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ORGANISATION DE LA GOUVERNANCE ET STRATÉGIE D'ENTREPRISE :

ÉTAT DES LIEUX DES 120 PREMIÈRES SOCIÉTÉS FRANÇAISES COTÉES

Victoire de Margerie

Management Prospective Ed. | « Management & Avenir »

2008/3 n° 17 | pages 66 à 82
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.017.0066
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Organisation de la gouvernance et stratégie


d’entreprise : état des lieux des 120 premières
sociétés françaises cotées

par Victoire de Margerie

Résumé
Le thème de l’organisation de la gouvernance et de son impact sur la
stratégie de l’entreprise a occupé la recherche académique depuis l’article
publié par Jensen & Meckling en 1976. Quatre théories principales ont
été développées : agence, dépendance des ressources, intendance
et démographie mais depuis 2000, la tendance est à la publication
d’articles « multi théoriques ». C’est aussi en 2000 que les acteurs
français de la gouvernance ont commencé à sortir de la seule conformité
réglementaire pour s’intéresser aux questions stratégiques jusque là
laissées à l’appréciation du seul PDG. La nature des élites et la structure
de l’actionnariat des entreprises expliquent que l’on ait attendu en France
des lois pour ce faire. Mais la pratique s’accélère et les changements de
dirigeants chez Accor, Vinci et EADS en 2006 montrent que nous passons
dans une phase où l’on ne fait pas seulement des lois, on adapte les
structures et on change certains acteurs. Pour refléter ce phénomène en
pleine évolution, nous avons retenu une approche qualitative fondée sur
l’interview de 62 administrateurs de 12 entreprises de l’indice SBF 120. Les
témoignages ont ensuite été conceptualisés pour proposer une typologie
de ces administrateurs (actionnaire patrimonial, actionnaire institutionnel,
expert secteur, expert professionnel, expert global) et une compréhension
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de la contribution stratégique de chacun des types.

Abstract
Academic research in the field of governance and strategy started with the
reference article published by Jensen & Meckling in 1976. 4 major theories
have emerged: agency, resource dependency, stewardship and demography
but since 2000, all articles tend to refer to a combination of those theories.
2000 is also the year when French boards started to escape a pure regulatory
approach and to focus on strategic questions that were by then reserved to
CEO appreciation only. The specificities of the French elites as well as the
shareholding structure of French companies explain why we waited on laws
to start the process. But there has been an acceleration in the recent years
and the arrival of new CEOs at Accor, Vinci and EADS in 2006 show that we
do not only edict new laws, we also change the structures and some of the
actors. In order to explain this phenomenom, we have retained a qualitative
approach based on the interview of 62 directors of 12 companies of the SBF

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sociétés françaises cotées

120 stock index.The results have then been used to develop a typology of
board members (long term investor, equity investor, sector expert, function
expert, global expert) as well as an understanding of each director type in
terms of strategic contribution.

Lors d’une conférence du 20 Mars 2006 à l’Ecole de Paris du Management,


Lebègue et Picard, respectivement Président de l’Institut Français des
Administrateurs et Président de Deloitte France, se réfèrent à un roman de
Zola, L’argent, dans lequel l’écrivain identifiait deux risques pour l’entreprise :
le mauvais fonctionnement des conseils d’administration et la fonction aussi
délicate qu’inutile des commissaires aux comptes… Mais, à la différence du
monde de L’argent, des scandales « bruyants et internationaux » ont éclaté,
comme ceux de Enron et Worldcom aux Etats-Unis ou de Marconi, Parmalat et
Vivendi en Europe. Et on a ainsi voté et promulgué de nombreuses lois (Code
Cadbury au Royaume Uni, code Cromme en Allemagne, loi Sarbanes Oxley
aux Etats-Unis, rapports Viénot et Bouton puis lois NRE et LSF en France) qui
codifient plus précisément la gouvernance d’entreprise et le rôle des membres
de conseils d’administration et de surveillance (Dans la suite de cet article
et en cohérence avec la terminologie retenue dans la recommandation de la
Commission Européenne du 15 Février 2005, nous nommerons sous le vocable
unique d’« administrateurs », les administrateurs non exécutifs et les membres
de conseil de surveillance).

L’implication des administrateurs dans la prise de décisions stratégiques et le


suivi de leur mise en oeuvre s’est ainsi considérablement renforcée. La pratique
des conseils français en 2006 est très représentative de cette tendance : les
changements de dirigeants à la tête d’Accor puis de Vinci et d’EADS (pour des
raisons très différentes mais avec un processus commun d’augmentation de
pouvoir des administrateurs qui ont pesé sur la décision finale) montrent que
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nous sommes en train de passer dans une deuxième phase que l’on pourrait
qualifier de « post réglementaire » où l’on ne se contente pas de brandir des lois
mais aussi d’adapter les structures… et de changer certains des acteurs.

Cet article présente ainsi les résultats d’une analyse qualitative de la composition
des conseils d’administration des 120 premières sociétés françaises cotées
et propose une typologie des membres de ces conseils. Il donne un éclairage
sur les caractéristiques de la gouvernance d’entreprise actuelle (hétérogénéité,
transformation) et future (internationalisation, professionnalisation) des
entreprises du SBF 120 et participe ainsi au débat sur la contribution des conseils
d’administration en matière stratégique (utilité, capacité, efficacité).

1. Gouvernance et stratégie : Les grands débats historiques

L’impact des modes de gouvernance sur la conception et la mise en œuvre de

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la stratégie des entreprises est un thème qui a occupé la recherche académique


depuis l’article de référence publié par Jensen & Meckling (1976).

1.1. La théorie de l’agence (Jensen & Meckling, 1976 mais aussi Amihud &
Lev, 1981 ; Fama & Jensen, 1983 ; Eisenhardt, 1989; Charreaux, 1993 ; Zajac
& Westphal, 1996) : elle énonce que dans le cadre de marchés efficients, les
administrateurs seront forcés de jouer leur rôle en faveur de la création de
valeur long terme pour les actionnaires face à des managers opérationnels qui
agissent essentiellement en fonction de leurs intérêts propres dans tous les cas
(batailles pour le contrôle de l’entreprise, décisions de restructuration, systèmes
de rémunération, choix stratégiques …). Les actionnaires imposent en effet des
contrôles (via le conseil d’administration) à leurs agents (les dirigeants exécutifs)
afin de réduire le « coût d’agence », c’est-à-dire la différence entre la création de
valeur maximale vue par les actionnaires et la création de valeur réelle compte
tenu des comportements « égoïstes » des agents. Le tout est de déterminer les
modalités pour que le système soit efficace et la théorie de l’agence en propose
principalement deux : le contrôle de la rémunération des dirigeants opérationnels
et l’indépendance des administrateurs (les administrateurs indépendants offrent
au CEO des avis et conseils neutres, au contraire des managers – soucieux de
leur carrière future- ou des consultants/fournisseurs – soucieux de leurs affaires
futures). C’est la théorie la plus citée et la plus utilisée.

1.2 La théorie dite de « dépendance des ressources » (Pfeffer & Salancik,


1978 ; Boeker & Goodstein, 1993) : elle défend l’idée selon laquelle la puissance
d’une organisation dépend de sa capacité à maîtriser les sources d’incertitude
de son environnement et donc à accéder à des ressources vitales (financières,
humaines, techniques …). Selon cette théorie, les conseils d’administration
doivent fournir à l’entreprise des ressources – ou autrement dit du « capital
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humain » (sous forme de conseils, de réputation et de mise en contact avec
des réseaux) afin de réduire les coûts et les risques de l’entreprise dans ses
relations avec son environnement externe. Autrement dit, l’influence d’un conseil
d’administration porte d’abord sur le choix précis d’une stratégie (en fonction
de l’expérience propre à chacun des membres du conseil) puis éventuellement
sur la sélection d’un nouveau CEO qui a acquis l’expérience de cette stratégie
dans une autre entreprise puis toujours sur le suivi de la mise en œuvre de cette
stratégie (par le biais d’un suivi actif ou par celui de conseils apportés au CEO).

1.3 La théorie dite de « l’intendance » (Davis, Schoorman & Donaldson, 1997 ;


Lane, Cannella & Lubatkin, 1998 ; Roberts & Stiles, 1999) : elle part du principe
que la performance de l’entreprise impacte directement la perception qu’a
l’environnement externe de la valeur des dirigeants exécutifs et des administrateurs
de cette entreprise et établit que les dirigeants et les actionnaires ont naturellement
de nombreux intérêts communs (et notamment la préservation/amélioration de

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leur réputation/crédibilité). Si mauvaise performance de l’entreprise il y a, elle


vient de raisons autres que le coût d’agence : l’incompétence, l’inexpérience, la
mauvaise information ….ou l’absence de motivation des dirigeants opérationnels
de l’entreprise…La théorie de l’intendance poursuit une approche coopérative
(par rapport à l’approche conflictuelle qui prévaut dans la théorie de l’agence) ;
l’intendant s’implique et s’associe entièrement à la performance de l’organisation
qui l’emploie car il considère que ses objectifs personnels sont identiques à
ceux de l’organisation. Le contrôle de l’intendant est alors contre-productif car il
réduit son initiative et sa motivation. A noter que si les deux parties (actionnaire/
administrateur et dirigeant exécutif) font le même choix (agence ou intendance),
le résultat est élevé, quelle que soit la théorie retenue (maximisation de la
performance si l’intendance est choisie et minimisation des coûts si l’agence
est choisie). En revanche, si l’une seule des parties choisit l’intendance, elle est
toujours trahie par l’autre partie qui a choisi l’agence et elle n’a alors d’autre
choix que d’appliquer à son tour la théorie de l’agence (ou de s’extraire de la
relation…) Tout est donc matière de confiance et d’appréciation du risque de
vulnérabilité créé par cette relation de confiance. Roberts & Stiles (1999) décrivent
précisément ce « cercle vertueux de construction de la relation dont le produit est
un sens réciproque de confiance et de respect qui s’approfondit avec le temps.
Les individus sont alors capables de négocier leurs rôles de manière satisfaisante
et leur comportement de réciprocité initial bâtit un socle suffisamment solide pour
surmonter les tensions et difficultés qui seront par nature inévitables. »

1.4 La théorie dite « des échelons supérieurs » (ou « de la démographie »)


(Wiersema & Bantel, 1992 ; Finkelstein & Hambrick, 1996) : cette théorie donne, elle,
un poids prépondérant aux données démographiques des élites (âge, formation,
expérience professionnelle, longévité dans leur fonction d’administrateur) pour
caractériser l’influence exercée sur leurs choix stratégiques. Le principe est
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que les actions d’une entreprise sont le reflet de ses dirigeants. Les dirigeants
ayant le même type d’expérience fonctionnelle ont tendance à appréhender les
problématiques de manière similaire et d’envisager des solutions similaires pour
régler ces problématiques : les « financiers » auraient ainsi tendance à privilégier
la croissance externe et les « opérationnels » à privilégier la croissance organique.
L’hétérogénéité des équipes dirigeantes (hétérogénéité en termes d’expertise,
de formation et d’ancienneté dans leur poste actuel) est très favorable à la prise
de décision (propension et magnitude) mais moins favorable à la rapidité de la
prise de décision elle-même (logique de création de consensus) sauf si l’équipe
est formée depuis un certain temps.

1.5 La théorie des coûts de transaction (Williamson, 1975): cette théorie


se prononce sur le choix « fabriquer soi même (MAKE ou « gouvernance
hiérarchique ») ou acheter (BUY ou « gouvernance de marché »), en fonction de
trois critères : la spécificité des actifs (qui sous tend l’existence d’un faible nombre
d’acteurs capables de « produire » ces actifs qu’il s’agisse de sites, d’équipements,

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de personnel ou de marques), l’incertitude de l’environnement (subdivisée en


trois catégories : incertitude des volumes, incertitude technologique et incertitude
comportementale - c’est-à-dire incertitude sur le contrôle de la performance « ex
post ») et la fréquence des transactions. Le choix des alliances (ALLY) - encore
nommé « gouvernance relationnelle » a été inclus dans cette théorie dans les
années 1980, toujours en fonction des 3 mêmes critères (spécificité, incertitude
et fréquence) et de leurs combinaisons.
1.6 La théorie du contrat moral (ou aléa moral) : l’aléa moral désigne les cas où
un agent s’engage à accomplir une action pour le compte d’un principal alors que
le résultat final de l’action dépend d’un paramètre connu de l’agent mais pas du
principal. En effet, l’asymétrie d’information dote l’agent de la possibilité d’utiliser
à son avantage son information privée, sans que cet abus soit constatable par le
principal ou un tiers (puisque par définition, seul l’agent en est conscient). Ceci
peut bien sûr s’appliquer dans les relations entre un conseil d’administration (le
principal) et le management exécutif de l’entreprise (l’agent) du fait de l’asymétrie
d’information dont ils disposent au moment de la prise de décisions stratégiques
(Williamson, 1999).
1.7 Les articles multi-théoriques : certains auteurs (Zahra & Pearce, 1989 ;
Pettigrew, 1992) ont rapidement tenté de relier ces différentes théories mais
la tendance s’est accentuée depuis 2000 où tous les auteurs de référence ont
publié des articles que l’on pourrait qualifier de « multi théoriques » (Lynall,
Golden & Hillmann, 2003 ; Jensen & Zajac, 2004 ; Johnson, Ellstrand & Dalton,
2004 ; Kor, 2006 ; Shervani, Frazier & Challagala, 2007 ; Hambrick, 2007) et qui
proposent :
- soit d’appliquer chaque théorie à un stade de la vie de l’entreprise
(entrepreneuriat, collectivisation puis formalisation et contrôle) ou à un type de
position concurrentielle (leader, challenger, nouvel entrant).
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- soit d’adapter les schémas en fonction de la caractérisation des dirigeants de
l’entreprise (ancienneté des dirigeants exécutifs dans leur fonction, quantité
d’expérience partagée par l’équipe de direction, proportion d’administrateurs
indépendants ou encore formation et expérience des dirigeants - exécutifs ou
non).
- soit d’interpréter différemment ces caractéristiques des dirigeants en fonction
d’un certain nombre d’indicateurs (degré de turbulence du secteur, présence
d’un actionnaire de référence, taille de l’organisation, propension individuelle de
chaque dirigeant à se « challenger »).

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2. Méthodologie

2.1 Le choix de l’approche qualitative et la sélection du territoire


de référence
Le thème de la corrélation entre l’organisation de la gouvernance et la stratégie de
l’entreprise a pris aujourd’hui une ampleur et une complexité particulière (Oliver,
2002 ; Allen, Jacobs & Strine, 2002 ; Maati, 2006). Mais la plupart des études
publiées sur ce thème portent sur les modèles anglais et américain car le monde
de la gouvernance française s’est plutôt focalisé sur le thème de la conformité
réglementaire (Charreaux & Schatt, 2006 : seulement 11 articles académiques ont
été publiés en France entre 1994 et 2003 sur le thème du conseil d’administration
et des administrateurs). Et il n’est pas évident d’extrapoler les conclusions de la
littérature anglo-saxonne qui reflète un modèle de capitalisme dit « marché et
externe » et qui donne aux dirigeants l’objectif premier de maximiser la valeur
des actionnaires à un pays plutôt affilié à un modèle dit « relationnel et interne »,
surtout pratiqué au Japon et en Europe Continentale et qui demande aux
dirigeants de satisfaire l’ensemble des parties prenantes (« stakeholders ») de
l’entreprise. Et la France est par ailleurs connue pour ses spécificités (Suleiman,
1979 ; Hirigoyen, 2000 ; Goyer, 2001) : une géographie d’actionnariat à mi-chemin
entre les modèles américain et allemand et une élite issue des grandes écoles
qui est sincèrement persuadée de mériter les postes de dirigeants - quels qu’ils
soient - du fait des aptitudes intellectuelles démontrées lors de la formation initiale
et qui utilise un mode de management très hiérarchisé et centralisé. Quoique cela
commence à changer… Une étude de Who’s Who in France auprès de ses 12
000 membres réalisée en octobre 2006 et ayant recueilli un taux de participation
de 23% fait ressortir que « l’exception française » ne fait plus l’unanimité : 38%
des sondés la considèrent comme un handicap contre 34% un atout et 28% qui
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ne se prononcent pas… ce qui pourrait s’interpréter comme une ouverture en
faveur d’élites non issues des grandes écoles pour les postes de dirigeants (et
donc d’administrateurs).

La compréhension d’un sujet récent et évolutif n’est ainsi pas telle que l’on puisse
se permettre de s’engager d’emblée dans la voie quantitativiste C’est donc une
approche qualitative qui a été privilégiée sur la base d’interviews semi-structurés,
le questionnaire servant de point de départ à une discussion où l’administrateur
était invité à mettre en exergue ce qui lui paraissait le plus important. Le but
était de permettre l’émergence d’idées nouvelles, de rechercher des thèmes de
réflexion inattendus et de susciter des approches de solutions originales (Roberts
& Stiles, 1999).

Le territoire de référence retenu est l’indice français boursier SBF 120 afin de
recueillir la plus grande variété de profils d’actionnariat, de modèle de croissance

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et de performance (donc pas le CAC 40) tout en conservant une taille d’entreprise
et une exposition international suffisante (donc pas le SBF 250).

2.2 Les trois grands thèmes de caractérisation de la réalité de


l’entreprise
Il émerge par ailleurs de la littérature académique trois grands thèmes: la
concentration de l’actionnariat de l’entreprise, la turbulence du secteur où elle
opère et la nature des actifs qu’elle possède (quelques articles plus isolés
- Ravasi & Zattoni, 2000 - citent aussi le degré d’institutionnalisation de son
environnement - importance des réglementations ou des commandes publiques
par exemple).

- La concentration de l’actionnariat. Monks (1999) rappelle que l’actionnariat


dispersé a été la référence de l’économie américaine dans la deuxième moitié
du vingtième siècle et démontre que l’apparition récente de ceux qu’il appelle
les « nouveaux propriétaires » (c’est-à-dire des actionnaires qui détiennent une
forte proportion du capital des entreprises comme les fonds d’investissement)
tend à modifier les équilibres de gouvernance et donc la répartition des rôles
entre les différents acteurs (actionnaires, conseils d’administration, managers…
et même l’Etat). Tihanyi, Johnson, Hoskisson & Hitt (2003) mettent eux en
valeur l’implication des actionnaires de référence dans des stratégies créatrices
de valeur à long terme, en investissant notamment dans des opérations de
diversification internationale ou de développement de nouvelles technologies.
Quant à Philippon (2007), il explicite le rôle des mêmes actionnaires de référence
dans la mise en œuvre de la stratégie et notamment en matière de gestion des
relations sociales, particulièrement en France.

La plupart des recherches menées aux Etats Unis considèrent que l’actionnariat
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est concentré lorsqu’il existe au moins un actionnaire de référence qui détient
plus de 5% du capital mais nous pensons comme Fiss (2006) que l’actionnaire de
référence doit détenir un pourcentage de capital supérieur à ce seuil pour pouvoir
exercer un contrôle effectif, notamment dans le contexte européen. L’extrème
serait de retenir le pourcentage dit de « minorité de blocage » soit 33,3%.
Gedajlovic & Shapiro (1998) mentionnent le chiffre de 25% pour caractériser les
entreprises allemandes dites « à actionnariat dominant ». Nous avons préféré
retenir une position « moyenne » et considérerons donc qu’une entreprise est à
« actionnariat concentré » lorsqu’un actionnaire possède au moins 20% de son
capital. Sur la base de cette définition et des données d’actionnariat disponibles
sur le site Boursorama le 1er Octobre 2006, 60 des sociétés du SBF 120 pouvaient
être considérées comme étant à actionnariat concentré.

- La turbulence du secteur. Carpenter & Westphal (2001) démontrent que dans


un environnement stable, la priorité stratégique est à l’exécution optimisée des

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stratégies existantes et que, dans un environnement turbulent, en revanche, la


priorité stratégique est au développement de stratégies alternatives qui permettent
l’adaptation de l’entreprise à un environnement en changement constant. Il est
ainsi particulièrement nécessaire de « panacher » les administrateurs et de faire
en sorte qu’ils possèdent l’expérience de stratégies différentes (notamment en
matière de diversification et d’internationalisation) afin de réagir de manière
plus rapide et plus efficace. Geyskens, Steenkamp & Kumar (2006) démontrent
eux que les choix stratégiques sont liés à plusieurs critères dont l’incertitude
de l’environnement (subdivisée en trois catégories : incertitude des volumes –
type semi conducteurs -, incertitude technologique – type télécommunications
- et incertitude comportementale – c’est-à-dire incertitude sur le contrôle de la
performance « ex post »). Wiltbank, Dew, Read & Sarasvathy (2006) justifient
eux une révision de la démarche stratégique en fonction de la nature de
l’environnement et du rythme des changements stratégiques (nombre, fréquence,
magnitude).

Nous avons donc défini l’environnement turbulent (complexe, incertain et propice


aux changements stratégiques) comme un secteur ayant subi au cours des 10
dernières années un ou plusieurs choc(s) du(s) à des contraintes de technologie
- passage du verre au plastique pour l’industrie optique -, de régulation - type
transport aérien -, de cycle - type semi conducteurs -, de globalisation - type
textile ou à un mélange des quatre - type télécommunications. Sur la base de
notre définition, 48 sociétés de l’indice pouvaient être considérées comme opérant
dans un secteur turbulent au 1er Octobre 2006. En utilisant la méthodologie
développée par Wiersema & Bantel (1992), nous avons aussi vérifié que
notre notion d’environnement turbulent recouvrait les secteurs où le taux de
concentration se modifiait considérablement du à l’arrivée de nouveaux entrants,
aux sorties d’acteurs historiques et aux consolidations « per se ».
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- La nature des actifs. Aguilera & Jackson (2003) constatent que les employés
jouent un rôle variable selon la participation des employés au capital de l’entreprise
et la portabilité des talents desdits employés (rapides à acquérir et réutilisables
immédiatement à l’extérieur de l’entreprise ou bien longs à acquérir – comme
dans l’industrie lourde – et spécifiques à l’entreprise). Geyskens, Steenkamp &
Kumar (2006) distinguent eux quatre catégories d’actifs : le personnel, les sites,
les équipements et le marques. Enfin Mayer & Salomon (2006) rappellent que
les décisions stratégiques se prennent dans un contexte d’aléas dont l’ampleur
est corrélée à la spécificité des actifs de l’entreprise, à leur appropriabilité et à
leur observabilité.

Nous avons donc défini le capital humain par la valorisation de la propriété


intellectuelle ou d’un portefeuille clients par rapport au capital financier qui
correspond à la détention de marques ou d’actifs immobiliers, de production, de
distribution. Au 1er Octobre 2006 toujours, 36 sociétés du SBF 120 pouvaient

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être considérées comme « dépendantes » de leur capital humain (fonds


d’investissement, sociétés de conseil et de service au sens large).

2.3 La constitution de l’échantillon et la réalisation des


interviews
Nous avons retenu au moins une entreprise dans chacune des 8 catégories
répertoriées en fonction des critères ci-dessus: actionnariat (dispersé ou
concentré), environnement (stable ou turbulent) et capital (humain ou financier)
et nous avons abouti à une liste de 12 entreprises, certaines des 8 catégories
nous paraissant justifier la présence d’une deuxième « entreprise type », par
exemple, dans la catégorie « actionnariat dispersé, environnement stable, capital
financier important » , Axa vend des services d’assurance et Lafarge du ciment
et du béton prêt à l’emploi (cf tableau 1 en fin de paragraphe : synthèse des
interviews).

Un premier canevas d’entretien a ensuite été conçu en fonction de l’expérience


d’administrateur de l’auteur et de la revue de littérature précédemment décrite. Ce
canevas a ensuite été validé par 3 administrateurs: Philippe Bissara, administrateur
d’Alcatel, Jim Leng, Président non exécutif de Corus et administrateur de Alstom
et Xavier Marin, membre du directoire d’Eurazeo.

Le guide d’entretien final aborde les thèmes suivants :

1. L’expérience et la formation de l’interviewé : Age ? Etudes ? Nationalité ?


Langues parlées ? Sports pratiqués ? Autres hobbies ? Quelle a été votre
expérience professionnelle jusqu’à ce jour ? Cadre dirigeant ou entrepreneur
propriétaire ? Dans l’industrie ou la finance ? En France ou à l’étranger ? Autre
cas de figure : professeur, propriétaire non exécutif… ? A quel âge avez-vous eu
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votre premier poste d’administrateur ? Dans quelles circonstances ? Combien
avez-vous de postes d’administrateur aujourd’hui ? Dans des sociétés cotées ?
Dans des sociétés non cotées ?

2. Les opinions de l’interviewé sur le profil et le comportement d’un « bon


administrateur » : Que pensez vous être les prés requis pour un bon
administrateur ? Que doit il/elle savoir ? Que peut il/elle apprendre ? Avez-vous
suivi ou envisagez vous de suivre une formation qui vous permette que vous
pensez être nécessaire à votre bonne prestation d’administrateur ? Lisez vous
régulièrement des journaux ou revues dans ce sens ? Pensez vous qu’il puisse
y avoir échange de bonnes pratiques entre administrateurs ? Comment ?

3. La caractérisation par l’interviewé d’une entreprise qui a des « bonnes


performances » : Sur quels critères jugez vous la bonne performance d’une
entreprise ? Le cours de bourse est il selon vous un critère suffisant ? Si non, quels

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Organisation de la gouvernance et stratégie
d’entreprise : état des lieux des 120 premières
sociétés françaises cotées

sont les autres ? Les financiers : RN, free cash flow, ROCE, valeur d’actif…? Les
non financiers : position concurrentielle, nombre de brevets, qualité des équipes,
satisfaction des clients…? Sur quel laps de temps les estimez vous ? Comment
doit on arbitrer entre les critères de performance court terme et long terme ?

4. La définition par l’interviewé de ce qu’est une « décision stratégique » : Qu’est


ce pour vous qu’une décision stratégique ? Un investissement ou une cession
au-delà d’un certain niveau ? Lequel ? Le mode d’investissement lui-même
(croissance organique, acquisition, alliance) ? Un recrutement ou un licenciement
au-delà d’un certain niveau ? Lequel ? Un changement d’organisation ? Un
nouveau mode de rémunération des cadres dirigeants ? Un choix de sous-
traitance ou de recours à un consultant ? La décision de déposer ou non un
brevet ? De concéder ou non une licence ? Autre ?

5. La compréhension ou les souhaits de l’interviewé en ce qui concerne le


rôle de l’administrateur dans la prise de décision stratégique et le suivi de son
application :que pensez vous être le rôle d’un administrateur dans cette prise de
décision ? Préparation de la décision ? Comment ? Décision elle-même ? Sur
quels fondements (implications fiscales pour l’actionnaire, timing et sécurisation
des résultats escomptés, disponibilité et qualité de l’équipe chargée de l’exécution,
impact attendu sur l’image de l’entreprise auprès de la communauté financière…) ?
Exécution de la décision ? Avec quels critères de performance (risque, rythme,
profitabilité) ? Et comment (rapports internes sur la base de critères prédéfinis,
audits commandités en externe à intervalles réguliers) ? Doit il/elle participer à
une approbation de plan stratégique pour l’entreprise ? Et ensuite se prononcer
sur les seules décisions qui sortent de ce plan ? Ou bien doit il/elle être consulté(e)
sur chaque décision individuelle ? A quel moment doit il/elle être informé(e) ?
Peut il/elle se contenter d’une présentation par l’équipe dirigeante ? Doit il/elle
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avoir la possibilité (et, si oui, dans quelles circonstances) d’interroger les cadres
opérationnels concernés ? Ou de commanditer une étude à un consultant de son
choix ?

6. Synthèse sur le thème du rôle de l’administrateur en matière de stratégie : Sur


la base des réponse précédentes, que pensez vous être, non seulement le rôle
mais la responsabilité d’un administrateur en matière de décision stratégique ?
Enfin, comment résumez vous votre expérience d’administrateur à ce jour ? Les
points forts ? Les difficultés rencontrées ? ».

Le tableau 1 ci-dessous donne les caractéristiques de chacune des sociétés de


l’échantillon ainsi que le nombre d’interviews d’administrateurs effectuées dans
chacune d’entre elles.

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Tableau 1 : Synthèse des interviews réalisées.


Société Actionnariat Environnement Capital Nb d’interviews
Alcatel Dispersé Turbulent Humain 5
Assystem Dispersé Turbulent Humain 6
Axa Dispersé Stable Financier 7
Bourbon Concentré Stable Humain 6
Essilor Dispersé Stable Humain 5
Eurazeo Concentré Stable Humain 6
Imerys Concentré Stable Financier 5
Ipsos Concentré Turbulent Humain 7
Lafarge Dispersé Stable Financier 6
Plastic Omnium Concentré Turbulent Financier 6
Remy Cointreau Concentré Stable Financier 4
Société Générale Dispersé Turbulent Financier 5

3. Résultats

Au fur et à mesure des entretiens, nous avons décidé de différencier les


administrateurs dits « actionnaires » dont l’implication et l’influence sont liées à
leur détention de capital et ceux dits « experts » qui tirent leur influence de leur
réputation dans leur(s) domaine(s) d’expertise, de distinguer les administrateurs
dits « patrimoniaux » (familles ou entrepreneurs) qui privilégient plutôt le
maintien du contrôle et la pérennité de l’entreprise et les administrateurs dits
« institutionnels » (banques et fonds d’investissement) qui privilégient plutôt
la création de valeur court terme et la liquidité de leurs participations, puis de
constituer deux catégories d’experts : les experts dits secteur et les experts dits
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fonctionnels et enfin de retenir l’expérience internationale (en termes d’études,
de postes opérationnels et de mandats non exécutifs) comme un élément clé
de catégorisation d’un administrateur. Et pour chacun de ces types, nous avons
caractérisé la contribution stratégique que les administrateurs eux-mêmes
entendent apporter au conseil.

Ce qui donne 5 types d’administrateurs : actionnaire patrimonial (AP), actionnaire


institutionnel (AI), expert secteur (ES), expert professionnel (EP) et expert global
(EG).

En croisant les données issues des 62 interviews (9 dans la catégorie AP, 11


dans la catégorie AI, 12 dans la catégorie ES, 17 dans la catégorie EP et 13
dans la catégorie EG), nous confirmons la typologie et différencions clairement
les cinq catégories d’administrateurs identifiées précédemment (cf. tableau 2
ci-dessous : Typologie des administrateurs interviewés et compréhension de la

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d’entreprise : état des lieux des 120 premières
sociétés françaises cotées

contribution stratégique de chacun des types).

A noter par ailleurs la différence des types de formation : entre les deux extrêmes
(les administrateurs « actionnaires patrimoniaux » à profil quasi-exclusivement
universitaire et les administrateurs « actionnaires institutionnels », avec des
diplômés uniquement de Polytechnique, ENA et Sciences Po Paris), la palette de
profils est large, surtout quand il s’agit d’administrateurs « experts globaux ».

Tableau 2 : Typologie des administrateurs interviewés et contribution stratégique de


chacun des types.
Type Formation Type de Qualités Définition des Contribution Critères de
d’administrateur compétence Individuelles décisions attendue des performance
Attendues stratégiques administrateurs de
l’entreprise
Tous types (62) Courage Acquisitions Vérifier les
Bon Cessions et hypothèses de
Sens Diversification profitabilité, de
Disponibilité au-delà d’un risque et de «
temps certain seuil timing »
Actionnaire Universitaire Individuelle + Écoute Idem Idem Qualité des
Patrimonial (9) + Capacité de équipes
consensus Cash,
Fonds de
Commerce
Actionnaire X, IEP, ENA Individuelle + Vision long Idem + Contrôler Qualité des
Institutionnel ou collective terme l’exécution équipes
(11) au niveau + Faire (mais pas pour Cash
du conseil prendre des indépendants) Croissance
décisions
Expert Secteur X, IEP, ENA Collective + Expérience + Création de + Sécuriser Capacité
(12) + HEC, Ponts, au niveau des capacités l’accès à d’innovation
ENS du conseil responsabilités l’information Croissance
+ Rigueur + Travaux en Part de
+ Rapidité comités marché
Expert X, IEP, ENA Collective + Rémunération + Contrôler Résultat net
Professionnel + HEC, Ponts, au niveau / développement l’exécution et Cash
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(17) ENS du conseil des dirigeants l’allocation des Croissance
+ ressources Part de
Universitaires (moitié des marché
+1 interviewés) Qualité des
autodidacte équipes
Expert Global Universités Collective + Croissance + Contrôler Varient
(13) américaines + au niveau organique l’exécution et selon la
X, IEP, ENA du conseil (produit l’allocation des personne
+ HEC, nouveau, ressources interviewée
Mines, Essec marché (2/3 des
nouveau, interviewés)
création de
capacités)

4. Discussion

Nous savons que la mise en commun des ressources est d’autant plus pertinente
quand il s’agit de ressources en capital humain car elles sont tacites, socialement
complexes et difficiles à s’approprier (Carpenter, Sanders & Gregersen, 2001).

77
17

Par ailleurs, toute décision est la conséquence logique des limitations cognitives
des personnes qui la prennent ainsi que des informations par nature incomplètes
qui leur sont présentées pour la prendre (Brown, 1994).

Les entreprises de grande taille (et donc à structure complexe) ont donc intérêt à
favoriser l’échange des informations au niveau du conseil d’administration afin de
mieux contrôler leur environnement (Pichard-Stamford, 2000).

L’échange d’informations sera encore accru par une forte proportion


d’administrateurs que nous appelons « experts professionnels » ou « experts
globaux » car ils ont généralement des liens avec un plus grand nombre de firmes
que les autres types d’administrateurs (du fait de la variété de leurs expériences
et aussi de la variété de leurs processus de formation).

Ces experts « professionnels » ou « experts globaux » attachent d’ailleurs


plus d’importance à leur rôle en matière d’accompagnement de l’exécution de
la stratégie et en matière d’allocation des ressources que les trois premières
catégories d’administrateurs qui attachent plus d’importance à leur rôle de contrôle
de la conception de la stratégie et, pour les experts dits « secteur », à celui de
sécurisation de l’information servant de base aux décisions stratégiques.
L’augmentation de la proportion des « experts professionnels » et « experts
globaux » a encore l’avantage d’accroître la visibilité (positive) de l’entreprise
aux yeux de ses partenaires financiers (actuels ou futurs) et donc la variété des
canaux de financement de ses projets.

La composition du conseil joue donc un rôle clé et elle doit s’adapter tant aux
différentes étapes de développement – croissance, restructuration, globalisation,
délocalisation …- de l’entreprise (Carpenter, Pollock & Leary, 2003) qu’à son
contexte national, culturel et réglementaire (Fiss, 2006).
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Les administrateurs ont aussi maintenant eu le temps de « digérer » les nouvelles
contraintes de conformité issues de la loi Sarbanes Oxley et des lois similaires
votées dans les pays européens et ils doivent se focaliser désormais sur leur rôle
stratégique qui est d’autant plus important aujourd’hui que la création de valeur
des entreprises passe essentiellement par l’innovation et la croissance (Carey &
Patsalos Fox, 2006).

Enfin la collaboration entre les dirigeants exécutifs et non exécutifs est encore
plus importante quand le succès économique se fonde plus sur une dynamique
de croissance et d’innovation que sur des problématiques d’efficience héritées de
la tradition fordiste (Hamel, 2006 ; Makri, Lane & Gomez Mejia, 2006 ; Margerie,
in Bournois & al, 2007 ; Philippon, 2007).

Il nous semble donc que les résultats de cette étude vont dans le sens de

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sociétés françaises cotées

l’approche multi théorique avancée en première partie : la proportion de nos


différents types d’administrateurs dans un conseil donné aura un impact important
sur la compréhension que ce conseil se fera en la matière de sa contribution aux
décisions stratégiques de la société : contrôle de la conception de la stratégie
(théorie de l’agence), contrôle de l’information (théorie de l’aléa moral), allocation
des ressources (théorie de l’intendance), accompagnement de l’exécution
(théorie de la dépendance des ressources).

Conclusion

Notre travail de recherche nous a permis d’identifier 5 types d’administrateurs


dont nous avons pu différentier les formations, les expériences, les opinions et
surtout la nature de leurs contributions aux décisions stratégiques des conseils
auxquels ils appartiennent.

Mais ceci ne nous semble être qu’un début.

Nous pouvons déjà utiliser les résultats de cette recherche pour modéliser le rôle
et la composition des conseils en fonction de critères de caractérisation de la
réalité de l’entreprise décrits dans notre partie méthodologique : concentration de
l’actionnariat, stabilité du secteur et nature des actifs (Hambrick, 2007 ; Margerie,
2007).

L’on pourra bien sûr étendre le champ de cette étude en utilisant des méthodes
quantitatives qui permettraient d’évaluer la proportion de chacun de ces 5 grands
types d’administrateurs au sein de la population complète des administrateurs
du SBF 120 et répéter chaque année l’exercice afin de suivre les tendances
d’évolution.
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Il serait ensuite intéressant d’étudier la corrélation entre la proportion de nos
cinq catégories d’administrateurs et les catégories de décisions stratégiques
faites par le conseil telle qu’elles ressortent des procès verbaux desdits conseils.
Ceci devrait permettre d’expliciter les résultats jusqu’ici non probants des études
portant sur la corrélation entre la proportion d’administrateurs indépendants et la
performance financière à long terme de l’entreprise (Bhagat & Black, 2002).

L’on pourra enfin développer cette recherche à des fins de comparaison


internationale (Caby, 2006), et en observant notamment le rôle des médias car
comme le note Zingales (2000) « la structure et le contrôle de l’industrie des
médias, qui forme l’opinion publique et donc la création de réputation, ont été
largement ignorées dans la littérature qui compare les systèmes de gouvernance
nationaux et pourtant cela ne joue pas un rôle secondaire ».

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