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ORGANISATIONNELLE
Une conception tronquée ?
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Dispositifs
intrapreneuriaux
et créativité
organisationnelle
Une conception tronquée ?
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D
ans le contexte actuel, l’aptitude des entreprises
d’innovation implique
à développer un avantage concurrentiel, et donc
souvent la mise en place
de systèmes destinés à
à assurer une rentabilité durable, dépend tou-
favoriser la créativité. jours plus étroitement de l’innovation (Drucker, 1993 ;
Parmi ceux-ci, on trouve les Cohendet et Llerena, 1993 ; Hamel, 2000).
dispositifs intrapreneuriaux Or à l’origine de l’innovation, il y a des idées et à l’ori-
dont la finalité est gine des idées, il y a la créativité. Amabile définit la
d’encourager et d’aider
créativité dans les organisations comme « la production
les employés à poursuivre
des initiatives originales.
d’idées nouvelles et utiles par un individu ou un groupe
Après une brève revue de d’individus travaillant ensemble » et l’innovation
la littérature consacrée à la comme « la mise en œuvre de ces idées » (Amabile,
créativité organisationnelle, 1988). Woodman, Sawyer et Griffin (1993) considèrent
l’article analyse le
la créativité organisationnelle comme un sous-ensemble
fonctionnement général
de ces dispositifs et montre
du champ de l’innovation qui, elle-même, constitue un
que leur échec répété sous-ensemble du changement organisationnel. Ford
dépend pour beaucoup (1996) souligne qu’à l’entrée « créativité » de l’index
de la conception tronquée des thèmes de l’Academy of Management Review on
que se font chercheurs peut lire « voir innovation ».
et praticiens de la créativité
Dans la pratique aussi il existe des liens étroits entre
organisationnelle.
innovation et créativité, la poursuite d’une politique
96 Revue française de gestion – N° 161/2006
se concentrent par conséquent sur l’identifi- plus, on observe que leur influence varie en
cation des conditions favorables à la créati- fonction des étapes du processus créatif.
vité individuelle.
2. Les modèles multiniveaux
1. Le modèle componentiel d’Amabile Ces modèles reposent sur l’idée que la créa-
Dans son article de 1988 « A Model of tivité résulte de l’interaction entre différents
Creativity and Innovation in domaines sociaux. L’article « Individuals
Organizations », Amabile analyse les com- différences in creativity: an interactionist
posants de la créativité individuelle et iden- perspective » de Woodman et Schonfelt
tifie les conditions favorables à cette der- (1989) constitue l’écrit fondateur de ce cou-
nière. Les trois composants nécessaires à la rant. Les articles de Woodman, Sawyer et
créativité sont 1) les compétences liées au Griffin (1993), Ford (1996), Drazin, Glynn
domaine concerné (domain-relevant skills), et Kazanjian (1999) poursuivent dans cette
2) les compétences liées à la créativité voie.
(creativity-relevant skills) et 3) la motiva- Pour Woodman, Sawyer et Griffin (1993) la
tion intrinsèque (intrinsic task motivation). créativité s’inscrit dans un contexte social
Ces composants, qu’une étude qualitative spécifique et subit son influence. Ce
approfondie lui a permis de mettre en contexte social résulte des interactions
lumière, constituent un modèle componen- entre les différents niveaux de l’organisa-
tiel de créativité (cf. figure 1). Chacun de tion : c’est pourquoi leur modèle est qualifié
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Figure 1
UN MODÈLE COMPONENTIEL DE CRÉATIVITÉ DANS L’ORGANISATION
Motivation Compétences
Compétences
intrinsèque expertises
pour la
pour la réalisation du
créativité
de la tâche domaine
Figure 2
LES FACTEURS INFLUENÇANT LA CRÉATIVITÉ
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être définie comme une fonction complexe d’arbitrages individuels qu’il est impossible
de la créativité des individus et des groupes, de généraliser. La recherche doit donc
elles-mêmes tributaires des caractéristiques s’orienter vers l’observation des arbitrages
de l’organisation. création-routine par des acteurs spécifiques
Ford (1996), pour sa part, décrit la créati- dans des contextes spécifiques.
vité organisationnelle comme un processus On notera que ces deux modèles, en dépit de
évolutionniste de variation, sélection et leur volonté d’intégrer la dimension organi-
rétention alimenté par l’engagement des sationnelle, restent centrés sur la créativité
individus. Dans l’organisation, les indivi- individuelle et présentent de fortes simili-
dus sont amenés à exercer des arbitrages tudes avec le modèle d’Amabile. Les trois
entre action routinière et action créative. modèles se focalisent en effet sur l’identifi-
Leur calcul est influencé par 1) le sens cation des conditions organisationnelles de
qu’ils attribuent à leurs actions (attentes et la créativité individuelle ou de groupe.
intentions), 2) la nature de leur motivation
et 3) leurs connaissances et compétences. 3. Les conditions organisationnelles
Ce calcul complexe intègre une multitude de la créativité dans la littérature
de facteurs de niveaux et de nature diffé- Les travaux de la créativité organisation-
rents et ne peut donc être aisément modé- nelle soulignent le rôle central de l’indi-
lisé. La créativité organisationnelle dépend vidu et du groupe dans le processus créatif
Dispositifs intrapreneuriaux et créativité organisationnelle 99
et par conséquent la nécessité pour une tâche, cette réaction pouvant être ressentie
entreprise souhaitant accroître sa créativité comme de l’intérêt, de l’engagement, de la
d’agir à ces niveaux. Pour certains auteurs, curiosité, de la satisfaction, ou un chal-
la créativité est d’abord et avant tout une lenge positif » (Amabile, 1996, p. 115).
aptitude cognitive individuelle (Guilford, A contrario, on parlera de motivation
1950). Le comportement créatif individuel extrinsèque dès lors qu’un individu ne
a beaucoup été étudié (Amabile, 1988, poursuit pas la tâche pour elle-même, mais
1996) et la plupart des modèles de créati- pour en retirer un bénéfice ou pour éviter
vité organisationnelle donnent la primauté quelque chose de déplaisant au terme de
à l’individu (Woodman, Sawyer et Griffin, celle-ci. Elle amende son principe de la
1993 ; Ford, 1996). Le groupe a fait l’objet motivation intrinsèque qui devient : « La
de recherche dans le domaine de la résolu- motivation intrinsèque conduit à la créati-
tion de problème (problem solving) qui vité ; une motivation extrinsèque « contrô-
présente de fortes similitudes avec le pro- lante » est défavorable à la créativité, par
cessus créatif. Amabile (1988) définit le contre une motivation extrinsèque infor-
groupe comme un ensemble d’individus melle ou « facilitante » peut conduire à la
travaillant ensemble, sans lui attribuer de créativité, surtout lorsque le niveau de
spécificité par rapport à l’individu. Pour motivation intrinsèque initial est élevé »
Woodman, Sawyer et Griffin (1993) la (Amabile, 1996, p. 119).
créativité du groupe est une fonction de la Parmi les leviers mis en avant par les
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Figure 3
LES COMPOSANTS DE L’INNOVATION ORGANISATIONNELLE
Techniques Motivation
Ressources
management d’une organisation établie (Bird, 1988 ; Katz et Gartner, 1988). De fait,
peut être considérée comme une tentative l’autonomie individuelle, dimension pre-
de réponse aux exigences simultanées et mière de l’« orientation entrepreneuriale »
contradictoires d’exploitation et d’explora- selon Lumpkin et Dess (1996), constitue le
tion auxquelles celle-ci est soumise (March, cœur des dispositifs intrapreneuriaux analy-
1991). Cette réponse consiste à laisser l’or- sés. En pratique, le degré d’autonomie indi-
ganisation en place en charge de ce qu’elle viduelle prévu par les dispositifs intrapre-
sait le mieux faire – gérer l’existant – et à neuriaux est très variable. Certains
confier à des individus ou à des petits dispositifs accordent une autonomie quasi-
groupes la tâche d’identifier et d’exploiter complète aux intrapreneurs qui sont physi-
de nouvelles opportunités. Les individus et quement, hiérarchiquement et culturelle-
les petits groupes sont en effet considérés ment séparés du reste de l’organisation. Ils
comme plus aptes à remplir cette tâche en sont alors libres de se focaliser entièrement
raison de leur créativité, flexibilité et capa- sur leur projet et, entre les évaluations pério-
cité d’apprentissage inhérentes dès lors diques auxquelles ils sont soumis, de dispo-
qu’ils sont libérés des contraintes de l’orga- ser d’eux-mêmes et de ressources propres.
nisation. Malgré des configurations en À l’autre extrême, les intrapreneurs conti-
apparence très variées qui tiennent à l’his- nuent d’appartenir à l’organisation existante
toire de l’entreprise mais également aux et à y accomplir leurs tâches habituelles
priorités des décideurs, les dispositifs intra- même s’ils ne dépendent pas de leur super-
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Tableau 1
LES DISPOSITIFS INTRAPRENEURIAUX ANALYSÉS
Industrie Période Source Auteurs
Le fort niveau d’engagement de l’entrepre- plexe, par exemple – et à des facteurs extrin-
neur est lié à des facteurs intrinsèques – le sèques, comme la perspective d’enrichisse-
plaisir et la satisfaction qu’il retire de l’ac- ment ou d’amélioration du statut social en
complissement d’une tâche originale et com- cas de réussite (Hornsby, Naffziger et
Dispositifs intrapreneuriaux et créativité organisationnelle 103
Figure 4
LE FONCTIONNEMENT DES DISPOSITIFS INTRAPRENEURIAUX.
UN PROCESSUS EN ENTONNOIR
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attentes des acteurs-clés et les résultats principe finit souvent par avoir des consé-
obtenus. quences négatives pour les intrapreneurs et
Cet écart souvent fatal pour le dispositif pour le dispositif dans son ensemble. En
peut être causé par des erreurs de concep- effet, la légitimité de projets sans lien straté-
tion : celles-ci sont fréquentes dans la gique avec l’entreprise est beaucoup plus
mesure où il s’agit de dispositifs expéri- difficile à établir ce qui rend les projets ainsi
mentaux et « faits maison ». Mais il est que leurs porteurs plus vulnérables aux
aussi dû, selon nous, à des problèmes plus attaques et critiques auxquelles ils ne man-
fondamentaux liés aux principes mêmes sur queront pas d’être exposés dans le temps.
lesquels reposent les dispositifs. Alors que l’alignement stratégique est rare-
ment évoqué en tant que critère d’évaluation
4. Un processus trop divergent dans la phase initiale, il devient de plus en
Les dispositifs intrapreneuriaux, qui consti- plus important à mesure que le temps passe
tuent à maints égards d’ambitieuses tenta- et que les résistances au dispositif se renfor-
tives d’application des concepts de la créa- cent ou que la situation économique se dété-
tivité organisationnelle, ont dans les faits le riore. Dans un contexte tendu le fait que des
statut peu enviable de « forme organisation- ressources rares et de valeur (les intrapre-
nelle instable ». Les raisons de cette fai- neurs engagés) se dédient à des tâches sans
blesse sont multiples, mais semblent lien aucun avec les activités de l’entreprise,
dépendre pour une bonne part du caractère et qu’en plus ces ressources risquent de quit-
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