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Séance 8
Les limites au champ de la libre circulation
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Document 1 : CJCE, 9 août 1994, Lancry, C-363/93, 407/93 à 411/93
Mots clés
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1. Libre circulation des marchandises ° Droits de douane ° Taxes d' effet équivalent °
Notion ° Taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises en raison de
leur introduction dans une partie de son territoire ° Inclusion, y compris sous l' aspect
taxation des produits nationaux
2. Libre circulation des marchandises ° Droits de douane ° Taxes d' effet équivalent °
Octroi de mer appliqué dans les départements français d' outre-mer ° Décision du
Conseil autorisant temporairement, après l' entrée en vigueur du traité, le maintien de
cette taxe ° Invalidité ° Effets dans le temps
(Traité CEE, art. 9, 12, 13, 227, § 2, et 235; décision du Conseil 89/688)
Sommaire
1. L' octroi de mer appliqué dans les départements français d' outre-mer et dont le
régime est celui d' une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par
un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son
territoire, constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation,
interdite par les articles 9, 12 et 13 du traité, non seulement en tant qu' elle frappe les
marchandises introduites dans cette région en provenance d' autres États membres, mais
également en tant qu' elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région
en provenance d' une autre partie de ce même État.
En premier lieu, une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l' introduction de
produits dans une région d' un État membre porte atteinte à l' unicité du territoire
douanier communautaire et constitue une entrave au moins aussi grave à la libre
circulation des marchandises qu' une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l'
introduction des produits dans l' ensemble du territoire d' un État membre. L' atteinte
portée à l' unicité du territoire douanier communautaire par l' établissement d' une
frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits nationaux ou des
produits en provenance d' autres États membres qui sont frappés d' une taxe en raison du
franchissement de cette frontière. En second lieu, l' entrave à la libre circulation des
marchandises constituée par l' imposition, sur les produits nationaux, d' une taxe perçue
en raison du franchissement de cette frontière n' est pas moins grave que celle constituée
par la perception du même type de taxe sur les produits en provenance d' un autre État
membre, car le principe même de l' union douanière s' étendant à l' ensemble des
échanges de marchandises, telle qu' elle est prévue par l' article 9 du traité, exige que
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soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l' intérieur de l'
union et non uniquement le commerce interétatique. Ce n' est que parce que l' absence d'
entraves de nature douanière à l' intérieur des États membres était présupposée que les
articles 9 et suivants ne visent expressément que les échanges entre États membres.
Par ailleurs, une taxe qui s' applique à tous les produits franchissant une frontière
régionale, quelle que soit leur origine, ne peut, sans incohérence, être qualifiée de taxe d'
effet équivalent lorsqu' elle est appliquée aux produits en provenance des autres États
membres, mais échapper à cette qualification lorsqu' elle l' est à des produits en
provenance d' une autre partie du territoire national.
2. La décision 89/688 relative au régime de l' octroi de mer dans les départements
français d' outre-mer est invalide en tant qu' elle autorise la République française à
maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime de l' octroi de mer en vigueur lors de l'
adoption de cette décision.
En effet, l' article 227, paragraphe 2, du traité doit être interprété comme excluant toute
possibilité pour le Conseil de déroger à l' application, dès l' entrée en vigueur du traité,
dans les départements d' outre-mer des dispositions, dont notamment celles relatives à la
libre circulation des marchandises, applicables à une taxe d' effet équivalent telle que l'
octroi de mer, mentionnée à son premier alinéa, et l' article 235 du traité ne saurait être
interprété comme permettant au Conseil de déroger, même temporairement, à l'
application immédiate telle que prévue par l' article 227, paragraphe 2, sous peine de
priver l' alinéa premier de ce dernier de son effet utile.
Dans la mesure où l' octroi de mer perçu entre la date d' entrée en application de la
décision 89/688 et le 31 décembre 1992 avait exactement la même nature juridique de
taxe d' effet équivalant à un droit de douane perçu sur le fondement du droit national
que l' octroi de mer perçu avant cette période, la limitation dans le temps décidée par la
Cour à l' égard de ce dernier dans son arrêt du 16 juillet 1992, C-163/90 (Legros e.a.), s'
applique également à des demandes de restitution de montants perçus, à titre d' octroi de
mer, postérieurement à l' entrée en application de ladite décision et jusqu' au 16 juillet
1992, date de prononcé dudit arrêt. En revanche, étant donné que le gouvernement
français ne pouvait, postérieurement à cet arrêt, continuer raisonnablement à estimer que
la législation nationale en la matière était conforme au droit communautaire et que les
intérêts des collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le
temps énoncée dans l' arrêt du 16 juillet 1992, il n' y a pas lieu de limiter dans le temps
les effets de l' arrêt déclarant invalide la décision 89/688.
Parties
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Dans les affaires jointes C-363/93, C-407/93, C-408/93, C-409/93, C-410/93 et C-
411/93,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du
traité CEE, par la cour d' appel de Paris et tendant à obtenir, dans le litige pendant
devant cette juridiction entre
René Lancry SA
et
et des demandes adressées à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le
tribunal d' instance de Saint-Denis (Réunion) et tendant à obtenir, dans les litiges
pendants devant cette juridiction entre
Dindar Confort SA
et
et entre
Christian Ah-Son
et
et entre
Paul Chevassus-Marche
et
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et entre
Conforéunion SA
et
et entre
Dindar Autos SA
et
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 9 et suivants du traité
CEE, et sur la validité de l' article 4 de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22
décembre 1989, relative au régime de l' octroi de mer dans les départements français d'
outre-mer (JO L 399, p. 46),
LA COUR,
° pour René Lancry SA, par Mes Christian Charrière-Bournazel, Philippe Champetier
de Ribes et Jean-Pierre Spitzer, avocats à la cour de Paris, et Me Pascal Dubois, avocat
au barreau de Limoges,
° pour les sociétés Dindar Confort, Conforéunion et Dindar Autos, par Mes Jean-Claude
Bouchard, Charles-Étienne Gudin et Thierry Vialaneix, avocats au barreau des Hauts-
de-Seine,
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° pour le gouvernement français, par M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des affaires
étrangères, et Mme Catherine de Salins, conseiller des affaires étrangères, en qualité d'
agents,
° pour le Conseil de l' Union européenne, par M. Ramon Torrent, directeur au service
juridique, et Mme Cristina Giorgi, conseiller audit service juridique, en qualité d' agents,
ayant entendu les observations orales de René Lancry SA, représentée par Mes Christian
Charrière-Bournazel, Jean-Pierre Spitzer, et Pascal Dubois, avocats, des sociétés Dindar
Confort, Conforéunion et Dindar Autos, représentées par Mes Jean-Claude Bouchard,
Charles-Étienne Gudin et Thierry Vialaneix, avocats, de la Région Réunion, représentée
par Me Pierre Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg, du gouvernement
espagnol, représenté par Mme Rosario Silva de Lapuerta, en qualité d' agent, du Conseil
de l' Union européenne, représenté par M. Ramon Torrent, en qualité d' agent, et de la
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Virginia Melgar, en
qualité d' agent, à l' audience du 27 avril 1994,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 28 juin 1994,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par arrêt du 7 juillet 1993, parvenu à la Cour le 26 juillet 1993, la cour d' appel de
Paris a posé, en application de l' article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur
la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au
régime de l' octroi de mer dans les départements français d' outre-mer (JO L 399, p. 46,
ci-après la "décision octroi de mer"). Par jugements du 23 août 1993, parvenus à la Cour
le 1er octobre 1993, le tribunal d' instance de Saint-Denis (Réunion) a posé, en
application de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'
interprétation des articles 9 et suivants du traité CEE et sur la validité de la décision
octroi de mer.
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2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de plusieurs demandes de
remboursement de sommes perçues à titre d' octroi de mer.
3 Il ressort du dossier que, lors de l' entrée en vigueur du traité, l' octroi de mer était
perçu dans les départements français d' outre-mer (ci-après les "DOM"). Il frappait, du
fait de leur introduction dans le DOM concerné, toutes les marchandises de toute
origine, y compris celles provenant de France métropolitaine. En revanche, les produits
de la région échappaient à l' octroi de mer ou à toute taxe équivalente interne. Il est
constant que l' octroi de mer poursuivait deux objectifs, le premier étant de percevoir
des recettes fiscales et le second de favoriser les activités économiques locales.
4 L' octroi de mer ayant fait l' objet d' un certain nombre de plaintes, la Commission a,
en 1984, ouvert une procédure d' infraction à l' encontre de la République française. Elle
a, plus tard, décidé de suspendre cette procédure, préférant rechercher une solution
politique, dans le cadre de laquelle le Conseil a adopté deux décisions sur la base des
articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité.
6 La seconde décision est la décision octroi de mer, qui met en oeuvre le volet fiscal de
la décision Poséidom. L' article 1er de la décision octroi de mer prévoit que les autorités
françaises prennent, le 31 décembre 1992 au plus tard, les mesures nécessaires pour que
le régime de l' octroi de mer actuellement en vigueur dans les DOM soit applicable
indistinctement aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions. Son
article 4 dispose que la République française est autorisée à maintenir, jusqu' au 31
décembre 1992 au plus tard, le régime actuel de l' octroi de mer, à condition que tout
projet d' extension de la liste des produits soumis à l' octroi de mer ou d' augmentation
de ses taux soit notifié à la Commission, qui pourra s' y opposer dans un délai de deux
mois.
7 Dans l' affaire Legros e.a. (arrêt du 16 juillet 1992, C-163/90, Rec. p. I-4625), la Cour
avait été saisie de plusieurs questions préjudicielles portant sur l' interprétation du traité,
au regard d' une taxe ayant les caractéristiques de l' octroi de mer. Dans cet arrêt, la
Cour a dit pour droit qu' une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue
par un État membre sur les marchandises importées d' un autre État membre en raison
de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une
taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, en dépit du fait que la taxe
frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d' une
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autre partie de ce même État. La Cour a toutefois limité les effets dans le temps de cet
arrêt.
8 Dans l' affaire Legros e.a., les faits étaient antérieurs à la date d' entrée en vigueur des
décisions Poséidom et octroi de mer. La Cour ne s' est dès lors prononcée ni sur leur
interprétation ni sur leur validité.
11 Lancry a également saisi le tribunal d' instance du 7e arrondissement de Paris d' une
demande en paiement de dommages et intérêts contre la direction générale des douanes,
du fait de la perception de l' octroi de mer sur l' introduction de farines en Martinique.
Ayant été déboutée de sa demande, Lancry a fait appel.
12 Dans son arrêt du 7 juillet 1993, la cour d' appel de Paris a déduit de l' arrêt Legros
e.a., précité, que, dans son régime antérieur à la date d' adoption de la décision octroi de
mer, à savoir le 22 décembre 1989, l' octroi de mer perçu sur les farines
commercialisées par Lancry depuis 1974 était une taxe d' effet équivalant à un droit de
douane contraire au traité de Rome. Elle a donc condamné le défendeur à restituer à
Lancry l' octroi de mer versé par cette société sur la commercialisation de farines depuis
1974 jusqu' au 22 décembre 1989.
13 La cour d' appel a toutefois observé que la Cour ne s' était pas prononcée sur la
validité de la décision octroi de mer et elle l' a donc saisie de la question préjudicielle
suivante:
"Par la décision du 22 décembre 1989 relative au régime de l' octroi de mer dans les
départements français d' outre-mer (89/688/CEE), prise par application des articles 227,
paragraphe 2, et 235 du traité instituant la Communauté économique européenne, le
Conseil des Communautés européennes a-t-il valablement autorisé la République
française à maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime actuel de l' octroi de mer
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qui, aux termes de l' arrêt préjudiciel de la Cour de justice des Communautés du 16
juillet 1992, constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane?"
Sur les faits des affaires C-407/93 à C-411/93, Dindar Confort, Ah-Son, Chevassus-
Marche, Conforéunion et Dindar Autos
14 Par acte du 26 janvier 1993, la société Dindar Confort a saisi le tribunal d' instance
de Saint-Denis d' une demande de remboursement avec intérêts de certaines sommes qu'
elle avait versées à titre d' octroi de mer. Ces sommes avaient été perçues sur des
importations effectuées postérieurement à l' arrêt Legros e.a.
15 Par acte du 21 décembre 1992, M. Christian Ah-Son a saisi ce même tribunal d' une
demande de restitution d' une somme acquittée en novembre 1992, représentant le
montant d' une taxe d' octroi de mer qui lui avait été imposée à la suite de l' entrée sur le
territoire de la Réunion d' un véhicule fabriqué en République fédérale d' Allemagne et
acquis par lui en France métropolitaine.
17 Par acte du 10 mars 1993, la société Conforéunion a saisi ce même tribunal d' une
demande de remboursement d' une somme, versée par elle à titre d' octroi de mer,
perçue sur des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion en novembre
1992. Certaines de ces marchandises provenaient d' autres régions de France, certaines
d' autres États membres de la Communauté et d' autres, enfin, directement de pays tiers.
18 Par actes des 26 janvier et 23 février 1993, la société Dindar Autos a saisi ce même
tribunal de demandes de remboursement de certaines sommes correspondant au
paiement de la taxe d' octroi de mer pour des marchandises introduites sur le territoire
de la Réunion entre juillet et décembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient
d' autres régions de France, certaines d' autres États membres de la Communauté et d'
autres, enfin, directement de pays tiers.
19 Saisi de ces litiges, le tribunal d' instance de Saint-Denis a sursis à statuer et posé à la
Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les dispositions des articles 9 et suivants du traité CEE, en ce qu' elles fondent un
principe d' unicité du territoire douanier communautaire, doivent-elles être interprétées
comme prohibant la perception par un État membre d' une taxe proportionnelle à la
valeur en douane des biens, sur des marchandises en provenance d' autres régions de ce
même État, du seul fait de leur introduction dans une région de l' État, étant précisé qu'
en tant qu' elle frappait également les marchandises introduites dans cette région en
provenance d' autres États membres, cette taxe a été jugée comme constituant une taxe
d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation?
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2) L' article 4 de la décision du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre
1989 (89/688/CEE), en ce qu' il autorise la République française 'à maintenir jusqu' au
31 décembre 1992 au plus tard le régime actuel de l' octroi de mer' , dans les conditions
qu' il énonce, a-t-il été valablement pris, alors que l' octroi de mer résultant du régime
alors en cours constituait une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l'
importation, et alors qu' il résulte de l' article 227, paragraphe 2, premier alinéa, du traité
que les dispositions du traité mentionnées dans ce premier alinéa, parmi lesquelles celles
relatives à la libre circulation des marchandises, ont été applicables dans les DOM dès l'
entrée en vigueur du traité?"
21 Il convient d' examiner, d' abord, la question de savoir si une taxe telle que l' octroi
de mer constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane, en tant qu' elle frappe
les marchandises en provenance du même État membre et, ensuite, la validité de la
décision octroi de mer, en tant qu' elle autorise le maintien en vigueur de cette taxe
jusqu' au 31 décembre 1992.
Sur l' interprétation des articles 9 et suivants du traité (première question préjudicielle
du tribunal d' instance de Saint-Denis)
23 Le Conseil estime que, dans la mesure où le régime de l' octroi de mer est applicable
aux marchandises en provenance d' autres parties du territoire français, la situation est
totalement cantonnée à l' intérieur de cet État membre et que, dès lors, les dispositions
de droit primaire qui imposent aux États membres certaines interdictions pour ce qui
concerne les relations entre eux ne sont pas applicables. Plus particulièrement, selon le
gouvernement espagnol, le fait que le commerce intracommunautaire soit affecté est un
élément essentiel pour l' application des dispositions du traité sur la libre circulation des
marchandises, de sorte que les articles 9 et suivants du traité ne s' appliquent pas quand
les marchandises en question circulent entre deux points du territoire d' un seul État
membre.
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25 En effet, en premier lieu, il est de jurisprudence constante que la justification de l'
interdiction de droits de douane et de taxes d' effet équivalent réside dans l' entrave que
des charges pécuniaires, appliquées en raison du franchissement d' une frontière,
constituent pour la circulation des marchandises (voir notamment arrêt du 1er juillet
1969, Sociaal Fonds Diamentarbeiders, 2/69 et 3/69, Rec. p. 211, point 14).
26 Dans l' arrêt Legros e.a., précité, la Cour a relevé (point 16) qu' une taxe perçue à une
frontière régionale en raison de l' introduction de produits dans une région d' un État
membre porte atteinte à l' unicité du territoire douanier communautaire et constitue une
entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu' une taxe perçue
à la frontière nationale en raison de l' introduction des produits dans l' ensemble du
territoire d' un État membre.
27 Or, l' atteinte portée à l' unicité du territoire douanier communautaire par l'
établissement d' une frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits
nationaux ou des produits en provenance d' autres États membres qui sont frappés d' une
taxe en raison du franchissement de cette frontière.
28 En outre, l' entrave à la libre circulation des marchandises constituée par l'
imposition, sur les produits nationaux, d' une taxe perçue en raison du franchissement de
cette frontière n' est pas moins grave que celle constituée par la perception du même
type de taxe sur les produits en provenance d' un autre État membre.
29 En effet, le principe même de l' union douanière s' étendant à l' ensemble des
échanges de marchandises, telle qu' elle est prévue par l' article 9 du traité, exige que
soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l' intérieur de l'
union et non uniquement le commerce interétatique. Si les articles 9 et suivants ne
visent expressément que les échanges entre États membres, c' est parce qu' ils ont
présupposé l' inexistence de taxes présentant les caractéristiques d' un droit de douane à
l' intérieur de ces États. L' absence de telles taxes étant une condition préalable
indispensable à la réalisation d' une union douanière couvrant l' ensemble des échanges
de marchandises, les articles 9 et suivants impliquent également leur interdiction.
30 En deuxième lieu, le problème ne se présente pas comme une situation dont les
éléments sont totalement cantonnés à l' intérieur d' un État membre. En effet, ainsi que
le gouvernement français l' a fait remarquer à juste titre, la perception d' une taxe ayant
les caractéristiques de l' octroi de mer ne pourrait être qualifiée de situation purement
interne que si elle était exclusivement perçue sur des produits en provenance du même
État membre. Or, il est constant que l' octroi de mer s' applique à tous les produits
introduits dans le DOM concerné, indépendamment de leur origine. Dans ces
circonstances, il serait incohérent de juger, d' une part, que l' octroi de mer constitue une
taxe d' effet équivalent en tant qu' il est perçu sur les marchandises en provenance d'
autres États membres, et d' admettre, d' autre part, que cette même taxe ne constitue pas
une taxe d' effet équivalent lorsqu' elle est perçue sur des marchandises en provenance
de la France métropolitaine.
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31 Enfin, sur un plan pratique, puisqu' une taxe telle que l' octroi de mer frappe tous les
produits indistinctement, il serait très difficile, voire impossible, d' opérer une
distinction entre les produits d' origine nationale et les produits originaires d' autres
États membres. Par exemple, un produit qui comporterait des éléments en provenance d'
un autre État mais qui serait fabriqué sur le territoire national, ou un produit qui serait
importé sur le territoire national et, plus tard, acheminé dans un DOM, ne devrait pas
être qualifié de produit national. Cela entraînerait la nécessité de déterminer dans
chaque cas, même dans celui de livraisons de produits en provenance du même État, si
ceux-ci ne seraient pas en réalité originaires d' un autre État membre de la Communauté.
Une telle procédure de vérification engendrerait des procédures administratives et des
retards supplémentaires qui en soi constitueraient des entraves à la libre circulation des
marchandises.
Sur la validité de la décision octroi de mer (question de la cour d' appel de Paris et
seconde question du tribunal d' instance de Saint-Denis)
33 La cour d' appel de Paris, par sa question, et le tribunal d' instance de Saint-Denis,
par sa seconde question, demandent si la décision octroi de mer est valide en tant qu'
elle autorise la République française à maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime
de l' octroi de mer en vigueur lors de l' adoption de cette décision.
35 Il convient, tout d' abord, de rappeler le libellé de l' article 227, paragraphe 2, du
traité:
"2. En ce qui concerne l' Algérie et les départements français d' outre-mer, les
dispositions particulières et générales du présent traité relatives:
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° aux règles de concurrence,
° aux institutions,
Les conditions d' application des autres dispositions du présent traité seront déterminées
au plus tard deux ans après son entrée en vigueur, par des décisions du Conseil statuant
à l' unanimité sur proposition de la Commission.
Les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par
le présent traité et notamment de l' article 226, à permettre le développement
économique et social de ces régions."
38 Il s' ensuit que le Conseil n' a pas pu valablement, dans la décision octroi de mer,
autoriser la France à maintenir en vigueur une taxe telle que l' octroi de mer, laquelle
constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane et relève, dès lors, des
dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.
39 Il convient, dès lors, de répondre aux juridictions de renvoi que la décision octroi de
mer est invalide en tant qu' elle autorise la République française à maintenir, jusqu' au
31 décembre 1992, le régime de l' octroi de mer en vigueur lors de l' adoption de cette
décision.
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40 Le gouvernement français, soutenu par la région Réunion, demande à la Cour, dans l'
hypothèse où elle déclarerait invalide la décision octroi de mer, de limiter dans le temps
les effets de l' arrêt, comme elle l' a fait dans l' arrêt Legros e.a., précité. Le
gouvernement français estime en effet que les conditions fixées par la Cour pour une
telle limitation, à savoir, en premier lieu, le risque de répercussion économique grave et,
en second lieu, une incertitude quant à la portée des dispositions communautaires, sont
remplies en l' espèce. Quant à la première condition, les conséquences financières d' un
arrêt déclarant invalide la décision octroi de mer seraient difficilement supportables par
les collectivités locales bénéficiaires de l' octroi de mer puisque, selon le gouvernement
français, la limitation à laquelle la Cour a accepté de recourir dans l' arrêt Legros e.a. ne
porte que sur l' octroi de mer perçu sur le seul fondement du droit national et ne s'
applique pas aux sommes perçues sur le fondement de l' article 4 de la décision octroi de
mer, après le 22 décembre 1989, date d' adoption de cette décision. Quant à la seconde
condition, le gouvernement français rappelle que la Cour a jugé, dans l' affaire Legros
e.a., que les particularités de l' octroi de mer et les spécificités des DOM ont créé un état
d' incertitude quant à la légitimité de cette taxe au regard du droit communautaire,
incertitude qui, selon le gouvernement français, paraissait avoir été levée par la décision
octroi de mer.
42 En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que la Cour déclare invalide dans le
présent arrêt la décision octroi de mer, en tant qu' elle autorise la République française à
maintenir en vigueur le régime de l' octroi de mer jusqu' au 31 décembre 1992. Il s'
ensuit que l' octroi de mer perçu, entre la date d' entrée en application de la décision du
22 décembre 1989 et le 31 décembre 1992, avait exactement la même nature juridique
que l' octroi de mer perçu avant cette période, à savoir celle d' une taxe d' effet
équivalant à un droit de douane perçu sur le fondement du droit national.
43 Il en découle que la limitation dans le temps décidée dans l' arrêt Legros e.a. s'
applique également à des demandes de restitution de montants perçus, à titre d' octroi de
mer, postérieurement à l' entrée en application de la décision du 22 décembre 1989 et
jusqu' au 16 juillet 1992, date de prononcé de cet arrêt.
44 En second lieu, il convient de rappeler que, dans ses conclusions du 21 octobre 1991
et du 20 mai 1992, l' avocat général M. Jacobs avait fait très clairement état de son
opinion selon laquelle la décision octroi de mer était invalide en tant qu' elle autorisait le
maintien du régime de l' octroi de mer en vigueur lors de son adoption. Il est vrai que,
dans l' arrêt Legros e.a., la Cour ne s' est pas prononcée sur la validité de la décision
octroi de mer. Toutefois, lors de l' audience dans l' affaire Legros e.a. tenue le 31 mars
1992, le gouvernement français a fait valoir notamment que la Cour n' était pas appelée,
dans le cadre de ce renvoi préjudiciel, à se prononcer sur la validité de cette décision. La
République française ne pouvait donc pas raisonnablement déduire du silence de la
Cour sur ce sujet que la décision octroi de mer l' autorisait valablement à maintenir,
après le 22 décembre 1989, le régime de l' octroi de mer alors en vigueur.
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45 Il en résulte que le gouvernement français ne pouvait pas, après le 16 juillet 1992,
date de l' arrêt Legros e.a., continuer raisonnablement à estimer que la législation
nationale en la matière était conforme au droit communautaire. En outre, les intérêts des
collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le temps énoncée
dans l' arrêt Legros e.a. Il n' y a pas lieu dès lors de limiter dans le temps les effets du
présent arrêt.
46 Les frais exposés par les gouvernements espagnol et français, par le Conseil de l'
Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis
des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure
revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant les
juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par la cour d' appel de Paris, par arrêt du 7
juillet 1993, et par le tribunal d' instance de Saint-Denis, par jugements du 23 août 1993,
dit pour droit:
1) Une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre
sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une
taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, non seulement en tant qu'
elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d' autres États
membres, mais également en tant qu' elle est perçue sur les marchandises introduites
dans cette région en provenance d' une autre partie de ce même État.
ARRÊT DE LA COUR
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«Mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative - Situation purement interne -
Fabrication et commercialisation de fromage emmenthal sans croûte»
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité
CE (devenu article 234 CE), par le tribunal de police de Belley (France) et tendant à
obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre
Jean-Pierre Guimont,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 3, sous a), du traité CE
[devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi que de l'article
30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants,
LA COUR,
16
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Stix-Hackl, Gesandte au ministère des
Affaires étrangères, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
rend le présent
Arrêt
1.
Par jugement du 24 novembre 1998, parvenu à la Cour le 9 décembre suivant, le
tribunal de police de Belley a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu
article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 3, sous
a), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi
que de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles
suivants.
2.
Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée à
l'encontre de M. Guimont du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une
denrée alimentaire, en l'occurrence de l'emmenthal, à l'étiquetage trompeur.
Les règles nationales en cause
3.
L'article 3, premier alinéa, du décret français n° 84-1147, du 7 décembre 1984,
portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière
de produits ou de services (ci-après le «décret de 1984»), dispose:
«L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature
à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les
caractéristiques de la denrée alimentaire et plus particulièrement sur la nature, l'identité,
les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, la conservation, l'origine ou la
provenance, le mode de fabrication ou d'obtention.»
4.
Les «caractéristiques de la denrée alimentaire» dénommée «emmenthal» au sens de la
réglementation française sont définies par l'article 6 et l'annexe du décret n° 88-1206, du
30 décembre 1988, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et
17
falsifications en matière de produits ou de services et de la loi du 2 juillet 1935 tendant à
l'organisation et à l'assainissement du marché du lait en ce qui concerne les fromages
(JORF du 31 décembre 1988, p. 16753, ci-après le «décret de 1988»). L'article 6 du
décret de 1988 édicte que «les dénominations énumérées à l'annexe sont réservées aux
fromages répondant aux prescriptions relatives à la fabrication et à la composition qui
sont décrites dans ladite annexe». Dans cette annexe, l'emmenthal est décrit comme un
produit présentant les caractéristiques suivantes: «pâte ferme, cuite, pressée et salée en
surface ou en saumure; de couleur ivoire à jaune pâle, présentant des ouvertures de
dimensions allant de la grosseur d'une cerise à celle d'une noix; croûte dure et sèche, de
couleur jaune doré à brun clair».
Les faits et la procédure devant le juge national
5.
Par ordonnance du 6 janvier 1998, M. Guimont a été condamné au paiement de 260
amendes de 20 FRF chacune, du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une
denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur, en l'occurrence de l'emmenthal, ce qui
constitue une infraction prévue et réprimée par l'article 3, premier alinéa, du décret de
1984.
6.
Lors d'une audience au cours de laquelle le tribunal de police de Belley a examiné
l'opposition formée par M. Guimont contre ladite ordonnance, il a été rappelé qu'un
contrôle avait été opéré le 5 mars 1996 par la direction départementale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du département du
Vaucluse au sein d'une société spécialisée dans le découpage et le conditionnement de
fromages préemballés sous film plastique destinés plus particulièrement à la grande
distribution. Au cours de ce contrôle, ont été découvertes 260 meules d'emmenthal
provenant de la société «laiterie d'Argis», dont M. Guimont est le directeur technique.
7.
Lors du contrôle évoqué au point précédent, la direction départementale a constaté
l'absence totale de croûte dans les meules examinées, ce qui contrevenait aux
dispositions de l'article 6 et de l'annexe du décret de 1988.
8.
M. Guimont a soutenu, notamment, pour sa défense devant la juridiction de renvoi
que l'article 6 du décret de 1988 est incompatible avec les dispositions des articles 3,
sous a), 30 et suivants du traité.
9.
Il a rappelé devant la juridiction de renvoi que l'appellation «emmenthal» est
générique et qu'elle est largement utilisée dans plusieurs pays de l'Union européenne
sans aucune condition liée à la présence d'une croûte. Il a fait valoir que le décret de
1988, en réservant la dénomination «emmenthal» aux seuls fromages présentant une
«croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair», institue une restriction
quantitative aux échanges intracommunautaires ou une mesure d'effet équivalent.
10.
Dans son jugement de renvoi, le tribunal de police de Belley a notamment formulé les
considérations suivantes:
18
- le prévenu ne peut être retenu dans les liens de la prévention que dans la mesure où
le décret de 1988 ne contrevient pas aux normes supranationales;
- M. Guimont a démontré, par les pièces produites, que de l'emmenthal sans croûte est
fabriqué ou commercialisé dans d'autres pays de la Communauté européenne;
- une telle discrimination ne paraît justifiée par aucun des motifs que l'article 36 du
traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) autorise à invoquer.
11.
Dans ces circonstances, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de
poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 3.a, 30 et suivants du traité instituant la Communauté européenne modifié
doivent-ils être interprétés de telle sorte que la réglementation française résultant du
décret n° 88-1206 du 30 décembre 1988 qui prohibe la fabrication et la
commercialisation en France d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination
'emmenthal‘ devrait être considérée comme constituant une restriction quantitative ou
une mesure d'effet équivalent aux échanges intracommunautaires?»
Observations liminaires
12.
Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 3 du traité détermine les
domaines et les objectifs sur lesquels doit porter l'action de la Communauté. Cet article
énonce ainsi les principes généraux du marché intérieur, qui sont appliqués en
combinaison avec les chapitres respectifs du traité destinés à les mettre en oeuvre (voir
arrêt du 14 juillet 1998, Bettati, C-341/95, Rec. p. I-4355, point 75). L'objectif général
inscrit dans l'article 3, sous a), du traité a été explicité par les dispositions de ses articles
30 et suivants. Dans ces conditions, la référence faite dans la question préjudicielle à
l'article 3, sous a), du traité n'appelle pas de réponse distincte de celle qui sera faite au
sujet de l'interprétation des articles 30 et suivants du traité.
13.
Il convient, en second lieu, d'examiner l'argumentation du gouvernement français
selon laquelle l'article 30 du traité n'est pas applicable dans un cas tel que celui de
l'espèce au principal.
19
14.
D'une part, le gouvernement français fait valoir que cette inapplicabilité découle déjà
du fait que la règle dont la violation est reprochée à M. Guimont n'est pas, dans la
pratique, appliquée aux produits importés. Ladite règle serait destinée à créer des
obligations exclusivement pour les producteurs nationaux et ne concernerait donc
aucunement le commerce intracommunautaire. Or, il découlerait de la jurisprudence de
la Cour et spécialement de l'arrêt du 18 février 1987, Mathot (98/86, Rec. p. 809, points
8 et 9), que l'article 30 du traité ne vise à protéger que le commerce intracommunautaire.
15.
ÀÀ cet égard, il convient de rappeler que l'article 30 du traité vise toute
réglementation des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement,
actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir arrêt du 11
juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5). En revanche, cet article n'a pas
pour objet d'assurer que les marchandises d'origine nationale bénéficient, dans tous les
cas, du même traitement que les marchandises importées et qu'une différence de
traitement entre marchandises qui n'est pas susceptible d'entraver l'importation ou de
défavoriser la commercialisation des marchandises importées ne relève pas de
l'interdiction établie par cet article (voir arrêt Mathot, précité, points 7 et 8).
16.
Or, pour ce qui concerne la règle nationale en cause dans l'affaire au principal, le
gouvernement français ne conteste pas qu'elle est, selon son libellé, indistinctement
applicable aux produits français et aux produits importés.
17.
Dès lors, cet argument du gouvernement français ne peut être accueilli. En effet, le
seul fait qu'une règle n'est pas appliquée dans la pratique aux produits importés n'exclut
pas qu'elle puisse avoir des effets entravant indirectement et potentiellement le
commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 1998,
Commission/France, C-184/96, Rec. p. I-6197, point 17).
18.
D'autre part, le gouvernement français, soutenu en cela par le gouvernement danois,
fait valoir que, dans le cas particulier de l'espèce au principal, la règle en cause n'est pas
constitutive d'une entrave, même indirecte ou potentielle, aux échanges
intracommunautaires au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, selon ces
gouvernements, les faits à l'origine du renvoi préjudiciel devant la Cour auraient trait à
une situation purement interne, le prévenu étant de nationalité française et le produit en
cause étant entièrement fabriqué sur le territoire français.
19.
M. Guimont, les gouvernements allemand, néerlandais et autrichien ainsi que la
Commission relèvent que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 30 du traité ne peut
pas être écarté pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction
nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre (voir arrêt
du 7 mai 1997, Pistre e.a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, point 44).
20.
À cet égard, il y a lieu d'observer que l'arrêt Pistre e.a., précité, concernait une
situation où la règle nationale en cause n'était pas indistinctement applicable mais créait
20
une discrimination directe à l'encontre des marchandises importées d'autres États
membres.
21.
S'agissant d'une règle telle que celle en cause au principal, qui est, selon son libellé,
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et qui vise à
imposer aux producteurs certaines conditions de production afin de leur permettre de
commercialiser leurs produits sous une certaine dénomination, il découle de la
jurisprudence de la Cour qu'une telle règle ne relève de l'article 30 du traité que dans la
mesure où elle trouve à s'appliquer à des situations ayant un lien de rattachement avec
l'importation de marchandises dans le commerce intracommunautaire (voir arrêtsdu 15
décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9, et
Mathot, précité, points 3 et 7 à 9).
22.
Toutefois, cette constatation n'implique pas qu'il n'y a pas lieu de répondre à la
question préjudicielle soumise à la Cour dans la présente affaire. En principe, il
appartient aux seules juridictions nationales d'apprécier, au regard des particularités de
chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de
rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet
par cette dernière d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que
s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire
n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir arrêt du 6 juin
2000, Angonese, C-281/98, non encore publié au Recueil, point 18).
23.
En l'espèce, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du
droit communautaire ne serait pas nécessaire pour le juge national. En effet, une telle
réponse pourrait lui être utile dans l'hypothèse où son droit national imposerait, dans une
procédure telle que celle de l'espèce, de faire bénéficier un producteur national des
mêmes droits que ceux qu'un producteur d'un autre État membre tirerait du droit
communautaire dans la même situation.
24.
Dans ces circonstances, il y a lieu d'examiner si une réglementation nationale telle
que celle en cause au principal constituerait, dans la mesure où elle serait appliquée aux
produits importés, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à
l'article 30 du traité.
Sur l'interprétation de l'article 30 du traité
25.
À titre liminaire, il y a lieu de relever, ce qui n'est pas contesté dans la présente
procédure, qu'une règle nationale telle que celle en cause dans l'espèce au principal
constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au
sens de l'article 30 du traité, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés.
26.
En effet, une législation nationale soumettant des marchandises en provenance
d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, à
certaines conditions pour pouvoir utiliser la dénomination générique communément
utilisée pour ce produit et imposant ainsi le cas échéant aux producteurs l'utilisation de
21
dénominations inconnues ou moins appréciées par le consommateur n'exclut certes pas,
de façon absolue, l'importation dans l'État membre concerné de produits originaires
d'autres États membres. Elle est néanmoins susceptible de rendre leur commercialisation
plus difficile et, par conséquent, d'entraver les échanges entre les États membres (voir,
en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Smanor, 298/87, Rec. p. 4489, point 12).
27.
Quant à la question de savoir si une telle règle peut néanmoins être conforme au droit
communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une
réglementation nationale, adoptée en l'absence de règles communes ou harmonisées et
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés d'autres États
membres, peut être compatible avec le traité dans la mesure où elle est nécessaire pour
satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment, à la loyauté des transactions
commerciales et à la défense des consommateurs (voir arrêt du 20 juin 1991, Denkavit,
C-39/90, Rec. p. I-3069, point 18), où elle est proportionnée à l'objectif ainsi poursuivi
et où cet objectif n'aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d'une manière
moindre les échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêt du 26 juin 1997,
Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 19).
28.
Dans ce contexte, il y a lieu de se référer, comme l'a fait la Commission, à la directive
79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des
législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées
alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), telle que
modifiée par la directive 89/395/CEE du Conseil, du 14 juin 1989 (JO L 186, p. 17),
qui, à l'époque des faits au principal, disposait en son article 5, paragraphe 1:
«La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les
dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à
défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente
au consommateur final et aux collectivités ou une description de la denrée alimentaire
et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en
connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être
confondue.»
29.
Si cette disposition démontre l'importance d'une utilisation correcte des
dénominations des denrées alimentaires pour la protection des consommateurs, elle
n'autorise pas les États membres à adopter en matière de dénominations des règles qui
restreignent l'importation des marchandises, légalement fabriquées et commercialisées
dans un autre État membre, lorsque lesdites règles ne sont pas proportionnées à cet effet
ou lorsque cette protection aurait pu être atteinte par des mesures restreignant d'une
manière moindre les échanges intracommunautaires.
30.
Certes, selon la jurisprudence de la Cour, les États membres peuvent, dans le but de
garantir la loyauté des transactions commerciales et d'assurer la défense des
consommateurs, exiger des intéressés de modifier la dénomination d'une denrée
alimentaire lorsqu'un produit présenté sous une certaine dénomination est tellement
différent, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises
22
généralement connues sous cette même dénomination au sein de la Communauté qu'il
ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie (voir arrêt du 12
septembre 2000, Geffroy, C-366/98, non encore publié au Recueil, point 22).
31.
En revanche, dans le cas d'une différence de moindre importance, un étiquetage
adéquat doit suffire à fournir les renseignements nécessaires à l'acheteur ou au
consommateur (voir arrêt Geffroy, précité, point 23).
32.
Dans le cas de l'espèce au principal, il y a lieu de rappeler que, selon le Codex
alimentarius mentionné au point 10 du présent arrêt, qui fournit des indications
permettant de définir les caractéristiques du produit concerné, un fromage fabriqué sans
croûte peut recevoir l'appellation «emmenthal» puisqu'il est fabriqué à partir de matières
et selon une méthode de fabrication identiques à celles employées pour l'emmenthal
comportant une croûte, sous réserve d'une différence de traitement au stade de
l'affinage. Par ailleurs, il est constant qu'une telle variante du fromage «emmenthal» est
légalement fabriquée et commercialisée dans des États membres autres que la
République française.
33.
Dès lors, à supposer même que la différence dans la méthode d'affinage entre un
emmenthal comportant une croûte et un emmenthal sans croûte soit susceptible de
constituer un élément de nature à induire le consommateur en erreur, il suffirait, tout en
maintenant la dénomination «emmenthal», d'accompagner cette dénomination d'une
information adéquate au sujet de cette différence.
34.
Dans ces conditions, l'absence de croûte ne peut pas être considérée comme une
caractéristique justifiant le refus de l'utilisation de la dénomination «emmenthal», pour
des marchandises en provenance d'autres États membres où elles sont légalement
fabriquées et commercialisées sous cette dénomination.
35.
Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que l'article 30 du traité
s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État
membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation
nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage
dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».
Sur les dépens
36.
Les frais exposés par les gouvernements français, danois, allemand, néerlandais et
autrichien ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne
peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au
principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient
à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
23
statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de police de Belley, par jugement
du 24 novembre 1998, dit pour droit:
«Régime d’assurance soins institué par une entité fédérée d’un État membre – Exclusion
des personnes résidant dans une partie du territoire national autre que celle qui relève de
la compétence de cette entité – Articles 18 CE, 39 CE et 43 CE – Règlement (CEE) nº
1408/71»
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par la Cour d’arbitrage, devenue Cour constitutionnelle (Belgique), par
décision du 19 avril 2006, parvenue à la Cour le 10 mai 2006, dans la procédure
Gouvernement wallon
contre
Gouvernement flamand,
24
considérant les observations présentées:
rend le présent
Arrêt
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige entre plusieurs entités
fédérées du Royaume de Belgique. Ce litige oppose, d’une part, le gouvernement de la
Communauté française et le gouvernement wallon et, d’autre part, le gouvernement
flamand au sujet des conditions d’affiliation au régime de l’assurance soins institué par
la Communauté flamande en faveur des personnes ayant une autonomie réduite en
raison d’une incapacité grave et prolongée.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
25
«Le présent règlement s’applique aux travailleurs salariés ou non salariés et aux
étudiants qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres
et qui sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des
réfugiés résidant sur le territoire d’un des États membres ainsi qu’aux membres de leur
famille et à leurs survivants.»
4 Le champ d’application matériel dudit règlement est, quant à lui, défini à l’article
4 de celui-ci dans les termes suivants:
«1. Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de
sécurité sociale qui concernent:
[…]
[…]
[…]»
«1. Les personnes qui résident sur le territoire de l’un des États membres et
auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux
obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les
mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions
particulières contenues dans le présent règlement.»
«1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le
présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État
membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent
titre.
26
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est
soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État
membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur
le territoire d’un autre État membre;
b) la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d’un État membre
est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d’un autre
État membre;
[…]»
La réglementation nationale
27
10 L’article 4 du décret du 30 mars 1999, tel que modifié par le décret du 30 avril
2004, définit dans les termes suivants les catégories de personnes soumises à
l’affiliation, obligatoire ou facultative, au régime de l’assurance soins:
[…]
§2 bis. Toute personne visée aux §§ 1er et 2, à laquelle s’applique en vertu de son
propre droit le régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne
ou d’un autre État qui fait partie de l’Espace économique européen sur base des règles
d’assignation du règlement […] n°1408/71, ne tombe pas sous le champ d’application
du présent décret.
§2 ter. Toute personne qui n’habite pas en Belgique et à laquelle s’applique en vertu
de son propre droit et pour l’emploi dans la région de langue néerlandaise le régime de
sécurité sociale en Belgique sur base des règles d’assignation du règlement […] n°
1408/71 doit être affiliée à une caisse d’assurance soins agréée par le présent décret. Les
dispositions du présent décret relatives aux personnes visées au § 1er s’appliquent par
analogie.
Toute personne qui n’habite pas en Belgique et à laquelle s’applique en vertu de son
propre droit et pour l’emploi dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale le régime de
sécurité sociale en Belgique sur base des règles d’assignation du règlement […] n°
1408/71 peut s’affilier volontairement à une caisse d’assurance soins agréée par le
présent décret. Les dispositions du présent décret relatives aux personnes visées au § 2
s’appliquent par analogie.»
11 L’article 5 du décret du 30 mars 1999, tel que modifié en dernier lieu par le décret
du Parlement flamand modifiant le décret du 30 mars 1999 portant organisation de
l’assurance soins (Decreet van de Vlaamse Gemeenschap houdende wijziging van het
decreet van 30 maart 1999 houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 25
novembre 2005 (Moniteur belge du 12 janvier 2006, p. 2153), ayant lui aussi ’un effet
rétroactif au 1er octobre 2001, fixe les conditions de prise en charge par le régime de
l’assurance soins dans les termes suivants:
«Pour que l’usager puisse prétendre à une prise en charge par la caisse d’assurance soins
des frais encourus pour la prestation d’aide et de services non médicaux, il faut qu’il
remplisse les conditions suivantes:
28
[…]
[…]
[…]»
a) est instauré par une communauté autonome d’un État fédéral membre de la
Communauté européenne,
29
b) est applicable aux personnes qui sont domiciliées dans la partie du territoire de cet
État fédéral pour laquelle cette communauté autonome est compétente,
c) donne droit à la prise en charge, par ce système, des frais encourus pour des
prestations d’aide et de services non médicaux aux personnes affectées par une
autonomie réduite prolongée et grave, affiliées audit système, sous forme d’une
intervention forfaitaire dans les frais y afférents et
d) est financé par, d’une part, les cotisations annuelles des affiliés et, d’autre part,
une dotation à charge du budget des dépenses de la communauté autonome concernée,
30
15 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si des
prestations versées au titre d’un régime tel que celui de l’assurance soins institué par le
décret du 30 mars 1999 relèvent du champ d’application matériel du règlement nº
1408/71.
19 En effet, d’une part, il résulte des dispositions dudit décret qu’un tel régime donne
droit, de manière objective et sur la base d’une situation légalement définie, à la prise en
charge par une caisse d’assurance soins des frais encourus pour des prestations d’aide et
des services non médicaux par toute personne ayant une autonomie réduite en raison
d’une incapacité prolongée et grave.
20 D’autre part, la Cour a déjà jugé que des prestations visant à améliorer l’état de
santé et la vie des personnes dépendantes, telles que celles en cause dans l’affaire au
principal, ont essentiellement pour objet de compléter les prestations de l’assurance
maladie et doivent, dès lors, être regardées comme des «prestations de maladie» au sens
de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (voir, en ce sens, arrêts du
5 mars 1998, Molenaar, C-160/96, Rec. p. I-843, points 22 à 24; du 8 mars 2001, Jauch,
C-215/99, Rec. p. I-1901, point 28, et du 21 février 2006, Hosse, C-286/03, Rec. p. I-
1771, point 38).
31
l’article 4, paragraphe 2 ter, de celui-ci, qui vise certains types de prestations à caractère
non contributif pour autant qu’elles sont régies par des dispositions nationales
applicables à une partie seulement du territoire d’un État membre.
Sur la recevabilité
25 Le gouvernement flamand fait valoir, à titre principal, que ces questions ne sont ni
utiles ni nécessaires à la solution du litige au principal, de sorte qu’elles devraient être
déclarées irrecevables.
32
raisons, ledit régime ne pourrait restreindre la libre circulation des personnes au sens du
traité.
30 Tel n’est cependant pas le cas dans l’affaire au principal. Il suffit, en effet, de
constater qu’il ressort clairement de la décision de renvoi que la réponse aux deuxième
et troisième questions posées par la Cour d’arbitrage lui est utile afin de déterminer si la
condition de résidence, à laquelle est soumise l’admission au bénéfice du régime de
l’assurance soins, enfreint, comme le prétendent les gouvernements requérants dans le
cadre de leurs recours au principal, certaines dispositions du droit communautaire en
matière de libre circulation des personnes.
Sur le fond
33 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les
règles du traité en matière de libre circulation des personnes et les actes pris en
exécution de celles-ci ne peuvent être appliqués à des activités qui ne présentent aucun
facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit
33
communautaire et dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur
d’un seul État membre (voir, notamment, en ce qui concerne respectivement la liberté
d’établissement et la libre circulation des travailleurs, arrêts du 8 décembre 1987,
Gauchard, 20/87, Rec. p. 4879, points 12 et 13, ainsi que du 26 janvier 1999, Terhoeve,
C-18/95, Rec. p. I-345, point 26 et jurisprudence citée). Il en va de même en ce qui
concerne les dispositions du règlement n° 1408/71 (voir, en ce sens, arrêts du 22
septembre 1992, Petit, C-153/91, Rec. p. I-4973, point 10, et du 11 octobre 2001, Khalil
e.a., C-95/99 à C-98/99 et C-180/99, Rec. p. I-7413, point 70).
35 En l’occurrence, il est constant que les deuxième et troisième questions posées par
la juridiction de renvoi visent l’ensemble des personnes, qu’elles aient ou non fait usage
de l’une des libertés fondamentales garanties par le traité, exerçant une activité
professionnelle dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, mais qui, en raison du fait qu’elles résident sur une partie du
territoire national située en dehors de ces deux régions, ne peuvent pas bénéficier du
régime de l’assurance soins en cause au principal.
38 Or, force est de constater que le droit communautaire ne saurait être appliqué à de
telles situations purement internes.
34
octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, Rec. p. I-11613, point 26, et du 12 juillet 2005,
Schempp, C-403/03, Rec. p. I-6421, point 20).
43 À cet égard, il importe de rappeler que, si les États membres conservent leur
compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins,
dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire et, notamment,
les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs et au droit
d’établissement (voir, en ce sens, arrêt Terhoeve, précité, points 34 et 35, ainsi que arrêt
du 23 novembre 2000, Elsen, C-135/99, Rec. p. I-10409, point 33).
35
d’un autre État membre et y séjourner afin d’y exercer une activité économique (voir,
notamment, arrêts précités Bosman, point 95, et Terhoeve, point 38).
47 Or, une réglementation comme celle en cause au principal est de nature à produire
de tels effets restrictifs, dans la mesure où elle soumet l’affiliation au régime de
l’assurance soins à une condition de résidence soit dans une partie limitée du territoire
national, à savoir la région de langue néerlandaise et la région bilingue de Bruxelles-
Capitale, soit dans un autre État membre.
50 En effet, pour qu’une mesure restreigne la libre circulation, il n’est pas nécessaire
qu’elle soit fondée sur la nationalité des personnes concernées ni même qu’elle ait pour
effet de favoriser l’ensemble des travailleurs nationaux ou de ne défavoriser que les
seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des travailleurs nationaux
(voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2000, Angonese, C-281/98, Rec. p. I-4139, point 41, et
36
du 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-388/01, Rec. p. I-721, point 14). Il suffit,
comme c’est le cas du régime de l’assurance soins en cause au principal, que la mesure
avantageuse bénéficie à certaines catégories de personnes exerçant une activité
professionnelle dans l’État membre en question (voir, par analogie, en matière de libre
prestations des services, arrêts du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas, C-353/89,
Rec. p. I-4069, point 25, et du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications
Belgium e.a., C-250/06, non encore publié au Recueil, point 37).
51 En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 64 à 67 de ses
conclusions, les effets restrictifs engendrés par la réglementation en cause au principal
ne sauraient être considérés comme trop aléatoires ou trop indirects pour que celle-ci ne
puisse pas être regardée comme constituant une entrave contraire aux article 39 CE et
43 CE. En particulier, à la différence de l’affaire ayant donnée lieu à l’arrêt du 27
janvier 2000, Graf (C-190/98, Rec. p. I-493), auquel s’est référé le gouvernement
flamand au cours de l’audience, la possibilité de bénéficier des prestations d’assurance
soins en cause dépend non pas d’un événement futur et hypothétique pour le travailleur
salarié ou non salarié concerné, mais d’une circonstance liée, par définition, à l’exercice
du droit de libre circulation, à savoir le choix du lieu de transfert de sa résidence.
55 Selon une jurisprudence bien établie, des mesures nationales susceptibles de gêner
ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité
ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt
général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent
pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, notamment,
37
arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, Rec. p. I-2409, point 49, et du
18 janvier 2007, Commission/Suède, C-104/06, Rec. p. I-671, point 25).
58 Or, une telle argumentation ne saurait être accueillie. En effet, ainsi que l’ont
relevé Mme l’avocat général aux points 101 à 103 de ses conclusions et la Commission,
il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une autorité d’un État membre ne
saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, y
compris celles découlant de l’organisation constitutionnelle de cet État, pour justifier
l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire (voir, notamment,
arrêts du 10 juin 2004, Commission/Italie, C-87/02, Rec. p. I-5975, point 38, et du 26
octobre 2006, Commission/Autriche, C-102/06, non publié au Recueil, point 9).
38
Sur la quatrième question
62 À cet égard, il suffit de constater que les considérations développées aux points
47 à 59 du présent arrêt en réponse aux deuxième et troisième questions valent, à plus
forte raison, pour une réglementation comportant une restriction supplémentaire par
rapport au régime applicable à la suite de l’adoption du décret de 30 avril 2004, étant
donné que cette réglementation excluait de son champ d’application l’ensemble des
personnes exerçant une activité professionnelle dans la région de langue néerlandaise ou
dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais ayant leur domicile en dehors de ces
deux régions, y compris donc les personnes résidant dans un autre État membre.
1) Des prestations versées au titre d’un régime tel que celui de l’assurance soins
institué par le décret du Parlement flamand portant organisation de l’assurance soins
(Decreet houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 30 mars 1999, dans sa
version résultant du décret du Parlement flamand modifiant le décret du 30 mars 1999
portant organisation de l’assurance soins (Decreet van de Vlaamse Gemeenschap
houdende wijziging van het decreet van 30 maart 1999 houdende de organisatie van de
zorgverzekering), du 30 avril 2004, relèvent du champ d’application matériel du
règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des
39
régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux
membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa
version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2
décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 307/1999 du Conseil, du 8
février 1999.
8 mars 2011(*)
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique), par décision du 19
décembre 2008, parvenue à la Cour le 26 janvier 2009, dans la procédure
40
Gerardo Ruiz Zambrano
contre
41
– pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, puis par M. M. Szpunar,
en qualité d’agents,
rend le présent
Arrêt
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Ruiz
Zambrano, ressortissant colombien, à l’Office national de l’emploi (ONEm) à propos du
refus de ce dernier de l’admettre au bénéfice des allocations de chômage au titre de la
législation belge.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
«La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans
un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa
famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent.»
Le droit national
42
«Est Belge, l’enfant né en Belgique et qui, à un moment quelconque avant l’âge de dix-
huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, serait apatride s’il n’avait cette
nationalité.»
«Pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein
doit accomplir un stage comportant le nombre de journées de travail mentionné ci-après:
[…]
2° 468 au cours des 27 mois précédant [la] demande [d’allocations de chômage], s’il
est âgé de 36 à moins de 50 ans;
[…]»
Le travail effectué en Belgique n’est pris en considération que s’il l’a été conformément
à la législation relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.
[…]»
«Le travailleur étranger ou apatride n’est admis au bénéfice des allocations que si, au
moment de la demande d’allocations, il satisfait à la législation relative au séjour et à
celle relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.
43
Le travail effectué en Belgique par le travailleur étranger ou apatride n’est pris en
considération pour l’accomplissement des conditions de stage que s’il a été effectué
conformément à la législation relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.
[…]»
L’employeur ne peut utiliser les services de ce travailleur que dans les limites fixées par
cette autorisation.
Le Roi peut déroger à l’alinéa 1er, dans les cas qu’Il détermine.»
«Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, dispenser les catégories de
travailleurs étrangers qu’Il détermine, de l’obligation d’obtenir un permis de travail.
Les employeurs des travailleurs étrangers visés à l’alinéa précédent sont dispensés de
l’obligation d’obtenir une autorisation d’occupation.»
[…]
44
c) le conjoint des personnes visées aux a) et b);
[…]»
«Pour pouvoir séjourner dans le Royaume au-delà du terme fixé à l’article 6, l’étranger
qui ne se trouve pas dans un des cas prévus à l’article 10 doit y être autorisé par le
Ministre ou son délégué.
Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal,
cette autorisation doit être demandée par l’étranger auprès du poste diplomatique ou
consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l’étranger.
«§ 1. Sans préjudice des dispositions contenues dans les règlements du Conseil [de
l’Union européenne] et de la Commission des Communautés européennes et de celles
plus favorables dont l’étranger C.E. pourrait se prévaloir, les dispositions ci-après lui
sont applicables.
4° soit y bénéficie ou entend y bénéficier du droit de séjour après avoir cessé une
activité professionnelle exercée dans la Communauté;
5° soit y suit ou entend y suivre, à titre principal, une formation professionnelle dans
un établissement d’enseignement agréé;
45
6° soit n’appartient à aucune des catégories visées aux 1° à 5°.
1° son conjoint;
2° ses descendants ou ceux de son conjoint, âgés de moins de 21 ans ou qui sont à
leur charge;
1° son conjoint;
§ 6. Sont également assimilés à l’étranger C.E. le conjoint d’un Belge, qui vient
s’installer ou s’installe avec lui, ainsi que leurs descendants âgés de moins de 21 ans ou
à leur charge, leurs ascendants qui sont à leur charge et le conjoint de ces descendants
ou de ces ascendants, qui viennent s’installer ou s’installent avec eux.»
15 Par décision du 11 septembre 2000, les autorités belges ont refusé de faire droit à
leurs demandes, tout en assortissant l’ordre de quitter le territoire qui leur était notifié
46
d’une clause de non-reconduite en Colombie, au vu de la situation de guerre civile
prévalant dans ce pays.
17 Par décision du 8 août 2001, ladite demande a été rejetée. Cette décision a fait
l’objet d’un recours en annulation et en suspension devant le Conseil d’État, qui a rejeté
le recours en suspension par un arrêt du 22 mai 2003.
18 Depuis le 18 avril 2001, M. Ruiz Zambrano et son épouse sont inscrits comme
résidents à Schaerbeek (Belgique). Le 2 octobre 2001, le demandeur au principal, alors
qu’il n’était pas en possession d’un permis de travail, a conclu un contrat de travail à
durée indéterminée et à plein temps avec la société Plastoria, avec effet au 1er octobre
2001.
21 Le 9 avril 2004, M. et Mme Ruiz Zambrano ont introduit une nouvelle demande
de régularisation de séjour sur la base de l’article 9, troisième alinéa, de la loi du 15
décembre 1980, invoquant à titre d’élément nouveau la naissance de leur deuxième
enfant et s’appuyant sur l’article 3 du protocole n° 4 à la convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel ferait obstacle à ce que ledit
enfant soit contraint à quitter le territoire de l’État dont il a la nationalité.
47
l’article 40 de la loi du 15 décembre 1980 en tant qu’ascendants d’un ressortissant
belge. Le 13 septembre 2005, une attestation d’immatriculation a été délivrée à chacun
d’eux, laquelle couvrait provisoirement leur séjour jusqu’au 13 février 2006.
26 Dans le cadre de l’instruction du recours dirigé contre cette décision, l’Office des
Étrangers a confirmé que «l’intéressé et son épouse ne [pouvaient] exercer aucune
activité professionnelle, aucune mesure d’éloignement ne pouvant toutefois être prise à
leur encontre du fait que leur demande de régularisation était toujours en cours».
48
l’encontre de la décision de rejet de sa demande d’établissement du 2 septembre 2005
devait être réintroduit dans les 30 jours de la notification dudit courrier, sous la forme
d’un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers.
33 Il ressort de la décision de renvoi que les deux décisions qui font l’objet de la
procédure au principal, par lesquelles l’ONEm a refusé de reconnaître à M. Ruiz
Zambrano le droit aux allocations de chômage, d’abord durant les périodes de chômage
temporaire à partir du 10 octobre 2005 et ensuite depuis le 12 octobre 2006, à la suite de
la perte de son emploi, s’appuient exclusivement sur le constat selon lequel les journées
de travail que ce dernier invoque au titre du stage requis pour les chômeurs de sa
catégorie d’âge, soit 468 jours de travail au cours des 27 mois précédant la demande
d’allocations de chômage, n’ont pas été accomplies en conformité avec les législations
relatives au séjour des étrangers et à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.
«1) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], un ou plusieurs d’entre eux, lus de
manière séparée ou combinée, octroient-ils un droit de séjour au citoyen de l’Union sur
le territoire de l’État membre dont ce citoyen a la nationalité, indépendamment de
l’exercice préalable par celui-ci de son droit de circuler sur le territoire des États
membres?
49
2) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], combinés aux dispositions des articles
21, 24 et 34 de la charte des droits fondamentaux, doivent-ils être interprétés en ce sens
que le droit qu’ils reconnaissent sans discrimination fondée sur la nationalité à tout
citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États
membres implique, lorsque ce citoyen est un enfant mineur en bas âge à charge d’un
ascendant ressortissant d’un État tiers, que la jouissance du droit de séjour dudit enfant
sur le territoire de l’État membre dans lequel il réside et dont il a la nationalité doive lui
être garantie, indépendamment de l’exercice préalable par celui-ci ou [par] le
truchement de son représentant légal du droit de circuler, en assortissant ce droit de
séjour de l’effet utile dont la jurisprudence communautaire [(arrêt Zhu et Chen, précité)]
a reconnu la nécessité, par l’octroi, à l’ascendant ressortissant d’un État tiers, qui
assume la charge dudit enfant et dispose de ressources suffisantes et d’une assurance-
maladie, du droit de séjour dérivé dont bénéficierait ce même ressortissant d’un État
tiers si l’enfant mineur qu’il a à charge était un citoyen de l’Union qui n’a pas la
nationalité de l’État membre dans lequel il réside?
3) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], combinés aux dispositions des articles
21, 24 et 34 de la charte des droits fondamentaux, doivent-ils être interprétés en ce sens
que le droit au séjour d’un enfant mineur, ressortissant d’un État membre, sur le
territoire duquel il réside, doit impliquer l’octroi d’une dispense de permis de travail à
l’ascendant, ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge dudit enfant mineur et qui
– n’eût été l’exigence de permis de travail imposée par le droit interne de l’État membre
dans lequel il réside – remplit, par l’exercice d’un travail salarié l’assujettissant à la
sécurité sociale dudit État [membre], la condition de ressources suffisantes et [celle
relative à] la possession d’une assurance-maladie, afin que le droit de séjour de cet
enfant soit assorti de l’effet utile que la jurisprudence communautaire [(arrêt Zhu et
Chen, précité)] a reconnu en faveur d’un enfant mineur, citoyen européen ayant une
autre nationalité que [celle de] l’État membre dans lequel il séjourne à charge d’un
ascendant, ressortissant d’un État tiers?»
37 Tous les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour ainsi que la
Commission européenne font valoir qu’une situation telle que celle des deuxième et
troisième enfants de M. Ruiz Zambrano, en ce que ces enfants résident dans l’État
membre dont ils ont la nationalité et n’ont jamais quitté cet État membre, ne relève pas
des situations envisagées par les libertés de circulation et de séjour garanties par le droit
50
de l’Union. Partant, les dispositions du droit de l’Union visées par la juridiction de
renvoi ne seraient pas applicables dans le litige au principal.
40 L’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre
le statut de citoyen de l’Union (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 2002, D’Hoop,
C-224/98, Rec. p. I-6191, point 27, et du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02,
Rec. p. I-11613, point 21). Étant de nationalité belge, dont les conditions d’acquisition
relèvent de la compétence de l’État membre en question (voir en ce sens, notamment,
arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08, non encore publié au Recueil, point 39), les
deuxième et troisième enfants du demandeur au principal bénéficient incontestablement
de ce statut (voir, en ce sens, arrêts précités Garcia Avello, point 21, ainsi que Zhu et
Chen, point 20).
42 Dans ces conditions, l’article 20 TFUE s’oppose à des mesures nationales ayant
pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des
droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Rottmann,
précité, point 42).
43 Or, le refus de séjour opposé à une personne, ressortissant d’un État tiers, dans
l’État membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants dudit État membre, dont
elle assume la charge ainsi que le refus d’octroyer à cette personne un permis de travail
auront un tel effet.
44 Il doit, en effet, être considéré qu’un tel refus de séjour aura pour conséquence
que lesdits enfants, citoyens de l’Union, se verront obligés de quitter le territoire de
l’Union pour accompagner leurs parents. De la même manière, si un permis de travail
n’est pas octroyé à une telle personne, celle-ci risque de ne pas disposer de ressources
nécessaires pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, ce qui aurait
51
également pour conséquence que ses enfants, citoyens de l’Union, se verraient obligés
de quitter le territoire de celle-ci. Dans de telles conditions, lesdits citoyens de l’Union
seront, de fait, dans l’impossibilité d’exercer l’essentiel des droits conférés par leur
statut de citoyen de l’Union.
45 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées que l’article 20 TFUE doit
être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre, d’une part, refuse à un
ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de
l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la
nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État tiers un permis de travail,
dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance
effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union.
L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre,
d’une part, refuse à un ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants
en bas âge, citoyens de l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces
derniers et dont ils ont la nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État
tiers un permis de travail, dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits
enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen
de l’Union.
Arrêt
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Mmes
Venturini (affaire C-159/12), Gramegna (affaire C-160/12) et Muzzio (affaire
C-161/12), trois pharmaciennes habilitées, membres de l’ordre professionnel des
pharmaciens de Milan et propriétaires d’établissements commerciaux (ci-après les
«parapharmacies»), à des Aziende Sanitarie Locali (ASL) (établissements publics de
santé locaux), à savoir à l’ASL Varese (affaire C-159/12), à l’ASL Lodi (affaire
C-160/12) et à l’ASL Pavia (affaire C-161/12), au Ministero della Salute, à la Regione
Lombardia, aux Comune di Saronno (affaire C-159/12), Comune di Sant’Angelo
52
Lodigiano (affaire C-160/12) et Comune di Bereguardo (affaire C-161/12), ainsi qu’à
l’Agenzia Italiana del Farmaco (AIFA), au sujet d’une interdiction faite aux
parapharmacies de vendre des médicaments soumis à prescription médicale qui ne sont
pas à la charge du Servizio sanitario nazionale (SSN) (service de santé national) et sont
entièrement payés par l’acheteur.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
«La présente directive n’assure pas la coordination de toutes les conditions d’accès aux
activités du domaine de la pharmacie et de leur exercice. La répartition géographique
des officines, notamment, et le monopole de dispense de médicaments devraient
continuer de relever de la compétence des États membres. La présente directive
n’affecte pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États
membres qui interdisent aux sociétés l’exercice de certaines activités de pharmacien ou
soumettent cet exercice à certaines conditions.»
Le droit italien
53
«1. L’autorisation d’ouvrir et d’exploiter une officine de pharmacie est délivrée par
l’autorité compétente pour le territoire concerné.
2. Le nombre des autorisations pouvant être délivrées pour chaque commune est
déterminé de sorte qu’il y ait une pharmacie pour 5 000 habitants dans les communes
ayant jusqu’à 12 500 habitants, et une pharmacie pour 4 000 habitants dans les autres
communes.
[...]
7. Toute nouvelle officine de pharmacie doit être située à une distance non inférieure
à 200 mètres des autres, de manière à répondre en toute hypothèse aux besoins des
habitants de la zone.»
8 Un décret royal no 1265, du 27 juillet 1934, avait réservé, en vertu de son article
122, la vente des médicaments aux seules pharmacies.
11 Le décret-loi no 223, du 4 juillet 2006, converti en loi par la loi no 248, du 4 août
2006, permettait l’ouverture de parapharmacies, par l’intermédiaire desquelles leurs
propriétaires étaient autorisés à écouler des médicaments relevant de la catégorie C-bis.
Plus récemment, le décret-loi no 201, du 6 décembre 2011, converti en loi par la loi no
214, du 22 décembre 2011, a encore étendu le nombre de médicaments qui peuvent être
vendus par des parapharmacies, lesquelles peuvent ainsi désormais proposer au public
certains médicaments de la catégorie C pour lesquels aucune ordonnance n’est requise.
54
12 Les requérantes au principal ont chacune saisi l’ASL compétente ainsi que les
municipalités concernées, le Ministero della Salute et l’Agenzia Italiana del Farmaco,
d’une demande d’autorisation de distribuer au public des médicaments à usage humain
soumis à prescription médicale mais dont le coût est totalement à la charge du client
ainsi que des médicaments à usage vétérinaire assujettis également à prescription
médicale et dont le coût est également entièrement supporté par le client.
13 Le 17 août 2011, les ASL compétentes ont rejeté les demandes des requérantes au
principal au motif que, sur le fondement de la réglementation nationale en vigueur, la
vente de tels médicaments ne pouvait être réalisée que dans des pharmacies. Des refus
similaires ont été opposés par le Ministero della Salute les 16 et 18 août 2011.
(…)
Sur le fond
55
ressortissants de l’Union européenne, de la liberté d’établissement garantie par le traité
(voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p.
I-9761, point 15, et du 21 avril 2005, Commission/Grèce, C-140/03, Rec. p. I-3177,
point 27).
33 Toutefois, dans les affaires au principal, c’est la seconde option qui s’applique. À
cet égard, il convient de vérifier si constitue une restriction à la liberté d’établissement
une réglementation nationale qui ne permet pas à un pharmacien, ressortissant d’un
autre État membre, titulaire d’une parapharmacie de commercialiser également les
médicaments soumis à prescription médicale, notamment ceux qui ne sont pas à la
charge du service de santé national et sont entièrement payés par l’acheteur.
36 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal
constitue une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.
56
38 Dans les affaires au principal, il convient de constater, en premier lieu, que la
réglementation nationale en cause s’applique sans discrimination tenant à la nationalité.
46 Or, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui prévoit un tel régime de
planification est, en principe, propre à atteindre l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir, en ce sens,
57
arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 94, ainsi que ordonnances précitées
Polisseni, point 25, et Grisoli, point 31).
48 Ainsi que la Cour l’a relevé, en l’absence de toute régulation, les pharmacies
pourraient se concentrer dans les localités jugées attractives, de sorte que certaines
autres localités moins attractives risqueraient de souffrir d’un nombre insuffisant de
pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique sûr et de qualité (arrêt
Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 73).
49 Dans ces circonstances, un État membre peut estimer qu’il existe un risque de
pénurie de pharmacies dans certaines parties de son territoire et, par conséquent, de
défaut d’approvisionnement en médicaments sûr et de qualité et, partant, il peut adopter
un régime de planification des pharmacies (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao
Gómez, précité, point 75).
51 Or, accepter la situation souhaitée par les requérantes au principal, selon laquelle
il serait permis de commercialiser certains médicaments soumis à prescription médicale
dans les parapharmacies, reviendrait à pouvoir commercialiser ces médicaments sans
être subordonnés à l’exigence de planification territoriale. Dès lors, des intéressés
pourraient s’implanter en tout lieu et selon leur propre choix.
52 Ainsi, il n’est pas exclu qu’une telle faculté conduirait à une concentration des
parapharmacies dans les localités jugées les plus rentables et donc les plus attractives,
au risque d’entraîner une diminution de la clientèle des pharmacies dans ces localités et,
dès lors, de priver celles-ci d’une part importante de leurs revenus, et ce d’autant plus
que les pharmacies sont soumises à un certain nombre d’obligations spécifiques dans la
façon de gérer leur activité commerciale.
53 Or, une telle perte de revenus serait, non seulement, susceptible d’engendrer une
diminution de la qualité du service que les pharmacies fournissent au public, mais elle
pourrait même aboutir, le cas échéant, à la fermeture définitive de certaines pharmacies,
conduisant ainsi à une situation de pénurie des pharmacies dans certaines parties du
territoire et, partant, à un défaut d’approvisionnement de médicaments sûr et de qualité.
58
54 Il résulte de ce qui précède que la faculté, visée au point 51 du présent arrêt, aurait
des répercussions négatives sur l’effectivité de l’ensemble du système de planification
des pharmacies et donc sur la stabilité de celui-ci.
60 Par ailleurs, il importe que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence
ou à l’importance de risques pour la santé des personnes, l’État membre puisse prendre
des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité de ces risques soit
pleinement démontrée. En particulier, un État membre peut prendre les mesures qui
réduisent, autant que possible un risque pour la santé, y compris plus précisément un
risque pour l’approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir
arrêts précités Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 30, ainsi que Blanco Pérez
et Chao Gómez, point 74).
59
61 En vertu de la réglementation nationale en cause au principal, la
commercialisation des seuls médicaments soumis à prescription médicale est réservée
aux pharmacies. Or, cette catégorie de médicaments dont la prise et la consommation
par le patient font l’objet d’un contrôle continu de la part d’un médecin et dont les
incidences sur la santé sont en général importantes doit pouvoir être rapidement,
facilement et sûrement accessible.
62 Ainsi, le risque, évoqué au point 53 du présent arrêt, lié à une éventuelle situation
de pénurie des pharmacies et conduisant à l’absence d’un accès rapide et facile aux
médicaments soumis à prescription médicale dans certaines parties du territoire, s’avère
important. Le fait que la mesure libéralisant le régime de planification des pharmacies
se limiterait aux seuls médicaments prescrits qui ne sont pas pris en charge par le
service de santé national et sont entièrement payés par l’acheteur n’est pas susceptible
de réduire l’ampleur d’un tel risque.
63 Dans ces conditions, le système mis en place dans l’État membre en cause au
principal, ne permettant pas la commercialisation dans les parapharmacies également
des médicaments soumis à prescription médicale, notamment ceux qui ne sont pas à la
charge du service national de santé et sont entièrement payés par l’acheteur, dans la
mesure où il réduit substantiellement le risque évoqué au point précédent du présent
arrêt, n’apparaît pas aller au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre l’objectif
visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population qui soit sûr et
de qualité.
60
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une
réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à un
pharmacien, habilité et inscrit à l’ordre professionnel, mais non titulaire d’une
pharmacie incluse dans le tableau, à distribuer au détail, dans la parapharmacie dont il
est titulaire, également les médicaments soumis à prescription médicale qui ne sont pas
à la charge du service national de santé et sont entièrement payés par l’acheteur.
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,
introduite par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 24 avril 2015,
parvenue à la Cour le 8 juin 2015, dans la procédure
contre
État belge,
61
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mai 2016,
rend le présent
Arrêt
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Fernand
Ullens de Schooten à l’État belge au sujet d’une action en responsabilité
extracontractuelle engagée contre ce dernier au motif que les pouvoirs législatif et
judiciaire belges auraient violé le droit de l’Union.
Le cadre juridique
Le droit belge
3 L’arrêté royal n° 143, du 30 décembre 1982, fixant les conditions auxquelles les
laboratoires doivent répondre en vue de l’intervention de l’assurance maladie pour les
prestations de biologie clinique (Moniteur belge du 12 janvier 1983), tel que modifié par
l’article 17 de la loi-programme du 30 décembre 1988 (Moniteur belge du 5 janvier
1989, ci-après l’« arrêté royal n° 143 »), prévoit, aux termes de son article 3, paragraphe
1, que les laboratoires de biologie clinique, pour être agréés par le ministre de la Santé
publique et bénéficier de l’intervention de l’Institut national d’assurance maladie-
invalidité (INAMI), doivent être exploités par les personnes habilitées à effectuer des
prestations de biologie clinique, à savoir les médecins, les pharmaciens ou les licenciés
en sciences chimiques.
62
Le code civil
Par dérogation à l’alinéa 1er, toute action en réparation d’un dommage fondée sur une
responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où
la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité
de la personne responsable.
Les actions visées à l’alinéa 2 se prescrivent en tout cas par vingt ans à partir du jour qui
suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage. »
5 L’article 100 des lois coordonnées sur la comptabilité de l’État, du 17 juillet 1991
(Moniteur belge du 21 août 1991), dans sa version applicable au litige au principal,
disposait :
1° les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le
règlement, ne l’ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de
l’année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées ;
[...] »
« La prescription est interrompue par exploit d’huissier de justice, ainsi que par une
reconnaissance de dette faite par l’État.
63
« L’article 100, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des
lois sur la comptabilité de l’État reste applicable aux créances à charge de l’État fédéral
qui sont nées avant l’entrée en vigueur de la présente loi. »
64
14 Par arrêt du 7 décembre 2000, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) a annulé ce
jugement. Cette juridiction a toutefois condamné M. Ullens de Schooten pour les
mêmes faits à une peine d’emprisonnement de cinq ans, assortie d’un sursis pour la
partie de la peine excédant quatre ans, ainsi qu’à une amende. Les demandes introduites
par les parties civiles ont été déclarées irrecevables ou non fondées.
16 Par arrêt du 14 février 2001, la Cour de cassation (Belgique) a rejeté les pourvois
dirigés contre la condamnation pénale prononcée par la cour d’appel de Bruxelles, a
accueilli les pourvois formés par les parties civiles, et a renvoyé l’affaire devant la cour
d’appel de Mons (Belgique).
19 Saisie de pourvois formés contre cet arrêt, la Cour de cassation les a rejetés par
arrêt du 14 juin 2006.
65
23 Par arrêté ministériel du 24 juillet 2000, le ministre de la Santé publique a rejeté
le recours administratif formé contre cette nouvelle décision.
25 Dans le même temps, saisie d’une plainte déposée par M. Ullens de Schooten, la
Commission a émis à l’encontre du Royaume de Belgique, le 17 juillet 2002, un avis
motivé dans lequel elle estimait que l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 était contraire à
l’article 43 CE.
28 Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a constaté que, dès lors que les rapports
juridiques du laboratoire BIORIM « se situent entièrement au sein de la sphère interne
d’un État membre », ce laboratoire ne saurait se prévaloir des articles 43, 49 et 56 CE.
66
somme de 34 500 000 euros à titre provisionnel en raison de l’impossibilité d’exploiter
le laboratoire BIORIM, ainsi que d’une somme d’un euro provisionnel pour les
honoraires et les frais d’avocat.
67
4) La Cour pourrait-elle confirmer que la question de savoir si la règle de l’autorité
de la chose jugée doit être écartée en cas de décision juridictionnelle ayant acquis force
de chose jugée contraire au droit européen dans le cadre d’une demande de réexamen ou
d’annulation de cette décision n’est pas une question matériellement identique au sens
des arrêts [du 27 mars 1963, Da Costa e.a. (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6) ainsi que du 6
octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335)] à la question de savoir si la règle de
l’autorité de la chose jugée contraire au droit européen dans le cadre d’une demande
d’une (nouvelle) décision qui devrait répéter la violation du droit européen, de sorte que
la juridiction statuant en dernier ressort ne peut échapper à son obligation de renvoi
préjudiciel ? »
(…)
47 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les dispositions du traité FUE en matière
de liberté d’établissement, de libre prestation des services et de libre circulation des
capitaux ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 2014,
Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona, C-139/12, EU:C:2014:174, point 42 et
jurisprudence citée, ainsi que du 30 juin 2016, Admiral Casinos & Entertainment,
C-464/15, EU:C:2016:500, point 21 ainsi que jurisprudence citée).
48 Or, ainsi qu’il ressort tant de la décision de renvoi que de l’arrêt n° 160/2007, du
19 décembre 2007, de la Cour constitutionnelle belge, visé aux points 27 et 28 du
présent arrêt, le litige au principal est caractérisé par des éléments qui se cantonnent tous
à l’intérieur de l’État belge. En effet, M. Ullens de Schooten, ressortissant belge, qui a
68
exploité un laboratoire de biologie clinique situé sur le territoire belge, demande à l’État
belge la réparation des dommages qu’il allègue avoir subis du fait de la prétendue
incompatibilité de la réglementation belge visée au point 3 du présent arrêt avec le droit
de l’Union.
49 Quant au fait pour la Cour d’avoir apprécié, dans l’arrêt du 12 février 1987,
Commission/Belgique (221/85, EU:C:1987:81), portant sur le recours en manquement
introduit par la Commission, le respect par le Royaume de Belgique d’une des libertés
fondamentales prévues par le traité CEE, il ne saurait, à lui seul, permettre de considérer
que cette liberté peut être invoquée par un particulier dans une affaire telle que celle en
cause au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État
membre. En effet, tandis que l’introduction d’un recours en manquement implique que
la Cour vérifie si la mesure nationale contestée par la Commission est, d’une manière
générale, susceptible de dissuader les opérateurs d’autres États membres de faire usage
de la liberté en cause, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle,
est, en revanche, d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret
pendant devant elle, ce qui présuppose qu’il soit établi que ladite liberté est applicable à
ce litige.
69
lorsque le droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier un
ressortissant de l’État membre dont cette juridiction relève des mêmes droits que ceux
qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même
situation (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98,
EU:C:2000:663, point 23 ; du 21 juin 2012, Susisalo e.a., C-84/11, EU:C:2012:374,
point 20, ainsi que du 21 février 2013, Ordine degli Ingegneri di Verona e Provincia
e.a., C-111/12, EU:C:2013:100, point 35).
53 Il en est également ainsi dans les cas où, même si les faits au principal ne relèvent
pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions de ce droit
ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour
les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur
d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts
du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, EU:C:1990:360, points 36, 37 et
41 ; du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28/95, EU:C:1997:369, points 27 et 32, ainsi
que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, EU:C:2013:160, point
20).
54 Cela étant, dans les cas visés aux points 50 à 53 du présent arrêt, la Cour, saisie
par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, ne saurait, sans indication de cette
juridiction autre que le fait que la réglementation nationale en cause est indistinctement
applicable aux ressortissants de l’État membre concerné et aux ressortissants d’autres
États membres, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les
dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales lui est nécessaire à la
solution du litige pendant devant elle. En effet, les éléments concrets permettant
d’établir un lien entre l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et les articles 49, 56 ou 63 TFUE
doivent ressortir de la décision de renvoi.
55 Par conséquent, dans le contexte d’une situation telle que celle en cause au
principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, il
appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige
l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère
purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de
l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend
l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige.
70
57 En l’occurrence, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans le cadre d’un
recours en responsabilité extracontractuelle engagé à l’encontre d’un État membre en
raison d’une violation alléguée du droit de l’Union, un ressortissant de cet État membre
peut tirer des droits des articles 49, 56 ou 63 TFUE, alors même que le litige en cause ne
présente aucun élément de rattachement avec ces dispositions. Toutefois, dès lors que
les circonstances du litige au principal ne présentent aucun élément de cette nature, ces
dispositions, qui visent à protéger les personnes faisant un usage effectif des libertés
fondamentales, ne sont pas susceptibles de conférer des droits à M. Ullens de Schooten
et, partant, le droit de l’Union ne saurait fonder la responsabilité extracontractuelle de
l’État membre concerné.
71