JEUDI 15 JUIN 2017

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Bayrou défend, dans la tourmente, GRÈCE

LE PIÈGE
sa loi de moralisation de la vie politique DE LA DETTE
tsipras souhaite des engage-
ments de la part du FMI et des
▶ Dans un entretien ▶ Des situations douteu- ▶ Sur l’affaire des assistants ▶ Il défend également le Européens sur une restructura-
tion de la dette (180 % du PIB) à
au « Monde », le garde ses « vont trouver une ré- parlementaires du MoDem projet de loi antiterroriste l’issue de l’Eurogroupe, le 15 juin.
des sceaux explique ponse décisive » et il sera qui le vise désormais, Fran- mais souhaite que le juge Il y a deux ans, l’option du
« Grexit » était sur la table. Le pire
le contenu du projet de loi mis fin à « des pratiques çois Bayrou affirme qu’« il judiciaire trouve sa place avait finalement été évité, le gou-
pour « la confiance dans ou des facilités d’un autre n’y a jamais eu de pratique dans le dispositif vernement avait remisé ses pro-
la vie démocratique » âge », estime le ministre critiquable » PAGE S 8 - 9 DÉBATS PAGE 2 0
messes d’en finir avec l’austérité,
instauré un contrôle des capitaux
et accéléré les réformes. Si les
créanciers d’Athènes ne bougent
pas sur la dette, rien ne garantit

MACRON, UN MOIS DE PRÉSIDENCE IMPÉRIEUSE LÉGISLATIVES

que la Grèce pourra se financer
seule sur les marchés quand le
troisième plan d’aides s’achèvera.
Le chef de l’Etat impose à l’Elysée son goût du contrôle. Récit PAGE S 1 2 - 1 3 CAHIER ÉCO – P. 2 - 3

LA DÉROUTE DU PS LA TRIBUNE D’ALEXIS TSIPRAS –P. 2 1

ET DE LR EST
AUSSI FINANCIÈRE Renault-Nissan
En raison de leurs L’affaire des
mauvais résultats, les
deux partis vont devoir bonus cachés
vivre avec des aides
publiques très nette- de Carlos Ghosn
ment en baisse. Hypo-
théquer la Rue de Solfé- Par le biais d’une fonda-
rino ou emprunter : tion néerlandaise, les diri-
chacun tente de trouver geants de Renault, Nissan
une solution et Mitsubishi seraient inté-
PAGE 1 0
ressés aux synergies entre
les constructeurs
CAHIER ÉCO – PAGE 4
UNE ASSEMBLÉE
NATIONALE
PLUS FÉMININE
ÉD ITO R IAL
1
Quelle que soit l’issue
du second tour, diman-
che prochain, le nombre BREXIT, DUR OU
d’élues, notamment DOUX, MAIS RAPIDE
sous l’étiquette LRM,
A Versailles, le 29 mai.
sera en forte progres- P A G E 23
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE » sion dans l’Hémicycle NOS INFORMATIONS PAGE 5
PAGE 1 1

Philippines VTC Santé Jazz

Le patron d’Uber Des liens entre Les amours
L’armée peine se met à l’écart les perturbateurs marseillaises du
à reconquérir d’un groupe endocriniens et la pianiste américain
Marawi, à l’image écornée
CAHIER ÉCO – PAGE 4
puberté précoce ?
PAGE 6
Ahmad Jamal
PAGE 1 5

occupée par l’EI

La ville du sud de l’archi- LE REGARD DE PLANTU
pel, à majorité musul-
mane, est tombée aux
mains de l’organisation,
renforcée d’éléments
étrangers. Reportage
PAGE 2

LE MONDE
DES VINS
▶ Quand Bordeaux
se montre, la
Bourgogne se cache

▶ Le docteur Michel
Cymes défend (avec
modération) le vin

Algérie 220 DA, Allemagne 3,00 €, Andorre 3,00 €, Autriche 3,10 €, Belgique 2,70 €, Cameroun 2 100 F CFA, Canada 5,20 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 100 F CFA, Danemark 33 KRD, Espagne 2,90 €, Finlande 4,50 €, Gabon 2 100 F CFA, Grande-Bretagne 2,40 £, Grèce 3,00 €, Guadeloupe-Martinique 2,90 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,90 €, Italie 2,90 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,70 €, Malte 2,70 €, Maroc 17 DH, Pays-Bas 3,00 €, Portugal cont. 2,90 €, La Réunion 2,90 €, Sénégal 2 100 F CFA, Slovénie 2,90 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,90 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,10 DT, Afrique CFA autres 2 100 F CFA
2|
INTERNATIONAL
Les djihadistes défient l’armée philippine
Dans le sud de l’archipel, des combattants ralliés à l’organisation Etat islamique occupent la ville de Marawi
REPORTAGE
marawi (île de mindanao,
philippines) - envoyé spécial
L
es bombardiers légers
tournoient au-dessus de
la ville et piquent avant de
larguer leur charge juste
derrière la mosquée qui marque
le centre de Marawi. Ils tentent
d’appuyer des troupes au sol dé-
sarçonnées par l’opiniâtreté des
combattants djihadistes qui, de-
puis trois semaines, soutiennent
un siège dans cette cité de l’ex-
trême sud philippin, dont ils con-
trôlent 20 % dans les quartiers les
plus au centre.
Marawi s’est vidée de ses
200 000 habitants. Les rues ne
sont plus occupées que par des
chiens errants. Façades et devan-
tures sont criblées d’impacts de
balles. Des camions militaires fi-
lent pour rejoindre le front, centré
sur les ponts sur la rivière qui
coupe la ville en deux, où l’on tire
en continu. Leurs camarades aux
checkpoints les saluent, contents
de ne pas être à leur place.
Le soldat Labarda, 27 ans, fusil
d’assaut M16 en bandoulière, con-
fie avoir été déconcerté par le ni-
veau de préparation de l’ennemi.
« Ils sont très bien entraînés et il y a
beaucoup d’étrangers parmi eux,
nous avons été surpris qu’ils soient
si forts », dit-il. Aux côtés de mu-
sulmans de l’île de Mindanao, où
se trouve Marawi, l’armée a iden-
tifié des Yéménites, des Saou-
diens, ou encore des Indonésiens
et des Tchétchènes. Le mari de la
cousine du soldat a été abattu par
l’un de ces snipers. La mairie a pé-
niblement été libérée et l’armée
est parvenue à reprendre certains
des ponts mais en payant le prix
fort : samedi 10 juin, 13 soldats
étaient tués au front.
Mer de Chine
méridionale
Manille
PHILIPPINES
Marawi
Mer
de Sulu
Davao
Butig
MALAISIE Mindanao
Etat
de Sabah
Ile de
Bornéo
INDONÉSIE 250 km
Selon Manille, 202 assaillants
ont trouvé la mort, ainsi que 26 ci-
vils et 58 soldats. Mais, selon la
presse locale, les familles d’une
cinquantaine de policiers seraient
sans nouvelles d’eux depuis trois
semaines. Faute de budget, les sol-
dats philippins n’ont pas de gilets
pare-balles. Leur terrain histori-
que, c’est la jungle dans laquelle ils
ont traqué, pendant des années,
les guérillas communistes et mu-
sulmanes séparatistes. Le combat
urbain leur est étranger.
Eglises et université brûlées
Jusqu’au plus haut niveau de
l’Etat, on a refusé de croire que
l’alliance inédite de djihadistes in-
ternationaux, de terroristes isla-
mistes locaux et d’une puissante
famille des environs parviendrait
à prendre, même temporaire-
ment, un important centre ur-
bain de Mindanao, deuxième île
de l’archipel philippin.
Cet hiver, une famille armée de
cette région où sévissent les guer-
res de clans, les Maute, qui s’était
un temps associée au Front moro
islamique de libération, s’est al-
liée aux combattants islamistes
de l’organisation Abou Sayyaf. De-
puis les années 1990, ces derniers
se financent par des prises d’ota-
ges et des actes de piraterie. Abou
Sayyaf a prêté allégeance à Al-
Qaida puis, plus récemment, à
l’organisation Etat islamique (EI),
mais restait jusqu’alors confiné à
la péninsule à l’extrême sud-
ouest de Mindanao et aux petites
îles qui séparent les Philippines
de l’Indonésie et de la Malaisie. La
famille Maute et les combattants
qui se sont joints à elle se font dé-
sormais appeler « Etat islamique
de Lanao », du nom du lac qui
borde Marawi. Le père et la mère,
en fuite, ont été arrêtés. Deux fils
continueraient de conduire les
opérations à Marawi.
Les Maute avaient déjà pu se sai-
sir, fin 2016, d’une petite com-
mune, Butig, à une cinquantaine
de kilomètres de Marawi. Ses com-
battants avaient hissé le drapeau
noir de l’EI sur la mairie avant que
l’armée n’en reprenne le contrôle.
A l’époque, le président philippin,
Rodrigo Duterte, avait moqué leur
proposition de se retirer si l’armée
philippine cessait ses opérations :
« Ils ont dit que sinon ils descen-
draient sur Marawi et la brûle-
raient ». « Allez-y, faites-le ! », les
avait mis au défi le chef de l’Etat.
Et c’est exactement ce qui s’est
produit. Le renseignement mili-
taire philippin dit avoir tenté
le 23 mai d’appréhender le leader
d’Abou Sayyaf, Isnilon Hapilon,
après avoir eu vent de sa présence
à Marawi, mais l’armée serait alors
tombée sur un groupe bien plus
nombreux qu’anticipé. L’ennemi
se préparait à prendre la ville au
premier jour du ramadan, le
26 mai, et est passé à l’acte trois
jours plus tôt que prévu du fait de
la descente des forces philippines.
Entre 14 heures et la tombée de
la nuit du 23 mai, les combattants
djihadistes avaient pris les princi-
paux ponts de Marawi, brûlé égli-
ses et université, et ouvert la pri-
son pour en libérer leurs camara-
des détenus. Un prêtre et ses
ouailles furent pris en otage en
pleine messe. Une centaine de ci-
vils serviraient depuis de bouclier
humain et le choix de bombarder
malgré tout a été très critiqué, no-
tamment par la Commission des
droits de l’homme philippine.
Lalaiyan Ali, 39 ans, se tenait
comme à son habitude devant sa
petite épicerie, à deux maisons du
centre pénitentiaire. Elle a vite re-
connu Pangli, le fils d’une amie,
dont tout le monde pensait qu’il
étudiait à Manille ; ses parents lui
envoyaient même de l’argent
pour ça. Alors que Pangli se tenait
face à elle, fusil d’assaut à la main,
elle lui a demandé ce qu’il faisait
là. « Il a répondu que c’était comme
ça, que c’était les ordres qu’il avait
reçus », se souvient Mme Ali, dont
la famille vit désormais dans un
gigantesque camp de déplacés à
l’extérieur de Marawi.
Jake Kasim et Khalainie Mala,
ses cousins, ont subi le même in-
terrogatoire que tous les hommes
croisés par les djihadistes. « Ils ont
demandé notre religion. Quand ils
« Il y a beaucoup
d’étrangers parmi
les combattants,
nous avons été
surpris qu’ils
soient si forts »
LABARDA
soldat de l’armée philippine
ont été certains que nous étions
musulmans, ils nous ont laissé
quitter la ville », raconte le pre-
mier. L’un des combattants qu’il a
vu était de type sud-asiatique,
« probablement du Bangladesh ».
Un autre devait être malaisien.
Influence wahhabite
Aliasgar Ibrahim a fait une expé-
rience similaire. Ce prothésiste
dentaire a tout de suite identifié
une connaissance, un certain
Bobby, qui gérait une concession
de camions mais faisait une lec-
ture rigoriste de l’islam et avait
disparu ces derniers mois. « Il y a
beaucoup de gens autour de Ma-
rawi qui ont rejoint la famille
Maute, ça se savait dans la ville »,
dit-il. M. Ibrahim lui a demandé si
ça allait durer et a décidé, au vu de
sa réponse, de quitter Marawi
avec sa famille.
Au contraire, Norodin Alonto
Lucman, espérant que ça ne dure-
rait pas, est resté. Issu d’une im-
portante famille musulmane de
la région, il était convaincu qu’on
le laisserait sain et sauf. Il connaît
personnellement des membres
du clan Maute, qui avaient parti-
cipé par le passé à la guérilla indé-
pendantiste du Front moro isla-
mique de libération. Ces hommes
connaissent parfaitement le ter-
rain et ont pris le contrôle d’abris
sous-terrains construits par les
habitants après un soulèvement
sécessionniste musulman écrasé
par l’armée en 1972.
« Abou Sayyaf leur apporte l’ar-
gent des kidnappings, ses combat-
tants étrangers et la marque Etat is-
lamique, qui est une forme de mar-
keting international », explique-
t-il. Ancien vice-gouverneur de la
Région musulmane autonome de
Mindanao et historien de l’islam –
il a étudié dans sa jeunesse à
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Un camp à
l’extérieur de
Marawi accueille
les civils ayant
réussi à échapper
aux combats qui
opposent depuis
trois semaines les
soldats philippins
aux islamistes
dans le centre de
la ville. JES AZNAR
POUR « LE MONDE »
La Mecque… aux côtés d’Oussama
Ben Laden –, Norodin Alonto Luc-
man déplore l’influence crois-
sante du wahhabisme à Marawi,
où une mosquée porte le nom du
roi Fayçal d’Arabie saoudite.
Un combattant s’est présenté à
sa porte et lui a dit qu’il était
« prêt à mourir pour le djihad ». A
l’intérieur, M. Alonto Lucman ca-
chait 74 civils, essentiellement
des chrétiens craignant d’être
pris en otage, dont des techni-
ciens des télécoms qui réparaient
une antenne de réseau mobile
sur son toit. Au douzième jour, la
faim des familles qu’il dissimu-
lait l’a contraint à prendre une
décision. Il a appris aux chrétiens
à bien prononcer « Allahou ak-
bar » s’ils étaient interpellés, puis
ils ont marché jusqu’aux forces
gouvernementales, pendant
deux kilomètres, « les plus lon-
gues minutes de ma vie ». D’autres
les ont rejoints, l’on compta
144 sauvés à l’arrivée.
Combien restent encore blo-
qués, craignant tout autant les sni-
pers djihadistes que les tirs et les
bombes de l’armée ? Peut-être
2 000, a estimé l’armée, mais cer-
tains ont été sauvés depuis. Une
équipe de volontaires, surnom-
mée « l’escadron suicidaire », tente
des missions de secours sous le
feu auprès des civils qui ont ap-
pelé un numéro diffusé par SMS.
« Quatre à dix personnes nous ap-
pellent chaque jour, des chrétiens
certains d’être pris comme bouclier
humain s’ils sortent », dit le chef de
l’équipe, Abduazim Mammutuk,
38 ans. Il y a quatre jours, il a reçu
un appel d’un groupe entier terré
dans une maison, seize chrétiens
et un musulman. Ils étaient sur le
point de manger du carton. Il n’a
plus eu de nouvelles depuis. p
harold thibault
 international | 3
0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Jeff Sessions récuse toute « collusion » avec la Russie

Le ministre de la justice américain a apporté peu de réponses lors de son audition publique au Sénat

washington - correspondant
A la question :

L’
enquête « russe » la Russie a-t-elle
n’avance guère, mais les
interrogations qu’elle
voulu « interférer
alimente à propos de la dans l’élection
nouvelle administration améri-
caine ne se dissipent pas pour
de 2016 ? », Jeff
autant. Une semaine après James Sessions répond :
Comey, l’ex-directeur du FBI, l’at-
torney général des Etats-Unis, Jeff
« Il semble
Sessions, qui occupe les fonctions que oui »
de ministre de la justice, a été en-
tendu par la Commission du ren-
seignement du Sénat, mardi eu pour lui la faiblesse des char-
13 juin, à Washington. ges pour l’instant identifiées. Une
Il a été, à son tour, interrogé sur partie de son audition a tourné
d’éventuelles collusions entre des autour de deux rencontres con-
membres de l’équipe de campa- nues avec l’ambassadeur russe à
gne de Donald Trump pendant la Washington, Sergueï Kislyak, en
présidentielle de 2016 et les res- marge de la convention d’investi-
ponsables de piratages informati- ture républicaine de Cleveland,
ques du camp démocrate, impu- puis dans son bureau de séna-
tés à la Russie qui nie. Avec une teur ; ainsi que sur l’éventualité
différence notable par rapport à d’une troisième, au cours d’un
M. Comey, puisque M. Sessions discours de politique étrangère
était un rouage important de de Donald Trump dans un hôtel
cette campagne, même s’il ne de Washington. Aucune n’étant
cesse depuis de relativiser son véritablement propice, comme l’a
rôle. C’est d’ailleurs pour cette rai- fait remarquer avec une lourde in-
son, a-t-il assuré mardi, qu’il s’est sistance le sénateur républicain
récusé pour cette enquête désor- de l’Arkansas, Tom Cotton, à une
mais supervisée par un procu- sourde machination.
reur spécial, nommé le 17 mai, Ro- Mais la mémoire souvent dé-
bert Mueller. faillante de M. Sessions, qui a
Face à ses ex-collègues, celui qui émaillé ses réponses de « je ne me Jeff Sessions face aux membres de la commission du renseignement du Sénat, à Washington, le 13 juin. ALEX BRANDON/AFP
siégeait au Congrès, avant la vic- souviens pas », et de « peut-être »,
toire de M. Trump, comme séna- l’a empêché de dissiper tous les
teur de l’Alabama, s’est efforcé de doutes, notamment sur le con- avec ses refus réitérés de rappor- ministre de la justice a également Le sénateur indépendant du cial Robert Mueller, lui-même an-
dissiper les soupçons, récusant tenu de la conversation tenue ter le contenu d’éventuelles dis- dit que M. Comey lui avait fait Maine, Angus King, a obtenu la cien chef du FBI. La polémique qui
avec force toute hypothèse de dans son bureau, dont l’ordre du cussions avec M. Trump sur ce su- part ensuite de son malaise face à réponse la plus criante de Jeff l’a visé lundi et mardi a rappelé
« collusion », qualifiée de « men- jour semble avoir disparu de ses jet, conformément à l’une des au comportement du président. Sessions lorsqu’il lui a demandé que, pour l’heure, c’est moins le
songe détestable ». M. Sessions a souvenirs. Il en a été de même prérogatives de sa fonction. L’attorney général a aussi con- s’il croyait que la Russie avait fond du dossier que les réactions
firmé le manque d’intérêt de Do- voulu « interférer dans l’élection qu’il continue de susciter qui en-
Aucun souvenir nald Trump face à ces interféren- de 2016 ». « Il semble que oui », a ré- tretiennent la controverse.
Trump veut freiner le rapprochement M. Sessions a par ailleurs con- ces russes qu’il continue de nier, pondu l’attorney général. « Mais Un proche de M. Trump, Chris-
firmé deux éléments du témoi- assurant par exemple, le 9 juin, vous n’avez jamais posé de ques- topher Ruddy, patron du groupe
avec Cuba mis en route par Obama gnage de M. Comey. Tout d’abord que cette affaire a été montée de tions à ce sujet », a relancé le séna- de presse conservateur News-
Donald Trump avait promis un réexamen du rapprochement un tête-à-tête avec le président au toutes pièces par les démocrates teur King. « Non », a reconnu Jeff max, a en effet créé la surprise en
historique avec Cuba lancé par son prédécesseur démocrate, terme d’une réunion à laquelle il pour justifier leur défaite du 8 no- Sessions. évoquant un éventuel limogeage
Barack Obama : il devrait annoncer, vendredi 16 juin, depuis participait. Au cours de cet entre- vembre. M. Sessions a assuré A la suite des auditions successi- de M. Mueller, même si la Maison
Miami, des ajustements, dont la portée reste à déterminer, en tien, M. Trump aurait suggéré à n’avoir aucun souvenir d’une ves de M. Comey et de M. Ses- Blanche a assuré par la suite que
particulier dans le secteur du tourisme. Si le président veut celui qui était encore directeur du conversation avec M. Trump à ce sions, et dans l’attente d’un éven- cette hypothèse n’est pas d’actua-
envoyer des signaux à une base anticastriste qui lui a apporté FBI de mettre un terme à une en- sujet. Il a ajouté n’avoir pas reçu tuel témoignage sous serment de lité. Cette polémique et l’audition
un soutien réel en Floride, il est également conscient que la main quête sur son ex-conseiller à la sé- lui-même le moindre compte M. Trump, qui a contesté le 9 juin, de M. Sessions ont totalement
tendue à l’île communiste, après un demi-siècle de tensions curité nationale, Michael Flynn, rendu sur cette enquête « russe » point par point, l’ancien patron éclipsé le thème qui doit dominer
héritées de la guerre froide, est encouragée aux Etats-Unis, en démissionné pour avoir menti avant qu’il se récuse, alors que la du FBI, l’enquête « russe » pour- cette semaine l’agenda de
particulier par la part du monde des affaires. La Maison Blanche sur le contenu d’une conversa- police fédérale est pourtant pla- rait quitter le devant de la scène M. Trump : l’emploi. p
est, pour l’heure, restée muette sur ses projets. tion avec l’ambassadeur russe. Le cée sous son autorité. sous la férule du procureur spé- gilles paris

Le Panama, allié historique de Taïwan,

se tourne vers la Chine continentale 












 
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Le petit pays d’Amérique centrale a décidé de ne plus reconnaître officiellement Taipei

pékin - correspondant est considéré par Pékin comme chael Cole, expert canadien de pour manipuler le principe d’une
indépendantiste – avait consacré Taïwan et auteur de Convergence seule Chine mena[çaient] les

S igne que la Chine ne faiblit

pas dans son offensive
contre Taïwan, le Panama
est devenu, mardi 13 juin, le
deuxième allié diplomatique de
son premier déplacement à
l’étranger en juin 2016, dans le
souci, justement, de s’assurer de
sa loyauté.
Le Panama restait toutefois un
or Conflict in the Taïwan Strait,
the Illusion of Peace (2016, non
traduit). La perte de Taïwan ne de-
vrait pas changer la donne pour
l’actuelle équipe dirigeante :
droits des Taïwanais » et étaient
une « atteinte dangereuse à la
paix et à la stabilité dans le détroit
de Taïwan ».
Ce changement d’alliance tra-
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Taipei à faire défection au profit
du géant communiste depuis
l’entrée en fonctions, en mai 2016,
de la présidente taïwanaise Tsai
Ing-wen. Le premier avait été, en
décembre 2016, la petite nation
africaine de Sao Tomé. La décision
du Panama a été annoncée par un
message télévisé de son prési-
dent, Juan Carlos Varela Rodri-
guez, lundi soir.
Le ministère des affaires étran-
gères taïwanais a réagi avec
virulence, mardi, en stigmatisant
le « geste très inamical » du Pa-
nama, l’accusant d’avoir « cédé »
aux pressions de Pékin par « inté-
rêt économique » et d’avoir
« trompé jusqu’au dernier mo-
ment » le gouvernement taïwa-
nais. Le Panama était un allié his-
torique de la République de Chine
(nom officiel de Taïwan).
Le revers est d’autant plus cui-
sant pour Taipei que le Panama
avait été le pays auquel la prési-
dente Tsai Ing-wen – dont le Parti
démocratique progressiste (DPP)
maillon faible parmi les partenai-
res de Taipei : en 2009, son prési-
dent d’alors, Ricardo Martinelli,
avait annoncé vouloir nouer des
relations diplomatiques avec
Pékin, mais la Chine avait préféré
surseoir à sa demande à la suite
du réchauffement entre les
deux rives du détroit de Formose
orchestré par le gouvernement
de Ma Ying-jeou (Kouomintang).
Pékin a rompu cette trêve dès lors
que la nouvelle présidente refu-
sait de reconnaître l’existence
d’« une seule Chine, chacun avec
sa propre interprétation », selon
l’expression consacrée.
Pékin s’est aussi efforcé d’ac-
centuer l’isolement de Taïwan en
bloquant cette année sa partici-
pation à l’assemblée de l’Organi-
sation mondiale de la santé
comme observateur, pourtant
régulière depuis 2009.
« Cela fait plusieurs semaines
que les milieux diplomatiques
bruissaient de rumeurs au sujet
d’une telle annonce », confie J. Mi-
« L’impact réel de la perte de petits
alliés comme le Panama reste
marginal, il est donc peu probable
qu’il se traduise par une pression
politique majeure sur la prési-
dente. Tant que son gouverne-
ment parvient à trouver le moyen
de compenser ces pertes de ma-
nière créative, par exemple en ren-
forçant les liens de Taïwan avec
ses alliés non officiels, il devrait
parvenir à traverser cette crise »,
poursuit M. Cole.
Emprise économique croissante
La République de Chine n’a dé-
sormais plus que vingt alliés di-
plomatiques qui la reconnais-
sent officiellement – mais n’en
maintient pas moins des liens of-
ficieux et entièrement fonction-
nels avec les pays les plus in-
fluents, Etats-Unis, Japon et puis-
sances européennes. Dans un
communiqué publié mardi, le pa-
lais présidentiel de Taïwan s’est
alarmé du fait que « les diverses
méthodes employées par la Chine
!!
duit surtout le basculement
spectaculaire, pour ce pays
d’Amérique centrale, de ses équi-
libres économiques au profit de
la Chine : celle-ci est devenue
le deuxième client du canal de
Panama derrière les Etats-Unis.
Surtout, une société chinoise,
Landbridge Group, a acquis
en 2016, pour 900 millions de
dollars (803 millions d’euros), le
port de conteneurs d’Isla Marga-
rita, le plus grand du pays, sur la
façade atlantique du canal de Pa-
nama, pour en faire un port en
eaux profondes.
Les travaux d’expansion du site
actuel ont commencé récemment
sous l’égide de la China Commu-
nications Construction Corp,
géant chinois du BTP. Plusieurs
sociétés chinoises sont également
en lice pour acquérir de nouveaux
terrains à développer le long du
canal. Une emprise économique
que Taïwan serait aujourd’hui
bien en peine d’égaler. p
brice pedroletti
4 | international
Les Kurdes iraniens de l’EI ciblés par Téhéran
Les autorités iraniennes ont multiplié les arrestations, tout en minimisant la portée des attentats du 7 juin
L
es autorités iraniennes
ont mené plusieurs opé-
rations antiterroristes
depuis les attentats du
7 juin, qui ont fait dix-sept morts
à Téhéran, les premiers revendi-
qués par l’organisation Etat isla-
mique (EI) en Iran. Cette traque
s’étend à travers le pays, mais elle
vise surtout les régions du Nord-
Ouest, frontalières de l’Irak, et la
minorité kurde sunnite. De sour-
ces sécuritaires anonymes, qua-
tre des cinq membres du com-
mando, qui ont tous été tués,
étaient des Kurdes iraniens. Le
nom de l’un d’eux, Saryas Sade-
ghi, a été publié dans la presse.
Sur Facebook, son profil a été sup-
primé. Ce recruteur présumé
était en relation, via Internet, avec
un combattant de l’EI basé en Irak
ou en Syrie et des étudiants en
théologie de l’université de Mé-
dine, en Arabie saoudite.
Dans le quotidien Shargh, l’avo-
cat Saleh Nikbakht a affirmé que
certains des terroristes avaient at-
taqué par le passé des salons de
beauté et des boutiques de vête-
ments féminins supposés porter
atteinte à la moralité, dans les
alentours de Paveh et de Javan-
roud, dans la région frontalière
avec l’Irak de Kermanshah.
Selon le ministre du renseigne-
ment, Mahmoud Alavi, ces hom-
mes avaient rejoint de longue
date des cercles « wahhabites », le
courant de l’islam sunnite ultrari-
goriste en vigueur en Arabie
saoudite. Mardi 13 juin, le général
Mohammad Ali Jafari, chef des
gardiens de la révolution, la prin-
cipale force armée du pays, a ac-
cusé le royaume saoudien d’ins-
Peuplement kurde Kurdistan irakien
Zone sous influence de l’organisation Etat islamique
TURQUIE
Rakka
Mossoul
SYRIE
IRAK
Damas
Bagdad
100 km
Des ONG dénoncent l’usage du phosphore en Irak et Syrie
La coalition internationale se défend de mettre en danger les civils, souvent pris comme boucliers par l’EI
S oixante-dix pour cent des
morts civils en Irak et en Syrie
sont imputables aux guerres
livrées dans des villes. Ce chiffre
montre à quel point ces batailles
sont devenues meurtrières. Le phé-
nomène est d’autant plus alarmant
que de nouvelles offensives se
préparent, comme à Rakka, en Sy-
rie, ou s’intensifient, comme à Mos-
soul, en Irak. La souffrance de la po-
pulation urbaine atteint une am-
pleur nouvelle, la violence n’épar-
gnant rien ni personne. » Sombre,
le constat dressé, mercredi 14 juin,
par Robert Mardini, directeur ré-
gional du Comité international de
la Croix-Rouge pour le Moyen-
Orient, s’inscrit dans un contexte
de combats urbains intenses.
L’organisation Etat islamique
(EI) semble déterminée à combat-
tre jusqu’au bout à Mossoul et à
s’opposer aux forces arabo-kurdes
qui mènent l’assaut contre son
fief syrien de Rakka. Dans ces
deux villes, où les forces assaillan-
tes soutenues par la coalition in-
ternationale sont pressées d’en
finir, des obus au phosphore blanc
auraient été utilisés au moins
à deux reprises contre des zones
d’habitation contrôlées par l’EI,
A Téhéran,
le 9 juin, les
funérailles
des victimes
des attentats
perpétrés
deux jours
plus tôt.
EBRAHIM
NOROOZI/AP
trumentaliser l’EI dans sa rivalité
avec l’Iran chiite, affirmant que
Riyad avait « demandé à des terro-
ristes de mener des opérations »
dans le pays. Une partie du com-
mando de Téhéran aurait com-
battu dans les rangs de l’EI, en Irak
et en Syrie, selon M. Alavi. Ils se-
raient revenus au pays à l’été 2016,
cornaqués par un haut responsa-
Erbil
Téhéran
Byara Paveh
Javanroud IRAN
Kermanshah
selon des médias locaux : des mu-
nitions qui se dispersent dans l’air
et qui, en retombant au sol, provo-
quent des brûlures profondes qui
atteignent les muscles et les os.
Des vidéos explicites, filmées
par des militants de l’opposition
syrienne à Rakka le 8 juin et par la
télévision Kurdistan 24 à Mossoul
le 3 juin, montrent des séries d’ex-
plosions d’obus à une trentaine
de mètres de hauteur, puis la re-
tombée en grappes, dans les rues
et sur des immeubles d’habita-
tions, de flammèches blanches
qui provoquent des incendies.
Manque de précision
Sans démentir l’usage de phos-
phore blanc à Rakka, la coalition
internationale s’est défendue,
dans un communiqué diffusé
lundi, de mettre en danger des ci-
vils : « Nous ne commentons pas
l’usage spécifique de telle ou telle
arme et munition. Cependant,
conformément aux lois de la
guerre, le phosphore blanc est uti-
lisé pour marquer des cibles ou ca-
cher les mouvements de troupes à
l’ennemi. La coalition prend toutes
les précautions raisonnables pour
minimiser le risque de blessures
ble de l’organisation surnommé
« Abou Aisha ». La presse s’était
fait l’écho, à l’époque, de la mort
d’un responsable ainsi nommé
dans la région de Javanroud, dans
une opération antiterroriste. Le
commando se serait alors dis-
persé, échappant à la surveillance
des forces de sécurité.
Menace croissante
Les autorités, tout en multipliant
les annonces d’arrestations, n’ont
cessé de minimiser la portée des
attentats du 7 juin. Elles rappel-
lent que les assaillants du Parle-
ment se sont vite égarés dans les
bureaux. Ils n’ont pu accéder à
l’hémicycle, alors en pleine ses-
sion. Dans l’enceinte de leur se-
conde cible, le mausolée du fon-
dateur de la République islami-
que, l’ayatollah Khomeyni, les ter-
roristes cernés par les policiers
ont abattu un jardinier, avant que
l’un d’eux ne fasse détoner sa
ceinture explosive sans faire de
victimes. A Téhéran, l’appareil sé-
accidentelles pour les non-com-
battants et les dommages aux
structures civiles. »
Si l’utilisation de ces munitions
à ces fins n’est pas interdite, le Co-
mité international de la Croix-
Rouge rappelait en 2009, après
leur usage par l’armée israélienne
à Gaza, que « l’utilisation de telles
armes contre tout objectif mili-
taire situé dans des zones où se
concentrent des civils est interdite,
sauf si l’objectif en est clairement
séparé ». En novembre 2016,
l’ONG Amnesty International
s’était déjà inquiétée de leur usage
sur des villages de la région de
Mossoul, en Irak. En mars, leur
utilisation, en plein centre de
Mossoul cette fois, a été rapportée
par le collectif d’investigation bri-
tannique Bellingcat.
« Ce sont des armes incendiaires,
rappelle Aymeric Elluin, respon-
sable du plaidoyer armes et impu-
nité d’Amnesty International. Par
nature, leur utilisation devrait être
prescrite sur des zones densément
peuplées. Ce sont des armes inhu-
maines, cela relève du crime de
guerre. » « Elles représentent un
danger double, immédiat et sur la
durée. Sur l’instant, elles tuent et
curitaire se fait moins visible de-
puis samedi. De nombreux habi-
tants de la capitale veulent croire
à un drame isolé : ils estiment im-
probables de nouveaux attentats
hors des régions frontalières à
forte population sunnite.
Pourtant, de l’avis de la plupart
des experts, la menace est réelle
et croissante. Entre 350 et 500
Kurdes iraniens, souvent pauvres
et peu éduqués, auraient rejoint
les rangs subalternes de l’EI en
Irak et en Syrie, selon les estima-
tions d’Adel Bakawan, sociologue
associé à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales, à Paris. A me-
sure que le « califat » de l’EI rétré-
cit, des djihadistes ont commencé
à revenir au pays. « Avec la des-
truction de Daech à Mossoul et à
Rakka, frapper en Iran devient un
objectif majeur pour les djihadis-
tes. Il y aura d’autres attentats
dans les grandes villes iraniennes,
tout comme au Kurdistan d’Irak,
où les attaques ne cessent d’aug-
menter », dit M. Bakawan.
L’armée irakienne
a admis avoir
procédé à des
frappes près d’un
hôpital « pour
protéger les civils
fuyant la zone »
mutilent. Et ont un effet sur le long
terme. Ce sont des obus qui disper-
sent des feutres imprégnés de
phosphore blanc. Enfouis sous le
sable, ils peuvent s’éteindre provi-
soirement, puis se rallumer spon-
tanément au contact de l’air, en
étant par exemple déplacés par
des civils. Ils ont le même effet à
terme que des mines antiperson-
nel », explique-t-il.
Après la diffusion de la vidéo
réalisée à Mossoul par Kurdistan
24, l’armée irakienne a admis sur
son compte Facebook avoir pro-
cédé « en coordination avec la
coalition internationale » à des
frappes près d’un grand hôpital
« pour protéger des civils fuyant la
zone en obscurcissant la vision des
Le chef des
Gardiens de
la révolution
a accusé Riyad
d’avoir « demandé
à des terroristes
de mener
des opérations »
Depuis la prise de Mossoul par
l’EI, en juin 2014, les services de
sécurité iraniens n’ont cessé d’an-
noncer, presque chaque semaine,
avoir déjoué un « complot » djiha-
diste. Ils surveillent de longue
date la minorité sunnite (environ
15 % de la population), défavori-
sée et discriminée dans un pays
où le chiisme est de fait religion
d’Etat. Le pouvoir a fait des gestes
en faveur des sunnites. Il a favo-
risé l’émergence d’un sunnisme
institutionnel et politique, qui a
snipers de l’EI postés dans l’im-
meuble ». Une explication qui ne
convainc pas les ONG, qui dénon-
cent le manque de précision de
ces munitions.
Une photo publiée par le Penta-
gone en août 2016 montre le
320e régiment d’artillerie de l’ar-
mée américaine, en action dans la
région de Rakka pour appuyer les
Forces démocratiques syriennes,
tirer des obus M825A1. Ceux-ci
dispersent 116 morceaux de feu-
tre imprégnés de phosphore sur
un rayon de 125 à 250 mètres. « Ce
sont des armes qui sont incapa-
bles de cibler quoi que ce soit au
sol, dénonce Aymeric Elluin. L’EI
se sert en plus de boucliers hu-
mains et prend en otage les civils,
comment pouvez-vous dès lors as-
surer que ces derniers seront à
l’abri du phosphore blanc ? »
Il resterait près de 130 000 habi-
tants à Rakka. Depuis juin 2016,
près de 1 500 civils auraient péri
dans la province syrienne, victi-
mes des combats et des bombar-
dements, selon les activistes du
réseau Raqqa Is Being Slaughte-
red Silently (« Rakka se fait massa-
crer en silence »). p
madjid zerrouky
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
contribué au vote massif des Kur-
des, mais aussi des Baloutches et
des habitants de la zone fronta-
lière avec l’Afghanistan, pour le
modéré Hassan Rohani, à la prési-
dentielle du 19 mai.
Cependant, au Kurdistan, ces re-
lais apparaissent plus faibles. Se-
lon le chercheur Etienne Dela-
tour, « le souvenir reste cuisant à
Téhéran du refus de certains
imams régionaux de garantir à
Khomeyni, dans les années 1980,
la loyauté du Kurdistan ». Les ré-
seaux existants, notamment le
parti local des Frères musulmans
– légalisé en 2002 –, sont affaiblis
par l’audience croissante du sala-
fisme, diffusé sur Internet par des
prédicateurs étrangers. Depuis les
attentats, des récits circulent sur
les réseaux sociaux, accusant les
autorités d’avoir fermé les yeux
sur cette montée en puissance.
« Au début, leurs activités étaient
pacifiques et se limitaient à des
prêches dans les mosquées. Per-
sonne ne s’y opposait », plaide Jalal
Jalalizadeh, un ancien parlemen-
taire kurde, qui met toutefois en
garde contre les effets qu’aurait
une répression indifférenciée à
l’égard des salafistes.
Surtout, le Kurdistan iranien est
déstabilisé par sa frontière po-
reuse avec l’Irak. La République is-
lamique a entretenu des liens, dès
les années 1980, avec des islamis-
tes kurdes irakiens en lutte contre
Saddam Hussein. Des djihadistes
iraniens ont rejoint, entre 2001 et
2003, la ville frontalière irakienne
de Byara, repli du djihad interna-
tional entre l’invasion américaine
de l’Afghanistan et celle de l’Irak.
« Des djihadistes iraniens pou-
vaient encore passer en Irak relati-
vement facilement jusqu’à la prise
de Mossoul par Daech, en 2014, qui
a menacé soudain directement le
Kurdistan irakien et la frontière
iranienne », note M. Bakawan.
Depuis, l’Iran collabore avec les
services de la province semi-auto-
nome du Kurdistan irakien. Sa-
medi, M. Alavi a affirmé que le
« cerveau et commanditaire » des
attentats de Téhéran avait fui
l’Iran et avait été tué à l’étranger
dans une opération menée « avec
l’aide des services de renseigne-
ment de pays amis », sans préciser
ni lesquels ni où. p
louis imbert
R ÉCOMPEN S E
L’enquête du « Monde »
sur Lafarge primée
aux Etats-Unis
La célèbre organisation
américaine indépendante
de lutte contre la corruption
Trace a décerné, lundi 12 juin
à Washington, son prix
annuel pour le journalisme
d’investigation à Dorothée
Myriam Kellou, pour son
enquête sur les agissements
du cimentier Lafarge en Syrie,
publiée par Le Monde en juin
et novembre 2016. Le prix a
également été décerné au
Consortium international de
journalistes d’investigation,
basé à Washington, pour sa
coordination de l’enquête
mondiale sur les « Panama
papers », à laquelle Le Monde
a participé au printemps 2016.
COR ÉE D U N OR D
Libération d’un étudiant
américain dans le coma
La Corée du Nord a libéré
un étudiant américain, Otto
Warmbier, condamné à
quinze ans de travaux forcés
pour le vol d’une affiche dans
un hôtel, qui se trouve dans
le coma depuis plus d’un an,
a indiqué sa famille, mardi
13 juin. Selon le Washington
Post, l’homme de 22 ans a
contracté une forme de botu-
lisme peu après son procès,
en mars 2016. – (AFP.)
 international | 5
0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Macron et May tentent d’ignorer les affres du Brexit

A Paris, la dirigeante britannique a cherché à limiter l’impact de son échec électoral sur la sortie de l’UE

londres - correspondant Pour le reste, les deux dirigeants semble, M. Macron et Mme May ont Or Mme Foster est exigeante. Non conduit les négociations en
ont fait assaut d’amabilités, avant
Le report des d’ailleurs lancé un plan d’action seulement elle veut des baisses Irlande dans les années 1990, a

E
mmanuel Macron n’a
pas résisté. Le chef de
l’Etat a certes tout fait,
mardi 13 juin à Paris,
pour se montrer solidaire envers
Theresa May, encore sonnée par
son récent échec électoral. Mais
tandis que celle-ci sort affaiblie
des législatives du 8 juin, son hôte
du jour n’a pas pu s’empêcher
d’alimenter les doutes sur la mise
en œuvre du Brexit : « La porte est
toujours ouverte » pour rester
dans l’Union européenne « tant
que la négociation n’est pas ache-
vée », a-t-il dit lors d’une confé-
rence de presse commune dans
les jardins de l’Elysée.
Sa formule rappelle celle em-
ployée la veille par Wolfgang
Schäuble, le ministre allemand
des finances, suggérant que les
Britanniques pouvaient encore
changer d’avis, même si M. Ma-
cron s’est empressé d’ajouter qu’il
respectait « la volonté du peuple ».
d’assister ensemble au match ami-
cal entre l’équipe de France de
football et sa rivale anglaise (3-2).
La dirigeante conservatrice effec-
tuait sa première visite à l’étranger
depuis le scrutin qui a laminé son
autorité chez elle comme sur le
continent. Elle a assuré que la né-
gociation du divorce commence-
rait « la semaine prochaine ».
D’après elle, il existe toujours une
« volonté commune au sein du peu-
ple britannique » en faveur d’une
sortie de l’UE et pour que le « gou-
vernement en fasse un succès ».
Coopération bilatérale
Mme May refuse en revanche de se
prononcer sur l’abandon ou pas
du « Brexit dur » privilégié par
son gouvernement avant les élec-
tions législatives, mais critiqué
par son opposition travailliste et
jusqu’au sein de son cabinet. Le
ministre des finances, Philip
Hammond, est partisan d’une
négociations
du Brexit est lié
à la nécessité
pour Mme May
de s’allier d’abord
avec les ultra-
conservateurs
irlandais du DUP
rupture en douceur afin de ména-
ger l’économie du pays, contre
l’avis des « hard brexiters » qui
prônent le retrait pur et simple du
marché unique européen, voire
de l’union douanière, pour mieux
contrôler l’immigration.
De son côté, le président français
a voulu se projeter au-delà de la
sortie de l’UE pour promettre la
poursuite d’une coopération bila-
térale la plus étroite possible. En-
contre le terrorisme afin de tra-
quer les contenus djihadistes dif-
fusés par les opérateurs en ligne et
autres messageries cryptées. Mais
le chef de l’Etat a tenu à marteler
son intention de lancer le Brexit
« le plus rapidement possible ».
En réalité, le lancement des né-
gociations de divorce, d’abord fixé
au 19 juin, est plus que jamais tri-
butaire des cahots de la vie politi-
que britannique. Le report des
tractations, annoncé la veille par
David Davis, ministre du Brexit,
est lié à la nécessité pour Mme May
de sceller auparavant un accord
avec le Parti démocratique unio-
niste (DUP), formation ultra-con-
servatrice d’Irlande du Nord. Les
conservateurs ont besoin des dix
sièges du DUP aux Communes
pour consolider leur majorité. Les
discussions entre la première mi-
nistre et Arlene Foster, la chef de
file de cette formation, ont repris
mardi à Downing Street.
d’impôts et des subsides supplé-
mentaires pour sa région, mais
elle formule aussi des demandes
politiques qui risquent de mettre
en cause le fragile équilibre de la
paix en Irlande du Nord. Selon le
Times, Mme Foster souhaite que
Londres cesse de verser une aide
financière au Sinn Fein, parti ré-
publicain qui milite pour la réuni-
fication de l’île et dont les sept
députés élus refusent de siéger au
Parlement de Westminster.
« Tapis dans les coins »
L’opposition du DUP au droit à
l’avortement et son homophobie
militante gênent aussi le rappro-
chement. Plus de 735 000 person-
nes ont signé une pétition deman-
dant à la première ministre de dé-
missionner plutôt que de pactiser
avec les unionistes extrémistes.
Un nouvel obstacle a surgi mardi
lorsque l’ex-premier ministre con-
servateur John Major, qui avait
mis en garde Mme May contre le
risque de déséquilibrer les accords
de paix par son alliance avec une
des parties en présence. « La der-
nière chose que tout le monde veut
voir, c’est que l’une ou l’autre des
communautés [catholique et pro-
testante] se sente si lésée que les ex-
trémistes qui restent tapis dans les
coins décident de revenir à des for-
mes de violence », a-t-il dit à la BBC.
Pour l’éviter, il faut « un gouverne-
ment britannique impartial ».
Déjà, le Sinn Fein a demandé à
l’UE de se poser en arbitre. Pour
les nationalistes, l’alliance entre
conservateurs et unionistes re-
met en cause le processus de paix
que l’Union européenne a promis
de garantir. Devant M. Macron,
Mme May a assuré que son gouver-
nement « respecterait » l’accord
signé à Belfast pour mettre un
terme à la guerre civile. p
philippe bernard
et philippe ricard (à paris)

L’UE avertit Varsovie,

Budapest et Prague
sur l’accueil des réfugiés
Les pays poursuivis refusent les demandeurs
d’asile passés par l’Italie et la Grèce

bruxelles - bureau européen Parlement hongrois, lundi, le

premier ministre, Viktor Orban,

L a Commission européenne
a annoncé, mardi 13 juin,
l’ouverture d’une procé-
dure d’infraction contre la Polo-
gne, la Hongrie et la République
tchèque, qui refusent toujours de
participer au programme euro-
péen de répartition des deman-
deurs d’asile depuis l’Italie et la
Grèce. Ce dispositif a été adopté
par l’Union européenne fin 2015
et s’impose à tous les pays mem-
bres. Il prévoyait la « relocali-
sation » de quelque 160 000 per-
sonnes en l’espace de vingt-qua-
tre mois. A ce stade, quelque
20 000 demandeurs d’asile seule-
ment ont été accueillis.
La procédure lancée est la pre-
mière étape d’une démarche qui
peut aboutir ensuite à une sai-
sine de la Cour de justice euro-
péenne et à des sanctions finan-
cières. « Tous les pays doivent
participer, c’est un engagement
moral assorti d’une obligation
juridique », a déclaré le commis-
saire aux affaires intérieures et à
la migration, Dimitris Avramo-
poulos, précisant que « l’UE n’as-
sure pas seulement des finance-
ments et la sécurité, elle suppose
l’équité, le partage des responsa-
bilités et la solidarité ».
Ces propos convaincront-ils les
dirigeants concernés ? Devant le
En Hongrie, une loi
anti-ONG contestée
Le Parlement hongrois a adopté,
mardi 13 juin, une loi controver-
sée renforçant le contrôle gouver-
nemental sur les ONG bénéficiant
de fonds étrangers. Cette disposi-
tion, critiquée par l’Union euro-
péenne et les Nations unies, vise
en particulier les organisations
soutenues par le financier améri-
cain George Soros. Portée par le
premier ministre, Viktor Orban,
elle oblige les organisations non
gouvernementales bénéficiant
annuellement de plus de
24 000 euros de fonds étrangers
à fournir une liste de leurs princi-
paux soutiens financiers établis
hors du pays et à s’enregistrer
comme « organisation bénéficiant
de financements étrangers ».
dénonçait une fois encore le
« chantage de Bruxelles » et répé-
tait son opposition à tout plan de
répartition contraignant. Le mi-
nistre de l’intérieur polonais,
Mariusz Blaszczak, déclarait le
même jour : « Nous croyons que la
relocalisation attire davantage de
migrants et elle est inefficace. »
Varsovie a d’ailleurs appuyé un
recours de la Hongrie et de la Slo-
vaquie devant la justice euro-
péenne pour contester le carac-
tère obligatoire de la relocalisa-
tion. L’arrêt est attendu en juillet.
Répartition automatique
La démarche de Bruxelles va in-
contestablement aggraver le con-
flit latent avec des pays critiqués,
par ailleurs, pour leurs diverses
atteintes à l’Etat de droit. La Com-
mission ne pouvait toutefois plus
reculer, alors qu’elle affronte des
difficultés pour faire valider
d’autres projets dans le domaine
de la migration.
L’indispensable réforme du sys-
tème d’asile et du « règlement de
Dublin » – d’après lequel le pays
responsable de la demande
d’asile d’un réfugié est celui par
lequel il est arrivé en Europe – est
totalement gelée, même si l’Alle-
magne, la Suède et d’autres récla-
ment une uniformisation des rè- QUAND J’APPRENDS QUE LA RÉUNION
gles pour éviter que des deman-
deurs privilégient les destina- DE MUNICH EST FINALEMENT À MADRID
tions jugées les plus accueillantes.
Les pays de l’Est refusent, eux,
l’instauration de quotas perma-
nents de migrants, qui pourraient
être l’une des conséquences de
cette réforme.
La Commission a encore pro-
posé, en 2016, un mécanisme de
répartition automatique des de-
OFFRE FLEX
mandeurs d’asile dans des cas de
« crise aiguë ». Il serait complété
par une « contribution de solida-
BILLETS MODIFIABLES
rité » de 250 000 euros, qu’un
pays refusant un réfugié devrait
verser au pays qui l’accepterait.
ET REMBOURSABLES SANS FRAIS
Au Parlement européen, on
propose de supprimer cette
« amende », mais de corréler la
solidarité avec l’accès aux fonds AIRFRANCE.FR
structurels et d’investissement.
De quoi faire, encore, bondir les France is in the air : La France est dans l’air. Les billets sont remboursables et modifiables sans frais. Si le prix du nouveau billet est supérieur, un réajustement tarifaire est effectué.
pays de l’Est. p Offre valable sur les vols opérés par Air France de/vers l’Europe, l’Afrique du Nord et Israël.
jean-pierre stroobants
6 | planète 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Pics de puberté précoce et d’anomalies génitales

De forts soupçons pèsent sur le rôle des perturbateurs endocriniens dans l’augmentation de ces pathologies

PUBERTÉ PRÉCOCE
Les filles davantage touchées que les garçons, Lille
mais une géographie similaire
NOMBRE D’ENFANTS (POUR 10 000) CONCERNÉS PAR UNE PUBERTÉ PRÉCOCE,
117 Amiens
CAS PAR AN
SELON L’INDICATEUR DE REMBOURSEMENT DE MÉDICAMENTS ENTRE 2011 ET 2013 Rouen
Caen Metz
Châlons- Strasbourg
Paris en-Champagne
Lille Rennes
Orléans

1 173 Amiens Besançon

Nantes Dijon
CAS PAR AN Rouen
Caen Metz
Châlons- Poitiers
Strasbourg
Paris en-Champagne
GARÇONS ENTRE 0 ET 10 ANS
Rennes (POUR 10 000) Clermont-
Orléans Ferrand Lyon
de 1 à 1,8 Limoges

Dijon Besançon de 0,5 à 1

Nantes Bordeaux
de 0,3 à 0,5
Poitiers de 0 à 0,3
FILLES ENTRE 0 ET 9 ANS
(POUR 10 000)
Montpellier
de 10 à 12,39 Clermont- Toulouse
Ferrand Lyon
Limoges Marseille
de 8 à 10
de 6 à 8
Bordeaux
de 4 à 6 Ajaccio
de 2 à 4
Les filles sont dix fois plus touchées
de 0,95 à 2 Montpellier par la puberté précoce que les garçons :
Toulouse
1 173 cas par an en moyenne contre 117 pour
Marseille le sexe masculin. Le nombre de cas a été calculé
à partir des remboursements par l’Assurance-
maladie d’un traitement bloquant la poursuite
de la puberté chez des filles ayant eu des signes
Ajaccio cliniques avant 8 ans (poussée mammaire...)
et avant 9 ans.

L
e Sud-Ouest et le Centre-
Est présentent une fré-
quence de pubertés pré-
coces nettement supé-
rieure à celle du reste du territoire.
Cette hétérogénéité spatiale est
mise en évidence par les cher-
cheurs appartenant notamment à
Santé publique France, qui ont pré-
senté leurs constatations lors des
rencontres annuelles de l’institu-
tion, le 30 mai. Ils ont aussi relevé
une augmentation des anomalies
sexuelles masculines : dégrada-
tion de la qualité du sperme, can-
cers du testicule, position anor-
male du testicule (cryptorchidie).
Des résultats qu’ils estiment
compatibles avec une exposition
environnementale à des perturba-
teurs endocriniens.
Présentes dans l’air, l’eau et l’ali-
mentation, ces substances chimi-
ques étrangères à l’organisme in-
terfèrent avec le bon fonctionne-
ment hormonal, entraînant des
anomalies, qui peuvent être trans-
mises à la descendance.
Sur la période 2011-2013, Joëlle Le
Moal (Santé publique France) et
ses collègues du réseau Fivnat, de
l’Inserm et de l’Assistance publi-
que-Hôpitaux de Paris - université
Paris-Diderot ont comptabilisé
3 519 cas de puberté précoce chez
des fillettes avant 8 ans, soit en
moyenne 1 173 cas par an (2,68 cas
pour 10 000). Dix fois plus que
chez les garçons de moins de
9 ans : 352 cas en 2011-2013, soit en
moyenne 117 cas par an (0,24 cas
pour 10 000).
La puberté précoce est vite repé-
rée du fait des modifications phy-
siques apparaissant nettement
plus tôt qu’attendu chez des en-
fants. Dans la plupart des cas, en
particulier chez les filles (avec des
poussées mammaires, l’appari-
tion de poils pubiens, le début des
règles), il n’existe pas de cause con-
nue. Des traitements peuvent blo-
quer la puberté jusqu’à un âge plus
normal. C’est en étudiant la base
de données des remboursements
de l’Assurance-maladie que les
chercheurs ont recensé les puber-
tés précoces traitées.
Parce qu’elle correspond avant CANCER DU TESTICULE
tout à une mise en place d’un dis-
positif de surveillance et non à un L’Est et l’Ouest les plus atteints, les régions
travail pour élucider les causes des ultramarines épargnées
phénomènes observés, l’étude ne
permet pas de conclure sur l’ori- TAUX D’INCIDENCE DU CANCER DU TESTICULE TRAITÉ
gine de l’hétérogénéité spatiale de CHIRURGICALEMENT EN FRANCE EN 2014, EN %
l’incidence des pubertés précoces. Depuis les années 1990, il existe
Des entretiens conduits par des + 1,53 %
PAR AN une tendance à l’augmentation
endocrinologues pédiatriques avérée de l’incidence du cancer
dans cinq régions différentes ont
2 000 du testicule dans les pays
écarté l’éventualité de pratiques
NOUVEAUX CAS développés. En reprenant
médicales discordantes qui PAR AN l’ensemble des ces cancers sur
auraient expliqué les différences
la période 1998-2014 et avec des
géographiques. INCIDENCES PRÉDITES données qualifiées de
Les chercheurs ont été frappés (POUR 100 000) « robustes », les chercheurs ont
par la similarité de la répartition
de 9 à 10,53 calculé qu’on dénombrait une
géographique des cas pour les
filles et les garçons, ce qui tend à moyenne de 2 000 nouveaux
de 8 à 9
évoquer des facteurs de risque cas par an, touchant
communs. « On ne peut pas exclure de 7 à 8 majoritairement les hommes
d’autres facteurs comme le de 15 à 35 ans, avec une augmen-
de 4 à 7
surpoids et le rayonnement UV, tation annuelle de 1,53 %.
connus pour favoriser les pubertés de 1 à 4 Le Grand Ouest et le Grand Est
précoces, mais c’est un argument à ont les incidences les plus
l’appui de l’hypothèse d’une exposi- TAUX MOYEN élevées.
tion environnementale à des pesti- Martinique Guadeloupe Réunion Guyane Mayotte 6,5 POUR 100 000
cides ou à des émissions industriel-
les », commente Joëlle Le Moal.
Mécanisme commun
CRYPTORCHIDIES
En effet, puisque ce ne sont pas les L’Auvergne la plus concernée
pratiques médicales qui seraient
TAUX D’INCIDENCE PRÉDITE DES CRYPTORCHIDIES
en cause, le fait de retrouver le
TRAITÉES CHIRURGICALEMENT EN FRANCE EN 2014, EN %
même schéma de fréquence de
l’anomalie selon les régions
plaide pour un mécanisme com- + 2,64 % Cette anomalie où un ou les
mun. « Nous allons réaliser une PAR AN deux testicules ne sont pas
analyse à une échelle plus fine descendus dans les bourses a
pour préciser cela et également 7 000 connu une fréquence moyenne
utiliser les données plus ancien- NOUVEAUX CAS de 7 000 nouveaux cas par an
PAR AN
nes », ajoute le docteur Le Moal. de 2002 à 2014, avec une
Les chercheurs entendent en augmentation annuelle
effet confronter les indications de 2,64 %. La chryptorchidie
INCIDENCES PRÉDITES
géographiques aux familles de nécessite une intervention
(POUR 1 000)
cultures (viticulture, céréales…) chirurgicale, la température
pour lesquelles les produits utili- de 3,5 à 4,4 dans l’abdomen étant trop
sés et les expositions à des pertur- élevée pour une bonne fertilité.
de 3 à 3,5
bateurs endocriniens varient. Ils L’Auvergne, suivie du Grand
souhaitent construire ainsi une de 2,5 à 3 Ouest et du Grand Est, ont
panoplie d’indicateurs de la santé de 2 à 2,5 les incidences les plus hautes.
reproductive à l’échelle de la
France entière. Cela permettra de de 0,5 à 2
suivre l’évolution et de juger de
Cartographie : Floriane Picard
l’efficacité des politiques de pré-
vention qui pourront être mises TAUX MOYEN Sources : Santé publique France, Indicateurs
de santé reproductive et perturbateurs
en œuvre dans ce domaine. p Martinique Guadeloupe Réunion Guyane Mayotte 2,57 POUR 1 000 endocriniens
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8|
FRANCE
M O R A L I S AT I O N D E L A V I E P U B L I Q U E
Bayrou promet
la fin des « pratiques
d’un autre âge »
Le ministre de la justice présentait,
mercredi en conseil des ministres, la loi
« sur la confiance dans la démocratie ».
Fragilisé par les affaires de financement
du MoDem, il se défend
ENTRETIEN
E
n pleine tourmente dans l’affaire
du financement du MoDem, alors
qu’une enquête préliminaire a été
ouverte par le parquet de Paris,
François Bayrou, ministre de la
justice, présente, mercredi 14 juin,
au conseil des ministres, le premier grand pro-
jet de loi du quinquennat pour la « confiance
dans la vie démocratique ». Selon Le Canard en-
chaîné de mercredi, la secrétaire particulière
du président du parti centriste était ainsi ré-
munérée aux deux tiers en tant qu’assistante
parlementaire de la députée européenne Ma-
rielle de Sarnez, aujourd’hui au gouvernement.
Le garde des sceaux soutient que son projet
de loi « crée une situation nouvelle » de nature à
restaurer la confiance des citoyens.
Votre projet de loi veut rétablir
la confiance dans la démocratie.
Est-ce réaliste quand plus d’un électeur
sur deux boude les urnes ?
Ce que je ressens, au contraire, c’est une va-
gue de confiance qui est en train de se lever.
Le résultat du premier tour de ces élections
législatives qui apparaît comme une énigme
pour beaucoup, est pour moi transparent :
les Français aspirent à sortir d’une longue pé-
riode de pessimisme et de découragement et
à entrer dans une période d’optimisme et de
volonté. Au lieu d’être paralysés par la crainte
de l’avenir, il s’agit pour notre peuple de sai-
sir les chances qui s’offriront.
L’effondrement de la droite et de la gauche
s’explique par l’usure due à des décennies de
pouvoir. Mais il y a aussi l’exaspération face à
cette guerre de tranchées systématique et ob-
sessionnelle camp contre camp, où il n’y a
qu’un seul objectif, abattre toute proposition,
quelle qu’elle soit, émanant de l’autre camp.
L’affaire immobilière impliquant le minis-
tre Richard Ferrand, pour laquelle une
Au MoDem, « il n’y a jamais eu de pratique critiquable »
Une enquête préliminaire a été ouverte
concernant le travail des assistants
parlementaires du MoDem. La craignez-vous ?
Il s’agit de vérifier la teneur d’une dénonciation pré-
tendument « anonyme », mais dont tous les journalis-
tes connaissent l’auteur ! Je n’ai aucun doute sur le tra-
vail de la justice et sur les faits qui seront établis. En rai-
son de ma fonction, je n’apporte aucun autre com-
mentaire. Mais je n’en pense pas moins.
Que pensez-vous de ce qu’affirme l’ex-députée euro-
péenne du MoDem Corinne Lepage, sur le recours à
des emplois fictifs d’assistants parlementaires ?
Il n’y a jamais eu de pratique critiquable au sein de no-
tre mouvement. Jamais. Tout cela est facile à établir.
Aucune calomnie ne changera rien à cette certitude.
Rien n’a-t-il été fait à votre insu ?
Nous étions pendant ces années une toute petite équipe,
solidaire, avec très peu de moyens. Je connais chacun
des membres de cette équipe. Les parlementaires euro-
péens en étaient. Ils avaient à notre siège leurs bureaux
de passage et ils y trouvaient des moyens logistiques. Je
suis aussi certain d’eux que je le suis de moi-même.
Le premier ministre a estimé, mardi 13 juin,
que vous n’auriez pas dû appeler la rédaction de
Radio France pour vous plaindre de ses méthodes
enquête est ouverte, n’a pas eu d’impact
sur les législatives. Est-ce cela que vous
appelez de l’optimisme ?
Les Français ne veulent pas se laisser détour-
ner de l’enjeu de cette élection qui doit appor-
ter cohérence et logique dans l’action. Ils se
rendent parfaitement compte de l’importance
de l’événement. Ces moments que nous vi-
vons seront dans les livres d’histoire au même
titre que les bouleversements politiques inter-
venus à la Libération ou en 1958. Ce sont des
moments où la banquise se rompt, entraînant
la débâcle des partis qui exerçaient depuis des
décennies le monopole du pouvoir. Les Fran-
çais approuvent ce coup de théâtre.
Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité
des réformes créant le Parquet national
financier et la Haute Autorité pour
la transparence de la vie publique.
En quoi est-il radicalement nouveau ?
Des questions qui étaient pendantes depuis
des décennies vont trouver une réponse déci- « CES MOMENTS
sive ! Exemple, à l’automne viendra le texte
constitutionnel sur la suppression de la Cour
QUE NOUS VIVONS
de justice de la République. C’était une anoma- SERONT DANS LES
lie démocratique incroyable qu’un ministre
soit jugé par ses « pairs » parlementaires, tandis LIVRES D’HISTOIRE
que les collaborateurs qui étaient sous ses or-
dres sont traduits devant des cours ordinaires.
AU MÊME TITRE
Le fait de trancher crée une situation nouvelle. QUE LES
Il en est de même pour les emplois familiaux,
qui créaient un mélange des genres préjudicia- BOULEVERSEMENTS
ble. Idem pour la limitation des mandats dans
le temps. L’obligation de justifier de ses frais de INTERVENUS
mandat met seulement les parlementaires au À LA LIBÉRATION
niveau des salariés ou cadres d’entreprise pour
qui c’est une obligation de présenter leurs no- OU EN 1958 »
tes de frais. Ainsi, des pratiques ou des facilités
d’un autre âge vont trouver des règles qui per-
mettront le retour de la confiance.
Pour éviter les conflits d’intérêts,
vous instaurez un registre des « déports »,
quand des parlementaires se retirent du
débat, inspiré du Parlement européen.
d’enquête sur cette affaire. Le comprenez-vous ?
Je défends, j’ai toujours défendu et je défendrai toujours
la liberté de la presse. Mais je considère qu’il y a symétri-
quement une liberté de critique de la presse, surtout
dans une conversation privée. Je ne suis pas devenu
muet en entrant Place Vendôme. Je n’ai pas l’intention
de me mettre un bâillon, ni de devenir d’un coup ino-
dore, incolore et sans saveur. Quand j’ai quelque chose à
dire à quelqu’un, surtout en privé, je le dis. Je suis minis-
tre de la justice, et pour moi la justice n’est pas seule-
ment une institution : elle est aussi une valeur.
Le président ou le premier ministre vous ont-ils
fait part de leur désapprobation ?
Ce n’est pas le style de nos rapports. Nous sommes
des responsables politiques confirmés, travaillant en
équipe et en confiance. Et c’est cela qui est précieux.
La République en marche devrait disposer d’une
très large majorité à l’Assemblée. Craignez-vous
que l’influence du MoDem en soit réduite ?
L’idée que le MoDem aurait rêvé d’être un verrou est
absurde. Nous ne sommes pas extérieurs à la majorité,
nous sommes au cœur de la majorité, et même au cen-
tre de cette majorité. En marche ! est un mouvement
neuf, en éclosion. Le MoDem est un courant politique
qui a une longue histoire et un corpus de valeurs très
clairement identifié, une habitude de vie et d’engage-
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Mais un député représente la nation, pas Le Conseil d’Etat critique vos propositions
une profession… sur le financement des partis, en particulier
Cette obligation n’a rien à voir avec la profes- le projet de « banque de la démocratie »…
sion. Un député médecin pourra toujours in- Le Conseil d’Etat souhaite seulement une
tervenir sur notre système de santé, ou un agri- étude d’impact plus détaillée. Je défendrai
culteur sur une loi agricole. Mais si vous avez bien entendu cette idée novatrice, ouverte et
des intérêts dans une entreprise, ou si vous qui constituera pour notre vie démocratique
êtes le conseiller rémunéré d’une branche
d’activité, vous ne pourrez ni porter un texte ni
un immense progrès. Je trouve humiliant et
sur le fond inacceptable que des banques pri-
participer au vote. Ce qu’il faut éviter, c’est le vées aient droit de vie et de mort sur des mou-
risque de lobbyistes clandestins parmi les élus. vements politiques ou des campagnes.
Donc quelqu’un qui conseille une
mutuelle ne pourra pas porter
Et la séparation des fonctions d’ordonna-
teur et de payeur au sein des partis ?
une proposition de loi sur ce secteur ? Mon idée de départ allait encore plus loin :
Je ne parle pas par allusion. Chaque Assem- elle était de placer les partis politiques rece-
blée sous l’autorité de son comité de déontolo- vant de l’argent public dans une situation
gie veillera à empêcher les conflits d’intérêts. comparable à celle des collectivités locales, li-
bres de leurs choix budgétaires et de leurs dé-
Cela ne risque-t-il pas d’entretenir cette penses, mais dotées obligatoirement d’un
idée d’arrangements dans un entre-soi ? payeur public. Je suis sûr qu’on n’aurait pas
Je respecte la séparation des pouvoirs et donc osé présenter les « factures » de Bygmalion
le droit de l’Assemblée et du Sénat de s’organi- [affaire de surfacturations de prestations pour
ser pour faire respecter les principes définis. le compte de l’UMP lors de la présidentielle de
Mais nous aurons un débat parlementaire et le 2012] à un payeur public. Un certain nombre
texte a vocation à être enrichi. Pourquoi ne pas d’administrations ont été en désaccord.
travailler sur les attachés parlementaires, A ce stade, le Conseil d’Etat souligne à juste
aujourd’hui injustement ciblés ? Ils le vivent titre que la séparation ordonnateur-payeur
mal, à juste titre, et la discussion de ce texte entre en conflit avec la liberté constitution-
pourra peut-être faire avancer leur situation. nelle d’organisation des partis politiques.
Peut-être reprendrons-nous cette réflexion
pendant les débats, de même que le contrôle
que je souhaitais par la Cour des comptes,
parce que je suis sûr que l’intervention pour
certifier les comptes des partis d’un magistrat
ment en commun. C’est un grand courant de la vie po- de la Cour serait une garantie pour le citoyen.
litique nationale qui connaît une magnifique résur-
gence. Les deux mouvements sont donc profondé- Les progrès de la France dans la lutte
ment complémentaires, et nous ne serons pas trop de contre la corruption, salués par les
deux pour affronter les défis qui viennent. organismes internationaux, sont contre-
balancés par des critiques sur l’indépen-
N’avez-vous pas la crainte d’être moins écouté ? dance de la justice. Que ferez-vous ?
Si vous croyez qu’on est écouté parce qu’on menace- Conformément aux engagements du prési-
rait de faire sécession, c’est que vous ne comprenez dent, nous sommes décidés à ouvrir le chapitre
rien à la Ve République. Les frondeurs du PS en ont fait de l’indépendance du parquet. Un texte a été
l’amère expérience. On est écouté quand on est en adopté par les deux Assemblées sous la der-
phase, et quand on est créatif et entraînant. Or, il se nière législature : c’est un point de départ,
trouve que je me sens en totale confiance avec le pré- même si je crois qu’on peut aller plus loin.
sident de la République. Je dois même vous avouer Si j’ai accepté cette responsabilité au gouver-
que cela ne m’est jamais arrivé de toute ma vie politi- nement, c’est parce que je crois que l’on doit
que. La capacité qui a été la sienne, en quelques heu- faire des choses essentielles, et les faire vite.
res, d’incarner la fonction et de faire comprendre aux C’est le cas du statut des parquets. C’est le cas
Français la conception qu’il en avait, de leur donner de la loi de programmation sur les moyens de
ainsi de la fierté, est une des raisons essentielles du fonctionnement de la justice. C’est le cas de
succès des législatives. l’immense question des prisons. Nous ne
pouvons pas nous accommoder de la situa-
L’Assemblée sera composée d’une majorité tion actuelle et du temps qui passe, où discus-
de députés novices. Est-ce un risque pour son sions et procédures s’enlisent sans fin, sans
fonctionnement ? que jamais rien ne change.
Cela ne s’est jamais produit ! C’est donc un défi. Mais
ils et elles vont apporter un sang neuf, des expériences Sur ces sujets, au cœur de votre mission
inédites. Je considère cela comme une chance. p de ministre de la justice, quelles sont
propos recueillis par j.-b.j. et c.pi vos orientations ?

0123
JEUDI 15 JUIN 2017
J’en discuterai avec les intéressés, magis-
trats, fonctionnaires, responsables budgétai-
res, et au sein du gouvernement avant toute
communication publique.
Quant au projet de loi antiterroriste des-
tiné à sortir de l’état d’urgence, comment
accepter que des mesures échappent
au contrôle de l’autorité judiciaire ?
Je propose que l’on juge du texte lorsqu’il
sera définitivement établi. Il faut bien com-
prendre la détermination du gouvernement.
L’état d’urgence est un état d’exception qui
suspend certaines garanties apportées au ci-
toyen dans tous les domaines. C’est donc une
obligation d’en sortir, mais certainement pas
en désarmant notre Etat face au terrorisme. Il
y a des procédures qu’il faudra pouvoir utili-
ser dans le droit commun, dès lors que la ga-
rantie sera apportée qu’elles sont absolument
circonscrites au terrorisme, à l’existence
d’une menace grave et urgente, à la fréquenta-
tion de réseaux, et sous le contrôle d’un juge.
Mais le projet exclut le juge judiciaire et
confie ce sujet au juge administratif…
Les mesures de prévention relèvent naturel-
lement du juge administratif, les mesures de
privation de liberté, du juge judiciaire. Je ne
doute pas que le texte que portera le ministre
de l’intérieur respectera ces principes et il
aura mon soutien. L’avis rendu par le Conseil
d’Etat sera étudié par le gouvernement, qui ar-
rêtera ensuite sa décision définitive. C’est
même le rôle précis du Conseil d’Etat.
Ne craignez-vous pas de stigmatiser une
certaine catégorie de la population, car
la notion de terrorisme est floue et large…
Elle n’est pas floue pour les victimes, pour
les trois jeunes Français encore tués à Londres
et les dizaines de victimes que nous avons
pleurés. Je connais et j’apprécie les réflexions
de principe. Mais je me sens bien davantage
responsable face aux victimes et aux victimes
potentielles, comme le ministre de l’intérieur,
comme le premier ministre et le gouverne-
ment autour du président de la République se
sentent responsables. Prendre les mesures les
plus efficaces en cas de menace terroriste
identifiée n’est pas, selon moi, une option
théorique, mais un devoir.
Comptez-vous créer, comme le préconisent
certains proches d’Emmanuel Macron,
un parquet national antiterroriste ?
De fait, il existe ! La section antiterroriste du
parquet de Paris est un parquet antiterroriste.
Soutenons-le, au lieu d’entamer un boulever-
sement supplémentaire. p
propos recueillis par
jean-baptiste jacquin
et cédric pietralunga
Une étape dans la lutte contre la corruption
Le projet de loi soutenu par le garde des sceaux va au-delà des règles que préconise l’OCDE
en matière de financement des partis politiques
E n matière de lutte anticor-
ruption, la France est en
passe de changer de statut
parmi les pays développés. Elle
avait été très sévèrement pointée
du doigt par les organisations in-
tergouvernementales dépendant
de l’OCDE, en 2012, et du Conseil
de l’Europe, en 2013, en raison
d’une législation très insuffisante.
Aujourd’hui, la loi pour « la con-
fiance dans la vie démocratique »
est une nouvelle étape dans la
moralisation de la vie publique
après la sérieuse remise à niveau
intervenue sous le mandat de
François Hollande, en particulier
après l’affaire Cahuzac. La loi de
2013 créant notamment le par-
quet national financier et la
Haute Autorité pour la transpa-
rence de la vie publique, et la
loi Sapin 2 de 2016 instituant
l’Agence française anticorruption
sont passées par là.
Le projet de loi défendu par
François Bayrou, et présenté mer-
credi 14 juin en conseil des minis-
tres, va même au-delà des règles
que préconise la Convention de
lutte contre la corruption de
l’OCDE en matière de finance-
ment des partis politiques. En ef-
fet, l’interdiction faite aux partis
de ne pas se faire financer par des
personnes morales étrangères
autres que des banques de
l’Union européenne vise claire-
ment la situation du Front natio-
nal, recherchant des finance-
Le 13 juin, ments en Russie. La convention
à Paris. BENJAMIN OCDE axée sur la corruption in-
GIRETTE/HANS LUCAS ternationale ne prévoit pourtant
POUR « LE MONDE » pas de règles de ce type.
En ce qui concerne la transpa-
rence de la vie parlementaire et la
probité des élus, le projet gouver-
nemental répond à des préven-
tions répétées depuis plusieurs
années par le Groupe d’Etats con-
tre la corruption (Greco) du Con-
seil de l’Europe. Gianluca Espo-
sito, secrétaire exécutif de l’orga-
nisation, salue ainsi les inten-
tions exprimées par Paris avec ce
projet de loi, « tant dans les sujets
La « banque de la démocratie » reportée
Devant la complexité du sujet et les sévères critiques du Conseil d’Etat, le gouvernement
va revoir sa copie et procédera par ordonnance sur ce dispositif destiné à financer les partis
C’ était une réforme qui
tenait à cœur au minis-
tre de la justice, Fran-
çois Bayrou, dans son grand pro-
jet de loi de moralisation de la vie
publique. Créer une « banque de
la démocratie » afin de pouvoir fi-
nancer les partis politiques sans
qu’ils soient nécessairement dans
la main des établissements pri-
vés. M. Bayrou a raconté avoir
connu, en tant que président du
MoDem, des situations « humi-
liantes » en sollicitant des finance-
ments auprès des banques.
Aujourd’hui, devant la com-
plexité du projet, notamment sur
le plan de la réglementation ban-
caire, le gouvernement renonce à
le faire figurer parmi les disposi-
tions sur le financement des par-
tis contenues dans le projet de loi
sur « la confiance dans la vie dé-
mocratique ». Le ministre de la
justice ne renonce pas à cette idée
de créer une banque publique,
mais cela se fera par ordonnance,
à une date ultérieure, le temps de
peaufiner le dispositif.
Sans attendre, le Conseil d’Etat
juge sévèrement ce projet. Lundi
12 juin, l’assemblée générale des
conseillers du Palais-Royal a trans-
mis au gouvernement un avis, que
Le Monde a pu consulter, très criti-
que tant sur le fond que sur la
forme de cette proposition phare.
« Les conflits
d’intérêts ne sont
pas en soi un acte
de corruption,
l’important est
d’avoir des règles
préventives »
GIANLUCA ESPOSITO
secrétaire exécutif du Greco
abordés que dans la façon dont
ils sont traités ».
Dans un rapport de contrôle
sur la France signé en mars 2016,
le Greco prenait soin de réitérer
sa recommandation pour que
« les conditions de recours aux
collaborateurs et assistants parle-
mentaires ainsi que l’indemnité
représentative de frais de mandat
et le dispositif de la réserve parle-
mentaire soient réformés en pro-
fondeur afin de garantir la trans-
parence, la responsabilité et le
contrôle de ces ressources ».
Le projet de loi, qui sera débattu
au Parlement dans les prochaines
semaines, prévoit la suppression
pure et simple de la réserve parle-
mentaire, l’interdiction des em-
plois familiaux par les élus, et le
remplacement des indemnités
représentatives de frais de man-
dat par un remboursement sur la
base de justificatifs que les dépu-
tés et sénateurs devront fournir.
Le Greco n’en demandait pas tant.
Des mesures extrêmement ri-
goureuses que le Conseil d’Etat
estime justifiées « par l’objectif
d’intérêt général » du projet.
Dans son avis au gouvernement,
que Le Monde a pu consulter,
l’institution précise même la
portée de l’interdiction faite aux
élus d’employer un membre de
leur famille : seront concernés le
conjoint de l’élu ; ses parents, en-
fants, frères et sœurs ainsi que
les conjoints de ceux-ci ; ses
grands-parents, ses petits-en-
Le Conseil d’Etat s’inquiète de
« la très grande indétermination
des choix du gouvernement qui
demande au Parlement une habi-
litation à légiférer avant même
d’avoir fait procéder à une étude
préalable de faisabilité ». A vouloir
aller trop vite sur ce projet emblé-
matique décidé lors du rallie-
ment de M. Bayrou à Emmanuel
Macron, le gouvernement aurait
pris le risque d’être brouillon.
L’avis du Conseil d’Etat n’est
que consultatif, mais ses remar-
ques pèsent lourd. Il se demande
en quoi cette nouvelle banque
« serait nécessaire afin de garan-
tir la transparence du finance-
ment de la vie politique, alors que
le présent projet de loi crée déjà
directement, aux mêmes fins, un
médiateur du crédit aux candi-
dats et aux partis politiques ».
Solution à trois niveaux
Plutôt que de créer ex nihilo une
nouvelle banque publique, ces
conseillers de l’Etat suggèrent au
gouvernement de procéder plutôt
par un appel d’offres auprès des
établissements de crédit existants,
afin d’attribuer à l’un d’eux cette
quasi-mission de service public.
Cela « pourrait paraître à la fois plus
proportionné au regard de l’objectif
à atteindre et viable financière-
ment », peut-on lire dans cet avis.
fants et ses neveux et nièces ; les
parents, enfants et frères et
sœurs de son conjoint. Ainsi déli-
mitée, cette interdiction est des-
tinée à combattre ce que M. Bay-
rou dénonce comme des prati-
ques revenant à s’octroyer des
compléments de revenus par le
biais d’emplois familiaux.
En matière de gestion des con-
flits d’intérêts, la méthode douce
choisie par M. Bayrou de confier
le soin à chaque Assemblée de se
doter de ses règles sous le con-
trôle d’une commission de déon-
tologie, est également approuvée
par le Conseil d’Etat. Il ne paraît
pas nécessaire d’aller jusqu’à une
externalisation de la gestion des
conflits d’intérêts, par exemple
par la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique.
Selon M. Esposito, du Greco, « les
conflits d’intérêts ne sont pas en
soi un acte de corruption, l’impor-
tant est d’avoir des règles préventi-
ves avec un système de gestion où
l’on sait qui est saisi lorsque appa-
raît une situation susceptible de
constituer un problème ».
« Indépendance des parquets »
Le Conseil d’Etat valide ainsi l’es-
sentiel du projet de réforme dé-
fendu par le ministre de la justice.
Toutefois, à côté de sévères criti-
ques contre la proposition de
création d’une « banque de la dé-
mocratie », l’institution du Pa-
lais-Royal rejette purement et
simplement deux mesures du
texte de loi en raison d’un risque
d’inconstitutionnalité. Tout
d’abord l’idée d’imposer aux
grands partis, au-delà d’un cer-
tain seuil de fonds publics attri-
bués, de séparer la fonction d’or-
donnateur des dépenses de celle
du payeur. Cette mesure serait
contraire à la liberté de s’organi-
ser garantie aux partis par l’arti-
cle 4 de la Constitution.
Enfin, M. Bayrou proposait que
les comptes de ces mêmes partis
politiques soient certifiés par les
magistrats de la Cour des comptes.
Les banques
auraient préféré
se débarrasser
du financement
des partis
au profit de la
sphère publique
Le gouvernement va donc devoir
amender sa copie sur la « banque
de la démocratie ». Mais « si notre
objectif est que les partis ne soient
plus à la main d’intérêts privés, ce
n’est pas pour qu’à la fin ils se re-
trouvent face à une banque privée
qui aura hérité de ce marché », ex-
plique-t-on dans l’entourage du
garde des sceaux. La solution se-
rait à trois niveaux, avec un finan-
cement classique par les banques
commerciales, un médiateur pour
résoudre les difficultés signalées
par les partis ou les candidats, et la
banque de la démocratie.
Les banques françaises auraient
préféré, pour beaucoup, se débar-
rasser du financement des partis
politiques au profit de la sphère
publique. Les instances de la Fédé-
ration bancaire française ont déjà
débattu du sujet, et évoqué de
transférer cette mission à la Caisse
france | 9
LES MESURES-CLÉS
Création d’une peine automa-
tique d’inéligibilité de dix ans,
sauf avis contraire du juge, en
cas de condamnation pour des
affaires d’atteinte à la probité
(corruption, fraude fiscale, trafic
d’influence, détournement
de fonds publics, etc.).
Déchéance automatique
de mandat pour les députés
ou les sénateurs si Bercy n’at-
teste pas de la régularité de leur
situation fiscale dans le mois
suivant leur élection.
Suppression de la réserve
parlementaire, cette enveloppe
à la discrétion de chaque élu,
remplacée par un fonds d’action
pour les territoires géré par
l’Assemblée et le Sénat.
Interdiction de recruter
des membres de sa famille,
pour les ministres, les parlemen-
taires et les grands élus locaux.
Remboursement des frais des
parlementaires sur justificatifs.
L’avis du Palais-Royal estime cette
disposition contraire à la liberté
d’entreprendre, car elle écarte
sans raison valable les commissai-
res aux comptes de ce marché.
Il reste un point noir dans le dis-
positif français : l’indépendance
de la justice. « Malgré des avan-
cées substantielles, la France doit
donner plus d’indépendance aux
parquets, voire une indépendance
totale », plaide Patrick Moulette,
le chef de la division de lutte
contre la corruption de l’OCDE.
M. Bayrou promet de s’attaquer à
ce sujet après l’été. Les textes se-
ront alors aux standards interna-
tionaux. Il n’y aura plus qu’à les
mettre en œuvre. p
j.-b. j.
des dépôts, à Bpifrance ou à un
fonds de garantie. La profession ne
peut que constater la frilosité
croissante de certains établisse-
ments. « Nous mettons un point
d’honneur à ouvrir des comptes
bancaires à tous les partis politi-
ques, mais je peux vous dire que
toutes les banques ne le font pas »,
souligne le directeur général
d’une banque mutualiste.
Les personnalités considérées
comme politiquement exposées
doivent faire l’objet d’une sur-
veillance accrue de la part des
banques, dans le cadre de leur
obligation de lutte contre le blan-
chiment. Il s’agit d’une catégorie
de clients risqués, qui coûtent
plus cher à gérer.
La prudence est redoublée lors-
qu’il s’agit d’accorder des crédits.
Compte tenu des revers électo-
raux subis par les grandes forma-
tions, les banquiers ne se fient
plus seulement au seuil des 5 %
des suffrages exprimés au pre-
mier tour, qui donne droit au rem-
boursement par l’Etat de 47,5 % du
plafond des dépenses de campa-
gne. D’autant que cela est condi-
tionné à la validation du compte
de campagne du candidat. Nom-
bre de banques se limitent désor-
mais à financer les candidats pou-
vant mettre un gage en garantie. p
véronique chocron et j.-b. j.
10 | france 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Le PS et Les Républicains contraints au régime sec

La déroute des deux partis aux législatives a aussi un impact sévère sur leurs finances

L
ors de ces élections légis-
latives, le Parti socialiste
(PS) et le parti Les Répu-
blicains (LR) ne subissent
pas seulement une faillite politi-
que. Ils vont aussi encaisser un
rude coup financier. Car une
grande partie de l’aide publique
attribuée aux formations politi-
ques est calculée en fonction du
nombre de parlementaires élus et
du nombre de voix récoltées.
Chaque parlementaire élu rap-
porte annuellement 37 280 euros
à son parti, qui touche par ailleurs
1,42 euro par voix recueillie au
premier tour. Selon les projec-
tions, le PS pourrait perdre jus-
qu’à 264 députés, LR entre 80 et
150 députés. Les pertes vont donc
se chiffrer en millions d’euros et
ces deux anciens partis domi-
nants vont devoir s’adapter pour
survivre à l’ère macroniste.
Le PS n’a rassemblé que 7,44 %
des voix lors du premier tour, di-
manche 11 juin, et ce crash électo-
ral va s’accompagner d’un krach
financier. Jusqu’ici majoritaire à
l’Assemblée nationale, le parti re-
cevait environ 25 millions d’euros
d’argent public chaque année,
soit plus de 40 % de ses recettes. Il
table désormais sur « moins de
10 millions d’euros » – « au-delà de
ce qu’on avait pu anticiper », glis-
se-t-on à la direction du parti.
Ramener des liquidités
Le PS attend le second tour des lé-
gislatives, dimanche, pour pren-
dre les décisions qui lui permet-
tront de garder la tête hors de
l’eau. Une chose est sûre : le siège,
situé rue de Solférino, dans le fort
chic 7e arrondissement de Paris,
va être mis à contribution pour
ramener des liquidités.
Le bâtiment, acquis en 1986 et
estimé à environ 50 millions
d’euros, pourrait être hypothé-
qué, comme ce fut déjà le cas
après les législatives de 1993, qui
n’avaient envoyé que 57 socialis-
tes à l’Assemblée et asséché les
comptes de la formation. L’opéra-
tion permettrait de prétendre à
un prêt de restructuration auprès
d’une banque. Mais le PS n’exclut
pas non plus, cette fois, de vendre
l’immeuble. « Pour un socialiste,
un capital ça sert à être utilisé pour
« Pour un
socialiste, un
capital ça sert
à être utilisé pour
amortir les coups
durs », sourit
un dirigeant
amortir les coups durs », déclare
un dirigeant en souriant.
En plus d’apporter au PS un
« trésor de guerre », la vente de Sol-
férino « peut permettre au parti
d’avoir une image un peu moins
parisienne, et de communiquer là-
dessus », observe Rémi Lefebvre,
professeur de science politique à
l’université Lille-II et spécialiste
du PS. Jean-Christophe Cambadé-
lis, le premier secrétaire du parti,
avait lui-même évoqué la vente
du bâtiment dès la fin mai, une fa-
çon selon lui de « marquer une
nouvelle époque ».
En parallèle, le parti va être con-
traint de resserrer considérable-
ment les cordons de la bourse.
Tous les postes de dépense de-
vraient être concernés, fait-on sa-
voir au PS, et les rumeurs de ré-
duction de la masse salariale
(120 permanents) ne sont pas dé-
menties. La formation pourrait
aussi réduire l’enveloppe des dota-
tions distribuées à ses fédérations.
En tout état de cause, avec cette
chute de recettes, le PS va devoir
repenser son fonctionnement.
La perte de millions d’euros est
« un handicap considérable »,
souligne M. Lefebvre, qui estime
que le parti va devoir mainte-
nant réfléchir à des événements
« low cost », à commencer par
son congrès, censé être organisé
avant la fin de l’année.
Mais c’est « peut-être aussi le
moment pour lui de renouer avec
une tradition, plus militante, de
s’appuyer sur ses adhérents »,
note-t-il. Encore faut-il qu’ils ré-
pondent toujours à l’appel : de-
puis 2007, leur nombre revendi-
Un rendez-vous avec les banques
est déjà prévu. Les discussions
porteront sur le rééchelonnement
du remboursement de la dette.
Depuis 2012 et la campagne dis-
pendieuse du président Sarkozy,
qui avait abouti à une défaite aux
élections présidentielle puis légis-
latives, l’ancienne UMP vit au-des-
sus d’un gouffre abyssal.
En cinq ans, la dette a été réduite
d’environ 100 millions, à 55 mil-
lions d’euros. Au prix de nom-
breux efforts. Finies les largesses
de l’époque Bygmalion, les forma-
tions sont maintenant assurées en
interne, la plupart des meetings
des élections législatives ont été
organisés par le personnel du parti
et le nombre de permanents est
passé de 120 à 80 entre 2012 et 2017.
Le scénario le plus sombre
Cette année, le parti de la rue de
Vaugirard espérait prendre une
bouffée d’oxygène. Persuadé
d’une large victoire, LR avait prévu
de rembourser encore plusieurs
millions d’euros en 2017. « Le
rythme du remboursement de la
dette dépendra du nombre de par-
lementaires élus mais nous rem-
bourserons, plus tranquillement
qué est en chute libre, passant de A cela, il faudra ajouter l’éven- peut-être », détaille M. Fasquelle. La
256 000 à 120 000. tuelle baisse du nombre de séna- catastrophique séquence électo-
Les résultats du premier tour teurs. « Le budget 2017 est déjà rale va en tout cas obliger LR à con-
vont aussi obliger les comptables prévu. La question se posera pour tinuer à vivre au régime sec. « Cela
du parti LR à ressortir leur calcula- notre budget 2018. Il faut attendre va encore réduire notre train de vie,
trice. Environ 18 des 30 millions de les sénatoriales pour voir où on se même si les sénatoriales vont nous
recettes du parti sont en effet assu- situe, mais l’urgence est, pour le permettre de mieux encaisser le
rées par les dotations de l’Etat. La moment, de faire gagner nos dépu- choc », prédit un cadre du parti.
défaite d’au moins 100 députés tés sur le terrain », explique le tré- En janvier, LR avait prévu plu-
dimanche 18 juin, hypothèse très sorier de LR, Daniel Fasquelle, lui- sieurs scénarios pour son budget :
probable, entraînera au minimum même en ballottage défavorable un avec 100 députés élus, un avec
une perte de 3,7 millions d’euros. dans sa circonscription. 200 et un avec 300. C’est le plan le
plus sombre qui va devoir être mis
en œuvre. Il est pour le moment
764 000 euros de pertes pour le FN exclu de vendre le siège et de licen-
cier du personnel. Mais l’organisa-
Le Front national n’a recueilli que 2 990 454 voix, dimanche tion des événements sera encore
11 juin, soit 538 209 voix de moins qu’en 2012. Chaque voix rap- plus internalisée et les départs
portant 1,42 euro par an pendant toute la mandature, le FN pâtit pourraient ne pas être remplacés.
donc d’un manque à gagner potentiel de près de 764 000 euros « L’idée de Bernard Accoyer n’est
annuels. Une donnée qui n’est pas anecdotique, alors que Ma- pas de faire vivre le parti jusqu’à la
rine Le Pen affirme que sa formation n’a toujours pas trouvé de fin de l’année mais pendant les cin-
prêt auprès des banques pour financer ses campagnes électora- quante prochaines années », expli-
les de 2017. Un site Internet a été lancé pour obtenir des prêts que un des proches du secrétaire
auprès de particuliers, qui n’ont pas le droit de prêter de l’argent général. De quoi retrouver le goût
à des candidats, mais peuvent le faire à des partis politiques. des succès électoraux. Et des aides
Mme Le Pen s’était offusquée que la loi de moralisation de la vie publiques plus conséquentes. p
publique préparée par le gouvernement puisse interdire cette matthieu goar
pratique – les contrôles seront in fine renforcés. et enora ollivier

Fauteuils & Canapés Club La France insoumise veut fédérer l’opposition

Haut de Gamme Le parti de Jean-Luc Mélenchon appelle à voter pour les communistes et certains frondeurs

Moins 50% L es grandes manœuvres

pour le second tour n’ont
Un appui cependant bienvenu
pour ces candidats en difficulté.
côtés de M. Mélenchon, le député
sortant n’a toujours pas donné de
Boistard, députée sortante de la
Somme, qui, battue dimanche,

sur le 2ème fauteu

pas traîné. Après des mois S’ils sont élus, Martine Billard, consigne de vote. Mardi, avec les s’est rangée aux côtés de François

il de guerre fratricide, différentes

sensibilités de gauche tentent
d’éviter une débâcle généralisée
dimanche 18 juin. La France insou-
mise (LFI) a été la première à faire
un virage sur l’aile. Le mouvement
de Jean-Luc Mélenchon a an-
noncé, lundi 12 juin, qu’il soutien-
drait, là où il n’est plus présent, les
candidats « présentés par le PCF
ainsi que les frondeurs socialistes
ayant signé la motion de censure
contre la loi El Khomri ». Le but :
« Donner le maximum d’élus à une
opposition écologique et sociale à
l’Assemblée nationale » avec « tou-
tes celles et ceux qui s’opposent à la
loi travail, à l’état d’urgence et au
projet austéritaire et productiviste
d’Emmanuel Macron ».
Cette ouverture vis-à-vis des
frondeurs constitue une vraie sur-
L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et prise de la part du mouvement qui
toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli, a refusé toute négociation avec
suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition. Benoît Hamon et les siens avant le
premier tour des législatives. Il ne
concerne cependant qu’une petite
poignée d’entre eux encore en
80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS lice : Christian Paul (Nièvre), Régis
Tél. : 01.45.35.08.69 Juanico (Loire), Barbara Roma-
www.decoractuel.com gnan (Doubs), Jérôme Lambert et
Yann Galut (Cher).
membre du comité électoral de La
France insoumise, n’exclut pas
que sa formation puisse siéger
avec eux. « A eux de décider ce qu’ils
feront, ce sera un moment de vérité
par rapport au PS », a-t-elle souli-
gné, mardi, devant la presse.
Suffrages cruciaux
S’il est arrivé dimanche en tête de
la gauche devant le PS, le mouve-
ment de M. Mélenchon pourrait
n’obtenir que quelques députés.
Les projections des instituts de
sondage ne leur attribuent, avec le
PCF, que 8 à 23 sièges. Une four-
chette qui ne garantit pas de pou-
voir constituer un groupe, qui né-
cessite 15 élus. Dans le champ de
ruines que constitue désormais la
gauche, les suffrages des électeurs
PS sont donc cruciaux pour les
candidats LFI.
A commencer par M. Mélen-
chon dans sa 4e circonscription
des Bouches-du-Rhône qui, s’il
veut l’emporter face à la candidate
LRM, doit convaincre les Mar-
seillais qui ont opté pour Patrick
Mennucci de lui donner leur voix.
Si la suppléante de ce dernier, Nas-
sera Benmarnia, s’est rangée aux
socialistes de la circonscription, il
a souhaité une réciprocité s’appli-
quant à des candidats PS « fidèles à
leur parti » pour apporter son aide
au leader de La France insoumise.
Ce qui est loin d’être gagné.
De son côté, Benoît Hamon a ap-
pelé, dans un Tweet publié mardi,
à voter « pour le candidat de gau-
che qualifié face à LRM ou LR ». Il a
ainsi apporté son soutien à la re-
présentante LFI Farida Amrani,
qui affronte Manuel Valls dans
l’Essonne. « Je serais dans la 4e cir-
conscription des Bouches-du-
Rhône, je voterais pour Mélen-
chon », indique également l’un de
ses proches, le député européen
Guillaume Balas.
D’autres socialistes non fron-
deurs se sont inscrits dans une
démarche similaire. « Si je devais
choisir un candidat soutenu par
Jean-Luc Mélenchon ou un candi-
dat soutenu par Edouard Philippe,
je soutien[drais] le candidat de la
gauche, le candidat soutenu par
M. Mélenchon », a indiqué, mardi
sur LCI, le sénateur Luc Carvou-
nas, porte-parole du PS pour les
législatives et candidat dans le
Val-de-Marne. Idem pour Pascale
Ruffin (LFI, PCF et EELV) contre le
candidat LRM.
Là où il a été éliminé, le PCF a in-
vité ses électeurs à se reporter sur
les candidats « de La France insou-
mise et d’autres forces de gauche »,
prêts notamment « à combattre
la casse du code du travail par or-
donnances ». Son secrétaire natio-
nal, Pierre Laurent, a inclus dans
la liste Najat Vallaud-Belkacem à
Villeurbanne. Dans un mot pu-
blié sur le site de campagne de
l’ex-ministre de l’éducation, le
numéro un communiste vise son
adversaire LRM, Bruno Bonnell,
qu’il accuse d’être un « champion
de l’évasion fiscale ».
Quant aux écologistes, qui n’ont
qu’un député sortant encore en
lice, ils ont aussi conditionné leur
soutien, explique l’une des porte-
parole d’EELV, Sandra Regol : « Etre
pour la transition écologique, s’en-
gager sur l’accord de Paris [sur le
climat], être contre la loi travail et
contre l’instauration de l’état d’ur-
gence dans le droit commun. » Les
deux premiers points pourraient
de fait exclure une partie des rares
communistes à s’être qualifiés. p
raphaëlle besse desmoulières
 france | 11
0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Vers une Assemblée nationale plus féminine

43 % des candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour des législatives sont des femmes

L’
Assemblée nationale
qui sortira des urnes au
second tour des législa-
tives, dimanche 18 juin,
sera non seulement profondé-
ment renouvelée, mais aussi pro-
bablement plus féminine que la
précédente. En 2012, 155 femmes
avaient été élues, soit 26,8 % des
députés. Ce record sous la Ve Ré-
publique devrait être battu. En ef-
fet, 248 femmes sont arrivées en
tête dans leur circonscription au
premier tour, le 11 juin, contre
329 hommes, soit près de 43 % de
candidates en pole position.
Parmi elles, 197 sont étiquetées La
République en marche (LRM).
La partie n’est pas gagnée pour
toutes, en raison des reports de
voix qui peuvent modifier les
équilibres. Mais 144 femmes béné-
ficient d’une avance confortable
de plus de dix points sur leur ad-
versaire (voire plus de vingt points
pour 63 d’entre elles) ; dans 61 cas,
elles bénéficient de 5 à 10 points
d’avance ; enfin, 43 d’entre elles
joueront une partie beaucoup
plus serrée, car elles disposent de
moins de 5 points d’écart avec leur
adversaire. Toutefois, des femmes
arrivées en seconde position peu-
vent prétendre à la qualification.
C’est le cas de Marie Sara (LRM),
arrivée deuxième face à Gilbert
Collard (FN) dans le Gard, avec seu-
lement 48 voix d’écart.
Sauf renversement complet de
tendance, une progression de la
parité est donc probable. Elle dé-
coulera en grande partie du succès
de la formation du président, Em-
manuel Macron, qui a investi 51 %
de femmes aux législatives, soit un
peu plus que les exigences de la loi
sur la parité. De plus, LRM et son
allié le MoDem, comme La France
insoumise, ont envoyé plus de
candidates que les autres partis
dans les circonscriptions qui sem-
blaient favorables au vu des scores
de la présidentielle. Les Républi-
cains ont eux investi seulement
40 % de femmes, en leur attri-
buant des territoires plus difficiles.
« Il y a un effet mécanique, ob-
serve Frédérique Matonti, profes-
seure de science politique à l’uni-
versité Paris-I. Les Républicains, qui
sont le parti le moins paritaire, de-
vraient perdre beaucoup de siè-
ges. Pour La République en marche,
il était plus simple d’investir une
moitié de femmes, car ils n’ont pas
de sortants, donc pas de candidats
à remplacer par des candidates. »
Changement de culture
« La prime aux sortants, qui est un
argument très paralysant pour les
partis, n’a pas joué, observe égale-
ment Réjane Sénac, chercheuse
CNRS au Centre de recherches po-
litiques de Sciences Po (Cevipof).
La vague En marche ! brouille éga-
lement les repères sur les circons-
criptions jugées plus gagnables
que les autres. »
Les élections de 2017 marquent
en outre un changement de cul-
ture. « Le volontarisme sur la pa-
rité est devenu une ressource en
termes de légitimité politique, un
gage de modernité, ce qui est nou-
veau », poursuit Mme Sénac.
« Pourtant, la parité, c’est la loi
depuis 2001 ! », rappelle Mme Ma-
tonti. Jusqu’à présent, certains
partis préféraient payer des
amendes plutôt que d’investir
50 % de candidates.
Comme leurs homologues mas-
culins, les candidates LRM sont
surtout issues des catégories so-
cioprofessionnelles supérieures.
« Quand on fait appel à la société
civile, on attire des gens qui ont les
ressources sociales ou familiales
nécessaires pour se lancer en poli-
tique », relève Luc Rouban, cher-
cheur CNRS au Cevipof.
En revanche, elles correspon-
dent davantage à l’image de re-
nouvellement affichée par En
marche ! « 61 % sont des novices en
politique contre 47 % des hom-
mes », poursuit M. Rouban. Ce
dernier a établi un « indice de poli-
tisation » qui prend en compte
l’existence de mandats électifs
antérieurs, le fait d’avoir été can-
« Les vraies
représentantes
de la société
civile, ce sont
les femmes »
LUC ROUBAN
chercheur CNRS au Cevipof
didat, membre d’appareils politi-
ques ou de cabinets ministériels,
responsable d’établissements pu-
blics locaux… « Les candidates
LRM ont été moins impliquées
dans la vie politique que les hom-
mes, résume le chercheur. Les
vraies représentantes de la société
civile, ce sont les femmes. »
Obtiendront-elles des postes
clés dans l’Hémicycle ? « La répar-
tition des responsabilités et l’orga-
nisation du travail parlementaire
seront à surveiller », prévient
Catherine Coutelle, présidente
(PS) sortante de la délégation aux
droits des femmes de l’Assemblée.
La composition du gouverne-
ment (certes paritaire mais où la
plupart des principaux ministè-
res ont été confiés à des hommes),
mais aussi celle de cabinets minis-
tériels très masculins ont éveillé le
scepticisme sur les intentions du
nouveau pouvoir.
L’attribution de la présidence,
mais aussi des six postes de vice-
président, ainsi que des trois pos-
tes de questeur sera particulière-
ment observée. Tout comme la
désignation des présidents et rap-
porteurs des commissions parle-
mentaires (lois, finances, affaires
culturelles…), stratégiques à l’As-
semblée, donc convoités et diffici-
les à obtenir. Mme Coutelle a
d’ailleurs fondé une association
d’anciennes élues qui proposera
des conseils aux nouvelles arri-
vantes, afin de leur « donner les
codes pour mieux se repérer dans
l’institution ». p
gaëlle dupont
et anne-aël durand

Un préfet mis au placard

attaque l’Etat en justice
Philippe Paolantoni réclame au ministère
de l’intérieur un poste adapté à son profil

V oilà maintenant cinq ans

que Philippe Paolantoni
quémande un poste
adapté à son pedigree. Malgré de
multiples démarches auprès du
ministère de l’intérieur, son ad-
ministration de rattachement, ce
préfet ne parvient pas à obtenir
satisfaction. Une traversée du dé-
sert interminable, éprouvante,
qui a des incidences négatives sur
sa rémunération. Fait extrême-
ment rare, il vient d’engager une
double action contre l’Etat, en ré-
féré et au fond, devant le tribunal
administratif de Paris.
M. Paolantoni, 65 ans, a un pro-
fil plutôt singulier au sein du
corps préfectoral. Il débute sa car-
rière comme médecin, durant les
années 1970, avant d’intégrer
l’ENA en 1985. Une fois son di-
plôme en poche, il occupe diver-
ses responsabilités dans la haute
fonction publique : chef de la divi-
sion de l’enregistrement du médi-
cament au ministère de la santé,
sous-préfet, puis préfet adminis-
trateur supérieur de Wallis-et-Fu-
tuna. En juillet 2010, il est bom-
bardé à la tête de la direction des
affaires maritimes, au ministère
de l’écologie. Il y reste un peu plus
d’un an et demi.
Ensuite, c’est le quasi-trou noir.
Placé préfet hors cadre, il ne re-
çoit, dit-il, aucune offre de poste
durant de longs mois, et doit se
contenter de quelques missions –
qu’il s’est « démené à trouver, dans
la plupart des cas », assure-t-il. « Je
regrette vraiment que depuis tout
ce temps, rien de bien valorisant
ait pu vous être proposé », lui écrit,
en octobre 2014, le secrétaire gé-
néral du ministère de l’intérieur,
Michel Lalande, en réponse à un
courriel.
A la mi-2015, il se remet en selle,
en décrochant un poste de haut
cadre à la métropole de Brest (Fi-
nistère). Un contrat temporaire,
qui expire à l’automne 2016. De-
puis, plus rien, à l’en croire. Fin
janvier, il est reçu « une dizaine de
minutes, montre en main », par un
haut fonctionnaire de la place
Beauvau. Durant ce bref échange,
raconte M. Paolantoni, celui-ci lui
a dit : « Une mission pour un préfet,
ça ne se trouve pas sous le sabot
d’un cheval. » « Je l’ai interrogé sur
mon statut, complète le préfet. Il
m’a indiqué que j’étais chargé de
mission. J’ai demandé en quoi elle
consistait et n’ai pas obtenu de ré-
ponse. J’ai alors suggéré d’utiliser
mes connaissances de médecin.
“Nous avons déjà deux médecins
dans le corps préfectoral”, m’a-t-il
rétorqué. »
Quelques semaines plus tôt,
M. Paolantoni avait constaté que
son indemnité spécifique de fonc-
tion avait été réduite d’un peu plus
de 2 500 euros. Il avait alors ré-
clamé le réexamen du montant ;
sa hiérarchie s’était murée dans le
silence. Las d’être traité ainsi, il a fi-
nalement décidé de saisir le tribu-
nal administratif, à un an et demi
de son départ à la retraite.
Contraints de « rester chez eux »
Lors de l’examen de sa requête en
référé, le 9 juin, son avocat,
Me Alain Monod, a estimé que
cette affaire reflétait la situation
infligée à d’autres hauts fonction-
naires qui n’ont pas démérité mais
sont contraints de « rester chez
eux » car leur employeur ne leur a
attribué aucune responsabilité.
Cas de figure qui peuvent tourner
au drame, a-t-il souligné, en fai-
sant allusion au suicide du préfet
Fragneau, qui n’avait pas supporté
d’être placardisé, au dire de plu-
sieurs de ses pairs (Le Monde des
27-28 avril 2014).
Au cours de l’audience, le repré-
sentant du ministère de l’inté-
rieur a fait valoir que M. Paolan-
toni n’a pas été privé de toute
fonction durant les cinq dernières
années, puisqu’il s’est vu confier
plusieurs missions et il en a, par
ailleurs, refusé une, début 2014.
Depuis que son contrat de travail
à Brest a pris fin, fin 2016, « nous
n’avons pas été en mesure de trou-
ver un poste, à ce stade, mais le dé-
lai n’est pas déraisonnable », a ex-
pliqué le haut fonctionnaire de la
place Beauvau.
A ses yeux, M. Paolantoni n’est
pas dans l’urgence sur un plan fi-
nancier, son traitement étant pro-
che de 6 000 euros net par mois.
« Vous admettez que l’intitulé
“chargé de mission” pour désigner
l’activité du requérant est pure-
ment cosmétique ? », a lancé le pré-
sident du tribunal au représen-
tant du ministère, en ajoutant
que le préfet est un chargé de mis-
sion… « sans mission ».
La décision sera rendue dans les
huit jours suivant l’audience. p
bertrand bissuel
12 | récit
Elysée, cour fermée
I
ls sont arrivés en bande, sur le tapis
rouge posé dans la cour d’honneur de
l’Elysée, le jour de la passation des
pouvoirs, il y a tout juste un mois.
Huit hommes, très jeunes pour la plu-
part, impeccables dans leurs costu-
mes sombres et bien coupés. Et une femme,
robe fleurie, perfecto noir et chaussures blan-
ches vernies, des « zizis », les mêmes que por-
tait Serge Gainsbourg.
Ils sont arrivés en conquérants, sourires
éclatants, assurance et fierté affichées, un
brin d’arrogance peut-être. Ils ont salué les
photographes avant de grimper les marches
du palais, pour assister à la consécration
d’Emmanuel Macron, leur « maître », selon
leur propre terme, qu’ils ont accompagné
dans cette folle conquête du pouvoir, ce
Blitzkrieg, ce « hold-up du siècle ».
Les ralliés de la deuxième heure, qui leur re-
prochent de vouloir garder pour eux seuls
l’accès au « patron », les ont surnommés « les
mormons » : Ismaël Emelien (le stratège), Syl-
vain Fort (la plume), Jean-Marie Girier (le chef
de cabinet, parti depuis au ministère de l’in-
térieur), Stéphane Séjourné (le conseiller po-
litique), Julien Denormandie (l’homme du
parti), Benjamin Griveaux (le porte-parole,
candidat aux législatives à Paris), Sibeth
Ndiaye (la chargée de communication). Cette
jeune garde est chaperonnée, ce jour-là, par
deux anciens députés socialistes – parmi les
premiers à avoir rejoint Macron quand il était
à Bercy –, Arnaud Leroy et Richard Ferrand.
En ce dimanche au ciel mitigé, sous les lam-
bris de la salle des fêtes de l’Elysée, alors que
les invités attendent le président élu, un mur
invisible sépare les jeunes vainqueurs des te-
nants de « l’ancien monde », pourtant tous is-
sus de la même famille socialiste. « C’était hy-
per froid, raconte un responsable du PS, in-
vité à la cérémonie d’investiture. Les Macron
boys avaient pris un melon énorme, nous
n’étions déjà plus dans leurs radars. Ils ne nous
ont même pas salués. »
Ambitieux et surdiplômés, ces jeunes con-
seillers se sont mis au service d’un seul : Em-
manuel Macron. Le trentenaire s’est installé
dans le fauteuil de huitième président de la
Ve République il y a un mois, le 14 mai. Plus
qu’installé, il s’y est coulé, lové. Comme si
l’homme, inconnu des Français il y a encore
trois ans, avait toujours occupé la fonction, ou
en tout cas l’avait minutieusement pensée. Le
chef de l’Etat, né sous Giscard, a clairement
choisi de renouer avec la geste du régime créé
par de Gaulle, celle du monarque républicain.
De la célébration de sa victoire au pied de
la pyramide du Louvre à sa remontée des
Champs-Elysées en « command-car » mili-
taire le jour de son intronisation, jusqu’à sa
rencontre avec le « tsar » Poutine dans les ga-
leries de Versailles, celui qui s’est autopro-
clamé « président jupitérien » a décidé de
parler à l’imaginaire français, forgé autant
par les rois que par les Lumières. Le tout en
live sur les réseaux sociaux… Les « deux
corps du Roi » d’Ernst Kantorowicz, version
Mark Zuckerberg.
L’auteur de Révolution (XO éditions, 2016),
qui compte sur la « Macronmania » pour ob-
tenir une large majorité à l’Assemblée natio-
nale et imposer au pas de charge ses premiè-
res réformes, veut rompre avec dix ans d’in-
carnation du pouvoir qui, à ses yeux, ont
abîmé la fonction : l’hyperprésidence de Ni-
colas Sarkozy et la présidence normale de
François Hollande. Mais c’est surtout de son
ancien patron qu’il veut se détacher, en sym-
boles et en actes.
Entre 2012 et 2014, depuis son bureau d’an-
gle, au quatrième étage de l’Elysée, Emma-
nuel Macron a observé de l’intérieur les
Il y a un mois, jour pour jour, Emmanuel Macron s’est installé à l’Elysée.
En quatre semaines, le président de 39 ans a imposé son style et son tempo,
en tenant la presse à distance. Par petites touches se dessinent
les contours d’une gouvernance de fer, centralisée et hyper personnalisée
failles, les dysfonctionnements et les apathies
du hollandisme. Le mercredi, jour du conseil
des ministres, l’ex-secrétaire général adjoint
traversait parfois l’étroit couloir tapissé d’une
moquette usée pour regarder par la fenêtre
les membres du gouvernement arriver au pa-
lais en majesté, dans leurs berlines sombres,
dont les pneus faisaient crisser les graviers.
L’ancien banquier restait là un moment,
collé à la lucarne, suscitant l’étonnement de
ses collègues du cabinet, qui se demandaient
bien par quoi le numéro trois de l’Elysée pou-
vait bien être ainsi attiré. Songeait-il alors au
cérémonial républicain, à ce qu’il aurait fait
s’il était à la place du président ? Se rêvait-il
en pleine lumière, alors qu’il était encore re-
légué dans l’ombre, sous les combles ?
Quoi qu’il en soit, c’est en familier des lieux
qu’Emmanuel Macron a pris possession de
l’austère palais militaire qui abrite la prési-
dence de la République depuis la fin du
XIXe siècle. Il a hérité du salon doré où ses pré-
décesseurs avaient installé leur bureau, au
premier étage. Mais le chef de l’Etat aime
aussi travailler au calme dans le salon d’an-
gle, ancienne chambre à coucher de l’impéra-
trice Eugénie, qui dispose d’une vue splen-
dide sur le parc, sa pelouse parfaitement ton-
due, son bassin à jet et ses marronniers.
Vaste et discret, ce bureau – autrefois dévolu
aux directeurs de cabinet mais qui fut occupé
aussi par Giscard – est pourtant devenu une
pièce maudite du palais depuis la démission
forcée d’Aquilino Morelle. L’ancien conseiller
spécial de François Hollande s’y était installé
après Henri Guaino, son homologue auprès
de Nicolas Sarkozy. Les égo très affirmés des
deux derniers locataires, souverainistes in-
transigeants, ont valu à cette pièce d’avoir été
baptisée « le bureau qui rend fou ». Hollande
n’avait d’ailleurs pas souhaité la réattribuer
après le départ de son conseiller. « C’est un
peu étrange qu’Emmanuel ait décidé d’y tra-
vailler », murmure un familier du Château,
qui y voit un inquiétant présage.
Mais rien n’est anodin au palais. Surtout pas
la géopolitique des bureaux. En occupant les
deux plus beaux salons de l’ancien hôtel
d’Evreux, le président laisse entendre qu’il n’a
pas l’intention de partager le pouvoir. De son
côté, sa garde rapprochée (Sylvain Fort, Sté-
phane Séjourné, Ismaël Emelien) a tenu à res-
ter groupée, investissant le quatrième étage.
Le stratège, Ismaël Emelien, 30 ans, s’est ins-
tallé dans l’ancien bureau de son mentor.
« VOUS ÊTES UN OGRE »
Avec les communicants de la présidence, ces
jeunes conseillers – qui échangent tous en
permanence via la messagerie cryptée Tele-
gram, l’un des codes du nouveau pouvoir – se
retrouvent deux fois par semaine autour du
secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, et
du directeur de cabinet, Patrick Strzoda, pour
des réunions d’agenda et de stratégie. « Ils
sont très contents d’être là », observe un fami-
lier du palais. Au risque d’oublier certaines fi-
délités anciennes. Un ex-visiteur du soir de
Macron, sous le précédent quinquennat, con-
fie ainsi qu’il n’a plus ses entrées à l’Elysée :
« Macron et sa petite équipe ont coupé tous les
liens anciens. Le président fonctionne en cercle
très fermé, voit peu de gens. Et ses très proches
ont la culture du secret ».
Ils sont arrivés en bande sur le tapis rouge et
l’Elysée s’est refermé. Emmanuel Macron a de-
mandé à ses ministres et ses conseillers de ne
pas dire un mot à la presse. Une condition pre-
mière, indispensable à ses yeux, pour réussir :
verrouiller la communication. Pas question,
comme lors du quinquennat précédent, de
laisser prise aux « bavardages » ou aux couacs,
relayés par la machine médiatique. « Emma-
nuel nous interdit de parler aux journalistes.
Pour lui, vous êtes un ogre qui ne se laisse ja-
mais rassasier », confie un parlementaire.
A la fin du conseil des ministres, il faut voir
ces derniers rejoindre leurs voitures sans un
mot, parfois même sans un regard, aux jour-
nalistes, tenus à distance derrière des cor-
dons, sur le côté. Certains demandent même
que leurs berlines s’avancent jusqu’au pied
des marches, pour éviter de traverser la cour
et d’être importunés par d’éventuelles ques-
tions embarrassantes…
Mais le président assume. Il a décidé de ra-
réfier sa parole et d’agir dans le secret. De re-
venir aux préceptes du « sorcier » Jacques Pil-
han, conseiller de Mitterrand puis de Chirac,
qui avait théorisé la présidence « jupité-
rienne » et l’arythmie de la parole présiden-
tielle. Depuis son élection, Emmanuel Ma-
cron n’a pas jugé bon d’accorder la moindre
interview. « Pourquoi parler ? Son incarnation
suffit », lâche un de ses proches, extatique.
De la même manière, lors de ses déplace-
« MACRON ET SES ments « poolés » (avec un accès réduit pour
PROCHES PENSENT les journalistes), il refuse de répondre aux
questions qui ne concernent pas le sujet qu’il
QUE NOUS AVONS a décidé d’aborder. Ainsi, pas un mot sur l’af-
faire Ferrand, ni sur les soupçons d’emplois
ÉTÉ DES OIES fictifs au Parlement européen qui frappent le
BLANCHES DANS MoDem, le parti du garde des sceaux, Fran-
çois Bayrou. « Quand je viens sur un sujet que
UN MONDE j’ai choisi, je parle du sujet que j’ai choisi. Je ne
fais pas des commentaires d’actualité », a sè-
DE BRUTES, chement répondu Emmanuel Macron, le
9 juin dans le Limousin, à un reporter qui
SOUPIRE l’interrogeait sur l’opportunité d’un main-
UN HOLLANDAIS. tien au gouvernement de ses alliés centristes.
Le président n’aime pas les journalistes po-
EUX SONT litiques. Il leur reproche leur « bovarysme »,
de donner plus d’importance à la scène, au
PLUS DURS » décor et aux acteurs de la pièce qu’au con-
tenu de celle-ci. Il leur en veut aussi de
n’avoir vu en lui qu’un « métèque » et d’avoir
tardé à comprendre ses visées de recomposi-
tion politique. « Moi, je ne ferai pas des jour-
nalistes mes confesseurs », a-t-il sifflé, le
3 mai, dans Le Dauphiné libéré. Depuis sa
prise de fonctions, le chef de l’Etat cherche à
court-circuiter les « accrédités à l’Elysée », en
privilégiant les journalistes spécialisés ou en
choisissant des plumes amies pour conter de
l’intérieur l’aventure présidentielle, comme
l’écrivain Philippe Besson, qui doit publier
un livre à la rentrée sur la geste macro-
nienne. « Macron et ses proches pensent que
nous avons été des oies blanches dans un
monde de brutes, soupire un hollandais. Eux
sont plus durs. »
Mais si le Touquettois promeut la parole
rare, tel Jupiter sur son Olympe, il n’est pas un
jour sans qu’il apparaisse sur les réseaux so-
ciaux ou sur les écrans des chaînes d’infor-
mation en continu. Non pas pour expliquer
sa politique, mais pour sculpter sa statue.
Aux commentaires, le chef de l’Etat préfère
les belles images. Comme durant sa campa-
gne, il est sans cesse accompagné par une
photographe, Soazig de la Moissonnière, qui
publie ses photos sur le compte Facebook du
président. De même, il continue de laisser
travailler autour de lui les photographes de
l’agence Bestimage, qui inondent la presse
papier glacé de clichés de son couple. « Cha-
cun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que
tu es », écrivait Machiavel, à qui Emmanuel
Macron a consacré un mémoire lors de ses
études de philosophie…
Adepte d’une communication de fer, le pré-
sident organise lui-même le spectacle, sans
intermédiaires. Comme le 9 juin, quand il se
fait complaisamment filmer par ses services
au standard de l’Elysée, répondant au télé-
phone à des Français qui appelaient le palais.
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Une visite relayée sur les réseaux sociaux par
l’équipe de com’ du Château, qui oublie alors
son aversion officielle pour les mises en
scène des coulisses du pouvoir.
Conscients du revers de la médaille d’une
communication trop verrouillée, les lieute-
nants du président réfléchissent néanmoins
à fluidifier le dispositif. Les premières inno-
vations pourraient être matérielles : à l’Ely-
sée, la salle de presse, réservée aux agenciers,
qui donne sur la cour du palais - ce qui per-
met d’observer qui entre et qui sort -, pour-
rait être déplacée et ouverte à d’autres mé-
dias. Comme c’est le cas à la Maison blanche,
à Washington, où la presse présidentielle tra-
vaille dans les murs, avec un point presse
quotidien du porte-parole.
La présidence réfléchit aussi à installer une
« salle de briefing », où les conseillers techni-
ques pourraient se rendre à brûle-pourpoint
faire de la pédagogie sur telle ou telle ré-
forme. « On tâtonne », explique Sibeth
Ndiaye, la chargée de communication du pa-
lais, qui précise que la réflexion reste « em-
bryonnaire ». « On regarde ce qui se fait dans
d’autres démocraties, poursuit-elle. On cher-
che le meilleur fonctionnement possible entre
pouvoir et contre-pouvoir. »
« VÉRITABLE AURA »
Garder la main sur tout, n’être dépossédé de
rien, voilà l’obsession du nouveau président.
Derrière les murs de l’Elysée, et à l’abri des
regards, se met en place un pouvoir
hyperrecentré sur la présidence. Pendant sa
campagne, Emmanuel Macron n’a eu pour-
tant de cesse de faire l’éloge de l’esprit d’ini-
tiative, prônant l’autonomie des troupes
comme condition de libération des idées et
des talents. Il jurait qu’il serait un président
qui se contente de fixer les grandes orienta-
tions, à charge à son premier ministre de les
mettre en œuvre.
Mais de facto, les services de Matignon ou
des grands ministères ont beau jurer du con-
traire, citant les fréquentes réunions intermi-
nistérielles autour d’Edouard Philippe, c’est
le Château qui concentre tous les pouvoirs.
Macron l’a signifié en recevant dès les pre-
miers jours les syndicats pour un round de
discussion préalable à la réforme du code du
travail. Idem avec l’avalisation de l’avant-pro-
jet de loi antiterroriste dans le cénacle du
conseil de défense, qui se réunit chaque se-
maine autour du chef de l’Etat. « Macron fait
comprendre qu’il fera tout, confirme un haut
fonctionnaire. Il met en œuvre directement
les commandes qu’il passe. C’est me, myself
and I… Il faut juste que l’intendance suive. »
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Ely-
sée, Julien Vaulpré observe la même concen-
tration des pouvoirs qu’en 2007. Par la « vo-
lonté » du président mais aussi par le « regard
des autres », qui guettent la « fumée blanche »,
viennent chercher le « la ». Ce spécialiste de
l’opinion observe que la « toute puissante
équipe de campagne » d’Emmanuel Macron
« bénéficie d’une véritable aura », comme « la
Firme » de Nicolas Sarkozy, il y a dix ans.
« Hollande qui avait fait revenir tous les vieux
grognards de la jospinie dans l’appareil d’Etat
n’avait pas suscité le même élan », estime Ju-
lien Vaulpré.
Avec ses troupes, le chef de l’Etat se com-
porte comme le patron d’une grande entre-
prise qui fixe une feuille de route précise et
surveille de près son exécution. Gare à ceux
qui ne rempliront pas leurs « objectifs ». Du-
rant la campagne, le candidat Macron a
même annoncé que chaque membre du gou-
vernement devrait engager tous les ans sa
responsabilité devant le Parlement. « Un mi-
nistre qui ne réussira pas ne restera pas », a-t-il

0123
JEUDI 15 JUIN 2017
prévenu. « Je plains les ministres parce qu’ils
vont devoir rendre des comptes. Macron sait
exactement ce qu’il veut et ne veut pas. Chez
Rothschild, ils disaient que c’était une brute »,
raconte un membre de l’équipe commando
qui a participé à la conquête du pouvoir.
Le président a l’œil sur tout, du nom des
membres de cabinet des ministres, qui doi-
vent lui être soumis pour validation, aux di-
recteurs d’administration, qu’il s’apprête à
renouveler pour partie, s’inspirant du spoils
system à l’américaine, pour avoir une haute
fonction publique à sa main. « Macron ne
supporte pas le doute ou l’à-peu-près. Quand il
donne une consigne, il veut qu’elle soit appli-
quée », confie un proche, qui y voit « un gage
de rigueur et d’efficacité » mais aussi « une
marque de rudesse ». « On n’est pas là pour
beurrer les tartines ! », aimait répéter Macron
du temps où il était secrétaire général adjoint
de l’Elysée, citant la réplique de son film
culte, Les Tontons flingueurs, contre ce prési-
dent Hollande qui ne cessait de consulter et
de tergiverser.
Même mainmise sur son parti, La Républi-
que en marche. Alors qu’il avait promis de ne
pas s’en mêler, le chef de l’Etat a passé des
heures dans le huis clos de la commission
d’investiture du mouvement présidé par l’ex-
chiraquien Jean-Paul Delevoye, chargée de
désigner les candidats aux législatives. « Il
connaissait toutes les circonscriptions de
France dans le détail, de l’Aude en passant par
Wallis-et-Futuna ou la Creuse, s’esbaudit un
Emmanuel Macron,
lors de la cérémonie
à l’Hôtel de ville
de Paris, le jour de son
investiture, le 14 mai.
CHARLES PLATIAU/REUTERS
fidèle. Il surveillait tout. Il a par exemple in-
« LE BONAPARTISME sisté pour qu’on mette un très bon candidat
PORTE EN LUI dans la Somme face à François Ruffin [le réali-
sateur du film Merci patron !, qui se présente
UNE TENTATION sous l’étiquette La France insoumise]. Il vou-
lait vraiment gagner ! »
AUTORITAIRE » Manœuvrier, le président a aussi été très
FRANÇOIS BAZIN
attentif à ce que la jeune garde du PS, les
journaliste, auteur d’un Matthias Fekl, Axelle Lemaire ou Najat Val-
livre sur Emmanuel Macron laud-Belkacem soient sur le gril dans leurs
circonscriptions, afin de tuer une possible
concurrence à gauche dans les années à ve-
nir. « Il se projette pour dix ans », justifie un
proche. Il a lui-même négocié avec le député
LR des Hauts-de-Seine Thierry Solère les cir-
conscriptions à préserver pour les élus de
droite « macroncompatibles ».
récit | 13
Ironie de l’histoire, le nouveau président
gouverne exactement à l’inverse de ce qu’il
prônait lorsqu’il était ministre. A l’époque, le
brillant énarque proclamait ne pas être
« l’obligé » du président Hollande et luttait
pour sa liberté de parole. Désormais élu, il
impose silence et respect à son gouverne-
ment. Entre 2014 et 2016, il estimait qu’une
bonne réforme ne pouvait être que le fruit
d’une longue négociation parlementaire,
comme il s’y était attelé pour sa loi pour la
croissance ; à présent, il procède par ordon-
nances et devient un adepte du « parlemen-
tarisme rationalisé ».
A Bercy, son cabinet était un des plus plétho-
riques de Paris ; aujourd’hui, il veut limiter le
nombre de conseillers pour ses ministres… « Il
a changé de rôle. Il tient les rênes courtes, ser-
rées. Le système est très centralisé, c’est logi-
que : quand on a détruit l’ancien système et
qu’il faut reconstruire le nouveau, il faut une
unité de commandement forte », analyse Fran-
çois Bazin, auteur de Rien ne s’est passé
comme prévu, les cinq années qui ont fait Ma-
cron (Robert Laffont, 512 pages, 23 euros).
« ET LUI, EMMANUEL, C’ÉTAIT DIEU »
Les premiers fidèles, qui ont connu les « co-
pol » (les comités politiques) d’En marche ! à
Bercy, alors qu’Emmanuel Macron n’était
pas encore candidat à la présidentielle, se
sont auto-baptisés « les apôtres ». « Et lui, Em-
manuel, c’était Dieu », s’amuse l’un d’eux. Par
son charme et son talent, le chef de l’Etat
s’est indéniablement attiré de solides sou-
tiens. « Non seulement il a affronté le monde,
mais il a étonné le monde, il a révolutionné le
monde ! », s’est enflammé sans rire le minis-
tre de l’intérieur, Gérard Collomb, en mee-
ting à Villeurbanne le 7 juin, après les pre-
miers pas à l’international de son champion.
« On veut tous se marier avec lui », sourit un
autre élu. « Objectivement, tout lui réussit et
tout le monde est en pâmoison », soupire un
ex-député socialiste.
Mais derrière certaines louanges, se devine
parfois une prudente réserve, voire une cer-
taine inquiétude, devant ce jeune président
jugé « charismatique » mais aussi « control
freak ». « Macron est un chef qui inspire du res-
pect et de la crainte, comme Sarkozy en son
temps, estime un élu socialiste qui n’a jamais
pu supporter l’ancien banquier. Il y a très peu
de fuites pour le moment parce que le premier
qui parle sait qu’il est mort. Personne n’a ja-
mais eu peur de Hollande, alors que certains
commencent à avoir peur de Macron. Ils ne
veulent pas lui déplaire. »
Dès avant son élection, certains de ses dé-
tracteurs disaient craindre l’instauration
d’une « dictature technocratique » en cas de
victoire. « Ses investitures En marche !, c’est la
fin du Parlement, le mandat impératif sous la
contrainte du chef. Il y aura un Parlement
inexistant et l’Elysée sera bunkérisé autour de
dix personnes », s’inquiétait au printemps un
ministre de François Hollande. « Une majo-
rité absolue finit toujours dans l’absolu-
tisme », n’a cessé de répéter ces dernières se-
maines Jean-Christophe Cambadélis, le pre-
mier secrétaire du PS, avant d’être balayé au
premier tour des législatives.
Les pressions exercées récemment sur la
presse par le ministère du travail après des
fuites sur le projet de loi travail, ou par le
garde des Sceaux François Bayrou contre
une enquête de France Inter sur les affaires
du MoDem, ne manquent pas d’inquiéter
sur les pratiques du nouveau pouvoir, même
si le premier ministre a recadré le maire de
Pau mardi 13 juin. Une vingtaine de sociétés
de journalistes – dont celle du Monde - se
sont alarmées mardi 13 juin, dans une tri-
bune, de « signaux extrêmement préoccu-
pants » envoyés par le gouvernement en ma-
tière d’« indépendance des médias » et de
« protection des sources ».
“Le bonapartisme porte en lui une tentation
autoritaire”, analyse encore François Bazin,
selon lequel « la référence » du président
n’est pas Ricœur, mais Machiavel. « Macron a
lu Le Prince, poursuit-il. Il sait que la tactique
de conquête n’est pas la même que celle de la
conservation du pouvoir. Dans la conquête, il
était le renard, rusé et duplice. Une fois élu, il
est le lion, explicite, vertical, jupitérien. Et il
prend tout. » p
bastien bonnefous,
cédric pietralunga
et solenn de royer
14 | enquête 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Le capitaine Mark Nutsch, en 2001, dans la région

de Mazar-e-Charif, en Afghanistan. LEGION OF BROTHERS/CNN FILMS

st. petersburg (floride) - envoyé spécial

I
ls sont partis les premiers. Ils sont
partis avec « le poids de la nation sur
leurs épaules », en saluant leurs fa-
milles et « sans imaginer de retour ».
Prêts au sacrifice suprême.
L’Amérique, frappée le 11 septem-
bre 2001 par Al-Qaida, se doutait bien qu’elle
entrait dans une nouvelle ère, même si elle
ne savait pas qu’elle entrait dans une guerre
qui dure encore quinze ans plus tard. Dans
les jours qui suivirent les attaques de New
York et de Washington, le premier objectif
fut évident : il fallait empêcher Al-Qaida de
menacer le monde depuis son sanctuaire
afghan en renversant le gouvernement de
ses hôtes talibans.
Avant que George W. Bush lance les Etats-
Unis dans des conflits avec des forces conven-
tionnelles pour l’occupation de l’Afghanistan,
puis de l’Irak, le monde a presque oublié que
cette guerre afghane initiale, du 7 octobre au
20 décembre 2001, fut accomplie avec suc-
cès et sans intervention militaire terrestre.
Alors qu’ensuite plus de deux millions de
soldats américains ont posé le pied sur des
terres étrangères, cette première guerre fut
gagnée par les combattants afghans eux-
mêmes, accompagnés de soldats des forces
spéciales américaines.
Douze bérets verts, ceux de la Team 595
commandée par le capitaine Mark Nutsch,

furent les premiers soldats à arriver, en oc-
tobre 2001, en territoire inconnu, dans le
nord de l’Afghanistan (précédés en septem-
bre par une équipe clandestine de la CIA).
Cinq unités furent ainsi déployées afin de
coordonner l’action des anti-talibans. A cha-
cune son objectif : à la Team 595 (rejointe
peu après par la Team 534 dans le nord),
Mazar-e-Charif ; à la Team 586, Kunduz ; à la
Team 555, Kaboul et à la Team 574, Kandahar.
Soixante bérets verts pour gagner une
guerre afghane… En appui de ces cinq uni-
tés, une Direct Action Team, basée dans le
sud du pays, avait pour mission de traquer
et de tuer les chefs talibans et d’Al-Qaida, et,
si nécessaire, de porter secours aux cinq
unités dispersées dans le pays.
La spécialité des bérets verts, forces spéciales
de l’armée de terre américaine, est la guerre
non conventionnelle, la guérilla. Chaque
unité de douze hommes est entraînée à être
autonome, et surtout à former des armées in-
digènes avec lesquelles elle va partager une
guerre, un destin. Les cinq unités envoyées en
Afghanistan appartiennent au 5e groupe de
Forces spéciales, surnommé « la Légion ».
Certains de ces bérets verts ont été autorisés
par le commandement des opérations spécia-
les (Socom) à raconter leur histoire. L’initia-
tive en revient à Peter Bergen, journaliste de
CNN spécialiste de sécurité nationale (et re-
porter qui a recueilli la déclaration de guerre
de Ben Laden à l’Amérique, en 1997). C’est lui
qui a convaincu l’amiral William McRaven, ex-
commandant du Socom (et officier supervi-
seur de l’opération d’assassinat de Ben Laden,
en 2011), de leur donner la permission de té-
moigner dans un passionnant film documen-
taire, Legion of Brothers, qu’il a coproduit et
que CNN diffusera à l’automne.
UNE DÉTERMINATION FAROUCHE
Au lendemain d’une projection en avant-
première de ce film, organisée à Tampa par
la Global SOF Foundation – une fondation
consacrée spécifiquement aux forces spécia-
les –, certains de ces bérets verts, réunis à
St. Petersburg, en Floride, où ils se retrou-
vent souvent entre amis, ont accepté de té-
moigner. Parmi eux, le capitaine Mark
Nutsch et l’adjudant-chef Bob Paddington,
membres de la première unité à avoir posé le
pied en Afghanistan, la Team 595, et Scott
Neil, dit « Sky », de la Direct Action Team.
On lit, dans les yeux de ces guerriers, une
détermination farouche. Ils ont une attitude
et des expressions qui ne laissent aucune
place au doute. Même si, quinze ans après, ils
ont vieilli, sont parfois fatigués, même si
leurs blessures réveillent parfois une dou-
leur enfouie, on sent une volonté absolue de
combattre. Et une fierté.
« Nous n’avions aucun plan de bataille », dit
Mark Nutsch en souriant. Une fois larguée
dans les montagnes afghanes, la Team 595
prend contact avec Rachid Dostom, le sei-
gneur de la guerre de la région de Mazar-e-
Charif. « Nous avons commencé par faire
ce que nous savons faire le mieux : des raids,
American « légionnaires »
Après les attentats du 11 septembre 2001, soixante
bérets verts des forces spéciales américaines
ont appuyé la lutte des Afghans contre les talibans.
Quinze ans après, des anciens de « la Légion »
racontent pour la première fois cette opération
aux allures de guérilla
des embuscades. Avec les moudjahidine », se
souvient Bob Paddington.
L’unité 595 découvre vite que cette guerre
des montagnes se fait principalement à che-
val. « Seul Mark savait vraiment monter à
cheval. Les autres, nous avons appris en
combattant », raconte Paddington en riant,
encore exalté par l’aventure. L’unité décou-
vre l’Afghanistan. « Nous n’avions aucune
connaissance du pays. Nous cherchions
partout de bonnes cartes, et pour nous culti-
ver, nous lisions des livres sur le comman-
dant Massoud, de vieux numéros de National
Geographic et les articles des reporters qui
étaient dans le pays », raconte Nutsch.
Peu à peu, les soldats identifient les alliés « CETTE GUERRE
afghans de l’Amérique. « J’ai réuni des com-
mandants ouzbeks, hazara et tadjiks afin
NE RESSEMBLAIT
d’établir un plan de bataille. Nous étions, sur le À RIEN DE CE QU’ON
terrain, les yeux et les oreilles du pouvoir poli-
tique et militaire de Washington, dit Nutsch. NOUS AVAIT APPRIS.
Puis j’ai réparti les gars de mon unité entre dif-
férentes forces afghanes. Nous pouvions tra-
LES OPÉRATIONS
vailler ensemble tous les douze, mais aussi à SE TERMINAIENT
six, à trois. Encore aujourd’hui, l’opération de
la 595 en Afghanistan reste un cas unique PARFOIS EN COMBAT
dans l’histoire des forces spéciales américai-
nes, d’une unité qui s’est dispersée. Il y a par- TRÈS RAPPROCHÉ,
fois eu jusqu’à sept heures de voyage entre les D’HOMME
soldats de mon unité. » Une telle prise de ris-
ques ne s’enseigne pas dans les écoles de À HOMME »
guerre, même chez les bérets verts.
SCOTT NEIL, DIT « SKY »
Pendant que les cinq unités planifient la
ancien combattant
conquête des villes aux mains des talibans, la
en Afghanistan
Direct Action Team mène des raids hélipor-
tés dans tout le pays. « Cette guerre ne ressem-
blait à rien de ce qu’on nous avait appris à l’en-
traînement. Nous menions des raids contre
des camps présumés d’Al-Qaida, mais nous al-
lions aussi au combat dans des fermes afgha-
nes, des opérations qui se terminaient parfois
en combat très rapproché avec les talibans,
d’homme à homme », raconte Scott Neil.
Tous ont été marqués par le fait de décou-
vrir qu’en Afghanistan l’ennemi du jour
n’est pas forcément l’ennemi du lendemain.
La « culture » locale de la guerre locale impli-
que de tuer le moins d’Afghans possible s’ils
décident de ne plus être des ennemis. Des
négociations ont lieu. Des chefs tribaux
changent de camp en une nuit. Il est inutile
de vouloir tuer tout le monde. « On a vu des
talibans changer de camp même en plein mi-
lieu d’une bataille, se souvient Nutsch. Nous
craignions qu’ils ne redeviennent talibans
une fois dans notre dos. »
L’unité 595 remporte, le 9 novembre 2001,
la première victoire de cette guerre. Avec
mille cavaliers afghans fonçant dans le tu-
multe et la poussière, les douze bérets verts
du capitaine Nutsch entrent dans Mazar-e-
Charif. Un épisode épique. Puis ce sera la
chute de Kaboul, le 14 novembre, et ainsi de
suite jusqu’à la chute de Kandahar, le 7 dé-
cembre, où l’unité 574 du capitaine Jason
Amerine mène les rebelles pachtouns du fu-
tur président afghan Hamid Karzaï à la vic-
toire, et où ils perdent un béret vert, le soldat
Davis, premier Américain tué dans cette
guerre de l’après-11-Septembre – en l’occur-
rence par le « tir ami » d’un avion qui avait
reçu des coordonnées erronées pour un
bombardement.
« LA MISSION DE NOS RÊVES »
La raison pour laquelle les ex-bérets verts se
rassemblent souvent à St. Petersburg est
que huit d’entre eux s’y inventent une nou-
velle vie. « Nous avons décidé d’ouvrir la
distillerie American Freedom, raconte fière-
ment Scott Neil. Après avoir combattu pour
le rêve américain, nous voulons nous aussi
vivre le rêve américain. Le rêve américain
à 39,95 dollars la bouteille… » Le bar de l’Ame-
rican Freedom ouvrira ses portes au public
en septembre, et les premiers alcools seront
mis sur le marché : un rhum, le Rekker
(« vagabond », en langue des Vikings), puis
un whisky, le Horse Soldier (« cavalier », en
hommage aux batailles à cheval en Afgha-
nistan). Leur slogan : « Des alcools de légende
par des hommes de légende ».
Pour ces hommes-là, la guerre est finie. Loin
des histoires documentées par les médias sur
les bataillons conventionnels, rares sont ceux
qui soupçonnent l’ampleur de ce qu’ont vécu
les forces spéciales. « Quand on s’entraînait
aux Etats-Unis, avant le 11-Septembre, et qu’on
rencontrait des bérets verts de retour d’une
mission, nous étions admiratifs. Deux mis-
sions, et on se disait : “Tiens, ils doivent être un
peu timbrés.” Trois, quatre, cinq, et on se disait :
“Ils sont complètement cinglés, ceux-là !” », ra-
conte Sky. Or, Mark Nutsch avoue vingt-six
« déploiements » : on dirait qu’il peine à y
croire lui-même.
L’Amérique n’ayant cessé, durant les an-
nées Bush, d’envoyer de plus en plus de sol-
dats à l’étranger, et les mouvements djihadis-
tes ne cessant de prospérer sur la planète,
toujours, il leur fallait repartir. Par patrio-
tisme, par devoir. Et aussi : « Soyons honnêtes,
parce que c’est ce qu’on aime faire par-dessus
tout », dit Bob Paddington, qui vient de pren-
dre sa retraite après vingt et un ans d’armée.
Heureux de se lancer dans les affaires, ils
font visiter leur distillerie, dans un hangar
industriel de St. Petersburg. Ils contrôlent le
logo sur les flasques et les verres à whisky de
l’American Freedom. Au premier étage du
bâtiment, un bar privé sera réservé aux ex-
bérets verts. Ils vont y mettre leurs mé-
dailles et leurs souvenirs. C’est là, à l’écart
des oreilles du public, qu’ils se raconteront
ces guerres dont ils n’ont presque jamais le
droit de parler.
« L’Afghanistan en 2001 fut la mission de nos
rêves… », évoque Bob Paddington avec nos-
talgie. La mission dont ils avaient tous rêvé
en regardant Les Bérets verts (1968), réalisé et
joué par John Wayne, le film sur le Vietnam
qui a incité des générations de soldats amé-
ricains à s’engager dans cette unité d’élite
capable de s’adapter aux cultures étrangères
et de mener à la guerre des combattants si
différents d’eux.
Après 2001, la suite de l’histoire, en Afgha-
nistan, en Irak et ailleurs, fut plus compli-
quée, voire désastreuse. Ces soldats ne sont
pas dupes, mais ce n’est pas aujourd’hui
qu’ils en parleront. Ils n’en ont pas le droit, et
ce n’est pas leur style. Où que ce soit et quelle
que soit la mission, ils y seraient allés de
toute façon. Simplement, cette fois-là, durant
ces quelques semaines dans les montagnes
afghanes, les cavaliers de l’Amérique en
guerre ont été, pense Mark Nutsch, « la bonne
unité au bon endroit au bon moment » dans
l’histoire des conflits de l’après-11-Septembre,
qui est toujours en train de s’écrire. p
rémy ourdan
 CULTURE
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
A Marseille, la noce bleue d’Ahmad Jamal
Le pianiste américain est venu présenter son album « Marseille » dans cette ville qu’il aime tant
JAZZ
L’
album le plus récent
d’Ahmad Jamal (né à
Pittsburgh, en 1930),
produit par ses anges
gardiens Seydou Barry et Cathe-
rine Vallon-Barry, s’intitule Mar-
seille (Jazz Village). Ahmad Jamal
quitte sa Nouvelle-Angleterre
(nord-est des Etats-Unis), où il
tond la pelouse, pour l’offrir à
Marseille en cadeau de fiançailles.
Se sont conjurés, pour l’inviter
dans la ville de ses amours et de
ses tristesses, l’Opéra de Marseille,
la ville dont il reçoit la médaille,
le prestigieux festival Jazz des
cinq continents (pour deux dates,
les 12 et 13 juin), et quatre pléiades
de partenaires. Marseille s’aime
beaucoup, feint de se détester, et
adore être aimée. Le concert du
12 juin est un concert de « j’y
étais ». Une fête miraculeuse, le
temps suspendu, la vie éclatante.
Ahmad Jamal aime les villes – la
sienne, Pittsburgh, mais aussi
Toulouse, Paris – comme on aime
la nuit. De Marseille, il aime les
gens débarqués de partout, le creu-
set de l’histoire, l’accueil fait aux
musiciens : « Marseille, mon cœur
si seul cherche ta caresse/Car ma
vie est remplie de tristesses… »
Auditoire en lévitation, quatuor
aux anges : ils ne se sont pas vus
depuis le 4 août 2016 à Marciac et
se retrouvent comme se retrou-
vent les amants séparés (Pierrot Le
Fou). Finissant la phrase qu’on
avait laissée en suspens, il y a un
an, un pinot noir à la main.
Incarnations de la mélodie ini-
tiale : Mina Agossi, « diva », dixit
Ahmad Jamal, à qui il a donné son
poème à traduire et à chanter ; et
Abd Al Malik, pour la version
slamée. Joli texte du Maestro, en-
tre Apollinaire et Marcel Thiry.
Soit, au total, trois versions de
Marseille. Le tout avec une sidé-
rante fraîcheur, un génie de la
spontanéité qui n’appartient plus
qu’à lui. Plus ce signal sans appel
adressé aux carabiniers du
« djazz ». Lesquels ne manqueront
pas, en toute indépendance, de
célébrer Marseille (Jazz Village) ou
Si bien, le dernier album – coloré,
africain, faussement simple – de
l’exquise Mina (Urbafrika).
Le Steinway posé au centre
Ahmad Jamal, bientôt autant d’an-
nées que de touches au clavier, et
Mina Agossi, vingt-cinq ans de car-
rière, auront bénéficié des mêmes
âneries : pas assez « djazz », trop
« variété », trop de grâce, et dans le
cas de la chanteuse, « fausse noire »
– on l’a lu, les yeux bien écar-
quillés, dans un magazine de jazz
franchement décomplexé.
Le Steinway posé au centre du
plateau, navette spatiale aux
contours de l’Afrique, les aéro-
nautes entrent en scène comme
Cesaria Evora, diva pour toujours
La Philharmonie de Paris a rendu hommage, dimanche 11 juin, à la chanteuse cap-verdienne décédée en 2011
MUSIQUES DU MONDE
L orsque, jeune fille, elle chan-
tait dans les bars de Min-
delo, sa ville natale, sur l’île
de Sao Vicente, au Cap-Vert,
Cesaria Evora, née en 1941, allait
nus pieds, parce qu’elle n’avait pas
d’argent pour s’acheter des chaus-
sures. Plus tard, elle gagnera de
quoi s’en offrir de nombreuses
paires, qu’elle ne mettra pas forcé-
ment. Elle fut surnommée « la diva
aux pieds nus » par un journaliste
cap-verdien. La formule sera re-
prise par son producteur, José Da
Silva, pour nommer son premier
En 2017. PHOTO JEAN-MARC LUBRANO
on se rend au rendez-vous :
Manolo Badrena, d’abord, le Por-
toricain poète et dramaturge, il
fait le zouave aux percussions
dont il vivifie le son d’ensemble ;
James Cammack et Herlin Riley,
ensuite, phénoménal duo ryth-
mique qui devrait compliquer
l’imaginaire de tous nos nou-
veaux apprentis bien nés, aux dé-
sirs plus gros que le ventre, et qui
se cachent derrière des fantaisies
d’opérette.
Il n’est pas besoin d’être bien dé-
gourdi en musico-géographie
pour deviner, dès les quatre pre-
mières mesures, qu’Herlin Riley
est un batteur de la Nouvelle-Or-
léans. Roulements et « ras » carac-
téristiques, jeu de fanfare, de rigo-
don, « charleston » (la double
cymbale actionnée au pied) subli-
mée d’un bout à l’autre, cepen-
album, en 1988. Elle lui a valu un
hommage, dimanche 11 juin, à la
Philharmonie de Paris, dans la
salle des concerts de la Cité de la
musique, en clôture d’un week-
end thématique baptisé « Divas ».
Cesaria Evora est morte le 17 dé-
cembre 2011, laissant orphelin
tout un peuple, au Cap-Vert et
ailleurs (la diaspora cap-verdienne
compte plus de 700 000 per-
sonnes, l’archipel en réunissant
500 000). Elle était la voix, la fierté
du Cap-Vert. Au fil de sa carrière,
elle devint une star internatio-
nale, sillonnant le monde. L’an-
née suivant son décès, le Festival
Le concert
du 12 juin est
un concert de
« j’y étais ». Une
fête miraculeuse
dant que Cammack tisse le tapis
du concert, de formulettes et
« routines » bondissantes.
Inutile de traquer la virtuosité
dans tout ça. Elle ne vise qu’à
s’oublier pour penser le réel. De-
puis Vernell Fournier et Israel
Crosby au Pershing (en 1958), le
Maestro s’est toujours entouré,
non sans exigence, de pointures.
Du bout des doigts, d’un regard, il
règle tout : les doigtés, les pulsa-
tions, ces montées en puissance
d’Ile-de-France lui rendait hom-
mage au Cirque d’hiver, à Paris, in-
vitant des artistes à interpréter
des titres choisis dans son réper-
toire, accompagnés par l’orchestre
de la chanteuse.
« Sodade », un « hymne national »
La Philharmonie reprend la for-
mule, avec un casting concocté
par José Da Silva et Alain Weber,
conseiller artistique pour les mu-
siques du monde. L’orchestre réu-
nit des musiciens ayant œuvré
auprès de la chanteuse et de jeu-
nes recrues. « Tous de Mindelo
[capitale culturelle du Cap-Vert],
soudain brisées net, et ces re-
tours à la chansonnette comme
on rentre au pays.
Ni « morceaux » ni chorus. La
machine désirante aux instincts
bien voulus, sophistiquée en dia-
ble, donne le branle à un « groove »
monstrueux. On a d’ailleurs assez
reproché au grand Ahmad cette
invention de géométrie dans
l’espace qui avait le tort de plaire
au grand public. Quatuor ? Quar-
tet ? C’est une constellation de
stars dont il est le soleil. Système
gracieux, gravitation, envolée
dans les espaces infinis qui rassu-
rent, génie polyphonique en trois
ou quatre dimensions, peut-être
onze, selon le modèle de la physi-
que actuelle, étreinte, envolées,
tension-détente, syncope et
swing, interactions et « interplay »,
libre circulation des inconscients
ils connaissent bien le répertoire,
explique José Da Silva. Le Cesaria
Evora Orchestra a toujours été une
école pour les jeunes musiciens
cap-verdiens et je tiens à perpétuer
cette tradition. »
Après les prestations en solo
de chacune des deux choristes,
Jenifer Solidade et Lucibela, Teo-
filo Chantre entre en scène. Né
en 1964, sur l’île de San Nicolau, il
était l’un des compositeurs préfé-
rés de Cesaria et lui a donné un
chapelet de chansons, dont Luz
dum estrela (« la première que j’ai
offerte à Cesaria », précise le chan-
teur) et Fatalidade (les paroles
réglés d’un mouvement de poi-
gnet par le Maestro, dérèglement
de tous les sens, le récital est un ré-
gal (cent vingt minutes de déroulé,
à partir de 20 h 30).
Le préféré de Miles Davis
On en oublierait presque la théo-
rie scientifique qui le programme.
Cammack, le bassiste : « Tout doit
avoir l’air de couler de source. Mais
ce point qu’on atteint grâce à M. Ja-
mal, c’est un point que ne pourrait
atteindre que la composition écrite.
Note à note, avec le phrasé et les si-
lences. Par sa présence et son mou-
vement, M. Jamal nous fait accou-
cher spontanément de quatre par-
titions intriquées et autonomes. »
Visuellement éblouissant.
Répertoire ? Un fil conducteur :
la version instrumentale de
Marseille pour quatuor. Mélodie
sont de son père, Vitorino Chan-
tre), qu’il reprend à la Philharmo-
nie. La rayonnante Brésilienne
Flavia Coelho surprend par sa ca-
pacité à s’impliquer dans un ré-
pertoire et une langue (le créole
cap-verdien) qu’elle n’avait jamais
encore touchés.
Tout aussi lumineuse, Lura, née
de parents cap-verdiens à Lis-
bonne en 1975, l’année de l’indé-
pendance du Cap-Vert, chante et
danse avec Angola (une composi-
tion tonique de Ramiro Mendes)
et interprète Nos Diva, la chan-
son qu’elle a créée en hommage à
Cesaria Evora. L’Angolais Bonga,
| 15
La machine
désirante
aux instincts
bien voulus,
sophistiquée
en diable,
donne le branle
à un « groove »
monstrueux
obsédante et charmeuse de ser-
pents, après quoi tout s’enchaîne,
Sometimes I Feel Like a Motherless
Child, des réminiscences de Ray
Charles ou Lee Morgan, que l’ama-
teur happe avec délices, BaalBeck,
et avant de finir sur sa leçon par-
faite de Blue Moon, les deux ver-
sions vocales de Marseille, celle
de Mina Agossi, qu’il applaudit
comme un enfant, et celle d’Abd
Al-Malik, en qui il reconnaît la ville
même. Sans compter une transfi-
guration d’Autumn Leaves (Les
Feuilles mortes, de Joseph Kosma),
traitée en boléro mélancolique
sur fond de ligne de basse.
Tour de magie ? Groupe en fu-
sion ? Cammack, le contrebassiste,
est très clair là-dessus : « Avec
M. Jamal, on n’a pas à se mettre en
valeur ; il nous pousse, d’un sourire,
d’un regard, à sortir de nous-mê-
mes, à improviser vraiment. Pas
improviser le temps d’un chorus,
non, à fond, ensemble. » Mina
Agossi n’en revient pas d’avoir été
élue. Elle habite Ménilmontant, à
Paris, a fait onze fois le tour du
monde en vingt-cinq ans de car-
rière, joué partout mais comme à
l’écart des circuits officiels. Pour
Marseille, elle se fait belle (six heu-
res de coiffeur pour ses nattes afri-
caines) et traverse la ville en scoo-
ter vermillon pour s’acheter une
robe pleine de paillettes.
Pianiste depuis l’âge de 3 ans,
Ahmad Jamal fait cavalier seul et
se sait le préféré de Miles Davis.
Il aime les villes, l’amour et les
musiciens de Pittsburgh, dont il
sent la présence dès qu’il entre
en scène : Billy Strayhorn, l’alter
ego de Duke Ellington, Gene Kelly,
Erroll Garner, Earl Hines, Roy
Eldridge, Art Blakey, Kenny Clarke,
George Benson… Tous, ils ont l’ac-
cent de Pittsburgh. Ahmad Jamal
les devine dans l’ombre ? Fantô-
mes ? Ectoplasmes ? Pas le moins
du monde : il sent leur présence
réelle. Ça ne vous est jamais ar-
rivé, peut-être ? « Marseille, ta voix
ne cesse de m’appeler/Marseille,
Marseille, ville d’éternité. » p
francis marmande
Marseille d’Ahmad Jamal.
1CD Jazz Village.
Si Bien de Mina Agossi.
1 CD Urbafrika.
vétéran de la soirée (74 ans) re-
prend Sodade, écrite par Luis Mo-
rais et Amandio Cabral, qu’il fut le
premier à chanter en 1972 et sera
repris vingt ans plus tard par Cesa-
ria Evora, devenant le morceau fé-
tiche avec lequel elle allait conqué-
rir le public, un « succès planétaire,
presque un hymne national », rap-
pelle le récent Dictionnaire insolite
du Cap-Vert, de Jordane Bertrand
(Cosmopole, 2016). p
patrick labesse
Captation du concert disponible
à partir du lundi 19 juin
sur Live.philharmoniedeparis.fr
16 | culture
A Lyon, un «Don Giovanni» iconoclaste et glamour
Aux Nuits de Fourvière, l’Orchestra di Piazza Vittorio marie l’opéra de Mozart à la pop ou aux musiques latines
OPÉRA
lyon
P
luie battante. Un temps
de commandeur règne
sur le Théâtre antique de
Lyon. Donc de circons-
tance pour une représentation en
plein air de Don Giovanni, même
si le public des Nuits de Fourvière,
engoncé dans des ponchos im-
perméables, se serait bien passé
de ce caprice métérologique. « Il
me semble déjà entendre la foudre
fatale », déclame, s’assombris-
sant, Donna Elvira, la femme
abandonnée par le séducteur.
Comme en écho, un éclair zèbre le
ciel anthracite. Découragés, quel-
ques dizaines de spectateurs – sur
2 800 – ont quitté l’enceinte. Les
autres ont bravé jusqu’au bout
l’humidité pour réserver une cha-
leureuse ovation à l’Orchestra di
Piazza Vittorio.
Ceux qui connaissent la pha-
lange romaine fondée en 2002 ne
pouvaient manquer sa nouvelle
création, une relecture du grand
œuvre de Mozart dans les idio-
mes des musiques populai-
res. Une méthode iconoclaste que
cet orchestre composé de chan-
teurs et de musiciens sud-améri-
cains, africains et italiens a fait
connaître aux Nuits de Fourvière
en 2009, déjà avec un ouvrage du
divin « Wolfie » puisqu’il s’agis-
sait de La Flûte enchantée
– comme en rappel de l’épisode
précédent, Don Giovanni s’empa-
rera de l’envolée de la Reine de la
nuit. Il revint en 2013 pour Car-
men et en 2014 pour un Tour du
APPEL À CANDIDATURES
PRIX ÉRIK IZRAELEWICZ
DE L’ENQUÊTE ÉCONOMIQUE
2017
CATÉGORIES « PROFESSIONNEL » & « ÉTUDIANT »
SUJET
Enquêtes et investigations publiées ou diffusées entre le 30 juin 2016 et
le 13 juillet 2017, traitant d’un sujet économique, en France, en Europe
ou dans les pays francophones, révélant une tendance économique
émergente forte.
JURY
 Emmanuel Chain (Elephant)
 Sabine Delanglade (Les Echos)
 Louis Dreyfus (Le Monde)
 Jérôme Fenoglio (Le Monde)
 Julie Joly (CFJ)
 Augustin Landier, économiste
La soprano
Petra
Magoni
interprète
un Don
Giovanni
androgyne.
PAUL BOURDREL
monde en 80 minutes, d’après moins qu’une exécution ordi- Commandeur, dont le visage
Jules Verne. naire. C’est Mozart qu’on assas- fragmenté surplombe la scène sur
Issu de la scène pop puisqu’il fut sine ? Les puristes passeront leur un écran rond, tout est joué et
le leader du groupe Avion Travel, chemin, les curieux se réjouiront chanté en live. Le livret de Lorenzo
le directeur musical Mario de constater l’universalité et da Ponte a été repris en sa-
Tronco n’a pas hésité à tailler dans la souplesse du dramma giocoso. brant dans les récitatifs, dont des
les deux actes, ramenant l’ensem- A l’exception de l’ouverture et de la extraits sont intégrés aux airs.
ble à une heure vingt, soit moitié voix intermittente de la statue du
Un podium de reines soul
« J’imagine que l’opéra est une fable
transmise oralement dans les pays
des musiciens. Je leur apprends un
air, et ils le restituent de façon pas
tout à fait correcte ; on transforme
alors ces erreurs en partitions, et
c’est comme si l’air était né dans
leur pays d’origine », expliquait
Mario Tronco dans Le Monde du
Le « Timbre d’argent » résonne
à l’Opéra-Comique
Cent quarante ans après sa création parisienne, le premier opéra
de Saint-Saëns a retrouvé le chemin de la scène
LYRIQUE
A près Fortunio, d’Offen-
bach, et Alcione, de Marin
Marais, Le Timbre d’ar-
gent est le troisième opéra pré-
senté depuis le début de la saison
qui n’avait pas été monté depuis
plus d’un siècle », faisait remar-
quer le patron de l’Opéra-Comi-
que, Olivier Mantei, en ce soir de
DOTATION DU PRIX PROFESSIONNEL
7 000 €
première. Depuis une dizaine
d’années, la Salle Favart s’est fait
fort de renouer avec le répertoire
français, un credo soutenu ce
DOTATION DU PRIX ÉTUDIANT 9 juin par le savant concours des
5 000 € Franco-Vénitiens du Palazzetto
Bru Zane.
DATE LIMITE DE CANDIDATURE
Certes, les cadavres exhumés
n’ont pas toujours été exquis,
13 juillet 2017 mais Fra Diavolo (d’Auber), Mi-
gnon (d’Ambroise Thomas) ou
Cendrillon (de Massenet) ont lais-
RÈGLEMENT ET INSCRIPTION sé des souvenirs. Ce ne sera pas le
www.cfjparis.com cas de ce Timbre d’argent, premier
des treize opéras de Saint-Saëns
(dont le fameux Samson et Dalila),
AVEC LE SOUTIEN DE qui pâtit stylistiquement d’une
gestation difficile.
Composé en 1865, ce mélange
pâlichon du Faust de Gounod et
des futurs Contes d’Hoffmann
d’Offenbach ne sera créé qu’en
1877 au terme de remaniements
et de tribulations, dont la saga
feuilletonne dans la presse fran-
çaise : de l’appétence variable des
commanditaires du Théâtre-Lyri-
que au conflit franco-prussien, en
1er juin. L’essentiel du travail porte
donc sur l’appropriation. Quand
s’élèvent des notes de cithare ac-
compagnées d’une guitare de wes-
tern spaghetti, on entend la ma-
nière impure d’Ennio Morri-
cone. Ce qui n’est pas surprenant,
car l’homme qui tient le piano-
forte, Leandro Piccioni, est un col-
laborateur du maestro romain.
L’entourent cinq instrumentis-
tes, dont l’autre arrangeur, Pino
Pecorelli à la contrebasse. Tirés à
quatre épingles comme au bal du
lycée. Leur volubilité permet de
passer sans heurt du doo wop à la
bossa, du flamenco à la rumba
congolaise. Sans oublier la variété
passant par diverses déconfitures
relationnelles, artistiques, finan-
cières. Au point que le composi-
teur reconnaîtra : « Il y a de tout
dans cet ouvrage, qui va de la sym-
phonie à l’opérette en passant par
le drame lyrique et le ballet. »
De tout, et d’abord du meilleur.
Une fois passée la symphonie lon-
guette qui fait office d’ouverture, le
premier acte est d’une belle inspi-
ration, sombre et tragique. Conrad
est mourant. L’impécunieux ar-
tiste a été séduit par la vénéneuse
Fiammetta, ballerine dont il a
peint le portrait sous les traits de
Circée. La corruptrice n’est autre
que l’auxiliaire du diable, un cer-
tain Spiridion. Il suffira d’un tim-
bre (sonnette) d’argent pour ap-
porter au malheureux amour et ri-
chesse, dût cela provoquer la mort
d’un de ses proches, innocent.
Ni déplaisant ni remarquable
Voiles noirs à paillettes, rideaux
bouillonnés parme, vidéos ima-
gées et tours de magie, boule de
lumière disco, direction d’acteurs
littérale : quelle pusillanimité a pi-
qué Guillaume Vincent, l’homme
qui achevait Puccini et sa Bohème
sous des tas de matelas dans la
Mimi de Frédéric Verrières ? Ni dé-
plaisant ni remarquable, le travail
est honnête, ne seraient les par-
ties dévolues à la formidable
Raphaëlle Delaunay, tour à tour
danseuse d’opéra, cabarettiste ou
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Il y a un désir
transgressif
de disputer
l’héritage
de Mozart à
l’« artistocratie »
mélomane
transalpine dans toute sa splen-
deur, à la fois légère et lacrymale.
A l’occasion se joignent à eux
Leporello, puisque le domestique
(incarné par Omar Lopez Valle,
lointain disciple d’Armstrong)
souffle ici dans une trompette, et
Don Ottavio, devenu guitariste
brésilien. Le trio de femmes (El-
vira, Anna et Zerlina) compose un
podium de reines soul, des Supre-
mes en gants de Gilda et aux tim-
bres suaves. L’action prend place
dans un club glamour que
n’aurait pas renié David Lynch. Il
y a un désir transgressif de dispu-
ter l’héritage de Mozart à l’« artis-
tocratie » mélomane. Sans une
once de vulgarité (donc loin de
Mozart l’opéra rock), mais avec
une envie gourmande de célé-
brer l’immense faiseur de tubes.
Hier Reine de la nuit, la soprano
Petra Magoni s’est glissée avec
aisance dans le rôle-titre, travesti
ou plutôt androgyne, alter-
nant chant lyrique et phrasé new
wave. Son Don Giovanni revient
même des enfers pour la seule in-
fidélité de la soirée à Mozart. Il
ressuscite en disco queen réchauf-
fant le public avec I Feel Love.
Pourquoi pas ? Donna Summer
avait bien emprunté à Chopin un
Prélude pour Could It Be Magic. p
bruno lesprit
Don Giovanni, par l’Orchestra
di Piazza Vittorio, les 14 et 15 juin,
Grand Théâtre de Fourvière.
De 21 € à 28 €.
Gitane démone. Si le rôle écrasant
de Conrad sollicite Edgaras Mont-
vidas aux limites de ses capacités
(émission tendue, couleurs pro-
sodiques inégales), le Bénédict
soyeux de Yu Shao et la délicieuse
Rosa de Jodie Devos campent le
parfait couple d’amoureux. Hé-
lène Guilmette prêtera à Hélène,
la femme dédaignée, son soprano
émouvant, Tassis Christoyannis
raflant la palme du transfor-
misme méphistophélique, tant
physique que musical. Sur le pla-
teau ou en coulisses, le Chœur
Accentus fera preuve de son habi-
tuelle équanimité.
A la tête de son orchestre Les
Siècles, François-Xavier Roth fera
sonner ce Timbre d’argent avec
l’enthousiasme scrupuleux et
passionné qui le caractérise. p
marie-aude roux
Le Timbre d’argent, de Camille
Saint-Saëns. Avec Raphaëlle
Delaunay, Hélène Guilmette,
Jodie Devos, Edgaras Montvidas,
Tassis Christoyannis, Yu Shao,
Guillaume Vincent (mise
en scène), Chœur Accentus,
Les Siècles, François-Xavier Roth
(direction). Opéra-Comique,
1 place Boieldieu, Paris 2e.
Tél. : 01-80-05-68-66. De 6 € à
135 €. Diffusé sur France Musique
le 2 juillet à 20 heures. Jusqu’au
19 juin. Opera-comique. com

0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Balthus, Derain
et Giacometti
monologuent
A Paris, une exposition tente de
tracer des ponts entre ces artistes
ARTS
I
l ne suffit pas de célébrités
pour que le spectacle soit
réussi. Ce truisme se vérifie
au fil de la très (trop) longue
exposition « Derain, Balthus, Gia-
cometti » : plus de 350 œuvres
pour pas grand-chose.
Sont donc réunis André Derain
(1880-1954), inventeur historique
du fauvisme avec Matisse qui
revient dans l’entre-deux-guer-
res à un art saturé de références
aux écoles anciennes, Alberto
Giacometti (1901-1966), qui est
passé par le surréalisme et déve-
loppe après 1945 ses sculptures et
peintures de la figure humaine
devenues depuis universelles,
et Balthus (1908-2001), qui est
aujourd’hui largement connu
pour ses scènes équivoques peu-
plées d’adolescentes et ses pay-
sages. Pourquoi ? Parce qu’il y
aurait eu entre eux une « amitié
artistique », sous-titre de l’expo-
sition. Les preuves de celle-ci
sont assez minces : des traces de
rencontres, plutôt à deux qu’à
trois, à l’exception d’une visite de
Balthus et Giacometti chez De-
rain à Chambourcy en 1952 ; le
portrait de Derain peint par Bal-
thus en 1936 ; des phrases de Bal-
thus à double ou triple sens et ses
récits plus incertains encore ;
l’éloge funèbre de Derain par Gia-
cometti paru en 1957, trois ans
après le décès.
Plus serrées sont les relations
entre Balthus et Giacometti, au
début des années 1930 et dans les
années 1950. Le premier épisode
est celui de leurs difficultés avec
le groupe surréaliste, et en parti-
culier Breton, qui leur préfère
Un livre qui interroge le « mythe
Auschwitz » divise la presse allemande
« Finis Germania », de l’historien Rolf Peter Sieferle, a été retenu
par un jury pour figurer dans une sélection mensuelle d’essais
ÉDITION
berlin - correspondant
C’ est un rendez-vous qui,
au fil du temps, a fini
par structurer la vie in-
tellectuelle allemande. Depuis la
fin des années 1990, la radio NDR
(Norddeutscher Rundfunk), basée
à Hambourg, et le quotidien Süd-
deutsche Zeitung, édité à Munich,
recommandent chaque mois une
liste d’ouvrages de sciences hu-
maines sélectionnés par un jury
d’universitaires et de journalistes
reconnus. Très attendu, ce classe-
ment mensuel se trouve
aujourd’hui au cœur d’une polé-
mique qui pourrait menacer jus-
qu’à son existence même.
En cause : la présence, dans la
liste dévoilée vendredi 9 juin, du
livre Finis Germania. Rédigé par
l’historien Rolf Peter Sieferle, il est
récemment paru chez Antaios,
une maison dirigée par Götz Ku-
bitschek, éditeur et pamphlétaire
bien connu de la droite radicale
allemande.
Dans cet ouvrage d’une centaine
de pages publié à titre posthume,
Rolf Peter Sieferle (1949-2016) dé-
fend une vision iconoclaste de
l’histoire allemande. Question-
nant, de façon souvent ésotérique,
certaines notions controversées
comme celle du Sonderweg, cette
Ernst ou Miro. La deuxième pé-
riode s’explique aussi par des cau-
ses extérieures : tous deux se ré-
fugient en Suisse durant la se-
conde guerre mondiale, et, plus
tard, ils ont le même ami
new-yorkais, Pierre Matisse, fils
d’Henri et galeriste. C’est aussi
l’époque où leur notoriété s’éta-
blit, sur des bases très différentes :
expressionnisme tragique pour
Giacometti, peinture dense et
érotique pour Balthus.
Autodérision et désespoir
Il n’y a, en fait, qu’une conjonc-
tion réelle entre les trois, en 1936
et 1937, autour d’une femme re-
marquable, Isabel Rawsthorne
(1912-1992). Artiste britannique,
elle est modèle de Derain et
de Giacometti, et proche amie de
Balthus et de sa première épouse,
Antoinette. Ils l’ont peinte, des-
sinée et sculptée en ce temps
où elle côtoie aussi Georges Ba-
taille et Picasso.
Trente ans plus tard, Francis Ba-
con fera d’elle de prodigieux por-
traits. La courte section de l’expo-
sition qui lui est consacrée est la
plus convaincante, car c’est celle
où les œuvres se répondent sur
une question précise : comment,
en 1937, représenter un visage ou
un corps sans tomber ni dans les
banalités académiques, ni dans le
pastiche des deux grands encom-
brants, Matisse et Picasso ? De-
rain ne va pas au-delà d’un aima-
ble éloge de la jolie jeune femme
frisée et Giacometti la stylise
dans le genre égyptien : solutions
contradictoires pour un visage
qui ne se laisse pas saisir.
A cet endroit, les œuvres
conversent. Le reste du temps, el-
« voie particulière » qui aurait con-
duit l’Allemagne à se moderniser
sans se démocratiser, contraire-
ment à d’autres pays comme la
France ou la Grande-Bretagne,
l’auteur s’attarde notamment sur
ce qu’il appelle le « mythe Aus-
chwitz ». Non pour nier l’existence
des camps d’extermination mais
pour s’interroger sur ce « complexe
aujourd’hui si populaire » qui, se-
lon lui, constitue une « tentative
d’installer, au cœur d’un monde to-
talement relativiste, une négativité
absolue visant à faire surgir de
nouvelles certitudes ».
Un questionnement provocateur
Comment ce livre contenant « de
nombreux passages pouvant pas-
ser pour antisémites ou d’extrême
droite », comme l’a écrit le quoti-
dien Frankfurter Allgemeine
Zeitung, dont l’un des membres
participe à la sélection des « essais
du mois », a-t-il pu être retenu ?
Lundi 12 juin, Johannes Saltzwe-
del, journaliste à l’hebdomadaire
Der Spiegel, a reconnu être à l’ori-
gine de ce choix.
« En recommandant [ce livre],
j’ai délibérément voulu soumettre
au débat un livre qui questionne
de façon très provocatrice notre
passé et notre présent. (…) Mais
mon intention n’était nullement
d’entacher la réputation de notre
culture | 17
« La Rue », de
Balthus (1933,
huile sur toile
195 × 240 cm).
DIGITAL IMAGE
THE MUSEUM
OF MODERN ART,
NEW YORK/SCALA,
FLORENCESCALA
les monologuent. Les textes mu- seur. Fâcheuse conséquence de la La Rue de 1933 aux Beaux jours de méconnues, dont deux paysages
raux échouent à créer des passa- proximité : les Derain entraînent 1946 et jusqu’aux Joueurs de post-impressionnistes très inté-
ges entre elles, en dépit de leur parfois les Balthus dans leur glis- cartes de 1952, le trouble ne s’en- ressants et des dessins de son ini-
rhétorique. Derain, après la pre- sade. L’artifice voulu pour plaire glue pas dans les démonstrations mitable style anguleux et brisé.
mière guerre mondiale, fort de sa et l’énigme préparée pour intri- de virtuosité. Les compositions Leur présence réconforte. p
célébrité, cherche à se tailler un guer apparaissent à nu. conservent leur inquiétude et philippe dagen
royaume, à distance de l’empire leur pouvoir hypnotique.
Picasso et des principautés Ma- Rien de neuf Et puis il y a Giacometti, dont Musée d’art moderne de la Ville
tisse et Braque. Mais la peinture Plus que l’artiste qui s’efforce de ni le dessin, ni la peinture, ni la de Paris, 11, avenue du Président-
ne suit pas. Elle s’enlise dans des fixer sur la toile une émotion ou sculpture ne peuvent se compa- Wilson, Paris 16e. Du mardi
citations, Courbet, Corot, le ma- une vision, on voit le peintre qui rer à ceux de ces voisins de salle. au dimanche de 10 heures
niérisme italien ou nordique, le applique sa méthode, mixte de Sur Giacometti, l’exposition n’ap- à 18 heures, 22 heures le jeudi.
Douanier Rousseau, etc. surréalisme et de « beau métier ». prend rien de neuf, mais elle a le De 9 € à 12 €. Jusqu’au
Alors Derain, esprit habité à la Mais, dans les grands Balthus, de mérite de présenter des œuvres 29 octobre. Mam.paris.fr
fois par la volonté d’accéder au
grand art et le doute d’y jamais
parvenir, croit s’en sortir par des
effets et des surprises. Ses fem-
mes nues font des gestes bizar-
res, sans rien dans leurs mains
pour les expliquer. Les regards
se veulent énigmatiques et De-
rain abuse du fond noir. Dans le
meilleur des cas, on décèle de
l’autodérision et un désespoir à
peine caché. Dans le pire, on ne
voit que la production d’un fai-
liste des meilleurs essais », a-t-il
déclaré, avant d’annoncer, dans
la foulée, qu’il quittait le presti-
gieux jury.
Ce faisant, M. Saltzwedel espérait
sans doute calmer le jeu. Il n’en est
rien. Au Spiegel, où sa défense du li-
vre Finis Germania a été désavouée
par son rédacteur en chef, l’affaire
suscite un certain malaise. « Le
choix était peut-être maladroit.
C’est le genre de livre qu’il vaut
mieux discuter dans un article ar-
gumenté plutôt que de le recom-
mander dans une simple liste. Mais
il représente un courant de pensée
qui existe dans l’Allemagne
d’aujourd’hui, à la fois décliniste,
conservateur et écologiste, et pour
cela je ne vois pas pourquoi il fau-
drait ne pas en parler, ce qui ne veut Lors de la révolution russe de 1917, nombre d’artiste
pas dire l’approuver », estime un et d’intellectuels s’enthousiasment pour la nouvelle
journaliste de l’hebdomadaire. patrie des soviets. En peinture et en illustration,
Critiquant eux aussi le choix du à l’initiative de Malevitch et de Lissitzky, naît une nouvelle
jury, la radio NDR et le quotidien Enventechezvotremarchanddejournaux forme d’art graphique. Dans les théâtres de Moscou et
de Petrograd grâce au metteur en scène Meyerhold,
Süddeutsche Zeitung ont fait sa-
voir, de leur côté, qu’ils ne souhai- etsurboutique.telerama.fr même chambardement des esthétiques, tandis que
taient plus publier leur sélection la musique est tiraillée entre expérimentateurs et
mensuelle. Sans grande surprise, avocats du «classique pour tous», et les poètes et
Junge Freiheit, le principal hebdo- les romanciers vite menacés par la censure et la
madaire de la droite nationaliste répression. Cent ans après l’événement qui bouleversa
et conservatrice du pays, n’a pas le XXe siècle, ce hors-série Télérama retrace l’insurrection
manqué, quant à lui, de dénoncer culturelle russe et soviétique.
une atteinte à la « liberté d’expres-
sion » et une « victoire de la gauche Enpartenariatavec
stupide ». p
thomas wieder
18 | télévisions
Dans les dédales de l’amour et de la mémoire
Arnaud Desplechin raconte trois moments fondateurs de la vie de Paul Dédalus, son double fictionnel
CINÉ + CLUB
JEUDI 15 – 20 H 45
FILM
D
e quoi est faite l’iden-
tité d’un homme ?
Des noms, date et lieu
de naissance inscrits
sur son passeport ? Des souve-
nirs mutants qui se disputent
l’espace de sa mémoire, récrivant
jour après jour les chapitres de
son roman personnel ? Qui est
Paul Dédalus, le héros de ce film ?
Son nom vient de Stephen Deda-
lus, alter ego de James Joyce venu
au monde dans le Portrait de l’ar-
tiste en jeune homme, ressurgi
dans Ulysse, où il cultivait une re-
lation des plus indignes avec sa
génitrice. Son prénom le ratta-
che à une lignée de personnages
de la modernité cinématogra-
phique française, dont Arnaud
Desplechin a repris le flambeau.
Paul Dédalus est sa créature,
son double fictionnel né sous les
traits de Mathieu Amalric dans
Comment je me suis disputé… (ma
vie sexuelle). Douze ans plus tard,
il refaisait surface à un âge enfan-
tin dans Un conte de Noël. Le
voilà donc de retour dans ce film-
enquête aux accents pérecquiens,
qui s’enfonce en apnée dans les
rets de sa mémoire.
Anthropologue de profession,
Dédalus apparaît, dans la pre-
mière scène, à Douchanbe (Tadji-
kistan), alors qu’il s’apprête à
Antoine de Maximy s’invite au Nicaragua
La nouvelle saison de « J’irai dormir chez vous » ira aussi, entre autres, en Tanzanie, Thaïlande et Bosnie-Herzégovine
FRANCE 5
JEUDI 15 – 20 H 50
SÉRIE DOCUMENTAIRE
C’ est au bord de l’océan
Pacifique, en Amérique
centrale, que débute ce
road trip. A l’origine, Antoine de
Maximy devait se rendre au Costa
Rica, mais il lui a préféré le Nicara-
gua, son voisin, « beaucoup moins
touristique et donc plus intéres-
sant, précise-t-il. Le pays a moins
changé sous l’influence de la mon-
dialisation, amenée en partie par
GRILLE N° 17 - 139
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V grossière. En marge. IX. Pousse à l’ac-
VI
VII
VIII
IX
X cailloux dans les sables. 4. De plus en
SOLUTION DE LA GRILLE N° 17 - 138
HORIZONTALEMENT I. Pleurnichard. II. Sapristi. Aïe. III. Ibis. Pâturât.
IV. Tissé. Lara. V. Tas. Pei. Euro. VI. Alunirent. Ou. VII. Cira. Unirais.
VIII. Iseran. Dan. IX. Dé. Riad. Lésé. X. Escarpolette.
VERTICALEMENT 1. Psittacidé. 2. Labialisés. 3. Epissure. 4. URSS. Narra.
5. Ri. Epi. Air. 6. NSP. Erunap (panure). 7. Italien. Do. 8. Cita. Nid.
9. Urétrale. 10. Aarau. Anet. 11. Ria. Roi. St. 12. Détroussée.
Quentin Dolmaire (Paul jeune) et Lou Roy-Lecollinet (Esther). WHY NOT PRODUCTIONS/JEAN-CLAUDE LOTHER
rentrer en France après de lon-
gues années de recherche à
l’étranger. Un contrôle d’identité
à l’aéroport le conduit dans un
sous-sol sinistre, dont la lumière
verdâtre et les murs de béton
rappellent l’ambiance des films
d’espionnage de la guerre froide,
où un agent de la DGSE le soumet
à un interrogatoire bizarre.
Tourbillon romanesque
Paul Dédalus porte le même nom
qu’un autre homme, lui dit-on,
né le même jour que lui, dans le
le tourisme ». Et pour cause, à Ma-
nagua, la capitale, les rues sont
plutôt calmes, marquées par les
séquelles d’une histoire parfois
douloureuse. Une guerre civile
mais surtout un tremblement de
terre en 1972, qui a laissé le centre-
ville à l’abandon.
Si le Nicaragua n’est pas le pays
le plus dangereux qu’il ait visité
– une fusillade éclata près de lui
lors d’un séjour aux Caraïbes –,
les déconvenues sont parfois au
rendez-vous. Deux voitures qui
ont un accrochage alors qu’il est
en train de savourer son premier
7 8 9 10 11 12
même hôpital, et mort depuis
quelques années. Lequel des deux
est le vrai ?
Trois souvenirs de ma jeunesse
est l’autoportrait de ce person-
nage dual, à la fois créature et
créateur, dont Antoine Bui, Quen-
tin Dolmaire et Mathieu Amalric,
les acteurs qui l’incarnent ici à
trois différents âges de sa vie, font
la synthèse. « Je me souviens, je
me souviens, je me souviens… »,
marmonne Dédalus, tandis qu’un
fondu au noir emporte le film
dans un tourbillon romanesque,
repas, un bateau censé le ramener
et qui, à 4 heures du matin, est
finalement parti sans lui…
Pourtant, au détour d’un mar-
ché, dans un centre de soins ou au
bord de la mer des Caraïbes,
Antoine de Maximy parvient à se
faire inviter, remplissant son éter-
nelle mission de dormir chez l’ha-
bitant. Reste que derrière le défi se
dévoile une volonté de « montrer
la réalité ». Un moment de com-
plicité avec les autochtones et qui,
comme toujours dans cette série
documentaire, devient l’occasion
d’un partage de culture. A l’image
HORIZONTALEMENT
I. Bonne, elle permet de mieux se
faire comprendre. II. Reprise sur le
ring. Royalement adoubé. III. Tout un
monde autour du cheval. Le petit
peut prendre de la valeur. En liberté.
IV. Laissent de côté. Dame du monde.
V. Dames de pouvoirs. Démonstratif.
Station du Morbihan. VI. A long-
temps chassé le poulet faisandé. Bon
moyen d’expression. VII. Assure le
rapprochement. Fit silence dans la
fosse. Patron latin. VIII. Manifestation
tion, mais reste dans l’ombre. Donne
belle allure à la chevelure. X. Nouveau
départ après corruption.
VERTICALEMENT
1. Prépare à tout faire sauter. 2. Picore
autour de la maison dès les premiers
froids. 3. Sales et sans confort. Des
plus rapides, de moins en moins véri-
iables. Géniteur. 5. Support enregis-
tré. Etofe de il et de coton. 6. Vériiée
avant difusion. 7. Chaude et douce
en main. 8. Canton d’Eure-et-Loir. Mit
à l’abri des regards. 9. Possessif. Inter-
jection. Réfractaire au labo. 10. Faible
au centre. D’un auxiliaire. Négation.
11. En salade ou à l’apéritif. Arrose
Florence. 12. Nains germaniques gar-
diens de trésors
un voyage dans trois épisodes
fondateurs de sa jeunesse.
L’enfance d’abord, épisode le
plus court et le plus violent. Une
altercation furieuse avec sa mère,
filmée à la manière d’un film
d’épouvante, une nuit, dans la
maison de Roubaix, conduit Paul
à quitter le foyer familial. A 12 ans,
il part s’installer chez une vieille
tante (Françoise Lebrun), liée par
une amitié amoureuse à une exi-
lée russe, dissidente ayant fui le
stalinisme, dont le mari est mort
exécuté. Un raccord brutal sur
de cet échange avec une Nicara-
guayenne, visiblement étonnée
que les fermiers français ne tra-
vaillent plus avec des machettes…
« Elle rêve de manger du bœuf »
« J’ai trouvé cette rencontre inté-
ressante car, en France, la plupart
des gens rêveraient de passer des
vacances dans une cabane au bord
de la mer, à manger des langoustes
cuites au feu de bois… Or, ces va-
cances, c’est la vie que cette femme
mène toute l’année. Elle, ce dont
elle rêve, c’est d’avoir le gaz, l’élec-
tricité et de manger du bœuf ! »
SUDOKU
N°17-139
7 1
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3 6
9 5
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MAHOMET ET LES ORIGINES
DE L’ISLAM
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et sur Lemondedesreligions.fr
l’enterrement de la mère de Paul
imbrique, comme le film ne ces-
sera de le faire par la suite, l’his-
toire intime et la grande Histoire.
L’épisode suivant retrace un
voyage scolaire à Minsk, en URSS,
au cours duquel le personnage,
mandaté par une organisation
politique juive, transmet de l’ar-
gent à un groupe de refuzniks et
offre son passeport à un jeune
homme, pour lui permettre de ga-
gner Israël. Le troisième, cœur
battant du film, revient sur son
premier amour, avec Esther,
jeune fille aux allures de femme
fatale, dont l’aplomb et l’appétit
de vivre l’ont fait chavirer.
Dans un style qui évoque parfois
le rêve, parfois le souvenir, qui
donne lieu à un florilège de fantai-
sies formelles, ces trois épisodes
se renvoient des échos. Œuvre
somme, Trois souvenirs de ma jeu-
nesse entrelace les ombres des
films précédents de Desplechin
avec les héros de son musée ima-
ginaire (Proust, Yeats, Platon, Lévi-
Strauss, Lénine, Soljenitsyne,
Ford, Demy…). La mémoire circule
ainsi au gré d’un savant jeu de
rimes, de signes, comme un
puissant flux souterrain voué à
exploser dans le présent. p
isabelle regnier
Trois souvenirs de ma jeunesse,
d’Arnaud Desplechin.
Avec Mathieu Amalric
(Fr. 2015, 120 min).
Sans jamais porter de jugement
ni prétendre véhiculer un quel-
conque message, Antoine de
Maximy échange sur ces différen-
ces culturelles qui font la richesse
du programme. Avec toujours
l’objectif de faire voyager les
téléspectateurs autour du mon-
de. Prochaines destinations : la
Tanzanie, la Thaïlande, la Bosnie-
Herzégovine et les Pays-Bas. p
coline vazquez
J’irai dormir chez vous,
Nicaragua, d’Antoine de Maximy
(Fr., 2017, 105 min).
2 5 7 3 6 4
6 4 9 5 8 1
1 8 3 2 7 9
8 2 8 3 4 6 5 2
9 1 5 4 3 7
6 7 6 2 9 1 8 3
4 7 6 1 2 3
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Complétez toute la
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allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
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0123
JEUDI 15 JUIN 2017
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
J E UD I 15 J UIN
TF1
21.00 Juste un regard
Série créée par Harlan Coben
et Patrick Renault. Avec Virginie
Ledoyen (saison 1, ép. 1 et 2/6).
23.00 New York,
section criminelle
Série créée par Dick Wolf
et René Balcer. Avec Jeff Goldblum,
Saffron Burrows (EU, saison 9, ép.
4 et 5/16, S2, ép. 21 et 23/23).
France 2
20.55 L’Angle éco
Cet argent qui nous gouverne
Présenté par François Lenglet.
23.15 Complément d’enquête
Politique, business, TV :
la dictature des jeunes !
Présenté par Nicolas Poincaré.
France 3
20.55 The Five
Série créée par Harlan Coben.
Avec Tom Cullen, O. T. Fagbenle,
Lee Ingleby (GB, S1, ép. 7 à 8/10).
23.30 Banlieusards
Documentaire de Michel Royer
(Fr., 2014, 65 min).
Canal+
21.00 Homeland
Série créée par Howard Gordon, Alex
Gansa et Gideon Raff. Avec Claire
Danes (EU, 2017, S6, ép. 3 et 4/12).
22.40 Fin de séries
Documentaire d’Olivier Joyard
(Fr. 2016, 65 min).
France 5
20.50 J’irai dormir chez vous
Nicaragua
Documentaire d’Antoine de Maximy
(Fr., 2014, 110 min).
22.35 C dans l’air
Magazine.
23.45 Tique, la grande traque
Documentaire de Stéphanie
Rathscheck (Fr, 2017, 50 mn).
Arte
20.55 Peaky Blinders
Série créée par Steven Knight.
Avec Cillian Murphy, Helen McCrory
(GB, 2016, S3, ép. 4 à 6/6).
23.45 Meeting Snowden
Documentaire de Flore Vasseur
(Fr, 2016, 50 mn).
M6
21.00 Prison Break
Série. Avec Wentworth Miller
(EU, S5, ép. 1 à 3/9 ; S1, ép. 1 à 7).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA
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Courrier des lecteurs
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recyclés.
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
les lignes en fuite de pablo reinoso
DESIGN
L DE TEMPS À COMPRENDRE
e 14 mai, tandis que le
nouveau président, Em-
manuel Macron, passait
en revue la garde républi-
caine, on a vu ses boucles de mé-
tal jaillissant des parterres de ro-
ses de l’Elysée. L’œuvre « Racines
de France » – deux rampes aux
multiples arabesques qui
se transforment en bancs – est
entrée dans les jardins du Palais
il y a un an. Emblématique du
travail du Franco-Argentin Pablo
Reinoso, elle a fait de lui un ar-
tiste reconnu, après quatre dé-
cennies de création à la frontière
entre art et design.
Ce que l’on sait moins ? Ce banc-
sculpture n’aurait plus été là si un
président d’extrême droite avait
été élu. Pablo Reinoso, qui a fui à
l’âge de 23 ans la dictature en Ar-
gentine, a prêté son œuvre à l’Etat
à la condition expresse de son re-
tour, dans ce cas de figure. « Sur
mes bancs qui se ramifient, j’ai
sculpté des feuilles de chêne et
d’olivier, symboles de la justice et
de la force pour la République
française. Je les ai dessinés avec la
même orientation que sur mon
passeport français, tournés vers le
ciel », précise l’artiste, né en 1955 à
Buenos Aires, d’une mère fran-
çaise et d’un père argentin.
Pablo Reinoso a choisi la liberté.
Comme les objets qu’il façonne
de ses mains et qui semblent
s’échapper des contraintes de la
pesanteur terrestre ou de leur
condition matérielle, bois, pierre,
métal… Ses cadres sont hors ca-
dre, ses fourches et pelles sont ar-
borescentes, ses assises prolifè-
rent comme des aubépines inso-
lentes. Des mains de Reinoso, aux
paumes emplies de cicatrices,
sortent des objets vivants, un uni-
vers de poésie à la Jean-Michel Fo-
lon (1934-2005), l’illustrateur qui
était aussi sculpteur.
Une végétalisation galopante
Quand il débarque à Paris,
en 1978, le jeune homme, qui a
étudié l’architecture dans son
pays, ne peut obtenir d’équiva-
lence pour ses diplômes. « La
vie a fait que de mes mains est
toujours sortie la possibilité de
m’alimenter », constate-t-il sans
aigreur ou orgueil particulier. Il
obtient une bourse d’études d’un
an pour se confronter au marbre
à Carrare, en Italie, puis il ouvre
son premier atelier parisien, à
Montmartre, où il travaille le
bois. « J’ai mis beaucoup de temps
à comprendre la sculpture en tra-
styles | 19
Ses bancs arabesques vaillant les matériaux physique-
ment : j’ai fait des essais en regar-
dant ceux que j’admirais, Picasso,
installés à l’Elysée Brancusi, Giacometti, Moore…, ra-
conte-t-il. Aujourd’hui, c’est dans
se sont fait remarquer mon corps que je sens si une
œuvre est aboutie », précise ce dé-
lors de l’investiture miurge, paraissant petit au pied
des œuvres monumentales qui
d’Emmanuel Macron, se dressent dans son atelier de
Malakoff (Hauts-de-Seine), de
une consécration 6 mètres sous plafond.
Dans sa première vie, Pablo Rei-
pour cet artiste noso transforme le marbre en
« Paysage d’eau » (1982), le bois en
franco-argentin mesure du temps qui passe, l’air
en souffle vital qui gonfle et dé-
dont les œuvres gonfle des coussins de toile (série
« Les Respirantes », de 1995 à
monumentales 2003). Dans sa deuxième vie – à
l’aube de ses 50 ans qu’il porte
semblent échapper beau –, l’artiste donne naissance
à des objets du quotidien tous
à la pesanteur plus fous les uns que les autres,
rebelles quoiqu’un tant soit peu
fonctionnels. Il s’attaque d’abord
à l’iconique chaise Thonet n° 14,
en bois massif courbé, premier
objet manufacturé de l’histoire
(1859). « L’objet Thonet a une
formidable capacité de reproduc-
tion, d’exubérance, d’arborescen-
ce, d’expansion, des mots qui
m’importent, qui me suivent de-
puis toujours et qui correspondent
à cette espèce d’exagération qui
me caractérise », s’enthousiasme
Pablo Reinoso, lui-même collec-
tionneur de sièges design.
Ses Thonet qui dansent, s’entre-
lacent, se multiplient… ouvrent à
l’artiste les portes des musées,
son premier banc Spaghetti
(2006), le cœur des hommes.
Voilà un banc public, symbole
d’un design anonyme hors temps
et hors mode, qui se révolte… Un
banc qui semble vouloir retour-
ner à l’état de nature, avec sa végé-
talisation galopante. « Par une
puissante originalité, cette œuvre
sculptée sort en partie de la sculp-
ture, au moins de sa matière à trois
dimensions ; voici un art hors sup-
port, comme on dit que telle plante
se cultive hors sol », résume le phi-
losophe Michel Serres en préface
de la première monographie con-
sacrée à Pablo Reinoso, aux Edi-
tions 5 Continents.
Certaines de ses assises enjam-
bent les balcons ou croissent sur
les murs, dans une réjouissante
luxuriance, comme à l’hôtel
Fourvière de Lyon. D’autres, telle
l’œuvre Nouages installée sur les
bords de Saône en 2013, viennent
pimenter de leurs folles incarta-
des les rendez-vous des « amou-
En haut : « Cadre classique », en bois, 2011. En bas : « Chaises de l’harmonie », en acier peint, 2011. reux des bancs publics », comme
PABLO REINOSO STUDIO le chantait Brassens. Les œuvres
Pablo Reinoso
sur un « Double
Spaghetti »,
en bois et en acier
(2006).
RODRIGO REINOSO
« J’AI MIS BEAUCOUP
LA SCULPTURE
EN TRAVAILLANT LES
MATÉRIAUX PHYSIQUEMENT.
AUJOURD’HUI, C’EST DANS
MON CORPS QUE JE SENS SI
UNE ŒUVRE EST ABOUTIE »
PABLO REINOSO
designer
de Pablo Reinoso offrent plus en-
core. Les « Chaises de l’Harmo-
nie », d’immenses trônes en acier
noir, inspirées de la chaise Zig
Zag de Gerrit Thomas Rietveld
(1934), vibrent au vent, tel un
diapason. Le cadre enguirlandé
« Laocoonte » rend hommage à
un tableau du Greco dont il re-
prend les dimensions, et devient
l’œuvre elle-même.
Des rameaux d’acier
L’écrivain et psychanalyste Gé-
rard Wajcman souligne combien,
ici, « chaque objet excède aussi
bien sa propre nature, objet ou
œuvre, il excède son propre con-
cept, et il excède aussi tous les gen-
res et les registres hiérarchisés des
beaux-arts. Est-ce un banc ? Est-ce
une sculpture ? Est-ce une architec-
ture ? Est-ce un monument ? Ne se-
rait-ce pas une plante ? Est-ce
même un objet ? L’objet suppose la
finitude, le un. Et Pablo Reinoso
fait des objets sans fin ».
L’intéressé se dit le premier
surpris par l’écho de ses œuvres
les plus récentes auprès du pu-
blic. « Pour la première fois, j’ai
touché quelque chose d’universel,
et fait briller les yeux des enfants…
C’est peut-être parce que très peu
de designers, à l’exception du
Néerlandais Rietveld, perturbent
les codes établis ? »
Pour Agora, la biennale archi-
tecture, urbanisme et design, du
14 au 24 septembre à Bordeaux,
sept bancs Spaghetti brandiront
leurs rameaux d’acier aux nez des
citadins. Il s’agit de « ne pas consi-
dérer que les choses sont dans l’or-
dre qui nous est donné », martèle
Pablo Reinoso, éternel rebelle. p
véronique lorelle
Pablo Reinoso, textes
de Michel Serres et Gérard
Wajcman, entretien avec
Henri-François Debailleux
(Ed. 5 Continents, 280 p., 80 euros.)
20 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Pour une vraie réforme du Conseil constitutionnel

Selon les juristes Lauréline d’une longue pratique indépendante
Fontaine et Alain Supiot, de l’interprétation du droit. Ces cours
le projet de loi « pour la constitutionnelles sont donc compo-
sées, non d’hypothétiques « Sages »,
confiance dans notre vie mais de véritables juges constitution-
nels, plus nombreux et ayant chacun
démocratique », qui prévoit sous son autorité une petite équipe
d’exclure de l’institution de juristes qualifiés (2 en Espagne, 4 en
Allemagne, 6 en Inde), qui les assistent
les anciens présidents dans la préparation des cas dont ils ont
de la République, ne sera à connaître.
pas suffisant Ni cette exigence de qualification ni
cette assistance technique ne se re-
trouvent dans notre Conseil, dont la
jurisprudence se trouve placée de facto
Par LAURÉLINE FONTAINE sous l’influence prépondérante de son
président (nommé, non par ses pairs,
et ALAIN SUPIOT mais discrétionnairement par le prési-
dent de la République) et de son secré-
tivement en Allemagne et en France
sur la constitutionnalité du traité de
Lisbonne : d’un côté, une réflexion ap-
profondie et de très haute tenue sur les
enjeux de la ratification de ce traité au
regard des principes constitutionnels
de démocratie et d’économie sociale
de marché ; de l’autre une check-list
des modifications constitutionnelles
impliquées par la ratification.
Pire : il arrive souvent que le Conseil
ne se donne même pas la peine de po-
ser les termes du problème qu’il est en
train de résoudre. Ainsi il n’a pas même
évoqué le principe de solidarité dans sa
décision du 13 juin 2013 livrant à la con-
currence pure et parfaite des assureurs
le très lucratif « marché » obligatoire de
la couverture complémentaire maladie
« [excéderait] manifestement ce qui est
LE MANQUE DE nécessaire pour protéger la liberté de
TRANSPARENCE choix de l’électeur, l’indépendance de
l’élu ou prévenir les risques de confusion
NOURRIT ou de conflits d’intérêts ».
On peine à comprendre en quoi il
LE SOUPÇON D’UNE serait « manifestement excessif » d’in-
CLASSE DIRIGEANTE terdire à un parlementaire d’ouvrir un
cabinet de conseil quelques jours
QUI S’EST IMMUNISÉE avant son entrée en fonction pour
faciliter « les investissements à long
CONTRE TOUTE terme » de riches clients intéressés au
travail législatif. Comme l’ont illustré
REMISE EN QUESTION les déboires du candidat initialement
DE SES PRIVILÈGES donné favori à l’élection présidentielle
de 2017, ce laxisme s’est révélé catas-
trophique pour ceux-là mêmes dont le
L’impression qui en ressort pour le Conseil entendait protéger les intérêts
public est particulièrement désas- économiques.

L e projet de loi « pour la confiance

dans notre vie démocratique »
annoncé par le garde des sceaux,
François Bayrou, le 1er juin prévoit que
les anciens présidents de la République
ne seront plus membres de droit du
Conseil constitutionnel. Cette réforme
obéit à un argument juridique impara-
ble : depuis 2008, le Conseil est amené
à se prononcer sur la constitutionna-
lité des lois, non seulement avant, mais
aussi bien après leur promulgation. Or
on ne peut faire juger la constitution-
nalité des lois par ceux-là mêmes qui
ont présidé à leur adoption, sans en-
freindre l’interdiction d’être juge et
partie. Il y a donc de solides raisons
d’approuver la réforme envisagée.
Mais ces raisons vaudraient aussi pour
les anciens premiers ministres ou an-
ciens ministres et parlementaires,
qui forment une partie substantielle de
ses membres. Pour instaurer une plus
grande confiance dans notre justice
constitutionnelle, la réforme devrait
donc doter plus généralement le Conseil
d’un statut juridictionnel à la hauteur
des missions qui sont les siennes.
VICES JURIDIQUES
Les observateurs étrangers tombent
des nues lorsqu’ils découvrent le mé-
lange des genres qui préside à la com-
position de notre Conseil constitution-
nel. Dans toutes les autres grandes dé-
mocraties, le principe de la séparation
des pouvoirs conduit à faire juges de la
constitutionnalité des lois, non des
hommes politiques ou leurs proches,
mais des juristes qualifiés et compé-
tents, hauts magistrats ou universitai-
res éminents, qui tirent leur autorité
NOTRE CONSEIL FAIT
PÂLE FIGURE
DÉMOCRATIQUE FACE
À SES HOMOLOGUES
ÉTRANGERS. IL
SERAIT CRUEL DE
COMPARER CERTAINES
DÉCISIONS RENDUES
EN ALLEMAGNE
ET EN FRANCE
tariat général (sociologiquement lié au
Conseil d’Etat).
Dans toutes les grandes démocraties,
la dimension inévitablement politi-
que du choix des juges constitution-
des salariés ; dans cette même décision,
il fait comme s’il allait de soi qu’une
personne morale était assimilable à
l’homme et au citoyen de la Déclara-
tion de 1789, pour lui reconnaître une
treuse, lorsque ce manque de transpa-
rence nourrit le soupçon d’une classe
dirigeante qui s’est immunisée contre
toute remise en question de ses privi-
lèges. On se rappelle ainsi qu’en 2013,
Ayant ainsi entravé, sans motivation
sérieuse, les précédents efforts de
moralisation de la vie publique, le
Conseil constitutionnel porte sa part
de responsabilité dans le manque de
nels a pour contrepoids des procédu- liberté contractuelle non pas équiva- déjà soucieux de « moralisation de la confiance pour la vie démocratique
res de nomination destinées à garantir lente, mais infiniment supérieure à vie publique », le Parlement avait auquel entend remédier le nouveau
leur compétence et leur indépendance celle des salariés, qui était également adopté une loi prévoyant d’interdire à gouvernement. C’est pourquoi ce der-
(par exemple en Allemagne, les deux en cause mais dont il ne dit mot. ses membres de continuer à exercer nier serait bien inspiré de saisir l’op-
chambres du Parlement désignent une fonction de conseil, quelle qu’en portunité de la réforme en cours, pour
chacune à une majorité des deux tiers DÉFICIT DE COMPÉTENCE soit la nature, lorsqu’ils ne l’exerçaient en faire une véritable juridiction, ré-
une moitié des membres du Bundes- La comparaison est là aussi cruelle pas avant le début de leur mandat dans pondant aux mêmes exigences d’im-
verfassungsgericht). avec la façon très argumentée dont la le cadre d’une profession réglementée. partialité, de compétence et de trans-
Dans aucune de ces grandes démocra- Cour de justice de l’Union européenne Il s’agissait de mettre un terme à la pra- parence que ses homologues dans les
ties, il ne serait concevable qu’un juge ou la Cour suprême des Etats-Unis ont tique, observée dans tous les partis po- grandes démocraties. p
constitutionnel puisse se mettre en traité ces mêmes problèmes juridi- litiques, consistant pour un élu à se
congé le temps de prendre part à une ques. Une telle absence de motivation mettre, moyennant finance, au service
campagne électorale ; qu’un ancien mi- passerait pour de la désinvolture, si d’intérêts privés, qu’il a par ailleurs
nistre ou parlementaire puisse juger de on ne pouvait y voir la conséquence pour mission de réglementer au nom ¶
la constitutionnalité d’une loi à l’adop- inévitable du mélange des genres et de l’intérêt général. Lauréline Fontaine est
tion de laquelle il a pris part ; qu’un an- du déficit de compétence profession- Invoquant rien moins que l’article 6 professeure à l’université
cien directeur des services juridiques nelle qui marquent la composition et de la Déclaration des droits de l’homme Sorbonne-Nouvelle
d’un grand groupe d’assurances siège le fonctionnement de notre Conseil et du citoyen, le Conseil constitutionnel Alain Supiot est professeur
pour censurer une disposition législa- constitutionnel. a jugé qu’interdire de telles pratiques, au Collège de France
tive contrariant les intérêts des assu-
reurs ; qu’un ancien président de ce
Conseil ne fasse pas mystère d’avoir ré-
gulièrement pris l’avis sur sa jurispru-
dence, en dehors de toute procédure
contradictoire, du président du Medef CARTE BLANCHE – SERGUEI | Extinction
et de dirigeants de grandes entreprises.
Il serait erroné de faire ici grief aux
personnes – dont on n’a pas de raison
de mettre en doute le dévouement et
l’intégrité – de vices juridiques, qui
procèdent largement de l’histoire du
Conseil et des missions très restreintes
qui étaient les siennes lors de sa créa-
tion en 1958. Mais il serait pareillement
irresponsable de laisser ces vices sans
remède, alors que le poids du Conseil
constitutionnel n’a cessé de se renfor-
cer, au point que le nécessaire et délicat
équilibre entre le respect de la Consti-
tution et celui du suffrage majoritaire
se trouve parfois rompu.
Pour que les citoyens puissent s’assu-
rer que cet équilibre est bien respecté,
il conviendrait que les décisions du
Conseil soient solidement motivées.
L’obligation qui pèse sur le juge consti-
tutionnel de rendre compte au peuple
souverain des bornes qu’il pose au
pouvoir de la majorité parlementaire,
se confond en effet avec cette exigence
de motivation.
Mais sur ce point également, notre
Conseil fait pâle figure démocratique
au regard de ses homologues étran-
gers. Il serait cruel de comparer par
exemple les décisions rendues respec-

La moralisation doit s’étendre à la haute fonction publique

Pour restaurer la confiance dans la vie publique,
la transparence et le non-cumul doivent aussi Jouissant d’une position confortable
au sein de l’appareil d’Etat, il est toujours
s’appliquer aux hautes sphères de l’administration, loisible pour un membre du Conseil
estime le spécialiste en droit public Camille Mialot d’Etat de mener une campagne électo-
rale et d’exercer successivement des
fonctions publiques (ministre, premier
ministre…) ou privées (avocat, etc.) et à
Par CAMILLE MIALOT Les observations qui suivent concer- nouveau des fonctions au Conseil d’Etat,
nent principalement les membres du ce dernier étant une garantie de retrou-
Conseil d’Etat, qui se trouvent au centre ver un poste au gré des vicissitudes de la
Sur le plan de la transparence, de nom-
breux efforts restent à faire. Alors même
que les déclarations d’intérêts de nom-
breux élus locaux sont aujourd’hui publi-
ques et consultables, celles des membres
du Conseil d’Etat et d’autres hauts fonc-
tionnaires, comme le secrétaire général
du gouvernement, qui est d’ailleurs un
membre du Conseil d’Etat, ne le sont pas.
Ces déclarations sont secrètes et ne peu-
la production du droit – le directeur de
cabinet du ministre de la justice, qui
porte la loi sur la moralisation, est lui-
même un membre du Conseil d’Etat –
s’est délibérément octroyé un statut dé-
rogatoire s’autorisant le cumul et ne
rendant aucun compte aux citoyens. Cet
état du droit doit absolument cesser
pour restaurer la confiance dans la
chose publique. Car aujourd’hui le désé-

S i les élus sont sous le feu des pro-

jecteurs avec le nouveau projet
de loi sur la moralisation de la vie
publique intitulé « Pour la confiance
dans notre vie démocratique », la haute
fonction publique ne semble pas
concernée. Or à l’évidence, pour restau-
rer la confiance dans la vie publique,
il convient aussi d’imposer des rè-
gles strictes de transparence et de non-
cumul aux plus hautes sphères de
l’administration.
de la vie administrative et même politi-
que de l’Etat. Par exemple, alors que les
élus se sont vu imposer le non-cumul
des mandats, il est toujours juridique-
ment possible pour un membre du
Conseil d’Etat de cumuler les fonctions
de juge suprême et de maire, ou de pré-
sident de communauté d’aggloméra-
tion, de président de métropole, ou en-
core de président de région, etc. – il en
va de même des membres de la Cour
des comptes.
vie politique. On citera deux exemples,
Laurent Wauquiez ou Edouard Philippe,
qui n’ont jamais jugé opportun de
démissionner du Conseil d’Etat.
UN SENTIMENT DE DÉFIANCE
De même, il est possible de cumuler
les fonctions administratives, comme
celles de président de la section du
contentieux du Conseil d’Etat (premier
magistrat administratif de France) et
de président de l’Opéra de Paris…
vent pas être consultées par le public ou
les justiciables, sous peine de sanctions
pénales ! Curieux état du droit… car lors-
que ces déclarations concernent les ma-
gistrats du Conseil d’Etat, c’est évidem-
quilibre est trop grand entre les obliga-
tions de transparence et de non-cumul
imposées aux élus, et l’absence de ces
obligations pour ceux qui se trouvent au
sommet de l’Etat. p
ment ceux qui demandent justice, les
justiciables, qui doivent être à même
de contrôler l’impartialité de ceux qui ¶
doivent les juger ! Camille Mialot est maître
Le sentiment général est qu’une caste de conférences à l’école de droit
de hauts fonctionnaires présents à tous de Sciences Po Paris, avocat
les niveaux de l’Etat et tous les stades de spécialiste en droit public
 débats & analyses | 21
0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Au Kurdistan irakien, un référendum à haut risque

Analyse Les réactions ont été sans surprise. A Bag-
dad, le gouvernement fédéral s’est dit opposé
à toute déclaration unilatérale d’indépen-
hélène sallon
dance hors du cadre prévu par la Constitution.
Service International
La Turquie, parrain régional du PDK, inquiète
alors que le Kurdistan accueille des dizaines de
milliers de réfugiés », relève Loulouwa Al-Ra-
chid, chercheuse au CERI-Sciences Po.
L’entité kurde irakienne, « en situation d’as-
phyxie économique », enclavée entre l’Irak, la
gouvernement fédéral à une déclaration d’in-
dépendance unilatérale, des discussions ont
été ouvertes sur les relations futures entre
Bagdad et Erbil a révélé, le 10 juin, le chef de
cabinet de M. Barzani, Fouad Hussein, à la té-

I
l a fallu attendre plusieurs jours pour
qu’affluent les réactions à l’annonce,
mercredi 7 juin, par le président du
Kurdistan irakien, Massoud Barzani,
« UNE de la tenue d’un référendum d’auto-
CONFRONTATION détermination, le 25 septembre. Leit-
motiv de celui qui préside le gouvernement
EST INÉVITABLE régional du Kurdistan irakien (GRK) depuis
sa création en 2005, le principe d’une indé-
SI LES TERRITOIRES pendance du Kurdistan remporte une large
[DISPUTÉS adhésion populaire. Mais, face aux nom-
breuses résistances qu’elle suscite ailleurs, la
AVEC BAGDAD] tenue à si brève échéance d’un scrutin po-
tentiellement explosif, en Irak comme à
SONT INCLUS DANS l’échelle régionale, pourrait se heurter à de
nombreux obstacles.
LE RÉFÉRENDUM » Les autorités du GRK ont multiplié les con-
LOULOUWA AL-RACHID tacts avec le gouvernement fédéral, à Bagdad,
chercheuse et les chancelleries étrangères sur le dossier,
au CERI-Sciences Po sans qu’un accord ait été acté. L’annonce a été
précipitée par l’entente scellée entre les deux
partis rivaux kurdes – le Parti démocratique
du Kurdistan (PDK) de M. Barzani et l’Union
patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Tala-
bani. Les autres partis politiques, à l’instar de
Goran (« changement »), exigent qu’une lé-
gislation encadre ce scrutin, ce qui suppose
au préalable la convocation du Parlement,
suspendu depuis deux ans.
d’un effet boule de neige parmi sa population
kurde, a dénoncé une « terrible erreur » et réi-
téré son soutien à « l’intégrité territoriale de
l’Irak ». Une position qu’elle partage avec
l’Iran, qui compte aussi une minorité kurde.
En revanche, selon le think tank américain
Stratfor, d’autres pays comme les Emirats ara-
bes unis, opposés à l’Iran et à son allié irakien,
pourraient soutenir, voire financer, le scrutin.
Parmi les chancelleries occidentales, seuls
l’Allemagne et les Etats-Unis ont réagi, mais
en demi-teinte. Principal soutien étranger
du GRK, Washington a salué « les aspirations
légitimes » du peuple du Kurdistan irakien,
tout en disant favoriser « un Irak uni, fédéral,
stable et démocratique ». Les Etats-Unis ont
appelé Erbil à ne pas détourner l’attention de
« priorités plus urgentes », comme la victoire
contre l’organisation Etat islamique (EI). En
France, où le président Barzani comptait en
la personne de François Hollande un « ami
de longue date », aucune réaction officielle
n’a encore été publiée.
En l’absence de consentement de Bagdad et
de ses voisins, et sans le soutien des partenai-
res occidentaux, l’indépendance du Kurdistan
irakien risque de rester un vœu pieux. « On a
du mal à imaginer comment il est possible d’or-
ganiser un référendum dans le contexte actuel
du nord de l’Irak, qui est une zone de guerre, et
Turquie et l’Iran, ne peut survivre sans « para-
pluie sécuritaire occidental », poursuit Mme Al-
Rachid. Miné par la corruption, le gouverne-
ment vit sous perfusion de l’aide internatio-
nale et fait face à la montée de la grogne so-
ciale. « On n’a par ailleurs jamais connu un tel
niveau de dissensions internes intrakurdes »,
ajoute la chercheuse, qui n’écarte pas le risque
d’une guerre civile pour le contrôle de cette
entité, à l’image de celle qui ravage le Soudan
du Sud depuis son indépendance, en 2011.
« NÉGOCIER UN STATUT INTERMÉDIAIRE »
Pour M. Barzani, dont le mandat est arrivé à
échéance depuis 2015, un référendum sur
l’autodétermination pourrait lui permettre
de s’imposer à ses rivaux. « L’idée chatouille le
président Barzani de s’ériger en guide de la na-
tion kurde, en bâtisseur de l’Etat du Kurdistan.
Il prend les devants et fait le pari que le Kurdis-
tan a une chance historique, qui ne se repré-
sentera plus », estime Hosham Dawood, cher-
cheur à l’EHESS. M. Barzani veut tirer parti de
l’image acquise auprès des Occidentaux
comme partenaire de premier rang dans la
lutte contre l’EI. Il a aussi trouvé dans le pre-
mier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, un in-
terlocuteur mieux disposé à Bagdad, avec qui
il a scellé une coordination militaire pendant
la bataille de Mossoul. Malgré l’hostilité du
lévision kurde Rudaw.
« Le référendum est un moyen de faire pres-
sion sur Bagdad pour négocier un statut inter-
médiaire, comme une confédération, et le pé-
trole », ajoute M. Dawood. Cela reviendrait à
institutionnaliser une situation qui existe de
fait. Toutefois, les discussions pourraient dé-
railler sur la question des territoires disputés
avec Bagdad. La présidence du GRK veut in-
clure dans le référendum le statut de ces terri-
toires à cheval sur les provinces irakiennes de
Sinjar, Ninive et Kirkouk, que les combattants
kurdes peshmergas ont repris à l’EI. Les auto-
rités d’Erbil mettent en avant la composante
majoritairement kurde – entre 50 % et 60 % –
de ces régions riches en pétrole et en ressour-
ces agricoles pour les réclamer. Les minorités
ethniques et religieuses qui y vivent sont di-
visées sur la question.
Cette perspective attire les foudres des fau-
cons de l’échiquier politique chiite et de leurs
milices, qui multiplient les discours antikur-
des et les menaces contre M. Barzani. « Une
confrontation est inévitable si ces territoires
sont inclus dans le référendum », prévient
Mme Al-Rachid, alors que plusieurs entités ar-
mées sont massées dans le nord de l’Irak à la
faveur de la guerre contre l’Etat islamique. p
sallon@lemonde.fr

Alexis Tsipras « Donnons un nouvel élan Le prix de l’injustice

à la croissance européenne » LA CHAMBRE DES INNOCENTS
de Mathieu Delahousse,
A la veille d’une rencontre des ministres des finances de la zone éd. Flammarion, 224 pages,
croissance et pour que la Grèce continue
euro, le premier ministre grec plaide dans « Die Welt » de respecter ses obligations en matière
17 euros
et dans « Le Monde » pour un réaménagement de la dette de remboursement. Pas pour lui donner
de l’argent, mais pour ne pas avoir be-
soin de lui en donner.
Par ALEXIS TSIPRAS TVA, et les marchés de l’énergie, dépoli-
tisé l’administration publique et lutté PLAN DE DÉVELOPPEMENT AMBITIEUX
Le livre
contre la corruption. Des réformes de Le deuxième volet de la réponse n’est

L’ idéal européen, loin de s’étein-

dre, bat de nouveau plus fort et
doit redevenir une source d’ins-
piration. Les appels à une nouvelle gou-
vernance de la zone euro, mais surtout
à un nouvel élan pour la croissance
européenne se multiplient et doivent
s’imposer de nouveau.
C’est l’appel des peuples européens
qui est entendu. Avec eux, de nouvelles
consciences européennes se font jour
et aspirent à de nouvelles avancées en
matière d’égalité et de justice sociale.
Une nouvelle époque, loin des fautes
et des exagérations du passé. L’épo-
que de la croissance durable et de la
prospérité pour tous.
Les Européens, tout comme les Grecs,
ont souffert de la crise financière. Nous,
Grecs, bien que la crise ait frappé notre
pays beaucoup plus durement que
d’autres, ne demandons pas d’excep-
tions ni de traitement de faveur. Mais il
est évident que nous avons fait des ef-
forts inédits, au-delà de ce que d’autres
ont fait, pour retrouver notre dignité sur
la scène européenne et internationale.
Nous aspirons aujourd’hui à recons-
truire notre vie, à trouver un travail, à
créer des emplois et à participer à la vie
économique européenne.
Laissons parler les faits. Les Grecs et le
gouvernement que je dirige depuis deux
ans ont fait des efforts allant dans ce
sens. Depuis 2010, la Grèce a connu de
profondes difficultés. Les programmes
d’ajustement budgétaire appliqués ont
fait exploser le chômage, qui a atteint
30 % en 2013, nous ont privés de 25 % de
notre richesse nationale, ont conduit
une partie importante de la population
en marge de la société et ont miné le re-
dressement du pays. Mais, aujourd’hui,
nous ne voulons plus parler du passé.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous res-
sentons le besoin de parler de l’avenir.
C’est pour préserver cet avenir que le
gouvernement a pris des décisions diffi-
ciles à l’été 2015. Ainsi, nous avons mis en
œuvre un programme d’ajustements
structurels et de réformes difficiles qui
ont conduit à une réduction des dépen-
ses et à une augmentation des recettes
dans une économie déjà en décroissance.
Parallèlement, nous avons ouvert les
professions réglementées, réformé la
fond. Nous avons créé un programme de
privatisations, tout en modifiant nos lois
pour qu’elles soient plus favorables aux
investissements privés dans notre pays.
La Grèce a mené, au cours des deux der-
nières années, plus de réformes que l’en-
semble des pays européens réunis. Et
bien plus que cela. Notre pays a ainsi fran-
chi un autre cap en acceptant de voter
une loi qui prévoit d’amender la compo-
sition des mesures de restriction budgé-
taire pour 2019 et 2020, afin de lever toute
réticence chez nos créanciers quant à no-
tre capacité à atteindre des objectifs bud-
gétaires réalistes. Encore une décision
difficile pour la Grèce, toujours au profit
de notre avenir européen commun.
Toutes ces initiatives ont été prises
pour que le poids de la dette ne pèse plus
sur nos enfants, qu’ils soient grecs ou al-
lemands. Et les résultats sont d’ores et
déjà visibles. L’OCDE prévoit pour cette
année une croissance de 1,1 %. L’excédent
primaire escompté était de 0,5 % en 2016,
alors que celui que nous avons réelle-
ment dégagé a atteint les 4,2 %, ce qui a
impressionné toute l’Europe. En 2017
aussi, nous nous attendons à un dépas-
sement des objectifs avec, sans doute, un
excédent primaire de plus de 2 %.
RÉAMÉNAGER LA DETTE
Néanmoins, et malgré ces résultats, la
dette grecque constitue une entrave per-
manente à la croissance et au redémar-
rage de mon pays. La dette s’élève actuel-
lement à 320 milliards d’euros environ.
Elle représente 180 % du PIB. Pourquoi ?
Parce que, depuis 2010, le PIB de la Grèce
a baissé de 50 milliards d’euros environ.
Par conséquent, la réponse à la viabilité
de la dette de la Grèce, c’est avant tout la
croissance. Une croissance juste, durable
et tenable à long terme.
Mais, pour qu’elle se réalise, il faut tout
d’abord procéder à un réaménagement
de la dette. Afin que l’économie puisse
respirer, et que nous puissions gagner
de nouveau la confiance des investis-
seurs et des marchés. De ce fait, des me-
sures à moyen terme pour la dette doi-
vent maintenant être accordées sans
ambiguïté, non seulement en échange
des réformes que la Grèce a mises en
œuvre, mais surtout parce qu’elles sont
le choix le plus logique pour soutenir la
autre que l’adoption d’un plan de déve-
loppement ambitieux. Un plan qui ne re-
posera pas sur l’emprunt mais sur des ini-
tiatives de soutien et de renforcement
des investissements privés en Grèce. Par-
tout dans la zone euro, il y a une forte dy-
namique de réformes. A l’heure où il re-
vient à l’Europe de se faire la championne
de la transition énergétique, investissons
collectivement pour soutenir une crois-
sance soucieuse des peuples et de notre
climat. Investissons pour une vraie poli-
tique européenne de croissance, por-
teuse d’emplois. Investissons dans l’édu-
cation et la recherche qui créeront les in-
dustries et les emplois de demain.
Pour les Français ou les Allemands, la
dette grecque n’est qu’un sujet d’actua-
lité parmi d’autres. Pour mes conci-
toyens, c’est une angoisse quotidienne,
pendant qu’ils tentent de se remettre sur
pied, de créer des entreprises pour relan-
cer l’emploi et la croissance, et que nous
reformons le pays.
Alors que les Britanniques et l’Union
européenne vont prochainement enga-
ger les discussions sur cette rupture his-
torique, c’est à nous, membres de la zone
euro, qu’il incombe de faire de ce mo-
ment un moment historique en faveur
de la croissance et de l’emploi.
Un rendez-vous essentiel se tient dans
les prochains jours. Historique pour l’Eu-
rope, pour l’Europe démocratique et
pour une Europe de croissance. Nous
sommes pleins d’espoir et d’attentes.
Car nous avons fait ce qui nous incom-
bait et continuons toujours de marcher
sur la voie européenne. La voie du res-
pect des règles qui régissent notre mai-
son commune. Nous attendons que nos
créanciers en fassent de même. Qu’ils
respectent les règles qu’ils ont eux-mê-
mes écrites. Qu’ils respectent mon pays.
Qu’ils respectent la Grèce.
Faisons taire les préjugés, les idées re-
çues et la rancœur qui ont été sources de
tant de maux pour l’Europe et qui le
sont toujours. Laissons parler la raison,
inspirons-nous des faits. Pour en être
inspirés et pour inspirer ainsi les peu-
ples européens. Car ils en ont tout
autant besoin que nous ! p
¶ d’indemnisation que peu de pays ont mis en place. p
Alexis Tsipras est le premier ministre grec
E
tre jeté en prison quand on est innocent, de plus
par une institution que l’on nomme justice, cela
paraît monstrueux. Pourtant, cela arrive. Et pas
uniquement lors de grands fiascos judiciaires
comme celui d’Outreau. Si l’institution a bien du mal à se
reconnaître faillible, la loi lui commande de réparer, ou plu-
tôt d’indemniser, le préjudice subi par ces personnes qui
ont passé quelques jours ou quelques mois et parfois
même des années derrière les barreaux avant d’être élar-
gies par une décision de non-lieu (d’un juge d’instruction),
une relaxe (par un tribunal correctionnel) ou un acquitte-
ment (par une cour d’assises).
Mathieu Delahousse, journaliste à L’Obs, nous emmène
dans une petite salle d’audience du Palais de justice de Paris
où, chaque lundi, siège la Commission nationale de répara-
tion des détentions. Cette « chambre des innocents », qu’il a
suivie pendant un an, fixe le montant du chèque que l’Etat
verse à ces personnes incarcérées à tort.
L’auteur partage avec le lecteur son malaise devant ces dis-
cussions de marchand de tapis que l’on imagine, à tort, desti-
nées à solder l’indicible passif entre la société un innocent.
Quel est le prix de l’injustice ? On découvre qu’il existe une
sorte de barème pour le préjudice moral – entre 50 euros et
300 euros par jour dans la plupart des cas – et pour le préju-
dice matériel – cela dépend en particulier si l’incarcération a
entraîné une perte d’emploi, un arrêt des études, etc.
HUMILIATION ET INGRATITUDE
C’est une succession de tranches de vies dans lesquelles le
lecteur s’immisce. Le plus étonnant dans la découverte de
cette procédure est la diversité des personnes à qui cela ar-
rive. S’il est quelques cas pour lesquels on se demande s’ils
sont de vrais innocents ou des personnes contre lesquelles
les preuves ont manqué, les autres constituent un échan-
tillon assez large de la population.
Que l’on soit sans emploi chronique ou énarque haut placé,
gendarme patenté ou étudiant paumé, on peut se retrouver
pris à la suite d’une erreur ou d’un faux témoignage dans une
affaire d’escroquerie, de viol ou de meurtre pour laquelle la
justice n’hésite pas à recourir à la détention provisoire. Le
« choc carcéral » que l’on touche du doigt ici n’est pas un vain
mot. Les cellules ne sont pas plus grandes et la prison pas
moins violente pour les innocents que pour les coupables.
Face à ces hommes – les femmes y sont rares – dont la vie a
pu être broyée en un instant, le Trésor public reste inflexible
pour défendre ses intérêts. Ainsi, le plus pur des innocents
ne se fera pas rembourser les milliers d’euros d’honoraires
d’avocats qu’il a dû dépenser pour faire éclater la vérité et le
droit s’il n’a pas de factures précisant l’objet de la prestation.
La justice semble ainsi s’acharner, ajoutant l’ingratitude à
l’humiliation. Mais, peut-il en être autrement ? Dans la post-
face qu’il signe, Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur général
des prisons, salue, malgré ses imperfections, ce dispositif
jean-baptiste jacquin
22 | carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Mariage
Maxime, Jules et Agathe
sont heureux d’annoncer que leurs
parents,
Elisabeth SULTAN
et
Hervé FRANÇOIS
se sont mariés le 3 juin 2017,
en la mairie d’Issy-les-Moulineaux.
4, square Louis Blériot,
92130 Issy-les-Moulineaux.
Décès
Jean Philippe Gauvin
Et tout ceux qui l’aimaient,
ont la tristesse de faire part du décès de
Carole BRACQ GAUVIN,
survenu le samedi 10 juin 2017, à Paris.
Une cérémonie sera célébrée jeudi
15 juin, à 14 h 30, en l’église de Saint-
Denys, 68, rue de Turenne, Paris 3e.
Hélène et Catherine,
ses illes,
Ses petits-enfants
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Jean Pierre Cury, Sa famille Géraldine, Arnaud et Frédérique Karila,
Sabine, Et ses amis, ses enfants, Henri Jean REY Conférence
sa ille Daphné, Alban, Victoria et Théophile
et Thierry Bazoche, Karila, nous a quittés le 11 juin 2017, Grand Orient de France
Matthieu, ont la tristesse d’annoncer le décès de à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
ses petits-enfants, Conférence publique,
son ils
et Cindy Cury, Georges GRANGER, Christiane Karila-Fleutot, Perrette Rey,
Charlotte, Manon et Romain, Tom Jacques Karila, son épouse, jeudi 15 juin 2017, à 20 heures,
ESCP 1973,
et Victor, son frère, Francis et Guillemette Ferrié-Rey, Hôtel du GODF,
chevalier ses enfants, 16, rue Cadet, Paris 9e.
Jean-Luc, Ses neveux et nièces
son frère dans l’ordre des Arts et des Lettres, Et toute sa famille, Sa famille
et Anne Barbier chevalier de l’ordre national du Mérite, Et ses amis, « L’Europe face au déi
et leurs enfants, des migrations »
ont la tristesse de faire part du décès de convient ceux qui l’ont aimé, à lui rendre
survenu le 8 juin 2017, animée par
ont l’immense tristesse de faire part un dernier hommage lors de ses obsèques Catherine Withol de Wenden,
à l’âge de soixante-sept ans. Gabriel KARILA, le lundi 19 juin, à 14 h 30, au crématorium directrice de recherche, CNRS (CERI)
du retour à Dieu, le 11 juin 2017, de
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. et Tong Chhor,
Maguy CURY, Une cérémonie religieuse sera célébrée survenu à Paris, membre du conseil d’administration
née BARBIER. dans sa quatre-vingt-huitième année. Cet avis tient lieu de faire-part. du club 21e siècle.
le vendredi 16 juin, à 10 h 30, en l’église
Saint-Gabriel, 5, rue des Pyrénées,
La messe d’adieu aura lieu le vendredi Famille Karila, Réservation obligatoire :
Paris 20e. Les familles Scrève Hall
16 juin, en l’église Notre-Dame-de- reinventer.europe@gmail.com
8, place du Puits de l’Ermite, et Scrève Szeles
Lorette, Paris 9e, à 14 h 30. 75005 Paris.
Danièle Israël-Salusky, ont la douleur de faire part du décès de Communications diverses
Pas de leurs mais un coup de main à Dominique Israël-Biet,
Guinée solidarité Provence, 20, rue Marx
ses illes, Christian et Ilona Baffoy, Jean SCRÈVE.
Dormoy, 13530 Trets ou à La Soupe Saint- leurs enfants
Eustache, 2, impasse Saint-Eustache, Le professeur Isidro Salusky, Un service religieux aura lieu le mardi
et petits-enfants,
75001 Paris. Jean Goldzink, 20 juin 2017, à 10 h 30, en l’église Saint-
Jean-Philippe et Astrid Barde,
ses gendres, leurs enfants Médard, Paris 5e.
Flore et Thibaut, David, Max et Lucas, et petite-ille,
Jean ESTIENNE ses petits-enfants, Patrick et Marie-Christine Baffoy, L’association des pédiatres franciliens Plateforme de la création
biologiste hospitalier honoraire, Zoé et Lena, Thierry (†) et Laurence Baffoy, architecturale
idèle lecteur du Monde, ses arrière-petites-illes, leur ils, a la grande douleur d’annoncer le décès Saison 3 - 2017
de
est décédé à Aurillac, le 3 juin 2017,
Monique Cholet,
sa cousine ont la tristesse de faire part du décès, Duos et débats
dans sa quatre-vingt-douzième année. M. Jonathan TOLEDANO, Raumlabor, Berlin versus Coloco, Paris
et son ils, Eric, survenu le 29 mai 2017, de leur mère,
Modérateur : Rafaël Magrou
Il a été inhumé au cimetière de Volvic survenu le 2 juin 2017.
(Puy-de-Dôme), dans l’intimité familiale. ont l’immense chagrin de faire part Laboratoire du logement
Birgit NERMAN-BAFFOY. Notre ami tant apprécié par ses patients Les maisons groupées,
du décès du
De la part de et ses confrères, pour son extrême alternatives à l’étalement urbain ?
Un culte d’action de grâces aura lieu disponibilité, sa grande humanité, sa
Simone Estienne, professeur Lucien ISRAËL, discrétion et son élégance tant physique Soirée inaugurale saison 3 - 2017
en l’église suédoise, le 28 juin, à 12 heures, que morale.
son épouse, commandeur de la Légion d’honneur, Jeudi 15 juin, de 19 heures à 21 heures
René et Colette, 9, rue Médéric, Paris 17e.
commandeur
ses enfants, Désormais, il repose en paix à djset Makkouk Disquaire Club
de l’ordre national du Mérite, Des dons peuvent être faits à la Jérusalem.
Sa famille 21 heures à 23 heures.
Et ses proches. membre de l’Académie Communauté de l’Arche de Jean Vanier,
des sciences morales et politiques, où l’un de ses petits-enfants a travaillé Nous ne pourrons jamais l’oublier.
Entrée libre
28, rue du Mont-Mouchet, (http://www.arche-france.org). réservation citedelarchitecture.fr
15000 Aurillac. survenu le 9 juin 2017, à Paris. Dimanche 11 juin 2017
Simone, ISF :
L’Association du Corps Préfectoral L’inhumation aura lieu le jeudi 15 juin, son épouse,
Cyril Henri VEKEN déduisez 75 % du montant de votre don
et des hauts fonctionnaires à 15 heures, au cimetière du Montparnasse, Emmanuelle et Agnès, à la Fondation du patrimoine Juif
du ministère de l’Intérieur, est mort, entouré de celles et ceux de France, pour sécuriser
3, boulevard Edgar-Quinet, Paris 14e. ses illes, qui l’aimaient.
Son bureau, et mettre aux normes nos synagogues
Jean-François Carenco, Augusto,
et centres communautaires.
son président, Il reposera auprès de son épouse, son gendre, Son humanité, son intelligence,
Bastien et Julia, son humour et son insatiable appétit
Tél. : 01 49 70 88 02.
consistoire@consistoirecentral.fr
font part de leur vive émotion, à l’occasion Germaine ISRAËL, ses petits-enfants, pour la vie nous manqueront à tous. Sous l’égide
du décès des deux grands serviteurs de la de la Fondation du Judaïsme Français.
née Guerda BACH, Né le 17 avril 1940, à Neuilly-sur-
République, que furent ont la profonde tristesse de faire part du
(1925-2012) Seine, Cyril a été arrêté avec sa mère, Ettel
décès, le 9 juin 2017, de
Jacques FOURNET, Fromm, le 16 juillet 1942 sur dénonciation.
préfet de région honoraire, et de leur ils, Emmenés lors de la rafle du Vel d’Hiv,
ancien directeur général Jean-Claude POITOU, ils ont été déportés dans les camps de
des renseignements généraux, syndicaliste, Beaune-la-Rolande, puis Drancy. Libéré
Guillaume ISRAËL, ancien journaliste de Drancy le 1 er novembre 1942,
décédé le dimanche 4 juin 2017. (1960-1987). et rédacteur en chef par sa marraine, Alice Rieffel et son
de la Vie Ouvrière. parrain, Cyril Prochazka, Cyril a été
Pierre VERBRUGGHE, Cet avis tient lieu de faire-part. accueilli et élevé avec amour dans leur
ancien conseiller maître L’inhumation aura lieu au cimetière famille. SOS AMITIE
à la Cour des comptes, Envie d’être utile ? Venez nous rejoindre
355, South Bundy Drive, d’Ambleville (Val-d’Oise ), le vendredi
ancien préfet de Police de Paris, Sa mère est partie pour Auschwitz par dans un centre proche de chez vous !
Los Angeles, CA 90049, 16 juin, à 15 heures. le convoi D 901-35 du 4 novembre 1942.
décédé le dimanche 4 juin. USA. Son souvenir est conservé au Mémorial de Les bénévoles de SOS Amitié écoutent
dsalusky@yahoo.com Cet avis tient lieu de faire-part. la Shoah. par téléphone et par internet
Ils ont servi la République, ceux qui souffrent de solitude, mal-être
ils ont travaillé pour la France. emmanuellepoitou@sfr.fr Explorateur inlassable des mots, paroles et pensées suicidaires.
206, rue du faubourg Saint-Antoine,
et idées, Cyril a enrichi la linguistique,
Nous nous souvenons et présentons 75012 Paris. puis la psychanalyse, de ses intuitions Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 7
nos condoléances à leurs familles, à qui le dominique.israel-biet@orange.fr Les administrateurs, et recherches toujours renouvelées. et recherchons des écoutants bénévoles.
corps préfectoral adresse une pensée Stéphane Seiller, L’écoute peut sauver des vies
proche et fraternelle. directeur général Ses obsèques auront lieu mercredi et enrichir la vôtre.
Le président,
Et l’ensemble des collaborateurs du 14 juin 2017, à 15 h 15, au cimetière
Le secrétaire perpétuel parisien de Bagneux, 45, avenue Marx Horaires lexibles, formation assurée.
Monika, Régime social des indépendants (RSI),
Et les membres Dormoy (Hauts-de-Seine). RDV sur www.sosamitieidf.asso.fr
son épouse,
de l’Académie des sciences morales ont la tristesse de faire part du décès de
Emmanuel, Marguerite, Matthieu,
Olivia, Aurelia, et politiques,
Et ses arrière-petits-enfants, ses enfants et sa belle-ille, # #  $    

 !# $  # 
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Maëlly et Oscar, ont la tristesse de faire part du décès, M. Gérard QUEVILLON,  #$ $   
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ses petits-enfants, de leur confrère, président national du RSI,  #$    #
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ont la tristesse de faire part du décès de  #  $
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ont l’immense chagrin de faire part du  #$  % # #   " !#
Mme Micheline CHARPENTIER, décès de  #$ ! #!    # $% - %().$ *
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Lucien ISRAËL, le 9 juin 2017, *$ "$* "
*.*
née MORIZE, Michael GIBSON, membre de l’Institut, à l’âge de soixante-neuf ans.
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docteur es sciences, écrivain, journaliste et critique d’art,  #   $# *$! %$$+ " .**$ *+-$ ++%"
directeur de recherches au CNRS, Ils s’associent à la douleur de sa famille  #$ $ $ %# $  $ ""+ /$ %-
survenu le 7 juin 2017, et des proches.
 #$ $ %# $ $ ."$
*%%.*-
dans sa quatre-vingt-septième année. survenu le vendredi 9 juin 2017.  #$   % ! #
 #  #! $$- *-
survenu le 7 juin 2017, à Châtillon,  # $
%.1
La cérémonie religieuse se déroulera le  #$ #!#$
*+
(-%%*%.
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. La cérémonie religieuse sera célébrée Les obsèques auront lieu le jeudi #  %"+ #$3
jeudi 15 juin, à 10 heures, en la Basilique
le vendredi 16 juin, à 10 heures, en l’église 15 juin, au cimetière du Montparnasse,
  "($
($
Saint-Etienne-du-Mont, 30, rue Descartes, Sainte-Trinité de Cherbourg, suivie de sa  #$ *$! %.
L’inhumation aura lieu le jeudi 15 juin, rendez-vous à l’entrée principale, crémation à Brix, à 14 heures.
Paris 5e.  #     $  $ -*$ %"2
à 14 h 30, au cimetière ancien de Dreux 3, boulevard Edgar-Quinet, Paris 14 e,  #        # *+-$
-
!  !$ % 
** * (*+$- +-$ *$% /(*+$-
(Eure-et-Loir). Cet avis tient lieu de faire-part. à 14 h 45. Ni leurs ni couronnes.

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*Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse. Conception : toaster.fr
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
EUROPE | CHRONIQUE
par ar naud l e par m e nt ie r
Macron, une trop
large majorité ?
P VOICI DONC UNE
récision pour les étour-
dis : Emmanuel Macron
a été élu président de la
République et va rem-
porter une victoire écrasante aux
législatives. A l’issue de scrutins
réguliers et démocratiques. Car, à
force d’entendre Jean-Luc Mélen-
chon proclamer qu’il a perdu la
présidentielle à 600 000 voix
près et les mauvais perdants répé-
ter que l’abstention massive dis-
crédite les législatives, on finirait
par croire que la France a été vic-
time d’un coup d’Etat. Accentué
par ce que le leader de La France
insoumise appelle « le culte de la
personnalité » auquel s’adonne-
rait le chef d’Etat.
Commençons par le score.
M. Macron a capté au premier tour
de la présidentielle 24 % des voix,
mieux que Jacques Chirac en 1995
et en 2002. Aux législatives, son
parti a connu une très forte pro-
gression en pourcentage, puisque
La République en marche (LRM) et
le MoDem récoltent 32,1 % des suf-
frages exprimés. Les esprits scru-
puleux parlent en voix pour éclai-
rer la démocratie : la majorité pré-
sidentielle perd à cette aune 15 %
de voix par rapport au premier
tour de la présidentielle. Mais le
Front national (FN) recule de plus
de 60 % (en pourcentage, il passe
de 21,3 % à 13,2 %), tandis que les
« insoumis » de M. Mélenchon di-
visent leur score par trois (en recul
de 19,6 % à 11,2 %). Les extrêmes
sont en déconfiture électorale.
Une opposition introuvable
Ce préalable n’empêche pas de
s’interroger. L’abstention a atteint
le record triste de 51,2 %, auquel on
peut apporter une triple explica-
tion. La lassitude, après un trop
long processus électoral engagé
depuis les primaires. La certitude,
ensuite, que le camp Macron allait
l’emporter : la quadripartition du
paysage politique – FN, droite ré-
publicaine, LRM, gauche contesta-
taire – a dénaturé les scrutins uni-
nominaux à deux tours. Que ce
soit à la présidentielle ou aux lé-
gislatives, le candidat d’En mar-
che ! qualifié au premier tour
l’emporte mécaniquement au se-
cond par rejet du candidat moins
central. Troisième explication,
l’absence d’opposition crédible : le
PS a été coulé par des frondeurs,
tandis que la droite républicaine
ne sait plus à quel saint se vouer.
Plus que la majorité introuvable,
c’est l’opposition qui est introuva-
ble. Faute d’alternative, les élec-
teurs ont boudé les urnes.
La séquence électorale a con-
forté, pour cinq ans au moins, la
Ve République, qu’on disait mori-
bonde. Plus que jamais, la prési-
dentielle est l’élection reine, tan-
dis que le choix de l’Assemblée est
un vote de confirmation. On peut
à titre personnel le déplorer et
être partisan d’une forte dose de
proportionnelle, mais qu’on ne
fasse pas semblant d’être surpris.
C’est ce qu’ont voulu les respon-
sables politiques, en instaurant le
quinquennat et en plaçant la pré-
sidentielle avant les législatives.
Et les Français, telles les gre-
nouilles qui demandent un roi
dans la fable de Jean de La Fon-
taine, ne cessent de réclamer un
homme providentiel fort, eux qui
ont détesté le vibrionnant Nico-
las Sarkozy et méprisé le prési-
dent normal François Hollande.
Voici donc une Assemblée à la
main du président. Une Chambre
ON NE DOUTE PAS
QUE LES CONTRE-
POUVOIRS
S’EXERCERONT
Tirage du Monde daté mercredi 14 juin : 228 020 exemplaires
0123 | 23
BREXIT,
DUR OU DOUX,
MAIS RAPIDE ouverte par le référendum du 23 juin 2017, que tout concédé aux Britanniques pour
s’il ne veut pas être déstabilisé par les incer-
titudes politiques et économiques induites
les maintenir dans l’UE. La ligne de
conduite stricte, fixée par Michel Barnier
par la sortie de l’UE. Il en souffre déjà avec le
retour de l’inflation, le ralentissement éco-
nomique, l’inquiétude politique en Irlande
dans l’entretien accordé au Monde du
14 juin, et la pression européenne doi-
vent être maintenues.
du Nord et en Ecosse. Les trois premiers dossiers à traiter sont
Le compte à rebours a commencé depuis épouvantablement compliqués. D’abord,
que Mme May a activé le fameux article 50, la facture à acquitter par Londres, qui doit
qui organise, dans un délai de deux ans, la payer son solde de tout compte comme
sortie d’un pays membre. Normalement, lorsqu’on quitte une copropriété. Ensuite,
ASSEMBLÉE À LA MAIN le 29 mars 2019, le Royaume-Uni aura lar- le sort des ressortissants britanniques sur
gué les amarres avec le continent. C’est ce le continent et des Européens de Londres :
DU PRÉSIDENT. UNE que les Britanniques appellent la « falaise » il faut trouver un moyen de leur garantir
CHAMBRE COMPOSÉE – le cliff. Faute d’accord conclu à cette date, leurs droits acquis (retraite, santé, sé-
D’INCONNUS, VENUS
DE NULLE PART
A vec les négociations sur la sortie
du Royaume-Uni de l’Union euro-
péenne (UE), le fameux Brexit, on
est assailli d’anglicismes : le Brexit sera-t-il
hard – « dur », comme le veut la première
ce sera le saut dans le vide, avec un pays re-
devenu simple membre de l’Organisation
mondiale du commerce. Privé d’accès au
marché intérieur européen. Bien sûr, il
existe une possibilité de prolonger de
jour…). Enfin, la question plus qu’épineuse
de la frontière entre l’Ulster et la Républi-
que d’Irlande, que nul ne veut rétablir…
mais qu’il faudra bien rétablir.
Dans ce contexte, la défaite électorale de
ET D’AILLEURS ministre Theresa May – ou soft – « doux », deux ans la négociation. Ce n’est pas sou- Theresa May est une mauvaise nouvelle.
comme l’espèrent encore les Britanniques haitable. Surtout, il faut que les Britanni- Elle fait sourire ceux qui se souviennent
les plus europhiles ? A moins que l’on ne ques avancent sérieusement, lorsque de la dissolution ratée de Jacques Chirac
composée d’inconnus, venus de coure le risque de no deal, « absence d’ac- s’ouvriront formellement, à Bruxelles, les en 1997. Mais les deux parties ont besoin
nulle part et d’ailleurs. Un rêve cord », auquel affirme se préparer le négo- négociations de retrait, le 19 juin. d’avoir une ligne de conduite claire et du-
mélenchoniste, qui proposait une ciateur européen Michel Barnier ? Qu’il soit Il n’est pas question de « punir » les Bri- rable pour avancer. On continue de penser
Assemblée constituante tirée au permis d’ajouter un adjectif anglais décisif : tanniques, comme le laisse croire la presse que le statut négocié avec David Cameron
sort qui exclurait les anciens élus. fast. Quel qu’il soit, le Brexit doit être « ra- d’outre-Manche, mais d’assumer ses avant le référendum était idéal. On conti-
Les Français voulaient un coup de pide », et c’est là l’essentiel. choix. Les Britanniques vont devoir ap- nue de trouver que le statut norvégien
balai, mais aux xénophobes du FN L’Union européenne ne peut être suspen- prendre un nouvel art, celui de la négo- – accès au marché intérieur moyennant fi-
et aux révolutionnaires-fonction- due une éternité aux hésitations et tergi- ciation avec des Européens décidés à nance – est un moindre mal. Mme May n’en
naires de M. Mélenchon, ils ont versations britanniques. Le Royaume-Uni, défendre leurs intérêts vitaux, alors veut pas. Le Royaume-Uni doit confirmer
préféré la société civile « qui ga- non plus, qui doit clore cette séquence qu’ils avaient, quarante ans durant, pres- ses choix, s’y tenir. Et partir. Vite. p
gne », jeune, paritaire et qui pos-
sède pour un tiers son entreprise.
Le Parlement Macron-horizon
sera-t-il un outil au service de son
centrisme autoritaire ? C’est un
risque. Notons avec le politolo-
gue Dominique Reynié, prési-
dent de la Fondation pour l’inno-
vation politique, que le Parle-
ment français n’a jamais été vu
comme un contre-pouvoir. La co-
habitation a été de facto rejetée
pour maintenir le primat prési-
dentiel. Le sabotage du quin-
quennat Hollande par les fron-
deurs a été jugé insupportable. A-
t-on eu une vraie commission
d’enquête parlementaire sur les
attentats en France comme l’ont
réalisé les Américains après le
11 septembre 2001 ? La présidence
de la commission des finances a
été confiée à un membre de l’op-
position, mais le vrai opposant
est le premier président de la
Cour des comptes. Bref, le Parle-
ment n’est pas assez fort, mais
l’information n’est pas neuve.
Une majorité pléthorique va-t-
elle accentuer cette dérive ? Rien
n’est certain. Les majorités les plus
muselées furent celles de cohabi-
tation ou issues des victoires les
plus serrées. Nul ne sait ce qui ad-
viendra de LRM. Elle regroupe des
familles de cultures très diverses
– sociaux-démocrates, chrétiens-
démocrates, radicaux laïques, li-
béraux plus ou moins autoritai-
res – mais qui s’entendent à peu
près sur la politique à mener. Au
fond, un espace qui ne fétichise
pas la barrière droite-gauche im-
posée par Charles de Gaulle et sa-
cralisée par la gauche.
Au sein de cet espace peut s’or-
ganiser la grande coalition fran-
çaise, qui rapprocherait M. Ma-
cron de la chancelière allemande
Angela Merkel et pas, comme le
sous-entendent certains per-
dants de 2017, du trio des prési-
dents russe, américain et turc Vla-
dimir Poutine-Donald Trump-Re-
cep Tayyip Erdogan. Quant à l’op-
position, on peut imaginer, dans
ce système, qu’elle ne l’emporte
pas avant longtemps, à l’image de
ce qu’ont connu les communistes
pendant la guerre froide en Italie.
Quoi qu’il en soit, on ne doute
pas que les contre-pouvoirs s’exer-
ceront. Ils existaient comme l’a
montré la faiblesse des réformes
sous MM. Chirac et Sarkozy. « Ce
n’est pas le Parlement qui les a blo-
qués, explique M. Reynié. Si certai-
nes décisions n’ont pas été prises,
c’est que l’opposition du corps so-
cial a été ressentie. Il n’y a aucune
raison que cela disparaisse, ce phé-
nomène peut même se renforcer
avec une réponse corporatiste ou
idéologique. » On ne doute pas que
la dénonciation d’un Parlement
Macron-horizon sera vite exploi-
tée. En dehors de l’Hémicycle. p
leparmentier@lemonde.fr
News = Informations / Talks = Echanges
B O U T IQ U E E N LIG N E DIO R .C O M
 Bordeaux ROMANÉE-CONTI
AUBERT
cité radieuse PAG ES 6 À 8
DE VILLAINE,
LÉGENDE
VIVANTE
Pages 4-5

JEFF PACHOUD/AFP
▶ Sélection
Des blancs et
des champagnes rosés
pour l’été
Pages 14-15
▶ Séries américaines
De « Dallas » à « The Good
Wife », comment
les femmes ont brisé
le « plafond de verres »
Pages 12-13

La Cité du vin, qui fête son premier anniversaire ce mois de juin, a déjà reçu 400 000 visiteurs. FRANCK GUIZIOU/HEMIS

Bordeaux la visible, Bourgogne la discrète

Et vous, vous êtes plutôt bourgogne ou bordelais est six fois plus étendu que cultures du vin, et pas uniquement celle gne, de par sa terre plus petite, plus
bordeaux ? La question est rituelle, le bourguignon, moins morcelé aussi, du cru, elle symbolise la nouvelle image tourmentée, avec ses propriétés en clos,
VIM/ABACA

comme s’il fallait sans cesse opposer nos
deux prestigieux vignobles. Dans ce
numéro qui annonce l’été, nous sommes
allés prendre le pouls des deux régions.
Elles se retrouvent sur un point essen-
tiel : quelques crus très chers, essentiels
pour asseoir la réputation, et beaucoup
de vins à prix attractifs, pour satisfaire le
consommateur. Même si la Bourgogne
« moyenne » est plus chère. La cause est
surtout géographique. Le vignoble
ce qui change tout en termes de moyens,
de communication, de nombre
de bouteilles à vendre, notamment
à l’étranger. Et de prix.
Par exemple, Bordeaux s’affiche plus
que Bourgogne la discrète. La métropole
girondine accueille le Salon professionnel
Vinexpo, du 18 au 21 juin, au moment
où la Cité du vin fête sa première année
de vie et de succès. Ce lieu dit la puissance
de la région. Mais en racontant toutes les
de Bordeaux, que nous cernons dans ces
pages : plus ouverte qu’avant, moins arro-
gante, plus diversifiée qu’à l’époque où la
région produisait un vin standardisé pour
le client étranger ; un goût imposé par
l’Américain Robert Parker, qui n’est plus là
et dont nous présentons les successeurs.
Bordeaux est plutôt une terre
d’assemblage de cépages, un métissage
des cultures, aussi, où coexistent vigne-
rons et capitaines d’industrie. La Bourgo-
cultive de génération en génération un art
du secret paysan. Cette région met aussi
un point d’honneur, depuis le XIVe siècle,
à produire des vins à partir d’un seul
cépage, chardonnay pour les blancs, pinot ▶ Michel Cymes
noir pour les rouges, que les vignerons Le docteur de la télé défend
affinent sans cesse. Par exemple,
Aubert de Villaine, gardien du temple le vin et soigne sa vigne.
romanée-conti, un vin inaccessible par les Entretien
prix dont nous racontons la légende. p
michel guerrin Page 17

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. SACHEZ CONSOMMER AVEC MODÉRATION. LA VENTE D’ALCOOL À DES MINEURS DE MOINS DE 18 ANS EST INTERDITE.

Cahier du « Monde » No 22525 daté Jeudi 15 juin 2017 - Ne peut être vendu séparément
 Une Histoire,
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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

0123
JEUDI 15 JUIN 2017 0123 des vins | 3

La Bourgogne à tous prix

D’un côté, des crus parmi les plus chers du monde. De l’autre, des vins d’appellation régionale vendus à partir de 5 euros.
Alors que la tendance est nettement à la hausse, comment construire une image régionale cohérente ?

L’effet du climat
sur la montée des cours
La baisse de la production, liée à des
années climatiques difficiles, explique
l’augmentation des prix. Pour la Bour-
gogne, l’équation est évidente si l’on
compare les résultats de 2015 avec ceux
de 2016, qui a vu la récolte baisser de 25 %
pour les blancs et de 13 % pour les rouges,
selon l’Union des maisons de vins
de Grande Bourgogne. Conséquence,
les cours continuent de monter : ceux
des blancs, avec + 61 % pour les chablis
(durement touchés par le gel puis la grêle
en 2016) ou + 13 % pour les pouilly-fuissé.
Les rouges suivent le mouvement avec
des augmentations de 9 % pour les
mercureys et de 5 % pour les nuits-saint-
georges. La hausse des prix explique
des chiffres d’affaires records pour
les maisons de négoce, notamment
en grande distribution, avec + 3,5 % par
rapport à 2015, et même + 10 % pour
le chablisien. La logique est la même à
l’export : une quasi-stabilisation des volu-
mes (+ 1,6 % entre 2015 et 2016) mais une
hausse sensible du chiffre d’affaires (4,5 %).
Vente aux enchères aux Hospices de Beaune, en novembre 2016. PATRICK AVENTURIER/GETTY IMAGES

beaune (côte-d’or), irancy (yonne)

- envoyé spécial

P
rès de 12 000 euros, tel est le prix
d’un grand cru de la Romanée-
Conti, domaine mythique de
Bourgogne. D’après le classe-
ment des vins les plus chers du
monde, en 2016, effectués par
iDealwine, un site de vente en ligne, les
flacons bourguignons trustent seize des
vingt premières places, dont quinze pour la
romanée-conti et deux pour l’inimitable
Henri Jayer. Pour un autre site, britannique
celui-là, Wine-searcher, les vins bourgui-
gnons occupent trente-deux des cinquante
premières places.
La Bourgogne se limite-t-elle à cette image
de top-modèle, inabordable, voire élitiste, hors
de portée des amateurs ? « Les quelque 3 % que
représentent les grands noms et les grands crus
[33 en Bourgogne] offrent l’image de vins inac-
cessibles, que personne ne peut se procurer,
alors que de nombreuses appellations poussent
derrière, comme marsannay, chorey-lès-
beaune, etc. La grande majorité des vins de
Bourgogne tournent autour de 15 euros. Ce n’est
pas cher pour la région mais plus onéreux que le
prix moyen d’une bouteille achetée par les Fran-
çais [de 3 à 6 euros selon les régions] », explique
Louis-Fabrice Latour, le président du Bureau
interprofessionnel des vins de Bourgogne.
Aussi cette région fait-elle attention à ne La route du coteau, à Vosne-Romanée (Côte-d’Or). PHILIPPE ROY/AURIMAGES/AFP
pas renforcer une image d’arrogance ou d’éli-
tisme. Elle cherche à corriger l’écart abyssal
des prix entre les grands vins et le reste de la ser des bourgognes car les tarifs d’achat, mul- Nicolas Thevenot reconnaît que le prix est lent garder le côté accessible du vin que l’on peut
production (5 euros pour les plus bas) afin de tipliés par trois ou quatre, se traduisent à la affaire d’entreprise : « Certains ont dû faire boire entre copains, qui reste dans la vraie vie. »
construire tant bien que mal une image carte par des bouteilles aux prix supérieurs à des investissements, doivent payer un fermage C’est exactement la discussion qui agite la
régionale cohérente. « C’est un grand sujet de 60, voire 80 euros. ou une assurance climatique. » Et puis il y a le famille Richoux. A Irancy, village niché au
discussion entre nous, confie encore Louis- Dans son domaine de 28 hectares, à Marey- foncier : « Un hectare peut atteindre 1 million creux de la vallée de l’Yonne, dans le nord de la
Fabrice Latour, à la tête de la grande maison de lès-Fussey (Côte-d’Or), Nicolas Thevenot, d’euros dans le secteur de Vosne-Romanée, Bourgogne viticole, Thierry et Corine résistent
négoce Louis Latour, six millions de cols par 35 ans, qui est aussi président de l’organisme alors qu’ici, il vaudra entre 20 000 et à leurs deux fils, Gabin, 26 ans, et Félix, 23 ans.
an. On laisse filer les grands crus : ils sont notre de défense et de gestion des hautes-côtes-de- 70 000 euros. » Pour autant, s’interroge-t-il, « Ils voudraient que l’on augmente les tarifs pour
fierté, ils installent notre image, mais c’est celle nuits et hautes-côtes-de-beaune, se souvient « une bouteille qui coûte 80 euros est-elle dix mieux valoriser le travail, mais ce n’est pas si sim-
d’une Bourgogne chère. Cependant, on vou- que, quelques générations auparavant, le fois meilleure qu’une autre à 8 euros ? » ple, nous ne voulons pas heurter des clients qui
drait aussi que les prix des vins régionaux – la domaine Thevenot-Le Brun était une ferme : s’inquiètent dès qu’un vin prend 1 ou 2 euros »,
moitié de notre production viticole – augmen- « Après la destruction d’une partie des vignes Le côté accessible du vin explique Corine. Bien sûr, conduire les 23 hec-
tent un peu, notamment ceux des coopératives, par le phylloxéra, des vignerons, dont mon Plus bas, dans la plaine, au sud de Beaune, la tares en bio demande plus de travail. Les bras
qui pèsent la moitié de ces vins régionaux. » grand-père, ont ressuscité les hautes-côtes à la cave coopérative des Hautes-Côtes-Nuiton- sont sollicités là où, ailleurs, la chimie fait
fin des années 1960. Mais notre appellation n’a Beaunoy (du nom des habitants de Nuits- l’ouvrage. Mais les irancys, de très belle facture,
Marché spéculatif pas grand-chose à voir avec les grands noms de Saint-Georges et de Beaune) resplendit dans le du domaine Richoux – en particulier la cuvée
Le casse-tête des prix vient aussi de la géo- Bourgogne. Pour ceux qui produisent en appel- soleil de ce début juin. Là aussi, les tarifs sont Les Cailles 2013 –, ne dépassent pas les 15 euros.
graphie. Avec 28 000 hectares, la Bourgogne lation régionale, les grands crus sont perçus plus qu’attractifs : 6 à 7 euros pour un char- Thierry Richoux dit pourtant être dans le haut
occupe à peine 3 % du vignoble français. La comme un autre monde. On se croise, on se donnay ou un pinot noir basique, 20 euros des tarifs pratiqués à Irancy : « C’est au client de
rareté des vins, la taille des climats (ces parcel- parle, mais on n’a pas les mêmes préoccupa- pour des pernand-vergelesses, volnays ou s’adapter à ce que l’on fait, pas l’inverse. »
les inscrites au Patrimoine de l’Unesco) aux tions. » A sa carte, les prix des vins s’étirent de pommards, 59 euros pour un grand cru cor- Preuve encore de la montée en puissance des
rendements contraints, les mauvaises années 6,20 euros, pour un aligoté, à 12,70 euros pour ton clos-de-la-roche. Le hautes-côtes-de-nuits « petites » appellations communales, c’est à
provoquant des récoltes moindres expliquent le clos-du-vignon, un assemblage de chardon- Les Millottes, une belle production en rouge Irancy (300 âmes) qu’a eu lieu, en 2016, la
tout autant qu’un marché spéculatif une nay et de pinot blanc, frais et fleuri. comme en blanc, s’achète moins de 10 euros, grande fête viticole de Bourgogne de la Confré-
relative flambée des prix. « Les grands crus de quoi séduire une clientèle qui cherche à rie des tastevins, la Saint-Vincent « tournante ».
sont devenus inaccessibles, confirme Pierre acquérir un bon bourgogne sans devoir hypo- Une première en soixante-dix ans ! « Les appel-
Gernelle, directeur général de la Fédération théquer sa maison. lations communales sont en pleine expansion,
des négociants-éleveurs de Grande Bourgo-
« Une bouteille Œnologue et conseillère des quelque 87 ex- comme marsannay, viré-clessé, saint-véran,
gne (FNEGB). Je me rappelle pourtant que, dans ploitants adhérents de la coopérative, Béren- irancy. Certaines, comme pouilly-fuissé, deman-
les années 1950, il y avait une recette de coq au
qui coûte 80 euros est- gère Jeannin dresse un constat identique. dent à revoir le classement des premiers crus
vin réalisée avec du gevrey-chambertin, ce qui « Nous avons les mêmes conditions climatiques, pour en bénéficier. D’autres régionales espèrent
serait impossible aujourd’hui. »
elle dix fois meilleure le même cahier des charges, les mêmes contrain- obtenir une appellation “village”, comme à
Et pour cause : le prix de cette appellation tes des appellations, mais pas les mêmes problè- Vézelay, et on s’apprête à lancer une nouvelle
communale (du nom du village, comme pom-
qu’une autre à 8 euros ? » mes que les grands noms », énonce-t-elle. Alors appellation régionale, le bourgogne-côte-d’or »,
mard, nuits-saint-georges, vosne-romanée, nicolas thevenot que les maisons de prestige surveillent leurs détaille Pierre Gernelle. Mais, selon lui, la Bour-
aloxe-corton…) peut varier de 20 à 200 euros. directeur de l’organisme de défense « surprix », Bérengère Jeannin voudrait que les gogne doit surtout éviter le yo-yo des prix, et
Dans les restaurants, le problème est le même. et de gestion des hautes-côtes-de-nuits tarifs des vins de la cave soient légèrement aug- peaufiner l’image d’une qualité… accessible. p
De nombreux sommeliers hésitent à propo- et hautes-côtes-de-beaune mentés : « Les anciens sont réfractaires, ils veu- rémi barroux
4 | 0123 des vins
Aubert de Villaine, gardien
du temple romanée-conti
portrait | Le vigneron veille sur la bonne fortune du plus prestigieux et du plus cher des grands crus de Bourgogne
vosne-romanée (côte-d’or)
- envoyées spéciales
R
ue du Temps-Perdu : l’his-
toire commence là, depuis
cette ruelle qui s’échappe de
l’église romane de Vosne-
Romanée et qui mène au
cœur des plus fameux
grands crus de Bourgogne : Echezeaux,
Grands Echezeaux, La Tâche, Riche-
bourg… Là, une croix indique le plus
mythique de ces vins : la romanée-conti.
Cette parcelle d’à peine 1,80 hectare, dont
la réputation est inversement propor-
tionnelle à la petite taille, produit chaque
année de 4 000 à 6 000 bouteilles. Autre-
ment dit… trois fois rien. Sauf que cha-
cune d’entre elles vaut plusieurs milliers
d’euros. Et le prix n’est qu’un des facteurs
qui ont fait de ce rouge bien plus qu’un
vin, un phénomène.
A l’évocation de son seul nom, en Amé-
rique, en Australie, partout dans le
monde, les amateurs se pâment. A tel
point que le Domaine de la Romanée-
Conti (DRC), dont les bâtiments sont
répartis dans quelques rues du village, se
fait le plus discret possible. A peine si on
s’est aperçu qu’on est passé devant sa
cuverie ou ses bureaux. Rares sont les
visiteurs acceptés à y pénétrer. Face au
désir planétaire, voire aux dérives de la
passion, le repli de la maison est proche
du recueillement.
Intransigeant et perfectionniste
Il est vrai qu’un Russe a été condamné,
le 15 mai, à quatre ans de prison par le tri-
bunal correctionnel de Dijon pour avoir
tenté d’écouler 400 fausses bouteilles de
romanée-conti. Ce faussaire n’est pas le
premier à essayer de profiter de la crédu-
lité de ceux qui rêvent de pouvoir, eux
aussi, acquérir un cru inaccessible. Sans
doute pas le dernier, non plus. L’argent
crée des convoitises, favorise les coups
fourrés. Experte en vins pour la maison
de vente aux enchères Artcurial, Laurie
Matheson explique : « En 2017, un très
grand millésime comme 1990 trouve ac-
quéreur à 10 500 euros la bouteille. Pour
une année moins prestigieuse, comme
1984, comptez 6 500 euros. C’était environ
dix fois moins il y a vingt ans, et les esti-
mations continuent de s’envoler. » Ache-
tée directement au domaine, une roma-
née-conti est un peu moins exorbitante,
autour de 2 000 euros, mais en fait le prix
exact est difficile à connaître. Et puis, il
ne suffit pas de toquer à la porte, ché-
quier en main, pour être servi. Les tarifs,
imprimés sur une simple feuille A4, sont
réservés aux clients fidèles.
Le maître des lieux s’appelle Aubert de
Villaine, cogérant avec Henry-Frédéric
Roch depuis des décennies. Quand on lui
parle argent, il change de sujet : « Le prix
d’une bouteille ? Très sincèrement, je n’en
UN VIN SOURCE D’INSPIRATION
« Je serai monogame,/
Pour ne pas devoir partager,/
Et j’voudrais pas crever,/
Avant d’l’avoir goûtée/(…)
Dites que je veux bien ramper,/
Pour la plus petite lampée,/
De romanée, de romanée… »
ANNE SYLVESTRE, chanson
La Romanée-conti, sur l’album
Les Pierres dans mon jardin
(Barclay, 1973)
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
sais rien. Et puis, je pense qu’il ne faut pas
en parler. Nous voulons faire des grands
vins avec une certaine philosophie. Ce
qu’il se passe dans la vigne et le chai n’a
rien à voir avec le prix. »
Ce qu’il s’y passe a tout à voir avec la
vénération que lui portent les amoureux
du vin. La romanée-conti réunit ce que le
terroir a de magique, ce que le vin a de
divin, ce que la Bourgogne tout entière a
d’exceptionnel. On exagère ? Non, pas
quand on a eu la chance d’y goûter une
seule fois. Sa renommée remonte à plu-
sieurs siècles sans que personne ne sache
bien pourquoi ni comment. La légendaire
parcelle serait née, au XIIe siècle, du travail
des moines bénédictins. C’est alors le
vignoble préféré d’Alix de Vergy, duchesse
de Bourgogne. En 1584, il est baptisé Cros
de clous. Depuis cette date, sa délimita-
tion n’a pas changé d’un pouce. Les vignes
prennent le nom de romanée en 1631.
Déjà considérées comme exceptionnel-
les, elles sont achetées, en 1760, par le
prince de Conti, à prix d’or et au nez d’une
Mme de Pompadour furieuse. Ce n’est
qu’en 1793, lorsque les révolutionnaires
les mettent en vente comme bien natio-
nal, que les vignes acquièrent leur nom
définitif : romanée-conti.
Aubert de Villaine est assimilé à la
légende de ce vin. Dans le monde entier,
le copropriétaire de la Romanée-Conti
incarne la figure du vigneron intransi-
geant et perfectionniste. Sans lui, sans
doute, n’auraient pas été inscrits aussi
vite au Patrimoine mondial de l’Unesco
les « climats » de Bourgogne, ces lieux-
dits tels la Romanée sur lesquels on
cultive la vigne. Ce qui ne l’empêche pas
de porter en bannière son humilité face
au terroir : « Le vigneron ne peut agir sur la
météo ni sur les astres. Il lui reste le sol, la
vigne, la vinification. J’essaie dans tous les
détails d’être le plus respectueux possible,
d’apporter au sol ce dont il a besoin, en
même temps, le laisser vivre et produire les
nutriments qui feront un raisin qui don-
nera, on l’espère, au vin son caractère. »
Ses vignes, âgées en moyenne de cin-
quante ans, ont été parmi les premières à
être cultivées en biologie (1985) dans la
région, puis en biodynamie (à partir de
2006). Aubert de Villaine a joué les pré-
curseurs. « Tant mieux, si on permet à tout
le monde d’avancer, se réjouit le vigneron.
Je n’y pense pas tous les jours. La seule
chose qui m’intéresse est de progresser.
Aujourd’hui, c’est au niveau du matériel
végétal que l’on fait des recherches. Depuis
trente ans, on sélectionne des plants, c’est
un travail extrêmement long. »
L’exigence se poursuit à la cuverie, où
arrivent les raisins coupés par une soixan-
taine de vendangeurs, qui ont dû assimi-
ler pas mal d’instructions concernant les
baies à prélever. Le tri des raisins est peau-
finé sur une table par quatorze person-
nes. Les baies sont plus ou moins égrap-
« Aussi violenté, dépossédé, ravagé, affaibli que fût ce « J’ai commencé par provoquer à dîner, chez
vin, il parvenait encore à susciter l’image d’une femme. moi, le traître, à quatre heures, aujourd’hui :
Depuis toutes ces années et jusqu’à la rencontre il ne se doute de rien. Là notre dessein est
avec cette bouteille, il lui était arrivé de se souvenir de lui boire au nez la bouteille de romanée
de Gunvor, mais ce n’était qu’un amas de fragments, et de lui casser le carafon sur la nuque, et, si
la lueur du squelette dansant dans les ténèbres (…). le premier coup ne le tue pas sur la place, de
Jamais il n’aurait imaginé qu’elle puisse surgir tout redoubler du carafon de la seconde bouteille. »
entière de cette bouteille. Il n’en restait qu’à peine. Il lui BEAUMARCHAIS, lettre au prince de Conti
fallait faire rouler chacune des gouttes entre ses dents. » en vue d’obtenir deux bouteilles de son vin,
TAKESHI KAIKÔ, Romanée-conti 1935, en 1775 (publiée dans La Revue des deux
(Philippe Picquier Poche, 2017) mondes, en 1853)
0123
JEUDI 15 JUIN 2017 0123 des vins |5

« A la question : “La plante, l’arbre « [Dégustation d’une romanée-conti « [Ouverture d’une romanée-conti 1900.]
ou l’animal dans lequel vous aimeriez 1940.] Si on le goûtait ? – Je suis dans A présent, silence total autour de la table.
être réincarné ?”, ma réponse : “Dans l’obscurité… Mais quelque chose (…) Je le fis tournoyer sous mon nez,
un cep de la romanée-conti.” A mes s’approche… Il y a bel et bien un “sens” attentif à la moindre fragrance suspecte. Lui
yeux, à ma bouche, à mon palais, au fait de me tenir ici. C’est l’aube. aussi exhalait un parfum vanillé et comme
à mon cœur, la romanée-conti est le Un ciel orange, qui semble flamboyer. truffé à la fois. Tout le monde attendait
meilleur vin du monde. C’est un choix, Ooh… Apparaissant, illuminée par la sentence. “Il n’est pas bouchonné, dis-je,
j’en conviens, peu original. Mais la lumière de l’aube, cette silhouette soulagé. (…) Il a encore bien du jarret,
comment résister aux mythes quand géante d’une montagne… sans brutalité, et n’a besoin de personne
ils perdurent dans le sublime ? » C’est le mont Fuji ! » pour vous câliner les muqueuses.” »
BERNARD PIVOT Dictionnaire amoureux TADASHI AGI ET SHŪ OKIMOTO, Les Gouttes PIERRE PERRET, Ma vie en vin
du vin (Plon, 2006) de Dieu (tome 27, Glénat, 2013) (Le Cherche-Midi, 2016)

pées selon leur caractère. La vinification
dépend du millésime. A écouter Aubert
de Villaine, le vin naît naturellement.
Aucune levure n’est ajoutée à la fermenta-
tion. Le chef du domaine s’amuse de la
sacralisation qui en est faite : « A un
moment, un laboratoire vendait des levu-
res “romanée-conti” après en avoir prélevé
sur nos raisins et les avoir développées.
Mais cela n’a aucun sens, car elles chan-
gent chaque année. Car elles sont fabri-
quées par le terroir. On ne les analyse pas. »
Aubert de Villaine Le domaine dans son ensemble fait
dans ses vignes, 25,5 hectares, et il produit plusieurs vins,
à Vosnes-Romanée travaillés avec le même soin, qui, si bons
(Côte-d’Or). soient-ils, ne suscitent pas le même
JEFF PACHOUD/AFP émerveillement que la romanée-conti.
Pour Aubert de Villaine, l’explication se
trouve toujours à la vigne. C’est le terroir
qui parle : « On est
capable de dire très
précisément en quoi
le sol de la romanée-
conti est très différent
de ses voisins. Mais
la seule chose qui
soit intéressante, c’est
qu’année après année,
à partir d’un sol qu’on
essaie de respecter,
avec un cépage qu’on
essaie d’affiner, à tra-
vers les millésimes, on
puisse exprimer une
personnalité. Mais il
est impossible de
définir tout cela de
manière très précise.
C’est la magie de cette
affaire-là ! »
Comment décrire
ce vin ? Certains,
Aubert de Villaine en
tête, évoquent un
arôme très particu-
lier de rose fanée.
François Audouze,
collectionneur
vins anciens, perçoit
« un mariage de rose et de sel, surtout
pour les vieilles bouteilles ». Il ajoute : « La
La croix de pierre romanée-conti est d’un romantisme
qui marque l’entrée absolu, intégral, tout en finesse et en sug-
du vignoble gestion. Pour l’entendre, il faut l’écouter. »
de la romanée-conti. La fascination va largement au-delà du
PHILIPPE ROY/AURIMAGES goût. Pierre Bérot, directeur du groupe
Taillevent (restaurants et caves), qu’il
s’apprête à quitter, se souvient de visages
exaltés : « Aux caves Taillevent, nous
avons des clients qui demandent juste à
voir les bouteilles. Rien que le flacon a le
pouvoir de les mettre en arrêt. Ce vin fait
basculer dans une autre dimension, hors
de toute rationalité. » C’est sans doute
cette folie qui a conduit un sommelier
brésilien, de passage en Bourgogne il y a
quelques semaines, à escalader la croix
sculptée du domaine et à en publier la
photo sur Internet. Les adorateurs du cru
y ont vu un manque de respect, l’homme
a pris une volée de bois vert et a retiré sa
photo des réseaux sociaux. Aubert de
Villaine reste philosophe : « C’est vrai-
ment ridicule. Drôle d’époque… »
Le sport préféré des amateurs reste d’en
parler. « Le nombre de conneries que je
peux entendre à son sujet, c’est fou !,
confie François Audouze. C’est le vin qui
fait le plus parler sans l’avoir bu. Un type
m’a affirmé un jour avoir goûté 1946, 47 et
48… mais ces deux derniers millésimes
n’existent pas ! Romanée-Conti avait arra-
ché ses vignes à la suite du phylloxéra ! »
Le parcours du combattant
Sur Internet, allez consulter le site
La Passion du vin : la discussion « Roma-
née-conti » comporte plus de deux mille
messages ! Beaucoup racontent, le cla-
vier rêveur, leur souvenir de dégustation.
De vrais poèmes. D’autres demandent
comment acquérir une bouteille. Une
blogueuse en a même fait un post, inti-
tulé : « Boire un jour la romanée-conti : le
parcours du combattant ! » Vingt pour-
cent des bouteilles sont vendus en
France, principalement à des restaurants
ou des cavistes. Seuls 250 à 300 particu-
liers peuvent les acheter à la propriété,
heureux allocataires, comme on les
appelle, derrières lesquels une longue
liste d’attente piaffe d’impatience.
Pour contenter le plus de personnes
possible, le domaine a mis en place un
système de vente unique : le panachage.
Pour toute commande d’une romanée-
conti, il faut acheter une caisse de douze
bouteilles. Parmi celles-ci, une seule
concerne le précieux cru, le reste est un
mélange des autres appellations du
domaine. « On a modifié ce système
en 1992, précise Aubert de Villaine. Je
trouvais que les crus autres que la roma-
née-conti disparaissaient derrière elle.
Nous contingentons toujours nos clients
sur cette bouteille – nous n’avons pas le
de choix. En revanche, La Tâche, Richebourg
ou autres, sont libres à la vente, dans la
mesure où il y en a, bien sûr. »
Au Taillevent, la caisse panachée avec
la fameuse « DRC » est de rigueur. « On
reçoit à peu près trois caisses, explique
Pierre Bérot. On a la facture en amont,
donc, on sait ce qu’il y aura dedans, mais
on ne choisit pas le contenu et c’est le seul
domaine bourguignon pour lequel on
paie avant d’avoir reçu les bouteilles. » Le
groupe propose les bouteilles au détail,
au restaurant ou à la cave. « On parle de
vins à plus de 10 000 euros la bouteille.
Cela nous coupe quasi systématiquement
de la clientèle française. Exceptées les
deux dernières conti, achetées par deux
frères, la plupart des acheteurs sont
étrangers, très souvent chinois. Sur les
vins moins chers du domaine, on
retrouve plus de clients français. » Un
point commun à tous : « Ils n’achètent
pas ça par défaut ou par hasard. Ce sont
clairement des clients qui viennent spéci-
fiquement pour ces vins. »
Pour un investisseur, il existe un autre
circuit : la revente. Aubert de Villaine n’est
pas à l’aise pour évoquer ce marché gris :
« C’est un sujet qui me dérange, parce que
c’est une chose dont on ne veut pas. » Déjà,
toute commande de dix caisses est écar-
tée. « On considère qu’un particulier ne
boit pas plus d’une ou deux caisses par
an. » Surtout, le vigneron a développé un
système de contrôle de chaque bouteille,
depuis le domaine jusqu’à la cave de
l’amateur : « On fait signer à chaque ache-
teur un engagement à ne pas revendre les
vins achetés sur le domaine. » Autant dire
que celui qui est pris la main dans le sac
est rayé des listes. Comment se fait-il pin-
cer ? Chaque bouteille possède un
numéro de série et le domaine sait à quel
client elle a été vendue. Gare à lui si un
millésime récent se retrouve en vente.
« Nous avons une peur : qu’Aubert de Vil-
laine nous appelle un jour pour regarder
les numéros des lots que nous proposons
à la vente », confie le responsable d’un
site de ventes aux enchères, qui préfère
rester anonyme. Laurie Matheson, de la
maison d’enchères Artcurial, ajoute :
« Avant une vente, nous faisons une expo-
sition publique des photos des bouteilles,
mais nous floutons les numéros afin de
respecter l’anonymat des vendeurs. Cer-
tains ont peur de perdre leur allocation de
romanée-conti. Ils nous interrogent à ce
sujet, mais on ne peut pas leur répondre. »
La remarque agace Aubert de Villaine :
« C’est nous qui avons toutes les raisons de
craindre ce marché gris ! On aimerait que
notre vin soit conservé en cave chez un
client et bu par lui, et non qu’il s’échange
comme une marchandise. Quelqu’un qui
aura acheté du 2014 au mois de mars et qui
l’aura vendu au mois de juillet ne comptait
clairement pas le boire. Dès lors, il est rayé
de notre liste d’allocataires. » Mais Artcu-
rial relativise ce marché parallèle, qui
concerne surtout des millésimes anciens
et des revendeurs qui n’ont pas le profil
d’un spéculateur : « On a affaire, pour 99 %,
à des particuliers qui vendent pour des rai-
sons de succession, de retraite, de change-
ment de vie… Des veuves se séparent de la
cave de leur mari et c’est un crève-cœur. »
Un père de famille a vendu une bouteille
pour financer les études de sa fille. Et puis,
beaucoup rechignent à ouvrir une bou-
teille d’une valeur de 5 000 euros…
Un tel produit attire aussi les faux. Les
experts rappellent souvent, sourire aux
lèvres, une contrefaçon chinoise, gros-
sière jusqu’au ridicule, avec une étiquette
indiquant « Romanée-Conti, appellation
coteaux-du-languedoc, vin blanc sec ». Il
existe de nombreuses fausses romanée-
conti en circulation. Qui se retrouvent
parfois entre les mains du principal
concerné ! Aubert de Villaine se souvient
avec amusement d’une bouteille de 1947,
millésime jamais produit, qu’on lui a pré-
sentée à Dallas en 1970. « Ce qui était
ennuyeux, c’est que le type qui l’avait
acquise était très content avec ce vin et
n’avait pas envie d’attaquer en justice
celui qui le lui avait vendu. »
Le plus célèbre faussaire de belles bou-
teilles du XXe siècle, l’Américain d’origine
chinoise Rudy Kurniawan, est arrêté
en 2012 au terme d’une enquête digne
d’un roman policier. Parmi les bouteilles
contrefaites, des romanée-conti. Il était
du reste surnommé « Docteur Conti », du
fait de sa connaissance pointue de ce vin.
Après une visite du FBI à Vosne-Roma-
née, Aubert de Villaine a témoigné au
procès qui a eu lieu à New York. « C’était
impressionnant, car il y avait sur une
table trois ou quatre mille étiquettes de
romanée-conti, bien vieillies, qui avaient
été saisies lors d’une perquisition chez le
faussaire. Je n’en avais jamais vu autant ! »
Casser les bouteilles
Pour le gérant, une des façons de limi-
ter les arnaques est de casser toute bou-
teille bue. Mais au restaurant Taillevent,
cette belle idée se brise sur la réalité :
« C’est trop difficile de dire à un client qui a
bu un flacon sublime, dont le prix est simi-
laire à celui d’une petite voiture, qu’il ne
peut pas emporter la bouteille. » On
trouve sur eBay des bouteilles de roma-
née-conti vides proposées pour une
centaine d’euros…
Difficile donc d’imaginer, que pendant
les trois quarts du XXe siècle, le Domaine
de la Romanée-Conti… perdait de l’ar-
gent. Le phylloxéra, à partir de 1880, la
première guerre mondiale, la crise de
1929, puis la seconde guerre mondiale
ont fait s’effondrer les vins de Bourgo-
gne. Aubert de Villaine raconte : « Les
propriétaires gagnaient leur vie autre-
ment. Par exemple, mon grand-père fai-
sait vivre le domaine grâce aux fermes
qu’il possédait dans l’Allier. Le premier
bénéfice date de 1972 ! »
A 78 ans, sans enfants, Aubert de Vil-
laine fera, à l’automne, sa cinquante et
unième vendange. Prendre sa retraite ?
« C’est très difficile, confie-t-il. Parce que
chaque année, on fait des choses qui s’affi-
nent un peu plus. Va-t-on enfanter un
enfant encore plus beau ? A la Romanée-
Conti, je partage la gérance avec Henry-
Frédéric Roch et, quand je m’en irai, c’est
lui qui s’en occupera, avec mon neveu, Ber-
trand de Villaine. Mais je suis encore là. »
Au terme de notre entretien, Aubert de
Villaine se sert une goutte de romanée
saint-vivant, l’un des autres crus du do-
maine. C’est le fond de la bouteille
ouverte au déjeuner et le verre est som-
bre de dépôt. « C’est ce qu’il y a de
meilleur », se justifie le vigneron qui boit
d’un trait jusqu’à la lie. p
laure gasparotto et ophélie neiman

« La romanée-conti est une sphinge, « Sens-moi ce parfum ! « La romanée-conti rassemble. Bien malin – ou
une énigme vivante. Dieu a-t-il Respire ce bouquet ! Goûte-le ! menteur – celui qui distingue. Chacune des composan-
lors de la Création piqué ici le cadastre Bois-le. Mais n’essaie jamais tes est trop intimement liée aux autres. On passe de
viticole de son épingle sacrée ? (…) de le décrire ! Impossible l’une à l’autre insensiblement, les barrières des frontiè-
Elle est un conte de fées appartenant de rendre compte d’un tel res sont levées. On qualifie la romanée-conti de “vin
au patrimoine universel, où la bergère délice avec des mots ! complexe”. A l’évidence. Mais qu’est-ce que la com-
devenue vigneronne rencontre Boire une romanée-conti plexité sans l’union ? Et qu’est-ce que la diversité sans
le prince charmant et devient mère équivaut à éprouver l’équilibre ? Les autres vins s’épuisent, même les plus
d’un roi. » un orgasme à la fois dans riches. Il arrive un moment où l’on arrive au bout des
JEAN-FRANÇOIS BAZIN, La Romanée- la bouche et dans le nez. » saveurs. Fin du parcours. La romanée-conti poursuit. »
Conti. Le Grand Bernard des vins ROALD DAHL, Mon oncle Oswald, ÉRIK ORSENNA, L’Avenir de l’eau. Petit précis de
de France (Jacques Legrand, 1994) (Gallimard, 1981) mondialisation (tome 2, Le Livre de poche, 2015)
6 | 0123 des vins
Le Bordelais corrige son image
Le salon Vinexpo et la Fête de la fleur sont des temps forts de juin. Mais Bordeaux s’ouvre au monde de bien d’autres façons
La Fête de la fleur est organisée les années paires à Bordeaux et les années impaires dans une grande propriété viticole, comme ici en 2007. RODOLPHE ESCHER/DIVERGENCE
bordeaux - envoyée spéciale
A
quelques jours de la Fête
de la fleur, Séverine
Bonnie court partout. Le
Château Malartic-Lagra-
vière, à Léognan, aux
portes de Bordeaux,
qu’elle gère avec son mari et sa belle-fa-
mille, s’apprête à donner la plus grosse
réception de son histoire : 1 500 invités,
150 tables, 15 000 verres, près de
3 000 bouteilles de grands vins. Une
gigantesque tente de 2 250 mètres carrés
a été dressée au milieu des vignes. « La
même que celles des garden-parties de
l’Elysée », se réjouit la jeune femme. Le
menu sera piloté par le chef trois étoiles
Yannick Alléno et le traiteur bordelais
Monblanc. Il a fallu arracher quelques
rangs de vignes pour que tout tienne.
« On avait prévu de remplacer ces vignes,
ça a été l’occasion », s’excuse presque
Séverine Bonnie.
C’est que tout doit être parfait, le 21 juin.
La Fête de la fleur est une célébration
annuelle de la fleur de vigne, qui annonce
la récolte de septembre. Smoking et
nœud-pap’ sont de rigueur pour les hom-
mes, robe longue et talons pour les
dames. Diplomates, personnalités politi-
ques et culturelles figurent parmi les invi-
tés. Mais, surtout, il y aura à table des
acheteurs de vins venus du monde entier.
« La pression est immense : ce sont les
20 ans du château et, plus encore, c’est
l’image de Bordeaux qui est en jeu ! »
« La publicité fait de la bouteille une star »
F
lorentine Mähler-Besse,
sémiologue du vin, analyse
les publicités pour le vin
de Bordeaux.
Quels sont les codes employés
dans les publicités pour
les châteaux du Bordelais ?
Beaucoup utilisent un fond noir
et des couleurs chaudes. Le noir
véhicule le chic urbain et la tradi-
tion, de la petite robe noire au cos-
tume ecclésiastique. Sinon, la mise
en scène est simple avec une bou-
teille en entier, totalement starifiée.
Le message envoyé est presque
divin : le vin s’impose au lecteur.
Bordeaux, justement, enviée de tous,
conquérante avec ses 800 millions de
bouteilles commercialisées par an, s’ex-
prime bien là : dans ces personnalités élé-
gantes venues de toute la planète, dans ce
vin qui s’exporte partout, dans ces châ-
teaux que l’on reproduit en Chine, quasi-
ment à l’identique. Une carte postale qui
fonctionne : à l’autre bout du globe, on
connaît Bordeaux par ses vignes sans for-
cément savoir que c’est aussi une ville.
Derrière cette image dorée, parfois
bling-bling, la réalité est plus complexe.
Alors que le prix de certains grands crus
dépasse 500 euros le flacon, celui de
97 % des bouteilles produites dans la
région se situe entre 3 et 10 euros, recadre
Christophe Château, directeur de la com-
munication du Conseil interprofession-
nel des vins de Bordeaux (CIVB). « Mais les
grands crus sont des locomotives formida-
bles qui tirent tous nos vins vers le haut. Ils
représentent 3 % du volume, mais plus de
45 % de notre image. Grâce à eux, nous ven-
dons 80 millions de bouteilles en Chine,
notre premier marché à l’export. »
Figure de proue
L’exportation est dans l’ADN du bor-
deaux. « Ce vin est une création anglaise
qui doit tout à l’histoire », rappelle Phi-
lippe Roudier, professeur de géographie.
Au XIIe siècle, le mariage d’Aliénor d’Aqui-
taine avec le roi d’Angleterre offre aux
Anglais un accès direct à la région. « Ils
ont besoin de vin, et celui-ci voyage mieux
par voie d’eau. Un grand commerce des
Est-ce différent dans les autres
régions ?
C’est très différent. La Champagne
est la région dont les publicités
sont les plus proches de celles
du Bordelais, mais avec des couleurs
plus claires et douces. A l’opposé,
le Languedoc met en avant la culture,
les vignes, le vignoble dans lesquels
le vin est intégré. Ce côté nature, bio,
pur, est rarement visible dans les
publicités pour le bordeaux. Marier
le divin et le naturel n’est pas facile.
Mais cela change : la dernière campa-
gne du Conseil interprofessionnel
du vin de Bordeaux est très colorée,
il y a même une publicité bleue, avec
vins d’Aquitaine par le port de Bordeaux
s’installe. Il va durer trois siècles et sera le
plus volumineux des trafics médiévaux !
Ce “new french claret” arrive en quinze
jours, il est frais et bon. Comme les Anglais
sont commerçants, ils le redistribuent
autour de la mer du Nord et de la Baltique.
Les flottes partent de Bordeaux par 200 à
300 navires. » La marine britannique est
ensuite remplacée par la hollandaise.
Quand le chemin de fer arrive, en 1820, la
réputation ne se démentira pas.
Aujourd’hui, Bordeaux sait faire parler
d’elle à travers plusieurs événements qui
ponctuent l’année. Point d’orgue : les Pri-
meurs, en avril, qui rassemblent dans la
région ce que la planète compte d’ache-
teurs, de négociants, de dégustateurs.
Cette attraction, confidentielle il y a qua-
rante ans, est devenue incontournable.
Pour Michel Rolland, œnologue bordelais
et consultant international en vins, acteur
et témoin des Primeurs, c’est même « la
grand-messe, la possibilité de déguster plus
de vins qu’on n’en a jamais l’occasion. Le
monde entier est là, vous pouvez observer,
faire des rencontres déterminantes. Et ça
n’existe dans aucun autre vignoble ! Cette
réunion donne le ton à la saison du vin. »
Si les Primeurs donnent le la, Vinexpo
sonne comme le la dièse. Une année sur
deux, à la mi-juin, la foule des acheteurs,
importateurs, distributeurs, journalistes
du « Mondovino » débarque à nouveau.
La 19e édition se tient du 18 au 21 juin et
attend 48 000 visiteurs de 150 pays. A
Vinexpo, toutefois, ce ne sont pas les
des bouteilles-papillons, qui joue sur
la légèreté et le naturel. C’est complè-
tement nouveau à Bordeaux !
Quels sont les mots utilisés ?
Dans les articles et sur les blogs
consacrés au bordeaux, des mots res-
sortent fortement : euro – le prix est
souvent donné –, marché et… Chinois.
Comme pour les images, il faut pren-
dre ce vocabulaire comme un imagi-
naire autour de ce vin. Enfin, il y a
un mot qui est presque un mythe :
château. Ça veut tout dire : on imagine
des princes et des princesses. Dans
l’inconscient, cela joue beaucoup. p
propos recueillis par o. n.
seuls vins de Bordeaux qui sont à l’hon-
neur. Chaque producteur peut, moyen-
nant loyer, y tenir un stand et sur les
2 300 inscrits à l’édition 2017, la moitié
sont étrangers. Mais c’est bien la ville de
Bordeaux, ses hôtels et restaurants, ses
vignobles alentour qui sont à la fête
– d’ailleurs, la Fête de la fleur clôt ces
journées. Et même si Vinexpo se décline
désormais à Hongkong, Tokyo et New
York, l’an prochain, son directeur
Guillaume Deglise l’assure : « Bordeaux
reste le vaisseau amiral de la marque. »
Mais pourquoi, alors qu’il existe
d’autres vignobles d’exception (au
hasard, la Bourgogne), Bordeaux reste-
t-il la figure de proue du vin ? « Pour deux
raisons, explique Michel Rolland. C’est la
région qui possède le plus de grands crus
capables de faire de grands volumes. La
Bourgogne ne peut pas, avec tous ses
grands crus, produire la quantité d’un seul
grand cru de Bordeaux. La visibilité n’est
donc pas comparable. Ensuite, toutes les
nouvelles techniques œnologiques sont
sorties de la faculté de Bordeaux, à travers
des noms qui ont contribué au renouvelle-
ment de la façon de faire le vin. »
Pourtant, la machine s’est un peu
enrayée. Depuis 2010, une expression a
prospéré : le « bordeaux bashing ». Pour
Michel Rolland, c’est presque un faux
problème : « Quand vous êtes le meilleur,
les autres passent leur temps à dire qu’ils
peuvent faire aussi bien. » Tout juste
admet-il « une forme d’arrogance, sans
avoir forcément la qualité d’accueil des
autres régions ». Un euphémisme quand
on sait que la Gironde est à la traîne en
œnotourisme et que de nombreux châ-
teaux sont fermés aux particuliers et à la
vente directe. A force de vendre ailleurs,
le bordeaux s’est coupé de ses racines. En
France, nombreux sont les amateurs qui
avouent s’être désintéressés de ce vin.
Pour Arnaud Daphy, consultant en
marketing de l’agence Sowine, deux pro-
fils différents alimentent le « bordeaux
bashing » : « Des consommateurs disent :
“Avant, je pouvais me payer les grands
châteaux.” Les prix ont tellement aug-
menté qu’ils se sentent déclassés. Ce qui
génère un rejet. Et ils n’ont pas l’envie de
découvrir des bordeaux moins presti-
gieux. » Le second profil regroupe les
amateurs de vins naturels et rebelles, à
l’opposé de l’image des bordeaux. De fait,
sur les cartes de nombreux restaurants
en vogue, comme Saturne, Septime ou
Le Chateaubriand à Paris, les vins natu-
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
rels sont très présents, alors que les bor-
deaux sont absents ou réduits à la por-
tion congrue. « Il n’y a pratiquement pas
de vins naturels à Bordeaux », nous glisse-
t-on dans l’un d’eux.
Dans l’esprit des amateurs, Bordeaux et
le bio, ça fait deux. Un divorce qui fait
tache à l’heure où le logo « AB » est un des
meilleurs arguments de vente. Mais là
encore, l’image est trompeuse. Les surfa-
ces certifiées bio et en conversion cou-
vrent 7 % du vignoble bordelais, à peine
en dessous de la moyenne nationale
(8,7 %). Mais la région a du mal à mettre
ce point en avant, et ce ne sont pas les
grands châteaux, dont la communica-
tion est axée sur la starification de la
bouteille, qui inversent la tendance.
Volonté d’ouverture
Christophe Château rappelle néan-
moins la campagne mise en place au CIVB
depuis 2014 : « Notre slogan est : “Il y a tant
à découvrir”. Il existe des grands vins et des
gammes intermédiaires. Les bordeaux ne
sont pas que pour les gens âgés et très chics
mais pour tous. D’ailleurs, on observe un
très fort développement du rosé et du cré-
mant. » Avec le festival annuel Bordeaux
fête le vin, le syndicat tient aussi à mon-
trer que 95 % des domaines sont tenus par
des familles passionnées et de jeunes
vignerons, loin des groupes financiers ou
industriels qui ont acheté de grands noms
et ont su le faire savoir.
Autre preuve de cette volonté d’ouver-
ture : la Cité du vin, inaugurée en 2016, à
Bordeaux, ouverte à tous les vignobles
de la planète, et qui connaît le succès.
« Elle contribue à changer l’image de nos
vins parce qu’elle les intègre au reste du
monde, loin de notre réputation d’arro-
gance », explique Laurence Chesneau-
Dupin, directrice de la culture à la Cité.
« D’ailleurs, le bâtiment a été financé par
des acteurs régionaux. »
Bordeaux qui s’ouvre au monde, l’exis-
tence même de bars comme Vins urbains
en témoigne. Sur la carte de cet établisse-
ment de la vieille ville, 70 % des bouteilles
proviennent d’autres régions. Impensa-
ble il y a dix ans. « J’avais adopté le même
concept dans un très joli bistrot, raconte
son propriétaire Jan Bussiere. Mais j’avais
beaucoup de mal à vendre autre chose que
du bordeaux. Aujourd’hui, les amateurs
pensent moins en termes de région qu’en
termes de bon vin. »
« La Cité du vin intègre
nos vins au reste
du monde, loin
de notre réputation
d’arrogance »
laurence chesneau-dupin
directrice de la culture de la Cité
N’allons pas jusqu’à dire que Bordeaux
s’encanaille. Dans le monde des consul-
tants en vin, Olivier Dauga détonne en-
core, avec ses vestes colorées et ses chemi-
ses à motifs. « On m’a marginalisé, parce
que je n’étais pas habillé comme les autres.
Il paraît que ça m’a coûté cher. Mais je suis
heureux : avec mes gammes de vin, je
pousse la réflexion vers des goûts nou-
veaux. On me dit : ce n’est pas le profil Bor-
deaux. Mais, pourtant, c’est le terroir. Avec
plus de tension, plus de fraîcheur. Et c’est
peut-être ça, en fait, Bordeaux ! »
L’embellie vient aussi de la malchance
des autres régions, de la Bourgogne, en
particulier, où les prix s’envolent tou-
jours plus haut. Dans les restaurants
parisiens de Jean-François Piège, dont
elle est chef sommelier, Caroline Furs-
toss observe cette année une augmenta-
tion des ventes de bordeaux. « Les bour-
gognes sont de plus en plus rares et de
plus en plus chers, constate-t-elle. Cela a
contribué à relancer le bordeaux. Et quel-
ques domaines instaurent un vrai renou-
veau, avec des bouteilles au très bon rap-
port qualité-prix. C’est notre responsabi-
lité de sommeliers de regarder ailleurs que
vers les grands châteaux pour guider les
consommateurs vers des découvertes. »
Les images, si belles soient-elles, ne
valent pas un verre de bon vin. p
ophélie neiman
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
En 2017, six mille amateurs d’œnotourisme ont visité Château Dauzac. CHRISTIAN SARRAMON/HEMIS
Dauzac, le château
de la belle éveillée
Agriculture biologique, œnotourisme, marketing…
Ce grand nom de Margaux, un temps assoupi,
entre résolument dans le XXIe siècle
margaux - envoyée spéciale
P
our se réveiller, il faut d’abord s’être
endormi. Dans le vin, trop de domai-
nes clament un renouveau dans
leur production mais, curieusement,
nient farouchement qu’un état végé-
tatif l’ait précédé. Le Château Dauzac,
à Margaux, n’a pas cette coquetterie. Tout juste
Laurent Fortin, directeur général depuis 2013, a-t-il
la délicatesse d’évoquer « une belle endormie » en
parlant de son domaine, de façon à ne pas choquer
les clients de longue date.
Nous n’avons pas ces manières. Dauzac était un
château au minimum oublié, et à la production,
disons, discutable. Ce n’est plus le cas. Car il a eu la
chance, contrairement à Mon amie la rose chan-
tée par Françoise Hardy, de se réveiller jeune. Il
colle désormais à ce qu’on attend d’un grand vin
au XXIe siècle.
Sans être tape-à-l’œil, la propriété bordelaise est
tout simplement élégante. On gare sa voiture
devant la bâtisse du XIXe siècle, propre comme un
sou neuf, au pied d’un bronze de 350 kilos du
sculpteur Etienne. Deux femmes y sont représen-
tées, elles trinquent entourées d’oiseaux. Il faut
contourner le bâtiment pour découvrir l’im-
mense parc, quelques tables de pique-nique
devant une placide chartreuse médocaine du
XVIIIe. L’herbe est rasée de près par trois robots-
tondeuses qui sillonnent le pré. C’est un détail
révélateur de l’état d’esprit qui souffle désormais
sur la propriété : « Nous avons jugé que nos jardi-
niers avaient mieux à faire, sourit Laurent Fortin. Il
fallait les impliquer dans des projets plus ambitieux
et excitants. » Potager, arboretum, parcours fléché,
herbier géant se sont mis en place en une poignée
d’années. Ajoutez à cela des moutons pour entre-
tenir les pâturages, des chevaux qui fournissent
du fumier comme engrais naturel, une douzaine
de ruches. Dauzac en tire un miel millésimé,
vendu à la boutique du domaine.
Le décor, si important pour répondre aux sou-
haits des amateurs d’œnotourisme, est certes
réussi. D’ailleurs, l’an dernier, Dauzac a accueilli
six mille visiteurs. Mais il ne fait pas tout. L’image
est complétée par une couleur forte, un jaune bou-
ton d’or qui signe désormais les étiquettes des
bouteilles, la décoration intérieure, le site Inter-
net. Bref, cette couleur rare dans le vignoble est de-
venue l’emblème de la marque – son impact n’est
pas sans rappeler l’orange du champagne Veuve
Clicquot. « On a complètement revu le packaging,
reconnaît le directeur général de 49 ans. Nous
avons également mené une stratégie marketing
aussi agressive qu’innovante : communication digi-
tale, concours sur les réseaux sociaux, rencontre
avec des prescripteurs partout dans le monde : nous
avons voulu ne rien négliger. » On s’étonne qu’il
parle si librement de marketing, mot vulgaire au
royaume des grands crus. « Je vis en 2017. Voilà.
C’est ma réponse. » Il se radoucit : « Tout le monde
fait du marketing. L’époque où les grands crus ven-
daient leur vin la porte fermée est révolue. »
Sur Instagram, Dauzac est le deuxième château
bordelais en nombre d’abonnés, un peu plus de
dix mille, juste derrière Yquem. Il avait besoin de
0123 des vins |7
créer sa marque. Après avoir vécu seize ans aux
Etats-Unis, Laurent Fortin avait à cœur de relever
ce défi. A son arrivée, le château AOC margaux ne
vendait ses bouteilles qu’à un seul négociant de la
place de Bordeaux. Quatre ans plus tard, il en
compte trente-sept. Le cru, lui, est passé de
20 euros en sortie de négoce sur le millésime 2013
à 31 euros pour le millésime 2016. On le retrouve
chez les cavistes à une quarantaine d’euros.
Même à ce prix-là, le produit reste à un excellent
rapport qualité-prix. Car Dauzac n’aurait pas
connu ce réveil en fanfare sans un vin à la hauteur.
« Ce cru a vraiment dynamisé l’appellation mar-
gaux et nous en vendons beaucoup, confirme
Romain Rasser, responsable de la restauration au
Sofitel Le Miramar de Biarritz. Il a la finesse propre
à un margaux, mais aussi ce fruit en fin de bouche
qui possède une super longueur. Alors que le 2013
est un millésime souvent loupé sur Bordeaux, ce vin
s’en sort remarquablement bien. »
Le château, il est vrai, partait sur de bonnes
bases : la vigne y prospère depuis le XIIe siècle, le
nom de Dauzac est mentionné dès 1545 et intègre
le classement des crus de bordeaux de 1855. Plus
surprenant, c’est ici qu’a été testée la bouillie bor-
delaise, dans les années 1880. Ce célèbre fongicide
à base de cuivre et de chaux permit d’enrayer le
mildiou qui ravageait les vignes et il est
aujourd’hui utilisé dans la plupart des cultures
maraîchères. Mais le XXe siècle, sans être honteux,
n’a pas fait briller le château.
Méthodes naturelles et innovantes
Quand la Mutuelle d’assurance des instituteurs
de France (MAIF) rachète Dauzac, en 1988, elle en
confie la gestion aux Vignobles André Lurton.
Petit à petit, Christine Lurton-de-Caix restaure la
totalité du vignoble et inaugure un nouveau chai,
en 2004. Les efforts commencent à payer. Goûtant
un terroir
en primeur le millésime 2005, Robert Parker écrit
legendaire
dans son magazine The Wine Advocate : « Oui, c’est
le meilleur Dauzac jamais vinifié ! » Dauzac renoue
avec le savoir-faire mais, jusqu’à l’arrivée de Lau-
rent Fortin, peine avec le faire-savoir.
Le plus excitant est sans doute de dessiner le
futur. Le domaine est quasiment travaillé en agri-
culture biologique, tisanes et préparations biody-
namiques sont pulvérisées dans les vignes. Le
directeur technique, Philippe Roux, rêve même
d’engrais à base d’algues : « L’avenir est dans la pré-
servation de l’environnement avec des méthodes
naturelles et innovantes à la fois. »
Côté chai, on trouve la nouveauté la plus impres-
sionnante : des cuves en bois à doubles douelles
transparentes. Ainsi, il est possible d’observer en
direct et sur l’intégralité de la cuve les effets de la
vinification et d’agir le plus précisément possible
sur le remontage des jus. Les châteaux Talbot et
Beychevelle ont depuis adopté ce système. Ces
innovations rejailliront-elles sur le prix de la bou-
teille ? Laurent Fortin assure que non : « Nous som-
mes très attentifs à nos comptes d’exploitation. Et je
www.closdeslunes.com
voudrais éviter que Dauzac devienne un cru de spé-
culation. Il doit rester un cru de consommation, ne
pas se couper de ses amateurs. » D’ici là, on se dépê- L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
chera d’en acheter. Juste au cas où. p
o. ne.
8 | 0123 des vins 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Robert Parker, un arôme long en bouche

Le célèbre critique a quitté la scène il y a trois ans, mais son influence perdure. Et la relève reste à dominante anglo-saxonne

L
e critique de vin Robert Par-
ker a pris sa retraite en 2014
mais son aura ne faiblit pas et
il continue à faire vendre des
bouteilles. Les trente ans de
gouvernance de cet Améri-
cain sur le marché du vin, de bordeaux
en particulier, laissent encore des vibra-
tions. Il est vrai qu’aucun autre critique,
tous domaines d’activités confondus, n’a
autant influencé le public. Aussi, en 2012,
quand il a vendu son guide et son maga-
zine The Wine Advocate pour 15 millions
de dollars à Soo Hoo, un homme d’affai-
res singapourien qui a emporté le tout en
Asie, le nom Parker est resté. Trop ven-
deur pour être abandonné. Derrière la
signature, se cache désormais un aréo-
page de critiques qui travaillent dans le
monde entier.
Lorsque le premier site de vins en
France, Ventealapropriete.com, envoie à
ses abonnés son offre quotidienne
appuyée d’une note « Parker », le taux de
clics est toujours supérieur aux autres.
« On a beau faire, le nom Parker reste
hégémonique. Les gens veulent être rassu-
rés, et une bouteille validée par Parker
détend son acheteur », explique Alaric
de Portal, qui appartient au comité
d’experts du site.
Une chose ne change
pas : les critiques
influents travaillent
dans les pays où
résident les clients
les plus fortunés
The Wine Advocate fait, lui, travailler un
critique par région pour la France. La
capacité de travail du grand Bob était
telle qu’il fallait bien ça. Pour la région de
Bordeaux, l’une des plus influentes au
monde, Robert Parker avait formé Neal
Martin, l’un des meilleurs de son équipe.
Ce Britannique sillonne les routes du
Bordelais depuis plus d’une dizaine
d’années – au début, avec son mentor. Le
consommateur ne connaît par le nom de
l’héritier mais ses notes bénéficient de
l’aura de la signature Parker. En revan-
che, du côté des vignerons et du négoce,
Neal Martin impressionne moins. Cer-
tains sont déboussolés de ne plus avoir
leur repère mais d’autres sont soulagés.
Ariane Khaida, la directrice de Duclot,
plus important négociant de Bordeaux,
s’en est félicitée.
Un éclatement très net du paysage criti-
que permet aux châteaux bordelais de
communiquer sur un ensemble de
notes, et non plus sur celle du gourou. On
a pu le vérifier dans la région en avril der-
nier : la dégustation du millésime 2016 a
rendu très visible cette influence multi-
ple. Le nombre d’inscrits – négociants,
courtiers, acheteurs de la grande distri-
bution, journalistes spécialisés – a aug-
menté de 43 % par rapport à l’année pré-
cédente. C’est dire que chacun veut juger
par lui-même. Et puis, les nouveaux criti-
ques apportent de la variété, de nouvel-
les perspectives gustatives, ou plutôt, ils
accompagnent le changement du goût
des vins, plus fluide et moins confituré
qu’à l’ère Parker.
Il y a une chose qui ne change pas. La
plupart des critiques à forte influence,
chevronnés ou novices, travaillent pour
des médias anglo-saxons ou s’adressent
directement, par leur site Internet, au
public étranger. A cela deux raisons. Les
bordeaux les plus réputés et les plus chers
sont en grande partie vendus en dehors
de l’Hexagone, aux Etats-Unis, en Grande-
Bretagne, en Chine, où les consomma-
teurs fortunés ont les yeux rivés sur quel-
ques médias spécialisés. Et puis, la langue
anglaise offre aux critiques anglo-saxons
une audience internationale.
Parmi ces médias, dominent toujours
The Wine Advocate et son concurrent aux
Etats-Unis Wine Spectator, et la revue bri-
tannique Decanter. Mais sinon, depuis
que Parker n’est plus là, la critique s’épar-
pille. James Suckling, qui a travaillé long-
temps pour Wine Spectator, a créé sa pro-
pre marque. Jeb Dunnuck, ancien criti-
que labellisé « Parker » pour la région du
Rhône, vend désormais ses notes sous
son nom. Autre ancien collaborateur de
Parker, l’Italien Antonio Galloni a, pour
sa part, créé la revue en ligne Vinous.
Autre dégustateur important dans ce
nouveau paysage : James Molesworth,
qui a remplacé James Suckling au Wine
Spectator et gagne sa crédibilité grâce à
sa dégustation à l’aveugle – juger sans
voir l’étiquette (nos confrères du Point,
Jacques Dupont et Olivier Bompas, adop-
Ancienne rédactrice
pour Robert Parker,
l’experte du « Financial
Times », Jancis
Robinson (ici chez elle,
à Londres), fait partie
des quelques critiques
qui comptent.
SHUTTERSTOCK/SIPA
Et l’oracle mondial
nota les vins…
Robert Parker, 69 ans, commence
à écrire sur les vins de bordeaux
il y a près de quarante ans, à une
époque où les bouteilles ne se
vendent pas bien. Le vignoble voit
comme une aubaine cet Américain
qui invente un système de notation
sur 100, qu’il emprunte à l’Université
américaine et qui est compréhensible
par tous. C’est ainsi que cet avocat
du Maryland, dont le père ne posait
jamais une bouteille sur la table
familiale, devient l’oracle mondial
du vin grâce à un nez incomparable.
Parker fait parler de lui dans le
Bordelais en disant le plus grand bien
du millésime 1982, que les critiques
anglo-saxons en place depuis des
décennies dénigrent – c’est lui qui
a raison. Son autorité, il l’acquiert
par sa fiabilité, son intégrité (il ne
vend que ses notes, pas de publicité)
mais aussi par son immense
capacité de travail. Il se forge ainsi
une image d’indépendance auprès
des consommateurs.
L’Américain bouscule les hiérarchies
figées. Avec lui, la rive droite (saint-
émilion, pomerol) prend du galon
quand la rive gauche (châteaux
classés du médoc) est mise à mal.
Les merlots mûrs de Château Pavie,
qu’il note 100/100 à deux reprises
(en 2000 et 2003), lui valent d’être
promu parmi les premiers grands
crus classés A de saint-émilion, au
même titre que Ausone ou Cheval
Blanc. Avec une note de 98/100, un
vin peut se vendre en une nuit, sur
toutes les places du monde, trois fois
plus cher que son prix antérieur.
C’est ce qui est arrivé, par exemple,
au Smith Haut-Lafitte 2009.
tent cette méthode mais leur aura ne ment se dérider quand il a su que
dépasse pas les frontières). Il faut aussi Mme Robinson avait apprécié son dernier
compter avec les innombrables blo- millésime…
gueurs mondialisés, ou encore les appli- Mais voilà l’arrivée sur la scène d’une
cations Vivino ou WineAdvisor, qui n’en autre femme : la Coréenne Jeannie Cho
sont qu’au début de leur aventure, et Lee, installée à Hongkong, classée pre-
dont il faudra surveiller l’audience. mière aux Masters of Wine d’Asie, qui
Dans la communauté des critiques, trace son sillon d’audience à travers arti-
une femme sort du lot : la Britannique cles, conférences, livres, émissions télé-
Jancis Robinson. A 67 ans, ses notes sont visées… Sa base est la revue Decanter,
recherchées, attendues, guettées. Long- présente dans 90 pays. Surtout, l’ascen-
temps rédactrice de Robert Parker, elle a sion de Jeannie Cho Lee est doublement
pris son indépendance et imposé son exemplaire : de l’ouverture du continent
goût et son analyse. Elle s’exprime asiatique au vin, et, tout simplement, du
chaque semaine dans le Financial Times marché contemporain du vin, où l’on
et aussi sur son blog. On a vu à Bordeaux parle plus chinois qu’anglais. p
le visage d’un grand vigneron subite- laure gasparotto

La Cité du vin a gagné son pari

Avec son parcours multimédia immersif et sensoriel, le bâtiment bordelais, ouvert il y a un an, a su trouver son public

C’
était il y a un an, à Bordeaux. Le prési-
dent François Hollande et le maire Alain
Juppé inauguraient la Cité du vin. Un
bâtiment futuriste aux formes tour-
billonnantes et liquides, qu’on aime ou qu’on déteste.
On se demandait alors si cet équipement de 55 mè-
tres de haut planté au bord de la Garonne mais loin
du centre pouvait marcher. Si les Bordelais et les tou-
ristes allaient venir, et les professionnels du vin aussi.
D’autant que le lieu a pour ambition d’expliquer l’his-
toire et l’actualité de tous les vignobles de la planète,
et pas seulement du Bordelais. Le pari est réussi, au
point que cette cité argentée est devenue l’emblème
du renouveau de la ville. « Le symbole moderne de
Bordeaux », dit même son directeur, Philippe Massol.
La Cité du vin a accueilli en un an plus de
400 000 personnes venues de 145 pays. La diversité
du public dit le succès. D’autant qu’il ne s’agit pas
d’un musée. Il n’y a pas vraiment d’œuvres à admi-
rer, sauf dans les expositions temporaires. La Cité est
d’abord un très long (plus de 3 000 mètres carrés)
parcours multimédia, immersif et sensoriel, que
vous arpentez, un casque sur la tête, pour découvrir
les cultures et les civilisations du vin. Soit vingt
espaces thématiques interactifs. Vous finissez tout
en haut, sur un belvédère d’où vous admirez la vue
en dégustant un verre de vin du monde.
Si la Cité est un emblème de la ville, elle est aussi un
outil de promotion du vin. De la filière viticole bor-
delaise également – c’est logique. Les responsables de
l’institution ne le diront pas comme ça, gênés aux
entournures par la loi Evin, mais c’est un fait. La Cité
est un lieu privé, qui vit de la vente des billets et du
mécénat. Or, la majorité des mécènes qui ont aidé à
la construction du bâtiment sont issus du secteur
vini-viticole de la région. Aussi, outre des ateliers
dégustation ou une belle cave, au rez-de-chaussée, la
Cité accueille aussi régulièrement les réunions de la
filière bordelaise, et des patrons du vignoble y orga-
nisent des événements, invitent des clients, etc.
Ainsi, à l’occasion du salon Vinexpo, la Cité du vin
prévoit une nocturne exceptionnelle, dimanche
18 juin. Pour réunir la famille… p
michel guerrin
Cité du vin, 134, quai de Bacalan, Bordeaux. Tous
les jours de 9 h 30 à 19 heures. Tél. : 05-56-16-20-20.
20 € (24 € avec l’accès à l’exposition temporaire).
 Livraison des vins fin 2018 - début 2019

LES PREMIERS BORDEAUX 2016 DISPONIBLES À LA VENTE

Comme chaque année, l’intégralité des vins proposés en primeur par Millésima a été achetée directement à la propriété.

Caisse Caisse Caisse Caisse Caisse Caisse

€ HT € TTC* € HT € TTC* € HT € TTC*
Margaux _______________________ 6 bouteilles Pauillac _______________________ 12 bouteilles Saint-Emilion _________________ 6 bouteilles
Château Margaux Nous coNsulter Château Duhart-Milon 762 925 Château Angélus 2 070 2 490
Château Rauzan-Ségla Nous coNsulter Château Batailley 600 731 Château Cheval Blanc Nous coNsulter

Château Palmer 1 680 2 022 Château Lynch-Moussas 386,40 474 Château Canon Nous coNsulter
Pavillon Rouge Nous coNsulter Château La Fleur Peyrabon 260,40 323 Château Pavie Macquin Nous coNsulter

__________________________________ 12 bouteilles Château Troplong Mondot 734,40 887

Château d’Issan 655,20 797 Saint-Estèphe ________________ 6 bouteilles __________________________________ 12 bouteilles
Château Giscours 621,60 756 Château Cos d’Estournel Nous coNsulter Château La Gaffelière 655,20 797
Château Malescot St Exupéry 576 702 Château Montrose Nous coNsulter Château Fombrauge 240 299
Château Cantenac Brown 546 666 Château Calon Ségur Nous coNsulter
Château Prieuré-Lichine 432 529 __________________________________ 12 bouteilles
Château Labégorce 294 363
Château Le Boscq 282 349 Pessac-Léognan rouges ___ 6 bouteilles
Château Siran 282 349
Château Meyney 289,80 358 Château Haut-Brion 2 970 3 570
Château Ormes de Pez 300 371 Château La Mission Haut-Brion 2 322 2 792
Saint-Julien ___________________ 6 bouteilles Château Phélan Ségur 453,60 555 Château Pape Clément 492 596
Château Gruaud Larose 357,60 435 __________________________________ 12 bouteilles
__________________________________ 12 bouteilles Haut-Médoc _________________ 12 bouteilles Domaine de Chevalier 739,20 898
Château Lagrange 487,20 595 Château La Lagune 495,60 605 Château Latour-Martillac 352,80 434
Château Saint-Pierre 638,40 777 Château La Tour Carnet 291,72 361 Château Malartic-Lagravière 576 702
Château Talbot 588 716 Château Sociando-Mallet 369,60 454
Château Branaire-Ducru 552 673
Château Beychevelle 794,40 964 Bordeaux blancs secs ______ 6 bouteilles
Château Gloria 420 515
Moulis _________________________ 12 bouteilles
Pavillon Blanc Nous coNsulter
Clos du Marquis 550,80 672 Château Chasse-Spleen 302,40 373

Pauillac ________________________ 6 bouteilles Pomerol _______________________ 12 bouteilles

Château Lafite-Rothschild Nous coNsulter
Château Le Bon Pasteur 774 939
Château Mouton Rothschild Nous
Château Petit-Village 756 918
* Prix
coNsulter
€ TTC indicatif
Château Grand-Puy-Lacoste 420 510 (TVA 20% et frais de port en France métropolitaine inclus)
Château Lynch-Bages Nous coNsulter Lalande de Pomerol________ 12 bouteilles Ces prix peuvent varier en fonction de la disponibilité des vins.
Château Clerc Milon Nous coNsulter Château La Fleur de Boüard 285 353

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Ariane Bissirier, Luce Antunes & Pierre Valette ont dégusté plusieurs fois chacun des vins de notre première grande offre
primeurs. Ils seront ravis de partager avec vous leurs commentaires de dégustation et surtout de vous aider dans vos choix.
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L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. La vente d’alcool est interdite aux mineurs.
10 | 0123 des vins
Sarda-Malet
est mort,
vive Fontbonau !
Faire mourir un vin, ce n’est pas courant.
Jérôme Malet a pourtant mis fin à l’aventure
Sarda-Malet et a créé ailleurs un nouveau
domaine. Il explique pourquoi
A
rracher la vigne, mettre
fin à l’aventure d’un vin,
c’est rarissime. Surtout
quand la marque est
réputée. Jérôme Malet,
qui, depuis plus de vingt
ans, produit le Sarda-Malet à Perpignan,
en Côtes du Roussillon, est en train de
briser une chaîne de quatre générations.
Sans doute son caractère, que l’on quali-
fiera de peu commode, mélange de radi-
calité, d’orgueil et de tourments, est-il
une explication. Il confie : « Je suis un peu
torturé, et je n’attire pas la mansuétude. »
Et puis : « C’est très personnel, tout ça. » Et
enfin : « Il faudra que j’explique aux
enfants pourquoi j’arrête. »
Faisons-le pour lui. Sarda-Malet est une
propriété de 50 hectares, sur la com-
mune de Perpignan, avec un mas et des
vignes qui regardent le sud et le mont
Canigou, au bout d’un vallon bucolique
qui n’était pas facile à trouver. Un beau
terroir. Des vignes qui donnent du rive-
saltes, du rouge et un blanc.
Urbanisation galopante
Sarda-Malet est le fruit du mariage de
deux familles de vignerons qui ont
exercé d’autres métiers pour vivre. Les
arrière-grands-parents Sarda sont des
paysans-fermiers. Le grand-père pos-
sède une entreprise de transports. Le
père est grossiste en fruits et légumes,
qui va chercher les melons à Cavaillon,
les dattes au Maroc, les pamplemousses
aux Etats-Unis, les avocats en Israël,
mais sans heurter les saisons – sa mère
était la reine de l’asperge. Jérôme
Malet, lui, habite Paris où il possède
une florissante entreprise d’aménage-
ment de bureaux.
Le vin du grand-père ? « Il le faisait
comme un jardinier : de beaux raisins
La fin sans fin d’un vin jaune du Jura
A
72 ans, Jacques Puffeney,
vigneron jurassien aussi
réputé pour ses vins que
pour sa barbe digne de Charlema-
gne, organise la mise en bouteille
de son millésime 2016. Enfin, le peu
qui lui reste. Trente-cinq ares à
Montigny-lès-Arsures, soit trois fois
rien. C’est sa cinquante-cinquième
vendange. Difficile de tout lâcher.
Car il a vendu l’essentiel du domaine
de 6,3 hectares, essentiellement
planté de savagnin, un cépage à l’ori-
gine du vin jaune typique du Jura.
D’abord, Jacques Puffeney a pensé
à sa retraite. « On n’est pas éternel,
dit-il. La question a été brutale,
surtout à cause de la fiscalité. Elle est
tellement énorme, qu’elle t’arrive
comme ça au coin de la figure ! » Mais
ensuite, que faire ? Le vigneron est
mais un breuvage imbuvable », dit
Jérôme Malet. C’est le père qui fait la
révolution. Il se forme chez Petrus,
achète des parcelles, plante d’autres
cépages, introduit du blanc dans cette
région dédiée au rouge, trie le raisin à la
vigne, modernise le matériel, apprend à
vinifier. Il crée le nom actuel, en 1982,
tout comme l’étiquette Sarda-Malet.
C’est courageux de vouloir produire un
bon côtes-du-roussillon à une époque
où l’image de l’appellation est catastro-
phique. Mais les médias et les cavistes
installent sa réputation.
Quand le père décède brutalement,
en 1992, Jérôme est le seul des trois fils à
vouloir continuer. Avec Suzy, sa mère.
« Tout petit, je me baladais déjà dans les
vignes avec mon grand-père. La propriété
coule dans mes veines. Reprendre fut une
évidence. » Avant de mourir, son père lui
donne cet unique conseil : « Fais le vin
dont tu as envie. » Jérôme a 30 ans. Le vin
est bon, mais il y a autant de dettes que
de chiffre d’affaires.
Il s’occupe du vin, Suzy de la partie com-
merciale et de la presse. Il parcourt le
vignoble français pour apprendre,
invente deux vins d’assemblage, en rouge
et blanc, le Terroir Mailloles. Il joue avec
les 70 parcelles, fait passer le premier vin
de 15 francs au prix stratosphérique de
78 francs. Il arrive à équilibrer en vendant
aux cavistes. Au tournant de 2000, c’est la
plus belle période. Nouveau chai. Image
excellente. Elégance du vin, conversion
bio en 2010, certification en 2013.
Pourquoi ça dérape ? Pas simple, quand
on sait que la décision d’arrêter mûrit, à
la vitesse de l’escargot, à partir de 2007.
« Il m’a fallu sept ans pour faire mon deuil.
Tu réfléchis, tu commences par arracher
un peu, tu te fais à l’idée, tu penses acheter
une propriété ailleurs, tu en parles aux
passé par plein de questions. D’abord,
ni ses deux filles ni leurs maris
n’étaient intéressés par le métier, et
aucun n’a d’enfants. « J’ai même ima-
giné arracher ma vigne, ça aurait été
plus simple. Après tout, c’est une vigne
que j’avais plantée et c’était fini. »
Mais des amateurs réclament tou-
jours ses trésors – le matin où nous
l’avons joint, des Italiens lui passaient
commande. Vendre ? Mais à qui ? Un de
ses meilleurs amis, l’Américain Neal
Rosenthal, né la même année que lui,
quasiment le même jour d’octobre, et
qui est aussi son importateur exclusif
aux Etats-Unis depuis vingt ans, n’ima-
gine pas ne plus boire un vin jaune
qu’il commercialise comme une œuvre
d’art du patrimoine français. Il fait une
proposition. Mais le vigneron décline :
« Il lui fallait une cave, mais je veux
Jérôme Malet, à Paris, le 8 juin, avec une bouteille de Sarda-Malet collection La Carbasse. ÉRIC GARAULT POUR « LE MONDE »
proches… » Décider, aussi, de ne pas don-
ner la propriété aux enfants. « Ça n’aurait
pas été un cadeau. » Ni la vendre à un
vigneron. « Ce nom, je ne peux le trans-
mettre à un autre. »
La raison principale, c’est l’urbanisa-
tion galopante autour de la propriété.
« J’ai vu la ville me croquer. » Dans les
années 1980, les 2,5 kilomètres qui sépa-
rent le mas de la propriété de la grand-
mère, où il y a les ateliers et les bouteilles,
sont vierges. Aujourd’hui, il faut passer
devant 200 maisons, des lotissements. Et
puis, il y a eu la construction d’une
grande surface Leroy Merlin, à 200 mè-
tres. Tel Don Quichotte, Jérôme et sa
femme, Marie, se battent deux ans pour
qu’une butte cache un peu le centre com-
mercial. Mais une allée de cyprès cente-
naires est arrachée. Un avocat leur dit :
« Vous allez regarder longtemps passer les
trains ? » Sous-entendu, le combat est
perdu, le vallon sera urbanisé comme
garder la mienne, qui est au-dessous
de ma maison. Vendre uniquement
ses vignes n’est pas simple si l’acquéreur
n’a pas de local pour vinifier. »
C’est finalement un Bourguignon de
Volnay qui emporte la mise : Guillaume
d’Angerville vinifie déjà dans le Jura
au domaine de Pélican, tout près
de Montigny-lès-Arsures. Jacques
Puffeney a néanmoins cédé 70 ares à
son neveu, et 60 à un ancien ouvrier.
Voilà le gâteau enfin partagé, non sans
avoir suscité des inquiétudes. Une
grande signature du vin s’en va, mais
ses vignes offriront encore de belles
quilles. Sous un autre nom. Avec une
autre étiquette. Un autre vin, en
somme. Quant à Jacques Puffeney,
il n’est pas mécontent de ne plus
travailler qu’à mi-temps… p
laure gasparotto
« On peut produire
un très bon vin
dans un site urbanisé
mais le problème,
c’est que je n’ai plus
de plaisir à y aller »
jérôme malet
tant d’entrées de ville en France. Alors,
Jérôme Malet se fait une raison : « On
peut produire un très bon vin dans un site
urbanisé. Mais le problème, c’est que je
n’ai plus de plaisir à y aller. »
Pendant quatre ans, Jérôme Malet arra-
che la vigne et les bouteilles se raréfient.
Il conserve 6 hectares pour Eric Vidal,
son complice à Sarda-Malet. Mais, en
juillet 2015, Eric meurt, à 50 ans, d’une
crise cardiaque. En septembre, le proprié-
taire ne cueille pas le raisin. D’autres
vignerons n’en veulent pas, alors il laisse
pourrir les grappes. Il confie la terre sur
laquelle la vigne a été arrachée en fermage
à un boulanger qui fait du blé pour obte-
nir du pain bio. Il a aussi vendu le mas.
Mais il a gardé la cave. Car il a du vin à
vendre. C’est toute la magie : la vigne
meurt, le vin demeure. En janvier 2018,
après avoir commercialisé le millésime
2014, il ne restera plus que du vin de col-
lection. En tout, près de 200 000 bou-
teilles. « Je n’ai aucune idée de comment
ça va se passer. Jusqu’à quand certains
millésimes seront-ils très bons ? Et à quel
prix se vendront-ils ? » Cette incertitude
l’amuse. Certains millésimes pourront
être gardés jusqu’en 2030 ou 2040. Plus
longtemps pour les rivesaltes. Il dit qu’il
commence à aller mieux dans sa tête. Le
12 juin, il a envoyé un communiqué aux
représentants pour officialiser la fin de
l’exploitation.
Jérôme Malet va mieux car il a rebondi
avec un nouveau vin, qui a pour nom
Fontbonau. Il l’élabore à Montbrison-
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
sur-Lez, petit village de 300 âmes dans la
Drôme provençale. « Il fallait que je
recommence ailleurs. » Il cherche d’abord
au nord de Perpignan, puis dans les
Corbières. Et il tombe sur une petite
annonce de Logic-Immo. Une propriété
avec maison est à vendre avec des vignes.
L’agent immobilier lui dit : « N’y allez pas,
c’est un coin d’ermites. » Un coin perdu,
qu’il visite en juillet 2007. Pas de voisin,
pas d’axe routier, la montagne derrière.
La région la plus bio de France. La pre-
mière ville, Valréas, est à 10 kilomètres.
Tout le contraire de Sarda-Malet.
« Presque un vin de messe »
« Je découvre un terroir magnifique,
juste à côté du Domaine Gramenon, qui
fait un vin délicieux. Et puis, c’est à 320 mè-
tres d’altitude. Je cherchais un terroir
frais. » La propriété fait 40 hectares, dont
10 de plantés. En 2008, il achète. Mais il
n’est pas seul. Il s’associe avec son ami
Frédéric Engerer, qui dirige Château
Latour, à Pauillac. Un ami commun avait
lancé, il y a vingt-cinq ans, à Jérôme
Malet : « Je connais un mec aussi chiant
que toi avec le vin. » Jérôme fera le vin
avec Frédéric, qui le commercialisera.
Le tandem achète des cuves, un petit
pressoir. Surtout, le modèle économique
n’a plus rien à voir avec Sarda-Malet. Le
domaine planté passe à 15 hectares, don-
nant un maximum de 35 000 bouteilles
de rouge, un peu de blanc. Petit rende-
ment. Un vin vendu essentiellement
hors de France, autour de 26 euros. Le
vin non plus n’a rien à voir avec le
Sarda-Malet. « Fontbonau est un vin de
réflexion, presque un vin de messe. Plus
proche de la nature. » L’activité est élargie
à l’huile d’olive, à la lavande et aux truf-
fes. « C’est beaucoup moins de stress. »
D’autant que le Fontbonau, ils le font à
trois, avec l’œnologue Sophie Mage. La
cave est à gravitation, simple à utiliser.
Tout ça pour 30 000 bouteilles ? « C’est
hors rentabilité. Je peux, car j’ai mon
métier à Paris. Pour gagner de l’argent, il
faut hériter d’un domaine prestigieux.
Mais là, je m’amuse… » p
michel guerrin
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Les femmes poussent le bouchon
toujours plus loin
Vigneronnes, œnologues, sommelières, critiques… Les femmes bousculent des métiers
longtemps confisqués par les hommes. De là à parler d’un goût spécifique ou même de vins féminins…
T
out est parti d’une réaction
furibarde, il y a quelques
semaines, de notre consœur
Laure Gasparotto, qui est
journaliste et dégustatrice
au « Monde des vins » mais
aussi viticultrice – elle possède un tout
petit domaine à Gignac (Hérault). Elle ve-
nait de recevoir une invitation du cercle
Femmes de vin, une structure nationale
qui, depuis 2009, regroupe dix associa-
tions régionales, et qui proposait de
venir déguster les vins élaborés par
82 vigneronnes de France. Autrement dit
un événement monté par des femmes
autour de vins de femmes. Ce qui a agacé
la journaliste : « Ce qui compte, c’est que le
vin soit bon, qu’il soit fait par une femme,
un homme, un Noir, un juif, un protes-
tant… Créer des ghettos est contraire à la
philosophie du partage du vin. Si les hom-
mes se montrent parfois machos, les
femmes ne doivent pas réagir de la même
manière. Elles font une erreur historique
de se réunir dans des associations au
nom de leur sexe. »
Laure Gasparotto n’est pas vraiment en-
tendue, puisque les confréries ou associa-
tions autour des femmes et du vin se sont
multipliées ces dernières années. Ce qui
n’est pas anodin. Ophélie Neiman, autre
journaliste du « Monde des vins », se dit
plus nuancée sur le sujet. Plus poétique
en tout cas. « Le vin, on ne s’en lasse pas,
c’est comme tomber amoureux », écrivait,
en 2011, celle qui était alors connue sous
son pseudonyme de blogueuse, Miss
GlouGlou : « Nous, les femmes, on grandit
avec le parfum, la cuisine, les fleurs… Qui
mieux que nous développe très tôt l’art du
nez ? Goûter un vin, c’est avant tout le res-
pirer. » En six ans, Ophélie a affiné sa ré-
flexion : « De mon point de vue, le but n’est
pas d’isoler les femmes mais de réunir des
moyens financiers et médiatiques pour
donner de la visibilité aux professionnelles
du vin et révéler qu’elles sont bien plus
nombreuses qu’il n’y paraît. In fine, mon-
trer qu’elles ne sont pas une minorité mais
un groupe qui pèse lourdement sur tous
les secteurs du vin. »
« Une relation passionnelle »
Le sexe du vin c’est un peu comme celui
des anges. Débat ancien et récurrent, qui
suscite nombre d’études, de livres, d’arti-
cles, de blogs. Souvent sous la plume de
femmes. Elles analysent la part féminine
du vin, sujet pour le moins délicat et
controversé – sexiste, diront certains. « Au
cours de l’histoire, la femme a nourri avec
le vin une relation passionnelle et mou-
vante », écrit Fanny Lorcerie, qui a consa-
cré un chapitre à cette question dans son
mémoire de fin d’études de l’université de
Bourgogne, à Dijon, en 2009. Elle y rap-
pelle que « l’association vin-femme a tra-
versé les siècles en pâtissant d’un jugement
négatif et dégradant. La religion chré-
tienne considérait le vin comme source de
sang, produit vivant (…), première raison
d’interdire ce produit aux femmes ».
L’ère moderne a vu le vocabulaire de la
dégustation aligner toutes les métapho-
res de la séduction féminine : la « robe »,
la « jambe »… « C’est un constat, les fem-
mes sont plus sensibles aux préliminai-
res », alla même jusqu’à affirmer,
en 2005, un professeur d’œnologie de
Toulouse à une de nos consœurs de
La Dépêche du Midi !
« Le vin a un rôle sensuel, presque
sexuel. La femme et le vin sont faits pour
se rencontrer », n’hésite pas à dire Gala-
tée Faivre, fondatrice de l’agence conseil
ID Vin. Son argumentaire commercial
est rodé : « La femme est en quête d’émo-
tions immédiates sur le plan gustatif. Elle
veut boire moins mais mieux, privilé-
giant une approche vin-plaisir dans des
occasions exceptionnelles. On n’est plus
dans un produit de consommation cou-
rante mais dans un registre de luxe, épi-
curien, hédoniste, d’affirmation de soi,
typiquement des attitudes de femme. »
« On ne fait pas
de vin de femme,
on est des femmes
de vin »
virginie taupenot
présidente de l’association Femmes
et vins de Bourgogne
0123 des vins | 11
Ce discours fera bondir Laure Gaspa-
rotto. Même si Galatée Faivre tacle
volontiers les vieilles habitudes et les
fausses bonnes idées de ses clients :
« Mettre du rose sur l’étiquette, c’est se
tromper de route. Les femmes veulent la
vérité, un vrai château, un packaging
plus dépouillé et plus qualitatif. Le plus
cher, le plus puissant, c’est un truc de
mec. Il veut être le meilleur, collectionner
des vins rares, uniques, être le seul à avoir
tel grand cru… D’où la folie des primeurs,
de la spéculation. Le vin doit sortir de ça.
Parker met des notes ? Mais les arômes,
on ne peut pas les noter ! »
« L’homme “sait”, la femme cherche »,
résume d’un trait Valérie Pajotin, secré-
taire générale de l’Association nationale
interprofessionnelle des vins de France
(Anivin), qui promeut le label Vin de
France à l’exportation. Et quand la femme
trouve, « elle est beaucoup plus innovante
dans ses choix », dit cette ancienne res-
ponsable marketing du groupe Castel.
Pour elle, « il n’y a pas une façon féminine
de faire du vin, mais des choix de profils or-
ganoleptiques [ces substances qui impres-
sionnent nos récepteurs sensoriels], plus
subtils, plus complexes. La femme a
d’abord un plaisir olfactif, l’homme ira plus
vite vers le goût du palais. Ce qu’on appelle
“vin de femme”, c’est un vin de palais débu-
tant, plus rond, plus sucré, plus facile. La
suite est affaire d’éducation, ce n’est pas
une question de sexe mais d’âge ». Reste
que, oui, reconnaît-elle, « le monde du vin
reste machiste en France, plus que dans les
pays du Nouveau Monde ».
L’attribut de la femme active
Le Nouveau Monde, c’est justement là
qu’a posé son regard Eve Lamendour.
Maître de conférences à l’IAE de
La Rochelle (Charente-Maritime), elle a
fait sensation l’an dernier avec sa longue
analyse publiée sur le site The Conversa-
tion. Cette enseignante en marketing y
décrypte, de Dallas (diffusée entre 1978
et 1991) à The Good Wife (2009-2016),
l’évolution des relations intimes du vin et
de la femme dans les séries américaines.
Outre-Atlantique, où l’alcool demeure
marqué au fer rouge par la Prohibition
des années 1930, « boire du vin, ce n’est pas
la même chose que boire du whisky
– qui rime avec alcoolisme ». Le vin est
devenu « l’attribut d’un milieu social,
d’une classe aisée urbaine et d’un person-
nage : la femme active ». La scène est
désormais rituelle : l’héroïne rentre chez
elle après sa journée de travail, elle se
déchausse de ses talons aiguilles et se sert
un grand verre de vin rouge « de taille
impressionnante ».
Faire boire un verre à l’actrice, c’est
conférer à son personnage un statut de
femme active. Et inversement, c’est
donner le même statut noble au nectar,
souligne Eve Lamendour. Même chose
pour les séries britanniques, où les fem-
mes boivent « plutôt du blanc, quand les
Américaines préfèrent le rouge » aaa
12 | 0123 des vins 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

CES SÉRIES
aaa – davantage synonyme de puis-
sance. En France, pour l’heure, le tabou
n’est pas encore tombé dans les séries
télé. « Ici, on a la loi Evin… », note Eve
Lamendour. Valérie Pajotin ajoute que

QUI FONT
« l’image de la France, en Chine comme
aux Etats-Unis, c’est le glamour. Donc,
pour la plupart des pays étrangers, une
femme élégante comme la Parisienne

TRINQUER
boit évidemment du vin ».
Et pas n’importe quel vin. Les femmes
chinoises, au palais « éduqué » par le
thé, « peuvent accéder plus vite, presque
tout de suite, aux cépages plus structu-

LES FEMMES
rés, aux crus plus difficiles. Il n’y a pas de
“chardonnay girls” en Chine… », ironise
la responsable de l’Anivin, pour moquer
les débutantes américaines ainsi nom-
mées. Constat analogue au Japon, où « le
vin est un alcool “premium” », renchérit
Virginie Taupenot, présidente de Fem-
mes et vins de Bourgogne. Une de ces
associations que dénonce Laure Gaspa-
rotto, à qui l’héritière du domaine
Taupenot-Merme, en bourgogne-côtes-
de- nuits, répond : « On ne fait pas de vin
de femme, on est des femmes de vin. » « DALLAS »
Les femmes de vins ? Si beaucoup se
retrouvaient naguère vigneronnes par Dans cette série mythique diffusée de 1978 à
héritage ou par veuvage – les fameuses 1991, Sue Ellen tente d’oublier sa vie de riche
veuves du champagne –, elles sont tou- oisive. Le personnage, devenu emblématique
jours plus nombreuses désormais à le de l’alcoolique mondaine, boit sans retenue.
devenir par choix et passion. Ainsi, à Elle cache sous les coussins de son luxueux
Bordeaux, la féminisation est en mar- canapé ses bouteilles de bourbon, de gin
che. Selon des chiffres fournis par la ou de vin. Un personnage dans la lignée de
Mutualité sociale agricole, 28 % des ces cow-boys imbibés qui hantent les westerns
domaines viticoles bordelais seraient à l’ancienne. « La première femme au foyer
dirigés par des femmes. Le modèle désespérée », dira son interprète Linda Gray,
Philippine de Rothschild a fait des en guise de clin d’œil aux Desperate Housewives
CBS/PROD DB

petit(e)s. Célébrée comme la digne héri- d’une autre série à succès où l’alcool tiendra
tière de son père, Philippe, la baronne, aussi un rôle consolateur… mais plus festif.
disparue en 2014, a fait de Mouton « Dallas », 357 épisodes, 1978-1991.
Rothschild bien plus qu’une marque de
luxe, une véritable entreprise.

En position dominante
Aujourd’hui, tous les métiers du vin
sont pratiqués par des femmes (elles
sont même parfois en position domi- « THE GOOD WIFE »
nante) : vigneronne, œnologue, com-
merciale, sommelière, journaliste… L’un L’avocate Alicia Florrick illustre
des critiques parmi les plus redoutés, la parfaite épouse américaine,
notamment dans le bordelais, est la Bri- trompée et humiliée mais qui se
tannique Jancis Robinson, du Financial bat pour reprendre sa vie en
Times. En Asie, la Coréenne Jeannie Cho main. Son interprète, Julianna
Lee, qui écrit notamment dans Decanter Margulies, sera la première
et Wine Spectator, est une sommité, pre- à jouer la scène désormais
mière Asiatique à remporter le diplôme emblématique de la femme
de « Master of Wine » à Londres, active urbaine qui, rentrant chez
en 2008. Même le métier de maître de elle après sa journée de travail,
chai, longtemps considéré comme un quitte ses escarpins et se sert un
bastion masculin, se féminise. grand verre de vin rouge. « Elle
Prenons Elisabeth Sarcelet, chef de cave se sent seule et le vin l’aide un
de la maison de champagne Castelnau. peu à oublier », raconte l’actrice,
Originaire de la Nièvre, petite-fille d’un qui se dit très attachée à une
tonnelier, elle est à la tête d’une équipe de scène de la saison 6 montrant
neuf personnes, dont cinq femmes, pour son personnage en train de
élaborer chaque année neuf millions de regarder l’horloge : « On se
bouteilles issues de 149 crus élevés sur demande ce qu’elle attend, et puis
900 hectares. « Je ne suis pas une fémi- on réalise qu’elle attend 17 heures,
niste, prévient d’emblée celle qui affirme pour se servir un verre de vin ! »
être arrivée dans le vin au hasard d’étu- Du rouge, évidemment…
des de biologie à la faculté de Reims Dans le dernier épisode de la
(Marne). Quel que soit le sexe du dégusta- série, en mai 2016, Alicia Florrick
teur ou du vinificateur, l’essentiel est que le partage un dernier verre avec
client final retrouve dans nos bouteilles le son conjoint, avant de le quitter.
style de la maison. » « The Good Wife », 156 épisodes,
Autre sujet vaseux, celui qui vise à 2009-2016.
définir un vin destiné aux femmes plus
qu’aux hommes. Certains ont affirmé
que la femme était davantage séduite
par des vins de plaisir immédiat, fruités,
aux tanins veloutés, soyeux en bouche.
Le goût des « chardonnay girls »… D’où le
cliché du rosé, vin supposé « féminin », « GAME
notamment en champagne. Le champa-
gne, justement, avec ses bulles, serait OF THRONES »
typiquement un vin prisé des femmes.
Quand on évoque ces remarques devant La reine des Sept Couronnes,
Elisabeth Sarcelet, elle lève les yeux au Cersei Lannister, tient souvent
ciel. Elle partage l’analyse de Valérie une coupe du « vin des Sept
Pajotin quant aux choix organolepti- Royaumes » lorsqu’elle manifeste
ques qui caractériseraient le goût fémi- sa puissance et sa cruauté dans
nin. « En tant que femme, on sera peut- cette série crypto-médiévale.
être un peu plus pointue sur tel univers Encore un symbole de femme
d’arôme, on va oser ce qu’un homme d’action, confrontée ici à une
n’osera peut-être pas », résume celle qui guerre sans merci pour conquérir
fut élue chef de cave de l’année, en 2016, le Trône de fer. Son interprète est
par la mairie d’Epernay. rodée : Lena Headey fut la reine
Mais les clichés ont la vie dure. A com- de Sparte, Gorgô, dans le film 300
mencer par le choix de femmes pour racontant un épisode mythique
« servir la cause ». A la tête des organismes des guerres médiques, en 2006.
vitivinicoles, ou sur les publicités qui affi- Fort du succès planétaire de
chent des vigneronnes au look de manne- leur série, les producteurs de
quin. Audrey Bourolleau, était depuis 2012 Game of Thrones ont décidé de
déléguée générale de Vin et société, l’orga- commercialiser trois cuvées des
nisme fer de lance de la filière viticole con- Sept Royaumes, un chardonnay,
tre la loi Evin. Sa nomination à l’Elysée, un cabernet-sauvignon et un red
comme conseillère pour l’agriculture, a blend, assemblage californien.
HBO/PROD DB

relancé le débat sur la supposée toute- Du vin rouge, comme il se doit…

puissance du « lobby du vin »… p « Game of Thrones », 60 épisodes,
pascal galinier depuis 2011.
0123
JEUDI 15 JUIN 2017 0123 des vins | 13

ABC/PROD DB

« COUGAR TOWN »
Jules Cobb, une femme de 40 ans fraîchement divorcée, vit avec son fils
de 17 ans, Travis, à Tampa Bay, en Floride. Comme souvent dans les
séries TV, elle boit pour oublier. Grande amatrice de grands vins, elle a
littéralement adopté une ribambelle de verres, immenses, auxquels
elle a donné des noms et qu’elle « assassine » l’un après l’autre : « Big Joe »,
« Big Carl », « Big Lou », « Big Tippi », « Big Chuck »… Son entourage raille
cette femme guettée par l’alcoolisme mondain interprétée par Courteney
Cox. Mais elle a la sobriété tellement triste et ennuyeuse que si elle décide
d’arrêter de boire, tout le monde l’en dissuade !
« Cougar Town », 102 épisodes, 2009-2015.

« DESPERATE
HOUSEWIVES »
Bree Van de Kamp, l’une
des fameuses « femmes au
foyer désespérées » du quar-
tier fictif de Wisteria Lane,
est la « chardonnay girl »
par excellence. Tout lui est
prétexte à déboucher une
bouteille de vin blanc pour
trinquer avec ses copines.
La petite brune pétillante,
Gabrielle (Eva Longoria),
préfère un ballon de rouge.
Interprétée par la rousse
Marcia Cross, Bree est une
WASP (White Anglo-Saxon
Protestant) typique, conser-
vatrice, presbytérienne et
membre de la NRA, l’associa-
tion proarmes à feu. Sa
meilleure amie dans la série,
Lynette, la convainc de
s’inscrire aux Alcooliques
anonymes pour donner le
change au juge qui enquête
sur ses dérapages en état
d’ivresse. Reste que, pour
les scénaristes, les « DH »
doivent pouvoir boire sans
se cacher. Lors d’une soirée
de poker entre filles, par
exemple. Etre une femme
libérée, c’est pas si difficile…
avec un verre de vin.
« Desperate Housewives »,
180 épisodes, 2004-2012.

réalisé par p. ga.

14 | 0123 des vins
DES VINS BLANCS DE BORD DE MER, AUX ACCENTS D’ATLANTIQUE OU DE MÉDITERRANÉE, ET DES CHAMPAGNES ROSÉS
POUR BULLER EN VACANCES… DES BOUTEILLES TRIÉES SUR LE VOLET PAR LAURE GASPAROTTO ET OPHÉLIE NEIMAN
Les blancs de bord de mer
corse
Nicolas Mariotti Bindi, blanc
Mursaglia, 2015
Ce pur vermentinu bio est une sacrée
découverte. Les arômes de fruits
jaunes font saliver. C’est le pouvoir
des bons vins ! Une belle complexité,
une amertume élégante fondée sur
des notes de pamplemousse. La
finale n’est pas très longue, mais elle
laisse une impression franche.
16 €. Tél. : 06-12-05-24-59
Domaine de Petra Bianca, figari,
« Cuvée Vini Legend », 2016
Un vermentinu bio, bien accentué et
complexe. Ce vin est si désaltérant
qu’il exprime peu à peu, en s’aérant,
une minéralité profonde. Finale
tendre sur des notes de nougat.
11 €. Tél. : 04-20-01-71-39
Domaine d’Alzipratu, calvi,
« Cuvée Fiumeseccu », 2016
Le nez de ce vermentinu légèrement
brioché n’enlève rien à ses saveurs
iodées qui arrivent vite. Ce vin affiche
une personnalité originale. Fondé sur
des notes de fruits jaunes, il s’achève
sur une finale gourmande et ample.
11,35 €. Tél. : 04-95-62-75-47
Domaine Pieretti, coteaux-du-cap-
corse, « Cuvée Marine », 2016
Très intense, ce vermentinu a beau-
coup de choses à dire. A chaque fois
qu’on le goûte, il révèle des notes
différentes. Complexe dans ses
expressions, il reste léger et fleuri
dans sa structure. Finale incroyable-
ment longue et harmonieuse
sur des touches exotiques.
22 €. Tél. : 04-95-35-01-03
Domaine Solenzara,
porto-vecchio, 2016
Les notes citronnées de ce vermen-
tinu s’échappent très vite. Ce vin est
NOTRE SÉLECTION
« SPÉCIAL ÉTÉ »
comme ça, pimpant, joyeux, rafraî-
chissant. Il offre tout de même de
belles nuances qui font son charme.
Finale d’amertume élégante.
8,65 €. Tél. : 04-95-57-49-76
Clos Culombu, calvi, 2016
Ce vin bio croustillant se révèle de
plus en plus intéressant. On le croit
juste frais, il est bien plus complexe.
Sa matière riche offre plein d’élan
et de profondeur. Voilà qui est bien
balancé, avec une finale marquée
par des notes de fraise.
15 €. Tél. : 04-95-60-70-68
Domaine Giudicelli,
patrimonio, 2015
Coup de cœur pour ce très grand vin !
Au nez, on est impressionné par sa
complexité aromatique. Quant aux
saveurs, elles sont sublimes, infinies,
majestueuses. Un vin énorme,
bourré de nuances minérales, d’une
élégance folle, qui s’achève dans une
longueur éblouissante.
29 €. Tél. : 06-11-56-36-24
Domaine de Terra Vecchia,
IGP île-de-beauté (sans millésime)
Ce vermentinu au prix doux offre de
très jolis arômes fondés, notamment,
sur des notes de pêche. Les saveurs
pures se révèlent intenses, fruitées,
pour nous nourrir et nous rafraîchir.
4,20 €. Tél. : 04-95-57-20-30
languedoc
Domaine de Campaucels,
picpoul-de-pinet,
« Cuvée Jean le Blanc »
Un vin bio qui se boit dans un bel
élan. C’est de la fraîcheur marine
que l’on retrouve dans cette petite
merveille bien travaillée. Complexe,
franc, pur, salivant : à découvrir
absolument !
7,50 €. Tél. : 04-67-24-19-16
Château Pech-Redon, la-clape,
« Cuvée La Centaurée », 2014
De la roche en bouteille : tel est ce vin,
issu de bourboulenc (élevé un an sur
lies) et de grenache. Ce blanc d’une
cristallinité rare s’impose par son
épanouissement et sa personnalité.
D’une ligne bien définie, ses notes
de rose sont infinies. Magnifique !
18 €. Tél. : 04-68-90-41-22
Hecht & Bannier, 2015
Issu des cépages piquepoul et
roussanne, ce vin sent le vent et la
mer. D’où son amertume bien équili-
brée, des saveurs iodées. Une bou-
teille sincère, avec un relief aromati-
que bien vu, dont on se souvient.
Un joli languedoc qui claque bien.
7 €. Tél. : 04-42-69-19-71
Roque Sestière, corbières,
« Vieilles Vignes », 2015
Macabeu, grenache et roussanne
offrent ici des notes iodées, mêlées
à des saveurs minérales profondes.
Une belle harmonie, pour ce vin
qui sait rester simple, juste et frais.
8,30 €. Tél. : 04-68-27-18-00
Château La Négly, la-clape,
« Cuvée Brise marine », 2016
Cet assemblage des cépages
roussanne et bourboulenc donne
un vin plus appétissant et salin que
profond, mais sa facture est si hon-
nête qu’on l’aime comme il est. C’est
bon quand les choses sont simples !
10 €. Tél. : 04-68-32-41-50
Château Champ des Sœurs,
corbières, « Cuvée La Tina », 2015
Il y a de l’ambition derrière ce vin
issu de grenache et roussanne, élevés
en demi-muids pendant six mois.
Marqué par le bois, ce vin exhale des
notes gourmandes de chocolat blanc.
A la première gorgée, la fraîcheur
prend le pas sur la richesse.
16 €. Tél. : 04-68-45-66-74
Domaine de Roquemale, langue-
doc, « Cuvée Les Rocs Blancs », 2016
Un bien joli vin bio, issu d’un
assemblage de cinq cépages. Fleuri,
gourmand et franc, il propose
un moment de fraîcheur simple.
Finale nette.
11 €. Tél. : 06-85-93-51-64
Mas Belles Eaux, languedoc,
« Cuvée Les Coteaux », 2015
Dans un style sophistiqué, fondé sur
un élevage travaillé qui donne des
notes boisées élégantes, ce vin reste
très languedocien : fruité, rocailleux,
savoureux. Un beau vin d’une
grande longueur en bouche.
7,40 €. Tél. : 04-67-09-30-96
Moulin de Lène, côtes-de-thongue,
« Cuvée Justine », 2015
Un blanc original aux notes
franchement iodées. La présence
de chardonnay allié au petit manseng
explique sans doute cette sève
particulière. La matière est belle et
sincère. Finale qui laisse les papilles
bien fraîches.
9,80 €. Tél. : 04-67-36-06-32
Mas des Caprices, corbières,
« Cuvée Le Blanc de l’Œuf », 2016
Cultivé en biodynamie, ce vin
s’impose par ses nuances étonnantes
et riches. Des vagues, du vent, du
marin, il y a tout cela dans le verre.
Finale gourmande et saline.
12 €. Tél. : 06-89-15-18-50
Domaine de Bila-Haut, collioure,
« Cuvée Chrysopée », 2015
Quelle race, ce vin ! Sa ligne bien
dessinée offre un jus profond et
minéral de toute beauté. La minéra-
lité s’impose à travers des tanins
précis et élégants. Finale très longue.
38 €. Tél. : 04-75-08-28-65
Château de Caraguilhes,
corbières, 2016
Les notes citronnées sont les
premières à s’exprimer dans ce vin
bio d’une grande tendresse. Les
saveurs iodées parviennent dans un
second temps, tout en friandise et
équilibre. Une belle réussite.
10 €. Tél. : 04-68-27-88-99
Château Montfin, corbières, 2016
Difficile de ne pas trouver le courant
marin de ce vin bio tant il exprime
une pureté iodée. La matière très
harmonieuse, entre amertume et
suavité, dessine une ligne droite
comme la colonne vertébrale, avec
une belle chair autour.
9 €. Tél. : 04-68-41-93-30
Domaine Le Pech d’André,
IGP côtes-du-brian,
blanc de bourboulenc
Certes, ce vin bio a un nez de crème
pâtissière, mais les notes de jus de
pêche viennent vite le supplanter.
Une bouteille pas banale et bien faite,
qui évoque les saveurs d’une tarte
– on parle pourtant d’un vin blanc !
Finale juteuse.
9,50 €. Tél. : 04-68-91-22-66
Domaine Les Filles de Septembre,
IGP côtes-de-thongue,
« Clos Marine », 2015
Un vin déstabilisant : d’un côté, il est
prétentieux (élevage en barriques
neuves, assemblage étrange de sauvi-
gnon, viognier et chardonnay), mais,
de l’autre, il affiche un équilibre
tel qu’il est vraiment réussi. Finale
croustillante et harmonieuse.
7,50 €. Tél. : 04-67-39-01-65
Lauriga, côtes-du-roussillon,
« Cuvée Soleil Blanc », 2015
Ce vin titille les narines et les papilles
pour finir en friandise. Sa minéralité
est si importante qu’elle supporte
sans souci son élevage boisé :
sa matière riche le vaut bien.
12 €. Tél. 04-68-53-26-73
muscadet
Château de Cléray,
sèvre-et-maine, 2016
Dès l’ouverture, ce vin pâle aux
reflets gris délivre des arômes
toniques de pomme verte et de
citron. En prenant l’air, il devient très
aromatique et l’on perçoit même
une note de fraise des bois. La bouche
est saline, typique de ce que l’on
attend d’un muscadet soigné.
6,80 €. Tél. : 02-40-3-22-55
Domaine Pierre Luneau-Papin,
sèvre-et-maine, « Cuvée Le Verger »,
2015
Coup de cœur pour ce vin caillouteux
en diable. D’ailleurs, la belle étiquette
figurant le péché originel tombe à
propos : ce vin est si pur qu’il semble
remonter aux origines du terroir.
Attention, ne pas s’attendre à une
flopée de fruits, on est sur un rocher
surplombant la mer. Le nez sent
intensément la pierre et le pétrole,
délivrant une personnalité racée, la
bouche très iodée couronne cette
idée de lécher une plage de galets. Un
rêve de muscadet. Conversion bio.
8 €. Tél. : 02-40-06-45-27
Le Clos des Orfeuilles,
sèvre-et-maine, 2015
Ce vin a été construit comme une
solide maison bretonne : le nez est
très expressif, une gourmandise de
citron confit, tandis que la bouche se
révèle fine, presque aérienne mais
avec une longueur citronnée sali-
vante. Bien fait, par une propriété du
groupe Castel. Certifié agriculture bio.
9 €. Tél. : 05-56-95-54-00
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Domaine Poiron-Dabin,
sèvre-et-maine, « Clé du Sol
Chantegrolle », 2016
Ce vin livre toute la fougue de sa
jeunesse : une expression débridée
de fruits jaunes gourmands et une
bouche iodée qui ouvre l’appétit. Une
belle alliance du soleil et de l’écume.
6,80 €. Tél. : 02-40-06-56-42
Domaine du Haut Bourg,
côtes-de-grandlieu,
« Pavillon », 2015
Le nez est fumé, rocailleux.
On a déjà envie de dire oui. Et puis
on goûte et la longueur porte
le vin très loin. Un jus évident.
5,80 €. Tél. : 02-40-65-47-69
Domaine Bonnet-Huteau,
sèvre-et-maine, goulaine, 2013
Quel joli vin ! Sa dégustation fait
songer à une empreinte de loup : elle
s’est posée là en toute discrétion mais
elle est inoubliable. On craque pour
le nez de fruits secs, d’hydrocarbure
et d’iode, sa bouche harmonieuse,
enveloppante et saline, que les
dix-huit mois d’élevage sur lies ont
rendue onctueuse. Une longueur au
top. On adore. Vin bio.
12 €. Tél. : 02-40-06-73-87
Les Bêtes Curieuses,
J. Huchet & J. Mourat,
sèvre-et-maine, clisson, 2013
Ce muscadet est un délicieux original,
issu de vignes quinquagénaires,
dont les arômes de fruits jaunes type
coing sautent au nez. Sa personnalité
s’affiche, fruitée, joyeuse, gourmande.
Et beaucoup de puissance gustative
avec ça. Idéal pour retourner les
sceptiques du muscadet. Certifié
agriculture biologique (AB).
13,30 €. http://lesbetescurieuses.fr
Ollivier Père & Fils, sèvre-et-maine,
clisson, 2011
La robe dorée dévoile l’évolution
de ce vin, âgé de déjà six ans. Le nez
est à l’unisson, avec des arômes
d’agrumes cuits et de miel sec.
Quand le vin se pose sur la langue, il
est tendre, témoigne de ses quarante
mois (!) d’élevage sur lies. Puis il
prend de l’ampleur, se fait caressant.
La bouche domine alors le nez. On le
quitte sur une très belle finale de
nougat. Un grand, grand, oui.
9,50 €. Tél. : 02-28-01-07-07
Domaine Goislot Papin, muscadet
sèvre-et-maine, vallet, 2012
Vallet est l’un des crus communaux
les plus « continentaux » du
muscadet. Et ce vin, avec ses trente
mois d’élevage sur lies, révèle en effet
une richesse réjouissante. Il n’en
oublie pas pour autant son caractère
marin, salin et ses notes citronnées
embellies par une touche florale.
Un vin qui n’a pas à pâlir face à une
cuisine raffinée.
8,50 €. Tél. : 06-13-24-48-91
provence
Domaine Henri Fabre,
côtes-de-provence, 2016
Sur l’étiquette, la mention « cuvée
VIP » ne met pas en confiance. Pour-
tant, ce blanc pâle ne joue pas dans la
cour des vins démonstratifs. Le nez
est raffiné, aromatique avec une
pointe anisée. Le cépage rolle dévoile
une belle tension en bouche et la
dégustation se clôt avec une finale
qui rappelle que la mer n’est pas loin.
8,95 €. Tél. : 04-94-13-80-78
Château Réal Martin,
côtes-de-provence, « Blanc
de blancs », 2016
La rencontre ne démarre pas bien :
le vin est réduit. Sans doute l’ajout
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
de soufre a été léger. Nous l’aérons
vigoureusement pour découvrir
des arômes délicats d’aubépine
et, même, de jasmin. La bouche est
à l’unisson, légère, fraîche. Un vin joli
et distingué. Conversion bio.
14 €. Tél. : 04-94-86-40-90
Domaine des Peirecèdes,
côtes-de-provence, pierrefeu, 2016
On aime la franchise immédiate
de ce vin, ses fruits bien dessinés
au nez, la bergamote, la mandarine.
La bouche, délicate à l’attaque,
acidulée, s’amplifie et devient
salivante. Une friandise raffinée.
Certifié AB.
10 €. Tél. : 04-94-48-67-15
Hecht & Bannier,
côtes-de-provence, 2015
Un vin chaleureux dans tous les
sens du terme. Ses arômes d’anis,
amandes fraîches et pêche, francs,
sont des plus accueillants. La bouche
est ample, plutôt douillette. On se
rend compte que le vin porte ses
14,5° d’alcool ! Pourtant, ils sont bien
soutenus. Un vin sympathique dans
un style opulent, voire grassouillet.
Vin biologique certifié Ecocert.
10 €. Tél. : 04-42-69-19-71
Château Sainte-Béatrice, côtes-de-
provence, « Cuvée Vaussière », 2016
Avec son nez d’agrumes, d’ananas
et de pamplemousse, sa bouche
tonique et allongée, un vin typique
des beaux blancs de Provence, plein
de classicisme et charmant à boire.
12 €. Tél. : 04-94-67-62-36
Château La Gordonne,
côtes-de-provence, pierrefeu,
« La Chapelle », 2016
La bouteille particulièrement ventrue
est une signature de la maison. Tout
dans ce vin est intense, depuis la robe
aux reflets dorés en passant par le
nez, très harmonieux, sur de la pêche
et des fleurs, jusqu’à la texture, qui
offre une montée en puissance. Une
grande leçon d’élégance, à la manière
d’un parfum de femme fleuri bien
connu. Un coup de cœur.
21,50 €. Tél. : 04-94-33-48-52
Domaine de La Tourraque, côtes-
de-provence, « Cuvée Classic », 2016
Des agrumes raffinés surgissent
dès le verre humé : citron, bergamote,
petit-grain. En se réchauffant et
s’aérant, les arômes virent à l’abricot.
Avec sa bouche suave, ce vin de
Ramatuelle prend la forme d’une
fine gourmandise ensoleillée, fort
plaisante, tant elle évoque un doux
été. Vin bio.
10,20 €. Tél. : 04-94-79-25-95
Château Maravenne, côtes-de-pro-
vence, « Donum Dei », 2015
Ce don de Dieu porte bien son nom.
Nous lui décernons un franc coup de
cœur. Dès qu’on porte le verre au nez,
il se passe quelque chose d’intéres-
sant. Les arômes sont intarissables :
acacia, tilleul, fenouil et longue trace
d’orange amère. La bouche est arron-
die, fraîche malgré un alcool présent.
Certes, il y a du bois (le vin a passé
onze mois en barriques). Mais il a de
quoi vieillir superbement. On lui fait
confiance. Label bio Ecocert.
19 €. Tél. : 04-94-66-80-20
Domaine Gavoty,
côtes-de-provence, « Cuvée
Clarendon », 2015
Un beau vin très sensuel et opulent,
qui respire les fleurs épanouies et les
fruits jaunes. La texture en bouche
s’est arrondie mais il y en a encore
sous la pédale pour plusieurs années.
17 €. Tél. : 04-94-69-72-39
Domaine de La Navicelle,
côtes-de-provence,
« Esprit de la Colle Noire », 2012
Il y a beaucoup de travail dans ce vin,
cela se sent. Il a pris le temps de se
patiner pour délivrer des arômes
d’acacia, de cire évoluant vers du miel
sec. Le bois de l’élevage est encore
présent et il s’adresse à des amateurs
du genre. Son esprit s’éloigne du bord
de mer, mais il reste une jolie caresse.
25 €. Tél. : 04-94-21-79-99
Domaine de la Bégude,
bandol, 2015
Oh lala ! On s’exclame de joie en
goûtant ce vin. Il réussit à marier la
puissance et la finesse, la chaleur et le
frais, la terre et la mer. Sa robe affiche
un doré paille, le nez dégage des
arômes de coing, de cannelle et de
sel, le tout fondu et harmonieux
comme un orchestre symphonique.
0123 des vins | 15
Et le plaisir se poursuit en bouche
avec beaucoup de richesse, une
longueur folle et une finale de vent
froid qui balaye tout. Une référence
de Bandol. Bio certifié Ecocert.
28 €. Tél. : 04-42-08-92-34
La Bastide Blanche, bandol,
« Cuvée Estagnol », 2015
Une très belle découverte que ce vin
sans concession. La robe or paille
nous laisse deviner ce que le nez
et la bouche confirment : le vin a été
élaboré après une macération
pelliculaire de six jours, ce qui est
rare pour un blanc. Résultat, il est
gras, presque tannique, puissant avec
des arômes de pétales de fleurs et
d’amandes sèches, un caractère racé.
On l’imagine sur un poisson grillé,
mais une viande ne lui ferait pas
peur ! Certifié AB.
16 €. Tél. : 04-94-32-63-20
Les champagnes rosés
Domaine Sainte-Marie, côtes-de-
provence, « Tradition », 2016
Ce vin blanc est très élégant, gracieux
même : ses arômes anisés se mêlent
à une bouche salivante, élancée,
très pure. Un ensemble très bien
construit, et bio qui plus est.
9,50 €. Tél. : 04-94-49-57-15
Château Volterra,
côtes-de-provence, 2015
Produit à Ramatuelle, ce vin exprime
galamment le cépage rolle (ou
vermentino) dont il est issu : un joli
nez d’amande amère chatouille les
narines, avant de découvrir sur la
langue un jus droit, qui trace sa route
sans s’étaler. Un blanc au caractère Taittinger, brut « Rosé Prestige » Valentin Leflaive, brut rosé exceptionnelle. La précision vient
franc et plutôt distingué, bienvenu Quand on ouvre une telle bouteille, Une création récente – et très d’une maîtrise rare. Un vin plein
dans le verre. on s’assure un grand moment de surprenante – due à l’alliance d’Erick de profondeur et d’allégresse
12 €. Tél. : 04-94-49-66-83 sérénité. Les bulles fines offrent des de Sousa et d’Olivier Leflaive. d’une complexité époustouflante,
saveurs profondes et persistantes. D’abord la couleur. Il se montre d’un qui explique son prix.
La Grande Bauquière, C’est l’art de la frivolité associé aux ton si pâle qu’on le croit blanc. Mais 220 €. Tél. : 03-26-84-44-20
côtes-de-provence, choses sérieuses. Bref, un rosé plein il a bien en bouche cette sève, cette
« Moment suspendu », 2016 de chair qui se déploie longuement longueur rosée, fruitée et fleurie. De Venoge, « Princes » rosé
Tandis que la plupart des blancs de et amplement. Un vrai bouquet de fleurs, même Uniquement issu de pinot noir,
Provence jouent sur la fraîcheur – et 44 €. Tél. : 03-26-85-45-35 au nez. Ce 100 % pinot noir offre ce champagne est bien ancré, bien
on les aime pour cela –, voici un vin une bouche intrigante, originale, balancé entre ses bulles raffinées
qui assume sa part gourmande avec Billecart-Salmon, brut rosé d’une tenue incroyable. A découvrir. et sa matière franche. Un vin
tant de joliesse qu’on apprécie le Un grand classique ! Cette bouteille 58 €. Tél. : 03-80-21-37-65 de gastronomie, donc, fondé sur
résultat. Des arômes de fruits ne se démode pas : elle est des notes élégantes, fleuries.
exotiques, passion, papaye et même contemporaine, car cette maison Bruno Paillard, Finale longue et pure.
pastèque. La bouche est large, se renouvelle continuellement. brut « Rosé première cuvée » 56 €. Tél. : 03-26-53-34-34
presque un peu molle au milieu, D’une robe élégante, pétale de rose, Une sacrée puissance se déploie sur
mais finit en tension. Super mignon. ce vin aux bulles fines et toniques le palais, imposant une présence Joseph Perrier,
16 €. Tél. : 04-42-29-05-37 exprime des notes épicées, liées ample et séductrice. La personnalité « Cuvée royale », rosé
habilement à des touches florales. de ce vin est si bien dessinée, si Sa robe pétale de rose annonce
Château du Carrubier, 57 €. Tél. 03-26-52-60-22 particulière, qu’elle se reconnaît, les notes de rose et de framboise
côtes-de-provence, 2016 notamment, par son jus si fraîche en bouche. Très joli et frais,
Au nez, on pourrait le prendre pour Piper-Heidsieck, « Rosé sauvage » intensément fruité. Finale élégante. avec une certaine gourmandise.
un vin moelleux, tant il est aromati- Très soutenu, voire étincelant, 49 €. Tél. : 03-26-36-20-22 Un rosé confortable, qui remplit bien
que et orienté vers des fruits jaunes ce rosé n’est pas timide. Il est très sa fonction joyeuse et conviviale.
comme la reine-claude. Et pourtant, expressif, vif, gourmand, sensuel. Moët & Chandon, 34 €. Tél. : 03-26-68-29-51
il s’agit bien d’un vin blanc sec, à la Sur une matière ferme, il s’impose « Grand Vintage rosé 2008 »
bouche ample, sans lourdeur. Une à table. Mais, seul, il se déploie Un vin construit comme une Legras & Haas, brut rosé
sensation de vin très net, précis. aisément grâce à son équilibre. architecture à partir d’un assemblage Des saveurs en surface, délicates
9,80 €. Tél. : 04-94-66-82-82 Un rien bling-bling, il n’en est pas savant de trois cépages (chardonnay, néanmoins. Idéal pour l’après-midi,
moins solidement constitué. pinot noir et pinot meunier) et lors de visites à l’improviste, pour
Domaine d’Eole, 38 €. Tél. : 03-26-84-43-00 d’un élevage rigoureux. On sent toute fêter un moment entre amis.
coteaux-d’aix-en-provence, 2016 l’intention précise dans ces bulles Harmonieux et équilibré, il s’offre
Encore un coup de cœur pour ce Mumm brut, « Le Rosé » aux reflets or rose, à l’exubérance sincèrement, avec des notes
domaine (dont on aime beaucoup Comment définir le style Mumm ? charnue. L’ensemble fonctionne tendrement fruitées, issues d’un
les cuvées) qui produit ici un magni- Par ses notes rondes fondées à merveille dans une séduction joli assemblage de chardonnay,
fique blanc composé de rolle et de particulièrement sur le fruit. Les irrésistible, grâce à la sève complexe. pinot noir et pinot meunier.
grenache blanc. C’est sans doute bulles grandissent dans le verre 57 €. Tél. : 03-26-51-20-00 27 €. Tél. : 03-26-54-92-90
l’assemblage avec ce second cépage, selon un train régulier et tonique.
trop peu courant, qui lui donne Ensemble harmonieux et généreux. Devaux, « D Rosé » Jacques Selosse, brut rosé
ces arômes si riches de brugnon Et une finale précise. Les bulles de ce rosé transportent Rare, très pâle, ce rosé de haute volée
et d’herbes aromatiques. Un vin 39 €. Tél. : 03-26-49-59-69 le palais vers des notes aériennes propose une expérience gustative
lumineux. Bio certifié Ecocert. et néanmoins vives et persistantes. unique qui emporte tout sur son
13,50 €. Tél. : 04-90-95-93-70 Laurent-Perrier, brut rosé Le raffinement l’emporte sur la passage : ses notes profondément
La classe absolue. Ce rosé ouvre puissance, la tonicité sur la minérales et fraîches sont en effet
Domaine de la Mongestine, les papilles, et donc l’esprit, sur complexité. Un champagne délicat d’une intensité presque foudroyante.
coteaux-d’aix-en-provence, un monde d’une envergure rare. apprécié pour sa fraîcheur pure. Seul le champagne, grâce à son art
« Les Monges », 2016 Pour un tête-à-tête qui doit compter, 43 €. Tél. : 03 25 38 30 65 de la bulle, propose une explosion
Ce vin a besoin d’un sacré coup il s’impose parce qu’il est romanti- aromatique aussi complexe.
d’aération pour s’exprimer. Ne pas que. L’architecture de ses saveurs est Louis Roederer, brut rosé Prix conséquent, mais à tester
hésiter à le carafer pour que fassent ainsi composée, avec intelligence Dans le genre droit, voici une flèche ! une fois dans sa vie.
leur apparition les arômes délicate- et histoire. Un rosé qui a du sens, Un vin plein d’énergie qui fait 185 €. Tél. : 03-26-57-53-56
ment fleuris et citronnés. La structure de tout son long. Enorme ! pétiller les papilles et briller les
en bouche est rafraîchissante, pure 62 €. Tél. : 03-26-58-91-22 conversations. La qualité de ce qu’on Larmandier-Bernier, « Rosé
comme un ciel lavé de tout nuage. partage intervient dans la qualité de saignée », premier cru extra-brut
On respire. Bio certifié Ecocert. Ayala, brut « Rosé majeur » des échanges, quand on ouvre Un champagne d’une évidence
9,20 €. Tél. : 06-15-08-26-89 D’un rose saumoné, ses notes de une telle bouteille. Ce n’est pas sans étonnante, avant, pendant et après
fraise explosent spontanément. conséquences. Des bulles droites, l’ouverture de la bouteille. Comment
Château Malherbe, côtes-de-pro- Très fruité donc, séveux, grâce à son qui offrent des notes d’agrumes dire ? Il se précède (on sent le raisin)
vence, « Grand Blanc », 2013 assemblage de chardonnay et de et de légère torréfaction. et se succède à lui-même (grâce à sa
Attention, grand vin ! Les vignes sont pinot noir, et à un faible ajout de vin 58 €. Tél. : 03-26-40-42-11 longueur magnifique). Il est digeste,
situées à Bormes-les-Mimosas, rouge, il s’impose par une structure minéral, tonique. Un effet incroya-
autour du cap de la Pointe du Diable bien dessinée. A tel point qu’on peut Henriot, brut rosé ble, sans doute dû à la simplicité
(à côté du fort de Brégançon), difficile le marier avec un poisson comme Si ce champagne avait un esprit, remarquable de l’ensemble.
de faire plus « bord de mer ». La cuvée avec une viande… rose, bien sûr. ce serait celui de la légèreté. Il est 46 €. Tél. : 03-26-52-13-24
« Pointe du Diable » 2015, en blanc, De l’agneau, par exemple. construit selon une architecture
nous avait déjà séduits avec son nez 39 €. Tél. : 03-26-55-15-44 aérienne, avec des notes fleuries. Alfred Gratien, « Cuvée Paradis »,
de citron confit et d’aubépine. Mais Mais, dans un second temps, brut rosé
ce « Grand Blanc » porte bien son Bollinger, rosé il dévoile des saveurs minérales Puissant et intense, ce champagne
nom. D’une couleur or soutenue, Le nom en impose. Il ne faut pas et d’agrumes – sa patte de qualité. s’ouvre dans le verre. Il est tellement
il convoque au nez la truffe blanche rester sur les sensations de première Finale d’une belle fraîcheur. structuré (avec une belle proportion
et la brioche. Sa texture, ronde minute, car ce rosé n’est pas banal. 49 €. Tél. : 03-26-89-53-00 de pinot noir, qui ajoute de la sève
et onctueuse, beurre la bouche mais Du reste, est-ce un rosé ? Oui, mais au chardonnay) qu’on n’hésite pas
reste soutenue par une structure c’est surtout un vin, avec beaucoup Krug, « Rosé » brut à l’accompagner de mets de
solide. Aussi déroutant qu’épatant, de finesse et de structure, prêt Ce champagne exprime le rosé dans caractère – pièce de bœuf ou abats.
ce vin ne ressemble à aucun autre pour s’accorder avec des mets. toute sa plénitude. Les bulles servent Finale longue, crémeuse et
de l’appellation. Là, il prend toute son envergure. ici de véritable ascenseur à arômes généreuse, tout en restant légère.
46 €. Tél. : 04-94-64-80-11 60 €. Tél. : 03-26-53-33-66 qui explosent dans une intensité 66 €. Tél. : 03-26-54-38-20
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0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Michel Cymes : « Je trouve ridicule
que les médecins refusent de parler de vin »
entretien
M
édecin dans un hôpi-
tal parisien, spécia-
liste en ORL, Michel
Cymes est connu du
public pour ses
chroniques médica-
les, qu’il prodigue dans les médias depuis
plus de vingt ans. Auteur d’ouvrages à
succès, dont certains sont controversés,
il vient d’écrire Votre cerveau (Stock,
288 p., 18,50 €). Il prépare un film docu-
mentaire, Hippocrate aux enfers, adapta-
tion de son livre sur les médecins
dans les camps d’extermination. Il est
aussi un amateur de vin. Qui cherche un
équilibre entre son plaisir et sa responsa-
bilité de médecin.
Que se passe-t-il dans le cerveau
quand on boit du vin ?
Je ne suis pas un spécialiste de la neuro-
logie viticole ! Mais je pense que le circuit
du plaisir se met en marche et que les
choses se passent en fonction des habitu-
des de chacun. La distinction fondamen-
tale est à faire entre plaisir et addiction.
A titre personnel, je dois réveiller dans
mon cerveau certains neuromédiateurs
qui me disent que, finalement, c’est un
vrai plaisir. Il arrive aussi que le vin me
détende, oui.
Il se partage ?
Je n’ouvre jamais une bouteille de vin
pour moi seul. Elle est toujours à parta-
ger. En fait, il y a deux choses. Quand je
rentre chez moi et que je propose à ma
femme d’ouvrir une bouteille, est-ce une
envie de partage ou bien le sentiment
que si je commence à ouvrir une bou-
teille pour moi tout seul, c’est que je ne
vais vraiment pas bien ? Un peu des
deux, je pense.
Il y a un moment pour tout. J’adore
faire plaisir à mes amis avec de bonnes
bouteilles. J’ai une maison dans le Midi,
où j’ai fait installer une cuisine exté-
rieure avec un bar. L’été, la bouteille de
rosé bien fraîche est un élément du rituel
convivial. Les amis viennent à la maison.
Le meilleur moment de la journée est
celui où je leur ouvre le rosé et le leur sers
alors qu’ils sont assis au bar.
Toutes les couleurs de vin
se valent-elles en termes de santé ?
On épingle surtout le vin rouge à cause
de ses tanins. Mais le problème du vin et
de la santé, c’est qu’il est difficile de faire
des études sur l’alcool à cause de l’éthi-
que et de la méthodologie. Du côté du
corps médical, ces travaux sont délicats
à mettre en place, car on ne peut pas de-
mander aux gens de boire cinq verres
par jour afin d’observer le résultat. Or,
une étude scientifique ne peut se faire
sans essais sur des populations différen-
tes. Il y a bien eu des expérimentations
sur des rats… Le résultat est que les étu-
des sont souvent réalisées par des pro-
fessionnels du vin, ce qui pose pro-
blème. On sait tout de même que dans
les tanins, il y a une molécule antioxy-
dante qui protège. Il ne serait donc pas il-
logique de penser qu’à des doses raison-
nables, le vin puisse diminuer le taux de
cholestérol ou augmenter la dilatation
des artères. Mais à quelle dose ? Et pour
quel type de vin ? Quant au rosé… il n’y a
pas eu d’études en particulier.
Que pensez-vous du « french
paradox », selon lequel une
consommation de vin régulière et
modérée aurait des effets bénéfiques
sur la prévention des maladies
cardio-vasculaires ?
Il est très discuté aujourd’hui. Ce n’est
pas le fait de prendre un peu de vin
| Le plus cathodique des docteurs est également un amateur et un défenseur du vin.
Il a même planté sa propre vigne, chez lui, en Provence
tous les jours qui diminue la mortalité.
Il y a des pays qui ont des taux de mala-
dies cardio-vasculaires moins élevés
que d’autres et dans lesquels on ne
consomme pas de vin rouge. En revan-
che, je trouve ridicule que les médecins
ne veuillent pas parler de vin ou d’al-
cool. Si on boit du vin à table, on n’est
pas obligé de se bourrer la gueule ! Ce
n’est pas comme avec la cigarette. Le
problème est que certains médecins
refusent de dire qu’un verre de vin quo-
tidien est bon pour la santé par crainte
qu’une personne pense qu’elle peut en
boire quatre en se disant que ce sera
encore plus bénéfique. Il faut prendre
les gens pour des adultes.
Le vin est-il une boisson ou bien
un aliment ?
Vu le nombre de calories que le vin
contient, c’est un aliment. Un aliment
sucré qui se boit et qui, paradoxale-
ment, hydrate et déshydrate en même
temps. C’est pour cela que le vin peut
donner mal à la tête. Pas seulement à
cause des sulfites qu’il peut contenir.
L’alcool en général contient une hor-
mone antidiurétique, qui nous empê-
che d’uriner tout ce qu’on boit. Cette
hormone intervient pour que le rein
réabsorbe l’eau qui passe par lui. Si cette
hormone antidiurétique ne fonctionne
pas bien, on urine beaucoup. Si vous
avez mal à la tête le matin après avoir bu
la veille, c’est que vous vous êtes déshy-
draté le cerveau. Aussi, buvez un verre
d’eau après chaque verre de vin : vous
n’aurez pas de souci.
Vous souvenez-vous de votre premier
verre de vin ?
Non, mais je me souviens de ma pre-
mière cuite. C’était au fendant, un vin
blanc suisse. Je devais avoir 15 ans. Je me
souviens aussi de ma dernière cuite,
avec du rhum arrangé, à La Réunion. J’ai
fini les bras en croix sur le trottoir
devant le bar…
Mais votre premier verre de bon vin,
celui qui vous a marqué ?
Oui. J’avais l’habitude d’aller une fois
par an dans un restaurant trois étoiles.
Un saint-estèphe m’a marqué. Et, une
autre fois, un aloxe-corton. D’ailleurs,
l’aloxe-corton est devenu mon vin pré-
féré, même si je ne suis pas un grand
connaisseur.
« Il ne serait pas
illogique de penser
qu’à des doses
raisonnables le vin
puisse diminuer
le taux de cholestérol
ou augmenter la
dilatation des artères.
Mais à quelle dose ? »
0123 des vins
Michel Cymes, auteur
à succès, après dédicace
à la Forêt des livres
de Chanceaux-près-Loches,
à côté de Tours. VIM/ABACAPRESS
Avez-vous une cave ?
Oui. Elle est pleine de côtes-du-rhône
et du Carpe Diem de mon voisin, en
Provence. Elle est aussi pleine de
très bons vins qui figuraient sur la liste
de mon premier mariage. Pour mon
second mariage, notre liste était
constituée… de pieds de vigne. Nos amis
ont ainsi financé la vigne que j’ai
plantée, il y a deux ans, devant ma
maison du Var.
Quel cépage ?
Mille pieds de syrah. Les gens du coin
m’ont recommandé ce cépage. J’apporte-
rai les raisins à la coopérative d’Entrecas-
teaux, et j’essaierai de comprendre com-
ment se fait le vin. Je vais imprimer mes
étiquettes, comme je le fais déjà pour
mon huile d’olive. J’apporte mes olives
dans un moulin et je récupère 180 litres
d’huile, dont je me sers dans l’année. J’en
offre en cadeaux, aussi.
C’est toute la culture du vin qui
vous intéresse ?
Oui, et jusqu’au moment du partage
avec les amis. Chaque année, ils vien-
dront chez moi pendant les vendanges.
Je visite des domaines, aussi. Par exem-
ple, celui d’Alphonse Mellot à Sancerre.
Faire un grand vin est-il votre
préoccupation ?
Non… Mais j’espère que ce sera un bon
rouge des côtes-de-provence. Je ne veux
pas faire de rosé, car on n’en boit pas l’hi-
ver. Et puis, je vais probablement cultiver
en bio. Le vigneron de Carpe Diem, qui
| 17
est en bio, s’occupera de ma vigne. Je
deviens écolo !
Faites-vous attention au vin
que vous buvez ?
Face à un grand vin, je m’arrête, je
regarde la robe, je le sens. Les premières
sensations sont les plus importantes.
C’est pour cela, que dans un dîner, je
sers toujours les meilleures bouteilles
d’abord. Mais je suis peu connaisseur.
Un jour, je suis allé avec des amis au
restaurant Astrance, à Paris. Ils étaient
persuadés que j’étais un grand connais-
seur parce que j’ai une cave – c’est en fait
un ami médecin, grand amateur, qui me
conseille. Avant ce dîner, je m’étais
acoquiné avec le sommelier afin que je
puisse reconnaître, pour chaque vin
dégusté à l’aveugle, l’appellation, l’an-
née, le producteur. Mes amis étaient
impressionnés ! Mais le sommelier m’a
eu, à la fin : il m’avait indiqué un mau-
vais nom de vin…
Qu’est-ce qu’un bon vin ?
Celui qui sort de l’ordinaire. Quand on
veut bien y prêter attention. Je ne
demande pas qu’on s’arrête de respirer,
mais je marque le moment de l’ouver-
ture d’une bonne bouteille pour ne pas la
boire machinalement. Eh ! Attention : là,
j’ouvre un super-bordeaux ! Je veux
qu’on le déguste.
Le vin doit-il être nécessairement
bu à table ?
Pas forcément. Pour moi, l’apéritif,
c’est du vin, souvent rouge. Toujours
avec des trucs à grignoter. Mais je ne bois
jamais de vin à midi, sinon c’est terrible,
je m’endors.
Buvez-vous tous les jours ?
Non. D’ailleurs, comme je dois être au
top niveau poids pour un défi sportif que
je me suis lancé, je vais arrêter le vin pen-
dant une semaine, afin de perdre un peu
plus d’un kilo.
Que pensez-vous de la loi Evin,
qui limite la publicité pour le vin ?
Je sais que le monde du vin voudrait
plus de liberté, mais c’est compliqué en
France, parce que l’éducation n’est pas
au top en ce qui concerne la consomma-
tion. Avant de libérer la publicité pour le
vin, il y a un grand travail à faire sur la
transmission. Apprendre à apprécier le
vin, à prendre le temps de l’apprécier.
Mon fils de 20 ans sait l’apprécier. Mes
deux autres fils sont encore trop petits.
Mais je leur transmets le goût du vin.
Vos parents ont-ils fait de même
avec vous ?
C’était une autre époque. A Paris, on
n’avait pas de cave. Mon père m’envoyait
chez le caviste, qui remplissait nos bou-
teilles étoilées consignées d’un vin rouge
qui devait faire des trous à l’estomac.
Des médecins voudraient
que les publicités pour le vin
comportent la formule « l’alcool
est dangereux pour la santé »
plutôt que « l’abus d’alcool est
dangereux pour la santé ».
Qu’en pensez-vous ?
Franchement, ça n’a pas d’importance
que soit l’une ou l’autre. Personne ne lit
ce qui est écrit et répété partout !
Vous croyez que cette phrase peut chan-
ger quelque chose pour celui qui est
alcoolo-dépendant ? Quelle que soit la
tournure de la phrase, elle n’a aucune
efficacité. p
propos recueillis par
laure gasparotto
Les Grecs exsangues suspendus Superbonus à
l’étude pour les
dirigeants de
au verdict de l’Eurogroupe Renault-Nissan

▶ L’Eurogroupe du jeudi
15 juin pourrait accorder
une nouvelle tranche d’aide
à Athènes, mais la question
cruciale d’un allégement
de la dette serait reportée
▶ L’incertitude créée
par ces négociations
sans fin bride la reprise
de l’économie et pénalise
une population qui subit
de plein fouet l’austérité
▶ Hôpitaux engorgés, médi-
caments épuisés… le sys-
tème de santé public est
▶ La récession économi-
que s’accompagne d’une
crise démographique : la
A près avoir annoncé au dé-
but du mois le lancement
du recrutement d’un
nouveau numéro deux pour Re-
nault-Nissan, possible successeur
à bout de souffle. Les population vieillit et la de l’actuel patron, Reuters a dé-
coupes dans les budgets jeunesse part à l’étranger voilé, mardi, deux jours avant l’as-
ont aussi touché l’éducation PAGE S 2 - 3 semblée générale du 15 juin, un
projet potentiellement explosif. Il
permettrait de distribuer des mil-
lions d’euros de bonus annuels
supplémentaires à l’équipe diri-

Fragilisé, le patron d’Uber prend du recul geante de l’Alliance. Selon une

note de la société Ardea Partners,
Renault, Nissan et Mitsubishi ver-
seraient, à une fondation de droit
▶ Travis Kalanick néerlandaise, 8 % du montant des
synergies additionnelles dégagées
a annoncé mardi par les trois constructeurs grâce à
qu’il délaissait leur travail en commun. Cela per-
mettrait d’abonder de près de
son poste de direc- 100 millions d’euros cette nou-
teur général de velle société. Un tiers de ces som-
l’entreprise de VTC mes reviendrait à une demi-dou-
zaine des plus importants diri-
pour une durée geants de l’alliance franco-
indéterminée japonaise sous la forme de bonus
en cash et en titres. Avec ce sys-
▶ « J’ai besoin tème, Carlos Ghosn, dont la der-
de travailler sur nière rémunération connue s’éle-
moi-même pour vait à 15,6 millions d’euros en 2015,
approfondirait l’intégration des
devenir le leader trois entreprises. Mardi, l’Alliance
dont cette société Renault-Nissan a assuré, dans un
communiqué, qu’« aucune déci-
a besoin » sion de cette sorte n’a été prise ».
▶ Le patron d’Uber Les actionnaires de Renault pour-
est mis en diffi- raient trouver à redire à ces mé-
gabonus et à leur opacité. p
culté pour avoir LIR E PAGE 4
laissé s’installer

5,5
une culture d’en-
treprise sexiste
et discriminatoire
PAGE 4

C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS, LE

MONTANT DES ÉCONOMIES VISÉES
EN 2017 PAR RENAULT ET NISSAN
Travis Kalanick,
à Tianjin (Chine),
le 26 juin 2016. REUTERS

TRANSPORT MARITIME PERTES & PROFITS | GM&S

MOINS DE RAFIOTS,
MOINS DE NAUFRAGES Une industrie dans la Creuse Shirtmakers since 1899

IALE
PAGE 5
É C
U NDE VEN T E S P
ne fois de plus, ils ont bloqué les textile dix ans plus tard. Faute d’accord, la liqui-

AGRICULTURE
grilles. Les 277 salariés de l’usine
GM&S de la Souterraine dans la
Creuse jouent leur va-tout pour
GROGNE DES sauver le maximum d’emplois dans cette pe-
dation de GM&S pourrait être prononcée le
GRA DI 15 JU IN
23 juin par le tribunal de commerce de Poitiers.
D U J E U
À PA RT I R , more discount you get* »
Les emplois n’ont pas disparu

PRODUCTEURS DE LAIT
tite ville de moins de 6 000 habitants, qui lutte Dans ce pays rural, peuplé de trois fois plus de u buy
pour ne pas être rayée de la carte industrielle. vaches que d’habitants, mais où les emplois « More yo
AVANT LES ÉTATS La visite du président Macron n’a pas suffi à les d’éleveurs se font eux aussi de plus en plus ra-

GÉNÉRAUX
DE L’ALIMENTATION
PAGE 5
j CAC 40 | 5 299 PTS + 0,71 %
j DOW JONES | 21 328 PTS + 0,44 %
J EURO-DOLLAR | 1,1215
J PÉTROLE | 48,28 $ LE BARIL
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,61 %
VALEURS AU 14 JUIN À 9 H 30
rassurer. La seule offre de reprise de 140 sala-
riés leur semble bien insuffisante, comme un
premier pas vers la tombe. A la demande des
pouvoirs publics, les deux grands donneurs
d’ordres, PSA et Renault, se sont engagés sur
des volumes d’achat. Mais le compte n’y est pas
encore. A son sommet, en 2010, l’entreprise en-
registrait un chiffre d’affaires de 40 millions
d’euros, contre 25 millions aujourd’hui.
En 1963, la PME a commencé sa carrière en fa-
briquant de simples trottinettes. La diversifica-
tion sera l’affaire des années 1970. Renault
monte en puissance et à faim de nouveaux
fournisseurs industriels. Les trottinettes lais-
sent la place à des carters châssis et planchers
de tôle crachés par des presses à emboutir de
800 tonnes. Mais la gestion est défaillante, et
les automobiles se vendent moins bien, sur-
tout au tournant de la crise de 2008. Premier re-
dressement judiciaire, premier repreneur, re-
lance, nouvel échec en 2013, rachat pour un
euro par un groupe italien, trésorerie siphon-
née par les anciens propriétaires, redressement
judiciaire à nouveau… Un feuilleton haletant
que suit une ville qui a vu disparaître son usine
de téléviseurs dans les années 1980, celle de
de -- 30 % à -- 60 %
res, il devient difficile de compter sur l’indus-
trie pour faire vivre les territoires. Les derniers
chiffres, publiés par l’Insee ce mardi 13 juin, ne
vont pas démentir ce sentiment d’abandon.
L’industrie en France a vu son nombre d’em-
ployés chuter encore de 5 200 emplois au pre-
mier trimestre. Sur un an, ce sont 20 000 pos-
Sur chemises, cravates,
tes qui ont disparu dans ce secteur, quatre fois
la population de La Souterraine. L’industrie ne
pyjamas, robes de chambre,
représente plus que 3 millions d’emplois en
France, soit 12 % des salariés.
boxer shorts
A l’inverse, tous les autres secteurs se sont re-
mis à embaucher depuis un an. Même l’agri-
culture ! Au total, la France a créé 255 000 em-
plois salariés supplémentaires en un an, dont
OUVERTURE EXCEPTIONNELLE
l’essentiel dans les services. Même dans la
Creuse, on dénombre aujourd’hui près de
DIMANCHE 18/06 ET 25/06
33 000 salariés, soit autant qu’en 1996. La si-
tuation n’est donc pas désespérée, les emplois 252, rue de Rivoli (place de la Concorde)
n’ont pas disparu, ils ont changé de nature. Ils
sont plus émiettés aussi. Avec seulement
277 salariés, l’usine de La Souterraine est le Tél. : 01.42.60.36.09
deuxième employeur privé du département.
L’industrie structure encore les territoires.
Mais la lutte est de plus en plus âpre. p
*plus d’achat, plus de remises.
philippe escande

Cahier du « Monde » No 22525 daté Jeudi 15 juin 2017 - Ne peut être vendu séparément
2 | économie & entreprise 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

CRISE GRECQUE

En Grèce, la
population exsangue
espère voir enfin
le bout du tunnel
Le gouvernement Tsipras souhaite des engagements
précis sur un allégement de la dette à l’issue de
l’Eurogroupe, jeudi. En attendant, les Grecs subissent
de plein fouet les plans d’austérité à répétition
bruxelles - bureau européen l’occasion d’en finir avec le « pro-
« Le pays risque blème » hellène. De donner des

C’
était il y a exacte- d’être maintenu perspectives de sortie de crise à
ment deux ans, le Athènes, de montrer, enfin, le
18 juin 2015. La Grèce
dans les limbes bout du tunnel aux Grecs, après
et le reste de l’Euro- pendant encore sept années d’austérité.
zone se dirigeaient à toute vapeur Le gouvernement Tsipras espère
vers un catastrophique « Grexit ».
un an », juge une repartir de Luxembourg avec un
Réunis à Luxembourg, les minis- source bruxelloise engagement précis sur les allége-
tres des finances de la zone euro ments de la dette publique (en-
avaient passé la journée à tenter
haut placée core 180 % du produit intérieur
de sortir de l’impasse. Les créan- brut) devant intervenir à partir de
ciers du pays – Banque centrale la fin du troisième plan d’aide
européenne (BCE), Fonds moné- méra… Deux semaines plus tard, au pays, mi-2018. Allongements
taire international (FMI), Méca- un contrôle des capitaux était ins- des « maturités » (étalement des
nisme européen de stabilité tauré en Grèce pour éviter des remboursements) jusqu’en 2070,
(MES) – voulaient imposer à Athè- faillites bancaires en série. Dans la plafonnement des taux de rem-
nes de nouveaux prêts. Le gou- foulée, le ministre allemand Wol- boursement à 1,5 %…
vernement d’Alexis Tsipras, chef fgang Schäuble mettait officielle-
de la gauche radicale arrivé au ment sur la table l’option d’une Athènes a joué le jeu
pouvoir en Grèce six mois plus sortie de la Grèce de la zone euro. Il compte sur ces promesses pour
tôt, résistait encore, réclamant Il ne se passera rien d’aussi dra- convaincre le FMI de participer au proposé une participation au pras a fini par céder. Pour éviter
une restructuration de l’énorme matique jeudi 15 juin, lors de plan d’aide grec (le Fonds condi- plan d’aide « en principe ». Ses un « Grexit », il a accepté un troi-
Les Grecs sont
dette publique hellène. l’Eurogroupe consacré à la Grèce. tionne sa présence aux allége- prêts ne seraient effectivement sième plan d’aide de 86 milliards otages d’une
Yanis Varoufakis, le détonant Le « Grexit » n’est plus d’actualité. ments substantiels de la dette). débloqués que lorsque les Euro- d’euros (après ceux de 2010 et de
grand argentier grec, avait assuré Athènes a besoin d’au moins Cette participation enverrait un péens se seront mis d’accord sur 2012), assorti de réformes très exi-
épreuve de force
le spectacle devant les journalis- 7 milliards d’euros de la part de signal clair aux marchés finan- les allégements de la dette. A coup geantes. Il a remisé ses promes- interminable
tes, achevant d’exaspérer ses ses créanciers pour rembourser la ciers : la Grèce est de nouveau sur sûr, pas avant les élections fédéra- ses d’en finir avec l’austérité,
collègues. « Où sont les adultes BCE en juillet, mais l’argent de- les rails, il est temps d’y réinvestir. les allemandes, fin septembre, ce évincé son ministre Varoufakis
entre le FMI
dans la salle ? », avait lâché, à bout vrait être décaissé dans les temps. Ces derniers jours pourtant, qui permettra à M. Schäuble d’évi- – remplacé par le pragmatique et l’Allemagne
de nerfs, la directrice générale du Pour autant, les Européens ris- c’est plutôt l’option d’un compro- ter durant la campagne d’aborder Euclides Tsakalotos –, joué le jeu
FMI, Christine Lagarde, face ca- quent de rater, une nouvelle fois, mis qui tenait la corde : le FMI a frontalement ce sujet, toujours au point d’étonner Bruxelles. Y
très impopulaire en Allemagne. compris quand le FMI a réclamé, à
« La Grèce risque d’être mainte- partir de début 2017, qu’Athènes chose à voir avec leur intérêt, voire
TAUX DE CROISSANCE TAUX DE CHÔMAGE, EN % PERSONNES EN RISQUE DE PAUVRETÉ nue dans les limbes pendant en- adopte « préventivement » des celui des Européens. Les Alle-
DU PIB RÉEL, EN % OU D'EXCLUSION SOCIALE, EN % core un an », regrette une source efforts d’austérité supplémentai- mands, défiants depuis le début de
2 bruxelloise haut placée, à propos res (Lune quatorzième réforme la crise grecque à l’égard de la Com-
0,0 30 40
de ce possible accord en demi- des retraites, une énième réforme mission, continuent d’exiger la
0 teinte. « Cette incertitude par rap- de l’impôt sur le revenu) équiva- présence du FMI comme garant de
25 35,7
30 port à son programme d’aide pèse lents à 2 % du PIB à partir de 2019 l’application sérieuse du pro-
–2 23,6
20 sur la reprise économique. Le pays et 2020. Des mesures allant bien gramme d’austérité grec, alors
–4 27,7
15 20 a pourtant surtout besoin d’une au-delà de la liste, déjà fournie, même que les prêts du Fonds ne
–6 – 5,5 chose : de ne plus faire la “une” de des réformes auxquelles le pays sont plus nécessaires. Berlin re-
10 12,7 la presse financière », estime Gun- s’était engagé. fuse un allégement radical de la
–8 10
5 tram Wolff, directeur du groupe Mais les Grecs sont otages de dette grecque, réclamé par le FMI,
– 10 de réflexion bruxellois Bruegel. cette épreuve de force intermina- qui l’estime en l’état insoutenable.
0 0 Pourtant, les Grecs ont fait leur ble entre le FMI et l’Allemagne – et Ces discussions tournent quasi-
2010 11 12 13 14 15 16 2010 11 12 13 14 15 16 2010 11 12 13 14 15 16
part du chemin, et même davan- des Néerlandais dans une moin- ment à vide depuis l’Eurogroupe
SOURCE : EUROSTAT
tage. Mi-juillet 2015, Alexis Tsi- dre mesure – qui n’a plus grand- du 25 mai 2016. Les ministres des
finances s’y étaient mis d’accord
pour que les dirigeants du FMI pro-
La pénible routine du contrôle des capitaux pèse sur les Grecs posent à leur conseil d’administra-
tion la participation au troisième
plan d’aide « avant fin 2016 ». En
sur la place animée d’Agia Irini, au centre d’Athènes, effet positif : « Il a généralisé les paiements électroniques, quarante ans. « Nous avons réussi à décrocher un prêt contrepartie, les Européens se di-
Spiros Boudouris, 63 ans, observe dubitatif cette jeu- une évolution nécessaire pour réduire la taille de l’écono- auprès d’une banque que nous pouvons rembourser sur saient prêts à examiner dans le dé-
nesse qui sort, boit et rit aux terrasses des cafés. « Mal- mie grise. Mais bien sûr le contrôle des capitaux reste une une longue durée, un fait exceptionnel en Grèce à l’heure tail des allégements de dette, dé-
gré la crise et le contrôle des capitaux qui ne nous per- anomalie pour l’économie nationale qui décourage le re- actuelle, car les banques ne donnent plus de prêts faci- clenchables à partir de mi-2018.
mettent pas de retirer plus de 840 euros toutes les deux tour significatif des dépôts dans le système bancaire. » lement ! Nous continuons d’exister, de faire travailler Malentendu ou mauvaise foi ? Le
semaines, les Grecs continuent à vivre… Nous nous som- notre centaine de salariés, mais nous ne faisons aucun FMI n’a pas proposé à son conseil
mes habitués à ces restrictions mais surtout nous avons Diminution du nombre de créations de sociétés bénéfice… », poursuit M. Mourtzouhos. de participer au plan d’aide, les Al-
été assez malins pour cacher de l’argent sous les mate- D’après la Confédération des commerçants grecs, A Koropi, près de l’aéroport d’Athènes, Konstantinos lemands font comme s’il n’était
las ! », lance-t-il ironiquement. Spiros Boudouris avoue 15 500 commerces ont fermé aux deux premiers tri- Koutsos, le PDG de Miltech Hellas, une entreprise fabri- plus question d’aborder le sujet de
avoir retiré préventivement une bonne partie de ses mestres de 2016. Au deuxième trimestre de 2015, quant du matériel militaire, avoue avoir vécu des pre- la dette avant mi-2018, alors
économies de sa banque mais il les a rapidement épui- 9 500 avaient déjà mis la clé sous la porte. Pour Endea- miers mois difficiles après l’instauration du contrôle qu’Athènes continue d’espérer des
sées. Désormais, il ne peut compter que sur sa pension vor Greece, un réseau de jeunes entrepreneurs, le plus des capitaux. « Nous ne pouvions plus payer nos fournis- détails sur les mesures d’allége-
de 950 euros par mois. « Je dois faire attention à mes inquiétant est la diminution du nombre de créations seurs à l’étranger. Il fallait avoir des autorisations de dif- ment le plus vite possible.
dépenses maintenant. Je n’ai plus de réserves », soupire de sociétés : en 2016, 28 615 entreprises ont été mon- férentes administrations pour pouvoir le faire. Mais En attendant l’inquiétude
l’ex-employé d’une société d’import-export. tées, 33 % de moins par rapport à 2012. désormais, le contrôle des capitaux a été assoupli pour monte : à ce compte-là, la Grèce se-
« Les six premiers mois de 2015, le système bancaire a Giorgos Mourtzouhos, le directeur de la marque de les entreprises et nous n’avons plus aucun problème », ra-t-elle capable de se financer
subi une fuite des capitaux au ralenti. Les ménages et les vêtements Raxevsky, est passé tout près de la faillite soutient-il. Le 18 mai, à la Vouli (le Parlement), Euclide seule sur les marchés quand le
entrepreneurs ont alors retiré près d’un tiers de leurs dé- en 2016. « Le marché est gelé depuis l’instauration du Tsakalotos, le ministre des finances, se voulait con- troisième plan s’achèvera ? Par-
pôts des institutions bancaires grecques, explique Platon contrôle des capitaux. Il n’y a pas de liquidités qui circu- fiant : « Après avoir conclu l’évaluation des réformes et viendra-t-elle à échapper à un qua-
Monokroussos chef économiste de la banque grecque lent, personne n’achète dans les magasins, la seule chose décroché un accord avec les créanciers, je pense que nous trième plan d’aide ? « J’ai peur que
Eurobank. C’est pourquoi malgré la hausse simultanée qui marche encore en Grèce c’est les restaurants et les ca- tournerons très vite la page du contrôle des capitaux, non, à moins d’une réduction dras-
des impôts, la consommation a résisté. » Pour M. Mono- fés. Les Grecs échappent à la dépression ainsi ! », s’ex- avant même la fin de l’année. » p tique de sa dette », dit M. Wolff
kroussos, le contrôle des capitaux a eu tout de même un clame le sexagénaire qui a fondé son entreprise il y a marina rafenberg (athènes, intérim) (Bruegel). Une situation absurde

0123
JEUDI 15 JUIN 2017
alors que la Grèce a multiplié les
réformes censées stimuler la crois-
sance (baisse des salaires, réforme
du droit du travail, démantèle-
ment du système des négociations
collectives) pour redevenir attrac-
tive auprès des investisseurs.
Au début de la crise financière,
les Grecs ont en partie essuyé
les plâtres : les Européens, qui
n’étaient pas préparés à sauver un
Etat en faillite, ont bâti à la va-vite
des programmes d’aide trop con-
centrés sur l’ajustement budgé-
taire. Coupes dans les salaires, les
retraites, non-remplacement des
fonctionnaires : dans un pays
fondé sur des économies de ren-
tes, l’effet a été violent et très in-
juste. Ce sont surtout les plus fai-
bles qui ont souffert.
Pas de pilote dans l’avion
Le pays est maintenant victime
d’un défaut de gouvernance euro-
péenne : un dysfonctionnement
de l’Eurogroupe. L’existence de cet
avatar du Conseil européen reste
informelle, « l’encre des accords est
à peine sèche qu’on commence déjà
à les contester », déplore un diplo-
mate européen. Et il échappe à
tout contrôle démocratique. « Avec
l’Eurogroupe pour sortir la Grèce de
la crise, il n’y a pas de pilote dans
l’avion. A la fin, c’est la chancelière
allemande et le président français
qui décident », assure-t-il.
Il y aurait pourtant une belle sé-
quence de communication à jouer
pour les Européens jeudi, s’ils ac-
ceptaient de céder enfin sur la
dette hellène. Ils pourraient se
prévaloir d’être en passe de sortir
définitivement l’Eurozone de la
crise, alors que l’Amérique de Do-
nald Trump s’isole, que le Royau-
me-Uni plonge dans les affres du
Brexit. Certains n’excluaient pas
totalement ce scénario ces der-
niers jours. « Après tout, les Alle-
mands ont déjà un peu reculé par
rapport à une position intransi-
geante sur la dette », relève une
source bruxelloise. p
cécile ducourtieux
Une rue de Thessalonique,
dans le nord de la Grèce, le 15 mai.
ELEFTHERIOS ELIS / AFP
LES CHIFFRES
14
C’est le nombre de réfor-
mes successives des retrai-
tes en Grèce depuis 2010,
avec une baisse moyenne
de 40 % des pensions.
567 000
C’est le nombre de fonc-
tionnaires que comptait
le pays en 2016, contre
936 000 en 2011, selon le
principal syndicat du public.
23 %
C’est le taux de la TVA sur
la restauration, certains
produits alimentaires, l’es-
sence et le tabac en Grèce.
Avant juillet 2015 ce taux
était de 13 %. En 2009, il
existait trois taux de TVA
avant que les créanciers
du pays exigent de n’en
garder que deux.
35
C’est le nombre de privati-
sations, réalisées ou mises
en route entre 2011 et
2016, pour un montant de
6,6 milliards d’euros.
En 2017, elles devraient
rapporter à l’Etat grec
2,2 milliards d’euros
d’après le Fond de privati-
sation grec (HRADF).
684 EUROS
Tel est le montant brut
du salaire minimum grec
en 2017, selon Eurostat. Il
était de 794 euros en 2008.
350 000 Grecs auraient quitté
leur pays depuis 2008
La population hellène, tombée à 10,8 millions en 2016, vieillit
et diminue. Les femmes font peu d’enfants et les jeunes s’expatrient
athènes - intérim
J e ne veux pas élever mon
enfant dans un pays où le fu-
tur est incertain. L’année der-
nière, j’ai perdu mon emploi,
je me suis retrouvée en grande dif-
ficulté et ce n’est pas avec le salaire
de mon conjoint, de 800 euros
par mois, que nous aurions pu
survivre si nous avions eu un en-
fant à charge… », soupire Katerina.
A 34 ans, l’ancienne commerciale
n’envisage pas de devenir mère.
D’après Médecins du monde,
près d’une femme sur quatre
née dans les années 1970 n’a pas
d’enfant. Et le nombre de naissan-
ces n’a cessé de baisser depuis
le début de la crise selon Elstat,
l’Autorité grecque des statistiques :
de 114 766 en 2010, elles ne s’éle-
vaient plus qu’à 94 134 en 2013 et
à 91 847 en 2015.
La population grecque diminue.
Elle est passée de 11,1 millions
en 2011 à 10,8 millions de person-
nes en 2016. « Le solde des nais-
sances et des décès est déficitaire
depuis 2011 et cette tendance va
s’accentuer : le nombre de décès
va augmenter, car les générations
qui sont nées après les années
1950, dans les années du baby-
boom grec, ont désormais plus de
65 ans. Les naissances, non plus, ne
vont pas augmenter, car les fem-
mes en âge de procréer ne consti-
tuent pas une grosse part de la po-
pulation et le taux de fertilité reste
bas », souligne Vironas Kotsama-
nis, professeur de démographie à
l’université de Thessalonique.
Avant la crise, le taux de fertilité
grec était déjà de 1,5 et, en 2012, il a
Un système de santé public à bout de souffle
Hôpitaux engorgés, cliniques de proximité fermées, médicaments épuisés…
Sept années d’austérité ont conduit à une « crise humanitaire sans précédent »
athènes - intérim sements. « Nous sommes débor-
dés. A Evangelismos, nous aurions
V ingt-trois heures. Les ur-
gences d’Evangelismos, le
plus grand hôpital d’Athè-
nes et de Grèce, sont prises d’as-
saut. Dans la salle d’attente, Gior-
besoin de 3 500 personnes pour
faire tourner l’hôpital et ses
950 lits. Mais nous ne sommes que
2 500. Pour des raisons d’économie,
seulement 17 salles de chirurgie sur
gia raconte que sa sœur enceinte 23 fonctionnent, ce qui explique les
s’est évanouie en pleine rue. Après longues listes d’attente… », note
avoir demandé avec insistance la Ilias Sioras, cardiologue et repré-
venue d’une ambulance, elle s’est sentant du personnel de l’hôpital.
décidée à prendre un taxi. « J’at- Depuis 2010, près de 850 clini-
tends depuis quatre heures, et les ques de proximité et 11 hôpitaux,
infirmières nous hurlent dessus en surtout en province, ont fermé.
disant que c’est normal ! », s’énerve « Les patients qui auraient dû al-
Maria, qui a de la fièvre et est prise ler dans ces petites structures se
de vomissements aigus. retournent vers les gros établisse-
A vingt minutes de là, à l’hôpital ments comme le nôtre. Et comme
Ippokrateio, la compagne d’un pa- la médecine de ville a été mise à
tient s’étonne que ce soit à elle mal par les mesures d’austérité,
d’emmener en pleine nuit les les hôpitaux surchargés… », com-
échantillons de sang et d’urine à mente M. Sioras.
des laboratoires d’analyses se Panagiotis Psycharis, président
trouvant dans deux autres établis- du syndicat des médecins des
L’éducation est aussi touchée
Selon Eurostat, entre 2010 et 2016, les dépenses publiques pour
l’éducation ont baissé de 20 % en Grèce. Dans un pays où les cours
privés se sont développés massivement pour aider les étudiants
à passer les examens d’entrée à l’université, les dépenses des mé-
nages pour l’éducation ont également baissé de 54,7 % entre 2010
et 2014 selon l’Autorité grecque des statistiques (Elstat).
« L’éducation a été touchée de plein fouet par les coupes budgétai-
res. En 2009, dans l’enseignement secondaire, 102 000 enseignants
travaillaient. En 2017, ils n’étaient plus que 73 000, en raison notam-
ment de départs à la retraite non remplacés. Les fonds versés par
l’Etat aux établissements publics pour leur fonctionnement (électri-
cité, chauffage…) ont également été diminués de 32 % », explique
Giorgos Galanis, un représentant syndical des enseignants.
économie & entreprise | 3
baissé à 1,3 enfant par femme,
alors qu’il doit être d’au moins
deux enfants par femme pour
assurer le renouvellement des
générations. A la maternité privée
Rea, Antonia Charitou, la direc-
trice de l’unité néonatale, observe
que « les femmes ne font qu’un
enfant désormais, et assez tardive-
ment, après 30 ans ».
Pessimisme ambiant
Les bas salaires, le chômage qui
touche 27 % des femmes contre
20 % des hommes, le pessimisme
ambiant (selon l’Eurobaromètre
de 2015, 70 % de Grecs pensent
que la situation économique va se
dégrader, contre 46 % dans toute
l’Union européenne) ont cer-
tainement influencé la fécondité
à un moment où celle-ci, long-
temps très basse, commençait à
remonter.
« L’absence de politique familiale
et les coupes dans les dépenses
sociales exigées par les créanciers
du pays [Banque centrale euro-
péenne, Union européenne,
Fonds monétaire international]
n’ont pas non plus encouragé les
femmes à faire plus d’enfants,
commente Vironas Kotsamanis.
Les allocations pour un troisième
enfant sont ridicules en Grèce, de
l’ordre de 50 euros par mois. »
Mais Antonia Charitou avance
également une autre raison à cette
faible natalité : « Les jeunes fem-
mes qui ont actuellement 30 ans et
plus ont grandi dans les années
prospères en Grèce, où les enfants
étaient couverts de cadeaux,
suivaient des cours privés de lan-
gue, étaient inscrits à des activités
centres de santé publics, abonde :
« La moitié des patients examinés
par les médecins hospitaliers
devraient être vus d’abord dans
les centres de santé publics, mais
de nombreuses structures ont
fermé, manquent de spécialistes,
sont dépourvues de scanner. »
En février 2014, 55 000 méde-
cins exerçaient dans toute la
Grèce dans les centres de soins
publics, avant qu’une réforme en-
treprise par le gouvernement
d’Antonis Samaras, ne ramène ce
chiffre à… 22 000.
Baisse du budget
« Pendant des années, de l’argent
public a été gaspillé dans le do-
maine de la santé, admet M. Psy-
charis. Mais la baisse du budget de
ce secteur a été trop drastique et a
conduit à une crise humanitaire
sans précédent. » En 2015, les dé-
penses consacrées à la santé publi-
que sont tombées à 4,5 % du
produit intérieur brut en Grèce,
contre 7,5 %, en moyenne, dans les
28 pays de l’Union européenne.
Certes, en 2015, le premier
ministre Alexis Tsipras a rendu
l’accès aux soins gratuits pour
les 3 millions de citoyens qui
n’avaient plus de sécurité sociale,
en grande partie des chômeurs
qui au bout d’un an perdaient leur
couverture maladie. Désormais,
ils ne paient plus le droit d’entrée
à l’hôpital (5 euros), les frais de sé-
jour (25 euros par jour) et les mé-
dicaments prescrits par les méde-
périscolaires coûteuses. Elles veu-
lent offrir à leurs enfants le même
mode de vie, mais ce n’est plus telle-
ment possible avec la crise… »
Fléau supplémentaire pour
la société grecque : l’exode de
toute une génération de moins
de 40 ans, en âge de procréer.
D’après une enquête publiée en
juillet 2016 par Endeavor Greece,
un réseau de jeunes entrepre-
neurs, 350 000 Grecs se seraient
expatriés entre 2008 et 2016.
Pantelis Stathopoulos, 31 ans, est
parti il y a un an s’installer à Lon-
dres avec sa compagne. Embau-
ché pour 800 euros comme res-
ponsable qualité d’une entreprise
agroalimentaire à Athènes, il avait
été licencié, car « trop cher pour la
boîte », raconte-t-il. Parti sans
promesse d’embauche, Pantelis a
trouvé rapidement un travail à
Londres dans son domaine : « Je ne
regrette pas d’être parti, j’estime
qu’en Grèce, à l’heure actuelle, je se-
rais encore au chômage. En Angle-
terre, au moins si je ne suis pas
satisfait de mon travail, je peux le
quitter, j’en retrouverai un… »
La crise démographique ne laisse
rien présager de bon pour l’écono-
mie du pays déjà exsangue. « Dans
une dizaine d’années, la Grèce va
perdre un grand nombre d’actifs,
constate, amer, Vironas Kotsa-
manis. La population qui peut
consommer diminue, les caisses de
retraite et le système de santé vont
exploser, car les personnes de plus
de 85 ans augmentent plus vite que
les autres tranches d’âge. Difficile
d’être optimiste pour l’avenir de la
Grèce dans ces conditions ! » p
m. ra.
cins. « C’est un grand progrès, mais
maintenant le gouvernement doit
faire comprendre aux créanciers
qu’il faut augmenter les moyens
des centres de santé et des hôpi-
taux, embaucher du personnel… »,
soutient M. Psycharis.
D’autant que ce sont les hôpi-
taux qui, pour le moment, pren-
nent en charge le coût de l’aug-
mentation des soins pour les
non-assurés. « Chaque personne
hospitalisée sans sécurité sociale
coûte à l’hôpital 2 000 euros par
jour. Avec notre budget serré,
qui n’a pas augmenté cette année
malgré les promesses du gouver-
nement, comment allons-nous
faire ? », rouspète M. Sioras.
A partir du mois de juillet le
budget de l’hôpital est épuisé, a
constaté ces dernières années le
quinquagénaire. L’Etat fait alors
crédit à l’hôpital pour comman-
der le matériel et les médica-
ments nécessaires. « Mais vers le
mois de novembre, il nous arrive
souvent d’être à sec et d’avoir des
difficultés à commander des médi-
caments, surtout les plus coûteux
comme les anticancéreux », re-
marque M. Sioras. D’après l’Union
des pharmaciens de l’Attique, en-
viron 160 types de médicaments
sont régulièrement épuisés en
Grèce, car « certains laboratoires
pharmaceutiques n’en fournissent
plus, sachant que les caisses de la
sécurité sociale ou les hôpitaux ne
peuvent pas les payer… » p
m. ra.
4 | économie & entreprise 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

Renault-Nissan et l’affaire des bonus cachés

M. Ghosn et les dirigeants de l’Alliance pourraient être financièrement intéressés à la poursuite des synergies

L
es résultats financiers de
Renault n’ont jamais été
aussi élevés. Son alliance
avec Nissan n’a jamais été
aussi puissante, avec près de
10 millions de véhicules écoulés
en 2016. Et pourtant, son assem-
blée générale risque d’être particu-
lièrement scrutée, jeudi 15 juin. Le
constructeur et son PDG Carlos
Ghosn se trouvent au centre de
toutes les spéculations.
Après avoir révélé, au début du
mois, le lancement du recrute-
ment d’un nouveau numéro deux
de l’alliance Renault-Nissan, pos-
sible successeur de l’actuel patron,
l’agence de presse Reuters a dé-
voilé, mardi 13 juin, un projet po-
tentiellement explosif. Il permet
de verser des millions d’euros de
bonus annuels à l’équipe diri-
geante de l’alliance Renault-Nis-
san, et notamment à Carlos
Ghosn, par le biais d’une société
de service détenue par une fonda-
tion de droit néerlandais.
Selon une note élaborée par la
société Ardea Partners, Renault,
Nissan et Mitsubishi verseraient à
cette fondation 8 % du montant
des synergies additionnelles déga-
gées par les trois entreprises grâce
à leur travail en commun. En 2016,
Renault et Nissan avaient réalisé
4,3 milliards d’euros d’économies
en travaillant de concert. En 2017,
ils visent 5,5 milliards d’euros, ce
qui permettrait d’abonder l’an
prochain de près de 100 millions
d’euros cette nouvelle société.
Un tiers de ces fonds reviendrait
à une demi-douzaine des plus im-
portants dirigeants de l’alliance,
qui officient souvent déjà chez Re-
nault et Nissan, sous la forme de
bonus en cash et en titres afin de
les « encourager à poursuivre les
opportunités de synergies », selon
le document.
Système opaque
Ce système financier ultra-incita-
tif – mais opaque – permettrait à
Carlos Ghosn d’approfondir l’inté-
gration des trois entreprises pour Le PDG de
qu’elles fonctionnent comme une Renault,
seule et même entité, et ce, sans Carlos
toucher à la structure capitalisti- Ghosn,
que actuelle. En effet, M. Ghosn re- le 10 février,
fuse toute idée de fusion de Re- à Boulogne-
nault et de Nissan tant que l’Etat, Billancourt,
qui détient près de 20 % de l’an- au siège
cienne régie, reste au capital. du groupe.
Dans un communiqué, l’alliance ÉRIC PIERMONT/
Renault-Nissan prenait, mardi AFP
soir, ses distances avec cette hypo-
thèse. « Cet article n’est pas basé sur
une information fournie par l’al-
liance ou les entreprises qui en sont
membres, et aucune décision de
cette sorte n’a été prise. » Devant les
syndicats venus aux nouvelles, la
direction de Renault s’est égale-
ment démarquée de ce projet.
« Ce scénario est échafaudé sur la
base d’une note externe à l’entre-
prise, précise Franck Daoût, délé- nant un tel schéma de rémunéra- ger, du cabinet américain de con- 7,2 millions d’euros versée à Carlos
gué CFDT. Maintenant, on va sui- tion supplémentaire, l’état-major seil aux actionnaires Change to
Un tel projet Ghosn. Le conseil d’administra-
vre le sujet. » Les actionnaires, et de l’alliance semble chercher à se Win Investment Group. Cela va à sonnerait comme tion de Renault avait ignoré le vote
certains de leurs représentants, soustraire à la supervision des ac- l’encontre de tout principe de et maintenu la rémunération. En
sont très attentifs, car en imagi- tionnaires de Renault et de Nis- transparence. » Les versements
un camouflet ajoutant ses émoluments chez
san. « Le comité de rémunération des bonus échapperaient égale- pour l’Etat, qui Nissan, Carlos Ghosn a gagné
du conseil d’administration de Re- ment non seulement aux charges 15,6 millions d’euros, au titre de
voudrait réduire

15,6
nault a-t-il mandaté Carlos Ghosn
pour imaginer un nouveau sys-
tème d’intéressement pour les ca-
dres de l’alliance ?, se demande
Loïc Dessaint du cabinet Proxin-
C’est, en millions d’euros, le montant total des rémunérations vest. Si ce n’est pas le cas, c’est très
perçues par Carlos Ghosn en 2015 en tant que PDG de Renault et problématique. Car recourir à une
de Nissan. Cette somme recouvre le salaire fixe, la part variable et fondation aux Pays-Bas pour ré-
les actions de performance. En 2015, M. Ghosn a perçu 7,2 millions munérer des cadres supérieurs is-
d’euros de Renault et 8,4 millions de Nissan. Pour 2016, la rémuné- sus de Renault et de Nissan permet
ration chez Renault s’élève à 7,1 millions d’euros, mais celle versée de créer une véritable boîte noire. »
par le japonais n’est pas encore connue. M. Ghosn recevra aussi « Un tel schéma peut circonvenir
sa première rémunération complète de Mitsubishi en 2017. Son les actionnaires de Renault et de
montant sera connu en 2018. Nissan, abonde Dieter Waizeneg-
sociales françaises, mais égale-
ment au droit boursier français,
qui interdit ce type de pratiques.
« Les montants versés via les con-
trats de service seraient publiés
chaque année dans les comptes res-
pectifs des membres (de l’alliance) –
bien que les montants payés à cha-
que participant n’auraient pas lé-
galement à être publiés », précise le
document cité par Reuters.
Pour l’Etat, qui se refusait mardi
à tout commentaire, un tel projet
sonnerait comme un camouflet.
la rémunération
du Carlos Ghosn
Depuis 2012, ses représentants ont
engagé un bras de fer avec les ad-
ministrateurs de Renault pour ré-
duire le niveau de rémunération
de son PDG. A l’assemblée géné-
rale de 2016, les actionnaires, et en
premier lieu l’Etat, avaient voté à
54 % contre la rémunération de
2015, dernière année connue.
Jeudi, les actionnaires devront
de nouveau se prononcer sur sa ré-
munération, mais un vote négatif
semble moins acquis, car les cabi-
nets de conseil aux investisseurs
n’appellent plus à son refus. A l’été
2016, le conseil d’administration
de Renault a décidé de raboter de
20 % la part variable du salaire de
M. Ghosn… ce qui a permis d’abais-
ser sa rémunération de 2,6 %, à
7,058 millions d’euros. p
philippe jacqué

Uber : entreprise provisoirement sans pilote C HI MI E

Isochem va déposer
son bilan
En difficulté après avoir
Travis Kalanick, le patron de la plate-forme américaine de VTC, se met à l’écart du groupe, qui doit redorer son image perdu les commandes d’un
important laboratoire phar-
maceutique, le groupe fran-
çais de chimie fine Isochem,
san francisco - correspondance « Cela va constituer un test pour Inde par un chauffeur et a assuré de la société et doté de pouvoirs ou encore de favoriser la diversité qui comprend 285 salariés
savoir si Uber peut véritablement qu’il s’agissait d’un coup monté élargis. Par ailleurs, un président des équipes. Il recommande de sur quatre sites, va se déclarer

M is en difficulté pour
avoir laissé s’installer
une culture d’entre-
prise sexiste et discrimina-
toire, Travis Kalanick prend du
fonctionner sans lui », souligne un
ancien cadre de l’entreprise.
Personnage controversé, réputé
pour ses déclarations-chocs et ses
méthodes de management mus-
par un rival.
Selon l’agence de presse Reuters,
l’hypothèse de nommer un nou-
veau directeur général a été étu-
diée dimanche par le conseil d’ad-
et des membres indépendants
pourraient également être nom-
més au conseil d’administration.

recul. Comme pressenti ces der-
niers jours, le fondateur et patron
d’Uber va délaisser son poste de
directeur général pour une durée
encore indéterminée. Dans le
même temps, la plate-forme
américaine de voitures de trans-
port avec chauffeur (VTC) s’est
engagée à mener une vaste trans-
formation.
« J’ai besoin de travailler sur moi-
même pour devenir le leader dont
cette société a besoin », a expliqué
l’intéressé dans un message
adressé, mardi 13 juin, à l’ensem-
ble des salariés. L’entrepreneur
promet de « construire une équipe
dirigeante de première classe »
pour permettre « au nouvel Uber
de réussir ». Il évoque aussi le dé-
cès de sa mère, victime, fin de
mai, d’un accident de bateau. « J’ai
besoin de prendre du temps pour
faire le deuil. »
Aucun directeur général par
intérim n’a été nommé. « Je serai
disponible si besoin pour les déci-
sions les plus stratégiques », pré-
cise en outre M. Kalanick. La ges-
tion au jour le jour sera ainsi
assurée par la dizaine de res-
ponsables qui constituent le
deuxième échelon hiérarchique.
clées, M. Kalanick a été fragilisé
par une multitude de polémiques.
En janvier, il avait été accusé de
soutenir Donald Trump, déclen-
chant une campagne de boycott
sur les réseaux sociaux. Il avait
ainsi dû renoncer à siéger au sein
du forum chargé de conseiller le
nouveau président américain sur
les questions économiques.
La véritable tempête se déclen-
che mi-février, lorsque Susan
Fowler, une ancienne ingénieure
informatique d’Uber, raconte sur
son blog personnel que la direc-
tion des ressources humaines a
systématiquement ignoré ses
plaintes pour harcèlement sexuel.
Et décrit une organisation sexiste,
à l’image de ce responsable qui as-
sure que « les femmes ont besoin
de se mettre au niveau ».
M. Kalanick a tenté de reprendre
la main, reconnaissant des er-
reurs et promettant d’être un
meilleur dirigeant. Mais il a été
très vite rattrapé par une vidéo
montrant une dispute avec un
chauffeur. Puis par une succes-
sion de révélations embarrassan-
tes – en 2014, le patron d’Uber a,
par exemple, eu accès au dossier
médical d’une femme violée en
Grand ménage
limiter la consommation d’alcool
– une pratique répandue dans de
nombreuses start-up de la Silicon
Valley –, d’interdire les relations
intimes avec un supérieur hiérar-
en cessation de paiements
fin juin, a-t-on appris mardi
13 juin. La direction a dé-
marré des discussions avec
des industriels et des inves-
ministration de la firme, au cours Ces deux mesures font partie d’un chique et d’accroître la flexibilité tisseurs pour reprendre l’acti-
d’une réunion qui a duré près de éventail de recommandations for- des heures de travail. Enfin, il vité « le plus largement possi-
sept heures. Mais cette option mulées par le cabinet d’avocats di- encourage à revoir certaines des ble » et « un maximum de
n’avait que très peu de chances rigé par Eric Holder, l’ancien mi- quatorze valeurs d’entreprise prô- salariés », selon un proche du
d’être privilégiée. Avec ses proches nistre de la justice de Barack nées par M. Kalanick, car elles dossier. Ancienne filiale de la
Garrett Camp (le deuxième fonda- Obama. « Elles vont améliorer no- peuvent « justifier de mauvais Société nationale des poudres
teur d’Uber) et Ryan Graves (l’un tre culture, promouvoir l’équité et comportements ». et des explosifs, Isochem a
des premiers employés), l’entre- la responsabilisation, et établir des Parallèlement, Uber a entamé été cédée en 2010 à l’indus-
preneur possède en effet toujours procédures pour s’assurer que nos un grand ménage. Mardi 6 juin, triel allemand Aurelius. Après
la majorité des droits de vote. erreurs passées ne se reproduiront la société a ainsi annoncé le des années dans le rouge, la
A la place, les administrateurs pas », assure Liane Hornsey, la di- licenciement d’une vingtaine société venait d’atteindre
d’Uber ont préféré réduire les pré- rectrice des ressources humaines. de salariés, au terme d’une l’équilibre financier en 2016.
rogatives de M. Kalanick, qui su- Le rapport, dont les conclusions deuxième enquête confiée à un
pervisait jusqu’à présent de très ont été rendues publiques mardi, autre cabinet d’avocats. Et une F I N AN C E
nombreux aspects. A son retour, il préconise également de renforcer trentaine d’employés restent Un groupe chinois
sera épaulé par un directeur opé- les contrôles internes, d’amélio- menacés. Lundi, Emil Michael, sans nouvelles de son PDG
rationnel, véritable numéro deux rer la formation des manageurs l’un des responsables les plus dé- Le patron de l’assureur chi-
criés, a été poussé à la démission. nois Anbang, Wu Xiaohui,
Mardi, l’investisseur David Bon- « est temporairement dans
Apple confirme travailler sur un derman a quitté le conseil d’ad- l’incapacité d’exercer ses fonc-
ministration après avoir pro- tions pour des raisons person-
véhicule autonome noncé une remarque sexiste de- nelles », a indiqué le groupe
C’est un secret de polichinelle que vient de lever Tim Cook. Mardi vant les salariés. mercredi 14 juin dans un
13 juin, le patron d’Apple a confirmé que sa société travaillait bien Pour Uber, valorisée à hauteur communiqué. D’après le ma-
sur un projet de voiture sans chauffeur. « C’est une technologie-clé de 70 milliards de dollars, l’enjeu gazine Caijing, le dirigeant
que nous considérons comme très importante », a-t-il expliqué est crucial, tant pour conserver et aurait disparu après avoir été
à Bloomberg. En avril, un prototype du groupe à la pomme avait attirer les meilleurs ingénieurs interrogé par les autorités
été aperçu sur une autoroute de la Silicon Valley, le pôle techno- que pour redorer son image de chinoises dans le cadre d’une
logique californien. Selon la presse américaine, le projet, baptisé marque. Pour l’instant, l’impact enquête sur le présumé non-
« Titan » en interne, a été lancé en 2014. Plus de 1 000 personnes sur l’activité reste limité : au pre- respect par Anbang de la
y seraient affectées. Apple aurait renoncé à fabriquer sa propre mier trimestre, son chiffre d’affai- réglementation sur les pro-
voiture pour se concentrer sur la conception des technologies res a encore progressé de 18 %. p duits d’assurance ou les in-
autonomes, comme le système de radars et les logiciels. jérôme marin vestissements. – (AFP.)

0123
JEUDI 15 JUIN 2017
Les naufrages en forte baisse
Les pertes de grands navires ont chuté de 50 % en dix ans
L
es images, prises début
mai, sont impression-
nantes. Dans la baie de
Suva, la capitale des îles
Fidji, une dizaine de conteneurs
gris, bleu et rouge sang dérivent à
la surface de la mer, encore pres-
que en ligne, comme un énorme
serpent en train de se démantibu-
ler. C’est tout ce qui restait visible
du Southern-Phoenix, un cargo de
89 mètres de long, après son nau-
frage le 6 mai. En service depuis
trente-trois ans, le bateau imma-
triculé au Panama transportait
des marchandises entre les Fidji,
les îles Salomon, Tuvalu et Kiri-
bati. Il chargeait des conteneurs
quand il a été déséquilibré, s’est
couché, puis s’est enfoncé dans
les eaux sombres du port. Depuis,
une partie des conteneurs a été
repêchée, et le fioul des cuves a
été pompé pour éviter une marée
noire. Un appel d’offres vient
d’être lancé pour récupérer le na-
vire. Heureusement, il n’y a eu ni
morts ni blessés.
Des vieux porte-conteneurs qui
chavirent, des cargos qui entrent
en collision et sombrent, les pro-
fessionnels en recensent chaque
année des dizaines sur toutes les
Acquisition au Brésil pour CMA CGM
CMA CGM profite de la crise du secteur maritime pour renforcer
ses positions. Après s’être offert en 2016 le singapourien Neptune
Orient Lines (NOL), le champion français des navires porte-con-
teneurs a annoncé, mardi 13 juin, l’acquisition du transporteur
brésilien Mercosul. Cette entreprise dispose de quatre navires
qui opèrent au Brésil et en Amérique du Sud, une zone jugée
très prometteuse par son acquéreur marseillais. Mercosul a réa-
lisé en 2016 un chiffre d’affaires de 128 millions de dollars, soit
114 millions d’euros. La société appartenait jusqu’à présent
au danois Maersk, le numéro un mondial des porte-conteneurs.
Celui-ci a décidé de vendre cette filiale afin d’obtenir le feu vert
des autorités de la concurrence à l’achat de son concurrent alle-
mand Hamburg Süd, annoncé en décembre 2016.
Brexit : Bruxelles renonce à imposer
à Londres la délocalisation du « clearing »
Les chambres de compensation britanniques n’auront pas à déménager dans l’UE
A lors que le début officiel
des négociations du
Brexit est imminent,
Bruxelles a ajouté un coup de
pression sur Londres mardi
13 juin. La Commission euro-
péenne a présenté ses proposi-
tions dans la guerre du « clea-
ring », ce domaine très technique
mais essentiel au bon déroule-
ment des transactions financiè-
res. Objectif : imposer à Londres la
régulation financière euro-
péenne dans ce domaine, même
après la sortie du Royaume-Uni
de l’Union européenne (UE).
Vue de la City, cette approche ex-
traterritoriale de l’UE est un sou-
lagement : « Bruxelles n’a pas
choisi l’option nucléaire », expli-
que William Wright, fondateur du
think tank New Financial. Initia-
lement, l’UE envisageait d’impo-
ser aux chambres de compensa-
tion britanniques de déménager
sur le Vieux Continent, mettant
en danger des milliers d’emplois.
Il n’en est plus question, sauf « en
dernier recours », indique Valdis
Dombrovskis, le commissaire
européen chargé de l’euro.
Une telle décision ultime serait
confiée à l’Autorité européenne
des marchés financiers (AEMF) et
à la Banque centrale européenne
(BCE). En repoussant une sanc-
tion immédiate, et en la suspen-
dant à des critères techniques qui
restent à définir, la Commission a
enterré la hache de guerre. L’ac-
tion de la Bourse de Londres, l’en-
treprise qui avait le plus à perdre
dans cette histoire, a bondi de
plus de 5 % mardi.
mers du globe. Mais ce type d’ac-
cidents se fait plus rare. Alors que
les naufrages de migrants à bord
d’embarcations de fortune se
sont multipliés, surtout en Médi-
terranée, les grands navires, ceux
de plus de 100 tonnes, devien-
nent au contraire plus sûrs.
« Seuls » 85 ont disparu en mer
en 2016, un des meilleurs résul-
tats de l’histoire, selon le rapport
publié mardi 13 juin par la compa-
gnie d’assurances Allianz.
Cargos envoyés à la casse
C’est 16 % de moins qu’en 2015, où
101 grands bâtiments avaient fait
naufrage. Surtout, ce recul pro-
longe la baisse constatée depuis
des années. « En dix ans, les pertes
de grands navires ont été divisées
par deux, et la tendance se pour-
suit depuis le début de l’année »,
précise Jean-Pierre Ryckaert, spé-
cialiste des risques maritimes
chez Allianz.
L’explication ? Elle tient en partie
aux efforts effectués pour éviter
les sinistres. « La réglementation
n’a cessé d’être renforcée ces derniè-
res années, et une culture de la sécu-
rité s’est développée », affirment les
experts d’Allianz. Les grands arma-
Quand une transaction bour-
sière est réalisée, les chambres de
compensation sont chargées
d’assurer que l’échange de l’ar-
gent d’un côté, et de la propriété
de l’action de l’autre, est effective-
ment réalisé. Ils servent aussi
d’assureur, garantissant en der-
nier ressort que l’opération est ef-
fectuée. En échange, les tradeurs
doivent déposer une caution fi-
nancière appelée « appel de
marge ».
Jusqu’en 2008, ce bout de tuyau-
terie n’intéressait pas grand
monde. Mais la crise financière a
mis au jour le besoin de mieux
contrôler les produits dérivés,
qui étaient alors échangés sans
supervision.
Depuis, les régulateurs pous-
sent ces produits dans les cham-
bres de compensation, pour ten-
ter de les canaliser et d’en com-
prendre les risques. 60 % des pro-
duits dérivés de taux d’intérêt
passent désormais par elles, près
de deux fois plus qu’en 2009.
Mais cela pose un nouveau pro-
blème : en concentrant les ris-
ques, les chambres de compensa-
tion sont devenues les clés de
voûte du système. Si l’une d’elles
fait faillite, tous les échanges fi-
nanciers seraient gelés. Les régu-
lateurs veulent donc pouvoir les
superviser.
Dans ce contexte, le Brexit pose
un énorme défi. L’essentiel des
échanges de produits dérivés en
euros passent par la City, à Lon-
dres. La principale chambre de
compensation, LCH, appartient
à la Bourse de Londres. Quand
Selon les experts
d’Allianz, « la
réglementation
n’a cessé d’être
renforcée ces
dernières années
et une culture de
la sécurité s’est
développée »
teurs disposent en outre de nou-
velles technologies qui les aident,
en particulier des outils électroni-
ques de navigation. « Cela permet
de réduire de manière significative
autant l’incidence des bris de ma-
chines que les conséquences des er-
reurs humaines, qui se trouvent à
l’origine des trois quarts des acci-
dents », juge la compagnie alle-
mande. Résultat : les accidents
sont moins fréquents, et aboutis-
sent plus rarement à des naufra-
ges. Touché, pas coulé !
Mais « l’amélioration enregistrée
depuis dix ans a aussi une forte
composante conjoncturelle, ce qui
tempère un peu l’optimisme », re-
lève Jacky Bonnemains, dont l’as-
sociation Robin des bois suit de
près ce domaine. Durant cette dé-
cennie, le transport maritime a
traversé l’une des plus graves cri-
ses de son histoire. Face au ralen-
tissement du commerce mon-
dial, qui transite à 90 % par ba-
teau, les armateurs ont réduit la
voilure. Ils ont diminué la vitesse
des navires pour utiliser moins de
carburant, limité le nombre de
voyages, et envoyé à la casse une
spectaculaire série de vieux por-
te-conteneurs, cargos, etc. Autant
d’éléments favorables, par rico-
le Royaume-Uni sera sorti de l’UE,
les régulateurs européens
n’auront plus le contrôle de ce
qu’il s’y passe.
Bruxelles avait donc trois op-
tions : renoncer à superviser les
chambres de compensation, im-
poser une régulation extraterrito-
riale ou forcer leur déménage-
ment au sein de l’UE. La Commis-
sion a opté pour la deuxième so-
lution, tout en se réservant le
droit d’utiliser la troisième en cas
de nécessité.
Risque systémique
Bruxelles va faire le tri entre les
chambres de compensation qui
présentent un risque systémique
et les autres. Actuellement,
l’AEMF en reconnaît vingt-huit
hors de l’UE. La plupart d’entre el-
les gèrent des flux en euros de fai-
ble ampleur et rien ne changerait
pour elles. En revanche, pour cel-
les présentant un risque pour
l’ensemble de la zone euro, la su-
pervision sera effectuée conjoin-
tement par les régulateurs britan-
nique et européen. Les Etats-Unis
travaillent de cette façon : la com-
pensation en dollars réalisée à
Londres est conjointement su-
pervisée par la Commodity Futu-
res Trading Commission et la
banque d’Angleterre.
Pour les autorités françaises, qui
avaient poussé à la délocalisation
des chambres de compensation,
la décision de Bruxelles est une
défaite. Si cette proposition de-
meure en l’état, il n’y aura pas de
transfert d’emplois de Londres
vers l’UE dans ce domaine.
chet, à la sécurité – même si c’est
justement en partant vers la dé-
molition en Turquie que deux re-
morqueurs du danois Maersk ont
sombré au large de la Bretagne en
décembre 2016.
Le redémarrage actuel du sec-
teur suscite donc des inquiétudes.
Pour tenir durant les années noi-
res, « les armateurs ont souvent
cherché à faire des économies sur
l’entretien, la formation et la taille
des équipages », par exemple en
retardant certains travaux ou en
recrutant du personnel moins ex-
périmenté, note-t-on chez Al-
lianz. Si les armateurs poussent à
présent leurs bateaux au maxi-
mum de leurs possibilités pour
répondre à la demande, les épaves
risquent de faire de nouveau la
« une » de la presse.
« C’est d’autant plus alarmant
que les navires deviennent immen-
ses, qu’il s’agisse des paquebots,
des méthaniers ou des porte-con-
teneurs, met en garde M. Bonne-
mains. On embarque toujours
plus de marchandises avec plus de
fioul et moins de marins. Cela an-
nonce de mauvaises surprises. »
Allianz imagine déjà une collision
entre deux de ces géants. Elle
pourrait coûter à elle seule 4 mil-
liards de dollars (3,6 milliards
d’euros).
Un autre péril se profile : les cy-
berattaques. Aucun hackeur n’est
encore parvenu à prendre le con-
trôle d’un grand navire. Mais il ne
paraît pas impossible qu’un porte-
conteneurs se retrouve un jour
piégé sur un itinéraire stratégique.
« Les pirates informatiques pour-
raient bloquer le trafic pendant
longtemps », selon Allianz. Si les
pirates classiques se sont calmés
ces dernières années, leurs succes-
seurs font déjà frissonner. p
denis cosnard
La Commission réplique qu’il
n’en a jamais été question. « L’ob-
jectif de cette proposition est d’as-
surer la stabilité financière, pas de
déplacer des entreprises juste pour
les déplacer », explique M. Dom-
brovskis. Son point de vue dé-
coule notamment d’un argu-
ment économique : concentrer
au même endroit la compen-
sation dans de nombreuses devi-
ses différentes permet de réali-
ser d’importantes économies
d’échelle. Ainsi, LCH réalise la
compensation de dix-huit devi-
ses différentes.
Pour les grands investisseurs,
qui sont à la fois acheteurs et ven-
deurs, cela permet d’annuler cer-
tains « appels de marge » les uns
avec les autres. Au total, selon la
Bourse de Londres, ses clients réa-
lisent ainsi 25 milliards de dollars
(22,3 milliards d’euros) d’écono-
mies chaque année.
Néanmoins, Bruxelles n’a pas
complètement fait disparaître la
menace. Pour les chambres de
compensation systémiques où la
supervision à distance « ne sem-
ble pas suffisante pour réduire les
risques », être « établi à l’intérieur
de l’UE » pourrait être ordonné,
mais « dans des circonstances spé-
cifiques et en dernier ressort », in-
dique M. Dombrovskis.
C’est une façon pour la Commis-
sion européenne de maintenir
l’épée de Damoclès au-dessus de
la tête de la City. p
éric albert
(londres, correspondance)
avec cécile ducourtieux
(bruxelles, bureau européen)
économie & entreprise | 5
Les éleveurs veulent une
hausse du prix du lait
Le gouvernement organisera des Etats
généraux de l’alimentation début juillet
C’ était une promesse de
campagne du candidat
Emmanuel Macron. Le
président de la République l’a
confirmé vendredi 9 juin, à la
M. Mézard a affirmé qu’il allait
demander au médiateur des rela-
tions commerciales de prendre
contact avec toutes les enseignes
de la grande distribution pour
veille du premier tour des législa- qu’elles tiennent compte de cette
tives. Les Etats généraux de l’ali- conjoncture dans les négocia-
mentation placés sous le signe du tions en cours. Sachant que le prix
« partage de la valeur ajoutée en- des produits sous marque de dis-
tre agriculteurs, industrie agroali- tributeur se discute actuellement.
mentaire et distribution » débute-
ront début juillet. « Le choix de la valeur »
Un calendrier qui n’a pas Plus tôt dans l’après-midi, M. Ro-
échappé aux éleveurs laitiers. quefeuil avait obtenu le sou-
Mardi 13 juin, la Fédération natio- tien du patron de la chaîne de su-
nale des producteurs de lait permarchés Système U, Serge Pa-
(FNPL), branche spécialisée du pin. Ils ont demandé de concert
syndicat agricole FNSEA associée aux pouvoirs publics de modifier
aux Jeunes agriculteurs (JA), a la loi LME qui régit les règles com-
multiplié les actions pour faire merciales entre les industriels et la
entendre leur revendication : distribution, pour que le rapport
une hausse du prix du lait. de force ne joue pas au détriment
Thierry Roquefeuil, président de des producteurs.
la FNPL, le rappelait dans une tri- Les éleveurs ont aussi sorti les
bune publiée à l’intention du tracteurs dans l’ouest de la France
nouveau gouvernement il y a un mardi. Contrairement à l’été 2016
mois : « Sur les 65 000 éleveurs lai- où Lactalis était en ligne de mire,
tiers français, un tiers gagne la cible était cette fois les coopéra-
moins de 350 euros par mois. » tives. La première d’entre elles,
Il demande aujourd’hui un prix Sodiaal, a annoncé un prix de
du lait de 340 euros la tonne, sa- 310 euros la tonne en juin, puis
chant que ce dernier a été de 330 en juillet et août. A l’occasion
310 euros au premier trimestre et de son assemblée générale mer-
300 euros au deuxième. credi 14 juin, elle a dévoilé un chif-
M. Roquefeuil, accompagné fre d’affaires de 4,8 milliards
d’une délégation de la FNPL, a été d’euros pour 2016 contre 5 mil-
reçu mardi par le ministre de liards de 2015. Ce qui prouve la dif-
l’agriculture, Jacques Mézard. ficulté de la coopérative à valori-
Celui-ci a estimé que la demande ser ses produits. « Nous souhai-
de revalorisation du prix du lait tons faire le choix de la valeur
« était légitime ». Les arguments plutôt que du volume », affirme
avancés par les agriculteurs pour Damien Lacombe, président de
justifier leur demande sont l’ex- Sodiaal qui se refuse à s’engager
plosion des cours internationaux sur un prix du lait sur l’ensemble
du beurre qui ont plus que doublé de 2017 mais souligne que le ré-
et une légère amélioration de sultat net de 25 millions d’euros
ceux de la poudre de lait, toujours sera redistribué aux adhérents. p
plombés par les stocks européens. laurence girard
L’économie nipponne espère
un nouveau « panda boom »
A peine né et déjà tous les regards braqués sur lui. Au
Japon, la naissance d’un bébé de panda géant – la pre-
mière depuis 2012 – ne ravit pas que les passionnés de
ces gros animaux noir et blanc. L’heureuse nouvelle plaît aussi
beaucoup aux économistes locaux qui espèrent un nouveau
« panda boom ». La venue au monde, le 12 juin au zoo d’Ueno, à
Tokyo, du petit du couple d’ursidés Shin Shin et Ri Ri laisse en
effet espérer une explosion de la vente des produits dérivés et
une hausse de plus de 47 % de la fréquentation du parc anima-
lier. Le gain pour l’économie japonaise pourrait atteindre
26,7 milliards de yens (216,4 millions d’euros), selon les calculs de
Katsuhiro Miyamoto, de l’université du Kansai (sud-ouest).
A la Bourse de Tokyo, le jour de l’annonce de la naissance,
l’action de Toh-Ten-Koh, qui gère un grand restaurant chi-
nois proche du zoo, a bondi de 38 % à 290 yens, son plus haut
niveau en dix ans.
L’embellie pourrait durer à condition que le petit survive.
En 2012, le précédent nouveau-né était mort à six jours. Le petit
dernier pèserait 150 grammes et se porterait bien, selon les res-
ponsables du zoo qui, le 14 juin,
n’avaient toujours pas pu s’en appro-
LE BÉBÉ NÉ AU ZOO cher. Les pandas sont populaires au Ja-
pon : le carnet rose a fait la « une » de
D’UENO POURRAIT RE- toute la presse et la naissance a été
PRÉSENTER UN GAIN saluée par la gouverneure de Tokyo, Yu-
riko Koike, « heureuse d’une naissance
POUR L’ÉCONOMIE JA- qui était très attendue ».
« J’espère qu’il grandira bien et qu’il
PONAISE DE 26,7 MIL- sera vigoureux », a déclaré le porte-pa-
LIARDS DE YENS role du gouvernement Yoshihide Suga
qui y voit également un bon augure
pour l’amitié sino-japonaise.
Le premier couple de ces ursidés a été offert par la Chine au
Japon en 1972 dans la foulée de la normalisation des relations
diplomatiques entre les deux pays. S’en était ensuivi un
énorme « panda boom » dans l’Archipel.
Après l’interdiction de vendre les pandas géants, décidée
en 1975, Pékin – désireux de poursuivre cette « diplomatie du
panda » – les loue pour des périodes de dix à quinze ans, et uti-
lise l’argent pour la protection des quelque 1 800 pandas
géants toujours en liberté.
Pour le couple Shin Shin-Ri Ri, arrivé au zoo d’Ueno en fé-
vrier 2011, la ville de Tokyo débourse chaque année 80 mil-
lions de yens (648 400 euros), une somme jugée quelque peu
excessive au départ. Mais les retombées de leur présence en
année normale atteindraient à 20 milliards de yens (162 mil-
lions d’euros). p
philippe mesmer (tokyo, correspondance)
6 | idées 0123
JEUDI 15 JUIN 2017

VU D’AILLEURS | CHRONIQUE
par car m e n r e inhart

Les incohérences budgétaires de Donald Trump

L e gouvernement américain
vient de présenter son projet
de budget pour l’année fiscale
2018 dans un document intitulé
« America First. A Budget Blueprint to
Make America Great Again » (« L’Amé-
rique d’abord. Un projet de budget
pour rendre l’Amérique puissante de
nouveau »). Ce document présente
notamment des prévisions concer-
nant la dette, supposée diminuer de
77 % à 60 % du produit intérieur brut
(PIB) d’ici à 2027. Malheureusement,
ce n’est pas crédible.
Une baisse marquée et durable du
taux d’endettement public serait une
bonne nouvelle pour tous ceux qui
pensent que le surendettement
conduit à une fragilité budgétaire,
qui empêche l’Etat de faire face à une
crise éventuelle avec toute l’efficacité
voulue. Mais comme beaucoup de
critiques l’ont souligné, les hypothè-
ses qui sous-tendent ce scénario
optimiste sont irréalistes ; elles sont
même contradictoires.
Le budget de Trump repose sur une
croissance durable de 3 %, ce qui ne
semble pas compatible avec le recul
de la productivité, le ralentissement
de la croissance démographique et la
participation de plus en plus faible de
la force de travail à l’économie améri-
caine. Ce sont ces éléments qui ont
conduit aux multiples révisions à la
baisse de la croissance potentielle par
la Réserve fédérale et le bureau du
budget du Congrès.
Une nouvelle étude réalisée par un
organe indépendant, le Committee
for a Responsible Federal Budget
(commission pour un budget fédéral
responsable), dresse une perspective
très différente de celle de M. Trump.
Selon cette étude, si l’on se fonde sur
les hypothèses réalistes du bureau du
budget du Congrès, la dette va proba-
blement se maintenir à son niveau
actuel – et non pas diminuer brutale-
ment – et le déficit va rester au-dessus
de 2 % du PIB – et non pas disparaître
d’ici à 2027, comme le prévoit
M. Trump. Cette étude montre aussi
que, selon les hypothèses les plus
plausibles, en 2027, la dette devrait
être comprise entre 72 % et 83 % du
PIB, et le déficit devrait se situer entre
1,7 % et 4 % du PIB.
Jusqu’à présent, l’essentiel des criti-
ques du projet budgétaire concernait
les prévisions exagérément optimis-
tes sur le PIB. Dans l’hypothèse où
l’économie américaine fonctionne
bien, l’élimination ou la diminution
de différentes taxes et la lutte contre
les mesures économiques mal con-
çues pourraient certes doper la crois-
sance. Ainsi, une récente étude du
Fonds monétaire international mon-
tre qu’il est possible d’augmenter la
productivité en améliorant le système
fiscal, ce qui augmenterait le taux de
croissance réel du PIB d’environ un
point de pourcentage sur vingt ans.
PROBABLE HAUSSE DES TAUX
Mais même en retenant l’hypothèse
d’une croissance durable de 3 %, les
prévisions du gouvernement repo-
sent sur une autre hypothèse exagé-
rément optimiste : l’évolution et le
niveau attendu des taux d’intérêt
(rappelons qu’une baisse des taux
diminuerait le service de la dette). A
première vue, les projections relatives
aux taux d’intérêt à court et long
terme (10 ans) dans le projet de bud-
get 2018 sont compatibles avec les
prévisions annoncées. Mais le gou-
vernement a en réalité choisi les
hypothèses qui lui conviennent, en
supposant que les taux d’intérêt res-
teraient bas malgré une croissance de
l’ordre de 2 %. Mais des taux d’intérêt
réels (ajustés en fonction de l’infla-
tion) qui resteraient à des niveaux
plancher malgré une hausse marquée
de la croissance à long terme consti-
tueraient une anomalie historique !
Le gouvernement estime que le
taux d’intérêt des bons du Trésor à
3 mois va rester inférieur à 1 % pen-
dant la décennie, et que la prime à
terme va disparaître presque entière-
ment. Alors que, actuellement, le
rendement des bons du Trésor à
10 ans est trois fois supérieur à celui
des bons à 3 mois.
Historiquement, un profil plat de la
courbe des taux est associé à une
politique monétaire stricte et à des
taux d’intérêt élevés. Entre 1940 et
1970, la combinaison entre une crois-
sance forte et soutenue et des taux
d’intérêt bas a souvent été la norme
aux Etats-Unis, en raison de la « ré-
pression financière » qu’exerçait une
forte régulation des marchés
financiers et de la politique accom-
modante de la banque centrale.
Mais si l’histoire peut nous servir de
guide, la combinaison entre la déré-
gulation financière (ce que M. Trump
adore) et une banque centrale indé-
pendante confrontée à un plein-em-
ploi potentiel et à une surchauffe éco-
nomique est le signe avant-coureur
d’une hausse des taux d’intérêt, qui
alourdira le poids de la dette (et son
service) et creusera les déficits.
Il y a donc une grave contradiction
interne à un scénario de forte crois-
sance et de taux d’intérêt réels faibles,
sur lequel repose le projet budgétaire
de M. Trump. A moins que, contraire-
ment aux promesses du gouverne-
ment, les marchés financiers ne
soient prochainement confrontés à
une sévère répression financière ! p
(Traduit de l’anglais
par Patrice Horovitz)
Copyright : Project Syndicate, 2017
Project-syndicate.org
¶
Carmen Reinhart est professeure de
finance internationale à la Kennedy School
of Government de l’université Harvard

Taxation des GAFA : Pour une fiscalité européenne

l’Italie donne l’exemple
En obtenant de Google s’élèvent à 33 %. Google y parvient en
la reconnaissance d’un justifiant ne pas posséder d’établisse-
ment stable en France, tout comme
« établissement stable » dans d’autres pays européens…
dans la Péninsule, Justement, un pays voisin de la
France, l’Italie, vient d’obtenir gain de
Rome a pu prélever cause auprès du géant américain ! Le
l’impôt sur l’activité 5 mai, la directrice de l’Agence des re-
cettes fiscales italiennes, Rossella
du géant du numérique Orlandi, a détaillé l’accord trouvé en-
dans ses frontières. Que tre l’Etat italien et Google. Pour les an-
protectrice
Au lieu d’abandonner ses standards sociaux Cette contre-mesure, inspirée de la lo-
et environnementaux au nom de la compétitivité, gique antidumping, fera perdre à l’en-
treprise étrangère l’avantage qu’elle
l’Europe doit protéger son modèle en taxant entendait obtenir en se livrant à une
les entreprises extérieures qui ne les respectent pas concurrence dommageable.
Et elle financera le budget européen,
ce qui permettra de réduire les contri-
par alexandre maitrot
tabli. Bien entendu, l’Europe ne peut butions des Etats membres et de finan-
pas s’abstraire des conditions de pro- cer de nouveaux investissements. La
de la motte
duction des marchandises et services mise en œuvre de cette clause de réci-
importés. C’est pourquoi une clause de procité aura deux séries de conséquen-

nées de 2009 à 2015, Google s’est en-
les autres pays européens gagé à verser 306 millions d’euros de
fassent de même ! taxes. Surtout, Google a reconnu que
sa filiale italienne est bien un établis-
sement stable. Par conséquent, l’Italie
pourra appliquer l’impôt sur les socié-
par franck cazenave
tés aux revenus de 2016 et pour toutes
les années à venir.
L
e gouvernement français doit
proposer à ses partenaires
européens d’instaurer une
clause de réciprocité dans les
relations commerciales avec les Etats
tiers. Reposant sur un impôt européen,
elle permettrait des échanges vérita-
blement libres plutôt que le libre-
réciprocité fondée sur un principe de
« mieux-disant » pourrait être adoptée
afin de construire un alignement de
l’Europe et de ses partenaires sur le
meilleur standard. Pour leurs consom-
mateurs, leurs salariés et les entrepri-
ses européennes elles-mêmes, il est
pertinent de rechercher le mieux-di-
ces pour les entreprises étrangères.
Celles qui ne respecteront pas la norme
ou le standard européen n’en tireront
aucun avantage économique du fait de
l’imposition ; celles qui les respecte-
ront en vue d’éviter le surcoût lié à l’im-
position cesseront d’avoir une attitude
déloyale. Susceptible de renforcer la

L
a France a ratifié des conven-
tions fiscales avec de nom-
breux pays en faisant réfé-
rence à la notion « d’établisse-
ment stable », telle que définie par
l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE).
Cette notion est essentielle pour ap-
précier si des activités industrielles ou
commerciales exercées dans un Etat
ou un territoire autre que celui de la
résidence de la personne morale con-
cernée sont imposables au lieu de la
résidence ou, au contraire, au lieu
d’exercice de ces activités.
En ce qui concerne le géant de
Mountain View, Google Ireland est la
filiale qui facture les services de Goo-
gle aux annonceurs établis en Europe.
Elle emploie quelque 3 000 personnes
en Irlande et détient des filiales dans
différents Etats, comme Google
France, qui emploie plus de 500 per-
sonnes. L’activité d’une filiale comme
celle-ci consiste à promouvoir Google
auprès des annonceurs du pays. Tou-
tefois, ceux-ci contractent unique-
ment avec Google Ireland.
La filiale française est rémunérée
par Google Ireland au titre de sa pres-
tation d’apporteur d’affaires à hau-
teur d’environ 10 % du chiffre d’affai-
res. Le bénéfice de l’activité de Google
dans chacun des pays européens est
donc concentré dans l’entité opéra-
tionnelle basée en Irlande. Par consé-
quent, les revenus issus des annon-
ceurs français échappent à l’impôt
sur les sociétés de notre pays, qui
¶ bnb, très présent dans la Péninsule
Franck Cazenave
est l’auteur
de « Stop Google »
(Pearson Education, 2014)
Il faut rappeler que la définition
d’« établissement stable » repose sur
des critères très clairs : existence
d’une installation d’affaires (locaux,
matériel, outillage…), établie en un
lieu précis avec un certain degré de
permanence et ayant une activité
propre, ce qui implique normale-
ment la présence sur place de person-
nel de l’entreprise. Si l’établissement
stable est avéré en Italie, il devrait
l’être aussi en France.
700 MILLIONS D’EUROS À PERCEVOIR
Le marché de l’e-commerce est trois
fois plus développé en France qu’en
Italie. Le chiffre d’affaires réalisé par
Google est bien plus élevé dans
l’Hexagone que dans la Botte… Goo-
gle France a réalisé un chiffre d’affai-
res de 247 millions d’euros en 2015,
qui représente seulement 10 % du
chiffre d’affaires facturé par Google
Ireland aux annonceurs de notre
pays. Par conséquent, le chiffre d’af-
faires réel s’élèverait à 2,5 milliards
d’euros, avec presque 2,2 milliards de
profits nets, puisque les 247 millions
d’euros de chiffre d’affaires déclaré
couvrent tous les coûts de Google
France. Avec une imposition de 33 %
sur les profits des sociétés, notre pays
devrait percevoir plus de 700 millions
d’euros de rentrées fiscales, au titre
de l’exercice 2015. Alors, en suivant
l’exemple italien, la France pourrait
recouvrer les milliards d’euros dus à
notre pays durant les derniers exerci-
ces fiscaux de Google.
Enfin, l’Etat italien avait déjà obtenu
un accord similaire avec Apple et a
déclaré s’attaquer maintenant à Air-
comme dans notre pays. L’Italie nous
enseigne que l’« optimisation fis-
cale » des géants de l’économie nu-
mérique n’est pas une fatalité. p
échange non régulé. Fondée sur une lo-
gique de mieux-disant, elle aurait pour
objectif de faire des échanges commer-
ciaux un instrument de mieux-être so-
cial et économique partagé.
Le respect des normes commerciales,
sociales, politiques, fiscales et environ-
nementales par les entreprises françai-
ses et européennes est légitime : il fa-
vorise une économie éthique, solidaire
et créative. Mais il a un coût non négli-
geable : toutes choses étant égales par
ailleurs, l’entreprise qui, sur son terri-
toire, respecte ces normes est moins
compétitive, sur son marché domesti-
que comme sur ses marchés d’exporta-
tion, que ses concurrents étrangers qui
ne les respectent pas. Afin de ne pas su-
bir de nouvelles délocalisations, l’ap-
proche purement libérale, souvent
préconisée, consiste à supprimer ces
normes au nom de la compétitivité des
entreprises françaises et européennes.
Mais si un allégement des contrain-
tes est souhaitable, il ne faudrait pas
aboutir à une déréglementation totale
et à un moins-disant social, fiscal ou
environnemental. Un tel moins-disant
n’aurait d’ailleurs aucune limite. Or,
nul Européen ne souhaite vivre dans
une société sans services publics, sans
impôts, sans respect de l’environne-
ment, sans protection sociale, et dans
laquelle le travail des enfants serait ré-
CETTE MESURE
PERMETTRA DE PASSER
D’UNE COMPÉTITION
PARFOIS DESTRUCTRICE
À UNE COOPÉRATION
HARMONIEUSE
sant plutôt que le moins-disant. Pour
l’Europe, il est nécessaire de tirer enfin
parti de la force de son marché inté-
rieur, et de proposer aux Européens
un modèle de développement autre
que celui qui est fondé sur un accrois-
sement de leur pouvoir d’achat grâce à
une déréglementation sans limite.
STANDARD MINIMUM
La mise en œuvre de la clause de réci-
procité proposée pourra être effectuée
en cinq ans. Elle supposera, dans un
premier temps, d’identifier les stan-
dards commerciaux, sociaux, politi-
ques, fiscaux et environnementaux
dont le maintien et l’extension sont
souhaitables. Cette identification dé-
pendra du niveau européen d’intégra-
tion dans les domaines concernés : si
une harmonisation, une coopération
ou une politique commune euro-
péenne est déjà mise en œuvre, celle-ci
constituera le standard minimum que
devront respecter les entreprises des
Etats tiers ; et s’il n’existe pas de stan-
dard européen, le standard français
pourra constituer le point de départ
des propositions européennes.
Dans un second temps, les entrepri-
ses des Etats tiers seront incitées à res-
pecter les standards européens ainsi
identifiés. Plutôt que l’approche tradi-
tionnelle consistant à engager de lon-
gues négociations à l’échelle interna-
tionale et à adopter des traités interna-
tionaux, une approche pragmatique
apportera, pour chaque entreprise non
européenne qui accède aujourd’hui
presque sans limite et sans contrepar-
tie au marché intérieur, à vérifier
qu’elle en respecte les standards. Si tel
n’est pas le cas, l’avantage qu’elle en tire
sera évalué, et le prix des biens et des
services qu’elle propose sera majoré,
par une imposition européenne, d’une
somme équivalente à cet avantage.
cohérence du programme européen
porté par le président de la République,
l’introduction d’une clause européen-
ne de réciprocité ne conduira pas à la
mise en œuvre d’une politique protec-
tionniste visant à fermer les frontières
et à restreindre les échanges, mais à
protéger les Européens en luttant con-
tre la concurrence déloyale à l’échelle
internationale. La réciprocité impose
l’égalité des armes dans la concurrence
à laquelle se livrent les entreprises. A
terme, cette mesure permettra de pas-
ser d’une compétition parfois destruc-
trice et souvent contraire aux valeurs
humaines à une coopération harmo-
nieuse, au service des Européens. Elle
contribuera à diffuser les aspects posi-
tifs du modèle français en Europe et
au-delà des frontières de l’Europe. Elle
servira les valeurs de l’Europe unie : la
paix, la liberté et la prospérité.
Dans cette attente, la politique fis-
cale européenne de la France doit con-
sister à soutenir le projet d’assiette
commune en matière d’impôt sur les
sociétés, la taxe sur les transactions fi-
nancières qui devient possible du fait
du Brexit, et l’accompagnement des
excellentes initiatives prises par la
Commission européenne en vue de
lutter contre la concurrence fiscale
dommageable et l’évasion fiscale in-
ternationale. Nécessaires, ces trois
mesures resteraient toutefois insuffi-
santes au regard des espoirs de renou-
veau – voire de refondation – suscités
en France et en Europe par l’élection
d’Emmanuel Macron. p
¶
Alexandre Maitrot de la Motte est
professeur à la faculté de droit
de l’université Paris-Est-Créteil
0123
JEUDI 15 JUIN 2017
A l’E3, les constructeurs de consoles restent sages
Microsoft a présenté la Xbox One X, taillée pour la haute définition ; Sony et Nintendo ont misé sur les jeux
los angeles (californie) -
envoyé spécial
S
i la « guerre des consoles »
fait les choux gras de la
presse des jeux vidéo
depuis deux décennies,
l’édition 2017 de l’Electronic Enter-
tainment Exposition (E3), qui fer-
mera ses portes jeudi 15 juin à
Los Angeles, restera assez pauvre
en annonces. Du dimanche 11 au
mardi 13 juin, les trois conférences
successives de Microsoft, Sony et
Nintendo ont semblé figer le mar-
ché du jeu vidéo plus qu’elles ne
l’ont bousculé.
Cette impression d’immobi-
lisme doit beaucoup au leader du
secteur, Sony, qui caracole en tête
de cette génération avec 60 mil-
lions de consoles PlayStation 4
écoulées. Coutumier des perfor-
mances remarquées, à l’image de
la présentation très médiatique de
son casque de réalité virtuelle PS
VR en 2016, le constructeur japo-
nais s’est montré étonnamment
sage cette année, hormis quelques
exclusivités, comme une partie du
jeu de tir Destiny 2. « C’était une
conférence orientée sur les jeux,
mais au-dessous des éditions 2015
et 2016, qui étaient, certes, phéno-
ménales, recadre Thomas Grellier,
directeur associé et cofondateur
de l’Ecole de management des in-
dustries culturelles. C’est cohérent
avec le cycle de vie de la PlaySta-
tion 4, qui arrive aujourd’hui en
phase de maturité. »
En comparaison, Microsoft a
semblé bien plus actif. Outre un
catalogue 2017-2018 riche et com-
plet, le constructeur américain a
dévoilé une nouvelle console, la
Xbox One X (vendue 500 euros),
présentée comme « la plus puis-
sante jamais conçue » et la seule
calibrée pour les écrans 4K (ultra-
haute définition), ainsi que
la seule machine du marché à lire
les jeux de trois générations
de consoles, de la première Xbox à
la Xbox One.
Les frais d’itinérance disparaissent en Europe
Les appels, les SMS ou MMS ne seront plus surtaxés au sein des Vingt-Sept
et du Royaume-Uni. Naviguer sur Internet sera également moins coûteux
A près dix ans de négo-
ciations, les frais d’itiné-
rance (roaming), ces sur-
coûts payés par l’utilisateur lors-
qu’il téléphonait depuis l’étran-
ger, disparaissent au sein des pays
européens. « C’est une excellente
nouvelle, car ces facturations ex-
cessives, très courantes au début
des années 2000, devraient entiè-
rement disparaître », constate An-
toine Autier, spécialiste des télé-
communications chez UFC - Que-
Choisir. Les particuliers pourront
aussi – dans une certaine limite –
surfer sur Internet sans grever
leur budget.
Les appels, SMS et MMS ne sont
plus surtaxés Téléphoner, en-
voyer un SMS ou un MMS depuis
l’un des 27 Etats membres de
l’Union européenne (UE) et, pour
l’instant, la Grande-Bretagne,
vous coûte désormais le même
prix que si vous êtes en France.
Les communications sont dé-
comptées de votre forfait (ou des
cartes prépayées) de façon identi-
que, que l’appel soit réalisé vers
la France, vers le pays dans lequel
vous êtes, ou vers n’importe quel
autre pays de l’UE.
Une fois votre forfait épuisé, les
appels sont facturés, mais dans la
limite d’un plafond fixé par la
Commission : 3,2 centimes par mi-
nute d’appel et 1 centime par SMS.
Autre changement, lorsque
vous voyagez dans l’UE et que
vous recevez un appel venant
« Nous sommes
dans notre
logique, qui est
de sortir un
grand jeu par
mois sur Switch »
PHILIPPE LAVOUÉ
président de Nintendo France
La firme de Redmond entend
ainsi renouer avec son public his-
torique, celui des gros consomma-
teurs technophiles. Le « X » accolé
à son nom vient de là. « Il remonte
à la première Xbox, [l’idée] qu’il n’y
ait rien de plus fort que le X. C’était
au cœur de son concept. La Xbox
One X lira les jeux Xbox, c’était donc
une manière de lui rendre hom-
mage », explique au Monde Mike
Ybarra, vice-président corporate
international de Xbox.
Positionnée dans le haut de
gamme, la « X » viendra concur-
rencer la PlayStation 4 Pro de Sony,
en rupture de stock depuis son
lancement fin 2016. Elle devrait
toutefois ne représenter qu’un
pan très limité des ventes dans
un premier temps, en raison du
taux d’adoption encore limité des
écrans 4K. « Nous avons deux con-
soles dans la famille, la Xbox One S,
qui est la meilleure proposition en
termes de valeur, et la Xbox One X,
la meilleure en termes de puis-
sance. L’une est sur le gros du
marché, l’autre est plus premium »,
détaille Hugues Ouvrard, direc-
teur de Xbox France.
Nintendo avare en annonces
Avec ce lancement très médiati-
que et cette offre commerciale réé-
quilibrée, Microsoft a semblé
prendre un léger ascendant sur ses
concurrents. Mais la vérité d’un
Salon n’est pas celle d’un marché
– ce dont peut attester Nintendo.
Sa console Switch, si discrète lors
d’un autre pays européen, celui-ci
n’est pas surtaxé.
En revanche, vos appels passés
depuis la France vers un pays
étranger – Europe comprise – ou
depuis un pays n’appartenant pas
à l’UE (Suisse, Turquie, Serbie,
Etats-Unis…) le sont toujours (du
moins si ces pays ne sont pas inté-
grés dans votre forfait).
Prenons un petit exemple : en
vacances en Grèce, vous télépho-
nez à votre mère à Grenoble pour
lui donner des nouvelles. Dans ce
cas, vous n’êtes plus surfacturé.
Sachez aussi être qu’après qua-
tre mois consécutifs de commu-
nication à l’étranger, tout com-
portement excessif – c’est-à-dire
si vous utilisez davantage votre
téléphone à l’étranger que dans
votre pays d’origine – peut être
facturé dans la limite du plafond
européen (3,2 centimes par mi-
nute, 1 centime par SMS).
L’objectif est d’éviter que
des Européens souscrivent à
des forfaits plus avantageux
dans un autre pays pour les utili-
ser chez eux.
Surfer sur le Web sera moins
coûteux… dans une certaine
limite Grâce à la fin des frais
d’itinérance, les particuliers
pourront naviguer sur Internet
depuis l’étranger sans être sur-
taxés. Du moins dans la limite
d’un plafond de données, qui dé-
pend de votre forfait et de savants
calculs de la Commission.
La XBox One X de Microsoft, au Salon E3, à Los Angeles, le 12 juin. CASEY RODGERS/INVISION FOR MICROSOFT
des conférences, figure parmi les
meilleures ventes aux Etats-Unis
depuis deux mois. Ainsi le japo-
nais semble-t-il serein face à la
nouvelle montée en gamme de
ses rivaux. « Notre public est beau-
coup plus large. Nous voulons que
les consommateurs de 5 à 95 ans
jouent à nos jeux », relativise le
président de Nintendo of America,
Reggie Fils-Aimé, dans une inter-
view à NBC.
La conférence de la firme de
Kyoto n’a pourtant pas été la plus
emblématique du Salon. Une tren-
taine de minutes de jeux – dont
Vous possédez un forfait
illimité de données Pour connaî-
tre votre volume de données
utilisable sans surcoût à l’étran-
ger vous devez appliquer
une subtile formule : il faut divi-
ser le prix de votre forfait par le
tarif de gros du gigaoctets (Go)
en vigueur (7,7 euros pour 1 Go
de données en 2017), le tout
multiplié par 2. Au-delà de ce vo-
lume, vous pouvez être amené
à payer un surcoût de 7,70 euros/
Go de données.
Exemple : votre forfait mobile
intègre un volume illimité d’ap-
pels, de SMS et de données pour
42 euros par mois (soit 35 euros
hors TVA). Vous bénéficiez d’au
moins 9,1 Go de données [2 x
(35/7,7) = 9,1] sans surcoût lorsque
vous voyagez dans l’UE.
Votre forfait prévoit un volume
limité de données Dans ce cas,
vous pouvez bénéficier, à l’étran-
ger, du volume total de données
inclus dans votre contrat, expli-
que dans une note à vertu péda-
gogique la Commission euro-
péenne.
Mais – ce serait trop simple –
l’opérateur peut fixer une limite
si vous payez moins de 3,85 euros
par Go de données.
Deux exemples pour bien
comprendre :
– Votre forfait à 30 euros
(25 euros sans TVA) prévoit 3 Go
de données. Dans ce cas, vous
payez 8,33 euros par Go
l’essentiel était déjà connu –, et qui
sortiront d’ici la fin de l’année. Les
jeux d’éditeurs tiers brillaient par
leur absence, alors que sa précé-
dente machine, la Wii U, a large-
ment compensé le manque de
soutien des producteurs occiden-
taux. « FIFA 18 sera présent sur
Switch, et ce dès le 29 septembre,
NBA 2K aussi, soit deux des jeux de
sport les plus populaires. Il faut y
ajouter le jeu d’Ubisoft Mario + The
Lapins crétins et le jeu de rôle Sky-
rim. Et tout n’a pas encore été an-
noncé », nuance Philippe Lavoué,
président de Nintendo France.
(25 euros/3 Go). Comme vous êtes
au-dessus de la limite de
3,85 euros par Go vous pouvez
donc utiliser vos 3 Go de données
en France comme à l’étranger
sans surcoût.
– Votre forfait à 30 euros prévoit
10 Go de données. Vous payez
donc 2,5 euros par Go. Soit un chif-
fre inférieur aux 3,85 euros par Go
défini par l’UE. Dans ce cas, vous
n’aurez pas le droit d’utiliser vos
10 Go à l’étranger. Pour calculer le
volume disponible, il faut utiliser
la première formule. Vous pour-
rez donc utiliser 6,5 Go [25/7,7 × 2]
de votre forfait à l’étranger sans
payer de surcoût.
Tout dépend donc de votre for-
fait, même si l’enveloppe de data
disponible est conçue pour suf-
fire à un consommateur moyen.
Attention toutefois à la qualité
du service offert : « Si Orange mise
sur l’accès 4G dans l’ensemble des
pays de l’UE pour attirer plus de
clients, Free n’offre qu’une con-
nexion 3G », avertit M. Autier.
Quant à la menace d’une
hausse de prix des forfaits, agitée
par les opérateurs avant la signa-
ture du règlement européen, elle
est limitée.
« Le marché de la téléphonie
mobile est aujourd’hui fluide et
concurrentiel, notamment grâce
à l’apparition des offres sans en-
gagement. Il y a peu de risque
de voir une inflation tarifaire », es-
time M. Autier. p
ernest abergel
MÉDIAS&PIXELS | 7
Quant à la relative absence de
projets concernant la vie de la con-
sole à l’horizon 2018, elle tient à un
choix stratégique de communi-
quer sur du temps court. « Certains
de nos confrères annoncent des
programmes qui vont au-delà de
l’année calendaire. Nous nous som-
mes toujours tenus à présenter les
jeux qui sortent rapidement »,
poursuit M. Lavoué. En 2015, Sony
avait notamment créé la sensation
en annonçant Shenmue III et un
remake de Final Fantasy VII, deux
titres espérés depuis plus d’une
décennie par les passionnés, mais
I N T ER N ET
Verizon a bouclé
le rachat de Yahoo!
Le géant américain des télé-
coms, Verizon, et le groupe
spécialisé sur les services
Internet, Yahoo!, ont an-
noncé, mardi 13 juin, avoir
bouclé la transaction de près
de 4,5 milliards de dollars
(4,01 milliards d’euros) au
terme de laquelle Verizon
s’emparera du cœur de mé-
tier de Yahoo! (portail Inter-
net, mails…) pour le fusion-
ner avec AOL et former
une nouvelle entité baptisée
« Oath ». – (AFP.)
LES
MATINS.
du lundi
au vendredi
7H
Guillaume Erner
et la rédaction
franceculture.fr/
@Franceculture
© Radio France/Ch. Abramowitz
En
partenariat
avec
qui ne sont toujours pas parus.
Nintendo entend donc rester fi-
dèle à son calendrier. « Nous som-
mes dans notre logique qui est de
sortir un grand jeu par mois sur
Switch », précise M. Lavoué. Le
constructeur a tout de même pro-
fité du Salon pour annoncer l’exis-
tence d’un nouveau projet Poké-
mon, aux perspectives commer-
ciales alléchantes. Comme le ré-
sume Thomas Grellier : « L’E3, c’est
comme le tennis. Il ne faut pas être
bon : il faut être meilleur que l’ad-
versaire. » p
william audureau
MÉD I AS
Premier feu vert
à la prise de contrôle par
Altice de Groupe News
L’Autorité de la concurrence a
donné son feu vert, le 13 juin,
à la prise de contrôle de
Groupe News Participation
(qui regroupe les actifs de
NextRadioTV, dont BFM-TV et
RMC), par le groupe de télé-
coms et médias de Patrick
Drahi, Altice. Cette opération
est soumise à l’accord
du CSA, qui doit notamment
s’assurer qu’elle est
conforme au principe de plu-
ralisme des médias.
L’esprit
d’ouver-
ture.
 Demain
les rendements
viendront
d’ailleurs
Adoptez une approche diversifiée dans
l’objectif de générer un rendement régulier
Les placements traditionnels n’ofrent plus les rendements attractifs
du passé. La complexité des marchés financiers et les incertitudes
économiques nécessitent une large palette d’actifs dans l’objectif
de capter les rendements de demain.
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