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L’adoption
des pratiques
de gestion lean
Cas des entreprises industrielles françaises1
L
e 24 avril 2007, les trois plus De nombreux praticiens et de nombreux
grandes agences de presse interna- chercheurs ont essayé de clarifier les
tionales2 ont annoncé que Toyota concepts, les pratiques ainsi que les fonde-
était devenu le premier constructeur auto- ments cognitifs et sociaux sur lesquels le
mobile mondial en termes de nombre de TPS repose. Ils ont donné à ce système de
ventes de véhicules, place occupée par production et de management un nom géné-
General Motors (GM) depuis 76 ans. Ce rique, le lean management. Le lean mana-
résultat porte sur les ventes du premier tri- gement qualifie donc un ensemble de pra-
mestre 2007. De janvier à mars 2007, tiques très fortement inspirées par le TPS.
Toyota a vendu 2,348 millions de véhicules Ces pratiques reposent sur deux concepts
contre 2,260 millions pour l’américain GM. principaux (Ohno, 1986) : le juste-à-temps
Cette annonce n’a pas semblé surprendre les (JAT) et l’autonomation. Le JAT consiste à
analystes spécialisés et les journalistes. organiser son entreprise de telle sorte
Depuis plusieurs années, les agences de qu’elle puisse livrer exactement et au bon
notations Standard & Poor’s et Moody’s moment la quantité de biens souhaités par
attribuent à Toyota la note « AAA » et clas- ses clients. l’autonomation regroupe un
sent GM dans la catégorie des placements ensemble de procédures précises dont le but
dits spéculatifs. Quant aux journalistes, il est est d’inciter l’ensemble des employés d’une
intéressant de noter que le ton des articles de entreprise à améliorer ex ante la qualité des
presse ou des reportages qu’ils ont consacrés produits et des services vendus plutôt que
à ce changement de leadership dans le d’éliminer ex post les rebus.
monde de l’automobile ne fut pas à l’étonne- Le JAT et l’autonomation sont donc les
ment, certains ayant même choisi de titrer deux piliers du lean management. L’en-
sur la « chronique d’un succès annoncé »3. semble des procédures qui leur sont asso-
Le critère retenu pour attribuer à Toyota la ciées ont pour objectif de réduire les gas-
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mettre en œuvre dans l’entreprise pour sur le sujet. La définition de Jeffrey Liker se
atteindre cet objectif (i.e. le JAT et l’autono- décompose en quatorze principes. Nous
mation), tous ne lui attribuent pas exacte- pouvons reformuler ces quatorze principes
ment les mêmes caractéristiques (Beauvallet en « règles à suivre » pour l’entreprise selon
et Houy, 2006). Dans cet article, nous avons trois niveaux d’analyse. Le premier niveau
choisi d’appuyer notre définition du lean d’analyse concerne la valeur produite par
management sur celle exposée par Jeffrey une entreprise. Cette valeur doit être définie
Liker dans son ouvrage paru en 2004, The du point de vue du client et couler sans
Toyota Way. L’avantage de cette définition, interruption le long de la chaîne de valeur
depuis sa parution, est qu’elle réunit autour pour faire apparaître immédiatement les
d’elle un consensus aussi bien auprès des problèmes. Le deuxième niveau d’analyse
praticiens de la méthode que des chercheurs porte sur le schéma productif. L’entreprise
Principe 1. Fonder ses décisions managériales sur une philosophie à long terme, et en accep-
ter les coûts à court terme.
Principe 2. Créer un flux continu dans ses processus pour faire apparaître les problèmes.
Principe 3. Tirer plutôt que pousser pour éviter la surproduction.
Principe 4. Lisser les activités.
Principe 5. Affirmer dans la culture de l’entreprise la volonté de tout arrêter si besoin pour
résoudre les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent, afin d’assurer un excellent
niveau de qualité dès le premier produit.
Principe 6. La standardisation du travail est la base de l’amélioration continue et de l’impli-
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Source : Jeffrey Liker, Le modèle Toyota, Village Mondial, 2006 (traduction française de The Toyota Way).
86 Revue française de gestion – N° 197/2009
lisser leur production par des actions de veau processus soient observés et comparés
mixage-fractionnement. Le mixage-fraction- aux anciens résultats. Cette méthode a été
nement consiste à organiser les files d’attente instaurée par les praticiens du lean pour
pour optimiser les flux des différents pro- obliger les rapporteurs à réfléchir longue-
duits utilisant les mêmes ressources. Il s’agit ment sur les failles des processus existants
de lisser d’une part, la demande réelle du et sur la manière de les améliorer.
client afin que la journée de production de Concernant les standards de travail, une
demain soit le plus proche possible d’au- entreprise lean se doit, d’une part, de définir
jourd’hui et, d’autre part, de mixer les ses standards de travail sur la meilleure pra-
volumes de production jusqu’au pièce à tique répertoriée et, d’autre part, de mettre en
pièce sur la chaîne de production. place un système d’amélioration de ces stan-
Pour ce qui concerne le suivi des stocks, la dards ayant pour objet de faire remonter les
démarche lean impose à l’entreprise de suggestions des opérateurs sur leurs pra-
suivre ses stocks en temps réel et de régler tiques. Ce système de suggestion s’intègre
son rythme de production sur le takt time. dans une démarche plus générale d’améliora-
Le takt time correspond au rythme de pro- tion graduelle et permanente de l’ensemble
duction qui permet de produire exactement des processus de l’entreprise, connue au sein
le niveau de biens demandé par les clients des entreprises lean sous un nom générique:
de l’entreprise. l’amélioration continue (ou Kaizen en japo-
Au niveau du suivi de la qualité, il est nais). Le caractère fondateur et fondamental
nécessaire, d’un point de vue lean, que l’en- de ces pratiques d’améliorations régulières et
treprise mette en place une politique, parta- sans fin, portant sur les détails du travail et sa
gée avec les opérateurs, de recherche des standardisation, a notamment été souligné
causes profondes des défaillances lors- par Maasaki Imai (1986, 1997). Cette
qu’elles surviennent. Au sein des usines démarche ne se restreint pas à la mise en
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et/ou sonore aux superviseurs pour les aver- ments industriels, Pratt & Whitney dans le
tir de la présence d’un problème sur la secteur aéronautique, Wiremold dans le
chaîne de production. Cette méthode de secteur de la fabrication de câbles informa-
signalement des problèmes est au cœur de tiques, Cedar Works dans l’industrie des
la démarche de résolution des problèmes. biens de consommation, Tesco dans le sec-
Lorsque la corde d’alerte se déclenche sur teur de la grande distribution, Jefferson
initiative de l’opérateur, le superviseur doit Pilot Financial dans le domaine des assu-
trouver une contre-mesure pour traiter la rances ou encore Fujitsu Services dans le
défaillance. S’il ne le fait pas, la ligne de domaine de l’informatique sont autant
production s’arrête au prochain point fixe. d’exemples documentés d’entreprises qui
Au niveau des relations fournisseurs et des ont expérimenté la démarche lean aux
relations clients, une entreprise est d’autant États-Unis ou en Europe (Emiliani et al.,
plus lean qu’elle agit en flux tendu avec ses 2003, Fiume, 2004, Liker 1998, 2004, Parry
fournisseurs et ses clients. L’application des et al., 2005, Scaffede, 2002, Sohal, 1996,
principes du JAT ne se restreint donc pas Swank, 2003, Womack et Jones, 2005a).
aux limites juridiques de l’entreprise. La En France peu de cas sont documentés. Tou-
mise en place d’un flux tendu avec ses tefois, plusieurs indications permettent de
clients et ses fournisseurs permettra en croire que la méthode de management lean
outre à l’entreprise de limiter ses stocks de se développe. D’abord, lorsque la société
produits finis et de matières premières. Toyota Motor Company s’implante dans un
Enfin, pour ce qui concerne le développe- pays6, l’expérience montre qu’elle interagit
ment de produits et/ou la gestion de projet, la fortement avec ses fournisseurs locaux et
démarche lean préconise que les entreprises qu’il se produit par ce biais une diffusion des
mettent en place des méthodes itératives de pratiques lean de gestion qui, par un méca-
développement avec des time boxes fixes. nisme d’externalités positives fondées sur le
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6. Toyota a ouvert une usine en France, à Onnaing (Nord Pas de Calais), en 1998.
7. Développé depuis 2003 à Télécom Paris et en liaison avec le Lean Enterprise Institute (USA) et la Lean Enter-
prise Academy (UK), le Projet Lean Entreprise a pour but de contribuer à fédérer la recherche et les expériences
pratiques dans le domaine du lean en France.
8. Depuis le 5 mars 2004, le Projet Lean Entreprise a organisé 12 séminaires sur le lean avec une scansion trimes-
trielle. Les demandes d’inscriptions à ces séminaires, notamment celles en provenance d’industriels, ont augmenté
régulièrement dans le temps. Le nombre moyen de demandes d’inscriptions sur l’année 2005 était de 31, sur l’an-
née 2006 de 127 et sur l’année 2007 de 182. Le nombre d’abonné à la lettre d’information du Projet Lean Entre-
prise atteint aujourd’hui 1 290 personnes (85 % d’augmentation annuelle en moyenne).
L’adoption des pratiques de gestion lean 89
et les échanges que nous avons avec les tion des pratiques lean dans les entreprises
industriels, nous laissent penser que le lean américaines et, d’autre part, une contribu-
management occupe une place de plus en tion significativement positive de l’applica-
plus grande dans le discours des industriels. tion de la démarche lean sur le taux de
Ces constatations représentent un faisceau croissance des États-Unis (Sanidas, 2004).
d’information qui semble montrer un déve- Nick Bloom et John Van Reenen ont, quant
loppement des pratiques lean dans les entre- à eux, mené en 2005 une enquête sur l’état
prises industrielles françaises. Cependant, du management dans les entreprises aux
aucune étude statistique à ce jour n’a eu pour États-Unis, en Allemagne, en France et en
objectif d’évaluer le degré de maturité lean Grande Bretagne (Bloom et Van Reenen,
des entreprises françaises. L’objectif de cet 2005). Leurs résultats montrent que les
article est donc de proposer les premiers managers français sont les plus avancés
résultats d’une enquête consacrée à l’évalua- dans l’adoption des pratiques managériales
tion du niveau d’avancement lean des entre- modernes devant les Américains, les
prises industrielles françaises. Anglais, puis les Allemands. Ce résultat est
Si notre travail constitue une première intéressant puisque les auteurs définissent
contribution en France sur ce sujet, plu- la modernité d’une pratique managériale
sieurs chercheurs, notamment aux États- par le fait d’adopter plusieurs principes
Unis, ont déjà entrepris d’évaluer la diffu- associés au lean management9.
sion du lean dans leur économie. James Le reste de l’article est organisé comme suit.
P. Womack et Daniel T. Jones ont tenté Dans une première partie, nous présentons
d’évaluer l’ampleur de la diffusion des pra- notre base de données. Dans une deuxième
tiques lean au sein de l’économie améri- partie, nous présentons la méthodologie que
caine (chapitre XIV, 2e édition de Système nous avons retenue pour répondre à notre
Lean). Ils ont choisi de retenir la rotation question de recherche. Dans une troisième
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9. L’étude de N. Bloom et J. Van Reenen ne traite pas précisément du lean management. Aussi, les auteurs ne retien-
nent pas, dans leur étude, l’ensemble des principes qui définissent et caractérisent le lean management.
90 Revue française de gestion – N° 197/2009
Note : Les entreprises interrogées sont marquées par un point rouge sur la carte de France.
10. Un échantillon représentatif (en nombre d’entreprise) du secteur de l’industrie devrait compter 30,7 % d’entre-
prises provenant du secteur de l’industrie agricole et agroalimentaire, 26,5 % provenant du secteur de l’industrie des
biens intermédiaires, 22,8 % provenant du secteur de l’industrie des biens de consommation, 11,7 % provenant du
secteur de l’industrie des biens d’équipements et 8,3 % de l’industrie automobile (constructeurs et équipementiers).
L’adoption des pratiques de gestion lean 91
la limite de représentativité. Nos interpréta- donc des informations sur les pratiques
tions doivent donc être comprises à la managériales des entreprises concernant
lumière de ces informations sur le secteur ces huit thèmes.
d’activité des entreprises interrogées. Compte tenu des informations dont nous
Le questionnaire téléphonique auquel nous avions besoin pour mener à bien notre
soumettions nos interlocuteurs au sein des étude, nous avons souhaité interroger, au
entreprises interrogées s’organisait autour sein des entreprises de notre panel, des per-
de huit thèmes : la planification de la pro- sonnes occupant une fonction leur permet-
duction, le suivi des stocks, le suivi de la tant d’avoir une vue transversale sur l’en-
qualité, les standards de travail, la gestion semble des pratiques de gestion internes de
des alertes, les relations fournisseurs, les l’entreprise. Pour cette raison, nous deman-
relations clients et le développement de dions à être mis en contact prioritairement
produits. Notre base de données comporte avec le directeur de l’établissement
Tableau 3 – Dispersion des postes et des services occupés par nos interlocuteurs
interrogé. Et, si nous n’arrivions pas à obte- Les réponses données par nos interlo-
nir un rendez-vous téléphonique avec le cuteurs pour chacun des thèmes abordés ont
directeur de l’établissement, nous deman- fait l’objet d’une analyse ex post pour éva-
dions à être mis en relation avec le respon- luer leur degré de maturité lean. Nous
sable qualité. Finalement, la grande majorité avons donc établi une grille d’analyse pour
(68 %) de nos interlocuteurs en entreprise classer le comportement des entreprises par
fut des responsables qualité (voir le tableau catégorie et selon un ordre. Les notes attri-
3 pour la répartition des postes). La capacité buées aux comportements des entreprises
des responsables qualité à répondre seuls au pour chacun des thèmes abordés vont de 1 à
nom de l’entreprise à des questions qui 5 (voir la grille d’analyse du tableau 4).
n’entrent pas dans leurs profils de poste peut Plus la note se rapproche de 5, plus l’entre-
être légitimement discutée. Il est néanmoins prise adopte une attitude lean.
utile de préciser que lorsque notre interlo- Il est utile de préciser que cette méthode
cuteur ne souhaitait/pouvait pas répondre à d’évaluation du comportement des entre-
l’une de nos questions, pour des raisons de prises reste subjective pour deux raisons.
confidentialité ou par manque d’informa- D’abord, nous avons classé les entreprises
tion, il avait naturellement la possibilité de par catégorie de pratiques à la suite d’une
ne pas y répondre. En outre, les réponses interprétation des réponses données à une
hypothétiques ou équivoques de la part de série de questions pour chacun des thèmes.
nos interlocuteurs ont été traitées comme Or, par définition, toute interprétation pré-
des non-réponses. sente un caractère subjectif. Ensuite, la
grille d’analyse établie pour ordonner les
catégories de pratiques selon un critère de
II – MÉTHODOLOGIE
maturité lean peut également être contestée.
Pour évaluer les pratiques managériales des Conscient des limites de cette méthode
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11. Le nom des entreprises évaluées n’était naturellement pas visible par les évaluateurs.
L’adoption des pratiques de gestion lean 93
réponses apportées par nos interlocuteurs qu’elle pourrait avoir des principes de ges-
aux questions fermées que nous leur avons tion lean.
posés. D’autres proviennent du traitement
par notre grille d’analyse des réponses don- III – LEAN OBSERVÉ VERSUS
nées par les entreprises. LEAN THÉORIQUE
Si notre méthode d’évaluation des compor-
tements des entreprises comporte des fai- Dans cette section, nous nous proposons,
blesses, elle permet d’éviter plusieurs d’une part, de décrire les pratiques de
écueils. D’abord, cette méthode ne conduit management des entreprises de notre panel
pas à identifier de manière binaire les et, d’autre part, de mettre au jour les diffé-
entreprises lean et celles qui ne le sont pas. rences entre ces pratiques observées et la
Le fait de classer sur une échelle de 1 à 5 méthode de management lean telle qu’elle
les pratiques managériales des entreprises est définie dans la littérature en gestion
nous permet d’approcher avec une certaine industrielle.
finesse le comportement des entreprises. Le tableau 4 a pour objectif de rendre
Qualifier de manière manichéenne une compte des pratiques managériales enga-
entreprise de « lean » ou de « non lean » gées par les entreprises de notre panel pour
n’apparaît pas pertinent. En effet, si plu- chacun des thèmes abordés par notre ques-
sieurs entreprises industrielles françaises tionnaire. Il permet d’avoir une représenta-
s’engagent aujourd’hui dans la voie d’une tion générale du comportement des entre-
production lean, aucune ne peut se préva- prises interrogées.
loir d’être complètement lean. Notre Ce tableau contient de nombreuses infor-
méthode d’évaluation permet également de mations et il peut être lu de différentes
ne pas adopter une entrée « outil » pour sta- manières en fonction des observations sur
tuer sur le degré de maturité lean d’une lesquelles nous souhaitons porter notre
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validité. Par conséquent, nous procédons à production et de stocks, plutôt qu’en rédui-
la fin de cette section à un contrôle sur la sant la taille de leurs lots.
portée de ces propositions.
2. Les entreprises sont très soucieuses
1. Les entreprises diminuent le niveau de qualité mais cela ne repose pas
de leurs stocks plus qu’elles ne réduisent sur une réactivité accrue
la taille de leurs lots Les pressions concurrentielles qui s’exercent
56 % des entreprises interrogées affirment sur les entreprises du panel les conduisent à
mettre en place des politiques de réduction vouloir améliorer la qualité de leur produc-
des stocks. Réciproquement, 44 % des tion12. 100 % des entreprises interrogées
entreprises interrogées indiquent ne pas déclarent suivre la qualité de leur production,
mener de politique de réduction des stocks. 82 % disposent d’un outil de travail coopéra-
Ce chiffre montre que la majorité des entre- tif autour de la qualité, 90 % d’entre elles
prises se sont déjà engagées dans un pro- mettent en place un reporting sur le respect
cessus de réduction des stocks. Par exten- des fonctionnalités, des coûts et des délais
sion, nous pouvons affirmer que la dans la phase de développement des pro-
réduction du niveau de ses stocks est deve- duits, et, dans 62 % des cas, les entreprises
nue un objectif stratégique pour la majorité associent les opérateurs ou les services sup-
des entreprises interrogées. ports à la résolution des problèmes. La pro-
Les politiques menées par les entreprises portion des entreprises ayant installé au cœur
pour réduire leurs niveaux de stocks peu- de leur organisation des procédures qualité
vent être de nature différente. Dans 6,8 % est donc importante. Il apparaît donc assez
des cas seulement, l’entreprise agit exclusi- clairement que la plupart des entreprises
vement sur la taille de ses lots. Dans 68,2 % poursuivent un objectif d’amélioration de la
des cas, les dispositions prises par les entre- qualité de leur production.
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12. Lors des entretiens, aucune question ne portait sur les raisons qui poussent les entreprises à mettre en place des
systèmes qualité dans leur entreprise. Toutefois, les discussions engagées avec les entreprises ont montré que la
pression concurrentielle en était la raison principale pour la plupart de ces entreprises.
96 Revue française de gestion – N° 197/2009
13. Cette explication/hypothèse est soutenue d’une part, par les observations faites par plusieurs membres du
Projet Lean Entreprise lors des nombreuses visites d’unités opérationnelles réalisées au cours des années 2004,
2005, 2006 et 2007 et d’autre part, par plusieurs retours d’expériences présentés par des praticiens du lean lors du
cycle de séminaires « Lean en France » organisés par Télécom Paris.
L’adoption des pratiques de gestion lean 97
implication forte des superviseurs pour sera de caractériser les entreprises qui
atteindre ces objectifs de stocks, de qualité contreviennent à ces propositions. Autre-
et d’amélioration continue. Le manque ment dit, nous identifions, à l’aide d’une
d’implication des superviseurs peut donc analyse en composantes multiples (ACM),
être une des raisons qui expliquerait le les caractéristiques partagées par les entre-
décalage entre les pratiques observées dans prises qui adoptent une version non dégéné-
les entreprises de notre panel et les pra- rée du TPS.
tiques lean telles qu’elles sont définies dans La proposition 1 porte sur les procédés uti-
la littérature en gestion industrielle. lisés par les entreprises pour réduire leur
niveau de stocks. La grande majorité des
5. Quelles caractéristiques partagent les entreprises qui déclarent vouloir diminuer
entreprises qui retiennent une version leur niveau de stocks en consentant des
réductrice du Toyota Production efforts importants pour réduire la taille de
System ? leur lot appartient au secteur de l’automo-
Comme nous l’indiquions au début de cette bile. Celles qui déclarent réduire leur niveau
section, les entreprises interrogées forment de stock en améliorant la qualité de leurs
un ensemble d’agents économiques hétéro- prévisions sont dispersées de manière quasi
gènes. Les statistiques agrégées du uniforme entre les autres secteurs d’activité.
tableau 4 portent en effet sur des entreprises Autrement dit, le périmètre de validité de la
appartenant à des secteurs d’activité diffé- proposition 1 s’étend à l’ensemble des
rents, recourant à des modes de planifica- entreprises, à la seule exception des entre-
tion de la production divers, avec des prises du secteur automobile pour qui le
chiffres d’affaires et un nombre d’employés mixage fractionnement est un moyen effi-
fortement variables. Par conséquent, les cace de se séparer de leurs stocks excessifs.
propositions 1, 2 et 3 peuvent s’avérer Le tableau 5 permet de discuter de la portée
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viduel en standardisant rigoureusement leur ayant instauré dans leur établissement une
processus de travail est supérieur à celles qui politique de réduction permanente de leur
pratiquent le Kaizen individuel sans standar- niveau de stocks, associant leurs clients sur
diser rigoureusement leur processus de tra- la qualité des produits vendus et agissant en
vail. Autrement dit, la proposition 3, si elle flux tendus avec leurs fournisseurs. Une
reste vraie pour beaucoup d’entreprises deuxième classe d’entreprise est composée
(38 % des entreprises), doit être nuancée en par les entreprises du secteur des biens
fonction des caractéristiques de l’entreprise. intermédiaires ayant un système d’alerte
Ces résultats peuvent être complétés par pour signaler les problèmes les plus graves
une analyse ayant pour objectif d’établir en production.
une typologie des entreprises qui semblent Les entreprises qui contreviennent à la pro-
contrevenir aux propositions 1, 2 et 3. position 3 présentent également plusieurs
Autrement dit, nous pouvons capturer, au points communs. Deux classes homogènes
moyen d’une analyse en composantes mul- d’entreprise se distinguent. Une première
tiples, les caractéristiques communes aux classe d’entreprise est composée par les
entreprises qui adoptent une version non entreprises du secteur des biens d’équipe-
dégénérée du Toyota Production System. ment qui poussent leur production, asso-
De manière directe (i.e. sans traitement cient leurs clients sur la qualité des biens
statistique) et logique par rapport aux pro- vendus, réalisent des analyses d’échec en
pos tenus précédemment, nous pouvons phase de développement de produit et enga-
affirmer que la principale caractéristique gent des politiques de réduction perma-
commune aux entreprises qui contrevien- nente du niveau de leurs stocks. Une
nent à la proposition 1 est d’appartenir au deuxième classe d’entreprises se compose
secteur de l’industrie automobile. Compte des entreprises de petite taille qui agissent à
tenu du faible nombre d’entreprises qui la commande. Le fait d’agir à la commande
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Class 1 (size = 32) testv prob Class 2 (size = 20) testv prob
Analyse d’échec 3.586 .000 Production sur commande 4.799 .000
Association des clients
3.379 .000 0 < Effectif < 100 3.571 .000
sur la qualité
Pas de reporting pour
Production poussée 3.082 .001 2.354 .009
le développement de projet
Biens d’équipement 2.451 .007 Pas d’analyse d’échec 2.228 0.13
Association des fournisseurs Association des clients
2.370 .009 2.008 .022
sur la qualité pour la conception
Politique de réduction
permanente du niveau 2.364 .009 Agricole et agroalimentaire 1.839 .033
des stocks
Flux tirés 2.214 .013
Automobile 1.952 .025
50 < CA < 200
1.827 .034
(en millions d’euros)
Le tableau indique les tests de différentiation des entreprises qui combinent leur souci de qualité (notes
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sur le degré d’avancement lean des entre- les autres secteurs sont plus marquées pour
prises industrielles françaises, nous nous ce qui concerne les pratiques de Right
proposons maintenant d’adopter une First Time14. Les entreprises du secteur
approche complémentaire et multidimen- automobile semblent engager de réelles
sionnelle sur l’ensemble des pratiques des politiques de réflexion sur la recherche des
entreprises. causes des défaillances en travaillant de
manière coopérative avec les opérateurs et
les services supports. Par ailleurs elles
IV – TROIS PROPRIÉTÉS SUR
combinent leurs systèmes qualité à une
L’ADOPTION DU LEAN EN FRANCE
réactivité importante face aux problèmes.
Dans cette partie, nous mettons en évidence 38 % des entreprises du secteur automo-
plusieurs propriétés concernant la manière bile disposent d’un système d’alerte visuel
dont les pratiques de gestion lean se diffu- généralisé. Les autres secteurs sont bien en
sent dans l’industrie française. D’abord, deçà de ce chiffre. En effet, à l’exception
nous identifions quelques différences inter- du seul secteur agricole et agroalimen-
sectorielles et tentons de les justifier. taire, les entreprises des autres secteurs
Ensuite, nous montrons que le comporte- d’activité sont moins de 10 % à généraliser
ment des managers discrimine fortement le les procédures d’alertes immédiates en
degré de maturité lean d’une entreprise. production.
Proposition 4. Le secteur automobile dis-
1. Le secteur automobile n° 1 devant pose d’un degré de maturité lean supérieur
le secteur agricole et agroalimentaire aux autres secteurs d’activité.
26 entreprises de notre panel appartiennent La proposition 4 ne constitue pas une sur-
au secteur automobile (équipementiers ou prise. Au-delà des enseignements de notre
constructeurs). 10 d’entre elles sont parmi enquête nous pouvons donner plusieurs
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14. Le Right First Time (littéralement « Bon du premier coup ») regroupe l’ensemble des techniques visant à
construire la qualité de ses produits plutôt qu’à éliminer ses rebuts. Il s’agit d’un ensemble de systèmes de détec-
tion des non-conformités et de résolution des problèmes.
102 Revue française de gestion – N° 197/2009
Tableau 7 – Corrélations entre l’attitude face aux stocks et plusieurs principes lean
Thèmes
Suivre en Suivre
Standards temps Relation Relation en temps
de travail réel ses fournisseurs clients réel
stocks les alertes
Exigence pour baisser 0,3424*** 0,3101*** 0,3325*** 0,1948*** 0,2035***
son niveau de stocks (0,0001) (0,0006) (0,001) (0,027) (0,023)
0.0487 0.2465** 0.1157 0.1321 0.1669*
Intermédiaires
(0.7567) (0.1303) (0.4544) (0.3869) (0.2790)
0.2901*** 0.3044*** 0.3410*** 0.0791 0.0006
Secteur d’activité
Équipement
(0.0694) (0.0669) (0.0389) (0.6367) (0.9975)
0.4576*** 0.4408*** 0.2983** 0.0888 0.2748
Automobile
(0.0425) (0.0401) (0.1667) (0.7095) (0.2280)
Agricole et 0.2662 0.0000 0.2286 0.3224* 0.2794
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15. L’Union européenne et le gouvernement français fixent des normes de qualité strictes sur les produits agricoles
et agroalimentaires.
16. Terme japonais signifiant « le terrain ». Ce mot est souvent employé pour dire que le management se doit d’al-
ler là où se crée la valeur (i.e. sur le terrain) pour acquérir une expérience concrète des situations.
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Thèmes
Exigence au niveau
Suivi de la qualité Standards de travail
des stocks
Suivre en temps 0,2035*** 0,2864*** 0,2646***
réel les alertes (0,023) (0,0005) (0,0016)
0.1669* 0.3222*** – 0.1897*
Intermédiaires
(0.2790) (0.0255) (0.2068)
0.0006 0.2697** 0.1690
Secteur d’activité
Équipement
(0.9975) (0.1015) (0.3038)
0.2748* 0.0769 0.1618
Automobile
(0.2280) (0.7338) (0.5082)
Agricole et 0.2794 – 0.0487 0.0359
agroalimentaire (0.3334) (0.8431) (0.8840)
0.4994** 0.1463 0.5750***
Consommation
(0.1417) (0.6501) (0.0643)
0.1409 0.1148 0.3855**
Flux tirés
(0.3860) (0.4582) (0.0117)
Méthode de planification
motivé la réalisation de notre enquête. Cet méthodologie dont nous avons souligné les
article permet en effet d’identifier plusieurs avantages et les limites tout au long du
caractéristiques majeures concernant texte. L’absence d’études statistiques
l’adoption du lean management dans l’in- convaincantes sur l’adoption ou la diffusion
dustrie en France. D’abord, les entreprises du lean management nous a en effet
semblent ne retenir qu’une version simpli- contraint à adopter une méthode d’évalua-
fiée et surtout réductrice du Toyota Produc- tion originale pour apprécier le degré de
tion System. En effet, les entreprises rédui- maturité lean des entreprises de notre panel.
sent leurs stocks plus qu’elles n’agissent L’un des intérêts périphériques à cet article
sur la taille de leurs lots, elles mettent en est donc de proposer une méthode nouvelle,
place des procédures qualité sans les com- contestable sur certains aspects mais satis-
biner à une réelle réactivité et elles prati- faisante à plusieurs égards, pour apprécier
quent l’amélioration continue de leur pro- l’ampleur de l’adoption du lean manage-
cessus de travail sans les avoir toujours ment dans une économie.
rigoureusement standardisés au préalable. Le travail statistique engagé à l’occasion de
Ensuite, les entreprises de l’industrie auto- cet article nous a permis d’identifier des
mobile et, dans une moindre mesure, celles firmes dont les pratiques de gestion étaient
de l’industrie agricole et agroalimentaire, très proches du modèle lean. Un deuxième
semblent davantage s’engager dans la voie travail de recherche, complémentaire à cet
du lean management que les entreprises de article, pourrait alors avoir pour objectif de
l’industrie des biens intermédiaires, des tester économétriquement la relation entre
biens d’équipements et des biens de le lean management et la performance des
consommation. Enfin, le degré d’adoption firmes. Dans cette perspective, et parce que
du lean management semble dépendre for- l’Enquête annuelle d’entreprise17 2006 ren-
tement du niveau d’exigence de ses mana- dra accessible des données fines sur la per-
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17. L’enquête annuelle d’entreprise sur l’année 2006 sera vraisemblablement disponible dans le courant de l’année
2008. Elle recueille les principales données structurelles sur l’ensemble des entreprises de plus de vingt salariés en
France. Les thèmes du questionnaire sont : le chiffre d’affaires, la production, les stocks, la valeur ajoutée, l’emploi,
l’investissement, les exportations, les importations, l’équipement commercial, les fournisseurs, les clients, et la ven-
tilation détaillée du chiffre d’affaires par gamme de produit.
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