Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le droit matériel ou droit substantiel est la discipline qui porte sur le fond du droit. Cet
enseignement portera donc sur l’étude es règles de fond de l’Union européenne. Il se distingue
de celui du droit institutionnel de l’UE qui régit la constitution et le fonctionnement de l’Union
européenne à travers ses institutions. Plus précisément, cet enseignement s’articulera dans
un premier temps par une étude des règles régissant le marché intérieur (la libre circulation
de marchandises, de personnes, de services et de capitaux, en fonction de leur importance),
l’objectif fondamental et l’essentiel de l’activité de l’Union européenne. Ensuite, l’on examinera
les règles de concurrence, conçues comme un moyen de réalisation du marché intérieur. Ces
deux parties ensemble correspondent à ce qu’on appelle le «droit européen des affaires» mais
un panorama du droit européen matériel peut s’enrichir de l’étude de certaines politiques
européennes
Modalités d’évaluation
Examens normaux (question de cours) mais SI examens à distance (question de réflexion pas
trop compliquée). L’on fait un oral-écrit (1H pour composer).
Introduction
A. Le marché intérieur
C. La concurrence
La concurrence est le second versant du droit matériel européen. La fondation du marché
intérieur est le premier versant et elle suppose qu’une concurrence égalitaire existe entre les
entreprises qui veulent y proposer ou, inversement, s’y procurer des biens et/ou des services.
Cette égalité est évidemment nécessaire au fonctionnement de tout marché, qu’il soit national
ou transnational, mais l’on comprend bien qu’elle revêt une importance toute particulière dans
l’UE. En effet, l’égalité a pour fonction propre la reconstitution des cloisonnements nationaux
qui ont, en principe, disparu grâce aux quatre libertés déjà mentionnées. Le droit de la
concurrence a joué un rôle moteur dans la construction européenne, il est l’un des garants de
la compétitivité de l’économie européenne malgré un contenu parfois fluctuant et une
dimension parfois complexe pour les opérateurs économiques. En matière de concurrence,
l’on trouve beaucoup de règlement édictés par la Commission européenne, qui est le maître
du droit européen de la concurrence.
Ces règles ont servi de modèle à de nombreux pays émergents qui souhaitaient adopter une
législation interne de la concurrence. Par exemple, en droit français et en droit européen, l’on
trouve l’interdiction des abus de position dominante (une entreprise trop forte dans le marché
qui peut évincer ses concurrents) et l’interdiction des ententes anticoncurrentielles entre les
entreprises. La partie qui dépasse, côte européen, ce sont les règles de concurrence
applicables aux États. Tel est le cas des aides d’Etat (lorsqu’un Etat qui, dans le but de sauver
ses entreprises, va leur donner de quoi subsister pour qu’elles continuent d’être sur le marché)
qui choquent, a priori et au regard de l’idée européenne, puisque chaque Etat membre va aider
ses propres entreprises, ce qui rompt l’égalité entre les entreprises, les États vont à l’encontre
de la conception européenne de la concurrence. Le principe demeure celui de l’interdiction
des aides d’Etat même s’il existe quelques aides de plein droit et qu’on peut octroyer des aides
sous réserve d’autorisation de la Commission européenne. Même d’ailleurs lorsqu’une aide
est autorisée, elle ne l’est que si l’entreprise est viable et que les difficultés qu’elle traverse
soient passagères. On peut déduire que la concurrence est un domaine dans lequel l’UE a pu
s’imposer en tant que puissance normative au-delà de ses propres frontières. Pour les parties
de ce droit qui coïncident (les pratiques anticoncurrentielles), ce sont des normes quasiment
identiques (règle française/règle européenne), pour des mêmes infractions, il existe deux
corps de règles.
Cependant, ce qui diffère entre les deux types de règles sont leur champ d’application. S’il
s’agit d’une entente franco-française, l’on va considérer qu’elle relève du droit français (et on
appliquera l’article L421 du Code de commerce) alors que s’il s’agit d’une entente franco-italo-
espagnole, il y aura une affectation du commerce intra-européen et, de ce fait, on appliquera
le droit européen de la concurrence (art. 101, paragraphe 1 TFUE). Le problème c’est que le
droit européen de la concurrence se contente d’une simple possibilité d’affectation du marché
intra-européen. Par exemple, en 2008, trois opérateurs de la téléphonie mobile furent
condamnés du fait d’une stagnation de prix, l’on a constaté que ces trois entreprises avaient
commis une infraction d’entente, ces opérateurs s’étaient entendus sur le prix (toujours à la
hausse) et s’étaient mis d’accord sur le partage du marché (ce qui est très grave au regard du
cloisonnement, chaque entreprise prenant une partie de la France). L’affaire est démantelée
et le Conseil de la concurrence (l’actuelle Autorité de la concurrence qui rend des décisions et
non pas de jugements) condamne ces trois entreprises, une AAI ayant des fonctions para-
juridictionnelles et un appel est formé puisqu’elles avaient été condamnées non seulement sur
le fondement d’un texte français mais également du texte européen correspondant (les
entreprises concernées ayant conformé une entente exclusivement française). Les entreprises
font valoir qu’elles ont été condamnées sous le visa d’un texte européen qui n’avait pas
finalement lieu d’être puisque ce texte n’est appliqué que lorsqu’il existe une possibilité
d’affectation du marché intra-européen. La Cour d’appel de Paris répond aux acteurs de la
téléphonie mobile que le Conseil de la concurrence a très bien fait de se prononcer ainsi
puisque même si l’entente est franco-français et que le marché de la téléphonie mobile est
plutôt national mais, qu’en même temps, l’entente en question a compliqué encore plus les
choses pour un éventuel opérateur économique d’un autre Etat membre qui aurait pu souhaiter
se présenter sur le marché français, d’où la susceptibilité d’affectation du commerce intra-
européen. Cela étant dit, l’argument de l’appel était un peu faible puisque la condamnation
reste la même, les règles s’étant rejointes.
La concurrence n’est pas à appréhender, cependant, par le droit de l’UE comme une fin en soi
mais comme un instrument, comme un moyen visant à servir d’autres fins, à savoir, les
objectifs socio-économiques énoncés par les traités (bien-être, meilleure allocation de la
richesse, etc). Il est vrai que cette approche avait été abandonnée avec le Traité constitutionnel
européen (TCE) qui avait érigé la concurrence en tant qu’objectif de l’UE mais, suite à l’échec
du TCE, Lisbonne a remis la concurrence à sa place initiale. L’on peut même dire que la
politique de concurrence est sortie renforcée du traité de Lisbonne, puisque le rôle de la
Commission européenne a été valorisé plus encore, ses compétences propres en la matière
ayant été reconnues et consolidées. L’action législative en matière de concurrence participe
des compétences exclusives de l’Union européenne, les États n’interviennent pas. S’agissant
d’une concentration d’entreprises, avant de procéder, on doit soumettre l’opération à la
Commission européenne qui à elle seule peut apprécier la concentration d’entreprises.
Lorsque Bruxelles s’oppose à un rachat, la Commission européenne a examiné le dossier et
a considéré que le projet pourrait affecter le principe de concurrence égalitaire. Les refus de
concentration restent rares parce que la procédure devant la Commission a une partie formelle
et informelle, puisque les parties et la Commission échangent tout au long de l’examen afin
d’améliorer le projet, les parties pouvant le rectifier afin d’obtenir l’accord de la Commission.
En guise de conclusion, il faut aborder deux principes :
▪ Le principe de proportionnalité qui s’applique dans l’exercice de toutes les
compétences de l’UE. L’article 5, paragraphe 4 de l’UE dispose que «le contenu et la
forme de l’action de l’Union n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les
objectifs du présent traité». La CJUE en a même fait un PGD (principe général du droit)
dans l’affaire CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG [Cassis de Dijon]. Ce principe
signifie que les institutions européennes ne doivent pas imposer aux opérateurs
économiques des obligations ou des charges qui excèdent, ce qui est nécessaire pour
atteindre les objectifs de l’UE. Cela veut dire que si l’on a le choix entre deux mesures
à efficacité égale, il faudra toujours choisir la mesure la moins contraignante.
▪ Le principe de subsidiarité est, quant à lui, utilisé pour réguler le partage des
compétences entre l’UE et les États membres (lorsqu’il existe compétence partagée).
Il concerne, donc, l’exercice des compétences partagées. L’article 5, paragraphe 3 du
TUE dispose que l’Union intervient dans tel ou tel autre domaine «seulement si et dans
la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière
suffisante par les États membres», l’Union européenne, donc, n’intervient que si les
États membres pris individuellement ne peuvent pas atteindre les objectifs fixés dans
les traités ou bien lorsqu’une action commune est plus efficace que plusieurs actions
individuelles prises au niveau national.
Partie I
Le droit du marché intérieur
Il existe quatre libertés de circulation : les marchandises, les personnes, les services et les
capitaux.
Titre I
La libre circulation des marchandises
L’article 28 du TFUE dispose que «l’Union comprend une union douanière qui comporte
l’interdiction entre les États membres des droits de douane à l’importation et à l’exportation et
de toute taxe d’effet équivalent à des droits de douane». La première étape a donc été la
réalisation de l’union douanière et la suivante a été la suppression des obstacles aux échanges
à l’intérieur de l’UE. A propos des obstacles de nature pécuniaire, cela signifie la suppression
par chaque Etat membre des droits de douane, pour les droits de douane, cette suppression
a été effective le 1er juillet 1968, ayant été réalisée plus vite que prévu. Cependant, il existe
une règle visant les obstacles non pécuniaires, il s’agit de l’interdiction des restrictions
quantitatives (les quotas et les contingents imposés) qui, quant à elles, sont interdites.
Chapitre I
L’élimination des mesures d’entrave pécuniaire (TEE)
L’achèvement du marché intérieur ne pouvait pas se cantonner à la suppression des droits de
douane parce que les États membre peuvent développer diverses formes de résistance aux
échanges, lesquelles peuvent exercer une influence sur le mouvement des marchandises.
Ces pratiques sont discrètes, elles sont même invisibles mais elles permettent aux États de
conserver des postures protectionnistes qui sont, par essence, interdites.
Selon l’article 28 du TFUE, l’Union comprend une union douanière qui s’étend à l’ensemble
des échanges des marchandises et comporte l’interdiction entre les États membres des droits
de douane et de toute taxe d’effet équivalent. Le traité a donc tout d’abord prévu la suppression
des droits de douane, laquelle suppression a été effective le 1er juillet 1968 entre les premiers
six États fondateurs au cours de la période de transition et même plus vite que prévu puisque
le traité avait prévu la suppression pour le 31 décembre 1969. Le traité ajoutait l’interdiction
des TEE, une interdiction contenue dans les articles 28 et 30 dudit TFUE.
Section I – La notion des TEE
Par cette formule, les rédacteurs du traité ont entendu viser toutes les taxes qui, bien que non
qualifiées des droits de douane, peuvent frapper des produits importés (et uniquement ceux-
ci) générer, donc, un effet dissuasif et, de ce fait, rendre difficile, voire impossible leur entrée
sur un marché national.
A. La définition de la TEE
Dans un premier temps, la CJCE a défini les TEE comme étant «des mesures qui présentaient
sous d’autres appellations ou introduites par le biais d’autres procédés aboutiraient aux
mêmes résultats discriminatoires ou protecteurs que des droits de douane», définition issue
de la jurisprudence CJCE, 14 décembre 1962. Puis, la Cour a retenu une définition plus large,
reprise depuis lors dans l’arrêt CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, où le juge européen
nous dit «qu’une charge pécuniaire fut elle minime, unilatéralement imposée, quel que soit son
appellation ou sa technique et frappant les marchandises nationales ou étrangères en raison
du fait qu’elles franchissent la frontière constitue une TEE alors même qu’elle ne serait pas
perçu au profit de l’Etat, qu’elle n’exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le
produit imposé ne se trouverait pas en concurrence avec un produit national».
Les deux définitions en question ont permis aux opérateurs économiques de contester toute
sorte de taxe, parfois, en saisissant la Commission de plaintes de nature à lui faire engager
un recours en manquement contre l’Etat concerné ou, parfois, en invoquant directement les
dispositions du traité devant le juge national (le juge de droit commun du droit européen)
puisque les textes en question sont investis de l’effet direct depuis le célèbre arrêt CJCE, 5
février 1963, Van Gend en Loos. Ces définitions renferment les éléments constitutifs de la TEE
dont on peut déjà extraire le critère essentiel qu’est le franchissement de la frontière.
B. Le critère fondamental de qualification de la TEE
La notion de TEE a un caractère objectif et absolu, réfractaire à toute justification étatique.
Dans ce sens, le but poursuivi par la taxation est indifférent, qu’il s’agisse de la protection du
patrimoine national, laquelle était supposée justifier une taxe à l’exportation d’objets d’arts ou
encore qu’il s‘agisse d’objectifs nationaux d’ordre social, par exemple, des taxes perçues à
l’exportation du tabac servant à financer des prestations de Sécurité sociale pour les
travailleurs du secteur. Tout cela a été refusé puisque la TEE ne peut jamais se justifier, elle
doit être supprimée, le montant versé, restitué et l’Etat, condamné. Peu importe le montant de
la taxe, peu importe son appellation ou peu importe, encore, la technique qu’on a utilisé pour
l’instituer. Peu importe encore l’origine de la marchandise, le bénéficiaire du prélèvement (un
Etat ou un organisme privé) et peu importe l’absence de discrimination (l’absence de
concurrence).
Selon la CJCE, il suffit que le franchissement de la frontière soit à l’origine du prélèvement
pour que la qualification de TEE s’applique même si l’exigibilité et le paiement de cette taxe
interviennent plus tard. Cette frontière, d’ailleurs, peut être national ou même régional, il suffit
que la taxe soit perçue à l’occasion du franchissement d’une frontière MEME interne pour
qu’elle soit qualifiée de TEE. La Cour a appliqué ce principe à propos d’une taxe perçue sur le
marbre en raison de son transport au-delà des limites du territoire communal de la ville de
Carrara (CJCE, 9 septembre 2004, Carbonati c/ Commune de Carrara). La Cour a encore
reconnu la qualification de TEE dans la décision CJCE, 8 novembre 2005, Jersey Produce
Marketing Organisation, où elle a considéré que l’obligation de se faire enregistrer auprès d’un
organisme particulier et de payer des cotisations, cette obligation ayant été imposé aux
producteurs de Jersey souhaitant exporter des produits au Royaume-Uni constitue une TEE.
L’île de Jersey est une dépendance semi-autonome du Royaume-Uni, ces deux îles ne
forment qu’une seule entité et, pourtant, le Royaume-Uni obligeait les gersois de s’enregistrer
auprès d’un organisme et de payer une cotisation, cette obligation étant considérée comme
une TEE par la CJUE.
Section II – La restitution des taxes indûment perçues (la répétition de l’indu)
Si un Etat membre a imposé des TEE ou des droits de douane sur des marchandises
importées, les particuliers peuvent prétendre à une annulation et au remboursement
subséquent des prélèvements indûment perçus selon des procédures et des modalités
particulières.
A. Les procédures de répétition
Il n’existe pas de règles européennes de procédure, c’est l’ordre juridique interne qui désigne
la juridiction compétente et qui règle les modalités procédurales de recours (la forme, le délai).
Le tout a deux conditions :
▪ Les règles contentieuses nationales ne doivent pas opérer des discriminations au
détriment des actions fondées sur le droit européen et au bénéfice des actions fondées
sur le droit national, c’est le principe d’équivalence
▪ Les justiciables doivent pouvoir exercer les droits qui leur sont conférés par l’ordre
juridique européen. Ce sont des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de
sauvegarder, c’est le principe d’effectivité.
B. Le montant de la restitution
Si celui qui a payé indûment est un consommateur final, il sera intégralement remboursé,
«restitué» parce qu’il a supporté la taxe seul en phase finale. Dans ce cadre, cette taxe a été
répercutée sur d’autres personnes (sur un produit acheté). Si le consommateur réclame, la
taxe sera intégralement restituée.
Si c’est l’entreprise qui réclame un remboursement, par exemple, l’entreprise qui a payé la
taxe et qui l’a incorporé dans ses prix de vente. Dans cette hypothèse, une restitution intégrale
à l’entreprise ayant payé au départ entraînerait un enrichissement injustifié, un enrichissement
sans cause. S’il y avait une restitution intégrale, ce serait une situation injuste puisqu’il y a déjà
eu un remboursement lors de la commercialisation (de par l’achat). Dans ce cas, le juge pourra
réduire le montant de remboursement dans une mesure qu’il appréciera lui-même
conformément au droit national de l’Etat membre. La charge de la preuve de la répercussion
sur les tiers pèse sur l’administration et non pas sur les opérateurs économiques, d’après la
Cour de justice dans l’arrêt CJCE, 9 novembre 1983, San Giorgio.
Si l’entreprise n’a pas répercuté la taxe sur ses produits mais qu’elle a subi un préjudice elle-
même du fait de l’incidence de la taxe illégale sur le volume de ses affaires (ou alors, elle l’a
peut-être mis à la vente mais que personne ne l’a acheté du fait de son prix). Le juge pourra
alors lui accorder un remboursement supérieur à ce qu’elle a payé (puisqu’il comprend des
dommages et intérêts).
Section III – Les prélèvements autorisés
Il faut savoir que toute taxation nationale n’est pas systématiquement et, a priori,
condamnable. Les impositions intérieures et les redevances doivent être distingues des TEE
interdites. Alors que les impositions intérieures constituent un instrument de la politique fiscale
des États membres, les redevances, quant à elles, peuvent être imposées lors du
franchissement d’une frontière par une marchandise mais en échange des services rendus à
l’opérateur concerné. Ces prélèvements obéissent à un régime juridique distinct de celui de la
TEE.
A. Les impositions intérieures
Les États membres restent maîtres de leur politique fiscale et ils peuvent tout à fait frapper les
marchandises d’une imposition intérieures mais toutes les marchandises (nationales et
importées). L’article 110 du TFUE dispose, à ce propos, qu’«aucun État membre ne frappe
directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures,
de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou
indirectement les produits nationaux similaires». Ainsi, l’on peut imposer des taxes sur les
marchandises mais ces taxes doivent concerner toutes les marchandises. La jurisprudence
distingue entre les impositions intérieures autorisées et les impositions intérieures interdites,
en faisant une interprétation stricte du texte.
S’agissant des impositions intérieures autorisées, de prime abord, il paraît facile distinguer les
TEE de celles-ci. Les TEE frappent les marchandises circulent d’un Etat à un autre du fait du
franchissement d’une frontière tandis que les impositions intérieures restent indépendantes de
tout mouvement transfrontalier. Néanmoins, depuis l’achèvement du marché intérieur, un Etat
qui imposerait des TEE ne peut plus les percevoir lors du franchissement des frontières car
celles-ci ont disparu, il pourra seulement la faire à un stade postérieur de transformation ou de
commercialisation de la marchandise et, donc, à l’intérieur de son territoire. Pour distinguer
les impositions intérieures licites des TEE interdites, la jurisprudence européenne a dégagé
trois critères :
▪ L’objet du prélèvement. Selon une jurisprudence constante, la caractéristique
essentielle d’une TEE à un droit de douane et qui la distingue d’une imposition
intérieure est que la TEE frappe exclusivement les produits importés en tant que tels
tandis que la second frappe, en même temps, les produits nationaux et les produits
importés.
▪ Les restrictions des marchages, par exemple, les ventes avec prime, le système qui
réserve la vente au détail du tabac aux devis autorisés par la puissance publique.
En revanche, sont considérées comme des MEERQ interdites :
▪ Les dispositions susceptibles d’entraver le commerce de certains produits en se
rapportant à leurs caractéristiques propres. Par exemple, dans l’arrêt CJCE, 13 mars
1997, Tommaso Morellato, la Cour indique qu’une législation nationale (italienne, en
l’espèce) qui interdit sans justification la commercialisation de pain dont le degré
d’humidité excède une certaine limite, ce qui oblige le producteur étranger à une
fabrication différenciée selon la destination du produit (ce qui rejoint la jurisprudence
Cassis de Dijon). En effet, à l’instar de la jurisprudence Cassis de Dijon, le fabriquant
aurait été contraint de réaliser un étiquetage différent pour le pain qu’il souhaitait
commercialiser en Italie, ce qui débouche sur une entrave de fait d’accès au marché.
Ou encore, l’exemple d’une législation soumettant les produits de boulangerie
congelés et réchauffés ensuite aux mêmes conditions de fabrication que celles qui
s’appliquent aux procédés de fabrication et de commercialisation du pain traditionnel
(CJCE, 14 septembre 2006, Alfa Vita Vassilopoulos).
▪ Les règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre les marchandises
issues d’autres États membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées
même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, qu’ils soient
nationaux ou importés (cf. Cassis de Dijon).
▪ Toutes les autres mesures qui entravent l’accès au marché d’un Etat membre des
produits originaires des autres États membres.
Ainsi, il n’existe pas de critère uni et rigoureux de qualification de la MEERQ. Les renvois au
juge national ne sont pas rares, les raisonnements des différentes chambres de la CJUE ne
sont pas toujours homogènes, tout cela portant atteinte à la sécurité juridique.
Chapitre III – Les limites à l’interdiction des MEERQ
Les États membres conservent un champ d’intervention propre en matière de circulation de
marchandises. Ils peuvent décider eux-mêmes du niveau auquel ils entendent assurer la
protection des personnes qui sont sur leur territoire à l’encontre des risques qui pourraient
dériver de l’utilisation ou de la consommation des produits. En gros, dès lors qu’il n’y a pas
d’harmonisation, les États pourront légiférer comme ils veulent à de différents niveaux. Cette
possibilité de maintenir des obstacles à la libre circulation des marchandises repose sur
plusieurs fondements. Le premier fondement est l’article 36 du TFUE qui renferme de
véritables exceptions aux MEERQ. Un autre fondement possible est le fondement
jurisprudentiel, par exemple, les exigences impératives qui peuvent justifier des entraves, tel
qu’en atteste l’arrêt Cassis de Dijon. Cependant, ces exigences impératives sont distinctes
des exceptions visées à l’article 36 mais, à peu près similaires dans leur régime juridique.
Finalement, le troisième fondement sur lequel peut reposer un obstacle national ce sont
certains principes généraux du droit européen (PDG).
Section I – Les exceptions textuelles issues de l’article 36 du TFUE
Ce texte énumère de façon limitative certaines raison tirées de l’intérêt général qui peuvent
justifier des atteintes à la libre circulation des marchandises. Il s’agit de la moralité publique,
de l’ordre public, de la sécurité et de la santé publique, de la protection des trésors nationaux
et, enfin, de la protection de la propriété industrielle et commerciale. Attention, le texte referme
une seconde phrase selon laquelle ces interdictions ou restrictions d’importation ne doivent
constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le
commerce entre les États membres.
A. Des remarques préalables à l’article 36 du TFUE
Ce texte ne peut être invoqué qu’en l’absence d’harmonisation européenne. En principe, il est
exclu lorsque cette harmonisation a été réalisée (un texte est venu poser le degré d’humidité
dans le pain, par exemple). Le traité a retenu une clause de sauvegarde spécifique à l’article
114 du TFUE qui autorise les États à maintenir ou à édicter de façon provisoire des
dispositions dérogeant à l’harmonisation européenne pour les raisons énoncées à l’article 36
auxquelles il a ajouté la protection de l’environnement et du milieu du travail.
L’article 36 ne peut être invoqué qu’en présence de MEERQ puisqu’il ne se réfère qu’aux
articles 34 et 35 du TFUE et, de ce fait, il ne peut pas justifier des entraves de nature tarifaire
(les TEE) ou fiscale (les impositions intérieures), d’autant plus d’ailleurs qu’il est
d’interprétation stricte, l’on n’étend pas les exceptions de l’article 36. Il n’autorise que les
causes qui sont indiquées à titre de justification et aucune autre.
La mesure nationale doit être indispensable et liée à l’intérêt protégé et elle doit être aussi la
moins restrictive possible pour les échanges et, donc, respecter le principe de proportionnalité
et de reconnaissance mutuelle.
B. Les raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 du TFUE
1. La moralité publique
Selon la CJUE, chaque Etat détermine les exigences de moralité publique selon sa propre
échelle de valeur et selon la forme qu’il choisit. Par exemple, un Etat peut légalement interdire
l’importation sur son territoire d’objets à caractère pornographique (CJCE, 14 février 1979,
Nhenn et Darby) mais il doit respecter, ce faisant, le principe de non-discrimination et il ne peut
pas s’opposer à l’importation de ce type de produis si l’on tolère la fabrication et la
commercialisation chez lui, à savoir, sur son territoire (CJCE, 11 mars 1986, Conegate). La
Cour a encore considéré que la réglementation des jeux de hasard participait des domaines
dans lesquels l’on observe de sérieuses divergences d’ordre moral, d’ordre religieux et d’ordre
culturel entre les États membres. D’où, là encore, la possibilité pour chaque Etat membre de
déterminer le degré de protection des intérêts en cause (CJUE, 8 septembre 2009, Ligue
portugaise de Football professionnel).
2. L’ordre public et la sécurité publique
Il s’agit de notions contingentes, susceptibles de varier dans l’espace et dans le temps. De
façon générale, la mise en œuvre de la réserve d’ordre public suppose, à tout le moins,
l’existence d’une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la
société, à savoir, . Par exemple, en matière de protection de l’ordre public la CJUE a admis
que le Royaume Uni puisse interdire l’exportation de pièces de monnaie qui n’avaient plus
cours et dont la fonte ou la destruction était interdite (CJCE, 23 novembre 1978, Regina
Thompson). Cette mesure, pourtant, repose sur un motif d’ordre public, à savoir, la protection
du droit de frappe mettant en cause les intérêts essentiels de l’Etat (la monnaie est une
prérogative essentielle de l’Etat, du moins avant l’euro).
S’agissant de la sécurité publique, ce motif a été invoqué pour justifier une réglementation
irlandaise qui obligeait les importateurs des produits pétroliers à s’approvisionner à hauteur
d’un certain pourcentage auprès d’une raffinerie installée sur le territoire national. Cela
s’explique parce que l’interruption de l’approvisionnement peut gravement affecter la sécurité
publique (CJCE, 10 juillet 1984, Campus Oil Limited). Cela a été confirmé par l’arrêt CJCE, 25
octobre 2001, Firma Ambulanz Glöckner, où la Cour a confirmé que le maintient d’un stock de
produits pétroliers sur le territoire national pour garantir la continuité d’approvisionnement
constitue bel et bien un objectif de sécurité publique. De façon générale, la Cour a admis à ce
titre la justification d’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure, pour la prévention routière
ou, encore, pour la réglementation de la circulation.
3. La santé publique
L’article 36 vise les dérogations à la libre circulation des marchandises visant à la protection
«de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux».
Cette justification a généré un important contentieux, les États l’invoquant très régulièrement
lorsque leur législation en matière sanitaire, en matière alimentaire, voire vétérinaire est
susceptible d’être qualifiée de MEERQ. Par exemple, pour justifier une autorisation de mise
sur le marché et d’utilisation d’un produit contenant certaines substances autorisées dans
d’autres États membres. Ceux qui ne les autorisent pas vont interdire les produits contenant
ces substances en se prélavant du motif de la santé publique. Nonobstant, cette justification
est très sévèrement appréciée puisque la Cour exige, lorsqu’elle examine la mesure, que les
mesures en cause soient nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Par conséquent, les États doivent établir l’existence d’une menace réelle pour la santé
publique et ils doivent démontrer à la lumière des habitudes alimentaires nationales et aussi
compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale que cette réglementation
restrictive est nécessaire pour préserver les intérêts dont il s’agit. Par exemple, une restriction
visant à interdire la vente des friandises sans emballage spécifique dans des distributeurs
automatiques (CJCE, 24 novembre 2005, Schwarz). Une autre législation justifiée sur le
fondement de la santé publique est une législation accordant un monopole de
commercialisation des médicaments aux pharmaciens (CJCE, 21 mars 1991, Delattre). Cette
justification ne peut être admise qu’en l’absence de réglementations européennes. Si
harmonisation, les contrôles à l’échelle européenne ont déjà été mis en place et, à partir de là,
l’Etat ne pourra plus revendiquer la défense de la santé publique puisque l’Union européenne
a déjà légiféré dans ce domaine sous réserve d’irrégularité ou de fraude. Il existe de
nombreuses réglementations européennes qui instaurent des contrôles sanitaires aux
frontières, ce qui limite sensiblement le champ d’intervention des États membres dans la
matière.
La santé peut, de même, être protégée sur d’autres fondements, par exemple, la Charte des
Droits fondamentaux (2000) dont la valeur juridique est équivalent à celle des traités
fondateurs. L’article 35 de ladite charte dispose que «toute personne a le droit d'accéder à la
prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies
par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine
est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union».
L’on trouve également les exigences impératives et le principe de précaution. La Cour a
récemment précisé l’étendu du pouvoir d’appréciation des États membres pour la mise en
œuvre de ce principe (le principe de précaution) dans le domaine des denrées alimentaires
(CJUE, 19 janvier 2017, Queisser Pharma c/ Allemagne). Le principe de précaution est devenu
un principe général du droit européen, ce qui explique qu’il puisse être invoqué en tant que tel
(en tant que PGD) en dehors des textes qui le visent expressément. Ce principe permet de
déterminer les conditions dans lesquelles le législateur, national ou européen, peut adopter
des mesures visant à protéger la santé des consommateur, ces mesures étant susceptibles
au regard des incertitudes scientifiques d’être associées à l’utilisation d’un produit ou d’un
service.
4. La protection des trésors nationaux
Dans son arrêt CJCE, 10 décembre 1968, Œuvre d’art, la Cour de justice a considéré que les
biens artistiques étaient des marchandises soumises à la libre circulation mais il faut concilier
la libre circulation avec l’impératif de la protection du patrimoine artistique, historique et
archéologique, ce qui explique la dérogation de l’article 36 du TFUE. Les États membres
peuvent définir leurs trésors nationaux et ils peuvent prendre les mesures nécessaires à leur
protection dans le marché intérieur mais ils doivent le faire sur une base dont les règlements
concernant l’exportation de biens culturels hors Union européenne, par exemple, le règlement
116/2009 du 18 décembre 2008 ou la directive édictée en 2014 relative à la restitution de biens
culturels classés comme trésors nationaux qui ont quitté de manière illicite le territoire d’un
Etat membre. Cette directive met en place une coopération administrative pour l’ensemble des
biens culturels, de même qu’elle organise une procédure judiciaire de restitution pour ceux de
ces biens qui ont, en plus, la qualité de trésor national.
5. La protection de la propriété industrielle et commerciale
L’article 36 du TFUE ne vise que la protection de la propriété industrielle et commerciale qui
retrouve les droits de propriété intellectuelle, appliqués aux commerces et à l’industrie. La
catégorie de toutes les œuvres de l’esprit s’appelle la propriété intellectuelle. Cela produit des
prérogatives pour les titulaires, ce ne sont que des droits pécuniaires mais, en plus pour ce
qui concerne la propriété littéraire et artistique, le droit moral de l’auteur sur son œuvre.
Il faut savoir que la CJUE dans la propriété industrielle et commerciale visée dans l’article 36
la branche de la propriété littéraire et artistique (alors qu’elle ne l’aurait pas été au début).
L’article 36 était, cependant, d’interprétation stricte puisqu’il constitue une exception, on
n’étend pas les exceptions puisque si l’on faisait cela, il n’y aurait plus de principes. La Cour
se flatte toujours de retenir ses propres définitions, elle a des définitions autonomes,
indépendantes de celles des autres États membres, elle a une interprétation téléologique, elle
raisonne à partir des objectifs du traité. En ce sens, elle n’a pas étendu les exceptions mais
elle a considéré que la propriété intellectuelle concernait la propriété industrielle et
commerciale au sens large, alors que, normalement et dans les Etats membres, on n’utilise
que le terme de propriété intellectuelle. Pour la CJUE, ce qui est appelé «propriété industrielle
et commerciale» comprend les deux branches : la protection industrielle et commerciale ET la
propriété littéraire et artistique (dont le droit moral de l’auteur sur son œuvre). Elle a retenu sa
propre définition de la formule de l’article 36.
Il n’existe pas de véritable législation européenne d’ensemble concernant la propriété
industrielle et commerciale, il n’existe que quelques textes épars. La propriété industrielle et
commerciale est régie par les législations nationales et cela soulève un véritable problème
puisque les droits nationaux sont conférés aux titulaires par leurs législations nationales. Ces
législations accordent aux titulaires des propriétés intellectuelles qui heurtent, de front, les
deux grands principes européens : la libre concurrence et la libre circulation des
marchandises. Ces prérogatives sont, notamment, le monopole d’exploitation sur le territoire
national.
Le principe européen de libre concurrence veut dire que chacun a la possibilité d’entrer dans
le marché de son choix, on ne peut pas en être empêché par des comportements étatiques.
Cette notion va à l’encontre avec le monopole d’exploitation parce qu’un monopole veut dire
qu’une seule personne peut exploiter les droits. Ce qui heurte le principe de la libre circulation
est la territorialité des droits, puisque chaque législation nationale conférait aux titulaires un
monopole d’exploitation sur le territoire national. Néanmoins, en matière de propriété
industrielle et commerciale, l’on n’a pas voulu donner primauté au droit européen comme on
aurait pu et dû le faire puisque, certes, la libre circulation est la base du marché intérieur mais
les droits des titulaires étaient, tout de même, des droits à protéger, ils représentent la
récompense d’un inventeur, de celui ayant créé quelque chose. Si l’on sacrifiait ces droits sur
l’autel de la libre circulation, la récompense n’existerait pas et les inventeurs seraient
découragés. On a fini par se dire que les droits de propriété intellectuelle étaient aussi
importants que la libre circulation mais il fallait trouver un système qui permette de les concilier,
de faire que ces deux principes contradictoires cohabitent.
La Cour de justice a trouvé une forme de compromis, elle s’est efforcée de trancher ce
dilemme afin de reconnaître et de sauvegarder les monopoles reconnus par les droits
nationaux tout en évitant tout de même qu’ils créent un obstacle absolu aux échanges entre
les Etats membres. Cette construction s’est étalée sur plus de trente ans et aujourd’hui les
règles sont assez claires. Il fallait tracer la frontière entre ce qui relève du droit national et ce
qui revient au droit européen de la libre circulation des marchandises. Cette frontière q été
tracée à l’aide de deux notions : l’objet spécifique du droit et l’épuisement des droits.
5.1. L’objet spécifique
Selon la Cour, chaque droit de propriété industrielle et commerciale possède un objet
spécifique qui limite l’étendue du monopole conféré au titulaire au regard des impératifs de
libre circulation et de libre concurrence. Certains ont pu le qualifier de «noyau irréductible de
légitimité européenne». Seul le titulaire a le droit de mettre en circulation son bien protégé sur
le marché, pour sa première commercialisation. Si le bien n’a pas encore été mis sur le marché
européen, alors il pourra s’opposer à ce qu’un bien identique se présente sur le marché.
La limite est la suivante, selon la Cour, si un produit protégé est mis sur le marché d’un Etat
membre pour la première fois par son titulaire ou par un tiers autorisé, celui-ci ne pourra plus,
ensuite, s’opposer à la libre circulation de ce produit dans l’Union européenne. Autrement dit,
le droit du titulaire est maintenu jusqu’à la première commercialisation, la première mise sur le
marché du produit protégé dans l’Union européenne (produit protégé en France, il le met sur
le marché belge). Tant que ces produits n’ont pas été mis sur le marché européen, le
propriétaire pourra s’y opposer du fait de ses prérogatives, ce qui est maintenu, au titre de ses
prérogatives, est la première commercialisation. Cependant, une fois celle-ci accomplie, il ne
pourra plus s’y opposer.
5.2. L’épuisement des droits
La théorie de l’épuisement des droits prolonge la précédente. Le droit exclusif du titulaire d’un
droit de propriété intellectuelle n’est plus invocable après la première mise en circulation de
son produit, l’on dit qu’il a épuisé son droit. La CJUE, ainsi, par l’objet spécifique elle encadre
ce que l’on peut conserver des prérogatives nationales octroyées aux titulaires. Le titulaire
doit supporter les conséquences de la première mise en circulation et il ne peut pas empêcher
la circulation ultérieure de son produit, lequel produit pourra dorénavant être librement importé
et commercialisé par un tiers dans un autre État membre.
Cette règle connaît des limites en ce qu’elle ne joue pas pour les produits mis en circulations
hors l’Union européenne qui gardent leur objet spécifique.
Les exceptions de l’article 36 ne valent qu’en l’absence d’harmonisation. Par exemple, la
marque fait l’objet d’une directive de 2008 mais en 2015 le PE a adopté un projet de réforme
du droit des marques. L’idée de la réforme était d’harmoniser et de moderniser le droit des
marques dans l’Union européenne, ce paquet comportait non seulement la refonte de la
directive ancienne de 2008 mais, encore, la révision du règlement de 1993 sur la marque
communautaire. La marque communautaire est l’un des très rares titres vraiment européens
qui ne substituent pas à la marque nationale mais coexistent avec elle. La marque
communautaire est devenue marque de l’Union européenne avec le nouveau règlement de
2015 et la nouvelle directive de 2015 remplace la précédente directive de 2008 et harmonise
la législation des marques nationales. Les dessins et modèles font aussi l’objet d’un titre
européen (règlement de 2001) et il existe, de même, un brevet européen qui coexiste avec le
brevet national. Le paquet du brevet européen a instauré ledit brevet et une juridiction unifiée
en matière de brevets.
C. Les conditions d’application de l’article 36
Les dérogations issues de l’article 36 peuvent justifier une mesure distinctement applicable,
c’est-à-dire, une mesure qui ne concerne que les produits importés. De plus, le paragraphe 2
de l’article 36 retient deux conditions d’application particulières, propres à ce texte : l’absence
de discrimination arbitraire et de restriction déguisée dans le commerce entre les Etats
membres.
La première condition (l’absence de discrimination arbitraire) peut paraître curieuse puisqu’une
réglementation nationale qui ne s’applique qu’aux produits importés ou exportés a
nécessairement un caractère arbitraire mais une jurisprudence récente a banalisé la
discrimination, laquelle est établie dès que la législation en cause pénalise directement ou
indirectement les produits importés. Par exemple, elle va empêcher leur commercialisation en
leur soumettant à un contrôle phytosanitaire systématique alors que les produits nationaux de
même catégorie n’y sont pas soumis.
S’agissant de la deuxième condition (le restriction déguisée), la mesure ne doit pas constituer
une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres. Tel est le cas lorsque le
but réellement poursuivi, sous prétexte de protection de la santé, par exemple, est d’empêcher
les importations en provenance des autres Etats membres. Tel était le cas, par exemple, dans
l’affaire CJCE, 15 juillet 1982, Commission c/ Royaume Uni dite Dinde de Noël, où un contrôle
systématique était pratiqué au Royaume Uni sur les dindes françaises prétendument pour des
raisons de santé publique afin de détecter, disait-on, la présence de salmonelle. Le but réel
de la mesure était de ralentir l’importation de ces marchandises à une période cruciale de
l’année (à savoir, Noël). Pendant que les dindes françaises étaient coincées à subir les
contrôles, les dindes anglaises circulaient librement.
Section II – Les limites jurisprudentielles ou les exigences impératives
L’article 36 du TFUE ne peut être invoqué que pour des mesures discriminatoires visant des
produits importés. Inversement, les exigences impératives justificatrices ne sont en principe
admises que pour les mesures indistinctement applicables aux produits importés et aux
produits nationaux. Les exigences impératives ne figurent pas dans le traité et la
reconnaissance des motifs justificatifs non prévus dans le traité et qui justifient des obstacles
à la libre circulation des marchandises trouve son fondement sur la jurisprudence Cassis de
Dijon, où la CJUE indique qu’une entrave peut ne pas être illicite si elle s’avère justifiée pour
une raison d’IG (à savoir, une exigence impérative).
Pour admettre des justifications non inscrites dans le traité, la Cour, dans un premier temps, a
expliqué qu’elle complétait la définition des MEERQ en leur apportant un élément
d’appréciation supplémentaire, il ne s’agissait pas d’ajouter aux traiter, il s’agissait de les
préciser. Par la suite, la Cour a modifié son angle d’approche qui est, d’ailleurs, toujours
d’actualité. Face à une mesure dont on ne sait pas trop ce qu’elle est, la Cour ou le juge
commence par la qualifier, s’il en résulte une MEERQ, il envisage alors les motifs qui
pourraient la justifier, qu’ils soient tirés de l’article 36 ou de sa jurisprudence sur les exigences
impératives. Si la Cour retient l’exigence impératives (qui justifie la MEERQ en question), cette
mesure devient licite et elle ne peut plus être qualifiée de MEERQ. Elle échappe donc au
champ d’application de l’article 34 qui interdit les MEERQ. En revanche, l’appréciation est
différente à l’égard des dérogations textuelles de l’article 36, la mesure reste bel et bien une
MEERQ mais elle est justifiée, précisément, au regard des intérêts défendus dans le texte.
A. Les conditions d’application de la théorie des exigences impératives
Le recours aux exigences impératives n’est admis qu’à défaut d’harmonisation
européenne, c’est en effet «en l’absence d’ne réglementation commune de la production et
de la commercialisation d’un bien», comme le disait la Cour dans la jurisprudence Cassis de
Dijon. On a déjà vu l’article 114 du TFUE qui autorise certaines dérogations même en cas
d’harmonisation.
Ensuite, la mesure en cause ne doit pas être discriminatoire, elle doit s’appliquer
indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés
Elle doit être nécessaire à la satisfaction de l’intérêt en cause et elle doit être proportionnée,
c’est-à-dire, que les atteintes à la libre circulation qui en résultent ne doivent pas être
excessives par rapport au but poursuivi.
Finalement, les exigences nationales doivent impérativement prendre en compte les
mesures édictées dans l’Etat d’origine de la marchandise, mesures qui concourent à la
satisfaction même de l’intérêt général.
Si toutes ces conditions sont remplies, l’Etat en question peut, effectivement, refuser la mise
sur le marché national d’un produit étranger même si ce produit a déjà subi des contrôles et
obtenu des autorisations dans son pays d’origine et c’est seulement si le niveau de protection
obtenu, dans le pays d’origine, est équivalent à celui qu’impose la législation nationale que le
pays sera tenu de l’accepter. Ainsi, si le niveau est équivalent, l’Etat ne pourra pas refuser
l’entrée du produit.
Il faut revenir au principe de proportionnalité, édifié par la jurisprudence avant de devenir un
PGD consacré dans les traités. L’affaire de la loi allemande sur la pureté de la bière illustre
cette jurisprudence en matière de libre circulation des marchandises. En l’espèce, cette loi
allemande réservait la dénomination de bière aux boissons élaborées à partir de certains
éléments de fabrication seulement et pas d’autres. De plus, cette même loi frappait les bières
comportant des additifs d’une interdiction absolue de commercialisation. Sans surprise, cette
loi est soumise au contrôle de la CJUE. Sur le premier point, l’Allemagne interdisait l’entrée
des bières qui ne correspondaient pas à la réglementation de la loi (qui pouvaient rentrer en
Allemagne à condition que les producteurs ne les dénomment pas en tant que «bière»), la
Cour de justice a considéré, alors, que la protection du consommateur pouvait être assurée
autrement, notamment par un étiquetage adéquat (puisque l’Allemagne se défendait en disant
que cette loi constituait une exigence impérative et non pas une MEERQ), en effet, l’étiquetage
donne aux consommateurs une information objective sur le contenu et le mode de fabrication
des produits et, ainsi, ils peuvent choisir en connaissance de cause. La Cour a ajouté que «la
loi nationale ne doit pas servir à cristalliser les habitudes des consommateurs et à préserver
les avantages acquis par les industries nationales, lesquelles se sont adaptées pour les
satisfaire». Il existe, peut)_être, un intérêt à préserver, mais pour ce faire, on doit choisir la
mesure la moins restrictive pour les échanges (un étiquetage en plus, peut-être mais non pas
une interdiction totale). Sur le second point concernant les additifs, la CJUE a estimé que la
législation allemande était excessive, en ajoutant qu’une interdiction doit être limitée à ce qui
est, effectivement, nécessaire compte tenu des travaux internationaux et des normes en
vigueur dans l’Etat membre de production et, ensuite, cette interdiction doit être assortie d’une
possibilité de dérogation avec, en cas de refus, l’ouverture d’un recours juridictionnel, sa
nécessité doit être démontrée par l’Etat d’importation (l’Allemagne), celui-ci supporte donc la
charge de la preuve (CJCE, 12 mars 1987, Commission c/ Allemagne + CJCE, 5 février
2004, Commission c/ France, à propos d’une procédure d’autorisation des denrées
alimentaires enrichies en substances nutritives non transparente et peu compréhensible ou
accessible pour les opérateurs étrangers).
B. Le contenu de la catégorie des exigences impératives
Dans l’affaire Cassis de Dijon, la Cour n’avait mentionné que quatre exigences impératives qui
permettaient de rejeter la qualification de MEERQ. Il s’agissait de l’efficacité des contrôles
fiscaux, des exigences de protection des consommateurs, de la loyauté des
transactions commerciales et de la protection de la santé publique. L’efficacité des
contrôles fiscaux n’a jamais été évoquée après la jurisprudence Cassis de Dijon mais les deux
suivantes (la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales)
figurent très souvent parmi les moyens de défense qu’invoquent les Etats membres. Cela dit,
la CJUE admet rarement leur bien-fondé car elle considère que leurs objectifs peuvent, le plus
souvent, être atteints par des moyens moins restrictifs qu’une limitation directe ou indirecte
des importations. Dans la jurisprudence Cassis de Dijon, l’adverbe «notamment» précédait les
quatre catégories mentionnées par la CJCE, ce qui veut dire que la liste n’était pas fermée et
il a été possible d’invoquer par la suite, au titre des exigences impératives, l’amélioration des
conditions de travail, la protection de l’environnement, la lutte contre la criminalité et ainsi de
suite.
Section III – Les dérogations issues des PGD
A. Le principe de précaution
Ce principe a été élevé en tant que PGD en 2002 (TPI, 26 novembre 2002, Artegodan), cela
veut dire que même si ce principe n’est évoqué dans le traité qu’à propos d’une question
particulière, désormais, l’on peut l’extraire de cette question pour l’invoquer dans tous les
domaines. Le principe de précaution n’était visé dans le traité qu’à propos de l’environnement
(art. 191 du TFUE) mais, après la jurisprudence Artegodan, il a connu un développement
jurisprudentiel très important, notamment en matière de santé publique, c’est-à-dire, qu’un
risque réel ou supposé pour la santé des individus peut être utilement invoqué pour empêcher
l’accès d’une marchandise au marché national.
Le problème pour le juge c’est qu’il doit trouver un équilibre entre les préoccupations légitimes
des Etats membres en la matière et les abus qui pourraient en résulter. Le principe a été
invoqué pour la première fois dans l’affaire de la maladie de la vache folle (CJCE, 5 mai 1998,
Commission c/ Royaume Uni, à propos de l’encéphalopathie spongiforme bovine). Selon la
Cour, lorsque des incertitudes scientifiques subsistent quant à l’existence d’un risque pour la
santé humaine, les institutions communautaires peuvent prendre les mesures de protection
nécessaire sans attendre que la réalité et la gravité de ces allégations soit pleinement
démontrées. Les conditions d’application de ce principe ont été précisées dans une
communication de la Commission européenne de 2000 (Com, 2 février 2000), puis, reprises
par le Tribunal et la Cour de justice selon un schéma type qui comprend plusieurs étapes.
La première étape consiste à déterminer la réalité du risque. Ensuite, il s’agit de contrôler les
mesures adoptées par l’Etat membre. Troisièmement, il convient de vérifier la proportionnalité
de ces mesures entre les atteintes portées au marché et l’objectif poursuivi (même démarche
que pour Cassis de Dijon). La Cour a ajouté que le risque ne doit pas être hypothétique (CJCE,
9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia, à propos des produits génétiquement
modifiés), il doit être suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus
récentes et de cette appréciation, doit découler un grand degré d’incertitude scientifique et
pratique (CJUE, 28 janvier 2010, Commission c/ France, à propos d’une réglementation
française concernant les auxiliaires technologiques).
B. Le respect des droits fondamentaux
En 2003, la Cour a fait appel pour la première fois au respect des droits fondamentaux garantis
par la Convention européenne des droits de l’homme (CJCE, 12 juin 2003, Schmidberger). Le
respect des droits fondamentaux s’agit d’un intérêt légitime de nature à justifier une restriction
aux obligations imposées par le droit européen même s’il s’agit d’une liberté fondamentale
protégée par le traité comme la libre circulation des marchandises. Le respect des droits
fondamentaux s’impose tant à l’Union européenne (en tant que PGD qui figure à l’article 6-3
du TUE) qu’aux Etats membres (tous les Etats membres sont membres de la CEDH). Là
encore, il convient de mettre en balance les intérêts en présence pour vérifier si les restrictions
imposées sont proportionnées au but poursuivi. L’Union européenne doit adhérer à la CEDH
mais elle possède, de même, une Charte des droits fondamentaux qui correspond, peu ou
prou, à la CEDH. Par ailleurs, les droits fondamentaux sont, curieusement, très invoqués en
matière du droit de la concurrence.
Section IV – L’action préventive contre les restrictions à la libre circulation des
marchandises
Cette action peut prendre, en premier lieu, une forme contentieuse à travers le recours en
manquement qui oblige l’Etat à faire disparaître toute trace de l’illicéité. Par ailleurs, la
procédure du renvoi préjudicielle en interprétation contribue à l’élimination des entraves grâce,
d’une part, à une meilleure application des dispositions européennes et, d’autre part, à
l’autorité quasi absolue qui est reconnue aux arrêts préjudiciels.
Cependant, la procédure juridictionnelle est longue et, dans le cadre du recours en
manquement introduit contre l’Etat, la sanction est tardive et elle n’intervient qu’a posteriori.
De ce fait, le législateur européen a cherché des instruments non contentieux pour prévenir
les obstacles à la libre circulation des marchandises ou pour y mettre fin définitivement.
L’instrument privilégié pour éliminer les disparités entre les réglementations nationales créant
des entraves est l’harmonisation, par l’édiction des directives, en créant des instruments
propres à prévenir les entraves aux échanges, à savoir, des instruments d’information, d’alerte
et des instruments de contrôle.
Titre II
La libre circulation des personnes
Cette liberté est parallèle à la libre circulation des marchandises et elle a connu un évolution
profonde grâce au traité de Maastricht, à des textes de droit dérivé et à la jurisprudence, le
tout ensemble ayant permis de distinguer deux types de liberté : celle des agents économiques
et celle des individus exercée à des fins personnelles en dehors de toute considération
économique.
Chapitre I – Les bénéficiaires de la libre circulation
Ces bénéficiaires sont, le plus souvent, des personnes mais il peut s’agir aussi des services.
Section I – Les personnes
Il y a deux types de personnes : les personnes physiques et les personnes morales
Sous-section I - Les personnes physiques
Dans le traité de Rome, les personnes physiques bénéficiaient de la liberté de circulation en
raison uniquement du caractère économique de leurs activités. Cette liberté était étendue, tout
de même, aux membres de leur famille. Cette liberté apparaissait alors comme le complément
indispensable de la mobilité professionnelle des agents économiques. Traditionnellement,
cette liberté renferme le droit de se déplacer dans un autre Etat membre et d’y séjourner ainsi
que le libre exercice d’une activité professionnelle dans un autre Etat membre. Puis, trois
directives de 1990 ont consacré le droit de séjour général que chaque Etat membre doit
accorder aux ressortissants des autres Etats membres, indépendamment de l’exercice d’une
activité professionnelle. Enfin, le traité de Maastricht a parachevé l’évolution en instituant une
citoyenneté de l’Union qui a généralisé la qualité de bénéficiaire de la liberté de circulation
dans l’article 20 du TFUE. La dernière étape est intervenue en 2004 avec la directive relative
aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner
librement sur le territoire de tous les Etats membres (Directive N°2004/38/CE du 29 avril
2004). Cette directive a remplacé les trois directives de 1990 dont elle s’inspire largement, tout
en renforçant la mobilité des intéressés dans l’Union européenne. Aujourd’hui, l’article 21 du
TFUE reconnaît le droit de tout citoyen de circuler et de séjourner librement sur le territoire
des autres Etats membres. Néanmoins, on distingue parmi les personnes physiques celles qui
exercent une activité économique et les personnes non-actives qui circulent et séjournent dans
un autre Etat membre à d’autres fins.
A. Les personnes physiques exerçant une activité professionnelle
Les droits reconnus à ces personnes peuvent être étendus aux membres de leur famille. Le
traité de Rome était un traité économique qui reconnaissait aux ressortissants européens, quel
qu’ils soient, le droit de séjourner et de circuler dans les autres Etats membres pour y travailler,
cette activité étant le but. Il s’agissait de leur faciliter l’accès au territoire de tous les Etats
membres compte tenu, notamment, des principes de non-discrimination à raison de la
nationalité.
Les personnes visées, au départ, étaient uniquement envisagées à travers leur activité
professionnelle, cela sous trois angles différents que l’on retrouve dans le TFUE.
Premièrement, l’exercice salarié d’une activité transfrontière (une activité salariée exercée
dans un autre Etat membre que le sien, articles 45-48 du TFUE). Deuxièmement, la
réalisation d’une prestation de services (envisagée aux articles 56 à 62 du TFUE, le fait
d’un salarié détaché ou d’un indépendant, cette réalisation concerne les salariés ET les
indépendants) et, troisièmement, l’établissement dans un autre Etat membre en tant que
travailleur indépendant ou en tant que société (visé dans les articles 49 à 54 du TFUE),
sous l’angle du droit d’établissement. Dans tous les cas, trois conditions sont exigées afin que
ces opérateurs économiques puissent bénéficier de la libre circulation :
▪ La nationalité
▪ L’effectivité
▪ L’extranéité
1. La condition de nationalité
L’intéressé doit être le ressortissant d’un Etat membre mais il faut tenir compte de certains
accords d’association ou de coopération conclus entre l’Union et des Etats tiers. Ces accords
peuvent reconnaître à leurs ressortissants, sous certaines conditions, la non-discrimination
dans les conditions de travail, de rémunération et de protection sociale des travailleurs salariés
(en bénéficiant, en fin de compte, de la libre circulation). Tel est le cas des accords conclus
avec la Turquie et les pays du Maghreb. De plus, l’accord sur l’EEE a étendu le bénéfice de
certains droits attachés à la liberté de circulation aux ressortissants des Etats membres de
l’Association européenne de libre échange (AELE). Dans les domaines qui n’ont pas encore
fait l’objet d’une harmonisation et, particulièrement, dans le cadre de la politique d’immigration,
le ressortissant du pays tiers bénéficiaire d’un accord de ce type bénéficie des garanties
prévues par l’accord. Ces garanties participent du droit de l’Union et elles sont interprétées de
la même manière que les règles européennes. C’est ainsi que la CJUE a censuré la différence
de traitement inscrite dans la législation néerlandaise à propos de la tarification des titres de
séjour, selon que les demandes émanaient des citoyens européens ou des citoyens turcs qui
font l’objet d’accords d’association (CJUE, 29 avril 2010, Commission c/ Pays-Bas, confirmant
la jurisprudence antérieure CJUE, 17 septembre 2009, Sahin).
2. La condition d’effectivité
Dans tous les cas, l’activité professionnelle doit être effective et réelle, peu importe le nombre
d’heures de travail, ce travail peut être exercé à temps plein ou à temps partiel pourvu que
l’intéressé «exerce des activités réelles et effectives à l’exclusion d’activités tellement réduites
qu’elles se présentent comme étant purement marginales et accessoires» (REF ZOOM), tel
n’est pas le cas de celui qui accepte un travail de quelques heures par semaine à titre de
couverture pour bénéficier des droits accordés aux travailleurs. Tel n’est pas le cas non plus
de l’individu venu aux Pays-Bas pour y subir une cure de désintoxication et il y trouve un
emploi dans le cadre de sa réinsertion puisqu’il s’est déplacé dans le but de se soigner (CJCE,
31 mai 1989, Bettray). Si le travail n’est pas effectif, le ressortissant peut rester dans l’autre
Etat membre mais au titre des conditions de séjour générales.
En revanche, la Cour a considéré sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3 de la directive
de 2004 que le citoyen européen qui a cessé d’exercer après plus d’un an une activité
indépendante dans un autre Etat membre pour des raisons indépendantes de sa volonté
conserve la qualité de travailleur non-salarié et, pour autant, il conserve un droit de séjour dans
cet Etat (CJUE, 20 décembre 2017, Gusa). Il en va de même d’une personne qui cesse
d’exercer une activité non salariée (indépendante) en raison des contraintes physiques liées
à sa grossesse et aux suites de son accouchement pourvu qu’elle reprenne cette activité ou
trouve une autre activité non salariée ou trouve un emploi dans une période raisonnable
suivant la naissance de son enfant (CJUE, 19 septembre 2019, Dakneviciute).
3. La condition d’extranéité
Pour bénéficier de la libre circulation, l’intéressé ne doit pas se trouver dans une situation
purement interne mais dans une situation telle que le droit européen lui soit applicable. Tout
d’abord, il peut faire valoir soit qu’il a séjourné auparavant dans un autre Etat membre (la
condition d’extranéité ayant été remplie avant), soit qu’il y a acquis une qualification
professionnelle, l’activité concernée correspondant à une profession harmonisée. Ainsi, un
plombier néerlandais (la profession de plombier relevait d’une directive relative au secteur de
l’artisanat) qui avait travaillé en Belgique souhaitait se réinstaller aux Pays-Bas mais il ne
satisfaisait pas les conditions de la législation de son pays d’origine pour être plombier.
Pourtant, il a pu faire valoir la liberté de circulation à l’instar de tous les autres travailleurs des
autres Etats membres souhaitant s’y installer (CJCE, 7 février 1979, Knoors). En d’autres
termes, un ressortissant européen peut utiliser le droit européen pour acquérir dans un autre
Etat membre une qualification professionnelle déterminée. Il pourra réclamer, ensuite, dans
son propre pays le bénéfice de la libre circulation au même titre que les ressortissants des
autres Etats membres et que l’activité soit salariée ou pas.
En revanche, il ne pourra pas revendiquer la libre circulation s’il a toujours exercé son activité
professionnelle dans son pays après y avoir fait des études puisqu’il serait dans une situation
purement interne. Il ne pourrait pas non plus bénéficier de la libre circulation s’il a acquis sa
qualification professionnelle dans un autre Etat membre mais que celle-ci n’a pas été
harmonisée puisqu’il n’y a pas de directive (cette règle ne vaut que pour les professions
harmonisées). Dans ces deux hypothèses, il est considéré comme dans une situation de pur
droit interne et il ne peut pas exiger plus que ce que l’Etat accorde à ses nationaux, il doit
souscrire aux conditions de la législation nationale. Par exemple dans l’affaire CJCE, 7 février
1979, Auer, la Cour de justice a refusé à un français qui souhaitait s’établir en France après
avoir obtenu le diplôme de vétérinaire en Italie, le droit de se prévaloir des règles de la libre
circulation parce que les directives relatives aux vétérinaires n’avaient pas encore été
transposées (aujourd’hui, cela aurait été accepté). De ce fait, ce français n’a pas pu exercer
sa profession puisqu’il devait se soumettre aux conditions prévus par la législation française.
De même, un coiffeur français a dû passer son diplôme en France alors que les autres
ressortissants européens ont pu en être dispensés au regard des règles de la libre circulation
parce qu’il était dans une situation purement interne. Dans ce cas, non seulement l’intéressé
est privé de la possibilité d’invoquer les règles de la libre circulation mais, encore, il peut subir
une discrimination à rebours (CJCE, 16 février 1995, Aubertin).
L’évolution jurisprudentielle plus récente tend, cependant, à assouplir la condition d’extranéité.
Pendant longtemps, la Cour a refusé de se prononcer sur les situations purement internes,
lorsque tous les éléments du litige sont cantonnés à un seul Etat membre mais elle a accepté
de s’y intéresser dans certaines hypothèses, se calquant sur sa jurisprudence relative à la libre
circulation des marchandises. Par exemple, elle a statué à propos des experts-comptables
italiens qui invoquaient le droit européen pour contester la législation italienne, laquelle les
évinçait de l’activité de contrôle fiscale alors que les ressortissants des autres Etats membres
y avaient accès (CJCE, 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, confirmé par
CJUE, 11 mars 2010, Attanasia Groupe SRL c/ Commune di Carbognano). Selon les
conclusion de l’avocat général Wahl dans l’affaire CJUE, 5 décembre 2013, Venturini, la
recevabilité s’impose «dès lors que certains effets transfrontaliers de la législation nationale
ne peuvent être exclus». Il s’agissait, en l’espèce, de l’interdiction italienne faite aux
parapharmacies de vendre des médicaments soumis à prescription médicale mais non-
remboursés. Toutefois, cette interdiction peut être considérée comme une entrave au
commerce intra-européen parce qu’elle peut décourager les ressortissants des autres Etats
membres qui le souhaiteraient d’exploiter des parapharmacies en Italie (dans le même sens :
CJUE, 13 février 2014, Sokoll + CJUE, 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa).
B. Les membres de la famille de la personne qui exerce l’activité économique
Dans un premier temps, un règlement de 1968 et une directive de 1973 ont accordé le bénéfice
de la libre circulation aux membres de la famille du travailleur. Cette extension a levé un
obstacle majeur à la volonté de circuler des travailleurs européens puisqu’elle a autorisé leurs
familles à les accompagner, en leur accordant le droit au respect à leur vie familiale (art. 8 de
la CEDH). Ces textes ont été codifiés dans une directive de 2004 que nous étudierons plus
loin.
Les bénéficiaires sont les citoyens de l’Union et les membres de leur famille. Cela peut être
le conjoint ou le partenaire (dans le cadre d’un PACS) même s’il est du même sexe. Ensuite,
ce sont les descendants directs de moins de 21 ans ou à charge et les ascendants directs à
charge, qu’il s’agisse de ceux de l’intéressé ou de ceux de son conjoint ou partenaire et cela
quel que soit leur nationalité. La directive de 2004 a également uniformisé les droits auxquels
peuvent prétendre les membres de la famille du travailleur bénéficiant du droit de séjour. Par
exemple, ils peuvent exercer eux-mêmes une activité salariée (ou pas) quel que soit leur
nationalité et cette extension peut bénéficier à des ressortissants dans des pays tiers liés à un
ressortissant de l’Union ou bien même à des ressortissants de pays tiers liés à un ressortissant
d’un pays tiers mais bénéficiaire via un accord d’association de certains aspects de la libre
circulation. Par exemple, la Cour de justice a, ainsi, reconnu, au terme, il est vrai, d’une
certaine durée de résidence régulière dans un Etat membre, le droit d’accès à l’emploi aux
membres de la famille d’un travailleur turc, bénéficiaire lui-même d’un emploi dans cet Etat.
De ce fait, les ressortissants des pays tiers bénéficient aussi d’un droit de séjour dans des
conditions déterminées par l’Etat d’accueil à propos de l’accès à son territoire et à son marché
du travail par des ressortissants de pays tiers (CJCE, 17 avril 1997, Selma Kadiman).
Néanmoins, la Cour a considéré que cette égalité de traitement en matière de liberté
professionnelle ne peut bénéficier au conjoint ressortissant d’un pays tiers que si le principal
intéressé, qui lui est ressortissant d’un Etat membre, a fait l’usage de son droit à la libre
circulation. Il en résulte, en principe, que celui qui a toujours séjourné dans son Etat membre
d’origine ne peut pas bénéficier de la directive de 2004, aucun droit dérivé de celle-ci ne
pouvant dès lors être reconnu aux membres de sa famille qui eux seraient ressortissants d’un
pays tiers. Dans l’affaire McCarthy (2011), la Cour a refusé d’accorder un droit de séjour au
mari, ressortissant d’un Etat tiers, de Mme. McCarthy, laquelle n’avait jamais exercé son droit
à la libre circulation dans un autre Etat membre (CJUE, 5 mai 2011, McCarthy). En revanche,
dans une autre affaire, la Cour a reconnu le droit de séjour et même une dispense de permis
de travail à un père de famille colombien qui assumait des enfants mineurs belges et, donc,
citoyens de l’Union sans exiger d’eux un déplacement préalable hors Belgique (CJUE, 8 mars
2011, Ruiz Zambrano).
Cette différence de solution s’explique parce qu’en cas de refus les enfants auraient été privés,
comme l’a dit la Cour, de «la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur
statut de citoyen de l’Union», ce qui montre l’aspect aussi pragmatique du droit de l’Union. Les
enfants belges auraient été obligés à quitter non seulement leur pays d’origine (la Belgique)
mais, également, tout le territoire de l’Union européenne. La jurisprudence Zambrano a, tout
de même, été qualifiée d’exceptionnelle par la Cour, cela en raison de la dépendance qui
existait entre les citoyens en bas âge et le ressortissant du pays tiers (le père colombien).
L’application stricte des règles à l’instar de la jurisprudence McCarthy aurait remis en cause la
notion de la citoyenneté européenne. De façon générale, la CJUE se montre plutôt souple
dans ce genre de situations. Effectivement, le droit de séjour de l’enfant scolarisé d’un
travailleur migrant se transmet au parent qui a sa garde effective alors même qu’il ne dispose
pas des ressources suffisantes. Le droit de séjour du parent peut même se prolonger au-delà
de la majorité de l’enfant, alors qu’il ne remplit pas les conditions, lorsque celui-ci poursuit des
études sous réserve de démontrer que la présence et les soins de ses parents lui sont
nécessaires pour mener ses études à bonne fin (CJUE, 23 février 2010, Teixeira + CJUE, 8
mars 2013, Alarape). Cela dit, cette possibilité paraît réservée aux parents ayant exercé une
activité salariée et non indépendante, sans doute pour ne pas étendre, contre la volonté de
l’Etat en cause, les droits qui peuvent dériver de la présence d’enfants de migrants sur son
territoire. En 2019, la Cour s’est prononcée précisément sur cette condition de ressources
suffisantes (inscrite dans la directive de 2004) pour fonder l’éventuel droit de séjour des
parents albanais de petits citoyens irlandais au Royaume Uni (CJUE, 2 octobre 2019,
Bajratari). Pour fonder l’éventuel droit de séjour de ces parents, la Cour a admis que ses
ressources puissent provenir de revenus tirés de l’emploi exercé de manière illégale par le
père de famille, ressortissant d’un pays tiers qui n’avait ni titre de séjour ni permis de travail
dans cet Etat membre (le Royaume Uni, en l’espèce). Dans l’affaire Bajratari, aucun membre
de la famille ne s’était déplacé dans un Etat membre et, malgré tout, la Cour applique les
règles de la libre circulation.
Le regroupement familial concerne le conjoint et les enfants mineurs du regroupant, il est
reconnu par la directive du 22 septembre 2003 à tout ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un
titre de séjour délivré par un Etat membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an,
dans la perspective d’obtenir un droit de séjour permanent. Le regroupement familial a généré
un très important contentieux, d’autant plus que les conditions de ressources et d’assurance
maladie doivent être remplies.
C. Les personnes non actives
Les trois directives de 1990 reconnaissaient le droit de séjour général que chaque Etat
membre doit accorder aux ressortissants des autres Etats membres, cela indépendamment
de l’exercice d’une activité professionnelle. Ces directives ont été abrogées et remplacées par
la directive de 2004 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille
de circuler et de séjourner librement sur le territoire de tous les Etats membres. Entre temps,
le traité de Maastricht a parachevé cette évolution en instituant la citoyenneté européenne qui,
donc, a généralisé la qualité de bénéficiaire de la liberté de circulation. Le citoyen de l’Union,
d’ailleurs, est celui qui a la nationalité d’un Etat membre, aux termes de l’article 20 du TFUE.
Le droit des ressortissants européens de circuler et de séjourner dans un autre Etat membre
que le leur, indépendamment de tout but économique, a été étendu aux membres de leur
famille, à l’instar du cas précédent. Les membres de leur famille restent, d’ailleurs, les mêmes.
1. La portée de la citoyenneté européenne
La libre circulation comporte le déplacement et le séjour affirmé dès l’origine dans le traité de
Rome. Pourtant, ces droits ne bénéficiaient alors qu’aux travailleurs. Ils ont ensuite été
consacrés en tant que droits du citoyen européen tant par l’Acte unique européen (1986) que
par d’autres instruments ultérieurs : le traité de Maastricht, la Charte des droits fondamentaux,
qui a la même valeur que les traités et le traité de Lisbonne, qui a renforcé la participation du
citoyen européen à l’évolution de la construction européenne. De cette citoyenneté, la
jurisprudence retient une acception large et elle tend à y voir, selon une formule classique, «le
statut fondamental des ressortissants des Etats membres». Aujourd’hui, la citoyenneté
européenne est régie par les articles 18 à 25 du TFUE et les droits concernés reposent, quant
à leur mise en œuvre, sur différents textes de droit dérivé dont notamment la célèbre directive
2004/38 du 29 avril 2004 qui en a précisé le régime.
La citoyenneté renferme, donc, en premier lieu, le droit de circuler et de séjourner librement
sur le territoire des Etats membres (art. 21 TFUE), sous réserve des limitations et conditions
contenues dans les traités et leurs règles d’application. Ensuite, elle renferme aussi de
nombreux autres droits, donc certains, d’ailleurs, se situent dans le prolongement de la liberté
de circulation. Par exemple, le droit à la jouissance des droits civils et politiques qui implique,
notamment, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen
dans l’Etat membre de résidence (art. 22 TFUE). On peut aussi y inclure le droit de pétition
devant le Parlement européen et le droit de recours au médiateur européen contre un acte de
mauvaise administration d’une institution européenne (art. 24 TFUE). S’y ajoute, également,
la protection diplomatique et consulaire des autorités de tout Etat membre lorsque l’Etat d’un
ressortissant n’est pas représenté dans un Etat tiers (art. 23 TFUE). Ces droits peuvent être
exercés, attention, par toute personne résidant dans un Etat membre. Finalement, on peut
citer les nombreux droits fondamentaux dont les citoyens de l’Union peuvent se prévaloir,
compte tenu de la valeur contraignante de la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre
2000.
En vertu de l’article 20 du TFUE, toutes les personnes qui ont la nationalité d’un Etat membre
sont les bénéficiaires de cette citoyenneté alors que la liberté de circulation s’étend à des
individus qui peuvent être des ressortissants de pays tiers, cela en vertu du regroupement
familial. On peut le comprendre car, à défaut, le ressortissant de l’Union serait dissuadé
d’exercer son droit à l a libre circulation. A propos des droits de déplacement et de séjour, la
citoyenneté européenne n’a rien apporté aux ressortissants de l’Union européenne. En
revanche, l’appréciation très large dont elle fait l’objet a permis aux citoyens de l’Union, dès
lors qu’ils séjournaient légalement dans l’Etat membre d’accueil, de toucher les prestations
sociales normalement réservées aux ressortissants des Etats membres et aux personnes
économiquement actives, en faisant valoir l’interdiction de toute discrimination en raison de la
nationalité dans tous les domaines qui relèvent de la compétence du traité.
Sous-section II – Les personnes morales
Le traité assimile certaines personnes morales aux personnes physiques ressortissantes des
Etats membres, cette assimilation leur permettant de bénéficier des règles de la libre
circulation.
A. L’assimilation des personnes morales aux personnes physiques
L’article 54 du TFUE dispose que sont assimilées aux personnes physiques «les sociétés de
droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales
relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but
lucratif». Le but lucratif est entendu au sens large, c’est-à-dire, que la recherche d’un bénéfice
n’est pas nécessaire, il suffit de participer à l’activité économique de façon intéressée, à savoir,
contre versement d’une rémunération et non d’une intervention gratuite. Ainsi, l’on exclut les
associations, les syndicats et les fondations.
B. Les conditions de l’assimilation
Selon la CJUE, l’exercice de la liberté d’établissement suppose, nécessairement, la
reconnaissance des sociétés par tout Etat membre dans lequel elles souhaitent s’établir. De
façon générale, on dira que les personnes morales sont assimilées aux personnes physiques
à la double condition : qu’elles soient conformément à la législation d’un Etat membre et
qu’elles aient soit leur siège statutaire, soit leur administration centrale, soit leur principal
établissement à l’intérieur de l’Union. La France, par exemple, privilégié le système du siège
réel mais tout cela dépend des Etats. Le choix est ouvert entre trois facteurs de localisation
mais un seul suffit.
Les sociétés complètement intégrées à une économie étrangère et qui n’ont donc avec l’Union
européenne qu’un lien purement juridique pourra bénéficier de la libre circulation. Si une
société étrangère souhaite s’établir à titre secondaire dans un Etat membre en y créant une
filiale, une succursale ou une agence, elle pourra bénéficier des avantages consenti par
chaque Etat membre aux ressortissants européens alors qu’elle ne contribue pas au
développement des objectifs économiques de l’Union européenne. Précisément, pour éviter
ce type de comportements abusifs, le Conseil a posé une condition supplémentaire en 1962.
Dès 1962, une société qui n’aurait que son siège statutaire dans l’Union européenne ne
peut être considérée comme étable à l’intérieur de celle-ci que si son activité présente
un lien effectif et continu avec l’économie d’un Etat membre. Dans cette hypothèse, le
seul lien juridique du dépôt du statut ne suffit pas. Il résulte de cette condition qu’il doit être
complété par un lien d’ordre économique. Le lien supplémentaire exigé sera, par exemple, un
courant d’affaires permanent entre la société étrangère et les entreprises de l’Union ou,
encore, des bâtiments et installations implantés dans l’Etat membre où la société a installé
son siège statutaire.
Section II – Les services
L’article 56 du TFUE interdit les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de
l’Union européenne. L’article 57 du TFUE définit comme services «les prestations fournies
normalement contre rémunération dans la mesure où elles ne sont pas régies par les
dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes».
Le texte cite également au titre de services les activités de caractère industriel, commercial,
de même que les activités artisanales et celles des professions libérales. Par exemple, la Cour
a considéré que le refus des autorités françaises compétentes de délivrer le boîtier de
raccordement au réseau virtuel des avocats (RPVA) opposé à l’avocat inscrit au barreau d’un
autre Etat membre était une restriction à la liberté de prestation des services (CJUE, 18 mai
2017, J-Ph L). Le prestataire de services peut, donc, se livrer sur le territoire d’un autre Etat
membre que celui où il est établi à l’exécution d’une prestation de façon temporaire,
occasionnelle ou même régulière, mais sans implantation permanente (cela relèverait du droit
d’établissement). Le caractère, en principe, temporaire n’exclut pas la possibilité pour le
prestataire de se doter dans l’Etat membre où il effectue sa prestation d’une certaine
infrastructure si cette infracteur est nécessaire à l’accomplissement de la prestation (CJCE,
30 novembre 1995, Gebhard).
On peut proposer des services aux ressortissants, et même les effectuer, d’un Etat membre
sans effectuer matériellement des prestations de services sur le territoire de cet Etat membre .
De plus, si certains services sont faciles à localiser, d’autres ne le sont pas. Par exemple, une
construction, une plaidoirie sont faciles à localiser mais un virement transfrontalier ou des
services effectués par la voie électronique posent problème. La localisation du service est
importante car elle permet de déterminer son caractère transfrontalier et, donc, de savoir si le
service entre (ou pas) dans le champ européen de la libre prestation de services. Il n’y a libre
prestation de services que si le service est fourni dans un autre Etat que celui de
l’établissement qui est le point de départ.
Devant des situations ambiguës, le critère de localisation le plus souvent retenu est la
prestation caractéristique du service, c’est-à-dire, celle pour laquelle un paiement est dû.
Les éléments qui permettent de délimiter le champ d’application de cette liberté sont, donc :
▪ Une activité économique ou, plus précisément, des prestations fournies contre
rémunération. Cette rémunération constituant «la contrepartie économique de la
prestation en cause, contrepartie qui est normalement définie entre le prestataire et le
destinataire du service», aux termes de la Cour de justice (CJCE, 27 septembre 1988,
Humbel).
▪ Ces prestations doivent être effectuées dans un contexte d’extranéité, ce qui signifie
que l’activité doit être transfrontalière.
▪ Elles doivent être effectuées de manière indépendante. S’il s’agit d’une activité
salariée, on change de domaine car la prestation de services relèverait des dispositions
sur la libre circulation des travailleurs.
Dans quel cas une activité économique peut-elle être qualifiée de transfrontalière ? L’activité
économique peut être considérée comme transfrontalière lorsque
▪ Le prestataire fournit ses services sur le territoire d’un autre Etat membre que celui où
il est établi, une prestation de services active (l’hypothèse la plus classique).
▪ Il y a, encore, activité économique transfrontalière lorsque le destinataire de la
prestation (le bénéficiaire) se déplace sur le territoire où est établi le prestataire pour
bénéficier de ladite prestation. Par exemple, lorsqu’un malade espagnol vient consulter
un médecin français.
▪ Il se peut, encore, que personne ne se déplace dans le cas des services fournis à
distance dans un autre Etat membre. L’objet de la prestation passe la frontière dans
cette hypothèse.
▪ L’activité sera encore transfrontalière alors que les deux protagonistes de la prestation
(destinataire/prestataire) sont originaires d’un même Etat membre et se déplacent tous
les deux dans un autre Etat membre. Par exemple, un avocat français qui défend un
ressortissant français en Italie ou le guide touristique qui accompagne des clients du
même Etat que lui dans un autre Etat membre pour faire du tourisme.
Une difficulté a surgi à propos de la qualification de services d’intermédiation comme Uber,
lequel a pour objet, via une application pour smartphone, de mettre en relation, contre
rémunération, des chauffeurs non professionnels qui utilisent leurs propres véhicules avec des
personnes souhaitant effectuer un déplacement urbain. La question de la qualification de ces
activités a été posée à la CJUE. Est-ce qu’il s’agit de services prestés dans le domaine des
transports au sens de l’article 58 du TFUE et qui, de ce fait, seraient exclus du texte de la
prestation des services classique ? La qualification est importante car elle induit le régime
juridique applicable. En d’autres termes, fallait-il appliquer le droit européen de la libre
prestation des services ou bien fallait-il recourir à la compétence partagée de l’Union et des
Etats membres dans le domaine des transports locaux ? La Cour a considéré, en 2017, qu’il
s’agissait de services relevant du domaine des transports (CJUE, 20 décembre 2017,
Association professionnelle Elite Taxi). Elle a réitéré cette position dans l’arrêt CJUE, 10 avril
2018, Uber France.
Chapitre II – La mise en œuvre de la libre circulation des personnes
Cette liberté repose sur un principe général, le principe de non-discrimination qui, lui-même,
est un aspect du principe plus large de l’égalité de traitement. Le principe d’égalité de
traitement interdit le traitement différent de situations similaires et, ensuite, le traitement égal
de situations différentes. Là encore, sont interdites non seulement les discriminations directes,
qui se voient, mais également les discriminations indirectes, à savoir, «toute forme dissimulée
de discrimination qui, bien que fondée sur des critères en apparence neutres, aboutissent en
fait aux mêmes résultats» (CJCE, 3 février 1982, Seco, Desquenne et Giral). Cette analyse
fait écho aux analyses déjà faites dans les chapitres précédents (cf. restrictions quantitatives,
les MEERQ).
Section I – Les droits reconnus aux bénéficiaires de la libre circulation des personnes
Sous-section I – Les droits liés à l’exercice d’une activité professionnelle
Le ressortissant de l’Union bénéficie de la liberté professionnelle et d’un certain nombre de
droits, initialement reconnus dans les traités fondateurs et développés, par la suite, dans les
textes de droit dérivé. Ces droits constituent les règles de fond de la liberté professionnelle,
qu’elle soit salariée ou indépendante.
A. L’activité professionnelle salariée
Selon l’article 45 du TFUE, tout travailleur bénéficie du droit de circuler sur le territoire de
l’Union et d’accéder librement aux emplois salariés. Mais, qu’est-ce qu’un travailleur salarié ?
Selon le droit européen, le travailleur salarié est celui qui effectue pour une autre personne,
sous la direction et l’autorité de laquelle elle se place, des prestations effectives en échange
d’une rémunération. Cette définition résulte de l’arrêt CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie-Blum. La
notion de travailleur est une notion autonome, ce qui signifie que c’est la définition qu’en donne
la Cour même si cette même notion revêt un sens variable selon les droits nationaux. La notion
de travailleur salarié est interprétée de façon extensive par la jurisprudence européenne.
L’accès à l’emploi du travailleur migrant sous-tend, d’emblée, la mise en œuvre de l’égalité de
traitement sur laquelle nous reviendrons plus loin. Cette égalité implique qu’il soit traité de la
même façon que le travailleur national en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail,
notamment en matière de rémunération, de licenciement, de réintégration professionnelle ou
de réemploi, s’il se trouve au chômage (art. 45 § 2 et 3 du TFUE). Les fonctionnaires son
considérés comme des travailleurs de même que l’a été un étudiant en droit qui était stagiaire
dans un cabinet d’avocats au Royaume Uni. Ce stage participait de la préparation de l’examen
d’Etat, exigé en Allemagne, pour accéder aux professions juridiques, stage pour lequel
l’intéressé avait reçu une allocation de subsistance (CJCE, 17 mars 2005, Kranemann). Il en
résulte que la nature juridique de l’emploi n’est pas déterminante pour l’application de l’article
45 du TFUE.
1. L’accès à l’emploi
La libre circulation du travailleur implique le droit de répondre à des emplois, effectivement
offerts dans un autre Etat que celui dont le travailleur est issu, puis, ensuite, une fois recruté,
le droit d’exercer l’emploi conformément aux dispositions régissant l’emploi des travailleurs
nationaux. Le règlement du 5 avril 2011 (492/2011) a relayé cette règle de base en accordant
aux ressortissants de l’Union européenne les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux
nationaux sur ce point précis (à savoir, l’accès à l’emploi).
Cependant, la CJUE distingue entre les ressortissants des Etats membres qui n’ont pas encore
travaillé dans l’Etat membre d’accueil où ils recherchent un emploi et ceux qui y travaillent déjà
(ou bien qu’ayant déjà travaillé dans l’Etat accueil ne se trouvent plus dans un rapport
d’emploi). Les premiers bénéficient de l’égalité de traitement pour l’accès au travail mais ils ne
peuvent pas prétendre, en principe, aux mêmes avantages fiscaux et sociaux que les
nationaux, au contraire de ceux qui ont déjà accédé au marché de travail de l’Etat membre
d’accueil. Mais, en combinant les dispositions du traités sur la libre circulation des travailleurs
et les principes liés à la citoyenneté européenne, la Cour de justice a pu considérer que
l’allocation de recherche d’emploi pouvait être étendue à tous les citoyens européens (CJCE,
23 mars 2004, Collins). Enfin, l’accès à l’emploi à été étendu à certaines catégories de
ressortissants de pays tiers par diverses directives, il s’agit des bénéficiaires du regroupement
familial, des résidents de longue durée, des bénéficiaires du statut de réfugié et, sous certaines
limites, des demandeurs d’asile. Par ailleurs, il existe une directive dite Carte bleue qui établit
les conditions d’entrée et de séjour spécifiques des ressortissants des pays tiers pour tenir
des emplois hautement qualifiés, cela pour faciliter l’immigration économique qui permet la
délivrance d’un permis de séjour et de travail spécial.
2. L’égalité de traitement
Dans tous les cas, le ressortissant d’un Etat membre, quel qu’il soit, bénéficie de l’égalité de
traitement pour l’exercice de son activité professionnelle dans tout autre Etat membre que le
sien. Cela veut dire que l’intéressé ne peut pas être soumis à des obligations qui ne pèsent
pas sur les nationaux et qu’il peut prétendre à tous les avantages accordés aux nationaux qui
exercent la même activité. La liberté professionnelle repose, ainsi, sur le principe de non-
discrimination entre le ressortissant européen et le ressortissant national, ce principe étant
l’autre face du principe d’égalité de traitement.
A l’origine, le traité ne visait que les discriminations fondées sur la nationalité. Mais la catégorie
s’est progressivement étendue et la Cour cite régulièrement «toute forme dissimulée de
discrimination qui, par application d’autres critères de distinction (autres que la nationalité),
aboutissent de fait au même résultat» (CJCE, 12 février 1974, Sotgiu c/ Deutsche
Bundespost). Par exemple, de nombreuses directives ont consacré le principe d’égalité de
traitement dans l’accès à l’emploi entre hommes et femmes. Elles ont aussi retenu de façon
générale l’interdiction des discriminations directes ou indirectes fondées sur la race ou sur
l’origine ethnique ou sur des raisons liées à la religion ou aux handicaps ou à l’orientation
sexuelle du demandeur d’emploi. Enfin, la Cour a rendu de nombreux arrêts liés à l’application
du principe de non-discrimination à raison de l’âge du salarié (CJUE, 12 janvier 2010, Wolf).
L’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux s’étend également aux droits syndicaux,
ce qui inclut le droit de participer aux élections au sein d’organismes comme les chambres
professionnelles. En effet, bien qu’il ne s’agisse pas d’organisations syndicales, elles exercent
de fonctions analogues de défense et de représentation des intérêts des travailleurs (CJCE,
18 mai 1994, Commission c/ Luxembourg).
Cela dit, l’égalité de traitement peut générer des effets pervers. Dans une affaire de 2017, un
travailleur frontalier français contestait les modalités de calcul de l’indemnité d’insolvabilité
allemande en ce qu’elle serait discriminatoire ou contraire à la libre circulation des travailleurs.
Le problème était la prise en compte fictive de l’impôt allemand sur le revenu dans le calcul du
montant de l’indemnité. La CJUE a considéré que l’égalité de traitement n’empêche pas qu’un
ressortissant puisse subir des conséquences défavorables résultant des seules disparités
entre les barèmes d’imposition (CJUE, 2 mars 2017, Eschenberenner).
3. L’égalité dans le bénéficie des avantages sociaux
La CJUE retient une définition large de la notion d’avantages sociaux. Selon la Cour, ce sont
«les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux
travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualité objective de travailleur ou du
simple fait de leur résidence sur le territoire national et dont l’extension aux travailleurs
ressortissants d’autres Etats membres apparaît dès lors comme de nature à faciliter leur
mobilité à l’intérieur de la communauté» (CJCE, 30 septembre 1975, Cristini). D’après cette
définition, l’avantage social n’est pas nécessairement lié à un contrat de travail. Ils renferment
aussi les avantages liés à la résidence dès lors que leur application aux travailleurs migrants
peut faciliter leur libre circulation. Par exemple, dans l’affaire Cristini, il s’agissait d’obtenir des
conditions préférentielles pour les transports mais il peut aussi s’agir des indemnités funéraires
britanniques (CJCE, 23 mai 1996, O’Flynn) ou de l’octroi de prêts sans intérêt par un
organisme public lors de la naissance d’un enfant dans une famille de faibles revenus (CJCE,
14 janvier 1982, Reina) ou, enfin, il peut s’agir des aides à la formation ou à l’éducation (une
bourse d’études, par exemple), dès lors que «la formation suivie peut contribuer à la promotion
sociale de son bénéficiaire» (CJCE, 26 février 1992, Raulin).
A contrario, la Cour a considéré que le refus de prise en compte des activités pertinentes
accomplies pour un autre employeur à propos de l’avancement du salariés était une entrave
à la libre circulation des travailleurs et il s’agissait, de ce fait, d’une discrimination. L’entrave
avait été justifiée par l’objectif d’une simplification administrative mais cela n’a pas été retenu
(CJUE, 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken
Betriebs GmbH c/ Land Salzburg). De la même manière, dans l’affaire CJUE, 13 juillet 2016,
Pöpperl, la Cour caractérise une entrave puisqu’en vertu du droit allemand, pour la prise en
compte de ses années d'exercice en qualité de fonctionnaire, le requérant doit être affilié
rétroactivement à l'assurance pension légale (et non plus au système d'assurance des
fonctionnaires) sur la base des traitements bruts qu'il percevait comme fonctionnaire. Il
bénéficie de droits à pension inférieurs à ce qu'il aurait perçu s'il était resté fonctionnaire en
Allemagne tout au long de sa carrière, et conteste ainsi la différence de montant entre le droit
de pension qu'il avait acquis, au moment de sa démission, au titre dudit régime et celui auquel
il a droit, depuis, au titre du régime général d'assurance vieillesse : «des fonctionnaires
allemands ayant renoncé à leur statut dans le but d'exercer un emploi similaire dans un État
membre autre que la République fédérale d'Allemagne doivent également disposer de droits
à une pension de vieillesse comparables aux droits qu'ils avaient acquis auprès de leur
employeur public initial».
Dès lors, une réglementation fiscale du Luxembourg qui exclut du bénéfice du crédit d’impôts
attribué aux pensionnés les contribuables qui sont titulaires des pensions acquises dans un
autre Etat membre est une entrave (CJUE, 26 mai 2016, Kohll et Kohll Schlesser). En plus, la
législation chypriote prévoit qu'un fonctionnaire âgé de moins de quarante-cinq ans, qui
démissionne de son emploi dans la fonction publique chypriote pour exercer une activité
professionnelle dans un autre État membre ou des fonctions au sein d'une institution de l'Union
européenne ou d'une autre organisation internationale, ne perçoit qu'une somme forfaitaire
calculée en fonction des rémunérations perçues et des cotisations versées et perd ses futurs
droits à la retraite. A contrario, les fonctionnaires qui cessent leur activité dans la fonction
publique afin de poursuivre une autre activité professionnelle à Chypre conservent leurs droits.
La Cour rappelle, à l'occasion de ce litige, qu'une règlementation nationale peut constituer une
entrave justifiée à une liberté fondamentale si elle est dictée par des motifs d'ordre économique
poursuivant un objectif d'intérêt général. L'adoption par un État d'une mesure dérogatoire à un
principe consacré par le droit de l'Union nécessite qu'il puisse être prouvé que cette mesure
est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est
nécessaire pour y parvenir. Tel n'a pas été le cas en l'espèce. (CJUE, 26 janvier 2016,
Commission c/ Chypre)
Cependant, la Cour admet que les Etats membres puissent poser des conditions afin de
vérifier l’existence d’un lien d’intégration suffisant entre le demandeur et le marché
géographique du travail en cause. Par exemple, une condition de résidence peut être admise,
appropriée tant qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif
poursuivi (principe de nécessité) et qu’elle est proportionnée au but recherché. La Cour a,
ainsi, admis que l’octroi de l’aide demandée puisse être subordonné à une condition de
résidence minimale déterminée, en l’espèce, il s’agissait d’une durée de cinq ans (CJUE, 20
juin 2013, Giersch). La CJUE a jugé plus récemment que la législation luxembourgeoise qui
subordonnait l’octroi d’une bourse d’enseignement à un étudiant à une durée ininterrompue
de travail de 5 ans de son parent (qui était travailleur transfrontalier) contrevenait aux
exigences européennes (CJUE, 14 décembre 2016, Bragança Linares Verruga), ce qui
compte, en l’espèce, est la durée ininterrompue. Le parent en question avait travaillé huit ans
au Luxembourg mais avec des brèches d’interruption et, donc, la Cour a considéré que cette
législation contrevenait aux exigences européennes, d’autant plus que cette condition n’était
pas prévue pour les étudiants résidant sur le territoire luxembourgeois.
Le droit de l’Union laisse subsister les différents régimes de sécurité sociale des Etats
membres et donc, chacun reste compétent pour déterminer les conditions d’octroi des
prestations sociales aux personnes qui travaillent sur son territoire, toujours sous réserve de
ne pas établir des discriminations. Par exemple, une législation subordonnant le versement
des allocations familiales à la résidence des enfants sur le territoire concerné introduit une
différence de traitement entre les travailleurs selon qu’ils ont fait usage (ou non) de leur droit
à la libre circulation (CJCE, 30 janvier 1997, Stöber et Pereira). Cela signifie, a contrario, que
les ressortissants de l’Union peuvent prétendre aux allocations familiales dans l’Etat membre
d’accueil même lorsque leurs enfants résident à l’étranger.
Il faut aborder la directive dite détachement du travail. Adoptée en 1996, cette directive permet
à toute entreprise de l’Union européenne d’envoyer temporairement ses salariés dans un autre
Etat membre. Ces travailleurs dits détachés bénéficient des conditions de travail du pays
d’accueil, en particulier, ils bénéficient d’un noyau dur de droit, issu de l législation de l’Etat
membre d’accueil (par exemple, le repos, les congés payés, etc) mais les charges sociales
restent celles du pays d’origine. Néanmoins, les règles qui en étaient issues pouvaient,
toutefois, engendrer certaines formes de dumping social. En 1996, les écarts de salaire
minimum étaient de 1 à 3 entre les Etats membres. Or, aujourd’hui, ils vont de 1 à 10. Si l’on
prend l’exemple des travailleurs originaires des pays de l’est détachés à l’ouest, ils ne sont
généralement rémunérés qu’avec le salaire minimum du pays d’accueil, leurs charges sociales
relevant de leur pays d’origine. De plus, certains employeurs indélicats se permettent, à leur
égard, des infractions au droit local, par exemple, ils vont les faire travailler le samedi et le
dimanche, leur faire des heures supplémentaires non rémunérées, etc. Enfin, ces règles
laissaient ouvertes des possibilités de fraude, de travail illégal, d’où les travaux entrepris
depuis mars 2016 pour réformer la directive de 1996.
Effectivement, cette directive n’était plus adaptée à la réalité du marche du travail européen.
La nouvelle directive sur le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une
prestation de services a été adoptée le 28 juin 2018 , entrée en vigueur en France le 30 juillet
2020. Il en est résulté une application renforcée du noyau dur de droit pour les détachements
de douze mois maximum, un noyau dur qui s’est enrichi de diverses règles supplémentaires ;
Par exemple, l’employeur doit procéder au remboursement des frais professionnels exposés
par le salarié à propos des transports, du repas et de l’hébergement. Une prolongation du
régime pour un maximum de six mois, au-delà des douze mois initiaux, peut être sollicité par
l’employeur mais en suivant une procédure déterminée par décret et ainsi de suite. Enfin, la
CJUE s’est récemment prononcée sur la qualification de travailleur détaché au sens de la
directive, en considérant que cette directive ne s’appliquait pas à des travailleurs hongrois
effectuant un service de bord dans un train international, lequel appartenait à une entreprise
autrichienne au départ et à l’arrivée de la Hongrie, ce qui fait qu’ils ne sont pas des travailleurs
détachés (CJUE, Grande chambre, 19 décembre 2019, Dobersberger).
Section II - L’activité économique indépendante : liberté d’établissement et libre
prestation de services
La liberté de s’établir dans un autre Etat membre que le sien pour y exercer des activités est
différente de la liberté consistant à proposer des services aux clients résidant dans un autre
Etat membre, ce qui relève, par ailleurs, de la libre prestation des services. Nonobstant,
comme ces deux libertés se recoupent sur certains points, elles sont soumises à certaines
règles communes. Par exemple, l’article 62 du TFUE en matière de services renvoie
simplement à diverses dispositions importantes relatives à la liberté d’établissement. Il est vrai
que ces deux libertés concourent au même objectif qui est celui de décloisonner le marché
intérieur pour l’exercice des libertés économiques. Par ailleurs, ces libertés s’appuient l’une
sur l’autre, par exemple, créer un établissement dans un autre Etat membre (une filiale, une
succursale), n’est pas seulement l’illustration de la liberté de s’établir, c’est aussi une nouvelle
base à partir de laquelle des services pourront être proposés au-delà des frontières, nationales
évidemment, à tous les ressortissants européens. D’ailleurs, il ne peut pas y avoir libre
prestation de services sans établissement, au départ, dans l’Union européenne.
Sous-section I – La liberté d’établissement
A. La liberté d’établissement
Selon l’article 49 du TFUE, la liberté d’établissement est le droit reconnu aux ressortissants
des Etats membres d’accéder aux activités non salariées sur le territoire européen par le biais
d’une implantation matérielle et, éventuellement, juridique. C’est, encore, la possibilité
d’accéder à la création et à la gestion des entreprises. La question a été récemment débattue
à travers plusieurs litiges qui relevaient de ce qu’il est convenu d’appeler des situations
purement internes. Normalement, le droit de l’Union ne s’occupe pas de ces situations.
Néanmoins, l’on constate une remise en cause de tout cela puisque, progressivement, la Cour
s’intéresse à des situations qui sont internes mais qui ont des incidences sur le commerce
intra-européen (la possibilité, «est susceptible de»), en remettant en cause la situation
purement interne. Ainsi, dans une espèce de 2018, était en cause une réglementation italienne
qui réservait à la commune de Padoue la conservation des urnes funéraires. Néanmoins, la
CJUE souligne qu’une réglementation nationale qui interdit aux ressortissants de l’Union de
fournir un service de garde d’urnes funéraires dans l’Etat membre concerné fait obstacle à ce
que le ressortissants européens s’y établissent afin d’exercer une telle garde. Finalement, ce
genre de raisonnement est assez commun (point 49 de l’arrêt CJUE,14 novembre 2018,
Memoria e Antonia dal’Antonia). En l’espèce, il s’agit d’une législation interne qui, même
applicable sans discrimination tenant à la nationalité, interdit, gêne ou, même, rend moins
attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union de la liberté d’établissement garantie par
les traités.
1. L’établissement principal
L’établissement principal correspond soit à la création, ex nilo, à partir de rien, d’une société,
ou d’un cabinet, soit à la migration d’un cabinet principal préexistent (un cabinet médical qui
est établi en France mais qui veut déménager en Espagne, par exemple). Le droit
d’établissement est accordé à tout créateur d’entreprise qui a la nationalité d’un Etat membre
sans condition supplémentaire de rattachement effectif, par exemple, condition de résidence
habituelle de l’intéressé dans l’Etat où il souhaite s’implanter (CJCE, 7 juillet 1992, Micheletti).
S’il s’agit d’une personne physique, il suffit donc qu’elle soit ressortissante d’un Etat membre
de l’Union et un Etat membre ne peut pas non plus lui interdire de s’établir sur son territoire et
d’y exercer une profession règlementée au prétexte que l’intéressé est déjà établi et agrée
comme tel dans un autre Etat membre. On en conclut, d’ailleurs, que le droit d’établissement
comporte la possibilité de créer plus d’un centre d’activité dans l’Union européenne, qu’il
s’agisse d’un cabinet médical ou d’un cabinet d’avocats (CJCE, 12 juillet 1984, Klopp).
S’il s’agit d’une société, elle doit être constituée en conformité avec la législation d’un Etat
membre et avoir son siège statutaire, son administration centrale et son principal
établissement à l’intérieur de l’Union. Mais là encore, toute exigence relative à la fixation du
siège social d’une société est une violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation
de services, une exigence qui ne peut jamais être justifiée (CJUE, 16 juin 2015, Rina Services,
où il s’agissait d’une législation italienne qui imposait aux sociétés d’avoir leur siège statutaire
en Italie).
En revanche a été admise une réglementation italienne qui obligeait des médecins à effectuer
au moins trois ans de services sur le territoire de la commune de Bolzano, là où ils avaient
suivi leur formation de médecine spécialiste (CJUE, 20 décembre 2017, Simma Federspiel).
En l’espèce, il s’agit d’une situation inédite propre à la commune de Bolzano dont la
réglementation spécifique concernant la rémunération des médecins spécialistes
subordonnait l’octroi d’une allocation d’études pour suivre une formation de spécialiste à cinq
ans d’exercice dans le service de la santé publique de la province de Bolzano et, en cas de
non-respect, à une obligation de remboursement d’une partie de l’allocation. La CJUE a
considéré qu’il n’y avait pas d’entrave à la liberté de circulation et, plus précisément, à la liberté
d’établissement visée aux articles 45 et 49 du TFUE. Il est vrai que les médecins, en raison
de cette réglementation, étaient dissuadés de quitter leur Etat membre d’origine, l’Italie, pour
aller s’établir ailleurs par le fait qu’ils doivent rembourser jusqu’à 70% de l’allocation perçue en
plus des intérêts rajoutés par la commune. Nonobstant, la réglementation en cause est justifiée
au regard d’autres principes. Il s’agit, effectivement, d’assurer une assistance médicale de
haute qualité à la population, tout en préservant l’équilibre de la sécurité sociale. La Cour
admet la restriction mais, en même temps, elle considère que cette législation est justifiée au
regard d’autres principes. Cette façon d’atteindre ces objectifs est appropriée (c’est-à-dire,
qu’elle est proportionnée et nécessaire), notamment du fait de sa limitation dans le temps
(limitée à cinq ans).
2. L’établissement secondaire
Le plus souvent, l’établissement des sociétés s’effectue à titre secondaire, ce qui suppose, par
définition, un établissement principal préexistant dans un autre Etat membre. Aux termes de
l’article 49 du TFUE, il peut s’agir, au titre de l’établissement secondaire, d’une agence ou
d’une succursale ou d’une filiale. L’agence repose, en principe, sur la technique du mandat, la
succursale, quant à elle, est un établissement dépourvu de personnalité juridique distincte et
elle n’est donc pas juridiquement autonome. Enfin, la filiale est dotée de la personnalité morale
et, à l’inverse de la succursale, elle est juridiquement autonome même si, en pratique, elle est
soumise à la société mère qui, parfois, peut être condamnée à propos des faits de sa filiale.
La question s’est posée de la légitimité de certains comportements d’entreprise qui se
constituent dans l’Etat membre dont les règles sont les moins contraignantes tout en réalisant
la totalité de leur activité sociale dans un autre Etat membre où elles implantent des
établissement secondaires. En 1999, la Cour a considéré que ce type de comportements ne
constituaient pas, en soi, un usage abusif du droit d’établissement (CJCE, 9 mars 1999,
Centros). En d’autres termes, l’entreprise qui exerce toutes ses activités dans l’Etat membre
de la succursale ou, a contrario, aucune dans l’Etat du siège ne se comporte pas de manière
abusive parce que «la liberté d’établissement ne saurait être restreinte au seul motif que
certaines législations sont plus attractives que d’autres» aux termes de la Cour dans cet arrêt.
En revanche, la CJUE admet qu’un Etat membre puisse imposer certaines règles à l’exercice
de l’activité, du genre des règles déontologiques. Cette situation ne doit pas être confondue
avec celle de la société étrangère, hors UE, qui n’aurait qu’un lien purement juridique avec
l’Union, lien juridique créé dans le seul but de bénéficier des règles concernant la libre
circulation. Dans cette hypothèse différente, le droit de l’Union exige une condition
supplémentaire, à savoir, que l’activité de cette société présente un lien effectif et continu avec
l’économie d’un Etat membre.
B. Le domaine de la notion d’établissement
La Cour de justice a progressivement élargi cette notion, le droit d’établissement consistant
ainsi en la possibilité pour un résident européen de participer de façon stable et continue à la
vie économique d’un autre Etat membre que son Etat d’origine et d’en tirer profit. Ce droit
conformer le droit d’accéder aux activités non salariées (puisque la liberté d’établissement
concerne les indépendants) et le droit de gérer et de constituer des entreprises dans les
conditions définies par la législation nationale et, notamment comme l’indique de l’article 49
TFUE, par la création d’agences, de succursales ou de filiales. Certaines législations
exigeaient que ces établissement secondaires ne pouvaient être que des filiales mais cela
n’est pas possible, l’établissement secondaire a trois choix qui ne sauraient être limités (CJCE,
30 novembre 1995, Gebhard + CJCE, 9 mars 1999, Centros).
Le caractère imprécis du texte (de l’art. 49 TFUE) et de cette jurisprudence ne permet pas de
délimiter précisément les contours de l’établissement. On peut simplement dire qu’une
présence durable en moyens matériels et personnels sur le territoire d’un Etat membre, à partir
de laquelle se noueraient des contacts avec a clientèle entre dans le cadre de l’établissement.
En revanche, une simple présence matérielle sans viser une clientèle ne peut pas caractériser
l’établissement. Le développement des transactions électroniques a soulevé une difficulté
supplémentaire, la question étant de savoir si peut-on qualifier d’établissement de simples
installations techniques dépourvues de personnel et de moyens humains de décision. La
Commission européenne, dans le cadre des transactions électroniques, a répondu par la
négative, en considérant que ce n’est pas un établissement. La Cour a donc adopté cette
position parce qu’elle a coutume de favoriser la libre prestation de services en tant que facteur
de décloisonnement du marché européen (en ne les considérant pas comme étant un
établissement). Les transactions électroniques sont considérées comme émanant du lieu où
est placé le personnel de décision. La directive de 2000 sur le commerce électronique a
confirmé cette analyse puisqu’elle considère que la seule utilisation de moyens techniques ne
suffit pas à caractériser un établissement.
Sous-section II - La libre prestation des services
A. La libre prestations des services
Les règles relatives à cette liberté ont un caractère subsidiaire par rapport à celles qui régissent
le droit d’établissement (CJCE, 30 novembre 1995, Gebhard). Il s’agit du droit pour le
prestataire de se livrer sur le territoire d’un autre État membre que celui où il est établi à une
activité en vue d’exécuter une prestation de services de façon temporaire. La notion de
prestation de services a été précisée dans la directive 2005/36 relative à la reconnaissance
des qualifications professionnelles qui lui a consacré un régime simplifié mais, surtout, elle a
fait l’objet de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché
intérieur.
Cette directive dite directive Bolkenstein visait à parfaire la libéralisation de l’ensemble des
services dans l’Union mais le problème provient du fait que la directive s’applique tout autant
à la liberté d’établissement qu’à la libre prestation de services, alors qu’elle n’est censée
concerner que cette dernière. Elle a été adoptée afin de réduire les entraves à la libre
circulation des services, le but étant d’entraîner la croissance et la création d’emplois, tout en
sauvegardant les intérêts sociaux protégés par les législations nationales. La directive
Bolkenstein indique, simplement, sans énumérer les services concernés que la prestation des
services «aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État
membre». S’agissant de cet établissement, il est défini comme «l’exercice effectif d’une activité
économique visée à l’article 43 du traité par le prestataire pour une durée indéterminée et aux
moyens d’une infrastructure à partir de laquelle la fourniture de services est réellement
assurée».
La distinction entre les deux libertés se trouve atténuée, en pratique, cela en raison des formes
d’exercice de l’activité exercée par l’intéressé. D’ailleurs, elle peut l’être aussi en raison du
comportement de l’État membre d’accueil qui peut imposer certaines exigences spécifiques
aux bénéficiaires pour des raisons impérieuses d’intérêt général et, bien sûr, sous réserve de
le faire sans discrimination. Il faut préciser que cette directive avait été très controversée à
l’état du projet par la référence qu’elle contenait au principe de l’État d’origine puisque le
prestataire restait soumis à la législation de son pays d’origine. Cette référence a été,
finalement, supprimée. En cela, cette directive a précisé le régime juridique aux deux libertés
sur certains points (alors que son intitulé ne concerne que les services), tout en consolidant
l’interprétation extensive du droit primaire retenu par la Cour de justice et elle y ajoute
également des innovations liées à l’assistance administrative entre États.
1. Le champ d’application de la directive
La directive est de nature horizontale, elle crée un cadre juridique général pour les services
fournis par un prestataire établi dans un Etat membre qui souhaite proposer ses services dans
un autre État membre. Néanmoins, un certain nombre de services sont exclus.
▪ Sont exclus de la directive les services qui sont couverts par des directives sectorielles
(la règle spéciale déroge à la règle générale) dont les services financiers, les réseaux
de communication électronique, les services liées au domaine des transports, etc.
▪ Sont également exclus les services d’intérêt général non économique dont l’éducation,
la justice, la police et l’armée et les services sociaux de santé ou, encore, les services
proposés par les agence de travail intérimaire.
▪ Sont exclues les activités de service liées à l’exercice de l’autorité publique de même
que les services fiscaux, les services de sécurité privée et les jeux et loterie.
De plus, certaines questions restent en dehors de la directive comme celles qui relèvent du
droit du travail, du droit pénal et du droit international privé. Enfin, la directive ne remet pas en
cause le règlement N°14871 du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité
sociale ni la directive relative au détachement des travailleurs dans le cadre d’une prestation
des services (voir supra).
2. Le contenu de la directive
Même si cette directive était censée se cantonner aux services, elle renferme également des
dispositions concernant la liberté d’établissement, d’où la distinction que nous allons faire entre
ces deux libertés à propos des règles que la directive leur consacre.
2.1. La libre prestation des services
En cette matière, la directive condamne de nombreuses obligations ou interdictions qui
pourraient être imposées par les Etats aux prestataires des services, en reprenant la
jurisprudence, par exemple, l’obligation de procéder à un établissement sur le territoire où
l’entreprise veut accomplir sa prestation, l’obligation d’obtenir un document d’identité
spécifique à l’exercice d’une activité de services, document qui serait délivré par les autorités
compétentes ou, encore, une autorisation du type inscription à un registre, un ordre, etc. Il
s’agit, par-là, de garantir le libre accès à l’activité de services, dans un premier temps, et dans
un deuxième temps, à son libre exercice sur le territoire de chaque Etat membre.
Cependant, le principe est assorti de dérogations, les Etats membres étant autorisés à imposer
certaines obligations aux prestataires établis dans d’autres Etats membres mais à la double
condition qu’elles soient proportionnées et nécessaires. Le contrôle de proportionnalité d’une
réglementation restrictive porte sur l’objectif qu’elle poursuit mais pas seulement puisqu’il doit,
également, porter sur ses effets postérieurs, en accord avec la CJUE. L’arrêt CJUE, 30 juin
2016, Admiral Casinos est illustratif de cela. En l’espèce, en 2015, la Cour a ainsi validé une
exigence linguistique qui a été jugée proportionnée à la raison impérieuse d’intérêt général
que poursuivait, donc, la réglementation en cause (CJUE, 1er octobre 2015, Trijber et
Harmsen). L’exigence linguistique justifiée se borne à imposer le recours à une langue
susceptible d’être comprise par toutes les parties concernées, ce qui est moins attentatoire à
la libre prestation des services qu’une mesure que, par exemple, imposerait l’usage exclusif
de la langue officielle de l’Etat dont il s’agit (en l’espèce, il s’agissait des Pays Bas) ou d’une
autre langue déterminée. Il est assez rare que l’exigence linguistique puisse justifier une
réglementation restrictive, mais dans cet arrêt, c’était le cas. En l’espèce, il s’agissait d’une
autorisation demandée pour l’exploitation pour deux nouvelles maisons de prostitution,
laquelle autorisation était subordonnée à la condition que les prestataires des services en
cause (les pensionnaires de ces maisons) puissent parler dans une langue comprise par les
bénéficiaires. Dans ce cas bien précis, elle a été parfaitement justifiée parce qu’elle a été
considérée comme participant de la protection de l’ordre public par la prévention d’infractions
pénales à l’encontre des prostituées.
Par ailleurs, la particularité du marché des jeux de hasard permet des atteintes aux articles 49
et 56 du TFUE pour raison impérieuse d’intérêt général mais, là encore et comme toujours, à
condition que la restriction soit proportionnée à l’objectif à atteindre tel qu’en atteste l’arrêt
CJUE, 19 décembre 2018, Stanley International Betting. En l’espèce, il s’agissait de la double
nécessité de canaliser le jeu dans un circuit contrôlé et d’adopter une logique de gestion
responsable en restreignant la concurrence dans ce marché particulier. Ce sont deux entraves
justifiées parce qu’elles sont proportionnées. Sont, en revanche, des entraves injustifiées la
législation fiscale portugaise privant les non résidants de la déduction des frais professionnels,
(CJUE, 13 juillet 2016, Brisal et KBC Finance). De même, la taxe d’immatriculation grecque
imposée aux véhicules loués ou pris en crédit-bail auprès d’une société établie dans un autre
Etat membre, indépendamment de la durée des contrats et de la nature de l’utilisation des
véhicules sur le territoire grec est une entrave injustifiée (CJUE, 14 janvier 2016, Commission
c/ Grèce). Selon une jurisprudence de 2002, ces taxes peuvent être conformes à la liberté de
prestation des services si elles sont proportionnelles à la durée d’utilisation du véhicule.
Toutefois, en l’espèce, ce n’était pas le cas, d’autant plus que la Grèce n’avait pas invoqué
pour sa défense une exigence impérieuse d’intérêt général.
2.2. La liberté d’établissement
En matière de liberté d’établissement, la directive distingue, d’une part, les exigences interdites
qui reprennent, confirment la jurisprudence de la Cour de justice et, d’autre part, les exigences
non discriminatoires qui sont soumises à évaluation. Les régimes d’autorisation doivent
reposer sur des critères qui encadrent le pouvoir d’appréciation des autorités nationales
compétentes. Dès lors, ils ne sont admis que s’ils reposent sur des critères non
discriminatoires, non ambigus, transparents et accessibles, critères justifiées par des raisons
impérieuses d’intérêt général et proportionnelles aux objectifs poursuivis. De plus, les
conditions d’octroi ne doivent pas faire double emploi avec les exigences et contrôles
équivalents auxquels est déjà soumis le prestataire dans le même Etat membre.
En conclusion, la frontière entre les deux libertés n’est pas aussi claire qu’il le faudrait dans la
directive. Il faut bien aussi remarquer qu’elle ne l’est pas vraiment non plus dans les traités,
faute de précision permettant de déterminer à partir de quand en termes de durée et de
fréquence la fourniture d’un service ne peut plus être considérée comme telle et bascule dans
le champ voisin, à savoir, celui de la liberté d’établissement.
La Cour de justice tente d’éviter la confusion entre les deux libertés en appliquant les règles
applicables de façon factuelle, au cas par cas, en fonction des circonstances de chaque cause.
Sous-section III – La mobilité à des fins personnelles
A l’origine, le droit de déplacement et le droit de séjour avaient pour seule finalité l’exercice
d’une liberté professionnelle. Ces droits ont été généralisés par les textes, en particulier, par
la directive 2004/38, à quoi il faut ajouter l’interprétation large qu’a fait la Cour de justice de la
notion de citoyenneté européenne. La directive de 2004 a apporté des modifications
importantes concernant, en particulier, le champ d’application personnel du droit de séjour, de
même que le contenu de ce droit. Par ailleurs, la directive 2003/109 a accordé ce droit de
séjour aux ressortissants des pays tiers résidents de longue durée dans l’Union européenne
tandis que le règlement 562/2006 du 15 mars 2006 a établi un code communautaire relatif au
franchissement des frontières, ce règlement a codifié ce que l’on appelle «l’acquis Schengen»,
en regroupant dans un seul texte les règles relatives au franchissement des frontières
intérieures et extérieures. Ce texte a été remplacé par le règlement 2016/399 du 9 mars 2016.
A. La liberté de déplacement
Le libre déplacement des ressortissants d’un Etat membre vers un autre Etat membre et les
limites qui peuvent être imposées aux ressortissants des pays tiers quant à l’accès au territoire
résultent de deux cadres juridiques. Le premier est le règlement 2016/399 mais le second
cadre juridique est issu des modifications apportées par le traité de Lisbonne et, depuis lors,
inscrites dans le TFUE. Les anciennes dispositions du titre IV du Traité sur la Communauté
européenne qui s’intitulait «Visa, asile, immigration et autres politiques liées à la libre
circulation des personnes» s’inscrivent maintenant ailleurs dans un chapitre II intitulé
«Politiques relatives aux contrôlés aux frontières, à l’asile et à l’immigration», lui-même inséré
dans le titre V du TFUE consacré à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Finalement, il
en résulte que des objectifs précis, quoique formulés de façon assez floue, ont été assignés à
la politique d’immigration. Cependant, la mise en œuvre de cette politique a montré ses limites
et, même, ses incapacités, notamment face à la crise des réfugiés, d’où le souhait formulé par
de nombreux juristes de reformer en profondeur et de façon urgente le régime d’asile commun.
Par ailleurs, différents textes ont été consacrés à la politique commune des visas. Enfin,
différentes mesures ont été adoptées pour tenter de pallier l’absence d’une véritable politique
d’asile européenne dont le règlement 2016/1624 du 14 septembre 2016 portant création d’un
corps européen de garde-frontières et de garde côtes, la directive PNR (Passenger name
record) du 27 avril 2016 dont l’objectif affiché est la lutte contre le terrorisme et les formes
graves de criminalité, en mettant en place un fichier de données des dossiers passagers et,
enfin, les propositions des règlements pour instaurer un système européen d’autorisation et
d’affirmation concernant les voyageurs, cela dans le but de moderniser et de faciliter la gestion
des contrôles aux frontières.
La liberté de déplacement renferme deux sous-libertés : la liberté de sortir et la liberté de
rentrer sur le territoire de l’Union.
1. Le droit de sortie
Tout citoyen de l’Union peut quitter le territoire d’un Etat membre pour se rendre dans un autre
Etat membre sur simple présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de
validité. Ce droit est, également, garanti par la CEDH. Cela signifie que l’administration de
l’Etat d’origine a l’obligation de délivrer ou de renouveler ces documents. En outre, il lui est
interdit d’imposer un visa de sortie (une entrave manifeste) ou toute obligation ou formalité
équivalente.
Le droit de sortie d’un Etat membre est étendu aux membres de la famille du citoyen qui n’ont
pas la nationalité d’un Etat membre à condition, quand même, qu’ils aient un passeport en
cours de validité.
2. Le droit d’entrée
Tout citoyen peut rentrer sur le territoire européen sous présentation d’une carte d’identité ou
d’un passeport sans que l’administration locale puisse lui imposer un visa d’entrée, lequel visa
équivaudrait à une autorisation préalable de l’Etat d’accueil. Est également interdite l’obligation
de fournir des renseignements sur le but et les conditions du séjour. En revanche, l’Etat en
question peut imposer à l’intéressé de signaler sa présence sur son territoire dans un délai
raisonnable et non discriminatoire, cela sous peine de sanction. Les sanctions doivent être,
également, non discriminatoires et proportionnées. Selon la directive de 2004, un délai de trois
jours n’est pas raisonnable, en reprenant la jurisprudence européenne et, également, que
l’emprisonnement est une sanction qui n’est pas proportionnée. Un visa d’entrée peut,
cependant, être exigé pour les membres de la famille qui n’ont pas la citoyenneté européenne.
D’ailleurs, le règlement du 15 mars 2001 fixe la liste des pays (135) dont les ressortissants
sont soumis à une obligation de visa mais en 2005 la Cour a condamné l’Espagne pour
mauvaise transposition des directives sur le droit de séjour puisqu’elle imposait un visa de
séjour aux conjoints d’un ressortissant européen qui n’avait pas la nationalité d’un Etat
membre pour la délivrance d’un titre de séjour, cela étant un exigence en trop qui n’est pas
prévue pour les textes. Cela étant précisé, les Etats membres se sont engagés à faciliter les
formalités requises pour les membres de famille des citoyens européens et, en particulier, s’ils
sont en possession d’une carte de séjour, ils sont dispensés de toute obligation de visa.
B. Le droit de séjour
La directive 2004/38 a consacré la liberté de circulation et de séjour en tant que droit inhérent
à la qualité de citoyen européen. Cette liberté faisant l’objet d’un régime simplifié. Mais, là
encore, elle a, toutefois, assorti cette liberté de divers tempéraments liés à la durée de ce
séjour, en distinguant entre le séjour temporaire et le séjour permanent.
1. Le séjour temporaire
Jusqu’à trois mois, le séjour est lié au droit d’entrée. Aucune formalité ni condition ne peut être
exigée du citoyen, à l’exception de la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en
cours de validité. Au-delà de ces trois mois, le séjour est subordonné à plusieurs conditions
alternatives, à savoir :
▪ Soit la qualité de travailleur salarié ou non salarié dans l’Etat d’accueil, cela même si
l’intéressé se trouve en situation de chômage involontaire.
▪ La disposition de ressources suffisantes afin de ne pas être une charge pour le système
d’assistance sociale de l’Etat d’accueil au cours du séjour.
S’agissant de la notion de ressources suffisantes, elles peuvent provenir d’un partenaire avec
lequel le citoyen de l’Union n’a aucun lien juridique puisque les textes ne comportent aucune
exigence à ce sujet. Par exemple, ont été retenues, à ce titre, celles qu’une citoyenne
portugaise recevait de son partenaire belge (CJCE, 23 mars 2006, Commission c/ Belgique).
Par ailleurs, les ressources prises en compte sont celles de l’ensemble de la famille (CJCE,
19 octobre 2004, Zhu et Chen, à propos des enfants à la charge de ressortissants chinois). Le
montant des ressources suffisantes ne peut pas être supérieur au niveau au-dessus duquel
les ressortissants de l’Etat d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance sociale, cela étant un
repère. Le défaut de ressources suffisantes rend le séjour illégal et il peut entraîner l’exclusion
du bénéfice des prestations sociales à caractère non contributif (CJUE, 11 novembre 2014,
Dano + CJUE, 14 juin 2016, Commission c/ Royaume Uni). Ce défaut peut aussi suffire à faire
perdre le droit de séjourner dans le pays, tel est le cas si le citoyen et les membres de sa
famille deviennent une charge déraisonnable pour les système d’assurance sociale du pays
d’accueil, règle inscrite dans l’article 14, paragraphe 1 de la directive de 2004. Cependant, la
mesure d’éloignement ne peut pas reposer uniquement sur le fait que ces personnes ont eu
recours au système local d’assurance social, ce n’est pas la seule justification (art. 14, §3). De
plus, la situation du travailleur salarié ou celle d’une recherche d’emploi effective (avec des
chances de succès) excluent l’éloignement.
L’Etat membre d’accueil peut imposer aux citoyens de l’Union un enregistrement auprès des
autorités compétentes, cette démarche n’ayant qu’un caractère déclaratif de droits. S’agissant
des membres de la famille originaires d’un pays tiers, ils doivent, dans le trois mois dès leur
arrivée, demander la délivrance d’une carte de séjour (art. 9 et 10 de la directive de 2004).
Cette carte de séjour est obtenue après avoir produit les documents prouvant, d’une part, le
lien avec le citoyen européen qui bénéficie du droit de séjour à titre principal et, d’autre part,
la présence de celui-ci sur le territoire de l’Etat d’accueil. Cette carte doit leur être délivrée
dans les six mois de la demande et elle a une durée de validité de cinq ans, à compter de sa
délivrance ou moins que cela, équivalant à la durée du séjour si celui-ci est inférieur à cinq
ans.
Par ailleurs, le droit de séjour des membres de la famille n’est pas affecté par le décès ou le
départ du citoyen. Si le citoyen s’en va, ce n’est pas pour autant qu’on va leur retirer la carte.
Il n’est pas non plus affecté par le divorce et les violences domestiques commises durant le
mariage en présence d’enfants. Dans ces situations, le droit de séjour est maintenu au profit
des membres de la famille mais à titre personnel seulement (art. 12 et 13 de la directive de
2004).
Il faut préciser que le droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers n’est pas un droit
autonome. En tant que droit dérivé de l’exercice de la libre circulation par un citoyen de l’Union,
ce droit a fait l’objet d’un large contentieux, on peut l’envisager dans le cas de deux
hypothèses.
▪ Tout d’abord, il peut être envisagé en dehors du déplacement du citoyen européen au-
delà des frontières (cf. jurisprudence Zambrano et McCarthy). Dans ce cas, l’octroi de
droits dérivés est limité aux cas exceptionnels où le citoyen serait contraint de quitter
le territoire de l’Union européenne dans son ensemble.
▪ Il peut être encore envisagé en cas d’utilisation d’une forme du droit de libre circulation,
d’où l’appréciation au cas par cas. Dans une affaire de 2016, la Cour a été amenée à
trancher des difficultés très particulières liées aux circonstances tout aussi particulières
de la cause. Il s’agissait d’un père de famille ressortissant d’un pays tiers qui avait la
charge exclusive d’enfants mineurs citoyens de l’Union, un enfant espagnol et un
enfant polonais. Le père avait fait l’objet d’une condamnation pénale antérieure qui lui
vaut un refus opposé à sa demande de titre de séjour en Espagne. Il dispose,
cependant, de deux titres dérivés à son droit de séjour, l’un fondé sur la directive de
2004 au regard de son enfant polonais et sous réserve de remplir la condition des
ressources suffisantes et l’autre, à titre subsidiaire, au regard du traité et dans les
conditions posées par la CJUE dans l’affaire Zambrano. Selon la CJUE, le droit de
l’Union ne permet pas de refuser automatiquement un permis de séjour à un
ressortissant d’un pays tiers qui a la garde exclusive d’un citoyen européen mineur dès
lors que son expulsion obligerait l’enfant à quitter le territoire de l’Union. Le droit de
l’Union ne permet pas non plus de l’expulser du territoire européen au seul motif qu’il
a des antécédents pénaux. La Cour conclut de la façon suivante : «une mesure
d’expulsion doit être proportionnée et fondée sur le comportement personnel du
ressortissant étranger, ce comportement devant constituer une menace réelle,
actuelle, suffisamment grave, pour un intérêt fondamental de l’Etat membre d’accueil»
(CJUE, Grande chambre, 13 septembre 2016, Marin Randon).
2. Le séjour permanent
Après cinq ans de présence ininterrompue sur le territoire de l’Etat d’accueil, le droit de séjour
peut devenir permanent à la requête des intéressés, ceux-ci étant le citoyen de l’Union et les
membres de sa famille n’ayant pas la citoyenneté européenne. Ce droit est formalisé par :
▪ Une attestation de permanence de séjour pour le citoyen.
▪ Une carte de séjour permanent pour les membres de la famille qui sont ressortissants
d’Etats ties, cette carte étant renouvelable de plein droit tous les dix ans. Selon la
CJUE, cette carte atteste, en soi, de la qualité des membres de la famille de son titulaire
et, de ce fait, elle exclut l’exigence d’un visa ou autre vérification pour l’accès au
territoire des autres Etats membres (CJUE, Grande chambre, 18 juin 2020, Ryanair).
Ce droit est perdu si l’intéressé s’absente de l’Etat d’accueil pendant une période
supérieure à deux ans consécutifs. Des absences temporaires sont admises pourvu
qu’elles n’excèdent pas six mois.