effet, selon Jack Goody, c’est le cas un peu partout dans
le monde:
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with civilization, with the culture of cities, with complex social formations.14
davantage car il s’agissait d’une écriture qui provenait non pas de milieux indigènes mais
“égoïste” car ce dernier savait que son oeuvre ne pouvait être comprise par la population
locale. La vision du monde engendrée par l’écriture est opposée à celle de la parole.
14 Jack Goody, The Interface between the writer and the oral. Cambridge: Cambridge University Press,
1987, 9.
15 Kabongo Ilunga, “La dynamique de l ’État post-colonial africain dans la dépendance”, La dépendance de
l Afrique et les moyens d ’y remédier, Actes de la 4e session du congrès international des études africaines,
Kinshasa, 12-16 décembre 1978. Paris: A.C.C. T. - Berger-Levrault, 1980, 254-262.
16 Grâce à son ouvrage, le romancier pouvait communiquer avec le monde européen. D ’ailleurs, le fait
d’écrire en français le mettait au rang des Européens.
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des détenteurs du pouvoir. Étant donné que “[...]toute société de tradition orale a ses
règles juridiques, ses légendes et ses mythes”17, les dignitaires de la communauté, chefs,
vieux, se voyaient confier la tâche de préserver ces traditions et la mémoire collective. Ils
sont également responsables de faire régner la justice. Or, dans une société de l’écrit,
cette hiérarchie sociale est remise en question. La préservation des faits devient la
pérogative non des vieux mais de ceux qui savent lire les langues européennes, capables
des tribus et les clans viennent se fondre en des ensembles plus larges et
Une fois cette première étape franchie, ce nouveau système de communication s’étend
aux autres domaines et bouscule les mécanismes traditionnels. Cette interférence n ’est
que le début d’une transformation fondamentale car elle provoque “une rupture, une
(Martin, Histoire, 84). On ne saurait trop insister sur le rôle “destructeur” de l’écrit car il
prochain échelon. L’écrit et l’oral font partie de deux systèmes qui se repoussent. Dans
le contexte africain, l’écrit était “hostile” aux valeurs traditionnelles. Comme “toute
écriture est liée à la forme de pensée de la civilisation qui l’a secrétée et à laquelle son
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sort est lié” (Martin, Histoire, 84), on se demande si l’imposition de l’écrit n ’était pas le
18
coup de grâce assené à la culture africaine traditionnelle.
romanesque permet de dégager une autre remarque. Par son orientation occidentale,
aux thèmes traités. La variété thématique caractérisant les récits traditionnels qui se sont
inspirés de la mémoire collective - pour être plus précis, des mémoires collectives, vu le
nombre d’ethnies en Afrique - était ‘annulée’. Il s’ensuit que le roman était devenu
l’arme privilégiée, voire l’arme de l’élite africaine pour combattre la colonisation. Les
différences ethniques sur lesquelles se fondaient certains récits oraux n’avaient plus leur
raison d’être dans cette nouvelle littérature. L’écrit, en introduisant ce nouvel “Autre”
était devenu une nouvelle grille de lecture et d’interprétation du monde où l’Autre n’était
que le colonisateur européen. L’élite africaine, formée par les Européens, seule détentrice
du pouvoir de l’écrit, qui luttait contre la domination coloniale a dicté une nouvelle vision
africaine du monde: celle d’un monde où tout était, pour ainsi dire, filtré en noir et blanc,
Noirs et Blancs. Tout problème, si minime soit-il était ramené au dénominateur commun
- la domination coloniale par une race d’hommes qui se distinguent d’abord par la
blancheur de la peau.
Il faut dire que le personnage de TAutre résulte du principe qu’il évolue aux confins d ’un
18 Nous tenons à souligner que nous parlons ici essentiellement de l ’écrit en français. Cependant il faut
aussi tenir compte de l ’écriture arabe et celle des langues africaines - telles que le wolof et le housa - en
caractères arabes.
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univers clos. Toute intrusion dans cet univers par un élément étranger quelconque a le
potentiel de faire basculer son équilibre précaire et la désignation des rôles respectifs des
toutes les distinctions internes entre les diversités ethniques. Par les valeurs qu’il incarne
ce qui est africain - le colonisateur s’est déclaré Autre et voulait qu’il soit ainsi perçu.
est Autre. Cependant l’inverse est également vrai. Remarquons que cette perspective ne
s’applique pas qu’au discours romanesque. En effet, c’était le reflet d’une vision
intériorisée, de l’image que tout Africain ayant connu la colonisation avait de lui-même.
Ses valeurs traditionnelles: ses croyances, ses langues, l’usage coutumier de l’oral, ses
habits, pour n’en mentionner que quelques éléments, étaient considérés comme
rencontre avec l’Autre par l’intermédiaire de la colonisation est véritablement une ère
charnière. La proximité de ces deux univers, ces deux mondes distincts à l’intérieur d’un
même continent, voire du même pays représente le premier affrontement. Face à un cet
cause est la conséquence: on est riche parce qu’on est blanc, on est blanc parce
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qu’on est riche [...] l’espèce dirigeante est d’abord celle qui vient d’ailleurs, celle
qui ne ressemble pas aux autochtones, ‘les autres’ (Fanon, Damnés, 9).
Étant donné que la colonisation n’était à aucun moment conçue comme une entreprise
temporaire mais une conquête permanente, l’exigence d’une “entente” avec les
voulaient instaurer avec les Africains s’est manifesté à travers l’école coloniale, le centre
d’apprentissage de l’écrit:
La vérité est qu’ils ne voient plus les choses anciennes. Le Blanc leur apprend les
Autre fait frappant, l’école française enseignait aux futurs romanciers la langue et la
culture françaises.
20
L’école coloniale: lieu d’apprentissage de la langue française.
qu’il était avant tout d’apprendre à l’enfant africain sa place et son rôle au sein de la
communauté. A travers les histoires qui lui sont racontées, l’enfant devenait conscient
non seulement de son passé à travers les épisodes de lignage mais surtout de son avenir.
La notion d’appartenance à une famille, à une communauté, est d’une importance clé
dans la tradition africaine, ainsi que son sens du soi en tant qu’entité distincte de l’Autre.
Nous voyons donc que la colonisation avait à la fois un effet déstabilisant et créateur. En
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exode massif de la population vers les villes et une redéfinition du rôle de l’individu au
place au sein de ce nouvel “ordre” social. Dans leur souhait d’imposer le système
occidental, les colonisateurs ne sont pas arrivés à leur fin qu’à travers des tractations
pacifiques. Les invasions militaires par l’Europe étaient la norme. Dans L ’aventure
Cette victoire de l’Europe sur l’Afrique est souvent représentée par le modèle occidental
de l’apprentissage: l’école.
En prenant en main le développement intellectuel de l’enfant africain dès son jeune âge,
continent en deux univers distincts, diamétralement opposés (Fanon, Les damnés, 10). Le
monde blanc représentait entre autres, la richesse par les signes extérieurs tels que les
themselves and only 20 percent with the underdeveloped contries, the countries of
20 Dans le chapitre 4, nous verrons dans plus de détails comment l ’école française représente une
‘institution de l’Autre’.
21 UNO, M éthodes et problèmes, p. 157-160 quoted by Samir Amin dans Accumulation on a world scale: a
critique otth e theory o f underdevelopment, Monthly Review Press, London, 1974, 67.
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économique. Ce dernier est devenu l’idole, l’apogée de l’ascension sociale. Or, s’il n’était
l’Africain le devenait du moins dans ses manières d’être. L ’instruction formelle, celle de
l’école coloniale devenait le moyen par lequel on accédait au stade supérieur du Blanc.
S’il est vrai que l’établissement de l’école en tant qu’institution en Afrique avait pour but
gouvernement français aux administrateurs, les objectifs de l’école sont très clairs.
L’éducation des masses africaines n’était pas une entreprise philanthropique mais le
L’instruction des populations qui nous sont soumises est la condition nécessaire
l’influence des marabouts sur “la nombreuse clientèle enfantine.” C’est ainsi que
confiée aux administrateurs, aux commis qui ne connaissaient absolument rien en matière
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d’éducation, les objectifs étaient les mêmes. Ceci est évident dans les discours des
Ces idées claires ont déjà été énoncées vers la fin du XIXe siècle. A titre d’exemple, le
gouverneur Faidherbe réitérait les grands principes de l’école. Afin de propager la langue
française, elle doit viser d’abord les fils des chefs afin de les transformer:
Donner aux fils des chefs des pays conquis une instruction plus soignée
L ’enseignement, 11).
Nommées “École des Otages” (Lemé, L'enseignement, 5), ces institutions ne recevaient
que des fils de chefs et de notables car ce sont eux qui allaient servir d’intermédiaires
entre les colonisateurs et les populations afin de pouvoir transformer d’autres indigènes à
leur tour. L ’initiation des fils des chefs à la culture française avait un effet déstabilisateur
car les initiés devraient se montrer aussi savants que les marabouts. Papa Ibrahima Seck
dénonce le rôle destructeur et son ampleur massive sur la culture africaine. Si au début du
siècle l’instruction coloniale ne visait qu’une élite, peu après elle recrutait tous les
enfants:
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un changement profond. Dans le cas du marabout, - “l’intermédiaire nécessaire entre le
fidèle et Dieu”24 - il guidait les fidèles dans leur pélérinage quotidien sur terre en
direction du ciel. En remettant en question l’autorité des marabouts, les jeunes scolarisés
marabouts, 185). Non seulement le rôle des marabouts diminuait mais également celui
des langues traditionnelles d’instruction. Dans les divers traités concernant la politique
éducative dans les colonies, nous avons relevé l’insistence à propos de cette question:
When schools were established for Africans, instruction at ail levels in the French
colonies and at ail but the most elementary levels in the English colonies were
Nous nous en servons pour éveiller l’attention des indigènes, pour les exercer à
l’observation analytique des faits, pour les amener peu à peu à nos habitudes de
Thiongo démontre à quel point, l’usage des langues européennes était néfaste pour
24 Jean Copans, Les marabouts de l'arachide, la confrérie mouride et les paysans du Sénégal. Paris: Le
Sycomore, 1980, 174.
25 Bemth Lindfors, African Textualities: texts, pre-texts and contexts o f african literature. Trenton, NJ.:
World African Press, 1997, 123.
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75
l’enfant africain. Dénonçant entre autres, Senghor, Achebe, Okara - ceux qui justifient
culture, de sa langue et des siens durant ses années scolaires. Tandis que le village
primaire durant l’ère coloniale était synonyme de dissonnance surtout de par l’usage
d’une langue anglaise qui était totalement étrangère du milieu où provenaient les élèves
africains:
And then I went to school, a colonial school, and this harmony was broken. The
26
language o f my éducation was no longer the language of my culture.
aux alentours de l’école était fortement découragé, voire puni. Les langues européennes
devenaient le moyen par lequel s’établissait la rupture entre l’enfant africain et sa culture.
littérature importée en milieu scolaire constituaient un univers “autre” pour les futurs
romanciers. Mais sans doute faudrait-il situer le phénomène romanesque dans un contexte
plus vaste pour démontrer comment les oeuvres africaines ont subi la formation
La science moderne croit par son rouleau compresseur avoir anéanti ces étages
qui ont tissé les fibres de notre moi par le travail des contes, des mythes et
légendes, des proverbes, des chants, des fables, des énigmes, des farces facéties.27
26Ngugi Wa Thiongo, Decolonising the mind: The politics o f language in african literature. London:
James Currey, 1986, 11.
27 Mbwil a Mpang Ngal, L ’errance. Yaoundé: Editions Clé, 1979, 11-12.
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Ce qui est plus suprenant, c’est que les romanciers continuent à leur tour, de puiser leurs
Dans quelle mesure l’écrivain qui utilise une langue étrangère fait-il partie de sa
représente l’aliénation d’un auteur à cheval entre deux mondes avec deux systèmes de
sa culture dans une langue autre que sa langue maternelle est souvent représentée par le
motif du voyage.
D ’une manière générale, le romancier est celui qui doit quitter l’Afrique par l’entremise
Angleterre ou ailleurs. Mazisi Kunene dénonce cette double identité, voire cette perte
Je pense que presque tous ces écrivains qui paradent sur la scène mondiale
comme des génies ne sont que des abérrations produites par l’époque coloniale.28
Jacques Chevrier remarque que les premiers romans africains n’étaient pas issus de la
28 Mazisi Kunene, “Interview du poète zoulou Mazisi Kunene,” interview de Michèle Noël, Afrique
littéraire et artistique, numéro 26, 1989, p. 23-28.
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constater que ces récits démontrent dans un certain sens une intériorisation de l’idéologie
une transformation de la société africaine selon le modèle européen. Par exemple, une des
Nous pouvons inclure également dans cette catégorie les oeuvres de René Maran, de
Bakary Diallo et de Paul Hazoumé. L ’écriture des premiers écrivains était comme un
“acte de sociabilité car l’écrivain entendait d’être reconnu et bénéficier d’un statut
[...] la preuve que dans les colonies la littérature relevait du projet colonialiste
L ’idéologie, 65).
L’écriture permettait aux écrivains d’accéder au statut privilégié de l’Autre, faisant ainsi
partie de l’élite, d’une élite européenne. Pour l’essentiel, grâce à l’écriture l’élite africaine
des textes qui ont été et sont encore en usage sur le continent africain.
C’est souligner finalement que seule une telle radicalisation des différences raciales
29 Ahmadou Mapaté Diagne, Les trois volontés de Malic. Paris: Larose, 1920.
30 Guy Ossito Midiohouan, L ’idéologie dans la littérature négro-africaine d ’expression française. Paris:
L ’Harmattan, 1986, 65.
31 René Maran, Batouala. Paris: Albin Michel, 1921.
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C’est souligner finalement que seule une telle radicalisation des différences raciales
l’Africain ait quelque rapprochement avec l’Européen aurait nui à l’action coloniale dans
les territoires occupés. L ’image stéréotypée d’une Afrique inculte et sauvage servait de
contraire mené par les écrivains et les artistes visant à introduire un nouveau discours.
L ’analyse de la réplique de l’élite africaine par le biais d’une littérature engagée nous
permet de faire une première constatation: c’est sur cette base notamment que cette
écriture a été dictée et conçue. Le romancier était contraint à adopter une position précise
accès aux décisions administratives de son pays, la seule alternative de l’élite locale était
noir. L’évolution de l’écriture africaine a été déterminée principalement par des facteurs
Si l’on compare tous les mécanismes à l’oeuvre dans la production littéraire africaine, on
est en droit d’accorder une réflexion critique sur l’autonomie de cette écriture. Il se
Dire par exemple que l’école nous a plus enseigné sur les pays occidentaux que
sur nos propres pays, qu’elle a fait de nous des étrangers [...] elle a ravalé nos
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langues, nos cultures, notre histoire, donc nous aliénés à la maîtrise de notre
• • 33
milieu physique, social, interculturel et historique.
cette démarche de l’élite africaine qui consiste à se faire entendre à l’étranger par le biais
confirmer le processus d’essentialisation réductrice dont ont été l’objet les Africains.
européen naturel. Afin d ’opposer cette attaque, très tôt les écrivains africains ont
répliqué en opposant un autre mythe: celui d ’une Afrique où l’Autre était celui qui venait
de Tailleurs.
Dans un premier temps il s’agissait de peindre une Afrique qui était à l’antipode
Se revendiquer Noir, c’était avant tout tourner le dos aux valeurs de l’Occident,
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décrire et pour revaloriser les tranches de la vie africaine. Etant donné que le roman
africain visait avant tout le lecteur européen, la description du milieu occupe une place
privilégiée. Dans l’ensemble, les détails sur la vie quotidienne africaine visent à pallier
dans L ’enfant noir permet au lecteur européen de se sentir dans un milieu familier.
africaine. Il est inutile d’insister que le livre est peu lu en Afrique, en dépit de
écrivain.35
La question “ pour qui écrit l’écrivain africain?” revient comme un leitmotiv dans tout
travail sérieux sur la littérature africaine. Déjà en 1967, Tchicaya U Tam’Si, le soulevait:
voudrais dire que ce n’est pas vrai parce que seulement 2% 'a 3% de ces 40 à 60
révolutionnaires ne vont pas très loin, d’autant plus que dans ces 2 à 3% ,
30).
34 Léopold Sédar Senghor, Liberté 1, Négritude et Humanisme. Paris: Le Seuil, 1964, 133.
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Donc nous sommes obligés d’écrire, hélas si vous le voulez, pour les étrangers,
difficulté de lire n’est pas due uniquement à la question de compréhension. Lire est une
activité luxueuse pour l’Africain moyen car le livre est inacessible par son coût: il ne peut
s’adonner à la lecture de romans car cela lui coûterait des semaines de salaire.
romancier dans une situation ultra contradictoire. L ’obligation de répondre aux besoins
d’un lectorat étranger transforme le livre en objet de consommation qui doit tenir compte
des goûts du ‘client’. Le romancier, son roman, son éditeur et son public européen
forment un réseau où le lecteur - celui censé occuper la première place - est évacué.
L’influence du lectorat étranger sur le roman africain se situe à deux niveaux principaux:
la forme et le contenu. Il n’y a aucun doute que le roman africain est nourri de rapports
spécificité des oeuvres, les critiques s’appuient entre autres sur ces sources. Le fait le plus
frappant c’est que les romanciers africains se disent participer à la mission de défendre
les intérêts et d’être le porte-parole des peuples africains. Ce faisant le narrateur occupe
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une place centrale dans l’oeuvre, guidant et orientant le lecteur dans ses conclusions.
C’est peut-être pour cette raison que l’autobiographie occupe une place si grande dans ce
africain ‘obéit’ aux canons esthétiques du roman français. Nous voyons ceci en analysant
les réactions des critiques français, par exemple à la parution des premières oeuvres. Ce
qui ressort de ces annotations c’est que le roman est publié s’il est conforme au modèle
français.
Le romancier africain se trouve dans une situation ambiguë. D ’une part il existe une
Afrique du quotidien que tout lecteur africain connaît. D ’autre part, l’écrivain doit
s’efforcer de proposer une Afrique qu’il pense devoir attribuer au lecteur européen
“inconnu”. Ceci explique la raison pour laquelle de nombreuses oeuvres africaines sont
empreintes de détails “exotiques”. Dans ce contexte, les oeuvres adoptent une thématique
qui doit “engager”, sinon plaire au lecteur potentiel. Ce qui explique l’envergure, voire
occidentale, déshabitée [...] Ces livres en moi ne s’étaient pas réveillés; ils
m’avaient écrasé. Cet écrasement avait été rendu inévitable par la fascination que
les terres du Centre exerçaient sur nous. C’était l’endroit de la culture, de l’esprit,
Ainsi l’amour interracial, par extension les rapports entre partenaires de couples de races
différentes servent souvent à leurrer le lectorat européen. C’est cette même vision qui
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explique l’affrontement culturel qui prend des dimensions démesurées sous toutes les
Nous pouvons nous demander à ce stade à quelle culture appartient l’écrivain africain qui
quelle mesure la vision de l’oeuvre est-elle authentiquement africaine? Étant donné que
la plupart des romanciers et des critiques africains vivent à l’étranger, ayant maîtrisé une
déjà posées, s’ajoute une autre: qui est le critique africain? Pour qui parle-t-il?
Interrogation qui semble à première vue innocente, elle résume en fait le discours
africain. Nous devons peut être admettre que “l’institution” qu’est devenue la littérature
africaine, personnifie dans une grande mesure les diverses manifestations de l’altérité à
l’intérieur du roman africain. Dans les pages suivantes, nous tenterons de dégager un
concensus au sujet de l’altérité africaine telle qu’elle est perçue entre autres par les
Dans l’esquisse du cadre général des oeuvres littéraires en Afrique, l’itinéraire du roman
depuis son introduction par les colonisateurs continue de susciter un grand intérêt chez
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africains. Les plus célèbres parmi ces derniers sont, parmi la plupart, (d’abord) les
romanciers.36
De cette prédominance numérique du roman, il ressort que le nombre d’études qui lui
universitaires que les autres genres. Les mêmes observations s’appliquent aux thèses et
autres travaux critiques traitant ce genre littéraire. Il est relativement aisé de comprendre
d’abyme, où les rapports entre l’écrivain, le décrit et l’écriture sont une indication
permanente à la réflexion”37 le roman par son nombre et les diverses problématiques qu’il
traite continue son zigzag entre imaginaire, fiction et réalité. Il n’est pas donc étonnant
Le roman africain est un espace exceptionnel au milieu duquel le lecteur est convié à
physiques du livre. Les intrigues ne renvoient pas à une temporalité figée, mais elles
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Le discours critique, bien que parasitaire du roman peut donner lieu à un deuxième
roman. Il n’est pas impossible par exemple d ’envisager un romancier qui écrirait un
deuxième roman pour répondre aux critiques contre son ouvrage précédent, à l’exemple
Outre la contribution explicite de la critique littéraire pour tout travail de ce genre, nous
Assurément, selon Marilia Amorin, “tout travail de recherche serait une traduction de
un lecteur qui se situe supposément hors de cette relation. On pourrait donc voir ici
quelques critères qui sépareraient les initiés des non-initiés. Notre hypothèse est que le
critiques ou romanesques - mais surtout par les fonctions principales que les
son groupe. En quelque sorte, le critique peut être considéré comme “Autre” en faisant
ou politique dominante et qui se donne de soi-même une sorte d’image idéalisée, tende à
38 Pierre Van Den Heuvel, Parole mot silence, Pour une poétique de l'énonciation. Paris: José Corti,1985,
57.
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une rencontre paradoxale du critique et du lecteur tandis que le romancier est tenu à
l’écart bien qu’il soit par le biais de son texte souvent l’initiateur du débat.
littérature.40
La relation critique telle qu’elle était conçue dans une Afrique traditionnelle est
essentiellement une interaction publique et communautaire jouissant ainsi d’un statut qui
est différent de celui qui lui est réservé en Europe. S’il est vrai que préalablement il n’est
39 Marilia Amorin, Dialogisme et altérité dans les sciences humaines. Paris: L ’Harmattan, 1996, 7.
40 Brunetière, cité par Saussure, Cours de linguistique générale. Paris: Payot, 1972, 37-38.
41 Nouréini Tidjani-Serpos, Aspects de la Critique Africaine: L'intellectuel négro-africain face au roman.
Tome 2, Yaoundé: Editions Nouvelles du Sud, 1996, 11.
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[...] cette critique est spontanée. Elle est intégrée dans la vie collective dans le
La nécessité de faire part de son désaccord vis-à-vis d’une prise de décision quelconque
ou d’un certain état des choses donnait souvent lieu aux sessions de palabres publiques en
Afrique traditionnelle. D ’une façon générale, il demeure que les commentaires qui se
faisaient en public étaient le fondement des sociétés orales en devenant ainsi un forum
aux voix discordantes. La littérature ainsi que sa critique par les Africains ont préservé
certains aspects des palabres. Par exemple, elles sont toutes deux liées à une fonction
sociale:
La critique se présente comme une socio-critique: elle saisit les oeuvres comme
Autrement dit, le critique utilise souvent le texte littéraire non en tant qu’oeuvre de
fiction mais comme document authentique qui décrit la société telle qu’elle est.
Cela ne veut pas impliquer pour autant que les conditions dans lesquelles s’opère
aujoud’hui l’échange entre les divers partenaires-romanciers, critiques, lecteurs sont les
mêmes que celles des palabres ou autres manifestations publiques. Nous sommes en
présence d’une critique qui suit une orientation différente de ses débuts. En effet, elle est
calquée sur
littéraire, à laquelle l’élite intellectuelle noire se référera par la suite, possède ses
lieux d’autorité, ses modèles, ses canons esthétiques (Mateso, La littérature, 81).
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critique, celle-ci est toujours maintenue dans un cadre étranger, “marquée par des
pourrait se demander dans quelle mesure ce désir chez les écrivains africains de vouloir
trouver une autre voie critique est justifié surtout si le roman lui-même continue à obéir
aux canons occidentaux? Dire qu’il faut trouver de nouvelles voies critiques, des
objectifs mais aussi nécessaires. Celles-ci sont indispensables, nous semble-t-il à l’heure
qui l’analysent, est d’abord un acte interne et circonscrit aux frontières de l’élite
A notre avis, il faudrait humaniser la critique littéraire afin qu’elle puisse atteindre une
audience plus large. Il faudrait donc inventer une nouvelle critique dont le but principal
pas un subterfuge qui tente de faire sortir le lecteur du réel mais plutôt un moyen pour
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Une telle perspective doit forcément faire dérailler la critique afin que celle-ci embrasse
les autres disciplines, quitte à devenir plus simple et plus courte. Les outils de
être accessibles au lecteur moyen auquel on veut enseigner la lecture afin qu’il puisse à
Afrique - surtout les tentatives de recontextualiser cette discipline au sein des sociétés
qui ont fonctionné jusqu’au début du siècle sur la parole orale - nous force à reconnaître
que les théoriciens africains doivent forcément s’éloigner du “colonialisme littéraire” s’ils
veulent contribuer au débat actuel à propos de l’étude des arts dans les programmes
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D ’une façon générale, on peut dire que la critique de la littérature africaine a débuté avec
certains tâtonnements vers les années vingt avec la parution du roman d’Ahmadou
Mapaté Diagne, Les trois volontés de Malic. Cette critique s’est manifestée au début par
le biais des préfaces écrites aux premiers romans par les colonisateurs. Ceci semble tout à
fait naturel quand nous considérons que ces derniers avaient non seulement introduit le
genre romanesque en Afrique mais aussi dans une démarche identique, transporté le
Afrique à cette époque plus précisément celles dans lesquelles vivait le romancier,
jouaient un rôle crucial dans la publication. En fait, d’un point de vue strictement
Afrique est apparue sous la forme d’une plaidoirie officielle en faveur de l’oeuvre en
question. Toute l’attitude du critique peut être ainsi résumée: le romancier écrit bien en
Doguicimi nous donnent une indication du type de critique littéraire dont il était question:
Si son teint ne trahissait pas son origine, vous le prendriez pour un Français de France;
tout, dans sa façon libre et gaie de s’exprimer, dans son allure courtoise; dans ses
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gestes aisés et mesurés, dans l’aimable ardeur qui émane de sa personne, est d’un
homme de chez nous [...] qu’on ne songe pas un instant à le traiter en étranger.45
de la critique africaine servait de lien entre le romancier africain et son lecteur européen.
romanciers noirs de l’Afrique dans les préfaces des premiers romans. Cette entreprise
son image. Qui plus est, les préfaces servent de témoignage à cette mission: l’Africain
peut écrire un roman. Encore une fois, Georges Hardy “intervient” dans sa préface dans
Les trois volontés de Malic, rappelant à ses concitoyens - car le roman leur est destiné -
Dès que la France conquiert une colonie, elle travaille à l’enrichir et à civiliser les
habitants, elle y envoie des instituteurs, des maîtres-ouvriers. [L’auteur] est aussi
instruit que beaucoup d’Européens, et il aime bien la France, parce qu’elle a fait de lui
un homme.46
D ’abord, les premiers écrivains africains avaient démontré une profonde reconnaissance à
l’égard des parrains étrangers sachant que le succès de leurs oeuvres dépendaient de ces
derniers. On pourrait se demander si l’on ne devait pas parler de cette époque comme
cette hypothèse quand on examine, d’une part les circonstances qui ont accompagné la
publication des premières oeuvres africaines, et d’autre part, le rôle des préfaciers
européens. Face à la diversité des formes qu’ont pu prendre les interventions des
45 Georges Hardy, préfacé to Doguicimi, by Paul Hazoumé. Paris: G.-P. Maisonneuve et Larose, 1978.
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préfaciers, éditeurs, parrains, etc., certains ont remis en question l’appartenance de ces
oeuvres. Peut-on dire à coup sûr qu’un certain roman a été écrit par tel auteur?
En effet, dans au moins deux cas, ce sont eux [les préfaciers européens] qui ont suscité
Aspects, 79).
C’est la raison pour laquelle Mohammadou Kane a provoqué un débat sur la légitimité de
[...] rien ne disposait Dakary Diallo à écrire ce roman [...] Il a pu donner la première
mouture de son oeuvre qu’un autre aura réécrite et réorientée. Peut-être s’agit-il de J.
R. Bloch, de Lucie Couturier ou d’une tierce personne à l’insu des deux premières.47
Au regard de ces considérations, nous faisons remarquer que les réactions des critiques à
la parution de L ’enfant noir indiquent qu’il ne s’agissait pas d’un cas isolé mais de
pratiques courantes de l’époque. Pour certains ces pratiques étaient acceptables, pour
d’autres, révoltantes car elles portent atteinte aux fonctions fondamentales de l’écrivain.
Certainement, tout écrivain subit en quelque sorte les influences du milieu. Or, dans le
cas de Camara Laye, les critiques prétendent disposer sufïisament d’indices “suspects”
Dans le cas d’un jeune romancier - Laye l’était à la parution de son roman - l’avis soit
46 Georges Hardy, préfacé to Les trois volontés de Malic, by Amadou Mapaté Diagne, Éditions Larousse,
Paris, 1920.
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Laye dit qu’il montrait toujours son manuscrit à des amis français afin qu’ils en
Robert Poulet.48
hypothèses pour expliquer les motivations de Camara Laye quant à son exploitation de
Robert Poulet. Peut-être que c’était le moyen pour l’écrivain africain de valoriser son
oeuvre. En s’abritant derrière “ l’avis” de son ami, Laye valorisait et authentifiait ainsi
son roman. Comme l’attestent les nombreuses critiques sur ce roman, personne n’a osé
l’accuser de médiocrité. Par contre, on ne saurait ignorer les commentaires critiques sur
son travail de réécriture car selon ces derniers, il ne s’agissait pas d’une simple correction
portrait de l’enfant noir dans le roman et celui des enfants noirs vivant sous le régime
Pour Mongo Beti, cette omission capitale est la raison pour laquelle la critique
question son rôle en tant que romancier africain. A juger par la définition de Ngugi Wa
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Le rôle de l’écrivain est d’être avec son peuple, d’exprimer ses espoirs les plus
profonds; son aspiration à la liberté, aune vie meilleure, plus digne de l’homme.49
comme celle d’exposer le conflit qui oppose les colonisés aux colonisateurs. Suivant ces
deux critiques, la question qui se pose alors est la suivante: dans quelle mesure L ’enfant
noir rejoint-il ces critères? (King, The writings, 73). On ne saurait ignorer le fait que
[,..]il fallait l’appui des ‘patrons’ ou de ‘tuteurs’. C’était le cas pour Mapaté Diagne,
Georges Hardy, pour Bakary Diallo, Lucie Couturier, pour Ousmane Socé, Robert
Il est évident que ce rôle de parrain qui accordait son appui au roman africain, qui le
vantait et le faisait vendre sur le marché européen n’a pas été l’unique rôle de l'Européen.
Bien qu’il soit difficile de trouver des travaux qui discuteraient de façon scientifique cette
“relation triangulaire qui unit l’écrivain, l’éditeur et le public”51, il est aisé de suggérer
que ces rapports se compléxifient dans le cas d’un romancier qui est principalement lu
par un public étranger. Ce n’est pas sans raison que de signaler que la démarche critique
est devenue plus accessible de nos jours. Cependant pour le romancier africain qui
En effet, elle avait le même rôle que la publicité, dont le but était de “vendre” le roman.
49 Ngugi Wa Thiongo, cité par Dennissov Youri, “Motifs civiques dans la littérature de langue française”,
Regards russes sur les littératures francophones. Paris: L ’Harmattan, 1997, 121-136.
50 Guy Ossito Midiohouan, “Les premiers romanciers africains face à la critique coloniale: les préfaciers de
l ’Humanisme franco-africain ” , Annales, numéro 2, RLASH, Université de Bénin, p. 48, cité par Tidjani-
Serpos, Aspects, p. 81.
51 Jean-Marie Bonnet, La critique littéraire aux Etats-Unis d Amérique 1783-1837. Lyon: Presses
Universitaires de Lyon, 1982, 14.
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Au sein de la dynamique qui réunissait le romancier et son public, il faut remarquer que
l’intervention critique était sollicitée non par le romancier lui-même mais principalement
par l’éditeur. Par conséquent, l’authenticité d’une telle activité est mise en question. Ce
n’était ni une réflexion en profondeur qui exposait les faiblesses et les points forts de
l’oeuvre littéraire ni une invitation au lecteur à adopter une grille de lecture mais la mise
en branle d’un appareil de marketing dont l’unique but était d’influencer le public
celui du contenu.
simultanée car elle accompagnait l’oeuvre par le biais de la préface. Étant préalablement
sollicitée par les éditeurs et les romanciers auprès des colonisateurs ou autres amis
français, elle s’est manifestée d’abord comme facile, superficielle et positive. Écrite par
Si le succès du romancier dépendait de la préface, donc des préfaciers, ces derniers l’ont
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L ’élite universitaire en Afrique a été la première à dénoncer le double jeu des préfaciers.
D ’une manière générale, elle a reconnu que les “parrains” européens modifiaient
[Les critiques africains] vont ainsi relever un certain nombre de faits qui tendent à
prouver que dès le départ, les préfaciers européens avaient essayé de récupérer le
réagissent immédiatement démontrant à quel point la critique était manipulée par les
Lors de la parution du roman Batouala de René Maran en 1921, nous assistons à une
d’une part et d’autre. Il est intéressant de noter que la critique était essentiellement
dirigée non pas contre le texte romanesque spécifiquement mais contre la préface, qui est
Plaidoirie pour l’amélioration des conditions sous lesquelles vivaient les Noirs sous la
domination coloniale, la dénonciation était telle que le roman a été frappé d’interdiction
par les autorités dans les colonies. Qui plus est, Maran a été contraint d’abandonner “son
(Midiohouan, L ’idéologie, 60-61). Or, au coeur de ces débats, on sait que Maran n’était
pas contre la colonisation. A l’opposé, il se battait pour une politique coloniale pour que
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De ces positions contradictoires découle une ambiguïté qui s’étendait au-delà des
catégories raciales: le roman a été attaqué et apprécié à la fois par les Blancs et les Noirs.
À partir de ce fait, on est amené à réfléchir sur la fonction du roman en Afrique. Dans
quelle mesure peut-on dire qu’aujourd’hui cette fonction demeure la même? Si Batouala
a provoqué une telle polémique, cela n’implique pas que la plupart des romans africains
ont suivi cette voie. En fait ce qui dérangeait le plus dans tout le débat qui a entouré
Maran était pour la colonisation, la préface de Batouala était contre. Les critiques
africaine en France. On constate une démarche identique chez les critiques américains
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Dans cette nouvelle prise de conscience chez l’élite africaine, les préfaciers-colonisateurs
n’étaient plus sollicités par les romanciers africains. Ce “départ” des préfaciers se
traduisait par une non-ingérence quasi-totale dans les stratégies de lecture. Celles-ci ont
été prises en charge par l’application des grilles critiques traditionnelles par lesquelles les
Préalablement, face aux romans français classiques, les romans coloniaux étaient souvent
repoussés dans un ghetto culturel et littéraire vu que la plupart des auteurs appartenaient à
un groupe hétérogène qui n’avaient en commun qu’un long séjour en Afrique et “une
retrouvaient des Africains qui faisaient l’éloge de la France et de son entreprise coloniale.
Par exemple, David Ananou considérait que l’intervention des “pays évolués qui
tout à fait justifiée. Force-Bonté, Les trois volontés de Malic, Fils du fétiche pour ne
mentionner que trois ouvrages, font tous partie de cette catégorie - la démonstration
faut dire que les romanciers n’avaient de modèle pour leurs oeuvres que le roman
européen. En outre, le roman en tant que genre littéraire en Afrique a souvent “été
interprété par les critiques occidentaux comme répondant au désir d’imiter les modèles
littéraires d’Europe.”53 Autrement dit, le roman est une réussite s’il est conforme au
modèle français. À cela s’ajoute le fait que les romans africains étaient publiés en France
et lus par un public métropolitain qui dépendait à son tour de la critique européenne, on
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comprend pourquoi ces critiques “ ont eu tendance, comme il était prévisible, à juger les
oeuvres des auteurs africains en fonction des critères esthétiques prévalant dans leur
D ’une part, presque toutes les analyses du roman démontrent une ignorance de
l’esthétique africaine par les critiques européens. D ’autre part, les romanciers africains
voulaient être évalués par les mêmes critères “universels” pour gagner le public
métropolitain. Passer le test universel, c’est prouver que l’oeuvre littéraire est à la
hauteur, qu’il est lisible, sinon fortement conseillée à être lue. Force nous est de constater,
que la critique occidentale tenait à établir des parallélismes entre les oeuvres européennes
et celles qui venaient d’ailleurs.. Selon cette optique si “ le jeune roman algérien [était]
une copie conventionnelle de tel ou tel roman européen célèbre, s’attachant à un modèle
pas de souligner les influences qu’ils avaient subies. Pour Kateb Yacine, on retrouvait
Rimbaud, Joyce, Faulkner; pour Mohamed Dib c’était Virginia Woolf tandis que pour
Mouloud Feraoun c’était tantôt Tolstoï, Dostoïevski tantôt Camus (Dkougachvili, “Aux
origines”, 29-41). La volonté d’établir ces rapports vise deux objectifs principaux: il
s’agit de démontrer que le romancier connaît les travaux cités et de suggérer que ses
oeuvres sont comparables à celles des romaciers européens. L’auteur africain se situait
donc dans la tradition de l’Autre. Ignorer cette composante de la critique c’est ouvrir la
porte à une interprétation biaisée du roman africain en prétendant que les Européens
romanciers, éditeurs et critiques. Il n’y a aucun doute que le critique européen a exploité
53 Irina Nikiforova, “Naissance et métamorphoses du roman dans les littératures africaines d ’expression
française”, Regards russes. 85-87.
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qu’il en soit, on ne peut pas dire que cette vague d’écrits négatifs envers les oeuvres
africaines étaient justifiés. Or, les indépendances allaient insuffler une nouvelle
dans un contexte autre que celui du départ des colonisateurs du continent. Il est vrai que
les marques de ces derniers se feraient ressentir pendant longtemps, sinon pour toujours.
Diverses études sur les effets de la colonisation occidentale semblent aboutir aux
représente qu’une brève parenthèse historique qui a duré moins d’un siècle. Mais,
Le résultat est que moins d’un siècle de colonisation semble peser autant ou plus que
n’appartenait qu’à l’élite est passée aux autres: “l’auteur d’élite cède la place à l’auteur
écrivant pour les nouveaux lecteurs; tel était le contexte socio-culturel du roman des
laquelle, romanciers et lecteurs se sont rencontrés pour la première fois autour “[...] des
livres, parfois sans qualités de styles particulières [avec] une grande portée sociale”
54 Galina Djougachvili, “Aux origines du roman algérien d’expression française”, Regards russes. 29-41.
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pas reconnaître ces changements dans l’univers littéraire africain. Au lieu d’analyser ces
nouvelles données et d’en tenir compte dans leurs travaux d’analyse, les critiques
persistaient d’appliquer les mêmes grilles de lecture aux textes. Romans et romanciers
“[...]le critique occidental, non seulement refuse de tenir compte de la distance qui le
sépare des cultures et des civilisations nègres [...] mais analyse tout texte négro-
Vu de près, cet ensemble d’indications convergentes nous montre que la dénonciation par
la critique occidentale n ’a certes pas débuté avec le roman mais est issue du discours
Avant de cerner les lieux privilégiés tenus par la critique occidentale dans les oeuvres
étrangères, il importe d’identifier les fondements qui justifieraient une telle prise de
position. Le postulat de base ici est relativement simple: passer un jugement quelconque
sous-entend trois possibilités: soit qu’on croit qu’on est en mesure de le faire bien que les
autres entretiennent des doutes vis-à-vis d ’une telle prise de position, soit que les autres
soutiennent notre prise de position bien qu’on ait soi-même des doutes à ce propos, et
55Youri Denissov, “Motifs civiques dans la littérature africaine de langue française”, Regards russes.
121-136.
56J. P. Makouta-Mboukou, Introduction à l ’étude du roman négro-africain de langue française. Dakar: Les
Nouvelles Editions Africaines, 1980, 9.
57 Homi Bhabha, The location o f culture. London/New York: Routledge, 1994, 66.
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102
dans le dernier cas c’est quand notre prise de position coïncide avec celle des autres. En
L ’on est grand écrivain, grand peintre, grand sculpteur africain, par la volonté des
trouve paradoxalement non pas dans la littérature africaine, mais bien dans l’attitude du
critique lui-même. Son positionnement dès le départ est faussé: il se situe en tant que
supérieur jugeant les travaux des excolonisés - qu’il a formés - à l’image des siens. Il
conception de l’art africain en général. Dans son étude sur le système éducatif en Afrique,
Fafunwa décrit comment on découvre tout un répertoire de termes péjoratifs à l’égard des
Tribe, native, savage, primitive, jungle, pagan, heathen, vernacular, etc. [...] the people
to whom these labels are given reject the appelation, for they contend that the usage
On pourrait à bon droit se demander comment le recours à une telle caractérisation peut
question. Il est incapable “de se taire, [de] s’effacer pour laisser parler le texte qu’il a à
critiques occidentaux: le texte ne servait que de prétexte pour faire véhiculer les discours
58 introduction, Le critique africain et son peuple comme producteur de civilisation, Actes du Colloque de
Yaoundé, 16-20 avril 1973. Paris: Présence Africaine, 1977, 17.
59 Babs A. Fafunwa, “African éducation and the problem of cultural identity”, Le critique africain. 64-79.
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103
Colonialisme,61 Calvet démontre comment les champs sémantiques sont différents pour
Dépendant de son origine géographique, l’être est tantôt civilisé, tantôt sauvage ayant soit
une langue ou un dialecte, au sein d’une civilisation ou d’un mode de vie vivant à la
d’édition face à leurs manuscrits, on se rend vite compte que la critique “pré-édition” a
écoutant principalement les lecteurs potentiels, les éditeurs semblent obéir à certains
[L’auteur] est jugé par les éditeurs qui souvent se demandent pour des raisons de
rentabilité bien compréhensibles: “ce livre plaira-t-il aux lecteurs occidentaux?” “Qui
Bien qu’il soit difficile de mesurer l’impact réel de l’attente des lecteurs occidentaux sur
éditeurs, critiques et lecteurs se sont influencés mutuellement. Notre hypothèse est que
60Mbwil a Mpang Ngal, “L ’artiste africain: tradition, critique et liberté créatrice”, Le critique africain.
45-63.
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les premiers critiques ou préfaciers se situaient en tête de ces influences. C’est-à-dire
qu’ils étaient les premiers juges des écrits. Après maintes suggestions/corrections, ils les
montraient aux éditeurs. Ces derniers, guidés par le profit, imposaient certaines
corriger la grammaire”62, les éditeurs forçaient les romanciers à modifier l’essence des
textes. On pourrait donc se demander où se situe la part des éditeurs dans le choix des
thématiques romanesques? Le motif du lieu frontière qui permet aux deux univers -
africain et européen - de se rencontrer aurait été sans doute le choix des éditeurs.
Un autre aspect de la critique qui est souvent passé sous silence dans les analyses est
celui du rôle des concours littéraire. Bien qu’il s’agisse d’une intervention “ pré-édition”,
les consignes des organisateurs, et les conseils des rédacteurs des revues précisaient les
directives:
terminée. N ’employez que des mots réellement français et bannissez de vos textes
Pour Blachère, l’attribution des prix littéraires a eu un effet néfaste sur la littérature en
Afrique. Dans leur quête de prix, les romanciers “construisaient” des oeuvres qui se
critiques africains ont aussi contribué à la standardisation du roman. Faisant partie d’un
petit cercle restreint, les critiques institutionalisent leur fonction en se protégeant contre
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105
Rendre l’écrivain inoffensif, c’est d’abord surveiller qu’il n’offense pas l’institution.
L ’exercice de la critique repose[...] sur des notions de respect aux aînés et aux
Négritudes, 56).
En examinant les travaux des critiques, on se rend compte qu’ils étaient aussi sévères
Léopold Sédar Senghor a joué ce rôle de mentor pendant de nombreuses années; son
Bachère décrit l’attitude des premiers critiques africains vis-à-vis des oeuvres de leurs
compatriotes non pas comme un élan d’encouragement et de soutien mais comme étant
Négritudes, 58-59). Peut-être que ce comportement est motivé par l’aliénation implicite
de la condition de tout colonisé. Faute d’une littérature écrite par les leurs, les critiques
ceux d’auteurs étrangers. Quels sont les critères qui définissaient les critiques africains?
Leur culture - d’origine africaine? Leur formation - l’école occidentale? Bien qu’il ne
soit possible de traiter ces questions ici, il est quand même intéressant de noter que pour
être reconnu comme critique littéraire, il fallait le passage universitaire en Europe. Sur ce
63 La voix du Congolais, no. 31, 1948, citée par Blachère, Négritudes, p. 53-54.
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106
Après les préfaces élogieuses qui accompagnaient les textes préalablement “corrigés” par
envers le roman était foncièrement négative. L’Europe avait non seulement introduit le
roman aux Africains mais a encouragé ces derniers à s’en servir au détriment des autres
formes d’expression artistique orales. Avec les indépendances, le roman était devenu
des peuples a poussé les romanciers à imiter le modèle européen, les indépendances ont
son peuple.
France ne voulaient plus publier les oeuvres africaines (Denissov, “Motifs”, 121-136).
Aussi, durant cette époque - la fin des années soixante - nous assistons à une
détermination chez les écrivains de publier leurs ouvrages localement. Plusieurs maison
d’édition ont donc vu le jour en Afrique, à savoir, les éditions CLE à Yaoundé et les
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de Mali pour les auteurs francophones et les Éditions de l ’Est à Nairobi pour les auteurs
postulat de base était relativement simple: il fallait viser un autre destinataire. On voulait
toucher davantage les masses africaines au lieu du lecteur traditionnel occidental. Quelles
que soient les interactions données entre les divers pouvoirs en Afrique durant les
fonction primaire de l’écriture historique qui est celle de servir de témoignage, le roman
La création des maisons d’édition africaines marquait la prise de conscience chez l’élite
en charge le discours critique était aussi évidente dans les revues telles que La Race
Nègre et Légitime Défense en 1923 et L Étudiant Noir (1935) qui cherchaient à exposer
permettant aux intellectuels africains de s’exprimer entre ses pages. Dans le vaste
Écrivains et Artistes Noirs tenu à Rome en 1959 a relancé le débat sur la notion de
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citoyens des pays indépendants d’oeuvrer pour la promotion de leurs cultures. Parue pour
la première fois en 1947, Présence Africaine visait à faire connaître l’Afrique et ses
proposait de dresser l’inventaire complet des richesses de la culture noire, d’en assurer
la défense et l’illustration64
Pour Mudimbe, Présence Africaine constitue la voix de l’altérité au milieu des pays
Occidentaux:
The Présence Africaine of Alioune Diop, is from its inception, a manifesto and a
program. It wishes to bring in the very centre of the French power and culture what
diverses approches et plusieurs disciplines. Il est inutile d’insister sur le fait que que la
l’histoire africaine:
literary activity that recounts the past as it did indeed take place.66
que les actes des colloques et des conférences soient publiés et que les débats puissent
64 Djibo Habi, “Les valeurs culturelles négro-africaines”, Mélanges - Présence Africaine 1947-1967. Paris:
Présence Africaine, 1967, 83-93.
65 V. Y. Mudimbé, introduction to The surreptitious speech - Présence Africaine and the Politics o f
otherness, 1947-1987. Chicago: The University o f Chicago Press, 1992, XVII-XXVI.
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continuer au-delà des conférenciers et des intervenants. C’est ainsi que le Festival
Mondial des Arts Nègres tenu à Dakar en 1966 bénéficiait d’une couverture immense par
Le festival n’avait pas pour seule mission de révéler des formes esthétiques. Il avait
aussi mission d’éveiller une nouvelle conscience dans le peuple noir - ( et pas
La plupart des rencontres internationales devenaient des forums pour permettre aux élites
Parmi les premiers “bâtisseurs”, on retrouvait les écrivains et les artistes. Or, le colloque
son siège en Afrique soutenue par les différents ministres de la culture, détourneraient
Avant de traiter en plus de détails la démarche du critique africain, notons que le titre du
colloque - le critique et son peuple comme producteur de civilisation - est très révélateur.
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Bien que plusieurs interventions aient porté sur la sculpture et autres formes d’art
critique occidental et son homologue réside essentiellement dans les rapports qu’ils
son peuple pour toute production réelle. En étant d’abord du peuple lui-même, le critique
accomplit une tâche qui ne prend de sens que si elle est liée aux masses:
groupe qui en quelque sorte, commande cette oeuvre et en réglemente l’usage. L’idée
d’un critique distinct du peuple et du réalisateur reste donc une idée véritablement
“importée”.68
retourner au peuple. Ce dynamisme implique qu’il est inconcevable que les écrits sur les
romans ou autres oeuvres d’art soient destinés à une élite. Plusieurs communications au
colloque de Yaoundé ont été axées principalement sur la nécessité de ré-inclure le peuple
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littérature africaine70 afin de reconnaître que d’une part, la littérature écrite en langues
européennes ne représentent qu’une partie d’un vaste continuum créatif et d’autre part
Or, c’est par référence à cette seule tradition littéraire [...] grâce à des langues
Suggérer que les critiques de cette nouvelle littérature puisse l’analyser par le biais d ’une
vision entièrement eurocentrique signifie qu’on ignore les réseaux interdisciplinaires qui
sont implicites à l’art africain. De même, pour que les critiques soient en mesure de
comprendre et d’expliquer les textes africains, ils doivent abandonner leur vision étroite
perspectives, d’approches et de points de vue variés mais qui convergent vers une analyse
71
et une explication aussi complètes et satisfaisantes que possible de l’oeuvre littéraire.”
littérature écrite. S’il est certain que la colonisation a provoqué une brèche au niveau
langues européennes. Distinguer une production orale d’une oeuvre écrite constitue la
première phase critique de la forme. Or, pour parler aux m asses, il faut que le critique
69Thomas Melone, “Le critique littéraire et les problèmes du langage”, Présence Africaine, numéro 73,
premier trimestre, 1970, 3-19.
70Pathé Diagne, “La critique littéraire africaine”, Le critique africain. 429-440.
71 Lucien Laverdière, L Africain et le missionnaire, Paris: Bellarmin, 1987, 37.
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traditionnelle orale, les “illettrés” sont invités à participer. La critique par les Africains
permet au lecteur de découvrir certaines relations internes de la société locale. Les détails
ne sont point catégorisés en tant qu’éléments exotiques qui sont insérés dans le texte en
vue de créer une ambiance pour le lecteur métropolitain. Par contre, ils représentent des
privilégie l’analyse de ces manifestations de l’altérité textuelle au lieu de les écarter sous
son étude, Tidjani-Serpos démontre comment un roman au titre si significatif, Sans Tam-
Tam72 n’arrive pas à susciter des analyses en profondeur, qui tiennent comptent de
Mais il nous semble qu’ils ont fait une lecture thématique de Sans Tam-Tam à travers
les structures épistolaires du XIX siècle sans se pencher sur l’aspect stylistique de
On discerne de nombreux points de convergence dans les travaux des critiques africains:
à l’endroit de leurs homologues occidentaux, ils soulignent non seulement les failles de
leurs études, mais proposent une explication quant à l’origine de celles-ci. Quelle que soit
la direction que prennent ces travaux, on peut l’interpréter comme une impossibilité sinon
une situation difficile pour celui qui n’a pas “vécu” en Afrique de comprendre ou
d’expliquer certains motifs qu’on retrouve dans l’art et la littérature. Ce sera donc, la
la communauté autochtone à partir des motifs ignorés par la critique “occidentale”. C’est
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113
une orientation différente dans la mesure où elle utilise comme tremplin non pas la
création littéraire initiale, c’est-à-dire le texte romanesque mais le texte critique. Ayant
accompli sa première tâche, le critique propose une autre lecture en tenant compte des
explorant les multiples rapports impliqués par le tam-tam dans la culture africaine. Étant
un des premiers modes de communication des gens d’Afrique, le tam-tam permettait aux
C’est à travers ce débat d’abord centré sur Toralité et l’écriture, ensuite sur le statut de
Il ne faut cependant pas commettre l’erreur de croire que les critiques africains
représentent une homogénéité absolue. Parfois la volonté chez certains d’associer à tout
prix le romancier et son oeuvre peut mener à une mauvaise voie. Dans Aspects de la
critique africaine, l’auteur démontre comment les critiques africains n’ont pas su
reconnaître la littérarité de Sans Tam-Tam à cause de l’activisme d’Henri Lopes dans les
milieux estudiantins en France (Tidjani-Serpos, Aspects, 235). Plus loin, le critique situe
Cette oralité [qui] est plus riche que la ‘culture’ dont certains diplômés sont porteurs,
cette oralité dont les potentialités créatrices se sont étiolées chez l’intellectuel à cause
de l’intrusion de l’écriture...
Assurément, de façon générale on peut avancer que la critique littéraire africaine est
motivée par deux axes majeurs qui se rejoignent: relever les failles des analyses
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eurocentriques et proposer des perspectives afrocentriques. Le critique s’impose en tant
l’esthétique africaine. On reconnaît bien entendu ici, un parallèle aux réactions des
Philosophie Bantoue73 de Placide Tempels. Publié en 1949, cet ouvrage avait comme
extension, le traité visait à prouver que les Africains, et donc la population noire sont au
même niveau d’évolution que les autres races. Ce qui aurait dû bien sûr, réjouir les Noirs.
Or, les intellectuels africains ont vite réagi pour et contre l’ouvrage. Après Fabien
place dans un débat théorique étranger auquel les Bantous eux-mêmes n’avaient
aucune part.75
cette question, on voit qu’Alexis Kagame par le biais de ce mécanisme, démontre que les
nombreuses études de l’élite africaine sont issues non pas de la condition de l’homme
Il est presque certain que s’il n’avait pas soulevé ce problème [...] notre thèse aurait
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titre de son ouvrage n’avait pas de relation avec son contenu (Kagame, Comparée, p.
7).
On voit par cette utilisation des travaux antérieurs, Kagame manifeste une des premières
fonctions du critique africain: celle de correcteur. Rétablir les conditions qui existaient
avant la domination est en quelque sorte la condition de l’être dominé. Ceci se fait
généralement au moyen d’une redéfinition des termes et concepts utilisés par ceux qui
sont ou qui étaient au pouvoir. Ainsi, l’auteur précise la signification qu’il attache aux
Ceux qui les [principes déjà établis]formulaient à partir de la rive européenne ont
abouti, en effet, à la conclusion de peuples non-civilisés [...] en nous plaçant sur la rive
nous devons démontrer comment [...] d’une génération à l’autre, jusqu’à nous, étaient
D ’un point de vue discursif, l’ouvrage de Tempels abonde en termes tels que “Noirs”,
“primitifs”, “non-civilisés”, “nègres” et autres mots péjoratifs pour décrire les Africains
et leur culture. Par ce processus, Tempels nous présente une vision externe et “autre” de
l’Afrique. Par contre, La Philosophie Bantu Comparée, adopte une vision interne avec
des expressions d ’inclusivité telles que “notre langue” - ce qui suggère que l’auteur fait
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116
en tant que membre et participant de la vie quotidienne de cette culture. En traitant par
exemple le ‘principe vital’, le lecteur a l’impression que l’auteur s’adresse aux siens et
par conséquent n’a pas besoin d’explication initiale pour comprendre ce que signifie
principe vital:
Notons que du vivant de l’homme, son principe vital ne porte aucun nom (Kagame,
Comparée, 249).
Cette prise de position découle de la “nouvelle”critique qui accorde une vision interne de
qu’elle est présentée dans les textes échappent aux critiques occidentaux, l’élite noire
Présence Africaine, nous avons relevé plusieurs types d’études dont le but est de
présenter certains aspects définis de cette réalité. Un examen à cet effet de titres d’articles
Suivant cette orientation, la revue est devenue aujourd’hui le premier forum de l’élite
occidental sur l’Afrique et les peuples noirs en général. Par exemple, dans “Science et
langage en Afrique” Théophile Obenga expose comment les termes tels que ‘primitif,
‘non-civilisé’, ‘tribu’, ‘traditionnel’ et autres, qu’on retrouve dans quasiment toutes les
77 BabacarD. Sine, “Esquisse d’une réflexion autour de quelques éléments de ‘philosophie’ w o lo f”,
Présence africaine, no. 91, troisième trimestre, 1974, 26-40.
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études sur l’Afrique sont dévalorisants. Selon l’auteur, il importe que les intellectuels
Un certain vocabulaire employé par les africanistes pour décrire les civilisations
de scientifique.78
Un peu plus loin, il fait ressortir la distinction fondamentale entre l’Africaniste, un non-
Africain qui étudie la civilisation d’Afrique et le chercheur africain. Cette précision est
capitale, car les létudes africanistes révèlent l’utilisation d’une langue dévalorisante:
Ceux qui, parmi les africanistes emploient le terme “primitifs”, trouvé “commode”
pour qualifier les peuples nègres d’Afrique ainsi que leurs productions culturelles, se
trouvent évidemment en marge de tout travail sérieux, scientifique. Ils font ainsi tout
les oeuvres africaines, notons qu’elle était parfois sévère à leur égard.
Autre aspect de la littérature africaine qui a été totalement ignoré par les critiques
literature,19 Kenneth Harrow situe la place de la religion musulmane dans les écrits:
78Théophile Obenga, “Science et langage en Afrique”, Présence africaine, no. 92, quatrième trimestre,
1974, 148-159.
79
Kenneth W. Harrow, Faces o f Islam in African literature. Portsmouth: Heinemann Educational Books,
Inc, 1991.
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118
There is a vast body of literature in Affica that is of Islamic inspiration or that deals in
a substantial way with islamic beliefs, cultural practices, or social patterns [...] the bulk
of scholarship on African literature deals with contemporary fiction, poetry and drama,
Or, selon l’auteur, cet important matériau culturel du roman est ignoré par les critiques
The Western, New critical approach to African literature, as well as the général
ignorance in the West concerning Islamic beliefs and traditions, may have been
Dans ce cas précis, les Africains tentent de rémédier au vide laissé par la critique
européenne dans leur traitement de la culture et de la religion dans le roman. Bien que
l’influence de l’Islam dans l’imaginaire africain soit cruciale, il faut aussi tenir compte de
l’impact des religions traditionnelles. En puisant des exemples tantôt dans Toralité tantôt
dans les textes en langues africaines, les critiques africains traitent les textes littéraires
non pas sous le signe de la rupture mais sous celui de la continuité. Contrairement à
cadre spatio-temporel qui s’étend au-delà de l’ère coloniale. Les textes oraux servent de
pré-textes au roman. Ceci est un élément important dans notre étude car notre corpus
exploite les divers matériaux culturels et religieux dans le but de dégager un schéma
commun de l’altérité. En quoi les oeuvres d’Ousmane Sembène et d’Aminata Sow Fall -
qui sont tous deux musulmans de culture - sont -elles différentes de celles d’Albert
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religion doivent être considérées comme des structures qui fournissent à leurs membriétés
esprit, l’obéissance à d’autres croyances est synonyme d’altérité. Mais il est intéressant
d’observer que la colonisation, par la mise en place d’une superstructure démolit les
distinctions entre les divers groupes ou peuples de l’Afrique. Dans cette perspective, on
comprend mieux la raison pour laquelle les romanciers africains ont identifié le
colonisateur européen comme Autre. La superstructure coloniale était si radicale dans son
idéologie et son agir que les structures internes sont remises en question, voire menacées.
C’est ce que nous proposons d’analyser dans les deux prochains chapitres en regardant de
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120
Chapitre 3
Les micro-considérations de l’altérité
mentionner que quelques-unes. Par son ampleur et son actualité, ce questionnement est
mis en évidence par une imposante production intellectuelle sous la forme de livres,
d’articles et de conférences sur le sujet. La plupart des études s’accordent à dire que cet
intérêt découle des mutations sociales, à savoir les migrations à l’échelle globale, les
l’économie et le culturel est mis en relief par l’existence d’un blocage culturel1:
Aujourd’hui, le vrai problème est d’opérer dans une société par le rythme de
Pour d’autres, cette interrogation de 1’altérité et de ‘l’autre culturel’ découle d’un constat
technologie, l’Autre démontre de plus en plus la nature de son être. Qui plus est, la
longue présence de l’Europe en Afrique et ailleurs dans le monde, l’Autre qui ‘vient’ de
1 Ignacio Ramonet, “Le déblocage culturel”, Europrospective, Le monde vu d ’E urope. Paris: Economica,
1989, 95-108.
2 Simon Nora, “Quelle prospective aujourd’hui ?”, Prospectives 2005. Paris: Economica, 1987 cité par
Ignacio Ramonet, “Le déblocage culturel”.
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121
régressions.3
Nous devons souligner une autre composante de cette liste fertile en implications: celle
institutionnels. Certes, il s’agit là d’un effet de migration où les nouveaux arrivants sont
cette migration s’opère plutôt à sens unique: les habitants des “pays en voie de
traitement différent fondé sur la différence perçue ou réelle d’une personne - sont par
conséquent examinés afin de conclure si la personne a été exclue en raison de son altérité
ou non. Dans la plupart des cas, le nouvel arrivant qui se trouve dans une situation
des natifs. Autrement dit, le nouvel arrivant se considérant et en étant considéré comme
Ainsi nous voyons qu’en sciences humaines, les études traitant la question de l’altérité se
sont multipliées. Dans le domaine littéraire, le texte est soumis à des grilles de lecture
qui explorent les relations entre les différents éléments textuels par le biais de nouveaux
3 Serge Lier, “Les mouvements tectoniques de la culture”, Europrospectives, Le monde vu dEurope. 135—
144.
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122
contribué à la compréhension du texte, par contre, elles se sont souvent additionnés pour
opacifier les démarches suivies dans ce domaine. Ceci est dû en raison de la définition
trouve ce qu’il apporte” (Mies, L ’“Autre”, 7). Puisque le champ que l’altérité couvre est
Nous avons vu dans les deux premiers chapitres que le contexte africain colonial a
“inventé” un Autre qui appartient à une race différente. Cette catégorisation construite sur
la notion de race entraîne d’autres distinctions, à savoir la classe sociale et le rôle que les
individus sont censés occuper dans la société. Pour notre approche, nous voulons donc
privilégier les rapports entre les personnages blancs et noirs et les structures qui en
découlent. Choisir une telle approche signifie que certains aspects de la problématique
africain. Dans les micro-considérations4, nous entendons les diverses formes que prend
4“On ne devrait pas [...]oublier, du point de vue de la méthode, la distinction suivante , mise en valeur par
certains sociologues, entre micro et macro-dimension dans leur explication des mécanismes cachés par
lesquels les systèmes établis récupèrent les résultats des efforts isolés et individuels. Ces auteurs montrent
que le retentissement d ’une action sur le plan social , le sens qu’elle y prend effectivement ne dépend
jamais uniquement de l ’intention des acteurs. [...] si sur le plan personnel, les attitudes peuvent être d ’un
sens cohérent avec le message chrétien, et même être perçues comme telles” par des bénéficiaires
éventuels, “ le sens global de cette action prend une coloration très différente, dès que l ’on considère le
type de relations que cela établit avec le système économique et avec le type de rapports sociaux existant
dans l ’ensemble social ”[...] à l ’analyse apparaissent deux niveaux de perception de sens. Le premier micro-
dimensionnel est le “niveau de la vie quotidienne” de l ’agir “immédiat”, de ce q u i, dans le comportement
des acteurs sociaux, est “directement perceptible et donc maîtrisable”, comme ces comportements eux-
mêmes. [...] Quant au second niveau, macro-dimensionnel, il concerne [...] les structures qui informent
socialement ou culturellement “la globalité structurale” de l ’ensemble social.” O. Bimwenyi-Kweshi,
Discours théologique négro-africain. Paris: Présence Africaine, 1981, 82-85.
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l’altérité au niveau de l’individu. À l’opposé des “macros-considérations” (que nous
analyserons dans le prochain chapitre), la catégorie “micro” situe les formes de l’altérité à
considère Autre. À notre avis, dans le texte littéraire toute manifestation d’altérité peut
être répartie dans ces deux catégories: les micros et les macros-considérations.
Pour passer du général au particulier dans la notion de l’altérité, on est obligé d ’examiner
les êtres. Autrement dit, il est difficile de parler de l’altérité si on n’est pas en présence de
1’altérité se dissipe et le concept devient plus concret quand nous considérons les
personnages. C’est à travers les discours, les pensées et les comportements que les
personnages dévoilent et expriment à la fois leur identité et leur altérité. Par exemple, on
peut dire qu’un personnage démontre son altérité s’il s’oppose aux valeurs des autres
univers qui est radicalement différent des autres personnages de l’oeuvre. Étant en dehors
du cercle représentatif des autres personnages, l’autre romanesque fait fonction de fenêtre
discursive qui permet au lecteur de prendre connaissance des lieux d’ancrage de l’altérité.
C’est grâce au personnage de l ’autre que le lecteur parvient à saisir l’altérité en réduisant
romanesque, ce personnage est facilement identifiable soit dans son agir soit par son
pâtir, tantôt par un manque, tantôt par un surplus. La situation de manque ou d’abondance
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124
est une condition sine qua non qui est pertinente à tout personnage qui se veut autre. Elle
est souvent traduite par une intériorisation au niveau ontologique du personnage. Dans un
premier temps, cette condition sert également à l’isoler des autres personnages - nommé
romanesque exige un outillage précis. Pour Janet Paterson, il est impératif que le lecteur
simpliste:
Tout lecteur par exemple qui prend pour acquis que l’autre fictif appartient
emprunter “les stratégies discursives opératoires” qui sont en évidence dans le texte.
C’est là une notion qui a été suggérée par Eric Landowski, à savoir que le personnage de
l’autre dans le roman serait une construction. Si selon Philippe Hamon, le personnage est
un “réseau de signes”, on pourrait affirmer que le réseau de signes de l’autre est marqué
L’altérité par son essence, implique la différence. Or, cela ne veut dire pour autant que la
différence est synonyme d’altérité. Par extension toute manifestation d’une différence
l’autre. Néanmoins, il convient de préciser que cette distinction sémantique ne fait pas
5Janet Paterson, “Pour une poétique du personnage de l ’autre” Texte, numéros 23/24. 1998, 9 9 - 117.
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125
avec une unité plus grande dont il représente un écart, il pose toujours un défi
différence et altérité (distinction sur laquelle les chercheurs ne sont pas d’accord -
Il résulte de cette perspective que toute définition de 1’altérité serait arbitraire. Pour Eric
personnages dans une oeuvre littéraire comme dans la réalité va de soi, cette distinction
personnage peut-être définie comme altérité si elle est “pertinente”. Notons-le, cette
référence qui s’opposent à celles de 1’ autre. Ces différences peuvent être maximales ou
minimales. Un autre élément à ajouter, est que 1’altérité dans une oeuvre littéraire n ’est
pas statique. En effet, elle progresse au fur et à mesure dans le roman. Pour emprunter un
terme qui ne fait pas l’unanimité parmi les critiques, le “développement” du roman
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126
autres personnages ou du groupe de référence. S’il est vrai que l’exclusion est
Que signifie l’exclusion d’un personnage par le groupe de référence? Est-elle absolue,
c’est-à-dire, le groupe de référence isole l’autre dans toutes ses activités? Nous préférons
l’expression “différence pertinente” qui est plus facilement identifiable que l’exclusion.
D ’un point de vue global, la différence est pertinente quand elle devient un élément
significatif dans l’oeuvre. Une des caractéristiques communes de ce dispositif est qu’il
peut y avoir plus d’un personnage de l’autre dans le même roman. Selon cette
parce qu’il est exclu par le groupe de référence au début du roman. Cependant, en
s’opposant au groupe, il parvient à l’influencer et le force à adopter ses valeurs d’où une
Si l’altérité est maximale ou minimale, il peut aussi y avoir une “ mise en chantier” des
personnages où l’exclusion n’est pas donnée d’avance. Adopter un tel outillage comme
grille de lecture est très utile. Or, à notre avis, les analyses judicieuses et éclairantes de
appuyant nos analyses sur les travaux de Landowski, nous proposons un travail de
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l’Afrique et celui sur l’Afrique. Au fond, les questions posées sont les suivantes: Y a-t-il
une Afrique de l’altérité? Y a-t-il une altérité de l’Afrique? Comment sont-elles articulées
Nous croyons que, tout en étant soumis aux structures internes du texte par le biais du
“groupe de référence”, le personnage de l’autre dans le roman africain semble sortir d’un
discours idéologique qui dépasse les frontières du texte. En effet , l’altérité semble être
manipulée par des discours idéologiques qui au premier abord ne sont pas évidents. Nous
ferons donc appel à l’intertextualité, ces liens évidents et apparents aux textes ou aux
insisterons aussi sur ces “textes de référence” qui nourrissent le roman africain. Il serait
faux de penser que ces deux perspectives d’analyse sont en collision. En fait, elles se
Nous avons vu dans les chapitres précédents que le lecteur, le romancier et le critique
sont tous partenaires implicites dans la composition du texte ainsi que dans sa lecture. Il
est difficile de déterminer à coup sûr qui se situe à l’origine de cette relation, ce qui fait
que nous avons tendance de l’appréhender non pas dans la linéarité mais plutôt en tant
qu’un réseau au sein duquel chaque élément est à la fois fin et commencement. Nous
constatons que l’altérité telle qu’elle apparaît dans de nombreux romans africains est
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128
nourrie par une interrogation qui relève d’un paradigme principal de l’identité et de
l’appartenance. Les romans coloniaux ont largement contribué à fixer une représentation
[...] a primary symbol that Europeans and white Americans used to express
Le titre de notre travail pourrait avec raison prêter à confusion, d’où la nécessité de bien
préciser le contexte dans lequel nous l’avons ainsi formulé. On ne peut enfermer l’altérité
africaine, même si ce n’est que dans le roman, dans quatre ou cinq catégories de
intérêts coloniaux et esclavagistes, il n’est pas question pour nous d’avoir recours à la
détriment des peuples qui y habitent. La vision d’une Afrique homogène (Heim,
compris les meurtres des dirigeants, la famine et les guerres tribales continue d’être
6 CurtisKeim, Mistaking Africa, Curiosities and Inventions ofthe American Mind. Boulder, (Colorado):
Westview Press, 1999, 10-11.
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129
Mais le Rwanda n ’est pas le tout de l’Afrique, comme la Bosnie n ’est pas le tout
diversité. Cependant une deuxième question se pose: comment donc saisir l’imaginaire de
cette immense population à travers les quelques textes qui sont représentés par notre
corpus? Avant de procéder, il serait abusif de dire que tout roman africain serait une thèse
ou antithèse d’un certain discours, colonial ou autre. Ce que nous proposons donc, c’est
L’enfant
Les jugements portant sur les Africains et leurs cultures par les Européens ne manquent
pas. Cependant ceux qui nous intéressent pour les besoins de notre analyse, c’est
l’existence de discours qui ont prévalu pendant longtemps dans l’imaginaire européen:
l’homme africain aurait un âge mental équivalent de celui d’un enfant européen. Ce n’est
qu’une composante qui allait contribuer à établir l’appelation du “continent noir” dans
l’imaginaire européen:
Everywhere Westerners looked in Africa, they found depravity. Or, they found
peoples who had never advanced beyond the stage achieved by European
7 Jean-Louis Roy, Une nouvelle A friq u e -À l ’aube du X X le siècle. Montréal: Éditions Hurtubise HMH
Ltée, 1999, 11.
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130
Un tel point de vue n’était pas seulement populaire en Europe qui avait des liens avec
américains. C ’est ainsi qu’en 1909, lors d’un safari en Afrique, Roosevelt envoyait cette
[...] like ail savages and most children [Africans] have their limitations, and in
dealing with them firmness is even more necessary than kindness (Keim,
Mistaking, 39).
o
La croyance selon laquelle les Africains étaient semblables aux enfants puise ses
The logic o f évolution assumed that Africans were mentally équivalent to children
and therefore could not produce art, religion language, writing, literature, or
political structures that were as advanced as those of the West (Keim, Mistaking,
42).
s’opposent au groupe de référence des adultes et font preuve d’une lucidité exemplaire.
8 Ouvrons une brève parenthèse ici pour signaler qu’on retrouve cette croyance non seulement chez les
Européens, mais aussi chez certains auteurs noirs à l ’exemple de René Maran, “l ’Écrivain nègre de langue
française”. Le lecteur découvre, disséminés dans ses romans, des parallélismes entre les personnages
adultes et les enfants. Maran expose dans ses oeuvres des personnages africains qui sont diamétralement
opposés aux rôles qui leur sont conférés traditionellement: “The same points are made, the same portrait is
repeated, throughout Maran’s African novels: we see those “big black children”, “spoiled, wallowing in the
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la diversité profonde qui existe sur le continent, il est quand même possible “de dégager
Il faut peut-être remonter à L ’enfant Noir de Camara Laye pour voir l’enfant africain
comme un archétype. Ce dernier est souvent dans les oeuvres africaines “le produit
d’une tension entre deux sensibilités, deux visions, deux manières d’être, de saisir le
monde.”10 Dans ce roman de Laye, par exemple, le jeune personnage est constamment
bombardé par un certain nombre de choix. Alors que les adultes semblent avoir déjà
choisi leur voie, le lecteur assiste à la transformation de l’enfant. La fin du roman donne
pleinement soit les valeurs occidentales soit la vision du monde traditionnel. S’il est vrai
que, l’exclusion du personnage-enfant n’est jamais totale, son altérité est par contre
référence. Ceci nous permet de faire deux observations. D ’abord, le personnage de l’autre
de l’enfant, assume son altérité en s’opposant non pas à un groupe de référence, mais aux
groupes de référence. Personnage ambigu, l’enfant circule aisément entre les deux
univers qui lui sont offerts. C’est ainsi que Nalla (Sow Fall, L ’appel) est capable d’être à
la fois en classe et dans les arènes. De même, l’enfant noir, confronté aux déplacements
Et c’était vrai que je rêvais: ma vie n’était pas ici... et elle n’était pas non plus
dans la forge paternelle. Mais où était ma vie? [...] “L’école...l’école ..., pensais-
filth, living on waste products, in squalor” acting incoherently, immaturely, like savages that they are. Femi
Ojo-Ade, René Maran, The Black Frenchman. Washington: Three Continents Press, 1984, 120.
9 Pierre Emy, L'enfant dans la pensée traditionnelle de l ’A frique noire. Paris: L ’Harmattan, 1990, 8.
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132
à s’approprier un espace:
Dakar.
Ce mode d’approche - les arrêts dans ces différents espaces - semble conditionner la
personnage qui est comme condamné à occuper des espaces doubles ou des frontières. En
représentent des valeurs tout à fait contraires. S’il est vrai que la dernière destination de
l’enfant est à Paris, on ne sait pourtant pas si ce sera une destination finale:
C’est en effet cette ambiguïté identitaire qui distingue le personnage de l’autre aux deux
formation de l’être:
10 Jacques Bourgeacq, L'Enfant Noir de Camara Laye, sous le signe de l ’éternel retour. Sherbrooke:
Naaman, 1984, 7.
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replie sur lui-même, le rend inapte à la vie sociale [...]il faut tailler une brèche
dans cet édifice tout d’une pièce. Il faut entamer cette plénitude d’être, la
C’est ainsi qu’il s’oppose aux autres groupes de référence. Tantôt caractérisé par la
plénitude de son potentiel, tantôt par son manque d’expérience, l’enfant comme
personnage de l’autre est souvent un “personnage en chantier.” Autrement dit, son altérité
pourquoi l’enfant prendrait-il position pour un groupe de personnages au lieu d’un autre.
D ’une part symbole de la lignée ancestrale et des générations passées, et d’autre part,
l’espoir de changement et de progrès, l’enfant africain dans le roman est écartelé entre
autres personnages, ils sont eux aussi contraints de défendre leurs positions respectives.
Dans ce roman d’Aminata Sow Fall, l’univers est scindé en deux groupes de
personnages: d’une part, Ndiogou et Diattou, les parents du jeune Nalla et d’autre part le
reste des personnages. Quant à Nalla, personnage autre, il est comme pris entre les deux
camps qui s’affrontent pour son adhésion. Dès le début du texte, Diattou la mère et son
mari, insistent pour que leur fils reçoive une éducation à l’occidentale. En effet, il
11 Pierre Emy, L'enfant dans la pensée traditionnelle de l'Afrique noire. Paris: L ’Harmattan, 1990, 74.
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A leur retour, les parents ont immédiatement pris en main l’éducation de leur fils:
Puis ses parents étaient rentrés d’Europe et l’avaient arraché à Marne Fari. “Elle
nous a gâté l’enfant. Elle ignore que le monde a évolué et que l’on ne doit pas
La transformation chez Diattou, la mère de Nalla est très significative. D ’abord, elle se
manifeste au niveau du nom. Lors de son passage en Occident, elle demande à sa mère de
Sur les lettres que tu m’adresses, tu mettras Madame Toutou Bari; quand certains
noms sont difficiles à prononcer, les facteurs d’ici jettent le courrier (Sow Fall,
L'appel, 95).
Il s’agit là d’un détail important auquel le narrateur accorde une place prépondérante dans
son texte. Outre les liens évidents avec le caractère docile du toutou (chien, dans le
enfant par le groupe familial “ lui confère une identité, le reconnaît comme membre et se
donne un moyen pour avoir prise sur lui” (Erny, L'enfant et son milieu, 32). Aussi en
demandant à sa mère de s’adresser à elle comme Madame Toutou Bari, Diattou démontre
sa rupture avec ses racines de la société africaine. On mesure très précisément ce clivage
qui s’est établi entre Diattou et la communauté lors de sa première visite à sa mère après
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135
[...] elle avait débarqué en mini-jupe. Son accoutrement et ses cheveux coupés ras
avaient scandalisé les villageois. La stupeur n’était pas encore passée qu’elle osa
se promener dehors en pantalon, cigarette au coin des lèvres (Sow Fall, L'appel,
131).
On pourrait objecter que Nalla ne pouvait que très difficilement être qualifié de
personnage “autre” car ses parents, Diattou en particulier, se présentent comme ceux qui
font preuve d’appropriation de l’altérité à travers tout un réseau de signes contraires qui
les poussent hors de la communauté. Dans un certain sens c’est vrai, car Diattou
s’oppose à la société traditionnelle de sa mère et du griot Mapaté. Elle fait partie de ceux
qui “emportés par les vagues des cultures qui déferlent sur l’Afrique depuis l’époque
coloniale [pensent que] les activités des Noirs sont des résidus de la tradition ancestrale
d’Aminata Sow Fall, le groupe de référence serait non pas la communauté mais plutôt les
parents de Nalla. Ce dernier s’oppose à eux en insistant sur une éducation qui “[est] à la
fois enracinement dans les valeurs ancestrales de la civilisation et une ouverture aux
valeurs des autres civilisations; mais une ouverture défaite de tout complexe
12 Pierre Emy, L'enfant et son milieu en Afrique noire. Paris: L ’Harmattan, 1987, 32.
13 A. S. Mungala, “Education africaine et identité”, African Education and Identity, proceedings o f the 5*
Session o f the International Congress of African Studies held in Ibadan, December, 1985. Kent: Hans Zell
Publishers, Kent, 131-138.
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Monsieur Niang a pris congé sans se douter qu’à l’appel du tam-tam, Nalla a
rejoint les arènes, emportant tout en lui, sauf son petit corps engourdi, sa tête
ronde moutonnée et ses yeux vides d’expression (Sow Fall, L'appel, 15).
L’altérité chez Nalla, se révèle non pas par le rejet absolu de l’école selon le modèle
occidental mais en revendiquant une instruction fondée sur les apports des deux sources.
Aussi, quand les chants de lutte des arènes sont utilisés pour l’analyse des verbes, (Sow
Fall, L ’appel, 91) Nalla se plie volontiers aux instructions de Monsieur Niang. En
quelque sorte, on peut dire que Nalla représente le juste milieu. S’il s’oppose à ses
parents, c’est parce qu’il croit que les apports de l’instruction traditionnelle sont aussi
importants que l’apprentissage selon la volonté de ses parents. Nous voyons donc un
personnage qui fait un va-et-vient constant entre la classe/la maison paternelle et les
arènes. L’opposition spatiale revêt une signification essentielle dans le roman. Alors que
Diattou et Ndiogou préfèrent les lieux clos, à savoir la salle de classe, la maison, la Land
Rover, le jardin de papa, l’hôpital, la maternité, et les salons, Nalla choisit les lieux
ouverts. Ainsi, les arènes, cet “immense terrain entouré d’une palissade de bambous”
(Sow Fall, L ’appel, 27) dans le quartier Montagne était devenu pour lui un lieu de
prédilection. Le lieu clos de l’univers familial qui est symbole de prison pour Nalla est
Un jour, Nalla jouait tout seul avec un ballon chez lui. C’était pendant les grandes
vacances scolaires. La ballon était passé par-dessus la clôture. Nalla était sorti
C’est en dehors de la maison et de la propriété familiale que Nalla fera son initiation et
son apprentissage. Alors que les parents de l’enfant insistent sur une formation
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académique fondée essentiellement sur le modèle occidental, à savoir que l’instruction est
prise en charge par des professionnels tel que M. Niang, Nalla se distancie de cette
“conkom”. Ce dernier sera son instructeur principal qui lui fait connaître la communauté
transportant Nalla là-bas, dans le Saaluum, parmi les cultivateurs paisibles (Sow
C’est encore André qui lui fera découvrir cet autre monde, cet espace communautaire
[...jcette vaste maison composée de cases au toit de chaume [...]où toutes sortes de
C’est dans cet endroit que Nalla fera connaissance des lutteurs. Après la mort d’André, ce
suggéré de ses parents. Voyant que tout lien avec son lignage a été rompu par Diattou, sa
mère, les arènes et les lutteurs deviennent pour Nalla, la communauté de substitution, au
sein duquel il sera instruit. Cette approche est fidèle aux objectifs visés par les valeurs
africaines:
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138
Bien que Nalla ne soit pas exclu par le groupe, nous voyons qu’il est personnage autre en
valeur archétypique dans la mesure où ils représentent ceux qui rejettent toutes les
Nalla, est lucide. Tout en apprenant, les nouvelles façons d’être introduites par la
Nous voyons que Nalla parvient à influencer et à imposer sa vision du monde sur son
père. S’il est autre au début du récit, en insistant sur son désir de connaître les arènes, il
fait basculer le pouvoir de son côté alors que sa mère Diattou, se retouve seule.
Dans Une vie de boy14 qui n’est autre que le journal de Toundi, le jeune “boy” nous
révèle son “être autre” dans ses rapports avec les Blancs colonisateurs vivant en Afrique.
En voulant éviter le fouet de son père, le jeune Toundi décide de partir vivre avec un
prêtre catholique-missionnaire:
connaître la ville et les Blancs et vivre comme eux (Oyono, Une vie, 20).
Dans un premier temps, Toundi rompt avec sa famille et la tradition. Cette rupture est
d’autant plus significative car elle se passe avant son initiation - moment crucial dans la
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vie de tout adolescent africain. L ’action de Toundi prend tout son sens parce que ce
Au village, on dit de moi que j ’ai été la cause de la mort de mon père parce que je
m’étais réfugié chez un prêtre blanc à la veille de mon initiation où je devais faire
connaissance avec le fameux serpent qui veille sur tous ceux de notre race
question son identité et son appartenance à la race. Il semblerait donc que face à la
catégorie raciale, tout autre élément est occulté, voire ignoré dans l’articulation de
l’altérité. D ’ailleurs la trahison de Toundi sera rendue plus exceptionnelle quand il se fait
baptiser et change son nom en Joseph. Il convient en outre de rappeler que l’enfant
devenu chrétien, sera reconnu par le fait qu‘il n’a pas été circoncis. Si Une vie de boy
offre au lecteur peu d’indices sur la vie traditionnelle en Afrique, il explicite par contre,
l’adaptation de l’enfant noir dans un milieu catholique et étranger. La vie chez les Blancs
devient ainsi un climat propice pour le narrateur de mettre en relief le caractère oppressif
la façon que le lecteur prend connaissance du journal de Toundi est tout à fait singulier.
En effet le narrateur prend possession du journal au moment où son auteur est sur le point
nous présente les faits dans leur immédiateté. Dès les premières lignes du journal, Toundi
identifie le groupe de référence en établissant l’opposition qui le sépare en tant que Noir
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Maintenant que le révérend père Gilbert m’a dit que je sais lire et écrire
couramment, je vais pouvoir tenir comme lui un journal. Je ne sais quel plaisir
cache cette manière de Blanc, mais essayons toujours (Oyono, Une vie, 13).
et l’Europe sont interprétées par Toundi comme substances identitaires de la race. Selon
cette interprétration, l’écriture serait “une manière de Blanc.” Ce jeu narratorial entre
l’expérience de la lecture et de l’écriture pour Toundi et, la lecture (pour nous lecteurs et
lectrices) d'Une vie de boy est voulue. S’il est vrai que l’expérience de la lecture est
personnelle, force est d’observer que Toundi tente de transmettre l’aliénation profonde
L’altérité dans le cas de Toundi est réciproque. En effet, Toundi se considère ‘autre’ par
rapport aux Blancs et ces derniers ne l’acceptent pas comme un des leurs en dépit des
nombreuses transformations qu’il a subies. Tout comme Nalla, Toundi est à cheval entre
les deux cultures. A la mort du père Gilbert, Toundi devient le boy du commandant. La
- Tu es intelligent ....je peux compter sur petit Joseph, n’est-ce pas? (Oyono, Une vie,
31-34)
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141
Nous retrouvons ici le discours colonialiste où les différences entre les Blancs et les Noirs
Blancs. La négation sert de base à l’idée que le Blanc se fait de l’identité nègre - une
chez les prêtres. Cette altérité de Toundi est soulignée au début même du journal:
Il me présente à tous les Blancs qui viennent à la Mission comme son chef-
d’oeuvre. Je suis son boy, un boy qui sait lire et écrire, servir la messe, dresser le
Pour le prêtre Gilbert, en dépit de son “progrès”, “Toundi n’est rien d’autre qu’un objet
dont il faut s’en servir”.15 Les rapports que les colonisateurs entretiennent avec les
autochtones sont inégalitaires et les considérations d’ordre racial motivent les positions
toujours repoussé par les Blancs parce qu’il est nègre, néanmoins il faudrait ajouter qu’il
est aussi perçu comme autre par les siens, du fait qu’il a manqué son initiation surtout la
circoncision. Ceci est évident quand il passe la nuit avec Sophie, la maîtresse noire de
l’ingénieur:
- Toi, tu es un drôle d’homme...Tu es enfermé dans une case avec une femme ...et
tu dis que ta bouche est fatiguée! Quand je raconterai cela, personne ne me croira
15 Raymond O. Elaho, “La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet et Une vie de Boy de Ferdinand Oyono", Afrique
littéraire et Artistique, 1976, numéro 39, 13-19.
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Il paraît aussi intéressant de montrer que Toundi construit son identité en imitant les
Je serai le boy du chef des Blancs: le chien du roi et le roi des chiens. (Oyono,
d’intérêt du texte. En vertu de ce principe, Toundi est considéré comme Autre, par les
Blancs, les siens et lui-même. C’est à ce carrefour identitaire problématique qu‘il paraît
possible d’évaluer le personnage principal comme l’Autre. Cependant il est Autre, parce
qu’il est ni tout à fait nègre ni Blanc. Incirconcis, tout comme les Blancs, comprenant à la
fois le Ndjem - sa langue maternelle et le français, Toundi vit la colonisation sur le mode
d’un déchirement intérieur. Il en découle que sa position lui permet de comprendre les
deux univers, tout comme Nalla. A cet égard, on peut considérer le séjour de Toundi chez
le Commandant, comme une initiation16 qui mène à la lucidité. Dès lors, il devient
possible pour l’enfant de faire “une découverte progressive du Blanc [...] qui
s’accompagne d’une discrète mais très efficace remise en question des valeurs du monde
occidental”17 Si, sous un autre angle, on peut dire que Toundi n’est pas le seul à
La “position” de Toundi peut-être résumée comme celle d’une double culture. A l’opposé
des autres personnages noirs vivant ou travaillant chez les colonisateurs tels Baklu le
blanchisseur qui “parle mal français” (Oyono, Une vie, 94), le cuisinier du commandant,
16 Nwabueze Joe Obinaju, “Quête et initiation dans Une Vie de Boy”, Neohelicon XXII/2, 1995, 155-169.
17 Jacques Chévrier, Une Vie de Boy, Oyono, Paris: Hatier, 1977, 54.
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démontre une certaine assimilation dans la culture occidentale-coloniale. Si aux yeux des
Blancs, l’assimilation de Toundi est positive, elle constitue en même temps une menace à
Vous voyez, il n’ose pas nous regarder[...] Il est dangereux. C’est comme ça chez les
indigènes. Quand ils n’osent plus vous regarder, c’est qu’ils ont une idée bien arrêtée
La confrontation de Toundi avec l’ordre colonial qui est synonyme de menace nous aide
à démythifier la croyance populaire à savoir que le Noir n’était qu’un enfant comme
pour conclure que le nègre n’est qu’un enfant ou un couillon (Oyono, Une vie, 82).
Ce sont ces enjeux à la fois pratiques et interprétatifs qu’Oyono met en évidence lorsqu’il
l’aspect enfantin chez tout Noir adulte. Toute transaction équitable entre Blancs et Noirs
est ainsi sérieusement compromise, voire rendue impossible, par cette vision occidentale
du monde. Ces interrogations renvoient à des réflexions qui sont fondées et qui servent de
l’altérité telle qu’elle est perçue et vécue par ceux et celles qui ont connu les deux
principales cultures. La lucidité du personnage enfant est le résultat de la navette qu’il fait
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dans sa quête identitaire. Personnage principal qui a bénéficié d’une scolarisation dans la
plupart des cas, son parcours et son émerveillement sont intériorisés par le lecteur.
Il faut dire que la problématique du personnage de l’autre en tant que construction est
évidente non seulement dans Mission Terminée, mais dans la plupart des oeuvres de
Mongo Beti. Dans Mission Terminée1*, le jeune Jean-Marie Medza se voit confier la
tâche d’aller chercher la femme de Niam (un cousin éloigné) au village de Kala. Cette
entreprise se transforme en mission personnelle quand le jeune héros découvre qu’il est
contre l’autorité paternelle et celle du groupe en choisissant de partir. S’il est vrai que le
ces schémas de diverses façons. Aussi, l’univers romanesque de Beti expose d’autres
conflits internes au groupe. En effet, pour Bernard Mouralis, Beti repousse le discours
ethnologique, qui n’est en somme “qu’un discours illusoire et mystifiant parce qu’il
consiste à enfermer les Africains dans une différence essentielle qui sert à les caractériser
par rapport aux Européens.” 19 Or, s’il est impossible d’ignorer les diverses implications
se rend pas compte de son identité différente des siens. Son voyage au village natal et à
Kala, lui donne une occasion de se comparer aux autres. On assiste dès lors à une
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tenté d’interroger certaines réflexions liées au concept de l’altérité. Jean-Marie est-il autre
lecteur n’est-il donc pas la révélation d’une altérité latente du personnage? C’est peut-être
personnage est dévoilée par le biais d’ajouts de signes contraires. Jean-Marie n’est pas
tout à fait autre au début du roman mais il le devient graduellement grâce à ses rapports
avec les autres. Il est impératif de noter que le dévoilement du personnage de l’Autre se
fait simultanément par le dévoilement des autres personnages - on découvre que Jean-
Marie est différent des autres par les comportements de ces derniers. Les écarts et la
Dans un premier temps, le personnage principal apparaît comme différent des autres à
Jean-Marie inspire l’adoration et la fascination chez les gens de son village natal. Il est
élevé à un niveau mythique d’où son élection presque unamine par la communauté pour
Tes diplômes, ton instruction, ta connaissance des choses des Blancs[...] Qu’il te
proche, pour faire mettre en prison qui tu voudras ou pour lui faire obtenir
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révéler sa surprise de se retrouver dans “un bien curieux pays” (Beti, Mission, 49) qui ne
Juste à l’entrée du village, se déroulait un spectacle saisissant non tant par son
décor que par la rude sauvagerie qui en agitait tous les acteur s[.. .]j ’étais
S’il est vrai que le terme “sauvagerie” renvoie à un discours essentiellement colonialiste
et raciste, tel que véhiculé par les Européens pour qualifier les pratiques et coutumes
africaines, dans le récit, il représente l’écart qui existe entre l’univers de l’observateur et
celui de l’observé. Jean-Marie se sent autre - mais non d’une altérité symétrique: il s’agit
d’un autre supérieur: “Il n’y a pas de symétrie entre voir et être vu [,..]”20 s’applique ici
au personnage narrateur principal. Il se sent étranger dans cet univers de luttes sauvages:
Cette dissymétrie radicale entre l’identité et l’altérité, l’étranger, plus que tout
autre, l’actualise [...] L’étranger sait que le monde ne lui appartient pas.21
principal comme supérieur par rapport aux habitants de Kala. Parallèlement, les
impressions seront modifiées au fil du récit. Pour le jeune garçon, Kala devient une école
où il est exposé aux moeurs traditionnelles. Par contre, ce qui le distingue des autres,
c’est qu’il est à la fois citadin et scolarisé. Il convient de noter qu’en effet, le personnage
est le seul scolarisé dans le roman. Ces différences sont indispensables au traitement
20 Mondher Kilani, L ’invention de l ’autre, Essais sur le discours anthropologique. Dijon-Quetigny: Payot
Lausanne, 1994, 73.
21 Simon Harel, “L ’étranger en personne”, L'étranger dans tous ses états, Enjeux culturels et littéraires.
Montréal: XYZ, 1992, 9-26.
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préférentiel qu’il reçoit des habitants de Kala. Dans un premier temps, les gens
ville...
- Je te crois que c’est un gars de la ville. Regarde donc ce vélo (Beti, Mission,
45).
A ces différences dans l’aspect extérieur, les gens de Kala sont d’autant plus portés à
Jean-Marie. Cet écart s’élargit avec la composante scolaire chez Jean-Marie. A l’opposé
de Jean-Marie qui est complètement ignorant de son cousin qui vit à Kala, ce dernier
Regardez bien ce garçon, continua-t-il dans notre langue; c’est mon cher petit
cousin. Il est entré à l’école dès sa tendre enfance [...] Il a reçu tous les diplômes
que vos petites caboches peuvent imaginer [...] Pourtant, regardez-le bien, c’est un
Le lien entre scolarisation et ville a toujours été un rappel du parcours de l’école comme
Ici interviennent les différences fondamentales qui opposent les grandes villes aux
campagnes. Les liens étroits qui historiquement ont uni les processus
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d’urbanisation et de scolarisation ont été décrits [...] plus un enfant s’élève dans
Tandis que les habitants de Kala sont fascinés par Jean-Marie et sa formation scolaire, il
se rend compte de son manque de savoir du milieu villageois: ainsi Mission Terminée fait
partie de ces romans africains qui continuent le débat sur l’implantation de l’école selon
L’école s’est établie en Afrique selon les modalités très diverses: elle fut acceptée,
tolérée ou refusée selon les régions, les ethnies ou les pays (Lange, L'école, 15).
reconnaître:
En réalité, le héros ne cesse de se sentir différent des autres car il ne possède pas
C’est ainsi qu’il se sent complètement dépaysé par les événements à Kala. A titre
pays, mais aussi il “ne reconnaît pas la signification du rythme et ne se doute pas qu’on
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pas à meilleure compréhension des “illettrés” de Kala et de leurs coutumes. Selon cette
de Jean-Marie à l’école signifie que l’enfant n’a pas pu apprendre ce qui est considéré
communauté de Kala, nous voyons, par contre, qu’il s’entend très bien avec les jeunes
plusieurs figures. La rencontre entre Jean-Marie et les villageois nous conduit à examiner
le conflit de générations: le jeune garçon ne peut pas s’entendre avec les vieux. Il faut
quand même ajouter que si la révolte est présente en filigrane dès les premières pages du
La jeunesse de Jean-Marie est évoquée pour la première fois lors du voyage en car
- Il n ’y a pas de quoi rire, petit. Tu devrais plutôt pleurer. Sais-tu une chose? Eh
bien, moi, je suis resté des années au Congo belge[...]Tu ne peux pas comprendre,
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présumé manque chez l’enfant se transforme en lucidité alors que les vieux vivent dans
le personnage enfant entre en conflit avec le système qui est réglementé par les aînés.
C’est ce que l’on observe dans Mission Terminée: en s’opposant à l’autorité partriarcale
L ’autorité paternelle est d’abord évoquée par Niam pour obliger le jeune garçon à
dernier:
Cette femme n’est pas seulement la mienne, c’est notre femme à tous[...]Et si ton
père était là, il serait le premier à t ’ordonner de te rendre chez ces gens (Beti,
Mission, 26).
Le même argument est utilisé par Bikokolo le patriarche du village. Devant l’opposition
de tante Amou, Bikokolo insiste sur le fait que l’enfant retrouve “en [sa] personneun
père qui le chérit encore plus que lui-même” (Beti, Mission, p. 32) pendant l’absence de
son père biologique. Tout en reconnaissant que Jean-Marie est encore jeune, Bikokolo
- Ma fille, de quoi t ’inquiètes-tu donc? [...] Il est jeune, ce petit Medza, et qui en
douterait? C’est presque un bébé[...] Je n’en doute pas qu’il n’en soit capable de
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Pour les patriarches dans le récit, le bien de la communauté prime sur celui de l’individu,
en particulier sur celui de Jean-Marie. C’est dans cette perspective que le jeune garçon
devient Autre dans le roman. Alors que tout le monde est préoccupé par le bien
communautaire, il défend son droit à l’individualisme. Nous voyons donc que Mongo
l’exploitation des jeunes au profit des aînés. Afin de protéger son intégrité, le jeune est
dans les récits africains met en relief non seulement le Blanc mais aussi les autres
Mais l’Autre, c’est surtout un parent, un autre moi, celui qui dans la pratique
actuelle de la parenté est le soutien obligé mais qui menace l’intégrité du moi.24
Nous voyons dès le début du roman que le parcours de vie de Jean-Marie est dicté par les
vieux au moyen de stratagèmes bien réfléchis. Par exemple, l’instruction scolaire lui est
Il m ’avait livré à l’école, aussi jeune qu’il se peut. Ma mère avait protesté, ce qui
La relation au père - “une vingtaine d’années de terreur à peu près constante”- résume
bien la menace ontologique que représente le père dans la vie du garçon. Ce dernier
s’efforce de se construire une identité. Dans ses travaux sur la construction de l’identité
personnelle, Guy Bajoit examine les liens entre “les trois dimensions de l’identité
Terminée permet en quelque sorte au héros “de se parler à lui-même, de forger un récit
24 Bogumil Jewsiewicki, “La mémoire”, Les afriquespolitiques. Paris: La découverte, 1991, 59-69.
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par lequel il plaide sa cause devant lui-même, il s’explique ce qui lui est arrivé, ce qu’il a
fait, ce que les autres lui ont fait” (Bajoit, “Notes”, 69-84). L ’identité personnelle de
s’affirmer. Avant son départ pour Kala, il est évident que Jean-Marie a une “identité
Mon père n’avait eu de cesse que je ne passasse d’une classe à l’autre, sans en
Devant le désir des parents de voir leurs enfants acquérir une éducation, ces derniers à
Les pères menaient leurs enfants à l’école, comme on pousse des troupeaux vers
Selon cette optique, l’école était perçue par l’enfant comme une imposition du père. Dans
de nombreux pays africains, durant les années qui ont précédé les indépendances, toute
une génération d’enfants ont connu l’univers scolaire qui était “sans ressemblance avec le
leur” (Beti, Mission, 231) en raison des parents qui le voulaient pour leurs enfants. Pour
Jean-Marie, pendant toute sa vie, il a cédé au désir de son père pour qui il éprouve de la
haine. Or, en refusant d’obéir à son père, l’enfant affirme son identité personnelle. Qui
plus e s t, cette désobéissance se manifeste par une révolte contre l’école du père:
25 Guy Bajoit, “Notes sur la construction de l ’identité personnelle”, Recherches Sociologiques, Volume
XXX, no. 2, 1999, 69-84.
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examen [...] je ne veux plus que l’on me batte, et l’on ne me battra plus. C’est
La révolte se transforme en exil, qui a le sens d’une coupure entre deux mondes
incompatibles. Menacé dans son être, le personnage de l’autre est incapable de vivre
parmi les siens. Aucun espace ne semble favoriser son épanouissement sauf la solitude.
Or son exil à la fin du roman n’est pas uniquement la révolte contre le père, mais aussi
contre le chef du village de Kala qui a profité de son ignorance pour lui “imposer”
Edima. Cependant en dépit de son amour pour la jeune femme, Jean-Marie refuse de la
Edima est aujourd’hui la femme de mon frère. Je ne sais pas comment cela s’est
passé puisque je ne suis plus jamais retourné chez moi (Beti, Mission, 253).
Sans doute faut-il revenir sur la rupture de Jean-Marie avec son milieu familial et
traditionnel. Si le jeune garçon scolarisé est un personnage marginalisé qui est souvent
présent dans le roman africain, on aurait néanmoins tort de réduire l’altérité de Jean-
le personnage retournera à l’école pour terminer son bachot. Ensuite, sa révolte est
principalement dirigée contre les vieux. En dépit de tout ce qui le sépare de son cousin
Zambo, il vivra avec ce dernier qui ne “peut pas rester seul avec les vieux” (Beti,
Mission, 249). En choisissant, “l’errance à travers les êtres, les idées, les pays et les
manquons de recul si nous disons que le personnage principal choisit l’exil à cause de son
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altérité. L’exil constitue en lui-même une recherche de l’altérité par le garçon. Il veut
jeu des processus très complexes chez le personnage: d’une part, on sait que son père
veut que son fils soit autre, qu’il ait une bonne éducation afin de ne pas suivre son frère.
D ’autre part, nous sentons que Jean-Marie veut être Autre lui-aussi sans pour autant
partager la vision du père. Vu qu’il vit au sein d’une communauté patriarcale, Jean-Marie
L ’étude de trois principaux personnages enfants dans trois récits nous a permis de mettre
mission religieuse dans des communautés africaines. S’il convient de ne pas avoir une
vision unilatérale de la colonisation, les relations entre parents et enfants, par contre,
mettent en jeu des processus très complexes où l’école est perçue par les parents comme
moyen de grimper l’échelle sociale et économique. A ussi, elle est imposée sur les jeunes
enfants qui n’ont quasiment aucun mot à dire sauf l’obéissance. Face à deux visions du
monde diamétralement opposées, les enfants sont souvent sous pression pour réussir soit
dans les deux - comme Jean-Marie, soit de rejeter totalement l’une d’entre elles - comme
chez Nalla. Dès lors une confrontation à l’expérience s’impose car l’enfant est en mesure
de choisir la voie de son devenir. Or, dans une société où les enfants sont considérés
comme “les enfants de la communauté”, ils n’ont pas droit à la parole et au partage du
pouvoir. Face aux multiples exigences des parents ou autres sources de pouvoir, telles
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fondamental est à l’oeuvre dans le texte: celui du pouvoir. En effet, l’altérité devient plus
problématique quand elle n’est pas uniquement une variante de la différence mais quand
l’autre. Dans certains cas, elle est plus saisissable quand elle redistribue le pouvoir entre
les personnages, entre dominés et dominants. Dans cette perspective, Nalla, Toundi et
Jean Marie Medza remettent en question les sources d’autorité et de pouvoir. C’est peut-
être dans ce contexte que l’on pourrait faire intervenir la notion de pertinence. La
reconstruire les modèles du pouvoir. Pour vérifier et appronfondir ces hypothèses, nous
étudierons le rôle de l’épouse blanche en milieu africain pour nous rendre compte
comment elle représente un dispositif riche en signifiants dans ce jeu de pouvoir, souvent
L’épouse blanche
Nous avons vu dans la partie précédente que l’image de l’enfant telle qu’elle est
véhiculée dans les oeuvres africaines se présente souvent comme celle d’un jeune garçon
noir qui est pris entre deux cultures. Ayant bénéficié d’une part, d’une instruction
traditionnelle par l’entremise des rites d’initiation entouré par la communauté et, d’autre
aliéné. Marqué par le déracinement culturel, il est contraint de négocier son identité
ambiguë. Personnage focalisateur, son cheminement coïncide souvent avec celui du récit
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dans lequel il est porteur du message narratorial. Dans bien des cas, sa formation a été
imposée par ses parents. Sa lucidité s’oppose à l’étroitesse d’esprit de ces derniers, contre
qui il se révolte. Or, l’archétype de l’épouse blanche dans le roman africain offre au
lecteur une vision de l’altérité différente de celle qui est présentée par l’enfant noir.
Généralement parlant, la Blanche du roman africain est de prime abord épouse. En effet,
“par alliance” : soit elle a suivi son mari blanc qui occupe un poste dans l’administration,
soit elle est “ l’étrangère” que le Noir ramène au pays. Telle est la toile de fond de
population locale qui le perçoit comme un être d’une autre race mais également par sa
propre communauté. En effet, le fait d’appartenir à une infime minorité de femmes vivant
de la femme blanche, ressort avec une clarté évidente. Il est difficile d ’ignorer cet aspect
de la condition féminine des épouses blanches car elle se rattache au fondement même de
surtout une entreprise dirigée par les hommes et contre les hommes.
présence de la jeune fille blanche dans un tel environnement. Notons le ton qu’adopte
l’administrateur pour expliquer la raison pour laquelle sa fiancée n’est pas à ses côtés:
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- Vous la voyez en Afrique, vous-même bien portante? (Beti, Pauvre Christ, 276)
De plus, quand elles étaient présentes, les femmes avaient peu à dire, voire rien dans des
The historiés of both the colonized and the colonizer have been written ffom the
Si l’histoire écrite de la colonisation met en jeu des hommes blancs et noirs, c’est que la
réalité coloniale telle qu’elle apparaît dans les divers écrits de femmes suggère qu’il
s’agissait d’un univers profondément masculin. Les travaux de Helen Callaway révèlent
L ’atmosphère coloniale est pressentie comme étant hostile envers les femmes
européennes:
[...] the Colonial Service was a maie institution in ail its aspects: its ‘masculine’
ideology, its military organisation and processes, its rituals of power and
The analysis of gender relations within this impérial culture shows the restrictions
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hommes étaient impliqués, la femme blanche était repoussée aux confins des échanges.
convient d’observer que l’exclusion de la femme blanche dans les activités économiques
était la norme dans le projet colonial. Suzy, l’épouse du commandant dans Une vie de boy
et, Marie, l’épouse d’un jeune médecin tunisien dans Agar nous serviront d’exemples
Il ne fait pas de doute que le premier problème à considérer est celui du statut identitaire
de l’épouse étrangère en Afrique. On peut suggérer qu’elle s’inscrit dans une double
aliénation - elle est différente dans sa différence, autre dans son altérité. Pour Callaway,
la situation des femmes européennes sous l’empire colonial est à comprendre surtout en
[...] women’s documents [...] reveal [...] the stories of women attempting to give
meaning and connection to their lives in a foreign world where they often felt
Vu ses rapports limités avec les autres personnages de l’oeuvre, l’épouse du colonisateur
dans Une Vie de Boy éprouve beaucoup de difficultés à communiquer avec les
Camérounais. Nous verrons dans les pages suivantes, trois aspects de l’altérité féminine
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son manque de contacts avec les indigènes et les problèmes auxquels elle fait face pour
Si nous avons beaucoup insisté sur l’élément de la colonisation dans nos analyses de
l’altérité dans les oeuvres romanesques, c’est pour bien contextualiser les rapports entre
les divers groupes de personnages. Dans un système de valeurs défini par un commerce à
sens unique entre puissances coloniales et pays colonisés, la différence première réside au
niveau de l’avoir. Dans ce nouveau contexte socio-économique, il apparaît dès lors que
l’assujetissement des pays colonisés instaure une nouvelle définition de 1’altérité qui est
Ce qu’il est essentiel de voir, c’est que des collectivités entières peuvent se
refermer sur elles-mêmes et ne plus voir dans l’autre, dans l’étranger, qu’un
On pourrait démontrer que cette attitude était bien à l’oeuvre dans la plupart des pays
colonisés ainsi que dans Une vie de boy. Les étrangers européens vivant en Afrique
l’écart des Africains. Cet ordre social et économique a dicté dans une grande mesure,
même jusqu’à présent, la nature des rapports qui pouvaient exister entre colonisés et
colonisateurs. Par exemple, nous voyons qu’il y avait peu de lieux où les deux
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celle de l’extra-territorialité. Elle est une irruption marquée dans l’univers spatio-
temporel d ’Une Vie de boy alors que peu de détails sont révélés au sujet du séjour des
mobilité géographique: du fait d’être au milieu d’une population noire, les Blancs se
voient conférer un statut supérieur. Il est à noter que cette supériorité n’est pas
négociable: du moins pas dans le roman. Être blanc dans un milieu colonial implique que
l’on est supérieur à la population indigène. Cette formule est généralement acceptée par
les deux communautés. Dès son arrivée, nous voyons par exemple, que l’épouse
s’identifie aisément à son nouveau rôle de maîtresse et d’être appartenant à une race
supérieure:
garder sa place... Tu es boy, mon mari est commandant... personne n’y peut rien
Citation remarquable qui illustre bien que, selon Suzy, la classe sociale est implicitement
déterminée par l’appartenance raciale. Elle fait appel à de vieux stéréotypes coloniaux
des conditions de vie, soit des manques par rapport à leurs pays d’origine. A l’exception
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du commandant, on ignore depuis quand les étrangers sont au pays. Il est frappant de
noter les analogies qui réunissent Toundi et Suzy, personnages qui sont tous deux
“autres”. L’arrivée de Toundi chez le commandant est suivie de près par celle de la
femme. Alors que le jeune garçon quitte sa communauté pour se réfugier chez les
missionnaires, la jeune femme quitte son pays pour rejoindre son mari en Afrique. Si le
récit commence avec l’arrivée de Toundi chez les missionnaires, de même l’arrivée de la
femme du commandant détermine la fin du récit. Il ne fait donc guère de doute qu’ils
événement clé bien démarqué dans le roman africain. Nous la retrouverons d’ailleurs un
peu plus tard dans Agar. Si Ton se reporte à la structure du journal de Toundi dans
laquelle le point de vue unique d’un personnage prédomine dans son rapport singulier à
situent à la frontière du temps et de l’espace. Pour le jeune garçon, cette arrivée modifie
radicalement ses rapports avec les autres. Curieusement, le boy s’interroge sur l’aspect
voudrais belle, plus belle que toutes les femmes qui vont au cercle européen
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Le personnage principal est bouleversé par l’arrivée de la jeune femme après qu’elle lui a
mythification de la femme blanche par les Noirs. Pour Toundi, toucher la jeune femme
équivaut à un acte sacré, semblable au culte des idoles dans le catholicisme. Par cet acte
purificatoire, le boy est comme lavé de sa souillure. Toundi établit donc une séparation
J’ai serré la main de ma reine. J’ai senti que je vivais. Désormais ma main est
sacrée, elle ne connaîtra pas les basses régions de mon corps. Ma main appartient
à ma reine aux cheveux couleur d’ébène, aux yeux d’antilope, à la peau rose et
indissociables. La femme blanche est définie par un ensemble de traits externes aussi bien
plusieurs piliers disséminés dans le texte, tout vise à démontrer que d’emblée c’est une
altérité voulue et recherchée par le narrateur: Toundi veut qu’elle se distingue des autres
femmes, qu’elle soit “Autre.” Nous avons ici un bon exemple de la “fascination” que
Dans un deuxième temps, l’altérité de la jeune femme découle du regard que porte les
Africains sur son corps. Elle est “autre” parce qu’elle est nouvelle et différente des autres
de la relation entre les gens du pays et des étrangers: il s’agit d’une relation superficielle
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qui se limite au niveau du regard. Si “ le regard est au coeur de toutes nos activités, [et]
s’inscrit dans toute relation avec autrui” 30, force est de reconnaître que le regard est
l’exception de ceux et celles qui sont affectés directement au service des colonisateurs -
le regard constitue le seul lien qui les met en rapport avec ces derniers. Aussi, la beauté
physique de Suzy devient-elle une des marques importantes qui confèrent à la jeune
Toundi est le seul personnage apte à décrire la jeune femme. Le boy, étant à proximité de
suivre. Par contre, les autres femmes ne bénéficient pas de ce regard singulier. Elles
apparaissent toujours en groupe soit pour les rencontres du cercle soit durant les visites
l’Autre. La survisibilité de Suzy est mise en contraste par l’invisibilité des autres femmes
blanches dans le roman. En ce sens, les autres femmes de la communauté sont éclipsées
dans leur groupe social. Elles ne sont ni vues, ni analysées en tant qu’actrices sociales ou
survisibilisation pour exposer Suzy. Particularisée, chacun de ses gestes est suivi et
catégorisé sur le plan axiologique. Le recours constant à une échelle de valeurs pour juger
les actes d’un personnage est fort révélateur d’une pratique qui relève de la construction.
30 Anne Sauvageot, Voirs et Savoirs, Esquisse d ’ une sociologie du regard. Paris: P.U. F., 1994, 7.
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Il faudrait voir d’autres aspects de cette altérité. Il faut reconnaître qu’une dynamique doit
être présente pour la construction du personnage de l’autre. Nous avons déjà relévé
interaction - attirance ou malaise- entre deux instances. On note aussi la présence d’une
voix - qui tente d’expliciter cette tension en désignant T Autre”. Dans ce même
colonial. Dans ses conséquences, le fait colonial est irréversible sur l’être, le colonisateur
tout comme le colonisé. Dès son arrivée, Suzy se croit et se dit ‘Autre’. Cette vision
hiérarchique de Suzy ne peut être expliquée que par l’idéologie dominante. Elle sert de
pré-texte, octroyant à la jeune épouse, le statut de l’autre. D ’ailleurs, ce statut n’est point
contesté par la population. S’il est vrai que le texte construit l’altérité du personnage par
cette notion.
Dans un deuxième temps, on constate que l’altérité de Suzy est issue principalement
particulier - sur le corps de l’étrangère. Selon Carmen Val Juliân, un des points de
Toute colonisation passe par ce regard comptable sur l’autre et ses richesses.31
31 Carmen Val Juliân, “Les relations géographiques des Indes au XVIe siècle, ou l ’altérité américaine en
questions”, Constructions des Identités en Espagne et en Amérique latine. Paris: L ’Harmattan, 1996,
29-42.
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Suivant une “rhétorique du regard, [où] il n’est pas possible de tout voir”32, le personnage
de l’Autre se forme sous et par le regard de celui qui a la parole. Être Autre, c’est non
seulement être vu, mais aussi être sujet de conversation ou de réflexion. En voyant
Suzy, Toundi se met à parler d’elle. D ’abord, la présence de Suzy, est esentiellement la
d’abord comme corps-en-situation qu’il nous apparaît, avec ses structures propres
Pour les hommes indigènes, c’est ainsi qu’est conçue leur “relation” avec l’épouse. Suzy
est uniquement, pour eux, un corps féminin qui reçoit un investissement mythique et
d’indigènes de par sa supériorité mythique, elle est, par contre, une proie à conquérir pour
les Blancs:
Quant aux hommes, Madame semblait être pour eux une apparition. Ils en avaient
oublié les bonnes manières qu’ils prodiguent à leurs femmes dans les rues de
Dangan pour les reporter sur Madame (Oyono, Une vie, 77).
Il faut dire que cette obsession pour le corps féminin, s’inscrit dans un discours qui
dépasse les oeuvres littéraires ou des arts. Pour Oyewùmi, le corps est le fondement de
l’ordre social:
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[...] the body is the bedrock on which the social order is founded, the body is
Nous irons plus loin, en précisant que le corps définit également le système colonial dans
sa globalité. L’ordre socio-économique est fondé sur l’appartenance raciale: être Noir,
c’est appartenir au groupe de dominés tandis qu’être Blanc, c’est être dominant:
Women, primitives, Jews, Africans, the poor, and ail those who qualified for the
embodied[...] They are the Other, and the Other is a body (Oyewùmi, The
invention, 3)
C’est ce que nous voyons dans le texte d’Oyono. L’autre pour Toundi et les Africains est
et la hiérarchie. Fait saillant, en découvrant accidentellement que son maître n’était pas
circoncis, nous assistons à un changement d’attitude chez Toundi. En dépit, du code strict
qui régit les rapports entre les principaux protagonistes, cet événement est intéressant à
bien des égards. Pour le jeune garçon, ce détail corporel remet en question le respect qu’il
sens que le commandant ne me fait plus peur (Oyono, Une vie, 44).
haute voix de ce qui la sépare des Blanches. Assise sur une caisse à l’arrière du pick-up,
elle n’arrive pas à comprendre pourquoi l’ingénieur ne veut pas qu’elle soit près de lui.
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Qu’est-ce qu’elles ont de plus que moi? Je me demande ce qu’elles ont de plus
que moi?[...] Mon derrière est aussi fragile que celui de leurs femmes qu’ils font
son physique. À l’unanimité, elle est marginalisée par le “ tout-Dangan blanc” (Oyono,
1969, 76) ainsi que par les gens du pays. Son altérité est réduite à son acceptation ethno-
géographique. Elle est le centre d’attraction du groupe européen. Cependant alors qu’elle
provoque une certaine admiration chez les hommes, les femmes “n’arrivaient pas à
pourrait donc se demander si le processus de l’altérisation n’est pas la voie par laquelle
tout groupe cherche à retrouver son équilibre. Par exemple, dans ce texte, l’épouse est
observée en raison de son arrivée au sein du groupe. Ainsi, elle change la dynamique des
rapports ambigus que les femmes entretiennent avec les hommes. Il ne serait d’ailleurs
ou d’occupations du monde féminin blanc. Alors que les hommes sont en Afrique pour
accomplir chacun une tâche administrative - M. Salvain est directeur de l’école officielle
- pour n’en mentionner que quelques-uns, les épouses n’ont pratiquement pas de fonction
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de coopération”34 qui caractérise les rapports entre les hommes et les femmes indigènes.
A y regarder de près, une remarque du même ordre pourrait se faire alors à propos d’une
Lié à la notion d’inactivité, notons l’absence d’enfants blancs dans les familles
européennes. Dans le roman, aucune allusion n’est faite aux Blanches dans leur rôle de
mère. L ’implantation des familles européennes - y compris les jeunes enfants - était
incompatible avec le projet colonial. La colonie - “la brousse”, l’Afrique sauvage n’était
représentent la jeune épouse du commandant par les deux communautés dans Une vie de
boy, nous permet de caractériser cet univers colonial. Pour les étrangers, la présence de
Suzy bouleverse l’ordre quotidien. Alors que les hommes de la communauté blanche la
désirent, pour les habitants locaux, elle est le mythe le plus universel de la femme
Tu vas te créer des ennuis en parlant tout le temps avec Madame avec ton sourire
en coin...Tu sais quand un Blanc devient poli avec un indigène, c’est mauvais
Toundi croyait voir en elle un renversement positif de son statut. Or, tel n’est pas le cas.
34 Paola Tabet, La construction sociale de l'inégalité des sexes: des outils et des corps. Paris: L ’Harmattan,
1998, 9.
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l’opposé des hommes qui sont contraints d’établir des rapports avec la population locale
de par la nature de leurs fonctions, les Blanches n’ont aucune raison à apprendre la
langue du pays. D ’autre part, l’épouse blanche ne fait aucun travail de ménage car elles
ont chacune un boy, un cuisinier et d’autres travailleurs indigènes qui accomplissent tous
les divers travaux domestiques. Nous voyons que Suzy, à l’instar de ses concitoyennes, a
une équipe “d’indigènes” à son service: Toundi, le boy; Baklu, le washman; le cuisinier
et le garde. Lors de sa première sortie en ville, nous constatons que Suzy est incapable de
Rien n ’illustre mieux les rapports entre Madame et la population locale que lors de la
dispute avec son mari. Au cours de la confrontation avec son mari, ce dernier lui
reproche de l’avoir trompé avec M. Moreau. Si l’infidélité de Suzy était connue de toute
“Ngovina ya ngal a ves zut bisalak a be metua.”! Sais-tu ce que cela veut dire?
Bien-sûr que non! Tu as toujours méprisé les dialectes indigènes (Oyono, Une vie,
153).
passage, à savoir, que sa femme le trompait. Nous avons vu que dans le roman africain,
le blanc ou la blanche s’inscrit dans une dynamique incessante de mise en relations et ils
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l’autre, cependant ils forment assurément des éléments pré-constructifs de cette l’altérité.
Nous avons démontré que Toundi, cet “oeil du sorcier qui voit et qui sait” (Oyono, Une
vie, 156) dont la vision prédomine l’oeuvre, choisit “l’Autre”: Suzy Decazy, la jeune et
belle épouse du commandant. Elle est celle qui est regardée par tous les autres. Objet de
fascination pour Toundi au début du roman, elle devient aussitôt une menace. Pourtant,
elle constitue une véritable altérité dans la mesure où elle se démarque de tout le monde
par son identité, ses comportements ainsi que l’attitude des autres à son égard.
L’histoire d’Agar traite cette problématique à partir d’une perspective différente. Si nous
retrouvons le motif de l’épouse blanche, par contre, Marie est celle qui est ramenée
d’Europe à la suite de son alliance. Lors de ses études de médecine à Paris, le narrateur -
un jeune docteur - a épousé Marie, une amie qu’il a rencontrée à l’université. Or, les
études terminées, accompagné de sa femme, il retourne à la ville natale pour s’y installer.
Dans un premier temps, nous insisterons sur le motif de l’arrivée de la jeune femme à
Tunis. Le début du roman coincide avec la rentrée du bateau, à bord duquel se trouvent
les personnages principaux dans le port. Ce premier voyage réel de Marie représente un
franchisssement réel d’un milieu vers l’autre. Les trois références à l’espace
filigrane les enjeux de ce voyage. En outre, le jeune homme dont la vision nous est
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imposée, rappelle à Marie qu’elle est en train de s’aventurer dans un espace nouveau,
Ce mouvement dans l’espace est d’ailleurs souligné par la position corporelle de Marie
communication met en évidence la place charnière qu’occupe dans cette oeuvre cette
arrivée. Alors que toute arrivée évoque un parcours spatial, dans ce récit, par le biais
Comment allait-elle juger les miens? Si différents d’elle par les moeurs, la
Pour le narrateur, une nette opposition s’établit entre “les miens” et “mon épouse”, les
trait “aux miens”, nous remarquons ici la volonté du narrateur de préciser qui en font
partie. Il ne s’agit pas que des parents ou amis, mais de tous ceux qui au sein de ce pays
ou ville partagent la même religion, la même langue et les mêmes moeurs. Si aucune
référence n’est faite à la race spécifiquement, par contre le concept de moeurs est
indissociable de celui de la culture. Les “moeurs”: “façon d’agir déterminée par l’usage”
niveau ambigu. En effet, les repères sociaux qui sont sous-entendus par le terme,
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acceptables par la collectivité. Cela ne signifie pas pour autant que les moeurs doivent se
constituer comme une catégorie homogène et cohérente. En fait, elles rassemblent toute
groupe. Comme nous le verrons un peu plus tard en détail dans nos analyses, Agar offre
au lecteur une description de ces moeurs comme s’il s’agissait d’instruire à la fois Marie
et le lecteur. Le “rite”de la glace en est un bon exemple: alors que la glace provient du
réfrigérateur en Europe, tel n’est pas le cas à Tunis où il est coutumier d’acheter un gros
morceau de glace à la glacière (Memmi, Agar, 29-30) pour la briser en petits morceaux
par la suite.
Si le narrateur établit dès la première page du roman une opposition tranchée entre deux
univers, très vite cet affrontement dépasse le cadre personnel. Une relation désormais
indissociable s’instaure entre la vision de la femme européenne et la culture dont elle est
issue. Aussi, les conflits prennent-ils des proportions qui se situent au niveau “macro”, à
savoir, dans une perspective communautaire et raciale. Il ne s’agit plus “d’elle” et des
“miens” mais plutôt, des “siens” et des “miens”. Cette dichotomie est véhiculée à travers
de nombreux signes disséminés tout au long du récit. Aussitôt arrivée chez les parents de
son mari, elle décline leur invitation à goûter aux gâteaux qui lui sont présentés. Ce refus
est aussitôt interprété par le narrateur comme un premier rejet de sa culture au profit de la
la sienne:
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Elle avait très faim, je le savais, mais elle attendait le café au lait, traditionnel
Alors que pour le narrateur, Tunis est certes un lieu connu; pour Marie, son étrangeté se
la répugnance. Les scènes typiques de la ville, les odeurs coutumières qui s’y dégagent,
les bruits quotidiens deviennent des éléments de répulsion pour le personnage. Lors d’une
promenade dans le quartier avec son mari, la réaction de Marie est significative:
- Elle est bien jolie cette place, n’est-ce pas? lui demandai-je.
De même, l’odeur qui émane du bouquet de jasmin, offert par son époux, lui est
insupportable:
Or, cette description des réactions sensorielles de Marie deviennent des marqueurs de
1’altérité parce-qu’elles constituent une déviance par rapport à Tordre des choses, à tel
D ’une rapide analyse des réactions outrées de Marie vis-à-vis du rythme de la ville, se
dégagent les interrogations suivantes: dans quelle mesure son sentiment de l’esthétique
est-il différent de celui des gens du pays? Est-elle capable d’accepter ou d’intégrer les
valeurs, dans le sens premier du terme, de cette communauté d’alliance? Ces deux
voire d’être, dans ce milieu. Le problème se pose ici uniquement en termes de répulsion
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physique et sensorielle. On ne peut pas dire qu’il y a chez elle un esprit d’ouverture à
l’égard des autres. L ’illustration de son intolérance se manifeste dans son regard sur la
ville et la culture du pays: tout la répugne. Il ne fait nul doute qu’elle est projetée dans un
monde qui porte atteinte au plus profond de son être. Elle ne s’inscrit pas dans cette
“culture esthétique moderne [qui] offre la possibilité d’un nouvel universalisme [et qui]
graduellement aux gens et aux traditions. La question dominante qui court à travers le
récit est comment Marie survivra-t-elle dans cette communauté juive à Tunis. Très vite,
on se rend compte qu’elle ne négocie pas son identité: catholique-française, elle le restera
jusqu’à la fin du récit. Qui plus est, ce sentiment de malaise qu’elle éprouve passe de
l’éblouissait, du bruit incessant des radios, des odeurs toujours présentes [...] les
portes et les fenêtres qui ferment mal[...] l’exubérance des joies et des peines
Lors des célébrations pascales en communauté, la jeune épouse confie à son mari
- Je ne peux plus, je ne peux plus supporter ces soirées (Memmi, Agar, 53).
35Preben Kaarsholm, “Le développement de la culture et les contradictions de la modernisation dans le tiers
monde: le cas du Zimbabwe”, La culture: otage du développement? Paris: L’Harmattan, 1994, 118-148.
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Or, cette démarche qui sous-tend cette impossibilité de vivre ne tient pas uniquement du
fait que Marie appartient à une autre religion mais surtout à une autre culture. Dans cette
optique, elle vit sa nouvelle expérience par un filtre idéologique, classifiant ainsi la
culture tunisienne selon la hiérarchie classique de sorte que les cris des enfants
Like biblical Hagar, the narrator’s wife is the “stranger”who could never adapt to
L’analyse qui précède a porté principalement sur l’altérité de Marie telle qu’elle se
positionne par rapport à la communauté de son mari. En se disant “autre” elle décide de
couple est contraint à vivre hors de la ville, coupé de la famille et du clan. Il serait erroné
de croire cependant que l’altérité de Marie découle uniquement de son attitude à l’égard
manifeste que la collectivité rejette Marie comme ne faisant pas partie des leurs. On
remarque ici l’inversion à laquelle fait preuve cette collectivité. L’identité de Marie est
- Après tout, c’est tant mieux que tu n’aies pas fait de mariage religieux (Memmi,
Agar, 73).
Quoique ces mots soient adressés à son fils, nous sommes persuadés cependant que la
mère implique aussi Marie. Provient de cette phrase une perception de Marie qui résume
bien l’attitude de la communauté vis-à-vis de la jeune femme: quelle que soit la relation
36 Isaac Yetiv, “Ethics and esthetics in Memmi’s Le Scorpion ” dans Interdisciplinary dimensions ofAfrican
literature, editedby Anyidiho et al. Washington: Three Continents Press, 1985, 35-41.
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ultime qui existe entre les protagonistes, la jeune française n’a pas connu le rite de
vue, ce qui importe, ce n’est pas ce qu’elle est mais ce qu’elle n’est pas: elle n’est pas
juive. Elle reste donc marginalisée au sein d’une communauté lourdement stéréotypée
comment cette communauté marginalise Marie. Nous avons vu que dès les premières
pages du récit, le narrateur désigne sa communauté comme les “miens” - ceux qui
partagent la religion juive et qui habitent Tunis. Or, Marie est désignée “autre” par le
communauté à tel point qu’on ne sait pas vraiment de quel côté il se place de façon
un débat quelconque sur le statut de la jeune femme. Par contre, on ne manquera pas de
devient plus sérieux devant le refus de Marie d’accéder aux requêtes de son mari.
Voulant continuer “la grande chaîne”, ce dernier veut que son fils soit circoncis et porte
le nom de son père. Cependant, si le père se résigne avec tristesse devant la décision de
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son fils, telle n’est pas le cas pour la mère qui persiste à visiter son petit-fils en dépit du
rejet de sa bru:
mère. Ces visites étaient son devoir et son droit (Memmi, Agar, 112).
collective, elle est l’ambassadrice auprès de la famille de son fils. C’est au cours d’une
de ses visites, profitant de l’absence temporaire de Marie qu’elle demande à son fils ce
Baissant la voix, créant une complicité qui me mettait aussitôt mal à l’aise, elle
Infatigable, elle multiplie ses visites afin d ’avertir son fils pour que ce dernier et son bébé
jusqu’ici la jeune femme a résisté aux pressions du clan dans le processus d’insertion, tel
n ’est pas le cas quand surgit la question de l’héritage du fils selon la loi. En e ffe t, la loi
devient le dernier paramètre qui fige le statut de Marie par personne interposée. En
légitimité du mariage et par extension le droit du narrateur d’avoir épousé une Française,
une païenne. Qui plus est, elle refuse de régulariser la situation du jeune par un mariage
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ancrée dans un lieu centralisé défini à Tunis, et Marie se retire en “banlieue”, le narrateur
est en perpétuel mouvement. L ’opposition de surface est renforcée par une opposition
symbolique d’une hiérarchie verticale: après la naissance de son fils, elle se réfugie
auprès de lui dans sa chambre au premier étage. L’espace intérieur féminisé de la maison,
lieu refuge précaire pour le couple et leur fils est en contraste avec le bureau du conseiller
communiste, le cabinet du Maître Taïeb et le bureau du grand rabbin. Ces trois lieux
Dans le roman, l’espace est scindé selon une norme culturelle. Cette dichotomie évidente
entre Marie et la communauté est vécue au niveau d’un cadre spatial distinct. Si Suzy
Decary n’a pas besoin d’évoquer son lieu d’origine, c’est que les personnages noirs le
savent: son espace d’origine est reconnu par tous et toutes. Hors, dans le cas de Marie,
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narrateur est heureux d’apprendre que son fils ne part plus. Il y a donc une nécessité pour
qu’elle avance pour refuser de faire circoncire son fils qui retournera au pays. On est très
loin ici de ses considérations pour la vie que son fils incirconcis mènerait en Tunisie.
Le fait reste que Marie et son fils continuent à vivre à Tunis. Il semble légitime dès lors
que l’identité du personnage soit déterminée non pas en fonction d ’un ailleurs, mais à
partir du vécu présent. C’est donc dans ces lieux fermés des bureaux que l’identité
présente et avenir est déterminée. En dépit des protestaions du narrateur, le grand rabbin
Ces lignes semblent résumer pour l’essentiel ce qu’on pourrait appeler le discours
fois de l’identité de l’épouse ainsi que la sienne. Une telle stratégie s’inscrit dans une
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Si donc par ces stratégies le Juif répond à la condition créée par l’Autre, il arrive à
références démontrent que l’épouse blanche dans le roman africain est entraînée souvent
dans des procédures de marquage et d’exclusion. Marie se retrouve seule à la fin du récit,
repoussée par la communauté et par son mari. Le dernier échange du couple démontre à
- Oui, je t ’ai épousée.. .mais tu n’as jamais été ma femme (Memmi, Agar, 189).
Suzy dans Une vie de Boy et Marie dans Agar se ressemblent: épouses blanches, elles
simplistes, il faut reconnaître que l’épouse blanche dans le roman africain est souvent le
culture du pays. Le motif commun de ce rapprochement est d’autant plus fondé qu’il
existe une analogie frappante entre Marie et Suzy. Jeunes et belles, elles refusent de se
cet Occident chrétien, le lieu de cette culture supérieure. Or, réagissant au mépris, le
qu’exclue. Assurément, une autre caractéristique de la femme réside dans son incapacité
37 Avner Perez, “Sartre, Memmi et Fanon”, Présence Francophone, no. 35, 1989, 82-115.
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de comprendre la langue du pays. Son histoire est racontée comme celle d’un devenir
individuel qui est entièrement fondé dans sa relation avec le groupe de référence. Pour
elle, il n ’y a qu’une vie: vivre autrement dans sa différence. Cependant pour le groupe de
référence, la différence est intolérable car il y va de la survie. Une vie de boy et Agar
nous fournissent suffisamment d’éléments pour en faire une lecture idéologique. Les
hypothèses concernant le projet narratif des romanciers africains. L ’étrangère fait son
entrée dans le texte pour confirmer son altérité. Elle subit une série de transformations
qui aboutit à la solitude et à la séparation. L’un des traits essentiels de son identité est la
Cette partie du chapitre est le troisième volet d’une réfléxion sur les archétypes du
personnage de l’Autre dans le roman africain. Les analyses précédentes ont porté
respectivement sur l’enfant noir et l’épouse blanche qui sont tous deux représentés
comme vivant en marge de la société africaine. L ’enfant est comme “coincé” par la
le cas de l’épouse blanche, elle est celle que l’Africain ramène au pays à la suite de son
séjour en France ou la femme qui rejoint son mari colonisateur. Dans cette dernière
situation, selon Rita Cruise O’Brien, la présence de la femme blanche était perçue non
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182
son mari:
Qu’il s’agisse de l’enfant ou de l’épouse blanche, leur désignation en tant que personnage
de l’Autre provient soit de la communauté soit d’eux-mêmes. Si Une vie de boy nous a
permis d’identifier les fils discursifs qui transforment Toundi et Suzy en “Autres”, il y a
catégorie. En esquisse, le missionnaire, le père Gilbert, celui qui “allait de case en case
pour solliciter des adhésions à la nouvelle religion” (Oyono, Une vie, p. 14) est par
excellence, celui qui est “Autre.” Qui plus est, il est relativement aisé de faire coïncider
l’autre ultime - le missionnaire est un envoyé divin dont la mission première consiste à
transformer les gens du pays en leur faisant adopter son idéologie et sa vision du monde.
discours littéraire sur la problématisation de l’autre. Bien qu’il y ait plus de trois cents
Entre les eaux40 de Vumbi Yoka Mudimbe et Le pauvre Christ de Bomba de Mongo Beti.
38 Rita Croise O ’Brien, White Society in Black Africa: The French o f Sénégal. Evanston: Northwestern
University Press, 1972, 57.
39 Lucien Laverdière, L'Africain e t le missionnaire. Montréal: Bellannin,1987, 48.
40 Vumbi Yoka Mudimbe, Entre les eaux. Paris: Présence Africaine, 1973.
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Même si les termes “missionnaire” et “mission” sont d’un usage courant, leurs
implications ne sont pas aussi claires qu’elles le paraissent. Certaines notions qui sont
suggérées par ces termes sont souvent contraires aux usages courants. Dans Envoyés du
Les rapports de fait entre les missionnaires et les puissances coloniales, leur
dépendance trop visible à l’égard de leur pays d’origine ont pu provoquer des
confusions dommageables [...] les infidèles étant tenus à tort ou à raison pour des
êtres inférieurs.41
En fait ce qui est vraiment “dommageable” dans cette citation, c’est que l’auteur en
missionnaire qui voit l’infidèle en tant qu’être inférieur. Sans aucun bénéfice d’une
lecture de la totalité des objectifs des missions, on peut facilement deviner comment la
présence du missionnaire chrétien dans le milieu africain, s’inscrit dans une interrogation
sur l’identité et l’altérité des populations ciblées. Pour Anthony Gittins, il n’y a
l’Évangile:
Let there be no fudging of the issue; the gospel is about changing people.42
Il demeure que la mission principale est de convertir les Africains en apôtres de Jésus-
Christ. Chez l’Africain non-chrétien, un tel scénario présuppose un rejet total des
s’ensuit que l’inclusion des prêtres indigènes dans cette tâche était une considération
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184
To hasten the conversion of the heathen, not only by proclaiming the Gospel to
them, but above ail by preparing [...] and raising to ecclesiastical orders those of
Selon cette stratégie qui consiste à former un clergé davantage indigène pour faire passer
Tournez donc un peu vos efforts sur ces purs Noirs qui doivent former le principal
Cet extrait d’une lettre du Père Planque destinée à ses confrères, leur rappelait
43 cité par Stephen Neill, A history o f Christian Missions. 1964. Reprint: Harmondsworth: Penguin Books,
1966, 180.
44 cité par Christiane Roussé-Grosseau, Mission catholique et choc des modèles culturels en Afrique. Paris:
L ’Harmattan, 1992, 124.
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partir du contexte colonial qu’il convient d’examiner le discours de l’élite africaine sur le
exemple, j ’ai pu identifier de façon très précise le ou les missionnaires qui ont
S’il est vrai que toute analyse littéraire peut se passer de tels liens, nous voudrions nous
Toute conversion repose sur deux principes fondamentaux: la reconnaissance que l’être
ciblé est “Autre” et, que cet “Autre” est soit inférieur soit moins privilégié que le “soi”.
l’Afrique du Synode des Evêques” démontre que la transformation intérieure des peuples
Que signifie cette conversion? Cet acte implique un double mouvement: arrêt et
recommencement. Dans le cas des Africains, la conversion se traduit d’abord par un rejet
des traditions et croyances ancestrales au profit des rites et coutumes chrétiens. Telle est
45Secrétariat Général du Synode des Evêques, L 'É glise en Afrique e t sa mission évangélisatrice vers l ’an
2000, “Vous serez mes tém oins”. Kinshasa: Editions Saint Paul Afrique, 1993, 3.
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l’orientation majeure d’une croyance qui exige de prime abord une reconnaissance
Christian mission constantly has to wrestle with the question of handling the
“other,” dealing with the issue of différence and ministering to people of diverse
background.46
chrétienne répond affirmativement: la différence religieuse doit être anéantie afin que le
Christ puisse régner comme souverain dans “le coeur des êtres”.
Or, il est indispensable d’ajouter une autre dimension au travail ‘évangélique’ des
il faut être attentif au fait que la mission en Afrique a été l’objet de critiques sévères non
seulement par les Africains mais également par les missionnaires.48 La plupart des
46 Jacob S. Dhammaraj, Colonialism and Christian mission: postcolonial reflections. Delhi: Cambridge
Press, 1993, 1.
47 Dans Altarity, (University o f Chicago Press, Chicago, 1987, xxi) Mark C. Taylor pose plusieurs
questions à propos de la problématique de la différence dans le contexte courant: Is différence tolerable? re
others encouraged to express and cultivate their différences? Or is différence intolérable? Are others who
are différent to be converted, integrated, dominated, excluded or repressed?
48 Paul Rutayisire, La Christianisation du Rwanda (1900-1945), Fribourg: Editions Universitaires Fribourg
Suisse, 1987, 9.
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Africa. Their activities cannot be properly appraised unless seen in the light of
C’est en vertu de ces relations complexes que le missionnaire devient si significatif dans
le roman africain. Ce qui est plus frappant c’est l’étonnant foisonnement de rapports entre
années des indépendances avait suivi la même formation que les missionnaires. Il est à
noter que Mudimbe et Beti étaient sont tous deux des anciens séminaristes (Laverdière,
Dans son travail consacré aux missionnaires, Laverdière répertorie une multitude de
travaux dont se chargeaient les chefs religieux catholiques. Entre autres, le missionnaire
était médecin, juge, planteur et commerçant. Or, nous constatons qu’il y a une
cristallisation des tâches du personnage dans le roman. Une telle cristallisation polarise le
analyser trois principaux aspects de son altérité, à savoir son sentiment de rupture, sa
vision ethnocentrique du monde et son échec. Paradoxalement, ces traits sont partagés
missionnaire qui partait en mission se préparait certes, à vivre dans un milieu hostile et
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En dépit du fait qu’il soit Noir et Africain vivant en Afrique, Pierre Landu, personnage
principal é'Entre les eaux, a beaucoup de peine à réconcilier son rôle de prêtre catholique
auprès des siens qui sont en lutte contre le pouvoir central. Dès les premières pages du
roman on découvre un personnage hybride réfléchissant sur son identité. Face aux
mieux voir la contradiction que représentaient sa foi chrétienne, son apostolat, son
baptême. D ’abord, il se définit comme “autre” par rapport aux autres missionnaires et
chefs religieux catholiques. Bien qu’il partage avec eux la même mission, il établit
son père au catholicisme est vécue comme celle d’une rupture, voire un acte de trahison
sentir à l’aise dans un système qu’ignorait mon grand-père. Ils ont importé cette
Foi, avec tout le reste. Mon père y a cru, s’est fait baptiser, m’a fait baptiser
Pour le narrateur, il s’agit primordialement d’une foi qui vient de Tailleurs et qui a été
représente que le sommet de l’iceberg des valeurs. Non seulement il est question d’un
50 Cette position “autre”du missionnaire est reconnue. Christiane Roussé-Grosseau la décrit dans les termes
suivants: “ Vivant ainsi au milieu d ’un peuple si différent de ce qu’il a connu, si “étrange”, le missionnaire
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ancêtres mais aussi de la “contagion”. Pour le non-chrétien, la conversion est plus qu’un
“l’ensemble des valeurs, comportements et institutions d’un groupe humain qui est
Dans Entre les eaux, la conversion religieuse de la famille Landu n’est qu’une stratégie
de survie. Elle est décrite comme la seule garantie pour l’avenir des Landu. En d’autres
mots, survivre était synonyme d’oubli forcé. Le prêtre justifie la conversion de son père
Pouvait-il avoir un autre choix? Surtout dans cet ordre colonial où le christianisme
eaux, 22)
Ainsi, on peut affirmer que la christianisation était vécue par le jeune Landu sous un
mode radical de l’aliénation, traduite initialement par un rejet forcé des croyances des
ancêtres. Le catholicisme de Pierre Landu, voire son sacerdoce est une contradiction: son
statut en tant que Noir est au service d’une croyance qui puise ses origines dans une
vision ethnocentrique du monde. Son choix de devenir prêtre est synonyme d’un
déracinement violent de son milieu culturel, social et communautaire. Il est clair que pour
se sent seul, sans personne de sa race qui lui parle un langage familier.” Mission catholique, 119,
51 Roy Preiswerk, Dominique Perrot, Ethnocentrisme et Histoire. Paris: Anthropos, 1975, 35.
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façon dont ce message est transmis par l’Église chrétienne. Pour Pierre, son
conversation qu’il a avec son ami, le père Howard est très révélatrice. Se défendant d’être
un traître, il répond:
- Mon Père, n’est-ce pas plutôt l’Occident que je trahis? Est-ce encore une
l’Évangile?
- Pardon, mon père, je suis un prêtre noir (Mudimbe, Les eaux, 18).
Ce débat est au coeur du clergé africain: comment être à la fois catholique et Africain?52
peut affirmer que la christianisation des peuples a beaucoup emprunté des moyens
religions selon l’acte de l’évangélisation. Pire, les religions ancestrales africaines sont
épousant le catholicisme, le jeune Landu ne peut qu’avoir trahi sa race. Pour elle, cette
52 Dans Le Christianisme e t l'Afrique, François Kabasele-Lumbala, pose la problématique dans les termes
suivants: “A quoi sert-il à un Africain, conscient de son identité, de ses continuités et de ses solidarités
historiques, d’être chrétien? ” Karthala, Paris, 1993, 13. Ka Mana, Christ d ’A frique: enjeux éthiques de la
fo i africaine en Jésus-Christ, Karthala, Paris, 1994, 7, pose cette question “ l'Évangile tel qu’il nous fut
annoncé par les étrangers constitue-t-il une force politique de libération ou un pouvoir d’aliénation
profonde?”
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religion ne transmet pas le message divin mais celui des Blancs. Aussi, se convertir en
Vous êtes tous pareils, vous les catholiques. Toujours ce complexe injustifié de
supériorité qui vous fait considérer comme pitoyable tout ce qui n ’est pas
catholique. Dis donc, Pierre, tu es vraiment un Noir, toi? (Mudimbe, Les eaux, 30)
Alors que son rôle de prêtre le hisse au rang des oppresseurs, sa foi de catholique le
classe parmi les aliénés. En ce qui concerne les rebelles, Pierre est un étranger, non pas
parce qu’il est prêtre, mais surtout parce qu’il est catholique. Des préoccupations
D ’ailleurs, le prêtre-rebelle constate aussi que cette nouvelle orientation de sa vie vers la
religion catholique, qui l’a amené au séminaire de Rome représente un éloignement, voire
une rupture avec sa race. Il s’est ainsi éloigné de ses parents, ancêtres, coutumes et
croyances. Il s’était transformé en quelqu’un d’autre. Bien qu’il soit lui-même conscient
de son aise à se mouvoir dans ce nouvel univers religieux, il constate que moralement, le
eaux, 30).
L’opposition “catholique/Africain” qui est suggérée dans cet ouvrage, est le filament le
qu’il renie en quelque sorte son “africanité”. Partisans de la croyance selon laquelle “ on
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ne peut à la fois être un bon Africain et un bon chrétien”, les parents de Pierre ne cachent
Si nous partons du principe selon lequel “toute famille construit et transmet ses
La rupture est d’ailleurs plus dramatique dans le voeu de chasteté du prêtre catholique.
Non seulement Pierre Landu a rompu les liens avec ses ancêtres mais il met en danger la
lignée et le nom du père. En optant pour le célibat il n’est “qu’un déshérité de la nature et
de la fortune, un chaste, un maudit” (Mudimbe, Les eaux, 176) refusant ainsi d’être “le
chaînon dans une continuité physiologique”, échouant dans son “devoir primordial envers
europénnes, le prêtre doit forcément s’identifier aux valeurs étrangères. Ainsi, pendant
son séjour dans le maquis, Pierre Landu n’arrive pas à oublier sa formation au séminaire
53 Robert Steichen, “La recomposition familiale: contexte et concepts”, Les familles recomposées et leurs
enfants. Louvain: Academia, 1995, 37-38.
54 Alphonse P. Van Eetvelde, L'homme et sa vision du monde dans la société traditionnelle négro-
africaine. Louvain: Academia Bruylant, 1998, 124-125.
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vous, et vous êtes des Dieux. Songez à saint Paul. En effet ...Vous êtes le Christ
Tels sont les principes généraux de la conversion de tout Africain vers le catholicisme. A
force de vouloir copier les autres, Landu se rend compte qu’il était devenu Autre. En
parcourant son itinéraire spirituel il se rend compte que sa nouvelle foi est factice. Il
avoue qu’il n’est pas arrivé à percevoir la voix divine en dépit de ses efforts. On ne peut
retrouve en situation de rupture avec son peuple, mais surtout envers lui-même.
prêtre catholique. Ils renvoient à l’invisible: la foi de celui qui les porte. Toutefois, dans
le cas de Pierre Landu, l’aspect extérieur du personnage est en collision avec ses
nous voyons tout de suite que ce déchirement du personnage fait suite à son adhésion au
catholicisme:
93).
Dans cette perspective, c’est de prime abord, un constat personnel. Landu se rend compte
de sa situation bien avant son arrivée au maquis. Quoiqu’en présence du Père Howard
qui partage la même mission, il ne peut s’empêcher d’observer le gouffre qui les sépare:
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Je pensais, il a la sûreté des seigneurs. D ’une race qui n’est pas la mienne: celle
des bâtisseurs d’empires [...] les compatriotes de Howard et les miens. Les uns
maîtres, les autres serfs. Le christianisme, leur religion (Mudimbe, Les eaux,
19-21).
Il est évident que le prêtre Landu perçoit son altérité non pas à un niveau personnel, mais
créée par sa culture africaine. Aussi, est-il contraint de revoir son étonnant cheminement
tête avec des Documents Pontificaux. Une encyclopédie. Elle comprenait une
Le déplacement physique du jeune Landu à Rome s’est traduit par une imposition des
schèmes étrangers. La mémoire des ancêtres a été substituée par “les dernières
Vivaldi et de Bach, l’art de Botticelli, de Gentile Bellini sont devenus son cadre de
personnage. Les références donnent au lecteur l’impression d’un collage par dessus la
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conscience collective africaine. Si profondément dans son être, Landu se dit africain,
D ’abord, pour le père Howard, la démarche de Landu - sa lutte aux côtés des rebelles du
maquis - s’avère incompatible avec son apostolat. Il avoue qu’il ne peut comprendre
cette révolte contre l’Église catholique. Toujours selon Howard, étant devenu prêtre,
Landu n’a pas le droit moral de “s’engager d’un côté ou d’un autre.” De même, pour les
rebelles, l’adhésion du prêtre à leur groupe provoque une certaine méfiance. Lors de la
première attaque des rebelles sur Kanga, Landu découvre qu’il est avant tout prêtre. Il est
- Je suis prêtre...je suis prêtre[...] Tout s’enchaînait. Les Écritures venaient à mon
secours: Les voies de Dieu sont insondables. Usque ad summum. Je pris mon fusil
, visai, les yeux ouverts, et tirai en plein visage (Mudimbe, Les eaux, 36-37).
Le drame de Landu c’est qu’il est un aliéné à de nombreux niveaux - autre par rapport au
clergé, autre par rapport à ses amis du maquis, vis-à-vis de ses parents, et de lui-même.
Centrale au sens où elle définit le statut de Landu dans le roman, la rupture est l’état
permanent dans lequel le personnage vit. Initié à la fois aux rites chrétiens et ancestraux
pendant son enfance, le prêtre oscille perpétuellement entre les deux courants religieux.
Il n’est parfaitement à l’aise, ni en tant que prêtre de la paroisse, ni en tant que rebelle au
maquis, ni en tant que célibataire, ni en tant qu’époux. S’il est vrai qu’il est “entre les
eaux”, il est un noeud de contradictions. Adulte, il désire maintenant revivre les rites
ancestraux qui l’avaient dégoûté (Mudimbe, Les eaux, p. 81), prêtre, il se révolte contre
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(Mudimbe, Les eaux, 4). Marqué par une insatisfaction ontologique, Pierre Landu est un
fidèlement les différentes causes, on continue de douter de son honnêteté. De son état de
prêtre, son collègue lui demande s’il n’était pas marxiste (Mudimbe, Les eaux, 82), alors
que durant son séjour au maquis, il envoie une lettre à l’Évêque dénonçant les tendances
totalitaires de ses “camarades” rebelles. C’est ainsi qu’il est condamné à vivre à l’écart
de tous. Bien qu’il réintègre le monastère à la fin du roman, on continue de douter de son
personnage: Landu est “Autre” parce qu’il est incapable d’intégrer les deux aspects de sa
formation. A l’opposé des autres personnages du roman, qui ont, semble-t-il, résolu leur
intellectuel africain. Être à cheval entre les deux cultures, “prêtre-noir”, il n’arrive pas à
réconcilier ces deux parties de son identité, contraint à occuper seul un espace où il est ni
dans le roman africain en utilisant Pierre Landu comme modèle. Cette idée d ’un
s’inscrit dans une problématique personnelle chez Mudimbe. Chez Mongo Beti, le
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celle d’inviter le lecteur à réfléchir sur la notion de la personne telle qu’elle est perçue en
Il n’est pas étonnant que les politiques de colonisation [...]et au plan idéologique
même de la personne.55
qui “ont imposé leur religion de Blancs par la violence, qui régnent par la peur et la
n’y aucun doute que dans l’oeuvre de Beti, le missionnaire a une image négative. Le
pauvre Christ de Bomba, Ville cruelle, Remember Ruben56 pour ne citer que trois
Dans les analyses précédentes, nous avons vu que le comportement de l’individu est
55 Marc Augé, “Sorciers Noirs et diables noirs” La notion de personne en Afrique Noire. Paris: CNRS,
1973, 519-527.
56 II y en a d ’autres, tels Le roi miraculé, Main basse sur le Cameroun, La ruine presque cocasse d ’un
polichinelle.
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espace qui est évoqué dans le roman. Par exemple, dans le roman africain, cet espace est
personnage émane des croyances et des valeurs chez la personne. L’humeur ou l’état
d’esprit de chaque personnage envers les événements du roman correspond aux diverses
échelles de valeurs qui sont suggérées par le texte. Tout rejet ou attirance quelconque est
Immanquablement, le personnage de l’autre découle de l’écart qui existe entre les valeurs
du lecteur. Les autres personnages font aussi leur évaluation, d’où l’importance de la
espace de valeurs en conflit. Par exemple, dans l’oeuvre de Mongo Beti, les valeurs
africaines sont remises en question par les missionnaires étrangers. Le réfèrent religieux
et culturel dans le roman nous permet de situer chaque personnage par rapport à l’échelle
détriment de ce qui est africain. Alors que Pierre Landu rêve de Rome et de la musique
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Le R.P.S. n’a pas hésité; il s’est précipité sur les xylophones rangées un peu à
l’écart; il les a mis en miettes. Ensuite, il s’en est pris aux tam-tams; mais ils sont
africaines, mais surtout d’une intolérance, d’un rejet total des moeurs et croyances du
pays par le R.P.S. Nous retrouvons ici le problème déjà évoqué de la capacité du
[...] dans toutes les sociétés, la musique permet à ses membres de constater qu’ils
Cet acte inadmissible du R.P.S. le sépare de cette communauté qu’il est censé
évangéliser. Il faut dire que le R.P.S. est révolté contre les habitants d’Évindi parce qu’ils
sont en train de danser “le premier vendredi du mois, parce que Jésus-Christ...” (Beti, Le
pauvre, 100).
Nous retrouvons ici une notion importante de l’altérité: le désordre. À la supposition que
“l’ordre de l’étranger est dés-ordre,”58 nous voyons que ceci n’est pas vraiment le cas
dans le texte. En effet, c’est le R.P.S., étranger de son état, qui perçoit comme “désordre”
57 Anne-Marie Green, “Y-a-t-il une place pour la musique en sociologie?”, La musique au regard des
sciences humaines et des sciences sociales. Paris: L ’Harmattan, 1997, vol. 2, 30-58.
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mois à cause de la crucifixion. Pourtant, la musique et la danse n’ont pas le même statut
gratuit [...] pour d’autres sociétés [...] elle s’intégre toujours à un ensemble de
En dépit de l’avertissement de Mathieu, “ce ne sont pas les nôtres qui dansent; ce sont les
autres, les païens”61, le prêtre ne veut rien entendre, d’où la violente réaction des
habitants d’Evindi, en particulier celle du chef. Or, pour les gens d ’Evindi, la danse fait
partie de leur identité. Cette croyance est explicite durant l’intervention d’un villageois:
Mais qu’est-ce que nous ferions mon père, si nous ne dansions plus. Vous autres,
vous avez des automobiles, des avions, des trains....Nous n’avons que cela,
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causer de mes ancêtres, moi? [...] Si seulement tu savais combien je m’en moque
chrétien qui a reçu l’Évangile, celui qui s’est “lié par un pacte relationnel à Jésus-
Christ”62, nombreux sont les Africains qui croient dans une relation avec les ancêtres. Le
rôle d’intermédiaire que Jésus-Christ joue entre les individus sur terre et Dieu le père,
selon la vision chrétienne, est pris en charge dans la religion traditionnelle africaine par
les ancêtres.63 En effet, ces derniers “forment une communauté; celui qui est le plus
proche des vivants est celui qui s’intéresse le plus à leur sort; il est un échelon
intermédiaire entre eux et les plus anciens.”64 Les habitants d’Évindi désignent le prêtre
chrétienne et sa race. Pour les villageois, doctrine religieuse et race sont synonymes. S’ils
refusent d’écouter les explications du prêtre, c’est parce que son appartenance raciale le
62 André Karamaga, L 'Evangile en Afrique, ruptures et continuité. Morges: Cabédita, 1990, 217.
63 Signalons l ’existence d’une nouvelle théologie chrétienne fondée sur certains apports africains qui
considère le Christ comme un ancêtre, “Ce Seigneur ressuscité est au milieu de nous comme nos ancêtres
défunts vivant en communion avec nous, mais le Christ ressuscité vit au milieu de nous de manière plus
éminente encore. Car c ’est désormais de lui que nos ancêtres défunts reçoivent la vie transformée et sont ce
qu’ils sont.” cité par Kabasele-Lumbala, Le christianisme et l Afrique. Paris: Karthala, 1993, 100.
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La marque de la race prime sur toute autre catégorie identitaire. Dans la dynamique
relationnelle Blancs/Noirs, elle est un écart infranchissable qui distingue les personnages,
dicte leurs corportements et oriente leurs visions. Pour les villageois, être Blanc, a une
Dans une volonté de s’imposer, le Blanc est perçu comme imbattable. Lors de la
Blanc? Est-ce que tu oublies, fils? Que veux-tu, il n’oserait pas nous provoquer
ainsi s’il ne se sentait pas appuyé par tous ses frères (Beti, Le pauvre, 100).
Si la différence raciale est une marque visible de l’identité, les implications sont plus
profondes. Pour les habitants du village, être Blanc, c’est appartenir à une race
supérieure. Ce constat est partagé par beaucoup d’Africains. Pour François Kabasele-
moment où j ’ai pris conscience que j ’étais Noir, appartenant à un peuple sous-
L’épisode des tam-tams met en relief une autre composante de l’altérité de Drumont: son
statut de pouvoir. Dès son arrivée à Evindi, il demande au jeune catéchiste de faire cesser
la fête dans les termes suivants: “Va leur dire que je ne peux supporter ça. Je veux qu’ils
64 Alphonse P. Van Eetvelde, L ‘homme et sa vision du monde dans la société traditionnelle négro-
africaine. Louvain-la-Neuve: Academia Bruylant, 1998, 339.
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me fichent la paix. Ils n’auront qu’à recommencer demain après mon départ si ça leur
chante, mais je ne veux pas de ça tant que je serai ici.” Ces mots révèlent l’autorité que le
caractérisaient les rapports entre les Blancs et les Africains durant la colonisation.65 Dans
le but de dominer les gens du pays, il existe de nombreux cas ou incidents au cours
desquels les Noirs étaient humiliés. Nous retrouvons, par exemple, comment le révérend
père Gilbert traitait son boy, Toundi. D ’ailleurs, il le mentionne dans son journal:
J’ai jeté un coup d’oeil dans le journal de mon bienfaiteur et maître...J’ai retrouvé
ce coup de pied que me donna le père Gilbert[...] J’en ai senti à nouveau une
De même, le père Vandermayer, l’adjoint du père est reconnu pour sa violence envers les
Il a la manie de battre les chrétiennes adultères, les indigènes bien sûr...Il les fait
Nous voyons qu’être Autre pour les missionnaires signifie être supérieur et meilleur que
les Africains en général. Tout écart par rapport à l’échelle de valeurs de la mission
catholique doit être anéanti. De nature éminément diverse, les sévices infligés par les
missionnaires n’étaient dirigés qu’à l’encontre des gens locaux. Aussi, aucune action
n’était prise par l’Église contre les infidélités de la femme du commandant dans Une vie
65 Dans son ouvrage, Le Christianisme et l ’A frique, Kabasele-Lumbala, cite un incident donc il a été
témoin.En 1956 lors d ’une réunion publique pour le dépistage de la maladie du sommeil, un médecin belge,
apercevant un homme en train de converser bruyamment avec un groupe, “ Il fit venir l ’homme devant
toute la foule, et lui ordonna de se mettre à genoux. L ’infirmier qui aidait le médecin lui souffla tout bas
qu’il s ’agissait d’un chef coutumier. Le médecin répondit que c ’était tant mieux. Loin de se raviser et
s ’énervant davantage , il administra au chef coutumier une gifle sonore. Celui-ci comprit que l ’affaire
tournait au drame, et, pour éviter que son village ne subît les sévices de l ’administration coloniale, il se mit
toute de suite à genoux.” En racontant l ’incident à son père, ce dernier lui répondit: “Les Blancs étaient les
vrais chefs, et, que devant eux, tous les Noirs passaient pour des enfants.” 11-12.
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de boy. Par contre, le père Drumont fait frapper Catherine à cause de sa liaison avec
Zacharie, le cuisinier:
pauvre, 226).
S’il est vrai que pendant longtemps, le missionnaire a été le “sorcier blanc, capable de
déchaîner les forces du bien et du mal” (Laverdière, L ’Africain, 155), dans les ouvrages
Autrement dit, s’il est puissant, sa puissance ne découle pas directement du statut de
missionnaire ou de prêtre mais du fait qu’il est blanc. Cette marque identitaire le met
automatiquement parmi les autres Blancs, les administrateurs du pouvoir colonial qui
sont également craints par la population indigène. Dans ce même ordre d’idées, le Blanc
est considéré comme quelqu’un qu’on ne doit pas frapper ou tuer. Toute violence envers
la personne d’un Blanc entraîne des conséquences désastreuses pour le pays. Cette
caractéristique Autre du prêtre est soulignée lors de son passage à Zibi. Armé d’une
Arrête-toi! ...N’oublie pas que tous les Blancs ont un fusil avec eux. Arrête-
toi...Gare au fusil. [...] J’ai surtout compris qu’ils lui reprochaient de vouloir
pauvre, 170).
laquelle son statut d’homme de Dieu n’y compte pas: il est Autre parce qu’il est puissant;
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Dans une perspective qui favorise le rapport entre l’altérité et pouvoir, on conçoit
aisément que le prêtre puisse être le personnage de l’Autre, par excellence. Surtout, si la
est évoquée dans cet ouvrage est basé sur le principe de la différence raciale. On
comprend dès lors pourquoi cet élément occupe une place si fondamentale dans la
conscience collective des villageois. Pour les personnages romanesques évoqués dans ce
contexte socio-historique, l’altérité n’est pas une notion philosophique multiforme, mais
une condition permanente de leur vécu quotidien de la domination. C’est dans ces
attitudes qu’il faut chercher à expliquer les réactions généralisantes des villageois vis-à-
prétention au pouvoir.66
qui est “un fait de relation inévitable.”67 De façon générale on peut avancer l’hypothèse
suivante: l’exercice du pouvoir dissipe toute ambiguité qui entoure l’altérité à travers le
passage au niveau de l’être à l’avoir. Par exemple, dire que le Blanc est un être supérieur
manifeste de façon concrète dans le roman. Bien qu’il ne fasse pas partie de
66 E. Boesen et al, introduction à Regards sur le Borgou. Paris: L ’Harmattan, 1998, 11-20.
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qu’inversement ces derniers n’osent pas le toucher. Dans Une vie de boy, les personnages
noirs sont frappés par les prêtres catholiques et les administrateurs coloniaux. Au
demeurant, les rencontres au cercle européen réunissent tous les Blancs et les Blanches de
Dans un autre ordre d’idées, il faut établir le lien entre le pouvoir et le manque de savoir.
Nous avons vu qu’essentiellement le prêtre est doté de certains pouvoirs parce qu’il ne
le cuisinier continue sa relation avec Catherine, une des femmes de la sixa . Après le
- Père, pourquoi donc as-tu fait rosser cette femme? [,..]Tu as tort, mon Père;
j ’ignore comment les Blancs s’y prennent; les Noirs, eux, quand leur femme a un
67 Marcel Bol de Bal, “Mutation du pouvoir patriarcal”, Puissance et Impuissance de l'État. Paris: Karthala,
1996, 93-118.
68 La sixa est une “création” de la mission. Dans le but initial d’empêcher les jeunes filles d ’avoir des
relations sexuelles pré-maritales, la mission accueillait les filles pour une période de six mois à deux ans
avant le mariage. Cependant, au lieu de bénéficier d’une formation religieuse, elles faisaient divers travaux
sans rémunération aucune pour la mission.
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nouveau né, s’en écartent pendant un an, c’est ainsi chez nous, je n’y peux rien
exploite non seulement toutes les femmes de la sixa mais également d’autres femmes. En
Cependant l’échec de la mission du Père doit être mis dans un contexte plus large que les
découvrir au Père Drumont comment le cathéchiste Raphaël forçait les femmes de la sixa
facilement. [...] Je suis enfermé dans ma race européenne, dans ma peau blanche...
Pour les personnages africains dans le roman, le message et le messager ne font qu’un:
l’Évangile est blanche. Le discours du R.P.S. est exclusivisé par les villageois comme
celui “d’un Blanc, d’un étranger imbu de sa supériorité, paternaliste et parfois raciste, qui
voir deux mouvements dans la construction de l’altérité du R.P.S. Il est désigné comme
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en disant qu’il est injuste de le considérer ainsi, de par son dévouement à la mission:
Les Blancs, ça ne me regarde pas. Ils sont mauvais, les Blancs, ils iront en enfer
Or, après le scandale à la mission, il se rend compte qu’en dépit des vingt ans passés à
Bomba, il n’a pas pu comprendre “cette race”(Beti, Le pauvre, 320). En les désignant
entre eux et lui. Pour le personnage de l’autre, le retour au pays natal est la marque
départ volontaire met en relief le rapport de forces entre le R.P.S. et les gens du pays. Ici,
l’exclusion ne se passe pas par l’expulsion. En contrepoint, le R.P.S. part de son propre
gré:
Je rentre en Europe, je retourne dans mon pays ![...] Avant de vous quitter, peut-
être pour toujours, je voudrais vous dire des quantités de choses: seulement je
La démarche du R.P.S. nous invite à modifier la perception que nous avons de l’étranger.
S’il est vrai que l’étranger est souvent placé “dans un au-delà, dans le règne de la non-
“Fascination”, 27-38), dans cette oeuvre, le R.P.S., catégorise les autres comme
“étrangers”. Ceci est possible parce qu’il est le “Christ” de Bomba, il a la parole, il “est”
la parole. Personne ne peut donc le comprendre car il détient le pouvoir et il est la source
l’étrangeté de Bomba.
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Fondamentalement, elle est bâtie autour de la parole. L’altérité est de prime abord
discours. Qui parle? Au terme de nos analyses nous espérons avoir suffisamment établi ce
lien entre la parole et l’altérité. Cependant, l’apparente symétrie d’un parallélisme entre
parole et l’altérité ne doit pas nous abuser outre mesure: elle est révélatrice surtout du
personnage principal d ’E ntre les eaux, oscille entre les deux pulsions qui forment son
être. Sa formation de prêtre catholique l’a placé dans un état de déséquilibre fondamental.
Son aliénation est d’autant plus évidente quand il vit au milieu de sa communauté
collaborant avec le gouvernement au lieu de défendre les plus démunis. Aussi, Pierre
Landu se rend compte des deux tendances contradictoires qui forment son être, voire les
deux êtres de sa personne: le prêtre catholique et l’Africain. Il n’est plus tout à fait à
l’aise ni dans le maquis africain ni au monastère à Rome. Dans le cas du R.P.S., son
départ est une preuve de son incapacité de vivre en Afrique au milieu des Africains.
Cependant, il n’y a pas de remise en cause de son identité, il n’est pas expulsé au dehors
par la communauté de Bomba car son départ est volontaire. C’est ainsi que se termine le
explicitement reconnaître qu’il a une démesure du dégoût chez Drumont pour les
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croyances et les gens du pays. Comme Pierre Landu, le R.P.S. reconnaît que la présence
idéologique et social, la mission quelle qu’ait pu être la réalité des enjeux qui l’ont
poussée à s’installer en Afrique, se révèle à nous comme un topos. Tous ces croisements
roman africain. Il est de toute évidence difficile, sinon impossible de réunir tous les
aspects de 1’altérité qui sont représentés par ces trois archétypes. Cette compléxité est
peut-être à mettre en rapport avec les diverses significations69 qui sont suggérées par la
notion l’altérité elle-même. On remarquera avant tout la similitude des trajectoires et des
lieux dans lesquelles évoluent les personnages de “l’autre” : cette espèce d’hésitation
donc très certainement en présence d’une attitude qui correspond à ce que nous pouvons
rendre à l’évidence: cette problématique n’est pas uniquement traitée par le biais de
missionnaire. A cet égard, nous retrouvons tout un discours sur l’altérité en analysant les
institutions ou autres présences d’une certaine vision contraire. Dans le prochain chapitre
nous examinerons quelques considérations de l’altérité qui sont ancrées dans des lieux
autres que les personnages. L’enjeu est clair et il est d’importance: il s’agit de déterminer
comment le terrain de l’altérité dans le roman est balisé par les institutions.
69 Voir à ce sujet le travail de Robert Steichen, “Figures de l ’altérité: Les autres et l ’autre”, Le fam ilier et
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l ’étranger, 39-57.
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Chapitre 4
Les macro-considérations de l’altérité: les institutions.
Ce chapitre repose sur la thèse que certaines institutions sont présentées dans le roman
colonial pour imposer des changements sur les peuples colonisés, les institutions sont
doit se battre, forçant ce dernier à se définir en précisant les valeurs qui l’identifient.
personnages et les institutions, l’on ne peut manquer d’observer les différentes idéologies
qui en découlent. Présente sous des formes variées, l’institution est obligatoirement le
reflet d’une vision du monde1, soit celle de la “communauté locale” soit celle de la
de changements qui influent sur le comportement des personnages romanesques. S’il sort
voudrions au moins voir de près celles qui sont les plus pertinentes. En vue de mieux
situer les articulations essentielles et étudier les traits les plus communs de l’altérité
mission, la ville. Cependant, il faut reconnaître que ce choix ne relève pas de l’arbitraire
car toutes considérations faites, elles demeurent les plus présentes dans le texte
romanesque africain.
'Lucien Goldmann explique cette expression en termes de “perspective cohérente et unitaire sur les
relations de l ’homme avec ses semblables et avec l ’univers.” “Thèse sur l ’emploi de vision du monde en
histoire de la philosophie”, L'homme et l'histoire, Actes du Vie congrès des Sociétés de philosophie de
langue française. Paris: Presses Universitaires de France, 1952, 399-403.
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d’un groupe de personnages avec un mode de fonctionnement précis. La rupture entre les
monde. Avec des “étrangers” comme dirigeants, les institutions semblent fonctionner
selon de “nouvelles” pratiques. Bien que leur statut ne fasse pas l’unanimité chez le
d’emblée que la plupart des institutions - cet “ensemble des structures politiques et
sociales établies par la loi ou la coutume et qui régissent un État”2, celles qui sont
colonisation. Toutefois, il n’est pas indifférent de noter que la ville - tout comme
“l’école” - a préexisté la colonisation. En effet, la ville africaine n’est pas une ‘invention’
coloniale mais plutôt une réappropriation par les étrangers. Les villes africaines ont été
administratif et politique.
Force est de poser le rapport entre les institutions, le personnage principal et le rôle
itinéraire est celui d’une lutte contre l’institution et les principes qu’elle défend. Dans
Par exemple, nous voyons que Toundi, Nalla et Pierre Landu sont en guerre contre
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faudrait considérer l’institution comme un système qui possède les moyens d’imposer sur
la population des règles de conduite. Parallèlement, tous ceux qui refusent de s’y plier
Nous voulons explorer dans cette partie de notre étude comment le refus passif ou actif
qui mène à l’altérité. Par intégration, nous voulons définir cet acte qui mène le
personnage romanesque à adopter un nouveau mode de vie tel que préconisé par les
sociale”4 que sont les institutions, ont été le principal moyen utilisé par les colonisateurs
pour “assimiler” les Africains. Observées à la lumière des textes littéraires, les macro
système dominant, sont perçues par la population comme “autres”. Par exemple, la
création des écoles selon le modèle français a forcé les Africains à y envoyer leurs
fonctionnent donc à partir d’un intérêt collectif où tout écart par un individu quelconque
constitue une remise en question de l’institution elle-même. Aussi, tout personnage qui
ne respecte pas les pratiques institutionnelles est-il mis en marge, car ses actions et ses
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préciser que le système colonial et surtout post-colonial était étranger6 aux coutumes et
pratiques africaines:
Aussi, la plupart des personnages africains éprouvent une certaine aliénation à l’égard des
nombreux cas, l’établissement tente de leur imposer une nouvelle identité. Pour les
comme l’écart qui découle de la confrontation entre les personnages et les établissements.
La tension est telle qu’elle force le personnage non seulement à mettre en question
l’institution elle-même mais surtout de s’interroger sur la place qu’il est censé occuper au
pousse les personnages à se définir par rapport au discours qu’elle émet. Ceci nous
permet en tant que lecteur de dégager le discours des différents personnages et celui de
l’institution. Il s’ensuit que nous voyons l’institution non pas comme un corps inerte mais
africain. Alors que l ’éducation traditionnelle visait à intégrer l ’individu à son groupe, l ’école, transplantéee
de l ’extérieur, n ’a d’abord cherché qu’à préparer les cadres auxiliaires de la colonisation.”
6 Samuel Eboua, Interrogations sur l ’A frique Noire. Paris: L’Harmattan, 1999, 20-21. L ’auteur démontre
comment ces changements ont “contaminé” le continent: “Leurs coutumes et traditions, leur culture et leur
perception des rapports entre les membres de leurs sociétés respectives feront place à d’autres systèmes de
valeur qui leur sont totalement étrangers. La colonisation a oeuvré pour la dépersonnalisation de l ’homme
colonisé [...] Des familles apparemment unies se scindent en groupes évoluant chacun dans un univers
différent.”
7 Dominique Darbon, “Administrations, États et sociétés”, États et Sociétés en Afrique Francophone, Paris:
Economica, 1993, 53-70.
8 La notion de communauté est intimement liée à l ’altérité car elle désigne “autre” celui qui est en dehors
comme le signale Harro Müller “ La notion de conflit est complémentaire de celle de communauté; c ’est
bien pourquoi toute communauté met en avant l ’homogénéité et se prémunit contre l ’hétérogénéité ou la
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S’il est vrai que l’institution renvoie à un système, elle se présente dans le roman comme
une force stable, occupant un espace central à partir duquel elle tente d’influencer et de
contrôler la collectivité qui l’entoure. Elle est dynamique et militante. Son objectif central
Elle est un lieu où immanquablement l’Africain doit se rendre. Elle représente un ailleurs
invitant ou forçant les gens du pays à quitter le village pour s’y établir. Le départ du
personnage pour l’institution est un événement crucial dans le roman car il signifie à la
fois séparation et intégration. Il est à la fois une rupture du mode de vie “traditionnelle” et
dispersion.” “Sur quelques usages de la notion de communauté dans la modernité”, dans Communauté et
modernité". Paris: L ’Harmattan, 1995, 13-29.
9 Ben Yacine-Touré, Afrique: L ’épreuve de l ’indépendance. Paris: Presses Universitaires de France, 1983,
69.
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l’école, souvent considérée comme “l’école des Blancs” est un lieu transitoire pour
l’enfant africain avant qu’il ne parte pour Paris. La mission, l’école et la ville deviennent
des substituts à “l’initiation” africaine. Elles accueillent les néophytes, de jeunes enfants
qui deviendront par la suite les principaux agents du nouvel ordre social, culturel et
économique. Cela n’implique pas pour autant que la réaction vis-à-vis de l’institution est
unanime parmi les personnages africains. La réaction des villageois est souvent mitigée
envers l’institution. Cette dernière est tantôt menace tantôt objet de fascination ce qui fait
communauté. Enfants et femmes sont “enlevés” et pris en charge par des institutions
qui sont administrés par des individus qui n’appartiennent pas au domaine familier, tels
L ’école
Calquée sur le modèle français qui enseigne les modes de fonctionnement social et les
structures de sens, l’école en Afrique représente une des premières institutions que
L’enfant fut traité comme une ‘tabula rasa’ sur laquelle on pouvait inscrire une
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Dans L'aventure ambiguë, La Grande Royale, la soeur aînée du chef des Diallobé
[...] le combat n’a pas cessé encore. L’école étrangère est la nouvelle forme de la
guerre que nous font ceux qui sont venus, et il faut y envoyer notre élite, en
L ’implantation de l’école en milieu africain est perçue comme une invasion étrangère.11
Le débat entre la Grande Royale et le maître au sujet de l’avenir de Samba Diallo, résume
bien la problématique du roman africain en général: quelle voie suivre? Retour aux
occidentales? Or, pour le personnage principal, ce retour n’est pas possible. En dépit de
toutes les faiblesses qu’elle est censée représenter, l’école étrangère est le choix premier
étrangère. Remarquons qu’il s’agit d’un rejet du contenu aussi bien que celui du système
africaine selon laquelle un enfant est confié, même pour plusieurs années, à un parent, un
frère ou un ami.12 Or, son départ pour “l’école nouvelle” (Kane, L ’aventure, 61)
représente “la victoire totale des étrangers” (Kane, L ’aventure, 80) - moment crucial dans
la vie du protagoniste, de son père et du maître coranique Thierno - des gens du Diallobé.
10 P.-F. Gonidec, L'état africain. Tome VIII, Paris: Libriarie de droit et de jurisprudence, 1984, 60.
11 “Contrairement à ce qu’il a prétendu, le colonisateur n ’avait nullement créé l ’école pour faire reculer
l ’ignorance dans nos contrées. Il s’agissait pour lui de résoudre un problème de communication, dédaignant
la langue du colonisé et désireux de bénéficier des services de l ’Africain, l ’Européen s’est engagé dans
l ’organisation de quelques maisons d’enseignement destinées à former essentiellement des “interprètes” et
d’autres agents d ’exécution du système colonial.” Ambroise Kom, Éducation et démocratie en Afrique, Le
temps des illusion. Paris: L ’Harmattan, 1996, 91.
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Outre la fascination menaçante qu’elle représente, l’école est de prime abord un système
destructeur. En effet, elle éloigne les enfants de leurs parents, de leur village et de la
conservons avec soin [...] Quand ils nous reviendront de l’école , il en est qui ne
n’est pas tout simplement symbole du pouvoir occidental mais pouvoir réel plus puissant
Mieux que le canon, elle pérennise la conquête. Le canon contraint les corps,
Outre la destruction de la personnalité africaine, l’école pousse l’être à aller vers l’autre, à
dernier rencontre Lucienne à la Sorbonne où ils préparent tous deux leur diplôme de
philosophie. Ce n’est qu’à la fin de ce voyage qu’il se rend compte à quel point l’école l’a
rendu autre. Au cours d’un dîner chez les parents de Lucienne, il livre ses réflexions:
- Il nous arrive que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par
notre aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre
cheminement, nous n’avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà
L’itinéraire de Samba ressemble à celui de Camara dans L'enfant Noir. Ce dernier quitte
lui aussi l’environnement protecteur de la forge de son père à Kouroussa et les champs de
12 Roger Mercier et al., Cheikh Hamidou Kane. Paris: Femand Nathan, 1967, 7.
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son oncle à Tindican pour aller à l’école française, après un bref séjour à l’école
coranique. Moment de rupture, pour le narrateur, l’école devient un point tournant dans
sa vie séparant le passé du présent. L’école fait irruption dans la vie de l’enfant, forçant
[,..]le monde change, et le mien plus rapidement peut-être que tout autre, et si bien
qu’il semble que nous cessons d ’être ce que nous étions, qu’au vrai nous ne
sommes plus ce que nous étions, et nous n’étions plus exactement nous-mêmes
Cette réflexion du narrateur sert de préambule à son départ pour l’école. Pour la plupart
des personnages, l’école française a un pouvoir mystérieux de piéger les gens. S’il est
vrai que tout le monde peut reconnaître qu’il ne s’agit que du début d’un itinéraire de la
J’ignorais alors tout à fait que j ’allais y demeurer des années et des années, et
sûrement ma mère l’ignorait autant que moi, car, l’eût-elle deviné , elle m’eût
Poiret à Conakry. Pour le jeune garçon, le départ pour Conakry, ville située à six-cents
l’autre bout de son être: la scolarité du jeune garçon s’oppose à celle qu’avait reçue son
père. Pourtant, l’école continue d’attirer l’enfant plus loin de chez lui. Sa mère qualifie le
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Hier, c’était une école à Conakry; aujourd’hui, c’est une école à Paris, demain
...Mais que sera-ce demain? [...] Tant d’années déjà, il y a tant d’années qu’ils me
l’ont pris! dit-elle. Et voici maintenant qu’ils veulent l’emmener chez eux!13
Face à l’ecole, la plupart des villageois se résignent. Bien que ce ne soit pas explicitement
mentionné dans le texte, l’école exerce un double pouvoir sur les habitants. Perçue
comme la clé de l’avenir par le type de savoir qu’elle dispense, l’école est avant tout un
lieu où l’autochtone peut devenir comme les Blancs. Bien que le personnel romanesque
soit conscient des risques qu’une telle entreprise comporte, il semblerait que personne n ’y
- Non! non! [...] Notre fils ne partira pas! Qu’il n’en soit plus question! (Laye,
L ’enfant, 245)
Je savais bien qu’un jour tu nous quitterais: le jour où tu as pour la première fois
Le départ du jeune garçon pour la France est irrémédiable. Les prédictions du père se sont
réalisées.14 L’école française s’érige en obstacle dans le type de formation que le père
veut enseigner à son fils car ce dernier s’éloigne de la forge paternelle. La non-présence
13 Pendant longtemps, pour la plupart des Africains, l ’école était une institution étrangère. Pour la mère,
l ’utilisation du pronom “eux” est significatif car il met en relief la distance qui sépare l ’école de la
communauté. Ambroise Kom démontre qu’il s’agit là d’une réaction normale: “Avec la colonisation
apparaît une école du type occidental, située quelque peu en marge de la société. Le terme “école des
Blancs” qui est encore utilisé de nos jours, montre bien que l ’école est démeurée une structure non intégrée
à l ’environnement de l ’enfant.” Education et démocratie en Afrique, Le temps des illusions. Paris:
L ’Harmattan, 1996, 90.
14 Lors d ’une conversation entre le fils et le père, ce dernier révèle ses craintes: “J’ai peur, j ’ai bien peur,
petit que tu ne me fréquentes pas assez. Tu vas à l’école et, un jour tu quitteras cette école pour une plus
grande. Tu me quitteras p etit....” (23)
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222
Si tu veux que le génie de notre race te visite un jour, si tu veux en hériter à ton
son jeune âge, qu’il ne pourrait suivre le même parcours que celui de son père, qu’il ne
pourrait communiquer avec le serpent qui rendait toujours visite à son père pour le guider
dans ses activités quotidiennes et les grandes décisions. Il n’y a aucun doute que pour
Est-ce que moi aussi, un jour, je converserais de cette sorte? Mais non: je
continuais d ’aller à l’école. Pourtant j ’aurais voulu [...] (Laye, L ’enfant, 25-26).
n’est plus l’affaire de la communauté et de la famille mais d’étrangers. Tout est fait à
C’est ainsi que le départ du protagoniste est confirmé par une lettre du directeur adressée
à son père. Le départ de Camara pour des études supérieures en France démontre
comment fonctionnent les structures mises en place par le système colonial. Pour que la
formation de l’individu soit complète, il importe qu’il parte en France, qu’il soit
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223
[...joui, elle avait dû voir cet engrenage qui, de l’école de Kouroussa, conduisait à
puis cette troisième, et puis d’autres roues encore, beaucoup d’autres roues que
coloniales en Afrique. Tôt ou tard , les habitants sont forcés à se conformer aux
conjonctures de mutation sociale. L’institution fait peu de cas des croyances d’autrui.
Nous voyons donc que le pouvoir crée l’altérité. Les nouvelles institutions n ’offrent pas
[...] elle ne pourrait pas empêcher mon départ, rien ne pourrait l’empêcher; [...]
Les structures éducatives imposent des conditions “anormales” sur l’individu en Afrique
dans la mesure que l’être serait incomplet s’il ne partait pas en France. La colonisation
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224
L’étude de ces divers points nous permet de constater des différences importantes entre la
explicitées dans L ’enfant noir. Il semblerait que deux modes de pensée fondamentales
Ce qu’il importe de retenir ici, c’est bien la force du contraste entre un logos,
Lors d’une conversation avec son père, ce dernier révèle à Camara comment sa
formation a été réalisée par le muthos. Il raconte à son fils comment le serpent lui est
apparu d’abord en rêve pour lui donner des indications précises. Tout donne à supposer
[...] mon nom est dans toutes les bouches, et c’est moi qui règne sur les forgerons
des cinq cantons du cercle. S’il en est ainsi, c’est par la grâce seule de ce serpent,
Si pour le jeune garçon l’éducation à travers l’école est source de pouvoir et promesse
d’avenir, par contre pour le père, le pouvoir provient du serpent. De même pour la mère,
D ’où venaient ces pouvoirs? Eh bien, ma mère était née immédiatement après
15 Gérald Berthoud, “Le métissage de la pensée”, La pensée métisse, Croyances Africaines et rationalité
occidentale en question. Paris: Presses Universitaires de France, 1990, 30.
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225
En puisant dans ses souvenirs, le narrateur offre deux exemples du pouvoir de la parole
de sa mère. C’est ainsi qu’elle ordonne au cheval à se lever ou pour “frapper le jeteur de
Bien que nous ayons très peu de détails concernant les matières ou le mode d’instruction
de l’école française dans L ’enfant noir, tout porte à croire que son installation en dehors
importants. Puisque L ’enfant noir se termine par le départ du protagoniste pour Paris, ne
nous révélant pas les transformations qui découleront de ce séjour, nous nous pencherons
Pour rechercher les “conséquences” de ce départ, L ’appel des arènes, nous décrit la
roman, il n’y a aucun doute que la problématique concerne l’éducation d’un jeune garçon
sénégalais. Comme tous les autres petits garçons de son âge, Nalla fréquente l’école.
Mais l’école s’avère très complexe quand le personnage se met à développer une
fascination pour les arènes et la culture de la lutte africaine au détriment des cours selon
le modèle occidental. Ceci suscite une vive réaction de la part des parents, Diattou et
l’éducation des parents est remise en question. Nous avons déjà vu que la formation de
l’enfant exige ce passage universitaire à l’étranger afin qu’il puisse trouver un bon
emploi, pour qu’il puisse aider son pays, pour qu’il soit complet. Or, L ’appel des arènes,
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226
considère cette nouvelle crise provoquée par la mentalité des “assimilés” qui reviennent
au pays natal.
coloniale française. Dans cette perspective, nous privilégierons les schèmes du départ et
africaine. À l’opposé d’un système scolaire européen dans lequel l’instruction est prise en
charge par des professionnels et des officiels, l’éducation africaine favorise une approche
[...] very closely allied with the tribal, clan or even “ethnie” structure of
Nous revenons ici à la notion de structures contraires. “L ’école des Blancs” se présente
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227
idéologique de la communauté. À cet effet, le voyage culturel de Diattou est marqué par
les cieux de lui avoir permis de monter à la capitale pour y continuer ses études (Sow
Le parcours de Diattou est identique à celui de l’enfant noir. Alors que la formation
symbole d ’asphyxie:
institutionnel, culturel et social pour n’en mentionner que trois aspects, essentiel pour
In concrète terms, colonial éducation in général, because of its assimilation policy and
D ’ailleurs cette aliénation est telle que tout autre modèle d’instruction est non seulement
ignoré, mais rejeté avec dédain. C’est ainsi que les amis de Nalla, voisins et garçons du
quartier, sont chassés par Diattou, parce qu’ils “sont sales, sans éducation et débraillés”
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228
(Sow Fall, L'appel, 66). D ’une manière générale, la mère de Nalla présente une image
stéréotypée à l’occidentale de l’enfant africain. Il faut dire que cette attitude a été à la
institutionalisée à l’occidentale impliquait que les Africains étaient des illettrés. Dans ce
même ordre d’idées, les autres femmes n’ayant pas suivi l’itinéraire de Diattou sont
une telle attitude de sa mère, Nalla se retrouve sans aucun ami. Or, la réaction de Diattou
est en conflit avec les pratiques traditionnelles concernant la place que les amis occupent
dans le développement de l’enfant. Dans ce contexte, le temps que l’enfant passe avec
The child learns to live with children of the same âge group, to fill a determined rôle,
to appreciate and esteem his friends, to judge his own capacities and those of others in
On voit aussi, avec plus de netteté, comment Diattou ne veut plus que sa mère contribue à
l’instruction de son petit-fils. Dès son retour d’Europe, elle l’avait “ arraché” à Marne
Fari sous prétexte qu’ elle “a gâté l’enfant [et qu’ elle] ignore que le monde a évolué et
qu’on doit pas élever un enfant de cette manière” (Sow Fall, L ’appel, 68). L’examen du
L ’altérité de “l’école des Blancs” est construite sur la relation que l’institution entretient
D ’ailleurs cet aspect de l’école est reconnu par l’institution aussi bien que par les parents.
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229
niveau des enseignants ou des instructeurs. Alors que partant d’un contexte global,
simultanément. Plus fondamentalement, cette dernière approche exige aussi que “l’élève”
Dans L ’appel des arènes, le personnage principal opte pour le modèle traditionnel de
l’apprentissage. Les cours de Monsieur Niang à l’école sont complémentés par des cours
hors de la salle de classe. C’est ainsi que Nalla revit avec nostalgie les “cours” de Marne
l’interdiction de Diattou qui ne voulait plus que son fils soit en contact avec ces deux
étant une des principales distinctions de l’école traditionnelle. Malaw attire l’attention de
Les enfants d’aujourd’hui apprennent la vie à l’école. Moi, mon père était mon école...
Mon grand-père aussi, et mon oncle. En somme, j ’avais plusieurs écoles (Sow Fall,
L ’appel, 80-81).
Plus déterminante pour le protagoniste à la suite du “vide” créé par sa mère, est la prise
en compte que sa formation serait incomplète s’il ne dépendait que des cours du
professeur Niang. Dans cette optique, il s’associe à André et à Malaw. C’est au cours de
ses conversations avec ces deux hommes que le personnage principal ferait son
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230
apprentissage de la vie. Les moments qu’il passe dans les arènes deviennent plus
importants que les cours de Monsieur Niang. Corrélativement aux instructeurs des deux
contenu des cours, il est impératif de considérer ses deux axes majeurs: d’abord par ce
Dans le premier cas, le souci dominant de l’école était de rompre toute attache avec la
Current programmes devote most of their attention to the history of France[. ..] not to
mention its reflection of imperialist and chauvinist bourgeois ideology which tends to
stress for the child the “grandeur” of the colonizing country, to the exclusion of the
Une telle stratégie visait la conscience collective non seulement de l’enfant mais
Oui... Blanche neige... Merlin l’enchanteur ...Petit Poucet ...et bien d’autres contes
Ainsi peut-on remarquer sous l’angle de l’instabilité familiale le refus de Ndiogou de lui
17Nalla confie à son ami Malaw, l ’attitude de son père “....Il ne me les a même pas racontés, il m ’a apporté
d ’Europe des livres qui les racontaient. Des beaux livres illustrés” , 81.
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231
des arènes. La lutte dans les arènes se pose en antithèse à l’apprentissage du français.
L’école française est foncièrement colonialiste, mettant l’accent sur la langue et la culture
protagoniste.
Fall:
One fact stands out when the programmes of current primary éducation are examined:
French occupies a prépondérant place as the only language of teaching at this level[...]
it goes hand in hand with the systematic dismissal of African languages (Moumouni,
Education, 161).
Or, la problématique de l’altérité institutionnelle dans L'appel des arènes, est construite
matière enseignée par un seul professeur dans un environnement fermé qu’est la salle de
classe. Par contre, les méthodes traditionnelles optent pour une approche tout à fait
l’aide de divers “instructeurs”. La lutte dans les arènes renvoie à la lutte que doit mener
Nalla, et tout enfant africain pour préserver la culture. S’il n’est en aucun cas concevable
l’impression que nous laisse le roman. En effet, il semblerait que Nalla n’apprend que le
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232
français. Aucune référence n’est faite aux autres matières, ni aux autres personnages de
grammaire française.
Cette stratégie qui consiste à présenter une structure squelettique de l’école, est à notre
avis le pilier sur lequel est construit 1’altérité dans ce roman. Nous avons déjà vu que
puisse être prise comme altérité, il convient de l’essentialiser dans le but de la rendre
unidimensionnelle. Autrement dit, l’altérité dans le roman est une mise en oeuvre d’une
réussite dichotomique du discours. Dans L ’appel des arènes, l’imposition du français sur
Nalla par les parents est présentée comme étant un non-sens. De même, leur opposition
du lecteur dans cette construction. Si les liens et les rapports sont bien dans le texte, c’est
au lecteur que revient la tâche de les rassembler. Dans notre cas, nos références à la
colonisation ont servi de fil conducteur pour mettre en relief les oppositions et les
Dans L'aventure ambiguë, L'enfant Noir et L'appel des arènes, l’école est présentée
comme étant une nouvelle forme d’apprentissage imposé sur les protagonistes. Samba
Diallo, Camara et Nalla doivent tous faire face à cette institution qui est à la fois objet de
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233
que cette institution est un réseau de structures complexes qui non seulement détruit la
culture autochtone mais transmet à la fois une culture différente. Ainsi, elle est symbole
spirituellement hors des influences de sa communauté d’origine. Elle est “Autre”, parce
qu’elle est présentée dans les oeuvres comme le “produit d’un système importé
conquérant, inadapté et imposé” qui crée des êtres “aliénés et asservis.” C’est ce que
L ’ÉGLISE ET LA MISSION.
africain joue un rôle crucial. Au cours des prochaines pages, nous analyserons les
mission et de l’Église en général. Autrement dit, il est impératif de voir comment, à partir
indique que ces deux collectivités n’appartiennent pas à la même famille et qu’elles ne
peuvent faire partie des deux simultanément. Bien qu’il ne soit pas question pour nous
d’expliciter davantage le contexte colonial et ses effets sur l’Afrique en général, reste que
la mission et l’évangélisation sont ses “sous-produits”. Ceci est essentiel quant à la façon
18 Dans son intervention au Colloque sur les religions, à Abidjan en 1961, Alioune Diop fait le lien entre
Église et institutions: “ Une Église, davantage que tout autre communauté, est toujours dotée d ’institutions
et de méthodes éducatives et culturelles, grâce à cette précieuse et prodigieuse force créatrice qui est à
l ’origine de toute oeuvre culturelle: la foi.” Colloque sur les religions, Abidjan 5-12 avril 1961: Paris:
Présence Africaine, 1962, 15-22.
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234
même sert de cadre institutionnel qui crée l’altérité. La présence d’une minorité de
Pour l’auteur, la différence fondamentale entre ces deux catégories sociales repose sur la
Il importe de retenir que l’Afrique précoloniale n’était pas sans institutions. Bien que leur
chrétienne sur les pratiques africaines et les collectivités. Rapport non seulement
son altérité. Ceci permet au lecteur de reconstruire le discours “autre” de la mission sur
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235
- doit être lié à la création de la “sixa”. La sixa - séjour forcé des jeunes filles à la
mission pour éviter des relations pré-maritales - était une invention de la société
dominante imposée sur les femmes noires. L’évangélisation n’est possible que par
insensibilité. En dépit des pleurs de la mère, le R.P.S. lui interdit de fréquenter sa fille,
épouse de polygame:
- Père, c’est ma fille...ma fille...ma fille ...et je l’aime... Père, inflige-moi toutes les
punitions que tu voudras, mais ne m’interdis pas de voir ma fille; j ’en mourrais, Père,
En s’appuyant sur l’Evangile, la mission met sur pied toute une série de structures
“désordre” créé par la polygamie et les relations sexuelles pré-maritales si répandues dans
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les diverses communautés visitées par le R.P.S., l’Église propose donc la sixa dans le but
d’établir un nouvel ordre social fondé sur le christianisme. Dans ce cas, le discours de
Le discours englobant de l’Église à propos des moeurs de Bomba peut être résumé sous
non seulement dans le cadre de l’éthique, bien /mal mais aussi dans une perspective
religieuse: la polygamie mène à la mort tandis que la monogamie est une garantie de la
vie éternelle. Toutes les conduites sont rendues acceptables afin de ramener les
il a levé son rotin très haut avant de l’abattre sur les fesses de Marguerite (Beti, Le
pauvre, 307).
niveaux. En vue de combattre la polygamie, la mission instaure la sixa, qui, à son tour
conséquent une nouvelle “structure” mise en place par les missionnaires pour qu’elles
refus de cette dernière de reconnaître les institutions des colonisés et Tordre qu’ils
maintiennent dans leur vision du monde. Par exemple, la polygamie doit être mise en
21
contexte des croyances religieuses et du culte des ancêtres.
21 Pour de nombreuses ethnies en Afrique, “le mariage est une institution destinée à la procréation d’enfants
qui agrandissent le lignage et le clan[...] Chaque individu est un chaînon dans une continuité physiologique,
une tradition, une mission qui remonte au fondateur du groupe ethnique.[...] Ne pas avoir d’enfants pour
une femme mariée est un signe manifeste du mécontentement des dieux, des esprits ou des ancêtres et
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237
Lors de sa visite à Ekokot, le R.P.S. confronte le chef du village pour avoir pris d’autres
épouses:
- Mais oui, mon Père, tu sais bien, quoi; ma femme, hein? ma toute première, celle
que j ’ai épousée à l’église... là, tu vois laquelle c’est? Bon! Eh bien, elle est stérile!
[...] j ’ai pris d ’autres femmes pour faire des enfants (Beti, Le pauvre, 118).
Cette explication sommaire permet de mieux comprendre la raison pour laquelle cette
population en général. Bien qu’il n’y ait aucun doute que le chef se moque ici du R.P.S.
- car il a pris plusieurs épouses et non pas une deuxième seulement - on comprend la
Or, la mission fait preuve d’une opposition farouche envers la polygamie. Dans Le
pauvre Christ de Bomba, le R. P. S. en fait son cheval de bataille. Il faut voir dans
l’attitude du R.P.S., la position officielle de l’Église, à savoir, qu’il ne s’agissait pas tout
simplement d’une pratique culturelle différente des moeurs occidentales; mais qu’elle tire
Or, cette attitude relevait aussi d’une idéologie raciste vis-à-vis du Noir en général:
suscite une réprobation générale. [...] La femme stérile n’apporte pas sa contribution à l ’accroissement du
groupe. Elle est infidèle à sa mission essentielle; elle est inutile et traitée avec mépris.” Van Eetvelde,
L ’homme, 124-126.
22 Dans de nombreuses communautés africaines “ la polygamie est conforme aux prescriptions des ancêtres.
Elle est bénéfique pour le lignage et le clan, car elle conduit à leur acroissement et à leur force.” Van
Eetvelde, L'homme, 134.
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qualité à des “appétits grossiers” qui l’empêchent d’attendre le sevrage de son enfant
cette mission de l’Église s’inscrit dans la mise en oeuvre d’une “action psychologique
tendant à discréditer les institutions traditionnelles [...] sans oublier des mesures
administratives précises adoptées contre telle ou telle coutume (polygamie, culte des
qui bouleverse l’ordre établi ...avec les meilleurs intentions du monde” (Laverdière,
maris, les enfants désobéiraient à leurs pères, les frères ne se regarderaient plus et
coutumes africaines est un danger réel non seulement à la paix sociale mais aussi à
opposée à celle des villageois. Est remise en question ici, la “tradition de vivre dans la
solidarité d’une famille unilinéaire étendue” (Van Eetvelde, L ’homme, 35); les structures
23 Bernard Salvaing, Les missionnaires à la rencontre de l ’A frique auX IX e siècle. Paris: L ’Harmattan,
1994, 161.
24 II ne faut en aucun cas considérer que la polygamie est la norme à travers toute l ’Afrique. La famille
varie “selon les groupements ethniques ou culturels et les régions, le groupe de parenté est organisé et
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parabole du bon pasteur laissant ses quatre-vingt dix-neuf brebis pour retrouver celle qui
s’était égarée n’a aucun sens pour les gens du village. Aussi, Zacharie ne manque de
Les gens ne comprennent pas ce que c’est qu’un bon pasteur. Quand un homme
possède trois ou quatre chèvres, il ne s’en occupe guère, assuré qu’elles broutent dans
De façon assez significative cette image du “bon pasteur” s’oppose à la violence avec
laquelle la mission tente de maintenir l’ordre dans la communauté. Elle a recours aux
matériels. Dans le roman de Beti, une des tâches de la mission est de ramasser l’argent
pour l’église. Outre le denier du culte imposé par le R.P.S., la mission offre d’autres
D ’ailleurs est-ce que toutes les filles-mères chrétiennes ne viennent pas se faire
baptiser leurs bébés à Bomba, en payant un prix spécial fixé par le R.P.S. lui-même?
Cette réflexion de Zacharie, cuisinier du R.P.S., est partagée par le chef d’Evindi qui
accuse le prêtre de se “construire une belle maison avec l’argent que nous lui prêtons.”
structuré de façon à assurer la satisfaction des besoins de ses membres, sa cohésion, sa perpétuation, sa
force, sa sécurité.” (Van Eetvelde, L'homme, 35)
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240
(Beti, Le pauvre, 99). Au cours de la campagne du R.P.S. dans le pays, un homme ivre lui
demande:
- Fada, fada25... quel métier as-tu choisi là? Dépouiller les hommes de leurs biens?
L’emploi du terme “fada” bien qu’il soit prononcé par ce personnage, met en relief
l’illégalité. Ceci fait partie de ces nouvelles structures établies en Afrique26 par les
missionnaires. Ces derniers n’hésitent pas à “voler” la terre de Meka pour construire le
bâtiment de la mission:
Meka était souvent cité en exemple de bon chrétien [...] Il avait eu la grâce insigne
d’être le propriétaire d’une terre qui, un beau matin plut au Bon Dieu. Ce fut un prêtre
qu’après les frais ont été réglés par les habitants. Aussi le R.P.S. chasse ceux qui n ’ont
surtout dans son entente, voire sa collaboration avec l’administration coloniale. Dans un
Dans Une vie de Boy, la rencontre du samedi au Cercle Européen réunissait tous les
25Sous la forme de notes au bas de page, l ’éditeur explique le sens du mot “fada” en termes de “jeu de mot
intraduisible en français, “fada”outre le premier sens (père), veut dire aussi “ dépouiller quelqu’un par la
violence”. I c i, en utilisant le terme “fada”, l ’homme ivre accuse le prêtre d’être un voleur.
26 “Les fidèles négro-africains reçoivent en héritage un ensemble de “structures” d’institutions (scolaires,
hospitalières...) mises en place par les “Églises coloniales” selon leur propre génie et selon leurs propres
moyens matériels et financiers.” (Bimwenyi-Kweshi, Discours théologique, 169) À ceci, il faudrait ajouter
que le maintien de certaines activités quotidiennes de la mission soient assurées par l’église locale.
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241
régulièrement visite à la mission catholique (Oyono, Une vie, 22). Dans le roman
d’Oyono découle de sa fonction auprès des Blancs. Immédiatement après la mort du père
résidence du Commandant, ce dernier ayant besoin d’un boy (Oyono, Une vie, 30).
africaines:
[...] la société coloniale pour assurer le contrôle de la colonie, s’ingénie à mettre les
chefs dans ses “intérêts”, à les réduire au rôle de simples “créatures” de l’occupant [...]
théologique, 91)
faudrait faire ressortir ici que le statut de “chef’ dépassait largement le cadre politique ou
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242
■*. r 28
communautaire. Chez de nombreuses ethnies ou groupes, le chef était un être sacré.
est mise en relief. L’antagonisme public du chef du village d’Evindi vis-à-vis du R.P.S.
mérite d’être sanctionné. Selon le narrateur, il suffit que le prêtre en parle avec son ami
Vidal:
[...] il lui suffirait de toucher un mot à l’administrateur qui est un de ses amis et qui
vient souvent le voir, pour que ce mauvais chef soit destitué. (Beti, Le pauvre,
108-109)
La remise en question de l’autorité du chef par la mission ébranle les assises de la société
Comment as-tu toléré qu’on achète ta fille à ce prix exorbitant? [...] Cinq mille francs!
Est-ce que tu n’as pas honte? Une chrétienne qui vend sa fille au prix de cinq mille
intervenu qu’au terme de longues négociations entre les familles concernées, le prêtre
28 “Le chef intervenait en tant que prêtre - car il se trouve à la conjonction des forces qui lient la terre, les
ancêtres et les membres du lignage - en tant que juge.” G. Balandier, cité par Bimwenyi-Kweshi,Discours
théologique, 91.
29 Selon Bernard Durand, “les dots représentent un terme de l ’échange, elles circulent en sens inverse des
femmes, second terme de l ’échange. La monnaie dotale, par son incessant va-et-vient entre familles, au
cours des générations, est appelée “une liane” car, à proprement parler, elle tisse un lie n , une alliance entre
les groupes auxquels appartiennent les époux. Le problème de la dot est en droit coutumier parmi les plus
délicats parce que l ’introduction de la monnaie et les bouleversements sociaux des X IX e et XXe siècles ont
profondément dénaturé le mécanisme dotal...” Histoire Comparative des institutions. Dakar: Nouvelles
Editions Africaines, 1983, 382.
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243
L ’administrateur interdit au père de demander cinq mille francs [...] cinq cents francs,
voilà tout ce que ton mari pouvait demander à ton gendre, tout au plus cinq cents. Et
cela c’est l’administrateur qui l’a ordonné: c’est une loi. Ne le savais-tu pas? (Beti, Le
pauvre, 110)
La remise en question systématique des “anciennes” sources de l’autorité par les missions
gouvernementale et la mission.
Dans un premier temps, il s’agit pour la mission d’affronter publiquement les figures de
Le pagne est tombé et Sanga Boto a traversé le village en court caleçon blanc et il
avait honte. Il criait au R.P.S qu’il était nu [...] mais le R.P.S. n’arrêtait pas de le tirer
sein de la famille. C’est grâce à cette stratégie que Toundi est vivement accueilli par le
révérend père Gilbert. Au lieu d’encourager l’enfant à retourner chez lui pour poursuivre
Mais avec le père Gilbert, je ne craignais rien. Son regard semblait fasciner mon père
qui baissa la tête et s’éloigna tout penaud (Oyono, Une vie, 20).
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Sans doute faut-il revenir au fait que la conversion au catholicisme des Africains se
pas la possibilité de connaître “le fameux serpent qui veille sur tous ceux de notre race”
(Oyono, Une vie, 14). En contrepoint, selon le père Gilbert, il connaît le Saint-Esprit -
“génie” chrétien. Les protagonistes du Pauvre Christ de Bomba et d'Entre les eaux,
Denis et Pierre Landu seront recrutés par la mission alors qu’ils sont encore enfants. Or,
les deux protagonistes ont été “poussés” par leur père vers la mission afin de bénéficier
de certains avantages matériels ou économiques. Dans le cas de Denis, son père l’a
catéchiste: alors que tous les hommes valides du village étaient forcés de creuser la route:
[Mon père] avait été pris et emmené sur le chantier [...] Mais le R.P.S. survint; il
expliqua que c’était un homme à lui. Le Blanc qui surveillait le chantier l’autorisa à
Outre l’influence qu’elle exerce sur les enfants, en tant qu’institution étrangère, la
mission négativise l’autorité des époux en poussant les femmes à se révolter contre eux.
décisions prises par leurs maris. Afin de saisir les implications de cette action de la
mission, il y a lieu d’évoquer le rôle que la femme occupe au sein des structures
familiales et du groupe:
30 Notons la transformation qui s’est opérée chez le protagoniste à la suite du contact avec la mission : “ je
m ’appelle Toundi Ondoua. Je suis le fils de Toundi et de Zama. Depuis que le père m ’a baptisé, il m ’a
donné le nom de Joseph.” (14)
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245
En principe général, les femmes n’occupent pas des postes d’autorité dans les groupes
de parenté [...] En somme, la femme est toujours sous le contrôle d’un homme (Van
Un répertoire d’arguments est ainsi mis en place par le R.P.S. pour s’interposer entre la
fait, l’Église ne fait que remplacer l’autorité masculine en provoquant un transfert des
mari, le pouvoir est remis directement à la puissance étrangère Ceci constitue un aspect
Il faudrait interpréter l’opposition du R.P.S. à la somme convenue pour la dot comme une
Pour le juriste, la coutume tire sa force des précédents. Les usages répétés ont
contribué à la reconnaissance d’une règle admise par tous mais dans les sociétés
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régler des problèmes internes de la communauté est synonyme d’une rupture avec non
seulement la tradition mais surtout avec les “gardiens de la tradition et des activités
Dans Le pauvre Christ de Bomba et Une vie de boy, la mission catholique représente un
nouveau pouvoir qui combat les coutumes africaines et les institutions traditionnelles. La
chefferie, les pratiquants de la magie, la famille, sont tour à tour défiés par l’Église.
des dirigeants, l’Église et l’administration s’unissent pour mieux asservir les populations
africaines. Cet aspect de l’Église est davantage mis en lumière dans Entre les eaux. Pierre
Landu, après sa longue formation de prêtre au sein de l’Église catholique, se rend compte
À la lecture de cet ouvrage, le lecteur découvre les conflits entre le “maquisard” Pierre
Le catholicisme est une religion marquée par l’Occident [...] Porté, soutenu par des
structures européennes, il n’est guère possible de l’aimer sans s’inscrire dans l’histoire
31 “L ’homme étant pris dans un ensemble de forces, il est normal que les règles auxquelles il est soumis
soient elles-mêmes le produit de ces forces. Partout interviennent les divinités, les esprits, les morts vivants,
c ’est-à-dire les ancêtres défunts jusqu’à cinq générations en arrière. Or, ces derniers s’intéressent encore
directement aux affaires terrestres, ils s’informent et agissent comme la police invisible des familles et des
communautés” (Durand, Histoire, 375).
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247
Pour l’Africain, cette inscription dans l’histoire est telle que tout lien avec la religion
En restant avec eux, dans leurs structures, je trahis (Mudimbe, Les eaux, 27).
Le catholicisme tel qu’il est pratiqué par l’Église est présenté comme une idéologie
incompatible avec le fait d’être Noir. Le protagoniste d'Entre les eaux s’interroge à
comme mon christianisme, n’est qu’une pelure artificielle autour de mon noyau nègre?
catholique apparaît comme une religion que l’on doit pratiquer en vivant “à l’écart” des
Pendant des années, j ’ai tenté de vivre [ma foi] dans les structures consacrées
Or, pour la collectivité, la foi telle qu’elle est vécue par l’institution de l’Église semble
être contraire au véritable message de l’Évangile: le combat pour la justice et pour les
opprimés.
dernier se réfère de prime abord aux “structures de pensées.” Nous avons démontré ci-
dessus que la mission utilisait souvent des stratégies institutionnelles pour forcer les
populations à s’éloigner des traditions et des coutumes. Or, dans le roman de Mudimbé,
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partage les mêmes intérêts que ceux qui se trouvent au sommet de l’échelle sociale tout
en ignorant les intérêts de Dieu. Cette foi “importée” a été imposée au peuple. Il s’agit
Pouvait-il avoir un autre choix? Surtout dans cet ordre colonial où le christianisme
eaux, 22).
Pierre Landu va davantage plus loin dans sa critique des institutions catholiques. En les
accusant de protéger les intérêts du gros capital, il accuse l’Eglise d’être une repaire pour
des voleurs:
L ’Église dans mon pays, constitue une espèce d’internationale des voleurs travaillant
sous le signe de Dieu [...] Ces 500 hectares de la paroisse de Kanga que cultivent
Tout comme dans les deux romans étudiés en haut, la mission exploite une main d’oeuvre
à bon marché pour s’enrichir. Qui plus, elle dispense des sacrements pour un gain
monétaire:
Ils achètent ainsi leur baptême, dans la sueur, le sang et l’exploitation. L’oeuvre de la
communion, le message de charité sont devenus des alibis couvrant des entreprises
Outre le discours identique sur et par la mission et l’Église dans le roman africain,
constatons qu’elles se sont toutes deux alliées aux forces administratives coloniales pour
32 Pierre Landu justifie sa présence parmi les maquisards comme “une mission [...] de nier, la responsabilité
de Dieu dans la colonisation comme dans l ’exploitation.” (18)
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autres personnages religieux, tels les “sorciers”, la mission tente de remplacer de manière
catégories des systèmes théologiques africains , à savoir “Le Grand Dieu, les divinités,
les esprits locaux , les ancêtres et l’âme, le Destin, la Magie”33 sont substituées au profit
protestation sociale pour des groupes qui sont considérés comme refusant l’assimilation,
d’où une occasion pour préciser l’identité africaine. Symbole à la fois de désordre et d’un
nouvel ordre social, politique et culturel, l’Église fait éclater la famille en forçant les
enfants et les jeunes à se joindre à elle. Quant aux vieux, qui refusent la vision coloniale
\
et son discours chrétien, ils sont ridiculisés par les prêtres. A cet égard nous notons la
de référence” qui s’y défend, provoquant le départ de la mission et du R.P.S. comme dans
LA VILLE
Dans le prolongement d’une réfléxion qui cherche à cerner les lieux institutionnels de
l’altérité, la ville africaine - telle qu’elle est représentée dans le discours romanesque
serait peut-être l’espace principal qui contient toutes les manifestations possibles de cette
33M elville J. Herskovits, “La structure des religions africaines”, Colloque sur les religions, 71-79.
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250
bois de Dieu31, pour ne citer que quelques romans africains explorent chacun les
différents aspects de cet espace. Il ne s’agit pas d’une étude de la ville en tant qu’un lieu
protagonistes de l’état colonial. Dès Les damnés de la terre, Fanon dénonce la ville
La ville du colon est une ville repue, paresseuse, son ventre est plein de bonne
choses à l’état permanent [...] la ville du colonisé est une ville affamée, affamée
n’est pas une “importation” coloniale. S’il est vrai que la ville africaine a existé bien
coloniale comme un lieu central à partir duquel sont propagées les nouvelles idéologies et
pratiques administratives:
Dans le contexte politique actuel, la Ville, c’est d’abord le siège des grandes
institutions nationales.38
modernité où les vieilles coutumes sont rejetées au profit des conduites scandaleuses.
34 Eza Boto (Mongo Beti), Ville Cruelle. Paris: Présence Africaine, 1971.
35 Bernard Dadié, La ville où nul ne meurt. Rome: Présence Africaine, 1968.
36 Ahmed Djerroumi, La Ville. Paris: Présence Africaine, 1989.
37 Ousmane Sembène, Les bouts de bois de Dieu, Le Livre contemporain, Amiot-Dumont, Paris, 1960.
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l’identité et de l’acquisition d’une nouvelle identité. C’est l’espace de l’autre marqué par
Relevons premièrement à ce propos que le milieu urbain fournit une des principales
lignes de clivage entre ce qui est africain et ce qui ne l’est pas. Occupant un espace
frontière, elle est décrite souvent soit en tant qu’une destination ou point de départ. C’est
aussi un lieu “transit” où séjourne le personnage avant qu’il ne parte vers la métropole.
Diattou, Samba Diallo et Camara passent à travers la ville pour “avoir une bonne
éducation avant de partir définitivement pour Paris. Non seulement, lieu de transit ou lieu
Il faut convenir que la ville “romanesque” apparaît d’abord comme un réseau englobant
poussent les villageois à se déplacer. Dans Ville Cruelle, elle attire les populations rurales
économique en ville force les villageois à abandonner leurs anciens modes de traitements
au profit du système importé. Notons par ailleurs que ce système dominant d’échange,
économique réside-t-elle entre les mains des étrangers constitue une menace à la famille
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Dès les premières pages de Ville Cruelle, Banda, le personnage principal donne au lecteur
marier avant la mort de celle-ci. Or, pour pouvoir se marier, il a besoin de vendre son
pour décrire cette ville. Soulignons que la ville de Tanga, comme d’autres villes
“romanesques”, est divisée entre deux grands quartiers, si distincts qu’on pourrait parler
verrons un peu plus loin, cela ne veut pas dire pour autant que la grande présence de la
Bien que la ville soit décrite à partir de la perspective d’un voyageur arrivant à Tanga, le
voyageur indigène car ils sont sous le pouvoir des étrangers: des Grecs, en particulier:
Tout le long des rues, les enseignes sonnaient grec: Caramvalis, Despotakis,
La plupart des boutiques étant la propriété des “étrangers”, les Grecs, sont très actifs
pendant la saison du cacao. D ’ailleurs, c’est la raison pour laquelle, Banda est arrivé en
ville:
39 “Les romanciers sont très conscients de la division des villes africaines en quartiers fonctionnels et
séparés, mais c ’est surtout l ’opposition entre la ville européenne et la ville indigène qu’ils insistent.” Roger
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253
- Demain [...] je m’en vais à la ville pour vendre mon cacao aux Grecs. J’espère
que ces fils de voleurs me donneront suffisamment d’argent pour mes affaires
Ce jugement de valeur de Banda (avant même son arrivée en ville) met en lumière la
façon dont les affaires sont traitées par les Grecs. Plusieurs indices disséminés dans le
texte démontrent qu’ils exploitent les cultivateurs de cacao. Par exemple, M. Pallogakis, à
l’aide de ses rabateurs, n’hésitent pas à menacer les villageois. Qui plus est, il a aussi
Les contrôleurs de cacao se livraient eux aussi à de pires transactions. Chargés à inspecter
l’administration coloniale, ordonnaient souvent que la cargaison soit brûlée sur place à
cause de la mauvaise qualité. En fait, ils s’arrangaient pour récupérer une grande partie de
la marchandise au cours de la nuit, pour la revendre. Ignorant qu’il fallait offrir des pots-
de-vins aux contrôleurs, Banda perd toute sa cargaison. C’est ainsi que la ville devient un
entre dominé et dominant. Pour le cultivateur, Tanga est analogue à un pays étranger :
Des rabatteurs s’efforcent de drainer les paysans vers la boutique de leur patron
[...] Tous les moyens sont bons[...] promesses fallacieuses, tricheries, intimidation
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désemparés dans ce monde étranger qu’est pour eux la ville (Chemain, La ville
met en place toute une série de mesures visant à contrôler les actions de la population. Or,
les “forces de l’ordre” sont principalement des étrangers qui ne veulent pas communiquer
avec les cultivateurs. Suite aux protestations de Banda qui ne veut pas que son cacao soit
détruit, les gardes décident de le conduire de force au commissariat. Devant une telle
Enfin un dernier point qui attire l’attention “dans cet univers qui n’était pas le sien” (Beti,
ville, 49) est la difficulté pour Banda de se faire comprendre et de comprendre auprès du
commissaire:
Il parlait beaucoup trop vite et moi je ne comprenais pas. J’ai donc raconté mon
ainsi par l’obligation pour les individus de se plier aux nouvelles lois mises en place par
le système. Si le quartier administratif et commercial est caractérisé par une entente tacite
entre les commerçants étrangers et les forces de l’ordre colonial, cela ne veut pas dire
pour autant que l’altérité serait construite autour des lignes raciales. En effet, nous
Dans ce rapport oppositionnel entre les “citadins”et les “ruraux”, il apparaît que la ville
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transforme ceux qui l’habitent. Ainsi, les contrôleurs deviennent complices dans les
valeurs contraires à celles prônées en milieux ruraux. Dans ces milieux, l’importance de
la lignée familiale et des liens qui rattachent l’individu aux générations passées, présentes
et futures définit les priorités et, par extension, détermine les valeurs. Les valeurs de
l’Afrique traditionnelle (ou tout autre société) équipent la collectivité à mieux atteindre
réduisent les valeurs à une manière de déguiser les intérêts. Seul les intérêts
Dans le cas de l’Afrique rurale (de Ville Cruelle), la paix sociale est un sous-produit de
différente de celle des planteurs de cacao. Ne s’intéressant qu’à leurs intérêts personnels,
les contrôleurs sont indifférents devant les lamentations et les pleurs des femmes qui ont
- Arrête donc Régina! lui cria Banda. Ce n’est pas un homme que tu vois là. C’est
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jusqu’ici ont dicté sa conduite, le citadin noir adopte la même échelle de valeurs que celle
sentiment d’étrangeté. En fait, comme les quartiers urbains qu’on retrouve dans les
oeuvres romanesques, entres autres, Les bouts de bois de Dieu, Les soleils des
classe dirigeante tandis que les populations de bas étage s’entassent dans les bas-
L’espace de la ville est marqué par des fractures imposées par les critères raciaux et
économiques. Moko, la ville des indigènes, est caractérisée par un manque général. Etant
essentiellement une ville nocturne, Tanga-Nord ne retrouvait ses habitants qu’à la tombée
de la nuit:
41 Alors qu’il se retrouve dans le quartier indigène, Banda songe aux tristes événements de la journée: “ Il
ne pouvait pas s ’empêcher de penser au contrôleur, au commissaire de police, aux jeunes mécaniciens, aux
fèves rouges amoncelées, au gradé blanc, aux gardes régionaux, au gros Blanc qui geignait et gigotait
douloureusement, à son vieil oncle fatigué. Non, il ne pouvait décidément pas s’empêcher d ’y penser.
Pourtant il lui semblait qu’un long espace avait ôté toute consistance à ces personnes et qu’elles
s’envolaient bientôt comme un lambeau de fumée”, 75.
42 Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances. Paris: Seuil, 1970.
43 Jean-Marc Ela, La ville en Afrique noire. Paris: Karthala, 1983, 78.
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On peut donc présumer que les institutions qui sont mises en place dans Tanga-Nord
transit, pour “cette population en proie à une instabilité certainement unique” (Beti, Ville,
24), Moko ressemble à une ville irréelle. Lieu de la “non-production”, l’endroit avec son
de la danse traditionnelle y est absent. Par contre, on y retrouvait des “maisons de danse,
violemment éclairées à l’électricité” (Beti, Ville, 23). Suivant le même ordre d’idées, le
tam-tam est remplacé par des caisses vides. Tout ceci explique la fragilité de cette masse
Certains, assez peu nombreux, trouvaient impensable que l’on danse dans une
case, alors que dans la case voisine on pleurait un mort dont le cadavre n’avait
même pas encore été mis sous terre ...(Beti, Ville, 24).
Alors que le Tanga-Sud est caractérisé par des institutions étrangères qui gèrent à leur
indigènes, Tanga-Nord est un monde irréel, presque “fantôme” avec ses “moeurs
insolites” (Beti, Ville, 24). Privée, pour ainsi dire, de toute structure sociale pour régler la
conduite personnelle et collective, la ville indigène n’est qu’une masse de “cent mille
de la population de Tanga est présenté comme n’ayant aucun ou peu de lien familial à la
ville. L ’existence à Moko est certes loin de “la réalité africaine [qu’est] la famille étendue
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fortement intégrée dans le réseau des solidarités lignagères et ethniques.”44 Ainsi, cette
personnel.
fait qu’il n ’y pas d’institutions formelles qui puissent la gérer. Les structures de la ville
En résumé on peut dire que la ville située loin de la brousse et du village africain,
représente la distance psychologique qui sépare les Africains des étrangers. Espace
physique et symbolique de l’altérité, l’environnement urbain est occupé par les Blancs et
Ne quittez pas la voie de vos pères pour suivre les Blancs: ces gens-là ne
cherchent qu’à vous tromper. Un Blanc, ça n’a jamais souhaité qu’à gagner
44 Roger Chemain, L ’imaginaire dans le roman africain. Paris: L’Harmattan, 1986, 241.
45 Pour Meinrad P. Hebga, l ’équilibre socio-économique est “l ’état d’une population donnée qui possède
une organisation sociale et les moyens de subsistance lui permettant de se conserver et de s’épanouir.”
Afrique de la raison Afrique de la foi. Paris: Karthala, 1995, 84.
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Pour les vieux du village, le départ “définitif’ des jeunes et leur installation durable en
milieu urbanisé est l’indication d’une transformation profonde de leur être et de leur
personnel. La famille, les liens dans la communauté à travers amis et ancêtres sont donc
priorités. Influencé par les moeurs de la ville, Koumé n’hésite pas à voler son patron. Cet
acte le mène à la mort. Placée de cette façon au centre du dispositif de cette nouvelle
civilisation, la ville devient le lieu d’un affrontement culturel entre les forces
leurs efforts afin de s’enrichir au détriment des masses. Dans ce contexte, le prêtre utilise
devoir de l’entendre après la messe et en secret. Que celui-là le révèle, par amour
Dans Le mandat,*6 Ousmane Sembène expose une autre réalité de la nouvelle ville
mandat de son neveu à Paris, Ibrahima Dieng tente de l’encaisser au bureau de poste. Or,
peut l’encaisser, car il n ’a pas les papiers nécessaires. Dans ce roman, Dieng - vivant
selon les moeurs traditionnelles - est comme coincé par les exigences de la nouvelle
administration. D ’abord, la ville est présentée comme un front uni contre les habitants. La
46 Sembène Ousmane, Le mandat précédé de Véhi Ciosane. Paris: Présence Africaine, 1966.
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Dans le contexte de cet ouvrage, la carte d’identité est une “nouvelle invention” de la
individuel. Alors que la communauté rurale reconnaît les siens de par le nom que chaque
individu porte, la ville fonctionnant dans un certain anonymat exige la carte d’identité.
Ceci est mis en lumière dès les premières lignes du récit. Le facteur reconnaît les épouses
du protagoniste:
Mety [...] Mety, j ’habite le quartier et je sais qu’Ibrahima Dieng est le maître de
se connaît, les membres connaissent aussi les habitudes quotidiennes des autres. Aux
Tu sais toi aussi, que notre homme n’est jamais à la maison à cette heure-ci.
Chômer d’accord! mais se vautrer toute la journée dans nos pagnes, cela non. Tu
est prise pour acquis par les villageois. Cependant, tel n’est pas le cas à la ville. En fait, la
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manifeste davantage dans les réseaux contrôlant les appareils qui gouvernent la
réglémentées, bon nombre de personnes sont marginalisés. Dans Le mandat, ces relations
juridiques sont rigoureusement gardées par les fonctionnaires. Ces derniers refusent de
reconnaître l’existence d’Ibrahima sans les papiers officiels. La carte d’identité, la preuve
personnage principal.
Dans La grève des Battu48 et (dans une grande mesure Xala49), le caractère étranger de la
ville est mis en relief dans le conflit qui oppose les mendiants aux administrateurs de la
ville. Généralement, par définition, le mendiant est autre. Refusant de s’intégrer dans les
exigeant peu. Du point de vue de l’économie nationale, il ne paie pas d’impôts. De par
ni le marché du travail. Il est l’exclu par excellence de la plupart, sinon toutes, les
structures sociales. Or, chez Aminata Sow Fall et Sembène, l’univers romanesque offre
47 II faut ici comprendre la tradition orale dans une perspective large. En dépit des nombreuses définitions
de ce terme, force est de constater que la tradition orale est une encyclopédie de connaissances qui
comportent entre autres, des us et coutumes, les généalogies des familles, mythes et textes sacrés, les
techniques , institutions politiques qui sont transmises oralement par les Africains et conservées dans la
mémoire individuelle et collective sans aucune preuve de l ’écrit.
48 Aminata Sow Fall, La grève des Bàttu. Dakar: Nouvelles Editions Africaines, 1979.
49 Sembène Ousmane, Xala. Paris: Présence africaine, 1979.
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Héritée de l’idée que tout bien appartient à Dieu, la part du pauvre était
considérée comme l’attestation que ce que l’homme est et possède revient à lui.
Le don au pauvre est le premier des sacrifices [...] l’aumône était comme la prière,
Aussi, il ne faudrait pas voir dans le personnage du mendiant chez Aminata Sow Fall, un
personnage de l’autre mais plûtot un être parfaitement intégré aux structures socio-
demandant l’aumône n’est ni une contradiction, ni une désobéissance aux lois du pays.
En fait, faire l’aumône aux pauvres s’inscrit dans une logique religieuse non seulement
Les mendiants demandant l’aumône aux fidèles à la porte de la mosquée est une scène
quotidienne dans toutes les communautés musulmanes du monde. Les pauvres - les
- Dans quel quartier de la Ville le premier geste matinal n’est-il pas de donner la
charité? Même dans les quartiers de toubabs; les toubabs noirs et aussi les toubabs
50 Christian Décobert, Le mendiant et le combattant, l'institution de l'islam, Seuil, Paris, 1991, 199.
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combattue par des nouvelles structures mises en place par la Ville. Dans La grève des
Bàttu, la position officielle de la Ville est soulignée dès les premières lignes de l’ouvrage:
Ce matin encore le journal en a parlé: ces mendiants, ces talibés, ces lépreux, ces
Bien que le nom de la ville ne soit pas précisée ici, l’emploi du majuscule de “Ville” se
réfère vraisemblablement à l’unique ville du pays. D ’emblée le conflit est posé non pas
en termes d’un groupe de personnages à un autre, mais d’une institution à une autre: de la
Ville contre l’institution de l’aumône. Bien qu’elle soit “légitime”, voire souhaitable, la
présence des mendiants à la ville n’est plus tolérée par la “nouvelle administration” dont
- Tu sais, Kéba, tu perds ton temps avec les mendiants. Ils sont là depuis nos
participant point dans l’économie nationale, les mendiants constituent une menace à
51 “Une tradition dit que lorsque le Prophète Muhammad mourut, il n’avait ni or, ni esclaves, et qu’il laissa
qu’une mule, ses armes et une petite terre dont il avait prescrit de faire l ’aumône.[...] Pérégrinations, guerre,
aumône: traces que Muhammad laissait aux siens pour reconnaître le chemin...” (Décobert, le mendiant,
17).
52 “boroom” en wolof veut dire “propriétaires” qui tendent pour demander l ’aumône, “le battù” - une petite
calebasse, p. 15
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Leur présence nuit au prestige de notre pays; c’est une plaie que l’on doit cacher,
en tout cas dans la Ville.[...] On ne peut tout de même pas les laisser nous envahir,
- La Ville transforme les gens....Elle les attire et les détruit (Sow Fall, La grève,
83).
Il oubliait la faim et la misère qui poussaient certains d’entre eux à mendier pour
rappeler aux nantis qu’eux aussi ils existent (Sow Fall, La grève, 7).
les valeurs culturelles et économiques ont remplacé la pratique musulmane qu’est le sens
Les villes modernes d’Afrique suivent dans leurs plans et structures les modèles
L’esprit de la communauté qui veut que ceux qui ont de quoi manger partagent leur repas
avec ceux qui n’en ont pas, disparaît de la ville où priment le matérialisme et
53 Clara Tsabedze, Ajrican independence from francophone and anglophone voices, A comparative study o f
the Post-lndependence Novels byN gugi and Sembène. New York: Peter Lang, 1994, 90.
54 Mèdéwalé-Jacob Agossou, Christianisme africain, m e fraternité au-delà de l ’ethnie. Paris: Karthala,
1987, 127.
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le désir de faire partir les mendiants de la ville est nourri de desseins intérieurs; la
[...] l’essentiel pour lui était que les choses fussent bien faites, afin de lui
permettre d’en tirer une aubaine. Ce qui l’intéressait, lui, c’étaient des titres, être
Dans ce même ordre d’idées, devant les conseils de Serigne Birama qu’il devrait sacrifier
République, Mour Ndiaye tente en vain de faire retourner les mendiants à la Ville. La
grève des mendiants est un défi à la société urbaine qui les a marginalisés. Dans la réalité,
cette marginalisation se traduit par leur déplacement forcé à trois cents kilomètres de la
cité. Dans cette “nouvelle économie” qu’est la ville romanesque, se dégage une
rural traditionnel n’y est pas. Pour Mour Ndiaye, la volonté de nettoyer la ville des
mendiants n ’est que prétexte à ses intérêts égoïstes. Par conséquent, la cité est un lieu où
règne l’injustice. Le père Ngo’o met son fils en garde avant son départ pour Nécroville-
la ville de la mort:
En ville, ce n’est pas comme ici dans l’arrière-pays. Tu auras à lutter contre pas
mal d ’ennemis. Sache bien que là-bas, personne n’est pour personne [...] Tu dois
L’injustice de la ville est également mise en relief dans Xala dans le rapport de forces
entre les néo-dominants et les éternels dominés, les nouveaux-riches et les mendiants. Ici,
55 “Ce que tu veux, Dieu peut te le donner. Et je pense qu’il te le donnera, Inch’Allah...Tu l ’auras, s ’il plaît
à Dieu. Fais égorger seulement le sacrifice d’un beau bélier tout blanc. Tu l’égorgeras de ta propre main, tu
feras sept tas de viande que tu donneras à des mendiants.” ( La grève, 28)
56 Rémy Medou Mvomo, Afrika Ba 'a. Yaoundé: Editions Clé, 1969, 64-65.
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chambre”, ancien siège du pouvoir colonial, se trouve désormais entre les mains de la
physique d’El Hadji représente son ascension sociale. En effet, il parcourt la ville dans sa
Mercédès noire conduite par son chauffeur, Modou, partageant ses nuits entre ses deux
En faisant le procès d’El Hadji, Sembène critique l’idéologie véhiculée par les citadins.
D ’abord la nouvelle économie urbaine fondée sur un capitalisme rigoureux qui essaie
d’accaparer tout le commerce du pays. Motivé par de tels sentiments, les “nouveaux
leurs déclarations, ils avaient énuméré les branches clef de l’économie nationale
Alors que la “richesse” de la famille traditionnelle était bâtie sur des rapports de forces
Faute de crédits bancaires et de soutien, [El Hadji] revenait à son point de départ.
Mais très connu, ayant une “surface”, le milieu industriel l’utilisa comme prête -
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Suivant le même schéma, cette nouvelle richesse ne sert pas à l’avancement collectif.
Comme Mour, qui révèle à sa femme sa décision de prendre une deuxième épouse58, El
Hadji, aussitôt promu à la Présidence, en prend une troisième et ce, malgré l’opposition
traditionnel, par contre à la ville elle est signe de la nouvelle bourgeoisie. L’acquisition
de cette nouvelle richesse permet à El Hadji de s’offrir une nouvelle épouse - N ’Goné,
qui avait “la saveur d’un fruit, la chair ferme, lisse [et] l’haleine fraîche” (Sembène, Xala,
18). Seul l’espace de la ville permet à l’être de vivre ainsi. Avoir de nombreuses épouses
serait représentatif de la richesse. Or, selon John Mbiti, une telle attitude serait contraire à
la vie traditionnelle:
Bien qu’El Hadji “arrive” seul à la richesse, elle contamine les familles des deux épouses.
En opposition à cette nouvelle race de bourgeois urbains, se trouvent les mendiants. Bien
qu’ils n’apparaissent qu’à la fin du roman pour guérir le protagoniste de son xala60, leur
invisibilité relative dans l’oeuvre se justifie de par leur statut d’autre. Étant donné que la
ville toute entière semble être sous le contrôle du “Groupement des Hommes d’affaires”,
58 Mour réveille sa femme pour lui faire part de sa décision: “Voilà...Puisqu’il faut te le dire et que je veux
te le dire moi-même par rspect et par amour pour toi, v o ilà ... on me “donne” une femme demain” (Sow
Fall, la grève, 40)
59 John Mbiti cité par Charles Larson, Panorama du roman africain. Paris: Internationales, 1974, 155.
60 Impuissance sexuelle
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les mendiants sont marginalisés et ont pour ainsi dire disparu de la ville61. Par ailleurs,
Les bribes monotones du chant d’un mendiant, juste de l’autre côté de la rue
A cet égard, la répugnance que le protagoniste éprouve pour le mendiant est significatif:
Le mendiant était très connu à ce carrefour. Le seul qui le trouvait agaçant était El
Hadji. El Hadji, maintes fois, l’avait fait rafler par la police (Sembène, Xala, 49).
Bien qu’on ignore les motifs réels du rafle, il semblerait que le personnage principal ne
C’est qu’à la fin du roman que le lecteur est en mesure de comprendre le rôle du
mendiant dans le récit. Ce dernier responsable d’avoir causé l’impuissance d’El Hadji,
terrain situé à Diéko appartenant à notre clan? Après avoir falsifié les noms
claniques avec les hauts placés, tu nous as expropriés...tu me fis arrêter et jeter en
Si El Hadji est accusé d’être celui qui est responsable d ’avoir poussé l’homme à mendier,
on peut dire par analogie, que la nouvelle elite urbaine est mise en accusation ici.
La ville africaine telle qu’elle est présentée dans les oeuvres romanesques, soit en
filigrane soit de façon prédominante est le siège privilégié de l’altérité parce qu’elle
61 II faut ici voir le parallélisme avec la situation des mendiants dans La grève des Battu. Si chez Aminata
Sow Fall, ils sont forcés de quitter la ville à la suite d’ une décision par les fonctionnaires, dans Xala ils
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regroupe tous les réseaux traités dans les deux derniers chapitres. Alors que la religion
Sembène et par implication chez Aminata Sow Fall, chez Mongo Beti et Ferdinand
l’élite - coloniale ou locale, la ville regroupe tous les dispositifs visant à réglémenter la
conduite des citadins. Attirance pour les villageois en quête d’un meilleur avenir, la cité
des pauvres et des faibles. Ainsi, la nouvelle économie “coloniale” rejette et méprise les
romanesque que l’école, la mission et la ville sont des réseaux de structurations qui
fonctionnent sur le mode de l’écrit rejetant ainsi l’ensemble de la tradition orale. Ainsi, ce
sont des lieux de conflits et de tensions dont se sert le romancier, comme un carrefour de
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270
Chapitre 5
Quelques jalons du postcolonialisme
Nous avons vu dans les deux premiers chapitres que toute tentative de comprendre la
littérature africaine doit tenir compte de la formation européenne des écrivains et des
penseurs africains. Dans les chapitres 3 et 4 nous avons démontré que la problématique
de l’altérité est présentée dans le roman à travers des schèmes qui sont directement ou
“contexte colonial”. Comme avancé dans les chapitres précédents, le “contexte colonial”
dépasse l’époque officielle de la colonisation. Bien que certains des romans traités
appartiennent aux années des indépendances, ils sont nourris par le motif colonial. Dans
ce même ordre d’idées, le sentiment du Même, de ce qui est authentiquement africain doit
être mis en rapport avec la “tradition orale.” Les romans analysés exhibent l’écart entre
ces deux modes d’être - contexte colonial et la tradition orale - comme des entités qui
communauté. Généralement, ce sentiment est perçu non pas au niveau individuel, mais
collectif. En effet, parfois l’Autre qui est créé n’est pas un individu mais toute une
communauté, qui est marginalisée par rapport aux détenteurs du pouvoir. Ce pouvoir est
étroitement lié à l’espace “autre” : la ville, la mission et l’école sont les principaux
s’affrontent l’Autre et le Même. Ces institutions sont dirigés par des “ étrangers” -
leur culture:
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271
[...] la culture est une des expressions de la personnalité collective.[...] C’est par la
Cette approche à la fois globalisante et générale doit aussi tenir compte des “toubabs
noirs” - personnages noirs qui, transformés par leur éducation ou leur richesse matérielle
du pays et/ou s’enrichit au détriment de la communauté, est lui-même méprisé par les
du personnage. Nous avons démontré que les espaces servent de marques identificatoires.
La façon dont le romancier situe ses personnages dans l’espace n ’est jamais
À l’élément de l’espace s’ajoutent deux principaux registres pour articuler le discours sur
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272
L’Occidentalisme
“l’institution des autres” dans les oeuvres africaines s’articule principalement en fonction
identique à celui décrit par Edward Saïd dans Orientalism, à savoir “L ’Occidentalisme”
par les auteurs et théoriciens africains. Ici, il est légitime de s’interroger comment
roman:
Le désir de l’altérité serait une transgression des limites imposées à l’homme [...]
2 Cosmas K. M. Badasu, Le Même et l \'Autre, espace et rapports de pouvoir dans le roman français (1871-
1914). New York, Peter Lang, 1998, 5.
3 Aleksander Ablamovicz, “Le romanesque et le réel”, L'Autre du roman e t de la fiction. Paris: Minard,
1996, 41-50.
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273
Si l’on croit Frantz Fanon, et à sa suite Albert Memmi, c’est le Blanc qui crée le
Noir [...] à cette vision en correspond une autre, tout aussi réductrice, qui tend aux
occupé entre autres, par l’école des Blancs, l’Église des Blancs et la Ville des Blancs.
L ’étude de certains ouvrages d’Aminata Sow Fall, de Mongo Beti, de Ferdinand Oyono,
culture africaine. Par analogie, on pourrait aussi dégager un système parallèle de valeurs
qui serait authentiquement africain. Le repérage de ces deux visions dans les textes
romanesques s’avère un travail méticuleux car elles ne sont pas explicites. Les valeurs
les personnages Blancs semblent défendre une autre version d’une Europe idéalisée. Par
exemple, la farouche opposition des missionnaires contre les rapports sexuels pré
général. Dans ce même ordre d’idées, les pratiques telles que l’obligation d’assister à la
séjour allant de six mois à deux ans que les jeunes femmes passaient à la mission - était
4Jacques Chevrier, Les Blancs vus p a r les Africains. Lausanne: Favre, 1998,150.
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274
catholicisme est presque toujours présent dans le roman. On pourrait donc dire que le
“occidentalisation” est occultée, voire niée, de sorte que seule l’exclusion de valeurs
“occidentales” est légitime. Outre ce qu’on a déjà dit dans les chapitres précédents sur le
personnage de l’Autre et les institutions étrangères, quelles sont les caractéristiques de cet
“occidentalisme”?
façon concrète par des institutions ou des systèmes mis en place pour défendre ou pour
promouvoir ces valeurs. C’est notamment le cas des croyances judéo-chrétiennes qui
sont imposées par l’Église et la mission. A vrai dire, il semblerait que ces valeurs ne
soient pas uniquement défendues par des institutions coloniales, mais également par des
Africains ‘parvenus’. Par exemple, le comportement d’El Hadji dans Xala et de Diattou
dans L ’appel des arènes révèle que ces deux personnages ont adopté cette vision
peu de doute existe quant à l’appartenance de ces idées. Bien qu’on ne retrouve pas dans
se limite pas par des frontières raciales. Il y a chez les personnages romanesques comme
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ceux qui se sont convertis au catholicisme, savent que l’Église catholique est une Église
occidentale. Sans s’en rendre compte, la communauté semble d’un commun accord
est aussi totalitaire dans la mesure que son impact contamine toute la communauté. Le
Diattou: les voisins, les travailleuses de la maternité, le chef du village sont tous offensés
par la mère de Nalla. D ’ailleurs, elle contamine non seulement la génération précédente (
sa mère, Marne Fari) et la génération suivante ( son fils Nalla), mais tous les ancêtres
également. Les valeurs occidentales sont si différentes des valeurs africaines que les
premières créent une situation de rupture. Cette rupture est vécue comme un moment
définitif dans la communauté. Tout le monde est unanime à reconnaître que certains
comportements sont Autres. Tout compte fait, l’altérité “occidentale” est très “visible”
par la communauté noire. Cette haute visibilité est sans doute liée à l’élément racial. En
de ‘mentalité blanche’. Aussi, cet “Occident imaginaire” pour les personnages africains
est constitué d’éléments “contre”: les missionnaires sont contre la polygamie, contre la
musique africaine, contre le système éducatif - bref contre tout ce qui est africain. Face au
roman africain, force est de constater que les réactions des populations indigènes sont
5 Nassib Samir El-Husseini, L'Occident Imaginaire, la vision de l Autre dans la conscience politique
arabe. Québec: Presses de l ’Université du Québec, 1998, 47.
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276
relativement modestes. Par exemple, l’on assiste rarement à des scènes ou épisodes dans
lesquelles les collectivités locales sont poussées par la révolte contre soit les
non plus à une fascination par l’Europe et ses symboles. La marginalisation des
L’Entre-deux
Dans le rapport dialogique dans les textes romanesques entre le “contexte colonial” et la
“tradition orale” découle cependant un espace unique, qui réunit à la fois romanciers,
romans, personnages et problématique dans des textes et contextes qu’on pourrait appeler
l’altérité est une construction par le biais du discours, il est impératif de saisir qu’elle
émane avant tout de cet “entre-deux.” Les oeuvres de Mongo Beti, d’Albert Memmi,
colonial et la tradition orale. Cette situation “d’entre-deux” est bien explicité par D.
Chraïbi, en tant qu’un “individu ne jouant aucun rôle prédéterminé et refusant tout
musulman.6
6 D. Chraïbi, “ L ’Islam devant l ’Occident: l ’histoire à courte vue”, Demain, no. 51, 1956, 20, cité par Jean-
Marc Moura, Littératures, 125.
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277
diversité des plantes et animaux qui l’habitent dans un environnement naturel - est
personnages et d’institutions. À cet égard, on peut dire qu’il n’y pas d'écotone sous la
forme d’un espace neutre qui bénéficiait des apports des deux communautés. En
manque. Ainsi, “l’absence du Christ” était adressée par les missions chrétiennes, le
7Le concept cTécotone”, est très familier dans le domaine de l ’écologie. Région située entre deux
communautés écologiques distinctes telles que la forêt et la plaine, cet espace “entre-deux” semble
accueillir une plus grande variété et quantité de plantes ou d’espèces animales que chaque communauté
écologique séparément. Si cet espace frontière est d’une richesse remarquable dans les communautés
écologiques, tel n ’est pas le cas avec les communautés humaines. Voir à ce sujet Romand Coles,
Self/Power/Other, Political Theory anddialogicalEthics. Ithaca: Comell University Press, 1992, 1-13.
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278
dépendance des catégories dialectiques ancrées dans la colonisation et ses suites. Sur ce
aujourd’hui par les mêmes questions qu’il était durant la colonisation ou pendant les
années des indépendances. Quant à la quête identitaire des personnages, ils continuent à
Pour apporter des précisions aux éléments qui viennent d’être évoqués, remarquons que
l’altérité dans les oeuvres africaines est articulée essentiellement en fonction de la race.
Or, l’enjeu de la race s’étend à d’autres éléments. Pour utiliser un cliché, l’élément racial
Race has [...] functioned as one of the most powerful and yet the most fragile
markers of human identity [...] While colour is taken to be the prime signifier of
L’enfant qui quitte le village dans le but d’acquérir une éducation occidentale, l’homme
noir qui revient au pays avec une épouse blanche ou qui embrasse la foi catholique
représentent certainement une perte non seulement pour l’individu mais surtout pour la
collectivité:
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279
Vécue sous le signe d’une perte des valeurs africaines authentiques, l’altérité est
occidentale. Alors, que dans cette deuxième vision, ‘T Autre a toujours été thématisé
comment vivre avec l’Autre - l’Occidental et ses types. Si d’une part, la présence de
l’Autre constitue une menace aux traditions et moeurs africaines, et d’autre part son
espaces repoussent et attirent. Par exemple, la ville, l’école et la mission font désormais
partie de cet univers “africain”. Confrontés au statut ambigu de l’Autre, les romanciers
condition éthique.11
la collectivité et garantit l’avenir du groupe. Cela n’implique pas pour autant que tout
groupe est à l’abri de quelque changement, si minime soit-il. Au contraire, face aux
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L’influence est aussi exercée par le groupe sur l’autre. Le roman, “cette recherche
un jugement moral sur ce dernier. La recherche pour une certaine “justice” motive les
personnages. Par exemple, dans L ’appel des arènes, Diattou est condamnée à “vivre”
seule à la maternité alors que toute la communauté assiste au combat de Nalla dans les
arènes. Dans ce même ordre d’idées, El Hadji {Xala) et Mour Ndiaye {La grève des
Bàltu) perdent leurs fortunes et leur rang social pour avoir maltraité les mendiants. Une
fois l’autre désigné, la communauté se forge une unité en se concentrant sur quelques
principes fondamentaux. Ceci est évident lors du face-à-face entre le R.P.S. et les
villageois dans Le pauvre Christ de Bomba. Lorsque le missionnaire détruit avec colère
l’autre au sein d’une collectivité permet donc à ce dernier à s’unir et à examiner les
fondements sur lesquels sont érigés le groupe. Il semblerait que le groupe tente de
défendre les mêmes valeurs qui sont rejetées par l’Autre. Ceci représente un fondement
essentiel de l’identité:
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281
romanciers africains:
faisaient Ferdinand Oyono ou Bernard Dadié ...il y a maintenant près d’un demi
Ce commentaire critique pour légitime qu’il puisse paraître n’explique pas pour autant le
niveau plus profond que l’on admet en général - celui de l’ontologie. Par le biais des
Européens ont instauré une nouvelle façon de “voir” tout être humain qui n’appartient pas
à la race blanche. Tout est vu en termes de l’altérité. Ce discours implicite sur, non
seulement l’infériorité de l’Africain mais surtout sur son “état de non-être” a donné lieu à
dans le roman africain s’alimente d’une conscience collective qui prend ses sources dans
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282
la colonisation, cela pourrait expliquer la raison pour laquelle, l’Autre demeure presque
inchangé, historique parlant. Bien que, le “concept populaire de race (jaune, noire,
• • r • 13
blanche), ne corresponde pas à une réalité scientifiquement définissable” force est
d’observer que ces distinctions sont celles qui sont les plus utilisées pour exprimer
l’altérité romanesque. Dans les romans que nous avons traités, on n’a trouvé aucun
personnage blanc qui ne soit pas couvert par une altérité quelconque. C’est d’ailleurs
dans le roman africain peut être envisagé à partir de critères qui ne sont pas liés à la
question de la race. De cette interrogation, survient une autre: que se passe-t-il dans un
roman où tous les personnages sont noirs? A notre avis, il existe implicitement une
axiologiques. D ’une manière ou d’une autre, ils se réfèrent à une origine noire ou
personnage noir est toujours interprétée comme étant une caratéristique “blanche” Dans
un contexte plus large, on pourrait affirmer que la colonisation a instauré des paramètres
si rigides qu’elle a ‘figé’ l’identité et l’altérité. Ceci revient à dire la catégorie de l’Autre
en dehors des paramètres fixés par les colonisateurs est pratiquement inconcevable, du
Il ne faut cependant pas interpréter la catégorie de la race comme étant la seule catégorie
qui sépare l’Autre du Même car on pourrait dire ce trait distinctif n’est que le symbole
13 Tzvetan Todorov, “La coexistence des cultures”, L ’A UTRE. Paris: Presses des Sciences PO, 1996,
293-307.
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exemple. Effectivement, tout personnage blanc dans le roman fait partie d ’une classe
privilégiée par rapport au personnel romanesque noir. Suivant cette interprétation, une
des plus grandes altérités est celle de la race.14 Par ailleurs, la distinction raciale implique
une distinction de classe. Cette analogie est si évidente que tout personnage noir ayant
atteint la classe privilégiée devient d’emblée blanc. Ici, les privilégiés s’opposent à la
masse des damnés de la terre. Ces derniers, la communauté indigène, sont unis dans leur
manque. On pourrait donc dire que l’Autre aux yeux de la communauté est un être
acceptent leurs rôles distinctifs. Ajoutons à ceci que par le discours et le comportement,
La Parole de l’Autre
totalitaire pour faire taire l’Autre?” (Badasu, Le même, p. 11), notons que l’Autre n'est
blanche ou le riche propriétaire habitant la ville a autant droit à la parole, sinon plus, que
comme l’apport de la Parole de Dieu aux peuples “non-civilisés”. Dans une vision très
schématique du monde, le missionnaire est par définition, celui qui “doit” parler car il
détient “la bonne nouvelle”. Ce point de vue justifierait l’action du R.P.S. qui veut faire
taire les tams-tams. Cela ne veut pas dire pour autant que l’Autre n’a pas droit à la
parole. En effet, si l’altérité est un thème si récurrent dans le roman africain, c’est que les
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284
romanciers veulent faire entendre l’autre voix. À l’inverse du roman colonial dans lequel
“la représentation des Autres en foule [...] devient un mécanisme narratif qui prive les
d’identité” (Badasu, Le même, 18), le personnage noir retient son identité et son discours.
personnage Blanc n’est pas désigné “autre” mais l’assume plûtot. Il revendique son droit
l’Autre n’est pas conçu comme étant inférieur mais différent. La ville, l’école et autres
institutions demeurent. Étant donné qu’il n’est pas possible de repousser l’Autre ou
vivre avec l’Autre sans pour autant perdre le soi, cette partie du personnage qui est
africain. Aussi, il ne s‘agit pas de ne pas se rendre en ville car le village n’offre plus de
possibilités d’emploi mais comment s’y rendre et s’y installer et en même temps ne pas
semble-t-il être les préoccupations majeures des romanciers. S’il n’y a aucune tentative
cependant que les “indigènes” tentent à imposer un certain respect des différences chez
Y Autre:
Ne pas recevoir les cultures des Autres telles qu’elles sont, c’est refuser les
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285
Dans la même foulée, le personnage noir tente d’une part de “raconter l’événement
postcolonial” tout en essayant de faire bouger tout ce qui est “indigne de l’homme dans
que nous avons examinées dans cette thèse. Face à l’indigne étranger, le Même tente
alors de chercher refuge au sein d’un univers innocent et irréel des traditions. Dans cette
Perspective postcoloniale.
Suivant les analyses que nous avons faites autour du roman africain, du romancier, de la
romanesque, il nous paraît que certains éléments des approches postcoloniales sont les
plus utiles pour comprendre l’altérité dans le roman africain. De ce constat, précisons
l’usage que nous faisons du terme ‘postcolonial.’ Tout comme ‘altérité’ le terme
‘postcolonial’ est une notion à la fois moderne et relativement floue. Alors que
l’introduction des ‘études postcoloniales’ dans les universités démontre l’intérêt pour ce
nouveau champ théorique, le débat autour la définition et les objectifs de cette nouvelle
approche persiste. Liée à cette “vogue postcoloniale” est la question de ce que le terme
signifie lui-même.17 Pour Ania Loomba, la ‘réalité postcoloniale’ doit être élargie pour
15 Achille Mbembe, Afriques indociles, Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale. Paris:
Karthala, 1988, 101.
16 Mark Bannister, “Outre-monts, Outre-Rhin, Outre-Manche, comment les Français voyaient leurs voisins,
1600-1670. ” Le Même & l'Autre, Regards européens, Association des Publications de la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1997, 1-9.
17 La plupart des textes traitant le postcolonialisme soulignent l ’imprécision qui l ’entoure. Ex. Leela
Gandhi, Postcolonial theory, A critical introduction, Columbia University Press, New York, 1998, préfacé,
“ Although much has been written under its rubric, ‘ postcolonialism’ remains a diffuse and nebulous
term.”
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286
It has been suggested that it is more helpful to think of postcolonialism not just as
coming literally after colonialism and signifying its demise, but more flexibly as
Colonialism, 12).
Les essais d’Edward Said, Gayatri Spivak et de Homi Bhabha ont largement contribué à
nombreux romanciers d’autre part, ces trois théoriciens entre autres, ont mis beaucoup
d’accent sur le contexte des écrits ‘tiers-mondistes’. Ce faisant, ils ont établi de nouveaux
paramètres pour mieux appréhender les oeuvres littéraires qui sont directement ou
the historical, political and cultural alterity or différence of the colonised world” (Gandhi,
Postcolonial theory, 24-25), telle qu’elle apparaît dans les textes littéraires.
On pourrait dire que de nombreux critiques avec rétrospection s’accordent sur le fait que
Orientalism d’Edward Said constitue une des premières oeuvres théoriques sur le
Saïd constate qu’un fossé énorme existe entre l’idée que ces derniers font de l’Orient et
The Orient is not only adjacent to Europe; il is also a place of Europe’s greatest
and richest and oldest colonies, the source of its civilizations and languages, its
18 Padmini Mongia, introduction to Contemporary postcolonial theory-A Reader. Bristol: Arnold, 1996,
1-18, Gandhi, Postcolonial theory, 64.
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cultural contestant, and one of its deepest and most recurring images of the Other
S’il est difficile, voire impossible de ne pas admettre que l’altérité, romanesque ou autre
est de prime abord une construction, il est également inutile de tenter d’ignorer les
l’authenticité au milieu d’une identité plurielle demeure le sujet central des oeuvres. Les
dans le cas de notre thèse, il s’agit de la littérature africaine. Au coeur des études
In post-colonial theory, the term [alterity] has often been used interchangeably
with otherness and différence. [...] The self identity of the colonizing subject,
L ’attrait que représente pour notre étude certains aspects de l’approche postcoloniale -
bien que sa définition22 ne fasse pas l’unanimité parmi critiques et théoriciens - est lié à
19 Pour Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, il ne fait aucun doute que de nombreuses littératures
sont nées et nourries par le phénomène de la colonisation: “ Ce que ces littératures ont en commun au-delà
des spécificités régionales, est d’avoir émergé dans leur forme présente de l’expérience de la colonisation et
de s’être affirmées en mettant l ’accent sur la tension du pouvoir colonial, et en insistant sur leurs
différences par rapport aux assertions du centre impérial.” cité par Jean-Marc Moura, 1998, 5.
20 Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale. Paris: P. U. F . , Paris, 1999, 7.
21 Bill Ashcroft, Gareth Griffiths and Helen Tiffin, Key concepts in Post-Colonial Studies. London:
Routledge, 1998, 12.
22 Selon Ashcroft et al, “The term post-colonial has itself been the subject o f considérable debate, and is
still used in a variety o f ways within the single discipline, between and across disciplines, and differently in
différent parts o f the world.” (Key concepts, 1)
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288
deux principaux facteurs. Dans un premier temps il nous permet d’analyser le contexte
de la production de la littérature en Afrique, les thèmes privilégiés ainsi que le rôle des
colonisateurs dans une telle entreprise. À vrai dire, le contexte de production explique
aussi la présence massive de personnages non africains dans les romans. Liée aux
principalement au lecteur français. Ceci, selon Jean-Marc Moura, est esssentiel pour bien
Le lecteur français d’un ouvrage francophone est tenté de ne retenir que l’usage
du français pour fonder son appréciation [...] Une critique francophone bien
conçue doit lui faire prendre conscience de ce qui distingue pratiquement cette
oeuvres provenant des anciennes colonies et publiées à partir des années quatre-vingt
(Moura, L ’Europe, 173), on doit toutefois noter que les caractéristiques pertinentes de
ces littératures se manifestaient déjà depuis les années des indépendances en Afrique.
Comment nier que “ la lutte contre la colonisation et ses conséquences sur les conditions
de vie et la vision du monde des auteurs” (Moura, L'Europe, 173) - n’est pas le thème
national et personnel:
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289
personnage principal des ouvrages de notre corpus. Bien que ce dernier soit un
personnage multiforme, sa réflexion sur son identité apparaît comme un élément qui
terme clé, qui n’a pas d’équivalent en français, est très instrumental pour bien saisir
Othering This term was coined by Gayatri Spivak for the process by which
impérial discourse créâtes its ‘others’ [It] is a dialectical process because the
colonizing Other is established at the same time as its colonized others are
Pour notre travail, l’emploi général dont se servent ces derniers nous convient le mieux. Il
s’agissait pour nous de voir l’altérité des personnages comme principal sousproduit de la
colonisation en Afrique (Ashcroft et al, Key concepts, 186). Deux grilles d’études
suggérées par ces critiques semblent très proches de la problématique que nous traitons.
D ’abord “les modèles nationaux ou régionaux [qui] envisagent les oeuvres comme
l’expression d’une nation ou d’une région [où] la thématique de l’identité est placée au
centre de la recherche” s’appliquent très bien aux oeuvres étudiées. Dans cette même
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290
sur la vie traditionnnelle” (Moura, Littératures, 36-37) est une thématique privilégiée de
Jean-Marc Moura, qui réunit les quatre modèles afin d’exploiter une démarche à partir de
l’énonciation cadre bien mieux au genre d’études et d’analyses que nous avons
Moura parvient à couvrir les enjeux majeurs des romans africains. À l’intérieur de ce
cadre théorique, les préoccupations telles que l’histoire coloniale, le rôle de l’écrivain
l’interprétation (Moura, Littératures, 42-43) sont prises en compte. Bien qu’on puisse
d’examen. Les études postcoloniales tentent d’expliciter les tensions immanentes aux
there is a concomitant view that the term postcolonial is simply a polite way of
“Introduction”, 1-18)
Car, faut-il rappeler que les tensions identitaires prennent leurs sources dans le
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291
démontrant qu’il existe bien une “philosophie africaine” qui s’est donnée comme objectif
accurately, its inclusion as the négative “other” of reason and of the Western
Dans les oeuvres romanesques que nous avons examinées, les romanciers illustrent bien
Afrique comme étant incompatible avec celui des habitants du pays. En utilisant comme
grille de lecture des théories postcoloniales, on arrive à exploiter des dynamiques qui sont
peu utilisées par les autres approches. Parmi les éléments exploités, notons, entre autres,
majeur de cette approche se situe autour des “connections” qui sont établies entre des
[...] postcolonial criticism has nonetheless had [...] a major impact upon current
23 La définition d’Eurocentrisme de Tsenay Serequeberhan est très utile pour comprendre ses implications:
“Broadly speaking , Eurocentrism is a pervasive bias located in modemity’s self consciousness o f itself. It
is grounded at its core in the metaphysical belief or idea (Idée) that European existence is qualitatively
superior to other forms o f human life.” “The critique of Eurocentrism”, Postcolonial African Philosophy, a
critical reader. Comwall: Blackwell Publishers, 1997, 140-161.
24 Emmanuel Chukwudi Eze, “Introduction - Philosophy and the (Post) Colonial” dans Postcolonial African
Philosophy, a critical reader. Comwall: Blackwell Publishers, 1997, 1-21.
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292
production.25
En mettant l’accent entre autres, sur les relations de races, de la migration, de la nation,
l’approche postcoloniale doit nécessairement tenir compte des origines des cultures. Si la
question relative aux traditions apparaît quelque peu redondante dans les textes africains,
il importe que le lecteur ne l’interprète pas comme une volonté du narrateur de peindre
une Afrique précoloniale de l’âge d’or. L’objectif à notre avis, serait d’exposer la genèse
de la communauté en question. Étant donné que la société ciblée est de tradition orale, le
recours aux rites d’initiation et autres traditions dans les oeuvres romanesques est un des
piliers de la construction de l’identité. Dire qui l’on est, c’est aussi dire d’où l’on vient.
C’est ainsi que l’interrogation de 1’altérité dans les textes africains passe par le biais de
origines:
l’origine. [...] Cette genèse [...] le plus souvent, en fait révèle l’Autre, avec qui il
L’appartenance ‘multiple’ des romanciers africains fournit une autre raison pour nous
d’exploiter l’approche postcoloniale. Il n’y a aucun doute, que le fait d’écrire dans une
langue autre que sa langue maternelle, la cas, pour tous les écrivains que nous étudions,
25 Bart-Moore Gilbert, Postcolonial theory, contexts, practices, politics. London: Verso, 1997, 6.
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but d’éclairer leurs analyses. L’entourage socio-culturel des auteurs s’est avéré une
composante majeure de l’interprétation textuelle. Dans cette optique, l’un des pivots de
cette critique a été la “référence aux conditions matérielles et humaines vécues par les
écrivains, conditions qui ont été durablement infléchies par la colonisation” (Moura,
L 'E urope, 175). Alors que l’application ciblée de la théorie postcoloniale nous a permis
quand même ne pas la ‘plaquer’ à tout texte africain. En effet, il faudrait être conscient
Parmi les critiques les plus communes adressées à cette approche est peut-être celle qui
dénonce l’ambiguité que le terme suggère. En effet, ils sont peu qui s’entendent sur la
définition du terme, ses méthodes d’analyse, le champ littéraire qu’il est censé de couvrir
pour n’en mentionner que trois aspects. Il n’y a aucun doute que l’expérience collective
de la colonisation par les peuples et les régions comporte plusieurs similiarités. Or, il
existe aussi de profondes distinctions. À regarder de plus près, il importe de tenir compte
roman en tant que genre est nourri d’une dynamique issue d’une rencontre entre la culture
autochtone et celle des colonisateurs. Aussi, le terme postcolonial recouvre une variété
26 François Paré, “Le passage interdit de la genèse”, Littérature et dialogue interculturel. Sainte-Foy: Les
Presses de l ’Université Laval, 1997, 33-47.
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294
The term ‘post-colonial’ is résonant with the ambiguity and complexity of the
many différent cultureal expériences it implicates, and, [...] addresses ail aspects
D ’emblée dans son étude sur les études postcoloniales, Mongia fait le même constat à
Vu le nombre de travaux qui ont été publiés récemment sur la question, on ne peut
Cet avis est partagé par de nombreux critiques. Comme le souligne, Kofïï Anyinefa, la
légitimité d’appliquer cette théorie aux textes africains est parfois remise en question:
Postcolonial théories, as we know them today, were born in the Western, Anglo-
[...] postcolonial criticism is a field of inquiry rather than a unified theory- and a
field , moreover, within which people have taken heterogenous and contradictory
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295
Une telle opinion est partagée par Arif Dirlik, qui insiste que le manque de rigueur dans
cette approche implique non seulement des possibilités d’ouverture telles les nouvelles
analyses mais aussi l’apport de nouvelles voix dans la critique.30 Pour l’auteur, le terme
postcolonial comporte trois aspects principaux: les conditions qui prévalent dans les ex
colonies, la condition globale après la colonisation - qui reste assez vague - et, en
dernier lieu, le discours à propos de ces conditions qui sont alimentées par un cadre
africain. Si l’altérité dans les oeuvres étudiées renvoie souvent aux questions de la race,
on pourrait se joindre à Dirlik pour nous demander s’il n’existe pas une conscience
postcoloniale:
I wondered [...] whether there might have been a postcolonial consciousness, [...]
328-356).
condition du colonisé, ou du “postcolonisé” - qui est le cas pour tous les écrivains
africains - influe sur le concept que ces derniers se font de l’Autre. Ceci nous aide à
comprendre la raison pour laquelle “la plupart des romanciers africains [se sont]
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296
de cette construction. En dépit des variantes et les formes multiples sous lesquelles
niveau personnel qu’au niveau national. Le personnage blanc est dans le pays pour
des raisons nationales. À cet effet, notons que les narrateurs tentent rarement
comporter comme “autre” parce qu’il est pris dans le système colonial. Ainsi, le
par le système mis en place. Ayant définit l’Autre - le Noir - le système politique
colonial oeuvre à le garder dans son altérité. On peut donc considérer que le système
recèle en lui-même tous les éléments nécessaires pour créer l’altérité. Parallèlement,
en mettant l’accent sur la situation postcoloniale qui caractérise la plupart des oeuvres
que nous avons analysées, cette approche tient à démontrer que l’altérité n’est pas un
produit du système, mais que le système lui-même est bâti sur l’altérité: le colonisateur
et le missionnaire sont présents en Afrique parce qu’ils ont d’abord vu le Noir comme
étranger, autre.
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297
Dans son récent ouvrage sur l’Afrique, Achille Mbembe, démontre comment le
dans un “méta-texte sur l ’animal ou, précisément, sur la bête [où] le cours de la vie des
l’Afrique est utilisée à cette fin par l’Occident, comme une “antithèse [...] dont il se sert
pour dire ce qu’il suppose être son identité” (Mbembe, La postcolonie, 9). S’il est vrai
que le discours romanesque, en général, tente de répondre à cette question, on ne peut pas
dire cependant que l’étrangeté ou la monstruosité ne vont pas de soi, mais qu’ils doivent
exemplifient à quel point ils n’arrivent pas à se dissocier des stéréotypes qu’ils cultivent à
“[Si] l’expérience de l’Autre, ou encore le problème du moi d’autrui et des humanités qui
nous sont étrangères a presque toujours, posé des difficultés insurmontables à la tradition
général, l’oeuvre romanesque expose les motifs intérieurs des personnages. Dans une
grande mesure, l’idéologie principale qui émane des textes africains constitue une
réponse au discours occidental sur l’Afrique - “dont le propre est de n’être rien du tout.
Aussi, pour ‘l’auteur’, le discours des Africains doit nécessairement corriger de tels
slogans :
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298
Voilà le langage que tout propos d’Africain sur l’Afrique doit sans cesse raturer,
postcolonie, 15), force est d’observer que le romancier rétablit en quelque sorte un
équilibre discursif. Par exemple, en démontrant les motivations profondes de Nalla dans
L ’appel des arènes, le narrateur fait justice aux pratiques africaines. En effet, le lecteur
saisit qu’il ne s’agit nullement d’une attirance ‘instinctive’ des Africains pour les arènes,
la lutte ou le tam-tam, mais qu’à travers les rites et coutumes l’enfant arrive à s’identifier
que les nouvelles manières d’être que les parents “européanisés” tentent d’inculquer chez
le jeune garçon, le séparent de ses pairs et de ses ancêtres. Dans ce même ordre d’idées,
le personnage est ‘Autre’ non pas parce qu’il se comporte autrement mais surtout parce
De l’examen de l’altérité de Diattou, il ressort que l’on peut la classifier comme une
s’identifie comme Autre - trait qui est reconnu et accepté par la collectivité. Nous
pouvons donc parler d’une altérité sans ambiguïté. Reçue avec unanimité, cette forme
d’altérité est reconnue comme telle par le personnage de l’autre et le groupe de référence.
De même, il n’y a aucune tentative chez le personnage de lutter contre la prise de position
de la collectivité. A l’inverse d’un personnage comme Pierre Landu dans Entre les eaux,
l’altérité de Diattou est facilement reconnaissable dans le roman. En effet, dans le cas du
premier personnage, son identité est problématique car il oscille entre d’une part, ses
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299
croyances marxistes et ses origines africaines, d’autre part entre sa formation de prêtre et
la culture occidentale qu’on lui a inculquée. Cependant, le cas de Pierre Landu présente
Laye, Memmi, Beti et Mudimbe, entre autres - cette double identité constitue le trait
marquant de leur ‘être’. Comme leurs nombreux personnages, ils représentent un groupe
à part, qui ne sont plus considérés comme des ‘Africains authentiques’ à cause de leur
culture et ‘étrangers’ de par la couleur de la peau. Ceci revêt un intérêt particulier pour la
littérature de la postcolonie.
Parmi les trois grandes perspectives d’approche pour appréhender 1’altérité dans la
une approche qui “s’attache à montrer comment l’Occident néglige l’extrême importance
- pour ceux qui ont été colonisés - de reconstruire leur propre subjectivité, expérience et
identité.”32 Dans ce contexte, L ’appel des arènes, offre au lecteur, des précisions
quitte le village pour la ville, et la ville pour la France afin de faire une nouvelle identité
elle devient autre. Selon cette même logique, la reconstruction identitaire doit tenir
compte de l’approbation des vieux - ceux qui sont les liens entre le présent et le passé.
32 Daniel Castillo Durante, “Les enjeux de l ’altérité et la littérature”, Littérature et dialogue interculturel,
3-18.
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300
En faisant fi de l’avis des vieux du village, de sa mère Marne Fari et du griot, Diattou se
met en position de résistance à tout ce qui est africain. Qui plus est, son non respect pour
les coutumes et la collectivité en général la met en marge de la société. Par contre, Nalla
et son professeur de français, Monsieur Niang parviennent à une nouvelle identité. Celle-
ci intègre à la fois les pratiques ancestrales, telles la lutte dans les arènes et
dans ce roman d’Aminata Sow Fall, c’est “que toute altérité quelle qu’elle soit opère sur
un terrain de lutte” (Durante, “Les enjeux”, 3-18). De point de vue symbolique, les
arènes traduisent en quelque sorte le combat de Nalla (et de toute la communauté) contre
les préjugés de ses parents qui veulent que leur fils adopte la vision occidentale du
millénaires. En voulant combattre la collectivité, Diattou est perçue comme une personne
négative en refusant catégoriquement d’écouter ce que les autres ont à dire. En dépit de
cette approche que même si l’Autre n’est pas toujours négatif, sa représentation tend
toutefois à l’être:
avant tout négatif. Autrui, en effet, c’est celui qui n’est pas moi (Durante, “Les
enjeux”, 3-18).
Diattou est essentialisée dans son tempérament à tel point que le lecteur a l’impression
que tout ce qui est africain, semble provoquer chez la mère de Nalla une certaine
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301
stéréotype. Ceci revient à dire que le narrateur doit forcément nous présenter une Diattou
qui correspond à ce que l’on attend d’un personnage qui est contre les moeurs africaines:
Le visage qu’on prête à l’Autre est souvent régi par le stéréotype. Il s’agit d’un
effet, confronté à une Diattou si radicale, le village retrouve soudain son unité. Les vieux
du village, le griot, le professeur de français, les voisins se rendent compte de ce qui les
unit - la tradition. Ceci revient à dire que l’altérité de Diattou met en relief l’identité du
qu’elle exclut et donc à ce qu’elle tient pour fondamentalement sien.”33 Ici, on peut
tout le monde, sauf Diattou, semble ressentir pour les arènes, serait une construction du
stéréotype - une des bases fondamentales du Même. Ceci nous amène à nous interroger
sur le processus même de construction. Nous avons vu que nombreux sont-ils qui ont
défini l’altérité dans le texte littéraire comme une construction discursive. Une telle
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302
L’Autre n’est Autre que par rapport au Même. C’est dire que l’émergence de
l’Autre dans un lieu assignable en tant que topos d’un discours est le produit
Toujours selon le théoricien, l’autre serait alors pris dans le discours “qui a le pouvoir de
le représenter [où il voit d’ailleurs] son identité escamotée au profit d’une logique
discursive qui relève du stéréotype.” Dans le roman tout trait caractériel (chez le
personnage de l’autre) qui n’est point significatif pour le distinguer du groupe, est
négligé, voire ignoré. Dans cette perspective, le processus de stéréotypie opère sur deux
L ’image que nous avons des personnages autres semble correspondre à celle de
stéréotype de tout personnage qui veut s’éloigner de ses racines africaines après un
bref séjour en Europe. Suivant la distinction que fait Moura entre les pronoms latins
ALTER et ALIUS - distinction qui est gommée dans la traduction française d’“altérité” -
nous pouvons considérer Diattou comme celle qui est à la fois ALTER et ALIUS. D ’abord
en tant qu’ALIUS, elle est un “refus radical, éloigné [...] et atteint au prix d’une errance
hors de ce groupe” (Moura, L Europe, 53). Ayant quitté sa communauté culturelle pour
embrasser celle de la France, Diattou constitue une révolte contre tout ce qui est africain.
Mais elle est aussi ALTER par le biais de la stéréotypie car elle reflète une manière d’être
qui correspond à celle des parvenus, de “Français-Noirs.” Dans le cas de L'appel des
arènes, il n’y a aucun doute que le roman présente toutes les caractéristiques principales
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303
fondateurs et les valeurs ancestrales niées par l’Occident” (Moura, L ’Europe, 187).
Cependant, il faudrait peut-être distinguer les deux phases majeures de cette littérature
postcoloniale.
Dans une première phase, nous retrouvons les écrivains postcoloniaux de la première
spécifiques [...], par rapport à la colonisation et ses conséquences”34, les auteurs que nous
avons traités, exhibent moins de métissage que ceux de la deuxième génération. Aminata
Sow Fall, Ousmane Sembène, Mongo Béti et Albert Memmi, les principaux auteurs de
notre corpus font tous partie de cette première génération. À l’opposé, ceux de la
deuxième génération ont tendance à produire des “ ethnie literatures” (Moura, “Études”,
99-112) Ils se situent souvent à cheval entre la culture dominante et la culture dominée.
qu’ils “ se donnent pour partiellement étrangers à leur pays et à sa culture [...] avec une
image duelle où se reconnaît un moi pluriel tributaire d’une représentation de soi à la fois
postmodeme, les romanciers tentent constamment de manipuler dans leurs oeuvres les
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304
Les personnages romanesques peuvent aussi être repartis selon les mêmes critères
entre l’instruction africaine axée sur plusieurs initiateurs et l’éducation à l’école basée sur
l’enseignement par un seul maître, sur les religions ancestrales et la religion des Blancs:
pas à l’État où nous sommes, celui qui n’a pas la même nationalité.35
est insuffisante à démontrer l’altérité de classe, entre le personnage parvenu qui ne tient
pas compte de toute une population indigène. Cette forme d’altérité est souvent plus
L’altérité dans le roman africain est un lieu où se manifeste les tensions les plus aiguës.
Loin d ’être circonscrit dans un espace différent et des domaines distincts, le personnage
de l’Autre doit constamment se battre contre le Même. Ce schème vaut autant pour les
autres personnages (le Même), qui voient leur champ se transformer et leur pouvoir
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305
L’espace de la ville brouille les frontières dans la mesure que c’est la population
rurale indigène qui est “étrangère ” car elle ne se pose [pas] en occupant naturel
l’architecture respective qui la construit. Loin de vouloir traiter et expliquer toutes les
manifestations de l’altérité dans le roman africain, notre travail a voulu cibler les piliers
majeurs de cette altérité tout en essayant de mettre en place une théorie de l’altérité qui
Le romancier africain ne décrit pas l’Autre comme étant inférieur mais comme quelqu’un
qui s’oppose à cette idéologie, ses valeurs implicites et ses pratiques sociales ou
culturelles. Notre thèse s’intéresse donc aux mécanismes des interactions entre les deux
protagonistes: le Même et l’Autre. Pour appréhender l’altérité nous avons étudié deux
comportement du personnage est souvent motivé par une idéologie quelconque, nous
avons mis en relief les idéologies latentes du texte. En ce sens, le christianisme doit être
appréhendé en tant qu’une idéologie dans la mesure qu’elle vise à implanter des idées
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306
Une autre notion qui est primordiale pour notre travail est celle de l’échange. Si “la
société a pour principe l’échange” 36 c’est l’échange qui expose l’altérité. Etant donné
qu’on ne peut vivre en société sans ce principe, elle est présent même en colonie. Or, il
nous semble qu’elle est toujours injuste envers les colonisés et favorable aux
nécessairement le niveau économique bien que ce soit le cas dans Xala. Le refus de
respecter les lois qui gouvernent l’échange - culturel et religieux - souligne le caractère
‘autre’ du personnage. Dans ce sens, nous voyons que le missionnaire n’accepte pas le
‘chrétiennes’ sur les gens. Tous les moyens sont utilisés par l’Eglise pour que ces
missionnaire rentre tout simplement chez lui, comme dans le cas du R.P.S. dans Le
pauvre Christ de Bomba. Pour Diattou, nous assistons à un comportement identique. Face
au constat qu’elle n ’a aucune chance d’imposer sa vision de l’éducation sur son fils et la
communauté, elle coupe quasiment tout contact avec les autres en retirant seule à la
maternité alors que toute la communauté se retrouve dans les arènes. D ’ailleurs, les
arènes dans le roman symbolise l’échange car ils se présentent comme un lieu de
rattachement où se retrouve des gens de toutes les classes sociales. Selon cette même
Notons que le refus de l’échange se concrétise à deux niveaux: refus d’accepter de l’autre
et refus de donner à l’autre. Alors que dans le rapport économique, le refus de partager
36 Simon Laflamme, La société intégrée. New York: Peter Lang Publishing Inc., 1992, 38.
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prime. Sur le plan culturel, il s’agit du refus d’accepter ou de prendre de l’autre. Dans le
cas de Marie dans Agar, tout ce qui relève des pratiques culturelles et religieuses juives
Si la notion “d ’autre” est par essence mobile, nous avons vu que dans le roman africain,
l’Autre apparaît sous des schèmes privilégiés. En situant leurs oeuvres dans une ère
personnage blanc au milieu d’un monde noir est facilement repérable, pour le personnage
noir, l’enjeu est plus complexe. L’émergence d’un personnage africain type qui,
confronté par la modernité (ici, souvent symbolisé par l’univers colonial), tente de retenir
son identité africaine. Dans une large mesure, il est question d’un ‘entre-plusieurs’. En
plusieurs, se révèle par une pluralité d’éléments disparates au sein du soi. En pensant
l’Autre, le romancier africain nous donne quelques indices sur son idéal du Même.
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308
CONCLUSION
Il n’est pas inutile de retracer le parcours de notre étude. En choisisant les oeuvres
invariables dans leur traitement de l’altérité. Comme tout choix d’un corpus implique
une composante arbitraire, notre objectif était de la minimiser. C’est la raison pour
laquelle nous avons voulu dépasser les frontières géographiques et culturelles par notre
sélection de romanciers. Selon cette perspective, en plus de Mongo Beti, Aminata Sow
Fall, Albert Memmi, Ousmane Sembène; l’apport de Camara Laye (L ’enfant noir),
Ferdinand Oyono ( Une vie de boy), Mudimbé {Entre les eaux) Cheikh Hamidou Kane
s’est transformée à travers ces romans jalons. Alors que le personnage principal de
L ’enfant noir et Nalla se ressemblent, aucune comparaison n’est possible entre leurs
environnements familiaux respectifs. En outre, nous constatons que l’harmonie qui règne
au sein de la famille de Camara est absente chez celle de Nalla. En effet, Nalla, Ndiogou
Bomba contre le R.P.S. - la famille éclate face aux pressions externes. Ainsi, l’Autre
n’est pas totalement celui qui est en dehors de la famille. Selon le même raisonnement, le
Semblable n’est pas celui qui est le plus proche. Les cadres de la proximité et de la
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309
l’Altérité.
couvertures du texte afin d’examiner les pré-textes. En aucun cas, nous voudrions rendre
le romancier “un colonisé de la colonisation” mais d’exposer les forces qui sont à
l’oeuvre dans le texte littéraire. Comprendre le rôle de l’écrivain africain, saisir la dualité
Afrique - tels doivent être certains des premiers objectifs de tout lecteur qui aborde la
littérature africaine.
Chez les romanciers africains, les réflexions sur l’Autre ne sont pas tout simplement un
lieu de tension, mais des interrogations réelles sur l’avenir de l’Afrique. Ainsi, on
pourrait dire que le roman africain est une étude sur la condition postcoloniale de
l’Afrique. Ce n’est par hasard qu’on y retrouve de nombreux enfants, de jeunes couples et
de nouveaux riches, tous des personnages en devenir. Ce n’est pas par hasard non plus
qu’on assiste à l’effritement de la vie rurale alors que les jeunes partent pour la ville en
quête d’une éducation meilleure ou un emploi. Pourtant, des questions demeurent. Si trois
personnages de l’Autre occupent l’essentiel de notre travail, est-il possible d’en envisager
d’autres? Certes, les ‘personnages de l’Autre’ ne sont pas limités à l’épouse blanche, au
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310
liste le vieillard, le professionnel qui retourne au pays natal après sa formation en Europe,
rebelle, pour n’en mentionner que quelques-uns. S’il est vrai qu’on doit les placer au sein
d’un groupe de référence afin de dégager leur altérité, ils sont néanmoins ceux qui sont
exemples.
En effet, elle y figure comme une toile de fond politique, idéologique et culturelle. Nous
avançons trois raisons principales pour justifier une telle approche. D ’abord, le
colonialisme est un de deux événements historiques les plus importants (l’autre étant
est un motif omniprésent dans les romans que nous avons étudiés. Une troisième raison
passé colonial. Si le roman africain en français est une quête identitaire1, celle-ci touche
1 Paschal B. Kyiiripuo Kyoore, The african and caribbean historical novel in french, A quest fo r identity.
New York: Peter Lang Publishing Inc., 1996.
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311
Pendant des décades, sous la férule coloniale, [l’Afrique] s’est forgée un mode de
sentir et de penser, aux antipodes de ses croyances d’origine, qui devait d’après
spoliation, de privation culturelle et d’exploitation économique.”3 S’il est vrai que les
relations entre Blancs et Noirs sont “de plus en plus affectés d’ambiguïtés nouvelles
contrastant avec la situation jadis claire” (Gôrôg-Karady, Noirs, 19), n’empêche que les
Posé en termes simples, la construction de l’altérité dans le roman africain opère par le
biais de l’équation raciale, Blancs et Noirs. D ’une manière ou d’une autre, le romancier
tente de rattacher la différence à cet élément. Par exemple, même quand il s’agit de
construction - classe sociale, ethnies, clans, appartenance sexuelle, âge, etc., ont été
évacuées. Suivant cette même perspective, nous assistons dans le roman africain à une
structure répétitive qui brouille les distinctions afin de les arranger de nouveau sous les
2 Alain T. Hazoumé etEdgard G. Hazoumé, Afrique, un avenir en sursis. Paris: L ’Harmattan, 1988, 9.
3 Veronika Gôrôg-Karady, Noirs et Blancs - leur image dans la littérature orale africaine. Paris: Selaf,
1976, 19.
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Mais il y a lieu de rappeler que notre corpus est maintenant un ensemble figé de textes.
dernier roman d’Aminata Sow Fall, Douceurs du bercail4? Le personnage principal, Asta
est une jeune femme divorcée, qui voyage constamment en France en “mission”. Sa
rencontre avec d’autres voyageurs qui font la navette entre la France et le Sénégal pour
écouler des marchandises nous montre un portrait différent de ceux des romans étudiés.
Refoulés souvent par la police des frontières, les voyageurs sont déterminés à revenir:
Ce roman démontre à quel point l’univers romanesque africain a changé depuis les
Gosier d’Oiseau; (Oyono, Une vie) Asta refuse que son corps soit balayé par la police
étrangère:
Asta frissonne de dégoût. Elle a le sentiment qu’on la brise. Les mains montent.
Un ongle, à peine amorti par le gant, bute contre son nombril [...] Asta ne veut pas
être vaincue. Elle sursaute. “Jamais !” se dit-elle (Sow Fall, Douceurs, 27).
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global” - bien que timide dans l’oeuvre littéraire africaine est un signe précurseur du
discours à venir.
suggérer quelques pistes sur la question des catégories d’identification qui pourraient être
produites par ce village global. Alors qu’ils sont nombreux à souligner le parallélisme
phénomème:
base du projet colonial se trouvait non pas la mission civilisatrice de l’Europe mais la
colonisation. Il faut se rendre à l’évidence: par ses objectifs et par ses moyens, les deux
constate entre autres, la destruction des cultures, le déplacement ‘forcé’ des populations
pour travailler clandestinement dans les usines moyennant des salaires les plus pitoyables
4Aminata Sow Fall, Douceurs du bercail. Abidjan: Nouvelles Editions Ivoiriennes, 1998.
5Jean-Marie Sindayigaya, Mondialisation - Le nouvel esclavage de l'Afrique. Paris: L ’Harmattan, 2000, 6.
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masses:
Le nouvel esclavage est pire que l’ancien. [...] Certains travailleurs ne gagnent
même pas de quoi soutenir la force de travail [...] C’est cela le nouvel ordre
Dans ces conditions, on peut légitimement lancer une double interrogation. Comment le
contexte de la mondialisation est-il apte à fournir aux romanciers (ou futurs romanciers)
l’altérité et de l’Autre?
Bien qu’on ne puisse affirmer définitivement que les prochains romans africains
traiteraient à coup sûr les problèmes posés par la globalisation, néanmoins il nous semble
qu’il serait la plus grande question de ce nouveau millénaire. Quant au lien entre
économique. Nous retrouvons d’ailleurs tout un réseau de termes qui justifie ce champ
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Dans son dernier ouvrage, Jean-Pierre Warnier évoque “l’échec des théories de la
convergence” :
acte du fait que l’humanité est constitutivement vouée à produire des clivages
la mondialisation. Alors que son idéal premier est de projeter un monde homogène dans
lequel les frontières commerciales sont abolies, où les idées et les produits circulent
locaux sont apparus sous des couleurs plus crues, portés par des situations
55).
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Appels, 55).
mondialisation. Comment donc nier que cet état de choses contient déjà le matériel brut
d’un discours romanesque africain en devenir? Tout en sachant que nous nous situons à
vouloir prolonger le débat. Qui seront les principales figures de l’Autre dans cette “post
Dans Idéologie humanitaire ou le spectacle de l ’altérité perdue8, Bernard Hours offre des
réflexions qui sont en mesure d’éclairer nos propos. Avec un regard critique sur les ONG
l’auteur dénonce l’idéologie principale qui les fait fonctionner. Tout en se gardant de ne
pas mettre toutes les ONG dans le même panier, il les dénonce comme des architectes de
l’exclusion et l’aliénation:
8Bernard Hours, Idéologie humanitaire ou le spectacle de l'altérité perdue. Paris: L ’Harmattan, 1997.
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Le Sud est produit en néant destiné à être sustenté autant qu’à inspirer la
compassion; cette logique laisse supposer un chaos radical, des sociétés sans
Une telle idéologie, productrice de l’altérité motive l’être à agir. Est-ce un nouveau
planétaire dans lequel le malheur biologique, social, culturel, c’est encore les
s’identifier à “la cause”. Un produit des circonstances, le Même ne serait concerné ni par
les traditions ni par le “pays”. Il se crée et disparaît avec “la cause”. Et les “causes” ne
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