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Résumé
Cette recherche mobilise le concept de plateforme pour
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1 Les auteurs sont cités par ordre alphabétique. Ils remercient les évaluateurs ano-
nymes ainsi que les participants au colloque « Vers une transformation marketing et digitale
de l’entreprise et de ses rôles? » de l’ISTEC pour leurs commentaires.
2 Nabyla DAIDJ : Associate Professor, Telecom Ecole de Management et LITEM -
nabyla.daidj@telecom-em.eu
3 Thierry DELECOLLE : Enseignant-chercheur, ISC Paris Business School -
thierry.delecolle@iscparis.com
4 Cédric DIR IDOLLOU : Enseignant-chercheur, ISC Paris Business School -
cdiridollou@iscparis.com
5 Catherine MOR IN: Alumni MBA eBusiness, ISC Paris Business School -
catherine.morin@iscparis.com
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Abstract
Through the concept of platform, this research analyses the
digital transformation at work in the media space buying
sector faced since 2012 with the emergence of programmatic
platforms. These platforms enable publishers to distribute
unsold space and advertisers to buy discounted space, in a
blind system. The transformation is characterized by the
emergence of new intermediate actors in the chain from
the advertiser to the publisher. A literature review on
the concept of platforms lays the foundation for a grid of
analysis of actors’ logical through thirteen interviews of
digital advertising professionals. It illustrates the economic
mechanisms associated to the platforms but also the roles of
actors and issues that incumbents should meet to justify their
value on the market. Moreover, it shows that the players on
the two sides can inf luence the configuration of the platform
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le volume des effectifs de l’un des versants affecte l’utilité des membres ap-
partenant aux autres versants. Les externalités de réseau sont soutenues par
l’existence d’interfaces garantissant l’interopérabilité ou la compatibilité entre
les différentes composantes s’articulant autour de la plateforme technologique.
Plus le nombre de composantes s’élève plus les possibilités de combinaisons
sont importantes et donc l’utilité des produits ou technologies générés par la
plateforme augmente aux yeux de ses membres.
La plateforme est considérée comme étant d’autant plus efficace qu’elle est
capable de générer le maximum d’externalités indirectes. Son rôle est ensuite de
permettre l’internalisation des externalités produites (Rochet et Tirole, 2004),
principalement en minimisant les coûts de transaction (Evans et Schmalensee,
2007). Cette internalisation repose sur le modèle économique mis en place par
la plateforme pour capter la valeur économique générée. Cette captation dépend
largement de la structure de tarification. Il s’agit d’un thème qui se rattache
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programmatiques : la publicité digitale en question
6 Voir Evans et Schmalensee (2007) pour une distinction entre tarif d’accès (partie
fixe du tarif ) et tarif d’usage (partie variable du tarif ) pour les plateformes technologiques et
leur impact respectif sur leurs effectifs et le volume des transactions au sein de celles-ci.
7 Voir le fameux problème du « chicken-egg » (Caillaud et Jullien, 2003) qui rappelle
la nécessité d’atteindre des seuils d’effectifs de membres d’une plateforme pour enclencher les
effets d’externalités de réseau.
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Les auteurs tels que Thomas et al. (2014) appréhendent la plateforme techno-
logique non pas comme un dispositif de marché mais plutôt comme le point
central d’un écosystème industriel basé sur une infrastructure technologique.
Cette infrastructure est constituée de différentes composantes, qui peuvent
être des produits ou des technologies, dont certaines sont critiques, centrales
et d’autres périphériques. La plateforme technologique est constituée par les
composantes centrales, qui se caractérisent par une moindre variété et une plus
grande stabilité, et elle offre un dispositif permettant à celles-ci d’interagir avec
les composantes périphériques, qui se définissent par une plus grande variété
et variabilité (Baldwin et Woodward, 2009). Le tout forme un écosystème
industriel dont, schématiquement, les piliers les plus fréquemment observés
sont : le sponsor ou le fournisseur de la plateforme (entendue ici comme la
structure de contrôle de l’ensemble des composantes centrales), les producteurs
de composantes périphériques et les utilisateurs de l’ensemble des composantes
combinées en produits et services. Le fournisseur de la plateforme n’est pas
nécessairement celui qui propose ces produits et services mais il constitue un
premier point de contact avec les utilisateurs (Eisenmann et al., 2006, 2008).
Le sponsor ne traite pas toujours directement avec eux, il peut laisser le soin
de le faire à un ou plusieurs fournisseurs. En revanche, il a le contrôle sur l’ar-
chitecture de la plateforme (notamment sur sa dimension technologique et sur
les droits et modalités d’accès). Dans les deux cas de figure, ces rôles peuvent
être pris par un ou plusieurs acteurs, simultanément ou non. Le rapport de
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Plus généralement, Van Alstyne et al. (2016, p. 56) rappellent que « bien qu’elles
relèvent de différentes variétés, les plateformes partagent le même écosystème
avec la même structure basique, comprenant quatre types d’acteurs. Les pro-
priétaires de la plateforme contrôlent la propriété intellectuelle et gouvernent.
Les fournisseurs servent d’interface avec les utilisateurs. Les producteurs créent
les offres et les consommateurs utilisent ces offres ». Tous ces acteurs de nature
diverse sont considérés comme des créateurs de valeur. Ils n’ont pas toujours
de rôles fixés, pouvant intervertir et changer de rôle rapidement affectant
ainsi la logique d’acteurs aussi bien au sein qu’à l’extérieur de l’écosystème.
Le contrôle de ce réseau passe par le contrôle des composantes centrales et
des règles d’interaction entre l’ensemble des acteurs, produits et technologies
composant le réseau. Il est possible alors de distinguer une tête de réseau (le
leader de la plateforme) qui interagit, de manière directe ou indirecte, avec les
acteurs périphériques composant le reste de l’organisation.
Enfin, dans la continuité des travaux de Moore (1993, 1996 et 1998) sur les
écosystèmes d’affaires, Iansiti et Levien (2004) se servent également de la
métaphore biologique pour décrire les écosystèmes d’affaires. Ils considèrent
qu’il existe trois conditions qui déterminent le succès des écosystèmes : la
productivité, la « robustesse » (la capacité à résister aux chocs et à s’adapter
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Dans les années 2000, sont arrivés les réseaux publicitaires appelés « ad
networks ». Ils se sont mis à diffuser des annonces « display » (impressions)
en masse à prix parfois cassés : ils offraient aux éditeurs la possibilité de vendre
une partie de leurs espaces invendus. Ces brokers, agrégeaient les inventaires
des différents éditeurs et les revendaient sous forme de packages, les annon-
ceurs ignorant très souvent la liste des sites composant les packs. Certains ad
networks ont travaillé la valeur de leur offre en se spécialisant sur des cibles
(exemple : les femmes), un centre d’intérêt (l’automobile) ou encore un sup-
port de consultation (mobile). Parallèlement à l’essor du display, les années
2000 ont vu émerger un nouvel acteur du search marketing qui allait être à
l’origine du modèle du Real Time Bidding (enchères en temps réel) : Google
Adwords. Il offrait aux annonceurs la possibilité de paramétrer des enchères
sur des mots clés (requêtes) ciblés pour afficher leurs liens sponsorisés en tête
des résultats du moteur de recherche Google. Ce mode de commercialisation
a inspiré la création des « Ad Exchanges », les futures places de marchés du
programmatique.
Les premiers Ad Exchanges sont apparus en 2010 aux États-Unis, lorsque les
géants de l’Internet (Google, Microsoft, Yahoo!) ont lancé ces plateformes
d’achats d’espaces automatisées pour commercialiser leurs impressions in-
vendues. Plus que de l’achat d’impression, les Ad Exchanges vendent l’accès à
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programmatiques : la publicité digitale en question
Ce travail repose sur une analyse qualitative sur la base de 13 entretiens d’ex-
perts réalisés en juillet et août 2015. Les experts interrogés ont été sélectionnés
pour représenter l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème du pro-
grammatique : annonceurs, agences médias, data-providers, DMP, Ad Exchanges,
régies, éditeurs, conseil en stratégie digitale, trading desk (Tableau 1).
Tableau 1 – Échantillon
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Les entretiens ont été réalisés à l’aide d’un guide d’entretien semi-directif et ont
fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Les premiers thèmes visaient
à définir la publicité programmatique et à identifier ses principaux enjeux, les
thèmes suivants avaient pour objectif de mieux appréhender la complexité
des pratiques relationnelles entre les différents acteurs de l’écosystème de la
publicité digitale.
Dans les années 1990, la publicité en ligne était commercialisée en mode direct :
la négociation s’effectuait entre annonceurs et éditeurs et les impressions étaient
vendues au CPM (coût pour mille affichages). Puis les régies se sont imposées
en tant qu’intermédiaires enrichissant leur discours marketing au delà du
CPM en complétant l’approche contextuelle d’un ciblage socio-démographique.
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programmatiques : la publicité digitale en question
À son origine, on trouve le real time bidding (RTB) qui est apparu en France en
2012 (2008 aux États-Unis). Le RTB offre la possibilité d’acheter des espaces
publicitaires aux enchères pour y afficher la publicité de son choix en temps
réel et de manière automatisée. Il permet la mise en relation d’acheteurs et de
vendeurs de publicité via des technologies d’achat DSP (Demand Side Platform)
et de vente SSP (Supply Side Platform) et voit l’apparition de sociétés de conseil
spécialisées en achat (Trading desks). Ces plateformes peuvent être ouvertes
ou contraintes et reposent sur différentes technologies d’achat et de vente de
publicités telles que :
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Il semble que la data soit le levier sur lequel les acteurs se positionnent en
qualité de firme pivot dans cet écosystème. SSP, Ad Exchanges et DSP sont
aujourd’hui au cœur du système et le discours sur la transformation digitale
concerne les acteurs traditionnels et leurs moyens de revendiquer une place
dans l’organisation en réseau.
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programmatiques : la publicité digitale en question
Data et temps réel sont au cœur du discours des interviewés. Ils permettent
un meilleur ciblage, une diffusion en temps réel, et améliorent la capacité de
mesure de l’efficacité des campagnes de communication : l’optimisation des
performances et des coûts. C’est autour de la data que se construisent les firmes
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9 Impressions visibles sans que l’internaute ait besoin de faire défiler la page vers le
bas.
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programmatiques : la publicité digitale en question
diffusé sur des sites de jeux en ligne alors qu’il cherchait à toucher des femmes
pour un soin visage…).
Parmi les acteurs traditionnels, en ce qui concerne les trading desks, les annon-
ceurs ainsi que les agences médias attendent davantage de transparence de
leur part. Ils aimeraient « travailler plus directement avec les trading desks et
pouvoir être en contact avec leur trader media » (ID). Un annonceur souhaiterait,
lors de son prochain appel d’offres d’agence médias, lever l’exclusivité sur le
trading desk, ainsi comme il l’a déjà fait pour le SEA, « afin d’avoir davantage
de visibilité sur le programmatique » (CD).
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Mais le changement le plus significatif sera lié au rôle central que joueront les
acteurs de la data. À ce titre, les DMP devraient mettre en relation les deux
versants s’ils veulent s’imposer comme acteur central. Or, aujourd’hui seuls les
annonceurs semblent intéressés et pourraient investir dans cette technologie.
Les éditeurs semblent, quant à eux, plus réservés pour des raisons financières.
Pour développer des externalités, les acteurs ont fait le choix de l’ouverture afin
de garantir la plus grande interopérabilité possible. Cependant, ce choix aurait
dû être compensé en partie par des mécanismes de contrôle. Par exemple, si
la plateforme Android (téléphonie mobile) est qualifiée de plateforme neutre
parce qu’elle ne se caractérise pas par un contrôle serré des composantes clés
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programmatiques : la publicité digitale en question
Alors que la théorie laisse entendre que les firmes pivots, à l’origine de la plate-
forme, ont la main pour concevoir et guider l’évolution de l’écosystème dont
elles sont à l’origine, le cas de la publicité programmatique illustre une réalité
différente. Il semble qu’en faisant face à la contrainte de l’interopérabilité pour
s’insérer dans un écosystème complexe, les Ad Exchanges n’ont pas réussi à
ériger de barrières à l’entrée et à se protéger d’une reprise en main par les
annonceurs/éditeurs ou l’arrivée de nouveaux entrants. Ceci renvoie dans une
certaine mesure à un problème de design de business model.
Conclusion
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