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La fonction Achats de demain : analyse prospective par la

méthode PM
Natacha Trehan
Dans Management & Avenir 2014/4 (N° 70), pages 153 à 170
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.070.0153
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La fonction Achats de demain : analyse prospective par
la méthode PM
Natacha TREHAN1

Résumé
L’article présente les résultats d’une recherche prospective sur la
fonction Achats par la méthode PM avec 42 acteurs-experts. Il
ressort que les missions Achat de demain sont la création de valeur,
la contribution à la réinvention du business model de l’entreprise, alors
que le pouvoir s’inverse en faveur des fournisseurs clés. L’acheteur
pilote de ces évolutions est nommé « mutant noétique ».
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Abstract
This article presents the results of a foresight research on purchasing
function using the PM methodology with 42 experts. Value creation
and contribution to business model reinvention appear to be the
future missions of procurement in an environment where the power
switches in favor of key suppliers. The new purchaser is named
“noetic mutant”.

La fonction Achats a longtemps été considérée comme une fonction administrative « au


service des usines » selon la terminologie de Keough (1993). Les crises pétrolières des
années 70 lui permettent de gagner en reconnaissanc ; mais cette reconnaissance signifie
le plus souvent « réduction des coûts ». Sa transformation vers une logique de « gestion
des Ressources Fournisseurs » est à relier à la découverte du modèle japonais et aux
travaux phares de Dyer et al. (1993, 1998). Apparaît alors la notion « d’entreprise éten-
due ». La complexification des relations inter-entreprises combinée à un environnement
de plus en plus instable et imprévisible, font de la sécurisation de la Supply Chain la
priorité fin des années 90, début 2000 (Colin, 2005). La fonction Achats mue alors vers
un rôle de « risk management » (Leopoulos et al., 2004). Si, actuellement sa contribution
à l’avantage concurrentiel semble reconnue (Monzcka et al., 2012), les interrogations
des professionnels sont nombreuses quant à son évolution future. Preuve en est des
multiples études et propositions de cabinets de conseil sur l’avenir de la fonction Achats2.

1 Maître de Conférences, IAE de Grenoble, Université Pierre Mendès-France, CERAG UMR


CNRS, natacha.trehan@iae-grenoble.fr
2 http://www.ariba.com : « Vision 2020, Ideas for Procurement in 2020 », realisée par Ariba,

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Mais, leurs éléments de réponses sont souvent contingents de leurs propres solutions
technologiques ou de conseils. Concernant les recherches académiques, fondées sur des
méthodes prospectives reconnues (scénarios, méthodes d’experts, analyse structurelle,
analyse des jeux d’acteurs…), il n’en existe à notre connaissance aucune sur la fonction
Achats. Les rares recherches prospectives sur une fonction connexe, la supply chain,
sont focalisées sur l’identification et la gestion des risques futurs (Gracht et al., 2010 ;
Markmann et al., 2012). Est-ce à dire que la fonction Achats se situera aussi dans la même
mouvance future de risk management ou évoluera-t-elle vers d’autres priorités ? Comment
la fonction Achats évoluera-t-elle à horizon 2025 ? Telle est notre interrogation. Notre
objectif est double : combler un manque académique de recherche prospective sur cette
fonction et permettre au monde professionnel de mieux (se) préparer (à) l’avenir. Afin
de répondre à notre question de recherche, nous utilisons une méthode d’experts : la
méthode PM. Ce travail s’articule en trois parties. Comme toute démarche prospective
requiert une bonne appréhension du présent et du passé (Scouarnec, 2008), nous pro-
posons, dans une première partie, une genèse de la fonction Achats. La seconde partie
est consacrée à la méthodologie. La troisième présente les futuribles et leur discussion.
En conclusion, sont présentées les limites et perspectives de cette recherche.

1. Les temps forts de la fonction Achats

A partir d’une revue de littérature sur la fonction Achats, nous proposons une chronologie
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de cette fonction en quatre grands temps forts.

1.1. 1850 - fin des années 60 : les balbutiements de la fonction


Fearon (1968) a été un des premiers à s’intéresser à l’histoire de la fonction Achats. Il fait
coïncider le développement des achats avec celui du chemin de fer aux USA après 1850.
Il faut ensuite attendre les deux guerres mondiales pour que la fonction Achats gagne
de l’importance du fait de son rôle pour l’obtention des matières vitales dans l’effort de
guerre. En 1916, de manière visionnaire, Fayol (1916) souligne que « savoir acheter et
vendre est aussi important que de savoir bien fabriquer ». En 1945, la CDAF, Compagnie
des Dirigeants et Acheteurs de France, voit le jour. Mais cette reconnaissance des achats
est conjoncturelle. Après la seconde guerre mondiale, Henderson (1964) souligne que
la fonction Achats est considérée comme « une fonction négative : elle peut handicaper
l’entreprise si elle n’est pas bien réalisée, mais elle ne peut apporter de réelle contribu-
tion ». L’enjeu essentiel des Trente Glorieuses est de satisfaire la demande croissante.
La compétition est stable et les matières abondantes, aussi la fonction Achats n’est-elle
pas prioritaire. Elle demeure essentiellement administrative, « au service des usines »
et « orientée prix » selon les terminologies de Keough (1993). Les principaux ouvrages
traitant de cette fonction pendant cette période sont symptomatiquement nommés
« Materials Management ». Cette dénomination regroupe de nombreuses tâches admi-
nistratives (planification et contrôle des matières, ordonnancement de la production,
réception, entreposage, transport, contrôle de la qualité, des stocks) au milieu desquelles

http://www.sap.com/ : « The new face of Purchasing » sponsorisé par SAP en avril 2005, http://www.
atkearneypas.com : « Succeeding in a Dynamic World: Supply Management in the Decade Ahead » (2007)
sponsorisée par AT Kearney.

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les achats... Durant les Trente Glorieuses, les fournisseurs sont rarement considérés comme
des partenaires vecteurs de valeur ajoutée. Les relations sont de courte durée et plutôt
conflictuelles. Ali et al. (1997) caractérisent cette période de « adversarial approach ».

1.2. Les crises pétrolières des années 70 : catalyseurs de la reconnaissance


de la fonction
Les années 70 marquent l’entrée dans une croissance ralentie, une inflation et des taux
d’intérêt élevés, une intensification de la concurrence. La demande des consommateurs
évolue vers une offre plus différenciée… Tous ces paramètres vont catalyser la recon-
naissance de la fonction Achats comme contributeur à la défense de l’avantage concur-
rentiel des entreprises. En 1973, dans un article précurseur « Buying is marketing too »,
Kotler et Levy (1973) soulignent l’importance pour les Achats de se « vendre » sur le
marché fournisseur, d’être pro-actifs. Leenders et al. (1975) a été un des premiers à
reléguer la dimension administrative du « materials management » derrière la dimension
plus stratégique du « purchasing ». En 1976, Barreyre (1976) valorise cette image d’une
fonction Achats « moderne », par son rôle de veille active, d’animation de réseaux de
fournisseurs, par sa contribution à l’identification d’innovations… Un an auparavant,
le Professeur Barreyre créait sous l’impulsion de Merlin Gerin la première formation
universitaire habilitée, en France, à délivrer un diplôme de 3ème cycle pour former de
futurs managers achats : le DESMA (aujourd’hui master de l’IAE de Grenoble). C’est à
cette période que l’IMP Group (Industrial Marketing and Purchasing Group), à travers
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les travaux de Hakansson et al. (1979), pose les bases d’un modèle de relations client-
fournisseur. Pour autant, il faut attendre le courant des années 80 pour que ces relations
mutent de l’approche « adversarial » à l’approche « relational » (Ali et al., 1997).

1.3. Début des années 80 – fin 90 : le fournisseur en tant que Ressource


Externe
Suite à la crise des années 70, les entreprises se recentrent sur leur cœur de métier durant
la décennie 80, afin d’améliorer leur efficience et la rentabilité de leurs capitaux. Si l’on
considère l’équation simplifiée : achats + valeur ajoutée = chiffre d’affaires, on est passé,
globalement, dans l’industrie, d’une part achats de 30% à 60-70% du CA, la VA suivant
une évolution inverse. Sur cette période, les entreprises comprennent que développer
des compétences dans la conception et le management de réseaux fournisseurs, permet
d’obtenir une « rente relationnelle » distinctive (Dyer et Singh, 1998). Dans un ouvrage au
titre explicite « Reverse Marketing », Leenders (1988) souligne la nécessité de repenser
les relations client-fournisseur vers plus de relationnel et de proactivité. L’impartition,
conjonction de l’externalisation et du partenariat avec un nombre limité de fournisseurs
clés, nait (Barreyre, 1988). Dans la perspective du courant de recherche « ressource
based view », les fournisseurs deviennent des Ressources Externes. Savoir les manager
de façon distinctive devient une compétence clé (Dyer et Ouchi, 1993 ; Cox, 1996). Les
frontières de l’entreprise sont repensées : la firme recentrée devient le pivot d’une chaîne
logistique étendue (Paché et Sauvage 1999). Selon Nollet et al. (1994) l’acheteur est alors
un manager des opérations intégrées de cette chaîne logistique étendue. En France, la
distinction de la fonction Achats et Approvisionnement, par la norme AFNOR 50-128 de
1990, favorise la reconnaissance du rôle commercial et stratégique des Achats dans la

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gestion des Ressources Externes. La transformation des Achats, d’une logique « coûts à
réduire » vers une logique « Ressources Externes à manager », est amorcée dans l’industrie.
Elle se diffuse ensuite vers le tertiaire.

1.4. Début des années 2000 - courant 2010 : diffusion de la fonction et


gestion des risques
Au début des années 2000, la professionnalisation des achats s’étend du secteur industriel
au secteur tertiaire, en particulier, banque, assurance, télécommunication... De nouveau,
la crise agit comme un catalyseur de la reconnaissance des achats. L’explosion de la
bulle Internet en 2000-2001 provoque un ralentissement de l’activité économique et
une crise financière. C’est ainsi que la fonction Achats groupe est créée fin 2000 à la
Société Générale, en 2001 chez Axa et 2003 chez France Télécom. De même, la crise de
la dette publique est à l’origine de la diffusion de la fonction au sein du secteur public.
En Europe, le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) de 1997, en incitant à la maîtrise
des dépenses publiques, favorise la prise de conscience de l’importance des achats. En
France, la Révision Générale des Politiques Publiques de 2007 renforce le PSC avec comme
résultante la création du Service des Achats de l’Etat en 2009… Selon Calvi et al. (2010),
la fonction Achats voit enfin son rôle stratégique reconnu. Toutefois, Rozemeijer et al.
(2003) nuancent cette capacité à contribuer à l’avantage concurrentiel selon l’implication
de la Direction Générale, la résistance des BU à collaborer, le niveau d’implication amont
des achats ou encore la capacité à prouver sa performance. La preuve de la performance
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Achats demeure un point clé d’étude (Hartmann et al., 2012). Ceci est d’autant plus impor-
tant que cette période se caractérise par un environnement économique, technologique,
géopolitique, écologique, social… de plus en plus complexe et incertain. En 2009, dans
une étude auprès de professionnels des achats, dans 220 entreprises internationales
tous secteurs confondus3, la gestion des risques est citée parmi leurs trois premières
priorités. Au-delà de la professionnalisation des Achats dans le tertiaire, la décennie
2010 se caractérise aussi par une fonction Achats gestionnaire du risque (Leopoulos et
al., 2004 ; Tang, 2006).

En synthèse, la fonction Achats est une fonction jeune puisque son réel essor est subséquent
aux chocs pétroliers des années 70. Son évolution est à relier aux crises économiques et/
ou aux secteurs confrontés à des niveaux de marges relativement faibles et à une forte
intensité concurrentielle. Preuve en est de son développement originel dans l’automobile
et de son apparition tardive (après 2000) dans des secteurs avec des niveaux de marges
encore confortables au début des années 2000 : la pharmacie, la banque, les assurances…
Ainsi, la reconnaissance de la fonction Achats est systématiquement passée en premier
par la réduction des coûts. De ce fait, cette fonction a toujours du mal à se positionner
au sein de l’entreprise et à légitimer sa dimension stratégique sur des sujets tels que :
les choix make or buy, l’apport d’innovation, la réduction des délais de mises sur le mar-
ché… Preuve en est de son rattachement hiérarchique (dans 27% des cas seulement à la
DG) ou de sa faible représentativité dans les comités de direction (dans 47% des cas)4.
Mais la finalité de la fonction Achats se limite-t-elle à une reconnaissance interne ? Ne

3 http://www.aberdeen.com, « CPO Agenda », avril 2009.


4 http://www.csc.com, « Baromètre Achats 2011 », CSC Challenges TNS Sofres : 160 grandes
entreprises européennes et nord-américaines.

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La fonction Achats de demain : analyse prospective par la méthode PM

peut-elle pas être un accompagnateur du changement au sein des entreprises ? Quels


sont, dès lors, les missions, organisations Achats de demain, les nouveaux profils des
acheteurs ?... Telles sont les interrogations auxquelles nous tenterons de répondre par
cette recherche prospective.

2. Méthodologie de la recherche prospective

Notre objectif est de proposer une analyse en termes de tendances lourdes prenant en
compte les ruptures. Nous cherchons à identifier ce que De Jouvenel (1993) nomme
des futurs possibles ou « futuribles ». On note ainsi la différence entre la prospective
et la prévision. « La prospective est de l’ordre de l’anticipation, même imparfaite, des
changements, des discontinuités, des éventualités » (Scouarnec, 2008). L’attitude pros-
pective selon Godet (2001) est « un regard sur les avenirs possibles, destiné à éclairer
l’action présente ». En tant qu’étude des phénomènes de long terme, elle est pluridisci-
plinaire et d’inspiration systémique. Selon Thiétart et Bergadaa (1990), les méthodes
prospectives traditionnelles n’intègrent pas suffisamment le rôle des experts en tant
qu’acteurs du changement. Comme le souligne Godet (2001) : « Face à l’avenir, le jugement
personnel est souvent le seul élément d’information accessible pour prendre en compte
les événements qui pourraient survenir […] Aussi les méthodes d’experts sont-elles très
précieuses pour réduire l’incertitude et pour confronter le point de vue d’un groupe à
celui d’autres groupes ». Dans la littérature, trois méthodes d’experts sont répertoriées :
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DELPHI, PRODIN et PM (Thiétart et Bergadaa, 1990 ; Godet, 2001 ; Scouarnec, 2008).
PRODIN et PM s’inspirent toutes deux de la méthode originelle DELPHI, développée
par la Rand Corporation, qui depuis a fait l’objet de nombreux enrichissements5. Notre
choix se porte sur PM, conçue pour de la prospective sur un métier spécifique, les Achats
dans notre cas. Quelles que soient les méthodes d’experts, un des points clés des retours
d’expérience réside dans l’attention à porter au choix, à la diversité des acteurs-experts
(Roubelat, 2000 ; Rowe et Wright, 2011). PM requiert de multiples acteurs-experts d’ori-
gine différente : 42 acteurs-experts dans 34 entreprises et 24 secteurs différents dans
notre étude (Tableau 1). Concernant le choix des acteurs-experts, c’est leur proximité
avec le sujet qui importe. Selon Roubelat (1999), il est possible de distinguer deux types
d’acteurs-experts : l’acteur-expert consulté en raison de son rôle dans le processus de
décision lié à la problématique (dans notre cas les DG, PDG, Directeurs, Responsables
Achats et Acheteurs), l’acteur-expert consulté en raison de sa connaissance directe ou
indirecte du sujet (dans notre cas les Directeurs, Responsables Supply Chain, Industriel,
Qualité, Méthodes Achats6). Il est recommandé une diversité des origines, des profils afin
de pouvoir collecter des visions différenciées autant que des tendances lourdes. Notre
panel de 42 acteurs-experts répond bien aux impératifs de connaissance du sujet, de
diversité des origines (entreprises publiques et privées, PME et grands groupes dans 24
secteurs) et de profils. Nous présentons, dans le Tableau 2, la méthodologie PM appliquée
à notre recherche, menée sur 2011-2012. L’analyse et le codage des données collectées
lors des entretiens semi-directifs de la partie 1 PM sont réalisés selon la méthode d’ana-
lyse de contenu proposée par Bardin (1980). Un codage thématique est effectué à partir

5 Voir le n° spécial de Technological Forecasting & Social Change de novembre 2011.


6 Par la suite, les premières lettres des fonctions seront reprises : DA pour Directeur Achats par
exemple.

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des 42 fiches d’acteurs-experts et 297 pages d’entretiens. Les référents sont identifiés,
c’est-à-dire les thèmes pivots autour desquels s’organise le discours. Au sein de ces
thèmes pivots, les unités de contexte (phrase, mot, groupe nominal) les plus récurrents
sont notées ainsi que leurs associations les plus fréquentes. La synthèse de ce codage, en
thèmes pivots puis unités de contexte, est présentée dans la partie gauche du Tableau 3.
Elle sert de base aux ateliers de réflexion prospective en sous-groupe. La partie droite
du Tableau 3 présente les résultats de ces ateliers. Nous demandons aux acteurs-ex-
perts d’indiquer, en début de session, les 3 unités de contexte qui sont, selon eux, les
plus significatives par thème pivot. Nous notons leur occurrence. A la fin de la journée,
après débats, confrontation des opinions, nous notons (a) les consensus qui sont alors
considérés comme des futuribles clairs, (b) les points non retenus (pas de consensus clair
voire opinions déviantes isolées) que nous avons choisi de ne pas analyser, les premiers
résultats étant déjà très riches et (c) les points relevant plutôt du court ou moyen terme
qui sont écartés de l’analyse prospective. Nous sommes conscients qu’une limite de ce
travail réside dans la non étude des thèmes n’ayant pas fait consensus. De plus en plus de
travaux sur les méthodes experts recommandent leur étude5. En effet, leur rejet peut être
prospectif en lui-même. Ce point mériterait d’y consacrer une recherche à part entière.
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Entreprise Titre Secteur CA vente Entreprise Titre Secteur CA &


Part Achats (%) Part Achats (%)
Alstom Transport Sourcing Performance Transport 7,7 Mds Haulotte Group Directeur Achats & Matériel 307 Mns
Director 45,4% Produits Nouveaux d’élévation 36,5%
A. Raymond France - Directeur Achats Equipementier 110 Mns Imerys TC Directeur Achats Matériaux 400 Mns
- Directeur Général 48% construction 55%
- Acheteur
Aréva Directeur Achat BU Nucléaire BU 1,16 Mds La Poste Directeur Achats Groupe Courrier, colis 20 Mds
Combustible Sud Europe 18% 27,5%
Armor Lux Directeur Général Habillement 80 Mns Lamberet Directeur Industriel & Véhicule 100 Mns
40% Achats frigorifique 65%
BCA Acteur- Directeur Général Adjoint Acteur-expertise 100 Mns Lucien Barrière Directeur Achats Loisirs 1,1 Mds
expertise véhicule 20% 26%
BIC Directeur Achats Biens de conso 1,83 Mds Maty Directeur Général Bijouterie 110 Mns
35,5% 53%
BioMérieux - Directrice Achats Pharmacie 1,4 Mds Minitubes Directeur Achats Métallurgie 23 Mns
- Directeur Général 35,7% 39%
Bourbon Président Directeur Equipementier 220 Mns Nexans Corporate Purchasing Câbles 7 Mds
Général 50% Deputy Vice President 85%
Bouygues Directeur Central des Construction 9,5 Mds PSA Executive Vice President Automobile 40 Mds
Construction Achats 73,7% Purchasing Division 61%
BUYIN JV France Vice Président Télécom SABCA - Supply Chain Director Aéronautique 135 Mns
Tél. Deutsche Tél. Procurement Excellence - Directeur Général 44%
Club Méditerranée - Directeur Achats & SC Tourisme 1,36 Mds Sanofi Aventis -Vice President CPO Pharmacie 34 Mds
- Directeur Général 73,5% -Vice President 41%
- Responsable Achat Procurement Engineering
CNP Assurances Directeur Achats Assurance PNA : 2 Mds Schneider Chief Purchasing Officer Gestion de 19,7 Mds
12,5% Electric Group l’NRJ 52%
Essilor Directeur Achats Verres correcteurs 3,9 Mds SEB -Vice President Electroménager 3,6 Mds
41% Purchasing 70,6%
- Directeur Général
Adjoint et Industriel
Eurotungstène Directeur Achats Liants 50 Mns SNCF Directeur Achats & Transport 30 Mds
80% Président CDAF 41,7%
FCI Chief Purchasing Officer Connectique 1,4 Mds Solystic Directeur Achats Solutions 140 Mns
Tableau 1 - Caractéristiques de l’échantillon

53,6% postales 42,5%


GlaxoSmithKline Vice President Global Pharmacie 35,7 Mds Véolia Senior Vice President Environnement 34,8 Mds
Biologicals Sourcing & Procurement 38,8% Environnement CPO 45,4%
Groupe ABEO Président Directeur Equipements 50 Mns Volvo 3P Senior Vice President Camions 21 Mds
Général sportifs 50% Purchasing 71%
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Tableau 2 - Application de la méthodologie PM à notre recherche


Les étapes PM et leurs L’application à notre recherche
caractéristiques
Partie 1 PM
Etat de l’art Analyse documentaire à partir de la presse professionnelle (Lettre des Achats, Décision Achats,
Procurement Leaders…) des recherches académiques (IPSERA, IMP…) des études de cabinets
de conseils (Aberdeen, AT Kearney, Accenture…).

Choix de l’échantillon Sélection d’un échantillon de 42 acteurs-experts dans 34 entreprises (publiques et privées) et 24
secteurs différents. CA de 43 milliards à 23 millions. Part achats de 12,5% à 85% du CA.

Rédaction d’un Questionnaire sur (1) les principales mutations internes et externes qui impacteront vos
questionnaire ouvert pour missions, (2) vos organisations, (3) les relations avec les fournisseurs, (4) les relations avec les
des entretiens semi- clients internes. (5) Comment vont évoluer les mesures de performance des fournisseurs, (6)
directifs des acheteurs ? (7) Quelles seront les nouvelles compétences requises ? (8) Quels seront les
dossiers clés de l’acheteur de demain ? (9) Quels seront les outils, technologies de demain dont
auront besoin des acheteurs ? Nous leur demandons de se projeter à horizon 2025.

Réalisation des entretiens Entretiens de 2H30 en moyenne retranscrits intégralement.


Partie 2 PM
Analyse de contenu Réduction et codage des 42 fiches d’entretien de 297 pages => Structuration du phénomène,

Rédaction d’un Rédaction d’un questionnaire en 5 grandes thématiques (rédigé sous forme d’affirmation) : (1)
questionnaire de synthèse Principales mutations externes qui vont impacter la fonction Achats. (2) Principales mutations
et envoi aux acteurs- internes qui vont impacter la fonction Achats. (3) Les relations fournisseurs de demain. (4) Les
experts avant la journée missions d’avenir de la fonction Achats. (5) Les postes et compétences de demain.
de travail
Partie 3 PM
Organisation d’une Deux sous-groupes de 12 (Gpe 1) et 13 (Gpe 2) acteurs-experts sont réalisés. Ils sont invités à
journée de travail réfléchir sur les 5 grandes thématiques identifiées dans la partie 2.
Réflexion en sous- La diversité des avis est d’abord recherchée, puis par la confrontation des opinions, des
groupes consensus émergent autour de possibles.
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Partie 4 PM
Proposition d’un modèle Synthèse des possibles. Proposition d’un modèle général.
général L’enquête en extension, optionnelle, n’est pas réalisée.

3. Résultats et discussion

Nous présentons et discutons les « futuribles » ou futurs possibles (de Jouvenel, 1993),
constituant des développements plausibles, « alternatives plus ou moins formalisées »
(Godet, 2001), compte tenu des degrés de liberté des acteurs en jeu. Ils ont émergé de
la confrontation des opinions dans la partie 3 de PM. A titre illustratif, des verbatim
significatifs sont repris.

3.1. Futuribles sur les missions Achats : « créer de la valeur »,


« contribuer à la réinvention des Business Models de l’entreprise »,
« avoir une orientation business »
Pour l’ensemble des acteurs-experts, l’avenir se caractérise par une plus grande com-
plexité, où tout interagit avec tout, tout le temps, où l’information devient dominante
et continûment démultipliée par Internet et les technologies de cloud computing ; où le
consommateur est de plus en plus complexe à cerner et à satisfaire dans ses exigences
de personnalisation. Cette complexité impacte les missions de la fonction Achats. Selon
les acteurs-experts, la contribution à la création de valeur pour les clients finaux, a for-
tiori pour les actionnaires, est au cœur des nouvelles missions Achats. Selon eux, comme
cette création de la valeur nécessite de repenser les business models pour répondre aux
nouveaux besoins des consommateurs, ils considèrent que la fonction Achats doit jouer

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La fonction Achats de demain : analyse prospective par la méthode PM

un rôle d’accompagnateur dans la réinvention de ces business models. « Notre priorité est
de créer pour nos clients les produits/services du futur en s’appuyant notamment sur
notre management de la relation fournisseur » (DA Nexans). « Dans le secteur public, la
fonction Achats avait pour mission, à l’origine, de protéger l’entreprise. Elle était bâtie
sur des fondements réglementaires et juridiques. Demain elle se doit de contribuer au
développement stratégique, commercial, à la transformation de l’entreprise» (DA La Poste).
Tableau 3 - Présentation des résultats des étapes 2 et 3 Etape 3 PM :
Résultats des sessions de réflexion en
de la méthode PM sous-groupe de 12 et 13 acteurs-experts
Etape 2 PM : En début de En fin de session
Résultats du codage thématique en thèmes pivots puis unités de contexte session les 3 - les consensus ì
qui vont être soumis à débats lors des sessions de réflexion prospective en points les + - point non retenuî
sous-groupe significatifs en nb - non prospectifè
d’occurrence
1. Dimensions externes qui vont impacter la fonction Achats Gp 1 Gp 2
1.1. Le développement durable va fortement impacter la fonction Achats 8 9 ì consensus
1.2. Le changement du centre de gravité vers l’Asie 3 2 î non retenu
1.3. La hausse des prix ou la raréfaction de certaines matières 1ère, NRJ 7 7 ì
1.4. Le renversement du rapport de force vers les fournisseurs « best-in-class » 7 9 ì
1.5. L’augmentation du réglementarisme, de la judiciarisation 2 2 î
1.6. Les retours de sourcing de l’Asie (+ Chine) vers l’Europe et les USA 3 2 è plutôt à CT/MT
1.7. Les mutations technologiques de plus en plus rapides et brutales 6 8 ì
2. Mutations internes qui vont impacter la fonction Achats Gp 1 Gp 2
2.1. Les organisations seront de plus en plus mondialisées et virtuelles 6 6 ì
2.2. L’utilisation d’outils collaboratifs et de partage va se généraliser 6 5 ì
2.3. Les besoins de réactivité, flexibilité seront clés 5 6 ì
2.4. Les Achats hors production / indirects seront la priorité à l’avenir 1 1 î
2.5. Il y aura un rapprochement avec le marketing / vente, les clients finaux 6 6 ì
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2.6. Les organisations Achats CSP seront envisagées à l’avenir 3 3 è
2.7. Les organisations Achats centre de profits seront envisagées 0 1 î
2.8. La tendance à la centralisation des Achats augmentera 5 6 ì
2.9. Les organisations iront vers une logique d’open innovation 4 5 ì
3. Evolution des relations fournisseurs qui vont impacter la fonction Gp 1 Gp 2
3.1. L’accentuation de la bipolarisation des relations fournisseurs 0 1 î
3.2. L’attractivité fournisseur vis-à-vis des « Best in Class » sera clé 8 9 ì
3.3. Les échanges avec les « Best in Class » seront sur les Business Models 6 6 ì
3.4. On ira vers une refonte de leurs modes de rémunération 5 6 ì
3.5. Les fournisseurs « Best in Class » seront intégrés en aval 4 3 ì
3.6. La mesure performance des « Best in Class » sera + co-construite 6 7 ì
3.7. On ira vers plus de « reverse evaluation » 7 7 ì
4. Les missions d’avenir de la fonction Achats Gp 1 Gp 2
4.1 Créer de la valeur 8 8 ì
4.2. Toujours avoir une orientation « Business » et client final 8 9 ì
4.3. Devenir des « Business Developer » pour l’entreprise 6 7 ì
4.4. Devenir de plus en plus une fonction de communication 4 5 î
4.5. Développer des actions de lobbying 1 1 î
4.6. Devenir de plus en plus une fonction de « Demand Management » 5 6 ì
4.7. Gérer de plus en plus des enjeux de Propriété Intellectuelle 4 3 è
5. Les compétences et postes Achats de demain Gp 1 Gp 2
5.1. Il y aura une pénurie de Talents demain pour gérer la complexité 3 3 î
5.2. On valorisera de plus en plus les soft skills 8 8 ì
5.3. Leadership, Intelligence émotionnelle seront les compétences clés 7 8 ì
5.4. La Créativité, la Connectivité seront déterminants 7 7 ì
5.5. On ira vers une spécialisation des tâches et des postes 4 6 ì
5.6. La performance des acheteurs intégrera plus de comportemental 7 7 ì

Etre vecteur d’innovation et de différenciation, contribuer à la réduction des délais de


mise sur le marché, favoriser l’adaptabilité, l’agilité de l’entreprise sont au cœur des
missions Achats. « Les clients ne demanderont plus des produits mais des solutions
customisées. Les Achats devront contribuer au développement de ces nouvelles solu-
tions, par le sourcing de technologies non maîtrisées aujourd’hui, par l’intégration de
nouveaux fournisseurs » (DA Haulotte). « Nous devons avoir des supply chains capables

161
n°70 - Juin 2014

de se reconfigurer rapidement, nous permettant de gérer l’adaptabilité, la flexibilité, la


croissance comme la décroissance » (DG A. Raymond). Cette contribution à la création
de valeur passe aussi, selon tous les acteurs-experts, sans exception, par l’intégration
des enjeux de responsabilité sociale (RSE), de développement durable et d’éthique au
cœur des stratégies Achats de demain. Pour contribuer à la réinvention des business
models, les Achats doivent avoir une orientation business, en d’autres termes, une com-
préhension fine de la chaîne de valeur de leur entreprise, de ses offres, de sa stratégie.
« Les acheteurs sont les mieux placés pour identifier des partenaires voire des cibles
potentielles qui contribueront au développement du business en termes de différenciation
et de croissance, à condition qu’ils comprennent ce business ! » (DA BioMérieux). « Les
Achats devront accompagner l’évolution du groupe vers une offre qualitative différenciée.
Aussi il est essentiel que les acheteurs soient imprégnés de notre nouvelle stratégie et
gèrent les fournisseurs en conséquence » (DG Club Med). Quel sera ce management des
fournisseurs demain ?

3.2. Futuribles sur le management des relations fournisseurs : « le pouvoir


se renverse en faveur des fournisseurs clés », « motiver les fournisseurs
clés est déterminant », « réinventer les relations avec les fournisseurs
clés »
Concernant le management des relations fournisseurs, le premier futurible « renverse-
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ment du pouvoir en faveur des fournisseurs stratégiques » s’explique par trois points :

- Les ruptures technologiques bouleversent les relations traditionnelles. L’exemple donné


par le DMA de Buyin est explicite : « L’opérateur T-Mobile USA, parce qu’il n’a pas pu se
procurer l’innovation technologique du fournisseur de terminaux Apple (les Iphones),
a vu sa rentabilité baisser de façon si importante qu’il a fait l’objet d’une OPA… Une rup-
ture technologique renverse complétement la relation traditionnelle client-fournisseur.
Demain, un fournisseur pourra faire basculer le business model de tout un secteur ».

- La raréfaction de certaines matières premières et énergies, combinée à une concen-


tration des fournisseurs dans nombre de secteurs intensifie la concurrence à l’achat.

- Les exigences vis-à-vis des fournisseurs étant de plus en plus nombreuses et élevées (en
termes de RSE, de performances opérationnelles, managériales, capacité d’innovations,
santé financière…), seuls quelques fournisseurs sont capables de répondre à l’ensemble
de ces exigences et contribuent réellement à la création de valeur de leur client. Mais ces
fournisseurs « best-in-class » sont aussi en situation de choisir les clients avec lesquels
ils ont envie de travailler. Les propos des DA d’Essilor sont symptomatiques : « Demain
ce seront les fournisseurs best-in-class qui nous choisiront ».

Ce renversement du rapport de force en faveur des fournisseurs stratégiques nécessite


de repenser les relations clients-fournisseurs. La priorité de demain est : comment être
attractif vis-à-vis des fournisseurs stratégiques ? Selon les acteurs-experts, le relationnel
devient essentiel : « Il faudra aller vers plus d’intimité, de transparence avec les four-
nisseurs. La communication des visions réciproques sera essentielle » (DSC SABCA).
« L’engagement des DG des 2 côtés conditionnera la qualité et la pérennité des relations »
(DG Armor Lux). Tréhan (2011) propose, à ce sujet, un modèle d’analyse de la motivation

162
La fonction Achats de demain : analyse prospective par la méthode PM

fournisseur afin d’être capable de mesurer son attractivité client et d’agir en conséquence.
Ce modèle incite notamment à repenser les modes de rémunération des fournisseurs et
leur mesure de performance. Ces deux points sont systématiquement soulevés par les
acteurs-experts.

Concernant la rémunération des fournisseurs, l’enjeu est de se différencier des schémas


dominants des concurrents à l’achat (volume contre réduction de prix) afin de devenir
client cible. « Si l’on veut bénéficier de l’innovation fournisseur, il faut s’intéresser avec
eux aux capitaux à investir ensemble et au retour sur capitaux employés des deux côtés »
(DA Sanofi). « L’acheteur devra construire un écosystème au sein duquel il y aura un
réel partage de la valeur entre client-fournisseur » (DA SNCF). « Nous irons de plus en
plus vers des modèles de rémunérations type pay as you grow ou revenue sharing car les
fournisseurs veulent bénéficier aussi des revenus récurrents des clients auxquels ils ont
contribué » (DMA Buyin). Au-delà des aspects pécuniaires, il convient d’être créatif sur
d’autres types de rétributions : mise en avant du nom du fournisseur, accès à de nouvelles
technologies… « Les fournisseurs demanderont de nouveaux modes de rémunération en
particulier pour l’innovation, à nous d’être force de proposition » (DA Schneider). « On ira
de plus en plus vers de la mise en avant croisée de marques avec certains fournisseurs
stratégiques » (DG Seb).

Concernant les indicateurs de performance, dès lors que l’on demande au fournisseur
de contribuer à la réinvention du business model de l’entreprise pour une plus grande
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création de valeur, il convient de repenser sa mesure de performance. Deux points clés
ressortent : Premièrement, la mesure de performance se doit d’être co-construite avec
lui : « Le contrôle des résultats et des comportements est essentiel mais non suffisant
pour satisfaire nos objectifs d’innovation, d’apports de solutions de la part des fournis-
seurs. La mesure de performance doit être co-construite avec eux » (DA BU Aréva). « La
mesure de performance doit être co-construite car c’est ensemble que l’on manage la
relation. Le meilleur indicateur de la qualité des relations, c’est l’envie d’aller vers d’autres
solutions ensemble » (DA Sanofi). Deuxièmement, la mesure de performance devient
bidirectionnelle et non plus seulement unidirectionnelle du client vers le fournisseur.
Concrètement, cela signifie que ce n’est plus l’acheteur qui juge la performance de son
fournisseur mais le fournisseur qui juge la performance de son client, sur la qualité des
informations transmises, sur le respect des engagements, sa capacité à gérer la relation…
Dans notre panel, ces évaluations inversées sont déjà initiées par Schneider, A. Raymond,
PSA, Bouygues Construction, FCI... et les acteurs-experts considèrent tous que ce retour
du fournisseur sera incontournable demain.

Enfin, si la fonction Achats réinvente les relations avec les fournisseurs, c’est parce que
les « types » de fournisseurs ne seront plus les mêmes demain. A l’avenir la création de
valeur passera par l’open-innovation, selon la terminologie de Chesbrough (2003), basée
sur le partage, l’échange, la sérendipité. « Nous croyons beaucoup à l’open innovation
pour repenser nos produits du futur » (DA Bic). D’une logique de co-développement clas-
sique avec un fournisseur, l’innovation éclora au sein de relations réticulaires intégrant
aussi bien des particuliers, des clients, des centres de recherche voire des concurrents…
« Dans le domaine des hautes technologies, un concurrent peut être demain un allié.
L’ouverture est essentielle. L’open innovation fait partie de nos challenges futurs » (DG
SABCA). L’acheteur gérera à l’avenir une pluralité de fournisseurs protéiformes, ce qui

163
n°70 - Juin 2014

nécessitera, de repenser les notions de propriété intellectuelle et les frontières organi-


sationnelles de l’entreprise.

3.3. Futuribles sur les organisations et les postes Achats : « vers une
‘f lexi-centralisation’ », « vers une spécialisation des postes Achats »
Le renversement du rapport de force en faveur des fournisseurs stratégiques combiné à
la raréfaction de certaines matières premières et énergies et à la concentration de nom-
breux marchés fournisseurs vont favoriser la transformation des organisations Achats
vers, ce que nous nommons, une « flexi-centralisation ». L’enjeu est d’être plus visible sur
les marchés fournisseurs. « Les enjeux d’attractivité fournisseurs pour la captation de
l’innovation sont tels que nous sommes en train de construire nos organisations achats
de demain en réponse à ces défis » (DMA Buyin). Certes, la concentration des volumes
est importante, mais l’essentiel est d’être capable de proposer un seul point d’entrée
pour les fournisseurs stratégiques, de parler d’une seule et même voix pour l’ensemble
de l’entreprise et de communiquer sur une seule et même vision homogène, que ce soit
dans une division ou dans une zone géographique lointaine. « Notre enjeu est de favori-
ser les synergies au niveau des ressources et des compétences Achats, de peser plus sur
le marché fournisseur mais surtout d’accroître notre visibilité » (DG BCA). « Il faut une
Direction Achats monde forte capable de véhiculer des valeurs, une vision, de donner
envie aux fournisseurs de travailler avec nous et à la fois il faut de la proximité » (DA
Club Med). Comme les besoins d’adaptabilité augmentent dans la même proportion que
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l’incertitude et la complexité de l’environnement, il est aussi nécessaire de développer de
la flexibilité. Les nouveaux outils collaboratifs et de partage vont se généraliser au sein
des organisations Achats afin de concilier ces exigences apparemment antagonistes de
flexibilité, proximité et centralisation. Les propos du DA de Bouygues Construction sont
significatifs : « La valeur ajoutée de l’organisation est liée à la force du travail ensemble
quels que soient l’éloignement géographique ou la spécificité des projets et nous sommes
plus créatifs si ce travail est collaboratif. Pour ce faire, nous croyons beaucoup aux mes-
sageries instantanées internes de type Twitter, aux réseaux sociaux internes Achats, type
Facebook ». « Afin de favoriser la connectivité, la coordination entre toutes les équipes
achats, les réseaux sociaux et les outils type Sharepoint sont appelés à se généraliser »
(DMA Buyin). Tout cela sera amplifié par le Cloud Computing selon les acteurs-experts.

En réponse à la complexité croissante de l’environnement, aux nouvelles exigences de


contribution des Achats à la création de valeur de l’entreprise, à la nécessaire réinven-
tion des relations avec les fournisseurs, les grandes organisations Achats cherchent à
spécialiser leurs postes. Cette spécialisation se fait selon les étapes du processus achats
et/ou selon les enjeux auxquels faire face. Nous observons déjà la création de postes
d’expert énergies, de responsable RSE, de manager de la base fournisseur, manager des
risques Achats, responsable méthodes Achats, responsable développement fournisseur,
manager de compte fournisseur clé… « On a besoin d’avoir des experts pointus pour faire
face aux enjeux de demain » (DMA Sanofi). « Compte tenu de la volatilité de plus en plus
importante à l’avenir, l’objectif est d’avoir des acheteurs dédiés par type de problème,
de technologie qui sont plus efficients, plus réactifs mais aussi plus facilement « contrô-
lables » car quand un acheteur fait tout on ne peut pas arbitrer » (DA Volvo). Concernant
les petites organisations Achats, cette spécialisation des postes ne peut que très partiel-
lement s’appliquer car elles se heurtent à un problème de ressources insuffisantes. Plus

164
La fonction Achats de demain : analyse prospective par la méthode PM

globalement, tous les acteurs-experts issus de grandes organisations soulignent que les
besoins d’avenir portent davantage sur des postes stratégiques et moins sur des postes
purement opérationnels. En quoi ces nouvelles organisations Achats vont-elles influencer
les relations avec les clients internes ?

3.4. Futuribles sur les relations avec les clients internes : « la relation
devient celle de partenaires d’affaires », « les Achats accompagnent les
clients internes dans une logique de Management de la Demande », « les
Achats se rapprochent du Marketing/Vente »
Pour un acheteur, les clients internes sont à l’origine du besoin. Toute la complexité de
cette relation réside dans la nécessité de les satisfaire tout en œuvrant pour l’intérêt
global de l’entreprise. Par exemple, redéfinir un cahier des charges peut permettre de
sortir d’un monopole artificiel avec un fournisseur, mais cela soulève parfois des résis-
tances au changement de leur part. Comme le soulignent les acteurs-experts, souvent
les négociations les plus complexes ne sont pas tant avec les fournisseurs qu’avec les
clients internes. L’enjeu de ces relations est bien résumé par le DA de La Poste « être au
service mais pas servile ». Pour certains acteurs-experts le terme de client interne biaise
la relation que l’on peut avoir avec eux. « Il faudrait appréhender ces relations selon
une logique de partenaires dans du développement d’affaires » (DA BioMérieux). Cette
évolution vers une logique de partenaires d’affaires (business partners) est d’autant plus
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importante, selon les acteurs-experts, pour faire face aux enjeux futurs de réinvention
des business models, de création de valeur. Leurs objectifs réciproques doivent conver-
ger pour construire et défendre l’avantage concurrentiel de l’entreprise. Et ces relations
se doivent d’être « mutuellement exigeantes » (DA Sanofi). L’approche du DA de Seb est
significative : « les clients internes évaluent les acheteurs et inversement : cela favorise
une dimension pédagogique où l’on explique ce qu’est la fonction Achats ». Le principal
obstacle à la transformation de ces relations réside, selon les acteurs-experts, dans la
vision restrictive qu’ont, encore trop souvent, les clients internes des Achats, à savoir : une
fonction de réduction de coûts. Ce point est à nuancer selon les entreprises et secteurs.
En parallèle de cette logique de partenaires d’affaires, les acheteurs ont aussi un rôle
d’accompagnement à jouer. L’intégration de la RSE dans les stratégies Achats nécessite
non seulement de revoir les modes de sélection, de suivi des fournisseurs, mais aussi
d’initier, d’accompagner les changements de mode de consommation, de comportement
des clients internes. Les acheteurs vont de plus en plus s’inscrire dans une logique de co-
construction du besoin. La fonction Achats migre alors vers une fonction de Management
de la Demande. Enfin, la contribution des Achats à la création de valeur passe par un
rapprochement avec les fonctions Marketing-Vente. La première raison réside dans une
meilleure compréhension et donc valorisation des besoins des clients finaux auprès
des fournisseurs : « les relations avec le Marketing Produit vont augmenter pour mieux
déterminer l’impact d’un choix fournisseur, de sa solution technologique sur la valori-
sation par le client final et donc sur la marge de l’entreprise » (DA PSA). La deuxième
explication se résume en une phrase : bien acheter permet de mieux vendre. « Il faut
plus impliquer les Achats dans la réponse aux appels d’offres clients : communiquer à
nos clients nos méthodes de sélection, de suivi fournisseurs constitue pour eux un gage
de traçabilité, de qualité. Cela contribue à nous différencier de nos concurrents » (DG
Armor Lux). « Rapprocher les Achats de la Vente notamment pour les cotations produits

165
n°70 - Juin 2014

est un élément renforçant notre compétitivité : il est essentiel d’intégrer les Achats avant
toute remise de prix à nos clients » (DG Bourbon). Ces deux premières explications sont
directement liées à la défense d’un avantage concurrentiel. La dernière explication est
plus tactique. Il s’agit du support apporté par les Achats dans l’acte de vente même :
« Les acheteurs accompagnent de plus en plus les forces de vente chez les clients finaux :
parler d’acheteurs à acheteurs crédibilise le discours. Par exemple, on n’a pas subi de
hausse liée aux matières premières » (DA FCI). Toutes ces transformations nécessitent
de nouvelles compétences pour les acheteurs.

3.5. Futuribles sur les compétences : « les soft skills, le développement


d’une vision holistique, la connectivité, la créativité deviennent
déterminants »
Tous les acteurs-experts considèrent que les savoirs-être sont de plus en plus importants
comparativement aux savoirs et savoir-faire. Non seulement les compétences techniques
s’acquièrent plus facilement que les savoir-être, mais dans un environnement en muta-
tion perpétuelle, plus complexe, les compétences techniques deviennent rapidement
obsolètes. L’humain est repositionné au cœur du processus de création de valeur de
l’entreprise : « Comme on va revenir à une situation où les relations humaines priment,
le développement personnel fera la différence » (DA SABCA). « Le principal obstacle dans
la transformation de la fonction Achats est la maîtrise des soft skills par les acheteurs »
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(DA BioMérieux). Le développement du leadership et de l’intelligence émotionnelle sont
systématiquement cités par les acteurs-experts. Selon Blanchard et Johnson (1982), la clef
du pouvoir des managers réside dans l’influence et non plus dans l’autorité. C’est dans ce
sens que le leadership devient déterminant pour influencer les clients internes alors que
l’acheteur n’a aucun pouvoir hiérarchique sur eux. Ce leadership est aussi déterminant
dans la transformation des relations avec les fournisseurs car un des enjeux demain pour
créer de la valeur est : comment influencer le fournisseur pour que mon organisation soit
client cible, alors que le pouvoir n’est plus en ma faveur ? Quant à l’intelligence émotion-
nelle, elle facilite, selon Goleman (1997), la gestion des relations c’est-à-dire la capacité
à inspirer et à influencer les autres tout en favorisant leur développement et à gérer les
conflits. Leadership et intelligence émotionnelle sont étroitement liés ; ils permettent
à l’acheteur de mieux manager ses relations internes et externes (Rondot, 2011). De
façon générale, dans ce monde complexe, incertain, où tout interagit avec tout, l’enjeu
pour les acheteurs est d’être capable de penser la complexité a fortiori de favoriser les
approches holistiques. « Les acheteurs doivent avoir des approches globales permettant
d’appréhender tous les paramètres de l’équation de création de valeur. Par exemple, pour
une solution fournisseur à tel niveau de coût, permettant une diminution de un gramme
d’émission de CO2, combien le client final sera-t-il prêt à payer en plus ? » (DA PSA). Ils
doivent privilégier les réseaux, la connectivité : « Le collaboratif, la transversalité, le
partage des connaissances sont des éléments clés. Notre organisation Achats fonctionne
déjà comme un réseau social et dans ce réseau l’acheteur doit faire preuve d’intelligence
cognitive » (DA Bouygues Construction). « Pour découvrir de nouvelles technologies,
matières, fournisseurs… l’acheteur doit être perpétuellement connecté, en interaction
avec l’environnement » (PDG ABEO). Enfin, la créativité est primordiale : avec la raison on
va de A à B, avec l’imagination on va partout. « Il faut des acheteurs créatifs, adaptatifs »

166
La fonction Achats de demain : analyse prospective par la méthode PM

(DG Maty). « La curiosité, l’éclectisme sont des qualités essentielles pour se projeter dans
les besoins futurs de l’entreprise, pour gérer les fournisseurs de demain » (DA Essilor).

3.6. Discussion
Afin d’enrichir l’analyse, il est intéressant de rapprocher ces résultats d’autres travaux
de prospectivistes. Ceux de Halevy (2012), physicien et philosophe, sur la révolution
noétique font résonnance. Cette révolution noétique (du grec noôs « connaissance ») est
native de la révolution informatique, avec pour parangon, Internet. Elle est le passage de
l’âge moderne à l’âge postmoderne, de la société des objets et de la consommation, à la
société de la connaissance et de l’information, d’une économie industrielle à une écono-
mie immatérielle, d’un monde compliqué à un monde complexe, d’une vision mécaniste
du monde à une vision organique et réticulaire. Cette révolution s’accompagne d’une
recherche de sens et de valeurs morales. Ce changement de paradigme économique
tel qu’il est décrit par Halevy correspond à cette complexité environnementale future
appréhendée par les acteurs-experts. C’est cette complexité liée à « l’hyper-information »,
« l’ultra-connectivité », « les exigences de personnalisation de consommateurs de plus
en plus responsables », pour reprendre leurs terminologies, qui, selon eux, impacte les
missions futures de la fonction Achats, dans le sens d’une contribution à la réinvention
du business model de l’entreprise. La recherche de sens caractéristique de cette révolu-
tion est aussi à rapprocher de ce que les acteurs-experts soulignent en termes de RSE
: la contribution des Achats à la création de valeur pour l’entreprise, a fortiori pour ses
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clients, est indissociable de l’intégration de critères de RSE, de développement durables,
d’éthique au cœur des stratégies Achats. Johnsen et al. (2012) notent les mêmes enjeux
futurs. Ces nouvelles missions impactent les compétences des acheteurs. En référence aux
« T Men » de Peter Drucker, les acheteurs de demain sont, a minima, de bons spécialistes
généralistes, c’est-à-dire des professionnels experts dans leur métier (dimension verticale
du T) avec une bonne compréhension des autres fonctions de l’entreprise (dimension
horizontale du T), de sa stratégie ; ils sont plus « orientés business » selon les propos des
acteurs-experts. Au-delà des « T Men », la description de l’acheteur de demain est celle
d’un « mutant noétique » tel qu’il est défini par Halévy (2012). Il est capable de penser
la complexité, d’agir autrement dans un monde imprédictible. Pour cela, son cerveau
droit est réhabilité. Il ne s’agit pas de renoncer à la rationalité classique mais de l’enrichir
par l’intuition, la globalité, l’imagination et de reconnaître l’importance des émotions.
Déjà en 1987, Simon (1987) soulignait l’importance de l’intuition et de l’émotion dans
la prise de décision managériale. Sa créativité l’aide dans la gestion de la complexité et
de l’ambiguïté. Face à cette complexité, il sort des logiques binaires, remplace la logique
du OU exclusif par des logiques du ET inclusif. Enfin, le mutant noétique ou l’acheteur
de demain sort des architectures pyramidales et hiérarchiques. Comme le soulignent
les acteurs-experts, c’est un homme, une femme de réseau, connecté… au cœur de « la
noosphère ».

Conclusion

En synthèse, d’une logique historique de réduction des coûts, la fonction Achats est,
actuellement, au cœur d’une logique de gestion des risques. Demain, ses missions sont la
création de valeur, la contribution à la réinvention du business model de l’entreprise, dans

167
n°70 - Juin 2014

un environnement où le pouvoir se renverse en faveur des fournisseurs clés. Repenser


les relations avec ces fournisseurs, dans le sens d’une meilleure prise en compte de leurs
facteurs motivationnels, s’avère déterminant, comme Tréhan (2011) l’a déjà souligné.
Les relations avec les clients internes migrent aussi vers une logique de partenaires
d’affaires. La maîtrise de nouveaux savoir-être par les acheteurs conditionne ces évo-
lutions. Leadership, intelligence émotionnelle, créativité deviennent essentiels. Dans la
lignée des travaux de Rondot (2011), les perspectives de recherche sur l’enrichissement
du métier d’acheteur par de nouvelles compétences relationnelles sont importantes. Notre
recherche soulève également de nouvelles interrogations sur le futur rôle des Achats
par rapport aux enjeux de RSE, d’open innovation, de gestion des ressources rares, de
nouveaux indicateurs de performance… Rozemeijer et al. (2012) suggèrent ces mêmes
perspectives de recherches à partir de l’analyse des publications du 20ème congrès de
l’IPSERA (International Purchasing & Supply Education & Research Association) intitulé
« Preparing today for tomorrow’s challenges ». En ce qui concerne les managers, cette
recherche constitue une contribution pour aider à mieux préparer l’avenir. Pour cer-
tains, la mue des Achats requiert un changement de dénomination, car la terminologie
« achat », en français, est indifféremment utilisée par le consommateur faisant ses courses
comme par l’entreprise. Cela ne favorise pas sa reconnaissance en tant que « métier »
à part entière. Si Léopold Sédar Senghor affirme qu’« il suffit de nommer la chose pour
qu’apparaisse le sens sous le signe », le débat est, néanmoins, toujours ouvert dans
les entreprises françaises… Dans les entreprises anglophones, ce débat n’existe pas :
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la fonction Achats est majoritairement nommée Procurement. La distinction est claire
du shopping ou buying plus utilisés pour les non professionnels. Notons que la fonction
Achats de Danone, entreprise française, se nomme désormais Sourcing and Supplier
Development afin, selon leurs propos, « de souligner le positionnement des acheteurs
très en amont de la chaîne de valeur »… Au-delà de ce débat, la vraie difficulté n’est-elle
pas davantage liée à une méconnaissance globale de ce qu’est la fonction Achats ? Le
problème de dénomination n’en est-il pas que le symptôme ? Ces interrogations consti-
tuent aussi d’autres pistes de travaux futurs en Achats. Enfin, les limites de ce travail sont
inhérentes aux recherches en prospective. Comme le soulignent Marchais-Roubelat et
al. (2011), dans quelle mesure la connaissance résultant de ces travaux n’agirait elle pas
comme une prophétie auto-réalisatrice qui influencerait le cours de l’action à travers le
comportement de ceux qui y croient ?

Bibliographie
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