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L’INTERDICTION DES TAXES D'EFFET EQUIVALANT A UN DROIT DE DOUANE :

UN ELEMENT FONDATEUR DE L’UNION DOUANIERE AU SERVICE DU MARCHE INTERIEUR


ET DE LA POLITIQUE COMMERCIALE COMMUNE

Jean-Michel GRAVE

Administrateur à la Commission européenne – Direction générale Fiscalité et Union douanière


Maître de conférences, chargé du cours de « Douanes et accises », à l'Université Libre de
Bruxelles

La notion de "taxe d'effet équivalant à un droit de douane" (ou "taxe d'effet équivalent"), que ce soit à
l'importation ou à l'exportation, s'est développée dès l'origine des Communautés, d'abord au niveau
de la Commission, dans le cadre de la période transitoire de mise en place de l'Union douanière, en
vue de l'élimination progressive de ces taxes, y compris par le biais de procédures en manquement à
l'encontre des Etats membres. Ensuite et très vite, elle a représenté un thème récurrent dans la
jurisprudence de la Cour de Justice.

Comme nombre de concepts fondateurs de la Communauté, souvent limités à quelques lignes dans
les traités, la nature et le champ d’application de l’interdiction des taxes d’effet équivalent ont été
principalement le fruit de cette œuvre prétorienne : ses éléments essentiels sont fixés par la Cour dès
la fin des années soixante et le début des années soixante-dix ; la fin de cette décennie et la suivante
sont dédiées à la confirmation des principes, combinée à une action résolue de la Commission pour
lutter contre ce qui reste de protectionnisme fiscal chez les Etats membres ; les années quatre-vingt-
dix poursuivent dans cette voie mais se caractérisent surtout par un renouveau notable du concept, à
la suite de l’arrêt « Legros », du fait de son application aux taxes régionales ou locales.

En comparaison, le début des années 2000 apparaît fort calme. Les taxes anciennes ont
progressivement disparu et les Etats membres semblent désormais plus prudents face à l’interdiction.
Pourquoi, dans ces conditions, revenir sur une notion aussi ancienne et si souvent analysée ? D’abord
parce qu’elle a toujours été apte à ouvrir des perspectives insoupçonnées : un tel potentiel en faveur
de la liberté de circulation des marchandises dans la Communauté ne peut être négligé, en particulier
avec l’élargissement de l’Union à de nouveaux Etats membres, dont les pratiques fiscales pourraient
réserver des surprises. Ensuite parce qu’elle est perçue comme un acquis tellement évident et solide
que personne ne juge nécessaire ou opportun de s’interroger sur ce que devrait être sa place dans
l’architecture communautaire.

La taxe d'effet équivalent, création communautaire originale, ne peut se concevoir que par son
interdiction dans les échanges de marchandises entre les Etats membres, en complément à celle du
"droit de douane" proprement dit, dont elle est un substitut plus ou moins déguisé, cette qualification
douanière excluant de pouvoir lui reconnaître simultanément une autre nature (point 1).

La Cour de justice a toutefois été amenée à dépasser cette dimension purement interétatique de
l’interdiction pour en faire un instrument au service d’un principe quasi absolu de libre circulation des
marchandises dans un marché intérieur sans frontières (point 2).

Ainsi développée sur le plan interne, la notion de taxe d’effet équivalent a en parallèle été transposée
dans les relations externes de la Communauté, aussi bien par le législateur que par la Cour, en vue
d'assurer la cohérence de ses politiques agricole et commerciale et l'unicité de son tarif douanier
(point 3).

Paradoxalement, alors que le concept acquérait ainsi dans le droit dérivé et la jurisprudence un
« rythme de croisière » lui conférant force et cohérence, les traités restaient en retrait, figés dans une
approche classique, voire dépassée, du sens et de la portée de l’interdiction. Malheureusement, le
projet de Constitution pour l’Europe, comme les traités qui l’ont précédé, représente une nouvelle
occasion manquée de faire subir au droit primaire, sur ce point, les mutations nécessaires (point 4).

Mars 2006
1. LA TAXE D'EFFET ÉQUIVALANT À UN DROIT DE DOUANE, CRÉATION COMMUNAUTAIRE ORIGINALE

Alors que l'article XXIV, 8, sous a) du GATT identifie, comme l'une des conséquences (son volet
interne) de la mise en place d'une union douanière, "que les droits de douane … sont éliminés pour
l'essentiel des échanges commerciaux entre les territoires constitutifs de l'union …", le Traité de
Rome a visé expressément une élimination progressive aboutissant finalement à une interdiction
totale et pour l'ensemble des échanges, non seulement des droits de douane proprement dits (ceux
figurant au tarif douanier des Etats membres), mais des "taxes d'effet équivalent" (anciens articles 9
et 12, devenus articles 23 et 25, du traité CE). On peut voir dans cette précision aussi bien la volonté
de conférer au traité un pouvoir intégrateur fort qu'une mesure de précaution à l'égard des Etats
membres.

L'Union douanière de la Communauté en était encore à sa phase transitoire que la Cour de Justice se
prononçait déjà, à l'initiative de la Commission, sur la notion de "taxe d'effet équivalant à un droit de
douane". Par son arrêt du 14 décembre 1962, Commission c. Luxembourg et Belgique 1, la Cour
insista sur le fait que cette notion avait été voulue par les auteurs du traité comme un "complément
nécessaire" à la règle générale d'interdiction des droits de douane entre Etats membres, "permettant
de la rendre efficace". Selon la Cour, elle marquait "le dessein de prohiber non seulement les mesures
ostensiblement revêtues de la forme douanière classique" mais plus généralement toute mesure
ayant les mêmes effets qu'un droit de douane, à savoir un droit unilatéralement imposé, soit au
moment de l'importation soit ultérieurement, frappant spécifiquement un produit importé et altérant
son prix à l'exclusion du produit national similaire.

Après quelques tâtonnements, la Cour aboutit finalement à une définition de ce qu'il fallait entendre
par "taxe d'effet équivalant à un droit de douane" (définissant ainsi indirectement l'effet de ce dernier).
La définition est restée constante depuis, même si ses termes en ont été explicités et certains aspects
clarifiés à la lumière de nombreux "cas pratiques".

1.1. La qualification d'une mesure en tant que "taxe d'effet équivalent"

C'est à partir de 1969 que la Cour a dégagé – d'abord pour les relations entre Etats membres - une
définition complète, valable aussi bien à l'importation qu'à l'exportation. Constitue une taxe d'effet
équivalant à un droit de douane une "charge pécuniaire, fut-elle minime, unilatéralement imposée,
quelles que soient son appellation et sa technique et frappant les marchandises nationales (à
l'exportation) ou étrangère (à l'importation) à raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle
n'est pas un droit de douane proprement dit, …, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de
l'Etat, qu'elle n'exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit imposé ne se
trouverait pas en concurrence avec une production nationale2.

1.1.1. Eléments indispensables à la qualification de taxe d'effet équivalent

Il doit donc s'agir d'une charge pécuniaire, ce qui exclut, on le verra, les mesures non tarifaires
restreignant la libre circulation des marchandises. Comme le droit de douane, elle doit porter sur des
marchandises et non, par exemple, sur des services ou des droits intellectuels ou à l'occasion de
contrôles ; une telle taxe sera toutefois qualifiée de taxe d'effet équivalent si son assiette fait intervenir
des éléments sans relation avec la prestation réalisée (cf. points 1.2.2 et 1.2.3).

Comme les droits de douane, la plupart des taxes d'effet équivalent sont perçues à l'importation des
produits étrangers. Il en existe toutefois également à l'exportation des produits nationaux,
essentiellement dans le contexte de politiques nationales d'encouragement à la consommation
domestique de la production nationale, mais aussi en vue de restreindre la sortie du territoire de
certains biens considérés comme relevant de l'intérêt national (produits agricoles ou alimentaires en
période de pénurie ou biens culturels) ou afin de compenser le coûts de contrôles 3 ou de répondre à
des préoccupations sociales4.

1
CJCE, 14 décembre 1962, Commission c. Luxembourg et Belgique, aff. jtes 2 et 3/62, Rec. 813.
2
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, Rec. 193.
3
CJCE, 26 février 1975, W. Cadsky SpA c. INCE, aff. 63/74, Rec. 281 et 7 juillet 1994, Lamaire NV et NALTP, aff. C-
130/93, Rec. I-3215.

2
Dans un cas comme dans l'autre, la taxe d'effet équivalent est liée au seul franchissement de la
frontière, même si sa perception est effectuée à stade antérieur (à l'exportation) ou postérieur (à
l'importation), et frappe spécifiquement un produit importé (ou exporté) "à l'exclusion du produit
national similaire"5. La mise en évidence de cet élément fondamental de qualification de la taxe s'est
souvent avérée difficile en raison du recours à des dénominations trompeuses ou à des faits
générateurs plus ou moins fictifs. Il s'agit en effet, pour établir le caractère de taxe d'effet équivalent
lorsque la taxe est constatée ou perçue à un stade de commercialisation ou de transformation
postérieur au passage de la frontière, de démontrer que le produit est frappé "en raison du seul
franchissement de cette frontière"6. La même approche est valable en ce qui concerne l'exportation, la
taxe liée à la seule sortie des biens du territoire pouvant être perçue à un stade antérieur (par
exemple, une taxe perçue à l'abattage du seul bétail à exporter). Le marché intérieur et la suppression
des formalités et des contrôles aux frontières internes ont paradoxalement rendu l'appréhension de
telles taxes encore plus délicate, les nouveaux articles 23 et 25 CE résultant du Traité d'Amsterdam
continuant à viser l'importation et l'exportation entre Etats membres, alors que ces notions ne
devraient plus avoir lieu d'être dans les échanges intracommunautaires (s'agissant par exemple d'une
redevance pour un contrôle effectué à l'intérieur d'un Etat membre mais en vue d'une exportation
future7 ou d’une cotisation sur le transfert de déchets exportés 8).

Enfin, cette taxe doit avoir été "unilatéralement imposée" au profit de l'Etat membre ou d'une autorité
publique, y compris une collectivité territoriale, quelle que soit sa taille 9. Cela exclut en principe les
charges à caractère commercial résultant d'un contrat ou d'un accord entre les parties à un échange
international de marchandises ou, par exemple, un tarif obligatoire imposé par l'Etat aux expéditeurs
en douane professionnels, dans la mesure où les importateurs ont le choix de recourir ou non à leur
services10. Ne sont pas non plus concernées par l'interdiction les charges imposées par ou en vertu
d'une réglementation communautaire, notamment dans le cadre de la réglementation agricole 11. La
Cour a toutefois admis qu'une taxe d'effet équivalent pouvait résulter d'une convention entre
particuliers dans la mesure où il s'agissait pour un opérateur privé (une agence en douane) de faire
supporter à ses clients via une "taxe de passage en douane" des frais liés au fonctionnement de
services publics douaniers et vétérinaires. La Cour a en effet estimé que de tels frais ne
correspondaient pas à un service rendu, devaient être supportés par l'Etat et ne pouvaient être
répercutés, même par le biais d'un prestataire intermédiaire, sur les opérateurs économiques 12.

1.1.2. Eléments n'entrant pas en ligne de compte dans la qualification

Une fois réunies les conditions d'une qualification d'une charge comme taxe d'effet équivalent, les
éléments qui suivent sont indifférents:

– le montant de la taxe, une charge même minime étant inacceptable13;

– son appellation ou sa forme14;

4
CJCE, 21 septembre 2000, Mikhailidis & IKA, aff. jtes C-441/98 & C-442/98, Rec. I-07145, à propos d'une contribution
spéciale sur le tabac exporté.
5
CJCE, 19 juin 1973, Capolongo, aff. 77/72, Rec. 611.
6
CJCE, 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, aff. 78/76, Rec. 595.
7
CJCE, 15 avril 1997, Deutsche Milch Kontor, aff. C-272/95, Rec. I-1905.
8
CJCE, 27 février 2003, Commission c/ Allemagne, aff. C-389/00.
9
CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, s’agissant d’une simple commune.
10
CJCE, 9 février 1994, Commission c/ Italie, aff. C-119/92, Rec. I-393.
11
CJCE, 2 mai 1978, Racke, aff. 136/77, Rec. 1245 ; CJCE, 15 septembre 1982, Kind, aff. 106/81, Rec. 2885 ; CJCE, 21
février 1984, St Nikolaus Brennerei, aff. 337/82, Rec. 1051.
12
CJCE, 11 août 1995, Dubois et Général Cargo Services, aff. C-16/94, Rec. I-2432.
13
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité ; CJCE, 10 octobre 1973, Variola, aff. 34/73, Rec. 981 ;
CJCE, 25 janvier 1977, W.J.G. Bauhuis, aff. 46/76, Rec. 5 ; Carbonati Apuani, précité.
14
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité : "droit de statistique" ; CJCE, 25 mai 1977, Cucchi, aff.
77/76, Rec. 987: "supplément de prix" ; CJCE, 12 janvier 1983, Andreas Matthias Donner, aff. 39/82, Rec. 19 : "taxe postale

3
– la technique ou les modalités de l'imposition, dès lors que la taxe est perçue en raison du
franchissement de la frontière et ne peut être rattachée à un système d'impositions intérieures
appréhendant de manière identique les échanges domestiques et les échanges internationaux des
mêmes marchandises15;

– la légitimité des objectifs de la taxation16, la destination ou le bénéficiaire du produit de la taxe, qui


peut être l'Etat, un organisme public17, voire dans certains cas un opérateur privé18;

– le caractère discriminatoire ou protecteur de la taxe19, l'absence de production nationale similaire


ou concurrente n'entrant donc pas en principe en ligne de compte pour décider de la qualification
comme taxe d'effet équivalent20 (voir point 1.2.1, sous b).

1.2. Les charges à l'importation ou à l'exportation échappant à la qualification de "taxe


d'effet équivalent"

Quoique remplissant toutes les conditions pour être qualifiées de taxes d'effet équivalent, un certain
nombre d'impositions peuvent échapper à cette qualification et se voir "légitimer" par l'existence de ce
que l'on pourrait appeler des "contreparties" à la taxation des échanges externes de marchandises: la
taxation correspondante des échanges internes au sein d'un "système d'impositions intérieures",
l'existence d'un service rendu ou la contrainte d'une obligation imposée par le droit communautaire
générant des coûts pour les Etats membres.

1.2.1. Taxe intérieure ou relevant d'un système national d'impositions intérieures

La légitimité d'une taxation à la fois des produits relevant du marché domestique et des produits
venant de l'étranger ou destinés à l'étranger s'explique aisément par le souci de ne pas privilégier la
commercialisation des seconds au détriment des premiers. Une même charge à l'importation ou à
l'exportation de marchandises ne peut être qualifiée à la fois de taxe intérieure frappant aussi bien les
échanges internes qu'externes et de taxe d'effet équivalant à un droit de douane, réservée par nature
aux échanges externes. Elle ne peut donc tomber à la fois sous l'interdiction des taxes d'effet
équivalent (articles 23 et 25 CE) et sous la prohibition des impositions intérieures discriminatoires ou
protectrices (articles 90/91 CE, anciennement articles 95/96), ces dispositions n'étant pas applicables
cumulativement21.

La qualification comme "taxes intérieures" d'impositions indirectes telles que la TVA 22 ou les droits
d'accises ne suscite aucun doute même lorsqu'elles s'appliquent aux produits venant de l'étranger,
surtout dans un contexte d'harmonisation communautaire. Tel n'est pas le cas en revanche de bon
nombre de taxes nationales dont l'appartenance à un système d'impositions intérieures n'est souvent
qu'apparente. Un examen plus attentif des faits générateurs de la taxe ou des techniques d'imposition
selon la nature interne ou externe de l'échange, des marchandises effectivement concernées, de
l'affectation de son montant ou des exonérations consenties peut souvent conduire à requalifier
comme "taxe d'effet équivalent" une imposition prétendument "intérieure".

de présentation en douane" ; CJCE, 15 novembre 1988, Commission c/ Grèce, aff. 229/87, Rec. 6347: "redevance pour le
contrôle des prix".
15
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, Aff. 24/68, précité ; CJCE, 22 avril 199, CRT France International, aff. C-
109/98, Rec. I-2237.
16
CJCE, 10 décembre 1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68, Rec. 617 ; CJCE, 19 juin 1973, Capolongo, aff. 77/72,
précité ; CJCE, 11 octobre 1973, Rewe-Zentralfinanz, aff. 39/73, Rec. 1039 ; CJCE, 23 janvier 1975, Van der Hulst, aff.
51/74, Rec. 79 ; CJCE, 26 février 1975, Cadsky, aff. 63/74, précité.
17
CJCE, 1er juillet 1969, Social Fonds voor de Diamantarbeiders, Aff. 2 et 3/69, Rec. 211.
18
CJCE, 11 août 1995, Dubois et Général Cargo Services, aff. C-16/94, précité.
19
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité.
20
CJCE, 22 avril 1999, CRT France International, aff. C-109/98, précité.
21
CJCE, 8 juillet 1965, Deutschmann, aff. 10/65, Rec. 601 ; CJCE, 16 juin 1966, Lütticke, aff. 57/65, Rec. 293 ; CJCE, 18
juin 1975, IGAV c/ ENCC, aff. 94/74, Rec. 699.
22
CJCE, 4 avril 1968, Tivoli, aff. 20/61, Rec. 293 ; CJCE, 22 octobre 1974, Demag, aff. 27/74, Rec. 1037 ; CJCE, 3
octobre 1985, Profant, aff. 249/84, Rec. 3237.

4
a) Appartenance d'une taxe à un "système d'impositions intérieures"

La Cour fait échapper à la qualification de "taxes d'effet équivalent" les taxes à l'importation ou à
l'exportation faisant partie d'un "système général de redevances intérieures appréhendant
systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment
de l'origine des produits"23 ou encore, "selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits
importés ou exportés"24.

La Cour admet a priori qu'il existe un système d'impositions intérieures si des catégories entières de
produits définies selon des critères objectifs en relèvent sans égard à leur caractère national ou
importé25 ou au fait qu'ils soient destinés au marché national ou à l'exportation 26. Des critères
d'imposition sans rapport les uns avec les autres ou le fait de viser des produits différents, à l'intérieur
et à l'extérieur, peut toutefois conduire à déqualifier l'imposition intérieure et à la faire retomber dans
la catégorie des taxes d'effet équivalent, une taxation à l'importation ou à l'exportation ne pouvant par
exemple être justifiée par l'objectif de compenser une charge d'une autre nature ou supportée à un
autre stade par les produits nationaux27.

Cette ligne n'est toutefois ni claire ni constante. La liberté reconnue aux Etats membres de définir leur
fiscalité indépendamment de l'origine des produits explique la tendance de la Cour à reconnaître, en
général et même en l'absence de production nationale, l'existence de systèmes d'impositions
intérieures. La Cour reconnaît ainsi qu'une redevance sur les appareils de reprographie importés
forme un ensemble avec la redevance sur l'édition des ouvrages de librairie et qu'elles s'insèrent
toutes deux dans un mécanisme fiscal (un "système d'impositions intérieures") destiné à protéger les
droits des auteurs et éditeurs de livres, les produits appréhendés relevant d'une catégorie
objectivement identifiée par l'utilisation qui en est faite28. En revanche, une taxe sur la livraison des
postes émetteurs-récepteurs fonctionnant sur les canaux banalisés (postes "CB") ne relève pas d'un
système d'impositions destiné à couvrir les dépenses nécessaires à la gestion du réseau d'ondes
hertziennes auquel appartiendrait également une taxe sur l'utilisation de ce réseau, la Cour estimant
que "la méthode de taxation des postes CB diffère de celle des autres appareils, dans la mesure où,
dans le cas des postes CB, c'est la livraison qui est taxée alors que dans les autres cas la taxe est
supportée par les utilisateurs"29.

Parfois, la Cour ne choisit pas entre taxe d'effet équivalent et imposition intérieure discriminatoire.
C'est ainsi qu'elle a considéré que la "taxe de régulation" grecque sur les produits importés, qui se
présentait comme une "surtaxe", "ne fait pas nécessairement partie d'un régime de taxes intérieures",
qu'elle "pourrait constituer un droit de douane ou une taxe d'effet équivalent" mais qu'il lui "suffit
cependant de constater que, en imposant une taxe supplémentaire uniquement sur les produits
importés, la taxe est intrinsèquement discriminatoire et contraire soit à l'article 95 (90) soit aux articles
9 et 12 (23 et 25) du traité" 30. Si cette approche "ouverte" peut fonctionner à l'égard d'un tel système
de surtaxe (la supprimer revient, soit à éliminer une taxe d'effet équivalent "autonome", soit à mettre
fin à une discrimination au sein d'un éventuel régime fiscal intérieur), elle ne peut être généralisée 31.

b) Absence de production nationale


23
CJCE, 3 février 1981, Commission c/ France, aff. 90/79, Rec. 283.
24
CJCE, 7 juillet 1994, Lamaire NV et NALTP, aff. C-130/93, précité.
25
CJCE, 7 mai 1987, Cooperativa Co-Frutta, aff. 193/85, Rec. 2085 ; CJCE, 9 juin 1992, Simba, aff. jtes 228/90ea, Rec. I-
3713 ; CJCE, 13 juillet 1994, OTO, aff. 130/92, Rec. I-3281, pour un "impôt national de consommation" sur les bananes et
autres fruits ; CJCE, 2 avril 1998, Outokumpu, aff. C-213/96, Rec. I-1777.
26
CJCE, 29 juin 1978, P. Larsen, aff. 142/77, Rec. 1543, pour une "redevance pour le contrôle des ouvrages en métaux
précieux".
27
CJCE, 31 mai 1979, Denkavit Loire, aff. 132/78, Rec. 1923 ; a contrario, CJCE, 10 mars 1981, Irish Creamery Milk
Suppliers, aff. jtes 36 et 71/80, Rec. 735.
28
CJCE, 3 février 1981, Commission c/ France, aff. 90/79, précité.
29
CJCE, 22 avril 199, CRT France International, aff. C-109/98, précité.
30
CJCE, 3 février 2000, C. Dounias, aff. C-228/98, Rec. I-577.
31
cf. d'ailleurs, à l'inverse, CJCE, 17 juillet 1997, Haar Petroleum, aff. C-90/94, Rec. I-4085, pour un supplément à
l'importation majorant une taxe portuaire mais ne constituant pas une taxe distincte.

5
Lorsque la marchandise taxée n'est pas produite dans le pays, la reconnaissance de l'appartenance
de la taxe à un système d'impositions intérieures joue un rôle fondamental car, dans ce cas, il est clair
qu'aucun effet discriminatoire ou protecteur au détriment de produits nationaux ne pourra être établi
sur la base de l'article 90 CE32. Si, au contraire cette appartenance n'est pas reconnue, l'absence de
production nationale sera complètement indifférente à la qualification comme taxe d'effet équivalent 33.

c) Prise en compte de la destination du produit de l'imposition (taxes "parafiscales" affectées aux


produits nationaux)

Si la destination du produit de la taxe est en principe indifférente à sa qualification "primaire" comme


"taxe d'effet équivalent", elle retrouve une importance lorsque les montants résultant d'une taxation,
portant initialement aussi bien sur les produits nationaux qu'importés ou exportés, se retrouvent
finalement affectés à des activités qui profitent spécialement aux produits nationaux, exclusivement
ou conjointement avec les produits importés ou exportés (phénomène dit du "retour de taxe", dans un
contexte parafiscal). Dans un tel cas, en effet, les produits importés ou exportés supportent une
charge nette alors que la charge supportée par les produits nationaux peut être intégralement ou
partiellement neutralisée par le biais des avantages reçus. Ces situations constituent généralement en
outre le volet fiscal d'aides d'Etat (voir point 1.3.2).

Afin de déterminer la qualification définitive de la taxe à l'importation ou à l'exportation, la Cour a


opéré dans ce cas, par une jurisprudence abondante, une distinction entre les situations dans
lesquelles la charge fiscale initialement supportée par le produit national est intégralement compensée
par l'affectation de son montant à des activités profitant au produit national identique ou seulement
partiellement compensée. Dans le premier cas, la taxe supportée par les produits importés ou
exportés sera purement et simplement interdite en tant que taxe d'effet équivalent. Dans le second
cas, elle sera jugée discriminatoire ou protectrice et devra être réduite en proportion, conformément
aux articles 90/91 CE34. Cette jurisprudence a été ultérieurement développée par plusieurs arrêts de
199235. Le produit taxé et le produit bénéficiaire du "retour de taxe" doivent en outre être les mêmes et
se trouver frappés à un même stade de production ou de commercialisation 36.

Ce principe joue non seulement lorsque le produit de la taxe profite aux seuls produits nationaux mais
également lorsque les activités financées par la taxe profitent à la fois aux produits nationaux et
importés ou exportés mais proportionnellement davantage aux premiers ; la qualification de la taxe
dépendra alors de la nature intégrale ou partielle de la compensation tirée des avantages
proportionnellement reçus par les produits nationaux37.

Ayant posé ces principes, la Cour laisse le soin dans chaque arrêt au juge national de les mettre en
œuvre et de déterminer la qualification juridique des impositions en cause, en procédant aux
vérifications, évaluations et calculs nécessaires. Elle a toutefois précisé que l'impact de la
compensation devait être apprécié sur la base d'une équivalence pécuniaire, au cours d'une période
de référence, entre les montants globalement perçus et les avantages bénéficiant exclusivement (ou
proportionnellement) aux produits nationaux38. Cette jurisprudence, pour élaborée et complète qu'elle
soit, laisse donc malgré tout aux parties et au juge national, ou à la Commission dans le cadre de
procédures en constatation de manquement, le soin d'établir l'existence et la portée de la

32
CJCE, 4 avril 1968, Stier, aff. 31/67, Rec. 356 ; CJCE, 3 février 1981, Commission c/ France, aff. 90/79, précité ; CJCE,
11 décembre 1990, Commission c/ Danemark, aff. C-47/88, Rec. I-4509: taxe d'immatriculation des véhicules.
33
CJCE, 9 novembre 1983, Commission c/ Danemark, aff. 158/82, Rec. 3573: arachides ; CJCE, 22 avril 199, CRT
France International, aff. C-109/98, précité.
34
CJCE, 21 mai 1980, Commission c/ Italie, aff. 73/79, Rec. 1533.
35
CJCE, 11 mars 1992, Compagnie Commerciale de l'Ouest, aff. jtes C-78/90 ea, Rec. I-1847 ; CJCE, 11 juin 1992,
Sanders Adour & Guyomar’ch, aff. jtes C-149/91 ea, Rec. I-3899 : CJCE, 16 décembre 1992, Lornoy, aff. C-17/91, Rec. I-
6523, Claeys, aff. C-114/91, Rec. I-6559 et Demoor en Zonen, aff. jtes C-144/91 ea, Rec. I-6613.
36
CJCE, 31 mai 1979, Denkavit Loire, aff. 132/78, précité ; CJCE, 25 mai 1977, Cucchi, aff. 77/76, précité ; CJCE, 25 mai
1977, Interzuccheri, aff. 105/76, Rec. 1029.
37
CJCE, 17 septembre 1997, UCAL, aff. C-347/95, Rec. I-4911 ; CJCE, 17 septembre 1997, Fricarnes, aff. C-28/96, Rec.
I-4939.
38
CJCE, 2 août 1993, CELBI, aff. C-266/91, Rec. I-4337.

6
compensation, sauf à invoquer le manque de transparence du système taxe-aide pour mettre la
preuve de sa conformité au droit communautaire à la charge de l'Etat membre concerné 39.

d) Exonérations au profit des produits nationaux

Comme le retour de taxe mais de manière encore plus flagrante, un système fiscal dans lequel les
produits nationaux, théoriquement taxés au même titre que les produits importés, bénéficient en fait
de très larges exonérations, peut conduire à des discriminations contraires à l'article 90 CE voire
même à des situations d'effet équivalant à des droits de douane.

C'est ce que la Cour a reconnu dans le contexte très particulier de taxes régionales applicables aussi
bien aux produits importés d'autres Etats membres ou de pays tiers que d'autres parties du même
Etat membre. La Cour a ainsi examiné la compatibilité avec le traité d'un régime d'imposition (la taxe
municipale – "arbitrio" - sur la production et l'importation, perçue à Ceuta) qui frappe, en principe, tant
les produits locaux que les produits importés, mais qui prévoit l'exonération des produits locaux.
Confrontée au manque de transparence du système fiscal en cause, la Cour a estimé que la
"combinaison" des dispositions du traité et de l'acte d'adhésion de l'Espagne interdisant les taxes
d'effet équivalent et les impositions intérieures discriminatoires ou protectrices s'opposait à la
perception d'une taxe de nature, compte tenu du libellé des textes qui l'imposent et de la manière dont
l'administration l'applique, à frapper les produits importés ou certaines catégories d'entre eux, à
l'exclusion des produits locaux de même catégorie40.

En ce qui concerne le nouveau régime d'octroi de mer des DOM français, autorisé et encadré par la
décision 89/688/CEE du Conseil du 22 décembre 1989, tout en reconnaissant que le statut particulier
reconnu aux DOM par le traité permettait au Conseil de déroger temporairement à l'interdiction de
l'article 90 CE en déterminant précisément des exonérations nécessaires et proportionnées au profit
des productions locales, la Cour a rappelé que de telles dérogations ne pourraient aller jusqu'à la mise
en place d'un "système d'exonération d'ordre général ou systématique susceptible d'aboutir à la
réintroduction d'une taxe équivalant à un droit de douane"41.

1.2.2. Redevance pour services rendus par l'Etat membre

La seconde exception à la qualification de taxe d'effet équivalent correspond en fait à une


requalification de la taxe en "redevance", contrepartie proportionnée d'un service effectivement rendu
par l'autorité publique. La Cour a, très tôt mais avec prudence, mis en évidence cette nuance 42, avant
de préciser au cas par cas les critères de "service rendu" et de "proportion".

Un service est effectivement rendu s'il constitue "un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à
l'opérateur économique"43. Echappent dès lors à cette qualification les activités ou services d'intérêt
général profitant à l'ensemble de la collectivité ou des opérateurs économiques, tels que les contrôles
sanitaires44, les formalités et mesures connexes à ces contrôles, telles des expertises 45, les contrôles
de qualité46, les renseignements statistiques47 ou les formalités ou contrôles effectués par les autorités

39
cf., en ce sens au plan national, CAA Paris, 3 ème ch., 23 mars 1995, CNIH c/ Bouyoud, n° 93-925 à 927, RJF 7/95 n°
935, p. 546 et, par analogie, CJCE, 7 décembre 1995, CCIN de Ceuta, aff. C-45/94, Rec. I-4385.
40
CJCE 7 décembre 1995, CCIN de Ceuta, aff. C-45/94, précité.
41
CJCE, 19 février 1998, Chevassus-Marche, aff. C-212/96, Rec. I-766.
42
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité.
43
CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff. 340/87, Rec. 1483.
44
CJCE, 11 octobre 1973, Rewe-Zentralfinanz, aff. 39/73, précité ; CJCE, 28 juin 1978, Simmenthal, aff. 70/77, Rec.
1453 ; CJCE, 20 mars 1984, Commission c/ Belgique, aff. 314/82, Rec. 1543 ; CJCE, 14 mars 1990, Commission c/ Italie, aff.
C-137/89, Rec. I-847, CJCE, 15 décembre 1982, Ligur Carni, aff. C-318 et 319/91, Rec. I-6621, alors même qu'une directive
communautaire permettait les contrôles ayant donné lieu à redevance.
45
CJCE, 7 avril 1981, United Foods & Van den Abeele, aff. 132/80, Rec. 995.
46
CJCE, 26 février 1975, W. Cadsky SpA c. INCE, aff. 63/74, précité.
47
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité.

7
dans le cadre de leurs obligations de service public, notamment à l'occasion des opérations de
dédouanement48. De telles prestations sont en principe gratuites.

Seuls les services allant au-delà de ces obligations sont susceptibles de donner lieu à rétribution. Ont
été ainsi considérées comme des redevances pour services rendus, des charges représentatives des
coûts de transit maritime49 ou des frais de magasinage en douane50 ou la contrepartie de formalités ou
de contrôles accomplis en-dehors des lieux et heures réglementairement prévus 51.

Le montant de la redevance doit en outre être proportionné au coût du service effectivement rendu,
résulter d'un lien direct avec la nature et la durée de la prestation et les ressources matérielles et
humaines qui lui ont été affectées. Il ne peut dès lors être déterminé uniquement par référence à la
valeur ou à la quantité des marchandises 52 ou impliquer le paiement d'une redevance entière par
chaque entreprise lorsque le service est rendu simultanément à plusieurs 53. Un calcul forfaitaire n'est
toutefois pas exclu54.

1.2.3. Charge compensant les coûts d'une obligation imposée à l'Etat membre par le
droit communautaire

La Cour a reconnu licites des redevances afférentes à des contrôles effectués pour satisfaire à des
obligations imposées par le droit communautaire, pour autant qu'elles soient prévues dans l'intérêt
général de la Communauté et favorisent la libre circulation des marchandises en neutralisant les
obstacles pouvant résulter de mesures unilatérales prises par les Etats membres en conformité avec
l'article 30 CE (ancien article 36) du traité, qu'elles aient un caractère obligatoire et uniforme pour
l'ensemble des produits concernés dans la Communauté et qu'elles restent proportionnées au coût
réel des contrôles (de manière similaire à ce qui est applicable en matière de rémunération pour
service rendu)55.

Cette exception vise clairement à limiter le "bénéfice" pour les Etats membres d'un recours aux
mesures restrictives permises par l'article 30 CE (qui n'autorisent pas, en contrepartie, la perception
de redevances pour services rendus), tout en évitant de leur faire supporter le coût d'obligations
imposées par la Communauté. Elle n'en conduit pas moins à répercuter sur les opérateurs le coût de
contrôles qui, bien qu'harmonisés au plan communautaire, n'en demeurent pas moins établis dans
l'intérêt général. Cette jurisprudence a été étendue à des contrôles liés à des obligations trouvant leur
source dans des conventions internationales, en vue de faciliter les échanges de marchandises entre
la Communauté et certains pays tiers56. Il est également possible de déroger à l'interdiction des taxes
d'effet équivalent dans les relations avec des pays tiers, en vertu notamment d'une directive
autorisant des contrôles sanitaires dans l'attente d'un système communautaire uniforme 57, pour autant
bien sûr que les redevances restent proportionnées au coût réel des contrôles 58.

48
CJCE, 17 mai 1983, Commission c/ Belgique, aff. 132/82, Rec. 1649 ; CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff.
340/87, précité ; CJCE, 11 août 1995, Dubois et Général Cargo Services, aff. C-16/94, précité.
49
CJCE, 16 mars 1983, SIOT, aff. 266/81, Rec. 731.
50
CJCE, 17 mai 1983, Commission c/ Belgique, aff. 132/82, précité.
51
cf., a contrario: CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff. 340/87, précité ; CJCE, 11 juillet 1989, Ford Espana, aff.
170/88, Rec. 2305.
52
CJCE, CJCE, 11 juillet 1989, Ford Espana, aff. 170/88, précité.
53
CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff. 340/87, précité ; CJCE, 21 mars 1991, Commission c/ Italie, aff. C-209/89,
Rec. I-1575 ; CJCE, 5 octobre 1995, Aprile, aff. C-125/94, Rec. I-2919.
54
CJCE, 2 mai 1990, P. Bakker Hillegom, aff. C-111/89, Rec. I-1735.
55
CJCE, 25 janvier 1977, W.J.G. Bauhuis, aff. 46/76, précité ; CJCE, 27 septembre 1988, Commission c/ Allemagne, aff.
18/87, Rec. 5427.
56
CJCE, 12 juillet 1977, Commission c/ Pays-Bas, aff. 89/76, Rec. 1355.
57
CJCE, 13 juillet 1989, Societa Politi & Co, aff. 214/88, Rec. 2785.
58
CJCE, 31 janvier 1984, IFG, aff. 1/83, Rec. 349.

8
1.3. L'autonomie entre l'interdiction des taxes d'effet équivalent et d'autres
dispositions du traité

1.3.1. Mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative

Les taxes en tant que telles ne peuvent être examinées sous l'angle de l'interdiction des mesures
d'effet équivalant à des restrictions quantitatives posée par l'article 28 (ancien article 30) du traité
CE59. Corrélativement, les notions de "taxe d'effet équivalent" et de "mesure d'effet équivalent" sont
autonomes. Une entrave éventuelle à la libre circulation des marchandises pourra avoir un volet non
tarifaire (formalités, contrôles, procédures) relevant des articles 28 et suivants à dissocier d'un volet
tarifaire (taxe, redevance) relevant des articles 23 et 25, la conformité au traité de l'un n'entraînant
pas ipso facto celle de l'autre.

Par exemple, une taxe liée à une mesure de restriction ou de contrôle peut-être qualifiée de taxe
d'effet équivalent alors que le contrôle lui-même n'est pas une mesure d'effet équivalent ou est justifié
par une exception de l'article 30 CE 60 et cette qualification ne privera pas la mesure de contrôle sous-
jacente de sa justification éventuelle61. En revanche, la Cour tend à considérer qu'une charge perçue
à l'occasion d'une mesure contraire à l'article 28 est automatiquement contraire au traité 62.

A l'inverse, une taxe tombant hors du champ d'application des articles 23/25 ou 90/91 CE pourrait en
théorie relever de l'interdiction de l'article 28 CE, notamment en raison de l'impact de son montant sur
la libre circulation des marchandises63; la Cour a toutefois ultérieurement précisé que, pour être
examinée sous cet angle, la mesure devait perdre sa qualification de taxe indirecte, ce qui n'était pas
le cas pour la taxe en cause64.

1.3.2. Aides d'Etat

L'examen de la conformité au traité d'une taxe affectée à une aide d'état fera partie de l'examen de la
conformité de l'aide elle-même au regard de l'article 87 (ancien article 92) du traité CE. A cet égard,
non seulement sera incompatible avec le traité une aide financée par une taxe ayant le caractère de
taxe d'effet équivalent au sens des articles 23 et 25 CE mais sera elle-même considérée comme une
aide incompatible toute taxe parafiscale frappant des produits importés d'autres Etats membres et
dont le produit bénéficie uniquement aux entreprises nationales de l'Etat qui l'a instituée. Une telle
aide renforce en effet de manière anticoncurrentielle leur compétitivité au détriment des entreprises
des autres Etats membres ne profitant aucunement du "retour" du produit de la taxe 65.

Toutefois, à la différence de la qualification de taxe d'effet équivalent qui peut échoir au juge national,
l'appréciation du caractère d'aide d'Etat relève de la compétence de la seule Commission, selon les
procédures prévues par le traité, et les particuliers ne peuvent demander directement au juge national
de se prononcer sur la conformité de telles taxes au droit communautaire sous l'angle des aides
d'Etat66.

59
CJCE, 13 décembre 1983, Apple and Pear Development Council, aff. 222/82, Rec. 4083.
60
CJCE, 25 janvier 1977, W.J.G. Bauhuis, aff. 46/76, précité ; CJCE, 8 novembre 1979, Denkavit Füttermitttel, aff. 251/78,
Rec. 3369.
61
CJCE, 28 janvier 1981, Kortmann, aff. 32/80, Rec. 251.
62
CJCE, 12 juin 1986, B. Schloh, aff. 50/85, Rec. 1855: pour une taxe liée à un contrôle technique automobile.
63
CJCE, 11 décembre 1990, Commission c/ Danemark, aff. C-47/88, précité, à propos d'une taxe à l'immatriculation des
véhicules.
64
CJCE, 17 juin 2003, De Danske Bilimportører, aff. C-383/01.
65
CJCE, 11 mars 1992, Compagnie Commerciale de l'Ouest, aff. jtes 78 à 83/90, précité.
66
CJCE, 22 mars 1977, Ianelli et Volpi, aff. 74/76, Rec. 557.

9
2. LA DIMENSION INTERNE DE L'INTERDICTION: LES TAXES D'EFFET ÉQUIVALENT DANS LES ÉCHANGES
ENTRE ETATS MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ

2.1. De la suppression à l'interdiction

L'interdiction totale des taxes d'effet équivalent entre Etats membres a été préparée, au cours de la
période de transition, à la fois par une clause de standstill à l'égard de nouvelles taxes d'effet
équivalent ou d'une augmentation des taxes existantes (ancien article 12 CE) et par une suppression
progressive des droits de douane (y compris à caractère fiscal) et taxes d'effet équivalent existants
(anciens articles 13 à 17 CE). Ces dispositions transitoires, devenues sans objet, ont été éliminées du
traité CE par le traité d'Amsterdam. Seule demeure désormais l'interdiction pure et simple de toute
taxe d'effet équivalant à un droit de douane, dont l'effet direct avait déjà été reconnu par la Cour 67.

2.2. Portée de l'interdiction

L'interdiction des taxes d'effet équivalent entre Etats membres est une règle essentielle du traité
devant avoir "une portée et un effet généraux en vue d'assurer la libre circulation des
marchandises"68. Elle "ne comporte pas d'exceptions", car "la force de ces prohibitions est telle que,
pour éviter de les voir tournées par la variété des pratiques douanières ou fiscales, le traité a voulu
prévenir toute faille éventuelle dans leur mise en œuvre"69.

2.2.1. Portée matérielle : assurer la libre circulation des marchandises de statut


douanier communautaire

L'interdiction des articles 23 et 25 concerne dès lors l'ensemble des échanges de marchandises entre
Etats membres, y compris agricoles 70. Conformément à l'article 23, paragraphe 2 du traité, elle
s'applique non seulement aux marchandises originaires d'un Etat membre mais également aux
marchandises qui s'y trouvent en libre pratique au sens de l'article 24 (ancien article 10, paragraphe
1), à savoir les produits en provenance de pays tiers pour lesquelles les formalités d'importation ont
été accomplies et les droits de douane et taxes d'effet équivalent exigibles ont été perçus
définitivement dans cet Etat membre. La libre circulation est ainsi garantie pour des marchandises
ayant acquis un « statut douanier » de marchandises communautaires, indépendamment de leur
« origine » nationale ou communautaire. Les conditions d’acquisition de ce statut ont été précisées, à
partir de l’interprétation par la Cour de l’article 24 CE, par l’article 4, point 7) du code des douanes
communautaire71.

2.2.2. Portée territoriale : assurer la libre circulation dans l’ensemble de l’Union


douanière et du marché intérieur

L'interdiction des taxes d'effet équivalent étant un des corollaires de la libre circulation des
marchandises dans l'Union douanière, c'est le territoire douanier de cette Union qui doit lui servir de
référence géographique. On a toutefois vu que la Cour avait interprété l'acte d'adhésion de l'Espagne
comme permettant d'étendre directement ou indirectement aussi bien le champ d'application des
articles 23 et 25 que celui de l'article 90 aux échanges entre le territoire douanier de la Communauté
et celui de Ceuta (auquel on pourrait ajouter Melilla), alors même que ces échanges restent fondés

67
CJCE, 8 novembre 1979, Firma Denkavit Futtermittel, aff. 251/78, précité, pour l'article 9, devenu article 23 ; CJCE, 5
février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62, Rec. 1, pour l'article 12, devenu article 25.
68
CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, aff. 24/68, précité.
69
CJCE, 1er juillet 1969, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, aff. Jtes 2 et 3/69, précité.
70
CJCE, 20 avril 1978, Société les Commissionnaires Réunis et SARL Les fils de Henri Ramel, aff. jtes 80 et 81/77, Rec.
927.
71
Règlement (CEE) N° 2913/92 du Conseil du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JOCE L
302 du 19.10.1992, .1), modifié en dernier lieu par l’ Acte relatif aux conditions d'adhésion à l'Union européenne de la
République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République
de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de
Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JOCE L
236 du 23.9.2003).

10
sur l'origine préférentielle des marchandises et non sur leur statut de marchandises en libre pratique
au sens de l'article 24 du traité72.

Invoquant l'unicité du territoire douanier de la Communauté, la Cour a par ailleurs appliqué


l'interdiction à des impositions régionales ou locales applicables à des produits en provenance non
seulement d'autres Etats membres mais également d'autres parties du même Etat membre.

Cette jurisprudence s'est d'abord développée en ce qui concerne l'octroi de mer établi au profit des
DOM français73 pour s'étendre ensuite à une taxe communale perçue par des îles grecques du
Dodécanèse74 et à une taxe sur les marbres transportés hors du territoire de la commune italienne de
Carrare75.

Il s'agit là de l'évolution jurisprudentielle majeure des années quatre-vingt-dix. Il en résulte que la


qualification de taxe d'effet équivalant à un droit de douane peut s'appliquer à des impositions portant
sur un échange interne à un Etat membre. La Cour considère en effet que, d’une part, les auteurs du
traité ont présupposé l’inexistence de taxes d’effet équivalant à des droits de douane à l’intérieur des
Etats membres (ce qui expliquerait pourquoi ils n’ont fait référence qu’aux échanges interétatiques) et,
d’autre part, les articles 23 et 25 CE relatifs à ce volet interne de l’union douanière doivent désormais,
être lus en combinaison avec l’article 14 CE, qui définit le marché intérieur mis en place sur la base de
l’Acte unique sans faire aucune distinction entre frontières interétatiques et intraétatiques 76.

Dans cette dernière affaire, la Cour a toutefois tenu - comme pour se rassurer elle-même de sa
propre audace - à préciser que, « par ailleurs », la situation générée par la taxe litigieuse ne se
cantonnait pas à l’intérieur d’un Etat membre (arrêt, point 26). Quoique présenté comme surabondant
pour déclarer l’incompatibilité de la taxe, ce motif laisse toutefois planer un doute sur la portée de
cette jurisprudence : qu’en serait-il d’une taxe qui n’aurait d’effet que sur la circulation au sein d’un
même Etat membre (tels les anciens péages ou octrois) et n’affecterait nullement le commerce entre
Etats membres (par exemple, par le biais d’une exonération des marchandises en provenance ou à
destination d’autres Etats membres) ? Cela constituerait une forme de discrimination à rebours au
détriment des échanges internes, que la Cour s’est jusqu’à présent toujours refusée à sanctionner.

2.2.3. Portée temporelle et répétition des taxes indues

Les taxes d’effet équivalent étant interdite entre les Etats membres depuis la fin de la période prévue
pour leur suppression progressive, soit à l’importation (31 décembre 1969), soit à l’exportation
(31 décembre 1961), et les dispositions du traité en la matière ayant un effet direct, toute taxe
maintenue après ces dates est en principe indue et peut donner lieu à répétition, conformément aux
principes et aux limites établies par la Cour, selon laquelle "le droit d'obtenir le remboursement
perçues par un Etat membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le
complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant de
telles taxes77.

Toutefois, la Cour a parfois accepté, à la demande des Etats membres concernés et essentiellement
pour des motifs de sécurité juridique, de limiter dans le temps l’effet de ses arrêts établissant le
caractère de taxe d’effet équivalent d’une imposition. Elle fixe alors généralement comme point de
départ du droit à répétition la date du prononcé de son arrêt constatant la violation de l'interdiction,
sauf en ce qui concerne les personnes ayant introduit antérieurement leurs réclamations ou actions
en justice78. A noter qu’en ce qui concerne les taxes régionales ou locales de même nature que l’octroi
de mer, la Cour a limité les effets de ses arrêts uniquement à la période antérieure à l’arrêt
72
CJCE, 7 décembre 1995, CCIN de Ceuta, aff. C-45/94, précité.
73
CJCE, 16 juillet 1992, Legros, aff. C-163/90, Rec. I-4625 ; CJCE, 9 août 1994, Lancry ea, aff jtes C-363/93 et C-407 à
411/93, Rec. I-3957.
74
CJCE, 14 septembre 1995, Simitzi, aff. jtes C-485 et C-486/93, Rec. I-2655.
75
CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, précité.
76
CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, précité, points 22 à 24.
77
cf., pour l'octroi de mer des DOM, CJCE, 14 janvier 1997, Comateb e.a., aff. jtes C-192 à 218/95, Rec. I-165.
78
CJCE, 16 juillet 1992, Legros, aff. C-163/90, précité, pour l'octroi de mer.

11
« Legros », en estimant que postérieurement à cet arrêt les autorités créant ou maintenant de telles
taxes ne pouvaient ignorer qu’elles étaient incompatibles avec le droit communautaire 79.

3. LA DIMENSION EXTERNE DE L'INTERDICTION: LES TAXES D'EFFET ÉQUIVALENT DANS LES ÉCHANGES
AVEC LES PAYS TIERS

L'interdiction des articles 23 et 25 ne concerne pas les échanges avec les pays tiers et le traité ne
contient pas de dispositions explicites analogues applicables à ces échanges 80. La Cour a malgré tout
considéré qu'à compter de la mise en place du tarif douanier commun, une telle interdiction découlait
nécessairement de l'unicité de ce tarif et des exigences d'une politique commerciale commune81.

La réglementation agricole des organisations communes de marché prévoit généralement une


interdiction des taxes d'effet équivalent dans le commerce avec les pays tiers. La Cour a jugé que
cette notion devait être interprétée de manière analogue à celle qui est utilisée dans les échanges
entre les Etats membres82. Le Tribunal de Première Instance des Communautés a, de son côté, été
amené à juger que le montant perçu, en application du régime de l’Organisation Commune du Marché
du sucre, sur le « sucre C » produit en sus des quotas à la production et non exporté vers un pays
tiers, ne constitue ni un droit de douane, ni une imposition agricole à l’importation, ni une taxe d’effet
équivalent83.

La Communauté a conclu des accords de libre échange, d'association ou d'union douanière


comportant souvent une clause d'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, qui
doit également être interprétée de manière analogue à celle existant entre Etats membres 84.

La même approche a été retenue en ce qui concerne l’interdiction des taxes d’effet équivalent dans
les échanges entre la Communauté et ses pays et territoires d’outre-mer associés, même si ceux-ci
restent en-dehors du champ d’application des articles 23 et 25 CE, cette interdiction ayant été
"extrapolée" par la Cour à partir de celle des droits de douane85.

A noter que, dans le contexte de l'accord sur l'Espace Economique Européen et des unions
douanières avec la Turquie et Andorre, les parties se sont engagées à interpréter les dispositions des
accords "identiques en substance aux règles correspondantes du traité CE" (ce qui englobe
l'interdiction des taxes d'effet équivalent et des impositions intérieures discriminatoires ou protectrices)
conformément aux arrêts de la Cour rendus en la matière.

La portée matérielle et dans le temps de l'interdiction joue dans ces relations avec des pays tiers de
manière similaire à celle existant dans les échanges intracommunautaires.

79
CJCE, 14 septembre 1995, Simitzi, aff. jtes C-485 et C-486/93, précité, pour la taxe du Dodécanèse ; CJCE, 9
septembre 2004, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, précité, pour la taxe de la commune de Carrare.
80
CJCE, 1er juillet 1969, Social Fonds voor de Diamantarbeiders, aff. jtes 2 et 3/69, précité ; CJCE, 10 octobre 1978, H.
Hansen, aff. 148/77, Rec. 1787.
81
CJCE, 13 décembre 1973, Social Fonds voor de Diamantarbeiders, aff. jtes 37 et 38/73, Rec. 1609 ; CJCE, 7 novembre
1996, Cadi Surgelés, aff. C-126/94, Rec. I-5647, pour l'octroi de mer ; CJCE, 21 octobre 2004, Commission c/ République
hellénique, aff. C-426/02, à propos d’une redevance pour l’authentification des factures d’importation de produits
pharmaceutiques.
82
CJCE, 4 avril 1968, Tivoli, aff. 20/67, précité ; CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, aff. 24/68, précité ; CJCE, 9
juillet 1975, I. Schroeder KG, aff. 21/75, Rec. 905.
83
TPI, 7 décembre 2004, KCC c/ Commission, aff. T-240/02.
84
CJCE, 5 février 1976, Conceria Daniele Bresciani, aff. 87/75, Rec. 129 ; CJCE, 16 juillet 1992, Legros, aff. C-163/90,
précité ; CJCE, 5 octobre 1995, Aprile, aff. C-125/94, précité ; TPI, 22 janvier 1997, Opel Austria c/ Conseil, aff. T-115/94,
Rec. ii-39.
85
CJCE, 12 février 1992, B. Leplat, aff. C-260/90, Rec. I-643.

12
4. L’AVENIR DE LA NOTION DE TAXE D’EFFET ÉQUIVALENT DANS LE MARCHÉ INTÉRIEUR ET LA
CONSTITUTION POUR L’EUROPE

4.1. Les limites de la jurisprudence au regard des traités

L'ampleur de la jurisprudence relative aux taxes d'effet équivalent montre quelle construction juridique
la Cour est en mesure d'établir à partir de quelques articles du traité ou du droit dérivé lorsqu'il s'agit
de leur donner leur plein effet au regard des objectifs fondamentaux de la Communauté. Il n'en reste
pas moins que plusieurs zones d'ombre demeurent en ce qui concerne l'interprétation et la mise en
œuvre concrète de ces principes.

Bien sûr, la jurisprudence "octroi de mer" et ses avatars représentent une avancée significative, en
étendant le principe de libre circulation des marchandises, sous son volet tarifaire, à la fiscalité
régionale. Le nouveau lien établi entre interdiction des taxes d’effet équivalent et marché intérieur
manifeste à cet égard une certaine audace (cf. le point 2.2.2). Elle demeure toutefois enfermée dans
les contraintes propres au nécessaire « effet douanier » de la taxe : il aurait ainsi suffi d’un
assujettissement symbolique et discriminatoire des marbres livrés dans le territoire de la commune de
Carrare pour faire de la taxe visée par l’arrêt Carbonati Apuani86 une imposition intérieure
(discriminatoire) relevant des articles 90 et 91 CE au lieu d’une taxe d’effet équivalant à un droit de
douane.

La frontière entre taxe d'effet équivalent et imposition intérieure reste notamment encore bien
fluctuante en l'absence de production nationale ou en cas de retour de taxe au profit du produit
national. Parfois, comme dans son arrêt Dounias87, la Cour elle-même préfère ne pas choisir entre les
deux qualifications, sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit d'une curiosité juridique ou le point de
départ d'une nouvelle ligne jurisprudentielle

Il semble que le juge communautaire n'ait pas pu, ou pas voulu, pousser jusqu'au bout la logique du
marché intérieur et garantir que, malgré des systèmes fiscaux nationaux demeurant distincts, toute
marchandise devrait être objectivement taxée, d'où qu'elle vienne et où qu'elle aille dans la
Communauté, de manière identique. La Cour ne dispose certainement pas d'une marge de
manœuvre suffisante dans le traité amendé à Maastricht puis consolidé à Amsterdam pour faire
complètement fi de la traditionnelle ligne de partage, qu’elle a elle-même consacrée, entre taxes
d’effet équivalent et impositions intérieures discriminatoires. Peut-être a-t-elle également eu le souci
de ne pas révolutionner une matière bien établie.

4.2. L'union douanière dans la Constitution pour l'Europe

Le projet de Constitution pour l’Europe offrait dès lors une opportunité unique de reconsidérer cette
distinction entre les deux interdictions, certes classique mais de moins en moins satisfaisante sur le
plan opérationnel, et de revoir également la place de ces concepts dans l’architecture du traité. Il
aurait toutefois fallu, pour ce faire, aller au-delà de ce qui apparaît comme une simple consolidation
des acquis de l'union douanière.

Dans la Constitution, la « libre circulation des marchandises » constitue, à juste titre, une section 3 du
chapitre I relatif au « marché intérieur », au sein du titre III relatif aux « politiques et actions internes ».
Malheureusement, cette section se réfère toujours à l’union douanière dans son ensemble, alors que
le volet spécifiquement « douanier » de celle-ci (le tarif douanier commun, auquel vient désormais
s’ajouter la coopération douanière, actuellement visée à l’article 135 CE) a par définition une vocation
externe et fait partie intégrante de la politique commerciale commune.

La législation douanière se retrouve ainsi toujours écartelée entre politiques internes (marché intérieur
et libre circulation des marchandises) et actions extérieures (politique commerciale commune) alors
que l'interdiction des taxes d'effet équivalent n'est pas définitivement incorporée dans un principe
général de non discrimination tarifaire et fiscale au sein de la Communauté.

86
CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, précité.
87
CJCE, 3 février 2000, C. Dounias, aff. C-228/98, précité

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4.2.1. L'impossible unification de la législation douanière à usage externe

Les dispositions douanières ont en effet, qu’il s’agisse du tarif douanier commun, de la réglementation
douanière ou de la coopération douanière, une vocation externe par nature, qu’elles résultent d’une
législation autonome ou d’accords internationaux. Elles n’ont pas grand-chose à voir avec le marché
intérieur, hormis le fait qu’elles ont disparu des échanges intracommunautaires lors de la mise en
place de celui-ci. Elles n'en constituent même pas le volet externe puisque le marché intérieur n'a pas
vocation à régir les échanges internationaux. Il est donc regrettable que la solution retenue par la
Constitution fasse perdurer le paradoxe actuel qui veut que de nombreuses dispositions douanières,
ayant pourtant des objectifs et un contenu similaires, relèvent du marché intérieur lorsqu’elles sont
adoptées de manière autonome (dans le cadre du code des douanes communautaire en particulier) et
de la politique commerciale lorsqu’elles résultent de conventions internationales. La réglementation
douanière continuera comme par le passé à être régie par des bases juridiques différentes dans la
mesure où on devra toujours la rattacher soit au tarif douanier, soit au marché intérieur, soit à la
politique commerciale.

L’approche la plus conforme à l’état actuel et aux progrès attendus du marché intérieur comme de la
politique commerciale eut été de ne conserver sous le chapitre I du titre III que les dispositions
relevant effectivement de la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur et de
transférer sous le titre V, relatif à l’ « action extérieure de l’Union » et en particulier à la politique
commerciale commune (chapitre III), toutes les dispositions à portée douanière, avec les bases
juridiques nécessaires à l'adoption du droit dérivé. Cela n’eut pas exclu de continuer à faire relever
l'adoption d'une partie de ces dispositions dérivées de la "procédure législative ordinaire" (qui
correspond à l'actuelle procédure de codécision entre le Parlement et le Conseil); il eut pu en être
ainsi, notamment, des dispositions à caractère plus opérationnel, touchant directement aux relations
entre les administrations douanières et les citoyens européens, relatives à l'organisation douanière,
aux formalités, aux contrôles et à la coopération en matière douanière ainsi qu'au droit de recours et
aux sanctions administratives.

4.2.2. L'impossible fusion des interdictions à usage interne

En outre, la section 3 du chapitre I du titre III n’intègre pas l’interdiction des impositions intérieures
discriminatoires ou protectrices, qui continue comme par le passé à relever d’une section 6 distincte,
consacrée aux « dispositions fiscales ». La Cour a pourtant constamment affirmé que les articles 90
et 91 CE jouaient un rôle essentiel d’auxiliaires de la libre circulation des marchandises. Comme celui
des articles 23 et 25 CE pour les taxes d’effet équivalent, ce rôle doit désormais s’exprimer au sein du
marché intérieur. Dans les deux cas, malgré tout, la Constitution continue à se référer aux notions
d’importation et d’exportation entre Etats membres, alors même que l’abolition des frontières
intérieures a rendu ces concepts sans objet.

Comme indiqué précédemment, la double interdiction des taxes d’effet équivalant à des droits de
douane et des impositions intérieures discriminatoires ou protectrices aurait pu être résumée en un
seul principe de non discrimination des livraisons de marchandises dans le marché intérieur, prohibant
à l’égard des marchandises communautaires toute mesure tarifaire ou fiscale, à portée nationale,
régionale ou locale, à caractère protecteur ou discriminatoire, indépendamment du franchissement de
frontières qui n’ont en tout état de cause plus lieu d’être.

4.2.3. De l'union douanière de la Communauté européenne à l'Union européenne,


entité douanière unique?

La principale objection à une séparation nette, dans le traité constitutionnel, entre aspects tarifaires
internes et externes, aurait pu trouver sa source dans les exigences de l’OMC, en particulier celles de
l’article XXIV, 8, sous a) du GATT : il s’agit toutefois là d’exigences de substance et non de forme :
pourvu que les volets interne et externe de l’union douanière soit garantis par la Communauté, rien
dans le GATT ne lui impose de faire figurer les dispositions relatives à l’un et à l’autre dans une même
section de sa Constitution !

Au risque d’être jugé un peu provocateur, on pourrait même aller jusqu’à se demander si l’Union
européenne, avec sa personnalité juridique (article I-7) et sa compétence exclusive en matière d'union
douanière et de politique commerciale commune (article I-13), qui en fait d'ailleurs un membre de
plein droit de l'OMC, devrait encore être traitée comme un simple accord d’intégration économique

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régionale au sens de l’article XXIV du GATT. Elle a depuis bien longtemps dépassé le stade d'une
union douanière d'Etats pour devenir une entité douanière à part entière.

De ce point de vue, l'interdiction des droits de douane et taxes d'effet équivalent mais également des
restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent entre les Etats membres constitue une affaire
interne à l'Union, qui ne devrait regarder qu'elle-même. Elles ne devrait plus continuer à être
présentée – surtout dans un traité constitutionnel - comme la concrétisation du respect d'un statut
d'union douanière résultant d'obligations internationales contractées au GATT dans un contexte qui
n'est plus d'actualité.

Le rejet du projet de Constitution, suite aux référendums français et néerlandais rend désormais ces
considérations largement théoriques, voire historiques. Toutefois, les traités européens n’ont jamais
cessé d’évoluer au fil de la construction communautaire. Avec ou sans Constitution, ils continueront
nécessairement à le faire, ne serait-ce que pour assurer le fonctionnement et donc la pérennité d’un
ensemble de plus en plus vaste et divers. Autant d’opportunités nouvelles pour que l’Union
européenne soit enfin reconnue comme une « entité douanière unique » et non plus comme une
simple « union douanière améliorée » et que lui soient fournis les moyens juridiques et matériels de sa
politique.

 Bibliographie :

BARENTS R., "Charges of equivalent effect to customs duties", in CML ReV, 1978, p. 415 – BOULOUIS J. et CHEVALLIER R.-
M., Grands arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes, Paris, Dalloz, t. I, 191, 5e éd., p. 4 – FOREST L., "Les
taxes d'effet équivalent à des droits de douane", in L'Observateur de Bruxelles, Dossier spécial "La libre circulation des
marchandises", N° 17, mars/avril 1996, p. 15 - GIFFONI M., "Les taxes d'effet équivalant à des droits de douane selon le droit de
la Communauté européenne", in Réflexions offertes à Paul Sibille, Bibliothèque de l'Ecole supérieure des sciences fiscales,
Bruxelles, 1981, p. 613 – GRAVE J.-M., "Les impositions intérieures discriminatoires", in L'Observateur de Bruxelles, Dossier
spécial "La libre circulation des marchandises", N° 17, mars/avril 1996, p. 16 – GRAVE J.M., Douanes et accises, Guide Fiscal
Permanent, Partie IV, Ed. Kluwer, tiré à part 2004, n° 1785s. – MATTERA A., Le Marché unique européen. Ses règles, son
fonctionnement, Paris, Jupiter, 1990, 2e éd., p. 33 – MURATORI A., "Les taxes d'effet équivalent à des droits de douane", in Diritto
ePratica Tributaria, 1980, p. 67 – PRAHL H., "Les taxes d'effet équivalant à des droits de douane par rapport aux impositions
intérieures", in Revue de Droit de l'ULB, vol. 19, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 91 - VANDERSANDEN G., "Les droits de
douane et les taxes d'effet équivalent", in Commentaire Mégret, Bruxelles, ULB, vol. 1, 1992, 2e éd., p. 81 - VAN RAEPENBUSCH
S., "Les taxes d'effet équivalant à des droits de douane", in RMC, 1983, p. 492 – WEILER J.H.H. & KOCJAN M., "Discriminatory
taxation and measures having an effect equivalent to customs duties", NYU School of Law, 2003 – WOOLRIDGE F. et PLENDER
R., "Charges having an effect equivalent to customs duties: a review of the cases", in EL Rev., 1978, p. 101.

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