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Élie Tenenbaum
2018/2 N° 79 | pages 45 à 61
ISSN 1290-7839
ISBN 9782724635393
DOI 10.3917/crii.079.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L’expérience la plus souvent mise en avant parmi les modèles ayant pu inspirer le
programme des hameaux stratégiques est celle des New Villages, ci-après Nouveaux
Villages, créés de 1950 à 1954 par les autorités britanniques en Malaisie dans le cadre
de leur campagne de répression de l’insurrection communiste. Celle-ci trouvait
son origine dans la marginalisation politique et sociale des squatters, paysans sans
terre issus de la minorité chinoise, au nombre d’environ 500 000, illégalement
installés sur des terres abandonnées aux franges de la jungle2. Au cours des années
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2. Karl Hack, Defence and Decolonisation in Southeast Asia: Britain, Malaya and Singapore 1941-1967, Richmond,
Curzon, 2001, p. 22 et suivantes.
3. Robert G. K. Thompson, Make for the Hills. Memories of Far Eastern Wars, Londres, Leo Cooper, 1989, p. 93.
4. The National Archives (TNA), AIR 20/7777, Report on the Emergency in Malaya, Kuala Lumpur, 1951,
p. 17-18 (nous traduisons).
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 47
Le principe n’était pas nouveau : les Espagnols à Cuba, puis les Britanniques
durant la guerre des Boers avaient procédé à des opérations visant à regrouper les
populations civiles pour isoler les rebelles5. En Birmanie dans les années 1930, puis
en Grèce durant la guerre civile, les Britanniques avaient conduit ou accompagné
des opérations de déplacements forcés de populations loin des zones d’activité
des partisans6. L’innovation de Briggs résidait donc moins dans la migration
elle-même – organisée manu militari, sans préavis pour les populations locales,
de crainte que la guérilla ne l’anticipe – que dans les conditions de relocalisation.
Contrairement aux camps de concentration de Lord Kitchener dans le Transvaal,
les Nouveaux Villages avaient vocation à atténuer les conséquences humanitaires
du regroupement par une prise en compte de la situation économique et sociale
de populations déjà pauvres et marginalisées qui pourraient ainsi voir leur sort
s’améliorer7. L’équipement des Nouveaux Villages demeurait toutefois rudimen-
taire : logées dans de petites maisons en tôle, sur des terres de mauvaise qualité
et loin des centres urbains, les populations ainsi déracinées ne constatèrent pas
nécessairement une amélioration de leurs conditions de vie8. En déplaçant environ
400 000 squatters – soit plus de 70 % d’entre eux – le programme eut donc un effet
plus stratégique que politique en contribuant effectivement à couper la guérilla
de sa principale source d’approvisionnement9.
L’une des pratiques qui furent associées aux Nouveaux Villages était le « contrôle
alimentaire ». À chaque village était attaché un officier de relocalisation, géné-
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5. Elizabeth van Heyningen, « The Concentration Camps of the South African (Anglo-Boer) War, 1900-
1902 », History Compass, 7 (1), 2009, p. 22‑43 ; Keith Surridge, « An Example to Be Followed or a Warning to
Be Avoided? The British, Boers, and Guerrilla Warfare, 1900-1902 », Small Wars & Insurgencies, 23 (4‑5), 2012,
p. 608‑626.
6. David French, The British Way in Counter-Insurgency, 1945-1967, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 117.
7. Lucian W. Pye, Guerrilla Communism in Malaya: Its Social and Political Meaning, Princeton, Princeton
University Press, 1956, p. 48 et suivantes.
8. Anthony Short, The Communist Insurrection in Malaya, 1948-1960, Londres, Muller, 1975, p. 140‑141.
9. TNA, WO 291/1670, A Comparative Study of the Emergencies in Malaya and Kenya, Operational Research
Unit, 1/57, 6 juin 1957, p. 32 ; K. Hack donne le chiffre de 350 000 déplacés. K. Hack, Defence and Decolonisation
in Southeast Asia: Britain, Malaya and Singapore 1941-1967, op. cit., p. 121.
10. Riley Sunderland, Resettlement and Food Control in Malaya, Santa Monica, RAND Corporation, 1964, p. 63.
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11. R. Sunderland, Winning the Hearts and Minds of the People in Malaya, 1948-1960, Santa Monica, RAND
Corporation, 1964, p. 20.
12. Service Historique de la Défense (SHD), 10H 3566, Lettre du Lt. Col. Battisti, à son Excellence le chef de
province du Quang-Nam, 20 juin 1950.
13. Albert Souyris, « Un procédé de contre-guérilla : l’autodéfense des populations », Revue de Défense nationale,
12, juin 1956, p. 689.
14. Foreign Relations of the United States (FRUS), 1952-1954, vol. XIII: Indo-China, The Ambassador at Saigon
to the Department of State, 15 mars 1953, p. 410.
15. « Report of U. S. Joint Military Mission to Indochina », 14 juillet 1953, cité dans The Pentagon Papers
(NARA Edition), Part V-B-2a, volume I, 1945-1949, p. 92.
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 49
16. Paul Mus, Le Viêt-Nam : sociologie d’une guerre, Paris, Le Seuil, 1952, p. 23 et suivantes.
17. Joseph Zasloff, « Rural Resettlement in South Vietnam: The Agroville Program », Pacific Affairs, 35, 1963,
p. 327‑340 ; Edward G. Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam,
Cambridge, Harvard University Press, 2013, p. 177‑184.
18. J. Zasloff, « Rural Resettlement in South Vietnam: The Agroville Program », art. cité, p. 338.
19. TNA, FO 371/160125, DV1022/2, Lettre de H. A. F. Hohler à F. Warner, 29 juillet 1961.
20. E. G. Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam, op. cit., p. 232-234.
21. Roger Trinquier, La guerre moderne, Paris, La Table Ronde, 1961, p. 71-72.
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22. TNA, FO 371/170100, DV 1017/4, Lettre de l’ambassadeur H. A. F. Hohler, Saïgon, 30 janvier 1963.
23. John F. Kennedy Library ( JFKL), NSF, Box 326, Memorandum for W.W. Rostow, Washington, 7 juin 1961.
24. TNA, FO 371/115824, A Burmese Defence Delegation is visiting Israel, Tel Aviv, 9 avril 1958.
25. JFKL, NSF, Box 326A, Remarks made by the Israeli Diplomats with respect to guerrilla warfare,
Memorandum for Mr. Rostow, 8 septembre 1961.
26. TNA, FO 371/152740, DV 1015/40, Telegram 342, Kuala Lumpur to CRO, 26 mai 1960.
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 51
aucun désir de voir s’établir sur son territoire une mission d’assistance aux ordres
de Londres27. Il expliqua d’ailleurs clairement à l’ambassadeur Hohler qu’il ne
partageait pas l’avis de Thompson sur les similarités entre les deux situations28.
Tout d’abord, parce qu’en Malaisie l’insurrection était le fait d’une partie de la
communauté chinoise, elle-même minoritaire dans le pays, tandis qu’au Vietnam
les communistes évoluaient au sein de l’ethnie majoritaire. Ensuite, parce que
contrairement à la Malaisie, où les insurgés se recrutaient parmi des squatters
socialement marginalisés, au Vietnam, les paysans étaient installés dans leurs
villages depuis des temps reculés, et attachés économiquement et spirituellement
à la terre de leurs ancêtres29. Enfin, parce que le contrôle alimentaire qui avait
eu tant de succès en Malaisie n’avait aucun sens dans les riches terres du delta du
Mékong où il serait toujours facile de se procurer de la nourriture.
Ce fut seulement avec l’élection de John F. Kennedy que tombèrent ces résis-
tances30. Soucieuse de mutualiser le fardeau vietnamien avec d’autres alliés, la
Maison-Blanche se déclara soudain favorable à la « contribution d’un pays tiers
à la formation des forces vietnamiennes à la contre-guérilla »31. Le gouvernement
britannique saisit alors l’occasion d’une visite à Saïgon du Premier ministre malai-
sien Abdul Rahman Tunku pour lui demander de suggérer à Diêm d’accueillir
Robert Thompson comme chef d’une mission d’assistance32. Pressé de toute part,
Diêm ne vit plus d’un si mauvais œil l’idée de diversifier ses appuis, espérant ainsi
desserrer l’étau américain par la présence d’un conseiller britannique dont les
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27. Peter Busch, « Supporting the War: Britain’s Decision to Send the Thompson Mission to Vietnam, 1960-
61 », Cold War History, 2 (1), 2001, p. 72.
28. TNA, FO 371/152739, DV 1015/36, Memorandum of conversation from Ambassador Hohler to Lord
Home, 9 avril 1960.
29. P. Mus, « The Role of the Village in Vietnamese Politics », Pacific Affairs, 22 (3), 1949, p. 265-272.
30. P. Busch, All the Way with JFK? Britain, the US, and the Vietnam War, Oxford, Oxford University Press,
2003, p. 74.
31. FRUS, 1961-1963, vol. I, Vietnam, Document 42, « Program of Action for Viet Nam », Memorandum
from the Deputy Secretary of Defense (Gilpatric) to the President, 3 mai 1961, p. 102 ; TNA, DO 169/109,
Télégramme No. 1239 de Sir H. Caccia au Foreign Office, 12 mai 1961.
32. TNA, DO 169/109, Letter from Sir Geofroy Tory, British High Commissioner in Kuala Lumpur to N.
Potchard, CRO, 25 avril 1961 ; National Archives and Records Administration (NARA), RG 59, CDF, 751k.5-
msp/5-1361, 22 mai 1961.
33. Department of Defense, Pentagon Papers, V.B.4, Document 43, « Memorandum », Enclosure No. 2,
Despatch No. 205, Saïgon, 13 novembre 1961 (rapport définitif), p. 347-358.
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34. Milton E. Osborne, « Strategic Hamlets in South Viet-Nam », South East Asia Program, 55, 1965, p. 25.
35. Department of Defense, Pentagon Papers, V.B.4, Document 43, « Memorandum », cité, p. 349.
36. R. G. K. Thompson, Make for the Hills. Memories of Far Eastern Wars, op. cit., p. 129.
37. Lettre du général McGarr à l’Amiral H. D. Felt, 27 novembre 1961 cité dans Department of Defense,
Pentagon Papers, IV.B.2, Strategic Hamlets Program, p. 12.
38. P. Busch, All the Way with JFK? Britain, the US, and the Vietnam War, op. cit., p. 104‑105.
39. Roger Hilsman, To Move a Nation: The Politics of Foreign Policy in the Administration of John F. Kennedy,
Garden City, Doubleday & Co., Inc., 1967, p. 425‑430 ; Gerald J. Protheroe, « Limiting America’s Engagement:
Roger Hilsman’s Vietnam War, 1961–1963 », Diplomacy & Statecraft, 19 (2), 2008, p. 270.
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 53
combattu en tant que Chindit40, Hilsman partageait avec celui-ci un certain nombre
d’idées sur les guérillas, notamment et surtout le primat du soutien populaire et
l’importance de mettre en œuvre des réformes politiques. De retour à Washington,
Hilsman présenta au Président Kennedy un mémorandum qui reprenait les grandes
lignes du Plan Thompson dont il reconnut d’ailleurs ouvertement l’influence sur
son travail41. La principale recommandation était l’établissement de deux zones de
pacification prioritaires : le delta, déjà désigné par Thompson, et la région de Hué,
au nord du pays : « La création de villages stratégiques dans des zones relativement
sécurisées implique le regroupement des hameaux en une zone compacte aisée à
défendre. (…) Chaque village stratégique doit être protégé par un fossé et des fils
barbelés, disposer de tours de garde et d’un entrepôt pour les armes. (…) Chaque
village disposera également de téléphones et d’un système d’alarme reliant les tours
de garde et les postes de défense ainsi qu’une radio garantissant un contact direct
avec les structures de commandement administratives et militaires du district. (…)
Chaque village stratégique disposera d’une unité d’autodéfense de 75 à 150 hommes
(…) dont la mission sera de défendre le village et de conduire des patrouilles »42.
Cette description suivait à la lettre la description des Nouveaux Villages de Malaisie
et laissait peu de doute quant à l’influence de Thompson dans la rédaction, ce dont
le Foreign Office ne manqua pas de se féliciter43. Du côté américain, les réactions
furent également positives. Le directeur de l’US Information Agency (USIA),
Edward R. Murrow, affirma à Hilsman que la lecture de son papier lui avait fait
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40. Le Detachment 101 et les Chindits étaient deux unités, respectivement américaines et britanniques, qui
pratiquèrent la guérilla sur les arrières japonais en Birmanie. Sur ces expériences déterminantes, voir Simon
Anglim, « Orde Wingate and the Theory behind the Chindit Operations: Some Recent Findings », RUSI
Journal, 147 (2), 2002, p. 92‑98 ; Troy J. Sacquety, The OSS in Burma, 1942-1945: Jungle War against the Japanese,
Lawrence, University Press of Kansas, 2013.
41. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, A strategic concept for South Vietnam, Bureau of Intelligence and Research,
2 février 1962.
42. Ibid., p. 16-17.
43. TNA, FO 371/166700, DV 1015/43/G, Lettre de R. Secondé à J. Denson, 19 février 1962.
44. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, Memorandum of conversation between E. R. Murrow and R. Hilsman,
25 avril 1962.
45. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, Lettre du lieutenant-colonel John B. Stockton (Foreign Service of the
United States) à R. Hilsman, 22 mars 1962.
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Le projet qui se mit en place à Washington fut cependant pris de vitesse par le
gouvernement vietnamien, toujours soucieux de ne pas se laisser dicter les termes de
sa stratégie. Quelques jours seulement après que Hilsman eut déposé son « concept
stratégique », Diêm annonça la création d’une Commission interministérielle des
hameaux stratégiques46. Certes, cette décision reprenait nombre des propositions
américano-britanniques, mais elle s’en éloignait aussi par sa volonté d’« établir des
plans pour l’aménagement de hameaux stratégiques dans l’ensemble du pays » 47
et non sur quelques zones ciblées. Thompson s’en inquiéta, ainsi que du refus
de Diêm de confier le programme à un ministère unique, seul moyen, selon le
stratège britannique, d’éviter la dispersion des efforts. De plus en plus méfiant
depuis une tentative de coup d’État en 1960, le président vietnamien craignait
de trop concentrer les pouvoirs de ses subordonnés et préférait « diviser pour
mieux régner ». C’est également pour cette raison qu’il fit le choix de confier la
coordination du programme à son frère, Ngo Dinh Nhu, ce qui fit craindre le pire
à nombre d’observateurs avisés de la politique vietnamienne48. Nhu était alors le
principal promoteur de la philosophie personnaliste de Emmanuel Mounier qu’il
avait rencontré au cours de ses études à Paris. Selon lui, le hameau stratégique
devait permettre l’avènement de l’« homme concret » théorisé par Mounier, à
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46. Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), 150QO/26, Lettre de R. Lalouette à la Direction
Asie-Océanie, 7 février 1962 ; TNA, FO 371/166700, lettre de Burrows à Secondé, 14 février 1962.
47. TNA, FO 371/166700, DV 1015/44, Traduction du décret n°11-TTP du 3 février portant création de la
Commission interministérielle des hameaux stratégiques, PV du 10 février 1962.
48. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, Visit with Gen. Paul Harkins and Ambassador Nolting, 19 mars 1962.
49. Sur la notion personnaliste de « communauté immédiate », voir Jean-Marie Domenach, Emmanuel
Mounier, Paris, Le Seuil, 1972, p. 105. Sur le rôle du personnalisme au Sud-Vietnam, voir la thèse de Phi-Vân
Nguyên, « Les résidus de la guerre : la mobilisation des réfugiés du nord pour un Vietnam non communiste
(1954-1965) », thèse en histoire de l’Université du Québec à Montréal, octobre 2015.
50. P. Busch, All the Way with JFK? Britain, the US, and the Vietnam War, op. cit., p. 116.
51. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, « A strategic concept for South Vietnam », cité, p. 17.
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 55
52. Department of Defense, Pentagon Papers, IV.B.2, Strategic Hamlets Program, p. 15 ; Graham A. Cosmas, MACV:
The Joint Command in the Years of Escalation, 1962-1967, Washington, Center for Military History, 2006, p. 77.
53. R. G. K. Thompson, Make for the Hills. Memories of Far Eastern Wars, op. cit., p. 130.
54. AMAE, TNA, 150 QO/26, Conversation avec M. Thompson, Saïgon, 10 mars 1962. Sur la perception
française du programme, voir Pierre Journoud, De Gaulle et le Vietnam: 1945-1969. La réconciliation, Paris,
Tallandier, 2011, p. 117 et suivantes.
55. Jeffrey Race, War Comes to Long An: Revolutionary Conflict in a Vietnamese Province, Berkeley, University of
California Press, 1973.
56. JFKL, Hilsman Papers, Box 3, Doubts on Operation Sunrise, memorandum for Gen. Taylor, 31 mars 1962.
57. Department of Defense, Pentagon Papers, IV.B.2, Strategic Hamlets Program, p. 22.
58. R. G. K. Thompson, Defeating Communist Insurgency. The Lessons of Malaya and Vietnam, Londres, Chatto
& Windus, 1966, p. 122, 132.
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dans 5 % des cas. Sur les 210 familles de Bên Cat rassemblées par l’Armée de
la République du Vietnam (ARVN), « 70 acceptèrent immédiatement de démé-
nager, mais 140 autres durent être convaincues par la force des armes »59. Les
soldats entraînèrent ensuite les 1 200 villageois à travers la jungle, tandis que
leurs maisons étaient détruites par des bulldozers. N’emportant que quelques
effets personnels, les déplacés reçurent à leur arrivée dans le nouveau hameau
une compensation de 21 dollars par famille allouée par la United States Agency
for International Development (USAID), créée en 1961 et dont les hameaux
stratégiques représentaient le premier programme de grande ampleur60. Quant
au nouveau hameau, il fut décrit de manière édifiante par le chercheur français
Bernard Fall qui suivit de près la mise en œuvre du programme. « Le [nouveau]
territoire [vers lequel] les paysans étaient transférés était un sol à peine défriché,
sur lequel étaient seulement érigés une infirmerie construite « en dur » et un
édifice pour l’administration locale, autour desquels les paysans devaient eux-
mêmes élever leurs propres chaumières ; le tout entouré de fossés et de fils barbelés
aménagés pour la défense »61.
Avant même la fin de l’opération, Thompson s’envola pour Washington afin de
tenter d’inverser la tendance et d’éviter le dévoiement total de son concept62. Partout
où il se rendit, le Britannique emporta l’adhésion grâce à son pragmatisme et son
optimisme sur les possibilités de vaincre l’insurrection. Il obtint la promesse d’un
soutien ferme des États-Unis en faveur de la restructuration du programme des
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59. Jerry Rose, « South Vietnam: Cutting the Arc », Time, 6 avril 1962, p. 2.
60. Michael E. Latham, Modernization as Ideology: American Social Science and « Nation Building » in the Kennedy
Era, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000, p. 151‑207.
61. Bernard Fall, Les Deux Viêt-Nam, Paris, Payot, 1967, p. 431.
62. JFKL, Roger Hilsman Papers, Box 3, Comments by Mr. RGK Thompson to the Vietnam Task Force,
9 avril 1962.
63. JFKL, Roger Hilsman Papers, Box 3, Progress report on South Vietnam, 18 juin 1962.
64. Hoover Institution Library and Archives (HILA), Lansdale Papers, Box 60, « Pacification Plan », automne 1962.
65. G. A. Cosmas, MACV: The Joint Command in the Years of Escalation, 1962-1967, op. cit., p. 79 et suivantes.
66. Department of Defense, Pentagon Papers, IV.B.2, Strategic Hamlets Program, p. 29.
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences — 57
67. Texas Tech University (TTU), Virtual Vietnam Archives (VVA), CIA Collection, Box 9, Folder 132,
« Overall Progress », CIA Telegram from Wash. to Saigon, 12 juillet 1962 ; TTU/VVA, Pike Collection, Item
n°F029100030253, CIA Information Report, 16 juillet 1962.
68. Herbert A. Friedman, PSYOP of the Strategic Hamlet in Vietnam (http://www.psywarrior.com/
VNHamletPSYOP.html) (consulté le 27 mars 2018).
69. TNA, FO 371/170100, DV 1017/15, Report on visits to Delta Provinces, 13 mars 1963.
70. Pierre Asselin, Hanoi’s Road to the Vietnam War, 1954-1965, Berkeley, University of California Press, 2013,
p. 109‑110 ; P. Busch, All the Way with JFK? Britain, the US, and the Vietnam War, op. cit., p. 127 ; Mark Moyar,
Triumph Forsaken: The Vietnam War, 1954-1965, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 182.
71. TNA, FO 371/170100, DV 1017/4, 11 février 1963.
72. JFKL, Hilsman Paper, Box 3, « The Situation in South Vietnam », BRIAM, 11 mars 1963, p. 6.
58 — Critique internationale n° 79 – avril-juin 2018
77. FRUS, 1961-1963, vol. III, Vietnam, Document 102, « An Evaluation of Progress in the Strategic Hamlet-
Provincial Rehabilitation Program », 1er mai 1963, p. 257.
78. E. G. Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam, op. cit., p. 260‑278.
79. Seth Jacobs, Cold War Mandarin: Ngo Dinh Diem and the Origins of America’s War in Vietnam, 1950-1963,
Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2006 ; M. Moyar, Triumph Forsaken: The Vietnam War, 1954-1965,
op. cit., p. 229‑243 ; E. G. Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam,
op. cit., p. 279 et suivantes.
80. FRUS, 1961-1963, vol. III, Vietnam, Document 281, Telegram to the Embassy in Vietnam, Washington,
21 août 1963, p. 628. Ce célèbre télégramme est aujourd’hui considéré comme le point de départ du processus
ayant mené au coup d’État de novembre 1963. Voir également John Prados, Vietnam: The History of an
Unwinnable War, 1945-1975, Lawrence, University Press of Kansas, 2009, p. 81 et suivantes.
81. TNA, FO 371/170102, DV101/41/G, Interview with Mr. Cabot Lodge, 18 septembre 1963.
82. TNA, FO 371/170102, DV101/42/G, Summary of differences between Mr. Thompson and US Ambassador,
28 octobre 1961.
60 — Critique internationale n° 79 – avril-juin 2018
d’entre eux aurait été réellement en mesure de soutenir une attaque88. Ces quelques
villages furent conservés sous le nom de « hameaux de la nouvelle vie rurale »89,
mais sans entrain particulier de la part du nouveau régime. Quant aux autres
installations, leur démantèlement consacra définitivement la fin de l’entreprise.
Élie Tenenbaum est agrégé et docteur en histoire, il est actuellement chercheur au Centre
des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ses travaux
portent sur la guerre irrégulière, l’adaptation des doctrines militaires et les politiques de
défense. Il a récemment publié « Coopération et rivalités occidentales dans la lutte antisub-
versive en Amérique latine et aux Caraïbes (1959-1969) », Histoire@Politique (mars 2018) ;
« Le rôle stratégique des forces terrestres », Focus stratégique (Études de l’Ifri, février 2018) ;
« Beyond National Styles. Towards a Connected History of Cold War Counterinsurgency »,
dans Beatrice Heuser, Eitan Shamir (eds), Insurgencies and Counterinsurgencies: National
Styles and Strategic Cultures (Cambridge University Press, 2017, p. 313-332) ; « French
Exception or Western Variation? A Historical Look at the French Irregular Way of War »,
Journal of Strategic Studies (40 (4), 2017, p. 554-576).
tenenbaum@ifri.org