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LES PARADOXES IDENTITAIRES DES HIPSTERS : QUELLES STRATÉGIES

POUR LES MARQUES ?

Pauline Tesio, Aurélie Kessous, Virginie de Barnier

EMS Editions | « Décisions Marketing »

2020/1 N° 97 | pages 71 à 86
ISSN 0779-7389
DOI 10.7193/DM.097.71.86
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-decisions-marketing-2020-1-page-71.htm
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Décisions Marketing n°97 Janvier-Mars 2020, 71-86

Les paradoxes identitaires des hipsters :


quelles stratégies pour les marques ?
Pauline Tesio, Aurélie Kessous et Virginie de Barnier
Aix Marseille Univ., CERGAM, IAE Aix-Marseille, Aix-en-Provence, France

Résumé
Cet article vise à décrypter les paradoxes identitaires des contre-cultures postmodernes afin qu’ils soient com-
pris et utilisables par les marques. Considérant comme terrain de recherche la contre-culture hipster, il tente
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de répondre à la problématique suivante : comment les marques traduisent-elles les paradoxes identitaires des
contre-cultures en leviers d’action marketing ? Une étude qualitative par entretiens permet d’appréhender le
décalage entre la façon dont les hipsters se perçoivent et celle dont ils sont perçus via 6 oppositions : 1. Absence
de catégorisation vs membres d’une communauté ; 2. Marginaux vs bourgeois ; 3. Avant-gardistes vs trendy ;
4. Libres vs prisonniers de leurs codes ; 5. Autodidactes vs apprentis ; 6. Passionnés vs indifférents. De ces oppo-
sitions découlent des recommandations managériales à destination des marques souhaitant cibler ce profil de
consommateurs et plus globalement, les adeptes des contre-cultures de consommation.
Mots-clés : hipsters, identité, postmodernité, contre-culture, marques.

Abstract
Identity paradoxes of hipsters: what are the strategies for brands?
This paper aims to interpret the identity paradoxes of postmodern countercultures to make them understandable
and usable by brands. Considering hipster counterculture as a research field, it attempts to answer the following
question: how do brands convert the countercultures identity paradoxes into a lever for marketing action? A
qualitative study of 25 in-depth interviews, provides an understanding of the difference between the way hipsters
perceive themselves, and the one they are perceived via 6 contradictions: 1. Lack of categorization vs. Community
members; 2. Marginal vs. Bourgeois; 3. Avant-garde vs. Trendy; 4. Free vs. Trapped by their codes; 5. Self-taught
vs. Apprentice; 6. Passionate vs. Indifferent. These identity paradoxes result in management recommendations
for brands wishing to target this type of consumers and more globally supporters of countercultural consumption.
Keywords: hipsters, identity, postmodernity, counter-culture, brands.

Pour contacter les auteures : pauline.tesio@iae-aix.com ; aurelie.kessous@iae-aix.com ;


virginie.de-barnier@iae-aix.com

DOI : 10.7193/DM.097.71.86 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.097.71.86


Tesio P., Kessous A. et de Barnier V. (2020), Les paradoxes identitaires des hipsters : quelles stratégies pour les
marques ?, Décisions Marketing, 97, 71-86.
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Les contre-cultures de consommation ne sont sur cette contre-culture ont été conduites.
pas un phénomène nouveau et occupent une Les travaux d’Arsel et Thompson (2011) s’in-
place centrale dans l’évolution des sociétés téressent aux mécanismes de préservation
de consommation occidentales. Elles se for- identitaire que les hipsters développent, étant
ment sur la base d’oppositions communes aux menacés par un mythe de marché banalisé
normes dominantes de la société, et placent la et caricaturé. Ceux de Cronin et al. (2014a)
résistance à l’hégémonie du marché au cœur appréhendent le profil des hipsters via leurs
de leur identité (Arnould et Thompson, 2005). actions de résistance et de non-conformité à
Elles sont ainsi, des cibles de consommateurs la culture dominante, avec pour champ d’ap-
que les marques ont encore du mal à viser. plication la consommation alimentaire.

Bon nombre de recherches les ont appréhen- Au niveau managérial, cette contre-culture
dées via les paradoxes identitaires qu’elles est devenue une cible de choix pour les
sous-tendent (Firat et Venkatesh, 1993). Les marques et sa pérennité en fait sa force au re-
principaux paradoxes postmodernes de la gard d’autres communautés obsolètes (EMO,
consommation jusqu’à lors étudiés relèvent Techtonik…). Dans le domaine du prêt-à-
des oppositions « hétérogénéité vs unifor- porter par exemple, la marque The Kooples
mité », « consommation passive vs per- s’est appropriée le style hipster pour définir
sonnalisation active », « individualisme vs son image. Elle met en scène, dans une at-
tribalisme » ou encore « fragmentation vs mosphère rock et chic, des couples branchés,
mondialisation » (Cova, 1996). Dans le cadre à l’allure « bobo » et dandy. Dans le secteur
de ce papier et à l’instar des travaux de Cova, de l’horlogerie, la tendance hipster permet
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Carù et Cayla (2018), nous nous intéressons de relancer la marque de montres Lip, après
au paradoxe identitaire des contre-cultures avoir disparu pendant près de quarante ans,
« existence par le marché vs échappée du avec le slogan explicite « N’est pas Lipster
marché » que l’on observe par exemple, dans qui veut ». De même, dans le domaine du tou-
l’adoption de modes alternatifs d’échange ou risme, la Bretagne a utilisé le thème hipster
dans la réappropriation de certains produits. pour orchestrer le lancement de la ligne LGV
et attirer les habitants de la capitale. La cam-
L’appréhension de ce paradoxe identitaire et
pagne « Passez à l’Ouest » permet de com-
sa traduction en leviers d’action marketing
muniquer sur des idées reçues « Ici aussi on
sont des enjeux majeurs pour les marques,
a des hipsters », « Ici aussi on a un marché
qui ont des difficultés à cibler les adeptes des
aux puces ».
contre-cultures de consommation.
Le Wall Street Journal et Brand Week rap-
Ce papier a choisi la contre-culture hipster
pellent également que l’importance com-
comme terrain de recherche. Bien que ce
merciale de la mouvance hipster ne cesse de
terme soit né dans les années 1940, il n’en
croître depuis plus de trente ans (Arnould et
existe pas de définition consensuelle. Arsel et
Thompson, 2005). De même, McWilliams
Thompson (2011) l’entendent comme une ex-
(2015) dans son ouvrage « Flat White
pression culturelle de la consommation indé-
Economy » note que ce sont des participants
pendante et notent sa prégnance dans les do-
actifs de la vie économique avec un fort pou-
maines de la musique, de l’art et de la mode.
voir d’achat.
Les derniers papiers se référant aux hips-
ters insistent sur le sens symbolique de leur Mais si le phénomène hipster séduit les
consommation, en opposition au consumé- gestionnaires de marques, s’inscrire dans
risme traditionnel, et les présentent comme cette tendance n’est pas sans risque. En
une « contre-culture à la mode » (Arsel et effet, réservée au départ à une « élite »
Thompson, 2011, p. 795). Peu de recherches anticonsumériste, la mouvance hipster a défini
Management de la marque – 73

des codes stylistiques facilement imitables, re- les paradoxes identitaires de la consomma-
pris à des fins commerciales par des marques tion (Firat et Venkatesh, 1993). Un paradoxe
de consommation de masse. Aussi, renier les étant une déclaration a priori contradictoire,
fondements de cette contre-culture dans une bien que fondée ou valable ; il se base tou-
logique marchande ne conduirait-il pas à la jours sur l’idée que des conditions oppo-
ruine des marques qui en font leur crédo1 ? sées peuvent exister simultanément (Mick
et Fournier, 1998). Le consommateur post-
Notre recherche prend pour terrain d’appli-
moderne affiche des représentations de soi
cation le profil hipster, afin d’investiguer le
opposées et prône ainsi, la non-conformité à
paradoxe identitaire « existence par le mar-
une image unique (Firat et Venkatesh, 1993).
ché vs échappée du marché ». Vingt-cinq
Parmi, les paradoxes identitaires postmo-
entretiens semi-directifs ont été conduits
dernes relevés dans la littérature, le paradoxe
afin de décrypter les oppositions structurant
« existence par le marché vs échappée par le
ce paradoxe, pour qu’elles soient comprises
marché » a retenu notre attention.
et utilisables par les marques. Plus globale-
ment, ce papier tente de répondre à la pro-
blématique générique suivante : comment les La consommation comme moyen
marques traduisent-elles les paradoxes iden- d’existence
titaires des contre-cultures en leviers d’action Les travaux sur l’existence par le marché
marketing ? s’intéressent principalement aux paradoxes
identitaires induits par la consommation. À
Cet article est structuré en trois parties.
titre d’exemple, Cronin et al. (2014b) s’inté-
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Premièrement, prenant pour ancrage théo-
rique le courant postmoderne, nous pré- ressent aux paradoxes identitaires dans l’ex-
sentons les paradoxes identitaires liés à la périence de consommation alimentaire des
consommation et les principales recherches femmes. Ils montrent que leurs choix alimen-
conduites sur la contre-culture hipsters. taires reflètent le paradoxe « féminité ascé-
Deuxièmement, nous analysons le para- tique vs féminité hédonique », où l’aliment
doxe identitaire « existence par le marché vs doit à la fois répondre au diktat de la minceur
échappée du marché » au travers de six oppo- et au plaisir gustatif. Les auteurs identifient
sitions structurant son discours. Enfin, nous un autre paradoxe identitaire « maîtresse de
mettons en perspective la traduction de ces maison vs domestique », lié au rôle de mère
oppositions dans les pratiques managériales nourricière. Bien que la préparation des repas
et discutons les enjeux auxquels s’exposent contribue à la réalisation de soi, un sentiment
les marques ciblant les adeptes des contre- de servitude reste perçu par ces femmes qui
cultures de consommation. relèguent leurs propres envies derrière celles
de leur famille (Cronin et al., 2014b).

Postmodernité, paradoxes Skandalis, Byrom et Banister (2016) ana-


identitaires et consommation lysent quant à eux, le paradoxe identitaire
« individualisme vs tribalisme », dans le
Le postmodernisme est mobilisé en compor- cadre de l’expérience de jeu en ligne Football
tement du consommateur afin d’appréhender Manager. Ils notent que l’immersion indivi-
duelle des joueurs est juxtaposée à leur inté-
1/ Dix ans après sa cotation en Bourse, la marque
de prêt-à-porter American Apparel, est en faillite gration tribale au sein de la communauté du
(Libération, 05/09/16). De même, les ventes d’Ur- jeu. Plus précisément, si les joueurs cherchent
ban Outfitters, communément appelé le « supermar- à se dévouer totalement au jeu, ils ressentent
ché de la hipster attitude » sont en constante baisse
depuis 2011 ; l’action ayant perdu 35% de sa valeur néanmoins le besoin de partager collective-
en 2015 (Libération, 05/09/16). ment leurs réalisations au sein de la commu-
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nauté. Ainsi, l’expérience de jeu en ligne met particularités leur sont généralement attri-
en tension l’identité personnelle et collective. buées (Desmond et al., 2000) : l’authenticité
(ancrage dans un courant de pensée dominant
Enfin, Cova (1996) puis Holt (2004) ont exa- et résistance à la société de consommation),
miné les moyens employés par les consom- la médiation (intra et inter contre-cultures)
mateurs pour pallier ces paradoxes et ré- et la différence (croyance en un système de
soudre leurs dilemmes identitaires. Pour valeurs cohérent favorisant le changement
Cova (1996), le marketing tribal contribue culturel).
au maintien de ces paradoxes identitaires
en proposant des produits favorisant une Ces recherches ont également insisté sur le
plus grande liberté des consommateurs, tout fait que si les membres de contre-cultures
en les reliant à une communauté. Pour Holt cherchent à créer une identité propre, à
(2004), ce sont les marques iconiques qui contre-courant, l’observance des codes de la
vont servir de repères dans le paysage de la communauté reste de mise. À titre d’exemple,
consommation. les travaux de Chaney et Goulding (2016)
sur le style vestimentaire montrent que les
La résistance à la consommation consommateurs d’Heavy Rock utilisent des
comme échappatoire tenues alternatives (vêtements noirs, tee-
shirts aux ornements macabres, maquillage
L’échappée du marché est souvent associée à gothique, ceintures et bracelets cloutés) afin
la notion « d’aliénation », entendue comme de s’opposer à la norme tout en se confor-
une condition individuelle reflétant une dé- mant à une uniformisation communautaire.
connexion vis-à-vis d’autrui, des institutions
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De même, ceux de Cléret et Rémy (2010) sur
ou du soi réel (Kozinets, 2001). Aussi, les la contre-culture Electrodance, notent que le
travaux de Cova et al. (2018) proposent un port de vêtements fluorescents permet de se
cadre intégrateur aux recherches sur cette démarquer des standards stylistiques cou-
thématique et mettent en évidence une typo- rants, mais reste en accord avec la culture
logie d’évasions basées sur deux dimensions : hip-hop dont elle s’inspire.
la distance au soi et la distance du domicile.
La distance au soi est liée à la quête crois- Les préférences musicales sont également le
sante de la perte de soi (Scott et al., 2017) moyen pour les contre-cultures, d’exprimer
alors que la distance du domicile est liée au une identité paradoxale, axée tant sur l’indi-
contexte expérientiel (Carù et Cova, 2007). vidu que sur le groupe. Ulusoy et Schembri
Quatre types d’évasions sont identifiées : (2018) ont montré récemment que, les mes-
1. Les évasions banales et quotidiennes, sages diffusés par la musique contre-cultu-
favorisées par les technologies virtuelles ; relle stimulent la pensée critique individuelle
2. Les évasions réparatrices encouragées et encouragent l’ouverture à d’autres contre-
par les tiers lieux, publics ou privés (centres cultures. Le mécontentement social scandé
commerciaux, lieux culturels, cercles ami- dans ces musiques favoriserait des affiliations
caux) ; 3. Les évasions guerrières associées à contre-culturelles éclectiques et fragmentées
la douleur physique de la pratique d’un sport (Ulusoy et Schembri, 2018).
et au dépassement de soi ; 4. Les évasions
Turnériennes représentées par l’appartenance Les codes des contre-cultures sont parfois
communautaire. repris par les entreprises du marché capita-
liste à des fins de commercialisation pour
Les recherches sur l’échappée du marché ont s’imposer comme une tendance de consom-
analysé les pratiques de consommation des mation (Izberk-Bilgin, 2010). On retrouve
contre-cultures comme moyen de s’opposer à ici les thèmes de la critique artiste du capi-
la culture dominante (Kozinets, 2002). Trois talisme condamnant le manque d’authenticité
Management de la marque – 75

de la société marchande et l’étranglement du sée au mythe de marché hipster, synonyme


potentiel créatif des individus (Boltanski et de contre-culture à la mode existant par le
Chiapello, 1999). Tel est notamment le cas marché.
du phénomène hipster, initialement considéré
Ce paradoxe quant à l’identité de la contre-
comme l’expression d’une contre-culture
culture hipster constitue le point de départ
de consommation et devenu progressive-
du présent article. Cette recherche s’intéresse
ment un mythe de marché banalisé (Arsel et
au profil identitaire des hipsters dans une ap-
Thompson, 2011).
proche postmoderne de juxtapositions des pa-
radoxes (Firat et Venkatesh, 1993 ; Skandalis
Consommation postmoderne, et al., 2016). L’objet est d’investiguer le para-
entre échappée du marché doxe identitaire « existence par le marché vs
et existence par le marché : échappée du marché » et de décrypter les op-
application au cas des hipsters positions que ce paradoxe induit, afin qu’elles
puissent être utilisables par les marques. Pour
À l’origine, le terme « hipster » provient du ce faire, une approche qualitative par entre-
mot « hepcat », utilisé par les jazzmen de tiens a été adoptée (Encadré 1).
l’époque aux États-Unis, pour désigner des
artistes et autres initiés dans la scène musi-
cale. Peu à peu, le mot se transforme et de- Les paradoxes identitaires
vient « hipster » en référence au terme « hip » du hipster : du reflet à la
pour évoquer un style « branché » et avant- mentalisation
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gardiste (Greif, 2010). Son opposition aux Bien que les participants aient reconnu im-
normes dominantes de la culture américaine médiatement le style hipster des hommes
fait très vite du hipster une véritable icône représentés sur la photographie, ils ne s’y
culturelle de la consommation indépendante identifient pas pour autant. Il existe donc, un
(Arsel et Thompson, 2011). Les hipsters sont décalage entre la façon dont ils se perçoivent
ainsi présentés comme une communauté et celle dont ils sont perçus. Nous avons ainsi
issue de la classe moyenne (Lanham, Nicely choisi d’analyser les caractéristiques identi-
et Bechtel, 2003), symbole d’une rébellion taires des hipsters à partir des concepts de
contre-culturelle, individualiste et artistique « reflet » et de « mentalisation » (Kapferer,
(McCracken, 2010). Si la base identitaire de 1997) (Figure 1). Ces facettes, traditionnelle-
la contre-culture de consommation hipster ment utilisées pour comprendre l’identité de
repose sur l’échappée du marché, elle semble marque, ont été choisies ici pour appréhen-
également exister à travers le marché. Les der le décalage entre image projetée et image
travaux d’Arsel et Thompson (2011) appré- perçue. Dans le cadre de l’identité de marque,
hendent le profil hipster via le champ de la le reflet s’apparente au miroir externe de la
consommation indépendante et s’intéressent cible (« ils sont ») ou encore au soi social.
aux mécanismes de préservation identitaire La mentalisation correspond quant à elle,
qu’ils développent. Observant la naissance au miroir interne de la cible (« je suis »), le
d’un mythe de marché dévalorisant et soi individuel. Ces catégories sémantiques
banal, les auteurs analysent le processus de sont appliquées à l’analyse du discours des
« démystification » (pratiques, stratégies, hispters. Elles permettent d’illustrer le para-
contre-discours) qu’utilisent les hipsters, doxe identitaire « échappée du marché vs
pour s’abstraire d’associations marchan- existence par le marché » au travers de six
disées et superficielles. Ainsi, l’image de oppositions : 1. Absence de catégorisation vs
contre-culture des hipsters, associée à la membres d’une communauté ; 2. Marginaux
volonté de s’extraire du marché, est juxtapo- vs bourgeois ; 3. Avant-gardistes vs trendy ;
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Encadré 1 : Méthodologie de l’étude qualitative par entretiens approfondis


Afin de mieux appréhender les paradoxes fondateurs de l’identité des hipsters, une approche exploratoire
a été privilégiée dans cette recherche en raison du manque de travaux sur le sujet.
L’échantillon
La sélection de l’échantillon a reposé sur deux étapes complémentaires. Dans un premier temps, nous
nous sommes intéressés au phénomène de « mode indépendante » largement porté par la culture hipster
(Arsel et Thompson, 2011). Pour ce faire, nous avons contacté l’association Maison Mode Méditerranée,
le Marché de la Mode Vintage de Lyon et les administrateurs de groupes dédiés à la mode vintage sur
Facebook. Un échantillon « boule de neige » a permis de sélectionner 42 répondants potentiels. Tous
ont été soumis à une première phase d’entretiens individuels, d’une durée moyenne de 45 minutes, afin
d’appréhender leur histoire, leurs modes de vie, leurs passions et leurs expériences de consommation
en matière de « mode indépendante ». Pour ne pas introduire de biais, le terme « hipster » n’a pas été
mentionné lors de cette première collecte de données. L’analyse du corpus, issu de la retranscription
intégrale des 42 entretiens, a été réalisée par deux chercheurs indépendants. À l’issue, 17 individus ont
été éliminés de l’échantillon final. Les 25 répondants sélectionnés pour participer à la deuxième collecte
de données sont ceux ayant spontanément abordé la culture hipster. Leur discours insistait sur l’oppo-
sition entre phénomène de mode et contre-culture et proposait une définition personnelle du hipster. En
termes d’orientation professionnelle, les 25 recrutés étaient majoritairement vendeurs, serveurs dans des
cafés, disc-jockey ou producteurs dans une AMAP. Il est à noter que si nous avons tenté de respecter les
critères de représentativité habituels utilisés dans la construction de l’échantillon, celui-ci se compose de
11 hommes et 14 femmes majoritairement jeunes ([18-42 ans]).
Le déroulement des entretiens
La seconde phase d’entretiens individuels visait à appréhender les paradoxes identitaires des hipsters.
Elle s’est déroulée 3 semaines après la fin de la première. Elle a été conduite auprès des 25 répondants
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à leur domicile ou sur leur lieu de travail, en régions PACA et parisienne. Les entretiens ont duré en
moyenne 1h et ont été enregistrées et retranscrites sur plus de 450 pages. Le guide utilisé se divisait en
4 parties : 1. Évocations spontanées suite à la présentation d’une photographie présentant 4 hommes
ayant un style hipster ; 2. Valeurs associées à la mouvance hipster et apprentissage/transmission de ces
valeurs ; 3. Identification à la communauté. 4. Style de vie et relations aux marques. L’usage d’une tech-
nique projective en début d’entretien nous a permis de nous concentrer sur la thématique du hipster, que
les participants avaient spontanément abordée lors de la première collecte de données.
L’analyse du discours des répondants
Une analyse de contenu thématique a été menée via le logiciel Sphinx Lexica et permet de reconnaître
six oppositions structurant le discours des hipsters et illustrant le paradoxe identitaire « existence par le
marché vs échappée du marché ». Les contradictions mises en évidence se veulent structurelles et trans-
versales dans leur discours. Ainsi, les oppositions identifiées sont récurrentes dans le discours des répon-
dants, et se retrouvent au travers des différentes thématiques abordées en entretien. En d’autres termes,
chaque question du guide d’entretien n’aboutit pas exclusivement à une opposition, mais à un ensemble
de thèmes structurant l’analyse et permettant in fine d’illustrer le paradoxe identitaire « existence par le
marché vs échappée du marché ».

4. Libres vs prisonniers de leurs codes ; « Cela peut paraître très cliché, mais quand
5. Autodidactes vs apprentis ; 6. Passionnés j’entends le terme “hipster” je vois un
vs indifférents. homme d’une vingtaine d’années, à la table
d’un Starbuck, travaillant sur un MacBook
 Absence de catégorisation vs flambant neuf et vêtu d’une chemise à car-
Appartenance communautaire reaux, d’un bonnet et surtout d’une paire
de lunettes épaisses et d’une barbe de trois
Bien qu’appartenant clairement à la com- jours ». Les codes visibles de l’appartenance
munauté des hipsters, les répondants n’af- communautaire (« MacBook », « chemise à
firment pas faire partie de ce groupe qu’ils carreaux », « bonnet », « paires de lunettes »,
observent comme externe à eux-mêmes : « barbe », « Starbuck ») traduisent le thème
Management de la marque – 77

de l’existence par le marché. Arsel et tendance à fuir les réseaux de distribution


Thompson (2011) notent que ces codes de traditionnels et privilégient des circuits al-
discrimination esthétique sont parfois uti- ternatifs : « Je n’aime pas trop fréquenter les
lisés par les hipsters afin de « démystifier » grosses enseignes de prêt-à-porter, je préfère
le champ de la consommation indépendante. les petites friperies qui proposent des vête-
Ils rappellent que les marques symbolisant ments bien plus sympas et originaux ». Ils
l’icône hipster ne représentent pas les valeurs se distinguent de la masse, s’associent à un
esthétiques qu’ils adoptent ou les motiva- art choquant ou révolutionnaire, et au final,
tions sous-jacentes. Les personnes les « qua- existent par le marché en s’opposant aux
lifiant » d’hipsters sont considérées comme conventions (Cronin et al., 2014a). L’image
« des outsiders non informés et dépourvus de de l’individu déviant au travers de laquelle
sophistication ». le hipster se définit, ne reflète pas celle du
bourgeois ou « bobo » qu’il véhicule : « Les
Si dans l’imaginaire collectif, les hipsters hipsters représentent dans l’imaginaire
semblent former une communauté, leur sen- collectif le “bobo” du XXIe siècle ». Pour
timent d’appartenance communautaire et Arsel et Thompson (2011), la tendance à
les mécanismes d’identification au groupe caricaturer des contre-cultures de consom-
demeurent quasi-inexistants. Par ailleurs, le mation est courante. Dès lors qu’elles se
refus de toute forme de catégorisation est dotent de valeurs identitaires, ces contre-
clairement revendiqué dans leur discours : cultures sont en proie à des marques qui
« Je ne me revendique d’aucun mouvement utilisent et exacerbent leurs représentations
ni d’aucun groupe. Je n’aime pas lorsque l’on iconiques comme élément de différenciation
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met des personnes dans des cases en fonc- de leurs produits. Ainsi, une contre-culture
tion de leurs vêtements, styles de musique ou de consommation comme celle des hipsters
modes de vie ». Les hipsters semblent ainsi peut être réduite à une tendance embléma-
privilégier leur identité personnelle, c’est-à- tique « bourgeois bohème », compte tenu des
dire la représentation de soi en tant qu’indivi- produits qu’elle mobilise et des attitudes sté-
dualité unique, au détriment de leur identité réotypées qu’elle adopte (Arsel et Thompson,
sociale. Ainsi, le refus de toute catégorisation 2011).
reflète le thème « l’échappée du marché ».
Nous considérerons, à l’instar des travaux de  Avant-gardistes vs Trendy
Cova et al. (2018), les hipsters comme une
tribu postmoderne qui ne s’affirme pas. Le hipster affiche clairement son désir d’être
précurseur dans différents domaines (artis-
tiques, vestimentaires, technologiques). Il a
 Marginaux vs Bourgeois
tendance à adopter une démarche active dans
Le paradoxe identitaire « existence par le la recherche d’information sur de nouveaux
marché vs échappée du marché » est égale- produits au point de devenir un expert : « Je
ment illustré par l’opposition « marginaux vs suis fan de casques audio, je fais beaucoup
bourgeois ». La marginalité, liée à l’absence de recherches sur les dernières sorties, les
de catégorisation est une caractéristique dernières technologies. J’aime dénicher les
propre aux hipsters, les conduisant à l’exclu- sites de musique inconnus du grand public ».
sion sociale (« l’échappée du marché »). Elle Cette expertise se traduit par l’expérimen-
va de pair avec la notion de pauvreté : « Ce tation de comportements en amont de leur
style c’est la barbe, les chemises à carreaux, intégration et de leur diffusion au sein de la
des vieux jeans… un style pauvre, mais société. Comme l’illustre le verbatim précé-
esthétique » ; « Ma mère dit que je m’habille dent, la découverte de sites de musique en-
comme une clocharde ». Les hipsters ont core inconnus apparaît comme un compor-
78 – Décisions Marketing n°97 Janvier-Mars 2020

tement de recherche pointue. Le fait d’être auxquels ils doivent répondre : « C’est être
avant-gardiste tend à les abstraire du marché en soi perfectionniste lorsque l’on s’habille,
dans la mesure où ils sont en quête de pro- que l’on taille sa barbe ou que l’on écoute de
duits et services non encore diffusés. la musique par exemple ».

Néanmoins, s’ils font de l’avant-gardisme Ainsi, si les hipsters entendent « l’indépen-


une revendication, les hipsters restent perçus dance » et la « liberté » comme les valeurs
comme de simples suiveurs des tendances guidant leur mode de consommation, ils ne
actuelles, comme en atteste le discours de nos demeurent pas moins prisonniers des codes
répondants : « Le style hipster est à contre- qui définissent leur image. Aussi, bien que
courant, c’est devenu branché, à la mode, la liberté soit présentée comme le moyen de
ce qui va à l’encontre de l’essence même du s’abstraire du marché, les codes régissant
hipster ! ». Ces résultats avaient également leur mode de consommation, les font exister
été mis en avant par Arsel et Thompson par le marché.
(2011) qui présentent le hipster comme une
contre-culture à la mode. Et c’est donc en sui-
 Autodidactes vs Apprentis
vant un phénomène de mode qu’il peut, au
final, exister par le marché. Les hipsters développent et apprennent
les codes auxquels ils sont soumis tels de
L’opposition « avant-gardisme vs trendy » est véritables autodidactes : « J’ai appris les
facilement compréhensible : la volonté d’être codes par moi-même, des trucs que j’aime
précurseur en matière stylistique, artistique et vraiment. J’ai appris des astuces sur des
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musicale le pousse à adopter un comportement costumes par exemple, des règles que tu
d’initiateur de tendances. Ces tendances sont dois respecter ». Certains répondants re-
ensuite reprises, généralisées et deviennent connaissent néanmoins avoir été influencés
des phénomènes de mode, s’adressant à des directement par des personnes qu’ils consi-
consommateurs de tendances plutôt qu’à des dèrent comme des hipsters : « Il y en a qui
créateurs (Arsel et Thompson, 2011). aiment bien le style du hipster actuel et il n’y
a rien de mal là-dedans, c’est leur problème.
 Libres vs Prisonniers de ses codes Et il y en a d’autres qui le sont dans leur
Pour les hipsters, le refus de catégorisation comportement, comme ma cousine qui m’a
sociale, tout comme l’absence de sentiment vraiment inspiré. Elle m’a fait découvrir le
d’appartenance est source de liberté. La quartier de Williamsburg ». Le mode de vie
seule règle à laquelle ils obéissent est le fait hipster peut donc répondre à une forme d’ap-
de ne pas en avoir : « Sachant que je n’ai prentissage auprès de personnes influentes
aucune règle et que je ne m’impose aucune de cette mouvance. Ainsi, selon l’état d’avan-
limite dans le choix de mes vêtements, dans cement dans l’apprentissage, les hipsters
la manière de tailler ma barbe et dans ma peuvent avoir un statut différent, allant de
façon de vivre en général, je suis totalement l’apprenti à l’autodidacte, servant de démarca-
libre de ce côté-là, et je ne m’impose vraiment tion symbolique au sens d’Arsel et Thompson
aucune contrainte. C’est important d’avoir (2011). Cette démarcation contribue à pré-
un esprit libre et indépendant à l’heure de server l’identité menacée des hipsters, en
l’uniformisation des individus, sans aucune opérant une distinction de statut lié à leur
identité propre qui, je pense, peut-être dan- investissement dans le champ de la consom-
gereuse sur le long terme ». Pour autant, mation indépendante. Cette opposition traite
l’analyse du discours des répondants tend d’un modèle d’apprentissage des codes, rites
à démontrer la prégnance de l’apparence et symboles propres à la contre-culture hips-
et par-là même celle des codes esthétiques ter. Si pour les hipsters un apprentissage
Management de la marque – 79

en autodidacte est un moyen d’intégrer ces soi. Le hipster se trouve immergé dans cette
codes, ils restent également sensibles à des quête de l’objet qu’il va incorporer à son self.
influenceurs, et se placent ainsi dans une pos- Il affirme sa distance par rapport à la société
ture d’apprentis. L’apprentissage des codes en de consommation (l’être), et pour trouver
autodidacte tend donc à les abstraire du mar- l’objet unique (l’avoir), il passe beaucoup de
ché, même si l’influence que peuvent exercer temps à le rechercher (le faire). Mais si les
certains pairs atteste de leur existence par le hipsters se présentent comme des êtres pas-
marché. sionnés, le reflet identitaire qu’ils projettent
relève plus de l’indifférence : « Quand tu vois
 Passionnés vs Indifférents un hipster, tu te dis ce mec est totalement
décalé, limite “je m’en foutiste” ». Il existe
Les hipsters se présentent comme des êtres donc un total décalage entre « l’avoir » (le
passionnés qui, au travers de leurs activités centre d’intérêt, l’objet source de passion) et
culturelles ou artistiques, vont chercher à « l’être » (la distanciation par rapport à la
exprimer leur individualité : « C’est un peu société de consommation, l’indifférence vis-
un milieu élitiste où l’on partage des pas- à-vis d’autrui). En d’autres termes, le partage
sions différentes, mais communes ». Leur des passions pour la consommation indépen-
créativité s’exprime par une passion pour l’art dante crée une identité collective, permet-
(photographie, cinéma, musique, « Je crée tant d’asseoir une existence par le marché
mes propres sons, mais juste par passion »), (Skandalis et al., 2016). Néanmoins, l’image
la mode ou le « do it yourself » (« Le « do it d’indifférents qu’ils projettent encourage leur
yourself » est de mise en ce qui concerne les échappée du marché.
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vêtements. Avec des vieilles chemises et tee-
shirts on peut modifier, rajouter des couleurs La Figure 1 synthétise les caractéristiques
pour en faire quelque chose de neuf à la fois préalablement énoncées et retrace le profil
tendance et sympa avec un look vintage »). identitaire des hipsters, via l’opposition reflet/
On retrouve ici les idées de Belk (1988, mentalisation. Les stratégies d’utilisation de
p. 146) pour qui, « l’avoir, le faire, et l’être ces oppositions identitaires par les marques
sont intégralement liés » dans la définition du sont abordées dans la sous-section suivante.

Figure 1 : Les paradoxes identitaires des hipsters : de la mentalisation au reflet


80 – Décisions Marketing n°97 Janvier-Mars 2020

Sur le plan théorique, ce papier s’inscrit dans dans un champ de consommation particu-
le prolongement des travaux de Cova et al. lier, celui de la consommation indépendante
(2018). En effet, les résultats montrent que et se focalisent sur la contre-culture hipster.
l’évasion de la contre-culture hipster se carac- Leur recherche, menée en comportement du
térise par une distanciation au soi et à l’uni- consommateur montre que trois pratiques
vers domestique importante. En effet, les six « démystifiantes » permettent de protéger
oppositions mises en évidence, se basent sur leur identité : la discrimination esthétique, la
la distinction entre soi réel et soi social. La démarcation symbolique et la souveraineté
distance entre ces deux facettes du soi contri- du consommateur. Nos résultats s’inscrivent
bue à définir des identités multiples. La dis- quant à eux, dans le champ du management
tance de l’univers domestique s’observe quant des marques et visent à traduire les paradoxes
à elle, dans la tendance à la marginalisation. identitaires des contre-cultures en leviers
La fuite des réseaux de distribution tradition- d’action marketing, pour les marques qui
nels au profit de la fréquentation des circuits souhaiteraient cibler le profil hipster. La sec-
alternatifs ou des lieux éphémères méconnus tion suivante propose des pistes stratégiques
du grand public, illustre parfaitement cette destinées à répondre à cet objectif.
tendance. Aussi, compte tenu d’une distance
au soi et à l’univers domestique forte, l’échap- Implications managériales :
pée qu’offre la contre-culture hipster est peut- comment les marques peuvent-
être de type Turnérien (Cova et al., 2018). elles utiliser les paradoxes
L’évasion Turnérienne correspond à l’immer- identitaires des hipsters pour
sion dans une anti-structure ou encore une mieux les cibler ?
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communauté potentiellement régénératrice.
La contre-culture hipster peut s’apparenter à
une communauté postmoderne, dans laquelle
Recourir au « Do It Yourself »
pour éviter l’uniformisation et la
co-existent individualisme et tribalisme. On catégorisation
retrouve ici les caractéristiques de l’évasion
Turnérienne (1974) : L’absence de catégorisation est une carac-
téristique identitaire forte chez les hipsters.
• Les interactions sociales entre les membres
Dès qu’ils se sentent catégorisés ou ciblés
sont collaboratives : même s’ils se procla-
par une marque, les hipsters ont tendance à
ment autodidactes, les hipsters demeurent
la fuir, compliquant ainsi toutes stratégies de
influencés par leurs pairs ;
fidélisation. Passionnés par l’art, la mode et
• Les objectifs sont communs : partage de la transformation de leurs produits, les hips-
différentes passions artistiques et cultu- ters s’intéressent beaucoup au mouvement
relles ; « Do It Yourself ». Cette tendance met en
• L’expérience de consommation transcende exergue trois dimensions importantes dans
le marché par opposition à la traditionnelle la recherche de style du hipster : financière,
nature commerciale des échanges : fré- récréative et protestataire. Aussi, les marques
quentation de circuits alternatifs de distri- pourraient s’emparer de cette tendance pour
bution. satisfaire leur refus de catégorisation et tenter
de les fidéliser. La customisation favorise
Si nos résultats confirment certaines conclu- en effet, le « sur-mesure » et contribuerait
sions avancées par Arsel et Thompson (2011), à renforcer le sentiment d’abstraction
ils s’en distinguent néanmoins, compte tenu d’un marché de produits uniformisés. De
du champ de recherche investigué. Les tra- même, ces individus étant reconnus comme
vaux d’Arsel et Thompson (2011) analysent des initiateurs de tendances, les marques
les mécanismes de préservation identitaire pourraient faire appel à la production
Management de la marque – 81

participative et solliciter leurs idées de pro- Les marques peuvent également utiliser des
duits nouveaux, via des plateformes spécia- outils digitaux innovants pour renforcer le
lisées. À titre d’exemple, la marque Craft’n caractère avant-gardiste de leurs produits
Sound offre la première enceinte Bluetooth ou services. Tel est notamment le cas de la
déco à fabriquer soi-même (Encadré 2). marque de prêt-à-porter The Kooples, qui
propose aux couples du monde entier ses
collections vintage et de nouveaux services
Offrir des produits/services innovants
et d’avant-garde virtuels. Afin de renforcer la proximité avec
les clients et créer une intimité virtuelle, un
L’avant-gardisme apparaît comme l’une des assistant d’achat en ligne guide les clients en
caractéristiques identitaires des hipsters. Les temps réel dans leur achat. Plus récemment,
marques ciblant ces consommateurs doivent la marque a avancé sur le terrain des
donc insister sur l’innovation technologique innovations digitales en créant une applica-
de leurs produits. Tel est notamment le cas tion mobile « BLACKOUT », un réseau social
des marques rétro qui n’hésitent pas à renou- « anti-social » dédié aux couples. Son usage
veler leurs attributs techniques pour proposer intuitif permet une découverte autonome de
une offre à la pointe. Dans le secteur de l’hor- ses fonctionnalités avancées et favorise un
logerie par exemple, les montres Lip font leur apprentissage en autodidacte (Encadré 4).
réapparition après avoir disparu pendant près
de 40 ans avec un slogan explicite « N’est pas S’approprier les codes de la liberté
Lipster qui veut » (Encadré 3). Considérée pour communiquer et laisser
s’exprimer les passions
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comme la doyenne des sociétés horlogères
françaises, la marque Lip porte dans son Certaines marques s’inspirent des codes de la
ADN les codes de l’innovation, ayant été la liberté, chers aux hipsters, pour crédibiliser
première au monde à proposer un modèle leur message. Plusieurs possibilités s’offrent
électrique. à celles qui souhaitent user de ces codes ;

Encadré 2 : Craft’n Sound, la première enceinte DIY


Après une campagne de financement participatif réussie, la marque Craft’n Sound propose deux en-
ceintes sédentaires sans fil vendues en kit, à assembler et à personnaliser soi-même. Le kit comprend les
panneaux de bois, les haut-parleurs, les câbles de liaison, la mousse, la connectique, la colle à bois, les
tournevis, l’électronique d’amplification et la réception Bluetooth. Ici, la marque met clairement en avant
le DIY. Si l’effort de montage semble plus élevé, il permet à l’utilisateur/fabriquant de s’approprier ses
enceintes et d’éviter l’uniformisation.
https://craftnsound.com/

Encadré 3 : LIP et ses modèles de montres avant-gardistes


« N’est pas Lipster qui veut », tel est le slogan de la campagne de la marque française de montres Lip.
En 2016, la marque est revenue sur le devant de la scène nationale et internationale de l’horlogerie, avec
une campagne d’affichage au style vintage, en prenant pour égéries des hipsters. Si les codes stylistiques
du hipster (barbe, tatouage, bretelles) sont mis en avant dans cette campagne, la marque réapparaît avec
des modèles innovants tels que la Sous-Marinier, le premier modèle conçu pour la plongée, ou encore la
nouvelle version de Himalaya dotée d’un mouvement mécanique à remontage automatique. Forts de leur
succès, ces modèles renforcent l’aspect avant-gardiste de la marque Lip, qui faisait partie de son ADN.
https://lip.fr/blog/lip-baselworld-2018/lipster/
82 – Décisions Marketing n°97 Janvier-Mars 2020

Encadré 4 : BLACKOUT, le réseau social « anti-social » de The Kooples


Blackout est un réseau social dédié au couple avec une fonctionnalité unique : le décompte des secondes
passées à deux, sans interruption. Une fois activée, un compteur démarre et l’application bloque tout
appel, sms et notifications externes, permettant au couple d’être ni contacté, ni dérangé par autrui. Le
lancement de ce micro-réseau social intimiste va à l’encontre même de la définition d’un réseau social,
puisqu’il coupe le couple du monde extérieur. Il renforce ainsi l’image avant-gardiste de la marque.
https://lareclame.fr/138898-the-kooples-blackout

la première étant d’exploiter la liberté d’ex- prise de livraison de lames de rasoir, com-
pression notamment via le street art. A titre plète son activité avec un concept de barbiers
d’exemple, la marque Converse a lancé en ambulants (Encadré 6).
2013 une campagne publicitaire « Shoes are
boring. Wear Sneakers » dans les stations de Investir des lieux éphémères et
métros parisiens, en donnant carte blanche marginalisés pour s’abstraire des lieux
aux artistes urbains KASHINK, NIARK1 de distribution et de consommation
et HOPARE, pour détourner des affiches traditionnels
de la marque. Une seconde possibilité est
Nos résultats présentent la marginalité
d’offrir aux consommateurs des supports
comme l’une des caractéristiques identitaires
d’expression au sein des boutiques, comme
des hipsters. Les entreprises souhaitant sur-
le fait l’enseigne de prêt-à-porter Citadium,
fer sur cette thématique peuvent ainsi inves-
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afin d’échapper aux expériences d’achat clas-
tir des lieux éphémères et marginalisés pour
siques (Encadré 5).
s’abstraire des lieux de distribution tradition-
Une autre stratégie des marques consiste à nels. Tel est notamment le cas de la SNCF
communiquer sur les préceptes de liberté qui, en partenariat avec Ground Control, a
qu’elles associent à leur offre-produit ou à proposé en 2016 un club éphémère au pied
leur mode de distribution. À titre d’illustra- d’un dépôt de trains abandonné à Paris
tion, la marque Big Moustache, jeune entre- (Encadré 7).

Encadré 5 : Citadium et ses murs d’expression libres


L’enseigne de prêt-à-porter Citadium met à disposition de ses clients des murs d’expression pour les
inciter à prendre la parole et développer leur créativité. Ces surfaces offrent un sentiment de liberté aux
consommateurs qui peuvent dessiner, taguer ou colorier, écrire des messages tant inspirés que drôles.
Cette démarche, à l’initiative de la marque, renforce sa proximité avec ses clients et place les points de
vente comme de véritables lieux d’expression.
https://www.omy-maison.com/cms/en/category/uncategorized/

Encadré 6 : Big Moustache et son barbier ambulant


En 2015, l’entreprise Big Moustache propose le concept du barbier ambulant pour s’occuper des poi-
lus barbus, moustachus, et rasés de près dans la rue. Avec un triporteur, le barbier ambulant sillonne la
France exprimant ainsi une liberté de mouvement, mais également de style. Un des messages forts de la
marque porte sur la diversité des modèles de barbe qui s’offrent aux hommes, tous libres de s’approprier
le style qui leur convient, et où ils le souhaitent. À travers ce mode de distribution, la marque commu-
nique sur le caractère nomade et libre que reflète le style hipster.
Management de la marque – 83

Faire appel à des influenceurs pour parole et devenir de façon éphémère, un am-
définir les codes de la tendance hipster bassadeur de la marque. La communication
Les marques désirant surfer sur un phéno- ne serait donc pas à l’initiative de la marque,
mène de mode ont tout intérêt à se baser sur mais relèverait de l’initiative des acteurs de la
le reflet ou l’image que projettent les hipsters. contre-culture.
Les membres de la communauté étant assi-
milés à des apprentis, il est possible de faire Conclusion
appel à des influenceurs qui définiront des
codes précis à respecter. Parmi les figures Ce papier a choisi d’investiguer le paradoxe
emblématiques de la mouvance hipster, le identitaire des contre-cultures « existence
mannequin sexagénaire Philippe Dumas a par le marché vs échappée du marché », en
récemment adopté un look hipster, et séduit prenant pour terrain d’application le cas des
des consommateurs et des marques souhai- hipsters. Il permet d’appréhender via l’oppo-
tant s’inscrire dans une tendance actuelle sition des facettes mentalisation/reflet, le
(Encadré 8). décalage entre la façon dont les hipsters se
perçoivent et celle dont ils sont perçus. Six
Les marques pourraient même aller plus oppositions sont ainsi mises en évidence :
loin en gommant leur propre identité afin de 1. Absence de catégorisation vs membre d’une
mettre en exergue celle des différents adeptes communauté ; 2. Marginaux vs bourgeois ;
de la contre-culture. L’idée serait de ne pas 3. Avant-gardistes vs trendy ; 4. Libres vs pri-
avoir une identité de marque figée, mais cos- sonniers de leurs codes ; 5. Autodidactes vs
mopolite, composée de l’identité de chacun apprentis ; 6. Passionnés vs indifférents. Ces
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des acteurs de la contre-culture. Chaque six oppositions illustrent le paradoxe identi-
adepte pourrait prendre, à tour de rôle, la taire « existence par le marché vs échappée

Encadré 7 : Grand Train : le club éphémère et marginal de la SNCF


En 2016, le collectif Ground Control et la SNCF ont créé « Grand Train », un lieu alternatif éphémère
dans un ancien dépôt appartenant à la SNCF dans le 18e arrondissement de Paris. Derrière son apparence
marginale (hangars désaffectés de 6 000 m²), cet endroit se revendique « libre et curieux » et propose au
public un parcours original et décalé, dédié à l’univers des chemins de fer et du voyage. Ouvert de mai
à octobre, ce lieu apparaît comme un salon des innovations sociales où se mélangent restaurants, bars,
salles de cinéma, espace scénique, barbier, tatoueur, terrains de pétanque, poulailler ou encore potager
urbain co-partagé.
https://www.facebook.com/grandtrain

Encadré 8 : Philippe Dumas, le nouvel influenceur de la mode hipster


Avec 42 000 followers sur Instagram, Philippe Dumas (@Dumphil) est devenu un véritable phénomène
porté par les réseaux sociaux. En 2015, ce sexagénaire se lance dans le mannequinat senior. Il met un
terme à sa profession de régisseur dans le cinéma, se laisse pousser barbe et moustache et adopte un nou-
veau look qui plaît bien : celui du hipster ! Véritable mannequin-blogueur, il diffuse les codes de la mode
hipster via des hashtags de marques ou de barbershop et influence ainsi les membres de la communauté.
Il séduit également les marques qui de façon ponctuelle ou permanente, cherchent à communiquer sur
la tendance hipster et « embourgeoiser » leur image. Tel est notamment le cas de la marque automobile
Ford qui, pour le lancement de sa nouvelle KA+ active, fait appel au mannequin hipster le plus en vogue
du monde.
https://www.instagram.com/dumphil/?hl=fr
84 – Décisions Marketing n°97 Janvier-Mars 2020

du marché ». Sur le plan managérial, cinq Enfin, les stratégies 2 et 3, fondées sur
stratégies d’entreprises ont été analysées l’innovation, l’appropriation des codes
et proposées : 1. Le « Do It Yourself » qui de la liberté avec une expression libre, le
permet de s’affranchir de l’uniformisation ; choix de codes esthétiques déviants et le
2. L’innovation qui passe par de nouveaux recours à l’art trouvent leur ancrage théo-
produits ou services ou par l’adoption d’un rique dans les travaux de Heath et Potter
langage nouveau ; 3. L’appropriation des (2005) sur le « Rebell Sell ». Les auteurs
codes de la liberté ; 4. La préférence pour montrent que les produits et les marques
des lieux de distribution alternatifs ; et enfin utilisent la résistance des consommateurs
5. L’appel à des influenceurs. qui se revendiquent membres d’une contre-
culture en s’appropriant les symboles de cette
Sur le plan théorique, les stratégies 1 et 4 contre-culture, en lui enlevant tout contenu
s’ancrent plus globalement dans les travaux « révolutionnaire » et en le remettant sur le
de Kozinets (2002). Analysant le phénomène marché. L’utilisation de l’art, l’expression
« Burning Man » l’auteur montre qu’il n’est pas libre et des codes esthétiques déviants en sont
possible d’échapper au marché, mais que ce l’illustration parfaite.
type d’événement permet à l’individu d’opérer
des changements mineurs au niveau de son Comprendre les groupes qui se veulent à
identité. Le phénomène « Do It Yourself » contre-courant est donc un enjeu majeur
ou le choix par les marques de lieux de pour les marques qui s’adressent à ces cibles
distribution éphémères et marginalisés sont mouvantes émergeant du postmodernisme et
des options qui s’offrent au consommateur formées sur la base d’oppositions communes
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et lui permettent de s’opposer aux normes aux normes dominantes de la société. Afin de
et aux conventions et d’afficher ses propres cibler les contre-cultures de consommation
convictions. Il peut en conséquence exister (Desmond et al., 2000), les stratégies adop-
par le marché mais aussi échapper au marché. tées par les marques doivent être subtiles
Les marques peuvent ainsi offrir aux adeptes puisque tout marketing perçu comme tel peut
des contre-cultures une manière de clamer donner lieu à un rejet massif. Malgré cette
une identité unique et d’être socialement difficulté, notre recherche montre que l’on
reconnus comme différents. peut dénombrer cinq stratégies marketing
pertinentes qui sont fondées sur les travaux
La stratégie 5 faisant appel à des influen- sur l’identité de Kozinets (2002), Heath et
ceurs s’inscrit dans les travaux d’Arsel et Potter (2005), et Arsel et Thompson (2011).
Thompson (2011) sur la protection identi- Ces cinq stratégies intègrent les paradoxes
taire au travers des théories de cooptation qui identitaires de ces contre-cultures et jouent
montrent que le marché absorbe les symboles entre reflets et mentalisation pour mieux leur
des contre-cultures, et les adapte en offres parler. Au terme de cette recherche, deux
commerciales. Si la préservation de l’identité limites méthodologiques, ouvrant la voie
est un moyen pour les adeptes des contre- à des recherches futures, doivent être sou-
cultures de rester en marge du marché, elle lignées. La première a trait à l’âge moyen
n’en demeure pas moins une technique socia- des consommateurs interrogés. Cette étude
lement visible. Le recours à des influenceurs gagnerait à être conduite auprès d’un public
pour promouvoir leur marque permet au plus âgé. La seconde est liée à la nécessité
consommateur de protéger son identité et en d’opérer des triangulations méthodologiques
conséquence, d’adopter plus facilement une afin de confirmer les résultats. Considérant
marque dont la communication serait perçue que le sens se fonde sur des oppositions,
comme étant à l’initiative des acteurs de la l’analyse sémiotique du discours des répon-
contre-culture. dants permettrait d’enrichir et de compléter
Management de la marque – 85

nos avancées sur les paradoxes identitaires Cléret B. et Remy E. (2010), Gestion des relations
des hipsters. Par ailleurs, même si nous avons et des tensions entre l’industrie musicale et les
sous-cultures juvéniles : Le cas de l’Electro-
employé des techniques projectives (présenta- dance, Décisions Marketing, 60: 55-65.
tion de photographies) afin de stimuler l’ima-
Cova B. (1996), The postmodern explained to mana-
gerie mentale des interrogés, cette méthode gers: Implications for marketing, Business Hori-
ne se soustrait pas aux biais du mode déclara- zons, 39(6): 15-23.
tif. Il serait intéressant de recourir à la tech- Cova B., Carù A. et Cayla J. (2018), Re-conceptua-
nique de l’Album On-Line (Vernette, 2007 ; lizing escape in consumer research, Qualitative
Kessous et al., 2017) dont la pertinence est Market Research: An International Journal,
21(4): 445-464.
révélée dans le cadre de l’interprétation d’une
Cronin J.M., McCarthy M.B. et Collins A.M.
expérience de consommation. De même,
(2014a), Covert distinction: how hipsters prac-
compléter cette recherche par des approches tice food-based resistance strategies in the pro-
anthropologiques comme l’observation par- duction of identity, Consumption Markets &
ticipante, favoriserait une immersion totale Culture, 17(1): 2-28.
dans l’univers hipster et une meilleure appré- Cronin J. M., McCarthy M. B., Newcombe M. A. et
hension de leurs paradoxes identitaires. Enfin, McCarthy S. N. (2014b), Paradox, performance
and food: Managing difference in the construc-
une approche quantitative contribuerait à tion of femininity, Consumption Markets &
mieux explorer les phénomènes observés et à Culture, 17(4): 367-391.
en mesurer leur importance. Elle permettrait Desmond J., McDonagh P. et O’Donohoe S.
en outre, de dresser une typologie des profils (2000), Counter-culture and consumer society.
hipsters et de répondre à des problématiques Consumption, Markets and Culture, 4(3): 241-
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