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Pour une approche institutionnaliste de la syndication

bancaire internationale
Jean-Jacques Pluchart
Dans Revue française de gestion 2004/4 (no 151), pages 97 à 114
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
DOI 10.3166/rfg.151.97-114
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FINANCE
PAR JEAN-JACQUES PLUCHART

Pour une approche


institutionnaliste
de la syndication
bancaire internationale
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La recherche s’efforce

A
u cours des dix dernières années, la syndication
de vérifier l’hypothèse
selon laquelle l’évolution
bancaire internationale s’est affirmée comme
des règles et des usages
un levier essentiel du développement écono-
de la syndication a mique. Elle a permis de lever des capitaux de plus en
contribué à la régulation plus importants, destinés à financer les grands projets
des relations de publics et privés, les opérations de fusions-acquisitions
coopération-concurrence
entre les banques
d’entreprises, les plans de redressement d’économies
internationales et à la mise
nationales défaillantes… Ce développement des pools
en œuvre de leurs bancaires est notamment attribuable aux « changements
stratégies respectives face institutionnels » et à « l’efficacité adaptative » des
aux nouvelles contraintes banques internationales (North, 1990). Ces dernières
des projets internationaux. ont dû en effet faire face à la fois au repli de « l’État-
Les analyses visent plus
particulièrement à tester,
providence », à la désintermédiation bancaire, aux
sur le terrain de la
avancées de la finance de marché, aux montées des
syndication internationale, risques-pays… Malgré leur importance, les alliances
certains construits interbancaires ont jusqu’à présent fait surtout l’objet
des approches d’analyses juridiques visant à « qualifier leur nature
néo-institutionnalistes
des stratégies collectives.
complexe », et économiques, afin de tester leur effica-
cité dans la gestion du risque (Bertran de Balanda,
1991). Elles ont plus rarement soulevé des questionne-
98 Revue française de gestion

ments d’ordre managérial, malgré la emprunteur ». Mais, bien qu’ils réunissent


richesse des théories et des expériences des firmes rivales, ils ne sont pas assimilés
relatives aux stratégies collectives des à des cartels ou à des ententes. Quoique
firmes. La présente recherche s’efforce leurs crédits soient qualifiés de syndiqués,
d’analyser les stratégies et la dynamique le terme de « pool » est généralement pré-
des relations de coopération-concurrence féré à ceux de « syndicat » (plutôt réservé
entre les banques engagées dans les finan- aux émetteurs d’actions ou d’obligations),
cements des projets internationaux. Ces de « consortium » (applicables à des grou-
derniers présentent la particularité d’être pements stables d’entreprises industrielles
généralement « sans recours » ou « à ou financières), de « tour de table » (évo-
recours limité », le service de la dette quant une simple réunion d’apporteurs de
n’étant pratiquement couvert que par les capitaux) ou de « club bancaire » (recou-
revenus (cash-flows) attendus du projet ; ils vrant diverses formes diffuses de coopéra-
présentent donc des enjeux et des risques tion entre banques), selon Dufloux et Mar-
importants pour les financeurs, ainsi gulici (1981) et Zein (1999). La
contraints de développer des formes de personnalité morale ne peut leur être attri-
plus en plus sophistiquées de coopération- buée, les pools n’ayant ni noms, ni domi-
concurrence. Après une revue de la littéra- ciles, ni patrimoines ; ils sont donc plutôt
ture sur les principaux courants juridiques apparentés à des « associations non décla-
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et managériaux relatifs aux alliances inter- rées », à des « groupes de sociétés », ou à
bancaires et une présentation des problé- des « groupements d’entreprises » non sta-
matiques soulevées et des méthodes de tutaires (joint venture ou partnership), ou à
recherche mobilisées, les résultats de la des « groupements horizontaux d’entre-
recherche seront présentés, puis discutés et prises co-traitantes » (Dubisson, 1984). Ils
mis en perspective. sont assimilés à des sociétés sans personna-
lité morale, lorsqu’ils sont constitués en
I. – ÉTAT DE L’ART « pools d’engagement » – des agents y étant
SUR LES STRATÉGIES mandatés par les banques participantes
COLLECTIVES DES FIRMES pour les représenter –, et à de simples
« accords de coopération », lorsqu’ils sont
Les principaux concepts appliqués à la syn- constitués en « pools de concertation », –
dication bancaire internationale sont l’agent n’étant chargé que de tâches admi-
d’ordres juridique et stratégique. nistratives pour le compte de ses mandants
(Szathmary, 1975 ; Neret, 1979 ; Jacque-
1. les approches juridiques
mont, 1979 ; Frick, 1989). Le pool bancaire
Les analyses strictement juridiques des peut être ainsi « révélé » (ou transparent),
pools bancaires sont anciennes : le Restri- lorsque ses membres sont liés directement
tive Trade Practices Act anglais de 1977 par contrat à l’emprunteur (syndication
définit les pools bancaires comme « des directe ou générale), mais il peut être égale-
réunions temporaires de deux ou plusieurs ment « non révélé » ou « occulte »
banques concurrentes, ayant pour objet de (sous-syndication ou syndication indirecte),
répartir la charge d’un crédit destiné à un lorsque certaines banques sous-participantes
La syndication bancaire internationale 99

n’ont pas de lien contractuel direct avec pools bancaires restent limitées : Astley et
l’emprunteur, mais seulement avec une ou Fombrun (1983) analysent certaines formes
plusieurs des banques du pool révélé d’interdépendance faible et instable entre
(Elland et Goldsmith, 1981 ; Bray, 1984). établissements bancaires concurrents ; Glais
(1983) observe le fonctionnement de cer-
2. Les approches stratégiques taines ententes corporatistes (ou syndicats
Les stratégies interfirmes ont fait l’objet de professionnels), comme les syndicats ban-
multiples observations relevant de plusieurs caires. Plus récemment, les travaux de
courants théoriques des sciences de gestion, Lorange et Ross (1992), Urban et Vende-
qui ont toutefois rarement porté sur le ter- mini (1992) et Doz et Prahalad (1998) étu-
rain de la finance de projet. dient les effets des alliances entre concur-
Suivant l’approche institutionnaliste, Coase rents sur le fonctionnement des marchés et
(1937) définit les alliances entre firmes s’efforcent d’identifier les stratégies coopé-
comme des formes souples et temporaires ratives les plus favorables à la conquête
« d’aménagements institutionnels alterna- d’avantages concurrentiels, sans toutefois
tifs au marché ». Leur construction et leur tester leurs constructions théoriques sur le
fonctionnement sont conditionnés par un terrain bancaire. De nombreuses recherches
« ensemble de règles, de conventions et de se sont efforcées de catégoriser les modes
systèmes de sanctions historiquement de coopération interfirmes (Morris et Her-
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constitués, qui fondent les modes de rela- gert, 1984 ; Ghemawat et alii, 1985), sans
tions entre agents ». Elles sont assimilables toutefois conclure à une typologie univer-
à des « nœuds de contrats » incomplets selle, applicable notamment aux pools ban-
entre partenaires en principe égaux, mais caires. Garrette et Dussauge (1995) propo-
dont les relations – marquées par des asy- sent une typologie des alliances
métries d’information, des incertitudes stratégiques entre concurrents des secteurs
comportementales, des phénomènes de industriels et des services, distinguant les
sélection adverse et de risque moral – sont alliances de « co-intégration » (réunissant
assorties de coûts généralement élevés de certaines ressources des partenaires), les
transaction. Les adaptations de leurs cadres alliances de « pseudoconcentration » (cou-
juridiques et de leurs structures organisa- vrant le montage d’un projet commun) et
tionnelles ont notamment pour objet de les alliances « complémentaires » (exploi-
réduire ces coûts. Williamson (1979, 1991) tant les complémentarités entre les res-
distingue ainsi trois types de contrats en sources respectives des firmes).
fonction de la fréquence de l’échange et de Suivant les approches configurationnistes
la spécificité de son objet : le contrat clas- (ou contingentes), Pfeffer et Salancik (1978)
sique, le contrat personnalisé et un contrat étudient les différents arrangements (ou
intermédiaire, dit « néoclassique » – auquel ajustements réciproques) possibles entre
est assimilable le contrat de syndication partenaires. Axelrod (1984) montre notam-
bancaire – destiné à régir des transactions ment que les comportements coopératifs
occasionnelles en univers incertain portant sont le plus souvent soumis à la règle du « tit
sur des actifs relativement spécifiques. Les for tat », fondée sur la réciprocité, la bien-
applications de ces concepts fondateurs aux veillance, la susceptibilité, l’indulgence et
100 Revue française de gestion

surtout, l’intelligibilité1 des rapports. Car- recherche, dont elle s’efforce de tester cer-
ney (1987) dégage les effets négatifs à long tains construits sur le terrain de la syndica-
terme de certaines alliances ou ententes pro- tion de projet. Elle soulève des questionne-
fessionnelles (notamment bancaires) du- ments relatifs aux formes juridiques et
rables, qui entraînent des pertes de flexibi- organisationnelles, ainsi qu’aux modes de
lité et d’adaptabilité des firmes. Afin construction et de fonctionnement des
d’atténuer ces effets, il préconise des « ren- pools bancaires dédiés au financement des
versements périodiques d’alliances » et des projets internationaux. Elle mobilise une
transitions rapides vers d’autres formes méthodologie de recherche croisée fondée
d’organisation. Bresser et Harl (1986), puis sur des études de cas.
Bresser (1988) analysent comment les
1. les problématiques soulevées
firmes alternent stratégies concurrentielles
par la recherche
et stratégies collectives, se livrant successi-
vement à des affrontements, des alliances et La recherche s’efforce de vérifier l’hypo-
à des ententes. Selon Koenig (1996), la stra- thèse selon laquelle l’évolution des règles et
tégie d’affrontement ou de rivalité vise en des usages de la syndication a contribué à la
priorité à conquérir un avantage de volume régulation des relations de coopération-
par la conquête de parts de marché, l’entente concurrence entre les banques internatio-
a pour principal objectif l’appropriation nales et à la mise en œuvre de leurs straté-
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d’une rente de situation, tandis que l’al- gies respectives face aux nouvelles
liance cherche plutôt à pallier la sous- contraintes des projets internationaux. Les
capacité productive ou l’incompétence tech- analyses visent plus particulièrement à tes-
nique de certains de ses membres. La transi- ter, sur le terrain de la syndication interna-
tion d’une stratégie à l’autre s’inscrit dans tionale, certains construits des approches
une dialectique (ou une dynamique) mar- néo-institutionnalistes des stratégies collec-
quée par ambiguïté des relations entre les tives, notamment avancés par Williamson
firmes, qui favorise leurs marges de (coûts de transaction), par Axelrod (arran-
manœuvre et accroît leur flexibilité. Au gements coopératifs) et par Garrette et
cours de ces transitions, les comportements Dussauge (formes des alliances straté-
opportunistes de certains acteurs peuvent giques). Les observations de terrain portent
donner lieu à des réactions défensives de la notamment sur les processus de construc-
part des autres membres (Ibert, 1998). tion et de fonctionnement des pools interna-
tionaux : organisation des transitions entre
les phases d’affrontement et de coopéra-
II. – PROBLÉMATIQUE
tion, dynamique des organisations et des
ET MÉTHODOLOGIE
formes juridiques de la syndication, évolu-
DE LA RECHERCHE
tion des statuts et des rôles des différents
La présente étude, menée au cours de l’an- acteurs des pools, processus d’institution-
née 2000, s’inscrit dans ces courants de nalisation des alliances…

1. Weick (1979) montre que l’intelligibilité d’un comportement suppose l’exclusion de toute ambiguïté (un message
pouvant avoir plusieurs sens) et de toute équivocité (un sens perçu pouvant recouvrir plusieurs intentions).
La syndication bancaire internationale 101

Tableau 1
L’ÉCHANTILLON DE PROJETS OBSERVÉS

Projets énergétiques Projets de BTP Projets industriels et divers


Le projet « Eole 2005 » Le projet « Eurotunnel » Le complexe Aluminium de
(France). (France-Royaume-Uni). Dunkerque (France).
Le gisement pétrolier de Le pont de Normandie Le parc de loisirs Eurodisney
Forties (Royaume-Uni). (France). (France).
Le financement des navires de Le tunnel Prado-Carénage Les chantiers portuaires de la
forage (États-Unis). (France). principauté de Monaco.
Les pipe-lines et raffineries de Le boulevard Les avions Airbus.
la mer Caspienne (PECOs). périphérique-nord de Lyon Les actifs immobiliers du
Le Gasproject (PECOs). (France). groupe ACCOR.
Les gisements gaziers de Le stade de France. Un projet industriel basé sur
Bonny (Nigéria). L’autoroute M2 à Sidney une filiale captive des Antilles
L’oléoduc d’Afrique (Australie). néerlandaises.
subsaharienne. Les autoroutes AREA
Le champ gazier de Sichuan (France).
(République populaire de Chine) L’autoroute ferroviaire
Le projet Centras (Colombie). française.
La raffinerie STAR de Les ponts du fleuve Wuhan
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Bangkok (Thailande). (République populaire
Le pipeline algéro-espagnol. de Chine)
Le « Shajiao Power Project »
(République populaire de Chine).
Le « Hub Power project »
(Pakistan).
Le « Rockfort Power Project »
(Jamaïque).
La raffinerie de Dalian
(République populaire de Chine)

2. Le protocole de recherche vant la liste indiquée dans le tableau 1). Le


Ayant une visée exploratoire, l’observation matériau a été recueilli à partir de docu-
fait appel à une méthodologie triangulée, ments (term sheets, conventions de crédit,
croisant des approches respectivement juri- tombstones, etc.2), de témoignages (articles
dique et managériale du terrain. Elle s’ap- de revues financières principalement
puie sur l’analyse d’une trentaine de mon- anglo-saxonnes) et d’entretiens (en face-à-
tages financiers de projets internationaux, face semi-directifs) entre l’auteur et une
segmentés en trois grands secteurs d’acti- dizaine d’ingénieurs financiers de banques
vité : énergie, BTP et grande industrie (sui- membres de pools.

2. Conditions générales du crédit, contrat de prêt du pool révélé, communiqué annonçant la constitution du pool.
102 Revue française de gestion

III. – LES RÉSULTATS peut engager toutes actions lorsqu’il juge


DE LA RECHERCHE que l’emprunteur n’est plus en mesure de
respecter ses obligations contractuelles…
Les restitutions de la recherche portent sur
Cette stratégie de couverture repose égale-
les déterminants, les stratégies, et les pro-
ment sur le principe juridique de non-soli-
cessus d’organisation, de contractualisation
darité des membres d’un pool : la
et de symbolisation des pools bancaires
défaillance de l’un d’entre eux n’oblige pas
internationaux.
contractuellement les autres à le remplacer.
1. Les finalités de la syndication Mais les experts interrogés soulignent que,
La mutualisation du risque est nettement dans la pratique, les banques syndiquées
perçue comme le principal objectif de la n’en sont pas moins exposées à un aléa
syndication, notamment dans le cas de pro- moral (moral hazard), étant soumises à une
jets engagés dans des zones à forts risques- certaine forme d’affectio societatis : elles
pays (Hub power project, Rockfort power doivent s’informer mutuellement des
project, gisements de Bonny, etc.) ou pré- risques de non-exécution du contrat de cré-
sentant des risques technologiques élevés dit par l’emprunteur ; une clause pari passu
(gisements offshore des Forties, Gasproject, (sharing clause) répartit entre les banques,
etc.). Les établissements financiers rédui- les remboursements (totaux ou partiels) de
sent le risque d’insolvabilité des emprun- l’emprunteur. En cas de défaillance de ce
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teurs en limitant leurs participations dans dernier – comme dans le cas du finance-
les pools bancaires. Ils peuvent ainsi mieux ment d’Eurotunnel ou de la raffinerie thai-
gérer leur portefeuille de risques associés landaise Star – l’agent exécute les décisions
aux projets financés, franchir les barrières prises à la majorité des membres du pool.
capitalistiques à l’entrée des grands projets En cas de désaccord, les banques minori-
internationaux, mais aussi, promouvoir leur taires peuvent se retirer et les banques chefs
image de marque, en étant associés à des de file sont alors invitées à se substituer à
opérations prestigieuses sans obérer leurs elles (Ryan, 1984), vérifiant ainsi la règle
ratios d’engagement et de solvabilité. Cette du tit for tat d’Axelrod.
stratégie de couverture du risque a été ren- La réduction des coûts des crédits constitue
due possible par un renforcement, au cours le second objectif des alliances bancaires. La
des vingt dernières années, des dispositions limitation des risques encourus par chaque
prudentielles des conventions de crédit : banque du pool permet de consentir des
prises de sûretés et de garanties auprès des conditions de crédit plus compétitives aux
emprunteurs, de leurs actionnaires et créan- emprunteurs. En raison de l’abaissement du
ciers ; transfert sur un compte-sequestre des point mort de fonctionnement du pool, le
revenus tirés du projet ; application de ratios seuil de syndication a été régulièrement
de couverture du service de la dette3 ; appli- réduit depuis une vingtaine d’années, ren-
cation d’une clause « événements de défaut dant désormais éligibles à cette pratique des
(events of defaults) », selon laquelle le pool petits projets publics (notamment, de collec-

3. En cas de non-respect de ces ratios par la société chargée de réaliser le projet, le pool bancaire exige le rem-
boursement anticipé du crédit.
La syndication bancaire internationale 103

tivités locales) et privés (par exemple, de (co-managers), doit être alors désigné,
groupements de PME-PMI). Les coûts de comme dans le cas de la majorité des pro-
transaction engendrés par la syndication res- jets analysés. Quand le montant du finance-
tent néanmoins élevés, car les projets finan- ment est plus élevé (jumbo loan), un pool
cés présentent le plus souvent des degrés éle- international hiérarchisé – comportant un
vés d’incertitude, de discontinuité et de syndicat de direction et/ou un syndicat de
spécificité, conformément aux principes garantie – est parfois mis en place, comme
posés par Williamson. L’analyse des conven- dans les projets Eurotunnel, Eurodisney et
tions de crédit laisse apparaître que les du Stade de France. Ce syndicat regroupe
efforts consentis sur les taux d’intérêt sont plusieurs banques leaders, coordonnées par
partiellement compensés par l’alourdisse- des chefs de file et cochefs de file. Dans cer-
ment des commissions fixes ou variables (de tains cas, le syndicat de direction peut
direction, d’agence, d’engagement, etc.), et compter plus de 30 banques (jusqu’à 225
par la multiplication des contraintes impo- dans le financement d’Eurotunnel), structu-
sées à l’emprunteur, destinées notamment à rées en chefs de file principaux (lead mana-
couvrir des coûts croissants de transaction, gers), cochefs de file principaux (co-lead
comme observé par Trevor Brown (1981). managers), chefs de file (managers) et
cochefs de file (co-managers).
2. Les stratégies de syndication Dans les cas observés, le pool est le plus
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La stratégie de syndication directe et/ou souvent mis en place en trois étapes :
indirecte adoptée par chaque banque 1. Le consortium emprunteur choisit une
dépend d’abord de la taille du projet. banque chef de file, qui s’engage générale-
Lorsque les capitaux nécessaires à son ment à financer le projet à hauteur d’au
financement portent sur des montants limi- moins un tiers. Le choix de la banque chef
tés à quelques dizaines de millions de dol- de file par le consortium emprunteur peut
lars, la levée de crédits peut être opérée faire l’objet d’une procédure de gré à gré,
auprès d’une seule banque ou d’un pool res- pour des opérations simples de faibles mon-
treint ; les emprunteurs négocient alors avec tants (quelques dizaines de millions de dol-
un nombre réduit de banques leaders (lead lars), ou d’appels d’offres (ou mises aux
banks) engagées à part souvent égales dans enchères), pour le financement de projets
le projet (comme dans le cas des projets plus importants et/ou plus complexes.
chinois de BTP étudiés). Dans le cas de 2. La banque chef de file constitue ensuite
besoins financiers intermédiaires (environ un syndicat de garantie ou de direction (ou
100 à 500 millions de dollars), la levée de groupe d’underwriters), avec d’autres
crédits internationaux nécessite la constitu- banques. Le chef de file indique ensuite à
tion d’un syndicat plus structuré (club deal l’emprunteur par une lettre d’engagement4,
ou club de banques). Un chef de file princi- les conditions auxquelles il consent à
pal (manager bank ou manager), éventuel- constituer le pool bancaire. Le chef de file
lement assisté de plusieurs cochefs de file

4. term sheet, consentement letter, engagement letter, mandate letter, etc.


104 Revue française de gestion

peut alors adopter un des quatre niveaux Les stratégies des banques arrangeuses et
d’engagement suivants : chefs de file sont souvent influencées par
– 1er niveau : il se constitue underwriter les orientations de politique commerciale
(offre ferme), s’engageant à apporter les fixées par les gouvernements de leurs pays
fonds demandés aux conditions prédéfinies d’origine et par les évolutions des domaines
en cas d’échec de la syndication. et des zones d’activité de leurs principaux
– 2e niveau : il fait une offre conditionnelle, clients industriels.
en ne s’engageant à fournir le crédit Ainsi, dans le secteur énergétique :
demandé que sous réserve de modification – la banque hollandaise ABN-Amro, liée au
des conditions initiales ; groupe pétrolier Shell, s’efforce de transfé-
– 3e niveau : il s’engage à « faire de son rer ses intérêts des champs déclinants de la
mieux » (best efforts), sans engagement de mer du Nord vers ceux des marchés émer-
bonne fin de l’opération. gents d’Asie-Pacifique et d’Amérique-
– 4e niveau : il adopte une position mixte, latine ;
s’engageant ferme sur une partie du finan- – les banques américaines Chase Manhat-
cement du projet et se limitant, pour le tan, Citicorp et Salomon Smith Barney,
solde, à une formule best efforts ; bien introduites chez les « majors » améri-
Le chef de file intervient uniquement au cains, s’orientent vers une globalisation de
cours de la phase précontractuelle s’ache- leurs services et de leurs marchés ;
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vant par la signature de la convention de – la banque allemande Dresdner renforce sa
crédit : il s’efforce en particulier de limiter présence en Europe de l’Est, notamment
les effets de « sélection adverse » de par sa participation dans le projet Gasprom ;
banques défaillantes, pouvant intervenir – les banques japonaises Bank of Tokyo et
dans la constitution du pool. Sanwa Bank, naturellement liés aux « kei-
3. Le chef de file a ensuite pour missions de retsus » nippons, mais pénalisées à la fois
préparer, de négocier et de conclure, avec par la crise asiatique en 1997-1998 et par la
les banques participantes, la « convention crise financière japonaise, diversifient leurs
de crédit » (credit agreement), dont l’objet placements dans des projets européens et
est de fixer les rapports entre les membres américains ;
du pool et les conditions du concours finan- – Les banques françaises BNP-Paribas,
cier consenti au consortium emprunteur. Société Générale et Crédit Lyonnais, liés
Les conventions sont de plus en plus aux groupes énergétiques nationaux EDF-
détaillées – en application des usages GDF et Total Fina Elf – sont présentes dans
anglo-saxons de la common law – et stan- les pools finançant la plupart de leurs pro-
dardisées – conformément aux pratiques jets internationaux…
bancaires actuelles. Toutefois, en raison de Dans la plupart des projets étudiés,
la diversité des pools et des difficultés sou- chaque arrangeur se spécialise dans une
levées lors des négociations des termes du des dimensions du montage en fonction
contrat, les actes n’en demeurent pas moins de la nature de ses compétences de base :
« sur mesure » (ou personnalisés), chaque l’arrangeur technique (technical bank)
banque chef de file ayant sa propre teste la faisabilité industrielle du projet ;
approche de la contractualisation du crédit. l’arrangeur économique (modeling bank)
La syndication bancaire internationale 105

Tableau 2
CONSTITUTION D’UN POOL BANCAIRE RÉVÉLÉ

Choix stratégiques du consortium emprunteur


et fixation du montant (ET) à financer par le pool

Appel d’offres

Sélection du chef de file

Constitution d’un syndicat de direction


term sheet

Engagement (EC) du chef de file ou du syndicat de direction

Memorandum d’information

Engagement des banques participantes (EB)

Cas n° 1 Cas n° 2 Cas n° 3


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EB < ET - EC EB > ET - EC EB = ET - EC

Le chef de file Le chef de file


underwriter réduit EC du
couvre l’écart montant de l’écart

Le chef de file
conditionnel Succès de la syndication
ne couvre pas l’écart Modification de la term sheet
ou échec

Constitution du pool, signature et publication


de la convention de crédit

estime sa rentabilité économique ; l’ar- préférence des fonctions économiques et


rangeur juridique (documentation bank) /ou juridiques.
conçoit et réalise le montage juridique. La classification du pool selon les critères
Les grandes banques universelles – définis par Dussauge et Garrette semble
comme Citigroup ou Bank of Tokyo – donc essentiellement contingente, variant
exercent plutôt des rôles techniques, tan- selon les phases du montage et les statuts
dis que les banques d’investissement (ou des membres du pool :
d’affaires) – comme Salomon Smith Bar- – ce dernier peut être assimilé par les arran-
ney ou Goldman Sachs – assument de geurs à une alliance de « pseudoconcentra-
106 Revue française de gestion

tion », puisqu’ils sont chargés d’organiser – À l’égard des emprunteurs, il accomplit


une coopération entre établissements finan- sa mission en respectant trois impératifs :
ciers destinés à réaliser un produit unique : l’exécution des instructions, le devoir de
le financement d’un projet ; diligence et le devoir de loyauté. Il doit en
– la syndication présente aussi la forme particulier leur rendre compte du déroule-
d’une alliance de « co-intégration », puis- ment et des résultats de ses missions. Il peut
qu’elle associe des banques leaders et éviter certaines actions en responsabilité
underwriters cherchant à réaliser des éco- engagées par les emprunteurs en ne se
nomies d’échelle et à répartir des risques ; déclarant responsable que de ses fautes
– le pool peut être également qualifié d’al- lourdes et/ou intentionnelles.
liance « complémentaire » puisqu’il réunit – Vis-à-vis des banques participantes, il doit
des firmes aux compétences et aux rôles dif- se garder des fautes et omissions suscep-
férents aux stades successifs du montage. tibles de leur porter préjudice ; il doit notam-
ment s’acquitter de son devoir d’informa-
3. L’organisation du pool tion lors des démarchages des banques –
Le pool bancaire est organisé – à partir des sans omettre des données relatives au projet
« métarègles » de la syndication – par le à financer et au fonctionnement du pool. Le
chef de file, qui exerce des responsabilités chef de file introduit fréquemment dans le
de courtier-mandataire vis-à-vis de l’em- mémorandum d’information une clause
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prunteur, des banques participantes et des d’exonération de responsabilité par laquelle
tiers. Ces responsabilités sont variables il ne se porte pas garant de la fiabilité des
selon que l’offre du chef de file est ferme, informations qui lui ont été communiquées
conditionnelle ou mixte. par le consortium emprunteur.

Tableau 3
QUALIFICATIONS DE L’ALLIANCE SELON LA PHASE DU MONTAGE
ET LE STATUT DE SES ACTEURS

Phase du montage Membres du pool Représentation de l’alliance

Conception Investisseurs Pseudo- Complémentaire


Arrangeurs concentration

Contractualisation Leaders et underwritters Co-intégration


du pool révélé
Prêteurs et autres garants
Contractualisation
du pool occulte

Fonctionnement agents
des pools
La syndication bancaire internationale 107

– Face aux tiers, la responsabilité du chef de est concernée, le chef de file ou l’agent ne
file n’est en pratique que quasi délictuelle : pouvant être mis en cause. Les responsabi-
vis-à-vis des créanciers commerciaux de la lités de ce dernier sont parfois plus diffi-
société-projet, le chef de file peut être ciles à établir lorsque le pool révélé se
notamment accusé d’avoir consenti un double d’un pool occulte, comme dans le
« crédit abusif », d’un montant hors de pro- cas du financement des projets pétroliers et
portion avec les cash-flows pouvant être gaziers de la mer Caspienne.
dégagés du projet. Une action en responsa- L’étude montre également que les pools
bilité – directement fondée sur des asymé- bancaires de projet sont « à géométrie
tries d’information entre les acteurs du variable ». Des pools non révélés (ou « pool
montage financier – peut alors être intentée au second degré ») peuvent être ainsi consti-
par des sociétés s’étant portées caution du tués par une ou plusieurs banques (leader ou
consortium ou par des membres du pool non) du pool révélé, sans que l’emprunteur
bancaire. Une banque syndiquée peut, par n’en soit informé. Certaines banques, initia-
ailleurs, être accusée de « rupture abusive lement écartées du pool révélé par le chef de
de crédit » si elle interrompt, cesse ou ne file, sont parfois invitées à adhérer à un pool
renouvelle pas le versement de tranches du occulte, vérifiant l’hypothèse posé par
financement prévues par la convention de Axelrod. La syndication indirecte peut être
crédit. Dans ce cas, seule la banque fautive totale – l’engagement intégral d’une banque
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Tableau 4
ORGANISATIONS TYPES DE POOLS BANCAIRES
108 Revue française de gestion

primaire étant cédé à une banque secondaire sement du cadre juridique des pools révélés
– ou partielle – seule une quote-part étant et occultes, en fonction des types d’engage-
transférée à une (ou plusieurs) banque(s) ment souhaités par les banques partenaires.
tierce. Les cas étudiés révèlent que la for- – Lorsque l’engagement est à la fois « en
mation de pools bancaires non révélés (indi- risque et en trésorerie », la syndication par-
rects, occultes ou post-formés) présente un tielle n’est pas considérée comme une ces-
intérêt croissant à la fois pour les emprun- sion de créance (legal assigment), étant par-
teurs et pour les banques du pool révélé ini- tielle et non révélée, mais plutôt comme
tial (ou banques primaires). Ces dernières se une sous-participation dans une « société
livrent en effet de plus en plus fréquemment créée de fait sans personnalité morale »
à de la syndication indirecte en faisant appel (« partnership » ou « joint venture »), sui-
à d’autres banques sous-participantes (ou vant Szathmary (1975).
« banques secondaires »), afin de : – En cas de syndication totale, la qualifica-
– se refinancer, pour être en mesure de par- tion juridique retenue est plutôt la cession
ticiper à d’autres opérations et de respecter conventionnelle occulte de contrat, avec les
leurs ratios d’engagement ; droits et obligations qui s’y attachent.
– transférer partiellement ou totalement les – Lorsque l’engagement est seulement « en
risques encourus dans un projet ; risque », il est assimilé à un transfert de
– dégager des gains financiers par un décou- garantie ou à un cautionnement. Dans ce
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page du crédit à long terme initialement cas, la syndication indirecte est donc une
contracté, en tranches à court terme transfé- technique particulière d’assurance-crédit.
rées à une ou plusieurs banques occultes. – Lorsque l’engagement est « en trésorerie »,
– participer indirectement à des opérations il est considéré comme un simple contrat de
de grande envergure, malgré l’étroitesse de prêt.
leurs surfaces financières, tout en étant La syndication indirecte contribue à flexibi-
déchargées des tâches de gestion de l’em- liser le montage financier, en introduisant
prunt, qui continuent à incomber à la (ou une hiérarchie dans l’alliance et en ségré-
aux) banques(s) primaire(s), notamment guant les coûts de transaction entre les
lorsque l’emprunteur n’a fait officiellement acteurs directs et indirects du pool. Les
appel qu’à une seule banque ; conventions de pool occulte revêtent la
– bénéficier d’autres sources de finance- nature de sous-contrats (suivant la qualifi-
ment en cas de défaillance d’un membre du cation de Neret, 1979), liés notamment par
pool révélé. leurs durées aux contrats de pool révélés.
Elles entraînent le transfert à la banque
4. La contractualisation du pool sous-participante des droits et obligations
La recherche montre également que la régle- incombant à la banque participante (ou pri-
mentation et la contractualisation des maire). Les principales clauses des contrats
alliances ont favorisé leur développement, (généralement plus brefs et présentés sous
vérifiant notamment les observations fonda- forme de lettres) sont identiques à celles des
trices de Coase (1937). La diversification des conventions de crédit passées entre des
stratégies et des organisations des syndicats emprunteurs et un pool révélé ; à l’excep-
bancaires s’est accompagnée d’un enrichis- tion de certaines dispositions particulières :
La syndication bancaire internationale 109

Tableau 5
LES NATURES DES CONTRATS DE POOL BANCAIRE

Pool révélé Pool occulte

Pool d’engagement Pool de concentration


(PE) (PC)
Positions des banques
Leader Participante Leader Sous-participante

Engagement des banques


Total (T) Partiel (P)
Ferme Conditionnel Mixte en risque en risque Trésorerie
(underwriter) et trésorerie

PE PC PE PC

P T P T

1 2 3 4 5 6 7 8

Qualifications des contrats


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1. Participation dans une société de fait
2. Contrat de coopération
3. Sous-participation dans une société de fait,
4. Cession de contrat, 5. « Convention de croupier »5,
6. Cession de part, 7. Cautionnement,
8. Contrat de prêt.

– le contrat doit rester occulte (undisclosed) ment, qu’avec l’accord écrit préalable du
et non opposable aux tiers ; chef de file.
– il spécifie les conditions financières du La sophistication du cadre réglementaire et
crédit : modalités des versements et rem- des pratiques de la syndication au cours des
boursements ; niveaux des intérêts, des vingt dernières années, a permis aux
commissions et des indemnités préjudi- banques – quelles que soient leurs tailles et
cielles, natures des sûretés, etc. ; leurs contraintes propres – de participer au
– il comporte, comme dans la convention de développement de la finance de projet, tout
crédit, une clause de non responsabilité ; en en limitant leurs risques et leurs coûts.
– il ne prévoit généralement la possibilité L’encadrement juridique et socioprofes-
d’une cession de la créance par la banque sionnel des comportements de coopération-
sous-participante à un autre établisse- concurrence des banques internationales –

5. « Chaque associé peut, sans le consentement de ses associés, s’associer à une autre personne, mais ne peut pas,
sans ce consentement, l’associer à la société elle même », art. 1861, Code Civil français.
110 Revue française de gestion

loin de brider leur initiative – a ainsi contri- clients (pour les fidéliser), de leurs pros-
bué à démultiplier leur action. pects (pour les capter) et de leurs concur-
rents (pour attirer leurs meilleurs consul-
5. La symbolisation du pool tants). Cette « héroïsation » de certains
La recherche laisse également apparaître ingénieurs financiers constitue un attrait et
que les milieux d’affaires de la syndication un danger pour le métier, dans la mesure où
internationale sont composés de popula- elle repose sur des représentations plus ou
tions relativement restreintes et stables, de moins biaisées de personnalités fortes mais
directeurs de projets, d’ingénieurs finan- vulnérables (Abraham, 1996). Le processus
ciers, d’avocats d’affaires, de consultants, de symbolisation observé au sein des pools
de lobbyists, etc., comme observé par Ger- s’inscrit donc dans le « mouvement équi-
munden (1998). Ces acteurs sont des sala- voque » de coopération-concurrence, ana-
riés ou des prestataires de services des lysé par Bresser et Harl et Ibert.
grands arrangeurs mondiaux de montages
financiers5. Au sein de ces réseaux profes-
IV. – DISCUSSION DES RÉSULTATS
sionnels construits sur des relations de
confiance, les projets sont de plus en plus Malgré l’étroitesse de l’échantillon observé,
issus de « processus politiques et culturels, qui limite sa validité externe, la recherche
par lesquels certains acteurs tentent de créer permet – au travers des cas observés – de
dégager plusieurs enseignements sur la
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des symboles susceptibles d’orienter le
comportement des autres participants » dynamique de coopération-concurrence des
(Mintzberg, 1994). Chaque banque s’ef- banques internationales, et plus générale-
force ainsi de capter les profits symboliques ment, sur celle des firmes confrontées à des
attachés à la réussite d’une grande opéra- environnements complexes et aléatoires.
tion. Ce « capital social basé sur un cha- – La recherche montre que la syndication
risme de projet » (Gantenbein, 1993) – de projet, qui constitue une forme d’al-
conjuguant professionnalisme et prophé- liance interfirme parmi les plus anciennes,
tisme – permet aux arrangeurs de légitimer les plus complexes et les plus dynamiques,
et de cautionner les montages qui leur sont s’inscrit difficilement dans les classifica-
confiés. Les promoteurs de projets (spon- tions usuelles d’économie industrielle et de
sors) cherchent ainsi à constituer des management stratégique généralement
« pools idéaux » (dream teams) réunissant appliquées aux entreprises industrielles et
les signatures financières et juridiques les de services de grande consommation. Cette
plus prestigieuses. La construction de ces spécificité tient notamment aux coûts élevés
« cercles vertueux » de la finance de projet de transaction supportés par les banques
exige de la part des ingénieurs financiers et engagées sur des marchés discontinus, à
des avocats d’affaires, une maîtrise des enjeux et risques élevés.
techniques de la communication événemen- – L’étude laisse également apparaître que
tielle – basée sur des expériences réussies les syndicats bancaires de projet constituent
(success stories) – à la fois auprès de leurs une forme de coopération intermédiaire

6. ABN-Amro, UBS, Chase Manhattan, CSFB Crédit Suisse, Desdner Bank, IFC, ING Barrings, Bank of Tokyo,
Sanwa Bank, West L.B., Citicorp, BNP-Paribas, Société Générale, Deutsch Morgan, Bayerische Landesbank, etc.
La syndication bancaire internationale 111

entre le marché et l’organisation intégrée qu’un levier pour l’action, moins un handi-
(suivant la typologie de Williamson), dont cap qu’un avantage concurrentiel (Lyon-
les mécanismes de régulation revêtent des Caen, 1994).
dimensions institutionnelles, mais aussi
stratégiques et culturelles. CONCLUSION
– L’observation révèle que la syndication ne
saurait donc être réduite à une logique tran- Les observations précédentes montrent
sactionnelle statique centrée sur des problé- dans l’ensemble que le syndicat bancaire se
matiques d’allocation de ressources et de présente comme un espace hiérarchisé,
coordination de comportements d’acteurs alternatif au marché, temporaire et défensif,
(comme déjà observé par Demsetz, 1988). fondé sur la réciprocité et l’intelligibilité de
Elle recouvre un processus dynamique d’or- la relation entre ses membres. Cette relation
ganisation basé sur des arrangements créa- est régulée par des dispositions juridiques,
tifs permettant de « répartir les gains et les mais aussi par des pratiques routinières et
risques de la coopération et de garantir des des représentations symboliques, qui per-
promesses » (Brousseau, 1993), et sur des mettent de limiter les asymétries d’informa-
systèmes d’apprentissage de relations mar- tion et de réduire les coûts de transaction
chandes discontinues en univers incertain entre les membres du pool, d’une part, et
(Brechet, 1996). entre ces derniers et les emprunteurs,
d’autre part. L’évolution des formes juri-
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– Les restitutions de la recherche indiquent,
par ailleurs, que les montages et les modes diques des pools et des usages de la syndi-
de fonctionnement des pools ont été pro- cation a été directement influencée par la
gressivement encadrés, sous l’influence des montée des enjeux et des risques associés à
banques internationales leaders, par des la finance de projet. Cette évolution a
règles et des usages complexes, notamment entraîné une diversification des structures
basés sur le principe du « tit for tat » des pools et une différenciation des compé-
d’Axelrod, dont l’objectif est de limiter les tences des banques partenaires, en fonction
comportements opportunistes des acteurs des types d’opérations engagées (émissions
de la syndication et d’organiser les transi- obligataires, fusions-acquisitions, finance-
tions entre les séquences de coopération et ments de projets, etc.) et des zones d’ac-
de concurrence interbancaire. cueil visées (marquées notamment par des
– L’analyse révèle également que le droit risques-pays différents).
des contrats a été retraduit par le milieu Une relecture néo-institutionnaliste des
bancaire international (notamment, les alliances interbancaires laisse donc appa-
banques leaders des grands projets) et que raître que le développement de la syndica-
les règles et les usages de la syndication ont tion s’est accompagné d’une double action
été ainsi progressivement adaptés aux nou- – substantielle d’organisation et symbo-
velles réalités de la finance de projet. La lique d’institutionnalisation –, qui a permis
complexité de ces règles et usages constitue d’améliorer l’efficience de la finance de
en fait, par les choix qu’elle ouvre aux projet en optimisant la fonction « rende-
financeurs, moins un obstacle qu’un moteur ment-risque » des établissements de crédit
d’efficience d’un système, moins un frein en environnement instable et complexe.
112 Revue française de gestion

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