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Jacques Igalens, Doha Sahraoui
Dans Management & Avenir 2010/8 (n° 38), pages 276 à 292
Éditions Management Prospective Ed.
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.038.0276
© Management Prospective Ed. | Téléchargé le 05/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.67.133.31)
Résumé
Abstract
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Bien qu’inscrite depuis longtemps dans les textes juridiques l’égalité de traitement
des hommes et des femmes dans l’entreprise a longtemps été bafouée. Il a
fallu attendre l’irruption de la notion de « responsabilité sociale de l’entreprise »
(RSE) pour que le thème de l’égalité et celui de la diversité soient sérieusement
abordés par les directions générales et les directions des ressources humaines.
Les Entreprises Multinationales, EMN, en vue du double enjeu performance/
équité auxquelles elles font face, ont été les premières à adopter ces politiques,
notamment dans le cas de l’intégration des femmes au sein de toutes les
instances. Dans le cas de ces entreprises, les politiques de « féminisation » sont
décidées de manière stratégique au niveau de la maison mère et puis déclinées
dans les filiales de par le monde. Le résultat est comparé et vérifié à travers des
quotas de présence féminine exigée, qui sont considérés comme un indicateur
de bonne gestion des femmes. Or, ces indicateurs ne peuvent pas à eux seuls
être le reflet de la réalité que vivent les femmes en interne.
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La question que nous nous posons est de savoir si ces politiques sont adéquates
et adaptées à tous les contextes ? L’ordre de priorité fixé par la maison mère
ne serait il pas différent d’un contexte à un autre ? Autrement dit : les EMN
devraient-elle contextualiser leurs pratiques de gestion de la diversité et d’égalité
professionnelle ?
On peut s’étonner que dans le livre vert de l’union européenne qui recommande
l’égalité entre les différentes catégories de salariés, les femmes soient dans
le même lot que les minorités ethniques, les travailleurs âgés, les chômeurs
de longue durée et les personnes défavorisées sur le marché de l’emploi. Ce
constat est renforcé par la classification sur les renseignements tirés des thèses
en GRH en France et édité dans la revue de l’AGRH, où on ne pourrait classer
les problématiques que vivent les femmes dans leur lieu de travail que dans
la catégorie « gestion des catégories particulières de personnel ». Cependant,
aujourd’hui la diversité des équipes dirigeantes, est un indicateur de performance
de l’entreprise. La législation, l’environnement macro- économique171 et l’évolution
sociale, poussent les entreprises vers une intégration des femmes. Les entreprises
ont malgré tout du mal à réussir cette intégration. De par le monde les chiffres
des femmes dans les postes de responsabilité sont encore faibles : 10% dans les
entreprises du CAC 40, un peu moins de 9% de femmes dirigeantes au Maroc
concernant les comités de direction. Le bilan social français permet de mesurer
la proportion de femmes cadres et, à de très rares exception près (L’Oréal) cette
proportion est toujours inférieure au pourcentage de femmes dans l’effectif total.
Au Maroc, cette perception de « cause sociale » de la situation de la femme est
plus accentuée. Pour illustrer ce propos nous présentons deux exemples.
171. Dans leurs differents sites web (BIT, Banque mondiale et OMC) recommandent l’intégration des femmes à l’économie afin de
garantir le développement.
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sont répertoriées comme de « bonnes pratiques » sans que leur efficacité et leur
efficience soient toujours démontrées.
Pour pallier ces failles, une vision plus globale et stratégique a été intégrée au
sein des entreprises. Le management de la diversité a pour but que chaque
employé maximise son potentiel et sa contribution à l’entreprise. Le management
de la diversité ne consiste pas à renier les différences mais plutôt à les valoriser
et les mettre en avant. Ainsi les politiques de gestion de la diversité, valorisent
les différences et justifient que l’on utilise les femmes là où leur présence est
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Une dernière approche est celle adoptée par Konrad et Linnehann (1995)
reprise dans les travaux de Bender (2004). Cette contribution distingue entre
les pratiques dites universelles qui s’appliquent à tous et les pratiques
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regard du contexte local
Dans la pratique, les entreprises désireuses d’intégrer les femmes dans les
équipes dirigeantes choisissent ou combinent l’une ou l’autre de ces catégories,
en fonction de la culture de l’entreprise, son histoire, ses objectifs mais également
son degré de féminisation. Plusieurs travaux et recherches174 reprennent les
meilleures pratiques adoptées par les entreprises afin de réussir l’intégration des
femmes au sein des instances de directions. Nous pouvons les catégoriser de la
manière suivante :
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Femme et Islam : L’impact de la religion sur la femme au Maroc est d’autant plus
difficile à saisir, que le contexte marocain représente une ambiguïté complète par
rapport à la question même du religieux.
D’une part, selon la constitution, l’Etat marocain est un Etat dont la religion
est l’islam, ainsi le Maroc est un contexte où le discours laïc est pratiquement
inexistant et où la classe politique entretient une certaine opacité sur le rôle
qu’elle pense faire jouer à la religion175.
D’autre part, le discours porté sur la place de la religion diffère d’une catégorie à
une autre ce qui fait vivre une réelle dualité à la femme marocaine par rapport à
l’impact même de la religion. Même si le Maroc, connait une montée des pratiques
islamiques. Ces mêmes pratiques demeurent mitigées au sein des entreprises.
Selon une étude publiée par la vie économique sur la vie des cadres176, les
entreprises n’auraient pas une organisation tenant réellement compte des
obligations de prière, mais toutes composent en fonction de la pression des
salariés et de contraintes de productivité et de performance.
175. «L’islam au quotidien » (2007), M.ELAyadi, Hassan Rachik, et M.tozy, Editions prologues.
176. www.vieeconomique.ma dossier Août 2008
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Autre signe fort de la religion mitigée au sein des entreprises est le port du voile.
Une femme qui porte le voile, mais également le style de voile qu’elle porte
(Colorée ou sobre) entrainerait des réactions controversées. Ces réactions
seraient justement la cause de discrimination que subissent les femmes au sein
des entreprises. Qu’elles soient favorisées ou discriminées, les femmes voilées
sont dans tous les cas stigmatisées au sein des entreprises.
Paradoxalement, alors que la volonté politique est de mettre les femmes en avant
en matière de gouvernance, les urnes ainsi que les partis politiques (au vu des
nombres de femmes présentées sur chaque liste électorale), démontrent que
les hommes et femmes sont encore hostiles à la participation des femmes à la
politique.
Pour conclure, on peut avancer que aujourd’hui la femme cadre vit une situation
délicate. Pour plusieurs raisons, d’abord d’un point de vue légal, la protection de
son égalité avec l’homme est très floue, et laisse place à diverses interprétations.
Ensuite, sur un plan religieux, elle se doit de respecter son statut de musulmane,
177. Malika Benradi 2000, femme et Gouvernance.
178. www.leconomiste.ma, 2007,in Dossier salaires des cadres.
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tout évitant d’en donner un signal flagrant avec le port du voile. Enfin, d’un point
de vue économique, malgré l’importance donnée à la femme pour maintenir un
développement économique. Cette place ne se ressent pas dans les chiffres et
indicateurs économiques de l’Etat. On constate néanmoins, de part et d’autres des
initiatives individuelles ou associatives visant à promouvoir le statut de la femme.
Ces initiatives manquent de soutien institutionnel fort, et sont compromises par
une mentalité encore très patriarcale179. On est loin des marches américaines
sous le slogan du « we are all one, we are women ! » ou du slogan chinois « les
femmes sont la moitié du ciel ».
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diversité. Le plus souvent elles ont adopté une politique, qui s’apparente à la
politique de la maison mère, mais avec des degrés d’évolution différent de la
maison mère et des autres filiales. Aujourd’hui la question que nous nous posons
c’est de savoir si ces pratiques adoptées correspondent aux besoins du contexte
national. Pour répondre à cette question, nous présenterons les pratiques de trois
Multinationales qui opèrent dans différents secteurs, nous analyserons par la
suite les pratiques de ces multinationales en fonction des exigences du contexte
marocain où évoluent les femmes cadres marocaines.
Nous avons effectué 6 entretiens dans les 3 EMN, ces entretiens ont duré en
moyenne 1h30. Les différents entretiens ont été enregistrés et retranscris.
A travers l’analyse thématique horizontale et verticale et les documents de
l’entreprise nous avons pu aboutir aux résultats suivants.
Les politiques pratiquées au sein de ces entreprises sont initiées et contrôlées par
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la maison mère. Tout en donnant aux filiales une grande marge de manœuvre,
pour l’application des pratiques et la réalisation de quotas d’égalité.
Le tableau ci-dessous reprend les pratiques dédiées aux femmes dans ces trois
multinationales :
Pratiques de
A B C
féminisation
- La direction soutient les - Un soutien du Management - Culture de gestion de la
politiques de féminisation des politiques de féminisations, diversité,
initiées par la maison
mère. - Des politiques de - Les politiques de diversité
féminisations formalisées avec sont gérées directement
Soutien de la
- L’engagement de des objectifs chiffrées. par la maison-mère,
Direction
la direction dans les
politiques de féminisation - Soutien de la direction
est relativement récent locale des politiques de
(5 ans) gestion de la diversité.
- Descriptif de postes - Descriptif de postes clairs - Descriptif de postes clairs
clairs et neutres des et neutres des références au et neutres des références
références au genre. genre. au genre
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On serait tenté d’avancer que ces EMN arrivent à renverser l’injustice sociale
que subissent les femmes. Or, une analyse plus détaillée de ces pratiques fait
ressortir quelques carences. Malgré l’adoption des pratiques d’égalité, ces EMN
ne comptent pas plus de deux femmes au comité de direction de chacune des
entreprises. Au vu du contexte local, ces pratiques présentent des failles. Premier
point de cassure l’inexistence ou presque de pratiques de conciliation du conflit
travail famille, dans une société où justement le conflit travail famille pèse lourd
sur les femmes managers. Les programmes de travail partiel/ ou de « working
from home » existent mais ne sont pas accompagnés d’une sensibilisation des
managers homme ou femme sur leur intérêt et leur apport. Dans un pays où le
e-travail n’est pas encore banalisé, choisir ce genre de programme reviendrait
à s’auto-limiter dans la perception des managers. Dans la même optique, la
maternité ne bénéficie pas d’un accompagnement de l’entreprise. A part le congé
de maternité imposé, aucun accompagnement formel n’est mis en place. Alors que
le congé de maternité est la boule de fer des carrières féminines (Laufer, 1997 ;
Debry, 2004, Bender, 2004). Même si la promotion des femmes est encouragée,
en l’absence de services dédiées à la personne pris en charge par l’entreprise,
l’accès des femmes à des postes de décision est rare, car une responsabilité
en plus au sein de l’entreprise vient en sus des responsabilités familiales dont
elle a la charge quasi-complète. De plus, dans ces multinationales, l’expatriation
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Le denier point est la formation, dans un pays où rares sont les modèles
féminins de dirigeantes, la formation est un moyen privilégié pour sensibiliser les
femmes sur leurs capacités en tant que leader, ainsi que sur les opportunités
de carrière (Kanter, 1997). L’absence de ces programmes conduirait à un auto-
plafonnement des femmes, ces dernières estimant que, en tant que femmes
elles seraient inadéquates avec certaines responsabilités de management. On
constate que la volonté d’égalité existe dans ces EMN. Une volonté appuyée par
la mise en pratique de politiques d’égalité professionnelle. Or, ces pratiques ne
règlent pas entièrement la question qui est dépendante du contexte dans lequel
évolue l’entreprise. La prise en compte des orientations de l’entreprise en matière
d’égalité et l’adaptation des politiques aux différents environnements (religieux,
culturel, sociétal) doivent aller de pair. L’appropriation des objectifs d’égalité
hommes/femmes dans des pays tels que le Maroc passe obligatoirement par
l’adaptation des politiques et des programmes aux idiosyncrasies marocaines.
La théorie de la contingence a démontré l’importance de la prise en considération
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Conclusion
Au Maroc, comme en France les « gender studies » ont une place institutionnelle
très effacée, pour ne pas dire inexistante. Les psychologues, les sociologues,
les anthropologues s’intéressent à la place et au statut de la femme dans la
société mais le regard posé sur les liens entre travail et famille est encore très
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Références bibliographiques
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