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DROIT DU MARCHE INTÉRIEUR

Année universitaire 2022/2023

Cours de Madame Lamprini Xenou


Travaux dirigés : M. Thomas Caracache

Séance 8
Les limites au champ de la libre circulation

Document 1 : CJCE, 9 août 1994, Lancry, C-363/93, 407/93 à 411/93.....................................2


Document 2 : CJCE, 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98...................................................15
Document 3 : CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et
Gouvernement wallon, C-212/06.........................................................................................23
Document 4 : CJUE, 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09.................................................40
Document 5 : CJUE, 5 décembre 2013, Venturini et autres, C-159/12 à C-161/12.................52
Document 6 : CJUE, 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C-268/15................................60

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Document 1 : CJCE, 9 août 1994, Lancry, C-363/93, 407/93 à 411/93

Mots clés

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1. Libre circulation des marchandises ° Droits de douane ° Taxes d' effet équivalent °
Notion ° Taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises en raison de
leur introduction dans une partie de son territoire ° Inclusion, y compris sous l' aspect
taxation des produits nationaux

(Traité CEE, art. 9, 12 et 13)

2. Libre circulation des marchandises ° Droits de douane ° Taxes d' effet équivalent °
Octroi de mer appliqué dans les départements français d' outre-mer ° Décision du
Conseil autorisant temporairement, après l' entrée en vigueur du traité, le maintien de
cette taxe ° Invalidité ° Effets dans le temps

(Traité CEE, art. 9, 12, 13, 227, § 2, et 235; décision du Conseil 89/688)

Sommaire

1. L' octroi de mer appliqué dans les départements français d' outre-mer et dont le
régime est celui d' une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par
un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son
territoire, constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation,
interdite par les articles 9, 12 et 13 du traité, non seulement en tant qu' elle frappe les
marchandises introduites dans cette région en provenance d' autres États membres, mais
également en tant qu' elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région
en provenance d' une autre partie de ce même État.

En premier lieu, une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l' introduction de
produits dans une région d' un État membre porte atteinte à l' unicité du territoire
douanier communautaire et constitue une entrave au moins aussi grave à la libre
circulation des marchandises qu' une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l'
introduction des produits dans l' ensemble du territoire d' un État membre. L' atteinte
portée à l' unicité du territoire douanier communautaire par l' établissement d' une
frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits nationaux ou des
produits en provenance d' autres États membres qui sont frappés d' une taxe en raison du
franchissement de cette frontière. En second lieu, l' entrave à la libre circulation des
marchandises constituée par l' imposition, sur les produits nationaux, d' une taxe perçue
en raison du franchissement de cette frontière n' est pas moins grave que celle constituée
par la perception du même type de taxe sur les produits en provenance d' un autre État
membre, car le principe même de l' union douanière s' étendant à l' ensemble des
échanges de marchandises, telle qu' elle est prévue par l' article 9 du traité, exige que

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soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l' intérieur de l'
union et non uniquement le commerce interétatique. Ce n' est que parce que l' absence d'
entraves de nature douanière à l' intérieur des États membres était présupposée que les
articles 9 et suivants ne visent expressément que les échanges entre États membres.

Par ailleurs, une taxe qui s' applique à tous les produits franchissant une frontière
régionale, quelle que soit leur origine, ne peut, sans incohérence, être qualifiée de taxe d'
effet équivalent lorsqu' elle est appliquée aux produits en provenance des autres États
membres, mais échapper à cette qualification lorsqu' elle l' est à des produits en
provenance d' une autre partie du territoire national.

Enfin, les procédures administratives de vérification, forcément complexes et longues,


que supposerait une distinction, pour l' application de la taxe, selon l' origine réelle des
produits importés, constitueraient en elles-mêmes des entraves inacceptables à la libre
circulation des marchandises.

2. La décision 89/688 relative au régime de l' octroi de mer dans les départements
français d' outre-mer est invalide en tant qu' elle autorise la République française à
maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime de l' octroi de mer en vigueur lors de l'
adoption de cette décision.

En effet, l' article 227, paragraphe 2, du traité doit être interprété comme excluant toute
possibilité pour le Conseil de déroger à l' application, dès l' entrée en vigueur du traité,
dans les départements d' outre-mer des dispositions, dont notamment celles relatives à la
libre circulation des marchandises, applicables à une taxe d' effet équivalent telle que l'
octroi de mer, mentionnée à son premier alinéa, et l' article 235 du traité ne saurait être
interprété comme permettant au Conseil de déroger, même temporairement, à l'
application immédiate telle que prévue par l' article 227, paragraphe 2, sous peine de
priver l' alinéa premier de ce dernier de son effet utile.

Dans la mesure où l' octroi de mer perçu entre la date d' entrée en application de la
décision 89/688 et le 31 décembre 1992 avait exactement la même nature juridique de
taxe d' effet équivalant à un droit de douane perçu sur le fondement du droit national
que l' octroi de mer perçu avant cette période, la limitation dans le temps décidée par la
Cour à l' égard de ce dernier dans son arrêt du 16 juillet 1992, C-163/90 (Legros e.a.), s'
applique également à des demandes de restitution de montants perçus, à titre d' octroi de
mer, postérieurement à l' entrée en application de ladite décision et jusqu' au 16 juillet
1992, date de prononcé dudit arrêt. En revanche, étant donné que le gouvernement
français ne pouvait, postérieurement à cet arrêt, continuer raisonnablement à estimer que
la législation nationale en la matière était conforme au droit communautaire et que les
intérêts des collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le
temps énoncée dans l' arrêt du 16 juillet 1992, il n' y a pas lieu de limiter dans le temps
les effets de l' arrêt déclarant invalide la décision 89/688.

Parties

3
Dans les affaires jointes C-363/93, C-407/93, C-408/93, C-409/93, C-410/93 et C-
411/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du
traité CEE, par la cour d' appel de Paris et tendant à obtenir, dans le litige pendant
devant cette juridiction entre

René Lancry SA

et

Direction générale des douanes,

et des demandes adressées à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le
tribunal d' instance de Saint-Denis (Réunion) et tendant à obtenir, dans les litiges
pendants devant cette juridiction entre

Dindar Confort SA

et

Conseil régional de la Réunion,

Direction régionale des douanes de la Réunion,

et entre

Christian Ah-Son

et

Direction régionale des douanes de la Réunion,

Conseil régional de la Réunion,

et entre

Paul Chevassus-Marche

et

Direction régionale des douanes de la Réunion,

Conseil régional de la Réunion,

4
et entre

Conforéunion SA

et

Conseil régional de la Réunion,

Direction régionale des douanes de la Réunion,

et entre

Dindar Autos SA

et

Conseil régional de la Réunion,

Direction régionale des douanes de la Réunion,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 9 et suivants du traité
CEE, et sur la validité de l' article 4 de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22
décembre 1989, relative au régime de l' octroi de mer dans les départements français d'
outre-mer (JO L 399, p. 46),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, M.


Diez de Velasco et D. A. O. Edward (rapporteur), présidents de chambre, C. N.
Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M.
Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. G. Tesauro,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour René Lancry SA, par Mes Christian Charrière-Bournazel, Philippe Champetier
de Ribes et Jean-Pierre Spitzer, avocats à la cour de Paris, et Me Pascal Dubois, avocat
au barreau de Limoges,

° pour les sociétés Dindar Confort, Conforéunion et Dindar Autos, par Mes Jean-Claude
Bouchard, Charles-Étienne Gudin et Thierry Vialaneix, avocats au barreau des Hauts-
de-Seine,

5
° pour le gouvernement français, par M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des affaires
étrangères, et Mme Catherine de Salins, conseiller des affaires étrangères, en qualité d'
agents,

° pour le gouvernement espagnol, par M. Alberto José Navarro González, directeur


général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Rosario
Silva de Lapuerta, abogado del Estado, du service du contentieux communautaire, en
qualité d' agents,

° pour le Conseil de l' Union européenne, par M. Ramon Torrent, directeur au service
juridique, et Mme Cristina Giorgi, conseiller audit service juridique, en qualité d' agents,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes Blanca Rodriguez


Galindo, membre du service juridique, et Virginia Melgar, fonctionnaire national mis à
la disposition du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de René Lancry SA, représentée par Mes Christian
Charrière-Bournazel, Jean-Pierre Spitzer, et Pascal Dubois, avocats, des sociétés Dindar
Confort, Conforéunion et Dindar Autos, représentées par Mes Jean-Claude Bouchard,
Charles-Étienne Gudin et Thierry Vialaneix, avocats, de la Région Réunion, représentée
par Me Pierre Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg, du gouvernement
espagnol, représenté par Mme Rosario Silva de Lapuerta, en qualité d' agent, du Conseil
de l' Union européenne, représenté par M. Ramon Torrent, en qualité d' agent, et de la
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Virginia Melgar, en
qualité d' agent, à l' audience du 27 avril 1994,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 28 juin 1994,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par arrêt du 7 juillet 1993, parvenu à la Cour le 26 juillet 1993, la cour d' appel de
Paris a posé, en application de l' article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur
la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au
régime de l' octroi de mer dans les départements français d' outre-mer (JO L 399, p. 46,
ci-après la "décision octroi de mer"). Par jugements du 23 août 1993, parvenus à la Cour
le 1er octobre 1993, le tribunal d' instance de Saint-Denis (Réunion) a posé, en
application de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'
interprétation des articles 9 et suivants du traité CEE et sur la validité de la décision
octroi de mer.

6
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de plusieurs demandes de
remboursement de sommes perçues à titre d' octroi de mer.

3 Il ressort du dossier que, lors de l' entrée en vigueur du traité, l' octroi de mer était
perçu dans les départements français d' outre-mer (ci-après les "DOM"). Il frappait, du
fait de leur introduction dans le DOM concerné, toutes les marchandises de toute
origine, y compris celles provenant de France métropolitaine. En revanche, les produits
de la région échappaient à l' octroi de mer ou à toute taxe équivalente interne. Il est
constant que l' octroi de mer poursuivait deux objectifs, le premier étant de percevoir
des recettes fiscales et le second de favoriser les activités économiques locales.

4 L' octroi de mer ayant fait l' objet d' un certain nombre de plaintes, la Commission a,
en 1984, ouvert une procédure d' infraction à l' encontre de la République française. Elle
a, plus tard, décidé de suspendre cette procédure, préférant rechercher une solution
politique, dans le cadre de laquelle le Conseil a adopté deux décisions sur la base des
articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité.

5 La première décision est la décision 89/687/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989,


instituant un programme d' options spécifiques à l' éloignement et à l' insularité des
départements français d' outre-mer (Poséidom) (JO L 399, p. 39, ci-après la "décision
Poséidom"). Dans les deuxième et quatrième considérants de cette décision, il est relevé
notamment que les DOM subissent un retard structurel important aggravé par plusieurs
phénomènes, ce qui rend nécessaire le renforcement du soutien de la Communauté en
vue de promouvoir leur développement économique et social.

6 La seconde décision est la décision octroi de mer, qui met en oeuvre le volet fiscal de
la décision Poséidom. L' article 1er de la décision octroi de mer prévoit que les autorités
françaises prennent, le 31 décembre 1992 au plus tard, les mesures nécessaires pour que
le régime de l' octroi de mer actuellement en vigueur dans les DOM soit applicable
indistinctement aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions. Son
article 4 dispose que la République française est autorisée à maintenir, jusqu' au 31
décembre 1992 au plus tard, le régime actuel de l' octroi de mer, à condition que tout
projet d' extension de la liste des produits soumis à l' octroi de mer ou d' augmentation
de ses taux soit notifié à la Commission, qui pourra s' y opposer dans un délai de deux
mois.

7 Dans l' affaire Legros e.a. (arrêt du 16 juillet 1992, C-163/90, Rec. p. I-4625), la Cour
avait été saisie de plusieurs questions préjudicielles portant sur l' interprétation du traité,
au regard d' une taxe ayant les caractéristiques de l' octroi de mer. Dans cet arrêt, la
Cour a dit pour droit qu' une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue
par un État membre sur les marchandises importées d' un autre État membre en raison
de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une
taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, en dépit du fait que la taxe
frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d' une

7
autre partie de ce même État. La Cour a toutefois limité les effets dans le temps de cet
arrêt.

8 Dans l' affaire Legros e.a., les faits étaient antérieurs à la date d' entrée en vigueur des
décisions Poséidom et octroi de mer. La Cour ne s' est dès lors prononcée ni sur leur
interprétation ni sur leur validité.

Sur les faits de l' affaire C-363/93, Lancry

9 La Martinique ne produit pas de farine. Ce produit a donc toujours été importé de


France métropolitaine, d' autres pays de la Communauté ou des États-Unis. En 1974, un
octroi de mer portant sur la farine a été introduit en Martinique.

10 La société René Lancry SA (ci-après "Lancry"), qui commercialise en Martinique


des farines, provenant notamment de France métropolitaine, a poursuivi plusieurs
actions en justice. Par jugements des 2 avril 1985 et 25 avril 1989 du tribunal
administratif de Fort-de-France, confirmés par l' arrêt du 2 avril 1993 du Conseil d' État
français, Lancry a obtenu l' annulation des délibérations fixant le taux de l' octroi de mer
à 25 % et plus tard à 20 %. En vertu de ces jugements, elle a obtenu le remboursement
de la différence entre le taux annulé et le taux antérieur de 15 %. Lancry a ensuite saisi
le tribunal d' instance de Fort-de-France afin d' obtenir le remboursement de toutes les
sommes versées par elle, au titre de l' octroi de mer, durant la même période.

11 Lancry a également saisi le tribunal d' instance du 7e arrondissement de Paris d' une
demande en paiement de dommages et intérêts contre la direction générale des douanes,
du fait de la perception de l' octroi de mer sur l' introduction de farines en Martinique.
Ayant été déboutée de sa demande, Lancry a fait appel.

12 Dans son arrêt du 7 juillet 1993, la cour d' appel de Paris a déduit de l' arrêt Legros
e.a., précité, que, dans son régime antérieur à la date d' adoption de la décision octroi de
mer, à savoir le 22 décembre 1989, l' octroi de mer perçu sur les farines
commercialisées par Lancry depuis 1974 était une taxe d' effet équivalant à un droit de
douane contraire au traité de Rome. Elle a donc condamné le défendeur à restituer à
Lancry l' octroi de mer versé par cette société sur la commercialisation de farines depuis
1974 jusqu' au 22 décembre 1989.

13 La cour d' appel a toutefois observé que la Cour ne s' était pas prononcée sur la
validité de la décision octroi de mer et elle l' a donc saisie de la question préjudicielle
suivante:

"Par la décision du 22 décembre 1989 relative au régime de l' octroi de mer dans les
départements français d' outre-mer (89/688/CEE), prise par application des articles 227,
paragraphe 2, et 235 du traité instituant la Communauté économique européenne, le
Conseil des Communautés européennes a-t-il valablement autorisé la République
française à maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime actuel de l' octroi de mer

8
qui, aux termes de l' arrêt préjudiciel de la Cour de justice des Communautés du 16
juillet 1992, constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane?"

Sur les faits des affaires C-407/93 à C-411/93, Dindar Confort, Ah-Son, Chevassus-
Marche, Conforéunion et Dindar Autos

14 Par acte du 26 janvier 1993, la société Dindar Confort a saisi le tribunal d' instance
de Saint-Denis d' une demande de remboursement avec intérêts de certaines sommes qu'
elle avait versées à titre d' octroi de mer. Ces sommes avaient été perçues sur des
importations effectuées postérieurement à l' arrêt Legros e.a.

15 Par acte du 21 décembre 1992, M. Christian Ah-Son a saisi ce même tribunal d' une
demande de restitution d' une somme acquittée en novembre 1992, représentant le
montant d' une taxe d' octroi de mer qui lui avait été imposée à la suite de l' entrée sur le
territoire de la Réunion d' un véhicule fabriqué en République fédérale d' Allemagne et
acquis par lui en France métropolitaine.

16 Par actes des 11 et 12 février 1993, M. Paul Chevassus-Marche a saisi ce même


tribunal d' une demande de remboursement d' une taxe d' octroi de mer acquittée le 3
décembre 1992 et perçue sur une livraison de bière en provenance de France
métropolitaine.

17 Par acte du 10 mars 1993, la société Conforéunion a saisi ce même tribunal d' une
demande de remboursement d' une somme, versée par elle à titre d' octroi de mer,
perçue sur des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion en novembre
1992. Certaines de ces marchandises provenaient d' autres régions de France, certaines
d' autres États membres de la Communauté et d' autres, enfin, directement de pays tiers.

18 Par actes des 26 janvier et 23 février 1993, la société Dindar Autos a saisi ce même
tribunal de demandes de remboursement de certaines sommes correspondant au
paiement de la taxe d' octroi de mer pour des marchandises introduites sur le territoire
de la Réunion entre juillet et décembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient
d' autres régions de France, certaines d' autres États membres de la Communauté et d'
autres, enfin, directement de pays tiers.

19 Saisi de ces litiges, le tribunal d' instance de Saint-Denis a sursis à statuer et posé à la
Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les dispositions des articles 9 et suivants du traité CEE, en ce qu' elles fondent un
principe d' unicité du territoire douanier communautaire, doivent-elles être interprétées
comme prohibant la perception par un État membre d' une taxe proportionnelle à la
valeur en douane des biens, sur des marchandises en provenance d' autres régions de ce
même État, du seul fait de leur introduction dans une région de l' État, étant précisé qu'
en tant qu' elle frappait également les marchandises introduites dans cette région en
provenance d' autres États membres, cette taxe a été jugée comme constituant une taxe
d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation?

9
2) L' article 4 de la décision du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre
1989 (89/688/CEE), en ce qu' il autorise la République française 'à maintenir jusqu' au
31 décembre 1992 au plus tard le régime actuel de l' octroi de mer' , dans les conditions
qu' il énonce, a-t-il été valablement pris, alors que l' octroi de mer résultant du régime
alors en cours constituait une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l'
importation, et alors qu' il résulte de l' article 227, paragraphe 2, premier alinéa, du traité
que les dispositions du traité mentionnées dans ce premier alinéa, parmi lesquelles celles
relatives à la libre circulation des marchandises, ont été applicables dans les DOM dès l'
entrée en vigueur du traité?"

20 Par ordonnance du 19 octobre 1993, prise en application de l' article 43 du règlement


de procédure de la Cour, les affaires C-407/93, C-408/93, C-409/93, C-410/93 et C-
411/93 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l' arrêt. Par
ordonnance du 8 avril 1994, prise en application de ce même article, l' affaire C-363/93
a été jointe à ces affaires jointes, aux fins de la procédure orale et de l' arrêt.

21 Il convient d' examiner, d' abord, la question de savoir si une taxe telle que l' octroi
de mer constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane, en tant qu' elle frappe
les marchandises en provenance du même État membre et, ensuite, la validité de la
décision octroi de mer, en tant qu' elle autorise le maintien en vigueur de cette taxe
jusqu' au 31 décembre 1992.

Sur l' interprétation des articles 9 et suivants du traité (première question préjudicielle
du tribunal d' instance de Saint-Denis)

22 Par sa première question préjudicielle, le tribunal d' instance de Saint-Denis demande


si une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre
sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une
taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation en tant qu' elle frappe les
marchandises introduites dans cette région en provenance d' une autre partie de ce même
État.

23 Le Conseil estime que, dans la mesure où le régime de l' octroi de mer est applicable
aux marchandises en provenance d' autres parties du territoire français, la situation est
totalement cantonnée à l' intérieur de cet État membre et que, dès lors, les dispositions
de droit primaire qui imposent aux États membres certaines interdictions pour ce qui
concerne les relations entre eux ne sont pas applicables. Plus particulièrement, selon le
gouvernement espagnol, le fait que le commerce intracommunautaire soit affecté est un
élément essentiel pour l' application des dispositions du traité sur la libre circulation des
marchandises, de sorte que les articles 9 et suivants du traité ne s' appliquent pas quand
les marchandises en question circulent entre deux points du territoire d' un seul État
membre.

24 Cet argument ne saurait être retenu.

10
25 En effet, en premier lieu, il est de jurisprudence constante que la justification de l'
interdiction de droits de douane et de taxes d' effet équivalent réside dans l' entrave que
des charges pécuniaires, appliquées en raison du franchissement d' une frontière,
constituent pour la circulation des marchandises (voir notamment arrêt du 1er juillet
1969, Sociaal Fonds Diamentarbeiders, 2/69 et 3/69, Rec. p. 211, point 14).

26 Dans l' arrêt Legros e.a., précité, la Cour a relevé (point 16) qu' une taxe perçue à une
frontière régionale en raison de l' introduction de produits dans une région d' un État
membre porte atteinte à l' unicité du territoire douanier communautaire et constitue une
entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu' une taxe perçue
à la frontière nationale en raison de l' introduction des produits dans l' ensemble du
territoire d' un État membre.

27 Or, l' atteinte portée à l' unicité du territoire douanier communautaire par l'
établissement d' une frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits
nationaux ou des produits en provenance d' autres États membres qui sont frappés d' une
taxe en raison du franchissement de cette frontière.

28 En outre, l' entrave à la libre circulation des marchandises constituée par l'
imposition, sur les produits nationaux, d' une taxe perçue en raison du franchissement de
cette frontière n' est pas moins grave que celle constituée par la perception du même
type de taxe sur les produits en provenance d' un autre État membre.

29 En effet, le principe même de l' union douanière s' étendant à l' ensemble des
échanges de marchandises, telle qu' elle est prévue par l' article 9 du traité, exige que
soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l' intérieur de l'
union et non uniquement le commerce interétatique. Si les articles 9 et suivants ne
visent expressément que les échanges entre États membres, c' est parce qu' ils ont
présupposé l' inexistence de taxes présentant les caractéristiques d' un droit de douane à
l' intérieur de ces États. L' absence de telles taxes étant une condition préalable
indispensable à la réalisation d' une union douanière couvrant l' ensemble des échanges
de marchandises, les articles 9 et suivants impliquent également leur interdiction.

30 En deuxième lieu, le problème ne se présente pas comme une situation dont les
éléments sont totalement cantonnés à l' intérieur d' un État membre. En effet, ainsi que
le gouvernement français l' a fait remarquer à juste titre, la perception d' une taxe ayant
les caractéristiques de l' octroi de mer ne pourrait être qualifiée de situation purement
interne que si elle était exclusivement perçue sur des produits en provenance du même
État membre. Or, il est constant que l' octroi de mer s' applique à tous les produits
introduits dans le DOM concerné, indépendamment de leur origine. Dans ces
circonstances, il serait incohérent de juger, d' une part, que l' octroi de mer constitue une
taxe d' effet équivalent en tant qu' il est perçu sur les marchandises en provenance d'
autres États membres, et d' admettre, d' autre part, que cette même taxe ne constitue pas
une taxe d' effet équivalent lorsqu' elle est perçue sur des marchandises en provenance
de la France métropolitaine.

11
31 Enfin, sur un plan pratique, puisqu' une taxe telle que l' octroi de mer frappe tous les
produits indistinctement, il serait très difficile, voire impossible, d' opérer une
distinction entre les produits d' origine nationale et les produits originaires d' autres
États membres. Par exemple, un produit qui comporterait des éléments en provenance d'
un autre État mais qui serait fabriqué sur le territoire national, ou un produit qui serait
importé sur le territoire national et, plus tard, acheminé dans un DOM, ne devrait pas
être qualifié de produit national. Cela entraînerait la nécessité de déterminer dans
chaque cas, même dans celui de livraisons de produits en provenance du même État, si
ceux-ci ne seraient pas en réalité originaires d' un autre État membre de la Communauté.
Une telle procédure de vérification engendrerait des procédures administratives et des
retards supplémentaires qui en soi constitueraient des entraves à la libre circulation des
marchandises.

32 Il convient, dès lors, de répondre à la première question du tribunal d' instance de


Saint-Denis qu' une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un
État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire,
constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, non
seulement en tant qu' elle frappe les marchandises introduites dans cette région en
provenance d' autres États membres, mais également en tant qu' elle est perçue sur les
marchandises introduites dans cette région en provenance d' une autre partie de ce même
État.

Sur la validité de la décision octroi de mer (question de la cour d' appel de Paris et
seconde question du tribunal d' instance de Saint-Denis)

33 La cour d' appel de Paris, par sa question, et le tribunal d' instance de Saint-Denis,
par sa seconde question, demandent si la décision octroi de mer est valide en tant qu'
elle autorise la République française à maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime
de l' octroi de mer en vigueur lors de l' adoption de cette décision.

34 Les gouvernements espagnol et français, le Conseil et la Commission font valoir que,


se fondant sur la double base des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité, le Conseil
a pu valablement autoriser la République française à maintenir la taxe en question jusqu'
au 31 décembre 1992.

35 Il convient, tout d' abord, de rappeler le libellé de l' article 227, paragraphe 2, du
traité:

"2. En ce qui concerne l' Algérie et les départements français d' outre-mer, les
dispositions particulières et générales du présent traité relatives:

° à la libre circulation des marchandises,

° à l' agriculture, à l' exception de l' article 40 paragraphe 4,

° à la libération des services,

12
° aux règles de concurrence,

° aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 108, 109 et 226,

° aux institutions,

sont applicables dès l' entrée en vigueur du présent traité.

Les conditions d' application des autres dispositions du présent traité seront déterminées
au plus tard deux ans après son entrée en vigueur, par des décisions du Conseil statuant
à l' unanimité sur proposition de la Commission.

Les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par
le présent traité et notamment de l' article 226, à permettre le développement
économique et social de ces régions."

36 Selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 10 octobre 1978, Hansen, 148/77,


Rec. p. 1787, et arrêt Legros e.a., précité, point 8), il résulte de cet article que les
dispositions du traité mentionnées explicitement au paragraphe 2, premier alinéa, ont été
applicables dans les DOM dès l' entrée en vigueur du traité, alors que pour les autres
dispositions, il est possible de prévoir ultérieurement, même après le délai de deux ans
mentionné au deuxième alinéa, des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins
de ces territoires.

37 L' article 227, paragraphe 2, en autorisant explicitement le Conseil à déterminer les


conditions d' application uniquement des dispositions du traité qui ne sont pas
énumérées au premier alinéa, exclut la possibilité de déroger à l' application dans les
DOM des dispositions qui y sont mentionnées, y compris celles relatives à la libre
circulation des marchandises. Interpréter l' article 235 du traité en ce sens qu' il permet
au Conseil de suspendre, ne serait-ce qu' à titre temporaire, l' application dans les DOM
des articles 9, 12 et 13 du traité méconnaîtrait la distinction fondamentale établie par l'
article 227, paragraphe 2, et priverait d' effet utile son premier alinéa.

38 Il s' ensuit que le Conseil n' a pas pu valablement, dans la décision octroi de mer,
autoriser la France à maintenir en vigueur une taxe telle que l' octroi de mer, laquelle
constitue une taxe d' effet équivalant à un droit de douane et relève, dès lors, des
dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

39 Il convient, dès lors, de répondre aux juridictions de renvoi que la décision octroi de
mer est invalide en tant qu' elle autorise la République française à maintenir, jusqu' au
31 décembre 1992, le régime de l' octroi de mer en vigueur lors de l' adoption de cette
décision.

Sur les effets dans le temps du présent arrêt

13
40 Le gouvernement français, soutenu par la région Réunion, demande à la Cour, dans l'
hypothèse où elle déclarerait invalide la décision octroi de mer, de limiter dans le temps
les effets de l' arrêt, comme elle l' a fait dans l' arrêt Legros e.a., précité. Le
gouvernement français estime en effet que les conditions fixées par la Cour pour une
telle limitation, à savoir, en premier lieu, le risque de répercussion économique grave et,
en second lieu, une incertitude quant à la portée des dispositions communautaires, sont
remplies en l' espèce. Quant à la première condition, les conséquences financières d' un
arrêt déclarant invalide la décision octroi de mer seraient difficilement supportables par
les collectivités locales bénéficiaires de l' octroi de mer puisque, selon le gouvernement
français, la limitation à laquelle la Cour a accepté de recourir dans l' arrêt Legros e.a. ne
porte que sur l' octroi de mer perçu sur le seul fondement du droit national et ne s'
applique pas aux sommes perçues sur le fondement de l' article 4 de la décision octroi de
mer, après le 22 décembre 1989, date d' adoption de cette décision. Quant à la seconde
condition, le gouvernement français rappelle que la Cour a jugé, dans l' affaire Legros
e.a., que les particularités de l' octroi de mer et les spécificités des DOM ont créé un état
d' incertitude quant à la légitimité de cette taxe au regard du droit communautaire,
incertitude qui, selon le gouvernement français, paraissait avoir été levée par la décision
octroi de mer.

41 Cette argumentation ne saurait être retenue.

42 En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que la Cour déclare invalide dans le
présent arrêt la décision octroi de mer, en tant qu' elle autorise la République française à
maintenir en vigueur le régime de l' octroi de mer jusqu' au 31 décembre 1992. Il s'
ensuit que l' octroi de mer perçu, entre la date d' entrée en application de la décision du
22 décembre 1989 et le 31 décembre 1992, avait exactement la même nature juridique
que l' octroi de mer perçu avant cette période, à savoir celle d' une taxe d' effet
équivalant à un droit de douane perçu sur le fondement du droit national.

43 Il en découle que la limitation dans le temps décidée dans l' arrêt Legros e.a. s'
applique également à des demandes de restitution de montants perçus, à titre d' octroi de
mer, postérieurement à l' entrée en application de la décision du 22 décembre 1989 et
jusqu' au 16 juillet 1992, date de prononcé de cet arrêt.

44 En second lieu, il convient de rappeler que, dans ses conclusions du 21 octobre 1991
et du 20 mai 1992, l' avocat général M. Jacobs avait fait très clairement état de son
opinion selon laquelle la décision octroi de mer était invalide en tant qu' elle autorisait le
maintien du régime de l' octroi de mer en vigueur lors de son adoption. Il est vrai que,
dans l' arrêt Legros e.a., la Cour ne s' est pas prononcée sur la validité de la décision
octroi de mer. Toutefois, lors de l' audience dans l' affaire Legros e.a. tenue le 31 mars
1992, le gouvernement français a fait valoir notamment que la Cour n' était pas appelée,
dans le cadre de ce renvoi préjudiciel, à se prononcer sur la validité de cette décision. La
République française ne pouvait donc pas raisonnablement déduire du silence de la
Cour sur ce sujet que la décision octroi de mer l' autorisait valablement à maintenir,
après le 22 décembre 1989, le régime de l' octroi de mer alors en vigueur.

14
45 Il en résulte que le gouvernement français ne pouvait pas, après le 16 juillet 1992,
date de l' arrêt Legros e.a., continuer raisonnablement à estimer que la législation
nationale en la matière était conforme au droit communautaire. En outre, les intérêts des
collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le temps énoncée
dans l' arrêt Legros e.a. Il n' y a pas lieu dès lors de limiter dans le temps les effets du
présent arrêt.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

46 Les frais exposés par les gouvernements espagnol et français, par le Conseil de l'
Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis
des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure
revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant les
juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la cour d' appel de Paris, par arrêt du 7
juillet 1993, et par le tribunal d' instance de Saint-Denis, par jugements du 23 août 1993,
dit pour droit:

1) Une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre
sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une
taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, non seulement en tant qu'
elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d' autres États
membres, mais également en tant qu' elle est perçue sur les marchandises introduites
dans cette région en provenance d' une autre partie de ce même État.

2) La décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'


octroi de mer dans les départements français d' outre-mer est invalide en tant qu' elle
autorise la République française à maintenir, jusqu' au 31 décembre 1992, le régime de l'
octroi de mer en vigueur lors de l' adoption de cette décision.

Document 2 : CJCE, 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98

ARRÊT DE LA COUR

5 décembre 2000 (1)

15
«Mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative - Situation purement interne -
Fabrication et commercialisation de fromage emmenthal sans croûte»

Dans l'affaire C-448/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité
CE (devenu article 234 CE), par le tribunal de police de Belley (France) et tendant à
obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Jean-Pierre Guimont,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 3, sous a), du traité CE
[devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi que de l'article
30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann (rapporteur), M.


Wathelet et V. Skouris, présidents de chambre, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, P.
Jann, L. Sevón et R. Schintgen, juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Guimont, par Me A. Lestourneaud, avocat au barreau de Thonon-les-Bains


et des Pays de Léman,

- pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la


direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et C. Vasak,
secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, chef de division au ministère des


Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing, Ministerialrat au


ministère fédéral des Finances, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même
ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, chef du service de droit


européen au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

16
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Stix-Hackl, Gesandte au ministère des
Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. H. van Lier,


conseiller juridique, et O. Couvert-Castéra, fonctionnaire national mis à la disposition
du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Guimont, du gouvernement français, du


gouvernement danois et de la Commission à l'audience du 11 janvier 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 mars 2000,

rend le présent

Arrêt
1.
Par jugement du 24 novembre 1998, parvenu à la Cour le 9 décembre suivant, le
tribunal de police de Belley a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu
article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 3, sous
a), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi
que de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles
suivants.
2.
Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée à
l'encontre de M. Guimont du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une
denrée alimentaire, en l'occurrence de l'emmenthal, à l'étiquetage trompeur.
Les règles nationales en cause

3.
L'article 3, premier alinéa, du décret français n° 84-1147, du 7 décembre 1984,
portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière
de produits ou de services (ci-après le «décret de 1984»), dispose:
«L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature
à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les
caractéristiques de la denrée alimentaire et plus particulièrement sur la nature, l'identité,
les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, la conservation, l'origine ou la
provenance, le mode de fabrication ou d'obtention.»

4.
Les «caractéristiques de la denrée alimentaire» dénommée «emmenthal» au sens de la
réglementation française sont définies par l'article 6 et l'annexe du décret n° 88-1206, du
30 décembre 1988, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et

17
falsifications en matière de produits ou de services et de la loi du 2 juillet 1935 tendant à
l'organisation et à l'assainissement du marché du lait en ce qui concerne les fromages
(JORF du 31 décembre 1988, p. 16753, ci-après le «décret de 1988»). L'article 6 du
décret de 1988 édicte que «les dénominations énumérées à l'annexe sont réservées aux
fromages répondant aux prescriptions relatives à la fabrication et à la composition qui
sont décrites dans ladite annexe». Dans cette annexe, l'emmenthal est décrit comme un
produit présentant les caractéristiques suivantes: «pâte ferme, cuite, pressée et salée en
surface ou en saumure; de couleur ivoire à jaune pâle, présentant des ouvertures de
dimensions allant de la grosseur d'une cerise à celle d'une noix; croûte dure et sèche, de
couleur jaune doré à brun clair».
Les faits et la procédure devant le juge national

5.
Par ordonnance du 6 janvier 1998, M. Guimont a été condamné au paiement de 260
amendes de 20 FRF chacune, du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une
denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur, en l'occurrence de l'emmenthal, ce qui
constitue une infraction prévue et réprimée par l'article 3, premier alinéa, du décret de
1984.
6.
Lors d'une audience au cours de laquelle le tribunal de police de Belley a examiné
l'opposition formée par M. Guimont contre ladite ordonnance, il a été rappelé qu'un
contrôle avait été opéré le 5 mars 1996 par la direction départementale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du département du
Vaucluse au sein d'une société spécialisée dans le découpage et le conditionnement de
fromages préemballés sous film plastique destinés plus particulièrement à la grande
distribution. Au cours de ce contrôle, ont été découvertes 260 meules d'emmenthal
provenant de la société «laiterie d'Argis», dont M. Guimont est le directeur technique.
7.
Lors du contrôle évoqué au point précédent, la direction départementale a constaté
l'absence totale de croûte dans les meules examinées, ce qui contrevenait aux
dispositions de l'article 6 et de l'annexe du décret de 1988.
8.
M. Guimont a soutenu, notamment, pour sa défense devant la juridiction de renvoi
que l'article 6 du décret de 1988 est incompatible avec les dispositions des articles 3,
sous a), 30 et suivants du traité.
9.
Il a rappelé devant la juridiction de renvoi que l'appellation «emmenthal» est
générique et qu'elle est largement utilisée dans plusieurs pays de l'Union européenne
sans aucune condition liée à la présence d'une croûte. Il a fait valoir que le décret de
1988, en réservant la dénomination «emmenthal» aux seuls fromages présentant une
«croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair», institue une restriction
quantitative aux échanges intracommunautaires ou une mesure d'effet équivalent.
10.
Dans son jugement de renvoi, le tribunal de police de Belley a notamment formulé les
considérations suivantes:

18
- le prévenu ne peut être retenu dans les liens de la prévention que dans la mesure où
le décret de 1988 ne contrevient pas aux normes supranationales;

- M. Guimont a démontré, par les pièces produites, que de l'emmenthal sans croûte est
fabriqué ou commercialisé dans d'autres pays de la Communauté européenne;

- le Codex alimentarius de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et


l'agriculture et de l'Organisation mondiale de la santé contient une norme qui fait
référence à la consommation d'emmenthal sans croûte;

- la disparité des réglementations nationales et, en particulier, la position restrictive


adoptée par la réglementation française par rapport à d'autresréglementations
européennes sont susceptibles d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou
potentiellement, le commerce intracommunautaire, alors qu'aucun droit à protection de
l'appellation générique dite «emmenthal» n'est reconnu par la réglementation
communautaire;

- une telle discrimination ne paraît justifiée par aucun des motifs que l'article 36 du
traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) autorise à invoquer.

11.
Dans ces circonstances, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de
poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 3.a, 30 et suivants du traité instituant la Communauté européenne modifié
doivent-ils être interprétés de telle sorte que la réglementation française résultant du
décret n° 88-1206 du 30 décembre 1988 qui prohibe la fabrication et la
commercialisation en France d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination
'emmenthal‘ devrait être considérée comme constituant une restriction quantitative ou
une mesure d'effet équivalent aux échanges intracommunautaires?»

Observations liminaires

12.
Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 3 du traité détermine les
domaines et les objectifs sur lesquels doit porter l'action de la Communauté. Cet article
énonce ainsi les principes généraux du marché intérieur, qui sont appliqués en
combinaison avec les chapitres respectifs du traité destinés à les mettre en oeuvre (voir
arrêt du 14 juillet 1998, Bettati, C-341/95, Rec. p. I-4355, point 75). L'objectif général
inscrit dans l'article 3, sous a), du traité a été explicité par les dispositions de ses articles
30 et suivants. Dans ces conditions, la référence faite dans la question préjudicielle à
l'article 3, sous a), du traité n'appelle pas de réponse distincte de celle qui sera faite au
sujet de l'interprétation des articles 30 et suivants du traité.
13.
Il convient, en second lieu, d'examiner l'argumentation du gouvernement français
selon laquelle l'article 30 du traité n'est pas applicable dans un cas tel que celui de
l'espèce au principal.

19
14.
D'une part, le gouvernement français fait valoir que cette inapplicabilité découle déjà
du fait que la règle dont la violation est reprochée à M. Guimont n'est pas, dans la
pratique, appliquée aux produits importés. Ladite règle serait destinée à créer des
obligations exclusivement pour les producteurs nationaux et ne concernerait donc
aucunement le commerce intracommunautaire. Or, il découlerait de la jurisprudence de
la Cour et spécialement de l'arrêt du 18 février 1987, Mathot (98/86, Rec. p. 809, points
8 et 9), que l'article 30 du traité ne vise à protéger que le commerce intracommunautaire.
15.
ÀÀ cet égard, il convient de rappeler que l'article 30 du traité vise toute
réglementation des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement,
actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir arrêt du 11
juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5). En revanche, cet article n'a pas
pour objet d'assurer que les marchandises d'origine nationale bénéficient, dans tous les
cas, du même traitement que les marchandises importées et qu'une différence de
traitement entre marchandises qui n'est pas susceptible d'entraver l'importation ou de
défavoriser la commercialisation des marchandises importées ne relève pas de
l'interdiction établie par cet article (voir arrêt Mathot, précité, points 7 et 8).
16.
Or, pour ce qui concerne la règle nationale en cause dans l'affaire au principal, le
gouvernement français ne conteste pas qu'elle est, selon son libellé, indistinctement
applicable aux produits français et aux produits importés.
17.
Dès lors, cet argument du gouvernement français ne peut être accueilli. En effet, le
seul fait qu'une règle n'est pas appliquée dans la pratique aux produits importés n'exclut
pas qu'elle puisse avoir des effets entravant indirectement et potentiellement le
commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 1998,
Commission/France, C-184/96, Rec. p. I-6197, point 17).
18.
D'autre part, le gouvernement français, soutenu en cela par le gouvernement danois,
fait valoir que, dans le cas particulier de l'espèce au principal, la règle en cause n'est pas
constitutive d'une entrave, même indirecte ou potentielle, aux échanges
intracommunautaires au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, selon ces
gouvernements, les faits à l'origine du renvoi préjudiciel devant la Cour auraient trait à
une situation purement interne, le prévenu étant de nationalité française et le produit en
cause étant entièrement fabriqué sur le territoire français.
19.
M. Guimont, les gouvernements allemand, néerlandais et autrichien ainsi que la
Commission relèvent que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 30 du traité ne peut
pas être écarté pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction
nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre (voir arrêt
du 7 mai 1997, Pistre e.a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, point 44).
20.
À cet égard, il y a lieu d'observer que l'arrêt Pistre e.a., précité, concernait une
situation où la règle nationale en cause n'était pas indistinctement applicable mais créait

20
une discrimination directe à l'encontre des marchandises importées d'autres États
membres.
21.
S'agissant d'une règle telle que celle en cause au principal, qui est, selon son libellé,
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et qui vise à
imposer aux producteurs certaines conditions de production afin de leur permettre de
commercialiser leurs produits sous une certaine dénomination, il découle de la
jurisprudence de la Cour qu'une telle règle ne relève de l'article 30 du traité que dans la
mesure où elle trouve à s'appliquer à des situations ayant un lien de rattachement avec
l'importation de marchandises dans le commerce intracommunautaire (voir arrêtsdu 15
décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9, et
Mathot, précité, points 3 et 7 à 9).
22.
Toutefois, cette constatation n'implique pas qu'il n'y a pas lieu de répondre à la
question préjudicielle soumise à la Cour dans la présente affaire. En principe, il
appartient aux seules juridictions nationales d'apprécier, au regard des particularités de
chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de
rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet
par cette dernière d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que
s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire
n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir arrêt du 6 juin
2000, Angonese, C-281/98, non encore publié au Recueil, point 18).
23.
En l'espèce, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du
droit communautaire ne serait pas nécessaire pour le juge national. En effet, une telle
réponse pourrait lui être utile dans l'hypothèse où son droit national imposerait, dans une
procédure telle que celle de l'espèce, de faire bénéficier un producteur national des
mêmes droits que ceux qu'un producteur d'un autre État membre tirerait du droit
communautaire dans la même situation.
24.
Dans ces circonstances, il y a lieu d'examiner si une réglementation nationale telle
que celle en cause au principal constituerait, dans la mesure où elle serait appliquée aux
produits importés, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à
l'article 30 du traité.
Sur l'interprétation de l'article 30 du traité

25.
À titre liminaire, il y a lieu de relever, ce qui n'est pas contesté dans la présente
procédure, qu'une règle nationale telle que celle en cause dans l'espèce au principal
constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au
sens de l'article 30 du traité, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés.
26.
En effet, une législation nationale soumettant des marchandises en provenance
d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, à
certaines conditions pour pouvoir utiliser la dénomination générique communément
utilisée pour ce produit et imposant ainsi le cas échéant aux producteurs l'utilisation de

21
dénominations inconnues ou moins appréciées par le consommateur n'exclut certes pas,
de façon absolue, l'importation dans l'État membre concerné de produits originaires
d'autres États membres. Elle est néanmoins susceptible de rendre leur commercialisation
plus difficile et, par conséquent, d'entraver les échanges entre les États membres (voir,
en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Smanor, 298/87, Rec. p. 4489, point 12).
27.
Quant à la question de savoir si une telle règle peut néanmoins être conforme au droit
communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une
réglementation nationale, adoptée en l'absence de règles communes ou harmonisées et
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés d'autres États
membres, peut être compatible avec le traité dans la mesure où elle est nécessaire pour
satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment, à la loyauté des transactions
commerciales et à la défense des consommateurs (voir arrêt du 20 juin 1991, Denkavit,
C-39/90, Rec. p. I-3069, point 18), où elle est proportionnée à l'objectif ainsi poursuivi
et où cet objectif n'aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d'une manière
moindre les échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêt du 26 juin 1997,
Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 19).
28.
Dans ce contexte, il y a lieu de se référer, comme l'a fait la Commission, à la directive
79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des
législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées
alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), telle que
modifiée par la directive 89/395/CEE du Conseil, du 14 juin 1989 (JO L 186, p. 17),
qui, à l'époque des faits au principal, disposait en son article 5, paragraphe 1:
«La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les
dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à
défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente
au consommateur final et aux collectivités ou une description de la denrée alimentaire
et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en
connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être
confondue.»

29.
Si cette disposition démontre l'importance d'une utilisation correcte des
dénominations des denrées alimentaires pour la protection des consommateurs, elle
n'autorise pas les États membres à adopter en matière de dénominations des règles qui
restreignent l'importation des marchandises, légalement fabriquées et commercialisées
dans un autre État membre, lorsque lesdites règles ne sont pas proportionnées à cet effet
ou lorsque cette protection aurait pu être atteinte par des mesures restreignant d'une
manière moindre les échanges intracommunautaires.
30.
Certes, selon la jurisprudence de la Cour, les États membres peuvent, dans le but de
garantir la loyauté des transactions commerciales et d'assurer la défense des
consommateurs, exiger des intéressés de modifier la dénomination d'une denrée
alimentaire lorsqu'un produit présenté sous une certaine dénomination est tellement
différent, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises

22
généralement connues sous cette même dénomination au sein de la Communauté qu'il
ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie (voir arrêt du 12
septembre 2000, Geffroy, C-366/98, non encore publié au Recueil, point 22).
31.
En revanche, dans le cas d'une différence de moindre importance, un étiquetage
adéquat doit suffire à fournir les renseignements nécessaires à l'acheteur ou au
consommateur (voir arrêt Geffroy, précité, point 23).
32.
Dans le cas de l'espèce au principal, il y a lieu de rappeler que, selon le Codex
alimentarius mentionné au point 10 du présent arrêt, qui fournit des indications
permettant de définir les caractéristiques du produit concerné, un fromage fabriqué sans
croûte peut recevoir l'appellation «emmenthal» puisqu'il est fabriqué à partir de matières
et selon une méthode de fabrication identiques à celles employées pour l'emmenthal
comportant une croûte, sous réserve d'une différence de traitement au stade de
l'affinage. Par ailleurs, il est constant qu'une telle variante du fromage «emmenthal» est
légalement fabriquée et commercialisée dans des États membres autres que la
République française.
33.
Dès lors, à supposer même que la différence dans la méthode d'affinage entre un
emmenthal comportant une croûte et un emmenthal sans croûte soit susceptible de
constituer un élément de nature à induire le consommateur en erreur, il suffirait, tout en
maintenant la dénomination «emmenthal», d'accompagner cette dénomination d'une
information adéquate au sujet de cette différence.
34.
Dans ces conditions, l'absence de croûte ne peut pas être considérée comme une
caractéristique justifiant le refus de l'utilisation de la dénomination «emmenthal», pour
des marchandises en provenance d'autres États membres où elles sont légalement
fabriquées et commercialisées sous cette dénomination.
35.
Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que l'article 30 du traité
s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État
membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation
nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage
dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».
Sur les dépens

36.
Les frais exposés par les gouvernements français, danois, allemand, néerlandais et
autrichien ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne
peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au
principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient
à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,

LA COUR

23
statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de police de Belley, par jugement
du 24 novembre 1998, dit pour droit:

L'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) s'oppose à ce qu'un


État membre applique aux produits importés d'un autre État membre, où ils sont
légalement produits et commercialisés, une réglementation nationale qui prohibe la
commercialisation dans cet État membre d'un fromage dépourvu de croûte sous la
dénomination «emmenthal».

Document 3 : CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et


Gouvernement wallon, C-212/06

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

1er avril 2008 (*)

«Régime d’assurance soins institué par une entité fédérée d’un État membre – Exclusion
des personnes résidant dans une partie du territoire national autre que celle qui relève de
la compétence de cette entité – Articles 18 CE, 39 CE et 43 CE – Règlement (CEE) nº
1408/71»

Dans l’affaire C-212/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par la Cour d’arbitrage, devenue Cour constitutionnelle (Belgique), par
décision du 19 avril 2006, parvenue à la Cour le 10 mai 2006, dans la procédure

Gouvernement de la Communauté française,

Gouvernement wallon

contre

Gouvernement flamand,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas,


K. Lenaerts, A. Tizzano (rapporteur), G. Arestis, présidents de chambre, MM. A. Borg
Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský, et J. Klučka, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 mars 2007,

24
considérant les observations présentées:

– pour le gouvernement de la Communauté française, par Mes J. Sambon et P.


Reyniers, avocats,

– pour le gouvernement wallon, par Mes M. Uyttendaele, J.-M. Bricmont et J.


Sautois, avocats,

– pour le gouvernement flamand, par Mes B. Staelens et H. Gilliams, advocaten,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster et M. P. van


Ginneken, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et


J.-P. Keppenne, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 juin 2007,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 CE,


39 CE et 43 CE ainsi que du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971,
relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux
travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de
la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n°
118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, tel que modifié par le
règlement (CE) n° 307/1999 du Conseil, du 8 février 1999 (JO L 38, p. 1, ci-après le
«règlement n° 1408/71»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige entre plusieurs entités
fédérées du Royaume de Belgique. Ce litige oppose, d’une part, le gouvernement de la
Communauté française et le gouvernement wallon et, d’autre part, le gouvernement
flamand au sujet des conditions d’affiliation au régime de l’assurance soins institué par
la Communauté flamande en faveur des personnes ayant une autonomie réduite en
raison d’une incapacité grave et prolongée.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le champ d’application personnel du règlement nº 1408/71 est défini à l’article 2,


paragraphe 1, de celui-ci qui dispose:

25
«Le présent règlement s’applique aux travailleurs salariés ou non salariés et aux
étudiants qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres
et qui sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des
réfugiés résidant sur le territoire d’un des États membres ainsi qu’aux membres de leur
famille et à leurs survivants.»

4 Le champ d’application matériel dudit règlement est, quant à lui, défini à l’article
4 de celui-ci dans les termes suivants:

«1. Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de
sécurité sociale qui concernent:

a) les prestations de maladie et de maternité;

[…]

2. Le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et


spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations
de l’employeur ou de l’armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1.

[…]

2 ter. Le présent règlement n’est pas applicable aux dispositions de la législation


d’un État membre concernant les prestations spéciales à caractère non contributif,
mentionnées à l’annexe II section III, dont l’application est limitée à une partie de son
territoire.

[…]»

5 L’article 3 du règlement nº 1408/71, intitulé «Égalité de traitement», prévoit:

«1. Les personnes qui résident sur le territoire de l’un des États membres et
auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux
obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les
mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions
particulières contenues dans le présent règlement.»

6 Enfin, l’article 13 dudit règlement détermine la législation applicable aux


travailleurs migrants en matière de sécurité sociale. Il est libellé comme suit:

«1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le
présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État
membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent
titre.

2. Sous réserve des articles 14 à 17:

26
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est
soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État
membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur
le territoire d’un autre État membre;

b) la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d’un État membre
est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d’un autre
État membre;

[…]»

La réglementation nationale

7 Par le décret du Parlement flamand portant organisation de l’assurance soins


(Decreet houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 30 mars 1999 (Moniteur
belge du 28 mai 1999, p. 19149, ci-après le «décret du 30 mars 1999»), la Communauté
flamande a institué un régime d’assurance soins afin d’améliorer l’état de santé et les
conditions de vie des personnes ayant une autonomie réduite en raison d’une incapacité
grave et prolongée. Ce régime donne droit, sous certaines conditions et à concurrence
d’un montant maximal, à la prise en charge par une caisse d’assurance de certains frais
occasionnés par un état de dépendance pour raisons de santé, tels que des dépenses
afférentes à des prestations d’aide à domicile ou à l’achat d’équipements et de produits
nécessaires à l’assuré.

8 Le décret du 30 mars 1999 a été modifié à plusieurs reprises, en particulier pour


tenir compte des objections soulevées par la Commission des Communautés
européennes ayant donné lieu à l’ouverture en 2002 d’une procédure d’infraction. La
Commission contestait essentiellement la compatibilité avec le règlement n° 1408/71 de
la condition de résidence dans la région de langue néerlandaise ou dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale, à laquelle étaient soumis, dans la version originale dudit
décret, l’affiliation audit régime d’assurance soins et le paiement des prestations prévues
par celui-ci.

9 Le critère de la résidence a, dès lors, été aménagé par le décret du Parlement


flamand modifiant le décret du 30 mars 1999 portant organisation de l’assurance soins
(Decreet van de Vlaamse Gemeenschap houdende wijziging van het decreet van 30
maart 1999 houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 30 avril 2004
(Moniteur Belge du 9 juin 2004, p. 43593, ci-après le «décret du 30 avril 2004»). Ce
décret, qui a un effet rétroactif au 1er octobre 2001, a principalement étendu le champ
d’application personnel du régime d’assurance soins aux personnes travaillant sur le
territoire desdites régions et résidant dans un État membre autre que le Royaume de
Belgique. Il a également exclu dudit champ d’application les personnes résidant dans
ces régions, mais soumises au régime de sécurité sociale d’un autre État membre. À la
suite de l’adoption de ces amendements, la Commission a décidé, le 4 avril 2006, de
classer la procédure d’infraction en cause.

27
10 L’article 4 du décret du 30 mars 1999, tel que modifié par le décret du 30 avril
2004, définit dans les termes suivants les catégories de personnes soumises à
l’affiliation, obligatoire ou facultative, au régime de l’assurance soins:

«§1er. Toute personne ayant son domicile en région linguistique néerlandaise


doit être affiliée à une caisse d’assurance soins agréée par le présent décret.

[…]

§2. Toute personne ayant son domicile en région bilingue de Bruxelles-Capitale a la


possibilité de s’affilier volontairement à une caisse d’assurance soins agréée par le
présent décret.

§2 bis. Toute personne visée aux §§ 1er et 2, à laquelle s’applique en vertu de son
propre droit le régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne
ou d’un autre État qui fait partie de l’Espace économique européen sur base des règles
d’assignation du règlement […] n°1408/71, ne tombe pas sous le champ d’application
du présent décret.

§2 ter. Toute personne qui n’habite pas en Belgique et à laquelle s’applique en vertu
de son propre droit et pour l’emploi dans la région de langue néerlandaise le régime de
sécurité sociale en Belgique sur base des règles d’assignation du règlement […] n°
1408/71 doit être affiliée à une caisse d’assurance soins agréée par le présent décret. Les
dispositions du présent décret relatives aux personnes visées au § 1er s’appliquent par
analogie.

Toute personne qui n’habite pas en Belgique et à laquelle s’applique en vertu de son
propre droit et pour l’emploi dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale le régime de
sécurité sociale en Belgique sur base des règles d’assignation du règlement […] n°
1408/71 peut s’affilier volontairement à une caisse d’assurance soins agréée par le
présent décret. Les dispositions du présent décret relatives aux personnes visées au § 2
s’appliquent par analogie.»

11 L’article 5 du décret du 30 mars 1999, tel que modifié en dernier lieu par le décret
du Parlement flamand modifiant le décret du 30 mars 1999 portant organisation de
l’assurance soins (Decreet van de Vlaamse Gemeenschap houdende wijziging van het
decreet van 30 maart 1999 houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 25
novembre 2005 (Moniteur belge du 12 janvier 2006, p. 2153), ayant lui aussi ’un effet
rétroactif au 1er octobre 2001, fixe les conditions de prise en charge par le régime de
l’assurance soins dans les termes suivants:

«Pour que l’usager puisse prétendre à une prise en charge par la caisse d’assurance soins
des frais encourus pour la prestation d’aide et de services non médicaux, il faut qu’il
remplisse les conditions suivantes:

28
[…]

3º au moment de la prise en charge, résider légalement dans un État membre de


l’Union européenne ou dans un État partie à l’Espace économique européen;

[…]

5º pendant au moins cinq ans précédant la demande de prise en charge, résider de


façon ininterrompue dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, ou être affilié à l’assurance sociale de façon ininterrompue dans les
États membres de l’Union européenne ou dans les États parties à l’Espace économique
européen;

[…]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 La présente affaire trouve son origine dans le troisième recours en annulation


introduit par les gouvernements requérants au principal contre le décret du 30 mars
1999, les deux premiers ayant été respectivement partiellement et intégralement rejetés
par la Cour d’arbitrage. Dans le cadre de ces précédentes affaires, la Cour d’arbitrage a
notamment précisé, par son arrêt nº 33/2001, du 13 mars 2001, que le régime
d’assurance soins institué par ledit décret relevait de l’«aide aux personnes», matière
entrant dans les compétences des Communautés, en vertu de l’article 128, paragraphe 1,
de la Constitution belge, et n’empiétait pas, dès lors, sur les compétences exclusives de
l’État fédéral en matière de sécurité sociale.

13 Il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte, plus


précisément, sur l’article 4 du décret du 30 mars 1999, dans sa version issue du décret
du 30 avril 2004 (ci-après le «décret du 30 mars 1999 modifié»). Dans leurs recours,
introduits le 10 décembre 2004 devant la juridiction de renvoi, les gouvernements
requérants ont, notamment, invoqué une violation du règlement n° 1408/71 et de
diverses dispositions du traité CE, en faisant valoir que l’exclusion dudit régime des
personnes qui, bien que travaillant dans la région de langue néerlandaise ou dans la
région bilingue de Bruxelles-Capitale, résident sur le territoire national, mais en dehors
du territoire de ces deux régions, constituerait une mesure restrictive entravant la libre
circulation des personnes.

14 Dans ces circonstances, la Cour d’arbitrage a décidé de surseoir à statuer et de


poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Un système d’assurance soins qui:

a) est instauré par une communauté autonome d’un État fédéral membre de la
Communauté européenne,

29
b) est applicable aux personnes qui sont domiciliées dans la partie du territoire de cet
État fédéral pour laquelle cette communauté autonome est compétente,

c) donne droit à la prise en charge, par ce système, des frais encourus pour des
prestations d’aide et de services non médicaux aux personnes affectées par une
autonomie réduite prolongée et grave, affiliées audit système, sous forme d’une
intervention forfaitaire dans les frais y afférents et

d) est financé par, d’une part, les cotisations annuelles des affiliés et, d’autre part,
une dotation à charge du budget des dépenses de la communauté autonome concernée,

constitue-t-il un régime relevant du champ d’application matériel du règlement […] n°


1408/71 […], défini à l’article 4 de ce règlement?

2) En cas de réponse affirmative à la première question préjudicielle: le règlement


précité, en particulier ses articles 2, 3 et 13, et, pour autant qu’ils soient applicables, ses
articles 18, 19, 20, 25 et 28, doit-il être interprété en ce sens que ces dispositions
s’opposent à ce qu’une communauté autonome d’un État fédéral membre de la
Communauté européenne adopte des dispositions qui, dans l’exercice de ses
compétences, limitent l’admission à l’assurabilité et le bénéfice d’un régime de sécurité
sociale au sens de ce règlement aux personnes qui ont leur domicile sur le territoire pour
lequel cette communauté autonome est compétente et, en ce qui concerne les citoyens
de l’Union européenne, aux personnes qui sont employées dans ce territoire et ont leur
domicile dans un autre État membre, à l’exclusion des personnes, quelle que soit leur
nationalité, qui ont leur domicile dans une partie du territoire de l’État fédéral pour
laquelle une autre communauté autonome est compétente?

3) Les articles 18, 39 et 43 du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils


s’opposent à ce qu’une communauté autonome d’un État fédéral membre de la
Communauté européenne adopte des dispositions qui, dans l’exercice de ses
compétences, limitent l’admission à l’assurabilité et le bénéfice d’un régime de sécurité
sociale au sens du règlement précité aux personnes qui ont leur domicile sur le territoire
pour lequel cette communauté autonome est compétente et, en ce qui concerne les
citoyens de l’Union européenne, aux personnes qui sont employées sur ce territoire et
sont domiciliées dans un autre État membre, à l’exclusion des personnes, quelle que soit
leur nationalité, qui ont leur domicile dans une partie du territoire de l’État fédéral pour
laquelle une autre communauté autonome est compétente?

4) Les articles 18, 39 et 43 du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils


s’opposent à ce que le champ d’application d’un tel système soit limité aux personnes
qui sont domiciliées dans les entités d’un État fédéral membre de la Communauté
européenne visées par ce système?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30
15 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si des
prestations versées au titre d’un régime tel que celui de l’assurance soins institué par le
décret du 30 mars 1999 relèvent du champ d’application matériel du règlement nº
1408/71.

16 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon une


jurisprudence constante, la distinction entre les prestations exclues du champ
d’application du règlement n° 1408/71 et les prestations qui en relèvent repose
essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment sa finalité
et ses conditions d’octroi, et non pas sur le fait qu’une prestation est qualifiée ou non par
une législation nationale de prestation de sécurité sociale (voir, notamment, arrêts du 27
mars 1985, Hoeckx, 249/83, Rec. p. 973, point 11; du 10 mars 1993,
Commission/Luxembourg, C-111/91, Rec. p. I-817, point 28, et du 18 janvier 2007,
Celozzi, C-332/05, Rec. p. I-563, point 16).

17 À cet égard, la Cour a précisé à de nombreuses reprises qu’une prestation peut


être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où,
premièrement, elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et
discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation
légalement définie et où, deuxièmement, elle se rapporte à l’un des risques énumérés
expressément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 (voir, notamment,
arrêts précités Hoeckx, points 12 à 14; Commission/Luxembourg, point 29, et Celozzi,
point 17).

18 Dans l’affaire au principal, ainsi qu’il ressort de l’ensemble des observations


présentées devant la Cour, il n’est pas contesté qu’un régime tel que celui de l’assurance
soins institué par le décret du 30 mars 1999 répond à ces conditions.

19 En effet, d’une part, il résulte des dispositions dudit décret qu’un tel régime donne
droit, de manière objective et sur la base d’une situation légalement définie, à la prise en
charge par une caisse d’assurance soins des frais encourus pour des prestations d’aide et
des services non médicaux par toute personne ayant une autonomie réduite en raison
d’une incapacité prolongée et grave.

20 D’autre part, la Cour a déjà jugé que des prestations visant à améliorer l’état de
santé et la vie des personnes dépendantes, telles que celles en cause dans l’affaire au
principal, ont essentiellement pour objet de compléter les prestations de l’assurance
maladie et doivent, dès lors, être regardées comme des «prestations de maladie» au sens
de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (voir, en ce sens, arrêts du
5 mars 1998, Molenaar, C-160/96, Rec. p. I-843, points 22 à 24; du 8 mars 2001, Jauch,
C-215/99, Rec. p. I-1901, point 28, et du 21 février 2006, Hosse, C-286/03, Rec. p. I-
1771, point 38).

21 Par ailleurs, ainsi que le relève le gouvernement wallon, l’assurance soins ne


saurait être exclue du champ d’application du règlement n° 1408/71 sur le fondement de

31
l’article 4, paragraphe 2 ter, de celui-ci, qui vise certains types de prestations à caractère
non contributif pour autant qu’elles sont régies par des dispositions nationales
applicables à une partie seulement du territoire d’un État membre.

22 En effet, contrairement aux exigences posées par la dérogation prévue audit


article 4, paragraphe 2 ter, le régime d’assurance soins en cause au principal présente un
caractère contributif, dès lors qu’il est financé, à tout le moins en partie, par des
cotisations versées par les assurés et n’est pas mentionné à l’annexe II, section III, du
règlement nº 1408/71.

23 Par conséquent, il convient de répondre à la première question que des prestations


versées au titre d’un régime tel que celui de l’assurance soins institué par le décret du 30
mars 1999 modifié relèvent du champ d’application matériel du règlement nº 1408/71.

Sur les deuxième et troisième questions

24 Par ces deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de


renvoi demande en substance si les articles 18 CE, 39 CE et 43 CE ou le règlement n°
1408/71 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’une
entité fédérée d’un État membre limitant l’affiliation à un régime tel que celui de
l’assurance soins en cause au principal et le bénéfice des prestations prévues par celui-ci
aux personnes résidant sur le territoire relevant de la compétence de cette entité ainsi
qu’à celles exerçant une activité professionnelle sur ce territoire et résidant dans un
autre État membre, de sorte qu’en sont exclues les personnes occupant également un
emploi dans ladite entité, mais résidant sur le territoire d’une autre entité fédérée du
même État.

Sur la recevabilité

25 Le gouvernement flamand fait valoir, à titre principal, que ces questions ne sont ni
utiles ni nécessaires à la solution du litige au principal, de sorte qu’elles devraient être
déclarées irrecevables.

26 En effet, devant la juridiction de renvoi, les gouvernements requérants


s’opposeraient à la mise en place dudit régime d’assurance soins en contestant la
compétence de la Communauté flamande en la matière, alors que l’interprétation du
droit communautaire qu’ils préconisent dans le cadre des deuxième et troisième
questions aboutirait au résultat inverse, à savoir l’extension des prestations de
l’assurance soins en cause aux personnes domiciliées dans la région de langue française.

27 En outre, selon le gouvernement flamand, la Cour d’arbitrage a déjà répondu elle-


même à ces questions dans la décision de renvoi en considérant que le régime de
l’assurance soins en cause au principal ne porte pas atteinte aux compétences exclusives
de l’autorité fédérale en matière d’union économique au sein de la Belgique, compte
tenu du montant et des effets limités des prestations en cause. Or, pour les mêmes

32
raisons, ledit régime ne pourrait restreindre la libre circulation des personnes au sens du
traité.

28 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante,


dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales telle que
prévue à l’article 234 CE, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies
du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir,
d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une
décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des
questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées
portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de
statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-
2099, point 38; du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C-18/01, Rec. p. I-5321, point 19, ainsi
que du 19 avril 2007, Asemfo, C-295/05, Rec. p. I-2999, point 30).

29 Il s’ensuit que la présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à


titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas
exceptionnels et, notamment, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que
l’interprétation sollicitée des dispositions du droit communautaire visées dans ces
questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (voir,
notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 61, et
du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf, C-355/97, Rec. p. I-4977, point 22).

30 Tel n’est cependant pas le cas dans l’affaire au principal. Il suffit, en effet, de
constater qu’il ressort clairement de la décision de renvoi que la réponse aux deuxième
et troisième questions posées par la Cour d’arbitrage lui est utile afin de déterminer si la
condition de résidence, à laquelle est soumise l’admission au bénéfice du régime de
l’assurance soins, enfreint, comme le prétendent les gouvernements requérants dans le
cadre de leurs recours au principal, certaines dispositions du droit communautaire en
matière de libre circulation des personnes.

31 Il y a donc lieu de déclarer recevables les deuxième et troisième questions


préjudicielles.

Sur le fond

32 À titre liminaire, il convient de relever que le gouvernement flamand soutient que


lesdites questions ne concernent qu’une situation purement interne ne présentant aucun
lien avec le droit communautaire, à savoir celle résultant de la non-application du décret
du 30 mars 1999 modifié à des personnes qui à la fois résident en Belgique et y exercent
une activité professionnelle.

33 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les
règles du traité en matière de libre circulation des personnes et les actes pris en
exécution de celles-ci ne peuvent être appliqués à des activités qui ne présentent aucun
facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit

33
communautaire et dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur
d’un seul État membre (voir, notamment, en ce qui concerne respectivement la liberté
d’établissement et la libre circulation des travailleurs, arrêts du 8 décembre 1987,
Gauchard, 20/87, Rec. p. 4879, points 12 et 13, ainsi que du 26 janvier 1999, Terhoeve,
C-18/95, Rec. p. I-345, point 26 et jurisprudence citée). Il en va de même en ce qui
concerne les dispositions du règlement n° 1408/71 (voir, en ce sens, arrêts du 22
septembre 1992, Petit, C-153/91, Rec. p. I-4973, point 10, et du 11 octobre 2001, Khalil
e.a., C-95/99 à C-98/99 et C-180/99, Rec. p. I-7413, point 70).

34 En revanche, ainsi que la Cour l’a également précisé, tout ressortissant


communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait
usage du droit à la libre circulation et qui a exercé une activité professionnelle dans un
autre État membre relève du champ d’application des dispositions susmentionnées (voir
notamment, en ce sens, arrêts du 23 février 1994 Scholz, C-419/92, Rec. p. I-505, point
9; Terhoeve, précité, point 27, ainsi que du 18 juillet 2007, Hartmann, C-212/05, Rec.
p. I-6303, point 17).

35 En l’occurrence, il est constant que les deuxième et troisième questions posées par
la juridiction de renvoi visent l’ensemble des personnes, qu’elles aient ou non fait usage
de l’une des libertés fondamentales garanties par le traité, exerçant une activité
professionnelle dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, mais qui, en raison du fait qu’elles résident sur une partie du
territoire national située en dehors de ces deux régions, ne peuvent pas bénéficier du
régime de l’assurance soins en cause au principal.

36 Dans ces conditions, il est nécessaire de distinguer, à la lumière des principes


rappelés aux points 32 et 33 du présent arrêt, deux types de situations.

37 D’une part, l’application de la réglementation en cause au principal entraîne


notamment l’exclusion du régime de l’assurance soins des ressortissants belges exerçant
une activité professionnelle sur le territoire de la région de langue néerlandaise ou sur
celui de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais qui résident dans les régions de
langue française ou allemande et n’ont jamais exercé leur liberté de circuler à l’intérieur
de la Communauté européenne.

38 Or, force est de constater que le droit communautaire ne saurait être appliqué à de
telles situations purement internes.

39 À cette conclusion, il ne saurait être opposé, contrairement à ce que suggère le


gouvernement de la Communauté française, le principe de la citoyenneté de l’Union
énoncé à l’article 17 CE, laquelle inclut notamment, selon l’article 18 CE, le droit de
tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États
membres. En effet, la Cour a jugé à plusieurs reprises que la citoyenneté de l’Union n’a
pas pour objectif d’étendre le champ d’application matériel du traité à des situations
internes n’ayant aucun rattachement au droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du
5 juin 1997, Uecker et Jacquet, C-64/96 et C-65/96, Rec. p. I-3171, point 23; du 2

34
octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, Rec. p. I-11613, point 26, et du 12 juillet 2005,
Schempp, C-403/03, Rec. p. I-6421, point 20).

40 Il convient néanmoins d’observer que l’interprétation de dispositions du droit


communautaire pourrait éventuellement être utile à la juridiction nationale, y compris au
regard de situations qualifiées de purement internes, en particulier dans l’hypothèse où
le droit de l’État membre concerné imposerait de faire bénéficier tout ressortissant
national des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait
du droit communautaire dans une situation considérée par ladite juridiction comme étant
comparable (voir, en ce sens, ordonnance du 17 février 2005, Mauri, C-250/03, Rec. p.
I-1267, point 21, et arrêt du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti,
C-451/03, Rec. p. I-2941, point 29).

41 D’autre part, la législation en cause au principal est également susceptible


d’exclure du régime de l’assurance soins des travailleurs salariés ou non salariés entrant
dans le champ d’application du droit communautaire, à savoir aussi bien des
ressortissants d’États membres autres que le Royaume de Belgique exerçant une activité
professionnelle dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, mais résidant dans une autre partie du territoire national, que des
ressortissants belges se trouvant dans la même situation et ayant fait usage de leur droit
de libre circulation.

42 En ce qui concerne cette seconde catégorie de travailleurs, il y a lieu, dès lors,


d’examiner si les dispositions du droit communautaire dont l’interprétation est sollicitée
par la juridiction de renvoi s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au
principal dans la mesure où elle s’applique à des ressortissants d’États membres autres
que le Royaume de Belgique ou à des ressortissants belges ayant fait usage de leur droit
de libre circulation à l’intérieur de la Communauté européenne.

43 À cet égard, il importe de rappeler que, si les États membres conservent leur
compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins,
dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire et, notamment,
les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs et au droit
d’établissement (voir, en ce sens, arrêt Terhoeve, précité, points 34 et 35, ainsi que arrêt
du 23 novembre 2000, Elsen, C-135/99, Rec. p. I-10409, point 33).

44 Il résulte également d’une jurisprudence constante que l’ensemble des


dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour
les ressortissants communautaires, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature
sur le territoire de la Communauté et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser
ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire
d’un autre État membre (arrêts du 7 juillet 1988, Wolf e.a., 154/87 et 155/87, Rec. p.
3897, point 13; Terhoeve, précité, point 37, et du 11 septembre 2007,
Commission/Allemagne, C-318/05, non encore publié au Recueil, point 114). Dans ce
contexte, les ressortissants des États membres disposent en particulier du droit, qu’ils
tirent directement du traité, de quitter leur État d’origine pour se rendre sur le territoire

35
d’un autre État membre et y séjourner afin d’y exercer une activité économique (voir,
notamment, arrêts précités Bosman, point 95, et Terhoeve, point 38).

45 En conséquence, les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à toute mesure nationale


qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner
ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, des
libertés fondamentales garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1993,
Kraus, C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32; du 9 septembre 2003, Burbaud, C-285/01,
Rec. p. I-8219, point 95, et du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C-442/02, Rec. p. I-
8961, point 11).

46 À la lumière de ces principes, ont notamment été qualifiées d’entraves des


mesures qui ont pour effet de faire perdre aux travailleurs, par suite de l’exercice de leur
droit de libre circulation, des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation
d’un État membre (voir, notamment, arrêts du 9 décembre 1993, Lepore et Scamuffa, C-
45/92 et C-46/92, Rec. p. I-6497, point 21; du 5 octobre 1994, van Munster, C-165/91,
Rec. p. I-4661, point 27, ainsi que Hosse, précité, point 24).

47 Or, une réglementation comme celle en cause au principal est de nature à produire
de tels effets restrictifs, dans la mesure où elle soumet l’affiliation au régime de
l’assurance soins à une condition de résidence soit dans une partie limitée du territoire
national, à savoir la région de langue néerlandaise et la région bilingue de Bruxelles-
Capitale, soit dans un autre État membre.

48 En effet, des travailleurs migrants, exerçant ou envisageant d’exercer une activité


salariée ou non salariée dans l’une de ces deux régions, pourraient être dissuadés de
faire usage de leur liberté de circuler et de quitter leur État membre d’origine pour
séjourner en Belgique, en raison du fait que leur installation dans certaines parties du
territoire belge comporterait la perte de la possibilité de bénéficier de prestations
auxquelles, autrement, ils auraient pu prétendre. En d’autres termes, le fait que les
travailleurs salariés ou non salariés concernés se trouvent dans la situation de subir soit
la perte du bénéfice de l’assurance soins, soit une limitation du choix du lieu de transfert
de leur résidence est, à tout le moins, susceptible d’entraver l’exercice des droits
conférés par les articles 39 CE et 43 CE.

49 Il importe peu à cet égard, contrairement à ce que soutient en substance le


gouvernement flamand, que la différenciation en cause soit uniquement fondée sur le
lieu de résidence sur le territoire national et non pas sur une quelconque condition de
nationalité, de sorte qu’elle affecte de la même manière l’ensemble des travailleurs
salariés ou non salariés résidant en Belgique.

50 En effet, pour qu’une mesure restreigne la libre circulation, il n’est pas nécessaire
qu’elle soit fondée sur la nationalité des personnes concernées ni même qu’elle ait pour
effet de favoriser l’ensemble des travailleurs nationaux ou de ne défavoriser que les
seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des travailleurs nationaux
(voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2000, Angonese, C-281/98, Rec. p. I-4139, point 41, et

36
du 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-388/01, Rec. p. I-721, point 14). Il suffit,
comme c’est le cas du régime de l’assurance soins en cause au principal, que la mesure
avantageuse bénéficie à certaines catégories de personnes exerçant une activité
professionnelle dans l’État membre en question (voir, par analogie, en matière de libre
prestations des services, arrêts du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas, C-353/89,
Rec. p. I-4069, point 25, et du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications
Belgium e.a., C-250/06, non encore publié au Recueil, point 37).

51 En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 64 à 67 de ses
conclusions, les effets restrictifs engendrés par la réglementation en cause au principal
ne sauraient être considérés comme trop aléatoires ou trop indirects pour que celle-ci ne
puisse pas être regardée comme constituant une entrave contraire aux article 39 CE et
43 CE. En particulier, à la différence de l’affaire ayant donnée lieu à l’arrêt du 27
janvier 2000, Graf (C-190/98, Rec. p. I-493), auquel s’est référé le gouvernement
flamand au cours de l’audience, la possibilité de bénéficier des prestations d’assurance
soins en cause dépend non pas d’un événement futur et hypothétique pour le travailleur
salarié ou non salarié concerné, mais d’une circonstance liée, par définition, à l’exercice
du droit de libre circulation, à savoir le choix du lieu de transfert de sa résidence.

52 De même, s’agissant de l’argumentation du gouvernement flamand selon laquelle


ladite réglementation ne pourrait avoir, de toute manière, qu’une incidence marginale
sur la libre circulation, compte tenu du caractère limité du montant des prestations en
cause et du nombre de personnes concernées, il suffit de relever que, conformément à la
jurisprudence de la Cour, les articles du traité relatifs à la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux constituent des dispositions
fondamentales pour la Communauté et que toute entrave, même d’importance mineure,
à cette liberté est prohibée (voir, notamment, arrêts du 13 décembre 1989, Corsica
Ferries France, C-49/89, Rec. p. 4441, point 8, et du 15 février 2000,
Commission/France, C-169/98, Rec. p. I-1049, point 46).

53 En tout état de cause, il ne saurait être exclu, eu égard notamment à des


phénomènes tels que le vieillissement de la population, que la perspective de pouvoir
bénéficier ou non de prestations de dépendance telles que celles offertes par le régime
de l’assurance soins en cause au principal soit prise en compte par les personnes
concernées dans l’exercice de leur droit à la libre circulation.

54 Il s’ensuit qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal


comporte une entrave à la libre circulation des travailleurs et à la liberté
d’établissement, en principe interdite par les articles 39 CE et 43 CE.

55 Selon une jurisprudence bien établie, des mesures nationales susceptibles de gêner
ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité
ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt
général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent
pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, notamment,

37
arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, Rec. p. I-2409, point 49, et du
18 janvier 2007, Commission/Suède, C-104/06, Rec. p. I-671, point 25).

56 Cependant, ni le dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi ni les


observations du gouvernement flamand ne contiennent d’éléments de nature à justifier
l’application, aux personnes exerçant une activité professionnelle dans la région de
langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, d’une condition
de résidence soit dans l’une de ces deux régions, soit dans un autre État membre aux
fins de l’admission au bénéfice de l’assurance soins en cause au principal.

57 À cet égard, le gouvernement flamand se réfère uniquement aux exigences


inhérentes à la répartition des pouvoirs au sein de la structure fédérale belge et, en
particulier, au fait que la Communauté flamande ne pourrait exercer aucune compétence
en matière d’assurance soins à l’égard de personnes résidant sur le territoire d’autres
communautés linguistiques du Royaume de Belgique.

58 Or, une telle argumentation ne saurait être accueillie. En effet, ainsi que l’ont
relevé Mme l’avocat général aux points 101 à 103 de ses conclusions et la Commission,
il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une autorité d’un État membre ne
saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, y
compris celles découlant de l’organisation constitutionnelle de cet État, pour justifier
l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire (voir, notamment,
arrêts du 10 juin 2004, Commission/Italie, C-87/02, Rec. p. I-5975, point 38, et du 26
octobre 2006, Commission/Autriche, C-102/06, non publié au Recueil, point 9).

59 Il y a lieu, dès lors, de constater que les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à une


condition de résidence telle que celle prévue par le décret du 30 mars 1999 modifié.
Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de s’interroger sur une éventuelle violation
du règlement n° 1408/71, et notamment de son article 3, paragraphe 1 (voir, par
analogie, arrêt Terhoeve, précité, point 41). Il n’y pas lieu non plus de se prononcer sur
l’existence d’une restriction susceptible d’être interdite par l’article 18 CE, dont les
articles 39 CE et 43 CE constituent une expression spécifique en ce qui concerne la libre
circulation des travailleurs et la liberté d’établissement.

60 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième


questions que les articles 39 CE et 43 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils
s’opposent à une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle que celle
régissant l’assurance soins instituée par la Communauté flamande, par le décret du 30
mars 1999 modifié, limitant l’affiliation à un régime de sécurité sociale et le bénéfice
des prestations prévues par celui-ci aux personnes qui soit résident sur le territoire
relevant de la compétence de cette entité, soit exercent une activité professionnelle sur
ce même territoire tout en résidant dans un autre État membre, dans la mesure où une
telle limitation affecte des ressortissants d’autres États membres ou des ressortissants
nationaux ayant fait usage de leur droit de libre circulation à l’intérieur de la
Communauté européenne.

38
Sur la quatrième question

61 La quatrième question porte sur les conséquences qui s’attacheraient à la


constatation par la juridiction nationale de l’incompatibilité de la réglementation en
cause au principal avec le droit communautaire, ce qui aurait pour effet, selon ladite
juridiction, de rétablir le régime en vigueur avant l’adoption du décret du 30 avril 2004.
Plus précisément, celle-ci s’interroge sur le point de savoir si les articles 18 CE, 39 CE
et 43 CE s’opposent à un régime limitant l’admission au bénéfice de l’assurance soins
aux seules personnes résidant dans la région de langue néerlandaise et dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale.

62 À cet égard, il suffit de constater que les considérations développées aux points
47 à 59 du présent arrêt en réponse aux deuxième et troisième questions valent, à plus
forte raison, pour une réglementation comportant une restriction supplémentaire par
rapport au régime applicable à la suite de l’adoption du décret de 30 avril 2004, étant
donné que cette réglementation excluait de son champ d’application l’ensemble des
personnes exerçant une activité professionnelle dans la région de langue néerlandaise ou
dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais ayant leur domicile en dehors de ces
deux régions, y compris donc les personnes résidant dans un autre État membre.

63 Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question que les articles 39 CE et 43


CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’une
entité fédérée d’un État membre limitant l’affiliation à un régime de sécurité sociale et
le bénéfice des prestations prévues par celui-ci aux seules personnes résidant sur le
territoire de cette entité, dans la mesure où une telle limitation affecte des ressortissants
d’autres États membres exerçant une activité professionnelle sur le territoire de ladite
entité, ou des ressortissants nationaux ayant fait usage de leur droit de libre circulation à
l’intérieur de la Communauté européenne.

Sur les dépens

64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident


soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) Des prestations versées au titre d’un régime tel que celui de l’assurance soins
institué par le décret du Parlement flamand portant organisation de l’assurance soins
(Decreet houdende de organisatie van de zorgverzekering), du 30 mars 1999, dans sa
version résultant du décret du Parlement flamand modifiant le décret du 30 mars 1999
portant organisation de l’assurance soins (Decreet van de Vlaamse Gemeenschap
houdende wijziging van het decreet van 30 maart 1999 houdende de organisatie van de
zorgverzekering), du 30 avril 2004, relèvent du champ d’application matériel du
règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des

39
régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux
membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa
version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2
décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 307/1999 du Conseil, du 8
février 1999.

2) Les articles 39 CE et 43 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à


une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle que celle régissant
l’assurance soins instituée par la Communauté flamande par ledit décret du 30 mars
1999, dans sa version résultant du décret du Parlement flamand du 30 avril 2004,
limitant l’affiliation à un régime de sécurité sociale et le bénéfice des prestations
prévues par celui-ci aux personnes qui soit résident sur le territoire relevant de la
compétence de cette entité, soit exercent une activité professionnelle sur ce même
territoire tout en résidant dans un autre État membre, dans la mesure où une telle
limitation affecte des ressortissants d’autres États membres ou des ressortissants
nationaux ayant fait usage de leur droit de libre circulation à l’intérieur de la
Communauté européenne.

3) Les articles 39 CE et 43 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à


une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre limitant l’affiliation à un
régime de sécurité sociale et le bénéfice des prestations prévues par celui-ci aux seules
personnes résidant sur le territoire de cette entité, dans la mesure où une telle limitation
affecte des ressortissants d’autres États membres exerçant une activité professionnelle
sur le territoire de ladite entité, ou des ressortissants nationaux ayant fait usage de leur
droit de libre circulation à l’intérieur de la Communauté européenne.

Document 4 : CJUE, 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

8 mars 2011(*)

«Citoyenneté de l’Union – Article 20 TFUE – Octroi d’un droit de séjour au titre du


droit de l’Union à un enfant mineur sur le territoire de l’État membre dont cet enfant a la
nationalité indépendamment de l’exercice préalable par celui-ci de son droit de libre
circulation sur le territoire des États membres – Octroi, dans les mêmes circonstances,
d’un droit de séjour dérivé à l’ascendant, ressortissant d’un État tiers, qui assume la
charge de l’enfant mineur – Conséquences du droit de séjour de l’enfant mineur sur les
exigences à remplir, au regard du droit du travail, par l’ascendant de ce mineur,
ressortissant d’un État tiers»

Dans l’affaire C-34/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique), par décision du 19
décembre 2008, parvenue à la Cour le 26 janvier 2009, dans la procédure

40
Gerardo Ruiz Zambrano

contre

Office national de l’emploi (ONEm),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues


(rapporteur), K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, présidents de chambre, A. Rosas, M. Ilešič, J.
Malenovský, U. Lõhmus, E. Levits, A. Ó Caoimh, L. Bay Larsen et Mme M. Berger,
juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 janvier 2010,

considérant les observations présentées:

– pour M. Ruiz Zambrano, par Me P. Robert, avocat,

– pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, en qualité d’agent, assistée de


Mes F. Motulsky et K. de Haes, avocats,

– pour le gouvernement danois, par Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en


qualité d’agents,

– pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. D. Conlan


Smyth, barrister,

– pour le gouvernement grec, par Mmes S. Vodina, T. Papadopoulou et M.


Michelogiannaki, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement français, par Mme A. Czubinski, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, MM. M. de Grave et J.


Langer, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

41
– pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, puis par M. M. Szpunar,
en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme D. Maidani et M. M. Wilderspin, en


qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12 CE,


17 CE et 18 CE ainsi que des articles 21, 24 et 34 de la charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne (ci-après la «charte des droits fondamentaux»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Ruiz
Zambrano, ressortissant colombien, à l’Office national de l’emploi (ONEm) à propos du
refus de ce dernier de l’admettre au bénéfice des allocations de chômage au titre de la
législation belge.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du


Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de
leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres,
modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE,
68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE,
90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et – rectificatifs – JO 2004, L 229, p. 35, et
JO 2005, L 197, p. 34), dispose:

«La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans
un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa
famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent.»

Le droit national

Le Code de la nationalité belge

4 Aux termes de l’article 10, premier alinéa, du code de la nationalité belge


(Moniteur belge du 12 juillet 1984, p. 10095), dans sa version en vigueur à l’époque des
faits au principal (ci-après le «code de la nationalité belge»):

42
«Est Belge, l’enfant né en Belgique et qui, à un moment quelconque avant l’âge de dix-
huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, serait apatride s’il n’avait cette
nationalité.»

L’arrêté royal du 25 novembre 1991

5 L’article 30, premier alinéa, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant


réglementation du chômage (Moniteur belge du 31 décembre 1991, p. 29888) dispose:

«Pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein
doit accomplir un stage comportant le nombre de journées de travail mentionné ci-après:

[…]

2° 468 au cours des 27 mois précédant [la] demande [d’allocations de chômage], s’il
est âgé de 36 à moins de 50 ans;

[…]»

6 L’article 43, paragraphe 1, du même arrêté royal prévoit:

«Sans préjudice des dispositions précédentes, le travailleur étranger ou apatride est


admis au bénéfice des allocations s’il satisfait à la législation relative aux étrangers et à
celle relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.

Le travail effectué en Belgique n’est pris en considération que s’il l’a été conformément
à la législation relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.

[…]»

7 Aux termes de l’article 69, paragraphe 1, de cet arrêté royal:

«Pour bénéficier des allocations, le chômeur étranger ou apatride doit satisfaire à la


législation relative aux étrangers et à celle relative à l’occupation de la main-d’œuvre
étrangère.»

L’arrêté-loi du 28 décembre 1944

8 L’article 7, paragraphe 14, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la


sécurité sociale des travailleurs (Moniteur belge du 30 décembre 1944), inséré par la loi-
programme du 2 août 2002 (Moniteur belge du 29 août 2002, p. 38408), est libellé
comme suit:

«Le travailleur étranger ou apatride n’est admis au bénéfice des allocations que si, au
moment de la demande d’allocations, il satisfait à la législation relative au séjour et à
celle relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.

43
Le travail effectué en Belgique par le travailleur étranger ou apatride n’est pris en
considération pour l’accomplissement des conditions de stage que s’il a été effectué
conformément à la législation relative à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.

[…]»

La loi du 30 avril 1999

9 L’article 4, paragraphe 1, de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des


travailleurs étrangers (Moniteur belge du 21 mai 1999, p. 17800) énonce:

«L’employeur qui souhaite occuper un travailleur étranger doit, au préalable, obtenir


l’autorisation d’occupation de l’autorité compétente.

L’employeur ne peut utiliser les services de ce travailleur que dans les limites fixées par
cette autorisation.

Le Roi peut déroger à l’alinéa 1er, dans les cas qu’Il détermine.»

10 Aux termes de l’article 7 de ladite loi:

«Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, dispenser les catégories de
travailleurs étrangers qu’Il détermine, de l’obligation d’obtenir un permis de travail.

Les employeurs des travailleurs étrangers visés à l’alinéa précédent sont dispensés de
l’obligation d’obtenir une autorisation d’occupation.»

L’arrêté royal du 9 juin 1999

11 L’article 2, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 9 juin 1999 portant exécution de la


loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers (Moniteur belge du
26 juin 1999, p. 24162) dispose:

«Sont dispensés de l’obligation d’obtenir un permis de travail:

[…]

2° le conjoint d’un Belge et à condition qu’ils viennent s’installer ou s’installent avec


l’un d’eux:

a) les descendants, âgés de moins de 21 ans ou à charge, du Belge ou de son


conjoint;

b) les ascendants, à charge, du Belge ou de son conjoint;

44
c) le conjoint des personnes visées aux a) et b);

[…]»

La loi du 15 décembre 1980

12 L’article 9 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour,


l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p.
14584), dans sa version applicable dans l’affaire au principal (ci-après la «loi du 15
décembre 1980»), énonce:

«Pour pouvoir séjourner dans le Royaume au-delà du terme fixé à l’article 6, l’étranger
qui ne se trouve pas dans un des cas prévus à l’article 10 doit y être autorisé par le
Ministre ou son délégué.

Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal,
cette autorisation doit être demandée par l’étranger auprès du poste diplomatique ou
consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l’étranger.

Lors de circonstances exceptionnelles, cette autorisation peut être demandée par


l’étranger auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au
Ministre ou à son délégué. Elle sera dans ce cas délivrée en Belgique.»

13 L’article 40 de la même loi prévoit:

«§ 1. Sans préjudice des dispositions contenues dans les règlements du Conseil [de
l’Union européenne] et de la Commission des Communautés européennes et de celles
plus favorables dont l’étranger C.E. pourrait se prévaloir, les dispositions ci-après lui
sont applicables.

§ 2. Pour l’application de la présente loi, on entend par étranger C.E. tout


ressortissant d’un État membre des Communautés européennes qui séjourne ou se rend
dans le Royaume et qui:

1° soit y exerce ou entend y exercer une activité salariée ou non salariée;

2° soit y bénéficie ou entend y bénéficier d’une prestation de services;

3° soit y bénéficie ou entend y bénéficier du droit de demeurer;

4° soit y bénéficie ou entend y bénéficier du droit de séjour après avoir cessé une
activité professionnelle exercée dans la Communauté;

5° soit y suit ou entend y suivre, à titre principal, une formation professionnelle dans
un établissement d’enseignement agréé;

45
6° soit n’appartient à aucune des catégories visées aux 1° à 5°.

§ 3. Sauf dispositions contraires de la présente loi, sont assimilées à l’étranger C.E


visé au § 2, 1°, 2° et 3°, quelle que soit leur nationalité, les personnes ci-après, à
condition qu’elles viennent s’installer ou s’installent avec lui:

1° son conjoint;

2° ses descendants ou ceux de son conjoint, âgés de moins de 21 ans ou qui sont à
leur charge;

3° ses ascendants ou ceux de son conjoint qui sont à leur charge;

4° le conjoint des personnes visées au 2° et au 3°.

§ 4. Sauf dispositions contraires de la présente loi, sont assimilées à l’étranger C.E.


visé au § 2, 4° et 6°, quelle que soit leur nationalité, les personnes ci-après, à condition
qu’elles viennent s’installer ou s’installent avec lui:

1° son conjoint;

2° ses descendants ou ceux de son conjoint qui sont à leur charge;

3° ses ascendants ou ceux de son conjoint qui sont à leur charge;

4° le conjoint des personnes visées au 2° et au 3°.

§ 5. Sauf dispositions contraires de la présente loi, sont assimilés à l’étranger C.E.


visé au § 2, 5°, quelle que soit leur nationalité, son conjoint et ses enfants ou ceux de
son conjoint qui sont à leur charge, à condition qu’ils viennent s’installer ou s’installent
avec lui.

§ 6. Sont également assimilés à l’étranger C.E. le conjoint d’un Belge, qui vient
s’installer ou s’installe avec lui, ainsi que leurs descendants âgés de moins de 21 ans ou
à leur charge, leurs ascendants qui sont à leur charge et le conjoint de ces descendants
ou de ces ascendants, qui viennent s’installer ou s’installent avec eux.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Le 14 avril 1999, M. Ruiz Zambrano a demandé l’asile en Belgique, où il était


entré muni d’un visa délivré par l’ambassade de Belgique à Bogota (Colombie). Au
mois de février 2000, son épouse, également de nationalité colombienne, a de même
demandé à bénéficier du statut de réfugié dans cet État membre.

15 Par décision du 11 septembre 2000, les autorités belges ont refusé de faire droit à
leurs demandes, tout en assortissant l’ordre de quitter le territoire qui leur était notifié

46
d’une clause de non-reconduite en Colombie, au vu de la situation de guerre civile
prévalant dans ce pays.

16 Le 20 octobre 2000, M. Ruiz Zambrano a introduit une demande de régularisation


de son séjour sur la base de l’article 9, troisième alinéa, de la loi du 15 décembre 1980.
Dans sa demande, il invoquait l’impossibilité absolue de rentrer en Colombie et la
détérioration extrême de la situation dans ce pays, soulignant par ailleurs ses efforts
d’intégration dans la société belge, son apprentissage du français et la scolarisation de
son enfant en classe maternelle, outre le risque de recrudescence, en cas de retour en
Colombie, du syndrome post-traumatique important qu’il avait subi, en 1999, par suite
de l’enlèvement, pendant une semaine, de son enfant, âgé, à l’époque, de 3 ans.

17 Par décision du 8 août 2001, ladite demande a été rejetée. Cette décision a fait
l’objet d’un recours en annulation et en suspension devant le Conseil d’État, qui a rejeté
le recours en suspension par un arrêt du 22 mai 2003.

18 Depuis le 18 avril 2001, M. Ruiz Zambrano et son épouse sont inscrits comme
résidents à Schaerbeek (Belgique). Le 2 octobre 2001, le demandeur au principal, alors
qu’il n’était pas en possession d’un permis de travail, a conclu un contrat de travail à
durée indéterminée et à plein temps avec la société Plastoria, avec effet au 1er octobre
2001.

19 Le 1er septembre 2003, l’épouse de M. Ruiz Zambrano a donné naissance à un


deuxième enfant, prénommé Diego, qui a acquis la nationalité belge, en application de
l’article 10, premier alinéa, du code de la nationalité belge, dans la mesure où, en
l’absence de démarche expresse des parents en vue de la reconnaissance de la
nationalité colombienne, la loi colombienne ne reconnaît pas cette nationalité aux
enfants nés en dehors du territoire de la Colombie.

20 Il ressort encore de la décision de renvoi que, au moment de la naissance de son


deuxième enfant, M. Ruiz Zambrano disposait, en raison de son activité professionnelle,
de ressources suffisantes pour subvenir à son entretien. Ladite activité donnait lieu au
paiement d’une rémunération conforme aux différents barèmes applicables, sous
déduction de la retenue légale des cotisations de sécurité sociale, et au versement des
cotisations patronales.

21 Le 9 avril 2004, M. et Mme Ruiz Zambrano ont introduit une nouvelle demande
de régularisation de séjour sur la base de l’article 9, troisième alinéa, de la loi du 15
décembre 1980, invoquant à titre d’élément nouveau la naissance de leur deuxième
enfant et s’appuyant sur l’article 3 du protocole n° 4 à la convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel ferait obstacle à ce que ledit
enfant soit contraint à quitter le territoire de l’État dont il a la nationalité.

22 Á la suite de la naissance, le 26 août 2005, de leur troisième enfant, prénommée


Jessica, qui, à l’instar de son frère Diego, a acquis la nationalité belge, les époux Ruiz
Zambrano ont introduit, le 2 septembre 2005, une demande d’établissement fondée sur

47
l’article 40 de la loi du 15 décembre 1980 en tant qu’ascendants d’un ressortissant
belge. Le 13 septembre 2005, une attestation d’immatriculation a été délivrée à chacun
d’eux, laquelle couvrait provisoirement leur séjour jusqu’au 13 février 2006.

23 La demande d’établissement de M. Ruiz Zambrano a été rejetée le 8 novembre


2005, au motif que celui-ci «ne peut se prévaloir de l’application de l’article 40 de la loi
du 15 décembre 1980 du fait qu’il a ignoré les lois de son pays en ne faisant pas inscrire
son enfant auprès des autorités diplomatiques ou consulaires mais a suivi correctement
les procédures qui s’offraient à lui pour obtenir la nationalité belge [pour cet enfant] et
tenter ensuite, sur cette base, de régulariser son propre séjour». Le 26 janvier 2006, la
demande d’établissement de son épouse a été rejetée pour le même motif.

24 Depuis l’introduction, au mois de mars 2006, de son recours en révision contre la


décision de rejet de sa demande d’établissement, M. Ruiz Zambrano dispose d’un
document spécial de séjour valable pendant l’examen dudit recours.

25 Entre-temps, à savoir le 10 octobre 2005, M. Ruiz Zambrano avait été mis en


chômage économique, ce qui l’avait amené à introduire une première demande
d’allocations de chômage, qui a fait l’objet d’une décision de rejet notifiée à l’intéressé
le 20 février 2006. Ladite décision a été attaquée devant la juridiction de renvoi par
requête du 12 avril 2006.

26 Dans le cadre de l’instruction du recours dirigé contre cette décision, l’Office des
Étrangers a confirmé que «l’intéressé et son épouse ne [pouvaient] exercer aucune
activité professionnelle, aucune mesure d’éloignement ne pouvant toutefois être prise à
leur encontre du fait que leur demande de régularisation était toujours en cours».

27 Lors d’une enquête effectuée le 11 octobre 2006 par la direction générale du


contrôle des lois sociales au siège de l’employeur de M. Ruiz Zambrano, il a été
constaté que l’intéressé se trouvait au travail. Il a dû cesser le travail sur le champ. Le
lendemain, l’employeur de M. Ruiz Zambrano a mis fin au contrat de travail de ce
dernier avec effet immédiat et sans indemnité.

28 La demande introduite par M. Ruiz Zambrano en vue de bénéficier des allocations


de chômage à temps plein à dater du 12 octobre 2006 a été rejetée par une décision de
l’ONEm notifiée le 20 novembre 2006. Cette décision a également fait l’objet d’un
recours devant la juridiction de renvoi, introduit par requête du 20 décembre 2006.

29 Le 23 juillet 2007, l’intéressé a été avisé de la décision de l’Office des Étrangers


rejetant comme irrecevable sa demande de régularisation de séjour introduite le 9 avril
2004. Le recours formé contre cette décision devant le Conseil du contentieux des
étrangers a été déclaré sans objet par un arrêt du 8 janvier 2008, l’Office des Étrangers
ayant retiré ladite décision.

30 Par un courrier du 25 octobre 2007, l’Office des Étrangers a informé M. Ruiz


Zambrano que le recours en révision qu’il avait introduit au mois de mars 2006 à

48
l’encontre de la décision de rejet de sa demande d’établissement du 2 septembre 2005
devait être réintroduit dans les 30 jours de la notification dudit courrier, sous la forme
d’un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers.

31 Le 19 novembre 2007, M. Ruiz Zambrano a introduit un tel recours, qu’il fonde,


tout d’abord, sur l’inexistence de l’«ingénierie juridique» qui lui est reprochée dans
ladite décision, rappelant que l’acquisition de la nationalité belge par ses enfants
mineurs nés en Belgique résultait non pas d’une démarche quelconque qu’il aurait
accomplie en ce sens, mais de l’application de la réglementation belge. M. Ruiz
Zambrano invoque par ailleurs une violation des articles 2 et 7 de la directive 2004/38,
de même qu’une violation de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la
«CEDH»), et de l’article 3, paragraphe 1, du protocole n° 4 à cette convention.

32 Dans ses observations écrites déposées devant la Cour, le gouvernement belge


indique que, depuis le 30 avril 2009, M. Ruiz Zambrano bénéficie d’un droit de séjour
provisoire, renouvelable sauf indication contraire, et qu’il devrait bénéficier d’un permis
de travail C en application des instructions de la ministre de la Politique de migration et
d’asile du 26 mars 2009 relatives à l’application de l’ancien article 9, troisième alinéa,
et de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980.

33 Il ressort de la décision de renvoi que les deux décisions qui font l’objet de la
procédure au principal, par lesquelles l’ONEm a refusé de reconnaître à M. Ruiz
Zambrano le droit aux allocations de chômage, d’abord durant les périodes de chômage
temporaire à partir du 10 octobre 2005 et ensuite depuis le 12 octobre 2006, à la suite de
la perte de son emploi, s’appuient exclusivement sur le constat selon lequel les journées
de travail que ce dernier invoque au titre du stage requis pour les chômeurs de sa
catégorie d’âge, soit 468 jours de travail au cours des 27 mois précédant la demande
d’allocations de chômage, n’ont pas été accomplies en conformité avec les législations
relatives au séjour des étrangers et à l’occupation de la main-d’œuvre étrangère.

34 Devant la juridiction de renvoi, M. Ruiz Zambrano réfute cette argumentation en


faisant valoir notamment qu’il tire un droit de séjour directement du traité CE ou, à tout
le moins, qu’il bénéficie du droit de séjour dérivé qui a été reconnu par l’arrêt du 19
octobre 2004, Zhu et Chen (C-200/02, Rec. p. I-9925), aux ascendants d’un enfant en
bas âge ressortissant d’un État membre et que, partant, il était dispensé de l’obligation
de posséder un permis de travail.

35 Dans ces conditions, le tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à


statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], un ou plusieurs d’entre eux, lus de
manière séparée ou combinée, octroient-ils un droit de séjour au citoyen de l’Union sur
le territoire de l’État membre dont ce citoyen a la nationalité, indépendamment de
l’exercice préalable par celui-ci de son droit de circuler sur le territoire des États
membres?

49
2) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], combinés aux dispositions des articles
21, 24 et 34 de la charte des droits fondamentaux, doivent-ils être interprétés en ce sens
que le droit qu’ils reconnaissent sans discrimination fondée sur la nationalité à tout
citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États
membres implique, lorsque ce citoyen est un enfant mineur en bas âge à charge d’un
ascendant ressortissant d’un État tiers, que la jouissance du droit de séjour dudit enfant
sur le territoire de l’État membre dans lequel il réside et dont il a la nationalité doive lui
être garantie, indépendamment de l’exercice préalable par celui-ci ou [par] le
truchement de son représentant légal du droit de circuler, en assortissant ce droit de
séjour de l’effet utile dont la jurisprudence communautaire [(arrêt Zhu et Chen, précité)]
a reconnu la nécessité, par l’octroi, à l’ascendant ressortissant d’un État tiers, qui
assume la charge dudit enfant et dispose de ressources suffisantes et d’une assurance-
maladie, du droit de séjour dérivé dont bénéficierait ce même ressortissant d’un État
tiers si l’enfant mineur qu’il a à charge était un citoyen de l’Union qui n’a pas la
nationalité de l’État membre dans lequel il réside?

3) Les articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 [CE], combinés aux dispositions des articles
21, 24 et 34 de la charte des droits fondamentaux, doivent-ils être interprétés en ce sens
que le droit au séjour d’un enfant mineur, ressortissant d’un État membre, sur le
territoire duquel il réside, doit impliquer l’octroi d’une dispense de permis de travail à
l’ascendant, ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge dudit enfant mineur et qui
– n’eût été l’exigence de permis de travail imposée par le droit interne de l’État membre
dans lequel il réside – remplit, par l’exercice d’un travail salarié l’assujettissant à la
sécurité sociale dudit État [membre], la condition de ressources suffisantes et [celle
relative à] la possession d’une assurance-maladie, afin que le droit de séjour de cet
enfant soit assorti de l’effet utile que la jurisprudence communautaire [(arrêt Zhu et
Chen, précité)] a reconnu en faveur d’un enfant mineur, citoyen européen ayant une
autre nationalité que [celle de] l’État membre dans lequel il séjourne à charge d’un
ascendant, ressortissant d’un État tiers?»

Sur les questions préjudicielles

36 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi


vise, en substance, à savoir si les dispositions du traité FUE sur la citoyenneté de
l’Union doivent être interprétées en ce sens qu’elles confèrent à l’ascendant,
ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de
l’Union, un droit de séjour dans l’État membre dont ceux-ci ont la nationalité et dans
lequel ils résident, de même qu’une dispense de permis de travail dans cet État membre.

37 Tous les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour ainsi que la
Commission européenne font valoir qu’une situation telle que celle des deuxième et
troisième enfants de M. Ruiz Zambrano, en ce que ces enfants résident dans l’État
membre dont ils ont la nationalité et n’ont jamais quitté cet État membre, ne relève pas
des situations envisagées par les libertés de circulation et de séjour garanties par le droit

50
de l’Union. Partant, les dispositions du droit de l’Union visées par la juridiction de
renvoi ne seraient pas applicables dans le litige au principal.

38 En revanche, M. Ruiz Zambrano fait valoir que l’invocation des dispositions


relatives à la citoyenneté de l’Union par ses enfants Diego et Jessica ne suppose pas un
déplacement de ceux-ci en dehors de l’État membre en question et qu’il peut lui-même,
en tant que membre de la famille, prétendre à un droit de séjour ainsi qu’à une dispense
de permis de travail dans cet État membre.

39 D’emblée il y a lieu de constater que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 3 de


la directive 2004/38, intitulé «Bénéficiaires», celle-ci s’applique à tout citoyen de
l’Union qui «se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la
nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille». Dès lors, ladite directive ne trouve pas
à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal.

40 L’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre
le statut de citoyen de l’Union (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 2002, D’Hoop,
C-224/98, Rec. p. I-6191, point 27, et du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02,
Rec. p. I-11613, point 21). Étant de nationalité belge, dont les conditions d’acquisition
relèvent de la compétence de l’État membre en question (voir en ce sens, notamment,
arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08, non encore publié au Recueil, point 39), les
deuxième et troisième enfants du demandeur au principal bénéficient incontestablement
de ce statut (voir, en ce sens, arrêts précités Garcia Avello, point 21, ainsi que Zhu et
Chen, point 20).

41 La Cour a relevé à plusieurs reprises que le statut de citoyen de l’Union a


vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (voir,
notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, Rec. p. I-6193, point
31; du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C-413/99, Rec. p. I-7091, point 82, et arrêts
précités Garcia Avello, point 22, Zhu et Chen, point 25, ainsi que Rottmann, point 43).

42 Dans ces conditions, l’article 20 TFUE s’oppose à des mesures nationales ayant
pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des
droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Rottmann,
précité, point 42).

43 Or, le refus de séjour opposé à une personne, ressortissant d’un État tiers, dans
l’État membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants dudit État membre, dont
elle assume la charge ainsi que le refus d’octroyer à cette personne un permis de travail
auront un tel effet.

44 Il doit, en effet, être considéré qu’un tel refus de séjour aura pour conséquence
que lesdits enfants, citoyens de l’Union, se verront obligés de quitter le territoire de
l’Union pour accompagner leurs parents. De la même manière, si un permis de travail
n’est pas octroyé à une telle personne, celle-ci risque de ne pas disposer de ressources
nécessaires pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, ce qui aurait

51
également pour conséquence que ses enfants, citoyens de l’Union, se verraient obligés
de quitter le territoire de celle-ci. Dans de telles conditions, lesdits citoyens de l’Union
seront, de fait, dans l’impossibilité d’exercer l’essentiel des droits conférés par leur
statut de citoyen de l’Union.

45 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées que l’article 20 TFUE doit
être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre, d’une part, refuse à un
ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de
l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la
nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État tiers un permis de travail,
dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance
effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident


soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre,
d’une part, refuse à un ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants
en bas âge, citoyens de l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces
derniers et dont ils ont la nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État
tiers un permis de travail, dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits
enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen
de l’Union.

Document 5 : CJUE, 5 décembre 2013, Venturini et autres, C-159/12 à C-161/12

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 49


TFUE.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Mmes
Venturini (affaire C-159/12), Gramegna (affaire C-160/12) et Muzzio (affaire
C-161/12), trois pharmaciennes habilitées, membres de l’ordre professionnel des
pharmaciens de Milan et propriétaires d’établissements commerciaux (ci-après les
«parapharmacies»), à des Aziende Sanitarie Locali (ASL) (établissements publics de
santé locaux), à savoir à l’ASL Varese (affaire C-159/12), à l’ASL Lodi (affaire
C-160/12) et à l’ASL Pavia (affaire C-161/12), au Ministero della Salute, à la Regione
Lombardia, aux Comune di Saronno (affaire C-159/12), Comune di Sant’Angelo

52
Lodigiano (affaire C-160/12) et Comune di Bereguardo (affaire C-161/12), ainsi qu’à
l’Agenzia Italiana del Farmaco (AIFA), au sujet d’une interdiction faite aux
parapharmacies de vendre des médicaments soumis à prescription médicale qui ne sont
pas à la charge du Servizio sanitario nazionale (SSN) (service de santé national) et sont
entièrement payés par l’acheteur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le considérant 26 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du


Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications
professionnelles (JO L 255, p. 22), énonce:

«La présente directive n’assure pas la coordination de toutes les conditions d’accès aux
activités du domaine de la pharmacie et de leur exercice. La répartition géographique
des officines, notamment, et le monopole de dispense de médicaments devraient
continuer de relever de la compétence des États membres. La présente directive
n’affecte pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États
membres qui interdisent aux sociétés l’exercice de certaines activités de pharmacien ou
soumettent cet exercice à certaines conditions.»

Le droit italien

4 La loi no 468, du 22 mai 1913, a fait de la fourniture de services pharmaceutiques


une «activité de base de l’État», qui ne pouvait être exercée que par des pharmacies
municipales ou par des pharmacies privées pourvues d’une concession délivrée par le
gouvernement.

5 Afin de garantir la bonne répartition des officines de pharmacies sur tout le


territoire national, en évitant le risque qu’elles se concentrent uniquement dans les zones
les plus attractives commercialement, un instrument administratif de limitation de
l’offre a été mis en place, la «pianta organica» (ci-après le «tableau»), qui prévoit que
ces officines sont réparties, sur le territoire, dans les limites d’un nombre maximal,
considéré comme étant propre à répondre à la demande des personnes concernées afin
d’assurer à chacune d’elles une part de marché et de couvrir les besoins en médicaments
sur l’ensemble du territoire national.

6 Les développements normatifs ultérieurs ont, en substance, perpétué ce modèle.

7 Ainsi, aux termes de l’article 1er, paragraphes 1, 2 et 7, de la loi no 475, portant


les règles concernant le service pharmaceutique (legge n. 475 – Norme concernenti il
servizio farmaceutico), du 2 avril 1968 (GURI no 107, du 27 avril 1968, p. 2638), telle
que modifiée par la loi no 362, portant les règles de restructuration du secteur
pharmaceutique (legge n. 362 – Norme di riordino del settore farmaceutico), du 8
novembre 1991 (GURI no 269, du 16 novembre 1991, p. 3):

53
«1. L’autorisation d’ouvrir et d’exploiter une officine de pharmacie est délivrée par
l’autorité compétente pour le territoire concerné.

2. Le nombre des autorisations pouvant être délivrées pour chaque commune est
déterminé de sorte qu’il y ait une pharmacie pour 5 000 habitants dans les communes
ayant jusqu’à 12 500 habitants, et une pharmacie pour 4 000 habitants dans les autres
communes.

[...]

7. Toute nouvelle officine de pharmacie doit être située à une distance non inférieure
à 200 mètres des autres, de manière à répondre en toute hypothèse aux besoins des
habitants de la zone.»

8 Un décret royal no 1265, du 27 juillet 1934, avait réservé, en vertu de son article
122, la vente des médicaments aux seules pharmacies.

9 À un stade ultérieur, la loi no 537, du 24 décembre 1993, a établi une nouvelle


classification des médicaments sur la base des catégories suivantes, à savoir la catégorie
A, pour les médicaments essentiels et les médicaments pour les maladies chroniques, la
catégorie B, pour les médicaments autres que ceux relevant de la catégorie A et
présentant un intérêt thérapeutique particulier et la catégorie C, pour des médicaments
autres que ceux relevant des catégories A ou B. Aux termes de l’article 8, paragraphe
14, de la loi no 537, du 24 décembre 1993, les médicaments relevant des catégories A
ou B sont entièrement pris en charge par le service de santé national, tandis que le coût
des médicaments de la catégorie C reste entièrement à la charge du client.

10 Par la suite, l’article 85, paragraphe 1, de la loi no 388, du 23 décembre 2000, a


aboli la catégorie B, tandis que l’article 1er de la loi no 311, du 30 décembre 2004,
créait une nouvelle catégorie de médicaments, la catégorie C-bis, pour des médicaments
non assujettis à prescription médicale et qui, à la différence des produits relevant
d’autres catégories, peuvent faire l’objet de publicité destinée au public. À l’instar des
médicaments de la catégorie C, le coût des médicaments de la catégorie C-bis reste à la
charge du client.

11 Le décret-loi no 223, du 4 juillet 2006, converti en loi par la loi no 248, du 4 août
2006, permettait l’ouverture de parapharmacies, par l’intermédiaire desquelles leurs
propriétaires étaient autorisés à écouler des médicaments relevant de la catégorie C-bis.
Plus récemment, le décret-loi no 201, du 6 décembre 2011, converti en loi par la loi no
214, du 22 décembre 2011, a encore étendu le nombre de médicaments qui peuvent être
vendus par des parapharmacies, lesquelles peuvent ainsi désormais proposer au public
certains médicaments de la catégorie C pour lesquels aucune ordonnance n’est requise.

Les litiges au principal et la question préjudicielle

54
12 Les requérantes au principal ont chacune saisi l’ASL compétente ainsi que les
municipalités concernées, le Ministero della Salute et l’Agenzia Italiana del Farmaco,
d’une demande d’autorisation de distribuer au public des médicaments à usage humain
soumis à prescription médicale mais dont le coût est totalement à la charge du client
ainsi que des médicaments à usage vétérinaire assujettis également à prescription
médicale et dont le coût est également entièrement supporté par le client.

13 Le 17 août 2011, les ASL compétentes ont rejeté les demandes des requérantes au
principal au motif que, sur le fondement de la réglementation nationale en vigueur, la
vente de tels médicaments ne pouvait être réalisée que dans des pharmacies. Des refus
similaires ont été opposés par le Ministero della Salute les 16 et 18 août 2011.

14 Les requérantes au principal ont introduit, devant le Tribunale amministrativo


regionale per la Lombardia, un recours contre ces décisions soutenant que la
réglementation sur laquelle lesdites décisions étaient fondées, en ce qu’elle prévoit que
la vente, dans les parapharmacies, de médicaments de la catégorie C, soumis à
prescription médicale mais qui ne sont pas à la charge du service de santé national, est
interdite, était contraire au droit de l’Union.

15 Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a


décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui
est formulée de manière identique dans les affaires C-159/12 à C-161/12:

«Les principes de liberté d’établissement, de non-discrimination et de protection de la


concurrence visés aux articles 49 TFUE et suivants font-ils obstacle à une législation
nationale qui ne permet pas à un pharmacien, habilité et inscrit à l’ordre professionnel
correspondant mais non titulaire d’une officine incluse dans le tableau, de pouvoir
distribuer au détail, dans la parapharmacie dont il est titulaire, également les
médicaments soumis à une prescription médicale dite ‘ordonnance blanche’, c’est-à-dire
qui ne sont pas à la charge du service de santé national et [qui sont] entièrement payés
par l’acheteur, en instaurant également dans ce secteur une interdiction de vente de
certaines catégories de produits pharmaceutiques et une limitation du nombre des
établissements commerciaux qui peuvent être créés sur le territoire national?»

16 Par ordonnance du président de la Cour du 27 avril 2012, les affaires C-159/12 à


C-161/12 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

(…)

Sur le fond

Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

30 Selon une jurisprudence constante, constitue une restriction au sens de l’article 49


TFUE toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la
nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les

55
ressortissants de l’Union européenne, de la liberté d’établissement garantie par le traité
(voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p.
I-9761, point 15, et du 21 avril 2005, Commission/Grèce, C-140/03, Rec. p. I-3177,
point 27).

31 Ainsi qu’il ressort du cadre juridique national précédemment exposé, un


pharmacien qui souhaite s’établir en Italie aura la faculté de choisir entre, d’une part,
demander et, le cas échéant, obtenir la délivrance d’une autorisation préalable lui
permettant de devenir titulaire d’une pharmacie et, d’autre part, implanter une
parapharmacie, sans être subordonné, dans ce cas, à une telle autorisation.

32 S’agissant de la première option, la Cour a déjà rappelé que l’exigence d’une


autorisation préalable constituait, en principe, une restriction à la liberté d’établissement
au sens de l’article 49 TFUE (voir ordonnances du 17 décembre 2010, Polisseni,
C-217/09, point 16, et du président de la Cour du 29 septembre 2011, Grisoli,
C-315/08, point 23).

33 Toutefois, dans les affaires au principal, c’est la seconde option qui s’applique. À
cet égard, il convient de vérifier si constitue une restriction à la liberté d’établissement
une réglementation nationale qui ne permet pas à un pharmacien, ressortissant d’un
autre État membre, titulaire d’une parapharmacie de commercialiser également les
médicaments soumis à prescription médicale, notamment ceux qui ne sont pas à la
charge du service de santé national et sont entièrement payés par l’acheteur.

34 Or, il convient de constater que, dans la mesure où, contrairement au titulaire


d’une pharmacie, le titulaire d’une parapharmacie ne peut pas commercialiser ladite
catégorie de médicaments, il sera exclu de certaines parties du marché des médicaments
en Italie et, en conséquence, des bénéfices économiques en découlant.

35 Ainsi, une telle réglementation nationale est susceptible de gêner et de rendre


moins attrayant l’établissement, sur le territoire italien, d’un pharmacien ressortissant
d’un autre État membre, ayant l’intention d’y exploiter une parapharmacie.

36 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal
constitue une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.

Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement

37 Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la liberté d’établissement, qui


sont applicables sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent être justifiées par
des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir
la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre cet objectif (arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C-169/07, Rec. p. I-1721,
point 44, ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C-171/07 et
C-172/07, Rec. p. I-4171, point 25).

56
38 Dans les affaires au principal, il convient de constater, en premier lieu, que la
réglementation nationale en cause s’applique sans discrimination tenant à la nationalité.

39 S’agissant, en deuxième lieu, des objectifs effectivement poursuivis par ladite


réglementation, susceptibles de justifier des restrictions à la liberté d’établissement, il
doit être souligné que l’identification de ces objectifs relève, dans le cadre d’une affaire
dont est saisie la Cour au titre de l’article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction
de renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer, C-347/09,
Rec. p. I-8185, point 51, ainsi que du 24 janvier 2013, Stanleybet International e.a.,
C-186/11 et C-209/11, point 26).

40 Ainsi qu’il découle des décisions de renvoi, la réglementation en cause au


principal est censée poursuivre le but d’assurer un approvisionnement en médicaments
de la population sûr et de qualité qui relève d’un objectif plus général tenant à la
protection de la santé publique.

41 Or, il ressort de l’article 52, paragraphe 1, TFUE que la protection de la santé


publique peut justifier des restrictions à la liberté d’établissement. L’importance dudit
objectif est confirmée par les articles 168, paragraphe 1, TFUE et 35 de la charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne en vertu desquels, notamment, un niveau
élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre
de toutes les politiques et actions de l’Union (voir arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez,
précité, points 63 et 65).

42 En outre, la Cour a, plus précisément, jugé que des restrictions à la liberté


d’établissement peuvent être justifiées par l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir arrêt Blanco
Pérez et Chao Gómez, précité, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

43 Il s’ensuit que l’objectif visant à assurer un tel approvisionnement en


médicaments est susceptible de justifier une réglementation nationale telle que celle en
cause au principal.

44 En troisième lieu, il convient d’examiner si une telle réglementation est propre à


garantir cet objectif.

45 À cet égard, il convient de rappeler, d’abord, que l’établissement des pharmacies


sur le territoire italien fait l’objet d’un régime de planification en vertu duquel, d’une
part, le nombre de pharmacies qui y sont implantées est limité, ces dernières étant
réparties de manière équilibrée, et, d’autre part, l’installation d’une nouvelle pharmacie
est subordonnée à la délivrance d’une autorisation préalable à son titulaire.

46 Or, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui prévoit un tel régime de
planification est, en principe, propre à atteindre l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir, en ce sens,

57
arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 94, ainsi que ordonnances précitées
Polisseni, point 25, et Grisoli, point 31).

47 En effet, un tel régime peut s’avérer indispensable pour combler d’éventuelles


lacunes dans l’accès aux prestations sanitaires et pour éviter la création de structures
faisant double emploi, de sorte que soit assurée une prise en charge sanitaire adaptée
aux besoins de la population, qui couvre l’ensemble du territoire et qui tienne compte
des régions géographiquement isolées ou autrement désavantagées (voir, en ce sens,
arrêts précités Hartlauer, point 52, ainsi que Blanco Pérez et Chao Gómez, point 70).

48 Ainsi que la Cour l’a relevé, en l’absence de toute régulation, les pharmacies
pourraient se concentrer dans les localités jugées attractives, de sorte que certaines
autres localités moins attractives risqueraient de souffrir d’un nombre insuffisant de
pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique sûr et de qualité (arrêt
Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 73).

49 Dans ces circonstances, un État membre peut estimer qu’il existe un risque de
pénurie de pharmacies dans certaines parties de son territoire et, par conséquent, de
défaut d’approvisionnement en médicaments sûr et de qualité et, partant, il peut adopter
un régime de planification des pharmacies (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao
Gómez, précité, point 75).

50 Ensuite, il convient de rappeler que la réglementation nationale en cause au


principal prévoit que la distribution de tous les médicaments soumis à prescription
médicale est réservée aux seules pharmacies.

51 Or, accepter la situation souhaitée par les requérantes au principal, selon laquelle
il serait permis de commercialiser certains médicaments soumis à prescription médicale
dans les parapharmacies, reviendrait à pouvoir commercialiser ces médicaments sans
être subordonnés à l’exigence de planification territoriale. Dès lors, des intéressés
pourraient s’implanter en tout lieu et selon leur propre choix.

52 Ainsi, il n’est pas exclu qu’une telle faculté conduirait à une concentration des
parapharmacies dans les localités jugées les plus rentables et donc les plus attractives,
au risque d’entraîner une diminution de la clientèle des pharmacies dans ces localités et,
dès lors, de priver celles-ci d’une part importante de leurs revenus, et ce d’autant plus
que les pharmacies sont soumises à un certain nombre d’obligations spécifiques dans la
façon de gérer leur activité commerciale.

53 Or, une telle perte de revenus serait, non seulement, susceptible d’engendrer une
diminution de la qualité du service que les pharmacies fournissent au public, mais elle
pourrait même aboutir, le cas échéant, à la fermeture définitive de certaines pharmacies,
conduisant ainsi à une situation de pénurie des pharmacies dans certaines parties du
territoire et, partant, à un défaut d’approvisionnement de médicaments sûr et de qualité.

58
54 Il résulte de ce qui précède que la faculté, visée au point 51 du présent arrêt, aurait
des répercussions négatives sur l’effectivité de l’ensemble du système de planification
des pharmacies et donc sur la stabilité de celui-ci.

55 Dans ces conditions, la réglementation en cause au principal, qui réserve la


distribution des médicaments soumis à prescription médicale, y compris ceux qui ne
sont pas pris en charge par le service de santé national et sont entièrement payés par
l’acheteur, aux seules pharmacies, dont l’installation est subordonnée à un régime de
planification, s’avère propre à garantir la réalisation de l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité ainsi que, partant,
la protection de la santé publique.

56 Le gouvernement italien craint que, l’absence d’une réglementation nationale telle


que celle en cause au principal, conduise à une surconsommation de médicaments.
Toutefois, cette crainte n’est pas fondée.

57 En effet, peu importe, à cet égard, le nombre des établissements qui


commercialisent les médicaments soumis à prescription médicale, y compris ceux qui
ne sont pas pris en charge par le service de santé national et sont entièrement payés par
l’acheteur. Étant donné que seuls les médecins sont autorisés à prescrire ces
médicaments, tant les titulaires de pharmacies que ceux de parapharmacies n’ont, en
tout état de cause, pas d’influence directe sur le volume de distribution desdits
médicaments et ne peuvent donc pas contribuer à leur éventuelle surconsommation.

58 Il reste à examiner, en quatrième lieu, si la restriction à la liberté d’établissement


ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué, c’est-à-dire
s’il n’existe pas des mesures moins attentatoires pour y parvenir.

59 À cet égard, il convient, d’abord, de rappeler que, en vertu de la jurisprudence


constante de la Cour, dans l’appréciation du respect du principe de proportionnalité dans
le domaine de la santé publique, il convient de tenir compte du fait que l’État membre
peut décider du niveau auquel il entend assurer la protection de la santé publique et la
manière dont ce niveau doit être atteint. Ce niveau pouvant varier d’un État membre à
l’autre, il y a lieu de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (voir
arrêts du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C-141/07, Rec. p. I-6935, point
51; Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité, point 19, ainsi que Blanco Pérez et
Chao Gómez, précité, point 44).

60 Par ailleurs, il importe que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence
ou à l’importance de risques pour la santé des personnes, l’État membre puisse prendre
des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité de ces risques soit
pleinement démontrée. En particulier, un État membre peut prendre les mesures qui
réduisent, autant que possible un risque pour la santé, y compris plus précisément un
risque pour l’approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir
arrêts précités Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 30, ainsi que Blanco Pérez
et Chao Gómez, point 74).

59
61 En vertu de la réglementation nationale en cause au principal, la
commercialisation des seuls médicaments soumis à prescription médicale est réservée
aux pharmacies. Or, cette catégorie de médicaments dont la prise et la consommation
par le patient font l’objet d’un contrôle continu de la part d’un médecin et dont les
incidences sur la santé sont en général importantes doit pouvoir être rapidement,
facilement et sûrement accessible.

62 Ainsi, le risque, évoqué au point 53 du présent arrêt, lié à une éventuelle situation
de pénurie des pharmacies et conduisant à l’absence d’un accès rapide et facile aux
médicaments soumis à prescription médicale dans certaines parties du territoire, s’avère
important. Le fait que la mesure libéralisant le régime de planification des pharmacies
se limiterait aux seuls médicaments prescrits qui ne sont pas pris en charge par le
service de santé national et sont entièrement payés par l’acheteur n’est pas susceptible
de réduire l’ampleur d’un tel risque.

63 Dans ces conditions, le système mis en place dans l’État membre en cause au
principal, ne permettant pas la commercialisation dans les parapharmacies également
des médicaments soumis à prescription médicale, notamment ceux qui ne sont pas à la
charge du service national de santé et sont entièrement payés par l’acheteur, dans la
mesure où il réduit substantiellement le risque évoqué au point précédent du présent
arrêt, n’apparaît pas aller au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre l’objectif
visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population qui soit sûr et
de qualité.

64 Au demeurant, aucun élément du dossier n’est de nature à démontrer quel pourrait


être le système alternatif susceptible de réduire un tel risque avec la même efficacité.

65 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le système mis en


place par la réglementation nationale en cause au principal est justifié au regard de
l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et
de qualité, est propre à garantir la réalisation de cet objectif et n’apparaît pas aller au-
delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

66 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que


l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une
réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à un
pharmacien, habilité et inscrit à l’ordre professionnel, mais non titulaire d’une
pharmacie incluse dans le tableau, à distribuer au détail, dans la parapharmacie dont il
est titulaire, également les médicaments soumis à prescription médicale qui ne sont pas
à la charge du service national de santé et sont entièrement payés par l’acheteur.

Sur les dépens

67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident


soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

60
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une
réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à un
pharmacien, habilité et inscrit à l’ordre professionnel, mais non titulaire d’une
pharmacie incluse dans le tableau, à distribuer au détail, dans la parapharmacie dont il
est titulaire, également les médicaments soumis à prescription médicale qui ne sont pas
à la charge du service national de santé et sont entièrement payés par l’acheteur.

Document 6 : CJUE, 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C-268/15

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 novembre 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Libertés fondamentales – Articles 49, 56 et 63 TFUE – Situation


dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un État membre – Responsabilité
extracontractuelle d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des
violations du droit de l’Union imputables au législateur national et aux juridictions
nationales »

Dans l’affaire C-268/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,
introduite par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 24 avril 2015,
parvenue à la Cour le 8 juin 2015, dans la procédure

Fernand Ullens de Schooten

contre

État belge,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de


Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, Mmes M. Berger, A. Prechal et M. E. Regan,
présidents de chambre, M. A. Rosas, Mme C. Toader, MM. M. Safjan (rapporteur), D.
Šváby, E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund et C. Vajda, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. V. Tourrès, administrateur,

61
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mai 2016,

considérant les observations présentées :

– pour M. Ullens de Schooten, par Mes E. Cusas, J. Derenne, M. Lagrue et N.


Pourbaix, avocats,

– pour le gouvernement belge, par M. J.-C. Halleux, Mme C. Pochet et M. S.


Vanrie, en qualité d’agents, assistés de Mes L. Grauer, R. Jafferali et R. van Melsen,
avocats,

– pour la Commission européenne, par MM. J.-P. Keppenne et W. Mölls, en qualité


d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juin 2016,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49, 56


et 63 TFUE, de l’article 4, paragraphe 3, TUE, ainsi que des principes d’effectivité et de
primauté du droit de l’Union.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Fernand
Ullens de Schooten à l’État belge au sujet d’une action en responsabilité
extracontractuelle engagée contre ce dernier au motif que les pouvoirs législatif et
judiciaire belges auraient violé le droit de l’Union.

Le cadre juridique

Le droit belge

L’arrêté royal n° 143

3 L’arrêté royal n° 143, du 30 décembre 1982, fixant les conditions auxquelles les
laboratoires doivent répondre en vue de l’intervention de l’assurance maladie pour les
prestations de biologie clinique (Moniteur belge du 12 janvier 1983), tel que modifié par
l’article 17 de la loi-programme du 30 décembre 1988 (Moniteur belge du 5 janvier
1989, ci-après l’« arrêté royal n° 143 »), prévoit, aux termes de son article 3, paragraphe
1, que les laboratoires de biologie clinique, pour être agréés par le ministre de la Santé
publique et bénéficier de l’intervention de l’Institut national d’assurance maladie-
invalidité (INAMI), doivent être exploités par les personnes habilitées à effectuer des
prestations de biologie clinique, à savoir les médecins, les pharmaciens ou les licenciés
en sciences chimiques.

62
Le code civil

4 L’article 2262 bis, paragraphe 1, du code civil prévoit :

« Toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans.

Par dérogation à l’alinéa 1er, toute action en réparation d’un dommage fondée sur une
responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où
la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité
de la personne responsable.

Les actions visées à l’alinéa 2 se prescrivent en tout cas par vingt ans à partir du jour qui
suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage. »

Les lois coordonnées sur la comptabilité de l’État

5 L’article 100 des lois coordonnées sur la comptabilité de l’État, du 17 juillet 1991
(Moniteur belge du 21 août 1991), dans sa version applicable au litige au principal,
disposait :

« Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l’État, sans préjudice des


déchéances prononcées par d’autres dispositions légales, réglementaires ou
conventionnelles sur la matière :

1° les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le
règlement, ne l’ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de
l’année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées ;

[...] »

6 L’article 101 de ces lois était libellé comme suit :

« La prescription est interrompue par exploit d’huissier de justice, ainsi que par une
reconnaissance de dette faite par l’État.

L’intentement d’une action en justice suspend la prescription jusqu’au prononcé d’une


décision définitive. »

La loi portant organisation du budget et de la comptabilité de l’État fédéral

7 Aux termes de l’article 131, second alinéa, de la loi portant organisation du


budget et de la comptabilité de l’État fédéral, du 22 mai 2003 (Moniteur belge du 3
juillet 2003) :

63
« L’article 100, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des
lois sur la comptabilité de l’État reste applicable aux créances à charge de l’État fédéral
qui sont nées avant l’entrée en vigueur de la présente loi. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 M. Ullens de Schooten exploitait le laboratoire de biologie clinique BIORIM,


dont la faillite a été déclarée le 3 novembre 2000.

9 À la suite d’une plainte déposée auprès de la Commission européenne, cette


institution a, le 20 juin 1985, introduit devant la Cour un recours visant à faire
reconnaître que le Royaume de Belgique avait manqué aux obligations qui lui
incombaient au titre de l’article 52 du traité CE (devenu article 43 CE), en excluant du
remboursement par la sécurité sociale les prestations de biologie clinique réalisées dans
des laboratoires exploités par une personne morale de droit privé dont les membres, les
associés et les administrateurs ne sont pas tous des personnes physiques habilitées à
effectuer des analyses médicales.

10 Par arrêt du 12 février 1987, Commission/Belgique (221/85, EU:C:1987:81), la


Cour a rejeté ce recours. En particulier, en ce qui concerne la liberté d’établissement,
elle a constaté que, sous réserve du respect de l’égalité de traitement, chaque État
membre a, en l’absence de règles communautaires en la matière, la liberté de
réglementer sur son territoire l’activité des laboratoires réalisant des prestations de
biologie clinique. La Cour a également jugé que la réglementation belge en cause
n’empêchait pas que des médecins ou des pharmaciens, ressortissants d’autres États
membres, s’établissent en Belgique et y exploitent un laboratoire d’analyses cliniques
bénéficiant du remboursement par la sécurité sociale. La Cour en a conclu qu’il
s’agissait d’une réglementation indistinctement applicable aux ressortissants belges et à
ceux des autres États membres, dont le contenu et les objectifs ne permettaient pas de
conclure qu’elle avait été adoptée à des fins discriminatoires ou qu’elle produisait des
effets de cette nature.

11 Au cours de l’année 1989, le laboratoire BIORIM a fait l’objet d’une enquête


pénale en raison d’une suspicion de fraude fiscale. À l’issue de cette enquête, M. Ullens
de Schooten a été poursuivi notamment pour la dissimulation de l’exploitation illégale
d’un laboratoire, ce qui constitue une violation de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143.

12 Par jugement du 30 octobre 1998, le tribunal de première instance de Bruxelles


(Belgique) a condamné M. Ullens de Schooten à une peine de cinq ans
d’emprisonnement ferme ainsi qu’à une amende. Par ailleurs, cette juridiction a fait
droit aux demandes des mutuelles qui s’étaient constituées parties civiles et a condamné
M. Ullens de Schooten à leur payer la somme d’un euro à titre provisionnel.

13 Cette juridiction a écarté l’argument de M. Ullens de Schooten selon lequel


l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 n’était pas en vigueur au cours de la période des faits
qui faisaient l’objet des poursuites pénales contre lui.

64
14 Par arrêt du 7 décembre 2000, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) a annulé ce
jugement. Cette juridiction a toutefois condamné M. Ullens de Schooten pour les
mêmes faits à une peine d’emprisonnement de cinq ans, assortie d’un sursis pour la
partie de la peine excédant quatre ans, ainsi qu’à une amende. Les demandes introduites
par les parties civiles ont été déclarées irrecevables ou non fondées.

15 Il ressort de la décision de renvoi que cet arrêt a « supprimé toute référence » à


une violation de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 en ce qui concerne les faits commis
avant son entrée en vigueur. S’agissant des faits commis après l’entrée en vigueur de
cette disposition, la cour d’appel de Bruxelles a rejeté le grief tiré par M. Ullens de
Schooten de la non-conformité de cette disposition au droit de l’Union, tout en refusant
de poser à la Cour une question à titre préjudiciel.

16 Par arrêt du 14 février 2001, la Cour de cassation (Belgique) a rejeté les pourvois
dirigés contre la condamnation pénale prononcée par la cour d’appel de Bruxelles, a
accueilli les pourvois formés par les parties civiles, et a renvoyé l’affaire devant la cour
d’appel de Mons (Belgique).

17 Par arrêt du 23 novembre 2005, la cour d’appel de Mons a déclaré partiellement


fondée la demande de paiement formée par six mutuelles à l’encontre de M. Ullens de
Schooten en lien avec les montants versés à tort au laboratoire BIORIM au cours de la
période allant du 1er août 1989 au 16 avril 1992.

18 Cette juridiction a rejeté l’argument de M. Ullens de Schooten tiré d’une


non-conformité de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 au droit de l’Union. S’estimant
tenue par l’autorité de chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 7
décembre 2000, la cour d’appel de Mons a condamné M. Ullens de Schooten à payer à
ces mutuelles la somme d’un euro à titre provisionnel, les mutuelles concernées étant
invitées à recalculer leur dommage en ce qui concerne les paiements effectués après
l’entrée en vigueur de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143.

19 Saisie de pourvois formés contre cet arrêt, la Cour de cassation les a rejetés par
arrêt du 14 juin 2006.

20 Parallèlement à cette procédure judiciaire concernant la responsabilité de M.


Ullens de Schooten, la commission de biologie clinique a, par décision du 18 mars
1999, suspendu l’agrément du laboratoire BIORIM pour une durée de douze mois.

21 Par arrêté ministériel du 9 juillet 1999, le ministre de la Santé publique a rejeté le


recours administratif formé contre cette décision.

22 Par décision du 8 juin 2000, la commission de biologie clinique a prolongé la


suspension de l’agrément de douze mois.

65
23 Par arrêté ministériel du 24 juillet 2000, le ministre de la Santé publique a rejeté
le recours administratif formé contre cette nouvelle décision.

24 Saisi de deux recours en annulation introduits contre ces arrêtés ministériels, le


Conseil d’État (Belgique) a posé à la Cour constitutionnelle (Belgique) une question
préjudicielle portant sur la conformité de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 à la
Constitution.

25 Dans le même temps, saisie d’une plainte déposée par M. Ullens de Schooten, la
Commission a émis à l’encontre du Royaume de Belgique, le 17 juillet 2002, un avis
motivé dans lequel elle estimait que l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 était contraire à
l’article 43 CE.

26 À la suite de la modification par l’État belge de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143,


l’affaire a été classée par la Commission.

27 Par arrêt n° 160/2007, du 19 décembre 2007, la Cour constitutionnelle a jugé que


cette disposition, dans sa version applicable avant cette modification, était conforme à la
Constitution.

28 Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a constaté que, dès lors que les rapports
juridiques du laboratoire BIORIM « se situent entièrement au sein de la sphère interne
d’un État membre », ce laboratoire ne saurait se prévaloir des articles 43, 49 et 56 CE.

29 Par conséquent, le Conseil d’État a, par arrêts des 10 septembre et 22 décembre


2008, rejeté les recours.

30 Par requêtes des 14 décembre 2006 et 21 août 2007, M. Ullens de Schooten a


introduit devant la Cour européenne des droits de l’homme un recours tendant à faire
constater la violation, par l’État belge, de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

31 Par arrêt du 20 septembre 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique


(CE:ECHR:2011:0920JUD000398907), la Cour européenne des droits de l’homme a
jugé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 6, paragraphe 1, de ladite convention.

32 Le 17 juillet 2007, M. Ullens de Schooten a saisi le tribunal de première instance


de Bruxelles d’une requête dirigée contre l’État belge visant à garantir, en premier lieu,
toutes les conséquences financières de sa condamnation prononcée par l’arrêt du 23
novembre 2005 de la cour d’appel de Mons, en deuxième lieu, toutes les conséquences
d’éventuelles condamnations prononcées à sa charge sur la demande du laboratoire
BIORIM ou de son ancien gérant et, en troisième lieu, toutes les conséquences d’une
condamnation prononcée à sa charge dans le cadre des litiges fiscaux.

33 Par cette requête, M. Ullens de Schooten a demandé la condamnation de l’État


belge au paiement d’une somme de 500 000 euros au titre du préjudice moral, d’une

66
somme de 34 500 000 euros à titre provisionnel en raison de l’impossibilité d’exploiter
le laboratoire BIORIM, ainsi que d’une somme d’un euro provisionnel pour les
honoraires et les frais d’avocat.

34 M. Ullens de Schooten a demandé au tribunal de première instance de Bruxelles,


dans l’hypothèse où celui-ci éprouverait des doutes en ce qui concerne l’application du
droit de l’Union en l’espèce, de poser à la Cour une question à titre préjudiciel.

35 Par jugement du 19 juin 2009, le tribunal de première instance de Bruxelles a


déclaré la demande visée au point 33 du présent arrêt irrecevable au motif qu’elle était
prescrite.

36 M. Ullens de Schooten a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de


renvoi, laquelle éprouve des doutes quant à l’interprétation et l’application du droit de
l’Union en l’espèce.

37 Dans ces conditions, la cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et


de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le droit de l’Union, notamment le principe d’effectivité, requiert-il que, en


certaines circonstances [...], le délai de prescription national, tel [que prévu à] l’article
100 des lois coordonnées sur la comptabilité de l’État applicable à une demande
d’indemnisation formée par un particulier contre l’État belge pour violation de l’article
43 CE par le législateur, ne commence à courir que lorsque cette violation a été
constatée ou, a contrario, le principe d’effectivité est-il suffisamment garanti en ces
circonstances par la possibilité laissée à ce particulier d’interrompre la prescription en
signifiant un exploit d’huissier ?

2) Les articles 43, 49 et 56 CE et la notion de “situation purement interne” qui est


susceptible de limiter l’invocation de ces dispositions par un justiciable dans le cadre
d’un litige devant un juge national doivent-ils être interprétés comme s’opposant à
l’application du droit européen dans un litige entre un ressortissant belge et l’État belge
visant à faire réparer les dommages causés par la violation alléguée du droit de l’Union
constitués par l’adoption et le maintien en vigueur d’une législation belge du type de
celle de l’article 3 de l’arrêté royal n° 143 qui s’applique de manière indistincte aux
nationaux et aux ressortissants des autres États membres ?

3) Le principe de primauté du droit européen et l’article 4, paragraphe 3, TUE


doivent-ils être interprétés comme ne permettant pas d’écarter la règle de l’autorité de
chose jugée lorsqu’il s’agit de réexaminer ou d’annuler une décision judiciaire passée en
force de chose jugée qui s’avère contraire au droit européen mais, au contraire, comme
permettant d’écarter l’application d’une règle nationale d’autorité de chose jugée
lorsque celle-ci commanderait d’adopter, sur le fondement de cette décision judiciaire
passée en force de chose jugée mais contraire au droit européen, une autre décision
judiciaire qui viendrait perpétuer la violation du droit européen par cette première
décision judiciaire ?

67
4) La Cour pourrait-elle confirmer que la question de savoir si la règle de l’autorité
de la chose jugée doit être écartée en cas de décision juridictionnelle ayant acquis force
de chose jugée contraire au droit européen dans le cadre d’une demande de réexamen ou
d’annulation de cette décision n’est pas une question matériellement identique au sens
des arrêts [du 27 mars 1963, Da Costa e.a. (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6) ainsi que du 6
octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335)] à la question de savoir si la règle de
l’autorité de la chose jugée contraire au droit européen dans le cadre d’une demande
d’une (nouvelle) décision qui devrait répéter la violation du droit européen, de sorte que
la juridiction statuant en dernier ressort ne peut échapper à son obligation de renvoi
préjudiciel ? »

(…)

Sur la deuxième question

45 Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la


juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en
ce sens que le régime de la responsabilité extracontractuelle d’un État membre pour le
dommage causé par la violation de ce droit a vocation à s’appliquer en présence d’un
dommage prétendument causé à un particulier en raison de la violation alléguée d’une
liberté fondamentale, prévue aux articles 49, 56 ou 63 TFUE, par une réglementation
nationale indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants
d’autres États membres, dans une affaire dont tous les éléments se cantonnent à
l’intérieur de ce seul État membre.

46 Afin de répondre à la deuxième question, il convient, d’emblée, de relever que,


ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, la responsabilité extracontractuelle
de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de
l’Union ne saurait être engagée que lorsque la règle du droit de l’Union concernée a
pour objet de conférer des droits à ces particuliers. Par conséquent, il est nécessaire de
déterminer si un particulier qui se trouve dans une situation telle que celle de M. Ullens
de Schooten tire des droits des dispositions concernées du traité FUE.

47 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les dispositions du traité FUE en matière
de liberté d’établissement, de libre prestation des services et de libre circulation des
capitaux ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 2014,
Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona, C-139/12, EU:C:2014:174, point 42 et
jurisprudence citée, ainsi que du 30 juin 2016, Admiral Casinos & Entertainment,
C-464/15, EU:C:2016:500, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

48 Or, ainsi qu’il ressort tant de la décision de renvoi que de l’arrêt n° 160/2007, du
19 décembre 2007, de la Cour constitutionnelle belge, visé aux points 27 et 28 du
présent arrêt, le litige au principal est caractérisé par des éléments qui se cantonnent tous
à l’intérieur de l’État belge. En effet, M. Ullens de Schooten, ressortissant belge, qui a

68
exploité un laboratoire de biologie clinique situé sur le territoire belge, demande à l’État
belge la réparation des dommages qu’il allègue avoir subis du fait de la prétendue
incompatibilité de la réglementation belge visée au point 3 du présent arrêt avec le droit
de l’Union.

49 Quant au fait pour la Cour d’avoir apprécié, dans l’arrêt du 12 février 1987,
Commission/Belgique (221/85, EU:C:1987:81), portant sur le recours en manquement
introduit par la Commission, le respect par le Royaume de Belgique d’une des libertés
fondamentales prévues par le traité CEE, il ne saurait, à lui seul, permettre de considérer
que cette liberté peut être invoquée par un particulier dans une affaire telle que celle en
cause au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État
membre. En effet, tandis que l’introduction d’un recours en manquement implique que
la Cour vérifie si la mesure nationale contestée par la Commission est, d’une manière
générale, susceptible de dissuader les opérateurs d’autres États membres de faire usage
de la liberté en cause, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle,
est, en revanche, d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret
pendant devant elle, ce qui présuppose qu’il soit établi que ladite liberté est applicable à
ce litige.

50 Certes, la Cour a considéré comme étant recevables des demandes de décision


préjudicielle portant sur l’interprétation des dispositions des traités relatives aux libertés
fondamentales bien que tous les éléments des litiges au principal fussent cantonnés à
l’intérieur d’un seul État membre, au motif qu’il ne pouvait être exclu que des
ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire
usage de ces libertés pour exercer des activités sur le territoire de l’État membre ayant
édicté la réglementation nationale en cause et, partant, que cette réglementation,
indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres
États membres, soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet
État membre (voir en ce sens, notamment, arrêts du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao
Gómez, C-570/07 et C-571/07, EU:C:2010:300, point 40 ; du 18 juillet 2013, Citroën
Belux, C-265/12, EU:C:2013:498, point 33, ainsi que du 5 décembre 2013, Venturini
e.a., C-159/12 à C-161/12, EU:C:2013:791, points 25 et 26).

51 De même, la Cour a relevé que, lorsque la juridiction de renvoi la saisit dans le


cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux
ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la
décision que cette juridiction adoptera à la suite de son arrêt rendu à titre préjudiciel
produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie
qu’elle réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du
traité relatives aux libertés fondamentales en dépit du fait que tous les éléments du litige
au principal sont cantonnés à un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013,
Libert e.a., C-197/11 et C-203/11, EU:C:2013:288, point 35).

52 Il convient, par ailleurs, de rappeler que l’interprétation des libertés


fondamentales prévues aux articles 49, 56 ou 63 TFUE peut s’avérer pertinente dans
une affaire dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre

69
lorsque le droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier un
ressortissant de l’État membre dont cette juridiction relève des mêmes droits que ceux
qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même
situation (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98,
EU:C:2000:663, point 23 ; du 21 juin 2012, Susisalo e.a., C-84/11, EU:C:2012:374,
point 20, ainsi que du 21 février 2013, Ordine degli Ingegneri di Verona e Provincia
e.a., C-111/12, EU:C:2013:100, point 35).

53 Il en est également ainsi dans les cas où, même si les faits au principal ne relèvent
pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions de ce droit
ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour
les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur
d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts
du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, EU:C:1990:360, points 36, 37 et
41 ; du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28/95, EU:C:1997:369, points 27 et 32, ainsi
que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, EU:C:2013:160, point
20).

54 Cela étant, dans les cas visés aux points 50 à 53 du présent arrêt, la Cour, saisie
par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, ne saurait, sans indication de cette
juridiction autre que le fait que la réglementation nationale en cause est indistinctement
applicable aux ressortissants de l’État membre concerné et aux ressortissants d’autres
États membres, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les
dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales lui est nécessaire à la
solution du litige pendant devant elle. En effet, les éléments concrets permettant
d’établir un lien entre l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se
cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et les articles 49, 56 ou 63 TFUE
doivent ressortir de la décision de renvoi.

55 Par conséquent, dans le contexte d’une situation telle que celle en cause au
principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, il
appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige
l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère
purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de
l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend
l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige.

56 Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, le


droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier un ressortissant belge
des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit
de l’Union dans la même situation ou que les dispositions de ce droit ont été rendues
applicables par la législation belge, laquelle se conformerait, pour les solutions
apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur de l’État
belge, à celles retenues par le droit de l’Union.

70
57 En l’occurrence, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans le cadre d’un
recours en responsabilité extracontractuelle engagé à l’encontre d’un État membre en
raison d’une violation alléguée du droit de l’Union, un ressortissant de cet État membre
peut tirer des droits des articles 49, 56 ou 63 TFUE, alors même que le litige en cause ne
présente aucun élément de rattachement avec ces dispositions. Toutefois, dès lors que
les circonstances du litige au principal ne présentent aucun élément de cette nature, ces
dispositions, qui visent à protéger les personnes faisant un usage effectif des libertés
fondamentales, ne sont pas susceptibles de conférer des droits à M. Ullens de Schooten
et, partant, le droit de l’Union ne saurait fonder la responsabilité extracontractuelle de
l’État membre concerné.

58 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à


la deuxième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que le
régime de la responsabilité extracontractuelle d’un État membre pour le dommage causé
par la violation de ce droit n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’un dommage
prétendument causé à un particulier en raison de la violation alléguée d’une liberté
fondamentale, prévue aux articles 49, 56 ou 63 TFUE, par une réglementation nationale
indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres
États membres, lorsque, dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à
l’intérieur d’un État membre, il n’existe aucun lien entre l’objet ou les circonstances du
litige au principal et ces articles.

Sur les première, troisième et quatrième questions

59 Les première, troisième et quatrième questions reposant sur la prémisse erronée


selon laquelle le droit de l’Union serait de nature à fonder la responsabilité
extracontractuelle de l’État membre concerné dans un litige tel que celui en cause au
principal, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur les dépens

60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident


soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que le régime de la responsabilité


extracontractuelle d’un État membre pour le dommage causé par la violation de ce droit
n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’un dommage prétendument causé à un
particulier en raison de la violation alléguée d’une liberté fondamentale, prévue aux
articles 49, 56 ou 63 TFUE, par une réglementation nationale indistinctement applicable
aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres États membres, lorsque, dans
une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un État membre, il
n’existe aucun lien entre l’objet ou les circonstances du litige au principal et ces articles.

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