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Du référentiel des compétences à la prospective des

compétences : le secteur des cimenteries


Joël Marcq
Dans Management & Avenir 2008/5 (n° 19), pages 132 à 153
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.019.0132
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.22.117.179)

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Du référentiel des compétences à la


prospective des compétences : le secteur
des cimenteries

par Joël Marcq

Résumé
L’un des obstacles à la mise en œuvre d’une démarche de gestion
des ressources humaines par les compétences est la construction des
référentiels de compétence. Le but de cette communication est de partager
une expérience réussie d’élaboration de référentiels de compétence
avec les « évalués » et de montrer comment, en s’inscrivant dans une
perspective « prospective métier », il est possible d’utiliser ces référentiels
de compétence.

Abstract
One of the obstacles to the implementation of a step management of the
human resources by competences is the construction of the reference
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frames of competence. The purpose of this communication is to share a
successful experience of developing reference frames of competence with
the actors and show how, embedded in a «job prospective», it is possible to
use these reference frames of competence.

Depuis le milieu des années 1980, les pratiques de GRH explorent la mise en
œuvre d’un nouveau « geste mental », celui de la compétence. Le contexte
d’activité des entreprises fortement exposées à la concurrence les contraint à
répondre à de nouvelles attentes de la part des différentes parties prenantes et en
particulier à celle des clients et des actionnaires. La production de cette réponse
passe par le développement de qualités telles que la flexibilité, la réactivité, la
fiabilité, tout en élevant le niveau de rentabilité des capitaux. Autrement dit, les
entreprises sont mises en demeure de renouveler leur compétence.

La rigidité organisationnelle doit faire place à la souplesse, et le régime de


l’autonomie encadrée se substituer à celui de la prescription détaillée du travail
à accomplir. Dans ces conditions, il est difficile de perpétuer les pratiques
de gestion des ressources humaines attachées à ce type d’organisation.
Traditionnellement, de manière dominante, l’outillage de ces pratiques se fonde
sur la description du poste (ou de fonction) pour le qualifier, le classer dans
la nomenclature et la hiérarchie des postes, le rémunérer et le situer dans les
trajectoires d’évolution des carrières, dans le respect de conventions de branche

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Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

et d’accords d’entreprise. Dans cette logique de poste, la description du poste


est la référence pour déterminer le profil du candidat adapté pour le servir ou
l’occuper, sa rémunération de base, ses relations professionnelles (notamment
hiérarchiques), ses conditions de travail, ses possibilités d’accès à la formation,
ainsi que ses perspectives de carrière dans l’entreprise, voire dans d’autres
entreprises. Pivot organisationnel, le poste de travail est donc simultanément
pièce maîtresse de la GRH. L’introduction de critères classants, à partir du milieu
des années 1970, a permis d’affiner mais n’a pas modifié fondamentalement le
rôle de double pivot du poste de travail.
Dans une logique de compétence, le poste garde son rôle de pivot organisationnel,
mais il ne suffit plus d’être diplômé ou certifié pour l’occuper durablement et
progresser dans la « carrière » par le jeu des départs. Il devient référence pour
déterminer les compétences requises par l’exercice du rôle ou des rôles qu’il
requiert. La description de rôle(s) vient compléter la description de poste ou de
fonction ou s’y substituer. La polyvalence amène à exercer différentes fonctions,
donc un portefeuille de rôles qui requièrent un portefeuille de compétences à un
niveau-cible. Il ne suffit plus d’occuper le(s) poste(s), il faut désormais manifester
des compétences (acquises) de niveau au moins égal au niveau-cible des
compétences requises. Cette nouvelle règle impacte la chaîne des pratiques de
gestion des ressources humaines. Ces pratiques sont très diversifiées, plus ou
moins avancées dans la démarche, selon le maillon affecté (GPEC, recrutement,
évaluation, formation, rémunération, parcours professionnel, départ). L’entrée
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dans ces nouvelles pratiques est fortement contextualisée, mais les départs de
salariés, notamment pour cause de retraite, ont souvent été l’occasion d’une
prise de cons-cience de l’importance des compétences individuelles et collectives
pour la maintenance de la compétence de l’entreprise. Produit d’une gestion par
erreur, par alerte ou par anticipation, la gestion par les compétences est devenue
plus ou moins structurante, a pris une dimension plus ou moins prospective selon
les directions des entreprises et les problèmes qu’elles ont rencontrés. Dans le
meilleur des cas, elle s’est inscrite dans une véritable « prospective métier »,
englobant ainsi une réflexion sur les métiers individuels et sur l’organisation de
l’activité (Scouarnec, 2004).
D’après deux enquêtes menées par Demos en 2006 auprès de 250 entreprises,
seules 4% des entreprises déclarent être allées au-delà de l’expérimentation
et avoir rendu la démarche vraiment opérationnelle. Ce résultat converge avec
ceux de Colin et Grasser (2003, 2007). L’un des obstacles principaux se trouve
dans la construction d’outils pertinents et en particulier celle des référentiels de
compétence. Cet obstacle a une dimension technique, mais également politique
et économique. En effet, à la production d’un référentiel de compétences requises
qui ne soit pas « une usine à gaz » se combinent la difficulté de reconnaître
et d’évaluer les compétences acquises, et celle d’accepter d’éventuels
coûts salariaux supplémentaires induits par la démarche, lorsqu’elle inclut la
rémunération.

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L’objet de cette communication est de partager une expérience de construction


de référentiels de compétence au sein d’un groupe multinational cimentier tant
pour les métiers de production que les métiers de maintenance.

Dans un premier temps, nous ferons une exploration du référentiel de compétence,


en tant qu’outil, puis un exposé du contexte et la méthode utilisée, suivi de celui
des résultats..

1. Le référentiel, un outil-clé de la démarche compétence

Le référentiel de compétences est par définition l’ensemble des compétences


auxquelles une personne se rapporte de manière informelle (comme le patient
pour juger son médecin) ou formelle (comme le client pour apprécier son
fournisseur, ou un manager pour évaluer un collaborateur). Autrement dit, c’est
ce qui permet d’évaluer et finalement de porter un jugement de compétence a
posteriori. L’outil est plus ou moins développé, élaboré, formalisé, socialement
validé. Pour être « scientifiquement » valide (Cadin, Guérin, Pigeyre, 2002),
il doit pouvoir manifester 5 conditions fondamentales : la constance (résultats
identiques à conditions d’observation et d’utilisation analogues), la sensibilité à
la différence (dans le temps ou interindividuelle), la validité pronostique (l’action
attendue est obtenue avec résultats satisfaisants), la validité de contenu (porte
bien sur la compétence), et la validité de construction (permet bien d’évaluer le
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niveau de compétence).

Néanmoins, l’outil ne révèle que ce que le dispositif lui permet de révéler : « ce qui
est évalué, ce n’est pas la compétence en soi, mais ce qui est nommé compétence
par le dispositif d’évaluation (instruments, règles, instances) » (Le Boterf, 2000).
Outre la difficulté (sémantique) de signification de la « compétence », qui n’a pas
trouvé de solution universelle, mais des réponses locales et contextualisées, se
posent les problèmes de l’impossible « visibilité » intégrale de ce qui est supposé
être la compétence, du « déficit sémiotique » (Dejours, 2003) induit par le jeu
stratégique (dissimulation) des acteurs (Crozier, Friedberg, 1977) et le risque
de domination symbolique (traduction langagière) des rédacteurs du référentiel
(Dejours, 2003). De plus, l’outil s’inscrit dans un dispositif où l’instance évaluatrice
joue un rôle fondamental, puisqu’elle est aux commandes d’une évaluation qui
ne peut neutraliser totalement sa subjectivité, malgré l’utilisation de l’outil selon
les règles. L’évaluation et ses résultats portent notamment l’empreinte de la
compétence des évaluateurs, et de leur niveau d’engagement dans l’évaluation.
Elle n’est donc pas imperméable aux interactions avec les dispositions mentales,
psychologiques, culturelles, et sociales en présence (Morin, 1977). Elle ne saurait
donc échapper aux recommandations de toute production de connaissance, en
particulier en matière de collecte et de traitement des informations (triangulation,
saturation). C’est la condition d’une évaluation juste (avec justesse) et équitable

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des compétences : le secteur des cimenteries

(avec justice). « Une évaluation équitable suppose que soient pris en compte
non seulement des critères relatifs à la vérité des états de choses dans le monde
objectif, mais aussi des critères de justice et des critères relatifs à la santé de
chaque individu qui travaille » (Dejours, 2003).

D’un point de vue économique, c’est un outil au service de la relation de marché


comme à celui de la relation hiérarchique. Il est normalement destiné à réduire les
coûts de transaction au sens de Coase (2005). Ainsi, dans la relation salariale, il
devrait permettre de clarifier, durablement, de façon concertée, les attentes de
l’entreprise à l’égard du salarié (compétences requises) et la manière dont celui-
ci y répond dans le temps grâce à une évaluation rigoureuse des compétences
acquises (manifestées lors de la tenue du poste ou de la fonction) (Labruffe,
2005).

D’un point de vue gestionnaire, il est un « système de repérage des exigences »


(Franchet, 2005). Il fournit à l’acteur ce qui est attendu de lui dans l’exercice
de son rôle, compte tenu du niveau de compétence qui lui est formellement
reconnu. Il ne tend plus à décrire ce que celui qui « occupe » le poste doit
faire, mais à normaliser les attentes à l’égard du rôle à exercer. Plus que
système de repérage, il est surtout outil de normalisation des exigences. Ce
n’est donc pas une description de l’activité. Ce n’est pas non plus une simple
liste de compétences rangées par catégories, qui se donneraient à voir (donc
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réifiées) et qui existeraient « en soi » (Dietrich, 2005), dont on peut prétendre
l’exhaustivité (Oiry, Sulzer, 2002). C’est la traduction réductrice d’un ensemble
complexe d’attentes à la fois complémentaires, concourantes et concurrentes
(relation dialogique) des différentes parties prenantes à l’activité de l’entreprise.
Y sont inscrites, notamment, les logiques de service aux clients, de respect de
l’environnement, de sécurité des personnes dans l’entreprise (salariés, sous-
traitants, fournisseurs, etc.), de protection de la santé des salariés, d’amélioration
des conditions matérielles de travail, etc. Bien entendu, la logique de « service »
à l’actionnaire ne saurait être oubliée. Les référentiels de compétence sont des
révélateurs des priorités de l’entreprise et du niveau d’intégration de la logique de
compétence, entendue comme une logique de réponse aux attentes des différentes
parties prenantes. C’est une traduction parce que ce à quoi on reconnaît qu’un
opérateur est compétent, par exemple, intègre ces attentes dans un même item.
Quand il est attendu d’un conducteur de four qu’il optimise la marche du four, il y
a certes les attentes de productivité quantitative et qualitative, de consommation
de matières et d’énergie, mais aussi de rejets de gaz et de poussières, de sécurité
pour les acteurs, de longévité du matériel. La traduction est réductrice parce que,
par le signifiant « optimise la marche du four », le rédacteur du référentiel a voulu
signifier toutes ces attentes qui sont néanmoins inscrites dans les paramètres de
marche du four. C’est à la fois peu signifiant, général, pour le regard extérieur, et
très dense de sens pour ceux qui sont directement concernés par le référentiel.
C’est le propre de tout mot qui conceptualise et aussi son avantage principal :

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il fait sens à ceux qui ont un rapport avec le réel auquel il est fait référence tout
en faisant l’économie d’expliciter tout ce sens par des mots. C’est dire qu’un
référentiel est un outil qui porte fortement l’empreinte du contexte. La condition
fondamentale est évidemment que le référentiel soit construit et rédigé de manière
à faire sens pour ceux qui en sont les destinataires. Ce qui renvoie à la méthode
de construction.

D’expérience, la méthode la plus efficace est celle à laquelle nous renvoie la


sociologie de la traduction (Amblard et alii, 1996). Elle consiste à trouver la
problématique commune qui assure le plus haut niveau de convergence des
problématiques particulières, faire de la rédaction du référentiel de compétence
le passage obligé pour répondre à cette problématique commune, tisser un
réseau d’acteurs progressivement prolongé, qui sont enrôlés dans la construction
du référentiel et dans sa traduction auprès des autres acteurs. A l’instar de
l’ethnosociologie, il s’agit ici de chercher à connaître « ce que les acteurs eux-
mêmes connaissent, à voir ce qu’ils voient, à comprendre ce qu’ils comprennent,
à s’approprier leur vocabulaire, leur façon de regarder, leur manière d’établir ce
qui, pour eux, est important et ce qui ne l’est pas » (Lapassade, 1991). Ce à
quoi il est fait référence quand il s’agit de saisir, donner une forme intelligible,
configurer ce qui est nommé « compétence », passe par une connaissance
fine du travail, puisque c’est dans ce travail que la compétence s’actualise. Il
est possible d’accéder à la connaissance du travail et de la compétence qu’il
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requiert, « mais il faut pour cela en passer par la subjectivité des travailleurs »,
et la seule médiation possible pour accéder à cette subjectivité est celle de la
parole (Dejours, 2003). L’entretien « compréhensif » (Kaufman, 1996) est alors
incontournable. La construction du référentiel devient ainsi un support de dialogue
social et l’expression d’un compromis social (Oiry, Sulzer, 2002). Le référentiel
« scelle une forme d’accord autour de la représentation du travail. Il contractualise
la relation entre l’encadrant et son subordonné, engageant leur relation dans une
certaine durée » (Dietrich, 2005). Simultanément, il sert de référentiel au salarié
pour la construction/négociation de son identité professionnelle, parce qu’il
« décrit ce que veut dire être compétent au sein de l’organisation » (Franchet,
2005). Toutes les démarches « compétence » ne permettent néanmoins pas de
répondre aisément à cette problématique identitaire (Nallet, Evéquoz, 2000),
surtout quand il n’existe pas de référentiel de compétence, ou que ce dernier
est peu opérationnel. « Le constat est fréquent : de nombreux référentiels de
compétences sont inutilisables : trop compliqués, trop lourds, constitués de listes
interminables de savoirs, savoir-faire, savoir-être… Ils ressemblent encore trop
souvent à de super-descriptions de postes de travail » (Le Boterf, 2006).

Le référentiel actualise le « geste mental » (ou « schème d’interprétation »)


compétence en lui fournissant la « norme » nécessaire à sa légitimation et la
« facilité » indispensable à l’exercice de sa domination (Giddens, 1987). Il y a là
une bifurcation notable qui témoigne de la rupture entre une logique de poste et

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des compétences : le secteur des cimenteries

une logique de rôle par l’introduction d’un nouveau « principe de structuration ».


Plus précisément, il y a passage d’une logique de prescription (de tâches à
accomplir selon des procédures précises) à une logique de compétences (exercer
un rôle conformément à des attentes). Même si le travail réel a toujours été en
décalage avec le travail prescrit, dans un cas (logique de poste) ce décalage est
nié, dans l’autre la prescription est subordonnée au travail requis par la gestion
des évènements. L’injonction de répondre aux attentes parfois contradictoires
des différentes parties prenantes nécessite un comportement stratégique (Morin,
1977) de la part de l’acteur. Ce comportement stratégique n’exclut d’ailleurs
pas l’incrémentation de routines chaque fois que la situation le permet, ce qui
lui procure une certaine sécurité ontologique. L’évènement dans sa dimension
aléatoire (inducteur de comportement stratégique) prend le pas sur l’évènement
connu, maîtrisé (qui déclenche le programme à réaliser). « La compétence
associe pouvoir de décision, intelligence des problèmes et responsabilité face aux
actes de production (et aux clients) » (Zarifian, 2001). La problématisation est au
centre de l’activité. Elle doit être au centre du référentiel de compétence. Le rôle
est certes écrit (de manière plutôt générale) par la définition de fonction, mais il
est interprété par l’acteur selon les circonstances de son action pour répondre
aux attentes attachées à son rôle, et c’est là que la compétence peut être vue,
évaluée, jugée. Nous rejoignons là V.Genestet, mais en insistant fortement sur le
concept d’attente qu’il néglige (Genestet, 2005). Il fait désormais consensus que
la compétence n’existe que dans l’action ; le référentiel doit donc être centré sur
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l’activité et trouve mieux son sens dans le savoir-agir (Le Boterf, 1995) que dans
le savoir-faire en raison du haut niveau de prescription auquel le savoir-faire a
toujours été associé.

Les nombreux référentiels de compétence (ou au moins les documents dénommés


comme tels) montrent une très grande diversité de constructions et finalement
d’approches de la compétence. Cependant, la construction la plus courante est
axée sur les « domaines » de compétence. Pour exemple, nous reprendrons la
méthode de Force 2000, réalisée dans le cadre d’un projet Leonardo (Labruffe,
2005), retenue par plusieurs grandes entreprises en Europe, qui s’appuie sur une
définition de la compétence qui renvoie à « l’ensemble des savoirs, savoir-faire
et savoir faire-faire nécessaires à la pleine efficacité du tenant du poste ». Ces
compétences sont relatives à des domaines de connaissance spécifiques telle
que l’accueil, la comptabilité, la finance, etc. Chaque domaine comporte 7 niveaux
de compétence : ignorant, connaisseur, utilisateur, généraliste, professionnel,
technicien, spécialiste, expert. Chaque niveau « regroupe un ensemble d’unités
de compétence (ou items) exigées et effectuées concrètement et objectivement
dans la réalisation professionnelle ». Chaque item peut être identifié en termes
de compétence, autrement dit de savoir, savoir faire et/ou savoir faire-faire. Pour
chaque niveau et pour chaque item de ce niveau, il peut y avoir renvoi à un
ensemble de modes opératoires, de protocoles ou de procédures nécessaire à
la bonne exécution de l’item. Comme chaque item peut être réalisé avec plus ou

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moins de difficulté, il est coté de 1 à 4 selon le degré de difficulté rencontrée par


la personne. Par exemple, un référentiel a été construit pour « le management
relationnel ». Il comprend 10 domaines de compétence qui vont de l’accueil à la
gestion du stress. Conformément à la structure prévue, le domaine « accueil »
se décline en 7 niveaux qui s’appréhendent en 32 items répartis inégalement
selon les niveaux. Pour chaque niveau, la compétence du sujet est évaluée selon
les 3 degrés de difficulté prévus. Un tel référentiel est très analytique. Prenons
le cas d’un chef d’équipe, sa compétence en management relationnel pourra
être évaluée dans les dix domaines et il sera possible d’établir une carte de
compétence sous forme d’araignée par exemple permettant de mettre en valeur
son niveau dans chacun des domaines, en supposant qu’un niveau est acquis
que lorsque le degré de difficulté est 4 (grande aisance et maîtrise). Selon un
niveau-cible défini, et les besoins du service, il est possible de bâtir un programme
de formation, et de mettre chaque personne en projet de développement de sa
compétence. Cependant, il est difficile d’envisager de coupler ce référentiel à une
grille de qualification simple et a fortiori à une grille de rémunération. C’est encore
plus compliqué quand la personne exerce plusieurs rôles. Ainsi, plus loin, l’auteur
propose le profil de compétences d’un assistant de communication interne qu’il
décline en 28 domaines de compétence ! L’évaluation devient alors un exercice
très compliqué pour ceux qui en ont la charge puisqu’il faut évaluer le niveau
dans chaque domaine au travers d’une trentaine d’items, parfois plus, avant de
pouvoir mesurer l’écart du niveau atteint par le titulaire du poste dans chaque
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domaine par rapport à un niveau exigé. Même si la finalité de l’outil n’est que la
formation, son utilisation n’apparaît pas très simple. En filant la métaphore du
filet de pêche, souvent évoquée, la construction du référentiel pose le problème
de la taille à retenir pour la maille. Pour le résoudre, il faut se souvenir que le
référentiel est un outil qui par destination doit être « actionnable » et permettre à
celui qui l’utilise d’obtenir le service qu’il en attend sans difficulté majeure. L’outil
ne doit pas être un obstacle à l’actualisation de la compétence de son utilisateur.
La structuration du référentiel autour de domaines de compétences n’est donc
pas toujours la plus pertinente en raison du nombre de domaines convoqués par
l’exercice d’une fonction.

Fondamentalement, l’outil « référentiel de compétence » manifeste une nouvelle


technique de gestion de l’organisation de l’activité (d’agencement des interactions
individuelles puis collectives) et simultanément de gestion des hommes. Il n’y
a pas d’instruments sans technique (Gilbert, 1998). Ici, il s’agit de renouveler
la technique d’utilisation des ressources de l’homme en raison de nouvelles
conditions de concurrence qui imposent de renouveler la compétence de
l’entreprise, autrement dit repenser le travail et son organisation. Simultanément,
cela impose de repenser le recrutement des hommes, leur intégration, leur
formation, leur rémunération, les trajectoires d’emploi souhaitables pour
l’entreprise et plus généralement ce qui est communément appelé les pratiques
de GRH. Comme l’entreprise a des attentes à l’égard des salariés, réciproquement

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des compétences : le secteur des cimenteries

les salariés ont aussi des attentes à l’égard de l’entreprise et ils attendent plus
ou moins explicitement que ces attentes s’inscrivent en creux ou en plein dans
le référentiel de compétence qui les concerne. Par conséquent, le référentiel
de compétence ne « parle » pas que de l’activité et du travail du salarié, mais
également de la manière dont il est « géré » et managé.

Dans ce domaine, la démarche des entreprises est très variable. Potentiellement,


le référentiel de compétence peut être utilisé sur toute la chaîne des pratiques
de GRH, de la sélection du collaborateur à son licenciement en passant par
l’évaluation des écarts entre la compétence acquise et la compétence requise, la
rémunération, la formation, la réalisation du projet professionnel. Il doit également
permettre de procéder à de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des
Compétences. Le référentiel de compétences serait l’instrument caractéristique
de cette conception de la GPRH en cours depuis les années 1990 (Gilbert,
2006). La compétence étant considérée comme une ressource fondamentale,
un avantage concurrentiel, elle fait l’objet d’une démarche prospective (besoins
futurs) qui intègre les facteurs d’évolution externes et internes (économiques,
technologiques, organisationnels, culturels et sociaux (Gilbert, 2006). Un diagnostic
besoins/ressources permet de définir un plan d’actions (formation, recrutement,
gestion des projets professionnels et des départs). Dans la pratique, la démarche
n’est pas aussi aisée que le discours ne le laisse paraître, mais ce n’est pas pour
autant qu’il faille « brûler la gestion des compétences » (Pichault et alii, 2006). La
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démarche de prévision des compétences requises par des emplois aux contours
souvent encore flous (ex : technologie nouvelle de production) n’est pas aisée
et passe difficilement par un référentiel de compétence précis et normatif. Par
contre, il est possible d’imaginer les familles d’emploi ou les emplois probables
et les capacités fondamentales qu’elles (ils) requerront. La maille de saisie
devient alors très large. En prenant pour base les métiers actuels et les mutations
envisagées (technologiques, organisationnelles), il est possible de discriminer les
métiers « sensibles » à ces mutations et d’en traiter les compétences requises de
manière particulière. De même, en discriminant les hommes à « fort potentiel » au
regard de ces métiers sensibles, les écarts quantitatifs et qualitatifs entre besoins
et ressources, pour ces emplois, deviennent perceptibles. Il est possible de faire
de même avec les « métiers-clés » de manière à assurer leur couverture. On est
plus là dans une démarche de prospective métier, « démarche d’anticipation des
futurs possibles en terme de compétences, d’activités, de responsabilités d’un
métier » (Boyer, 2005), qui se passe de référentiel de compétence au sens de
système de repérage précis d’exigences, ce qui n’exclut pas un outil de repérage
d’attentes génériques.

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2. Un contexte de « bureaucratie industrielle » et de GRH de type


arbitraire

Le terrain nous a été proposé au Maroc par le Groupe Portland (nom d’emprunt),
lui-même filiale d’un Groupe cimentier multinational. Initiée une dizaine d’années
plus tôt, la démarche compétence tardait à porter ses fruits au sein du groupe. Un
contrat de collaboration de recherche a donc été conclu entre notre laboratoire
de recherche et Portland (à titre expérimental), destiné à faire progresser la
démarche.

D’un point de vue économique, le contexte GRH est potentiellement très favorable
car la rentabilité est excellente avec un ratio résultat/Ca nettement supérieur à
20 % depuis 2000 : la consommation marocaine de ciment est en forte croissance
(4,9 % par an en moyenne sur les 10 dernières années). Le Groupe est le 2ème
fournisseur du marché.

D’un point de vue technologique, les deux cimenteries (A, S) qui ont fait l’objet du
travail de recherche produisent un produit de qualité sensiblement équivalente,
avec des matières premières identiques mais de qualité inégale parce qu’issues
de leur carrière spécifique. Le processus de production est le même dans ses
grandes étapes, avec une avance technologique pour l’usine de S (plus récente)
notamment pour la préparation de la matière première. Les deux usines sont
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semi-automatisées : la conduite des installations peut ainsi être contrôlée et
optimisée en salle de contrôle. Les deux usines sont certifiées ISO 9001 Version
2000 et ISO 14001.

D’un point de vue organisationnel, les deux usines peuvent être rapprochées de
la configuration « bureaucratie industrielle » proposée par Mintzberg (Mintzberg,
1982). En matière de GRH, c’est plutôt le modèle « arbitraire » qui tend à dominer
(Pichault, Nizet, 2000).

2.1. Une organisation de type « bureaucratie industrielle »


L’organisation de l’activité productive est sectorisée de manière nette : réception
des composants, préparation du cru, cuisson, préparation du ciment, expédition
avec des zones de stockage « tampon » entre les différentes étapes. Les secteurs
critiques sont la préparation du cru, la cuisson et la préparation du ciment, avec,
respectivement, les matériels suivants : broyeur « cru », four, broyeur « ciment ».
Dans ces secteurs, l’automatisation a conduit à répartir le personnel de production
dans les salles de contrôle et à compléter les dispositifs de captage automatiques
par des « rondiers », personnel spécialisé dans la détection des incidents. Il y a
un rondier par secteur critique. Les machines tournent 24 h sur 24, 7 jours sur
7 grâce à des équipes qui travaillent en 3x8. La marche est automatique mais
peut être optimisée par les conducteurs, surtout quand les conditions présentent

140
Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

des difficultés particulières (qualité du cru, incidents de fonctionnement, etc.).


Chaque équipe est animée par un chef de quart. La maintenance du matériel est
assurée par des équipes spécialisées qui relèvent d’un secteur spécifique.

L’activité des opérateurs est conditionnée par le processus productif, le système


automatique de supervision et le système d’analyse automatique. Le système
de supervision collecte les données d’exploitation (grâce aux automates
programmables), les affiche de manière synoptique. Ces données sont ainsi à
la disposition de l’opérateur pour lui permettre de surveiller, contrôler les divers
processus et agir pour optimiser la conduite du matériel. Ce système de supervision
affiche les alarmes, les imprime et les archive. Il fournit également à l’opérateur
les tendances des variables qu’il a choisies, ce qui lui permet d’analyser le
fonctionnement de l’équipement sur une période choisie. Le système d’analyse
automatique effectue des prélèvements en permanence après le broyage du cru
et envoie régulièrement un échantillon à un analyseur (robot qui pèse, réalise une
perle et la transmet à un spectromètre à fluorescence X), dont les résultats sont
transmis à un système expert qui compare aux objectifs et agit sur les doseurs
pour réguler le mélange de matières premières. La préparation du cru est donc
entièrement automatisée mais reste sous la surveillance du « meunier », chargé
de la conduite du broyage.

La division verticale du travail est relativement forte en raison de l’importance


de la prescription : contraintes induites par la fabrication d’un produit normalisé,
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objectifs de quantité, de consommation d’énergie, procédures de réalisation.
Néanmoins, le travail nécessite une compétence certaine car ce n’est pas un
travail de simple exécution, tant au niveau de la conduite des équipements que
de la ronde. En particulier, la conduite du four exige un travail d’optimisation
important en marche normale, et encore plus en cas d’incident.

La division horizontale est déterminée par l’appareil technique de production


et plus précisément par ses zones d’incompétence : la détection des incidents,
l’optimisation de la conduite des broyeurs et du four, la maintenance. A chaque
zone d’incompétence correspondent des activités humaines distribuées en
fonctions incontournables, historiquement définies pour recourir à un minimum
de personnes.

La coordination de l’activité entre les rondiers et les conducteurs se fait par


ajustement mutuel dans le respect des procédures prévues par l’assurance-
qualité : le rondier est le substitut sensoriel et perceptif du conducteur, l’un se
trouvant sur le terrain, l’autre en salle de contrôle. Bien qu’ils soient dans la
même salle de contrôle, conducteur du broyeur et cuiseur sont en binôme avec
les équipements qu’ils pilotent. La coordination de l’activité des conducteurs est
réalisée par standardisation des procédés, des résultats et une dose d’ajustement
mutuel. La supervision directe intervient également de manière plus ou moins
prégnante selon les chefs de quart et les chefs de secteur.

141
19

Le chef de quart est placé dans une situation particulière. Durant les heures de
« jour », c’est à dire quand l’ingénieur et surtout la hiérarchie (chef de secteur,
directeur) sont présents, il agit en autonomie encadrée. Mais en dehors des
heures et des jours de leur présence, il agit en forte autonomie puisqu’il ne fait
appel aux personnes d’astreinte qu’en cas de nécessité ou de situations prévues.
Il est d’usage de dire qu’il remplace le directeur d’usine durant ces périodes.

Les principaux buts de système (qualité, débit, consommation d’énergie) sont


actualisés par les paramètres de conduite des équipements à respecter et les
objectifs à atteindre. Ils sont rappelés comme signes de compétence primordiaux
au cours des entretiens. La sécurité des hommes et des équipements est
également omniprésente durant les entretiens. Seule une observation participante
active pourrait permettre de montrer que ces préoccupations sont investies dans
les pratiques. Les buts de mission affichés sont la satisfaction de la clientèle, la
protection de l’environnement et la contribution à l’amélioration des conditions de
vie des riverains. Les modalités d’exercice du pouvoir montrent une localisation
dominante du pouvoir au sommet stratégique avec déconcentration le long de la
ligne hiérarchique (responsable fabrication, chefs de secteur, chefs de quart). En
effet, la supervision directe des opérationnels est quand même très présente avec
son système de contrôle personnel. Il nous a été difficile d’apprécier le pouvoir
des délégués du personnel, car nos entretiens étaient ciblés sur la construction
des référentiels de compétence et non sur les rapports sociaux dans l’entreprise.
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Ce qui est certain, c’est l’absence de délégués syndicaux. Le système de
contrôle bureaucratique est évidemment très présent par la prédominance de
la standardisation des procédés et des résultats. Cette présence témoigne de
l’influence des analystes de la technostructure.

2.2. Une Gestion des Ressources Humaines de type « arbitraire »


Nous avons eu peu d’information sur la gestion des entrées et des départs, et
sur la manière d’intégrer les nouveaux venus. Il est donc difficile d’utiliser ces
critères.

L’effort de formation est net, tant dans les domaines des métiers proprement dits
que dans le domaine de la sécurité. La formation est gérée de manière classique,
selon les besoins exprimés par la hiérarchie, avec budget et plan de formation,
sous l’égide d’un responsable de formation commun aux différentes usines du
pays. De ce point de vue, les pratiques de formation peuvent être rapprochées
de celles du modèle « objectivant ». Ce qui éloigne de ce modèle, c’est surtout
l’absence d’évaluation formelle pour les opérationnels, de grille de qualification
et de salaires. Les rémunérations sont donc individualisées, tout comme les
augmentations de salaire, mais sur la base de l’appréciation du chef de secteur,
sans critères objectifs au sens où ils ne sont pas formellement explicités.
Les augmentations collectives de salaires n’existent pas. Les promotions

142
Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

sont conditionnées par l’accord du supérieur hiérarchique. Les relations


professionnelles sont gérées par la direction. Il y a un responsable du personnel
par site. Le nouveau Code du Travail national sorti en 2004 oblige les entreprises
à organiser ces relations professionnelles (y compris avec des représentants
syndicaux) selon des règles établies (notamment une réunion régulière 2 fois
par an plus des réunions à la demande). Ce nouveau Code du Travail prévoit
également l’élection d’un CE dans les entreprises de plus de 50 salariés. Ce
Code du Travail restait à appliquer au moment de notre collaboration.

3.Une approche qualitative des compétences

La démarche initiale, menée par le responsable « formation » de Portland, avait


abouti à un outil qui faisait correspondre des « objectifs de compétence » et des
« capacités » répartis dans 9 domaines (Produit, Conduite, Qualité, Contrôle,
Organisation, Gestion, Optimisation, Prévention, Communication). Ainsi pour le
domaine « Produit », le rondier avait, entre autres, pour objectif de compétence
« identifier, quantifier la matière », auquel correspondait la capacité « Estimer
l’état de la matière d’un point de vue qualitatif (granulométrie, propreté, humidité,
chimique) ». Les domaines étaient identiques pour tous, sans hiérarchisation selon
les fonctions, alors que, par exemple, l’optimisation est un domaine prioritaire
pour le conducteur de four, mais secondaire pour le rondier. L’outil ne comportait
aucune échelle de compétence. En réalité, il s’agissait d’une description de poste
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approfondie, améliorée, rédigée sous le registre de la prescription et sur le ton
impératif de l’infinitif. L’outil avait été construit par le responsable lui-même, sur
la base de documents à sa disposition et d’informations collectées auprès de
collaborateurs qu’il reconnaissait comme ayant une bonne connaissance des
métiers.

Notre démarche était fortement conditionnée par notre statut de chercheur


(et non de consultant), notre rôle de personne-ressource pour faire évoluer le
référentiel de compétence, l’éloignement géographique du terrain, le temps de
présence toujours négocié sur ce terrain, la difficulté de choisir les personnes
à interviewer par méconnaissance des deux usines. Un obstacle, majeur au
départ, a progressivement mais rapidement été levé, celui de la méconnaissance
de l’activité, de sa technologie, de ses métiers, de son langage, grâce à l’étude
documentaire, à la visite préalable des cimenteries et surtout aux entretiens.

De posture constructiviste, notre approche, inspirée de l’ethnosociologie, a été


très qualitative. « La connaissance ne reflète pas une réalité ontologiquement
objective, mais concerne exclusivement la mise en ordre et l’organisation d’un
monde constitué par notre expérience » (Von Glasersfeld, 1988). Cette posture
constructiviste est d’autant plus nécessaire que la compétence est une réalité
de 2ème ordre (Watzlawick, 1978), qui ne se donne pas à voir. Elle s’impose,

143
19

même, car la connaissance (à traduire par le référentiel) qu’il s’agit de produire


doit « fonctionner » comme une clé qui ne convient que « si elle ouvre la serrure
qu’elle est supposée ouvrir » (Von Glasersfeld, 1988). N’étant pas du « métier »
(de la cimenterie), je n’avais d’autre choix que de recourir au savoir d’autrui,
mais j’avais néanmoins le choix entre ne recourir qu’au savoir des « experts » ou
interroger un échantillon d’acteurs des différents métiers. C’est la deuxième option
qui a été retenue, partant du principe que ce sont ces acteurs qui détiennent le
savoir le plus pertinent sur leur travail et sur les compétences qu’il requiert et que
c’est ce savoir qui permettra de produire un référentiel juste et équitable parce
que fondé sur leur travail concret et effectif (Dejours, 2003). Nous envisageons de
toutes façons ce référentiel comme un instrument de gestion « ouvert » ; ouvert
aux interactions, donc aux tensions, négociations, et finalement au changement.
La posture constructiviste éloigne de l’approche rationaliste de l’instrumentation
de gestion (Gilbert, 1998) pour, au contraire, l’envisager dans ses dimensions
technico-économique et socio-politique (Louart, 1995), donc dans son approche
interactionniste (Gilbert, 1998).

Les entretiens sont, de manière logique, de type compréhensif (Kaufman, 1996),


très proches de l’ESDC (entretien semi-directif centré) (Romelaer, 2005). Partir
des personnes et de leur expérience des évènements : ce parti pris est essentiel
pour la compréhension de la conduite de la recherche. Les acteurs sont porteurs
du sens des faits sociaux et l’enquêteur, par son approche de l’autre en tant
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que personne (démarche phénoménologique) est en prise directe avec une
construction sociale de la réalité en train de se faire. Le but n’est pas de décrire,
mais de comprendre. Il en découle une technique d’enquête particulière. Dans
les deux usines, les personnes interrogées ont été sélectionnées (sur la base du
volontariat) par le responsable « formation » de Portland, en accord avec chaque
direction d’usine. Préalablement, la méthode, ses fondements, ses contraintes
(triangulation des sources, saturation de l’information), ont été exposés aux deux
responsables. Les critères du choix sont le rôle, l’ancienneté dans l’entreprise,
l’âge, et le niveau de compréhension et d’usage de la langue française. Les
entretiens ont été individuels, en co-présence, sans tierce personne. Ils ont été
enregistrés sur bande magnétique et leur contenu retranscrit. L’enregistrement
est doublé par une prise de note instantanée qui permet, chemin faisant, de
construire progressivement le référentiel dans son contenu et sa structure.

Le travail d’élaboration des référentiels a été réalisé successivement pour les


personnels de production puis pour ceux de la maintenance, dans le cadre de
deux contrats différents. La signature du 2ème contrat était conditionnée par la
réussite de la 1ère mission : les référentiels de compétence pour les métiers de
la production ont été testés par une évaluation de tout le personnel de production
des deux usines et l’établissement de cartographies de compétence par métier.
La deuxième mission a servi, pour nous, à valider le design du référentiel et
la méthode sur une deuxième catégorie de métiers, ceux de la maintenance.

144
Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

Au total, ce sont 53 entretiens (durée comprise entre 45mn et 90mn) qui ont
été réalisés, dont 38 pour les métiers de la production et 15 pour ceux de la
maintenance. Au niveau de la production, nous avons procédé en 2 vagues,
l’une de 22 entretiens pour une pré-élaboration simultanée des référentiels et
du modèle, l’autre de 16 entretiens pour le travail de validation du modèle et de
finition des référentiels.

Ainsi, ont participé aux entretiens, lors de la première vague : 5 cadres (directeur,
chef de secteur), 6 chefs de quart, 11 opérateurs (rondiers, conducteurs de
broyeurs, et conducteurs de four). Lors de la deuxième vague d’entretiens, les
16 opérationnels de la première vague ont pris connaissance des référentiels et
ont été invités à proposer les aménagements qui leur semblaient pertinents. Au
terme de ces entretiens, les référentiels de chaque métier faisaient consensus. Le
travail a été plus rapide pour le personnel de maintenance, car le modèle n’était
plus à construire mais à faire valider par les acteurs et, surtout, le personnel de
certains métiers est beaucoup moins nombreux (visiteur, préparateur). Comme
pour les métiers de la production, ce sont des acteurs des différents métiers
(électricité, mécanique, instrumentation et automatismes) concernés dans les
deux usines qui ont été sollicités.

La grille de questions n’est pas standardisée et stabilisée, mais varie selon le rôle
de la personne interrogée et évolue au cours de l’entretien « la meilleure question
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n’est pas donnée par la grille : elle est à trouver à partir de ce qui vient d’être dit
par l’informateur » (Kaufman, 1996). Le but était de déterminer la grille de lecture
la plus pertinente de la compétence pour chaque rôle (rondier, conducteur de
broyeur, conducteur de four ou cuiseur, chef de quart), le nombre de niveaux
de compétence nécessaires à une « bonne » évaluation de la compétence et
les signes de compétence qui permettaient de différencier les niveaux. Le but
était donc double : construire le modèle du référentiel et le décliner pour chacun
des métiers. L’entretien n’est évidemment pas un interrogatoire, mais prend
l’apparence d’une conversation au cours de laquelle l’enquêteur essaie d’entrer
en contact avec le savoir de l’enquêté sur le travail concret, effectif et les signes
de compétence relatifs à chaque rôle.

4. Résultats : un modèle de référentiel, des référentiels et des


cartographies de compétence

Le référentiel ne fait plus état d’une « mission », mais d’un rôle et d’attentes à
l’égard de ce rôle. Par rôle, ici, il faut entendre un modèle organisé de conduites
attendues, lié à un certain statut ou position de l’individu dans le groupe. Rôle et
attentes sont donc indissolublement liés. Ce sont les attentes qui donnent tout
son poids au rôle. Les rôles (et les attentes) sont déterminés par l’organisation,
c’est-à-dire par la manière dont s’articulent, s’agencent les activités individuelles

145
19

pour mener l’action collective. Les attentes sont de l’ordre du prescrit et de


celui du consensus des membres du groupe, ce qui leur confère leur valeur
fonctionnelle pour celui-ci. Le rôle comporte des droits et des devoirs (attachés
au statut), mais lui sont également attachés certaines attitudes, certains traits de
caractère censés favoriser l’exercice du rôle. Ces attentes en matière d’attitudes,
de traits de caractère sont clairement apparues lors des entretiens et intégrées au
référentiel de départ. Cette catégorie de « signes de compétence » a néanmoins
été supprimée à la demande du responsable « formation » du Groupe Cimentier,
en raison de la difficulté à les objectiver et à les évaluer. Le rôle diffère de la
« mission » telle qu’elle était écrite dans la description de poste et le référentiel
proposé avant notre intervention, parce qu’il s’inscrit dans une logique de service
à l’organisation et non plus de prescription de ce qu’il faut faire.

Ainsi, le rôle du rondier n’est plus de surveiller les installations, mais de


« détecter et traiter les anomalies (process/matériel/matière) dans les limites de
son domaine et de son niveau de compétence ». C’est un service qu’il rend
à l’opérateur en salle de contrôle. Ce qui fait le poids d’un rôle est le niveau
d’exigence traduit par les attentes. Ici, ce qui est notamment attendu du rondier
est « l’efficacité de la détection (nature, qualité et délais), l’efficacité du traitement
des anomalies (traitement personnel ou appel à la compétence nécessaire)
et l’esprit d’équipe ». Le rondier, qu’il soit en cuisson, en broyage « cru » ou
« ciment » prolonge l’opérateur (qui se trouve en salle de contrôle) sur le terrain.
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Il voit, entend, sent, palpe ce que l’opérateur ne peut voir, entendre, sentir, palper
de la salle de contrôle parce que les capteurs, palpeurs, caméras n’ont pas une
compétence suffisamment large pour assurer une détection complète.

Le rôle du rondier et les attentes relatives à ce rôle étant définies, à quels signes
reconnaît-on le niveau de compétence d’un rondier ? Il était nécessaire de
convenir de ces signes pour aboutir à une véritable convention de compétence.
Les entretiens ont permis de dégager 4 catégories de signes de compétence :
« ce qu’il sait faire », « ce qu’il connaît », « les évènements critiques qu’il
sait gérer », « les qualités personnelles qu’il manifeste ». De même, ils ont
fait émerger la pertinence de 4 niveaux-cibles de compétence : N1 ciblé par le
« débutant », N2 ciblé par celui qui « applique » les règles, les procédures, les
consignes, respecte les paramètres de conduite (pour les conducteurs), N3 pour
celui qui « maîtrise », et N4 pour celui qui « domine » ou est reconnu comme
« expert ».

146
Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

OPERATEUR CUISSON - Maîtri se -


(autonomie)
(autonomie)

CE QU'IL SAIT FAIRE O N CE QU'IL CONNAÎT O N

 Sait ce qu’il fait et n’est plus dans une démarche  Combustibles de substitution
essai / erreur  Analyse Process Cuisson
 Optimise la clinkérisation quelle que soit la  Bilan thermique
qualité du cru (ne subit plus les variations de  Conduite économique
qualité de la matière)
 Conduite environnementale
 Optimise la cuisson dans le respect des normes,
produits, combustibles et environnementales en  Statistiques cimentières
tenant compte des paramètres de conduite.
 Réagit à toute perturbation LES EVENEMENTS CRITIQUES
O N
 Prend les dispositions transitoires pour év iter QU'IL SAIT GERER
anomalies, incidents et pannes
 Anomalies et incidents majeurs
 Communique sur la matière et ses Exemples
transf ormations, sur les installations et le
 Anneau
Process
 Point chaud
 Analyse et diagnostique les dysfonctionnements
de la ligne de cuisson (bilan aéraulique, bilan  Matière difficile à cuire
thermique…)  Perturbations en marche (arrêt du
********* circuit granules, mauvaise granulation)
- Limite de compétence -  Coupure d’énergie
 Ne sollicite plus le chef de quart pour l’exercice  Glissement des bandages
de son rôle  Montée, descente four
 Incendie

Le référentiel est rédigé avec des verbes conjugués à la 3ème personne et non
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plus à l’infinitif. Cette rédaction est encore imparfaite parce qu’elle n’enrôle pas
la personne évaluée dans son évaluation. Une conjugaison à la 1ère personne
inciterait à cette autoévaluation. Nos efforts de négociation n’ont pas abouti à cette
version souhaitée. Cette conjugaison à la 3è personne n’est pas neutre, car elle
manifeste une certaine attitude de réification de l’acteur et peut-être une intention
non exprimée de laisser les acteurs à l’écart de leur propre évaluation. « Ce qu’il
connaît » ne renvoie pas à une connaissance mémorisée, mais à une connaissance
investie dans l’action, donc actionnable et actionnée. Lorsque le rondier, par
exemple, communique par radio avec la salle de contrôle, il est aisé pour son
interlocuteur de juger, au travers des échanges, de son niveau de connaissance
des installations, ou des évènements (anomalies). Les « évènements critiques »
sont les évènements imprévisibles qui menacent sérieusement la marche normale
du process. Les entretiens ont révélé que ce sont eux qui font surtout la différence
de niveau de compétence. Ce sont les difficultés nées des évènements critiques
qui fondent la compétence distinctive. Intégrer la gestion de ces évènements
critiques dans l’évaluation de la compétence est une démarche innovante et
c’est ce qui permet une évaluation « convenable » (Dejours, 2003). Les qualités
personnelles sont aussi une catégorie qui est revenue sans cesse au cours des
entretiens. Elles renvoient à des capacités cognitives (observation, analyse,
synthèse, etc.), mais aussi psychiques (confiance, sang-froid, prudence, écoute,
etc.). Cette catégorie n’a pas été facile à traiter et a été finalement refusée (voir

147
19

ci-dessus). Il faudrait « objectiver » ces signes de compétence en produisant


des indicateurs qui permettent de reconnaître qu’un acteur a confiance en lui,
par exemple, ou qu’il a une capacité d’analyse suffisante. Le but est de limiter
la subjectivité de l’évaluateur, sachant que s’il est possible de la faire tendre
vers zéro, elle ne sera jamais nulle. Il faut donc faire un minimum de confiance
aux évaluateurs et réduire la marge d’erreur par un régime d’évaluation adapté.
Les équipes tournent et chaque opérateur travaille sur une année de manière
récurrente avec les 4 chefs de quart. Il est donc possible de faire évaluer chaque
opérateur par deux ou trois chefs de quart, et le chef de secteur. Le chef de
quart pourrait faire l’objet d’une évaluation par son chef de secteur et par un ou
deux opérateurs. Comme les évaluations sont menées en présence et sous la
régulation du responsable Formation Groupe, ce régime d’action permettrait un
équilibre certain du jugement.

L’outil proposé n’est pas parfait et continuera à être amélioré, chemin faisant,
grâce à la perspicacité et aux propositions des évalués (s’ils ont connaissance
des référentiels et sont impliqués) et des évaluateurs, sachant qu’à ce niveau,
nos attentes sont qu’il réponde de mieux en mieux aux 5 conditions de validité
énoncées dans le premier paragraphe (Cadin et alii, 2002). Il est néanmoins
opérationnel et utilisé.

Ainsi, la cartographie des compétences a permis non seulement de repérer les


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situations individuelles et écarts entre les niveaux acquis et ciblés, mais également
les déficits de compétence par métier, par service et par usine. Par exemple, dans
l’une des usines, sur les 5 chefs de quart, seuls deux ont été reconnus au niveau-
cible (maîtrise), les autres se situant plutôt au niveau 2 (applique), ce qui pose
problème en dehors des heures de présence de la hiérarchie et notamment des
ingénieurs car, dans ces cas, il est seul décideur dans l’usine pour la production.
Il a donc été décidé d’assurer rapidement leur montée en compétence pour les
amener au niveau-cible.

La cartographie des compétences combinée aux référentiels de compétence


permet de déceler les sources de déficit de compétence par les signes de
compétence qui ne sont pas manifestés par les acteurs et qui font donc obstacle au
passage au niveau supérieur. Par exemple, dans l’une des usines, il faut conduire
les 6 contremaîtres du niveau N2 au niveau N3 en renforçant leurs capacités
à analyser l’ensemble des dysfonctionnements Qualité et Environnement et
leurs conséquences, à organiser le travail (définition des priorités - répartition
des tâches - coordination du travail - suivi - contrôle) et à animer une équipe
(évaluer - déléguer - contrôler).

Autre constat permis par la cartographie des compétences par famille de métiers :
dans l’une des usines, les 2/3 de l’effectif de fabrication sont au niveau débute
ou applique, et seul ¼ du personnel de maintenance est au niveau maîtrise.

148
Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

Cette situation est problématique et peut trouver réponse dans la stratégie de


formation.

L’utilisation des référentiels de compétence a eu ce premier effet révélateur. Le


deuxième effet a été la remise en cause implicite des pratiques de formation. Leur
efficacité peut désormais être évaluée rapidement grâce aux progrès réalisés par
la personne qui a suivi un cursus de formation. D’une formation poussée, il est
désormais possible de passer à une stratégie de formation tirée par les besoins
en compétence des services et des usines, mais également par l’engagement
des acteurs dans le développement de leur compétence.

En effet, l’outil leur est également normalement destiné. Comme il a permis de


définir des parcours professionnels, les acteurs peuvent doublement être mis
en projet : élever leur niveau de compétence au niveau-cible, voire au niveau 4
pour pouvoir exercer le rôle de formateur, réaliser leur projet professionnel. Il a
été possible, grâce aux référentiels de compétence de formaliser des parcours
professionnels par famille de métiers (ex : rondier, conducteur de broyeur,
conducteur de four, chef de quart, puis chef de secteur et éventuellement
responsable de service).

Par rebond, le référentiel de compétence peut également servir à faire de la


gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour traiter les départs,
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pour introduire de nouvelles technologies, ou construire une nouvelle usine.
L’outil a, par exemple, été utilisé à l’usine de Marrakech pour évaluer les acteurs
et établir les cartographies de compétence par métier et famille de métier. En y
intégrant l’âge des personnes, la prévision des départs en retraite est rapidement
faite et les déficits en personnel et en compétence immédiatement visibles et
programmables. Simultanément, les programmes de formation et de recrutement
sont envisageables et peuvent être concrétisés. Au moment du recrutement,
le recruteur peut utiliser les référentiels de compétence pour sélectionner les
candidats sachant que la sélection doit éventuellement se faire sur la base de
potentiels capables de faire un parcours professionnel, donc se porter sur des
candidats évolutifs.

149
19

Répartition par niveau de compétence et métier

Expert Débute
(2.15%) Fabrication
(8.7%)

37%
52.15% Les 2/3 de l'effec tif Fabrication sont au
niveau Débute et Applique

Maîtrise Applique

Expert Maintenance
(5%) Débutant
(3%)

- ¼ du personnel de Maintenanc e est


26% 48% au niveau Maîtrise
- Pratiquement la moitié du personnel
de Maintenanc e es t au ni veau Applique

Maîtrise Applique

Là où le référentiel a pu également montrer toute sa portée, c’est sur le projet


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de construction d’une nouvelle usine. Il a été immédiatement possible de prévoir
les familles de métiers requises, d’en percevoir les exigences en terme de
compétence pour les emplois identiques. Bien sûr, le contexte technologique
étant sensiblement différent, il faudra adapter certains référentiels de compétence.
Enfin, l’analyse des cartographies de compétence des 3 usines a permis de
constater, qu’outre le fait qu’il est difficile d’extraire des compétences des usines
actuelles pour les affecter à la nouvelle usine, seule l’usine de S offre un potentiel
de compétences exploitable (une dizaine de personnes).

Enfin, la réussite de la construction des référentiels est une opportunité pour mettre
en œuvre une véritable démarche de GRH à la fois objectivante et individualisante.
En effet, l’outil permet de qualifier les acteurs selon leur fonction et leur niveau
de compétence, de hiérarchiser les fonctions selon les compétences requises
tant en production qu’en maintenance, de dresser une échelle de rémunération
selon les fonctions et les compétences requises et de proposer des parcours
professionnels étayés par une formation adaptée aux compétences requises par
l’entreprise et aux compétences acquises par les salariés.

Conclusion

Le référentiel de compétence est l’outil incontournable pour une démarche

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Du référentiel des compétences à la prospective
des compétences : le secteur des cimenteries

de gestion des compétences. Le référentiel de compétence est avant tout un


référentiel de sens pour les acteurs, parce qu’il signifie les compétences à
manifester dans l’action, il oriente l’employé et l’employeur dans leur gestion par
les compétences, et, finalement, parce qu’il signifie et indique, sert de référence
pour la production de sensations de réussite ou d’échec des actions. Il fait donc
pleinement sens (signification, orientation, sensation).

Le référentiel de compétence fait pleinement sens et pourtant nous n’avons pas


eu besoin d’une définition explicite de la compétence, parce que la compétence
fait sens pour les acteurs sans qu’elle ait besoin d’être définie. Avant la production
des référentiels, la « conscience pratique » (Giddens, 1987) de la compétence
comme réalité leur suffisait pour assurer le contrôle réflexif de leur action, la
rationaliser, évaluer leur propre compétence et celle des autres acteurs. Les
entretiens leur ont permis de dire des manifestations de cette réalité dans leur
vie quotidienne, donc de passer d’une conscience pratique à une conscience
discursive, de franchir la ligne de partage entre ce qu’ils savent faire et ce qu’ils
savent à la fois faire et dire.

Pour nous, chercheur, qui avons besoin de dire, nous sommes de plus en plus
convaincu que la compétence est un geste mental, une manière particulière
d’appréhender la réalité de l’action, qui induit des attitudes et des comportements
particuliers. Passer son action ou l’action d’autrui à la grille, voire sur le gril, de
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la compétence la fait « voir » d’une toute autre manière. Encore faut-il avoir
les critères pertinents d’analyse, donc un « bon » référentiel. S’inscrire dans
une logique de compétence nécessite un outillage adapté, mais également
d’être suffisamment équipé de valeurs morales pour en faire une logique de
construction pour soi et pour les autres et non pas une logique d’exclusion, voire
de destruction.

Pour ce qui nous concerne, nous pensons la compétence comme un potentiel


qui s’actualise dans l’action et qui rétroactivement se développe par l’action. D’un
point de vue professionnel, la compétence est un potentiel qui s’actualise dans
l’exercice de rôles, donc dans la gestion de situations et d’évènements plus ou
moins critiques, conformément à des attentes. Mais ce point de vue peut être
élargi à l’ensemble des plans de vie.

Le geste « mental » compétence peut de même être investi dans l’évaluation de


l’action de tout système, qu’il soit artificiel, humain ou social. Ainsi, en va-t-il pour
la compétence des équipes (compétence collective), de l’entreprise et de son
réseau, et de tout autre système social. Ces compétences sont interactives : la
compétence de l’entreprise à l’égard de ses différentes parties prenantes procède
de la compétence de ses équipes, qui elle-même procède de la compétence
des individus. Ainsi, il est possible de dire que les appareils domestiques ont
gagné en compétence, non seulement par l’intégration de plusieurs fonctions,

151
19

mais surtout par une meilleure réponse à nos attentes de simplicité, de confort
d’utilisation par exemple. Ces attentes n’étaient pas exprimées et sont nées avec
le gain en compétence des appareils. Il y a co-évolution des attentes avec la
compétence. C’est aussi vrai pour les autres systèmes, ce qui met en valeur
la dimension socio-politique de ce geste mental : les attentes sont plastiques,
indéfiniment évolutives, donc d’une impériosité potentiellement indéfinie. La
logique compétence laisse place aux jeux stratégiques des acteurs chaque fois
que des zones d’incertitude se libèrent. Le rempart est dans le dialogue et dans
la mise en œuvre de règles négociées. Ainsi conçue, la logique compétence
s’inscrit pleinement dans la perspective de la « prospective métier ».

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