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ENTRE FINANCE ET STRATÉGIE

Calcul, mimétisme... exemplarité ?

Jean-Philippe Denis

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2009/8 n° 198-199 | pages 95 à 123


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746226265
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-8-page-95.htm
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L E S F O N D A M E N TA U X
JEAN-PHILIPPE DENIS
Université Paris Ouest - Nanterre - La Défense

Entre finance
et stratégie
Calcul, mimétisme… exemplarité ?

Les théories « contractuelles », focalisées exclusivement sur


la rationalité calculatoire, ont progressivement fourni le socle
théorique justifiant l’exercice d’un véritable management
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juridico-financier. Cet article propose que, par-delà cette
conception limitée, les modes d’affrontement avec
l’incertitude ex ante procèdent de trois formes de rationalité
dominantes (calculatoire, mimétique, exemplaire) et
qu’aucune ne peut être privilégiée sans dommage. Il s’ensuit
des implications significatives pour le corpus de la finance
organisationnelle, pour les critères de production et de
validation de connaissances en management et gouvernance
comme pour les pratiques elles-mêmes.

DOI:10.3166/RFG.198-199.95-123 © 2009 Lavoisier, Paris


96 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

S
’il est au moins une vertu l’on peut Force est cependant de reconnaître que
reconnaître à une « crise », c’est l’hypothèse que constitue l’efficience spon-
qu’elle est généralement le moment tanée des marchés, et en vertu de laquelle il
de rappeler quelques vérités de bon sens. en faudrait toujours davantage et partout, a
Ainsi, alors que le système du crédit se perdu une grande part de sa capacité de
grippait à la suite de la crise initiée par les conviction. Après plus de vingt ans de
crédits hypothécaires à risque américains, « Chicago boys », de folie « Reagan-
deux principes marqués au coin de ce bon Tatcher » puis « Clinton-Greenspan-
sens ont été rappelés à l’envi. Le premier, Bush », l’émancipation de la finance par
c’est que la finance n’a pas de raison d’être rapport à la sphère économique « réelle »
autonome ; elle n’est là que pour permettre qui s’est produite depuis le milieu des
aux projets réels, en quête de financements, années 1980 continue de produire des situa-
de se concrétiser en rendant possible l’ap- tions injustifiables aux yeux d’une opinion
port de fonds à des projets risqués. Le publique de plus en plus ulcérée face à ce
second, c’est que la croissance du patri- qui est ressenti comme autant d’abus et
moine des apporteurs de fonds au-delà du d’injustices. Il s’ensuit une difficulté réelle
taux sans risque n’est qu’une récompense à restaurer ladite confiance dans la supério-
de leur prise de risque. Ce risque était, par rité du mécanisme privilégié de coordina-
définition même, si l’avenir avait été moins tion des échanges du système capitaliste : le
clément, de voir le patrimoine de départ « marché », conçu comme libre espace de
être réduit du montant des pertes. confrontations entre des rationalités exclu-
Depuis le milieu des années 1990, entre la sivement calculatoires. Sont dès lors de
« tyrannie » de la valeur actionnariale d’un plus en plus consacrés le retour de l’État, la
côté (Betbèze, 2003) et la titrisation des revanche des « keynésiens », la nécessité
risques de l’autre, reconnaissons que l’on d’institutions régulatrices… Il est logique
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avait presque fini par oublier ces principes dans ces conditions que, pour « penser la
de base. Tous les rappels de « bon sens » et crise » et fonder des prescriptions renouve-
autres recommandations du « G 20 » sont lées, ceux qui interrogent l’efficience des
donc marqués au coin de ce retour aux marchés trouvent aujourd’hui un très fort
bons vieux « fondamentaux ». L’objectif écho.
est de parvenir à restaurer le carburant Tel est notamment le cas d’A. Orléan (2009)
essentiel du système capitaliste : la qui a produit récemment un ouvrage très
confiance dans son institution première, le convaincant dans lequel sont démontrées la
marché. Il est vrai que les scandales nécessité et l’urgence de sortir de l’ornière
(Enron, Worldcom, SG, etc.) et les crises du seul postulat de comportements gouver-
(net-economy, subprimes, etc.) survenus nés par une rationalité instrumentale, calcu-
depuis le début des années 2000 ont consti- latoire, dont l’affrontement sans cesse
tué autant de coups portés à la supposée répété garantirait la fameuse efficience des
supériorité en termes d’efficience du mar- marchés. L’invitation est claire : il faut injec-
ché – donc du mécanisme de prix – en tant ter une bonne dose de mimétisme dans nos
que mode de coordination. schémas mentaux pour comprendre l’irra-
Entre finance et stratégie 97

tionalité, qui n’est en fait qu’apparente, des comme si ces deux thèses, l’une fondée sur
marchés financiers. Pour A. Orléan, et plus la supériorité explicative de la rationalité
généralement l’école dite « des conven- calculatoire, l’autre sur celle de la rationa-
tions »1, il est plus que temps de recouvrer lité mimétique, finissaient par tomber dans
la raison d’un monde non régi exclusive- un même écueil : le seul constat ex post,
ment par les modélisations fondées sur le après coup. Pour pertinentes, pour intéres-
postulat de rationalités exclusivement cal- santes et séduisantes qu’elles soient, ni
culatoires. On pourrait ainsi espérer que ne l’une ni l’autre de ces explications ne
se reproduisent les mêmes dégâts, les paraissent donc suffisantes pour fonder de
mêmes pertes bien réelles après des profits réels enseignements pour agir, pour imagi-
virtuels que d’aucuns, plus malins – ou ner « que faire ? » et « comment faire ? »,
mieux (in)formés – que d’autres se sont bref pour alimenter les dynamiques d’inter-
empressés d’encaisser avant que ne tombe vention ex ante qu’affectionnent en général
la vérité des prix ! Dans une veine proche et les chercheurs en sciences du management,
un peu moins critique, le courant dit de la et singulièrement les stratégistes.
finance comportementale s’efforce égale- Si l’on opte pour une telle posture, un phé-
ment depuis plusieurs années de travailler nomène peu commenté d’un point de vue
sur cette « irrationalité » des agents finan- théorique retient l’attention : le rôle joué par
ciers que la crise consacre comme une voie Ben Bernanke à la tête de la Fed. Tout le
de recherche définitivement prometteuse monde s’accorde à considérer qu’il aura été
(Albouy, 2009, p. 19)2. the right man at the right place at the right
Si l’on est convaincu de l’intérêt de ces tra- time. Tous les spécialistes saluent la perti-
vaux plus ou moins hétérodoxes, les inter- nence de son action dont les ressorts sont à
rogations persistent cependant. Ainsi, pour- chercher dans sa connaissance intime des
quoi ne pas avoir entendu et écouté ces mécanismes de la grande crise des années
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analyses avant ? Pourquoi peinent-elles tou- 1930. Il aura ainsi joué un rôle décisif pour
jours autant à convaincre ceux qui doivent éviter les conséquences dramatiques des
prendre des décisions ? Quelles prescrip- faillites en cascade des banques dont il
tions concrètes pourrait-on tirer, par savait qu’elles avaient été déterminantes
exemple, de ce postulat que le mimétisme tant dans la précipitation de la crise que
serait le ressort fondamental du comporte- dans sa durée et son ampleur. Face à l’in-
ment des agents financiers, voire même de certitude des réponses à apporter aux diffi-
l’être humain socialisé ? Dans leur combat cultés de 2007, chacun remercie donc
perpétuel – pour ou contre la (pré)supposée aujourd’hui la culture de Ben Bernanke qui
« efficience des marchés » –, tout se passe aura sauvé du désastre3.

1. Parmi les travaux qui mettent l’accent sur les phénomènes mimétiques que nous évoquons ici, on mentionnera
notamment le numéro spécial de la Revue Économique (Collectif, 1989) ainsi que l’effort de synthèse proposé par
P.-Y. Gomez (1996). Pour une présentation critique quant à la pertinence d’importer cette rationalité mimétique pour
penser les pratiques de management, on consultera avec profit l’analyse de B. de Montmorillon (1999).
2. Cf. le dossier spécial consacré à la finance comportementale de la Revue française de gestion, coordonné par
M. Albouy et G. Charreaux (n° 157, 2005).
3. Ceci, au détail près de la chute de Lehman Brothers dont on peut cependant penser qu’elle aura joué un rôle de
déclic pour légitimer les prescriptions de Ben Bernanke, en raison de la crise systémique qui s’annonçait alors.
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En des termes plus théoriques, bien peu cière de l’architecture organisationnelle et


d’enseignements sont cependant tirés de ce d’interroger la représentation de l’homme
recours de Ben Bernanke à l’exemple des et de leurs échanges que véhicule le para-
erreurs commises pendant la grande crise digme juridico-financier. Il s’en déduit,
des années 1930 afin d’amortir le choc de pour conclure, des implications significa-
celle de 2007. On peut pourtant penser que, tives pour la recherche, l’enseignement et la
face à la situation d’incertitude radicale – au pratique du management stratégique
sens de F. Knight (1921) – telle que celle comme de la gouvernance d’entreprise.
vécue depuis août 2007, c’est-à-dire dès lors
que le futur ne peut plus être probabilisé, I – LA « FINANCIARISATION »,
l’exercice d’une raison fondée sur le recours SYMPTÔME DE LA VICTOIRE
aux exemples passés aura été le seul moyen DU CALCUL ET DES CERTITUDES
d’oser agir et de définir une direction. Or, CONTRACTUELLES
loin d’être un cas isolé ou exceptionnel,
cette incertitude ex ante est le lot commun Depuis Mandeville et Smith, le rôle des
de toutes les affaires humaines, et singuliè- vices privés pour faire les vertus publiques
rement des situations que travaillent les stra- est bien connu. Ainsi, le marché est postulé
tégistes (Tannery, 2009), et c’est à ce titre comme le lieu de rencontre d’homo-œcono-
qu’elle doit être, pour nous, réinterrogée. micus rationnels, informés et autonomes
Par-delà le calcul et le mimétisme, la thèse mus par une même fonction d’utilité : la
que va argumenter cet article est que, pour volonté, partout et toujours, de maximiser
filer M. Foucault, il y a un « mot » man- leur intérêt individuel. De la libre confron-
quant dans le diagnostic de ces « choses » tation de ces intérêts privés émerge une
que sont les crises et les scandales. Ce mot, « main invisible », le marché. C’est le mar-
précisément familier des chercheurs en ché qui permet entre les « agents »
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stratégie et en management, c’est l’exem- l’échange non pas des choses mais de titres
plarité. Pour la défendre, la première partie de propriété sur les choses. On oublie par-
de l’article revient sur la prise de contrôle fois ce point fondamental : un marché est le
par le paradigme juridico-financier des lieu où des intérêts individuels se confron-
techniques mêmes de management. On y tent – en toute rationalité, information,
étudie comment le management stratégique liberté – et où, dès lors qu’a émergé un
s’est laissé enfermer dans le seul registre de accord sur un « prix », l’échange de titres de
la rationalité calculatoire et de la supériorité propriété est effectué.
a priori du marché comme forme de coor- Cette très brève mise en relief est utile pour
dination. La seconde partie propose que, comprendre comment a été accompagnée et
loin du seul calcul, les situations d’incerti- légitimée la « prise de pouvoir » de la
tude ex ante appellent l’activation de trois finance au cours des années 1990 et 2000. Il
formes de rationalités – le calcul, le mimé- faut en effet garder en mémoire que le mar-
tisme et l’exemplarité – et que chacune de ché est d’abord un lieu d’échanges entre des
ces formes ne saurait être activée isolément propriétaires. Si le mécanisme de prix est la
sans dommage. Ceci justifie, dans la troi- forme la plus performante de coordination
sième partie, de nuancer la théorie finan- entre les acteurs, c’est en raison des effets
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de (dé)possession et de dédommagement service). Il est, croyons-nous, essentiel de


qui fondent la dynamique marchande. Par- conserver à l’esprit ce principe du système
tant de cette certitude, M.C. Jensen et capitaliste : l’échange marchand est tou-
W.H. Meckling ont cru possible la formula- jours conçu comme un dédommagement
tion d’une théorie générale des organisa- réciproque, d’où il résulte la nécessité de la
tions à la suite de leurs travaux en finance fameuse « confiance » dans le respect de ses
d’entreprise. Cette théorie mérite une ana- engagements par chaque partie.
lyse fouillée tant elle est symptomatique de Tous les échanges pourraient potentielle-
la puissance, mais aussi des limites, du seul ment être marchands. Ils ne le sont cepen-
raisonnement juridico-financier pour inspi- dant pas dans les faits. Pour faire son
rer les pratiques managériales. œuvre, la « main invisible du marché » sup-
pose en effet des acteurs qui possèdent des
1. Le marché et l’organisation titres de propriété pleins et entiers sur les
entre valeur et limites choses – d’usage (usus), de profit (fructus),
du dédommagement marchand de cession (abusus). C’est même le carac-
C’est sans doute un truisme que de rappeler tère entier de cette propriété qui en permet
que la science économique développe pour le transfert, donc l’échange, et fonde la
projet « l’allocation des ressources rares ». dynamique de confrontation des intérêts
Si le marché, lieu de confrontation des inté- entre propriétaires et de dédommagement.
rêts de propriétaires, est la forme optimale On doit au génie de R.H. Coase d’avoir
d’échange, c’est parce que seuls les agents démontré en termes économiquement rece-
économiques qui y auront le plus intérêt vables pourquoi les échanges se tiennent
seront prêts à « payer » le prix nécessaire à parfois dans le cadre d’organisations où les
la propriété d’une ressource « rare ». Le droits de propriété ne sont pas clairement
marché apporte donc la garantie qu’une res- définis plutôt que sur des marchés.
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source rare soit spontanément chère, et Ainsi, si parfois, les échanges reposent sur
qu’elle soit allouée à l’agent qui en fera le la contrainte et l’autorité (hiérarchique) plu-
meilleur usage… puisqu’il aura été prêt à tôt que sur le mécanisme de prix, si d’autres
en payer le prix (fort). formes de relations que marchandes existent
C’est un peu moins un truisme de préciser ainsi entre les individus, c’est parce que le
que le mécanisme de prix, au principe de fonctionnement de cette « merveille » qu’est
tout marché, est en fait le mécanisme qui le marché a un coût. En d’autres termes, le
détermine la valeur de la propriété d’une marché n’est pas « gratuit ». Pour Coase,
chose. Ce « prix » qualifie en effet un inutile d’aller chercher plus loin, d’invoquer
double dédommagement : de l’offreur par des motifs plus ou moins (économiquement)
le demandeur, pour la dépossession de son recevables : le recours au marché est simple-
titre de propriété sur un bien ou un service ment coûteux. Dit autrement, le double
(typiquement contre de l’argent) ; mais dédommagement qu’opère le mécanisme de
aussi du demandeur par l’offreur pour la prix est un « luxe » qui n’est pas toujours le
dépossession de son propre titre de pro- plus « rationnel ».
priété sur une partie de son patrimoine S’accorder sur la valeur du dédommage-
monétaire (typiquement contre le bien ou le ment génère en effet des coûts de transac-
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tion, lesquels proviennent du temps néces- mêmes termes. C’est pourquoi, après Coase
saire tant pour s’accorder sur la teneur de puis Williamson, Jensen et Meckling
l’échange (négociation ex ante) que pour (1976) ont apporté un complément décisif à
s’assurer de sa bonne exécution (suivi ex ces analyses.
post, éventuel recours, etc.). Ces coûts de Leur « théorie positive de l’agence »
transaction peuvent dès lors être mis en (désormais TPA) s’interroge sur les effets
regard des coûts d’organisation que génére- du « démembrement5 » des titres de pro-
rait l’alternative hiérarchique, c’est-à-dire le priété sur lequel repose toute relation qui
recours à la contrainte pour coordonner les dure, donc toute délégation de responsabili-
échanges moyennant plutôt un dédommage- tés – y compris dans le cadre d’un échange
ment fixé a priori (le salaire). Se pose alors marchand. Ainsi, par exemple, dans une
mécaniquement la question des frontières entreprise cotée, un investisseur peut se
pertinentes de toute organisation : internali- rendre détenteur d’un titre de propriété (une
ser ou externaliser c’est se demander s’il est « action »). Comme tout titre de propriété,
préférable d’utiliser le marché (mécanisme celui-ci confère à son détenteur le droit de
spontané de prix) ou la hiérarchie (l’auto- tirer profit de son apport à un projet risqué
rité) pour coordonner l’échange ? (le frutcus que représentent les dividendes).
Une question limpide résume les termes du De même, le titre attribue le droit d’encais-
problème : faire soi-même (au sein d’une ser la plus-value en cas de cession avec
organisation) ou faire-faire (marché) ? C’est bénéfice de son titre de propriété à un autre
en fournissant ainsi les paramètres du cal- investisseur (abusus). En revanche, l’inves-
cul que la théorie des coûts de transactions tisseur n’exerce pas le pouvoir de manage-
développée, après R.H. Coase, par ment, donc le droit d’usus attaché à son titre
O.E. Williamson a eu un impact considé- de propriété. Tel est typiquement le cas dans
rable sur les pratiques. Nouvelles technolo- la firme « managériale » cotée au sein de
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gies aidant4, les frontières pertinentes de la laquelle l’équipe de direction est mandatée
« firme » ont sans relâches été interrogées ; par les apporteurs de capitaux pour effec-
et c’est sans cesse qu’ont été vues des justi- tuer les choix d’activités, coordonner les
fications nouvelles pour que l’océan de la actions des salariés, etc. En clair, le droit
coopération inconsciente (le « marché ») d’usus des titres de propriété sur l’entre-
submerge les continents de coopération prise est de facto délégué aux dirigeants
consciente (les « organisations »). Cepen- desdites entreprises « managériales ».
dant, entre un échange immédiat et instan- M. C. Jensen et W. H. Meckling ont consa-
tané et un contrat de prestation de services cré l’ensemble de leurs travaux au problème
de plusieurs années, on imagine aisément théorique posé par ce démembrement du
que le problème des « coûts de transaction » droit de propriété. Pour eux, tout « manda-
ne peut être posé exactement dans les taire » se situe en situation d’asymétrie d’in-

4. Internet étant un vecteur extraordinaire de réduction des coûts de transaction, bien sûr ex ante mais aussi ex post.
5. P. Joffre et B. de Montmorillon (2001) sont les premiers à avoir formulé cette distinction essentielle entre théo-
ries des coûts de transaction et de l’agence. Pour eux, et comme nous le reprenons ici, la première est une théorie
des coûts associés au transfert des droits de propriété tandis que la seconde est une théorie des coûts liés au démem-
brement desdits droits.
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formations à son profit par rapport à son Les trois catégories de coûts d’agence qua-
« mandant ». Il peut dès lors être tenté par lifient donc le « gaspillage » généré par
des comportements « opportunistes » (dans cette forme dégradée de relation qu’est la
le cas d’un dirigeant vis-à-vis des action- relation d’agence contractuelle. Dégradée,
naires : détourner une partie de la rente issue par rapport à un monde économique idéal
du projet productif, s’enraciner pour rendre qui fonctionnerait sur la base du seul méca-
son éviction difficile, etc.). Prévenir cet nisme de prix. Les coûts d’agence, ce sont
opportunisme potentiel induit des « coûts donc les coûts de toute relation qui dure. Ce
d’agence » : dépenses de surveillance et qui crée le problème, ce qui le génère, c’est
d’incitations, supportées par le « princi- l’asymétrie d’informations entre les cocon-
pal » ; coûts d’obligation, supportés par tractants et le soupçon d’opportunisme
l’agent pour « rassurer » le principal quant conséquent, entre le principal et l’agent.
au fait qu’il respecte bien les termes du C’est ce qui justifie la mise en place d’un
« contrat » ; perte résiduelle, qui qualifie ce système généralisé de garanties et d’assu-
que chacune des parties aurait gagné à ne rances. Ces concepts et principes, poussés à
pas contracter de relation mandant - manda- l’extrême, ont permis d’envisager la formu-
taire. En somme, et ce sera le cas dans tous lation d’une théorie générale synthétique
les travaux inscrits dans la lignée de la théo- des organisations que les spécialistes conti-
rie positive de l’agence, le démembrement nuent pourtant plus que jamais de considé-
des titres de propriété peut potentiellement rer impossible (Rojot, 2003).
permettre l’expression de tous les vices. Un
droit de propriété démembré suppose donc 2. Vers une théorie de l’architecture
de s’interroger sur l’articulation des respon- organisationnelle totale :
sabilités et des intérêts, entre l’investisseur et le management comme science
le dirigeant comme, toutes choses égales par de l’allocation et de la coordination
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ailleurs, entre le « patron » et le « salarié ». de droits de propriété démembrés
La conséquence essentielle est que la Jensen et Meckling (1992) estiment pouvoir
confiance passe par un droit garanti des proposer une théorie générale de l’architec-
mandants en matière d’informations dont ture organisationnelle (désormais TAO). Ils
l’intérêt doit être reconnu comme supérieur s’inspirent de F. Von Hayek pour distinguer la
à ceux de toutes autres parties-prenantes… connaissance générale, facilement accessible
Tel est d’ailleurs explicitement le fonde- et aisément transférable, de la connaissance
ment du droit des affaires anglo-saxon spécifique, difficile à acquérir et à transférer.
selon lequel l’intérêt de l’investisseur doit Dans ce second cas, puisque la connaissance
logiquement primer sur celui de toutes les ne peut être transférée aux « décideurs », il
autres parties impliquées dans l’entreprise. importe que ceux qui prennent les décisions
C’est lui qui prend les risques et, s’il n’y a soient ceux qui possèdent ladite connaissance
pas de bénéfices mais des pertes, c’est lui spécifique. Par définition même, ils notent
qui en assumera les conséquences patrimo- qu’en raison du « prix » à payer, le marché
niales négatives. Il faut donc lui garantir fournit un mécanisme incitatif puissant: celui
qu’il sera, a minima, au moins autant qui a la « meilleure » connaissance spécifique
informé que les autres. sera celui qui sera prêt à payer le plus pour se
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rendre propriétaire d’une ressource. Par droits décisionnels liés à l’utilisation des
ailleurs, une fois la ressource acquise, ses actifs et ressources à l’intérieur de l’organi-
décisions en qualité de « propriétaire » seront sation de telle sorte que ceux-ci soient
logiquement gouvernées par le souci de ne « colocalisés » avec les connaissances spé-
pas dégrader son propre patrimoine et donc cifiques. La seconde de ces dimensions pro-
d’utiliser sa propre connaissance au mieux… cède de la conception d’un système de
de ses propres intérêts. En raison du double contrôle susceptible de recréer artificielle-
dédommagement qu’opère l’échange mar- ment les conditions d’incitation et de garan-
chand, la « colocalisation » entre droits déci- tie que réalise spontanément un marché.
sionnels et connaissances spécifiques est Ceci concerne, d’une part, le système
donc, sur un marché, spontanée et source d’évaluation et de mesure de la perfor-
d’efficience. À défaut, il n’y aurait pas d’ac- mance ; d’autre part, le système d’incitation
cord sur des prix, donc pas d’échange. spécifiant la relation entre la mesure de la
À l’inverse, dans une organisation, cette performance et ses conséquences en termes
« colocalisation » entre droits décisionnels de sanctions et de récompenses6.
et connaissances spécifiques n’est pas spon- C’est peu dire que l’analyse de Jensen et
tanée. Les droits décisionnels liés à l’utili- Meckling est puissante. Les organisations et
sation des actifs et des ressources ne s’ac- les marchés apparaissent ainsi largement
compagnant pas de leur aliénabilité (droit substituables en tant que mécanismes de
de s’approprier le produit issu de leur utili- coordination des transactions. On en déduit
sation), il n’existe plus de systèmes auto- cependant que si une forme est spontané-
matiques de mesure de la performance et ment efficiente (le marché), l’autre com-
d’incitation conduisant les agents à utiliser porte toujours un risque d’inefficience lié à
leurs droits décisionnels dans l’intérêt de l’imperfection de la conscience humaine.
l’organisation. C’est donc aux dirigeants Sans cesse, l’efficience de la coopération
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qu’il incombe de penser les moyens de cette consciente doit donc être comparée à l’éta-
convergence. Ceci passe par la conception lon de la coopération inconsciente. L’ana-
d’une « architecture organisationnelle » qui lyse est fine, ses conséquences pragmatiques
procède de deux dimensions. La première considérables. Un soubassement de légiti-
de ces dimensions concerne l’allocation des mité est ainsi fourni aux pratiques managé-
droits décisionnels : par leur « autorité hié- riales, singulièrement celles développées
rarchique » et leur « politique organisation- dans le cadre du contrôle de gestion7 :
nelle », les dirigeants doivent allouer les centres de responsabilités, contrats d’objec-

6. Cette conception, proprement artificielle, de la relation entre incitation et connaissance spécifique au sein d’une
organisation explique que les salaires des « traders », par exemple, puissent être très largement supérieurs à ceux
des dirigeants de banque. À cette aune, on comprend aussi les débats sans fin, notamment depuis le milieu des
années 1990, sur les « stock-options », sur les « primes » et autres « bonus »… À nouveau, l’été 2009 en aura fourni
un symptôme avec l’« affaire » des provisions pour les bonus chez BNP Paribas.
7. Selon R.N. Anthony, l’un de ses pères fondateurs, le contrôle de gestion est ainsi le « processus par lequel les
managers s’assurent que les ressources sont utilisées de manière efficace et économe dans l’accomplissement des
objectifs de l’organisation » (nous soulignons). Pour une discussion stimulante de l’état de l’art en contrôle de ges-
tion, on pourra se reporter à l’introduction de H. Bouquin (2005) dans l’ouvrage qu’il a dirigé, consacré aux grands
auteurs du corpus.
Entre finance et stratégie 103

tifs, budgets associés, reporting… tout peut sentes sur le marché du contrôle d’entre-
être interprété avec les concepts de la théo- prise ; d’autre part, avec les fonds d’inves-
rie positive de l’agence et la TAO. Sans par- tissement ou les fonds de pension. Le point
ler des prix de cession internes, lesquels clé de toute stratégie « corporate » concerne
présentent l’immense avantage de réintro- dès lors la légitimité de cette direction
duire le mécanisme de prix dans une orga- générale à se substituer aux marchés finan-
nisation d’où il était censé avoir disparu. La ciers pour allouer les ressources entre les
manière dont ces théories « contractuelles » domaines d’activités. Les auteurs recensent
ont permis de repenser la question de ce en conséquence quatre rôles pour la direc-
que doivent être les rôles et missions d’une tion générale par lesquels celle-ci peut
direction générale d’entreprise fournit, créer, ou détruire, de la valeur dans le cadre
parmi d’autres, un exemple saisissant de de ses relations avec les domaines et unités
leur portée. et qui font apparaître différents paradoxes.

3. Le marché, étalon d’un management Valeur de l’influence exercée


devenu strictement juridico-financier par le siège… ou recentrage stratégique ?
La question du rôle de la direction générale Par son implication dans la formulation des
obsède la littérature managériale, depuis le diverses stratégies des domaines, par les
travail de A.D. Chandler au moins. Sur cette choix effectués en termes de nomination ou
question, le cadre conceptuel proposé par de remplacement des cadres dirigeants, par
M. Goold et al. (1994) illustre à merveille la nature du contrôle exercé, le centre
tant la vocation expansionniste des théories exerce une influence directe sur les
contractuelles de l’entreprise que la propen- domaines d’activités et unités. Un paradoxe
sion des théoriciens du management à y émerge alors, qualifié de « paradoxe des
faire in fine allégeance8. 10 % contre 100 % » : dans une entreprise
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En cohérence avec la théorie positive de diversifiée, les dirigeants du siège ne peu-
l’agence, les auteurs postulent que la direc- vent consacrer qu’une part de leur attention
tion générale d’un groupe multi-activité et de leur temps à chaque domaine alors que
peut, et même doit, être considérée comme les dirigeants de ceux-ci sont engagés, eux,
une structure de gouvernance particulière à plein temps dans la gestion de leurs acti-
située entre les actionnaires et des vités. Ces derniers cumulent donc parfois
domaines d’activités qui pourraient, poten- une expérience considérable et il revient au
tiellement, évoluer de manière indépen- siège de trouver par quels moyens exercer
dante. La direction générale (ou « centre ») une influence positive, source de création
se trouve dès lors en situation de concur- de valeur. Il faut lire ce premier rôle étudié
rence pour allouer les ressources entre ses par Goold et al. (1994) à la lumière du
différentes activités et les réguler : d’une motif traditionnellement évoqué pour justi-
part, avec les autres équipes dirigeantes pré- fier une stratégie de diversification : le souci

8. On se permet ici de reprendre et d’approfondir certains passages développés dans notre contribution à l’ouvrage
dirigé par H. Bouquin (2005) consacrée aux travaux de M. Goold et A. Campbell.
104 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

de diversification des risques. On le sait, la de leur propre chef, conformément à leur


théorie financière en général, et la TPA en strict intérêt individuel ; s’ils ne le font pas,
particulier, est très réservée à cet égard en c’est parce qu’ils ont leurs raisons. Dans
raison du fait que les porteurs de titres de tous les cas, le mot d’ordre de la recherche
propriété réalisent eux-mêmes cette diversi- de synergies risque fort de ne pas produire
fication des risques. Les théoriciens de la les bénéfices escomptés faute de recueillir
TPA n’ont en conséquence jamais été les suffrages des premiers concernés. Il ne
convaincus des motifs avancés pour justifier pourra donc y avoir création de valeur que
que cette tâche soit assurée par une équipe si le centre parvient à lever ce second para-
de direction en lieu et place des investis- doxe. À défaut d’y parvenir, la prescription
seurs financiers. Il y a là, en somme, une est claire : séparer les divisions de l’entre-
problématique « d’un fauteuil pour prise diversifiée et les rendre juridiquement
deux »… Il faudra donc au siège parvenir à autonomes.
justifier très clairement sa légitimité à occu-
per le fauteuil de la diversification des Valeur des fonctions supports…
risques en lieu et place des marchés finan- ou externalisations ?
ciers… Sinon, la prescription doit être le Le siège influence également le développe-
recentrage, qu’il soit sur le « cœur de ment de ses domaines et unités par les
métier », les « compétences centrales » ou actions de ses services centraux et fonctions
le « core business ». Peu importe le terme, de support. Or, le siège a souvent tendance
l’effet est identique. à devenir une organisation dans l’organisa-
tion, générant de la bureaucratie et de l’in-
Valeur des synergies… efficience. Ce point est d’autant plus dom-
ou « Spin off » ? mageable que des prestataires externes,
Le souhait de réaliser des « économies de spécialisés dans chacune des fonctions,
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champ » conduit également le centre à opé- pourraient remplir aussi bien, sinon mieux,
rer des choix en termes d’interdépendance, les missions qui sont dévolues aux fonc-
à plus ou moins développer les relations tions centrales. Un raisonnement en termes
entre domaines et unités par la mise en de coût d’opportunité s’impose logique-
place de mécanismes de prix de cession ment. Il devrait conduire à laisser les res-
internes, de processus et procédures trans- ponsables de domaines avoir recours, en
verses, ou encore par l’élaboration de direc- fonction de leurs besoins et s’ils y voient un
tives. Le second rôle identifié porte donc intérêt, à des prestataires externes compé-
sur la fameuse question des synergies. Un tents. À charge donc pour le siège de s’as-
second paradoxe apparaît alors : pourquoi le surer, via la coordination hiérarchique, que
siège aurait-il davantage de clairvoyance et les fonctions-supports sont économes, effi-
serait-il mieux placé pour développer les caces et efficientes alors qu’un échange
relations entre domaines que ces derniers régi par le mécanisme de prix est réputé
eux-mêmes ? Comme les auteurs le notent, assurer spontanément cette mise sous ten-
s’il y avait des bénéfices à tirer d’une sion. S’il ne parvient pas à démontrer sa
coopération, les responsables de domaines supériorité en matière de coordination,
devraient logiquement la mettre en pratique alors l’externalisation s’imposera.
Entre finance et stratégie 105

Valeur du siège… ou proie ? tion de sa compétitivité, du dédommage-


Enfin, le centre est le seul à même de gérer ment qu’elle apporte au regard des coûts
globalement le portefeuille d’activités de qu’elle génère et plus encore de celui que
l’entreprise. Ses décisions (ou non-déci- pourraient apporter d’autres sièges présents
sions) en matière d’acquisition d’entre- sur le marché du corporate control. Tou-
prises, d’alliances, de fusions, de création, jours, elle est donc soupçonnée d’être un
de regroupement, de séparation ou d’aban- filtre illégitime, car soupçonné de gas-
don d’activités influencent alors directe- pillage, entre les activités réelles – au sein
ment la dynamique des activités elles- des divisions – et les marchés financiers.
mêmes. Les sources de destruction de C’est ce pouvoir d’attraction, phénoménal
valeur sont ici potentiellement nombreuses : au sens propre, du paradigme contractuel,
une alliance qui ne tient pas ses promesses, juridico-financier, qui mérite d’être inter-
une acquisition trop chère payée, une inca- rogé alors que se sont multipliés les scan-
pacité à intégrer convenablement une nou- dales et les crises que l’on sait.
velle activité, une vision erronée du devenir
d’une activité ayant conduit à des regroupe- II – DE LA RATIONALITÉ EX POST
ments non pertinents d’unités… Ici encore, À L’EXERCICE DE LA RAISON EX
les auteurs pointent un paradoxe : ces ANTE : CALCUL, MIMÉTISME,
actions emportent toujours le risque de EXEMPLARITÉ
détruire de la valeur alors que le marché des
prises de contrôle est réputé être à même En postulant le seul recours au calcul et en
d’assurer spontanément un redéploiement constatant, ex post, la puissance du marché
efficace des ressources. Ici encore, soit le en termes d’efficience, les théories contrac-
siège y parvient, soit l’OPA est l’issue la tuelles oublient ce que Martinet (2008) a
plus probable. rappelé avec force : il n’est d’entreprise
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C’est à la lumière des conséquences prag- qu’en projet, en perpétuelle (re)conception
matiques des questions posées, et qui ont ex ante, et dont l’accomplissement ne peut
très fortement marqué les années 1980, être constaté qu’ex post. Assurément, qui
1990, et même 2000, que peut être lue, aurait pu imaginer, en 2002, que iTunes
selon nous, la prise de pouvoir institution- serait l’outil décisif et durable d’Apple sur
nelle des théories contractuelles, et par tran- tous ses terrains de jeu, y compris ceux vers
sitivité de la finance via la théorie positive lesquels il était a priori inconcevable de le
de l’agence, sur les pratiques. Le travail de voir s’aventurer ? Ainsi, de ce projet de
Goold et al. démontre en effet ce qu’ont été téléphone mobile, lancé dès 2004 par la
les ressorts profonds d’une véritable prise firme à la pomme et qui ne deviendra un
de contrôle quant à l’affrontement avec l’in- mouvement effectif de diversification,
certitude stratégique. Ainsi, la direction constaté ex post par analystes et clients, que
générale doit toujours faire la démonstra- le 6 janvier 20079 ?

9. Le podcast où S. Jobs, CEO d’Apple, présente pour la première fois l’iPhone est consultable à l’adresse
http://www.apple.com/quicktime/qtv/mwsf07/
106 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

Bien au-delà de cette anecdote symptoma- mise sous tension que doit être recherché le
tique, Martinet (1997) a formulé les trois principe de l’action dans l’incertitude (4).
formes possibles de situations probléma-
tiques rencontrées à l’occasion d’une acti- 1. Le calcul et le Strategic Problem
vité de diagnostic. Chaque situation mobi- Solving de la compétitivité
lise une logique privilégiée d’exercice de la Le Strategic Problem Solving (SPS) carac-
rationalité ; et ce n’est que lorsqu’elles sont térise une situation qui appelle la résolu-
considérées dans leur ensemble qu’elles tion d’un problème quasi donné, facile à
dessinent les voies et moyens d’un affronte- énoncer, dont les scénarios de réponses
ment raisonnable avec l’incertitude straté- possibles sont aisés à envisager. Tel est
gique (figure 1). Cet affrontement est mar- typiquement le cas lorsqu’un concurrent
qué au coin d’une triple quête 1) de décide une baisse de prix. Ou, pour filer
compétitivité, 2) de légitimité et 3) d’inno- une métaphore médicale, lorsque des bou-
vativité. Chacune de ces quêtes comportant tons chez un enfant annoncent assez claire-
des dérives intrinsèques, c’est dans leur ment une varicelle.

Figure 1 – Incertitudes et exercice de la raison stratégique


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Entre finance et stratégie 107

Ce SPS s’accorde avec bonheur de la ratio- bien trop limitée en situation de diagnostic
nalité calculatoire chère aux tenants de l’ef- ex-ante.
ficience des marchés. Ce type de situation
caractérise en effet des moments où la 2. La rivalité mimétique et le Strategic
norme véhiculée par le « marché » est claire, Problem Finding de la légitimité
où les dynamiques de transfert de droits de La situation de Strategic Problem Finding
propriété, et de captations de marges en (SPF) est caractéristique de situations où
conséquence, sont bien stabilisées. Les des symptômes sont identifiés qui sont (ou
benchmarks sont calculables et précieux. peuvent être) annonciateurs de problèmes
Les risques sont globalement probabili- autres. Tel est typiquement le cas lorsque
sables et leurs conséquences peuvent être l’on constate un tassement du chiffre d’af-
anticipées. En ce sens, les « forces » de Por- faires sur une ligne de produits. Ou, pour
ter constituent un formidable outil d’analyse continuer de prendre une métaphore médi-
des pratiques de captation par les acteurs des cale, lorsqu’une fièvre persiste sans que
marges, d’affrontement pour le gain de titres l’on sache aisément pourquoi.
de propriété… pour peu qu’on en ait réelle- L’activité de diagnostic consiste à interpré-
ment intégré la logique (quelles relations de ter, à se risquer à porter un jugement sur la
pouvoirs concrètes dans l’industrie ? quelles nature du problème et à envisager des
menaces potentielles ?) comme les limites moyens de le traiter. Le recours au mimé-
pour les services ou l’immatériel. De même, tisme constitue ici un puissant moyen pour
une « matrice » telle « BCG 1 » constitue un l’acteur stratégique de considérer les diffi-
puissant outil à l’appui de l’exercice de la cultés de même ordre éventuellement ren-
rationalité calculatoire en condensant le pro- contrées par d’autres, actuellement ou par
blème des forces/faiblesses d’une entreprise le passé. Les formules chères aux tenants de
à la seule courbe d’expérience (part de mar- la rationalité mimétique sont dans ce cas
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ché relative) et des opportunités/menaces au fécondes : ne cherchez donc pas la plus
seul cycle de vie du produit (taux de crois- belle fille, cherchez celle que les autres vont
sance du secteur). juger la plus belle… ; ne cherchez pas à
Le cadre de la parenté de Goold et Campbell avoir raison avant tout le monde, repérez
étudié dans la première section, s’inscrit plutôt les points d’inflexion, les moments
dans cette même veine et montre la portée de doutes et de suspicion…
des théories contractuelles pour instruire ce Ainsi, l’abandon d’une industrie par un
SPS. Le problème de la légitimité du concurrent, symptôme d’une éventuelle
contrôle exercé par la direction générale sur entrée en déclin, peut-il constituer une puis-
un ensemble de divisions se trouve ainsi sante incitation à arrêter les frais, voire à
réduit à une question de compétivité ce qui envisager une diversification. Les travaux
permet même de formuler une matrice de sur les groupes stratégiques issus de Porter,
parenté. Cependant, comme les auteurs ou ceux de A. Huff sur la cognition, tra-
seront eux-mêmes contraints de le recon- vaillent sur ces facteurs de similitudes dans
naître plus tard (Goold et Campbell, 2002), les logiques d’affrontement pour la
cette conception de la légitimité, réduite à conquête du client, ce qui illustre bien les
la seule question de la compétitivité, est effets mimétiques qui caractérisent toute
108 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

industrie. Le constat de réussites ou de dif- sion mimétique ne finit pas par produire
ficultés peut ainsi conduire à vouloir imiter exactement ce que la théorie ne croit que
(ou non) certaines pratiques qui ont fait leur décrire10. En d’autres termes, on a peut-être
preuve. C’est ainsi que pourra être envisa- tort de penser que les phénomènes mimé-
gée, par exemple, une tentative de passage tiques ne sont pas aujourd’hui intégrés dans
d’un groupe stratégique à un autre pour évi- les calculs. A. Orléan (2009) décrit ainsi
ter une « lutte à mort » sur les prix ou la combien le marché de l’immobilier améri-
pertinence de vouloir impulser la création cain – mais aussi anglais, espagnol et, dans
d’un nouveau groupe stratégique. une moindre mesure, français – a reproduit
Plus généralement, le principe de rationa- la logique des marchés financiers : le rai-
lité mimétique selon lequel il existe des sonnement sur l’espérance d’abusus, de
règles et des procédures de résolution de gain au moment de la cession du titre de
l’incertitude quant aux comportements des propriété. Toute espérance accrue condui-
autres acteurs est particulièrement éclairant sant alors à une demande accrue et donc à
et utile en situation de Strategic Problem des valeurs de marché des actifs accrues.
Finding. P.-Y. Gomez (1996) considère que Une telle logique ne s’impose cependant
les conventions constituent des écrans pas aux acteurs, ils composent avec elle, ils
informationnels qui informent les individus s’en jouent, quitte à ce que ce soit au détri-
quant au comportement normal à adopter, ment de quelques règles élémentaires
l’entreprise peut être considérée comme d’éthique, comme ce fut le cas vis-à-vis des
une « convention d’effort » et le marché désormais célèbres foyers insolvables amé-
comme une « convention de qualifica- ricains, aujourd’hui (dé)saisis.
tion ». Dans les deux cas, elles proposent Ceci démontre la nécessité de basculer dans
un ensemble de règles qui offrent un cadre un autre type de situation dont le seul prin-
au calcul individuel. Un tel cadre est sus- cipe de rivalité mimétique ne peut rendre
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ceptible de nourrir les réflexions des stra- compte de manière satisfaisante.
tèges quant aux critères de légitimité sur
lesquels raisonner et avec lesquels il est 3. L’exemplarité et le Strategic Issue
nécessaire de composer. Avec les travaux Enacting de l’innovativité stratégique
de Fligstein, de Di Maggio et Powell et A.-C. Martinet (1997) propose que la situa-
d’autres, de tels frameworks contribuent à tion de Strategic Issue Enacting (SIE) est la
aider au diagnostic des motifs et des res- plus familière des directions générales et
sorts de la légitimité d’une décision in des chercheurs dès lors qu’ils traitent de
concreto plutôt que de la seule perfor- questions de « stratégie ». Elle caractérise
mance économique in abstracto. une situation perçue complexe, indicible,
Cependant, si l’on peut voir dans les source d’éventuelles menaces ou opportuni-
normes sociales et la rivalité mimétique des tés. C’est typiquement le cas lorsqu’il s’agit
cadres qui fournissent du sens au calcul, on de dresser un « plan stratégique ». C’est,
est aussi en droit de se demander si l’obses- toujours pour suivre une métaphore médi-

10. Comme l’a bien dit C. Argyris, dans les affaires humaines, toute théorie positive devient normative…
Entre finance et stratégie 109

cale, la décision de déclencher un IRM pour Il s’agit alors d’imaginer des nouveaux
commencer à comprendre ce qui se passe… modes de réponse, lorsque les pratiques
Le « jeu » n’est ici pas « donné », il est très anciennes sont disqualifiées, éventuelle-
clairement à construire. Il s’agit de rendre la ment par la mise en place d’alliances, donc
situation « saisissable cognitivement, viable en se solidarisant de droits de propriété
écologiquement, traitable politiquement » d’autres pour créer des articulations créa-
pour reprendre directement la terminologie tives. Ce type de situation ne peut se satis-
de Martinet (1997). La série Dr House a faire des seules rationalités calculatoires et
peut-être connu le succès que l’on sait parce mimétiques. L’enjeu est ici l’invention du
qu’elle se caractérise, à chaque épisode, par lendemain, la conception de ce qui n’existe
un exercice d’Issue Enacting fondé sur une pas encore. L’objectif est la prise de déci-
logique de diagnostic « différentiel » où les sion et l’action en situation d’incertitude
initiés auront reconnu la rationalité procédu- radicale. Cela appelle des procédures et
rale, par opposition à la rationalité substan- outils qui stimulent la créativité et assurent
tive, chère au prix Nobel H. Simon. Ces autant que possible la réflexion.
situations de SIE appellent singulièrement Le corpus stratégique regorge de manière
une forme différente de raison, fondée pour très instructive de telles boîtes à outils
nous sur l’exemplarité. d’aide au raisonnement fondées sur l’exem-
Tel est typiquement le cas lorsque l’incerti- plarité en situation d’issue enacting. Ainsi,
tude se généralise sur les droits de pro- les quatre « vecteurs de croissance » d’An-
priété, comme c’est le cas suite à des rup- soff aident ainsi à « énacter » l’espace des
tures technologiques d’importance. Les choix possibles à l’aune desquels opportuni-
majors de l’industrie musicale en ont subi tés et menaces, forces et faiblesses prennent
les conséquences et connu les difficultés du relief (Denis et Tannery, 2008). Mais
que l’on sait dont elles ne sont toujours pas c’est aussi à l’aune de la rationalité exem-
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sorties. Polaroïd aussi, à l’heure de l’avène- plaire que l’on comprend la « valeur » que
ment du numérique, qui à force de courir constitue la mobilisation d’études de cas
après son succès passé a été débordé de exemplaires en stratégie d’entreprise.
toute part à la fin des années 1980. Mais G. Hamel est maître dans cet exercice : Ikea,
l’incertitude peut être aussi précipitée déli- Dell, Swatch, Bodyshop11, etc.
bérément par un acteur lui-même, s’il pense Ces cas « extrêmes » ont permis à « l’ap-
pouvoir introduire une rupture à son profit. proche par les ressources et les compé-
Et ceci peut, très durablement, et sans tences » de formuler un principe fondamen-
nécessairement que les agents calculateurs tal au regard du raisonnement exemplaire :
ou obsédés de rivalité mimétique n’en pren- s’acharner à développer, sur la durée, une
nent conscience de prime abord, introduire singularité de compétences rares, de valeur,
pour une longue durée un avantage compé- imparfaitement substituables et, surtout, dif-
titif certain. Tel a été le cas d’Apple avec ficilement imitables comme le propose
iTunes et l’iPod… à titre d’exemple. J. Barney. Peut-on rêver plus beau pied de

11. Mais aussi Enron à la fin des années 1990, comme cela n’a pas manqué de lui être reproché.
110 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

nez à la rationalité mimétique ? Ce principe, Et face à l’incertitude, les stratèges mili-


considéré ex ante comme une « béquille » de taires ont toujours été à la recherche de
raisonnement, et non comme un simple principes généraux guidant leurs actions
constat ex post, fournit assurément un critère toujours contingentes (Martinet, 1990). On
d’arbitrage stratégique essentiel entre diffé- doit à C. Von Clausewitz d’avoir ainsi for-
rents coûts mais aussi, et surtout, entre diffé- mulé que toute stratégie contient les germes
rentes valeurs d’opportunité. C’est ainsi que, de son autodestruction au-delà du « point
loin de l’océan rouge de la compétition cal- culminant ». Cette nature paradoxale de
culatoire et de la rivalité mimétique, l’action justifie que l’on s’interroge sur les
W.C. Kim et R. Mauborgne proposent de dérives intrinsèques contenues potentielle-
partir en quête acharnée de l’océan bleu du ment dans chaque forme de rationalité et
renouveau et de l’innovation. Enfin, dans ce comment chacune peut, dès lors, être pen-
domaine du strategic issue enacting, le repé- sée ex ante en complémentarité avec les
rage de situations idéal-typiques, de « confi- autres plutôt que de manière strictement
gurations » comme diraient H. Mintzberg opposée.
et D. Miller, ou de « formes » pour filer Dans un instructif exercice de lucidité,
Martinet (1990) aident singulièrement à gui- Jensen et Murphy (2004) s’interrogent sur
der et à canaliser les raisonnements. l’influence des travaux de finance, et singu-
lièrement ceux élaborés avec Meckling, sur
4. Conduire l’action stratégique dans les pratiques12. Les scandales qui ont
l’incertitude : calcul contre mimétisme émaillé les années 2000 les poussent à faire
contre exemplarité l’analogie entre la croissance du cours de
Il ressort de ces analyses que les trois Bourse et l’héroïne : l’envie d’une sensation
formes de raisonnements évoquées – calcu- forte supplémentaire conduit à l’overdose,
latoire, mimétique, exemplaire – peuvent se lorsque la recherche d’ivresse l’emporte sur
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combiner pour dessiner, lorsque mainte- la prudence la plus élémentaire. Assuré-
nues en tension, une véritable raison straté- ment, les bonus et stock-options illustrent la
gique. Mais elles n’agissent pas qu’à l’ap- difficulté à contenir à l’hubris et les limites
pui de réflexions ex ante, de diagnostic et de du « calcul » pour y parvenir : le calcul se
choix ; elles sont aussi un puissant ressort fait toujours à un instant t, sans autres pos-
de l’action, sur la durée, dans l’incertitude. sibilités de considérations qu’hypothétiques
Cette dernière rend nécessaire d’accepter sur ce qui adviendra à t +1, t +2, …, t + n.
de lâcher prise sur les événements, d’être le Autant dire que les aberrations peuvent être
plus flexible et réactif possible. Ceci sup- nombreuses dès lors que ceux qui sont
pose de rompre avec la propension occiden- récompensés pour leurs décisions et actions
tale à vouloir maîtriser et « garder le aujourd’hui ne seront probablement pas
contrôle ». C’est le prix de l’action, et non ceux qui en assumeront les conséquences
de la seule décision, dans l’incertitude. demain.

12. Sur cette même question, on consultera avec plaisir l’ouvrage de P.L. Bernstein (1995) dont un passage, savou-
reux avec le recul, précise : « Chaque fois qu’une institution utilise des options, qu’une entreprise en émet, ou qu’un
ménage demande un crédit hypothécaire, ils rendent hommage non seulement à Black, Scholes et Merton, mais éga-
lement à Bachelier, Samuelson, Fama, Markowitz, Tobin, Treynor et Sharpe. » (p. 346).
Entre finance et stratégie 111

La grande faiblesse du calcul est d’être une d’invincibilité, lesquels expliquent ensuite
opération mentale qui, à l’extrême, peut se la « dépression » ressentie au moment de la
passer du réel et nourrir de pures spécula- « descente ». Sans cesse, l’envie revient
tions. Or, s’il veut être raisonnable, le calcul alors de remettre « la main dans le pot de
ne peut se passer de raisonnements contex- confiture ». Parfois jusqu’à l’indigestion
tuels pour la simple raison qu’il a besoin dont on savait, au fond, qu’elle arriverait
d’avoir, en situation réelle et concrète, du fatalement tout comme l’overdose. Car si le
« grain à moudre ». Ainsi, le calcul de la paradigme contractuel, donc de la rationa-
VAN ne pose-t-il pas réellement de pro- lité calculatoire, perdure malgré les cri-
blèmes : c’est le risque d’inanité des antici- tiques incessantes, c’est parce que le mar-
pations de cash-flows futurs qui constitue le ché reste bien, à long terme, efficient. Il
réel problème (Martinet, 2002). La rationa- finit toujours par donner la vérité des prix.
lité calculatoire doit donc être sans relâche Et il est sans pitié. On peut même se
contrebalancée par l’intégration de la dérai- demander si ce n’est pas cette absence de
son mimétique, à la hausse ou à la baisse, pitié qui en fait, pour certains, le caractère
dont font si régulièrement preuve les « mar- excitant. À vaincre sans péril…
chés ». Car sans intégration de préoccupa- C’est précisément pourquoi la raison exem-
tions mimétiques, calculer n’a bien souvent plaire permet de sortir de l’ornière dans
aucun sens puisque tout calcul ne fait sens laquelle enferment les rationalités calcula-
que par rapport aux calculs des autres. Les toire comme mimétique au regard de la
échecs relatifs des travaux sur la rationalité mise en mouvement originel des phéno-
mimétique à fonder de réelles prescriptions mènes mimétiques comme d’apparition de
opératoires et à inspirer les pratiques de la nouveauté. Car ceci procède, pour nous,
régulation doivent cependant interroger. de l’exemplarité. L’exemple ne vaut réelle-
Tout le monde partage au fond les avis et ment que lorsqu’il est suivi, faute de quoi il
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théories mimétiques… Mais il faut aller reste confiné au statut d’expérience isolée
plus loin, croyons-nous, que le concept sans enclencher la force dynamique de
d’aveuglement au désastre proposé par l’exemple. C’est d’ailleurs précisément
A. Orléan : les opérateurs ne sont pas cette force de l’exemplarité que voyait
aveugles, c’est le « marché » qui l’est. Schumpeter chez l’entrepreneur. Mais
En d’autres termes, les acteurs savent que le lorsque tel est le cas, l’exemple donne du
« désastre » arrive mais l’appât du gain – ou sens. Ceci permet d’expliquer la diversité
l’impossibilité de dire non sauf à être taxé des situations concrètes alors même que
de manque de prise de risques – leur fait celles-ci devraient, en toute logique mimé-
vouloir rester le plus longtemps possible. tique, se fondre en une forme unique selon
Le « jeu » est ainsi trop amusant pour ne un processus auto-référentiel infini. Vis-à-
pas tenter de se jouer des phénomènes vis de la rationalité calculatoire, le concept
mimétiques, pour ne pas essayer d’être plus d’exemplarité permet d’éclairer ce que
malin que le suiveur « lambda ». On peut ici celle-ci ne parvient pas à appréhender : une
pousser la métaphore des stupéfiants plus réelle inscription culturelle, et non simple-
loin encore que Jensen et Murphy : ceux-ci ment sociale (cas de la rivalité mimétique),
donnent un sentiment de supériorité voire du calcul économique. C’est aussi le postu-
112 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

lat d’activation d’une raison exemplaire sable pour tenir l’exemple à distance, pour
face à l’incertitude qui permet aussi d’ex- ne le prendre que pour ce qu’il est : une
pliquer la nature consubstantiellement référence qui peut toujours s’être brutale-
paradoxale de l’action humaine. D’un côté, ment « bio-dégradée ». En ce domaine, il y
la propension à répéter sans cesse les a à espérer de la propension toujours latente
mêmes erreurs, par la reproduction – au mimétisme : celle-ci incite à considérer
consciente ou non – des mêmes exemples et les cas où l’exemple est pris, à tort, pour
le recours aux mêmes références passées. « argent comptant ». De même, pour
D’un autre côté, la capacité des individus et contrebalancer les dérives exemplaires, la
des collectifs à se sortir des pires ornières rationalité calculatoire retrouve un intérêt
par assemblage d’exemples passés, dans trop souvent occulté : le calcul n’a point
des situations diverses, pour inventer une d’état d’âme, il est disposé à brûler des
nouvelle réponse cohérente laquelle, dans exemples jusqu’alors adorés. Nul besoin
le cas d’entreprises, pourra devenir un nou- ici, comme on le lit parfois, de recourir au
vel exemple étudié parfois pendant des concept girardien de victime expiatoire :
générations. l’échange marchand, parce qu’il met en
Il serait cependant hasardeux de s’en cause le propriétaire dans ce qu’il a de plus
remettre mécaniquement à la seule force de cher au sens propre, à savoir sa possession,
l’exemple : la raison exemplaire comporte conduit finalement ce dernier à envisager
elle aussi des dérives intrinsèques propres. favorablement la dépossession dès lors que
Assurément, les sollicitations de la le dédommagement anticipé permet, au
« médiasphère », toujours à l’affût d’une moins, de limiter les dégâts. C’est ainsi que
nouvelle tendance exemplaire qui alimen- s’expliquent les mouvements de panique,
tera le « business », sont sources de frissons comme ceux survenus au moment des pre-
et donc d’accoutumance. La tentation miers doutes sur Enron : dans la volonté de
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pointe, alors, sans cesse, de reproduire à chacun de sauver au mieux ses propres inté-
l’envi les recettes exemplaires avec les rêts. Assurément, aucune forme de coordi-
bénéfices qui vont avec. Selon une dyna- nation autre que marchande ne parviendra
mique excellemment mise en évidence par jamais, et de manière aussi brutale et vio-
les travaux sur la rivalité mimétique, les lente, à brûler des « exemples » pourtant
exemples sont faits pour nourrir, à terme, autrefois adulés.
les livres d’Histoire. Une sagesse minimale
suppose donc d’avoir conscience du carac-
III – PENSER LA STRATÉGIE AVEC,
tère par essence évanescent du succès, du
ET AU-DELÀ, DE LA FINANCE
principe même que les icônes finissent tou-
ORGANISATIONNELLE
jours brûlées.
Le calcul de la probabilité de réussite, de la Les analyses précédentes incitent à nuancer
reproduction (ou non) de « toutes choses la portée de la TAO proposée par Jensen et
égales par ailleurs » cher aux sciences dures Meckling. Elles légitiment également de
mais souvent bien peu praticable en s’interroger sur la nécessité de (re)com-
sciences de l’action reste pourtant indispen- plexifier la vision de l’homme véhiculée par
Entre finance et stratégie 113

le paradigme juridico-financier comme des quoi on les fait servir dans le cadre d’une
incitations dès lors que celles-ci ne portent architecture plus générale qui fait « sys-
pas sur l’échange de choses matérielles. tème ».
Une pluralité de situations se dégage selon
1. Extension et nuance de la théorie que les connaissances de valeur sont déve-
de l’architecture organisationnelle loppées par le siège et/ou par les unités.
J. Ph. Denis et F. Tannery (2007) se sont L’asymétrie de connaissances peut ainsi être
attachés à formuler des idéaux types cohé- largement subie par le niveau central et en
rents, exemplaires, d’exercice du corporate faveur des divisions et/ou unités si ce sont
control. À l’opposé de la conception rete- elles qui concentrent les compétences de
nue et véhiculée par Jensen (2003), il appa- valeur. Elle peut être au profit du niveau
raît vain de critiquer, dans l’absolu, tel ou central lorsque les connaissances et compé-
tel outil, instrument ou dispositif : le tences développées aux autres niveaux sont
contrôle budgétaire, ou la planification stra- considérées comme d’un piètre intérêt pour
tégique par exemple, peuvent être utilisés le développement du groupe. Elle peut
dans des cadres très différenciés. Ce qu’il enfin être à la fois en faveur du niveau cen-
importe dès lors de comprendre, c’est ce à tral pour certains types de compétences et

Figure 2 – Cinq formes d’exercice du corporate control


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114 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

simultanément en faveur du niveau des Express ou de Mc Donald’s. Fournir des gaz


divisions et/ou unités pour d’autres et il industriels de qualité et standardisés partout
s’agit alors d’une sorte de double asymé- dans le monde était l’objectif. L’élaboration
trie. Ceci dessine des configurations bien et le déploiement de règles et de procédures
distinctes d’exercice du corporate control opérationnelles à respecter étaient donc la
(figure 2). priorité. Cependant, l’accent mis depuis le
Une forte asymétrie de connaissances, début des années 1990 sur les services et la
subie par le siège et liée à une forte diver- diversité des applications d’usage des gaz
sité d’activités, peut conduire à des options industriels a conduit à donner un caractère
d’architecture très contrastées. Les diri- local beaucoup plus prononcé à l’activité.
geants de groupes tels que Lagardère ou Le siège a continué de toujours centraliser la
General Electric s’impliquent fortement décision d’investissement puisqu’elle est
dans un processus annuel d’élaboration de critique dans une industrie à forte intensité
plans stratégiques par les activités. Celui-ci, capitalistique. Mais il est désormais
animé par la direction de la stratégie, per- contraint, en amont, de se reposer sur les
met de questionner la robustesse des raison- connaissances locales pour évaluer le poten-
nements et des choix. L’asymétrie de tiel d’activité. Et, en aval, il ne peut qu’exer-
connaissances, bien réelle, s’en trouve cer une vigilance très stricte sur sa concréti-
amoindrie. Cette logique est celle d’une sation, laquelle est fonction de la qualité de
configuration développeur. À l’inverse, les la gestion réalisée au plan local. Aux dires
sièges de groupes comme Bolloré ou mêmes de ses dirigeants, Air Liquide s’est
Wendel Investissement se comportent réel- alors davantage rapproché d’un groupe
lement comme des actionnaires au sens de comme Carrefour, c’est-à-dire d’une confi-
la théorie de l’agence : compte avant tout, guration investisseur.
pour eux, la réalisation de plus-values sur Ces analyses montrent combien ne mobili-
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les activités. Se poser la question de savoir ser que les principes de la TAO de Jensen et
comment elles ont été réalisées n’est impor- Meckling induit une perte préjudiciable de
tant que pour choisir entre les conserver ou subtilité. Si la TAO est utile, si elle fournit
s’en défaire. L’analyse financière, activité des paramètres et des principes, on mesure
par activité, unité par unité, suffit. On est ici qu’elle peine à entrevoir la diversité de
proche d’une configuration financier. En leurs articulations dans des formes systé-
première approche, tous ces groupes pou- miques d’où émergent des dynamiques
vaient pourtant être classés dans le style d’apprentissage. Peut-être en raison de ses
« contrôle financier » proposé par Goold et origines, S. Goshal (2005) avait bien vu
Campbell, et si proche des conceptions ini- comment ces « bad management theories
tiales de Jensen et Meckling (1976). are destroying good management prac-
Avec cette finesse de « grain », il devient dès tices ». Effectivement, si la délégation sup-
lors possible de mieux saisir une trajectoire pose le contrôle, elle appelle aussi la
comme celle d’Air Liquide. Le groupe est confiance. Laquelle est au fond d’autant
longtemps resté attiré par une configuration plus indispensable que les actifs sont spéci-
opérateur centralisé à l’image de Federal fiques, que l’on a bien plus à perdre qu’à
Entre finance et stratégie 115

gagner de les voir s’en aller. En filigrane se tension entre ces deux modèles que doivent
dessinent les traits d’une autre nature de être compris les comportements, décisions
l’homme que celle traditionnellement rete- et actions concrètes des individus.
nue par les chercheurs en finance. Il a ainsi été rarement fait remarquer com-
bien le modèle PAM défendu par Jensen et
2. L’Homo Strategicus : Meckling pourrait être rapproché de la
un REMM gouverné par un PAM conception de J.G. March (1991). Celui-ci
et par un ISM ? s’est attaché à détailler les mécanismes
À l’appui de leur théorie de l’architecture psychologiques, affectifs, économiques et
organisationnelle, Jensen et Meckling politiques qui rendent si difficiles les
(1992, 1994) reprennent les postulats de apprentissages par exploration du nouveau
l’homo-œconomicus qu’ils reformulent plutôt que par exploitation du connu. Mais
sous les termes REMM (Resourceful, Eva- le rapprochement entre les auteurs s’arrête
luative, Maximizing Model). Ils introdui- là : l’intérêt de la modélisation de March
sent cependant un postulat nouveau, censé est précisément de montrer que le PAM
mieux rendre compte des comportements n’est pas l’exception, il est la règle qui
réels : le PAM (Pain Avoidance Model). encadre toujours les paramètres du calcul.
Par ce PAM, l’agent économique apparaît Ceci rejoint alors les travaux qui mettent
susceptible de réaction non rationnelle dès en évidence le rôle de la coordination
lors qu’il est « effrayé » ou incapable d’as- mimétique dans les organisations.
sumer les conséquences d’un échec, ce qui Le mimétisme rationnel entretient en effet,
expliquerait la dynamique d’enfermement pour nous, une relation très étroite avec le
dans laquelle il peut toujours s’enferrer. Le PAM : n’est-ce pas un simple souci d’éviter
PAM permet dès lors de rendre compte, les désagréments qui peuvent provenir du
pour Jensen, de nombre de situations réelles fait d’être hors norme qui conduisent à pra-
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comme les mouvements de panique sur les tiquer ledit mimétisme ? Assurément, les
marchés financiers qui sont difficilement risques associés à des comportements qui
explicables avec le seul postulat du REMM. seraient jugés anormaux justifient l’activa-
M.C. Jensen considère cependant que les tion d’un PAM individuel dans l’esprit de
comportements des individus sont mus celui qui doit prendre une décision14. Il est
généralement par le REMM et il réserve le ainsi significatif que la notion de mimé-
cas de comportements gouvernés par le tisme s’inspire très directement de la pensée
PAM à de stricts cas particuliers aberrants de R. Girard et mette l’accent sur une satis-
(Jensen, 1998, p. 44). Notre conviction est faction toujours très relative des besoins
plutôt que, par ce PAM, l’homme écono- individuels : c’est dans l’existence d’une
mique mû par le REMM redevient enfin… rivalité mimétique généralisée et insatiable
un homme. Et que c’est a minima dans la que le déterminant du comportement et des

14. P.-Y. Gomez (1996, p. 230) affirme ainsi : « Une forme d’irénisme consiste alors à surestimer l’ordre né de la
violence pour ne pas avoir à considérer celui qui naît de l’accommodement, voire de la lâcheté. La terrible résigna-
tion des masses n’est pas une invention de l’approche conventionnaliste. C’est au contraire un fait qu’elle tente d’ex-
pliquer » (souligné par l’auteur). Le propos, pour le moins franc, traduit bien la dynamique sous-jacente à la raison
mimétique.
116 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

décisions humaines serait à rechercher. En A. Cotta (1998) soutient ainsi que c’est
d’autres termes, posséder n’est rien, c’est dans la recherche d’ivresse et de plaisir,
avoir au moins autant, et si possible davan- toujours en tension avec la propension à la
tage, que le voisin qui compte. À défaut, paresse, que les comportements humains
s’active irrémédiablement un PAM… On doivent se comprendre. Si le PAM rend
comprend qu’une telle formulation des res- compte sans difficulté des phénomènes de
sorts de la raison mimétique puisse donner paresse, quid de la recherche d’ivresse ? Or,
le sentiment de dépasser les lacunes et cela change tout. Postuler que toutes déci-
dérives intrinsèques de la seule rationalité sions et actions sont également gouvernées
calculatoire où les individus apparaissent par une recherche de plaisir et d’ivresse
largement asociaux. conduit de facto à sortir d’une conception
Si rapprocher les comportements mimé- d’un individu isolé, gouverné par de strictes
tiques du modèle PAM offre une avancée, considérations individuelles comme cela est
ceci n’explique en revanche en rien l’avè- possible avec le REMM et, dans une
nement du nouveau, objet qui constitue moindre mesure, le PAM même dans l’ac-
d’ailleurs un véritable angle-mort, tant du ception mimétique décrite ci-dessus. La
côté des tenants de la rationalité calcula- recherche de plaisir et d’ivresse suppose en
toire que de ceux de la rationalité mimé- effet toujours une relation avec un « agent »
tique. Ainsi, d’un côté, les premiers s’arrê- extérieur. Celui-ci n’est pas source de plai-
tent au simple constat d’une « destruction sir juste parce qu’il possède moins. Si cet
créatrice », chère à J. Schumpeter, qu’opé- agent extérieur peut effectivement être l’ar-
rerait le « marché », mais toujours consta- gent, il est aussi l’autre et même les autres,
tée ex post. D’un autre côté, les tenants de ceux dont dépendent la gloire, la reconnais-
la rivalité mimétique observent des dyna- sance ou encore l’ivresse que peut procurer,
miques de suspicion sur la croyance collec- par exemple, l’exercice du pouvoir. Il est
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tive dominante, lesquelles peuvent indispensable de basculer dans un indivi-
conduire à son effondrement et à son rem- dualisme méthodologique complexe, dans
placement par d’autres croyances collec- tous les cas irréductibles à la figure asocia-
tives. Mais c’est, ici encore, exclusivement lisée et acontextualisée de l’individu véhi-
ex post. On a vu de quelle manière le culés par le modèle REMM.
recours à l’exercice d’une rationalité exem- Il est donc nécessaire d’ajouter le postulat
plaire permettait de changer de registre, de d’un Intoxication Seeking Model (ISM) en
basculer réellement dans l’ex ante, d’inter- sus des REMM et PAM pour réellement
roger au fond les ressorts originels des comprendre le comportement individuel
mouvements mimétiques et calculateurs. face à l’incertitude14. Ce postulat supplé-
Ceci justifie de proposer une complexifica- mentaire s’avère d’autant plus nécessaire
tion de la représentation de l’homme au- qu’il permet de repenser la question des
delà du seul REMM calculateur et du PAM incitations à l’échange et d’avancer des rai-
mimétique. sons au fait que la théorie financière bute

14. Par Intoxication-seeking, nous entendons traduire (imparfaitement) cette recherche d’ivresse.
Entre finance et stratégie 117

de manière si symptomatique depuis magement et d’assurance. Ce peut être ainsi


quinze ans sur le concept de connaissance une logique de don, au sens de Mauss, qui
(Charreaux, 2002). gouverne les actions du sujet connaissant.
Ce peut être aussi une volonté de respect, de
3. Les échanges humains, considération, de reconnaissance voire,
par-delà la logique marchande pourquoi pas, d’une admiration, lesquels
de dédommagement et d’assurance peuvent s’avérer être les mécanismes inci-
Considérons la distinction proposée par tatifs les plus puissants à partager une
R. Boudon (1997) entre rationalité instru- connaissance spécifique. Incitatifs car
mentale (ou calculatoire) et rationalité axio- source de plaisir et, à l’extrême, d’ivresse.
logique (gouvernée par les valeurs). La À la lumière de cette analyse, le concept de
connaissance spécifique apparaît bel et bien « capital humain » mériterait certainement
indissociable d’une telle forme de rationa- une interrogation approfondie tant ce mot
lité axiologique : sa caractéristique pre- semble mal rendre compte de la « chose ».
mière est l’immatérialité, donc la non-trans- L’humain est, par essence, complexe et irré-
férabilité dans son intégrité puisqu’elle est ductible à un quelconque « patrimoine » et
consubstantiellement liée à l’individu qui la donc à un « capital »15. Dans tous les cas,
détient. La connaissance spécifique ne peut l’attribution d’un droit à prendre des déci-
dès lors qu’être partagée voire conquise, en sions ne peut donc être fondée sur un
aucun cas être acquise comme une simple calcul paramétrique fonction de la
« chose ». Last but not least, sa conquête ou connaissance « spécifique », comme le
son partage ne conduisent pas à la dépos- démontre par l’absurde l’impossibilité de
session de celui qui en était, avant la quantifier les « coûts » de transaction. Le
conquête ou le partage, seul détenteur. Les « talent » des acteurs réside en effet dans
valeurs de celui qui est porteur d’une leur capacité à voir, grâce à leurs compé-
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connaissance spécifique jouent dès lors un tences, ce que d’autres ne voient pas ou
rôle déterminant dans sa propension à par- moins bien. Ceci n’est valable qu’à certains
tager celle-ci (ou non), à l’activer (ou non). moments, dans certains contextes et jamais
Le problème de l’incitation, réalisée spon- dans l’absolu. C’est pourquoi les
tanément sur un marché par le mécanisme « valeurs » et les « normes », utilisées pour
de prix selon Jensen et Meckling, apparaît guider et inspirer les décisions ex ante selon
dans une complexité nouvelle dès lors que R. Simons (1995), sont au cœur des proces-
l’on touche non plus au monde des choses sus organisationnels que met en jeu la
qui se possèdent mais à celui des services recherche d’ivresse puisqu’elles suscitent
et, plus généralement, de l’immatériel. mais fixent aussi des bornes à l’espace dis-
Ainsi, apprendre à l’autre et de lui, activer crétionnaire de prise de risques.
sa connaissance pour et avec lui, ne peut se La tâche est urgente de dépasser le seul
résumer à une simple affaire de mécanisme constat ex post des sempiternelles mêmes
de prix, d’offre et de demande, de dédom- erreurs pour contribuer à travailler sur

15. Cf. L’analyse minutieuse et éclairante proposée par B. de Montmorillon (2001) de l’investissement immatériel.
118 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

l’avenir. Faute de réviser notre cadre de pour les pratiques elles-mêmes. Loin de
pensée strictement juridico-économique, pouvoir être traitées de manière découplée,
alors il y a bel et bien matière à de légi- comme le voudrait une conception stricte-
times inquiétudes (Cohen, 2009). Ainsi, il ment analytique et réductionniste que nous
est fondé que les plus virulentes critiques croyons contreproductive, c’est ensemble,
formulées à l’encontre du modèle REMM dans leur globalité et dans leurs interac-
concernent la disparition de tout impératif tions, que les implications pour la
catégorique kantien, de tout surmoi freu- recherche, l’enseignement et la pratique
dien au profit de la seule jouissance « ici et doivent être, pour nous, traitées.
maintenant ». Il est vrai qu’à ne pas évo- En termes de production de connaissances,
quer la rationalité axiologique, Jensen et le chercheur devrait se situer, expliquer
Meckling oublient de préciser qu’il y en a d’où il parle et pour nourrir quel type de rai-
précisément une : l’idéologie de la maximi- sonnement. Puisqu’il serait stupide de pen-
sation de la seule richesse individuelle et ser qu’une forme de connaissance doit
d’une contrainte la plus légère possible sur « primer » exclusivement, les critères de
les choix strictement individuels. Si le mar- robustesse devraient dépendre de la
ché, couplé à la démocratie, constitue un « nature » du problème examiné. On ne
puissant régime politico-économique, traite assurément pas avec les mêmes cri-
reconnaissons cependant qu’il n’est jamais tères une question « paramétrique » et une
qu’une idéologie qui mérite donc d’être demande d’aide au Strategic Issue Enac-
débattu et discuté comme tel (Fitoussi, ting. C’est au chercheur d’expliciter ces
2004 ; Denis, 2008). En particulier, lors- points, et ceux qu’il laisse dans l’ombre. La
qu’il paraît bien impuissant, seul, à régler discussion des « limites » comme des
la question des relations entre les hommes « implications managériales » ne doit donc
et les choses… Or, comment ceci pourrait en aucun cas être ravalée, comme c’est par-
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ne pas être le cas dès lors que lesdites fois le cas, au rang d’exercice de style. Loin
choses n’en sont pas, qu’elles sont immaté- de l’incantation d’usage, nous voulons ici
rielles et qu’aucun droit d’usage, de profit rappeler que la raison d’être de toute
ou de cession ne peut leur être clairement science du management est in fine l’action
associé ? et la décision mieux assurées face à l’incer-
titude. Ceci génère pour les producteurs de
CONCLUSIONS mots, de paramètres, de formes quelques
responsabilités en matière de lucidité quant
Du principe de baliser les modes d’affron- à la nature et aux conséquences de leur
tement d’avec l’incertitude autour de trois contribution… L’enjeu est d’autant plus
formes de rationalité dominantes – calcula- important que la succession des scandales et
toire, mimétique, exemplaire – se déduisent des crises, en dépit des sonnettes d’alarmes
des implications que nous croyons très activées par nombre de chercheurs, milite
significatives pour les critères de produc- pour la constitution désormais d’une véri-
tion et de validation de connaissances en table jurisprudence stratégique fondée sur la
gouvernance d’entreprise et management, raison exemplaire. Tenons ainsi pour signifi-
pour l’enseignement de celles-ci comme catif que l’on trouvait déjà dans la faillite
Entre finance et stratégie 119

stratégique et organisationnelle d’Enron l’action (ou à l’absence d’action). Les


nombre des éléments qui auront conduit à la références exemplaires permettent une
crise de 2007… Il est donc urgent de s’atta- rationalisation et une justification, ex ante
cher à la constitution d’un tel travail de comme ex post, à des situations indéci-
jurisprudence exemplaire. dables au sens strict a priori. Tout se passe
Introduire le concept d’exemplarité donne alors comme si l’exercice d’une raison
par ailleurs du crédit à l’idée que les exemplaire procédait d’une logique proche
sciences du management pourraient bien de celle qui gouverne l’idéologie : ce
trouver une part essentielle de leur projet besoin de croire, malgré tout, en quelque
épistémique dans une science des « ren- chose. C’est ainsi qu’une raison exem-
contres » : aller à la rencontre de l’autre, plaire permet d’inventer des réponses nou-
c’est accéder à de nouveaux « exemples » velles en les référant à d’autres situations
de réponse à l’incertitude, à autant de exemplaires, apportées dans d’autres
sources potentielles d’inspiration16. À cet contextes. Face à l’incertitude, et qui n’en
égard, et à n’en pas douter, la pensée chi- a fait l’expérience, le recours à des
noise constituera à l’avenir un réservoir « exemples » puisés dans ses propres sché-
puissant d’exemples neufs (Jullien, 1996) : mas mentaux est déterminant, ne serait-ce
l’efficacité, pour être grande, doit être dis- que pour se rassurer et agir quand même.
crète et le « sage », ne pas se poser en Pour ne pas être paralysé par l’incertitude.
exemple. Il faut chercher à avoir vaincu C’est pour ce motif que la question des
avant d’engager le combat, vaincre sans implications pour l’enseignement, bien
combattre, rechercher le maximum d’effet rarement traitée dans les articles de
via l’identification et l’appui sur le « poten- recherche, devrait pour nous faire l’objet
tiel de la situation », le tout en se laissant d’une discussion et même être placée au
guidé par une philosophie du « non agir »… rang de critères d’évaluation. Ceci est d’au-
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On voit combien cette sensibilité aux tant plus nécessaire qu’une part significa-
« exemples » venus « d’ailleurs » peut nour- tive des outils de gestion, comme ceux de
rir de nouvelles capacités stratégiques alors stratégie par exemple, sont devenus « com-
que nous restons mentalement et culturelle- mom knowledge ». Et pourtant… L’ensei-
ment prisonniers de notre idéologie occi- gnant (un peu) confirmé sait que, lorsqu’il
dentale de la maîtrise. « creuse », un véritable fossé sépare l’étu-
Ceci renvoie plus généralement à la ques- diant qui « a vu les vaches à lait, les poids
tion de la culture, mais sous un angle nou- morts, etc., de BCG » ou « les clients, les
veau : car qu’est-ce que la culture, au fond, fournisseurs, etc., de Porter » de celui qui a
si ce n’est la capacité de référer une situa- réellement intégré les concepts sous-jacents
tion à une multitude d’autres ? Tout se et les limites qui en découlent pour la
passe finalement comme si la culture four- réflexion.
nissait un répertoire de références « exem- Bien au-delà d’un enseignement formaté
plaires » susceptibles de donner du sens à qui se contenterait de reprendre le « Straté-

16. Pour reprendre une proposition formulée par A.-Ch. Martinet lors d’une table ronde du congrès de l’AIMS en
2007 à Montréal.
120 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

gique » ou le « Calori et Atamer », la lec- dans la crise, même si, au niveau individuel,
ture et la discussion d’articles pionniers, celles-ci paraissent bien délicates à imputer.
l’étude approfondie de discours de diri- Alors même que la situation de crise
geants podcastés ou encore l’effort de dia- actuelle n’a eu de cesse que de montrer des
gnostic en « cinq slides maximum »17 peu- « contre-exemples », notamment en matière
vent permettre un enseignement plus riche, d’éthique, intégrer la question de l’exem-
plus cultivé et qui prépare mieux les futurs plarité au moment d’une prise de décision
praticiens à l’exercice de leur métier. Métier pourrait s’avérer un excellent… calcul ! Les
qui procède d’un affrontement sans cesse stock-options, par-delà leur intérêt en
renouvelé avec l’incertitude, aux niveaux matière de rationalité calculatoire, présen-
« top » comme « middle » (Martinet, tent assurément le défaut d’être source d’un
Payaud, 2006). Avec l’effort intellectuel, la sentiment d’injustice, intenable si l’on tient
prise de risques et donc l’apprentissage de compte de la fragilité de la coopération
la responsabilité que cela suppose. dans cette forme particulière qu’est l’entre-
Les implications pour la pratique découlent, prise. Comment, en effet, croire au cynisme
par elles-mêmes, de l’ensemble de ces de dirigeants qui, d’un côté, rivalisent
réflexions. Il est étonnant que les meilleurs d’emphases pour vanter « le sens » d’une
commentateurs de la crise actuelle oublient entreprise dont la richesse ne serait que des
un fait essentiel : les financiers, pour les hommes et des femmes qui la constituent ;
meilleurs d’entre eux, passent leur temps à et, d’un autre côté, ne pas être amer quand
jouer, et à se jouer, des trois formes de il est constaté que leur seule obsession
rationalité calculatoire, mimétique et exem- réelle concerne le meilleur moment pour
plaire. Après tout, les dirigeants tant décriés céder ses titres ? En ce domaine, P. Jaffré,
pour leurs bonus, golden parachutes et A. Zacharias et autres N. Forgeard ont fait
stock-options ne sont-ils pas de ces mana- bien plus du mal que J. Kerviel, largement
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gers que la recherche en gestion, et singu- considéré comme une victime, certes
lièrement en stratégie, s’est faite un devoir consentante, mais d’un système qui le
d’aider à faire leurs choix18 ? C’est peu dépassait largement.
dire, si l’on en juge par la croissance expo- Cela pose alors la vraie question,
nentielle de leur patrimoine ces quinze der- d’ailleurs au cœur des travaux actuels de
nières années, qu’elle leur a été a minima M.C. Jensen : l’intégrité. Car qui dit
utile, du moins pour ce qui les intéressait exemple ne dit pas perfection, mais valeur
d’apprendre. Ce qui ne veut pas dire, natu- de l’intégrité. C’est la perte d’exemple, de
rellement, que ces mêmes dirigeants croyance dans l’intégrité et donc de sens,
seraient dédouanés de leurs responsabilités par sentiment d’être sans cesse trahi dans

17. Par exemple, au regard d’une situation stratégique, s’efforcer de formuler un problème majeur justifié par deux
symptômes et qui légitime deux prescriptions…
18. Que l’on pense au débat en vogue quant au rôle des business schools dans la formation des élites par lesquelles
la crise est arrivée…
Entre finance et stratégie 121

la confiance accordée, qui peut in fine bri- faillites ou légitimer la « relance », reste à
ser toute dynamique et ambition, qu’elles savoir pour combien de temps ceci va rester
soient individuelles ou collectives. On viable ? Les interventions de la Fed, les taux
notera que cela a été la grande victoire de d’intérêt nul, la monumentale dette
Barack Obama que de redonner à croire publique n’annoncent-ils pas des lende-
que l’attente d’un nouvel « exemple » mains qui déchantent ? Tous les feux ne
n’est pas chose vaine. D’où la puissance, sont-ils pas allumés pour que survienne la
bien réelle, du : Yes, we can ! Un slogan, véritable crise – celle de 2011, ou 2013, ou
puisé dans les tréfonds les plus « exem- 2015, qui sait – désormais en germes dans
plaires » des grandes figures de l’Histoire la situation actuelle ?
américaine : Jefferson, Lincoln, Johnson, Il est plus que temps de repenser les voies
Luther King, etc. Assurément, l’exempla- pour manager stratégiquement, enfin, la
rité comme source d’un ciment organisa- rationalité juridico-financière, de penser
tionnel est une piste de recherche promise contre elle, c’est-à-dire en prenant appui sur
à un bel avenir (Melkoninan et al., 2006). elle mais aussi en cherchant à l’arrêter. La
Pour conclure cette réflexion, et alors que le reprise des places financières et, avec elle,
concept même de « marché » est aujour- de la cupidité démontre combien il serait
d’hui au cœur de tous les débats dans son fou, inconscient au sens propre, de s’en
efficience autorégulatrice, notons enfin remettre à la seule « discipline » des mar-
qu’introduire ce concept supplémentaire chés alors même que, par ses actions, le
qu’est l’exemplarité permet de comprendre politique vient de lui retirer son principe
ce qui fait la plus grande force, comme la d’efficacité : la sanction par le dédommage-
plus grande faiblesse, du marché comme ment. Et de ce monde sans dédommage-
forme de coordination des échanges. Plus ment, il y a tout à redouter. Alors, bien sûr,
grande force, car le marché, dans son cela a été le prix à payer pour recréer de la
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inconscience, est sans doute la seule forme confiance à court terme. Mais il faut main-
de coordination capable d’un réel oubli. tenant repenser réellement des contrepoids,
Mais c’est là que réside aussi sa plus grande imposer des sanctions d’un autre ordre que
faiblesse : en raison même de son incons- marchand. À défaut, le danger nous paraît
cience, il est incapable de tirer les leçons de être avéré qu’un nouvel « exemple » de crise
ses échecs et de ses crises. La crise actuelle nous attende, peut-être pire que la « grande
vient d’en donner une nouvelle démonstra- dépression ». Les futurs manuels d’écono-
tion implacable. Alors, si tout le monde mie et de management retiendront peut-être
s’accorde à reconnaître le rôle joué par la qu’elle a résulté, au fond, d’une incapacité à
culture de Ben Bernanke et la pertinence oublier, dans les mois et les années qui ont
des actions entreprises pour empêcher les suivi l’été 2007, l’exemple de 1929…
122 Revue française de gestion – N° 198-199/2009

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