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Résumé
L’un des obstacles à la mise en œuvre d’une démarche de gestion
des ressources humaines par les compétences est la construction des
référentiels de compétence. Le but de cette communication est de partager
une expérience réussie d’élaboration de référentiels de compétence
avec les « évalués » et de montrer comment, en s’inscrivant dans une
perspective « prospective métier », il est possible d’utiliser ces référentiels
de compétence.
Abstract
One of the obstacles to the implementation of a step management of the
human resources by competences is the construction of the reference
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.22.117.179)
Depuis le milieu des années 1980, les pratiques de GRH explorent la mise en
œuvre d’un nouveau « geste mental », celui de la compétence. Le contexte
d’activité des entreprises fortement exposées à la concurrence les contraint à
répondre à de nouvelles attentes de la part des différentes parties prenantes et en
particulier à celle des clients et des actionnaires. La production de cette réponse
passe par le développement de qualités telles que la flexibilité, la réactivité, la
fiabilité, tout en élevant le niveau de rentabilité des capitaux. Autrement dit, les
entreprises sont mises en demeure de renouveler leur compétence.
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Néanmoins, l’outil ne révèle que ce que le dispositif lui permet de révéler : « ce qui
est évalué, ce n’est pas la compétence en soi, mais ce qui est nommé compétence
par le dispositif d’évaluation (instruments, règles, instances) » (Le Boterf, 2000).
Outre la difficulté (sémantique) de signification de la « compétence », qui n’a pas
trouvé de solution universelle, mais des réponses locales et contextualisées, se
posent les problèmes de l’impossible « visibilité » intégrale de ce qui est supposé
être la compétence, du « déficit sémiotique » (Dejours, 2003) induit par le jeu
stratégique (dissimulation) des acteurs (Crozier, Friedberg, 1977) et le risque
de domination symbolique (traduction langagière) des rédacteurs du référentiel
(Dejours, 2003). De plus, l’outil s’inscrit dans un dispositif où l’instance évaluatrice
joue un rôle fondamental, puisqu’elle est aux commandes d’une évaluation qui
ne peut neutraliser totalement sa subjectivité, malgré l’utilisation de l’outil selon
les règles. L’évaluation et ses résultats portent notamment l’empreinte de la
compétence des évaluateurs, et de leur niveau d’engagement dans l’évaluation.
Elle n’est donc pas imperméable aux interactions avec les dispositions mentales,
psychologiques, culturelles, et sociales en présence (Morin, 1977). Elle ne saurait
donc échapper aux recommandations de toute production de connaissance, en
particulier en matière de collecte et de traitement des informations (triangulation,
saturation). C’est la condition d’une évaluation juste (avec justesse) et équitable
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(avec justice). « Une évaluation équitable suppose que soient pris en compte
non seulement des critères relatifs à la vérité des états de choses dans le monde
objectif, mais aussi des critères de justice et des critères relatifs à la santé de
chaque individu qui travaille » (Dejours, 2003).
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il fait sens à ceux qui ont un rapport avec le réel auquel il est fait référence tout
en faisant l’économie d’expliciter tout ce sens par des mots. C’est dire qu’un
référentiel est un outil qui porte fortement l’empreinte du contexte. La condition
fondamentale est évidemment que le référentiel soit construit et rédigé de manière
à faire sens pour ceux qui en sont les destinataires. Ce qui renvoie à la méthode
de construction.
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les salariés ont aussi des attentes à l’égard de l’entreprise et ils attendent plus
ou moins explicitement que ces attentes s’inscrivent en creux ou en plein dans
le référentiel de compétence qui les concerne. Par conséquent, le référentiel
de compétence ne « parle » pas que de l’activité et du travail du salarié, mais
également de la manière dont il est « géré » et managé.
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Le terrain nous a été proposé au Maroc par le Groupe Portland (nom d’emprunt),
lui-même filiale d’un Groupe cimentier multinational. Initiée une dizaine d’années
plus tôt, la démarche compétence tardait à porter ses fruits au sein du groupe. Un
contrat de collaboration de recherche a donc été conclu entre notre laboratoire
de recherche et Portland (à titre expérimental), destiné à faire progresser la
démarche.
D’un point de vue économique, le contexte GRH est potentiellement très favorable
car la rentabilité est excellente avec un ratio résultat/Ca nettement supérieur à
20 % depuis 2000 : la consommation marocaine de ciment est en forte croissance
(4,9 % par an en moyenne sur les 10 dernières années). Le Groupe est le 2ème
fournisseur du marché.
D’un point de vue technologique, les deux cimenteries (A, S) qui ont fait l’objet du
travail de recherche produisent un produit de qualité sensiblement équivalente,
avec des matières premières identiques mais de qualité inégale parce qu’issues
de leur carrière spécifique. Le processus de production est le même dans ses
grandes étapes, avec une avance technologique pour l’usine de S (plus récente)
notamment pour la préparation de la matière première. Les deux usines sont
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D’un point de vue organisationnel, les deux usines peuvent être rapprochées de
la configuration « bureaucratie industrielle » proposée par Mintzberg (Mintzberg,
1982). En matière de GRH, c’est plutôt le modèle « arbitraire » qui tend à dominer
(Pichault, Nizet, 2000).
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Le chef de quart est placé dans une situation particulière. Durant les heures de
« jour », c’est à dire quand l’ingénieur et surtout la hiérarchie (chef de secteur,
directeur) sont présents, il agit en autonomie encadrée. Mais en dehors des
heures et des jours de leur présence, il agit en forte autonomie puisqu’il ne fait
appel aux personnes d’astreinte qu’en cas de nécessité ou de situations prévues.
Il est d’usage de dire qu’il remplace le directeur d’usine durant ces périodes.
L’effort de formation est net, tant dans les domaines des métiers proprement dits
que dans le domaine de la sécurité. La formation est gérée de manière classique,
selon les besoins exprimés par la hiérarchie, avec budget et plan de formation,
sous l’égide d’un responsable de formation commun aux différentes usines du
pays. De ce point de vue, les pratiques de formation peuvent être rapprochées
de celles du modèle « objectivant ». Ce qui éloigne de ce modèle, c’est surtout
l’absence d’évaluation formelle pour les opérationnels, de grille de qualification
et de salaires. Les rémunérations sont donc individualisées, tout comme les
augmentations de salaire, mais sur la base de l’appréciation du chef de secteur,
sans critères objectifs au sens où ils ne sont pas formellement explicités.
Les augmentations collectives de salaires n’existent pas. Les promotions
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Au total, ce sont 53 entretiens (durée comprise entre 45mn et 90mn) qui ont
été réalisés, dont 38 pour les métiers de la production et 15 pour ceux de la
maintenance. Au niveau de la production, nous avons procédé en 2 vagues,
l’une de 22 entretiens pour une pré-élaboration simultanée des référentiels et
du modèle, l’autre de 16 entretiens pour le travail de validation du modèle et de
finition des référentiels.
Ainsi, ont participé aux entretiens, lors de la première vague : 5 cadres (directeur,
chef de secteur), 6 chefs de quart, 11 opérateurs (rondiers, conducteurs de
broyeurs, et conducteurs de four). Lors de la deuxième vague d’entretiens, les
16 opérationnels de la première vague ont pris connaissance des référentiels et
ont été invités à proposer les aménagements qui leur semblaient pertinents. Au
terme de ces entretiens, les référentiels de chaque métier faisaient consensus. Le
travail a été plus rapide pour le personnel de maintenance, car le modèle n’était
plus à construire mais à faire valider par les acteurs et, surtout, le personnel de
certains métiers est beaucoup moins nombreux (visiteur, préparateur). Comme
pour les métiers de la production, ce sont des acteurs des différents métiers
(électricité, mécanique, instrumentation et automatismes) concernés dans les
deux usines qui ont été sollicités.
La grille de questions n’est pas standardisée et stabilisée, mais varie selon le rôle
de la personne interrogée et évolue au cours de l’entretien « la meilleure question
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Le référentiel ne fait plus état d’une « mission », mais d’un rôle et d’attentes à
l’égard de ce rôle. Par rôle, ici, il faut entendre un modèle organisé de conduites
attendues, lié à un certain statut ou position de l’individu dans le groupe. Rôle et
attentes sont donc indissolublement liés. Ce sont les attentes qui donnent tout
son poids au rôle. Les rôles (et les attentes) sont déterminés par l’organisation,
c’est-à-dire par la manière dont s’articulent, s’agencent les activités individuelles
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Le rôle du rondier et les attentes relatives à ce rôle étant définies, à quels signes
reconnaît-on le niveau de compétence d’un rondier ? Il était nécessaire de
convenir de ces signes pour aboutir à une véritable convention de compétence.
Les entretiens ont permis de dégager 4 catégories de signes de compétence :
« ce qu’il sait faire », « ce qu’il connaît », « les évènements critiques qu’il
sait gérer », « les qualités personnelles qu’il manifeste ». De même, ils ont
fait émerger la pertinence de 4 niveaux-cibles de compétence : N1 ciblé par le
« débutant », N2 ciblé par celui qui « applique » les règles, les procédures, les
consignes, respecte les paramètres de conduite (pour les conducteurs), N3 pour
celui qui « maîtrise », et N4 pour celui qui « domine » ou est reconnu comme
« expert ».
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Sait ce qu’il fait et n’est plus dans une démarche Combustibles de substitution
essai / erreur Analyse Process Cuisson
Optimise la clinkérisation quelle que soit la Bilan thermique
qualité du cru (ne subit plus les variations de Conduite économique
qualité de la matière)
Conduite environnementale
Optimise la cuisson dans le respect des normes,
produits, combustibles et environnementales en Statistiques cimentières
tenant compte des paramètres de conduite.
Réagit à toute perturbation LES EVENEMENTS CRITIQUES
O N
Prend les dispositions transitoires pour év iter QU'IL SAIT GERER
anomalies, incidents et pannes
Anomalies et incidents majeurs
Communique sur la matière et ses Exemples
transf ormations, sur les installations et le
Anneau
Process
Point chaud
Analyse et diagnostique les dysfonctionnements
de la ligne de cuisson (bilan aéraulique, bilan Matière difficile à cuire
thermique…) Perturbations en marche (arrêt du
********* circuit granules, mauvaise granulation)
- Limite de compétence - Coupure d’énergie
Ne sollicite plus le chef de quart pour l’exercice Glissement des bandages
de son rôle Montée, descente four
Incendie
Le référentiel est rédigé avec des verbes conjugués à la 3ème personne et non
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L’outil proposé n’est pas parfait et continuera à être amélioré, chemin faisant,
grâce à la perspicacité et aux propositions des évalués (s’ils ont connaissance
des référentiels et sont impliqués) et des évaluateurs, sachant qu’à ce niveau,
nos attentes sont qu’il réponde de mieux en mieux aux 5 conditions de validité
énoncées dans le premier paragraphe (Cadin et alii, 2002). Il est néanmoins
opérationnel et utilisé.
Autre constat permis par la cartographie des compétences par famille de métiers :
dans l’une des usines, les 2/3 de l’effectif de fabrication sont au niveau débute
ou applique, et seul ¼ du personnel de maintenance est au niveau maîtrise.
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Expert Débute
(2.15%) Fabrication
(8.7%)
37%
52.15% Les 2/3 de l'effec tif Fabrication sont au
niveau Débute et Applique
Maîtrise Applique
Expert Maintenance
(5%) Débutant
(3%)
Maîtrise Applique
Enfin, la réussite de la construction des référentiels est une opportunité pour mettre
en œuvre une véritable démarche de GRH à la fois objectivante et individualisante.
En effet, l’outil permet de qualifier les acteurs selon leur fonction et leur niveau
de compétence, de hiérarchiser les fonctions selon les compétences requises
tant en production qu’en maintenance, de dresser une échelle de rémunération
selon les fonctions et les compétences requises et de proposer des parcours
professionnels étayés par une formation adaptée aux compétences requises par
l’entreprise et aux compétences acquises par les salariés.
Conclusion
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Pour nous, chercheur, qui avons besoin de dire, nous sommes de plus en plus
convaincu que la compétence est un geste mental, une manière particulière
d’appréhender la réalité de l’action, qui induit des attitudes et des comportements
particuliers. Passer son action ou l’action d’autrui à la grille, voire sur le gril, de
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mais surtout par une meilleure réponse à nos attentes de simplicité, de confort
d’utilisation par exemple. Ces attentes n’étaient pas exprimées et sont nées avec
le gain en compétence des appareils. Il y a co-évolution des attentes avec la
compétence. C’est aussi vrai pour les autres systèmes, ce qui met en valeur
la dimension socio-politique de ce geste mental : les attentes sont plastiques,
indéfiniment évolutives, donc d’une impériosité potentiellement indéfinie. La
logique compétence laisse place aux jeux stratégiques des acteurs chaque fois
que des zones d’incertitude se libèrent. Le rempart est dans le dialogue et dans
la mise en œuvre de règles négociées. Ainsi conçue, la logique compétence
s’inscrit pleinement dans la perspective de la « prospective métier ».
Bibliographie
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