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Le management du travail, condition de réussite du

management de la diversité
Yvan Barel, Sandrine Frémeaux
Dans Management & Avenir 2013/8 (N° 66), pages 85 à 102
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.066.0085
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Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

par Yvan Barel24 et Sandrine Frémeaux25

Résumé
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Confrontées à de nouvelles obligations légales en matière d’égalité
professionnelle mais aussi en matière d’intégration des séniors et des
personnes en situation de handicap, les directions d’entreprise adoptent
des attitudes variées, allant d’une attitude réactive minimaliste à une
approche proactive consistant à réaliser une véritable politique d’intégration
professionnelle. S’appuyant sur 31 entretiens semi-directifs réalisés auprès
de DRH et de chargés de mission diversité, cette étude montre comment
la réussite d’un management proactif de la diversité tient à l’importance
accordée par la Direction à une approche managériale du travail et non à
une approche catégorielle ou psychologisante de la diversité.

Abstract

Confronted with new legal requirements concerning professional equality,


the integration of seniors and persons with disabilities, business managers
adopt various attitudes, ranging from a minimalist reactive attitude to a
proactive approach consisting in a true professional integration policy. Based
on 31 semi-structured interviews conducted with HR and diversity project
managers, this study shows how a successful proactive management of
diversity is linked to the importance given by management to a managerial
approach to work rather than a categorical or psychological approach to
diversity.

Réalité de plus en plus étudiée et dénoncée dans l’espace public, la discrimination


dans le monde du travail touche plus particulièrement les personnes qui s’écartent
du modèle normatif construit par la société (Amadieu, 2002). La diversité, version
positive et managériale de l’anti-discrimination (Bereni, 2009), fait désormais
partie intégrante des discours des directions d’entreprise. Pour autant, dépasser
le cap de la simple promotion de la diversité n’est pas aisé. Le management de
la diversité consiste à s’affranchir des normes et des stéréotypes pour se centrer
sur la personne avec ses qualités et ses défauts indépendamment de la catégorie
dans laquelle elle se retrouve classée de façon souvent hâtive et irréfléchie.

24. Yvan Barel, Maître de conférences HDR, LEMNA, Université de Nantes, yvan.barel@univ-nantes.fr
25. Sandrine Frémeaux, Professeur, Audencia. Nantes - École de management, sfremeaux@audencia.com

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Ce management est touché par l’opposition existante entre les deux visions de la
responsabilité sociale de l’entreprise : une conception néoclassique pour laquelle
une initiative sociale n’a lieu d’être que si elle est profitable aux actionnaires et
une conception éthique qui affirme l’existence d’un devoir moral de l’entreprise
d’agir de manière socialement responsable (Donaldson et Preston, 1995).
Cette distinction est devenue celle opposant la vision pragmatique ou utilitariste
qui instrumentalise la diversité à des fins économiques à la vision éthique ou
responsable qui analyse la problématique de la diversité en termes sociétaux.
Les travaux plus précis de Dass et Parker (1999) ont mis en exergue quatre
approches de la gestion de la diversité. L’approche fondée sur la « résistance »
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nie la problématique de la diversité et tend à invoquer l’analyse morale pour
justifier l’inaction au plan collectif. L’approche fondée sur la « discrimination » et
la justice sociale a eu ce mérite d’influencer diverses régulations (Ely et Thomas,
2001), mais risque d’aboutir à une discrimination positive qui vise un équilibre
statistique sans prendre nécessairement en compte les difficultés réelles
d’intégration (Bender et Pigeyre, 2004). L’approche fondée sur l’« accès » des
individus à l’entreprise en fonction des capacités réelles et des compétences
risque de privilégier l’amélioration de la performance individuelle à la lutte contre la
marginalisation des minorités à certaines fonctions (Gagnon et Cornélius, 2000).
Enfin, l’approche de l’« efficacité » d’une gestion de la diversité est visiblement
fondée sur le postulat d’un lien entre diversité et performance. Aucune de ces
approches n’est parfaitement satisfaisante.

Tandis que les études académiques foisonnent sur ces différentes approches
(Sabeg et Charlotin, 2006 ; Peretti, 2007 ; Barth et Falcoz, 2007 ; Cornet et
Warland, 2008), les obligations légales qui sont souvent inspirées de la logique
de discrimination positive se multiplient. Dans la continuité de la loi du 10 juillet
1987, la loi du 11 février 2005 augmente la contribution compensatrice à verser
à l’Agefiph en cas de non respect de l’obligation d’emploi d’au moins 6% de
travailleurs handicapés. La loi du 17 décembre 2008 relative à l’intégration des
séniors et la loi du 9 novembre 2010 relative à l’égalité professionnelle imposent
également des pénalités en cas d’inobservation de l’obligation d’effectuer des
plans d’actions. Dans tous les cas, on peut observer une diversité d’attitudes
des responsables par rapport à ces nouvelles contraintes légales : de l’approche
réactive consistant à faire le minimum en se limitant à la réalisation de rapports
ou de recrutements ciblés à l’approche proactive qui consiste à réaliser une
véritable politique d’intégration professionnelle des personnes handicapées, des
séniors ou des femmes en transformant la culture d’entreprise, le management
et les pratiques RH (Point et al., 2010). L’attitude proactive vise à aller au-delà
d’une lecture minimaliste de la loi, mais aussi à dépasser une vision minimaliste
de la fonction managériale. L’une des particularités du comportement proactif est
d’avoir une visée transformative de soi et de l’environnement (Grant et Ashford,
2008), et de traiter ou résoudre des problèmes en allant au-delà des frontières
des métiers (Morrison, 2006, p. 8).

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Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

Pour quelles raisons certains Directeurs de Ressources Humaines (DRH) ou


chargés de mission diversité font-ils le choix d’agir en faveur de la diversité
de façon proactive ? La littérature existante suggère différentes explications :
la motivation économique (Amadieu, 2006), le sens donné à l’action (Barel et
Frémeaux, 2010) ou la conscience juridique (Barel et Frémeaux, 2012). Cette
dernière étude montre que même une approche positive des obligations légales
n’amène pas toujours les DRH à adopter un comportement proactif faute de
dynamique managériale.

Le management du travail comme condition de succès d’une politique de la diversité


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et comme source potentielle de performance avait déjà été mis en évidence par
Bruna et Chauvet (2010). Dans le prolongement de ces travaux, cette étude a
pour objet de mieux comprendre ce que pourrait être un management proactif
de la diversité. S’appuyant sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès de
DRH et de chargés de mission diversité, cette étude montre que la réussite d’un
management proactif de la diversité tient à l’importance accordée par la Direction
à une approche managériale du travail et non à une approche catégorielle ou
psychologisante de la diversité.

1. Cadre théorique

La littérature académique montre que les pratiques des entreprises en matière


de diversité varient en fonction du sens donné aux actions de la diversité et
à la contrainte légale. Les acteurs ont une attitude d’autant plus positive et
proactive qu’ils voient le management de la diversité comme une déclinaison du
management du travail.

1.1. Le sens donné aux actions de la diversité et à la contrainte


légale
Les raisons pour lesquelles des DRH ou des dirigeants choisissent de mettre en
pratique un management de la diversité sont explorées dans la sphère académique
sous différents angles. L’argument le plus souvent invoqué pour expliquer une
démarche de la diversité est d’ordre économique. D’une part, parce qu’en dépit des
réserves exprimées par Garner-Moyer (2006), Besseyre des Horts et Salle (2007),
Levet (2007), Naschberger (2008) ou Cornet et Warland (2008) selon lesquelles
une approche de la gestion de la diversité en termes de gains financiers peut
aussi engendrer des exclusions, la plupart des travaux académiques cherchent
à présenter la diversité comme une source de performance économique ou
sociale. La diversité peut favoriser l’innovation et l’ouverture (Amadieu, 2006)
et rassurer les parties prenantes (Frimousse et Peretti, 2007). D’autre part, le
dispositif législatif lui-même sanctionne le non respect des obligations légales par
des pénalités qui seraient la principale raison mise en avant par les entreprises

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françaises pour justifier les démarches réalisées, notamment en matière


d’intégration des personnes handicapées (Sabeg et Charlotin, 2006, p. 162).

Pour autant, le management de la diversité n’est pas mis en place dans les
entreprises pour des raisons exclusivement économiques et financières. Une
analyse des discours stratégiques montre que les DRH et dirigeants d’entreprises
valorisent rarement la diversité comme une source de performance et d’avantage
compétitif (Point et Van Singh, 2005). Les visions fondées sur la discrimination
et les compétences sont plus fréquemment exprimées par les dirigeants que
celles qui s’appuient sur l’efficacité et la performance. De façon plus générale,
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il est impensable de restreindre le sens de l’action à son aspect économique
(Brief et Nord, 1990). Les travaux psychologiques portant sur le sens du travail
(Isaksen, 2000 ; Morin, 2008) ont dénoncé l’emprise des exigences économiques
en montrant que le travail constitue une nécessité vitale pour le développement
de la personne indépendamment de l’aspect économique. S’interrogeant sur les
motivations réelles qui sous-tendent les actions de la diversité, et en particulier
les actions d’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap,
Barel et Frémeaux (2010) relèvent trois points d’entrée du sens que les DRH
et chargés de mission donnent aux démarches d’intégration des personnes en
situation de handicap : l’autonomie dont ils bénéficient particulièrement dans
l’exercice de cette mission, la qualité de la relation avec chacun des salariés et
le sentiment que les démarches sont bénéfiques aux personnes en situation de
handicap. Cette étude montre que le sens donné aux actions de la diversité est
intimement lié au sens donné au travail.

De même que les attitudes des DRH en matière de diversité sont fonction du
sens qu’ils prêtent aux actions d’intégration, elles sont également liées à la façon
dont ils appréhendent la contrainte légale. Ewick et Silbey (1998) envisagent
les approches du droit en questionnant les perceptions du sens, de l’autorité
et des pratiques du droit. Ces auteurs ont classé les perceptions cognitives
du droit en trois catégories : la « résistance » (on envisage le droit comme un
pouvoir arbitraire contre lequel on se sent impuissant), le « jeu » (on utilise le
droit conformément à ses propres intérêts) et la « conformité » (on reconnaît
l’autonomie revendiquée par le droit lui-même). Observant les pratiques
d’entreprise dans le domaine de l’intégration professionnelle des personnes
handicapées, Point et al. (2010) opposent deux attitudes : l’attitude « réactive »
qui consiste à se limiter au minimum légal en faisant uniquement progresser le
taux d’emploi ou en privilégiant le versement de pénalités ; l’attitude « proactive »
qui vise à mettre en place une véritable politique d’intégration des personnes en
situation de handicap. Everaere (2010) dénonce les risques de stigmatisation
en évoquant la normalisation des outils, la prédéfinition des postes de travail
jugés compatibles avec des handicaps ou les facilités de reclassement dans
l’administratif et souligne l’intérêt de pratiques managériales telles que la
nomination de responsables ou l’approche par compétences. Reprenant le cadre

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Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

théorique d’Ewick et Silbey (1998) et la distinction élaborée par Point et al. (2010),
Barel et Frémeaux (2012) proposent une typologie affinée des attitudes face à
la contrainte légale et distinguent quatre attitudes : l’attitude réactive « passive »
inspirée par la résistance, l’attitude réactive « instrumentale » inspirée par le
jeu, les attitudes proactive et réactive « contrainte » inspirées par la conformité
(Tableau 1).

Tableau 1 : Typologie des attitudes à l’égard de la loi


Approches du Attitudes à l’égard Typologie des
droit de la loi du attitudes
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11/02/2005 Pratiques des entreprises
(Ewick et Silbey, (Barel et
1998) (Point et al., 2005) Frémeaux, 2012)
proactive proactive Véritable politique d’intégration
Négociations obligatoires et paiement des
conformité pénalités
réactive contrainte
Absence de véritable politique d’intégration
en raison du déficit managérial

réactive Négociations obligatoires et paiement


réactive éventuel des pénalités
jeu
instrumentale
Recrutements ciblés

Négociations obligatoires et paiement des


résistance réactive passive
pénalités

(Source : Barel et Frémeaux, 2012, p. 46)


Consistant à ne voir le droit que sous l’angle de la contrainte, l’attitude réactive
« passive » conduit les responsables à verser des pénalités plutôt qu’à recruter
ou à modifier les pratiques organisationnelles et managériales. L’attitude
réactive « instrumentale » débouche sur une politique de recrutement ciblé à
des fins économiques et d’image sans pour autant faire évoluer les pratiques
organisationnelles et managériales. S’appuyant sur une connaissance globale du
dispositif législatif, l’attitude « proactive » aboutit à la mise en place d’une politique
d’intégration professionnelle orientée vers les compétences et l’adaptation aux
situations individuelles. Cette étude met en évidence une quatrième attitude,
l’attitude réactive « contrainte ». Celle-ci consiste pour les responsables à
adopter une application minimaliste de la loi, parce que le contexte managérial
et organisationnel ne leur donne pas les moyens d’intervenir de façon proactive
en faveur des minorités. Ces DRH adoptant une attitude réactive contrainte sont
vraisemblablement les plus désireux d’évoluer vers une attitude proactive. Cette
typologie a donc le mérite de révéler l’importance du management dans l’adoption
d’une démarche proactive de la diversité.

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66

1.2. L’importance du management du travail dans la littérature


sur la diversité
Certaines études récentes montrent que le management de la diversité ne peut
être réduit à une orientation prescriptive qui préconise des bonnes actions ou
à une orientation instrumentale qui cherche à tirer économiquement avantage
des différences (Yang et Konrad, 2011). Dans les deux cas, le management
de la diversité risque d’être limité à des interventions isolées. Pour échapper
au danger d’une réflexion ciblée sur les actions de la diversité, Lebraty et
Guéret-Talon (2012) énoncent que « le management de la diversité, quand il
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est compris dans son sens le plus large, relève en fait d’une nouvelle vision
du management, du rôle des dirigeants et au-delà d’un état d’esprit commun
à tous les participants à la création de valeur dans l’organisation » (p. 349). Ils
prônent un management stratégique de la diversité qui comprend non seulement
les attributs de la diversité tels que le genre, l’âge ou le handicap, mais aussi
« la variété des processus décisionnels et des configurations organisationnelles
choisies ou subies » (p. 349). L’importance du management dans la réussite
d’une démarche de la diversité avait déjà été mise en avant dans un Cahier de
la chaire Management et Diversité de l’Université Paris-Dauphine intitulé « La
diversité, levier de performance… sous condition de management ». Bruna et
Chauvet (2010) y énoncent que « la diversité n’est pas de manière automatique
et intrinsèque source de performance pour les organisations. (…) c’est bien la
manière de manager la diversité qui peut être source, ou non, de performance
pour les entreprises ».

En déconnectant le management de la diversité du management du travail,


le risque serait de participer à ce que Zarifian (2009) appelle le « phénomène
de mise en disparition du travail ». À force de porter l’attention sur les actions
de la diversité, on dénierait le véritable travail et les compétences mobilisées.
Par exemple, l’expérience et la capacité d’adaptation des séniors dans un
environnement qui n’a jamais été aussi turbulent que ces dernières décennies
restent largement sous-estimées en France (Guérin et Pijoan, 2009 ; Guérin,
2011). Une étude qualitative menée auprès de DRH de moyennes et grandes
entreprises de divers secteurs montre que « la plupart des actions relèvent d’un
principe de pragmatisme, conforme aux représentations habituelles des séniors
(pour résumer : ils gênent, sont rigides, et coûtent cher), et excluant, à de rares
exceptions près, une réflexion approfondie sur les compétences-clés et sur l’apport
des salariés âgés » (Bellini et al., 2006). En matière de conditions de travail,
l’absence de politique se traduit par une gestion réactive au cas par cas consistant
à placer les séniors ou, plus généralement, les salariés frappés d’inaptitude, sur
des postes dits « doux ». On met ainsi sur le compte de l’âge ou de la faiblesse
de la personne une situation largement construite par l’organisation du travail. Le
risque d’une dénégation du travail et des compétences est également soulignée
dans les études sur la santé au travail qui prônent l’approche managériale du

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Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

travail réel, et dénoncent les dangers de l’approche psychologisante. Richard


(2012) considère que « plus on parle de la souffrance au travail dans des termes
psychologisants, plus on crée les conditions de son aggravation » (p. 299).

2. Problématique et méthodologie

Les lois de la diversité imposent des négociations obligatoires, des plans


d’actions et des pénalités, pouvant conduire les responsables RH à adopter une
attitude réactive passive, instrumentale ou du moins contrainte. Quelles pratiques
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managériales leur permettent de basculer d’une attitude réactive à une attitude
proactive en matière d’intégration professionnelle des personnes en situation
de handicap, des séniors et des femmes (qui représentent les trois catégories
touchées par des exigences légales nouvelles) ?

Des entretiens semi-directifs individuels d’une durée moyenne de 1h30 ont été
réalisés auprès de 22 DRH et 9 chargés de mission diversité entre novembre 2008
et février 2010. Sollicités en raison de l’existence d’un lien entre leur entreprise
et différentes structures spécialisées dans l’aide aux personnes handicapées
(Cap Emploi, Handi-up, divers Centres de rééducation et de réadaptation
professionnelle), les 22 DRH sont a priori sensibles à la question du handicap,
et à d’autres thématiques de la diversité. Le choix des responsables interrogés
tient compte de la taille de l’entreprise (voir Tableau 2). Dans ce même souci
de représentativité qualitative, une approche plurisectorielle a été privilégiée
(voir Tableau 3). La plupart des questions sont délibérément ouvertes, afin de
permettre aux professionnels de s’exprimer librement sur leurs expériences
en matière d’actions de la diversité et sur les pratiques mises en œuvre. Les
entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement, notamment parce que
le choix des mots utilisés n’est pas neutre et révèle la façon dont l’interviewé
perçoit la diversité et le management de la diversité. La première partie de
l’entretien qui concerne les démarches de l’entreprise en matière d’insertion
professionnelle des personnes handicapées a déjà été l’objet d’une publication
(Barel et Frémeaux, 2012).

La deuxième partie de l’entretien qui est exploitée dans cette étude vise à
savoir si les actions de la diversité concernant les personnes en situation de
handicap, les séniors et les femmes représentent un objectif unique ou si elles
sont envisagées comme les conséquences d’une dynamique managériale. Les
questions portent sur les différentes thématiques de GRH que Everaere (2010)
envisage dans son analyse des politiques d’intégration professionnelle : le
recrutement, la communication et la gestion de la santé au travail. Les questions
portent également sur le dialogue social, celui-ci pouvant être un levier d’action
pour faciliter le changement en faveur de la diversité. Kirton et al. (2007)
montrent en effet que les responsables des politiques de diversité développent

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des réseaux informels autour de problématiques de diversité, notamment avec


les représentants du personnel ayant une bonne reconnaissance institutionnelle
dans l’entreprise.

Notre volonté étant moins de dénoncer l’insuffisance des pratiques d’intégration


professionnelle que de souligner les voies possibles d’un management réussi de
la diversité, les verbatim présentés dans les résultats sont exclusivement ceux
relevant d’un comportement proactif de la diversité. Si les propos témoignant
d’une attitude réactive ne sont pas rapportés, ils ont toutefois permis d’identifier
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les différences entre les pratiques réactives et les pratiques proactives de la
diversité.
Tableau 2 : Tableau 3 :
Effectif des entreprises interrogées Secteur d’activité des entreprises interrogées
Nombre Nombre
Entre 20 et 49 salariés 4 Recrutement (intérim, CDD, CDI) 4
Entre 50 et 199 salariés 12 Industrie 4
Entre 200 et 749 salariés 11 Grande distribution 3
750 salariés et plus 4 Administration publique 2
TOTAL 31 Assurance 2
Banque 2
BTP 2
Énergie 2
Informatique 2
Transport et logistique 2
Biscuiterie 1
Découpe de matériaux composites 1
Veille documentaire et commerciale 1
Industrie chimique 1
Traitement des déchets 1
Secteur plastique - sanitaire 1
TOTAL 31

Tableau 4 : Grille d’analyse des entretiens


Questions générales sur le management de la diversité

Quelles sont les actions mises en place en matière de gestion de la diversité ?


Quelles obligations légales en matière de diversité ont été génératrices des changements
Descriptif des les plus importants ?
actions de la Quelles sont les caractéristiques des services les plus ouverts à la diversité (personnalité du
diversité responsable, mode de management…) ?
Quelles sont les erreurs commises (ou à ne pas commettre) en matière de gestion de la
diversité ?

Des actions de la diversité existaient-elles avant l’apparition des contraintes légales ? Celles-
ci ont-elles eu pour effet de changer des pratiques managériales ou de mettre en évidence
Analyse des pratiques existantes ?
dynamique des
processus de Y a-t-il un effet d’entraînement entre les différentes actions de la diversité ? Les actions
gestion de la en faveur de l’intégration professionnelle des personnes handicapées favorisent-elles les
diversité actions en faveur de l’égalité professionnelle ou des séniors ? Les actions en faveur de
l’égalité professionnelle, des séniors et des personnes handicapées favorisent-elles la mise
en œuvre d’autres types d’actions de la diversité (ethnie, religion, syndicat…) ?

92
Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

Questions ciblées sur les différentes thématiques de GRH liées au management de la diversité

Les actions de la diversité sont-elles toujours ciblées ou certaines d’entre elles profitent-elles
à tous ?
Y a-t-il eu des changements dans les pratiques managériales concernant le recrutement,
Recrutement et l’organisation du travail et la gestion des carrières ?
carrière La volonté éventuelle de recruter des personnes en situation de handicap a-t-elle modifié le
processus de recrutement ?
Si l’entreprise procède à des recrutements ciblés, quels dispositifs met-elle en place pour
faciliter l’intégration ?

L’entreprise réalise-t-elle des événements sur la diversité ? Si oui, comment ces évènements
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sont-ils perçus par le personnel ?
Communication Communiquez-vous en interne et à l’extérieur sur votre volonté d’agir en faveur de la
interne diversité ?
Y a-t-il également une communication sur la volonté (de la Direction) d’être à l’écoute des
difficultés individuelles d’intégration ?

Les instances représentatives du personnel sont-elles plutôt positives au sujet de la gestion


de la diversité ? Quels sont les conseils prodigués par les partenaires sociaux ? Vous ont-ils
aidé à convaincre la Direction de l’entreprise ?
Comment se déroulent les négociations sur les thématiques de la diversité ? De quoi
discutez-vous (des mesures quantifiables telles que l’écart de rémunération hommes -
femmes, le nombre de recrutements, le nombre de promotions, etc. et/ou des questions
Dialogue social d’organisation et de management) ?
Le thème de la diversité est-il spontanément abordé dans les instances indépendamment
des Négociations Obligatoires ?
Vous tournez-vous vers les partenaires sociaux dans les situations difficiles ? (tensions
sociales, reclassement, salariés en difficulté dans leur poste, questions d’organisation du
travail…).

Comment réagissez-vous en cas de difficultés d’intégration professionnelle ?


Bien-être et
santé au travail En cas de départs, de tensions sociales ou de problèmes de santé, les causes managériales
et/ou organisationnelles sont-elles questionnées ?

3. Résultats

Les entretiens révèlent que seule une petite minorité des responsables interviewés
ont évoqué des attitudes allant au-delà du minimum légal requis. Les résultats
de cette étude se concentrent sur les pratiques proactives de la diversité, par
comparaison aux pratiques réactives, en fonction des quatre thématiques de
GRH précitées : recrutement et carrière, communication interne, dialogue social,
bien-être et santé au travail (Tableau 5).

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66

Tableau 5 : Les composantes des attitudes réactive ou proactive de la diversité


Attitude réactive Attitude proactive

Individualisation des postes, des conditions


Recrutement et carrière Gestion de catégories d’individus
de travail et de l’environnement de travail

Communication interne Communication faible Communication forte

Gestion des cas extrêmes et


Dialogue social Écoute des partenaires sociaux
négociations obligatoires
Bien-être et santé au
Approche psychologisante Approche managériale
travail
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3.1. Recrutement et carrière
Non ciblés sur les séniors, les femmes ou les personnes en situation de handicap,
les pratiques proactives de la diversité visent avant tout à s’adapter à des situations
différenciées. Elles contournent le piège d’une gestion catégorielle des individus
consistant à réaliser des recrutements ciblés sur des postes secondaires, à
promouvoir des prises de responsabilités qui demeurent artificielles ou à proposer
de façon quasi-systématique certaines tâches (socialement dévalorisées) à des
femmes ou certaines fonctions (tuteurs) à des séniors : « Des recrutements
ciblés peuvent être une première étape, mais s’ils ne s’accompagnent pas d’une
intégration réelle, ils génèrent des désillusions pour tous » [Chargée de mission,
Recrutement]. Les responsables adoptant un management proactif de la diversité
vont également au-delà des actions qui étaient ou auraient été de toute façon
réalisées : taux d’acceptation des demandes de temps partiel ou des demandes
d’évolution, analyse de la candidature d’au moins une femme pour tout poste
d’encadrement, analyse des candidatures séniors pour tous les postes…

Afin d’éviter que les personnes aient le sentiment d’être confinées dans des
rôles prédéfinis indépendants de leurs aspirations individuelles, le comportement
proactif s’appuie sur une approche par compétences. En matière de recrutement,
celle-ci permet une sélection plus pertinente en offrant des critères non subjectifs
et non discriminatoires : « Ce qu’on valorise, ce sont les compétences, point
à la ligne. Tout individu, quel que soit son profil, a des compétences. Si elles
nous intéressent, on recrute » [DRH, Industrie chimique]. Le vivier de candidats
potentiels est donc avantageusement élargi : « On avait une mauvaise approche.
Au départ, on pensait que certains métiers de la logistique n’étaient pas destinés
aux femmes. On a testé une intérimaire, parce que l’agence a insisté. Expérience
très positive qui a fait tomber les préjugés » [DRH, Transport et logistique].
L’approche par les compétences permet aussi d’éviter la considération souvent
excessive - et dommageable à l’entreprise - des diplômes : « Tout est très formaté
dans la banque, mais j’ai fini par faire admettre qu’un niveau Bac au guichet est
suffisant. Il n’est pas indispensable d’avoir un bac+2 » [DRH, Banque]. L’analyse
des compétences réelles et des capacités d’apprentissage des candidats rend

94
Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

davantage possible le recrutement des personnes handicapées ou des séniors,


les uns et les autres ayant en moyenne un niveau moyen d’études plus faible.
La distanciation avec les diplômes conduit parfois à enrichir le processus de
sélection par l’élaboration de mises en situations professionnelles. En laissant
la chance à tous, cette technique participe à l’amélioration de la qualité du
recrutement : « Les mises en situations ont permis d’identifier des talents, des
habiletés, à côté desquels on serait passés si on s’était arrêtés au CV » [Chargée
de mission, Assurance].

De par le dépassement des préjugés qu’elle engendre, la logique de compétences


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est également intéressante dans le cadre de la gestion des carrières : « Même si
certains séniors n’ont pas le niveau d’études habituellement exigé par le poste,
ils ont été promus parce qu’ils ont fait preuve de leurs compétences » [DRH,
Traitement des déchets]. Une gestion des évolutions professionnelles basée sur
une considération des compétences réelles permet ainsi de rompre le cercle
vicieux selon lequel les séniors de 45 ans craignent de subir ultérieurement la
démotivation de leurs aînés : « En permettant une évolution des séniors de 55
ans vers des prises de responsabilités, on redonne espoir aux séniors de 45
ans » [DRH, Industrie chimique]. Elle permet aussi de lutter contre un autre
cercle vicieux, celui des faibles possibilités d’évolution des salariés travaillant à
temps partiel, et donc des femmes très largement surreprésentées dans cette
population : « On avait tendance à évaluer les résultats de la personne sans
prendre en compte son éventuel temps partiel. C’était discriminatoire envers les
femmes. On ne s’en rendait pas vraiment compte » [DRH, Énergie].

3.2. Communication interne


Le comportement proactif consiste à aller au-delà d’un discours ciblé sur des mises
en scènes organisées ou des événements exceptionnels : attribution d’une prime
ou d’une semaine supplémentaire de congés payés aux salariés qui déclareront
leur handicap, création d’un trophée pour distinguer les équipes qui facilitent
l’accès des salariés en situation de handicap, semaine du handicap, conférences
de sensibilisation sur l’égalité professionnelle ou la séniorité… Il ne se contente
pas non plus d’un descriptif des actions réalisées dans les différents domaines
de la diversité : « Quand je demande aux membres du comité de direction de me
donner des informations que je pourrais diffuser dans notre journal interne, dans
des salons ou sur notre site Internet, ils ont spontanément tendance à se justifier
sur ce qui a déjà été fait. Je suis obligée de leur rappeler nos engagements
pour que les points d’amélioration pour l’avenir soient concrètement abordés »
[Chargée de mission, Assurance].

L’attitude proactive cherche à voir la communication comme un moyen d’exprimer


une volonté d’être à l’écoute et de prendre en compte les situations individuelles :
« On ne rassure pas les personnes éventuellement concernées en parlant d’elles

95
66

et en leur donnant des recommandations mais en parlant de notre engagement


et de notre désir de tisser une relation durable de confiance avec chacun »
[DRH, Énergie]. Une communication proactive en matière de diversité vise ainsi
à rassurer les salariés sur leurs droits, afin qu’aucun d’entre eux n’ait le sentiment
que sa démarche individuelle puisse être interprétée comme une demande
de traitement de faveur, et à inviter ceux qui sont confrontés à des difficultés
personnelles à s’adresser au DRH. Cette communication-volonté n’exclut pas
une communication-descriptif des actions menées. Elle la complète en donnant
un sens à la démarche de communication qui ne vise pas seulement à informer
et à justifier une utilisation de ressources mais aussi à établir le dialogue et à
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fortifier la relation de confiance : « Il faut dire ce que l’on fait. Il faut dire ce que l’on
veut faire. Il faut les deux » [DRH, Veille documentaire et commerciale].

3.3. Dialogue social


L’attitude proactive fait du dialogue social une composante de l’intégration
professionnelle des personnes handicapées, des femmes et des séniors. Il ne
s’agit plus seulement d’intégrer dans les rapports et plans d’actions les obligations
déjà imposées par la loi (retour au poste après congés, congés exceptionnels)
ou réservées à un nombre très limité de bénéficiaires (augmentation du nombre
de jours de congés exceptionnels) ou encore d’intégrer certains engagements
difficilement mesurables (analyse de toutes les candidatures, etc.). Il ne s’agit
pas non plus de limiter le dialogue social à des questions techniques dont l’enjeu
est faible ou à des questions d’ordre assez général (écarts de rémunération
hommes - femmes, comptabilisation des recrutements et des promotions, etc.),
sans que ne soit abordée la question des modes de management et des choix
organisationnels. Le management proactif s’appuie sur une vision positive du rôle
joué par les partenaires sociaux, dont l’existence force les dirigeants à établir des
bases de données chiffrées détaillées et à en comprendre les enchevêtrements
causaux explicatifs : « On ne peut rien comprendre aux écarts de salaires
homme-femme si on évacue l’accès à la formation, l’accès à l’ensemble des
filières et fonctions de l’entreprise, la conciliation vie professionnelle - vie
personnelle » [DRH, Informatique]. Cette approche globale invite à aller au-delà
des exigences légales, afin de réfléchir non seulement aux mesures d’intégration
et de conciliation mais aussi à une évolution du management du travail.

L’attitude proactive conduit également à attribuer aux représentants du personnel


un rôle de conseil sur la situation des salariés en difficulté dans leur poste, mais
également sur les choix organisationnels et managériaux qui ont une incidence
sur les conditions de travail. Certains DRH incitent les directeurs et les managers
de proximité à échanger avec les représentants du personnel sur certaines
questions de la diversité : « Certains délégués deviennent des vrais partenaires
qui aident les managers à mettre en place une intégration bien réelle » [DRH,
Banque]. De même, la relation de confiance avec les partenaires sociaux peut

96
Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

être envisagée comme un moyen de sensibiliser l’ensemble du personnel sur les


actions entreprises : « Je dis explicitement que les thématiques de la diversité n’ont
aucune raison de susciter des conflits. Elles doivent être des sujets consensuels »
[DRH, Énergie]. Les seules tensions concernent moins les actions à mener que le
non respect des délais sur lesquels les dirigeants se sont eux-mêmes engagés.
Certains DRH considèrent enfin les partenaires sociaux comme des alliés dans
leur volonté de convaincre les membres de la direction : « Ce qui a été le point
de départ de notre démarche pro-diversité, ça été d’associer les partenaires
sociaux à la mise en place et à l’interprétation d’une enquête d’opinion de type
baromètre social » [DRH, Assurance] qui a permis d’amorcer une réflexion sur
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les ressources organisationnelles en faveur de l’intégration professionnelle.

3.4. Bien-être et santé au travail


Attentive aux difficultés d’intégration professionnelle, l’attitude proactive refuse
une vision psychologisante qui conduit à mettre les difficultés d’intégration des
séniors, des femmes ou des personnes en situation de handicap sur le compte de
leurs seules fragilités en évacuant la responsabilité du système organisationnel
et managérial. Elle privilégie une vision managériale qui questionne les causes
organisationnelles et managériales des difficultés au travail ainsi que les règles
d’éthique, et s’emploie à les transformer en facteurs d’intégration professionnelle :
« À chaque fois qu’il y a un problème, c’est une occasion de réfléchir aux freins
organisationnels, à la faisabilité des objectifs et aux ressources qui peuvent être
mises en œuvre » [DRH, Assurance].

4. Discussion

Cette étude montre qu’une attitude proactive de la diversité n’est ni catégorielle ni


psychologisante. Les conditions de l’attitude proactive ne sont pas à rechercher
dans le développement de procédures et d’événements qui augmentent ou mettent
en valeur le nombre de personnes handicapées intégrées, de séniors embauchés
ou de femmes aux postes d’encadrement. Elles ne sont pas davantage liées à une
analyse psychologisante, souvent culpabilisatrice, qui envisage les demandes
comme une marque de fragilité ou de faiblesse qu’il convient de protéger ou de
sanctionner. Elles sont liées à une volonté managériale, confirmant par là les
études précitées sur l’importance du management comme condition de réussite
des actions de la diversité (Bruna et Chauvet, 2010 ; Lebraty et Guéret-Talon,
2012).

Cette étude montre ainsi que les différentes actions de la diversité, bien qu’ayant
pour objet des thématiques différentes, participent de la même dynamique
managériale. L’intégration des différences peut créer un environnement positif
dans lequel chacun se sent valorisé pour ses talents, ses compétences et sa
participation aux objectifs organisationnels. Notre étude montre quelles pratiques

97
66

proactives de la diversité permettent d’aller au-delà d’une vision minimaliste de la


gestion de la diversité et de faire évoluer en profondeur le management. Ce sont
donc les pratiques managériales proactives de la diversité, en comparaison des
actions réactives de la diversité, qui sont présentées dans le Tableau 6.

Notre étude n’oppose pas les responsables réactifs aux responsables proactifs,
les managers adoptant des attitudes réactives sur certaines thématiques, et
proactives sur d’autres. Elle souligne l’importance d’une attitude proactive capable
de transformer le management du travail, et suggère en conséquence que cette
dynamique managériale crée un sentiment d’ouverture permettant d’aborder dans
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la confiance toutes les composantes de la diversité. Il serait pertinent de vérifier
dans le cadre de futures études en quoi une attitude proactive de la diversité
en matière d’intégration des séniors et des personnes en situation de handicap
comme en matière d’égalité professionnelle peut avoir une incidence positive sur
les autres domaines moins réglementés de la diversité, en particulier la diversité
culturelle, la diversité syndicale, la diversité d’appartenance syndicale, la diversité
d’appartenance religieuse ou ethnique, la diversité d’apparence physique ou la
diversité d’orientation sexuelle.

98
Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

Tableau 6 : Les pratiques réactives et proactives de la diversité


Pratiques réactives de la diversité Pratiques proactives de la diversité

Gestion de catégories d’individus


• action ciblée sur les recrutements ou
nominations
• recrutements ou nominations non suivis Individualisation des postes,
d’intégration des conditions de travail et de
l’environnement de travail
• prédéfinition de postes (pour les
personnes en situation de handicap) • temps consacré à la gestion des situations
et des aspirations individuelles
• prises de responsabilité artificielles
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• approche par compétences
• engagements sur des taux d’acceptation
Recrutement et • mises en situations professionnelles
des demandes d’évolution ou de temps
carrière comme outil de sélection
partiel
• engagements sur l’analyse des • maintien du dialogue en cas de congés
candidatures séniors ou femmes pour (maternité, maladie, parental d’éducation)
tous les postes, en particulier postes à et organisation d’entretiens avant et après
responsabilités le congé sur les possibilités d’évolutions

• propositions de certaines fonctions pour • véritable proratisation des objectifs en cas


des femmes ou séniors (ex : tuteurs) de temps partiel

• importance accordée aux seuls diplômes


comme critère de recrutement et
d’évolution

Communication forte
• expression spontanée par les directions
Communication faible de leur volonté d’écoute et d’accueil des
Communication sollicitations individuelles
interne • communication limitée au descriptif des
actions existantes et/ou évènements • engagements liés à la législation et/ou à
l’obtention d’un label
• rappel détaillé des droits des salariés

Gestion des cas extrêmes (reclassement,


iniquité flagrante) et négociations
obligatoires
Écoute des partenaires sociaux
• dans les plans d’actions, rappel
• reconnaissance du rôle de conseil des
d’obligations déjà imposées par la loi
partenaires sociaux
Dialogue social • dans les plans d’actions, engagements
• réflexion sur les causes organisationnelles
profitant à un nombre très limité de
et managériales des inégalités visibles
bénéficiaires (ex : augmentation des jours
de congés exceptionnels) • soutien des partenaires sociaux dans les
situations difficiles
• dans les plans d’actions, engagements
non mesurables (ex : analyse de toutes
les candidatures)
Approche managériale
Approche psychologisante
• analyse des causes organisationnelles et
• analyse des faiblesses individuelles aux managériales des difficultés rencontrées
Bien-être et différents niveaux hiérarchiques
santé au travail • mise en place de nouvelles ressources
• soutien sous le seul angle de la organisationnelles dans les services
rémunération, de la formation ou du concernés
coaching
• principes d’éthique professionnelle

99
66

Conclusion

Cette étude montre les limites d’une analyse économique des actions de la
diversité, non pas seulement parce qu’une telle analyse enferme la diversité
dans une fonction économique, mais aussi parce que ce ne sont pas les actions
de la diversité mais bien les évolutions organisationnelles et managériales qui
favorisent l’intégration professionnelle et influencent la performance. Les actions
de diversité déconnectées d’une transformation managériale peuvent être
contreproductives. Les discours et pratiques de la diversité risquent d’être perçus
comme des moyens de concentrer les esprits sur des valeurs mobilisatrices
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afin de dissimuler la souffrance vécue, les difficultés organisationnelles et
managériales, la réalité décisionnelle ou la performance insuffisante (Bardelli et
Allouche, 2012).

Aussi, cette étude conclut que le management de la diversité ne peut pas être
pensé en dehors du management du travail. Pour reprendre les termes de
Cochoy et de Lachèze (2013), il y aurait une triple « illusion » à vouloir parler
des questions d’intégration professionnelle au nom de la diversité en occultant
le travail. La première illusion est « longitudinale », dès lors qu’une partie des
pratiques dites de la diversité existait préalablement à son annonce. L’action
de la diversité serait alors simplement un processus de requalification et de
revalorisation de pratiques antérieures. Tel est le cas lorsque l’entreprise affirme
un taux d’emploi des personnes en situation de handicap plus élevé à la suite
d’une manœuvre visant à inciter les personnes déjà en poste à se déclarer.
L’illusion serait également « latérale », les porteurs de la diversité présentant
la partie pour le tout : « L’attention est focalisée sur un petit nombre d’éléments
qui ont tendance à être présentés ou perçus comme valant pour l’ensemble de
l’entreprise » (Cochoy et Lachèze, 2013, p. 20). Par exemple, l’augmentation
du nombre de femmes dans les conseils d’administration et les directoires sous
l’effet de la contrainte légale peut constituer une illusion latérale, lorsque le taux
de femmes diminue ou reste très faible dans les autres comités de direction ou
de management. Enfin, les auteurs parlent d’une illusion « profonde », lorsque
les actions de la diversité semblent concerner toutes les activités de l’entreprise,
alors qu’elles ne permettent pas d’enserrer l’ensemble des pratiques impliquées.
Des postes, souvent dévalorisés, créés de façon artificielle au nom de la diversité
peuvent être une illusion profonde. C’est donc pour éviter ces désillusions que
les pratiques de la diversité doivent être conçues comme des déclinaisons du
management du travail.

On peut alors s’interroger sur la pertinence d’une réflexion portant spécifiquement


sur le management de la diversité. Notre étude montre qu’il y a une utilité à cette
réflexion. Elle réside dans sa force de transformation des pratiques managériales :
communication interne incarnant une volonté managériale d’écoute des situations
individuelles, évolution des modes de recrutement et des entretiens d’évolutions

100
Le management du travail, condition de
réussite du management de la diversité

basés sur une approche par compétences, écoute des besoins et des aspirations
individuels, écoute des partenaires sociaux considérés comme des alliés dans
la démarche diversité, amélioration des conditions de travail et approche
managériale des problèmes d’intégration et de santé au travail.

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