idées

MAGAZINE
CATE BLANCHETT L’affaire Bastien Vivès et la
DANS LA FORCE DE L’ART bande dessinée en débat

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 28 JANVIER 2023 - 79E ANNÉE - NO 24281 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Hausse historique de l’immigration liée au travail
▶ Selon le ministère de ▶ Ce sont principalement ▶ Dans un contexte de ▶ Le patronat est divisé ▶ L’exécutif veut augmen­
l’intérieur, la France a les étudiants (+ 22,8 %) et très forts besoins de au sujet de la création ter le nombre des expul­
délivré plus de 320 000 l’immigration pour des main­d’œuvre, les régula­ d’un titre de séjour pour sions et porter les capaci­
premiers titres de séjour motifs économiques (en risations de travailleurs les « métiers en tension », tés de rétention de 1 200
en 2022, soit une croissance croissance de 45 %) qui sans papiers ont, elles prévue par le projet de loi à 3 000 places d’ici à 2027
de 17 % par rapport à 2021 expliquent ce phénomène aussi, augmenté (de 29 %) « immigration » PAGE 14

Congrès à haut  Economie
NATALITÉ risque pour le  La croissance 
Parti socialiste américaine a 
AU JAPON atteint 2,1 %
ambiance pour le moins tendue,

L’ÉTAT  huit jours après le vote très serré

des militants et à la veille de
l’ouverture du congrès du PS, qui
Après la publication des
chiffres de la croissance
D’ALERTE se tient du 27 au 29 janvier à Mar­
seille. Pour l’heure, les deux can­
didats au poste de premier secré­
de 2022 et du chômage
(à son plus bas niveau
depuis cinquante ans),
▶ Moins de 800 000 taire, Olivier Faure et Nicolas
Mayer­Rossignol, campent sur les Américains espèrent
naissances en 2022 des positions irréconciliables. échapper à la récession
L’enjeu de cette querelle est im­
▶ « Nous sommes portant : il y va non seulement de
PAGE 19

sur le point de ne
1
l’avenir du parti, mais aussi de ce­
plus pouvoir main­ lui de la Nupes.
Du côté des militants, l’heure
tenir le fonctionne­ est au désenchantement. « Fini É DI TOR IA L
ment de la société », pour moi, ils m’ont tous désespéré
déclare le premier depuis longtemps », dit l’un d’eux FACE À LA RUSSIE, 
ministre
qui appartient à la fédération
du Nord. « Ils donnent l’im­
LA RÉSILIENCE 
PAGE 16 pression que ce qui compte, c’est DE L’ÉCONOMIE 
Des enfants de maternelle,
à Tokyo, en novembre 2021.
le poste de chef, et rien d’autre »,
regrette un second.
EUROPÉENNE
STANISLAV KOGIKU/REUTERS P AGE 3 3
PAGE S 8- 9

Cisjordanie Laporte démissionne, la stratégie  Indo­Pacifique

Les objectifs de
BLUE MONDAY PRODUCTIONS
PRÉSENTE

"UNE FRESQUE FAMILIALE

Raid israélien d’Oudéa­Castéra confortée la France jugés INTELLIGENTE ET SENSIBLE "
LE MONDE

le plus meurtrier  « peu lisibles »

PAGE 7
depuis vingt ans
Neuf Palestiniens sont Crise climatique
morts dans une opération Macron tente
de l’armée israélienne de reprendre
contre le camp de réfugiés
de Jénine, qui visait la maîtrise
des militants du Jihad de l’agenda
islamique. PAGE 12
PAGE 2 ANNABELLE
LENGRONNE

Elections
STÉPHANE
Luxe BAK

Les ventes KENZO

Les comptes de LVMH frôlent

SAMBIN

AHMED
SYLLA

de la campagne  les 80 milliards

UN
d’euros
2022 validés A Paris, au ministère, le 25 juillet 2022. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

La commission nationale
chargée d’éplucher les
factures de la campagne
s’il est une ministre qui n’a pas
connu d’état de grâce, c’est bien
elle : huit jours après sa nomina­
tion, le 20 mai 2022, comme mi­
nistre des sports et des Jeux olym­
du comité directeur de la Fédéra­
PAGE 17 PETIT
tion française de rugby, elle ap­
prend la démission du président,
Bernard Laporte. Reste mainte­ France­Algérie FRERE
nant à Amélie Oudéa­Castéra à ré­ Une commission
© 2022 BLUE MONDAY PRODUCTIONS – FRANCE 3 CINÉMA

présidentielle a rendu
un verdict positif, en dépit
de certaines réserves
PAGE 15
piques et paralympiques, elle est gler le sort du président de la Fédé­
cueillie à froid par le fiasco de la fi­ ration de football, Noël Le Graët. Et mixte d’historiens AU CINÉMA LE 1 ER FÉVRIER
nale de la Ligue des champions au à organiser dans de bonnes condi­
Stade de France. Quelques mois tions les JO 2024 de Paris. est nommée
plus tard, vendredi 27 janvier, lors PAGE S 22 -23 PAGE 4
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 5,40 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 5,40 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
A Jénine, récit d’un assaut israélien meurtrier
Neuf Palestiniens sont morts dans l’attaque du camp de réfugiés, la plus sanglante depuis deux décennies
REPORTAGE
jénine (cisjordanie occupée) ­
envoyé spécial
N
euf morts et au moins
vingt blessés. Le camp
de réfugiés de Jénine a
subi, jeudi 26 janvier,
le raid le plus violent mené par
l’armée israélienne depuis deux
décennies en Cisjordanie. L’atta­
que lancée par l’Etat hébreu contre
des militants du Jihad islamique
clôt un mois pendant lequel plus
d’un Palestinien est mort chaque
jour, tué par l’armée ou des co­
lons. Elle marque une accélération
de l’opération militaire lancée au
printemps 2022, censée briser une
insurrection armée naissante, qui
a évolué en répression massive à
travers toute la Cisjordanie.
Le président de l’Autorité palesti­
nienne, Mahmoud Abbas, large­
ment impuissant dans cette sé­
quence, a annoncé la rupture des
accords de coopération sécuritaire
qui le lient à Israël. Un geste lourd
de conséquences, s’il est appliqué.
Dans la nuit de jeudi à vendredi,
des roquettes ont été tirées depuis
la bande de Gaza en représailles,
suscitant en retour des frappes is­
raéliennes contre un camp des is­
lamistes du Hamas et un centre de
fabrication de roquettes.
A Jénine, où l’armée intervient
chaque semaine depuis un an, le
seul élément de comparaison par­
tagé par chacun, c’est la destruc­
tion du camp par l’armée, durant
la deuxième Intifada, en 2002.
Une opération qui avait coûté la
vie à 52 Palestiniens, dont une
vingtaine de civils, et 23 soldats is­
raéliens. Jeudi, les premiers tirs
ont retenti vers 7 heures du matin.
Des unités d’élite israéliennes
étaient déjà présentes dans le
camp. Les Brigades de Jénine, une
formation qui regroupe toutes les
factions armées locales, en repè­
rent une, à bord d’un camion bleu
de la laiterie Jneidi. Dans le quar­
tier Hawasheen, accolé à l’hôpital
Khalil­Suleiman et au centre­ville,
un guetteur de ces brigades est
tué. Ezzeddin Salahat, un membre
de la police militaire de 22 ans,
s’affichait depuis un mois publi­
quement au sein de la résistance,
selon son frère aîné, Ammar. Son
père, sous­officier au sein de la
garde présidentielle à Ramallah, le
siège de l’Autorité palestinienne,
déplorait qu’il ait pris les armes
contre Israël, mais il laissait faire.
Les blindés pénètrent alors der­
rière au moins un bulldozer, qui
dégage les chevaux de frise dispo­
sés durant la nuit par les brigades
en travers des rues. Ils se fraient un
passage jusqu’au cœur du camp.
Fait rare : l’armée a beau pénétrer
sans cesse à l’intérieur, elle rechi­
gne à s’engager jusque dans les
profondeurs de ces ruelles, où la
résistance ne cesse de se densifier.
Les blindés gravissent une
ruelle en pente, passent sous les
hauts draps que les combattants
ont tendus pour bloquer la vue
des snipers israéliens. Ceux­ci
prennent position les premiers
sur les toits, autour d’une maison
située dans les premiers contre­
forts de la colline à laquelle le
camp s’adosse. Les combattants
palestiniens font couler dans la
pente quantité d’huile noire, cen­
sée gêner les véhicules militaires.
Après leur départ, ils épongeront
en versant du sable. L’armée en­
Le secrétaire d’Etat américain
attendu en Israël et en Cisjordanie
Antony Blinken, secrétaire d’Etat américain, effectuera une visite
en Israël et en Cisjordanie, les 30 et 31 janvier, dans un contexte
de forte tension. Après une rencontre au Caire, dimanche
29 janvier, avec le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi,
le chef de la diplomatie américaine s’entretiendra avec Benya-
min Nétanyahou, le premier ministre israélien, puis avec
Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne. Après que
ce dernier a annoncé une rupture de la coordination sécuritaire
avec l’Etat hébreu, Washington dit regretter cette annonce
– souvent faite dans le passé – et appelle à la désescalade.
Des Palestiniens portent les corps de victimes d’un raid israélien sur le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, le 26 janvier. PHOTOS : ZAIN JAAFAR/AFP
Affrontements dans la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée, le 26 janvier.
cercle la maison de Ziad Sabbar,
de sa grand­mère et de sa tante,
Abir. Agé d’une petite vingtaine
d’années, Ziad est un enfant du
Fatah, le parti au pouvoir. L’uni­
que fils d’un commandant tué
durant la deuxième Intifada. Le
neveu d’un ancien prisonnier en
Israël, aujourd’hui principal con­
tact des agences des Nations
unies dans le camp. Le garçon se
rend vite aux militaires avec sa
tante, tandis que d’autres occu­
pants se barricadent à l’intérieur.
Ces assiégés sont trois frères et
un ami d’enfance. Originaires du
village voisin de Burqin, Ahmad,
Mohammed et Nour Ghneim ap­
partiennent au Jihad islamique,
formation militaire à la pointe de
l’insurrection en cours, qui n’as­
pire pas au pouvoir. Depuis trois
semaines, ils ont suivi dans la
clandestinité leur ami Moham­
med Sobh. Ils ont quitté femmes
et enfants, ne répondent plus au
téléphone. La veille au soir, ils sont
discrètement rentrés à Burqin
pour dîner avec un ami, avant de
regagner leur planque à Jénine.
« C’était une exécution »
Vers 7 h 30, jeudi, un officier israé­
lien appelle leur mère, au village.
« Il lui a demandé de les convaincre
de se rendre, sinon il promettait
qu’elle ne les reverrait plus », ra­
conte un quatrième membre de la
fratrie, Shadi. La mère se précipite
à Jénine. Vers 8 heures, elle bute
sur un barrage israélien à l’entrée
du camp. Les soldats ne la laissent
pas passer. L’armée a bloqué tou­
tes les entrées. Les brigades la har­
cèlent. Les forces israéliennes doi­
vent faire venir des renforts. Ses
snipers paraissent omniprésents.
Vers 8 heures, l’un d’eux tire
sur Abdallah Al­Jboul, 17 ans. Fils
d’un mécanicien, il devait passer
son bac cette année. Son cousin
Mohammed, étudiant infirmier,
a tenté de lui porter les premiers
secours.
« Par loyauté au camp », ce der­
nier s’active depuis un an au sein
de la Société palestinienne de se­
cours médical. A chaque incur­
sion de l’armée, ils sont quelques
dizaines d’habitants, médecins et
infirmiers volontaires, à interve­
nir les premiers, au prix de graves
dangers. La semaine dernière, un
enseignant de 55 ans a été tué par
un sniper, alors qu’il tentait
d’aider un combattant blessé sur
le pas de sa porte. Mohammed dit
avoir été lui aussi visé à plusieurs
reprises. « Les autres m’ont crié de
m’écarter. Je l’ai fait. Nous avons
appelé une ambulance. Elle n’a pu
arriver qu’une demi­heure plus
tard. » Le jeune Abdallah s’était
vidé de son sang. « C’était une exé­
cution. Nous aurions pu le sauver,
mais [les Israéliens] nous en ont
empêchés », dit Mohammed.
Un peu plus tard, il a tenté de
porter secours à une femme, Ma­
jda Obeid, qui est morte à 61 ans
de ses blessures. « Une balle a tra­
versé son torse et est ressortie par
l’arrière de la tête. Elle était assise
chez elle. » Selon le gouverneur de
Jénine, Akram Rajoub, « les se­
cours n’ont pu emporter que deux
victimes durant le raid, elles sont
arrivées décédées à l’hôpital. Les
Israéliens ont empêché les autres
ambulances d’entrer, comme du­
rant le précédent raid, la semaine
dernière. Certains blessés auraient
peut­être pu être sauvés sans
cela ». De la maison où les trois
frères Ghneim se cachaient, au
centre du camp, il ne reste plus
grand­chose. L’armée dit avoir
fait sauter des explosifs disposés
par les assiégés au rez­de­chaus­
sée, dont les murs ont volé en
éclats. Un pan entier de la maison
s’est effondré à l’arrière. Les sol­
dats ont tiré au missile antichar
sur l’étage supérieur. La carcasse
de métal d’un canapé entière­
ment brûlé dans les gravats at­
teste de la violence de la déflagra­
tion. A l’hôpital, Shadi Ghneim
peinera à reconnaître le corps
carbonisé de son frère cadet,
Nour, dont la jambe droite a été
arrachée. Ahmad est mort lui
aussi. Mohammed est griève­
ment brûlé.
L’armée intensifie ses opérations
En début d’après­midi, trois
morts originaires du camp ont été
enterrés au cimetière des « mar­
tyrs », à côté des victimes de la se­
maine dernière. Ce vaste carré de
murs chaulés, bâti en 2019, est
déjà presque plein. Deux autres
trous ont déjà été creusés, pour le
cas où des blessés succombe­
raient. Des jeunes viennent de
Tulkarem (nord) pour leur rendre
hommage. Au soir, au club social
du camp, on croise « Abou Ham­
zeh » et d’autres membres des
Lions, groupe insurgé de Na­
plouse, partenaire des Brigades.
A l’entrée du village de Burqin, la
famille Ghneim rend hommage à
ses morts dans un hall festonné
de drapeaux jaunes du Fatah, le
parti de leur père, général au sein
des Forces de sécurité nationales,
l’embryon d’armée palestinienne.
Sami est un pur produit du Fatah :
il a suivi Yasser Arafat lorsqu’il a
dû fuir Beyrouth, durant la guerre
civile libanaise, en 1982. Il a vécu
en Iraq, a intégré le quartier géné­
ral de sa force à Ramallah en 1996,
après les accords de paix d’Oslo.
Depuis le 17 janvier, il est empri­
sonné en Israël. L’Etat hébreu
« voulait faire pression à travers lui
sur ses fils, pour les contraindre à se
rendre », raconte leur frère, Shadi.
Selon leurs amis et l’armée israé­
lienne, les trois frères, anciens po­
liciers, ex­prisonniers en Israël,
avaient mené des attaques contre
des points de contrôle militaires et
contre des colons en Cisjordanie.
De telles trajectoires familiales
sont monnaie courante. On ne
compte plus le nombre d’enfants
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Les combattants
palestiniens font
couler dans la
pente quantité
d’huile noire,
censée gêner
les véhicules
militaires
de responsables de sécurité du Fa­
tah qui, constatant l’échec de leurs
pères, plongent dans la lutte ar­
mée au sein du Jihad islamique.
Cela embarrasse le parti au pou­
voir. Cela peut aussi expliquer en
partie la vive réaction du prési­
dent Mahmoud Abbas, dans
l’après­midi. Sa promesse de
rompre la coopération sécuritaire
– ce n’est pas la première – a paru
creuse à bien des habitants de Jé­
nine. Il l’a déjà fait, en 2020, lors­
que le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, s’apprê­
tait à annexer des territoires occu­
pés en Cisjordanie. Depuis le re­
tour de ce dernier au pouvoir en
décembre 2022, son gouverne­
ment présente l’annexion des ter­
ritoires comme un acquis : il ne
prétend plus que leur occupation,
en vigueur depuis la conquête de
1967, est temporaire. Les mem­
bres d’extrême droite de sa coali­
tion souhaitent détruire ce qu’il
reste de l’Autorité palestinienne.
Ces tiraillements promettent de
compliquer la visite du secrétaire
d’Etat américain Antony Blinken
en Israël et dans les territoires,
prévue à partir de lundi. Les auto­
rités israéliennes ont affirmé que
ce raid, en dépit de son lourd bilan,
ne marquait pas une accélération
durable de ses opérations, ni un
changement de politique. Cepen­
dant, le fait est que l’armée inten­
sifie ses opérations. Avant le début
du ramadan, fin mars, elle entend
arrêter le maximum d’insurgés
et confisquer le plus d’armes en
Cisjordanie. Elle prévoit des pro­
vocations de ministres d’extrême
droite sur les lieux saints de Jéru­
salem. Et elle cherche à endiguer
par avance la réponse des mili­
tants palestiniens. p
louis imbert
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4 | international
Casablanca, « frontière invisible » de l’Europe
De nombreux migrants subsahariens, rêvant du Vieux Continent, se trouvent bloqués dans la cité marocaine
REPORTAGE
Casablanca, correspondance
I
l leur reste encore 300 km à
parcourir avant d’atteindre
les rives de la Méditerranée.
A Casablanca, autour de la
gare routière d’Ouled Ziane, les
migrants originaires d’Afrique
subsaharienne ne sont que de pas­
sage. Du moins, c’est ce qu’ils espè­
rent. Après une longue traversée
du désert, ils ont dû s’arrêter dans
la capitale économique du Maroc.
Le long du boulevard, sous un
pont, sur le chantier d’un tram­
way… Ils sont des centaines à sur­
vivre dans le dénuement le plus
complet, avant de tenter de rejoin­
dre les enclaves espagnoles de
Ceuta et Melilla, seules frontières
terrestres entre l’Afrique et l’Eu­
rope. A Ouled Ziane, les sans­pa­
piers côtoient les sans­abri et les
enfants des rues, en un désolant
condensé de misère humaine. Des
silhouettes enroulées dans des
couvertures souillées. Des corps
qui s’étirent, endoloris par la ru­
desse du sol. Des hommes, jeunes
– certains mineurs –, mendiant
aux feux rouges, parfois pieds nus,
un sac plastique à la main conte­
nant leurs maigres affaires.
A deux pas de la gare, des dizai­
nes de Soudanais se sont réfugiés
dans une école désaffectée. Le plus
jeune a 12 ans. Mahamat a fui le
Soudan du Sud, seul, et traversé le
Tchad, le Niger et l’Algérie. Ceuta,
Melilla, il connaît. Il a déjà fait le
trajet six fois en un an. « Dans mon
pays, c’est la guerre, dit­il. Ma fa­
mille a voulu que je parte. Ils m’ont
laissé un peu d’argent pour le
voyage. » Son rêve : étudier en
France. Un peu plus loin, sur un
trottoir, des Maliens sont assis sur
des cartons qui leur servent de ma­
telas. Ils viennent d’être refoulés
du nord du pays. « On essaie d’aller
en Espagne, mais tout est compli­
qué », soupire Amadou, 28 ans, ha­
rassé : « A la frontière, on t’arrête,
on te bastonne, on te prend tes af­
faires, on te renvoie à Casablanca
ou parfois plus au sud, jusqu’à la
frontière mauritanienne. Un jour, à
Tanger, ils m’ont arrêté. J’ai passé
deux jours en prison, comme si la
ville était interdite aux Noirs ! »
A Casablanca, le Malien tente de
rassembler un petit pécule pour
acheter un billet de bus. Quelques
pièces que les passants veulent
bien lui donner. « Ou parfois, dit­il,
un Marocain t’embarque sur un
chantier. Il te fait porter des sacs de
briques et casser du béton de 7 heu­
France­Algérie : des historiens s’attellent au dialogue des mémoires
Une commission mixte, formée de spécialistes des deux pays, va se pencher sur les archives de la colonisation et de la guerre d’indépendance
L e retard à l’allumage com­
mençait à nourrir des inter­
rogations sur la volonté po­
litique d’avancer sur ce chantier
sensible. Cinq mois après avoir
été solennellement annoncée, la
mise en place d’une commission
mixte d’historiens, mesure phare
du dialogue mémoriel esquissé
entre Paris et Alger, semblait
comme enlisée dans les sables bu­
reaucratiques. Elle est désormais
relancée avec la nomination de
cinq historiens français, confir­
mée jeudi 26 janvier au Monde
par Benjamin Stora, l’inspirateur
de la politique mémorielle d’Em­
manuel Macron. Ils seront appe­
lés à travailler conjointement
avec leurs homologues algériens,
déjà nommés par Alger. M. Stora
coprésidera la commission mixte
au côté de Mohamed Lahcen
Zeghidi, ancien directeur du Mu­
sée national du moudjahid.
La liste proposée par Paris
comprend, outre M. Stora, Tra­
mor Quemeneur, auteur de nom­
breux ouvrages sur la guerre d’Al­
res jusqu’au soir pour 50 di­
rhams [4,50 euros] la journée. »
A côté, des Burkinabés préparent
des beignets sur un réchaud. Selon
eux, il est devenu quasi impossible
de prendre un bus pour le Nord.
« Même si tu as de l’argent, tu ne
peux pas acheter le ticket. Ou bien si
tu en as un, on te le déchire. Si tu es
noir, tu ne montes pas », raconte
Ahmed, 18 ans. Au bord du déses­
poir, il demande : « Vous savez si
c’est toujours possible d’aller en Eu­
rope ? Parce que nous, on ne veut
pas rester ici, mais on est coincés ! »
« Déplacements forcés »
L’afflux des migrants à Casa­
blanca a débuté en 2016. Cette an­
née­là, « des exilés ont commencé
à s’installer autour de la gare
routière », rapporte le journaliste
Salaheddine Lemaizi, expert des
migrations : « A partir de 2017, un
camp informel s’est formé, toléré
par les autorités. Ce fut le plus gros
campement urbain du Maroc
jusqu’à l’incendie qui l’a ravagé
en 2019. » Depuis, des petits grou­
pes occupent l’espace. « La police
vient régulièrement les déloger,
mais sans grand effet, car ils re­
viennent aussitôt, comme cela se
passe à Calais. »
Ces derniers mois, selon lui, leur
présence s’est accrue, « consé­
quence directe des ratissages des
campements dans le Nord et des
déplacements forcés dans le Sud ».
Depuis le drame du 24 juin 2022, à
Melilla, « les autorités n’acceptent
plus du tout les migrants dans le
Nord ». Ce jour­là, 23 personnes, se­
lon les autorités (au moins 37 selon
les ONG), sont mortes en tentant
de franchir la frontière grillagée
séparant la ville marocaine de Na­
dor de l’enclave espagnole. « Il y a
maintenant très peu de migrants
du côté de Nador, confirme Omar
Naji, de la section locale de l’Asso­
ciation marocaine des droits hu­
mains. La zone est très contrôlée,
il y a beaucoup d’arrestations. » Si
bien que, souligne M. Lemaizi, les
lignes de démarcation se dépla­
cent vers le sud. Et Casablanca tend
à devenir la « nouvelle frontière in­
visible de l’Europe ».
Entre 2020 et 2022, « plus de
170 000 tentatives d’émigration ir­
régulière » ont été stoppées et
« plus de 910 réseaux de trafic » dé­
mantelés, selon les chiffres offi­
ciels. Interrogée par Le Monde sur
ces refoulements, la direction de la
migration et de la surveillance des
frontières au ministère marocain
de l’intérieur ne s’est pas exprimée
gérie, qui officiera comme secré­
taire général de la partie française
de la commission, Jacques Fré­
meaux, spécialiste de la conquête
française de l’Algérie, Florence
Hudowicz, conservatrice en chef
du patrimoine et cocommissaire
de l’exposition sur l’émir Abdelk­
ader, au Musée des civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée
(MuCEM), à Marseille, en 2022, et
Jean­Jacques Jordi, historien d’ori­
gine pied­noire et auteur d’ouvra­
ges sur les Européens d’Algérie. Ils
tenteront d’apporter leur pierre à
l’entreprise de réconciliation mé­
morielle avec Alger autour de la
colonisation et de la guerre
d’indépendance.
La tâche s’annonce délicate, se­
mée d’embûches, exposée à bien
des critiques, dont la principale
tient dans la commande gouver­
nementale associée à cette com­
mission, et donc sa vulnérabilité
aux aléas d’une relation diploma­
tique volatile. Sans compter l’hy­
persensibilité que conserve dans
les opinions publiques, des deux
Un campement de migrants subsahariens, sur un chantier de construction de tramway, à Casablanca, le 19 janvier. FADEL SENNA
sur cette stratégie, affirmant « pri­
vilégier le retour volontaire des mi­
grants vers leur pays d’origine »
(3 300 en 2022), en coordination
avec l’Organisation internationale
pour les migrations.
Reste que l’éloignement de la
frontière et la dispersion sur le
territoire sont « au cœur du dis­
positif actuel, très critiqué, de
contrôle migratoire orchestré par
le Maroc pour bloquer les voies de
passage vers l’Europe », explique
Mehdi Alioua, sociologue spécia­
liste des migrations. Avec ces dé­
placements, « les autorités parient
sur l’épuisement et le renoncement
au projet migratoire, soit par le re­
tour au pays d’origine, soit par l’in­
tégration à la société marocaine ».
Même si, précise­t­il, « il est très
difficile, sinon impossible, pour
eux d’obtenir des papiers ».
Le royaume devient ainsi le sous­
traitant de l’UE, qui a fait de lui un
« partenaire privilégié » en matière
de lutte contre l’immigration clan­
destine (Bruxelles a prévu de le ré­
tribuer à hauteur de 500 millions
d’euros pour la période 2021­2027).
Mais, dans le même temps, « cette
approche répressive met un coup
d’arrêt à la stratégie nationale
La mémoire de la
guerre d’Algérie,
avec ses zones
d’ombre, reste
hypersensible
dans l’opinion
publique
côtés de la Méditerranée, la mé­
moire de la guerre d’Algérie, avec
ses blessures toujours à vif et ses
zones d’ombre en quête d’éclair­
cissements.
L’annonce de cette initiative re­
monte au voyage de M. Macron à
Alger, fin août 2022. Le chef de
l’Etat français avait alors salué
comme une « avancée histo­
rique » la décision prise avec
son homologue algérien, Abdel­
madjid Tebboune, de créer cette
structure commune vouée à « tra­
vailler sur l’ensemble des archives
[françaises et algériennes] de la
d’immigration et d’asile lancée par
le Maroc en 2013 », souligne
M. Alioua. Une réforme inscrite
dans sa diplomatie africaine, qui
avait été suivie de deux campa­
gnes de régularisation de plus de
50 000 clandestins. Or « répression
ne va pas avec intégration », re­
grette le chercheur. « En accrédi­
tant l’idée selon laquelle les mi­
grants sont un danger, on stigma­
tise une communauté, on génère
une autre violence. Le Maroc risque
d’en payer le prix. »
« Ils vendent de la drogue »
A Casablanca, depuis début jan­
vier, les plaintes de riverains
d’Ouled Ziane vont crescendo, et
les opérations d’évacuation se
sont multipliées. Le 16 janvier, le
long du chantier du tramway, des
camionnettes de police station­
naient en nombre pour une nou­
velle évacuation. Selon le caïd,
l’agent d’autorité d’une circons­
cription, les forces de l’ordre ont
dû intervenir pour « éviter que la si­
tuation ne dégénère » entre habi­
tants et migrants. « C’est catastro­
phique. On est solidaires, mais ils
sont devenus trop nombreux. Et
agressifs. Et puis, voyez cette saleté,
période coloniale et de la guerre
d’indépendance ». La mesure ne fi­
gurait pas expressément dans les
recommandations du rapport de
M. Stora remis à l’Elysée en jan­
vier 2021 (réédité en janvier, par
Albin Michel, sous le titre France­
Algérie. Les passions douloureu­
ses, avec une nouvelle introduc­
tion). MM. Stora et Macron
avaient toutefois entériné cette
proposition algérienne s’inscri­
vant dans l’esprit du projet de ré­
conciliation mémorielle défendu
par Paris. A Alger, M. Macron
avait même précisé que cette
commission mixte rendrait « ses
premiers travaux d’ici un an »,
c’est­à­dire en août.
Démarrage tardif
Une révision du calendrier s’im­
posera sûrement au vu d’un dé­
marrage tardif, dû à des lenteurs
françaises. Le gouvernement algé­
rien aura été plus réactif. M. Teb­
boune a reçu en audience, le
30 novembre 2022, en son palais
d’El­Mouradia, les cinq historiens
« On est fatigués.
On ne reçoit
aucune aide.
Ici c’est la merde,
encore plus
que chez nous »
GUILLAUME
migrant camerounais
l’odeur ! », s’emporte Zina Zarak,
62 ans, résidente d’un immeuble
en face de la gare. « Ils ne veulent
pas travailler. Ils vendent de la dro­
gue et tout ce qu’il y a d’illégal, ren­
chérit Abdelak Aboulaz, la soixan­
taine. Les Marocains sont géné­
reux, et eux profitent de la situa­
tion. On n’est pas racistes, on veut
juste qu’ils s’en aillent. » En face, les
migrants, eux aussi, sont à cran :
« Ça suffit de nous insulter, leur crie
Abdelaziz, un Sénégalais de 30 ans.
Vous croyez qu’on a oublié ce qui
s’est passé à Melilla ? »
Ce 16 janvier, des images de mi­
grants jetant des pierres sur la po­
lice ont largement circulé sur les
réseaux sociaux, où se déversent
qui formeront le versant algérien
du groupe conjoint. Si M. Zeghidi
a été choisi pour en assurer la co­
présidence, le plus connu est Mo­
hammed El­Korso, professeur
d’histoire à la faculté d’Alger et ex­
président de la Fondation du 8­
mai­1945 [date de la répression de
manifestations nationalistes à Sé­
tif et Guelma, ayant causé la mort
de 15 000 à 20 000 Algériens].
M. Korso est un partisan de lon­
gue date de « réparations » à exiger
de la France pour ses « crimes
d’Etat » commis en Algérie. Il n’en
souhaite pas moins aborder les
travaux de la commission dans un
« esprit de coopération, d’apaise­
ment et de sérénité », a­t­il confié
au Monde. A leurs côtés figurent
Abdelaziz Filali, spécialiste de l’As­
sociation des oulémas musul­
mans, Idir Hachi, jeune historien
de l’insurrection de 1871 en Kaby­
lie, et Djamel Yahiaoui, ex­direc­
teur du Centre national du livre.
La « déclaration pour un parte­
nariat renouvelé entre la France et
l’Algérie », signée lors de la visite de
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
des discours de haine sur fond
d’accusations de viol, de prostitu­
tion, etc. De leur côté, les associa­
tions de terrain, peu nombreuses
et avec peu de moyens, dépassées
par l’ampleur du phénomène, pei­
nent à jouer un rôle de médiateur.
Assis sur un muret, Guillaume,
un Camerounais de 26 ans, la tête
enfoncée dans son grand manteau
de laine, a été délogé du chantier
du tramway et ne sait plus où aller.
« La police nous chasse en perma­
nence, et elle embarque tout : nos
couvertures, nos réchauds… Ce ma­
tin, on lui a demandé : on doit aller
où ? Ils nous ont répondu : “C’est pas
notre problème, faites comme vous
voulez”, s’indigne­t­il. Et en face, les
Marocains applaudissaient ! » Il
poursuit : « On est fatigués. On n’a
pas de papiers, on ne peut pas tra­
vailler. On ne reçoit aucune aide.
On est traités comme des cafards.
Ici, c’est la merde, encore plus que
chez nous. » Ce soir­là, Guillaume a
décidé de reprendre la route pour
Ceuta. Depuis, plus de nouvelles. p
aurélie collas
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
M. Macron à Alger précise que le
« travail scientifique » de la com­
mission mixte aura « vocation à
aborder toutes les questions », y
compris celles concernant
« l’ouverture et la restitution des ar­
chives, des biens et des restes mor­
tuaires des résistants algériens »,
ainsi que celles « des essais nucléai­
res et des disparus ». Le texte ajoute
que ce travail se fera dans le « res­
pect de toutes les mémoires ».
La commission mixte évoluera
dans un environnement très par­
ticulier en Algérie, où un courant
d’opinion nationaliste sectaire
s’exprime sans retenue. La ten­
dance aura été illustrée par l’atta­
que dont M. Stora a été l’objet, fin
décembre, sous la forme d’un arti­
cle ouvertement antisémite dif­
fusé sur le site Algérie patriotique,
fondé par Lotfi Nezzar, fils du gé­
néral Khaled Nezzar, ex­ministre
de la défense (1990­1993). L’inci­
dent pèse incontestablement sur
le climat entourant la mise en
place de la commission mixte. p
frédéric bobin
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023 international | 5

Port de Beyrouth : le juge Bitar relance l’enquête

Le magistrat s’oppose au procureur général, qui tente de le récuser dans le dossier de l’explosion de 2020

beyrouth ­ correspondante teur de l’ONG Legal Agenda. C’est juge. « L’assemblée générale de la détient la nationalité américaine. Doueihy, présent parmi la ving­
un litige entre un juge qui a Cour de cassation n’est pas à même
« Je vais Sitôt sorti, ce dernier s’est envolé taine d’élus sur place.

D
evant le palais de jus­
tice, des proches des
victimes de l’explo­
sion du 4 août 2020
dans le port de Beyrouth, soute­
nus par une poignée de militants
et une vingtaine de députés de
l’opposition, ont laissé éclater
leur colère, jeudi 26 janvier. « On
ne les laissera pas enterrer l’en­
quête. On veut la justice ! », clame
Nohad Abdo, tenant une photo
de son neveu Jack Bazikian, tué à
l’âge de 31 ans. Tous sont soudés
derrière « leur » juge, l’opiniâtre
Tarek Bitar, qui a rouvert l’en­
quête, lundi 23 janvier, après
treize mois de blocage, faisant fi
des recours en récusation qui le
visent. Tous conspuent la déci­
sion du procureur général près
la Cour de cassation, Ghassan
Oueidate, de l’inculper en retour
pour « rébellion contre la justice »
et « usurpation de pouvoir », et
de libérer les dix­sept personnes
détenues depuis l’explosion.
La bataille entre les deux juges
est loin d’être procédurale. La dé­
cision du juge Oueidate, dénon­
cée comme un « coup d’Etat poli­
tique, sécuritaire et judiciaire » par
les familles des victimes, et con­
testée dans sa légalité par des ex­
perts, menace d’obstruer définiti­
vement l’enquête. « Beaucoup de
juges au Liban représentent des
partis politiques et il y a beaucoup
d’interférences dans la justice,
prouvé qu’il voulait travailler de
façon indépendante et le minis­
tère public, qui est à l’écoute des
hommes politiques et des plus
forts. Ce dernier n’a pas coopéré
pour trouver les preuves et enten­
dre les accusés. Laisser les juges en
première ligne est moins coûteux
pour les politiciens. »
Menaces directes
Honnie par une majorité de Liba­
nais pour son rôle dans le nau­
frage économique du pays, la
caste au pouvoir tente d’échapper
à ses responsabilités dans la tragé­
die du 4 août. D’anciens minis­
tres, des responsables du port,
et désormais des représentants
de la sécurité et des magistrats
dont… le juge Oueidate lui­même,
sont poursuivis par le juge Bitar
pour « homicide volontaire » pour
avoir laissé dans le port, sans pré­
caution, pendant des années, plu­
sieurs centaines de tonnes de ni­
trate d’ammonium, dont l’explo­
sion a fait 218 morts. Des hommes
politiques ont invoqué l’immu­
nité parlementaire pour refuser
d’être entendus. Le mouvement
chiite Hezbollah a pris la tête
d’une campagne visant à desti­
tuer le juge. Des menaces directes
lui ont été adressées. Des familles
de victimes sont intimidées pour
se désolidariser du magistrat.
L’enquête est, depuis décem­
bre 2021, suspendue à une quaran­
de les trancher à défaut de quo­ publier l’acte aux Etats­Unis sous escorte d’em­ Tarek Bitar se dit déterminé à al­
rum, or, les responsables politiques ployés de l’ambassade. Selon son ler au bout de l’enquête. « Je vais
refusent de signer les décrets de no­
d’accusation, que avocat, Washington avait menacé publier l’acte d’accusation, que je
mination… », précise Nizar Sa­ je sois chez moi, le Liban de sanctions pour « dé­ sois chez moi, à mon bureau ou en
ghieh. Le subterfuge a servi dans tention illégale ». prison », a­t­il martelé, jeudi soir,
d’autres affaires de corruption et
à mon bureau Après l’avoir accusé d’être « poli­ sur la chaîne Al­Jadeed. Sa téna­
celle visant le gouverneur de la ou en prison » tisé », les détracteurs du juge Bitar cité impressionne les avocats et
Banque du Liban, Riad Salamé, le dépeignent aujourd’hui en fou. les familles des victimes, qui crai­
TAREK BITAR
ajoute l’avocat, qui dénonce Plusieurs voies sont explorées gnent pour sa vie. « Il faut épuiser
juge d’instruction
« l’aberration d’un système de plus pour l’écarter du dossier, dont la tous les recours au Liban, démas­
en plus proche de l’impunité to­ nomination d’un nouveau juge quer tout le système pour le réfor­
tale ». Le juge Bitar n’a, en consé­ par le Conseil supérieur de la ma­ mer, mobiliser et encourager ce
quence, pas pu communiquer des san Oueidate est désormais in­ gistrature (CSM) et le ministre de juge prêt à se battre, sinon rien ne
éléments du dossier aux deux culpé pour avoir supervisé, en la justice. Le président du CSM, changera jamais », plaide l’avocat
magistrats français qui l’ont ren­ 2019, une enquête des services de Souheil Abboud, y est opposé, au Nizar Saghieh. Pessimistes sur l’is­
contré à Beyrouth, le 18 janvier. sécurité sur des fissures dans l’en­ nom de la séparation des pou­ sue de l’enquête, des familles de
Une enquête a été ouverte dans trepôt où était stocké le nitrate voirs. La réunion qui devait se te­ victimes, soutenues par des ONG
l’Hexagone après la mort de deux d’ammonium, mais il s’était déjà nir jeudi à ce sujet, avec les mani­ telles qu’Amnesty International et
Français dans l’explosion. dessaisi de l’affaire du fait d’un festants aux fenêtres, a été repor­ Human Rights Watch (HRW), ap­
Tarek Bitar a repris le dossier, lien de parenté avec l’un des accu­ tée faute de quorum. « On est pellent à une enquête internatio­
en invoquant une interprétation sés, Ghazi Zeaïter, proche du parti venus dire aux juges que le nale indépendante sous l’égide du
de la loi qui l’y autorise. Il a choisi chiite Amal. Il n’avait pas autorité 4 août 2020 ne peut pas passer Conseil des droits de l’homme des
d’ignorer la contre­offensive lan­ pour ordonner la libération de ainsi. Tous les responsables doi­ Nations unies. Selon HRW, l’oppo­
cée mercredi par le procureur, au prévenus mais il a fait libérer, en­ vent aller en prison, sinon on ne sition de la France est le principal
motif qu’elle est sans fondement tre autres, Ziad Aouf, le chef de la pourra pas construire la justice », obstacle à son lancement. p
juridique. Non seulement Ghas­ sécurité du port de Beyrouth, qui commente le député Michel hélène sallon

Pour vos envois

commente Nizar Saghieh, direc­ taine de recours en récusation du

Des huissiers pour saisir les

biens de l’administration belge quotidiens,
T éléviseurs, canapés, objets de décoration : les Belges
pourront bientôt, lors d’une vente publique, acquérir
des biens saisis au siège de l’Agence fédérale pour l’ac­
cueil des demandeurs d’asile (Fedasil), au cabinet de la secré­
taire d’Etat à l’asile et la migration, voire dans d’autres cabinets.
optez pour le vert.
Une chambre du tribunal de Bruxelles a décidé, à la mi­janvier,
d’envoyer des huissiers saisir des biens pour forcer Fedasil,

La Lettre
ainsi que la secrétaire d’Etat, Nicole de Moor, à respecter des ju­
gements qui concernaient l’obligation, pour l’Etat, de fournir
un hébergement et un revenu, dit « d’intégration », à des de­

verte
mandeurs d’asile. Les tribunaux ont déjà décrété près de
–

8 000 condamnations assorties d’astreintes, mais l’Etat a

1
constamment refusé de s’acquitter de ces sommes.
La Poste – SA au capital de 5 620 325 816 € – 356 000 000 RCS Paris – Siège social : 9, rue du Colonel Pierre Avia 75015 Paris –

Des avocats ont alors décidé – « la mort de l’âme », indiquent­

€16 (1)
ils, conscients que leur démarche est peu populaire – de nouvel­
les actions, qui ont abouti à de premières saisies. Une loi de 1994
autorise en effet les saisies si elles ne mettent pas en péril l’exer­
cice des missions de service public. Pas de quoi, à l’évidence,
atteindre les montants nécessaires : les astreintes individuelles
Distribuée
auxquelles l’Etat a été condamné, et qu’il n’a jamais payées, va­
rient, pour trois requérants seule­
en J+3(2)
ment, de 13 000 à 100 000 euros,
DÉJÀ PRÈS DE  leurs demandes de protection
ayant été introduites en 2021. Les
8 000 CONDAMNATIONS  autorités craignent que ces juge­
ASSORTIES  ments fassent tache d’huile.
Les techniques utilisées par les
D’ASTREINTES ONT ÉTÉ  avocats sont sans doute un peu
désespérées mais elles sont aussi
PRONONCÉES, MAIS  « très symboliques », souligne
L’ÉTAT A TOUJOURS  Joost Depotter, de l’ONG Vluchte­ et en option son sticker suivi à 0,50 € (3)
lingenwerk. Les décisions des ju­
REFUSÉ DE PAYER ges pourraient, en effet, forcer le
gouvernement à trouver des solu­
tions pour des milliers de deman­ Utilisez la Lettre verte avec le sticker suivi pour
deurs qui dorment dans la rue. Les acteurs de terrain réclament savoir quand votre courrier a été distribué.
un plan de répartition national, l’aide de l’armée et la possibilité
de louer des chambres d’hôtel. La secrétaire d’Etat, une chrétien­ En vente à La Poste, chez les buralistes, les partenaires
ne­démocrate flamande, reste toutefois inflexible. Elle promet la
création de 1 000 places d’accueil supplémentaires chaque mois, et sur laposte.fr
s’ajoutant aux 33 000 – toutes occupées – de Fedasil. Quant aux
saisies de biens, « elles ne résoudront rien », expliquait­elle, mardi
24 janvier, devant les députés. Elle insistait sur le fait que l’argent
public devait surtout être consacré à la création de nouvelles pla­
ces d’accueil. « La situation est exceptionnelle. Jamais autant de
personnes n’ont cherché à se protéger dans notre pays qu’en 2022,
cela représente un très grand défi », commentait Mme de Moor.
Elle prône aussi des solutions au niveau européen, même si la
Belgique elle­même ne respecte pas ses engagements, en ma­
tière de relocalisation des réfugiés notamment.
Mais les défenseurs des droits humains s’inquiètent. « La jus­
tice continue de jouer son rôle mais le gouvernement choisit de
(1) Tarif en vigueur au 01/01/2023. À partir de/Net de taxe. (2) Délai de distribution indicatif.
s’en affranchir complètement », a souligné, mardi, Pierre­Arnaud Voir conditions contractuelles de l’offre. (3) Voir conditions contractuelles de l’offre.
Perrouty, directeur de la Ligue des droits humains, qui pointe un
déclin « de style orbanien » – par référence aux atteintes à l’Etat
de droit du premier ministre hongrois Viktor Orban. p
jean­pierre stroobants (bruxelles, correspondant)
 0123
6 | international SAMEDI 28 JANVIER 2023

A Moscou, un mémorial citoyen pour l’Ukraine

Depuis le bombardement de Dnipro, des Russes bravent la peur de l’arrestation pour déposer des fleurs

REPORTAGE taire à « l’opération spéciale »,

mais aussi le besoin vital, pour
moscou ­ correspondant
ceux qui la rejettent, de crier

D
epuis que les derniè­ leur existence. Pour la première
res manifestations fois en plus de onze mois, ils quit­
ont été réprimées, au tent l’anonymat de leur cuisine
mois de mars 2022, et la solitude de leur écran d’ordi­
voilà ce qui ressemble le plus à un nateur. Après plus de 22 000 ar­
mouvement de contestation pu­ restations lors des premières se­
blic en Russie : des fleurs qui s’em­ maines de conflit, de telles dé­
pilent, des peluches et des jouets monstrations paraissaient ban­
pour enfants, quelques bougies nies à tout jamais.
posées au pied du monument dé­ Tatiana Ivanovna, elle, passe
dié à Lessia Oukraïnka (1871­1913). presque tous les jours voir Lessia
Parce que la poétesse est une fi­ Oukraïnka, en voisine. La retrai­
gure du mouvement national tée de 85 ans fait un détour sur
ukrainien, parce que sa statue le chemin des courses, le temps
est située boulevard de l’Ukraine, de fumer une cigarette au pied
ce bout de trottoir moscovite s’est de la statue. « A chaque fois, ça
imposé, après le bombardement me fait du bien, souffle­t­elle. En
meurtrier de la ville de Dnipro, février [2022], quand c’était possi­
le 14 janvier, comme le lieu de ral­ ble, j’avais déposé des fleurs de­
liement de ceux qui osent encore vant l’ambassade ukrainienne.
dire leur opposition à « l’opéra­ Depuis, je tourne en rond, je ne
tion militaire spéciale ». sais pas comment dire mon dé­
L’exercice est terriblement soli­ goût. Je m’efforce seulement de
taire. Une femme s’avance, deux faire le bien autour de moi, c’est
œillets rouges à la main. Elle ma façon de résister. »
s’agenouille, longtemps, avant de
se relever, les yeux noyés de lar­ Désespoir
mes et le souffle court. Rien de Plus que tout, la solitude l’affecte.
théâtral dans son geste, aucune « Même avec mes amis, avec mes
volonté de représentation. Ses proches, c’est difficile de parler
seuls spectateurs, croit­elle, sont de la guerre, témoigne­t­elle. Des
les deux policiers garés à quel­ grands­mères abreuvées de télévi­
ques mètres dans un véhicule Elena V. est venue se recueillir devant la statue de la poétesse ukrainienne Lessia Oukraïnka, à Moscou, le 24 janvier. MARIA TURCHENKOVA sion, je n’attends plus rien, mais ce
aux gyrophares allumés. Si elle a qui m’attriste, ce sont les gens plus
le souffle court, ce n’est pas seule­ jeunes, éduqués, avec de bons em­
ment d’émotion : cette voiture lui Après le déclenchement de de ne pas aller au mémorial im­ Chaque soir, les fleurs disparais­ plois, qui ne croient ni Poutine ni la
fait peur. l’« opération spéciale », elle n’est provisé. Elle ne l’a pas écouté et sent, emportées par des incon­
« Je suis lâche, propagande. Leur seule ambition
Lorsqu’elle remarque enfin la pas sortie manifester. Elle s’est c’est précisément à lui qu’elle nus ; chaque jour, la petite monta­ mais ça, au est de rester à l’écart, de sauver leur
présence de journalistes, la contentée de dire sa colère sur Fa­ pense en déposant ses fleurs : « Je gne se reconstitue. Les arresta­ petite vie… » Ses propos font écho
femme se précipite, son smart­ cebook, avant d’effacer la publica­ ne veux pas qu’il vive dans un pays tions sont aléatoires, de même
moins, je peux. à ceux d’Elena V., qui disait n’avoir
phone tendu devant elle : « Pre­ tion quelques jours plus tard. semblable à l’Iran. Je ne veux pas que leurs suites – quelques heures Il fallait que « presque plus d’amis ».
nez­moi en photo, s’il vous plaît, je La peur, là encore. Sa mère de que les enfants ukrainiens de son au poste, simple amende, et jus­ Aucune des deux femmes n’at­
veux montrer à ceux qui n’y 81 ans et son fils de 17 ans vivent âge continuent à mourir. » qu’à douze jours de prison pour
je vienne : tend quoi que ce soit de ces quel­
croient pas que c’est possible ! » avec elle, dépendent d’elle. « Si Dnipro et ses quarante­six une jeune femme accusée d’avoir pour pouvoir ques fleurs, si ce n’est laver un peu
Elena V. a 45 ans, et ces deux œil­ j’étais seule, peut­être que je serais morts ont marqué une rupture. résisté à son interpellation. de la honte que ressentent les Rus­
lets qu’elle vient de déposer sont prête à aller en prison », dit­elle. Peut­être parce que chaque Russe En une heure, ce mardi 24 jan­
me respecter » ses opposés au conflit. Toutes
pour elle comme une libération. Son fils, d’ailleurs, lui a demandé a pu s’imaginer vivre dans cet vier, quatre personnes dépo­ ELENA V. deux évoquent un pays perdu
immeuble éventré semblable à sent des bouquets et se re­ « pour trois générations ». Pour Ta­
mille autres. Surtout, c’est la cueillent. D’autres hésitent. Une tiana Ivanovna, c’est le temps qu’il
Le Groupe Helsinki de Moscou dissous simplicité apparente du geste,
ces fleurs déposées aux pieds
femme s’approche avant de re­
brousser chemin à la vue de la
le monument à Tarass Chevt­
chenko (1814­1861), l’autre grand
faudra à la Russie pour « revivre » ;
Elena V. parle d’une longue « dé­
L’emblématique organisation de défense des droits humains d’une poétesse de bronze, qui a voiture de police. Un jeune poète ukrainien, qui a été choisi ; à contamination » avant que les
Groupe Helsinki de Moscou est dissoute. Ainsi en a décidé, mer- convaincu Elena V. « Je suis lâche, homme fait plusieurs fois le tour Iekaterinbourg, Perm, Kostroma, Russes oublient, « comme les Alle­
credi 25 janvier, le tribunal municipal de la capitale russe en préci- mais ça, au moins, je peux, résu­ de la statue, comme pour tâter la stèle aux répressions stalinien­ mands avant eux », fantasmes im­
sant avoir « satisfait la requête du (…) ministère de la justice ». Créée me­t­elle. Il fallait que je vienne : le terrain. Une femme demande nes ; à Belgorod, le buste de l’het­ périaux et obsessions morbides.
en 1976 pour s’assurer du respect par l’URSS de ses engagements pour moi, pour pouvoir me res­ franchement : « On a le droit man cosaque Bogdan Khmel­ Leur geste n’est pas de rébellion,
en matière de droits humains pris dans l’Acte final d’Helsinki, pecter, et pour que le monde sache de mettre des fleurs ? » L’agent nitski (1595­1657)… On y lit des il a les accents du désespoir. Loin
en 1975, à l’issue de la Conférence sur la sécurité et la coopération que tous les Russes ne soutiennent hausse les épaules. messages griffonnés à la va­vite : de L’Espérance portée dans son
en Europe, l’ONG a longtemps été dirigée par Lioudmila Alexeïeva, pas cette horreur. » L’initiative a essaimé, des mé­ « Non à la guerre », « Criminels », œuvre par Lessia Oukraïnka – le
figure de la dissidence soviétique morte en 2018. Lundi 23 janvier, Personne ne se souvient de qui moriaux semblables sont appa­ « J’ai honte », « Le Kremlin tue, nom qu’elle a donné à son pre­
la Fondation Sakharov, qui tient son nom du Prix Nobel de la paix a apporté le premier bouquet. rus dans d’autres villes, trente­ l’Eglise bénit », « Dnipro 14.01 »… mier poème, écrit en 1880, à l’âge
Andreï Sakharov, a pour sa part été déclarée « indésirable ». D’autres ont suivi, malgré les ar­ sept selon le décompte du média Parfois, dans une ville loin­ de 9 ans, après la déportation en
Le bureau du procureur général a affirmé sur son site Internet restations, malgré les intimida­ régional 7 × 7. A Saint­Péters­ taine, il n’y a qu’une seule fleur, Sibérie de sa tante. p
que ses activités constituaient « une menace (…) pour la sécurité ». tions d’activistes pro­pouvoir. bourg, Krasnodar ou Omsk, c’est qui rappelle le soutien majori­ benoît vitkine

Présidentielle tchèque : Andrej Babis exploite la peur de la guerre

L’ex­premier ministre utilise l’argument de la « paix » face à son rival, l’ancien général Petr Pavel, pour le second tour les 27 et 28 janvier

hradec kralove (république texte de la guerre en Ukraine. Il au titre de l’article 5 de l’Alliance, sur une pancarte le rôle d’infor­ tielles, rappelle­t­il. En 2013, Milos
tchèque) ­ envoyée spéciale s’est immédiatement affiché sur
La similitude est « il n’y a aucun débat là­dessus ». mateur joué par l’homme d’affai­ Zeman avait évoqué un retour
les pancartes avec ces mots : « Je frappante avec A Hradec Kralove, l’argument de res Babis au sein des rensei­ des Sudètes allemandes en cas de

A deux pas du centre des

congrès de Hradec Kra­
love, Bozena (un prénom
d’emprunt) est déçue de ne pas ac­
cueillir son champion. Le candidat
populiste Andrej Babis avait prévu
de tenir dans cette ville de 90 000
habitants, à une centaine de kilo­
mètres à l’est de Prague, un ras­
semblement de campagne mardi
24 janvier, avant de tout annuler.
L’ancien premier ministre, vaincu
de peu aux élections législatives
de 2021, dit avoir reçu quelques
heures auparavant une menace de
mort et vouloir protéger son « en­
tourage immédiat », blâmant un
climat de peur et d’intimidation.
Le journal de campagne brandi
par Bozena dépeint un Andrej Ba­
bis tout sourire qui « combat pour
la Tchéquie ». Dès le 15 janvier, au
lendemain du premier tour, qu’il
a perdu à 0,4 point près face à son
rival, Petr Pavel, nouveau venu en
politique et ex­militaire, Andrej
Babis n’a pas hésité à utiliser l’ar­
gument de la paix, dans le con­
n’entraînerai pas la Tchéquie dans
la guerre. Je suis diplomate,
pas soldat. » Une allusion directe à
son adversaire, ancien chef d’état­
major, accusé de « rouler » pour
la guerre.
« Oui, il faut continuer à aider
l’Ukraine mais en même temps
nous devons parler de la paix. D’un
cessez­le­feu (…) M. Pavel a déclaré
que la paix est une illusion. Mais la
paix nous l’avons en Europe depuis
la seconde guerre mondiale. Et
maintenant la guerre est proche de
nous », a affirmé l’ancien chef du
gouvernement au média en ligne
Denik N. Andrej Babis a annoncé
à plusieurs reprises vouloir orga­
niser une conférence sur la paix,
en mettant en avant ses contacts
avec le président français, Emma­
nuel Macron, et avec son homolo­
gue turc, Recep Tayyip Erdogan.
Dans sa course pour le second
tour, Andrej Babis n’a cessé
d’avoir le mot « paix » à la bouche.
Quitte à se prendre les pieds dans
le tapis lors du débat présidentiel
la campagne
de Viktor Orban,
lors des élections
législatives
hongroises
du dimanche 22 janvier. A la ques­
tion de savoir si la République
tchèque enverrait ses troupes
en cas d’attaque de la Pologne ou
des pays baltes, le candidat a ré­
pondu : « Je ne suis pas le com­
mandant en chef, et si je l’étais,
non, certainement pas (…) Je pense
que nous devons parler de paix. »
Repris par le présentateur qui
lui rappelait l’obligation d’assis­
tance entre les membres de
l’OTAN en cas d’agression de l’un
d’entre eux, M. Babis a persisté :
« Oui, mais je ne veux pas la
guerre. » Quelques instants plus
tard, sur Twitter, l’intéressé reve­
nait sur ses propos précisant
qu’il remplirait cette obligation
la paix résonne fortement chez
Bozena. « Il faudrait la paix en
Ukraine, où jeunes et vieux meu­
rent tragiquement », acquiesce la
retraitée, qui ne s’oppose cepen­
dant pas à l’aide militaire que Pra­
gue fournit à Kiev depuis près
d’un an. Assis à la buvette du
conseil municipal, un élu, qui
refuse également de donner son
nom, se montre plus sceptique.
« Envoyer des chars Leopard, cela
ne fait que nourrir le conflit, au ris­
que de le faire déborder. » Membre
d’ANO – le parti d’Andrej Babis –, il
dénonce la censure dont pâtis­
sent les critiques du soutien à
l’Ukraine. « A Noël, Poutine avait
décrété un cessez­le­feu, mais
les Ukrainiens ont voulu combat­
tre à tout prix », insiste­t­il.
Devant le centre des congrès,
face aux pro­Babis, une poignée
de manifestants scande « Pavel
au château » – une allusion à la
présidence, sise au château de
Prague. Katerina, qui a voté Petr
Pavel au premier tour, rappelle
gnements tchécoslovaques (StB)
dans les années 1980 ; le milliar­
daire d’origine slovaque continue
de clamer son innocence.
Depuis son restaurant trans­
formé en QG local pour Petr Pavel,
Vlady Nodzak se remémore avoir
vu les chars du pacte de Varsovie
écraser le soulèvement de Prague
en 1968. « Evidemment, personne
ne veut de la guerre, soupire­t­il.
C’était la même chose la dernière
fois, le président sortant, Milos
Zeman, avait sorti l’argument
des migrants pour se faire réélire
face à son adversaire. »
« Très pragmatiques »
Tomas Kostelecky, chercheur au
sein de l’institut de sociologue de
l’Académie tchèque des sciences,
n’en pense pas moins. « Les gens
derrière la campagne de Babis
sont très pragmatiques, ils ont fait
leurs calculs quant aux appréhen­
sions des Tchèques. La même
chose s’était produite lors des
deux dernières élections présiden­
victoire de son opposant. »
La similitude est également
frappante avec la campagne de
Viktor Orban, lors des élections
législatives hongroises en 2022,
le premier ministre en campagne
pour sa réélection avait martelé
à l’envi que l’opposition entraîne­
rait le pays dans la guerre. « An­
drej Babis, qui qualifie Viktor Or­
ban d’ami, a quasiment copié ses
slogans », souligne Petr Krato­
chvil, chercheur à l’institut des
relations internationales de Pra­
gue. Mais si le parti de Viktor Or­
ban avait gagné son pari, rien
ne garantit qu’Andrej Babis ob­
tienne le même succès.
Le dernier sondage d’Ipsos an­
nonce ce dernier perdant avec
41,2 %. des voix « Ses chances de
l’emporter ont diminué, mais je
ne les éliminerais pas non plus,
car les électeurs de Babis n’osent
pas se déclarer comme tels dans
les sondages », préfère avertir
Petr Kratochvil. p
hélène bienvenu
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
La stratégie « peu lisible » Venezuela : payés de 20 à
30 euros, les enseignants
de la France dans l’Indo­Pacifique protestent dans la rue
Un rapport du Sénat souligne l’inadéquation croissante entre
les ambitions et les moyens face au regain de tensions dans la région
A
lors que le chef de
l’Etat doit présenter
une nouvelle feuille de
route pour les outre­
mer dans le cadre de la future loi
de programmation militaire, un
rapport du Sénat, approuvé mer­
credi 25 janvier, que Le Monde a pu
consulter, effectue un tour d’hori­
zon critique de la politique fran­
çaise en Indo­Pacifique. Dans un
contexte de tensions grandissan­
tes dans la région, notamment de
pressions de la Chine sur nombre
de zones économiques exclusives
(ZEE), la stratégie française man­
que de « lisibilité », s’inquiètent les
sénateurs Cédric Perrin (Les Répu­
blicains) et Rachid Temal (Parti so­
cialiste), qui ont conduit leurs tra­
vaux au cours de l’année 2022.
Selon la définition française, l’In­
do­Pacifique va de la Polynésie
française à La Réunion, de la Nou­
velle­Calédonie aux côtes de l’Afri­
que de l’Est. La France y recense
1,6 million de citoyens, répartis
sur sept régions, départements et
collectivités. A ces territoires, il
faut ajouter 11 millions de kilomè­
tres carrés de ZEE, soit la deuxième
surface maritime de ce type au
monde après celle des Etats­Unis.
Or, si la présence militaire globale
dans cet espace atteint quelque
8 000 hommes, ces troupes sont
très éclatées, et pilotées par cinq
zones de commandements diffé­
rentes, détaillent les sénateurs.
En outre, ces effectifs compren­
nent 1 500 militaires basés à Dji­
bouti, 650 aux Emirats arabes
unis (EAU), et ponctuellement
700 marins en mission. Seul le
reste des effectifs est donc formel­
lement situé entre l’océan In­
dien et le Pacifique : 2 000 entre
La Réunion et Mayotte, 1 600 en
Nouvelle­Calédonie et 1 200 en
Polynésie française. Cet éparpille­
En Birmanie, la production d’opium explose
Depuis le coup d’Etat de février 2021 et la reprise des conflits armés, la culture du pavot
a quasiment doublé. A ce rebond s’ajoute la prolifération de drogues synthétiques
bangkok ­ correspondant
en Asie du Sud­Est
L a production d’opium en
Birmanie est repartie à la
hausse : 790 tonnes ont été
recensées en 2022 selon l’Office
des Nations unies contre la drogue
et le crime (ONUDC), soit près du
double de ce qu’elle était en 2021.
Les surfaces exploitées pour la
culture du pavot ont, quant à elles,
augmenté de 33 %. Cette résur­
gence inverse la tendance à la
baisse enregistrée depuis le pic de
870 tonnes relevé en 2013, qui avait
coïncidé avec la démocratisation
du pays et un boom économique
nourri par l’afflux d’investisse­
ments étrangers. En cause, cette
fois, le coup d’Etat de février 2021
et la reprise des conflits armés
dans le pays qui alimente la recru­
descence des trafics. La lutte
contre la drogue n’est pas une
priorité de la junte : les superficies
où la culture d’opium a été éradi­
quée en 2022 ont chuté de plus de
moitié, tout comme les saisies.
Ces bouleversements ont eu des
effets dévastateurs pour l’écono­
mie birmane alors en pleine pan­
démie, avec une chute du produit
intérieur brut (PIB) de près de 18 %
en 2021. « Entre 2014 et 2021, un
grand nombre de cultivateurs de
pavot ont quitté leurs champs pour
un autre emploi. Mais toutes ces
nouvelles opportunités ont dis­
paru », a expliqué Jeremy Douglas,
ment devrait faire l’objet d’un re­
découpage pour mieux cibler les
efforts, estiment les sénateurs,
qui formulent un certain nombre
de propositions, notamment un
nouveau zonage permettant de
« mieux intégrer le Pacifique Sud,
Taïwan et l’Amérique latine ».
Moyens vieillissants
Hormis Djibouti et les EAU, qui
disposent d’avions de chasse à
demeure et servent d’escale régu­
lière pour la marine, les autres
implantations françaises en In­
do­Pacifique ne disposent que de
trois à cinq bâtiments de surface
chacune, deux à cinq avions de
surveillance, et deux à quatre hé­
licoptères. Or la plupart de ces
moyens sont vieillissants et limi­
tés face à de telles distances. « Il
arrive ainsi que les forces ne puis­
sent pas être présentes lorsque de
grandes puissances de l’Indo­Pa­
cifique les informent du passage
de navires dans la ZEE française,
ou qu’elles ne soient pas en me­
sure de répondre à plusieurs ur­
gences concomitantes », illus­
trent les sénateurs.
Ils fournissent à ce titre des
exemples rarement mis sur la
place publique. Les forces armées
de la zone sud de l’océan Indien
(FAZSOI), dont le mandat est d’as­
surer la souveraineté française
des terres australes et antarcti­
ques jusque sur les îles Eparses,
en passant par Mayotte et La Réu­
nion, ne disposent que de deux
avions de transport (fret et passa­
gers), de type Casa.
La surveillance des îles Eparses,
par exemple – revendiquées de
longue date par Madagascar – ne
peut donc s’effectuer que tous les
quarante­cinq jours, lors de la re­
lève des militaires sur les îlots.
« Cette relève ayant lieu de manière
le représentant régional pour
l’Asie du Sud­Est et le Pacifique de
l’ONUDC, lors d’une présentation
à Bangkok, jeudi 26 janvier, du rap­
port annuel de l’agence onu­
sienne sur l’opium en Birmanie.
L’ONUDC détermine une carte des
zones susceptibles d’accueillir des
cultures de pavot, et effectue des
vérifications par satellite. Elle en­
voie aussi sur place ses équipes ba­
sées dans le pays, avec l’accord de
la junte et des groupes armés lo­
caux – 370 sites ont ainsi été visi­
tés en 2022.
Entre 1 % et 3 % du PIB
L’économie de l’opium en Birma­
nie génère entre 660 millions et
2 milliards de dollars (de 552 mil­
lions à 1,8 milliard d’euros) par an,
selon l’ONUDC, soit entre 1 % et 3 %
du PIB – majoritairement réalisés
à l’exportation, sous forme
d’opium ou d’héroïne. Outre l’Etat
Kachin à la frontière chinoise,
dont la production est stable, la
majeure partie de la production
d’opium, 84 %, est localisée dans
l’Etat Shan, le vaste territoire mon­
tagneux de l’est de la Birmanie que
se partagent une demi­douzaine
d’organisations armées ethni­
ques, plus ou moins rivales, et de
milices projunte à la frontière du
Laos et de la Thaïlande.
L’opium ou l’héroïne transitent
ensuite par ces deux pays, dans la
fameuse zone du Triangle d’or où
Birmanie, Thaïlande et Laos pos­
Paris devrait
« réaffirmer
une position
ferme » à l’égard
de la Chine,
assurent
deux sénateurs
régulière, les pêcheurs, notamment
malgaches, pêchant illégalement
sur les eaux territoriales peuvent
facilement adapter leurs program­
mes de navigation en évitant les
jours de passage estimés du Casa »,
pointent les parlementaires.
Les FAZSOI disposent bien, en
plus, d’un Falcon­50 M de pa­
trouille maritime. Mais celui­ci ne
peut être déployé au­dessus des
îles Eparses que deux fois deux se­
maines par an, une grande partie
de son temps étant dévolue à la
lutte contre l’immigration clan­
destine à Mayotte. Les forces ar­
mées en Polynésie française sont,
elles, confrontées à des capacités
de transport tactique très limi­
tées. Elles disposent bien de deux
Casa, qui ne peuvent cependant
pas charger plus de 1,5 tonne, et,
vu les distances, l’est du Pacifique,
notamment les côtes américai­
nes, est inaccessible par la voie aé­
rienne avec ces moyens.
Malgré un activisme diploma­
tique renouvelé depuis 2018, la
nomination d’un ambassadeur
pour l’Indo­Pacifique en 2020,
ou encore la multiplication de
missions de l’armée de l’air et de
la marine – comme le déploie­
ment inédit d’un sous­marin nu­
cléaire d’attaque en 2021 jusqu’en
mer de Chine méridionale –,
la politique française demeure
sèdent des frontières communes,
longtemps première source
d’opium au monde avant que
l’Afghanistan ne détrône cette ré­
gion dans les années 2000. « Le
fait est que le Triangle d’or est de
retour dans le business de
l’opium », estime Jeremy Douglas.
Ce rebond ne remet pas en cause
la transition vers le modèle écono­
mique plus flexible des drogues
synthétiques comme la métham­
phétamine, dont la Birmanie est le
premier pourvoyeur en Asie. Les
saisies spectaculaires, ces deux
dernières années, dans les pays
voisins, et la chute des prix à la re­
vente dans les marchés aux alen­
tours, attestent en effet d’une ex­
plosion : « La production d’opium
nécessite une main­d’œuvre impor­
tante, les coûts sont plus élevés que
pour les drogues synthétiques, où
un petit nombre de gens contrôlent
les revenus, avec des marges impor­
tantes », poursuit l’expert. En
revanche, l’inflation a conduit à un
renchérissement du prix de
l’opium, de 70 %, au sortir de la
récolte, malgré la quantité plus
importante produite.
L’ONUDC a aussi constaté une
nette amélioration des rende­
ments pour l’opium en Birmanie,
les plus élevés jamais atteints, si­
gne d’une plus grande sophistica­
tion dans les cultures, avec le re­
cours à des systèmes d’irrigation
qui laisse entendre des « formules
contractuelles » entre les paysans
donc encore « très déclarative »,
selon les sénateurs.
Les priorités et objectifs sont
« louables », mais beaucoup relè­
vent du « soft power », « sans que
les moyens de réalisation, hu­
mains et financiers, soient énon­
cés », soulignent MM. Perrin et
Temal. « Lorsque l’action ou l’ob­
jectif engage des moyens, leur pé­
rennisation n’est pas garantie »,
regrettent­ils. Les sénateurs inter­
rogent enfin la ligne diplomati­
que française en Indo­Pacifique,
notamment sa préoccupation
d’apparaître comme une « troi­
sième voie » et une « puissance
d’équilibre » au milieu de l’affron­
tement sino­américain.
« Partenaire incontournable »
« Ce discours est parfois contre­
productif auprès de certains de ses
partenaires, car il peut leur laisser
croire que la France a une position
ambiguë et surtout que ses ambi­
tions ne sont pas en adéquation
avec son poids réel, ce qui pose in
fine des questions sur la crédibilité
même de la stratégie », prévien­
nent­ils. A ce titre, MM. Perrin et
Temal considèrent que la France
devrait « réaffirmer une position
ferme » à l’égard de la Chine.
Même si cette dernière est un
« partenaire et compétiteur com­
mercial incontournable », les am­
bitions de Pékin pourraient « ré­
duire les possibilités de faire pro­
gresser les sujets transversaux de
protection de l’environnement et
de la biodiversité sur lesquels nos
attentes doivent être réaffirmées ».
« La stratégie française ne choisit
pas, ni l’espace géographique,
qu’elle conçoit comme maxi­
maliste, ni les secteurs d’action,
qu’elle souhaite tous embrasser »,
concluent les deux sénateurs. p
élise vincent
et des commanditaires situés dans
d’autres zones, notamment la
United Wa State Army (USWA).
Cette armée rebelle, soutenue par
la Chine, est l’une des plus puis­
santes du pays, mais professe la
neutralité dans le conflit qui op­
pose une partie des armées ethni­
ques, ainsi que le mouvement de
résistance armé issu du gouverne­
ment renversé d’Aung San Suu Kyi,
à la junte de Min Aung Hlaing, le
général putschiste instigateur du
coup d’Etat.
L’USWA occupe deux enclaves
autonomes dans l’Etat Shan, l’une
à la frontière chinoise et l’autre à la
frontière thaïlandaise, qui ont été
nettoyées des cultures de pavot
sous la pression chinoise dans les
années 1990, mais où prolifèrent
les laboratoires de drogues syn­
thétiques. D’autres acteurs avérés
de la production d’opium et de
drogues synthétiques, que le rap­
port n’identifie pas, sont très
comme proches de l’armée. Cette
dernière a rallié, lors des dernières
décennies, des groupes ethniques
dissidents en les transformant en
milices de « gardes­frontières », en
échange d’un blanc­seing sur leurs
activités criminelles – et de pots­
de­vin. Le Triangle d’or et les zones
frontalières voisines abritent d’in­
nombrables casinos, dénoncés par
l’ONUDC pour leur « rôle pivot »
dans le blanchiment de l’argent de
la drogue. p
brice pedroletti
international | 7
Depuis trois semaines, les professeurs
manifestent presque quotidiennement
pour réclamer « des salaires dignes »
bogota ­ correspondante
L es professeurs vénézuéliens
manifestent. Depuis début
janvier, les protestations du
corps enseignant, qu’il soit du pri­
maire, du secondaire ou de l’uni­
versité, sont quasi quotidiennes.
L’Observatoire vénézuélien de
conflictualité sociale en a compté
près de 400 en moins de trois se­
maines. Les salariés des autres ad­
ministrations et les retraités com­
mencent à se mobiliser pour exi­
ger, eux aussi, de meilleures
conditions salariales. « Nous
avons faim », lit­on sur les pancar­
tes partout dans le pays. Le prési­
dent Nicolas Maduro a, par deux
fois, annoncé et distribué des
« bons de la patrie ». Mais ces mo­
destes allocations occasionnelles
versées – en bolivar, la monnaie
nationale – sur le compte ban­
caire des fonctionnaires n’ont
rien réglé. « Nous ne voulons pas
de bons, nous voulons des salaires
dignes », explique Carmen Teresa
Marquez, investie présidente de
la Fédération vénézuélienne des
enseignants, mercredi 25 janvier.
Mais, alors que l’inflation est re­
partie à la hausse (37 % en décem­
bre 2022) et que l’hyperinflation
menace de faire un retour en force,
la marge de manœuvre économi­
que du gouvernement semble li­
mitée. Le président Maduro tente
de convaincre ses administrés que
les sanctions américaines sont les
seules responsables de leurs tris­
tes conditions de vie.
« Lutte de type syndical »
Accaparée par ses éternelles divi­
sions et la préparation de la prési­
dentielle de 2024, l’opposition
semble pour sa part incapable de
capitaliser le mécontentement so­
cial. « Notre lutte est de type syndi­
cal, nous ne voulons pas que les
partis politiques s’en mêlent », in­
siste énergiquement Mme Mar­
quez. Le phénomène est nouveau.
Fixé à 130 bolivars en mars 2022,
le salaire minimum de la fonction
publique a fait les frais de la déva­
luation. Il équivaut en ce début
d’année à 6,33 dollars (5,60 euros).
Les professeurs de l’éducation na­
tionale en début de carrière ga­
gnent moins de 20 euros par mois,
primes comprises. Et ceux qui
s’apprêtent à prendre leur retraite,
un peu moins de 30. Plus de la
moitié des transactions du pays se
font en dollars. C’est dire que les
professeurs ne vivent pas de leur
salaire mais de petits boulots. Une
institutrice vend des beignets
dans la rue, une autre fait les ma­
nucures du quartier, un profes­
seur de philosophie donne des
cours au gymnase du quartier.
Beaucoup vivent de l’argent en­
voyé tous les mois par une sœur
ou un fils qui a émigré.
La situation des professeurs
d’université n’est guère plus relui­
sante. « Ils sont 33 % à ne pas faire
trois repas par jour », rappelle le so­
ciologue Carlos Melendez, direc­
teur de l’Observatoire des univer­
sités à Caracas. Le taux atteint 48 %
dans le nord­est du pays. Selon
l’enquête annuelle sur la consom­
mation des ménages (Encovi),
près de 25 % des enseignants du
NIC ARAGUA
Huit ans de prison
pour deux Françaises
Deux Franco­Nicaraguayen­
nes, déclarées « coupables » de
conspiration contre l’intégrité
de la nation par un tribunal
du Nicaragua, le 18 janvier, ont
été condamnées à huit ans de
prison chacune, jeudi 26 jan­
vier. Jeannine Horvilleur,
Tout manque : les
livres, les feutres,
les chaises,
et parfois
l’électricité
ou l’eau dans
les toilettes
secteur public ont abandonné
leurs fonctions depuis 2018. Ils se
sont exilés (comme 7 millions de
Vénézuéliens) ou se consacrent à
une autre activité. Le Venezuela
manque de professeurs. L’Univer­
sité pédagogique expérimentale,
qui en a diplômé plus de 15 000
en 2014, en a formé 1 477 en 2021.
« Nous devrions ériger une statue
aux enseignants qui enseignent en­
core », souligne l’experte en éduca­
tion Luisa Pernalete, de la Fonda­
tion Fe y Alegria (« foi et joie »). Elle
s’émeut de leurs conditions de tra­
vail désastreuses. Tout manque :
les livres, les ordinateurs, les feu­
tres, les chaises, et à l’occasion,
l’électricité ou l’eau dans les toilet­
tes. « Les enseignants subvention­
nent de fait l’éducation publique »,
soupire Mme Pernalete. « Certains
font des kilomètres à pied, ou dor­
ment dans leur salle de classe faute
de pouvoir se payer un bus, raconte
Mme Pernalete. Il y en a même qui
vont chercher chez lui un enfant qui
ne vient plus à l’école. » De fait, la
pandémie a été dramatique.
Des milliers d’enfants ont été li­
vrés à eux­mêmes pendant près
de deux ans. Un million et demi
d’enfants âgés entre 3 et 16 ans ne
seraient pas scolarisés aujour­
d’hui, selon Encovi.
Mais M. Maduro assure ne pas
avoir les moyens d’augmenter les
enseignants. Le redressement de
l’industrie pétrolière est lent. Les
Etats­Unis, qui s’étaient engagés à
débloquer une partie des avoirs du
pays gelés à l’étranger, traînent à
s’exécuter. Ils assouplissent au
compte­goutte les sanctions qui
pèsent sur le pays. « Pas d’argent ?
s’indigne Mme Marquez. Moi je vois
que le gouvernement dépense et
gaspille beaucoup. Tout est une
question de priorité. »
Lundi 23 janvier, pour contrer
l’impact des manifestations de tra­
vailleurs en lutte pour leurs condi­
tions salariales, M. Maduro a ap­
pelé sa base à une grande marche
« contre le blocus et les sanctions
américaines ». L’image de deux
cortèges défilant en même temps
à Caracas n’est pas nouvelle : long­
temps, « chavistes » et « anticha­
vistes » se sont mesurés dans la ca­
pitale. Mais là, les deux cortèges
étaient essentiellement composés
de fonctionnaires. Les observa­
teurs sont partagés sur l’impact
potentiel de cette mobilisation
inédite. Le sociologue Ronal Rodri­
guez, rappelle que « le gouverne­
ment chaviste a survécu à de gigan­
tesques mobilisations de l’opposi­
tion dans le passé ». Mme Marquez,
elle, ne se soucie pas de politique.
Elle n’est pas là pour faire tomber
le gouvernement. « Nous allons
gagner », affirme­t­elle. p
marie delcas
63 ans, et sa fille Ana Carolina
Alvarez, 43 ans, avaient été in­
carcérées le 13 septembre 2022
par les forces de sécurité
qui étaient venues arrêter
leur époux et père, l’opposant
Javier Alvarez Zamora, exilé
depuis au Costa Rica. Felix
Roiz, le conjoint d’Ana Caro­
lina Alvarez, a été condamné
à dix ans de prison.
 FRANCE
8|
CRISE  AU  PS
Congrès
à haut risque 
pour le Parti 
socialiste
Olivier Faure et Nicolas Mayer­
Rossignol n’ont toujours pas trouvé
d’accord, après le vote très serré
et toujours contesté
L
e palais du Pharo, ma­
jestueux monument
marseillais surplom­
bant la Méditerranée,
sera­t­il, pour le Parti
socialiste (PS), le théâ­
tre d’une nouvelle lutte, ou l’occa­
sion de mettre un terme à un
mauvais film commencé le
19 janvier ? Difficile de trancher à
la veille de l’ouverture du congrès
du PS, qui se tient du vendredi 27
au dimanche 29 janvier. Vendredi
à l’aube, les deux candidats au
poste de premier secrétaire res­
taient dans des positions irrécon­
ciliables. Le sortant, Olivier Faure,
revendique toujours une victoire
que lui refuse son rival, le maire
de Rouen, Nicolas Mayer­Rossi­
gnol, dénonçant les irrégularités
du scrutin. « Tout ce que l’on
aurait pu faire plutôt que de se
battre dans la boue pendant six
mois sur le congrès ! », s’agace l’ac­
tuel chef de file du PS.
Depuis la réunion qui s’est tenue
dans son bureau à Ivry­sur­Seine
(Val­de­Marne), lundi 23 janvier,
le député de Seine­et­Marne n’a
revu ni Nicolas Mayer­Rossignol,
ni son alliée de circonstance, Hé­
lène Geoffroy, éliminée lors du
premier tour du 12 janvier, et der­
rière laquelle se sont placés les fi­
dèles de l’ancien président Fran­
çois Hollande. Ils se sont tout de
même appelés. M. Faure continue
d’offrir à ses deux rivaux des pos­
tes d’adjoint dans une direction
collégiale. Mais ces derniers veu­
lent plus. Le maire de Rouen lui a
adressé un protocole d’accord,
gravant dans le marbre un projet
alternatif de gouvernance. Dans
Pour la Nupes, une crise qui peut remettre en cause la coalition
Les autres partis de l’alliance de gauche oscillent entre soutien au premier secrétaire sortant et désolation devant le spectacle donné
C’ était il y a quelques
semaines, presque une
éternité dans le temps
politique à gauche. Interrogé sur
le congrès du Parti socialiste (PS),
Manuel Bompard, député La
France insoumise (LFI) des Bou­
ches­du­Rhône, posait ainsi
l’équation : « Une ligne pro­Nupes
[Nouvelle Union populaire écolo­
gique et sociale] d’un côté, une li­
gne anti­Nupes de l’autre. Si Olivier
Faure gagne, la Nupes continue.
S’il perd, elle tombe. »
A l’heure où le premier secré­
taire sortant semble embarqué
dans des contestations sans fin,
après le score serré obtenu face à
son rival, Nicolas Mayer­Rossi­
gnol, la Nupes est­elle menacée
d’effondrement ? M. Bompard as­
sure que non. « La ligne pro­Nu­
pes a gagné ! », croit­il. Avant le
ce document, M. Mayer­Rossignol
fixe les règles d’une direction
à quatre, seul moyen, selon lui, de
représenter le poids des trois sen­
sibilités. Fort de ses 49 % au pre­
mier tour, Olivier Faure aurait un
second allié dans cette direction,
Johanna Rolland par exemple,
dont il veut aujourd’hui faire sa
numéro deux. Y siégeraient égale­
ment Nicolas Mayer­Rossignol et
Hélène Geoffroy. Les décisions
se prendraient par consensus, et
les désaccords seraient tranchés
par un vote du conseil national.
M. Faure conserverait le titre de
premier secrétaire. Mais dans les
faits, il serait sous tutelle.
AMERTUME
Ce dernier répète à qui veut l’en­
tendre tout le mal qu’il pense de
cette idée ressemblant à usine à
gaz, paralysante pour le PS.
Comme pour prouver sa bonne
foi, le maire de Rouen jure que si,
lui, avait gagné le congrès avec
seulement la moitié des suffra­
ges, il aurait « proposé exactement
la même chose ». Et martèle aussi
que « le parti est fracturé en deux.
Politiquement, il faut que l’on sorte
de ça ». En attendant, face à un
scrutin qu’il considère comme
« pas clair », il demande la reprise
de « la commission de récole­
ment » qui était censée jouer les
juges de paix après le vote du
19 janvier, mais dont les travaux
sont, à son sens, inachevés.
A Marseille, si aucun accord de
paix n’est signé d’ici là, la matinée
de samedi pourrait être électri­
que. A 10 heures était program­
mée la ratification des « résultats
congrès socialiste qui débute
vendredi 27 janvier, « insoumis »
et écologistes ont été nombreux
à prendre parti pour M. Faure. Et
à se retrouver un peu perplexe
face à la percée de M. Mayer­Ros­
signol, dont la position sur l’al­
liance de gauche n’est pas des
plus limpides.
Contrairement aux partisans
d’Hélène Geoffroy et malgré son
rapprochement de circonstances
avec cette dernière, il n’a jamais
défendu une sortie pure et simple
de la coalition. Pour la députée
Verte Sandra Regol, une chose est
sûre, si le député de Seine­et­
Marne perd son congrès, la Nupes
sera « amputée ». « On a un intérêt
collectif à ce que la Nupes sorte
renforcée », estime­t­elle.
Pour le reste, c’est surtout le côté
pitoyable du spectacle donné par
définitifs » communiqués par le
PS fixant à 51 % le score d’Olivier
Faure. Cette procédure, qui est
habituellement une formalité,
est devenue source de conflit. Le
camp fauriste, prétendant s’ap­
puyer sur les statuts, affirme que
seul un collège de délégués issus
du vote du 12 janvier, structurelle­
ment favorable à l’actuel chef de
file du PS, peut valider la nomina­
tion du premier secrétaire. Pour
Nicolas Mayer­Rossignol, il s’agi­
rait là d’« un coup de force », seuls
des mandataires reflétant les
49 % obtenus par Olivier Faure
au premier tour étant légitimes
à s’acquitter de cette tâche.
Comment Olivier Faure, qui
avait réussi grâce à la Nouvelle
Union populaire écologique et so­
ciale (Nupes) à redonner des cou­
leurs à un Parti socialiste abîmé
par deux présidentielles catastro­
phiques, en est­il arrivé là ? Au­
delà de l’amertume créée par l’al­
liance à gauche, qui a privé d’in­
vestiture 500 candidats aux légis­
latives, l’élu de Seine­et­Marne,
en privé, analyse cette campagne
comme étant l’aboutissement
d’un dîner secret organisé le
6 avril 2022 à la questure du Sénat
par le sénateur du Nord Patrick
Kanner et la maire de Paris, Anne
le PS qui frappe le reste d’une gau­
che qui n’avait pas besoin de nou­
velles fâcheries publiques pour
entamer sa crédibilité. « Ça va res­
ter, le spectacle de violence, les hur­
lements, ça a un côté rédhibitoire,
indécent dans la période actuelle,
l’enjeu n’est pas la querelle d’ego,
mais la réforme des retraites », es­
time encore Mme Regol. Cette sé­
quence, l’élue du Bas­Rhin le re­
connaît, n’a d’ailleurs rien à en­
vier aux heures les plus sombres
de certains congrès des Verts.
Un énième épisode
L’épisode s’impose aussi, pour
les observateurs au sein de la
coalition de gauche, comme la
preuve de l’effondrement du PS,
un énième épisode dans sa
dégringolade. Pour Jean­Luc
Mélenchon, il est clair que, par­
OLIVIER FAURE CONTINUE  tenté de reprendre contact avec
D’OFFRIR À SES DEUX  Carole Delga, dont le vote a pesé
RIVAUX DES POSTES  tour de Nicolas Mayer­Rossignol.
D’ADJOINT DANS UNE  d’Etat de François Hollande, qui
DIRECTION COLLÉGIALE.  rien contre lui, demeure indiffé­
MAIS ILS VEULENT PLUS
Hidalgo, en compagnie de Fran­
çois Hollande, Carole Delga (prési­
dente de la région Occitanie), Mar­
tine Aubry (maire de Lille) et Jo­
hanna Rolland (maire de Nantes).
Au menu de cette soirée, l’après­
présidentielle et en creux, l’avenir
du premier secrétaire. Huit mois
plus tard, à l’exception des maires
de Lille et de Nantes, les autres
convives se sont ligués contre lui.
Silencieuse jusque­là, Martine
Aubry a fini par exprimer son
« immense tristesse » lors de ses
vœux à la presse. Mais elle a re­
fusé de prendre parti. Pendant
la campagne, M. Faure pensant la
maire de Lille tiraillée entre lui,
Anne Hidalgo, et le compagnon
de cette dernière, l’ancien député
Jean­Marc Germain, dont elle est
proche, n’avait pas osé l’appeler. Il
a fini par le faire ces derniers jours.
tout ou presque en Europe,
quand les partis de gauche radi­
cale prennent le pas sur la vieille
social­démocratie, « jamais [ces
derniers] ne renaissent après,
pour la bonne raison que leur lo­
giciel est mort ».
Pourquoi alors se soucier d’un
parti déjà défunt ? C’est presque
ce que dit le député européen
écologiste David Cormand : « Le
congrès du PS a déjà été gagné au
premier tour de la présidentielle
par Jean­Luc Mélenchon. L’enjeu,
c’était soit on accepte avec plus ou
moins d’enthousiasme une situa­
tion où le PS ne peut pas revendi­
quer un leadership à gauche, soit
on quitte l’alliance, ce qui est la li­
gne des hollandais. »
Les déboires du PS ont pu être
lus comme le signe de la déliques­
cence de la forme d’un parti à
Cette semaine, il a également
lourd dans le score de premier
En vain. L’ancienne secrétaire
lui avait promis qu’elle ne ferait
rente. L’ancien chef de l’Etat a éga­
lement pesé de tout son poids sur
ce congrès, multipliant les criti­
ques publiques à l’encontre du
premier secrétaire, prenant fait et
cause pour son rival. Signe d’une
certaine implication, l’ancien lo­
cataire de l’Elysée a même ren­
contré l’édile rouennais à deux
reprises. Une fois en Corrèze, au
moment où il présentait son
texte d’orientation. Plus récem­
ment, dans ses bureaux à Paris.
Ce petit monde cherche­t­il
sciemment à affaiblir M. Faure,
dans l’espoir de creuser un sillon
pour 2027, comme on le pense
dans l’entourage du député de Sei­
ne­et­Marne ? Personne ne se ris­
que à manifester la moindre am­
bition présidentielle. Jusque­là,
un seul a fait part d’une initiative.
Bernard Cazeneuve a publié, en
septembre 2022, une tribune dans
Le Journal du dimanche, plaidant
pour « une autre gauche ». Com­
l’ancienne, rétréci sur une poi­
gnée de militants. Les « insou­
mis », eux­mêmes fort occupés
par le questionnement de cadres
et militants sur la démocratie in­
terne au sein de leur mouvement,
voient pour certains dans la crise
des socialistes la preuve que les
congrès peuvent parfois ne rien
solder du tout.
Pour le politologue Rémi Lefeb­
vre, « on a vu deux formes de
démocratie partisane, le mode
gazeux vertical est fortement
contesté, le mode partisan à l’an­
cienne où les militants votent, ça
ne marche pas non plus. Cela mon­
tre que la forme partisane est à
bout de souffle dans tous les cas,
gazeuse ou traditionnelle. Il y a très
peu de militants et il faut réinven­
ter la forme, mais, pour le moment,
aucune solution n’a été trouvée ».
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
prendre sans La France insoumise
et Jean­Luc Mélenchon. Pour le
moment, l’ancien premier minis­
tre, tout en se disant « consterné »,
« effrayé », fait mine de rester en
retrait. Mais, celui qui a quitté le
PS en mai 2022, attend l’épilogue
du congrès pour s’exprimer.
En attendant, le camp d’Olivier
Faure enrage de cette situation
inextricable préméditée par « les
sponsors de Nicolas Mayer­Rossi­
gnol ». Plusieurs font d’ailleurs re­
marquer que si le maire de Rouen
s’offusque de « fraudes manifes­
tes », il s’est entouré des vieux
briscards du PS qui connaissent
par cœur les us et les coutumes.
Au congrès de Reims, en 2008,
étaient déjà présents le sénateur
de Paris David Assouline, Jean­
Marc Germain, ou l’ancien dé­
puté des Bouches­du­Rhône, Pa­
trick Mennucci.
Même s’il réussit à faire valider
sa victoire, Olivier Faure sait qu’il
n’en sortira pas indemne. Il a
tenté de rassurer les militants,
en leur écrivant avoir « entendu
les craintes, les doutes, les atten­
tes ». Il promet de « les prendre
en compte ». Pour le PS, comme
pour la Nupes, il y aura un avant
et un après Marseille. p
sandrine cassini
A quelques heures de l’ouver­
ture du congrès de Marseille, le
Parti communiste français, qui
tiendra lui­même son congrès
dans la même ville en avril, pré­
fère éviter de commenter les dé­
boires socialistes. Ce week­end,
les militants communistes vote­
ront sur les « bases communes »
(les textes d’orientation). En 2018,
fait inédit dans un parti à la disci­
pline de fer, ce vote avait abouti
au désaveu de la direction sor­
tante menée par Pierre Laurent.
Cinq ans plus tard, l’entourage du
secrétaire national, Fabien Rous­
sel, assure être très serein. Si ce
dernier se garde de tout commen­
taire à l’égard d’Olivier Faure, c’est
par souci de non­ingérence, et
peut­être aussi, un peu, pour évi­
ter le retour de boomerang. p
julie carriat
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Nicolas Mayer­
Rossignol, Hélène
Geoffroy (à droite)
et Olivier Faure,
à l’issue d’une
réunion au siège du
PS, à Ivry­sur­Seine
(Val­de­Marne),
le 23 janvier. BENJAMIN
GIRETTE POUR « LE MONDE »
A Marseille, une grand­messe soudain moins bienvenue
Les socialistes marseillais espéraient que le congrès serait consensuel, mais le conflit interne au parti a changé la donne
marseille ­ correspondant
L e congrès de la désunion
dans la ville de l’union
à gauche ? Les socialistes
marseillais digèrent mal les cir­
constances dans lesquelles le
Parti socialiste (PS) débarque chez
eux pour un 80e congrès qu’ils es­
péraient être celui du consensus,
du 27 au 29 janvier. « Ce qui s’est
passé ces derniers jours est extrê­
mement regrettable… Nous n’avi­
ons pas besoin de ça alors que des
dizaines d’adhérents travaillent
bénévolement pour que tout se
passe bien chez nous », souffle
Yannick Ohanessian, premier se­
crétaire de la fédération socialiste
des Bouches­du­Rhône et candi­
dat unique à sa réélection.
DIMANCHE29JANVIER
12H-13H
François Bayrou,
président du MoDem, haut-commissaire
au plan et maire de Pau
« On renoue avec les “misères” du PS »
Gilles Candar, historien spécialiste des gauches, analyse la crise qui touche aussi la Nupes
ENTRETIEN
P résident de la Société
d’études jaurésiennes et
historien spécialiste des
gauches françaises, Gilles Candar
revient sur la crise interne que
traverse le Parti socialiste, alors
que son congrès visant à élire une
nouvelle direction devait s’ouvrir
vendredi 27 janvier à Marseille.
De quoi le congrès de Marseille
est­il le signe ?
Ce congrès est le signe d’un
spectacle lamentable, pas parce
que les majorités sont courtes,
mais parce que le Parti socialiste
(PS) renoue avec de mauvaises
habitudes, ce que Jaurès appelait
les « misères » du PS. Le congrès
de Reims (2008), entre Ségolène
Royal et Martine Aubry, et le
congrès de Rennes (1990), entre
Lionel Jospin et Laurent Fabius,
ont été des moments de déchire­
ment et d’accusations récipro­
ques. Mais au­delà du retour de
ces mauvaises habitudes face à
un score serré, on assiste à une
crise qui touche tous les partis,
jusqu’au Parti communiste qui
vote dans les jours qui viennent, a
un socle militant rétréci et a
connu des moments de démocra­
tie interne qui dégénèrent.
Les divisions s’articulent­elles
autour de la participation
à la Nouvelle Union populaire
écologique et sociale (Nupes) ?
En réalité, la majorité d’Olivier
Faure est plus réduite s’il s’agit de
Quand il a proposé sa ville
comme point de chute aux ins­
tances nationales – le dernier
congrès du PS sur le Vieux­Port
remonte à 1937 –, le conseiller
municipal, adjoint à la sécurité
du Printemps marseillais, rêvait
d’un symbole parfait.
« Un champ de mines »
La deuxième ville de France
conquise en 2020 par une large
coalition de gauche, citoyenne et
écologiste, accueillant, dans un
jeu de miroirs, un Parti socialiste
solidement installé dans sa stra­
tégie d’alliance au sein de la Nou­
velle Union populaire écologi­
que et sociale.
Dans les Bouches­du­Rhône,
les 1 380 adhérents ont d’ailleurs
le désigner premier secrétaire que
sur la question de la Nupes, qui est
plus consensuelle. Nicolas Mayer­
Rossignol affirme ne pas être con­
tre la Nupes mais plutôt dans un
« oui mais ». Le reproche fait à Oli­
vier Faure est plus ancien que la
coalition électorale, c’est celui de
l’« effacement », le fait par exem­
ple de n’avoir conduit ni la liste
aux européennes (de 2019) ni celle
des régionales (de 2021), de ne pas
s’affirmer davantage, ni dans les
médias ni dans l’animation de
son parti. Quant à l’accord de la
Nupes, c’est surtout la répartition
des circonscriptions qui a été
source de critiques et de mécon­
tentement… Pour le reste, après la
présidentielle de 2022, il n’y avait
pas d’autre voie, à part déployer le
drapeau et aller au scrutin pour
faire élire une poignée de députés.
La majorité des adhérents, mais
aussi des électeurs, estime qu’il
fallait faire la Nupes.
L’avenir de la Nupes dépend­il
de l’issue du congrès ?
L’avenir de la Nupes ne dépend
pas que des socialistes. Organisa­
« LE REPROCHE FAIT
À OLIVIER FAURE EST
PLUS ANCIEN QUE
LA COALITION  congrès. Il sera reconduit à la tête
ÉLECTORALE, C’EST CELUI  du parti la semaine suivante]. Il
DE L’“EFFACEMENT” »
largement validé le texte d’orien­
tation d’Olivier Faure au premier
tour (68 %) comme au second
(71 % avec 79 % de participation).
« Il y a de la crispation dans certai­
nes fédérations et dans les états­
majors, mais la réalité, c’est qu’il
y aura un millier de responsables
socialistes pendant trois jours à
Marseille et qu’en grande majo­
rité ils ont le souci de recoller les
morceaux. Nous allons sortir par
le haut », se convainc le premier
secrétaire bucco­rhodanien, qui
prévient toutefois que « ceux qui
sont dans l’acrimonie ne sont pas
les bienvenus ».
Pour le maire (divers gauche) de
Marseille, Benoît Payan, observa­
teur attentif de la situation au
sein de son ancien parti, cette
OUESTIONS
POLITIOUES.
tions locales ou pas ? Unité de
candidature à chaque scrutin ? Le
cadeau empoisonné de la tête de
liste aux européennes de 2024
a été refusé par Nicolas Mayer­
Rossignol, mais il témoigne
d’un « bougé » intéressant : l’idée
d’une liste socialiste autonome.
C’est risqué si on pense au seuil
de 5 % requis pour envoyer des
députés au Parlement européen.
Mais, sinon, quelle solution ? Une
entente avec les écologistes ? Le
Parti communiste français ? La
France insoumise (LFI) ?
Par ailleurs, une difficulté nou­
velle apparaît : la Nupes fonc­
tionne bien si elle rassemble tout
le monde. Dès qu’il manque un
partenaire, cela devient infini­
ment plus compliqué. Sans les
socialistes, elle perd beaucoup en
crédibilité de gestion, surtout au
niveau gouvernemental. Le fait
que les socialistes soient embar­
qués dans le bateau rassure. De la
même manière que la présence
de LFI borde le côté plus populaire
d’une gauche protestataire.
Que peut­il se passer lors
du congrès à Marseille ?
Ce peut être le déchirement,
rappelant la rose fanée de Pierre
Mauroy au petit matin [en 1990, à
Rennes, après une dernière nuit de
discussions, constatant l’impasse,
le premier secrétaire sortant acte,
rose fanée à la main, l’échec du
peut y avoir aussi une solution de
trouvée, une sorte de « paix des
perspective d’apaisement est loin
d’être une certitude. Et à quelques
heures de l’ouverture du congrès,
sa « présence amicale » est très in­
certaine. Pas question, glisse un
de ses adjoints socialistes, que le
maire « se retrouve dans un
LA « PRÉSENCE AMICALE »  vœux à la presse, Benoît Payan
DU MAIRE, BENOÎT PAYAN,  lonté d’intervenir devant ses ex­
À QUELQUES HEURES  camarades. Pour un mot de bien­
DE L’OUVERTURE
DU CONGRÈS DE SON  taille des chefs, des chapelles. Je ne
ANCIENNE FAMILLE,
EST TRÈS INCERTAINE
« SANS LES SOCIALISTES, 
LA NUPES PERD 
BEAUCOUP EN 
CRÉDIBILITÉ DE GESTION, 
SURTOUT AU NIVEAU  des logiques de rassemblement de
GOUVERNEMENTAL »
dames » (comme celle conclue
entre François 1er et Charles Quint
en 1529) négociée par l’intermé­
diaire des grandes élues locales
que compte encore le parti. Jo­
hanna Rolland, d’un côté, qui de­
vait être la numéro deux d’Olivier
Faure, de l’autre, Carole Delga ou
Valérie Rabault, mais elles ne sont
pas les seules ! Et Boris Vallaud, le
président du groupe à l’Assem­
blée, peut aussi jouer un rôle.
Le résultat ne sera pas forcé­
ment une direction d’union in­
ter­courants mal fagotée, cela
peut déboucher sur des garanties
politiques données aux minori­
tés, des modifications de statuts
toujours très prisées par les socia­
listes. Mais cela suppose que Ni­
colas Mayer­Rossignol et Hélène
Geoffroy acceptent de reconnaî­
tre une primauté politique à Oli­
vier Faure et au principe de la Nu­
pes, c’est­à­dire de la préférence
d’union à gauche.
Une scission est­elle possible ?
Tout est toujours possible. Mais
quel est l’avenir du PS en dehors
du jeu institutionnel ? Tout socia­
champ de mines ». Alors que la sé­
natrice des Bouches­du­Rhône et
ancienne ministre Marie­Arlette
Carlotti a appelé à la démission
d’Olivier Faure dans un entretien
à La Provence le 24 janvier, lui
n’entend pas se mêler aux ten­
sions d’un parti dont il n’est plus
adhérent depuis la fin de 2020.
Le 17 janvier, en présentant ses
avait clairement annoncé sa vo­
venue, mais aussi pour un partage
de l’expérience du Printemps
marseillais. « Je ne crois pas à la ba­
crois pas à la division. Aujourd’hui
au PS il y a une voie qui constitue le
sens de l’histoire et de l’union. Elle
THOMAS
SNEGAROFF avec Carine Bécard,
Nathalie Saint-Cricq
et Françoise Fressoz
france | 9
liste a le souci de s’inscrire dans
une logique électorale, et c’est dif­
ficile de le faire en multipliant les
scissions et sans alliance. La ques­
tion de l’union est incontourna­
ble : tous y sont amenés. Nicolas
Mayer­Rossignol comme Hélène
Geoffroy sont, localement, dans
la gauche au second tour. Il n’y a
pas, en France, d’espace politique
pour une gauche qui n’arrive pas
à avoir un accord électoral au se­
cond tour. L’intérêt de la Nupes est
aussi de faire entrer LFI dans cette
logique, comme jadis les commu­
nistes ou encore auparavant le
syndicalisme révolutionnaire.
Cela fait longtemps qu’on
prédit la mort du PS,
est­ce à raison ?
Le PS peut être remplacé, mais
si cela arrive, ce sera par quelque
chose qui lui ressemble. Est­ce que
les écologistes peuvent construire
quelque chose de grand, de plus
englobant ? Les « insoumis » pour­
raient prétendre remplacer les so­
cialistes, on l’entend quand Fran­
çois Ruffin se réclame de la social­
démocratie, quand on observe
certains de leurs élus. Cependant,
il me semble que la ligne que
prend la direction de Manuel
Bompard à LFI ne va pas de côté­là,
qu’elle est plutôt tentée par une
affirmation identitaire. Alors si
personne ne veut reprendre l’hé­
ritage du PS, cela risque d’être les
socialistes qui le perpétuent… p
propos recueillis par
julie carriat
recueille l’adhésion de ma pensée »,
expliquait­il alors. Au même mo­
ment, Olivier Faure diffusait sur
son compte Twitter une photo de
lui en compagnie de Benoît Payan
pour le remercier de son « soutien
de toujours ». Un message dont
M. Payan a semblé surpris.
Les deux hommes se connais­
sent bien. En 2018, l’élu mar­
seillais était le mandataire dans
les Bouches­du­Rhône de la cam­
pagne du futur premier secré­
taire. Ils dénonçaient alors la pré­
sence de fausses cartes dans une
fédération départementale plom­
bée par les affaires. Une proximité
qui n’a pas empêché le maire de
s’écarter du choix socialiste au
moment de la présidentielle. p
gilles rof
TV canal 27
COMMUNIQUÉ
© SPLF / DR
TRIBUNE
Pr Jésus Gonzalez
Pneumologue au CHU Pitié-
Salpêtrière AP-HP, Président
de la Société de pneumologie
de langue française (SPLF).
PRÉVENIR
LES RISQUES
VÉHICULÉS
PAR L’AIR QUE
L’ON RESPIRE
Environ 10 millions de Français
de tous âges sont atteints de pa-
thologies respiratoires chroniques
(BPCO, asthme, allergies…) ou de
cancer pulmonaire. D’autres mala-
dies sont plus rares (mucoviscidose,
fibrose pulmonaire, hypertension
pulmonaire…), mais elles sont tout
aussi graves. Leur coût est estimé à
3,5 milliards d’euros pour le système
de santé. C’est dans ce contexte,
avec de plus un système de santé
très fragilisé, qu’est arrivé, en 2020,
le SARS-CoV-2.
Aujourd’hui,nousfaisonsfaceàtrois
épidémies respiratoires en même
temps, grippe, Covid-19 et bron-
chiolite (VRS) et les services hos-
pitaliers sont débordés. Il faut im-
pérativement rebondir sur l’expé-
rience du Covid-19 pour anticiper à
froid d’éventuelles situations simi-
laires.Face aux risques associés à la
pollution, aux changements clima-
tiques, aux allergènes, mais aussi
aux nouveaux virus, les patholo-
gies respiratoires ne pourront à
l’avenir qu’augmenter.
La SPLF a ainsi décidé de mettre en
avant au cours des prochaines an-
nées des actions de formation et de
communication sur deux théma-
tiques : « L’air que l’on respire – les
pneumologues pour vous défendre
de l’exposome » et « Le parcours
patient respiratoire – les pneumo-
logues à chaque étape ».
Les pneumologues ont aujourd’hui
un rôle clé à jouer dans la lutte contre
la pollution extérieure mais aussi
intérieure,qui impacte grandement
la santé respiratoire. L’information
et la prévention doivent être renfor-
cées et facilitées. C’est ainsi que la
SPLF participe depuis un an avec de
nombreux autres partenaires (asso-
ciations de patients, notamment)
aux Etats généraux de la pneumo-
logie afin de porter des messages
scientifiques jusqu’au niveau des
décideurs. Il en est du devoir des
3 223 pneumologues en France qui
devront, pour remplir au mieux
leur mission, être aidés par d’autres
professionnels de santé, infirmières
en pratique avancée, kinésithéra-
peutes… Le conseiller médical en
environnement intérieur, profes-
sion mal connue, peut également
jouer un rôle important en se ren-
dant au domicile des patients en cas
de suspicion de corrélation entre
leur logement et leur pathologie
allergique ou respiratoire.
Daté du 28 janvier 2023, Grand Angle est édité par CommÉdition • Directeur général Éric Lista • CommÉdition,agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Christine Fallet,Stéphane Corenc •
Secrétariat de rédaction Iris Mondrian • Maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.
Spécial Maladies
L’ENJEU DE LA PRÉVENTION
Le Covid-19 a mis en exergue l’importance de la santé respiratoire face
aux agressions : virus, mais aussi tabac, pollution, changements climatiques…
Tout l’enjeu réside dans la prévention et les progrès thérapeutiques
qui permettent de diminuer la morbi-mortalité des pathologies respiratoires.
Depuis plusieurs années, les mala-
dies respiratoires sont en aug-
mentation au sein de la popula-
tion. La pollution atmosphérique,
mais aussi l’air intérieur, le taba-
gisme actif ou passif, les pesticides
sont mis en cause pour les allergies,
les crises d’asthme, les exacerba-
tions de bronchopneumopathie
chronique obstructive (BPCO), le
cancer du poumon... Les personnes
les plus fragiles doivent être proté-
gées et ce dès l’enfance.
LA BPCO SOUS -DIAGNOSTIQUÉE
Près de 3,5 millions de personnes en
France seraient concernées par la
BPCO, responsable d’environ 17 000
décès par an. Les signes d’alerte,
toux chronique, essoufflement, sont
souvent négligés et la maladie reste
sous-diagnostiquée, prise en charge
à un stade trop tardif à l’occasion
d’une exacerbation. Elle est à l’ori-
gine d’un grand nombre d’hospita-
lisations, alors que des progrès ont
été faits, permettant d’améliorer
précocement la prise en charge des
patients.
LA PRÉVENTION PASSE PAR
LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME,
L’ENNEMI NUMÉRO 1.
Le tabac est le principal facteur de
risque et avec le développement du
tabagisme féminin,la BPCO,comme
le cancer du poumon d’ailleurs,
Asthme sévère
Responsable médicale Respiratoire chez Sanofi France, Capucine Daridon
décrit l’engagement du laboratoire dans la prise en charge de l’asthme sévère.
Les équipes de Sanofi sont
impliquées dans la prise en
charge de l’asthme sévère.
Quelles sont les caractéristiques
de cette pathologie ?
L’asthme est une maladie inflam-
matoire chronique des voies aé-
riennes, très fréquente : on estime
qu’elle touche près de 4 millions
© Sanofi/ DR
Capucine Daridon
ALLÉGER LE FARDEAU
de Français. Parmi eux, 3,4 % des
patients souffrent d’un asthme dif-
ficile à contrôler. Et près de 65 000
sont atteints de la forme la plus
grave, dite « asthme sévère ». Il se
caractérise par un mauvais contrôle
des symptômes (symptômes fré-
quents, recours nécessaires et régu-
liers aux traitements de secours,
« Outre nos traitements,
nous contribuons, avec
les associations de
patients, à une meilleure
connaissance par le public
de l’asthme sévère»
Capucine Daridon
activité limitée, réveil nocturne dû
à l’asthme) et des exacerbations fré-
quentes (deux et plus par an) néces-
sitant des corticostéroïdes oraux ou
des exacerbations sévères nécessi-
tant une hospitalisation.
Chaque année, l’asthme est res-
ponsable de près de 1 000 décès.
www.grandanglesante.fr
respiratoires
© SPLF / DR
L’asthme sévère,dont on entend peu
parler à l’inverse de l’asthme, est un
réel fardeau au quotidien. 72 % des
patients se disent limités dans leur
activité physique et 90 % affichent
un état de fatigue handicapant leur
qualité de vie. 50 % se déclarent en
état de dépression.
Et l’asthme entrave certains choix,
comme la carrière professionnelle,
le quotidien des patients, leurs loi-
sirs ou leurs vacances.
Comment bien prendre
en charge les patients atteints
d’asthme sévère ?
L’objectif principal des traite-
ments est de parvenir à contrôler
l’asthme, en permettant la réduc-
tion et l’espacement des épisodes
d’exacerbation, l’amélioration de la
fonction respiratoire et la réduction
du recours aux corticoïdes oraux.
Récemment, une nouvelle voie thé-
rapeutique propose de cibler l’in-
flammation de type 2,présente chez
plus d’un patient sur deux atteints
SAMEDI 28 JANVIER 2023 ❶
concerne aujourd’hui presque
autant de femmes que d’hommes.
Cependant, les dernières données
montrent que le tabagisme a
augmenté chez les personnes de
classes sociales défavorisées, les
causes principales étant le stress et
l’isolement dus à la pandémie.
VACCINS ET IMMUNOTHÉRAPIE
La vaccination est un autre pilier
de la prévention des infections
respiratoires : vaccination contre
la grippe, contre les infections à
pneumocoque et bien sûr la vacci-
nation contre le Covid-19. La tech-
nologie à ARNm s’est développée à
cette occasion, permettant de rapi-
dement mettre au point des vac-
cins bivalents, mieux adaptés aux
souches circulantes.
Les progrès prophylactiques et
thérapeutiques sont importants
en pneumologie et apportent de
l’espoir aux patients. Les avancées
concernent avant tout les théra-
pies ciblées et l’immunothérapie.
Les cancers du poumon métasta-
tiques peuvent aujourd’hui être
traités en première ligne avec ces
médicaments innovants qui amé-
liorent nettement la survie. La mé-
diane de survie a doublé en vingt
ans. Autre espoir, la mise en place
d’un dépistage organisé du can-
cer du poumon est actuellement à
l’étude. Christine Fallet
d’asthme sévère. Ces approches
sont accessibles aux patients dès
l’âge de 6 ans,et des travaux sont en
cours pour étudier l’opportunité de
les utiliser dès le plus jeune âge. La
recherche d’une meilleure qualité
de vie ainsi qu’une capacité respi-
ratoire accrue pour une plus grande
autonomie sont au cœur des straté-
gies thérapeutiques.
Quelle est l’implication de Sanofi
dans le champ des maladies
respiratoires ?
Outre nos traitements, nous contri-
buons, avec les associations de
patients, à une meilleure connais-
sance par le public de l’asthme sé-
vère,grâce à la campagne « L’asthme
sévère est un réel fardeau ». Nous
étudions également l’intérêt de
traitements impliquant l’inflam-
mation de type 2 dans d’autres
pathologies, comme la BPCO, et au-
delà, dans le domaine de la derma-
tologie ou de la gastro-entérologie.
Stéphane Corenc
 SAMEDI 28 JANVIER 2023 ❷
Communiqué spécial Maladies respiratoires

ARNm UN AVENIR PROMETTEUR AIDER LES

Emphysème sévère

AU-DELÀ DU COVID-19 PATIENTS À MIEUX RESPIRER

Pulmonx a développé
Pionnier de la technologie ARNm, Moderna en explore tous les potentiels, une valve endobronchique
notamment pour les virus respiratoires. qui pourrait bénéficier
Eclairage avec Sandra Fournier, Directrice générale de Moderna France, à de nombreux patients
atteints d’emphysème
et Arnaud Chéret, Directeur médical de Moderna France. sévère,avec des effets

© Pulmonx / DR
Moderna a été créée en 2010. d’adapter rapidement un vaccin. » bénéfiques immédiats.Les
En 2011,Stéphane Bancel en devient C’est ainsi que Moderna a mis au détails avec Jérôme Erath,
le Président-Directeur général et, point deux vaccins bivalents,ciblant Directeur de Pulmonx.
dès lors, fait le pari de la technolo- à la fois le virus SARS-CoV-2 ances-
gie à ARNm. « A partir du moment tral et des sous-lignages d’Omicron L’emphysème se caractérise par de nombreux effets potentiellement
où le séquençage du virus SARS- (respectivement BA.1 et BA.4-5). un essoufflement dû à la destruc- bénéfiques: moins d’essoufflement,
CoV-2 a été connu, nos chercheurs tion progressive des alvéoles pulmo- fonction pulmonaire améliorée et
qui avaient l’expérience de la tech- CONTRE LES AUTRES VIRUS naires qui ne peuvent plus assurer reprise des activités quotidiennes
nologie à ARNm ont pu concevoir RESPIRATOIRES les échanges gazeux normaux. Il telles que se promener, prendre un
© Moderna France / DR

un vaccin contre le Covid-19 en
deux jours, puis un premier lot de
candidats vaccins pour les essais
en seulement 42 jours ! C’est un
véritable exploit tant sur le plan
scientifique qu’industriel et écono-
mique, souligne Sandra Fournier.
Moderna est alors passé d’une so-
ciété de recherche dans le domaine
de l’ARNm à une entreprise com-
merciale avec une usine de fabri-
cation, et nous sommes actuelle-
ment en discussion pour l’implan-
tation d’une usine en Europe.
© Moderna France / DR
Hors Covid-19, Moderna mène ac-
tuellement deux essais de phase III
dans les infections respiratoires :
un vaccin à ARNm contre la grippe
saisonnière et un autre contre le
Sandra Fournier virus respiratoire syncytial (VRS).
« En ce qui concerne la grippe, du
fait de la flexibilité de la technologie
à ARNm, nous pourrions imaginer
fixer le choix des souches de la com-
position du vaccin au plus près de la
saison automnale, déclare Arnaud
Chéret. Contre le VRS, notre essai
de phase III en cours évalue notre
n’existe aucun traitement curatif. Si
la BPCO évolue vers un emphysème
sévère, la prise en charge inclut l’uti-
lisation de bronchodilatateurs, des
corticoïdes et de l’oxygénothérapie
en association avec un sevrage taba-
gique strict et une réhabilitation
respiratoire. Toutefois, à ce stade
et malgré ces traitements, pour un
grand nombre de patients le simple
fait de respirer représente un effort
épuisant.Les options thérapeutiques
peuvent alors être chirurgicales,
mais elles sont invasives. C’est dans
bain ou encore jardiner. « Ce trai-
tement a la possibilité d’aider des
patients autrefois considérés sans
espoir à retrouver une plus grande
autonomie et une qualité de vie
améliorée », souligne Jérôme Erath.
Environ un tiers des patients souf-
frant d’emphysème sévère seraient
éligibles à la pose devalves.Une tren-
taine de centres en France peuvent
actuellement proposer ce traite-
ment encore trop méconnu bien
qu’il soit remboursé par l’Assurance-
Maladie. L’objectif est de voir pro-

Aujourd’hui, notre programme de
recherche porte sur 48 candidats
vaccins ou traitements à ARNm. »
L’ARNM PERMET DE S’ADAPTER
TRÈS VITE AUX VIRUS
La technique des vaccins à ARNm
est différente de celle utilisée pour
les vaccins traditionnels, mais le
principe reste le même : induire une
réponse immunitaire pour se proté-
ger contre le pathogène visé. « Elle
consiste à injecter un brin d’ARNm
Arnaud Chéret
formations aux cellules pour qu’elles
fabriquent de manière naturelle
une protéine spécifique du virus en
question qui déclenchera la réponse
immunitaire, précise Arnaud Chéret.
Cette technique se caractérise par
candidat vaccin chez les adultes de
60 ans et plus,chez qui les infections
à VRS sont sous-estimées, car sou-
vent non testées, mais qui peuvent
être responsables de pneumonies. »
Différents vaccins combinés, diri-
gés contre plusieurs virus à la fois,
sont aussi à l’étude pour permettre
d’optimiser la couverture vaccinale
avec une seule injection comme
avec un candidat vaccin Covid-19-
grippe-VRS en phase I/II. C. F.
ce contexte que l’implantation, par
voie bronchoscopique mini-invasive,
de valves endobronchiques pour une
réduction du volume pulmonaire
peut potentiellement répondre à un
besoin médical non satisfait. C’est le
fruit d’une approche médicale inno-
vante, scientifiquement validée, avec
Infections viralesPROTÉGER
gresser le nombre de patients ayant
accès à cette thérapie.Cela passe par
un travail de pédagogie et de noto-
riété. Les pneumologues, les méde-
cins traitants et tous les profession-
nels de santé doivent être sensibili-
sés à cette solution. C. F.
Pour en savoir plus : www.pulmonx.com

FR-MRNA-2300008 01/23
LES PLUS FRAGILES
de synthèse qui va apporter les in- une grande flexibilité et permet
Les virus sont responsables de la majorité
des infections respiratoires.
CANCER DU POUMON :
Pronostic Les infections respiratoires peuvent
être sévères, en particulier chez les

FAIRE BAISSER LA MORTALITÉ nourrissons et les personnes âgées

et/ou vulnérables, et la vaccination
est plus que jamais recomman-
Le tabagisme étant le principal facteur de risque, dée, notamment contre la grippe
le sevrage tabagique est une mesure de prévention indispensable, ou le Covid-19, comme l’explique le
à laquelle peut s’ajouter un dépistage individuel des personnes à risque, Pr Claire Andrejak, pneumologue
au CHU d’Amiens-Picardie. Les
en attendant un dépistage organisé… Le point avec virus respiratoires, responsables
le Pr Sébastien Couraud, Hospices civils de Lyon, Hôpital Lyon Sud. de la recrudescence des infections
© DR

respiratoires aiguës, fréquemment

En France, on dénombre plus de
46 000 nouveaux cas de cancer du
poumon chaque année et environ
33 000 décès par an. Il s’agit de la
première cause de mortalité par
cancer. Principal responsable, le
tabac est aussi la première cause
de mortalité évitable pour de nom-
breuses maladies : il serait res-
ponsable de 75 000 décès par an en
France. La fréquence du cancer du
poumon progresse chez les femmes
qui semblent plus sensibles aux
méfaits du tabagisme. « Le cancer
du poumon est un cancer de mau-
vais pronostic. Cependant, les der-
niers résultats de l’étude KBP-2020
montrent une nette amélioration,
© DR
lement les expositions profession-
nelles (amiante…),le radon et la pol-
lution atmosphérique. « Quant aux
fumeurs de cannabis, des éléments
laissentàpenserqu’ilexisteuneaug-
mentation du risque de cancer du
poumon qui survient plus précoce-
ment chez les usagers de cannabis »,
explique le spécialiste.
LE DÉPISTAGE ORGANISÉ À L’ÉTUDE
« Le cancer du poumon, indolore, se
développe de manière silencieuse
et, dans deux tiers des cas, il est dia-
gnostiqué à un stade tardif. » Or, le
dépistage par scanner thoracique
à faible dose a fait la preuve de son
efficacité chez les fumeurs de plus
rencontrés en ce moment, sont le
SARS-CoV-2, les virus de la grippe
(virus influenza A et B) et le virus res-
piratoire syncytial (VRS). « Le VRS est
la principale cause de bronchiolite
chez les nourrissons,mais on peut le
retrouver chez les adultes.Les symp-
tômes du VRS restent généralement
bénins chez l’adulte. Mais, chez les
personnes âgées et/ou immunodé-
primées et/ou souffrant de comor-
bidités, le VRS peut être responsable
de pneumonies nécessitant une hos-
pitalisation », souligne le Pr Claire
Andrejak. Les autres virus fréquem-
ment rencontrés sont les rhinovi-
rus et les adénovirus. Le métapneu-
movirus humain (MPVh), proche
Pr Claire Andrejak
de circulation des virus habituels.
De nombreux enfants n’ont jamais
contracté le VRS et n’ont donc pas
développé d’immunité contre celui-
ci,et l’immunité des adultes a dimi-
nué en l’absence de contact avec
le virus. « Par ailleurs, depuis l’épi-
démie de Covid, on diagnostique
plus précisément les infections, ne
serait-ce qu’en ville, dans les offi-
cines (test antigénique Covid et
parfois Covid/grippe) ou à domicile
avec les autotests. Introduire un
écouvillon dans le nez ne fait plus
peur ! ajoute le Pr Claire Andrejak.
Parallèlement, la biologie molécu-
laire a continué à se développer et

la survie à deux ans a pratiquement
Pr Sébastien Couraud doublé en vingt ans », déclare le
Pr Sébastien Couraud. Ces progrès
sont essentiellement dus aux nou-
veaux traitements (immunothéra-
Pour rappel, pie, thérapies ciblées). »
Tabac Info Service
est disponible sur un site, TABAC, EXPOSITIONS
une appli PROFESSIONNELLES, POLLUTION…
et par téléphone A côté du tabagisme actif, le taba-
au 39-89. gisme passif dans l’enfance ou
avec un conjoint fumeur favorise
l’apparition de cancers du poumon
chez des non-fumeurs. Les autres
facteurs de risque sont essentiel-
de 50 ans (diminution de la mor-
talité liée au cancer de l’ordre de
20 %). « La prochaine révolution du
cancer du poumon sera le dépistage
organisé », prédit le Pr Sébastien
Couraud. La Haute Autorité de Santé
a donné son feu vert pour le déploie-
ment d’un programme pilote. En
attendant, les pneumologues et les
généralistes peuvent proposer un
dépistage individuel aux personnes
à risque (par scanner et non par
radiographie).Ce dépistage est indis-
sociable du sevrage tabagique.»
C. F.
du VRS, est retrouvé en pathologie
communautaire chez les enfants et
les personnes âgées. « Enfin,les enté-
rovirus,souvent associés à des infec-
tions intestinales,peuvent aussi être
responsables d’infections respira-
toires », précise la spécialiste. Les
virus respiratoires circulent chaque
année avec plus ou moins d’intensi-
té.Cet hiver,la forte hausse des infec-
tions respiratoires pourrait s’expli-
quer par les mesures sanitaires (port
du masque, confinement…) prises
pendant les deux premières années
de la pandémie où il n’y avait pas eu
l’on dispose d’outils plus perfor-
mants. » Quant au traitement, il
existe des antiviraux efficaces qui
peuvent être prescrits dès le début
des symptômes en cas de Covid,chez
les personnes à risque de formes
sévères.Enfin, la quatrième dose de
rappel est ouverte à tous avec des
vaccins bivalents plus efficaces.
Quant à la vaccination contre le
VRS, elle va arriver prochainement
pour les nourrissons. Une vaccina-
tion devrait être également propo-
sée chez les adultes dans un futur
relativement proche. C. F.

12 | france
Sur le climat,
Emmanuel
Macron
cherche le ton
Le chef de l’Etat a tenu, jeudi,
un conseil national de
planification, focalisé sur le sujet
S
ortir des polémiques et
reprendre la maîtrise de
l’agenda sur un sujet
anxiogène, la transition
écologique. Emmanuel Macron a
organisé, jeudi 26 janvier, un con­
seil national de planification à
l’Elysée, focalisé sur les enjeux cli­
matiques. Entouré de sa première
ministre, Elisabeth Borne, et
d’une dizaine de ministres, dont
Christophe Béchu (transition
écologique), Agnès Pannier­Ru­
nacher (transition énergétique),
Bruno Le Maire (économie) ou
encore Gabriel Attal (comptes pu­
blics), le président de la Républi­
que a tenu à s’afficher comme le
chef d’orchestre de la lutte contre
le dérèglement climatique.
Organisé comme un conseil de
défense écologique, une instance
qui n’a plus été réunie depuis
2020, ce huis clos avait pour but
initial de vérifier que tous les sec­
teurs – énergie, transports, loge­
ment, agriculture, industries –
s’engageaient bien sur la voie
d’une réduction de 50 % des émis­
sions (brutes) de gaz à effet de
serre à l’horizon 2030, qui devra
être inscrit dans la prochaine loi
énergie­climat, en accord avec
l’objectif européen.
Près de trois heures de discus­
sion ont permis au chef de l’Etat
de faire un point sur les objectifs
intermédiaires. Premier constat,
indique­t­on à Matignon, « avec
l’effort de sobriété des derniers
mois, nous sommes plutôt
optimistes sur l’atteinte des objec­
tifs fixés pour 2022, même s’il y a
une légère augmentation des
émissions dans le secteur des
transports et l’achat de gaz
conjoncturel avec la crise ukrai­
nienne ». « Tous les secteurs
devront faire leur part, il n’y a pas
de plan B où l’un d’entre eux
pourrait s’exonérer des efforts à
faire », promet­on dans l’entou­
rage d’Elisabeth Borne. Chaque
ministre a présenté précisément
ses mesures et est reparti avec
une feuille de route actualisée,
voire réévaluée.
Tensions entre le Conseil d’orientation des retraites et Matignon
La première ministre a reproché au président du COR, Pierre­Louis Bras, d’avoir une « position assez personnelle » sur l’état des finances
J usqu’à présent, le débat sur
la situation financière des
régimes de pensions était
– fort logiquement – focalisé
sur les chiffres. Mais il vient de
prendre une dimension nou­
velle, l’objectivité d’un haut re­
présentant de l’administration
étant mise en cause à la suite de
déclarations d’Elisabeth Borne.
Lors de ses vœux à la presse, en
réponse à une question sur le dé­
ficit de notre système par répar­
tition, la première ministre a
donné le sentiment, lundi 23 jan­
vier, de s’interroger sur l’impar­
tialité d’un des experts chargés
d’éclairer l’opinion sur ce dos­
sier : il s’agit de Pierre­Louis Bras,
le président du Conseil d’orienta­
tion des retraites (COR). Celui­ci
est « peut­être » conduit « à avoir
une position assez personnelle
sur les travaux » de l’instance
Ce conseil avait aussi une por­
tée politique pour M. Macron qui
devrait en parler lui­même dans
une vidéo déjà enregistrée. De­
puis le début de l’année, le prési­
dent de la République a créé des
remous sur cet enjeu crucial.
Lors de ses vœux aux Français le
31 décembre, une petite phrase
– « Qui aurait pu prédire (…) la
crise climatique aux effets specta­
culaires ? » – a entraîné de nom­
breuses réactions au sein d’une
communauté scientifique de
plus en plus en alerte. Dans une
vidéo publiée le 17 janvier, le chef
de l’Etat avait expliqué avoir sim­
plement voulu dire que « ça a été
encore plus vite que prévu ».
Après avoir balayé cette polémi­
que, l’Elysée admet aujourd’hui
une maladresse dans les propos
et décrit un chef de l’Etat « très
frustré » par le fait « que ses pro­
pos ont été mal compris ».
« Combat du siècle »
Cette réunion élyséenne a suscité
l’intérêt, voire les attentes des
ONG. « Il faudrait qu’Emmanuel
Macron et le gouvernement parta­
gent enfin le constat que l’on n’est
pas sur la bonne trajectoire, que
l’on est en retard sur la baisse des
émissions de CO₂ et qu’ils prennent
acte que l’on doit accélérer », expli­
que Anne Bringault, coordonna­
trice des programmes pour le Ré­
seau Action Climat, alors que les
émissions ont seulement stagné
(– 0,3 %) sur les neuf premiers
mois de 2022. Et de donner des
exemples sur les leviers à activer :
Chaque ministre
a présenté
précisément
ses mesures et
est reparti avec
une feuille de
route actualisée,
voire réévaluée
qu’il anime, a estimé la cheffe
du gouvernement.
Sa remarque est consécutive à
une prise de parole de M. Bras,
quatre jours plus tôt, au cours
d’une audition par les commis­
sions des affaires sociales et des fi­
nances de l’Assemblée nationale.
Il avait alors indiqué que les
dépenses des retraites « ne déra­
pent pas », tout en signalant que
les projections du COR font état de
déficits durables, principalement
imputables à une évolution peu
dynamique des ressources.
Son propos n’est pas passé ina­
perçu. Plusieurs médias en ont
parlé, en mettant en exergue le
premier terme du raisonnement
– les dépenses sont sous contrôle.
Les oppositions se sont emparées
de cette idée pour dénoncer, de
nouveau, le projet de report de
l’âge légal de départ, que l’exécu­
Emmanuel Macron, à l’Elysée, dimanche 22 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
sur les transports, avec la baisse
du trafic aérien et l’investisse­
ment massif dans le ferroviaire,
ou encore la rénovation thermi­
que des bâtiments à accélérer…
« Qu’est­ce que l’Etat attend pour
tordre le bras aux constructeurs
français afin qu’ils sortent des mo­
dèles de petites voitures électri­
ques, accessibles à tous les ména­
ges ? », insiste Mme Bringault.
Depuis le début du second
quinquennat, l’exécutif a beau­
coup de mal à trouver le bon ton
sur ce sujet majeur. Lors de son
discours de campagne de Mar­
seille, le 16 avril 2022, Emmanuel
Macron avait promis de faire de
ce « combat du siècle », selon ses
mots, le cœur de son action. Des
choses importantes se sont mi­
ses en place au niveau institu­
tionnel avec la création d’un
secrétariat général à la planifica­
tion écologique (SGPE) et deux
ministères cruciaux placés sous
la tutelle de Matignon (transition
écologique et transition énergé­
tique). Mais le « delivery » (la con­
crétisation des projets), angli­
cisme cher au chef de l’Etat, tarde
à être compris, et, parfois, à arri­
ver jusqu’aux Français.
« Le SGPE fait un gros travail d’or­
ganisation, de mise en place. Mais
on a aussi besoin de visibilité sur ce
que cela veut dire pour les Fran­
çais, pour un artisan, pour un cé­
réalier de la Beauce ou pour les sa­
lariés de la Plastic Valley », analyse
Pascal Canfin, député européen.
Sur la défensive, les macronistes
mettent en avant de nombreuses
avancées depuis l’élection prési­
tif justifie en invoquant la néces­
sité de ramener les comptes dans
le vert. Bien évidemment, les
contradicteurs du gouvernement
se sont, le plus souvent, dispen­
sés de mentionner les explica­
tions de M. Bras sur la persistance
d’un solde négatif.
« Il a respecté son rôle »
Toute cette effervescence a créé
de l’agacement au sommet de
l’Etat. Ce qui n’est pas complète­
ment nouveau. Le COR est une
institution associant des parle­
mentaires, des responsables syn­
dicaux et patronaux, des person­
nalités qualifiées et des représen­
tants de l’administration. Chaque
année, il rend un rapport, réalisé
par un groupe permanent de
spécialistes du sujet. La qualité du
document est unanimement sa­
luée, mais le fait qu’il livre un
dentielle de 2022 : le plan sobriété
qui a porté ses fruits, le vote du
texte sur les énergies renouvela­
bles, le plan de décarbonation des
cinquante sites industriels les
plus polluants, les plans vélo et
covoiturage… Encore cette se­
maine, M. Béchu a présenté un
vaste plan d’économies de l’eau.
Des ministres surpris
Des avancées qui ont du mal à
être portées dans l’opinion. De­
puis le départ de Nicolas Hulot
du gouvernement, en septem­
bre 2018, aucun ministre de l’éco­
logie n’a réussi à franchir le mur
du son médiatique. Emmanuel
Macron pense qu’il doit donc
s’emparer de cette question lui­
même. Présents sur le front in­
ternational lors des différents
sommets, le président de la Ré­
publique et ses proches regret­
tent que des combats européens
(la taxe carbone aux frontières
ou le plan de relance en discus­
sion en réponse à l’Inflation Re­
duction Act américain) ne soient
pas plus mis à son crédit.
Sur le plan intérieur, il se trouve
confronté à une frange de la jeu­
nesse militante qui lui en de­
mande beaucoup plus et à des op­
positions qui ne croient pas en sa
sincérité dans ce domaine. Et il
est, à chaque fois, rattrapé par
ses petites phrases, comme lors­
qu’il avait comparé les écologistes
à des « amishs » le 15 septem­
bre 2020. Alors que la planifica­
tion demande une coordination
très précise, ses initiatives sur­
prennent parfois ses ministres,
large éventail de scénarios – plus
ou moins défavorables – sur les
perspectives financières nourrit
les critiques, notamment dans
les milieux patronaux et parmi
les très bons connaisseurs de la
matière : ceux qui se plaignent
trouvent que le COR n’aide pas à
se forger un avis clair sur la santé
du système, en minorant la ques­
tion du déficit. Certains vont
même jusqu’à suggérer que
M. Bras a un parti pris, en rappe­
lant ses états de service : il a été
conseiller de ministres de gauche
(Claude Evin, Martine Aubry).
Cette controverse a été abordée,
jeudi 26 janvier, lors d’une réu­
nion du COR, qui était program­
mée de longue date. Plusieurs
membres sont intervenus pour
dire que M. Bras, lors de son audi­
tion par des députés, s’était limité
à exposer les conclusions du der­
Depuis
la démission
de Nicolas Hulot,
en 2018, le
président pense
qu’il doit
s’emparer
lui-même de
cette question
comme lorsqu’il a annoncé dans
une vidéo publiée le 27 novem­
bre 2022 son envie de créer des
RER dans dix métropoles. Mati­
gnon a semblé découvrir aussi
l’organisation d’un conseil natio­
nal de la planification dans sa vi­
déo YouTube du 17 janvier.
Mais, selon plusieurs de ses
proches, il veut reprendre la
main cette année en mettant la
pression sur ses ministres sur
des sujets précis, mais aussi en
dessinant, par petites touches,
un récit global à travers ses vi­
déos et ses déplacements. En es­
sayant de balayer les doutes, au
sein même de sa majorité, sur
son logiciel. Certains macronis­
tes pensent que le chef de l’Etat,
tout à sa volonté de s’opposer à la
tentation de la décroissance, n’a
jamais pris le temps de bien défi­
nir sa vision d’une « politique de
l’offre verte » qui reste, donc,
inaudible pour les Français.
De son côté, Elisabeth Borne,
chargée de la planification, doit
nier rapport annuel du conseil. « Je
lui ai apporté mon soutien, confie
Laurent Boulangeat, le représen­
tant de l’Union nationale des pro­
fessions libérales. Il a respecté son
rôle, qui est de fournir un discours
pédagogique sur un sujet com­
plexe. » Sénateur Les Républicains
de la Marne, René­Paul Savary dé­
clare que la prestation de M. Bras
devant les commissions de
l’Assemblée ne lui « a posé aucune
difficulté ». « Il a été le porte­parole
du COR », complète Franck Hertz­
berg, de l’Union nationale des syn­
dicats autonomes (UNSA). « Il n’a
fait que présenter des éléments qui
font consensus au COR », renchérit
Pierre­Yves Chanu, de la CGT.
Quelques bémols ont cepen­
dant été émis. « J’ai regretté que le
COR n’ait pas contribué à une
pédagogie apaisée sur la soutena­
bilité du système », rapporte Jean­
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
endosser et dérouler un calen­
drier et une méthode avec le plan
France nation verte, en étant au
plus près de ses administrations.
« Je ne peux pas me résoudre à ce
que des jeunes vivent dans l’an­
goisse du dérèglement climati­
que, a déclaré la locataire de Mati­
gnon lors de ses vœux à la presse,
lundi 23 janvier, avant d’analyser
la difficulté politique de ce dos­
sier. Je sais que certains trouvent
la planification écologique un
peu austère, qu’il manque la me­
sure symbolique ou la baguette
magique qui résoudrait d’un seul
coup tous les problèmes. La réa­
lité, c’est que nous avons besoin
d’une action globale, de repenser
nos manières de vivre, de
produire, de consommer. Et cer­
tainement pas de déclarations
fracassantes sans résultats tangi­
bles. » Une façon de répondre aux
critiques d’une partie de la
majorité sur le manque d’un
récit clair de l’exécutif sur le sujet
climatique.
A sa façon, elle veut imprimer
sa marque. Lundi 23 janvier, elle
a invité une soixantaine de jeu­
nes pour une nouvelle édition
des Rencontres jeunesse de
Matignon pour échanger sur la
transition. Loin d’un propos
abstrait, Mme Borne a expliqué
vouloir « des mesures à la fois
très concrètes et à l’impact rapide
sur la vie quotidienne, les choix
professionnels et les engage­
ments ». Reste à faire atterrir ces
multiples ambitions. p
rémi barroux
et matthieu goar
Jacques Marette, qui fut président
de la conférence de financement
des retraites en 2020. L’une des
personnalités représentant Bercy
a, de son côté, souligné un pro­
blème de communication, lié au
fait que les rapports du COR ne
mettent pas assez en valeur la
baisse du nombre de cotisants
par rapport au nombre de retrai­
tés, ce qui a pour effet, à terme, de
dégrader le solde financier.
A Matignon, on relativise la por­
tée des remarques de Mme Borne,
lundi : « Ce n’était ni un désaveu ni
une critique visant la personne de
Pierre­Louis Bras. » Il s’agissait seu­
lement de pointer « la question de
la lisibilité des rapports du COR »,
ajoute­t­on, car ceux­ci « peuvent
être source de confusion », en rai­
son du grand nombre d’hypothè­
ses sur lesquelles ils reposent. p
bertrand bissuel
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023 france | 13

Retraites, trottinettes… le pari d’Hidalgo

FÉMINICIDE
Un homme écroué
pour l’empoisonnement
de son ex-compagne
Un homme de 50 ans a été
Grève le 31 janvier, référendum le 2 avril, la maire de Paris tente de reprendre l’initiative mis en examen et écroué,
jeudi 26 janvier, à Paris, pour
l’assassinat de son ex­compa­
gne, Catherine D., morte le

A
nne Hidalgo a pris
tout le monde au dé­
pourvu et s’est sans
doute surprise elle­
même, aussi. Samedi 14 janvier,
dans un entretien mené par les
lecteurs du Parisien, la maire
(Parti socialiste, PS) de Paris a an­
noncé la tenue d’un référendum,
le 2 avril, sur l’avenir des trotti­
nettes électriques en libre­service
dans la capitale dont l’utilisation
peine à être régulée. Les modali­
tés d’organisation, hormis la date
fixée, restent floues. Même ses
alliés écologistes s’étonnent de
cette impréparation.
Mais c’est quasiment la pre­
mière fois que l’édile prend ce
genre d’initiative – un référen­
dum sur le plan climat, en 2018,
était passé inaperçu. Au sein de
sa majorité, on s’inquiète d’une
désaffection citoyenne, même si,
selon Mme Hidalgo, le sujet choisi
n’est pas du tout anecdotique,
mais « très clivant ». Un sujet sur
lequel tous les Parisiens débat­
tent, selon un sondage com­
mandé par ses soins.
Sur le principe, Rémi Féraud,
sénateur socialiste de Paris,
s’étonne : « Organiser une vota­
tion, je ne vois pas comment on
peut être contre. On ne peut pas re­
procher à Anne Hidalgo tout et son
contraire : une pratique autoritaire
du pouvoir et sa volonté de de­
mander leur avis aux Parisiens. »
Le président du groupe socialiste
au Conseil de Paris joue un peu les
faux ingénus, il sait que le « Hi­
dalgo bashing » ne perd jamais
une occasion de s’embraser.
En sus des trois opérateurs de
trottinettes (Lime, Dott et Tier)
qui totalisent une flotte de
15 000 véhicules, et dont le
contrat pourrait ne pas être re­
nouvelé à l’issue de la consulta­
tion, les oppositions municipa­
les sont supérieurement contra­
riées. On s’interroge sur l’intérêt
du vote. « Et le prochain référen­
dum portera sur les nids­de­
poule ?, rigole à peine Nelly
Garnier, conseillère de Paris Les
Républicains. Ce qui serait oppor­
tun, ce serait d’avoir, enfin, une
réflexion et une vision globale
sur la régulation de la mobilité
à Paris. On va supprimer les trot­
tinettes, puis on va se rendre
compte que le problème, ce sont
les scooters… C’est une politique à
l’aveugle. Anne Hidalgo appelle
les Parisiens au vote sur le chaos
qu’elle a organisé elle­même. »
Les critiques portent aussi sur
la méthode et les réelles motiva­
tions de la maire. « Elle essaye de
nettoyer son image de femme qui
décide toute seule, mais elle ne
fait que de la com, assène Cathe­
« Anne Hidalgo
appelle les
Parisiens au vote
sur le chaos
qu’elle a organisé
elle-même »
NELLY GARNIER
conseillère (LR) de Paris
rine Ibled, conseillère (Indépen­
dants et Progressistes, majorité
gouvernementale) de Paris. Elle
dissimule sa responsabilité sur
le non­entretien de la voirie qui
aggrave la situation. Elle aurait
pu appeler le maire écologiste
de Bordeaux [Pierre Hurmic] ou
Alain Anziani, le président de la
métropole [de Bordeaux], qui se
sont donné les moyens de réussir
ensemble l’agencement des mobi­
lités douces. Cette votation sur un
sujet important, mais pas ma­
jeur, va encore coûter de l’argent
au contribuable. »
Un zeste de démocratie
Les critiques, Anne Hidalgo s’y
attendait sans les redouter car
son enjeu est d’amorcer un nou­
veau virage, tout en douceur,
pour la suite de sa mandature.
Après une longue diète médiati­
que qui a suivi une interminable
campagne présidentielle à l’issue
désastreuse (1,75 %), elle veut re­
prendre l’initiative psychologi­
que et politique. Pour faire tour­
ner la grande machine pari­
sienne, son entourage s’est
même mis en tête qu’il fallait do­
rénavant régler le mode conflit
au minimum tout en forçant sur
l’assouplissant. C’est une opéra­
tion à la fois audacieuse et déli­
cate : personne ne dicte à la
maire de Paris la conduite à tenir.
Concernant le référendum,
la maire voulait, à l’origine, in­
terdire les trottinettes en libre­
service sans demander l’avis à
quiconque. Ses proches l’ont
convaincue de se montrer plus
L’édile socialiste
n’a pas voulu
associer d’autres
questions à cette
consultation
pour éviter
un plébiscite
déguisé « pour »
ou « contre » elle
flexible alors que les transports
en commun parisiens sont dé­
bordés. Elle a écouté, elle a
même entendu. Dans Le Pari­
sien, elle a annoncé qu’elle vote­
rait « non » à son référendum,
mais elle a ajouté : « Je respecterai
le vote des Parisiens. »
Rien de mieux qu’un zeste de
démocratie participative pour
extraire une nature plus inclu­
sive, plus œcuménique, moins
raide et moins clivante. « Elle sus­
cite des passions contraires, donc
elle a bien compris qu’elle devait
retrouver un lien plus charnel,
plus intime, plus affectif avec
les Parisiens, analyse François
Dagnaud, maire PS du 19e arron­
dissement. Elle a des convictions,
on le lui a souvent reproché, mais
elle a mis de l’eau dans son vin,
elle est pragmatique. »
Depuis le début de l’année,
Anne Hidalgo a multiplié les cé­
rémonies et les déambulations
impromptues pour rencontrer,
hors caméras, plein de Parisiens.
Elle s’est aussi déclarée « soli­
daire » de la deuxième journée
de mobilisation contre la ré­
forme des retraites, prévue le
31 janvier, en fermant les portes
de l’Hôtel de ville.
Un éventuel appel d’air
A Paris, tout le monde guette un
éventuel appel d’air. « Pourquoi
ne voterait­on pas à l’avenir sur
des sujets plus structurants ? »,
s’enquiert Frédéric Hocquard,
adjoint écologiste au tourisme.
La droite adorerait proposer une
votation sur l’armement de la
police municipale… Mais ce réfé­
rendum n’est pas certain d’être
contagieux. « On verra », tempo­
rise Rémi Féraud.
Il y a du progrès, mais il ne faut
rien exagérer. Anne Hidalgo
n’a surtout pas voulu associer
d’autres questions à cette
consultation pour éviter un
plébiscite déguisé « pour » ou
« contre » elle. Trop risqué. Même
si l’hypothèse d’un départ à la
de Gaulle après le référendum
constitutionnel perdu en 1969,
demeurait de toute façon limitée.
Au contraire, il s’agit de n’obscur­
cir aucun horizon personnel, et
de, pourquoi pas, se retrouver en
situation de briguer un troisième
mandat en 2026. Fin 2022, son
entourage était catégorique :
« Elle ne se représentera pas et
Emmanuel Grégoire, son premier
adjoint, est son héritier naturel. »
Mais, en 2023, la phrase rituelle
est plutôt : « Personne ne peut
parler à sa place. » p
laurent telo
19 janvier. L’homme a été mis
en examen pour empoison­
nement avec préméditation.
Ce crime est passible de la
perpétuité. Selon une source
à l’AFP, le suspect a « contesté
les faits ». Catherine D., 46 ans,
résidant dans le nord de la
capitale, aurait commencé
à se plaindre de maux de tête
et de fatigue, avant d’être
hospitalisée, mi­octobre 2022,
selon Le Parisien. L’hôpital
aurait reçu des messages de
son ex­compagnon suggérant
d’étudier la piste d’une intoxi­
cation au mercure. Une piste
corroborée par une analyse
toxicologique. – (AFP.)
MILITANTIS ME
Les associations alertent
sur les « dangers » de
la loi « séparatisme »
La loi contre le séparatisme
est déviée de son objectif ini­
tial pour priver de subven­
tions des mouvements mili­
tants ou contestataires, a
estimé, jeudi 26 janvier,
Le Mouvement associatif,
structure regroupant plus
de la moitié des associations.
La loi stipule que, depuis jan­
vier 2022, toute association
sollicitant une subvention
doit au préalable s’engager
à souscrire « un contrat d’en­
gagement républicain »
qui implique la nécessité de
ne pas troubler l’ordre public.
C’est bien ce point qui suscite
la colère du Mouvement
associatif. – (AFP.)

Emplois fictifs : prison avec

sursis pour Michel Mercier UN HORS-SÉRIE

L’ex­ministre de la justice devait répondre des emplois à des postes

d’attachées parlementaires de son épouse et de l’une de ses filles

L e sénateur Michel Mercier, avec un obstacle majeur, la la présence ponctuelle à des ma­ HORS-SÉRIE

ancien ministre de la prescription. Le tribunal a coupé nifestations locales, estime le

justice de Nicolas Sarkozy,
a été condamné, jeudi 26 janvier,
à trois ans de prison avec sursis
par le tribunal correctionnel de
Paris pour les emplois fictifs de
l’une de ses filles et de son
épouse, de 2005 à 2014. L’ancien
garde des sceaux de 75 ans a aussi
été condamné à 50 000 euros
d’amende pour « détournements
de fonds publics », à cinq ans
d’inéligibilité et trois ans d’inter­
diction de toute fonction publi­
que. La facture est lourde pour la
famille, puisque son épouse
Joëlle a été, à son tour, condam­
née à dix­huit mois de prison
avec sursis et 40 000 euros
d’amende et sa fille Delphine
à douze mois avec sursis et
10 000 euros d’amende.
L’ancien ministre, finalement,
ne s’en tire pas si mal : il risquait
dix ans de prison, le Parquet na­
tional financier n’en avait requis,
le 9 novembre 2022, que quatre,
dont trois avec sursis, pour trois
détournements de fonds publics
la poire en deux.
Pour Delphine, la fille du séna­
teur, censée être – depuis Lon­
dres où elle habitait – attachée
parlementaire de son père, et
qui, de 2012 à 2014, a touché
37 777 euros du Sénat, la réalité
de son contrat n’a été connu
qu’après un article du Canard
enchaîné du 2 août 2017 : l’infrac­
tion était dissimulée et ne court
qu’à la publication de l’article.
Le tribunal estime que son con­
trat de travail était faux, son
emploi, « clandestin », et sa « ficti­
vité établie au­delà de tout doute
raisonnable ».
« Elasticité éthique »
Pour l’épouse, Joëlle, l’affaire est
plus complexe. Elle a touché
84 525 euros de salaires
comme attachée parlementaire
de son mari de 2005 à 2009 (elle
avait en réalité commencé dès
1999, mais c’est depuis long­
temps prescrit), avec une discré­
tion « quasi totale », convient
tribunal. Ses activités relèvent
plus d’un soutien solidaire »
apporté à son mari « que d’une
activité professionnelle soute­
nue ». La moitié de son salaire
est ainsi injustifiée, elle a donc
détourné 50 000 euros.
L’ancien sénateur a enfin été
condamné pour avoir payé à ne
rien faire un autre attaché parle­
mentaire qu’il n’appréciait pas,
une décision qui « illustre la par­
ticulière légèreté avec laquelle
Michel Mercier a usé des fonds pu­
blics ». Au total, le tribunal es­
time qu’il a détourné « plus de
117 158,16 euros de fonds publics »,
des faits « d’une gravité
LES DIEUX GRECS ET ROMAINS
certaine », alors « qu’une certaine
“élasticité éthique” s’est opérée
progressivement » chez lui au fil
de l’exercice de ses fonctions
politiques, de maire, député,
sénateur, président du conseil
général et ministre.
Le sénateur a fait prévaloir
« son intérêt personnel sur l’inté­
rêt commun », estime le tribunal,

TOUS LES SECRETS DES DIEUX DE LA GRÈCE

et une prise illégale d’intérêts. le tribunal. Personne n’était au alors qu’il était « astreint à un
Le sénateur n’était pas présent courant, on croyait qu’elle était devoir de probité », et son « ab­

jeudi au prononcé du jugement,
l’un de ses avocats, Me Eric De­
zeuze, n’a fait aucun commen­
taire. Mais Michel Mercier, qui
avait peu de doutes sur sa
condamnation, avait glissé pen­
dant l’audience qu’il ferait appel,
« comme Fillon » : François Fillon
avait été condamné, en 2020, à
cinq ans de prison dont deux
ferme ; sa condamnation avait
été réduite à quatre ans dont un
ferme en appel deux ans plus
tard – peine suspendue par son
pourvoi en cassation.
Le jugement de la 32e cham­
bre correctionnelle a dû faire
seulement l’épouse de Michel
Mercier, président du conseil gé­
néral du Rhône.
Elle dépensait l’argent du dé­
partement pour promener les
épouses influentes de la région.
« Rien ne justifie » qu’elle ait pu
« disposer des moyens de cette
collectivité », admettent les ju­
ges, mais c’était de notoriété
publique et donc « la prise illé­
gale d’intérêts » au préjudice du
département est prescrite.
Pour le Sénat, « la contribution
de Joëlle Mercier ne dépasse pas
la transmission physique du
courrier, l’écoute d’administrés et
ET DE LA ROME ANTIQUE.
sence affichée de remise en ques­
tion » est « de nature à entamer
la confiance des citoyens dans les
représentants de la nation ».
Seul le Sénat, et pas le départe­ Avec ce hors-série Le Monde plongez aux sources de notre civilisation
ment du Rhône, pourra être
dédommagé, ce qui est particu­ et découvrez combien la mythologie demeure une clé des savoirs
lièrement piquant : le Palais du fondamentaux d’aujourd’hui et même de chacun d’entre-nous.
Luxembourg a fait son possible
pour retarder la procédure et
son avocate n’a pas desserré les CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
dents pendant l’audience. Le
président du Sénat, Gérard Lar­ 124 PAGES - 10,99 €
cher, avait même proposé son
ami Michel Mercier au Conseil
constitutionnel. p
franck johannès

14 | france
L’immigration en hausse, tirée par l’économie
Plus de 320 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2022, dont 52 570 pour raisons liées au travail
C’
est un niveau histo­
rique. En 2022, la
France a délivré plus
de 320 000 premiers
titres de séjour, soit une augmen­
tation de plus de 17 % par rapport
à 2021. Ces chiffres, publiés jeudi
26 janvier par le ministère de l’in­
térieur, témoignent d’une dyna­
mique migratoire à la hausse.
« Nous reprenons une tendance de
long terme. Les effets de la crise sa­
nitaire, qui ont marqué les flux mi­
gratoires en 2020 et 2021, sont par­
tiellement effacés », a indiqué le
ministère de l’intérieur, à l’occa­
sion d’un point presse. A titre de
comparaison, 193 000 premiers
titres avaient été délivrés en
2012 et 172 000 en 2007. Au total,
en France, 3,8 millions d’étran­
gers sont aujourd’hui titulaires
d’un titre de séjour. L’Algérie, le
Maroc et la Tunisie figurent en
tête des pays d’origine.
« Ça ne fait pas de la France le
champion du monde de l’immi­
gration, ni en valeur absolue, ni
en valeur relative », tempère Jean­
Christophe Dumont, expert
OCDE des migrations internatio­
nales. A titre de comparaison, se­
lon l’Organisation de coopération
et de développement économi­
ques (OCDE), l’Allemagne avait dé­
livré près de 540 000 premiers ti­
tres de séjour en 2021 pour une
population de 83 millions d’habi­
tants, et le Canada plus de
400 000 premiers titres de séjour
pour 40 millions d’habitants.
Fait notable en France en 2022 :
si les immigrations familiale et
étudiante représentent les deux
plus grands flux, ce sont principa­
lement les étudiants et l’immigra­
tion de travail qui expliquent la
croissance observée sur l’année.
Plus de 52 000 titres ont ainsi été
délivrés pour des motifs économi­
ques, principalement à des sala­
riés et, dans une moindre mesure,
à des travailleurs saisonniers.
« L’immigration économique croît
de 45 %, en lien direct avec les be­
soins de notre économie dans cette
période et une politique d’attrac­
tion des talents », a souligné le di­
recteur général des étrangers en
France, Eric Jalon. Les passeports
talent, destinés aux profils haute­
ment qualifiés, sont en hausse de
44,5 % avec près de 18 000 titres dé­
Le patronat divisé au sujet des « métiers en tension »
Demander à régulariser des travailleurs sans papiers revient à reconnaître avoir recours à du travail dissimulé
I l y a longtemps qu’on attend
une politique qui s’empare de
la question ! » Pascal Mousset
est restaurateur. A la tête de plu­
sieurs brasseries chics à Paris, il
estime qu’« entre un tiers et la moi­
tié de [ses] collaborateurs sont
étrangers. Et [qu’on] ne trouve pas
de plongeurs français. Ils sont ma­
liens, bangladais, pakistanais… »
Alors, quand le gouvernement
a annoncé, en novembre, vouloir
faciliter la régularisation des tra­
vailleurs sans papiers en créant
un titre de séjour métiers en
tension, à l’occasion de la loi
« immigration » qui sera présen­
tée en conseil des ministres
mercredi 1er février, M. Mousset,
également président du Groupe­
ment national des indépendants
hôtellerie­restauration d’Ile­de­
France, s’est dit « extrêmement
concerné ».
Il affirme avoir soupé de l’« hy­
pocrisie totale » sur le sujet et des
« procédures administratives kaf­
kaïennes » pour qu’un salarié ob­
tienne un titre de séjour. « On
souhaite faire tourner nos boîtes,
c’est tout, martèle­t­il. Et sans ces
personnes, nos entreprises ne
fonctionnent plus, pas plus que
nos hôpitaux, nos maisons de re­
traite ou le bâtiment. »
livrés en 2022. En écho à cette dy­
namique, les régularisations de
travailleurs sans papiers ont aussi
été en hausse de 29 % avec près de
11 000 régularisations par le tra­
vail, sur un total de plus de 34 000
(qui ont concerné en premier lieu
des Algériens, des Marocains et
des Maliens). « Un des enjeux du ti­
tre métiers en tension sera d’ajuster
à nos besoins l’accès au séjour des
personnes d’ores et déjà en situa­
tion de travail », a précisé Eric Jalon,
alors que le gouvernement devrait
présenter en conseil des ministres,
le 1er février, son projet de loi « im­
migration ». Il prévoit notamment
la création d’un titre de séjour
pour les travailleurs sans papiers
occupant des postes dans les sec­
teurs en pénurie de main­d’œuvre.
Part importante d’étudiants
Aujourd’hui, les régularisations
sont décidées de façon discrétion­
naire par les préfectures, qui peu­
vent s’appuyer sur des critères lis­
tés dans une circulaire ministé­
rielle de 2012 qui fixe notamment
des conditions d’ancienneté sur
le territoire ou un nombre mini­
mum de bulletins de paie.
« Il y a un contexte économique
favorable, analyse Jean­Christophe
Dumont, de l’OCDE. Les besoins de
main­d’œuvre sont très forts et c’est
normal que cela se traduise dans
les chiffres. » Pour M. Dumont, la
réforme de l’immigration profes­
sionnelle engagée en 2021, pour fa­
ciliter les démarches et simplifier
les critères permettant d’intro­
duire de la main­d’œuvre étran­
gère en France, a aussi joué dans
cette augmentation.
La part de l’immigration de
travail n’a en tout cas jamais été
aussi élevée dans l’ensemble des
flux (16 %), même si elle est tou­
jours en deçà de la moyenne des
pays de l’OCDE (18 %). Elle passe,
pour la première fois, devant l’im­
migration humanitaire (près de
40 500 titres délivrés en 2022)
même si ces statistiques ne tien­
nent pas compte des réfugiés
ukrainiens, au nombre de 109 000
actuellement en France et dotés
d’autorisations provisoires de sé­
jour de six mois renouvelables.
L’immigration étudiante a elle
aussi crû de façon importante
en 2022 (+ 22,8 %). Avec plus
« C’est parce qu’on avait des re­
montées de terrain avec des em­
ployeurs souhaitant régulariser
leurs salariés qu’on a voulu agir de
ce côté­là », assure Sacha Houlié,
député (Renaissance) de la Vienne
et président de la commission des
lois. En 2022, près de 11 000 per­
sonnes ont été régularisées au ti­
tre de leur activité salariale. « Dans
notre secteur [où 200 000 à
300 000 emplois seraient va­
cants], il y a un consensus sur le su­
jet », appuie M. Mousset. Le prési­
dent de l’Union des métiers et des
industries de l’hôtellerie, le chef
cuisinier Thierry Marx, est, lui
aussi, favorable à une simplifica­
tion des régularisations : « Régula­
riser les gens, c’est un moyen de ré­
pondre aux difficultés des métiers
en tension, c’est un moteur d’inclu­
sion et de régulation. »
« Débat pollué politiquement »
Directeur général de la Fédération
des particuliers employeurs (Fe­
pem), Pierre­Olivier Ruchenstain
est l’auteur d’un avis du Conseil
économique social et environne­
mental, en janvier 2022, sur les
métiers en tension. Un texte qui,
en matière d’immigration, recom­
mande seulement de développer
les cours de français ou la recon­
Bilan 2022 des titres de séjour accordés
Titres de séjour par motifs d’admission
120 000
100 000
Familial
80 000
60 000
Etudiant
40 000
20 000
2007 2008 2010
Admissions exceptionnelles au séjour
(régularisations) par motifs d’admission
Economique Familial
30 949
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
2018 2019 2020 2021 2022 *
* Estimations
de 108 000 titres délivrés, elle
passe pour la première fois de­
vant l’immigration familiale
(90 000). « Les étudiants ont été
très affectés par la crise du
Covid­19 donc il y a un effet de rat­
trapage, décrypte M. Dumont.
Et même si la France a augmenté
ses frais d’inscription, elle délivre
aussi beaucoup de bourses à des
étudiants étrangers. »
Renforcer les expulsions
Les flux étudiants jouent en outre
« un rôle­clé dans la réponse aux be­
soins de l’économie », souligne
M. Dumont. La France se démar­
que d’ailleurs parmi les pays de
l’OCDE par une forte proportion
d’étudiants qui intègrent le mar­
ché du travail : plus de 50 % des
autorisations de travail sont attri­
« Personne
n’a envie d’ouvrir
le capot sur les
pratiques des uns
et des autres »
ANTOINE FOUCHER
ex-directeur du cabinet
de l’ancienne ministre
du travail Muriel Pénicaud
naissance des compétences. « On
y a été doucement, explique M. Ru­
chenstain. Les branches profes­
sionnelles craignent une polarisa­
tion médiatique, car la question
migratoire a été deux fois en finale
de la présidentielle. » Au titre de la
Fepem, il se dit « favorable à la ré­
gularisation des salariés ». « Un
cinquième de nos salariés sont nés
à l’étranger, justifie­t­il. C’est struc­
turel et ça date des années 1960. »
D’autres secteurs dépendent
aujourd’hui largement de la
main­d’œuvre étrangère : selon
une étude de la Dares de 2021,
28,4 % des agents de gardiennage
et de sécurité sont des immigrés,
27 % des ouvriers non qualifiés du
BTP, 17,4 % des agents d’entre­
tien… Mais, au sein du patronat,
Humanitaire
Économique
2012 2014 2016
Passeports talent
attribués en premier titre,
Etudiant par motifs d’admission
34 029
1 005
Pour les familles
d’un détenteur de
passeport talent
22 250
10 888
10 774
2018 2019 2020 2021 2022 *
buées à des personnes ancienne­
ment étudiantes dans le pays.
En contraste avec cette dyna­
mique, les délivrances de visas de
court séjour ne retrouvent pas les
niveaux d’avant la pandémie : avec
1,5 million de visas (principale­
ment touristiques) en 2022, ils
sont deux fois moins importants
qu’en 2019. Si les ressortissants
chinois et russes en étaient les pre­
miers bénéficiaires en 2019, ils
sont désormais aux cinquième et
huitième rangs, devancés notam­
ment par les Indiens, les Maro­
cains et les Algériens, ces derniers
ne retrouvant toutefois pas les ni­
veaux d’avant la crise sanitaire.
Egalement contrariés par les ef­
fets du Covid­19 sur les trans­
ports aériens et les règles sanitai­
res, les éloignements d’étrangers
tout le monde n’est pas aussi pro­
lixe à propos de la création d’un
titre métiers en tension. Ex­direc­
teur du cabinet de l’ancienne mi­
nistre du travail Muriel Pénicaud
et aujourd’hui à la tête du cabinet
de conseil Quintet, Antoine Fou­
cher considère que le sujet « met
assez mal à l’aise le patronat.
D’abord parce que certains sont
pris entre l’intérêt économique de
l’entreprise et leur position de ci­
toyen en faveur d’une limitation
des flux. Ensuite parce que l’immi­
gration de travail a à voir avec le
travail au noir et personne n’a trop
envie d’ouvrir le capot sur les prati­
ques des uns et des autres ».
« Masse salariale à bas coût »
« Il est normal que toutes les bran­
ches ne voient pas les choses de la
même façon puisque tout le
monde n’a pas besoin ou n’est pas
concerné par ce titre », complète le
président du Medef, Geoffroy
Roux de Bezieux, qui évoque un
« débat pollué politiquement ». A
tel point qu’aucune organisation
interprofessionnelle n’a pris posi­
tion sur la mesure annoncée par
l’exécutif. « Certains considèrent
qu’il n’y a que des coups à prendre
sur un sujet aussi clivant dans la
population », reprend M. Foucher.
Epidémie de
Covid-19
Autres
2018 2020
Eloignement des étrangers
en situation irrégulière
par types d’éloignement
Spontané
17 786
5 840
11 946
2016 2017 2018
Infographie : Le Monde Source : ministère de l’intérieur et des outre-mer
« Les besoins de
main-d’œuvre
sont très forts »
JEAN-CHRISTOPHE DUMONT
expert des migrations
internationales à l’OCDE
en situation irrégulière se sont éle­
vés à près de 15 400, soit moins
qu’en 2019, année au cours de
laquelle 23 700 éloignements ont
eu lieu, rapportés à quelque
152 000 obligations de quitter le
territoire (OQTF) prononcées.
Améliorer le nombre d’expul­
sions, c’est un des objectifs affi­
chés par l’exécutif au travers de la
future loi « immigration ». Pour y
parvenir, il compte notamment
« Notre crainte, c’est qu’on fasse
des chefs d’entreprise les agents de
l’immigration », prévient à son
tour Eric Chevée, vice­président
de la Confédération des petites et
moyennes entreprises.
Un patron du BTP, sous le cou­
vert de l’anonymat, raille cette
prudence : « Ils ont peur de dé­
plaire. Il y a une forme de lâcheté.
Dans le bâtiment, on ne peut pas
être contre l’immigration. Ça fait
deux siècles qu’on a intégré les dif­
férentes vagues, voire qu’on les a
créées. » Le président de la Fédéra­
tion française du bâtiment (FFB),
Olivier Salleron, aborde néan­
moins le sujet avec la plus grande
précaution. « Nous sommes plus
réservés que d’autres organisa­
tions patronales sur la méthode »,
précise­t­il. M. Salleron craint, lui,
que des régularisations massives
« puissent finalement encourager
le travail illégal contre lequel on
lutte fortement depuis des an­
nées ». D’autres branches, comme
la propreté ou la logistique, res­
tent silencieuses. « Pour certains,
accepter le titre de séjour métiers
en tension, ce serait reconnaître
qu’ils fonctionnent depuis long­
temps avec beaucoup de sans­pa­
piers », indique Sacha Houlié, qui
ajoute que les salariés régularisés
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
108 340
90 385
+ 44,9 %
52 570 de titres de séjour
40 490
ont été délivrés
pour des raisons
28 545
économiques
entre 2021 et 2022
2022*
Aidé Forcé
15 396
11 410
2 098
1 888
2019 2019 2020 2022 *
sur la levée de certaines protec­
tions de droit contre les expul­
sions ou la simplification des pro­
cédures contentieuses en droit des
étrangers. Dans le même temps, le
gouvernement s’est engagé à aug­
menter les capacités de rétention
de 1 200 à 3 000 places d’ici à 2027
et à améliorer l’obtention de docu­
ments de voyage (laissez­passer
consulaire) auprès des principaux
pays d’origine (Algérie, Maroc, Tu­
nisie…). « On priorise notre effort
d’éloignement sur les étrangers en
situation irrégulière auteurs de
trouble à l’ordre public », a souligné
le ministère de l’intérieur. A titre
d’illustration, près du quart des
personnes éloignées en 2022 sont
des étrangers en situation irrégu­
lière sortant de prison. p
julia pascual
« pourraient coûter beaucoup plus
cher à certains employeurs ».
Les militants associatifs ou syn­
dicaux partagent la même ana­
lyse. « Certains secteurs ont intégré
dans leur modèle économique une
masse salariale à bas coût de tra­
vailleurs corvéables, car en situa­
tion irrégulière », considère Lydie
Nicol, secrétaire nationale de la
CFDT. « Venir entre 3 h 30 et 5 heu­
res du matin pour finir à 7 h 30,
tout ça pour 600 euros par mois,
seuls les sans­papiers acceptent »,
considère Christian Schweyer,
porte­parole du collectif des tra­
vailleurs sans­papiers de Vitry­
sur­Seine (Val­de­Marne), engagé
dans une longue grève dans le
secteur de la logistique.
« La restauration a besoin de per­
sonnels un minimum qualifiés et
stables, et les grèves de sans­pa­
piers sont désastreuses en termes
d’image, estime Jean­Albert Gui­
dou, référent de la CGT sur le sujet.
Mais, dans le bâtiment, le système
est construit sur l’utilisation de boî­
tes sous­traitantes ou d’intérim
dont une partie fonctionnent sur la
base du travail dissimulé. Aucun
travailleur français ou en règle n’ac­
cepterait ces conditions. » p
thibaud métais
et j. pa.
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Présidentielle : les comptes de campagne validés
La CNCCFP a scruté les dépenses des candidats de 2022 et rendu un avis positif, malgré certaines réserves
A
u creux de l’été, les
quelque 3 000 factures
de la campagne pour
l’élection présiden­
tielle d’avril 2022 ont été éplu­
chées par des experts de la Com­
mission nationale des comptes de
campagne et des financements
politiques (CNCCFP). A la rentrée,
ils ont adressé aux équipes des
candidats des questionnaires, ré­
clamant pièces justificatives et at­
testations sur l’honneur. Sans ré­
ponse satisfaisante, les dépenses
litigieuses risquaient d’être défal­
quées du remboursement oc­
troyé par l’Etat. Vendredi 27 jan­
vier, la conclusion est tombée. La
CNCCFP approuve l’ensemble des
comptes de campagne, avec quel­
ques « réformations » – ces retou­
ches opérées sur les dépenses ou
les recettes déclarées par les can­
didats, en application du code
électoral. Une excellente nouvelle
pour les anciens prétendants à
l’Elysée, qui pourront ainsi être
remboursés par l’Etat d’une par­
tie de leurs dépenses.
Publiées au Journal officiel, ces
décisions dévoilent les coulisses
des campagnes des candidats –
à l’exception de celle de Marine
Le Pen (Rassemblement national,
RN), qui conteste devant le Con­
seil constitutionnel les réforma­
tions proposées par la CNCCFP,
suspendant de fait la publication
de la décision la concernant.
Le candidat le plus dépensier a
été le président sortant, Emma­
nuel Macron, avec 16,69 millions
d’euros déclarés − loin du plafond
de 22,509 millions d’euros fixé
pour les finalistes. Mais dépenser
ne suffit pas pour récolter les suf­
frages. Valérie Pécresse, candidate
du parti Les Républicains, qui a
rassemblé 4,78 % des voix, a dis­
posé du deuxième plus gros
budget de cette élection, avec
14,32 millions d’euros.
Jean Lassalle, Nicolas Dupont­
Aignan (Debout la France), Phi­
lippe Poutou (Nouveau Parti anti­
capitaliste) et Nathalie Arthaud
(Lutte ouvrière) ont, eux, adapté
leurs dépenses de campagne au
remboursement forfaitaire de
l’Etat destiné aux candidats ayant
rassemblé moins de 5 % des voix
au premier tour de l’élection – soit
800 423 euros. Un seuil crucial
pour les candidats, qui peuvent
obtenir un remboursement
dix fois plus important s’ils par­
viennent à le dépasser – jusqu’à
8 004 225 euros pour ceux élimi­
nés à l’issue du premier tour, et
jusqu’à 10 691 775 euros pour les
ceux présents au second tour.
Yannick Jadot (Europe Ecologie­
Les Verts) et Anne Hidalgo (Parti
socialiste), confiants en début de
campagne dans l’idée de dépasser
le seuil des 5 %, ont déboursé
davantage – déclarant respective­
ment 5 162 965 euros et
3 744 225 euros de dépenses. Sen­
tant la dynamique de la campa­
gne tourner à leur désavantage,
« Pour être efficaces, nous avons besoin d’aller plus loin »
A la tête de la CNCCFP, Jean­Philippe Vachia regrette l’absence de « volonté d’action » des pouvoirs publics pour renforcer ses moyens
ENTRETIEN
L a Commission nationale
des comptes de campagne
et des financements politi­
ques (CNCCFP), présidée par Jean­
Philippe Vachia, a scruté les dé­
penses des candidats et rendu ses
conclusions, vendredi 27 janvier.
Comment s’organise
le travail de la commission
des comptes de campagne ?
Vingt­trois rapporteurs, dont
des magistrats financiers, se sont
partagé l’instruction des comp­
tes de campagne de la présiden­
tous deux ont commandé à l’IFOP
un « baromètre des hésitants »
pour 6 600 euros afin de réussir
à mobiliser l’électorat qui leur
ferait passer la barre des 5 %. Une
dépense rejetée pour moitié par
la CNCCFP. Selon la commission,
ce document « s’apparente à un
sondage de notoriété », même s’il
a également « servi à l’orientation
de la campagne », ce qui peut « jus­
tifier une prise en considération
partielle de son coût ». Valérie Pé­
cresse, qui a également com­
mandé ce baromètre, ne bénéfi­
ciera pas de son remboursement,
faute de pouvoir justifier son
« impact sur [sa] campagne ».
Frais de déplacement
Les décisions de la CNCCFP listent
également les signalements
qu’elle a reçus de la part de ci­
toyens pendant la campagne –
vingt­quatre pour Emmanuel
Macron, sept partagés entre les
autres candidats. La plupart
concernent l’usage présumé des
moyens de l’Etat par des candi­
dats par ailleurs élus. A quarante­
huit heures du premier tour, le
8 avril 2022, l’équipe de campagne
du président sortant avait adressé
aux personnels de direction des
établissements scolaires un cour­
riel appelant à voter pour lui. Les
rapporteurs ont pu confirmer
que le signalement était infondé.
Le candidat a bien payé la « loca­
tion de listes de courriels des ensei­
gnants (…) pour 21 500 euros ».
D’autres signalements aboutis­
sent. Ils ont notamment permis
à la commission de détecter « des
dépenses [qui avaient] été omises
s’agissant de certaines interven­
tions de ministres » : trois prises
de parole du porte­parole du gou­
vernement, Gabriel Attal, et un
entretien du ministre des affaires
étrangères, Jean­Yves Le Drian,
en mars 2022.
Près de 900 euros de frais de dé­
placement du haut­commissaire
au plan (HCP), François Bayrou,
ont également été refacturés à la
campagne de M. Macron. Selon la
CNCCFP, ils avaient été pris en
charge par le MoDem. La cheffe de
cabinet de M. Bayrou, qui exerce
ces fonctions à la fois au MoDem
et au HCP, a produit une attesta­
tion affirmant l’absence d’utilisa­
tion des moyens de l’Etat.
Quant à l’émission quotidienne
d’Eric Zemmour (Reconquête !)
sur la chaîne CNews, signalée à
la commission début septem­
bre 2021, alors que le candidat
d’extrême droite faisait peu de
mystères de ses ambitions, mais
ne s’était pas encore officielle­
ment déclaré candidat, elle cons­
titue bien « un concours en nature
d’une personne morale » de la part
de ce média principalement dé­
tenu par l’homme d’affaires con­
servateur Vincent Bolloré. Cette
aide, strictement interdite par le
code électoral, n’a cependant pas
entraîné de sanction financière
tielle 2022. Leur travail a été suivi
et coordonné par huit chargés de
mission : certains sujets nécessi­
tent en effet un examen trans­
versal. Grâce à la numérisation
des comptes de la présidentielle
− une première à la CNCCFP −,
les rapporteurs ont, par exemple,
pu facilement vérifier que deux
candidats ayant loué la même
salle avaient bénéficié de tarifs
proches. Une spécialiste des ré­
seaux sociaux complète cette
équipe. Son travail est crucial
pour repérer les initiatives que
les candidats pourraient omettre
de déclarer. Sur la base de ce tra­
La commission
liste les
signalements
reçus de la part
de citoyens
majeure pour M. Zemmour. Elle
n’a eu lieu que « pendant une pé­
riode limitée dans le temps », justi­
fie la CNCCFP.
Les postes de dépenses les plus
importants ont aussi retenu l’at­
tention de la commission. Pen­
dant la campagne, Valérie Pé­
cresse a loué deux permanences
électorales. La première, le 1er dé­
cembre 2020 par le biais de son
microparti, Libres. Pour la se­
conde, Les Républicains ont signé
peu après sa victoire à la primaire
un « mandat exclusif de recher­
che et de négociation » pour
62 400 euros avec une société de
conseil en immobilier. Or, son
travail de prospection « paraît (…)
avoir été limité », note la commis­
sion : l’adresse de cette perma­
vail collectif, le collège de la
CNCCFP, composé de huit mem­
bres, rend ses décisions.
Observez­vous une évolution
des manières de faire campa­
gne des candidats ?
Il y a dix ans, le principal risque,
c’était que des dépenses très im­
portantes nous échappent et dé­
passent le plafond autorisé par
la loi. Depuis 2017, les candidats
dépensent bien en deçà de ce
plafond. Ils réduisent le nombre
de meetings géants, multiplient
les petites réunions publiques
et investissent le numérique,
nence figurait déjà dans le man­
dat signé par Les Républicains.
« Dès lors, seul un montant de
20 000 euros peut être retenu au
titre des dépenses électorales »,
conclut la CNCCFP.
La com de LFI scrutée
Dans le compte de campagne de
Jean­Luc Mélenchon (La France
insoumise), ce sont deux autres
postes importants qui ont attiré
l’attention des rapporteurs. Le
candidat a confié les prestations
de conseil en communication,
de production audiovisuelle et
d’événementiel à l’agence L’Inter­
nationale, présidée par la dépu­
tée « insoumise » Sophia Chiki­
rou, pour 844 635 euros.
Une somme d’autant plus im­
portante que le contrat de presta­
tion laissait à la charge du candi­
dat le paiement de « toute assis­
tance administrative, technique,
dont [L’Internationale] aurait be­
soin pour l’exécution de sa mis­
sion ». A l’issue de leurs échanges
avec l’équipe de campagne, les
rapporteurs n’ont rien déduit aux
deux options bien moins chères.
Désormais, le risque est de lais­
ser échapper des expressions
des candidats ou de leurs sou­
tiens en ligne. Il faut scruter les
sites, les réseaux sociaux,
YouTube, mais aussi les publica­
tions sponsorisées et les envois
de courriels. Les signalements
effectués par les citoyens au
cours de la campagne nous sont
souvent utiles.
Vous avez demandé en 2021
un droit d’accès aux grandes
plates­formes de réseaux so­
ciaux, un accès à la comptabi­
factures des prestations de cette
proche de Jean­Luc Mélenchon.
En 2017, ils avaient déduit
35 250 euros des 1 161 759 euros ré­
clamés par son entreprise, au mo­
tif que onze factures présentaient
« des écarts significatifs » avec la
grille tarifaire. Une information
judiciaire, encore en cours, a été
ouverte en 2018 pour « escroque­
rie et tentatives d’escroquerie au
préjudice d’une personne publi­
que ou d’un organisme chargé
d’une mission de service public
pour l’obtention d’un paiement
ou d’un avantage indu ».
Les rapporteurs de la CNCCFP
ont également commandé une
expertise concernant le coût du
grand meeting « immersif » que
M. Mélenchon avait tenu en jan­
vier 2022. Le tarif de cette réunion
publique au format inédit ne pou­
vait être comparé à aucune autre
dans les archives de la commis­
sion. Renseignement pris, la
CNCCFP n’a pas trouvé de trace
de surfacturation.
Les décisions de la commission
montrent, enfin, la difficulté pour
lité des partis politiques
ainsi qu’un pouvoir de sanc­
tion pour les partis qui ne res­
pectent pas leurs obligations
déclaratives. Avez­vous été
exaucé ?
Rien n’a changé. Nous avons eu
une écoute attentive du député
Charles de Courson. Avec
d’autres parlementaires, il a dé­
posé un amendement au projet
de loi de finances 2023, pour
essayer d’étendre nos pouvoirs.
Mais cela a été rejeté, c’était un
cavalier budgétaire. Nous en
avons aussi parlé aux pouvoirs
publics. Il faudrait qu’il y ait une
france | 15
Le candidat
le plus dépensier
a été Emmanuel
Macron, avec
16,69 millions
d’euros
les candidats de déterminer avec
précision les dépenses qui relè­
vent des comptes de campagne.
Leurs déplacements à l’étranger
ne peuvent être remboursés que
s’ils visent à obtenir les suffrages
des expatriés ou s’ils « relèvent
d’une initiative qui aurait pour ob­
jectif d’accroître [leur] notoriété in­
ternationale en vue de l’obtention
des suffrages des électeurs, expli­
que la CNCCFP. Il appartient [ce­
pendant] au candidat de justifier
(…) [le] caractère électoral des dé­
penses concernées ». Ainsi, les dé­
placements de Jean­Luc Mélen­
chon et de son équipe au Sénégal
et au Chili, pour un total de
10 419 euros, n’ont pas été
remboursés, contrairement aux
billets d’avion d’Eric Zemmour et
de son directeur de campagne lors
de leur visite de la base militaire
d’Abidjan.
Jurisprudence mouvante
La jurisprudence est par ailleurs
mouvante. Depuis 2022, la
CNCCFP comptabilise de manière
plus large les dépenses ayant trait
à la sécurité des candidats. Depuis
2019, le flocage des bus de campa­
gne à l’effigie des candidats est
considéré comme de l’affichage
sauvage. Jean Lassalle, Fabien
Roussel (Parti communiste fran­
çais) et Marine Le Pen ont ainsi
vu ces factures refusées par la
commission. Elles avoisinaient
15 000 euros pour les deux pre­
miers candidats, qui ont procédé
à l’habillage d’un seul bus. Pour
le RN, dont la décision n’a pu être
consultée par Le Monde, la facture
s’élèverait à plus de 300 000 euros
pour douze bus.
En cas de doute sur le caractère
électoral d’une dépense, les can­
didats intègrent ces factures. Les
omettre pourrait leur coûter cher.
Lors de l’élection présidentielle
de 2012, la CNCCFP avait rejeté le
compte de campagne de Nicolas
Sarkozy, estimant qu’il avait dé­
passé le plafond de dépenses
permises pour les finalistes
(22,509 millions d’euros) de
466 118 euros. La justice a depuis
découvert qu’un système de faus­
ses facturations avait permis la
dissimulation de la dépense de
plus de 20 millions d’euros au­
delà du plafond légal. En septem­
bre 2021, l’ancien président a été
condamné à un an de prison
ferme pour le financement illégal
de sa campagne. Il a fait appel et
se présentera de nouveau devant
la justice en novembre 2023. p
laura motet
volonté d’action. Nous tirons
parti au maximum des pouvoirs
de la commission. Mais pour être
efficaces, nous avons besoin d’al­
ler plus loin. Les demandes que
vous avez citées restent valables.
On pourrait également ajouter la
possibilité d’interroger directe­
ment le prestataire d’un candi­
dat pour lui demander de justi­
fier sa facture. Actuellement, la
seule chose que nous pouvons
faire, c’est interroger le candidat,
vérifier ses dires avec les ressour­
ces disponibles, et lui demander
une attestation sur l’honneur. p
propos recueillis par l. mo.
16 | planète
Le Japon cherche à enrayer le déclin de la natalité
La baisse du nombre de naissances, régulière depuis les années 1970, s’est accélérée avec la pandémie de Covid
tokyo ­ correspondance
D
e l’argent pour des bé­
bés. Ainsi l’a proclamé
le premier ministre,
Fumio Kishida, qui a
promis dans son discours de poli­
tique générale, lundi 23 janvier,
« des mesures sans précédent pour
enrayer la chute de la natalité et
permettre à chacun de participer à
l’éducation des enfants ».
La question de la natalité a do­
miné cette allocution de quarante­
cinq minutes. Quelques jours plus
tôt, le gouvernement avait an­
noncé que le nombre de naissan­
ces était probablement passé,
en 2022, sous la barre des 800 000,
du jamais­vu depuis les premières
statistiques en la matière, en 1899.
La population du Japon au 1er jan­
vier était estimée à 124,77 millions
d’habitants, soit une baisse de
0,43 % sur un an – 29 % des Japo­
nais ont désormais plus de 65 ans
et 11,6 % ont moins de 14 ans.
« Nous sommes sur le point de ne
plus pouvoir maintenir le fonction­
nement de la société », s’est alarmé
M. Kishida. La baisse de la natalité,
régulière depuis les années 1970,
s’est accélérée avec l’épidémie de
Covid­19. Elle se traduit déjà par
des pénuries de main­d’œuvre
dans un pays rétif à l’immigration,
une désertification accélérée des
campagnes et des difficultés crois­
santes pour financer les retraites
– même s’il est désormais possi­
ble de travailler jusqu’à 70 ans – et
la sécurité sociale. Le financement
de ces services représente 33,7 %
du budget de l’exercice 2022, deux
fois plus qu’en 1990.
Pour relancer la natalité, le gou­
vernement prévoit de créer, en
avril, une agence des affaires fami­
liales, chargée de réfléchir à l’amé­
lioration des services de garde
d’enfants, à l’environnement de
travail, mais aussi à la hausse des
allocations familiales, dont le dou­
blement devrait être acté en juin.
Le système actuel accorde de
5 000 à 15 000 yens (de 36 à
La forêt amazonienne est détruite à un rythme sans précédent
Des chercheurs internationaux alertent sur l’effet des activités humaines sur cet écosystème vital pour le climat et la biodiversité
L a forêt amazonienne est
gravement malade, et avec
elle l’ensemble de la pla­
nète. Dans deux revues de littéra­
ture publiées jeudi 26 janvier
dans Science, une cinquantaine
de chercheurs internationaux
mettent en garde contre les chan­
gements rapides et profonds qui
se produisent dans le poumon de
Internationales
Le grand entretien sur l’actualité
du monde
Ce samedi à 12 h 00
JEAN-PIERRE RAFFARIN
président de Leaders pour la Paix
et ancien Premier ministre
répond aux questions de
Antoine Genton (TV5MONDE)
et un journaliste du (Monde).
Diffusion sur TV5MONDE
et sur Internationales.fr
La pensionnaire d’une maison de retraite discute avec un proche, à travers une vitre, pendant la pandémie, à Tokyo,
le 12 mai 2020. ATSUSHI TAKETAZUT « THE YOMIURI SHIMBUN »
106 euros) selon les revenus des pour les familles ayant des en­
parents, par enfant, jusqu’à la fin fants âgés de moins de 2 ans, pou­
de la scolarité obligatoire, à 15 ans. vant servir à payer produits et
Le gouvernement envisage de services liés à l’éducation.
supprimer la limite de revenu et
de maintenir l’allocation jus­ Coût élevé de l’éducation
qu’aux 18 ans. Il pourrait aussi Afin de lutter contre la déser­
l’augmenter à 60 000 yens pour tification, le gouvernement japo­
un troisième enfant. nais va augmenter en avril, à
Autre mesure à l’étude, la 1 million de yens par enfant, l’aide
hausse de l’allocation forfaitaire aujourd’hui fixée à 300 000 yens,
de 420 000 yens accordée à la aux familles qui quittent la mé­
naissance d’un enfant. Le minis­ tropole de Tokyo pour vivre
tre de la santé, du travail et des pendant au moins cinq ans dans
affaires sociales, Katsunobu Kato, une zone rurale.
souhaite la porter à 500 000 yens. Ces aides s’ajoutent à celles
Le gouvernement réfléchit égale­ proposées par les municipalités.
ment à un système de coupons Tokyo accorde ainsi une subven­
la Terre en raison de la pression
des activités humaines. En provo­
quant tant une déforestation
qu’une dégradation accélérées de
cette région, elles menacent le
zonienne fait partie des écosystè­
mes les plus vitaux de la planète.
Elle abrite près d’un tiers des
espèces connues sur terre, dont
390 milliards d’arbres, et contri­
climat, la biodiversité, le bien­être bue à maintenir les cycles du car­
des populations locales, et plus bone et de l’eau mondiaux. Elle est
largement l’humanité. dans le même temps particulière­
S’étendant sur neuf pays (princi­ ment vulnérable : 17 % de la forêt
palement le Brésil), la forêt ama­ originelle a été détruite, et 9 % for­
tement dégradée, soit 26 % affec­
tés, selon la première étude.
Futur émetteur net de CO2
En cause : la déforestation, provo­
quée par les activités agricoles et
industrielles – qui a atteint des ni­
veaux record au Brésil sous le
mandat (2019­2023) de Jair Bolso­
naro –, et le dérèglement climati­
que, également entraîné par les
activités humaines. Cette destruc­
tion des écosystèmes amazoniens
se produit à un rythme sans pré­
cédent, des centaines, voire des
milliers de fois plus rapide que
tout phénomène climatique ou
géologique naturel dans le passé,
Photo © Marianne Rosenstiehl / TV5MONDE
prévient l’étude, chiffres à l’appui.
L’accélération est telle que
l’ensemble des espèces, des peu­
ples et des écosystèmes amazo­
niens ne peuvent s’y adapter. De
sorte que l’Amazonie s’approche
d’un point de bascule irréversi­
ble, où des pans entiers de forêts
seront définitivement transfor­
més en savanes − de précédents
en partenariat avec rapports avaient montré que ce
point de non­retour avait déjà
été atteint dans certaines zones,
dans le sud et l’est du bassin.
tion pour couvrir le coût de la
grossesse et a annoncé, le 13 jan­
vier, la gratuité de la garderie pour
les familles ayant un deuxième
enfant, Osaka propose un service
de nourrices, et Nagoya attribue
une aide de 50 000 yens par enfant
aux familles démunies. Elles com­
plètent les mesures prises ces dix
dernières années, comme la
hausse du nombre de places en
crèches ou la gratuité des soins
médicaux pour les nourrissons et
de l’éducation jusqu’au collège.
Or, rien n’indique que cette série
de nouvelles décisions – estimées
à 18 milliards d’euros par an – suf­
firont à inverser la tendance. Sur
L’Amazonie
s’approche d’un
point de bascule
irréversible, où
des pans entiers
de forêts seront
définitivement
transformés
en savanes
Après des millions d’années à
fonctionner comme un puissant
puits de carbone, l’Amazonie de­
vrait prochainement se transfor­
mer en émetteur net de CO2. A la
fois parce que les forêts libèrent
du carbone quand elles sont dé­
truites, dégradées ou brûlées,
mais aussi parce qu’en étant
moins denses en arbres elles peu­
vent moins en séquestrer.
Les conséquences sont verti­
gineuses : la libération de tout le
carbone contenu dans les forêts et
les sols amazoniens (environ
180 milliards de tonnes) augmen­
terait suffisamment la concentra­
tion de CO2 dans l’atmosphère
pour faire monter la température
mondiale de plus d’un degré, pré­
vient James Albert, professeur
d’écologie à l’université de Loui­
siane, à Lafayette, et premier
auteur de l’étude. Moins d’arbres
signifie aussi moins de précipita­
tions, des sols plus arides, des sé­
cheresses plus régulières et plus
le plan financier, les Japonais res­
tent confrontés à la diminution
régulière de leurs revenus. Le sa­
laire mensuel moyen corrigé de
l’inflation a chuté de 3,8 % en no­
vembre 2022 : la plus forte baisse
en plus de huit ans et le huitième
mois de déclin de suite, a précisé le
ministère du travail.
Le coût de l’éducation reste aussi
élevé dans l’Archipel. Pour les trois
années de lycée et un cursus de
quatre ans à l’université – le par­
cours le plus commun –, les pa­
rents doivent prévoir en moyenne
10 millions de yens, sans compter
les coûts annexes (logement, ali­
mentation), voire celui des
importantes, qui entraîneront des
feux de forêt plus ravageurs, dans
une forme de cercle vicieux.
« Nous connaissons les mesures
à prendre de toute urgence pour
arrêter la destruction de l’Amazo­
nie : décourager les activités qui
détruisent les arbres, encourager
celles qui en replantent et limiter le
changement climatique, en sor­
tant des énergies fossiles, indique
le chercheur. Le sort de l’Amazo­
nie, mais aussi de l’humanité, est
entre nos mains. C’est une ques­
tion de volonté politique. »
La seconde revue de littérature
s’intéresse à une autre menace,
moins étudiée que la déforesta­
tion : la dégradation des forêts,
définie comme un changement
néfaste dans les conditions du
couvert forestier qui affecte ses
fonctions vitales. Selon les scien­
tifiques, 2,5 millions de kilomè­
tres carrés de forêt amazonienne
(environ 38 % de toutes les forêts
restantes de la région) ont été
dégradés entre 2001 et 2018 par
quatre impacts majeurs : les in­
cendies, les sécheresses extrêmes
(plus fréquentes et plus longues),
la fragmentation de l’habitat
(dans les bordures de zones défo­
restées) et l’exploitation fores­
tière pour produire du bois.
La dégradation des forêts en­
traîne des émissions de carbone
similaires à celles dues à la défo­
restation (jusqu’à 200 millions de
tonnes par an), ainsi qu’une perte
de biodiversité équivalente. Elle
provoque également une réduc­
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
« Nous sommes
sur le point de
ne plus pouvoir
maintenir le
fonctionnement
de la société »
FUMIO KISHIDA
premier ministre japonais
« juku », ces cours du soir privés
censés permettre d’intégrer les
meilleures universités.
Plus généralement, le choix de
se concentrer sur les aides à l’édu­
cation des enfants pose question.
De plus en plus de chercheurs
plaident pour agir en amont et fa­
ciliter le mariage dans un pays où,
selon une enquête annuelle de
l’Institut national de la popula­
tion et de la sécurité sociale, 17,3 %
des hommes et 14,6 % des fem­
mes âgées de 18 à 34 ans n’ont pas
l’intention de convoler. Ce chiffre
est le plus élevé depuis la mise en
place de cette étude en 1982.
Il traduit une aspiration à plus de
libertés ou à privilégier une
carrière, mais aussi les craintes de
ne pas pouvoir assumer une fa­
mille, même si le modèle de
l’homme qui travaille tout en
ayant une épouse au foyer tend à
s’estomper. Kanako Amano, de
l’institut de recherche privé NLI,
prône la création d’« un environne­
ment social dans lequel les hom­
mes et les femmes qui souhaitent se
marier puissent le faire avant
30 ans ».
Noriko Hama, professeure d’éco­
nomie à l’université Doshisha de
Kyoto, juge vain de « donner de l’ar­
gent aux jeunes couples et d’atten­
dre qu’ils aient plus d’enfants. Le
problème est que les Japonais ne
sont pas satisfaits de l’environne­
ment dans lequel ils devront élever
un enfant. Tant que cet environne­
ment ne s’améliorera pas, le taux de
natalité ne se redressera pas ». p
philippe mesmer
tion de l’évapotranspiration des
arbres – jusqu’à 34 % en moins –
pendant la saison sèche.
Les projections pour 2050 indi­
quent que ces quatre perturba­
tions resteront une menace ma­
jeure et une source importante
d’émissions de carbone, indépen­
damment des trajectoires de défo­
restation. « Plus les forêts sont dé­
gradées et plus elles sont sensibles
aux effets du changement climati­
que, qu’il s’agisse des sécheresses
ou des incendies, dans un effet boo­
merang », explique Plinio Sist,
directeur de l’unité Forêts et socié­
tés, au Centre de coopération in­
ternationale en recherche agrono­
mique pour le développement,
qui n’a pas participé aux études.
En conséquence, les auteurs ap­
pellent à compléter les politiques
contre la déforestation par des
mesures contre la dégradation
des écosystèmes amazoniens. Ils
citent par exemple la lutte contre
l’exploitation illégale du bois et
un soutien financier aux agri­
culteurs et éleveurs afin de les in­
citer à ne plus pratiquer d’incen­
dies volontaires pour faire place à
du pâturage ou à des cultures.
« Aujourd’hui, on exploite deux
fois plus la forêt qu’elle ne peut na­
turellement se régénérer, ajoute
Plinio Sist. Il s’agit donc de prélever
moins d’arbres, moins souvent, de
restaurer le couvert et de dévelop­
per des plantations avec plusieurs
espèces, pour réduire les pressions
sur les forêts très anciennes. » p
audrey garric
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Réorganisé, LVMH aligne des résultats record
Fort de 14 milliards de profit en 2022, le groupe de Bernard Arnault prépare la succession du patron de 73 ans
H
ello Google. Combien
font 79,2 milliards d’eu­
ros de chiffre d’affaires
en dollars ? » A l’ouver­
ture de la conférence de presse
des résultats annuels de LVMH,
jeudi 26 janvier, à Paris, l’ordi­
nateur de Robert Williams, jour­
naliste pour The Business of
Fashion, publication américaine
consacrée au secteur de la mode, a
fait écho à l’étonnement des ana­
lystes financiers anglo­saxons à la
lecture des résultats du numéro
un mondial du luxe.
« Ce sont, une fois de plus, des ré­
sultats record », a fait valoir Ber­
nard Arnault, son PDG. Grâce à un
bond d’activité de 23 %, le groupe,
qui détient notamment les mar­
ques Louis Vuitton, Dior, Tiffany
ou Dom Perignon, flirte désor­
mais avec la barre des 80 milliards
d’euros d’activité. Sa marge opé­
rationnelle atteint 26,6 %. Son ré­
sultat net dépasse les 14 milliards
d’euros. « Nous regagnons des
parts de marché. Ça ne s’était pas
vu depuis 2019 », observe M. Ar­
nault, dont le groupe est désor­
mais la première capitalisation
boursière en Europe, devant Shell,
après avoir franchi la barre des
400 milliards d’euros, mi­janvier.
LVMH a notamment tiré profit
des résultats de ses griffes de
mode. Pour la première fois, Louis
Vuitton a réalisé plus de « 20 mil­
liards d’euros » de chiffre d’affaires,
tandis que Celine, grâce aux créa­
tions d’Hedi Slimane, a dépassé les
« 2 milliards d’euros de ventes »,
s’est félicité le dirigeant. Les per­
formances du joaillier new­yor­
kais Tiffany, que LVMH relance de­
puis son rachat pour le montant
record de 15,8 milliards de dollars
(14,5 milliards d’euros) en 2021,
sont aussi « remarquables », souli­
gne le PDG. Son résultat opéra­
tionnel atteint « plus de 1 milliard
d’euros ». A tel point que M. Ar­
nault jure que Tiffany vaudrait
« en Bourse plus de deux fois ce
qu’elle valait » lors de son rachat.
Comment se déroulera l’exer­
cice 2023 ? C’est la question qui ta­
raude les analystes financiers. Car
les prévisions de croissance du
marché du luxe, évalué à 353 mil­
liards d’euros en 2022, sont dans
une fourchette dite basse au re­
gard des performances habituel­
les : le cabinet Bain & Company
table sur de « + 3 % à + 8 % » cette
année, contre + 21 % en 2022. Les
incertitudes macroéconomiques
invitent les analystes de la banque
HSBC à « la prudence ».
Mais M. Arnault est « assez con­
fiant ». Il veut croire à la relance des
Les détails de la future cession d’Editis par Vivendi se précisent
La maison d’édition sera cotée sur le marché Euronext Growth des PME. Le groupe Bolloré cédera ses 32 % d’actions au futur repreneur
L e modus operandi envisagé
par Vivendi pour céder sa
filiale Editis, numéro deux
de l’édition française, une condi­
tion pour mettre définitivement
la main sur Hachette, commence
à se préciser. Dans une note d’in­
formation confidentielle desti­
née à informer le personnel, dont
Le Monde a pris connaissance, re­
mise vendredi 20 janvier au
comité social et économique
(CSE), Vivendi détaille le proces­
sus de « cotation­distribution »
qu’il compte mettre en œuvre. Et
ce malgré l’hostilité du personnel
d’Editis à toute mise en Bourse.
Tout d’abord, Vivendi souhaite
qu’Editis Holding soit cotée à Pa­
ris sur Euronext Growth, un mar­
ché destiné aux PME qui veulent
lever des capitaux pour financer
leur croissance. Cela devrait per­
mettre à Editis d’intégrer les vingt
premières capitalisations de ce
dépenses des Chinois, chez eux, en
Europe et en Asie. C’est­à­dire ceux
qui, en 2019, avant le début de la
pandémie due au Covid­19, assu­
raient un tiers des ventes de pro­
duits de luxe. Le retour des touris­
tes se fera probablement « dès cet
été », prédit M. Arnault. Des dizai­
nes de milliers de visiteurs venus
de Hongkong et de Chine conti­
nentale ont déjà déferlé, en jan­
vier, dans les casinos de Macao
pour fêter le Nouvel An chinois.
« Si le début d’année se confirme »,
2023 devrait « être une très bonne
année », estime Bernard Arnault.
Organigramme retouché
Rien ne semble donc ébranler le
dirigeant âgé de 73 ans. Pas même
les questions quant à sa succes­
sion. « L’âge de départ à la retraite
est un sujet à la mode », a répondu
M. Arnault à ceux qui, avec des
mots choisis, osent l’interroger
sur « son schéma de succession ».
Car, depuis l’assemblée générale
marché, sur les 560 entreprises
qui y sont cotées et d’obtenir, se­
lon Vivendi, « une bien meilleure
visibilité que sur [le marché régle­
menté] Euronext Paris ». Autre
avantage, « les contraintes régle­
mentaires » y sont « plus en adé­
quation avec la nature de ces en­
treprises, et plus souples ».
Pour la première fois, Vivendi
indique avoir investi « environ
334 millions d’euros » dans Editis
depuis son acquisition, pour
829 millions d’euros, début 2019.
Ce qui inclut, « outre le rachat de
la dette (…), une centaine de mil­
lions d’euros tant en acquisitions
de nouvelles filiales et participa­
tions qu’en modernisation de la
plate­forme Interforum [l’outil lo­
gistique de distribution­diffu­
sion des ouvrages] ».
Vivendi a en effet acheté ou crée
des maisons d’édition comme
« L’Archipel, L’Agrume, Séguier, Phi­
des actionnaires du 21 avril 2022,
qui a décidé de repousser l’âge li­
mite d’exercice du poste de direc­
teur général de LVMH de 75 à
80 ans, plusieurs décisions invi­
tent à spéculer.
Au contraire de Johann Rupert,
le Sud­Africain âgé de 72 ans, prési­
dent et actionnaire de référence
du groupe suisse Richemont, pro­
priétaire de Cartier, M. Arnault
semble préparer graduellement sa
succession, jugent plusieurs ana­
lystes financiers. Du moins, une
série de signaux le laissent pen­
ser : il ne laissera rien au hasard.
En 2022, la famille Arnault a dé­
cidé de verrouiller le capital de
LVMH. Agache, holding familiale,
actionnaire de référence de
LVMH, a été restructurée et trans­
formée, le 6 décembre 2022, en
société en commandite détenue à
parts égales entre les cinq enfants
Arnault, Delphine, Antoine, Fré­
déric, Alexandre et Jean. Leurs
parts sont incessibles pour une
léas, Kotoon, Bruit du monde », ou
la plate­forme d’éducation numé­
rique Educlever, précise le docu­
ment. Les cinquante­trois mai­
sons d’Editis publient près de
4 000 nouveautés par an.
C’est pour obtenir le contrôle
effectif de Lagardère (et donc de sa
filiale Hachette) que Vivendi s’est
résolu à céder Editis. Renonçant à
fusionner les deux principaux
groupes français d’édition, ce que
les autorités européennes char­
gées de la concurrence auraient
sans doute refusé. Vivendi détient
57,35 % du capital de Lagardère,
mais ne peut exercer que 22,46 %
de ses droits de vote tant que
Bruxelles n’a pas donné son feu
vert à cette prise de contrôle.
La cotation­distribution consis­
terait, pour Vivendi, à distribuer à
ses actionnaires les actions Editis
Holding « sous forme d’un
acompte sur le dividende 2022 ».
Le groupe
est la première
capitalisation
boursière
en Europe, avec
400 milliards
d’euros
durée de trente ans. Interrogé,
jeudi, sur l’intérêt de cette struc­
ture en commandite, M. Arnault,
qui est le gérant commandité
d’Agache, a botté en touche, en as­
surant avoir suivi les recomman­
dations de ses avocats. « Ça ne va
pas plus loin que cela », prétend­il.
Début 2023, le groupe de luxe a
retouché son organigramme. Le
jeu des chaises musicales an­
noncé le 11 janvier symbolise un
changement d’époque au sein
de l’état­major de LVMH. Deux
« L’admission des actions Editis
Holding sur le marché Euronext
Growth » serait « simultanément »
demandée. Euronext devra alors
approuver un document d’infor­
mation comportant « la descrip­
tion des facteurs de risques, les ac­
tivités d’Editis, la structure organi­
sationnelle, la gouvernance, la si­
tuation financière… »
Plusieurs prétendants
Aujourd’hui, le groupe Bolloré, la
holding familiale de l’homme
d’affaires breton Vincent Bolloré,
possède 29,6 % d’Editis, le reste
étant aux mains des autres ac­
tionnaires de Vivendi. « A l’issue
de l’opération, Vivendi n’aurait
plus le contrôle du groupe Editis et
le groupe Bolloré deviendrait le
premier actionnaire d’Editis, avec
près de 32 % du capital », précise le
document transmis aux salariés.
Parallèlement, le groupe Bolloré
des cinq héritiers de Bernard
Arnault sont promus.
Agé de 45 ans, Antoine Arnault,
directeur communication, image
et environnement de LVMH, di­
recteur général de Berluti et prési­
dent de Loro Piana, a été nommé
directeur général de Christian
Dior SE, société détenue par la fa­
mille Arnault, cotée en Bourse, qui
détient 41 % des actions LVMH. Par
communiqué, le groupe souligne
combien cette fonction est un
« mandat de confiance » qu’exer­
çait auparavant Sidney Toledano,
fidèle de M. Arnault.
Mais c’est surtout la promotion
de Delphine Arnault, sa fille âgée
de 47 ans, qui alimente les spécu­
lations. Celle qui quittera ses fonc­
tions de directrice générale ad­
jointe de Louis Vuitton le 1er fé­
vrier prendra la présidence de
Christian Dior, en remplacement
de l’Italien Pietro Beccari, qui y of­
ficiait depuis 2018. Chez Louis
Vuitton, ce dernier remplace un
devrait « céder son bloc d’actions
d’Editis Holding » à « un acquéreur
constituant un noyau actionna­
rial de référence stable ».
Ce dernier ne sera pas obligé de
lancer une offre publique d’achat
sur Editis, puisque sur Euronext
Growth, le seuil déclencheur de
l’offre obligatoire est de 50 % du ca­
pital ou des droits de vote (contre
30 % sur le marché réglementé).
Plusieurs prétendants sont sur
les rangs et le prix – entre 500 mil­
lions et 700 millions d’euros, hors
dettes – serait très inférieur à celui
qui aurait pu être demandé voici
un an, début 2022, quand le mar­
ché de l’édition français était au
sommet en nombres de ventes.
Selon La Lettre A, le groupe cana­
dien de médias Québecor se serait
déclaré in extremis.
Jusqu’à présent, le milliardaire
tchèque Daniel Kretinsky (action­
naire indirect du Monde) est le
| 17
Une boutique Dior,
à Hongkong,
le 29 juin 2022.
SOPA IMAGES/LIGHTROCKET
VIA GETTY IMAGES
autre fidèle de Bernard Arnault,
Michael Burke, qui, depuis dix
ans, présidait la marque la plus
puissante du conglomérat.
Seul enfant à être membre du
comité exécutif, Mme Arnault hé­
rite donc de la deuxième marque
de LVMH, dont les ventes sont en
folle croissance, à près de 10 mil­
liards d’euros dans le monde. De
fait, M. Arnault lui a donné les clés
d’un bolide dont le moteur a été
débridé par M. Beccari, Maria­
Grazia Chiuri, directrice artisti­
que des collections féminines de­
puis 2017, et Kim Jones, directeur
artistique des lignes masculines.
Les trois autres enfants de
Bernard Arnault conservent leurs
fonctions : Alexandre Arnault,
âgé de 30 ans, directeur exécutif
de Tiffany, Frédéric Arnault, âgé
de 28 ans, directeur général de
TAG Heuer, et Jean Arnault, âgé de
24 ans, chargé du marketing des
montres Louis Vuitton. p
juliette garnier
seul à avoir ouvertement postulé.
Le groupe de presse Reworld et
Xavier Niel (actionnaire du
Monde à titre individuel) sont en­
core dans la course. Tout comme
l’éditeur italien Mondadori, pro­
priété de la famille de Silvio
Berlusconi. Stéphane Courbit est
aussi candidat, au risque d’un
conflit d’intérêts, puisque le
groupe FL Entertainment, dont il
est l’actionnaire principal, est dé­
tenu à 19,9 % par Vivendi.
Le patron de l’armateur CMA
CGM, Rodolphe Saadé, a déclaré
forfait, tandis que Bernard Ar­
nault, PDG de LVMH (qui détient,
avec sa holding Financière Aga­
che, près de 8 % de Lagardère), a
regardé le dossier, mais ne semble
pas donner suite. Bruxelles a ac­
cordé à Vivendi un nouveau délai,
jusqu’à mi­février, pour dévoiler
le nom du repreneur. p
nicole vulser

18 | économie & entreprise
PERTES & PROFITS | PAYS ÉMERGENTS
p a r phi l i ppe e s cand e
Adani, un empire
indien sous pression
Il ne l’avait pas vu arriver, celui­là.
Le conglomérat indien Adani
pensait avoir tout prévu pour
lever 2,4 milliards de dollars
(2,2 milliards d’euros) sur les mar­
chés, vendredi 27 janvier. Une
énorme opération pour la Bourse
de Bombay, censée attirer les
grands investisseurs, du Golfe en
particulier. Une consécration de
plus pour l’homme le plus riche
d’Asie. Mais il est apparu à l’hori­
zon, ce pirate affublé d’un nom
de catastrophe. Mercredi 25 jan­
vier, le fonds spéculatif américain
Hindenburg a publié un rapport
d’une centaine de pages accusant
le conglomérat de manipulation
de cours et de fraude. Deux jours
plus tard, le groupe a perdu, selon
l’agence Bloomberg, près de
45 milliards de dollars de valori­
sation, et sa cotation a été sus­
pendue ce vendredi après une
chute de 15 % du cours de Bourse.
Nébuleuse
Pourtant, Gautam Adani est
un entrepreneur redoutable. Fils
d’un marchand de textile
d’Ahmedabad, dans le Gujarat,
il se lance dans le négoce après
l’ouverture du pays aux importa­
tions en 1985. Il devient un spé­
cialiste des matières premières,
achète et vend du pétrole, du
charbon, des produits agricoles,
et s’intéresse aux activités por­
tuaires. Aujourd’hui, son groupe
possède des mines en Australie
et en Indonésie ; il gère une dou­
zaine de ports et huit aéroports.
A SS URA N C E
Scor change de nouveau
de directeur général
Le spécialiste français de la
réassurance (l’assurance des
compagnies d’assurance),
Scor, a annoncé, jeudi 26 jan­
vier, le départ de son direc­
teur général, Laurent Rous­
seau, en poste depuis dix­huit
mois. Son remplaçant, Thierry
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De l’importation de charbon, il
passe à la production d’énergie
électrique. Sept de ses entrepri­
ses sont cotées en Bourse, sa for­
tune dépasse les 110 milliards de
dollars. Ami du premier minis­
tre, Narendra Modi, il ambi­
tionne de racheter le puissant
groupe de média NDTV, connu
pour son opposition au pouvoir.
Les astres semblaient donc
bien alignés pour le magnat in­
dien. D’autant que l’économie du
pays semble flotter sur un petit
nuage. La croissance de l’Inde
devrait dépasser les 7 % cette an­
née, après un pic à plus de 8 %
en 2022, l’une des plus fortes ex­
pansions au monde. Largement
supérieure à celle du rival chi­
nois, qu’elle dépasse désormais
également en population.
Mais le capitalisme indien, très
dynamique, reste aux mains de
familles qui gèrent de manière
opaque des nébuleuses d’entre­
prises. Celles du groupe Adani ont
vu leur valeur boursière croître de
plus de 3 000 % en cinq ans, mais
le flottant reste réduit, la dette
importante et la valorisation très
élevée. Une proie de choix pour
des financiers audacieux, comme
Nathan Anderson, le créateur
d’Hindenburg. Il s’était fait la
main sur le fabricant de camions
électriques Nikola, révélant des
fraudes qui ont conduit à la mise
en accusation des dirigeants.
Comme beaucoup de ses confrè­
res, il met désormais le cap sur
l’Asie et ses secrets bien gardés. p
Léger, un Franco­Suisse de
56 ans, venu du concurrent
Swiss Re, prendra ses fonc­
tions le 1er mai. Denis Kessler,
président de Scor avait déjà
surpris, en juin 2021, en nom­
mant M. Rousseau, alors que
le poste était promis à l’ex­di­
recteur de cabinet d’Edouard
Philippe à Matignon, Benoît
Ribadeau­Dumas.
Sur le site pétrochimique de Lavéra, à Martigues (Bouches­du­Rhône), le 26 janvier. THEO GIACOMETTI POUR « LE MONDE »
A Martigues, ces militants CGT
qui veulent « ruiner » les puissants
Au pied des raffineries de l’étang de Berre, la colère des militants
contre la réforme des retraites prend une tournure radicale
REPORTAGE
martigues (bouches­du­
rhône) ­ envoyé spécial
L
es immenses citernes de
stockage de pétrole sont
en arrière­plan. Les raffi­
neries de Martigues et de
Fos­sur­Mer tournent normale­
ment. Mais pour combien de
temps ? Les cadres de la CGT des
Bouches­du­Rhône ont organisé
un meeting devant l’un des
ronds­points d’accès à la plate­
forme pétrolière de Lavéra, à Mar­
tigues, jeudi 26 janvier, pour gal­
vaniser leurs troupes et affirmer
leur volonté de durcir le mouve­
ment contre la réforme des retrai­
tes du gouvernement. Jusqu’à
« bloquer l’économie », si néces­
saire, en commençant par les sites
critiques de l’économie française.
Après la journée de mobilisation
du 19 janvier et dans l’attente du
prochain rendez­vous de la lutte
contre la réforme, mardi 31 janvier,
la grève a repris ce jeudi un peu
partout, de façon sporadique,
pour vingt­quatre à quarante­huit
heures, dans les raffineries, mais
aussi les ports et les centrales EDF.
A Lavéra, ils sont plusieurs centai­
nes de militants CGT, la plupart
dockers, salariés de l’énergie, de la
chimie ou de la pétrochimie, ser­
rés sous le froid et le soleil pour
écouter les responsables de la con­
fédération s’exprimer contre une
réforme « injuste et injustifiée » et
pour « refuser un modèle de société
dont on ne veut pas ».
« Je suis d’une génération qui n’a
connu que les reculs sociaux.
Aujourd’hui, il y a quelque chose
qui est en train de se passer dans le
pays », a affirmé, devant la foule,
Renaud Henry, secrétaire général
de la filière énergie dans les Bou­
ches­du­Rhône. « On voit que le
monde de la finance n’a plus
aucune limite, plus aucune honte,
a­t­il poursuivi. C’est un capital
agressif, qui, si on ne l’arrête pas,
nous prendra tout. On va les met­
tre à genoux parce que sans nous,
ils ne sont rien. On est des millions,
eux ils sont une poignée. Il faut
ancrer la grève de partout. »
L’union départementale des
Bouches­du­Rhône est réputée fi­
gurer parmi les plus revendica­
tives de la confédération. Le si­
lence se fait quand le patron des
dockers de Fos­sur­Mer, Christo­
phe Claret, prend la parole :
« Après le confinement, la restric­
tion des libertés, on a eu droit à la
guerre, à l’inflation, ce qui se tra­
duit en France par les coups don­
nés par le gouvernement aux tra­
vailleurs et travailleuses du pays. »
Les mots d’Elisabeth Borne, la
première ministre, évoquant la
« justice sociale » sont sifflés lors­
que s’exprime le chef des dockers :
« Honte à vous ! La justice sociale,
Mme Borne, c’est la retraite à 60 ans
avec trente­sept années et demie
de cotisation. La justice sociale,
c’est la retraite à 55 ans pour les
métiers pénibles. La justice sociale,
ce sont des services publics de qua­
lité, notamment nos hôpitaux et
nos écoles publiques. »
Clause du grand-père
« Il n’y a aucune justice sociale à
mourir au travail », a répété Chris­
tophe Claret. « Leur choix, c’est de
faire crever les travailleurs au bou­
lot alors que les caisses du patronat
sont pleines, a ajouté Cécile Velas­
quez, de la fédération des organis­
mes sociaux. C’est pour cela que
nous devons continuer et amplifier
les luttes. » Les mesures d’accom­
pagnement, notamment le mini­
mum des pensions à 1 200 euros ?
« De la vaseline », a tranché la res­
ponsable cégétiste, sous les ap­
plaudissements d’une foule majo­
ritairement composée d’hommes,
en interrogeant : « Qui peut vivre
dignement avec 1 200 euros ? »
La clause du grand­père, cette
disposition qui protège les sala­
riés les plus anciens des nouvelles
mesures ? « Ils savent ce que c’est
un grand­père, eux ?, a cinglé Oli­
vier Mateu, le secrétaire général
de l’union départementale, oppo­
sant déclaré et candidat à la suc­
cession de Philippe Martinez, le
patron de la CGT. Vous voulez
qu’on leur parle de nos grands­pè­
res ? Ceux qu’on a vus avec le dos
cassé ? Ceux qu’on a vu cracher des
mollards noirs comme le goudron ?
Ils le connaissent ça, eux ? C’est le
cholestérol qui les mange, eux, tel­
lement ils se gavent de foie gras. »
Dans les discours, la figure des
milliardaires apparaît comme un
repoussoir, l’incarnation d’une
fracture sociale et politique. La
contestation ne se limite pas à la
réforme des retraites. C’est la
« Je suis d’une
génération qui
n’a connu que les
reculs sociaux »
RENAUD HENRY
secrétaire général
CGT Energie dans
les Bouches-du-Rhône
question du partage des richesses
qui est posée. « Les assistés de no­
tre société, ce sont eux, eux qui
s’approprient toutes les richesses
créées par les travailleurs, dénonce
Christian Claret, au nom des
dockers. L’heure est au combat,
l’heure a sonné de reprendre les ri­
chesses créées par les salariés. »
M. Mateu évoque les milliards
d’euros d’aides publiques aux en­
treprises, les milliards de l’éva­
sion fiscale et les milliards de divi­
dendes : « Les mêmes qui ferment
les usines, qui nous font travailler
dans des conditions pourries, ils
arrivent à expliquer que les chô­
meurs, les précaires, ce sont des
parasites, des profiteurs. Mais qui
va se partager 80 milliards d’euros
de dividendes ? Est­ce que ce sont
les chômeurs et les précaires ?
Est­ce que c’est vous, vous qui avez
créé ces richesses ? Ce sont la poi­
gnée de milliardaires qui se goin­
frent depuis des décennies ! » Le
syndicaliste en fait un argument
d’union sacrée : « Sans nous, ils ne
sont rien, ils ne valent rien. Cama­
rades, on va tout leur reprendre. »
« Crescendo »
Les militants du port de Fos­Mar­
seille ont décidé de ne plus effec­
tuer d’heures supplémentaires et
de ne pas prendre de « shifts » ex­
ceptionnels pour commencer à ra­
lentir les activités portuaires en
dehors des journées d’action. Les
fonctionnaires territoriaux sont
appelés à retarder les procédures
d’appels d’offres pour perturber le
BTP. Des préavis de grève allant
d’« une minute à vingt­quatre heu­
res » ont été déposés dans le dépar­
tement pour rendre possibles des
formes de mobilisation variées.
Des syndicalistes du secteur de
l’énergie ont annoncé vouloir faire
profiter de tarifs réduits les bou­
langers sur Marseille. L’objectif ?
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Rendre le mouvement plus popu­
laire. « Nous sommes les Robins des
bois de l’énergie », a résumé à la tri­
bune Sébastien Saint­Germain, un
responsable de la confédération.
Les échecs de précédents mouve­
ments sociaux incitent les syndi­
calistes à prévoir un durcissement
des actions au­delà des manifesta­
tions, comme celle du 19 janvier,
avec plus de 26 000 manifestants à
Marseille, selon la préfecture,
140 000 selon les syndicats. « Une
succession de journées massives de
mobilisation ne sera pas suffisante
pour faire reculer le gouvernement,
on l’a appris dans notre histoire ré­
cente, les camarades. Donc, on a dé­
cidé d’un plan de lutte qui monte
crescendo, pour aller à l’arrêt de
l’économie ! », a expliqué Emma­
nuel Lépine, secrétaire général de
la fédération nationale des indus­
tries chimiques, évoquant l’hypo­
thèse d’une grève reconductible et
d’un arrêt des raffineries à partir
du 6 février. Avec des accents poli­
tiques assumés : « C’est en 2023
qu’on fait la révolution ! »
Olivier Mateu a répondu par
avance aux critiques sur les ris­
ques d’un éventuel blocage de
l’économie. « Les médias, qu’est­ce
qu’ils nous disent ? “Ce n’est pas
bien de bloquer le pays, tra­
vailleurs ne vous mettez pas en
grève, il va y avoir des pénuries”.
Dix millions et quelques de pau­
vres, la pénurie pour ceux­là, c’est
du 1er au 31 ! » Le blocage est décrit
aux militants comme une étape
presque inévitable dès lors que le
gouvernement ne renonce pas.
« Ça va servir à quoi ? A faire que
le grand patronat prenne son télé­
phone, appelle Macron et lui dise :
“Frère, pour ce que tu veux nous
faire gagner là, tu es en train de
nous en faire perdre le double, le
triple, le quadruple” », a poursuivi
le patron de la fédération. Il pro­
met d’aller « jusqu’au bout ». Et
lance un avertissement au reste
du monde syndical : « C’est pas au
gouvernement, ni même à l’inter­
syndicale, de décider où nous de­
vons nous arrêter. » La foule l’ac­
clame : « On va les ruiner, camara­
des, on va les ruiner ! » En fumant
une cigarette, le meeting terminé,
Olivier Mateu confirme sa straté­
gie : « Il faut les toucher là où bat
leur cœur : au porte­monnaie. » p
luc bronner
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Après une croissance solide en 2022, les
Etats­Unis rêvent d’échapper à la récession
La croissance américaine a atteint 2,1 % en 2022, et le chômage est historiquement bas
new york ­ correspondant
A tterrissage en douceur ou
récession ? Ce débat ob­
sède les Etats­Unis, alors
que l’année 2022 s’est achevée sur
un bilan extrêmement positif. La
croissance a atteint un rythme
annuel de 2,9 % au quatrième tri­
mestre, selon les chiffres publiés
par le Bureau d’analyse économi­
que, jeudi 26 janvier. Sur l’année
2022, elle s’établit à 2,1 %, la légère
contraction du premier semestre
ayant été surmontée. Le pays re­
vient dans un rythme de crois­
sance naturel, après la récession
de 2,8 % pour cause de Covid­19,
en 2020, et le rebond de 5,9 % de
2021. Cette croissance a été tirée
quasi exclusivement par la con­
sommation dans les services.
Côté emploi, tout va bien aussi,
avec un taux de chômage tombé,
en décembre 2022, à 3,5 %, son
plus bas niveau depuis un demi­
siècle. Enfin, sur le front de l’infla­
tion, le sujet semble surmonté.
Certes, en décembre, l’inflation
nominale était encore de 6,5 % sur
un an. Mais, d’un mois à l’autre, les
prix ont baissé de 0,1 % en décem­
bre, tandis que la hausse des prix
sur les trois derniers mois de l’an­
née 2022 est redescendue à 1,8 %.
Le Prix Nobel d’économie Paul
Krugman s’étonne de constater
que, pour beaucoup, « l’inflation
est toujours déchaînée. Le public
n’a pas pris conscience de la grande
décélération du second semestre
2022 ». Il estime que « trop d’arti­
cles de presse se concentrent sur
l’inflation en glissement annuel et
ratent le grand tournant », tandis
que les chiffres d’aujourd’hui « re­
flètent toujours les augmentations
de loyer d’il y a un an ». Les ana­
lystes sont déjà sur le coup d’après,
tel Olivier Blanchard, ancien éco­
nomiste en chef du Fonds moné­
taire international (FMI), qui pré­
voit de nouveau le retour de la
« stagnation séculaire », faite de
taux bas, d’investissements insuf­
fisants et de croissance faible.
Sérieux refroidissement
A court terme, l’inquiétude porte
sur le possible ralentissement
économique, alors que la Réserve
fédérale (Fed, banque centrale
américaine) a augmenté ses taux
de zéro à 4,25 % en 2022 et devrait,
estiment les marchés, les aug­
menter de nouveau de 0,25 point
lors de sa prochaine réunion du
1er février. Mais n’est­il pas temps
de renverser la vapeur, alors que
60 % des économistes interrogés
par le Wall Street Journal prédisent
une récession, et que la politique
monétaire de la Fed met de longs
mois à diffuser dans l’économie ?
Décembre 2022 a d’abord mon­
tré un sérieux refroidissement de
l’appétit des consommateurs, qui
ont réduit leurs dépenses de 1,1 %,
après une première baisse de 1 %
en novembre. Ensuite, la crise im­
mobilière se fait sentir, avec une
baisse de 10 % en 2022 de l’investis­
sement résidentiel. Enfin, les en­
treprises sont attentistes, avec une
L’appétit des
consommateurs
diminue, la crise
immobilière
se fait sentir
et les entreprises
sont attentistes
décélération de l’investissement,
qui n’a crû que de 3,7 % au dernier
trimestre, contre 10 % au premier
semestre. L’investissement infor­
matique est même en recul.
Pour prédire l’avenir, les investis­
seurs scrutent les prévisions des
entreprises, à commencer par
Microsoft. Le géant informatique
a vu, au quatrième trimestre, ses
ventes de logiciels Windows chu­
ter de 40 % et ses envois d’ordina­
teurs personnels de 30 %. Il prévoit
une moindre croissance dans le
cloud, la gestion des données. « Les
clients font preuve de prudence
dans cet environnement, et nous
avons vu les résultats s’affaiblir
jusqu’au mois de décembre », a dé­
claré la directrice financière de
Microsoft, Amy Hood.
Les résultats des banques sont
considérés comme un bon indica­
teur, même si les annonces fracas­
santes de certains sont à prendre
avec précaution. Jamie Dimon,
patron de J.P. Morgan, avait fait
chuter les marchés en juin 2022,
prévoyant un « ouragan ». Mais en
présentant ses résultats, début
économie & entreprise | 19
janvier, il était plus évasif : « Ce sera
peut­être une légère récession.
Peut­être pas. » Les quatre premiè­
res banques américaines ont pro­
visionné, fin 2022, 2 800 milliards
de dollars (2 575 milliards d’euros)
pour couvrir les pertes poten­
tielles sur leurs prêts. Le patron de
Wells Fargo, Charles Scharf, a dé­
claré que 2022 avait constitué « un
tournant dans le cycle économi­
que », mais a concédé que « l’im­
pact [des hausses des taux de la
Fed] sur les consommateurs et les
entreprises a été gérable ».
La multiplication des plans de li­
cenciements, notamment dans la
tech, retient l’attention. Selon le
site Layoffs.fyi, 1 250 entreprises
du secteur technologique ont li­
cencié 230 000 personnes depuis
le début de l’année 2022. Mais,
comme le note une enquête du
Wall Street Journal, les petites en­
treprises compensent largement
ces licenciements en continuant
d’embaucher, après avoir souffert
de la pénurie de main­d’œuvre.
Morgan Stanley prévoit une « ré­
cession des profits des entreprises »,
mais celle­ci n’est pas encore au
rendez­vous. Avec une centaine
d’entreprises du S&P 500 ayant
présenté leurs résultats du dernier
trimestre, le recul moyen des pro­
fits est limité à 3 %, selon CNBC.
Wall Street ne veut pas croire à une
récession, le Nasdaq riche en tech­
nologies et le S&P 500 ayant gagné
respectivement 10 % et 5,75 % de­
puis le début de 2023. p
arnaud leparmentier
ChatGPT pourrait écrire
pour « BuzzFeed »
Le site américain veut produire des contenus
grâce aux outils d’intelligence artificielle
new york ­ correspondant
L’ action a plus que doublé,
jeudi 26 janvier, termi­
nant sur une hausse fré­
nétique de 120 % : le média améri­
cain BuzzFeed, qui était au plus
mal, s’est envolé lorsque le Wall
Street Journal a révélé que l’entre­
prise new­yorkaise avait signé
avec Meta un contrat de 10 mil­
lions de dollars (9,2 millions
d’euros) pour fournir Facebook et
Instagram en contenus, et qu’il
allait utiliser l’intelligence artifi­
cielle (IA) pour les créer.
Le directeur général, Jonah Pe­
retti, a déclaré souhaiter que l’IA
joue un rôle important dans les
opérations éditoriales et com­
merciales de l’entreprise cette an­
née. La société, célèbre pour ses
quiz, compte travailler avec Open­
AI, l’inventeur de ChatGPT.
Il espère que ces outils aideront
à améliorer les contenus, tandis
que les humains fourniront des
idées Mais dans quinze ans,
M. Peretti s’attend à ce que l’IA
aide à « créer, personnaliser et ani­
mer le contenu lui­même ».
ChatGPT, l’outil d’intelligence
artificielle d’OpenAI, enflamme
Internet depuis son introduction,
en novembre 2022, et a séduit
plus de 1 million d’utilisateurs en
quelques jours. Cet outil révolu­
tionnaire a déclenché un nou­
veau débat sur le rôle de l’IA dans
les entreprises et l’enseignement.
L’outil a réussi à passer un exa­
men de master of business admi­
nistration (MBA) à l’école de com­
merce de Wharton, près de Phila­
delphie (Pennsylvanie), avec la
note B. Il a été banni des écoles
new­yorkaises.
Succès, puis chute
Toujours selon le Wall Street Jour­
nal, BuzzFeed a signé avec Meta
un accord pour générer du con­
tenu pour Facebook et Instagram,
et former les créateurs et influen­
ceurs, afin d’accroître leur pré­
sence en ligne. Le partenariat
devrait aider le géant américain
fondé par Mark Zuckerberg à
contrer l’application TikTok.
BuzzFeed était l’un des succès
de la dernière décennie et avait
obtenu la consécration en décro­
chant, en juin 2021, un prix Pulit­
zer pour une enquête sur la per­
sécution des Ouïgours musul­
mans en Chine. Puis est venue la
chute, avec son entrée en Bourse,
en décembre 2021. Le parcours
avait été calamiteux : introduite à
10 dollars, l’action ne valait plus,
mercredi 25 janvier, que 95 cents,
soit dix fois moins, avant de finir
la séance de jeudi à 2,09 dollars,
soit une valorisation de 132 mil­
lions de dollars.
Début 2022, BuzzFeed avait
manqué ses objectifs financiers et
coupé dans les effectifs (180 sup­
pressions de postes sur 1 500) et
avait annoncé son intention de
doubler son réseau de créateurs.
Meta et l’intelligence artificielle
pourraient sauver l’entreprise. p
ar. le.
 0123
20 | économie & entreprise SAMEDI 28 JANVIER 2023

P
roche de la place de
l’Etoile, l’avenue des
Ternes est une artère
passante du 17e ar­
rondissement, l’un
des quartiers les plus
chics de Paris. Au pied des immeu­
bles haussmanniens, des bouti­
ques de vêtements de marque al­
ternent avec les restaurants et les
cabinets de professions libérales.
La circulation est souvent dense.
Alors quand, ce jeudi 20 octo­
bre 2022, à l’heure du déjeuner,
deux motards casqués et gantés
arrêtent leur scooter devant la
boutique SFR du numéro 72, les
clients n’y prêtent pas attention.
Ils ne sursauteront qu’au mo­
ment de leur irruption dans le
magasin. Arme au poing, les deux
gangsters menacent le personnel
et exigent qu’il leur remette les
iPhone stockés dans la réserve.
Quelques minutes plus tard, bu­
tin en poche, les deux malfaiteurs
prennent la fuite en direction du
périphérique, situé à 500 mètres
en ligne droite. Quatre semaines
après, le 16 novembre, la même
boutique est braquée une
deuxième fois. Lundi 5 décembre,
c’est le tour du magasin Bouygues
Telecom, situé lui aussi au nu­
PLEIN CADRE
méro 72… Comme si les voleurs
s’étaient donné rendez­vous ave­
nue des Ternes.
En réalité, les braquages de bou­
tiques de télécoms s’enchaînent
partout en France. Grandes vil­
Les boutiques télécoms, en plus fréquentes depuis le
Covid­19 et les confinements,
lorsque le téléphone mobile et
l’accès à Internet sont devenus
les, villages, centres commer­
ciaux… personne n’y échappe.
Dans la zone commerciale de
Scionzier (Haute­Savoie), en
août 2022, le magasin Orange est
cibles des braqueurs primordiaux.
« Nous constatons, comme de
nombreux commerces, une aug­
mentation des incidents et des in­
civilités en boutique. Il n’y a pas de
la cible d’une troisième attaque
en moins de deux ans… Fin octo­
Les smartphones, devenus des objets de luxe, attirent les voleurs. zone géographique identifiée, ni
de profil client particulier », recon­
bre 2022, la boutique Bouygues
Telecom de l’avenue du général
Face à la multiplication des agressions en France, les opérateurs naît­on chez Bouygues Telecom.
En juillet 2021, un salarié de la
de Gaulle, à Neuilly­sur­Seine, est
braquée à la machette.
tentent de renforcer la sécurité du personnel et des clients boutique de l’opérateur à Claye­
Souilly (Seine­et­Marne) avait été
C’était la troisième agression poignardé à mort pour une his­
depuis novembre 2018. On pour­ toire de facture. Aucun opérateur
rait aussi citer Rueil­Malmaison, ne veut revivre un tel drame.
Guérande (Loire­Atlantique), Lan­ prisée des braqueurs, au moment vent aussi être désossés pour ali­ Pour réduire un peu plus le ris­ respiration dans un autre magasin.
derneau (Finistère), Solesmes où les stocks regorgent de smart­ menter en pièces détachées les que, Cyrille Trollat se demande Parfois, des arrêts de travail sont Détecter les signes
(Sarthe)… Et c’est compter sans phones pour les cadeaux de Noël. échoppes de réparation. « Même « s’il ne faut pas des mesures plus nécessaires, décidés en concerta­ Membre de la commission natio­
les cambriolages et les casses à la Le 6 décembre 2022, deux hom­ s’il faut un minimum de prépara­ drastiques : limiter les stocks au tion avec la cellule de soutien psy­ nale de krav­maga, la discipline
voiture bélier, encore plus nom­ mes armés étaient repartis de la tion, nous ne sommes pas dans le maximum, avertir que les télépho­ chologique et le médecin du tra­ de combat corps à corps de l’ar­
breux. Les gangsters ont l’embar­ boutique Bouygues Telecom de grand banditisme. Ces attaques nes de démonstration, que l’on vail », explique Frédéric Le Mou­ mée israélienne, Marc Fesler a
ras du choix : entre Orange, SFR, l’avenue Victor­Hugo, dans le sont souvent menées par de petites nous arrache aussi parfois, sont nier, directeur retail & services cofondé la société Carinel, spé­
Bouygues Telecom et Free, la 16e arrondissement de Paris, avec bandes », explique un policier pa­ inutilisables, et que ceux en réserve clients d’Orange, selon un proto­ cialisée dans la sécurité des com­
France compte près de 2 000 bou­ un butin estimé à 40 000 euros. risien, habitué à intervenir sur ce peuvent être bloqués ». En quelque cole suivi par tous les opérateurs. merces et des lieux accueillant
tiques de télécoms, auxquelles il Le plus gros vol reste celui de l’Ap­ type de vol avec arme. sorte, « rendre les magasins moins « Un braquage est un vrai trau­ du public, comme les hôpitaux.
faut ajouter les indépendants. ple Store de l’Opéra, à Paris, par un Le 16 janvier, six braqueurs, dont attirants », résume le dirigeant de matisme pour ces salariés », cons­ « La première question à se poser
commando armé en janvier 2013, quatre mineurs, ont été interpel­ SFR, tout en s’inquiétant de l’im­ tate Geoffrey Boulard, maire (LR) est de savoir quelles sont les cau­
Boutons-poussoirs et vigiles d’une valeur estimée entre lés en flagrant délit à Versailles. pact potentiel sur le commerce du 17e arrondissement de Paris, ses de ces incivilités : est­ce la
Chez les opérateurs télécoms, le 300 000 et 400 000 euros. Fin 2022, la police avait démantelé que provoquerait une bunkérisa­ préoccupé par ces attaques. qualité du service, une mauvaise
sujet est ultrasensible. Tous re­ Les téléphones volés sont reven­ un gang à Nanterre, soupçonné tion des boutiques. Trop de sécu­ « Nous devons rassurer ces com­ coordination entre le centre de
connaissent une recrudescence dus sur des sites de petites annon­ d’avoir mené les dernières atta­ rité pourrait aussi durcir le mode merçants et agir », dit­il. Le contrat relations clients en ligne et la bou­
des attaques ces dernières an­ ces, à la sauvette dans la rue ou ex­ ques de l’Ouest parisien. Des opératoire des braqueurs, redou­ de prévention et de sécurité d’ar­ tique ? », explique­t­il.
nées, mais seul Orange a accepté pédiés à l’étranger. Officiellement, condamnations, avec des peines te­t­il, avec un risque accru pour rondissement triennal qui doit Cela permet de réduire les ris­
de nous donner le nombre de bra­ ils sont inutilisables partout dans de prison ferme de plusieurs an­ le personnel et les clients. être signé fin janvier avec la Mai­ ques de discorde en magasin. Il
quages subis par ses boutiques : le monde : Apple ou Samsung peu­ nées, ont déjà été rendues dans rie de Paris, la Préfecture de po­ s’agit aussi d’apprendre aux ven­
dix en 2022, deux de plus vent bloquer un appareil volé à dis­ d’autres affaires. Classés personnes vulnérables lice, le parquet et des associations deurs à détecter les signes avant­
qu’en 2021. Interrogés, ni le minis­ tance grâce à son numéro reperto­ Face à ces braquages en série, les Ces attaques à répétition créent classera pour la première fois les coureurs d’une éventuelle agres­
tère de l’intérieur ni la police na­ rié au registre mondial IMEI (Inter­ opérateurs télécoms renforcent la un sentiment d’insécurité chez les vendeurs de boutiques de télé­ sivité du client, comme l’absence
tionale ne sont en mesure de national Mobile Equipment Iden­ sécurité de leurs boutiques. SFR a salariés qui ont vécu un braquage, phones comme personnes vulné­ de « bonjour » en entrant dans la
fournir des statistiques. « Moins tity). Mais des spécialistes savent installé des boutons­poussoirs évidemment, mais aussi chez rables, à l’instar des bijoutiers. boutique ou une impatience mar­
sécurisés, les magasins de télépho­ cracker cette protection, même si sur les comptoirs pour avertir un leurs collègues épargnés. Marie (le Des fiches et des rencontres quée dans la file d’attente, puis à
nie sont devenus les nouvelles ban­ l’opération est punie par la loi. service de sécurité privé. Dans prénom a été modifié) travaille avec des policiers leur explique­ employer les bons mots. Un chan­
ques pour les braqueurs », s’in­ Des appareils non débloqués tous les réseaux, les portes des dans l’une des deux boutiques du ront comment agir en cas d’atta­ gement de vendeur permet sou­
quiète un représentant syndical sont aussi revendus à prix cassé : boutiques jugées à risque ne peu­ 72, avenue des Ternes braquées ré­ que. « Nous leur conseillons de ne vent de faire retomber la tension
d’un opérateur qui a accepté de l’acheteur, qui espère faire une vent être ouvertes que de l’inté­ cemment. Elle n’était pas présente surtout pas tenter d’intervenir, avec le client mécontent.
nous parler à condition que son bonne affaire, ne s’aperçoit que le rieur par un vendeur. Si une per­ lors de l’attaque, son service débu­ mais d’être attentifs au moindre Mais toutes ces précautions ne
anonymat et celui de son em­ téléphone est inutilisable qu’une sonne se présente casquée, l’accès tait quelques minutes après l’ir­ indice qui nous permettrait d’iden­ dispensent pas les opérateurs de
ployeur soient respectés fois qu’il l’a dans les mains. Ils peu­ lui est refusé. Les opérateurs pla­ ruption des braqueurs. tifier les auteurs : son de la voix, renforcer la sécurité du point de
Car si les caisses des boutiques cent parfois un vigile à l’entrée. « Mais j’avoue m’être posé la corpulence, signe distinctif, en plus vente. Cela va « de l’agencement de
ne contiennent quasiment pas Mais sa présence n’empêche pas question de savoir si je voulais res­ d’éventuelles empreintes ou traces la boutique au choix des comptoirs,
d’espèces, leurs réserves cachent les voleurs les plus déterminés. Et ter dans ce magasin », confie­t­ d’ADN », explique le policier pari­ en passant par l’aménagement
des dizaines de smartphones à donner, s’il le faut, des coups de elle. Réconfortée par « l’écoute et sien. Les opérateurs eux­mêmes d’un endroit protégé dans lequel le
Apple ou Samsung, des appareils
« Ce n’est crosse pour le neutraliser. le soutien de [sa] direction, rapide­ incluent désormais dans leur for­ personnel peut se replier au be­
devenus des produits de luxe. pas du grand « Les agents de sécurité ont un ment venue sur place », elle est mation des mises en situation soin », ajoute Marc Fesler. Des ca­
Cyrille Trollat, le directeur général droit de retrait, et ne vont pas ris­ toujours fidèle au poste, mais sait pour apprendre à leurs vendeurs méras de surveillance peuvent
du réseau de boutiques de SFR,
banditisme. Ces quer leur vie pour un téléphone », désormais qu’un braquage fait à bien réagir dans ces quelques servir pour appuyer des dépôts de
voit ainsi un lien très clair entre attaques sont rappelle Denis Lauxire, secrétaire partie des risques du métier. minutes de grand stress. plainte. Si le client va vraiment
« la recrudescence des braquages du CSE de la Générale de télé­ Souvent, les salariés présents Ces stages sont aussi l’occasion trop loin, les opérateurs peuvent
et l’augmentation du prix de ces
souvent menées phone, une filiale d’Orange qui lors de ces agressions demandent pour les opérateurs de préparer résilier unilatéralement son
terminaux, passé, pour l’iPhone par de petites exploite plus de 230 boutiques à changer de boutique. D’autres, leurs salariés à affronter d’autres contrat. Mais la mesure reste raris­
haut de gamme par exemple, de en France, même si des interven­ par peur, quittent le commerce. agressions : celles de leurs sime : Orange n’a signé que deux
1 000 à 1 500 euros en cinq ans ». La
bandes », dit un tions ont permis de déjouer des « S’il le souhaite, le collaborateur propres clients. Verbales ou phy­ lettres de résiliation en 2022. p
fin d’année est particulièrement policier parisien braquages. peut bénéficier d’un moment de siques, celles­ci sont de plus olivier pinaud
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Investir dans le non­coté, avec prudence
Le capital­investissement offre à l’épargnant des performances contrastées
L
e mouvement de démo­
cratisation du private
equity, ou capital­inves­
tissement, prend pro­
gressivement de l’ampleur. La
promesse pour les particuliers ?
Accéder à un domaine d’investis­
sement risqué mais très juteux :
les entreprises non cotées en
Bourse. Le champ des possibles
est vaste, cela prend souvent la
forme d’une prise de participa­
tion au capital de sociétés en dé­
but de vie ou, au contraire, plus
matures. Seuls les investisseurs
professionnels ou très fortunés y
avaient accès jusqu’à récemment.
Les planètes se sont toutefois ali­
gnées pour ouvrir cette catégorie
de placements aux particuliers.
A commencer par la volonté des
sociétés de gestion spécialisées
dans ce domaine de s’adresser à
une nouvelle clientèle, plus stable
et moins regardante sur les frais.
Les épargnants, de leur côté,
sont en quête de nouvelles idées
de placements rentables. C’est
l’un des arguments­phares du pri­
vate equity. Selon l’association
professionnelle France Invest, la
performance annualisée du capi­
tal­investissement sur les quinze
dernières années est montée à
12,2 %, net de frais, à fin 2021.
Enfin, la réglementation a faci­
lité le développement de ces
fonds. Ainsi, la loi Pacte (Plan
d’action pour la croissance et la
transformation des entreprises)
12 %
C’est le poids des investisseurs particuliers et des family offices
(structures gérant le patrimoine de familles fortunées) dans les
souscriptions de fonds de capital-investissement au premier
semestre 2022, selon les derniers chiffres publiés par France Invest.
Les montants investis (1,9 milliard d’euros) sont en progression
de 14 % par rapport au premier semestre 2021. L’année 2021 avait
pourtant déjà été hors norme, avec une forte hausse des capitaux
levés auprès des particuliers (+ 78 % par rapport à 2020 et + 63 %
par rapport à 2019).
IMMOBILIER
A Bayonne, une pause après la flambée des prix
P lus 10 % sur un an, plus
60 % en cinq ans… Les prix
de l’immobilier, portés
par une forte demande, ont bondi
ces dernières années à Bayonne
(Pyrénées­Atlantiques), selon les
données publiées en septem­
bre 2022 par la Fnaim. Mais
aujourd’hui, le marché semble
s’apaiser dans cette ville cons­
truite à la confluence de l’Adour
et de la Nive. « Nous retrouvons
enfin un peu de biens à vendre, et
les prix devraient se stabiliser »,
rapporte Romain Garaut, res­
ponsable de l’agence Laforêt, à
Bayonne. Une bouffée d’air salu­
taire, puisqu’il faut compter, en
moyenne, entre 4 000 et 5 000
euros le mètre carré pour un ap­
partement. Soit des prix moyens
équivalents à ceux de métropo­
les comme Marseille ou Mont­
pellier. Et il est difficile de trou­
ver une maison à moins de
700 000 euros dans cette ville
qui est l’une des plus importan­
tes du Pays basque, avec quelque
52 000 habitants.
« En dépit de ces prix élevés, la
clientèle est là, beaucoup de gens
ont vendu un premier bien et ont
les moyens d’acheter à Bayonne »,
constate M. Garaut. De plus, les
tarifs y sont bien plus raisonna­
bles que dans les villes voisines
d’Anglet et surtout de Biarritz,
où les prix moyens dépassent
8 000 euros le mètre carré.
A Bayonne, le quartier le plus
cher et le plus demandé est celui
des Arènes, à l’ouest du centre­
ville, avec ses maisons basques
de 2019 a rendu les fonds profes­
sionnels de capital­investisse­
ment (les FPCI, un type de fonds
devant être investi pour moitié
au moins dans des valeurs non
cotées) éligibles à l’assurance­vie.
Elle a aussi autorisé les épar­
gnants détenteurs d’au moins
100 000 euros d’encours sur leur
contrat d’assurance­vie à investir
jusqu’à 50 % en private equity.
C’est 10 % pour les investisseurs
avec des mises inférieures.
L’offre s’est ainsi étoffée, de
nouveaux acteurs et de nou­
veaux fonds ayant récemment
vu le jour. L’engouement autour
du private equity doit cependant
inciter à la prudence, pour éviter
toute déception. Il faut garder à
l’esprit que les fonds non cotés ne
sont pas liquides : il n’est pas pos­
sible de récupérer vos capitaux
quand bon vous semble. Ces der­
niers sont généralement bloqués
pendant la durée de vie du fonds,
souvent huit à dix ans. Seule l’as­
surance­vie permet – parfois, se­
lon la politique de l’assureur – de
récupérer ses liquidités avant.
En outre, le gain pour un parti­
culier risque d’être bien inférieur
aux chiffres mis en avant par la
profession. Les fonds accessibles
au grand public ne sont pas les
mêmes que ceux souscrits par
les fonds de pension ou les com­
pagnies d’assurances, prédomi­
nants dans les statistiques. D’une
part, ils sont plus chargés en frais.
Des prix élevés pour une ville moyenne
Prix moyen
d’un appartement
4 634 €/m 5 456 €/m
Bayonne
(Pyrénées -
Atlantiques)
Loyer moyen Rentabilité
d’un appartement moyenne brute (T2)
13,2 €/m 2
3,3 %
cossues et ses petits immeubles.
Il faut compter 540 000 euros en­
viron pour un trois­pièces. « Les
maisons néobasques des années
1930 de ce quartier ont beaucoup
de succès, et on peut facilement dé­
passer le million d’euros », expli­
que Gwenaëlle Poiraud, responsa­
ble du secteur de Bayonne pour
l’agence Carmen Immobilier.
Se loger, un défi
Autre quartier en vue : celui de
Marracq, dans le sud de la ville.
La proximité du centre hospita­
lier et d’établissements scolaires
en fait un secteur prisé. Il est
un peu moins cher que les Arè­
nes, il faut un budget d’environ
120 000 euros pour un studio
d’un peu plus de 20 mètres carrés
et quelque 300 000 euros pour
IL N’EST PAS POSSIBLE DE  grade la rentabilité de l’investis­
RÉCUPÉRER VOS CAPITAUX  Par ailleurs, les investisseurs
QUAND BON VOUS  doivent composer avec un envi­
SEMBLE. CES DERNIERS  gradé. Les Bourses mondiales se
SONT GÉNÉRALEMENT  de chances que le non­coté soit
BLOQUÉS PENDANT LA  immunisé contre ce phénomène.
DURÉE DE VIE DU FONDS
Distribuer un produit à une multi­
tude de petits épargnants coûte
plus cher à la société de gestion
que lever plusieurs milliards
auprès d’une poignée d’institu­
tionnels… Il faut rémunérer des
conseillers pour faire connaître
les fonds, les proposer et les expli­
quer aux clients. D’autre part, cer­
tains fonds de private equity ac­
cessibles par l’assurance­vie n’in­
vestissent pas à 100 % dans des
actifs non cotés, à cause du pro­
blème de liquidité. Pour répondre
aux besoins de certains investis­
seurs de récupérer leurs capitaux
avant la fin de vie du fonds, cer­
tains d’entre eux gardent du cash
ou combinent des actifs cotés et
non cotés. Une stratégie très pé­
nalisante en 2022.
Contexte économique dégradé
Autre différence cruciale entre les
fonds professionnels et ceux pro­
posés aux particuliers : les appels
de fonds ne sont pas organisés
de la même façon. Un support
de private equity met plusieurs
années à déployer l’argent confié
par les investisseurs, le temps de
trouver des projets intéressants.
De ce fait, les investisseurs pro­
fessionnels apportent leurs capi­
taux au fil de l’eau. Un mode opé­
ratoire difficile à reproduire avec
des particuliers. Dans les fonds
grand public, l’argent est généra­
lement appelé dès la création
du support, en une seule fois.
Mais il n’est pas investi tout de
suite. Autant de temps pendant
Prix moyen
d’une maison
2
2 6 600 euros par mètre carré en
Evolution des prix
sur un an
+ 10,9 %
sur cinq ans
59 %
SOURCES : MEILLEURSAGENTS ET FNAIM
un trois­pièces de 70 mètres car­
rés. Le quartier Polo­Beyris, à
proximité du lycée Saint­Louis
Villa Pia et limitrophe d’Anglet,
rencontre aussi du succès. Il faut
compter 700 000 euros pour
une maison, mais les biens à ven­
dre y sont rares.
Pour trouver des prix moins éle­
vés, le quartier Saint­Esprit, non
loin de la gare, est une option ; il
fait l’objet d’une réhabilitation
depuis quelques années. Les prix
y tournent plutôt autour de
4 000 euros le mètre carré.
Acheter neuf n’est pas plus sim­
ple : « La demande est forte, mais il
n’y a pas assez de biens à vendre.
Actuellement, on compte un peu
moins de cinquante appartements
en cours de commercialisation
pour tout Bayonne », note Pierre
Covid-19, tourisme
et remboursement
lequel il rapporte peu, ce qui dé­
sement pour le porteur de part.
ronnement économique dé­
sont affaissées en 2022. Il y a peu
Mais comme les valorisations
dans le domaine du non­coté
sont moins fréquentes, la baisse
s’observera plus tard. L’indice Ar­
gos Index Mid­Market donne une
indication de la tendance. Il me­
sure l’évolution des valorisations
des PME non cotées de la zone
euro ayant fait l’objet d’une prise
de participation majoritaire au
cours des six derniers mois.
Après une tendance haussière sur
les dix dernières années, l’année
2022 a vu les prix payés par les ac­
quéreurs commencer à se tasser.
Ainsi, le rapport du troisième
trimestre 2022 montre une
baisse de 15 % des prix payés par
les acquéreurs par rapport au
plus haut de mi­2021. Si, à moyen
terme, ce dégonflement des valo­
risations peut créer des opportu­
nités pour les nouveaux fonds
avec des capitaux à investir, les
produits lancés ces dernières an­
nées ont, eux, payé plein pot
leurs participations.
Dans ce contexte, il faut miser
sur les « bons chevaux ». Or, dans
le private equity, il existe une
grande hétérogénéité de produits.
Le risque d’erreur en est accru !
S’il est possible, en théorie, d’ob­
tenir une performance à deux
chiffres, encore faut­il sélection­
ner le bon support. France Invest
indique ainsi que le rendement
annualisé des meilleurs fonds (les
25 % les plus performants) s’est
élevé en moyenne à 28,5 % depuis
1987, quand celui des moins bons
(les 25 % les moins performants)
s’est chiffré à – 3,6 %. Un écart en­
core plus grand que dans l’univers
des fonds cotés. p
aurélie fardeau
CLIGNOTANT
Vital, cofondateur
Groupe, promoteur immobilier.
d’Id&al
Pour investir dans l’un des dix
programmes de construction
neuve proposés, il faut compter
moyenne, mais cela peut aller jus­
qu’à 8 000 euros dans le centre.
Compte tenu de ces prix élevés,
se loger est un défi pour beau­
coup, d’autant que le marché
locatif est saturé. Pour améliorer
la situation, la ville a mis en
place une obligation de 30 % de
QUESTION À UN EXPERT
logements sociaux dans les pro­
grammes neufs et limite les loca­
tions saisonnières. A partir de
mars, les seuls baux de courte
durée acceptés seront de neuf
mois. Cela permettra de louer à
des étudiants durant l’année
scolaire et de louer ensuite à des
touristes l’été.
« Pour obtenir l’autorisation de
louer un logement saisonnier le
reste de l’année, il faudra proposer
un autre logement à louer en lon­
gue durée », précise Jean­René
Etchégaray, maire de Bayonne.
La ville est cependant moins con­
cernée par ce problème que Biar­
ritz et Anglet, car elle compte
moins de 5 % de résidences se­
condaires, ajoute­t­il.
Enfin, Bayonne poursuit ses ef­
forts pour remettre des loge­
ments vacants sur le marché,
en participant par exemple à la
rénovation d’immeubles du cen­
tre­ville. Cela devrait redonner
un peu de souplesse au marché
immobilier local. p
nathalie coulaud
argent | 21
SOS CONSO 
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
A
u début de la pandémie de Covid­19, de nom­
breux vacanciers se trouvaient à l’étranger. Leur
séjour a été écourté, afin qu’ils puissent rentrer
avant que les frontières ne ferment. Lorsqu’ils
ont demandé le remboursement des prestations non exécu­
tées, ils ne l’ont en général pas obtenu. En France, la cour
d’appel d’Aix­en­Provence a, le 5 mai 2022, donné raison
au voyagiste FRAM, qui refusait d’indemniser une cliente.
Pourtant, les touristes avaient droit à un remboursement,
a affirmé la Cour de justice de l’Union européenne, le 12 jan­
vier, à propos du litige suivant.
Deux Allemands rapatriés le 20 mars 2020 de la Grande
Canarie (Espagne), sans avoir pu profiter des plages et des
piscines, condamnées dès le 15 mars, réclament une « réduc­
tion de prix » (par rapport à celui qu’ils ont payé) de 70 %
(soit 1 018 euros sur un total de 1 454 euros), à la société FTI
Touristik. Ne l’obtenant pas, ils saisissent la justice. Ils invo­
quent l’article 14 de la directive sur les voyages à forfait,
selon lequel « le voyageur a droit à une réduction de prix ap­
propriée pour toute période de non­con­
formité des services fournis ». Le tribunal
LA COUR VEUT  régional de Munich demande alors à la
ÉGALEMENT  Cour si ce droit doit subsister, lorsque
la non­conformité est due à des mesures
INDEMNISER de lutte contre la propagation d’une
maladie infectieuse, imposées dans le
LES SERVICES monde. La Cour répond que oui, car il
est « soumis à l’unique condition » qu’il y
LIÉS AU « BUT ait non­conformité, c’est­à­dire « inexécu­
DU CONTRAT » tion ou mauvaise exécution des services
compris dans le forfait ». Elle précise que
la « cause » de la non­conformité importe peu, la directive
prévoyant une « responsabilité sans faute de l’organisateur ».
Comment calculer cette réduction de prix ? L’avocate gé­
nérale de la Cour avait exclu que l’organisateur indemnise
« la perte de jouissance de services qui ne relèvent pas du
champ du contrat » (accès aux plages publiques et autres
lieux extérieurs à l’hôtel). La Cour, elle, affirme que la réduc­
tion de prix devra comprendre « non seulement » les obliga­
tions « explicitement stipulées au contrat » (animations à
l’hôtel, par exemple), mais aussi « celles qui y sont liées résul­
tant du but de ce contrat ». Que signifie cette formule ?
« Si la brochure vantait “l’accès direct de l’hôtel à la plage”
ou sa “situation idéale pour visiter la Grande Canarie”, l’im­
possibilité d’accéder à ladite plage ou de visiter l’île pourrait
être considérée comme une non­conformité, alors même que
la sortie, individuelle, n’est pas prévue au contrat », analyse
Pierre­Yves Gautier, professeur de droit civil à l’université
Paris­II­Panthéon­Assas. L’arrêt de la Cour, qui entend « ga­
rantir un niveau élevé de protection des consommateurs »,
ne devrait donc guère plaire aux voyagistes. p
LIVRE T A
Une collecte plus élevée qu’en 2020
En 2022, l’encours du Livret A a crû de 32,06 milliards
d’euros, selon la Caisse des dépôts – le meilleur résul­
tat en dix ans. C’est plus qu’en 2020, année du déclen­
chement de la crise sanitaire (+ 27,97 milliards). Dans
le détail, 27,23 milliards ont été collectés (collecte nette,
les dépôts, moins les retraits), et 4,83 milliards de gains
réalisés sur ce livret par les épargnants sont venus
s’ajouter. Parmi les facteurs : le contexte anxiogène
lié à la guerre en Ukraine et l’inflation, mais aussi
le taux de rémunération, qui a été multiplié par quatre
en 2022 (de 0,5 % à 2 %). Il passera à 3 % en février.
Fiscalité : comment concilier legs
à un ami et philanthropie ?
émilie finot, notaire chez Cheuvreux
Chacun peut transmettre son patrimoine à qui il souhaite, sauf s’il
a des enfants. Héritiers « réservataires », ils ne peuvent être privés
de leur part « réservée ». La liberté de léguer est alors limitée à
la « quotité disponible » : la moitié du patrimoine avec un enfant,
un tiers avec deux enfants, un quart avec trois enfants et plus. Avec
cette quotité disponible, vous pouvez gratifier un parent éloigné
ou un proche sans lien de parenté – disons, le fils d’un ami dont
vous êtes le parrain. Ce filleul paiera 60 % du legs au titre des droits
de succession, après un abattement de 1 594 euros. Si vous lui lé-
guez 100 000 euros, il s’acquittera d’environ 59 000 euros de droits, il
lui restera environ 41 000 euros. Il est toutefois possible de lui trans-
mettre la même somme tout en servant une cause philanthropique
grâce au « legs avec charge » : vous léguez la quotité disponible à une
association ou fondation reconnue d’utilité publique pouvant béné-
ficier de legs exonérés de droits de succession, avec la charge de re-
mettre une somme libre de droits à votre filleul. Elle ne paiera les
droits de succession que sur la part remise. Pour le même legs de
quotité disponible de 100 000 euros à une fondation, avec charge de
remettre 41 000 euros au filleul, la fondation conservera 35 400 euros
(100 000 euros – 41 000 euros remis – 23 600 euros de droits). p
22 | sports
Bernard Laporte finit
par démissionner de
la présidence de la FFR
Les clubs ont rejeté, jeudi, le candidat que proposait
le patron du rugby français pour le remplacer
L
es clubs amateur de
rugby l’auront fait plier,
là où ni les mises en exa­
men, la garde à vue ou
même une condamnation – en
première instance – n’y étaient
pas parvenues. Selon les informa­
tions du Monde, Bernard Laporte
a décidé de démissionner, ven­
dredi 27 janvier, de la présidence
de la Fédération française de
rugby (FFR). Un choix inéluctable
pour l’ancien sélectionneur du
XV de France, au lendemain du
résultat du scrutin ayant désa­
voué le candidat désigné par Ber­
nard Laporte pour assumer ses
prérogatives, le temps qu’il soit
fixé sur son procès en appel.
Jeudi, au terme de soixante­
douze heures de scrutin, les « car­
dinaux » du rugby français
avaient refusé l’onction à Patrick
Buisson, plongeant le Centre na­
tional du rugby de Marcoussis
(Essonne) dans l’incertitude, à
quelques mois de la Coupe du
monde 2023, qui se tiendra en
France. Appelés depuis lundi à ex­
primer – par voie électronique –
leur avis sur la gouvernance de la
FFR, les présidents de toutes les
associations de clubs amateur de
France ont tranché : bien que
ÉDITION
2023
avec Julia Kristeva, Amélie Nothomb, Juliette, Emmanuelle Lambert...
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Un hors-série du « Monde »
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serré, le résultat du scrutin, com­
muniqué jeudi 26 janvier, est sans
appel. Avec 51,06 % des voix, le
rugby français a rejeté le candidat
proposé par Bernard Laporte.
Vendredi, lors du comité direc­
teur de la FFR réuni pour « statuer
sur les suites à donner au résultat
de cette consultation », le secré­
taire général de la fédération,
Christian Dullin, a confirmé que
Bernard Laporte a décidé de quit­
ter ses fonctions à la tête de la FFR.
La démission de celui qui occu­
pait ce poste depuis 2016 et avait
été réélu en 2020 devrait entraî­
ner une vacance du pouvoir et
déclencher des élections.
La pression de la ministre
Condamné le 13 décembre 2022 à
deux ans de prison avec sursis,
75 000 euros d’amende et deux
ans d’interdiction d’exercer toute
fonction en lien avec le rugby –
notamment pour « corruption
passive », « trafic d’influence » et
« prise illégale d’intérêts » –, Ber­
nard Laporte a fait appel. Et
entendait initialement, présomp­
tion d’innocence oblige, demeu­
rer en poste à la présidence de la
FFR. Mais, sous la pression de la
ministre des sports, Amélie
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Colette
Le tourbillon
de la vie
Sa vie fut un tourbillon. Romancière, vedette de
music-hall, journaliste, publicitaire, Colette s’attacha,
dans son œuvre, ainsi que dans les multiples facettes
de son existence, à mettre la sensualité et le plaisir
aux commandes. Au moment où l’on fête le cent
cinquantième anniversaire de sa naissance et où deux
de ses œuvres, Sido et Les Vrilles de la vigne, entrent
au programme du baccalauréat, Le Monde se penche
dans un hors-série de sa collection « Une vie, une
œuvre », sur l’autrice du Blé en herbe, à travers une
sélection d’extraits de ses principaux livres et un
grand entretien avec Julia Kristeva.
Oudéa­Castéra, et du comité
d’éthique de la fédération, le diri­
geant a consenti à une « mise en
retrait » lui faisant perdre toutes
ses fonctions à l’exception du
titre. Et proposé, en accord avec
les statuts de la FFR, un président
délégué pour le remplacer.
Chargés de peser le pour et le
contre de la candidature de
Patrick Buisson, les quelque
1 500 clubs amateur qui émaillent
le rugby français ont choisi de
baisser le pouce. Un camouflet
pour Bernard Laporte, qui avait
personnellement désigné le vice­
président de la FFR chargé du
rugby amateur, et avait incorporé
son nom dans la question posée
aux clubs : « Approuvez­vous la
proposition de Bernard Laporte de
Un président
intérimaire
devrait être
désigné jusqu’à
la prochaine
assemblée
générale
désigner Patrick Buisson en qualité
de président délégué de la FFR ? »
« Je trouve rocambolesque que
ça soit le président à qui l’on a de­
mandé de se mettre en retrait qui
propose son successeur, tançait,
jeudi, Eric Marchoux, président
du club de Lacapelle­Biron (Lot­
et­Garonne) et opposant assumé
au toujours président. Le fait de
mentionner Bernard Laporte
dans la question n’était pas ano­
din : ce n’était pas un vote pour Pa­
trick Buisson. »
Bien que ce dernier ait répété la
semaine passée dans Le Monde
qu’il « prendrait toutes les déci­
sions » en cas de oui et que « pré­
sident délégué, ce n’est pas un prê­
te­nom », pour de nombreux
clubs, l’ombre de Bernard La­
porte planait derrière celui qui
fait partie de sa garde rapprochée
depuis 2016.
« Je suis déçu de ce résultat, qui a
un effet double détente, car je
n’arrive pas à savoir si les gens ont
sanctionné Patrick Buisson ou
bien Bernard Laporte », constatait
Francis Cazeneuve, président du
TOEC TOAC FCT Rugby, à Tou­
louse. Parmi les soutiens du prési­
dent « pour tout ce qu’il a apporté
au rugby, en un mandat et demi »,
le dirigeant de Fédérale 1 (premier
échelon du rugby amateur) re­
connaît que le placement en
garde à vue, mardi, de Bernard La­
porte dans une autre affaire que
celle pour laquelle il a été con­
damné a pu perturber le vote. « Au
sein de la Ligue Occitanie, beau­
coup de gens m’ont dit “Ça com­
mence à faire beaucoup”. »
Avec pour résultat ce vote de dé­
fiance. Pour Florian Grill, prési­
dent de la Ligue Ile­de­France et
dirigeant d’Ovale ensemble, l’as­
sociation d’opposants à Bernard
Laporte, ce scrutin porte deux
messages. « Le premier, c’est la
participation, plus de 90 % des
clubs ont voté. Le deuxième, c’est
Atmosphère électrique à la FFF avant
la remise du rapport d’audit provisoire
La mission d’inspection diligentée à la Fédération française
de football doit rendre ses premières conclusions lundi 30 janvier
Q ue contient le rapport
provisoire de l’inspec­
tion générale de l’éduca­
tion, du sport et de la re­
cherche (IGESR) au terme de son
audit mené à la Fédération fran­
çaise de football (FFF), depuis
septembre 2022, à la demande de
la ministre des sports, Amélie
Oudéa­Castéra ? Lundi 30 janvier,
les trois inspecteurs doivent re­
mettre le fruit de leur travail au
président de la FFF, Noël Le Graët,
« en retrait », depuis le 11 janvier,
des affaires de l’instance, à la di­
rectrice générale (DG), Florence
Hardouin, mise à pied à titre
conservatoire, ainsi qu’à Philippe
Diallo, patron intérimaire de la fé­
dération, et à Mme Oudéa­Castéra.
Au siège parisien de la FFF, dans
le 15e arrondissement, règne une
forme d’attente fébrile mêlée à
une crainte sourde avant la récep­
tion de ce document. La mission
d’inspection dirigée par Bruno
Béthune a auditionné plus d’une
centaine de personnes et émis, le
13 janvier, un signalement à la jus­
tice visant M. Le Graët, en vertu de
l’article 40 du code de procédure
pénale. Ce qui a conduit le par­
quet de Paris à ouvrir, le 16 janvier,
une enquête préliminaire pour
« harcèlement moral et sexuel »
contre le patron de la fédération.
Alors que l’enquête adminis­
trative porte principalement sur
les accusations de harcèlement
sexuel émanant d’anciennes
collaboratrices de la FFF contre
M. Le Graët, ainsi que sur le style
de management controversé de la
directrice générale, Florence Har­
douin, dans quelles circonstances
et sous quel format l’IGESR va­t­
elle rendre ses conclusions provi­
soires avant de recevoir, durant
quinze jours, les observations des
dirigeants mis en cause ?
le résultat, assure celui qui avait
été battu par l’ex­sélectionneur
des Bleus il y a deux ans, lors de
l’élection (sur une marque de 51 %
contre 49 %). Le message est clair,
les clubs n’ont pas voté contre Pa­
trick Buisson, ils ont réclamé des
élections. »
Après la démission de Bernard
Laporte, vendredi, ils vont les ob­
tenir. Présenté par Patrick Buis­
son comme « une étape » permet­
tant de « revalider le comité direc­
teur », le vote des clubs a contre­
carré l’ambition de l’actuelle
majorité à unir le rugby français
sous ses couleurs. Et s’il en avait la
possibilité, le comité directeur n’a
pas envisagé l’option d’un second
référendum, en présentant un
autre nom. « On ne va pas empiler
les candidats au poste de président
délégué. On passera certainement
aux élections », anticipait Patrick
Buisson, la semaine dernière, sur
France Bleu.
Impensable de jouer la montre
« Cette consultation est enga­
geante, et il faut en tirer les conclu­
sions nécessaires », corroborait
Amélie Oudéa­Castéra jeudi soir.
Conviée au comité directeur de la
FFR, vendredi – une invitation
émise avant le vote –, la ministre a
pris acte de la démission du prési­
dent, confirmée en début de
séance par le secrétaire général,
Christian Dullin.
Car il semblait désormais im­
pensable de jouer la montre.
« Pour le rugby et l’intérêt général,
il faut trouver une solution rapi­
dement », insistait encore Francis
Cazeneuve, jeudi, rappelant
l’échéance de la Coupe du monde
2023, organisée en septembre et
octobre dans l’Hexagone et
autour de laquelle tourne tout le
rugby tricolore depuis des an­
nées. « Les gens qui iront voir les
matchs, ils s’en foutent de nos pro­
blèmes de gouvernance. »
Selon le ministère des sports, ce
rapport provisoire sera adressé
« simultanément » par « voie nu­
mérique aux adresses personnel­
les de leurs destinataires avec un
lien sécurisé de téléchargement »
et par voie postale.
Concrètement, M. Le Graët et
Mme Hardouin seront les seuls à
connaître le détail des parties les
concernant. « Les faits précis
ayant donné lieu à l’article 40 ne fi­
gureront pas, dans leur détail,
dans le rapport provisoire, mais
une description précise en sera
faite dans le rapport soumis à la
procédure contradictoire avec
M. Le Graët », précise le ministère.
M. Diallo et Mme Oudéa­Castéra
disposeront d’une version com­
mune sans les détails concernant
M. Le Graët et Mme Hardouin.
« L’IGESR indique néanmoins que
la partie commune du rapport
contiendra des éléments suffisants
pour éclairer l’ensemble des par­
ties », ajoute le ministère.
Les « confidences » de Hardouin
Au Monde, M. Diallo confirme
que « les membres du comité exé­
cutif de la FFF auront bien évidem­
ment connaissance des conclu­
sions du rapport provisoire qui
sera adressé à la FFF ». Le patron
intérimaire de la fédération fran­
çaise de football indique qu’il par­
tagera « avec eux les éventuelles
observations qu[’ils] pourr[aient]
être amenés à faire. Enfin, lors de
la remise du rapport définitif [le
15 février], [il] convoquer[a] un
comité exécutif pour partager
l’analyse de ce document. »
Le 15 février, après que le rap­
port d’audit définitif aura été
rendu, Mme Oudéa­Castéra « déci­
dera alors des suites à donner en
termes d’information ». Elle de­
vrait alors prendre la parole pu­
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
LES DATES
13 DÉCEMBRE 2022
Bernard Laporte est condamné
à deux ans de prison avec sur-
sis et 75 000 euros d’amende.
Il décide de faire appel.
22 DÉCEMBRE 2022
Le président de la FFR accepte
de se mettre en retrait.
6 JANVIER 2023
Bernard Laporte propose Patrick
Buisson, vice-président de la
FFR, comme président délégué.
26 JANVIER
Les clubs amateur votent
contre (51,06 %) la nomination
de Patrick Buisson.
27 JANVIER
Bernard Laporte démissionne.
Si les proches soutiens de Ber­
nard Laporte, rassemblés jeudi
pour trouver une sortie de crise à
la situation, ont envisagé la dé­
mission collective du comité di­
recteur, celle de Bernard Laporte,
vendredi, déclenche un proces­
sus de vacance du pouvoir. Un
président intérimaire, nommé
parmi les membres du bureau
fédéral, devrait être désigné jus­
qu’à la prochaine assemblée gé­
nérale (du 29 juin au 1er juillet, à
Lille), où les clubs amateur,
ceux­là même dont le vote a
sonné le glas de l’ère Laporte à la
FFR, seront appelés à élire un
nouveau président. p
clément martel (avec éric
collier et nicolas lepeltier)
bliquement pour émettre des re­
commandations.
Au grand dam de plusieurs élus
du comité exécutif de la FFF,
M. Le Graët, 81 ans, visé par un
nouveau témoignage anonyme
d’une ex­collaboratrice de son en­
treprise à Guingamp (Côtes­d’Ar­
mor), dans Presse Océan, exclut à
ce stade de démissionner.
En cas d’impasse sur le plan po­
litique après la remise du rapport
d’audit définitif, une Assemblée
générale de révocation pourrait
se prononcer sur la destitution
du président et de son comité
exécutif. « La fédération, ce n’est
pas l’Ordre du temple solaire,
grince un élu fédéral, il ne fau­
drait quand même pas l’oublier.
M. Le Graët apparaît comme
Brejnev ou Andropov du temps de
l’Union soviétique. »
Convoquée mardi 31 janvier par
la FFF pour un entretien préalable
à un licenciement, Mme Hardouin
n’a pas encore pris la parole :
elle est actuellement en conva­
lescence après avoir été victime
d’un infarctus en apprenant sa
mise à pied.
« La mise à pied de Mme Har­
douin intervient quarante­
huit heures après qu’elle a fait des
confidences à plusieurs personnes
concernant des faits de harcèle­
ment sexuel et moral qu’elle a su­
bis de M. Le Graët », affirme au
Monde Dominique Rouch, com­
municante et porte­parole de la
DG suspendue. « On ne com­
mente pas les stratégies de dé­
fense », répondent les avocats de
M. Le Graët, Florence Bourg et
Thierry Marembert.
Cette déclaration fracassante du
camp Hardouin pourrait encore
davantage électriser l’atmos­
phère au siège de la « 3F ». p
rémi dupré
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
C
e soir­là, ses mains restent
accrochées au pupitre. Pas de
moulinets, de poings serrés
ni de paumes jointes pour ani­
mer son discours. Point trop
d’emphase non plus, seule­
ment quelques citations, c’est le péché mi­
gnon d’Amélie Oudéa­Castéra, qui aime à
émailler ses interventions de réflexions
puisées chez de grands auteurs. Mais aucune
de ses lectures du moment (Boris Cyrulnik,
Edgar Morin ou Michel Serres) ne vient à son
secours, ce mardi 24 janvier, face aux athlètes
et aux personnalités du sport français invités
à la Soirée des champions organisée par
l’Institut national du sport, de l’expertise et
de la performance (Insep).
Pour éclairer son propos du jour, et faire
briller « une petite flamme » dans le regard
des athlètes à dix­huit mois des Jeux de Paris
2024, la ministre des sports et des Jeux olym­
piques et paralympiques – un intitulé inédit
pour le poste – préfère ce soir­là des mots at­
tribués au boxeur Mohamed Ali (« On devient
champion grâce à ce qu’on ressent, un désir,
un rêve, une vision ») ou au basketteur Mi­
chael Jordan (« Faites tout votre possible »).
Deux hymnes à la volonté et au dépassement
de soi. Deux exemples d’abnégation qui ne
sont pas sans rapport avec la détermination
qu’elle affiche devant les d’affaires qui se­
couent le sport national, minent de l’inté­
rieur les Fédérations françaises de football
(FFF) et de rugby (FFR) et transforment ce mi­
nistère si peu politique en l’un des plus expo­
sés de ce début de quinquennat.
« Affronter des difficultés, faire face à l’adver­
sité, ça fait partie du sport », avait rappelé
Amélie Oudéa­Castéra, quelques jours plus
tôt à Toulouse, lors d’un déplacement consa­
cré au développement du sport en entre­
prise. Madame la ministre est servie. Le jour
de son intervention à l’Insep, le président de
la FFR, Bernard Laporte, déjà « mis en retrait »
après sa condamnation en première instance
à deux ans de prison avec sursis pour corrup­
tion, était placé en garde à vue dans le cadre
d’un dossier de fraude fiscale (aucune charge
n’a été retenue contre lui à ce stade). Le lende­
main, mercredi 25 janvier, le président de la
Ligue de handball, Bruno Martini, démis­
sionnait après la révélation de sa condamna­
tion pour corruption de mineurs.
Jeudi, Mme Oudéa­Castéra prenait connais­
sance des résultats de la consultation lancée
par la FFR : 51,06 % des dirigeants des clubs
français ont refusé de valider la nomination
de Patrick Buisson à la tête de l’instance en at­
tendant une nouvelle décision de justice sur
le cas Laporte, qui a fait appel de sa condam­
nation. Le lendemain, Christian Dullin, secré­
taire général de la FFR, a annoncé la démis­
sion de Bernard Laporte. « Il a tiré la conclu­
sion qui s’imposait de cette consultation. Il faut
maintenant aller au bout de la résolution de
cette crise », a réagi la ministre. Dans l’autre
crise en cours, Amélie Oudéa­Castéra devrait
recevoir, lundi 30 janvier, l’audit commandé
par ses soins sur la gestion de la FFF par le pré­
sident Noël Le Graët, lui aussi placé « en re­
trait » par le comité exécutif de sa fédération.
« NE RIEN LÂCHER »
Le monde de l’entreprise où elle a occupé des
postes importants pendant une quinzaine
d’années connaissait son aptitude à « ne rien
lâcher ». Mais, pour les gens du sport, c’est
une découverte. La ministre a « une pugna­
cité qui surprend », admet Jean­Michel Aulas,
président de l’Olympique lyonnais et mem­
bre influent du comité exécutif de la FFF. « En
bien », précise­t­il.
A l’Insep, ce site d’excellence, la ministre
est en terrain connu. L’ex­championne de
tennis, vainqueure de l’Orange Bowl (sorte de
championnat du monde des jeunes), connaît
bien « la petite musique intérieure », qu’elle
évoque devant les athlètes français. Elle aussi
a entendu cet air agréable « qui vous dit qu’il
y a quelque chose en vous de particulier ».
Elle aussi a vécu la solitude des sportifs de
haut niveau, côtoyé de futurs champions
confrontés à « des parents qui n’ont pas com­
pris ou pas compris tout de suite » le potentiel
et la volonté de leur enfant. Elle aussi a connu
ce déchirement familial, sa mère « plus dans
la compréhension » quand elle a renoncé à
sa carrière sportive, son père en soutien
mais chagriné par cet abandon. Bref, « AOC »
maîtrise le ressenti de ses auditeurs du soir.
« Votre tour viendra », leur lance­t­elle.
Elève brillante, jeune fille des beaux quar­
tiers et des belles écoles (père haut fonction­
naire, mère directrice des ressources humai­
nes d’un grand groupe français), joueuse de
tennis devenue énarque (promotion Sen­
ghor, comme Emmanuel Macron) avant de
s’asseoir au comité exécutif de quelques fleu­
rons de l’industrie puis de siéger au conseil
des ministres, Amélie Oudéa­Castéra, 44 ans,
n’a pas passé sa vie à attendre son tour. Ce
poste de ministre d’Emmanuel Macron, avec
Une ministre
très affairée
Amélie Oudéa­Castéra a tout fait pour devenir ministre
des sports. Elle doit désormais gérer les scandales liés
aux présidents des fédérations de rugby et de football
lequel elle déjeune ou dîne « une ou deux fois
par an », elle le guignait depuis cinq ans, sûre
que son heure viendrait.
Après la Cour des comptes, elle opte pour le
privé. L’assureur Axa, d’abord, puis le groupe
Carrefour, en qualité de directrice exécutive
chargée de l’e­commerce et de la transfor­
mation digitale. « Elle a une capacité de
concentration et d’intensité hors du commun,
apprécie Alexandre Bompard, le directeur
général du groupe. Elle ne laisse rien au
hasard et ne fuit pas ses responsabilités. »
En 2017, quand avance le projet politique
d’Emmanuel Macron, celle qui n’a jamais
cotisé à aucun parti se reconnaît dans sa
doctrine : « libéralisme social, modernisme,
Europe, combat contre toutes les formes de
discrimination et lutte contre les violences
faites aux femmes ». Elle fonce, rencontre les
LAPORTE DE LA TÊTE  ces du sport français. Début 2019, elle quitte
acteurs du monde sportif, affiche son ambi­
tion.
Le bureau du ministre des sports, au
sixième étage d’un immeuble sans charme
de l’avenue de France, à Paris (13e), n’est pour­
tant pas le plus convoité de la République. Il
vient souvent récompenser une belle car­
rière sportive et saluer un début d’engage­
ment politique. Lors de son premier mandat,
Emmanuel Macron a ainsi proposé le maro­
quin à deux médaillées olympiques : l’escri­
meuse Laura Flessel et la nageuse Roxana
Maracineanu. Pendant ce temps, Amélie
horizons | 23
Oudéa­Castéra ronge son frein. Elle l’avait es­
péré au soir de l’élection présidentielle,
en 2017. Elle l’a encore attendu quand Jean
Castex a remplacé Edouard Philippe à Mati­
gnon. En vain. Sans doute avait­elle trop os­
tensiblement affiché sa volonté. Et la posi­
tion de son mari, Frédéric Oudéa, directeur
général de la Société générale (un partenaire
majeur du sport français), ne l’a pas aidée
dans sa quête.
C’est peu de dire qu’elle se prépare, dès 2017,
VENDREDI  à occuper ces fonctions. En novembre 2017,
27 JANVIER,  elle candidate, sans succès, au poste de direc­
trice générale du Comité d’organisation des
LA DÉMISSION  Jeux olympiques et paralympiques. En 2018,
elle prend la tête d’une association, Réno­
DE BERNARD  vons le sport français, et pilote la rédaction
d’un rapport sur la gouvernance des instan­
DE LA FFR ÉTAIT  le groupe Carrefour pour s’installer à la direc­
tion générale de la Fédération française de
ANNONCÉE,  tennis (FFT). Une fonction de dirigeante, une
mission de service public et l’univers du
MAIS LA MINISTRE  sport, « les pièces de mon puzzle de vie étaient
« VEUT ALLER  parfaitement imbriquées ». « Quinze mois ex­
ceptionnels », mais perturbés par la révéla­
AU BOUT DE  tion de ses émoluments dans Mediapart
(35 000 euros mensuels). Plus récemment,
LA RÉSOLUTION  dans son édition du 25 janvier, Le Canard en­
DE CETTE CRISE » chaîné a publié un portrait acerbe de la mi­
nistre, qui a provoqué l’un de ses rares mo­
ments d’humour – « j’ai toujours manqué un
Amélie Oudéa­Castéra,
ministre des sports
et des Jeux olympiques
et paralympiques,
dans son bureau,
à Paris, le 25 juillet 2022.
SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »
peu de légèreté » –, à la vue de la caricature qui
accompagne l’article : « C’est vrai que j’ai un
grand menton. » Disons qu’il est volontaire, à
son image.
Le 20 mai 2022, quand elle apprend sa no­
mination au ministère, Amélie Oudéa­Cas­
tera ne s’attarde pas. Une heure après l’an­
nonce officielle, ses cartons ne sont pas
encore bouclés qu’elle a pris la direction de
l’avenue de France. Devant Frédéric Oudéa –
il doit quitter son poste pour prendre la direc­
tion de Sanofi – et leurs trois garçons de 16, 14
et 12 ans, l’ex­championne n’imagine pas une
seconde la déferlante médiatique qui fera
tanguer son ministère huit jours plus tard,
après le fiasco de la finale de la Ligue des
champions au Stade de France, le 28 mai.
Deux ans avant les JO de Paris 2024, la capa­
cité de la France à organiser de grands événe­
ments est remise en cause.
L’état de grâce, Amélie Oudéa­Castéra ne
connaît pas. Son cabinet non plus, qui tra­
verse de premières semaines orageuses, avec
le remplacement expéditif du directeur de ca­
binet et le départ de trois collaborateurs en
moins d’un mois. On dit cette grande brune
exigeante, parfois exagérément ? Son regard
gris s’assombrit : « J’assume. Je suis venue au
ministère des sports pour me donner à fond, j’ai
la même exigence vis­à­vis de mes collabora­
teurs, mais aussi beaucoup de bienveillance. »
« Elle devrait faire attention, elle a un côté don­
neuse de leçons qui agace un peu. On ne l’a pas
attendue pour faire les choses », soutient pour­
tant un acteur du projet olympique.
Adepte du contrôle total, même dans le ré­
cit de sa vie, elle relit tout, jusqu’aux messa­
ges publiés sur son compte Twitter – « je ne
suis pas en pilotage automatique, ça m’est
important de signer vraiment ce que j’écris ».
Elle annote tous ses dossiers de sa petite écri­
ture serrée, les enrichit des notes qu’elle ne
cesse de prendre sur sa tablette. « Il faut
qu’elle connaisse ses sujets par cœur, observe
Philippe Bana, président de la Fédération de
handball. Sur ceux qu’elle maîtrise moins, elle
peut poser des questions pendant des heu­
res. » Malheur à ceux qui ne suivent pas le
rythme. A la FFT, on se souvient qu’elle a fait
pleurer des directeurs. « Amélie, c’est l’excel­
lence. Si son environnement n’est pas excel­
lent, il souffre », souligne Jean­Luc Cotard,
son entraîneur de tennis de 11 à 15 ans, qui
échange encore aujourd’hui régulièrement
avec son ancienne élève.
INCOMPRÉHENSION AVEC NOËL LE GRAËT
Au sommet de la pile, un dossier s’impose,
les JO. Les premiers échanges avec la maire
de Paris sont glaciaux. Quand Anne Hidalgo
répond à une invitation au ministère des
sports à l’automne 2022, l’accueil est assez
frais. En décembre, alors que les collectivités
locales sont invitées à augmenter leur parti­
cipation financière pour faire face aux sur­
coûts liés à l’inflation, la ministre demande à
la maire de Paris davantage de solidarité dans
le discours et dans les actes. « Vous n’allez pas
me dicter ce que j’ai à dire, je suis élue, vous,
vous êtes nommée », cingle Anne Hidalgo.
Depuis ces escarmouches, celle­ci a ral­
longé la participation olympique de la ville et
les deux femmes ont aplani leurs différends.
Avec Noël Le Graët, en revanche, l’incompré­
hension demeure totale. Au Qatar, pendant
le Mondial, M. Aulas a tenté avec d’autres de
« rapprocher les points de vue » entre le prési­
dent de la FFF et la ministre. « C’était un peu
tendu », se souvient le Lyonnais. Après la vic­
toire des Bleus sur l’Angleterre, quand
Mme Oudéa­Castéra a souhaité saluer les
joueurs dans le vestiaire, « cela n’a pas été
spontané », et les sujets qui fâchent « sont res­
tés en l’état », regrette M. Aulas.
Celui qui a connu 17 ministres des sports
depuis qu’il a pris la tête de l’OL n’est pas le
seul à comparer sa nouvelle interlocutrice
à la plus unanimement reconnue de ses pré­
décesseures, Marie­George Buffet, la minis­
tre des sports communiste du gouverne­
ment de Lionel Jospin (1997­2002). Celle­là
même qu’Amélie Oudéa­Castéra rêve d’ac­
cueillir dans un comité des sages qu’elle es­
père bientôt réunir pour ramener un peu de
calme dans le paysage, avant les JO, où elle
jouera son avenir politique. p
éric collier et nicolas lepeltier
 CULTURE
24 |
« La question de la diversité est fondamentale »
Alexia Fabre, directrice des Beaux­Arts de Paris, évoque des pistes pour redynamiser la prestigieuse école
ENTRETIEN
N
ommée en janvier
2022 à la tête de l’Ecole
nationale supérieure
des beaux­arts de Pa­
ris, en succession de Jean de Loisy,
Alexia Fabre, ancienne directrice
du MAC Val de Vitry­sur­Seine
(Val­de­Marne), dévoile ses pro­
jets avant la journée portes ouver­
tes de l’établissement, samedi
28 janvier.
Vous êtes arrivée il y a un an à
la tête des Beaux­Arts de Paris.
Quels chantiers prioritaires
avez­vous mis en place ?
Les Beaux­Arts, c’est une école,
mais aussi un musée, un site pa­
trimonial, une maison d’édition :
plusieurs missions qu’il s’agit
de concilier, ou plutôt de mettre
en musique. Une des urgences
qui s’imposent à nous est l’entre­
tien du bâtiment. Ce qui a été fait
a été bien fait, mais c’était cosmé­
tique. Les problèmes sont structu­
rels. La grande cour s’effondre, il
faut le dire. La copie du Jugement
dernier dans la chapelle est en
péril, nous devons donc trouver
de l’argent pour la restaurer. Tout
comme le palais des études.
Et concernant la pédagogie ?
Il y a un certain déterminisme
du bâtiment, qui peine à fabriquer
du lien. C’est la maison des
courants d’air, avec beaucoup
d’espaces vides, des ateliers
séparés : le lieu freine les rela­
tions. Cela a été ma première
approche : contredire ce détermi­
nisme pour créer du lien. Nous
avons suscité beaucoup de
moments communs, créé un
groupe Hospitalité qui accueille
les nouveaux arrivants. C’est le fil
rouge de cette année. En 2024,
nous insisterons sur la transition
écologique, qui irrigue déjà tout,
notamment dans les ateliers de
production de Saint­Ouen, où se
réinventent des matériaux non
polluants, non toxiques.
Vous intégrez cette année
Parcoursup. Cela va­t­il
changer vos modes
de recrutement ?
Le concours subsiste après
une première sélection sur dos­
sier avec Parcoursup, avec une
épreuve de dessin, une autre théo­
rique, puis une rencontre entre le
postulant et l’équipe enseignante.
Nous cherchons des singularités,
hors des critères scolaires. La
question de la diversité dans no­
L’Opéra national du Rhin contraint de réduire sa programmation
Deux dates sont annulées à La Filature de Mulhouse, au mois de mai, et remplacées par une seule représentation en version concertante
strasbourg ­ correspondance
C onfronté à une augmenta­
tion de ses charges assor­
tie d’une baisse de dota­
tions budgétaires, l’Opéra natio­
nal du Rhin (ONR) a décidé de
ENVIE D’ÊTRE PUBLIÉ ?
LES
RECHERCHENT DE
NOUVEAUX AUTEURS
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A l’Ecole nationale supérieure des beaux­arts de Paris, le 26 janvier. CHLOE SHARROCK/MYOP POUR « LE MONDE »
tre recrutement est fondamen­
tale, le ministère y est aussi atta­
ché que nous. Pendant des an­
nées, les prépas privées ont eu un
grand pouvoir, ce qui a contribué
à dessiner un profil marqué. Nos
écoles doivent offrir un contre­
point. Notre prépa publique, Via
Ferrata, créée en 2016, est un suc­
cès, il faut que cela dure. Elle a
doublé ses effectifs il y a deux ans,
pour accueillir cinquante étu­
diants. Cent pour cent d’entre eux
sont admis dans une école d’art !
La spécificité des Beaux­Arts
de Paris tient à sa structure en
ateliers menés par des artistes.
Elle est souvent critiquée.
Quelle est votre analyse ?
La grande qualité de cette école
est de ne pas normer les élèves.
Le système des ateliers a été quali­
fié d’archaïque, de surplombant,
mais je trouve au contraire que
modifier à la marge la saison en
cours, pour éviter de se retrouver
dans une situation financière
difficile. Deux représentations
du Conte du tsar Saltane, de Niko­
laï Rimski­Korsakov, program­
mées au mois de mai sur la scène
de La Filature de Mulhouse (Haut­
Rhin), seront remplacées par un
seul spectacle en version concer­
tante. Donner la version mise
en scène de cet opéra coproduit
par La Monnaie (Bruxelles) et le
Teatro Real de Madrid dans deux
salles différentes n’était « pas
soutenable » pour l’institution
alsacienne, qui se partage entre
les trois villes de Strasbourg,
Colmar et Mulhouse.
Le montage­démontage des
décors conçus par Dmitri
Tcherniakov représente à lui
seul deux semaines de travail, à
la charge de l’ONR. Des frais
qui comptent aujourd’hui, à côté
c’est un terrain d’expérimenta­
tions formidable, une première
expérience du collectif, avec
des chefs d’atelier très différents
comme Tatiana Trouvé, Dove
Allouche, Mimosa Echard ou
Julien Creuzet, qui savent cultiver
la singularité. Là se joue la
question de l’influence, de l’affec­
tion, de l’hommage, mais aussi de
la contradiction, de la réaction.
L’école a été secouée pendant
des années par des affaires de
harcèlement, moral ou sexuel,
de professeur à élève.
Où en est­on aujourd’hui ?
A mon arrivée, j’ai trouvé une
école apaisée. Une cellule de veille
a été mise en place en 2017 et au
moindre signalement, nous rece­
vons les concernés. Nous avons
tous l’obligation de suivre une
formation contre le harcèlement.
Aucun problème entre professeur
L’ONR a modifié
à la marge la
saison en cours,
pour répondre
à une situation
financière
difficile
des coûts fixes que sont les char­
ges salariales (l’opéra compte
248 employés permanents),
parmi les seules variables d’ajus­
tement de la direction.
Créé il y a cinquante ans par les
collectivités territoriales, l’Opéra
national du Rhin est un syndicat
intercommunal qui relève d’un
équilibre particulier. Strasbourg
accueille le chœur, les ateliers
de conception des décors et
et élève ne m’a été signalé, et
j’espère que c’est terminé à
jamais. L’enseignement se fémi­
nise doucement, avec un tiers de
femmes parmi les chefs d’atelier,
et j’espère continuer avec les
prochains recrutements.
L’école manque d’un lieu de
convivialité, vos prédécesseurs
l’ont souligné. Avez­vous
trouvé une solution ?
Malgré nos deux hectares, le
manque d’espace est criant. Les
élèves n’ont qu’un petit café coo­
pératif. Il faut un abri plus grand.
Notre idée est de réaliser une cons­
truction temporaire en bois, dans
une des cours. Nous avons un
autre projet, sur le site des Algeco
du bâtiment Lenoir, détruits à l’été
2022. Avec le directeur de l’école
d’architecture de Malaquais, qui
partage le site avec nous, nous dé­
sirons en faire un espace de convi­
costumes et l’administration
de l’établissement ; Colmar,
l’« opéra studio », sa structure de
formation ; tandis que le ballet,
devenu centre chorégraphique
national en 1985, est installé à
Mulhouse.
Chacune de ces villes met à
disposition ses salles (et son
orchestre, pour Strasbourg et
Mulhouse). Elles contribuent
aussi à son budget, 23 millions
d’euros par an, alimenté en
majorité par des subventions
publiques, dont 9,5 millions de
participation des communes,
5 millions de l’Etat et 1,3 million
de la région Grand­Est.
« Ces subventions stagnent de­
puis une quinzaine d’années, ce
qui pose un vrai problème parce
que nos charges fixes augmen­
tent. On arrivait jusqu’à présent
à s’adapter, mais 2023 sera très
compliquée », note le directeur de
« La grande
qualité de
cette école est de
ne pas normer
les élèves »
vialité. On ne peut construire au
sein de cette architecture très
protégée, mais nous allons plan­
ter, renaturer cet espace, grâce à
un beau budget alloué par le mi­
nistère de la culture.
Votre prédécesseur, Jean de
Loisy, évoquait la possibilité
d’une autre antenne en petite
couronne, en plus de Saint­
Ouen (Seine­Saint­Denis).
Est­ce toujours d’actualité ?
Non, il n’est plus question d’ex­
tension. C’est primordial pour les
l’ONR, Alain Perroux. Avec l’aug­
mentation de 3,5 % des salaires
de la fonction publique territo­
riale, celle du prix de l’énergie et
des matières premières, l’établis­
sement a vu ses coûts s’envoler.
En parallèle, les villes de Stras­
bourg et de Mulhouse ont décidé
conjointement de diminuer
leurs subventions de 2,5 %.
« Effort réaliste »
« Notre facture énergétique a
doublé à plus de 10 millions
d’euros, et le dégel du point
d’indice nous coûte 1,2 million.
Nous ne pouvions faire autre­
ment sans déstabiliser tout le
tissu associatif culturel et nos
grands équipements. L’ONR est
une structure très solide, c’est un
effort qui nous a semblé réaliste »,
explique Anne­Catherine Goetz,
adjointe à la culture de la ville
de Mulhouse.
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
étudiants d’être au cœur de Paris,
connectés à l’écosystème. Des col­
laborations se mettent d’ailleurs
en place avec Orsay, le Louvre,
le Centre Pompidou, qui vont ac­
cueillir nos étudiants.
Vous maintenez « Crush »,
cet accrochage à destination
des professionnels ?
On a rebattu son format, pour
une édition en mars. Trois
commissaires invités vont tra­
vailler avec les volontaires de 4e et
5e année, sans les sélectionner,
contrairement à l’édition de 2021.
L’esprit de compétition induit jus­
qu’ici gênait les étudiants. Ils sa­
vent que la compétition fera partie
de leur vie d’après, mais ils n’ont
pas envie de la subir dès l’école. Pas
question de les protéger, mais
de mieux les accompagner. C’est
aussi un moment important pour
que le milieu de l’art s’acclimate
aux questions nouvelles qui émer­
gent chez ces jeunes créateurs.
Quid de vos deux filières
professionnalisantes ?
L’une est consacrée à l’art en si­
tuation et aspire à donner aux ar­
tistes les outils pour dominer les
contraintes des commandes pu­
bliques et à réfléchir aux enjeux de
l’art dans l’espace public. L’autre,
consacrée aux métiers de l’exposi­
tion, répond au besoin d’informer
les étudiants sur ces professions,
plutôt que de les détourner de leur
désir d’être artiste. Ils sont en si­
tuation, rencontrent des socleurs,
des éclairagistes, se font commis­
saires. Mais le système de quatre
expositions par an s’essoufflait,
nous le recentrons donc sur
une édition au printemps. Trois
commissaires accompagnent les
étudiants sur un an. Le projet qui
se dessine, mettant en dialogue
des pièces produites par les élèves
et quelques œuvres parmi les
450 000 de notre collection,
répond à tout ce qui me préoc­
cupe : je ne crois plus vraiment au
format du musée, ni même de l’ex­
position, je pense que l’essentiel
est de réinjecter de la vie, du par­
tage, de l’expérimentation. p
propos recueillis par
emmanuelle lequeux
Journée portes ouvertes,
samedi 28 janvier.
Expositions : Gribouillage/
Scarabocchio. De Léonard
de Vinci à Cy Twombly,
du 8 février au 30 avril, et
Les professeurs gribouillent
aussi…, du 8 février au 21 avril.
L’ONR n’est, en effet, pas chargé
de l’exploitation ni de la mainte­
nance des bâtiments qu’il utilise.
Or, les frais de chauffage de
ceux­ci ont explosé.
La salle de La Filature, par
exemple, qui accueille à la fois
une scène nationale, l’Orchestre
symphonique de Mulhouse,
les représentations du Ballet et
de l’Opéra du Rhin, ainsi qu’une
médiathèque, a vu sa facture
de gaz multipliée par 2,5. Soit un
surcoût de 300 000 euros, que la
ville ne peut prendre en charge
en totalité. Pour y remédier,
le gestionnaire a décidé de fer­
mer totalement le bâtiment du
11 décembre au 31 janvier 2024,
et n’exclut pas de réitérer une
telle fermeture la saison sui­
vante. A charge, pour les acteurs
culturels, de trouver d’autres
lieux de représentation. p
nathalie stey
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023 culture | 25

Les Chiens de Navarre L’amour par­delà les

ponts et les conventions
mordent de plus en plus fort La compagnie parisienne La Cordonnerie
invente un spectacle d’une poésie folle
La compagnie, menée par Jean­Christophe Meurisse, présente
en tournée « La vie est une fête », sa nouvelle farce tragi­comique THÉÂTRE pearien à haute teneur poétique,
qu’il délivre à la radio.

THÉÂTRE nir un retour au calme. Ce prolo­

gue électrique fait tomber le ri­
La troupe t­il −, le personnel de l’hôpital noie
sa déprime dans une fête déjan­
I ls s’appellent Romy et Pierre,
vivent de chaque côté d’un
pont que personne ne tra­
verse jamais, en vertu d’une in­
Métilde Weyergans et Samuel
Hercule, de La Cordonnerie, sont à
la fois metteurs en scène, cinéas­
tes, auteurs, comédiens et brico­

L
es Chiens de Navarre mor­
dent encore. Et mordent
fort. Après s’être attaquée
à l’identité nationale (Jus­
que dans vos bras, 2017), puis aux
névroses familiales (Tout le monde
ne peut pas être orphelin, 2019), la
compagnie s’empare du thème de
la folie. Folie d’une époque dite
« moderne », où la perte de sens
mènerait à l’aliénation et pourrait
nous conduire – parce que nos dé­
pressions ne sont pas seulement
dues à notre vie intime mais aussi
à l’état du monde – à tous devenir
fous. La vie est une fête, antiphrase
amère choisie comme titre de leur
nouvelle création, présentée en
tournée, ne déroge pas au style
trash et à l’humour sauvage qui a
fait les beaux jours de cette meute
théâtrale, emmenée depuis 2005
par le metteur en scène Jean­
Christophe Meurisse.
Dès son arrivée, le public est
plongé dans une redoutable
séance de l’Assemblée nationale
consacrée à la « facilitation du
port d’armes ». Dans les travées de
la salle, les acteurs­députés de
tous bords politiques s’invecti­
vent pendant que, sur scène, mi­
nistres et parlementaires tentent
de défendre leur point de vue.
Quant au président de l’Assem­
blée, il s’acharne, en vain, à obte­
deau rouge pour nous plonger
dans un hôpital psychiatrique au
bord de la déliquescence, où un
député d’extrême droite est dé­
barqué. Pendant que nos repré­
sentants se complaisent dans les
passes d’armes, le service public
hospitalier, lui, part à vau­l’eau. A
une patiente qui consulte après
une tentative de suicide, le méde­
cin répond : « Franchement, par­
fois je vous envie. »
Hilarité et irrévérence
S’ensuit une succession de saynè­
tes, toutes plus déjantées les unes
que les autres, illustrant une so­
ciété qui aurait atteint un point
de non­retour. De la quadragé­
naire déprimée parce qu’en mal
d’amour, qui se voit conseiller par
une chirurgienne esthétique de
se faire refaire tout le corps, au
quinquagénaire mis à la porte de
son entreprise par deux jeunes
manageurs tout sourire de la
« start­up nation » (« c’est fini les
boomeurs »), en passant par un
ministre de la santé venu visiter
l’hôpital et entendre les doléan­
ces du personnel tout en restant
impassible face à un patient schi­
zophrène qui l’enduit de morve et
d’excréments, La vie est une fête
transgresse et dérange. A l’hi­
larité, souvent au rendez­vous,
n’a que faire
de la bienséance
et excelle
dans les
moments qui
partent en vrille
peut parfois succéder le malaise.
Mais cette irrévérence, chère aux
Chiens de Navarre, se veut à
l’image d’une société brutale et à
cran. Alors on rit de la tragédie
pour ne pas sombrer.
Comme toutes les créations de
cette compagnie, la conception
de cette nouvelle farce tragi­comi­
que s’est faite en plateau, par des
improvisations. Jean­Christophe
Meurisse propose un thème et
deux ou trois pages avec des situa­
tions puis le travail collectif dé­
bute. La troupe s’est largement re­
nouvelée, mais perpétue avec ta­
lent un engagement sans faille à
tous les délires scéniques. Et ils
sont légion. Les Chiens de Navarre
n’ont que faire de la bienséance et
excellent dans les moments qui
partent en vrille. Le cadre viré a re­
vêtu les habits du Joker de Joaquin
Phoenix parce qu’il ne supporte
plus qu’on se moque de lui – « vous
comprenez ça, docteur ? », insiste­
tée, et CRS et « gilets jaunes » bai­
gnent dans l’hémoglobine.
« Est­ce que la France peut avoir
un peu de calme ? Est­ce que le
peuple et l’Etat peuvent se faire un
petit bisou ? », supplie une méde­
cin. Comme à la fin de leur précé­
dent spectacle (Tout le monde ne
peut pas être orphelin), la mélan­
colie affleure, et avec elle l’huma­
nité. Deux patients dépressifs, as­
sis au pied d’une machine à café
qui ne délivre plus depuis long­
temps de boissons chaudes, par­
tagent leurs angoisses. « Elle est
cassée la machine, comme nous »,
glisse la femme à l’oreille de
l’homme. Mais ils tentent de se
réconforter. Le besoin d’espoir et
d’amour est irrépressible. Tout
n’est pas perdu. p
sandrine blanchard
La vie est une fête, par Les Chiens
de Navarre, mise en scène
Jean­Christophe Meurisse.
Avec Delphine Baril, Lula Hugot,
Charlotte Laemmel, Anthony
Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros
Serodios, Fred Tousch et Bernie.
Jusqu’au 28 janvier à la Maison des
arts de Créteil, puis en tournée de
février à mai au Havre, Calais,
Maubeuge, Annecy, Roubaix.
Et à Paris du 10 mai au 3 juin,
au Théâtre des Bouffes du Nord.
terdiction ou d’une impossibilité
mystérieuses. Ne pas finir comme
Roméo et Juliette, que l’on peut
voir au Monfort Théâtre, à Paris,
puis en tournée, raconte leur
histoire. Et c’est une petite mer­
veille de spectacle, qui confirme
le talent de la compagnie La
Cordonnerie pour inventer un
théâtre­cinéma tout public de
haut vol, et d’une poésie folle.
L’histoire s’inspire lointaine­
ment de la pièce de Shakespeare,
même si le grand Will traverse
tout le spectacle comme une fi­
gure tutélaire et bienveillante.
Romy vit du côté où les êtres sont
devenus des invisibles, dont
l’existence­inexistence s’incarne
dans des corps de pantins aux
visages lisses et aux yeux doux.
Romy perd son père. Et, comme
il avait rêvé de voir un jour la mer,
elle transgresse l’interdit : elle tra­
verse le pont pour aller disperser
ses cendres dans l’océan. Invisible
aux yeux des humains qui vivent
de ce côté­ci du monde, elle n’en
rencontre pas moins Pierre, et
tous deux tombent amoureux,
pris par l’amour vrai, celui qui va
au­delà du visible.
Pierre est un vieux garçon
doux et solitaire. Il vit avec son
chat, Othello, et son grand œu­
vre, c’est un horoscope shakes­
leurs. Ils racontent l’histoire à leur
manière, qui dissocie les plans de
narration entre le jeu sur le pla­
teau, les images projetées sur
l’écran, la musique, interprétée
en direct, le bruitage, l’animation
d’objets divers et la conception de
créatures d’ordre marionnettique.
Ce dispositif, superbement
maîtrisé tout en gardant un côté
artisanal, envoûte et réjouit,
ouvrant grand les portes de l’ima­
ginaire. A chacun de laisser jouer
les belles métaphores que file
le spectacle, sur toutes les fron­
tières que l’homme peut se créer
dans son besoin de vouloir domi­
ner un « autre » créé de toutes
pièces. A chacun de méditer les
résistances à inventer, l’amour
impossible qui peut toujours de­
venir possible, quand deux êtres
se trouvent par­delà les assigna­
tions édictées par leur société.
Quitte à choisir de devenir invi­
sible, pour échapper à l’ordre
en place, surtout quand il ne dit
pas son nom. p
fabienne darge
Ne pas finir comme Roméo
et Juliette, par Métilde Weyergans
et Samuel Hercule. Théâtre
de la Ville au Monfort Théâtre,
Paris 15e. Jusqu’au 28 janvier,
puis tournée jusqu’en mai.

Johanny Bert et ses marionnettes

font valser les identités sexuelles
« La (Nouvelle) Ronde », librement adaptée d’Arthur Schnitzler
par Yann Verburgh, explore les dessous des relations charnelles

SPECTACLE La performance filles et trois garçons) tout de noir

vêtus, travaillant toujours en duo.

L e marionnettiste et met­
teur en scène Johanny Bert
ne cesse de surprendre par
sa capacité à se renouveler de
création en création, en inventant
toujours des formes d’expression
diverses. Il aime varier les plaisirs
et évolue aisément d’un registre à
l’autre, du solo de marionnette en
mode cabaret déjanté avec Hen
(2019) à l’œuvre hybride entre
l’installation et le spectacle vivant
avec Làoùtesyeuxseposent (2021),
en passant par des projets plus
classiques, comme Le Processus
(2022), d’après un texte de Cathe­
rine Verlaguet.
Pour son dernier opus en date,
La (Nouvelle) Ronde, créé au Théâ­
tre de la Croix­Rousse, à Lyon, en
octobre 2022, il s’est lancé un nou­
veau défi : l’adaptation scénique
d’un classique du théâtre, La
Ronde, d’Arthur Schnitzler (1862­
1931), écrit en 1897, publié en 1903,
mais censuré dès 1904, et ce jus­
qu’en 1920, date de sa création à
Berlin. En collaboration avec l’écri­
vain Yann Verburgh, il en propose
une (re)lecture résolument mo­
derne, en tenant compte de l’évo­
lution de la société et des prati­
ques amoureuses. Leur travail de
réécriture se fonde notamment
sur une série de rencontres avec
des personnes ayant accepté de té­
moigner sur leurs relations inti­
mes (hétérosexuelles, bisexuelles,
asexuelles, polyamoureuses, etc.).
Ces témoignages constituent
un point de départ concret, ancré
dans la vie quotidienne, permet­
tant de nourrir la fiction du récit.
Reprenant la structure drama­
turgique initiale de la pièce d’Ar­
thur Schnitzler, à savoir une suc­
cession de dix courtes scènes
avec toujours deux protagonistes
réalisée
par les
six acteurs-
manipulateurs
est à saluer
vivant une relation sexuelle, La
(Nouvelle) Ronde renouvelle tota­
lement la distribution des rôles :
les personnages blancs et hétéro­
sexuels de Schnitzler (cinq hom­
mes et cinq femmes stéréotypés,
réduits à un statut social, comme
la prostituée, le soldat, le comte,
la femme de chambre, le
poète, etc.) sont remplacés par
des personnages censés refléter
la diversité socioculturelle et eth­
nique de notre société. L’intro­
duction notamment de plusieurs
personnages transgenres invite
les spectateurs à s’interroger sur
les schémas de pensée classiques
et sur la perception genrée des
rapports intimes.
Onirisme à la Fellini
Un dispositif scénique original et
innovant permet de faire défiler
sous les yeux du public, sur une
sorte de tapis roulant, les élé­
ments de décor des différents ta­
bleaux qui composent le specta­
cle. Cela donne un sentiment de
flux permanent, de défilement
d’images en continu, comme
dans un travelling cinémato­
graphique. Au cœur de ce disposi­
tif, dix marionnettes de taille
moyenne (1 mètre environ), aux
visages expressifs et aux corps
fortement sexués, sont habile­
ment animées dans l’ombre par
six acteurs­manipulateurs (trois
La performance réalisée par
cette toute jeune troupe est à sa­
luer, car ils­elles doivent à la fois
manipuler les marionnettes (un
exercice auquel tous n’étaient pas
habitués) et interpréter leurs tex­
tes pour donner vie aux diffé­
rents personnages et les rendre
crédibles. A souligner aussi la
prestation musicale de Fanny Las­
fargues, qui orchestre en direct
les différents tableaux.
Très réussi sur le plan formel,
avec la beauté plastique de ce dis­
positif scénique et l’accent mis sur
la dimension onirique des fantas­
mes sexuels des personnages, le
spectacle crée cependant, parfois,
une sensation de malaise en pla­
çant le public dans une position de
voyeur de scènes érotiques. Mais
ce sentiment est contrebalancé
par une bonne dose d’humour, de
second degré et d’autodérision.
Certaines séquences, à l’instar
de l’exploration rocambolesque
d’une boîte de nuit échangiste par
un couple hétérosexuel, placées
sous le signe d’un onirisme à la
Fellini, viennent finalement rap­
peler le message principal de cette
création : la recherche de l’amour
reste au cœur de nos pratiques
sexuelles, quelles que soient les
formes qu’elles peuvent prendre
dans la société d’aujourd’hui. p
cristina marino
La (Nouvelle) Ronde. Conception
et mise en scène : Johanny Bert.
Avec Yasmine Berthoin, Yohann­
Hicham Boutahar, George Cizeron,
Rose Chaussavoine, Enzo Dorr,
Elise Martin. Création musicale :
Fanny Lasfargues. Au Théâtre
de la Ville­Les Abbesses, 31, rue
des Abbesses, Paris 18e. Jusqu’au
28 janvier. Puis en tournée.
26 | télévision
Une nuit de plaisir en compagnie de Colette
France Culture consacre sept heures d’hommage à la prolifique romancière, à l’occasion des 150 ans de sa naissance
FRANCE CULTURE
SAMEDI 28 - 00 H 00
PODCAST
I
l y a cent cinquante ans, le
28 janvier 1873, naissait Sido­
nie­Gabrielle Colette, morte
en 1954. France Culture lui
rend hommage en dix épisodes
à travers une série d’archives
concoctée par Albane Penaranda.
« Sept heures, c’est trop court pour
rendre hommage à Colette », dé­
plore la productrice.
Pour ouvrir la fête, on retracera
d’abord la vie de l’écrivaine grâce
à l’émission « Relecture », d’Hu­
bert Juin, diffusée en 1978. On
s’intéressera ensuite à ce qui a été
une constante dans sa vie et dans
son œuvre, le mouvement, à tra­
vers la visite du quartier du Palais­
Royal, à Paris, où elle vécut de 1926
à 1930, et la lecture de Trois… Six…
Neuf… (1944), recueil de ses multi­
ples déménagements.
Pionnière de l’autofiction
Suivront trois des six précieux
entretiens fleuves réalisés au soir
de sa vie et diffusés en 1950, avec le
critique d’art André Parinaud. On
ne boudera pas notre plaisir
à écouter l’une des pionnières de
l’autofiction, avec ses jolis « r » rou­
lés, repousser, en paraphrasant
son œuvre, les assauts insistants
de l’intervieweur à lui faire admet­
tre que tout dans la série des
Bienvenue à Caral, au cœur du berceau de la civilisation andine
Un documentaire plutôt conventionnel tente d’élucider la mystérieuse disparition des Caralinos, étonnants d’inventivité et de modernité
ARTE
SAMEDI 28 - 23 H 30
DOCUMENTAIRE
D ans le désert péruvien,
sous un soleil de plomb,
des terrasses rocheuses,
à 200 kilomètres au nord de
Lima. Ici vivait le peuple des
Caralinos, il y a plus de 5 000 ans.
Bienvenue à Caral, première cité
des Amériques. Ce documentaire
propose une immersion au sein
du site archéologique de cette
ville disparue après mille ans
d’un brillant essor. Les découver­
GRILLE N° 23 - 024
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I poulet faisandé. Possessif. Parfum de
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X sonnel. En avant. 5. Eliminé. Struc-
SOLUTION DE LA GRILLE N°23 - 023
HORIZONTALEMENT I. Vernaculaire. II. Avoine. As. Ic. III. Nets. Rc. Capo.
IV. Tri. Snoberas. V. Agencement. VI. Rl. Thèbes. Sa. VII. Dam. Erebus.
VIII. Idiome. Aurès. IX. Sellant. Rude. X. Esses. Bisses.
VERTICALEMENT 1. Vantardise. 2. Everglades. 3. Rôtie. Mils. 4. Nis. Nt. Olé.
5. An. Schémas. 6. Cernée. En. 7. Combe. TB. 8. La. Béera. 9. Ascenseurs.
10. Art. Brus. 11. Ripa. Suède. 12. Ecossasses.
Colette, chez elle, à Paris, le 16 octobre 1952. AFP
Claudine est « vrai », « autobiogra­ La musique « était [s]a véritable
phique » ou « important ». « Où la vocation », affirme celle qui fut
chèvre est attachée, il faut qu’elle artiste de music­hall, dont les
broute », dit­elle de sa relation avec pantomimes dénudées – et le bai­
le premier de ses trois maris, l’infi­ ser lesbien donné à son amante
dèle Henry Gauthier­Villars (1859­ Mathilde de Morny (1863­1944) –
1931), alias Willy, épousé à l’âge ont fait scandale au début du
de 20 ans. Elle accède aux salons XXe siècle. « Heureusement, j’y ai
littéraires et musicaux par son en­ renoncé. » Elle ne renoncera pas,
tremise et écrit d’abord pour lui, en revanche, à sa modernité :
comme prête­plume. elle aime femmes comme hom­
tes scientifiques dressent le por­ et entourant des géoglyphes, tra­
trait d’une civilisation innovante, cés sur le sol comme supplications
pacifique et plutôt égalitaire, divines, durant les longues pério­
dont l’influence s’est diffusée des de sécheresse et de famine.
des millénaires durant dans le
monde andin. On découvre ses
particularités auprès de l’archéo­
logue Julio Bendezu­Sarmiento,
du Musée de l’homme, à Paris.
Ecoresponsabilité avant-gardiste
Ecolos avant l’heure, entretenant
une forme de rapport cultuel avec
leur environnement, ils profi­
Très pieux, les Caralinos mirent taient de la nature avec respect,
au point des techniques architec­ réutilisant les matières premières,
turales parasismiques, afin de pré­ exploitant l’énergie du vent, du
server leurs six temples pyrami­ soleil et de l’eau. Une forme d’éco­
daux. L’archéologue parcourt responsabilité avant­gardiste.
également les chemins proces­ Les habitants de Caral (3 000 à
sionnaires pensés par ce peuple son apogée) finirent pourtant
HORIZONTALEMENT
I. A tout pour plaire, surtout avant de
passer à table. II. Au fond de soi, mais
toujours à l’intérieur. Poussera au
grattage. III. Traînera sans but. Donna
son accord. IV. Capitale des Gaules. Au
7 8 9 10 11 12
théâtre dans les décors. V. Chassait le
violette chez l’iris. VI. Le chlore. Pré-
paré comme de l’orge. Chez Joe.
VII. Accepte d’un coup. Charger de
senteurs marines. VIII. Met le feu aux
organes. Bulles du Piémont. Grand
chef Sudiste. IX. Dans les pouilles en
Italie. L’Africain était géographe.
X. Ludwig n’a pas pu aller plus loin.
VERTICALEMENT
1. Entraîne dans les profondeurs du
chagrin et de la tristesse. 2. Très à
l’aise dans ses déplacements aux
quatre coins du monde. 3. Multi-
coques indonésiens. Etat d’Amérique
latine en VO. 4. Chez la bonne. Per-
ture d’entreprise. Fut capitale pour les
Arméniens. 6. Souvent à côté de ses
pompes. 7. Tête d’affiche. Protecteur
du clan. 8. Ouvre des possibilités. Pas
froid, mais moins brûlant. 9. Enregis-
trer chez le maître. Dans le calme.
10. Cap espagnol apprécié des tou-
ristes Bien finie en bordure. 11. Le
théâtre de Gémier. Points opposés.
Après l’armée, il s’est mis à lire.
12. Rangeaient par niveau en bon
ordre.
mes, porte pantalons et cheveux
courts et fait courir la plume pour
signer des œuvres lumineuses
de sensualité, telles que Chéri
(1920), La Naissance du jour (1928)
ou La Chatte (1933) – dont l’adapta­
tion radiophonique de 1959 avec
Annie Girardot et Jean­Louis Trin­
tignant sera diffusée à 04 h 45.
« Je m’étonnais encore que l’on
m’appelât écrivain, qu’un éditeur et
par déserter leur cité, laissant
derrière eux le site historique
que l’on connaît aujourd’hui, ins­
crit depuis 2009 au Patrimoine
mondial de l’Unesco. Les res­
sorts de sa disparition demeu­
rent indéterminés et le mystère
plane, même si la piste climati­
que est privilégiée. La région
est touchée par la survenue ré­
gulière du phénomène El Niño :
« Le réchauffement de l’océan
qu’il génère cause la mort des
poissons et entraîne des tempê­
tes. Une catastrophe pour les Ca­
ralinos », dit la voix off.
SUDOKU
N°23­024
5 9
7 2
3 4
6 1
9 7 3 8
5 4
8 1 3 9 7 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Chaque jeudi,
le meilleur
de la presse
étrangère
CHEZ VOTRE MARCHAND
DE JOURNAUX
un public me traitassent en écri­
vain, et j’attribuais ces coïnciden­
ces renouvelées à un hasard com­
plaisant », écrit celle qui deviendra
la deuxième femme – après Judith
Gautier en 1910 – à entrer à l’aca­
démie Goncourt (1945) et la pre­
mière à recevoir des funérailles
nationales. L’invitation à lire et
à relire cette œuvre à la volupté
revigorante se terminera avec
une lecture à plusieurs voix de
son roman Le Blé en herbe (1923).
Le plaisir de passer un moment
en compagnie de Colette sera pro­
longé dans les prochaines « Nuits
de France Culture » : du 29 janvier
au 12 février, elles s’ouvriront par
une série de lectures de la corres­
pondance de la romancière avec
sa très chère amie l’actrice Mar­
guerite Moreno (1871­1948). Une
pépite redécouverte par Albane
Penaranda et restaurée, puis
numérisée par les équipes de
l’Institut national de l’audiovi­
suel. On pourra y entendre le quo­
tidien de l’autrice, notamment
pendant l’Occupation, à Paris,
avec les témoignages notables
de son dernier mari, Maurice
Goudeket (1889­1977), et de sa
fille, Colette (1913­1981). p
mouna el mokhtari
Colette, une femme libre,
d’Albane Penaranda (Fr., 2023, 7 h).
A la demande sur France Culture
et l’application Radio France.
Ce documentaire de facture con­
ventionnelle, déroulant une thé­
matique classique sur le thème de
la disparition, qui pourrait être
transposée à d’autres cultures ou
périodes de la Haute Antiquité,
met en images des paysages sai­
sissants. Surtout, il invite à la ré­
flexion sur les grands enjeux
mondiaux de notre époque.
Le réalisateur Michael Gregor
dévoile une civilisation andine
ayant prospéré sans recours à la
guerre et à l’oppression. Une non­
violence à laquelle se mêle une
forme d’horizontalité sociale, au
9 3
8 4
7 6
8 2 6 2
1 8
3 3 5 7
4 1
5 7
9 3
Très difficile
7 3 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
4 6 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 La reproduction de tout article est interdite
seule fois par ligne,
colonne et par
carré de neuf cases.
DOSSIER
VERS UN MONDE
UKRAINE — CES COMBATTANTS
VENUS SE VENGER DE MOSCOU
SANS ALCOOL ÉCONOMIE — LE PARI CHATGPT
RETRAITES
LE BRAS
DE FER
Pour la presse étrangère,
les manifestations
ne font que commencer.
Car c’est leur modèle
social que les Français
défendent.
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
NOTRE
SÉLECTION
SAMEDI 28 J ANVIE R
Arte
Enfants du Soleil
20.50 Ce docu-fiction en trois parties
se révèle intéressant pour raconter,
avec pédagogie et sans simplisme,
l’essor et la chute des civilisations
précolombiennes d’Amérique du Sud.
Idéal pour une soirée en famille.
LCP
Bébés secoués,
la violence inavouable
21.00 Le syndrome du bébé secoué
tue plusieurs centaines de
nourrissons par an en France.
Ce documentaire inédit lève le voile
sur les ressorts de ce type
de maltraitance et insiste sur
la nécessité de sa prévention.
Canal+ Séries
La Nuit où Laurier Gaudreault
s’est réveillé
21.00 Dans sa première série,
le Canadien Xavier Dolan peint
le portrait fragmentaire et
bouleversant d’une famille déchirée
par le mensonge et les addictions.
France 3
Raymonda
0.20 Les noctambules apprécieront
la belle captation réalisée en 2008
au Palais Garnier de ce ballet
chorégraphié par Marius Petipa
et dépoussiéré par Noureev.
Avec les étoiles Marie-Agnès Gillot
et José Martinez dans les rôles-titres.
sein de cette société où « les récol­
tes étaient réparties entre tout
le monde », et « les deux sexes trai­
tés sur un pied d’égalité ». Comme
en témoignent les symboles
de pouvoir retrouvés sur les sta­
tuettes féminines, les femmes de
Caral étaient puissantes, voire,
pour certaines, craintes. p
margaux couillard
Caral, la plus vieille cité
d’Amérique, documentaire
de Michael Gregor
(All., 2020, 51 min).
Sur Arte.tv jusqu’au 27 mai.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
5 1 4 6 7 8 2
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
2 3 7 5 6 9 1
1 9 8 2 5 3 4 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
4 5 3 7 9 1 8 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
9 6 2 4 3 7 5
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0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Georges Banu
Critique de théâtre
M
émoire vive des
scènes théâtrales
du monde entier,
essayiste et péda­
gogue d’une lumineuse érudition
et d’une générosité inouïe, Geor­
ges Banu est mort, à Paris, dans
la nuit du 20 au 21 janvier, à l’âge
de 79 ans. Le metteur en scène al­
lemand Thomas Ostermeier, qui
écrivit pour lui Le Théâtre et la
peur (Actes Sud, 2016) – il parle de
leur « livre commun » – salue celui
qui « a accompagné le travail
des artistes avec critique et amour,
devenant ainsi une archive vivante
du théâtre européen ». Hommage
amplement justifié.
Né le 22 juin 1943 en Roumanie,
ce fils de médecin choisit la voie
des spectacles où l’illusion de la
liberté perdure. Celui qui se rêve
comédien dévore la vie en poète
et en curieux. Il voit soudain dans
la magie du théâtre la parade à la
chape de plomb qui s’abat sur une
Roumanie déjà asphyxiée par
la censure de Nicolae Ceausescu,
quand le « Conducator » se met à
l’école nord­coréenne.
La révélation salutaire vient
d’un Songe d’une nuit d’été, de
William Shakespeare, monté par
Peter Brook à l’Opéra de Bucarest,
d’une liberté et d’un magnétisme
insolents. L’acteur qui incarne
Puck, le génie facétieux, se mêle à
l’assistance clairsemée et saisit
alors la main de Georges Banu.
Comme une invitation à l’évasion
par­delà le rideau de fer. « Je me
suis dit qu’il était temps de m’af­
franchir de la peur de partir. »
Un an plus tard, Banu débarque
à Paris, le 1er janvier 1973, inaugu­
rant un exil dont il fera, mieux
qu’un empire, un espace d’ex­
ploration sans limites. Ce grand
large, il y naviguera un demi­siè­
cle, guidé par les éblouissements
et les amitiés. Témoin scrupu­
leux de la révolution du théâtre
d’art, il se fait le compagnon
d’une communauté d’artistes
qu’il va soutenir et promouvoir.
Jean­Claude Lemagny
Historien de la photographie
C
ombien de photogra­
phes Jean­Claude Lema­
gny a­t­il reçus dans
son bureau exigu et si­
nistre de la Bibliothèque natio­
nale, rue de Richelieu, à Paris ?
« Quinze par semaine, parfois sept
par jour », nous avait­il répondu
du tac au tac, en 1992. Tel un moi­
ne­soldat, ce conservateur n’a pas
dérogé à sa mission, de 1968 à son
retrait en 1996. Depuis sa mort, le
19 janvier, à l’âge de 91 ans, les té­
moignages de photographes du
monde entier, oscillant entre
émotion et nostalgie, saluent
« Monsieur Lemagny », rappelant
qu’il fut de toutes les batailles de
la photographie à partir des an­
nées 1970, pour faire d’un pro­
cédé méprisé un art à part en­
tière.
Jean­Claude Lemagny définis­
sait ainsi sa fonction à la Biblio­
thèque nationale : « Responsable
des collections de photographies
contemporaines par auteurs. » Sa­
luons la précision des mots. Il
s’occupait des vivants dans un lieu
qui conserve les morts. L’auteur
– pas artiste, pas artisan – renvoie
au statut de l’écrivain, mais signi­
fie aussi qu’il est plus important
que le sujet de sa photo.
Des vivants, Lemagny en ren­
contrait aussi à Arles, en juillet,
dans le cadre des Rencontres de la
Il adopte la vigilante réserve
d’Horatio, le compagnon de
Hamlet, dont il fera son masque,
s’attribuant ce rôle pour parler
des êtres qui l’ont transporté
dans de stupéfiantes contrées
dont il se fait le guide. Un rôle de
passeur essentiel pour celui qui
aime citer son ami Antoine
Vitez : « Le théâtre, c’est mettre le
pas dans le pas des autres. »
C’est ce que fera Georges Banu
sans relâche. Pèlerin infatigable
en quête du singulier, rejetant
toute assignation, tout dogma­
tisme, une posture héritée peut­
être du rejet des carcans qui
avaient emprisonné sa jeunesse,
il se veut témoin et passeur. En
tant que professeur, à l’uni­
versité Paris­III­Sorbonne­Nou­
velle, où il enseigne les études
théâtrales. Tout comme celle qui
devient alors son épouse, Moni­
que Banu­Borie. En sa compa­
gnie, il suit, avec une assiduité
gourmande, les festivals et créa­
tions internationales.
Réinterroger le sens de la vie
Comme critique aussi, puisque
Georges Banu, qui assure des
cours au Centre d’études théâtra­
les de Louvain­la­Neuve (Belgi­
que), collabore activement à la re­
vue belge Alternatives théâtrales,
créée en 1979, qu’il codirige de
1998 à 2015. Il y assure la direc­
tion de numéros spéciaux sur
« les répétitions », « débuter » ou
« les penseurs de l’enseignement »,
comme celle du volume collectif
Les Voyages ou l’Ailleurs (2013) qui
lui est judicieusement dédié.
Comme éditeur puisque, après
s’être vu confier par Vitez, en
poste à Chaillot, le journal de la
maison, ce qui aboutit à la créa­
tion de l’ambitieuse revue L’Art du
théâtre (1985), il fonde en 1987,
chez Actes Sud, à la demande
d’Hubert Nyssen, la collection
« Le temps du théâtre », dont il as­
sure la direction avec le concours
de Claire David. Dans cette opti­
photographie, un festival dont il
fut un compagnon de route dès sa
création en 1970. Dans un salon
de l’hôtel L’Arlatan, des photogra­
phes l’attendaient à la queue leu
leu, débutants comme confirmés,
accourant en masse du monde
entier, à pied, en avion, en voiture
ou à vélo : « C’est tout juste si je ne
les retrouvais pas dans mon lit. »
Jean­Claude Lemagny dégustait
leur portfolio à table, passant
d’une image à l’autre en gants
blancs, et livrait son verdict, d’une
voix érudite, digressive, tenue à
distance de la complicité facile.
On ne tapait pas sur l’épaule de cet
homme imposant, au cheveu dru
et à la barbichette bien taillée, que
les plus timides se contentaient
d’écouter. Lemagny était à lui seul
une exposition d’Arles, livrant
une performance démocratique,
gratuite et incertaine, généreuse
surtout, comme on n’en voit plus.
Une centaine d’expositions
Né le 24 décembre 1931 à Ver­
sailles, Jean­Claude Lemagny est
un agrégé d’histoire qui entre
en 1963 à la Bibliothèque natio­
nale comme conservateur de la
gravure du XVIIIe siècle. Il s’em­
pare de la photographie en 1968, à
une époque où cet art fragile
navigue en France entre igno­
rance et mépris. Dès l’année sui­
disparitions | 27
que, il accueille ainsi, sollicite sou­
vent, des essais consacrés aux
metteurs en scène qui définissent
son panthéon, figures embléma­
tiques de la mise en scène mo­
derne : Peter Brook bien sûr,
comme Antoine Vitez, mais aussi
Klaus Michael Grüber, Giorgio
Strehler, Ariane Mnouchkine, Luc
Bondy et Patrice Chéreau.
Comme essayiste enfin puis­
que, s’il a lui­même écrit sur
Brecht (Aubier, 1981), Brook
(Flammarion, 1991) et Yannis
Kokkos (Actes Sud, 2004), Banu
ne cessa de célébrer le choc qu’il
ressentit en découvrant La Classe
morte, de Tadeusz Kantor, au Fes­
tival de Nancy (1975) comme son
enthousiasme pour le Théâtre
Laboratoire du théoricien et pé­
dagogue polonais Jerzy Gro­
towski et sa figure centrale, Rys­
zard Cieslak.
Mais Banu sait aussi veiller à
ceux qui arrivent : naguère
Krzysztof Warlikowski, aujour­
d’hui Wajdi Mouawad. Car le
geste de mise en scène et son in­
terrogation du contemporain
priment sans conteste pour
Banu ; même si Tchekhov comme
Shakespeare font figures d’excep­
tion, bénéficiant d’études mono­ Chez lui, à Paris, en août 2013. LEA CRESPI/PASCO
graphiques puisque ces conti­
nents commandent le palimp­
seste par les vibrations toujours de la star comme du révolté, l’es­ vie accidentée (Les Objets blessés, 22 JUIN 1943 Naissance
actuelles qu’ils proposent. sayiste célèbre l’insoumis, à la Cohen & Cohen, 2022). à Bucarest
Parmi ses nombreux essais, on flamme contagieuse, « l’acteur Or, sans accidents, pas d’occa­ 1973 Arrivée en France
distinguera deux trilogies. Celle plus qu’acteur » au cœur de ses sion de réinterroger le sens de la 1986 « L’Acteur qui ne
parue chez Adam Biro, Le Rideau Voyages du comédien (Gallimard, vie. Et c’est encore vers Peter revient pas. Journées de
ou la fêlure du monde (1997), 2012), qui affirme la règle pour Brook que Banu se tourne pour théâtre au Japon » (Aubier)
L’Homme de dos (2000) et Noctur­ la mettre en tension, la déborder, avoir non la réponse mais le bon 1998-2015 Codirecteur
nes. Peindre la nuit, jouer dans le la fragiliser avant qu’advienne questionnement. Le maître n’a­ de la revue « Alternatives
noir (2005), qui interroge les arti­ la révélation. t­il pas confié aux Bouffes du théâtrales »
fices et les jeux de la scène tout en Mais l’homme finit par expo­ Nord, en février 2020 : « Apprenez 2012 « Les Voyages
célébrant la peinture, passion in­ ser ses failles. Dans son dernier à poser des questions, mais sans du comédien » (Gallimard)
time qu’annonçait Le Rouge et or ouvrage, Horatio se livre de façon toujours chercher des réponses. 2021 « Les Récits d’Horatio »
(Flammarion, 1989) ; celle dont plus intime, présentant ces objets Gardez en vous­mêmes une ques­ (Actes Sud)
deux volets parurent aux Solitai­ usés, polis ou marqués par le pas­ tion, définitivement, une question 21 JANVIER 2023 Mort
res intempestifs (L’Oubli, 2005, Le sage du temps, indices de bles­ en attente de réponse ! » Et Banu de à Paris
Repos, 2009) et La Nuit nécessaire sures précieuses, statues brisées, commenter dans la revue Alterna­
(Adam Biro, 2004). tableaux endommagés, œuvres tives théâtrales son « indissoluble,
Dans la réflexion de Banu, l’ac­ calcinées, qu’il conserve dans son énigme irrésolue, inoubliable ! » p
teur n’est pas oublié. En marge appartement, vestiges de toute philippe­jean catinchi
vante, il persuade la photographe
américaine Diane Arbus de don­
ner un ensemble remarquable à la
Bibliothèque nationale. En 1971,
alors que les expos de photo sont
rarissimes en France, il ouvre une
galerie, rue de Richelieu, à Paris,
qu’il inaugure en faisant venir du
Musée d’art moderne de New
York une exposition mythique,
« New Documents », réunissant
Arbus, Winogrand, Friedlander,
trois photographes qui révolu­
tionnent le style documentaire.
Il organisera une bonne cen­
taine d’expositions dans cet es­ En 1997. MICHELE BRABO/LEEMAGE VIA AFP
pace d’un éclectisme rare, ce qui
traduit son sens du service public.
Car Lemagny était d’une éthique inégalé de 3 000 photos américai­ 24 DÉCEMBRE 1931 L’évolution de la photographie
aussi stricte que ses costumes. Il nes, des années 1950 à 1980, avec Naissance à Versailles contemporaine, toujours plus
avait un côté vieux jeu, qu’on Harry Callahan, Louis Faurer, 1963 Entre à la Biblio- directe, documentaire, sociale,
nommera intégrité, au point, par­ Garry Winogrand, Diane Arbus, thèque nationale brutale, colorée, ne lui donne pas
fois, d’acheter des photos pour la Lewis Baltz ou Lee Friedlander, comme conservateur raison. Mais le temps décidera de
Bibliothèque nationale en y mises en valeur dans une exposi­ de la gravure l’apport de ce fou d’images, à qui
mettant de sa poche. « Mon de­ tion et un livre pilotés en 2008 par du XVIIIe siècle on doit une Histoire de la photo­
voir est d’enrichir le plus possible Anne Biroleau. Les années pas­ 1968 Conservateur graphie (Bordas, 1986) avec André
les collections en dépensant le sant, Jean­Claude Lemagny privi­ des estampes et de Rouillé, L’Ombre et le Temps
moins possible l’argent des contri­ légie un credo esthétique plus for­ la photographie à la (Nathan, 1992) ou Le Marieur
buables », confie­t­il à Hervé Gui­ maliste, collant aux codes pictu­ Bibliothèque nationale d’images, autour de l’œuvre de
bert (Le Monde du 17 avril 1980). raux, aux jolis noir et blanc et à la 1986 Coécrit « Histoire Christian Milovanoff (Galerie
Lemagny fait entrer à la Bi­ matière, voire à l’abstraction. Il in­ de la photographie » Françoise Paviot, 2012). Une
bliothèque nationale plus de vente le concept de « photogra­ (Bordas) bourse, financée par le champa­
80 000 images contemporaines, phie créative » (titre d’un livre, 19 JANVIER 2023 Mort gne Roederer, va permettre à
du monde entier, ce qui est phé­ en 1984, chez Contrejour) qu’il dé­ à Paris l’historienne Marie Auger d’étu­
noménal, la grande majorité par veloppera dans un autre essai, dier les archives de Jean­Claude
dons. Ce corpus contient des mor­ La Matière, l’ombre, la fiction (BNF Lemagny. Un très beau sujet. p
ceaux de bravoure : un ensemble et Nathan, 1994). michel guerrin
 IDÉES
28 |
André Gunthert et Carole Talon-Hugon
« La valeur morale
d’une œuvre fait partie
de sa valeur artistique »
L’historien des cultures visuelles et la philosophe spécialiste
d’esthétique éclairent les vifs débats qui touchent le monde
de la BD et de l’art, avec la polémique au Festival d’Angoulême
sur le travail de Bastien Vivès, accusé de promouvoir
la pédopornographie dans ses ouvrages
ENTRETIEN
A
vec l’affaire Bastien Vivès, c’est au
tour de la bande dessinée d’être le
théâtre de revendications éthiques
et politiques – bien après le ci­
néma, le théâtre, ou l’art contem­
porain. L’annonce de la program­
mation d’une exposition consacrée à l’auteur
au Festival d’Angoulême a suscité de fortes
réactions et des pétitions, plusieurs person­
nalités et associations accusant Bastien Vivès
de promouvoir la pédopornographie et la pé­
docriminalité par ses œuvres et ses propos.
Cette polémique vient s’ajouter à une
longue liste de débats ayant agité les mi­
lieux artistiques français ces dernières an­
nées, après la consécration par les institu­
tions médiatiques et culturelles d’artistes
masculins controversés. Mais le cas Vivès,
dont l’exposition a finalement été dépro­
grammée et qui fait désormais l’objet d’une
enquête pour diffusion d’images pédopor­
nographiques, soulève à la fois des ques­
tions d’ordre général et d’autres spécifiques
au médium de la bande dessinée.
Ces enjeux sont dans tous les esprits à
Angoulême, alors que le festival a ouvert ses
portes jeudi 26 janvier. Pour éclairer les
différentes facettes de ce débat, André
Gunthert, historien des cultures visuelles et
auteur du blog de recherches intitulé
« L’image sociale », et Carole Talon­Hugon,
philosophe spécialiste d’esthétique et
autrice de L’Art sous contrôle. Nouvel agenda
sociétal et censures militantes (Presses uni­
versitaires de France, 2019), discutent des
nouvelles attentes de la société vis­à­vis de
l’art et des artistes.
Faisant suite à une vive polémique,
la direction du Festival international
de la bande dessinée a décidé d’annuler
sa carte blanche à Bastien Vivès. Cette
décision est­elle à vos yeux justifiée ?
Carole Talon­Hugon : Oui, à condition
toutefois que ce ne soit pas seulement pour
des « raisons de sécurité », comme il a été
dit, mais pour des raisons de fond : parce
que Bastien Vivès est l’auteur d’un certain
nombre de bandes dessinées dont le con­
tenu est moralement problématique et a
donné lieu à des accusations de pédoporno­
graphie. Si la carte blanche a été annulée
dans le seul but de ne pas créer de polémi­
que, il s’agit d’une forme regrettable de sou­
mission à l’intimidation.
André Gunthert : Je trouve aussi que la
réaction du festival a été décevante, parce
qu’elle a masqué son renoncement derrière
de supposées menaces, sans apporter
aucune réponse à la polémique. Celle­ci
porte sur l’image problématique d’un auteur
qui est célébré par une partie du monde
de la bande dessinée, mais dont l’œuvre et
les prises de position concernant l’inceste ou
le féminisme font l’objet d’un jugement
sévère par une autre partie de ce milieu.
Plus précisément, cela fait plusieurs an­
nées que les outrances de Bastien Vivès – et
je retiens tout particulièrement la publica­
tion en 2018 de l’album La Décharge mentale
(Requins Marteaux, 2018), réponse volontai­
rement grossière et provocante à la descrip­
tion pédagogique par la dessinatrice Emma
de la notion féministe de « charge men­
tale » – en ont fait une sorte de chiffon rouge
pour les nouvelles sensibilités. Comme l’a
montré la poursuite du débat par tribunes
et articles interposés, le festival n’en sera pas
quitte avec la simple annulation d’un projet
d’exposition, dans un contexte où ce qui se
joue, c’est l’image de la bande dessinée.
Voyez­vous dans cet épisode
le nouveau signe d’une censure
émanant de la société et motivée
par une forme de morale politique ?
C. T.­H. : Il est certain que cette scène
n’aurait probablement pas pu se passer il y a
trente ans : elle s’inscrit dans un grand mou­
vement de retour de la question morale
au sein de l’art. Un retour qui est assez
étonnant si on se souvient qu’il y a peu de
temps encore, dans le monde de l’art, l’invo­
cation de la liberté d’expression ou des
droits imprescriptibles de la création ne suf­
fisait peut­être pas à faire taire la critique
éthique, mais en tout cas la délégitimait.
Pensons à l’affaire de l’exposition « Pré­
sumés innocents », au Musée d’art contem­
porain de Bordeaux en 2000 [attaqués pour
atteinte à la dignité de l’enfant et
pornographie, ses organisateurs avaient été
soutenus par une majorité du monde de l’art
et bénéficié d’un non­lieu]. Or, aujourd’hui,
les appels à la censure se multiplient et sont
plus largement acceptés.
Le deuxième point, c’est que ces censures
ou appels à la censure revêtent de nouvel­
les formes : les censeurs ne sont plus des
institutions comme l’Etat ou l’Eglise, mais
des associations ou des groupes plus ou
moins durables, comme on le voit dans le
cas de l’affaire Bastien Vivès. Enfin, le mo­
dus operandi de la censure ou de la de­
mande de censure a changé : ses lieux ne
sont plus – ou plus d’abord – le tribunal,
mais les médias, les réseaux sociaux, les
manifestations…
A. G. : Et si on retournait plutôt la ques­
tion ? Dans quels espaces se déroulent les dé­
bats de société ? Essentiellement sur les ter­
rains médiatique, judiciaire et culturel. C’est
pourquoi je trouve étrange que chaque nou­
velle controverse se voie désormais opposer
l’argument de la censure. Evidemment, si on
dénonce comme censure n’importe quelle
forme de protestation, on fait d’une pierre
deux coups : on disqualifie la position de
l’adversaire – parce que la censure, c’est vio­
lent, et ça ne peut être que condamné – et
surtout on évite de répondre sur le fond.
Or, le débat d’idées, qui traverse régu­
lièrement le champ culturel, est un phéno­
mène normal et démocratique : c’est une
confrontation de visions. Par quel autre
moyen pourrait­on faire apparaître de nou­
velles opinions et les critiquer ? Pour moi,
cette polémique n’est pas l’expression
d’un moralisme mal placé, mais l’émer­
gence d’une question sociale : celle des vio­
lences sexuelles sur des mineurs. Il y a une
prise de conscience de l’importance d’une
thématique qui a longtemps été négligée,
voire traitée avec complaisance, en particu­
lier dans le milieu littéraire. Nous par­
ticipons aujourd’hui à une étape de cette
confrontation des idées, donc je ne vais
pas me dépêcher de clore ce débat en l’inti­
tulant « censure ».
Contrairement aux affaires Bertrand
Cantat, Roman Polanski, Claude Lévêque
ou encore Gabriel Matzneff, Bastien
Vivès n’a pas été pointé du doigt pour
des actes de violences sexuelles ou
sexistes, mais bien pour ses productions
et des propos tenus en interview ou sur
Internet. Est­ce le signe d’un nouveau
moment dans cette discussion ?
A. G. : Il faut bien voir que le débat qui nous
occupe ne porte pas sur l’art ou l’esthétique :
ce qui réunit des personnages aussi diffé­
rents que Polanski, Cantat, Matzneff ou Vivès,
ce sont des questions de visibilité sociale et
d’impunité. Dans le cas de Polanski, par
exemple, ce sont ses actes, et non ses œuvres,
qui lui sont reprochés. Et pourtant la der­
nière polémique à son sujet a été déclenchée
par l’attribution d’un César au film J’accuse
(2019) – alors que ce film ne présente aucun
élément compromettant ! Si on reste sur le
terrain de l’esthétique, on ne comprend pas
que celui­ci n’est qu’un espace où se joue une
question sociale, rendue exemplaire par sa
« JE TROUVE  visibilité culturelle. Ce qui choque dans le cas
ÉTRANGE QUE  de Polanski, ce sont autant les accusations de
viol que l’impunité dont il semble bénéficier
CHAQUE NOUVELLE  en dépit des plaintes. Dans ce contexte, lui
attribuer une récompense prestigieuse laisse
CONTROVERSE  à penser que l’on tient pour nulle et non
SE VOIE DÉSORMAIS  avenue la souffrance des victimes, ou bien
qu’on banalise la culture du viol.
OPPOSER  Dans le cas de Vivès, nous sommes dans
une position opposée puisque la condamna­
L’ARGUMENT  tion porte sur ses œuvres et ses propos, et
non pas sur des actes. Vous voyez cependant
DE LA CENSURE » que le débat et les arguments mobilisés sont
ANDRÉ GUNTHERT similaires : ici aussi, c’est une forme de con­
historien sécration qui est jugée déplacée et qui met le
feu aux poudres. Faut­il honorer Bastien Vi­
vès, alors qu’il a produit des œuvres ouverte­
ment pédopornographiques – ce qui est en
principe puni par la loi – et qu’il a confirmé
par ses propos sa fascination pour la pédo­
philie et l’inceste ? Voilà la question qui est
posée. Et, bien sûr, répondre par l’affirma­
tive revient à négliger la question des violen­
ces sexuelles sur mineurs, alors que nous sa­
vons aujourd’hui qu’il s’agit d’un fléau.
C. T.­H. : Dans la liste de noms que vous
avez donnée, je distinguerais trois types de
cas. Celui où l’accusation porte non sur
l’œuvre mais sur la conduite de son auteur,
indépendamment de la réalisation de son
œuvre ; c’est par exemple le cas de Claude Lé­
vêque [l’artiste plasticien est accusé de viols
sur mineurs], dont les œuvres sont en elles­
même moralement « neutres » : ni racistes, ni
sexistes, ni antisémites, etc. Le deuxième
type de cas est illustré par Gabriel Matzneff :
ici, l’immoralité est à la fois dans la conduite
de l’artiste et dans son œuvre, puisque cette
dernière est le récit de sa conduite, autre­
ment dit de turpitudes qui ont véritablement
lieu. Le troisième type de cas est différent des
deux premiers : c’est celui où l’œuvre seule
(ou une partie de l’œuvre) peut être incrimi­
née. Et c’est celui de Bastien Vivès.
Ce cas nous conduit à réfléchir sur le type
de reproches qui peuvent être portés à
l’égard des œuvres. Parmi les chefs d’accusa­
tion que j’ai recensés, certains sont tradi­
tionnels et se retrouvent dans l’affaire qui
nous occupe. Il y a notamment l’idée que
l’œuvre fait exister le mal en représentant
des contenus, des scènes qui peuvent être
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SAMEDI 28 JANVIER 2023
d’ordre sadique, raciste, ici pédopornogra­
phique, sans que rien dans l’œuvre incrimi­
née n’indique que la chose est désapprou­
vée. Ce dernier point doit être souligné : s’il
est possible de montrer le mal à des fins de
moralisation, il faut alors que cette dimen­
sion de désapprobation soit sensible – ce qui
n’est absolument pas le cas dans La Dé­
charge mentale, par exemple.
Evidemment, le chef d’accusation princi­
pal est celui de produire des effets corrup­
teurs. C’est exactement ce qui a été reproché
à Thérèse rêvant (1938), du peintre Balthus : à
savoir d’encourager la pédophilie. C’est ce
type d’argument qu’invoquait déjà Platon
dans La République pour justifier qu’on in­
terdise certaines œuvres : l’homme est un
être mimétique, et certaines représentations
favorisent le développement de parts som­
bres de l’humain – ce faisant, elles contri­
buent à des actes condamnables dans le réel.
La volonté de ne pas vouloir mettre en
avant des artistes qui représenteraient
un modèle néfaste est donc
très ancienne. Comment juge­t­on
de l’immoralité d’une œuvre ?
C. T.­H. : La qualification d’immoralité est
difficile, et la mesure des effets moralement
négatifs l’est tout autant – de même que
celle des effets moralement positifs. Le film
La Naissance d’une nation (1915), de David
Griffith, a très vraisemblablement engendré
une imagerie raciste et, au­delà, a contribué
à la réactivation du Ku Klux Klan ; inverse­
ment, La Case de l’oncle Tom (1852) a proba­
blement joué un rôle positif dans l’abolition
de l’esclavage. La réalité des effets d’une
œuvre est à peu près incontestable. Ce qui
est très difficile, c’est de les mesurer et de
dire exactement ce qu’ils sont.
Ce qu’il faut à mes yeux éviter, c’est ce que
j’appelle le « moralisme radical » : une attitude
qui consiste à ne considérer les œuvres d’art
que par un prisme moral, en laissant totale­
ment de côté la valeur proprement artistique
des objets qu’on est en train de considérer. Il
faut également éviter la posture opposée :
l’« autonomisme radical », qui considère que
l’art ne doit rien à voir à faire avec la morale.
Je considère que la valeur morale d’une
œuvre fait partie de sa valeur artistique ;
qu’une valeur morale positive augmente la
valeur artistique, alors qu’une valeur morale
négative la diminue. Toute la valeur de
l’œuvre ne repose néanmoins pas dans sa
dimension morale. Prenons l’exemple du
Marchand de Venise (1596), de Shakespeare,
qui contient des formules incontestable­
ment antisémites : la valeur de la pièce en
est incontestablement diminuée sans être
pour autant totalement supprimée ; on la
lit toujours, on l’admire toujours. Mais il
existe des cas où le défaut moral est si mas­
sif qu’il oblitère tout le reste – contrairement
à ce que soutenait l’actionniste viennois
Hermann Nitsch, le viol et le meurtre ne
méritent pas d’être exposés. Le « moralisme
réfléchi » que je défends insiste sur la com­
plexité de la valeur de ce qui appartient au
domaine artistique, ne se contente pas
d’une vision manichéenne ou idéologique
et veut considérer les œuvres au cas par cas.
On peut appliquer cela aux œuvres de
Bastien Vivès : à l’intérieur de sa production,
on doit faire des distinguos. La qualité du
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SAMEDI 28 JANVIER 2023
dessin, la complexité de l’intrigue, l’épais­
seur psychologique des personnages du ro­
man graphique Une sœur (Casterman, 2017)
sont incontestables. Y figurent quelques
images très crues, qui se trouvent cepen­
dant prises dans un ensemble. C’est très dif­
férent de La Décharge mentale (2018), où l’in­
trigue, très mince, n’est qu’un prétexte à la
répétition ad nauseam de gros plans sur des
scènes de fellation, pour certaines pédopor­
nographiques. Cette différence entre les
œuvres de Bastien Vivès ne change rien au
bien­fondé de l’annulation de sa carte blan­
che, car celle­ci devait être la consécration
d’une œuvre prise dans sa totalité. Avec cet
exemple précis, on voit toutefois que l’ap­
préciation doit être fine et qu’on ne peut se
contenter d’appliquer des postures trop gé­
nérales et des formules toutes faites pour
s’adapter à la complexité des choses.
A. G. : Ajoutons qu’ici l’œuvre n’est pas le
seul aliment de la polémique – il y a aussi les
propos publics de Bastien Vivès ou les com­
portements qu’il a eus sur les réseaux so­
ciaux, qui sont connus du milieu de la bande
dessinée. Si le dessinateur s’en est excusé,
cela n’annule pas leur portée. Dans les procès
littéraires, les propos des auteurs jouent un
rôle important pour préciser l’interprétation
de leurs intentions, brouillées par l’énoncia­
tion fictionnelle. En 2007, une plainte a ainsi
été déposée pour « racisme et xénophobie »
dans l’album Tintin au Congo (1931) contre la
société Moulinsart. Mais la justice belge a ar­
bitré en faveur d’Hergé en estimant que son
intention n’était pas malveillante.
Le caractère provocateur de certaines pu­
blications ou comportements de Vivès a
contribué à en faire un personnage identifié
à ses prises de position. Le choix du festival
de consacrer cet auteur a été perçu comme
une bravade de plus. Il y a de bonnes raisons
à cela : au début de l’ouvrage La Décharge
mentale, un avertissement évidemment iro­
nique, appelé « décharge », invite le lecteur à
s’engager à ne pas porter plainte, ce qui est
une façon de tourner en ridicule le mouve­
ment féministe. Au vu de ces éléments, on
ne peut pas être surpris de ce qui arrive
aujourd’hui au Festival d’Angoulême.
Le fait que ce débat – qui a déjà eu lieu
dans les milieux du cinéma, du théâtre
ou de l’art contemporain – intervienne
aujourd’hui dans le milieu de la bande
dessinée en change­t­il la teneur ?
C. T.­H. : J’ai été surprise de voir que dans
cette affaire les justifications apportées par
Bastien Vivès et ses défenseurs n’en appe­
laient pas au caractère artistique de son
œuvre. C’est très intéressant : l’extraterrito­
rialité éthique qui était conférée par l’appar­
tenance au champ artistique jusqu’à il y a
peu n’est pas utilisée ici. Ce ne sont pas les
droits de la création qui sont invoqués pour
justifier ses dessins, mais la liberté d’expres­
sion, le second degré ou le grotesque. Pour­
quoi ? Peut­être parce qu’à notre époque, qui
est celle de la « dé­définition » de l’art, le sta­
tut de la bande dessinée en tant que neu­
vième art n’est plus très assuré ; les frontières
de l’art étant devenues incertaines, ses préro­
gatives le sont autant. Plus la liste des arts
s’allonge et plus les critères définitionnels
de l’art lui­même s’affaiblissent. Par consé­
quent, il est difficile d’invoquer ce statut
d’exception pour se justifier.
Bastien Vivès, ainsi que certains
de ses soutiens, a effectivement invoqué
pour sa défense le modèle de « Charlie
Hebdo », qui défend pour la caricature le
droit de tout dire et de tout représenter.
La liberté d’expression a pourtant des
limites définies par la loi : le dessin,
en particulier humoristique,
bénéficie­t­il d’une forme de tolérance
sociale plus grande ?
A. G. : Je ne crois pas que le dessin et/ou le
dessin humoristique bénéficient d’une forme
d’exemption légale. Rien dans les textes ne le
spécifie. Le fait que cette conviction soit
aujourd’hui répandue dans le champ culturel
français doit beaucoup au cas de Charlie
Hebdo et au procès des caricatures de Maho­
met de 2007, qui a effectivement attribué un
caractère d’exceptionnalité de la caricature.
Pourtant, si l’on prend l’exemple de la carica­
ture antisémite, ce genre fait l’objet d’une pro­
hibition et d’une surveillance par les tribu­
naux particulièrement attentive, en dépit de
son caractère graphique. Il n’est tout simple­
ment pas exact de dire qu’il y aurait une sorte
d’exception de la caricature, du dessin ou de
l’humour, auxquels tout serait permis.
L’invocation du caractère grotesque, hu­
moristique ou fantasmé de ses dessins
par Bastien Vivès a pour but de minimiser
ou d’euphémiser les évocations pédoporno­
graphiques de ses ouvrages. Mais il est
étrange de citer ces éléments stylistiques
pour sa défense, car d’autres ouvrages de la
collection BD­Cul, qui accueille deux des al­
bums du dessinateur, et d’autres albums
pornographiques présentent les mêmes
caractères, sans prêter le flanc à la critique ni
perdre de leur intérêt érotique.
Il existe bel et bien un effet de distance
créé par la fiction, qui fait partie de sa défini­
tion. Tout le monde connaît l’avertisse­
ment : « Les personnages et les situations de
ce récit étant purement fictifs, toute ressem­
blance avec des personnes ou des situations
existantes ou ayant existé ne pourrait être
que fortuite. » Pourtant, ni l’écart de la fic­
tion ni celui du dessin n’empêchent des scè­
nes de « Tintin » ou d’« Astérix » de présenter
des stéréotypes racistes. Est­ce qu’on peut
prétendre que ces scènes n’auraient aucune
signification ni aucune portée en raison de
leur caractère fictionnel ? C’est au contraire
au titre de fiction que ces récits donnent
un caractère de généralité ou d’acceptabilité
sociale à des situations et des compor­
tements : c’est ainsi que nous lisons des
fictions. Au­delà de l’effet mimétique, les
productions culturelles sont, nous le savons,
filtrées par le tamis de la légalité, des conve­
nances et même de l’économie. C’est pour­
quoi, à tort ou à raison, nous avons ten­
dance à lire les productions culturelles
comme représentatives d’un état du con­
sensus social. De ce point de vue, tout ce qui
apparaît dans cet espace est susceptible
d’être perçu comme normatif ou prescriptif.
C. T.­H. : La liberté d’expression a des limi­
« LA LIBERTÉ  tes qui sont fixées par la loi, et la mention du
caractère fictionnel ne change effective­
D’EXPRESSION  ment rien à l’affaire. Qu’il s’agisse d’une fic­
A DES LIMITES  tion dessinée ou d’un récit – en l’occurrence,
la bande dessinée mêle les deux –, il y a un
FIXÉES PAR LA LOI,  pouvoir des images, un pouvoir des mots :
ils produisent des effets. La « fictionnalité »
ET LE CARACTÈRE  n’est absolument pas exonératrice.
FICTIONNEL  sentation des femmes dans la BD – laquelle a
Est­ce à ce titre que les productions
NE CHANGE RIEN  pédopornographiques sont interdites
par la loi en France ?
À L’AFFAIRE » C. T.­H. : Bien sûr. La chose qui pourrait être
CAROLE TALON-HUGON invoquée, c’est la prétention à être en quel­
philosophe que sorte protégé par un statut artistique.
Mais, justement, ce n’est pas invoqué ici. Et je
trouve encore une fois cette absence d’invo­
cation intéressante d’un point de vue histori­
que : cela dit beaucoup de choses à la fois sur
ce qui se passe dans l’art en général et dans le
cas de la bande dessinée en particulier.
A. G. : Il y a visiblement pour certains une
confusion entre pornographie et pédopor­
nographie. Ce sont deux imageries fonda­
mentalement différentes : la pornographie,
qui décrit des actes sexuels entre adultes
consentants, n’est pas interdite. Elle fait l’ob­
jet d’une restriction d’âge qui est destinée à
protéger les mineurs.
La pédopornographie, elle, fait l’objet
d’une prohibition totale, à la fois en raison
de son rôle de substitut d’une sexualité qui
est elle­même hors la loi et aussi parce
qu’un enfant ne peut pas être jugé consen­
idées | 29
ERWAN FAGES
tant à sa participation ou à sa représen­
tation dans un acte sexuel. Il faut également
évoquer une évolution qui a accompagné la
réception très favorable du manga en
France : ce genre exploite en effet un registre
pédo­érotique, avec des figures comme les
« lolicons » – des représentations de fillettes
ou de très jeunes filles hypersexualisées.
Le succès de ces thèmes a conduit le législa­
teur à faire évoluer l’article 227­23 du code
pénal, qui visait la prohibition de la pédo­
pornographie au sens d’une image dite
« réelle » (c’est­à­dire photographique ou vi­
déographique), pour étendre cette interdic­
tion aux représentations graphiques. La
prohibition stricte de la pédopornographie
résulte donc à la fois des évolutions de la
production, qui explore de nouvelles niches
commerciales, et d’une évolution parallèle
des sensibilités en ce qui concerne les vio­
lences sexuelles sur mineurs.
Au­delà du caractère pédopornographi­
que de certaines œuvres, c’est toute une
tradition de représentation des femmes
et des violences sexistes et sexuelles
qui est visée par cette affaire…
A. G. : A ce sujet, il faut mentionner un
ouvrage de recherche passionnant qui vient
de paraître, intitulé A coups de cases et de
bulles. Les violences faites aux femmes dans
la bande dessinée (collectif, Presses universi­
taires de Rennes, 348 pages, 25 euros), qui
dresse un tableau assez sombre de la repré­
longtemps été un univers extrêmement
phallocrate. L’évocation du caractère trans­
gressif du dessin ne peut pas masquer la re­
présentation très stéréotypée des femmes
qui a longtemps affecté l’industrie graphi­
que : la bande dessinée comme le jeu vidéo.
Dans le cas qui nous intéresse, cela fait déjà
plusieurs années que la personnalité et les
provocations de Bastien Vivès font débat
dans le milieu. Ses prises de position antifé­
ministes en font un porte­drapeau du camp
masculiniste. Ce qui se manifeste avec l’af­
faire Vivès, c’est effectivement la confronta­
tion d’un monde encore largement ma­
chiste, avec l’émergence d’un regard féminin
– et féministe – dans l’univers de la BD. Ce
nouveau point de vue suscite la résistance
du vieux monde, mais a également vocation
à changer notre représentation de la société.
Il apparaît désormais nécessaire de mieux
tenir compte de ces sensibilités – tant du
point de vue de l’équilibre des honneurs que
du respect des goûts des nouveaux publics. p
propos recueillis par
marion dupont
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30 | idées SAMEDI 28 JANVIER 2023

Mathieu Duchâtel L’Europe n’est pas prête

à l’éventualité d’une crise dans le détroit de Taïwan
Etats et entreprises européens doivent tirer les Dans le même temps, les éléments
de séduction dans la politique taïwa­
leçons de l’invasion russe en Ukraine et préparer une naise de Pékin sont passés au second
réponse coordonnée en cas d’offensive ou de blocus plan. L’interdépendance est bien là.
Les échanges commerciaux entre les
du détroit de Taïwan par la Chine, estime le directeur deux rives allaient sans doute dépas­
du programme Asie à l’Institut Montaigne ser en 2022 le record de 188 milliards
de dollars atteint en 2021. Mais la dy­
namique politique autour de l’inté­
l’Ukraine : les erreurs d’appréciation
sont coûteuses. D’où l’utilité d’une
crise, qui révélerait la propension des
uns et des autres à accepter une con­
frontation. Pari risqué, que Xi Jinping
EN CAS DE CRISE, pourrait perdre mais qui, en l’absence
L’EUROPE SERA FACE de meilleures options, pourrait lui
sembler rationnel.
À UNE ALTERNATIVE :

Q
ue ferait l’Europe si la Chine dé­
clenchait une crise militaire
dans le détroit de Taïwan ? On
peut douter qu’elle parvienne
instantanément à une réponse collec­
tive aussi ambitieuse qu’au lendemain
de l’invasion russe de l’Ukraine.
Pourtant, les Européens semblent
aujourd’hui plus réalistes quant à la
probabilité d’une nouvelle confronta­
tion avec Taïwan. Les plus optimistes,
qui il y a peu faisaient valoir l’argu­
ment classique du coût astronomique
d’une telle aventure, ont compris qu’un
tel scénario était désormais de l’ordre
du possible. Ils ont pris la mesure de la
supériorité du politique sur l’économi­
que dans la Chine de Xi Jinping, et ob­
servé ses manœuvres d’encerclement
de Taïwan en août 2022. Ils constatent
son soutien tacite à l’invasion russe,
motivé par une vision partagée de
l’ordre international.
Hua Chunying, porte­parole de la di­
plomatie chinoise, ne qualifiait­elle
pas récemment la Russie de « force
progressiste » s’opposant aux politi­
ques de puissance et à la pratique de
l’intimidation ? Pour l’Europe, le ris­
que géopolitique posé par la Chine ne
doit pas se résumer au pire des scéna­
rios. Beaucoup de déclarations améri­
caines anxiogènes appellent à envisa­
ger une guerre dès 2023­2024 – pé­
riode des élections présidentielles à
Taïwan – ou en 2027, lorsque l’armée
chinoise sera prête.
Or ces prédictions ne reposent pas
sur une connaissance suffisante des
intentions du président chinois, Xi
Jinping. Lorsque les Américains prédi­
rent correctement l’invasion russe, ce
fut sur le fondement d’interactions
directes avec Vladimir Poutine, de
l’observation de la disposition des
troupes russes et, sans doute, d’inter­
ceptions de communications.
Il n’y a rien de comparable aujour­
d’hui qui permettrait d’alerter sur un
calendrier d’unification par la force :
2024, 2027, il s’agit là de suppositions
quant à la réaction de la Chine au jeu
démocratique taïwanais, ou même
d’une appréciation générale de la
grande stratégie de Xi Jinping. On a vu
renseignement plus solide.
En revanche, les scénarios coercitifs
n’ont rien de fictionnel. Depuis 2019,
l’aviation chinoise mène une politi­
que de présence permanente dans la
zone d’identification de défense aé­
rienne de Taïwan et de franchisse­
ment régulier de la ligne médiane
dans le détroit. Si ces manœuvres pré­
parent une possible offensive, elles
cherchent aussi à décourager la
société taïwanaise et ses soutiens
extérieurs.
gration économique s’est éteinte. Le
flux d’investissements taïwanais vers
la Chine s’est réduit de moitié ces cinq
dernières années. La part de la Chine
dans le commerce extérieur taïwa­
nais, certes élevée, diminue – de
25,2 % en 2021 à 22,7 % pour les dix
premiers mois de 2022. Une vraie dy­
namique de diversification s’installe à
Taïwan, qui regarde désormais davan­
tage vers le Vietnam, l’Inde, les Etats­
Unis et le Japon.
Recours à la coercition
C’est précisément parce que son
attractivité est déclinante que la
Chine pourrait amplifier son recours
à la coercition, sous la forme d’ac­
tions soudaines « en zone grise », plus
probables qu’une invasion – car,
comme le disait récemment un ex­
pert chinois, « Taïwan est comme un
verre de cristal : nous voulons le verre,
pas les mille morceaux ».
Pour l’heure, les forces chinoises
n’ont jamais franchi la limite des eaux
territoriales ni de l’espace aérien de
Taïwan. Ni la ligne médiane qui divise
le détroit ni la zone d’identification de
défense aérienne ne constituent une
frontière. Bien sûr, vu de Pékin, le
terme « frontière » est anathème.
Mais la Chine respecte les douze mil­
les nautiques autour des lignes de
base tracées par le gouvernement
SANCTIONS OU
INACTION. AUCUNE
DES DEUX OPTIONS
NE SERAIT DÉNUÉE
DE COÛT
taïwanais de manière souveraine.
Autre scénario, un blocus de l’île par la
Chine. Beaucoup d’observateurs sont
sceptiques : le trafic des grands ports
chinois de Shanghaï, de Ningbo ou de
Tianjin dépend de la libre navigation.
Mais quelles seraient les conséquen­
ces d’un blocus qui ciblerait les appro­
visionnements taïwanais en énergie ?
Une telle crise aurait d’ailleurs une di­
mension française immédiate, puis­
que TotalEnergies fournit à Taïwan du
gaz australien.
La Chine de Xi Jinping a davantage
de marge de manœuvre sur le terrain
de la coercition que sur celui de la sé­
duction. Contre l’Inde, le Japon, les
Philippines ou le Vietnam, Xi Jinping
a toujours fait le choix du risque cal­
culé apportant des gains modestes
mais tangibles. La Chine a également
besoin de mieux estimer la réaction
taïwanaise et internationale à un
coup de force. C’est une leçon de
La planification est cruciale
L’Union européenne a lancé récem­
ment un exercice collectif de planifi­
cation de scénarios. Il est important
de s’employer à aplanir les différences
entre pays européens vis­à­vis de
Taïwan. En cas de crise, l’Europe sera
face à une alternative : sanctions ou
inaction. Si des sanctions mèneraient
à des contre­sanctions chinoises,
l’inaction ne serait pas non plus dé­
nuée de coût. Toute paralysie, même
temporaire, du trafic maritime dans
le détroit aurait des conséquences di­
rectes sur les chaînes d’approvision­
nement des semi­conducteurs et sur
les marchés financiers.
C’est parce qu’il n’y a pas de voie
sans coût que la planification est
cruciale. Il est donc important que les
Etats de l’UE impliquent dans leurs
scénarios les entreprises les plus ex­
posées au risque géopolitique posé
par la Chine – une autre leçon tirée de
la situation russo­ukrainienne immé­
diatement utile mais, cette fois­ci,
pour les Européens. p
Mathieu Duchâtel est politiste
et directeur du programme Asie
de l’Institut Montaigne

Christian Henriot L’université française reste hermétique à la Chine

Si elles comptent des spécialistes de la langue et de la littérature chinoise, les universités françaises ne font que peu de place aux études
historiques, sociologiques, politiques ou anthropologiques de la Chine. Une grave erreur, prévient l’historien

I
l y a un pays voué à la ven­
geance et à la justice, un pays
qui ne déposera pas les armes,
qui ne déposera pas l’esprit
avant l’affrontement planétaire.
Déjà 300 ans d’ère européenne
s’effacent, déjà l’ère chinoise com­
mence », écrit André Malraux
en 1967 dans Antimémoires.
A l’heure où le Parti commu­
niste chinois vient de clore son
XXe congrès, avec l’intronisation
de Xi Jinping pour un troisième
mandat marqué du sceau « Make
China great again », la prophétie
de Malraux prend une acuité par­
ticulière. Que connaissons­nous
de la Chine, en France, aujour­
d’hui ? Quelles sont nos forces
pour étudier, analyser et com­
prendre les ressorts de ce pays
aux dimensions uniques ? De
quelle expertise disposons­nous
dans l’université française ?
Il y a quarante ans, à l’aube des
réformes impulsées par Deng
Xiaoping, l’on pouvait encore
considérer la Chine comme un
« objet d’étude » laissé au soin
d’un petit nombre de spécialistes
– sinologues – de quelques insti­
tutions. Aujourd’hui, la Chine est
une puissance politique, écono­
mique, militaire et scientifique
dont l’action se déploie avec
force, détermination et stratégie,
à l’échelle planétaire. Face à cette
présence multiforme, avons­
nous développé nos capacités
d’expertise ? Avons­nous nourri
au sein de la société française une
connaissance plus large et mieux
informée sur la Chine ? A l’évi­
dence, non.
La question qui est posée ici est
celle de la déficience grave de
l’université française dans la
création d’une expertise à la me­
sure du défi que représente la
Chine. Notre degré d’expertise
dépend en effet de la capacité à
produire une recherche fonda­
mentale, à l’université ou dans
les organismes de recher­
che. L’expertise à visée opéra­
tionnelle, complémentaire et né­
cessaire, comme dans certains
services ministériels ou cercles
de réflexion, est aussi intrinsè­
quement liée à l’université.
Or, que constate­t­on ? Le nom­
bre de postes de spécialistes de la
Chine est resté globalement in­
changé, toujours confinés dans
quelques institutions spéciali­
sées et au CNRS.
Parcours du combattant
L’université forme pourtant
nombre de jeunes chercheurs,
avec une production remarqua­
ble de thèses fondées sur de soli­
des recherches de terrain et une
expérience de première main du
monde chinois. Qu’advient­il de
ces jeunes chercheurs à l’issue de
la thèse ? Pour beaucoup, c’est
d’abord un parcours du combat­
tant qui commence : ils se retrou­
vent ballottés de postes d’attaché
temporaire d’enseignement et de
recherche (ATER) en postdoc des
années durant, sans perspective
d’emploi scientifique. Certains
parviennent à en décrocher un, à
force de persévérance, parfois à
un âge avancé, mais nombre
d’entre eux renoncent ou font le
choix de l’expatriation. La raison
est simple : l’université n’offre
aucun débouché aux spécialistes
en sciences sociales de la Chine.
C’est un immense gâchis, alors
même que le besoin d’expertise
et de formation des jeunes géné­
rations de Français sur la Chine
est impérieux.
Comment en est­on arrivé là ?
La responsabilité première en in­
combe à une université qui reste
hermétique à la Chine. Exception
faite des départements de langue
chinoise, en petit nombre et
constitués principalement de
L’UNIVERSITÉ
HARVARD
ANNONCE :
« IL N’Y A RIEN DE
PLUS IMPORTANT
QUE D’EN
APPRENDRE PLUS
SUR LA CHINE »
spécialistes de la langue et de la
littérature, la Chine est absente
des universités françaises. Com­
bien d’historiens, de sociologues,
de politologues, de géographes,
de juristes et même d’anthropo­
logues spécialistes de la Chine
dans les départements de scien­
ces sociales des universités ?
Pour chacune des disciplines
énumérées, le chiffre tient entre
zéro et trois.
A l’université Aix­Marseille, le
seul poste en histoire consacré à
l’Asie est en jachère depuis quatre
ans, et la faculté vient de décider
de supprimer le poste de profes­
seur en sciences sociales de la
Chine contemporaine. Les uni­
versités françaises continuent de
former des cohortes d’étudiants
sans la moindre exposition aux
enjeux que représente la Chine
d’aujourd’hui.
Quelques institutions, toutes
parisiennes, contribuent, et c’est
heureux, au recrutement de spé­
cialistes de la Chine, comme l’Ins­
titut national des langues et civili­
sations orientales (Inalco), l’Ecole
des hautes études en sciences so­
ciales (EHESS) ou l’Ecole pratique
des hautes études (EPHE) ; mais
leurs capacités conjointes de re­
crutement ne peuvent pas com­
penser l’absence de recrutement
à l’université. Et, de fait, le nom­
bre de postes dans ces institu­
tions n’a pas varié dans les trente
dernières années. Au Centre na­
tional de la recherche scientifique
(CNRS), le nombre de spécialistes
de l’Asie s’est effondré depuis
2002. Imagine­t­on qu’en sociolo­
gie, en sciences politiques ou en
économie, le CNRS ne compte
qu’un seul chercheur sur la Chine
en 2022 ?
L’université Harvard, qui
compte à elle seule 48 spécialistes
de la Chine (presque autant que
l’Inalco, le CNRS, l’EHESS, et
l’EPHE réunis), annonce, pour
l’un de ses cours phares sur la
Chine : « There is nothing more
important in the early twenty­first
century than learning about
China » [« Il n’y a rien de plus im­
portant en ce début de XXIe siècle
que d’en apprendre plus sur la
Chine »]. Ce n’est pas un effet d’af­
fichage, c’est un engagement.
Léthargie intellectuelle profonde
Demandons­nous, à l’inverse, de
quelle expertise la Chine dis­
pose sur la France ? Combien
d’étudiants chinois sont passés
par nos universités et ont inte­
ragi longuement avec la société
française ? Combien ont effectué
leur doctorat en France sur des
sujets français ? Des dizaines de
milliers pour les premiers, des
centaines pour les seconds. La
plupart sont retournés en Chine
et ont apporté à leur pays, en plus
des experts patentés, un vivier
extraordinaire de connaissances
sur la France.
Combien d’étudiants français
ont étudié en Chine ? Combien
ont fait des doctorats sur des su­
jets chinois, avec une double ex­
pertise linguistique et discipli­
naire ?
La Chine représente l’un des dé­
fis les plus prégnants du temps
présent. L’université française est
encore prise dans une léthargie
intellectuelle profonde, au mo­
ment où elle devrait recruter en
nombre dans ses départements
de sciences sociales des spécialis­
tes de la Chine. A défaut de com­
bler le fossé abyssal avec les uni­
versités américaines, il est impé­
ratif de se mettre au moins au
diapason des grandes universités
européennes en termes d’exper­
tise sur la Chine.
Il est aussi urgent que le minis­
tère de l’enseignement supérieur
et de la recherche mobilise les
moyens financiers, à l’image de
l’Allemagne (qui investit 24 mil­
lions d’euros), afin de doter la re­
cherche française des postes et
des ressources nécessaires pour
assurer le développement d’une
expertise forte et durable sur la
Chine en France. p
Christian Henriot est histo-
rien et enseigne à Aix-Marseille
Université. Il est le président
de la Fondation internationale
des études chinoises
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SAMEDI 28 JANVIER 2023
Le géant congolais LES DOSSIERS FANTÔMES DE LA JUSTICE
impuissant face aux LIVRE
ingérences du Rwanda
ANALYSE
J
amais, depuis trente ans,
dans la foulée du génocide
des Tutsi au Rwanda
en 1994, l’est de la Républi­
que démocratique du Congo
(RDC) – soit les régions adminis­
tratives du Sud­Kivu et du Nord­
Kivu ainsi que l’Ituri – n’a connu
de paix durable. Les combats ont
ainsi repris en novembre 2021,
avec le retour du Mouvement du
23 mars, ou M23, créé dans les an­
nées 2010 pour protéger les Tutsi
du Congo. Comme il y a dix ans, le
Rwanda est accusé d’instrumen­
taliser cette rébellion. La respon­
sabilité de Kigali dans les violen­
ces qui ont jeté sur les routes
450 000 personnes et tué des di­
zaines d’autres ne saurait pour­
tant occulter d’autres raisons :
la faiblesse chronique de l’Etat
congolais et les ambitions régio­
nales d’un autre voisin de la RDC,
l’Ouganda.
Le M23 a délogé l’armée congo­
laise de plusieurs de ses bases
sous le regard passif des casques
bleus de la Mission de l’Organisa­
tion des Nations unies pour la
stabilisation en République dé­
mocratique du Congo (Monusco),
un contingent de quelque 15 000
hommes déployés en RDC depuis
2002 pour un résultat assez peu
probant. Les rebelles ont pris
le contrôle d’une vaste zone au
nord de la ville de Goma, bordée
àl’est par la frontière ougandaise.
L’Ouganda, où nombre de com­
battants du M23 « historique »
avaient trouvé refuge après leur
défaite militaire de 2012.
Le Rwanda est désigné par Kins­
hasa et par le groupe d’experts
de l’ONU chargés de cette crise
comme le parrain du M23. Les
Etats­Unis et la France ont appelé
leur partenaire rwandais à stop­
per son ingérence. Le 19 janvier,
par téléphone, le secrétaire d’Etat
américain, Antony Blinken, a de
nouveau fait part de sa préoccupa­
tion auprès du président angolais,
Joao Lourenço, sous les auspices
duquel un plan de cessez­le­feu
et de cantonnement du M23 a été
dessiné en décembre 2022.
Rapport de force défavorable
Depuis, la mise en œuvre de cet
accord patine. Les Congolais ap­
pellent donc la communauté in­
ternationale à exercer davantage
de pression sur le Rwanda. En
vain. Cette impuissance congo­
laise est l’expression d’un rapport
de force défavorable. L’ex­Zaïre est
pourtant 90 fois plus étendu que
son voisin, huit fois plus peuplé. Il
dispose de ressources minérales
considérables, là où la principale
richesse du Rwanda, l’agriculture,
est saturée par la densité record
de sa population (511 habitants
par kilomètre carré).
Pour Kigali, l’espace et le sous­
sol congolais sont donc autant
d’objets de convoitise. Selon les
statistiques rwandaises, l’activité
minière constitue 14 % du mon­
tant des exportations. Un niveau
qui dépasse de loin les capacités
d’extraction nationale. Dans un
rapport d’avril 2022, l’ONG Global
Witness notait ainsi que « les mi­
nerais congolais, y compris ceux
contribuant aux conflits, conti­
nuent d’être introduits frauduleu­
sement au Rwanda et d’être expor­
tés comme minerais rwandais ».
POUR LE RWANDA,  ses interventions militaires ou de
L’ESPACE  bique, en République centrafri­
ET LE SOUS­SOL  caine ou au Bénin. Autant de do­
CONGOLAIS  fiche que de piètres bilans. p
SONT AUTANT  marqué que celui des précédentes ». La pra­
D’OBJETS DE  tique solitaire de l’écriture n’y est pas
CONVOITISES
À CE JOUR, LES 
ÉTATS­UNIS  conduit notamment à Ajaccio et à Marseille
NE SONT PAS ALLÉS  Grenoble, d’où il est parti en retraite en
AU­DELÀ DU RAPPEL  crue », écrit­il dans Cold cases, un magistrat en­
À L’ORDRE  au meurtre de la petite Maëlys de Araujo ; en
CONTRE L’ACTION  août 2017, Jacques Dallest s’est chargé de la cri­
NOCIVE DE KIGALI
Pendant les dernières années
du régime de Mobutu (1965­
1997), l’Etat défaillant accordait
à des groupes armés locaux ou
à ses alliés régionaux le droit de
piocher dans le trésor minier
congolais pour paiement de leur
aide. Ces pratiques se sont enkys­
tées, donnant naissance à des
réseaux transfrontaliers mêlant
rébellions diverses (on compte
120 groupes armés identifiés),
politiciens, militaires et investis­
seurs peu regardants.
Dans la crise actuelle, une étude
de l’Africa Center for Strategic Stu­
dies d’avril 2022 note que la zone
occupée par les rebelles « couvre
une ceinture minière (…) héber­
geant parmi les plus grandes ré­
serves au monde de coltan, utilisé
pour la fabrication de presque
tous les appareils électroniques ».
Plus de 1 500 kilomètres séparent
la capitale, Kinshasa, de Goma,
« capitale » du Nord­Kivu, une
distance seulement franchissable
en avion. A l’est, la survie écono­
mique des populations dépend
donc du Rwanda et de l’Ouganda.
Simple rappel à l’ordre
Dès son élection à la présidence
congolaise, en janvier 2019, Félix
Tshisekedi a fait la tournée des
capitales voisines pour déminer
les relations bilatérales. Il a conclu
des accords de coopération éco­
nomique, dans le domaine mi­
nier notamment, avec Kigali et
Kampala. Contrairement à l’effet
pacificateur recherché, ces ac­
cords auraient ranimé la course
aux ressources et à l’influence à
laquelle l’Ouganda et le Rwanda
se livrent. Kigali aurait ainsi ré­
veillé le M23 pour torpiller les ini­
tiatives ougandaises. « Le Rwanda
est à la base de l’instabilité en RDC
grâce à laquelle il peut créer des ré­
seaux mafieux d’exploitation illi­
cite de l’or, du coltan et d’autres mi­
nerais », dénonce Félix Tshise­
kedi. Ce à quoi son homologue
rwandais, Paul Kagame, rétorque
que « la cause profonde de l’insta­
bilité dans l’est du Congo est
l’échec du gouvernement
congolais en matière de sécurité et
de gouvernance ».
A ce jour, les Etats­Unis ne sont
pas allés au­delà du rappel à l’or­
dre contre l’ingérence nocive de
Kigali. « Le Rwanda est perçu
comme un pilier de la stabilité
dans la région et comme un parte­
naire fiable, ce qui n’est pas le cas
de la RDC », explique un diplo­
mate européen. « L’autoritarisme
du régime rwandais n’a été ponc­
tué que par le silence des grandes
puissances », ajoute notre source.
Le Rwanda continue d’obtenir le
satisfecit des organisations finan­
cières internationales pour ses ré­
formes et sa discipline financière
dans un environnement régional
corrompu. Ses partenaires appré­
cient également la conduite de
ses militaires. Le Rwanda est le
troisième contributeur mondial
de casques bleus. Sans compter
formation, hors ONU, au Mozam­
maines dans lesquels la RDC n’af­
christophe châtelot
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
P
endant plus de trente ans, Jacques
Dallest a été magistrat. Juge d’ins­
truction à partir de 1984, puis pro­
cureur de la République. Le hasard
de « la transparence » – le tableau
des mobilités dans le corps des magistrats – l’a
avant qu’il soit nommé procureur général à
juin 2022. « J’ai rencontré le crime dans sa réalité
quête. Du grand banditisme corso­marseillais
minalité dans toute sa diversité et son horreur.
« Je m’étais fixé une règle : ne prendre que des
dossiers de crimes de sang, meurtre, assassinat
et coups mortels, les seuls qui m’intéressaient eu
égard à leur intensité dramatique particulière »,
révèle­t­il dans son livre.
En juin 2017, l’Ecole nationale de la magistra­
ture le charge d’animer un séminaire de for­
mation intitulé « Crimes de sang, crimes de
sexe ». Pour préparer cette session qui dure
une semaine, il se rend à la maison centrale
d’Ensisheim (Bas­Rhin) où sont emprisonnés
les assassins et les tueurs en série qui – eu
égard à la cruauté de leurs actes – ont défrayé
la chronique au moment de leurs arrestations
et de leurs procès respectifs. Francis Heaulme,
le « Routard du crime », purge sa peine de per­
pétuité pour les onze meurtres dont il a été
reconnu coupable. « L’homme est grand et
maigre. Le visage émacié et l’air ahuri. Il a
58 ans. (…) Sa cellule est petite, sale et en désor­
dre », décrit Jacques Dallest. Heaulme est « un
marginal désocialisé, coupé de la communauté
des hommes depuis vingt­cinq ans et sujet à
des troubles de la personnalité », poursuit­il.
Ce bâtiment des tueurs en série où chacun
a une cellule individuelle est un peu la galerie
des célébrités du crime. Michel Fourniret, lui
Trump en campagne | par serguei
DES ÉCRIVAINS DANS TOUS LEURS ÉTATS
LA REVUE DES REVUES
A près les cavaliers, les tatoués ou
encore les danseurs, la revue
Sphères s’offre un petit pas de côté
en nous plongeant dans le monde des écri­
vains. Le terme étant entendu ici dans son
acception la plus large, à savoir « tous ceux
dont le travail commence avec une feuille
de papier et un stylo, ou un écran et un cla­
vier », est­il précisé dans l’éditorial de ce
numéro, où l’on croise des romanciers, des
musiciens, un cinéaste (Michel Hazanavi­
cius), une plume politique (Aquilino Mo­
relle) ou encore des adeptes de fanfictions,
ces récits alternatifs inspirés d’œuvres po­
pulaires (« Harry Potter », « Star Trek »…).
Un numéro d’autant plus singulier qu’il
explore une communauté « éparse et écla­
tée, dont l’esprit de corps n’est pas aussi
étrangère. Comme le concède le bédéiste
Riad Sattouf : « Ecrire à plusieurs est infer­
idées | 31
la vérité des êtres, à leurs faiblesses, à leur triste
banalité, je vois des parcours chaotiques qui
COLD CASES.  prédestinent au crime. Je vois aussi des êtres que
UN MAGISTRAT ENQUÊTE rien n’aurait dû conduire à un acte homicide. »
de Jacques Dallest, Multipliant les exemples d’affaires élucidées
Mareuil, 380 pages, ou pas, Jacques Dallest passe en revue les in­
22 euros terrogations auxquelles la justice est soumise
lorsqu’elle est confrontée à un crime. Où (la
scène de crime) ? Quand (les circonstances) ?
Comment (l’arme du crime) ? Pourquoi (le ou
les mobiles) ? Et, enfin, qui (l’auteur) ? Autant
de questions qui orientent l’enquête et aident
les enquêteurs dans leurs investigations.
aussi condamné à perpétuité pour les meur­ Il est un fantôme qui hante la justice et
tres et viols de huit jeunes filles, ne sort prati­ taraude le magistrat Dallest : c’est le crime non
quement jamais de sa cellule, raconte Dallest. élucidé. Longtemps, trop longtemps, selon
Une cellule « encombrée de dossiers, livres et M. Dallest, coincé au fond des étagères dans
d’une multitude de petits papiers attachés sur les cabinets des juges ou dans les caves des pa­
des ficelles et sur lesquels il griffonne des notes lais de justice. « J’ai malheureusement connu le
sans cohérence ». Enfermé dans son monde, crime sans solution, cet acte extrême qui laisse
celui qu’on a surnommé « l’Ogre des Arden­ l’auteur dans l’inconnu et n’est suivi d’aucune
nes » déplore – « sans ironie », précise Jacques punition. » C’est probablement cette frustra­
Dallest – que « ses journées ne so[ient] pas as­ tion qui est à l’origine d’un des grands engage­
sez longues, tant son activité intellectuelle est ments de l’auteur : la prise en charge des « cold
intense ». Michel Fourniret est mort en déten­ cases » par la justice française.
tion le 10 mai 2021 à l’âge de 79 ans, après avoir Au cours des dernières années, Jacques Dal­
passé les dix­huit dernières années de sa vie lest s’est battu pour que l’institution judiciaire
derrière les barreaux. s’empare de ce problème, symbole d’échecs
pour la justice et source de souffrance pour les
« L’atroce, l’ignominie, la lâcheté » proches des victimes. Avec d’autres magistrats,
Guy Georges aussi est là. Incarcéré depuis des avocats et des enquêteurs de police et de
dix­neuf ans, le tueur de l’Est parisien sait qu’il gendarmerie, il a œuvré à la création d’un pôle
ne sortira jamais. « Souriant et très à l’aise, on national consacré aux affaires non élucidées
le sent roublard, incertain et sans doute encore et aux crimes en série, ouvert le 1er mars 2022 au
dangereux », estime le magistrat. A force d’ob­ parquet de Nanterre. Son livre est une sorte de
server le crime et les criminels, Jacques Dallest voyage à l’intérieur de cette justice oubliée ou
s’est forgé une conviction : « Donner la mort, négligée. « Cet échec judiciaire est assurément de
finalement, c’est facile et accessible à tous. » Le nature à favoriser la réitération d’un acte crimi­
magistrat du parquet qu’il a été durant vingt­ nel », constate­t­il. Les parcours des criminels en
huit ans – il a quitté le siège et l’instruction série à l’instar de Fourniret, d’Heaulme ou de
en 1994 pour rejoindre le parquet – a porté Georges, sont jalonnés de « cold cases », pour
l’accusation en tant qu’avocat général lors certains désormais résolus, mais pour combien
de nombreux procès d’assises. « Confronté à d’autres encore non élucidés ? p
l’atroce, à l’ignominie, à la lâcheté, mais aussi à yves bordenave
nal, car chaque auteur a souvent, malgré lui,
des petits morceaux d’ego un peu partout. »
Puccino. Les « Tontons rimeurs » du rap ex­
priment leur passion de la langue irriguée
C’est au travers de leurs singularités for­
melles et surtout de leur rapport au lan­
gage et au monde que la revue tente de cer­
ner cette « communauté » hétéroclite sur
la page comme sur l’écran. En particulier
par une boulimie de lecture, mais aussi leur
inquiétude de voir les mots se perdre dans
une société où dominent les images.
Autre temps fort, le portrait sensible et
piqué d’humour de Robert McLiam Wil­
à travers trois dialogues passionnants, où son. Auteur de quatre romans­cultes,
il est question d’images, de musiques des l’écrivain a cessé de publier depuis vingt­
mots, du rapport entre fiction et réalité… six ans. Mais il écrit toujours pour divers
Aux « quatre coins de l’écriture », on re­ journaux, dont Charlie Hebdo, où il tient
trouve Zep et Riad Sattouf, qui évoquent une chronique, et compose des romans
avec drôlerie l’enfance – leur grand thème – dont la parution est régulièrement annon­
et, avec elle, le traitement de la sexualité qui cée. « Ecrire un bouquin, ça expose trop.
« soulève des peurs incroyables » (Riad Sat­ C’est tellement intime, un roman (…) Je suis
touf), dont certaines sont formulées en piégé, happé, handicapé par la honte de ne
plaintes et en demandes de retrait. Entre pas avoir écrit des livres assez bons », con­
roman et reportage, Sylvain Prudhomme fie­t­il. Avant de donner dans un texte sai­
et Florence Aubenas confrontent, eux, leur sissant – « Ecrire, le tuto définitif » – une vi­
quête d’aventure sur le terrain et dans l’écri­ sion vertigineuse de l’écriture. p
ture, leur manière d’aborder le « réel » – en christine rousseau
immersion – et l’exigence qu’ils s’imposent
pour ne pas trahir. Autres arpenteurs de Sphères n° 10. « Les mille visages des
l’ordinaire des vies, MC Solaar et Oxmo écrivains », décembre 2022, 144 p., 20 €
32 | carnet
Jacques Patarozzi
Chorégraphe
En 2011.
MARIE MONTEIRO
S
a chaleur immédiate, son
sourire tout aussi fulgu­
rant accompagnaient des
points de vue affûtés sur
la danse contemporaine, qu’il a
arpentée en tous sens et connais­
sait sur le bout des chaussons de­
puis les années 1970. Le danseur,
chorégraphe et pédagogue, for­
mateur de générations d’artistes
et directeur de festival Jacques Pa­
tarozzi est mort le 22 janvier, à An­
goulême. Il avait 75 ans et souf­
frait d’insuffisance rénale depuis
de longues années.
C’est à Paris que ce Corse, né le
28 avril 1947 à Ajaccio, se forme à
la danse jazz auprès de Gene Ro­
binson, professeur à l’Opéra na­
tional de Paris. Dès 1967, il décro­
che ses premiers contrats d’in­
terprète auprès des compagnies
fameuses de l’époque, celles de
Félix Blaska et Joseph Russillo. Il
file aux Etats­Unis en 1970 et tra­
vaille avec Paul Sanasardo.
C’est là qu’il rencontre, en 1972,
Pina Bausch (1940­2009) ainsi
que le danseur Dominique
Mercy, qui deviendra l’une des fi­
gures emblématiques de la
troupe de l’artiste allemande ba­
sée à Wuppertal (Allemagne), et
Malou Airaudo. De retour en
France en 1975, Jacques Patarozzi
prend la direction de l’école de
danse du Nouveau Carré Silvia
Monfort, à Paris.
Un an plus tard, en 1976, avec
Mercy, Airaudo, Dominique Petit
et Helena Pikon, ils fondent La
Main, qui présentera des specta­
cles pendant quatre ans. Sur l’in­
vitation de Pina Bausch, il la re­
joint, à Wuppertal, en 1978, et col­
labore avec elle le temps d’une sai­
son. Il y crée notamment le
personnage d’un ange dans Re­
nate wandert aus (1978). « Il y était
très touchant, se rappelle Domini­
que Mercy. Jacques était quel­
qu’un de très doux, très généreux.
Dans son travail de chorégraphe, il
était à la recherche d’une forme
d’épure, d’essentiel. »
« Le goût du mouvement »
Expressive, suggestive, avec un
accent sur le dos et les ports de
bras, l’écriture de Jacques Pataro­
zzi rayonne à partir de 1982 dans
une autre troupe, Balmuz. Il y
met en scène des pièces jus­
qu’en 1996, dont A Mossa, où il
décline des tableaux de la vie
quotidienne en Corse sur des
chants polyphoniques. Il donne
aussi des cours et s’affirme en pé­
dagogue de plus en plus couru.
Dans son studio de répétition pa­
risien se retrouvent nombre de
jeunes interprètes et chorégra­
phes des années 1980­1990. « Son
travail au sol était prodigieux,
28 AVRIL 1947 Naissance
à Ajaccio
1975 Dirige l’école de danse du
Nouveau Carré Silvia Monfort
1999 Crée le festival Le Prin-
temps de la danse en Charente
2009-2014 Dirige le théâtre
L’Avant-Scène Cognac
22 JANVIER 2023 Mort
à Angoulême
commente Philippe Le Moal, ins­
pecteur de la création artistique
au ministère de la culture. Une de
ses expressions favorites était :
“Tu dois trouver le goût du mouve­
ment comme si tu le mangeais.” »
Cette gourmandise et cette sa­
veur du geste, Frédéric Seguette,
complice de création du choré­
graphe Jérôme Bel, aujourd’hui
directeur du Dancing, Centre de
développement chorégraphique
national, à Dijon, qui a été son
élève et interprète de 1992 à 1997,
s’en souvient également.
« Il s’accompagnait d’un petit
tambour et en chantant. Avec lui,
j’ai appris le sens du travail du
danseur et le corps joyeux, qu’il
comparait souvent à un instru­
ment de musique, un tambour ou
la corde d’un piano, dont on cher­
che la bonne tension pour qu’il ré­
sonne pleinement. Je pense à lui
chaque matin lorsque je fais mon
training. »
En 1999, Jacques Patarozzi en­
dosse un nouveau rôle, celui de
directeur de festival, et crée Le
Printemps de la danse en Cha­
rente, à Villebois­Lavalette. Une
« manifestation qui reste assuré­
ment une magnifique folie et une
profonde illustration de sa capa­
cité à marier rêve et énergie, af­
firme Philippe Le Moal. Il me di­
sait en riant qu’il y montrait la
danse contemporaine au cul des
vaches ». Patarozzi dirige ensuite
le théâtre L’Avant­Scène Cognac,
de 2009 à 2014, dans le cadre du­
quel il pilote un nouveau rendez­
vous, « Danse et vous », à partir
de 2010.
Parallèlement, il commence à
pratiquer le zen avec son maître,
Jacques Brosse (1922­2008), philo­
sophe et moine bouddhiste. Or­
donné lui­même moine en 2004,
il proposait des séances de médi­
tation à Angoulême. Il vivait dans
le petit village de Salles­Lavalette
avec sa compagne, et danseuse,
Fabienne Soula, avec laquelle il a
eu deux enfants, Mathieu, inter­
prète remarqué auprès des choré­
graphes contemporains Thomas
Lebrun et Olivia Grandville, et Lu­
cie, costumière pour des compa­
gnies de danse. p
rosita boisseau
Le Carnet
Vous pouvez nous faire
parvenir vos textes
soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
d’abonné ou de membre
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AU CARNET DU «MONDE»
Anniversaire de naissance
27 janvier 2023.
À Ses petits-enfants
Caroline LUTZ.
Joyeux anniversaire à une jeune
maman.
E RL.
Décès
Paris. Buenos Aires.
Bruno,
son fils,
a la grande tristesse de faire part du
décès de
Julio BACHINI,
architecte,
survenu le 18 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Une cérémonie d’adieu aura lieu
le jeudi 2 février, à 10 h 30, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
bruno.bachini@wanadoo.fr
Nous avons la tristesse d’annoncer
le décès de
Monica BELIN FORTER,
survenu à Forbach, le 11 janvier 2023,
dans sa centième année.
Nicole Belin,
Claude About Belin,
ses filles,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants.
« Qu’elle repose en paix ! ».
Anne-Marie,
son épouse
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jean BOCQUET,
professeur des Universités de Caen,
engagé dans la vie
associative et syndicale,
humaniste et amateur de bons mots,
survenu le samedi 21 janvier 2023, dans
sa quatre-vingt-cinquième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 2 février, à 10 h 30, à Paris 4e.
L’inhumation sera faite au cimetière
de Château-Gaillard (Ain).
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Condoléances, inscription et détails
sur https://jean.bocquet.name
Pierrette et Lucie,
ses filles,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
ont la douleur et le chagrin de faire
part du décès de
Georges COMBE,
agrégé de l’Université,
survenu le 25 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le lundi 30 janvier, à 14 h 30, en
l’église Saint-Blaise, à Ecully (Rhône),
suivie de l’inhumation au cimetière
de Loyasse ancien, Lyon 5e.
Ses ami(e)s
Et ses proches,
ont la tristesse d’annoncer la brutale
disparition survenue le 5 janvier 2023,
de
Catherine DELATTE,
dite Almeras.
Ses obsèques se sont tenues dans
la plus stricte intimité, à Paris.
Poitiers.
M. Jean Louis Duchet,
son mari,
Mlle Anaïs Duchet,
sa fille,
Mme Marie-Cécile Desmarest,
Mme Brigitte Daufresne,
Mme Chantal Filhol,
M. et Mme Jean Filhol,
M. et Mme Hervé Buthaud,
M. et Mme François Filhol,
Mme Claire Filhol, M. Philippe Filhol
et Mme Catherine Lenôtre,
ses frères et sœurs
Ainsi que ses neveux et nièces,
font part de la douloureuse perte de
Mme Bénédicte
DUCHET-FILHOL,
autrice et traductrice,
survenue à Poitiers,
le 24 janvier 2023,
dans sa soixante-douzième année.
Les obsèques civiles seront célébrées
le lundi 30 janvier, à 16 heures, au
cimetière de La Chapelle-Montreuil,
à Boivre-la-Vallée (Vienne).
Le corps repose au salon funéraire,
90, avenue Jacques-Cœur, à Poitiers.
PFG,
avenue Jacques-Cœur,
86000 Poitiers.
Tél. : 05 49 41 05 69.
Adriers (Vienne). Paris. Toulouse
(Haute-Garonne).
Anne, Patrick, Olivier, Lucile,
ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
ont le regret d’annoncer de décès du
professeur
Henry ESCHAPASSE,
survenu à l’âge de cent trois ans, à
Paris, le 22 janvier 2023. Il est parti
dans son sommeil.
Les obsèques auront lieu le samedi
28 janvier, à 15 heures, en l’église
d’Adriers.
Ni fleurs ni couronnes.
famille@eschapasse.com
Pompes funèbres Isloise,
86150 L’Isle-Jourdain.
Tel. : 05 49 48 25 80.
Emmanuelle Grün,
sa fille
et son compagnon, Frédéric Legris,
Aline Grün,
sa petite-fille,
Roxane Grün,
son arrière-petite-fille,
Gilles Delhomme,
Maxime Delhomme,
son épouse, Azumi Ito-Delhomme,
et leurs enfants, Kei, Maï, Miwa,
ses beaux-fils,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Philippe GRÜN,
cadre administratif
à l’Aérospatiale,
il a été aussi
un fidèle contributeur
à la rubrique des lecteurs du Monde,
survenu le 19 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Un dernier hommage laïc lui est
rendu au cimetière de La Celle-Saint-
Cloud (Yvelines), 1, avenue Auguste-
Dutreux, ce vendredi 27 janvier, à
14 heures.
Françoise,
son épouse,
Stéphane et Sébastien,
ses fils,
Delphine et Mireille,
ses belles-filles,
Hugo, Romane, Raphaël, Loïs et
Ludivine,
ses petits-enfants
Et l’ensemble de sa famille,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Patrick KULESZA,
ancien directeur
de l’organisation
du contrôle économique
chez Renault,
et président exécutif du GITPA,
survenu le 15 janvier 2023,
dans sa quatre-vingtième année.
Une cérémonie sera organisée au
crématorium de Clamart (Hauts-de-
Seine), le mardi 31 janvier, à 15 heures.
0123
SAMEDI 28 JANVIER 2023
Les membres du bureau du GITPA Mme Jacqueline Potier,
(Groupe international de travail pour
les peuples autochtones)
Et la codirection de la collection
Questions Autochtones aux éditions
son épouse,
Jean Louis et Emmanuel,
ses enfants,
Jean Pierre,
son frère,
L’Harmattan,
annoncent avec beaucoup d’émotion
avec leurs conjoints et proches,
Kirsten, Colette,
ont la très grande douleur d’annoncer
et de tristesse le décès de
le décès de
M. Michel POTIER,
Patrick KULESZA, docteur ès sciences économiques,
président exécutif du GITPA
ancien directeur adjoint
à la Direction de l’environnement
de l’OCDE,
le 15 janvier 2023, à Paris, à la suite
survenu le 22 janvier 2023,
d’une longue maladie.
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Tout en étant directeur de
La cérémonie religieuse aura lieu
l’Organisation du contrôle économique le lundi 30 janvier, à partir de 10 h 15,
chez Renault, Patrick s’était investi
en l’église Notre-Dame de Boulogne,
depuis trente-cinq ans dans la défense à Boulogne-Billancourt.
des droits des peuples autochtones.
Avec Survival France d’abord, puis au L’inhumation aura lieu le mercredi
sein du GIPTA créé en 2002 avec des 1er février, à partir de 14 h 15, au
cimetière communal d’Autrans (Isère).
anthropologues, il y avait développé
de nombreuses activités dont une
collection de livres afin de mettre Betty Robin, née Lang,
à disposition du public toute son épouse,
l’information possible sur la Geneviève Robin,
sa sœur
situation des peuples autochtones Et toute sa famille,
et leurs revendications politiques.
font part avec tristesse du décès de
Les obsèques auront lieu au
crématorium de Clamart (Hauts-de- Guy ROBIN,
Seine), 104, rue de la Porte de Trivaux,
survenu à Nairobi,
le 31 janvier, à 15 heures.
dans sa quatre-vingt-treizième année.
Ses enfants, P.0.Box 63212-00619
Nairobi (Kenya).
Et ses arrière-petits-enfants, 32, rue de Varenne,
75007 Paris.
ont la tristesse de faire part du décès
de
Conférences
Robert PIARD, Le Foyer de l’âme présente son cycle
ancien président de cultes-conférences 2023 :
de KPMG Fiduciaire de France, « Homme et femme il les créa »
En égalité !
survenu le 24 janvier 2023, à Sanary-
sur-Mer (Var), sans souffrance. • Dimanche 29 janvier, à 10 h 30 :
Anne Soupa, écrivain et bibliste,
« Femmes et catholicisme,
Il rejoint sa femme,
qu’est-ce qui cloche ? »
Geneviève PIARD, • Dimanche 5 février, à 10 h 30 :
née PIGER, Michelle Perrot, historienne
institutrice, « La lutte des femmes pour l’égalité »
décédée le 30 octobre 2022. • Dimanche 12 février, à 10 h 30 :
Azadeh Kian,
Robert Piard sera incinéré cette sociologue, directrice du CEDREF,
« L’islam iranien face aux luttes
semaine dans l’intimité, baigné par pour la laïcisation par le bas ».
notre affection et par le souvenir des
jours heureux. Temple protestant du foyer de l’âme,
7 bis, rue du Pasteur Wagner,
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SAMEDI 28 JANVIER 2023 0123 | 33

CULTURE | CHRONIQUE FACE À 

p a r m i c he l g ue r ri n
LA RUSSIE,   l’industrie a su s’adapter à la crise énergé­ d’opposition en France. Les sanctions occi­

France et Etats- LA RÉSILIENCE  tique. Le « bouclier » de 200 milliards

d’euros brandi par le gouvernement d’Olaf
DE L’ÉCONOMIE  Scholz pour protéger les entreprises alle­
Unis, la bataille culturelle EUROPÉENNE
mandes paraît aujourd’hui largement
surdimensionné.
Après une phase délicate de flambée des
prix du gaz, entraînant dans son sillage
celle des prix de l’électricité, l’Europe a su se
dentales et le soutien à l’Ukraine devaient
précipiter la récession de l’économie euro­
péenne. La pression exercée par le mé­
contentement des opinions publiques fini­
rait par faire voler en éclats l’unité des
Européens face à l’agression russe. Le scé­
nario ne s’est pas produit et chaque jour ap­
porte la preuve que le prix à payer pour dé­

R
ima Abdul Malak mène LORS DE SES VŒUX,  sevrer en un temps record des énergies fos­ fendre nos intérêts n’a rien d’exorbitant et
le combat sur un terrain siles russes. La douceur de l’hiver, l’effica­ que la détermination des Vingt­Sept n’est
miné, jamais foulé par RIMA ABDUL MALAK  cité des mesures de sobriété et la diversifi­ pas près de vaciller.
ses pairs, et on se de­ cation des approvisionnements ont permis Certes, ces prochains mois, l’économie
mande quelle mouche l’a piquée. EST SORTIE DU BOIS  de calmer la spéculation et d’éloigner les européenne devra encore faire face à des
Parmi ses priorités, exposées lors menaces de pénurie. En ce début d’année vents contraires, avec une inflation élevée
POUR PRÉSERVER 
de ses vœux le 16 janvier, la minis­
tre entend « lutter contre les assi­
gnations identitaires et la cancel
culture ». On ne lui a pas encore
collé l’étiquette de réac. Il est vrai
« LE MODÈLE » FRANÇAIS

culturels aux Etats­Unis. Dans

qu’elle ne prononce pas le mot
« wokisme », devenu tarte à la
crème, ne dit rien sur les explosi­
ves études décoloniales à la fac,
campe dans la création. Malin.
Et puis elle n’est pas seule à pen­
ser qu’il y a danger. L’Observa­
toire de la liberté de création, qui
regroupe, au sein de la Ligue des
droits de l’homme, des organis­
mes divers comme la CGT­Specta­
cle, déplore une « vague inédite de
déprogrammations dans tous les
champs de l’art et de la culture »
(Libération, 7 janvier) : le film Les
Amandiers, retiré de cinémas au
motif qu’un acteur est poursuivi
pour viols et violences sur d’an­
ciennes compagnes ; la pièce Pour
un temps sois peu, déprogram­
mée par le Théâtre 13, à Paris, la
comédienne n’étant pas trans­
genre alors que son rôle l’est ; l’ex­
l’Hexagone, pas encore. Sur
France Inter, le 31 décembre 2022,
l’acteur Vincent Dedienne a rétor­
qué que si Tom Hanks n’est pas
gay, Denzel Washington, son avo­
cat dans le film, n’est pas avocat
dans la vie, ajoutant : « Il fait sale
temps pour les acteurs. »
Pour les œuvres aussi. La rétros­
pective de l’immense artiste amé­
ricain Philip Guston (1913­1980) a
été reportée de 2020 à 2022 par
trois musées américains et par la
Tate Modern de Londres parce
que certaines toiles représentant
le Ku Klux Klan (KKK), quoi­
que dénonçant le suprématisme
blanc, peuvent heurter les Noirs.
Il a fallu attendre deux ans pour
que « le puissant message de jus­
tice sociale et raciale de Guston
puisse être plus clairement com­
pris » (dixit un communiqué de
P rès d’un an après le début de l’inva­
sion russe de l’Ukraine, au­delà de la
tournure que prennent les combats,
un autre enjeu pèse sur l’issue du conflit :
celui de la résilience de l’économie euro­
péenne face aux conséquences de la guerre.
De la capacité à absorber ce choc dépendent
deux choses : la solidité du soutien que les
Vingt­Sept apportent à Kiev et l’acceptabi­
lité des efforts qui sont demandés à leurs ci­
toyens. Or, depuis quelques semaines, les
sombres perspectives sur la conjoncture
européenne commencent à se dissiper.
L’Allemagne table désormais sur une lé­
gère croissance au premier trimestre,
alors qu’il y a encore quelques semaines la
plupart des économistes misaient sur une
récession. L’inflation se calme, les difficul­
tés d’approvisionnement se résorbent, et
2023, les cours du gaz naturel et de l’électri­
cité sont même inférieurs à ceux constatés
juste avant l’éclatement du conflit.
L’emploi tient également le choc. La zone
euro compte trois millions d’emplois de
plus qu’avant la pandémie de Covid­19, et le
chômage est au plus bas. La France ne fait
pas exception. Malgré le ralentissement de
la croissance, les faillites d’entreprises res­
tent contenues, et le taux de chômage, en
baisse de 10 % sur l’ensemble de 2022, est
revenu à son niveau de 2011. Quant à la
croissance, elle s’annonce plus molle, mais
il n’y aura ni recul du PIB ni explosion du
chômage, même si le pouvoir d’achat des
Français est sous tension.
Ces bonnes nouvelles viennent contre­
dire le récit nourri par la propagande russe
et repris à leur compte par certains partis
et des prix énergétiques qui pourraient re­
partir à la hausse dès que la Chine aura
tourné la page du Covid. Mais, en atten­
dant, il faut se féliciter que l’Union euro­
péenne (UE) ait réussi à contenir les effets
de la guerre sur son économie.
Si la Russie n’a pas pu éviter la récession
en 2022, elle fait également mieux que
prévu. Cela pourrait ne pas durer, car les
effets des sanctions décidées par les Occi­
dentaux sont graduels et cumulatifs. Plus
le temps passe, plus leur impact s’intensi­
fiera. La guerre en Ukraine ne se joue pas
seulement sur la capacité des Européens à
soutenir l’effort de guerre ukrainien, elle
dépend aussi du rapport de force sur le
plan économique entre l’UE et la Russie.
La première qui craquera perdra une ba­
taille importante. p

position de Bastien Vivès, annu­
lée au Festival international de la
bande dessinée d’Angoulême
pour des albums et propos accu­
sés de promouvoir la pédoporno­
LE SALON DES
l’époque). Traduisons : Guston est
blanc et le public ne fait plus la
différence entre montrer, adhérer
ou dénoncer. Ces deux années
ont surtout permis de « reprofi­

graphie et la pédocriminalité.
L’Observatoire déplore une
confusion des rôles : au program­
mateur de montrer une œuvre et
de créer le débat si elle est problé­
matique ; au juge de l’interdire au
nom de la loi. Marqué à gauche,
cet observatoire déplore que
« d’autres types de censure » voient
le jour, encouragés par des grou­
pes antiracistes ou féministes. Et
de finir : « Le temps de la résistance
MASTERS & MS
ler » une exposition dont la pre­
mière étape, à Boston fin 2022, a
vu cinq toiles sur le KKK retirées
sur les quinze prévues.
Les Oscars d’Hollywood veulent
aussi interférer sur les œuvres.
Pour concourir en 2024 dans la
catégorie du meilleur film, il fau­
dra remplir deux de ces critères :
un rôle principal ou secondaire
issu « d’un groupe ethnique sous­
représenté » ; 30 % des rôles se­

SAMEDI 28 JANVIER 2023

est peut­être devant nous. »
Posture dominante
Contrairement à sa prédécesseure
Roselyne Bachelot, Rima Abdul
Malak estime que Bertrand Can­
tat, qui a purgé sa peine pour le
meurtre de sa compagne Marie
Trintignant, peut chanter à nou­
veau. Et que Bastien Vivès peut
publier ou exposer tant qu’un
juge ne s’y oppose pas. Elle va plus
loin. Attachée culturelle à New
York pendant cinq ans, elle re­
doute de voir la France prendre le
chemin américain de la censure
de livres, films, tableaux. Par l’ex­
trême gauche dans le champ intel­
lectuel au nom des minorités ; par
l’extrême droite politique, au nom
de la majorité blanche. Elle est sur
la ligne du philosophe Ruwen
Ogien (1947­2017), distinguant
l’offense du préjudice : un créateur
peut offenser mais ne peut pas
nuire. En Amérique du Nord, of­
fenser est devenu blasphème. Les
conséquences sont vertigineuses.
« Il n’est pas question de restrein­
dre (…) la liberté d’interpréter tel
ou tel rôle », dit la ministre, pour
qui un Noir peut jouer un Blanc,
un hétéro, un homo, une femme
un personnage trans. Et inverse­
ment. Elle vise Tom Hanks, osca­
risé pour son rôle d’homosexuel
atteint du sida dans Philadelphia
(1993), qui, aujourd’hui, refuserait
le rôle, parlant de « l’inauthenti­
cité d’un hétéro jouant un gay ».
Ce sont surtout les communau­
tés qui n’acceptent plus d’être
racontées par « un étranger ».
Cette posture est largement
dominante dans les milieux
EN AMÉRIQUE DU NORD,  nord­américaine, n’étaient pas
OFFENSER EST DEVENU  désormais de transmettre un sa­
BLASPHÈME. LES  communautés » et non plus
CONSÉQUENCES SONT  d’étudier des œuvres mais de les
VERTIGINEUSES
condaires issus de « groupes » mi­
noritaires ; une intrigue axée sur
une minorité.
La phobie de l’offense est telle
qu’un musée consacré à l’histoire
d’Hollywood, ouvert à Los Ange­
Paris Montreuil Expo | 10h-18h
les en 2021, a occulté le rôle central
des juifs, parce qu’ils sont considé­
rés comme « blancs ». Pour la
même raison, depuis trois ans, des
LES CONFÉRENCES
musées d’Amérique du Nord con­ animées par les journalistes du Monde et de L’Obs
gédient des conservateurs pour
un mot de travers. Le pompon est
attribué au prestigieux Musée des 10H30 - 11H15 13H30 - 14H15
beaux­arts du Canada, à Ottawa,
qui, dans le cadre d’un plan « révo­ Entrée en master : être à la Suivre son master en contrat
lutionnaire de décolonisation », et fois ambitieux ET crédible d’apprentissage : avantages
dont la quête de pureté est sans
et inconvénients
limites, a récemment licencié,
parmi quatre chercheurs, Greg A.
11H30 - 12H15
Hill, sommité en arts autochtones Ecoles de commerce ou IAE : 14H30 - 15H15
et autochtone lui­même.
Ces exemples, parmi d’autres,
choisir le bon master en Faire un mastère spécialisé en
expliquent pourquoi Rima Abdul management grande école : quelle plus-value ?
Malak sort du bois pour préserver
« le modèle » français – une autre 12H30 - 13H15 15H30 - 16H15
exception culturelle. Exagère­t­
elle la menace ? Difficile de répon­ Ecoles d’ingénieurs : Universités : mode d’emploi
dre. Il faudrait déjà pouvoir cer­ quel master pour se spécialiser ? de la sélection en master
ner l’autocensure par crainte
d’avoir une communauté et les
réseaux sociaux sur le dos. L’écri­
16H30 - 17H15
vain Yannick Haenel, dans Libéra­ Choisir son école de
tion du 6 janvier, écrit que la li­
berté d’expression « ne fait que
commerce et son master
faiblir », constatant, entre autres,
que Charlie Hebdo, où il est chro­
niqueur, est un baromètre fort
contesté parmi les intellectuels.
Une chose est sûre, la France est
toujours plus isolée et le modèle
anglo­saxon a gagné l’Europe du
Nord. Les musées du monde
entier ont par exemple adopté en
août 2022 une nouvelle défini­
tion de leurs missions, dont cer­
tains mots au goût de guimauve
voulus par la France. Leur rôle est
INSCRIPTION GRATUITE
voir « avec la participation des
SAMS.GROUPELEMONDE.FR
« interpréter ». Comme ces choses
sont bien dites. p