Vous êtes sur la page 1sur 76

Droit européen matériel

Mme. Catherine Grynfogel – 2021/2022

Le droit matériel ou droit substantiel est la discipline qui porte sur le fond du droit. Cet
enseignement portera donc sur l’étude es règles de fond de l’Union européenne. Il se distingue
de celui du droit institutionnel de l’UE qui régit la constitution et le fonctionnement de l’Union
européenne à travers ses institutions. Plus précisément, cet enseignement s’articulera dans
un premier temps par une étude des règles régissant le marché intérieur (la libre circulation
de marchandises, de personnes, de services et de capitaux, en fonction de leur importance),
l’objectif fondamental et l’essentiel de l’activité de l’Union européenne. Ensuite, l’on examinera
les règles de concurrence, conçues comme un moyen de réalisation du marché intérieur. Ces
deux parties ensemble correspondent à ce qu’on appelle le «droit européen des affaires» mais
un panorama du droit européen matériel peut s’enrichir de l’étude de certaines politiques
européennes
Modalités d’évaluation
Examens normaux (question de cours) mais SI examens à distance (question de réflexion pas
trop compliquée). L’on fait un oral-écrit (1H pour composer).

Introduction
A. Le marché intérieur

1. Le champ d’application territorial du droit de l’UE


Le droit européen a connu un développement très important puisque son champ d’application
n’a jamais cessé de s’élargir depuis la création des communautés européennes. Tout d’abord,
il s’applique aux 27 États membres de l’Union européenne et il s’étend aux eaux territoriales,
aux eaux maritimes intérieures et à l’espace aérien desdits États membres mais il ne
s’applique pas aux eaux intérieures maritimes et à l’espace aérien des territoires exclus du
territoire douanier de l’Union européenne.
Il ne coïncide pas exactement avec l’ensemble des territoires nationaux. D’une part, en effet,
certaines parties du territoire de certains États membres bénéficient d’un régime spécifique,
par exemple, les régions dites ultrapériphériques sont soumises au droit de l’UE, lequel est
adapté en cas de besoin afin de compenser leurs éventuels handicaps (la Guadeloupe, la
Guyane française, la Réunion) alors que les territoires d’outre-mer et les collectivités
territoriales de la République bénéficient d’un régime spécial d’association (la Nouvelle
Calédonie, la Polynésie, Mayotte, Wallis et Futuna ou Saint Pierre et Miquelon). D’autre part,
d’autres territoires qui ne relèvent pas de la souveraineté d’un Etat membre font cependant
partie du territoire douanier européen par le biais d’accords internationaux. Le plus souvent, il
s’agit encore d’associations comme notamment celui ayant été conclu avec la Turquie en 1963
ou encore les accords méditerranéens signés avec les pays du Maghreb. Le plus intéressant
de ces accords est celui de Porto du 2 mai 1992, entré en vigueur en 1994 et qui a créé
l’Espace économique européen (EEE). L’accord de Porto a institué un marché unique visant
à faciliter les échanges entre la Communauté et les pays de l’AELE (Association européenne
de libre-échange). Porto va au-delà d’un simple accord d’association non seulement parce
qu’il concerne globalement l’ensemble des États de l’AELE (dont la Norvège, l’Islande et le
Liechtenstein) mais surtout parce qu’il transpose dans les rapports entre toutes les parties
contractantes les quatre (4) libertés sur lesquelles repose le marché intérieur de même que
certaines politiques européennes dont la concurrence, la protection des consommateurs, les
transports, etc. Cependant, il ne s’agit pas d’une union douanière, puisque l’EEE ne comporte
ni tarif douanier commun ni politique commerciale commune.
2. Le champ d’application matériel du droit de l’UE
Dès l’origine les traités contenaient des dispositions de droit matériel qui régissaient les
activités des trois communautés originelles créées par le traité de Rome du 25 mars 1957 (à
savoir, la CECA, l’EURATOM et la CEE). Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, crée
l’UE qui, à l’époque, reposait sur trois piliers : le pilier dit communautaire avec la CEE qui est
devenue au fil du temps la CE (Communauté européenne qui a dépassé les buts économiques
de la CEE), le pilier dit de la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) et le pilier dit
de la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (CIAJ).
Le droit communautaire, celui du premier pilier, s’imbriquait avec les deux autres, la
Communauté constituant l’un des fondements de l’UE. Il faut préciser que la construction en
piliers était plutôt obscure et elle a été supprimée en même temps que la CE par le traité de
Lisbonne du 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1 er décembre 2009. Il reste la seule Union
européenne ayant acquis la personnalité juridique autrefois conférée à la CE et qui est régie
par deux traités, le TUE (Traité sur l’UE) et le TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’UE). Le
traité de Lisbonne n’a pas vraiment modifié le droit matériel européen, la discipline a été très
peu touchée sous réserve de quelques adaptations et, notamment, d’une nouvelle
numérotation (ayant changé trois fois, à Rome, à Amsterdam et finalement à Lisbonne).
Le TUE a conservé son intitulé tandis que le Traité instituant la Communauté européenne (le
traité de Rome initial) est devenu le TFUE. Ces deux traités ont la même valeur juridique mais
leurs objets diffèrent. Le TUE définit le cadre général de l’UE et il impose les principes
essentiels et les objectifs, par exemple, le principe de subsidiarité (art. 5 TUE). Il pose aussi
la reconnaissance de la valeur de la Charte des Droits fondamentaux et la décision de faire
adhérer l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ainsi que les
coopérations renforcées avec certains États membres. Le TFUE reprend l’essentiel du traité
initial, celui de Rome. Comme son nom l’indique, le TFUE régit le fonctionnement quotidien de
l’UE et il a fusionné les trois piliers qui étaient jusqu’alors dissociés.
Depuis l’origine les traités ont toujours visé l’intégration économique et juridique dans un
marché commun au moyen des règles communes et/ou harmonisées mais l’Acte unique
européen (1986), le premier traité réformateur, a introduit une notion nouvelle, celle de marché
intérieur, définie comme un espace sans frontières intérieures, espace dans lequel la libre
circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doit être assurée.
La question était celle de savoir s’il s’agissait de deux notion distinctes ou d’une seule formulée
différemment. La CJCE (actuellement, la CJUE depuis 2009 et Lisbonne) a tranché la question
en considérant que «le marché commun vise à l’élimination de toutes les entraves aux
échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché
unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d’un véritable marché
intérieur» dans l’arrêt CJCE, 5 mai 1982, Schul. L’on peut en conclure, finalement, que ces
diverses formules s’appliquent finalement à un processus continu de réalisation d’un même
projet : le marché commun aboutit à un marché unique lequel s’identifie lui-même à un marché
intérieur, celui-ci faisant l’objet des compétences partagées entre l’UE et ses États membres.
3. L’union douanière
Lorsqu’on veut établir un marché intérieur on doit faire tomber les obstacles que les frontières
nationales opposent à la libre circulation des marchandises et des services, l’idée étant de
substituer aux marchés nationaux un vaste marché non morcelé, non cloisonné, auquel toutes
les personnes et toutes les entreprises des États membres doivent accéder. A l’intérieur de ce
marché intérieur, ce marché suppose la suppression des droits de douane et des quotas à
l’importation et à l’exportation des marchandises. Lorsqu’une marchandise peut circuler
librement, elle peut passer sans obstacle d’aucune sorte, elle ne paie aucune taxe et les États
ne se voient pas imposés des quotas (de la quantité de ce que chaque Etat peut vendre). Il
faut, donc, supprimer tous les obstacles (les droits de douane, les quotas, les contingents,
etc). Ce marché intérieur sous-tend aussi une union douanière qui se matérialise par
l’institution d’un tarif douanier commun dans les rapports avec les États tiers, ce qui renvoie à
un territoire douanier européen et commun. Une marchandise tierce (chinoise, par exemple)
qui rentre dans l’UE paiera les mêmes taxes partout (qu’elle rentre par l’Espagne ou par la
France). Sans le tarif douanier commun, les conditions d’approvisionnement ou de débouchés
des entreprises varieraient selon les conditions de l’Etat membre dont elles relèvent.
Cette union douanière s’étend à l’ensemble des échanges des marchandises dont la CJUE a
donné une définition. Selon la CJUE les marchandises sont «les produits appréciables en
argent et susceptibles comme tels de former l’objet d’une transaction commerciale» dans
l’arrêt CJCE, 8 décembre 1968, Commission c/ Italie. Les marchandises sont des produits
originaires des États membres mais elles sont aussi des produits mis en «libre pratique» (art.
29 TFUE), des produits issus d’un pays tiers mais pour lesquels les formalités d’importation
ont été accomplies et les droits de douane exigibles (déterminés par le tarif douanier commun)
ont été perçus. Une fois qu’elle a souscrit toutes ces formalités, la marchandise est rentrée
régulièrement dans l’UE et elle est assimilée aux produits originaires de l’UE, c’est ce qu’on
appelle la mise en libre pratique. Dorénavant, ces produits bénéficient de la liberté de
circulation. Par exemple, si un produit chinois rentre dans l’UE par la France et est mis en libre
pratique, il pourra circuler partout dans l’UE sans payer des droits de douane, en bénéficiant
de la liberté de circulation comme s’il avait été européen à la base. Ces produits mis en
pratique ne peuvent pas faire l’objet de nouveaux contrôles, ils circulent librement de la même
façon qu’une marchandise européenne.
S’agissant du tarif douanier commun, il distingue l’union douanière d’une simple zone de libre-
échange. Effectivement, dans la zone de libre-échange, le désarmement douanier s’applique
seulement aux échanges à l’intérieur de la zone mais chacun des États membres conserve
son autonomie à l’égard des pays tiers (cf. Mercosur). Dans l’union douanière, les États
membres abandonnent l’essentiel de leur souveraineté douanière. Sa mise en place implique
que les produits issus des pays tiers supportent des droits de douane identiques quel que soit
l’Etat membre par lequel ils vont pénétrer dans l’UE.
B. Les objectifs du marché intérieur
Le traité de Rome a mis en place une union économique, dans laquelle l’économie est mise
au service d’intérêts supérieurs, lesquels sont énoncés dans le préambule du TUE et du TFUE,
de même qu’à l’article 2 du TUE. Il s’agit notamment de bien être, de progrès et des
rapprochements des peuples. L’économie est le moteur de l’intégration et, d’ailleurs, il est
souvent fait appel (notamment en droit européen de la concurrence) à des notions qui sont
peu familières aux juristes (par exemple, on parle d’efficience économique, d’allocation
efficace des ressources, d’économies d’échelle). A partir de là, l’on peut identifier trois finalités
de la discipline :
▪ Le décloisonnement, puisque le droit européen matériel doit permettre de
décloisonner le marché européen, c’est-à-dire, qu’il doit permettre de supprimer les
frontières au sein dudit marché. Le cloisonnement peut résulter des mesures étatiques
ou des comportements d’entreprises dans leur intérêt propre mais il reste l’ennemi
mortel de la construction européenne, ce qui permet de comprendre l’interdiction, par
exemple, des taxes d’effet équivalent à des droits de douane. Les traités sont
pragmatiques et interdisent «les droits de douane ainsi que les taxes qui génèrent un
effet identique à celui des droits de douane», où l’on se rend compte du pragmatisme
inhérent au droit européen. Les États membres se doivent de suivre les règles du jeu,
dont la non-discrimination en raison de la nationalité (la règle la plus importante de la
construction européenne), on ne peut pas traiter mieux la marchandise nationale que
celle qui vient d’ailleurs. Si la marchandise importée paye une taxe, par exemple, la
marchandise nationale doit payer exactement la même taxe. Cela dit, le cloisonnement
dans certains cas peut être admis au nom de l’intérêt général (et toujours au nom du
pragmatisme).
Le droit européen est indépendant des diverses conceptions ou catégories nationales, le juge
européen doit toujours interpréter les notions européennes de façon européenne, c’est-à-dire,
qu’il doit les interpréter à la lumière des objectifs du traité. Il en résulte que les interprétations
nationales ou encore que les modes d’organisation nationaux importent peu, une entreprise
en droit européen est «une entité, quelle qu’elle soit qui exerce une activité économique».
Un avocat, par exemple, en droit européen est considéré comme une entreprise ainsi qu’un
syndicat ou des chanteurs d’opéra, tout cela parce qu’ils exercent une activité économique, ce
qui se détache complètement des conceptions juridiques françaises.
▪ L’efficience économique et la démocratie économique sont les deux autres
finalités. Les préambules des deux traités l’énoncent clairement : la satisfaction des
utilisateurs finaux et des consommateurs est l’un des objectifs poursuivis par les traités,
objectif que l’on peut qualifier de démocratique. Mieux encore, il s’agit d’un objectif
transversal, ce qui signifie que les idées qu’elle défend doivent se retrouver dans toutes
les politiques européennes, qu’il s’agisse des politiques agricoles communes, des
politiques de transport, d’environnement, de concurrence ou de n’importe quelle autre
politique, le bien-être du consommateur doit toujours être pris en compte. En d’autres
termes, la recherche de la meilleure efficacité économique doit profiter au plus grand
nombre de personnes qui sont placées au bout de la chaîne économique, ce qui
explique la constante interprétation finaliste ou téléologique par la CJUE des règles
européennes. Cependant, il faut rappeler que le juge national est le juge de droit
commun du droit européen, d’où l’existence des questions préjudicielles adressées à
la CJUE qui a une compétence exclusive pour l’interprétation des traités. Les
juridictions du fond peuvent poser des questions à la CJUE mais lorsqu’il s’agit des
juridictions suprêmes, il ne s’agit plus d’un pouvoir mais d’un devoir, elles doivent
soulever des questions préjudicielles à la CJUE.

C. La concurrence
La concurrence est le second versant du droit matériel européen. La fondation du marché
intérieur est le premier versant et elle suppose qu’une concurrence égalitaire existe entre les
entreprises qui veulent y proposer ou, inversement, s’y procurer des biens et/ou des services.
Cette égalité est évidemment nécessaire au fonctionnement de tout marché, qu’il soit national
ou transnational, mais l’on comprend bien qu’elle revêt une importance toute particulière dans
l’UE. En effet, l’égalité a pour fonction propre la reconstitution des cloisonnements nationaux
qui ont, en principe, disparu grâce aux quatre libertés déjà mentionnées. Le droit de la
concurrence a joué un rôle moteur dans la construction européenne, il est l’un des garants de
la compétitivité de l’économie européenne malgré un contenu parfois fluctuant et une
dimension parfois complexe pour les opérateurs économiques. En matière de concurrence,
l’on trouve beaucoup de règlement édictés par la Commission européenne, qui est le maître
du droit européen de la concurrence.
Ces règles ont servi de modèle à de nombreux pays émergents qui souhaitaient adopter une
législation interne de la concurrence. Par exemple, en droit français et en droit européen, l’on
trouve l’interdiction des abus de position dominante (une entreprise trop forte dans le marché
qui peut évincer ses concurrents) et l’interdiction des ententes anticoncurrentielles entre les
entreprises. La partie qui dépasse, côte européen, ce sont les règles de concurrence
applicables aux États. Tel est le cas des aides d’Etat (lorsqu’un Etat qui, dans le but de sauver
ses entreprises, va leur donner de quoi subsister pour qu’elles continuent d’être sur le marché)
qui choquent, a priori et au regard de l’idée européenne, puisque chaque Etat membre va aider
ses propres entreprises, ce qui rompt l’égalité entre les entreprises, les États vont à l’encontre
de la conception européenne de la concurrence. Le principe demeure celui de l’interdiction
des aides d’Etat même s’il existe quelques aides de plein droit et qu’on peut octroyer des aides
sous réserve d’autorisation de la Commission européenne. Même d’ailleurs lorsqu’une aide
est autorisée, elle ne l’est que si l’entreprise est viable et que les difficultés qu’elle traverse
soient passagères. On peut déduire que la concurrence est un domaine dans lequel l’UE a pu
s’imposer en tant que puissance normative au-delà de ses propres frontières. Pour les parties
de ce droit qui coïncident (les pratiques anticoncurrentielles), ce sont des normes quasiment
identiques (règle française/règle européenne), pour des mêmes infractions, il existe deux
corps de règles.
Cependant, ce qui diffère entre les deux types de règles sont leur champ d’application. S’il
s’agit d’une entente franco-française, l’on va considérer qu’elle relève du droit français (et on
appliquera l’article L421 du Code de commerce) alors que s’il s’agit d’une entente franco-italo-
espagnole, il y aura une affectation du commerce intra-européen et, de ce fait, on appliquera
le droit européen de la concurrence (art. 101, paragraphe 1 TFUE). Le problème c’est que le
droit européen de la concurrence se contente d’une simple possibilité d’affectation du marché
intra-européen. Par exemple, en 2008, trois opérateurs de la téléphonie mobile furent
condamnés du fait d’une stagnation de prix, l’on a constaté que ces trois entreprises avaient
commis une infraction d’entente, ces opérateurs s’étaient entendus sur le prix (toujours à la
hausse) et s’étaient mis d’accord sur le partage du marché (ce qui est très grave au regard du
cloisonnement, chaque entreprise prenant une partie de la France). L’affaire est démantelée
et le Conseil de la concurrence (l’actuelle Autorité de la concurrence qui rend des décisions et
non pas de jugements) condamne ces trois entreprises, une AAI ayant des fonctions para-
juridictionnelles et un appel est formé puisqu’elles avaient été condamnées non seulement sur
le fondement d’un texte français mais également du texte européen correspondant (les
entreprises concernées ayant conformé une entente exclusivement française). Les entreprises
font valoir qu’elles ont été condamnées sous le visa d’un texte européen qui n’avait pas
finalement lieu d’être puisque ce texte n’est appliqué que lorsqu’il existe une possibilité
d’affectation du marché intra-européen. La Cour d’appel de Paris répond aux acteurs de la
téléphonie mobile que le Conseil de la concurrence a très bien fait de se prononcer ainsi
puisque même si l’entente est franco-français et que le marché de la téléphonie mobile est
plutôt national mais, qu’en même temps, l’entente en question a compliqué encore plus les
choses pour un éventuel opérateur économique d’un autre Etat membre qui aurait pu souhaiter
se présenter sur le marché français, d’où la susceptibilité d’affectation du commerce intra-
européen. Cela étant dit, l’argument de l’appel était un peu faible puisque la condamnation
reste la même, les règles s’étant rejointes.
La concurrence n’est pas à appréhender, cependant, par le droit de l’UE comme une fin en soi
mais comme un instrument, comme un moyen visant à servir d’autres fins, à savoir, les
objectifs socio-économiques énoncés par les traités (bien-être, meilleure allocation de la
richesse, etc). Il est vrai que cette approche avait été abandonnée avec le Traité constitutionnel
européen (TCE) qui avait érigé la concurrence en tant qu’objectif de l’UE mais, suite à l’échec
du TCE, Lisbonne a remis la concurrence à sa place initiale. L’on peut même dire que la
politique de concurrence est sortie renforcée du traité de Lisbonne, puisque le rôle de la
Commission européenne a été valorisé plus encore, ses compétences propres en la matière
ayant été reconnues et consolidées. L’action législative en matière de concurrence participe
des compétences exclusives de l’Union européenne, les États n’interviennent pas. S’agissant
d’une concentration d’entreprises, avant de procéder, on doit soumettre l’opération à la
Commission européenne qui à elle seule peut apprécier la concentration d’entreprises.
Lorsque Bruxelles s’oppose à un rachat, la Commission européenne a examiné le dossier et
a considéré que le projet pourrait affecter le principe de concurrence égalitaire. Les refus de
concentration restent rares parce que la procédure devant la Commission a une partie formelle
et informelle, puisque les parties et la Commission échangent tout au long de l’examen afin
d’améliorer le projet, les parties pouvant le rectifier afin d’obtenir l’accord de la Commission.
En guise de conclusion, il faut aborder deux principes :
▪ Le principe de proportionnalité qui s’applique dans l’exercice de toutes les
compétences de l’UE. L’article 5, paragraphe 4 de l’UE dispose que «le contenu et la
forme de l’action de l’Union n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les
objectifs du présent traité». La CJUE en a même fait un PGD (principe général du droit)
dans l’affaire CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG [Cassis de Dijon]. Ce principe
signifie que les institutions européennes ne doivent pas imposer aux opérateurs
économiques des obligations ou des charges qui excèdent, ce qui est nécessaire pour
atteindre les objectifs de l’UE. Cela veut dire que si l’on a le choix entre deux mesures
à efficacité égale, il faudra toujours choisir la mesure la moins contraignante.

▪ Le principe de subsidiarité est, quant à lui, utilisé pour réguler le partage des
compétences entre l’UE et les États membres (lorsqu’il existe compétence partagée).
Il concerne, donc, l’exercice des compétences partagées. L’article 5, paragraphe 3 du
TUE dispose que l’Union intervient dans tel ou tel autre domaine «seulement si et dans
la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière
suffisante par les États membres», l’Union européenne, donc, n’intervient que si les
États membres pris individuellement ne peuvent pas atteindre les objectifs fixés dans
les traités ou bien lorsqu’une action commune est plus efficace que plusieurs actions
individuelles prises au niveau national.
Partie I
Le droit du marché intérieur
Il existe quatre libertés de circulation : les marchandises, les personnes, les services et les
capitaux.
Titre I
La libre circulation des marchandises

L’article 28 du TFUE dispose que «l’Union comprend une union douanière qui comporte
l’interdiction entre les États membres des droits de douane à l’importation et à l’exportation et
de toute taxe d’effet équivalent à des droits de douane». La première étape a donc été la
réalisation de l’union douanière et la suivante a été la suppression des obstacles aux échanges
à l’intérieur de l’UE. A propos des obstacles de nature pécuniaire, cela signifie la suppression
par chaque Etat membre des droits de douane, pour les droits de douane, cette suppression
a été effective le 1er juillet 1968, ayant été réalisée plus vite que prévu. Cependant, il existe
une règle visant les obstacles non pécuniaires, il s’agit de l’interdiction des restrictions
quantitatives (les quotas et les contingents imposés) qui, quant à elles, sont interdites.
Chapitre I
L’élimination des mesures d’entrave pécuniaire (TEE)
L’achèvement du marché intérieur ne pouvait pas se cantonner à la suppression des droits de
douane parce que les États membre peuvent développer diverses formes de résistance aux
échanges, lesquelles peuvent exercer une influence sur le mouvement des marchandises.
Ces pratiques sont discrètes, elles sont même invisibles mais elles permettent aux États de
conserver des postures protectionnistes qui sont, par essence, interdites.
Selon l’article 28 du TFUE, l’Union comprend une union douanière qui s’étend à l’ensemble
des échanges des marchandises et comporte l’interdiction entre les États membres des droits
de douane et de toute taxe d’effet équivalent. Le traité a donc tout d’abord prévu la suppression
des droits de douane, laquelle suppression a été effective le 1er juillet 1968 entre les premiers
six États fondateurs au cours de la période de transition et même plus vite que prévu puisque
le traité avait prévu la suppression pour le 31 décembre 1969. Le traité ajoutait l’interdiction
des TEE, une interdiction contenue dans les articles 28 et 30 dudit TFUE.
Section I – La notion des TEE
Par cette formule, les rédacteurs du traité ont entendu viser toutes les taxes qui, bien que non
qualifiées des droits de douane, peuvent frapper des produits importés (et uniquement ceux-
ci) générer, donc, un effet dissuasif et, de ce fait, rendre difficile, voire impossible leur entrée
sur un marché national.
A. La définition de la TEE
Dans un premier temps, la CJCE a défini les TEE comme étant «des mesures qui présentaient
sous d’autres appellations ou introduites par le biais d’autres procédés aboutiraient aux
mêmes résultats discriminatoires ou protecteurs que des droits de douane», définition issue
de la jurisprudence CJCE, 14 décembre 1962. Puis, la Cour a retenu une définition plus large,
reprise depuis lors dans l’arrêt CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, où le juge européen
nous dit «qu’une charge pécuniaire fut elle minime, unilatéralement imposée, quel que soit son
appellation ou sa technique et frappant les marchandises nationales ou étrangères en raison
du fait qu’elles franchissent la frontière constitue une TEE alors même qu’elle ne serait pas
perçu au profit de l’Etat, qu’elle n’exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le
produit imposé ne se trouverait pas en concurrence avec un produit national».
Les deux définitions en question ont permis aux opérateurs économiques de contester toute
sorte de taxe, parfois, en saisissant la Commission de plaintes de nature à lui faire engager
un recours en manquement contre l’Etat concerné ou, parfois, en invoquant directement les
dispositions du traité devant le juge national (le juge de droit commun du droit européen)
puisque les textes en question sont investis de l’effet direct depuis le célèbre arrêt CJCE, 5
février 1963, Van Gend en Loos. Ces définitions renferment les éléments constitutifs de la TEE
dont on peut déjà extraire le critère essentiel qu’est le franchissement de la frontière.
B. Le critère fondamental de qualification de la TEE
La notion de TEE a un caractère objectif et absolu, réfractaire à toute justification étatique.
Dans ce sens, le but poursuivi par la taxation est indifférent, qu’il s’agisse de la protection du
patrimoine national, laquelle était supposée justifier une taxe à l’exportation d’objets d’arts ou
encore qu’il s‘agisse d’objectifs nationaux d’ordre social, par exemple, des taxes perçues à
l’exportation du tabac servant à financer des prestations de Sécurité sociale pour les
travailleurs du secteur. Tout cela a été refusé puisque la TEE ne peut jamais se justifier, elle
doit être supprimée, le montant versé, restitué et l’Etat, condamné. Peu importe le montant de
la taxe, peu importe son appellation ou peu importe, encore, la technique qu’on a utilisé pour
l’instituer. Peu importe encore l’origine de la marchandise, le bénéficiaire du prélèvement (un
Etat ou un organisme privé) et peu importe l’absence de discrimination (l’absence de
concurrence).
Selon la CJCE, il suffit que le franchissement de la frontière soit à l’origine du prélèvement
pour que la qualification de TEE s’applique même si l’exigibilité et le paiement de cette taxe
interviennent plus tard. Cette frontière, d’ailleurs, peut être national ou même régional, il suffit
que la taxe soit perçue à l’occasion du franchissement d’une frontière MEME interne pour
qu’elle soit qualifiée de TEE. La Cour a appliqué ce principe à propos d’une taxe perçue sur le
marbre en raison de son transport au-delà des limites du territoire communal de la ville de
Carrara (CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati c/ Commune de Carrara). La Cour a encore
reconnu la qualification de TEE dans la décision CJCE, 8 novembre 2005, Jersey Produce
Marketing Organisation, où elle a considéré que l’obligation de se faire enregistrer auprès d’un
organisme particulier et de payer des cotisations, cette obligation ayant été imposé aux
producteurs de Jersey souhaitant exporter des produits au Royaume-Uni constitue une TEE.
L’île de Jersey est une dépendance semi-autonome du Royaume-Uni, ces deux îles ne
forment qu’une seule entité et, pourtant, le Royaume-Uni obligeait les gersois de s’enregistrer
auprès d’un organisme et de payer une cotisation, cette obligation étant considérée comme
une TEE par la CJUE.
Section II – La restitution des taxes indûment perçues (la répétition de l’indu)
Si un Etat membre a imposé des TEE ou des droits de douane sur des marchandises
importées, les particuliers peuvent prétendre à une annulation et au remboursement
subséquent des prélèvements indûment perçus selon des procédures et des modalités
particulières.
A. Les procédures de répétition
Il n’existe pas de règles européennes de procédure, c’est l’ordre juridique interne qui désigne
la juridiction compétente et qui règle les modalités procédurales de recours (la forme, le délai).
Le tout a deux conditions :
▪ Les règles contentieuses nationales ne doivent pas opérer des discriminations au
détriment des actions fondées sur le droit européen et au bénéfice des actions fondées
sur le droit national, c’est le principe d’équivalence
▪ Les justiciables doivent pouvoir exercer les droits qui leur sont conférés par l’ordre
juridique européen. Ce sont des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de
sauvegarder, c’est le principe d’effectivité.

B. Le montant de la restitution
Si celui qui a payé indûment est un consommateur final, il sera intégralement remboursé,
«restitué» parce qu’il a supporté la taxe seul en phase finale. Dans ce cadre, cette taxe a été
répercutée sur d’autres personnes (sur un produit acheté). Si le consommateur réclame, la
taxe sera intégralement restituée.
Si c’est l’entreprise qui réclame un remboursement, par exemple, l’entreprise qui a payé la
taxe et qui l’a incorporé dans ses prix de vente. Dans cette hypothèse, une restitution intégrale
à l’entreprise ayant payé au départ entraînerait un enrichissement injustifié, un enrichissement
sans cause. S’il y avait une restitution intégrale, ce serait une situation injuste puisqu’il y a déjà
eu un remboursement lors de la commercialisation (de par l’achat). Dans ce cas, le juge pourra
réduire le montant de remboursement dans une mesure qu’il appréciera lui-même
conformément au droit national de l’Etat membre. La charge de la preuve de la répercussion
sur les tiers pèse sur l’administration et non pas sur les opérateurs économiques, d’après la
Cour de justice dans l’arrêt CJCE, 9 novembre 1983, San Giorgio.
Si l’entreprise n’a pas répercuté la taxe sur ses produits mais qu’elle a subi un préjudice elle-
même du fait de l’incidence de la taxe illégale sur le volume de ses affaires (ou alors, elle l’a
peut-être mis à la vente mais que personne ne l’a acheté du fait de son prix). Le juge pourra
alors lui accorder un remboursement supérieur à ce qu’elle a payé (puisqu’il comprend des
dommages et intérêts).
Section III – Les prélèvements autorisés
Il faut savoir que toute taxation nationale n’est pas systématiquement et, a priori,
condamnable. Les impositions intérieures et les redevances doivent être distingues des TEE
interdites. Alors que les impositions intérieures constituent un instrument de la politique fiscale
des États membres, les redevances, quant à elles, peuvent être imposées lors du
franchissement d’une frontière par une marchandise mais en échange des services rendus à
l’opérateur concerné. Ces prélèvements obéissent à un régime juridique distinct de celui de la
TEE.
A. Les impositions intérieures
Les États membres restent maîtres de leur politique fiscale et ils peuvent tout à fait frapper les
marchandises d’une imposition intérieures mais toutes les marchandises (nationales et
importées). L’article 110 du TFUE dispose, à ce propos, qu’«aucun État membre ne frappe
directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures,
de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou
indirectement les produits nationaux similaires». Ainsi, l’on peut imposer des taxes sur les
marchandises mais ces taxes doivent concerner toutes les marchandises. La jurisprudence
distingue entre les impositions intérieures autorisées et les impositions intérieures interdites,
en faisant une interprétation stricte du texte.
S’agissant des impositions intérieures autorisées, de prime abord, il paraît facile distinguer les
TEE de celles-ci. Les TEE frappent les marchandises circulent d’un Etat à un autre du fait du
franchissement d’une frontière tandis que les impositions intérieures restent indépendantes de
tout mouvement transfrontalier. Néanmoins, depuis l’achèvement du marché intérieur, un Etat
qui imposerait des TEE ne peut plus les percevoir lors du franchissement des frontières car
celles-ci ont disparu, il pourra seulement la faire à un stade postérieur de transformation ou de
commercialisation de la marchandise et, donc, à l’intérieur de son territoire. Pour distinguer
les impositions intérieures licites des TEE interdites, la jurisprudence européenne a dégagé
trois critères :
▪ L’objet du prélèvement. Selon une jurisprudence constante, la caractéristique
essentielle d’une TEE à un droit de douane et qui la distingue d’une imposition
intérieure est que la TEE frappe exclusivement les produits importés en tant que tels
tandis que la second frappe, en même temps, les produits nationaux et les produits
importés.

▪ Les caractéristiques de la taxe. Selon la CJUE, la TEE se caractérise par sa


spécialité alors que l’imposition intérieure relève d’un système général d’impositions
intérieures, imposant une même charge selon les mêmes critères aux produits
nationaux et aux produits importés. Une imposition intérieure peut être tout de même
spéciale dans son champ d’application et rester licite parce qu’elle relève d’un régime
général, par exemple, les impôts spécifiques sur l’alcool, le tabac et sur les produits
pétroliers, qui relèvent tout de même de la catégorie générale des droits d’accise. En
revanche et, par définition, une TEE illicite ne peut pas relever d’un régime général, sa
spécialité réside dans son défaut de rattachabilité à une catégorie d’ensemble
préexistante.

▪ L’affectation du produit du prélèvement. Sont concernées les taxes parafiscales,


lesquelles, par définition, sont dotées d’une affectation spéciale à des fins
économiques et/ou sociales, puis, versées à des organismes spécialement institués
dans ce but. Si le produit de la taxe est totalement destiné au financement d’avantages
bénéficiant exclusivement des produits nationaux, il s’agit d’une TEE parce que, dans
cette hypothèse, tous les opérateurs économiques ont payé mais la production
nationale reçoit une compensation qui annule la charge réellement supportée alors que
les produits importés ne reçoivent aucune compensation. Un exemple parfait de cela
est l’arrêt CJCE, 8 juin 2006, Visserijbedrijf Koornstra c/ Productschap. En l’espèce, il
s’agissait d’une taxe néerlandaise puisque tout opérateur transportant des crevettes à
bord d’un bateau néerlandais était redevable d’un prélèvement par kilo des crevettes
transportées vendues pour la consommation humaine. Le produit du prélèvement,
pourtant, était affecté à un organisme professionnel national qui l’utilisait pour financer
l’achat et l’entretient de tamis et de décortiqueuses destinés exclusivement aux
commerçants néerlandais alors que les autres vendeurs n’avaient reçu aucune
compensation. La CJUE considère qu’il s’agit d’une TEE qui a l’apparence d’une
imposition intérieure. Si le produit de la taxe n’est affecté que partiellement au
financement de tels avantages, le juge considérera que la taxe reste une imposition
intérieur à caractère discriminatoire. Les taxes se sont traduites en avantages pour les
produits nationaux et seront restituées en partie seulement. Il pèse sur le juge national
le devoir de vérifier tout cela.
En France, autrefois, le législateur français avait institué une vignette automobile que tout le
monde payait. Le prix de cette vignette était payé chaque 20 septembre et dépendait de la
puissance fiscale de son véhicule (pour deux chevaux, 20 euros, par exemple). Tout d’un
coup, tous les véhicules de plus de 16 chevaux fiscaux ont été contraints de s’acquitter de la
somme de 1000 euros au titre de la vignette mais il s’est avéré qu’aucune production nationale
n’atteignait cette puissance (16 chevaux) et, en conséquence, cette taxe ne concernait que
les véhicules étrangers, dont notamment les voitures allemandes. La CJUE a considéré que
la taxe était discriminatoire et, donc, contraire à l’article 110 du TFUE (CJCE, 9 mai 1985,
Humblot). Le législateur français a continué à maintenir la vignette mais en la rendant
progressive (moins chère) mais, là encore, la CJUE a dû condamner la France puisque ladite
taxe restait discriminatoire.
Concernant les impositions intérieures illicites, elles peuvent être discriminatoires ou à
caractère protecteur
1. Les impositions intérieures discriminatoires
Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États
membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui
frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. Cependant, qu’est-
ce qu’un produit similaire ? Lorsqu’un Etat membre frappe d’un impôt un produit national, il
peut le faire aussi pour un produit importé pour placer les deux produits dans une situation
fiscale comparable. La notion de produit similaire est souplement interprétée par la CJUE
puisque le critère qu’elle utilise n’est pas celui de l’identité rigoureuse entre les produits mais
de l’analogie ou de la compatibilité dans l’utilisation. L’idée est qu’il existe une alternative pour
le consommateur qui peut substituer un produit à l’autre, par exemple, dans l’arrêt CJCE, 27
février 2002, Commission c/ France, le juge européen a considéré que les cigarettes blondes
importées étaient similaires aux cigarettes brunes exclusivement produites en France et ne
pouvaient pas être taxées plus lourdement. Les différences de taxation influent sur le marché
des produits, notamment en détournant le consommateur des produits importés. La France
peut essayer de faire valoir que les produits nationaux sont de meilleure qualité, beaucoup
plus éthiques, mais elle ne peut pas user d’une taxation pour privilégier ses produits nationaux.
Quant à la supériorité de l’imposition, la jurisprudence tient compte non seulement de son taux
mais également de son assiette et de ses modalités et on va considérer que l’assiette d’e
l’imposition pour les importés si les frais de transport et de commercialisation sont inclus dans
l’imposition intérieure (CJCE, 31 mai 1979, SARL Denkavit Loire c/ France).
Un autre exemple d’imposition intérieure discriminatoire est apparu en 2008, la CJUE s’est
prononcée sur une taxation portugaise de véhicules, il s’agissait d’une taxe unique de
circulation ne tenant pas compte de la première immatriculation dans un autre Etat membre.
En l’espèce, un individu avait acheté un véhicule au Royaume-Uni, où il l’avait immatriculé une
première fois en 1966 avant de l’introduire au Portugal. En 2013, le véhicule est de nouveau
immatriculé et la taxe est réclamée à son propriétaire. Pourtant, rien ne lui aurait été demandé
si le véhicule avait été immatriculé pour la première fois au Portugal et, donc, la Cour de justice
a considéré qu’il s’agissait d’une imposition intérieure discriminatoire incompatible avec
l’article 110 du TFUE (CJUE, 17 avril 2018, Dos Santos).
2. Les impositions intérieures à caractère protecteur
Les États peuvent instaurer des taxes à condition qu’elles ne soient pas discriminatoires. A
quelles conditions ces taxes sont-elles licites ? La charge qui frappe le produit importé ne doit
pas non plus protéger indirectement la production nationale, règle posée par le deuxième
alinéa de l’article 110. Cette règle condamne toute forme de protectionnisme fiscal indirect
pour des produits qui «sans être similaires aux produits nationaux se trouvent, néanmoins,
dans un rapport de concurrence, même partiel, indirect ou potentiel avec des productions
importées». L’on se place de l’autre côté, du côté des produits nationaux, puisqu’il ne faut pas
que la taxation ait pour effet indirect de protéger la production nationale. La CJUE a, ainsi,
écarté l’application de l’article 110, § 2 à une réglementation belge qui taxait plus lourdement
le vin importé que la bière, leur grande différence de prix interdisant d’y voir des produits
similaires ou des produits placés dans un rapport de concurrence. Cette différence de taxation
n’était donc pas de nature à exercer une influence sur le comportement du consommateur (en
considérant que ces produits n’étaient pas substituables entre eux).
En résumé, toute différence de charge est interdite pour les produits similaires mais elle peut
être admise pour les produits qui ne sont pas placés dans un rapport de concurrence, c’est-à-
dire, que la CJUE est partie du principe qu’un consommateur de bière n’est pas forcément un
consommateur de vin.
B. Les redevances
On distingue deux sortes de redevances : la redevance pour service rendu et la redevance de
contrôle.
1. La redevance pour service rendu
Lorsqu’un service déterminé est rendu à un opérateur économique par une administration
nationale, une charge pécuniaire peut être exigée en contrepartie. La redevance pour service
rendu est, en principe, autorisée et échappe à la qualification de TEE si les trois conditions
suivantes sont réunies :
▪ Le service en question doit être effectif et facultatif, c’est-à-dire, qu’il doit procurer un
avantage spécifique réel et l’usager doit avoir le choix de ne pas l’utiliser (ce n’est pas
obligatoire). S’il a l’obligation d’y recourir, ce sera non pas une redevance mais une
TEE.
▪ Le service doit être procuré individuellement à l’opérateur économique et, a contrario,
tout service d’intérêt général rendu sans considération de la personne, par exemple,
un service rendu en faveur d’une collectivité ou, encore, d’une catégorie
socioprofessionnelle n’entraîne pas le paiement d’une redevance mais d’une TEE.
▪ Le montant de la redevance doit être proportionné au service rendu. Sera donc
considérée comme illégale toute redevance forfaitaire ou, encore, calculée en fonction
du poids des marchandises ou du montant de la facture des produits exportés, par
exemple.
La notion de redevance pour service rendu est très étroite, le juge la reconnaît et la retient
rarement. Il l’a retenue pour un droit d’usage prélevé sur les installations d’un port italien à
l’occasion du débarquement de pétrole destiné à être acheminé en Allemagne par voie
d’oléoduc (CJCE, 15 mars 1983, Siot).
2. La redevance de contrôle
Cette redevance est assez rare et elle ne sera admise que si les contrôles la justifient, satisfont
à des obligations imposées par le droit européen. Là encore, la CJUE a posé des conditions
à son admission, celles-ci étant très encadrées dans le but qu’il ne s’agisse pas d’une TEE
déguisée :
▪ Le montant de cette redevance ne doit pas excéder le coût réel des contrôles effectués.
Par exemple, dans l’affaire CJUE, 17 mars 2016, Kødbranchens Fællesråd, la Cour a
ainsi considéré que les redevances ne pouvaient pas couvrir le coût de la formation
initiale du personnel des entreprises du secteur alimentaire, elles ne doivent concerner
que les salaires et les frais des personnes qui participent effectivement à l’exécution
des contrôles officiels.
▪ Ces contrôles doivent être obligatoires et uniformes pour l’ensemble des produits
concernés, contrairement à la précédente redevance.
▪ Ils doivent favoriser la libre circulation des marchandises en neutralisant les obstacles
qui peuvent résulter de mesures unilatérales de contrôle mises en œuvre par les États
membres comme ils peuvent les faire dans le cadre des exceptions de l’article 36
comme la santé publique.
▪ Ils doivent être prévus par le droit européen dans l’intérêt général de l’UE, par exemple,
des prélèvements prescrits pour couvrir le coût d’une inspection vétérinaire rendue
obligatoire par un règlement européen, ce règlement constitue un redevance de
contrôle et il est, pour autant, autorisé.
Chapitre II
L’interdiction des obstacles de nature non pécuniaire
Les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (MEERQ) sont des mesures
prises par les États membres qui vont produire un effet équivalent à celui qu’auraient produit
les restrictions quantitatives qui sont interdites. Les articles 34 et 35 du TFUE interdisent les
restrictions quantitatives à l’importation pour un texte et à l’exportation pour le suivant (34 et
35). L’on peut exporter tout ce qu’on veut et on peut laisser rentrer tout ce qu’on souhaite. Ils
ajoutent à cela les MEERQ, des mesures non plus officielles mais officieuses. Ce sont toutes
les mesures déguisées imaginées par les États membres qui ne sont pas des restrictions
quantitatives apparentes (des quotas) mais qui parviennent au même résultat, le résultat
recherché étant la restriction des volumes des importations ou des exportations européennes.
Les MEERQ sont à rapprocher des TEE, on peut comparer ces deux notions même s’il existe
des différences entre elles. En effet, alors que l’interdiction des TEE est absolu (aucune
justification n’est admise), l’interdiction des MEERQ connaît différents types de dérogation
dont certaines sont posées à l’article 36 du TFUE. A l’inverse de ce qui avait été décidé pour
les droits de douane et les TEE, les auteurs du traité ne pouvaient pas totalement priver les
États membres de leurs compétences en matière d’échanges commerciaux. Ces
compétences sont, en effet, à l’origine de nombreuses réglementations qui concernent la
fabrication ou la commercialisation de produits et elles sont symptomatiques des traditions de
consommation nationale. Par ailleurs, les MEERQ sont très variées et font régulièrement
l’objet d’un important contentieux.
Section I – La notion des MEERQ
La Cour de justice a fourni sa propre définition de la MEERQ dans l’arrêt CJCE, 11 juillet 1974,
Procureur du roi c/ Dassonville. En l’espèce, un opérateur belge importait en Belgique du
whiskey écossais qu’il avait acheté à un intermédiaire français. La réglementation belge lui
imposait de fournir un certificat d’origine en tant que condition à la mise sur le marché dudit
whiskey mais il ne pouvait pas fournir ce certificat du fait de très sérieuses difficultés parce
qu’il l’avait acheté à un intermédiaire en France. Le commerçant se plaint devant la CJCE au
moyen que cette mesure est une mesure équivalente à une restriction quantitative. C’est alors
que la CJCE a reconnu qu’il s’agissait d’une MEERQ, en définissant que «toute réglementation
commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement,
actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme
une MEERQ». On voit que la qualification doit répondre à diverses conditions cumulatives
liées à l’origine de la mesure, à l’effet restrictif sur les échanges qui en résulte et à la
participation des produits en cause au commerce entre les États membres. Ces trois
conditions cumulées entraînent la qualification de MEERQ et, pour les échanges à
l’importation et pour les échanges à l’exportation.
A. Le domaine de la prohibition : des mesures étatiques
Seules les mesures étatiques sont concernées par la qualification de MEERQ, on en exclut
donc les actes ou les comportements qui sont imputables à des personnes privées ou à des
groupements professionnels. La notion d’Etat est largement entendue puisqu’elle inclut
l’ensemble des autorités nationales, par exemple, le pouvoir central mais également les
collectivités territoriales ou les établissements publics, voire les autorités administratives
indépendantes. La jurisprudence se contente même d’un lien tenu, très mince, de
rattachement à la licence publique puisqu’elle retient les actes imputables à l’Etat. Dans l’arrêt
CJCE, 24 novembre 1982, Acheter irlandais, il s’agissait d’une campagne publicitaire faite en
faveur des produits irlandais mais par une personne morale de droit privé. Malgré cela, la Cour
a retenu, en l’espèce, la qualification de mesure étatique parce que le gouvernement irlandais
accordait des subventions à cette entreprise, parce que celui-ci désignait les membres de son
comité directeur et, également, parce que le gouvernement irlandais avait participé à l’action
de promotion. La Cour a retenu une mesure étatique de façon indirecte, seuls les
comportements purement privés échappent au champ d’application des articles 34 et 35 du
traité.
Un autre exemple qui montre la souplesse des liens, c’est qu’ont été également jugées
contraires au traité les pressions et suppressions d’une administration nationale déconseillant
le choix des produits provenant d’autres États ou favorisant le choix des produits nationaux.
De même, les déclarations d’un fonctionnaire belge ont été considérés comme constituant une
entrave à la libre circulation des marchandises, la Cour ayant imputé ces déclarations à l’Etat
parce que l’individu en question avait utilisé le papier à entête officielle du service compétent
et avait accordé des entretiens télévisés dans les locaux de son service sans que ses
supérieurs n’entreprennent des démarches pour dissiper la prise de position de l’Etat, ce qui
laissait penser qu’il avait parlé au nom de son administration. Alors, à l’action est assimilée
l’inaction des autorités publiques qui peut aussi constituer un obstacle aux échanges. En
d’autres termes, toute inaction, toute carence des autorités publiques dans la mise en œuvre
des moyens dont elles disposent pour assurer la libre circulation des marchandises constitue
une MEERQ. Dans l’affaire CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France, des pillages
répétés sont effectués par des agriculteurs en colère contre l’importation de fruits et légumes
en provenance d’Espagne et la France n’est pas intervenue pour faire cesser ces mesures
violentes afin qu’elles n’entravent plus la libre circulation des marchandises. Non seulement
on peut considérer que l’Etat est derrière parce qu’il agit mais aussi parce qu’il n’agit pas,
puisque la France a été condamnée du fait de son inaction.
Les simples comportements d’entreprise, même s’ils aboutissent à cloisonner le marché
intérieur, ne relèvent pas des articles 34 et 35 du TFUE mais des règles de concurrence, à
une réserve près, puisque la Cour assimile aux autorités étatiques les personnes privées qui
mettent en œuvre les prérogatives de puissance publique ou, encore, qui sont placées sous
leur dépendance juridique ou financière. Dans ce cas, les entités dont il s’agit ne sont même
pas qualifiés d’entreprise, dès lors que l’entité dont il est question exerce des prérogatives de
puissance publique.
B. Un effet restrictif sur les échanges intra-européens
La mesure doit toujours produire un effet discriminatoire, qu’il soit actuel ou potentiel, qu’il soit
direct ou indirect. S’agissant de l’effet discriminatoire, la première hypothèse est celle de la
mesure ouvertement discriminatoire lorsqu’elle frappe spécifiquement ou plus lourdement les
produits importés que les produits nationaux, celui-ci étant le prototype même de la MEERQ.
La réglementation ne pose aucun problème aux nationaux mais elle oblige les producteurs
internationaux à reconditionner leurs produits, ce qui aboutit à une prohibition d’importation.
De plus, la mesure peut s’appliquer indifféremment aux produits nationaux et aux produits
importés mais elle crée tout de même des disparités au détriment des produits importés. En
principe, cette mesure est condamnée à moins que l’Etat concerné ne puisse la justifier sous
le fondement de l’article 36 du TFUE qui pose des exceptions à propos des MEERQ.
La troisième hypothèse concerne les réglementations nationales qui paraissent concerner les
seules produits fabriqués sur le territoire national ou une partie de celui-ci. Alors, elles
échappent, en principe, au droit de l’UE qui ne se soucie pas des situations purement internes
mais qui les contrôle tout de même afin de débusquer des éventuelles MEERQ, cela dès lors
que les réglementations dont il est question sont susceptibles de s’appliquer également aux
produits importés. En d’autres termes, une réglementation nationale qui ne renferme aucun
élément d’extranéité peut être considérée comme une MEERQ si elle est simplement
susceptible de s’appliquer aux produits importés ou encore et même si elle ne concerne que
les produits nationaux, elle est de nature à favoriser leur commercialisation au détriment des
produits importés. Dans l’arrêt CJCE, 7 mai 1997, Pistre, il s’agissait d’une histoire
d’appellations d’origine complexes, une dénomination Montagne qui était réservée, en France,
aux produits de charcuterie, lesquels produits devaient remplir certaines conditions liées aux
zones de production. Les produits nationaux sont, donc, privilégiés par rapport aux produits
importés. La CJUE a qualifié encore une fois de MEERQ la Loi française de finances de 2007
qui instituait un bonus écologique (une aide) pour l’achat de véhicules neufs dits «propres»
non encore immatriculés S’agissant des véhicules de démonstration des concessionnaires, ils
étaient considérés comme neufs et, donc, éligibles au bonus s’ils avaient été vendus ou loués
dans l’année suivant leur première immatriculation. Or, le bonus est refusé à un individu qui
avait acheté à un concessionnaire belge un véhicule de démonstration qui remplissait toutes
les conditions requises parce que la voiture avait déjà fait l’objet d’une première immatricule à
l’étranger (ce qui rejoint la jurisprudence Dos Santos) et que l’acheteur n’avait pas produit un
certificat d’immatriculation où était inscrite la mention «véhicule de démonstration».
Cependant, en l’espèce, c’est le type même de formalité impossible puisque si les autorités
belges délivrent bien un certificat d’immatriculation pour toute voiture de démonstration, il
n’était pas prévu par la loi belge que ladite mention y figure, contrairement à la disposition
française. L’individu ne pouvait pas fournir le document requis et n’avait pas droit au bonus.
La Cour a qualifié la réglementation française de MEERQ même si elle n’avait pas pour objet
de traiter moins favorablement les produits en provenance des autres États membres mais
elle produisait tout de même cet effet parce qu’elle pouvait affecter l’accès des véhicules
étrangers au marché français (CJCE, 6 octobre 2011, Philippe Bonnarde c/ Agence de
Services et de Paiement).
Les entraves directes sont celles qui peuvent empêcher l’accès à un Etat membre, elles
peuvent générer des interdictions d’importer, en interdisant certaines dénominations, par
exemple. Quant aux entraves indirectes, elles se contentent de limiter le volume des
importations sans aller jusqu’à les interdire ou bien elles rendent plus difficile leur promotion
ou leur vente. Enfin, la réglementation nationale peut constituer une entrave seulement
potentielle, que de la possibilité, et donc à ce titre constituer une MEERQ. Tel sera le cas si,
par exemple, le juge constate que le commerce intra-européen se serait mieux développé s’il
n’y avait pas eu la mesure en cause (qui reste à effet potentiel). Attention, potentiel ne signifie
pas hypothétique ou aléatoire, il faut qu’il y ait présomption de quelque chose, pour être
condamnable la mesure doit dissuader les opérateurs économiques d’introduire certaines
marchandises sur le territoire d’un autre Etat membre.
C. Des produits qui participent au commerce intra-européen
L’ordre juridique européen ne concerne, en principe, que les relations entre les États membres,
sauf lorsqu’il va expressément au-delà. Il s’applique et aux produits mis en libre pratique et
aux produits exportés (et pas seulement importés) d’un Etat membre à l’autre. En revanche,
cet ordre n’est pas affecté lorsqu’une législation nationale traite ses produits nationaux moins
bien que les produits importés des autres États membres.
1. Les restrictions à l’exportation dans l’Union européenne
La jurisprudence européenne s’est montrée plus restrictive pour qualifier une entrave à
l’exportation (art. 35 TFUE) qu’une entrave à l’importation (art. 34 TFUE). Les restrictions
directes à l’exportation ont toujours été qualifiées de MEERQ compte tenu de leur caractère
manifeste et, d’ailleurs, quel que soit leur justification. Mais s’agissant des restrictions
indirectes, la Cour de justice a exigé, dans un premier temps, que la mesure restreigne les
courants d’exportation et établisse une différence de traitement entre le commerce intérieur
d’un Etat membre et son commerce d’exportation.
Par la suite, la Cour a compris finalement que l’interpénétration des économies nationales
étant l’objectif du marché intérieur, cela appelait une analyse globale et cohérente de toutes
les entraves au commerce intra-européen. A partir de là, la CJCE a considéré qu’il s’agissait
d’une MEERQ l’obligation d’embouteillage dans la région de production du vin mais elle l’a
admis, tout de même, puisque cette obligation avait pour but de préserver la réputation du vin
(CJCE, 10 novembre 1979, Groenveld). De la même manière, la CJCE a considéré que la
réglementation italienne qui subordonnait l’utilisation de l’appellation d’origine «Jambon de
Parme» à la condition que le tranchage et l’emballage soit effectué dans la région de
production était une restriction à l’exportation mais elle l’a justifié, là encore, en tant que
mesure protectrice de l’appellation d’origine, pour que la qualité du jambon en question soit
mieux préservée. Il s’agit d’une MEERQ mais, en même temps, la Cour la justifie parce qu’il
existe un intérêt supérieur de préservation de la qualité du produit.
Enfin, la Cour a étendu la qualification de MEERQ à une interdiction visant tous les opérateurs
agissant sur le territoire dans la mesure où elle affectait davantage la sortie des produits du
marché de l’Etat membre que la commercialisation des produits sur ce même marché. Elle a
également appliqué la qualification à un réglementation de la communauté flamande de
Belgique qui imposait l’usage exclusif du néerlandais pour la rédaction des factures émises
par les sociétés ayant leur siège dans la région belge de langue néerlandaise (la Flandre).
(CJUE, Grande chambre, 21 juin 2016, New Valmar).
2. La discrimination à rebours
Les mesures qui peuvent être qualifiées de MEERQ doivent nécessairement être liées à
l’importation ou à l’exportation de produits. Ce principe est complètement logique puisque les
règles de la libre circulation des marchandises s’appliquent seulement lorsque la
réglementation dont il s’agit est susceptible de constituer une entrave au commerce intra-
européen. L’article 34 du TFUE ne bénéficie donc qu’aux marchandises importées, puisqu’il
dispose que «les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet
équivalent, sont interdites entre les États membres» et, a contrario, il ne concerne pas les
marchandises d’origine nationale qui peuvent ne pas bénéficier du même traitement que les
marchandises importées, il s’agira, alors, d’un traitement moins favorable, d’où la notion de
«discrimination à rebours» qui illustre l’effet des dispositions internes qui aboutissent à
réserver un traitement moins favorable aux produits nationaux qu’aux produits importés. La
discrimination envers les produits importés est condamnée alors que dans l’autre sens l’ordre
juridique européen ne s’en préoccupe pas.
Une législation qui s’appliquait, au départ, à tous les produits peut ainsi être condamnée à
l’égard des produits importés parce qu’elle constitue une MEERQ, tout en restant applicable
aux produits nationaux. A la suite de l’arrêt CJCE, 20 février 1985, Au blé vert, par exemple,
les livres importés ont pu bénéficier d’un régime de prix libres et concurrentiels alors que les
livres qui n’avaient circulé qu’en France sont restés soumis au régimes des prix imposés,
souvent plus élevés. Le droit européen ne se préoccupe pas de ce type de situations qui
relèvent du seul droit interne, il ne vise que les entraves au commerce intra-européen et quant
au fameux principe de non-discrimination en raison de la nationalité, il ne permet pas de saisir
les situations dans lesquelles les produits importés sont mieux traités que les produits
nationaux.
Section II – L’encadrement de la notion de MEERQ
Les mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et importés sont les plus
subtiles car elles vont rendre l’accès aux produits importés plus difficile. En principe, elles ne
sont pas discriminatoires mais elles peuvent tout de même générer des effets néfastes sur le
commerce intra-européen. Par exemple, elles peuvent rendre plus difficile ou plus onéreux la
commercialisation des produits importés. Ces mesures aussi subtiles ont généré un important
contentieux et précisément au regard de cet important contentieux, elles ont fait l’objet d’une
évolution jurisprudentielle.
Pour comprendre cette évolution, il faut rappeler une ancienne directive, abrogée aujourd’hui,
de 1969 qui énumérait les pratiques susceptibles de tomber sous le coup de l’article 34 du
TFUE. A propos de ces mesures indistinctement applicables, l’article 3 de ladite directive citait
notamment «celles qui régissent la commercialisation des produits dont les effets restrictifs
sur la libre circulation des marchandises dépassent le cadre des effets propres d’une
réglementation de commerce». Par conséquent, on peut en déduire que les États membres
conservent une compétence de principe pour édicter des réglementations de commerce,
lesquelles peuvent diverger entre elles, ce qui est normal dès lors qu’il n’y a pas eu encore
d’harmonisation européenne. Ces divergences, relevées d’un Etat membre, à un autre
peuvent affecter les échanger et rendre les importations et les exportations plus difficiles mais
il fallait les accepter. En revanche, lorsque les réglementations divergentes produisent des
effets restrictifs qui dépassent le cadre de leurs effets propres, c’est-à-dire, que les
importations deviennent impossibles et plus onéreuses mais sans nécessité alors la liberté
des États membres est encadrée par les règles et les objectifs du traité. L’on comprend que
les réglementations puissent être divergentes (tant qu’il n’y a pas eu d’harmonisation) mais
dès lors que ces restrictions dépassent le cadre (sont appliquées sans nécessité et sans
justifications), les règles du traités sanctionneront ces réglementations.
La définition de l’ancienne directive parce qu’elle anticipe, en quelque sorte, la jurisprudence
ultérieure de la CJCE. Le point de départ de cette jurisprudence a été la fameuse décision
CJCE, 20 février 1979, Cassis de Dijon, où la Cour a considéré comme MEERQ les mesures
qui interdisaient simplement certains procédés de commercialisation sans viser les produits
en eux-mêmes, par exemple, «lié à cela le monopole qui réserve en France la vente des
médicaments aux pharmacies d’officine et donc a priori, celles des médicaments importés».
L’arrêt CJCE, 24 novembre 1993, Keck et Mithouard dans une certaine mesure a repris les
principes énoncés dans la vielle directive de 1969 et qui a établi une distinction entre deux
types de mesure.
A. L’arrêt CJCE, 20 février 1979, Cassis de Dijon (Rewe-Zentral)
La Cour a été saisie d’un renvoi préjudiciel dans lequel on lui demandait de se prononcer sur
la compatibilité avec l’article 34 du TFUE d’une réglementation allemande subordonnant la
commercialisation des liqueurs de fruits à l’exigence d’une teneur alcoolique minimale, laquelle
teneur était supérieure aux cassis de Dijon, qui était une liqueur de fruits française. Le
fabriquant dijonnais souhaitait, donc, l’exporter en Allemagne mais ne pouvait pas la
commercialiser sous l’appellation «liqueur de fruits» (il aurait pu les dénommer «sirop de
fruits») du fait de ladite réglementation.
Dans un premier temps, la CJCE commence par constater l’absence de réglementation
commune et, donc, elle admet le bien-fondé des réglementations nationales relatives à la
production et la commercialisation d’un produit, des réglementations qui peuvent,
effectivement, varier d’un Etat membre à un autre. Pourtant, ajoute-t-elle, que «leur champ
d’application ne peut être étendu aux produits importés qu’en raison d’une exigence impérative
tenant, notamment, à l’efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à
la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales». La liste n’est
pas fermée mais s’il n’existe pas d’exigence impérative, ces réglementations doivent être
reconnues équivalentes en vertu du principe de reconnaissance mutuelle. De ce fait, un Etat
ne peut donc pas interdire sur son territoire les marchandises en provenance d’autres États
membres pour la seule raison qu’elles sont fabriquées selon des procédés ou selon des
techniques différents de ceux qu’il impose chez lui. Il suffit, pour que la marchandise puisse
circuler, qu’elle soit conforme à la réglementation de l’Etat d’origine pour qu’elle puisse
bénéficier de la libre circulation des marchandises. Le cassis de Dijon a donc pu être
commercialisé en Allemagne. Dans la jurisprudence Cassis de Dijon, l’on s’aperçoit qu’il
existe, de même, un souci de proportionnalité puisque la Cour souhaitait souligner que les
autorités allemandes n’avaient pas le droit d’interdire la circulation d’un produit puisqu’il revient
aux consommateurs de choisir le produit qu’ils souhaitent, peu importe sa teneur en alcool, en
toute connaissance de cause.
S’agissant des produits de beauté Clinique, l’Allemagne avait considéré que le nom Clinique
pouvait induire en erreur les consommateurs qui pouvaient s’imaginer qu’ils consommaient
des produits médicamenteux. La Cour a répondu que ces produits sont vendus dans le monde
entier et que personne n’a été induit en erreur.
B. Le recentrage opéré par l’arrêt CJCE, 14 novembre 1993, Keck et Mithouard
Le caractère extensif de la notion de MEERQ avait encouragé les opérateurs économiques à
multiplier les recours à l’encontre des mesures qui ne concernaient pas les échanges
commerciaux ou peut-être qui les concernaient mais de façon indirecte seulement. Ils
n’hésitaient pas à invoquer l’article 34 pour contester de façon quasiment systématique
l’application des législations dont l’objet visait davantage à protéger un intérêt public ou,
encore, des préoccupations nationales à caractère social et culturel. Pour endiguer l’usage
abusif de ces recours, que la Cour a souhaité encadrer le contenu et la portée de la notion des
MEERQ.
Pour ce faire, la CJCE a énoncé dans l’attendu de principe de cette décision que : «Étant
donné que les opérateurs économiques invoquent de plus en plus l' article 30 du traité pour
contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté
commerciale, même si elles ne visent pas les produits en provenance d' autres États membres,
la Cour estime nécessaire de réexaminer et de préciser sa jurisprudence en la matière». En
l’espèce, Keck et Mithouard sont des responsables des supermarchés situés en zone
transfrontalière et sont poursuivis pour avoir revendu des produits à un prix inférieur à leur prix
d’achet effectif en violation des règles de concurrence françaises qui interdisaient la vente à
perte. Dans ce renvoi préjudiciel, la Cour devait se prononcer sur la question de l’interdiction
de la vente à perte et de sa compatibilité avec l’article 34.
La Cour répond dans deux temps. Dans un premier temps, la Cour indique qu’«en revanche,
il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qui a été jugé jusqu'ici, n'est pas apte à
entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les
États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, l'application à des produits en
provenance d' autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent
certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés
exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu' elles affectent de la même manière,
en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance
d' autres États membres».
Cependant, ce postulat de base doit être complété par une distinction faite entre deux types
de mesure. Le premier type sont les mesures relatives aux conditions auxquelles doivent
répondre les marchandises qui peuvent constituer des MEERQ. Le second type, en revanche,
sont les mesures qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente et qui échappent à la
qualification, si elles sont indistinctement imposées aux produits importés et aux produis
nationaux, à savoir, qu’elles les affectent de la même manière en droit comme en fait. En effet,
dès lors que ces conditions sont remplies, l'application de réglementations de ce type à la
vente des produits en provenance d'un autre État membre et répondant aux règles édictées
par cet État n'est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage
qu' elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au
domaine d' application de l'article 30 du traité.
La distinction entre les deux types de mesure opérée par la Cour dans la jurisprudence Keck
et Mithouard n’est pas sans intention. L’objectif de la Cour était de préciser les contours de la
notion de MEERQ pour éviter les recours excessifs mais elle a manqué son but parce qu’elle
a compliqué inutilement les choses. Cette définition peut créer des difficultés quant au
rattachement d’une mesure nationale à l’une de ces catégories. La Cour pose l’éclairage sur
l’objet de la mesure et non pas sur ses effets, pourtant, les effets de la mesure jouent toujours
un rôle décisif dans la qualification.
Échappent, donc, à la qualification de MEERQ et, donc, à l’application de l’article 34 du TFUE
parce qu’elles ne visent que des modalités de vente :
▪ Les dispositions qui règlementent les circonstances dans lesquelles les marchandises
peuvent être vendues aux consommateur. Par exemple, l’obligation de ne pas ouvrir
les commerces le dimanche ou la réglementation du nombre maximal d’heures
d’ouverture des commerce et des périodes de fermeture, par exemple.

▪ Les dispositions déontologiques interdisant aux pharmaciens de faire de la publicité


pour des produits parapharmaceutiques en dehors de leur officine.

▪ Le dispositions qui interdisent, de façon générale, la vente à perte ou la revente avec


une marge bénéficiaire très réduite.

▪ Les restrictions des marchages, par exemple, les ventes avec prime, le système qui
réserve la vente au détail du tabac aux devis autorisés par la puissance publique.
En revanche, sont considérées comme des MEERQ interdites :
▪ Les dispositions susceptibles d’entraver le commerce de certains produits en se
rapportant à leurs caractéristiques propres. Par exemple, dans l’arrêt CJCE, 13 mars
1997, Tommaso Morellato, la Cour indique qu’une législation nationale (italienne, en
l’espèce) qui interdit sans justification la commercialisation de pain dont le degré
d’humidité excède une certaine limite, ce qui oblige le producteur étranger à une
fabrication différenciée selon la destination du produit (ce qui rejoint la jurisprudence
Cassis de Dijon). En effet, à l’instar de la jurisprudence Cassis de Dijon, le fabriquant
aurait été contraint de réaliser un étiquetage différent pour le pain qu’il souhaitait
commercialiser en Italie, ce qui débouche sur une entrave de fait d’accès au marché.
Ou encore, l’exemple d’une législation soumettant les produits de boulangerie
congelés et réchauffés ensuite aux mêmes conditions de fabrication que celles qui
s’appliquent aux procédés de fabrication et de commercialisation du pain traditionnel
(CJCE, 14 septembre 2006, Alfa Vita Vassilopoulos).

C. L’après Keck et Mithouard (la maturation de la notion de MEERQ)


L’apport de la jurisprudence Keck et Mithouard doit être relativisé puisque, quoi qu’il en soit,
les effets de la mesure nationale quant à l’accès au marché l’emportent sur son objet. La CJUE
en a fait le critère essentiel d’appréciation de l’entrave, même d’ailleurs dans le cas des
modalités de vente. Ainsi, par exemple, elle a considéré qu’une loi qui interdisait la publicité
pour des médicaments non agréés dans un Etat membre mais régulièrement importés d’un
autre Etat membre constitue une MEERQ bien qu’elle se rapporte à une modalité de vente en
raison de la restriction potentielle du volume des importations de médicaments qui en
découlent de cette loi (CJCE, 10 septembre 1974, Ortscheit). Dans des conclusions de 2009,
un avocat général de l’époque, M. Bot, avait suggéré à la Cour de faire de l’accès au marché
un critère général d’application qui s’appliquerait à toutes les réglementations, qu’il s’agisse
de sodalités ou des caractéristiques, le critère général serait celui de l’accès au marché, en
balayant la jurisprudence Keck et Mithouard pour lui substituer le critère de l’accès au marché.
Et, d’ailleurs, a-t-il ajouté, cela permettrait de trouver un équilibre entre les exigences liées au
bon fonctionnement du marché intérieure et les compétences souveraines des États membres
(puisque ces mesures sont liées aux traditions des consommateurs des États membres). .
La Cour a suivi le raisonnement de M. Bot dans l’arrêt CJUE, 10 février 2009, Commission
c/ Italie. En l’espèce, il état mise en cause une réglementation qui limitait la possibilité de tirer
une remorque pour les véhicules automobiles et qui l’interdisait aux motocyclettes. La même
démarche est suivie dans l’arrêt CJUE, 4 juin 2009, Percy Mickelsson relatif aux véhicules
nautiques suédois. Dans ces deux arrêts, la Cour a admis que le critère de l’accès au marché
puisse caractériser l’entrave, quel que soit l’objet de la mesure remise en cause. Certains
auteurs ont dit que la CJUE avait fait un pas important dans le sens de l’unification du critère
de l’entrave. Cependant, l’on s’aperçoit qu’à travers l’analyse des arrêts ultérieurs qu’elle n’a
pas abandonné la jurisprudence Keck puisqu’elle continue à faire la distinction entre les deux
types de mesure. Dans l’affaire CJUE, 1er mars 2012, la Cour a reconnu qu’il s’agissait des
modalités de vente (en appliquant la distinction de l’arrêt Keck) mais elle a recherché de
manière concrète si l’accès au marché n’était pas rendu plus difficile pour les produits
étrangers. L’accès au marché n’est pas le critère unique d’appréciation de l’entrave,
contrairement aux souhaits de M. Bot, mais un critère parmi tant d’autres.
En définitive, sont considérées aujourd’hui comme des MEERQ :
▪ Les mesures discriminatoires ayant pour objet ou pour effet de traiter moins
favorablement les marchandises qui proviennent d’autres États membres.

▪ Les règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre les marchandises
issues d’autres États membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées
même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, qu’ils soient
nationaux ou importés (cf. Cassis de Dijon).

▪ Toutes les autres mesures qui entravent l’accès au marché d’un Etat membre des
produits originaires des autres États membres.
Ainsi, il n’existe pas de critère uni et rigoureux de qualification de la MEERQ. Les renvois au
juge national ne sont pas rares, les raisonnements des différentes chambres de la CJUE ne
sont pas toujours homogènes, tout cela portant atteinte à la sécurité juridique.
Chapitre III – Les limites à l’interdiction des MEERQ
Les États membres conservent un champ d’intervention propre en matière de circulation de
marchandises. Ils peuvent décider eux-mêmes du niveau auquel ils entendent assurer la
protection des personnes qui sont sur leur territoire à l’encontre des risques qui pourraient
dériver de l’utilisation ou de la consommation des produits. En gros, dès lors qu’il n’y a pas
d’harmonisation, les États pourront légiférer comme ils veulent à de différents niveaux. Cette
possibilité de maintenir des obstacles à la libre circulation des marchandises repose sur
plusieurs fondements. Le premier fondement est l’article 36 du TFUE qui renferme de
véritables exceptions aux MEERQ. Un autre fondement possible est le fondement
jurisprudentiel, par exemple, les exigences impératives qui peuvent justifier des entraves, tel
qu’en atteste l’arrêt Cassis de Dijon. Cependant, ces exigences impératives sont distinctes
des exceptions visées à l’article 36 mais, à peu près similaires dans leur régime juridique.
Finalement, le troisième fondement sur lequel peut reposer un obstacle national ce sont
certains principes généraux du droit européen (PDG).
Section I – Les exceptions textuelles issues de l’article 36 du TFUE
Ce texte énumère de façon limitative certaines raison tirées de l’intérêt général qui peuvent
justifier des atteintes à la libre circulation des marchandises. Il s’agit de la moralité publique,
de l’ordre public, de la sécurité et de la santé publique, de la protection des trésors nationaux
et, enfin, de la protection de la propriété industrielle et commerciale. Attention, le texte referme
une seconde phrase selon laquelle ces interdictions ou restrictions d’importation ne doivent
constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le
commerce entre les États membres.
A. Des remarques préalables à l’article 36 du TFUE
Ce texte ne peut être invoqué qu’en l’absence d’harmonisation européenne. En principe, il est
exclu lorsque cette harmonisation a été réalisée (un texte est venu poser le degré d’humidité
dans le pain, par exemple). Le traité a retenu une clause de sauvegarde spécifique à l’article
114 du TFUE qui autorise les États à maintenir ou à édicter de façon provisoire des
dispositions dérogeant à l’harmonisation européenne pour les raisons énoncées à l’article 36
auxquelles il a ajouté la protection de l’environnement et du milieu du travail.
L’article 36 ne peut être invoqué qu’en présence de MEERQ puisqu’il ne se réfère qu’aux
articles 34 et 35 du TFUE et, de ce fait, il ne peut pas justifier des entraves de nature tarifaire
(les TEE) ou fiscale (les impositions intérieures), d’autant plus d’ailleurs qu’il est
d’interprétation stricte, l’on n’étend pas les exceptions de l’article 36. Il n’autorise que les
causes qui sont indiquées à titre de justification et aucune autre.
La mesure nationale doit être indispensable et liée à l’intérêt protégé et elle doit être aussi la
moins restrictive possible pour les échanges et, donc, respecter le principe de proportionnalité
et de reconnaissance mutuelle.
B. Les raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 du TFUE

1. La moralité publique
Selon la CJUE, chaque Etat détermine les exigences de moralité publique selon sa propre
échelle de valeur et selon la forme qu’il choisit. Par exemple, un Etat peut légalement interdire
l’importation sur son territoire d’objets à caractère pornographique (CJCE, 14 février 1979,
Nhenn et Darby) mais il doit respecter, ce faisant, le principe de non-discrimination et il ne peut
pas s’opposer à l’importation de ce type de produis si l’on tolère la fabrication et la
commercialisation chez lui, à savoir, sur son territoire (CJCE, 11 mars 1986, Conegate). La
Cour a encore considéré que la réglementation des jeux de hasard participait des domaines
dans lesquels l’on observe de sérieuses divergences d’ordre moral, d’ordre religieux et d’ordre
culturel entre les États membres. D’où, là encore, la possibilité pour chaque Etat membre de
déterminer le degré de protection des intérêts en cause (CJUE, 8 septembre 2009, Ligue
portugaise de Football professionnel).
2. L’ordre public et la sécurité publique
Il s’agit de notions contingentes, susceptibles de varier dans l’espace et dans le temps. De
façon générale, la mise en œuvre de la réserve d’ordre public suppose, à tout le moins,
l’existence d’une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la
société, à savoir, . Par exemple, en matière de protection de l’ordre public la CJUE a admis
que le Royaume Uni puisse interdire l’exportation de pièces de monnaie qui n’avaient plus
cours et dont la fonte ou la destruction était interdite (CJCE, 23 novembre 1978, Regina
Thompson). Cette mesure, pourtant, repose sur un motif d’ordre public, à savoir, la protection
du droit de frappe mettant en cause les intérêts essentiels de l’Etat (la monnaie est une
prérogative essentielle de l’Etat, du moins avant l’euro).
S’agissant de la sécurité publique, ce motif a été invoqué pour justifier une réglementation
irlandaise qui obligeait les importateurs des produits pétroliers à s’approvisionner à hauteur
d’un certain pourcentage auprès d’une raffinerie installée sur le territoire national. Cela
s’explique parce que l’interruption de l’approvisionnement peut gravement affecter la sécurité
publique (CJCE, 10 juillet 1984, Campus Oil Limited). Cela a été confirmé par l’arrêt CJCE, 25
octobre 2001, Firma Ambulanz Glöckner, où la Cour a confirmé que le maintient d’un stock de
produits pétroliers sur le territoire national pour garantir la continuité d’approvisionnement
constitue bel et bien un objectif de sécurité publique. De façon générale, la Cour a admis à ce
titre la justification d’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure, pour la prévention routière
ou, encore, pour la réglementation de la circulation.
3. La santé publique
L’article 36 vise les dérogations à la libre circulation des marchandises visant à la protection
«de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux».
Cette justification a généré un important contentieux, les États l’invoquant très régulièrement
lorsque leur législation en matière sanitaire, en matière alimentaire, voire vétérinaire est
susceptible d’être qualifiée de MEERQ. Par exemple, pour justifier une autorisation de mise
sur le marché et d’utilisation d’un produit contenant certaines substances autorisées dans
d’autres États membres. Ceux qui ne les autorisent pas vont interdire les produits contenant
ces substances en se prélavant du motif de la santé publique. Nonobstant, cette justification
est très sévèrement appréciée puisque la Cour exige, lorsqu’elle examine la mesure, que les
mesures en cause soient nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Par conséquent, les États doivent établir l’existence d’une menace réelle pour la santé
publique et ils doivent démontrer à la lumière des habitudes alimentaires nationales et aussi
compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale que cette réglementation
restrictive est nécessaire pour préserver les intérêts dont il s’agit. Par exemple, une restriction
visant à interdire la vente des friandises sans emballage spécifique dans des distributeurs
automatiques (CJCE, 24 novembre 2005, Schwarz). Une autre législation justifiée sur le
fondement de la santé publique est une législation accordant un monopole de
commercialisation des médicaments aux pharmaciens (CJCE, 21 mars 1991, Delattre). Cette
justification ne peut être admise qu’en l’absence de réglementations européennes. Si
harmonisation, les contrôles à l’échelle européenne ont déjà été mis en place et, à partir de là,
l’Etat ne pourra plus revendiquer la défense de la santé publique puisque l’Union européenne
a déjà légiféré dans ce domaine sous réserve d’irrégularité ou de fraude. Il existe de
nombreuses réglementations européennes qui instaurent des contrôles sanitaires aux
frontières, ce qui limite sensiblement le champ d’intervention des États membres dans la
matière.
La santé peut, de même, être protégée sur d’autres fondements, par exemple, la Charte des
Droits fondamentaux (2000) dont la valeur juridique est équivalent à celle des traités
fondateurs. L’article 35 de ladite charte dispose que «toute personne a le droit d'accéder à la
prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies
par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine
est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union».
L’on trouve également les exigences impératives et le principe de précaution. La Cour a
récemment précisé l’étendu du pouvoir d’appréciation des États membres pour la mise en
œuvre de ce principe (le principe de précaution) dans le domaine des denrées alimentaires
(CJUE, 19 janvier 2017, Queisser Pharma c/ Allemagne). Le principe de précaution est devenu
un principe général du droit européen, ce qui explique qu’il puisse être invoqué en tant que tel
(en tant que PGD) en dehors des textes qui le visent expressément. Ce principe permet de
déterminer les conditions dans lesquelles le législateur, national ou européen, peut adopter
des mesures visant à protéger la santé des consommateur, ces mesures étant susceptibles
au regard des incertitudes scientifiques d’être associées à l’utilisation d’un produit ou d’un
service.
4. La protection des trésors nationaux
Dans son arrêt CJCE, 10 décembre 1968, Œuvre d’art, la Cour de justice a considéré que les
biens artistiques étaient des marchandises soumises à la libre circulation mais il faut concilier
la libre circulation avec l’impératif de la protection du patrimoine artistique, historique et
archéologique, ce qui explique la dérogation de l’article 36 du TFUE. Les États membres
peuvent définir leurs trésors nationaux et ils peuvent prendre les mesures nécessaires à leur
protection dans le marché intérieur mais ils doivent le faire sur une base dont les règlements
concernant l’exportation de biens culturels hors Union européenne, par exemple, le règlement
116/2009 du 18 décembre 2008 ou la directive édictée en 2014 relative à la restitution de biens
culturels classés comme trésors nationaux qui ont quitté de manière illicite le territoire d’un
Etat membre. Cette directive met en place une coopération administrative pour l’ensemble des
biens culturels, de même qu’elle organise une procédure judiciaire de restitution pour ceux de
ces biens qui ont, en plus, la qualité de trésor national.
5. La protection de la propriété industrielle et commerciale
L’article 36 du TFUE ne vise que la protection de la propriété industrielle et commerciale qui
retrouve les droits de propriété intellectuelle, appliqués aux commerces et à l’industrie. La
catégorie de toutes les œuvres de l’esprit s’appelle la propriété intellectuelle. Cela produit des
prérogatives pour les titulaires, ce ne sont que des droits pécuniaires mais, en plus pour ce
qui concerne la propriété littéraire et artistique, le droit moral de l’auteur sur son œuvre.
Il faut savoir que la CJUE dans la propriété industrielle et commerciale visée dans l’article 36
la branche de la propriété littéraire et artistique (alors qu’elle ne l’aurait pas été au début).
L’article 36 était, cependant, d’interprétation stricte puisqu’il constitue une exception, on
n’étend pas les exceptions puisque si l’on faisait cela, il n’y aurait plus de principes. La Cour
se flatte toujours de retenir ses propres définitions, elle a des définitions autonomes,
indépendantes de celles des autres États membres, elle a une interprétation téléologique, elle
raisonne à partir des objectifs du traité. En ce sens, elle n’a pas étendu les exceptions mais
elle a considéré que la propriété intellectuelle concernait la propriété industrielle et
commerciale au sens large, alors que, normalement et dans les Etats membres, on n’utilise
que le terme de propriété intellectuelle. Pour la CJUE, ce qui est appelé «propriété industrielle
et commerciale» comprend les deux branches : la protection industrielle et commerciale ET la
propriété littéraire et artistique (dont le droit moral de l’auteur sur son œuvre). Elle a retenu sa
propre définition de la formule de l’article 36.
Il n’existe pas de véritable législation européenne d’ensemble concernant la propriété
industrielle et commerciale, il n’existe que quelques textes épars. La propriété industrielle et
commerciale est régie par les législations nationales et cela soulève un véritable problème
puisque les droits nationaux sont conférés aux titulaires par leurs législations nationales. Ces
législations accordent aux titulaires des propriétés intellectuelles qui heurtent, de front, les
deux grands principes européens : la libre concurrence et la libre circulation des
marchandises. Ces prérogatives sont, notamment, le monopole d’exploitation sur le territoire
national.
Le principe européen de libre concurrence veut dire que chacun a la possibilité d’entrer dans
le marché de son choix, on ne peut pas en être empêché par des comportements étatiques.
Cette notion va à l’encontre avec le monopole d’exploitation parce qu’un monopole veut dire
qu’une seule personne peut exploiter les droits. Ce qui heurte le principe de la libre circulation
est la territorialité des droits, puisque chaque législation nationale conférait aux titulaires un
monopole d’exploitation sur le territoire national. Néanmoins, en matière de propriété
industrielle et commerciale, l’on n’a pas voulu donner primauté au droit européen comme on
aurait pu et dû le faire puisque, certes, la libre circulation est la base du marché intérieur mais
les droits des titulaires étaient, tout de même, des droits à protéger, ils représentent la
récompense d’un inventeur, de celui ayant créé quelque chose. Si l’on sacrifiait ces droits sur
l’autel de la libre circulation, la récompense n’existerait pas et les inventeurs seraient
découragés. On a fini par se dire que les droits de propriété intellectuelle étaient aussi
importants que la libre circulation mais il fallait trouver un système qui permette de les concilier,
de faire que ces deux principes contradictoires cohabitent.
La Cour de justice a trouvé une forme de compromis, elle s’est efforcée de trancher ce
dilemme afin de reconnaître et de sauvegarder les monopoles reconnus par les droits
nationaux tout en évitant tout de même qu’ils créent un obstacle absolu aux échanges entre
les Etats membres. Cette construction s’est étalée sur plus de trente ans et aujourd’hui les
règles sont assez claires. Il fallait tracer la frontière entre ce qui relève du droit national et ce
qui revient au droit européen de la libre circulation des marchandises. Cette frontière q été
tracée à l’aide de deux notions : l’objet spécifique du droit et l’épuisement des droits.
5.1. L’objet spécifique
Selon la Cour, chaque droit de propriété industrielle et commerciale possède un objet
spécifique qui limite l’étendue du monopole conféré au titulaire au regard des impératifs de
libre circulation et de libre concurrence. Certains ont pu le qualifier de «noyau irréductible de
légitimité européenne». Seul le titulaire a le droit de mettre en circulation son bien protégé sur
le marché, pour sa première commercialisation. Si le bien n’a pas encore été mis sur le marché
européen, alors il pourra s’opposer à ce qu’un bien identique se présente sur le marché.
La limite est la suivante, selon la Cour, si un produit protégé est mis sur le marché d’un Etat
membre pour la première fois par son titulaire ou par un tiers autorisé, celui-ci ne pourra plus,
ensuite, s’opposer à la libre circulation de ce produit dans l’Union européenne. Autrement dit,
le droit du titulaire est maintenu jusqu’à la première commercialisation, la première mise sur le
marché du produit protégé dans l’Union européenne (produit protégé en France, il le met sur
le marché belge). Tant que ces produits n’ont pas été mis sur le marché européen, le
propriétaire pourra s’y opposer du fait de ses prérogatives, ce qui est maintenu, au titre de ses
prérogatives, est la première commercialisation. Cependant, une fois celle-ci accomplie, il ne
pourra plus s’y opposer.
5.2. L’épuisement des droits
La théorie de l’épuisement des droits prolonge la précédente. Le droit exclusif du titulaire d’un
droit de propriété intellectuelle n’est plus invocable après la première mise en circulation de
son produit, l’on dit qu’il a épuisé son droit. La CJUE, ainsi, par l’objet spécifique elle encadre
ce que l’on peut conserver des prérogatives nationales octroyées aux titulaires. Le titulaire
doit supporter les conséquences de la première mise en circulation et il ne peut pas empêcher
la circulation ultérieure de son produit, lequel produit pourra dorénavant être librement importé
et commercialisé par un tiers dans un autre État membre.
Cette règle connaît des limites en ce qu’elle ne joue pas pour les produits mis en circulations
hors l’Union européenne qui gardent leur objet spécifique.
Les exceptions de l’article 36 ne valent qu’en l’absence d’harmonisation. Par exemple, la
marque fait l’objet d’une directive de 2008 mais en 2015 le PE a adopté un projet de réforme
du droit des marques. L’idée de la réforme était d’harmoniser et de moderniser le droit des
marques dans l’Union européenne, ce paquet comportait non seulement la refonte de la
directive ancienne de 2008 mais, encore, la révision du règlement de 1993 sur la marque
communautaire. La marque communautaire est l’un des très rares titres vraiment européens
qui ne substituent pas à la marque nationale mais coexistent avec elle. La marque
communautaire est devenue marque de l’Union européenne avec le nouveau règlement de
2015 et la nouvelle directive de 2015 remplace la précédente directive de 2008 et harmonise
la législation des marques nationales. Les dessins et modèles font aussi l’objet d’un titre
européen (règlement de 2001) et il existe, de même, un brevet européen qui coexiste avec le
brevet national. Le paquet du brevet européen a instauré ledit brevet et une juridiction unifiée
en matière de brevets.
C. Les conditions d’application de l’article 36
Les dérogations issues de l’article 36 peuvent justifier une mesure distinctement applicable,
c’est-à-dire, une mesure qui ne concerne que les produits importés. De plus, le paragraphe 2
de l’article 36 retient deux conditions d’application particulières, propres à ce texte : l’absence
de discrimination arbitraire et de restriction déguisée dans le commerce entre les Etats
membres.
La première condition (l’absence de discrimination arbitraire) peut paraître curieuse puisqu’une
réglementation nationale qui ne s’applique qu’aux produits importés ou exportés a
nécessairement un caractère arbitraire mais une jurisprudence récente a banalisé la
discrimination, laquelle est établie dès que la législation en cause pénalise directement ou
indirectement les produits importés. Par exemple, elle va empêcher leur commercialisation en
leur soumettant à un contrôle phytosanitaire systématique alors que les produits nationaux de
même catégorie n’y sont pas soumis.
S’agissant de la deuxième condition (le restriction déguisée), la mesure ne doit pas constituer
une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres. Tel est le cas lorsque le
but réellement poursuivi, sous prétexte de protection de la santé, par exemple, est d’empêcher
les importations en provenance des autres Etats membres. Tel était le cas, par exemple, dans
l’affaire CJCE, 15 juillet 1982, Commission c/ Royaume Uni dite Dinde de Noël, où un contrôle
systématique était pratiqué au Royaume Uni sur les dindes françaises prétendument pour des
raisons de santé publique afin de détecter, disait-on, la présence de salmonelle. Le but réel
de la mesure était de ralentir l’importation de ces marchandises à une période cruciale de
l’année (à savoir, Noël). Pendant que les dindes françaises étaient coincées à subir les
contrôles, les dindes anglaises circulaient librement.
Section II – Les limites jurisprudentielles ou les exigences impératives
L’article 36 du TFUE ne peut être invoqué que pour des mesures discriminatoires visant des
produits importés. Inversement, les exigences impératives justificatrices ne sont en principe
admises que pour les mesures indistinctement applicables aux produits importés et aux
produits nationaux. Les exigences impératives ne figurent pas dans le traité et la
reconnaissance des motifs justificatifs non prévus dans le traité et qui justifient des obstacles
à la libre circulation des marchandises trouve son fondement sur la jurisprudence Cassis de
Dijon, où la CJUE indique qu’une entrave peut ne pas être illicite si elle s’avère justifiée pour
une raison d’IG (à savoir, une exigence impérative).
Pour admettre des justifications non inscrites dans le traité, la Cour, dans un premier temps, a
expliqué qu’elle complétait la définition des MEERQ en leur apportant un élément
d’appréciation supplémentaire, il ne s’agissait pas d’ajouter aux traiter, il s’agissait de les
préciser. Par la suite, la Cour a modifié son angle d’approche qui est, d’ailleurs, toujours
d’actualité. Face à une mesure dont on ne sait pas trop ce qu’elle est, la Cour ou le juge
commence par la qualifier, s’il en résulte une MEERQ, il envisage alors les motifs qui
pourraient la justifier, qu’ils soient tirés de l’article 36 ou de sa jurisprudence sur les exigences
impératives. Si la Cour retient l’exigence impératives (qui justifie la MEERQ en question), cette
mesure devient licite et elle ne peut plus être qualifiée de MEERQ. Elle échappe donc au
champ d’application de l’article 34 qui interdit les MEERQ. En revanche, l’appréciation est
différente à l’égard des dérogations textuelles de l’article 36, la mesure reste bel et bien une
MEERQ mais elle est justifiée, précisément, au regard des intérêts défendus dans le texte.
A. Les conditions d’application de la théorie des exigences impératives
Le recours aux exigences impératives n’est admis qu’à défaut d’harmonisation
européenne, c’est en effet «en l’absence d’ne réglementation commune de la production et
de la commercialisation d’un bien», comme le disait la Cour dans la jurisprudence Cassis de
Dijon. On a déjà vu l’article 114 du TFUE qui autorise certaines dérogations même en cas
d’harmonisation.
Ensuite, la mesure en cause ne doit pas être discriminatoire, elle doit s’appliquer
indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés
Elle doit être nécessaire à la satisfaction de l’intérêt en cause et elle doit être proportionnée,
c’est-à-dire, que les atteintes à la libre circulation qui en résultent ne doivent pas être
excessives par rapport au but poursuivi.
Finalement, les exigences nationales doivent impérativement prendre en compte les
mesures édictées dans l’Etat d’origine de la marchandise, mesures qui concourent à la
satisfaction même de l’intérêt général.
Si toutes ces conditions sont remplies, l’Etat en question peut, effectivement, refuser la mise
sur le marché national d’un produit étranger même si ce produit a déjà subi des contrôles et
obtenu des autorisations dans son pays d’origine et c’est seulement si le niveau de protection
obtenu, dans le pays d’origine, est équivalent à celui qu’impose la législation nationale que le
pays sera tenu de l’accepter. Ainsi, si le niveau est équivalent, l’Etat ne pourra pas refuser
l’entrée du produit.
Il faut revenir au principe de proportionnalité, édifié par la jurisprudence avant de devenir un
PGD consacré dans les traités. L’affaire de la loi allemande sur la pureté de la bière illustre
cette jurisprudence en matière de libre circulation des marchandises. En l’espèce, cette loi
allemande réservait la dénomination de bière aux boissons élaborées à partir de certains
éléments de fabrication seulement et pas d’autres. De plus, cette même loi frappait les bières
comportant des additifs d’une interdiction absolue de commercialisation. Sans surprise, cette
loi est soumise au contrôle de la CJUE. Sur le premier point, l’Allemagne interdisait l’entrée
des bières qui ne correspondaient pas à la réglementation de la loi (qui pouvaient rentrer en
Allemagne à condition que les producteurs ne les dénomment pas en tant que «bière»), la
Cour de justice a considéré, alors, que la protection du consommateur pouvait être assurée
autrement, notamment par un étiquetage adéquat (puisque l’Allemagne se défendait en disant
que cette loi constituait une exigence impérative et non pas une MEERQ), en effet, l’étiquetage
donne aux consommateurs une information objective sur le contenu et le mode de fabrication
des produits et, ainsi, ils peuvent choisir en connaissance de cause. La Cour a ajouté que «la
loi nationale ne doit pas servir à cristalliser les habitudes des consommateurs et à préserver
les avantages acquis par les industries nationales, lesquelles se sont adaptées pour les
satisfaire». Il existe, peut)_être, un intérêt à préserver, mais pour ce faire, on doit choisir la
mesure la moins restrictive pour les échanges (un étiquetage en plus, peut-être mais non pas
une interdiction totale). Sur le second point concernant les additifs, la CJUE a estimé que la
législation allemande était excessive, en ajoutant qu’une interdiction doit être limitée à ce qui
est, effectivement, nécessaire compte tenu des travaux internationaux et des normes en
vigueur dans l’Etat membre de production et, ensuite, cette interdiction doit être assortie d’une
possibilité de dérogation avec, en cas de refus, l’ouverture d’un recours juridictionnel, sa
nécessité doit être démontrée par l’Etat d’importation (l’Allemagne), celui-ci supporte donc la
charge de la preuve (CJCE, 12 mars 1987, Commission c/ Allemagne + CJCE, 5 février
2004, Commission c/ France, à propos d’une procédure d’autorisation des denrées
alimentaires enrichies en substances nutritives non transparente et peu compréhensible ou
accessible pour les opérateurs étrangers).
B. Le contenu de la catégorie des exigences impératives
Dans l’affaire Cassis de Dijon, la Cour n’avait mentionné que quatre exigences impératives qui
permettaient de rejeter la qualification de MEERQ. Il s’agissait de l’efficacité des contrôles
fiscaux, des exigences de protection des consommateurs, de la loyauté des
transactions commerciales et de la protection de la santé publique. L’efficacité des
contrôles fiscaux n’a jamais été évoquée après la jurisprudence Cassis de Dijon mais les deux
suivantes (la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales)
figurent très souvent parmi les moyens de défense qu’invoquent les Etats membres. Cela dit,
la CJUE admet rarement leur bien-fondé car elle considère que leurs objectifs peuvent, le plus
souvent, être atteints par des moyens moins restrictifs qu’une limitation directe ou indirecte
des importations. Dans la jurisprudence Cassis de Dijon, l’adverbe «notamment» précédait les
quatre catégories mentionnées par la CJCE, ce qui veut dire que la liste n’était pas fermée et
il a été possible d’invoquer par la suite, au titre des exigences impératives, l’amélioration des
conditions de travail, la protection de l’environnement, la lutte contre la criminalité et ainsi de
suite.
Section III – Les dérogations issues des PGD
A. Le principe de précaution
Ce principe a été élevé en tant que PGD en 2002 (TPI, 26 novembre 2002, Artegodan), cela
veut dire que même si ce principe n’est évoqué dans le traité qu’à propos d’une question
particulière, désormais, l’on peut l’extraire de cette question pour l’invoquer dans tous les
domaines. Le principe de précaution n’était visé dans le traité qu’à propos de l’environnement
(art. 191 du TFUE) mais, après la jurisprudence Artegodan, il a connu un développement
jurisprudentiel très important, notamment en matière de santé publique, c’est-à-dire, qu’un
risque réel ou supposé pour la santé des individus peut être utilement invoqué pour empêcher
l’accès d’une marchandise au marché national.
Le problème pour le juge c’est qu’il doit trouver un équilibre entre les préoccupations légitimes
des Etats membres en la matière et les abus qui pourraient en résulter. Le principe a été
invoqué pour la première fois dans l’affaire de la maladie de la vache folle (CJCE, 5 mai 1998,
Commission c/ Royaume Uni, à propos de l’encéphalopathie spongiforme bovine). Selon la
Cour, lorsque des incertitudes scientifiques subsistent quant à l’existence d’un risque pour la
santé humaine, les institutions communautaires peuvent prendre les mesures de protection
nécessaire sans attendre que la réalité et la gravité de ces allégations soit pleinement
démontrées. Les conditions d’application de ce principe ont été précisées dans une
communication de la Commission européenne de 2000 (Com, 2 février 2000), puis, reprises
par le Tribunal et la Cour de justice selon un schéma type qui comprend plusieurs étapes.
La première étape consiste à déterminer la réalité du risque. Ensuite, il s’agit de contrôler les
mesures adoptées par l’Etat membre. Troisièmement, il convient de vérifier la proportionnalité
de ces mesures entre les atteintes portées au marché et l’objectif poursuivi (même démarche
que pour Cassis de Dijon). La Cour a ajouté que le risque ne doit pas être hypothétique (CJCE,
9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia, à propos des produits génétiquement
modifiés), il doit être suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus
récentes et de cette appréciation, doit découler un grand degré d’incertitude scientifique et
pratique (CJUE, 28 janvier 2010, Commission c/ France, à propos d’une réglementation
française concernant les auxiliaires technologiques).
B. Le respect des droits fondamentaux
En 2003, la Cour a fait appel pour la première fois au respect des droits fondamentaux garantis
par la Convention européenne des droits de l’homme (CJCE, 12 juin 2003, Schmidberger). Le
respect des droits fondamentaux s’agit d’un intérêt légitime de nature à justifier une restriction
aux obligations imposées par le droit européen même s’il s’agit d’une liberté fondamentale
protégée par le traité comme la libre circulation des marchandises. Le respect des droits
fondamentaux s’impose tant à l’Union européenne (en tant que PGD qui figure à l’article 6-3
du TUE) qu’aux Etats membres (tous les Etats membres sont membres de la CEDH). Là
encore, il convient de mettre en balance les intérêts en présence pour vérifier si les restrictions
imposées sont proportionnées au but poursuivi. L’Union européenne doit adhérer à la CEDH
mais elle possède, de même, une Charte des droits fondamentaux qui correspond, peu ou
prou, à la CEDH. Par ailleurs, les droits fondamentaux sont, curieusement, très invoqués en
matière du droit de la concurrence.
Section IV – L’action préventive contre les restrictions à la libre circulation des
marchandises
Cette action peut prendre, en premier lieu, une forme contentieuse à travers le recours en
manquement qui oblige l’Etat à faire disparaître toute trace de l’illicéité. Par ailleurs, la
procédure du renvoi préjudicielle en interprétation contribue à l’élimination des entraves grâce,
d’une part, à une meilleure application des dispositions européennes et, d’autre part, à
l’autorité quasi absolue qui est reconnue aux arrêts préjudiciels.
Cependant, la procédure juridictionnelle est longue et, dans le cadre du recours en
manquement introduit contre l’Etat, la sanction est tardive et elle n’intervient qu’a posteriori.
De ce fait, le législateur européen a cherché des instruments non contentieux pour prévenir
les obstacles à la libre circulation des marchandises ou pour y mettre fin définitivement.
L’instrument privilégié pour éliminer les disparités entre les réglementations nationales créant
des entraves est l’harmonisation, par l’édiction des directives, en créant des instruments
propres à prévenir les entraves aux échanges, à savoir, des instruments d’information, d’alerte
et des instruments de contrôle.
Titre II
La libre circulation des personnes
Cette liberté est parallèle à la libre circulation des marchandises et elle a connu un évolution
profonde grâce au traité de Maastricht, à des textes de droit dérivé et à la jurisprudence, le
tout ensemble ayant permis de distinguer deux types de liberté : celle des agents économiques
et celle des individus exercée à des fins personnelles en dehors de toute considération
économique.
Chapitre I – Les bénéficiaires de la libre circulation
Ces bénéficiaires sont, le plus souvent, des personnes mais il peut s’agir aussi des services.
Section I – Les personnes
Il y a deux types de personnes : les personnes physiques et les personnes morales
Sous-section I - Les personnes physiques
Dans le traité de Rome, les personnes physiques bénéficiaient de la liberté de circulation en
raison uniquement du caractère économique de leurs activités. Cette liberté était étendue, tout
de même, aux membres de leur famille. Cette liberté apparaissait alors comme le complément
indispensable de la mobilité professionnelle des agents économiques. Traditionnellement,
cette liberté renferme le droit de se déplacer dans un autre Etat membre et d’y séjourner ainsi
que le libre exercice d’une activité professionnelle dans un autre Etat membre. Puis, trois
directives de 1990 ont consacré le droit de séjour général que chaque Etat membre doit
accorder aux ressortissants des autres Etats membres, indépendamment de l’exercice d’une
activité professionnelle. Enfin, le traité de Maastricht a parachevé l’évolution en instituant une
citoyenneté de l’Union qui a généralisé la qualité de bénéficiaire de la liberté de circulation
dans l’article 20 du TFUE. La dernière étape est intervenue en 2004 avec la directive relative
aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner
librement sur le territoire de tous les Etats membres (Directive N°2004/38/CE du 29 avril
2004). Cette directive a remplacé les trois directives de 1990 dont elle s’inspire largement, tout
en renforçant la mobilité des intéressés dans l’Union européenne. Aujourd’hui, l’article 21 du
TFUE reconnaît le droit de tout citoyen de circuler et de séjourner librement sur le territoire
des autres Etats membres. Néanmoins, on distingue parmi les personnes physiques celles qui
exercent une activité économique et les personnes non-actives qui circulent et séjournent dans
un autre Etat membre à d’autres fins.
A. Les personnes physiques exerçant une activité professionnelle
Les droits reconnus à ces personnes peuvent être étendus aux membres de leur famille. Le
traité de Rome était un traité économique qui reconnaissait aux ressortissants européens, quel
qu’ils soient, le droit de séjourner et de circuler dans les autres Etats membres pour y travailler,
cette activité étant le but. Il s’agissait de leur faciliter l’accès au territoire de tous les Etats
membres compte tenu, notamment, des principes de non-discrimination à raison de la
nationalité.
Les personnes visées, au départ, étaient uniquement envisagées à travers leur activité
professionnelle, cela sous trois angles différents que l’on retrouve dans le TFUE.
Premièrement, l’exercice salarié d’une activité transfrontière (une activité salariée exercée
dans un autre Etat membre que le sien, articles 45-48 du TFUE). Deuxièmement, la
réalisation d’une prestation de services (envisagée aux articles 56 à 62 du TFUE, le fait
d’un salarié détaché ou d’un indépendant, cette réalisation concerne les salariés ET les
indépendants) et, troisièmement, l’établissement dans un autre Etat membre en tant que
travailleur indépendant ou en tant que société (visé dans les articles 49 à 54 du TFUE),
sous l’angle du droit d’établissement. Dans tous les cas, trois conditions sont exigées afin que
ces opérateurs économiques puissent bénéficier de la libre circulation :
▪ La nationalité
▪ L’effectivité
▪ L’extranéité

1. La condition de nationalité
L’intéressé doit être le ressortissant d’un Etat membre mais il faut tenir compte de certains
accords d’association ou de coopération conclus entre l’Union et des Etats tiers. Ces accords
peuvent reconnaître à leurs ressortissants, sous certaines conditions, la non-discrimination
dans les conditions de travail, de rémunération et de protection sociale des travailleurs salariés
(en bénéficiant, en fin de compte, de la libre circulation). Tel est le cas des accords conclus
avec la Turquie et les pays du Maghreb. De plus, l’accord sur l’EEE a étendu le bénéfice de
certains droits attachés à la liberté de circulation aux ressortissants des Etats membres de
l’Association européenne de libre échange (AELE). Dans les domaines qui n’ont pas encore
fait l’objet d’une harmonisation et, particulièrement, dans le cadre de la politique d’immigration,
le ressortissant du pays tiers bénéficiaire d’un accord de ce type bénéficie des garanties
prévues par l’accord. Ces garanties participent du droit de l’Union et elles sont interprétées de
la même manière que les règles européennes. C’est ainsi que la CJUE a censuré la différence
de traitement inscrite dans la législation néerlandaise à propos de la tarification des titres de
séjour, selon que les demandes émanaient des citoyens européens ou des citoyens turcs qui
font l’objet d’accords d’association (CJUE, 29 avril 2010, Commission c/ Pays-Bas, confirmant
la jurisprudence antérieure CJUE, 17 septembre 2009, Sahin).
2. La condition d’effectivité
Dans tous les cas, l’activité professionnelle doit être effective et réelle, peu importe le nombre
d’heures de travail, ce travail peut être exercé à temps plein ou à temps partiel pourvu que
l’intéressé «exerce des activités réelles et effectives à l’exclusion d’activités tellement réduites
qu’elles se présentent comme étant purement marginales et accessoires» (REF ZOOM), tel
n’est pas le cas de celui qui accepte un travail de quelques heures par semaine à titre de
couverture pour bénéficier des droits accordés aux travailleurs. Tel n’est pas le cas non plus
de l’individu venu aux Pays-Bas pour y subir une cure de désintoxication et il y trouve un
emploi dans le cadre de sa réinsertion puisqu’il s’est déplacé dans le but de se soigner (CJCE,
31 mai 1989, Bettray). Si le travail n’est pas effectif, le ressortissant peut rester dans l’autre
Etat membre mais au titre des conditions de séjour générales.
En revanche, la Cour a considéré sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3 de la directive
de 2004 que le citoyen européen qui a cessé d’exercer après plus d’un an une activité
indépendante dans un autre Etat membre pour des raisons indépendantes de sa volonté
conserve la qualité de travailleur non-salarié et, pour autant, il conserve un droit de séjour dans
cet Etat (CJUE, 20 décembre 2017, Gusa). Il en va de même d’une personne qui cesse
d’exercer une activité non salariée (indépendante) en raison des contraintes physiques liées
à sa grossesse et aux suites de son accouchement pourvu qu’elle reprenne cette activité ou
trouve une autre activité non salariée ou trouve un emploi dans une période raisonnable
suivant la naissance de son enfant (CJUE, 19 septembre 2019, Dakneviciute).
3. La condition d’extranéité
Pour bénéficier de la libre circulation, l’intéressé ne doit pas se trouver dans une situation
purement interne mais dans une situation telle que le droit européen lui soit applicable. Tout
d’abord, il peut faire valoir soit qu’il a séjourné auparavant dans un autre Etat membre (la
condition d’extranéité ayant été remplie avant), soit qu’il y a acquis une qualification
professionnelle, l’activité concernée correspondant à une profession harmonisée. Ainsi, un
plombier néerlandais (la profession de plombier relevait d’une directive relative au secteur de
l’artisanat) qui avait travaillé en Belgique souhaitait se réinstaller aux Pays-Bas mais il ne
satisfaisait pas les conditions de la législation de son pays d’origine pour être plombier.
Pourtant, il a pu faire valoir la liberté de circulation à l’instar de tous les autres travailleurs des
autres Etats membres souhaitant s’y installer (CJCE, 7 février 1979, Knoors). En d’autres
termes, un ressortissant européen peut utiliser le droit européen pour acquérir dans un autre
Etat membre une qualification professionnelle déterminée. Il pourra réclamer, ensuite, dans
son propre pays le bénéfice de la libre circulation au même titre que les ressortissants des
autres Etats membres et que l’activité soit salariée ou pas.
En revanche, il ne pourra pas revendiquer la libre circulation s’il a toujours exercé son activité
professionnelle dans son pays après y avoir fait des études puisqu’il serait dans une situation
purement interne. Il ne pourrait pas non plus bénéficier de la libre circulation s’il a acquis sa
qualification professionnelle dans un autre Etat membre mais que celle-ci n’a pas été
harmonisée puisqu’il n’y a pas de directive (cette règle ne vaut que pour les professions
harmonisées). Dans ces deux hypothèses, il est considéré comme dans une situation de pur
droit interne et il ne peut pas exiger plus que ce que l’Etat accorde à ses nationaux, il doit
souscrire aux conditions de la législation nationale. Par exemple dans l’affaire CJCE, 7 février
1979, Auer, la Cour de justice a refusé à un français qui souhaitait s’établir en France après
avoir obtenu le diplôme de vétérinaire en Italie, le droit de se prévaloir des règles de la libre
circulation parce que les directives relatives aux vétérinaires n’avaient pas encore été
transposées (aujourd’hui, cela aurait été accepté). De ce fait, ce français n’a pas pu exercer
sa profession puisqu’il devait se soumettre aux conditions prévus par la législation française.
De même, un coiffeur français a dû passer son diplôme en France alors que les autres
ressortissants européens ont pu en être dispensés au regard des règles de la libre circulation
parce qu’il était dans une situation purement interne. Dans ce cas, non seulement l’intéressé
est privé de la possibilité d’invoquer les règles de la libre circulation mais, encore, il peut subir
une discrimination à rebours (CJCE, 16 février 1995, Aubertin).
L’évolution jurisprudentielle plus récente tend, cependant, à assouplir la condition d’extranéité.
Pendant longtemps, la Cour a refusé de se prononcer sur les situations purement internes,
lorsque tous les éléments du litige sont cantonnés à un seul Etat membre mais elle a accepté
de s’y intéresser dans certaines hypothèses, se calquant sur sa jurisprudence relative à la libre
circulation des marchandises. Par exemple, elle a statué à propos des experts-comptables
italiens qui invoquaient le droit européen pour contester la législation italienne, laquelle les
évinçait de l’activité de contrôle fiscale alors que les ressortissants des autres Etats membres
y avaient accès (CJCE, 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, confirmé par
CJUE, 11 mars 2010, Attanasia Groupe SRL c/ Commune di Carbognano). Selon les
conclusion de l’avocat général Wahl dans l’affaire CJUE, 5 décembre 2013, Venturini, la
recevabilité s’impose «dès lors que certains effets transfrontaliers de la législation nationale
ne peuvent être exclus». Il s’agissait, en l’espèce, de l’interdiction italienne faite aux
parapharmacies de vendre des médicaments soumis à prescription médicale mais non-
remboursés. Toutefois, cette interdiction peut être considérée comme une entrave au
commerce intra-européen parce qu’elle peut décourager les ressortissants des autres Etats
membres qui le souhaiteraient d’exploiter des parapharmacies en Italie (dans le même sens :
CJUE, 13 février 2014, Sokoll + CJUE, 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa).
B. Les membres de la famille de la personne qui exerce l’activité économique
Dans un premier temps, un règlement de 1968 et une directive de 1973 ont accordé le bénéfice
de la libre circulation aux membres de la famille du travailleur. Cette extension a levé un
obstacle majeur à la volonté de circuler des travailleurs européens puisqu’elle a autorisé leurs
familles à les accompagner, en leur accordant le droit au respect à leur vie familiale (art. 8 de
la CEDH). Ces textes ont été codifiés dans une directive de 2004 que nous étudierons plus
loin.
Les bénéficiaires sont les citoyens de l’Union et les membres de leur famille. Cela peut être
le conjoint ou le partenaire (dans le cadre d’un PACS) même s’il est du même sexe. Ensuite,
ce sont les descendants directs de moins de 21 ans ou à charge et les ascendants directs à
charge, qu’il s’agisse de ceux de l’intéressé ou de ceux de son conjoint ou partenaire et cela
quel que soit leur nationalité. La directive de 2004 a également uniformisé les droits auxquels
peuvent prétendre les membres de la famille du travailleur bénéficiant du droit de séjour. Par
exemple, ils peuvent exercer eux-mêmes une activité salariée (ou pas) quel que soit leur
nationalité et cette extension peut bénéficier à des ressortissants dans des pays tiers liés à un
ressortissant de l’Union ou bien même à des ressortissants de pays tiers liés à un ressortissant
d’un pays tiers mais bénéficiaire via un accord d’association de certains aspects de la libre
circulation. Par exemple, la Cour de justice a, ainsi, reconnu, au terme, il est vrai, d’une
certaine durée de résidence régulière dans un Etat membre, le droit d’accès à l’emploi aux
membres de la famille d’un travailleur turc, bénéficiaire lui-même d’un emploi dans cet Etat.
De ce fait, les ressortissants des pays tiers bénéficient aussi d’un droit de séjour dans des
conditions déterminées par l’Etat d’accueil à propos de l’accès à son territoire et à son marché
du travail par des ressortissants de pays tiers (CJCE, 17 avril 1997, Selma Kadiman).
Néanmoins, la Cour a considéré que cette égalité de traitement en matière de liberté
professionnelle ne peut bénéficier au conjoint ressortissant d’un pays tiers que si le principal
intéressé, qui lui est ressortissant d’un Etat membre, a fait l’usage de son droit à la libre
circulation. Il en résulte, en principe, que celui qui a toujours séjourné dans son Etat membre
d’origine ne peut pas bénéficier de la directive de 2004, aucun droit dérivé de celle-ci ne
pouvant dès lors être reconnu aux membres de sa famille qui eux seraient ressortissants d’un
pays tiers. Dans l’affaire McCarthy (2011), la Cour a refusé d’accorder un droit de séjour au
mari, ressortissant d’un Etat tiers, de Mme. McCarthy, laquelle n’avait jamais exercé son droit
à la libre circulation dans un autre Etat membre (CJUE, 5 mai 2011, McCarthy). En revanche,
dans une autre affaire, la Cour a reconnu le droit de séjour et même une dispense de permis
de travail à un père de famille colombien qui assumait des enfants mineurs belges et, donc,
citoyens de l’Union sans exiger d’eux un déplacement préalable hors Belgique (CJUE, 8 mars
2011, Ruiz Zambrano).
Cette différence de solution s’explique parce qu’en cas de refus les enfants auraient été privés,
comme l’a dit la Cour, de «la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur
statut de citoyen de l’Union», ce qui montre l’aspect aussi pragmatique du droit de l’Union. Les
enfants belges auraient été obligés à quitter non seulement leur pays d’origine (la Belgique)
mais, également, tout le territoire de l’Union européenne. La jurisprudence Zambrano a, tout
de même, été qualifiée d’exceptionnelle par la Cour, cela en raison de la dépendance qui
existait entre les citoyens en bas âge et le ressortissant du pays tiers (le père colombien).
L’application stricte des règles à l’instar de la jurisprudence McCarthy aurait remis en cause la
notion de la citoyenneté européenne. De façon générale, la CJUE se montre plutôt souple
dans ce genre de situations. Effectivement, le droit de séjour de l’enfant scolarisé d’un
travailleur migrant se transmet au parent qui a sa garde effective alors même qu’il ne dispose
pas des ressources suffisantes. Le droit de séjour du parent peut même se prolonger au-delà
de la majorité de l’enfant, alors qu’il ne remplit pas les conditions, lorsque celui-ci poursuit des
études sous réserve de démontrer que la présence et les soins de ses parents lui sont
nécessaires pour mener ses études à bonne fin (CJUE, 23 février 2010, Teixeira + CJUE, 8
mars 2013, Alarape). Cela dit, cette possibilité paraît réservée aux parents ayant exercé une
activité salariée et non indépendante, sans doute pour ne pas étendre, contre la volonté de
l’Etat en cause, les droits qui peuvent dériver de la présence d’enfants de migrants sur son
territoire. En 2019, la Cour s’est prononcée précisément sur cette condition de ressources
suffisantes (inscrite dans la directive de 2004) pour fonder l’éventuel droit de séjour des
parents albanais de petits citoyens irlandais au Royaume Uni (CJUE, 2 octobre 2019,
Bajratari). Pour fonder l’éventuel droit de séjour de ces parents, la Cour a admis que ses
ressources puissent provenir de revenus tirés de l’emploi exercé de manière illégale par le
père de famille, ressortissant d’un pays tiers qui n’avait ni titre de séjour ni permis de travail
dans cet Etat membre (le Royaume Uni, en l’espèce). Dans l’affaire Bajratari, aucun membre
de la famille ne s’était déplacé dans un Etat membre et, malgré tout, la Cour applique les
règles de la libre circulation.
Le regroupement familial concerne le conjoint et les enfants mineurs du regroupant, il est
reconnu par la directive du 22 septembre 2003 à tout ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un
titre de séjour délivré par un Etat membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an,
dans la perspective d’obtenir un droit de séjour permanent. Le regroupement familial a généré
un très important contentieux, d’autant plus que les conditions de ressources et d’assurance
maladie doivent être remplies.
C. Les personnes non actives
Les trois directives de 1990 reconnaissaient le droit de séjour général que chaque Etat
membre doit accorder aux ressortissants des autres Etats membres, cela indépendamment
de l’exercice d’une activité professionnelle. Ces directives ont été abrogées et remplacées par
la directive de 2004 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille
de circuler et de séjourner librement sur le territoire de tous les Etats membres. Entre temps,
le traité de Maastricht a parachevé cette évolution en instituant la citoyenneté européenne qui,
donc, a généralisé la qualité de bénéficiaire de la liberté de circulation. Le citoyen de l’Union,
d’ailleurs, est celui qui a la nationalité d’un Etat membre, aux termes de l’article 20 du TFUE.
Le droit des ressortissants européens de circuler et de séjourner dans un autre Etat membre
que le leur, indépendamment de tout but économique, a été étendu aux membres de leur
famille, à l’instar du cas précédent. Les membres de leur famille restent, d’ailleurs, les mêmes.
1. La portée de la citoyenneté européenne
La libre circulation comporte le déplacement et le séjour affirmé dès l’origine dans le traité de
Rome. Pourtant, ces droits ne bénéficiaient alors qu’aux travailleurs. Ils ont ensuite été
consacrés en tant que droits du citoyen européen tant par l’Acte unique européen (1986) que
par d’autres instruments ultérieurs : le traité de Maastricht, la Charte des droits fondamentaux,
qui a la même valeur que les traités et le traité de Lisbonne, qui a renforcé la participation du
citoyen européen à l’évolution de la construction européenne. De cette citoyenneté, la
jurisprudence retient une acception large et elle tend à y voir, selon une formule classique, «le
statut fondamental des ressortissants des Etats membres». Aujourd’hui, la citoyenneté
européenne est régie par les articles 18 à 25 du TFUE et les droits concernés reposent, quant
à leur mise en œuvre, sur différents textes de droit dérivé dont notamment la célèbre directive
2004/38 du 29 avril 2004 qui en a précisé le régime.
La citoyenneté renferme, donc, en premier lieu, le droit de circuler et de séjourner librement
sur le territoire des Etats membres (art. 21 TFUE), sous réserve des limitations et conditions
contenues dans les traités et leurs règles d’application. Ensuite, elle renferme aussi de
nombreux autres droits, donc certains, d’ailleurs, se situent dans le prolongement de la liberté
de circulation. Par exemple, le droit à la jouissance des droits civils et politiques qui implique,
notamment, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen
dans l’Etat membre de résidence (art. 22 TFUE). On peut aussi y inclure le droit de pétition
devant le Parlement européen et le droit de recours au médiateur européen contre un acte de
mauvaise administration d’une institution européenne (art. 24 TFUE). S’y ajoute, également,
la protection diplomatique et consulaire des autorités de tout Etat membre lorsque l’Etat d’un
ressortissant n’est pas représenté dans un Etat tiers (art. 23 TFUE). Ces droits peuvent être
exercés, attention, par toute personne résidant dans un Etat membre. Finalement, on peut
citer les nombreux droits fondamentaux dont les citoyens de l’Union peuvent se prévaloir,
compte tenu de la valeur contraignante de la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre
2000.
En vertu de l’article 20 du TFUE, toutes les personnes qui ont la nationalité d’un Etat membre
sont les bénéficiaires de cette citoyenneté alors que la liberté de circulation s’étend à des
individus qui peuvent être des ressortissants de pays tiers, cela en vertu du regroupement
familial. On peut le comprendre car, à défaut, le ressortissant de l’Union serait dissuadé
d’exercer son droit à l a libre circulation. A propos des droits de déplacement et de séjour, la
citoyenneté européenne n’a rien apporté aux ressortissants de l’Union européenne. En
revanche, l’appréciation très large dont elle fait l’objet a permis aux citoyens de l’Union, dès
lors qu’ils séjournaient légalement dans l’Etat membre d’accueil, de toucher les prestations
sociales normalement réservées aux ressortissants des Etats membres et aux personnes
économiquement actives, en faisant valoir l’interdiction de toute discrimination en raison de la
nationalité dans tous les domaines qui relèvent de la compétence du traité.
Sous-section II – Les personnes morales
Le traité assimile certaines personnes morales aux personnes physiques ressortissantes des
Etats membres, cette assimilation leur permettant de bénéficier des règles de la libre
circulation.
A. L’assimilation des personnes morales aux personnes physiques
L’article 54 du TFUE dispose que sont assimilées aux personnes physiques «les sociétés de
droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales
relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but
lucratif». Le but lucratif est entendu au sens large, c’est-à-dire, que la recherche d’un bénéfice
n’est pas nécessaire, il suffit de participer à l’activité économique de façon intéressée, à savoir,
contre versement d’une rémunération et non d’une intervention gratuite. Ainsi, l’on exclut les
associations, les syndicats et les fondations.
B. Les conditions de l’assimilation
Selon la CJUE, l’exercice de la liberté d’établissement suppose, nécessairement, la
reconnaissance des sociétés par tout Etat membre dans lequel elles souhaitent s’établir. De
façon générale, on dira que les personnes morales sont assimilées aux personnes physiques
à la double condition : qu’elles soient conformément à la législation d’un Etat membre et
qu’elles aient soit leur siège statutaire, soit leur administration centrale, soit leur principal
établissement à l’intérieur de l’Union. La France, par exemple, privilégié le système du siège
réel mais tout cela dépend des Etats. Le choix est ouvert entre trois facteurs de localisation
mais un seul suffit.
Les sociétés complètement intégrées à une économie étrangère et qui n’ont donc avec l’Union
européenne qu’un lien purement juridique pourra bénéficier de la libre circulation. Si une
société étrangère souhaite s’établir à titre secondaire dans un Etat membre en y créant une
filiale, une succursale ou une agence, elle pourra bénéficier des avantages consenti par
chaque Etat membre aux ressortissants européens alors qu’elle ne contribue pas au
développement des objectifs économiques de l’Union européenne. Précisément, pour éviter
ce type de comportements abusifs, le Conseil a posé une condition supplémentaire en 1962.
Dès 1962, une société qui n’aurait que son siège statutaire dans l’Union européenne ne
peut être considérée comme étable à l’intérieur de celle-ci que si son activité présente
un lien effectif et continu avec l’économie d’un Etat membre. Dans cette hypothèse, le
seul lien juridique du dépôt du statut ne suffit pas. Il résulte de cette condition qu’il doit être
complété par un lien d’ordre économique. Le lien supplémentaire exigé sera, par exemple, un
courant d’affaires permanent entre la société étrangère et les entreprises de l’Union ou,
encore, des bâtiments et installations implantés dans l’Etat membre où la société a installé
son siège statutaire.
Section II – Les services
L’article 56 du TFUE interdit les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de
l’Union européenne. L’article 57 du TFUE définit comme services «les prestations fournies
normalement contre rémunération dans la mesure où elles ne sont pas régies par les
dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes».
Le texte cite également au titre de services les activités de caractère industriel, commercial,
de même que les activités artisanales et celles des professions libérales. Par exemple, la Cour
a considéré que le refus des autorités françaises compétentes de délivrer le boîtier de
raccordement au réseau virtuel des avocats (RPVA) opposé à l’avocat inscrit au barreau d’un
autre Etat membre était une restriction à la liberté de prestation des services (CJUE, 18 mai
2017, J-Ph L). Le prestataire de services peut, donc, se livrer sur le territoire d’un autre Etat
membre que celui où il est établi à l’exécution d’une prestation de façon temporaire,
occasionnelle ou même régulière, mais sans implantation permanente (cela relèverait du droit
d’établissement). Le caractère, en principe, temporaire n’exclut pas la possibilité pour le
prestataire de se doter dans l’Etat membre où il effectue sa prestation d’une certaine
infrastructure si cette infracteur est nécessaire à l’accomplissement de la prestation (CJCE,
30 novembre 1995, Gebhard).
On peut proposer des services aux ressortissants, et même les effectuer, d’un Etat membre
sans effectuer matériellement des prestations de services sur le territoire de cet Etat membre .
De plus, si certains services sont faciles à localiser, d’autres ne le sont pas. Par exemple, une
construction, une plaidoirie sont faciles à localiser mais un virement transfrontalier ou des
services effectués par la voie électronique posent problème. La localisation du service est
importante car elle permet de déterminer son caractère transfrontalier et, donc, de savoir si le
service entre (ou pas) dans le champ européen de la libre prestation de services. Il n’y a libre
prestation de services que si le service est fourni dans un autre Etat que celui de
l’établissement qui est le point de départ.
Devant des situations ambiguës, le critère de localisation le plus souvent retenu est la
prestation caractéristique du service, c’est-à-dire, celle pour laquelle un paiement est dû.
Les éléments qui permettent de délimiter le champ d’application de cette liberté sont, donc :
▪ Une activité économique ou, plus précisément, des prestations fournies contre
rémunération. Cette rémunération constituant «la contrepartie économique de la
prestation en cause, contrepartie qui est normalement définie entre le prestataire et le
destinataire du service», aux termes de la Cour de justice (CJCE, 27 septembre 1988,
Humbel).

▪ Ces prestations doivent être effectuées dans un contexte d’extranéité, ce qui signifie
que l’activité doit être transfrontalière.

▪ Elles doivent être effectuées de manière indépendante. S’il s’agit d’une activité
salariée, on change de domaine car la prestation de services relèverait des dispositions
sur la libre circulation des travailleurs.
Dans quel cas une activité économique peut-elle être qualifiée de transfrontalière ? L’activité
économique peut être considérée comme transfrontalière lorsque
▪ Le prestataire fournit ses services sur le territoire d’un autre Etat membre que celui où
il est établi, une prestation de services active (l’hypothèse la plus classique).
▪ Il y a, encore, activité économique transfrontalière lorsque le destinataire de la
prestation (le bénéficiaire) se déplace sur le territoire où est établi le prestataire pour
bénéficier de ladite prestation. Par exemple, lorsqu’un malade espagnol vient consulter
un médecin français.

▪ Il se peut, encore, que personne ne se déplace dans le cas des services fournis à
distance dans un autre Etat membre. L’objet de la prestation passe la frontière dans
cette hypothèse.

▪ L’activité sera encore transfrontalière alors que les deux protagonistes de la prestation
(destinataire/prestataire) sont originaires d’un même Etat membre et se déplacent tous
les deux dans un autre Etat membre. Par exemple, un avocat français qui défend un
ressortissant français en Italie ou le guide touristique qui accompagne des clients du
même Etat que lui dans un autre Etat membre pour faire du tourisme.
Une difficulté a surgi à propos de la qualification de services d’intermédiation comme Uber,
lequel a pour objet, via une application pour smartphone, de mettre en relation, contre
rémunération, des chauffeurs non professionnels qui utilisent leurs propres véhicules avec des
personnes souhaitant effectuer un déplacement urbain. La question de la qualification de ces
activités a été posée à la CJUE. Est-ce qu’il s’agit de services prestés dans le domaine des
transports au sens de l’article 58 du TFUE et qui, de ce fait, seraient exclus du texte de la
prestation des services classique ? La qualification est importante car elle induit le régime
juridique applicable. En d’autres termes, fallait-il appliquer le droit européen de la libre
prestation des services ou bien fallait-il recourir à la compétence partagée de l’Union et des
Etats membres dans le domaine des transports locaux ? La Cour a considéré, en 2017, qu’il
s’agissait de services relevant du domaine des transports (CJUE, 20 décembre 2017,
Association professionnelle Elite Taxi). Elle a réitéré cette position dans l’arrêt CJUE, 10 avril
2018, Uber France.
Chapitre II – La mise en œuvre de la libre circulation des personnes
Cette liberté repose sur un principe général, le principe de non-discrimination qui, lui-même,
est un aspect du principe plus large de l’égalité de traitement. Le principe d’égalité de
traitement interdit le traitement différent de situations similaires et, ensuite, le traitement égal
de situations différentes. Là encore, sont interdites non seulement les discriminations directes,
qui se voient, mais également les discriminations indirectes, à savoir, «toute forme dissimulée
de discrimination qui, bien que fondée sur des critères en apparence neutres, aboutissent en
fait aux mêmes résultats» (CJCE, 3 février 1982, Seco, Desquenne et Giral). Cette analyse
fait écho aux analyses déjà faites dans les chapitres précédents (cf. restrictions quantitatives,
les MEERQ).
Section I – Les droits reconnus aux bénéficiaires de la libre circulation des personnes
Sous-section I – Les droits liés à l’exercice d’une activité professionnelle
Le ressortissant de l’Union bénéficie de la liberté professionnelle et d’un certain nombre de
droits, initialement reconnus dans les traités fondateurs et développés, par la suite, dans les
textes de droit dérivé. Ces droits constituent les règles de fond de la liberté professionnelle,
qu’elle soit salariée ou indépendante.
A. L’activité professionnelle salariée
Selon l’article 45 du TFUE, tout travailleur bénéficie du droit de circuler sur le territoire de
l’Union et d’accéder librement aux emplois salariés. Mais, qu’est-ce qu’un travailleur salarié ?
Selon le droit européen, le travailleur salarié est celui qui effectue pour une autre personne,
sous la direction et l’autorité de laquelle elle se place, des prestations effectives en échange
d’une rémunération. Cette définition résulte de l’arrêt CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie-Blum. La
notion de travailleur est une notion autonome, ce qui signifie que c’est la définition qu’en donne
la Cour même si cette même notion revêt un sens variable selon les droits nationaux. La notion
de travailleur salarié est interprétée de façon extensive par la jurisprudence européenne.
L’accès à l’emploi du travailleur migrant sous-tend, d’emblée, la mise en œuvre de l’égalité de
traitement sur laquelle nous reviendrons plus loin. Cette égalité implique qu’il soit traité de la
même façon que le travailleur national en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail,
notamment en matière de rémunération, de licenciement, de réintégration professionnelle ou
de réemploi, s’il se trouve au chômage (art. 45 § 2 et 3 du TFUE). Les fonctionnaires son
considérés comme des travailleurs de même que l’a été un étudiant en droit qui était stagiaire
dans un cabinet d’avocats au Royaume Uni. Ce stage participait de la préparation de l’examen
d’Etat, exigé en Allemagne, pour accéder aux professions juridiques, stage pour lequel
l’intéressé avait reçu une allocation de subsistance (CJCE, 17 mars 2005, Kranemann). Il en
résulte que la nature juridique de l’emploi n’est pas déterminante pour l’application de l’article
45 du TFUE.
1. L’accès à l’emploi
La libre circulation du travailleur implique le droit de répondre à des emplois, effectivement
offerts dans un autre Etat que celui dont le travailleur est issu, puis, ensuite, une fois recruté,
le droit d’exercer l’emploi conformément aux dispositions régissant l’emploi des travailleurs
nationaux. Le règlement du 5 avril 2011 (492/2011) a relayé cette règle de base en accordant
aux ressortissants de l’Union européenne les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux
nationaux sur ce point précis (à savoir, l’accès à l’emploi).
Cependant, la CJUE distingue entre les ressortissants des Etats membres qui n’ont pas encore
travaillé dans l’Etat membre d’accueil où ils recherchent un emploi et ceux qui y travaillent déjà
(ou bien qu’ayant déjà travaillé dans l’Etat accueil ne se trouvent plus dans un rapport
d’emploi). Les premiers bénéficient de l’égalité de traitement pour l’accès au travail mais ils ne
peuvent pas prétendre, en principe, aux mêmes avantages fiscaux et sociaux que les
nationaux, au contraire de ceux qui ont déjà accédé au marché de travail de l’Etat membre
d’accueil. Mais, en combinant les dispositions du traités sur la libre circulation des travailleurs
et les principes liés à la citoyenneté européenne, la Cour de justice a pu considérer que
l’allocation de recherche d’emploi pouvait être étendue à tous les citoyens européens (CJCE,
23 mars 2004, Collins). Enfin, l’accès à l’emploi à été étendu à certaines catégories de
ressortissants de pays tiers par diverses directives, il s’agit des bénéficiaires du regroupement
familial, des résidents de longue durée, des bénéficiaires du statut de réfugié et, sous certaines
limites, des demandeurs d’asile. Par ailleurs, il existe une directive dite Carte bleue qui établit
les conditions d’entrée et de séjour spécifiques des ressortissants des pays tiers pour tenir
des emplois hautement qualifiés, cela pour faciliter l’immigration économique qui permet la
délivrance d’un permis de séjour et de travail spécial.
2. L’égalité de traitement
Dans tous les cas, le ressortissant d’un Etat membre, quel qu’il soit, bénéficie de l’égalité de
traitement pour l’exercice de son activité professionnelle dans tout autre Etat membre que le
sien. Cela veut dire que l’intéressé ne peut pas être soumis à des obligations qui ne pèsent
pas sur les nationaux et qu’il peut prétendre à tous les avantages accordés aux nationaux qui
exercent la même activité. La liberté professionnelle repose, ainsi, sur le principe de non-
discrimination entre le ressortissant européen et le ressortissant national, ce principe étant
l’autre face du principe d’égalité de traitement.
A l’origine, le traité ne visait que les discriminations fondées sur la nationalité. Mais la catégorie
s’est progressivement étendue et la Cour cite régulièrement «toute forme dissimulée de
discrimination qui, par application d’autres critères de distinction (autres que la nationalité),
aboutissent de fait au même résultat» (CJCE, 12 février 1974, Sotgiu c/ Deutsche
Bundespost). Par exemple, de nombreuses directives ont consacré le principe d’égalité de
traitement dans l’accès à l’emploi entre hommes et femmes. Elles ont aussi retenu de façon
générale l’interdiction des discriminations directes ou indirectes fondées sur la race ou sur
l’origine ethnique ou sur des raisons liées à la religion ou aux handicaps ou à l’orientation
sexuelle du demandeur d’emploi. Enfin, la Cour a rendu de nombreux arrêts liés à l’application
du principe de non-discrimination à raison de l’âge du salarié (CJUE, 12 janvier 2010, Wolf).
L’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux s’étend également aux droits syndicaux,
ce qui inclut le droit de participer aux élections au sein d’organismes comme les chambres
professionnelles. En effet, bien qu’il ne s’agisse pas d’organisations syndicales, elles exercent
de fonctions analogues de défense et de représentation des intérêts des travailleurs (CJCE,
18 mai 1994, Commission c/ Luxembourg).
Cela dit, l’égalité de traitement peut générer des effets pervers. Dans une affaire de 2017, un
travailleur frontalier français contestait les modalités de calcul de l’indemnité d’insolvabilité
allemande en ce qu’elle serait discriminatoire ou contraire à la libre circulation des travailleurs.
Le problème était la prise en compte fictive de l’impôt allemand sur le revenu dans le calcul du
montant de l’indemnité. La CJUE a considéré que l’égalité de traitement n’empêche pas qu’un
ressortissant puisse subir des conséquences défavorables résultant des seules disparités
entre les barèmes d’imposition (CJUE, 2 mars 2017, Eschenberenner).
3. L’égalité dans le bénéficie des avantages sociaux
La CJUE retient une définition large de la notion d’avantages sociaux. Selon la Cour, ce sont
«les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux
travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualité objective de travailleur ou du
simple fait de leur résidence sur le territoire national et dont l’extension aux travailleurs
ressortissants d’autres Etats membres apparaît dès lors comme de nature à faciliter leur
mobilité à l’intérieur de la communauté» (CJCE, 30 septembre 1975, Cristini). D’après cette
définition, l’avantage social n’est pas nécessairement lié à un contrat de travail. Ils renferment
aussi les avantages liés à la résidence dès lors que leur application aux travailleurs migrants
peut faciliter leur libre circulation. Par exemple, dans l’affaire Cristini, il s’agissait d’obtenir des
conditions préférentielles pour les transports mais il peut aussi s’agir des indemnités funéraires
britanniques (CJCE, 23 mai 1996, O’Flynn) ou de l’octroi de prêts sans intérêt par un
organisme public lors de la naissance d’un enfant dans une famille de faibles revenus (CJCE,
14 janvier 1982, Reina) ou, enfin, il peut s’agir des aides à la formation ou à l’éducation (une
bourse d’études, par exemple), dès lors que «la formation suivie peut contribuer à la promotion
sociale de son bénéficiaire» (CJCE, 26 février 1992, Raulin).
A contrario, la Cour a considéré que le refus de prise en compte des activités pertinentes
accomplies pour un autre employeur à propos de l’avancement du salariés était une entrave
à la libre circulation des travailleurs et il s’agissait, de ce fait, d’une discrimination. L’entrave
avait été justifiée par l’objectif d’une simplification administrative mais cela n’a pas été retenu
(CJUE, 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken
Betriebs GmbH c/ Land Salzburg). De la même manière, dans l’affaire CJUE, 13 juillet 2016,
Pöpperl, la Cour caractérise une entrave puisqu’en vertu du droit allemand, pour la prise en
compte de ses années d'exercice en qualité de fonctionnaire, le requérant doit être affilié
rétroactivement à l'assurance pension légale (et non plus au système d'assurance des
fonctionnaires) sur la base des traitements bruts qu'il percevait comme fonctionnaire. Il
bénéficie de droits à pension inférieurs à ce qu'il aurait perçu s'il était resté fonctionnaire en
Allemagne tout au long de sa carrière, et conteste ainsi la différence de montant entre le droit
de pension qu'il avait acquis, au moment de sa démission, au titre dudit régime et celui auquel
il a droit, depuis, au titre du régime général d'assurance vieillesse : «des fonctionnaires
allemands ayant renoncé à leur statut dans le but d'exercer un emploi similaire dans un État
membre autre que la République fédérale d'Allemagne doivent également disposer de droits
à une pension de vieillesse comparables aux droits qu'ils avaient acquis auprès de leur
employeur public initial».
Dès lors, une réglementation fiscale du Luxembourg qui exclut du bénéfice du crédit d’impôts
attribué aux pensionnés les contribuables qui sont titulaires des pensions acquises dans un
autre Etat membre est une entrave (CJUE, 26 mai 2016, Kohll et Kohll Schlesser). En plus, la
législation chypriote prévoit qu'un fonctionnaire âgé de moins de quarante-cinq ans, qui
démissionne de son emploi dans la fonction publique chypriote pour exercer une activité
professionnelle dans un autre État membre ou des fonctions au sein d'une institution de l'Union
européenne ou d'une autre organisation internationale, ne perçoit qu'une somme forfaitaire
calculée en fonction des rémunérations perçues et des cotisations versées et perd ses futurs
droits à la retraite. A contrario, les fonctionnaires qui cessent leur activité dans la fonction
publique afin de poursuivre une autre activité professionnelle à Chypre conservent leurs droits.
La Cour rappelle, à l'occasion de ce litige, qu'une règlementation nationale peut constituer une
entrave justifiée à une liberté fondamentale si elle est dictée par des motifs d'ordre économique
poursuivant un objectif d'intérêt général. L'adoption par un État d'une mesure dérogatoire à un
principe consacré par le droit de l'Union nécessite qu'il puisse être prouvé que cette mesure
est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est
nécessaire pour y parvenir. Tel n'a pas été le cas en l'espèce. (CJUE, 26 janvier 2016,
Commission c/ Chypre)
Cependant, la Cour admet que les Etats membres puissent poser des conditions afin de
vérifier l’existence d’un lien d’intégration suffisant entre le demandeur et le marché
géographique du travail en cause. Par exemple, une condition de résidence peut être admise,
appropriée tant qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif
poursuivi (principe de nécessité) et qu’elle est proportionnée au but recherché. La Cour a,
ainsi, admis que l’octroi de l’aide demandée puisse être subordonné à une condition de
résidence minimale déterminée, en l’espèce, il s’agissait d’une durée de cinq ans (CJUE, 20
juin 2013, Giersch). La CJUE a jugé plus récemment que la législation luxembourgeoise qui
subordonnait l’octroi d’une bourse d’enseignement à un étudiant à une durée ininterrompue
de travail de 5 ans de son parent (qui était travailleur transfrontalier) contrevenait aux
exigences européennes (CJUE, 14 décembre 2016, Bragança Linares Verruga), ce qui
compte, en l’espèce, est la durée ininterrompue. Le parent en question avait travaillé huit ans
au Luxembourg mais avec des brèches d’interruption et, donc, la Cour a considéré que cette
législation contrevenait aux exigences européennes, d’autant plus que cette condition n’était
pas prévue pour les étudiants résidant sur le territoire luxembourgeois.
Le droit de l’Union laisse subsister les différents régimes de sécurité sociale des Etats
membres et donc, chacun reste compétent pour déterminer les conditions d’octroi des
prestations sociales aux personnes qui travaillent sur son territoire, toujours sous réserve de
ne pas établir des discriminations. Par exemple, une législation subordonnant le versement
des allocations familiales à la résidence des enfants sur le territoire concerné introduit une
différence de traitement entre les travailleurs selon qu’ils ont fait usage (ou non) de leur droit
à la libre circulation (CJCE, 30 janvier 1997, Stöber et Pereira). Cela signifie, a contrario, que
les ressortissants de l’Union peuvent prétendre aux allocations familiales dans l’Etat membre
d’accueil même lorsque leurs enfants résident à l’étranger.
Il faut aborder la directive dite détachement du travail. Adoptée en 1996, cette directive permet
à toute entreprise de l’Union européenne d’envoyer temporairement ses salariés dans un autre
Etat membre. Ces travailleurs dits détachés bénéficient des conditions de travail du pays
d’accueil, en particulier, ils bénéficient d’un noyau dur de droit, issu de l législation de l’Etat
membre d’accueil (par exemple, le repos, les congés payés, etc) mais les charges sociales
restent celles du pays d’origine. Néanmoins, les règles qui en étaient issues pouvaient,
toutefois, engendrer certaines formes de dumping social. En 1996, les écarts de salaire
minimum étaient de 1 à 3 entre les Etats membres. Or, aujourd’hui, ils vont de 1 à 10. Si l’on
prend l’exemple des travailleurs originaires des pays de l’est détachés à l’ouest, ils ne sont
généralement rémunérés qu’avec le salaire minimum du pays d’accueil, leurs charges sociales
relevant de leur pays d’origine. De plus, certains employeurs indélicats se permettent, à leur
égard, des infractions au droit local, par exemple, ils vont les faire travailler le samedi et le
dimanche, leur faire des heures supplémentaires non rémunérées, etc. Enfin, ces règles
laissaient ouvertes des possibilités de fraude, de travail illégal, d’où les travaux entrepris
depuis mars 2016 pour réformer la directive de 1996.
Effectivement, cette directive n’était plus adaptée à la réalité du marche du travail européen.
La nouvelle directive sur le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une
prestation de services a été adoptée le 28 juin 2018 , entrée en vigueur en France le 30 juillet
2020. Il en est résulté une application renforcée du noyau dur de droit pour les détachements
de douze mois maximum, un noyau dur qui s’est enrichi de diverses règles supplémentaires ;
Par exemple, l’employeur doit procéder au remboursement des frais professionnels exposés
par le salarié à propos des transports, du repas et de l’hébergement. Une prolongation du
régime pour un maximum de six mois, au-delà des douze mois initiaux, peut être sollicité par
l’employeur mais en suivant une procédure déterminée par décret et ainsi de suite. Enfin, la
CJUE s’est récemment prononcée sur la qualification de travailleur détaché au sens de la
directive, en considérant que cette directive ne s’appliquait pas à des travailleurs hongrois
effectuant un service de bord dans un train international, lequel appartenait à une entreprise
autrichienne au départ et à l’arrivée de la Hongrie, ce qui fait qu’ils ne sont pas des travailleurs
détachés (CJUE, Grande chambre, 19 décembre 2019, Dobersberger).
Section II - L’activité économique indépendante : liberté d’établissement et libre
prestation de services
La liberté de s’établir dans un autre Etat membre que le sien pour y exercer des activités est
différente de la liberté consistant à proposer des services aux clients résidant dans un autre
Etat membre, ce qui relève, par ailleurs, de la libre prestation des services. Nonobstant,
comme ces deux libertés se recoupent sur certains points, elles sont soumises à certaines
règles communes. Par exemple, l’article 62 du TFUE en matière de services renvoie
simplement à diverses dispositions importantes relatives à la liberté d’établissement. Il est vrai
que ces deux libertés concourent au même objectif qui est celui de décloisonner le marché
intérieur pour l’exercice des libertés économiques. Par ailleurs, ces libertés s’appuient l’une
sur l’autre, par exemple, créer un établissement dans un autre Etat membre (une filiale, une
succursale), n’est pas seulement l’illustration de la liberté de s’établir, c’est aussi une nouvelle
base à partir de laquelle des services pourront être proposés au-delà des frontières, nationales
évidemment, à tous les ressortissants européens. D’ailleurs, il ne peut pas y avoir libre
prestation de services sans établissement, au départ, dans l’Union européenne.
Sous-section I – La liberté d’établissement
A. La liberté d’établissement
Selon l’article 49 du TFUE, la liberté d’établissement est le droit reconnu aux ressortissants
des Etats membres d’accéder aux activités non salariées sur le territoire européen par le biais
d’une implantation matérielle et, éventuellement, juridique. C’est, encore, la possibilité
d’accéder à la création et à la gestion des entreprises. La question a été récemment débattue
à travers plusieurs litiges qui relevaient de ce qu’il est convenu d’appeler des situations
purement internes. Normalement, le droit de l’Union ne s’occupe pas de ces situations.
Néanmoins, l’on constate une remise en cause de tout cela puisque, progressivement, la Cour
s’intéresse à des situations qui sont internes mais qui ont des incidences sur le commerce
intra-européen (la possibilité, «est susceptible de»), en remettant en cause la situation
purement interne. Ainsi, dans une espèce de 2018, était en cause une réglementation italienne
qui réservait à la commune de Padoue la conservation des urnes funéraires. Néanmoins, la
CJUE souligne qu’une réglementation nationale qui interdit aux ressortissants de l’Union de
fournir un service de garde d’urnes funéraires dans l’Etat membre concerné fait obstacle à ce
que le ressortissants européens s’y établissent afin d’exercer une telle garde. Finalement, ce
genre de raisonnement est assez commun (point 49 de l’arrêt CJUE,14 novembre 2018,
Memoria e Antonia dal’Antonia). En l’espèce, il s’agit d’une législation interne qui, même
applicable sans discrimination tenant à la nationalité, interdit, gêne ou, même, rend moins
attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union de la liberté d’établissement garantie par
les traités.
1. L’établissement principal
L’établissement principal correspond soit à la création, ex nilo, à partir de rien, d’une société,
ou d’un cabinet, soit à la migration d’un cabinet principal préexistent (un cabinet médical qui
est établi en France mais qui veut déménager en Espagne, par exemple). Le droit
d’établissement est accordé à tout créateur d’entreprise qui a la nationalité d’un Etat membre
sans condition supplémentaire de rattachement effectif, par exemple, condition de résidence
habituelle de l’intéressé dans l’Etat où il souhaite s’implanter (CJCE, 7 juillet 1992, Micheletti).
S’il s’agit d’une personne physique, il suffit donc qu’elle soit ressortissante d’un Etat membre
de l’Union et un Etat membre ne peut pas non plus lui interdire de s’établir sur son territoire et
d’y exercer une profession règlementée au prétexte que l’intéressé est déjà établi et agrée
comme tel dans un autre Etat membre. On en conclut, d’ailleurs, que le droit d’établissement
comporte la possibilité de créer plus d’un centre d’activité dans l’Union européenne, qu’il
s’agisse d’un cabinet médical ou d’un cabinet d’avocats (CJCE, 12 juillet 1984, Klopp).
S’il s’agit d’une société, elle doit être constituée en conformité avec la législation d’un Etat
membre et avoir son siège statutaire, son administration centrale et son principal
établissement à l’intérieur de l’Union. Mais là encore, toute exigence relative à la fixation du
siège social d’une société est une violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation
de services, une exigence qui ne peut jamais être justifiée (CJUE, 16 juin 2015, Rina Services,
où il s’agissait d’une législation italienne qui imposait aux sociétés d’avoir leur siège statutaire
en Italie).
En revanche a été admise une réglementation italienne qui obligeait des médecins à effectuer
au moins trois ans de services sur le territoire de la commune de Bolzano, là où ils avaient
suivi leur formation de médecine spécialiste (CJUE, 20 décembre 2017, Simma Federspiel).
En l’espèce, il s’agit d’une situation inédite propre à la commune de Bolzano dont la
réglementation spécifique concernant la rémunération des médecins spécialistes
subordonnait l’octroi d’une allocation d’études pour suivre une formation de spécialiste à cinq
ans d’exercice dans le service de la santé publique de la province de Bolzano et, en cas de
non-respect, à une obligation de remboursement d’une partie de l’allocation. La CJUE a
considéré qu’il n’y avait pas d’entrave à la liberté de circulation et, plus précisément, à la liberté
d’établissement visée aux articles 45 et 49 du TFUE. Il est vrai que les médecins, en raison
de cette réglementation, étaient dissuadés de quitter leur Etat membre d’origine, l’Italie, pour
aller s’établir ailleurs par le fait qu’ils doivent rembourser jusqu’à 70% de l’allocation perçue en
plus des intérêts rajoutés par la commune. Nonobstant, la réglementation en cause est justifiée
au regard d’autres principes. Il s’agit, effectivement, d’assurer une assistance médicale de
haute qualité à la population, tout en préservant l’équilibre de la sécurité sociale. La Cour
admet la restriction mais, en même temps, elle considère que cette législation est justifiée au
regard d’autres principes. Cette façon d’atteindre ces objectifs est appropriée (c’est-à-dire,
qu’elle est proportionnée et nécessaire), notamment du fait de sa limitation dans le temps
(limitée à cinq ans).
2. L’établissement secondaire
Le plus souvent, l’établissement des sociétés s’effectue à titre secondaire, ce qui suppose, par
définition, un établissement principal préexistant dans un autre Etat membre. Aux termes de
l’article 49 du TFUE, il peut s’agir, au titre de l’établissement secondaire, d’une agence ou
d’une succursale ou d’une filiale. L’agence repose, en principe, sur la technique du mandat, la
succursale, quant à elle, est un établissement dépourvu de personnalité juridique distincte et
elle n’est donc pas juridiquement autonome. Enfin, la filiale est dotée de la personnalité morale
et, à l’inverse de la succursale, elle est juridiquement autonome même si, en pratique, elle est
soumise à la société mère qui, parfois, peut être condamnée à propos des faits de sa filiale.
La question s’est posée de la légitimité de certains comportements d’entreprise qui se
constituent dans l’Etat membre dont les règles sont les moins contraignantes tout en réalisant
la totalité de leur activité sociale dans un autre Etat membre où elles implantent des
établissement secondaires. En 1999, la Cour a considéré que ce type de comportements ne
constituaient pas, en soi, un usage abusif du droit d’établissement (CJCE, 9 mars 1999,
Centros). En d’autres termes, l’entreprise qui exerce toutes ses activités dans l’Etat membre
de la succursale ou, a contrario, aucune dans l’Etat du siège ne se comporte pas de manière
abusive parce que «la liberté d’établissement ne saurait être restreinte au seul motif que
certaines législations sont plus attractives que d’autres» aux termes de la Cour dans cet arrêt.
En revanche, la CJUE admet qu’un Etat membre puisse imposer certaines règles à l’exercice
de l’activité, du genre des règles déontologiques. Cette situation ne doit pas être confondue
avec celle de la société étrangère, hors UE, qui n’aurait qu’un lien purement juridique avec
l’Union, lien juridique créé dans le seul but de bénéficier des règles concernant la libre
circulation. Dans cette hypothèse différente, le droit de l’Union exige une condition
supplémentaire, à savoir, que l’activité de cette société présente un lien effectif et continu avec
l’économie d’un Etat membre.
B. Le domaine de la notion d’établissement
La Cour de justice a progressivement élargi cette notion, le droit d’établissement consistant
ainsi en la possibilité pour un résident européen de participer de façon stable et continue à la
vie économique d’un autre Etat membre que son Etat d’origine et d’en tirer profit. Ce droit
conformer le droit d’accéder aux activités non salariées (puisque la liberté d’établissement
concerne les indépendants) et le droit de gérer et de constituer des entreprises dans les
conditions définies par la législation nationale et, notamment comme l’indique de l’article 49
TFUE, par la création d’agences, de succursales ou de filiales. Certaines législations
exigeaient que ces établissement secondaires ne pouvaient être que des filiales mais cela
n’est pas possible, l’établissement secondaire a trois choix qui ne sauraient être limités (CJCE,
30 novembre 1995, Gebhard + CJCE, 9 mars 1999, Centros).
Le caractère imprécis du texte (de l’art. 49 TFUE) et de cette jurisprudence ne permet pas de
délimiter précisément les contours de l’établissement. On peut simplement dire qu’une
présence durable en moyens matériels et personnels sur le territoire d’un Etat membre, à partir
de laquelle se noueraient des contacts avec a clientèle entre dans le cadre de l’établissement.
En revanche, une simple présence matérielle sans viser une clientèle ne peut pas caractériser
l’établissement. Le développement des transactions électroniques a soulevé une difficulté
supplémentaire, la question étant de savoir si peut-on qualifier d’établissement de simples
installations techniques dépourvues de personnel et de moyens humains de décision. La
Commission européenne, dans le cadre des transactions électroniques, a répondu par la
négative, en considérant que ce n’est pas un établissement. La Cour a donc adopté cette
position parce qu’elle a coutume de favoriser la libre prestation de services en tant que facteur
de décloisonnement du marché européen (en ne les considérant pas comme étant un
établissement). Les transactions électroniques sont considérées comme émanant du lieu où
est placé le personnel de décision. La directive de 2000 sur le commerce électronique a
confirmé cette analyse puisqu’elle considère que la seule utilisation de moyens techniques ne
suffit pas à caractériser un établissement.
Sous-section II - La libre prestation des services
A. La libre prestations des services
Les règles relatives à cette liberté ont un caractère subsidiaire par rapport à celles qui régissent
le droit d’établissement (CJCE, 30 novembre 1995, Gebhard). Il s’agit du droit pour le
prestataire de se livrer sur le territoire d’un autre État membre que celui où il est établi à une
activité en vue d’exécuter une prestation de services de façon temporaire. La notion de
prestation de services a été précisée dans la directive 2005/36 relative à la reconnaissance
des qualifications professionnelles qui lui a consacré un régime simplifié mais, surtout, elle a
fait l’objet de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché
intérieur.
Cette directive dite directive Bolkenstein visait à parfaire la libéralisation de l’ensemble des
services dans l’Union mais le problème provient du fait que la directive s’applique tout autant
à la liberté d’établissement qu’à la libre prestation de services, alors qu’elle n’est censée
concerner que cette dernière. Elle a été adoptée afin de réduire les entraves à la libre
circulation des services, le but étant d’entraîner la croissance et la création d’emplois, tout en
sauvegardant les intérêts sociaux protégés par les législations nationales. La directive
Bolkenstein indique, simplement, sans énumérer les services concernés que la prestation des
services «aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État
membre». S’agissant de cet établissement, il est défini comme «l’exercice effectif d’une activité
économique visée à l’article 43 du traité par le prestataire pour une durée indéterminée et aux
moyens d’une infrastructure à partir de laquelle la fourniture de services est réellement
assurée».
La distinction entre les deux libertés se trouve atténuée, en pratique, cela en raison des formes
d’exercice de l’activité exercée par l’intéressé. D’ailleurs, elle peut l’être aussi en raison du
comportement de l’État membre d’accueil qui peut imposer certaines exigences spécifiques
aux bénéficiaires pour des raisons impérieuses d’intérêt général et, bien sûr, sous réserve de
le faire sans discrimination. Il faut préciser que cette directive avait été très controversée à
l’état du projet par la référence qu’elle contenait au principe de l’État d’origine puisque le
prestataire restait soumis à la législation de son pays d’origine. Cette référence a été,
finalement, supprimée. En cela, cette directive a précisé le régime juridique aux deux libertés
sur certains points (alors que son intitulé ne concerne que les services), tout en consolidant
l’interprétation extensive du droit primaire retenu par la Cour de justice et elle y ajoute
également des innovations liées à l’assistance administrative entre États.
1. Le champ d’application de la directive
La directive est de nature horizontale, elle crée un cadre juridique général pour les services
fournis par un prestataire établi dans un Etat membre qui souhaite proposer ses services dans
un autre État membre. Néanmoins, un certain nombre de services sont exclus.
▪ Sont exclus de la directive les services qui sont couverts par des directives sectorielles
(la règle spéciale déroge à la règle générale) dont les services financiers, les réseaux
de communication électronique, les services liées au domaine des transports, etc.

▪ Sont également exclus les services d’intérêt général non économique dont l’éducation,
la justice, la police et l’armée et les services sociaux de santé ou, encore, les services
proposés par les agence de travail intérimaire.

▪ Sont exclues les activités de service liées à l’exercice de l’autorité publique de même
que les services fiscaux, les services de sécurité privée et les jeux et loterie.
De plus, certaines questions restent en dehors de la directive comme celles qui relèvent du
droit du travail, du droit pénal et du droit international privé. Enfin, la directive ne remet pas en
cause le règlement N°14871 du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité
sociale ni la directive relative au détachement des travailleurs dans le cadre d’une prestation
des services (voir supra).
2. Le contenu de la directive
Même si cette directive était censée se cantonner aux services, elle renferme également des
dispositions concernant la liberté d’établissement, d’où la distinction que nous allons faire entre
ces deux libertés à propos des règles que la directive leur consacre.
2.1. La libre prestation des services
En cette matière, la directive condamne de nombreuses obligations ou interdictions qui
pourraient être imposées par les Etats aux prestataires des services, en reprenant la
jurisprudence, par exemple, l’obligation de procéder à un établissement sur le territoire où
l’entreprise veut accomplir sa prestation, l’obligation d’obtenir un document d’identité
spécifique à l’exercice d’une activité de services, document qui serait délivré par les autorités
compétentes ou, encore, une autorisation du type inscription à un registre, un ordre, etc. Il
s’agit, par-là, de garantir le libre accès à l’activité de services, dans un premier temps, et dans
un deuxième temps, à son libre exercice sur le territoire de chaque Etat membre.
Cependant, le principe est assorti de dérogations, les Etats membres étant autorisés à imposer
certaines obligations aux prestataires établis dans d’autres Etats membres mais à la double
condition qu’elles soient proportionnées et nécessaires. Le contrôle de proportionnalité d’une
réglementation restrictive porte sur l’objectif qu’elle poursuit mais pas seulement puisqu’il doit,
également, porter sur ses effets postérieurs, en accord avec la CJUE. L’arrêt CJUE, 30 juin
2016, Admiral Casinos est illustratif de cela. En l’espèce, en 2015, la Cour a ainsi validé une
exigence linguistique qui a été jugée proportionnée à la raison impérieuse d’intérêt général
que poursuivait, donc, la réglementation en cause (CJUE, 1er octobre 2015, Trijber et
Harmsen). L’exigence linguistique justifiée se borne à imposer le recours à une langue
susceptible d’être comprise par toutes les parties concernées, ce qui est moins attentatoire à
la libre prestation des services qu’une mesure que, par exemple, imposerait l’usage exclusif
de la langue officielle de l’Etat dont il s’agit (en l’espèce, il s’agissait des Pays Bas) ou d’une
autre langue déterminée. Il est assez rare que l’exigence linguistique puisse justifier une
réglementation restrictive, mais dans cet arrêt, c’était le cas. En l’espèce, il s’agissait d’une
autorisation demandée pour l’exploitation pour deux nouvelles maisons de prostitution,
laquelle autorisation était subordonnée à la condition que les prestataires des services en
cause (les pensionnaires de ces maisons) puissent parler dans une langue comprise par les
bénéficiaires. Dans ce cas bien précis, elle a été parfaitement justifiée parce qu’elle a été
considérée comme participant de la protection de l’ordre public par la prévention d’infractions
pénales à l’encontre des prostituées.
Par ailleurs, la particularité du marché des jeux de hasard permet des atteintes aux articles 49
et 56 du TFUE pour raison impérieuse d’intérêt général mais, là encore et comme toujours, à
condition que la restriction soit proportionnée à l’objectif à atteindre tel qu’en atteste l’arrêt
CJUE, 19 décembre 2018, Stanley International Betting. En l’espèce, il s’agissait de la double
nécessité de canaliser le jeu dans un circuit contrôlé et d’adopter une logique de gestion
responsable en restreignant la concurrence dans ce marché particulier. Ce sont deux entraves
justifiées parce qu’elles sont proportionnées. Sont, en revanche, des entraves injustifiées la
législation fiscale portugaise privant les non résidants de la déduction des frais professionnels,
(CJUE, 13 juillet 2016, Brisal et KBC Finance). De même, la taxe d’immatriculation grecque
imposée aux véhicules loués ou pris en crédit-bail auprès d’une société établie dans un autre
Etat membre, indépendamment de la durée des contrats et de la nature de l’utilisation des
véhicules sur le territoire grec est une entrave injustifiée (CJUE, 14 janvier 2016, Commission
c/ Grèce). Selon une jurisprudence de 2002, ces taxes peuvent être conformes à la liberté de
prestation des services si elles sont proportionnelles à la durée d’utilisation du véhicule.
Toutefois, en l’espèce, ce n’était pas le cas, d’autant plus que la Grèce n’avait pas invoqué
pour sa défense une exigence impérieuse d’intérêt général.
2.2. La liberté d’établissement
En matière de liberté d’établissement, la directive distingue, d’une part, les exigences interdites
qui reprennent, confirment la jurisprudence de la Cour de justice et, d’autre part, les exigences
non discriminatoires qui sont soumises à évaluation. Les régimes d’autorisation doivent
reposer sur des critères qui encadrent le pouvoir d’appréciation des autorités nationales
compétentes. Dès lors, ils ne sont admis que s’ils reposent sur des critères non
discriminatoires, non ambigus, transparents et accessibles, critères justifiées par des raisons
impérieuses d’intérêt général et proportionnelles aux objectifs poursuivis. De plus, les
conditions d’octroi ne doivent pas faire double emploi avec les exigences et contrôles
équivalents auxquels est déjà soumis le prestataire dans le même Etat membre.
En conclusion, la frontière entre les deux libertés n’est pas aussi claire qu’il le faudrait dans la
directive. Il faut bien aussi remarquer qu’elle ne l’est pas vraiment non plus dans les traités,
faute de précision permettant de déterminer à partir de quand en termes de durée et de
fréquence la fourniture d’un service ne peut plus être considérée comme telle et bascule dans
le champ voisin, à savoir, celui de la liberté d’établissement.
La Cour de justice tente d’éviter la confusion entre les deux libertés en appliquant les règles
applicables de façon factuelle, au cas par cas, en fonction des circonstances de chaque cause.
Sous-section III – La mobilité à des fins personnelles
A l’origine, le droit de déplacement et le droit de séjour avaient pour seule finalité l’exercice
d’une liberté professionnelle. Ces droits ont été généralisés par les textes, en particulier, par
la directive 2004/38, à quoi il faut ajouter l’interprétation large qu’a fait la Cour de justice de la
notion de citoyenneté européenne. La directive de 2004 a apporté des modifications
importantes concernant, en particulier, le champ d’application personnel du droit de séjour, de
même que le contenu de ce droit. Par ailleurs, la directive 2003/109 a accordé ce droit de
séjour aux ressortissants des pays tiers résidents de longue durée dans l’Union européenne
tandis que le règlement 562/2006 du 15 mars 2006 a établi un code communautaire relatif au
franchissement des frontières, ce règlement a codifié ce que l’on appelle «l’acquis Schengen»,
en regroupant dans un seul texte les règles relatives au franchissement des frontières
intérieures et extérieures. Ce texte a été remplacé par le règlement 2016/399 du 9 mars 2016.
A. La liberté de déplacement
Le libre déplacement des ressortissants d’un Etat membre vers un autre Etat membre et les
limites qui peuvent être imposées aux ressortissants des pays tiers quant à l’accès au territoire
résultent de deux cadres juridiques. Le premier est le règlement 2016/399 mais le second
cadre juridique est issu des modifications apportées par le traité de Lisbonne et, depuis lors,
inscrites dans le TFUE. Les anciennes dispositions du titre IV du Traité sur la Communauté
européenne qui s’intitulait «Visa, asile, immigration et autres politiques liées à la libre
circulation des personnes» s’inscrivent maintenant ailleurs dans un chapitre II intitulé
«Politiques relatives aux contrôlés aux frontières, à l’asile et à l’immigration», lui-même inséré
dans le titre V du TFUE consacré à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Finalement, il
en résulte que des objectifs précis, quoique formulés de façon assez floue, ont été assignés à
la politique d’immigration. Cependant, la mise en œuvre de cette politique a montré ses limites
et, même, ses incapacités, notamment face à la crise des réfugiés, d’où le souhait formulé par
de nombreux juristes de reformer en profondeur et de façon urgente le régime d’asile commun.
Par ailleurs, différents textes ont été consacrés à la politique commune des visas. Enfin,
différentes mesures ont été adoptées pour tenter de pallier l’absence d’une véritable politique
d’asile européenne dont le règlement 2016/1624 du 14 septembre 2016 portant création d’un
corps européen de garde-frontières et de garde côtes, la directive PNR (Passenger name
record) du 27 avril 2016 dont l’objectif affiché est la lutte contre le terrorisme et les formes
graves de criminalité, en mettant en place un fichier de données des dossiers passagers et,
enfin, les propositions des règlements pour instaurer un système européen d’autorisation et
d’affirmation concernant les voyageurs, cela dans le but de moderniser et de faciliter la gestion
des contrôles aux frontières.
La liberté de déplacement renferme deux sous-libertés : la liberté de sortir et la liberté de
rentrer sur le territoire de l’Union.
1. Le droit de sortie
Tout citoyen de l’Union peut quitter le territoire d’un Etat membre pour se rendre dans un autre
Etat membre sur simple présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de
validité. Ce droit est, également, garanti par la CEDH. Cela signifie que l’administration de
l’Etat d’origine a l’obligation de délivrer ou de renouveler ces documents. En outre, il lui est
interdit d’imposer un visa de sortie (une entrave manifeste) ou toute obligation ou formalité
équivalente.
Le droit de sortie d’un Etat membre est étendu aux membres de la famille du citoyen qui n’ont
pas la nationalité d’un Etat membre à condition, quand même, qu’ils aient un passeport en
cours de validité.
2. Le droit d’entrée
Tout citoyen peut rentrer sur le territoire européen sous présentation d’une carte d’identité ou
d’un passeport sans que l’administration locale puisse lui imposer un visa d’entrée, lequel visa
équivaudrait à une autorisation préalable de l’Etat d’accueil. Est également interdite l’obligation
de fournir des renseignements sur le but et les conditions du séjour. En revanche, l’Etat en
question peut imposer à l’intéressé de signaler sa présence sur son territoire dans un délai
raisonnable et non discriminatoire, cela sous peine de sanction. Les sanctions doivent être,
également, non discriminatoires et proportionnées. Selon la directive de 2004, un délai de trois
jours n’est pas raisonnable, en reprenant la jurisprudence européenne et, également, que
l’emprisonnement est une sanction qui n’est pas proportionnée. Un visa d’entrée peut,
cependant, être exigé pour les membres de la famille qui n’ont pas la citoyenneté européenne.
D’ailleurs, le règlement du 15 mars 2001 fixe la liste des pays (135) dont les ressortissants
sont soumis à une obligation de visa mais en 2005 la Cour a condamné l’Espagne pour
mauvaise transposition des directives sur le droit de séjour puisqu’elle imposait un visa de
séjour aux conjoints d’un ressortissant européen qui n’avait pas la nationalité d’un Etat
membre pour la délivrance d’un titre de séjour, cela étant un exigence en trop qui n’est pas
prévue pour les textes. Cela étant précisé, les Etats membres se sont engagés à faciliter les
formalités requises pour les membres de famille des citoyens européens et, en particulier, s’ils
sont en possession d’une carte de séjour, ils sont dispensés de toute obligation de visa.
B. Le droit de séjour
La directive 2004/38 a consacré la liberté de circulation et de séjour en tant que droit inhérent
à la qualité de citoyen européen. Cette liberté faisant l’objet d’un régime simplifié. Mais, là
encore, elle a, toutefois, assorti cette liberté de divers tempéraments liés à la durée de ce
séjour, en distinguant entre le séjour temporaire et le séjour permanent.
1. Le séjour temporaire
Jusqu’à trois mois, le séjour est lié au droit d’entrée. Aucune formalité ni condition ne peut être
exigée du citoyen, à l’exception de la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en
cours de validité. Au-delà de ces trois mois, le séjour est subordonné à plusieurs conditions
alternatives, à savoir :
▪ Soit la qualité de travailleur salarié ou non salarié dans l’Etat d’accueil, cela même si
l’intéressé se trouve en situation de chômage involontaire.

▪ La disposition de ressources suffisantes afin de ne pas être une charge pour le système
d’assistance sociale de l’Etat d’accueil au cours du séjour.

▪ Cela peut être l’inscription dans un établissement d‘enseignement assorti d’une


assurance maladie. L’étudiant doit, de plus, garantir qu’il dispose des ressources
suffisantes pour lui-même et, éventuellement, les membres de sa famille s’il n’est pas
venu tout seul.

▪ Cela peut être la qualité des membres de la famille accompagnant ou rejoignant un


citoyen de l’Union qui, lui-même, satisfait aux conditions de la directive de 2004.

S’agissant de la notion de ressources suffisantes, elles peuvent provenir d’un partenaire avec
lequel le citoyen de l’Union n’a aucun lien juridique puisque les textes ne comportent aucune
exigence à ce sujet. Par exemple, ont été retenues, à ce titre, celles qu’une citoyenne
portugaise recevait de son partenaire belge (CJCE, 23 mars 2006, Commission c/ Belgique).
Par ailleurs, les ressources prises en compte sont celles de l’ensemble de la famille (CJCE,
19 octobre 2004, Zhu et Chen, à propos des enfants à la charge de ressortissants chinois). Le
montant des ressources suffisantes ne peut pas être supérieur au niveau au-dessus duquel
les ressortissants de l’Etat d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance sociale, cela étant un
repère. Le défaut de ressources suffisantes rend le séjour illégal et il peut entraîner l’exclusion
du bénéfice des prestations sociales à caractère non contributif (CJUE, 11 novembre 2014,
Dano + CJUE, 14 juin 2016, Commission c/ Royaume Uni). Ce défaut peut aussi suffire à faire
perdre le droit de séjourner dans le pays, tel est le cas si le citoyen et les membres de sa
famille deviennent une charge déraisonnable pour les système d’assurance sociale du pays
d’accueil, règle inscrite dans l’article 14, paragraphe 1 de la directive de 2004. Cependant, la
mesure d’éloignement ne peut pas reposer uniquement sur le fait que ces personnes ont eu
recours au système local d’assurance social, ce n’est pas la seule justification (art. 14, §3). De
plus, la situation du travailleur salarié ou celle d’une recherche d’emploi effective (avec des
chances de succès) excluent l’éloignement.
L’Etat membre d’accueil peut imposer aux citoyens de l’Union un enregistrement auprès des
autorités compétentes, cette démarche n’ayant qu’un caractère déclaratif de droits. S’agissant
des membres de la famille originaires d’un pays tiers, ils doivent, dans le trois mois dès leur
arrivée, demander la délivrance d’une carte de séjour (art. 9 et 10 de la directive de 2004).
Cette carte de séjour est obtenue après avoir produit les documents prouvant, d’une part, le
lien avec le citoyen européen qui bénéficie du droit de séjour à titre principal et, d’autre part,
la présence de celui-ci sur le territoire de l’Etat d’accueil. Cette carte doit leur être délivrée
dans les six mois de la demande et elle a une durée de validité de cinq ans, à compter de sa
délivrance ou moins que cela, équivalant à la durée du séjour si celui-ci est inférieur à cinq
ans.
Par ailleurs, le droit de séjour des membres de la famille n’est pas affecté par le décès ou le
départ du citoyen. Si le citoyen s’en va, ce n’est pas pour autant qu’on va leur retirer la carte.
Il n’est pas non plus affecté par le divorce et les violences domestiques commises durant le
mariage en présence d’enfants. Dans ces situations, le droit de séjour est maintenu au profit
des membres de la famille mais à titre personnel seulement (art. 12 et 13 de la directive de
2004).
Il faut préciser que le droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers n’est pas un droit
autonome. En tant que droit dérivé de l’exercice de la libre circulation par un citoyen de l’Union,
ce droit a fait l’objet d’un large contentieux, on peut l’envisager dans le cas de deux
hypothèses.
▪ Tout d’abord, il peut être envisagé en dehors du déplacement du citoyen européen au-
delà des frontières (cf. jurisprudence Zambrano et McCarthy). Dans ce cas, l’octroi de
droits dérivés est limité aux cas exceptionnels où le citoyen serait contraint de quitter
le territoire de l’Union européenne dans son ensemble.

▪ Il peut être encore envisagé en cas d’utilisation d’une forme du droit de libre circulation,
d’où l’appréciation au cas par cas. Dans une affaire de 2016, la Cour a été amenée à
trancher des difficultés très particulières liées aux circonstances tout aussi particulières
de la cause. Il s’agissait d’un père de famille ressortissant d’un pays tiers qui avait la
charge exclusive d’enfants mineurs citoyens de l’Union, un enfant espagnol et un
enfant polonais. Le père avait fait l’objet d’une condamnation pénale antérieure qui lui
vaut un refus opposé à sa demande de titre de séjour en Espagne. Il dispose,
cependant, de deux titres dérivés à son droit de séjour, l’un fondé sur la directive de
2004 au regard de son enfant polonais et sous réserve de remplir la condition des
ressources suffisantes et l’autre, à titre subsidiaire, au regard du traité et dans les
conditions posées par la CJUE dans l’affaire Zambrano. Selon la CJUE, le droit de
l’Union ne permet pas de refuser automatiquement un permis de séjour à un
ressortissant d’un pays tiers qui a la garde exclusive d’un citoyen européen mineur dès
lors que son expulsion obligerait l’enfant à quitter le territoire de l’Union. Le droit de
l’Union ne permet pas non plus de l’expulser du territoire européen au seul motif qu’il
a des antécédents pénaux. La Cour conclut de la façon suivante : «une mesure
d’expulsion doit être proportionnée et fondée sur le comportement personnel du
ressortissant étranger, ce comportement devant constituer une menace réelle,
actuelle, suffisamment grave, pour un intérêt fondamental de l’Etat membre d’accueil»
(CJUE, Grande chambre, 13 septembre 2016, Marin Randon).

2. Le séjour permanent
Après cinq ans de présence ininterrompue sur le territoire de l’Etat d’accueil, le droit de séjour
peut devenir permanent à la requête des intéressés, ceux-ci étant le citoyen de l’Union et les
membres de sa famille n’ayant pas la citoyenneté européenne. Ce droit est formalisé par :
▪ Une attestation de permanence de séjour pour le citoyen.

▪ Une carte de séjour permanent pour les membres de la famille qui sont ressortissants
d’Etats ties, cette carte étant renouvelable de plein droit tous les dix ans. Selon la
CJUE, cette carte atteste, en soi, de la qualité des membres de la famille de son titulaire
et, de ce fait, elle exclut l’exigence d’un visa ou autre vérification pour l’accès au
territoire des autres Etats membres (CJUE, Grande chambre, 18 juin 2020, Ryanair).
Ce droit est perdu si l’intéressé s’absente de l’Etat d’accueil pendant une période
supérieure à deux ans consécutifs. Des absences temporaires sont admises pourvu
qu’elles n’excèdent pas six mois.

3. Les droits complémentaires et les avantages sociaux


Les droits des ressortissants européens s’accompagnent au droit des conditions de vie
normale selon le principe de traitement équivalent avec les nationaux. Cela signifie un
logement normal (normal pour les travailleurs nationaux dans la région considérée), l’accès à
une profession pour les membres de la famille (prévu à l’article 23 de la directive 2004/38), le
droit à la protection sociale et aux avantages fiscaux, le droit aux études pour les enfants et
aux aides financières dans les mêmes conditions que les nationaux. Voilà donc pourquoi le
versement d’une allocation ne peut pas être subordonné à la détention d’une carte de séjour
puisqu’aucun document de ce type n’est exigé des nationaux (CJCE, 15 mai 1998, Martinez
Sala). Mieux encore, un travailleur migrant au chômage après une période d’emploi ne peut
pas être privé des prestations de subsistance lorsque les enfants dont il a la charge sont
scolarisés dans un Etats membres, les Etats membres ne peuvent pas se prévaloir de la
dérogation visée à l’article 24 §2 de la directive de 2004 pour refuser systématiquement les
prestations d’assistance à des non ressortissants sans emploi (CJUE, Grande chambre, 6
octobre 2020, Jobcenter Krefeld).
Par ailleurs, l’article 24 §2 de la directive de 2004 prévoit que : «Par dérogation au paragraphe
1, l'État membre d'accueil n'est pas obligé d'accorder le droit à une prestation d'assistance
sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus
longue prévue à l'article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l'acquisition du droit de
séjour permanent, d'octroyer des aides d'entretien aux études, y compris pour la formation
professionnelle, sous la forme de bourses d'études ou de prêts, à des personnes autres que
les travailleurs salariés, les travailleurs non-salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou
les membres de leur famille».
Il en existe deux exceptions puisque pendant les premiers trois mois du séjour, l’Etat n’est pas
tenu d’assister le ressortissant (CJUE, 25 février 2016, Garcia Nieto). De même, tant que
l’intéressé n’a pas obtenu le droit de séjour permanent, ce même Etat membre n’est pas obligé
d’accorder des bourses ou des prêts étudiant à des jeunes qui ne sont pas des travailleurs ou
des membres de la famille de celui-ci. Les deux exceptions sont visées à l’article 24 § 2.
Deux règlements de coordination des droits aux prestations familiales ont été adoptés
(Règlement N° 883/2004 + son règlement d’application N° 987/2009). Leur champ
d’application englobe les ressortissants des Etats membres qui sont ou qui ont été soumis à
la législation d’un ou plusieurs Etats membres ainsi que les membres de leur famille leur
survivant et aussi les ressortissants des pays tiers et les apatrides qui résident légalement
dans un Etats membre. Pour ces derniers, on ajoute également les membres de leur famille
et leurs survivants. Par ailleurs, la directive 2014/50 du 25 avril 2014 relative aux prescriptions
minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs en améliorant l’acquisition et la
préservation de droit à pension complémentaire permet de comptabiliser les périodes
d’affiliation à des régimes complémentaires de pension. Cela est intéressant puisque jusqu’à
alors ces périodes n’étaient pas prises en compte, ce texte est le bienvenu dans la mesure où
ces sommes garantissent de plus en plus le niveau de vie des personnes âgées dans de
nombreux Etats membres.
Cela étant, les règles contenu dans les règlements mentionnés n’empiètent, cependant, pas
selon la Cour de justice sur les règles nationales d’attribution de droits, par exemple, dans
l’arrêt CJUE, 22 octobre 2015, Trapkowski il s’agissait d’un père divorcé résident en Allemagne
demandait le bénéfice des prestations familiales à la CAF allemande. Or, celle-ci lui st refusé
puisque l’enfant bénéficiaire de ces allocations vivait en Pologne avec sa mère depuis le
divorce. Selon le droit allemand, les allocations sont versées au parent qui vit avec l’enfant.
Quand bien même les allocations n’auraient été versées à quiconque, le père n’y avait pas le
droit.
L’Etat peut aussi soumettre l’octroi des prestations sociales à une condition de séjour régulier.
Selon la CJUE, la nécessité de protéger les finances de l’Etat d’accueil justifie, en principe, la
possibilité de contrôler le caractère régulier du séjour au moment de l’octroi de la prestation
sociale et, quand bien même, cette condition créerait une discrimination indirecte en raison de
la nationalité (CJUE, 14 juin 2016, Commission c/ Royaume Uni).
Le 8 décembre 2019, le Conseil «Emploi, politique sociale, santé et consommateurs» a
approuvé une proposition de recommandation de la Commission qui recommande aux Etats
membres de fournir un accès à une protection sociale adéquate à tous les travailleurs, salariés
ou non, sur leur territoire sans préjudice du droit des Etats membres d’organiser leur système
de protection sociale et de définir des normes minimales dans ce domaine. La protection
sociale peut être assurée par une combinaison de régimes, que cette organisation soit assurée
par les pouvoirs publics ou confiée aux partenaires sociaux ou à d’autres entités, cela
conformément aux principes fondamentaux des systèmes nationaux de protection sociale
(Cons. UE, Recomm. 8 novembre 2019).
Ces règles sont assorties d’exceptions qui sont, de surcroît, souplement interprétées par la
jurisprudence. La CJUE, en s’appuyant sur la notion de citoyenneté européenne, pousse, en
effet, les Etats membres à étendre le bénéfice des prestations sociales qui sont normalement
réservées aux nationaux aux citoyens européens séjournant sur leur territoire alors même que
ceux-ci sont soumis à des conditions pour y rester et notamment à celles de disposer de
ressources suffisantes (CJCE, 7 septembre 2004, Trojani). Dans l’affaire Trojani, la Cour a
décidé qu’un ressortissant européen bénéficiant d’un permis de séjour valable sur le territoire
d’un autre Etat membre pouvait y obtenir une prestation d’assistance sociale en tant que
citoyen de l’Union, cela sur le fondement du principe de non-discrimination et, mieux encore,
elle a ajouté qu’il devait obtenir cette prestations aux mêmes conditions que les nationaux de
cet Etat, alors même qu’il n’y avait jamais travaillé. Dans les faits, il s’agissait d’un
ressortissants français qui avait été accueilli dans un foyer de l’armée du salut en Belgique et
la Belgique lui avait accordé un permis de séjour provisoire de cinq ans. Après avoir effectué
quelques travaux pour le foyer en question, l’intéressé avait demandé à bénéficier de ce que
l’on appelle, en Belgique, le Minimex (une aide sociale et locale réservée aux belges et aux
travailleurs). La Cour de justice, dans cette affaire, a relevé que l’application de la directive de
2004 n’aurait pas dû conduire à l’obtention, par l’intéressé, d’un titre de séjour en ce qu’il ne
remplissait pas les conditions requises. Cependant, il l’avait obtenu auparavant et, de ce fait,
il peut bénéficier du principe de non-discrimination en tant que citoyen européen même s’il
était non actif et même s’il ne disposait pas de ressources suffisantes.
C. Les limites au droit de déplacement et de séjour
Selon l’article 52 du TFUE, des mesures particulières peuvent être prises à l’égard des
ressortissants de l’Union pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé
publique. Ce texte vaut aussi bien pour la liberté d’établissement et de prestation des services
que pour la libre circulation des travailleurs mais il ne précise rien, ce qui explique l’adoption
de la directive de 2004, laquelle est relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres
de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Cette
directive pose les contours des exceptions qu’elle définit.
Comme elle le précise elle-même à son article 27 §1, aucune de ces limites ne peuvent pas
être invoquées à des fins économiques. Autrement dit, quel que soit la gravité d’une crise
économique et de ses conséquences (plusieurs procédures collectives, par exemple), il n’est
pas possible de les opposer au libre accès des ressortissants d’un autre Etat membre à une
activité non salariée dans un autre Etat membre.
1. La réserve d’ordre public et de sécurité publique
Étant donné qu’il n’existe pas d’approche commune de l’ordre public européen, il s’agit, dans
ce cadre, de celui que les Etats membres peuvent invoquer afin de protéger ce qu’ils
considèrent comme leurs intérêts essentiels, le tout sous le contrôle de la CJUE. La Cour de
justice a, d’ailleurs, indiqué que la notion d’ordre public doit être strictement entendue et, de
ce fait, elle ne dispose pas d’une entière liberté d’appréciation pour déterminer les mesures
qui répondent à la sauvegarde de ces intérêts (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn). Certes,
un Etat peut invoquer la réserve d’ordre public à l’encontre d’un individu mais seulement
lorsqu’il se trouve confronté «à une situation de menace réelle suffisamment grave affectant
un intérêt fondamental de la société» (extrait de l’arrêt CJCE, 27 octobre 1997, Bouchereau).
Ces mesures doivent respecter toujours le principe de proportionnalité et exclusivement
reposer sur le comportement personnel de l’individu concerné. La Cour de justice vérifie que
la décision étatique ne vise pas un groupe de personnes et, surtout, qu’elle ne se fonde pas
sur un comportement collectif comme dans le cas des mesures générales. Cette exigence
s’explique par la volonté de prévenir les expulsions collectives de ressortissants d’autres Etats
membres qui s’apparentent à des mesures de rétorsion (CJCE, 26 février 1975, Bonsignore).
Le comportement du migrant concerné suppose, donc, l’existence d’une menace actuelle,
réelle et grave qui affecte un intérêt fondamental de l’Etat. Tel n’est pas le cas des
condamnations pénales antérieures qui, à elles seules, ne peuvent pas automatiquement
justifier l’adoption des mesures nationales fondées sur l’ordre public. Dans l’arrêt CJCE, 7 juin
2007, Commission c/ Pays-Bas, la Cour a condamné la législation néerlandaise en raison du
lien systématique et automatique qu’elle avait posé entre une condamnation pénale antérieur
et une mesure d’éloignement du territoire. En revanche, constituent une telle menace les
infractions d’agression sexuelle et de viol sur une mineure âgée de huit ans au début des faits,
commises par un ressortissant italien résidant en Allemagne depuis 1987, dès lors, qu’a été
constaté chez l’intéressé une tendance à récidiver dans l’avenir (CJUE, 22 mai 2012, P.I. c/
Oberbürgermeisterin der Stadt Remscheid). Par ailleurs, l’interdiction de quitter le territoire
pour non-paiement des dettes fiscales n’est conforme au droit de l’Union que si elle a pour
objet de répondre à une menace réelle, grave affectant un intérêt fondamental de la société
et, encore, faut-il, la Cour précise, que l’autorité nationale ait pris en compte le comportement
personnel du débiteur (CJUE, 17 novembre 2011, Aladzhov).
Les faits constitutifs du comportement personnel reproché doivent être réprimés à l’égard de
tous et, donc, y compris à l’égard des nationaux. Ainsi, la prostitution tolérée dans un Etat pour
ses ressortissants ne peut pas faire l’objet d’un refus d’accès au territoire (pour celui qui veut
rentrer) ou d’une mesure d’éloignement (pour celui qui y est déjà) à l’encontre des
ressortissants des autres Etats membres.
En revanche, le principe de non-discrimination n’empêche pas les mesures d’expulsion des
étrangers. Si les conditions déjà exposées sont remplis, un Etat membre peut refuser aux
ressortissants d’un autre Etat membre l’accès à son territoire ou peut prendre à leur encontre
une mesure d’éloignement. Ainsi, dans l’affaire CJUE, 8 mai 2018, K. A étaient en cause sept
ressortissants d’Etats tiers qui résidaient en Belgique et qui avaient fait l’objet d’une décision
de retour dans leurs pays respectifs pour motif de danger pour l’ordre public. Cette décision
était assortie d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire belge conformément à la
législation nationale transposant la directive retour (directive 2008/115). Ils introduisent alors
en Belgique une demande de titre de séjour en leur qualité des membres de la famille d’un
ressortissant belge parce qu’ils étaient les parents d’un enfant mineur citoyen de l’Union, un
autre était un descendant majeur d’un citoyen de l’Union et un autre était un partenaire
cohabitant légal d’un citoyen européen. La pratique belge consiste à ne pas examiner ces
demandes de regroupement familial lorsque les intéressés ont fait l’objet d’une interdiction
d’entrée sur le territoire. Inversement, la CJUE a considéré que ces demandes devaient être
prises en compte même en pareille circonstance. (confirmé par CJUE, 11 mars 2011, M. A c/
Belgique).
2. La santé publique (art. 29)
Selon la directive, seules les maladies «potentiellement épidémiques définies dans des
instruments pertinents de l’OMS» ainsi que «d’autres maladies infectieuses ou parasitaires
contagieuses» (tuberculose, syphilis) sont susceptibles de justifier l’interdiction d’entrée sur le
territoire. Encore faut-il qu’elles fassent l’objet, dans l’Etat membre d’accueil, de dispositions
protectrices à l’égard des nationaux. L’expulsion ne peut plus être ordonnée si la maladie
survient après trois mois de présence sur le sol de l’Etat concerné. De ce fait, un Etat membre
peut soumettre les bénéficiaires du droit de séjour à un examen médical gratuit dans les trois
mois de leur arrivée, cela afin de vérifier qu’ils ne sont pas malades. L’examen n’est,
cependant, pas effectué de manière systématique, des indices sérieux doivent le justifier.
3. Les garanties procédurales accordées aux personnes concernées
Les garanties procédurales ont été renforcées par la directive de 2004 et elles renvoient à la
protection qui est due aux personnes dans un état de droit à propos des décisions leurs faisant
grief. De plus, la Cour de justice les a interprétées de façon extensive dans l’arrêt CJUE,
Grande chambre, 10 septembre 2019, Chenchooliah. En pratique, la décision d’éloignement
doit respecter le droit à un recours effectif, elle ne doit pas être disproportionnée et elle ne doit
pas être assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire, en interprétant l’article 5 §3 de la
directive. Les Etats membres ont l’obligation d’aménager un recours contre leur décision.
Ce recours suppose, en premier lieu, que le migrant ait été informé des raisons du refus
d’admission ou de l’expulsion qui lui sont opposés. Ensuite, la procédure doit être
contradictoire (le principe du contradictoire étant toujours essentiel) et si la présence de
l’intéressé peut être refusée en cours de procédure, elle ne peut plus l’être à l’audience sauf
risque de troubles graves ou, encore, lorsque le recours porte sur le refus d’entrée. Le citoyen
européen qui se trouve sous le coup d’une mesure d’éloignement peut former une demande
en référé pour obtenir le sursis à exécution de cette décision et, dans cette hypothèse,
l’éloignement effectif ne peut pas avoir lieu tant que l’ordonnance en référé n’a pas été rendue
sauf dans trois hypothèses :
▪ La décision en cause se fonde sur une décision judiciaire antérieure.
▪ La personne a eu, auparavant, accès à un recours juridictionnel.
▪ La décision d’éloignement se fonde sur des motifs impérieux de sécurité publique,
prévus à l’article 28 §3 de la directive.
Enfin, et sauf urgence, le migrant doit bénéficier d’un délai pour quitter le territoire, délai qui
ne peut pas être inférieur à quinze jours mais rien ne l’empêche, après l’écoulement d’un délai
raisonnable, de reformuler une demande d’admission sur le territoire en cause.
Chapitre III
Le régime des activités indépendantes
L’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications
professionnelles
La communauté a commencé par mettre en place un cadre général destiné à supprimer les
discriminations. Cependant, il est vite apparu que ce cadre général ne suffisait pas dans la
matière, tout simplement parce que le régime des activités indépendantes est nécessairement
plus diversifié que celui des activités salariées et cela compte tenu de la grande variété des
conditions d’accès et d’exercice des activités en cause.
Les autorités compétentes ont donc rapidement pris conscience des obstacles à la libre
circulation que pouvaient constituer les règles d’octroi des diplômes dans les Etats membres.
D’ailleurs, cette question est évoquée à l’article 53 du TFUE pour ce qui concerne la liberté
d’établissement, lequel renvoie à l’article 62 du TFUE pour la prestation des services. Ce texte
dispose qu’afin de faciliter l’accès aux activités non salariées et à leur exercice, les autorités
compétentes (le Conseil et le Parlement européen) doivent arrêter une première série de
directives : les unes visant à la mise en place d’une reconnaissance mutuelle des diplômes,
certificats et autres titres et les autres visant à la coordination et à l’harmonisation des
législations nationales. Le traité subordonne, d’ailleurs, la libération de certaines professions
à cette harmonisation, tel est le cas des professions médicales, paramédicales et
pharmaceutiques. C’est pour répondre à cette double préoccupation qu’ont été adoptées deux
types de directives : les unes sectorielles, les autres reposant sur un système général de
reconnaissance mutuelle des diplômes. Lesdites directives n’ont plus qu’un intérêt historique
parce qu’elles ont été abrogées et remplacées par la directive du 7 septembre 2005.
Section I – L’approche sectorielle
Trois grandes secteurs ont fait l’objet de l’approche sectorielle: les professions de santé, la
professions d’architecte et la profession d’avocat.
A. Les professions de santé
Dans le secteur de la santé, l’harmonisation a été non seulement la plus rapide mais, encore,
la plus complète. En effet, les conditions d’exercice et, notamment, les formations variaient
peu d’un Etat à l’autre (du moins, par rapport aux autres professions), ce qui explique que
l’harmonisation n’ait pas été trop difficile à réaliser. Les directives adoptées concernent les
médecins, les dentistes, les vétérinaires et, enfin, les sage-femmes et les pharmaciens.
Pour chacune de ces professions, le Conseil a adopté une démarche en deux temps :
▪ Dans un premier temps, l’adoption d’une première directive qui porte coordination des
législations nationales.
▪ Dans un deuxième temps, l’adoption d’une seconde directive tendant à la
reconnaissance mutuelle des diplômes.
Cet ordre est bel et bien logique parce que c’est seulement lorsque des conditions minimales
communes sont définies qu’il est possible d’imposer la reconnaissance mutuelle. Il en résulte,
donc, que le titulaire du diplôme concerné peut s’établir dans un autre Etat membre que celui
où il a obtenu son diplôme ou suivi sa formation, sous réserve de certaines obligations liées à
l’exercice de la profession.
S’agissant, notamment, des médecins, le Conseil a adopté deux premières directives du 16
juin 1975 qui ont été, ensuite, modifiées, puis codifiées par une directive de 1993, elle-même
abrogée par la directive du 7 septembre 2005, l’on s’aperçoit de l’échelonnement des textes.
La directive contient des dispositions relatives à la durée minimale des études (six ans ou 5500
heures pour les généralistes et 3 à 5 ans de plus pour les spécialistes) et à l’obligation, pour
l’exercice du droit d’établissement, de s’inscrire à l’ordre professionnel du pays d’accueil, ce
qui n’empêche pas de conserver l’inscription dans le pays d’origine. S’agissant de l’exercice
de la libre prestation des services, la directive prévoit la possibilité d’exiger une déclaration
préalable pour des raisons de santé publique et, d’ailleurs, ceci permettra, notamment, de
vérifier les qualifications du médecin dont il s’agit.
S’agissant des pharmaciens, l’Etat d’accueil conserve la possibilité de procéder à la répartition
géographique des officines, répartition liée à la densité de la population et, donc, d’imposer
une autorisation préalable (un pharmacien ne s’installe pas comme si de rien n’était). L’Etat
conserve, également, la possibilité de donner un monopole aux intéressés pour la préparation
et la vente des médicament (tel est le cas en France). Ici, seul le droit d’établissement est
concerné, compte tenu la nature de l’activité exercée par les pharmaciens.
B. La profession d’architecte
Cette profession a fait l’objet d’une unique directive du 10 juin 1985 (D. 85/384/CE), laquelle
ne réalise pas une harmonisation aussi poussée que celle des professions de santé. Cette
directive établit seulement un mécanisme de reconnaissance mutuelle pour un certain nombre
de formations de niveau universitaire répondant à une durée minimale et incluant un certain
nombre de matières. S’agissant des matières, la Cour a récemment précisé que la profession
peut recouvrir tant des activités techniques de planification, de surveillance et de mise en
œuvre que des activités relevant du domaine de la conception artistique et économique du
bâtiment, de l’urbanisme, et même de la conservations des bâtiments (CJUE, 16 avril 2015,
Angerer).
C. La profession d’avocat
La profession d’avocat a fait l’objet de deux directives, une du 22 mars 1977 (D. 77/249/CE)
et l’autre du 16 février 1998 (D. 98/5/CE) qui visent la reconnaissance mutuelle sans
harmonisation que l’on peut comprendre du fait de la diversité des systèmes juridiques au sein
de l’Union, qui fait obstacle à la reconnaissance mutuelle des diplômes et des titres d’accès
qui auraient assuré le libre établissement immédiate sur la base du titre obtenu dans l’Etat
d’origine.
La première directive vise uniquement la profession d’avocat en tant que libre prestataire des
services, elle ne s’attache pas aux diplômes et ne régit que la qualité d’avocat qui fait l’objet
de la reconnaissance mutuelle. Grâce à cette directive, un avocat établi dans un Etat membre
peut représenter et défendre un client résidant dans un autre Etat membre sans être tenu à y
avoir sa résidence ou d’y être inscrit à un ordre professionnel. Il doit simplement respecter le
code déontologique de son Etat d’origine et celui de l’Etat où il exerce sa profession.
La seconde directive du 16 février 1998 a permis de franchir un pas important. Effectivement,
les avocats titulaires d’un titre profession d’un Etat membre, peuvent, depuis lors, s’établir
dans un autre Etat membre pour y exercer leur profession (on parle de libre établissement et
non plus de libre prestation des services) avec une réserve : l’exercice de la représentation et
de la défense en justice peuvent être soumis par cet Etat à l’exigence de l’assistance d’un
avocat du pays en question. Après trois ans d’activité sur ce régime, l’avocat acquiert, s’il le
souhaite, le droit d’exercer pleinement sa profession, en passant uniquement un test
d’aptitude, fixé par le pays d’accueil mais sans devoir un examen de qualification comme le
CAPA. Il peut donc accéder au titre d’avocat dans l’Etat d’accueil et en faire usage
parallèlement au titre professionnel qu’il a obtenu dans son Etat d’origine.
La Cour de justice a été amenée à s’exprimer à propos de la profession d’avocat. Dans l’arrêt
CJUE, 3 février 2011, Ebert, la Cour a indiqué qu’une réglementation nationale peut
contraindre l’avocat qui souhaite exercer sur le titre d’avocat dans l’Etat membre d’accueil à
être membre dans l’ordre des avocats. Par ailleurs, dans une autre affaire, la Cour a considéré
que les règles grecques prévoyant une incompatibilité entre le statut monastique et l’inscription
au barreau étaient contraires à la directive de 1998 (CJUE, 7 mai 2019, Monachos Eirinaios).
Dans l’arrêt CJUE, 14 décembre 2020, Onofrei, il s’agissait de la liberté d’établissement des
avocats. En France, un décret du 27 novembre 1991 qui organise la profession d’avocat
dispense de la formation théorique et pratique sanctionnée par le CAPA «les fonctionnaires
ou anciens fonctionnaires de catégorie A, ou personnes assimilées ayant exercé des activités
juridiques pendant au moins huit ans dans une administration ou un service public ou une
organisation internationale». Mme. Onofrei, de nationalité portugaise et roumaine, est titulaire
de deux maîtrises en droit et d’un doctorat en droit délivrés par des universités françaises et
elle sollicite cette dispense au regard de son expérience de plus de huit ans à la direction
générale (DG) «Marché intérieur et concurrence» de la Commission européenne. Le Conseil
de l’ordre refuse son inscription au barreau parce qu’elle n’est ni agent de la fonction publique
française ni détachée, en tant que telle, auprès d’une organisation internationale, l’expérience
dont elle se targue n’ayant pas été acquise sur le territoire français. La Cour de justice répond
que l’application des conditions de dispense du CAPA pour les fonctionnaires est contraire au
droit de l’Union européenne, en raison de l’exigence qui n’est pas prescrite par le droit national
d’une activité en France. De ce fait, un fonctionnaire européen peut prétendre à accéder à la
profession d’avocat sous certaines conditions tenant à la maîtrise du droit national, il peut
passer un test pour voir s’il connaît le droit français mais définitivement pas le CAPA.
Dans l’arrêt CJUE, 10 mars 2021, Bord Pleanala, la Cour de justice indique que l’article 5 de
la directive de 1977 qui tend à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation des services par
les avocats ne s’oppose pas en principe, à l’obligation pour l’avocat prestataire d’agir de
concert avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie, cela même dans l’hypothèse
où son client serait autorisé à assurer lui-même sa défense. En l’espèce, il s’agissait d’un
renvoi préjudiciel exercé par la Cour suprême d’Irlande qui rappelle une législation nationale
qui constitue une restriction à la libre prestation des services de avocats des autres Etats
membres (l’obligation d’agir en même temps qu’un avocat national). Cette restriction peut,
néanmoins, se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général de bonne administration
de la justice et de protection du justiciable. Cette position est valable bien que la partie ait
qualité, conformément à la législation nationale, pour assurer sa propre défense. Les règles
qui régissent le procès ne sont pas les mêmes selon que la partie assure sa défense ou est
assistée par un avocat prestataire. Toutefois, ajoute la CJUE, les restrictions adoptées doivent
être proportionnées au but poursuivi et, donc, une obligation générale d’agir de concert avec
un avocat du cru (local) ne peut pas être imposée. Il incombe alors à la juridiction de renvoi de
vérifier, selon les circonstances de l’espèce, si l’avocat prestataire est en mesure de
représenter le justiciable, de la même manière qu’un avocat habilité à exercer auprès de la
juridiction saisie, par exemple, en ayant une expérience professionnelle dans l’Etat d’accueil.
Les différentes directives qui régissaient les autres professions ont été abrogées et
remplacées par la directive 9942/CE du 7 juin 1993, elle-même remplacée par la directive
2005/36/CE du 20 octobre 2007.
Il en résulte qu’en l’absence de directives régissant une profession déterminée ou, encore,
dans l’hypothèse d’une directive qui ne couvre pas l’entier régime de la profession dont il s’agit,
l’exercice du droit de libre circulation sera garanti au regard d’éventuelles discriminations mais
sans automatisme. Par exemple, l’avocat qui souhaitait s’établir dans un autre Etat membre
avant la transposition de la directive qui lui est dédié ne pouvait pas se voir opposer un refus
du fait de sa nationalité, même s’il devait remplir les conditions de la législation nationale du
pays d’accueil (CJCE, 28 avril 1977, Thieffry). Les Etats membres ne peuvent pas exercer leur
compétence de façon arbitraire. Tout au contraire et indépendamment de toute discrimination
fondée sur la nationalité, ils doivent respecter le principe général de proportionnalité (retrouvé
partout), lequel principe exige la prise en compte par l’Etat d’accueil de la législation du pays
d’origine, l’idée étant de ne pas rajouter des conditions injustifiées et excessives à des
conditions déjà remplies et propres à satisfaire l’intérêt général. Les Etats décident, donc, des
critères qu’ils veulent qui seront contrôlés.
Section II – L’approche générale
Ce sont les dispositions communes aux dispositions règlementées. L’établissement d’une
législation de reconnaissance mutuelle secteur par secteur, parfois accompagnée d’une
harmonisation plus ou moins poussée des règles nationales, est long et fastidieux. C’est la
raison pour laquelle il est apparu nécessaire de créer un système général de reconnaissance
mutuelle de diplômes valable pour toutes les professions réglementées et sans harmonisation
préalable. Cette nouvelle approche générale a changé la donne. Auparavant, la
reconnaissance était subordonnée à l’existence de dispositions européennes concernant
l’harmonisation en vigueur dans la profession ou l’activité réglementée concernée. Elle est
devenue reconnaissance mutuelle et s’applique, depuis lors, de façon quasi automatique à
toutes les professions réglementées concernées sans référence nécessaire à une quelconque
législation dérivée sectorielle.
A l’origine, ce système reposait sur trois textes. C’était tout d’abord la directive 49/88 du 21
décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes qui sanctionne
une formation d’enseignement supérieur d’une durée minimale de trois ans (la directive
Bac+3).
Cette directive a été complétée par une directive du 18 juin 1992 concernant les formations
professionnelles qui couvrent deux autres niveaux de formation, à savoir, l’enseignement post-
secondaire de moins de trois ans et l’enseignement secondaire long ou court éventuellement
complété par une formation ou une pratique professionnelle. Au passage, ces directives
générales n’imposent pas réellement la reconnaissance mutuelle ou, du moins, si elles en
posent le principe, elles l’assortissent de diverses limites qui en atténuent la portée. Tel est le
cas, notamment, lorsque la durée de la formation requise dans l’Etat d’origine est inférieure
de plus d’un an à celle de la formation exigée dans l’Etat d’accueil ou, encore, tel est le cas
lorsque les formations sont de même durée mais portent sur des matières, pour grande partie,
différentes. Dans cette hypothèse, l’Etat d’accueil peut exiger une expérience professionnelle
minimale (qui peut aller jusqu’à 4 ans) ou, encore, un stage d’adaptation (pouvant aller jusqu’à
3 ans) ou, encore, une épreuve d’aptitude, le choix appartenant à l’intéressé sauf pour les
professions qui exigent une connaissance précise du droit national (et donc les juristes).
La dernière directive 1999/42 a parachevé les système en instituant un mécanisme de
reconnaissance de diplômes pour les activités professionnelles qui relèvent du commerce, de
l’artisanat et des services. Ces trois textes ont, pourtant, été abrogés et remplacés par la
directive du 7 septembre 2005, laquelle a procédé à une réorganisation et à une
consolidation de leurs dispositions. Elle a été elle-même modernisée par la directive
2013/55/UE du 20 novembre 2013.
Section III – La directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des
qualifications professionnelles
Cette directive remplace l’ensemble des directives ayant institué des systèmes sectorielles et
les trois dernières directives étudiées. Malgré l’existence de deux directives générales, de
nombreuses entraves subsistaient puisque les directives, finalement, n’obligeaient pas
vraiment les Etats membres à appliquer la reconnaissance mutuelles. Si les Etats membres
considéraient que la formation initiale acquise dans l’Etat d’origine n’était pas suffisante, ils
pouvaient exiger une expérience ou une formation professionnelle complémentaire. C’est pour
surmonter ces difficultés qu’a été adoptée la directive de 2005 qui est relative à la
reconnaissance des qualifications MAIS à des fins professionnelles, afin de permettre à
l’intéressé d’exercer sa profession dans un autre Etat membre.
Tout d’abord, la profession réglementée fait l’objet d’une définition dans cette directive, étant
décrite comme «une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès ou
l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en
vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de
qualifications professionnelles déterminées». Par exemple, l’emploi de directeur dans la
fonction publique hospitalière a été considéré par la CJCE comme une profession réglementée
(CJCE, 9 septembre 2003, Burbaud).
En revanche, la profession de référendaire auprès de la Cour de cassation ne l’est pas, les
titres de formation requis par le droit belge pour y accéder ne la visant spécifiquement puisque
ces titres donnent accès à un large éventail de professions juridiques. Ils ne confèrent donc
pas, selon la Cour de justice, de qualifications professionnelles déterminées au sens de la
directive de 2005 auxquelles la profession de référendaire serait subordonnée (CJUE, 6
octobre 2015, Brouillard). En l’espèce, il s’agissait d’un ressortissant belge qui souhaitait
passer un concours en Belgique afin de devenir référendaire auprès de la Cour de cassation
belge. Cette personne était titulaire d’un diplôme belge et d’un master de droit privé obtenu
par correspondance à l’université de Poitiers. Son inscription au concours a été déclarée
irrecevable puisqu’il lui faut, pour postuler, être titulaire d’un diplôme belge. En l’espèce, la
communauté française de Belgique n’avait pas reconnu l’équivalence de son master français.
La Cour de justice a écarté l’application de la directive mais elle n’a pas écarté le jeu du
principe de reconnaissance mutuelle des diplômes puisqu’elle renvoie aux principes généraux
Vlassopoulou qui contraint les autorités nationales à effectuer un examen comparatif entre les
formations prescrites par le droit national (le diplôme belge) et celles qui sont acquises dans
un autre Etat membre. En l’occurrence, il ne s’agissait pas d’une profession réglementée.
La directive de 2005 s’applique à tous les bénéficiaires du droit à la liberté de circulation
professionnelle, ce qui inclut donc les membres de la famille d’un bénéficiaire direct, membre
qui l’accompagnent ou le rejoignent plus tard dans le même Etat d’accueil. Elle s’applique
aussi aux résidents de longue durée et elle renferme des dispositions visant tant la liberté
d’établissement que la liberté de prestation des services.
A. La reconnaissance des qualifications professionnelles en vue de l’établissement

1. Les titres reconnus


Ce sont les titres requis pour l’exercice d’une profession réglementée autre que celles qui font
déjà l’objet d’une directive spécifique. La reconnaissance vaut pour les titres de formation
sanctionnant une formation professionnelle acquise principalement dans la Communauté mais
aussi, dans certaines hypothèses, les titres de formation délivrés par un Etat tiers. D’ailleurs,
il faut préciser que cet Etat tiers est «assimilé» aux Etats membres de l’Union s’il a déjà fait
l’objet d’une première reconnaissance dans un Etat membres dès lors que son titulaire a
acquis une expérience professionnelle certifiée par cet Etat membre. Ainsi, un diplôme de
médecin algérien ayant bénéficie de la reconnaissance académique en Belgique doit être
reconnu en France (CJCE, 19 juin 2003, Tennah Durez).
La reconnaissance est un instrument destiné à faciliter l’exercice des libertés de circulation
mais à titre professionnel, elle ne vise pas à poursuivre un cursus aux formations dans un
autre Etat membre et ne concerne pas davantage les titres délivrés dans un autre Etat membre
qui ne sanctionnent aucune formation et ne reposent ni sur un examen ni sur une expérience
professionnelle. Les Etats membres gardent, enfin, la possibilité de fixer un niveau minimal de
qualification nécessaire pour une profession réglementée (CJCE, 29 janvier 2009, Cavalerra,
à propos d’un diplôme d’ingénieur mécanicien).
2. Les trois régimes de reconnaissance des qualifications
Le premier régime est dit de la reconnaissance automatique et il a été repris des directives
sectorielles adoptées entre 1975 et 1985 dans les domaines médical et paramédical. Il repose
sur une coordination des conditions minimales de formation au niveau européen. Dès que
cette harmonisation minimale a été réalisée, la reconnaissance des diplômes est automatique.
La profession d’avocat, dont on a déjà parlé, qui est régie par deux directives spécifiques est
en dehors de ce système.
Le second régime est fondé sur une présomption de comparabilité des formations. Il s’applique
à toutes les autres professions et même à celles du premier régime lorsque le demandeur ne
remplit pas les conditions exigées pour un motif spécifique exceptionnel. Ce régime ne repose
pas sur l’harmonisation mais sur la reconnaissance mutuelle tout en prévoyant le maintien de
ce qu’on peut appeler «des mesures de compensation» variables d’un Etat membre à l’autre.
Ces mesures de compensation peuvent être une épreuve d’aptitude ou un stage et elles
peuvent être exigées en complément du titre, tel est le cas en ce qui concerne les
professionnels de l’artisanat, du commerce ou de l’industrie. L’Etat membre d’accueil doit,
cependant, vérifier si les connaissances acquises pour le demander au cours d’une expérience
professionnelle peuvent couvrir une différence substantielle, y compris même une expérience
qui aurait été acquise dans un Etat tiers. Par exemple, en 2005, l’Italie a été condamnée pour
ne pas avoir tenu suffisamment compte de l’expérience professionnelle de personnels
enseignant qu’ils avaient acquise dans d’autres Etats membres (CJCE, 12 mai 2005,
Commission c/ Italie). Par la suite, d’ailleurs, la Cour a précisé que toute expérience pratique
devait être prise en compte (CJUE, 10 décembre 2010, Vandorou Giankoulis et Askoxilakis)
En revanche, la profession de professeur des universités n’étant pas une profession
réglementée en Italie au sens de la directive de 2005, un italien ne peut pas prétendre à
l’inscription sur la liste des titulaires de l’ASN (Aptitude scientifique nationale) par simple
production de ses titres universitaires allemands, il doit y postuler et subir la sélection comme
tout autre candidat.
La Cour de justice se montre très stricte dans l’examen des équivalences et qualifications
professionnelles, cela afin d’éviter que la liberté de circulation ne favorise les candidats issus
d’autres Etats membres qui n’auraient pas les capacités requises (CJUE, 10 septembre 2010,
Pesla, à propos d’un stage préparatoire aux professions juridiques en Allemagne). De même,
la Cour a imposé à un ressortissant autrichien qui était titulaire du titre d’avocat qu’il avait
obtenu en Espagne l’obligation de présenter l’épreuve d’aptitude à la profession d’avocat dans
son propre pays (CJUE, 22 septembre 2010, Robert Koller). Il faut savoir que dès lors qu’il
existe une situation transfrontalière, la directive s’applique à une personne ayant acquis, dans
son Etat de nationalité, un diplôme sanctionnant des études de plus de trois ans, complété par
un diplôme délivré dans un Etat après un cursus de moins de 3 ans. L’intéressé, Robert Koller,
avait obtenu un diplôme de magistère délivré par l’université de Graz à l’issu d’un cursus de
quatre ans, diplôme reconnu équivalent au titre espagnol de la licence en droit après qu’il ait
suivi un cycle d’études de moins de trois ans à l’université de Madrid et réussi les examens
complémentaires exigés par la procédure d’homologation espagnole. Il n’en a pas moins été
tenu de passer le CAPA dans son propre pays.
Finalement, le troisième régime vise la reconnaissance fondée non sur un diplôme mais sur
une expérience commerciale ou professionnelle, à savoir, la reconnaissance mutuelle de
qualifications. Ce régime s’applique à des activités déterminées qui sont mentionnées en
annexe de la directive de 2005. La durée de l’expérience professionnelle requise est réduite
si le bénéficiaire a suivi une formation préalable sanctionnée par un certificat. A ce propos, la
directive prend le relais de la directive 1999/42, supprimée comme les autres par la directive
de 2005.
B. La reconnaissance des qualifications professionnelles pour l’exercice de la libre
prestation des services
La directive prévoit également des mécanismes spécifiques, simplifiés pour la libre prestation
des services, en ce qui concerne les professions n’ayan pas fait l’objet d’un système sectoriel
de reconnaissance. Le professionnel d’un Etat membre peut effectuer une prestation de
service dans un autre Etat membre sur son titre d’origine sans avoir à faire reconnaître sa
qualification professionnelle. Il n’est pas tenu de s’y affilier à un organisme professionnel ou
de sécurité sociale mais l’Etat d’accueil peut lui imposer, pour sa première prestation de
services, une déclaration écrite, renouvelable chaque année, et la production de certains
documents (son titre de qualification et d’établissement dans un autre Etat membre ou, encore,
la preuve de sa couverture par une assurance-responsabilité ou, encore, celle de l’absence
des condamnations pénales pour les prestations à effectuer dans un secteur particulier, celui
de la sécurité).
( …° En France, ce sont quelques 230 professions qui sont concernées. Pour faciliter la
mobilité des professionnels en Europe, les règles de reconnaissance dans le cadre du régime
général et de la prestation temporaire ou occasionnelle des services ont été assouplies. Par
exemple, c’est, notamment, l’abaissement à un an ou lieu de deux de la durée de l’expérience
professionnelle requise lorsque le professionnel vient d’un Etat membre où la profession n’est
pas réglementée. D’autre part, c’est l’élargissement des conditions de reconnaissance des
qualifications professionnelles en cas d’établissement permanent. Enfin, le champ
d’application de la directive est encore étendu par l’introduction de nouvelles règles, de
nouveaux principes issus de la jurisprudence de la Cour de justice, par exemple, l’accès partiel
à la profession est reconnu de même qu’est reconnue la prise en compte des stages
professionnels effectués à l’étranger.
C. La carte professionnelle européenne
La directive de 2013 a été transposée en France par l’ordonnance du 22 décembre 2016. Elle
permet à tous les citoyens intéressés de faire reconnaître plus facilement et plus rapidement
leur qualification dans le cadre d’une profession réglementée au moyen d’une procédure
électronique standardisée. En effet, elle prévoit la mise en place d’une carte professionnelle
européenne, laquelle carte est basée sur l’utilisation du système d’informations du marché
intérieur (IMI). L’IMI est issu d’un règlement de 2012 concernant la coopération administrative
par l’intermédiaire de l’IMI. Cette carte est délivrée sous forme de certificat électronique et, à
l’heure actuelle, la procédure dite EPC (European Professional Card) concerne les infirmiers
responsables de soins généraux, les kinés et thérapeutes, les pharmaciens, les guides de
montagne et les agents immobiliers.
Citons encore les nombreux programmes européens visant à favoriser les échanges non
seulement entre étudiants mais également entre enseignants (cf. Erasmus) qui ont conduit au
processus de Bologne et à l’harmonisation des programmes de l’enseignement supérieur,
processus dont l’objectif principal était la mise en place d’un espace européen de
l’enseignement supérieur, lancé en 2010 par la Déclaration de Budapest-Vienne. L’idée force
est d’introduire un système de grades académiques facilement reconnaissables et
comparables, de promouvoir la mobilité des étudiants (et pas que les étudiants mais aussi les
enseignants-chercheurs), d’assurer la qualité de l’enseignement et d’intégrer la dimension
européenne dans l’enseignement supérieur.
Il convient d’évoquer, en dernier lieu, la directive 2018/958 du 28 juin 2018 sur le contrôle de
proportionnalité. Comme son nom l’indique, elle a introduit un contrôle de proportionnalité
harmonisé qui a vocation à être utilisé par tous les Etats membres avant l’adoption des
réglementations nationales concernant les professions. Enfin, cette directive a été suivie en
octobre 2018 par une résolution du Parlement européen sur la promotion de la reconnaissance
mutuelle automatique des diplômes.
Chapitre IV
Les limites à la mobilité professionnelle
La libre circulation des travailleurs est un principe important mais pas absolu. Elle peut être
affectée par deux catégories de motifs autorisant les Etats membres à la freiner ou à
l’empêcher, certains de ces motifs étant textuels (issus du texte), d’autres étant
jurisprudentiels. Le traité exclut, ainsi, certaines activités «sensibles» de la libéralisation
générale des activités économiques. Par ailleurs, et comme en matière de libre circulation des
marchandises, d’autres restrictions peuvent être légitimées par le traité ou, encore, par la
jurisprudence lorsqu’elles répondent à un impératif légitime. Dans ces hypothèses, une
possibilité d’action est reconnue aux Etats membres, lesquels peuvent s’en prévaloir sous le
contrôle de la CJUE.
Section I – L’exclusion textuelle : les emplois dans l’administration publique
Selon l’article 45 §4 du TFUE, les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs ne
sont pas applicables «aux emplois dans l’administration publique» mais encore faut-il ce qu’est
un emploi public, du moins au sens de ce texte, avant de déterminer les activités participant à
l’exercice de l’autorité publique.
A. La notion d’emploi public
Selon la Cour, il s’agit des emplois «qui comportent une participation directe ou indirecte à
l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des
intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques» (CJCE, 17 décembre 1980,
Commission c/ Belgique). La Cour retient donc une définition fonctionnelle de l’activité, cela
sans tenir compte des critères fondés, par exemple, sur les caractéristiques de l’employeur
ou, encore, sur la nature du contrat (public ou privé) ou, encore, sur les modes de gestion des
activités concernées qui peuvent varier d’un Etat membre à l’autre. Cette définition ne permet
pas de résoudre toutes les difficultés, pour bien la comprendre, il faut encore éclaircir les
notions de puissance publique et d’intérêts généraux de l’Etat qui figurent au sein de la
définition. C’est ce qu’a tenté de faire la Commission dans une communication de janvier 1988.
La Commission européenne a identifié deux critères d’identification des emplois concernés :
▪ La participation à la mise en œuvre d’un intérêt supérieur de l’Etat, ce qui vise les
activités liées à la sécurité intérieure et extérieure qui mettent en œuvre la souveraineté
de l’Etat. Dans cette catégorie, on peut placer les emplois dans les forces armées ou
dans les forces de l’ordre, les emplois dans l’administration fiscale ou la magistrature,
voire encore la diplomatie.

▪ La possibilité de contraindre les particuliers, possibilité assortie de l’exercice de


prérogatives de puissance publique, ce qui donc exclut de la libre circulation les
emplois publics élaborant des actes juridiques de portée contraignante, les emplois qui
les exécutent et ceux, enfin, qui les contrôlent.
Par ailleurs, il faut préciser que le Conseil d’Etat français a également défini un faisceau
d’indices qui permet d’ouvrir ou de fermer un emploi aux ressortissants européens. Il renvoie,
ainsi, à des caractéristiques telles que, par exemple, la prestation de serment, l’interdiction du
droit de grève, l’accès à des documents confidentiels, le positionnement hiérarchique ou,
encore, le conseil au Gouvernement. Des indices qui cumulés font qu’on ouvre (ou pas)
l’emploi aux ressortissants européens. En revanche, l’exception ne s’applique pas aux emplois
de la recherche civile, des services publics commerciaux (les transports, la radiotélévision, les
postes et télécommunications), aux emplois de l’enseignement public de tout niveau et aux
emplois de services de santé. L’ouverture de ces secteurs a, d’ailleurs, été confirmée par la
Cour de justice dans une série d’arrêts de 1996 (CJCE, 2 juillet 1996, Commission c/
Luxembourg). L’exception ne s’applique pas non plus à des emplois qui, tout en relevant de
l’Etat ou d’autres organismes de droit public, «n’appliquent, cependant, aucun concours à des
tâches relevant de l’administration publique proprement dit» (CJUE, 10 septembre 2014,
Iraklis Haralambidis c/ Calogero Casili).
B. Les activités participant de l’exercice de l’autorité publique

1. Les principes acquis


Cette limite est exprimée à l’article 51 du TFUE à propos de la liberté d’établissement qui,
selon ce texte, n’est pas applicable aux activités participant, même à titre occasionnel, à
l’exercice de l’autorité publique. Il en va de même de la liberté de prestation des services (art.
62 TFUE). Compte tenu de la sobriété des dispositions européennes, la Cour de justice a été
amenée à apporter certaines précisions à celles-ci. C’est ainsi qu’elle a indiqué que l’exclusion
est limitée «aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe
spécifique à l’exercice de l’autorité publique» (CJCE, 21 juin 1974, Reyners).
Cette définition recouvre deux hypothèses distinctes :
L’exercice d’une profession, dans son ensemble, peut être réservée aux nationaux. Tel
est le cas de l’activité de ramonage et de police du feu qui, selon la Cour, participent bien de
l’exercice de l’autorité publique (CJUE, 23 janvier 2015, Hiebler). Il en va de même des
activités exercées par les officiers publics et ministériels (un huissier, par exemple) qui
bénéficient d’un monopole conféré par l’Etat. Curieusement, d’ailleurs, en vertu d’une directive
de 1976, il en va de même des professions de garde-chasse, de garde-champêtre et de garde
forestier.
Cela dit, en France, la condition de nationalité a disparu en 1990 pour les commissaires-
priseurs et les avoués. En outre, la CJUE a confirmé que la profession de notaire n’était pas
de celles qui participent à l’exercice de l’autorité publique et, de ce fait, elle n’est plus réservée
aux nationaux (CJUE, 24 mai 2011, Commission c/ France + CJUE, 1er décembre 2011,
Commission c/ Pays-Bas). Cette jurisprudence a été reitérée en 2015 avec la condamnation
par la Cour de justice de la clause de nationalité imposée par le droit letton pour l’exercice de
l’activité notariale (CJUE, 10 septembre 2015, Commission c/ Lettonie). Une autre réitération
de cette même jurisprudence a été faite en 2017 à propos de la condition de nationalité
imposée aux notaires par le droit hongrois (CJUE, 1er février 2017, Commission c/ Hongrie).
Certaines activités, seulement, détachables de la profession principale peuvent être
réservées aux nationaux mais pas la profession dans son ensemble. Il faut alors effectuer
une ventilation parmi les diverses activités exercées par les membres d’une même profession.
Par exemple, un Etat peut réserver à ses nationaux la participation aux organes dirigeants de
l’Ordre des avocats. En effet, l’exercice d’un pouvoir disciplinaire entraîne une participation
directe à l’exercice de l’autorité publique. Par ailleurs, l’avocat étranger peut être exclu des
fonctions juridictionnelles supplétives mais non des tâches de défense, de consultation et de
conseil (cf. jurisprudence Reyners). Dans l’arrêt CJUE, 2 décembre 2010, Edyta Joanna
Jakubowska, la Cour a considéré que les Etats peuvent limiter l’exercice de la profession
d’avocat par des fonctionnaires. Enfin, les notaires conservent un monopole pour la rédaction
des actes authentiques, selon la CJUE, ce monopole est justifié par la protection de la bonne
administration de la justice, de même que par la garantie de légalité et de la sécurité juridique
(CJUE, 9 mars 2017, Piringer).
2. La mise en œuvre des principes acquis
N’ont pas été considérées comme des activités participant à l’exercice de l’autorité publique
des activités de nature technique comme la conception d’un logiciel pour le loto (CJCE, 26
avril 1994, Commission c/ Italie). N’ont pas encore été considérées comme des activités
participant à l’exercice de l’autorité publique, l’activité des entreprises de gardiennage et de
sécurité ou, encore, les prérogatives d’organismes privés de contrôle des produits issus de
l’agriculture biologique. Leur rôle, effectivement, est seulement auxiliaire et préparatoire (au
lieu d’être direct et spécifique), la délégation d’une prérogative de puissance publique n’étant
donc pas invocable en la matière.
Enfin, les Etats membres sont libres de déterminer ces exclusions sauf en cas
d’harmonisation. C’est ainsi qu’une directive de 1978 sur la profession de vétérinaire a admis
l’accès à l’exercice du contrôle sanitaire des viandes aux ressortissants des autres Etats
membres.
Section II – L’admission des limites fondées sur des raisons d’ordre public, de santé
publique et de sécurité publique
L’article 45 du TFUE pose le principe de la libre circulation des travailleurs sous réserve des
«limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de santé publique et de sécurité
publique». Ces raisons peuvent conduire les autorités nationales à interdire l’accès à des
activités déterminées sans qu’il y ait atteinte au droit de séjourner sur le territoire de l’Etat en
cause. Ces raisons ont un caractère limitatif, à savoir, qu’elles ne peuvent pas être invoquées
à des fins économiques (du moins, en principe).
Effectivement, la Cour accepte de plus en plus souvent des justifications économiques,
notamment, dans le domaine de la santé publique, soit en tant qu’accessoire d’un objectif non
économique poursuivi à titre principal, soit comme composante d’une justification non
économique. Par exemple, dans le cadre de la santé publique, la CJUE a considéré que le fait
de réserver à des ophtalmologues le droit d’effectuer certains examens pouvait être considéré
comme un moyen propre à garantir la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé.
Elle a encore admis que l’exploitation des pharmacies puisse être réservée à des
pharmaciens, en évoquant la spécificité des médicaments, ce qui s’explique parce que les
médicaments peuvent engendrer des risques pour la santé publique et pour le régime de la
Sécurité sociale, un risque que les Etats peuvent prévenir en soumettant les personnes
chargées de la délivrance de médicaments à de strictes exigences. Dans certains pays, les
médicaments peuvent être délivrés dans des drugstores alors que cela est inconcevable en
France (CJUE, Grande chambre, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes).
L’impératif de protection de la santé a également permis de justifier une réglementation
française qui limitait la participation de non-biologistes dans les laboratoires d’analyses
médicales (qui ne pouvaient pas détenir plus de 15% des parts sociales d’une société
exploitant un laboratoire), dans l’arrêt CJUE, 6 décembre 2010, Commission c/ France. En
revanche, l’exigence d’une autorisation préalable pour créer un établissement de santé privé
en Autriche (en l’espèce, une polyclinique dentaire) n’a pas été justifiée au regard de la santé
publique, dans la mesure où ce régime ne s’appliquait pas aux cabinets de groupe (CJCE, 10
mars 2009, Hartlauer).
Au propos de l’ordre public et de la sécurité publique, chaque Etat est juge des atteintes qui
pourraient leur être portées. Là encore, il est sous le contrôle de la CJUE qui en retient une
interprétation stricte. Pour rappel, ces atteintes supposent l’existence d’une menace réelle
suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (CJCE, 27 octobre 1977,
Bouchereau). Cette menace, donc, doit résulter du comportement personnel de l’intéressé
mais les actes qui en constituent la source sont largement entendus. Par exemple, dans
l’affaire CJCE, 1974, Van Duyn, il s’agissait de l’affiliation à l’église de scientologie, sachant
que des condamnations pénales antérieures ne peuvent pas à elles seules justifier de façon
automatique l’adoption de mesures nationales fondées sur l’ordre public, cela peut compter
mais en tant qu’élément d’appréciation parmi tant d’autres.
Section III – Les raisons impérieuses d’intérêt général
On retrouve l’équivalent des exigences impératives déjà rencontrées en matière de libre
circulation des marchandises dans la jurisprudence Cassis de Dijon. Leur liste, néanmoins,
est plus courte. Ces raisons peuvent justifier de restrictions à la liberté de prestation de
services et à la liberté d’établissement. A l’instar de la matière de marchandises, leur
admission est soumise au respect de certaines conditions. Quelles sont-elles ?
▪ Le domaine dont il s’agit ne doit pas être harmonisé et la mesure ne doit pas être
discriminatoire.
▪ Elle doit poursuivre un intérêt général, de même qu’elle doit être nécessaire et
proportionnée.
▪ Elle doit respecter le principe de reconnaissance mutuelle, ce qui signifie, simplement,
que l’Etat d’accueil doit vérifier, s’assurer que l’Etat d’origine n’a pas déjà veillé à la
protection de l’intérêt général en cause.
Par exemple, la Cour a, ainsi, reconnu l’intérêt légitime d’un Etat membre d’empêcher que la
liberté de prestation de services soit utilisée par un opérateur dont l’activité serait entièrement
ou, principalement, tournée vers son territoire, cela en vue de se soustraire de façon abusive
à l’emprise de la législation nationale (CJCE, 1974, Van Binsbergen). Le maintien de la bonne
réputation du secteur financier national peut également constituer une RIIG (raison impérieuse
d’intérêt général) propre à justifier des restrictions à la libre prestation des services financiers.
Tel est le cas de la réglementation nationale qui interdit la pratique des appels téléphoniques
non sollicités dans le secteur financier aux prestataires établis sur son territoire, cela afin de
protéger la confiance des investisseurs dans les marchés financiers nationaux. En effet, la
complexité de ce marché impose que l’on soustraite les investisseurs peu avertis (et il y en a)
à ce mode de démarchage agressif. Si cette réglementation constitue une interdiction à la libre
prestation des services, elle est justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général tenant à la
sauvegarde de la réputation du marché financier (CJCE, 10 mai 1995, Alpine Investments).
S’agissant de la protection des justiciables, la Cour a encore admis qu’un Etat puisse imposer
l’intervention d’un avocat pour le recouvrement judiciaire de créances, avocat qui serait seul
habilité à représenter les créanciers en justice alors que certains Etats membres autorisent
des entreprises spécialisées en ce domaine à le faire (CJCE, 12 décembre 1996, Reisebüro
Broede).
L’équilibre de la Sécurité sociale, les exigences de la sécurité routière, l’efficacité des contrôles
relatifs à la protection sociale des travailleurs ont été considérées comme des RIIG. En
revanche, la Cour n’admet pas ce type de justification en matière économique et, donc, ne
sont pas de raisons acceptables (des RIIG) comme l’exigence grecque selon laquelle l’activité
de guide touristique doit être uniquement exercée dans le cadre des contrats de travail et non
à titre indépendant (CJCE, 5 juin 1997, Ypourgos Ergasias) ou, encore, le fait pour assurer le
respect du pluralisme audiovisuel le fait d’imposer aux organismes de radiodiffusion la
réalisation de leurs émissions par une entreprise nationale, le prétexte étant de garantir le
pluralisme audiovisuel (CJCE, 25 juillet 1991, Gouda).
Partie II
Les règles européennes de concurrence
En matière de concurrence, les traités ont institué un corps de règles matérielles directement
applicables, ils n’ont donc pas emprunté la méthode de l’harmonisation des législations par
voie de directives comme c’était le cas en matière de libre circulation des marchandises. Les
règles de concurrence sont des instruments essentiels de la création du marché intérieur et,
de ce point de vue, elles doivent être placées à côté des quatre libertés puisqu’il ne suffit pas
de supprimer les obstacles institutionnels aux échanges pour que le marché unique soit établi.
Il faut, de même, se protéger et prévenir les comportements d’entreprise qui pourraient soit
constituer des ententes entre elles, des ententes anticoncurrentielles, soit abuser de leur
position dominante et reconstituer ainsi le cloisonnement des marchés nationaux. D’ailleurs,
les entreprises privées ne sont pas les seules concernées, les Etats peuvent aussi faire
obstacle à l’interpénétration des économies, notamment par les aides qu’ils octroient à leurs
entreprises ou à leurs industries nationales.
Les règles de concurrence apparaissent, ainsi, comme le moyen de lutter contre ces barrières
d’origine privé ou public qui tenteraient de remplacer les barrières institutionnelles supprimées.
Il existe deux catégories de règles de concurrence : les règles de concurrence applicables aux
entreprises, visant les ententes et les abus de position dominante et les règles de concurrence
applicables aux Etats qui visent les aides d’Etat. En principe, les aides d’Etat sont interdites
mais il existe des dérogations à cette interdiction, les aides ne peuvent jamais être données à
des entreprises moribondes mais elles peuvent être donnée après l’autorisation donnée par la
Commission européenne.
L’on peut tenter de définir la concurrence à travers les trois objectifs essentiels qui ont été
identifiés par la Commission, l’autorité européenne de concurrence qui décide des politiques
de concurrence : protéger le marché pour améliorer le bienêtre des consommateurs, le bien-
être étant le but ultime du droit de la concurrence, soutenir la croissance, l’emploi et la
compétitivité de l’économie dans l’UE et encourager une culture de la concurrence.
A. Les sources du droit européen de la concurrence
Depuis ses origines, le droit de l’Union, le traité s’intéresse aux pratiques anticoncurrentielles
pour les interdire. La première source de ce droit sont les articles 101 et 102 du TFUE qui
interdisent, l’un, les ententes et l’autre, les abus de position dominante. Il faut savoir que ces
deux textes existent depuis le début de la construction européenne, depuis le traité de Rome,
dans les mêmes termes exactement. Ce qui a changé n’est que la numérotation des textes
puisque la numérotation a été changé à deux reprises : la numérotation du départ (articles 85
et 86), la numérotation Amsterdam (81 et 82) et la numérotation Lisbonne (101 et 102). Le
droit primaire a été complété par des règles de droit dérivé, contenues dans divers règlements
du Conseil et de la Commission. Il n’existe pas de directives en matière de concurrence, que
des règlements. Certains de ces règlements concernent les règles de concurrence dont le
règlement 1/2003 sur les applications des articles 101 et 102 du traité et d’autres traitent des
questions de fond, dont les règlements d’exception.
Cet ensemble mélangeant le droit primaire et le droit dérivé est complété par de nombreuses
communications de la Commission qui se présentent comme des lignes directrices qui n’ont
pas de caractère obligatoire mais elles n’en sont pas moins importantes puisqu’elles indiquent
l’orientation de la politique suivie par l’autorité de contrôle, à savoir, la Commission.
Le droit de la concurrence recense, ainsi, une quarantaine de textes qui peuvent être qualifiés
de soft law, de droit mou. Ces textes permettent de renforcer la transparence et la sécurité
juridique des entreprises et, notamment, d’interpréter les textes qu’elles accompagnent.
S’agissant des autres contributions fondamentales au développement du droit de la
concurrence, il s’agit, d’une part, de la pratique décisionnelle de la Commission et, d’autre part,
de la jurisprudence de la Cour de justice, qui était la CJCE avant Lisbonne et qui avec le traité
de Lisbonne est devenue la CJUE. En matière de concurrence, la CJUE joue le rôle d’une
instance de cassation puisqu’elle statue en droit sur les pourvois formés contre les arrêts
rendus par le Tribunal de l’Union européenne.
B. Les notions fondamentales du droit de la concurrence
Il s’agit des notions d’entreprise et de marché (qui n’est pas le marché intérieur).
1. L’entreprise
Les entreprises sont les acteurs premiers de la construction européenne. Comme les Etats,
elles sont destinataires de normes juridiques de même qu’elles sont titulaires de recours
juridictionnels. La question est de savoir ce qu’est une entreprise. Le traité n’a jamais défini la
notion bien qu’il y fasse référence à plusieurs reprises et il le fait, notamment, aux articles 101
et 102 du TFUE qui décrivent, tous les deux pour les interdire, des comportements
d’entreprise.
La jurisprudence s’est donc penchée sur cette notion pour la définir à l’aide d’un double critère :
l’exercice d’une activité économique et l’autonomie de comportement sur le marché.
1.1. Le critère essentiel de l’entreprise : l’exercice d’une activité économique
Selon une jurisprudence bien établie, la notion d’entreprise comprend «toute entité exerçant
une activité économique, indépendant du statut juridique de cette entité et de son mode de
financement» (CJCE, 23 avril 1991, Höfner). Cette entité apparaît comme un opérateur
indépendant sur le marché et, là encore, il importe peut qu’il s’agisse d’une personne physique
ou d’une personne morale, il importe peut qu’il s’agisse de droit public ou de droit privé et,
même, il importe peut qu’il s’agisse d’un groupement dépourvu de personnalité juridique.
Aucune forme a priori n’exclut la qualification d’entreprise, l’essentiel étant le caractère
économique de l’activité concernée. Ainsi, les avocats ou les architectes ont pu être considérés
comme des entreprises ainsi que des organisations sanitaires ou des agents de douane en ce
qu’ils exercent une activité économique. Même en France, il n’y a pas de définition de
l’entreprise et cette définition diffère selon la branche du droit dont il est question, la définition
européenne est indépendante de toute appréciation nationale.
La Cour ajoute dans un arrêt de 2002, Butters, que dès le moment qu’il existe une activité
économique exercée par une personne, il s’agit d’une entreprise.
1.2. Les limites
L’entité dont il s’agit est soustraite au champ d’application des articles 101 et 102 si l’activité,
pourtant économique, qu’elle exerce comporte l’exercice des prérogatives de puissance
publique ou si ses fonctions sont de nature exclusivement sociale.
L’exercice de prérogatives de puissance publique
Une entreprise publique, un organisme public ou une collectivité locale ne sont pas considérés
comme des entreprises au sens du droit de la concurrence lorsqu’ils mettent en œuvre des
prérogatives de puissance publique, depuis l’arrêt de principe CJCE, 19 janvier 1994,
Eurocontrol, à propos des aiguillières du ciel. Cette entité sera soustraite au droit de la
concurrence et cette soustraction peut poser des enjeux très importants.
Une difficulté peut surgir lorsque l’entité en cause exerce plusieurs activités dont certaines
seulement sont assorties de ces prérogatives de puissance publique. Dans ce cas, il faut
analyser ces différentes activités pour déterminer leur nature. Par exemple, concernant les
aéroports de Paris, dans un aéroport on peut réaliser plusieurs activités (prendre l’avion, se
restaures, acheter des choses), y compris des activités qui sont liées avec les prérogatives de
puissance publique (comme le décollage de l’avion qui implique une activité de police sur le
domaine public). Le défendeur, pourtant, soutenait que ses activités relevaient de la
qualification des activités de police dans le but d’échapper à une condamnation pour violation
des règles de concurrence. Le Tribunal lui a répondu en deux temps. Dans un premier temps,
il a commencé par préciser que la qualité d’établissement public chargé de la gestion
d’installation relevant du domaine public (comme les aéroports de Paris) ne saurai exclure, à
elle seule, la qualité d’entreprise. Dans un deuxième temps, le Tribunal a recherché les
activités d’ADP purement administratives en les distinguant de celles qui étaient liées à la
gestion et à l’exploitation des aéroports parisiens. En l’espèce, le Tribunal a conclu qu’ADP
n’exerçait aucune activité de police, du moins pour l’activité qui était poursuivie, et se livrait à
une activité économique (TPICE, 1er décembre 2000, Aéroports de Paris).
L’exercice d’activités exclusivement sociales
L’arrêt de principe est l’arrêt CJCE, 17 février 1993, Poucet, où la Cour a considéré que la
notion d’entreprise ne s’appliquait pas aux organismes chargés de la gestion de régimes de
sécurité sociale. Effectivement, leur objet n’est pas économique dans le mesure où ces
organismes assurent une fonction de caractère exclusivement social, de plus dépourvue de
tout but lucratif. En plus, leur activité repose sur le principe de la solidarité nationale et les
prestations légales versées sont indépendantes du montant des cotisations. Cette position a
été réitérée à maintes reprises, par exemples, dans l’arrêt CJCE, 5 mars 2009, Kattner.
Le mot exclusivement doit être souligné parce qu’en revanche, les régimes complémentaires
de santé et les fonds de pension obéissent à un autre régime. Selon la CJUE, un organisme
à but non lucratif gérant un régime d’assurance vieillesse qui complète le régime de base
obligatoire est une entreprise même s’il ne poursuit pas un but lucratif (CJCE, 16 novembre
1995, FFSA c/ Commission). Pour justifier cette différence de traitement, le juge relève que
les caisses complémentaires fonctionnent selon le principe de la capitalisation et que les
prestations versées dépendent du montant de cotisation ainsi que des résultant financiers de
de leur investissement. Alors, la Cour n’a cependant pas nié l’existence d’une certaine
solidarité dans ces organismes mais elle a précisé qu’elle était limitée dans la mesure où
l’affiliation à ces régimes est facultative.
La question, ensuite, s’est posée pour les fonds sectoriels de pension pour lesquels la Cour
se prononce dans l’arrêt CJCE, 21 septembre 1999, Albany International. Les fonds de
pension ne sont pas, heureusement, très répandus en France. Le problème dans cet arrêt
résidait dans le fait qu’en l’espèce, des médecins néerlandais refusaient l’affiliation obligatoire
à un fonds de pension concernant l’exercice libérale de la médecine parce qu’ils étaient
devenus salariés. La Cour, en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure (Poucet + FFSA), a
considéré que les fonds exercent une activité économique en concurrence avec celle des
compagnies d’assurance. Il s’agit donc, là encore, d’entreprises soumises au droit de la
concurrence, malgré la présence d’éléments de solidarité, comme dans le cas précédent, et
même sans but lucratif.
L’activité économique est donc le critère premier, le critère essentiel de la notion d’entreprise
puisqu’elle permet de délimiter le champ d’application matériel des règles européennes de
concurrence. Soit l’activité est économique ou exercée dans un but économique et il s’agira
d’une activité d’entreprise soumise aux règles de concurrence, soit elle ne l’est pas et alors
elle va échapper à l’application de ces règles puisque les règles de concurrence concernent,
uniquement, les comportements d’entreprise. Ce critère est fondamental et son identification
suffit, le plus souvent, à qualifier une entité d’entreprise au sens du droit de la concurrence.
Cependant, dans certaines hypothèses, il faudra adjoindre un second critère, complémentaire
du premier, le critère de l’autonomie de comportement sur le marché.
1.3. Le critère secondaire : l’autonomie de comportement sur le marché
Cette condition complète la précédente et doit être remplie dans l’hypothèse des accords
intragroupe, des accords entre entreprises qui participent d’un même groupe d’entreprises,
dont notamment les accords conclus entre la société mère et la filiale. Pour être une entreprise,
dans cette hypothèse, l’entité concernée (à savoir, la filiale) doit disposer d’un minimum
d’autonomie réelle tant dans sa prise de décisions que dans son comportement sur le marché.
Ce critère s’induit de l’esprit de l’article 101 qui vise l’interdiction des accords
anticoncurrentiels. Effectivement, afin d’exercer une influence sur les conditions de la
concurrence, l’entente doit réunir des opérateurs indépendants. La filiale qui est entièrement
contrôlée par la société mère ne peut pas conclure une entente interdite avec la société qui la
domine puisqu’elle n’a aucune autonomie dans le cadre des conventions qu’elles passent
entre elles. La filiale suit la logique du lien de subordination du contrat de travail, étant
entièrement soumise à la société mère.
Les deux sont des entreprises mais il faut distinguer entre les filiales autonomes et les filiales
contrôlées totalement par la mère, qui obéissent entièrement aux ordres de la mère et on ne
peut pas les considérer en tant qu’entreprise parce qu’elles ne sont que la prolongation de la
mère. La Cour de justice considère qu’il s’agit d’une entité unique, la filiale étant une émanation
de la mère et l’on sait que l’on ne conclut pas de contrat avec soi-même, tel que l’indique la
Cour dans l’arrêt CJCE, 1974, Centrafarm, où elle souligne que l’article 101 du traité est
inapplicable à une unité économique, puisque l’accord interdit par le texte suppose le concours
de plusieurs volontés économiquement indépendantes. L’affaire de principe est TPICE, 12
janvier 1995, Viho Europe c/ Commission, l’arrêt du Tribunal ayant été approuvé par la Cour
le 24 octobre 1996 dans l’affaire Viho. Le litige dans l’affaire Viho concernant la politique de
renvoie qu’avait mise en place la société Parker, la société mère qui avait des filiales dans de
nombreux Etats membres. Elle avait interdit à toutes les filiales de livrer des marchandises
dans d’autres Etats membres que le leur (celui où elles étaient implantées), la filiale française
ne pouvait pas s’adresser donc à la filiale espagnole, les filiales devaient renvoyer donc à la
filiale dite compétente. Cependant, ces filiales ne pouvaient qu’exécuter des ordres, elles
étaient soumises à la mère. Dès lors, le Tribunal considère qu’il n’existe qu’une unité
économique, les filiales n’étant pas d’entreprises, ce qui fait échec à l’application de l’article
101.
Si cette pratique n’a pas été condamnée sur le fondement de l’article 101, elle l’a été sur
l’atteinte à la libre circulation des marchandises du fait du cloisonnement occasionné, les
clients ne pouvant pas se fournir auprès des filiales de leur choix, ce qui les privait de la
possibilité, à l’époque, de bénéficier des éventuelles différences de prix pratiquées par le
revendeur. La mise à l’écart de l’article 101 dans ces hypothèses n’empêche pas l’application
de l’article 102. En effet, il s’agit d’une entité unique, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne
peut pas être une entreprise en position dominante, qui peut être susceptible d’abus puisqu’il
y a création d’un cloisonnement entre les Etats membres.
2. La notion de marché.
La notion de marché joue un rôle essentiel en droit de la concurrence, plus spécialement en
matière d’abus de position dominante, l’infraction visée à l’article 102 du TFUE. La détention
d’une position dominante par une entreprise s’entend nécessairement par référence à un
certain marché. La délimitation précise de ce marché est le préalable nécessaire à toute
analyse juridictionnelle. Si une entreprise est poursuivie par sa position d’abus dominante, une
entreprise peut arguer qu’elle ne se trouve pas en position dominante en ce qu’elle ne détient
pas cette position, d’après elle, et pour vérifier cela, il faut vérifier le marché pertinent. L’affaire
emblématique en matière de position d’abus dominante est l’affaire United Brands (1982).
En l’espèce, une entreprise est poursuivie pour abus de position dominante. Elle dément et dit
qu’elle se situe sur le marché des fruits. Existe-t-il un marché spécial pour la banane ? C’est
ce qu’a vérifié la Commission européenne, en menant une enquête auprès des
consommateurs. Elle en a déduit que la banane est un fruit qui se mange toute l’année et que
même l’été lorsqu’arrivent les autres fruits, les consommateurs de bananes continuent d’en
manger. La banane n’est pas en concurrence avec ces autres fruits et il existe donc un marché
de la banane. L’entreprise est, dès lors, en position dominante.
Parfois, il existe des sous-marchés dans un même marché, tel est le cas des pneus dans
l’affaire Michelin, où il s’est avéré qu’il existait un seul marché car les circuits de distribution
sont différents. La notion est très importante dans le cadre du contrôle de concentration parce
que l’objet premier de ce contrôle est de prévenir la constitution ou le renforcement d’une
position dominante. La notion de marché est si importante que la Commission lui a consacré
une communication de 1997 et, d’ailleurs, du fait de son ancienneté, elle est en cours de
révision. Il en résulte de la communication que la notion de marché n’est pas unitaire, le
marché possède une dimension géographique en tant que périmètre à l’intérieur duquel
s’exerce la concurrence mais il possède, de même, une dimension matérielle, ce que l’on
appelle le marché du produit, lequel est lié aux caractéristiques propres de ce produit et aussi
à la façon dont ledit produit est perçu par les consommateurs.
2.1. Le marché du produit
Le marché du produit est défini en tenant compte de l’ensemble du contexte économique,
puisqu’il s’agit de mesurer la puissance économique effective de l’entreprise en cause. Selon
la communication de 1997, le marché du produit «comprend tous les produits et/ou services
que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs
caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés». Ce marché s’apprécie par
référence à la substituabilité des produits concernés. Pour le délimiter, il importe d’identifier
les produits qui soit sont substituables au premier, soit, le cas échéant, sont suffisamment
interchangeables avec les produits proposés par l’entreprise dans l’esprit des consommateurs
ou des utilisateurs. C’est ce qu’a indiqué la CJCE dans l’affaire CJCE, 14 février 1978, United
Brands, à propos des bananes : «pour être considéré comme constituant un marché
suffisamment distinct, la banane doit pouvoir être individualisée par ses caractéristiques
particulières, la différenciant des autres produits au point qu’elle soit peut interchangeable
avec eux et ne subisse leur concurrence que d’une manière peu sensible».
Le prix peut constituer une caractéristique du produit et il peut permettre de mesurer sa
substituabilité. Il en va de même des conditions de fabrication du produit ou de la prestation
des services, par exemple, les autorités européennes ont pu faire la distinction entre la glace
artisanale, généralement, fabriquée, distribuée, localement sur une petite échelle et la glace
industrielle, fabriquée pour être distribuée à grande échelle (décision de la Commission de
1998 – Van Bergh Foods).
De façon générale, l’identification du marché du produit est de nature essentiellement
subjective, elle tient compte, certes, des caractéristiques propres des produits mais,
également, des conditions de concurrence et de la structure de l’offre et de la demande sur le
marché. Effectivement, les stratégies des producteurs, ou encore, les méthodes ou les canaux
de commercialisation peuvent influencer l’appréciation des consommateur à cet égard. Il faut
ajouter même le conditionnement du produit qui, quant à lui, peut révéler l’existence de circuits
de distribution distincts, par exemple, il existe deux sous-marchés au sein du marché du sucre
blanc cristallisé, d’une part, celui du sucre en vrac ou en sac de 50 kg et, d’autre part, celui du
sucre au détail, vendu au kilo ou en sachet (CJCE, 14 mai 1997, Sucre irlandais). En revanche,
le marché de la banane comporte toutes les variantes de banane existantes, qu’elles soient
revêtues ou non d’une marque (dans l’affaire United Brands, il s’agissait de la marque
Tchikita).
2.2. Le marché géographique
Le marché géographique peut s’étendre à l’ensemble du territoire européen et il peut même
être mondial lorsqu’une entreprise bénéfice d’un monopole mondial de production et de vente
d’un même produit, ce qui reste très rare. Le plus souvent, l’assise géographique est plus
réduite et, dans le cadre d’un abus de position dominante, il faut déterminer dans quelle
mesure elle peut être considérée, aux termes de l’article 102, comme partie substantielle du
marché intérieur.
Dans quelle mesure cette assise peut être considérée comme une partie substantielle
du marché intérieur ?
De façon schématique, le marché géographique peut être défini comme la zone au sein de
laquelle se confrontent effectivement l’offre et la demande des produits ou des services. Selon
la Commission, issue de sa communication de 1997, «il permet d’identifier et de définir le
périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre entreprises».
Cependant, la délimitation du marché géographique n’est pas seulement une question de
superficie du territoire, par exemple, une région d’un Etat membre, une ville, voire un quartier
peuvent constituer une partie substantielle du marché intérieur lorsqu’ils revêtent une certaine
importance économique au regard du marché intérieur pris dans son ensemble. Il n’existe, dès
lors, aucune étendue géographique minimale. Par exemple, un port, en raison du volume du
trafic et de l’importance qu’il revêt au regard de l’ensemble des activités d’importation et
d’exportation maritimes dans un Etat membre ou même en aéroport, en raison de l’ampleur
du trafic de passagers, constitue un marché spécifique recouvrant une partie substantielle du
marché intérieur (cf. l’aéroport de Francfort). En définitive, cette délimitation résulte d’un
jugement de valeur qui intègre des éléments de nature très diverse, tant matériels que
circonstanciels, on peut même inclure des données de nature juridique comme, par exemple,
des barrières réglementaires et même parfois des appréciations de nature psychologique
comme la langue ou les préférences culturelles des consommateurs, leurs habitudes de
consommation, leurs préférences pour certains conditionnements et ainsi de suite.
Il existe donc un double marché : un marché de produits et un matché géographique.
Titre I – Les comportements interdits par le droit de la concurrence
Sous-titre I – Les pratiques anticoncurrentielles
Nous n’étudions que les règles applicables aux entreprises
Chapitre I – Les ententes
L’entent est une collusion entre entreprises qui est prohibée tant par le droit de l’UE (art. 101
du TFUE) que par le droit interne (en droit français, la prohibition est inscrite à l’article L. 420-
1 du Code de commerce). L’élément fondamental, quoique non unique, de l’entente interdite
est la coordination de comportements. L’on verra qu’elles génèrent une attente à la
concurrence condamnable mais l’on verra, aussi, qu’elles peuvent bénéficier d’une exemption.
Section I – Le principe : L’interdiction des ententes
L’article 101, §1 du TFUE dispose que «sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits
tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes
pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui
ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence
à l'intérieur du marché intérieur».
De cette définition se dégagent les éléments constitutifs de l’entente interdite, ils sont cités
dans le texte, à savoir, un concours de volonté entre entreprises, une atteinte à la concurrence
dans le marché intérieur et cet ensemble doit supposer un objet ou un effet restrictif de
concurrence.
Sous-section I – Le concours de volontés entre entreprises
L’article 101 cite, quant à lui, les accords entre entreprises, les décisions d’associations
d’entreprises et les pratiques concertées. Dans le texte, le mot d’entent ne figure nulle part
alors, pourtant, que le terme est très souvent utilisé par la doctrine et par la jurisprudence
européenne. Cette particularité s’explique parce qu’un même comportement de type collusoire
peut s’exprimer au fur et à mesure de son évolution, soit par des accords, soit par des pratiques
concertées. Or, lorsqu’on poursuit l’entreprise, l’on ne connaît pas encore la teneur exacte des
agissements divers qui lui sont reprochés, c’est alors que le mot entente est le bienvenu, étant
un mot générique qui permet de qualifier le tout avant de procéder à l’analyse qui permettra
de qualifier les divers éléments qui composent cette entente et qui peuvent être des accords
ou des pratiques concertées. Les décisions d’association d’entreprises ne posent pas,
normalement, de difficultés, c’est surtout la pratique concertée qui pose problème.
Ces éléments ne sont pas toujours faciles à identifier ou, même, parfois, à démêler les uns
des autres et, encore une fois, l’on trouve l’intérêt du recours à la notion d’entente. L’entente
désigne un concours de volontés qui peut se présenter sous différentes formes puisqu’il y en
a trois, selon l’article 101 («les accords entre entreprises, les pratiques concertées et les
décisions d’associations d’entreprise»).
A. L’accord
Le terme d’accord évoque un contrat conclu, quel qu’en soit la forme (un acte authentique ou
un acte sous-seing privé, un accord simplement signé voire un accord verbal). Par ailleurs, sa
nature juridique importe peu, il peut s’agir d’une vente, d’une location d’ouvrage, d’une licence
d’exploitation, il faut dire que, généralement, la notion d’accord vise tous les contrats par
lesquels les entreprises organisent leurs relations ou aménagent leurs comportements sur le
marché. Enfin, l’objet de l’accord doit être déterminé, même s’il n’est pas nécessairement
précis. Il suffit que les parties se soient entendues sur une finalité générale (à partir du 1er
décembre, une augmentation des prix de 15%) même si les modalités de réalisation de leur
accord n’ont pas encore été précisées.
Le contrat peut être bilatéral ou multilatéral, il peut même se présenter sous forme de mesure
unilatérale lorsque cette mesure est intégrée dans un ensemble de relations contractuelles
(CJCE, 17 septembre 1985, AG Ford). Cette construction a été contestée par les entreprises
car elle était attentatoire à leur sécurité juridique et le Tribunal et la CJCE ont été amenés à la
remettre en cause, notamment dans le cadre de deux affaires importantes (TPICE, 26 octobre
2000, Volkswagen et Bayer Adalat). Dans cette affaire, selon la Commission, les grossistes
concernés avaient tacitement consenti à une sorte d’interdiction d’exporter que leur avait
imposé le fabriquant parce qu’ils savaient qu’à défaut leurs commandes ne seraient pas
totalement honorées et, pour autant, leur adhésion aurait été obtenue par l’anticipation
d’éventuelles mesures de rétorsion. Les grossistes sont condamnés et ils saisissent le TPICE
qui rappelle les éléments constitutifs de l’accord par opposition au comportement unilatéral,
notamment, le Tribunal a insisté sur l’importance de la concordance des volontés qui doit être
prouvée. La Cour de justice a confirmé cette analyse en indiquant qu’une mesure unilatérale
restrictive de concurrence ne peut pas être systématiquement assimilée à un accord interdit,
le seul fait qu’une mesure restrictive de ce genre, prise par un fabriquant, s’inscrive dans le
cadre des relations commerciales continues avec les grossistes ne permet pas de conclure à
l’existence d’un tel accord. Cette jurisprudence ne consacre pas, tout de même, l’abandon
total de la possibilité de prouver un accord en se fondant sur les relations commerciales
continues, l’on peut toujours retenir la mesure unilatérale dans le courant habituel d’affaires
MAIS il faut, également, en plus, démontrer l’adhésion des distributeurs à la mesure proposée,
voire imposée par le fournisseur.
B. La pratique concertée
Cette notion est difficile à cerner, à distinguer de la notion d’accord. Il n’en demeure pas moins
une notion distincte et autonome, comme a pu l’indiquer la CJCE dans l’affaire dite des
matières colorantes. Il s’agit d’une décision de la Commission du 24 juillet 1969, suivi par
l’arrêt CJCE, 14 juillet 1972, Ici et autres c/ Commission, une affaire très importante
puisqu’en l’espèce, la Cour donne, pour la première fois, un contenu à la notion de pratique
concertée.
En l’espèce, des hausses de prix successives et identiques étaient apparues simultanément
dans plusieurs Etats membres mais la preuve directe d’un accord entre les grands producteurs
de matières colorantes n’avait pas pu être établie. Cependant, dans la mesure où l’on ne
pouvait pas l’expliquer autrement que par une concertation, la Cour approuve la décision de
la Commission de l’avoir fait en cette espèce. La Cour a posé en principe que si l’article 85
distingue la pratique concertée, la pratique concertée n’exige pas (contrairement à l’accord)
un engagement réciproque des entreprises concernées ou même la poursuite d’un plan
commun. Si c’était le cas, la notion se confondrait avec celle d’accord. La CJCE y voit
simplement une convergence d’intentions individuelles (qui fera le concours de volontés) qui
débouche sur une pratique restrictive de concurrence. C‘est ainsi qu’elle l’a induit dans l’affaire
des matières colorantes Ici c/ Commission du seul échange d’informations entre entreprises
suivi d’un alignement des prix.
Cette position a été confortée, voire expliquée dans l’arrêt CJCE, 16 décembre 1995, Suiker
Uni, où la Cour a posé le principe général suivant, grand principe du droit de la concurrence :
«Tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend
suivre sur le marché commun et ce principe s’oppose rigoureusement à toute prise de contact
direct ou indirect (contre les opérateurs) ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le
comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à tel
concurrent le comportement que l’on ait décidé ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le
marché». Enfin, dans l’arrêt TIPCE, 15 mars 2000, Cimenteries-CBR, le Tribunal explique que
pour établir une pratique concertée : «il n’est donc pas nécessaire de démontrer qu’un
opérateur économique s’est formellement engagé à l’égard d’un ou de plusieurs autres à
adopter tel ou tel autre comportement ou que les concurrents ont fixé en commun leur
comportement futur sur le marché. Il suffit que, à travers sa déclaration d’intentions, l’opérateur
économique ait éliminé ou à tout le moins substantiellement réduit l’incertitude quant au
comportement à attendre de sa part sur le marché».
Ainsi, lorsque tout le monde agit de la même façon sur le marché, il s’agit d’un parallélisme de
comportement. Le seul parallélisme ne suffit, cependant, pas à caractériser l’existence d’une
pratique concertée. Rien n’interdit à une entreprise d’aligner d’elle-même (sans concertation)
son comportement sur celui de ses concurrents. On appelle cela une adaptation intelligente
au marché (un bijoutier qui met un prix bas, ses concurrents suivent, il n’y a pas forcément
d’accords). Dans ce cadre-là, ce ne peut être qu’un indice qui joint à d’autres dans un faisceau
d’indices, constitue la preuve de la coopération acceptée et voulue de la pratique concertée
de l’article 101 du TFUE.
La notion de pratique concertée se rapproche de celle d’accord mais leurs objectifs respectifs,
la qualification sous-tend une simple convergence d’intentions individuelles qui débouchent
sur une pratique restrictive de concurrence. Elle n’exige pas que les entreprises se soient
mises d’accord sur ce qu’elles devaient faire ou ne pas faire sur le marché ou, encore, sur les
conditions de leur action ou abstention réciproques. Un comportement peut ainsi être qualifié
de pratique concertée lorsque les parties se sont contentées d’adhérer volontairement à un
système de collusion, favorisant la coordination de leur comportement commercial. Selon la
Cour, il suffit que l’objet anticoncurrentiel de la pratique concertée soit établi pour que le
comportement en cause soit condamnable. Il suffit, de même, que ce comportement soit
susceptible, seulement, de produire des effets négatifs sur la concurrence. La question de
savoir dans quelle mesure cet effet s’est réellement produit n’a d’importance que pour le calcul
du montant des amendes et, également, l’évaluation des droits à des dommages et intérêts
(CJUE, 4 juin 2009, T Mobile Netherlands).
S’agissant de la preuve de la pratique concertée, elle s’induit, le plus souvent, de la
participation à des réunions périodiques entre concurrents visant à fixer des objectifs de prix
ou des volumes de vente même si elles ne sont pas suivies de faits. Effectivement, la
responsabilité d’une entreprise peut être retenue à raison d’une seule réunion, sa seule
possibilité d’exonération consistant à rapporter la preuve, qui est difficile, d’une distanciation
publique. Mieux encore, selon la Cour, le départ d’un participant en cours de réunion ne peut
pas être considéré comme une distanciation publique de l’entente illicite, pour être exonéré de
sa responsabilité, il doit joindre des indices montrant que les autres participants ont compris
qu’il mettait fin à sa participation (CJUE, 19 mars 2009, Archer Daniels Midland).
C. La décision d’association d’entreprises
La troisième forme du concours des volontés ne soulève pas de difficultés. Les entreprises
peuvent s’associer ou constituer un groupement professionnel entre elles si l’accord initial
(constitutif) relève en tant que tel de l’article 101 du TFUE il n’est pas, per se, restrictif de
concurrence. Les seules décisions concernées par le texte sont les décisions du groupement
qui pourraient imposer un comportement collectif anticoncurrentiel à ses participants, par
exemple, le groupement pourrait imposer à ses membres une politique commerciale
particulière ou un système de prix contraignants. Il faut préciser que lorsqu’elles sont suivies
de faits, ces décisions sont assimilées à des ententes et sont soumises, en tant que telles, à
l’article 101 §1 du TFUE.
Tout groupement volontaire, quel qu’il soit, peut recevoir la qualification d’association
d’entreprise. Il peut s’agir, par exemple, d’un syndicat professionnel, de GIE, d’associations
stricto sensu dépourvues de but lucratif et même de simples associations de fait sans
personnalité juridique. En particulier, ont été qualifiées d’associations d’entreprise dont les
décisions peuvent tomber sous le coup de l’article 101 §1 la société Mastercard lorsqu’elle
adopte des décisions relatives aux commissions multilatérales d’interchange et que des
entreprises acceptent, en particulier, de coordonner leurs comportements aux moyens des
décisions prises par la société Mastercard (CJUE, 11 septembre 2014, Mastercard). De
même, ont été qualifiées d’associations d’entreprise les organismes qui régissaient les foires
ou les expositions ou, encore, les entreprises du secteur bancaire, voire les fédérations
sportives. D’ailleurs, à ce propos, le Tribunal a rappelé que les clubs de football sont des
entreprises et que les associations qui les rassemblent sont des associations d’entreprise
même si ces clubs ou associations se présentent comme n’étant constitués que d’amateurs
(TPICE, 26 janvier 2006, Laurent Piau). Les ordres professionnels sont, de même, des
associations d’entreprise sans qu’il soit nécessaire de distinguer entre les différentes activités
qu’ils exercent, à savoir, les activités de type économique et/ou déontologique (CJCE, 19
février 2002, Wouters, à propos des ordres d’architectes qui sont concernés). Il en va de même
d’une corporation de droit public espagnol qui est aussi une association d’entreprise
regroupant les mandataires en propriété industrielle établis en Espagne, selon la décision de
la Commission du 30 janvier 1995, Coapi.
S’agissant de à la décision, afin qu’elle tombe sous le coup de l’article 101 §1 du TFUE, celle-
ci est multilatérale puisqu’elle est émise par l’organe compétent du groupement (assemblée
générale ou autre). Il peut s’agir des directives émises par le groupement, des directives en
tant qu’accord déterminant le comportement des membres représentés par ces associations,
voire des codes de conduite professionnelle ou même il peut s’agir de simples
recommandations à caractère contraignant pour les membres l’association. Dès qu’elle a pour
objet de coordonner le comportement de ses membres, la recommandation en question
constitue une décision d’association d’entreprise au sens de l’article 101 §1 du TFUE.
Sous-section II – Une atteinte à la concurrence
A. La notion d’atteinte à la concurrence
Pour rappel, l’article 101 §1 du TFUE interdit les ententes qui ont pour objet et pour effet
d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.
Ce n’est, donc, pas la localisation des entreprises qui commande le jeu de l’article 101 mais
la localisation de l’effet anticoncurrentiel de leur entente, selon le principe dit de l’effet ou de
la territorialité objective. Ainsi, il faut et il suffit que l’entente en question produise ses effets
à l’intérieur de l’Union européenne, du marché intérieur. Dès lors, des entreprises qui sont
toutes établies dans l’Union peuvent impunément conclure entre elles des accords
anticoncurrentiels qui ne concerneraient que des marchés extérieurs. Il n’y aurait pas de
problèmes parce que les autorités de contrôle ne sont pas garantes de la concurrence en
dehors de leur sphère territoriale de compétence. Cependant, les accord extraterritoriaux
n’échappent pas, pour autant, à l’examen des autorités de contrôle qui vont quand même les
examiner parce qu’elles vont rechercher si l’entente en question ne produit-elle pas des effets
par ricochet, des rebonds sur la concurrence intra-européenne. Toute possibilité d’incidence
directe ou indirecte est examinée à travers l’analyse concrète de l’affaire.
Inversement, des ententes convenues entre des entreprises qui sont toutes domiciliées à
l’extérieur, c’est-à-dire, en dehors du territoire européen peuvent produire des effets
anticoncurrentiels à l’intérieur du marché européen. Si tel est le cas, elles conditionnent
l’applicabilité de l’article 101 selon le principe général posé par la CJUE dans l’arrêt CJCE, 22
novembre 1971, Béguelin, où la Cour a indiqué que «le fait par l’une des entreprises
participant à l’accord d’être située dans un pays tiers ne fait pas obstacle à l’application de
l’article 85 (de l’époque, 101 aujourd’hui), dès lors que l’accord produit ses effets sur le
territoire du marché commun». La Commission européenne a, par exemple, condamné 41
producteurs domiciliés en dehors de l’Union qui s’étaient entendus sur le prix d’un produit
vendu à l’intérieur de celle-ci. Dès lors, le lieu est le critère déterminant de l’applicabilité de
l’article 101.
Finalement, des ententes conclues entre entreprises qui sont situées dans un seul et même
Etat membre peuvent, bel et bien, affecter le commerce intra-européen, notamment par
verrouillage du marché national, en empêchant les entreprises des autres Etats membres de
venir sur le marché national, ce qui fait que ces ententes nationales tombent sous le coup de
l’article 101.
Lorsque l’Union condamne des entreprises extra-européennes, ces sanctions sont effectives
parce que les entreprises se soumettent à celles-ci parce qu’elles savent que si elles refusaient
d’obtempérer, le marché européen serait définitivement cloitré pour elles.
B. Les principales atteintes à la concurrence : les exemples de l’article 101 §1 du
TFUE
Selon une jurisprudence constante, toute restriction de concurrence doit être appréciée en
tenant compte de l’ensemble de son contexte juridique et économique. L’on comprend bien
que cette conception postule l’examen au cas par cas. Effectivement, elle rend difficile toute
tentative d’inventaire de restrictions de concurrence condamnables. La liste de l’article 101 §1
n’est pas et ne peut pas être, par définition, exhaustive. Le texte se borne à illustrer la notion
d’atteinte à la concurrence par une série de cinq exemples, sous les lettres A jusqu’à la lettre
E. Ce sont les exemples les plus fréquents (du moins, à l’époque même s’ils sont encore
d’actualité aujourd’hui). Une liste n’est pas fermée ni limitative lorsqu’elle est introduite par
l’adverbe «notamment», tel est le cas en matière de concurrence.
1. Les accords de fixation de prix
Les ententes sur les prix constituent le type même d’atteinte grave à la concurrence, d’où leur
caractère, a priori, condamnable. Le prix doit être librement déterminé par les opérateurs
économiques, les entreprises et il ne doit pas résulter d’une coopération ou d’un échange
d’informations entre eux. Toutefois, la Commission européenne a admis, en 2002, l’existence
d’accords sur le prix susceptibles de remplir les conditions de l’«exemption» de l’article 101
§3, l’exemption étant la possibilité de permettre à une entente anticoncurrentielle de
fonctionner tout de même. L’espèce en question sera portée à une atteinte concernant les
commissions convenues entre les banques, la clause des prix ayant été reconnue
indispensable à l’établissement d’un système international de paiements à grande échelle
(Commission européenne, 24 juillet 2002, Visa International). Cela atteste de la grande
dimension pragmatique du droit européen.
Les clauses contractuelles intégrant des fixations de prix ne sont pas toujours et
systématiquement restrictives de concurrence MAIS le pragmatisme européen fait que même
cette pratique peut être admise et la Commission en a repris, d’ailleurs, l’idée dans les lignes
directrices complétant le règlement N°330 de 2010, le règlement d’exemption sur les accords
verticaux. La Commission, grande autorité de la concurrence, admet la possibilité d’accorder
l’exemption dans certaines circonstances à des accords de prix imposés, en particulier,
lorsqu’un fabriquant lance un nouveau produit, les prix imposés peuvent permettre aux
distributeurs d’augmenter les efforts de vente et, ajoute-t-elle, si les distributeurs sur ce marché
sont soumis à des pressions concurrentielles, ils peuvent les inciter à développer la demande
globale pour le produit et à faire de ce lancement un succès «dans l’intérêt des consommateurs
également», le partage du profit avec les consommateurs étant l’une des conditions de
l’exemption. Néanmoins, les accords sur les prix restent hautement anticoncurrentiels mais la
Commission n’est pas, en soi, dogmatique à cet égard.
2. Les accords de limitation ou de contrôle de la production de débouchés, du
développement technique ou des investissements
Il s’agit, au premier chef, d’accords de quota de production ou de vente. Par exemple, on
s’entend entre soi pour ne pas produire au-delà d’un certain seuil, en portant atteinte au droit
des consommateurs. Par exemple, dans la décision Commission européenne, 16 juillet 1969,
Entente internationale de la Kinine, les entreprises participantes avaient fixé des prix communs
mais avaient aussi établi des quotas à l’exportation en plus d’une clause d’interdiction de
fabriquer de la kinine synthétique. Dans tous les cas, il s’agit d’empêcher les entreprises de
mettre en place des systèmes qui pourraient geler des positions, des positions qui, à l’inverse,
devraient se plier aux règles du marché. Une application de ce texte a été faite à propos des
règles déontologiques concernant la profession d’avocat, c’est en effet en leur nom que le
règlement du Conseil de l’ordre des avocats néerlandais avait interdit tout lien entre cabinets
d’avocats et cabinets d’expertise comptable. En l’espèce, la Cour constate que cette
interdiction aboutissait à empêcher la constitution de grandes plateformes intégrées
susceptibles de générer ou de produire des économies d’échelle. Dès lors, elle était de nature
à limiter la production et le développement technique au sens de l’article 101 §1 du TFUE.
Dans cette rubrique, on peut classer les accords Pay for delay, conclus entre les laboratoires
pharmaceutiques et les producteurs des génériques, des accords par lesquels les fabriquant
de la molécule brevetée au départ empêchent de mettre des produits génériques sur le marché
qui portent atteinte à la concurrence, au sens de l’article 101, et à la Sécurité sociale.
3. Les accords de répartition de marché ou des sources d’approvisionnement
Ces accords sont fréquents dans le secteur de la distribution et ils sont très critiquables au
regard des objectifs poursuivis par les traités en ce qu’ils contribuent au cloisonnement du
marché intérieur et donc à la constitution artificielle de barrières que tout le droit de l’Union
vise à supprimer. Ils sont très souvent associés aux accords sur les prix. Effectivement, les
différences de prix peuvent être maintenus grâce à la répartition du marché, laquelle répartition
empêche d’acheter les produits aux prix les plus intéressants là où ils se trouvent.
4. Les accords discriminatoires
Ce sont les accords qui consistent à «appliquer à l’égard des partenaires commerciaux des
conditions inégales à des prestations équivalent en leur infligeant, de ce fait, un désavantage
dans la concurrence». Ce type d’infraction est, en particulier, reproché aux associations,
notamment au regard de leurs conditions d’adhésions, elles peuvent s’avérer discriminatoires.
Lorsqu’elles sont objectives, les conditions en question sont, a priori, licites. Or, ce premier
critère n’est pas toujours suffisant et elles sont examinées attentivement par les autorités de
contrôle après avoir été replacées dans leur contexte. Une condition qui a l’air, de prime abord,
objective (par exemple, la réalisation d’un certain chiffre d’affaires) peut, à l’analyse, se révéler
discriminatoire, le seuil indiqué apparaissant comme étant trop élevé.
Par ailleurs, il n’est pas rare que le statut de l’association réserve des avantages économiques
à ses membres et, là encore, ces avantages doivent être objectivement justifiés pour échapper
à la condamnation. Par exemple, dans la décision Commission européenne, 23 juillet 1994,
Papier Peint de Belgique, selon la Commission, le fait de réserver la qualité de membre de
l’association aux entreprises belges a eu pour effet de rendre le marché local (belge) plus
difficile d(accès aux entreprises extérieures qui n’avaient pas d’établissement en Belgique.
5. Les accords de subordination
On les appelle parfois accords liés, couplés ou d’enchaînement et ils sont interdit parce qu’ils
«subordonnent la conclusion des contrats à l’acceptation par les partenaires de prestations
supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec
l’objet de ces contrats». Ces accords sont, a priori, interdits car ils restreignent la liberté
d’action des parties et faussent, par là-même, le jeu normal de la concurrence
Sous-section III – Un objet ou un effet restrictif de concurrence

Vous aimerez peut-être aussi