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La Découverte | « Réseaux »
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Gérôme GUIBERT
Nelly QUEMENER
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DOI: 10.3917/res.192.0087
« Certes, la culture ne peut aller au-delà du possible. Mais l’organisation
sociale reste à la traîne de ce qui, du point de vue de la culture, est possible
et désirable. » (Warner cité par Williams, 2013 [1958], p. 59)
D
ans la littérature, économie politique de la communication (EPC) et
cultural studies (CS) sont deux courants théoriques qui apparaissent
comme antithétiques (Garnham, 2015 [1995] ; Grossberg, 2015
[1995] ; Mattelart et Neveu, 1996 ; Fenton, 2007 ; Hesmondhalgh, 2007a).
De nombreuses contributions ont comparé les deux visions, soulignant avant
tout leurs antagonismes. Une opposition qui avait notamment pour vertus
d’expliciter les propos de ces deux élaborations théoriques dans le champ
de la communication (objectivisme vs connaissance située, production vs
consommation, déterminisme vs agency, antagonisme de classe vs politique
de l’identité ou même économie vs culture). Mais dans ces exposés qui se
concentrent sur les divergences, la description de l’autre « camp » est souvent
simplifiée et ne tient en général pas compte de la complexité de l’approche
adverse, des débats internes qui ont jalonné son développement, ni des pro-
cessus historiques de sa construction. Des travaux récents soulignent ainsi
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que les CS, puisqu’elles s’intéressent aux pratiques culturelles des acteurs et
leur accordent traditionnellement une capacité d’agir autonome, sont loin du
marxisme. Mais ce serait oublier que la formalisation des principaux concepts
des CS émane d’un cadre conceptuel basé sur le rapport conflictuel aux domi-
nants, sur les notions d’idéologie et de conscience de classe.
Le matérialisme culturel
Pour saisir le rôle constitutif du débat avec le marxisme au sein des CS, il faut
revenir au moment fondateur du Contemporary Center for Cultural Studies
(CCCS), pendant lequel CS et marxisme ont pu se confondre (Sparks, 2015
[1996]). Le projet élaboré au sein du CCCS sous l’impulsion du fondateur
en 1964, Richard Hoggart, de Stuart Hall, directeur à partir de 1968, mais
aussi de figures historiques telles que Raymond Williams ou E.P. Thompson,
est à la fois théorique et politique. Un projet théorique d’abord, qui, à tra-
vers une conception anthropologique de la culture, se donne pour objectif de
rendre compte des dimensions culturelles du changement social à un moment
de transformation et d’industrialisation de la société britannique. Un projet
Cultural studies et économie politique de la communication 91
Malgré son intérêt pour la classe ouvrière, Richard Hoggart nourrit une cer-
taine hostilité à l’égard de la tradition marxiste. Il revendique bien davantage
l’héritage culturaliste de Leavis, comme le traduit sa vision presque roman-
tique de la classe ouvrière. La discussion avec le marxisme est plus largement
embrassée par deux autres figures, Raymond Williams et E.P. Thompson, qui
prennent quant à eux ouvertement leur distance avec le marxisme historique
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Cette conception de la culture est en partie reprise par Stuart Hall qui pour-
suit la critique du marxisme « orthodoxe », tout en le prenant au sérieux. Au
cœur de cette critique se tient le renversement de la proposition selon laquelle
un sujet intentionnel façonnerait l’idéologie, par la production d’idées, de
représentations, de discours, qui renverraient une image fausse de la réalité.
Hall propose à l’inverse de penser le sujet comme le produit de l’idéologie et
l’expérience comme le résultat des opérations des différentes structures de la
formation sociale. Il rompt en cela avec l’antistructuralisme de Williams et
Thompson pour renouer avec certains aspects de la pensée d’Althusser. Pour
ce dernier, l’idéologie s’apparente à une sorte de voile située entre les dis-
cours et l’expérience : elle est une « transposition imaginaire », indissociable
de la matérialité du vécu. Elle est par ailleurs une force déterminante, dans le
sens où elle constitue les individus en sujets par le biais de l’interpellation. La
Cultural studies et économie politique de la communication 93
lecture que fait Stuart Hall de l’ouvrage Pour Marx d’Althusser (1996 [1965])
renouvelle ainsi la manière de saisir les modalités opératoires de l’idéologie
au sein des CS. L’idéologie est appréhendée dans son existence matérielle, au
travers des pratiques, des rituels. Elle est aussi comprise comme opérant au
travers des institutions, des « appareils idéologiques d’État », parmi lesquels
se trouvent les médias (Hall, 2012 [1985]). L’idéologie n’est par ailleurs pas
nécessairement le reflet d’une position dans les rapports de production. Selon
le principe d’articulation, il n’y a en effet pas de correspondance nécessaire
entre une pratique politique, légale ou idéologique et l’« économique » (ibid.,
135). Toute rencontre entre des forces sociales et des formes idéologiques,
entre des groupes et des intérêts, revêt alors une dimension conjoncturelle.
C’est dans ces rencontres que se forgent des « unités de rupture » à même de
constituer par la suite des forces de changement.
La relation de Hall aux travaux de Louis Althusser ne doit cependant pas être
surestimée et reste teintée de méfiance, notamment face à leur orientation
anhistorique (Hall, 2013 [1980], p. 155). En outre, une rencontre décisive
avec le concept d’hégémonie déjà présent chez Williams et les relectures du
concept par Laclau et Mouffe amène Hall à repenser la conflictualité sociale
(Hall, 2008b [1982], p. 162). Dans une perspective gramscienne, l’hégémo-
nie renvoie à la lutte des groupes sociaux sur les terrains économique, idéo-
logique, mais aussi culturel, pour l’accès à des positions de pouvoir. Cette
lutte consiste en la recherche du consentement et du « sens commun » sur
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Afin d’évoquer le rôle des travaux marxistes dans le cadre de l’EPC, il est
possible de relater brièvement quelques étapes fondatrices de ce courant de
Cultural studies et économie politique de la communication 95
Nul doute que la solidité de l’EPC comme posture et comme tradition vient
pourtant en premier lieu de la multiplication des relations interpersonnelles
entre chercheurs ainsi que des discussions croisées, plutôt que par une
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À partir du milieu des années 1980, avec l’importance prise par les logiques
libérales aussi bien dans la recherche que dans les politiques publiques (qui
commencent d’ailleurs à s’intéresser aux industries culturelles), l’EPC foca-
lise davantage sa critique sur les préceptes d’économie néoclassique de la
culture et porte une attention particulière aux logiques d’accumulation du
capital. En conservant les outils d’analyse proposés par Marx dans le cadre
de ses écrits sur le mode de production capitaliste, il s’agit d’intégrer les
enjeux idéologiques à l’œuvre dans la consommation en s’appuyant sur des
enquêtes effectuées au sein des filières de production. Cette dénonciation de
l’économie orthodoxe reste le combat théorique le plus évident lorsqu’on lit
chronologiquement les travaux du courant français des industries culturelles.
Si l’économie de la culture néoclassique est aujourd’hui toujours la cible de
critiques, notamment dans ses postulats microéconomiques de rationalité des
consommateurs, son absence d’analyse des rapports inégalitaires ou de la
dimension idéologique des productions, on constate pourtant que son voca-
bulaire macroéconomique a progressivement infusé au sein de l’EPC avec
les concepts d’oligopole à frange (Miège, 2000) ou à l’inverse de monop-
sone (Moeglin, 2007), de concurrence, d’économie d’échelle, de rendements
croissants ou de coût marginal 3. Fréquemment utilisé jusque dans les années
1980, le vocabulaire marxiste semble quant à lui s’effacer peu à peu. Tout se
passe comme si, consciente des problèmes de domination posés par la confi-
guration oligopolistique au sein des secteurs de la culture et de la commu-
nication, l’EPC choisissait une posture pragmatique, cherchant les moyens
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L’économie politique a parfois vu dans l’approche des médias par les CS, et
notamment l’attention portée aux textes médiatiques, mais aussi aux pratiques
de réception, une absence de problématisation des formes de compétition et
d’interdépendance à la production (Mattelart et Neveu, 2003). Les orientations
prises pour l’étude des médias des CS sont néanmoins à l’image de l’appro-
priation singulière des outils tirés du marxisme et des multiples discussions
auxquelles cette dernière a donné lieu. Ils rendent surtout compte du passage
d’une approche inspirée par le marxisme structuraliste à une étude des pro-
cessus hégémoniques. Aussi, si les CS se sont tant intéressées aux discours
et représentations médiatiques, c’est que ces derniers sont, dans un contexte
d’expansion des moyens de communication, l’un des domaines privilégiés
des luttes pour l’hégémonie. Les discours médiatiques constituent, selon les
termes de Stuart Hall, des sites de conflictualité autour de la définition des
termes du débat public et des événements (Hall, 2008a [1982]). Ils sont autant
de « pratiques signifiantes » qui participent à forger les imaginaires sociaux et
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4. Étant donné la focalisation de l’EPC sur les questions économiques, on peut se demander
pourquoi ces travaux sont quasi systématiquement ignorés par les chercheurs en sciences éco-
nomiques y compris par les courants hétérodoxes (institutionnalisme, économie des conven-
tions, économie de la régulation…). La raison principale semble être interne à l’EPC, elle
s’expliquerait par un choix d’ancrage au sein de l’Information-Communication (la 71e section
du CNU est créée en 1975) qui a de fait éloigné ces réseaux de la discipline « sciences éco-
nomiques » (5e section du CNU). Structurellement, on doit ajouter la montée en formalisa-
tion mathématique du courant majoritaire des sciences économiques, la domination croissante
des approches néoclassiques et l’écroulement des travaux basés sur les paradigmes marxistes
dans les années 1980, aussi bien dans le monde de la recherche que vis-à-vis des commandes
publiques. À cet égard, il est intéressant de noter que les études soutenues par le Départe-
ment des Études du Ministère de la Culture sur les industries culturelles incluent fréquemment
dans les années 1980 (par exemple Rouet, 1989), à côté des tenants d’une économie publique
orthodoxe (Greffe, puis Benhamou, Farchy, Sagot-Duvauroux...) et des théoriciens marxistes
(Leroy, Busson, Herscovisci…), des équipes liées à l’EPC. C’est moins le cas aujourd’hui où
les chercheurs émanant des sciences économiques apparaissent largement dominants.
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répertoires, des lexiques, des styles, qui forment un tout cohérent. La vision du
monde ainsi formée n’est toutefois pas unitaire. Elle se situe au confluent d’une
multitude de discours : elle est le produit de l’agrégation de voix dissidentes
et peut entrer en conflit avec d’autres visions du monde. La fonction idéolo-
gique des médias ne consiste donc pas en l’imposition de certaines idées, mais
bien en la production du consensus à partir de multiples voix et la fabrique du
consentement dans la lutte pour l’hégémonie. Son analyse conduit à interroger
la manière par laquelle un discours se donne à entendre comme le discours
dominant et gagne le consentement populaire, reléguant du côté de l’indicible
et de l’impensable d’autres significations possibles aux événements.
Il faut voir dans les travaux sur la réception des médias une même volonté
de saisir la conflictualité à une échelle microsociologique. Au fondement de
Cultural studies et économie politique de la communication 101
On peut évoquer à titre d’illustration trois sujets traités par l’EPC qui ont été
et sont encore l’objet d’une littérature prolifique : la société de l’informa-
tion, le web 2.0 et l’économie créative. Prenant le contre-pied d’une partie
des écrits qui ont influencé le champ des médias et de la communication, les
auteurs associés à l’EPC déconstruisent l’avènement supposé d’une « société
postindustrielle », telle qu’elle a pu être exposée par Daniel Bell, en particu-
lier dans son ouvrage Vers la société postindustrielle (1973) ou par certains
écrits d’Alain Touraine à la suite de La société postindustrielle (1969). Ils
remettent en cause l’idée d’une disparition des conditions matérielles qui ont
marqué le capitalisme, au profit d’une montée de l’immatériel, notamment via
la circulation de la connaissance en situation mondialisée. Ils soulignent la
perpétuation de marchés dominés par quelques firmes, l’inégalité de l’accès
à la connaissance et l’hétérogénéité de cette connaissance (Mattelart, 1976).
Les auteurs affiliés à l’EPC voient au cours des années 1990 le développement
des thèses associées à « la société de l’information » comme une résurgence
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reconfigure les médias et les intérêts qui la sous-tendent. Ils montrent ainsi
combien la contribution des internautes sert en réalité des firmes qui profitent
du travail gratuit de « l’usager producteur de contenu ». Pour ce faire, ils
déconstruisent notamment les analyses d’Henry Jenkins proposées dans son
ouvrage La Culture de la convergence (paru originellement en anglais en
2006), rencontrant sur ce terrain nombre de débats et de critiques également
à l’œuvre au sein des CS. Loin d’être le début d’une nouvelle ère d’expres-
sion démocratique, canalisée par quelques grandes firmes multinationales
(Bouquillion, 2012b), les pratiques numériques des consommateurs appa-
raissent de fait comme aliénantes. On retrouve en outre une partie de ces débats
dans les travaux de l’EPC sur les notions d’industries créatives et d’économie
créative. Se développe sur ce terrain une même perspective de déconstruction
des nouvelles élaborations théoriques utilisées par le monde industriel et les
politiques publiques. On peut citer à cet égard l’ouvrage dirigé par Philippe
Bouquillion en 2012, qui intègre notamment des contributions de Yolande
Combès, Pierre Moeglin, Gaëtan Tremblay ou Bernard Miège. La notion de
« créatif » est ainsi utilisée depuis une dizaine d’années comme point de départ
à une politique de dynamisation des territoires locaux qui marierait économie
et culture au sein d’espaces créatifs (clusters ou quartiers créatifs), l’idée étant
de relancer le cercle vertueux de la croissance à un niveau local ou régio-
nal. En suivant les travaux de Garnham (2005), Bouquillion montre comment
« les auteurs et promoteurs des industries ou de l’économie créative » dont
« le père spirituel est Richard Florida » (Bouquillion, 2012a, p. 27), comptent
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Les débats qui entourent l’autonomie des publics et les dispositifs participa-
tifs du web semblent faire converger CS et EPC, chacun en effet défendant la
nécessité de penser le pouvoir des firmes productrices. Ils ont en outre donné
lieu, dans les deux domaines, à une lecture parfois réductrice des approches
critiquées, notamment en évacuant la place accordée aux idéologies en leur
sein. Or la « convergence culturelle » chez Jenkins n’est par exemple jamais
un processus à sens unique : les industries culturelles cherchent à tirer profit
de cette nouvelle forme de consommation active et encouragent largement la
« convergence commerciale » (Jenkins, 2013 [2006], p. 38). Loin d’ignorer
totalement les modes de production, ces travaux dessinent au contraire les
Cultural studies et économie politique de la communication 105
prémisses d’une réflexion plus large sur les modalités du pouvoir et les formes
de résistance dans les pratiques de production et de réception ainsi qu’entre
ces deux pôles du processus communicationnel. Aussi faut-il sans doute voir
dans ces débats et les critiques formulées par les CS et l’EPC l’occasion de
réaffirmer une attention première aux rapports de pouvoir et aux formes idéo-
logiques du capitalisme. Ces critiques marquent en outre les prémisses d’un
rapprochement sur le terrain du travail créatif et des dimensions matérielles
de l’expérience du web.
Face à la multiplicité de ces débats, le domaine n’a pas échappé à des tenta-
tives d’unification. On peut par exemple voir dans l’ouvrage Stuart Hall. Cri-
tical Dialogues with Stuart Hall (Morley et Chen, 1996) une réponse à une
série de débats internes autour des conceptions postmodernistes des médias
– notamment des travaux de Lyotard et Baudrillard – et d’attaques externes
– notamment les accusations de « relativisme épistémique » et de « subjec-
tivisme » au cœur de l’« affaire Sokal ». L’ouvrage met à l’honneur le projet
théorique de Stuart Hall, et de façon plus générale le projet postmarxiste des
tenants de Birmingham, au travers du concept d’articulation (Slack, 1996).
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C’est d’ailleurs par le biais de ce concept que Lawrence Grossberg répond aux
attaques de Garnham. Le concept d’articulation serait pour lui une manière
d’insister sur les déterminations multiples du social (Grossberg, 1995). Il
devient même dans son discours l’outil d’une prise de position au sein des
sciences humaines et sociales, en ce qu’il serait la marque d’un « conjonctu-
ralisme » et du « contextualisme radical » (Grossberg, 2006). L’articulation
ainsi mise en avant permet d’affirmer la singularité de la démarche : il s’agit
de saisir le sens des pratiques non plus dans les pratiques elles-mêmes, mais
dans les univers de signification du champ social dans lequel elles opèrent.
6. On retrouve le même genre d’analyse chez Bouquillion (2012a) lorsqu’il décrit les tentatives
anglaises de penser la dimension culturelle de l’économie qu’il associe à une perspective
idéaliste (expliquer l’économie à partir de la superstructure culturelle).
Cultural studies et économie politique de la communication 107
De leur côté, les CS aussi ont évolué et la prise en compte des inégalités et des
conditions matérielles (conditions de travail par exemple) ont été de plusieurs
manières intégrées (McRobbie, 2002), notamment au sein de la mouvance
qu’on nomme Cultural Economy (Ray et Sayer, 1999 ; Du Gay et Pryke, 2002).
Elles montrent que les échanges marchands ne sont pas aussi mécanistes que
l’économie classique et néoclassique le postule (offre, demande, prix, quan-
tité). Les travaux de Polanyi qui cherchent à démontrer que, pour comprendre
l’économie, il faut la réencastrer dans un environnement politique et cultu-
rel, ont été pris au sérieux, redécouverts et rediscutés (Guibert, 2006, 2014 ;
Hillenkamp et Laville, 2013). Il s’agit en outre d’interroger la notion même
d’économie comme un concept daté historiquement et réifié chez les libéraux
comme chez les auteurs critiques (Butler, 2010). Il apparaît alors que, malgré
son opposition aux postulats néolibéraux, l’EPC, en conservant une perspec-
tive classique de l’« économie » et en l’associant au mode de production capi-
taliste, n’aurait peut-être pas déployé toute la pertinence du concept. L’EPC a
donc besoin des travaux des CS pour complexifier l’économie dans sa dimen-
sion culturelle. De la même manière, les CS ont besoin des recherches menées
par l’EPC à partir de son prisme d’analyse centré sur les filières de produc-
tion de la culture et des médias (et au-delà, de données envisagées dans une
perspective globale, au niveau mondial). Or on pourrait presque dire que ces
récents débats rejoignent les intuitions de Williams, qui, avec le matérialisme
culturel, soulignait les inégalités économiques et sociales et simultanément, et
parfois contradictoirement, la force communautaire de la culture.
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