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Les propriétés et la valeur de l’œuvre littéraire à

l’épreuve du journalisme (XIXe-début XXe siècle)


Laetitia Gonon

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Laetitia Gonon. Les propriétés et la valeur de l’œuvre littéraire à l’épreuve du journalisme (XIXe-début
XXe siècle). 2018. �hal-01902106�

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Les propriétés et la valeur de l’œuvre littéraire à l’épreuve du journalisme
(XIXe – début XXe siècle)
Journée d’études pour les Khâgnes, 4 novembre 2016, Douai
LAETITIA GONON

Introduction
La Révolution a vu naître de multiples journaux politiques, souvent éphémères ; le
premier quotidien français, intitulé le Journal de Paris, date de 1777 et il existait déjà
auparavant des « revues » littéraires, comme le Mercure galant, créé en 1672, et devenu ensuite
le Mercure de France.
Mais c’est le XIXe siècle qui est vraiment le siècle de la presse : les quotidiens parisiens
et régionaux s’enrichissent et se multiplient, soutenus par les progrès techniques, dont la
stéréotypie (utilisée dès la fin du XVIIIe siècle, et essentiellement pour les livres) : un stéréotype,
originellement, désigne un cliché métallique (qui peut comporter des images ou du texte) qui
va permettre une reproduction rapide en de multiples exemplaires – en somme on prend
l’empreinte d’une page composée en caractères mobiles, et on forme un moule qui va pouvoir
resservir à l’infini. Ainsi stéréotype et cliché sont des mots qui s’emploient dans le domaine de
l’impression, et ces techniques se répandent pour l’usage du journal au XIXe siècle1. Ce n’est
que progressivement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, que ces deux mots vont
s’employer dans le sens figuré de « opinion toute faite », « idée rebattue ». Ils vont alors
qualifier ce qu’on juge être de la mauvaise littérature, celle qui ne sort jamais des poncifs, qui
ne parvient pas à se singulariser, qui ne fait qu’imiter sans art. Lorsqu’on parle à l’époque de
clichés en littérature, c’est le modèle du journal que l’on va viser, parce qu’il s’impose
massivement dans la production écrite tout au long du siècle.
1836 est en effet considéré comme « l’an I de l’ère médiatique »2 : cette année-là
naissent deux quotidiens, La Presse et Le Siècle, qui usent de la réclame pour baisser le coût de
leur abonnement de moitié et attirent les lecteurs avec des romans « feuilletons » inédits : ce
sera, pour La Presse, un roman de Balzac, La Vieille Fille, et pour Le Siècle, La Rue du
Candilejo de Louis Viardot. Le roman est dit « feuilleton » parce qu’il vient occuper
progressivement l’espace du « rez-de-chaussée » du journal (ce n’est pas encore le cas de La
Vieille Fille), c’est-à-dire un rectangle au bas de la page prévu pour accueillir un texte distinct
du reste de la parution. Avant la parution des romans en bas de page, le feuilleton consistait en
critiques littéraires, articles de vulgarisation scientifique, comptes rendus de premières
théâtrales, dissertations philosophiques sur des sujets d’érudition, etc. Ce qu’on appelle donc
feuilleton, par métonymie du lieu où il s’imprime, c’est donc d’abord ces textes disparates, non
intégrés à l’espace du journal. Mais c’est le roman-feuilleton qui, à la fin des années 1830, va
s’imposer en rez-de-chaussée des quotidiens parisiens, et contribuer à faire vendre les journaux.
Ainsi, très vite, l’épisode du jour finit par les mots « (la suite à demain) », sur le principe d’une
sérialité que je n’ai pas besoin de développer tant elle a envahi nos écrans aujourd’hui, mais qui
pose dès cette époque la question aiguë de ses contraintes : il faut fournir, tous les jours,
plusieurs pages au quotidien, et elles sont reproduites à des milliers d’exemplaires. Ce qui est
écrit de la sorte, quotidiennement, en avance d’abord, puis à la hâte, qui se lit dans la journée,
et qui est remplacé dès le lendemain, a-t-il pour les hommes de l’époque la même valeur que le
roman qui paraît en librairie, et que l’on a passé des mois ou années à écrire ? Par valeur,
entendons donc autant valeur commerciale, succès de librairie, que valeur littéraire,
reconnaissance par les pairs ; nous verrons que les deux font rarement bon ménage.

1
Par ailleurs, dans les années 1860, le mot cliché s’emploie également en photographie, pour désigner le négatif
à partir duquel on peut tirer un nombre indéfini d’exemplaires.
2
Voir les différents travaux de Marie-Ève Thérenty, la référence en la matière.
Autrement dit : comment passe-t-on du sens premier, technique et neutre de stéréotype
et cliché dans le domaine de l’impression, à celui, péjoratif, de « motif rebattu, manquant
d’originalité » ?
Voilà la question que le journalisme va poser à la littérature, le plus souvent
romanesque, en ce XIXe siècle. Il ne nous appartiendra pas d’y répondre pour nous aujourd’hui,
mais de montrer comment l’époque se saisit de la question. J’essaierai de montrer dans un
premier temps comment la querelle du roman-feuilleton pose tout à la fois, à partir des années
1830, la question de la valeur morale du roman nouveau, en même temps que celle de sa valeur
esthétique, donc de sa qualité littéraire. J’évoquerai ensuite l’opposition qui se construit au
cours du XIXe siècle entre valeur marchande et valeur symbolique de l’œuvre littéraire quand
on la considère dans son rapport à la presse. Enfin je me pencherai sur quelques entreprises
littéraires qui, au début du siècle suivant, subvertissent ce rapport hérité à la presse, en en
revalorisant les discours.

1. La littérature du journal à l’épreuve des critiques

Dans un premier temps, je vais montrer comment la littérature nouvelle, et plus


précisément le roman, cristallise dès les années 1830 des critiques fort nombreuses, et qui
portent sur la valeur de ce roman nouveau qui va paraître dans le journal – que ce roman soit
romantique, réaliste ou « populaire », comme ceux de Dumas ou d’Eugène Sue. Car ils sont
tous visés par une critique morale de la part des conservateurs politiques, pour lesquels le champ
littéraire est intimement lié avec le champ politique et religieux, et pour lesquels toujours,
l’œuvre d’art doit enseigner ou du moins respecter la vertu, et être belle tout à la fois. Mais, si
je reformule rapidement leurs arguments contre le roman paraissant en feuilletons, ce dernier
n’a aucune valeur littéraire, et on en critique le style, parce qu’il décrit le vice : absence de
valeur morale signifie alors absence de valeur esthétique.

1.1. La critique morale


J’aimerais ici citer la préface de Mademoiselle de Maupin, où Gautier se plaint en 1834
de la pudibonderie de la presse à l’égard des œuvres littéraires, de la vertu étalée par les critiques
académiques : « Chaque feuilleton [critique] devient une chaire ; chaque journaliste, un
prédicateur ; il n’y manque que la tonsure et le petit collet. » Mais Gautier note malicieusement
le paradoxe, car ces critiques qui paraissent dans les journaux s’écrivent sur les bals, les romans,
le théâtre, tous considérés comme peu vertueux par ces censeurs. Gautier, comme bien d’autres
avec lui et après lui, invite donc à dissocier la valeur littéraire de la valeur morale de l’œuvre.
La presse politique et la chambre des députés bruissent de ces critiques adressées au
roman-feuilleton. Le député Alceste de Chapuys de Montlaville s’exclame ainsi en mars 1845
que « les romans précipitent souvent la jeunesse riche dans la débauche et dans une farouche
indépendance, oublieuse de tout devoir » ; qu’« ils exercent d’autres ravages sur la jeunesse des
classes ouvrières », etc.
Le roman réaliste et plus tard naturaliste pâtit des mêmes indignations, venues du champ
du pouvoir politique et religieux, et qui blâment le style comme le vice des romantiques, des
feuilletonistes, des réalistes. Par exemple pour Gustave Merlet3, qui écrit dans La Revue
contemporaine en 1859 (15 janvier) au sujet des auteurs réalistes :

Si encore ils s’étaient contentés d’outrager la beauté ! nous gémirions sur leur manque de galanterie aussi
peu français que leur style. Mais, à les entendre, il n’y a dans le monde que des filles de joie plus ou moins
déguisées ; tous les cœurs ne battent que pour le vice ; la société serait un lieu mal famé dont leur plume

3
Pour ce critique comme pour les suivants, voir Lise Dumasy, La Querelle du roman-feuilleton. Littérature, presse
et politique, un débat précurseur (1836-1848), Grenoble, ELLUG, 1999.
tient le registre.

Il ne sera besoin que de rappeler l’année 1857, et le procès intenté à Flaubert pour
« outrage à la morale publique et à la religion » dans Madame Bovary (avec de grandes tirades
du procureur sur l’immoralité du roman – Flaubert fut acquitté), et à Baudelaire pour « outrage
à la morale publique » et « offense à la morale religieuse » – le même procureur obtient une
condamnation : des amendes et la censure de six poèmes des Fleurs du Mal.
C’est la même censure morale qui tombe sur les œuvres de Zola, et on en trouve
largement l’écho dans la littérature de l’époque. Par exemple dans L’Écornifleur, de Jules
Renard, en 1892 : Henri, un jeune parasite à vocation littéraire, s’installe au sein d’un couple
bourgeois, et entend refaire la bibliothèque de Madame.

HENRI : Madame Bovary, d’abord. C’est l’histoire d’une dame qui est un peu comme vous. Elle ne sait
pas ce qu’elle veut et elle finit par en mourir.
MADAME VERNET : Pauvre femme ! Est-ce bien écrit au moins ?
HENRI : Assez bien comme ça, oui.
MADAME VERNET : Et il n’y a pas de choses trop fortes ?
HENRI : Des choses trop fortes ?
MADAME VERNET : Des ordures, enfin, comme dans Zola.

Les deux personnages reprennent les discours figés de l’époque, et c’est là-dessus entre
autres que repose l’ironie de Jules Renard : car Madame Vernet a peur des « choses trop fortes »,
mais elle affirme un peu plus loin « il faut du Zola dans une bibliothèque de choix. Je suis une
femme mariée. La délicatesse a des bornes » – et l’on retrouve là, en deux lignes, une synthèse
fort rapide et consensuelle – voire diachronique – des critiques portées à l’encontre du
romancier naturaliste. Zola représente d’ailleurs dans Pot-Bouille (1882) une famille très isolée
dans l’immeuble, parce que le mari est un romancier, assez proche de Zola lui-même. En effet,
les autres locataires ne cessent de le blâmer, justement sur des questions morales : « L’homme
du second avait écrit un roman si sale, qu’on allait le mettre à Mazas [une prison] ». M. Gourd,
l’un des personnages, explique encore : « C’est plein de cochonneries sur les gens comme il
faut. […] Et, vous voyez, ça roule carrosse, ça vend leurs ordures au poids de l’or ! ». Le
substantif ordure, que la critique a souvent accolé à Zola, est ici employé à nouveau : il dévalue
la valeur morale, mais également esthétique de l’œuvre, comme si à l’époque le champ littéraire
ne pouvait encore être indépendant des champs politiques et religieux.

1.2. La critique esthétique


La critique esthétique est donc souvent intimement liée à la question morale : ce qui est
moralement répréhensible ne peut, pour les censeurs de l’époque, être beau. En 1839, le critique
L. R. du Constitutionnel, un quotidien libéral de centre gauche, publie dans le numéro du 2
octobre une critique des œuvres de George Sand, et en profite pour égratigner le roman
moderne :
Il n’y a même plus d’artistes, mais seulement des ouvriers en style, qui se prennent à la journée ou se
paient à la toise. On commande et on en a pour son argent. Les hommes les plus doués, ceux qui auraient
pu devenir l’honneur de notre siècle, se prêtent eux-mêmes à ce système de complaisance et
d’énervement ; ils se prodiguent, ils se gaspillent. Ils perdent jusqu’à ce respect de soi, qui est la pudeur
de l’écrivain.

La dernière phrase montre à nouveau comment la question de la valeur du style est


fortement entremêlée avec celle de la valeur morale. Mais on voit également apparaître une
critique esthétique qui se détache en partie des valeurs morales, et qui s’explique par la rapidité
d’écriture des romans-feuilletons. C’est en effet un lieu commun de l’histoire littéraire que de
dire que Balzac fut un grand romancier, mais pas un grand écrivain – il écrivait trop vite, dit-
on, ce qui ôte de la valeur à son travail – : Balzac disait lui-même avoir composé Le Médecin
de campagne « en travaillant trois jours et trois nuits » (Correspondance, 23 septembre 1832).
Ainsi le même L. R. du Constitutionnel mêle à nouveau les deux critiques, de la morale et du
style, en écrivant le 15 juin 1840 que chez Balzac « le style pèche souvent, il se ressent du
déplorable goût de cette époque et se sert d’une langue qui, dans quelques années, ne sera plus
qu’un objet de curiosité. La morale y reçoit aussi plus d’une atteinte et s’y prête à plus d’un
accommodement. » Un autre critique, Gaschon de Molènes, écrira de même dans la Revue des
Deux Mondes, le 15 mars 1842, que le style de Physiologie du mariage est « diffus, violent et
désordonné, plein d’expressions fabriquées et d’images incohérentes. Tous ses procédés sont
empruntés à la langue intempérante et passionnées des derniers temps de notre littérature ». La
valeur de l’œuvre littéraire, pour ces critiques, emporte donc des critères avant tout moraux,
classiques.

Mais la critique du style des romans-feuilletons n’est pas que le fait des critiques
conservateurs en littérature : les auteurs dominants dans le champ littéraire ne se privent pas
pour dénoncer le mauvais style de leurs confrères journalistes. Zola ne manquait pas de s’en
prendre à Ponson du Terrail, l’inventeur du personnage de Rocambole4, et s’il a pu lui-même
composer des romans-feuilletons, il les dissocie de sa pratique littéraire sérieuse, celle qui
réclame de lui un véritable effort stylistique et documentaire, à l’opposé d’une écriture
feuilletonante payée à la ligne. Dans sa jeunesse, Zola a ainsi écrit pour le journal Le Messager
de Provence un roman publié par épisodes et intitulé Les Mystères de Marseille (évidente
reprise du roman d’Eugène Sue), paru en volume en 1867. Or Zola travaillait à la même époque
à Thérèse Raquin, parue la même année dans L’Artiste. Dans une préface postérieure à son
feuilleton (elle est publiée lors d’une réédition en 1884), Zola explique que cette production
quotidienne des Mystères de Marseille était une « besogne de journaliste » uniquement destinée
à le nourrir, lui et sa femme :

Donc, pendant neuf mois, j’ai fait mon feuilleton deux fois par semaine. En même temps, j’écrivais
Thérèse Raquin, qui devait me rapporter cinq cents francs dans l’Artiste ; et, lorsque le matin j’avais mis
parfois quatre heures pour trouver deux pages de ce roman, je bâclais l’après-midi, en une heure, les sept
ou huit pages des Mystères de Marseille. Ma journée était gagnée, je pouvais manger le soir.

Et, en attendant que ce roman des Mystères de Marseille périsse un des premiers parmi les autres, il ne
me déplaît pas, s’il est d’une qualité si médiocre, qu’il fasse songer au lecteur quelle somme de volonté
et de travail il m’a fallu dépenser, pour m’élever de cette basse production à l’effort littéraire des Rougon-
Macquart.

On pourrait analyser ces passages en détail : le verbe faire est employé pour le feuilleton,
appelé production ; mais le verbe écrire est employé pour Thérèse Raquin, qui lui a demandé
un effort littéraire. De même Zola oppose la patience de l’écrivain, qui travaille quatre heures
à deux pages, et la rapidité du feuilletoniste, une heure pour huit pages – le verbe bâcler indique
bien d’ailleurs le peu de valeur qu’il attribue à ce dernier travail. Ainsi la qualité de ce roman
est bien médiocre, ou basse : et cela permet de montrer, par contraste, combien vaut le reste :
l’intensif quelle somme de volonté et de travail fait écho au verbe m’élever.
Ce qui est intéressant ici, c’est le discours tenu par Zola sur son œuvre, à laquelle il
attribue lui-même une valeur (ici, économique pour Les Mystères de Marseille, mais littéraire
pour Thérèse Raquin). Publier dans les quotidiens, et non pas directement en volume ou en
recueil, peut en effet être considéré comme de moindre valeur littéraire, car alors on se soumet
aux règles de la presse. Et l’un des moyens des artistes pour que soit malgré tout reconnue une
qualité littéraire à ce qui paraît de façon périodique, c’est le discours légitimant que l’on tient

4
Voir par exemple, de Zola, le conte Les Disparitions mystérieuses (1867).
sur ses œuvres. Par exemple Mallarmé, à la fin de son recueil Divagations, paru en 1897, établit
une bibliographie pour rappeler où furent initialement publiés les textes qui composent le
recueil. Mais il légitime me semble-t-il la publication de certains textes dans les journaux en
associant à ceux-ci des qualificatifs élogieux, destinés à prévenir la mauvaise presse – pardon
pour le jeu de mots – de la publication journalistique. Par exemple le texte intitulé « ARTHUR
RIMBAUD » « se trouve [écrit Mallarmé], en français, au Chap Book, un periodic, exquis et
hardi, de Chicago – 1896 ». L’usage de l’anglais, associé aux adjectifs « exquis et hardi »,
valorisent je crois le périodique en question. De même pour les textes « TENNYSON VU D’ICI »
et « THEODORE DE BANVILLE », parus « dans l’inimitable National Observer que porta si haut
la direction du superbe poëte Henley » – là encore, notons la stratégie de l’éloge pour distinguer
les revues littéraires du tout-venant journalistique (adverbe intensif modifiant le degré de haut,
comme Zola utilisait m’élever, préfixe privatif dans inimitable instituant l’unicité comme
qualité contre la reproduction à l’œuvre dans le journal, unicité à laquelle répond la syllepse de
sens sur superbe).
Il s’agit ainsi de se « séparer » ou de se dissocier de ce qui paraît d’ordinaire dans les
journaux, et qui pour des écrivains comme Zola ou Mallarmé sortent tout à fait du champ
littéraire. De même le critique Gaschon de Molènes, que j’ai déjà mentionné, disait dès 1842
qu’Alexandre Dumas et Eugène Sue relevaient « du génie industriel bien plutôt que du génie
poétique ». Cet emploi de l’adjectif industriel pour s’appliquer au roman-feuilleton est le fait
du critique Sainte-Beuve, qui publie dès 1839 (1er septembre), dans la Revue des Deux-Mondes,
un article devenu célèbre, et intitulé « De la littérature industrielle » :

Les journaux s’élargissant, les feuilletons se distendant indéfiniment, l’élasticité des phrases a dû prêter,
et l’on a redoublé de vains mots, de descriptions oiseuses, d’épithètes redondantes : le style s’est étiré
dans tous ses fils comme les étoffes trop tendues. Il y a des auteurs qui n’écrivent plus leurs romans de
feuilletons qu’en dialogue, parce qu’à chaque phrase et quelquefois à chaque mot, il y a du blanc, et que
l’on gagne une ligne.

Le mercantilisme oblige à délayer son style : c’est bien à une critique d’ordre esthétique
que procède ici Sainte-Beuve. On peut la reformuler ainsi : les romans-feuilletons perdent en
valeur (esthétique) ce qu’ils gagnent en longueur ; ils relèvent non pas du champ artistique
(poétique), mais du champ industriel – ils sont production plus que création.
Et de fait, dans le roman-feuilleton, la lutte entre les personnages est toujours terrible,
les blessures sont épouvantables, les crimes abominables, les inquiétudes mortelles – ou les
affaires ténébreuses, pour reprendre le titre d’un roman de Balzac, qui s’empare d’un figement
très journalistique (en 1841). Les groupes nominaux comportent alors de ces « épithètes
redondantes » dénoncées par Sainte-Beuve ; il ne s’agit pas seulement en ce cas de lieux
communs, mais également de clichés, c’est-à-dire de figements usuels, parfois métaphoriques,
comme fourmilière humaine. Par exemple dans Le Comte de Monte-Cristo (1844-1846) et
Splendeurs et misères des courtisanes (1838-1847), Dantès et Vautrin ont tous deux un cœur
de bronze ; les mêmes, mais aussi Rodolphe dans Les Mystères de Paris (1842-1843), ont des
muscles d’acier, etc.5. Vous voyez sans doute ce que l’on entend par clichés…

5
« Jacques Collin, si l’on a bien pénétré dans ce cœur de bronze, avait renoncé à lui-même depuis sept ans »
(Balzac, Splendeurs et Misères des courtisanes, IV, 1847) ; « Monte-Cristo reprit sa jumelle et se remit à lorgner,
comme si rien d’extraordinaire ne venait de se passer. Cet homme avait un cœur de bronze et un visage de marbre »
(Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, vol. 5, 1844) ; « Sous la peau délicate et douce de cette main qui vint le saisir
brusquement à la gorge, le Chourineur sentit se tendre des nerfs et des muscles d’acier » (Les Mystères de Paris,
I, 1842). Ou encore : « – Empêchez-m’en donc ! répliqua Morrel avec un dernier élan qui, comme le premier, vint
se briser contre le bras d’acier du comte » (Le Comte de Monte-Cristo) ; « Les deux mains de Fergus, deux tenailles
d’acier se refermèrent sur ses bras qu’elles broyèrent » (Paul Féval, Les Mystères de Londres, 1844).
Ainsi il faudrait distinguer ce qui procède de la critique esthétique « moralisante », et
qui s’oppose à la nouveauté du roman romantique ou réaliste ; et la critique esthétique
« littéraire », qui s’en prend aux automatismes et à la rapidité d’exécution des feuilletonistes,
forcés d’écrire toujours davantage pour pouvoir vivre de leur plume. La première s’appuie sur
le champ religieux, la seconde entend en rester au champ littéraire. Mais dans la mesure où la
littérature commence à se publier dans la presse à grand tirage, donc dans le champ économique,
il faut, pour légitimer ses œuvres, mettre en avant une autre valeur, celle du support qui publie
le texte (une revue littéraire de qualité, par exemple), ou par contraste une publication en
volume, sur laquelle on aura pris le temps de travailler. La crise de la valeur du roman, genre
déjà peu reconnu, tient donc à la fois à des facteurs mécaniques : la stéréotypie permet une
augmentation formidable des tirages ; à des facteurs sociaux : de plus en plus de gens savent
lire, et réclament des récits ; et à des facteurs économiques : si l’on veut devenir écrivain, il faut
pouvoir gagner de l’argent, et le journal en offre davantage que la librairie.

2. Valeur marchande, valeur esthétique


C’est pourquoi je voudrais à présent revenir aux catégories proposées par Bourdieu pour
délimiter ce qui se joue dans le champ littéraire autour de la naissance de la presse à grand
tirage.
2.1. Retour sur Bourdieu : l’autonomisation du champ littéraire
Le sociologue Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l’art : genèse et structure du champ
littéraire (1992), reprend l’idée que

au début du XIXe siècle en France, le mode de production littéraire conduit à la constitution de deux
champs séparés ayant chacun leurs finalités propres, l’un axé sur la recherche de la valeur et de la
légitimité [le roman naturaliste, la poésie, le roman flaubertien] et l’autre qui se définit par une production
pour la vente et par le succès commercial [le roman-feuilleton, la chanson, le théâtre de boulevard]
(Jacques Dubois, L’Institution de la littérature : introduction à une sociologie, 1978, p. 39-40)

Il existerait ainsi un « champ de production restreinte » et un « champ de grande


production ». Ces deux champs n’obéissent pas à la même logique : le premier, celui de la
production restreinte, repose sur l’« institution littérature », tandis que le second relève du
domaine économique. Jacques Dubois précise que « cette polarisation du marché est nettement
perçue par les artistes eux-mêmes : les écrivains romantiques ou parnassiens opposent sur le
mode mythique la qualité de leur création pure et désintéressée à l’abaissement mercantile des
producteurs du champ opposé » (p. 40). Et on vient de voir que Zola faisait explicitement de
même après avoir obtenu, plusieurs années après Les Mystères de Marseille, la reconnaissance
des individus dominants dans le champ littéraire.
Ce processus de séparation de deux « champs » distincts est appelé autonomisation du
champ littéraire : ce dernier cherche à se distinguer, dans les faits et dans les discours, à la fois
des champs du pouvoir politique et religieux et du champ économique. À mesure que le champ
littéraire affirme son autonomie, l’art vient s’opposer à l’argent, avec l’idée chez les auteurs
que ce qui se vend bien n’a pas ou plus de valeur artistique. Il faudra donc distinguer le capital
économique, dont relèvent le roman-feuilleton et la presse quotidienne, et le capital
« symbolique », celui qui ne consiste pas en argent ou en bénéfices sonnants et trébuchants,
mais en reconnaissance par les pairs, en élévation dans le champ littéraire, d’autant plus rapide
que l’on refuse les concessions envers les basses productions du journal. Il est à ce titre
intéressant que Zola, dans les extraits de sa préface aux Mystères de Marseille que nous avons
lus tout à l’heure, réinvestisse un verbe du vocabulaire financier en l’appliquant au champ
symbolique, pour rattacher à sa production littéraire, qui lui rapportait peu, une valeur légitime :
quelle somme de volonté et de travail il m’a fallu dépenser pour écrire Thérèse Raquin. Car il
a dépensé, mais ne pensait pas gagner beaucoup : « Thérèse Raquin devait [lui] rapporter cinq
cents francs dans l’Artiste », mais le succès par ailleurs n’était pas prévu, la valeur modale de
devait l’indique.

Ainsi, avec l’autonomisation du champ littéraire, « la valeur esthétique est souvent


conçue comme inversement proportionnelle à la valeur économique » – ce n’est évidemment
pas toujours le cas pour Zola, surtout à partir de Thérèse Raquin, mais en revanche pour Flaubert
comme Mallarmé, le succès commercial est toujours frappé de méfiance, « en vertu de la
séparation entre les mondes de l’art et de l’argent6 ». Le jeu de mots de Mallarmé sur son
passage de trois ans à Tournon-sur-Rhône, au début de sa carrière d’enseignant d’anglais, dit
assez bien l’adhésion, par le jeune homme de 21 ans, à cet imaginaire de la séparation des deux
champs : « Demain, écrit-il à Henri Cazalis [août 1864], je fuirai l’Ardèche. Ce nom me fait
horreur. Et pourtant il renferme les deux mots auxquels j’ai voué ma vie : Art, dèche… » Car
Mallarmé entend séparer distinctement ce qui relève de « l’universel reportage » et son activité
littéraire, la poésie (ceci est bien connu, je ne vais pas m’étendre) – car tous les autres genres
d’écrits relèveraient pour lui, à un degré ou à un autre, du journal, auquel seule la poésie échappe
– je cite le poème « Étalages » dans les Divagations (1897) : « elle, toujours restera exclue et
son frémissement de vols autre part qu’aux pages est parodié, pas plus, par l’envergure, en nos
mains, de la feuille hâtive ou vaste du journal. » Ainsi pour Mallarmé, la poésie est la seule à
présenter cette valeur supérieure de la littérature, à l’opposé d’un usage commercial du langage :

L’auteur, la chance au mieux ou un médiocre éblouissement monétaire, ce serait, pour lui, de même ; en
effet : parce que n’existe devant les écrits achalandés, de gain littéraire colossal. La métallurgie l’emporte
à cet égard. Mis sur le pied de l’ingénieur, je deviens, aussitôt, secondaire : si préférable était une situation
à part. À quoi bon trafiquer de ce qui, peut-être, ne se doit vendre, surtout quand cela ne se vend pas
(« Étalages », Divagations, 1897).

Plusieurs éléments me semblent ici intéressants pour notre propos : l’auteur, celui qui
œuvre dans le champ littéraire, s’il fait des œuvres de valeur – achalandées – ne peut gagner
beaucoup d’argent. Cette affirmation est ici présentée comme une règle, propre à cette inversion
des valeurs esthétiques et commerciales dont nous avons parlé. Le gain appartient à un autre
domaine : la métallurgie, l’ingénieur, qui renvoient implicitement à l’industrie, comme le faisait
Sainte-Beuve en évoquant le roman-feuilleton. La vente des œuvres est donc elle-même
dévaluée (sur le plan symbolique), avec l’usage du verbe trafiquer – ainsi la deuxième règle
serait que la poésie ne se doit vendre, parce qu’elle partage pas les mêmes propriétés que les
productions industrielles (d’ailleurs, ça tombe bien, elle « ne se vend pas », ou très mal). On
voit bien ici comment fonctionne le double système de valorisation et de dévalorisation : la
valeur « vente » entraîne une dévalorisation « esthétique », et la valeur « esthétique » entraîne
l’impossibilité de la « vente ». On retrouve la même opposition par exemple chez Balzac, dans
ce passage de sa Monographie de la presse parisienne que je trouve très éclairant pour la
question des représentations des deux champs :

Chose étrange ! les livres les plus sérieux, les œuvres d’art ciselées avec patience et qui ont coûté des
nuits, des mois entiers, n’obtiennent pas dans les journaux la moindre attention et y trouvent un silence
complet ; tandis que le dernier vaudeville du dernier théâtre, les flon-flons des Variétés, nés de quelques
déjeuners, enfin les pièces manufacturées aujourd’hui comme des bas ou du calicot, jouissent d’une
analyse complète et périodique (Balzac, Monographie de la presse parisienne, 1842)

Balzac emploie la même conversion du lexique financier à la sphère littéraire que Zola
après lui : les œuvres ont coûté un temps infini à leurs auteurs, et l’opposition est très visible
6
Anaïs Goudmand, « La valeur littéraire à l’épreuve du désenchantement : étude comparée des réflexions de Pierre
Bourdieu et de Jean-Marie Schaeffer », dans Patrick Voisin dir., La Valeur de l’œuvre littéraire, Classiques
Garnier, 2012, p. 46.
entre l’hyperbole de la valeur littéraire avec le superlatif « les plus sérieux », le participe
« ciselées » qui renvoie de façon topique à l’œuvre d’art, les pluriels « des nuits, des mois
entiers » – et le peu de valeur des œuvres industrielles, dont il souligne l’aspect éphémère avec
la répétition de dernier, et le peu de travail qu’elles ont demandé avec « quelques déjeuners ».
Enfin « ciselées » s’oppose à « manufacturées […] comme des bas ou du calicot » : on passe
du champ esthétique au champ économique, et la manufacture fait évidemment écho à l’adjectif
industriel. Ces productions populaires sont donc à considérer, pour Balzac, exactement comme
un vêtement fabriqué en des milliers d’exemplaires. L’injustice est alors pour le romancier de
voir l’œuvre littéraire si peu récompensée : aux superlatifs évoqués correspond une négation
renforcée avec « n’obtiennent pas la moindre attention », redoublée par « silence complet », qui
par antithèse renvoie à « analyse complète », injustement gagnée par les œuvres industrielles.
À la valorisation esthétique répond donc la dévalorisation du silence public, et inversement, à
la valorisation de l’intérêt populaire répond la dévalorisation esthétique.

Mais nombre d’écrivains au XIXe siècle participent à la fois du champ économique et du


champ littéraire par leurs productions. Flaubert a toujours résisté au journalisme, mais les autres
grands auteurs du siècle ont sinon été engagés à un moment ou à un autre par la presse (Hugo,
Gautier, Mérimée, Huysmans, Maupassant, ou encore Baudelaire, dont certains Petits Poëmes
en prose, avant d’être publiés en recueil de façon posthume, parurent dans les journaux à grand
tirage, comme La Presse ou Le Figaro). Bourdieu rappelle même que « Flaubert, qui pousse
sans doute plus loin qu’aucun autre ce parti pris d’indifférence [à l’égard de la reconnaissance
des lecteurs et de la vente de ses œuvres], fait reproche à Edmond de Goncourt de s’être adressé
au public, dans la préface des Frères Zemganno, pour lui expliquer les intentions esthétiques
de l’œuvre » (p. 135).
Le champ littéraire pour ainsi dire « protégé » des lecteurs de masse et des productions
populaires se fonde alors au cours du siècle sur une affirmation de singularité face à la
multitude, et à au commun ou au tout-venant des écrits. Zola, dans l’article « Du roman » du
Roman expérimental paru en 1880, évoque ainsi des romanciers sans style personnel :

Ces romanciers prennent le style qui est dans l’air. [...] Je ne dis point qu’ils plagient ceux-ci ou ceux-là,
qu’ils volent à leurs confrères des pages toutes faites [...]. Seulement, sans copier, ils ont, au lieu d’un
cerveau créateur, un immense magasin empli des phrases connues, des locutions courantes, une sorte de
moyenne du style usuel.

Le « cerveau créateur », au singulier, s’oppose à la métaphore marchande de


l’« immense magasin » où l’on peut trouver un style qui n’est ni à soi ni aux autres. Les termes
« connues », « courantes », « moyenne », « usuel » caractérisent l’opposé du créateur, de
l’originalité. La littérature industrielle, qui manufacture ce type de phrases, est évidemment du
côté du commun, et c’est le nouveau qui va être valorisé dans le champ littéraire7 : le nouveau
« devient la valeur même et ce sont les connaisseurs qui sont aptes à dire la qualité d’une
écriture, identifiée, à cette époque précisément, à sa teneur en style8. » La nouveauté est donc
un critère décisif : quand on a parlé de la naissance du roman-feuilleton, on a vu que ce dernier
était critiqué en même temps que le roman « romantique », par exemple Notre-Dame de Paris
de Victor Hugo, publié en 1831, soit au début de cette querelle du roman en feuilletons. Mais
dans les années qui suivent le roman-feuilleton devient de moins en moins nouveau et se

7
Voir aussi « Le Voyage » qui clôt Les Fleurs du Mal (1857) : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons
l’ancre ! / Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! / Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, / Nos
cœurs que tu connais sont remplis de rayons ! / Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! / Nous voulons,
tant ce feu nous brûle le cerveau, / Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu
pour trouver du nouveau ! »
8
Dominique Rabaté, « La valeur comme question », Modernités n° 25, 2007, p. 9-25, p. 22.
sclérose en recettes et automatismes stylistiques, alors que le roman hugolien, entre autres, a
l’occasion d’évoluer et de se transformer.
J’aimerais simplement rappeler ici quelques propos d’écrivains dominants dans le
champ littéraire, et souvent critiques face à la production littéraire de masse : ils valorisent eux
aussi la singularité du style.

Tout très grand écrivain de tous les temps ne se reconnaît absolument qu’à cela, c’est qu’il a une langue
personnelle, une langue dont chaque page, chaque ligne est signée (Edmond de Goncourt, Journal, 27
décembre 1860)

L’écrivain doit créer sa langue et ne pas se servir de celle du voisin. Il faut qu’on la voie pousser à vue
d’œil. (Jules Renard, Journal, 21 septembre 1893).

Un style original est le signe infaillible du talent, puisque, en art, tout ce qui n’est pas nouveau est
négligeable (Remy de Gourmont, Esthétique de la langue française,1899)

Le jour où n’existera plus chez le lettré l’effort d’écrire, et l’effort d’écrire personnellement, on peut être
sûr d’avance que le reportage aura succédé en France à la littérature (Edmond de Goncourt, préface de
Chérie, 1884).

J’ai gardé pour la fin la citation de la préface de Chérie parce qu’on y voit réapparaître
la valeur « effort » déjà évoquée par Zola pour les Rougon-Macquart – d’ailleurs la même
année, en 1884. L’affirmation de Goncourt entre ici en étroite résonance avec les propos tenus
par des auteurs dominants dans le champ littéraire et parfois dominés dans le champ
économique : car dans cette citation la presse est à nouveau considérée comme un repoussoir,
elle est rejetée dans le champ économique avec l’opposition, comme dans la Crise de vers de
Mallarmé (qui a sans doute lu à l’époque la préface de Chérie), entre reportage et littérature.
D’ailleurs je vais maintenant évoquer :

2.2. La dégradation de la valeur littéraire par le journal


Comme, on l’a dit, les écrivains produisent tant pour le journal que pour le livre, et ils
se retrouvent en position de critiquer le journalisme alors qu’ils en sont dépendants – et « de
façon très ambivalente, Balzac » comme d’autres, ainsi que le rappelle Philippe Dufour,
« promeut la parole qu’il critique9. » À partir de 1836, on assiste donc dans les journaux
quotidiens à « une forme d’opposition interne », des écrivains-journalistes contre le journal.
Pour contrer l’angoisse de n’être plus qu’un journaliste, ou la peur de n’avoir plus le
temps de s’occuper de ses autres écrits parce qu’on se retrouve pris dans le rythme infernal de
la publication quotidienne, les écrivains-journalistes vont opposer dans leurs écrits d’une part
les hommes de lettres et de l’autre les chroniqueurs – les seconds étant des « doubles
“dégradés”10 » des premiers. Balzac, qui avait plus que tâté du monde du journalisme, le
représente dans Illusions perdues (1837-1843) : le jeune Lucien de Rubempré, venu à Paris
pour y devenir poète et écrivain, va céder aux sirènes du journalisme qui lui procurera de
l’argent facile. Il y est initié par Lousteau, qui lui-même voulait devenir écrivain, et s’est aigri
dans la presse – « Enfin, mon cher, [dit-il à Lucien] travailler n’est pas le secret de la fortune
en littérature, il s’agit d’exploiter le travail d’autrui. Les propriétaires de journaux sont des
entrepreneurs, nous sommes des maçons ».
Balzac oppose la trajectoire de ces deux hommes et celle de Daniel d’Arthez, un ami
plus âgé que Lucien rencontre d’abord et qui comme lui veut devenir écrivain, mais vit dans la
pauvreté et « s’éreinte à travailler », comme le dit Lousteau, pour achever une véritable œuvre
littéraire. Ce que Balzac dénonce dans le journalisme (comme d’ailleurs les Goncourt dans

9
Philippe Dufour, La Pensée romanesque du langage, Seuil, 2004, p. 175
10
Marc Angenot, 1889. Un état du discours social, Longueil, Le Préambule, 1989, p. 441-442.
Charles Demailly en 1860), c’est la prostitution du talent au profit de l’argent. Il est à ce titre
significatif que le rythme rapide des romans de Dumas ait parfois été préféré par les patrons de
presse aux minutieuses descriptions de Balzac, dont les lecteurs se plaignaient aux journaux par
diverses lettres de réclamation : « c’est ainsi qu’en décembre 1844, La Reine Margot remplace
Les Paysans, le feuilleton de Balzac en cours de publication dans le journal La Presse11. » On
imagine la colère du second à l’égard du premier, qui pourtant l’admirait.
Dans Illusions perdues, les journalistes échangent des piques, des saillies, entre eux,
parlent avec verve, et c’est cette parole orale qui est davantage valorisée par Balzac : la valeur
esthétique de leurs discours est récupérée en quelque sorte par leur gratuité – cet esprit de
conversation, au moins, ils ne le vendent pas. Alain Vaillant rappelle ainsi que, au XIXe siècle,
l’imprimé étant devenu une marchandise, c’est le « dialogue intime, préservé des règles de la
“littérature industrielle”, [qui] a désormais le privilège de rester inappréciable, hors de portée
du marché des valeurs culturelles12. » Ainsi on échappe au journalisme par le caractère
purement volatile de son propos, ou au contraire par sa pérennisation par le livre – mais l’un et
l’autre, contrairement au journal, ne se vendent pas, ou moins bien que le journal.
Il ne faudrait pas cependant ranger dans les mêmes cases tous les journaux, et tous les
journalistes.

2.3. Le journalisme, une réalité contrastée


Par réalité contrastée, j’entends toujours sur le plan de la représentation dans le champ
littéraire : à certains articles et à certains auteurs on va accorder plus ou moins de valeur.
Certaines rubriques sont par exemple tout à fait disqualifiées sur le plan de la valeur littéraire :
le roman-feuilleton, on l’a vu, ou les faits divers, les échos. Mais la chronique, l’interview à la
fin du siècle, la critique dramatique ou littéraire, sont eux pris en charge par des plumes bien
davantage considérées. Si tous les journalistes ne se valent pas, tous les journaux ne se valent
pas non plus : au début du XIXe siècle, il existe des journaux littéraires reconnus ; les quotidiens
politiques de qualité ne se vendent qu’à l’abonnement, et cher. Mais avec l’apparition de la
petite presse, fantaisiste, de plus en plus dépolitisée et populaire, nourrie de la réclame, et son
fantastique développement dans les années 1860, la presse dans son ensemble a tendance à être
dénigrée, même si certains journaux mondains se spécialisent en littérature, comme Le Gil Blas
ou Le Gaulois, dans lesquels publie par exemple beaucoup Maupassant.
Il faudra donc dissocier les quotidiens à fort tirage, spécialisés dans le fait divers
sensationnel, comme Le Petit Journal, créé en 1863, et, de l’autre côté du spectre journalistique,
certaines revues littéraires exigeantes, comme l’hebdomadaire L’Artiste, né en 1831 et vendu
jusqu’au début du siècle suivant, ou La Revue blanche, bimensuel qui naît en 1889 et meurt de
même dans la première décennie du XXe siècle : La Revue blanche a publié Mallarmé, Verlaine,
Gide, Proust, Apollinaire, entre beaucoup d’autres. La revue échappe à la publication
quotidienne, et elle est un lieu d’émulation et de bouillonnement intellectuel pour les jeunes
auteurs, qui s’y crée des cercles, des réseaux, des amitiés ; on s’éloigne alors du journalisme,
mais celui-ci est d’une aide précieuse pour la valorisation des œuvres en cours ou à venir.
La question économique cependant reste posée : car la revue littéraire ne s’adresse pas
toujours à un public très large, quand bien même elle devient la publication de référence dans
son domaine, comme ce fut le cas de la Nouvelle Revue française, née en 1909, dont Gide fut
le premier directeur littéraire – c’est Gaston Gallimard qui en a la gérance. Cette revue a marqué
la littérature de l’époque, dont elle a publié les grands noms ; mais elle coûtait de l’argent à
l’éditeur. Gaston Gallimard lance bien d’autres revues, dont, en 1928, l’hebdomadaire criminel

11
Sarah Mombert, « Le roman de cape de d’épée, genre populaire et genre mineur », dans Y. Delègue et L. Fraisse
dir., Littérature majeure, littérature mineure, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 81-97, p. 85.
12
Alain Vaillant, « Conversations sous influence. Balzac, Baudelaire, Flaubert, Mallarmé », Romantisme, n° 98,
1997, p. 97-110, p. 100.
Détective, qui rapporte tout de suite beaucoup d’argent, au point que Gallimard disait parfois
que la NRF en perdait, mais que Détective lui permettait de maintenir à flot sa revue littéraire13.
On voit là encore revenir les questions économiques dans la production littéraire… Et comment
la valeur littéraire, pour paraître, s’appuie forcément, à un moment, sur un autre champ,
politique ou économique.
Dans une troisième partie, j’aimerais pour finir évoquer rapidement quelques
propositions littéraires de la fin du XIXe et du début du XXe qui viennent revaloriser l’usage du
journal en littérature.

3. Le journalisme repris par la littérature

Il ne s’agira que de quelques pistes : c’est une manière d’ouvrir le propos après cette
présentation très centrée sur le XIXe siècle.

3.1. Le naturalisme et le fait divers


C’est là un aspect bien connu. Dans les années 1860 s’affirment en effet, de concert,
une presse populaire fondée sur les faits divers et une poétique romanesque fondée sur le
document vrai. Zola, les frères Goncourt, Paul Alexis, mais aussi Huysmans à ses débuts
(Marthe [1876], Les Sœurs Vatard [1879]), retracent la vie des plus démunis également évoquée
par les faits divers. Zola découpait des articles qu’il conservait et réutilisait ensuite dans la
narration ; Maupassant traitait souvent, dans ses contes et nouvelles, d’événements pris aux
faits divers (par exemple La Petite Roque, en 1886). Dans L’Assommoir, le calvaire de la petite
Lalie Bijard, victime de la violence de son père, sort tout droit des coupures de presse de faits
divers. Évidemment, le naturalisme n’est pas le premier à s’en inspirer : Stendhal pour Le Rouge
et le Noir, Flaubert pour Madame Bovary, sont par exemple partis d’affaires judiciaires de
l’époque. Mais les naturalistes conservaient les textes initiaux, pris à la matérialité du journal.
Cette adhésion cependant ne doit pas cacher un vrai refus du style journalistique : Zola
s’inspirait du journal, mais en dénigrait la rédaction, repoussoir s’il en était. Il adoucissait aussi
la rhétorique hyperbolique des journaux :

Dans L’Assommoir, la mention « non, pas de drame » inscrite dans la marge d’un épisode de vitriolage
et de duel au couteau dit assez l’effort engagé par Zola pour débarrasser l’ouvrier romanesque de ses
représentations trop feuilletonesques14.

De même pour la fin de L’Assommoir, son plan témoigne d’une scène mélodramatique
très proche des faits divers, mais il la simplifie finalement et gomme l’exagération15. En pareil
cas la valeur littéraire de l’œuvre s’est construite à la fois sur la production journalistique, et
contre elle.

3.2. Les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon


Félix Fénéon est un critique littéraire et un écrivain, très engagé dans les milieux
anarchistes, et qui collabora à de nombreux journaux, dont Le Matin : ce quotidien faisait
paraître, en page 3, tous les jours, des « Nouvelles en trois lignes », c’est-à-dire des faits divers

13
Sarah Maza, « “The Bastard Child of a Noble House”: Détective and middle-class culture in interwar France »,
dans Charles Walton éd., Into Print. Limits and Legacies of the Enlightenment: essays in honor of Robert Darnton,
University Park: Pennsylvania State University Press, 2011, p. 32-49, p. 34.
14
Chantal Pierre-Gnassounou, « Memoria », dans Ph. Hamon dir., Le Signe et la consigne, Droz, 2009, chap. IV,
p. 171-201, p. 189.
15
Olivier Lumbroso, « Quand détruire, c’est créer. Censure et autocensure dans la genèse de L’Assommoir »,
Poétique n° 125, 2001, p. 33-50.
condensés, rapportant de vrais informations, mais ressaisies en un petit nombre de mots. Félix
Fénéon intervint dans la rubrique en 1906 : il glissa parmi les dépêches d’autres journalistes
des faits divers retravaillés par ses soins, et qui témoignent, comme on le reconnut à l’époque,
et comme c’est admis aujourd’hui, d’un vrai talent littéraire. En voici quelques exemples

Ayant terrassé l’afficheur Achille, ils le tirèrent sur toute la longueur de la passerelle d’Alfortville, puis
le précipitèrent.

Au faîte de la gare d’Enghien, un peintre a été électrocuté. On entendit claquer ses mâchoires et il s’abattit
sur la marquise.

Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste
onze autres enfants. (Havas.)

Un lasso à la main et ululant, Kieffer, de Montreuil, en deux ans interné trois fois, galopait. On perdit sa
trace. Il se sera pendu.

Ce ne sont là que des exemples parmi d’autres, mais on voit assez bien, je crois, tout le
potentiel de ces fragments : ils reposent sur un emploi très concerté des groupes détachés, des
assonances et des allitérations, de la prosodie et de l’implicite (sous-entendus, présupposés)16.
Ici Fénéon subvertit le style journalistique en introduisant une composante littéraire qui
dynamite, par l’étrangeté, le sarcasme ou la poésie, la dimension purement journalistique de
telles nouvelles. À ce qui se vend, il ajoute donc il me semble une plus-value poétique, qui
passait inaperçue, à n’en pas douter, de certains lecteurs du Matin…

3.3. L’époque surréaliste


Je finirai en évoquant rapidement l’époque surréaliste – je parle d’époque plus que de
surréalisme au sens strict, puisque j’aimerais commencer par évoquer une œuvre de Blaise
Cendrars antérieure à 1924 : son recueil Dix-neuf poèmes élastiques, paru en 1919, contient
plusieurs réemplois de l’écriture journalistique, dont celui qui s’intitule « Dernière heure », et
qui recompose un fait divers paru dans Paris-Midi en 1914 :

OKLAHOMA, 20 janvier 1914


Trois forçats se procurent des revolvers
Ils tuent leur geôlier et s’emparent des clefs de la prison
Ils se précipitent hors de leurs cellules et tuent quatre gardiens de la cour
Puis ils s’emparent de la jeune sténo-dactylographe de la prison
Et montent dans une voiture qui les attendait à la porte
Ils partent à toute vitesse
Pendant que les gardiens déchargent leurs revolvers dans la direction des fugitifs

Quelques gardiens sautent à cheval et se lancent à la poursuite des forçats


Des deux côtés des coups de feu sont échangés
La jeune fille est blessée d’un coup de feu tiré par un des gardiens

Une balle frappe à mort le cheval qui emportait la voiture


Les gardiens peuvent approcher
Ils trouvent les forçats morts le corps criblé de balles
Mr. Thomas, ancien membre du Congrès qui visitait la prison
Félicite la jeune fille

Télégramme-poème copié dans Paris-Midi – Janvier 1914

16
Pour une analyse stylistique plus poussée, voir Jean-Michel Adam, Le Style dans la langue : une reconception
de la stylistique, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997. Et même ouvrage pour le poème de Cendrars évoqué
ensuite.
Cendrars reprend parfois textuellement l’article original, mais le découpe en vers libres qui
miment le rapport fragmentaire à l’information journalistique et la rapidité de sa transmission.
La reconfiguration des groupes syntaxiques renvoie une information « transitive », qui narre le
réel, à une forme d’étrangeté poétique qui donne au texte du journal une tout autre dimension.
Là encore, Jean-Michel Adam en propose des analyses intéressantes.
André Breton était lui très virulent contre les écrivains surréalistes par ailleurs engagés
dans une activité journalistique, qu’il jugeait déshonorante. Au début des années 1930, au
moment où il commence à rédiger Les Cloches de Bâle (paru en 1934), Aragon travaillait par
exemple comme petit reporter à L’Humanité, et d’ailleurs il joue volontiers avec la phraséologie
du fait divers dans le début du cycle Le Monde réel. Cependant, malgré cette méfiance pour
l’activité de journaliste, les surréalistes ont beaucoup emprunté à la presse (voir par exemple
leur fascination pour le crime des sœurs Papin en 1933), ont découpé le journal, dont ils ont
collé ici et là des extraits – par exemple dans la préface postérieure aux Beaux Quartiers (1936)
et qui s’appelle La Suite dans les idées (1965), Aragon développe une esthétique du collage
tout en collant préalablement une page de L’Humanité où il avait publié un fait divers. S’il est
encore possible de dévaloriser en termes esthétiques la production journalistique, on la
revalorise en la ressaisissant à travers l’œuvre littéraire, qu’elle vient contribuer à créer. La
requalification ou relégitimation de la « littérature industrielle » par la bande repose sur les
propriétés poétiques ou incantatoires de certains fragments détachés de l’ensemble : le roman
policier Le Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, paru en feuilletons en 1907, est très
représentatif de la littérature populaire ou « industrielle », même s’il est d’une qualité supérieure
à bien des romans-feuilletons : il n’apparaîtra jamais dans aucun programme de concours
littéraire (ou autre, d’ailleurs), mais Jean Cocteau écrivit une belle préface où il louait la poésie
de l’ouvrage et affirmait « Il n’existe pas d’arts mineurs ». Le Mystère de la chambre jaune est
un roman policier bien ficelé, écrit par un journaliste d’expérience, et mettant en scène un
reporter-détective d’une rare intelligence, qui, au cours de l’intrigue, surprend une phrase
énigmatique échangée entre deux personnages :

Mais déjà Rouletabille avait saisi, à ma profonde stupéfaction, la bride, arrêté le petit équipage
d’un poing vigoureux, cependant qu’il prononçait cette phrase dépourvue pour moi du moindre sens :
« Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. »
Ces mots ne furent pas plutôt sortis de la bouche de Rouletabille que je vis Robert Darzac
chanceler ; si pâle qu’il fût, il pâlit encore ; ses yeux fixèrent le jeune homme avec épouvante et il
descendit immédiatement de sa voiture dans un désordre d’esprit inexprimable.

Cette phrase – le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat –
revient plusieurs fois au cours du roman, et elle est progressivement explicitée. Elle est l’une
des raisons du goût de certains surréalistes pour ce roman de Leroux : ces derniers ont beaucoup
usé du texte volé à sa situation d’énonciation initiale, et réutilisé sur des feuilles volantes, tracts
ou papillons, imprimés pour le bureau de recherches surréalistes (en décembre 1924. Il y en
avait 15 de la sorte, on en voit quelques-uns sur l’image). L’un d’eux reprend justement la
phrase énigmatique du roman de Leroux.
L’œuvre « mineure », produit du journalisme ou du journal, est ici investie d’une
nouvelle valeur littéraire, par le collage, le réemploi, la transposition du discours dans une
nouvelle scène d’énonciation. Il y a là il me semble le dépassement de la méfiance et de la
dévalorisation esthétique de productions littéraires et/ou journalistiques auquel on n’attribuait
qu’une valeur marchande.

Conclusion
On passe donc du sens premier, technique et neutre, de stéréotype et cliché dans le
domaine de l’impression, à celui, péjoratif, de « motif rebattu, manquant d’originalité » sous
l’impulsion de cette expansion de la presse au XIXe, qui participe à l’époque de l’autonomisation
progressive du champ littéraire, à laquelle résistent pourtant les champs politiques et religieux.
Ces derniers en effet entendent toujours exercer leur autorité sur la littérature (tout au moins
celle qui se publie, donc est rendue publique). L’autonomisation du champ littéraire ne va donc
pas sans une revendication de son indépendance avec ces champs de pouvoir, y compris le
pouvoir économique : les auteurs de l’époque se représentent séparés des autres travailleurs, et
pour certains d’entre eux, la valeur de l’œuvre, selon que cette dernière est bonne ou mauvaise,
ne dépend pas de degrés de littérarité, mais de nature : la littérature en tant que telle aurait des
propriétés différentes de la littérature populaire (il s’agit bien toujours de représentations, non
pas d’une vérité : cet imaginaire de la différence de nature est très prégnant dès la seconde
moitié du siècle).
Les stratégies de résistance à l’envahissement de l’écrit journalistique sont, pour les
auteurs, de faire l’éloge de revues plus achalandées, d’affirmer la singularité de leur travail face
à la production anonyme, de fonder des journaux comme le tenta Balzac, ou de le critiquer de
l’intérieur, ce dont ne se priva pas Gautier ; mais aussi de rester hors du circuit journalistique,
de prendre son temps à une époque qui ne le paie plus, de le pirater en transformant son style,
comme Fénéon. Puis de le réutiliser, en changeant le format d’édition du texte journalistique,
qui de quotidien devient citationnel, en l’insérant dans des œuvres plus éphémères encore ou
dans des livres, en prenant le contre-pied de ce que réalise le journal au XIXe siècle : il capte à
lui la littérature, avec plus ou moins de succès. Pour subvertir ce mouvement, il s’agira donc de
capter le journal à soi, pour le plier à son projet littéraire – de le dévêtir de sa valeur économique
pour n’en faire plus qu’un discours littéraire.

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